JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
79E ANNÉE – NO 24255
3,20 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Climat : les fragiles progrès d’une année charnière
▶ L’année 2022, marquée
à travers le monde par
des catastrophes liées
aux évolutions du climat,
a tout de même laissé en­
trevoir des points positifs
La justice
violences
conjugales
Reportage
La Nouvelle­
Calédonie des  du pétrole
« broussards »
Ces éleveurs, descendants
de colons français, affi­
chent leur attachement
à leur mode de vie, trans­
mis au fil des générations.
Selon eux, Kanak et loyalis­
tes vivent très bien ensem­
ble, dans la brousse. Der­
nier volet de notre série
sur la Nouvelle­Calédonie
PAGE 8
1
É DI TO RI AL
LE DÉCLIN  En novembre 2021. FIFOU
DE L’OMC,  Styles
UNE MENACE  à la fois l’artiste français le plus
POUR LA STABILITÉ  écouté sur les plates­formes de
MONDIALE
PAGE 24
▶ D’importants accords
internationaux ont été
signés sur la préservation
de la biodiversité, la lutte
contre le réchauffement
et la taxation carbone
face aux   Un tournant historique pour cet
▶ Les législateurs
et l’exécutif réflé­
chissent à la façon
de gérer au mieux
ces affaires, dont
le nombre ne cesse
d’augmenter
Musique Jul, ou l’art marseillais
du rap et des affaires
à 32 ans, le rappeur marseillais est
streaming et l’inspirateur de sa
propre marque de vêtements.
Avec plus de 6,6 millions d’albums
vendus en sept ans, c’est un poids
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Hongrie 1 650 HUF, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,50 €, Maroc 25 DH, Pays-Bas 4,20 €, Portugal cont. 3,70 €, La Réunion 3,50 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,70 CHF, Tunisie 5,20 DT, Afrique CFA autres 2 500 F CFA
▶ Ces avancées étaient
loin d’être acquises il y a
quelques mois, alors que
la guerre en Ukraine
commençait à ébranler
le multilatéralisme
▶ Confrontés à l’afflux
de dossiers, les magistrats
s’interrogent, eux aussi,
et essaient de s’adapter.
Nos reportages, à Châlons­
en­Champagne et à Bobigny
PAGE S 6-7 E T 23
lourd de l’industrie du disque, tous
genres confondus. Pour la sortie
de son vingt­sixième album, Le
Monde a rencontré cet artiste ré­
puté réservé, qui trace son chemin
entouré d’une équipe restreinte.
PAGE 18
▶ Les acteurs de l’environ­ ▶ En France, bien des
nement soulignent mal­ spécialistes estiment qu’il
gré tout l’insuffisance faut modifier le système
de certaines mesures, et politique pour réussir
la nécessité de passer vite la transition écologique
des promesses aux actes PAGE S 10- 11 E T 1 6- 17
LA CROATIE RELÈVE LE DÉFI 
DU PASSAGE À L’EURO
le 1er janvier 2023, la Croatie et Pour les autorités, l’adoption de
ses 3,9 millions d’habitants inté­ la devise européenne est un pari,
greront la zone euro et, dans le doublé d’un lourd défi logistique,
même temps, l’espace Schengen. car le feu vert du Conseil euro­
péen n’a été donné qu’en juillet.
Etat des Balkans, qui reste Ces sept dernières années, la Croa­
marqué par la guerre et l’éclate­ tie a connu un essor économique
ment de la Yougoslavie, dans les spectaculaire – porté en partie par
années 1990. A l’approche du le secteur du tourisme –, mais elle
jour J, le premier ministre, Andrej a perdu 10 % de sa population, en
Plenkovic, évoque la « réalisation particulier des jeunes.
d’un rêve ». PAGE S 12- 13
Birmanie
Le pays en état 
d’urgence 
humanitaire
Etats­Unis
Les ravages
du « blizzard 
du siècle »
Près de deux ans après La tempête hivernale
le coup d’Etat militaire qui Elliott a fait au moins
a renversé le gouverne­ soixante morts dans l’Est
ment élu d’Aung San Suu et le Midwest, mais les
Kyi, ce pays de 53 millions sauveteurs craignent un
d’habitants, où les forces bilan plus lourd dans les
armées font régner régions les plus touchées
la terreur, est confronté par les chutes de neige et
à d’importants mouve­ le froid glacial, en particu­
ments de population lier l’Etat de New York
PAGE 2 PAGE 9
Energie
Moscou riposte
sur le « front »
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PAGE 21
 INTERNATIONAL
2|
En Birmanie, état d’urgence humanitaire
Le nombre de déplacés explose, alors que l’aide internationale est quasi paralysée par la junte au pouvoir
bangkok ­ correspondant
en Asie du Sud­Est
P
lus d’un million de per­
sonnes nouvellement
déplacées depuis le coup
d’Etat de février 2021,
15,2 millions d’individus « en si­
tuation d’insécurité alimentaire
grave et modérée », selon le Bu­
reau de coordination des affaires
humanitaires des Nations unies
(OCHA), des taux de vaccination
infantile passés en dessous des
50 %, contre environ 90 % au­
paravant : la Birmanie, 53 millions
d’habitants, est en pleine détresse
humanitaire.
Les organisations non gouver­
nementales (ONG) internationa­
les et les agences onusiennes font
face à des difficultés inédites d’ac­
cès et de financement. Une my­
riade de petites associations en
lien avec les réseaux de la résis­
tance à l’étranger portent le gros
de l’effort humanitaire, mais sont
loin de répondre aux besoins.
Quasiment un an et onze mois
après le coup d’Etat militaire qui a
renversé le gouvernement élu
d’Aung San Suu Kyi, la junte mili­
taire n’a pas réussi à venir à bout
INDE KACHIN
CHINE
SAGAING
BANG.
BIRMANIE
CHIN
MAGWE Naypyidaw
RAKHINE
THAÏLANDE
200 km
Principaux groupes ethniques
Bamar Kayah
Shan Rakhine
Karen Mon
Chin Autres
Kachin
de l’insurrection armée lancée
par l’administration souterraine
de la résistance, le gouvernement
d’unité nationale (NUG), en sep­
tembre 2021. Mais celui­ci n’est
pas non plus aux portes du pou­
voir : malgré le ralliement de plu­
sieurs guérillas ethniques au
NUG, l’armée contrôle les villes et
les infrastructures tant dans les
régions ethniques que dans le
centre du pays. Et le général Min
Aung Hlaing, auteur du putsch du
1er février 2021, continue de voya­
ger d’un bout à l’autre du pays : il
était à Myitkyina, la capitale de
l’Etat Kachin, à la mi­décembre,
pour galvaniser les troupes de la
Tatmadaw, les forces armées bir­
manes. Celles­ci multiplient les
opérations coup de poing contre
les populations civiles pour ins­
taurer un climat de terreur.
Villages incendiés
En conséquence, le nombre de
déplacés a explosé dans les Etats
formant la couronne multiethni­
que du pays, où les guérillas ka­
renni, shan, karen et chin ont re­
pris les armes contre la junte : on y
compte près de 300 000 nou­
veaux réfugiés internes. Les zones
frontalières avec la Thaïlande vi­
vent sous perfusion des réseaux
d’entraide de la diaspora et de peti­
tes ONG : c’est par ce canal, très po­
reux, qu’entre la majorité de l’aide
informelle en Birmanie. Bangkok
refuse en effet d’autoriser officiel­
lement des agences onusiennes
ou des ONG internationales à agir
dans le pays depuis son territoire,
pour éviter d’être accusée d’ingé­
rence par son voisin.
A la frontière entre l’Inde et la
Birmanie, les affinités ethniques
et religieuses existant entre l’Etat
indien du Mizoram et l’Etat Chin,
tous deux majoritairement chré­
tiens, ont permis l’accueil de près
de 50 000 réfugiés chin, en dépit
du soutien continu de New
Delhi aux militaires birmans :
« En dehors de l’assistance ad hoc
qui passe à la frontière, l’Etat Chin
est coupé du pays, la junte bloque
tous les envois d’aide humanitaire
et restreint le transport des pro­
duits de base », explique Salai Za
Uk Ling, de l’Organisation chin
pour les droits humains.
La situation est encore plus pré­
occupante dans les deux grandes
régions centrales de Sagaing et
Magwe : peuplées de Bamar, l’eth­
nie majoritaire dans le pays (68 %
de la population), elles cumulent
735 000 déplacés internes, soit les
deux tiers du nombre total es­
timé depuis le coup d’Etat. L’ar­
mée applique dans ces zones ru­
rales une politique de la terre brû­
lée qui aggrave l’insécurité ali­
mentaire générale. Une trentaine
de villages ont ainsi été partielle­
ment incendiés et plusieurs dizai­
nes d’habitants ont été tués à Sa­
gaing rien qu’au mois de décem­
bre. « Quand un village est incen­
dié, les réserves de grains et de riz
pour l’année en cours et celles à ve­
nir le sont aussi. Contrairement
aux régions ethniques, les habi­
tants n’y ont pas l’expérience des
conflits. Et ils sont loin des frontiè­
res », explique Aung Myo Min, mi­
nistre des droits humains au sein
du NUG, au Monde.
Le gouvernement parallèle, qui a
créé un ministère de l’assistance
humanitaire, s’appuie notam­
ment sur des réseaux d’entraide
locaux d’enseignants et de méde­
cins. « Nous avons restauré un sys­
tème d’administration civile dans
ces zones, grâce aux Forces de dé­
fense populaires et de police popu­
laire [sous contrôle du NUG], mais
l’acheminement est difficile à cause
des contrôles de l’armée dans les
transports », poursuit le ministre.
Une partie des aides financières
de la diaspora circule grâce aux ré­
seaux de hundi, des intermédiai­
res qui facilitent les transferts
d’argent liquide des travailleurs
birmans à l’étranger. Contre toute
attente, le NUG est parvenu à lever
des centaines de millions de dol­
lars de fonds pour financer la
résistance, note l’International
Crisis Group dans un rapport pu­
blié le 20 décembre sur le « finan­
cement participatif de la ré­
sistance birmane ». Mais « pour
démontrer que les fonds fournis
par les donateurs ne vont pas di­
rectement à la lutte armée », ce­
lui­ci devrait « séparer strictement
le financement de ses opérations
armées de la prestation de services
et des activités humanitaires »,
souligne l’organisation.
De rares ONG internationales de
taille moyenne parviennent à ac­
céder à Sagaing : « Les besoins y
sont énormes. Il est très difficile d’y
répondre et même de les évaluer.
Mais il y a des moyens d’agir, on
finance des partenaires locaux
en contact avec les comités d’ad­
ministration de camps de dépla­
cés, par exemple », explique, sous
le couvert de l’anonymat, un
médecin birman installé en
Thaïlande qui pilote les actions
d’une ONG internationale dans la
santé. Cette dernière a maintenu
un vaste réseau dans le pays, grâce
à un protocole d’accord passé avec
le gouvernement birman pour
ses missions et renouvelé juste
avant le coup d’Etat.
Depuis début novembre, la
junte a édicté une nouvelle légis­
lation qui réduit considéra­
blement l’espace officiel alloué
aux acteurs de l’humanitaire ou
de la société civile : elle institue
des obligations strictes d’enregis­
trement de l’organisation et de
ses membres, et exige d’elle de
rendre compte de ses activités
aux autorités. Elle punit aussi de
prison tout responsable d’ONG
qui « contacte ou encourage
directement ou indirectement des
individus ou entités opposés au
gouvernement ».
Réorientation des programmes
Or les grandes ONG et les agences
onusiennes sont déjà en grande
partie paralysées par les proto­
coles très stricts auxquels sont
soumis leurs « partenaires de mise
en œuvre » locaux ou interna­
tionaux. « Une agence de l’ONU
nous a commandé un audit de la
sécurité pour autoriser des parte­
naires à agir dans la région de
Sagaing, mais nous ne sommes
pas en mesure de le faire, pour des
raisons de sécurité. Donc, c’est re­
tardé », regrett un membre d’une
ONG d’audit des projets pour les
agences onusiennes.
Depuis le coup d’Etat, certaines
agences disent avoir réorienté
leurs programmes vers les nou­
veaux besoins : « La majorité de
l’aide de l’Unicef en 2022 a été
fournie aux nouvelles personnes
déplacées depuis 2021, soit environ
500 000 sur les 700 000 personnes
Dans les régions
de Sagaing
et de Magwe,
l’armée applique
une politique
de la terre brûlée
qui aggrave
l’insécurité
alimentaire
aidées », indique ainsi Frehiwot
Yilma, porte­parole de l’Unicef
pour la Birmanie, dans un cour­
riel. Pourtant, le tableau de bord
de l’OCHA pour les trois premiers
trimestres de 2022 montre que,
sur les 3,9 millions de person­
nes que les aides de l’ensemble
des programmes des Nations
unies ont pu toucher, seules
54 000 vivent à Sagaing et 34 000
à Magwe. Le gros de l’aide est allé
à Rangoun (2 millions de person­
nes), et dans les Etats Rakhine, à
l’ouest (642 000 personnes), et
Kachin, au nord­est (327 000 per­
sonnes), où 90 % des dépla­
cés sont arrivés avant le coup
d’Etat, en raison de conflits de
longue date entre l’armée et les
guérillas autonomistes araka­
naise et kachin.
Dans les faits, la majeure partie
de l’aide internationale a donc
concerné des programmes an­
térieurs à 2021. Les statistiques de
l’OCHA le confirment : début
2022, l’ensemble des agences ont
requis un budget de 826 millions
de dollars (776 millions d’euros)
pour l’année, afin de prendre en
compte les nouveaux besoins.
Mais seulement 218 millions de
dollars, soit 26 %, ont été levés,
c’est­à­dire moins que le budget
initial de l’année 2021 (276 mil­
lions de dollars), annoncé avant le
coup d’Etat.
Malgré une aide réduite à la por­
tion congrue, les agences onusien­
nes et les grandes ONG internatio­
nales sont accusées de légitimer la
junte en se pliant à ses règles. Plus
de 600 organisations de la société
civile, la plupart à l’étranger, ont
appelé, dans une lettre datée du
23 septembre, le secrétaire général
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
Kin Ma, l’un des
villages incendiés
par l’armée dans
la région de Magwe
(Birmanie).
PAUK TOWNSHIP NEWS/AFP
des Nations unies, Antonio Guter­
res, à cesser tout engagement avec
« la junte illégale et meurtrière » qui
a pris le pouvoir.
La nouvelle législation, estime
Khin Ohmar, militante au sein
de Progressive Voice of Myanmar
et l’une des personnes à l’origine
de la pétition, va encore accroî­
tre la subordination des acteurs
de l’aide internationale aux desi­
derata de la junte, et le pouvoir de
contrôle et de renseignement de
celle­ci sur leurs activités. « Les
agences de l’ONU et les ONG inter­
nationales ne peuvent pas conti­
nuer comme avant, elles doivent
trouver une approche différente »,
explique­t­elle.
Procès en indifférence
Le NUG mène campagne auprès
des gouvernements occidentaux
pour que les entités internationa­
les contournent la junte à l’inté­
rieur comme à l’extérieur de la
Birmanie, et distribuent de l’aide
via les frontières. « Malheureu­
sement, à ce jour, nous n’avons pas
vu les résultats que nous sou­
haitons voir sur le terrain », dé­
plore le docteur Sasa, ministre de
la coordination internationale du
NUG. Ce procès en indifférence se
nourrit aussi de la frustration
chez les résistants birmans de
voir l’Ukraine accaparer des mil­
liards de dollars d’aide. « La réti­
cence de la communauté inter­
nationale à rejeter la junte et à
s’engager formellement avec le
NUG coûte des vies chaque jour.
Elle sape les efforts humanitaires
et prolonge cette guerre san­
glante », ajoute­t­il.
Le Congrès américain a adopté,
le 15 décembre, après plus d’un an
de débats, une nouvelle loi sur la
Birmanie (le Burma Act) dans le
cadre du budget de la défense,
qui élargit de manière inédite
jusqu’alors le spectre de l’aide
« non létale » à la résistance bir­
mane. Suffira­t­elle à bousculer le
statu quo ? C’est ce qu’espère le
NUG. Mais la junte continue à
bénéficier du soutien actif de
Moscou, tout en jouant à son
avantage de la compétition géo­
politique entre ses deux gros voi­
sins, l’Inde et la Chine. p
brice pedroletti
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
Comment la Pologne se coupe
de plus en plus de la Russie
Barbelés le long de la frontière avec Kaliningrad, création d’un canal
pour contourner les eaux russes… Varsovie multiplie les gestes de rupture
Des soldats polonais à la frontière russe, face à l’enclave de Kaliningrad, le 3 novembre. WOJTEK RADWANSKI/AFP
tolkmicko (pologne) ­ longtemps, y compris après 1989,
envoyée spéciale d’une Pologne pleinement indé­
pendante et souveraine », déclarait
A
u sortir d’une route ce jour­là Jaroslaw Kaczynski, lea­
forestière, une fois le der du parti Droit et justice (PiS),
brouillard dissipé, au pouvoir depuis 2015, et instiga­
elles se dessinent tel teur du projet.
un mastodonte de béton enserré « Cet accès direct à la mer a pris
au milieu de conifères. Deux une nouvelle tournure après
écluses rotatives permettent dé­ l’attaque russe de l’Ukraine en
sormais de rejoindre la baie de février. Il est plus essentiel que
Gdansk depuis la lagune de la jamais de pouvoir décider des em­
Vistule, à travers un canal, sans barcations qui passent par nos
passer par les eaux de Kali­ eaux maritimes, abonde Wieslaw
ningrad. « Nous attendions cet in­ Piotrzkowski, le directeur de
vestissement depuis longtemps : l’autorité maritime de Gdynia
on peut enfin naviguer jusqu’à la dont dépend le canal. Le transport
mer Baltique sans passer par les de marchandises était jusqu’ici
eaux russes », s’exclame Jacek limité par le détroit russe de Bal­
Zielinski, l’un de ceux qui veillent tiïsk. Il fallait attendre plusieurs
à son intendance. semaines une autorisation de la
Inaugurée en grande pompe, le Fédération de Russie, qui pouvait
17 septembre, par la crème de l’exé­ ne jamais arriver. »
cutif polonais – le jour du 83e anni­
versaire de l’invasion de la Polo­ « Fonctions défensives »
gne par l’Union soviétique en 1939 Pour cet ancien navigateur, nul
–, l’infrastructure permet aujour­ doute que le canal permettra le
d’hui de court­circuiter les ports développement économique et
de l’enclave russe situés au bout de touristique de ce recoin de
la presqu’île de la Vistule, qu’il Warmie et Mazurie, la troisième
fallait jusqu’ici contourner. Une région la plus pauvre de Pologne.
étape notamment indispensable A Tolkmicko, petite bourgade
pour les marchandises trans­ située juste en face du canal, de
portées par bateau du port d’El­ l’autre côté de la lagune de la
blag, à 24 kilomètres plus au sud. Vistule, le tranquille port de
« Je crois que c’est un pas de plus pêche et de plaisance sera bientôt
vers ce qui a été notre rêve pendant agrandi. « Ce canal ne peut avoir
que des retombées positives pour
notre commune, notre secteur
touristique va y gagner », assure
altique
RUSSIE Magdalena Beata Dalman, qui
préside à la destinée des quelque
Région
rB
Me
2 800 habitants de cette bour­
de Warmie
et Mazurie gade enclavée.
POLOGNE Les détracteurs du projet souli­
Varsovie
gnent, eux, un coût prohibitif
ENCLAVE pour une rentabilité incertaine,
DE KALININGRAD sans parler de tout un pan de forêt
(RUSSIE) et d’un écosystème classé
Baie de Gdansk
Kaliningrad Natura 2000 sacrifiés. Pour que
Baltiïsk des navires d’envergure puissent
Canal de
le
atteindre la Baltique depuis le
istu
Gdynia la Vistule
el port assoupi d’Elblag, il faudra
aV
ned considérablement agrandir le
u
Gdansk Lag chenal de la lagune ainsi que celui
Tolkmicko d’une rivière. Les travaux en
Sztutowo Elblag
cours ne manqueront pas de faire
POLOGNE exploser un budget qui a doublé
50 km
pour le seul canal, atteignant
424 millions d’euros.
Les 200
kilomètres
de frontière entre
les deux pays
vont être
recouverts d’une
clôture équipée
de capteurs
Lors de la cérémonie d’inaugu­
ration, l’ORP Piorun, un navire
militaire de la marine polonaise,
paradait à l’entrée des écluses.
« Ce canal revêt également des
fonctions défensives extrêmement
importantes, garantissant la sécu­
rité de la mer Baltique, qui pourra
être gardée et sécurisée pacifique­
ment par l’OTAN », relevait alors à
la radio publique l’ex­ministre de
la défense Antoni Macierewicz.
Un argument que réfute le géné­
ral Miroslaw Rozanski, ancien
chef d’état­major de l’armée polo­
naise qui, dans un récent article
sur le portail d’information
Money.pl, assurait que le canal
n’augmente en rien la sécurité de
la Pologne, et qu’« une évacuation
du port d’Elblag par le canal, ce
serait comme rejouer [la bataille
de] Dunkerque ».
Depuis le début de la guerre en
Ukraine, les autorités de Varsovie,
soutien indéfectible de Kiev, ont
cherché par tous les moyens à
limiter les échanges avec la
Russie. En avril, déjà, plusieurs
mois avant l’entrée en vigueur
d’une décision européenne, la
Pologne imposait un embargo
sur l’importation du charbon
russe, quitte à plonger une partie
de la région Warmie et Mazurie
dans la torpeur économique et à
mettre en péril l’alimentation en
charbon du pays, qui en était très
dépendant.
En septembre, la Pologne s’ac­
cordait avec les pays baltes pour
interdire l’entrée de son territoire
aux touristes russes munis de
visa. Déjà très limitée depuis la
pandémie de Covid­19, la circula­
tion entre les deux pays s’est
international | 3
A Saint­Pétersbourg, Poutine
joue « Le Seigneur des anneaux »
L’
art délicat d’offrir des cadeaux officiels exige un
mélange subtil de retenue et d’audace – particulière­
ment dans l’espace post­soviétique, où les dirigeants,
masculins et âgés pour la plupart, se posent en champions du
conservatisme. Pour la traditionnelle réunion de fin d’année
des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des
Etats indépendants (CEI), lundi 26 décembre, à Saint­
Pétersbourg, Vladimir Poutine aura penché résolument du côté
de l’inattendu. Hôte de ce sommet informel, le dirigeant russe a
offert à ses homologues d’étonnantes bagues en or blanc et
jaune, sur lesquelles sont sculptés le symbole de l’organisation
régionale ainsi que les mots « Bonne année 2023 » et « Russie ».
Huit anneaux – pour les dirigeants
d’Azerbaïdjan, Arménie, Biélorussie,
SUR LES RÉSEAUX  Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan,
Turkménistan, Ouzbékistan – et un
SOCIAUX, CERTAINS  dernier, pour Vladimir Poutine lui­
SE DÉLECTENT  même : difficile, pour les observateurs,
de ne pas voir là une référence aux
DE LA RESSEMBLANCE  neuf anneaux du Seigneur des an­
neaux, l’œuvre mondialement célèbre
SUPPOSÉE  de J. R. R. Tolkien, parue en 1954­1955.
Pour la politologue Ekaterina
ENTRE POUTINE  Schulmann, le parallèle est tout sauf
ET LE PERSONNAGE  fortuit et le Kremlin l’a établi « en toute
conscience » – ce qu’un porte­parole de
DE GOLLUM la présidence a démenti, évoquant
« un simple souvenir ». Pour mémoire,
les neuf anneaux, dans le livre de l’écrivain britannique, sont
forgés par le néfaste Sauron dans le but d’asservir les hommes.
L’initiative est d’autant plus frappante que les références au
Seigneur des anneaux sont omniprésentes dans le conflit ukrai­
nien : à Kiev, on assimile volontiers l’Ukraine à la pacifique
Comté attaquée par un mal absolu, venu du Mordor (l’univers
créé par Tolkien) moscovite. Dans le langage courant comme
dans celui des officiels ukrainiens, les soldats russes sont
fréquemment désignés comme des « orques », appellation que
certains Russes se sont réappropriée par défi.
Loyauté à toute épreuve de Loukachenko
L’étonnant cadeau a naturellement fait fureur sur les réseaux
sociaux, les plus impertinents se délectant de la ressemblance
supposée entre M. Poutine et le personnage de Gollum,
créature devenue esclave de son anneau. D’autres se deman­
daient si le président russe essayait de « conserver la CEI grâce
au pouvoir de la magie ». La boutade touche un sujet sensible :
les tensions récurrentes entre membres de l’organisation don­
nent lieu à des affrontements armés entre Arménie et Azer­
baïdjan, mais aussi entre Kirghizistan et Tadjikistan. Lundi, lors
de la réunion, le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a
d’ailleurs rappelé une nouvelle fois son exaspération vis­à­vis
réduite à presque rien. Qu’il sem­ de Moscou, qui reste passif face à la prise de contrôle par l’Azer­
ble loin le temps où, frontaliers baïdjan du corridor de Latchine, reliant Erevan au Haut­Kara­
polonais et russes, pouvaient bakh et censé être sous la protection des forces russes.
aller et venir, sans visa, de Gdansk Les observateurs ont aussi noté que, parmi les présents, seul le
à Kaliningrad, entre 2012 et 2016 ! Biélorusse Alexandre Loukachenko s’était affiché avec l’anneau
Ces 200 kilomètres de frontière à son doigt. La loyauté à toute épreuve de cet allié du Kremlin
sont, de surcroît, en passe d’être rappelle, en creux, la crispation suscitée dans la région par le
recouverts de clôtures, après que lancement de l’« opération militaire spéciale » en Ukraine. p
l’aéroport de Kaliningrad a an­ benoît vitkine
noncé « ouvrir son ciel » à de nou­ (moscou, correspondant)
velles liaisons aériennes interna­
tionales, vers la Turquie notam­
ment. L’exécutif polonais s’est
mis alors à redouter une nouvelle
PORTRAIT DE PHILANTHROPE
vague migratoire orchestrée par
le Kremlin, à l’image de celle en­
treprise par Minsk, à la frontière
polono­biélorusse, à l’été 2021. Henri de Navacelle :
Diplomates russes expulsés
« L’innovation pédagogique au
Depuis, ces craintes ne se sont pas service de la grandeur
matérialisées. Ce qui n’a pas em­ de l’Homme, du grec ancien
pêché l’autorité des gardes­fron­ au code »
tières d’annoncer, en décembre,
que les deux mètres et demi de Imprégné de culture classique et passionné par les humanités contempo-
hauteur des fils barbelés de­ raines – sophrologie, art numérique … –, Henri de Navacelle a créé en
vraient être équipés de capteurs 2016 la Fondation Humanités, Digital et Numérique, abritée à la
d’ici le printemps 2023. Fondation de France. « L’Homme se réalise en réalisant », martèle cet
En décembre toujours, la Polo­ ancien officier de marine devenu responsable RH et formation puis
gne a également refusé que directeur d’un centre de formation industriel et technologique. On se
Sergueï Lavrov se rende à la réu­ convainc en l’écoutant que le bonheur est dans l’action, le mouvement
nion annuelle, à Lodz, des 57 mi­ créateur et l’accès aux humanités.
nistres des affaires étrangères de Fuyant les courants du conservatisme scolaire, il se dit fan du « hors
l’Organisation pour la sécurité et programme » et du « tiers pédagogique », le meilleur moyen à ses
la coopération en Europe, dont yeux de faire émerger des talents insoupçonnés. Sa fondation a déjà
elle assure la présidence tour­
financé plus de 50 projets. Cours de grec ancien en centre de formation
nante cette année. Une manière
d’exclure « les personnes sanction­ d’apprentis industriels, initiation au code informatique et à l’art numé-
nées par l’Union européenne à la rique pour des personnes en situation de handicap mental, ateliers
suite de l’agression illégale de la d’écriture théâtrale pour des détenus et des résidents d’Ehpad … :
Russie contre l’Ukraine le 24 fé­ l’éclectisme culturel et pédagogique est au rendez-vous.
vrier, y compris le ministre La­ Il se dit heureux d’avoir rencontré « des personnes exceptionnelles et
noué des liens féconds avec de très nombreux porteurs de projet. » Son
vrov », avait expliqué à l’Agence
France­Presse une source au sein rêve ? Que tous les jeunes puissent faire du grec ancien, du théâtre, de
de ladite présidence. la philosophie et du code dès la sixième ! Que les métiers manuels
Enfin, en plus d’avoir expulsé aient enfin accès aux humanités. Et que le chant choral trouve une
45 diplomates de l’ambassade de
vraie place dans le système éducatif français.
Russie accusés de travailler pour
La tête dans les étoiles et des ambitions au long cours, mais aussi les
le renseignement, Varsovie a saisi
pieds sur terre et des convictions bien enracinées, il a décroché l’an
plusieurs immeubles que la
chancellerie russe louait ou décla­ dernier un bac pro pour devenir agriculteur ! « Je fais ainsi le lien entre
l’humus et l’humain », sourit-il. De l’art de cultiver son jardin et
rait être siens. Le maire de Varso­
d’aider les autres à en faire autant…
vie, Rafal Trzaskowski, souhaitait
alors héberger des réfugiés ukrai­
niens dans une ancienne rési­
dence soviétique de la capitale,
laissée à l’abandon depuis les Fondation de France
années 1990, et réputée être un La Fondation de toutes les causes
nid d’espions russes. p www.fondationdefrance.org
hélène bienvenu
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
Venezuela: l’opposition
met fin au «mandat»
de Juan Guaido
Autoproclamé « président par intérim »
en 2019, l’ex­chef du Parlement n’est jamais
parvenu à s’imposer face à Nicolas Maduro
bogota ­ correspondante
E xit Juan Guaido. Le « prési­
dent par intérim autopro­
clamé du Venezuela » est lâ­
ché par son propre camp. Les op­
posants qui, en 2019, avaient pro­
pulsé l’ancien chef du Parlement
sur le devant de la scène politique
viennent de mettre fin au « gou­
vernement intérimaire ». Malgré
le soutien actif de Washington,
M. Guaido n’a pas réussi à sup­
planter, ni même à fragiliser le pré­
sident Nicolas Maduro. Elu en 2013
et réélu en 2018, à l’occasion d’un
scrutin contesté, ce dernier s’ap­
prête à fêter ses dix ans de pouvoir.
Si l’échec de la stratégie mise en
place par l’opposition il y a quatre
ans est patent, la mise à l’écart de
M. Guaido ne fait pas l’unanimité
en son sein. Plus divisés que ja­
mais, ses chefs de file ont les yeux
– et les ambitions – rivés sur l’élec­
tion présidentielle de 2024.
Trois partis d’opposition se sont
prononcés en faveur de l’élimina­
tion du gouvernement par inté­
rim : Accion democratica (AD, Ac­
tion démocratique), Primero justi­
cia (PJ, Justice d’abord) et Un nuevo
tiempo (UNT, Un nouveau temps).
Dans un communiqué publié
mardi 27 décembre, ces partis
– dits G3 – justifient leur position,
en considérant que « d’un point de
vue éthique, le gouvernement par
intérim a été le cadre de scandales
de corruption ». « D’un point de vue
politique, ajoutent­ils, il a cessé
d’être utile à la démocratisation du
Venezuela et ne présente aucun in­
térêt aux yeux des citoyens. »
Sur les réseaux sociaux, les réac­
tions sont vives. Une partie des op­
posants considèrent qu’en évin­
çant M. Guaido, le G3 reconnaît de
facto la légitimité et fait le jeu du
« dictateur Maduro ». D’autres rap­
pellent que « le président par inté­
rim » n’a jamais été que le pion de
partis qui aujourd’hui le trahis­
sent. Nombre de Vénézuéliens di­
sent leur lassitude face à ce qu’ils
perçoivent comme des batailles
politiciennes, sans incidence
aucune sur leur vie quotidienne. A
en croire les sondages publiés ces
derniers mois, l’opposition et ses
leaders sont aussi discrédités dans
l’opinion publique que les chavis­
tes au pouvoir. Et Juan Guaido est
devenu encore plus impopulaire
que Nicolas Maduro.
Quand celui­ci prête serment le
10 janvier 2019 pour un deuxième
mandat, les députés d’opposition,
qui sont majoritaires à l’Assem­
blée nationale et qui contestent
l’élection de 2018, affirment qu’il y
« a usurpation du pouvoir ». Ils
poussent alors le député Juan
Guaido, qu’ils viennent d’élire
président de la chambre à assu­
mer la présidence de la république
par intérim « conformément à la
Constitution ». La manœuvre poli­
tique est validée par les Etats­Unis
et leurs principaux alliés, dont la
France, qui reconnaissent Juan
Guaido comme président légi­
time du Venezuela. Les députés
d’opposition refuseront l’année
suivante de reconnaître la légiti­
mité du scrutin législatif. Ils conti­
nuent donc de siéger, virtuelle­
ment. Nombre d’entre eux ont été
contraints de s’exiler. Le 22 dé­
Officiellement,
l’administration
Biden soutient
toujours Guaido.
Mais les contacts
ont repris entre
Washington
et Caracas
Nombre
de Vénézuéliens
se disent lassés
des batailles
politiciennes,
sans incidence
sur leur vie
cembre, c’est par Zoom que ces dé­
putés ont voté la fin du gouverne­
ment par intérim par 72 voix con­
tre 24. « Une Assemblée nationale
sans pouvoir a destitué un prési­
dent sans pouvoir », ironise un in­
ternaute. Cette décision doit en­
core être approuvée « en deuxième
lecture » ce jeudi 29 décembre,
mais elle est d’ores et déjà jugée
anticonstitutionnelle, au nom de
la séparation des pouvoirs, par des
juristes d’opposition qui s’inquiè­
tent de ses éventuelles consé­
quences internationales.
Les députés ont en effet an­
noncé la création d’une commis­
sion « parlementaire » pour gérer
les actifs du Venezuela à l’étran­
ger. Or, le sujet est épineux. Juan
Guaido n’a pas gouverné son
pays. Mais il a nommé des ambas­
sadeurs qui ont mené grande vie,
en partie grâce aux fonds de la
coopération internationale. Et
son gouvernement a pris le con­
trôle des actifs vénézuéliens à
l’étranger, à commencer par l’en­
treprise Citgo aux Etats Unis, fi­
liale du groupe public pétrolier
PDVSA. La gestion opaque de ces
biens et les scandales de corrup­
tion à répétition ont miné la légiti­
mité du « président par intérim ».
La donne géopolitique a changé
Les forces armées sont restées fi­
dèles au gouvernement en place,
les difficultés économiques se
sont aggravées. L’exode s’est accé­
léré – selon l’ONU, plus de 7 mil­
lions de Vénézuéliens ont quitté le
pays ces dernières années, soit le
quart de la population. Enfin, les
sanctions économiques décrétées
par Washington pour fragiliser
M. Maduro ont achevé de plonger
le pays et sa population dans l’en­
fer d’une récession sans précé­
dent. Elles ont contribué au dis­
crédit croissant du « président »
Guaido, tout en permettant au
chef de l’Etat de se poser en vic­
time de l’impérialisme américain.
La guerre en Ukraine et la crise
énergétique ont, de surcroît,
changé cette année la donne géo­
politique : le Venezuela détient les
plus grandes réserves de brut du
monde. Officiellement, l’adminis­
tration Biden continue de soute­
nir Juan Guaido. Mais les contacts
ont repris depuis le début de l’an­
née entre Washington et Caracas.
En octobre, lors de la COP 27 orga­
nisée en Egypte, Emmanuel Ma­
cron serrait la main de M. Maduro.
L’arrivée au pouvoir de gouver­
nements de gauche en Amérique
latine a également pesé. Après la
Bolivie, le Pérou et l’Argentine, la
Colombie de Gustavo Petro a réta­
bli les relations diplomatiques et
commerciales avec le Venezuela.
Le Brésilien Luiz Inacio Lula da
Silva devrait suivre.
Nicolas Maduro, lui, n’a tou­
jours pas annoncé s’il serait can­
didat en 2024. Mais il soigne son
image. A l’occasion de Noël,
douze millions de poupées en
plastique ont été distribuées aux
enfants des quartiers populaires,
selon la vice­présidente Delcy
Rodriguez. Moulée dans le cos­
tume bleu et rouge de Superman,
la poupée « Superbigote » (« super­
moustaches ») ressemble à s’y
méprendre à Nicolas Maduro et la
« Supercilia » a son épouse, Cilia. p
marie delcas
international | 5
A Taïwan, le service militaire
obligatoire porté à un an en 2024
Face aux menaces de la Chine, qui ne reconnaît pas l’indépendance de
l’île, l’entraînement des soldats est également étendu à huit semaines
pékin ­ correspondant Ing­wen dont le second mandat Congrès américain à l’améliora­
vient à expiration en 2024 et qui Si le nombre de tion de la coopération avec
T
aïwan s’apprête à allon­ n’est pas rééligible. Si une majo­ réservistes est de Taïwan dans tous les domaines ».
ger de quatre mois à un
an le service militaire
obligatoire, a annoncé,
mardi 27 décembre, la présidente
Tsai Ing­wen au cours d’une
rité de la population semble favo­
rable à cet allongement du ser­
vice militaire, il n’en va pas forcé­
ment de même des principaux
concernés, les jeunes, qui, jusqu’à
2 millions, ceux
immédiatement
prêts au combat
Pékin affirme avoir envoyé des
avions de combat dans le détroit
en réaction à ces décisions.
« C’était une ferme réponse à l’esca­
lade actuelle de la collusion et des
conférence de presse. « Le service présent, constituaient l’une des ne seraient provocations par les Etats­Unis et
militaire actuel de quatre mois bases électorales du Parti démo­
que 300 000 Taïwan » a expliqué, dimanche,
n’est pas suffisant pour répondre à crate progressiste, dont est issue un porte­parole de l’Armée popu­
la situation en constante et rapide la présidente taïwanaise. laire de Libération.
évolution », a­t­elle expliqué. La La politique de Washington vis­
réforme, qui entrera en vigueur L’exemple de l’Ukraine dre celle­ci plus opérationnelle et à­vis de Taïwan continue de pro­
en 2024, s’appliquera à tous les Outre la durée du service mili­ à montrer à Pékin qu’en cas d’atta­ voquer d’importants débats
hommes nés après le 1er jan­ taire, la formation des soldats va que, son armée rencontrerait une parmi les experts américains.
vier 2005. Une référence évidente être également revue avec le réelle résistance. Dans le dernier numéro de la re­
mais implicite aux menaces chi­ passage à huit semaines – contre La guerre en Ukraine est citée en vue Foreign Affairs, deux d’entre
noises sur ce territoire de 24 mil­ cinq – du temps passé au sein des exemple par les autorités de Tai­ eux, Jude Blanchette et Ryan Hass,
lions d’habitants, dont Pékin ne camps d’entraînement. Ces der­ pei. La présidente Tsai a affirmé, mettent en garde les Etats­Unis
reconnaît pas l’indépendance. niers recevront la même prépara­ mardi, tirer plusieurs enseigne­ contre une démarche de soutien à
D’une durée initiale de trois ans tion au combat que les soldats ments de ce conflit : l’importance Taïwan qui ne serait que militaire :
durant la dictature militaire, le américains, affirment les autori­ de la « détermination du peuple « c’est davantage la sagesse et l’ha­
service militaire avait été d’abord tés taïwanaises qui veulent s’effor­ pour protéger sa patrie », qui, liée à bileté politique que la force mili­
réduit à deux ans en 1990, puis à cer de la rendre compatible avec le un « haut niveau de l’entraînement taire qui offre la meilleure voie
un an en 2008 et à quatre mois en cursus scolaire des jeunes afin militaire », a permis de donner du pour la paix et la stabilité dans le
janvier 2013 pour les conscrits nés qu’ils n’aient pas le sentiment de temps à la communauté interna­ détroit de Taïwan ». Mercredi, le
à partir de 1994. Depuis, l’armée perdre une année. tionale pour venir en aide à Kiev. quotidien chinois Global Times
repose surtout sur des engagés, Actuellement, Taïwan compte­ La réforme du service militaire a décrit la réforme de l’armée entre­
mais elle a du mal à recruter et à rait 165 000 militaires actifs (con­ été annoncée deux jours après prise par Taipei comme « une déci­
garder son personnel. tre 275 000 il y a dix ans). Théori­ que, selon les autorités taïwanai­ sion déplorable pour pousser les
« Je dois reconnaître que c’est une quement, le nombre de réservis­ ses, 71 avions de l’armée chinoise Taïwanais, notamment la jeu­
décision très difficile à prendre, tes s’élève à 2 millions, mais ceux ont volé à proximité de l’île – un nesse, au premier rang d’un possi­
mais, comme présidente et com­ immédiatement prêts au combat nombre record depuis août – dont ble conflit militaire sous la pression
mandante en chef de nos forces ne seraient que 300 000 selon des 45 auraient même franchi la ligne irrésistible des Etats­Unis ».
armées, il est de ma responsabilité experts. Tant en termes de per­ médiane du détroit, considérée La présidente Tsai Ing­wen, qui
incontournable de protéger l’inté­ sonnels que de moyens, Taïwan comme la frontière officieuse en­ n’avait pas donné de conférence
rêt de la nation, la pérennité de dispose de moins de ressources tre Taïwan et la Chine. de presse depuis plus de deux ans,
Taïwan, ainsi que la liberté des gé­ que l’armée chinoise, mais la ré­ Ces incursions sont elles­mê­ a nié, mardi, avoir accompli cette
nérations à venir », a expliqué Tsai forme en cours est destinée à ren­ mes intervenues au lendemain réforme sous la pression de
de la signature par le président Washington, expliquant que cel­
américain, Joe Biden, d’une loi oc­ le­ci était le fruit de deux années
Séoul s’excuse de ne pas avoir abattu troyant 10 milliards de dollars de travaux et de discussions pré­
(9,40 milliards d’euros) de « facili­ paratoires. Le vice­président, Lai
des drones nord-coréens tés de paiement » à Taïwan pour Ching­te, présent à ses côtés et vu
L’armée sud-coréenne a présenté ses excuses, mardi 27 décem- sa défense durant les cinq années comme un possible candidat à sa
bre, pour avoir échoué à abattre cinq drones nord-coréens qui à venir. Par ailleurs, une autre loi succession, a indiqué soutenir l’al­
avaient traversé la frontière la veille, après avoir essuyé de nom- prévoit l’envoi de fonctionnaires longement de la durée du service
breuses critiques sur son manque de préparation. « Hier, cinq dro- fédéraux américains sur l’île dans militaire, ajoutant que l’intérêt du
nes ennemis ont envahi l’espace aérien sud-coréen, et nos militai- le cadre d’un travail plus étroit pays passe avant celui du parti.
res les ont détectés et suivis, mais nous nous excusons de ne pas avec leurs homologues taïwa­ Techniquement, il semble que ce
avoir été en mesure de les abattre », a déclaré l’état-major interar- nais. Pour les autorités de Taipei, changement n’ait pas besoin de
mées sud-coréen dans un communiqué. L’incursion de lundi a « ces deux textes démontrent l’im­ passer devant le Parlement, mais
incité Séoul à déployer des avions de chasse et des hélicoptères portance que les Etats­Unis accor­ le gouvernement pourrait être
de combat pour abattre les drones, dont l’un avait atteint dent aux liens bilatéraux et à la sé­ tenté de le faire afin d’obliger l’op­
l’espace aérien près de Séoul. Mais tous sont retournés au Nord, curité de Taïwan » et réaffirment position à se positionner. p
en dépit d’une traque qui a duré cinq heures. aussi « le puissant soutien du frédéric lemaître
L’ancien président sud­coréen gracié par
l’actuel chef de l’Etat, qui fut son procureur
Lee Myung­bak avait été condamné en 2020 à dix­sept ans de prison pour des pots­de­vin
tokyo ­ correspondance en 2020 à dix­sept ans de prison est d’autant plus vif que l’actuel corruption et autres détourne­
et 13 milliards de wons (9,6 mil­ président est un ancien procureur ments de fonds, la dirigeante
L a grâce accordée mardi
27 décembre à l’ancien pré­
sident conservateur, Lee
Myung­bak (2008­2013), divise
l’opinion sud­coréenne. L’actuel
lions d’euros) d’amende pour
avoir perçu des pots­de­vin de
différents chaebols – les conglo­
mérats sud­coréens – et du
Service national de renseigne­
ayant mené les enquêtes qui ont
conduit LMB en prison. « L’accusé
Lee Myung­bak a sapé les valeurs
constitutionnelles en abusant de
l’autorité présidentielle déléguée
conservatrice, Park Geun­hye
(2013­2017), avait, elle, bénéficié
en 2021 du souhait de son succes­
seur, le démocrate Moon Jae­in
(2017­2022), de favoriser « l’har­
chef de l’Etat, Yoon Seok­youl, ment, le NIS. Il avait notamment par le peuple pour ses propres inté­ monie nationale ».
également conservateur, a validé profité de la générosité de Sam­ rêts privés », martelait­il lors du Et la liste des graciés inclut
la liste proposée par le ministère sung, en échange de laquelle il procès de l’ancien dirigeant. d’autres personnalités controver­
de la justice pour la traditionnelle avait gracié, en 2009, le dirigeant sées comme Won Sei­hoon, l’an­
mesure de rémission de peine de du conglomérat, Lee Kun­hee Un « cas unique par sa cupidité » cien directeur du NIS qui avait
la fin de l’année. Outre à M. Lee, (1942­2020), emprisonné dans « Ce pardon est ridicule et témoi­ mobilisé ses services pour une
elle a bénéficié à plusieurs per­ une affaire d’évasion fiscale. Ce gne du reniement de l’actuel prési­ campagne en ligne au profit du
sonnalités proches des milieux dernier avait alors pu reprendre la dent », regrette aujourd’hui Choo camp conservateur à l’approche
conservateurs, condamnées à de tête de son entreprise. Chin­woo, journaliste d’investiga­ de l’élection présidentielle de
lourdes peines de prison. Elle de­ La grâce accordée par Yoon tion qui a largement contribué à 2012 – remportée par Park Geun­
vait être effective mercredi. Seok­youl fait que LMB, 81 ans, ne ces enquêtes en traquant, pen­ hye. Il n’accomplira pas la totalité
« Les grâces préférentielles qui retournera pas en prison. Il béné­ dant plus de dix ans, en Corée, à de ses quatorze années de prison.
trahissent les attentes du peuple et ficie depuis juin d’une suspen­ Singapour, aux Etats­Unis et dans D’autres proches de Mme Park
affectent l’unité nationale de­ sion temporaire de sa peine pour les paradis fiscaux, les millions de sont aussi graciés.
vraient être interdites. L’abus in­ raison de santé. Cette mesure de­ dollars détournés par LMB, « cas Dans un geste d’« unité natio­
juste de pouvoir est un péché qui vait se terminer le 28 décembre. unique par sa cupidité ». nale », le gouvernement a aussi
nuit à la souveraineté du peuple et C’est la deuxième fois que Lee Myung­bak est le quatrième inclus dans la liste l’ancien gou­
à la démocratie », a tonné Lee M. Yoon exerce son droit de grâce président sud­coréen à bénéficier verneur (démocrate) du Gyeong­
Jae­myung, le chef du Parti dé­ depuis son entrée en fonctions, d’une telle mesure de grâce. Les sang du Sud, Kim Kyoung­soo,
mocrate, la principale formation en mai. En août, il en avait fait pro­ deux dirigeants autoritaires, condamné à deux ans de prison
de l’opposition. fiter le président exécutif de Sam­ Chun Doo­hwan (1980­1988) et en 2021 pour avoir manipulé des
Ancien cadre dirigeant du géant sung Electronics, Lee Jae­yong, et Roh Tae­woo (1988­1993), avaient contenus en ligne lors de la prési­
Hyundai Engineering & Cons­ d’autres personnalités du monde été libérés en 1997 alors qu’ils pur­ dentielle de 2017. Pas de quoi,
truction, devenu par la suite des affaires. L’opposition démo­ geaient des peines pour mutine­ toutefois, calmer les critiques de
maire de Séoul, Lee Myung­bak, crate avait déjà critiqué ses choix. rie, trahison et corruption. Empri­ l’opposition. p
alias « LMB », avait été condamné Cette fois, son mécontentement sonnée pour vingt­deux ans pour philippe mesmer
 FRANCE
6|
JUSTICE
Violences conjugales : les tribunaux 
cherchent la meilleure organisation
Face à l’afflux des dossiers, à Châlons­en­Champagne et à Bobigny, les magistrats s’adaptent
C
omment les tribunaux gè­
rent­ils l’afflux des affaires de
violences conjugales qui arri­
vent dans les prétoires ces
dernières années ? Quels sont
les circuits efficaces pour ré­
pondre à ce contentieux massif – en 2021,
208 000 victimes de violences conjugales
ont été enregistrées par les forces de l’ordre ?
La question mobilise les législateurs et l’exé­
cutif : les députés viennent de voter en
première lecture une proposition de loi – ac­
cueillie avec scepticisme par les magistrats
et les avocats – créant des juridictions spé­
cialisées en la matière, sur le modèle espa­
gnol, associant « les pouvoirs du juge civil et
du juge pénal » au sein d’« un tribunal des vio­
lences intrafamiliales placé dans le ressort de
chaque cour d’appel ». En parallèle, une mis­
sion parlementaire, mandatée par la pre­
mière ministre, Elisabeth Borne, réfléchit à
des formes plus souples telles que la généra­
Pôle dans chaque tribunal ou juridiction spéciale, un débat chez les députés
ce fut une surprise. Le 1er décem­
bre, lors de la niche parlementaire
– journée au cours de laquelle l’ordre
du jour de l’Assemblée nationale est
déterminé par un groupe minoritaire
ou d’opposition – du parti Les Répu­
blicains (LR), la proposition de loi du
député du Lot Aurélien Pradié créant
une juridiction spéciale contre les
violences intrafamiliales a été adop­
tée avec les voix de gauche. Le but :
faire bouger les choses et mettre la
pression sur l’exécutif.
Même si les magistrats et les avocats
sont sceptiques, les députés de gauche
qui ont voté le texte de leur collègue de
droite estiment qu’il fallait le faire mal­
gré ses imperfections. « On avait plein
d’amendements qui allaient dans le
sens de la création de pôles dédiés. Mais
on a dû les retirer face à l’obstruction du
gouvernement qui jouait la montre,
explique la députée du Bas­Rhin San­
lisation de pôles spécialisés, composés de
magistrats formés, dans chaque tribunal.
Sur le terrain, des magistrats n’ont pas at­
tendu pour revoir leurs organisations. Pour
comprendre les nouveaux aménagements
et les réflexions en cours, Le Monde s’est
rendu à Bobigny et à Châlons­en­Champa­
gne. Deux juridictions aux tailles et profils
différents, chacune à sa façon engagée dans
le traitement de ces affaires.
A Châlons­en­Champagne,
une réunion de tous les acteurs
Dans une petite salle du tribunal de Châlons­
en­Champagne, dans la Marne, une quin­
zaine de personnes sont réunies, en cette
mi­décembre, pour évoquer les situations
d’urgence en matière de violences conjuga­
les. Cette réunion ayant lieu tous les deux
mois et demi réunit des magistrats du siège
et du parquet, des représentants des forces
dra Regol (EELV). Ce n’est pas satisfai­
sant de jeter tout ce que l’on avait fait.
Mais c’était ça ou pas de texte. »
Car, dans les niches parlementaires,
le temps est compté : à minuit tout
s’arrête. Mme Regol veut être rassu­
rante : les amendements sacrifiés se­
ront réintégrés en deuxième lecture si
la navette parlementaire se poursuit
sur ce texte. L’idée est d’être au plus
près des besoins et d’appréhender les
violences intrafamiliales de manière
large, en y intégrant les violences
conjugales, sexuelles et sexistes.
Bonnes pratiques
Le ministère de la justice nie vigou­
reusement avoir fait de l’obstruction
et préfère défendre la mission parle­
mentaire confiée par la première mi­
nistre, Elisabeth Borne, à la députée
du Val­d’Oise Emilie Chandler (Re­
naissance) et à la sénatrice de l’Yonne
de l’ordre (police et gendarmerie) et du ser­
DANS LA MARNE,  vice de probation et d’insertion pénitenti­
L’OBJECTIF EST  aire, les associations qui accompagnent les
victimes, le directeur de la maison d’arrêt.
« D’ALLER CHERCHER  L’exposé que leur déroule Camille Chaban­
nes, la substitute de la procureure, illustre la
LES VICTIMES  variété et la complexité des situations de
violences conjugales auxquelles est
QUI NE PASSENT  confronté au quotidien le monde judiciaire.
JAMAIS LA PORTE  Par exemple : « Monsieur est sorti de prison
et, malgré l’interdiction de contact avec la vic­
DU TRIBUNAL OU  time, les forces de l’ordre sont intervenues
quelques jours après, alertées par les voisins,
DU COMMISSARIAT » et les ont trouvés ensemble. A leur arrivée,
Madame a dit que c’était juste une dispute et
les policiers sont repartis » (ces faits, comme
ceux des cas suivants, ont été légèrement
modifiés dans un souci d’anonymat).
Autre cas : « Le couple a plusieurs enfants,
Monsieur a exécuté plusieurs peines notam­
ment pour violences. A sa sortie [de prison], le
couple s’est remis ensemble, et la dame a
Dominique Vérien (UDI). Cette mis­ dépendant des chefs de juridiction »,
sion est chargée de faire des proposi­ estime Mme Vérien.
tions pour améliorer le traitement ju­ Comment améliorer la réponse
diciaire des violences intrafamiliales. judiciaire, dont les lenteurs sont
« On a décidé de refaire tout le par­ régulièrement pointées du doigt ?
cours des victimes », pour identifier « Nous sommes convaincues d’une
les étapes­clés, confie Mme Vérien. chose : il faut envisager ces situations
Cela va de l’accueil au commissariat sous l’angle non pas des personnes,
de police ou en gendarmerie à l’ac­ mais de l’ensemble de la famille », dit
compagnement par les associations Mme Chandler.
d’aide aux victimes, au passage au Les deux élues sont favorables, à ce
tribunal et à la prise en charge des stade, à l’idée de généraliser des
auteurs. Or, à l’heure actuelle, ont­el­ « pôles violences intrafamiliales » dans
les observé au gré de leurs premières chaque tribunal, composés de magis­
auditions et déplacements, si de bon­ trats spécialisés (juge des enfants,
nes pratiques existent dans certains juge aux affaires familiales et juge cor­
tribunaux, avec des expériences inté­ rectionnel). Pour des raisons d’ordre
ressantes qui mériteraient d’être ré­ organisationnel notamment, elles
pliquées, il n’existe pas, pour l’heure, sont plus circonspectes face au projet
de « politique coordonnée en matière de juridictions spécialisées du texte
de violences intrafamiliales à l’échelle de M. Pradié. Leur rapport final sera
du pays ». « Ce qui est mis en place l’est remis en mars à Elisabeth Borne. p
sur la base du volontariat, largement solène cordier et abel mestre
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
ALE+ALE
demandé la révocation du bracelet antirap­
prochement et la main levée de l’ordonnance
de protection. » Ou encore : « Il y a une me­
sure d’assistance éducative en cours et, appa­
remment, Monsieur a proféré des menaces de
mort contre la mère par l’intermédiaire de
l’enfant. Il y a une interdiction de contact et le
Téléphone grave danger de Madame a été re­
nouvelé. On a de nombreux classements sans
suite pour des menaces et du harcèlement »…
Pendant près de deux heures, chaque cas
est exposé, discuté. « Ce comité de pilotage a
été instauré en septembre 2021, après une
circulaire de la chancellerie qui appelait à
partager les informations sur les situations
de violences conjugales, explique la substi­
tute de la procureure en charge des atteintes
aux personnes et référente violences conju­
gales. A Châlons, nous en avons fait un outil
opérationnel pour échanger avec tous les ac­
teurs engagés dans la lutte contre les violen­
ces. On aborde les situations complexes, qui
appellent une vigilance particulière, et on en
profite aussi pour faire des retours d’expé­
rience sur les difficultés qu’on rencontre. »
Ce jour­là, la procureure Ombeline Mahu­
zier en profite pour faire un recadrage. A plu­
sieurs reprises, elle interpelle tel ou tel parti­
cipant et martèle qu’« a minima les informa­
tions diffusées dans ce copil [comité de pilo­
tage] doivent être diffusées à vos équipes ». La
magistrate, qui se dit volontiers « procureure
et féministe », porte depuis son arrivée à ce
poste en 2019 un projet global contre les
violences intrafamiliales. Convaincue de la
nécessité d’interroger les « biais de genre
inconscients des institutions » pour amélio­
rer la réponse aux justiciables, elle a trouvé
une alliée en la présidente du tribunal,
Jennyfer Picoury. Depuis trois ans, elles tra­
vaillent avec une ambition commune pour
ce territoire largement rural : « Aller chercher
les victimes qui ne passent jamais la porte du
tribunal ou du commissariat. »
Toutes les organisations ont été revues
dans cette optique. L’un des premiers actes
de cette refondation s’est joué le 30 jan­
vier 2020, quand les deux cheffes de la juri­
diction, au siège et au parquet, ont réuni
tous les officiers de police judiciaire du res­
sort, les magistrats, la direction du greffe et
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JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022 france | 7

