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Bertrand Laporte

Microéconomie
(Marchés et prix)

1.1. Le marché : quelques éléments de réflexion .....................................................................2


2. Les marchés stylisés ...........................................................................................................4
2.1. Le marché de concurrence pure et parfaite (CPP) .............................................................5
2.1.1. Les hypothèses du modèle de CPP .....................................................................5
2.1.2. L’offre, la demande et l’équilibre global du marché ...........................................5
2.1.3. L’impact d’une modification des conditions d’offre et/ou de demande sur
l’équilibre du marché ................................................................................................ 13
2.1.4. Les propriétés de l’équilibre ............................................................................ 17
2.2. La situation de l’entreprise sur le marché de CPP ........................................................... 21
2.2.1. Prix d’équilibre et demande (qui s’adresse) à l’entreprise ................................ 21
2.2.2. La situation de l’entreprise à court terme ......................................................... 22
2.2.3. La situation de l’entreprise à long terme .......................................................... 26
2.3. Le monopole .................................................................................................................. 27
2.3.1. Les hypothèses ................................................................................................ 27
2.3.2. L’équilibre du marché ..................................................................................... 28
2.3.3. Inefficacité du monopole privé et coûts pour la collectivité .............................. 32
2.3.4. Équilibre de marché et demande différenciée : le monopole discriminant ........ 36
2.4. La concurrence monopolistique ..................................................................................... 38
2.4.1. Caractéristiques d’un marché de concurrence monopolistique ......................... 38
2.4.2. L’équilibre de l’entreprise ............................................................................... 38
Bibliographie ........................................................................................................................ 42
1. L’économie de marché : quelques éléments de réflexion

Adam Smith défendait l’idée que le marché naissait spontanément. Le marché serait inhérent à
l’activité humaine.

« Penchant naturel à tous les hommes qui les portent à trafiquer, à faire des trocs et des échanges
d’une chose pour une autre » (A. Smith, 1776, La richesse des nations).

L’échange, qui fait partie du quotidien des hommes, est donc à l’origine de l’organisation des
sociétés humaines, avant même que le capitalisme n’apparaisse.

Dans les sociétés traditionnelles, les échanges avaient des aspects sociaux et cérémoniaux
importants, la circulation des objets visant à instaurer des liens réciproques entre les hommes
au moins autant qu’à satisfaire des besoins économiques. Sur ces marchés ne circulaient qu’une
infime part de la production. Les hommes échangeaient leur surplus, essentiellement entre
individus proches (village, tribu, …).

Le marché est sorti de sa marginalité entre le XII e et le XVIIIe siècles dans les sociétés
occidentales, quand il a pu être organisé, surveillé, réglementé. Le marché est donc une affaire
d’institutions.

Institutions : ensemble de règles sociales, instaurées au cours du temps (histoire), qui


permettent la vie des hommes en société. Dans le domaine de l’économie, ce sont les règles
socio-économiques qui rendent l’échange possible.

Avec le développement des villes, l’échange va au-delà du cercle proche, se réalise entre des
individus qui ne se connaissent pas. L’échange se développe d’abord en un lieu précis : place
du marché, foire, bazar, souk, … .

Ces lieux sont surveillés, réglementés :

- Horaires d’ouverture,
- Nature des produits,
- vérification des poids et mesures, …,

afin que l’échange puisse se réaliser en toute confiance.

Police et justice permettent alors de sanctionner les tricheurs. Antoine de Montchrétien écrivait
(1615) : « La police est utile au pays car le crédit (au sens confiance) est l’âme du commerce,
il faut la maintenir en réputation qui veut la rendre utile et profitable ».

L’encadrement des échanges permet de les faire prospérer. Le rôle fondamental des autorités
publiques est alors de mettre en place les institutions nécessaires au bon déroulement des
échanges.

Avec le temps et le développement des activités humaines, le marché correspond de moins en


moins souvent à un lieu précis, mais à une marchandise particulière. On parle par exemple du
marché de l’automobile, du logement, … .

2
A chaque marché correspond des règles particulières : la vente d’une automobile d’occasion
nécessite un contrôle technique, la vente d’un logement nécessite un métrage, un diagnostic
amiante, … .

Ces règles permettent de sécuriser les transactions, garantir leur transparence et sanctionner les
abus. Un marché ne peut correctement fonctionner sans :

- droits de propriétés dûment établis et vérifiés,


- sans tribunal de commerce,
- sans crédit,
- sans règle,
- sans système d’information (label),
- sans contre-pouvoirs organisés (associations de consommateurs), ….

Le marché est alors un bien public qu’il faut « protéger » car il génère des avantages pour la
collectivité qui vont au-delà des seuls avantages retirés par les agents qui participe à une
transaction. En offrant des débouchés prévisibles, structurés, il favorise le développement des
activités productives, dont bénéficie l’ensemble de la collectivité. Etablir des règles qui
permettent le bon fonctionnement des marchés résulte donc de l’intérêt collectif. Le législateur
est ainsi intervenu dans de nombreux domaines (santé, éducation, alimentation, …) pour faire
respecter l’intérêt collectif, l’intérêt général.

L’absence de règle est toujours préjudiciable pour les marchés. Par exemple, avec la chute du
mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, les autorités publiques, affaiblies, n’ont pas
mis en place les institutions nécessaires au bon fonctionnement des marchés. L’absence de
règles a favorisé le pillage de l’outil de production par les apparatchiks de l’ancien régime. Les
monopoles publics ont été remplacés par des monopoles privés. La mafia a prospéré. Au Etats-
Unis, les lacunes de la réglementation à la fin du XIXe siècle ont été à l’origine des premières
lois anti-trust (1890) pour contrecarrer la constitution de monopole (La standard oil compagny
dirigée par John D. Rockfeller contrôlait 80 % des capacités de raffinage de l’or noir). John
Sherman (sénateur de l’Ohio), à l’origine de la loi anti-trust, déclarait : « si nous refusons qu’un
roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos
transports ou la vente de nos produits ».

« L’État a un rôle qui ne se réduit pas à venir sauver l’économie quand les marchés chancellent
et à réglementer pour éviter le type d’effondrement que nous venons de vivre. Les économies
ont besoin d’équilibrer le rôle du marché et celui de l’État – tout en recevant d’importantes
contributions d’institutions qui ne relèvent ni du marché, ni de l’État. Depuis vingt-cinq ans,
l’Amérique a perdu cet équilibre, et elle a imposé sa vision déséquilibrée au monde entier. »
(J.E. Stiglitz, 2010, Le triomphe de la cupidité).

La société a besoin de règles sociales pour fonctionner et les économies de marché n’échappent
pas à cette réalité.

« Pour contenir les maux que peuvent infliger les systèmes de marché, les économies
capitalistes ont inventé des ensembles d’institutions et d’autorités que nous pouvons comparer
à autant de coupe-circuits » (Minsky, 2015).

Les marchés sont aujourd’hui mondiaux. Les règles nationales ne sont plus appropriées à cette
échelle, d’où la nécessité d’une régulation mondiale. Les institutions internationales ont donc

3
un rôle important à jouer car c’est par essence le lieu où des choix collectifs à l’échelle mondiale
sont réalisés. Mais comment faire pour que ces choix soient faits dans l’intérêt de la collectivité
mondiale ? La gouvernance de ces institutions fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats.

L’affaiblissement des règles à l’échelle mondiale, du lien social entre les individus, ne
permettent plus une régulation sociale et environnementale satisfaisante, d’où les drames
sociaux et environnementaux de plus en plus importants dans un monde qui globalement
s’enrichit.

2. Les marchés stylisés

La notion de « main invisible » d’Adam Smith fonde la microéconomie néoclassique. Un ordre


naturel supérieur permettrait d’organiser les activités économiques pour le bien de la
collectivité.

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du boulanger ou du marchand de bière dont nous


attendons notre diner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts ».

« L’individu égoïste est conduit par une main invisible pour faire avancer une fin qui ne fait pas
partie de son intention. Et ce n’est pas toujours le pire pour la société qu’elle n’en fit point
partie. En poursuivant son propre intérêt, il fait souvent avancer celui de la société plus
efficacement que s’il y visait vraiment » (A. Smith, 1776).

Le marché de concurrence pure et parfaite (CPP) correspond à cette intuition d’Adam Smith.
Les économistes néoclassiques ont établi les conditions (mathématiques notamment)
d’existence de ce type de marché. Sous certaines conditions et seulement sous ces conditions
(cf. suivant) le marché de CPP est supérieur à toute autre forme d’organisation de l’économie.
On dit qu’il maximise le bien-être collectif. En fait, il permet de maximiser « la taille du
gâteau » que les agents économiques vont se partager.

Le fonctionnement des marchés « néoclassiques » repose sur la rationalité des agents


économiques. Elle repose sur l’autonomie de décision de ceux-ci et sur un comportement de
maximisation de leurs intérêts individuels. Les consommateurs maximisent leur satisfaction à
travers l’acte de consommation et les producteurs maximisent leur profit à travers l’acte de
production.

4
Attention : dans la microéconomie néoclassique, le comportement des consommateurs est
supposé « rationnel ». Dans la réalité, la rationalité des consommateurs est limitée (Simon,
1996). Le consommateur n’a pas la capacité d’envisager tous les choix possibles pour faire un
choix optimal, c’est-à-dire le choix qui maximise sa satisfaction. Il fera donc seulement un
choix satisfaisant en fonction de l’information facilement disponible et du temps dont il dispose
pour réaliser ce choix. Plusieurs expériences confirment « l’irrationalité » des choix des
consommateurs (par exemple Sippel, 1997).

