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Abécédaire partiel, et partial, de la mondialisation

Ignacio Ramonet - Ramón Chao - Wozniak

Remerciements

Documentation : Maria Ierardi, Delphine Jeammet, Olivier Pironet

Remerciements Pierre Abramovici, Alejandro Arzola, Ignacio Ayestarán, Nicolas Baverez, Laure
Bellot, Eric Beaumatin, Christian De Brie, Mireille Delmas-Marty, Dorval Brunelle, Jacques
Capdevielle, Bernard Cassen, Steven C. Clemons, Pierre Charasse, François Chesnais, Noam Chomsky,
Carla Ferreira, Susan George, Philip Golub, Philippe Merlan. Jeanette Habel, François Houtart, Philippe
Jérôme, Alain Joxe, Anne Kruegger, Daniel Lazare, Yvon Le Bot, Pierre Kalfon, Maurice Lemoine,
Gilles Luneau, Jean.Paul.Maréchal, Gustave Massiah, Armand Mattelart, Charles-Albert Michalet,
Danielle Mitterrand, Paul Moreira, Braulio Moro, René Passet. Riccardo Petrella, Philippe Quéau, Nira
Reyes, Jacques Robin, Catherine Samary, Dante Sanjurjo, Franck Seuret, Juan Somavia, Alain Swietlik,
Cécile Winter, Jean Ziegler,

Services de documentation de Radio France, Radio France internationale, Le Monde. Bibliothèque de


Radio France. Courrier de l’Unesco. Dictionnaire des relations internationales au XXe siècle (Payot)
Encyclopaedia Universalis, Manières de voir, Le Monde, Le Monde diplomatique, IndyMedia, Réseau
Voltaire.
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(Los asteriscos indican entradas proximas )

Acte sur l’état du monde Tous les Etats sont entraînés dans la dynamique de la mondialisation.
Derrière cette expression de « mondialisation de l'économie» , et son corollaire plus direct de « victoire
du marché », se cache un mode de fonctionnement et de domination politique et sociale du capitalisme.
C'est au cours du dernier quart du XXème siècle que le monde a connu un triomphe sans partage du
libéralisme. A l'issue de la Seconde Guerre mondiale, les économies des pays belligérants du Nord
étaient complètement détruites. Le sous-emploi s'était généralisé. Une première vague de chômage
massif s'était déjà manifestée lors de la crise mondiale de 1929. Pour la combattre, Franklin Roosevelt
lança, aux Etats-Unis, la politique du New Deal, un vaste ensemble de grands travaux d'infrastructures
économiques et sociales. Etudiant les effets de la grande crise, John Maynard Keynes met au point, en
1936, une thérapeutique imparable fondée sur l' intervention directe de l'Etat: accroissement de la masse
monétaire; taux d'intérêt élevés; déficit budgétaire; grands travaux impulsés par les pouvoirs publics.
Professé depuis le milieu du XVIII siècle, le libéralisme économique en prend alors un sacré coup. Les
années 1960 vont ainsi connaître l'âge d'or du keynésianisme.

Les partisans du libéralisme ne tardent pas à préparer leur contre-attaque. Au début des années 1970, les
économies occidentales replongent dans une crise profonde. Cette fois, un phénomène nouveau fait son
apparition: la coexistence de l'inflation généralisée et de la stagnation économique (la stagflation),
considérée comme l'un des effets pervers de la médecine keynésienne. De plus, vers 1973, l'économie
mondiale reçoit de plein fouet le choc de l'effondrement du régime des changes fixes établi à Bretton
Woods* en 1944, et celui de la première crise pétrolière (le prix du pétrole quadruple, passant de 3 à 12
dollars le baril). Accélérée au tournant de la décennie 1970-1980 par le recyclage des pétro-dollars, qui
facilite le financement des déficits budgétaires, la vague libérale envahit la planète. Elle part de l' Amé-
rique de Ronald Reagan, submerge la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, gagne le reste de l'Europe,
s'étend au Japon, puis aux pays émergents, dans les années 1990.

Dans la deuxième moitié des années 1990, l’exemple des Etats-Unis inspire de nombreux militants. On
peut voir les effets de contagion traverser l'Atlantique en passant par Barcelone. Les similitudes

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(attitudes similaires???) se sont diffusées (répandues?) d'autant plus vite qu'elles correspondaient à une
culture libertaire très enracinée en Europe.

Mais les liens sociaux sont beaucoup plus resserrés ici qu'aux Etats-Unis. Depuis la conférence de
l’OMC* à Seattle, en décembre 1999, des milliers de personnes ont manifesté dans le monde entier
contre les dérives de la mondialisation et la pauvreté croissante des populations. Et on assiste à une
situation inconnue où les protestations sont marquées par de nouvelles formes d'action. Entre autres,
pour éviter toute personnalisation, la première ligne est composée de militants choisis parce qu'ils sont
des "anonymes", mais aussi capables d'intégrer toutes les composantes de la société, tous les âges et tous
les secteurs sociaux.

Dans un tel contexte, toute manifestation anti-mondialisation est perçue, par un nombre croissant de
dirigeants des Etats-Unis et de la plupart de leurs « alliés », comme une opposition au système capitaliste
mondial lui-même, et, dans la mesure où Washington est la puissance régulatrice de ce dernier, comme
une opposition aux Etats-Unis et à leurs alliés. Il n'en fallait pas plus pour que le Pentagone et d'autres
secteurs des Etats-Unis élaborent et répandent la théorie de la nature « génétiquement » violente de
l'opposition à la mondialisation. Selon cette théorie, puisque les contestataires s'en prennent au système
mondial en place, à ses règles, à ses institutions et à ses gouvernements légitimement élus, ils s'en
prennent par voie de conséquence à la démocratie. Ce sont donc nécessairement des violents, de réels
criminels contre l'ordre démocratique, en un mot, les véritables nouveaux barbares de l'ère globale.

L'acharnement des gouvernements contre les opposants à la mondialisation libérale s'explique par
l'ampleur croissante de son rejet par l' opinion publique. D'où la tentative de caractériser les
contestataires comme génétiquement violents. A la manière de l'URSS, où les dissidents étaient
considérés comme des malades mentaux.

Point n'est besoin de démontrer l'indécence de cette accusation. Ce qui est extrêmement dangereux et
préoccupant, c'est qu'elle semble acceptée par la majorité des responsables politiques occidentaux et par
nombre de dirigeants de pays en voie de développement. On ne saurait mieux mettre en évidence la
fracture que la mondialisation a renforcée entre, d'une part, les « seigneurs » de la puissance mondiale et
leurs vassaux, et d'autre part, les peuples dominés et exclus. Comme s'ils ne vivaient pas sur la même
planète... Diagnostic confirmé par le Financial Times lui-même lorsque, dressant les bilans respectifs des
deux forums mondiaux simultanés (l'un « économique », l'autre « social »), il évoque effectivement
l'existence de deux planètes, celle de Davos et celle de Porto Alegre - la première sur le déclin et l'autre
sur une orbite ascendante - et n'exclut pas leur collision...

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Les actions spectaculaires par lesquelles s'est parfois traduite la contestation ne doivent pas conduire à
sous-estimer l'importance des autres formes de réponse plus profondes menées par les mouvements
sociaux et les syndicats aussi bien au Sud qu'au Nord : paysans indiens en lutte contre la biopiraterie de
Monsanto*, Mouvement des sans-terre* au Brésil, Marche mondiale des femmes* communautés
indigènes, luttes contre les privatisations en Amérique latine, contre les licenciements de convenance
boursière, pour la défense des travailleurs menacés par les délocalisations d'entreprises, etc. Sans
compter les actions des grandes organisations non gouvernementales (ONG)* - Greenpeace*, Amnesty
International, Oxfam, Médecins sans frontières, etc. - et des multiples associations pour le commerce
équitable*, pour la finance éthique, pour l'annulation de la dette* extérieure du tiers-monde, pour la
taxation de la spéculation financière, pour l’accès aux soins et aux médicaments, etc.

Jusqu'au milieu des années 1990, les manifestations contre les « tables de la loi » du capitalisme de
marché, se sont rarement transformées en conflits violents entre la police et les manifestants. En
revanche, depuis quelques années, les affrontements sont devenus une sorte de rituel, apparemment
inévitable, selon un scénario que l'on dirait écrit à l'avance. De façon rituelle, les forces de l'ordre des
villes où va se tenir le grand rendez-vous transforment les lieux de passage et de travail des participants
officiels en zones de haute sécurité, sous le contrôle de milliers de policiers anti-émeutes, et pratiquant
une sorte de surenchère préventive. Elles prennent des mesures draconiennes d'interdiction d'accès aux
périmètres ainsi protégés, voire aux villes elles-mêmes, comme ce fut le cas à Québec et de manière
encore plus caricaturale, à Gênes et à Evian.

Or, immanquablement, l'effet redouté - ne devrait-on plutôt dire attendu et voulu ? - est au rendez-vous :
les affrontements ont lieu, et la répression est de plus en plus dure, particulièrement à Prague, à Nice, à
Québec, à Göteborg, à Barcelone, jusqu'à faire un mort et plus de six cents blessés à Gênes en 2001...

Les témoignages de brutalité, même de sévices, sur des manifestants ayant recours à des formes non
violentes de désobéissance civile - alors que la police laisse faire les groupuscules de casseurs
professionnels -, sont particulièrement accablants. Au point que de nombreux représentants d'ONG
admettent avoir perdu leur « virginité démocratique », c'est-à-dire leur croyance dans la possibilité de
lutter démocratiquement dans des pays dits démocratiques.

Pourquoi un tel durcissement de la part des autorités, conduisant à la réduction, voire à la suspension -
même temporaire ou locale -, du droit de manifester ? Comment expliquer que des militants de milliers
d'organisations du monde entier, expression de traditions pacifistes ou tiers-mondistes, d'engagements
écologiques, d'idéaux religieux et éthiques divers, et qui luttent depuis longtemps pour un monde plus

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juste, plus solidaire, plus démocratique, plus respectueux de l'environnement, soient devenus des «
indésirables » aux yeux des gouvernements et soient traités comme des hordes d'envahisseurs, casseurs,
dévastateurs ? Il y a, semble-t-il, deux raisons principales.

La première est liée aux succès obtenus par les mouvements d'opposition à la mondialisation : mise en
échec, en octobre 1998, du projet d'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI*) et, en décembre
1999, fiasco du Cycle du millénaire de l'OMC à Seattle. Pour les dirigeants des pays développés, il s'agit
de deux défaites hautement symboliques, car affectant deux piliers de cette mondialisation-là : les «
libertés » de la finance et du commerce. La défaite de l'AMI a été d'autant plus cuisante qu'elle résulte de
la décision du gouvernement d'un pays-phare du capitalisme, la France, sous la pression, précisément, de
manifestations populaires. La débâcle de Seattle a également constitué un événement intolérable : elle a
montré au grand jour que la majorité des gouvernements des pays dits « en voie de développement »
partageaient nombre de critiques des opposants du Nord à la mondialisation actuelle. Et c'est grâce à
l'action de ce que l'on a appelé par la suite « le peuple de Seattle » que ces gouvernements ont eu, enfin,
le courage de dire « non » à la poursuite de négociations auxquelles, par faiblesse, ils se seraient
autrement résignés.

Ces deux victoires ont discrédité, sur le plan éthique, les principes fondateurs et les pratiques des «
seigneurs du capital » et des marchands. En revanche, elles ont rendu tout à fait crédibles les luttes en
faveur d'une « autre mondialisation ». Inacceptable pour les pouvoirs en place, un tel résultat est devenu
un facteur puissant de la radicalisation de leur politique de répression de la contestation pacifique. Ne
pouvant réduire cette dernière à une agitation « folklorique », se trouvant dans l'impossibilité de
reconnaître les responsabilités des forces de l'ordre dans l'explosion de la violence - Gênes constituera
désormais une étude de cas de la provocation policière - et, enfin, incapables - et pour cause - de
démontrer que l'opposition à la mondialisation actuelle est « scientifiquement » non fondée, leur restait
seulement une solution : criminaliser les contestataires. Ce faisant, ils espèrent légitimer leur propre
violence et délégitimer l'action d'une large partie des mouvements sociaux et des ONG, dont, par
ailleurs, ils tentent de remettre en question la représentativité.

La seconde raison est liée à un aspect central et spécifique de la mondialisation : l'affirmation des Etats-
Unis comme seule puissance hégémonique sur les plans militaire, technologique, économique, politique
et culturel. Symbole du capitalisme global contemporain, les Etats-Unis sont les porteurs d'une logique
d'empire et d'un ordre planétaire englobant, sous leur houlette, les situations, les problèmes et les
perspectives des différentes sociétés du monde.

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Les luttes ont mis en évidence que la mondialisation de ces vingt ou trente dernières années a été et
demeure avant tout le résultat de la puissance militaire et économique américaine, ainsi que des
changements socio-économiques et culturels produits par les Etats-Unis, qui se sont ensuite répandus, à
des degrés différents et sous des formes diverses selon les pays (Chine comprise), dans l'ensemble du
monde. Cette mondialisation consiste principalement en une américanisation idéologique,
technologique, militaire et économique de la société planétaire contemporaine. Il n'a pas fallu attendre
l'effondrement de l'Union soviétique pour s'apercevoir que la globalisation des marchés, des capitaux, de
la production, de la consommation, etc., était un « produit » des Etats-Unis grâce, notamment, à la
présence mondiale de l'US Army, de l'US Navy et de l'US Air Force. Cette présence a ouvert la voie
royale à la « mondialisation » de Coca-Cola, d'IBM, de Levi's, de Walt Disney*, de Ford, de GM, d'ITT,
de McDonald's* et, plus près de nous, de Microsoft, d'Intel, de Cisco, d'AOL-Time Warner, de Citicorp,
de Wal-Mart, de Fidelity...
La phase qui s'est engagée avec les évolutions conservatrices américaine et anglaise des années 1970,
trouve son point d'internationalisation avec l'effondrement de l'URSS, l’accroissement des politiques de
PAS ( ajustement structurel ) et la « pensée unique.» La primauté du marché désigne une nouvelle
période de l'économie mondiale.
Aux accords de Bretton Woods*, fondés sur un arrangement entre nations pour protéger de manière
négociée les marchés dans les économies non planifiées, succède le « consensus de Washington.* » Ce
credo, généralement nommé néo-libéral, contraint les Etats à redéfinir leur aire d'intervention, voire leur
importance. Une suprématie totale est accordée au marché; l'Etat voit ses fonctions régaliennes réduites
au minimum. L'essentiel des biens publics doit donc être fourni par le marché…
Dans la phase globale, les entreprises ne sont plus soumises au fractionnement des marchés et les
stratégies deviennent de ce fait planétaires. Firme réseau ou firme globale, quelque chose a changé dans
la nature des entreprises, dans leur mode de fonctionnement et dans leur gouvernance*. C'est désormais
l'actionnaire qui est privilégié, ainsi que la rémunération des titres, plus que la cohérence entre la
technostructure et le capital social. Celui-ci représente l’ensemble des salariés ou la fonction de
couverture des besoins nationaux.
Le terme « marché» sert à désigner la propriété privée des moyens de production. La possession d'actifs
patrimoniaux commande l'appropriation sur une grande échelle de richesses créées par autrui, une
économie tournée vers les objectifs de rentabilité et de compétitivité et dans laquelle seules les demandes
monétaires solvables sont reconnues. Les fusions-acquisitions (fusions-rachats?) des dernières années
ont poussé le processus de concentration à des niveaux qui paraissaient impossibles il y a à peine vingt

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ans.
Les investisseurs institutionnels sont les maîtres du capitalisme contemporain, mais ils préfèrent la
discrétion. Alors que les gestionnaires des fonds de placement restent dans l'ombre, les groupes
industriels, aux côtés des gouvernements, sont en première ligne dans la lutte contre les classes et les
couches qu'il faut exploiter. Il y a des raisons essentielles à cela. C'est sur la diffusion mondiale de leurs
produits (Coca-Cola, Nike, McDonald's*...) que repose la domination du capitalisme dans l'ordre si
décisif de «l'imaginaire» et de ce « capital symbolique » dont la victoire favorise des dominations
autrement contraignantes.

Le monde a payé très cher le passage du témoin de l'Angleterre à l'Amérique. Ce n’est que dans la
vulgate néo-libérale que l’Etat est « extérieur au marché ». Il faut récuser les représentations qui
voudraient que la mondialisation soit un développement naturel. Mais le triomphe du « marché»
nécessitait les interventions politiques répétées des instances des Etats capitalistes les plus puissants, les
Etats-Unis comme les autres pays du G7/G8*. Grâce à des mesures dont le point de départ remonte à la
«révolution conservatrice» de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan des années 1979-1981, le capital
a réussi à faire sauter la plupart des freins et des garde-fous qui ont corseté et canalisé son activité dans
les pays industrialisés. La place décisive occupée par la monnaie dans le mode de production capitaliste,
a donné à la libéralisation et à la déréglementation financières un caractère et des conséquences
stratégiques. C'est ainsi que la « révolution conservatrice» s'est répandue à travers l'Europe continentale
et le Japon. En France, les réformes du marché financier et de la régulation bancaire de 1984 à 1986,
sous les ministères de Pierre Bérégovoy et d'Edouard Balladur, ont ouvert la voie à la domination des
marchés financiers.

Sans l'aide active des Etats, le FMI et les investisseurs financiers institutionnels ne seraient pas parvenus
aux positions de supériorité qu'ils occupent aujourd'hui. Ils ne s'y maintiendraient pas si aisément non
plus. Leur très grande liberté d'action sur le plan domestique et leur presque totale mobilité au niveau
international sont les fruits de nombreuses mesures législatives et réglementaires de démantèlement des
institutions existantes et de mise en place de nouvelles institutions . La présentation politique de ces
mesures a exigé le détournement du terme « réforme », mot maintenant vidé de son sens original. Des
traités décisifs ont dû aussi être rédigés et ratifiés (pour n'en citer que les plus marquants, le traité de
Maastricht, le « consensus de Washington* », l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA*), et
le traité de Marrakech de 1994, qui institue l’OMC*).

A lire, Michel Chossudovsky. La Mondialisation de la pauvrété. Le Serpent à plumes, 2003.

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La mondialisation. Ed. sous la direction de Grahame Thompson. Erès, 1999 (Revue internationale des sciences sociales, n°
160)

ADPIC Il s’agir, selon l'OMC,* du plus large accord existant sur la propriété intellectuelle. Il dépasse
de loin les Conventions de Paris (sur la protection de la propriété industrielle) ou de Berne (sur la
défense des œuvres littéraires et artistiques) qu'il incorpore et étend. Il couvre le copyright, les artistes,
les producteurs de disques et les émissions de radio et de télévision (broadcasting), les marques et les
brevets, les indications géographiques et les appellations d'origine, les dessins industriels, secrets de
fabrication, données de recherche, circuits intégrés et les « informations non communiquées ». C'est cet
accord qui protège aussi les droits de propriété des firmes pharmaceutiques sur les médicaments et qui
interdit aux gouvernements du Sud d'en faire fabriquer et distribuer chez eux des copies, y compris en
période d'urgence médicale (la pandémie du sida en Afrique, par exemple).
L’ADPIC lie les pays membres de l'OMC. Il leur impose de délivrer des brevets de vingt ans au moins
pour toute invention de produit ou procédé pharmaceutique qui satisferait aux critères classiques de
nouveauté, d'inventivité et d'utilité. Les pays en développement n'ayant pas encore de protection par
brevet pour les produits pharmaceutiques, bénéficient d'un délai jusqu'en 2005 pour se mettre en
conformité avec cet accord. On a fait état de l'avancée que constitue ces accord en ce qui concerne
l'accès aux médicaments. Mais pour ceux qui n'en produisent pas et voudraient en importer ?
D’autres projets controversés de l’Adpic concernent la duré de protection accordée par les brevets (vingt
ans, ce qui généralise le système américain à la planète entière) et surtout la possibilité du brevetage du
vivant. Les semences, les micro-organismes et les processus microbiologiques sont explicitement
brevetables; les pays membres «peuvent » exclure du droit de brevet les plantes et les animaux - ce qui
veut dire en clair qu'ils peuvent aussi ne pas les exclure. Les plantes et les animaux deviennent ainsi
brevetables partout, sauf si le pays propose un système sui generis pour protéger les variétés végétales.
Le redoutable article 27,3, b sert aussi à protéger les OGM* et les semences obtenues par les
transnationales de l'agribusiness. Plus injuste encore pour les pays du Sud, où se trouvent les grandes
réserves de la biodiversité, est la « biopiraterie ». De nombreuses ETN pharmaceutiques ou chimiques y
envoient des équipes de recherche qui prélèvent des échantillons servant ultérieurement à leurs
spécialités sans que le pays d'origine reçoive quelque compensation que ce soit.
La millénaire quinua des populations andines est devenue l’un des symboles de cette spoliation ; plus
qu'une simple plante vivrière, élément essentiel d'un patrimoine vivant, elle est devenue, par un tour de
passe-passe biotechnologique, propriété privée nord-américaine.

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La quinua est une plante typique de l'Altiplano, cet immense plateau d'altitude aride mais nourri de
lumière, de vents, d'esprits, dans la cordillère des Andes. On la consomme en soupe, en grillant ses
grains pour les moudre et obtenir une farine dont on confectionne la chicha, boisson populaire fermentée
qui, comme la coca, remplit trois fonctions précises d'ordre social, magico-religieux et médicinal.
Cela n’avait pas échappé pas aux américains, premiers consommateurs étrangers de quinua. En 1994 ils
décident d'envoyer leurs experts agronomes se former dans ce petit pays andin où les connaissances
circulent librement, généreusement partagées entre gens d'un savoir millénaire et hôtes étrangers
désireux d'apprendre... ou désireux de prendre, de s'approprier gratuitement les ressources locales, de
faire main basse sur la vie d'autrui pour en retirer du profit, tels Duane Johnson et Sarah Ward,
«chercheurs» en agronomie de l'université du Colorado ( Etats-Unis ). Flairant la bonne affaire, ils s'en
emparent et y apposent leur marque de propriété privée: Brevet n° 5304.718. Quinua made in Etats-Unis.
Stupeur mêlée d'indignation lorsque se dévoile l'ampleur du désastre et qu'il apparaît que la mainmise
étrangère ne se limite pas à cette seule variété, mais s'étend également aux 43 différentes variétés
traditionnelles cultivées par des millions de paysans disséminés sur tout l'arc andin, depuis la Colombie
jusqu'au Chili.
Une autre histoire de brevetage qui tourne à la rapine, celle-ci en Afrique: En 1995, l'université du
Wisconsin dépose quatre brevets sur la brazzein, une protéine ultra-sucrée que des chercheurs ont isolée
d'une plante poussant au Gabon. Depuis, cette université accorde des licences d'exploitation à plusieurs
sociétés biotechnologiques, qui vont tenter d'introduire dans des fruits et des légumes un gène produisant
la brazzein afin d'obtenir des aliments au goût sucré mais moins riches en calories. De gros bénéfices
sont à la clé. Sauf pour les paysans gabonais, qui ne toucheront pas un centime de l' exploitation de cette
plante. Ils en connaissaient les propriétés de longue date, ils l'ont toujours utilisée et, par leur mode de
vie et leurs pratiques culturales, ils ont contribué à l'entretenir de génération en génération.
Mais qui sont les « pirates », ces « voleurs » ? La réponse se trouve dans une récente note de la
Commission européenne à propos des Adpic* : « Il faut s'attendre, peut-on y lire, à une résistance de la
part d'un certain nombre de pays en développement membres de l'Organisation mondiale du commerce.
Ils considèrent que la protection fournie par la Convention internationale pour la protection des
nouvelles variétés de plantes bénéficie trop aux propriétaires de ces variétés et ne prend pas en compte
les besoins des agriculteurs traditionnels. »
Cette même note conclut en évoquant un « problème stratégique » : « Les pays en développement vont
résister à l'engagement de négociations substantielles sur la protection de la propriété intellectuelle. Ils
pourraient même lancer un débat sur la relation entre les Adpic et d'autres aspects comme la

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concurrence, l'environnement, et son impact sur la santé et le bien-être. Il faut résister à une telle
tentative pour préserver les intérêts de toutes les parties. » Chaque année, des brevets sont déposés par
des entreprises ou des universités des pays du Nord sur des plantes cultivées ou utilisées dans les pays du
Sud. Sans l'accord des parties concernées ni aucune contrepartie. C'est pour mettre fin à ce biopiratage
que la commission scientifique, technique et de recherche de l'Organisation de l'unité africaine (OUA)
vient de rédiger une « loi modèle» sur « la protection des droits des communautés locales, des agri-
culteurs et des obtenteurs et sur les règles d'accès aux ressources biologiques ».
Cette législation met en place un système approprié d'accès aux ressources biologiques, aux
connaissances et technologies des communautés, sous réserve d'un consentement informé préalable de
l'Etat et des communautés locales concernées» ainsi que des « mécanismes en vue d'un partage juste et
équitable» des avantages tirés de l'utilisation commerciale de ces ressources.
Les pays du Sud ont déjà fait de nombreuses fois l'amère expérience de cette libéralisation imposée par
la Banque mondiale et le FMI en échange de prêts: augmentation des tarifs, couverture géographique et
qualité du service inégales, exclusion des services de santé d'une partie de la population... Dans ce cadre
précis, ils vont devenir un réservoir de main d'œuvre pour les pays riches mais avec des droits et des
salaires moindres (au travers du mode 3 de l'Accord qui concerne la présence commerciale d'une filiale
de firme étrangère). Alors que le droit d'asile se fait de plus en plus restrictif, on va assister à des
déplacements de salariés pour une période donnée, au bon vouloir des entreprises transnationales. Pour
les pays du Nord, les conséquences seront aussi désastreuses: le secteur public va être condamné à
pratiquer les mêmes tarifs que les entreprises privées sous peine de devoir payer des compensations à la
firme d'un autre pays membre (là encore dans le cadre du mode 3 de libéralisation). On voit donc toute la
précarisation de l'emploi et la détérioration des services fournis que cela peut entraîner. Les entreprises
publiques vont donc se retrouver à gérer les services les moins rentables économiquement: nul doute
dans ce cas que les gouvernements (de droite comme de gauche) préféreront alors privatiser plutôt que
d'avoir à subir des mesures de rétorsion devant le tribunal de commerce qu'est l'OMC *

Avant la réunion de Seattle, le Groupe africain de l'OMC avait proposé de sérieuses modifications de ces
accords. Il souhaitait exclure de la brevetabilité les plantes, animaux, micro-organismes, processus
microbiologiques et « tous autres organismes vivants et leurs parties », protéger les «innovations des
communautés autochtones » et «préserver les pratiques agricoles traditionnelles y compris le droit de
conserver et d'échanger les semences ». D'une manière générale, les Africains proposaient d'aligner le
Trips sur la Convention sur la biodiversité adoptée à la Conférence de Rio en 1992. Ils n'ont pas été
entendus, mais les questions qu'ils ont soulevées demeurent d'actualité. Le TRIPS couvre le copyright,

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les artistes, les producteurs de disques et les émissions de radio et de télévision (broadcasting), les
marques et les brevets, les indications géographiques et les appellations d'origine, les dessins industriels,
y compris les circuits intégrés et les « informations non communiquées», secrets de fabrication et
données de recherche. Rien n'est réglé, la déclaration se bornant à donner instruction au Conseil des
Adpic de « trouver une solution rapide à ce problème ». On peut faire confiance aux firmes
pharmaceutiques américaines et suisses pour ne pas lâcher prise. Il reste que cette déclaration constitue
un point positif de Doha, le seul même, pour les pays du Sud.

A lire

AGCS Si un grand nombre de traités fondateurs de l'OMC* comportent des dangers, l'Accord Général
sur le Commerce des Services représente, pour les citoyens, une menace absolue. La complexité et
l'opacité des négociations ont longtemps exclu tout débat, mais cette situation est heureusement en train
de changer grâce à des citoyens qui, partout en Europe et dans le monde, s'élèvent contre cette alliance
démocraticide.
Il ne s’agit pas d’un contrat définitif, mais d'un cadre qui prévoit "des séries de négociations
successives... qui auront lieu en vue d'élever progressivement le niveau de libéralisation". L'orientation
politique de l'AGCS est ainsi clairement fixée, et personne ne peut prédire les conséquences de son
processus.
La finalité de l'AGCS est de rendre cet accord économique supérieur aux législations et réglementations
nationales. Des responsables politiques commencent à s'inquiéter d'un système qui les déposséderait de
leurs prérogatives. Malgré les demandes répétées des élus, ceux-ci n'ont toujours pas accès aux
documents de négociation.
Le commerce mondial des services est en expansion rapide, atteignant, en 2001, 1 440 milliards de
dollars. Ce chiffre d'affaires revient surtout aux ETN européennes et américaines, avec les japonaises
loin derrière. Elles se réjouissent toutes de soumettre aux règles de l'AGCS de nouvelles activités
lucratives. La place importante des ETN européennes et la puissance organisée des lobbies expliquent
l'acharnement de la Commission, qui a des relations privilégiées avec les grandes entreprises de services,
à défendre l'AGCS.
L'un des grands problèmes de l'AGCS, comme cela avait été le cas dans le cadre de l'AMI*, c'est le
manque de transparence: les parlementaires n'ont pas accès à l'information sur les négociations en cours
au sein de l'Union européenne. Pascal Lamy, Commissaire européen au Commerce, est en charge de ces
négociations mais entretient un savant flou artistique dès qu'il s'agit d'informer les citoyens sur les
tenants et les aboutissants de cet accord. De ce fait, seules les ONG contribuent par leur travail à

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l'information et à la sensibilisation des citoyens sur ce sujet.
Les 160 secteurs dits de services représentent un tiers du commerce mondial (1340 milliards de dollars
de chiffre d' affaires) et incluent des secteurs stratégiques sur les plans commercial et technologique,
comme les télécommunications et l' énergie, la santé et l'instruction, la recherche et les transports, les
services bancaires et même l’éducation. N'en sont exclus que les services « fournis dans l'exercice des
pouvoirs régaliens » , tels que l'armée, la justice et les banques centrales. Le gâteau est bien trop gros,
notamment en ce qui concerne l’éducation, secteur essentiel de notre vie : aux yeux d'un investisseur en
quête de placements, il représente un budget annuel mondial de 1 000 milliards de dollars, un secteur
lourd de 50 millions de travailleurs et, par-dessus tout, un milliard de clients potentiels entre élèves et
étudiants.
Grâce à la campagne internationale mise œuvre depuis deux ans, les dangers liés à cet Accord sont
aujourd'hui connus du grand public : il sert en premier lieu les intérêts des entreprises transnationales,
qui comptent tirer profit la braderie des services publics. Ces entreprises s'approprient de plus en plus
vite le contrôle d'une part croissante de l'économie globale. Les chiffres de l'OCDE indiquent que,
chaque année, des biens d'une valeur de plus de 150 milliards de dollars US sont transférés du secteur
public au secteur privé. L'évolution du domaine des télécommunications le montre clairement : les
monopoles d'Etat ont été démantelés, mais les télécommunications sont soumises à une concentration
internationale croissante.
Il est difficile de prédire quand débutera le «cycle du millénaire » ; en tout cas, cet accord général sur
l’économie des services nous promet la plus ample libéralisation économique de toute l'histoire.
Trois personnages sont à l'origine du AGCS: James Robinson III (Pdg d'American Express), Hank
Greenberg (Pdg d'American International Group) et John Reed (Pdg de Citycorp). Ils décident en 1979
qu'inclure les services dans les négociations du GATT serait du plus grand intérêt. Le second ayant
l'oreille du président James Carter, il leur suffit alors de convaincre le Congrès des États-Unis. Ils y
parviennent à la faveur d’un lobbying bien orchestrée, doublée d'une campagne de presse digne des plus
belles opérations psychologiques. C'est ainsi qu'en 1982 l'ambassadeur américain William Brock déclare
que les négociations sur les services sont une priorité pour les États-Unis.
Les groupes d'affaires n'ayant pas obtenu entière satisfaction lors de la signature de l'AGCS en 1994, de
nouvelles négociations (ou révisions) sont programmées - en lien avec les décisions prises au sommet
de l'OMC de Doha de novembre 2OO1-, jusqu’à la libéralisation totale des 160 secteurs de services. Les
négociations sont conduites par Robert Zoellick pour les États-Unis et par Pascal Lamy pour l'Union
européenne. Le premier est par ailleurs professeur de Sécurité nationale à l'École navale des États-Unis.