Nouvelle grève des

médecins libéraux sur
Logiciels espions, piratage de messagerie… fond de tension à l’hôpital
Le ministre de la santé condamne
L’emprise de la surveillance numérique le mouvement lancé par un collectif

Les associations d’aide aux victimes de violences conjugales appellent à la vigilance

C’ est le deuxième mouve­

ment de protestation
en moins d’un mois. En
« arrive au pire des moments », a
tranché, sur France Bleu Alsace,
Marc Noizet, chef des urgences de

R ien de plus facile que de

partager la position de son
téléphone iPhone ou de sa
tablette iPad avec ses proches : sur
de concevoir un nouvel outil. La
surveillance numérique, com­
plexe ou basique, est toujours
préoccupante. Elle peut conforter
LA VICTIME PEUT SE 
RETROUVER PLONGÉE 
de son ancien compagnon, con­
damné pour des violences. Mais
sa fille de 12 ans avait un compte
Snapchat permettant de partager
dépit de l’appel des autorités à
« l’union sacrée » des profession­
nels de santé, les médecins libé­
raux sont invités à fermer leur
Mulhouse et président de l’asso­
ciation SAMU­Urgences de France.
Selon cette dernière, durant la se­
maine du 12 au 18 décembre, les
son site, le fabricant Apple détaille les agresseurs dans leur senti­ DANS L’ANGOISSE  sa localisation. « On pense qu’il a cabinet depuis lundi 26 décembre appels au 15 avaient augmenté de
comment, en quelques clics, ment de toute­puissance et plon­ pu ainsi retrouver où habitait la fa­ et jusqu’au 2 janvier 2023, avant 55 % par rapport à 2021 – année
mettre en place ce partage de loca­ ger leurs victimes dans l’angoisse FACE À UN AGRESSEUR  mille », explique Margot Fenestre. une manifestation à Paris, le 5 jan­ déjà exceptionnelle – et les délais
lisation. Une fonctionnalité qui face à quelqu’un paraissant, à A Périgueux (Dordogne), vier. Comme lors de la première de prise en charge des patients
n’avait pas échappé à cet homme tort, omniscient.
PARAISSANT  Camille Chalmey, avocate, a mobilisation des 1er et 2 décembre, aux urgences sont « majorés de
de Fourmies (Nord), condamné en OMNISCIENT plaidé il y a plus d’un an dans une le collectif « asyndical et apoliti­ 10 % » durant le mois de décembre.
octobre par le tribunal judiciaire Applications détournées affaire où cette application a été que » Médecins pour demain est à « En vingt­cinq ans de métier, je
d’Avesnes­sur­Helpe pour des Ainsi, pas besoin d’installer un lo­ citée. L’ex­compagnon de sa l’initiative du mouvement. n’ai jamais connu de situation aussi
violences conjugales. Les magis­ giciel espion pour pirater un cliente, une trentenaire victime « La grève n’est pas une habitude critique que celle que l’on a subie
trats ont, en effet, découvert que compte de messagerie. Dans ces tablettes destinées aux enfants de violences, « lui avait demandé de notre profession, affirme entre le 23 et le 26 décembre,
ce quadragénaire violent pouvait affaires qui se déroulent au cœur comprenant des fonctionnalités les codes de son téléphone et de se Christelle Audigier, médecin gé­ abonde Jean­François Cibien, vice­
ainsi géolocaliser en temps réel sa du foyer, l’intrus peut tout sim­ de suivi grâce au contrôle paren­ connecter à l’application Snap­ néraliste lyonnaise et fondatrice président de l’association. Au
compagne (et vice versa). Une plement retrouver le mot de tal. Autant d’« innovations tech­ chat pour pouvoir la localiser », du collectif, issu d’un groupe de SAMU 47, dans la nuit de lundi à
surveillance numérique dont « le passe parce qu’il est enregistré nologiques qui ont leur intérêt détaille Me Chalmey. Si le prévenu discussion Facebook réunissant mardi, nous avons eu jusqu’à trois
parquet a tenu compte lors de ses sur l’ordinateur familial, le devi­ pour faciliter la vie au quotidien n’a pas été poursuivi précisément 15 000 personnes. Si nous en arri­ heures trente d’attente pour répon­
réquisitions », précise au Monde ner parce qu’il s’agit du nom des mais qui peuvent être détournées sur ce point dans le cadre de cette vons là, c’est parce que nous dre aux patients qui appelaient
Laurent Dumaine, le procureur enfants ou le connaître car étant par des personnes malveillantes », affaire, il existe depuis juillet n’avons pas d’autre moyen de nous le 15. » Même constat du côté de
d’Avesnes­sur­Helpe, car elle était celui qui a procédé à l’inscription résume Ana­Clara Valla. 2020 une disposition spécifique faire entendre. » SOS Médecins, qui effectue en ce
caractéristique d’une « situation au service. Un « simple » accès Juriste en accès au droit pour le du code pénal contre la captation Les négociations engagées en moment « environ 15 000 actes par
d’emprise pathologique ». malveillant aux mails lourd de centre d’information sur les de la localisation d’une personne novembre entre les représentants jour » et répond à « 30 000 appels »,
Un exemple parmi d’autres des conséquences. « Cela va permet­ droits des femmes et des familles sans son consentement. des praticiens libéraux et l’Assu­ selon son secrétaire général, Serge
multiples formes que peut pren­ tre à l’agresseur de garder une em­ de Paris, Margot Fenestre pose Les infractions relatives au pira­ rance­maladie pour définir un Smadja. « Le flux d’appels est inin­
dre la surveillance numérique prise et un pied dans la vie de sa ci­ systématiquement la question de tage informatique ou à l’atteinte accord pour les cinq prochaines terrompu, on est absolument dé­
mise en œuvre dans des affaires ble, en obtenant par exemple des la surveillance numérique lors de au secret des correspondances années n’ont, pour le collectif, ap­ bordés », souligne le médecin.
de violences conjugales. « On informations sensibles, comme le ses entretiens. Comme avec ces peuvent également être retenues porté « aucune réponse concrète » Dans ce contexte, le ministre de
parle beaucoup de l’utilisation de lancement d’une procédure de di­ enfants d’un couple d’octogénai­ en cas de cybersurveillance. permettant le « choc d’attracti­ la santé, François Braun, a « ferme­
logiciels espions », remarque Ana­ vorce », signale Etienne Maynier, res de la région niçoise marqué « Mais quand il y a des violences ou vité » qu’il réclame, à l’heure où de ment » condamné, dans un com­
Clara Valla, chargée de mission de l’association de lutte contre les par des violences, qui l’ont des menaces caractérisées, le par­ moins en moins de jeunes méde­ muniqué lundi soir, la fermeture
cyberviolences sexistes et sexuel­ cyberviolences sexistes Echap. consultée début novembre et quet peut juger plus opportun de cins souhaitent s’installer. Parmi des cabinets et a appelé, comme il
les au centre Hubertine­Auclert, Plus largement, le piratage dont les parents partagent la retenir ce type de qualification, les propositions phares du le fait depuis plusieurs semaines, à
un espace d’information et d’ex­ d’un compte Google ou Apple même adresse mail. « Cela peut davantage réprimé », analyse groupe figure le doublement du faire « prévaloir [l’]esprit de respon­
pertise dont l’objectif est de pro­ peut aussi permettre l’accès à de permettre une surveillance per­ Thibaut Spriet, secrétaire national tarif de consultation de base, de sabilité », alors que les services
mouvoir une culture de l’égalité nombreuses informations indis­ manente et empêcher la victime du Syndicat de la magistrature. 25 à 50 euros. « Cela nous permet­ d’urgence sont dans « une situa­
entre femmes et hommes. « Mais, crètes, comme l’agenda d’une de se protéger », rappelle­t­elle. Dans les affaires de violences trait d’embaucher du personnel tion critique ». En cas de tension
poursuit­elle, nous observons la personne ou son historique de Autre exemple : cette mère de conjugales, la priorité est d’abord pour libérer du temps médical ou trop forte, les agences régionales
mobilisation d’autres formes de recherche. famille, qui bénéficiait d’un Télé­ de « faire immédiatement cesser investir dans du matériel », fait de santé peuvent réquisitionner
cybersurveillance », bien plus sim­ Autres mouchards potentiels : phone grave danger, un dispositif les violences et de protéger les victi­ valoir Christelle Audigier. des médecins en grève. La minis­
ples à mettre en œuvre que l’ins­ les objets connectés permettant mis en place par le gouvernement mes », ajoute le parquet d’Avesnes­ tre déléguée chargée de l’organisa­
tallation d’un « stalkerware », ces un suivi géographique, comme et qui, sur décision d’un procu­ sur­Helpe. Un temps de l’urgence Ampleur inconnue à ce stade tion territoriale et des professions
logiciels de traque utilisés pour les AirTag, de petites balises reur de la République, peut être at­ pas forcément compatible avec A ce stade, l’ampleur du mou­ de santé, Agnès Firmin­Le Bodo, a,
suivre à la trace l’activité numéri­ créées par Apple – qui a dû mettre tribué aux personnes particuliè­ une expertise de l’environne­ vement est inconnue, d’autant elle, promis mardi sur Franceinfo
que d’une cible et contre lequel le en place des protections contre ce rement vulnérables. Elle avait dé­ ment numérique de la victime. p plus qu’il intervient durant une que des propositions sur le sys­
tribunal judiciaire de Paris vient genre de pistage –, ou encore les ménagé à une adresse inconnue gabriel thierry période de congés pour les tème de santé seraient formulées
médecins. Le collectif qui en est à « dans les semaines à venir ».
l’origine revendique une majorité « Ce n’est pas notre mouvement
de cabinets au moins partielle­ d’une semaine qui crée la crise,
les associations d’aide aux victimes pour plus de classement sans suite, mais on de proximité et d’accès au juge, puisque ces ment fermés, mais reconnaît une l’hôpital est en tension depuis
présenter la nouvelle politique pénale et for­ écoule plus lentement le stock », reconnaît nouvelles juridictions devraient prendre mobilisation moindre que début longtemps, et ça sera pire pour les
mer, pendant une demi­journée, aux Ombeline Mahuzier. place dans les cours d’appel. La préférence, à décembre. Il estimait alors que patients si on ne se bat pas pour
concepts clé tels que l’emprise, le cycle des Bobigny, se porte donc sur l’idée d’un pôle qui « 60 % à 80 % » des cabinets des solutions de long terme », répli­
violences, la stratégie des auteurs pour A Bobigny, un projet coordonne et récupère les informations en­ avaient tiré le rideau, tandis que que Christelle Audigier, comme
isoler leurs victimes. « Cela a permis en pre­ tre les différents services. Aujourd’hui, l’une l’Assurance­maladie avait mesuré les syndicats soutenant la grève.
mier lieu l’affichage de valeurs partagées, ré­ de filière spécialisée des principales difficultés est une organisa­ une baisse de l’activité des géné­ Cette ambition­là est largement
sume Mme Mahuzier, et puis d’engager une Ce sentiment d’être face à un mur de dossiers tion en tuyaux d’orgue, où chaque juge reste ralistes d’environ 30 %. partagée. Si les solutions ne font
dynamique collective autour de ces valeurs. » et l’angoisse d’être submergé, le tribunal judi­ cantonné à son domaine. Contrairement à la première pas toutes consensus, les syndi­
Dans les mois qui ont suivi, les formations ciaire de Bobigny les connaît bien. Dans la L’idée centrale de la création d’un pôle est, fois, le mot d’ordre n’est soutenu cats et des médecins ne partici­
se sont poursuivies et des outils ont été ima­ deuxième juridiction de France, les dossiers au contraire, de tabler sur une meilleure or­ que par une partie des syndicats, pant pas au mouvement se disent
ginés pour « fluidifier les circuits ». de violences conjugales ont pris une dimen­ ganisation qui permette d’assurer la traçabi­ notamment l’Union française néanmoins « solidaires » de la co­
C’est le cas des « dossiers uniques de situa­ sion inédite : leur nombre a augmenté de lité des situations entre tous les acteurs pour une médecine libre, la Fédé­ lère exprimée par les libéraux mo­
tion », qui rassemblent au même endroit 100 % entre 2017 et 2021, passant de 577 à 1 153. concernés : juges correctionnels, parquet, ration des médecins de France, le bilisés, symptôme du profond
toutes les informations sur une histoire de C’est peu dire que la situation est urgente. juge aux affaires familiales, voire juge des en­ Syndicat des médecins libéraux et malaise d’une profession qui dé­
violence conjugale. Accessibles uniquement Pour y faire face, les chefs de la juridiction de fants. Chaque magistrat resterait compétent Jeunes médecins. Les principaux nonce très largement la dégrada­
aux magistrats du parquet, ils sont d’une aide Seine­Saint­Denis, le président Peimane Gha­ dans son domaine mais travaillerait avec syndicats n’ont, eux, pas suivi. tion de ses conditions de travail et
considérable pour prendre une décision en leh Marzban et le procureur Eric Mathais, ont tous les maillons de la chaîne judiciaire dans « Leurs propositions ne sont pas s’inquiète de la déliquescence de
urgence en cas de signalement de violences. comme projet de mettre en place une filière un souci de transversalité. Le but : avoir une les nôtres », résume Agnès Gian­ tout un système de santé. p
Jennyfer Picoury en est convaincue, « si on consacrée aux violences conjugales. Depuis vision panoramique de chaque situation. notti, présidente de MG France, éléa pommiers
ne travaille pas de manière concertée, on 2020, une audience mensuelle est consacrée Ce pôle, s’il était lancé, aurait trois objectifs. majoritaire chez les généralistes,
perd en qualité de justice ». Cela passe non à la question au tribunal de proximité de D’abord, créer une permanence supplémen­ pour qui « la consultation à
seulement par des échanges renforcés Saint­Denis. Ce circuit court et prioritaire per­ taire au parquet qui serait consacrée aux vio­ 50 euros n’est pas une réponse
entre magistrats du siège et du parquet, met déjà de désengorger la chambre correc­ lences à l’intérieur du couple et, si les moyens structurante » pour améliorer les
mais aussi par des partenariats étroits tionnelle, totalement embolisée. Mais cette le permettent, aux violences intrafamiliales. conditions de travail et ne cadre
- CESSATIONS DE GARANTIE
tissés avec les associations qui accompa­ solution n’est pas suffisante. Ensuite, une gestion coordonnée de tous les pas avec la diversité des patholo­
gnent les victimes, chargées d’évaluer le La gestion des dossiers de violences conju­ moyens de protections comme le Téléphone gies. Lors de la dernière réunion
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
danger encouru, et qui proposent systéma­ gales et intrafamiliales prend de plus en plus grave danger, le bracelet antirapprochement plénière avec l’Assurance­maladie, D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
tiquement l’entrée dans un « parcours de de poids et d’importance. Il s’agit non ou les ordonnances de protection. Enfin, il le 15 décembre, une refonte des JUILLET 1972 - ARTICLES 44
protection » revêtant des formes diverses. seulement de traiter la masse des affaires faudrait renforcer les capacités de jugements tarifs autour de « trois niveaux » de QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
La transformation s’est faite quasiment à mais aussi d’assurer un suivi, d’analyser la de ces dossiers complexes, à la fois pour faire consultation a été évoquée, et les – Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
moyens constants ; seul un poste de chargée dangerosité des personnes et des situations. face à la masse mais aussi pour aller plus vite. négociations sur le sujet doivent NANTERRE 842 689 556), succursale de
de mission a été ouvert, pour l’heure A Bobigny, comme à Châlons­en­Champa­ Mais tout dépendra des moyens que le tri­ reprendre en janvier 2023. QBE EUROPE SA/NV, dont le siège social est
d’ailleurs vacant. Les résultats sont au ren­ gne, le scénario privilégié n’est ainsi pas de bunal de Bobigny pourra obtenir. Idéalement, « C’est peut­être un peu préma­ à 37, Boulevard du Régent, 1000 BRUXELLES
- BELGIQUE, fait savoir que, la garantie finan-
dez­vous. A Châlons, les classements sans lancer une nouvelle juridiction qui, dans les il faudrait pouvoir mettre en place une ou turé d’appeler à une grève dure dès cière dont bénéficiait la :
suite en matière de violence conjugale ont faits, créerait une complexité et nécessiterait deux audiences collégiales (avec plusieurs ju­ maintenant, d’autant plus à une AGENCE EUROPEENNE DE DIFFUSION
chuté, les poursuites ont été multipliées par de tout réorganiser. Sans parler du problème ges) par semaine, et deux audiences hebdo­ période où les Français sont mala­ IMMOBILIERE FRANCE SARL
33 Boulevard du Maréchal Leclerc Le Monte
trois et le taux de réponse pénale atteint madaires avec un juge unique. Concernant les des et ont du mal à trouver des mé­ Carlo B, Bloc II 06310 BEAULIEU-SUR
98 % en 2021, contre 89 % en 2019. effectifs, il s’agirait d’avoir trois juges correc­ decins », juge Franck Devulder, MER RCS: 752 678 748
Comme le relève la procureure dans le tionnels pour le jugement des affaires, trois président de la Confédération des depuis le 01/04/2019 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de porter
bilan de ces trois années d’actions, « la réac­ À BOBIGNY, IL A FALLU  procureurs, trois assistants spécialisés et cinq syndicats médicaux français effet trois jours francs après publication du pré-
tivité face à l’urgence est mesurable : plus de greffiers. Soit une vingtaine de personnes. (CSMF), qui appelle à des fermetu­ sent avis. Les créances éventuelles se rapportant
50 % des condamnations ont été prononcées
FAIRE FACE À UNE  Les embauches prévues sur le quinquennat res seulement le samedi. à ces opérations devront être produites dans les
trois mois de cette insertion à l’adresse de l’Éta-
sur déferrement en 2021, contre seulement AUGMENTATION DE  au niveau national (1 500 magistrats et Cette grève s’organise en effet à blissement garant sis Cœur Défense – Tour A
26 % en 2018. Le nombre de Téléphones graves 1 500 greffiers) donnent de l’espoir, mais tout une période critique pour le sys­ – 110 esplanade du Général de Gaulle – 92931
danger a été multiplié par dix, tout comme le 100 % DES DOSSIERS  dépendra de leur répartition. Et leur arrivée tème de santé, déjà débordé par LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le présent
nombre d’ordonnances de protection ». ne se fera pas immédiatement, notamment un manque chronique de méde­ avis ne préjuge en rien du paiement ou du non-
L’effet se fait, en revanche, sentir sur les DE VIOLENCES  en raison de la formation nécessaire. p cins, accentué pendant les congés paiement des sommes dues et ne peut en aucune
façon mettre en cause la solvabilité ou l’hono-
autres contentieux, comme les attein­ CONJUGALES  solène cordier et par la conjonction des épidé­
rabilité de la SARLAGENCE EUROPEENNE
tes aux biens, pour lesquels les délais de (à châlons­en­champagne) mies de Covid­19, de bronchiolite DE DIFFUSION IMMOBILIERE FRANCE.
traitement sont allongés. « On ne fait pas ENTRE 2017 ET 2021 et abel mestre et de grippe. Ce mouvement