2.1. Le marché de concurrence pure et parfaite (CPP)

Les économistes néoclassiques accordent une place privilégiée au marché de CPP car il permet
une allocation optimale des ressources disponibles. L’équilibre obtenu, c'est-à-dire le prix et la
quantité échangée, permettent de maximiser le bien-être collectif. Aucune autre structure de
marché ne permet d’obtenir une situation meilleure pour la collectivité.

2.1.1. Les hypothèses du modèle de CPP

Pour qu’un marché soit de CPP avec les propriétés énoncées précédemment, cinq conditions
doivent être vérifiées simultanément :
- Atomicité des agents : Les participants au marché doivent être suffisamment nombreux,
de taille suffisamment petite et parfaitement interchangeables pour qu’aucun d’entre eux
ne puisse exercer une quelconque influence sur l’équilibre du marché. En conséquence,
chaque agent est conduit à considérer le prix du marché comme une donnée,
indépendante de son action.
- Homogénéité des biens/services échangés : Les biens et services offerts par les
entreprises sont parfaitement identiques, tant du point de vue technique que de la
présentation ou du conditionnement.
- Transparence du marché et parfaite information : L’information sur les prix et les
caractéristiques des biens et services est gratuite et sans biais.
- Liberté d’entrée et de sortie du secteur : Aucune barrière ne peut empêcher l’entrée ou
la sortie d’une entreprise du secteur. Il n’y a aucun coût irréversible à l’entrée et à la
sortie du marché.
- Parfaite mobilité des facteurs de production : Les facteurs de production peuvent se
déplacer sans délai et sans coût d’une entreprise à une autre, d’un secteur à l’autre. Il
n’y a aucun coût de mobilité (absence de coût de transport ou de désutilité liée au temps
de transport par exemple).

2.1.2. L’offre, la demande et l’équilibre global du marché

L’intuition des relations entre l’offre, la demande et le prix est ancienne mais sa formulation
rigoureuse date de 1838 avec le mathématicien français Auguste Cournot qui introduisit le
premier la notion de courbe de demande dans la littérature économique.

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A. La demande

Pour construire la fonction de demande d’un bien, il faut connaître ce que le(s)
consommateur(s) est (sont) prêt à payer pour obtenir différentes quantités de bien.

Ex. demande de tablettes de chocolat

Prix (€) Quantité demandée


2 1
1,8 2
1,6 3
1,2 4
1 5

En reportant en ordonnée le prix et en abscisse les quantités demandées, on obtient une


représentation graphique de la fonction de demande « discrète ».

Fonction de demande discrète

Prix
2

1,8

1,6

1,2

1 2 3 4 5 Quantité
q

6
Si le prix et les quantités peuvent varier de façon infinitésimale, la courbe de demande est
continue.

Fonction de demande marshalienne

p
Par convention et depuis
Alfred Marshall, le prix est en
ordonnée et les quantités en
abscisse, d’où l’écriture
p=f(q) à la place de q=f(p)

p=f(q)

Une courbe de demande, ou fonction de demande, donne la quantité demandée d’un bien par
un (les) consommateur(s) pour chaque niveau de prix du bien. Elle reflète donc le
comportement des consommateurs, c'est-à-dire les agents économiques qui demandent et
achètent les biens sur les marchés.

Le comportement d’un consommateur est retracé par la fonction de demande individuelle et


celle de l’ensemble des consommateurs par la fonction de demande globale qui n’est autre que
l’agrégation des fonctions de demande individuelle.

Attention : L’agrégation des fonctions de demande individuelle ne garantit pas que la fonction
de demande globale (du marché) soit décroissante. Pour que ce soit le cas, le théorème de
Sonneschien-Mantel-Debreu précise (1) que tous les consommateurs doivent être identiques
(mêmes goûts, mêmes préférences), (2) que le bien doit être neutre (homothétique) 1. La
microéconomie néoclassique utilise ainsi la notion de consommateur représentatif de
l’ensemble des consommateurs. Dès lors que les consommateurs sont différents, c’est-à-dire
qu’ils ont une structure de consommation différente, ce qui est une réalité puisque la structure
de consommation dépend notamment du revenu, de l’âge…, il est alors impossible de déduire
la fonction de demande globale (du marché) des fonctions de demande individuelle 2.

1
Le bien est homothétique si par exemple un individu, avec un revenu de 1000 €, consomme 10 pizzas alors,
avec un revenu de 2000 €, il consommera nécessairement 20 pizzas.
2
Supposons une économie à 2 agents et 2 biens, le thé et les biscuits. Le premier produit exclusivement du thé et
le second des biscuits, mais les 2 consomment thé et biscuits. Si le prix du thé augmente, le premier agent voit
son revenu augmenter. Il peut consommer plus de thé et/ou de biscuit. Le second, compte-tenu de l’augmentation
du prix du thé et de son revenu inchangé, devra réduire sa consommation de thé et/ou de biscuit. Les
consommations des deux agents évoluent à l’opposé et il est impossible de déduire une fonction de demande
globale.

7
La sensibilité de la demande à une variation du prix du bien se mesure à l’aide de l’élasticité-
prix de la demande. D’un point de vue mathématique, c’est le rapport entre la variation relative
(le pourcentage de variation) de la quantité demandée et la variation relative du prix du bien :

Q D
Q QD p
D  D , soit  D  .
p p p p QD
p

A partir de variations infinitésimales, l’écriture mathématique est :

dQD p
D  .
p dp QD

La valeur de l’élasticité-prix de la demande est normalement négative puisqu’il y a une relation


inverse entre la quantité demandée et le prix du bien. Certains ouvrages et auteurs la présentent
en valeur absolue.
Si  D  0 , la demande est dite inélastique. Une variation du prix n’entraine aucune
p

variation des quantités demandées (ou une variation des quantités moins que
proportionnelle à celle du prix).
Si  D  0 , la demande est dite élastique. Une variation du prix entraine une variation des
p

quantités demandées dans les mêmes proportions que celle du prix pour une élasticité
égale à -1, plus que proportionnelle pour une élasticité inférieure à -1, et moins que
proportionnelle pour une élasticité comprise entre 0 et -1.

L’élasticité-prix de la demande est égale à la (tangente à la) pente de la fonction de demande


en tout point de celle-ci.

La microéconomie distingue les comportements de court et de long terme. Pour les biens de
consommation courante, la demande est plus élastique à long terme qu’à court terme. En effet,
les comportements mettent du temps à changer en raison d’habitudes de consommation souvent
difficiles à changer. Par exemple, si un individu consomme du café le matin et que le prix du
café augmente subitement et fortement en raison de gelées inhabituelles au Brésil, ce
consommateur va continuer à consommer du café le matin en attendant la baisse des prix. Il ne
réagit donc pas immédiatement à la variation du prix (à court terme). Si l’individu constate que
cette hausse des prix est durable et qu’elle entame son pouvoir d’achat, il va réduire sa
consommation de café et peut-être boire du chocolat ou du thé. Il réagit donc à long terme plus
fortement à la variation du prix qu’à court terme.

Mais c’est l’inverse pour les biens durables. Il faut ici faire la distinction entre stock et flux. Il
y a un stock d’automobiles en circulation et une demande annuelle d’automobile (le flux). Si le
prix des automobiles augmente fortement, les consommateurs vont repousser l’achat d’une
nouvelle voiture. La demande d’automobile baisse par rapport au renouvellement habituel des
automobiles au cours d’une année. Le flux annuel de demande d’automobiles baisse. Les
consommateurs réagissent fortement à la variation du prix. Mais à long terme, les

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consommateurs sont obligés de changer leurs vieux véhicules et quel que soit le prix, ils
achèteront une voiture. La demande est donc plus sensible au prix à court terme qu’à long terme.

Fonctions de demande de court et long terme pour des biens de consommation courante

DLT

DCT
q

B. L’offre

Pour construire la fonction d’offre d’un bien, il faut connaître le prix qu’accepte(nt) de
recevoir le(s) producteur(s) (l’entreprise) pour produire différentes quantités du bien. Ces prix
permettent à l’entreprise d’être rentable, donc sont fonction de ses coûts de production.

Ex. Prix d’un meuble réalisé par un « designer »

Prix (€) Quantité offerte


1200 1
1400 2
1600 3
1800 4
2000 5

Fonction d’offre « discrète »

Prix
2000

1800

1600

1400

1200

1 2 3 4 5 Quantité
q

9
Si les prix et les quantités peuvent varier de façon infinitésimale, la fonction d’offre est
continue.

Fonction d’offre marshalienne

p=f(q)

q
Une courbe d’offre, ou fonction d’offre, donne la quantité offerte d’un bien par un (les)
producteur(s) pour chaque niveau de prix. Elle reflète donc le comportement des producteurs,
c'est-à-dire les agents économiques qui produisent et vendent les biens sur les marchés.

Le comportement d’un producteur est retracé par la fonction d’offre individuelle et celle de
l’ensemble des producteurs par la fonction d’offre globale qui n’est autre que l’agrégation des
fonctions d’offre individuelle (ne pas oublier les hypothèses d’agrégation des fonctions).

