Les politiques migratoires de l’UE (1999-2009)

Author(s): Bichara Khader

Source: Diplomatie , JANVIER - FÉVRIER 2010, No. 42 (JANVIER - FÉVRIER 2010), pp. 28-
32
Published by: Areion Group

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/26981378

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 300 personnes
secourues par la
Marine nationale
française en
Méditerranée.
(© PREMAR)

Migrants en Europe…
Les nouveaux murs
Les Nations Unies ont fait du 18 décembre
Société
la journée internationale des migrants. Sur
tous les continents, des événements sont
organisés pour marquer le 20e anniversaire
de l’adoption en 1990 de la convention des
Nations Unies sur la Protection des droits de ANALYSE Les politiques migratoires
tous les travailleurs migrants et des membres de l’UE (1999-2009) : les nouveaux murs................................................p. 28
de leur famille (1). Les Nations Unies estiment
qu’en 2010, 214 millions de personnes
résideront hors de leur pays de naissance ANALYSE Les derniers développements en matière
ou de nationalité, dont 95 millions, selon
l’Organisation internationale du travail (OIT), de politique migratoire européenne (1999-2009) ......................p. 33
sont actifs économiquement en tant que
travailleurs migrants. PORTFOLIO Routes des migrations irrégulières
Qu’en est-il de la politique en matière de
migration d’une Europe, terre des droits de en Afrique et Méditerranée ........................................................................................p. 36
l’Homme, dont aucun des pays membres
n’a signé ladite convention ?
ANALYSE Pays de départ, pays de transit :
(1) http://www.migrantsrights.org/
les nouvelles fonctions de la frontière ........................................................p. 38

Diplomatie 42
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 Société

Les politiques migratoires de l’UE (1999-2009) :

Les nouveaux
murs
analyse L’inversion des tendances économiques en Europe, accélérée
par les « chocs » pétroliers de 1973 et 1979, a conduit les États
Par Bichara Khader, européens à revoir leur politique migratoire dans un sens à la fois
directeur du Centre d’études
et de recherches sur le restrictif (fermeture des frontières), incitatif (politiques d’aide au
monde arabe contemporain
(CERMAC), université retour) et positif (mesures d’intégration des immigrés installés,
catholique de Louvain.
notamment en ce qui concerne le regroupement familial).
Photo ci-dessus :

Contrôle des passeports
par l’agence FRONTEX à
la frontière gréco-turque
le 19 mai 2009. L’Agence
européenne pour la
gestion de la coopération
opérationnelle aux
frontières extérieures des
États membres de l’Union
européenne (FRONTEX), a
mis en place une équipe
d’intervention rapide aux
frontières (RABIT). (© CE)
S
i l’intégration demeure objet de controverse, c’est
qu’elle révèle le fossé entre les discours généreux
et les réalités observables sur le terrain. Quant
aux politiques d’aide au retour, elles ont lamentablement
échoué, les immigrés, dans leur écrasante majorité, ayant
fait le deuil du retour et le pari d’une sédentarisation du-
rable dans les pays d’accueil. Pour ce qui est de la ferme-
ture des frontières, les statistiques apportent la preuve de
son inanité, car les candidats à l’immigration parviennent
très souvent à déjouer tous les contrôles et les « cordons
sanitaires » : visa, surveillance, contrôle électronique,
barbelés et autres barrières. Ainsi, il faut bien admettre
que l’Europe demeure en situation migratoire. Elle a cru,
peut-être naïvement, que le contrôle des frontières
externes allait dissuader les candidats à l’entrée dans
l’espace européen, mais, en réalité, le contrôle a eu seule-
ment pour effet d’accélérer l’immigration clandestine, tout
en rendant plus sophistiquées les filières des passeurs et
plus élevé le prix exigé pour le passage clandestin.
Ainsi, sur les trois volets (retour, fermeture, intégration)
les politiques migratoires ont montré leurs limites, voire
leurs incohérences. Tout cela a fait l’objet de très nom-
breuses publications.
Ce texte n’ambitionne pas d’en faire une synthèse critique :
il vise tout simplement à passer en revue les politiques mi-
gratoires de l’UE, au cours de la dernière décennie, et analy-
ser leur incidence sur l’espace méditerranéen, notamment
en termes d’externalisation des politiques de contrôle.