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Le second a collaboré avec la Rand Corporation, le think tank du lobby militaro-industriel états-unien,
et avec l'East-West Institute, dont le président d'honneur est George Bush père.
La décision d'étendre aux services la libéralisation d'échanges internationaux qui portait auparavant sur
les seules marchandises, remonte à 1994. Signé en avril de 1994, l’AGCS incluait déjà l'enseignement
dans la liste des services à libéraliser. Pour demeurer hors de portée de cet accord, le système d'éducation
d'un pays devait être totalement financé et administré par l'Etat, ce qui n'est plus le cas nulle part.
Cette nouvelle étape de libéralisation qui se prépare dans les services est très grave. Elle vise, d'une part,
la mondialisation de la logique de marché, la mise en concurrence planétaire, et, de l'autre, l'extension
dans chaque pays, du champ du marché à des activités qui y échappent largement comme l'éducation et
la santé.
Ces biens et services ne sont pas des marchandises comme les autres. Ils ne relèvent donc pas des règles
du commerce et se situent hors du champ des compétences de l'OMC.
La reconnaissance de leur caractère de première nécessité va de pair avec l'établissement de nouveaux
droits : droit à vie, la sécurité de l'humanité et l'égalité d'accès de tous et de toutes. Leur impact social,
économique et écologique justifie pleinement leur organisation par la puissance publique et rend
légitime l'intervention des salariés, des usagers, des associations, des peuples sur leur gestion et leur
finalité.
Seule l'invention d'un modèle social mondial - où les services publics et les entreprises publiques sont
profondément démocratisés, largement développés et coopératifs - est en mesure de faire progresser une
lutte efficace contre les inégalités, le partage des ressources, des savoirs et des savoir-faire, de fonder les
relations internationales sur les solidarités, de permettre le dépassement des ravages de la guerre
économique et de la guerre tout court, d'envisager un avenir commun pour l'humanité.
Il s'agit de garantir - à tous les êtres humains - la possibilité de bénéficier de ces services essentiels tout
en s'inscrivant dans une perspective de développement durable de la planète. Cela suppose d'extraire ces
activités de la sphère marchande et de recourir à un mode de régulation radicalement différent autour de
la notion de biens publics et de celle de critères d'efficacité sociale.
La production des biens et des services publics ne saurait être générée par le marché, livrée aux
multinationales, à l'accumulation financière capitaliste au détriment de milliards d'êtres humains.
Le pouvoir financier et politique des lobbies des services est-il si fort pour empêcher un débat et une
confrontation publique ? Il semblerait que la population européenne ( et l'Angleterre en est un bon
exemple) est très sceptique sur le rôle de régulateur social du marché, et a expérimenté à ses dépens les
coûts ( économiques et sociaux) des privatisations. Les 45 millions d' américains sans couverture sociale

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sont un avertissement clair de ce que signifient des services non plus sociaux mais commerciaux, dont
l' offre est régulée principalement ( voire uniquement) par les critères de rentabilité d'entreprises privées.
Le monde n'est pas une marchandise, clament dans le désert, depuis plusieurs années, les mouvements
qui démasquent le rôle des institutions illégitimes comme l'OMC, et demandent à haute voix des
processus transparents, des choix démocratiques et la suprématie des droits humains, sociaux, syndicaux
et environnementaux en opposition à la logique du marché et des intérêts commerciaux.
Comme pour l'AMI*ou pour Seattle, il incombera aux mouvements, aux associations et aux
mobilisations de base d'informer et de se battre pour la globalisation des droits et non de l'exclusion. La
crédibilité et la force du mouvement antilibéral se sont véritablement construites sur ces thèmes, et il est
étrange que tant de gens continuent de feindre de ne pas s'en apercevoir. Sommes-nous des citoyens
européens ou des usagers, des consommateurs, des actionnaires, des clients, ou des marchandises?
Lire Philippe Rivière, Le système Echelon », Manière de voir, no 46.

ALCA ( Area de Libre Comercio de las Américas) Négociations discrètement menées pour mettre en
place une zone de libre-échange panaméricaine. L'objectif stratégique des Etats-Unis est de former le
plus grand marché du monde, mais surtout d'asseoir leur hégémonie sur le continent. En tant que partie
d’une stratégie de contrôle direct économique, politique et militaire des États-Unis dans la région latino-
américaine, cet organisme cherche à détruire l’appareil étatique en déréglant les secteurs tels que
l’éducation, la santé, l’accès aux services sanitaires (eau, énergie.) En les privatisant il rendrait
vulnérable les secteurs plus pauvres. La négociation pour la construction d'un marché unique, la Zone de
libre-échange des Amériques (ZLEA*) amorcée à Miami par 34 pays à l'exception de Cuba en 1994, a
été confirmée à Santiago du Chili en 1998. Elle devrait être achevée en 2005. Washington estime que la
ZLEA ouvrira une nouvelle ère de coopération en rapprochant, pour la première fois, les deux moitiés de
l'hémisphère autour d'un projet commun. D'après la secrétaire américaine au commerce, Mme Charlène
Barchevsky, « les exportations [en direction de l'Amérique latine] ont triplé de 1990 à 1996. En 1996,
elles ont augmenté deux fois plus que le commerce américain avec le reste du monde. Pour les Etats-
Unis, l'Amérique latine est un marché plus important que l'Union européenne ». On comprend que
l'objectif américain soit de libéraliser les économies continentales où les marchés sont encore très
protégés. « On peut comparer la ZLEA à une version adaptée XXIe siècle de la doctrine de Monroe,
affirment les professeurs Victor Bulmer-Tomas et Sheila Page, « le succès des négociations (...)
renforcerait indiscutablement les liens économiques puis politiques entre les pays d'Amérique latine et
les Etats-Unis et affaiblirait les échanges commerciaux avec l'Union européenne. »

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C'est donc au nom de l'établissement d'une « bonne gouvernance régionale », prônée par les
institutions financières internationales, que Washington propose de démanteler les barrières
commerciales dans l'ensemble de l'hémisphère. En fait, il s'agit de conforter un projet économique
planétaire, dont l'Amérique latine n'est qu'un des éléments, afin de faire progresser un programme
commercial plus adapté aux firmes multinationales. En effet, si le point de vue américain prévaut, « la
ZLEA peut être vue comme un effort pionnier destiné à façonner la prochaine génération des accords de
l'Organisation mondiale du commerce».

Une fois mis en place, ce gigantesque marché hémisphérique pourrait faire des Amériques « un espace
économique totalement ouvert à la libre circulation des marchandises et des capitaux, et donner à cet
espace le cadre normatif d'un nouveau modèle d'intégration ».

Pourtant, l'expérience du Mexique depuis l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) montre que
l'ouverture commerciale vis-à-vis d'un pays ayant un niveau de développement très supérieur provoque
une désindustrialisation, la liquidation de pans entiers de l'agriculture traditionnelle et un accroissement
des inégalités sociales. Etant entendu, par ailleurs, qu'il ne saurait être question de la libre circulation des
personnes.

Lire : Victor Bulmer Thomas et Sheila Page « Trade Relations in the Americas : Mercosur, The free trade area of the
Americas and the European union », in The United States and Latin America : the new agenda, Harvard University Press,
Londres, 1999.

Christian Deblock, Dorval Brunelle, « Le projet de zone de libre-échange des Amériques, un régionalisme en trois
dimensions », in Amérique latine 2000, rapport de l'Observatoire sur l'Amérique latine, La Documentation française, Paris,
juillet 2000.

Olivier Dabène, « Le Mercosur et la zone de libre-échange des Amériques : vers la convergence ? », Amérique latine 2000,
La Documentation française, Paris.

François d'Arcy, Brésil : L'entrée à marche forcée dans la mondialisation, La Documentation française, Paris,.

ALENA La plus grande puissance économique mondiale. Réaction contre la constitution d’une
«forteresse Europe», elle vise à établir une zone de libre de 360 millions d’habitants, et dont on croit
qu'il servira de modèle à l'intégration continentale ; Cet Accord de libre-échange nord-américain est
entré en vigueur en 1994. Il prévoit de supprimer les barrières douanières entre les Etats-Unis, le
Mexique et le Canada en quinze ans, mais seulement pour les marchandises : pas question que les
personnes circulent comme elles le veulent entre ces trois territoires

Déjà soumis aux règles de l’OMC, les gouvernements de l'hémisphère sont en train de négocier le cadre
d'une vaste zone de libre-échange de l'Alaska à la Terre de feu où la prépondérance des règles du libre

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marché irait encore plus loin. L’Alena prévoit la libération de 65 p. 100 des exportations industrielles
et agricoles entre les trois pays sous cinq ans et de la totalité des échanges sous quinze ans. L’accord a
été ratifié par le Congrès américain en novembre 1993, malgré de très vives oppositions. Celles-ci
faisaient valoir les risques attachés à une telle association réunissant notamment la première puissance
mondiale et des pays du Tiers Monde (exploitation incontrôlée des hommes et de la nature, flux
migratoires, etc.). L'Alena impose déjà des contraintes beaucoup plus fortes que celles de l'OMC à ses
membres : en vertu de son chapitre XI, les investisseurs, désormais dotés du statut de sujets de droit
international jusque-là réservé aux Etats, peuvent poursuivre directement les gouvernements. Ainsi,
lorsque l'un d'entre eux s'estime victime d'une discrimination, il peut entamer des poursuites contre les
pouvoirs publics au titre de l'obligation de traitement national.

Un enjeu, parmi d'autres, permet de comprendre la logique à l’œuvre derrière cette négociation : l'eau*.
Cet élément essentiel à la pérennité des écosystèmes, tout autant qu'à la survie de l'espèce humaine elle-
même, risque fort d'y être transformé en simple marchandise. En 1998, les responsables californiens
estimaient que si d'autres sources n'étaient pas trouvées d'ici à 2020, l'Etat ferait face à un déficit
hydrique correspondant à sa consommation actuelle totale. Et quelles pourraient bien être ces
« nouvelles sources » ? Le commerce global de l'eau y pourvoira, dans la mesure où la demande pourra
rencontrer l'offre ! Il se trouve que le Canada a de l'eau en abondance et, tôt ou tard, il devra
inévitablement la « partager » avec ses voisins, affirme le responsable de la compagnie californienne
Sun Belt. Cette dernière poursuit Ottawa parce qu'elle n'a pu procéder à des exportations massives vers
la Californie, et aurait perdu ainsi d'importants bénéfices.

L'Alena comporte par ailleurs un chapitre sur les services, avec une liste d'exceptions où l'eau n'apparaît
pas. En ce sens, les services de distribution et d'assainissement seraient aussi couverts, et la clause du
traitement national s'appliquerait, comme le spécifie l'article 1202, qui, selon certains juristes,
comprendrait également le droit de dispenser ces services au-delà des frontières.

On peut affirmer que les accords de libre-échange nord-américains n'ont aucunement amélioré la
situation de l'emploi au Canada, tout au moins au Québec. Le magazine PME affirme que « depuis 1989,
l'emploi a chuté de près de 15 % dans les secteurs qui n'ont pas été touchés par le libre-échange,
comparativement à une baisse de 8 % pour les secteurs touchés », pour en déduire que « l'Accord a
contribué à ralentir la chute de l'emploi dans le secteur manufacturier ». Il aurait sans doute été plus
indiqué de conclure que les effets, aussi bien directs qu'indirects, des accords ont été désastreux en
termes de créations d'emploi. Et, de fait, le Québec a connu un taux de chômage particulièrement élevé

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au cours de la décennie écoulée (plus de 11 %), même s'il s'est réduit à 9,9 % à la fin 1998.
Témoignent également de cette détérioration de la conjoncture l'augmentation du nombre des
bénéficiaires de l'aide sociale (595 000 en 1991, 793 000 en 1997), le plafonnement du nombre des
salariés à 2,7 millions et la chute du taux de syndicalisation : 48,5 % en 1991, 40,3 % en 1997

Lire : S. Neil Macfarlane et Stéphane Roussel, Tous pour un ou chacun pour soi. Promesses et limites de la coopération
régionale en matière de sécurité, Institut québécois des hautes études internationales, Presses de l'université Laval, 1996.

Allende, Salvador (1908-1973) Le premier dirigeant latino-américain à tenter une transition vers le
socialisme marxiste par les voies légales, se heurte à l'opposition déterminée des Etats-Unis, devenant
ainsi la première victime historique de la mondialisation libérale. Parlementaire depuis 1945, il est élu
président de la République chilienne le 4 septembre 197O, à sa quatrième tentative. À la tête d'un
gouvernement d'unité populaire, il établit des relations diplomatiques avec les pays communistes et
manifeste ostensiblement son amitié à Fidel Castro, tout en conduisant une politique extérieure modérée.
En appliquant son programme de réformes (nationalisation des entreprises et distribution des revenus), il
lèse les groupes étrangers, surtout américains, qui ont de gros intérêts au Chili. Ainsi, à la suite de la
nationalisation des mines de cuivre en juillet 1971, Allende annonce que les sociétés américaines ne
seront pas indemnisées, en raison des « bénéfices excessifs » réalisés depuis le début de leur
exploitation. Par mesure de rétorsion, les Américains exercent des pressions pour imposer un embargo
sur le cuivre et décident, le 3 février 1972, de geler les discussions concernant un moratoire sur la dette
extérieure chilienne (plus de trois milliards de dollars). De plus, la Banque mondiale, où l'influence
américaine est prépondérante, suspend ses prêts au Chili. Si les manœuvres américaines ont pour but de
maintenir une position économique dominante au Chili, elles révèlent aussi le refus des États-Unis de
voir un régime socialiste associé aux communistes s'implanter sur le continent sud-américain. De retour
de Cuba et d'URSS, Allende s'arrête à Washington, le 20 décembre 1972 afin de négocier, en vain,
l'indemnisation des sociétés nationalisées. Le pays est au bord de la faillite et menacé par la guerre
civile. L'action des grandes compagnies américaines, principalement International Telegraph and
Telefon (ITT), en liaison avec la CIA contribue à la dégradation de la situation intérieure chilienne. Le
putsch dirigé par le général Pinochet aboutit au renversement d'Allende par l'armée chilienne jusqu'alors
légaliste, à son suicide le 11 septembre 1973, et à une dictature militaire qui a duré dix-sept ans.
Lire Seguel Boccara, Ingrid, Les Passions politiques au Chili durant l'Unité populaire, /970-/973, L'Harmattan, 1997.

Alliance pour le progrès. Initiative majeure de la politique extérieure de Kennedy, l'Alliance pour le
progrès est créée à la conférence interaméricaine de Punta del Este (Uruguay) en août 1961. Son

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programme d'assistance à long terme vise à favoriser la croissance économique, la modernisation
sociale et la démocratisation en Amérique latine. Développé comme un antidote à la révolution menée
par Fidel Castro, le projet s'engage à investir plus de 20 milliards de dollars en capitaux publics et privés
sur dix ans, appelle les pays d'Amérique latine à distribuer la richesse plus équitablement, à investir dans
l'éducation et la santé, à réformer le système politique et à entraîner des forces pour combattre les
guérillas communistes.
Le continent n'enregistrant qu'une croissance annuelle d' 1,5 % contre les 2,5 % attendus, le programme
échoue à transformer le continent, confronté par ailleurs à ses propres contradictions: les réformes
économiques, agraires, sociales entrent en conflit avec les intérêts des milieux d'affaires américains,
dont l’anticommunisme virulent favorise la répression même des réformateurs et s'oppose à la
démocratisation désirée. Sous Johnson, fonds et mystique entourant le programme déclinent.
L'administration se tourne alors vers la simple gestion des crises par la force, comme l’invasion de la
République dominicaine en 1965.
Lire : Schemann Ronald, ed., The Alliance for Progress: A Retrospective, New York, 1988.

Altermodialisation En déplaçant les forces productives de l’univers énergétique au champ de


l’information, la mutation de l’immatériel bouleverse nos sociétés. Ce qui appartenait jadis au domaine
de la gratuité apparaît désormais constituer le cœur même de la vie économique. Il nous faut redécouvrir
ces richesses premières, situées en amont des activités économiques, mais qui en constituent à la fois le
but et la condition : savoirs et connaissances, rapports personnels et sociaux, art de vivre… Autant de
qualités devenues facteurs essentiels du développement et que, pour cette raison, le système économique
essaie de s’approprier en les absorbant dans sa propre logique.
A l’origine appelé “anti-mondialisation”, le mouvement social et civique est progressivement devenu
“altermondialiste”. Une manière d’affirmer, dans le droit fil du slogan “un autre monde est
possible”, que des alternatives à la mondialisation néo-libérale sont possibles à construire, ici et
maintenant.

Postuler qu’il est possible de tracer des alternatives à la mondialisation capitaliste,


cela suppose de clarifier ce qui est inacceptable dans l’actuel mode de
développement. Quels sont donc les principaux reproches qu’on peut lui adresser ?
- Il porte à un niveau rarement atteint les inégalités sociales.
- Il met en péril l’équilibre écologique de la planète.

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- Il valorise les seules activités marchandes et monétaires.
- Il marchandise l’ensemble des aspects de la vie humaine et porte atteinte aux
biens communs de l’humanité.

Cette faillite totale – et les périls majeurs dont elle est porteuse – nous impose de
changer de regard sur ce qui constitue les bases de l’activité économique.
Les technologies informationnelles changent les règles de la production et de
l’échange. Elles appellent des stratégies de mobilisation de l’intelligence humaine,
lesquelles ne peuvent s’épanouir qu’à travers de logiques de coopération, et non à
travers la compétition généralisée qui caractérise le capitalisme contemporain.

Face aux périls qui menacent l’humanité, la régulation de l’économie de marché et


l’encadrement des forces économiques par les pouvoirs politiques sont des
réponses pertinentes et nécessaires. Mais cela ne suffit pas. Si le capitalisme
mondialisé peut être mis en échec, c’est aussi parce que des myriades d’initiatives
construisent dès à présent une voie alternative. Trois voies se dessinent pour
tracer une rupture, claire mais réaliste, d’avec le mode de développement actuel.

La première consiste à constater – et à concrétiser – le fait qu’il est d’autres


manières de “faire économie” que la seule forme marchande et monétaire. Voilà
un siècle, l’essor des coopératives et des mutuelles a constitué une première
réponse au besoin d’incarner les valeurs de démocratie et de solidarité au cœur de
l’économie. Depuis vingt ans, l’émergence des diverses formes d’économie
solidaire* tente de répondre à des besoins sociaux que le marché seul ne peut
satisfaire. Fertiles au Nord comme dans au Sud, ces formes d’organisation
montrent qu’économie ne rime pas fatalement avec surexploitation, spéculation,
licenciements…
Ce n’est pas un hasard si l’actuel gouvernement Raffarin, dans le droit fil d’un
Reagan ou d’une Thatcher, s’attaque frontalement, outre les services publics, à ce
secteur de l’économie sociale et solidaire*. Pour ces orthodoxes du néo-libéralisme,
il convient de séparer nettement ce qui ressort de l’économie – laquelle ne peut

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être que marchande – de ce qui relève de l’action sociale et caritative – sous
forme associative le plus souvent.

Le développement durable* constitue la seconde piste alternative. Car le mode de


développement actuel mène à l’épuisement des ressources humaines et de celles
de la nature. George W. Bush n’a-t-il pas tout résumé en expliquant, au sujet du
refus américain de ratifier le protocole de Kyoto* sur la réduction des gaz à effet de
serre : “Trop cher pour l’économie américaine !” ?
Il faut sortir de cette logique productiviste qui a longtemps marqué la pensée
économique de gauche. “Lorsqu’en produisant, le système productif s’autodétruit –
en détruisant le milieu naturel qui le porte comme il porte toute vie –, apparaît la
question des comportements permettant d’assurer un développement durable”,
souligne René Passet. Participent de cette démarche toutes les initiatives qui
visent à remettre l’économie au service des fondamentaux écologiques.

Face aux inégalités scandaleuses entre le Sud et le Nord, la solidarité


internationale représente une troisième piste. Les démarches de commerce
équitable – qui donnent aux producteurs du Sud des conditions de travail et
d’existence bien supérieures à celles imposées par le commerce capitaliste –
témoignent de cette volonté. Plus globalement, la construction d’un monde
solidaire suppose de remanier les règles du jeu international (en commençant par
réformer radicalement les institutions financières internationales). Enfin, il faut
mettre en place une gouvernance démocratique mondiale afin de fournir un
contrepoids politique à l’économie mondialisée.

Economie sociale et solidaire, développement durable, solidarité internationale :


ces trois pistes, qui se traduisent par des myriades d’initiatives, restent encore
portées par des acteurs cloisonnés, segmentés. C’est pourtant dans leur
conjonction qu’elles pourraient trouver leur pleine capacité transformatrice et leur
sens politique.

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Il nous faut sortir d’une économie qui n’a de nouvelle que le nom et ne fait que
plaquer les vieux mécanismes du capitalisme industriel sur une réalité qui n’a plus
rien à voir. Il nous faut remettre l’économie au service des fondamentaux
anthropologiques et écologiques.
Face à nos “sociétés de marché” – des sociétés dans laquelle tous les rapports
sociaux sont inféodés à l’économique et où toute l’économie est ramenée à
l’économie de marché –, il s’agit de mettre en œuvre une double alternative :
- alternative à l’économie de marché en incarnant dans les actes une économie
plurielle ;
- mais aussi alternative à l’économisme dominant qui imprègne nos sociétés.
Vaste défi, et qui se heurte à un problème de taille : la marchandisation
progressive de tous les aspects de la vie humaine. Malgré Seattle, Porto Alegre *ou
Annemasse, cette logique, tel un rouleau compresseur, continue sa marche en
avant. Si le sentiment d’impuissance politique s’est développé à ce point, ces
dernières années, c’est sans doute parce que chacun sent bien qu’on ne peut pas
proposer d’alternative crédible si l’on ne sait pas comment s’opposer à cette
marchandisation systématique. L’enjeu, aujourd’hui, est bien de bâtir un
réformisme anti-marchandisation.

A lire : Philippe Merlant, René Passet et Jacques Robin Sortir de l’économisme. Une alternative au
capitalisme néo-libéral (Editions de l’Atelier, 2003)

A lire : Christophe Aguiton. Le monde nous appartient. Plon 2001.

Al-Qaïda, réseau mondial du terrorisme Al-Qaïda est l'abréviation en arabe de l' Armée islamique
pour la libération des lieux saints. OJO, comprobarlo, Cette organisation terroriste désigne par lieux
saints l'Arabie Saoudite où sont installées des bases américaines, la Palestine et Jérusalem qu'elle
considère aux mains du peuple juif et en général tout pays musulman influencé d'une façon ou d'une
autre par le monde occidental. Al-Qaïda est la plus grande organisation terroriste islamiste et bénéficie
d'une énorme quantité d'argent destiné à financer ses projets. Elle a été créée vers 1988 pour être la
branche armée du Front islamique international contre les Juifs et les croisés, un Front fondé par
Oussama Ben Laden, le responsable présumé des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Le réseau
d'Al-Qaïda est présent dans le monde entier et compte des milliers de personnes.

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L'émotion immense que a suscité l’attaque du 11 septembre, ne peut dissimuler les légitimes
interrogations que provoqua la riposte. Le péril terroriste, très diffus, requiert un combat patient,
quotidien, mais nécessite-t-il les guerres ? Et menée contre qui ? Contre les anciens « combattants de la
liberté » afghans et M. Oussama Ben Laden, formés aux meilleures écoles de la CIA ? Contre les
talibans que les Etats-Unis et leurs alliés pakistanais ont installés au pouvoir ? Contre l'Irak, déjà
exsangue après onze années d'embargo ? Contre le monde musulman ou contre l'islam, désigné par
certains comme le nouvel adversaire ? Les attentats du 11 septembre reflètent la tension des
changements affectant le système mondial et l'incapacité de Washington à intégrer les réalités politiques
et institutionnelles de la nouvelle ère. La rivalité américano-soviétique a été, longtemps, confortable
pour les élites politiques et militaires américaines. Ses paramètres étaient clairs, et les comportements
prévisibles. Les Etats-Unis ont pensé se sécuriser en se procurant des armes et des systèmes de
renseignements de plus en plus sophistiqués et coûteux. Pendant des années, des généraux et des
dirigeants politiques dociles ont menti sur la nature des menaces pour justifier le maintien des structures
militaires, le système d'organisation, les dépenses d'armement et les bases étrangères issues de la guerre
froide. On s'aperçoit désormais que la nouvelle course aux armements dans l'espace et le projet de
défense antibalistique ne correspondent pas aux véritables besoins de sécurité du pays.

En 1989, avec l'effondrement du mur de Berlin, s'ouvrait une possibilité de rebâtir un ordre international
plus juste. La volonté des Etats-Unis de le forger de manière solitaire, d'en définir seuls les contours et
les règles, les excès mêmes de leur puissance ont contribué à rendre le monde actuel plus dangereux.
Une décennie plus tard, assisterons-nous à la répétition du même scénario ?

Succédant au cycle entamé le 9 novembre 1989, lors de la chute du mur de Berlin, une nouvelle période
historique démarre un fatidique ce mardi 11 septembre par la découverte d'une arme nouvelle : un avion
de ligne, bourré de kérosène et transformé en missile de destruction. Inconnue jusqu'alors, cette
monstrueuse bombe incendiaire percute par surprise l'Amérique à plusieurs reprises, au même moment.
Le choc est d'une telle violence que le monde va en être effectivement ébranlé. Ce qui se modifie
d'emblée, c'est la perception même du terrorisme. On parle immédiatement d'« hyperterrorisme » pour
signifier qu'il ne sera plus comme avant. Un seuil, impensable, inconcevable, a été franchi. L'agression
est d'une telle démesure qu'elle ne ressemble à rien de connu. Au point qu'on ne sait pas comment la
nommer. Attentat ? Attaque ? Acte de guerre ? Les limites de la violence extrême semblent repoussées.
Et on ne pourra plus revenir en arrière. Chacun sait que les crimes du 11 septembre, inauguraux, se
reproduiront. Ailleurs peut-être, et dans des circonstances différentes sans doute, mais ils se répéteront.

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L'histoire des conflits enseigne que, lorsqu'une arme nouvelle apparaît, aussi monstrueux qu'en soient
les effets, elle est toujours réemployée. Cela a été vrai pour l'usage des gaz de combat après 1918, ou
pour la destruction des villes par bombardements aériens après Guernica en 1937. C'est d'ailleurs cette
crainte qui entretient, cinquante-six ans après Hiroshima, la terreur nucléaire...

L'agression du 11 septembre révèle à la fois, chez ses auteurs, une cruauté fantastique et un très haut
degré de sophistication. Ils ont voulu frapper fort, frapper au cœur et frapper les esprits. Et ont recherché
à produire au moins trois types d'effets : des dégâts matériels, un impact symbolique et un grand choc
médiatique.

Les résultats sont bien connus : anéantissement de 4 000 vies humaines environ, des deux tours du
World Trade Center, d'une aile du Pentagone et, probablement, si le quatrième avion ne s'était pas écrasé
en Pennsylvanie, de la Maison Blanche. Mais ces destructions ne constituaient pas, de toute évidence,
l'objectif principal. Car alors les avions auraient visé, par exemple, des centrales nucléaires ou des
barrages et auraient provoqué des dévastations apocalyptiques et des dizaines de milliers de morts...

Le deuxième objectif visait à frapper les imaginations en avilissant, en offensant et en dégradant les
signes principaux de la grandeur des Etats-Unis, les symboles de son hégémonie impériale en matière
économique (le World Trade Center), militaire (le Pentagone) et politique (la Maison Blanche).

Moins remarqué que les deux précédents, le troisième objectif était d'ordre médiatique. Par une sorte de
coup d'Etat télévisuel, M. Oussama Ben Laden, cerveau présumé de l'agression, a cherché à occuper les
écrans, à y imposer ses images, les scènes de son oeuvre de destruction. Il a pris ainsi le contrôle, au
grand dam de l'administration américaine, de tous les écrans de télévision des Etats-Unis (et, au-delà, du
monde entier). Il a pu de la sorte dévoiler, démontrer l'insolite vulnérabilité américaine, exhiber au sein
des foyers sa propre puissance maléfique, et mettre lui-même en scène la chorégraphie de son crime.

Une manière de narcissisme que complète l'autre image dominante du début de cette crise : celle de
M. Ben Laden lui-même. Sur fond de caverne afghane, l'autoportrait d'un homme au regard étrangement
doux... Du jour au lendemain, cette image a fait d'un homme largement inconnu à la veille du 11
septembre, la personne la plus célèbre du monde.

Depuis qu'un dispositif technique global permet de diffuser des images en direct sur l'ensemble de la
planète, on savait que tout était prêt pour l'apparition d'un « messianisme médiatique ». L'affaire Diana,

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en particulier, nous avait appris que les médias, beaucoup plus nombreux qu'auparavant, sont en fait
plus unifiés et plus uniformisés que jamais. Et que tout cela allait être un jour mis à profit par une sorte
de prophète électronique.

M. Ben Laden est le premier. Par le biais de son agression du 11 septembre, il a eu accès à tous les
écrans du monde, et a pu délivrer son message planétaire. Génie du mal ou moderne Dr Mabuse pour les
uns, Ben Laden a pu apparaître aux yeux de millions de personnes à travers, notamment, le monde
arabo-musulman, comme un héros. Plus même qu'un héros, comme un messie, « celui qui, désigné et
envoyé par Dieu, vient délivrer l'humanité du mal »...

« Dieu a permis aux ennemis de l'Amérique de nous infliger ce que nous méritons probablement. » Ainsi
avaient réagi deux « télévangélistes » influents, MM. Jerry Falwell et Pat Robertson, alliés décisifs du
président George W. Bush lors de sa victoire électorale. M. Falwell ajouta : « Ce sont les païens, les
avorteurs, les féministes, les gays, les lesbiennes qui, en tentant de séculariser l'Amérique, ont favorisé
cet événement ! Je le leur dis en les montrant du doigt ! » Une telle réaction montre que le fanatisme
n'est le monopole d'aucune religion. Mais cela n'entache pas le consensus : la plupart des Américains
exigeaient une vengeance rapide contre les responsables de l'attaque terroriste.

Le militant islamiste Ben Laden, formé par les américains, semblait bien être le seul capable
d'orchestrer, avec l'aide de divers groupes non directement affiliés à son organisation mais
sympathisants, de telles attaques contre les Etats-Unis. En août, quatre spécialistes du terrorisme ont
publié, dans le mensuel britannique Jane's Intelligence Review, la structure de l'organisation de Oussama
ben Laden, « Al-Qaeda ». Elle fut créée en 1988. Le Saoudien, désigné comme « l'émir Ben Laden », en
est l'épine dorsale. Il dispose d'un "conseil consultatif", le Dhura Majlis. Un comité militaire est chargé
d'opérations spéciales pour le compte de Ben Laden lui-même et de ses commandants. L'organisation
rassemblerait quelque 3 000 à 5000 adhérents dont la plupart ont combattu aux côtés des talibans contre
l'opposition afghane: ils sont désignés sous le nom de la Brigade 055.

Ben Laden n'hésitait pas à inventer un terrorisme de type nouveau ; global dans son organisation, mais
aussi dans sa portée et ses objectifs. Il ne revendique rien de très précis. Ni l'indépendance d'un territoire,
ni des concessions politiques concrètes, ni l'instauration d'un type particulier de régime. Même
l'agression du 11 septembre n'a toujours pas été officiellement revendiquée. Cette nouvelle forme de
terreur se manifeste comme une sorte de châtiment ou de punition contre un « comportement général »,
sans plus de précision, des Etats-Unis et plus largement des pays occidentaux.

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25
Une autre leçon de l'après-11 septembre, c'est que la mondialisation continue et s'affirme comme la
principale caractéristique du monde contemporain. Mais la crise actuelle a révélé sa vulnérabilité. C'est
pourquoi les Etats-Unis soutiennent qu'il est urgent de mettre en place ce qu'on pourrait appeler
l'appareil de sécurité de la mondialisation.

Le long de l'histoire le monde a connu des villes-Etat (Athènes, Venise), des régions-Etat à l'époque
féodale, et des nations-Etat au cours des XIXe et XXe siècles, mais, avec la mondialisation on voit
maintenant apparaître le réseau-Etat, voire même l'individu-Etat dont M. Ben Laden est le premier
exemple évident. Même si, pour l'instant, ce dernier a encore besoin - comme un bernard-l'hermite a
besoin d'une coquille vide - d'un Etat vide (la Somalie hier, l'Afghanistan aujourd'hui) pour l'investir et le
mettre tout entier au service de ses ambitions.

La mondialisation favorise cela, comme elle encouragera demain l'apparition d'entreprises-Etat qui, à la
manière de M. Ben Laden, investiront un Etat creux, vide, déstructuré, en proie au désordre endémique,
pour l'utiliser à leur guise. A cet égard aussi, M. Ben Laden aura été en quelque sorte un terrifiant
précurseur.

On parlait depuis longtemps de la nébuleuse islamiste, voire d'une internationale islamiste. Certes, il y a
une solidarité islamique « terroriste ». Ainsi dans les années 80, des centaines de jeunes islamistes
algériens se sont entraînés en Afghanistan et au Pakistan. En Algérie, on les avait d'ailleurs surnommés
«les Afghans », et ils ont constitué le gros des troupes du Groupe islamique armé (GIA), le mouvement
islamiste algérien le plus radical. Si les pays occidentaux sont souvent les cibles des islamistes, il y a
cependant quelques variantes. Ainsi, le GIA ne s'est jamais attaqué en Algérie à des intérêts américains.