Agrégation des fonctions d’offre individuelles

P
O1

OT
O2

P1

P2

O12 O11 O22 O21 QT2 QT1 Q

La réaction des producteurs à une variation du prix se mesure à l’aide de l’élasticité-prix de


l’offre qui mesure la sensibilité de l’offre à une variation du prix du bien. D’un point de vue
mathématique, c’est le rapport entre la variation relative (le pourcentage de variation) de la
quantité offerte et la variation relative du prix du bien :

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 QO
Q QO p
O  O , soit  O  .
p p p p QO
p

A partir de variations infinitésimales, l’écriture mathématique est :

dQO p
0  .
p dp QO

La valeur de l’élasticité-prix de l’offre est positive puisque les quantités offertes et le prix évolue
dans le même sens.

Si  0  0 , l’offre est dite inélastique. Une variation du prix n’entraine aucune variation
p

des quantités offertes (ou une variation des quantités moins que proportionnelle à celle du
prix).
Si  0  0 , l’offre est dite élastique. Une variation du prix entraine une variation des
p

quantités offertes dans les mêmes proportions que celle du prix pour une élasticité égale
à 1, plus que proportionnelle pour une élasticité supérieure à 1, et moins que
proportionnelle pour une élasticité comprise entre 0 et 1.

L’élasticité prix de l’offre est égale à la (tangente à la) pente de la fonction d’offre en tout
point de celle-ci.

L’élasticité-prix de l’offre est en général plus forte à long terme qu’à court terme. En effet, à
court terme l’offre est contrainte par les capacités de production des entreprises alors qu’à long
terme les entreprises peuvent investir et donc augmenter leur capacité de production et leur
offre de biens.

Fonctions d’offre de court et long terme

p
OCT
OLT

11
C. L’offre et la demande

L’intersection des fonctions d’offre globale et de demande globale définit le prix de l’échange.
A ce prix les quantités demandées et offertes « coïncident », s’égalisent. Le marché est à
l’équilibre (p* et Q*).

Le marché, sur lequel les demandes et les offres se confrontent, a une capacité autorégulatrice.
Tout écart entre l’offre est la demande est immédiatement corrigé pour retrouver l’équilibre
initial en prix et quantités. C’est la loi de l’offre et de la demande.

Confrontation de l’offre et de la demande

p
O>D
excédent O
D

p*

O<D
pénurie

Q
Q*

En effet, si une perturbation temporaire intervient sur le marché, l’équilibre est rompu. Si l’offre
est supérieure à la demande (excédent de biens sur le marché), le prix du marché va diminuer.
En conséquence l’offre diminue et la demande augmente. Ce processus se poursuit jusqu’au
retour à l’équilibre (inversement en cas de pénurie de biens sur un marché, c'est-à-dire d’excès
de la demande sur l’offre).

Comment fonctionne ce mécanisme de marché, cette loi de l’offre et de la demande ? Léon


Walras a décrit le mécanisme d’ajustement « par tâtonnement » qui permet d’atteindre
l’équilibre du marché et de « corriger » toute déviation à cet équilibre. Tout se passe comme si
un commissaire-priseur organisait le marché (marché à la criée, salle de vente, …). Le
commissaire-priseur organise la confrontation de l’offre et de la demande sur un marché de
CPP. Compte tenu de la connaissance qu’il a du marché (il évalue approximativement l’offre
et la demande globale), il annonce un prix. A ce prix, les offreurs font une proposition de
quantités offertes et les demandeurs de quantités demandées.
Si la quantité globale offerte diffère de la quantité globale demandée, aucune transaction n’est
réalisée. Le commissaire-priseur doit annoncer un nouveau prix. Si l’offre globale était
supérieure à la demande globale, le prix annoncé est inférieur au prix initial (et inversement
dans le cas contraire). Ce processus se renouvelle tant que le prix annoncé par le commissaire-
priseur ne permet pas l’égalisation de l’offre et la demande globale. Les transactions sont
réalisées, c'est-à-dire l’échange de biens entre offreurs et demandeurs, que lorsqu’il y a stricte
égalisation entre l’offre et la demande globales au prix annoncé par le commissaire-priseur.

12
Attention : Ce mécanisme d’ajustement ne fonctionne que si les fonctions d’offre et de demande
de marché sont « normales » au sens de la microéconomie néoclassique, c'est-à-dire croissante
pour l’offre et décroissante pour la demande. Dans le cas contraire, le processus d’ajustement
ne permet pas au prix de converger vers le prix d’équilibre. L’équilibre est instable. Le marché
ne peut plus égaliser l’offre et la demande.

L’équilibre instable pour les biens « atypiques »

p
O
D>0

Dans ce cas, le processus d’ajustement éloigne le prix de sa position d’équilibre. En effet, si à


un moment donné le prix est supérieur au prix d’équilibre, la demande est supérieure à l’offre.
Selon la loi de l’offre et de la demande, le prix augmente. Cette augmentation du prix éloigne
le marché de sa position d’équilibre.

Attention : Les hypothèses du marché de CPP sont très restrictives et très peu de marchés
peuvent se prévaloir d’être en situation de CPP. Les mécanismes « d’ajustement » des marchés
sont, dans la réalité, très différents. « Dans la longue liste de ceux qui sont à blâmer pour la
crise, j’inclurai la profession des économistes : elle a fourni aux intérêts particuliers des
arguments sur l’efficacité de l’autorégulation des marchés – alors même que les progrès de la
recherche au cours des vingt années précédentes avaient précisé les conditions fort restrictives
dans lesquelles ces thèses étaient vérifiées » (J. E. Stiglitz, 2010).

2.1.3. L’impact d’une modification des conditions d’offre et/ou de demande sur
l’équilibre du marché

L’équilibre entre l’offre et la demande est une photo instantanée du marché prise à un moment
donné. Le mécanisme de marché assure un prix et des quantités d’équilibre à très court terme,
au moment de la transaction, en fonction des conditions du marché à ce moment là. Par exemple,
le marché à la criée de poissons est journalier et le prix d’équilibre ne vaut que pour la journée.
Si par exemple le lendemain la mer est mauvaise, moins de pêcheurs vont sortir en mer et donc
le prix et les quantités d’équilibre vont changer car l’offre sera moins importante.

13
A. Le déplacement de la fonction de demande globale

Nous écrirons maintenant la fonction de demande : QD  QD ( p) .

Cela implique que la quantité demandée est fonction du prix du marché. A tout niveau de prix
correspond une quantité demandée et les conséquences de la variation du prix se traduisent par
un déplacement le long de la courbe de demande.

Mais la demande peut être influencée par d’autres variables : la mode, le revenu des
consommateurs, … . Dans ce cas, c’est un déplacement de la fonction de demande qui se
produit. Par exemple, une augmentation du revenu des consommateurs se traduit par un
déplacement vers la droite de la fonction de demande. En effet, pour un prix donné, les
consommateurs peuvent acheter une quantité supérieure de biens.

L’impact de la variation du prix et du revenu

p Variation du prix p Variation du revenu

P0
P0

P1

Q
Q
Q0 Q1 Q0 Q1

En résumé, l’impact de la variation du prix du bien se mesure par un déplacement le long de


la fonction de demande et l’impact d’une autre variable par un déplacement de la fonction de
demande.

B. Le déplacement de la fonction d’offre globale

La fonction d’offre globale s’écrit maintenant : QO  Q0 ( p) .

Cela implique que la quantité offerte est fonction du prix du marché. A tout niveau de prix
correspond une quantité offerte et les conséquences de la variation du prix se traduisent par un
déplacement le long de la courbe d’offre.

Mais l’offre peut être influencée par d’autres variables : les coûts de production (salaires,
matières premières, coût du crédit,…), l’innovation technologique, … . Dans ce cas, c’est un
déplacement de la fonction de d’offre qui se produit. Par exemple, si le coût de production
baisse, l’entreprise peut vendre la même quantité au prix plus faible p 1 ou encore une quantité
plus élevé au même prix p0. Il y a un déplacement vers la droite de la fonction d’offre.

14
L’impact de la variation du prix et du coût de production

p Variation du prix p Variation du coût de production

P0

P0

P1
P1

Q
Q
Q1 Q0 Q0 Q1

En résumé, l’impact de la variation du prix du bien se mesure par un déplacement le long de


la fonction d’offre et l’impact d’une autre variable par un déplacement de la fonction d’offre.

C. Les modifications de l’équilibre

Tout déplacement des courbes d’offre globale et/ou de demande globale modifie l’équilibre du
marché. Prenons l’exemple du marché mondial de café. Le Brésil est le premier producteur
mondial avec plus du tiers de la production. Le café est une culture pérenne, c'est-à-dire que le
café pousse sur un arbre qui, une fois planté, met 3 à 4 ans avant d’arriver à maturité. L’offre
est donc contrainte à court terme par le nombre d’arbres plantés dans le monde (fonction d’offre
mondiale verticale). Si une gelée exceptionnelle se produit au Brésil, la production brésilienne
diminue fortement. La courbe d’offre mondiale se déplace vers la gauche, ce qui se traduit par
une augmentation du prix et par une réduction des quantités échangées, toute chose égale par
ailleurs. Si le comportement des consommateurs change suite à plusieurs années de gelées au
Brésil et qu’ils substituent du thé au café, un nouvel équilibre est obtenu.

