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Barry White

FE Couplets coquins et voix veloutée, revoilà le crooner des chambres à

72 Télérama N° 2605 — 15 décembre 1999


coucher. 150 kilos de sensualité qui pourraient bien relancer la natalité.

anbisn
‘est le grand retour de Barry White. sources” ou un ‘”nouveau” Barry White. Mon
Parmi toutes les surprises charriées par nouvel album n‘a rien de particulier ni d‘ori—
cette fin de siècle, celle—là est de taille. ginal par rapport aux précédents. Chacun re—
Vingt—cinq ans après ses grands succès flète des périodes différentes de ma vie, mais
en pleine ère disco (You‘re the first, the last, my mon son demeure. »
everyÿthing, Can‘t get enough of your love, babe, Effectivement, rien ne ressemble plus à un
Let the music play), celui que la presse anglo— disque de Barry White qu‘un autre disque de
« Le politically saxonne a surnommé le « chanteur des chambres Barry White ! Dès ses débuts comme chanteur,
correct et à coucher » est à nouveau très « tendance ». Long— en 1973, cet enfant des ghettos noirs de Los
les pudibonds, temps circonscrite aux classes moyennes et aux Angeles a su poser les bases d‘un style unique,
je m‘en bats tempes grisonnantes, son audience s‘est, depuis un sillon qu‘il ne cesse depuis de creuser. Le
l‘œil. Je ne quelques années, élargie et rajeunie. De célèbres Barry sound s‘étend — mollement — entre le

rry
parle que de séries TV américaines comme Ally McBeal ou disco cinq étoiles et la soul cachemire, dans un
choses réelles. » Les Simpsons piochent dans son répertoire pour idéal quasi—baudelairien où tout n‘est qu‘ordre,

Ba
sera toujours Barry
illustrer leurs épisodes ; les sales gosses new— luxe, calme et volupté. Pas de tourments ni d‘états
yorkais de Fun Lovin‘ Criminals viennent de lui d‘âme, mais la recherche constante du confort et
composer une ode (Barry White saved my life) ; du plaisir maximum. Servies par un physique de
les non moins branchés Londoniens de Prodigy ténor (1,98 m pour 150 kilos !) et une incroyable
ont incorporé une de ses chansons à leur album voix de baryton aux basses telluriques et cares—
de « mixes ». Et tout le monde s‘arrache ses (ra— santes, ces compositions s‘appuient également
res) participations — comme le chanteur d‘IAM, sur des arrangements quasi symphoniques. Cou—
qui a obtenu le concours de l‘homme à la voix ramment accompagné sur scène par une vingtai—
d‘or sur l‘un de ses prochains morceaux. ne d‘instrumentistes classiques, le colosse barbu
Son nouvel album Staying Power est déjà dis— a été l‘un des premiers musiciens noirs à s‘en—
que d‘or aux Etats—Unis. Sa biographie, Love unli— tourer d‘un véritable orchestre, le Love Unlimi—
mited, a été plusieurs semaines durant l‘une des ted Orchestra, au début des années 70. Avec cette
meilleures ventes des librairies new—yorkaises. formation unique en son genre, il décrochera
Et sa tournée américaine avec Earth, Wind and même plusieurs tubes entièrement instrumen—
Fire a été triomphale. Bref, après une traversée taux, dont le magnifique Love Theme en 1973.
du désert d‘une dizaine d‘années, c‘est à nouveau Bercé par les disques que lui faisait écouter sa
le beau fixe pour Barry White, et le plus éton— mère professeur de piano, le jeune Barry ii®
nant, c‘est qu‘il n‘a rien fait pour ça ! Depuis plus
d‘un quart de siècle, le Midas noir — que nous
avons rencontré à l‘occasion de son récent con—
cert à Hambourg — n‘a pas varié sa formule mu—
sicale d‘un iota et n‘hésite pas, un rien bravache,
à s‘en vanter. « Je continue à faire ce que j‘ai
JOHN CASADO

toujours fait, explique—t—il. /! n‘y a pas, comme


j‘ai pu le lire dans la presse, un ”retour aux
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le mièvre ni l‘équivoque. « Je vais travailler ton
Musique
corps avec ma langue » ou « Excite—moi avec tes
émotions/Bientôt nous partagerons une lotion
corporelle naturelle » (Staying Power) témoi—
gnent pour certaines oreilles américaines d‘une
insupportable luxure, et l‘ami Barry a régulière—
ment maille à partir avec la censure de son pays.
« Le politically correct et les pudibonds, je m‘en
bats l œil. Je ne parle que de choses réelles, exis—
tantes, proclame—=t—il un rien énervé. Quant aux
surnoms que l‘on me donne, je les prends surtout
comme des marques d‘‘affection, de gentils com—
pliments, mais je me garde bien d‘ y croire. Je ne
suis pas le gourou de l‘amour dont on parle, ni le
bras droit de Cupidon ; je suis un type comme
les autres qui fait juste de la musique. »
Barry White prend Un « gars ben ordinaire» qui aime plus que tout
une douche, 1967. le travail à l‘ancienne, minutieux, maniaque. Pour
« Je ne suis pas le cet autodidacte — malgré ses ascendances mater—