28 Diplomatie 42
Janvier - Février 2010 This content downloaded from
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 Société
L’EUROPE EN SITUATION MIGRATOIRE la Lituanie, des Pays-Bas et de la Pologne, tous les autres pays mem-
Depuis la fermeture des frontières aux nouvelles migrations de bres connaissent une migration positive nette, estimée à près d’un
travail, aucun pays européen n’a réellement réussi à endiguer les million d’entrées par an dans la décennie 1990 et près de deux mil-
nouvelles arrivées de migrants. On a certes fermé les portes, mais lions dans la décennie 2000.
les fenêtres sont demeurées entrouvertes. Ni le visa obligatoire, ni Le cas de l’Espagne constitue à cet égard un « cas d’école »
l’externalisation du contrôle des frontières, ni la politique restric- puisque sa population étrangère a été multipliée par plus de huit
tive d’asile, ni les sanctions pour les transporteurs et autres mesures entre 1992 et 2007 (passant de 500 000 à 4 200 000 en 2007).
n’ont pu enrayer la mobilité. La même évolution s’est produite également en Italie où le nom-
Dans certains pays du Sud de l’Europe, comme l’Espagne et bre d’immigrés a été multiplié par trente entre 1970 et 2007 et
l’Italie, et plus récemment la Grèce, l’augmentation du nombre par trois entre 2000 et 2007 (passant de 1 341 000 en 2000 à
de migrants devient presque paradigmatique par son ampleur. 3 330 000 en 2007). Si, dans le cas espagnol, je parle de popula-
Les autres pays de l’UE n’ont pas échappé au gonflement de leur tion étrangère, et non pas de population immigrée, c’est parce
population étrangère, quoiqu’en moindre mesure. qu’un pourcentage très important des entrées est constitué de
L’UE reconnaît elle-même qu’en janvier 2006, le nombre des res- ressortissants de l’Europe du Nord venus s’installer en Espagne.
sortissants de pays tiers résidant dans les 25 pays de l’UE s’élevait Ceux-là ne participent pas au développement du phénomène de
à environ 18,5 millions de personnes, soit 3,8 % de la population la clandestinité qui a pris une telle ampleur que les deux pays se
totale – de près de 470 millions de personnes (sans la Roumanie sont vus contraints de procéder à des régularisations importantes.
et la Bulgarie, devenues membres de l’UE en 2007). Dans la ma- Les autres pays européens y ont eu également recours (France,
jorité des pays de l’UE, l’immigration demeure le principal facteur Belgique, Pays-Bas, Allemagne), mais, quelquefois, en les limitant
de développement démographique. Et à l’exception de l’Estonie, de à certaines catégories d’immigrants.

* Po
Pour
ur la France, sont cartographiées uniquement les zones d’attente qui
« L’
L’encampement
encampement » en Europe et autour de la Méditerranée reçoivent régulièrement des étrangers.
ét
** La détention d’étrangers en vue de leur refoulement a souvent lieu dans
FINLANDE
ANDE des sections spéciales d’établissements pénitentiaires ordinaires. La
superficie de la Suisse permet difficilement de cartograraphier
phier les 23 lieux
Pays de l’Union européenne 1 connus : Appenzell, Bâle (2), Bern, Chur
Chur, Dornach, Einsiedeln, Gampelen,
Glarus, Granges, Mendrisi
Mendrisio, Olten, Saignelégier,
Saignelégier Schaffhausen, Schüpfheim,
Pays candidats à l’Union européenne NORVÈGE SUÈDE Sissach, Solothurn, Sursee, Thônex, Widnau, Zug, Zürich (2).
Pays concernés par la politique européenne de Migreurop ne dispose pas de données pour l’Égypte, la Macédoine, le
voisinage (PEV), liés à un plan d’action ESTONIE
NIE Monténégro et la Syrie. Concernan
Concernant la Biélorussi
Biélorussie et la Russie, les
Mer
(1) L’Islande, la Norvège et la Suisse ne font pas informations sont partielles.
partie de l’Union européenne, mais elles ont intégré Mer du LETTONIE
ONIE
les acquis de Schengen dans leur législation.
DANEMARK Baltique
Nord
ROYA
RO YAUME-UNI
YA UME-UNI
IRLA
LANDE
LA NDE L ITUANIE
fe t
é
m ver
rm
Ca ou
p