8 | france
REPORTAGE
bouloupari, bouraké, bourail,
la tontouta (nouvelle­
calédonie) ­ envoyée spéciale
L
e fils et son père vien­
nent, sans le savoir, d’em­
ployer les mêmes mots.
« Il est hors de question
que quelqu’un vienne prendre
quoi que ce soit sur nos terres », a
lâché le premier, Julien Creugnet,
sur la terrasse de bois sombre de
la maisonnette qu’il occupe à l’ar­
rière de la boucherie familiale, ce
12 décembre. « Je veux à tout prix
qu’on garde notre terre, il est hors
de question de s’en défaire »,
déclare, une poignée d’heures
plus tard, le second, Karlheinz
Creugnet. L’éleveur sexagénaire
s’affaire sur sa vaste propriété de
Bouraké, près de Bouloupari,
dans le sud de la Nouvelle­Calé­
donie. « La terre, il n’y en a jamais
assez pour la distribuer à tous ses
enfants », jure­t­il.
Chapeau de cow­boy sur la tête,
même allure solide, père et fils se
sont rejoints en vue d’un après­
midi de travail dans la chaleur. Le
pick­up déborde de pieux de
gaïac, ce bois si robuste « que tu
n’y plantes pas un clou ». Trois ki­
lomètres de clôture à rénover
pour protéger le bétail, ce sera un
labeur de plusieurs semaines.
Culture rurale australienne
Sur le Caillou, il y a la capitale,
Nouméa, et, à partir de Païta, en
montant vers le nord, par la route
territoriale 1, qui longe la côte
ouest, la brousse : le monde pay­
san calédonien. Les « brous­
sards » blancs de la famille Creu­
gnet, descendants d’un militaire
français marié à une Irlandaise,
sont éleveurs de bovins depuis le
XVIIIe siècle.
« On achète des terres. On
s’agrandit. On fait fructifier. Nous,
on ne veut pas vendre pour faire
de l’argent » : Julien, 25 ans, avait
déjà son petit troupeau à lui
quand il a arrêté le lycée avant le
baccalauréat. Il possède à présent
une centaine de vaches brahma­
nes, sélectionnées par des labora­
toires australiens afin de résister
à la tique. « L’élevage, c’est dur, un
travail de forçat. Mais c’est une
passion », témoigne le jeune
homme. Toute la viande produite
sur l’île est vendue, les consom­
mateurs en voudraient même da­
vantage.
Ci­dessous, Gérard Pasco,
ancien président de la
chambre d’agriculture,
à La Tontouta (Nouvelle­
Calédonie), le 15 décembre.
A droite, sur l’exploitation
familiale des Creugnet,
à Bouraké (Nouvelle­
Calédonie),
le 13 décembre. PHOTOS : KAMIL
ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »
En Nouvelle­Calédonie,
les « broussards » dans
le culte de leurs terres
LA NOUVELLE­CALÉDONIE, UNE TERRE EN ATTENTE 3|3  Descendants de
colons français, ces éleveurs affirment que Kanak et
loyalistes vivent très bien ensemble, dans la brousse
Pour rien au monde les brous­
sards ne céderont leur place, ni
n’abandonneront l’existence sans
ostentation, besogneuse mais
libre, qu’ils mènent au milieu de
la nature. « Il n’y a pas meilleure vie
que celle­là, de l’espace, des rivières
privées, des animaux autour de
nous, la mer », affirme Julien, en
ôtant son chapeau de stockman
(l’homme qui garde le bétail à che­
val, en Australie) pour s’essuyer le
front. Son cousin, Darren Lacrose,
26 ans, bouille ronde et boots
Blundstone de rigueur, a moins
de chance, au sens où il doit louer
les 175 hectares sur lesquels il
élève ses 80 bovins : « J’aimerais
avoir plus de terre à moi pour aug­
menter mon troupeau, planter,
investir. » Darren complète son ac­
tivité en travaillant pour d’autres.
Planter des clôtures et monter à
cheval tous les jours… c’est ainsi
qu’il vit heureux, dehors de l’aube
au soir, indépendant. « On est nés
là­dedans, je ne changerai pas. »
La culture rurale australienne
imprègne toute cette campagne.
A l’entrée du bourg de Bouloupari,
le visiteur passe un portique de
Planter
des clôtures et
monter à cheval
tous les jours…
c’est ainsi que
Darren Lacrose
vit heureux,
dehors de l’aube
au soir
western planté au­dessus de la
route, accueilli par la silhouette
peinte d’un stockman. Les Creu­
gnet aiment tant les chevaux
qu’ils en achètent pour les faire
courir à l’hippodrome. En 2023, le
Covid­19 sera enfin oublié, ils vont
de nouveau embaucher pour six
mois un jockey sud­africain qui
viendra s’installer sur leur terre
avec sa famille. Au bras du jeune
Darren figure un tatouage, en
hommage à son père mort : Jean­
Yves Lacrose était jockey, une célé­
brité qui a remporté 400 victoires.
« Métropolitains, Australiens, Néo­
Zélandais, il arrivait à tous les da­
mer ! », raconte le fils avec fierté.
« Pas prêts à faire la guerre »
Ici, on chasse le cerf qui pullule
dangereusement, disputant aux
biquettes sauvages la végétation
des collines, désormais nues. Au
mois d’août, les éleveurs conver­
gent vers Bourail, plus loin sur la
Grande Terre, où la foire aux
bestiaux rassemble 20 000 per­
sonnes. En ce mois de décembre,
des Pères Noël supportant des
tenues rouges inadaptées au
climat tropical sillonnent les
fêtes de village en pick­up, dans
une ambiance bon enfant.
Les éleveurs partagent leur
labeur et un peu de leur vie avec
les Kanak, qu’ils appellent « les
Méla », coupant la fin du nom
Mélanésien. Les vieux, ici, ont
douloureusement vécu les « évé­
nements » de 1984­1988, la « guerre
civile » pour les indépendantistes.
Le souvenir demeure prompt à
surgir dans la conversation,
comme si les broussards jugeaient
leur bonheur fragile. Ils ont trans­
mis ce récit à leurs enfants, qui vi­
vent avec eux sur leur terre, même
si leurs diplômes les ont conduits
à d’autres emplois que l’élevage. A
La Tontouta, Gérard Pasco, 65 ans,
a ainsi donné 10 hectares à
chacune de ses deux filles. Juste
après l’aéroport international de
Nouvelle­Calédonie, la propriété
court sur 370 hectares de belles
étendues herbeuses, jusqu’aux
montagnes partiellement éven­
trées par l’extraction du nickel.
Sa famille a acheté ici en 1990,
avec l’aide de l’Etat, une terre
appartenant à une Caldoche pa­
rente du chanteur Nino Ferrer. Les
beaux­parents Pasco avaient leurs
racines à Pouembout, plus haut
dans la province Nord, à majorité
kanak. « Mais, en 1988, six cagou­
lards [des activistes indépendan­
tistes masqués] ont débarqué chez
eux, les ont séquestrés et ont mis le
feu à la maison. Ils se sont échap­
pés par un vasistas de 44 centimè­
tres sur 22 centimètres en s’arra­
chant la poitrine », se remémore
M. Pasco. Après seize années d’en­
gagement, le sexagénaire vient de
céder la présidence de la chambre
d’agriculture. Un système fran­
çais d’organisation profession­
nelle que les indépendantistes au
gouvernement à Nouméa aime­
raient réformer, en réaffectant les
taxes prélevées par les chambres
consulaires. « J’ai créé de la
richesse, développé la chambre. Je
suis fier d’avoir eu un rôle social »,
affirme encore l’éleveur. Ses collè­
gues, la veille, lui ont fait un bon
« coup de fête », comme l’on dit ici.
Avant d’avoir 500 têtes de bétail
et une maison à Nouméa, le jeune
Gérard Pasco a fait sa place
comme peintre en bâtiment,
dans le sillage d’un père breton ar­
rivé de Vannes en 1969. Après l’Al­
gérie, il avait choisi de s’enraciner
en Calédonie. Un matin, ses cinq
enfants l’ont mis dehors parce
qu’il battait leur mère. M. Pasco a
tout appris du métier d’éleveur
auprès de la belle­famille : « Mon­
ter à cheval, labourer pour le foin,
tuer les bêtes. » Il montre son petit
abattoir privé, où il a débité au
couteau avec son unique employé
jusqu’à 100 tonnes de viande par
an, cinq bovins par semaine.
« En 1984, raconte­t­il, on n’a rien
compris. Des gens venaient sur la
propriété se promener avec des
fusils. Les indépendantistes se sont
servis de ces jeunes­là. Nous, on
travaillait avec des Mélanésiens.
Ils venaient laver leur bétail chez
nous, c’était la confiance. On
n’était pas prêts à faire la guerre. »
« Un tournant de l’histoire »
Dans ce pays coupé en deux blocs,
l’un indépendantiste, l’autre loya­
liste, les gens « vivent ensemble »
en brousse, témoignent Julien,
Darren et Gérard. « On a du sang
kanak, ils ont du sang blanc, je ne
vois pas pourquoi un jour ça dé­
raillerait », assure le fils Creugnet.
Le problème, encore et toujours,
c’est la terre. L’agriculture stagne
en Nouvelle­Calédonie, estiment
les éleveurs, car le domaine
public n’est pas assez ouvert et
trop de terres coutumières kanak
sont laissées en friche. Le système
traditionnel, performant pour
assurer l’autosubsistance des
tribus, freine le développement
dont rêvent ces agriculteurs
conventionnels. Des familles
européennes ont été déplacées
lors des redistributions passées et
cette souffrance perdure, rappel­
lent les responsables politiques
loyalistes à Nouméa.
Dans les années 1980, se
souvient­on chez les Creugnet,
un voisin avait vendu 800 hecta­
res à l’Etat, qui restituait des par­
celles aux Kanak. Mais, une fois la
propriété transférée, le bétail a
été abattu, le terrain est demeuré
vierge. Aujourd’hui, les Creugnet
en louent une partie, 250 hecta­
res. « On a perdu 60 % des terres
agricoles » après les violences des
années 1980, assure Gérard
Pasco. « La paix est arrivée, mais
les politiques se sont focalisés sur
les mines, le minerai, les usines de
nickel. Aujourd’hui, le système
calédonien préfère importer des
denrées agricoles. Nous nous som­
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
Les « broussards »
votent pour
la France,
choisissent les
partis de la droite
loyaliste aux
élections locales
mes mobilisés à la chambre d’agri­
culture avec le monde économi­
que, cela commence à changer. »
Parmi les éleveurs, on apprécie
la chanson d’un groupe kanak de
l’île de Maré, Gurejele, qui tourne
en dérision les partis politiques
indépendantistes « subvention­
nés » et une « fonction publique
qui travaille pour le fric » dans les
institutions du pays. « C’est qui
qui paie, qui paie ? C’est la France
qui paie ! », martèle le refrain, sur
un air entraînant… Les brous­
sards votent pour la France, choi­
sissent les partis de la droite loya­
liste aux élections locales. Ils
disent avoir été rassurés par le
ministre de l’intérieur et des
outre­mer, Gérald Darmanin – il a
répété, début décembre, en
Nouvelle­Calédonie, que l’avenir
s’envisage dans la République.
« On ne peut quand même pas
tous nous mettre sur un bateau »,
résume M. Pasco. Et d’ajouter : « Il
faudrait que la société se moder­
nise, que les Mélanésiens aient un
accès à des terres individuelles.
Nous avons besoin de stabilité
économique. » L’éleveur « veut
construire », en participant aux
groupes de travail réunis par
Paris sur l’avenir de la Calédonie.
A Noël, sur la table des Creugnet,
il y a eu des crevettes, de la
langouste porcelaine du Pacifique
et du pudding maison, ancêtres
irlandais oblige. « On arrive à un
tournant de l’histoire, il faut qu’on
se mette tous du même côté de la
corde et qu’on tire pour le pays, pas
pour tel ou tel peuple. On est des
éleveurs, qu’on soit blanc, noir ou
kanak », estime Julien. Lui parle
mécanisation, nouvelles techno­
logies, voyages en Australie, afin
de « rester performants ». Et as­
sure : « Les jeunes comme moi sont
ouverts. Moi, je suis un Calédonien,
cela englobe tout le monde. » p
nathalie guibert
FIN
 PLANÈTE
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022 |9

Blizzard aux 
Etats­Unis : 
un lourd bilan
Plus de soixante personnes ont péri
lors de la tempête hivernale Elliott

san francisco ­ correspondante Le bilan, dans le comté d’Erié, en­

globant Buffalo, s’élevait mardi à

L
e « blizzard du siècle », se­
lon l’expression de la
gouverneure de l’Etat de
New York, Kathy Hochul,
a fait plus de soixante morts aux
Etats­Unis. Mardi 27 décembre, la
neige avait cessé de tomber sur
Buffalo, dans le nord­ouest de
l’Etat, épicentre de la tempête hi­
vernale Elliott qui a fait de Noël un
week­end de cauchemar pour des
millions d’Américains.
La circulation continuait néan­
moins à être interdite dans cette
ville de 280 000 habitants
aux rues ensevelies sous près de
deux mètres de neige. Les pom­
piers s’efforçaient de dégager les
automobiles immobilisées – plu­
sieurs centaines – et les arbres
abattus sous l’effet de vents parti­
culièrement violents. Les autorités
ont fait appel à la garde nationale
pour faire appliquer l’interdiction
de se déplacer décrétée afin de fa­
ciliter les opérations de secours et
de rétablissement de l’électricité.
trente et un morts, soit la moitié
du nombre de victimes dans l’en­
semble du pays. Un chiffre supé­
rieur au bilan du blizzard de 1977
(vingt­neuf décès), resté dans les
mémoires dans cette région pro­
che des chutes du Niagara, où l’hi­
ver est particulièrement rigou­
reux. Le blizzard a également dé­
passé celui de 1977 en puissance du
vent et d’intensité des chutes de
neige (trente­sept heures sans
discontinuer). Les bourrasques
ont atteint 120 km/h. L’aéroport
international a reçu 1,2 mètre de
neige en une journée et demie,
trois fois plus qu’en 1977.
Nombreux gestes de solidarité
Les secouristes craignent que le
bilan ne soit plus élevé au fur et à
mesure qu’ils passent en revue les
420 appels aux services d’urgence
restés sans réponse, les pompiers
étant eux­mêmes bloqués par le
blizzard. « Des secouristes ont dû
venir en aide à d’autres secouris­
Une station­service à Lackawanna, une ville du comté d’Erié, dans l’Etat de New York, le 27 décembre. JOSEPH COOKE/AP
tes », a expliqué la maire adjointe
de Buffalo, Crystal Rodriguez­Da­
bney, à la chaîne CNN. Le Washing­
ton Post a cité le témoignage
d’une soignante restée bloquée
dans son ambulance pendant
quatorze heures, sans eau ni nour­
riture. « Nous continuons malheu­
reusement à trouver des corps
dans les rues et dans les congères »,
a indiqué un responsable du
comté, Mark Poloncarz, sur CNN.
Mardi, trois nouvelles victimes
ont été retrouvées dans le comté
d’Erié, dont un homme intoxiqué
au dioxyde de carbone lorsque la
neige a recouvert la ventilation de
son poêle. Selon sa famille, Anndel
Taylor, une infirmière auxiliaire
de 22 ans, est morte dans sa voi­
ture, emprisonnée par la neige,
alors qu’elle rentrait chez elle en
Caroline du Nord. Jusqu’à la der­
nière minute, elle a pu envoyer des
vidéos à ses proches, montrant la
progression de la neige autour de
son véhicule. Selon sa sœur, To­
meshia Brown, la jeune femme
n’est pas morte de froid – elle ne
portait même pas son manteau –
mais asphyxiée. Son corps n’a été
trouvé que le lendemain.
Les médias ont aussi fait état de
miraculés à Buffalo, comme ce
père et ses quatre enfants, qui ont
réussi à survivre onze heures dans
leur voiture, moteur allumé, avant
d’être secourus par un chasse­
neige. Et de nombreux gestes de
solidarité de la part d’inconnus.
Un entrepreneur a réussi à faire
parvenir un générateur – sur un
bulldozer – dans un abri où 150 de­
mandeurs d’asile originaires de
l’Ukraine et du Congo étaient pri­
vés de lumière et frigorifiés. Un
restaurateur a accueilli 115 auto­
mobilistes pendant quarante­
huit heures dans sa salle à manger.
Un couple de dentistes a hébergé
neuf touristes sud­coréens dont le
minibus s’était enlisé.
Dans le reste du pays, les scènes
de blizzard ont fait place aux
images de files d’attente dans les
aéroports, avec plus de 10 000 vols
annulés depuis le début de la
tempête. La chaîne NBC a montré
des salles vides de passagers mais
remplies de bagages, en contraste
avec l’embouteillage devant les
guichets des services clients des
compagnies aériennes. La compa­
gnie SouthWest Airlines, totale­
ment désorganisée, a de nouveau
annulé 60 % de ses vols mardi,
alors que ses concurrentes repre­
naient une fréquence quasi nor­
male. Le ministère des transports
a jugé ces annulations « inaccepta­
bles » et promis une enquête. p
corine lesnes

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 0123
10 | planète JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022

C L I M AT   E T   B I O D I V E R S I T É

2022, année charnière pour la planète

Dans un contexte de crises,
plusieurs accords internationaux
ambitieux ont été signés cette
année. Ils restent toutefois
insuffisants et leur mise en œuvre
ne se fait pas sans obstacles

L’
année 2022 a­t­elle du plaidoyer du Fonds mondial
marqué un sursaut pour la nature (WWF).
dans l’action inter­ Ces avancées pour l’environne­
nationale pour l’en­ ment étaient loin d’être gagnées
vironnement ? Si la dans un contexte de multiples
partition d’un véri­ crises (énergétique, alimentaire,
table succès sera bien plus com­ de l’inflation et de la dette), et
plexe à jouer, l’année s’achève en alors que la guerre en Ukraine
tout cas avec quelques notes posi­ ébranle le multilatéralisme.
tives. A la dernière conférence « Avant les COP27 et COP15, on
mondiale sur la biodiversité voyait des retours de postures op­
(COP15), à Montréal, le 19 décem­ posant l’Occident au Sud, avec des
bre, les pays sont parvenus à adop­ demandes de réparation pour la
ter un nouveau cadre global vi­ crise écologique mais aussi pour
sant à enrayer l’effondrement du le colonialisme, note Sébastien
vivant d’ici à 2030. Quelques se­ Treyer. Il y avait un très fort risque
maines plus tôt, son équivalent que les inégalités de développe­
pour le climat, la COP27, accou­ ment fassent tout capoter. »
chait en Egypte d’un accord pour
créer un fonds pour les dégâts irré­ LEVÉE DE CERTAINS TABOUS
versibles causés par le réchauffe­ Si les pays sont finalement parve­
ment. Les pays ont également en­ nus à coopérer, c’est d’abord parce
tamé des négociations pour éla­ que le Nord a reconnu les besoins
borer un traité international juri­ financiers du Sud et a garanti que
diquement contraignant visant à la solidarité serait au rendez­vous.
mettre fin à la pollution plastique. « Les pays du Sud, quant à eux, ont
Dans le même temps, l’Union accepté d’accroître leur ambition
européenne (UE) décrochait une [en matière de protection de la
série d’accords pour accélérer ses biodiversité et de lutte contre le
baisses d’émissions de gaz à effet réchauffement], même si tout l’ar­
de serre : la réforme de son mar­ gent dont ils ont besoin n’est pas
ché carbone, l’instauration d’une sur la table », complète­t­il.
taxe carbone aux frontières ou Dans un « leadership partagé »,
encore l’arrêt de la vente de véhi­ dans lequel l’UE joue un rôle mo­
cules thermiques neufs en 2035. teur et les Etats­Unis sont de re­
Elle s’est également accordée pour tour, les pays émergents « cher­
interdire l’importation de pro­ chent désormais à faire leur part »,
duits liés à la déforestation, tels juge le directeur de l’Iddri. Initia­ ternationales. Dans un contexte – inondations au Pakistan, canicu­ systèmes, l’atteinte des objectifs
que le soja, le bœuf ou le cacao. lement en retrait, la Chine, qui de flambée des prix de l’énergie et LES PAYS DU NORD  les, sécheresses et incendies en ambitieux adoptés à Montréal
Outre­Atlantique, les Etats­Unis présidait la COP15, a finalement de guerre en Ukraine, « il était im­ Europe, ouragan Ian dévastateur à représentera un véritable défi,
ont réussi à faire passer leur largement œuvré à dégager des portant pour l’UE de montrer ONT RECONNU LES  Cuba et en Floride… – a également chaque Etat devant désormais
Inflation Reduction Act, un plan positions de compromis entre qu’elle pouvait mener plusieurs pu accélérer la prise de conscience. aligner ses stratégies et plans na­
d’investissement colossal (envi­ pays développés et en développe­ batailles en parallèle et que la lutte
BESOINS FINANCIERS  « Des tabous commencent enfin tionaux sur le cadre global.
ron 350 milliards d’euros), dans la ment à propos du nouveau cadre contre le changement climatique DE CEUX DU SUD  à être levés », confirme Pierre Can­
transition bas carbone. mondial pour la biodiversité. fait structurellement partie de son net, alors que les pays ont parlé, BESOIN D’UN EFFORT « MASSIF »
S’il réfute l’idée d’un tournant, L’Inde, qui préside le G20 pour un action », ajoute­t­elle. ET ONT GARANTI  lors des COP, des énergies fossiles Pour éviter de dresser un constat
Sébastien Treyer, directeur géné­ an depuis le 1er décembre, entend Le contexte de multiples crises (charbon, pétrole et gaz), princi­ d’échec total dans huit ans
ral de l’Institut du développe­ se présenter comme un cham­ pourrait aussi aider, paradoxale­ QUE LA SOLIDARITÉ  pales causes du réchauffement, – comme cela a été le cas pour les
ment durable et des relations in­ pion du climat. L’Afrique du Sud, ment, à faire progresser l’action SERAIT AU  des subventions néfastes pour le cibles adoptées au cours de la
ternationales (Iddri), estime que le Brésil ou la Colombie affichent environnementale, car il favorise climat et la biodiversité, du pro­ décennie précédente –, les Etats se
l’on est à « un moment charnière, aussi un volontarisme nouveau. un « retour de l’interventionnisme RENDEZ­VOUS blème des pesticides ou des plas­ sont cette fois accordés sur un
avec des opportunités pour accélé­ Au niveau européen, on est en des Etats », rappelle Sébastien tiques. Davantage qu’un nouvel mécanisme plus robuste d’évalua­
rer ». Entre l’accord de Paris sur le train d’assister à la « matérialisa­ Treyer, et donne de la voix à des élan, l’expert du WWF considère tion régulière des progrès. La con­
climat, celui sur la biodiversité et tion » du Green Deal, qui passe mesures qui paraissaient jusqu’à que les récents accords trouvés crétisation rapide des nouveaux
les objectifs de développement « du stade de stratégie de haut présent impossibles, comme une sur l’environnement relèvent plu­ engagements financiers sera
durable, « on a maintenant tous niveau au stade de législation », taxe sur les énergies fossiles ou tôt d’un « rattrapage en matière aussi cruciale pour faire en sorte
les cadres nécessaires à l’action. explique Diana­Paula Gherasim, sur les transports aérien et mari­ d’ambition ». « On est encore loin que l’accord de Kunming­Mon­
Les Etats n’ont plus d’excuses », chercheuse énergie et climat à time. La multiplication des catas­ d’être sur la bonne trajectoire, la tréal soit réellement suivi d’effets.
ajoute Pierre Cannet, le directeur l’Institut français des relations in­ trophes climatiques cette année marche à franchir est immense », Au sein de l’UE, la mise en
rappelle­t­il. Sept ans après l’ac­ œuvre des nouvelles législations
cord de Paris, les engagements nécessitera un « effort massif et
des pays mènent toujours vers un soutenu de la part des gouverne­
En France, des objectifs entravés par l’arrêt de réacteurs nucléaires réchauffement climatique de
2,5 0C à la fin du siècle, bien loin
ments pour déployer les énergies
renouvelables et les infrastruc­
de l’objectif de le limiter à 1,5 0C. tures, par exemple de recharge de
la baisse de production historique autant consommé de gaz qu’en 2022 pour également en hausse (+ 4 %), avec d’im­ Non seulement les promesses véhicules électriques, ou encore
du parc nucléaire français a un coût clima­ sa production d’électricité, le principal dis­ portantes variations mensuelles, selon restent insuffisantes, mais de sur­ rénover les bâtiments », rappelle
tique. Selon le baromètre mensuel du Cen­ tributeur de gaz naturel, GRDF, parlant d’un l’évaluation provisoire publiée le 21 dé­ croît leur mise en œuvre fait dé­ aussi Diana­Paula Gherasim.
tre interprofessionnel technique d’études « record ». Les émissions liées à la produc­ cembre. Selon le Citepa plusieurs facteurs faut tant l’accord trouvé à Mon­ Les récents progrès ne doivent
de la pollution atmosphérique (Citepa), tion électrique sont en forte hausse sur les peuvent expliquer ces évolutions : les effets tréal que celui de Paris ne sont
mandaté pour réaliser l’inventaire français neuf premiers mois de l’année (+ 12 %). la guerre en Ukraine sur le prix des pas réellement contraignants et
des émissions de gaz à effet de serre, carburants, les mesures prises pour ne sont pas assortis de mécanis­
celles­ci ont légèrement augmenté au troi­ Hausse des émissions dans les transports compenser cette hausse des prix ou la mes de sanction en cas de non­ L’ATTEINTE DES 
sième trimestre (+ 0,4 %). Sur les neuf « Comme le redémarrage des réacteurs à poursuite de la reprise des activités post­ respect des engagements. « Les
premiers mois de l’année, elles ont fléchi l’arrêt semble devoir s’étaler sur des périodes Covid­19. Les secteurs des bâtiments engagements [pris lors de l’accord OBJECTIFS ADOPTÉS 
de 0,3 % par rapport à la même période plus longues qu’initialement attendu, il est à résidentiels et tertiaires et industriel ont de Paris] ne se sont pas encore
en 2021, loin de la baisse indispensable à craindre que le secteur électrique continue à en revanche émis, jusqu’à présent, moins suffisamment transformés en ac­
À MONTRÉAL EST 
l’atteinte des objectifs climatiques. peser lourdement sur les émissions du qua­ de gaz à effet de serre qu’en 2021. tions nationales et surtout en im­ UN VÉRITABLE DÉFI, 
Ce mauvais résultat s’explique en pre­ trième trimestre, bien plus importantes Pour respecter ses engagements euro­ pacts, relève Janet Ranganathan,
mier lieu par l’arrêt d’un nombre inédit de pour le bilan annuel que celles du creux de péens, la France devrait doubler le rythme directrice générale de l’Institut CHAQUE ÉTAT DEVANT 
réacteurs nucléaires pour des raisons de l’été », note l’économiste Christian de annuel de diminution de ses émissions des ressources mondiales (WRI).
maintenance et de corrosions sur des Perthuis, directeur de la chaire économie pour parvenir à une baisse de 4,7 % par an Ils n’ont pas diminué la concentra­ DÉSORMAIS ALIGNER 
tuyauteries, ce qui a entraîné un recours du climat à l’université Paris­Dauphine. en moyenne entre 2022 et 2030, selon le tion en CO2 dans l’atmosphère. » SES PLANS NATIONAUX 
accru aux centrales thermiques depuis le Les émissions liées aux transports – le Haut Conseil pour le climat. p Concernant le déclin sans pré­
début de l’année. La France n’a ainsi jamais secteur le plus émetteur en France – sont perrine mouterde cédent des espèces et des éco­ SUR LE CADRE GLOBAL
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
Lors de la COP27, à Charm
El­Cheikh (Egypte),
le 7 novembre. Au centre,
Emmanuel Macron et la
présidente de la
Commission européenne,
Ursula von der
Leyen. LUDOVIC MARIN/AP
en outre pas occulter des reculs.
L’année 2022 a aussi vu un re­
cours accru aux énergies fossiles
dans le contexte de crise énergé­
tique, un report de la réglementa­
tion européenne pour réduire de
moitié l’usage des pesticides, des
reculs sur la transition agroécolo­
gique européenne ou encore la
suspension des négociations in­
ternationales sur la protection de
la haute mer. La COP27 a échoué à
s’attaquer aux énergies fossiles,
et la majorité des pays n’ont pas
relevé leurs objectifs climatiques.
Transformer la petite musique
de la fin d’année en allegro en
2023 ne pourra se faire qu’à cer­
taines conditions. « Il faudra s’at­
taquer de concert aux trois systè­
mes, alimentaire, énergétique et
urbain, qui sont les causes tant de
l’érosion de la biodiversité que du
dérèglement climatique », pré­
vient Janet Ranganathan.
Les pays du Nord devront aussi
« définir un nouveau pacte finan­
cier avec le Sud », lors d’un som­
met convoqué par Emmanuel
Macron en juin 2023, qui doit pas­
ser par une réforme du système
financier international, afin de le­
ver des sommes conséquentes
face aux crises écologiques. Et,
avant la COP28 aux Emirats ara­
bes unis, qui sera l’occasion du
premier bilan des engagements
climatiques des pays, le patron de
l’ONU a annoncé la tenue d’un
sommet de l’ambition climatique
en septembre. Antonio Guterres a
prévenu : « Le prix d’entrée n’est
pas négociable : une nouvelle ac­
tion crédible et sérieuse pour le
climat ainsi que des solutions
fondées sur la nature. » p
audrey garric
avec perrine mouterde
Quand la transition écologique
bouscule le cadre politique
Gouvernance, fiscalité… les enjeux climatiques sont un défi majeur pour les institutions
ANALYSE
A ONT L’OBSESSION DE
la fin de sa vie, Bruno
Latour s’est fait un peu
plus visionnaire. No­
tamment sur la façon
de lutter contre le réchauffement
climatique. « C’est parce que le ca­
ractère évident de la menace ne
nous fera pas changer qu’il faut se
préparer à refaire de la politique »,
assume le sociologue et philoso­
phe lors de l’une de ses conféren­
ces, retranscrite dans son ouvrage
Face à Gaïa (La Découverte, « Les
Empêcheurs de penser en rond »,
2015).
En septembre 2020, deux ans
avant sa mort, il dressait même
sur France Inter un parallèle entre
l’épidémie en cours de Covid­19 et
la crise climatique. « Vous rajoutez
des microbes dans une société, vous
avez une autre société. Vous rajou­
tez le CO2, vous avez une autre so­
ciété », affirmait­il, avant de com­
parer la pandémie à un « crash
test ».
« C’est intéressant de voir que
l’Etat est parfaitement capable de
nous imposer des tas de
réglementations un peu déplaisan­
tes sur la question sanitaire, mais
sur les autres questions, bien plus
importantes à terme, il n’a pas cette
capacité de nous interdire de faire
ceci ou cela (…). Il y a une énorme
différence politique entre les deux. »
A l’instar de Bruno Latour, de
nombreux climatologues et
écologistes pensent que le ré­
chauffement climatique a de tels
impacts qu’il oblige à repenser le
système politique.
Deux aspects en particulier les
agitent : la gouvernance, mais
aussi la fiscalité, pour lutter
contre le sentiment d’injustice
climatique. « La gouvernance, c’est
la question clé de la transition. Une
fois que la prise de conscience a été
faite, comment articule­t­on tout
ça ? Comment va­t­on dans le
même sens ? », s’interroge Quen­
tin Perrier, économiste, président
d’Expertises Climat, qui a accom­
pagné les travaux de la conven­
tion citoyenne pour le climat
(CCC). Un risque parfaitement
identifié par l’exécutif actuel.
« C’est une action collective par dé­
finition. Notre devoir est de mobili­
ser toutes les strates, et l’Etat est un
acteur, certes important, mais un
acteur parmi beaucoup d’autres.
Seuls, nous n’y arriverons pas », ré­
sume Antoine Pellion, secrétaire
général à la planification écologi­
que (SGPE), rattaché à Matignon.
Alors que la transition va boule­
verser tous les secteurs de la vie
économique et sociale, le risque,
selon beaucoup de spécialistes, se­
rait de donner l’impression que les
choses sont imposées d’en haut,
d’un centre lointain et mal identi­
fié. De Paris, par exemple. Le mou­
vement social des « gilets jaunes »
a été un signal d’alerte.
D’où l’impératif de mieux asso­
cier plusieurs échelons, comme
les élus locaux, les citoyens, les
experts… Bref, de rendre plus
horizontale une Ve République
critiquée pour sa verticalité et son
jacobinisme. « L’ensemble du sys­
tème politique et de l’appareil
d’Etat est orienté autour du prési­
dentialisme patriarcal, déconnecté
du terrain, et des élus locaux. Cela
amène une verticalité qui est inopé­
rante quand le haut n’est pas assez
vert », déplore Delphine Batho, dé­
putée écologiste des Deux­Sèvres
et ancienne ministre de l’écologie.
planète | 11
« LES GOUVERNEMENTS  vent­ils, tout en soulignant que
« ces citoyens ont travaillé dans un
qué, alors que l’objectif est le
même : sauver des vies. »
qu’une famille de cadres supé­
rieurs urbains peut dégager
 
