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DROITS DE L’HOMME

DROITS DE L’HOMME ET DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE


DROITS DE L’HOMME
ET DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
ET DROIT INTERNATIONAL
C ÉCONOMIQUE
es dernières années ont vu un renforcement de l’interaction entre droits de l’homme et droit
international économique. En témoignent la prise en compte des droits de l’homme dans les
différends en matière d’investissement international ; l’intérêt que porte l’Expert indépendant
pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable des Nations Unies à la
protection des droits de l’homme dans le contentieux économique ; la sensibilisation de la société
civile à la responsabilité sociétale des entreprises ; le nouveau type des traités de libre-échange
sous la direction de

sous la direction de Catharine Titi


qui visent un meilleur équilibre entre droits économiques et droits de l’homme. Si ces exemples
illustrent un tel renforcement, cette interaction suscite également des controverses, et donne lieu
à de multiples critiques visant le droit international économique, considérant qu’il ne prend pas Catharine Titi
encore suffisamment en compte les droits de l’homme. L’ouvrage examine ce constat et se penche
sur les failles de l’ordre international économique ainsi que sur ses réformes. Il s’interroge sur la
responsabilité des multinationales et des autres entreprises en matière de droits de l’homme ; il
étudie la prise en compte des droits de l’homme dans les chaînes globales de valeur, mais aussi
dans les conditionnalités du FMI ; il examine la présence des droits de l’homme dans l’arbitrage de
l’investissement, et propose des solutions pour une coexistence future plus harmonieuse entre les
deux domaines.

Droit international économique


Sous la coordination de Catharine Titi, l’ouvrage rassemble les contributions de Anna Aseeva,
Ludovica Chiussi, Emmanuella Doussis, Shotaro Hamamoto, Isabelle Moine-Dupuis, Daniel Müller,

Droit international
Arnaud de Nanteuil, Carolina Olarte-Bácares, Francisco Pascual-Vives, Ioannis Prezas, Arianna Rafiq,
Sabrina Robert-Cuendet, Silvio da Silva, Gisèle Stephens-Chu, Éric Teynier, Catharine Titi et Andreas
R. Ziegler.

➜ Droit international économique

www.larcier.com • www.stradalex.com

DROHO
ISBN : 978-2-8027-6343-7
Sommaire

Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Introduction générale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Catharine Titi
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du
droit international de l’investissement ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Ludovica Chiussi
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme :
perspectives et limites. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Arnaud de Nanteuil
Développements récents en matière de protection des droits fondamentaux
et de l’environnement dans les chaînes globales de valeur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Anna Aseeva

Droits de l’homme et droit des investissements en Amérique latine : interaction


des procédures par la participation des particuliers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Carolina Olarte-Bácares

Convergences et divergences entre droits de l’homme et droits


des investisseurs – Analyse sous l’angle du contrôle exercé
par le juge européen et les arbitres internationaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Sabrina Robert-Cuendet

Équation insoluble ?L’annexe interprétative du CETA relative à l’expropriation


indirecte à l’épreuve de la technique européenne de proportionnalité. . . . . . . . . . . . 145
Ioannis Prezas

Investissements étrangers et protection des intérêts publics. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175


Francisco Pascual-Vives

Traités d’investissement et arbitrage investisseur-État vus par un expert des droits


de l’homme : examen critique des rapports de l’Expert indépendant pour
la promotion d’un ordre international démocratique et équitable . . . . . . . . . . . . . . 207
Shotaro Hamamoto

Droits et obligations issus du droit de l’investissement et des droits de l’homme :


entre exclusivité et harmonisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Gisèle Stephens-Chu et Daniel Müller

Études d’impact sur les droits de l’homme et l’arbitrage d’investissement . . . . . . . . . . . 253


Éric Teynier et Arianna Rafiq

Droit international économique, droit à la santé et droit aux médicaments. . . . . . . . . . 299


Isabelle Moine-Dupuis
Droits de l’homme et droit international économique

Droit international économique et droit à la santé : questions sur le rôle des règles
externes dans le mécanisme de règlement des différends de l’OMC. . . . . . . . . . . . . 325
Silvio da Silva et Andreas R. Ziegler

Nuances de gris : les conditionnalités du FMI et les droits de l’homme. . . . . . . . . . . . . 347


Emmanuella Doussis

Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369

6 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises
en matière de droits de l’homme :
un rôle effectif du droit
international de l’investissement ?

Ludovica Chiussi
Doctorante, Université d’Oslo et Université de Bologne

I. Droit international des droits de l’homme et droit international


de l’investissement : des origines communes pour des destinations divergentes 18
II. Rôle des accords bilatéraux d’investissement dans la promotion du respect des
droits de l’homme par les sociétés 20
III. Rôle de l’arbitrage d’investissement dans la lutte contre les violations des droits
de l’homme par les entreprises 24
IV. Défauts du droit international des investissements dans le discours du business
and human rights 29
Conclusion 30
Ludovica Chiussi

Alors que l’intérêt politique attaché à la problématique de la responsabilité


des entreprises a connu des fluctuations1, les violations des droits de l’homme par
les entreprises ont suscité de nombreux débats au cours du siècle dernier. Cela dit, il
est peu probable que les questions relatives à la relation entre entreprises et droits de
l’homme perdent de leur importance, ne serait-ce que parce que les efforts déployés
par la communauté internationale pour s’attaquer à des violations souvent graves
de la part des entreprises, en particulier à l’étranger, sont encore loin d’être efficaces.
Il serait malvenu de sous-estimer le rôle joué par le secteur privé dans la pro-
motion d’un certain nombre de droits de l’homme, mais il n’en reste pas moins que
le processus de partenariat public-privé préconisé par les Objectifs de développement
durable des Nations unies pourra difficilement réussir tant que le droit international
ne parviendra pas à faire converger la conduite des entreprises et les normes relatives
aux droits de l’homme, du moins celles qui bénéficient d’une reconnaissance géné-
rale2.
Malgré un large consensus sur un concept très général de responsabilité des
entreprises en matière de droits de l’homme, aucun accord n’a encore été trouvé
en droit international sur sa valeur normative, ni sur les solutions les plus efficaces
pour s’attaquer aux infractions commises par les entreprises, encore moins en ce qui
concerne les voies de recours3. Ce chapitre ne reviendra pas sur le débat doctrinal
traditionnel relatif à la personnalité juridique des entreprises ou plus largement des
personnes morales en droit international4. Cependant, l’hypothèse inductive retenue

 1.  Voy., parmi d’autres, P.  T.  Muchlinski, «  Human Rights and Multinationals: Is There a
Problem?  », International Affairs, vol.  77, n°  1, 2001, pp.  31-48  ; A.  Clapham, Human Rights
Obligations of Non-State Actors, Oxford, OUP, 2006, pp.  195-266  ; O.  De Schutter (dir.),
Transnational Corporations and Human Rights, Hart Publishing, 2006 ; M. Karavias, Corporate
Obligations under International Law, Oxford, OUP, 2013  ; N.  Bernaz, Business and Human
Rights: History, Law and Policy – Bridging the Accountability Gap, Routledge, 2016 ; F. Marrella,
« Protection internationale des droits de l’homme et activités des sociétés transnationales », Recueil
des cours de l’Academie de Droit international de La Haye, vol. 385, Brill-Nijoff, 2017.
 2.   Assemblée générale des Nations unies, Transformer notre monde : le Programme de développe-
ment durable à l’horizon 2030, A/RES/70/1 (2015) ; voy. D. French, « The Global Goals: Formalism
Foregone, Contested Legality and “Re-imaginings” of International Law  », Ethiopian Yearbook
of International Law, 2016, pp.  151-178  ; L.  Chiussi, «  The UN 2030 Agenda on Sustainable
Development: Talking the Talk, Walking the Walk? », La Comunità internazionale, vol. 71, n° 1,
2016, pp. 44-70 ; Global Reporting Initiative and the UN Global Compact, « Business Reporting
on the SDGs: An Analysis of the Goals and Targets  », 2017, https://www.unglobalcompact.org/
docs/publications/GRI_UNGC_SDG_Reporting_An_Analysis_of_Goals_and_Targets_2017.pdf.
 3.   Voy. A.  Ramasastry, «  Corporate Social Responsibility versus Business and Human Rights:
Bridging the Gap between Responsibility and Accountability », Journal of Human Rights, vol. 14,
n° 2, 2015, pp. 237-259.
 4.  Sur ce sujet, voy. St.  Ratner, «  Corporations and Human Rights: A Theory of Legal
Responsibility  », Yale Law Journal, vol.  111, n°  3, 2001, pp.  443-540  ; P.M.  Dupuy, «  Sur les
rapports entre sujets et “acteurs” en droit international contemporain », in Man’s Inhumanity to
Man: Essays on International Law in Honour of Antonio Cassese (L. Chand Vohrah et al. dir.),
Brill Nijhoff, 2003, pp.  261-277  ; J.E.  Alvarez, «  Are Corporations “Subjects” of International

14 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

ici est dans le sens qu’un certain degré de capacité juridique découle des droits et
devoirs relevant du droit international, alors que l’hypothèse inverse, notamment de
nature déductive, n’est pas démontrable5.
L’approbation unanime des Principes directeurs des Nations unies relatifs
aux entreprises et aux droits de l’homme (PDNU) en 2011, s’inspirant du cadre
«  Protéger, respecter et réparer  »6, a marqué un tournant, quoique constituant du
soft law, dans les modalités juridiques entourant le monde «  business and human
rights »7. La structure à trois volets des PDNU s’appuie sur l’obligation pour l’État
de protéger les droits de l’homme, la responsabilité des entreprises de se conformer
aux normes des droits de l’homme, et l’obligation pour les deux acteurs de garantir
des voies de recours aux victimes. Un tel cadre tripartite reconnaît la responsabilité
des entreprises comme indépendante et complémentaire à l’obligation de l’État de
protéger les droits de l’homme8. Comme souligné par l’architecte des PDNU, John
Ruggie :
« Chaque principe est essentiel : le devoir de protection de l’État parce qu’il
est au cœur même du régime international relatif aux droits de l’homme ; la
responsabilité des entreprises car la société attend des acteurs économiques,
au minimum, qu’ils respectent les droits de l’homme ; et l’accès à des mesures
de réparation, car même les efforts les mieux concertés ne peuvent empêcher
tout abus, en même temps que l’accès à un recours judiciaire est souvent

Law? », Santa Clara Journal of International Law, vol. 9, n° 1, 2011, pp. 1-36 ; A. Bianchi, « The
Fight for Inclusion: Non-State Actors and International Law », in From Bilateralism to Community
Interest: Essays in Honour of Judge Bruno Simma (U.  Fastenrath et al. dir.), Oxford, OUP,
2011, pp. 39-57 ; P. Dumberry, « Corporate Investors’ International Legal Personality and their
Accountability for Human Rights Violations Under IIAs », in Improving International Investment
Agreements (A. de Mestral et C. Lévesque dir.), Abingdon, Routledge, 2012, pp. 179-194.
 5.   Voy. V. Lowe, « Corporations as International Actors and International Law Makers », Italian
Yearbook of International Law, vol. 14, 2004, pp. 23-38.
 6.   Conseil des droits de l’homme, J.G.  Ruggie, «  Protéger, respecter et réparer  : un cadre pour
les entreprises et les droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général
chargé de la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises »,
A/HRC/8/5, 2008.
 7.   Conseil des droits de l’homme, « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme : mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations unies »,
A/HRC/17/31, 2011  ; voy. J.  G.  Ruggie, «  Incorporating Human Rights: Lessons learned and
Next Steps », in Business and Human Rights From Principles to Practice (D. Baumann-Pauly et
J. Nolan dir.), Abingdon, Routledge, 2016, pp. 64-69.
 8.  Conseil des droits de l’homme, «  Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits
de l’homme  : mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations
unies », A/HRC/17/31, 2011, Principe 11 ; voy. J. Nolan, « Mapping the Movement: the Business
and Human Rights Regulatory Framework », in Business and Human Rights: From Principles to
Practice (D. Baumann-Pauly et J. Nolan dir.), Abingdon, Routledge, 2016, pp. 32-50.

BRUYLANT 15
Ludovica Chiussi

problématique, et que le nombre, la portée et l’efficacité des moyens non judi-


ciaires sont limités »9.
Lors de la 26e  session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies,
une résolution visant à établir un «  groupe de travail intergouvernemental ouvert
chargé d’élaborer un instrument juridiquement contraignant pour réglementer les
activités des sociétés transnationales et autres entreprises en matière de droits de
l’homme  » fut adoptée, avec une étroite majorité10. Ceux plaidant en faveur d’un
traité sur le sujet considèrent l’idée d’un instrument contraignant comme un dévelop-
pement nécessaire pour conférer une efficacité aux PDNU – qui, tout en étant bien
structurés, ne sont pas juridiquement contraignants11. Ses détracteurs rappellent les
décourageantes tentatives menées jadis par le droit international pour réglementer
les activités des entreprises au moyen d’un instrument juridiquement contraignant12.
Tandis que les traités relatifs aux droits de l’homme ont eu du mal à suivre
le rôle croissant des acteurs privés dans la communauté internationale, un réseau
complexe de traités bilatéraux en matière d’investissement s’est largement diffusé
en droit international13. Ces traités constituent une importante porte ouverte pour
les investisseurs  – principalement des grandes sociétés privées  – qui cherchent des
recours contre les actes souverains nuisibles à leurs investissements lorsqu’ils se
trouvent à l’étranger.