La structure horizontale de Al-Qaeda est composée d'un conglomérat de 24 groupes opérant en réseau.
Elle a une dimension mondiale, étant présente au travers de groupes terroristes indépendants basés en
Algérie, Egypte, Maroc, Turquie, Jordanie, Tadjikistan, Syrie et 31 autres pays. Al-Qaida, à cet égard,
est une organisation parfaitement adaptée à l'âge de la mondialisation avec ses ramifications
multinationales, ses réseaux financiers, ses connexions médiatiques et communicationnelles, ses filières
d'approvisionnement, ses pôles humanitaires, ses relais de propagande, ses filiales et sous-filiales sans
chef d’orchestre. Ou tout au plus clandestin, même s’il existe une collaboration due notamment aux
stages de formation communs dans des camps de Libye ou du Moyen-Orient, le Liban ayant longtemps
servi de plaque tournante. Chaque commanditaire, par exemple Damas ou Téhéran, a ses groupes clients,

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Amal, le Djihad islamique, le Hezbollah, Hamas ou le Front de libération de la Palestine, qui
s’opposent, d’ailleurs, ou se subdivisent, au point qu’il est parfois difficile de les suivre

Le Saoudien dispose, toujours selon le mensuel Jane's, de financements provenant d'Etats tels que le
Soudan, l'Iran et l'Afghanistan, d'un réseau de mécènes arabes très religieux, ainsi que d'un réseau
d'organisations caritatives musulmanes. Les fonds transitent principalement par des banques arabes dans
le Golfe. Le beau-frère de ben Laden, lui-même basé dans cette région, orchestrerait les transferts de
fonds et les investissements réalisés par l'organisation dans certains pays: île Maurice, Singapour,
Malaisie et Philippines. Sans parler de la fortune personnelle du Saoudien, estimée entre 311 à 333,3
millions d'euro (2 à 2 milliards de francs). .

Selon les auteurs de ce rapport, Ben Laden dirige un certain nombre d'opérations et d'attaques terroristes.
L'élite d’Al Qaeda est constituée de cadres égyptiens, algériens et yéménites expérimentés. D'autres
opérations terroristes seraient" sous-traitées" à des groupes terroristes locaux, selon le principe que
Christopher Aaron, rédacteur en chef de la revue Jane's à Londres, appelle la "répartition des tâches ". Il
souligne «l'esprit de corps» animant ces combattants qui ont en commun d'avoir combattu en
Afghanistan.

« Les islamistes, souligne un spécialiste proche-oriental de ces questions, s'appuient sur des «agents
dormants» qui peuvent attendre des années avant d'être « activés ». Ils ont sans doute, ajoute ce
spécialiste, une carte de séjour américaine en règle et vivent depuis un certain temps sur le territoire
américain ou en Europe. " C'était le cas de Ramzi Youssef, le coordonnateur de l'attentat du World Trade
Center. Arrêté le 7 février 1995 au Pakistan, alors âgé de 27 ans et porteur d'un passeport pakistanais, il
se trouvait dans une maison louée par le réseau Ben Laden, dont il était proche. Selon des informations
de l'époque, il était en train de mettre au point une attaque du siège de la CIA "par un avion chargé
d'explosifs ». Ramzi Youssef aurait aussi travaillé sur un projet consistant à faire exploser simultanément
deux Boeing 747 approchant de Hong Kong.

L'idéologie proclamée par le Saoudien est en revanche plus floue: un antiaméricanisme élargi à de
l'antioccidentalisme. Une idéologie qui relève davantage du panislamisme que du panarabisme. Ses
références sont exclusivement religieuses, Ousama ben Laden étant considéré dans le monde islamique
comme le seul leader capable de s'opposer au «grand Satan », l'Amérique. Dans son discours du 7
octobre 2002, diffusé par la chaîne qatarie Al-Jazira, M. Oussama Ben Laden évoque avant tout autre
argument le fait que la « nation islamique subit, depuis quatre-vingts ans, humiliation et mépris ». Ce
disant, il fait référence non à la Palestine ou à l'Irak, mais à... la suppression du califat par Atatürk en

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1924. Et de poursuivre : « L'Amérique ne vivra pas en paix avant que la paix ne règne en Palestine
(entendez par là tant que Jérusalem n'est pas libérée) et que toute l'armée des infidèles ne quitte la terre
de Mahomet » (l'Arabie saoudite). Il n'établit en revanche aucun lien avec des situations politiques
locales, comme la levée de l'embargo sur l'Irak ou la situation en Algérie... Cette religiosité débouche sur
un millénarisme qui imprègne les discours du chef d'Al-Qaida et réduit le politique à la portion congrue.
Dans les « Etudes militaires du Jihad contre les tyrans », document de 200 pages environ trouvé en
Grande-Bretagne en mai 2000, il est dit que « le martyre (...) permet la réalisation de la religion d'Allah
tout-puissant sur terre (1) ». Comme dans tous les discours de sectes, le religieux recouvre le politique
et le rend inutile, en annonçant une réalisation rapide du paradis sur terre.

Tous les attentats attribués à Al-Qaida ont exigé le sacrifice d'un ou plusieurs hommes, les attaques
d'août 1998 contre les ambassades américaines d'Afrique de l'Est comme celle d'octobre 2000 contre
l'USS-Cole. On retrouve cette nécessité de la mort du croyant ou du combattant comme passage
privilégié vers le paradis dans les suicides collectifs de sectes (Guyana, Temple solaire), la sanction de la
trahison à l'égard de la secte politique (Armée rouge japonaise ou Tigres tamouls) ou religieuse (secte
japonaise Aum). Et les victimes innocentes apparaissent comme la condition inévitable de la réalisation
de cet objectif millénariste.

Lire : Olivier Roy La fin de l'islam politique, Esprit, Paris, août-septembre 2001.
François Heisbourg, Hyperterrorisme : la nouvelle guerre, Odile Jacob, Paris, 2001.
Pascal Boniface, Les Guerres de demain, Seuil, Paris, 2001.
Jean Baudrillard, L'esprit du terrorisme , Le Monde, 3 novembre 2001.
Ignacio Ramonet, Géopolitique du chaos, col. « Folio Actuel », n° 67, Gallimard - Galilée, Paris, 2000.

AMI Discuté en grand secret, en 1998, au sein de l’OCDE, ce projet mort-né, s’il avait été adopté,
aurait accordé aux multinationales qui investissent dans les pays étrangers les mêmes droits qu’aux
entreprises locales.« L'émergence de groupes d'activistes risque d'affaiblir l'ordre public, les institutions
légales et le processus démocratique. (...) Il faudrait établir des règles pour clarifier la légitimité de ces
organisations non gouvernementales activistes qui proclament représenter les intérêts de larges
secteurs de la société civile.» Dans son agressivité, cette déclaration, adoptée à Genève en septembre
1998 par 450 dirigeants de multinationales, traduit le ressentiment du monde des affaires à l'égard de
nouvelles formes de contestation et de leur efficacité. La menace ne manque pas de cynisme, sortie d'une
réunion organisée par la Chambre de commerce internationale, lobby mondial des multinationales et
véritable association d'activistes du big business, présidée par l'un des plus durs d'entre eux: M. Helmut
O. Maucher, patron de Nestlé, également président de la Table ronde européenne des industriels (connue

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sous son sigle anglais ERT, European Round Table of Industrialists), ainsi que de l'annuel Forum
économique mondial de Davos. Deux groupes aussi efficaces pour affaiblir les institutions légales que
dépourvus de la moindre légitimité démocratique.

C’est que les négociations sur l’AMI, menées pendant trois ans par l'OCDE, venaient d’être suspendues.
Les mouvements associatifs qui, dans de nombreux pays, et en particulier en France, s’étaient mobilisés
pour en empêcher la signature et alerter l'opinion publique, ont remporté une incontestable victoire.
L'expérience a confirmé l'opaque collusion des milieux d'affaires et des instances gouvernementales.
Elle a aussi révélé l'efficacité de nouvelles stratégies de lutte sociale, adaptées à la mondialisation, et du
recours systématique à Internet.

APEC Le Forum de coopération économique Asie-Pacifique, créé en 1994 par 18 pays : Australie,
Brunei, Canada, Chili, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Hongkong, Indonésie, Japon, Malaisie,
Mexique, Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle Guinée, Philippines, Singapour, Taiwan et Thaïlande.
Ce forum sert de lieu de discussion entre ces pays afin de mettre sur pied, d'ici 2020, la plus importante
zone de libre circulation de biens du monde. L'APEC, en plus de diminuer à long terme la concurrence
entre les Etats-Unis et le Japon, est également empli de visées politiques.

ATTAC L’Association pour une Taxation des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens est née
en France en 1998 d’une initiative du Monde diplomatique. Elle existe aujourd’hui dans une
cinquantaine de pays où se sont constituées des organisations à part entière créées selon les réalités
locales.

Le développement rapide d’ATTAC met en évidence qu’il n’y a pas, comme le prétend une idée reçue,
de désintérêt moderne pour l’engagement politique mais seulement une pratique différente :
décentralisée, active dans de nombreux pays. Il existe une opinion publique mobilisable dans tous les
lieux significatifs de la planète pour des évènements massif mais ponctuels, qui se méfie des partis et des
institutions et sait à merveille manier les médias.

Née du refus de la dictature des marchés et de la volonté de reconquérir les espaces abandonnés par la
démocratie, Attac est devenu un des principaux mouvements fédérateurs des altermondialistes. Dans sa
démarche, l’association combine l’analyse critique et l’action au service de propositions alternatives.
Elle fait vivre l’espérance qu’un « autre monde est possible ». Pour s’opposer à la dictature des marchés,

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ATTAC se bat notamment pour l’instauration d’une taxe sur les mouvements spéculatifs de capitaux,
comme l’avait proposé le prix Nobel James Tobin*.

Décembre 1997, un éditorial d’Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique, Désarmer les marchés,
propose de créer une organisation autour de cette taxe.

La fondation d’ATTAC est donc le résultat du refus d’une pensée économique unique, à la volonté
monopoliste des « élites » plus arrogantes qu’expertes, et à la sujétion de la démocratie à l’autocratie
financière. L’association est organisée à l’échelle nationale et locale, les différentes dimensions inter-
agissant de manière continue grâce, entre autres, aux correspondants électroniques. Les expertises se
développent, et c’est important pour un mouvement d’éducation populaire d’agir sur les deux niveaux.

La première originalité d’Attac est d’avoir mis autour de la même table des composantes d’associations
d’éducation populaire, d’organisations du mouvement social et des organisations syndicales, en y
adjoignant des organes de presse, autour d’un objectif dans lequel elles pouvaient toutes se reconnaître:
reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière. Sa deuxième
originalité est d’avoir bâti une configuration articulant une direction nationale où les « personnes
morales » ont un rôle prépondérant et des structures locales - largement autonomes dans le respect de la
plate-forme constitutive de l’association - surtout composées d’adhérents individuels.

Son premier secrétaire général Bernard Cassen, directeur général du Monde diplomatique* céda sa place
en 2002 à Pierre Tartakowski, ex cégétiste, secondé par Christophe Aguiton, responsable d’Agir
Ensemble Contre le Chômage (AC !)

Lire : André Gorz, Misères du présent, richesse de l’avenir, Galilée, Paris, 1997.
Riccardo Petrella. Le Désarmement financier, Editions Labor, Bruxelles
François Chesnais, La Mondialisation du capital, Syros, Paris, 1997.

AUE ( Acte unique européen ) La mise en place de l'euro au début de 2002 est présentée comme l'étape
ultime, et la plus symbolique, du mouvement d'intégration économique et monétaire en Europe. Entamée
en 1951 avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), la construction
communautaire s'est poursuivie, aux termes du traité de Rome de 1957 portant création de la
Communauté économique européenne (CEE) par l'instauration d'un marché commun des six Etats
membres de l'époque. Cette première phase avait deux caractéristiques majeures : d'abord le rôle central
donné aux politiques publiques destinées à coordonner les investissements à l'échelle européenne et à
réguler le marché, notamment dans les secteurs de l'énergie et de l'agriculture ; ensuite, la quasi-absence

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des questions monétaires dans les objectifs communautaires, le traité se limitant à prévoir un comité
monétaire à statut purement consultatif.

Les années 1970-1980 marquent un tournant radical : les gouvernements des pays membres (ils seront
douze à compter de 1986) décident d'accorder une priorité aux mécanismes de marché dans le
fonctionnement de la CEE. Pour dynamiser les institutions européennes, divers projets sont élaborés
dans les années 1980. Un Livre blanc de la Commission précise l'idée de grand marché unique lancée
par son président Jacques Delors. En septembre 1985, il est prévu de regrouper dans un même document
les textes et les amendements au traité de Rome, et un préambule sur l'Union européenne. L'Acte unique
européen qui en est issu est signé en février 1986 à Luxembourg et ratifié par les parlements nationaux
en 1986. Il entre en vigueur le 1er juillet 1987. Il se donne pour objectif de dynamiser la construction
européenne en achevant le marché intérieur au1er janvier 1993 « espace sans frontières intérieures dans
lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée »
(article 7 A). Le texte est le résultat du livre blanc de la commission européenne sur l'achèvement du
marché intérieur. Le projet d'union politique défendu par Altiero Spinelli et certains Etats membres est
écarté. L'AUE consacre le déséquilibre entre l'Europe économique, d'une part, et l'Europe politique et
sociale réduite au solde de la précédente, d'autre part. Il amende plusieurs dispositions du Traité de
Rome et introduit une nouvelle forme de coopération en matière de politique étrangère.

Il prévoit la libre circulation des hommes, des marchandises, des capitaux et des services; une union
économique et monétaire progressive; l'extension des compétences communautaires aux questions de
l'environnement, de la recherche et de la technologie; le développement du dialogue social. En matière
de politique étrangère, la règle de l'unanimité est maintenue, mais les États sont invités à ne pas
empêcher la formation d'un consensus; le principe de subsidiarité stipule que la Communauté ne peut
légiférer dans des domaines relevant des compétences nationales. Il est favorisé par la reprise écono-
mique et par les modifications institutionnelles qui développent le vote à la majorité qualifiée par le
Conseil des ministres (révisant ainsi le compromis de Luxembourg) et les compétences de la Commis-
sion. L'Acte unique européen est considéré comme un moyen de progresser vers l'Union européenne,
finalement mise en place par le traité de Maastricht.
L'Acte unique traduit ce choix politique en structurant l'espace économique européen sur la base du
marché unique des biens et services, des travailleurs et des capitaux à partir de 1992. Dès lors, l'Europe
s'inscrit dans la logique de la mondialisation néo-libérale impulsée depuis le début des années 1980 par
les Etats-Unis de M. Ronald Reagan et le Royaume-Uni de Mme Margaret Thatcher. Avec l'idéologie du

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libre-échange qui s'impose alors, on assiste à un recul organisé de la régulation publique, marqué par
l'accélération des mesures de déréglementation et de privatisation.
Lire : Jean-Victor, Louis, L'Acte unique européen, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1987.

Axe du mal Le 29 janvier 2002, pendant la guerre d'Afghanistan qui suivit les attentats du 11 septembre,
Georges W. Bush utilise pour la première fois la dénomination « Axe du mal ». Le président américain
désignait ainsi un pivot imaginaire constitué par l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord. Trois pays qu'il accuse
de vouloir se procurer des armes de destruction massive ainsi que d'abriter et de protéger des
organisations terroristes hostiles au monde occidental et aux Etats-Unis.

Nous considérons, quant à nous, qu’il existe un autre axe du mal, tricéphale aussi. Les citoyens doivent
savoir que la mondialisation libérale attaque désormais les sociétés sur trois fronts. Central, parce qu'il
concerne l'humanité dans son ensemble, le premier front est celui de l'économie. Il demeure placé sous la
conduite de ce qu'il faut vraiment appeler l'« Axe du Mal », constitué par le FMI, la Banque mondiale et
l'OMC. Cet axe maléfique continue d'imposer au monde la dictature du marché, la prééminence du
secteur privé, le culte du profit, et de provoquer, dans l'ensemble de la planète, de terrifiants dégâts :
hyperfaillite frauduleuse d'Enron, crise monétaire en Turquie, effondrement calamiteux de l'Argentine,
dévastations écologiques partout...

Et les Conférences internationales sur le financement du développement, qui se succèdent aggravent le


désastre général en martelant chaque fois que le secteur privé doit devenir le principal acteur du
développement du Sud. Il est scandaleux que les chefs d'Etat et de gouvernement, en particulier ceux de
l'Union européenne, refusent d'adopter, en faveur du développement, les indispensables mesures qui,
seules, peuvent sauver de la misère les deux tiers de l'humanité.

On peut en retenir dix : annuler totalement la dette des pays pauvres ; mettre en place un système de
règlement généreux, juste et équitable de la dette des pays du Sud ; définir des garanties pour que les
futurs financements soient engagés dans des conditions satisfaisantes et utilisés en faveur du
développement durable ; obtenir des pays riches qu'ils s'engagent à consacrer au moins 0,7 % de leur
richesse au financement du développement ; rééquilibrer les termes de l'échange entre le Nord et le Sud ;
garantir la souveraineté alimentaire dans chaque pays ; contrôler les mouvements irrationnels de
capitaux ; interdire le secret bancaire ; déclarer hors-la-loi les paradis fiscaux ; et mettre en place enfin
une taxation internationale des transactions financières.

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Le deuxième front, clandestin, silencieux, invisible, est celui de l'idéologie. Avec la collaboration
active d'universités, de prestigieux instituts de recherche (Heritage Foundation, American Enterprise
Institute, Cato Institute), de grands médias (CNN, The Financial Times, The Wall Street Journal, The
Economist, imités en France et ailleurs par une foule de journalistes asservis), une véritable industrie de
la persuasion a été mise en place afin de convaincre la planète que la mondialisation libérale apporterait
enfin le bonheur universel. En s'appuyant sur le pouvoir de l'information, des idéologues ont ainsi
construit, avec la passive complicité des dominés, ce qu'on pourrait appeler un délicieux despotisme.

Cette manipulation a été relancée, après le 11 septembre, avec la création par le Pentagone d'un très
orwellien Bureau d'influence stratégique (BIS), chargé de diffuser de fausses informations pour
« influencer les opinions publiques et les dirigeants politiques aussi bien dans les pays amis que dans
les Etats ennemis ». Comme dans les années les plus sombres du maccarthysme et de la guerre froide,
une sorte de ministère de la désinformation et de la propagande a donc été mis sur pied chargé d'établir,
comme dans les dictatures ubuesques, la vérité officielle. La ficelle était si grosse que le Bureau en
question a dû être officiellement fermé.

Le troisième front, inexistant jusqu'à présent, est militaire. Il a été ouvert au lendemain du traumatisme
du 11 septembre 2001. Et vise à doter la mondialisation libérale d'un appareil de sécurité en bonne et due
forme. Un moment tentés de confier cette mission à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord
(OTAN), les Etats-Unis ont décidé d'assumer seuls cette mission et de se doter de moyens considérables
pour l'exercer avec la plus impressionnante efficacité. Les guerres en Afghanistan contre le régime des
talibans et contre le réseau Al-Qaida ont convaincu Washington qu'il est inutile, pour des missions de
cette envergure, de demander une collaboration militaire autre que minimale à ses principaux alliés
stratégiques, Royaume-Uni et France, ou même à l'OTAN .

Cette attitude de mépris a été confirmée lors de l'attaque et de l’occupation de l'Irak. Les protestations
des chancelleries européennes n'ont nullement impressionné l'administration américaine. La fonction des
vassaux est de s'incliner, et l'Amérique aspire désormais à exercer une domination politique absolue.
« Les Etats-Unis sont en quelque sorte le premier Etat proto-mondial, constate William Pfaff. Ils ont la
capacité de prendre la tête d'une version moderne de l'empire universel, un empire spontané dont les
membres se soumettent volontairement à son autorité . »

Cet empire aspire à réaliser dans les faits la mondialisation libérale. Tous les opposants, tous les
dissidents et tous les résistants doivent maintenant savoir qu'ils seront combattus sur ces trois fronts :

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économique, idéologique et militaire. Et que le temps du respect des droits humains semble révolu,
comme le prouve l'établissement de ce scandaleux « bagne tropical » à Guantanamo où plusieurs
Européens sont séquestrés dans des cages... L'axe du Mal (FMI, Banque mondiale, OMC) dissimulait
son vrai visage. On le connaît à présent.

Lire « Projet de conclusions et décisions de la Conférence internationale sur le financement du développement », Nations
unies, assemblée générale, 30 janvier 2002, document A / AC.257 / L.13.

-Ignacio Ramonet , Propagandes silencieuses, et Guerres du XXIe siècle, Galilée,Paris.

33
34
B

Banque Mondiale La seconde guerre mondiale tire à sa fin. Les principaux alliés envisagent divers
moyens pour diriger les relations monétaires internationales. Les représentants des Nations adoptent les
statuts du FMI, l’institution internationale chargée de surveiller le Système Monétaire International et de
favoriser l’élimination des restrictions de change applicables au commerce des biens et des services et à
leur stabilité.

Organisme intergouvernemental ouvert en principe à tout État sans distinction de régime, à condition
qu’il adhère au F.M.I., la Banque mondiale compte en 1995 cent soixante-dix-huit États membres, tout
en reconnaissant elle-même son caractère «occidental» dû à l’influence prépondérante des États-Unis.

Entre la Banque mondiale et Wall Street, l'alliance est, bien entendu, stratégique. La Banque a d'ailleurs
sauvé à maintes reprises certains instituts financiers imprudemment engagés dans des opérations de
spéculation ici ou là sur d'autres continents. Dans sa pratique quotidienne, elle fonctionne selon des
critères strictement bancaires. Sa charte exclut expressément toute conditionnalité politique ou autre. Sa
pratique est néanmoins surdéterminée par un concept totalisant d'origine non bancaire, et idéologique
celui-là: le « Consensus de Washington.* »

En termes de technique bancaire, cet organisme est partout le « prêteur de dernière instance » ( the
fender of fast resort ), celui qui se trouve en situation d'imposer au débiteur les conditions de son choix.
Qui d'autre que lui serait prêt à concéder le moindre crédit au Tchad, au Honduras, au Malawi, à la
Corée du Nord ou à l'Afghanistan ?

Après avoir prêté environ 500 millions de dollars aux pays européens en 1947, la Banque mondiale fut
relayée dans ses fonctions de «reconstruction» par le plan Marshall et se consacra essentiellement, à
partir de 1948, au «développement». Aujourd’hui, elle considère que sa principale fonction consiste à
financer des projets productifs favorisant la croissance économique des pays membres moins
développés.

La Banque mondiale a connu son âge d'or de la fin des années 1960 au début des années 1980 Ancien
ministre de la défense des présidents John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson, Robert McNamara la
dirigea de 1968 à 1981. Sous sa présidence, le volume annuel des prêts est passé de 1 milliard à 13
milliards de dollars, le personnel a été multiplié par quatre et le budget administratif par 3,5. Avec l'aide
de son trésorier, McNamara parviendra à lever sur les différents marchés nationaux de capitaux près de
100 milliards de dollars d'emprunts. Ironie de l'histoire: une grande partie de cette somme a été obtenue

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35
auprès des banquiers suisses, ceux-là mêmes qui abritent l'essentiel des capitaux en fuite provenant
des nababs, des dictateurs et des classes parasitaires d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine.

Du temps de McNamara, la théorie préférée de la Banque était celle de la « croissance ». Croissance =


progrès = développement = bonheur pour tous. Vint une première vague de contestation, portée
notamment en 1972 par les savants du Club de Rome*, sur le thème: « La croissance illimitée détruit la
planète ». Les théoriciens de la Banque réagirent au quart de tour: « Comme vous avez raison, estimés
érudits! La Banque mondiale vous approuve ! Désormais, elle mettra en oeuvre le "développement
intégré". » Autrement dit, elle ne prendra plus seulement en compte la croissance du produit intérieur
brut d'un pays, elle examinera aussi les conséquences produites par cette croissance sur d'autres secteurs
de la société. Voici les questions que la Banque entreprit alors de se poser: la croissance est-elle
équilibrée? Quelle conséquence produit-elle sur la distribution intérieure des revenus? Une trop rapide
croissance de la consommation énergétique d'un pays ne risque-t-elle pas d'affecter les réserves
énergétiques de la planète? etc.…

Selon le politologue américain Jerry Mander, « McNamara a tué plus d'êtres humains à la tête de la
Banque mondiale que lorsqu'il était, en tant que ministre de la défense des Etats-Unis, préposé aux
massacres du Vietnam. Jerry Mander dessine ainsi le portrait du président: « Honteux du rôle qu'il avait
joué pendant la guerre du Vietnam, il voulut se racheter en volant au secours des pauvres du tiers-
monde. Il se mit à l'ouvrage en bon technocrate, avec l'arrogance d'un authentique croyant: "
McNamara explique dans son livre « Avec le recul: la tragédie du Vietnam et ses leçons ». « J'ai
toujours pensé que plus une question est importante, moins nombreux doivent être ceux qui prennent les
décisions… Faisant confiance aux chiffres, il pousse les pays du tiers-monde à accepter les conditions
attachées aux prêts de la Banque mondiale et à transformer leur économie traditionnelle afin de
maximaliser la spécialisation économique et le commerce mondial. Ceux qui s'y refusent sont
abandonnés à leur sort. ». « Sur ses instances, ajoute Jerry Mander, de nombreux pays n'eurent d'autre
choix que de passer sous les fourches caudines de la Banque. McNamara ne détruisait plus les villages
pour les sauver, mais des économies entières. Le tiers-monde se retrouve maintenant avec des grands
barrages envasés, des routes qui tombent en ruine et ne mènent nulle part, des immeubles de bureaux
vides, des forêts et des campagnes ravagées, des dettes monstrueuses qu'il ne pourra jamais
rembourser. (...) Aussi grande soit la destruction semée par cet homme au Vietnam, il s'est surpassé
pendant son mandat à la Banque. »

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D'autres rapports critiques contre le capitalisme débridé sont alors publiés, notamment ceux de
groupes de chercheurs présidés respectivement par Gro Harlem Brundtland et par Willy Brandt. Ces
critiques s'adressent à l'« économisme » de la Banque.

Nouvelle étape de la contestation: le mouvement écologiste prend de l'ampleur et gagne de l'influence


partout en Europe, en Amérique du Nord. Pour développer les forces de production d'une société, disent
les écologistes, il ne suffit pas d'avoir l’œil fixé sur les indicateurs classiques ni même sur les fameux
paramètres du développement humain. Il faut aussi prévoir sur le long terme les effets des interventions
dites de développement, notamment sur l'environnement. Les idéologues de la Banque sentent
immédiatement le vent tourner. Désormais, ils seront les partisans farouches du développement
durable*.

En 1993 s’est tenu à Vienne la Conférence mondiale sur les droits de la personne. Contre les
Américains et certains Européens, les nations du tiers-monde ont imposé la reconnaissance des droits
économiques, sociaux et culturels. Avant de se préoccuper des droits civils et politiques, donc des droits
démocratiques classiques, il est indispensable de satisfaire les droits sociaux, économiques, culturels.
James Wolfensohn publia alors rapport sur rapport, déclaration sur déclaration. La Banque mondiale,
comme de bien entendu, serait à l'avant garde du combat pour la réalisation de ces droits. A Prague, en
septembre 2000, l’actuel président, James Wolfersohn, successeur de McNamara, fit même un discours
émouvant sur le sujet.

Préface de James Wolfensohn in The World Development Report, Oxford University Press, 2001, p. 5.

Laurence Boisson de Chazournes, « Banque mondiale et développement social », in Pierre de Senarclens, Maîtriser la
mondialisation, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 2001.

Ben-Laden Génie du mal ou moderne Dr Mabuse pour les uns, il a pu apparaître aux yeux de millions
de personnes à travers, notamment, le monde arabo-musulman, comme un héros. Plus même qu'un
héros, comme un messie, « celui qui, désigné et envoyé par Dieu, vient délivrer l'humanité du mal »...

S'il ne saurait se poser en Dieu, l’homme peut implicitement s'identifier au Prophète en exil, à Saladin
chassant les croisés ou à Hassan Sabah, le « Vieux de la montagne », chef de la secte des Assassins. Son
idéologie repose par ailleurs sur le confort intellectuel d'un racisme sans états d'âme. Les ennemis sont
« les croisés et les juifs », « les hypocrites et les mécréants », comme le démontre la fatwa lancée en
1998 en soutien à cheikh Oman Abdoul Rahman, condamné pour le premier attentat contre le World

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Trade Center. Celle-ci exhorte « tout musulman à tuer des citoyens américains, qu'ils soient militaires
ou civils ». On retrouve ici certains simplismes du discours de Khaled Kelkal, un des auteurs des
attentats commis en France en 1995, selon qui les juifs avaient inventé le chiisme pour affaiblir le
sunnisme. L'objectif s'annonce très ambitieux. De l'avis de tous les experts, les réseaux financiers
n'obéissent à aucune organisation rationnelle telle qu'on peut la concevoir en Occident. Jouant de
l'absence de toute comptabilité publique ou privée dans des pays comme l'Arabie saoudite, mais aussi de
l'opacité cultivée par les milieux d'affaires occidentaux qui veulent conserver, aux marges du marché,
des mécanismes de financement aveugles ou des places offshore très discrètes, les terroristes se sont bâti
des nébuleuses financières complexes où les porosités entre systèmes légal et illégal sont permanentes.

Comme l'avait fait le militant américain d'extrême droite Timothy McVeigh, auteur de l'attentat
d'Oklahoma City (168 morts) en avril 1995, Ben Laden a manipulé la révolution de l'information à son
avantage. L'un et l'autre ont compris que les petits possèdent des capacités d'action, ignorées par les
grands Etats du fait de leur aveuglement, aux conséquences immenses.

Milliardaire de 47 ans au moment des faits, originaire d'Arabie Saoudite (les autorités saoudiennes lui
ont retiré sa nationalité en 1994), Ben Laden est un leader islamiste redouté. Fils d'une famille richissime
(le magazine américain Forbes le présentait comme l'une des plus grandes fortunes de la planète, sans
que cette version soit contestée), ses proches le décrivent comme quelqu'un d'intègre et comme un
croyant emporté.

En 1979, il s'engage en Afghanistan aux côtés des militants islamistes. A l'époque, Ben Laden est
soutenu et " formé " par les… États-Unis et dévient agent américain. Installé en Afghanistan où il est
protégé par le régime taliban, Ben Laden semble avoir organisé un réseau terroriste mondial dont les
acteurs sont formés dans des "centres d'entraînement" spéciaux. Lors de la guerre du Golfe, Ben Laden
se retourne contre ses "amis" et commence sa lutte anti-américaine. Il est soupçonné d'avoir commandité
et dirigé les attentats contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya qui avaient fait 257
morts en 1998 et il est considéré comme le responsable des attentas du 11 septembre 2001 à new York.

Chef d'Al-Qaida*, ses proches appellent le « cheikh Oussama » ou « émir Ben Laden » car ses
connaissances religieuses ne lui permettent pas de prétendre à un statut de docteur de la foi. Mais, dans
les cassettes qu'il a fait parvenir à la chaîne Al-Jazira, il n'hésite pas à se placer devant une grotte, en
référence à Mahomet chassé de La Mecque. Sur fond de caverne afghane, l'autoportrait d'un homme au
regard étrangement doux... Du jour au lendemain, cette image a fait de lui, inconnu à la veille du 11

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septembre, la personne la plus célèbre du monde. Et qui n'hésite pas à inventer un terrorisme de type
nouveau. Chacun comprend qu'avec lui on a désormais affaire a un terrorisme global. Global dans son
organisation, mais aussi dans sa portée et ses objectifs. Et qui ne revendique rien de très précis. Ni
l'indépendance d'un territoire, ni des concessions politiques concrètes, ni l'instauration d'un type
particulier de régime. Même l'agression du 11 septembre n'a toujours pas été officiellement revendiquée.
Cette nouvelle forme de terreur se manifeste comme une sorte de châtiment ou de punition contre un
« comportement général », sans plus de précision, des Etats-Unis et plus largement des pays
occidentaux.

Aussi bien le président George W. Bush, parlant - avant de se rétracter - de « croisade », que M. Ben
Laden ont décrit cet affrontement en termes de choc de civilisations, voire de guerre de religion : « Le
monde s'est scindé en deux camps, a affirmé M. Ben Laden, un sous la bannière de la croix, comme l'a
dit le chef des mécréants Bush, et l'autre sous la bannière de l'islam. »

M. Bush ne s’attendait sans doute pas à l’arme religieuse, lui qui sait si bien la manier. Le président
américain ne cessait pas de parler de Dieu. A un journaliste que lui demandait quel était son philosophe
favori, n’a-t-il pas répondu : Jésus-Christ, parce qu’il a sauvé mon cœur. Mais cette surprenante
religiosité es vieille comme l’Amérique. L’esprit de religion –disait Tocqueville -s’est toujours mêlé à
« l’esprit de liberté », pour une raison simple, étrangère à notre tradition : aucune religion ne s’est
opposé à la révolution américaine. La religion produisait de la morale et la morale était bonne pour
l’ordre politique.

Ben Laden commit pourtant deux fautes d’interprétation. Il croyait qu’un détruisant les touts du Warld
Trade Center le nombril du capitalisme s’écroulerait. Il n’a pas compris qu’en frappant ce lieu
symbolique, véritable microcosme de l’Amérique multiculturelle, où cohabitent toutes les professions,
les ethnies et les clases sociales, il touchait l’Amérique toute entière, provoquant ainsi un immense
sursaut patriotique et un soutien massif au président élu à la suite d’un coup d’État légal. Et pourtant, ce
patriotisme n’est pas unanime. Les sondages montrent bien l’existence de divisions profondes au
moment de l’invasion d’Irak. Les libéraux –la gauche américaine -, et les Noirs, démocrates à 90%,
étaient majoritairement contre la guerre. La guerre était plutôt une affaire de républicains.