BIÉLORUSSIE FÉDÉRATION
TION de RUSSIE
RUS SIE
m
Ca

pour les étrangers

étrangers en vue de l’examen de leur demande
d’admission au séjour sur le territoire d’un État ALLEMAGNE
pour les étrangers
étrangers présents sur le territoire Manche Calais POLOGNE
d’un État et en instance d’expulsion
combinant les deux fonctions (examen de la UKRAINE
Paris
Pari
demande d’admission et expulsion)
Lieux et camps informels des quartiers MOLDAVIE
MOLD
périphériques situés dans les grandes villes FRANCE* AUTRICHE HONGRIE
SUISSE**
SUIS SE**
ROUMANIE
Le terme « encampement » est emprunté à CROATIE
CROA TIE
Michel Agier,
ier Gérer les indésir
ier, indésirables,
ables, des ccamps
amps GÉORGIE
de réfugiés aux gouvernements humanitaires, Mer Noire AZERBAÏDJAN
AZERBAÏDJA
Paris, Flammarion, 2008, 350 p. SERBIE
ITALIE BULGARIE ARMENIE
RMENIE
MONTÉN
MONT ÉNÉG
ÉGRO
ÉG
Rome Istanbul
PORT
RTUGAL
RT UGAL

Bilecik Ankara Van

Va n
IRAN
ESPAGNE
Patras TURQUIE

Océan
Tanger A lger GRÈCE SYRIE
Atlantique IRAK
Tunis
nis Malte
Rabat Oujda Mer CHYPRE
Casablanca
a Fès Beyrouth
Méditerranée
Tripoli ISRAËL
TUNISIE
PALESTINE JORDANIE
MAROC ALGÉRIE

ARABIE SAOUDITE

LIBYE ÉGYPTE
0 200 400 600 800 1000 km

Sources : Rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants (CPT) ; UNHCR http://www
http://www.unhcr.ch
.unhcr
.unhcr.ch ; Steps Consulting Social & Cimade (2007) Conditions des
Tamanrassett ressortissants de pays tiers retenus dans des centres (camps de détention, centres ouverts ainsi que des zones de
© Migreurop

transit), avec une attention particulière portée aux services et moyens en faveur des personnes aux besoins
spécifiques au sein des 25 États membres de l’UE. Pour la Bulgarie : Croix-Rouge bulgare, Bulgarian Helsinki
MAURITANIE MALI NIGER Committee ; Croatie : Croix-x-Ro
Rouge
uge croate, Croatian Law Centre ; Serbie : Groupe 484, Gr
Gracanicka
acanicka 10, Belg
Belgra
rade ;
Algérie : Association "Rencontre
"Rencontre et développement", Alger ; Liban : FIDH. Pour la Roumanie, le Maroc et la Turquie,
enquêtes réalisées par les membres de Migreurop.
Migreurop

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Diplomatie 42
29
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 Société
1998-2008 :
Quelques chiffres Les statistiques cachent plus
Les statistiques relatives aux « ressortissants que ce qu’elles révèlent
des pays tiers » n’incluent pas tous les citoyens En réalité, l’immigration continue à