 9.   Conseil des droits de l’homme, Protéger, respecter et réparer : un cadre pour les entreprises et
les droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question
des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, A/HRC/8/5, (2008), § 9.
 10.  Conseil des droits de l’homme, Élaboration d’un instrument international juridiquement
contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’homme, A/HRC/
RES/26/9, (2014) ; la résolution a été coparrainée par l’Équateur et l’Afrique du Sud. Adoptée par
20 voix contre 14, avec 13 abstentions. Ont voté pour : Afrique du Sud, Algérie, Bénin, Burkina Faso,
Chine, Congo, Côte d’Ivoire, Cuba, Éthiopie, Fédération de Russie, Inde, Indonésie, Kazakhstan,
Kenya, Maroc, Namibie, Pakistan, Philippines, Venezuela, Viet Nam. Ont voté contre : Allemagne,
Autriche, Estonie, États-Unis d’Amérique, ex-République yougoslave de Macédoine, France, Irlande,
Italie, Japon, Monténégro, République de Corée, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Se sont abstenus  : Arabie saoudite, Argentine, Botswana,
Brésil, Chili, Costa Rica, Émirats arabes unis, Gabon, Koweït, Maldives, Mexique, Pérou, Sierra
Leone ; voy. O. De Schutter, « Towards a Treaty on Business and Human Rights », Business and
Human Rights Journal, vol. 1, n° 1, pp. 41-67 ; D. Bilchitz, « The Necessity for a Business and
Human Rights Treaty », Business and Human Rights Journal, vol. 1, n° 1, pp. 203-227.
 11.   Voy. S.  Deva, «  Connecting the Dots: How to Capitalize on the Current High Tide for a
Business and Human Rights Treaty », in Building a Treaty on Business and Human Rights: Context
and Contours (S. Deva et D. Bilchitz dir.), Cambridge, CUP, 2017, pp. 472-494.
 12.   J.J.  Ruggie, «  ‘Quo vadis’? Unsolicited Advice to Business and Human Rights Treaty
Sponsors  », Institute for Business and Human Rights, 9  septembre 2014, https://www.ihrb.org/
other/treaty-on-business-human-rights/quo-vadis-unsolicited-advice-to-business-and-human-rights-
treaty-sponsors.
 13.   D.K. Anton et D. Shelton, Environmental Protection and Human Rights, Cambridge, CUP,
2011, p.  869  ; voy. J.  Salacuse, The Law of Investment Treaties, 2e  éd., Oxford, OUP, 2015,
pp. 1-23.

16 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

Le règlement international des différends entre investisseurs et États a fait


l’objet de vives critiques au cours de la dernière décennie, puisqu’il a été accusé
notamment d’entraver les droits de l’homme en privilégiant les intérêts des inves-
tisseurs sur le droit de l’État d’agir dans l’intérêt général14. Les retombées néfastes
des activités des entreprises sur l’environnement et les droits de l’homme ont contri-
bué au vif débat sur la nécessité de concilier les droits des investisseurs avec leurs
devoirs15 et le droit des États de réglementer les activités économiques relevant de
leur juridiction16.
Le régime international des investissements, initialement conçu pour protéger
les investisseurs étrangers contre un traitement arbitraire et d’éventuelles discrimi-
nations dans des pays d’accueil, a-t-il un rôle à jouer dans le processus juridique
des entreprises et des droits de l’homme  ? En mettant l’accent sur l’interaction
entre le droit international de l’investissement et le droit international des droits
de l’homme17, ce chapitre analyse si et comment le premier peut être utilisé pour

 14.   Voy. M. Sornarajah, Resistance and Change in the International Law on Foreign Investment,
Cambridge, CUP, 2015, p. 7.
 15.   Voy. N. Monebhurrun, « Arbitrage international et droit international des investissements :
la question des devoirs des investisseurs  », in La RSE saisie par le droit  : perspectives interne et
internationale (K.  Martin-Chenut et R.  de Quenaudon dir.), Paris, Pedone, 2016, p.  643  ;
M. Mbengue, « Les obligations des investisseurs étrangers », in L’entreprise multinationale et le
droit international (L. Dubin et al. dir.), Paris, Pedone, 2017, pp. 295-340.
 16.   Voy. P. Juillard, « Le système actuel est-il déséquilibré en faveur de l’investisseur privé étranger
et au détriment de l’État d’accueil ? », (Table Ronde), in Le contentieux arbitral transnational relatif
à l’investissement : nouveaux développements (Ch. Leben dir.), Paris, LGDJ, 2006, pp. 190-191 ;
A. Tanzi, « On Balancing Foreign Investment Interests with Public Interests in Recent Arbitration
Case Law in the Public Utilities Sector  », in The Law and Practice of International Courts and
Tribunals, vol. 11, n° 1, pp. 47-76 ; A. Titi, The Right to Regulate in International lnvestment Law,
Nomos, 2014  ; Council of Europe, Human Rights Compatibility of Investor-State Arbitration in
International Investment Protection Agreements (27 January 2017), Res 2151, § 1 ; sur la théorie
du « police power », voy. A. Pellet, « Police Powers or the State’s Right to Regulate: Chemtura v.
Canada », in Building International Investment Law: The First 50 Years of ICSID (M. Kinnear et
al. dir), La Haye, Kluwer Law International, 2015, pp. 447-462 ; A. Titi, « Police Powers Doctrine
and International Investment Law  », in General Principles of Law and International Investment
Arbitration (A. Gattini et al. dir.), Brill, 2018.
 17.  Sur la relation entre le droit de l’investissement et les droits de l’homme, voy. entre autres
Br.  Simma, «  Foreign Investment Arbitration: a Place For Human Rights?  », International and
Comparative Law Quarterly, vol. 60, n° 3, 2001, pp. 573-596 ; J.D. Fry, « International Human
Rights Law in Investment Arbitration: Evidence of International Law’s Unity », Duke Journal of
Comparative and International Law, vol.  18, n°  1, 2007, pp.  77-149  ; P.M.  Dupuy et al. (dir.),
Human Rights in International Investment Law and Arbitration, Oxford, OUP, 2009 ; Br. Simma
et Th.  Kill, «  Harmonizing Investment Protection and Human Rights: First Steps Towards
a Methodology  », in International Investment Law for the 21st  Century: Essays in Honour of
Christoph Schreuer (U.  Kriebaum et al. dir.), Oxford, OUP, 2009, pp.  679-707  ; Fr.  Francioni,
«  Diritto Internazionale degli investimenti e tutela dei diritti umani: convergenza o conflitto?  »,
in La tutela dei diritti umani e il diritto internazionale (M.  Distefano et R.  Sapienza dir.),
Padoue, Editoriale Scientifica, pp. 417-435 ; J.P. Bohoslavsky et J. Bautista Justo, « Inversiones

BRUYLANT 17
Ludovica Chiussi

encourager la responsabilité juridique des entreprises en cas de violation des droits


de l’homme.
Tout d’abord, la présente contribution montrera brièvement les différences et
les coïncidences entre le droit international de l’investissement et le droit internatio-
nal des droits de l’homme. Deuxièmement, le chapitre dressera l’impact des traités
bilatéraux d’investissement et de l’arbitrage d’investissement sur la responsabilité
des sociétés pour violations des droits de l’homme. Tout en reconnaissant les lacunes
du droit de l’investissement dans la matière qui nous occupe, l’argument sous-jacent
de ce chapitre est qu’un rééquilibrage entre les droits et les devoirs des investisseurs
peut être un outil puissant pour donner du poids à la responsabilité juridique des
sociétés pour des activités qui portent sur les droits de l’homme, tout en étant béné-
fique à la légitimité du droit international de l’investissement18.

I. Droit international des droits de l’homme et droit


international de l’investissement : des origines
communes pour des destinations divergentes

Au commencement, il était question de protection diplomatique. Lors de leurs


séjours à l’étranger, les personnes victimes d’une violation des règles coutumières sur
le traitement des étrangers et de leur droit de propriété n’avaient d’autre choix que
de compter sur la volonté du gouvernement du pays dont ils étaient ressortissants
d’exercer la protection diplomatique19. Les droits de l’homme et le droit internatio-
nal de l’investissement représentaient « l’aube d’une nouvelle ère » où les personnes
physiques et morales avaient progressivement défié l’architecture westphalienne du
droit international20.

extranjeras y derechos humanos: entre la permanencia y el cambio », Journal of the Secretariat of


the Permanent Court of Revision (MERCOSUR), vol.  3, n°  5, 2015, pp.  65-94  ; F.  Balcerzak,
Investor-State Arbitration and Human Rights, Brill Nijhoff, 2017.
 18.   Voy. H.  Mann, «  International Investment Agreements, Business and Human Rights: Key
Issues and Opportunities  », International Institute for Sustainable Development, 2008, https://
www.iisd.org/pdf/2008/iia_business_human_rights.pdf.
 19.   Voy. B.  Juratowitch, «  The Relationship between Diplomatic Protection and Investment
Treaties », ICSID Review, vol. 23, n° 1, 2008, pp. 10-35 ; J.E. Alvarez, « The Public International
Law Regime Governing International Investment », Recueil des Cours de l’Academie de Droit inter-
national de La Haye, vol.  344, Leyde, Brill-Nijhoff, 2011, pp.  203 et  s.  ; A.  Vermeer-Künzli,
«  Diplomatic Protection as a Source of Human Rights Law  », in The Oxford Handbook of
International Human Rights Law (D. Shelton dir.), Oxford, OUP, 2013, pp. 250-274.
 20.   J. Calamita, « International Human Rights and the Interpretation of International Investment
Treaties: Constitutionals Considerations  », in Investment Law within International Law:
Intergrationist Perspectives (Fr. Baetens dir.), Cambridge, CUP, 2013, pp. 164-184, p. 165.

18 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

Les dispositions relatives au règlement des différends dans les traités relatifs
aux droits de l’homme, les traités bilatéraux d’investissement (TBI) et les accords de
libre-échange ont transféré le contentieux du traitement des particuliers du niveau de
la diplomatie interétatique vers celui du contentieux directement interposable par les
personnes physiques et morales concernées21. L’intention de dépolitiser la protection
des droits de l’homme et des investissements étrangers n’a peut-être pas été pleine-
ment réalisée, mais il est indéniable que ces deux systèmes ont représenté un progrès
majeur dans la prévention des différends interétatiques ainsi que dans l’application
effective des corpus de droit international en question22.
Les traités de droits de l’homme et d’investissements prévoient des standards
de protection dont les bénéficiaires diffèrent des parties contractantes23. À quelques
exceptions près, ces normes sont formulées en termes très généraux, déléguant ainsi
aux comités conventionnels et aux cours et tribunaux la tâche de clarifier le contenu
des devoirs et obligations connexes24. Malgré le fait que les deux branches de droit en
question partagent cette caractéristique de généralité normative, la tâche d’interpré-
ter ces règles comporte des risques d’incohérence bien plus élevés dans une branche
atomisée du droit telle que le droit international de l’investissement, plutôt que dans
le système institutionnalisé et cohésif des droits de l’homme. En effet, une première
différence frappante entre ces deux éléments réside dans le haut degré de décentra-
lisation du droit international de l’investissement, fondé sur le «  spaghetti bowl  »
(selon l’expression inélégante souvent utilisée) que représentent les 3.300  accords
bilatéraux appliqués par des arbitres ad  hoc25. À l’inverse, la protection interna-
tionale des droits de l’homme, où le multilatéralisme est un élément constitutif du
système, repose sur un réseau plus ou moins coordonné de traités multilatéraux,
surveillé et appliqué par des tribunaux permanents ou des organes quasi judiciaires.
Une seconde différence réside dans les procédures de règlement des différends
des deux corps de droit en question. La possibilité pour les investisseurs étrangers
de choisir entre un accès direct à l’arbitrage international contre l’État qui accueille

 21.   Voy. M. Hirsch, « Investment Tribunals and Human Rights: Divergent Paths’ », in Human
Rights in International Investment Law and Arbitration (P.M.  Dupuy et al. dir.), Oxford, OUP,
2009, pp. 97-112.
 22.   Voy. A. Broches, « The Convention on the Settlement of Investment Disputes between States
and Nationals of other States  », Recueil des Cours de l’Academie de Droit international de La
Haye, vol. 13, Leyden, Brill Nijhoff, 1972.
 23.   Voy. M.W.  Reisman et M.H.  Arsanjani, «  Reflections on the Cogency of Fragmentation:
Statutes of Limitation and “Continuing Violations” in International Investment Law and Human
Rights  », in Coexistence, Cooperation and Solidarity: Liber Amicorum Rüdiger Wolfrum
(H.P. Hestermeyer et al. dir.), Leyden, Brill Nijhoff, 2012, pp. 265-280.
 24.   Voy. Chr.  Schreuer, «  Introduction: Interrelationship of Standards  », in Standards of
Investment Protection (A. Reinisch dir.), Oxford, OUP, 2008, pp. 1-8.
 25.  Et plus de 300  chapitres d’investissement dans les traités bilatéraux et régionaux de libre-
échange ; voy. Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUDCED),
World Investment Report, 2017.

BRUYLANT 19
Ludovica Chiussi

leur investissement, ou choisir de porter plainte devant les tribunaux nationaux


de ce même État, constitue l’une des caractéristiques spéciales du droit internatio-
nal de l’investissement26. L’absence de la règle de l’épuisement des voies de recours
internes – qui concerne la majorité des traités d’investissement – et la force exécu-
toire des sentences arbitrales ont fait du droit international de l’investissement l’un
des plus puissants systèmes de règlement international des différends27.
Nonobstant ces différences de fond majeures entre le droit international de
l’investissement et les droits de l’homme, des similitudes persistent. Le chevauche-
ment partiel des droits protégés – tels que le droit à la propriété, le droit au procès
équitable et le droit à la non-discrimination – et l’application des principes généraux
du droit révèlent des points de contact significatifs entre les deux systèmes28.

II. Rôle des accords bilatéraux d’investissement


dans la promotion du respect des droits
de l’homme par les sociétés

Les PDNU appellent les États à rédiger des traités, notamment des TBI, de
façon à ne pas limiter l’espace nécessaire au respect de leurs obligations décou-
lant des droits de l’homme29, en accord avec le principe cardinal du pacta sunt ser-
vanda tel que codifié par la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT)30.

 26.   L’absence d’une telle règle avait été conçue comme un contrepoids à la position défavorisée des
investisseurs dans les pays étrangers.
 27.   Voy. A.S. Alexandroff et I.A. Laird, « Compliance and Enforcement », in Oxford Handbook
of International Investment Law (P. Muchlinski et al. dir.), Oxford, OUP, 2008, pp. 1188-1206 ;
il faut noter qu’un certain nombre de pays ont modifié la règle de l’épuisement des recours internes
dans la clause de règlement des différends en matière d’investissement ; voy. International Institute
for Sustainable Development, « Exhaustion of Local Remedies in International Investment Law »,
IISD Best Practices Series (January  2017), https://www.iisd.org/sites/default/files/publications/
best-practices-exhaustion-local-remedies-law-investment-en.pdf.
 28.   Voy. P.-M. Dupuy, « Unification Rather than Fragmentation of International Law? The Case
of International Investment Law and Human Rights Law  », in Human Rights in International
Investment Law and Arbitration (P.M. Dupuy et al.), Oxford, OUP, 2010, pp. 45-62 ; J. Alvarez,
« The Public International Law Regime Governing International Investment », Recueil des Cours
de l’Academie de Droit international de La Haye, vol.  344, Brill-Nijhoff, 2011, pp.  236 et  s.  ;
U. Kriebaum, « Foreign Investments & Human Rights – The Actors and Their Different Roles »,
Transnational Dispute Management, n° 1, 2013, pp. 1-17.
 29.  Conseil des droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme, mise en œuvre du cadre de référence “protéger, respecter et réparer” des Nations unies,
A/HRC/17/31 (2011), principe 9 ; voy. D. Desierto, Public Policy in International Economic Law:
The ICESCR in Trade, Finance, and Investment, Oxford, OUP, 2015.
 30.   Art. 26 CVDT.