BERD La Banque européenne pour la reconstruction et le développement a été fondée peu après la
chute du Mur de Berlin, sur l’idée de François Mitterrand, dans le but d’aider les initiatives privées et
de faciliter la transition des pays de l’ancien bloc communiste vers l’économie de marché.

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Régulièrement, la BERD participe également au financement de projets dans les médias, la sûreté
nucléaire, l’environnement, les industries manufacturières, la distribution, l’immobilier et le tourisme.

La Bird a été au départ présidée par Jacques Attali, contraint à la démission en 1993, après avoir été
mis en cause pour sa gestion. Lui ont succédé le Français Jacques de Larosière, ancien gouverneur de
la Banque de France, l’Allemand Horst Köhler, parti au bout de vingt mois pour prendre la tête du
FMI, depuis juillet 2000, le Français Jean Lemierre, ancien directeur du Trésor.

http://www.ebrd.com/.

Black Blocs Pour commencer, signalons qu'il est faux de parler de black bloc, il faudrait dire black
blocs, au pluriel, car sous cette étiquette il n'y a jamais eu un groupe unique, mais une vaste constellation
de personnes, d'organisations et de collectifs, appartenant à la mouvance libertaire au sens large et
revendiquant une pratique radicale. On n'est donc pas du black bloc, on constitue un black bloc. Et ce
sont en fait leurs actions, toujours marquées par un haut niveau de combativité, de fluidité et de
solidarité, qui rendent les BB visibles et singuliers. L'usage des masques et des passe-montagnes leur sert
à conserver l'anonymat, les protégeant ainsi de la répression. "Ce n'est pas du romantisme, expliquent-ils
dans un de leurs textes, Big Brother nous observe !" Et l'enquête judiciaire ouverte après les événements
dans le but d'inculper certaines des personnes arrêtées sur la base des tatouages visibles dans les films,
est là pour nous montrer qu'il ne s'agit pas d'une précaution superflue

Depuis Seattle et les manifestations contre l’OMC, fin 1999, de « black blocks » sont présents dans
toutes les manifestations altermondialisation, qu’ils tâchent de radicaliser en y intégrant la violence.
Mais le black blocs n’a pas été inventé à Seattle. Ce mouvement était connu pour ses batailles de rue
avec la police, mais aussi parce qu’ils opposaient une alternative radicale aux mouvements existants. En
fait, il s’agit d’une tactique, semblable à la désobéissance civile. On peut dire qu’un black bloc n’est
qu’un regroupement d’anarchistes temporaire qui représente un imprévu dans une manifestation.
L’essence d’un black bloc change d’une action à l’autre, mais les objectifs principaux sont d’assurer la
solidarité face à un état policier répressif et faire passer le message critique anarchiste au sujet de
l’évènement en cause ce jour-là. L’une des tactiques consiste à occuper certaines rues pour créer une «
TAZ » (zone autonome temporaire) et s’attaquer à tous les symboles du capitalisme. « Nous considérons
que la destruction de la propriété n’est pas un geste violent, à moins que cela ne détruise des vies ou
cause des blessures. La propriété privée - en particulier celle des entreprises - est elle-même infiniment
plus violente », expliquaient-ils après Seattle.

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Il y avait de nombreux black blocs dans des manifestations pendant la décennie 90. L’un des plus
importants fut celui de 1999 pour Millions for Mumia à Philadelphie, avec environ 1500/2000
participants. C’était un bon exemple d’un black bloc non violent dont le but ce jour là était de montrer sa
solidarité avec Mumia Abu-Jamal* et de rappeler aux gauchistes qu’ils ne devaient pas les sous-estimer
(en fait, plusieurs articles de la presse de gauche suite à « Millions for Mumia » ont totalement fait
l’impasse sur la présence anarchiste à cette manifestation).

Apparus dans les medias à peu près à l’époque de la Guerre du Golfe, les Blak bloc s’inspirent des
mouvements des Autonomes en Allemagne de la décennie 80. En fait c’est la police allemande qui leur
a octroyé ce label « black blocs », le noir étant la couleur de l’anarchisme. Beaucoup d’entre eux vont
jusqu’à porter du noir, ce qui, paradoxalement, leur permet de rester anonymes.

Ces garçons - et ces filles - , très jeunes, n’on pas de parti. Ils se définissent comme « un ensemble
d’individus ou de groupes qui se rassemblent de façon spontanée ou organisée à l’occasion d’actions
politiques ». On n’entre pas dans une « organisation black bloc » comme on veut. Ils entreprennent des
actions variées, y compris des destructions. Le black bloc qui a défilé à Seattle pendant les
manifestations anti-OMC du 30 novembre 2000 est celui qui a déclenché la surveillance nationale des
black blocs.

http://www.indymedia.org http://france.indymedia.org http://belgium.indymedia.org


http://www.samizdat.net http://www.alternet.org

Bové, José. Une imposante paire de moustaches, un teint rougi, une bouffarde culotté au gris, un œil
malin, un langage simple, direct : l’inverse du monde glacé et cravaté des Organisations Mondiales,
Banques et Fonds, José Bové est devenu l’archétype , celui qui a donné sa trogne au mouvement
international d’opposition a la Mondialisation libérale.

Récemment une armée de gendarmes avec hélicoptères et chiens dressés a permis son enlèvement à
domicile, non sans quelques déprédations inutiles. On a les guerres d’Irak qu’on peut, et il fallait bien
éliminer cette armée de destruction massive qu’est la parole d’un homme libre.
Pourtant, le 12 août 1999, lorsqu’il entreprend le démontage du McDonald’s de Millau avec quelques
dizaines d’éleveurs de brebis du Larzac, il est totalement inconnu du grand public. Pourtant, en
seulement quelques heures, son visage va symboliser à travers le monde la lutte contre la mondialisation.
Le combat contre la malbouffe se diffuse instantanément sur l’ensemble de l’Hexagone, sinon de la
planète. José Bové, qui lutte contre la rétorsion américaine à l’encontre du roquefort, trouve même le

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soutien de paysans aux Etats-Unis qui collectent des fonds pour payer sa caution et le faire sortir de
prison.

Militant paysan, José Bové n’a jamais quitté les chemins de la non-violence active, qui sans jamais
s’en prendre aux hommes, rectifie l’usage des biens et fait de lui un réformiste radical. Libertaire et
pragmatique, avec un goût prononcé pour l’action subversive symbolique, J. Bové est devenu au fil
des luttes paysannes, notamment celle pour l’accès à la terre et celle contre les Organismes
génétiquement modifiés, un leader de la lutte altermondialiste.
Joseph Bové est né à Talence (Gironde) le 11 juin 1953, d’un père luxembourgeois, Josy, ingénieur

agronome et d’une mère française, Colette, professeur de sciences naturelles, qui deviendront tous les

deux chercheurs à l’Institut National de la Recherche Agronomique (Inra). La petite enfance de Joseph

Bové se passe pour partie aux Etats-Unis, en Californie, où ses parents approfondissent leurs études, à

l’université de Berkeley de 1956 à 1959. Epoque où le petit « José » fréquente la maternelle du lieu ; il

s’y initiera au bilinguisme, qu’il développera à son retour en France dans une école primaire parisienne.

A son retour, la famille s’est installée à Paris, puis à Versailles, à proximité du centre Inra où les parents

travaillent … et agrandissent la famille. José devient l’aîné de trois garçons. Pédagogues, les parents

éveillent les enfants à la nature, via la pratique du camping, les marches, la découverte des parcs

naturels. Après le collège public de Marly le Roi, J. Bové se retrouve en pension dans un lycée

catholique sous contrat, d’Athis-Mons (diocèse de Versailles). L’ébrouement de Mai 68 touche le lycée

par ricochet : le diocèse préfère fermer l’établissement plutôt que de risquer une contamination par la

rue ! Cela donne le temps au jeune Bové de fouiner dans les librairies pour nourrir sa curiosité et son

questionnement sur le monde. La lecture des anarchistes du XIXe siècle le tient à l’écart des systèmes de

pensée autoritaire inspirés par le marxisme. La polarisation de ses copains sur les révolutions chinoise ou

cubaine l’incite à réfléchir sur la libération de l’Inde sous la houlette du pacifique mais radical

Mohandas Gandhi. Suivront les découvertes de Martin Luther King et d’Henry David Thoreau.

Malgré une exclusion pour dissertation « provocatrice », sa scolarité mène J. Bové au baccalauréat B,

obtenu avec mention, à Paris, en 1971.

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Entre temps, les parents ont pris des responsabilités dans l’antenne bordelaise de l’Inra. J. Bové va

habiter à Bordeaux. Une très brève apparition en fac de philosophie et, parallèlement, un début de classe

préparatoire en hypokhâgne, persuadent le petit-fils d’horticulteur luxembourgeois que l’essentiel est

moins dans la contrainte théorique d’une pensée révolutionnaire que dans la cohérence entre ce que l’on

pense et ce que l’on vit. Il trouve la société trop militarisée, réfute le « parapluie nucléaire », quitte les

études, vit de petits boulots et se consacre au militantisme anti-militariste. Il colle des affiches avec les

militants du Mouvement pour le Désarmement, la Paix et la Liberté; il défend les objecteurs de

conscience et les insoumis contre l’acharnement des tribunaux militaires à vouloir leur faire passer la vie

en prison. C’est dans ce milieu pacifiste qu’il rencontre Alice Monier, qui sera pendant 29 ans sa

compagne, et la mère de leurs deux filles (nées en 1975 et en 1978 ). Toujours dans ces réseaux chrétiens

et libertaires non violents, J. Bové rencontre Jacques Ellul, éminent philosophe et théologien protestant,

professeur à Sciences-Po Bordeaux. J. Ellul théorise brillamment la façon dont l’économie et l’Etat sont

victimes de la Technique. Son analyse de la logique qui conduit à l’autonomie de la technique et la façon

dont elle commande à la société mène JB et ses amis à une radicalité différente de celle des mouvements

d’extrême gauche. Ces derniers s’enferment dans les logiques de conquête du pouvoir pendant que J.

Bové remet, déjà, en cause le productivisme, fils de la Technique, et la société de consommation, mère

de l’asservissement volontaire. A la logique de pouvoir de l’extrême gauche, José oppose celle du

contre-pouvoir. Il est de ceux, rares, qui tous les vendredis assistent aux procès du Tribunal Permanent

des Forces Armées de Bordeaux, pour aider les prévenus et faire des fiches sur tous les procès : un

travail phénoménal qui aide les avocats et jeunes magistrats militants contre ce tribunal d’exception.

Ce réseau antimilitariste est des premiers mobilisés contre le projet d’extension du camp militaire du

Larzac. J. Bové et ses copains créent un « comité Larzac » , pour soutenir la lutte des paysans contre

l’armée. A Pâques 1972, Lanza del Vasto, apôtre de la non violence et chef spirituel de la Communauté

de l’Arche, installée sur le Larzac, jeûne pendant 15 jours pour unir les paysans sur le plateau : ils font

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serment de ne jamais vendre à l’armée. Le soutien national s’appuie sur ce serment, ce rapport à la

terre, lieu de travail et de vie. Dès la première manifestation des 103 paysans menacés d’expulsion, à

l’extérieur du Larzac, à Rodez le 14 juillet 72, le groupe de Bordeaux fait partie du service d’ordre non-

violent. Le Larzac, s’inscrit alors dans les préoccupations majeures du couple Bové-Monier.

A l’approche de sa convocation au service militaire, J. Bové se déclare objecteur de conscience. Ce

statut lui est refusé en 1974 : en attendant le résultat de l’appel devant le Conseil d’Etat, il opte pour le

maquis et se cache près d’un an sous la figure d’une ouvrier agricole dans une ferme agrobiologique

landaise, où il transforme le lait de vache en beurre et yaourts. Métier appris auprès des paysans

pyrénéens pendant les stages volontaires où, avec sa compagne, ils font leurs premiers pas d’ouvriers

agricoles dans les fermes de haute montagne de la vallée d’Aspe puis du Pays basque. Région où ils

projettent de s’installer comme agriculteurs biologiques.

Sur le Larzac, lors d’une réunion à l’Hospitalet, à Pâques 1973, J. Bové croise pour la première fois

Bernard Lambert. Le leader des Paysans-Travailleurs, est venu proposer l’idée d’un rassemblement de

tous les paysans de France et des mouvements sociaux sur le plateau, pour soutenir la lutte contre

l’extension du camp militaire.

Les rassemblements sur le Larzac, en 1973 et 74 ( « des moutons pas des canons » , « le blé fait vivre les

armes font mourir »), voient converger l’ensemble de la contestation sociale de l’époque (paysans,

ouvriers en grève, objecteurs, prisonniers, féministes, régionalistes etc …). On y retrouve J. Bové

participant à la construction de la bergerie de la Blaquière, symbole de la résistance du Larzac face à

l’armée.

Hiver 1975 : : afin de ne pas laisser 1000 hectares d’un seul tenant, vide de tout occupant, les paysans
du Larzac décident d’installer des squatters dans les fermes achetées par l’armée, comme autant de
verrous face au projet militaire. Aux yeux des Bové-Monier, le Larzac représente la cohérence :
l’aspiration à vivre dans une ferme et la lutte antimilitariste. Ils se portent volontaires et s’installent,
dans le plus grand dénuement, en février 1976, à Montredon, en lisière du camp militaire, dans la

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maison où ils vivront pendant 24 ans. Au départ, il n’y a ni route, ni eau, ni électricité, ni téléphone.
Aucune banque ne prête à des fermiers squatters de l’armée. Ils démarrent une exploitation aux
allures de survie, sur laquelle ils prouvent leurs qualités professionnelles. Une agriculture de
résistance, complétée par les petits boulots de maçonnerie que J. Bové trouve à faire aux alentours.

En juin 1976, J. Bové est des 21 personnes qui pénètrent dans le camp militaire de La Cavalerie et
s’emparent des documents attestant des ventes de terrains. Trois semaines de prison.

On le retrouve en 1977, au volant d’un des 90 tracteurs qui entrent jusqu’au milieu du champ de tir
militaire, avec sur chacun de leurs gardes-boues un soldat contestataire en cagoule, délégué par les
« comités de soldats ».
En arrivant au pouvoir, en 1981, la gauche donne raison aux dix années de lutte des paysans du
Larzac. Mais, sous la pression de la FNSEA, elle abandonne l’idée des offices fonciers. Avec le
cabinet d’Edith Cresson, alors ministre de l’agriculture, les paysans du Larzac, dont J.Bové qui a
rejoint la Confédération Nationale des Syndicats de Travailleurs Paysans, gardent l’esprit des offices
pour mettre sur pied les règles d’usage des terres libérées par l’armée. Ils inventent un cadre juridique
de gestion collective des terres qui favorise l’installation de nouvelles exploitations, plus que
l’agrandissement des fermes existantes. Au dire de B. Lambert « le Larzac, devient le laboratoire
foncier de la France ». Comme ses camarades producteurs de lait de brebis, et avec eux, J. Bové lutte,
avec succès, pour la maîtrise et une répartition plus équitable de la production de Roquefort.
La ferme de J. Bové est jumelée à une ferme voisine pour former un Groupe d’Exploitation en
Commun de 5 associés. Aujourd’hui, le Gaec est diversifié en production de lait de brebis et en
viande. Une partie du lait est livrée aux caves de Roquefort, l’autre est transformée sur place en
fromages. La viande des brebis, vaches et cochons est vendue directement sur les marchés, sans
intermédiaire, via un Groupement d’Intérêt Economique, le GIE des Grands Causses, qui regroupe 12
fermes.
La réussite économique du Larzac, pérennisé aujourd’hui par une seconde génération de paysans,
prouve, à l’inverse des théories dominantes, qu’en développant le social, les paysans ont créé de
l’économie.
Dès lors, le « plateau du Larzac » entend pratiquer un « retour de solidarité » avec les mouvements
qui l’ont soutenu et avec toutes les luttes du monde qui pratiquent une résistance non-violente.
Amérindiens, paysans japonais, kanaks, palestiniens, fermiers américains, latino-américains, indiens
… trouvent dans le Larzac un porte-voix de leurs luttes et un espace d’échange d’expériences.

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En 1984, J. Bové est de ceux qui organisent une rencontre avec les indépendantistes kanaks ; elle
débouchera sur un voyage en Kanaky, d’une délégation du plateau pour populariser les méthodes de
lutte non violente.
De 1987 à 1991, J. Bové siège au secrétariat national, l’organe de direction de la jeune Confédération
paysanne ; il est réélu au Comité national (le parlement du syndicat) jusqu’en 1997. Puis,
conformément aux statuts, il cédera sa place après dix ans de responsabilités nationales.
Avec son compère François Dufour, paysan normand confédéré, il pousse, en 1992, la Confédération
paysanne à être des membres fondateurs de Via Campesina*, l’Internationale paysanne qui entend
s’opposer à la libéralisation des échanges agro-alimentaire que cherche à imposer l’Organisation
Mondiale du Commerce.
Sympathisant de Greenpeace depuis 1974, le paysan de Montredon participe avec d’autres
Larzaciens, à la campagne de 1995 contre le reprise des essais nucléaires décidée par J. Chirac,
président de la République. Il est un des membres de l’équipe du Rainbow Warrior qui débarque à
Muroroa. Le lendemain du premier tir nucléaire, J. Bové et trois autres paysans du Larzac manifestent
avec les syndicalistes polynésiens qui bloquent l’aéroport de Papeete. Les 4 Larzaciens seront
inculpés avec 59 Polynésiens.
En pleine crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine, en 1996, le gouvernement français cache
l’importance des importations de farines animales britanniques sous embargo: un groupe de paysans
de la CP, dont J. Bové, envahit le service central des douanes à Toulouse et dérobe les documents
statistiques qui prouvent des importations illégales de farines anglaises de 1988 à 1996. La CP porte
plainte et remet les documents saisis à un juge d’instruction ; plainte sans suite à ce jour.
En 1997, J. Bové fait partie de la première action française contre les organismes génétiquement
modifiés, à Nérac, dans le Lot et Garonne. On le retrouve régulièrement dans ce combat contre le
brevetage du vivant et contre les risques de pollution génétique ; ainsi de la destruction (en 1999) de
plants de riz transgéniques produits par un établissement public de recherches, le Cirad. Ces actions
lui valent, en 2002, une condamnation à 10 mois de prison ferme plus 4 mois avec sursis.
En 1999, pour répliquer au refus européen d’importer les viandes hormonées, les Etats Unis surtaxent
à 100% une partie de leurs importations européennes, dont le Roquefort. Pour protester contre ces
mesures de rétorsions, la Confédération paysanne de l’Aveyron mobilise paysans et consommateurs
contre la malbouffe aux hormones et démonte symboliquement un fast-food Mac Donald’s, en
construction à la périphérie de Millau. Avec l’impact planétaire que l’on sait. Pour cette action, dix

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paysans sont condamnés, dont J. Bové qui écope de la plus forte peine : trois mois de prison ferme,
qu’il purge en 2002.

En 2001, alors que, dans l’indifférence des institutions internationales, les violences redoublent au
Proche-Orient, J. Bové est des altermondialistes qui mettent sur pied la « Campagne civile
internationale pour la protection du peuple palestinien » : en accord avec des associations israéliennes
et palestiniennes, des volontaires internationaux de la société civile, s’organisent en mission
d’interposition non-violente entre l’armée israélienne et les civils palestiniens. J. Bové retrouve la
Palestine lors de la 11ème mission, en mars-avril 2002. Il entend rejoindre des paysans palestiniens
pour célébrer avec eux la Journée de la Terre. Les circonstances en décident autrement. L’armé
israélienne assiège alors le QG du président palestinien, Y. Arafat. A la demande des médecins de
l’hôpital de Ramallah, les militants pacifistes réussissent à franchir le barrage militaire pour porter
médicaments et trousses de chirurgie au palais présidentiel, déjà très endommagé par les tirs de
canons. En jouant volontairement les boucliers humains, les « internationaux » empêchent, par la
portée médiatique de leur présence, l’assaut qui aurait pu coûter la vie au Président. Le paysan a
démontré que le pot de terre est plus fort que le pot de fer.
Elu secrétaire national et porte- parole international depuis 2000, J. Bové représente la Confédération
paysanne dans tous ses engagements internationaux et participe à la réflexion des réseaux
altermondialistes.

A lire :: Entretiens avec Gilles Luneau (La Découverte, 2000,228 p


José Bové. La révolte d’un Paul
paysan, Arès/Christian Terras Editions Golias
La longue marche de José Bové. Denis Pingaud – Seuil
Le monde n’est pas une marchandise : des paysans contre la malbouffe, de José Bové et François Dufour.

Bretton Woods Pour les États-Unis, vrai vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il s’est
incorporé bien tard, la paix, en 1945, doit servir à renforcer sa domination… La fin prochaine du conflit
pose en termes d’urgence la relance des échanges internationaux et la reconstruction des économies
détruites. Deux conditions devaient être impérativement remplies pour les Américains: l’existence d’un
système monétaire stable, qui assurerait la reprise et la progression des échanges, et la remise en marche
des économies durement touchées par le conflit, notamment celles d’Europe occidentale.
De cette vision découlent les accords pris en juillet 1944 à Bretton Woods ( New Hampshire, Etats-
Unis), lors d’une conférence qui réunit des experts économiques (dont Keynes) et chefs d'État ou de

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gouvernement alliés. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, aujourd'hui
largement discrédités, sont issus de cette conférence, vivement souhaitée par les États-Unis. Quarante-
quatre pays y étaient présents; l’U.R.S.S., sollicitée, ne participera qu’aux travaux préparatoires mais
non à la conférence elle-même. Quant à la France, elle sera représentée, au titre du Comité français de
libération nationale d’Alger, par une délégation dirigée par son commissaire aux Finances, Pierre
Mendès France. Ils ont tous mis en place les institutions destinés à prévenir les crises économiques,
comme celle des années 30.

L’outil principal de ce changement sera la déréglementation. Son credo reposait sur la certitude que les
lois de la science économique sont universelles. En conséquence, il était exclu d’admettre, comme par le
passé, qu’il pût avoir une analyse spécifique des économies en développement ou des économies en
transition vers l’économie de marché. Les lois néo-libérales ne peuvent admettre une autre vérité que
celle du marché.

En 1945, le système monétaire international a pour centre naturel les États-Unis, qui produisent la moitié
de la richesse mondiale; leur monnaie, le dollar, est équivalente à l'or (35 $ l'once). Cette position
centrale leur impose de veiller à ce que leur monnaie ne soit pas attaquée (si elle l'est, ses détenteurs
l'échangent contre de l'or et précipitent sa chute).

Le 15 août 1971, le président des États-Unis suspend la convertibilité du dollar en or et, en même temps,
procède à une quasi-dévaluation. Cet acte représente une première victoire de la finance concentrée et
ouvre la voie aux mesures plus radicales de libéralisation et de déréglementation financières entreprises à
partir de 1979. Par ce geste historique, la liberté de manœuvre monétaire des États-Unis est rétablie,
mettant fin à « l'indifférence bienveillante» (benign neglect), qui doit guider la puissance gardienne d'un
ordre monétaire.

C’est dans ce climat d’euphorie que de nouvelles équipes prennent le pouvoir en Grande Bretagne et aux
Etats-Unis. Ce sont elles qui vont faire la « révolution conservatrice ». Margaret Thatcher entre au 10,
Downing Street avec un programme économique qui affiche un néo-libéralisme agressif, double d’un
antikéynésianisme. Elle commence à affirmer sa détermination en écrasant une grande grève de mineurs
dont les syndicats étaient porteurs d’une longue tradition en faveur de l’intervention économique et
sociale de l’État. Á partir de là, la page étai tournée. Il devenait possible de déréglementer l’économie et
d’entreprendre une série de privatisations qui vont expulser les entreprises publiques des « hauteurs
dominantes » de l’économie – selon la formule de Beveridge , un disciple de Keynes et le père du
Welfare state, l’État-providence.

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Cette situation est encore renforcée par la croissance très rapide de la dette publique américaine à
partir de 1980-1982. Les Etats-Unis montrent qu'ils sont le seul pays capable de contracter une dette
publique très élevée sans subir immédiatement la «sanction des marchés ». Encore mieux, ils peuvent
donner aux bons du Trésor américains le statut d'actif financier qui représente la « valeur refuge» par
excellence. Dans les années 1990, ils imposent aux pays d'Asie orientale une dérégulation généralisée de
leurs marchés financiers. A travers le FMI et les autres institutions de Bretton Woods, ils forcent ces
pays à adopter un modèle économique néo-libéral exigé par le capital américain en contrepartie de ses
investissements. Cette stratégie, et non le « capitalisme de connivence » ou une « mauvaise
gouvernance », comme on l'a souvent entendu dire, est la raison fondamentale de la grave crise asiatique
de 1997. Elle engendre un effondrement qui précipite une part importante des classes moyennes dans la
pauvreté, alors que les investisseurs occidentaux, eux, sont tirés d'affaire. Ce « laisser-faire » américain à
l'égard de ses anciens alliés sud-coréens ou thaïlandais, par exemple, aurait été inconcevable pendant la
guerre froide, puisque l'Union soviétique n'aurait pas manqué d'en tirer parti.

Lire: New World Coming - American Security in the 21st Century », Publications du Congrès, Washington DC, 1999.

Philip S. Golub, « Rêves d'Empire de l'administration américaine », Le Monde diplomatique, juillet 2001.

La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion, Paris, 1972.

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Chao, Manu Leader de la ex-Mano Negra, un des groupes les plus énergiques de la scène alternative
française des années 80-90. Après un succès incommensurable avec son groupe, il décide en 98 de se
consacrer à sa carrière solo en sortant Clandestino...esperando la última ola, un album haut en couleur,
un album dans lequel on ressent les bases de la Mano avec une grosse influence sud-américaine, le tout
merveilleusement orchestré et interprété. Il remporte la Victoire de la Musique du meilleur Album de
Musique du Monde.

Il a grandi à Sèvres, pas très loin des usines Renault, entre des copains, fils d'ouvriers portugais et
arméniens, fous de foot et têtes brûlées.

L'adolescence fut dédiée au rock'n'roll version 1950 - Chuck Berry, Gene Vincent... Puis, Manu avait
peu à peu redécouvert ses racines ibériques, glissé quelques flamencos dans son répertoire. Il avait
monté Joint de Culasse, les Hot Pants, Los Carayos, puis la Mano Negra, un groupe de légende du rock
indépendant français, creuset d'un métissage latino-rock-reggae-raï. La Mano fonctionnait comme une
communauté anarchiste espagnole en 1936, un kibboutz des pionniers, un laboratoire égalitaire et
individualiste où toutes les sensibilités devaient pouvoir s'exprimer.

Sa musique depuis Joint de Culasse et Mano Negra jusqu’à son actuelle carrière en solitaire suppose une
hybridité de styles traditionnels et de formes nouvelles qu’il a expérimentée depuis tout petit à une
époque de mondialisations et d’exodes massifs.

Mais ce mélange n’est ni un pastiche ni une accumulation de références sonores décousues. Il suppose
une déconstruction du logocentrisme musical, de l’étroitesse d’esprit autoritaire dans l’art ; et surtout la
perte d’un unique sens patriarcal et absolutiste de la culture et de la vie. C’est ce que l’on peut percevoir
dans sa chanson Infinita tristeza de son dernier disque Próxima estación : Esperanza, lorsqu’il reproduit
des fragments d’un dialogue entre une mère et sa petite fille pendant un cours d’éducation sexuelle pour
enfants pour, inévitablement, critiquer la famille catholique traditionnelle oppressive et machiste.

Dans des déclarations du 23 mai 2001, Manu Chao reconnaissait son admiration pour le EZLN, pour le
monde zapatiste du sous-commandant Marcos, d’où est née son idée politique d’anti-globalisation la
plus claire. Sa dette envers le projet politique zapatiste actuel atteint un point tel que ,dans une interview

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du 4 mai 2001 publiée dans El País, il admet ne soutenir fermement que ce type de guérilla, à
l’exclusion de toute autre : « Je ne défends que le EZLN, les Zapatistes, alors qu’on croit que moi,
j’appuie n’importe quelle guérilla d’Amérique latine ; c’est tout le contraire, même pas en rêve. Je vais
en Colombie, et je n’y comprends rien ; aucun message clair ne me parvient comme celui du Chiapas.
J’entends les militants du mouvement des Sans Terre brésiliens et je m’identifie à eux. Mais…. le Sentier
Lumineux, très peu pour moi. »

A Prague, en septembre 2000, lors des manifestations contre le sommet du Fonds monétaire
international (FMI), ses chansons servaient d'hymnes aux jeunes anticapitalistes. A Mexico, sur la place
du Zócalo, son concert gratuit de l'année dernière a réuni 150 000 personnes qui ont acclamé de la même
voix le sous-commandant Marcos et le rocker franco-galicien de la banlieue parisienne. En Argentine,
son exceptionnelle popularité a même fait grincer quelques dents : « Pour qui se prend-il, ce Français
aux poses de gamin des rues et aux seize cartes de crédit qui vient nous faire la morale ? », a vitupéré
Fito Paez, chanteur argentin que l’on croyait internationaliste.

Illusion d'optique. Manu Chao n'est pas candidat à la statue du Commandeur. A ceux qui voudraient lui
confier la tâche éreintante de devenir le José Bové de la musique, porte-parole à temps plein qui ne serait
plus maître de ses jours, il oppose une réserve polie et lucide, réclame le droit à l'incohérence : « Sans
arrêt, les gens exigent de moi des réponses politiques. Je leur réponds, je suis comme vous : perdu dans
le siècle, je cherche toujours la tombe de Don Quichotte. Ici ou là, je vois des petites lumières, des
points de fièvre, des endroits qui résistent, comme au Chiapas... J'en parle, je le chante, un peu, faut pas
non plus que ça me prenne la tête... »

Inutile de chercher un manifeste dans ses disques. Son engagement à lui passe moins par les mots que
par les actes. Il a quitté Virgin quand cette multinationale s’est mis à « dégraisser » ; avant, il avait
accepté de devenir membre fondateur honorifique d’Attac. Mais, dit-i-il, « Quand un type m'interpelle
en me demandant comment on fait la révolution, je lui dis : commence par faire le ménage autour de toi,
mec, tu es sûr que tu traites bien ta femme ?... Méfie-toi des grands discours qui se terminent mal,
commence par faire la révolution dans ton quartier avec des projets concrets que tu pourras réaliser. »

Lors de sa dernière tournée en Amérique latine, Manu Chao a appliqué sa méthode d'agit-prop artistique.
Dans chaque ville traversée, il repère un combat, un mouvement, une expérience locale inédite... C'est ce
lieu-là qu'il choisit pour tenir sa conférence de presse.

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« Les journalistes viennent pour m'interviewer mais, avant, ils se font un peu ambiancer par les
militants du coin... Et j'ai eu de la chance, j'ai vraiment été servi par l'histoire tout au long du
chemin... » En Bolivie, il arrive pendant les luttes contre la hausse du prix de l'eau. Des barricades sont
érigées dans tout le pays. A Mexico, il joue lors des grandes grèves des étudiants de l'Université
nationale autonome de Mexico (Unam). En Uruguay, il tient conférence de presse à Cabo Polonio, un
site naturel menacé par des promoteurs immobiliers, des écologistes sont barricadés dans des maisons
pour empêcher les bulldozers de passer à l’œuvre. Au Chiapas, il croise, à La Realidad, les journalistes à
qui Marcos vient de déclarer qu'il allait marcher sur Mexico...

A lire : Alexandre Robecchi. Manu Chao. Musique et liberté. Edit. Plon.

Souâd Belhaddad. Manu Chao et la Mano Negra. Edi. Librio

Marco Mathieu. In viaggio con Manu Chao (en italien) Feltrinelli, éditeur.

Ramón Chao. Un train de glace et de feu. La Mano Negra en Colombie. Edi. Plon.

DVD. Babylonia en guagua

Chávez, Hugo. Ce lieutenant-colonel de parachutistes tenta par un coup d'Etat, en février 1992, de
mettre un terme à trente années d'hégémonie des partis Action démocratique (AD, social-démocrate) et
Copei (démocrate-chrétien). Ceux-ci avaient alors, dans ce pays producteur de pétrole, entraîné 80 % des
Vénézuéliens au-dessous du seuil de pauvreté. Emprisonné puis libéré, le rebelle accède
démocratiquement au pouvoir en décembre 1998 (56.4 % des voix), tirant parti du discrédit des partis
jusqu'alors dominants et de la corruption de la classe politique. Approuvée par référendum en décembre
1999, une profonde réforme de la Constitution précède sa réélection, le 30 juillet 2000 lors des "méga-
élections" (présidentielles, législatives, et élections des gouverneurs des Etats), dans des conditions tout
aussi incontestables ( 59 %) En somme, M. Chávez triomphé et le Venezuela, pacifiquement, change de
mains.

