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Droit international
Arnaud de Nanteuil, Carolina Olarte-Bácares, Francisco Pascual-Vives, Ioannis Prezas, Arianna Rafiq,
Sabrina Robert-Cuendet, Silvio da Silva, Gisèle Stephens-Chu, Éric Teynier, Catharine Titi et Andreas
R. Ziegler.
www.larcier.com • www.stradalex.com
DROHO
ISBN : 978-2-8027-6343-7
Sommaire
Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Introduction générale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Catharine Titi
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du
droit international de l’investissement ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Ludovica Chiussi
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme :
perspectives et limites. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Arnaud de Nanteuil
Développements récents en matière de protection des droits fondamentaux
et de l’environnement dans les chaînes globales de valeur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Anna Aseeva
Droit international économique et droit à la santé : questions sur le rôle des règles
externes dans le mécanisme de règlement des différends de l’OMC. . . . . . . . . . . . . 325
Silvio da Silva et Andreas R. Ziegler
6 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises
en matière de droits de l’homme :
un rôle effectif du droit
international de l’investissement ?
Ludovica Chiussi
Doctorante, Université d’Oslo et Université de Bologne
1. Voy., parmi d’autres, P. T. Muchlinski, « Human Rights and Multinationals: Is There a
Problem? », International Affairs, vol. 77, n° 1, 2001, pp. 31-48 ; A. Clapham, Human Rights
Obligations of Non-State Actors, Oxford, OUP, 2006, pp. 195-266 ; O. De Schutter (dir.),
Transnational Corporations and Human Rights, Hart Publishing, 2006 ; M. Karavias, Corporate
Obligations under International Law, Oxford, OUP, 2013 ; N. Bernaz, Business and Human
Rights: History, Law and Policy – Bridging the Accountability Gap, Routledge, 2016 ; F. Marrella,
« Protection internationale des droits de l’homme et activités des sociétés transnationales », Recueil
des cours de l’Academie de Droit international de La Haye, vol. 385, Brill-Nijoff, 2017.
2. Assemblée générale des Nations unies, Transformer notre monde : le Programme de développe-
ment durable à l’horizon 2030, A/RES/70/1 (2015) ; voy. D. French, « The Global Goals: Formalism
Foregone, Contested Legality and “Re-imaginings” of International Law », Ethiopian Yearbook
of International Law, 2016, pp. 151-178 ; L. Chiussi, « The UN 2030 Agenda on Sustainable
Development: Talking the Talk, Walking the Walk? », La Comunità internazionale, vol. 71, n° 1,
2016, pp. 44-70 ; Global Reporting Initiative and the UN Global Compact, « Business Reporting
on the SDGs: An Analysis of the Goals and Targets », 2017, https://www.unglobalcompact.org/
docs/publications/GRI_UNGC_SDG_Reporting_An_Analysis_of_Goals_and_Targets_2017.pdf.
3. Voy. A. Ramasastry, « Corporate Social Responsibility versus Business and Human Rights:
Bridging the Gap between Responsibility and Accountability », Journal of Human Rights, vol. 14,
n° 2, 2015, pp. 237-259.
4. Sur ce sujet, voy. St. Ratner, « Corporations and Human Rights: A Theory of Legal
Responsibility », Yale Law Journal, vol. 111, n° 3, 2001, pp. 443-540 ; P.M. Dupuy, « Sur les
rapports entre sujets et “acteurs” en droit international contemporain », in Man’s Inhumanity to
Man: Essays on International Law in Honour of Antonio Cassese (L. Chand Vohrah et al. dir.),
Brill Nijhoff, 2003, pp. 261-277 ; J.E. Alvarez, « Are Corporations “Subjects” of International
14 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
ici est dans le sens qu’un certain degré de capacité juridique découle des droits et
devoirs relevant du droit international, alors que l’hypothèse inverse, notamment de
nature déductive, n’est pas démontrable5.
L’approbation unanime des Principes directeurs des Nations unies relatifs
aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU) en 2011, s’inspirant du cadre
« Protéger, respecter et réparer »6, a marqué un tournant, quoique constituant du
soft law, dans les modalités juridiques entourant le monde « business and human
rights »7. La structure à trois volets des PDNU s’appuie sur l’obligation pour l’État
de protéger les droits de l’homme, la responsabilité des entreprises de se conformer
aux normes des droits de l’homme, et l’obligation pour les deux acteurs de garantir
des voies de recours aux victimes. Un tel cadre tripartite reconnaît la responsabilité
des entreprises comme indépendante et complémentaire à l’obligation de l’État de
protéger les droits de l’homme8. Comme souligné par l’architecte des PDNU, John
Ruggie :
« Chaque principe est essentiel : le devoir de protection de l’État parce qu’il
est au cœur même du régime international relatif aux droits de l’homme ; la
responsabilité des entreprises car la société attend des acteurs économiques,
au minimum, qu’ils respectent les droits de l’homme ; et l’accès à des mesures
de réparation, car même les efforts les mieux concertés ne peuvent empêcher
tout abus, en même temps que l’accès à un recours judiciaire est souvent
Law? », Santa Clara Journal of International Law, vol. 9, n° 1, 2011, pp. 1-36 ; A. Bianchi, « The
Fight for Inclusion: Non-State Actors and International Law », in From Bilateralism to Community
Interest: Essays in Honour of Judge Bruno Simma (U. Fastenrath et al. dir.), Oxford, OUP,
2011, pp. 39-57 ; P. Dumberry, « Corporate Investors’ International Legal Personality and their
Accountability for Human Rights Violations Under IIAs », in Improving International Investment
Agreements (A. de Mestral et C. Lévesque dir.), Abingdon, Routledge, 2012, pp. 179-194.
5. Voy. V. Lowe, « Corporations as International Actors and International Law Makers », Italian
Yearbook of International Law, vol. 14, 2004, pp. 23-38.
6. Conseil des droits de l’homme, J.G. Ruggie, « Protéger, respecter et réparer : un cadre pour
les entreprises et les droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général
chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises »,
A/HRC/8/5, 2008.
7. Conseil des droits de l’homme, « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme : mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations unies »,
A/HRC/17/31, 2011 ; voy. J. G. Ruggie, « Incorporating Human Rights: Lessons learned and
Next Steps », in Business and Human Rights From Principles to Practice (D. Baumann-Pauly et
J. Nolan dir.), Abingdon, Routledge, 2016, pp. 64-69.
8. Conseil des droits de l’homme, « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits
de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations
unies », A/HRC/17/31, 2011, Principe 11 ; voy. J. Nolan, « Mapping the Movement: the Business
and Human Rights Regulatory Framework », in Business and Human Rights: From Principles to
Practice (D. Baumann-Pauly et J. Nolan dir.), Abingdon, Routledge, 2016, pp. 32-50.
BRUYLANT 15
Ludovica Chiussi
9. Conseil des droits de l’homme, Protéger, respecter et réparer : un cadre pour les entreprises et
les droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question
des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, A/HRC/8/5, (2008), § 9.
10. Conseil des droits de l’homme, Élaboration d’un instrument international juridiquement
contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme, A/HRC/
RES/26/9, (2014) ; la résolution a été coparrainée par l’Équateur et l’Afrique du Sud. Adoptée par
20 voix contre 14, avec 13 abstentions. Ont voté pour : Afrique du Sud, Algérie, Bénin, Burkina Faso,
Chine, Congo, Côte d’Ivoire, Cuba, Éthiopie, Fédération de Russie, Inde, Indonésie, Kazakhstan,
Kenya, Maroc, Namibie, Pakistan, Philippines, Venezuela, Viet Nam. Ont voté contre : Allemagne,
Autriche, Estonie, États-Unis d’Amérique, ex-République yougoslave de Macédoine, France, Irlande,
Italie, Japon, Monténégro, République de Corée, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Se sont abstenus : Arabie saoudite, Argentine, Botswana,
Brésil, Chili, Costa Rica, Émirats arabes unis, Gabon, Koweït, Maldives, Mexique, Pérou, Sierra
Leone ; voy. O. De Schutter, « Towards a Treaty on Business and Human Rights », Business and
Human Rights Journal, vol. 1, n° 1, pp. 41-67 ; D. Bilchitz, « The Necessity for a Business and
Human Rights Treaty », Business and Human Rights Journal, vol. 1, n° 1, pp. 203-227.