20 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

Lorsqu’un TBI entre en vigueur, les autres règles pertinentes applicables entre les
parties joueront un rôle dans l’interprétation du TBI en question31.
Finalement, les TBI pourraient aborder toutes sortes de questions relatives aux
droits de l’homme, en dehors des droits acquis par les investisseurs. Ils pourraient
éventuellement le faire, soit en se référant à l’obligation largement reconnue pour
un État de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme et les obligations erga
omnes connexes, soit en imposant directement des obligations aux investisseurs32.
Une option évidemment idéale serait l’intégration, dans le TBI, d’une clause relative
aux droits de l’homme s’adressant à la fois aux États et aux investisseurs, définissant
la portée et le contenu de leurs obligations respectives. En dehors des considérations
de lege ferenda, dans la pratique, les États ont jusqu’ici été réticents à l’inclusion de
dispositions relatives aux droits de l’homme dans les TBI, et encore moins enclins à
admettre des références aux obligations découlant des droits de l’homme pour les
investisseurs33.
Les dernières années ont révélé une tendance encourageante envers les droits
de l’homme dans un certain nombre de pays réexaminant leurs programmes de TBI.
À titre d’exemple, le préambule du TBI entre le Cameroun et la Turquie prévoit
expressément que les objectifs du traité «  peuvent être atteints sans assouplir les
mesures en matière de santé, de sécurité et d’environnement, ainsi que les droits du
travail internationalement reconnus »34. De même, le préambule du TBI conclu entre
le Nigeria et l’Autriche exprime l’engagement des parties à atteindre les objectifs du
traité « d’une manière compatible avec la protection de la santé, de la sécurité et de
l’environnement et la promotion du droit du travail internationalement reconnu »,
soulignant qu’« un comportement responsable de la part des entreprises peut contri-
buer à la confiance mutuelle entre les entreprises et les pays d’accueil »35.
Même si les traités mentionnés ci-dessus n’imposent pas explicitement aux
investisseurs d’obligations en matière de droits de l’homme, la référence aux droits
de l’homme et à la responsabilité des entreprises dans le préambule n’est pas sans
conséquences. Lorsqu’ils appliquent un TBI, en vertu de l’article 31 de la Convention

 31.  Art.  31, §  3, (c), CVDT  ; voy. P.  Merkouris, Article  31(3)(c) VCLT and the Principle of
Systemic Integration: Normative Shadows in Plato’s Case, Brill Nijhoff , 2015.
 32.   Voy. P.  Dumberry et G.Dumas-Aubin, «  How to Impose Human Rights Obligations on
Corporations under Investment Treaties? », Yearbook on International Investment Law and Policy,
vol. 4, 2011, pp. 559-600.
 33.   Dans la résolution 2015/2105(INI) du 5 juillet 2016, le Parlement européen a affirmé que « les
dispositions concernant les droits de l’homme et les normes sociales et environnementales, des enga-
gements concernant les droits du travail fondés sur les normes fondamentales du travail de l’OIT et
les principes de la responsabilité sociale des entreprises, y compris les principes de l’OCDE pour les
multinationales et les principes des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme,
devraient être contraignants et doivent constituer une partie essentielle des accords commerciaux de
l’Union par le biais d’engagements exécutoires », § 18.
 34.   Signé le 24 avril 2012.
 35.   Signé le 9 avril 2013.

BRUYLANT 21
Ludovica Chiussi

de Vienne sur le droit des traités, les arbitres sont tenus d’interpréter le traité « de
bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte
et à la lumière de son objet et de son but » (§ 1er), sachant qu’« aux fins de l’interpré-
tation d’un traité le texte comprend [...] le préambule [...] » (§ 2)36.
Un certain nombre de TBI récemment signés ont inclus des références expli-
cites à la responsabilité sociale des entreprises. Le fait que les dispositions sur le droit
des affaires et les droits de l’homme aient été transférées du préambule à la partie
substantielle du TBI pourrait faciliter les demandes reconventionnelles fondées sur
les droits de l’homme – si le TBI en question le permet – ainsi que la participation
d’amici curiae dans les différends entre investisseurs et État37. À cet égard, le projet
du modèle norvégien de TBI de 2015 offre un exemple. Le préambule fait référence à
un engagement à respecter « democracy, the rule of law, human rights and fundamen-
tal freedoms in accordance with their obligations under international law, including
the principles set out in the United Nations Charter and the Universal Declaration of
Human Rights ». Au même temps, l’article [31] du modèle de TBI affirme que « the
Parties agree to encourage investors to conduct their investment activities in com-
pliance with the OECD Guidelines for Multinational Enterprises, the UN Guiding
Principles on Business and Human Rights and to participate in the United Nations
Global Compact ». La référence explicite aux instruments relatifs à la responsabilité
des entreprises et aux droits de l’homme est une valeur ajoutée, bien que la formula-
tion n’aide pas à établir des obligations spécifiques pour les investisseurs.
Le modèle de TBI indien de 2015 fait référence à une sorte d’obligation de
diligence raisonnable par les investisseurs qui « shall endeavour to voluntarily incor-
porate internationally recognized standards of corporate social responsibility in
their practices and internal policies, such as statements of principle that have been
endorsed or are supported by the Parties »38. Il est ensuite précisé que ces déclara-
tions de principe sont celles qui peuvent porter sur des questions telles que le travail,
l’environnement, les droits de l’homme, les relations entre communautés et la lutte
contre la corruption39.
Le TBI récemment signé entre l’Argentine et le Qatar comprend une dispo-
sition spécifique sur la responsabilité sociale des entreprises, qui exige des investis-
seurs qu’ils fassent des efforts pour appliquer les règles sur les droits de l’homme

 36.   Voy. S.D. Myers, Inc. c. Canada, aff. CNUDCI (Accord de libre-échange nord-américain,
ALENA), première sentence partielle du 13  novembre 2000, §  196  ; LG&E Energy Corp et  al.
c. Argentina, aff. CIRDI, n° ARB (AF)/02/1, sentence du 26 septembre 2006.
 37.   Sur le rôle des amici curiae dans le droit international des investissements, voy. F. El-Hosseny,
Civil Society in Investment Treaty Arbitration: Status and Prospect, Brill Nijhoff, 2018.
 38. .  Article 12 du modèle de TBI de l’Inde (2015) ; la disposition est similaire à celle incluse dans
les TBI signés par le Brésil avec l’Angola, la Colombie, le Malawi, le Mexique, le Mozambique et
le Chili en 2015.
 39.   Ibid.

22 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

internationalement reconnues40. Il en va de même pour le TBI signé entre le Nigeria


et Singapour en 201641. Les accords signés entre le Canada et un certain nombre
d’États africains, comme le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et la Guinée, com-
prennent une clause de « non-abaissement des standards » qui prévoit qu’une partie
contractante ne puisse renoncer ou déroger à des mesures nationales de santé, de
sécurité ou d’environnement42. Le Canada a également inclus une disposition sur la
responsabilité sociale des entreprises dans les TBI signés avec lesdits pays. Elle pré-
voit que « les parties contractantes doivent encourager les entreprises à incorporer
volontairement des normes internationalement reconnues de responsabilité sociale
des entreprises dans leurs pratiques et leurs politiques internes »43.
À l’échelle régionale, dans l’Accord économique et commercial global entre
le Canada et l’Union européenne (AECG ou CETA), les parties contractantes s’en-
gagent à coopérer dans des domaines tels que «  the environmental dimension of
corporate social responsibility and accountability, including the implementation and
follow-up of internationally recognised guidelines  »44. Une référence aux Principes
directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales est présente à la
fois dans le préambule ainsi qu’au cœur du texte de l’AECG, qui encourage les entre-
prises à coopérer conformément aux normes des droits de l’homme45.
Les principes directeurs pour les politiques de l’investissement global
(Guiding Principles for Global Investment Policymaking) sur lesquels les ministres
des Finances des pays du G20 se sont accordés en juillet 2016 à Shanghai, et qui ont
ensuite été adoptés en septembre 2016, rappellent que « les politiques d’investisse-
ment doivent promouvoir et faciliter le respect par les investisseurs des meilleures

 40.   Art. 12 TBI signé entre l’Argentine et le Qatar le 6 novembre 2016.


 41.   Art. 11 TBI signé entre le Nigéria et Singapour le 4 novembre 2016.
 42.   L’article 15 du TBI signé entre le Canada et la Côte d’Ivoire le 30 novembre 2014 et entré en
vigueur le 14 décembre 2015 affirme que : « 1. Les Parties reconnaissent qu’il ne convient pas d’as-
souplir les mesures nationales en matière de santé, de sécurité ou d’environnement afin d’encoura-
ger l’investissement. En conséquence, aucune des Parties ne devrait renoncer ou déroger de quelque
autre manière, ni offrir de renoncer ou de déroger de quelque autre manière, à de telles mesures afin
d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou le maintien sur son territoire d’un inves-
tissement d’un investisseur. Si une Partie estime que l’autre Partie a offert un tel encouragement, elle
peut demander la tenue de consultations avec cette autre Partie, et les deux Parties se consultent en
vue d’empêcher l’encouragement. 2.  Chacune des Parties encourage les entreprises exerçant leurs
activités sur son territoire ou relevant de sa compétence à intégrer, sur une base volontaire, dans
leurs pratiques et politiques internes des normes internationalement reconnues en matière de res-
ponsabilité sociale des entreprises, telles que les déclarations de principe auxquelles les Parties ont
adhéré et qui portent sur des questions comme le travail, l’environnement, les droits de la personne,
les relations avec la collectivité ou la lutte contre la corruption. »
 43.  Voy., par exemple, le TBI signé entre le Canada et la Guinée le 27 mai 2015. Il convient de
noter que lesdits TBI confèrent aux tribunaux d’investissement la compétence de recevoir des élé-
ments ou documents de la part de tiers ayant un « intérêt significatif » dans le différend.
 44.   Art. 24.12 CETA.
 45.   Art. 25.4 CETA.

BRUYLANT 23
Ludovica Chiussi

pratiques internationales et des instruments applicables en matière de conduite res-


ponsable des affaires et de gouvernance en entreprise »46.
L’Afrique pourrait jouer un rôle déterminant dans l’élaboration d’un modèle
visant à rééquilibrer la promotion et la protection des investissements étrangers par
des obligations respectueuses de l’intérêt général national, y compris la protection
des droits de l’homme.
Il convient de noter que l’année 2016 a vu l’adoption d’un Code panafricain
d’investissement (CPI ou PAIC en anglais), envisagé en tant qu’instrument d’orien-
tation pour les États membres de l’Union africaine se lançant dans des négociations
d’accords d’investissement47. Le CPI comporte des références au développement
durable (préambule et art.  1er) visant à protéger l’intérêt général et présente une
structure innovante concernant les obligations des investisseurs48. Le CPI inclut
effectivement les normes sur la responsabilité des entreprises dans la section intitulée
« obligations des investisseurs ». Ces derniers doivent « respecter les droits des popu-
lations locales et éviter les pratiques d’appropriation de terrains vis-à-vis des com-
munautés locales » (art. 23). L’article 24, intitulé « Éthique des affaires et droits de
l’homme », exige que le comportement des investisseurs étrangers soit éclairé par le
respect des normes relatives aux droits de l’homme. Compte tenu du rôle indéniable
des investissements directs étrangers (IDE) dans l’éradication de la pauvreté dans la
région, les efforts pour atteindre un meilleur équilibre entre droits et obligations des
investisseurs peuvent jouer un rôle clé dans la construction d’un climat d’investisse-
ment durable et d’un cadre réglementaire prévisible dans la région.
L’on peut souhaiter que la tendance susmentionnée à l’incorporation de
normes de droits de l’homme au sein des TBI représente le début d’un processus
où des obligations claires et explicites des investisseurs étrangers  – ainsi que leur
relation avec les obligations étatiques  – seront de plus en plus élaborées, incluant
notamment des voies de recours en cas de violations.

III. Rôle de l’arbitrage d’investissement dans la lutte


contre les violations des droits de l’homme
par les entreprises

Les droits de l’homme en tant que tels ne sont pas absents de la jurisprudence
en matière d’investissement. En poursuivant des intérêts publics, les préoccupations

 46.   Principe VIII.


 47.   Voy. M.M. Mbengue et St. Schacherer, « The “Africanization” of International Investment
Law: The Pan-African Investment Code and the Reform of the International Investment Regime »,
Journal of World Investment and Trade, n° 3, 2017, pp. 414-448.
 48.   Voy. http://repository.uneca.org/handle/10855/23009.