Depuis, le gouvernement mène une révolution atypique : « Elle n'est ni socialiste ni communiste, car
dans le cadre du capitalisme, mais radicale et induisant de profonds changements de structure
économique », explique le ministre de la présidence, M.Rafael Vargas. Provoquant de forts boutons de
fièvre à Washington, Caracas entend également promouvoir une politique pétrolière permettant de
maintenir les prix du brut au-dessus de 22 dollars le baril, à travers la revitalisation de l'Organisation des
pays exportateurs de pétrole (OPEP). Et multiplie les déclarations contre la mondialisation néo-libérale
et en faveur d'un monde multipolaire, en opposition avec la prétention hégémonique des Etats-Unis. Son

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peu d'empressement pour épouser la « lutte antiterroriste », en particulier contre les guérillas
colombiennes, ses accords militaires avec la Chine et la Russie, son discours altermondialisation et sa
révolution font chaque jour un peu plus grincer des dents. Le 6 février 2002, le secrétaire d'Etat
américain, M.Colin Powell, met en doute, devant le Sénat, « que Chávez croie réellement à la
démocratie » et critique ses visites « à des gouvernants hostiles aux Etats-Unis et suspectés de soutenir
le terrorisme, comme Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi ».

A partir du 11 avril 2002, l’opposition de droite ( en fait patrons, propriétaires terriens et médias) décrète
une grève générale illimitée. A 13 heures, à l'Ouest de la ville, au palais présidentiel, le ministre de la
présidence, M.Rafael Vargas, le teint blême, fait irruption dans le bureau de ses collaborateurs. Le reste
du pays est calme, mais Carlos Ortega, relayé par la télévision, vient d'appeler à marcher sur Miraflores.
C'est une conspiration.

Nommé le 12 avril à la présidence, le patron des patrons, M. Carmona, dissout l'assemblée nationale,
tous les corps constitués, destitue les gouverneurs et les maires issus des urnes. Doté de tous les
pouvoirs, il peut entendre le porte-parole de la Maison Blanche, M.Ari Fleisher, féliciter l'armée et la
police vénézuéliennes « pour avoir refusé de tirer contre les manifestants pacifiques. »

La suite est connue. Se rendant sans résistance pour éviter un bain de sang, M. Chávez n'avait pas
démissionné. Le 13 avril, ses partisans, par centaines de milliers, occupent les rues et les places de tout
le pays. Dans l'après-midi, sa Garde d'honneur réinvestit Miraflores, et aide quelques ministres à
réoccuper le bureau présidentiel.

Emportés par leur penchant naturel pour la propagande, les médias avaient confondu le peuple virtuel et
le peuple réel, qui ramena en moins de quarante-huit heures M. Hugo Chavez au pouvoir. Leur
repentance a été de courte durée. Avec une férocité redoublée, profitant d'une insolite impunité, les
médias vénézuéliens poursuivent en ce moment, à coups de mensonges et d'intox, la plus grande
opération de déstabilisation jamais menée contre un gouvernement démocratique. Dans l'indifférence
générale, ils veulent cette fois réussir le crime parfait... Mais la quatrième grève nationale déclenchée
par l'opposition le 10 décembre 2002 — la plus longue de l'histoire du pays puisqu'elle dura près de
deux mois — s'est soldée à nouveau par un échec.

Lire : Frédérique Langue, Histoire du Venezuela de la conquête à nos jours, Paris, L'Harmattan, 1999 ; et Hugo Chávez et le
Venezuela. Une action politique au pays de Bolívar, Paris, L'Harmattan, 2002.
Ignacio Ramonet, « Chávez », et Pablo Aiquel, « Un président « bolivarien » pour le Venezuela », Le Monde diplomatique,
respectivement octobre 1999 et novembre 2000.

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CNUCED . Contrairement à ce que pourrait laisser croire sa dénomination, la Conférence des Nations
unies sur le commerce et le développement est une organisation internationale à part entière de la famille
des Nations unies. Le terme "conférence" désigne aussi bien l'institution que le forum d'information et de
négociation qu'elle tient tous les quatre ans.
La Cnuced est née du désir des pays en développement de voir leurs intérêts mieux pris en compte dans
les institutions ou forums internationaux à caractère économique: Banque mondiale, FMI, GATT. Sa
principale finalité est d'instaurer des relations commerciales plus équitables entre le Nord et le Sud et de
favoriser les échanges Sud-Sud, en bref de concilier commerce international et développement. Les
conditions sévères auxquelles le F.M.I. soumet l'octroi de ses prêts - et qui lui ont déjà valu la réputation
de "gendarme" économique - seraient élargies à une nouvelle exigence: une plus grande ouverture des
marchés, en particulier ceux des pays en voie de développement. On le sait, ce sont les exportations de
biens manufacturés américains qui ont le plus souffert, ces dernières années, de la récession dans le tiers-
monde.
Un "pacte libéral", formule adaptée de l'ancien "pacte colonial", semble bien, pour le moment, fournir la
recette miracle qui permettrait de sortir le monde de la crise. Or le libéralisme, on ne le sait que trop, est,
en économie, l'arme des forts. Aurait-on choisi de faire l'impasse sur les conséquences d'une récession
durable parmi les peuples pauvres? Bien des exemples ont cependant montré que la révolte ou les
révolutions inspirées par la misère coïncident rarement avec les intérêts politiques des Etats les plus
riches
A partir des années 80, la mondialisation, sous l'aspect, notamment, du libre-échangisme débridé, a
progressivement réduit à néant les quelques avantages commerciaux dont bénéficiaient les pays du Sud.
Dans le grand jeu de la globalisation, le Zimbabwe et Haïti sont réputés faire jeu égal avec les Etats-Unis
et le Japon !
La Cnuced en est réduite à publier des documents d'une tonalité critique de bonne compagnie (2) et, pour
survivre, à se couler progressivement dans l'idéologie de l'OMC. Ses conférence constituent un exemple
de ce tête-à-queue idéologique: c'est une organisation vouée au développement qui a elle-même légitimé
la baisse de l'aide publique des pays riches aux pays déshérités et préconisé le recours au secteur privé
pour faire disparaître la grande pauvreté!

Commerce équitable Commençons par différencier deux grandes tendances : le commerce éthique et le
commerce équitable. Le premier repose sur des critères moraux : la non-exploitation des enfants, la
liberté syndicale, le refus de l'esclavage, le respect de l'environnement…
Le commerce équitable, quant à lui, consiste à établir une relation entre le producteur et le distributeur,

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dans laquelle tout le monde est gagnant. Il est fondé sur des règles telles que l'aide à la création de
coopératives et des prix minimaux fixes. En échange, les producteurs garantissent qualité et respect des
délais.
Disons qu’une société peut faire du commerce éthique sans faire de l'équitable, ou l'inverse : une
entreprise peut respecter ces engagements (particulièrement si elle est basée dans un pays occidental où
la loi interdit de telles pratiques), tout en ayant pour fournisseur ou prestataire des sociétés peu
scrupuleuses.

Le mouvement est parti des Pays-Bas. Acheter « équitable » est un acte de solidarité avec des familles de
l'autre bout du monde qui vivent dans le plus grand dénuement. La prise de conscience du fait que l'écart
entre pays riches et pays pauvres ne fait que s'accentuer est un facteur déterminant. Le commerce
international laissé à la seule main du marché libéral ne permet pas en effet aux paysans ou aux artisans
du Sud de vivre dignement de leur travail : pour accroître leur compétitivité, les multinationales qui
contrôlent, par exemple, les marchés mondiaux du café et de la banane, tirent sans cesse les prix d'achat
vers le bas. Ce à quoi s'ajoute l'effet hautement déstabilisateur de la spéculation sur les matières
premières. Pour y remédier, à leur échelle, des militants ont commencé à organiser leurs propres filières
d'importation dès la fin des années 1960.

Si tout se passe bien, le commerce équitable a de beaux jours devant lui... Les optimistes soulignent qu'il
ne représente encore qu'une part infinitésimale des échanges internationaux. Les Pays-Bas ont une
largueur avance puisque, aujourd'hui, avec un chiffre d'affaires de 71,5 millions d'euro pour le commerce
équitable, ils ne sont distancés que par l'Allemagne (101 millions). La France est très en retard, avec 9,7
millions, contre 16,1 millions pour l'Italie, 51 millions pour la Suisse et 70 millions pour le Royaume-
Uni. Ces montants restent faibles en regard du potentiel. Le café équitable, sans doute le produit phare,
représente seulement 3 % des ventes en Suisse et au Luxembourg, les deux pays où sa percée a été la
plus importante. Mais le concept est « porteur » et répond à des critères précis et exigeants, difficilement
compatibles avec le développement à grande échelle auquel il est appelé.

Les consommateurs occidentaux sont tout prêts à aider directement les producteurs du Sud en achetant
« équitable ». C'est-à-dire en consommant des produits alimentaires ou artisanaux pour lesquels ils ont la
garantie qu'une juste rémunération a été versée au producteur. Ce prix doit prendre en compte ses
besoins et ceux de sa famille, en termes de formation, de santé, de protection sociale, etc. Les
importateurs s'engagent aussi à verser un acompte et à privilégier des relations commerciales durables

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avec les producteurs. Pour l'heure, en Europe, le commerce équitable représenterait un chiffre
d'affaires de 373 millions d'euro (2,45 milliards de francs) (1), et l'on estime que 800 000 producteurs
d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine bénéficient de ce système.

A lire : Nico Roozen et Frans van der Hoff. L'Aventure du commerce équitable. Jean-Claude Lattès,
Paris

J. J. Salomon , « Europe-Etats-Unis : progrès technique et myopie des économistes », Futuribles, Paris, no 211, juillet-août
1996.

Eric Bidet, L'Economie sociale, Le Monde Editions, Paris, 1997. .

Chili « Au Chili, l’économie de marché est devenue inextricablement liée à la politique des camps de
concentration », écrivait en 1980 la très sérieuse Quaterly Economic Review. Le succès de ce modèle a
été tel que l'élève fait toujours figure de meilleur élève de la classe. Certes, il n’y a pas eu de camps de
concentration au Chili, et en revanche, ce pays au eu la chance bien avant tout autre pays latino-
américain de profiter des recettes néo-libérales de l'École de Chicago. Elles ont été administrées dès
1973 à une population qu'il fallait guérir au plus vite de sa détestable propension à adopter des idéologies
étrangères - il faut lire ici « socialistes -, car les thèses de Milton Friedman, l'économiste bien connu de
l'École de Chicago, ne paraissaient, curieusement, ni idéologiques ni étrangères aux capitalistes et
militaires chiliens. Et ces recettes ont fait du Chili le « jaguar » de l'Amérique latine, version locale des «
tigres » du Sud-Est asiatique.
Quinze années d'application du modèle, sous la dictature, bouleversent l'économie, la société et le
territoire chiliens: démantèlement des entreprises publiques, dénoncé avec vigueur par la journaliste
Monckeberg dans un livre sur le pillage de l'État par les groupes économiques; ouverture aux capitaux
étrangers; restructurations complètes qui donnent le pouvoir à des groupes puissants; l'économie «
s'ouvre » vers l'extérieur, des exportations plus volumineuses et plus diversifiées tirent la croissance, le
revenu moyen s'accroît.

Si bien le « miracle » est incontestable, l'envers du prodige ne l'est pas moins: la pauvreté et 1' extrême
pauvreté ont fait une montée fulgurante, l'environnement dans son ensemble - forêts et sols, ressources
marines, eaux et atmosphère - est mis à mal, le territoire désarticulé.

Contrairement à une idée reçue, profondément ancrée et largement relayée par les médias, le succès
économique n'est pas le produit de la politique des « années Pinochet ». La prétendue bonne gestion du

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dictateur, conseillé à partir de 1975 par les « Chicago boy’s », a provoqué une crise profonde en 1982.
Ses conséquences se font encore sentir.

L’application du néo-libéralisme a conduit à la privatisation de pans entiers de l’économie chilienne:


télécommunications, énergie, transport, assurances, banques, media sont maintenant détenus pour la
plupart par des capitaux étrangers, essentiellement américains. Des chiffres récents montrent que les
soins de santé se sont dégradés pour 80% des chiliens, 56% des travailleurs sont précarisés, et seulement
25% des travailleurs toucheront une retraite.

Près de douze années ont passé depuis que les gouvernements de Concertation, unis en priorité par son
opposition à la Dictature, ont conquis le pouvoir, via un plébiscite et des élections: ils promettait au pays
de corriger ces dérives.

Mais tout se passe, depuis lors, comme si ces partis au pouvoir, dont beaucoup avaient œuvré auparavant
à la construction d'un Chili plus, juste socialement, comme s'ils avaient été subjugués par l'idéologie du
marché. Les faits sont accablants.

Le nouveau régime a continué de privatiser à tout va, avec peut-être un peu plus d'hypocrisie dans les
méthodes et dans les justifications, telle président Frei, expliquant dans son message présidentiel du 21
mai 1997 qu'il faut privatiser dans le but de donner à l'État des ressources pour lutter contre la pauvreté.
Le bilan de ces douze années est donc impressionnant: transports aérien et maritime, ports, électricité,
services sanitaires, gisements miniers nouvellement découverts, autoroutes, médias . . Ce qui reste
d'entreprises et de services publics est sur la sellette, comme l'Entreprise nationale du pétrole (ENAP), la
Corporation du cuivre (CODELCO), qui est encore la première entreprise mondiale pour l'extraction du
minerai de ce minérai, la Poste, les Chemins de fer... Et la Banque mondiale estime dans son « Rapport
sur le financement du développement» du 1 0 avril 2001 qu'à propos des privatisations il y aura encore «
de bonnes années » au Chili! Le pays aura reculé de cent cinquante années en arrière, et pourra devenir
la première république transnationale du monde », estime José Cademartori, qui fut un des ministres de
l'Économie de Salvador Allende.

Plusieurs organisations ont tenté de réagir en décembre 2002 au nouveau traité de libre-échange signé
entre les Etats-Unis et leur pays, les précédents accords n’ayant pas permis au Chili de développer ses
exportations (notamment de matières premières comme le bois ou le cuivre). Il n’y a pas de libre-
échange possible entre des économies absolument inégales. De tels traités n’ont pour but que d’assurer,
de pérenniser les flux de capitaux américains.

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Le danger de ces traités (qui préfigurent de la mise en place de la ZLEA*) réside dans l’impossibilité
pour les pays de faire marche arrière : un gouvernement qui souhaiterait mettre en place une nouvelle
politique économique n’aurait pas les moyens juridiques de le faire, une fois le traité signé, ce sont les
grandes instances internationales (FMI*, Banque Mondiale*, OMC*…) qui les régissent.

On est porté à croire, que Chili, que le seul espoir viendrait de la révolte d’une minorité (comme en son
temps celle des Chiapas* au Mexique) : celle des Mapuches, peuple indien, revendiquant ses terres et
luttant contre les grandes entreprises forestières.

A lire : Eduardo Castillo. 11 septembre 1973, trente ans après. Ke serpent à plumes. 2003.
Philippe Grenier. Des tyrannosaures dans le paradis. Editions l’Atalante. Paris
Documentaire. Carmen Castillo. Les murs de Santiago. Arte.

Chomsky, Noam "Par le pouvoir, l'étendue, l'originalité et l'influence de sa pensée, Noam Chomsky
est peut-être l'intellectuel vivant le plus important […] mais, comment peut-il écrire des choses aussi
terribles sur la politique étrangère américaine?» , s’étonne le New York Times.
Né à Philadelphie (Pennsylvanie) le 7 décembre 192 est un linguiste éminent, auteur et philosophe
politique de réputation internationale, Noam Chomsky est "Institute Professor" et professeur de
linguistique au Massachusetts Institute of Technology (MIT), membre l'Académie américaine des arts et
des sciences, membre de l'Académie nationale des sciences, et il s'est vu décerner des grades
honorifiques d'universités de par le monde. Et le Japon lui remettait le Prix des sciences fondamentales
qui, du point de vue de son prestige et de sa valeur r (350 000 $) s'apparente au Prix Nobel.

Ses parents, juifs de petite bourgeoisie, enseignaient à l'école hébraïque. Ils l'inscrivent avant l'âge de
deux ans dans une école progressiste expérimentale, où il reste jusqu'à douze ans.

Dans le New York des années 30, en vertu d'un programme d'aide aux personnes handicapées, on confie
à l'oncle de Chomsky, qui est bossu, un kiosque à journaux derrière la sortie de la station de métro de la
72e Rue et de Broadway. Le kiosque, qui ne rapporte rien, est un salon où circulent les idées radicales,
où le jeune Noam peut travailler le soir et prendre part à ces riches échanges intellectuels. C'est là que
j'ai fait mon éducation politique», déclare-t-il.

Il est connu surtout connu pour ses travaux dans le domaine de la linguistique (Le langage et la pensée
étant l'un de ses ouvrages fondamentaux) mais on oublie trop souvent qu'il fut aussi l'auteur de
L'Amérique et les nouveaux mandarins. Ce livre, publié en pleine guerre du Vietnam, allai le propulser

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dans le camp des libertaires, des anarchistes, des gauchistes, des révolutionnaires, des crypto-
marxistes. Chomsky a toujours conspué l'hégémonie de l'empire américain sur le reste du monde, mis à
nu les connexions entre les affaires et la guerre.
Son aura aux USA et à l’étranger est toujours considérable depuis vingt ans, mais, depuis qu’il a pris
position pour le révisionniste Faurisson, au nom de la liberté d’expression et de Voltaire, il a été censuré
en France. Accusé d’anti-sémitisme, il n’a été publié qu’au compte-goutte, par des maisons marginales.

Ouvrages récents de Noam Chomsky disponibles en français :

L’an 501. La conquête continue, Écosociété, Montréal, 1995 ; EPO, Bruxelles, 1995.
Les dessous de la politique de l’Oncle Sam, Le Temps des cerises, Paris, 1996 .
Responsabilités des intellectuels, Agone, Marseille, 1998.
Le nouvel humanisme militaire, Page Deux, Lausanne, 2000.
Élections 2000, Sulliver, Paris, 2001.
La conférence d’Albuquerque, Allia, Paris, 2001.
De la guerre comme politique étrangère des Etats-Unis, 11/9, Le Serpent à plumes, 2001.
Autopsie des terrorismes. 10/19. Le serpent à plumes.

Club de Rome « Il y a deux histoires: l'histoire officielle, menteuse, puis l'histoire secrète, où sont les
véritables causes des évènements. » « Le monde est gouverné par de tout autres personnages que ne se
l'imaginent ceux dont l’œil ne plonge pas dans les coulisses. » Les constatation de Disraeli et de Balzac
( respectivement), illustrent l’esprit et les activités de cette Association internationale fondée le 8 avril
1968 lors d'une réunion à Rome.

Présidé par l’Italien Aurelio Peccei, le Club regroupait alors des membres de l'establishment
international de 25 pays, soit une cinquantaine de personnes, occupant des postes importants dans
leurs pays : un recteur d'université allemande, un directeur de l'OCDE, un vice-président d'Olivetti,
un conseiller du gouvernement japonais...

A la base de cette association se trouvait un club supranational fondé sur une initiative du prince
Bernhard des Pays-Bas en mai 1954 dans l'Hôtel de Bilderberg à Osterbeek. L'idée était de réunir des
membres de l'OTAN pour harmoniser la politique internationale des Alliés. L'adhésion au Groupe se
fait strictement par cooptation et ses membres ont interdiction de parler ouvertement des débats et
décisions qui y sont prises. Le Groupe de Bilderberg est essentiellement composé de personnalités du
monde des affaires et de la politique, sélectionnés en fonction de leur "mérite". La plupart viennent
des pays occidentaux - les européens représentent environ les deux tiers des membres. Bien que
l'organisation interne du Groupe demeure secrète, on sait qu'il existe un "comité de pilotage"

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59
composé de quelques membres permanents, qui parrainent et soutiennent la carrière de quelques
personnalités triées sur le volet.

Depuis la création du groupe , les conférences se tiennent tous les ans dans un pays différent, la
plupart du temps en Europe. Un hôtel de luxe à l'écart des centres urbains est retenu à cet effet et est
occupé pendant plusieurs jours. Les discussions se déroulent à huis clos, sous haute protection. Une
confidentialité totale est exigée des participants. Aucune conférence de presse n'est donnée à la fin
des débats.

Cette confidentialité partagée par la presse alimente le défi que pose ce « forum » à la démocratie. Il
est probable que les gourous du groupe Bilderberg entendent conjurer le discrédit que pourrait jeter
sur les institutions démocratiques l'existence au vu et au su des citoyens d'un type de forum aussi
original, ce qui n'est pas signe d'une conscience tranquille dans le fond. Ulf Bjereld, professeur de
sciences politiques à Göteborg, résume ainsi la situation : « des gens de pouvoir élaborent des
consensus derrière des portes closes sur des enjeux politiques d'actualité » . Des décisions politiques
officielles peuvent être conditionnées ou prédéterminées par des ententes dont nous ignorons, en
raison du secret qui les entoure, les véritables tenants et promoteurs.

En mai 1973, le Groupe aurait décidé d'augmenter le prix du pétrole de 400 %. Henry Kissinger,
membre de la ligue, aurait alors - selon l'écrivain F. William Engdahl - orchestré la guerre de Kippour
opposant l'Israël à l'Egypte et à la Syrie en Octobre. Protégé du milliardaire David Rockefeller
(membre fondateur, qui le finance encore de nos jours), Kissinger négocia une paix favorable pour
l'Egypte, qui récupéra des puits de pétrole. L'objectif principal de cette stratégie était de s'assurer que
les milliards de pétrodollars des puits arabes seraient investis dans des banques de Londres et de New
York. Ceci devait permettre de stabiliser le dollar qui, n'étant plus indexé sur l'étalon-or depuis 1970,
était alors menacé d'une brusque dévaluation.

Aujourd’hui, le Club regroupe à peu près 200 personnes de l'élite industrielle et économique des
Etats-Unis, du Japon et de l'Europe de l'Ouest. Il a pour but d'accélérer le processus de mise en place
du gouvernement mondial unique. Ces décisions seront habilement retransmises aux peuples par
l'intermédiaire de ses membres qui ont la main mise sur les plus grands organismes médiatiques de la
planète. Cependant, le 14 septembre 1994 David Rockefeller met en garde les personnes présentes au
conseil économique des Nations Unies: " L'occasion que nous avons actuellement d'établir un ordre

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véritablement paisible et interdépendant du monde, ne durera pas. Déjà il y a des forces puissantes
au travail qui menacent de détruire tous nos espoirs. "

Le président du Club est un ancien secrétaire général de l'OTAN (1984-1988), Lord Carrington. Les
plus suspectés d'appartenir ou d'avoir appartenu à cette organisation sont George Bush, Zbigniew
Brzezinski, Bill Clinton, Henry Kissinger, et beaucoup d'autres... Un comité consultatif composé d'une
commission de direction (avec 24 européens et 15 américains) décide des personnes à inviter à leurs
rencontres. Cependant toutes les personnes présentes ne sont pas des initiés, elles peuvent être aussi
seulement des représentants d'un groupement d'intérêt ou d'autres personnes. Les initiés ont, eux, des
buts dont les membres de ces clubs n'ont aucune idée...Leurs objectifs, à l'image du Club de Rome, sont
l'institution d'un gouvernement mondial et d'une armée globale sous le couvert de l'ONU.

A lire :, Philippe Braillard, L’imposture du Club de Rome, Presse Universitaire de France, Paris, 1982.

Alexander King et Bertrand Schneider, Club de Rome, Question de survie. La Révolution mondiale à commencé, Calmann-
Lévy, Paris, 1991.
Dictionnaire critique de la mondialisation. GERM. Le pré aux Clercs, 2002.
Renata Adler, Private Capacity. Public Affairs, Boulder, 2002.
Gary Allen, The Rockefeller File, Buccaneer Books, New York, 1999.
Gary Allen, None Dare Call It Conspiracy, Bucanner Books, New York, 1999.

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Confédération paysanne Créé en avril 1987, de la fusion de la Confédération Nationale des
Syndicats de Travailleurs Paysans (CNSTP), de la Fédération Nationale des Syndicats Paysans
(FNSP) et de deux syndicats départementaux (Seine maritime et Finistère) en rupture de la puissante
Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles. La Confédération paysanne a pris pour
devise: "Pour l'agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs". Les Confédérés sont alors
implantés dans plus de 70 départements. Elle incarne une rupture franche avec la syndicalisme
traditionnel tant sur la question corporatiste que sur le modèle agronomique.
La Confédération Paysanne puise ses racines dans les luttes de la petite et moyenne paysannerie qui
depuis le milieu des années cinquante contestent à la fois le modèle de modernisation de
l'agriculture imposé au pays et l’hégémonie de la FNSEA, le syndicat unique, fondé en 1946, sur le
mythe de l'Unité paysanne et sur les structures de la Corporation Paysanne du gouvernement de
Vichy, à peine démantelées à la Libération.
La modernisation de l’agriculture a été portée principalement par les jeunes agriculteurs, en particulier
ceux fédérés par la Jeunesse agricole catholique (JAC) et organisés syndicalement par le Centre
national des jeunes agriculteurs (CNJA), affilié à la FNSEA.
Dans les années 60-70, la contestation des effets sociaux de cette modernisation (élimination des petits
paysans, inégalité de la répartition des aides publiques et des fruits de la croissance) alimente une
bataille de courants au sein de la Fnsea. Une partie des syndiqués, notamment des jeunes, engage
une « réflexion-action » sur les inégalités entre agriculteurs et leur accroissement sous la Politique
agricole commune. Cette réflexion souligne les différences d’intérêts entre petits et gros paysans.
Elle met à mal le mythe syndical de l’Unité paysanne défendu par les associations de grandes
cultures (blé, betterave) qui tiennent le pouvoir à la Fnsea. En 1967, puis pendant le mouvement de
mai 68, des mouvements unitaires ouvriers-paysans renforcent chez les paysans l’idée du sort
commun avec les autres couches sociales défavorisées.
Le 21 juillet 1969, à Nantes, Bernard Lambert, paysan de Loire Atlantique, interpelle au nom de la
fédération régionale de l’ouest de la FNSEA, Sicco Mansholt, commissaire européen à l'agriculture,
pour dénoncer le sort fait aux petits éleveurs des régions excentrées de l'Europe, engagés dans la
modernisation ; et pour revendiquer une politique de maîtrise et de répartition des productions
agricoles.
En avril 1970, Bernard Lambert publie "Les paysans dans la lutte des classes" et se rapproche des jeunes

contestataires de la tendance Paysans-Travailleurs du CNJA, fortement influencée par les idées de Mai

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1968. A l'occasion des deux congrès successifs de 1970 et 1971, cette tendance sera sur le point

d’obtenir la majorité.

En mai 1972, sur fond de grève de livraison du lait, le courant "Paysans-Travailleurs" tient son premier

congrès, celui de la rupture définitive avec le Cnja et la Fnsea.

L’année d’après, les Paysans-Travailleurs (PT) appellent le pays à soutenir les 103 paysans du Larzac

menacés par l'extension d'un camp militaire. PT participe du grand rassemblement d'août 73 qui voit la

jonction avec les ouvriers en grève de Lip (Besançon). Ouvriers qui ont repris, en autogestion, la

production et la vente des montres qu'ils fabriquent. Ce rassemblement symbolise l'unité ouvriers-

paysans-intellectuels que les Paysans-travailleurs, un peu partout en France, chercheront à exprimer

durant les années 70, à l'occasion de grèves ouvrières (Joint Français, Batignoles, Garnier etc) et des

rencontres avec les philosophes, écrivains, géographes, historiens, scientifiques.

Pendant ces années 70, PT anime de nombreuse luttes foncières dans l’ouest de la France (occupations

de fermes vides pour installer des jeunes, maintien de fermiers expulsés) et doit faire face à une

répression importante (violences, emprisonnements, saisies). Ses critiques de la politique d’endettement

et du rôle du Crédit Agricole lancent les premières actions et les bases d’un mouvement de défense des

agriculteurs en difficultés.

PT, va multiplier les soutiens aux grèves ouvrières (livraisons de denrées, manifestations communes).

Cette ouverture aux autres mouvements sociaux, et l’apparition d’un souci environnemental, conduisent

PT à se joindre au mouvement contre l’implantation des centrales nucléaires qui secoue les années 75-

80.

Parallèlement, une opposition interne à la FNSEA, sur des analyses proches de PT, se constitue en

« Interpaysanne », animée notamment par la FDSEA de Loire Atlantique. Dans beaucoup de

départements, des paysans se regroupent en petits noyaux d’opposition à la Fnsea.

En septembre 80, Paysans-Travailleurs, Bernard Lambert en tête, dénonce l’utilisation obligatoire


d’hormones interdites dans les élevages de veaux de boucherie. Hormones imposées par la coopérative

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agricole. Cette révélation provoque un boycott du veau par les consommateurs et marque, chez les
paysans, le début d’une critique du productivisme en agriculture et d’une réflexion sur le modèle
agronomique dominant.
A son arrivée au pouvoir, en 1981, le gouvernement de gauche reconnaît la pluralité syndicale en
agriculture. Cette liberté se traduit par la création de deux syndicats : la CNSTP (Confédération
Nationale des Syndicats de Travailleurs Paysans) qui regroupe autour de Paysans-Travailleurs, des
groupes et syndicats départementaux en rupture avec la FNSEA et le CNJA ; de leur côté,
l'Interpaysanne et des CDJA « non-alignés » lancent la FNSP (Fédération Nationale des Syndicats
Paysans), fortement implantée dans quelques départements (44, 29, 53, 42, 63, 31).
En 1983, les élections professionnelles aux Chambres d'agriculture confirment l'existence d'un courant

syndical autonome de la FNSEA, dépassant 15 % d'audience, réparti par moitié entre CNSTP et FNSP.

La dynamique d’union de ces deux mouvements mettra quatre ans à se concrétiser dans la Confédération

paysanne (CP).

A partir des années 90, la CP milite clairement contre la logique libérale et propose une autre Politique

agricole commune. Sa vision est rassemblée dans la « Charte de l’agriculture paysanne » qui entend être

au service de la société plus qu’à celui des entreprises agro-alimentaires. Les grandes règles en sont : la

répartition des volumes de production pour permettre au plus grand nombre de jeunes d’accéder au

métier, y compris des jeunes citadins; la défense de la vie rurale par la multiplication des partenariats

avec les autres activités ; la qualité des produits ; la transparence des achats, de la production, de la

transformation et de la vente des produits agricoles ; des prix rémunérateurs plutôt que des primes ; le

maximum d’autonomie dans le fonctionnement des fermes ; le maintien de la diversité végétale et

animale ; la solidarité des paysans au niveau mondial ; le respect de la nature et des animaux .

Les alertes alimentaires récentes (ESB, métaux lourds, listérias, hormones de croissance, pollutions par

les nitrates, maladies imputables aux pesticides …) ont conduit la CP à prendre des initiatives

spectaculaires pour informer l’opinion publique. Deux exemples :

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- La destruction de semences transgéniques à Nérac (47), en décembre 97, sera le point de départ de
la mobilisation française contre les essais en plein air d’organismes génétiquement modifiés et les
dangers liberticides du brevetage du vivant.
- En 1999, le démontage symbolique d'un restaurant MacDonald’s en construction, à Millau (12),
pour protester contre l’iniquité des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), sera le
départ d'une mobilisation internationale contre les orientations libérales de l'OMC qui portera les
représentants de la CP en tête de la manifestation de Seattle (Etats-Unis) en novembre 99. Le
retentissement de cette action donnera à José Bové, paysan confédéré du Larzac, le moyen et l’espace
d’une pédagogie de la globalisation économique et financière.
Malgré une répression importante (paysans condamnés, peines de prison, fortes amendes), la
Confédération paysanne n’a cessé de croître en influence et en représentation professionnelle. En
février 95, elle a franchi les 20% de représentation ; en janvier 2001, elle a atteignait en moyenne
28% de suffrages aux élections professionnelles et remportait la majorité dans quatre départements.
Et ce malgré l’importante érosion démographique des paysans qu’elle défend, premières victimes de
l’élimination économique orchestrée par la libéralisation des marchés agricoles. D’où l’importance de
sa politique de mobilisation des citoyens sur la souveraineté alimentaire.

A lire : Les paysans dans la lutte de classe Bernard Lambert - (Réédition en cours par le Centre
d'histoire du travail- Nantes)
30 ans de combat paysan Bernard Lambert Yves Chavagne , édition La Digitale

Consensus de Washington Ensemble d’accords informels conclus tout au long des années 1980-19990
entre les principales sociétés transcontinentales, les banques de Wall Street, la Federal Bank américaine
et les organismes financiers internationaux, avec comme maître d’œuvre les Etats-Unis.

Ce «consensus» politico-économique est le fruit d'une réflexion théorique élaborée au début des années
70, en réaction à l'orthodoxie keynéso-classique. Celle-ci dominait la macroéconomie depuis les années
50 et avait, selon ses opposants, fait faillite.

L'expression a été utilisée pour la première fois en 1990 par l’économiste américain John Williamson.
Elle visait à souligner les points communs à toutes les reformes prescrites jusque-là comme remède aux
difficultés monétaires des pays d'Amérique latine et susceptibles d'être transposées ailleurs: discipline
budgétaire et réforme fiscale, réduction des dépenses publiques; libéralisation des échanges et des
marchés financiers, privatisations et, de manière plus générale, dérégulation: La formule reflétait une

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sorte de «convergence universelle entre les doctrines et les politiques économiques », une opinion
unanime partagée par tous les économistes, universitaires ou praticiens...

Pour ses détracteurs, ce consensus incarne le mal absolu, au même titre que l'école des Chicago Boy’s
dont il est d'ailleurs issu, ou que les « ayatollahs» du FMI, accusés de vouloir exporter partout leur
«fanatisme néo-libéral ». Pour ses avocats, au contraire, il est un mode de pensée capitaliste qui a fait ses
preuves et qui, chute du mur de Berlin aidant, a fini par avoir raison du collectivisme, son rival
idéologique, après avoir terrassé les derniers keynésiens, ses adversaires académiques.