l’Europe qui attire « nés à l’étranger », mais ayant été naturalisés, s’accroître, imparable. Cette augmentation
ou a fortiori, les ressortissants de pays tiers, des nombres apporte un démenti cinglant à
résidant dans l’UE, de manière « irrégulière ». un des présupposés de l’orthodoxie restric-
Soldes migratoires d’après Eurostat Qu’ils soient clandestins « indocumentados » tive selon lequel l’économie européenne n’a
ou « sans-papiers », ils sont plusieurs millions. pas besoin de main-d’œuvre étrangère. On
ZONE GÉOGRAPHIQUE ET PAYS 1998 2008
Combien au juste ? Personne ne peut don- constate, tous les jours, que dans tous les
Union européenne (27 pays) 528 845 1 467 332 ner un chiffre exact étant donné le caractère secteurs économiques, on a besoin de main-
Union européenne (25 pays) 534 474 1 466 917 « irrégulier » de leur présence. Mais si l’on d’œuvre étrangère, et cela, en dépit de taux
devait risquer une estimation, on pourrait de chômage se situant autour de 10 % (pour
Belgique 11 824 59 742
facilement avancer le chiffre de six à huit mil- l’UE) et de 18 % en ce qui concerne l’Espagne,
Bulgarie 0 - 876 lions comme seuil minimum. un pays durement frappé par la crise. Avant
République tchèque 9 488 71 790 En nous limitant aux étrangers en prove- que celle-ci n’éclate (en 2008), la ventila-
Danemark 10 996 25 213 nance de l’espace méditerranéen, leur nombre tion de l’immigration en Espagne révèle que
est estimé à 5 742 679 soit un cinquième du pratiquement 90 % sont employés dans les
Allemagne (incluant l’ex-RDA à partir de 1991) 46 980 - 53 556 total des étrangers dans l’UE (30 048 773 secteurs de l’aide à domicile, du bâtiment,
Estonie - 6 559 127 en 2007) (1) et un tiers des étrangers res- des services touristiques et des secteurs in-
Irlande 16 213 2 408 sortissants de pays tiers (près de 19 mil- férieurs de l’industrie manufacturière, ainsi
Grèce 54 818 38 117
lions en 2007). Ce chiffre n’a que peu évolué que dans le secteur agricole. Cela vaut pour
entre 1997 et 2007. Cela pourrait faire croire tous les immigrés, surtout pour les Maro-
Espagne 158 757 413 798 que les politiques restrictives de l’UE ont per- cains en Espagne (2).
France - 1 407 76 878 mis de juguler les nouveaux flux. Or la réalité Dans tous les pays d’Europe, et plus particu-
Italie 55 775 429 513 est toute autre : si le nombre des étrangers lièrement dans l’Europe du Sud, la demande
des pays tiers (19 millions) et surtout des pays de main-d’œuvre est bien réelle, même si
Chypre 4 200 3 523
partenaires méditerranéens (5,7 millions) les pouvoirs politiques s’obstinent à ne
Lettonie - 5 751 - 2 542 continue à osciller dans une faible fourchette, pas la reconnaître. Il est vrai, cependant,
Lituanie - 22 122 - 7 718 c’est surtout parce que les millions d’étrangers qu’il existe d’importants contrastes entre
Luxembourg 3 815 7 700
qui ont été naturalisés et qui ne figurent plus pays. En effet, si l’immigration de travail
dans les statistiques des ressortissants étran- représente près de 40 % des flux d’entrée au
Hongrie 17 261 16 374 gers ont été remplacés par des millions de Royaume-Uni, elle dépasse à peine 10 % en
Malte 353 2 434 nouveaux étrangers récemment régularisés. France où les entrées par « le regroupement
Pays-Bas 44 107 30 715 Cela explique pourquoi le nombre des étran- familial » semblent prédominer. En Espagne
gers demeure stable alors que la population et en Italie, la part des immigrés dans la
Autriche 8 451 33 999
européenne d’origine étrangère s’accroît. population active a été multipliée par cinq
Pologne - 13 261 - 14 865 Les statistiques européennes portent sur les au cours des cinq dernières années.
Portugal 31 874 9 361 ressortissants « étrangers » et non sur « les Euro- On retrouve ces disparités dans le poids
Roumanie - 5 629 1 291
péens d’origine étrangère ». Seule la Grande- de l’immigration dans les pays européens.
Bretagne procède à des enquêtes sur les Selon Philippe Merlant (3), « cela va de 45 %
Slovénie - 5 406 19 496 minorités ethniques (ethnic minority survey) ; au Luxembourg à seulement 2,7 % en Fin-
Slovaquie 1 306 7 060 les autres pays européens, jusqu’ici, refusent lande », mais « 10,1 % au Royaume-Uni, et
Finlande 4 451 15 394 de s’engager dans cette voie. 11 % en France ».
Le cas de la Belgique est à cet égard sympto-
Suède 10 940 55 568
matique. En effet, selon les statistiques
Royaume-Uni 97 371 226 388 officielles (2007) le total des étrangers
Croatie - 4 110 7 053 est estimé à 1 046 839 personnes et Mais, si la
Macédoine - 2 009 - 522
celui des étrangers des pays parte- politique européenne
naires méditerranéens à seulement
Turquie 98 888 112 844 143 162, dont 80 588 Marocains. de lutte contre
Islande 974 1 060 Or nous savons pertinemment
que le nombre de Marocains
l’immigration clandestine
Liechtenstein
Norvège
503
13 490 43 296
88
installés en Belgique (natu- ne semble guère avoir été
Suisse 10 692 93 152
ralisés ou ayant la double na-
tionalité) dépasse le chiffre
convaincante,
Légende : vert : attractif. Rouge : répulsif
Source : Eurostat, mise à jour du 20 octobre 2009.
de 350 000. Cela veut dire que est-ce que la coordination des
Note : Solde migratoire : différence entre l’immigration et l’émigration
sur quatre Marocains vivant en
Belgique, trois sont désormais
politiques d’asile et de visa a
survenue dans une zone géographique pendant une année donnée (le solde
migratoire est donc négatif lorsque les émigrants sont plus nombreux que naturalisés : ceux-ci sortent des donné des résultats
les immigrants). Comme, dans la plupart des pays, les flux d’immigration et
d’émigration sont connus avec peu de précision, ou même parfois totalement
inconnus, le solde migratoire est estimé en calculant la différence entre
statistiques, mais sans être à l’abri,
pour autant, des difficultés d’une inté- plus probants ?
l’accroissement de population et l’accroissement naturel entre deux dates. gration inachevée.