24 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

relatives aux droits de l’homme sont pertinentes pour les investisseurs et les États
d’accueil. D’une part, ainsi qu’il ressort des affaires Mondev c. États-Unis49, Tecnicas
Medioambientales  S.A. c.  Mexique50, Azurix c.  Argentine51, Biloune c.  Ghana52,
les tribunaux d’arbitrage d’investissement n’hésitent pas à recourir aux droits de
l’homme, notamment en faisant référence à la jurisprudence des tribunaux des
droits de l’homme afin de clarifier les obligations des États vis-à-vis des investis-
seurs. D’autre part, bien que la responsabilité des entreprises soit définie comme une
attente de base pour toutes les entreprises dans toutes les situations53, et la respon-
sabilité de respecter les droits de l’homme comme une norme de conduite générale
que l’on attend de toutes les entreprises là où elles opèrent54, en cas d’allégation de
violation des droits de l’homme par l’investisseur, les arbitres semblent « pêcher en
eaux troubles ».
Les tribunaux d’arbitrage d’investissement ont une compétence limitée, à
savoir celle de trancher sur un différend relatif à un investissement donné dans les
limites fixées par le consentement des parties, dans la même mesure que dans le
contentieux interétatique55. Les contraintes juridictionnelles sont souvent à l’origine
d’une approche prudente des questions de droits de l’homme dans les litiges relatifs
aux investissements56.
En ce qui concerne la dimension juridictionnelle, un outil efficace pour inci-
ter les entreprises à se conformer aux droits de l’homme consiste à conditionner la
définition de l’investissement à sa légalité, aux fins de déterminer la portée de l’in-
vestissement pouvant bénéficier des voies de recours offertes par le traité. De nom-
breux TBI prévoient une clause qualifiant l’activité économique d’un investisseur
d’« investissement » uniquement si elle a été réalisée conformément à la législation

 49.   Mondev Int’l Ltd. c. États-Unis, aff. CIRDI, n° ARB/(AF)/99/2, sentence du 11 octobre 2002.
 50.   Tecnicas Medioambientales Tecmed S.A. c. Mexique, aff. CIRDI, n° ARB(AF)/00/2, sentence
du 19 mai 2003.
 51.   Azurix Corp. c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/01/12, sentence du 14 juillet 2006, § 312.
 52.   Biloune c. Ghana Investments Centre, aff. CNUDCI, sentence du 27 octobre 1989, 95 ILR 183,
§§ 202-203.
 53.   Conseil des droits de l’homme, Protéger, respecter et réparer : un cadre pour les entreprises et
les droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question
des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, A/HRC/8/5, (2008), § 24.
 54.  Conseil des droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations unies,
A/HRC/17/31 (2011), Commentaire au principe 11.
 55.   Voy. Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démo-
cratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, CIJ Recueil, 2006, p. 6, § 88.
 56.   Voy. Biloune c.  Ghana Investments Centre et Ghana, aff. CNUDCI, sentence du
27 octobre 1989, 95 ILR 183, p. 203 ; Grand River Enterprises Six Nations, Ltd., et al. c. États-
Unis, aff. CNUDCI, sentence du 1er décembre 2011 ; CMS Gas Transmission Company c. Argentine,
aff. CIRDI, ° ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005, § 121.

BRUYLANT 25
Ludovica Chiussi

de l’État hôte57. Il n’y a aucune raison de considérer que ce dernier ne comprenne pas
les traités relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État hôte58. Comme l’a déclaré
le tribunal dans l’affaire Pheonix c. République thèque, « nobody would suggest that
ICSID protection should be granted to investments made in violation of the most
fundamental rules of protection of human rights »59.
En ce qui concerne le droit applicable, dans des cas tels que celui de l’Accord
de libre-échange nord-américain (ALENA), dont l’article 1131 prévoit que le tribunal
« décide des questions en litige conformément au présent accord et aux règles appli-
cables du droit international », ou en vertu du traité sur la Charte internationale de
l’énergie, qui présente une disposition similaire sur le droit applicable (art. 26, § 6),
il ne semble pas exister d’obstacle à l’applicabilité du droit international des droits
de l’homme au différend. Mais même dans le cas d’un libellé moins explicite, comme
celui de l’article 42 de la Convention CIRDI, les dispositions relatives aux droits de
l’homme jouent toujours un rôle dans l’interprétation du TBI en question.
Selon l’article  31, §  3, (c), de la Convention de Vienne sur le droit des trai-
tés, l’interprétation d’un traité doit tenir compte de toute règle pertinente de droit
international applicable dans les relations entre les parties. Ces règles pertinentes
comprennent bien évidemment les traités internationaux sur les droits de l’homme
ratifiés par un grand nombre d’États, ainsi que le droit international général60. Bruno
Simma et Theodore Kill soutiennent que la portée de l’expression «  règles appli-
cables », telle que visée à l’article 31, § 3, (c), de la CVDT pourrait aller au-delà des
règles «  en vigueur  » ou «  contraignantes  » entre les parties61. L’on pourrait alors
spéculer sur la question de savoir si, en suivant ce raisonnement, des instruments de
soft law, tels que les PGNU, ou les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des
entreprises multinationales, pourraient jouer un rôle dans l’interprétation des TBI.
Malgré son attractivité, une telle approche doit être prise avec précaution, comme le
suggèrent à juste titre ces auteurs62.

 57.   Voy. U.  Kriebaum, «  Investment Arbitration – Illegal Investments  », Austrian Arbitration
Yearbook, 2010, pp. 307-335 ; J. Hepburn, « In Accordance with Which Host State Laws? Restoring
the “Defence” of Investor Illegality in Investment Arbitration », Journal of International Dispute
Settlement, vol. 5, n° 1, 2014, pp. 531-559 ; St. Shill, « Illegal Investments in Investment Treaty
Arbitration », Law and Practice of International Court and Tribunals, vol. 11, n° 2, pp. 281-323.
 58.   Dans le cas improbable où les traités relatifs aux droits de l’homme n’ont pas été transposés en
droit interne, le droit international coutumier peut constituer un « filet de sécurité » au moins pour
le contenu essentiel de la Charte internationale des droits de l’homme.
 59.   Phoenix Action, LTD c.  République tchèque, aff. CIRDI, n°  ARB/06/5, sentence du
15 avril 2009, § 78.
 60.   Voy. Tulip Real Estate and Development Netherlands B.V. c. Turquie, aff. CIRDI, n° ARB/11/28,
décision sur l’annulation du 30 décembre 2015, §§ 86-92 ; Asian Agricultural Products LTD c. Sri
Lanka, aff. CIRDI, n° ARB/87/3, sentence du 27 juin 1990, § 39.
 61.   Br. Simma et Th. Kill, « Harmonizing Investment Protection and Human Rights: First Steps
Towards a Methodology », in International Investment Law for the 21st Century: Essays in Honour
of Christoph Schreuer (U. Kriebaum et al. dir.), Oxford, OUP, 2009, pp. 679-707, p. 698.
 62.   Ibid.

26 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

La décision dans l’affaire Urbaser c. Argentine constitue un exemple particu-


lièrement intéressant du rôle potentiel du règlement des différends entre investisseurs
et États dans la promotion de la responsabilité des entreprises63. Laissant de côté les
arguments relatifs au moyen principal, qui traitait d’une concession de services d’eau
et d’assainissement sur le fondement du TBI entre l’Espagne et l’Argentine, la partie
défenderesse a fait des propositions importantes en ce qui concerne la définition de
la portée et du contenu des obligations des entreprises dans un contexte d’arbitrage
d’investissements. Dans sa demande reconventionnelle, l’Argentine a fait valoir que
les investisseurs avaient violé le droit humain à l’eau par leurs activités d’assainis-
sement des eaux. Il est intéressant de noter que le tribunal n’a pas hésité à rejeter la
position de l’investisseur, selon laquelle le droit humain à l’eau serait une obligation
qui incombe exclusivement à l’État et jamais aux entreprises64. Le Tribunal a souli-
gné que l’argument selon lequel les entreprises ne sont pas des sujets de droit inter-
national a pu avoir son importance par le passé, mais qu’il n’est plus pertinent. En
effet, étant donné que le TBI « is not based on a corporation’s incapacity of holding
rights under international law  », on ne peut plus affirmer qu’«  a foreign investor
company could not be subject to international law obligations »65.
Après une référence aux initiatives non contraignantes relatives au droit des
affaires et aux droits de l’homme – que le tribunal n’a pas considérées comme créant
des obligations en matière de droits de l’homme pour les investisseurs  –, le tribu-
nal a analysé les dispositions pertinentes de la Charte internationale des droits de
l’homme. Se fondant principalement sur l’article 30 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme et sur l’article  5, §  1er, du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, le tribunal a déclaré que le droit à l’eau est com-
plété par une obligation pour toutes parties, publiques comme privées, de ne pas
s’engager dans une activité visant à détruire ce droit66.
Il convient toutefois de noter que, dans ce cas précis, l’Argentine n’a pas sim-
plement fait valoir que l’investisseur avait le devoir de s’abstenir de violer le droit
humain à l’eau ; elle a affirmé qu’il existait une obligation d’accomplir ce droit, qui

 63.   Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016.
 64.   Ibid., § 1193.
 65.   Ibid., § 1194.
 66.   Ibid., § 1199. L’article 30 de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme qu’« [a]
ucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un
État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir
un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés » ; l’article 5, § 1er, du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (« Aucune disposition du présent
Pacte ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu un
droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits
ou libertés reconnus dans le présent Pacte ou à des limitations plus amples que celles prévues dans
ledit Pacte »).

BRUYLANT 27
Ludovica Chiussi

incombait à l’investisseur, tel que spécifié dans le contrat de concession67. Ce faisant,


le tribunal a importé la distinction bien connue entre obligations positives et obliga-
tions négatives, et l’a sans doute utilisée pour différencier l’obligation de l’État des
devoirs des acteurs privés. Il a souligné que le droit à l’eau implique une obligation
pour l’État de protéger et réaliser ce droit, mais qu’il ne comporte aucune obligation
positive pour une entreprise fournissant le service requis contractuellement. Plus pré-
cisément, le tribunal a soutenu que :
« [t]he enforcement of the human right to water represents an obligation to
perform [...] imposed upon States. It cannot be imposed on any company
knowledgeable in the field of provision of water and sanitation services. In
order to have such an obligation to perform applicable to a particular inves-
tor, a contract or similar legal relationship of civil and commercial law is
required. In such a case, the investor’s obligation to perform has as its source
in domestic law; it does not find its legal ground in general international law.
The situation would be different in case an obligation to abstain, like a prohi-
bition to commit acts violating human rights would be at stake. Such an obli-
gation can be of immediate application, not only upon States, but equally to
individuals and other private parties. This is not a matter for concern in the
instant case »68.
Tout en rappelant que l’Argentine ne faisait pas valoir l’existence, en droit
international, d’un devoir positif de l’investisseur de réaliser le droit à l’eau, le tribu-
nal a également noté que l’État n’avait fait aucune mention du fondement juridique
du droit de toute personne de réclamer des dommages et intérêts pour réparer le
préjudice lié à la violation dudit droit. Une fois de plus, tout comme dans l’affaire
Azurix c. Argentine69, le Tribunal a souligné que le défendeur n’avait pas correcte-
ment argumenté le fondement de la pertinence des obligations en matière de droits
de l’homme dans le cas d’espèce 70. L’Argentine aurait peut-être dû faire référence
aux obligations des investisseurs découlant du principe de bonne foi.
L’affaire Urbaser c. Argentine montre que l’absence de référence aux obliga-
tions des investisseurs laisse aux tribunaux d’arbitrage la tâche difficile de traiter

 67.  Il est à noter que la compétence du tribunal ne couvrait pas le contrat entre l’Argentine et
l’investisseur.
 68.   Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016, § 1210.
 69.   Azurix Corp. c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/01/12, sentence du 23 juin 2006, § 261.
 70.   Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016, § 1208. Comme affirmé par
Simma et Kill, « States [...] may be reluctant to raise human rights obligations [...] To do so could
result in the confirmation of positive obligations under human rights law that at present enjoy a
certain nebulosity with which States might be comfortable », Br. Simma et Th. Kill, « Harmonizing
Investment Protection and Human Rights: First Steps Towards a Methodology », in International
Investment Law for the 21st Century: Essays in Honour of Christoph Schreuer (U. Kriebaum et al.
dir.), Oxford, OUP, 2009, pp. 679-707, p. 680.

28 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

de questions structurelles et épineuses du droit international, ainsi qu’un pouvoir


discrétionnaire de traiter ou pas de certaines questions. Étant donné que les tribu-
naux d’investissement sont toujours aux prises avec l’imposition aux entreprises
d’obligations directes en matière de droits de l’homme, une bonne solution pourrait
être de déduire des principes généraux du droit, comme la bonne foi et la confiance
légitime, des obligations pour les investisseurs71. Dans l’attente d’une réécriture plus
équilibrée des TBI72, les principes généraux du droit pourraient constituer une source
d’obligations fondamentales pour les investisseurs. Ils pourraient tout à fait servir
l’objectif de traiter pratiquement de la responsabilité des entreprises en matière de
droits de l’homme, sans pour autant mettre en évidence les défis structurels du droit
international des droits de l’homme.

IV. Défauts du droit international des


investissements dans le discours du business and
human rights

Une des principales préoccupations dans le domaine du droit des affaires et


des droits de l’homme ne concerne pas tant l’établissement de normes que leur mise
en œuvre. Lorsque l’on regarde le droit international de l’investissement à travers le
prisme des affaires et des droits de l’homme, il faut garder à l’esprit qu’il n’y a pas
de « solution miracle » pour réduire les cas de violations des droits de l’homme liées
au monde des affaires73.
Le droit international de l’investissement montre un certain nombre de limites,
à la fois de nature « physiologique » et « pathologique ». Les carences « physiolo-
giques » sont liées à la nature même du droit international de l’investissement, dont
l’objectif reste principalement, sinon exclusivement, la protection des investissements
étrangers. Les tribunaux d’investissement ont été créés pour régler les différends
entre les investisseurs et les États. Il ne s’agit pas d’organes de défense des droits de

 71.   Voy. A. Bonfanti, « Applying Corporate Social Responsibility to Foreign Investors: Failures
and Prospects  », in Foreign Investments, International Law and Common Concerns (T.  Treves
et al.), Routledge, 2014, pp. 230-246 ; A. Tanzi, « The Relevance of the Foreign Investor’s Good
Faith », in General Principles of Law and International Investment Arbitration (A. Gattini et al.
dir), Brill Nijhoff, 2018, pp. 193-220.
 72.   Une réécriture plus équilibrée des TBI serait aussi complémentaire à l’élaboration d’un traité
sur la responsabilité des entreprises, voy. P.T. Muchlinski, « The Impact of a Business and Human
Rights Treaty on Investment Law and Arbitration », in Building a Treaty on Business and Human
Rights (S. Deva et D. Bilchitz), Cambridge, CUP, 2011, pp. 347-374.
 73.   Conseil des droits de l’homme, Rapport du Représentant spécial du Sécretaire général chargé de
la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, M.J. Ruggie,
Les entreprises et les droits de l’homme : analyse des normes internationales relatives à la responsa-
bilité sociale et la transparence des entreprises, A/HRC/4/035, 2007, § 88.