Il s’agit d’un curieux mélange de théories économiques longtemps inspirées des thèses monétaristes de
Milton Friedman et de réseaux d'influence politiques chargés de les propager et de les appliquer. Jusqu'à
les ériger en droit à penser - grâce à l'imprimatur du FMI et de la Banque mondiale - et en devoir de
gouverner, lorsque Ronald Reagan d'abord, et Margaret Thatcher ensuite, optent pour ces nouvelles
Tables de la loi économique.

« Durant les années Kennedy, la Banque mondiale vivait à plein le schéma keynésien. La crise de la
dette et l'arrivée de Reagan ont changé la donne », rappelle Yves Dezalay, directeur de recherches, au
Centre national de la recherche scientifique (CNRS). L'institution a été reprise en main, et la gestion de
cette crise, inspirée par Wall Street et par le département d'Etat américain, a été confiée au FMI et à la
Banque mondiale. C'est à partir de là que s'est constituée cette étroite relation entre les cercles de
pouvoir politique et économique qui a prévalu jusqu'à présent. C'est également à partir de cette période
que les économistes américains se sont convertis au consensus de Washington.

Au fil des ans, les money doctors anglo-saxons ont conforté leur conviction. Et leur pouvoir. Jusqu'à ce
qu'interviennent deux changements majeurs: une mutation à l'intérieur même du consensus, et une
remise en cause venue d'ailleurs. Sans renier l'idéologie d'ensemble, de nouvelles idées sont apparues.
«Sur la bonne gouvernance, sur la nécessité de mettre un peu d'équité sociale dans l’orthodoxie libérale
afin d'en préserver les acquis », souligne Yves Dezalay. Dans le même temps, la crise asiatique a été un
électrochoc. Des économistes ont admis que l’on était allé trop loin sur la voie de la libéralisation. «On
commence à entendre, y compris à Washington, que le marché libre n’est plus nécessairement le roi; le
nouveau consensus vise, au contraire, à mettre en place des mécanismes protecteurs, souligne un familier
de Washington.

Mais le grand tournant est apparu quelques mois après la crise asiatique quand a été médiatisé une
querelle entre Joseph Stiglitz, le remuant économiste en chef de la Banque mondiale, et le tandem
constitué, au FMI, par son homologue Michael Mussa et Standley Fischer, le numéro deux du Fond.

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Dans une communication remarquée (More instruments and broader goals: Moving towards the Post-
Washington Consensus), prononcée le 7 janvier 1998, Joseph Stiglitz lançait un pavé dans la mare en
dénonçant un certain nombre d'idées reçues, fermement défendues par ses collègues du FMI.

Depuis, d'autres économistes du «consensus» ont tourné casaque, ce qui fait dire à certains observateurs
que cette page de la pensée unique est définitivement tournée.

« Le consensus de Washington » n’existe plus. Il est mort en 1998 - affirme alors Jacques Sapir,
directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales - : La véritable question maintenant
est de savoir par quoi le remplacer... Là aussi il faut recréer une base d'accord minimale entre les
économistes, rebâtir un concept moins doctrinaire. » C’est à dire, après la phase de repentance, une re-
fondation qui permettra peut-être d'assurer une meilleure présence des économistes européens sur
l'estrade.

Beyond the Washington Consensus, de Shahid Javed Burki et Guillermo Perry (Banque
mondiale, 1998, 158 p., diffusé comme toutes les publications de la Banque mondiale par les éditions Eska, 48, rue Gay-
Lussac, 75005 Paris, tél.: 01-55-42-73-08).
World Development Indicators (Banque mondiale, rapport annuel, 1999).

Corruption Enveloppes rouges en Chine, bakchich dans les pays arabes, matabiche en Afrique
centrale, payola aux Philippines, mordida en Amérique latine, ou tout prosaïquement pots-de-vin en
France, les mots pour désigner la chose sont innombrables. Mais comment la définir ? Pour Daniel
Bertosa, le procureur de Genève, il s'agit, « techniquement, de l'acte qui consiste à promettre ou à offrir
un avantage à un agent public, fonctionnaire, ministre, dirigeant d'une entreprise publique, de telle
sorte que celui-ci viole les devoirs qu'il a à l'égard de la collectivité publique qu'il représente. Le
corrupteur actif est celui qui promet l'avantage ou qui le verse. Le corrompu est l'agent public qui trahit
ses devoirs. Il y a lien entre la promesse d'un avantage et la trahison des devoirs ».

La corruption publique est aussi ancienne que l’État. Au Vème siècle avant J-C, Platon s’en préoccupait
dans les Lois. Deux siècles plus tard, le réformateur politique indien Kautiliya distinguait 40 tentations
susceptibles de pervertir les fonctionnaires. Pourtant, par deux traits au moins, la situation actuelle est
sans précédent : les affaires surgissent sous toutes les latitudes et la société civile s’en accommode
difficilement. En une année à peine, deux présidents en exercice – Joseph Estrada aux Philippines et
Alberto Fujimori au Pérou – ont été contraints à la démission, alors qu’un ancien président – l’Argentin
Carlos Menem – était mis en examen.

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Dans le commerce international, la pratique est aussi ancienne, et pour tout dire banale depuis
l'invention du troc. Samuel Pepys, premier lord de l'Amirauté britannique (1633-1703), considérait qu'un
pot-de-vin n'en était pas un dès lors qu'il était discrètement glissé « sous la table ». Cette conception n'a
pas véritablement changé. La corruption reste une donnée économique au même titre qu'une autre dans
les échanges internationaux, même si le phénomène s'est aggravé depuis la décolonisation dans les
années 60. Le commerce international s'est inscrit, durant des décennies, dans le cadre des rapports Est-
Ouest. Chaque camp cherche à fidéliser ses clients pour les empêcher de passer à l'adversaire. La chute
du mur de Berlin et l'ouverture au monde des anciens pays communistes et de leurs satellites ont changé
la donne. Le commerce international est devenu une foire d'empoigne marquée par les seuls intérêts
économiques, notamment dans les domaines de l'armement et du bâtiment.

A l'Est et dans les anciens pays communistes, les grands chantiers, les marchés industriels, les grands
contrats, sont devenus prétexte à d'énormes commissions. Tous les secteurs dépendant de la commande
publique - de l'armement au pétrole, de l'énergie aux transports, du bâtiment et travaux publics (BTP) à
l'installation de l'eau, voire aux équipements médicaux et paramédicaux - ont été soumis à une véritable
dîme. Au point que les industriels eux-mêmes commencent à trouver que le jeu de la corruption n'en
vaut plus la chandelle.

Jusqu'au milieu des années 90, la corruption dans les transactions internationales restait un sujet tabou.
Dans des organismes comme le FMI ou la Banque mondiale, on ne l'évoquait que par son initiale (« the
C word ») pour s'en plaindre et déplorer son inévitabilité quasi culturelle dans certains pays. Mais en fait
rien ne bougeait : les « propriétaires » de la Banque et du FMI sont des Etats et ont comme clients des
Etats.

Les milieux économiques pressent ainsi les organisations internationales de juguler la corruption. Loin
d'avoir adopté une conduite morale, les entreprises présentes sur les marchés internationaux déplorent la
fièvre inflationniste qui touche les pots-de-vin. «La libéralisation des économies a multiplié les
commissions. Le phénomène a été peu remarqué, souligne Rob Jenkins, professeur de sciences
politiques à l'Université de Londres. Avec la privatisation du secteur public, les repreneurs potentiels se
battent à qui mieux mieux pour graisser la patte des élus ou des fonctionnaires. De plus, à chaque
nouvelle réforme, les entreprises qui veulent peser sur la définition des nouvelles règles ou simplement
les connaître à l'avance sont amenées à payer, sans garantie de résultats. Je l'ai constaté partout oú j'ai
étudié les réformes économiques, en Inde, en Afrique du Sud ou en Ouganda. Par une ironie du sort, au

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début des années 1980, le FMI et la Banque mondiale promettaient que leurs programmes de
libéralisation, en réduisant le pouvoir des bureaucraties, allaient supprimer les sources de corruption.»
Prenant habilement appui sur l'indignation que suscite la corruption, la diplomatie américaine la canalise
au service des intérêts de ses grands groupes nationaux en désarmant leurs concurrents commerciaux,
mais en utilisant contre eux les moyens de pression dont elle est la seule à disposer. L'Australien James
Wolfensohn, président de la Banque mondiale abordait en 1996 ce sujet, jusque-là tabou au sein de
l'institution. Parlant d'un véritable «cancer», il dénonçait un «affront fait aux plus pauvres, qui détourne
l'argent vers les plus riches ».
Au-delà des discours moralisateurs, l'objectif est de faire de la lutte contre des pratiques délictueuses le
fer de lance d'un projet beaucoup plus vaste : l'imposition de leur modèle aux pays en voie de
développement ou en « transition ».
Chiffrer la corruption constitue par ailleurs une gageure et une tentation irrésistible. Son montant est
difficile à chiffrer mais il semble avoir augmenté récemment et la mondialisation n’y est pas étrangère :
l’intensification des échanges, l’impact des programmes de développement coûteux sur des décideurs
sans tradition qui découvrent la valeur des actes politiques et administratifs, la circulation sans obstacle
de l’argent facile, ont probablement joué un rôle amplificateur. Patrick Moulette, secrétaire général du
GAFI (Groupe d’action financière internationale) l’affirme: « Il n’y a aucune base financière pour
mesurer l’ampleur de ce phénomène illégal. Tous les chiffres sont fantaisistes et ne reposent sur aucun
critère scientifique ». Néanmoins, les document du GAFI mentionnent l’estimation du FMI, soit un
chiffre annuel de 80 milliard de dollars. Par comparaison, l’ensemble de capitaux de la criminalité
atteindraient, selon les mêmes sources, 500 à 1500 milliards de dollars, soit 2 à 5% du produit mondial
brut.

Les vagues de corruption obéissent à des raisons diverses, mais elles sont nourries par une même
dynamique : celle de la mondialisation des échanges. Après vingt ans d’accélération des transactions
financières, sous l’effet des déréglementations et du développement des communications électroniques,
les capitaux issus d’activités criminelles constituent une source d’instabilité politique et financière. Or
l’argent de la corruption et celui de la mafia vont de pair. « Les deux formes de délinquance s’appuient
l’une sur l’autre, dissimulent et recyclent de la même façon leur profits, explique Daniel Dommel,
président pour la France de l’ONG Transparence-International. De plus, pour maintenir leurs activités
occultes, mes mafias ont recours à la corruption et celle-ci affaiblit les défenses institutionnelles contre
le crime organisée.

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Des études de cas donnent une idée assez précise du phénomène. L’une d’entre elle à été réalisé à
Milan avant et après l’opération Mani Pulite (Mains propres). Sur l’ensemble des travaux budgétés par
la ville, l’enquête des juges a abouti à une réduction de 30 à 40% de dépenses prévues. Le projet
d’extension de l’aéroport est passé , par exemple, de 2 610 milliards à 1 990 milliards de lires.

Pour leurs activités, les mafias disposent d’une refuge imprenable, qu’est le secret bancaire. Pendant
l’été 1998, par exemple, pour enrayer la chute du rouble, le FM prête dix milliards de dollars à la Russie.
Interrogé en novembre par la BBC, Benjamin Sokolov, responsable des commissaires au comptes russe,
déclare : « Nous avons enquêté sur certains des fonds prêtés par le FMI et je dois reconnaître que
plusieurs milliards de dollars n’ont pas été affectés aux programmes prévus. Une partie de ces sommes
a tout simplement été volée. »

Alors même que les Européens légalisaient la corruption dans le commerce international, les Etats-Unis
s'engageaient exactement dans la direction inverse. Adopté en 1977 après le scandale Lockheed, le
Federal Corrupt Practices Act (FCPA) incriminait tout acte de corruption d'un officiel étranger. En
réalité, comme l'explique le chœur des industriels concurrents, les Etats-Unis ont continué ces pratiques
par le biais de filiales installées dans des paradis fiscaux. En fait, le gouvernement américain aide les
exportations en favorisant l'installation des entreprises dans des paradis fiscaux à hauteur de 2,5 milliards
de dollars de subventions annuelles. Ces filiales subventionnées, baptisées Foreign Sales Corporations
(FSC), sont la base du système occulte de versement de commissions à l'étranger.

Ces prises de position coïncidaient avec le début d'une série de discussions au sein de l'Organisation
pour la coopération et le développement économiques (OCDE), à l'initiative des Etats-Unis, visant à
préparer un projet de convention réprimant la corruption d'agents étrangers. Le 10 décembre 1997, lors
d'une réunion des ministres des pays membres de l'OCDE, sous la présidence de M. Dominique Strauss-
Kahn, alors ministre français des finances, vingt et un pays signent l'accord. Reste à le faire ratifier par
les Parlements des pays signataires. Cela n'allait pas être une mince affaire. Pour la France, les pots-de-
vin ont atteint des niveaux trop élevés. Suffisamment en tout cas pour mettre en danger, sinon les
entreprises exportatrices, en tout cas leurs marges. Les commissions ont franchi depuis plusieurs années
des sommets. Jusqu'aux altitudes atteintes par l'armement où la corruption est la règle parce qu'il s'agit
de commandes énormes de 100, 200, 500 millions de dollars, ou même beaucoup plus.

Les commissions qui, dans les pays développés, tournent autour de 5 % à 6 %, peuvent alors atteindre
20 % à 30 %, parfois 40 %.

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Malgré cela, les milieux industriels européens en général et français en particulier (notamment dans
l'armement) se montrent très hostiles à la convention. Ils estiment que ce texte est une manœuvre de
Washington pour déstabiliser les exportations européennes.

A lire : Pierre Abramovici, « Les jeux dispendieux de la corruption mondiale », Le Monde diplomatique, novembre 2000.

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Davos Petite station touristique suisse, où, depuis 1980 le Forum économique mondial* a réuni, jusqu’à
2002, tout ce que le monde compte de puissants et d’hommes d’affaires. Le triomphe des idées libérales
au tournant des années 1980 ont aussi attiré ministres et chefs d’États à ce rendez-vous. En 2003 la
réunion déménage et quitte ses hôtes suisses, lassés de voir leur ville assiégée par les manifestants, pour
s’installer à New York.
La tentation est forte de jauger le rapport des forces entre Davos et le Forum économique mondial* de
Porto Alegre, la manifestation brésilienne ayant été créée en réaction à la réunion traditionnelle du début
de l'année, en Suisse des « maîtres du monde» (les dirigeants des grandes entreprises, des organisations
internationales (ONU, OIT et autres FMI) et des principaux pays de la planète).
Les deux opérations ne sont pas de même nature. Davos est une opération commerciale. Porto Alegre
une manifestation politique. Dans la petite station des Grisons, une entreprise privée, le WEF, animée
comme toutes par le profit, propose, contre argent comptant, à un petit millier de responsables de
grandes entreprises un stage de recyclage sur l'état du monde, avec, dans bien des domaines –
scientifiques, économiques ou politiques - les meilleurs spécialistes de la planète. Pour les Bill Gates
(Microsoft). Bertrand Collomb (Lafarge) et autres, Davos est aussi un extraordinaire centre de
«networking». Ces clients n'y viennent pas pour refaire le monde, mais pour y faire des affaires. Le
messianisme du bon Dr Schwab, fondateur du WEF (Work Economic Forum) qui proclame vouloir,
avec son entreprise "améliorer l'état du monde», ne les intéresse que très secondairement. Rien à voir
donc avec Porto Alegre, un forum initié en janvier 2001 par plusieurs organisations non gouvernemen-
tales - dont. pour la France. 1'association ATTAC, et qui a réunit, pendant trois ans dans cette grande
cité tenue par le Parti des travailleurs brésilien. plusieurs dizaines de milliers de personnes. Des militants
du monde entier et aux causes multiples, parfois contradictoires, y allaient débattre avec, pour objectif,
changer le monde.
Davos et Porto Alegre, ne jouaient donc pas sur le même terrain. Les pèlerins de Davos étaient perçus
comme les adorateurs d'une « mondialisation libérale» sans entrave, ceux de Porto Alegre comme les
défenseurs inconditionnels d'une « mondialisation à « visage humain » ; les premiers sont considérés
comme pro-mondialisation, les seconds comme les « alter ». Si l'on s'en tient à cette opposition, on ne
peut que constater que, depuis trois ans, les seconds ont marqué des points. Depuis 2001, en effet, la
mondialisation économique a connu un net coup de froid. Les indices d'un ralentissement, voire d'un

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recul de l'intégration économique mondiale, sont multiples. Pour apprécier 1a réalité de l’intégration
de l'économie mondiale, le mensuel américain « Foreign Polilc:y» calcule, chaque année, un « indice de
la globalisation » qui intègre tous les éléments, économiques ou non, qui la définissent. Dans leur
dernière étude, datée de janvier 2003, les auteurs de ce travail ont ainsi relevé un déclin de l'intégration
sur le strict plan de économique. Ils soulignent cependant que, «grâce à l’intensification continue des
liaisons politiques, sociales et technologiques dans le monde », leur indice global indique toujours une
poursuite du processus « malgré une volatilité »!.
A lire Les Nouvelles Tables de la loi », Le Monde diplomatique, octobre 1995.

- L'Autre Davos (sous la direction de François Houtart et François Polet), L'Harmattan, Paris, 2000.

Dette : Le 19 juin 1999, le groupe des 7, réuni à Cologne, a décidé l'annulation d'une partie de la dette
des Etats les plus pauvres. Une mesure en trompe-l’œil qui ne met pas fin au scandale d'emprunts, dont
les pays du Sud ont déjà remboursé plus de quatre fois le capital. En effet, les conditions d'application de
cette décision en réduisent considérablement la portée: au mieux, seuls 2% de la dette totale du tiers-
monde seront effacés.
L’endettement mondial est devenu en quelques années un des phénomènes les plus marquants de la santé
du monde. La dette extérieure des pays en voie de développement, en 30 ans à été multipliée par 35 ;
celle des pays industrialisés par dix.
Peu après la chute du Mur de Berlin, il est apparu que le passage d’un système de planification
centralisée à un système de marché nécessitait un effort d’ajustement et de restructuration considérable,
et que des apports en capitaux et une assistance technique seraient nécessaires. Une institution a été
créée, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (B.E.R.D.), et mis en place le
Groupe des 24, un mécanisme de coordination des aides bilatérales.. La Banque mondiale, le F.M.I. et
les agences des Nations unies ont étendu leurs activités de financement et de conseil aux pays en
transition.
L’idée qu’une thérapie de choc permettrait un passage rapide d’un système de gestion de l’économie à
un autre s’est révélée fausse, en ce sens que créer tout un nouvel ensemble d’institutions prend du temps,
et qu’il faut plus de temps encore pour que celles-ci fonctionnent efficacement. La proposition d’un
«plan Marshall» n’a pas pris corps; au contraire, les prêts du F.M.I., extrêmement utiles pour rétablir les
équilibres macro-économiques, ont toujours été conditionnés par l’adoption de politiques rigoureuses
négociées avec le Fonds. Après six ans, les progrès sont inégaux, mais la libéralisation des prix et des
échanges, la liberté d’entreprendre sont globalement assurées.
L’inflation est ramenée à des niveaux gérables, les monnaies sont stabilisées. Cependant, les

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restructurations de l’appareil productif sont encore loin d’être achevées et les institutions financières,
dont les banques, encore trop peu développées pour répondre de façon saine aux besoins des
investisseurs. Les pays en développement ont craint, en 1990-1991, que l’aide à la transition se fasse à
leur détriment. Arithmétiquement cela peut sembler être le cas puisque l’aide à la transition s’est fixée à
environ 0,04 p. 100 du P.N.B. des pays du C.A.D., tandis que l’aide au développement chutait à 0,06
p. 100 du P.N.B. entre 1990 et 1995.
Contrairement aux idées reçues, le pays le plus endetté n’est pas « en voie de développement » : Il s’agit
des Etats-Unis, dont la dette publique s’élève en fin 2002 à 7300 milliards de dollars, alors que celle de
tous les PVD réunis (où vivent 85% de la population mondiale) est de 1600 milliard de $, soit plus de 4
fois moins.
Le niveau d’endettement mondial est resté acceptable jusqu’au début des années 80, quand
soudainement la réserve fédérale américaine a relevé les taux d’intérêts. On peut dater le renversement
de situation à août 82, lorsque le Mexique a annoncé la suspension de ses remboursements.
L'actuelle crise ne se concentre pas sur une région particulière. Le commerce international est intégré, les
marchés financiers sont en liaison permanente. En conséquence, c'est un phénomène d'accumulation de
la dette qui "réglemente" l'économie mondiale en étranglant les institutions nationales.
Cette crise est de la sorte bien plus complexe que celle de l'entre-deux guerres, et plus lourde de
conséquences sociales et d'implications géopolitiques. La dette extérieure du monde en développement
atteint les 1 900 milliards de dollars; des pays entiers sont déstabilisés en raison de l'écroulement de leur
monnaie nationale, des tensions sociales, des conflits ethniques, des guerres civiles qui s'ensuivent. Dans
les pays membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE)
aussi, l'endettement atteint des sommets: il est supérieur à 13 000 milliards de dollars. Et le
remboursement de la dette aboutit à son aggravation par... la création de dettes nouvelles. Aux États-
Unis - le pays de loin le plus atteint -, la dette publique a quintuplé sous le règne de MM. Ronald Reagan
et George Bush: elle est aujourd'hui de l'ordre de 4 900 milliards de dollars.
Les contraintes imposées par le FMI* et la Banque Mondiale* ont conduit les États emprunteurs a mener
des politiques néo-libérales sans garde-fous, sacrifiant des pans entiers de leurs services publics (santé,
éducation, transport), et ce, avec le seul objectif de pouvoir rembourser à court terme leurs dettes.
Aujourd’hui, la situation de la dette des Pays en voie de développement (PVD) convient d’être analysée
en terme de transfert net : la différence entre les montants remboursés et les nouveaux prêts obtenus est
négative, ce qui signifie qu’en valeur absolue, les PVD ont remboursé beaucoup plus qu’ils n’ont obtenu
en prêt (entre 83 et 2001 cette différence est de plues de 368 milliards).

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Une des véritables avancées des débats menés à Porto Alegre concerne l’allégement du fardeau de
cette dette. Les créanciers que sont le FMI et la Banque Mondiale n’ont pas l’habitude d’annuler les
dettes, pourtant ils ont été amené à « faire un geste » en juin 99, au sommet du G7 à Cologne, en
annulant 100 milliards de $ de la dette des pays les plus pauvres de la planète.
On doit notamment « ce geste » à la pression du « Jubilé 2000 », coalition de mouvements issus de la
gauche anglaise d’obédience catholique. Ce réseau milite depuis plusieurs années pour une annulation
simple de la dette des pays du sud, et a recueilli plus de 24 millions de signatures.
D’une manière générale, les mouvements citoyens ont permis de faire connaître le fonctionnement
drastique des institutions telles que le FMI ou la Banque Mondiale, de faire la lumière sur les paradoxes
de pays en voie de développement qui se surendettement pour rembourser des dettes antérieures, sur les
montants « symboliques » : le remboursement des seuls intérêts pour ces pays les plus endettés
dépassent souvent les dépenses consacrées à la santé ou l’éducation.
Aujourd’hui, 41 pays considérés comme les plus endettés, traînent un passif de 210 milliards de $, alors
que , selon le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) 80 milliard seulement par
an pendant dix ans suffiraient à assurer la satisfaction des besoins fondamentaux
Depuis longtemps, des voix s’élèvent pour que soit mis fin à l’absurdité de la dette des pays les plus
pauvres. Ces pays consacrent plus d’argent au remboursement de leur dette qu’aux dépenses d’éducation
ou de santé, et ce fardeau leur interdit tout décollage.
Il serait donc plus juste, mais aussi plus efficace, d’effacer cette ardoise. Une telle proposition était
jusque là sacrilège, car contraire à l’une des règles numéro un des business : La parole doit etre honorée.
Il y a un précédent notoire. En 1914, en pleine révolution conduite par Emiliano Zapata et Pancho Villa,
le Mexique suspend totalement le paiement de sa dette extérieure. Pays alors le plus endetté du continent
à l'égard de son voisin du Nord, il ne va rembourser, entre 1914 et 1942, que des sommes tout à fait
symboliques avec pour seule fin de calmer le jeu. De longues négociations avec un consortium de
créanciers dirigé par un des directeurs de la banque américaine Morgan sont menées entre 1922 et 1942
(vingt ans !). Entre-temps, en 1938, le président Lázaro Cardenas a nationalisé sans indemnisation
l'industrie pétrolière, qui était aux mains des entreprises américaines.
Cette mesure bénéfique pour la population a évidemment soulevé les protestations des créanciers. Mais,
au bout du compte, la ténacité du Mexique paie : en 1942, les créanciers renoncent à plus de 90 % de la
valeur de leurs créances et acceptent des indemnités légères pour les entreprises qui leur ont été
soustraites (1).
D'autres pays, comme le Brésil, la Bolivie et l'Equateur, ont également suspendu (totalement ou

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partiellement) les paiements à partir de 1931. Dans le cas du Brésil, la pause sélective dans les
remboursements a duré jusqu'en 1943, année au cours de laquelle un accord permet de réduire la dette de
30 %. L'Equateur, lui, interrompt les paiements de 1931 aux années 1950. La suspension de paiement de
la dette décrétée par Buenos Aires en décembre 2001, après que les mobilisations populaires eurent
entraîné la démission du président de la Rúa, est donc loin de constituer une première. Depuis que la
plupart des pays d'Amérique latine ont accédé à l'indépendance au début du XIXe siècle, plusieurs
dizaines de suspensions ont eu lieu au cours des quatre grandes crises de la dette.
Le 26 novembre 2001, Mme Anne Krueger, numéro deux du FMI désignée par l'administration Bush,
avait annoncé que cet organisme envisageait de mettre en place une procédure permettant aux pays en
difficulté de paiements de suspendre ceux-ci pour une période prolongée. Cela pourrait, dans certains
cas, éviter l'éclatement d'une crise en forçant des créanciers privés à renoncer à une partie de leurs
prétentions, rendant ainsi soutenable le fardeau de la dette.
Pour le FMI, il s'agit de discipliner les créanciers privés pour échapper aux crises comme celles qui ont
éclaté au Mexique en 1994, en Asie du Sud-Est en 1997, en Russie en 1998 et dernièrement en Turquie
et en Argentine. Mme Krueger précisait néanmoins qu'il faudrait deux à trois ans de discussions au sein
du FMI pour mettre en place une telle procédure. L'éclatement d'une crise majeure en Argentine a donc
pris celui-ci de court. Du côté du FMI et des créanciers en général, il ne s'agit cependant que d'accorder
un répit.
Contrairement à une idée dominante, le Fonds monétaire international ne vient pas en aide aux pays
endettés de manière généreuse : il fait payer au prix fort ses interventions. Selon la Banque mondiale,
entre 1980 et décembre 2000, il a mis 71,3 milliards de dollars à disposition des pays latino-américains
et ceux-ci lui ont remboursé 86,7 milliards. Le FMI a donc gagné 15,4 milliards.
Entre 1982 et 2000, l'Amérique latine a remboursé 1 450 milliards de dollars à ses créanciers, soit plus
de 4 fois le volume total de sa dette de 1982.
Depuis août 1982 et la suspension provisoire du remboursement de la dette mexicaine, ils ont très bien
tiré profit de la situation. Les interruptions de paiement ont toutes duré moins d'un an et elles n'ont
jamais été décidées de manière concertée par plusieurs pays. En conséquence, les créanciers privés ont
pu faire des affaires juteuses et le FMI a réussi à chaque fois à se faire rembourser avec intérêts les
sommes qu'il a mises à disposition des débiteurs afin que ceux-ci honorent leurs engagements
internationaux et poursuivent ou reprennent les remboursements.
L’idée a commencé à etre prise au sérieux lorsque les Églises s’en sont mêlées. Partie de Grande-
Bretagne, une vaste campagne internationale a été menée par la coordination « Jubilée 2000 », derrière

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les chanteurs de rock irlandais Bono (d’U2) ou Bob Geldof. Le pape a soutenu la campagne. Pour
faire passer leur message, les animateurs de Jubilée 2000 n’hésitent pas à rappeler quelques vérités
simples. Il faudrait 6 milliards de dollars pour assurer l’éducation des enfants du tiers monde, soit 2
milliards de moins que ce que dépensent les Américains en produits de beauté.
Finalement, en juin 1999, à Cologne, les responsables des sept pays les plus riches du monde (G7) ont
annoncé qu’ils effaceraient l’essentiel de la dette bilatérale et multilatérale des pays les plus pauvres et
les plus endettés. Soit une remise de 70 milliards de dollars, qui profitera à environ 36 pays.

A lire :

Développement durable. Evidement, les PDG et les financiers n’ont plus le temps de lire les
classiques. Autrement, dans les dialogues platoniciens ils auraient trouvé une véritable leçon
d’économie. « Ma plus grande satisfaction – dit Céfalus -, serait que, à l’heure de ma mort, je puisse
laisser à mes enfants un héritage avec les biens que je possède, et un peu supérieur à ce que j’ai reçu » .
Le Sommet de la Terre de Rio ne pouvait dire mieux. Du 3 au 14 juin, de 1992, se réunissaient à Rio de
Janeiro les représentants de 178 pays (dont 117 chefs d’État) et plus de 20 .000 participants. Se pose
alors la question du développement durable (sustainable development), selon l’expression mise à la
mode en 1987 par le «Rapport Brundtland » qui assurerait aux générations futures des potentialités de
vie au moins égales à celles qui existent aujourd’hui. Le développement durable y a été défini comme un
système économique répondant «aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations
futures à répondre à leurs propres besoins». C’est un concept d’origine politique, qui dépasse le seul
constat de la nécessaire prise en compte, au niveau des politiques publiques, des exigences de la
protection de l’environnement.

La notion de développement durable a émergé aux États-Unis au début des années 1980, à la faveur du
tournant politique pris par la majorité des composantes du mouvement écologiste. Reconnaissant la
légitimité du développement économique et social, celui-ci a cherché à concilier les exigences de ce
développement avec celles de la protection des ressources et des milieux naturels. Aux objectifs
écologiques et économiques initiaux se sont ajoutés à Rio des objectifs sociaux, politiques et
géopolitiques, voire culturels. Cet élargissement multiplie les points de vue possibles sur la notion de
durabilité.

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Depuis une quinzaine d'années, des intellectuels et des chercheurs ne cessent de militer pour que les
entreprises ne pensent pas qu'au profit à court terme et intègrent dans leur stratégie des préoccupations
environnementales et sociétales. Jusqu'à présent, ces revendications sont restées sans réponses. Seules
des situations de crise ont poussé les sociétés à réviser leurs comportements. Le pétrolier Shell admet
que l'exécution de neuf Nigérians qui s'étaient opposés à un projet d'implantation du groupe dans leur
pays en 1995 a "servi de catalyseur" pour changer d'attitude (…).
Depuis, l'entreprise s'est engagée publiquement dans une démarche de développement durable. La
situation est similaire pour l'américain Nike. C'est une large campagne médiatique qui a dénoncé les
mauvaises conditions de travail des salariés de ses sous-traitants dans certains pays asiatiques et latino-
américains. Depuis, le groupe d'articles de sport a mis en place un large programme avec la Banque
mondiale pour aider et améliorer les conditions de vie de ces salariés (...).
Les entreprises se rendraient-elles compte qu'elles ont négligé l'avis des pays émergents ? "Les
événements du 11 septembre nous montrent que les gens qui n'ont rien à perdre sont capables de tout
pour se faire écouter", analyse le gestionnaire des risques d'un groupe industriel mondial. Depuis les
attentats aux Etats-Unis, les cabinets anglo-saxons de gestion de risques, Kroll et Control Risk Group,
avouent faire des enquêtes pour le compte de groupes qui veulent savoir comment ils sont perçus dans
ces pays. "Les sociétés françaises craignent d'apparaître comme des organisations occidentales qui
imposent leur point de vue", explique Xavier Guilhou, directeur de Eurogroup Institute à Paris, qui
conseille les grands groupes sur leur stratégie. (…). "On ne peut plus gérer les entreprises avec un
procédé uniforme à l'anglo-saxonne, estime-t-il. Les directions régionales qui s'occupent du Moyen-
Orient en étant basées à Londres ou à Paris commencent à être physiquement rapprochées des marchés
locaux." En Asie, au Moyen-Orient et dans les pays de l'Est, ce consultant préconise à ses sociétés
clientes de s'organiser "de telle manière qu'elles puissent avoir un niveau de renseignements très élaboré
sur leur environnement". Cela passe par l'utilisation "de management local et non de managers certes
"internationaux" mais sans âme".
Des considérations éthiques émergent. "Nous savons très bien que, dans certains pays en développement,
la majorité de l'argent que nous versons localement va directement sur des comptes en Suisse, confie le
cadre dirigeant d'un groupe industriel. C'est le paradoxe humain. Il faut peut-être que des choses
épouvantables arrivent pour nous faire réfléchir." Des interrogations dont a également été témoin
M. Guilhou.
"Plusieurs entreprises implantées en Afrique ou en Asie du Sud-Est savent qu'en faisant des concessions,
elles favorisent des logiques de corruption. La nouvelle tendance des entreprises est de contourner les

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instances dirigeantes des pays et d'aider, avec des associations, le développement local, comme le fait
l'américain General Food." Après trois décennies durant lesquelles les multinationales se sont
développées en utilisant sans trop d'états d'âme les pays émergents et leurs ressources, les événements du
11 septembre seraient-ils en train d'accélérer leur prise de conscience ?"
La mobilisation internationale en faveur de l'environnement est plus ancienne qu'on ne le pense. En
témoignent la signature, dès le début des années 70, de conventions sous l'égide des Nations unies sur les
zones humides d'importance internationale : la création de Greenpeace, en 1971 ; la tenue en 1972 à
Stockholm de la première conférence internationale consacrée à l'environnement, et le combat contre le
commerce des espèces menacées de la faune et de la flore, en 1973. La décennie 70 introduit le principe
d'écodéveloppement, qui s'attache déjà à concilier croissance et préservation des ressources naturelles.