relatif isolement par rapport à la D’autres politiques se posent moins de CO2 qu’un ménage plus
population générale ». plutôt la question des moyens. populaire obligé de rouler avec
LA BAISSE DU NOMBRE  Un exemple à pérenniser ? « Depuis trente ans, les gouverne­ un diesel en milieu rural.
Quelques initiatives locales s’en ments ont l’obsession de la baisse D’autres idées émergent. Met­
DE FONCTIONNAIRES,  inspirent, en tout cas. Récem­ du nombre de fonctionnaires, ce tre en place une TVA différenciée
CE QUI VEUT DIRE MOINS  ment, la ville de Grenoble a inau­ qui veut dire moins d’agents dans selon les émissions et la prove­
guré sa Convention métropoli­ le domaine de l’écologie, par exem­ nance des produits, mettre en
D’AGENTS DANS LE  taine pour le climat, qui a rendu ple au niveau des organismes dont place un « ISF vert », affiner les
ses conclusions il y a quelques se­ on a besoin, comme Météo­ subventions et supprimer les ni­
DOMAINE DE L’ÉCOLOGIE » maines en mettant sur la table France », déplore Delphine Batho. ches fiscales défavorables à l’en­
DELPHINE BATHO 219 propositions. En amont et en aval de la gou­ vironnement. Sauf que ces aides
députée écologiste Dans ce contexte, faut­il donner vernance, le financement de la sont aussi là pour compenser les
des Deux-Sèvres une place institutionnelle aux transition et la redistribution res­ déficits de compétitivité de cer­
experts ? Vu la complexité des tent des enjeux fondamentaux. tains secteurs, les taxis, les agri­
enjeux, ils ont un rôle central. Et Qui paie quoi ? Les réponses à ces culteurs, les routiers, les pê­
Des initiatives ont été prises de­ leur avis est parfois négligé. questions simples sont infini­ cheurs… Compliqué de ne pas
puis le début du second quin­ L’Institut de l’économie pour le ment complexes, comme on l’a faire monter une colère sociale
quennat d’Emmanuel Macron. La climat (I4CE) a, par exemple, vu avec l’hypersensibilité du dé­ en les supprimant.
création du SGPE a été une étape recensé 50 milliards d’euros bat autour des « superprofits »
importante, car il permet de tran­ d’investissements pour lesquels liés à la crise énergétique. La fisca­ Essentiel ou superflu ?
cher entre les différents ministè­ la question de l’adaptation n’était lité doit permettre d’influencer L’idée d’une tarification duale de
res. Avec son programme de tran­ pas bien posée. La rénovation des les modes de vie et apporter une l’énergie (un prix administré
sition baptisé « France nation bâtiments s’est ainsi concentrée réponse plus globale. « Je n’adore pour une certaine quantité, puis
verte », la première ministre, sur la conservation de la chaleur pas les impôts, mais c’est un outil un prix beaucoup plus élevé au­
Elisabeth Borne, a l’intention de l’hiver, mais n’aurait­il pas fallu qui permet d’accélérer les tendan­ delà) a été mise en avant, notam­
s’appuyer sur les régions. Elle a, penser aussi à la fraîcheur l’été ? ces, de modifier les comporte­ ment par Jean Pisani­Ferry, dans
par exemple, signé un protocole « Nous avons une certitude : ments », admet Gilles Boyer. une note publiée par le think tank
d’expérimentation avec la Pro­ même si nous agissons, le climat Les leviers sont nombreux, Terra Nova en juillet. Les quotas
vence­Alpes­Côte d’Azur. En va changer. Que se passera­t­il mais sensibles. « Soit on agit en font aussi régulièrement leur re­
parallèle, un Conseil national de dans un domaine en particulier amont, avec le verdissement de tour dans le débat public. Récem­
la refondation consacré à ces avec 3 0C de plus ? Il faut avoir quel­ l’impôt ou la tarification différen­ ment, l’ingénieur star Jean­Marc
questions a été lancé ; des feuilles qu’un qui pose la question pen­ ciée en fonction de la consomma­ Jancovici a lancé qu’il faudrait ne
de route de décarbonation des fi­ dant le processus de décision. C’est tion, soit en aval avec des subven­ pas faire plus de quatre trajets en
lières sont en cours ; sans oublier le rôle des experts », analyse Benoît tions, résume Benoît Léguet. avion dans toute sa vie. « Le pre­
les plans climat des ministères… Léguet, le directeur général Mais la fiscalité carbone peut être mier kilogramme utilisé est indis­
Sauf que l’atterrissage et le por­ d’I4CE. Comment mieux les asso­ une machine à émettre des injus­ pensable, mais le 3 000e ? Alors, il y
tage politique sont encore très cier à la prise de décision ? Lors de tices. Le même kilogramme de CO2 a différentes formules : le quota, la
flous. Et une question ma­ l’épidémie liée au Covid­19, n’a pas la même utilité sociale tarification duale, comme en
jeure reste en suspens : comment Emmanuel Macron avait mis en quand c’est pour cuire des pâtes Belgique, analyse M. Léguet. Mais
mieux intégrer les citoyens dans place un conseil scientifique pour ou pour voler en jet. » cela soulève plusieurs questions :
un contexte de discrédit très fort l’aider à trancher. Comme à chaque fois avec la qu’est­ce qui est essentiel, qu’est­ce
du personnel politique ? transition écologique, les possi­ qui est superflu ? Comment faire la
Inspirée par l’Irlande, la CCC, « Sujets passionnels » bilités sont infinies et les pro­ différence entre la Lozère et Paris
lancée fin 2019, a été une Alors que certains appellent à re­ blèmes vertigineux. Faut­il inté­ dans les modes de vie ? Cela oblige
tentative de réponse. « Les débats penser le cadre, d’autres jugent grer la question du dégagement à rentrer dans l’intimité des vies. »
se sont passés de façon assez que la Ve République, malgré ses de CO2 au calcul de l’impôt sur le Reste à savoir quelle quantité
apaisée, se souvient Quentin défauts, est justement efficace. revenu ? Trop intrusif, répond le d’énergie politique il faut dé­
Perrier. Mais ils avaient reçu un « Parfois, plus on se rapproche du gouvernement, qui explique ployer pour mettre en place de
coup sur la tête avec la présenta­ terrain, moins une décision telles réformes. Ces évolutions
tion de la paléoclimatologue contraignante peut être prise, no­ importantes dans la gouver­
Valérie Masson­Delmotte. Ils ont tamment sur des sujets passion­ « JE N’ADORE PAS  nance ou dans la fiscalité nécessi­
tous pris conscience du réchauffe­ nels comme la voiture, car c’est tent un immense crédit politi­
ment, et, à ce titre, ils n’étaient très difficile pour des élus locaux LES IMPÔTS, MAIS C’EST  que. A moins que la prise de cons­
plus tout à fait représentatifs de la de le faire, estime Gilles Boyer, cience des citoyens oblige le per­
population française. » Dans un député européen macroniste et UN OUTIL QUI PERMET  sonnel politique à accélérer. « On
article publié dans la revue ancien conseiller politique D’ACCÉLÉRER ne fait pas le boulot, nous les ci­
Nature, des sociologues qui ont d’Edouard Philippe à Matignon. toyens, d’imposer cette préoccu­
suivi les sessions de la CCC souli­ C’est une question inhérente à la LES TENDANCES, pation à l’ensemble de la classe
gnent eux aussi ce point. « L’ex­ démocratie, et pas seulement à politique, donc la classe politique,
haustivité des propositions et le nos institutions. Il y a un lien sub­ DE MODIFIER LES  si elle s’en fiche, elle a raison, en
consensus important confirment til à trouver entre responsabilité quelque sorte », concluait Bruno
que les assemblées citoyennes peu­ individuelle et contrainte. Pour le
COMPORTEMENTS » Latour en septembre 2020. Pré­
vent contribuer à améliorer le Covid, les Français ont accepté, GILLES BOYER monitoire ou illusoire… p
processus de délibération », écri­ pour les 80 km/h, ça a été compli­ député européen Horizons matthieu goar
Des dérogations possibles pour les « zones à faibles émissions »
les zones à faibles émissions (ZFE) selon le ministère de la transition écologi­ pression des ZFE. Alors que le Rassemble­
auront eu raison de la trêve des confi­ que et de la cohésion des territoires. ment national (RN) a prévu de défendre
seurs. Dans le Journal officiel du 24 dé­ D’après l’entourage du ministre, Chris­ une proposition de loi en ce sens, la RN
cembre, le gouvernement a discrètement tophe Béchu, les dérogations ne concerne­ Anne­Sophie Frigout, qui devait porter le
glissé un décret permettant aux agglomé­ raient « pas plus de dix agglomérations ». texte avant de voir son élection annulée,
rations de plus de 150 000 habitants de Au ministère, on se défend des critiques à début décembre, par le Conseil consti­
déroger à la mise en place de ces ZFE qui venir : la mesure n’est pas un rétropéda­ tutionnel (elle est candidate à la législa­
limitent l’accès aux véhicules les plus lage puisque le seuil de qualité de l’air per­ tive partielle de janvier), assure s’opposer
polluants. Par la loi Climat et résilience de mettant de déroger aux ZFE – celui de par principe au dispositif des zones à
2021, le dispositif devait être généralisé à l’OMS – est plus ambitieux que les normes faibles émissions.
43 agglomérations d’ici à 2025. suivies au sein de l’Union européenne. La L’ex­députée admet tout de même que
Certaines communes, sous conditions, ZFE est, avant tout, un sujet sanitaire : la décision gouvernementale « va dans
devraient donc pouvoir esquiver l’installa­ selon les dernières estimations de Santé le bon sens ». « Le gouvernement sent
tion de ces ZFE lorsqu’il est démontré que publique France, la pollution atmosphéri­ que la colère monte face à cette mesure
« les concentrations moyennes annuelles que provoquerait le décès prématuré de antirépublicaine. »
en dioxyde d’azote (NO2) sont inférieures ou 40 000 personnes chaque année. A gauche, la nouvelle secrétaire natio­
égales à 10 μg/m3 », seuil de référence fixé nale d’Europe Ecologie­Les Verts, Marine
par l’Organisation mondiale de la santé « La colère monte » Tondelier, estime que la décision aurait
(OMS). Les agglomérations pourraient Si le président de l’Association des maires mérité un débat. Si elle ne doute pas de la
également être dispensées des zones à fai­ de France, David Lisnard (Les Républi­ « complexité du sujet », elle juge que la me­
bles émissions si elles proposent d’autres cains), juge l’assouplissement propor­ sure est « lâche » : « C’est encore l’urgence
solutions à effets équivalents, ce qui ne tionné, la mesure ne convainc ni les écolo­ écologique qui trinque. » p
concerne, à ce stade, aucune commune, gistes ni les élus qui militent pour la sup­ mattias corrasco
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
12 | JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022

E U R O P E   M O N É TA I R E

Une Croatie encore fragile passe à l’euro
Le 1er janvier, le pays rejoint la monnaie unique et l’espace Schengen. Un tournant pour cet Etat des Balkans

REPORTAGE L’euro ? « Vous savez, c’est la quatrième

monnaie que l’on connaît de notre vie », lance
zagreb, donji lapac, zadar (croatie) ­
envoyé spécial
une vieille femme. Il y a eu le dinar yougos­
lave et son hyperinflation du début des an­
De sa promotion d’université, elle estime
que la moitié des étudiants ont quitté la Croa­
tie. Le calcul est vite fait : le salaire minimum,
qui atteint tout juste 500 euros net, est trois
miste à l’université de Zagreb : « La Républi­
que tchèque ou la Slovénie ont su réformer
leurs économies, alors que la Croatie continue
à ne pas produire des biens à haute valeur

C
omment peut­on être à la fois
un bon élève sur le plan écono­
mique et avoir perdu 10 % de sa
population en dix ans, à cause
d’une vaste fuite des cerveaux ?
Dimanche 1er janvier 2023, la
Croatie rejoint la zone euro, devenant son
vingtième pays membre, et l’espace Schen­
gen, son vingt­septième membre, dans une
situation paradoxale.
De prime abord, il s’agit d’un succès politi­
que et économique indéniable pour un Etat
qui était encore en guerre il y a trois décen­
nies. Un conflit qui, de 1990 à 1995, a fait
20 000 morts, pour un coût total sur cinq ans
représentant 160 % du produit intérieur brut
(PIB). « C’est une accession réussie à la vitesse
d’une fusée, seulement dix ans après être de­
venu membre de l’Union européenne [UE], se
félicite Ognian Zlatev, le représentant de l’UE
à Zagreb. La Croatie peut être fière. »
Le premier ministre, Andrej Plenkovic, évo­
que « la réalisation d’un rêve ». « C’était notre
objectif dès le départ, ajoute Boris Vujcic, le
gouverneur de la banque centrale, qui a été,
dans les années 1990, un fonctionnaire euro­
péen, puis a fait partie de l’équipe de négocia­
tion permettant à son pays de rejoindre l’UE,
dans les années 2000. Il n’y avait aucun
doute pour nous : nous sommes une nation
européenne. »
Sur le papier, les statistiques sont fragiles,
quoique positives : après six années de réces­
sion catastrophique, entre 2009 et 2015, la
croissance nationale dépasse 20 % depuis
2016, le chômage a reculé à 7,2 %, son niveau
le plus bas depuis trois décennies, et le PIB
par habitant atteint désormais 70 % de la
moyenne de l’UE, ce qui le situe entre la
Grèce et le Portugal.
Loin des ors des palais officiels et des ta­
bleaux de statistiques économiques, le
groupe d’une dizaine de retraités attablés
dans un petit café de Donji Lapac voit les cho­
ses autrement. Ce village, situé dans les mon­
tagnes du sud du pays, à proximité de la fron­
tière avec la Bosnie­Herzégovine, demeure
terriblement balafré par l’opération « Tem­
pête » de 1995, quand les derniers bastions de
résistance serbe ont été chassés.
Dans les rues, il reste encore des maisons
brûlées, restées en l’état depuis trois décen­
nies. D’autres ont été reconstruites à la va­
vite par l’Etat, reconnaissables à leurs par­
paings apparents, sans que la façade ait ja­
mais été achevée.
Ces retraités, majoritairement des Serbes
qui ont fui à l’époque et sont revenus après
plusieurs années d’exil, vivent désormais
loin de leurs enfants. Faute de salaires dé­
cents, ces derniers sont partis chercher du
travail à l’étranger et se sont installés en
Norvège, en Australie, au Royaume­Uni, en
Islande ou encore en Suisse. A Donji Lapac, la
population est passée de 2 100 à 1 300 habi­
tants entre 2011 et 2021.
nées 1990 ; l’éphémère et très instable dinar
croate (1991­1994), utilisé pendant une par­
tie de la guerre, puis la kuna actuelle et, dé­
sormais, la monnaie européenne (1 euro
vaudra 7,54 kunas).
Soudain, une autre retraitée trouve le mot
qui résume tout, dans l’hilarité générale.
« Aujourd’hui, quand on retire de l’argent des
distributeurs, le bruit des billets qui sortent de
la machine fait brrrrrrrrrrrrrrr. Avec l’euro, ça
fera juste brr », explique­t­elle, insistant sur
la durée beaucoup plus courte du comptage
des billets. Aucun de ces retraités n’est fa­
rouchement hostile à la monnaie unique
européenne.
Simplement, ils craignent que les commer­
çants n’en profitent pour augmenter leurs
prix. Et surtout, ce n’est pas vraiment l’ur­
gence du moment. Leurs petites pensions,
qui n’arrivent pas à couvrir l’inflation, actuel­
lement à 13 %, les préoccupent nettement
plus. Le départ en masse des jeunes, partis
chercher du travail à l’étranger, pèse aussi sur
la commune.
La Croatie comptait 4,8 millions d’habi­
tants avant la guerre. La population était
tombée à 4,2 millions en 2011. Le dernier re­
censement de 2021, rendu public en septem­
bre, a choqué dans le pays : le décompte est
désormais de 3,9 millions. Cette chute de
10 % en une décennie vient, pour partie,
d’une très faible natalité.
Cependant, l’essentiel s’explique par un
grand mouvement d’émigration, qui s’est ac­
céléré à partir de 2013, quand le pays est entré
dans l’UE et a obtenu la libre circulation des
travailleurs. L’Allemagne et l’Autriche, très
proches et aux relations historiques étroites
avec Zagreb, ainsi que l’Irlande, où les multi­
nationales américaines ont des besoins pres­
sants de main­d’œuvre, sont les nations qui
attirent le plus.
DÉPART DES JEUNES
Marija Marjanovic, 36 ans, dirige l’agence fo­
restière de Donji Lapac. A ce titre, elle est la
première employeuse du village, avec qua­
rante salariés directs et une trentaine grâce à
des sous­traitants, essentiellement des bû­
cherons. Aujourd’hui, en raison du départ
des jeunes du village, il lui est devenu parti­
culièrement difficile de recruter. Elle cher­
che depuis plusieurs mois un remplaçant
pour l’un de ses bûcherons blessés. En vain
pour l’instant.
Elle­même, en dépit de son diplôme d’ingé­
nieure en foresterie, a failli partir pour
l’étranger. « Mon cousin, qui vit en Autriche,
m’avait trouvé un emploi pour faire des ména­
ges. J’étais quasiment sur le départ quand j’ai
finalement décroché un CDI ici, qui m’a décidé
à rester. » Aller faire des ménages hors des
frontières, malgré un diplôme d’ingénieure ?
« Ils me proposaient 1 200 euros par mois,
nourrie et logée. Ici, je gagnais à l’époque
moins de 1 000 euros. »
fois inférieur à celui de l’Allemagne. Impossi­
ble pourtant de nier l’amélioration des con­
ditions économiques nationales. Au lende­
main de la guerre, le PIB par habitant du pays
s’élevait à 37 % de la moyenne de l’UE ;
en 2010, à 61 % ; aujourd’hui, à 70 %.
A deux heures de magnifiques routes de
montagne de Donji Lapac, Dragan Simac se
frotte les mains. L’homme dirige l’hôtel Pi­
nija, un grand complexe de 307 chambres au
bord de la mer près de Zadar, l’une des pre­
mières destinations touristiques du pays.
Deux restaurants, trois bars, 61 salariés l’hi­
ver, 230 l’été : les affaires tournent bien, et
l’entrée dans l’euro représente pour lui une
formidable occasion. « Les touristes n’auront
plus à changer d’argent, tout sera beaucoup
plus simple. »
« LE TOURISME ÉCRASE TOUT »
L’entrée dans l’espace Schengen, avec la dis­
parition des postes­frontières, constitue éga­
lement une amélioration majeure : « Zadar
est une destination où les touristes étrangers
L’ÉMIGRATION, viennent en voiture », rappelle­t­il. Il faut
compter cinq heures de route de la Slovénie,
QUI ÉTAIT MASSIVE sept heures de l’Autriche, du sud de l’Allema­
IL Y A DIX ANS,  gne ou du nord de l’Italie.
Les traditionnels bouchons à l’arrivée en
SEMBLE  Croatie, cauchemardesques l’été, vont dispa­
raître. Il salue le travail des gouvernements
DÉSORMAIS croates successifs, qui ont tous visé l’objectif
européen. « Etre dans l’UE et dans l’euro a été
AU BOUT DE SA  un travail de longue haleine, estime­t­il. Ce
LOGIQUE, ET LES  qui compte est la constance, que les gens
voient que la Croatie avance sérieusement.
FLUX DE DÉPARTS  L’argent ne vient pas du jour au lendemain, ça
prend du temps. »
POURRAIENT Dans son hôtel, M. Simac mentionne aussi
ÊTRE EN TRAIN un phénomène nouveau, signe que la Croa­
tie a franchi un virage économique. En 2021,
DE RALENTIR faute de trouver des salariés, il a embauché
un groupe de douze Népalais. Pour l’été 2023,
il est en discussion avec une agence de
recrutement afin de faire venir des Philip­
pins et des Indiens. « En 2017, 0,5 % de notre
main­d’œuvre était étrangère, note Boris
Vujcic. Aujourd’hui, c’est 5 %. »
L’émigration, qui était massive il y a dix
ans, semble désormais au bout de sa logique
et les flux de départs pourraient être en train
de ralentir. « Il s’agit de gens qui partent, mais
prévoient de revenir, assure Andrej Plenkovic,
le premier ministre. On l’a vu lors du Covid­19,
il y a eu pas mal de retours. »
La principale raison de cette amélioration
économique vient du tourisme, la Croatie
jouissant d’une longue et très belle côte
Adriatique. En 2019, avant la pandémie, le
pays a enregistré 90 millions de nuitées.
L’année 2022 sera proche de ce niveau. En
comptant les retombées indirectes, le sec­
teur compte pour près de 25 % du PIB, selon
le World Travel and Tourism Council, contre
20 % en Grèce et 14 % en Espagne. Une mono­
industrie qui inquiète Boris Cota, écono­
ajoutée. Le tourisme écrase tout. »
Il n’en demeure pas moins que cette indus­
trie accueille le passage à l’euro avec joie. Mi­
rko Dominkovic n’est pas surnommé Po­
peye pour rien. Crâne complètement lisse et
bras plus larges que des cuisses, il se fend
d’un immense sourire. L’homme est serveur
au Riva, un restaurant situé à l’entrée de Za­
dar et qui ne figure même pas dans le cœur
touristique de la ville. « Pourtant, l’été, les
gens font la queue pour entrer ici. Ça ne dé­
semplit pas. » Passer à l’euro est « super », se
réjouit­il, lui qui a vécu en Allemagne et en
Italie. De toute façon, cela fait des années
que son restaurant accepte déjà les paie­
ments dans la monnaie unique.
Si la Croatie ne rejoint l’euro que le 1er jan­
vier 2023, son économie, elle, est déjà large­
ment « euroïsée ». La moitié des dépôts ban­
caires et des prêts sont effectués dans la
monnaie unique. Pour les achats importants
(une voiture ou un bien immobilier), les
transactions s’effectuent en euros.
Cette dépendance à la devise européenne
remonte à l’hyperinflation qui a sévi lors de
l’effondrement de la Yougoslavie. « A l’épo­
que, quand vous touchiez votre salaire, vous
alliez immédiatement à la banque pour chan­
ger vos dinars en marks allemands. Sinon, le
lendemain, cet argent avait beaucoup moins
de valeur », se remémore M. Vujcic, de la ban­
que centrale. Au sortir de la guerre, 90 % des
dépôts et de l’épargne étaient dans la mon­
naie allemande. Au moment du passage de
l’Allemagne à l’euro, en 2002, les Croates ont
naturellement suivi, tout en utilisant des ku­
nas dans leur vie quotidienne.
Dans ces conditions, les gouvernements
croates successifs ont choisi de maintenir
leur monnaie à un taux de change quasi fixe
face à l’euro. Une dévaluation aurait fait fon­
dre les économies des habitants et provoqué
une envolée des dettes à rembourser. Cette
orthodoxie monétaire n’a pas toujours été
simple à maintenir.
Au lendemain de la crise financière surve­
nue en 2008, la Croatie n’a pas été en me­
sure d’utiliser l’arme de la dévaluation com­
pétitive, contrairement à ses voisins. Ce
choc a plongé le pays dans une récession
majeure de six années, jusqu’en 2015. L’émi­
gration de masse coïncide à cette période.
Violente à l’époque, cette politique porte ce­
pendant ses fruits aujourd’hui, offrant une
réelle stabilité.
Pour quelqu’un comme Zeljko Obradovic,
qui possède un restaurant isolé sur une route
de montagne de Donji Lapac, encore faut­il
que cela se traduise dans les faits. Lui, qui a
fui l’endroit en 1995, l’a retrouvé complète­
ment dévasté et a dû tout recommencer, ne
nourrit aucun enthousiasme vis­à­vis de
l’euro. « Les gros complexes touristiques sur la
côte vont en bénéficier, c’est sûr. Mais nous, on
va encore devoir tout reprendre de zéro. » p
éric albert

Valse des étiquettes et fabrication de pièces: un lourd défi logistique

Pour Zagreb, l’adoption de la devise européenne constitue un pari. Banques et commerces sont engagés dans une course de vitesse

zagreb (croatie) ­ envoyé spécial feu vert n’a été donné qu’en remboursera une fois qu’elle neur de la banque centrale. De adaptés, les kunas n’étant pas de manière de gérer un achat effec­
juillet, quand le Conseil européen aura passé son propre contrat quoi fabriquer au total 4 200 ton­ la même taille que les euros. En tué en kunas en décembre 2022,

L e 2 janvier 2023, Michel

Kappler et Celian Léocat
vont se réveiller à l’aube.
Les deux hommes, respective­
ment directeur général et direc­
teur financier de Decathlon pour
la Croatie, veulent être dans leur
magasin de la banlieue de Zagreb
à 5 heures du matin, afin de chan­
ger toutes les étiquettes avec le
reste de leurs équipes. Le double
affichage actuel – prix en kunas
(en gros) et en euros (en petit) – va
s’inverser, afin de mettre les
euros en avant. Tout doit être prêt
pour la première ouverture de
l’année, à 9 heures.
La Croatie passe à l’euro le
1er janvier. Dix­neuf pays ont déjà
effectué une telle transition, mais
le défi logistique est réel. Le vrai
a accepté officiellement que le
pays rejoigne la monnaie unique,
ayant (à peu près) rempli les critè­
res économiques nécessaires,
même si la dette de 70 % du pro­
duit intérieur brut en 2022 de­
meure supérieure au plafond de
60 %, et que l’inflation en novem­
bre a atteint 13 %.
Depuis lors, la banque centrale
de Croatie s’est mise au travail –
très concret – de la préparation
de la transition. Les billets sont
les mêmes dans l’ensemble de la
zone euro, mais le délai était trop
court pour lancer un appel d’of­
fres et les faire imprimer à temps
pour le 1er janvier. La banque cen­
trale a donc emprunté 350 ton­
nes de billets aux banques cen­
trales du reste de la zone, qu’elle
d’impression.
Pour ce qui est des pièces, cha­
que Etat a son propre design. La
Croatie a mis une carte de son
pays sur la pièce de deux euros, la
martre, son animal symbole, sur
celle de 1 euro, et le scientifique
Nikola Tesla (dont le patronyme a
été utilisé pour la marque améri­
caine de voitures électriques), sur
les centimes.
« Enorme opération »
Il a ensuite fallu se lancer dans
une course de vitesse pour en fa­
briquer suffisamment à temps :
« Nous avons dû acheter une ma­
chine supplémentaire, qui tourne
vingt­quatre heures sur vingt­
quatre et sept jours sur sept », ex­
plique Boris Vujcic, le gouver­
nes de pièces.
« C’est une énorme opération lo­
gistique, quelque chose qu’on ne
fait qu’une seule fois dans sa vie,
poursuit M. Vujcic. Et évidem­
ment, c’est dans ces moments­là
qu’on découvre qu’il est difficile de
trouver assez de camions ou de
coffres­forts. » Le pays a dû louer à
l’étranger des véhicules blindés
spécialisés dans le transport d’ar­
gent, en vue d’assurer le déplace­
ment d’une masse monétaire
aussi importante.
Des coffres ont été trouvés
dans les deux mille agences de la
banque postale et de Fina, une
société publique qui distribue
notamment l’argent des retrai­
tes et des aides sociales. Les dis­
tributeurs de billets ont aussi été
principe, le 31 décembre à mi­
nuit, 70 % d’entre eux seront pas­
sés à l’euro.
Du côté des commerces, le tra­
vail est également important. En
effet, le double affichage en kunas
et en euros est obligatoire depuis
l’été 2022, et, jusqu’au 15 jan­
vier 2023, les deux monnaies se­
ront acceptées pour tous les paie­
ments courants.
Ensuite, seules les banques ac­
cepteront les kunas, jusqu’à la fin
2023. Il a fallu adapter les logiciels
de comptabilité, modifier les con­
trats d’embauches (rédigés en ku­
nas) et prévoir des caisses qui re­
cevront deux monnaies pendant
deux semaines…
Quelques questions pointues se
posent aussi, par exemple sur la
mais retourné au magasin après
le 1er janvier 2023. « Au total, cette
adaptation nous a coûté
100 000 euros », souligne M. Léo­
cat, de Decathlon. Le groupe fran­
çais possède six magasins en
Croatie et y réalise un chiffre d’af­
faires de 77 millions d’euros. Il
peut donc absorber ce prix.
D’autant que cette transition lui
apporte d’importants avantages :
plus besoin de faire de la couver­
ture de change, et les transactions
avec sa centrale d’achats seront
beaucoup plus simples. Cepen­
dant, pour un pays qui adore en­
core le cash (certaines maternités
proposent des réductions pour
les paiements en liquide), elle est
loin d’être anodine. p
é. a.
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022 économie & entreprise | 13

La Croatie, nouvelle frontière La Croatie intègre la zone euro

de l’espace Schengen avec un PIB par habitant
supérieur à celui de la Grèce
Nouvelle frontière
de l’espace Schengen au Superficie, en milliers de km2
1er janvier 2023 Croatie 56,5
AUTRICHE
Principaux points de passage
Slovaquie Lettonie France 551,7
Ancienne frontière 48,8 64,6
de l’espace Schengen
Points de passage de PIB, en millions d’euros, en 2021

D a n u be
l'ancienne frontière HONGRIE Croatie 58,3
Autoroute SLOVÉNIE Pécs Lituanie 56,2 France 2 500,9
Oléoduc Ljubljana
ITALIE
Principaux ports Zagreb PIB par habitant, en standards de pouvoir
Pla d’achat (SPA), en 2022
500 habitants ou plus au ine
Trieste pan Croatie 22 600 Moy. européenne 32 400
kilomètre carré noni D rave Osijek
enne
Venise
ut Grèce France
Rijeka

A
Karlovac oro 20 700 33 800
r ute E 6 5 S av ute E70
Auto o e Slavonski Brod
Baie de Piran Le pays compte 3,9 millions
Zagreb conteste l’avis donné d’habitants et perd de la
en 2017 par la Cour permanente population
d’arbitrage en faveur
de la Slovénie Pula CROATIE Nombre d’habitants en millions, en 2022
Croatie 3,9 France 67,8

M
Donji Lapac

as
si
BOSNIE-HERZÉGOVINE Lituanie Irlande

fm
nt 2,8 5

o
M ag
e n Evolution de la population, en millions
r Pic de Vaganski e
A (1 757 m) Pic de Troglav u x d’habitants
d de 4,8
Zadar (1 913 m) s
Al
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pe Sarajevo
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a

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to
ra Sibenik riq
q

l ue 4,1 La population croate

u

ad s a chuté de près de 3,9

e

ri 10 % en dix ans.
at Split
Au 1er janvier 2023, iq
ue 1959 1990 2011 2021
l'espace Schengen
compte 27 membres
L’ouverture des frontières et
et 400 millions l'euro devraient bénéficier au
d'habitants. MONTÉNÉGRO secteur touristique
Pays membre de...
Littoral adriatique touristique
l’espace Schengen et de Dubrovnik
l’Union européenne (UE) Part du tourisme dans le PIB, en %
l’espace Schengen Pont de Peljesac 24,8 avant la pandémie
en dehors de l’UE Mis en service en juillet
et contesté par la Bosnie, 16 après la pandémie
l’UE en dehors il permet de contourner le
de l’espace Schengen territoire bosniaque de Neum
200 400 669 Arrivées de touristes
étrangers par ville,
100 km en milliers, en 2021