BRUYLANT 29
Ludovica Chiussi

l’homme, avec la conséquence évidente qu’ils estiment la conduite des parties selon
des priorités autres que celle de l’évaluation d’éventuelles violations des droits de
l’homme par les entreprises. Même lorsque des violations des droits de l’homme de
la part des investisseurs sont soulevées dans la procédure, par exemple lors d’une
demande reconventionnelle, un lien entre la demande principale et la demande
reconventionnelle doit être présent.
Une autre lacune inhérente au droit international de l’investissement en ce qui
concerne la prise en compte des droits de l’homme réside dans le manque d’accès
aux recours pour les victimes. Même dans le cas où la conduite de l’investisseur est
jugée par un tribunal d’investissement contraire au droit international des droits de
l’homme, aucun recours n’est accordé aux personnes affectées par l’investissement. À
cet égard, une participation accrue des amici curiae contribuerait à la reconnaissance
du droit d’accès à la justice des victimes de violations commises par des entreprises.
En ce qui concerne les limites de nature « pathologique », l’on pourrait souli-
gner que des changements de règles de procédure et de fond pourraient être apportés
afin de mieux intégrer la responsabilité des sociétés en matière de droits de l’homme.
La structure décentralisée du régime d’investissement international n’est pas facile
à justifier aujourd’hui, surtout à la lumière de la présence croissante des sociétés
multinationales74. L’absence d’une structure centrale dans le droit international
de l’investissement ne fait pas de celui-ci l’outil idéal pour équilibrer les intérêts
des investisseurs et les normes internationales universelles des droits de l’homme.
Cette lacune rend plus difficile l’interprétation et une mise en œuvre cohérente du
vaste réseau de règles qui entrent en jeu. Un tribunal d’investissement composé d’un
nombre équilibré de représentants des États et de représentants du secteur privé
pourrait être mieux à même de contrebalancer la dimension bilatérale du droit de
l’investissement et de garantir les intérêts de la communauté. C’est particulièrement
le cas lorsque l’État défendeur est incapable ou refuse de soulever des moyens relatifs
aux droits de l’homme.

Conclusion

Les entreprises jouent aujourd’hui un rôle clé dans les services publics, allant
des services d’eau et d’assainissement, jusqu’au transport public et à la gestion de
déchets dangereux. Les investissements directs à l’étranger sont souvent l’outil par
lequel ces services sont rendus possibles. Dans ce contexte, le droit international de
l’investissement devrait aborder la responsabilité des entreprises en matière de droits
de l’homme, y compris la question de l’exigence de diligence raisonnable dans ce

 74.   Voy. B. Simmons, « Bargaining over BITs, Arbitrating Awards: The Regime for Protection and
Promotion of International Investment », World Politics, vol. 66, n° 1, 2014, pp. 12-46, p. 15.

30 BRUYLANT
Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme : un rôle effectif du droit international de l’investissement ?

domaine, et l’obligation de prévenir, atténuer et réparer les dommages aux droits de


l’homme dans lesquels elles peuvent être impliquées.
La politique législative nationale, telle qu’intégrée dans les négociations inter-
nationales sur les TBI, semble actuellement trop timide en ce qui concerne l’intégra-
tion des instruments des droits de l’homme, pourtant bien reconnus, que les sociétés
sont censées respecter. En effet, cela se reflète dans les termes de « diligence raison-
nable  », qui pourraient parfois être considérés comme étant de simples formules
d’encouragement. L’on pourrait envisager de faire référence dans les TBI directement
aux Principes directeurs des Nations unies et aux Principes directeurs de l’OCDE à
l’intention des entreprises multinationales, ainsi qu’à la Charte internationale des
droits de l’homme. Une telle spécification fournirait une base solide par rapport à
la loi applicable par les tribunaux. Ceux-ci sont constamment tenus à une autolimi-
tation prudente, motivée par des limites juridictionnelles et le principe de ne ultra
petita, d’un côté, et le risque de décisions inéquitables, de l’autre. Mais surtout, les
dispositions des TBI qui précisent les devoirs des entreprises peuvent constituer un
outil puissant de conformité, dont la valeur préventive est complémentaire à l’ap-
proche habituelle des droits de l’homme, fondée sur une réponse à leur violation.
Envisager le droit international de l’investissement comme l’un des outils favo-
risant la responsabilité des entreprises pourrait également bénéficier au règlement des
différends en matière d’investissements lui-même, permettant sans doute de remédier
au désenchantement à son encontre. Les investissements illégaux ne devraient pas
bénéficier de protection. S’il existe des preuves d’une insuffisante diligence raison-
nable ou d’une contribution des entreprises à des violations des droits de l’homme,
des dispositions expresses devraient être prises pour empêcher que celles-ci bénéfi-
cient de la protection prévue pour les investisseurs par le mécanisme de règlement
des différends en matière d’investissements avec des mesures procédurales adéquates
pour invalider les droits des sociétés dans de tels contextes.
Les entreprises jouent un rôle important dans la réalisation des droits écono-
miques, sociaux et culturels. Pour ce faire, l’ambiguïté du rôle des entreprises vis-à-
vis des droits de l’homme doit être dissipée. Cela est également dans l’intérêt à long
terme des investisseurs eux-mêmes, car si «  les forces du marché sont capables de
créer de la croissance économique, de réduire la pauvreté, et d’accroître l’exigence
d’état de droit, contribuant ainsi à la réalisation d’un grand nombre de droits fonda-
mentaux, [les] marchés ne fonctionnent de manière optimale que s’ils sont encadrés
par des règles, des coutumes et des institutions [...] indispensables pour survivre et
prospérer »75.
La protection moderne de l’investissement et le droit international des droits
de l’homme partagent un patrimoine commun, en ce sens qu’ils ont été conçus à

 75.  Conseil de droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de
l’homme : mise en œuvre du cadre de référence «protéger, respecter et réparer» des Nations unies,
A/HRC/17/31 (2011), § 2.

BRUYLANT 31
Ludovica Chiussi

l’origine comme un outil de recalibrage de la relation déséquilibrée entre les indi-


vidus et l’État souverain. La persistance d’une asymétrie en faveur des investisseurs
étrangers, qui font souvent partie de puissants groupes transnationaux, est un thème
difficile et non encore résolu76.
La responsabilité des entreprises pour les violations des droits de l’homme ne
doit pas être considérée comme une question relevant uniquement du droit inter-
national des droits de l’homme. Il s’agit d’une problématique transversale faisant
partie du « global public interest »77, soulignant que les défis que le droit interna-
tional est appelé à réglementer exigent inévitablement des réponses dans les diffé-
rentes disciplines du système. En espérant que l’établissement de frontières nettes
entre les sous-domaines du droit international donnera à ce dernier une apparence
plus « normative » et contraignante, les internationalistes pourraient courir le risque
de forcer le droit international à se conformer au droit interne. La formation des
juristes encourage souvent une telle compartimentation artificielle78, ainsi que la dis-
tance socioculturelle entre ses divers domaines79. Il appartient aux internationalistes
de prendre conscience de la responsabilité qui leur incombe, en tant qu’intellectuels,
arbitres et décideurs, afin de rétablir la cohérence du système80.

 76.   Voy. L. Wandal Mouyal, International Investment Law and the Right to Regulate: A Human
Rights Perspective, Routledge, 2016, pp. 226 et s.
 77.   Voy. A.  Kulick, Global Public Interest in International Investment Law, Cambridge, CUP,
2012.
 78.   J.D.  Fry, «  International Human Rights Law in Investment Arbitration: Evidence of
International Law’s Unity », Duke Journal of Comparative and International Law, vol. 18, n° 1,
2007, pp. 77-149, p. 148.
 79.   Voy. M.  Hirsch, «  Investment Tribunals and Human Rights Treaties: A Sociological
Perspective », in Investment Law within International Law: Integrationist Perspectives (Fr. Baetens
dir.), Cambridge, CUP, 2013, pp. 85 et s.
 80.   Voy. Br. Simma, « Universality of International Law from the Perspective of a Practitioner »,
European Journal of International Law, vol. 20, n° 2, 2011, pp. 265-297, p. 297.

32 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle
des investisseurs pour violation
des droits de l’homme :
perspectives et limites

Arnaud de Nanteuil
Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (Paris 12)

I. Droits de l’homme dans les contrats d’investissement : un état des lieux 36


II. Nature incertaine des obligations des investisseurs en matière de droits
fondamentaux 41
III. Incertitudes autour des conséquences de la violation des droits de l’homme 44
Arnaud de Nanteuil

Le contrat est généralement le grand oublié des études consacrées au droit


international de l’investissement1. Il y a à cela plusieurs raisons dont la première
tient assurément à la rupture engagée par la sentence AAPL c. Sri Lanka à l’occa-
sion de laquelle le tribunal arbitral a reconnu sa compétence sur le fondement d’une
clause compromissoire figurant dans un traité signé entre l’État hôte de l’investis-
seur et son État d’origine2. Par cette décision peu orthodoxe, le tribunal admettait
ainsi que la rencontre des consentements des parties puisse ne pas se faire dans un
instrument commun, un investisseur ne pouvant en tout état de cause pas être partie
à un traité. La nécessité d’un contrat comme support de la rencontre des consente-
ments se trouvait donc ipso facto écartée, ce qui a conduit certains auteurs à qualifier
cette nouvelle institution d’arbitrage « sans lien de droit »3. Si l’expression est sans
doute un peu excessive, le lien de droit étant reconstruit par la rencontre des deux
consentements exprimés dans des supports différents4, elle n’en traduit pas moins
parfaitement la nouvelle physionomie qu’allait adopter le droit de l’investissement
jusqu’à nos jours, dans laquelle le rôle du contrat était devenu secondaire, aux fins
de l’établissement de la compétence d’un tribunal arbitral à tout le moins.
Cette première raison ne peut cependant être seule suffisante, car en dépit de
l’évolution qui vient d’être décrite, le contrat demeure indispensable et employé dans
bien des cas, notamment les opérations nécessitant une concession de la part de l’État
comme en matière d’extraction de ressources naturelles par exemple. La difficulté est
alors que, par le jeu de l’autonomie de la volonté, son contenu est nécessairement
fluctuant d’un instrument à l’autre. Certaines constantes peuvent sans doute être
identifiées cependant, mais elles relèvent alors d’une logique de droit international
privé et il n’est pas certain qu’un véritable droit international des contrats d’investis-
sement ait été (encore) identifié, en tout cas dans sa totalité5. Le droit international
des contrats d’État, si l’on a entendu ces derniers comme les contrats conclus entre
un opérateur privé et un État ayant pour objet une opération d’investissement, en

 1.   Voy. toutefois Cl. Crépet Daigremont, « La protection découlant du droit international des
contrats », in Droit des investissements internationaux. Perspectives croisées (S. Rober-Cuendet
dir.), Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 331-355. La perspective de l’auteur est toutefois d’identifier les
éléments de protection des investissements uniquement et non les éventuelles obligations qui pour-
raient peser sur les investisseurs, notamment en matière de droits de l’homme.
 2.   Asian Agricultural Products Ltd. (AAPL) c. Sri Lanka, sentence du 27 juin 1990, ILM, 1990,
p. 580.
 3.   J. Paulsson, « Arbitration without privity », ICSID Review – Foreign Investment Law Journal,
vol. 10, n° 2, 1995, p. 232.
 4.   L’offre d’arbitrage serait présente dans le traité d’investissement et l’acceptation de l’investis-
seur dans le dépôt de la requête d’arbitrage. Pour une expression de ce principe, voy. American
Manufacturing & Trading Inc. c.  Zaïre, aff. CIRDI, n°  ARB/93/1, sentence du 21  février 1997,
ILM, vol. 36, p. 1534, § 5.23.
 5.  Le «  droit international des contrats  », bien identifié, relève en effet exclusivement du droit
international privé et se focalise donc sur les questions traditionnelles de ce droit : statut des par-
ties, droit applicable, juge compétent, modalités d’exécution, etc. Voy. en particulier M.-É. Ancel,
P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Paris, Sirey, 2016.

34 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

ferait assurément partie6. Mais il n’en serait qu’une composante, car dans bien des
cas, le contrat d’investissement  – entendu cette fois-ci dans son sens le plus large
possible comme le contrat ayant pour objet une opération qui peut être qualifiée
d’investissement au sens du droit international économique7 – pourrait parfaitement
être conclu entre deux entités privées. Il ne serait pas un contrat d’État, mais pourrait
être soumis au droit international s’il existe un traité de protection des investisse-
ments entre l’État d’origine d’une partie et l’État sur le territoire duquel se déploie
l’opération. Tel serait par exemple un contrat ayant pour objet la participation au
capital d’une entreprise privée et définissant les modalités de cette participation : il
s’agirait donc d’un contrat d’investissement qui n’a pas la forme d’un contrat d’État
au sens traditionnel.
L’objectif du présent propos n’est toutefois pas de tenter d’identifier un droit
international des contrats d’investissement, si tant est que cela soit possible, mais
de prendre acte des contrats existants afin de voir ce qu’ils peuvent apporter à la
question générale du respect des droits de l’homme dans les opérations d’investis-
sement. L’intérêt de l’outil contractuel apparaît évident de prime abord dans cette
perspective : dans un certain nombre de cas, les atteintes aux droits fondamentaux
sont en effet le fait de l’opérateur économique, auquel les normes issues du droit
international public ne sont pas opposables. En pareille hypothèse, la seule solution
issue du droit international serait d’envisager la responsabilité de l’État pour passi-
vité, dans le cas où l’atteinte aux droits individuels aurait été le fait d’un investisseur
rendu possible par l’inaction ou l’insuffisance de la réglementation nationale. Mais
cette possibilité souffre d’importantes faiblesses : d’abord, elle suppose qu’il existe
un organisme compétent en matière de droits de l’homme (une cour régionale) pour
connaître la demande ; ensuite, les conditions d’engagement de la responsabilité des
États en pareille hypothèse sont généralement assez strictes et soulèvent d’importants
problèmes de preuve ; enfin, dans la mesure où l’État seul peut être tenu pour res-
ponsable, un tel mécanisme semble dépourvu de réelle dimension préventive et même
sanctionnatrice dès lors que l’atteinte directement portée aux droits de l’homme
serait imputable à l’investisseur. Il n’est pas satisfaisant de sanctionner un État pour
des atteintes portées aux droits de l’homme par une entreprise, quand bien même il
les aurait rendues possibles ou facilitées.
Face à cette indiscutable insuffisance, il apparaît que le traité ne peut repré-
senter une solution totalement efficace faute de pouvoir faire peser des obligations
sur la partie privée. Dans ces conditions, le recours au contrat porteur de droits et

 6.  Voy. sur le droit des contrats d’État, J.-M.  Jacquet et D.  Bentolila, «  Contrat d’État  »,
Juriclasseur dr. intern., fasc. 571-90, 2012.
 7.   Tout en étant ici pleinement conscient de la difficulté de définir l’investissement en droit inter-
national. On renverra ici à la multitude de travaux consacrés à la question, dont en particulier
A.  Gilles, La définition de l’investissement international, Bruxelles, Bruylant, 2012. Pour une
approche plus synthétique, voy. A.  de Nanteuil, Droit international de l’investissement, 2e  éd.,
Paris, Pedone, 2017, pp. 165-186.