Lire : L'économie est une science morale, d'Amartya Sen (La Découverte, 1999, 125 p.)
10,52 €). .
Economie du développement, les théories, les expériences, les perspectives, de Patrick Mundler (Hachette, 1995, 311 p.).
Les Théories économiques du développement, d'Elsa Assidon (La Découverte, 1992, 123 p.)

Développement économique
Le concept de développement économique et social n’est apparu dans la littérature économique qu’après
la Seconde Guerre mondiale. Il a pour origine une interrogation sur les causes et les modalités de la
révolution industrielle au Japon et dans les pays occidentaux, révolution qui s’est accompagnée d’un
écart sans précédent entre le niveau de vie moyen des pays riches et celui des pays pauvres. Il doit son
succès au contexte de la guerre froide, qui a fait du développement un enjeu politique, renforcé par
l’accession des pays du Tiers Monde à l’indépendance.
En 1961, l'Assemblée générale des Nations unies lance l'idée d'une «décennie de développement. » Les
années 60 doivent être un moment crucial pour aider les pays du tiers-monde à sortir de la pauvreté et
rattraper les pays développés.
Dans l'optique de ses promoteurs, le développement suppose bien sûr d'abord la croissance économique,
mesurée par l'évolution du PNB. Plus généralement, on conçoit le développement comme une
transformation sociale et culturelle très globale: celle de sociétés traditionnelles en sociétés industrielles
et modernes.
Le développement implique donc le passage de l'économie rurale à l'économie urbaine, la scolarisation
de la population et la transition démographique (qui suppose la baisse parallèle du taux de mortalité et de
natalité.)
Concrètement, il s'agit de faire passer les pays sous-développés de 1'hémisphère Sud - l'Afrique,

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l'Amérique latine et l'Asie - à l'état de sociétés modernes. Un défi majeur pour l'humanité est lancé.
Les pays au développement industriel tardif, qui tout au long du XIXe siècle parvinrent à surmonter leur
retard, mettent en évidence certaines conditions nécessaires à cette réussite. Les pays qui se sont
développés avec succès au XIXe siècle, comme les États-Unis, l'Allemagne, le Danemark ou la Suède,
puis, dans la seconde moitié du xxe siècle, le Japon, la Corée du Sud ou Taiwan ont une puissance, des
territoires, des populations, des ressources naturelles, des marchés intérieurs très différents ainsi qu'un
retard variable face aux pays leaders à leur décollage. À ces différences s'ajoutent les contextes
particuliers de deux phases distinctes de la globalisation.
Quelle stratégie de développement adopter? Comment réaliser ce grand programme historique? Au
milieu des années 80, au sein des instances internationales (FMI*, Banque mondiale*), une nouvelle
stratégie globale est adoptée : elle vise à diminuer la dette, l’inflation, le poids de l’Etat. C’est le
« consensus de Washington*. Il subordonne désormais tout nouveau crédit à l’adoption de programmes
« d’ajustement structurel », dont les principes sont les suivants : baisse des dépenses publiques et de
l’inflation, libéralisation des prix, restriction monétaire, ouverture des économies vers l’extérieur.
Malgré leurs divergences, les pays développés présentent des caractéristiques communes. Il est en effet
possible d'observer chez chacun d'eux une stabilité du cadre institutionnel, l'existence d'élites
ambitieuses et la prédominance d'idées économiques hétérodoxes. Il faut y ajouter le respect du droit de
propriété et la tendance à la réduction des coûts de transaction dans des États capables d'impulser les
transformations nécessaires et de s'appuyer sur l'initiative privée, mais aussi l'existence de sociétés
intégrées au processus de croissance et de transformation. Dans le champ économique, ces pays
développés ont démontré leur capacité à produire suffisamment d'épargne intérieure pour accroître et
transformer leur capacité productive. Ils ont également généré des avantages comparatifs fondés sur
l’incorporation des changements techniques et ont atteint un équilibre macro-économique sur le long
terme, grâce à des payements extérieurs soutenus principalement par leur capacité exportatrice.
Faut-il s'appuyer sur le marché ou sur l'Etat? Faut-il favoriser un développement autocentré en comptant
sur ses propres forces, ou s'ouvrir sur l'extérieur? Partant de présupposés très différents concernant les
causes du sous-développement et les moyens de s'en sortir, plusieurs approches vont se partager le
marché des idées. Chacune aura son heure de gloire et ses déconvenues.
Les approches modernistes et keynésiennes. Les années 60 ont été dominées par une vision moderniste
et keynésienne du développement. Grâce à une action volontariste de l'Etat, le financement des
institutions internationales (comme la Banque mondiale), l'exportation des techniques et l'éducation des
masses doivent donner une impulsion décisive pour lancer une dynamique de croissance. Il s'agit de

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stimuler des pôles de croissance, favoriser l'industrie en s'appuyant sur des filières porteuses. Ce
développement à marche forcée suppose, selon certains économistes, un déséquilibre sectoriel (Albert O.
Hirschman) et le dualisme entre secteur moderne et traditionnel (Arthur W. Lewis). Il s'agit de casser le
«cercle vicieux de la pauvreté» (théorisé par Ragnar Nurske).
Les approches structuralistes et néomarxistes. L'époque du développement fut aussi celle de la
décolonisation. Des économistes tiers-mondistes vont mettre en évidence les effets de domination
exercés par les pays capitalistes développés. En Amérique latine, les économistes Raul Prebrish et Celso
Furtado soulignent les effets de la dépendance (d'où le nom d' «école de la dépendance») exercée par le
Nord sur les pays du Sud. Des auteurs marxistes comme Samir Amin et Aghiri Emmanuel soulignent
qu'il existe un «échange inégal» dans le commerce entre le Nord et le Sud, et qu'il contribue à léser
systématiquement ce dernier. Cette vision conduit à prôner un développement autocentré, basé sur la
substitution d'importation et une forte intervention publique. Les politiques d'inspiration marxiste sont
plus radicales: elles visent à un découplage et favorisent un développement endogène appuyé sur la
nationalisation de la production et la réforme agraire (collectivisation ou redistribution des terres).
. L'approche libérale. Vers le milieu des années 80, après deux décennies de développement, force est de
constater un échec relatif des stratégies adoptées. L'inflation et une dette énorme pèsent lourdement sur
les économies d'Afrique et d'Amérique latine. Les emprunts réalisés n'ont pas eu l'effet escompté. En
Afrique, les prêts ont souvent servi à alimenter des «éléphants blancs»: de grands projets de barrages,
d'équipements électriques ou d'usines modernes qui n'ont jamais fonctionné.
A lire :

Diversité culturelle Il n'est pas possible de fermer les yeux sur l'histoire de l'humanité jusqu'à nos jours
et sur le caractère autochtone des civilisations et des cultures, pas seulement de la civilisation chrétienne.
La pluralité des civilisations est un fait historique. Les pressions à l'uniformisation pourraient provoquer
le soulèvement des civilisations différentes, moins développées du point de vue technique et matériel,
avec toutes les conséquences que cela entraînerait. La seconde moitié du siècle dernier a marqué la fin de
l'eurocentrisme dans l'évolution de la civilisation humaine. Toutefois, il semble aujourd'hui qu'aucun
enseignement n'ait été tiré de tout ce que l'eurocentrisme a provoqué dans le monde, en bien ou en mal,
pendant cinq cents ans. C'est pourquoi, il semble urgent de trouver des leviers et des méthodes capables
d'intensifier le dialogue entre les civilisations, afin de prévenir les risques de conflits de civilisations,
conflits qui pourraient être bien plus durs que la confrontation du temps de la guerre froide. Un monde
dans lequel les frontières sont de moins en moins importantes ne porte pas nécessairement à la

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coopération et à l'intégration. Il peut entraîner une perte d'identité, une perte de sécurité humaine,
culturelle et sociale, ce qui est source d'intolérance, de rejet, de révolte et de conflit. Souvent il arrive
que la tradition, la culture et la religion soient manipulées et que ces phénomènes soient instrumentalisés
dans les confrontations politiques. C'est pourquoi le dialogue interculturel est si important car il peut
prévenir les conflits qui risquent de dominer la planète. Enfin, tout le monde sait que, tout au long de
l'histoire, la lutte contre la culture des autres ou la lutte contre la civilisation des autres revenait toujours,
en fin de compte, à la lutte contre sa propre culture, contre sa propre civilisation et contre le bien-être de
l'humanité.
Il convient de rappeler que la mondialisation, c’est avant tout la loi de l’ économie qui s’impose (ou
tente de s’imposer) à toutes les autres activités, sans discussion de frontières, de nature et de qualité.
C’est un primat absolu et sans partage qui ne se conçoit, du point de vue de l’économie, que sous la
forme d’une domination, que ce soit sous une figure « amicale » ou brutale. Il est donc inutile
d'entretenir la moindre illusion sur le fait que ce processus puisse contribuer, sans contrainte extérieure, à
préserver, encourager et développer la diversité – que cette diversité soit sociale, éducative ou culturelle.
En fait, l'économie globalisante n'a qu'un modèle à proposer à la culture et à l'éducation: celui de leur
industrialisation, dont les principes et les modes de fonctionnement sont comparables, sinon identiques,
quels que soient les secteurs concernés: l'Université, l'enseignement professionnel, le cinéma, les
musées, le livre, les spectacles vivants, la musique. Cette économie n'a à proposer à la culture et à
l'éducation que ce qu'elle nomme «bonne gestion », et qui n'est en réalité que la bonne gestion des
intérêts qu'elle défend -la gestion financière « optimisée» des investissements dont elle assume la charge
«en bon père de famille », en chef de ce foyer qu'est redevenu « le globe », dont tout dépend, auquel tout
doit revenir.
La mondialisation a ceci de particulier que tout peut devenir marchand, la culture y compris. En
imposant des règles marchandes sur ce secteur, elle conduit bien évidemment à une standardisation de la
consommation des biens culturels, l’omniprésence de la musique et du cinéma américains dans le
monde est, à ce titre, des plus frappantes. En vérité, la globalisation ne peut apporter que de la gestion,
et une gestion « pour compte de tiers» - le tiers en question n'étant ni le citoyen, ni l'État, ni l'intérêt
général.
L’OMC* a récemment décidé d’élargir son champ d’interventions aux biens culturels, et dans le cadre
des négociations de Doha fin 2002, quelques Etats membres de l’organisation ont choisi de libéraliser
leur industrie culturelle. Ils restent cependant minoritaires (22 sur 144 pays membres de l’OMC), et une
petite révolution semble en marche, qui devrait élargir le fameux concept d’exception culturelle.*

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1
Dans un précieux petit ouvrage , Serge Regourd fait le point sur la notion souvent mal maîtrisée,
d'« exception culturelle » : il s'agit, en fait, d'une simple dérogation, provisoire, et pour le seul secteur de
l'audiovisuel, aux principes libre-échangistes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Malgré
ces limites, la notion a une efficience juridique dont ne dispose pas celle qui est maintenant avancée pour
la remplacer : la diversité culturelle. On comprend mieux que Jean-Marie Messier, du temps de sa
splendeur, se soit déclaré hostile à la première et enthousiaste de la seconde... Il n'y a qu'une voie pour
protéger réellement la diversité culturelle : exclure complètement les échanges culturels, au sens le plus
large, et aussi la santé, l'éducation, du champ de compétences et des disciplines de l'OMC et forger un
nouvel instrument juridique international pour les réguler.

Les biens culturels ne sont pas des produits comme les autres, position récurrente de l’Union
Européenne, farouchement défendue par la France contre les Etats-Unis.

La France souhaitait que le mandat de négociation de la Commission européenne exclut explicitement le


culture du cycle de négociations commerciales de l’OMC à Seattle en novembre 1999, mais la Grande-
Bretagne, les Pays-Bas et la Suède refusèrent cette proposition en faisant valoir que l’Union européenne
ne pouvait, à la fois, exiger que le Seattle Round concerne des sujets que les Américains ne souhaitaient
pas aborder (la concurrence, l’environnement, le transport maritime) et exclut la culture. La France
obtint le durcissement d’un projet de mandat de la présidence finlandaise de l’Union au sujet à la
« diversité culturelle », mais omettant de faire référence aux « acquis » l’Uruguay Round en 1993 et
ouvrant ainsi la voie à d’éventuelles « offres de libéralisation » de la part de l’Union européenne. Le
mandat, finalement approuvé par les Quinze disposait que « L’Union veillera à garantir la possibilité
pour la Communauté et ses États membres de préserver développer leur capacité à définir et mettre en
œuvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles pour la préservation de leur diversité culturelle. »
Les Quinze se fixaient ainsi pour objectif de pouvoir continuer à subventionner la production de films
européens sur fond publics et a imposer aux télévisions des États membres des quotas de diffusion
d’œuvres européennes.
En février 2003 se sont déroulées à Paris les rencontres internationales des organisations
professionnelles de la culture. Les participants regroupant plus de 35 pays ont exhorté les autres pays du
monde à faire bloc autour du projet de « Traité sur la diversité culturelle ». Le traité prévoyait que les
signataires « s’opposent à la libéralisation des échanges et des biens dans le domaine de la culture, tout
en s’engageant à promouvoir la circulation des œuvres artistiques d’un pays à l’autre, à soutenir
activement la création artistique et à faire œuvre de solidarité envers les pays en voie de développement
1
PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2002, 127 pages, 5 euro.

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», projet plus alter-mondialiste qu’anti-mondialiste. Pour dénoncer «L’impérialisme culturel
américain», on s'appuie sur des faits: la machine hollywoodienne, CNN, les séries télévisées (de X Files
à Friends), les chaînes de fiction et de divertissement du satellite, les musiques américaines jazz, rock,
rap, techno, etc.). On évoque aussi les intentions de Washington en matière de « soft power », concept
selon lequel la connaissance et la culture sont un pouvoir, un pouvoir de séduction des cœurs et des
esprits qui vaut bien celui des armes. Le combat s'anime donc aussi dans le domaine culturel depuis
l'empoignade de 1'« Uruguay Round» (1993-1994) sur 1'exception culturelle et l'échec de la tentative de
libéraliser le secteur de la culture lors de la négociation de l'AMI *(Accord multilatéral sur l'investisse-
ment) qui s'est tenue entre 1995 et 1998 dans le cadre de l'OCDE.*. Depuis, la perspective d'un marché
mondialisé de la culture, traitant celle-ci à l'instar d'une marchandise comme les autres, a suscité de
nombreuses réactions: refus de négocier la libéralisation des services audiovisuels lors du sommet de
l'OMC organisé à Seattle en 1999 ; inclusion des biens culturels dans l'accord de libre-échange nord-
américain (ALENA) pour les sortir du lot; dispositif européen avec la directive télévision sans frontières
et le programme Media (dispositif de soutien financier aux productions européennes) ;
« Les pays ont le droit et le devoir de mener les politiques culturelles de leur choix, hors de toute
contrainte extérieure, dans le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression », selon la
déclaration de l'UNESCO en novembre 2001 sur la diversité culturelle.
La France, le Canada, la Corée, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Chili, l’Argentine et le Mexique
forment une première coalition qui espère pouvoir inscrire ce Traité sous l’égide de l’UNESCO, afin de
lui donner un caractère international et contraignant, et vise une ratification du traité en 2005.

Drogue et mondialisation ( Ignacio, creo que hay que corregir el estilo de Parvex, chileno que domina
el tema, mas no la lengua de Molière)
Parmi les multiples griefs que l’on peut faire au néo-libéralisme triomphant, nous ne devons pas oublier
la toxicomanie due à la montée en puissance de la production et à la consommation mondiale de
drogues. Pour comprendre quels sont les liens existant entre ce courant économique mondialisé et le
fléau de la toxicomanie, il faut se rappeler que les substances psychotropes à l’origine de celle-ci sont
des marchandises soumises aux mêmes lois et mêmes mécanismes économiques que n’importe quel
autre produit commercial. Or le néo-libéralisme, étape exacerbée du capitalisme moderne, a réussi à
rendre commercialisables pratiquement tous les produits et toutes les ressources naturelles de la planète
grâce à une impitoyable mise en concurrence commerciale entre diverses régions et nations du monde.
Ainsi, bien des produits locaux appartenant aux pharmacopées locales, ou ayant une valeur liturgique ou

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magico-religieuse, sont devenus des marchandises soumises aux mécanismes internationaux de l’offre
et de la demande.
Comme tous biens et marchandises échangés de par le monde, les substances psychotropes d’origine
végétale - de loin les plus nombreuses et les plus utilisées – suivent l’itinéraire classique : production,
transformation, transport-distribution et consommation. A ces quatre phases, il faudrait ajouter celles de
la capitalisation et de l’investissement, bien qu’elles ne concernent pas les produits en tant que tels, mais
plutôt leurs profits économiques.
Ce qu’on appelle drogues sont en réalité des substances chimiques (principes actifs) capables d’agir sur
le système nerveux central et modifier ainsi le comportement des consommateurs. Ces principes actifs
se trouvent en quantités infinitésimales dans des plantes réparties dans différentes régions du monde. La
plupart de ces végétaux poussent dans des pays pauvres de l’espace intertropical. Tel est le cas du
cocaïer (Erythroxylon coca ) espèce endémique des pays andins, ou du pavot (Papaver somniferum)
originaire de la Méditerranée orientale et de l’Asie Mineure. En revanche, le cannabis (Cannabis sativa)
est une plante présente sur pratiquement toute la surface de la terre, mais cultivée de façon commerciale
surtout dans le Tiers Monde.
Justement, dans le contexte concurrentiel mis en place par la mondialisation néo-libérale, ces régions
mal-développées (Asie Centrale, Bolivie, Maroc, Mexique, Pérou, …), faiblement industrialisées,
pratiquant une agriculture peu mécanisée et à productivité réduite et sont absolument incapables de
disputer les marchés internationaux aux économies du Nord. Sauf pour les biens que les pays
industrialisés ne produisent pas, comme certaines denrées agricoles d’origine tropicale parmi lesquelles
se trouvent les drogues. En économie cela s’appelle des avantages comparatifs, et c’est bien de cela qu’il
s’agit quand on parle de production et d’exportation illicites de drogues à partir du Tiers Monde.
De même que la production d’oranges est récoltée et que celles-ci sont pressées, leur jus filtré, mis en
bouteille et les bouteilles étiquetées, empaquetées et exportées par bateau, les « plantes à drogue », une
fois récoltées, sont traitées et soumises à une transformation agro-industrielle. Celle-ci sert à extraire les
principes actifs qui constituent la « partie noble » du végétal, grâce à un triple processus destiné à isoler,
concentrer et purifier le psychotrope.
Cette étape permet aux paysans ou aux ruraux des pays producteurs d’avoir un emploi et d’ajouter de la
valeur « travail » à des matières premières d’origine agricole. Il est évident que la domination
économique du Nord, qui marginalise complètement les pays pauvres du commerce international, qui
empêche les investissements productifs de s’y faire et qui pratique des crédits usuriers, constitue le
premier facteur qui pousse les populations rurales des pays mal-développés vers des activités

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productives interdites, seules à même de leur fournir du travail.
Comme tout produit destiné à un marché, le circuit commercial de la drogue va du producteur au
consommateur. Le producteur se trouvant au Sud et la clientèle solvable au Nord, c’est bien dans ce
sens qu’est fait le transport de la drogue. Les logiques commerciales capitalistes sont ici respectées à la
lettre. Ceci a une nuance près, car s’agissant d’un produit illégal, la distribution producteur-
consommateur doit se faire de manière clandestine, ce qui constitue du trafic. Mais en fin de compte, on
a bien à faire ici à du commerce international.
Mais, quelle est la relation entre mondialisation néo-libérale et trafic ? Elle est très étroite, lorsqu’on sait
que la clef de voûte de la mondialisation capitaliste est représentée par la libéralisation des échanges
commerciaux. Pour atteindre cet objectif, les Etats-Unis ont travaillé des années durant jusqu’à obtenir la
signature des accords du GATT, ce qui en 1995, a ouvert la voie à la création de l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC). En résumant, on pourrait dire que le but essentiel des accords du
GATT a été la baisse généralisée des tarifs douaniers pour ainsi faire disparaître les barrières qui
entravent le commerce international. Mais réduire les droits de douanes et baisser les taxes aux frontières
veut dire aussi anéantir la protection commerciale des pays peu compétitifs ou des nations aux
productions faiblement concurrentielles. Les accords du GATT équivalent donc à ouvrir les vannes qui
séparent l’étang des requins de celui des sardines, tout on disant : que le meilleur gagne !
La signature des accords du GATT, suivis de la mise en place de l’OMC ont constitué des véritables
coups de fouet pour le commerce international, activité qui n’a pas cessé de progresser depuis huit ans.
Qui dit augmentation des échanges commerciaux et diminution des entraves aux frontières dit
forcement, augmentation de la perméabilité aux trafics. Si en plus nous prenons en considération que la
doctrine néo-libérale a contribué au démantèlement des structures étatiques chargées des frontières et des
douanes, alors le lien reliant trafics et néo-libéralisme globalisant est plus qu’évident.
Pour finir avec ce chapitre, il faudrait ajouter que le néo-libéralisme mondialisant a exacerbé l’appât du
gain et a placé le profit au centre de l’activité humaine. La mise en avant de ces principes par toutes les
institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, BID…) a été un facteur déterminant dans
l’augmentation des cas de détournement de fonds, de commissions occultes et de corruption aussi bien
au niveau de l’administration publique que des entreprises privées.
La clientèle solvable se trouve dans les pays industrialisés et le trafic doit en assurer
l’approvisionnement jusqu’au cœur de leurs villes. S’agissant de produits illégaux, sévèrement contrôlés
et faisant l’objet d’énormes intérêts commerciaux, le trafic de drogue est souvent lié à la criminalité et à
l’existence de bandes organisées. Nombre de substances interdites sont consommées par des populations

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marginales et désocialisées ce qui renforce l’aspect délictuel de leur usage. En même temps, le
caractère souterrain de la vente et de la consommation ne fait qu’augmenter les risques socio-sanitaires
de ces pratiques.
Alors, quel est le lien avec le néo-libéralisme triomphant de ces vingt dernières années ? Un des objectifs
de ce courant économique né entre la fin des années 60’ et le début des années 70’ a été de pousser au
désengagement économique de l’Etat. Ce retrait s’est soldé par l’abandon d’un bon nombre de plans à
vocation sociale et par la réduction, voire la disparition des financements destinés au logement, à la santé
et à l’éducation, etc.
Cette politique appliquée au pays du Tiers Monde par le truchement des Plans d’Ajustement Structurels
(PAS) imposés par la Fonds Monétaire International a eu comme conséquence immédiate, de fragiliser
la situation des populations les plus démunies et d’amener à la misère des secteurs vivant déjà dans la
pauvreté.
D’un point de vue plus sociologique, il faut rappeler que le libéralisme a toujours privilégié l’individu
par rapport au collectif et que cela a beaucoup contribué à fragiliser les structures communautaires et
familiales qui traditionnellement protégeaient les secteurs les plus marginalisés. Nous avons à faire ici à
la partie la plus clandestine, secrète et rentable de « l’industrie » de la drogue.
Une fois débitée par petites doses et payée en petites coupures, la drogue est à l’origine d’énormes
sommes d’argent qui doivent être « légalisées ». Cela consiste à faire passer ces fonds, des circuits
clandestins vers des activités légales, telles que le tourisme, la promotion immobilière, la bourse et bien
d’autres. Cette tâche est la spécialité de banques et d’institutions financières travaillant en toute légalité
et ayant pignon sur rue dans tous les grands pays industrialisés. Tous les ans, des milliards de dollars
sont ainsi « blanchis » et réinjectés dans l’économie légale, toujours à la recherche de nouveaux capitaux
et assoiffée d’ investissements rentables.
L’ouverture des frontières aux flux financiers que le néolibéralisme mondialisé a appelée de ses vœux a
été l’un des principaux leviers utilisés par les « blanchisseurs ». Toutefois il y en a bien d’autres : la
vente des bons du trésor crées par certains gouvernements, les privatisations d’entreprises d’Etat, le
rachat par des banques et de particuliers des dettes privées et publiques… toutes des mesures ouvrant
une voie royale aux profits rapportés par la drogue et les toxicomanies.
Chaque étape de la chaîne de la drogue : production, transformation, distribution et consommation, a été
stimulée et renforcée par les mesures créés et prises par le libéralisme triomphant. Ainsi, cette doctrine
qui s’est approprié des commandes économiques mondiales depuis la fin des années 70’ constitue l’un
des facteurs majeurs de la montée en flèche de :

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la production de drogue (cultures illicites étant les seule rentables pour beaucoup de pays pauvres), de
la transformation sur place (l’une des rares activités créant de la valeur ajoutée et donnant de l’emploi),
du trafic (grâce aux avantages commerciaux créés par le GATT-OMC) et de la consommation (dont
beaucoup de ceux qui sont devenus des consommateurs, ont été appauvris, marginalisés et désocialisés
par la rigueur budgétaire prônée par le néo-libéraux).

Economie solidaire. Le capitalisme a le don de mélanger et pervertir tous les mots de ses adversaires.
C'est le cas du développement durable, de l’économie sociale ou de l'agriculture raisonnée ou
permanente. Notons que les libéraux ont aussi repris la notion de revenu d'existence en proposant bien-
sûr un revenu dérisoire qui remplacerait toutes les autres...
L'économie sociale, née au XIXème siècle, s'est concentrée sur la protection des travailleurs. Il s'agit des
coopératives ouvrières, des mutuelles, etc... L'économie solidaire conserve les valeurs de l'économie
sociale traditionnelle mais découle davantage « d'initiatives citoyennes» qui portent surtout sur la
solidarité, la protection de l'environnement et la création de nouveaux services. Elle repose les deux
questions fondamentales posées aux origines de l'économie sociale: Celle de la répartition du pouvoir au
sein des entreprises dans la gestion des activités économiques; celle de solidarités concrètes pour
renforcer l'intégration collective.
C'est une économie sociale et solidaire qu'il faut inventer, en tant qu'élément se situant à côté des
logiques économiques du marché et d'un service public fortement menacé. Donc une économie plurielle.
Cette économie solidaire connaît encore diverses appellations: « tiers secteur à finalités sociale et
écologique », «tiers secteur d'économie de proximité », ou, plus simplement, «tiers secteur». Des

dénominations qui recouvrent une diversité de fonctions - relais, d'une certaine manière, des anciennes
formes de l'économie sociale qui, avec ses mutuelles, ses coopératives ouvrières et ses associations ont
vaillamment défendu leur place au XXe siècle. L'économie solidaire dépasse de loin l'idée de créer, à
l'intention des chômeurs, un « secteur occupationnel et convivial» dans lequel les sans-emplois peu
qualifiés accompliraient toutes sortes de « petits boulots».
Il est temps, car le paradoxe est éclatant : jamais les pays occidentaux n'ont été aussi riches, jamais les
sociétés n'ont été aussi inégalitaires. En Europe, des dizaines de millions d'hommes et de femmes vivent
dans la pauvreté et la marginalité. Pour sortir de ces impasses, il est temps d'explorer de nouvelles pistes,
notamment celles de l'économie solidaire, qui permet de déconnecter le travail, les revenus et les droits
sociaux. Cette nouvelle économie, au sens authentique du terme, renoue par certains aspects avec

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quelques-unes des traditions ouvrières de lutte contre la misère. Elle plonge ses racines jusqu'au
Moyen Age. Les guildes, confréries et jurandes, corporations et compagnonnages constituent ses
lointains ancêtres. Apparu au XIIIe siècle, le compagnonnage restera, sous l'Ancien Régime, la forme
principale d'organisation des ouvriers professionnels français, et il a survécu jusqu'à aujourd'hui.
Cependant, les philosophes des Lumières verront dans les corporations une entrave à la liberté
individuelle et la Révolution française refusera toute légitimité aux corps intermédiaires entre l'individu
et la nation. Ainsi, la loi Le Chapelier de 1791 interdit tout regroupement volontaire sur une base
professionnelle. C'est seulement en 1884, à l'initiative de Waldeck-Rousseau, que la liberté de constituer
des syndicats professionnels sera accordée. En 1898, la loi fondatrice de la mutualité sera votée, suivie,
en 1901, par celle autorisant la liberté d'association.
Les premiers théoriciens et les expériences initiales de l'économie sociale apparaissent au début du XIXe
siècle, en réaction à la brutalité de la révolution industrielle. Face à la pensée libérale, le socialisme
utopique de Saint-Simon (1760-1825) dessine la vision d'un système industriel dont l'objectif serait de
procurer le plus de bien-être possible aux classes laborieuses unies en associations de citoyens, la
redistribution équitable des richesses étant, elle, du ressort de l'Etat. A la même époque, Charles Fourier
(1772-1837) inventera le phalanstère, où la répartition des biens s'effectue selon le travail fourni, le
capital apporté et le talent.
Pierre Proudhon (1809-1865), critique radical de la propriété privée, sera le précurseur d'un système
mutualiste où l'argent est remplacé par des « bons de circulation » et où les sociétaires échangent des
services. Mais, penseur anarchiste, il refuse toute intervention de l'Etat. A l'inverse, Louis Blanc, dans
son ouvrage L'Organisation du travail, publié en 1839, décrit une société renouvelée, fondée sur la
création de coopératives, l'Etat ayant la responsabilité de généraliser ce système à l'ensemble de la
production.
Autre grande source d'inspiration de l'économie sociale : le christianisme social, courant de pensée
réformiste représenté en France par Frédéric Le Play (1806-1882) et Armand de Melun (1807-1877).
Inséparable de l'histoire du mouvement ouvrier, de ses divisions et de la résistance à la construction
d'une société fondée sur le profit, l'économie sociale, ou « troisième secteur », regroupe des structures
très différentes par la taille et la nature de leurs activités. Qu'elles revêtent la forme de mutuelles, de
coopératives, d'associations ou de fondations en France, en Italie, en Espagne et en Allemagne, ou de
self-help organizations, de charités ou de non-profit. Ces institutions affirment toutes partager cinq
principes sacrés, un objectif fondamental et des exigences sociales : l'indépendance vis-à-vis de l'Etat, la
libre adhésion des sociétaires, la structure démocratique du pouvoir (une personne, une voix), le

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caractère inaliénable et collectif du capital de l'entreprise, et l'absence de rémunération du capital,
voilà pour les principes. L'objectif fondamental se définit par la fourniture de biens et de services au
meilleur coût, de manière à servir l'intérêt mutuel des adhérents ou, plus largement, d'assurer un service
d'intérêt général que l'Etat ne veut ou ne peut assumer.
Quant aux exigences sociales, elles imposent à l'entreprise du tiers-secteur non seulement de respecter le
droit du travail, mais, en outre, de concourir, par son organisation équitable, à l'épanouissement, à
l'éducation et à la formation de tous ceux qui, bénévoles ou salariés, y travaillent. Bref, les entreprises de
l'économie sociale prétendent ne pas être des entreprises comme les autres . La réalité est cependant
beaucoup plus contrastée.
Sur les 370 millions d'habitants de l'Union européenne, et en tenant compte du fait qu'une même
personne peut se retrouver dans plusieurs d'entre elles, plus de 30 % sont membres d'une organisation ou
d'une entreprise de l'économie sociale. Selon une étude publiée par la Commission européenne en 1997,
l'ensemble de ses composantes représentait, en 1990, de 6 % à 6,5 % des entreprises, soit 5,3 % de
l'emploi privé, voire 6,3 % suivant d'autres approches.
Leurs performances de gestion, dans les domaines de la banque et des assurances notamment, sont
souvent considérées comme supérieures à celles des entreprises capitalistes traditionnelles. Et cela bien
qu'elles n'aient pas accès au financement du marché boursier et qu'elles puissent avoir des difficultés à
disposer de fonds propres suffisants. Or les banques coopératives, avec plus de 1 milliards d'euro de
dépôts, près de 900 millions d'euro de crédit, 36 millions de sociétaires et 601 millions de clients
détiennent 17 % de part de marché. Pour les mutuelles et coopératives d'assurances, cette part était, en
1995, de 29,2 % en Europe de l'Ouest, 30,8 % au Japon et 31,9 % aux Etats-Unis.
Les rapports entre les institutions de l'économie sociale et les pouvoirs publics se sont profondément
modifiés en Europe après la seconde guerre mondiale. Après le premier choc pétrolier, la crise
économique et la montée du chômage ont contribué à renforcer partout leur rôle, avec des modalités
différentes suivant les pays. Au Royaume-Uni, certaines activités sociales ont été reprises par le secteur
privé, en raison de la politique de réduction des dépenses publiques menée par Mme Margaret Thatcher.
En Espagne, les restrictions budgétaires ont conduit les collectivités à privatiser une partie de leurs
services sociaux. Les entreprises marchandes se sont alors emparées de la partie lucrative de la demande,
laissant aux associations le secteur non solvable. En France et en Italie, en revanche, on n'a pas constaté
de désengagement financier de l'Etat (8).
La Commission européenne dénombrait, en 1995, plus d'un million d'associations en Europe,
rassemblant 30 % à 50 % de la population suivant les pays. Les dépenses de ces associations

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représentent en moyenne 3,5 % du produit intérieur brut (PIB). La France, avec 3,3 % du PIB, est
proche de la moyenne communautaire. Ses 730 000 associations emploient 1 274 000 salariés, pour un
montant de ressources évalué à 220 milliards de francs, et provenant à 60 % des fonds publics (9). La
montée du chômage et de la pauvreté en Europe dans les années 80 a provoqué l'apparition de nouvelles
entreprises sociales. Outils de lutte contre l'exclusion, vecteurs d'innovation, elles représentent bien
souvent une réponse à de nouveaux besoins, face à l'incapacité des administrations et des collectivités
locales et territoriales à imaginer et à mettre en oeuvre des solutions efficaces. Le terrain laissé libre par
cette carence partielle des pouvoirs publics et les reculs de l'Etat-providence devant la poussée libérale
ont donné naissance à une nouvelle forme d'économie sociale : l'économie solidaire (10).
. C'est en son sein que l'on trouve les organisations les plus militantes, mais aussi les plus fragiles :
entreprises d'insertion ; régies de quartiers qui se préoccupent de l'amélioration de la qualité de vie et de
l'habitat ; associations intermédiaires qui embauchent des personnes en difficulté pour assurer des tâches
non prises en compte par le secteur privé traditionnel ; petites coopératives assurant des services de
proximité ; restauration, portage de repas à domicile pour des personnes dépendantes, repassage,
nettoyage, couture, aide ménagère. En Italie, la loi de 1991 a conforté l'existence de ce qui constitue
l'une des innovations les plus intéressantes de cette économie solidaire, les coopératives de solidarité
sociale, ainsi que leur regroupement en structures de deuxième niveau : les consortiums. En France, dans
le cadre de la décentralisation, l'Etat et les collectivités ont délégué une part de l'action sociale et de
l'effort d'insertion à des institutions locales de l'économie solidaire, tout en maintenant leur effort
financier.
Si une partie de l'économie solidaire financée sur fonds privés représente un gisement impressionnant de
militantisme, d'initiatives et d'innovation, son poids économique est faible comparé à celui des
mammouths de l'économie sociale : mutuelles d'assurances, banques coopératives, grandes associations
financées par l'Etat. Alors, économie sociale et économie solidaire appartiennent-elles à deux mondes
qui s'ignorent ? Pas tout à fait : la première est souvent solidaire de la seconde pour le démarrage, le
suivi et le financement de projets. Outre l'action des fondations créées par les grandes banques
coopératives et les mutuelles - qui financent chacune une vingtaine de projets par an -, des institutions
financières proposent aux particuliers des placements éthiques et des placements de partage. Ces
placements, actuellement évalués en France à 2,7 milliards de francs, représentent une goutte d'eau dans
la mer si on les compare au stock de l'épargne salariale, estimée, elle, à 250 milliards de francs. Plus de
4 000 entreprises et 20 000 emplois ont cependant été créés par ce type d'aide. Des dispositifs analogues
existent ailleurs en Europe.