11. Voy. S. Deva, « Connecting the Dots: How to Capitalize on the Current High Tide for a
Business and Human Rights Treaty », in Building a Treaty on Business and Human Rights: Context
and Contours (S. Deva et D. Bilchitz dir.), Cambridge, CUP, 2017, pp. 472-494.
12. J.J. Ruggie, « ‘Quo vadis’? Unsolicited Advice to Business and Human Rights Treaty
Sponsors », Institute for Business and Human Rights, 9 septembre 2014, https://www.ihrb.org/
other/treaty-on-business-human-rights/quo-vadis-unsolicited-advice-to-business-and-human-rights-
treaty-sponsors.
13. D.K. Anton et D. Shelton, Environmental Protection and Human Rights, Cambridge, CUP,
2011, p. 869 ; voy. J. Salacuse, The Law of Investment Treaties, 2e éd., Oxford, OUP, 2015,
pp. 1-23.
16 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
14. Voy. M. Sornarajah, Resistance and Change in the International Law on Foreign Investment,
Cambridge, CUP, 2015, p. 7.
15. Voy. N. Monebhurrun, « Arbitrage international et droit international des investissements :
la question des devoirs des investisseurs », in La RSE saisie par le droit : perspectives interne et
internationale (K. Martin-Chenut et R. de Quenaudon dir.), Paris, Pedone, 2016, p. 643 ;
M. Mbengue, « Les obligations des investisseurs étrangers », in L’entreprise multinationale et le
droit international (L. Dubin et al. dir.), Paris, Pedone, 2017, pp. 295-340.
16. Voy. P. Juillard, « Le système actuel est-il déséquilibré en faveur de l’investisseur privé étranger
et au détriment de l’État d’accueil ? », (Table Ronde), in Le contentieux arbitral transnational relatif
à l’investissement : nouveaux développements (Ch. Leben dir.), Paris, LGDJ, 2006, pp. 190-191 ;
A. Tanzi, « On Balancing Foreign Investment Interests with Public Interests in Recent Arbitration
Case Law in the Public Utilities Sector », in The Law and Practice of International Courts and
Tribunals, vol. 11, n° 1, pp. 47-76 ; A. Titi, The Right to Regulate in International lnvestment Law,
Nomos, 2014 ; Council of Europe, Human Rights Compatibility of Investor-State Arbitration in
International Investment Protection Agreements (27 January 2017), Res 2151, § 1 ; sur la théorie
du « police power », voy. A. Pellet, « Police Powers or the State’s Right to Regulate: Chemtura v.
Canada », in Building International Investment Law: The First 50 Years of ICSID (M. Kinnear et
al. dir), La Haye, Kluwer Law International, 2015, pp. 447-462 ; A. Titi, « Police Powers Doctrine
and International Investment Law », in General Principles of Law and International Investment
Arbitration (A. Gattini et al. dir.), Brill, 2018.
17. Sur la relation entre le droit de l’investissement et les droits de l’homme, voy. entre autres
Br. Simma, « Foreign Investment Arbitration: a Place For Human Rights? », International and
Comparative Law Quarterly, vol. 60, n° 3, 2001, pp. 573-596 ; J.D. Fry, « International Human
Rights Law in Investment Arbitration: Evidence of International Law’s Unity », Duke Journal of
Comparative and International Law, vol. 18, n° 1, 2007, pp. 77-149 ; P.M. Dupuy et al. (dir.),
Human Rights in International Investment Law and Arbitration, Oxford, OUP, 2009 ; Br. Simma
et Th. Kill, « Harmonizing Investment Protection and Human Rights: First Steps Towards
a Methodology », in International Investment Law for the 21st Century: Essays in Honour of
Christoph Schreuer (U. Kriebaum et al. dir.), Oxford, OUP, 2009, pp. 679-707 ; Fr. Francioni,
« Diritto Internazionale degli investimenti e tutela dei diritti umani: convergenza o conflitto? »,
in La tutela dei diritti umani e il diritto internazionale (M. Distefano et R. Sapienza dir.),
Padoue, Editoriale Scientifica, pp. 417-435 ; J.P. Bohoslavsky et J. Bautista Justo, « Inversiones
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Ludovica Chiussi
18 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
Les dispositions relatives au règlement des différends dans les traités relatifs
aux droits de l’homme, les traités bilatéraux d’investissement (TBI) et les accords de
libre-échange ont transféré le contentieux du traitement des particuliers du niveau de
la diplomatie interétatique vers celui du contentieux directement interposable par les
personnes physiques et morales concernées21. L’intention de dépolitiser la protection
des droits de l’homme et des investissements étrangers n’a peut-être pas été pleine-
ment réalisée, mais il est indéniable que ces deux systèmes ont représenté un progrès
majeur dans la prévention des différends interétatiques ainsi que dans l’application
effective des corpus de droit international en question22.
Les traités de droits de l’homme et d’investissements prévoient des standards
de protection dont les bénéficiaires diffèrent des parties contractantes23. À quelques
exceptions près, ces normes sont formulées en termes très généraux, déléguant ainsi
aux comités conventionnels et aux cours et tribunaux la tâche de clarifier le contenu
des devoirs et obligations connexes24. Malgré le fait que les deux branches de droit en
question partagent cette caractéristique de généralité normative, la tâche d’interpré-
ter ces règles comporte des risques d’incohérence bien plus élevés dans une branche
atomisée du droit telle que le droit international de l’investissement, plutôt que dans
le système institutionnalisé et cohésif des droits de l’homme. En effet, une première
différence frappante entre ces deux éléments réside dans le haut degré de décentra-
lisation du droit international de l’investissement, fondé sur le « spaghetti bowl »
(selon l’expression inélégante souvent utilisée) que représentent les 3.300 accords
bilatéraux appliqués par des arbitres ad hoc25. À l’inverse, la protection interna-
tionale des droits de l’homme, où le multilatéralisme est un élément constitutif du
système, repose sur un réseau plus ou moins coordonné de traités multilatéraux,
surveillé et appliqué par des tribunaux permanents ou des organes quasi judiciaires.
Une seconde différence réside dans les procédures de règlement des différends
des deux corps de droit en question. La possibilité pour les investisseurs étrangers
de choisir entre un accès direct à l’arbitrage international contre l’État qui accueille
21. Voy. M. Hirsch, « Investment Tribunals and Human Rights: Divergent Paths’ », in Human
Rights in International Investment Law and Arbitration (P.M. Dupuy et al. dir.), Oxford, OUP,
2009, pp. 97-112.
22. Voy. A. Broches, « The Convention on the Settlement of Investment Disputes between States
and Nationals of other States », Recueil des Cours de l’Academie de Droit international de La
Haye, vol. 13, Leyden, Brill Nijhoff, 1972.
23. Voy. M.W. Reisman et M.H. Arsanjani, « Reflections on the Cogency of Fragmentation:
Statutes of Limitation and “Continuing Violations” in International Investment Law and Human
Rights », in Coexistence, Cooperation and Solidarity: Liber Amicorum Rüdiger Wolfrum
(H.P. Hestermeyer et al. dir.), Leyden, Brill Nijhoff, 2012, pp. 265-280.
24. Voy. Chr. Schreuer, « Introduction: Interrelationship of Standards », in Standards of
Investment Protection (A. Reinisch dir.), Oxford, OUP, 2008, pp. 1-8.
25. Et plus de 300 chapitres d’investissement dans les traités bilatéraux et régionaux de libre-
échange ; voy. Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUDCED),
World Investment Report, 2017.
BRUYLANT 19
Ludovica Chiussi
Les PDNU appellent les États à rédiger des traités, notamment des TBI, de
façon à ne pas limiter l’espace nécessaire au respect de leurs obligations décou-
lant des droits de l’homme29, en accord avec le principe cardinal du pacta sunt ser-
vanda tel que codifié par la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT)30.
26. L’absence d’une telle règle avait été conçue comme un contrepoids à la position défavorisée des
investisseurs dans les pays étrangers.
27. Voy. A.S. Alexandroff et I.A. Laird, « Compliance and Enforcement », in Oxford Handbook
of International Investment Law (P. Muchlinski et al. dir.), Oxford, OUP, 2008, pp. 1188-1206 ;
il faut noter qu’un certain nombre de pays ont modifié la règle de l’épuisement des recours internes
dans la clause de règlement des différends en matière d’investissement ; voy. International Institute
for Sustainable Development, « Exhaustion of Local Remedies in International Investment Law »,
IISD Best Practices Series (January 2017), https://www.iisd.org/sites/default/files/publications/
best-practices-exhaustion-local-remedies-law-investment-en.pdf.