BRUYLANT 35
Arnaud de Nanteuil

d’obligations réciproques semblerait une meilleure option, le juge du contrat – qu’il


soit un juge national ou un arbitre, national ou international – se trouvant en posi-
tion de tirer les conséquences des violations des stipulations de l’accord. Il suffirait
alors que ces dernières impliquent des obligations en matière de droits de l’homme
pour que ces obligations puissent être sanctionnées dans le cadre du contrat. Ainsi
présenté, le recours au contrat semble donc constituer la solution idéale à une ques-
tion ancienne et complexe. Elle permet de contourner le problème structurel lié à
l’absence de personnalité juridique complète des entreprises en droit international
qui empêche que leur responsabilité puisse être recherchée en droit international
public8. Mais sous son apparente simplicité, il se pourrait que cette solution ne
constitue qu’une fausse bonne idée et qu’elle conduise en réalité à un éclatement du
contentieux tout en soulevant des interrogations nouvelles. En partant en effet d’un
état des lieux de la pratique contractuelle telle qu’elle est disponible (I), il apparaît
que la question de la nature exacte des obligations des investisseurs (II) tout aussi
bien que les conséquences d’une éventuelle violation (III) sont loin de recevoir une
réponse univoque.

I. Droits de l’homme dans les contrats


d’investissement : un état des lieux

Il paraît difficile de prétendre pouvoir dresser un état des lieux complet de


l’ensemble des contrats porteurs d’une opération d’investissement tant ces outils sont
nombreux et variés. On se contentera donc de quelques exemples, tirés principale-
ment du domaine de l’industrie extractive qui représente une part importante des
opérations d’investissement même s’il n’est pas possible de les y réduire9. On doit
cependant relever, et c’est là sans doute le plus important des constats, que les droits
de l’homme sont comme tels très peu présents, voire franchement absents, des sti-
pulations de ces instruments. Le renvoi aux droits de l’homme ne peut donc être
qu’indirect, soit par le truchement du droit applicable (A), soit par le renvoi à des
instruments de soft law intégrant une référence aux droits fondamentaux  (B), soit
encore par la mention directe de certains droits individuels entretenant une relation

 8.   Quelques solutions se dessinent pourtant mais elles sont assez limitées et pour le moment sont
loin d’avoir fait leurs preuves. Voy. notamment Y.  Kerbrat, «  La responsabilité des entreprises
peut-elle être engagée pour des violations du droit international ? », in L’entreprise dans la société
internationale (H. Gherari et Y. Kerbrat dir.), Paris, Pedone, 2010, pp. 93-104. Voy. également
les différentes contributions abordant la question in Société française pour le droit international
(SFDI), L’entreprise multinationale et le droit international, Colloque de Paris 8 Vincennes Saint-
Denis, Paris, Pedone, 2017, notamment celle de M. Mbengue, « Les obligations des investisseurs
étrangers », pp. 295-340.
 9.   Les exemples qui suivent sont tirés de la banque de données électronique mise en ligne par l’Uni-
versité de Columbia : http://www.resourcecontracts.org/countries.

36 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

avec ceux qui sont reconnus par les instruments régionaux ou universels de protec-
tion des droits de l’homme (C). Mais l’on constatera que, dans l’ensemble, les réfé-
rences demeurent rares.

A. Référence aux droits de l’homme par le renvoi du droit applicable


Quelle que soit la nature des parties – État, collectivité publique, entreprise,
particulier...  –, un contrat comporte toujours une clause de droit applicable, dont
l’importance est peut-être plus prégnante encore lorsqu’il est le support d’une opéra-
tion d’investissement international. En partant de l’hypothèse générale d’un accord
passé entre une entreprise et un État dont elle n’a pas la nationalité, il est alors pos-
sible de renvoyer au droit interne de l’État, au droit international, à des principes
relevant d’un hypothétique « tiers ordre juridique », voire au droit interne d’un État
tiers10. Il peut aussi s’agir, et c’est en pratique une situation fréquente, d’une combi-
naison entre plusieurs ensembles normatifs. Quelle que soit la solution retenue, le
renvoi à un droit existant permet aisément d’introduire des considérations liées aux
droits fondamentaux et de contraindre les investisseurs à leur respect. Mais c’est
sans doute du côté du droit interne que les solutions les plus profitables peuvent
probablement être trouvées11.
L’application d’un droit interne permet en effet de contourner le problème
de l’absence de personnalité juridique des entreprises en droit international. Dans
le cadre de la relation contractuelle, l’État se trouve alors en mesure d’imposer à
l’investisseur le respect des normes internes relatives aux droits fondamentaux. Cela
étant dit, cette première hypothèse très simple se heurte d’évidence à une double
limite  : d’une part, il est fréquent que le droit interne ne comporte que peu, voire
pas du tout, de référence ou de normes ayant pour objet la protection des droits de
l’homme. En ce sens, la référence reste tributaire du droit interne, qui peut présenter
certaines faiblesses à cet égard. D’autre part, l’existence des textes est une chose,
mais celle des institutions destinées à les sanctionner en est une autre. Il n’est pas
toujours possible de compter sur une justice impartiale et indépendante pour enga-
ger d’éventuelles procédures de sorte que le risque d’une instrumentalisation existe.
Au-delà de ces considérations, les États ne disposent pas toujours des moyens maté-
riels, financiers et/ou humains pour garantir un déclenchement des procédures perti-
nentes. C’est au reste cette méfiance à l’égard de la justice nationale et la faiblesse des
institutions dans certaines régions qui a présidé à la naissance du droit international
des investissements. Cela étant dit, ce ne sont là que quelques généralités qui peuvent
se trouver bien sûr contredites par certaines pratiques. On pense en particulier à

 10.   Voy. notamment Ch. Leben, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international
des investissements », RCADI, vol. 302, 2003, pp. 201-386, spéc. pp. 220 et s.
 11.   Pour un exemple de contrats renvoyant au droit interne en termes de respect des droits des
travailleurs, voy. l’article 23, § 2, b, du contrat entre Société Sandep Gaarg & Company SARL et
le Mali.

BRUYLANT 37
Arnaud de Nanteuil

l’exemple du Sénégal qui a adopté le 8 novembre 2016 une nouvelle version de son
code minier impliquant un certain nombre d’obligations à la charge des entreprises
chargés des opérations d’extraction. On notera en particulier l’article 94 aux termes
duquel «  [t]out titulaire de titre minier a l’obligation de protéger et respecter les
droits humains dans les zones affectées par les opérations minières, conformément
à la législation nationale et aux conventions internationales »12. Le renvoi au droit
international permet de pallier les éventuelles lacunes du droit interne et d’ouvrir des
perspectives intéressantes  : quoiqu’il ne s’agisse que d’une obligation formulée en
des termes très généraux, elle renvoie à un ensemble de textes, internes ou interna-
tionaux, porteurs de multiples obligations précises. En ce sens, une telle disposition
applicable à un contrat d’investissement est porteuse de conséquences qui peuvent
être de grande envergure. En pratique néanmoins, elle est assez rare.

B. Référence aux droits de l’homme par le renvoi à un instrument


de soft law
Dans la pratique des contrats d’investissement, il serait possible d’envisager
de faire référence à des instruments porteurs d’obligations de respect des droits de
l’homme à la charge des entreprises. En pratique, ces derniers existent bel et bien,
mais ils sont dépourvus comme tels de valeur contraignante  : il s’agit de soft law.
Le fait d’y renvoyer dans un contrat constituerait néanmoins un excellent moyen de
faire produire un effet juridique à ces instruments. On pourrait ainsi envisager une
référence à un « code de conduite » existant, à l’instar des principes directeurs des
Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés en 201113.
Il est toutefois assez rare qu’un renvoi explicite soit opéré à un texte de cette nature,
même si l’on ne peut exclure totalement cette possibilité. En règle générale, les ren-
vois visent des textes plus précis à l’instar, par exemple, de la Déclaration de politique
générale de la Société financière internationale incluant une prohibition absolue du
travail forcé et du travail des enfants14. Il existe également des références faites à cer-
taines structures destinées à vérifier la bonne conduite de l’opération d’investissement
à l’instar de l’International Council on Mining and Metals (ICMM)15, ou la Global
Oil and Gas Industry Association for Environmental and Social Issues (IPIECA)16.
Mais cette dernière pratique souffre d’une double faiblesse  : d’abord, le statut de
ces organisations n’est pas toujours très clair juridiquement, il s’agit généralement
de simples associations qui tirent leur existence légale de leur immatriculation dans

 12.   Loi n° 2016-32 du 8 novembre 2016, accessible en ligne sur le site officiel du gouvernement
sénégalais : https://www.sec.gouv.sn/Code-minier.html.
 13.   Ces principes ont été approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dans
sa résolution 17/4 du 16 juin 2011.
 14.   Art. 19.7.2 contrat entre CPI International Minerals & Investment Co. Ltd. et la République
de Guinée (Guinée Conakry), 2013.
 15.   Voy. https://www.icmm.com/en-gb.
 16.   Voy. http://www.ipieca.org/.

38 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

un droit national. Comme telles, elles ne peuvent donc disposer d’un pouvoir de
contrainte surtout dans des opérations qui se déroulent ailleurs que sur le territoire
de l’État dont elles tirent leur statut. Ensuite, l’étendue exacte de la mission de ces
structures n’est pas très claire. Faute d’un engagement de l’entreprise dans le contrat
en relation avec un texte spécifique, elles ne peuvent être missionnées que pour véri-
fier le respect du droit applicable à ce dernier, dans lequel peuvent figurer des normes
relatives aux droits de l’homme, mais avec les réserves qui ont été exprimées au-des-
sus. De ce double point de vue, il résulte que la référence à un code de conduite dans
un contrat ne produirait sans doute qu’un effet assez modeste.
On peut même aller plus loin à ce sujet. En imaginant qu’un investisseur s’en-
gage dans un contrat à respecter un ensemble de principes prédéterminés à l’instar
d’un code de conduite, il n’est pas certain que cela soit suffisant pour leur conférer
une valeur contraignante, ou en tout cas pour garantir leur sanction juridictionnelle.
La difficulté, de ce point de vue, est la même que celle qui est au cœur de la distinc-
tion entre treaty claims et contract claims en droit international des investissements17.
On peut ainsi imaginer une clause du contrat par laquelle l’entreprise s’engage à res-
pecter un code de conduite donné. La violation de ce dernier devrait donc constituer
une méconnaissance de l’engagement contractuel à le respecter. Mais l’examen de
cette violation ne relèverait pas nécessairement de la compétence du juge du contrat.
Si ce dernier est un tribunal arbitral, en effet, ce qui en pratique est souvent le cas, sa
compétence sera limitée à ce que prévoit la clause compromissoire. Il est possible que
celle-ci soit rédigée de manière large, mais elle limitera généralement la compétence
du tribunal arbitral aux différends directement liés au contrat. Or, de même que le
juge du traité comportant un engagement à respecter un contrat n’est pas nécessai-
rement compétent pour examiner si le contrat a été méconnu, l’arbitre saisi sur le
fondement d’un contrat ne pourra pas nécessairement étendre sa compétence aux
dispositions d’un instrument qui est totalement extérieur à ce dernier. En d’autres
termes, pour identifier si l’engagement à respecter le code de conduite a été tenu, il
est nécessaire de vérifier s’il y a eu violation de celui-ci, ce qui ne relève pas nécessai-
rement de la compétence que lui auront confiée les parties au contrat. Il faut que la
rédaction de la clause compromissoire de ce dernier le permette.
À ce problème d’ordre procédural vient s’ajouter une difficulté substantielle
liée au fait qu’un code de conduite non contraignant ne peut changer de nature par
le simple renvoi d’un instrument juridiquement obligatoire. Le raisonnement est sans
doute un peu formaliste, mais il est vrai qu’en toute rigueur, le seul engagement

 17.  Cette distinction a été clairement mise en avant dans l’affaire Compania de Aguas del
Aconquija S.A. et Vivendi Universal S.A. c. République d’Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/97/3, déci-
sion d’annulation du 3 juillet 2002, ICSID Reports, vol. 6, p. 340, § 96, trad. E. Gaillard in La
jurisprudence du CIRDI, vol. I, p. 736 : « La détermination de l’existence de la violation du BIT et
celle d’un manquement au contrat sont deux questions distinctes. Chacune d’elles sera déterminée
par application du droit qui lui est applicable – dans le cas du BIT, le droit international ; dans le
cas du contrat de concession, le droit applicable au contrat ».

BRUYLANT 39
Arnaud de Nanteuil

juridique est celui qui figure dans le contrat et non dans l’instrument de soft law.
On sait qu’en matière de treaty et contrat claims, certains tribunaux arbitraux ont
refusé de voir dans une clause – conventionnelle – de respect des engagements une
stipulation suffisante pour transformer les réclamations contractuelles en réclama-
tions conventionnelles, estimant qu’en dépit de sa présence, la violation d’un contrat
ne pouvait être en soi un acte internationalement illicite18. Même si cette décision
ne fait pas l’unanimité, rien n’empêche qu’une interprétation analogue soit retenue
et aboutisse à la conclusion que la méconnaissance d’un code de conduite n’est pas
en soi une violation du contrat. Elle ne pourrait le devenir que si elle constitue une
méconnaissance formelle d’une stipulation contractuelle.