Modifications de l’équilibre du marché

Réduction de l’offre à court terme Réduction de la demande à long terme


p p
O’ O O’’

P1
P

P0

D’
D

Q Q
Q1 Q0 Q2

15
Source : le Monde, 4 et 5 octobre 2015.

Exemple du marché du cuivre dans les années 80 avec la récession mondiale et l’apparition de
la fibre optique, du marché de l’aluminium avec la chute du mur de Berlin, et du marché
pétrolier actuel avec la raréfaction de la ressource et la situation géopolitique.

16
Application :

Les fonctions d’offre et de demande sont les suivantes :


QD  24,08  0,06 p
QO  21,74  0,07 p

Déterminer l’équilibre du marché (prix en euro et quantités échangées en millions d’unités).

QD  QO à l’équilibre, soit 24,08  0,06 p = 21,74  0,07 p , d’où :


p= 18 € et en remplaçant p par sa valeur dans l’une ou l’autre des fonctions, Q=23 millions.

2.1.4. Les propriétés de l’équilibre

Le marché de CPP est le marché de référence car il présente des propriétés particulières.

La première, positive, concerne la formation de l’équilibre : compte tenu des formes des
fonctions d’offre (croissante) et de demande (décroissante), un équilibre est toujours obtenu.
Cet équilibre correspond aux choix des agents économiques qui résultent de leur calcul
économique. Si certains renoncent à participer au marché, c’est que leur calcul économique les
amène à faire un autre choix meilleur pour eux (consommer par exemple du thé au lieu du café,
produire des voitures à la place des vélos, …). Il ne peut donc pas y avoir de rationnement
« imposé » sur et par ce marché.

La deuxième, normative, souligne la principale vertu du marché de CCP. L’équilibre du marché


de CPP maximise le bien-être collectif ; c’est la meilleure des situations pour la collectivité. On
dit que le marché de CPP épuise les gains de l’échange.

Quel bénéfice retire consommateurs et producteurs de l’échange sur un marché ?

Le surplus des consommateurs

Jules Dupuit (1804-1866), ingénieur des ponts et chaussées, a été le premier à utiliser ce
concept. Comme ingénieur des ponts et chaussées, il devait faire des choix parmi différents
projets de nouveaux ponts ou routes à construire. Selon Dupuit, si un péage permet de financer
l’exploitation du pont, l’investissement est financièrement rentable. Mais il fait remarquer que
certains usagers seraient prêts à payer davantage pour traverser le pont. Le montant maximal
que les usagers sont prêts à payer pour traverser le pont représente alors la valeur du pont pour
la collectivité, son utilité sociale. La différence entre cette valeur et le montant acquitté (le
péage) représente le surplus des usagers (consommateurs).

17
p

P1
Surplus

p*

Dépenses

Q
0
q1 Q*

La fonction de demande relie l’ensemble des couples prix-quantités choisis par les
consommateurs. Ceux-ci étant rationnels, cela correspond à la meilleure des situations pour
eux. Ils maximisent donc leur satisfaction (leur utilité) en tout point de la fonction de demande,
compte tenu de diverses contraintes, et notamment leur revenu.

Le prix du marché est p*. Il s’applique à toutes les unités achetées. A ce prix, la quantité
demandée est Q*. La dépense des consommateurs est représentée par le rectangle vert. Pour
toute quantité demandée inférieure à Q*, certains consommateurs étaient prêt à payer un prix
supérieur à p*, par exemple p1 pour l’unité q1. Or le marché leur offre un prix unique p* pour
toutes les unités comprises entre 0 et Q*. Le gain pour les consommateurs est donc la différence
pour chaque unité entre p* et le prix défini par la fonction de demande (prix de réserve). Pour
toutes les unités demandées (Q*), le gain total des consommateurs, appelé surplus des
consommateurs, est déterminé graphiquement par l’aire du triangle gris.

Le surplus des producteurs

p
O

p*
Surplus
P2
Coûts

Q
0 q1 Q*

18
La fonction d’offre relie l’ensemble des couples prix-quantités choisis par les producteurs.
Ceux-ci étant rationnels, cela correspond à la meilleure des situations pour eux. La production
est rentable en tout point de la fonction d’offre.

Le prix du marché est p*. Il s’applique à toutes les unités vendues. A ce prix, les producteurs
vendent la quantité Q*. Leur revenu (chiffre d’affaire) est égal au rectangle mauve (somme des
2 triangles). Pour toute quantité offerte inférieure à Q*, certains producteurs étaient prêts à
accepter un prix inférieur à p*, par exemple p2 pour l’unité q1. Or le marché leur offre un prix
unique p* pour toutes les unités comprises entre 0 et Q*. Le gain pour les producteurs est donc
la différence pour chaque unité entre p* et le prix défini par la fonction d’offre (prix de
rentabilité). Pour toutes les unités offertes (Q*), le gain total des producteurs, appelé surplus
des producteurs ou profit, est déterminé graphiquement par l’aire du triangle mauve foncé
(différence entre les revenus et les coûts de production).

Le surplus collectif et l’intervention de l’Etat

La somme des surplus des consommateurs et producteurs représente le surplus collectif (somme
des triangles en l’absence d’Etat). L’échange épuise les gains de l’échange car à l’équilibre le
surplus collectif est maximum. Il ne peut pas y avoir de meilleure situation pour la collectivité.
L’équilibre est dit pareto-efficient. Un équilibre pareto-efficient est une situation où il est
impossible d’améliorer la situation d’un agent sans détériorer celle d’un autre.

p
O

SurplusSc
Cons.
p*
Surplus Prod.

Q
0
Q*

Supposons maintenant que l’Etat impose une taxe t par unité vendue (par exemple PIPP
française), de telle sorte que le prix à la consommation soit Pc et la quantité demandée Q1. Le
prix alors perçu par les producteurs est Pp.

Le surplus des consommateurs est réduit à l’aire en gris et celui des producteurs à l’aire en
mauve. L’Etat gagne le montant de la taxe, soit l’aire bleu. Il y a une perte sèche pour la
collectivité, représentée par l’aire orange. La perte totale des consommateurs et producteurs
n’est pas totalement compensée par le gain de l’Etat.

19
Surplus consommateurs
p
O

Pc=Pp+t Recettes fiscales

Pertes sèches pour la collectivité


p*

Pp
Surplus producteurs D

Q
0
Q1 Q*

La troisième, normative, montre qu’à l’équilibre le prix du marché égalise le coût de production
de la dernière unité produite (appelé coût marginal, cf. suite du cours). C’est donc le coût de
production de cette dernière unité.

Application :

Les fonctions d’offre et de demande sont les suivantes :


QD  24,08  0,06 p
QO  21,74  0,07 p

Déterminer l’équilibre du marché (prix en euro et quantités échangées en millions d’unités).

QD  QO à l’équilibre, soit 24,08  0,06 p = 21,74  0,07 p , d’où :


p= 18 € et en remplaçant p par sa valeur dans l’une ou l’autre des fonctions, Q=23 millions.

20
2.2. La situation de l’entreprise sur le marché de CPP
2.2.1. Prix d’équilibre et demande (qui s’adresse) à l’entreprise

Le prix d’équilibre est déterminé par l’égalisation entre l’offre et la demande globales. En raison
de l’atomicité des agents économiques, ce prix s’impose à eux. Toute entreprise peut donc
vendre n’importe quelle quantité (de toute façon insignifiante par rapport à la quantité globale)
au prix du marché.

L’entreprise ne vendra pas à un prix inférieur parce qu’elle se priverait inutilement de profit
(puisqu’elle peut tout vendre au prix du marché). Elle ne vendra pas à un prix supérieur car
dans ce cas elle perdra tous ses clients qui pourront trouver le bien (hypothèse d’homogénéité)
au prix du marché. En conséquence la demande qui s’adresse à l’entreprise est infinie, ce qui
est représenté par une droite horizontale. La quantité que mettra l’entreprise sur le marché sera
déterminée par d’autres éléments, notamment ses coûts de production.

La demande à l’entreprise

Marché Entreprise
p p
O

P*

Q q
Q*

21
2.2.2. La situation de l’entreprise à court terme

A court terme, la situation de l’entreprise est commandée par la structure de ses coûts de
production. L’objectif de l’entreprise est de maximiser son profit. Maximiser le profit ne
signifie pas forcément avoir un profit positif. Cela signifie que l’entreprise atteint le profit le
plus élevé possible, qu’il soit positif ou négatif.

A. Résolution mathématique

Le profit total de l’entreprise [(q)] est la différence entre les recettes totales [RT(q)] et les
dépenses totales ou coût total de production [CT(q)] :

(q) = RT(q) - CT(q).

L’entreprise rationnelle maximise son profit. Elle doit donc déterminer le niveau de production
« q* » qui lui permet d’obtenir le profit le plus élevé (seule la quantité vendue est une variable
de décision pour l’entreprise puisque le prix lui est donné).

Mathématiquement, la maximisation du profit implique que :


 ' (q)  0 et  ' ' (q)  0

d (q ) dRT ( q ) dCT (q )
Soit pour la dérivée première, 0, - =0,
dq dq dq
dRT ( q ) dCT (q )
ou encore, =
dq dq

dRT ( q )
mesure le supplément de recettes totales [dRT(q)] engendré par la vente d’une unité
dq
supplémentaire du bien (dq). Ceci correspond à la recette marginale de l’entreprise,
Rm(q).

dCT (q )
mesure le supplément de coût total [dCT(q)] engendré par la production d’une unité
dq
supplémentaire du bien (dq). Ceci correspond au coût marginal de l’entreprise, Cm(q).

d ( q )
mesure donc le profit marginal, c’est-à-dire le supplément de profit total engendré par
dq
la vente d’une unité supplémentaire du bien.