28. Voy. P.-M. Dupuy, « Unification Rather than Fragmentation of International Law? The Case
of International Investment Law and Human Rights Law », in Human Rights in International
Investment Law and Arbitration (P.M. Dupuy et al.), Oxford, OUP, 2010, pp. 45-62 ; J. Alvarez,
« The Public International Law Regime Governing International Investment », Recueil des Cours
de l’Academie de Droit international de La Haye, vol. 344, Brill-Nijhoff, 2011, pp. 236 et s. ;
U. Kriebaum, « Foreign Investments & Human Rights – The Actors and Their Different Roles »,
Transnational Dispute Management, n° 1, 2013, pp. 1-17.
29. Conseil des droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme, mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations unies,
A/HRC/17/31 (2011), principe 9 ; voy. D. Desierto, Public Policy in International Economic Law:
The ICESCR in Trade, Finance, and Investment, Oxford, OUP, 2015.
30. Art. 26 CVDT.
20 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
Lorsqu’un TBI entre en vigueur, les autres règles pertinentes applicables entre les
parties joueront un rôle dans l’interprétation du TBI en question31.
Finalement, les TBI pourraient aborder toutes sortes de questions relatives aux
droits de l’homme, en dehors des droits acquis par les investisseurs. Ils pourraient
éventuellement le faire, soit en se référant à l’obligation largement reconnue pour
un État de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme et les obligations erga
omnes connexes, soit en imposant directement des obligations aux investisseurs32.
Une option évidemment idéale serait l’intégration, dans le TBI, d’une clause relative
aux droits de l’homme s’adressant à la fois aux États et aux investisseurs, définissant
la portée et le contenu de leurs obligations respectives. En dehors des considérations
de lege ferenda, dans la pratique, les États ont jusqu’ici été réticents à l’inclusion de
dispositions relatives aux droits de l’homme dans les TBI, et encore moins enclins à
admettre des références aux obligations découlant des droits de l’homme pour les
investisseurs33.
Les dernières années ont révélé une tendance encourageante envers les droits
de l’homme dans un certain nombre de pays réexaminant leurs programmes de TBI.
À titre d’exemple, le préambule du TBI entre le Cameroun et la Turquie prévoit
expressément que les objectifs du traité « peuvent être atteints sans assouplir les
mesures en matière de santé, de sécurité et d’environnement, ainsi que les droits du
travail internationalement reconnus »34. De même, le préambule du TBI conclu entre
le Nigeria et l’Autriche exprime l’engagement des parties à atteindre les objectifs du
traité « d’une manière compatible avec la protection de la santé, de la sécurité et de
l’environnement et la promotion du droit du travail internationalement reconnu »,
soulignant qu’« un comportement responsable de la part des entreprises peut contri-
buer à la confiance mutuelle entre les entreprises et les pays d’accueil »35.
Même si les traités mentionnés ci-dessus n’imposent pas explicitement aux
investisseurs d’obligations en matière de droits de l’homme, la référence aux droits
de l’homme et à la responsabilité des entreprises dans le préambule n’est pas sans
conséquences. Lorsqu’ils appliquent un TBI, en vertu de l’article 31 de la Convention
31. Art. 31, § 3, (c), CVDT ; voy. P. Merkouris, Article 31(3)(c) VCLT and the Principle of
Systemic Integration: Normative Shadows in Plato’s Case, Brill Nijhoff , 2015.
32. Voy. P. Dumberry et G.Dumas-Aubin, « How to Impose Human Rights Obligations on
Corporations under Investment Treaties? », Yearbook on International Investment Law and Policy,
vol. 4, 2011, pp. 559-600.
33. Dans la résolution 2015/2105(INI) du 5 juillet 2016, le Parlement européen a affirmé que « les
dispositions concernant les droits de l’homme et les normes sociales et environnementales, des enga-
gements concernant les droits du travail fondés sur les normes fondamentales du travail de l’OIT et
les principes de la responsabilité sociale des entreprises, y compris les principes de l’OCDE pour les
multinationales et les principes des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme,
devraient être contraignants et doivent constituer une partie essentielle des accords commerciaux de
l’Union par le biais d’engagements exécutoires », § 18.
34. Signé le 24 avril 2012.
35. Signé le 9 avril 2013.
BRUYLANT 21
Ludovica Chiussi
de Vienne sur le droit des traités, les arbitres sont tenus d’interpréter le traité « de
bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte
et à la lumière de son objet et de son but » (§ 1er), sachant qu’« aux fins de l’interpré-
tation d’un traité le texte comprend [...] le préambule [...] » (§ 2)36.
Un certain nombre de TBI récemment signés ont inclus des références expli-
cites à la responsabilité sociale des entreprises. Le fait que les dispositions sur le droit
des affaires et les droits de l’homme aient été transférées du préambule à la partie
substantielle du TBI pourrait faciliter les demandes reconventionnelles fondées sur
les droits de l’homme – si le TBI en question le permet – ainsi que la participation
d’amici curiae dans les différends entre investisseurs et État37. À cet égard, le projet
du modèle norvégien de TBI de 2015 offre un exemple. Le préambule fait référence à
un engagement à respecter « democracy, the rule of law, human rights and fundamen-
tal freedoms in accordance with their obligations under international law, including
the principles set out in the United Nations Charter and the Universal Declaration of
Human Rights ». Au même temps, l’article [31] du modèle de TBI affirme que « the
Parties agree to encourage investors to conduct their investment activities in com-
pliance with the OECD Guidelines for Multinational Enterprises, the UN Guiding
Principles on Business and Human Rights and to participate in the United Nations
Global Compact ». La référence explicite aux instruments relatifs à la responsabilité
des entreprises et aux droits de l’homme est une valeur ajoutée, bien que la formula-
tion n’aide pas à établir des obligations spécifiques pour les investisseurs.
Le modèle de TBI indien de 2015 fait référence à une sorte d’obligation de
diligence raisonnable par les investisseurs qui « shall endeavour to voluntarily incor-
porate internationally recognized standards of corporate social responsibility in
their practices and internal policies, such as statements of principle that have been
endorsed or are supported by the Parties »38. Il est ensuite précisé que ces déclara-
tions de principe sont celles qui peuvent porter sur des questions telles que le travail,
l’environnement, les droits de l’homme, les relations entre communautés et la lutte
contre la corruption39.
Le TBI récemment signé entre l’Argentine et le Qatar comprend une dispo-
sition spécifique sur la responsabilité sociale des entreprises, qui exige des investis-
seurs qu’ils fassent des efforts pour appliquer les règles sur les droits de l’homme
36. Voy. S.D. Myers, Inc. c. Canada, aff. CNUDCI (Accord de libre-échange nord-américain,
ALENA), première sentence partielle du 13 novembre 2000, § 196 ; LG&E Energy Corp et al.
c. Argentina, aff. CIRDI, n° ARB (AF)/02/1, sentence du 26 septembre 2006.
37. Sur le rôle des amici curiae dans le droit international des investissements, voy. F. El-Hosseny,
Civil Society in Investment Treaty Arbitration: Status and Prospect, Brill Nijhoff, 2018.
38. . Article 12 du modèle de TBI de l’Inde (2015) ; la disposition est similaire à celle incluse dans
les TBI signés par le Brésil avec l’Angola, la Colombie, le Malawi, le Mexique, le Mozambique et
le Chili en 2015.
39. Ibid.
22 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
BRUYLANT 23
Ludovica Chiussi
Les droits de l’homme en tant que tels ne sont pas absents de la jurisprudence
en matière d’investissement. En poursuivant des intérêts publics, les préoccupations
24 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
relatives aux droits de l’homme sont pertinentes pour les investisseurs et les États
d’accueil. D’une part, ainsi qu’il ressort des affaires Mondev c. États-Unis49, Tecnicas
Medioambientales S.A. c. Mexique50, Azurix c. Argentine51, Biloune c. Ghana52,
les tribunaux d’arbitrage d’investissement n’hésitent pas à recourir aux droits de
l’homme, notamment en faisant référence à la jurisprudence des tribunaux des
droits de l’homme afin de clarifier les obligations des États vis-à-vis des investis-
seurs. D’autre part, bien que la responsabilité des entreprises soit définie comme une
attente de base pour toutes les entreprises dans toutes les situations53, et la respon-
sabilité de respecter les droits de l’homme comme une norme de conduite générale
que l’on attend de toutes les entreprises là où elles opèrent54, en cas d’allégation de
violation des droits de l’homme par l’investisseur, les arbitres semblent « pêcher en
eaux troubles ».