C. Référence aux droits de l’homme par la mention directe de certains


droits individuels
Jusque-là, la présence des droits de l’homme dans les contrats d’investisse-
ment s’est avérée plus que discrète, mais il reste qu’à travers certaines stipulations,
elle n’est pas totalement mise à l’écart, dès lors que les droits en question intéressent
plus directement la vie de l’entreprise. En réalité, il apparaît donc que les seuls droits
réellement présents dans les contrats sont ceux qui sont reconnus aux travailleurs –
dont on sait qu’ils peuvent être particulièrement menacés notamment dans le cadre
de certaines opérations d’extraction minière. Mais contrairement à ce qui se ren-
contre en matière de droits de l’homme en général, la mention des droits des tra-
vailleurs apparaît bien plus fréquemment dans les contrats. Il se peut alors que ces
droits soient mentionnés par renvoi à la législation nationale en vigueur, le niveau
de protection étant alors tributaire de l’étendue des garanties proposées par le droit
interne19. Il est possible aussi de renvoyer aux usages de la profession en détaillant
un certain nombre d’obligations de protection des travailleurs, à l’instar par exemple
des «  prudent international petroleum industry practice  »20 ou «  Good Oil Field
Practice »21. Certains instruments vont jusqu’à détailler la teneur des obligations de
l’investisseur à cet égard. On peut ainsi mentionner le contrat de concession entre
Ivanhoe Mines Mongolia Mines LLC, Ivanhoe Mines  ltd, Rio Tinto International
Holdings ltd et la Mongolie qui prévoit que « the Investor will ensure fair wages and
equal remuneration for work of equal value »22. Il est vrai que les termes employés
laissent une place confortable à l’interprétation, mais la présence de cette obligation

 18.   SGS Société générale de surveillance c.  République islamique du Pakistan, aff. CIRDI,
n° ARB/01/3, sentence du 6 août 2003, ICSID Reports, vol. 8, p. 406, §§ 166 et s.
 19.   Voy. par exemple art. 19.1, § f, Convention minière entre la République du Niger et la Hansa
Geomin Consult GmbH, 1995.
 20.   Art. 16.11 contrat de partage de production entre le Gouvernement du Kurdistan iraquien et
Korea National Oil Corporation, 2008.
 21.   Art. 5, § 1er, a, contrat de partage de production entre Eni Timor Leste SpA et le Timor S-06-
05, 2006.
 22.   Art. 8.1 contrat signé en 2009.

40 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

est en soi digne d’intérêt. On pourrait encore envisager un renvoi aux standards
de l’Organisation internationale du travail même si c’est une hypothèse que nous
n’avons pas rencontrée en pratique. Par analogie, une technique similaire a pu, en
revanche, être employée en matière de protection de l’environnement  : ainsi dans
le dernier modèle de contrat de partage publié par l’Éthiopie, l’article 3.7.2 prévoit
que l’investisseur est tenu de respecter l’ensemble des normes nationales sur l’envi-
ronnement et que « [i]n the absence of applicable laws, the Contractor shall apply
the most appropriate internationally accepted environment standards »23. Il est vrai
que la formule reste floue et que, s’agissant d’un modèle, il n’est pas certain qu’elle
puisse réellement être acceptée comme telle par les négociateurs. Mais rien n’em-
pêche qu’un mécanisme analogue soit employé en termes de droit des travailleurs.
Que la possibilité juridique existe est une chose, mais qu’elle soit mise en
œuvre en est une autre. Il apparaît dans la pratique des contrats, pour autant qu’elle
puisse faire l’objet d’une systématisation, laisse tout de même une place assez réduite
à la question des droits sociaux. Sans doute pourtant cette référence à ces droits pré-
cis, au premier chef ceux des travailleurs, constitue-t-elle la meilleure garantie de leur
respect car, en pareille hypothèse, la teneur exacte des obligations est connue et iden-
tifiée. En outre, pour rester sur cet exemple, un renvoi aux normes internationales
permettrait de bénéficier de la pratique ancienne du Bureau international du travail
et de ses interprétations des différentes règles de protection.

II. Nature incertaine des obligations


des investisseurs en matière de droits
fondamentaux

Même si la pratique est erratique et offre un nombre relativement faible


d’exemples de références aux droits de l’homme dans les contrats d’investissement,
il reste que ces références existent et, surtout, qu’elles sont possibles sur le plan
juridique. Il faut donc se placer désormais dans l’hypothèse où de telles références
seraient présentes, sous l’une des trois formes identifiées ci-dessus, afin d’en évaluer
les conséquences possibles en droit.
Le problème essentiel tient à une évidence, qui mérite tout de même d’être
rappelée : formellement, les personnes privées que sont les investisseurs ne sont pas
débiteurs des règles internationales existant en matière de droits de l’homme. Le fait
de les mentionner dans un contrat signé par un investisseur ne suffit pas à en changer

 23.   Modèle publié le 26 août 2011. La disposition complète se lit comme suit : « Contractor shall
comply with the applicable laws, regulations, and directives relating to the environment, to avoid
the damages the Petroleum Operations may cause on the human and natural environment. In the
absence of applicable laws, the Contractor shall apply the most appropriate internationally accep-
ted environment standards ».

BRUYLANT 41
Arnaud de Nanteuil

la nature, puisque la règle existe – et même préexiste – en toute indépendance par


rapport au contrat. En conséquence, c’est un problème d’ordre structurel, bien iden-
tifié, qui empêche que les droits de l’homme puissent être opposables aux entreprises.
Certaines tentatives ont toutefois été identifiées en particulier dans le contentieux
de l’investissement qui oppose entreprises et États et à l’occasion duquel certaines
questions de cet ordre ont pu se poser. En particulier, dans le cadre de demandes
reconventionnelles, certains tribunaux arbitraux ont fait preuve d’un certain acti-
visme afin de poser les jalons de la reconnaissance d’une obligation des investisseurs
de respecter les droits de l’homme. Il ne s’agit cependant que de quelques repères
qui n’ont pas abouti à la reconnaissance ouverte d’une obligation à la charge des
entreprises, ce qui eût été impossible en l’état des normes internationales relatives
aux investissements24. Dans l’affaire Urbaser en particulier, après un examen atten-
tif de nombreux instruments et après avoir relevé de manière un peu sibylline que
«  international law accepts corporate social responsibility as a standard of crucial
importance for companies operating in the field of international commerce », le tri-
bunal a jugé que : « it is therefore to be admitted that the human right for everyone’s
dignity and its right for adequate housing and living conditions are complemented
by an obligation on all parts, public and private parties, not to engage in activity
aimed at destroying such rights  »25. L’audace n’ira cependant guère plus loin que
cette affirmation de principe, le tribunal ne parvenant pas à identifier une obligation
de respecter le droit à l’eau qui était invoqué en l’espèce : c’est bien aux États qu’il
appartient de prendre les mesures à cette fin26. Le tribunal considère donc que l’obli-
gation existe bien, mais que sa sanction ne saurait se faire sans la médiation de l’État.
Au fond, les structures traditionnelles de la société internationale se retrouvent donc
respectées et il est certain que les arbitres n’auraient pas pu aller plus loin.
Reste qu’il existe aujourd’hui, sans discussion possible, un mouvement
conventionnel tendant à affirmer les obligations des investisseurs en matière de
droits de l’homme et de droit de l’environnement27. Toutefois, l’obstacle lié au fait
que seuls les États sont débiteurs des règles internationales en la matière entraînant
l’impossibilité formelle de les opposer à des personnes privées demeure. Ainsi, par
exemple, l’article  2 du Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques dispose
en des termes clairs que « [l]es États parties au présent Pacte s’engagent à respecter
et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur

 24.   Voy. sur cette question et ces tentatives juridictionnelles M. Mbengue, « Les obligations des
investisseurs étrangers », in Société française pour le droit international (SFDI), L’entreprise multi-
nationale et le droit international, op. cit., pp. 318 et s.
 25.   Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa
c. République d’Argentine, aff. CIRDI, n° ARB/07/26, sentence du 8 décembre 2016, §§ 1195 et
1199.
 26.   Ibid., §§ 1204-1210.
 27.   M. Mbengue, « Les obligations des investisseurs étrangers », in Société française pour le droit
international (SFDI), L’entreprise multinationale et le droit international, op. cit., pp. 322 et s.

42 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

compétence les droits reconnus dans le présent Pacte [...]  »28. C’est sans doute la
raison pour laquelle certains des traités évoqués détaillent eux-mêmes les droits que
les investisseurs demeurent tenus de respecter29. La seule solution, en effet, est dans
l’affirmation de nouvelles obligations qui sur le fond peuvent rejoindre celles exis-
tantes, mais dont la formulation laisse clairement entendre que les personnes privées
peuvent en être débitrices. La vision des rapports entre droits de l’homme et entre-
prise se trouve donc profondément renouvelée, de sorte que la question se pose alors
de savoir si, à la lumière de cette nouvelle approche, une mention de ces droits dans
un contrat liant un État et un investisseur étranger pourrait permettre d’aller un
peu plus loin que le tribunal dans l’affaire Urbaser. Sans doute est-ce le cas puisque,
comme il vient d’être vu, le principal obstacle à l’opposabilité des droits de l’homme
aux investisseurs tient à la formulation des obligations existantes, de sorte que l’in-
troduction d’obligations de ce type dans un contrat aurait pour effet de le lever en
rendant ces obligations opposables à des personnes privées.
Mais l’insertion de stipulations de ce type dans les contrats d’investissement,
dont on a vu qu’elle était encore timide sans être inexistante pour autant, est sur-
tout susceptible de produire des effets sur le plan procédural. Dans le cadre d’un
traité, en effet, l’État se trouve systématiquement en position de défendeur et ne
peut engager de poursuites contre l’investisseur qu’au titre d’une demande recon-
ventionnelle. Or, les conditions d’engagements de celle-ci sont strictes, notamment
parce que la demande doit à la fois relever de la compétence du tribunal  – donc
entrer dans le champ délimité par la clause compromissoire du traité – et présenter
un lien de connexité suffisant avec la demande principale formulée par l’investisseur.
Ces exigences expliquent que les demandes reconventionnelles ont longtemps été
écartées par les tribunaux arbitraux, jusqu’à une date récente. Il semble que la juris-
prudence évolue dans un sens qui leur soit plus favorable, mais il s’agit pour l’heure
de quelques décisions qui ne permettent pas (encore ?) de conclure à une tendance
globale30. À ce sujet, la présence d’un contrat mentionnant des obligations relatives
aux droits de l’homme permet d’envisager une double conséquence  : d’abord, elle
faciliterait grandement la recevabilité des demandes reconventionnelles puisque
le contrat est porteur de droits et obligations réciproques. Si l’on imagine que la
clause compromissoire de ce contrat donne compétence à la juridiction, qu’elle soit

 28.   New York, 16 décembre 1966 (A/RES/2200 A (XXI), 16 décembre 1966), RTNU, vol. 999,
p. 171. C’est nous qui soulignons.
 29.   Voy. par exemple le modèle de TBI publié en 2012 par la SADC (Southern Africa Development
Community), accessible en ligne  : http://www.iisd.org/itn/wp-content/uploads/2012/10/SADC-
Model-BIT-Template-Final.pdf.
 30.   Outre la sentence CIRDI dans l’affaire Urbaser S.A. and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia,
Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c.  République d’Argentine, voy. Burlington Ressources Inc.
c.  République d’Équateur, aff. CIRDI, n°  ARB/08/5, décision sur les demandes reconvention-
nelles, 7  février 2017. Sur cette question et sur les perspectives ouvertes, voy. A.  de Nanteuil,
« Counterclaims in Investment Arbitration: Old Questions, New Answers? », The Law and Practice
of International Courts and Tribunals, vol. 17, 2018, pp. 374-392.

BRUYLANT 43
Arnaud de Nanteuil

arbitrale ou non, pour tous les différends relatifs à l’application du contrat, cette
compétence inclura nécessairement les demandes reconventionnelles que l’État pour-
rait présenter. Ensuite, la présence d’obligations relatives aux droits de l’homme dans
un contrat permettrait tout simplement d’envisager que l’État soit demandeur à l’ins-
tance et poursuive l’investisseur sans attendre d’être lui-même poursuivi pour enga-
ger des demandes reconventionnelles. Au-delà du fond, c’est donc un changement de
la structure même du contentieux qui serait rendu possible, en envisageant un règle-
ment des différends plus équilibré dans lequel le défendeur ne serait pas systémati-
quement l’État. Il importerait bien entendu de sécuriser cette possibilité afin qu’elle
ne soit pas instrumentalisée et qu’elle ruine la protection de l’investisseur étranger,
mais elle ouvre la voie à des perspectives intéressantes, tout en donnant naissance à
de nouveaux problèmes.

III. Incertitudes autour des conséquences


de la violation des droits de l’homme

En admettant donc qu’un contrat d’investissement comporte un certain


nombre d’obligations en matière de droits de l’homme et que les conséquences
contentieuses qui viennent d’être évoquées puissent être tirées, il reste qu’une ques-
tion importante reste posée quant à la nature exacte de la responsabilité de l’investis-
seur qui pourrait être ainsi recherchée (A), qui induit elle-même des questions quant
au régime juridique de cette responsabilité (B).