MICHAËL PALADIN/CAMERA
gourou de l‘amour nelles, il ne sait ni lire ni écrire la musique —, rien
dont on parle. Je suis ne remplace les heures passées en studio à essayer
un type comme un son plutôt qu‘un autre, à retoucher la courbe
les autres. » d‘une voix, à nuancer le dessin rythmique. Obsédé
æ— aime à citer Bach, Beethoven, Brahms et par l‘« excellence du son », comme les architectes
Mozart comme sources d‘inspiration. Ces der— par le nombre d‘or, Barry peut passer jusqu‘à
niers auraient sans doute quelque mal à établir trois mois sur une seule chanson, comme Sho‘
un lien de parenté avec sa musique, mais il est you right, pour obtenir le son de ses rêves. A
vrai que le maestro a le culte de l‘harmonieux, l‘instar des ses maîtres et modèles : la triplette
du mélodique et confesse un goût prononcé pour Holland/Dauzier/Holland, Freddy Perren ou Nor—
les grands mouvements de cordes, le velouté des man Whitfield, « grands remèdes aux peines de
cors anglais, les envolées de harpes et les chœurs cœur » et piliers du son Motown, le hasard et l‘im—
célestes. « J‘ai longtemps travaillé comme ar— provisation n‘ont pas droit de cité chez lui. Tout
rangeur, musicien de session, puis producteur, se est impeccable, calculé et tiré à quatre épingles.
souvient—il. Lorsque mon tour est venu de com— Comme le personnage. Un rien papier glacé,
poser, j‘avais le choix. Je pouvais aussi bien faire l‘image, heureusement, craque aux entournures.
une musique très rentre—dedans que des ballades L‘homme qui n‘a jamais oublié son adolescence
déchirantes. Finalement, j‘ai choisi d‘être ultra— passée dans un gang, son frère tué dans la rue et
positif, de faire une musique qui parle de l‘amour son passage en prison, ne se prend jamais long—
au présent, lorsque tout va bien, qu‘il n‘y a que temps au sérieux. Derrière ses lunettes noires et
du plaisir. A partir de là, tout s‘enclenche. On se ses frisettes calamistrées, le géant aime rire, man—
dirige naturellement vers certains instruments, ger, jurer et, ce qui n‘est plus guère courant chez
certains rythmes et pas d‘autres. J‘ai toujours les artistes américains, grille clope sur clope.
admiré le langage des cordes et j‘ai voulu le met— Barry croque la vie à pleines dents. Sans doute
tre dans ma musique. Cela m‘ a pris des années un peu trop puisqu‘à 55 ans sa santé est chance—
d‘écoute pour parvenir à le maîtriser. Quand je lante. Le Black Lover numéro 1 a des problèmes
n‘étais que producteur, je me disais : tiens, ça de cœur... Paradoxe plaisant si un nouveau malai—
ne serait pas mal de mettre des violons par ici, se ne l‘avait conduit la semaine dernière à annuler
mais comme auteur, j‘ai inversé le propos. Je la suite de sa tournée européenne et notamment
me suis dit : et si j‘essayais d‘écrire des chansons son concert parisien. Espérons que l‘ultime croo—
qui vont avec ces violons ? » ner de ce siècle reviendra pour les rappels. En
Très vite, ses albums se sont imposés comme attendant, il reste une vingtaine d‘albums à décou—
l‘arme secrète de ceux qui veulent « conclure », vrir, qui, s‘ils ne touchent pas tous au génie, valent
la bande—son idéale des dîners aux chandelles mieux que l‘uniformité et la pauvreté d‘imagi—
qui tournent aux ébats d‘alcôve. Outre—Atlanti— nation des productions actuelles de soul et R‘n‘B.
que, la légende veut que de nombreux petits gar— En ces temps de disette, Barry White est devenu
çons aient été prénommés Barry en hommage une valeur refuge, comme les pastilles Vichy, le
à celui sans qui ils ne seraient peut—être pas là... savon de Marseille, les petits Lu ou la Jouvence
Ni pervers ni fort en gueule, l‘ogre des boudoirs de l‘abbé Soury. Sa constance est devenue, au fil
chante les étreintes légitimes, la sensualité maî— du temps, le meilleur gage de qualité e
trisée, l‘amour fort, à défaut d‘être fou. Susurrés, Stéphane Jarno
ronronnés, ses textes pourtant ne font guère dans Nouvel album : Staying Power, chez Mercury.
Discographie sélective : The Ultimate Collec—
tion, compilation chez Mercury ; Can‘t get en—
ough, Dedicated, l‘ve got so much to give, Stone
gon‘. Avec le Love Unlimited Orchestra, White
Gold et Let ‘em dance.
74 Télérama N° 2605 — 15 décembre 1999

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