B. Raisonnement économique

L’entreprise augmente son niveau de production tant que le profit total augmente, c’est-à-dire
tant que la vente d’une unité supplémentaire apporte un profit marginal positif. Soit si,

dRT ( q ) dCT (q )
≥ ; Rm(q) ≥ Cm(q)
dq dq

22
Lorsque la vente d’une unité supplémentaire n’entraîne plus d’augmentation du profit total,
c’est-à-dire lorsque le profit marginal est nul, l’entreprise n’a plus intérêt à augmenter son
niveau de production. Elle a atteint son niveau optimal de production, « q* », c’est-à-dire le
niveau qui maximise son profit.

dRT ( q ) dCT (q )
Max  = , soit Rm(q)=Cm(q).
dq dq

En CPP, l'hypothèse d'atomicité est fondamentale. Elle implique que l'entreprise peut vendre
n'importe quelle quantité au prix du marché, le prix du marché étant déterminé par l'égalisation
entre l'offre globale et la demande globale. Le prix s'impose alors à l'entreprise. L’action de
l’entreprise n’a pas d’impact sur le prix du marché. Ainsi, la recette marginale est égale au prix
du marché, quel que soit la quantité vendue par l'entreprise. Pour maximiser son profit à court
terme, l'entreprise doit donc déterminer la quantité « q* » qui égalise le prix du marché à son
coût marginal de production.

Max  p=Cm(q).

Si l'entreprise va au-delà de ce niveau de production « q* », son profit total diminuera car le
profit marginal sera négatif. Dans ce cas,

P<Cm(q), comme le montre le graphique suivant.

23
La maximisation du profit de l’entreprise en CPP

Cm(q)

Cm(18)

Rm=p*=Cm(q*)

Cm(12)

Cm(10)

10 12 q* 18 q

Pour toute unité produite inférieure à « q* », le profit marginal est positif, car le prix de vente
(prix du marché) est supérieure au coût marginal (cf. pour la 10 ème et la 12ème unité produite).
Ainsi, en augmentant son niveau de production, l’entreprise augmente son profit total. Comme
l’entreprise est rationnelle, elle augmente sa production afin de maximiser son profit. Mais plus
le niveau de production se rapproche de « q* », plus le profit marginal positif est faible. Lorsque
l’entreprise atteint le niveau « q* », le prix de vente de la dernière unité est égale à son coût
marginal de production. Le profit marginal est nul et l’entreprise a alors atteint le niveau de
production qui maximise son profit. En effet, si l’entreprise augmente sa production au-delà de
« q* » (cf. pour la 18ème unité produite), son profit marginal devient négatif : le profit total
diminue.

Ainsi, à court terme, l’entreprise peut donc se trouver dans trois situations différentes. En
fonction de ses coûts de production et du prix du marché, elle peut avoir un profit positif, nul
ou négatif.

24
Attention : les fonctions de coût marginal et de coût moyen sont supposées tout d’abord
décroissantes puis ensuite croissantes en raison de la loi de la productivité marginale
décroissante à court terme (cf. cours 2ème année). On parle alors de rendements d’échelle
décroissants. Sraffa (1926) argumente que les coûts de production (marginal et moyen) sont
plutôt constants dans les économies industrielles. Une enquête (Blinder3,1998) réalisée auprès
de 200 entreprises américaines moyennes et grandes (représentant 7,6% du PIB américain),
montre que seulement 11% du PIB américain est produit par des entreprises qui présentent des
coûts marginaux de production croissants (soit sous conditions de CPP).

Les situations de l’entreprise à court terme

Marché Entreprise
p p, C
O Cm
CM

P* P*=Cm(q*)
CM(q*)

Q q
Q* q*

Dans cette situation, l’entreprise a un profit total positif (rectangle gris). Le prix du marché est
supérieur au coût moyen de production de l’entreprise. En effet, le profit total peut s’écrire :

 (q)  RT (q)  CT (q)


 (q)  pq  CT (q)
 CT (q ) 
 (q)  q  p 
 q 

 (q)  q p  CM (q) , avec CM (q ) 


CT (q )
q

Avec CM(q), le coût moyen de production, c'est-à-dire le coût par unité produite.

Si p est supérieur au coût moyen, alors le profit est positif (puisque q est toujours positif).

3
Vice-gouverneur de la « Réserve Fédérale ».

25
Marché Entreprise
p p,C
O CM
Cm

P* P*=Cm(q*)=CM(q*)

Q q
Q* q*

Le prix est égal au coût moyen de production de l’entreprise. Le profit de l’entreprise est nul.

Marché Entreprise
p p, C Cm CM
O

CM(q*)
P* P*=Cm(q*)

Q q
Q* q*

Le profit de l’entreprise est négatif. Le coût moyen de production est supérieur au prix du
marché.

2.2.3. La situation de l’entreprise à long terme

A court terme, lorsque l’entreprise réalise un profit positif, ce profit est dit supra normal. En
effet, le profit est la rémunération du détenteur du capital de l’entreprise. Or, si la fonction de
coût total résulte de l’utilisation de deux facteurs de production, le travail et le capital, la
rémunération normale du facteur travail et du facteur capital est comprise dans le coût total de
production. Tout profit positif est supra normal en ce sens qu’il donne au détenteur du capital
une rémunération supérieure à ce qu’il aurait obtenu en faisant un usage alternatif de ses
ressources (par exemple placement bancaire au lieu d’investir dans l’entreprise).

Si des entreprises présentent à court terme des profits positifs dans un secteur, d’autres
entreprises vont entrer dans ce secteur rémunérateur puisqu’il y a libre entrée et parfaite
mobilité des facteurs de production en CPP. Un nombre plus important d’entreprises se partage
le marché. A demande constante, le prix va baisser, ce qui réduit les profits supra normaux. Ce

26
processus va se poursuivre jusqu’à ce que le prix atteigne le coût moyen de production des
entreprises. Le profit des entreprises « identiques », présentes sur le marché, est nul (elles
perçoivent une « juste rémunération »). Plus aucune entreprise n’est incitée à entrer sur le
marché. L’équilibre du marché à long terme est atteint.

2.3. Le monopole
Une entreprise en situation de monopole est seule à offrir le bien sur le marché. Elle fait face à
une multitude de consommateurs.

2.3.1. Les hypothèses


Plus précisément, cinq conditions doivent être simultanément réunies pour qu’une entreprise
puisse être considérée comme un monopole :
- L’unicité de l’offre et l’atomicité de la demande. L’unicité de l’offre implique que
l’offre du marché se confond avec l’offre de l’entreprise. Le prix n’est plus une donnée
pour l’entreprise comme en CPP. Si l’entreprise fait varier la quantité offerte, le prix
d’équilibre du marché variera, toute chose égale par ailleurs (notamment à condition de
demande inchangée).
- L’homogénéité du produit.
- La transparence du marché et la parfaite information.
- L’absence de libre entrée sur le marché : des barrières à l’entrée empêchent la venue de
concurrents.
- L’absence de biens substituts : la demande ne peut pas se reporter sur aucun autre bien.

Plusieurs raisons peuvent expliquer l’existence d’une situation de monopole :


- L’existence d’économies d’échelle (rendements d’échelle croissants) permet à
l’entreprise d’offrir un bien sur le marché à un prix de plus en plus bas au fûr et à mesure
de l’augmentation de la quantité produite. Dans ce cas, le coût moyen de production
pour satisfaire la demande est plus faible lorsque la production émane d’une entreprise
plutôt que de plusieurs. On parle alors de monopole naturel.
- La réglementation permet, par une décision publique, de créer un monopole public,
voire même privé (délégation de service public au Etats-Unis par exemple). Ce type de
monopole a concerné historiquement la production et la distribution de services
essentiels pour la collectivité (sécurité civile, éclairage public, transport, …).
- La protection temporaire par l’exploitation d’un brevet. Certains auteurs, comme
Schumpeter, analyse cette protection comme nécessaire pour le développement
économique car elle stimule l’innovation et donc permet aux entreprises les plus
dynamiques de se développer. Cette protection n’est que temporaire car : (1) un brevet
protège l’innovation pour une durée déterminée (médicaments génériques une fois le
brevet tombé dans le domaine public), (2) d’autres entreprises innovantes peuvent
apparaître.

27
2.3.2. L’équilibre du marché

A. La contrainte du comportement rationnel des consommateurs pour le monopole

En CPP, la quantité vendue par l’entreprise n’a aucune influence sur le prix d’équilibre du
marché (hypothèse d’atomicité des agents). Chaque entreprise ne draine qu’une part infime de
la demande globale.

En monopole, l’entreprise est dans une situation totalement différente. Elle est seule face aux
consommateurs. Elle draine la totalité de la demande globale et fait donc directement face au
comportement rationnel des consommateurs. Si le monopole veut augmenter la quantité
vendue, il devra nécessairement baisser son prix, conformément à la loi de demande
(inversement, si le monopole augmente son prix, les quantités vendues diminueront).

La fonction de recettes totales de l’entreprise est donc : RT (Q)  p(Q)Q .