Les tribunaux d’arbitrage d’investissement ont une compétence limitée, à
savoir celle de trancher sur un différend relatif à un investissement donné dans les
limites fixées par le consentement des parties, dans la même mesure que dans le
contentieux interétatique55. Les contraintes juridictionnelles sont souvent à l’origine
d’une approche prudente des questions de droits de l’homme dans les litiges relatifs
aux investissements56.
En ce qui concerne la dimension juridictionnelle, un outil efficace pour inci-
ter les entreprises à se conformer aux droits de l’homme consiste à conditionner la
définition de l’investissement à sa légalité, aux fins de déterminer la portée de l’in-
vestissement pouvant bénéficier des voies de recours offertes par le traité. De nom-
breux TBI prévoient une clause qualifiant l’activité économique d’un investisseur
d’« investissement » uniquement si elle a été réalisée conformément à la législation
49. Mondev Int’l Ltd. c. États-Unis, aff. CIRDI, n° ARB/(AF)/99/2, sentence du 11 octobre 2002.
50. Tecnicas Medioambientales Tecmed S.A. c. Mexique, aff. CIRDI, n° ARB(AF)/00/2, sentence
du 19 mai 2003.
51. Azurix Corp. c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/01/12, sentence du 14 juillet 2006, § 312.
52. Biloune c. Ghana Investments Centre, aff. CNUDCI, sentence du 27 octobre 1989, 95 ILR 183,
§§ 202-203.
53. Conseil des droits de l’homme, Protéger, respecter et réparer : un cadre pour les entreprises et
les droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question
des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, A/HRC/8/5, (2008), § 24.
54. Conseil des droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations unies,
A/HRC/17/31 (2011), Commentaire au principe 11.
55. Voy. Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démo-
cratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, CIJ Recueil, 2006, p. 6, § 88.
56. Voy. Biloune c. Ghana Investments Centre et Ghana, aff. CNUDCI, sentence du
27 octobre 1989, 95 ILR 183, p. 203 ; Grand River Enterprises Six Nations, Ltd., et al. c. États-
Unis, aff. CNUDCI, sentence du 1er décembre 2011 ; CMS Gas Transmission Company c. Argentine,
aff. CIRDI, ° ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005, § 121.
BRUYLANT 25
Ludovica Chiussi
de l’État hôte57. Il n’y a aucune raison de considérer que ce dernier ne comprenne pas
les traités relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État hôte58. Comme l’a déclaré
le tribunal dans l’affaire Pheonix c. République thèque, « nobody would suggest that
ICSID protection should be granted to investments made in violation of the most
fundamental rules of protection of human rights »59.
En ce qui concerne le droit applicable, dans des cas tels que celui de l’Accord
de libre-échange nord-américain (ALENA), dont l’article 1131 prévoit que le tribunal
« décide des questions en litige conformément au présent accord et aux règles appli-
cables du droit international », ou en vertu du traité sur la Charte internationale de
l’énergie, qui présente une disposition similaire sur le droit applicable (art. 26, § 6),
il ne semble pas exister d’obstacle à l’applicabilité du droit international des droits
de l’homme au différend. Mais même dans le cas d’un libellé moins explicite, comme
celui de l’article 42 de la Convention CIRDI, les dispositions relatives aux droits de
l’homme jouent toujours un rôle dans l’interprétation du TBI en question.
Selon l’article 31, § 3, (c), de la Convention de Vienne sur le droit des trai-
tés, l’interprétation d’un traité doit tenir compte de toute règle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties. Ces règles pertinentes
comprennent bien évidemment les traités internationaux sur les droits de l’homme
ratifiés par un grand nombre d’États, ainsi que le droit international général60. Bruno
Simma et Theodore Kill soutiennent que la portée de l’expression « règles appli-
cables », telle que visée à l’article 31, § 3, (c), de la CVDT pourrait aller au-delà des
règles « en vigueur » ou « contraignantes » entre les parties61. L’on pourrait alors
spéculer sur la question de savoir si, en suivant ce raisonnement, des instruments de
soft law, tels que les PGNU, ou les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des
entreprises multinationales, pourraient jouer un rôle dans l’interprétation des TBI.
Malgré son attractivité, une telle approche doit être prise avec précaution, comme le
suggèrent à juste titre ces auteurs62.
57. Voy. U. Kriebaum, « Investment Arbitration – Illegal Investments », Austrian Arbitration
Yearbook, 2010, pp. 307-335 ; J. Hepburn, « In Accordance with Which Host State Laws? Restoring
the “Defence” of Investor Illegality in Investment Arbitration », Journal of International Dispute
Settlement, vol. 5, n° 1, 2014, pp. 531-559 ; St. Shill, « Illegal Investments in Investment Treaty
Arbitration », Law and Practice of International Court and Tribunals, vol. 11, n° 2, pp. 281-323.
58. Dans le cas improbable où les traités relatifs aux droits de l’homme n’ont pas été transposés en
droit interne, le droit international coutumier peut constituer un « filet de sécurité » au moins pour
le contenu essentiel de la Charte internationale des droits de l’homme.
59. Phoenix Action, LTD c. République tchèque, aff. CIRDI, n° ARB/06/5, sentence du
15 avril 2009, § 78.
60. Voy. Tulip Real Estate and Development Netherlands B.V. c. Turquie, aff. CIRDI, n° ARB/11/28,
décision sur l’annulation du 30 décembre 2015, §§ 86-92 ; Asian Agricultural Products LTD c. Sri
Lanka, aff. CIRDI, n° ARB/87/3, sentence du 27 juin 1990, § 39.
61. Br. Simma et Th. Kill, « Harmonizing Investment Protection and Human Rights: First Steps
Towards a Methodology », in International Investment Law for the 21st Century: Essays in Honour
of Christoph Schreuer (U. Kriebaum et al. dir.), Oxford, OUP, 2009, pp. 679-707, p. 698.
62. Ibid.
26 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
63. Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016.
64. Ibid., § 1193.
65. Ibid., § 1194.
66. Ibid., § 1199. L’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme qu’« [a]
ucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un
État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir
un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés » ; l’article 5, § 1er, du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (« Aucune disposition du présent
Pacte ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un
droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits
ou libertés reconnus dans le présent Pacte ou à des limitations plus amples que celles prévues dans
ledit Pacte »).
BRUYLANT 27
Ludovica Chiussi
67. Il est à noter que la compétence du tribunal ne couvrait pas le contrat entre l’Argentine et
l’investisseur.
68. Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016, § 1210.
69. Azurix Corp. c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/01/12, sentence du 23 juin 2006, § 261.
70. Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016, § 1208. Comme affirmé par
Simma et Kill, « States [...] may be reluctant to raise human rights obligations [...] To do so could
result in the confirmation of positive obligations under human rights law that at present enjoy a
certain nebulosity with which States might be comfortable », Br. Simma et Th. Kill, « Harmonizing
Investment Protection and Human Rights: First Steps Towards a Methodology », in International
Investment Law for the 21st Century: Essays in Honour of Christoph Schreuer (U. Kriebaum et al.
dir.), Oxford, OUP, 2009, pp. 679-707, p. 680.
28 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
71. Voy. A. Bonfanti, « Applying Corporate Social Responsibility to Foreign Investors: Failures
and Prospects », in Foreign Investments, International Law and Common Concerns (T. Treves
et al.), Routledge, 2014, pp. 230-246 ; A. Tanzi, « The Relevance of the Foreign Investor’s Good
Faith », in General Principles of Law and International Investment Arbitration (A. Gattini et al.
dir), Brill Nijhoff, 2018, pp. 193-220.
72. Une réécriture plus équilibrée des TBI serait aussi complémentaire à l’élaboration d’un traité
sur la responsabilité des entreprises, voy. P.T. Muchlinski, « The Impact of a Business and Human
Rights Treaty on Investment Law and Arbitration », in Building a Treaty on Business and Human
Rights (S. Deva et D. Bilchitz), Cambridge, CUP, 2011, pp. 347-374.
73. Conseil des droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Sécretaire général chargé de
la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, M.J. Ruggie,
Les entreprises et les droits de l’homme : analyse des normes internationales relatives à la responsa-
bilité sociale et la transparence des entreprises, A/HRC/4/035, 2007, § 88.
