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E

odeurs d'une grande ceremonie,


douce et folle, d'une ferveur guasi
mystique. Plus tard, dans une pémche-
restaurant affrétée en son honneur,
j'approcherai enfin le héros. Visage
fin, regard serein et pénétrant, sourires
de gosse ravi, entouré d'une cour
brUissante et bigarrée. Un prince.
Robert Nesta Marley est né en 1945,
sur la côte nord de 1'île de la Jamaïque.
Sa mère était noire, son père un soldat
blanc de l'armée britannique station-
née dans les Caraibes. Quatre frères et
sœurs. Et la misère. A quatorze ans, il
fait ·les quatre cents coups dans le
ghetto de Kingston, la capitale. Avec
deux copains, Bunny Livingstone et le
futur Peter Tosh, il fonde les Wailers,
un trio vocal influencé par la musique
noire américaine ~ue répercutent
toutes les radios de 1île.

• GOUROU POPULAIRE
CHEF SPIRITUEL
Avec leurs cheveux courts, leurs
costumes sombres et étroits, ils res-
semblent un peu à une mauvaise copie
des Platters. En 1968, ils sont l'un des
premiers groupes à adopter le mode de
vie rasta, mélange de retour à la na-
ture, de nationalisme noir et de pro-
phéties bibliques.
Curieusement, c'est un blanc qui va
leur apporter le succès. Chris
Blackwell, fils d'un riche planteur,
grand découvreur de talents rock,
comprend tout le parti qu'on peut tirer
de cette musique encore vierge. Il suffit
de la frotter un peu aux techniques
modernes d'enregistrement. Ainsi naît
le premier album de l'histoire du reg-
gae, Catch a fire.
La vague reggae déferle sur le
monde. Bob en sera le champion. Ses
chansons, cocktails colorés de sermons
" généreux, de chants guerriers et d'in-
:~ cantations militantes, dépassent les
~ notions habituelles du succès, pour
devenir de vrais cantiques d'espoir et
de fierté. Voici Marley promu gourou
populaire et chef spirituel.

Mort d'un prisee Pour l'Occident, il est le porte-


parole le plus écouté et le plus respecté
du Tiers-Monde. «Debout, levez-
vous, battez-vous pour vos droits ! »,
«Debout, levez-vous, battez-vous pour vos droits ! Bob »
clame-t-il, en prêchant la fraternité et
l'unité du Continent noir. L'an der-
Marley chantait reggae des cantiques d'espoir et de fierté. nier, il réalise enfin son rêve : chanter
en Afrique, au Zimbabwe qUi fête sa
e suis tranquille : vous avez fantés sous le soleil de Jamaïque. L'i- naissance. « Je suis né d'un homme

:J deux oreilles, vous finirez bien mage d'une star, mais aussi d'un pro- blanc et d'une femme noire, affirme+
par entendre mon message. » phète aduléet respecté par des millions il,je ne parle donc pas pour les blancs ou
Bob Marley n'est plus, la lé- de gens.
gende continue. Dans le monde entier, Souvenir. Une nuit de juillet der-
pour les l'noirs, mais pour Dieu ».
C'est à Miami, à quelques kilo-
le nom de ce petit diable bondissant nier, sur l'herbe pelée de 1'aéroport du mètres de la Jamaïque, qu'il s'est éteint
aux longs cheveux tressés est désor-· Bourget. Cinquante mille personnes le 11 mai dernier, emporté par un
mais synonyme de reggae. A trente-six tendues vers la frêle silhouette oscil- cancer. Aujourd'hUi, il nous reste ses
ans, il laisse derrière lw bon nombre de lante, tout là-bas sur la scène. La fête. disques, une dizaine de brûlots so-
tubes, et l'empreinte indélibile de ces Mais rien à voir avec un concert de nores, âpres et doux. Et nos oreilles ...
rythmes élastiques et mordorés, en- rock. Là, tout prend les couleurs et les Philippe Barbot

18 TELERAMA N° 1636- 20 MAl f r

.-. .;3 MAl 1981

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