Avec p(Q), la fonction de demande inverse, i.e. le prix exprimé en fonction des quantités
demandées.

RT (Q )
La fonction de recettes moyennes est alors : RM (Q )   p (Q ) .
Q
La fonction de recettes moyennes se confond donc avec la fonction de demande inverse. Pour
une quantité vendue Q0, le prix P0 s’applique à chaque unité vendue. Si dans son calcul
économique le monopole décide de vendre Q1 et non plus Q0, le prix P1 s’appliquera alors à
chaque unité vendue. Le prix représente bien ce que l’entreprise perçoit en moyenne sur chaque
unité vendue.

dRT (Q ) dp(Q) dQ
La fonction de recettes marginales s’écrit enfin : Rm (Q)   Q p (Q) 4.
d (Q ) dQ dQ
dRT (Q ) dp(Q )
Soit, Rm (Q )   Q  p (Q )
d (Q ) dQ

dp(Q ) dp(Q )
mesure la sensibilité du prix à la variation des quantités échangées. En CPP, est
dQ dQ
nul par hypothèse, car quel que soit la quantité vendue par l’entreprise, le prix d’équilibre du
dp(Q )
marché ne change pas, ce qui implique que Rm(Q)=p(Q). En revanche, en monopole,
dQ
est négatif. En effet, lors de son calcul économique, si l’entreprise décide de vendre une unité
supplémentaire, elle devra baisser son prix en raison du comportement rationnel des
consommateurs. Ainsi :

Rm(Q)<p(Q)=RM(Q)

4
U’V+V’U

28
En écrivant la fonction de recettes marginales comme :

 dp(Q) Q 
Rm (Q)  p(Q)  1 ,
 d (Q) p (Q) 
 
dp(Q) Q 1  1 
avec  , alors Rm(Q)  p(Q)  1
dQ p(Q)  QD   QD 
P  P 

La recette que procure la vente d’une unité supplémentaire dépend de l’élasticité-prix de la


demande, donc du comportement des consommateurs.

L’entreprise maximise son profit en déterminant la quantité à produire (et à vendre) qui égalise
son coût marginal de production à sa recette marginale :

 
 1 
p(Q)  1  Cm(Q)
  QD 
 P 

En multipliant chaque membre de l’équation par -1, en retranchant ensuite chaque membre à
p(Q) et en divisant enfin les deux membres de l’équation par p(Q), on obtient :

p(Q)  Cm(Q) 1

p(Q)  QD
p

p (Q)  Cm (Q)
est appelé taux de marge du monopole (markup pricing). C’est, en terme
p (Q)
relatif, la différence entre le prix pratiqué par l’entreprise en situation de monopole et le prix
qu’elle devrait pratiquer si elle était en CPP. En effet, en CPP, le prix est égal au coût marginal
de production.

p (Q )  Cm (Q )
Si  QD   ,  0 , ce qui implique que le prix pratiqué par l’entreprise est
p p (Q )
proche de son coût marginal de production. L’entreprise se comporte comme si elle était en
CPP. Le comportement des consommateurs est une contrainte forte pour l’entreprise car les
consommateurs sont très sensibles à la variation du prix.

p (Q )  Cm (Q )
Si  QD  0 ,   , ce qui implique que le prix pratiqué par l’entreprise est
p p (Q)
très supérieur de son coût marginal de production. L’entreprise utilise son pouvoir de marché
(de monopole) pour pratiquer un prix élevé. Le comportement des consommateurs est une
contrainte faible pour l’entreprise car les consommateurs sont très peu sensibles à la variation
du prix.

La maximisation du profit de l’entreprise en situation de monopole est donc bien contrainte par
le comportement rationnel des consommateurs. L’entreprise doit tenir compte de ce

29
comportement afin de déterminer la quantité qu’elle doit produire pour maximiser son profit.
Plus l’élasticité-prix de la demande sera faible, plus le profit de l’entreprise sera élevé.

B. L’équilibre du monopole privé

Quelque soit la structure du marché (CPP, monopole, …), l’entreprise rationnelle maximise son
profit. L’entreprise augmente sa quantité produite tant que son profit augmente. Lorsque
l’augmentation de la production n’apporte plus de profit additionnel, l’entreprise a atteint sa
situation optimale.

Résolution mathématique

Le profit total de l’entreprise [(Q)] est la différence entre les recettes totales [RT(Q)] et les
dépenses totales ou coût total de production [CT(Q)] :

(Q) = RT(Q) - CT(Q).

L’entreprise rationnelle maximise son profit. Elle doit donc déterminer le niveau de production
« q* » qui lui permet d’obtenir le profit le plus élevé.

Mathématiquement, la maximisation du profit implique que :

 ' (Q)  0 et  ' ' (Q)  0

d  (Q ) dRT (Q ) dCT (Q )
Soit pour la dérivée première,  0, - =0,
dQ dQ dQ
dRT (Q ) dCT (Q )
ou encore =
dQ dQ

Raisonnement économique

L’entreprise augmente son niveau de production tant que le profit total augmente, c’est-à-dire
tant que la vente d’une unité supplémentaire apporte un profit marginal positif. Soit si,

dRT (Q ) dCT (Q )
≥ ; Rm(Q) > Cm(Q)
dQ dQ

Lorsque la vente d’une unité supplémentaire n’entraîne plus d’augmentation du profit total,
c’est-à-dire lorsque le profit marginal est nul, l’entreprise n’a plus intérêt à augmenter son
niveau de production. Elle a atteint son niveau optimal de production, « Q* », c’est-à-dire le
niveau qui maximise son profit.

dRT (Q ) dCT (Q )
Max  = , soit Rm(Q)=Cm(Q).
dQ dQ
Si l'entreprise va au delà de ce niveau de production « Q* », son profit total diminuera car le
profit marginal sera négatif. Dans ce cas :

Rm(Q)<Cm(Q), comme le montre le graphique suivant.

30
La maximisation du profit du monopole privé

Rm(10)
Cm(Q)
p(Q*)

Rm(12)

Cm(18)

Cm(Q*)=Rm(Q*)
RM(Q)=p(Q)
Rm(18)
Cm(12)

Cm(10)
Rm(Q)

Q
10 12 Q* 18

Pour toute unité produite inférieure à « Q* », le profit marginal est positif, car la recette
marginale est supérieure au coût marginal (cf. pour la 10 ème et la 12ème unité produite). Ainsi,
en augmentant son niveau de production, l’entreprise augmente son profit total. Comme
l’entreprise est rationnelle, elle augmente sa production afin de maximiser son profit. Mais plus
le niveau de production se rapproche de « Q* », plus le profit marginal positif est faible.
Lorsque l’entreprise atteint le niveau « Q* », la recette marginale (recette de la dernière unité
vendue) est égale à son coût marginal de production. Le profit marginal est nul et l’entreprise a
alors atteint le niveau de production qui maximise son profit. En effet, si l’entreprise augmente
sa production au-delà de « Q* » (cf. pour la 18ème unité produite), son profit marginal devient
négatif : le profit total diminue. Le prix de vente du produit est alors p(Q*), seul prix que les
consommateurs acceptent de payer pour acheter la quantité Q*. L’offre globale est alors égale
à la demande globale.

31
2.3.3. Inefficacité du monopole privé et coûts pour la collectivité

A. L’inefficacité du monopole privé comparée à la situation de CPP

Pour simplifier l’analyse, supposons que la courbe de coût marginal du monopole n’est autre
que l’agrégation des courbes de coût marginal d’une multitude d’entreprises en CPP5.

Équilibre et perte de bien-être (surplus collectif) en situation de monopole

Réduction du surplus des


consommateurs (A)+(B)
p
Cm(Q)

CM(Q)
P*m
A B Perte sèche
P*cpp pour la
C collectivité
(B+C)
Réduction du
surplus de
Augmentation du surplus l'entreprise (C)
de l'entreprise (A)
CM(Q*m)
RM(Q)=p(Q)

Rm(Q)

Q*m Q*cpp Q

5
Nous faisons donc l’hypothèse que la courbe d’offre et la structure de coût ne sont pas modifiées par la
structure du marché.

32
L'équilibre

En situation de monopole, l'entreprise détermine la quantité qui maximise son profit (Q*m) en
égalisant sa recette marginale à son coût marginal [Rm(Q)=Cm(Q)]. Le prix (p*m) est donné
par la fonction de demande inverse qui retrace le comportement rationnel des consommateurs.

En CPP, l'entreprise détermine la quantité qui maximise son profit (Q*cpp) en égalisant le prix
à son coût marginal [p(Q)=Cm(Q)]. Le prix (p*cpp) est directement donné par la fonction de
demande inverse.

La variation du surplus

En situation de monopole, les consommateurs achètent moins (Q*m<Q*cpp) et à un prix plus


élevé (p*m >p*cpp). Par rapport à la situation de CPP, la variation du surplus des consommateurs
est négative et représentée par l'aire A+B. En effet, ils consomment la quantité q* m au prix p*m,
alors qu'en CPP, ils l'auraient consommée au prix p*cpp (effet prix : perte A). Ils réduisent leur
consommation du montant Q*cpp-Q*m (effet quantité : perte B).