BRUYLANT 29
Ludovica Chiussi
l’homme, avec la conséquence évidente qu’ils estiment la conduite des parties selon
des priorités autres que celle de l’évaluation d’éventuelles violations des droits de
l’homme par les entreprises. Même lorsque des violations des droits de l’homme de
la part des investisseurs sont soulevées dans la procédure, par exemple lors d’une
demande reconventionnelle, un lien entre la demande principale et la demande
reconventionnelle doit être présent.
Une autre lacune inhérente au droit international de l’investissement en ce qui
concerne la prise en compte des droits de l’homme réside dans le manque d’accès
aux recours pour les victimes. Même dans le cas où la conduite de l’investisseur est
jugée par un tribunal d’investissement contraire au droit international des droits de
l’homme, aucun recours n’est accordé aux personnes affectées par l’investissement. À
cet égard, une participation accrue des amici curiae contribuerait à la reconnaissance
du droit d’accès à la justice des victimes de violations commises par des entreprises.
En ce qui concerne les limites de nature « pathologique », l’on pourrait souli-
gner que des changements de règles de procédure et de fond pourraient être apportés
afin de mieux intégrer la responsabilité des sociétés en matière de droits de l’homme.
La structure décentralisée du régime d’investissement international n’est pas facile
à justifier aujourd’hui, surtout à la lumière de la présence croissante des sociétés
multinationales74. L’absence d’une structure centrale dans le droit international
de l’investissement ne fait pas de celui-ci l’outil idéal pour équilibrer les intérêts
des investisseurs et les normes internationales universelles des droits de l’homme.
Cette lacune rend plus difficile l’interprétation et une mise en œuvre cohérente du
vaste réseau de règles qui entrent en jeu. Un tribunal d’investissement composé d’un
nombre équilibré de représentants des États et de représentants du secteur privé
pourrait être mieux à même de contrebalancer la dimension bilatérale du droit de
l’investissement et de garantir les intérêts de la communauté. C’est particulièrement
le cas lorsque l’État défendeur est incapable ou refuse de soulever des moyens relatifs
aux droits de l’homme.
Conclusion
Les entreprises jouent aujourd’hui un rôle clé dans les services publics, allant
des services d’eau et d’assainissement, jusqu’au transport public et à la gestion de
déchets dangereux. Les investissements directs à l’étranger sont souvent l’outil par
lequel ces services sont rendus possibles. Dans ce contexte, le droit international de
l’investissement devrait aborder la responsabilité des entreprises en matière de droits
de l’homme, y compris la question de l’exigence de diligence raisonnable dans ce
74. Voy. B. Simmons, « Bargaining over BITs, Arbitrating Awards: The Regime for Protection and
Promotion of International Investment », World Politics, vol. 66, n° 1, 2014, pp. 12-46, p. 15.
30 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?
75. Conseil de droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme : mise en œuvre du cadre de référence «protéger, respecter et réparer» des Nations unies,
A/HRC/17/31 (2011), § 2.
BRUYLANT 31
Ludovica Chiussi
76. Voy. L. Wandal Mouyal, International Investment Law and the Right to Regulate: A Human
Rights Perspective, Routledge, 2016, pp. 226 et s.
77. Voy. A. Kulick, Global Public Interest in International Investment Law, Cambridge, CUP,
2012.
78. J.D. Fry, « International Human Rights Law in Investment Arbitration: Evidence of
International Law’s Unity », Duke Journal of Comparative and International Law, vol. 18, n° 1,
2007, pp. 77-149, p. 148.
79. Voy. M. Hirsch, « Investment Tribunals and Human Rights Treaties: A Sociological
Perspective », in Investment Law within International Law: Integrationist Perspectives (Fr. Baetens
dir.), Cambridge, CUP, 2013, pp. 85 et s.
80. Voy. Br. Simma, « Universality of International Law from the Perspective of a Practitioner »,
European Journal of International Law, vol. 20, n° 2, 2011, pp. 265-297, p. 297.
32 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle
des investisseurs pour violation
des droits de l’homme :
perspectives et limites
Arnaud de Nanteuil
Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (Paris 12)
1. Voy. toutefois Cl. Crépet Daigremont, « La protection découlant du droit international des
contrats », in Droit des investissements internationaux. Perspectives croisées (S. Rober-Cuendet
dir.), Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 331-355. La perspective de l’auteur est toutefois d’identifier les
éléments de protection des investissements uniquement et non les éventuelles obligations qui pour-
raient peser sur les investisseurs, notamment en matière de droits de l’homme.
2. Asian Agricultural Products Ltd. (AAPL) c. Sri Lanka, sentence du 27 juin 1990, ILM, 1990,
p. 580.
3. J. Paulsson, « Arbitration without privity », ICSID Review – Foreign Investment Law Journal,
vol. 10, n° 2, 1995, p. 232.
4. L’offre d’arbitrage serait présente dans le traité d’investissement et l’acceptation de l’investis-
seur dans le dépôt de la requête d’arbitrage. Pour une expression de ce principe, voy. American
Manufacturing & Trading Inc. c. Zaïre, aff. CIRDI, n° ARB/93/1, sentence du 21 février 1997,
ILM, vol. 36, p. 1534, § 5.23.
5. Le « droit international des contrats », bien identifié, relève en effet exclusivement du droit
international privé et se focalise donc sur les questions traditionnelles de ce droit : statut des par-
ties, droit applicable, juge compétent, modalités d’exécution, etc. Voy. en particulier M.-É. Ancel,
P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Paris, Sirey, 2016.
34 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
ferait assurément partie6. Mais il n’en serait qu’une composante, car dans bien des
cas, le contrat d’investissement – entendu cette fois-ci dans son sens le plus large
possible comme le contrat ayant pour objet une opération qui peut être qualifiée
d’investissement au sens du droit international économique7 – pourrait parfaitement
être conclu entre deux entités privées. Il ne serait pas un contrat d’État, mais pourrait
être soumis au droit international s’il existe un traité de protection des investisse-
ments entre l’État d’origine d’une partie et l’État sur le territoire duquel se déploie
l’opération. Tel serait par exemple un contrat ayant pour objet la participation au
capital d’une entreprise privée et définissant les modalités de cette participation : il
s’agirait donc d’un contrat d’investissement qui n’a pas la forme d’un contrat d’État
au sens traditionnel.
L’objectif du présent propos n’est toutefois pas de tenter d’identifier un droit
international des contrats d’investissement, si tant est que cela soit possible, mais
de prendre acte des contrats existants afin de voir ce qu’ils peuvent apporter à la
question générale du respect des droits de l’homme dans les opérations d’investis-
sement. L’intérêt de l’outil contractuel apparaît évident de prime abord dans cette
perspective : dans un certain nombre de cas, les atteintes aux droits fondamentaux
sont en effet le fait de l’opérateur économique, auquel les normes issues du droit
international public ne sont pas opposables. En pareille hypothèse, la seule solution
issue du droit international serait d’envisager la responsabilité de l’État pour passi-
vité, dans le cas où l’atteinte aux droits individuels aurait été le fait d’un investisseur
rendu possible par l’inaction ou l’insuffisance de la réglementation nationale. Mais
cette possibilité souffre d’importantes faiblesses : d’abord, elle suppose qu’il existe
un organisme compétent en matière de droits de l’homme (une cour régionale) pour
connaître la demande ; ensuite, les conditions d’engagement de la responsabilité des
États en pareille hypothèse sont généralement assez strictes et soulèvent d’importants
problèmes de preuve ; enfin, dans la mesure où l’État seul peut être tenu pour res-
ponsable, un tel mécanisme semble dépourvu de réelle dimension préventive et même
sanctionnatrice dès lors que l’atteinte directement portée aux droits de l’homme
serait imputable à l’investisseur. Il n’est pas satisfaisant de sanctionner un État pour
des atteintes portées aux droits de l’homme par une entreprise, quand bien même il
les aurait rendues possibles ou facilitées.
Face à cette indiscutable insuffisance, il apparaît que le traité ne peut repré-
senter une solution totalement efficace faute de pouvoir faire peser des obligations
sur la partie privée. Dans ces conditions, le recours au contrat porteur de droits et
6. Voy. sur le droit des contrats d’État, J.-M. Jacquet et D. Bentolila, « Contrat d’État »,
Juriclasseur dr. intern., fasc. 571-90, 2012.