30 Diplomatie 42
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 Société
Les mouvements Entre 1988 et 2007,
14 860 immigrés sont morts aux
migratoires
ISLANDE

FINLANDE frontières de l’Europe.

NORVÈGE 10 870 ont perdu la vie en mer,
en Europe SUÈDE
ESTONIE
1 691 sont morts en traversant le désert.
Source : Fortress Europe (chiffres obtenus à partir des
revues de presse des principaux journaux européens
depuis 1988) ; http://fortresseurope.blogspot.com
LETTONIE
DANEMARK
LITUANIE
Moscou
ROYAUMEUNI RUSSIE
IRLANDE PAYSBAS Chine, CEI
Rotterdam POLOGNE Varsovie Asie du Sud-Est
Londres
Calais
ALLEMAGNE RÉP. TCHÈQUE
BELGIQUE
Paris SLOVAQUIE UKRAINE
AUTRICHE
SUISSE HONGRIE
FRANCE SLOVÉNIE ROUMANIE

CROATIE
Bucarest
Marseille
BULGARIE
ITALIE
ALBANIE
Bari Tirana Istanbul
ESPAGNE
PORTUGAL TURQUIE
GRÈCE

Ceuta Cap Bon Iskenderun Moyen-Orient,

MALTE Lattaquié Afghanistan
Tanger Lampedusa CHYPRE
Melilla Maghreb
TUNISIE IRAN
Casablanca
Tripoli
MAROC Aman
Le Caire JORDANIE
Canaries ALGÉRIE
51 600 immigrants clandestins ont été
LYBIE ÉGYPTE interceptés aux frontières européennes

Diplomatie no 42 (© AREION/CAPRI)
durant les 6 premiers mois de
l’année 2009, soit 17 % de moins
qu’en 2008 sur la même période.
MAURITANIE 70 % ont été interpellés en Grèce.
Afrique subsaharienne Source : FRONTEX
250 km