L'entreprise en situation de monopole vend la quantité Q*m à un prix plus élevé qu'en CPP (p*m
>p*cpp) et donc augmente son surplus (profit) de l'aire A (effet prix). Elle perd en revanche
l'équivalent de l’aire C (effet quantité) en raison de la réduction des quantités vendues (Q*cpp-
Q*m). En effet, en réduisant la quantité vendue, l’entreprise perd le profit marginal obtenu sur
chaque unité au-delà de Q*m, soit l’aire C (différence entre la ligne de prix et la courbe de coût
marginal).

La perte sèche pour la collectivité (perte de bien-être ou encore coûts sociaux pour la
collectivité) est représentée par l'aire B+C (-A-B+A-C). En revanche, il y a bien un gain net
pour le monopole.

B. Les implications pour la tarification du monopole public

Cette perte de surplus collectif implique parfois que l’État impose un monopole public. Dans
ce cas, il peut demander au monopole de se comporter comme en CPP, c'est-à-dire pratiquer un
prix qui égalise son coût marginal de production. L’État est alors bienveillant et se substitue au
marché pour assurer la maximisation du bien-être collectif.

Pour cela, il faut néanmoins que l’État soit parfaitement informé de la structure de coût de
l’entreprise. Or, les dirigeants d’une entreprise publique peuvent très bien ne pas révéler à sa
tutelle, l’État, sa véritable structure de coût (asymétrie d’information) pour diverses raisons.
Pour remédier à cela, l’État doit déterminer une règlementation qui incite les dirigeants du
monopole à adopter une tarification qui soit la plus proche de son coût marginal de production
(théories de l’agence et des contrats).

C. La tarification du monopole naturel

Une entreprise en situation de monopole naturel réalise des économies d’échelle, c'est-à-dire
que son coût moyen de production diminue lorsque le niveau (l’échelle) de production
augmente. C’est le cas des activités ayant des coûts fixes très élevés et des coûts marginaux
faibles, parfois constants (gaz, électricité, …). Dans ce cas, le monopole est plus efficace qu’une

33
situation où plusieurs entreprises opèreraient sur le marché. Le monopole produira à moindre
coût.

Si le monopole naturel est un monopole privé, l'entreprise maximise son profit en égalisant sa
recette marginale [Rm(Q)] à son coût marginal [Cm(Q)]. Elle produit Q*privé au prix du marché
p*privé. Comme le prix du marché est supérieur au coût moyen de production CM(Q* privé),
l'entreprise privée réalise un profit positif. Cet équilibre maximise le profit de l'entreprise
privée mais minimise le bien-être collectif.

Si le monopole naturel est un monopole public, l'État doit imposer à l'entreprise de se comporter
comme en CPP afin de maximiser le bien-être collectif. L'égalisation du prix [p(Q)] au coût
marginal [Cm(Q)] détermine la quantité que l'entreprise doit produire (Q* cpp). Le prix étant
alors inférieur au coût moyen de production [CM(Q*cpp)], l'entreprise publique réalise des
pertes. Cet équilibre maximise le bien-être collectif et minimise le profit de l'entreprise.

Le monopole naturel

P*privé

CM(Q*privé)

P*GE=CM(Q*GE)
CM(Q*cpp) CM(Q)

P*cpp Cm(Q)

Rm(Q)
RM(Q)=p(Q)

Q*privé Q*GE Q*cpp Q

Si l'État ne peut pas verser de subventions à l'entreprise publique pour couvrir les pertes, celle-
ci doit au moins réaliser un profit nul pour se maintenir sur le marché. Pour que le profit soit
nul, il suffit que le prix du marché [p(Q)] égalise le coût moyen de production [CM(Q)]. C'est

34
la règle de gestion à l'équilibre (règle de tarification au coût moyen). L'entreprise publique
produit alors la quantité Q*GE au prix p*GE. Cet équilibre est une situation intermédiaire entre
les deux équilibres précédents. C'est la moins mauvaise des situations pour la collectivité
compte tenu de l'impossibilité pour l'État de verser des subventions. Le bien-être collectif est
supérieur à la situation de monopole privé mais inférieur à celui du monopole public adoptant
une tarification au coût marginal (comme en CPP).

Application

En raison d’un taux de pollution croissant, le maire d’une mégapole asiatique décide de faire
réaliser une ligne de métro afin de réduire le trafic routier. Avant de lancer l’appel d’offre, il
doit déterminer le mode de gestion optimale de cette ligne de métro. Il peut laisser sa gestion à
une entreprise privée ou alors créer une société d’économie mixte (entreprise à capitaux privés
et publics) dans laquelle le maire pourra décider de la politique de prix. Afin que le Conseil
municipal puisse choisir une des options, vous devez :
1. Déterminer le prix du billet, la quantité attendue de voyageurs et le surplus collectif
lorsque la gestion est totalement privée ;
2. Déterminer le prix du billet, la quantité attendue de voyageurs et le surplus collectif
lorsque le conseil municipal impose à la société d’économie mixte de pratiquer un prix
qui égalise son coût marginal de production ;
3. Déterminer le prix du billet, la quantité attendue de voyageurs et le surplus collectif
lorsque le conseil municipal impose à la société d’économie mixte de pratiquer la
gestion à l’équilibre.
4. Quelle est la meilleure des situations pour la collectivité ? Que doit faire le conseil
municipal pour la mettre en œuvre ?

La fonction de coût total pour le transport des voyageurs est la suivante :


1
CT (Q)  10Q  Q²
2
La fonction de demande inverse de trajets pour ce type de transport est la suivante :
P  20  6Q
Q représente dans ces deux fonctions le nombre annuel de voyageurs transportés (en millions).
P est exprimé en unité monétaire nationale (um).

Q1 : Rm(Q)=Cm(q)20-12Q=10-Q Q*=10/11=0,91 ; P*=14,54 ; (Q)= P*Q*-


CT(Q*)=4,55 millions ; Surplus consommateur=2,48 millions ; surplus collectif =7,03
millions.
Q2 : P(Q)=Cm(Q)20-6Q=10-Q Q*=2 ; P*=8 ; (Q)= P*Q*-CT(Q*)=-2 millions ;
Surplus consommateur=12 millions ; surplus collectif =10 millions.
Q3 : P(Q)=CM(Q)20-6Q=10-(Q/2) Q*=1,81 ; P*=9,14 ; (Q)= 0 million ; Surplus
consommateur=9,82 millions ; surplus collectif =9,82 millions.
Q4 :P(Q)=Cm(Q) maximise le bien-être collectif. Le maire doit prélever un impôt sur les
consommateurs pour verser une subvention de 2 millions à la société d’économie mixte.

35
2.3.4. Équilibre de marché et demande différenciée : le monopole discriminant

Pour le monopole, le prix est une variable de décision, mais il doit tenir compte du
comportement des consommateurs pour maximiser son profit. Si différentes catégories de
consommateurs ont un comportement d’achat différent pour un même bien, rien n’oblige le
monopole à vendre le bien à prix unique. Il peut différencier le prix en fonction des catégories
de consommateurs. Le monopole pratique alors une politique de discrimination par les prix.

La discrimination peut être d’ordre temporel. Ce sont par exemple les tarifs basse, moyenne et
haute saisons des services touristiques, le prix réduit de la place de cinéma à certaines heures,
le tarif jour/nuit de l’électricité, …

La discrimination peut être géographique. Une entreprise peut vendre à un prix différent sur
son marché national et sur les marchés étrangers, à condition de respecter les règles de l’OMC
en matière de pratique anti-dumping. Une entreprise très protégée peut profiter d’un prix élevé
sur son marché national pour vendre à un prix plus faible sur les marchés étrangers. A l’inverse,
une entreprise peut profiter de sa réputation pour vendre à un prix plus élevé sur les marchés
étrangers que sur son marché national.

La discrimination peut être d’ordre socio-économique. C’est le cas des tarifs jeunes, étudiants,
retraités, chômeurs, famille nombreuses, …

Attention, on ne parle de discrimination au sens strict que si le bien vendu par le monopole est
homogène, c'est-à-dire identique pour les différents groupes de consommateurs.

Pourquoi le monopole a-t-il intérêt à mener une politique de discrimination par le prix ?

Si les élasticité-prix de la demande sont différentes entre les différents groupes de


consommateurs, alors l’entreprise maximisera son profit que si elle pratique des prix différents
pour chaque groupe de consommateurs.

Supposons un monopole qui vend les quantités q1 et q2 à deux groupes de consommateurs


(Q=q1+q2). Sa fonction de profit peut être décomposée en fonction de q 1 et q2 :

 (Q)  RT (Q)  CT (Q) .

 (Q)  RT (q1 )  RT (q2 )  CT (Q) .

La maximisation du profit de l’entreprise implique alors (condition de premier ordre6) :

d (Q)
 0  Rm(q1)=Cm(Q)
dq1
d (Q)
 0  Rm(q2)=Cm(Q)
dq2
Les coûts de production sont identiques que le bien soit destiné aux consommateurs des groupes
1 et 2 (biens homogènes). La maximisation du profit implique alors :

6
L’hypothèse est faite que les conditions de second ordre sont respectées.

36
Rm(q1)= Rm(q2)=Cm(Q)

 
 1 
Avec Rm(qi )  pi   1 ,
  Di 
 Pi 

   
 1   1 
p1  1  p 2   1 =Cm(Q).
  D1    D2 
 P1   P2 

Si  D1 ≠  D2 , alors p1 ≠ p2 pour respecter l’égalité ci-dessus.