7. Tout en étant ici pleinement conscient de la difficulté de définir l’investissement en droit inter-
national. On renverra ici à la multitude de travaux consacrés à la question, dont en particulier
A. Gilles, La définition de l’investissement international, Bruxelles, Bruylant, 2012. Pour une
approche plus synthétique, voy. A. de Nanteuil, Droit international de l’investissement, 2e éd.,
Paris, Pedone, 2017, pp. 165-186.
BRUYLANT 35
Arnaud de Nanteuil
8. Quelques solutions se dessinent pourtant mais elles sont assez limitées et pour le moment sont
loin d’avoir fait leurs preuves. Voy. notamment Y. Kerbrat, « La responsabilité des entreprises
peut-elle être engagée pour des violations du droit international ? », in L’entreprise dans la société
internationale (H. Gherari et Y. Kerbrat dir.), Paris, Pedone, 2010, pp. 93-104. Voy. également
les différentes contributions abordant la question in Société française pour le droit international
(SFDI), L’entreprise multinationale et le droit international, Colloque de Paris 8 Vincennes Saint-
Denis, Paris, Pedone, 2017, notamment celle de M. Mbengue, « Les obligations des investisseurs
étrangers », pp. 295-340.
9. Les exemples qui suivent sont tirés de la banque de données électronique mise en ligne par l’Uni-
versité de Columbia : http://www.resourcecontracts.org/countries.
36 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
avec ceux qui sont reconnus par les instruments régionaux ou universels de protec-
tion des droits de l’homme (C). Mais l’on constatera que, dans l’ensemble, les réfé-
rences demeurent rares.
10. Voy. notamment Ch. Leben, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international
des investissements », RCADI, vol. 302, 2003, pp. 201-386, spéc. pp. 220 et s.
11. Pour un exemple de contrats renvoyant au droit interne en termes de respect des droits des
travailleurs, voy. l’article 23, § 2, b, du contrat entre Société Sandep Gaarg & Company SARL et
le Mali.
BRUYLANT 37
Arnaud de Nanteuil
l’exemple du Sénégal qui a adopté le 8 novembre 2016 une nouvelle version de son
code minier impliquant un certain nombre d’obligations à la charge des entreprises
chargés des opérations d’extraction. On notera en particulier l’article 94 aux termes
duquel « [t]out titulaire de titre minier a l’obligation de protéger et respecter les
droits humains dans les zones affectées par les opérations minières, conformément
à la législation nationale et aux conventions internationales »12. Le renvoi au droit
international permet de pallier les éventuelles lacunes du droit interne et d’ouvrir des
perspectives intéressantes : quoiqu’il ne s’agisse que d’une obligation formulée en
des termes très généraux, elle renvoie à un ensemble de textes, internes ou interna-
tionaux, porteurs de multiples obligations précises. En ce sens, une telle disposition
applicable à un contrat d’investissement est porteuse de conséquences qui peuvent
être de grande envergure. En pratique néanmoins, elle est assez rare.
12. Loi n° 2016-32 du 8 novembre 2016, accessible en ligne sur le site officiel du gouvernement
sénégalais : https://www.sec.gouv.sn/Code-minier.html.
13. Ces principes ont été approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dans
sa résolution 17/4 du 16 juin 2011.
14. Art. 19.7.2 contrat entre CPI International Minerals & Investment Co. Ltd. et la République
de Guinée (Guinée Conakry), 2013.
15. Voy. https://www.icmm.com/en-gb.
16. Voy. http://www.ipieca.org/.
38 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
un droit national. Comme telles, elles ne peuvent donc disposer d’un pouvoir de
contrainte surtout dans des opérations qui se déroulent ailleurs que sur le territoire
de l’État dont elles tirent leur statut. Ensuite, l’étendue exacte de la mission de ces
structures n’est pas très claire. Faute d’un engagement de l’entreprise dans le contrat
en relation avec un texte spécifique, elles ne peuvent être missionnées que pour véri-
fier le respect du droit applicable à ce dernier, dans lequel peuvent figurer des normes
relatives aux droits de l’homme, mais avec les réserves qui ont été exprimées au-des-
sus. De ce double point de vue, il résulte que la référence à un code de conduite dans
un contrat ne produirait sans doute qu’un effet assez modeste.
On peut même aller plus loin à ce sujet. En imaginant qu’un investisseur s’en-
gage dans un contrat à respecter un ensemble de principes prédéterminés à l’instar
d’un code de conduite, il n’est pas certain que cela soit suffisant pour leur conférer
une valeur contraignante, ou en tout cas pour garantir leur sanction juridictionnelle.
La difficulté, de ce point de vue, est la même que celle qui est au cœur de la distinc-
tion entre treaty claims et contract claims en droit international des investissements17.
On peut ainsi imaginer une clause du contrat par laquelle l’entreprise s’engage à res-
pecter un code de conduite donné. La violation de ce dernier devrait donc constituer
une méconnaissance de l’engagement contractuel à le respecter. Mais l’examen de
cette violation ne relèverait pas nécessairement de la compétence du juge du contrat.
Si ce dernier est un tribunal arbitral, en effet, ce qui en pratique est souvent le cas, sa
compétence sera limitée à ce que prévoit la clause compromissoire. Il est possible que
celle-ci soit rédigée de manière large, mais elle limitera généralement la compétence
du tribunal arbitral aux différends directement liés au contrat. Or, de même que le
juge du traité comportant un engagement à respecter un contrat n’est pas nécessai-
rement compétent pour examiner si le contrat a été méconnu, l’arbitre saisi sur le
fondement d’un contrat ne pourra pas nécessairement étendre sa compétence aux
dispositions d’un instrument qui est totalement extérieur à ce dernier. En d’autres
termes, pour identifier si l’engagement à respecter le code de conduite a été tenu, il
est nécessaire de vérifier s’il y a eu violation de celui-ci, ce qui ne relève pas nécessai-
rement de la compétence que lui auront confiée les parties au contrat. Il faut que la
rédaction de la clause compromissoire de ce dernier le permette.
À ce problème d’ordre procédural vient s’ajouter une difficulté substantielle
liée au fait qu’un code de conduite non contraignant ne peut changer de nature par
le simple renvoi d’un instrument juridiquement obligatoire. Le raisonnement est sans
doute un peu formaliste, mais il est vrai qu’en toute rigueur, le seul engagement
17. Cette distinction a été clairement mise en avant dans l’affaire Compania de Aguas del
Aconquija S.A. et Vivendi Universal S.A. c. République d’Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/97/3, déci-
sion d’annulation du 3 juillet 2002, ICSID Reports, vol. 6, p. 340, § 96, trad. E. Gaillard in La
jurisprudence du CIRDI, vol. I, p. 736 : « La détermination de l’existence de la violation du BIT et
celle d’un manquement au contrat sont deux questions distinctes. Chacune d’elles sera déterminée
par application du droit qui lui est applicable – dans le cas du BIT, le droit international ; dans le
cas du contrat de concession, le droit applicable au contrat ».
BRUYLANT 39
Arnaud de Nanteuil
juridique est celui qui figure dans le contrat et non dans l’instrument de soft law.
On sait qu’en matière de treaty et contrat claims, certains tribunaux arbitraux ont
refusé de voir dans une clause – conventionnelle – de respect des engagements une
stipulation suffisante pour transformer les réclamations contractuelles en réclama-
tions conventionnelles, estimant qu’en dépit de sa présence, la violation d’un contrat
ne pouvait être en soi un acte internationalement illicite18. Même si cette décision
ne fait pas l’unanimité, rien n’empêche qu’une interprétation analogue soit retenue
et aboutisse à la conclusion que la méconnaissance d’un code de conduite n’est pas
en soi une violation du contrat. Elle ne pourrait le devenir que si elle constitue une
méconnaissance formelle d’une stipulation contractuelle.
18. SGS Société générale de surveillance c. République islamique du Pakistan, aff. CIRDI,
n° ARB/01/3, sentence du 6 août 2003, ICSID Reports, vol. 8, p. 406, §§ 166 et s.
19. Voy. par exemple art. 19.1, § f, Convention minière entre la République du Niger et la Hansa
Geomin Consult GmbH, 1995.
20. Art. 16.11 contrat de partage de production entre le Gouvernement du Kurdistan iraquien et
Korea National Oil Corporation, 2008.
21. Art. 5, § 1er, a, contrat de partage de production entre Eni Timor Leste SpA et le Timor S-06-
05, 2006.