2023
Passage à l’euro et intégration
dans l’espace Schengen

Evolution du PIB croate depuis la fin de la guerre 2008 58,3

Crise économique
en milliards d’euros
44,4 50,4
40 48,5

1995 31
Fin de la guerre, qui 2009 2013
a fait 20 000 morts Adhésion à l’OTAN Entrée dans l’UE,
20 après un référendum
22,2 l’approuvant à 66 %
2003 Sources : Eurostat ; Bureau croate
17,5 Candidature à l’UE des statistiques ; Le Monde
Infographie Le Monde

1995 2000 2005 2010 2015 2020

L’extension sans frein de la zone euro n’est pas dénuée de risques

Avec l’intégration de la Croatie, la zone compte vingt pays. Une hétérogénéité qui pourrait poser problème aux plus petits Etats membres

A lors que la Croatie s’ap­

prête à rejoindre l’euro, le
1er janvier 2023, devenant
le vingtième pays membre, jus­
qu’où la monnaie unique peut­
d’abord parce que l’euro n’est pas
seulement un outil économique
ou financier, mais aussi l’instru­
ment d’une intégration euro­
péenne très politique », estime
Inversement, la Bulgarie, qui
espérait initialement rejoindre
l’euro à la même date, a été rejetée
par le Conseil européen. Son ins­
tabilité politique – quatre élec­
cite, jamais ouvertement affir­
mée. Dans ce contexte, qu’une
crise croate puisse contaminer
l’ensemble de la zone euro semble
improbable.
nancier croate est trop petit pour
poser un vrai risque », remarque
Ludovic Subran.
Les réformes de l’euro sont
cependant loin d’être terminées,
ment, une société de gestion
d’actifs. Officiellement,
Conseil des gouverneurs de la
BCE fonctionne avec une voix
pour chaque gouverneur de ban­
le

elle s’étendre ? Vingt­quatre ans
après sa création à onze, en 1999,
est­il bien raisonnable de faire
partager la même monnaie à
347 millions de personnes (légè­
rement plus que les 332 millions
d’habitants des Etats­Unis) dans
une zone où les écarts de richesse
vont de un à six ?
Cette question se pose avec
d’autant plus d’acuité que c’est la
petite Grèce, 1,2 % du produit inté­
rieur brut (PIB) européen, qui
avait mis le feu aux poudres
en 2010 et provoqué la crise de la
zone euro (2010­2015).
Du point de vue des dirigeants
européens, l’entrée de la Croatie
est considérée comme un excel­
lent signal politique : voilà la
confirmation que, sept ans après
la grave crise qui l’a secouée, la
monnaie unique attire toujours.
« C’est une bonne nouvelle, tout
Luis de Guindos, le vice­président
de la Banque centrale euro­
péenne (BCE).
Réformes profondes
Preuve de cette approche politi­
que, la Croatie ne souscrit pas
exactement aux critères d’acces­
sion. Sa dette, bien qu’en baisse,
atteint 70 % du PIB, contre un
objectif de 60 %. L’inflation, qui
en principe ne doit pas dépasser
de 1,5 point la moyenne des trois
pays où celle­ci est la plus basse,
n’a respecté ce niveau qu’en avril,
au moment où les comptes ont
été faits de façon officielle.
« C’est le chemin parcouru qui
compte vraiment », juge Ludovic
Subran, économiste en chef de
l’assureur allemand Allianz, évo­
quant les progrès macroécono­
miques accomplis par Zagreb ces
dernières années.
tions générales en seulement dix­
huit mois –, ses scandales de
corruption mais aussi son ambi­
valence vis­à­vis de la Russie ont
fait office de repoussoir.
Par ailleurs, en l’espace de dix
ans, la zone euro a été profondé­
ment réformée. Ainsi, un fonds
d’aide d’urgence aux Etats a été
mis en place (le Mécanisme euro­
péen de stabilité), tandis qu’un
autre, de sauvetage des banques, a
été créé (le fonds de résolution
unique). Quant à la BCE, elle s’est
imposée de facto comme prê­
teuse en dernier ressort, étei­
gnant systématiquement tous les
débuts d’incendie.
Les doutes existentiels ont dis­
paru. Les investisseurs croient dé­
sormais qu’en cas de défaillance
d’un Etat l’institution de Franc­
fort interviendrait, même s’il ne
s’agit que d’une promesse impli­
La contagion pourrait éventuel­ avertit Luis de Guindos : « Je suis que centrale nationale, mais l’Al­
lement passer par les banques. inquiet de l’aspect inachevé de lemagne, la France ou l’Italie ont
Pour cette raison, la Commission l’Union économique et moné­ évidemment plus de poids.
européenne a surveillé de très taire. » Il mentionne notamment Inversement, cette perte de
près le système financier croate. l’absence d’une garantie paneu­ souveraineté monétaire est com­
Toutefois, celui­ci a été assaini ropéenne pour les dépôts pensée par la protection implicite
– passant de soixante à vingt bancaires ou encore d’un budget de la BCE. Sur les marchés, le
banques –, et il est pour l’essentiel centralisé de la zone euro. gouvernement croate emprunte
dominé par des groupes étran­ aujourd’hui à 3,4 % (pour une
gers (allemands, italiens et autri­ Perte de souveraineté obligation à dix ans), contre 4,9 %
chiens). Là encore, les réformes Si l’intégrité de la monnaie uni­ pour la République tchèque ou
sont passées par là. que paraît plus sûre qu’il y a dix 9 % en Hongrie, deux pays pour­
Depuis une décennie, la BCE ans, l’élargissement à des pays tant plus riches.
joue un rôle actif de supervision très disparates peut cependant Cela permet aux agences de
des établissements dits « systé­ créer des problèmes à ses plus pe­ notation d’améliorer les notes de
miques » et s’assure en principe tits Etats membres. « Les pays crédit, ce qui facilite encore da­
que ceux­ci disposent de suffi­ baltes, qui ont une inflation de vantage l’accès aux finance­
samment de fonds propres pour plus de 20 %, auraient besoin ments. Dans les circonstances ac­
faire face à une crise. « Ce serait d’avoir des taux d’intérêt plus éle­ tuelles d’une flambée d’inflation,
potentiellement plus délicat si le vés, mais ils peuvent difficilement qui rend les emprunts beaucoup
Danemark ou la Suède rejoi­ avoir de l’influence à la BCE », plus chers, ces avantages pour­
gnaient l’euro, parce que leur explique Frederik Ducrozet, di­ raient continuer à attirer les
puissance financière est bien plus recteur de la recherche économi­ candidats à l’euro. p
importante, mais le système fi­ que à Pictet Wealth Manage­ éric albert

14 | économie & entreprise
Pétrole : Poutine riposte au
plafonnement européen des prix
Le Kremlin répond au mécanisme adopté, début décembre, par l’UE, le
G7 et l’Australie. La portée de ces sanctions est encore difficile à mesurer
L e bras de fer engagé entre
Moscou et les Occidentaux
au sujet des exportations
de pétrole russe se précise – et
tout laisse à penser qu’il sera long.
Mardi 27 décembre, le Kremlin
a dévoilé sa réplique au méca­
nisme de plafonnement des prix
adopté au début du mois par
l’Union européenne (UE), le G7 et
l’Australie.
Un oukase signé par le président
Vladimir Poutine interdit la vente
de pétrole russe à toutes les enti­
tés (« personnes morales étrangè­
res et autres particuliers ») qui se
plieraient à ce mécanisme. Cette
prohibition entrera en vigueur le
1er février 2023, et devrait s’étendre
jusqu’au 1er juillet.
Le plafonnement occidental, lui,
a été décidé le 5 décembre. Il in­
terdit aux entreprises européen­
nes, américaines, britanniques,
canadiennes, japonaises et aus­
traliennes de fournir les services
permettant le transport mari­
time (fret, assurance…) du pétrole
russe vers des pays tiers au cas où
le prix dépasserait le plafond de
60 dollars (56 euros) le baril.
Cette décision, que Varsovie ou
Kiev avaient jugée trop modeste
– le prix plafond étant proche
des cours du pétrole russe, le
brut de l’Oural, à 65 dollars le ba­
ril –, vient compléter une mesure
plus radicale : l’embargo complet
sur le brut russe que les pays de
l’UE, du G7 et l’Australie s’appli­
quent à eux­mêmes, lui aussi en­
tré en vigueur le 5 décembre.
L’objectif est, dans les deux cas,
de réduire la capacité de Moscou
à financer son « opération spé­
ciale » en Ukraine.
La partie russe avait d’abord ri­
posté, en fin de semaine précé­
dente, en menaçant de réduire sa
production, début 2023, dans un
volume de 500 000 à 700 000 ba­
rils par jour (environ 5 % à 7 % du
total), pour faire monter les prix.
L’oukase présidentiel signé mardi
constitue donc la deuxième étape
de cette réponse aux offensives
occidentales. Si elle confirme,
sans surprise, la volonté du
Kremlin de ne rien céder, les ob­
servateurs, côté russe, insistent
plutôt sur son caractère limité. Le
point 4 du document ouvre la
porte à des exemptions, sur déci­
Moscou avait
d’abord répliqué
en menaçant
de réduire sa
production, début
2023, pour faire
monter les prix
sion présidentielle. Les Européens
avaient eux aussi laissé entrevoir
de possibles assouplissements.
Ensuite, le texte évoque une in­
terdiction visant des entités com­
merçant sur la base de contrats
faisant explicitement mention
du plafonnement occidental. Par
conséquent, il pourrait suffire
que ces entités – compagnies na­
tionales de pays tiers ou intermé­
diaires occidentaux – n’affichent
pas ouvertement qu’elles appli­
quent le plafond occidental, pour
échapper à l’interdiction russe.
Mélange de bruts
Inédites, ces sanctions respectives
ont cependant une portée encore
difficile à mesurer. Alors que Mos­
cou cherche d’autres débouchés
pour son brut, les Occidentaux,
eux, se tournent vers d’autres
fournisseurs. Une réorientation
de la géopolitique pétrolière mon­
diale est à l’œuvre, avec plus d’or
noir russe circulant vers l’Asie et
plus d’importations européennes
venant des Etats­Unis, du Moyen­
Orient ou d’Afrique.
« Certains pays jouent déjà à
contourner les sanctions. Ainsi,
l’Arabie saoudite achète du pétrole
russe moins cher, le consomme
chez elle, ce qui lui permet de ven­
dre davantage de son or noir et ce,
plus cher », raconte un fin connais­
seur du marché qui souhaite res­
ter anonyme. « Enfin, d’autres pays
achètent du pétrole russe, le mélan­
gent à des pétroles d’autres origi­
nes, les raffinent et les vendent à
l’Europe », ajoute­t­il.
Certes, la Russie a fort à perdre
sur ce terrain, dans la mesure où
elle ne peut désormais plus ven­
dre à n’importe quel client, et doit
procéder à des rabais. Au cours du
mois de décembre, selon l’agence
Reuters, elle a dû vendre son pé­
trole à l’Inde à des prix (entre 32 et
35 dollars le baril) pouvant être
jusqu’à deux fois plus bas que
ceux du marché.
Plusieurs officiels russes ont
d’ailleurs reconnu que les mesu­
res occidentales pourraient re­
présenter un nouveau « choc »
pour leur économie, bien plus dé­
pendante des exportations de pé­
trole que de celles de gaz. Lundi,
Alexandre Novak, vice­premier
ministre russe et ancien ministre
de l’énergie, a admis des difficul­
tés pour assurer les navires utili­
sés pour l’exportation de pétrole.
Pas d’impact sur les cours
Mais qu’en sera­t­il pour l’UE ?
Contrairement aux pays qui achè­
tent du pétrole bradé russe, celle­ci
se doit de payer son or noir au prix
du marché. Dans ces conditions, le
pari de Moscou de peser sur les
prix mondiaux, et a fortiori sur le
pouvoir d’achat et sur les opinions
occidentales, peut­il réussir ? Diffi­
cile à dire à ce stade.
Si la simple évocation d’une po­
tentielle baisse de la produc­
tion russe avait permis, vendredi,
aux cours mondiaux de renouer
avec leur plus haut depuis trois se­
maines, l’annonce du Kremlin,
mardi soir, n’a guère eu d’impact.
En fin de séance, le baril de
Brent de la mer du Nord n’a enre­
gistré qu’une avancée modeste
(+ 0,48 %, à 64,33 dollars) et le WTI,
la référence américaine, a cédé
0,03 %, les investisseurs ayant déjà
intégré la nouvelle.
En attendant, la plus grande dé­
pendance de l’UE envers la Russie
porte sur le gaz. Or, dans ce do­
maine, les prix sur les marchés à
terme ont renoué en décembre
avec leurs niveaux d’avant l’inva­
sion en Ukraine. Et pour ajouter
encore plus à l’imbroglio, même si
l’annonce semble irréelle, Moscou
s’est dit prêt, lundi, à reprendre
ses livraisons vers le Vieux Conti­
nent via le gazoduc Yamal. p
marjorie cessac (à paris)
et benoît vitkine
(moscou, correspondant)
T RA N SP ORTS
Vers un bénéfice record
pour la SNCF
La compagnie ferroviaire
nationale devrait publier
un bénéfice net d’au moins
2,2 milliards d’euros, selon
une information du Parisien
publiée en ligne mardi 27 dé­
cembre. Le montant pourrait
même être plus élevé, car ce
premier chiffrage ne pren­
drait pas en compte la vente
par la SNCF, en juillet, de sa
filiale de location de locomo­
tives Akiem à la Caisse de dé­
pôt et placement du Québec.
Ce niveau de profit constitue­
rait un record historique,
le dernier bénéfice important
de 1,5 milliard d’euros ayant
été réalisé en 2017. La révéla­
tion intervient dans un
climat social tendu, juste
après une grève des contrô­
leurs qui a perturbé le week­
end de Noël. Contactée
par Le Monde, la direction
de la SNCF n’a pas répondu
à nos sollicitations.
Le roman national roule
pour l’automobile
Les constructeurs jouent la carte patrimoniale
pour recréer de la confiance avec le public
L
a dernière publicité de
Renault s’intitule « C’est
ça, la France ». Peu de voi­
tures y apparaissent, mais
on y entend Mireille Mathieu ou
Michel Polnareff, et l’on croise Jo­
séphine Baker, Jane Birkin, Jamel
Debbouze, Paul Eluard, Lino Ven­
tura. A travers cette « déclaration
d’amour aux Français », la marque
revendique ses origines et met en
scène sa décision de produire dans
l’Hexagone ses modèles électri­
ques baptisés R4 et R5, évocation
explicite de deux icônes automo­
biles qui ont marqué la France des
« trente glorieuses ».
Un autre roman national inspire
Ford Europe, qui, désormais, re­
garde de l’autre côté de l’Atlanti­
que. Sur le Vieux Continent, la
marque fait le constat qu’elle est
considérée comme « apatride » et
souffre d’une image floue. Jus­
qu’alors, Ford mettait un point
d’honneur à concevoir des voitu­
res adaptées à la culture euro­
péenne ; la page est tournée.
L’électrification de sa gamme sera
l’occasion d’une « américanisa­
tion » menée tambour battant, qui
s’exprimera à travers la dénomi­
nation et le style de ses modèles.
« Coca­Cola, Apple, Microsoft…
les Européens aiment les marques
américaines, et nous devons être
fiers d’être américains », assurait,
mi­décembre, devant la presse,
Martin Sander, le nouveau patron
de Ford Europe, qui espère surfer
sur le rayonnement qu’exercent
le mode de vie américain et la
puissance évocatrice de ses réfé­
rences automobiles.
Renault et Ford ne sont pas les
premiers à tenter de capter un peu
du soft power de leur pays d’ori­
gine. Mini (groupe BMW) a depuis
longtemps hissé haut les couleurs
de la « britannité ». L’Union Jack
peut apparaître en grand format
sur le toit de ses voitures ou à tra­
vers les jeux de lumière des feux
arrière. Fiat (groupe Stellantis) est
aussi passé maître dans l’art d’as­
socier sa petite 500 à la thémati­
que récurrente de la dolce vita.
Marteau de Thor et dragon
Pour sa part, Volvo a multiplié les
références à son ADN scandinave
depuis son rachat, en 2010, par le
groupe chinois Geely. Sur le côté
des sièges, à l’avant, est cousu un
discret drapeau suédois. A l’exté­
rieur, les phares intègrent doréna­
vant des rais de LED qui compo­
sent une figure évoquant le mar­
teau de Thor. Quant aux marques
chinoises, elles mettent en avant
leurs origines, mais sous un angle
purement esthétique. Les desi­
gners de la berline Han, de la mar­
que BYD, expliquent avoir dessiné
les projecteurs avant comme la
moustache d’un dragon…
A rebours de DS (groupe Stellan­
tis), qui veut établir un pont entre
ses ambitions dans le « premium
automobile » et le legs du « luxe à
la française », Renault a opté pour
un storytelling patrimonial plus
populaire, avec l’objectif de « don­
ner du sens à la marque, en faire
une signature singulière, chaleu­
reuse, militante et moderne, alors
que l’obsession de faire du groupe
le numéro un mondial de l’auto­
mobile avait estompé son image »,
affirme Arnaud Belloni, qui a pris
en charge le marketing du cons­
tructeur depuis l’arrivée de Luca
de Meo comme directeur général
du groupe au losange en 2020.
La stratégie de
Renault consiste
à semer
des « madeleines
de Proust »
en évoquant la
France éternelle
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
Le « dieselgate »
a durablement
marqué l’industrie
de la voiture, qui
cherche depuis
à restaurer
son image
Une façon de s’inscrire à contre­
courant de l’ancien patron Carlos
Ghosn : à l’orée des années 2000, il
avait tourné en dérision le slogan
des « voitures à vivre » cher au
constructeur en lui opposant sa
volonté de produire des « voitures
à vendre ». La stratégie de la firme
de Billancourt consiste à semer
« des madeleines de Proust » en
évoquant la France éternelle, mais
aussi en lançant des modèles néo­
rétro, voire en faisant apparaître
avec malice, dans une publicité, la
Renault Fuego, modèle contro­
versé des années 1980 devenu un
monument du kitsch automobile.
Ce discours n’est bien sûr guère
exportable au­delà des frontières,
reconnaît M. Belloni. « Je pense
toutefois qu’un Allemand ne peut
pas acheter une voiture française
qui ne serait pas aimée dans son
pays d’origine », estime­t­il. Cette
appétence pour tout ce qui évo­
que un enracinement national,
loin d’être factice – la 2CV de Ci­
troën, la 205 de Peugeot, l’Espace
de Renault comme tant d’autres
modèles ont été des marqueurs
des transformations de la société
française –, renvoie à la nécessité
de relever des défis assez nou­
veaux pour cette industrie.
Cultiver la fibre nationale, c’est
tenter d’installer une forme d’em­
pathie, suggérer que le construc­
teur fait partie de la famille. Cette
quête de proximité est devenue
d’autant plus indispensable, et dé­
licate à mettre en œuvre, que le
« dieselgate » – soit la tricherie
plus ou moins généralisée sur le
véritable niveau d’émissions pol­
luantes des voitures modernes, ré­
vélée en 2015 – a durablement
écorné l’image, le discours et la
crédibilité du secteur. « Notre pa­
role s’en est trouvée démonétisée ;
plus personne ne l’entend », se la­
mente ainsi le communicant
d’une marque française.
Reflux de la mondialisation
Suggérer qu’il existe un lien in­
time entre une entreprise et le
patrimoine national vise à restau­
rer la confiance avec le public. Et,
accessoirement, entrer en réso­
nance avec le mouvement de re­
flux de la mondialisation, soup­
çonnée d’écraser les spécificités
régionales. Aujourd’hui, il vaut
mieux se définir comme une en­
seigne ancrée dans sa culture
d’origine que comme une grande
firme globale. Plus largement, les
profondes transformations que
traverse l’objet automobile, qu’il
s’agisse de la technologie ou des
usages qui en sont faits, installent
l’image de marque au centre de la
stratégie des constructeurs.
L’avènement de la voiture élec­
trique tend à niveler les perfor­
mances et rendre moins visibles
les points de différenciation, no­
tamment en matière de motorisa­
tion. Dès lors, l’affect que peut sus­
citer une marque parmi le public
devient un enjeu central face à des
ménages confrontés au poids
croissant des dépenses contrain­
tes dans leur budget (alimenta­
tion, énergie…) et qui disposent de
moindres marges financières
pour les dépenses arbitrables, tel
l’achat d’un véhicule neuf. Nom­
bre de marques sont donc persua­
dées que faire vibrer la corde sen­
sible nationale est un bon moyen
de planter son petit drapeau dans
le cœur des consommateurs. p
jean­michel normand
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022 carnet | 15
Andrée Beaufils, Sophie Duchesne, Paris. New York. C’est avec la plus grande tristesse Geneviève Rondel-Busco,
née Lefebvre, son épouse, que nous avons appris le décès de son épouse,
son épouse, Victor et Léa, Mme Olga Alexandra Leclere, Marianne,
Jean-Claude et Caroline, ses enfants, sa fille,
Jérôme († 2017) et Martine, Laura Alles et Vincent Bonnemains, née Podwalny,
Le Carnet Éric MOLINIÉ, Louison et Matthias,
Vincent et Gloria, sa belle-fille et son gendre, son épouse,
Isabelle, Matthieu et Odile, Dominique et Paul Roth, ses petits-enfants
Mme Tania Leclere Davis,
Nous informons nos lecteurs ses enfants et leurs conjoints, sa sœur et son beau-frère, Et toute sa famille,
M. Tristan Leclere, notre collègue et ami.
et nos annonceurs Benjamin, Julie et Eric, Aude et Jean et Yves Rollando
et leurs épouses, M. Terence Leclere, ont la tristesse de faire part de la
de la non parution de notre journal Karounna, Charlotte et Guillaume,
Stéphane et Diane, Camille et Gavin, ses cousins Mme Talia Leclere Duquette, Toutes celles et tous ceux qui ont mort de
le samedi 31 décembre 2022. Alfonso et Charity, Paul, Adrien, Et toute la famille, ses enfants, eu la chance de le côtoyer savent
Joseph, à quel point Eric pouvait être une
Le Monde à paraître le vendredi Mme Ludmila Dulphy Henri RONDEL-BUSCO,
ses petits-enfants et leurs conjoints, ont la tristesse d’annoncer le décès source d’inspiration. Nous nous
30 décembre 2022 sera daté du née Oudaleeff, professeur de lettres,
Ernest et Merlin, Sohan, Jules, de souviendrons particulièrement de
sa mère, ancien principal
31 décembre 2022-1-2 janvier 2023. Margaux et Louise, Clément, Hugo son professionnalisme, de sa culture
et Lou, Daniel et Theo, Didier DUCHESNE, M. Jean-François Dulphy, et de sa bienveillance. Son indéfectible du collège Georges Duhamel,
L’équipe du Carnet assurera ses arrière-petits-enfants, M. Pierre Dulphy, détermination a fait de lui un exemple Paris 15e,
une permanence Claude († 1945), Alain († 2018) et survenu le 22 décembre 2022, ses frères, pour chacun de nous.
Nelly, Yves-Noël et Françoise, à l’âge de soixante-neuf ans. survenue à La Rochelle,
le samedi 31 décembre, M. François Beaux,
Jacqueline et Jacques (†2016), Nous adressons au nom du groupe le 22 décembre 2022.
de 9 heures à 13 heures, ses frères et sœur et leurs conjoints, La cérémonie aura lieu ce jeudi M. Nicolas Beaux,
EDF et Dalkia, nos plus sincères
pour notre édition du Monde 29 décembre, à 17 heures, au ses cousins Les obsèques auront lieu dans
crématorium du Mont-Valérien, condoléances à sa famille et à ses
datée du mardi 3 janvier 2023. ont la tristesse de faire part du décès Et toute sa famille, l’intimité, le mardi 3 janvier 2023,
104, rue du Calvaire, à Nanterre (Hauts- proches.
————— de à La Rochelle.
de-Seine).
Vous pouvez nous faire parvenir ont la profonde tristesse d’annoncer
André BEAUFILS, Jean Moussa,
vos textes croix de guerre 1939-1945, le décès de David Moussa, 6, rue Suzanne-Noël,
M. Romain Goguelin,
soit par e-mail : carnet@mpublicite.fr Marlène et Laurent Vabre, 17000 La Rochelle.
son fils,
(en précisant impérativement votre numéro survenu le 23 décembre 2022, Mme Maria Gutkind, Georges LECLERE, Alice et Mathilde,
de téléphone et votre éventuel numéro à son domicile, née Garnier, chevalier son époux, ses enfants et ses petits- Le samedi 10 décembre 2022,
d’abonné ou de membre de la SDL) à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. son ex-épouse, enfants, à l’âge de vingt ans,
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
soit sur le site : La cérémonie religieuse sera ont la tristesse de faire part du décès ont la tristesse de faire part du décès
célébrée le 29 décembre, à 15 heures, survenu le 4 décembre 2022, Raphaël THÉVENET
https://carnet.lemonde.fr du de
en l’église Notre-Dame-des-Champs, à White Plains, New York (USA),
L’équipe du Carnet reviendra 91, boulevard du Montparnasse, docteur a été enlevé en un instant à l’affection
à l’âge de soixante-dix-huit ans. Anne MOUSSA,
vers vous dans les meilleurs délais Paris 6e, suivie de condoléances à la Jean-Pierre GOGUELIN, de tous les siens.
pour vous confirmer la parution. maison paroissiale, 92, boulevard du médecin psychiatre, née DUBOIS-VIOLETTE,
Montparnasse, Paris 6e. Journaliste, producteur de télévision, Olivier Thévenet,
carnet@mpublicite.fr survenu le 20 décembre 2022, créateur de festivals, mais aussi féru survenu le 19 décembre 2022. son père,
Plaisir (Yvelines). à Paris, d’informatique et de science, défenseur Tanguy,
https://carnet.lemonde.fr à l’âge de soixante-seize ans. La cérémonie d’adieu aura lieu le
Monacia-d’Aullène (Corse-du-Sud). de l’environnement, et enfin père et son frère,
2 janvier 2023, à 15 h 30, au
grand-père dévoué et homme de Marie-Paule (†) et Paul Thévenet,
Noëlle, romaingoguelin@yahoo.fr crématorium de Clamart (Hauts-
AU CARNET DU «MONDE» famille, Georges laisse un énorme Monique et Maurice Aymard,
son épouse, de-Seine).
vide dans les cœurs de ses proches et ses grands–parents,
François-Xavier, Vanina et Jean- Théoule-sur-Mer. Claire Aymard, Alice, Juliette et
Décès Marie, de ceux qui l’ont connu. Nous lui Mme Jacques Renard,
ses enfants, sommes reconnaissants des moments Maud, Michel Aymard et Sylvaine
Mme Marie-Odile Hermellin, son épouse,
Claude Baudin (†), Solenn, Raphaëlle, Romain, Julien née Ropartz, Reumeau, Aurélia et Maximilien,
de bonheur passés ensemble. M. Jérôme Renard
son époux, et Livia, son épouse, Christophe Thévenet et Armelle Mairet,
Olivier Baudin (†) et Anne Baudin, et M. Eric Peter, Yann, Léo et Mara, Jean-Pierre Thévenet
ses petits-enfants, Christine et Jacques Stosskopf,
ses enfants, Une cérémonie religieuse sera M. et Mme Emmanuel Renard, et Ndèye Issa Gueye, Laure et Marie,
François et Yukako Hermellin,
Ses petites-filles ont la douleur de faire part du décès célébrée le 14 janvier 2023, à 14 heures, ses enfants et beaux-enfants,
Jean-Baptiste et Murielle ses tantes, oncles, cousines et cousins.
Et arrière-petits-enfants, de Hermellin, en l’église de Larchmont, 60 Forest
François Munié, Marie-Anne et Laurent Beaufils, ont la tristesse de faire part du décès
Park Ave. Larchmont, New York, Les cendres de Raphaël seront
son frère, Bernard DELER, Emmanuel Hermellin, de
10538. USA. déposées au cimetière de Dangeau
Ses neveux et nièces, Claire Ropartz,
M. Jacques RENARD, (Eure-et-Loir), dans la tombe de sa
Ses cousins et cousines, survenu le 18 décembre 2022, Sébastien et Céline Ropartz,
à Trappes, ses enfants, « Transmettre et toujours maman,
Toute sa famille
Et ses amis, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Ses petits-enfants, croire au possible . » survenu le 20 décembre 2022,
Ses neveux et nièces, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Anne-Marie AYMARD,
Georges B. Leclere,
ont la douleur de faire part du décès de La cérémonie d’adieu aura lieu ce
jeudi 29 décembre, à 11 h 30, au font part du rappel à Dieu de Mes extraordinaires tribulations
La cérémonie religieuse sera décédée le 19 septembre 2010.
crématorium des Yvelines, 52, rue Radio TV.
Mme Brigitte BAUDIN, célébrée ce jeudi 29 décembre, à
née MUNIÉ, de la Nouvelle-France, Les Mureaux. M. Nicolas HERMELLIN, 10 h 30, en l’église Saint-Joseph- oli.thevenet@gmail.com
Les membres du conseil, des-Épinettes, 40, rue Pouchet, Paris 15e. aymard@msh-paris.fr
à Cannes, le 26 décembre 2022, dans
survenu le 21 décembre 2022, dans sa Jérôme Bouët, sa quatre-vingt-septième année. Toute l’équipe
quatre-vingt-douzième année. son époux, de la Fondation Custodia, Emmanuèle Reynaud, Communication diverse
La cérémonie religieuse sera Claude-Agnès Reynaud et Thierry
Priez pour elle. a l’immense tristesse d’annoncer le célébrée le vendredi 30 décembre,
décès de ont la tristesse de faire part du décès Van de Wyngaert,
à 15 heures, en l’église Sainte- ses enfants,
La cérémonie religieuse sera Germaine de Théoule-sur-Mer, de
célébrée ce jeudi 29 décembre, à Yannick DENOUAL, Louise, Suzanne, Zoé et Perle,
suivie de l’inhumation au cimetière
10 h 30, en l’église Saint-Lambert, ses petites-filles
communal de Théoule-sur-Mer.
2, rue Gerbert, Paris 15e, où l’on se survenu à l’âge de soixante-quatre ans. et leurs conjoints,
Ger LUIJTEN,
réunira, suivie de l’inhumation au
Une cérémonie de recueillement Odile Naudin, directeur de la Fondation Custodia, ont la tristesse d’annoncer le décès
cimetière de Bazemont (Yvelines),
s’est tenue, à Evreux, le 22 décembre sa femme, de
rue du Manoir.
2022, dans l’intimité familiale. Emmanuel Hyon et Cécile Bellot, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Céline Hyon et Maadu Ba, Nicole REYNAUD,
Thomas Hyon et Elvina Tisseyre, survenu le 19 décembre 2022.
Société éditrice du « Monde » SA Ses anciens camarades du Parti historienne d’art, Les bénévoles de SOS Amitié
Président du directoire, directeur de la publication ses enfants,
socialiste unifié (PSU) Ses petits-enfants, directrice de recherches (h.) écoutent
Louis Dreyfus Ils s’associent à la peine de sa
Directeur du « Monde », directeur délégué de la Ses sœurs, au CNRS, par téléphone et/ou par internet
famille et lui présentent leurs spécialiste des peintres primitifs
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio rendent hommage à Sa famille, ceux qui souffrent de solitude,
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Ses amis, sincères condoléances. français auprès du département
Direction adjointe de la rédaction de mal-être et peuvent avoir
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Serge DEPAQUIT des peintures du musée du Louvre,
des pensées suicidaires.
Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle (1929-2022), ont la tristesse d’annoncer le retour 121, rue de Lille,
Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre au Père de survenu le 21 décembre 2022,
Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault 75007 Paris. Nous recherchons des écoutants
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann secrétaire national du PSU à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
Directrice déléguée au développement des services (1983-1984). Bernard HYON, bénévoles
abonnés Françoise Tovo Besançon (Doubs). « Quand la peinture était sur toute la France.
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Une cérémonie d’adieu aura lieu
Gilles van Kote
le 20 décembre 2022. Epinal (Vosges). dans les livres... ». L’écoute peut sauver des vies
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davi- au crématorium du cimetière du et enrichir la vôtre !
denkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez Père-Lachaise, Paris 20e, le vendredi La cérémonie religieuse a eu lieu Choix des heures d’écoute,
(photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition), 30 décembre, à 13 heures. ce mercredi 28 décembre, à 10 h 30, France MAURIVARD, Selon sa volonté, les obsèques ont
Alain Salles (Débats et Idées) née HUGARD, eu lieu dans l’intimité familiale. formation assurée.
Directrice du design Mélina Zerbib
en l’église Saint-Christophe-de-Javel,
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani Amis de Tribune socialiste, Paris 15e. professeure agrégée,
Infographie Delphine Papin 40, rue de Malte, 9, square de Port-Royal, En IdF RDV sur
chevalier dans l’ordre
Directrice des ressources humaines du groupe 75011 Paris. Pas de fleurs, dons au GRDR 75013 Paris. www.sosamitieidf.asso.fr
Emilie Conte des Palmes académiques, En région RDV sur
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
(93048).
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, Institut Tribune socialiste (ITS), ereynaud488@gmail.com www.sos-amitie.com
présidente, Gilles Paris, vice-président contact@institut-tribune-socialiste.fr souvenirs@hyon.fr s’en est allée le 21 décembre 2022. claude-agnes.reynaud@inserm.fr