P1 P2

L’égalisation des recettes marginales au coût marginal n’implique pas l’égalisation des prix
mais au contraire la discrimination des prix pour que l’entreprise maximise son profit.
L’hypothèse implicite pour que la discrimination par les prix soit efficace est qu’il ne soit pas
possible pour un groupe de consommateurs de revendre le bien à un autre groupe de
consommateurs.

Application

Un monopole privé de production et de distribution d’électricité présente une fonction de coût


total de la forme :
1
CT (q)  q  1
2
La fonction de demande inverse est de la forme : p  2  q

Avec q, la quantité de kilowatt/heure et p le prix du kilowatt/heure.

1) Déterminer le prix et les quantités d’équilibre. Quel est alors le profit de l’entreprise ?
(p=5/4, q= 3/4 ; profit = -7/16)

Une étude de marché montre que les consommateurs ont une fonction de demande qui varie
selon la période de consommation, notamment entre le jour et la nuit.

La fonction de demande inverse « jour » est de la forme : p  3 q


La fonction de demande inverse « nuit » est de la forme : p  1 q

2) Déterminer le prix et les quantités d’équilibre pour chaque type de demande (« jour » et
« nuit »). Quel est alors le profit de l’entreprise ?
( Pj = 7/4, Qj = 5/4 ; Pn = ¾, Qn = 1/4 ; profit = 10/16)
3) En déduire les élasticités de la demande pour l’électricité « jour » et l’électricité « nuit ».
p  cm 1
( à partir de  ; Dj= -7/5, Dn= - 3 avec cm=1/2)
p D
4) En déduire le taux de marge du monopoleur pour la production d’électricité « jour » et
pour celle de « nuit ». Commenter ? (TMj = 5/7, TMn=1/3 ; Taux de marge inversement

37
proportionnel à l’élasticité prix de la demande. Plus l’élasticité est forte, moins le
monopole peut bénéficier de son pouvoir de marché, à développer) qui est le plus fort.

2.4. La concurrence monopolistique

La réalité des marchés n’est ni la CPP, ni le monopole. Elle est marquée par la combinaison de
forces concurrentielles et monopolistiques. On doit à Chamberlin (1933) l’analyse de la
concurrence monopolistique (par exemple secteur pharmaceutique).

2.4.1. Caractéristiques d’un marché de concurrence monopolistique

La concurrence monopolistique correspond à une situation où de nombreuses entreprises


vendent des biens semblables mais pas parfaitement identiques (hétérogénéité des biens). La
multiplicité de l’offre rapproche cette structure de marché de celle de CPP.

Sur un marché concurrentiel, les entreprises se livrent une concurrence par les prix. C’est parce
que les entreprises qui entrent sur le marché proposent des prix inférieurs aux prix proposés par
les entreprises déjà installées que le processus d’ajustement aboutit au prix d’équilibre de long
terme qui annule le profit des entreprises. Ce processus d’ajustement réduit la rentabilité de
l’ensemble des entreprises du secteur.

Les entreprises sont donc incitées à limiter la concurrence par les prix et à développer une
concurrence hors prix en « jouant » sur les caractéristiques des produits. Cette stratégie consiste
pour une entreprise à différencier ses produits de ceux de ses concurrents afin de convaincre les
acheteurs du caractère unique de ses produits. L’entreprise qui différencie son produit acquiert
alors un certain pouvoir de monopole à court terme. C’est ce qui rapproche cette structure du
marché de monopole.

La différenciation peut se faire de plusieurs manières :


- Par l’environnement du produit : service après-vente, conditions de crédit, … .
- Sur des critères objectifs : couleur, esthétique, qualité, … .
- Sur des critères subjectifs : prestige de la marque, mode, … .

Par la différenciation des produits, le vendeur cherche à fidéliser ses clients afin que ceux-ci ne
les quittent pas au moindre écart de prix.

2.4.2. L’équilibre de l’entreprise

Compte-tenu des caractéristiques du produit, l’acheteur préfère le produit d’une entreprise


plutôt que celui d’une autre. La demande à l’entreprise n’est donc pas infinie. C’est une fonction
décroissante du prix comme en situation de monopole. La fonction de demande à l’entreprise
ne se confond pas avec celle du marché comme en situation de monopole, puisque chaque
entreprise agit sur un segment du marché mais subit la concurrence des produits substituts
fabriqués par les autres entreprises du secteur.

A court terme, une entreprise en situation de concurrence monopolistique se comporte comme


un monopole. En effet, la différentiation de son produit lui permet d’acquérir un certain pouvoir

38
de monopole dont l’intensité dépendra de l’élasticité-prix de la demande. L'entreprise détermine
la quantité qui maximise son profit (q*CT) en égalisant sa recette marginale à son coût marginal
[Rm(q)=Cm(q)]. Le prix (p*CT) est donné par la fonction de demande inverse qui retrace le
comportement rationnel des consommateurs.
A long terme, des entreprises concurrentes apparaissent sur le marché en imitant le produit.
Elles captent une partie de la demande (du marché). La demande qui s’adresse à l’entreprise
initialement en situation de monopole diminue (déplacement vers la gauche de la fonction de
demande). L’entrée de concurrents sur le marché se prolongera tant que les entreprises présentes
sur le marché réaliseront des profits positifs. Lorsque le profit des entreprises devient nul, c’est-
à-dire lorsque le prix (qui est égal à la recette moyenne de l’entreprise) égalise le coût moyen
de production [RM(q)LT=CM(q); ou encore p(q)LT=CM(q)], il n’y a plus d’entrée sur le marché.
L’équilibre de long terme est atteint. La quantité q*LT permet de maximiser le profit à long
terme [Rm(q)LT=Cm(q)] . L'entreprise ne peut faire mieux que d'obtenir un profit nul.

39
L'équilibre de l'entreprise en concurrence monopolistique

Réduction de la
demande qui
CM(q)
s'adresse à Cm(q)
l'entreprise

P*CT

P*LT=CM(q*LT)
CM(q*CT)

RM(q)CT=p(q)CT

Rm(q)CT

RM(q)LT=p(q)LT
Rm(q)LT

q*LT q*CT q

40
Application

Une entreprise en situation de concurrence monopolistique présente les coûts totaux (CT) et
recettes totales de court terme (RTCT) et de long terme (RTLT) suivants :

Quantité RT_ct CT RT_lt


1 98 65 65
2 192 100 100
3 282 129 105
4 368 156 120
5 450 205 125
6 528 283 120
7 602 378 105
8 672 480 80
9 738 585 45
10 800 700 0

Les quantités sont en millions d’unités et les prix et les coûts en €.

1) Déterminer le prix et les quantités d’équilibre de court terme. Quel est le profit de
l’entreprise ?
2) Déterminer le prix et les quantités d’équilibre de long terme. Quel est le profit de
l’entreprise ?

1) A CT, l’entreprise se trouve en situation de monopole. Elle maxime son profit en déterminant
la quantité qui lui permet d’avoir : Rm = Cm ; La quantité est 6 (Q*). Dans ce cas, le profit est
maximum (245).
Le prix est déterminé par la fonction de demande qui se confond avec la fonction de recette
moyenne : p*=88.

2) A LT, l’entreprise est concurrencée par de nouveaux entrants sur le marché. Le prix diminue
jusqu’à ce que les entreprises présentes sur le marché fassent un profit nul, c’est à dire si
RM=CM ; la quantité optimale pour l’entreprise est 2 (Q*). L’entreprise étant rationnelle et
cherchant à maximiser son profit, Q*=2 correspond aussi à Rm=Cm.
Le prix est déterminé par la fonction de demande qui se confond avec la fonction de recette
moyenne : p*=50.
Quantité RM_ct RT_ct Rm_ct CT Cm CM Profit_ct RM_lt RT_lt Rm_lt profit_lt
1 98 98 65 65 33 65 65 0
2 96 192 94 100 35 50 92 50 100 35 0
3 94 282 90 129 29 43 153 35 105 5 -24
4 92 368 86 156 27 39 212 30 120 15 -36
5 90 450 82 205 49 41 245 25 125 5 -80
6 88 528 78 283 78 47,2 245 20 120 -5 -163
7 86 602 74 378 95 54 224 15 105 -15 -273
8 84 672 70 480 102 60 192 10 80 -25 -400
9 82 738 66 585 105 65 153 5 45 -35 -540
10 80 800 62 700 115 70 100 0 0 -45 -700

41
Bibliographie

Ouvrages de références

F.Aprahamian et alii : Microéconomie, cours, méthode, exercices corrigés, col. Grand Amphi
Économie, éd. Bréal.
P.R. Krugman et R. Wells : Microéconomie, éd. De Boeck.
H.R. Varian : Introduction à la microéconomie, éd. De Boeck.
J. Hamilton et V. Suslow : Guide de l’étudiant en microéconomie, Pearson Education.
P. Picard : Éléments de microéconomie, col. Domat économie, éd. Montchrestien.
R. Pindyck, D. Rubinfeld : Microéconomie, Pearson Education.
E. Wasmer : Principe de microéconomie, Pearson Education.

Lectures complémentaires

D. Cohen (2012) : Homo Economicus : Prophète (égaré) des temps nouveaux, Albin Michel.
H. P. Minsky (2015) : Stabiliser une économie instable, LesPetitsMatins.
S. Keen (2014) : L’imposture économique, Edition de l’Atelier (à lire en deuxième ou
troisième année).
J. E. Stiglitz (2010) : Le triomphe de la cupidité, LLL.

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