22. Art. 8.1 contrat signé en 2009.
40 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
est en soi digne d’intérêt. On pourrait encore envisager un renvoi aux standards
de l’Organisation internationale du travail même si c’est une hypothèse que nous
n’avons pas rencontrée en pratique. Par analogie, une technique similaire a pu, en
revanche, être employée en matière de protection de l’environnement : ainsi dans
le dernier modèle de contrat de partage publié par l’Éthiopie, l’article 3.7.2 prévoit
que l’investisseur est tenu de respecter l’ensemble des normes nationales sur l’envi-
ronnement et que « [i]n the absence of applicable laws, the Contractor shall apply
the most appropriate internationally accepted environment standards »23. Il est vrai
que la formule reste floue et que, s’agissant d’un modèle, il n’est pas certain qu’elle
puisse réellement être acceptée comme telle par les négociateurs. Mais rien n’em-
pêche qu’un mécanisme analogue soit employé en termes de droit des travailleurs.
Que la possibilité juridique existe est une chose, mais qu’elle soit mise en
œuvre en est une autre. Il apparaît dans la pratique des contrats, pour autant qu’elle
puisse faire l’objet d’une systématisation, laisse tout de même une place assez réduite
à la question des droits sociaux. Sans doute pourtant cette référence à ces droits pré-
cis, au premier chef ceux des travailleurs, constitue-t-elle la meilleure garantie de leur
respect car, en pareille hypothèse, la teneur exacte des obligations est connue et iden-
tifiée. En outre, pour rester sur cet exemple, un renvoi aux normes internationales
permettrait de bénéficier de la pratique ancienne du Bureau international du travail
et de ses interprétations des différentes règles de protection.
23. Modèle publié le 26 août 2011. La disposition complète se lit comme suit : « Contractor shall
comply with the applicable laws, regulations, and directives relating to the environment, to avoid
the damages the Petroleum Operations may cause on the human and natural environment. In the
absence of applicable laws, the Contractor shall apply the most appropriate internationally accep-
ted environment standards ».
BRUYLANT 41
Arnaud de Nanteuil
24. Voy. sur cette question et ces tentatives juridictionnelles M. Mbengue, « Les obligations des
investisseurs étrangers », in Société française pour le droit international (SFDI), L’entreprise multi-
nationale et le droit international, op. cit., pp. 318 et s.
25. Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. République d’Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016, §§ 1195 et
1199.
26. Ibid., §§ 1204-1210.
27. M. Mbengue, « Les obligations des investisseurs étrangers », in Société française pour le droit
international (SFDI), L’entreprise multinationale et le droit international, op. cit., pp. 322 et s.
42 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
compétence les droits reconnus dans le présent Pacte [...] »28. C’est sans doute la
raison pour laquelle certains des traités évoqués détaillent eux-mêmes les droits que
les investisseurs demeurent tenus de respecter29. La seule solution, en effet, est dans
l’affirmation de nouvelles obligations qui sur le fond peuvent rejoindre celles exis-
tantes, mais dont la formulation laisse clairement entendre que les personnes privées
peuvent en être débitrices. La vision des rapports entre droits de l’homme et entre-
prise se trouve donc profondément renouvelée, de sorte que la question se pose alors
de savoir si, à la lumière de cette nouvelle approche, une mention de ces droits dans
un contrat liant un État et un investisseur étranger pourrait permettre d’aller un
peu plus loin que le tribunal dans l’affaire Urbaser. Sans doute est-ce le cas puisque,
comme il vient d’être vu, le principal obstacle à l’opposabilité des droits de l’homme
aux investisseurs tient à la formulation des obligations existantes, de sorte que l’in-
troduction d’obligations de ce type dans un contrat aurait pour effet de le lever en
rendant ces obligations opposables à des personnes privées.
Mais l’insertion de stipulations de ce type dans les contrats d’investissement,
dont on a vu qu’elle était encore timide sans être inexistante pour autant, est sur-
tout susceptible de produire des effets sur le plan procédural. Dans le cadre d’un
traité, en effet, l’État se trouve systématiquement en position de défendeur et ne
peut engager de poursuites contre l’investisseur qu’au titre d’une demande recon-
ventionnelle. Or, les conditions d’engagements de celle-ci sont strictes, notamment
parce que la demande doit à la fois relever de la compétence du tribunal – donc
entrer dans le champ délimité par la clause compromissoire du traité – et présenter
un lien de connexité suffisant avec la demande principale formulée par l’investisseur.
Ces exigences expliquent que les demandes reconventionnelles ont longtemps été
écartées par les tribunaux arbitraux, jusqu’à une date récente. Il semble que la juris-
prudence évolue dans un sens qui leur soit plus favorable, mais il s’agit pour l’heure
de quelques décisions qui ne permettent pas (encore ?) de conclure à une tendance
globale30. À ce sujet, la présence d’un contrat mentionnant des obligations relatives
aux droits de l’homme permet d’envisager une double conséquence : d’abord, elle
faciliterait grandement la recevabilité des demandes reconventionnelles puisque
le contrat est porteur de droits et obligations réciproques. Si l’on imagine que la
clause compromissoire de ce contrat donne compétence à la juridiction, qu’elle soit
28. New York, 16 décembre 1966 (A/RES/2200 A (XXI), 16 décembre 1966), RTNU, vol. 999,
p. 171. C’est nous qui soulignons.
29. Voy. par exemple le modèle de TBI publié en 2012 par la SADC (Southern Africa Development
Community), accessible en ligne : http://www.iisd.org/itn/wp-content/uploads/2012/10/SADC-
Model-BIT-Template-Final.pdf.
30. Outre la sentence CIRDI dans l’affaire Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia,
Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c. République d’Argentine, voy. Burlington Ressources Inc.
c. République d’Équateur, aff. CIRDI, n° ARB/08/5, décision sur les demandes reconvention-
nelles, 7 février 2017. Sur cette question et sur les perspectives ouvertes, voy. A. de Nanteuil,
« Counterclaims in Investment Arbitration: Old Questions, New Answers? », The Law and Practice
of International Courts and Tribunals, vol. 17, 2018, pp. 374-392.
BRUYLANT 43
Arnaud de Nanteuil
arbitrale ou non, pour tous les différends relatifs à l’application du contrat, cette
compétence inclura nécessairement les demandes reconventionnelles que l’État pour-
rait présenter. Ensuite, la présence d’obligations relatives aux droits de l’homme dans
un contrat permettrait tout simplement d’envisager que l’État soit demandeur à l’ins-
tance et poursuive l’investisseur sans attendre d’être lui-même poursuivi pour enga-
ger des demandes reconventionnelles. Au-delà du fond, c’est donc un changement de
la structure même du contentieux qui serait rendu possible, en envisageant un règle-
ment des différends plus équilibré dans lequel le défendeur ne serait pas systémati-
quement l’État. Il importerait bien entendu de sécuriser cette possibilité afin qu’elle
ne soit pas instrumentalisée et qu’elle ruine la protection de l’investisseur étranger,
mais elle ouvre la voie à des perspectives intéressantes, tout en donnant naissance à
de nouveaux problèmes.
44 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
31. La doctrine est partagée sur le point de savoir si cette disposition traduit une approche moniste
ou dualiste des rapports entre droit international et droit interne. Il n’est pas nécessaire de trancher
ici ce débat, dans la mesure où les deux hypothèses permettent d’envisager une sanction interne
des normes internationales. En tout état de cause, il semble que la majorité des États aient adopté
une approche dualiste sur cette question. Voy. à ce sujet M. Virally, « Sur un pont-aux-ânes : les
rapports entre droit international et droits internes », in Mélanges offerts à Henri Rolin. Problèmes
de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, pp. 488-505.
32. Voy. notamment à ce sujet Ch. Leben, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit
international des investissements », RCADI, vol. 302, 2003 (I), pp. 197-386.
BRUYLANT 45
Arnaud de Nanteuil
et donc seraient dénués de toute valeur juridique et de toute force obligatoire »33.
Ce faisant, le tribunal conférait à l’engagement contractuel une portée internatio-
nale, ce qui en soi était révolutionnaire, mais était grandement facilité par le fait
que le principe même d’une responsabilité internationale de l’État pour violation de
ses engagements (internationaux) était admis. Le changement apporté résidait donc
dans la reconnaissance de l’ancrage du contrat dans le droit international, mais il n’y
a pas eu, à proprement parler, de reconnaissance d’une nouvelle forme de responsa-
bilité. Seul le fait générateur de l’engagement de celle-ci était nouveau. Dans le cas
qui nous intéresse, en revanche, toute la difficulté tient à ce que la responsabilité qui
serait recherchée n’existe pas dans l’absolu. Un raisonnement analogue à celui qui a
présidé à la construction de la théorie du contrat d’État ne saurait donc être tenu, car
il supposerait que la responsabilité des personnes privées en droit international soit
reconnue comme un préalable.
