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“Les nouveaux maîtres
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du monde”
l’analyse
la revue Après les mafias internationales et les banques
interview suisses, le sociologue et agitateur genevois
paris-berlin revient à l’attaque. Dans son dernier essai, il
voyage s’en prend au “prédateur”, le capitalisme
nord-sud Jean Ziegler mondialisé, et à ses “mercenaires”, les
écologie photo de Gian Paolo Accardo institutions financières et commerciales
internationales. (13 novembre 2002)
Votre dernier livre s’intitule Les Nouveaux Maîtres du monde et ceux qui leur
résistent*. Qui sont ces “nouveaux maîtres” ?
Leurs sièges se trouvent, ainsi que l’avait prédit il y a quelques années Max
Gallo, dans un étroit triangle qui relie Tokyo, New York et Stockholm. Ils exercent
internet mobile leur pouvoir à travers la médiation des organisations mondialistes mercenaires : le
annonceurs Fond monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale
offres d'emploi du commerce (OMC), qui mettent en œuvre le consensus de Washington. Il s’agit
d’un ensemble d’accords informels conclus tout au long des années 80-90 entre
les principales sociétés transcontinentales, les banques de Wall Street, la Réserve
fédérale américaine et les organismes financiers internationaux (FMI, Banque
la rédaction mondiale). Ces accords informels visent à obtenir, le plus rapidement possible, la
l’équipe web liquidation de toute instance régulatrice – Etat ou organisation internationale – la
l’agence libéralisation la plus totale et rapide de tous les marchés et l’instauration à terme
d’une stateless global governance, un marché mondial unifié et totalement
autorégulé.
recherche
Les inégalités se sont creusées. Les riches sont devenus de plus en plus
riches et les pauvres de plus en plus pauvres : aujourd’hui, 826 millions de
personnes – dont 95 % vivent dans les pays en voie de développement sont
chroniquement et gravement sous-alimentées. Toutes les sept secondes un enfant
de moins de dix ans meurt de faim. Chaque jour, 100 000 personnes meurent de la
faim ou de ses suites immédiates. En décidant en quelques minutes où placer
leurs capitaux en fonction de la maximisation des profits, les “maîtres du monde”
décident chaque jour de la vie et de la mort de centaines de milliers de personnes.
C’est pour ça que je dis que, aujourd’hui, quiconque meurt de faim est assassiné,
parce que ce n’est plus une fatalité.
Oui, mais ce qui est radicalement nouveau, c’est le nombre des victimes :
aujourd’hui, on connaît les chiffres et on a les moyens de combattre la faim.
Aujourd’hui, la planète croule sous la richesse. Le Programme alimentaire mondial
(PAM) estime qu’en l’état actuel des techniques de production, l’agriculture pourrait
nourrir 12,5 milliards de personnes, c’est-à-dire donner à chaque individu chaque
jour 2 700 calories. Or, il n’en est rien. Au contraire. D’ailleurs, l’ONU se rend bien
compte que la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dans la
conscience collective représente les valeurs minimales pour qu’une société puisse
exister, est insuffisante dans sa formulation actuelle. Comme disait Bertold Brecht,
Au niveau national, les privatisations à tour de bras ont mis sous tutelle les
Parlements et les gouvernements et privé de leur pouvoir régulateur les institutions
publiques. Les gouvernements appliquent ce que le capital financier international
leur dit, dans les domaines de la fiscalité, de la politique salariale, de la politique de
sécurité sociale etc. Les Bourses sanctionnent immédiatement toute décision qui
n’irait pas dans ce sens.
Quant aux instances financières et commerciales internationales, elles
représentent essentiellement les intérêts des pays riches et excluent totalement les
pays pauvres des processus décisionnels. Face à elles, l’ONU est presque
totalement impuissante : les institutions de Bretton Woods [Banque mondiale et
FMI] annulent dans leur pratique quotidienne ce que les agences spécialisées des
Nations unies peuvent faire dans leur activité quotidienne. L’ONU est devenue
totalement schizophrène : alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le
Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou l’Organisation
pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) essaient de soutenir des structures de
développement dans le tiers-monde, le FMI intervient et réduit à néant ces efforts
en imposant des programmes d’ajustement structurels et des privatisations.
Par l’arrogance la plus totale. Le FMI fonctionne selon le principe “un dollar
une voix” : les Etats membres y ont donc un poids proportionnel au produit intérieur
brut. Les Etats-Unis par exemple ont 17 % des voix. Dans un souci de démocratie,
on a voulu appliquer à l’OMC le principe du consensus, de l’unanimité entre les
146 membres du Conseil général. Mais l’OMC est complètement dominée par
l’Union européenne, les Etats-Unis et le Japon, qui - ensemble -, sont à l’origine de
81 % des échanges dans le monde. Comment voulez-vous qu’un pays comme le
Niger ou le Bangladesh fasse le poids ? Par ailleurs, pour être présent aux
négociations, il faut qu’un pays entretienne un représentant permanent à l’OMC, à
Genève, ce que la plupart des pays du tiers-monde ne peuvent se permettre. Ils
sont donc exclus des processus de décision. Enfin, l’OMC agit en dehors de toute
transparence : ses traités constitutifs comportent plus de 26 000 pages. Cela pose
des problèmes d’interprétation énormes. Et lorsqu’il y a des divergences de vues
entre Etats membres, ils passent devant l’organe de règlement des différends, qui
décide de l’interprétation et inflige des sanctions immédiates et sévères. Cela
mobilise des cohortes d’avocats : à Genève, il s’est créé un nouveau barreau
d’avocats spécialisés qui ne traitent que ces procédures. Seule une poignée
d’Etats peuvent s’offrir leurs services. Les autres sont condamnés à renoncer à
toute initiative pour défendre leurs intérêts.
* Jean Ziegler, Les Nouveaux Maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Fayard, Paris, 2002, 364 p.,
20 euros.
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