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16 | chaleur humaine
« La technologie
a trop d’impact
sur la planète pour
être la solution »
L’idée que l’innovation nous sauvera de l’épuisement
des ressources et des changements climatiques
est une illusion dangereuse, prévient l’ingénieur
Philippe Bihouix, qui appelle à multiplier
les démarches « low tech » et à privilégier la sobriété
ENTRETIEN
C’
est la conviction de nombreux
décideurs : dans le combat mon­
dial contre le changement cli­
matique, l’innovation technolo­
gique est une des clés de la réus­
site pour faire baisser nos émis­
sions de gaz à effet de serre. Pour Philippe
Bihouix, au contraire, cette fuite en avant
technologique ne nous sauvera pas, et il est
urgent d’imaginer un monde entretenant
un autre rapport à l’innovation. Ingénieur, il
a notamment écrit en 2014 L’Age des low tech.
Vers une civilisation techniquement soutena­
ble (Seuil), ce diplômé de l’Ecole centrale de
Paris est aujourd’hui directeur général
d’AREP, la plus grande agence d’architecture
de France. Dans cet épisode du podcast
« Chaleur humaine », diffusé sur le site du
Monde le 8 novembre, il explique que davan­
tage de technologie, cela signifie plus de ma­
tières premières, plus d’énergie, et donc plus
d’impact, à différents niveaux, sur la planète.
Face à l’ampleur de la crise climatique,
l’idée qu’« on trouvera bien une
solution », sous­entendu une solution
technologique, revient souvent.
Qu’il s’agisse de l’hydrogène,
de la fusion nucléaire ou de la
numérisation… Pourquoi ne partagez­
vous pas cet espoir ?
Parce que les technologies ont un im­
pact : elles consomment des ressources
non renouvelables, souvent des ressources
métalliques, que l’on doit piocher dans la
croûte terrestre. Et même si on a à notre
disposition des milliers de fois l’énergie né­
cessaire à l’humanité qui nous tombe sous
forme de soleil, on a besoin de convertis­
seurs, pour capter cette énergie, la transfor­
mer en électricité, ou la stocker. Et pour
cela, on a besoin de beaucoup de métaux.
C’était un impensé il y a une dizaine ou une
quinzaine d’années. Aujourd’hui, l’Agence
internationale de l’énergie, l’Organisation
de coopération et de développement éco­
nomiques, la Banque mondiale, la Com­
mission européenne, tout le monde recon­
naît qu’il va y avoir un incroyable besoin
d’extraction de ressources pour nourrir
une transition avec beaucoup d’énergies
renouvelables, et avec le passage à l’électri­
que de la mobilité. Cela va créer une ten­
sion sur des métaux comme le cuivre, le
zinc, le nickel, ou des métaux dits « plus ra­
res », comme le lithium ou le cobalt, que
l’on utilise dans les batteries lithium­ion
pour les véhicules électriques.
La multiplication de ces besoins a évi­
demment des conséquences en termes
énergétiques, climatiques et en termes de
biodiversité. Ça ne se voit pas forcément
parce que c’est loin de chez nous, mais il va
y avoir un besoin de multiplication par
deux, cinq, dix, cinquante, selon les scéna­
rios et selon les métaux. Cela crée un défi
de déploiement industriel et minier qui est
absolument incroyable.
Est­ce que vous partagez l’analyse de
l’ingénieur Jean­Marc Jancovici, selon
qui le clivage d’aujourd’hui n’est plus
entre la gauche et la droite, mais entre
les gens qui pensent qu’il y a un monde
aux ressources infinies et ceux
qui pensent qu’on touche les limites
physiques de la croissance ?
Effectivement, la croissance à long terme
est une absurdité en tant que telle. Imagi­
nons que la consommation d’énergie
croisse de 2 % par an – en réalité, on a fait
un peu plus ces dernières décennies.
A l’échelle de l’humanité, ça veut dire un
doublement de la consommation tous les
trente­sept ans. Cela s’appelle une expo­
nentielle. Si on multiplie par deux tous les
trente­sept ans, dans mille ans, il faudrait
avoir multiplié la consommation par
400 millions – 390 millions exactement. Et
dans mille cinq cents ans, il faudrait avoir
la puissance de l’étoile solaire. Pas de ce que
le Soleil envoie sur Terre : la puissance de
l’étoile, intégralement. Donc les partisans
de la fusion nucléaire peuvent nous dire
qu’on va trouver un système formidable,
mais on ne fera jamais des réacteurs
nucléaires de la taille de l’étoile solaire.
C’est de la science­fiction.
On a déjà découvert et maîtrisé
de nouvelles sources d’énergie, qu’est­ce
qui nous empêche de continuer
et d’en faire un usage rationnel pour
poursuivre une forme de croissance ?
Il y a deux voies pour ça. Une voie techno­
logique et une voie économique. Je com­
mence par la voie économique. L’idée, c’est
de faire du découplage entre la croissance
du PIB [produit intérieur brut] d’un côté et
de l’autre la consommation d’énergie, les
émissions de CO2, la consommation de
matière, etc. Il y a aujourd’hui un décou­
plage relatif, c’est­à­dire que le PIB monte
un peu plus vite que la consommation
d’énergie. Par contre, on n’arrive pas en­
core à faire un découplage absolu, une
courbe du PIB qui continuerait à monter
avec une décroissance d’énergie, de ma­
tière, de pollution… Surtout, ça a ses limi­
tes : on ne fera jamais un découplage d’un
facteur 390 millions. Une voiture qui con­
somme 390 millions de fois moins d’éner­
gie qu’aujourd’hui, ça ne s’appelle même
pas un vélo, ça sera très compliqué à faire.
L’autre aspect est technologique. Il
consiste à dire que cette grande quantité de
métaux qu’on va devoir extraire pour
nourrir l’installation de panneaux pho­
tovoltaïques, d’éoliennes, on va pouvoir la
recycler, faire de l’économie circulaire. On
peut refaire des câbles de cuivre à l’infini en
les refondant, avec quasiment pas de per­
tes, c’est vrai. Mais, en réalité, ce discours
ne marche pas pour la plupart des métaux.
Il y a une trentaine de métaux, sur la
soixantaine qu’on utilise dans l’ensemble
de nos industries, qui sont recyclés, à
l’échelle mondiale, à moins de 1 %. Ce sont
les petits métaux des nouvelles technolo­
gies, les fameuses terres rares, le palla­
dium, le tantale… Dans les objets très tech­
nologiques comme les smartphones, on
trouve une quarantaine de métaux diffé­
rents en très petite quantité, quelques mil­
ligrammes. Quand ces objets arrivent en
fin de vie, ces quelques milligrammes ne
représentent pas grand­chose.
Les scientifiques du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC), le groupe d’experts
de l’ONU pour le climat, plaident pour
le développement massif de l’éolien,
du solaire et des batteries – en plus
de la sobriété – pour se débarrasser
« IL NE FAUT SURTOUT des énergies fossiles. Vous semblez
PAS LAISSER  ne pas croire à cette option qui mobilise
beaucoup de ressources…
À DES EXPERTS  Je ne suis absolument pas contre le solaire
ou l’éolien, mais je m’insurge contre le rêve
LE FAIT  qui consisterait à dire qu’on va pouvoir
maintenir notre niveau de consommation
DE DÉCIDER QUE  et de confort, de mobilité, simplement en
TELLE TECHNOLOGIE  remplaçant une couche d’énergie fossile par
des solutions d’énergies renouvelables. Si
OU TEL USAGE SERA  on veut maintenir le niveau de vie à l’occi­
dentale, et promettre ce niveau de vie à l’en­
UTILE OU NON. C’EST  semble des pays du monde, le besoin généré
EFFECTIVEMENT UNE  en métaux est, à mon avis, très complexe à
gérer. Il faut aller les chercher plus profon­
QUESTION DE DÉBAT  dément, en consommant plus d’énergie ; il
faudra peut­être aller dans les océans, mais
DÉMOCRATIQUE » cela pose des questions d’impact sur la bio­
diversité et d’industrialisation de l’océan
profond. Il y a des gens qui fantasment sur
la Lune ou les astéroïdes. Mais, globale­
ment, je pense que le niveau d’extraction
n’est pas soutenable. L’effort de déploie­
ment industriel lui­même est à mon avis
difficilement atteignable.
Plus on va faire de la sobriété, de la réduc­
tion à la source, des économies d’énergie et
de ressources, plus ça sera facile de faire la
transition. Si on veut maintenir l’existant,
continuer à tous se balader avec des voitu­
res de 2 tonnes et avec le même niveau de
mobilité, là, ça risque d’être très complexe.
LE PROFIL
Philippe Bihouix
Diplômé de l’Ecole centrale de Paris, il est ingénieur,
a notamment écrit en 2014 L’Age des low tech (Seuil)
et vient de publier, avec Sophie Jeantet
et Clémence De Selva, La Ville stationnaire (Actes Sud),
un ouvrage sur la question de l’étalement urbain
et les moyens de le stopper. Il est aujourd’hui directeur général
d’AREP, la plus grande agence d’architecture de France,
filiale de la SNCF, qui réalise des infrastructures et des projets
urbains à l’échelle mondiale.
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
On peut quand même souligner
les bénéfices qu’apporte la technologie
dans nos vies. On le voit par exemple
dans le secteur de la santé, comme pour
le cas des vaccins…
Oui, il ne faut pas forcément jeter le bébé
avec l’eau du bain. L’innovation technologi­
que apporte un certain nombre de bien­
faits. La question médicale est intéressante :
quand on veut faire passer en force des
technologies, comme la 5G, on parle tout
de suite du télé­chirurgien, des ambulances
connectées. Sur les jets privés, on explique
que c’est utile pour les transplantations
cardiaques… L’argument de la médecine,
évidemment, c’est la moins contestable de
toutes les promesses technologiques.
Le penseur de la technique Jacques Ellul
disait qu’on entend souvent que la techno­
logie, c’est quelque chose de neutre,
qu’avec un couteau je peux éplucher des
carottes ou je peux assassiner mon voisin.
Mais lui disait que la technologie n’est ni
positive, ni négative, ni neutre. Elle est tou­
jours ambivalente, toujours à la fois posi­
tive et négative. C’est toujours très difficile
d’éviter les mésusages par rapport aux
bons usages.
En fait, ce que vous dites, c’est qu’il faut
distinguer en fonction des usages.
C’est ce que vous appelez le
« discernement technologique »…
Cette notion de discernement technolo­
gique, ou de « techno­discernement », que
je trouve très importante, consiste à se dire
que, bien sûr, on peut utiliser les technolo­
gies. Il faut juste reconnaître qu’elles ont
toujours un impact parce qu’elles consom­
ment de l’énergie, parce qu’elles consom­
ment de manière inéluctable des ressour­
ces qui ne seront pas disponibles pour les
générations futures, parce qu’elles abîment
la biodiversité.
Donc il faut se poser la question de l’uti­
lité de l’usage de ces technologies. Dans le
domaine médical, on peut ne pas le contes­
ter. Les volumes d’électronique en jeu à
l’hôpital sont très limités par rapport aux
objets connectés qui vont équiper des mil­
liards d’utilisateurs. Idem pour le plasti­
que. Je n’ai pas de problème pour des plasti­
ques souples, tout à fait polluants, qui ser­
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
vent de poches de sang. On parle de quel­
ques milliers de tonnes à l’échelle d’un
pays, qu’on va savoir gérer, alors qu’à côté
de ça on va avoir des millions de tonnes
d’usage de plastique qu’on aurait pu éviter.
Tout le monde n’a pas forcément la
même appréciation de ce qui est utile ou
non, et l’impact social du renoncement
à telle ou telle option technologique
n’est pas toujours bien compris…
En fait, il ne faut surtout pas laisser à des
experts le fait de décider que telle techno­
logie ou tel usage sera utile ou non. C’est ef­
fectivement une question de débat démo­
cratique. Ce n’est pas facile parce que avoir
un niveau de débat démocratique de haute
volée n’est pas très simple, surtout sur des
sujets aussi complexes. Par exemple, l’édu­
cation nationale, sous prétexte d’éduquer
les citoyens du futur au numérique, a
décidé de numériser l’enseignement.
Pourtant, aucune étude scientifique n’a dé­
montré qu’on apprenait mieux avec un
écran plutôt qu’avec un bouquin. C’est
même plutôt le contraire. Mais on a nu­
mérisé l’école parce que ça fait moderne.
Aujourd’hui, le métavers est en train d’arri­
ver et des gens qui travaillent au ministère
de l’éducation nationale disent : « C’est in­
croyable, ça va être des opportunités péda­
gogiques folles », alors qu’on n’a rien testé.
Il y a aussi des choses dont on pourrait
assez simplement dire que ce n’est pas
très utile. Par exemple, le distributeur de
croquettes pour chats connecté avec dispo­
sitif de reconnaissance faciale…
Le président de la République a accusé
les opposants à la 5G d’être des « amish »
favorables au retour à la bougie. Est­ce
que votre vision de la technologie
est une forme de retour en arrière ?
Justement non, il ne s’agit pas d’un retour
en arrière. Un ancien ministre de l’agricul­
ture s’était fait étriller quand il avait dit
qu’il fallait réinventer une agriculture qui
soit sans pesticides, sans intrants, bref, en
gros, l’agriculture de nos grands­parents.
Il y avait eu une levée de boucliers incroya­
ble. Or, justement, une agriculture sans
pesticides ou sans intrants, ce n’est pas du
tout l’agriculture de nos grands­parents.
Parce que, entre­temps, on a développé la
connaissance scientifique, la capacité à lut­
ter contre les invasions avec des systèmes
biologiques, on comprend mieux l’interac­
tion entre les sols et les plantes, on va pou­
voir faire des complémentarités et des ro­
tations de cultures plus intelligentes.
Tout n’était pas moins bien avant. Il y a
des choses qui ont été gagnées, des choses
qui ont été perdues. Dans la question des
rapports au temps, des rapports sociaux,
dans la question de ce qu’on appelle une vie
bonne, dans les questions de spiritualité,
tout n’est pas à jeter dans le monde d’avant.
Dans l’Antiquité, chez les Grecs, il y avait
la tempérance parmi les vertus cardinales :
l’idée que ce n’était pas forcément mieux
d’avoir toujours plus.
Il y a aussi les impacts sociaux
et sur l’emploi de tels changements.
Les véhicules les plus vendus, les SUV,
sont aussi les plus polluants. Mais si
on les interdit demain, on balaye toute
une partie du secteur automobile…
Aujourd’hui, on a un déséquilibre parce
qu’on a assis notre protection sociale sur le
travail humain. Cela fait qu’aujourd’hui les
ressources ne valent à peu près rien. Quand
vous arrivez dans un magasin avec votre as­
pirateur pour essayer de le faire réparer, on
vous dit que ça va coûter le prix du neuf,
donc autant le racheter. L’économie de la
réparation, du réemploi, c’est tout à fait
possible. Simplement, il ne faut pas arriver
avec une grosse pince pour tout démolir.
Il faut avoir des gens qui vont faire de la
déconstruction précautionneuse, et ça, c’est
potentiellement plus cher.
Mais il ne s’agit pas que de cela,
la question du chômage et de l’emploi,
c’est souvent notre critère d’évaluation
de l’action d’un gouvernement…
Absolument. Qu’est­ce qui terrorise tout
gouvernement ? C’est la destruction poten­
tielle d’emplois et la crise sociale qui va
avec. Aucun gouvernement ne va prendre
des décisions qui mèneront à la guerre ci­
vile parce qu’on aura un chômage massif.
Simplement, l’argument de l’emploi, je le
trouve un peu gênant. On vit dans un
monde de destruction créatrice schumpé­
chaleur humaine | 17
térienne, où l’innovation vient rendre cer­
tains emplois obsolètes, caducs et où on
mute vers d’autres emplois créés par l’in­
novation. Pour simplifier à gros traits, on
passe des mineurs de charbon aux déve­
loppeurs de métavers. Mais quand il s’agit
de dire qu’il y a certains secteurs qu’il va
falloir adapter parce qu’ils ne sont plus te­
nables, plus acceptables d’un point de vue
climatique, du point de vue des ressources,
là, on répond que c’est impossible parce
qu’il faut préserver les emplois. On glorifie
l’innovation technologique et ce n’est pas
grave si elle détruit des emplois ; et, à côté
de ça, il faudrait être les deux pieds sur le
frein pour tout changement lié à des ques­
tions environnementales.
J’insiste un peu sur la question des SUV…
Pour moi, c’est l’exemple parfait du fait
qu’on ne vit pas dans une économie tirée
par le consommateur. C’est une légende
économique de dire qu’à travers mes
achats je vais créer des filières. On vit dans
une économie poussée. Si je veux une
petite voiture qui pèse 700 kilos et qui ait
150 kilomètres d’autonomie, eh bien elle
n’est pas disponible, elle n’existe pas. Donc
je vais aller dans le panel de ce qu’on va me
proposer. Et effectivement, il y a eu une in­
flation du poids des voitures. Certains as­
pects sont réglementaires, mais c’est es­
sentiellement parce que la marge sur les
grosses voitures est plus importante que
sur les petites. Il y a eu de tels gains de pro­
ductivité dans l’industrie automobile
qu’aujourd’hui, si vous vouliez acheter
l’équivalent d’une voiture de 1980, elle ne
vaudrait vraiment rien. Donc, pour lutter
contre la déflation et la perte de chiffre d’af­
faires, il a fallu faire de l’enrichissement
technologique des voitures. Ce n’est pas
l’industrie qui peut prendre la décision, me
semble­t­il, de réclamer une réglementa­
tion pour faire des voitures plus petites.
C’est la puissance publique qui doit siffler
la fin de la partie ou donner la règle du jeu.
Vous plaidez pour ce qu’on appelle
les « low­tech », des technologies
de petite échelle, peu gourmandes
en énergie, facilement réparables,
QUENTIN FAUCOMPRÉ adaptables. Concrètement, comment
cela peut­il se traduire ?
J’aime bien parler de démarche « low­
tech », plutôt que dire que tel objet est low­
tech ou pas. Je prends souvent l’exemple du
vélo. On pourrait dire que c’est un objet
low­tech par excellence. Vous pouvez être
très autonome, presque le réparer vous­
« SI VOUS RÉNOVEZ  même, ça a consommé très peu de ressour­
THERMIQUEMENT  ces, ça peut durer peut­être un siècle si
vous changez quelques pièces détachées…
UNE MAISON,  Et en même temps, le vélo est enchâssé
dans un système de production qui, lui,
SANS L’ACCOMPAGNER  est très high­tech, pour fabriquer un câble
de frein, un dérailleur, une chaîne.
D’UNE ÉVOLUTION  Là, on a le pouvoir prescriptif. La puissance
DES USAGES, VOUS  Ce que vous dites, c’est qu’il faut
appliquer cette démarche low­tech
ALLEZ JUSTE AVOIR  à tous les pans de l’activité économique
et de la société…
UN LOGEMENT PLUS  Ça veut dire qu’il faut orienter l’innova­
EFFICACE QUI VA  tion des produits, des services, vers une
réelle économie de ressources, une réelle
CONSOMMER PRESQUE  économie d’énergie. Et lutter contre l’effet
rebond. Tous les produits sont de plus en
AUTANT D’ÉNERGIE » plus efficaces. C’est même un facteur de
compétitivité pour les entreprises, surtout
aujourd’hui quand l’énergie est de plus en
plus chère : faire le même produit en
consommant moins d’énergie. Toutes les
entreprises sont d’accord, il n’y a pas de
souci avec ça. Simplement, arrivé à ce
point­là, le produit est moins cher, plus ef­
ficace et donc on va en consommer plus. Il
faut être capable d’avoir des logiques non
pas de solutions techniques, mais de solu­
tions sociotechniques, c’est­à­dire qui em­
barquent les usages, les comportements.
Si vous rénovez thermiquement une mai­
son, sans l’accompagner d’une évolution
des usages, vous allez juste avoir un loge­
ment plus efficace qui va consommer pres­
que autant d’énergie.
Est­ce que ce n’est pas là qu’intervient
la question de la sobriété ? Pas
seulement celle des gestes individuels,
mais à un niveau plus collectif…
Oui, c’est vrai : on peut par exemple passer
à la voiture électrique. Très bien. Mais quel
type de voiture électrique ? Celle de 2 ton­
Ecoutez « Chaleur nes ou celle de 700 kilos ? Une qui roule
humaine » en scan­ 1 000 kilomètres ou une qui roule 150 kilo­
nant ce QR code, mètres ? Pour la première, on aura besoin
ou retrouvez­le sur de quinze fois plus de lithium ou de cobalt.
toutes les plates­ Et puis peut­être faut­il ne déployer que la
formes de podcast. moitié de ces voitures et l’autre moitié, ça
sera plutôt des vélos électriques… On pour­
rait aller même plus loin, poser la question
du nombre de kilomètres, aller vers une lo­
gique de démobilité. Pourquoi habite­t­on
de plus en plus loin de son travail ? Pour­
quoi faut­il faire de plus en plus de kilomè­
tres pour déposer les enfants à l’école de
musique, pour aller passer une radio, pour
aller voir un spécialiste ? Ce sont des ques­
tions d’aménagement du territoire.
C’est un peu l’idée que vous défendez
dans votre dernier ouvrage, « La Ville
stationnaire » : vous allez à rebours
de l’idée de la smart city. Mais à quoi
pourrait ressembler une ville qui serait
dans une démarche low­tech ?
Aujourd’hui, l’organisation du territoire
fait qu’on est obligé de mettre deux loge­
ments neufs en chantier quand on a un ha­
bitant de plus, à cause de la décohabitation,
à cause de la métropolisation. En fait, on
construit beaucoup de neuf et en même
temps on crée du vacant, on crée des loge­
ments sous­occupés. Il y a 3 millions de lo­
gements vacants en France et 8 millions de
logements sous­occupés dans la définition
de l’Insee. Si on remplissait tout ça, on
pourrait loger 12 millions de personnes en
plus sans construire un mètre carré. Et
pourtant, on explique qu’il faut mettre
500 000 logements en chantier chaque an­
née et qu’on n’en a pas assez. Est­ce qu’il ne
faut pas réinvestir plutôt les bourgs, les vil­
lages, les villes moyennes, les sous­préfec­
tures, où existe tout ce parc vacant, tout ce
patrimoine qu’on va pouvoir réinvestir ?
Qu’est­ce qui pourrait générer
une démarche plus rationnelle
dans l’utilisation des matériaux,
des ressources et de l’énergie ?
Si on regarde le rôle de la puissance publi­
que, la question de la réglementation et des
normes est indispensable. Il ne s’agit pas for­
cément d’interdire, parce que ça réveille de
vieux fantômes de l’écologie liberticide, ce
qui suscite des levées de boucliers. Mais il y a
des choses aujourd’hui qui sont interdites,
d’autres qui sont autorisées, et on peut faire
bouger ça à travers un débat démocratique.
Le deuxième levier, c’est le levier fiscal.
Si demain on veut pouvoir aller vers un
monde de la réparation, de la maintenance,
il faut avoir une fiscalité qui s’adapte, de
manière progressive et en donnant de la
visibilité aux entreprises, sans prendre à la
gorge des gens qui ont un chauffage au
fioul ou qui habitent loin de leur boulot.
Cela signifie avoir une fiscalité des ressour­
ces, du carbone, mais alléger la fiscalité sur
le travail. Tout le monde pourrait voir
son salaire net augmenter, par contre les
choses moins environnementales coûte­
raient plus cher à acheter.
Ensuite, on a tout le millefeuille territorial,
qui va de la commune jusqu’à la région.
publique achète beaucoup de choses, des
bâtiments, des voitures, des ordinateurs,
des services ; à travers les cahiers des char­
ges, on peut favoriser des filières de réem­
ploi, les cantines bio…
Et puis il y a le mécanisme de soutien à
l’innovation. Est­ce qu’on est seulement
fascinés par les licornes dans l’intelligence
artificielle, la blockchain, les NFT, ou bien
également par la réparation de vélos, les
ateliers, les ressourceries­recycleries, les
expérimentations en agroécologie ?
Vous avez un regard assez critique
sur l’usage qu’on a de la technologie.
Vous avez écrit un autre livre,
titré « Le bonheur était pour demain »
(Seuil, 2019). Qu’est­ce qui vous donne
de l’espoir ?
Paradoxalement, ce qui est intéressant,
c’est que les humains peuvent s’adapter ra­
pidement à des nouvelles situations, plus
qu’on ne le croit. Les chercheurs parlent par
exemple de l’« amnésie environnemen­
tale ». La génération qui arrive ne verra pas
beaucoup de papillons, mais finalement
elle ne s’en rend pas compte parce qu’elle
n’a pas connu le monde de mon grand­père
qui était bourré de papillons ! Les référen­
ces culturelles évoluent. Prenons l’exemple
du chauffage : il y a trente ou quarante ans,
chez moi, il faisait 17 °C dans la vieille mai­
son que j’habitais à l’époque. Aujourd’hui,
le référentiel s’est décalé, on est à 21 °C ou à
22 °C, et on rame un peu pour dire aux gens
de revenir à 18 °C ou 19 °C. Ce qui me donne
de l’espoir, c’est que cette adaptation peut
aller dans les deux sens. En fait, l’être hu­
main est extrêmement adaptable. p
propos recueillis par
nabil wakim
 CULTURE
18 |
Le rappeur Jul,
en mai 2021. HOUT KOV
Jul, le haut­parleur des minots marseillais
Le rappeur le plus écouté en streaming a su rester proche de ses fans, autour desquels tourne sa production
MUSIQUE
V
ous verrez, Jul est le
même garçon que
vous avez rencontré au
début de sa carrière »,
promet Carine Nahon, l’avocate
qui organise et verrouille toutes
les interviews de la star de la pop
urbaine. Le Marseillais de 32 ans
est devenu, en sept ans, le poids
lourd de l’industrie du disque tous
genres confondus avec un style
bien à lui : un rap passé au filtre de
l’Auto­Tune sur un rythme dance,
à peine nuancé d’une couleur reg­
gaeton ou baile funk – la musique
des favelas de Rio, au Brésil.
Avec plus de 6,6 millions d’al­
bums vendus depuis ses pre­
miers morceaux dans sa cham­
bre d’ado en 2013, il est l’artiste le
plus écouté sur les plates­formes
de streaming. Et cela sans l’appui
d’une major, mais sur son propre
label, D’or et de platine.
Vendredi 9 décembre sortait
son vingt­sixième album, Cœur
blanc. Ce stakhanoviste du rap
publie au minimum deux al­
bums par an – quand ce n’est pas
trois ou quatre –, et détient sa
propre ligne de vêtements (du
jogging aux claquettes). Samedi
4 juin, il remplissait le Stade­Vé­
lodrome pour un spectacle de
près de trois heures dans une
ambiance survoltée et bon en­
fant. Difficile de croire qu’il n’ait
pas changé et soit resté le gamin
blond et timide rencontré dans
les locaux de la radio parisienne
Skyrock en décembre 2015.
Pour les Marseillais, Jul est l’en­
fant du pays, devenu le haut­
parleur des minots des quartiers,
le prolo qui leur ressemble, pas
un rappeur qui joue à l’Améri­
cain. Pour les Parisiens branchés,
il est l’extraterrestre rigolo venu
de la planète Mars. Et pour tous
ceux qui ont plus de 50 ans, sûrs
de leur bon goût, une énigme.
Jul a commencé en 2013 sur un
label des quartiers nord. Puis s’est
fâché avec ses producteurs et a
décidé de confier ses affaires, en
septembre 2015, à deux avocats
pénalistes, Damien Benedetti et
Carine Nahon, avec qui il faut né­
gocier, parlementer, rassurer, être
éconduit à maintes reprises avant
finalement d’obtenir des condi­
tions d’entretien convenables.
Rare dans les médias, le cham­
pion des ventes de CD toutes
catégories « accepte » tous les ans
de répondre à un journaliste de la
presse écrite et de donner un
entretien à une chaîne de télévi­
sion. « Il est tellement gentil qu’il
est très protégé. Ses avocats jau­
gent toujours les interlocuteurs
qu’il va rencontrer », justifie Leïla
Sy, de Duosceno, une de ses deux
scénographes du concert du
Stade­Vélodrome.
Les seuls qui n’ont pas d’exa­
men à passer appartiennent à
son entourage proche, tels Nico­
las Romano et Kakou, les ingé­
nieurs du son qui travaillent avec
lui depuis 2005, son cousin
Romain « Babyboys », qui gère
« J’aime faire
savoir
[à mes fans]
ce que je vis
à travers
mes chansons »
JUL
rappeur
son groupe WhatsApp de beat­
makers (« compositeurs »), son
frère Mathieu « Tchyco », chargé
du merchandising, ou son « bac­
keur », Moubarak.
A les entendre, Jul est resté sim­
ple et humble. « C’est quelqu’un de
très agréable avec qui travailler,
consciencieux et respectueux. Il ne
fait jamais de caprice d’artiste »,
résume Nicolas Romano. « Il est
d’une normalité extrêmement
touchante », renchérit Leïla Sy,
qui, avec son associée Pénélope
Richard, a réussi à rendre digeste
le défilé de deux­roues au concert
du Stade­Vélodrome.
Communication maîtrisée
Dans le milieu de la musique, Jul,
de son vrai nom Julien Marie, fils
d’un pisciniste et d’une employée
de mairie, est un ovni, comme il
aime lui­même s’appeler dans
ses albums. En entretien, dans
une salle de concerts à Marseille,
il préfère dire qu’il est plus ré­
servé que timide, concède qu’il
est paranoïaque – « Mais souvent,
j’ai raison », tient­il à préciser – et
que son seul défaut est d’être trop
généreux.
Il assure que, malgré son succès
phénoménal, sa vie n’a pas
changé : « Je peux m’acheter ce que
je veux mais je n’abuse pas. Je vis
comme avant, sauf quand je
mange avec mes collègues ou la
famille, je ne regarde pas [à la
dépense]. Ça me fait plaisir de
faire plaisir. »
Jul a changé et heureusement
pour lui. D’abord physiquement.
Il s’est laissé pousser la barbe
« pour passer incognito dans les
restos marseillais » où il sort le soir
avec ses collègues. Il a perdu, dit­il,
17 kilos pour préparer son con­
cert, si bien qu’il apparaît affûté
dans son survêtement noir mou­
lant. Il porte toujours des chaus­
settes avec ses claquettes, mais
elles sont siglées de sa marque.
Surtout, il maîtrise sa commu­
nication, ne se confiant plus
comme il le faisait en 2015 sur sa
famille, son adolescence dans le
quartier de Saint­Jean­du­Désert.
Tout juste glisse­t­il avoir arrêté à
16 ans l’école, où il n’avait de
bonnes notes qu’en dessin ou en
sport, pour aller travailler avec
son père ou faire le stadier au
Vélodrome.
De ses fautes de français qui lui
ont valu d’être moqué, il avoue,
capable d’autodérision : « J’en ri­
gole aussi. » Il est moins drôle
quand, désinvolte, il confie adorer
le son de la harpe qu’il utilise dans
plusieurs de ses morceaux, mais
prétend ne pas savoir à quoi
ressemble l’instrument.
Cependant, il reconnaît toujours
lutter pour arrêter le cannabis,
qu’il consomme depuis qu’il a
19 ans, mais veille à ne jamais s’af­
ficher dans ses clips en train de
fumer un joint : « Je ne veux pas
pour les petits, leurs parents. » Cela
ne l’empêche pas de vanter la qua­
lité de « la beuh à la noix de coco »
ou d’en parler abondamment
dans son dernier album. Ça et les
« cross » volés, et les coups fourrés.
Carine Nahon veille aux
questions qui fâchent, comme
celles concernant son ancien la­
bel, Liga One Industry, avec qui il a
signé un protocole « par essence
secret ». C’est lui qui demande de
mettre le dictaphone sur pause
pour expliquer une phrase de son
album où il décrit comment il aide
ses amis « fauchés ». Il reconnaît
avoir été obligé de déménager
plus d’une quinzaine de fois pour
éviter les attroupements de fans
Carine Nahon,
avocate, veille
aux questions
qui fâchent,
comme celles
sur son ancien
label, Liga One
Industry
en bas de chez lui. « Aujourd’hui,
ça se calme. Ma team comprend
que j’ai besoin d’avoir une vie. »
Sa « team », c’est sa commu­
nauté de fans. A en croire Romain
Vivien, le PDG du label Believe,
elle est sa priorité avec sa musi­
que : « Il intègre ses fans dans
l’ensemble de ses réflexions. Il se
pose systématiquement la ques­
tion : comment je peux leur faire
plaisir et les remercier de me
porter depuis tant d’années ? »
Il les abreuve donc d’albums,
deux payants, un gratuit, reste en
contact avec eux sur ses réseaux
sociaux, ne s’associe qu’avec des
marques de chaussures ou de
montres qu’ils peuvent s’offrir. Et
leur raconte tout, à eux et rien
qu’à eux, prétend­il : « J’aime leur
faire savoir ce que je vis à travers
mes chansons. »
Pour tenir le rythme de cette
production intense, il a mis en
place une organisation au timing
immuable, raconte Kakou, avec
qui il enregistre ses morceaux :
« Du lundi au vendredi, il est en
studio pour écouter toutes les mu­
siques qu’une quarantaine de
beatmakers ont envoyées. S’il ne
trouve pas ce qu’il aime, il compose
lui­même. Le samedi, il écrit pour la
semaine suivante. Il écoute de tout,
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
des chants traditionnels corses à la
musique orientale en passant par
la techno. » « Même quand il nous
annonce qu’il faut qu’il se repose,
raconte Carine Nahon, quatre
mois plus tard, il nous sort
13organisé et Le Classico orga­
nisé. » Deux énormes succès où le
rappeur invitait sur le premier
album 49 rappeurs de sa ville,
puis, sur le second, le triple avec
des Parisiens.
« Endorphine auditive »
Voilà le tour de force qu’a opéré
Jul : décrié au début de sa carrière
par ses pairs, il est aujourd’hui
l’artiste le moins moqué, le moins
critiqué de la planète rap : « Le
style Jul, explique Leïla Sy, c’est
comme le pointillisme. Si on re­
garde de trop près, on ne voit que
des taches de couleurs criardes. Il
faut prendre de la distance pour
voir l’image d’ensemble. »
Tout ce qui sort du studio est de
qualité inégale, mais pour les
fans de Jul, tout se consomme.
« Sa musique s’écoute en voiture
en roulant sur la côte. C’est la ban­
de­son du Sud, estime Mouloud
Achour, le présentateur du maga­
zine “Clique” sur Canal+, fraîche­
ment installé dans la région. Son
morceau J’oublie tout, c’est de
l’endorphine auditive, un anti­
dépresseur. »
Arrivé avec l’ère du streaming et
le deuxième âge d’or du rap fran­
çais, Jul a fini par détrôner ses
concurrents, par forcer leur res­
pect grâce à sa persévérance, son
entêtement à nourrir son propre
style, addictif pour les uns, répul­
sif pour d’autres. p
stéphanie binet
Cœur blanc, 2 CD D’or
et de platine/Believe.
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
L’encre chinoise s’expose au Musée Cernuschi
Soixante­dix œuvres illustrent l’évolution d’une peinture traditionnelle face aux secousses du XXe siècle
ARTS
S
itué en lisière du parc
Monceau, à Paris, le
Musée Cernuschi, écrin
voulu par l’homme d’af­
faires et républicain italien Henri
Cernuschi (1821­1896), dispose
d’une importante collection d’art
asiatique. Des pièces venues de
Chine, du Japon, du Vietnam ou
de Corée, achetées par l’industriel
lors de ses voyages, ou acquises
par l’établissement, propriété de
la Ville de Paris, à laquelle il l’avait
légué ainsi que ses collections.
Parmi les œuvres venues enri­
chir le fonds plus récemment,
beaucoup d’artistes chinois du
XXe siècle et contemporains. Peu
présentes dans le parcours per­
manent, ces pièces sortent rare­
ment des réserves. C’est le cas
actuellement, grâce à l’exposition
« L’Encre en mouvement », qui,
sous cet intitulé intrigant,
déroule une histoire de la pein­
ture chinoise au XXe siècle. De la
fin de l’Empire à la seconde
guerre mondiale, de la révolution
de 1949 à l’ouverture des années
1980, ce siècle est pour la Chine
une période de turbulences. Et
pour les artistes peintres,
lorsqu’ils ont l’occasion de voya­
ger, la possibilité de confronter
leur art, défini depuis des siècles
par l’usage de l’encre, à des techni­
ques et gestes observés ailleurs.
Soixante­dix œuvres, sur soie
ou papier, réalisées par une
trentaine d’artistes, sont présen­
tées dans cinq salles du musée
où une lumière tamisée protège
ces pièces fragiles de l’altération.
Des vidéos montrant quelques­
uns de leurs auteurs et autrices
au travail accompagnent tout au
long du parcours la présentation,
illustrant la dimension gestuelle
de leur art. Posé sur le sol afin de
faire éprouver au visiteur la
posture du peintre en action, l’un
des écrans invite à observer,
comme posté derrière son
épaule, Zhang Daqian (1899­
Au Musée Guimet, à Paris, Wang Keping
travaille le bois dans sa chair
Une « Carte blanche » est consacrée à l’artiste chinois, installé en France depuis 1984
SCULPTURE
A u printemps, le sculpteur
Wang Keping, 73 ans,
montrait dans le parc du
Musée Rodin, à Paris, des œuvres
monumentales, taillées dans des
troncs d’arbre. Au Musée national
des arts asiatiques Guimet, il
expose vingt et une œuvres de
moindres dimensions, bois
sculptés accompagnés de
quelques rares bronzes. Ils sont
disposés en plusieurs endroits du
musée : la longue galerie consa­
crée aux arts anciens de la Chine,
le palier, où est disposée la volière
d’oiseaux de porcelaine du
XVIIIe siècle chinois, et la coupole,
dont le vaste espace se prête bien
à la création contemporaine.
Dans la première galerie, les
sculptures de Wang sont placées à
proximité de pièces anciennes
afin de proposer des comparai­
sons. Under the Moon, découpé et
poli dans un disque épais de
cyprès, voisine avec un jade du
néolithique taillé et poli en forme
de « dragon­cochon » – ainsi le dé­
crivent les archéologues –, c’est­à­
dire en forme d’anneau où sont
gravés les contours des yeux et du
mufle d’un animal mythique.
Les deux pièces étant circulaires
et leurs surfaces légèrement lui­
santes, une lointaine parenté les
rapproche. Mais, dans d’autres
Dans les années
1920, le voyage
au Japon est une
étape importante
dans la formation
des jeunes
artistes chinois
1983), à genoux, promenant sur
le papier son large pinceau
trempé dans un seau d’encre
noire, dans un mouvement quasi
chorégraphique.
Le parcours débute avec l’avène­
ment de la république en 1912. La
fin du régime impérial s’accompa­
gne d’un renouvellement de l’art
calligraphique et pictural, marqué
par une redécouverte des graphies
archaïques figurant sur des vases
rituels ou des stèles. En témoigne
l’encre sur papier de Kang Youwei
(1858­1927), Souvenir de la dame
Qiao (1920), où les idéogrammes
étonnent par leur style rugueux.
Influences occidentales
Le voyage au Japon est alors une
étape importante dans la forma­
tion des jeunes artistes chinois.
Ils y étudient les techniques occi­
dentales dans les écoles d’art où
enseignent notamment des pro­
fesseurs français et font entrer la
couleur dans leur palette. Au
même moment, les anciennes
collections impériales de la Cité
interdite s’ouvrent au public. Les
artistes redécouvrent une partie
de la tradition picturale chinoise,
où prédominent la nature et les
animaux.
L’offensive japonaise sur la côte
est en 1937 contraint les écoles des
beaux­arts, nouvellement créées,
à se replier vers l’ouest du pays, où
les artistes trouvent une nouvelle
inspiration. Mariant l’encre et la
couleur, Pang Xunqin (1906­1985)
réalise une série de peintures re­
présentant des femmes et des
cas, cette parenté suggérée
devient incertaine. Les figures
nues ou ployées que Wang stylise
en courbes serpentines et grap­
pes d’hémisphères en haut­relief,
n’ont rien de commun avec les
statuettes mingqi de l’époque
Han (206 av. J.­C.­220 apr. J.­C.) qui
s’alignent dans la vitrine derrière
elles, si ce n’est d’être des repré­
sentations féminines.
Œuvres géométriques
Leurs styles sont presque oppo­
sés, allusif pour celles de Wang,
descriptif pour les terres cuites
peintes. Que Wang les connaisse
n’est pas douteux. Mais il n’est
pour autant pas possible de se
convaincre d’une filiation seule­
ment parce qu’elles sont chinoi­
ses et qu’il est lui­même chinois
de naissance. Il serait aussi perti­