Europe, Les filières de l’immigration clandestine

Le facteur d’attraction « l’l’eldorado » des immigrants
Il y a donc bien un facteur d’attraction (pull factor) qui explique l’échec Pays membre
des politiques de contrôle de l’immigration clandestine, mais il s’appuie de l’Union européenne
sur deux éléments significatifs : Pays membre de l’espace
la majorité des immigrés irréguliers dispose déjà de contacts et de filières Schengen (La Roumanie et
la Bulgarie devraient
d’amis ou de parents déjà résidents dans les pays d’accueil ; l’intégrer en 2011 ou 2012)
l’économie souterraine dans les pays européens, surtout ceux du Sud, La protection des frontières
continue à contribuer pour au moins 20 à 25 % du PNB. Or, un contrôle européennes
officiel des migrations irrégulières supposerait le développement de Siège de l’agence FRONTEX
contrôles intérieurs centrés sur l’accès au marché du travail, chose à (Agence européenne pour la
gestion de la coopération
laquelle résistent tous les gouvernements. opérationnelle aux frontières
D’ailleurs, on peut se poser la question de savoir si la participation des extérieures)
« clandestins » à l’économie souterraine n’est pas plutôt un effet qu’une Frontières extérieures
cause des politiques restrictives. C’est en tout cas ce que démontre de l’Union européenne
Carfagna dans le cas italien (4). Ainsi, l’absorption des immigrés, clan-
Immigration clandestine
Immigr
destins ou régularisés (Sommersi e Sanati) dans l’économie européenne et traite d’êêtres
tres humains
apporte la preuve que la demande de travail étranger n’a pas disparu : Augmentation du nombre
elle s’est simplement redistribuée suivant l’évolution des marchés de tra- de clandestins en 2009
vail européens. Diminution du nombre
de clandestins en 2009
Mais, si la politique européenne de lutte contre l’immigration clandestine Pays ayant déclaré le plus
ne semble guère avoir été convaincante, est-ce que la coordination des de victimes de la traite
politiques d’asile et de visa a donné des résultats plus probants ? d’êtres humains en 2008
Principaux flux de clandestins vers l’Europe
Principaux flux de clandestins au sein de
l’espace Schengen
Principales portes d’entrée vers l’Europe
Portes
es d’entrée vers l’Europe faisant partie
de l’Union européenne
Principales villes européennes de transit
des clandestins
Aéroport de transit vers l’Europe
Principales causes de décès des clandestins
Noyade (mer
(mer, rivière, lac...)
Traversée du Sahara
Violence des forces de l’ordre
Asphyxie
yxie (camion, conteneur
conteneur...)
Manque de soins, actes racistes
Hypothermie (train d’atterrissage, soute)
Suicides
Autres causes accidentelles
Sources : L’état de l'Union 2007 (Éd. Ligne de Repères),
Géopolitique de l’Europe (Éd. Nathan), Atlas des migrations
mondee (Éd. Autrement), FRONTEX, Migreurop,
dans le mond
ICMPD
Réalisation : CAPRI