Sans doute faut-il donc modifier quelque peu la perspective, et revoir en parti-
culier les ambitions à la baisse. Il est possible en effet d’envisager une responsabilité
de l’investisseur dans les conditions évoquées précisément grâce au cadre juridique
particulier constitué par le contrat. Plutôt que d’envisager une responsabilité pure-
ment internationale comme celle de l’État dans le cadre des contrats d’État, il serait
possible de concevoir une responsabilité de l’investisseur qui resterait de nature
strictement contractuelle. Faute de principes existant en droit international, c’est au
contrat lui-même qu’il appartiendrait de fixer les conditions et les conséquences de la
responsabilité éventuelle de l’investisseur. Mais à défaut d’un régime juridique exis-
tant, celui-ci devrait en effet être conçu de toutes pièces. Il reste alors à identifier les
éléments qui pourraient le composer.
46 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
de l’une d’entre elle se traduit ipso facto par la mise en cause des droits reconnus ce
qui, en soi, est constitutif d’un dommage. Ce dernier devrait donc sans doute être
considéré comme une condition exigible en tout état de cause, mais dans le même
temps il semble impliqué par la violation de la norme. Le fait de ne pas l’indiquer
expressément comme condition d’engagement de la responsabilité n’implique donc
pas nécessairement que sa pertinence devrait être écartée. En résumé, le dommage
semble donc être une condition inhérente à la responsabilité envisagée.
Ce n’est pas, cependant, la seule question ouverte, loin s’en faut. De multiples
éléments composent le régime d’une responsabilité et la deuxième question qui se
pose ici est celle de l’illicéité comme condition de son engagement. Il existe en effet
des régimes objectifs ou « sans faute » dans lesquels le fait générateur n’a pas à être
contraire à une norme pour produire un engagement de responsabilité. Cela étant,
même si des régimes de responsabilités sans faute existent en droit international,
ils sont réduits à des régimes conventionnels spécifiques35. Au surplus, dans l’hypo-
thèse qui retient ici notre attention, il apparaît que la responsabilité n’est qu’un outil
visant à garantir le respect des droits de l’homme par l’investisseur. Ce n’est donc
qu’en cas de violation de ces derniers qu’il y aurait un sens à l’engager. De ce point
de vue, on voit mal comment la responsabilité pourrait être objective, puisque c’est
sa raison d’être qui implique son engagement uniquement en cas de violation. D’une
manière générale d’ailleurs, le droit international des droits de l’homme reconnaît
que la responsabilité de l’État repose sur l’illicite, à l’instar de la responsabilité
internationale en général : les droits de l’homme ne constituent pas une lex specia-
lis à cet égard36. Dans ces conditions, il apparaît difficile d’envisager qu’il en aille
35. Les seuls cas de responsabilité « sans faute » (i.e. fondée sur autre chose que la contrariété de
l’acte étatique à une norme internationale) relèvent de régimes spéciaux organisés par des conven-
tions. Tel est le cas par exemple des conventions du 29 juillet 1960, 25 mai 1962 et du 10 mai 1963
sur les dommages causés par l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, ou la convention du
29 mai 1969 sur la pollution par les hydrocarbures. Voy. à ce sujet J. Combacau et S. Sur, Droit
international public, 10e éd., Paris, Montchrestien, 2012, pp. 544-545 ; également P.M. Dupuy,
« Le fait générateur de la responsabilité internationale des États », RCADI, vol. 188, 1984 (V),
pp. 9-134.
36. On peut rappeler ici que l’illicite est bien entendu une exigence en droit international général,
comme le rappelle l’article 1er des Articles de la Commission du droit international (CDI) adoptés
en 2001 : « Tout fait internationalement illicite de l’État engage sa responsabilité ». Voy. en parti-
culier le commentaire par J. Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris,
Pedone, 2003, pp. 93 et s. Aucune étude relative aux droits de l’homme ne semble écarter la néces-
sité d’une illicéité, sous la forme d’une violation des normes internationales, cette dernière étant
considérée même implicitement comme le seul critère d’engagement de la responsabilité de l’État
en la matière, voy. par exemple A. Kiss, « La protection des droits de l’homme et les techniques de
mise en œuvre du droit international », in SFDI, La protection des droits de l’homme et l’évolution
du droit international, Colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 1998, pp. 135-156, spéc. pp. 144 et s.
L’article 34 du Statut de la Cour européenne des droits de l’homme l’évoque d’ailleurs explicitement
en disposant que « la Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organi-
sation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation ».
C’est nous qui soulignons.
BRUYLANT 47
Arnaud de Nanteuil
différemment lorsque c’est à une entreprise que l’atteinte aux droits de l’homme est
reprochée. En tout état de cause, une telle atteinte n’est caractérisée que si elle est
constitutive de la violation d’une norme existante. En conséquence, l’illicite ne peut
être raisonnablement écarté d’un tel régime de responsabilité.
Outre le fait générateur et le dommage, il faut bien entendu envisager la
question du lien de causalité, qui n’a cependant aucune raison d’être abordé en des
termes spécifiques dans le cadre du régime de responsabilité que nous tentons ici
d’identifier. Dans le droit international général, l’exigence de causalité est peu explo-
rée sans doute parce qu’elle s’impose d’évidence37. Mais elle n’en soulève pas moins
d’importantes questions, dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’une approche univoque
sur le plan théorique38. Dans l’ordre juridique international, de multiples questions
se sont posées à son sujet, comme celle de la prise en compte ou non du doute dans
l’existence du lien de causalité : la jurisprudence internationale semble se contenter
d’une preuve suffisante, voire d’une probabilité suffisante, pour établir la causalité,
même si un doute demeure sur l’enchaînement causal entre le fait générateur et le
dommage39. En ce sens, la causalité s’applique en forme de « tout ou rien » : elle est
établie ou non, mais ne peut l’être partiellement. Cela n’exclut pas cependant qu’il
existe plusieurs faits générateurs dont il faut alors examiner la contribution respec-
tive au dommage avant d’envisager une réparation – mais cet examen soulève de
très grandes questions théoriques et pratiques40 –. Ces questions ont été soulevées
dans le cadre de la responsabilité internationale de l’État, mais devraient l’être tout
autant dans le cadre de celle d’une entreprise. Il est ainsi possible d’envisager que la
violation des droits de l’homme imputable à celle-ci ait été facilitée par des agisse-
ments étatiques comme une surveillance insuffisante ou même des normes nationales
peu regardantes. En pareille perspective, c’est bien la causalité qui se trouverait au
cœur du problème. Il est donc essentiel que l’hypothétique régime de responsabilité
ici évoqué intègre des éléments à ce sujet même si l’adoption des solutions du droit
international général constituerait indiscutablement la solution la plus raisonnable.
37. Voy. J. Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, op. cit., p. 245. Voy.
également J. Verhoeven, Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 628. Dans le
domaine du droit de l’investissement, l’exigence du lien de causalité est parfois explicitement formu-
lée par les tribunaux arbitraux, voy. par exemple SAUR International S.A. c. Argentine, aff. CIRDI,
n° ARB/04/4, sentence du 22 mai 2014, §§ 339 et s., spéc. § 340. Voy. également Antoine Abou
Lahoud and Leila Bounafeh-Abou Lahoud c. République Démocratique du Congo, aff. CIRDI,
n° ARB/10/4, sentence du 7 février 2014, § 555.
38. Pour une présentation des différentes approches théoriques, voy. par exemple G. Viney,
P. Jourdain et S. Carval, Les conditions de la responsabilité, 4e éd., Paris, LGDJ, 2013, pp. 240
et s. Il apparaît que certains auteurs s’opposent au principe même d’une définition de la causalité et
que l’unanimité est loin de faire la loi chez ceux qui tentent de l’identifier de manière systématique.
39. Voy. Br. Bollecker Stern, Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale,
Paris, Pedone, 1974, pp. 189 et s.
40. Ibid., pp. 267-296.
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Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites
41. Voy. J. Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris, Pedone, 2003,
pp. 1 et s.
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