nent de chercher des connivences
ailleurs, du côté de certaines sta­
tuaires africaines ou mésopota­
miennes, qu’il connaît tout
autant, lui qui vit en France
depuis 1984 et est exposé un peu
partout dans le monde.
La même observation vient à
l’esprit face à ses pièces à motifs
animaliers – des oiseaux. Les
siens lui ont été suggérés par les li­
gnes de deux branches en fourche
ou l’angle aigu d’une branche et
du tronc. Ses oiseaux sont, littéra­
lement, nés du bois grâce à la ca­
« Forêt de bambous et champs irrigués » (1992), de Wu Guanzhong (1919­2010). PARIS MUSÉES/MUSÉE CERNUSCHI/WU GUAN ZHONG
hommes de l’ethnie miao. Au
début des années 1940, la décou­
verte des peintures murales de
l’ancien site bouddhique de
Dunhuang suscite chez certains
un véritable engouement, tel
Zhang Daqian, qui peint des Tibé­
taines en costume traditionnel
accompagnées de leurs dogues.
Ceux qui partent se former en
Europe – Paris accueille un grand
nombre d’étudiants chinois à par­
tir des années 1920 –, découvrent
un genre marginal dans leur
culture : le nu. Pan Yuliang (1895­
1977) s’y emploie avec grâce dans
son Nu assis au qipao rouge (1955).
Plusieurs œuvres
de Wang
sont placées
à côté de pièces
anciennes pour
proposer des
comparaisons
pacité de l’artiste à découvrir dans
les particularités de la matière
brute l’esquisse ou l’amorce d’une
figure, qui ne peut être que simple
et synthétique ; puis, grâce au
long travail de taille, incisions, ef­
filages et polissages au terme du­
quel la forme se dégage.
Cet art de tirer parti des acci­
dents naturels n’est pas neuf. Il
s’observe dès les gravures et pein­
tures pariétales qui font d’un
léger relief de la paroi l’œil d’un
animal, et dans les sculptures qui
font surgir le cheval ou le renne
de la forme initiale de l’os ou de la
dent. Wang est donc le plus actuel
des sculpteurs préhistoriques.
Cela se vérifie sous la coupole,
où sont disposées des œuvres des
deux dernières années. Elles
doivent leur naissance à une cir­
constance fortuite : la possibilité
pour l’artiste d’acquérir un lot de
fourches d’acajou, bois exotique
Une rupture majeure boule­
verse le champ artistique en 1949,
quand les communistes fondent
la République populaire de Chine.
Les peintres sont appelés à tra­
vailler à la gloire du parti. L’encre,
considérée comme symbolique
d’une époque honnie, doit céder
la place à une peinture à l’huile
fondée sur le réalisme socialiste
des modèles soviétiques.
Echappant au carcan idéologi­
que, ils sont nombreux, dans les
années 1950, à passer les frontiè­
res pour aller se confronter aux
mouvements émergeant en Eu­
rope ou aux Etats­Unis. Zao
qu’il n’avait jamais employé
jusque­là, sachant l’essence proté­
gée. Ces fourches étaient desti­
nées à être débitées pour l’orne­
ment de voitures ou de bateaux
de luxe. Elles avaient été déjà écor­
cées et dégrossies, contrairement
aux bois que Wang reçoit à l’état
brut. Leur dureté extrême était
une autre difficulté et l’artiste a
vite su qu’il ne pourrait les tra­
vailler avec ses outils habituels.
Aussi ces œuvres sont­elles
parmi les plus géométriques et
dépouillées qu’il ait fait naître :
des trapèzes dressés à la verticale,
dont l’une des faces est incisée de
courbes peu nombreuses et peu
profondes. Elles indiquent à
peine l’anatomie d’un ou de deux
corps. En comparaison, les
statues menhirs du néolithique
européen et les idoles cycladiques
sont des figurations détaillées et
complètes. La chair du bois est
proche du noir, avec des éclats de
rouge très sombre, ce qui accen­
tue la présence physique de ces
effigies hors du temps. p
philippe dagen
Carte blanche à Wang Keping.
Musée national des arts
asiatiques Guimet, 6, place
d’Iéna, Paris 16e. Jusqu’au
6 mars 2023, du mercredi
au lundi, de 10 heures à 18 heures.
Entrée de 8,50 € à 11,50 €.
Wou­ki (1920­2013) crée à l’encre
ou à l’huile des œuvres abstraites.
A Taïwan, où les nationalistes se
replient en 1949, des groupes ar­
tistiques d’avant­garde se consti­
tuent, opérant une synthèse en­
tre styles occidentaux et tradition
chinoise. Walasse Ting (1929­
2010) peint, à l’encre et à la
gouache, une Beauté (1970) où se
croisent les influences du
Français Henri Matisse et de
l’Américain Jackson Pollock.
La fin de l’époque maoïste et la
réouverture du pays permettent,
à partir des années 1980, un bras­
sage plus large d’influences. La
Le Disney de Noël
manque d’inspiration
« Avalonia, l’étrange voyage » n’est diffusé
en France que sur la plate­forme Disney+
VOD
O tage des négociations
entre Disney et les insti­
tutions françaises du
cinéma autour de la chronologie
des médias, Avalonia, l’étrange
voyage est arrivé en France le
23 décembre, directement sur la
plate­forme Disney+. Ce film de
Noël peut se prévaloir du premier
héros gay dans le catalogue de la
firme. Cette innovation s’ajoute
aux traditionnels savoir­faire et
bons sentiments qui font la
marque de fabrique du studio.
Manque l’inspiration.
Malgré son toponyme em­
prunté à la légende arthurienne,
Avalonia est une contrée bien
ordinaire. On y vit comme au
XIXe siècle, ou comme chez les
amish, faute de source d’énergie.
Décidé à franchir les montagnes
qui entourent le pays, l’explora­
teur Jaeger Clade entraîne dans sa
quête son fils Searcher, qui, au
sommet d’un glacier, découvre
une plante générant de l’élec­
tricité. Contre la volonté du pa­
triarche, le fils rebrousse chemin
et offre lumière, chauffage et cir­
culation automobile à sa patrie,
pendant que la trace de Jaeger se
perd dans les glaciers.
On reconnaîtra dans cette filia­
tion la relation entre la « Greatest
culture | 19
calligraphie réapparaît sur des
œuvres qui tordent les codes de la
culture classique sans rompre
avec elle. Wu Guanzhong (1919­
2010) a une jolie formule pour
évoquer cette tendance : « Ne pas
couper le fil du cerf­volant. » p
sylvie kerviel
L’Encre en mouvement.
Une histoire de la peinture
chinoise au XXe siècle. Musée
Cernuschi, 7, avenue Vélasquez,
Paris 8e. Jusqu’au 5 mars 2023,
du mardi au dimanche,
de 10 heures à 18 heures.
Entrée de 8 € à 10 €.
Generation » américaine (qui a
vécu la seconde guerre mondiale)
et les boomers, entre l’héroïsme
et le progrès technologique. Ne
manquaient que les générations
X, Y, Z et alpha, ici représentées
par Ethan Clade, le fils de
Searcher, adolescent rêveur, épris
d’un sympathique voisin. Ethan
se fait le passager clandestin
d’une nouvelle expédition dans
un monde souterrain aux formes
et aux couleurs psychédéliques.
Plutôt que de s’abandonner à la
rêverie qu’autoriseraient ces
inventions graphiques, le scé­
nariste Qui Nguyen préfère assi­
gner un programme pédagogi­
que chargé à ses personnages,
incluant entre autres, l’accepta­
tion des différences, la conscience
de l’interconnexion des êtres
vivants en un environnement
commun, la remise en question
des représentations masculines.
Ce qui passerait comme une lettre
à la poste si ces bonnes intentions
étaient emportées par un mouve­
ment dramatique convaincant.
Avalonia n’est fait que de péri­
péties convenues et de faux sus­
pense, en partie rachetés par une
jolie révélation finale. p
thomas sotinel
Film d’animation américain de
Don Hall et Qui Nguyen (1 h 42).
20 | télévision
Dans les nuits enfiévrées et mythiques du Studio 54
Un documentaire revient sur l’histoire fulgurante du club new­yorkais, avec le témoignage inédit de son cofondateur
OCS CITY
JEUDI 29 - 21 HEURES
DOCUMENTAIRE
L
e Studio 54 est devenu,
après sa brève existence
de trente­trois mois, l’ob­
jet d’un tel culte que,
même sans y avoir jamais mis
les pieds, on jurerait connaître
le hall d’entrée aux miroirs,
la salle aux éclairages psychédéli­
ques, la vaste piste de danse (où
disco, sueur et déhanchements
étaient les maîtres mots) et le sul­
fureux balcon (ouvert à tous
les vices et délices) de l’ancien
théâtre de Broadway où la boîte
de nuit ouvrit ses portes,
le 26 avril 1977.
Construite en 1927, au coin de la
VIIIe Avenue et de la 54e Rue,
la salle accueille d’abord la
San Carlo Opera Company, fon­
dée par un imprésario italo­amé­
ricain, qui y présente des ouvra­
ges lyriques classiques. Après
la faillite de la compagnie, elle ac­
cueille les activités du Federal
Music Project, une émanation
du New Deal en faveur de la musi­
que classique et traditionnelle.
En 1943, le théâtre est occupé
par la chaîne de radio CBS, qui,
à partir de 1949, y tourne des
émissions de télévision légendai­
res, comme « What’s My Line ? »
ou « The Jack Benny Program ».
Le lieu s’appelle alors Studio 52,
en vertu d’une règle qui veut que
CBS donne un numéro à ses stu­
dios au fur et à mesure de leur af­
fectation. En 1976, la chaîne
concentre ses activités télévisées
au Ed Sullivan Theater voisin :
c’est là que, depuis 1993, est filmé
« The Late Show », animé par Da­
vid Letterman, puis, depuis 2015,
par Stephen Colbert.
Carnet d’adresses fourni
La disponibilité du bâtiment,
laissé dans un état décrépit, attire
l’attention de deux jeunes hom­
mes qui se connaissent depuis
toujours : Steve Rubell (1943­1989)
et Ian Schrager (né en 1946). Le se­
cond, avocat, a aidé le premier à se
remettre de ses premières aven­
tures malheureuses dans la res­
tauration. Ils ont tous les deux en­
vie de faire de l’argent, sentent
l’époque comme peu et décident
d’installer dans les lieux, qu’ils
achètent avec l’aide d’un parte­
naire financier, ce qui se veut être
GRILLE N° 22 - 302
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V à la dérive. IX. La même pour tout le
VI
VII
VIII
IX
X le bide. 4. Colorierai comme un arc.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 22 - 301
HORIZONTALEMENT I. Législatives. II. Obèle. Nubile. III. Gunitage. Van.
IV. Olt. Tiennent. V. Glènes. Tu. Ci. VI. Ri. Ores. Eden. VII. Item. Sot. Ire.
VIII. Pitas. Lime. IX. Hordes. Autel. X. Enée. Pantelé.
VERTICALEMENT 1. Logogriphe. 2. Ebullition. 3. Gente. Etre. 4. Ili. No-
made. 5. Setter. Se. 6. Aisés. Sp. 7. Ange. Sol. 8. Tuent. Tian. 9. Ib. Nue.
Mut. 10. Vive. Diète. 11. Elancer. El. 12. Sentinelle.
Liza Minnelli, Bianca Jagger et Andy Warhol, au Studio 54, en 1978, à New York. ADAM SCULL VIA NEWSCOM/OCS CITY
la plus grande et bluffante boîte
de nuit au monde.
Pour entrer,
Des techniciens spécialisés il faut être
des métiers du théâtre dotent
le nouvellement nommé Stu­
une célébrité
dio 54 d’équipements jamais vus (mais bien
ailleurs. Une attachée de presse
au carnet d’adresses fourni aide
habillée, sinon…),
à faire le buzz. Pas moins de ou « intéressant »,
8 000 invitations sont lancées à
travers le monde pour la soirée
c’est-à-dire
inaugurale, conviant le gratin, beau et sexy
les vedettes de l’underground, les
gays, la presse à potins et les papa­
razzis : la réputation du lieu est Le Studio 54 croule vite sous l’ar­
faite du jour au lendemain. gent liquide. Pris par l’ivresse
Pour y entrer, il faut être une cé­ de la gagne, les nouveaux pro­
lébrité (mais bien habillée, si­ priétaires en mettent beaucoup
non…), ou « intéressant » – c’est­à­ de côté, remisent des sacs de
dire beau et sexy. Pendant les quel­ billets de banque dans un faux
que trois années d’existence du plafond, gardent leur drogue
Studio 54, beaucoup resteront à la au coffre­fort et au sous­sol, jus­
porte, attendant le verdict de Steve qu’au jour où le FBI fait une des­
Rubell, qui désignait lui­même les cente et où Rubell et Schrager
élus. Une fois admis, tout était per­ sont, entre autres chefs d’accusa­
mis : alcool coulant à flots versé tion, convaincus de détourne­
par des serveurs simplement vê­ ment massif de fonds.
tus d’un minishort, sexe et drogue Avant d’être incarcérés (Rubell
autorisés, voire encouragés… et Schrager feront un an de pri­
HORIZONTALEMENT
I. Avec elle, tout marche à la baguette.
II. Choc entre deux bâtiments. Du lin
à démêler. III. Compositeur italien
contemporain. Organes génitaux fé-
7 8 9 10 11 12
minins. IV. Belles manières dans tous
les domaines. Enzyme. V. Font
des haies odorantes. Belle Citroën.
VI. Gardera pour lui. Douce amère au
pub. Démonstratif. VII. Nous entraî-
nait dans une mélancolie profonde.
Divinité de la nature. VIII. Double
tout. Venu d’Ephèse ou de Milet. Parti
monde. Dix à la City. Poison à éva-
cuer. X. Transmissions pleines d’ef-
fets et de titres.
VERTICALEMENT
1. Pratique pour gagner un peu de
place. 2. Déviation optique et de bon
sens. 3. Pour partager ses nuits. Dans
5. Tokyo avant Tokyo. Pas grands et
mal foutus. 6. Possessif. Cube chiffré.
La reine morte. 7. Sillonne l’Europe.
Entreprise des marais. 8. Bonne for-
tune d’autrefois. Défait à Appomat-
tox. 9. Protège la couturière. Belle à
croquer. 10. Belle de Turquie. Grande
voie. 11. Les Vierges sont britan-
niques et états-uniennes. Porté par
Hugues et Louis XVI. 12. Préparés
pour récolter plus tard.
son), les deux comparses organi­
sent une fiesta gigantesque : dans
la nuit du 2 au 3 février 1980, Liza
Minnelli, une habituée des lieux,
et Diana Ross se produisent de­
vant un parterre de choix. Ce sera
le dernier feu du Studio 54, qui
ne se remettra pas de l’absence
de ses deux créateurs.
Amitié profonde
Rubell et Schrager se réinventent
bientôt en hôteliers, lançant à
New York, en 1984, le Morgans,
dont la décoration est confiée
à Andrée Putman. Après la mort
de Steve Rubell, en 1989, des sui­
tes du sida, Ian Schrager conti­
nuera seul l’aventure, devenant
le magnat des hôtels­boutiques
branchés et festifs, collaborant
souvent avec Philippe Starck.
En 1998, le film Studio 54,
de Mark Christopher, avait remis
au premier plan l’histoire et la to­
pographie des lieux à travers
le cas d’un jeune serveur (Ryan
Phillippe) remarqué par Steve Ru­
bell (incarné par Mike Myers).
SUDOKU
N°22­302
2 3
8 1
1 6
3 8
6 5
8 9 2
2 4
7 5
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
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La même année, le documentaire
Behind the Music. Studio 54, de Jo­
nathan Brandeis, retraçait l’his­
toire fulgurante du club.
Le film documentaire Studio 54
(2018), de Matt Tyrnauer, fait ap­
pel à de nombreux témoins et ar­
chives, parfois vus ailleurs. Mais
il apporte une pierre de taille iné­
dite : la participation active de Ian
Schrager, qui n’avait jamais publi­
quement raconté l’aventure et les
mésaventures du Studio 54, aussi
discret, invisible et hétérosexuel
que Rubell était extraverti, omni­
présent et homosexuel.
Son point de vue et les informa­
tions qu’il fournit sont capitaux,
et l’on est touché de voir à quel
point l’amitié profonde entre
les deux hommes était encore vi­
vace dans le cœur de Schrager,
près de trente ans après la dispari­
tion de son ami des bons et des
mauvais jours. p
renaud machart
Studio 54, documentaire de Matt
Tyrnauer (EU, 2018, 95 min).
1 6 8 5 3 2
7 3 2 6 9 4
9 4 5 1 7 8
8 4 7 6 2 8 9 1
8 2 3 7 5 1
5 5 1 9 3 4 6 2
6 5 4 9 2 7
3 8 7 4 1 5
2 9 1 8 6 3
Difficile
4 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
4 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
7 3 seule fois par ligne,
par colonne et par
6 carré de neuf cases.
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
NOTRE
SÉLECTION
J E UD I 29 D ÉC E MBRE
Canal+ séries
Désordres
21.00 Florence Foresti a réussi
son coup, avec sa première série
très autobiographique, qui mêle
la drôlerie à des moments
où l’angoisse, les crises de panique
et la dépression pointent.
TV5 Monde
Jean-Michel Basquiat,
l’Afrique au cœur
21.00 En 1986, à l’occasion
d’une exposition organisée par
le Centre culturel français d’Abidjan,
Jean-Michel Basquiat (1960-1988) se
rend en Afrique pour la première fois,
en quête d’un renouveau puisé
aux sources africaines.
Mezzo Live HD
Bruce Liu : récital Chopin
21.00 « Une précision, une élégance
et un raffinement qui mettent
en joie l’amateur de beau piano et
d’émotions fortes », a écrit du pianiste
canadien le critique musical Alain
Lompech. Ce concert permet de
l’entendre dans un beau programme.
LCP
Auguste Escoffier
ou la naissance
de la gastronomie moderne
22.00 Ce documentaire (2019)
d’Olivier Julien s’intéresse au grand
chef (1846-1935), qui, en poète
autant qu’en technicien, inventa la
grammaire de la cuisine moderne et
organisa le principe toujours valide
des brigades à l’office. Sans oublier
son rôle dans la cuisine de palace.
TCM Cinéma
La Nuit de l’iguane
22.55 Grand classique à la moiteur
sulfureuse, ce film de John Huston
sorti en 1964 est une adaptation
de la pièce (1961) de Tennessee
Williams. Distribution affriolante
réunissant Richard Burton,
en prêtre aux abois, Deborah Kerr
et Ava Gardner – pas moins.
Polar+
Le Crime de l’Orient-Express
23.15 Son remake, par Kenneth
Branagh, en 2017, n’a pas fait
d’ombre à l’adaptation du livre
d’Agatha Christie au cinéma par
Sidney Lumet, en 1974 (avec une
distribution renversante, dont
l’énigmatique et inquiétant Poirot
d’Albert Finney, et la musique
de Richard Rodney Bennett).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
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8 7
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
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Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
JOAILLERIE
L
e jour où il a dû dénicher
une bague de fiançailles,
Alexis Blez, alors salarié
de la multinationale fi­
nancière J.P. Morgan, s’est rendu
compte que sa quête s’apparen­
tait à « un parcours du combat­
tant ». Les grands joailliers ali­
gnaient des tarifs prohibitifs. Les
jeunes marques l’inspiraient peu.
Les antiquaires semblaient par­
fois poussiéreux. « Je voulais le
plus beau bijou pour un budget
honnête et aucun site de référence
ne pouvait m’aiguiller. »
Alexis Blez ressort de sa recher­
che avec une ambition : « Devenir
la référence de la joaillerie de se­
conde main partout dans le
monde », dit­il sans ambages.
58 Facettes, le site qu’il a lancé
en 2020 avec son associé, Eric
Thevenet, rassemble aujourd’hui
plus de 15 000 bijoux à la revente,
de la période Napoléon III à l’épo­
que contemporaine, issus des cof­
fres de plus de 150 professionnels
à travers la France et l’Italie. En un
clic, selon qu’elle ait le porte­
feuille plus ou moins bien accro­
ché, une clientèle favorisée peut y
racheter une alliance Dinh Van
aux bords carrés (450 euros), des
boucles d’oreilles Pomellato en
quartz rose (3500 euros), un col­
lier non signé tout en volutes de
diamants et tourmalines vertes
(59 000 euros)…
Dans le paysage « seconde
main », 58 Facettes n’est pas seul.
Depuis trois ans, des concurrents
comme Castafiore, Caillou Paris,
RivLuxe ou Omneque ont
émergé, en France ou à l’étranger.
Tous ont flairé, bien sûr, d’appétis­
santes marges de croissance, puis­
que les ventes de biens de luxe
vintage devraient progresser de
10 % à 15 % par an jusqu’en 2030,
selon le cabinet McKinsey. Mais
aussi la démocratisation globale
de la seconde main. « Si un site
comme Selency parvient à reven­
dre avec succès mobilier et décora­
tion, pourquoi ne pas le faire avec
des bijoux ? », ont pensé les fonda­
trices de Castafiore, Charlotte Rey
et Anne Borde.
Services compris
Lorsque le précurseur Collector
Square (qui revend aussi horloge­
rie et maroquinerie) s’est lancé
en 2013, « offrir un bijou qui n’était
pas neuf était dévalorisé, sur le
thème : je ne vais pas quand même
pas lui dire que c’est de la seconde
main ! Désormais, c’est assumé, re­
vendiqué, en cadeau de Noël et
d’anniversaire, et de plus en plus,
lors de fiançailles », observe sa co­
fondatrice Osanna Orlowski, qui
dit écouler 280 à 350 pièces par
mois, pour un prix moyen qui tu­
toie les 3000 euros.
« Tout consommateur songe
maintenant à limiter l’impact de
son comportement, ajoute Alexis
Blez. Or en joaillerie, la durabilité
est maximale : les gemmes ont des
centaines de millions d’années et
l’or n’exige, au pire, qu’un rapide
Et si les bijoux étaient éternels ? Alliance Dinh Van, bague
panthère Cartier, broche Napoléon III… La joaillerie d’occasion n’a
jamais eu une telle cote. Et le boom des nouvelles plates­formes
spécialisées incite les acteurs historiques à s’y mettre
Bague semi­articulée Cartier Panthere Lakarda en or blanc,
diamants et émeraudes, vendue par Collector Square.
COLLECTOR SQUARE
polissage. » Racheter, revendre :
les clients échangent leurs trésors
en se décomplexant, rassurés par
l’or et les pierres, à la valeur moins
volatile que d’autres matériaux,
et alléchés par des prix 10 % à 50 %
en deçà du neuf.
Une attitude que les maisons de
vente aux enchères convoitaient
déjà. Mais chez elles, l’envolée
des prix et le décorum parfois in­
hibant peut amoindrir le pouvoir
d’attraction. « Un jour, une amie
m’a demandé si je l’autorisais à
m’accompagner chez Drouot,
croyant que cette maison fonc­
tionnait comme un club exclusif
et que je possédais un sésame
pour lui en ouvrir les portes. Le
grand public reste intimidé par les
maisons d’enchères, pourtant ac­
cessibles à tous », souligne Anne­
Lise Delsol, une ex­attachée de
presse qui a fondé Caillou Paris il
y a trois ans.
Sa plate­forme agglomère des
bijoux non signés et dont les prix
n’excèdent jamais 4000 euros,
fabriqués entre la fin du
XVIIIe siècle et les années 1970.
« Au­delà, je suis refroidie par le
côté bling et le manque de fi­
nesse », assume­t­elle, en mon­
trant quelques trouvailles,
La seconde main
fait son chemin
comme des créoles fin XIXe siè­
cle, des boucles « dormeuses » en
argent et grenats, diverses cheva­
lières, ou une bague dite « de ha­
rem », composée de plusieurs an­
neaux piqués de chrysoprases.
Pour les localiser, elle a pactisé
avec quelques particuliers et une
quinzaine de boutiques, de Paris à
Bordeaux, de Marseille à Tours,
comme le font ses concurrents.
« Nos partenaires n’ont pas de site
à eux et sont heureux de trouver
des relais légitimes comme nous
pour rendre plus accessible leur of­
fre et trouver un nouveau public »,
assure Anne Borde, de Castafiore,
qui collabore avec 25 profession­
nels pour environ 3000 bijoux
disponibles.
Quand les uns procurent des
pièces de seconde main de qua­
« Le regard
des gens sur
le bijou vintage
ou ancien s’affine
et s’attendrit »
ANNE-LISE DELSOL
créatrice de Caillou Paris
Pendants d’oreilles diamants Servin, fin du XIXe siècle,
en or 18 carats et argent, vendus par Caillou Paris.
CAILLOU PARIS
lité, les autres leur confèrent, au­
delà d’une visibilité et contre une
commission finale qui oscille en­
tre 15 % et 30 %, des services. Les
nouvelles plates­formes font ainsi
parfois réexpertiser les articles et
dressent patiemment des des­
criptifs plus étoffés qui détaillent
« poinçons, signatures, matières,
pureté du diamant, traces
d’usure », liste Doan Biraud, direc­
trice marketing chez 58 Facettes.
La place Vendôme se défend
De plus, elles photographient les
bijoux et les mettent en scène
pour les rendre désirables. Une
fois par mois, les associées de Cas­
tafiore organisent un shooting
dans le vaste appartement de
l’une d’entre elles, à Paris, comme
ce lundi de fin novembre. Sur la
grande table du salon s’épar­
pillent bagues Trinity de Cartier,
montre à secret, écrins Tiffany, tu­
bes de rouge à lèvres, clémentines
et canettes de Coca. La jeune pho­
tographe Anne Wohlgemuth sai­
sit une broche camée du XIXe siè­
cle piquée sur la chemise en jean
d’une jeune mannequin, des bou­
cles en corail Fred aux oreilles, ou
un double rang de perles par­des­
sus un simple t­shirt gris. « On
styles | 21
veut désacraliser ces bijoux afin
que le visiteur comprenne qu’on
peut s’en emparer facilement »,
plaide Charlotte Rey, une an­
cienne de Cartier.
Autre valeur ajoutée que les pla­
tes­formes garantissent à leurs
partenaires professionnels ou
particuliers : l’organisation d’une
rencontre lorsqu’il s’agit de faire
essayer le produit à l’acheteur po­
tentiel. « Jusqu’à 2000 euros ou
2500 euros, l’e­commerce fonc­
tionne. Au­delà, les clients deman­
dent plus de renseignements et
veulent s’assurer un rendez­vous,
physique ou téléphonique », cons­
tate Amanda Zuydervelt, la fonda­
trice d’Omneque, une plate­forme
britannique qui vend depuis 2020
un éventail de 500 bijoux envi­
ron, signés ou non. Chez Omne­
que comme ailleurs, on trouve, au
summum du convoité, des pièces
frappées par la griffe rassurante
de Cartier et de Van Cleef & Arpels.
Est­ce d’ailleurs parce qu’ils sa­
vent leurs créations passées à ce
point désirées que les deux mar­
ques du groupe Richemont se
mettent à communiquer plus vo­
lontiers sur leur offre de seconde
main ? Car, à mesure que s’éten­
dent les 58 Facettes, Castafiore et
Broche Scarabée Grenat
Napoléon III en métal
et or jaune, 18 carats,
vendue par 58 Facettes.
CHRISTOPHE BLEZ
autres, certaines maisons de la
place Vendôme réfléchissent au
meilleur positionnement à adop­
ter en défense.
Si Tiffany et Boucheron confir­
ment tous deux n’avoir à ce jour
pas investi le segment, Cartier
possède une collection « Tradi­
tion » où sont remis en vente des
bijoux d’antan « authentifiés et
restaurés dans leur splendeur ori­
ginelle », et Van Cleef & Arpels une
collection « Héritage ». « Nous
nous concentrons sur des bijoux
anciens mais faciles à porter, jus­
qu’aux années 1990, et dans une
large gamme de prix, de quelques
milliers à plusieurs millions
d’euros, décrit son directeur, Nico­
las Luchsinger. On les expertise, on
les nettoie mais on ne les polit pas,
sauf demande contraire, afin de
laisser la patine du temps qui fait
leur charme. »
« Risque de cannibalisation »
Pour autant, Cartier comme Van
Cleef & Arpels prennent soin de
sélectionner des bijoux difficiles
à trouver ailleurs et qui ne s’appa­
rentent pas à leurs nouveautés ou
à leurs classiques. « S’investir dans
la revente permet aux maisons de
mieux maîtriser le prix, de lutter
contre la contrefaçon et de garder
le contrôle sur le storytelling. Mais
à partir du moment où la première
main et la seconde main sont trop
similaires, vous décevez à la fois les
clients originels et les fraîchement
convertis », décrypte Thomai Ser­
dari, directrice du master Mode
& Luxe à la Stern University of Bu­
siness de New York. Autrement
dit, à trop vanter le déjà­porté, le
risque est de démonétiser le flam­
bant neuf.
« Ce risque de cannibalisation
existe mais est faible », nuance
toutefois Marie Poniatowski, la
fondatrice du label Stone Paris,
qui vient de lancer sa plate­forme
de revente, Stone Vintage, avec
des rabais de 25 % à 40 % et une
commission de 30 %. « Dès les pre­
mières heures de mise en ligne,
cela a fonctionné, et sans que cela
ne soit exactement la même clien­
tèle. Chez nous, seuls 12 % des ache­
teurs de seconde main ont aussi
acquis du neuf. »
Les nouvelles plates­formes, el­
les, observent ces efforts sans
crainte et croient en leur avenir.
Castafiore et 58 Facettes conti­
nuent de lever des fonds pour
muscler leurs finances, investis­
sent dans le référencement en li­
gne, parlent recrutement et inter­
nationalisation. « Le regard des
gens sur le bijou vintage ou ancien
s’affine et s’attendrit », se réjouit
Anne­Lise Delsol, de Caillou Pa­
ris. A son poignet droit, un brace­
let de seconde main, jonc en or
jaune bosselé en plusieurs en­
droits, lui vaut souvent les com­
pliments de clients. Personne ne
peut deviner que son relief n’est,
en vérité, nullement dû à un mar­
telage artisanal. C’est simple­
ment qu’il a été heurté et cabossé
au cours des années. p
valentin pérez
 IDÉES
22 |
Jean-Loïc Le Quellec
Le mythe originel
de « l’émergence
primordiale » explique
l’art des cavernes
Qu’est­ce qui a
conduit les hommes
préhistoriques
à se risquer au fond
des grottes pour
en peindre les parois ?
Le préhistorien tente,
depuis des années,
d’élucider la question
ENTRETIEN
C
omme de nombreux cher­
cheurs et observateurs depuis
le XIXe siècle, Jean­Loïc Le Quel­
lec est fasciné par l’interpréta­
tion de l’art des cavernes. Mais
contrairement à ses prédéces­
seurs, le mythologue et préhistorien dis­
pose des technologies numériques pour
étudier les premiers mythes de l’huma­
nité. Son dernier livre, La Caverne origi­
nelle. Art, mythes et premières humanités
(La Découverte, 888 pages, 35 euros) se
présente comme une somme de toute la
littérature sur le sujet. Il tente de la dépas­
ser avec une thèse nouvelle.
Quelle énigme avez­vous cherché à élu­
cider dans cet ouvrage massif, qui mar­
que l’aboutissement de vos recherches
sur la mythologie et l’art pariétal ?
Une interrogation sur la nature de la
mythologie qui aurait pu motiver l’art
des cavernes me trottait dans la tête de­
puis quelques années. Ce dernier consti­
tue une branche fascinante de l’art
préhistorique, qui comprend aussi l’art
rupestre de plein air (sur des rochers) et
l’art mobilier (sur des supports qu’on
peut déplacer, telles les statuettes).
L’art dit pariétal, pratiqué sur les parois
des grottes, répond à des enjeux beau­
coup plus énigmatiques que les autres,
puisque sa pratique implique des périls et
des difficultés immenses : il faut s’enfon­
cer profondément dans des cavités en se
courbant et en rampant, au risque de
glisser dans des gouffres, puis dessiner en
étant très peu éclairé. Une question me
taraudait : pourquoi donc aller s’embêter
à dessiner dans une grotte quand on peut
le faire ailleurs ?
Que ces artistes du paléolithique
ont­ils représenté ?
Au total, on recense environ 20 000
images dans les grottes. L’art pariétal se
compose de deux catégories : une moitié
de ces dessins, dont la signification nous
échappe (comme des traits et des points),
sont qualifiés de « signes » ; une autre
moitié se compose d’images identi­
fiables. Parmi ces dernières, l’immense
majorité représente des animaux, qui
sont le plus souvent des bovidés et des
chevaux. Pour le reste, il existe aussi des
dessins touchant aux représentations
humaines, par exemple des mains et des
vulves. Des pans entiers du réel sont en
revanche absents, en particulier les
végétaux et les paysages.
Contrairement à beaucoup, je ne crois
pas que ces images aient une fonction
narrative destinée à raconter des mythes.
Sur ces milliers de dessins connus, seule
une poignée semble représenter une
scène : c’est trop rare, et la plupart du
temps, les figures flottent au milieu de
nulle part, se superposent, s’entrecroi­
sent. Rien ne semble illustrer un récit. Or,
ces Homo sapiens du paléolithique [pé­
riode englobant toute l’histoire humaine
jusqu’au néolithique, qui commence il y a
environ dix mille ans] avaient les mêmes
capacités cognitives que nous et le talent
déployé dans l’art pariétal témoigne de
capacités de création impressionnantes :
ils avaient donc les moyens de figurer ces
éléments absents s’ils l’avaient voulu.
Pour mener votre enquête, vous
adoptez une démarche scientifique
nouvelle, basée sur l’informatique.
En quoi cette approche permet­elle
des avancées inédites ?
L’interprétation de l’art pariétal occupe
des bibliothèques entières. L’essentiel de
mon ouvrage dépouille cette littérature
pour l’examiner de façon critique. Si tout
n’est pas à jeter dans ces analyses, elles se
rejoignent sur un élément : elles expli­
quent l’art pariétal par autre chose que
lui­même – que ce soit le chamanisme,
l’art pour l’art, une religion préhistori­
que… Mais encore faut­il prouver que ces
explications ne sont pas anachroniques,
que le chamanisme, la quête d’esthétisme
ou même ce qu’on pourrait appeler une
religion préhistorique existaient bel et
bien à cette époque.
Je me suis donc mis en tête de trouver
une réponse qui éviterait tout anachro­
nisme, en partant d’une base à présent
admise par les spécialistes : il est acquis
que l’art pariétal a quelque chose à voir
avec la mythologie. S’il ne raconte pas des
mythes, il semble bien avoir une motiva­
tion mythologique et nous en dit quelque
chose. Il me fallait donc trouver au moins
un mythe qui ait un rapport avec l’art
pariétal et qui soit assez important, voire
vital, pour justifier les risques que ré­
clame l’ornement d’une grotte.
Mais les mythes ne se fossilisent pas !
Ma démarche a donc consisté à trouver
une autre machine à remonter le temps
que l’archéologie. Il s’agit de la mytholo­
gie comparée, et plus précisément l’aréo­
logie (soit l’étude des aires géographi­
ques de répartition des mythes) et la
phylomémétique.
En quoi cela consiste­t­il ?
Cette dernière approche applique aux
mythes les méthodes de la phylogéné­
tique, discipline qui se sert de logiciels
pour recréer l’arbre de l’évolution du
vivant à partir de données génétiques. Il
faut donc pouvoir coder des données :
pour cela, les mythes sont découpés en
« mythèmes », c’est­à­dire en unités de
récit minimales, comme des atomes. J’ai
constitué ma propre base de données,
qui comprend plusieurs milliers de
mythes ainsi découpés et codés, permet­
tant de comparer leur répartition à
grande échelle. Ces technologies chan­
gent totalement la qualité des réponses
qu’on peut apporter à des questions aussi
énormes que l’origine des mythes : c’est
un bouleversement qui permet de passer
du stade de la conviction à celui de la
démonstration.
Votre livre débouche sur une
thèse majeure : l’art pariétal
serait motivé par un mythe
des origines universel, que vous
identifiez comme étant celui
de « l’émergence primordiale ».
Comment avez­vous établi
cette conviction ?
Partant du consensus que l’art des ca­
vernes a un rapport avec la mythologie,
j’ai examiné les candidats répondant
aux critères suivants : évoquer une
LA CAVERNE  grotte ou une cavité, parler d’animaux et
ORIGINELLE.  un peu d’humains monstrueux ou « ani­
ART, MYTHES  malisés », puisqu’ils sont souvent repré­
ET PREMIÈRES  sentés ainsi. Ces paramètres convergent
HUMANITÉS vers un mythe, celui dit de « l’émergence
Jean-Loïc primordiale », évoqué aux quatre coins
Le Quellec, du monde dans de nombreux récits
La Découverte, parvenus jusqu’à nous.
888 pages, 35 euros Simplifié à l’extrême, ce mythe origi­
nel soutient qu’il a existé un temps my­
thique où humains et animaux vivaient
sous terre ; un jour, une partie d’entre
eux est sortie à l’air libre et s’est disper­
sée pour peupler la planète, tandis que le
reste est demeuré dans le sous­sol pour
des raisons qui diffèrent selon les récits.
La grotte est bien présente : elle consti­
tue un passage entre l’extérieur et le
JE ME SUIS MIS souterrain, mettant en rapport des ani­
EN TÊTE DE TROUVER maux et des humains. Les représen­
tations humaines, peu réalistes compa­
UNE RÉPONSE rées aux animaux et souvent bizarres
– beaucoup ont des têtes animales –,
QUI ÉVITERAIT TOUT collent aussi, car de nombreuses varian­
tes du mythe évoquent des êtres initia­
ANACHRONISME lement animalisés, qui ont acquis des
EN PARTANT D’UNE caractères humains une fois à l’exté­
rieur : la sortie de la terre s’accompagne
BASE ADMISE : L’ART souvent d’une métamorphose.
Une autre série de convergences se re­
PARIÉTAL A QUELQUE trouve dans des rituels répertoriés
CHOSE À VOIR AVEC autour de certaines variantes du mythe,
effectués à l’intérieur de « grottes de
LA MYTHOLOGIE l’émergence », et passant parfois par le
dessin d’animaux sur les parois. A la dif­
férence de notre culture occidentale qui
considère que la création du monde a eu
lieu une fois pour toutes, de nombreux
peuples conçoivent la création comme
perpétuelle. Son arrêt marquerait donc
la fin du monde. C’est notamment le cas
pour certains peuples de chasseurs : la
raréfaction du gibier est ainsi attribuée à
une création qui s’étiole. Il faut donc
réactiver la création d’animaux, notam­
ment en les dessinant, et c’est justement
la fonction de ces rituels.
L’émergence primordiale, qui par son
statut de mythe d’origine est forcément
le plus important des récits, est donc un
récit assez puissant pour expliquer la
motivation d’artistes paléolithiques à
prendre le risque d’aller dessiner dans
des cavernes : l’enjeu était tout simple­
ment que la vie continue.
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
YANN LEGENDRE
Quand et comment
ce mythe s’est­il propagé ?
Ma base de données en comptabilise
749 occurrences, réparties dans le monde
entier : ce mythe des origines, de loin le
plus souvent attesté dans le monde, est
l’un des rares à être universel. Et il résiste
au temps, bien qu’il y ait des endroits où
on ne l’a pas recueilli, notamment dans
des territoires recouverts par une nappe
chrétienne ou islamique.
On pourrait opposer que tout cela pro­
cède d’une coïncidence, mais je n’y crois
pas : ce peut être le cas pour des images
basiques, qui tombent sous le sens, mais
pas pour des récits complexes de cette
nature. Un tel mythe nécessite des heures
pour être raconté, et fourmille de détails
parfois très bizarres que l’on retrouve chez
des groupes humains n’ayant jamais été
en contact. La seule hypothèse acceptable
est donc que ces cultures aient hérité de ce
récit à une époque antérieure. Les analy­
ses informatiques permettent de montrer
que le point de départ de ce mythe se situe
au paléolithique en Afrique, certainement
en Afrique australe. Il aurait ainsi été
colporté sur les continents au gré des
migrations humaines, après la sortie
d’Afrique, il y a environ cent mille ans.
Pourquoi récusez­vous la notion
de religion préhistorique, tout
en jugeant « très probable » que
la mythologie inspirant l’art pariétal
relève de l’animisme ?
Un raccourci voudrait que la mythologie
induise une religion. Or, un mythe n’est
qu’un récit particulier dont la vocation est
de donner un sens à l’état du monde en
l’expliquant comme la conséquence d’un
événement unique. Même lorsque ce
mythe parle de la création du monde ou
de l’humanité, cela ne suffit pas à en faire
une religion, laquelle implique des rituels,
des lieux dédiés à leur accomplissement
et des spécialistes pour les diriger.
Pour ma part, j’avance que la mythologie
motivant l’art pariétal était probablement
de type animiste, c’est­à­dire nourrie par
une conception selon laquelle les êtres
humains et les animaux procèdent d’une
continuité intérieure, ontologique, par­
delà leur aspect extérieur divergent – ce
qui diffère de notre culture occidentale
« naturaliste », considérant animaux et
humains comme radicalement différents.
Cette piste, qui reste une hypothèse car il
est difficile d’en faire la démonstration,
m’est inspirée par une série d’indices,
dont des traitements spéciaux réservés
aux ossements des grands gibiers, parti­
culièrement aux crânes, signalant une
attention spéciale pour cette partie du
corps où siège l’intentionnalité. p
propos recueills par
youness bousenna
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022 idées | 23