A. Responsabilité contractuelle de droit international ?


A priori, si l’État considère que le comportement de l’investisseur constitue
une violation des engagements de ce dernier dans le contrat en matière de droits de
l’homme, c’est bien une responsabilité contractuelle qui est recherchée. Les condi-
tions de son engagement et le juge compétent dépendront donc uniquement des dis-
positions du contrat lui-même. La difficulté qui peut apparaître sur le plan juridique
est alors la suivante : si les engagements contractuels de l’investisseur en matière de
droits de l’homme sont formulés par renvoi aux règles internationales, il peut être
difficile d’envisager la sanction de ces règles dans un cadre purement contractuel. Il
faut ici distinguer différentes hypothèses.
On peut d’abord envisager un contrat soumis à l’application du droit interne
de l’État et à la compétence de ses juridictions – ou à celle d’un tribunal arbitral car il
est parfaitement possible que celui-ci soit tenu d’appliquer le droit de l’État. La ques-
tion qui se pose alors est celle de savoir si, dans cet ordre juridique, il est possible
d’envisager un engagement de la responsabilité de l’investisseur pour la violation de
normes qui formellement n’en font pas partie. La seule possibilité serait de s’assurer
que les règles internationales relatives aux droits de l’homme sont intégrées dans
l’ordre juridique national. Cela suppose à la fois que le droit interne reconnaisse leur

44 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

intégration et éventuellement précise leur rang hiérarchique et que les juridictions


internes en reconnaissent l’effet direct si l’on veut que leur sanction juridictionnelle
soit possible en droit interne. Cette reconnaissance peut se faire par le jeu d’une
simple disposition, à l’instar de l’article 55 de la Constitution française qui dispose,
pour rappel, que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès
leur publication, une autorité supérieure à celle des lois »31. Dès lors que le droit de
l’État comporte une disposition réglementant les rapports entre droit international
et droit interne permettant une sanction du premier au sein du second, on peut envi-
sager que la responsabilité de l’investisseur soit recherchée dans cet ordre juridique
sans trop de difficulté, dès lors que le contrat crée des obligations à la charge de
celui-ci.
Dans l’hypothèse d’un contrat soumis au droit international – quelle que soit
par ailleurs la juridiction compétente, mais il s’agira alors a  priori d’un tribunal
arbitral –, la question est plus complexe, car elle conduit à interroger la possibilité
d’une responsabilité internationale d’une personne privée. Cette responsabilité, on
le sait, existe en droit international public en matière pénale, mais pas ailleurs. La
question est alors de savoir si un contrat est un instrument suffisant pour permettre
d’envisager la reconnaissance d’une telle responsabilité. Le problème vient de l’am-
pleur de cette reconnaissance  : elle ne supposerait rien moins que de modifier la
structure du système juridique international. Même s’il est bien entendu que celui-ci
est de plus en plus poreux à la présence d’individus, cette porosité n’a pas remis
en cause sa dimension essentiellement interétatique. Il faudrait alors envisager un
phénomène d’internationalisation du contrat qui poursuivrait – et achèverait – celui
qui s’est déployé autour des contrats d’État32. Mais alors que celui qui a touché les
contrats d’États dans la seconde moitié du XXe  siècle visait à internationaliser les
conséquences de la violation du contrat par l’État, ce sont les conséquences de la
violation par l’investisseur que l’on chercherait ici à soumettre entièrement au droit
international. Dans l’une des plus célèbres sentences ayant contribué au renforce-
ment de la théorie du contrat d’État, le tribunal arbitral avait indiqué au sujet d’une
nationalisation ayant affecté un contrat souscrit par l’État que «  l’État souverain
nationalisant ne saurait méconnaître les engagements pris par l’État contractant  :
décider autrement, ce serait en effet admettre que tous les engagements contractuels
assumés par l’État l’auraient été sous une condition purement potestative de sa part

 31.   La doctrine est partagée sur le point de savoir si cette disposition traduit une approche moniste
ou dualiste des rapports entre droit international et droit interne. Il n’est pas nécessaire de trancher
ici ce débat, dans la mesure où les deux hypothèses permettent d’envisager une sanction interne
des normes internationales. En tout état de cause, il semble que la majorité des États aient adopté
une approche dualiste sur cette question. Voy. à ce sujet M. Virally, « Sur un pont-aux-ânes : les
rapports entre droit international et droits internes », in Mélanges offerts à Henri Rolin. Problèmes
de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, pp. 488-505.
 32.   Voy. notamment à ce sujet Ch. Leben, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit
international des investissements », RCADI, vol. 302, 2003 (I), pp. 197-386.

BRUYLANT 45
Arnaud de Nanteuil

et donc seraient dénués de toute valeur juridique et de toute force obligatoire  »33.
Ce faisant, le tribunal conférait à l’engagement contractuel une portée internatio-
nale, ce qui en soi était révolutionnaire, mais était grandement facilité par le fait
que le principe même d’une responsabilité internationale de l’État pour violation de
ses engagements (internationaux) était admis. Le changement apporté résidait donc
dans la reconnaissance de l’ancrage du contrat dans le droit international, mais il n’y
a pas eu, à proprement parler, de reconnaissance d’une nouvelle forme de responsa-
bilité. Seul le fait générateur de l’engagement de celle-ci était nouveau. Dans le cas
qui nous intéresse, en revanche, toute la difficulté tient à ce que la responsabilité qui
serait recherchée n’existe pas dans l’absolu. Un raisonnement analogue à celui qui a
présidé à la construction de la théorie du contrat d’État ne saurait donc être tenu, car
il supposerait que la responsabilité des personnes privées en droit international soit
reconnue comme un préalable.
Sans doute faut-il donc modifier quelque peu la perspective, et revoir en parti-
culier les ambitions à la baisse. Il est possible en effet d’envisager une responsabilité
de l’investisseur dans les conditions évoquées précisément grâce au cadre juridique
particulier constitué par le contrat. Plutôt que d’envisager une responsabilité pure-
ment internationale comme celle de l’État dans le cadre des contrats d’État, il serait
possible de concevoir une responsabilité de l’investisseur qui resterait de nature
strictement contractuelle. Faute de principes existant en droit international, c’est au
contrat lui-même qu’il appartiendrait de fixer les conditions et les conséquences de la
responsabilité éventuelle de l’investisseur. Mais à défaut d’un régime juridique exis-
tant, celui-ci devrait en effet être conçu de toutes pièces. Il reste alors à identifier les
éléments qui pourraient le composer.

B. Éléments du régime juridique de la responsabilité contractuelle


internationale de l’investisseur
La première question à poser est celle du dommage comme condition d’en-
gagement de la responsabilité. On sait que cette condition n’a pas été retenue par la
Commission du droit international au sujet de la responsabilité de l’État, mais que
la pratique des tribunaux arbitraux n’est pas toujours congruente avec cette orienta-
tion34. En tout cas, la question se poserait dans l’hypothèse d’un régime de responsa-
bilité contractuelle des entreprises pour violations des droits de l’homme. Sans doute
le dommage devrait-il être inhérent à la violation de ces normes, car leur objet même
est de reconnaître des droits aux individus. En conséquence, toute méconnaissance

 33.   Texaco Calasiatic c.  Gouvernement de la République arabe libyenne, sentence du


17 janvier 1977, extraits traduits in JDI, vol. 104, p. 350, § 91.
 34.   Voy. par exemple Merrill & Ring forestry L.P. c. Canada (ALENA – CNUDCI), sentence du
31  mars 2010, §  266  : «  an international wrongful act will only be committed in international
investment law if there is an act in breach of an international legal obligation, attributable to the
Respondent that also results in damages ».

46 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

de l’une d’entre elle se traduit ipso facto par la mise en cause des droits reconnus ce
qui, en soi, est constitutif d’un dommage. Ce dernier devrait donc sans doute être
considéré comme une condition exigible en tout état de cause, mais dans le même
temps il semble impliqué par la violation de la norme. Le fait de ne pas l’indiquer
expressément comme condition d’engagement de la responsabilité n’implique donc
pas nécessairement que sa pertinence devrait être écartée. En résumé, le dommage
semble donc être une condition inhérente à la responsabilité envisagée.
Ce n’est pas, cependant, la seule question ouverte, loin s’en faut. De multiples
éléments composent le régime d’une responsabilité et la deuxième question qui se
pose ici est celle de l’illicéité comme condition de son engagement. Il existe en effet
des régimes objectifs ou « sans faute » dans lesquels le fait générateur n’a pas à être
contraire à une norme pour produire un engagement de responsabilité. Cela étant,
même si des régimes de responsabilités sans faute existent en droit international,
ils sont réduits à des régimes conventionnels spécifiques35. Au surplus, dans l’hypo-
thèse qui retient ici notre attention, il apparaît que la responsabilité n’est qu’un outil
visant à garantir le respect des droits de l’homme par l’investisseur. Ce n’est donc
qu’en cas de violation de ces derniers qu’il y aurait un sens à l’engager. De ce point
de vue, on voit mal comment la responsabilité pourrait être objective, puisque c’est
sa raison d’être qui implique son engagement uniquement en cas de violation. D’une
manière générale d’ailleurs, le droit international des droits de l’homme reconnaît
que la responsabilité de l’État repose sur l’illicite, à l’instar de la responsabilité
internationale en général : les droits de l’homme ne constituent pas une lex specia-
lis à cet égard36. Dans ces conditions, il apparaît difficile d’envisager qu’il en aille

 35.   Les seuls cas de responsabilité « sans faute » (i.e. fondée sur autre chose que la contrariété de
l’acte étatique à une norme internationale) relèvent de régimes spéciaux organisés par des conven-
tions. Tel est le cas par exemple des conventions du 29 juillet 1960, 25 mai 1962 et du 10 mai 1963
sur les dommages causés par l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, ou la convention du
29 mai 1969 sur la pollution par les hydrocarbures. Voy. à ce sujet J. Combacau et S. Sur, Droit
international public, 10e  éd., Paris, Montchrestien, 2012, pp.  544-545  ; également P.M.  Dupuy,
«  Le fait générateur de la responsabilité internationale des États  », RCADI, vol.  188, 1984  (V),
pp. 9-134.
 36.   On peut rappeler ici que l’illicite est bien entendu une exigence en droit international général,
comme le rappelle l’article 1er des Articles de la Commission du droit international (CDI) adoptés
en 2001 : « Tout fait internationalement illicite de l’État engage sa responsabilité ». Voy. en parti-
culier le commentaire par J. Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris,
Pedone, 2003, pp. 93 et s. Aucune étude relative aux droits de l’homme ne semble écarter la néces-
sité d’une illicéité, sous la forme d’une violation des normes internationales, cette dernière étant
considérée même implicitement comme le seul critère d’engagement de la responsabilité de l’État
en la matière, voy. par exemple A. Kiss, « La protection des droits de l’homme et les techniques de
mise en œuvre du droit international », in SFDI, La protection des droits de l’homme et l’évolution
du droit international, Colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 1998, pp. 135-156, spéc. pp. 144 et s.
L’article 34 du Statut de la Cour européenne des droits de l’homme l’évoque d’ailleurs explicitement
en disposant que « la Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organi-
sation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation ».
C’est nous qui soulignons.

BRUYLANT 47
Arnaud de Nanteuil

différemment lorsque c’est à une entreprise que l’atteinte aux droits de l’homme est
reprochée. En tout état de cause, une telle atteinte n’est caractérisée que si elle est
constitutive de la violation d’une norme existante. En conséquence, l’illicite ne peut
être raisonnablement écarté d’un tel régime de responsabilité.
Outre le fait générateur et le dommage, il faut bien entendu envisager la
question du lien de causalité, qui n’a cependant aucune raison d’être abordé en des
termes spécifiques dans le cadre du régime de responsabilité que nous tentons ici
d’identifier. Dans le droit international général, l’exigence de causalité est peu explo-
rée sans doute parce qu’elle s’impose d’évidence37. Mais elle n’en soulève pas moins
d’importantes questions, dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’une approche univoque
sur le plan théorique38. Dans l’ordre juridique international, de multiples questions
se sont posées à son sujet, comme celle de la prise en compte ou non du doute dans
l’existence du lien de causalité : la jurisprudence internationale semble se contenter
d’une preuve suffisante, voire d’une probabilité suffisante, pour établir la causalité,
même si un doute demeure sur l’enchaînement causal entre le fait générateur et le
dommage39. En ce sens, la causalité s’applique en forme de « tout ou rien » : elle est
établie ou non, mais ne peut l’être partiellement. Cela n’exclut pas cependant qu’il
existe plusieurs faits générateurs dont il faut alors examiner la contribution respec-
tive au dommage avant d’envisager une réparation  – mais cet examen soulève de
très grandes questions théoriques et pratiques40  –. Ces questions ont été soulevées
dans le cadre de la responsabilité internationale de l’État, mais devraient l’être tout
autant dans le cadre de celle d’une entreprise. Il est ainsi possible d’envisager que la
violation des droits de l’homme imputable à celle-ci ait été facilitée par des agisse-
ments étatiques comme une surveillance insuffisante ou même des normes nationales
peu regardantes. En pareille perspective, c’est bien la causalité qui se trouverait au
cœur du problème. Il est donc essentiel que l’hypothétique régime de responsabilité
ici évoqué intègre des éléments à ce sujet même si l’adoption des solutions du droit
international général constituerait indiscutablement la solution la plus raisonnable.

 37.   Voy. J. Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, op. cit., p. 245. Voy.
également J.  Verhoeven, Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, p.  628. Dans le
domaine du droit de l’investissement, l’exigence du lien de causalité est parfois explicitement formu-
lée par les tribunaux arbitraux, voy. par exemple SAUR International S.A. c. Argentine, aff. CIRDI,
n° ARB/04/4, sentence du 22 mai 2014, §§ 339 et s., spéc. § 340. Voy. également Antoine Abou
Lahoud and Leila Bounafeh-Abou Lahoud c.  République Démocratique du Congo, aff.  CIRDI,
n° ARB/10/4, sentence du 7 février 2014, § 555.
 38.  Pour une présentation des différentes approches théoriques, voy. par exemple G.  Viney,
P. Jourdain et S. Carval, Les conditions de la responsabilité, 4e éd., Paris, LGDJ, 2013, pp. 240
et s. Il apparaît que certains auteurs s’opposent au principe même d’une définition de la causalité et
que l’unanimité est loin de faire la loi chez ceux qui tentent de l’identifier de manière systématique.
 39.   Voy. Br.  Bollecker Stern, Le préjudice dans la théorie de la responsabilité internationale,
Paris, Pedone, 1974, pp. 189 et s.
 40.   Ibid., pp. 267-296.

48 BRUYLANT
Responsabilité contractuelle des investisseurs pour violation des droits de l’homme : perspectives et limites

Au-delà de ces trois éléments, cependant, il paraît illusoire d’envisager sérieu-


sement d’évoquer ici un régime complet de responsabilité des entreprises pour vio-
lation des droits de l’homme, car par définition une responsabilité contractuelle
dépend en grande partie des dispositions du contrat lui-même. En outre, un régime
de responsabilité complet suppose d’entrer dans un luxe de détails qui dépasse très
largement le cadre du présent propos. Dans le domaine du droit international, la
question de la responsabilité des États a du reste été discutée particulièrement long-
temps : la Commission du droit international a commencé ses travaux en 1956 pour
publier son texte en 200141. Il ne faut donc pas s’attendre à ce qu’un régime unifié
puisse voir le jour aisément en matière contractuelle. Mais c’est aussi aux parties
signataires des contrats de poser les jalons de cette responsabilité, dont la recon-
naissance de principe ne se heurte à aucun obstacle dirimant sur le plan juridique.
Pour l’heure, comme nous l’avons vu, ce régime n’est qu’embryonnaire et il le restera
tant que les contrats n’intégreront pas davantage de références aux obligations des
investisseurs en matière de droits de l’homme. L’on ne peut donc que souhaiter qu’un
mouvement s’enclenche en ce sens, ce qui n’impliquerait aucune charge ou aucun
risque supplémentaire pour la très grande majorité des investisseurs qui respectent
ces droits. Il y aurait donc beaucoup à y gagner.

 41.   Voy. J. Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris, Pedone, 2003,
pp. 1 et s.

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