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Diplomatie 42
31
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 Société
La diminution des demandes d’asile
Il est évident que la sécurisation des frontières a réduit consi-
dérablement le nombre des demandeurs d’asile. En effet, comme
le rappelle Claire Rodier (5), « les directives régissant l’accueil des
demandeurs, les procédures qui leur sont applicables ou désignant
le pays chargé de les mettre en œuvre font de la politique d’asile
un dispositif de dissuasion plus que de protection ». De fait, le
nombre des demandeurs d’asile a chuté de moitié dans l’Europe
des quinze, passant de 375 495 à 173 030 de 2001 à 2006. Cette
chute serait due à une triple tendance :
la pression exercée par l’UE sur certains pays membres désireux
d’intégrer l’espace Schengen : ainsi, la Grèce a dû serrer la vis en
ce qui concerne les demandes d’asile avec un rejet de demandes
atteignant près de 99 % en 2003 ;
le déplacement en amont de l’examen des demandes d’asile (par
exemple, lorsque des officiers de liaison européens contrôlent les
passeports et les visas dans les aéroports) ;
et enfin, la sous-traitance de la surveillance par les fonction-
naires du pays de départ ou de transit. Au total, les politiques
d’asile ont été efficaces en termes de diminution du nombre des
demandeurs. Ont-elles été plus humaines ? On peut en douter.
Qu’en est-il de la politique des visas ?
Selon le traité d’Amsterdam et conformément aux normes de la
convention de Schengen (1990), l’entrée et la circulation sur le ter-
ritoire de l’UE relèvent de la politique commune des visas. Et depuis
le 15 mars 2001, un règlement du Conseil établit la liste des États
tiers dont les ressortissants doivent avoir un visa. Aujourd’hui, les
États arabes figurent sur la liste des 134 États dont les nationaux
sont soumis au visa Schengen ; 44 autres États en sont dispensés,
dont les pays d’Amérique du Sud, à l’exception de l’Équateur et de
la Colombie auxquels le visa a été imposé en 2002.
Pour beaucoup de ressortissants des pays tiers, l’obtention d’un visa
est un chemin de croix qui commence par les files interminables
devant les portes des consulats européens qui constituent le « pre-
mier barrage à la source ». L’ancien ministre français des Affaires
étrangères le reconnaissait de manière candide : « La frontière
commence à nos consulats (6). » Ainsi, le consulat, en faisant la
police à distance, fonctionne comme le premier filtre
des demandes de circulation dans l’espace Schengen.
Les critères pris en compte pour l’obtention
d’un visa sont si nombreux que peu
de demandes aboutissent.
Des embarcations ayant fait naufrage
à Lampedusa le 23 septembre 2008.
Entre janvier et août 2008, près de
20 000 personnes ont fait le périlleux
voyage sur des embarcations de
fortune depuis les côtes de Libye ou
de Tunisie, tentant de traverser la
Méditerranée pour arriver en Europe.
Le centre d’accueil de Lampedusa a
été construit avec des subventions de
l’Union européenne. (© CE)
32 Diplomatie 42
Janvier - Février 2010 This content downloaded from
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Mais le visa Schengen, comme le reconnaissent les auteurs
de L’Atlas des migrations en Europe (7), sert aussi de « monnaie
d’échange avec les pays tiers (…) les gouvernements européens
peuvent augmenter le nombre de visas délivrés aux ressortissants
d’un État, à condition que ce dernier contrôle mieux ses frontières
et accepte la réadmission des personnes en situation irrégulière
venues de son territoire ».
Couplé aux technologies de reconnaissance physique et biologique
des individus (biométrie), le visa est censé assurer la sécurité
des citoyens européens en prévenant les actes de terrorisme et
l’immigration clandestine. Mais force est de reconnaître que ces
deux objectifs sont loin d’avoir été atteints, comme l’attestent
les attentats terroristes perpétrés en Europe et la multiplication
du nombre d’immigrés et d’étrangers dans tous les pays euro-
péens, surtout ceux du pourtour méditerranéen. Le visa limite la
mobilité temporaire et semble, à l’inverse, encourager à la fois
l’immigration clandestine et l’installation définitive. La suppres-
sion du visa pour les pays d’Europe centrale et orientale (PECO),
avant et après l’adhésion (8), et pour certains Américains du Sud
ne s’est pas traduite par un afflux massif d’immigrés. Il est dès
lors légitime de s’interroger sur l’utilité du visa et se demander si
sa suppression ne s’impose pas plutôt comme une politique réa-
liste pour faciliter le processus circulatoire en Méditerranée, voire
la disparition naturelle des filières mafieuses de passeurs.
Conscient de tout cela, le Parlement européen a essayé d’en tenir
compte sans toutefois aller jusqu’à proposer la suppression des
visas. En effet, réagissant à une communication de la Commission
sur « les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants des
pays tiers pour des raisons de travail », le Parlement a jugé plus
opportun d’instaurer un système flexible de visa (janvier 2003).
Quelles conclusions peut-on tirer de ces constats ?
Tout d’abord, la fermeture des frontières européennes à
l’immigration salariée et l’imposition du visa Schengen n’ont pas
produit les résultats espérés. Pire, la gestion sécuritaire de la
frontière a produit des effets pervers qui, pour Catherine Withol
de Wenden, sont « les entrées clandestines, la sédentarisation des
sans-papiers, l’esclavage moderne, le détournement de la demande
d’asile et le mariage à des fins de travail (9) ».
Ainsi, l’Europe, malgré ses millions de chômeurs, demeure en
situation migratoire : la réalité des flux migratoires, réguliers et
irréguliers, dément, tous les jours, les politiques européennes fon-
dées sur le contrôle.
Bichara Khader