Eric Corbaux et Gwenola Joly-Coz Face aux violences

intrafamiliales, la justice doit changer de méthode
La lutte contre ce phénomène « massif » et sonnes, auteurs repérés comme
dangereux et toxiques pour leur
« complexe » passe par l’usage de nouveaux femme, leurs enfants, leur famille
outils, notamment la création d’un juge ou leurs collectifs sociaux, voisi­
nage et entreprise. Cesser de rai­
spécialisé sur la question dans chaque tribunal, sonner en flux de saisines, mais
estiment le procureur général et la première identifier un nombre de situations
particulièrement difficiles, terri­
présidente de la cour d’appel de Poitiers toire par territoire. Cette façon de
travailler redonnera du sens au mé­
tier de juge, réclamé par la « tribune
tions chargées de leur protection et
l’animation collective de leur action.
Une occasion historique se pré­
sente avec les annonces exception­
nelles de recrutement, portées par le
CE QUI REND LA garde des sceaux. Il conviendra de
JUSTICE AVEUGLE, socler 164 postes de juge, ainsi que
des postes au parquet, avec cet objec­
C’EST L’INTERVENTION tif clair et annoncé. Il s’agira de réor­
ganiser le traitement de ce qui existe
DES MAGISTRATS, dans les tribunaux et d’orienter de

M
agistrats depuis trente ans,
chefs de juridiction à de
nombreuses reprises, nous
menons depuis des années
des politiques judiciaires innovan­
tes de lutte contre les violences in­
trafamiliales (VIF) dans les tribu­
naux comme dans les cours d’ap­
pel. Nous avons vu la magistrature
s’emparer de cette question socié­
tale et de ses développements juri­
diques. Mieux se former aux con­
cepts : emprise, psycho­trauma,
sur­meurtre, oubli traumatique,
contrôle coercitif. Mais aussi s’inter­
roger sur les principes : la présomp­
tion d’innocence, la prescription, le
régime de la preuve et les classe­
ments sans suite.
Engagés, les parquets consacrent
une partie importante de leur
permanence aux violences in­
trafamiliales, les tribunaux cor­
rectionnels condamnent tous les
jours en comparution immédiate,
les juges d’application des peines
suivent des centaines d’auteurs et
préviennent les victimes de leur
sortie. Créatifs, lorsqu’ils s’empa­
rent des lois brouillant les frontiè­
res entre le civil et le pénal, de­
mandant au juge aux affaires fa­
miliales de se prononcer sur des
violences vraisemblables et au
juge pénal de statuer sur l’autorité
parentale, les juges s’adaptent.
Actifs, les tribunaux ont pu em­
baucher des agents contractuels
spécifiques et mettre en place des
cellules de veille, des retours d’ex­
périence sur les féminicides, des
mécanismes de partage d’infor­
mation entre les juridictions, les
forces de l’ordre et les associations.
Pourtant, force est de constater,
cinq ans après #metoo et trois ans
après le Grenelle, que les résultats
ne sont pas à la hauteur de la mo­
bilisation collective : en 2022, 112
féminicides ont été recensés.
Le comité des Etats généraux de la
justice, en juillet, a titré son rapport
« Rendre justice aux citoyens ». Il
pense nécessaire de « redonner con­
fiance en la justice par l’ouverture de
l’institution et sa capacité à se re­
mettre en cause en dialoguant avec
la société et les pouvoirs publics ». La
lutte contre les violences intrafami­
liales est le terrain idéal pour cette
dialectique. Nous pensons qu’il faut
répondre à la demande sociale en
changeant de méthode et d’outil.
Nouveau périmètre
C’est d’abord la logique du traite­
ment judiciaire qu’il convient de r­
éinterpréter. Ce qui rend la justice
aveugle, c’est l’intervention des ma­
gistrats, saisis au civil et au pénal, au
fil des événements : divorce/juge
aux affaires familiales ; signalement
d’un enfant en danger/juge des en­
fants ; violences/juge pénal ; suivi
du condamné/juge d’application
des peines. Il s’agit de modifier ce
fonctionnement qui cloisonne les
compétences.
Pour être efficace, l’action judi­
ciaire doit être centrée sur les per­
des 3 000 » en novembre 2021 [ap­
pel paru dans « Le Monde » du 25 no­
vembre 2021 dans lequel plus de
3 000 magistrats dénonçaient une
approche « gestionnaire » de la jus­
tic e] . En permettant d’avoir le sen­
timent, non de constater l’impuis­
sance face au renouvellement des
faits, mais d’agir sur une réalité so­
ciale par une action pertinente.
Cette méthode nécessite un ac­
cord collectif sur la définition
d’un nouveau périmètre judi­
ciaire autour de la notion de situa­
tions familiales complexes et vio­
lentes ; la connaissance des hom­
mes violents sous forme d’un
fichier ; le traitement systématique
des auteurs, dans le cadre de sursis
probatoire, stages de sensibilisation
à la violence intrafamiliale, travail
d’intérêt général ou suivi par les
centres de prise en charge des
auteurs. La spécialisation judiciaire
est nécessaire. Les réalités sont dif­
fuses et complexes. Les conséquen­
ces, multiples et cachées. Nul juge
ne peut plus faire sans formation,
nulle juridiction sans spécialisation.
Le phénomène des violences est
massif, partout dans les villes et la
ruralité, les huis clos privés et l’es­
pace public. Il ne peut être traité
que par une justice de proximité.
Le maillage judiciaire territorial
français se révèle être un avantage :
164 tribunaux judiciaires, parfois
un par département, souvent
deux. Il ne faut pas prendre le ris­
que par une délocalisation régio­
nale d’éloigner géographiquement
SAISIS AU CIVIL
ET AU PÉNAL, AU FIL
DES ÉVÉNEMENTS
le juge des victimes comme des
auteurs. Ce ne sont pas de juridic­
tions spécialisées dont nous avons
besoin, mais d’une justice spéciali­
sée. C’est au sein de chaque tribu­
nal judiciaire qu’il faut implanter la
spécialisation, en nommant un
magistrat sur une nouvelle fonc­
tion à créer : le juge des VIF.
Occasion historique
Nouvel outil, il pourrait avoir trois
missions :
– coordonner l’activité des diffé­
rents juges. Avec pour objectif de
faire circuler l’information et de
procéder au repérage en coordina­
tion étroite avec le parquet, por­
teur des politiques pénales, qui
saura mettre en place en son sein
une spécialisation parallèle. Les
avocats, précieux connaisseurs des
situations, devront être associés ;
– traiter les dossiers d’un nou­
veau périmètre à créer (les situa­
tions familiales violentes et com­
plexes) en réunissant dans un
même portefeuille les cas qui,
pour l’instant, font l’objet de saisi­
nes distinctes sans que les diffé­
rents juges fassent le lien ;
– contrôler, en relation étroite
avec le parquet, le suivi des victi­
mes, par la supervision des associa­
manière volontariste des moyens.
Pour spécialisée qu’elle soit, cette
justice fonctionnera dans un cadre
procédural fondé sur la loi et un réfé­
rentiel déontologique adossé à l’im­
partialité. Mais l’impartialité n’est
pas l’indifférence. Demander au ma­
gistrat de se tenir à équidistance de
la victime et de l’auteur le met, par
cette interprétation diminuée de
son rôle de rééquilibrage social, dans
une situation de perte de la valeur de
son action et de la fierté de sa mis­
sion. Redonner confiance, c’est sus­
citer la considération des citoyennes
et des citoyens vis­à­vis d’une insti­
tution à leur service, en mouvement
sur un sujet d’intérêt majeur, ali­
menté par une conversation mon­
diale vive sur la question de l’égalité
entre les femmes et les hommes.
Aucune évolution ne se fait sans
remettre en cause les habitudes. La
lutte contre les violences faites aux
femmes réclame une modification
de l’organisation judiciaire. Il y aura
toujours des forces pour dire que ce
n’est pas possible. Nous pensons
qu’il faut le faire, non parce que c’est
aisé, mais parce que c’est nécessaire.
Il est temps. p
Eric Corbaux est procureur
général près la cour d’appel
de Poitiers ; Gwenola Joly-Coz
est première présidente
de la cour d’appel de Poitiers

Laurence Vichnievsky
La création d’une juridiction spéciale est une fausse bonne idée
La proposition de loi sur la mise en place de tribunaux des violences intrafamiliales, adoptée le 1er décembre par l’Assemblée nationale,
apporterait plus de complexité que de solutions, estime la députée (MoDem) du Puy­de­Dôme

L
e 1er décembre, à une voix
de majorité, l’Assemblée
nationale a adopté une
proposition de loi des Ré­
publicains, avec le soutien de la
Nouvelle Union populaire éco­
logique et sociale et celui du
Rassemblement national, et
malgré l’opposition des députés
de la majorité, visant à créer
une juridiction spécialisée aux
violences intrafamiliales. Cette
juridiction aurait vocation à
connaître des délits commis au
sein d’une même famille, soit
entre conjoints ou concubins,
soit sur la personne d’un enfant
ou d’un ascendant.
Une telle initiative peut paraî­
tre légitime. Ces violences – dont
sont toutefois exclus les crimes :
meurtres, en particulier les « fé­
minicides », coups mortels, viols
– présentent certaines spécifici­
tés : leur forte dimension psycho­
logique, leur caractère souvent
répétitif, associé à des situations
d’autorité ou de domination phy­
sique, l’absence en général de
connotation économique, de
mobile d’appropriation, comme
disent les criminologues.
Faut­il pour autant créer une
juridiction spécialisée, à l’instar
de ce qu’est actuellement la juri­
diction des mineurs, tribunal
pour enfants et juge des enfants,
au sein de chaque tribunal judi­
ciaire ? Ce n’est pas sûr. La spéci­
ficité de la juridiction des mi­
neurs, en matière pénale, est
fondée sur un critère à la fois
simple et objectif : la minorité de
l’auteur de l’infraction à la date
des faits. Ce critère, par sa nature
même, commande un traite­
ment différentiel des affaires.
Tel n’est pas le cas des violences
intrafamiliales : l’auteur peut
fort bien, y compris dans le
même épisode infractionnel, re­
lever simultanément des deux
types de délinquance.
De longs déplacements
Sur le plan de l’organisation judi­
ciaire, il est compliqué de créer
une juridiction au sein de cha­
que tribunal. Une telle réforme
ne manquerait pas d’alourdir la
gestion des magistrats comme
celle des greffiers : elle n’est ap­
pelée ni par la Conférence natio­
nale des présidents de tribunaux
judiciaires ni par celle des pre­
miers présidents de cour d’ap­
pel, qui n’ont même pas été con­
sultés. Les organisations profes­
sionnelles d’avocats et les
syndicats de magistrats s’y sont,
de leur côté, montrés hostiles.
Surtout, cette réforme éloigne­
rait, pour les mêmes raisons, la
justice des justiciables : il n’est
prévu « au moins » qu’un tribu­
nal des violences intrafamiliales
par cour d’appel, ce qui oblige­
CETTE RÉFORME
ÉLOIGNERAIT
LA JUSTICE DES
JUSTICIABLES AVEC
UN SEUL TRIBUNAL
DES VIOLENCES
INTRAFAMILIALES
PAR COUR D’APPEL
rait la majorité des victimes à de
longs déplacements, pour un
contentieux qui est, par défini­
tion, celui de l’intimité.
Et pour quels résultats atten­
dus ? Les socialistes du Sénat
comme les Républicains de
l’Assemblée pensent avoir
trouvé la pierre philosophale
pour réduire les féminicides par
une mesure qui, paradoxale­
ment, ne s’applique pas à ces
crimes. En Espagne, nous
dit­on, ceux­ci ont baissé depuis
qu’a été institué le tribunal aux
violences intrafamiliales, que la
proposition de loi tente de re­
produire dans notre législation
par un copier­coller.
Mais concomitance n’est pas
causalité. En France aussi, si l’on
compare le nombre moyen des
féminicides durant les cinq
premières années de la décen­
nie 2010 et celui recensé au
cours des cinq dernières années
(même si l’on exclut les statis­
tiques de 2020 en raison du
confinement), les chiffres sont
en régression au sein d’une po­
pulation pourtant en légère
croissance démographique.
En cette matière, l’essentiel des
progrès réalisés et de ceux qui
restent à accomplir réside en la
qualité de l’accueil que les fem­
mes victimes de violences peu­
vent trouver dans les services
de police et de gendarmerie lors­
qu’elles se décident – et c’est sou­
vent très difficile – à porter
plainte. Elles doivent être écou­
tées et surtout ensuite efficace­
ment protégées. A cet égard, les
policiers et les gendarmes ont
déjà réalisé sur le plan juridique
comme sur le plan humain d’in­
contestables progrès.
Une formation renforcée
Il faut continuer dans cette voie,
tout en ayant conscience que la
sécurité publique exige une ac­
tion dans tous les domaines, qui
ne saurait se limiter à la lutte
contre les violences faites aux
femmes. Je pense en particulier
aux violences faites aux enfants,
y compris par d’autres enfants,
et à la sensibilisation des per­
sonnels enseignants, éducatifs
et médico­sociaux à la nécessité
du signalement, même lorsqu’il
s’agit de simples suspicions.
Et la justice ? Elle a, bien en­
tendu, sa contribution à ap­
porter pour lutter contre ce type
de délinquance, qui touche tou­
tes les classes sociales et qui
heurte légitimement la sensi­
bilité des Français. Mais la
création d’un nouveau tribunal
n’est pas forcément la bonne
solution, elle paraît compor­
ter moins d’avantages que d’in­
convénients.
Il serait sans doute plus agile
de rechercher ces avantages par
une formation renforcée des ju­
ges et des procureurs à l’Ecole
nationale de la magistrature et
par la désignation de magistrats
spécialisés au sein des tribunaux
et des cours d’appel. C’est ce vers
quoi s’orientent aujourd’hui le
président de la République et
le garde des sceaux. p
Laurence Vichnievsky
est députée (MoDem)
du Puy-de-Dôme et secrétaire
de l’Assemblée nationale

24 | 0123
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
Liberté,
le combat continue
C’
est un fait, brut et in­
contestable, une ten­
dance lourde du dé­
but du XXIe siècle
que l’année 2022 n’a pas démen­
tie : la démocratie libérale est en
recul dans le monde, les régimes
autocratiques ont gagné du ter­
rain, l’attrait du modèle de
« l’homme fort » ne faiblit pas.
Dans ce même espace il y a une
semaine, mon collègue Gilles Pa­
ris s’est inquiété à raison de cette
évolution, minutieusement do­
cumentée par deux institutions
indépendantes, Freedom House
et V­Dem.
Ce phénomène, réel, ne raconte
pourtant qu’une partie de l’his­
toire. L’autre partie est racontée
depuis plus de cent jours par les
manifestantes et manifestants
iraniens, depuis plus de trois
cents jours par les citoyens
d’Ukraine, depuis plus de vingt
mois par les femmes afghanes,
depuis plus de vingt ans par les
démocrates russes, contraints
aujourd’hui à le faire depuis l’exil.
La liste, bien sûr, n’est pas exhaus­
tive. Des millions de gens épris de
liberté, en Afrique, en Asie et
ailleurs, y trouvent leur place.
C’est cette partie­là de l’histoire
qu’Oleksandra Matviïtchouk, pré­
sidente de l’ONG ukrainienne Cen­
tre pour les libertés civiles, a ra­
contée avec éloquence le 10 dé­
cembre à Oslo, en recevant le prix
Nobel de la paix partagé avec l’as­
sociation russe Memorial et le mi­
litant biélorusse Ales Bialiatski.
Deux jours plus tôt, à Berlin, une
conférence réunissait de nom­
breux militants de la démocratie
ukrainiens, russes, biélorusses et
des experts européens sur le
thème « A la recherche de l’univer­
salisme perdu ». Deux des orga­
nisateurs, Lena Nemirovskaïa et
Iouri Senokossov, appartiennent à
la génération des Soviétiques qui
avaient la foi dans l’universalisme
des valeurs des Lumières et de la
règle de droit chevillée au corps.
Lorsque l’Union soviétique s’est
effondrée, ils se sont lancés dans
l’éducation civique de leurs conci­
toyens pour accompagner la
naissance de la démocratie. A
l’époque, pensait­on, les choses ne
pouvaient aller que dans ce sens.
Des institutions européennes les
ont aidés. L’universalisme avait le
vent en poupe.
Une très grosse responsabilité
La crise financière de 2008 puis la
décennie 2010 et la montée de
l’autocratie ont mis un coup d’ar­
rêt à cette vision progressiste de
l’histoire. Trente ans après la
chute de l’URSS, Lena Nemirovs­
kaïa et Iouri Senokossov, décrétés
« agents de l’étranger » dans leur
pays, vivent en exil à Riga, et leur
école d’éducation civique attire
surtout les formateurs. Ni eux
ni leurs amis réunis à Berlin,
pourtant, n’ont trouvé mieux que
les valeurs de l’universalisme
pour combattre le modèle autori­
taire. Elles restent le seul recours :
dans tous ces régimes, c’est en
leur nom que se déclenchent les
mouvements de révolte. Même
en Chine, au­delà d’un certain
seuil, les privations de liberté ne
sont plus tolérées.
Le problème de l’« universalisme
perdu » n’est pas l’échec des va­
leurs de liberté et de démocratie, il
À L’EUROPE
DE MODERNISER
LES VALEURS
DES LUMIÈRES,  nisé autour de la divergence, et
DE PROUVER LEUR  de ses idées. Pour affronter et sur­
EFFICACITÉ ET  monter cette tension, l’Europe dé­
DE LES DÉFENDRE
0123
JEUDI 29 DÉCEMBRE 2022
LE DÉCLIN 
DE L’OMC, UNE  fragilisation des chaînes d’approvisionne­ sa priorité. Le gigantesque plan de subven­
ment provoquée par la pandémie de Co­ tions voté cet été en faveur de la transition
MENACE POUR 
LA STABILITÉ 
vid­19 : les motifs de remise en cause de la
mondialisation se sont multipliés, mena­
çant l’OMC d’obsolescence.
écologique, l’Inflation Reduction Act, bafoue
éhontément les règles de l’OMC. Les protes­
tations de l’Union européenne (UE), portées
MONDIALE En quelques années, l’organisation est de­
venue une machine administrative dont la
lourdeur n’a d’égale que son impuissance à
début décembre par Emmanuel Macron lors
d’un voyage à Washington, n’ont aucune
chance de faire changer les Etats­Unis de tra­
faire émerger des consensus entre les 164 jectoire. En encourageant les Européens à
membres qui la composent. Tandis que les les imiter, ils ne font que saper un peu plus
DANS LES RÉGIMES 
négociations piétinent, les contentieux se un système déjà mal en point.
multiplient, les barrières douanières et Ces tensions avec l’UE s’ajoutent à la riva­
AUTORITAIRES,  normatives se dressent un peu partout. Il y lité entre la Chine et les Etats­Unis. Les
a quelques jours, lors du dernier conseil gé­ deux tiers du commerce entre les deux
C’EST AU NOM DE  néral de l’OMC, la directrice générale, Ngozi pays ne respectent pas les règles de l’OMC.
L’UNIVERSALISME 
QUE SE 
DÉCLENCHENT 
L’ Organisation mondiale du com­
merce (OMC) fait face à une crise
existentielle. Depuis sa création, en
janvier 1995, l’institution a accompagné
une expansion inédite du commerce inter­
Okonjo­Iweala, n’a pu que déplorer l’inca­
pacité de l’organisation à impulser une
nouvelle dynamique.
Dès 2016, Donald Trump avait mis en évi­
dence les limites d’une institution à bout
Quand les deux plus grandes puissances
mondiales s’affranchissent de ce cadre, dif­
ficile de demander aux autres pays de con­
tinuer à jouer le jeu.
Si l’acte de décès de l’OMC n’est pas encore
national, en fluidifiant les échanges grâce à de souffle. La critique n’était pas infondée, rédigé, sa centralité dans la coordination
LES RÉVOLTES  la baisse des barrières douanières et à la mais, au lieu de travailler à la remise à plat des échanges mondiaux est largement re­
convergence des normes entre les pays. de l’organisation par une nouvelle gouver­ mise en cause. Les enjeux de sécurité et de
L’adhésion de la Chine à l’organisation nance et une réforme de son mode de fonc­ géopolitique prennent désormais le pas sur
est celui de leur mise en œuvre. Il en 2001 a spectaculairement accéléré ce tionnement, les Etats­Unis ont préféré les interdépendances économiques. Il s’agit
ne fallait pas baisser la garde. « Ce processus de mondialisation, qui promet­ adopter la politique du pire en paralysant d’une pente dangereuse, qui risque d’abou­
n’est pas parce que les droits hu­ tait à tous davantage de prospérité écono­ l’organe de règlement des différends, l’ins­ tir à la primauté de la loi du plus fort, au pire
mains ont été garantis par le passé mique et de stabilité géopolitique. Mais, en tance d’arbitrage de l’OMC. moment. Le ralentissement de la croissance
qu’ils le seront à l’avenir, a plaidé quelques années, la machine s’est grippée. L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche mondiale, le creusement des inégalités en­
l’Ukrainienne Oleksandra Matviït­ Crise financière de 2008, mobilisations po­ avait suscité des espoirs pour donner un tre le Sud et le Nord et les défis agricoles et
chouk à Oslo. Nous devons conti­ litiques contre la désindustrialisation dans nouvel élan au multilatéralisme. En vain. environnementaux ne pourront pas être
nuer, sans relâche, à protéger les les pays développés, montée du souverai­ Depuis 2020, le président américain s’est surmontés si le chacun pour soi domine.
valeurs de la civilisation mo­ nisme, contestation de l’hégémonie de la mis dans les pas de son prédécesseur en fai­ Au­delà du sort de l’OMC, c’est celui de la
derne. » Chacun se penche sur les puissance américaine par la Chine et enfin sant de la réindustrialisation des Etats­Unis stabilité mondiale qui est en jeu. p
erreurs commises lorsque le ter­
rain, peu à peu, a été cédé aux for­
ces antidémocratiques, chacun
cherche le moyen de ne pas les re­
produire. « Ce que nous avons ob­
tenu dans les années 1990, dit l’his­
torienne russe Irina Scherbakova,
de Memorial, est arrivé trop facile­
ment. Penser que la transition se­
rait rapide était une illusion. »
Cette introspection devrait con­
cerner tout autant les Européens :
l’issue de la guerre en Ukraine
sera cruciale pour leur avenir à
eux aussi. La grande majorité des
trente­quatre pays encore consi­
dérés comme des démocraties li­
bérales par l’institut suédois V­
Dem se trouve sur leur continent.
Mardi 27 décembre sur France In­
ter, au détour d’une phrase sur
l’héroïque combat des Iranien­
nes, la réalisatrice, écrivaine et ar­
tiste franco­iranienne Marjane
Satrapi a livré cet étonnant cons­
tat : « Aujourd’hui, le garant de la
démocratie, c’est l’Europe. »
Le traumatisme du passage de
Donald Trump à la tête des Etats­
Unis a durablement terni l’image
de la démocratie américaine : la
« cité qui brille sur la colline » van­
tée par Ronald Reagan pour faire
rêver la planète relève maintenant
du cliché éculé. L’Union euro­
péenne a, certes, son lot de démo­
craties illibérales et de partis d’ex­
trême droite en voie de notabilisa­
tion, mais Marjane Satrapi a rai­
son : elle reste, avec quelques
démocraties d’Asie­Pacifique, le
bastion de l’universalisme des va­
leurs libérales et du droit. A elle de
les moderniser, de prouver leur ef­
ficacité et de les défendre.
C’est une très grosse responsabi­
lité, qu’elle ne peut assumer qu’en
se transformant pour faire face à
un environnement plus hostile
que celui d’il y a trente ans. A Oslo,
Oleksandra Matviïtchouk n’a pas
dit autre chose : « Oui, le droit n’est
plus opérant aujourd’hui, mais
cela ne durera pas toujours. Il nous CRUCIVERBISTES, À VOS CRAYONS !
faut briser ce cycle d’impunité et
changer notre approche de la jus­
tice. » Elle parlait là des crimes de Le Monde a sélectionné pour vous 100 grilles de Philippe Dupuis.
guerre commis par la Russie en
Ukraine, mais la nécessité de Vous vous amuserez de ses définitions malicieuses et de ses astuces lexicales.
changer d’approche est plus large.
Dans un ouvrage consacré aux
« hommes forts » des régimes Chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
autoritaires (The Strongmen. Euro­ 6,90 € − 124 pages
pean Encounters with Sovereign
Power, McGill­Queen’s University
Press, 2020, non traduit), le poli­
tiste Hans Kribbe décrit le proces­
sus par lequel l’Europe, compre­
nant que la force l’emporte sur le
droit dans les rapports mondiaux,
constate qu’elle ne peut pas se ré­
signer à être dominée. Il ne s’agit
pas, explique­t­il, de renoncer aux
valeurs libérales, mais de prendre
conscience que le monde est orga­
non plus autour de l’Occident ou
couvre le chemin de la puissance.
Souhaitons­le­lui pour 2023. p