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Loin d'être marginal, le secteur de l'économie sociale et solidaire, qui ne cesse d'ailleurs de s'étendre,
du moins formellement, est un « poids lourd de l'économie » en Europe, suivant l'expression de
M. Thierry Jeantet, membre du Comité consultatif de l'économie sociale. Mais sa visibilité pour les
citoyens et les pouvoirs publics n'est pas à la mesure de son importance. Confrontés à la situation inédite
de la coexistence d'une richesse en augmentation constante et d'un sous-emploi2 accompagné d'une
pauvreté qui s'aggrave, les sociétés développées seraient acculées, si l'on en juge par ce qui s'est passé
depuis une quinzaine d'années, à choisir entre la misère avec un peu moins de chômage (version
américaine) et la misère avec un peu plus de chômage (version Europe continentale). Face à cette
évolution, les néolibéraux se rassurent en invoquant la théorie du « déversement », proposée par Alfred
Sauvy, qui explique comment, sous l'effet du progrès technique, la population active s'est « déversée »
de l'agriculture dans l'industrie, puis de cette dernière dans les services. Ils affirment que la révolution
informationnelle ne peut pas engendrer un chômage durable, car il faut constamment fabriquer de
nouveaux systèmes de production, et, par ailleurs, de l'emploi continuera de se créer naturellement dans
le tertiaire en raison de l'existence de nombreux besoins non satisfaits.
Ces logiques gouvernent encore, pour partie, les comportements. S'appuyant sur cette analyse, le
sociologue Jean-Louis Laville a mis en évidence que l'activité économique s'articule, dans des
proportions variables selon l'époque et le lieu, autour de trois pôles : le monétaire marchand (le marché),
le monétaire non marchand (la redistribution opérée par l'Etat- providence) et le non-monétaire non
marchand (l'économie de proximité, c'est- à-dire le troc de biens et de services effectué par les individus
dans leur voisinage).
L'idée fait son chemin que la main-d’œuvre excédentaire de l'agriculture, de l'industrie et du tertiaire
marchand pourrait, dans l'avenir, se déverser naturellement dans le tertiaire non marchand. Cette thèse ne
prend pas en compte un fait essentiel : si de nouveaux mécanismes de redistribution de la richesse créée
ne sont pas rapidement mis en place, le développement des services de proximité va buter, à court ou
moyen terme, sur l'insolvabilité des personnes physiques ou morales susceptibles d'y avoir recours. Et on
voit d'autant plus mal les libéraux mettre en oeuvre une telle redistribution que, pour eux, c'est dans
l'augmentation de l'efficience productive que réside la solution au problème de l'emploi. C'est, une fois
de plus, ne faire aucun cas de ce qui est pourtant désormais établi : si la relation entre la productivité et
l'emploi a été positive jusqu'à la fin des années 70, elle est désormais négative. Ainsi, dans la grande
majorité des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
les gains de productivité, loin de créer de l'emploi, en détruisent.
2
Le concept de sous-emploi, plus large que celui de chômage, regroupe les chômeurs, les
travailleurs découragés et les travailleurs à temps partiel .

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Chacune à leur manière, les politiques libérale et keynésienne ont systématiquement privilégié l'axe
monétaire. Elles ont ignoré, voire détruit, le troisième pôle qui concernait pourtant encore 49 % de la
population française au lendemain de la seconde guerre mondiale. Depuis, le libéralisme triomphant est
parvenu, dans l'immense majorité des pays, à soumettre la totalité de l'activité économique à la seule
logique du marché. Un rééquilibrage entre ces trois pôles s'impose, qui passe, au moins, par deux types
de mesures : la réduction- réorganisation du travail et le développement de l'économie solidaire.
Accepter de tels diagnostics serait faire preuve d'une double méconnaissance : celle de la nature de la
révolution informationnelle et celle de la pluralité des logiques économiques mobilisables pour sortir de
cette impasse : réduction-réorganisation du travail, revenu d'existence assorti de droits sociaux minimaux
et développement de l'économie solidaire.
Créées par le mouvement ouvrier, à la fin du XIXème siècle pour mettre en œuvre des solidarités face à
la violence du capitalisme, et pour s'approprier des moyens collectifs de production, coopératives,
mutuelles et associations sont loin d'être les appendices du système dominant. Elles interviennent au
moins sur trois registres: Les impératifs socio-économiques (besoins de stricte nécessité), les impératifs
socioculturels (identité) et les impératifs sociopolitiques (projet de société).
Il est nécessaire de donner une cohérence et des règles à ce troisième champ économique. A cette fin,
Bernard Eme et Jean-Louis Laville proposent des mesures allant de la constitution d'une sphère
d'activités déléguées contractuellement par l'Etat à une reconnaissance sociale du volontariat (par
l'obtention de droits tels que la retraite ou la couverture maladie pour un travail non rémunéré, mais
représentant un apport à la collectivité), en passant par la garantie (grâce à des droits et des procédures)
de l'autonomie des projets d'économie solidaire. Cela afin d'éviter toute confusion avec les dispositifs de
traitement du chômage.
Mais que pèse l'économie solidaire face à l'hégémonie mondiale du capital? Comment inverser la
logique et passer du stade de l'initiative locale, voire micro locale, à un développement qui remettrait
l'économie au service de la personne? Selon les participants aux deuxièmes Rencontres internationales
de la globalisation de la solidarité en 2001, «le premier développement est celui d'une économie de rez-
de-chaussée, une économie populaire qui transite par les systèmes locaux d'échange dans les marchés
urbains élémentaires, les petites boutiques d'artisans, les petits ateliers de production. Tout cela forme
les bases indispensables et les ressorts sans lesquels le développement à une autre échelle devient
impossible ". Pour passer à l'échelle supérieure, treize défis sont à relever: l'agriculture, la paix, les arts et
la culture, l'environnement, l'emploi, le commerce équitable, le transfert des savoirs, l'habitat, les
politiques publiques, les services de proximité, la coopération internationale, le développement local et

92
93
son financement.
C'est par l'instauration d'une démocratie active, la participation des populations aux politiques de
développement local, à la gestion et à la maîtrise des modes de financement, y compris non monétaires -
comme les banques de temps et les monnaies sociales - que les citoyens construiront une nouvelle
relation au politique et se réapproprieront leur avenir. Pragmatique, le réseau international d'économie
solidaire compte se doter d'outils d'évaluation des besoins exprimés par les populations afin d'y répondre
«dans la transparence et l'équité n. La valorisation des expériences, les stages d'intégration, le transfert
des savoir-faire, comme celui des technologies, vont devoir passer à la vitesse supérieure, c'est-à-dire,
inclure des méthodologies participatives pour le partage, l'échange et la création de nouveaux savoirs.
Cela commence, comme le fait le GESQ au Québec, par la création de forums d'information, de forma-
tion et de mobilisation sur les solidarités Nord-Sud.
L'économie solidaire implique un autre rapport à l'argent. Le système financier exclut nombre
d'entrepreneurs potentiels. La sélectivité du crédit et le rationnement de l'offre - découlant de la
recherche de rentabilité bancaire - aboutissent à ce que, selon une étude réalisée en 1999, seulement
22 % des entreprises nouvellement créées obtiennent un financement bancaire. Pour remédier à cette
inégalité devant l'initiative, des actions de mobilisation d'épargne locale et solidaire ont commencé à
s'organiser et mériteraient l'encouragement ou, pour le moins, la suppression des discriminations fiscales
négatives dont elles font l'objet. Les formules varient. Participation en capital pour Autonomie et
Solidarité dans le Nord, Herrikoa au Pays basque, Femi Qui en Corse ; financement des investissements
et du démarrage de l'entreprise pour les Clubs d'épargne pour les femmes qui entreprennent (Clefe), etc.
Une démarche qui implique la reconnaissance, le soutien et la promotion des expériences portées par des
femmes, souvent pionnières dans la mise en œuvre, quels que soient les continents, de modes
d'organisation sociale et de développement innovants. Pour être en mesure de travailler en temps réel à
l'échelle de la planète, favoriser les mises en réseau, les mobilisations internationales et inventer de
nouveaux modes de gestion démocratique, les acteurs de l'économie sociale et solidaire doivent aussi
s'emparer d'urgence des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
A Lire : . LES VRAIES LOIS DE L'ÉCONOMIE II- Jacques Généreux (Seuil/France-Culture, Paris, 2002, 163 pages.

Jean-Louis Laville (sous la direction de), L'Economie solidaire. Une perspective internationale, Desclée de Brouwer, Paris,
1994

Gérard Delfau et Jean-Louis Laville, Aux sources de l'économie solidaire, Thierry Quinqueton éditeur, Domont (95330),
2000

Joan Berney, Isabelle Darmon, Jordi Estivill, Les Entreprises sociales en Espagne, en France et en Italie, Cabinet d'estudis
socials, Barcelone, décembre 1999.

93
94
Edith Archambaut, Le Secteur sans but lucratif, Economica, Paris, 1996.

Eau « Les ressources naturelles sont inépuisables. » C’est ainsi que Jean-Baptiste Say imaginait les
rapports du capitalisme et de la nature. Une phrase qui aurait pu être inscrite au frontispice de la
Compagnie générales des eaux, créé en 1854, au moment où le père du libéralisme la prononce. Avec un
siècle d’avance, la France fait gérer son eau gratuite par des compagnies privées.

« La pénurie d'eau est le plus grand danger pesant sur la planète », répond M. Koïchiro Matsuura,
directeur général de l'Unesco. De tous les désastres qui menacent la Terre et qui ont été largement
évoqués lors du Sommet de Johannesburg, l'eau constituera un motif de tensions sociales, économiques,
politiques et sans doute militaires qui pourraient devenir un jour gravissimes.

Or bleu, pétrole doré, huile rose. Suivant les lieux et les époques, les qualificatifs et métaphores n’ont
jamais manqué pour tenter de décrire l’un des quatre éléments universels d’Empédocle, avec la terre,
l’air et le feu.

Les premières guerres de l’humanité ont été, à la Préhistoire, celles pour la possession du feu. Le XXI
siècle vivra-t-il - sur fond de changement climatique, d’effet de serre, de trou dans la couche d’ozone et
de pollutions de tous genres - la première guerre mondiale de l’eau ? A l’instar du feu pour nos ancêtres,
l’eau sera-t-elle une arme de domination et de destruction massive, ou s’affirmera comme un bien
commun, un facteur de développement durable, de progrès et de prospérités partagés par tous ?
Les guerres traditionnelles, les guerres du pétrole ne suffisent plus... Depuis des années, on essaye de
convaincre l’opinion publique mondiale de l’inévitabilité des «guerres de l’eau». L’eau serait destinée à
devenir l’une des causes principales de conflits entre Etats et, à l’intérieur des pays, entre groupes
sociaux et communautés territoriales.

L’argument utilisé est le suivant. L’eau douce disponible pour des usages humains (boire, irrigation
agricole, activités industrielles...) est en train de devenir rare et elle le sera encore plus à l’avenir en
raison de la pression exercée sur la ressource par une population en augmentation rapide. Dès lors, la
sécurité d’accès à l’eau et à son approvisionnement constitue déjà un défi stratégique majeur qui
alimente les conflits entre pays et les convoitises des entreprises multinationales privées (Coca Cola et
Nestlé ont acheté des aquifères au Brésil...).

L’argument est mystificateur. L’eau est devenue rare principalement en raison des usages insensés et
dilapidateurs que les humains ont fait de l’eau (prélèvements excessifs, gaspillages invraisemblables,

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pollution élevée). C’est ainsi que nous avons asséché les fleuves et les nappes, détruit la vie dans les
lacs, contaminé le sol, dévasté le territoire, favorisé les pluies acides, contribué à la diminution de la
diversité. Il est faux de faire croire que la raréfaction de l’eau continuera à s’intensifier. Il n’y a rien de
«naturel» et d’irréversible dans les processus actuels. La raréfaction de l’eau est construite par les
humains, donc modifiable. Il est faux également de faire croire que la croissance démographique est à
l’origine de la rareté de l’eau. Un Allemand occidental «consomme» en moyenne 90 fois plus d’eau
qu’un individu de l’Inde (dont 500 millions d’habitants ne savent pas ce que signifie une eau potable
saine). C’est dire que sur le plan de la consommation de l’eau les 80 millions d’Allemands équivalent à
environ 7 milliards d’Indiens.

La rareté de l’eau pour les 8 milliards de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable (selon
l’Organisation Mondiale de la Santé) et les 2,4 milliards ne bénéficiant d’aucun service sanitaire, est
essentiellement due à la pauvreté. Ce sont les pauvres et seront toujours les pauvres - si le monde
continue à aller comme aujourd’hui - pour qui l’eau est et sera rare. Et ce seront les intérêts économiques
et de puissance des pays les plus riches et forts qui, si rien ne les arrête, provoqueront les guerres.

Car la population mondiale croît à un rythme sans précédent. Au XVIe siècle il y avait 450 millions
d'individus sur la Terre. Aujourd'hui, notre planète en porte 6,3 milliards, et ce chiffre se stabilisera
probablement, vers 2050, autour de 10 milliards... Alors que la demande d'eau augmente, l'offre reste
fixe, avec un gaspillage considérable, aussi bien dans l'agriculture que dans l'industrie et dans l'utilisation
domestique. Par ailleurs, la contamination (emploi des engrais et pesticides chimiques, déversement des
déchets industriels, etc.), rend des quantités du précieux liquide inutilisables. Tout cela a des effets
dramatiques pour la santé. On estime que 3 millions de personnes meurent chaque année de maladies
liées à l'eau. Le climat lui-même, affecté par l'utilisation irrationnelle des technologies, provoque
inondations et débordements.
Il n’est pas étonnant que les chantres de l’ultralibéralisme travaillent à ce que l’État et les collectivités
publiques se désengagent des services publiques de base telle que la fourniture d’eau et ouvrent ce
secteur à la loi du marché et aux acteurs privés. Avec le soutient de l’OME et de la Banque mondiale, les
majors mondiaux de l’eau affirment que seuls les capitaux privés sont capables de financer les travaux
herculéens consistant à fournir une eau de quantité au milliard et demi d’êtres humains qui en sont
maintenant privés –et considérés selon eux comme des clients potentiels. Il faut surtout retenir que les
prêts des organismes financiers tel que la Banque mondiale ne sont consentis qu’aux seuls Etats qui
s’engagent à déléguer la gestion de leurs services de l’eau aux compagnies privées.
La dégradation de la qualité de l'eau due à la surexploitation des cours d'eau, des nappes phréatiques et

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des aquifères profonds, aux produits phytosanitaires utilisés par une agriculture de plus en plus in-
dustrialisée et intensive, aux rejets , eaux usées urbaines ou industrielles entraîne des inquiétudes
grandissantes de la part des pouvoirs publics, notamment l'engagement de leur responsabilité civile ou
pénale. En effet, certains se sont vus récemment poursuivis et condamnés au motif de la mauvaise
qualité de la ressource, qui avait entraîné une impossibilité de distribution aux usagers d'une eau
conforme aux normes sanitaires en vigueur. Chez les consommateurs, les doutes sur la qualité de ce
qu'ils ingèrent vont croissant. Ces facteurs d' inquiétudes aiguisent les appétits colossaux et
inextinguibles des géants mondiaux de l'agroalimentaire tels Unilever, Nestlé et Coca-Cola, toujours à
l'affût de juteux bénéfices.
D'autres «guerres » se profilent. Face aux informations sur la croissance et la dangerosité des pollutions
de toutes sortes, supposées ou avérées, les consommateurs font de moins en moins confiance à la qualité
de l'eau distribuée au robinet pour leur alimentation. Les ventes d'eau embouteillées ont fait des bonds
spectaculaires au cours des dernières années et la tendance s'emballe, tirant avec elle de prodigieux
profits. Autre nouveauté, les entreprises spécialisées dans la distribution d'eau purifiée ou de synthèse en
bonbonne. Nous les voyons progressivement installer leurs machines dans les lieux publics et les
entreprises. Inconsciemment, insidieusement, la défiance à l'égard du service public et de la qualité de
l'eau distribuée au robinet s'installe. À quel prix? Pour quels bénéfices et pour qui? L'actionnaire ou
l'usager? Et cela s'accompagne de nombreux gaspillages d'énergie pour réfrigérer cette eau, de matières
premières pour la fabrication des gobelets à usage unique, de déchets supplémentaires à évacuer et à
traiter, sans parler des camions de livraison de bonbonnes d'eau qui augmentent le cortège de nuisances
routières. Où est le développement durable? À quand l'abaissement des normes de qualité de l'eau du
robinet, qui ne serait plus réservée qu'aux seuls usages domestiques? Va-t-on bientôt assister à la «guerre
de la bouteille, de la bombonne et du robinet» ?
Petit à petit, on assiste ainsi à une véritable dérive sémantique de la notion du terme «eau potable », pour
le plus grand profit de quelques multinationales tentaculaires aux appétits insatiables et aux chiffres
d'affaires prodigieusement supérieurs au produit intérieur brut (pm) de nombreux pays.
Les ressources en eau sont limitées et mal réparties. Sur les quelque 40 000 milliards de mètres cubes
d'eau que déversent, chaque année, les pluies sur la Terre, 60 % arrosent seulement neuf pays: Brésil,
Canada, Chine, Colombie, Etats-Unis, Inde, Indonésie, République démocratique du Congo et Russie.
Dans d'autres régions, comme le pourtour méditerranéen, où l'eau depuis longtemps n'est pas très
abondante, la situation ne cesse de s'aggraver.
L’été 2002, par exemple, alors que des inondations catastrophiques ravageaient l'est de l'Allemagne, l'

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Autriche et la Tchéquie, en Sicile en revanche, région pourtant habituée à des sécheresses sévères, la
pénurie d'eau a atteint un tel degré que des révoltes populaires ont explosé à plusieurs endroits. Au cours
des six premiers mois de l'année, les pluies y ont été deux fois moins abondantes que d'ordinaire.
Conséquence: sur les 222 millions de mètres cubes d'eau que peuvent contenir les barrages siciliens, le
volume ne dépassait pas, à la mi-juillet, les 20 millions... Un marché noir de l'eau s'y est donc mis en
place, avec des prix atteignant jusqu'à 200 euro par camion-citerne. Des puits non autorisés ont été
creusés, réduisant davantage le niveau des nappes phréatiques. Des milliers d'agriculteurs désespérés et
des foules de citadins excédés ont manifesté, dressé des barricades sur les routes et pris d'assaut des
retenues d'eau et des aqueducs pour s'approvisionner de manière sauvage. Rome a dû y dépêcher l'armée
pour protéger les barrages et organiser, avec l'aide des pompiers locaux, une sorte d'« aqueduc mobile»
constitué par des centaines de camions citernes chargés d'apporter de l'eau jusqu'aux endroits les plus
reculés. Les autorités en viennent même à envisager de construire un grand aqueduc sous-marin pour
acheminer l'eau des montagnes d'Albanie vers la Sicile assoiffée...
Le problème n'est pas nouveau. Ces cent dernières années, la population mondiale a triplé et sa
consommation d'eau a été multipliée par six. Mais, aujourd'hui, une ligne jaune est en train d'être
franchie: « Dans beaucoup d’endroits on a dépassé les limites de la quantité d’eau qui peut être
prélevée sur le milieu naturel. », déclare un spécialiste de l’eau. Tant dans le Tiers-monde comme dans
les pays développés, le capital liquide de la planète se réduit inexorablement, par surexploitation des
réserves et pollution de la ressource

Faut-il s'en étonner ? Le mot rival vient du latin rivalis, qui désigne les habitants de rives opposées d'un
même fleuve. Les 214 plus grands bassins fluviaux de la planète, où vivent environ 40% de la population
mondiale, sont tous utilisés par plusieurs pays. Aussi cordiaux et coopératifs fussent-ils, ils ont toujours
eu du mal à dégager des compromis sur leurs eaux de surface transfrontalières.

Le contrôle des fleuves fait l'objet de conflits croissants entre les peuples. Parfois, la construction de
retenues d'eau, dans des zones frontalières, entraîne la réduction du débit des fleuves qui traversent
d'autres pays en aval, et provoque les protestations de ceux-ci. Ainsi, les gigantesques barrages Atatürk
et Karakaya, édifiés par la Turquie sur le Tigre et l'Euphrate, ont entraîné de graves tensions avec l'Irak
et la Syrie, qui dépendent largement de ces cours d'eau pour leur agriculture et leur approvisionnement.
Au Proche-Orient, le contrôle exclusif du Jourdain par Israël ajoute une dimension supplémentaire au
conflit israélo-arabe. L’Egypte, qui dépend entièrement du Nil, s'oppose à la construction en Ethiopie et
au Soudan de barrages qui pourraient réduire le débit de sa principale source de vie.

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Des protestations se multiplient contre les barrages. En Inde, en Thaïlande, aux Philippines, au Chili,
en Afrique du Sud, en Espagne... La privatisation est contestée sur tous les continents, et la Bolivie en
est devenue le porte-drapeau à travers le conflit qui s'est déroulé à Cochabamba. Au nom d'une
revendication éthique et juridique - « L'eau est patrimoine commun de l'humanité », comme l'indiquait le
titre d'une livraison d'Alternatives Sud (2) - il s'agit de mener la lutte pour une nouvelle conquête de
l'eau, ressource stratégique pour l'humanité .

Les tensions qu'elle suscite ici et là ne sont que les signes avant-coureurs de ruptures plus profondes et
de crises plus graves. L’eau douce est un indéniable enjeu du XXIe siècle. A moins que, dans la
prochaine décennie, on trouve un procédé peu coûteux de désalinisation de l'eau de mer...

Le détournement des fleuves, là où il a été réalisé, s’est presque toujours révélé désastreux pour
l'environnement. En Ouzbékistan, par exemple, qui détient le record du monde de la consommation
d'eau par habitant, pour irriguer intensivement des champs de coton, les autorités soviétiques, dans les
années 1960-1970, détournèrent l'eau de deux fleuves - Syr-Daria et Amou-Daria - qui se déversaient
dans la mer d'Aral. Cela a entraîné l' assèchement partiel de celle-ci, réduite désormais de moitié, et dont
l'eau est terriblement polluée, ce qui a provoqué la disparition de la flore et de la faune. Une des pires
catastrophes écologiques.
Autre souci majeur, les rejets dus à l'agriculture et à l’industrie, ainsi qu’au non traitement eaux usées.
La plupart des grands fleuves du monde ne sont plus que des égouts à ciel ouvert, charriant des eaux
toxiques, contaminées par toutes sortes de déchets chimiques, des pesticides, des métaux lourds... Le
Danube, par exemple, est victime de nombreuses pollutions, notamment en Allemagne, où il prend sa
source.
Qui dit à la fois «ressource» et «indispensable» dit matière à profits assurés. Au lieu de considérer l'eau
pour ce qu'elle est - un patrimoine de l'humanité -, les institutions internationales, Banque mondiale et
OMC en tête, avec l'appui des gouvernements, encouragent la captation de sa rente par les entreprises
privées. Conséquences habituelles: valse des tarifs, inégalité d'accès selon les catégories sociales, parfois
non respect des normes sanitaires. Ce sont trois multinationales françaises qui tiennent solidement en
main ce secteur au niveau mondial. Grâce aux trésors de guerre que ce quasi-racket leur a permis
d'accumuler, elles ont bâti des empires médiatiques où l'on ne risque pas de mettre en cause leurs
pratiques...
Pour l’eau comme pour tout bien économique, le capitalisme fonctionne selon une triple logique: rareté,
indifférence, discrimination. Rareté : un bien économique à valeur marchande n’ existe que s’il est rare,
associé à des rendements décroisant, et relève, dès lors, d’un système de rente coûte de plus en plus cher

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de produire une eau de plus en plus rare: Il s'agit d'un cas d'école de captation de rente.
Indifférence: les questions de pollution ou de propreté n'intéressent absolument pas les entreprises ou les
groupes capitalistes, Elles affectent éventuellement les consommateurs, mais pas les firmes: « Si l'eau est
sale, je la dépollue; si elle est propre, je la vends propre; si elle est abondante, je la raréfie par un
système de péage »
Discrimination: je vends cher à ceux qui peuvent payer cher, moins cher à d'autres, afin de capter le
maximum de valeur, Les êtres humains sont inégaux devant un produit. De nombreux responsables
politiques proposent de distinguer deux catégories d'eau: l'eau « outil de travail », « créatrice d'emplois
et de richesse », et l'eau utilisée pour un usage domestique. Cela revient en fait à dire: les agriculteurs
doivent avoir un traitement de faveur et les consommateurs doivent payer.
Dans un monde qui tâtonne pour résoudre les différends sur l'eau, une idée commence à faire son
chemin: instaurer un système commercial, un marché de l'eau. Mais s'en remettre à cette solution pour
résoudre des problèmes de souveraineté et de contrôle des ressources en eau est un choix dangereux.
Nous ferions mieux de nous appuyer sur le corpus juridique international que les Etats ont lentement éla-
boré, à partir de principes vieux de plusieurs siècles.
En premier lieu, les Etats ont compris que l'eau est une ressource trop vitale pour être gâchée par la
guerre. Dans l'ensemble, les infrastructures en la matière ont peu souffert des nombreux conflits armés
du XXème. Au cours des trois guerres entre l'Inde et le Pakistan par exemple, les deux pays auraient pu
se servir de l'eau comme d'une arme redoutable. Non seulement ils ne l'ont pas fait, mais ils ont toujours
respecté leurs accords de partage, y compris aux pires moments de la bataille. Depuis les années 20, un
climat de violence, ponctué de guerres ouvertes entre Israël et ses voisins arabes, règne sur la vallée du
Jourdain. Mais on peut compter sur les doigts d'une seule main le nombre de fois où les ressources en
eau ont été spécifiquement visées. Cependant, l'absence de guerres de l'eau ne signifie pas qu'aucun
conflit sérieux ne couve, en particulier dans les régions arides comme le Proche Orient. Les maigres
réserves existantes y sont soumises à une pression sans précédent.

Du milieu des années 1970 à la fin des années 1980, un puissant travail idéologique a été effectué par les
multinationales de l'eau pour faire accepter la privatisation de cet élément essentiel. Elles ont réussi à
obtenir le soutien de la techno-bureaucratie internationale et du monde des scientifiques et des experts,
réunis dans les multiples organismes internationaux professionnels. Dans les années 1990, ce travail a
été consolidé par la mise en place d'une véritable ingénierie institutionnelle et opérationnelle. Les quinze
prochaines années devraient voir, si rien ne s'y oppose, la phase d'achèvement de ce processus et la
pérennisation des profits ainsi réalisés par les majors de l'eau.

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A l'origine de cette conquête idéologique et pratique se trouve la Banque mondiale. En 1994, sous
l'impulsion de son vice-président chargé de l'environnement, la Banque donne son soutien politique et
financier à la création du Conseil mondial de l'eau (CME), dont plusieurs organisations internationales
professionnelles (par exemple l'International Water Resources Association) revendiquent aussi la
paternité. Elle bénéficie à cette fin de l'aide de certains gouvernements (Canadà, France, Japon et Pays-
Bas, notamment). La création du CME a également reçu le soutien d'organisations spécialisées des
Nations unies directement concernées par l'eau, tels le Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), l'Organisation
des Nations unies pour l'alimentation (FAO), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Unesco, et de
grandes entreprises multinationales privées, en tête desquelles figurent Suez et Vivendi. De très hauts
dirigeants de ces deux compagnies figurent d'ailleurs parmi les membres fondateurs et les membres
effectifs du Conseil mondial de l'eau. Le CME n'est pas une organisation publique internationale, et
encore moins intergouvernementale, mais une organisation privée. Elle est composé de représentants du
monde scientifique, politique, des organisations internationales, intergouvernementales, des entreprises
privées.
En 1996, le CME s'est vu confier la tâche de définir une « vision mondiale de l'eau» à long terme, devant
servir de base à la « politique mondiale de l'eau» dont la Banque mondiale est devenue, dès les années
1980, une fervente promotrice. A cette fin, le Conseil a pris l'initiative d'organiser, tous les trois ans,
autour du 22 mars, déclaré «journée mondiale de l'eau» par les Nations unies, un Forum mondial de
l'eau. Ce Forum est destiné à être l'espace et le moment mondial de débat et de définition des grandes
orientations stratégiques en ce domaine. La première rencontre a eu lieu à Marrakech en 1997, avec plus
de 3 000 participants; la deuxième à La Haye en mars 2000, avec plus de 6 000 participants. Le
troisième Forum se tiendra à Kyoto en 2003 ; le quatrième est prévu pour 2006 à Montréal.
En outre, la Commission pour le développement durable, créée par les Nations unies à la suite du
sommet de Rio de 1992, a décidé, en 2001, de produire tous les trois ans un World Water Development
Report (Rapport mondial sur le développement de l'eau). Le premier jet du premier rapport a été présenté
au sommet de Johannesburg, fin août 2002, pour être formellement approuvé au troisième Forum
mondial de l'eau à Kyoto en 2003. D'après les informations fournies par la Commission pour le
développement durable, ce rapport mondial devrait s'inscrire dans la continuité des lignes balisées par le
CME, le GWP et la déclaration ministérielle de La Haye.
Il est temps de mettre en pratique une autre politique mondiale et locale de l’eau: «autre» dans le sens où
elle doit être centrée sur le droit humain (accès à l’eau) et le bien commun (l’eau en tant que élément

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essentiel à la vie et au vivre ensemble). A cette fin, le chemin de la mise en oeuvre effective d’une
autre politique de l’eau passe par:- la reconnaissance de l’accès à l’eau en tant que droit constitutionnel,
droit humain universel, indivisible et imprescriptible. La concrétisation de ce droit doit être rendue réelle
dans l’espace d’une génération ;- la valorisation et la protection de l’eau en tant que bien commun,
appartenant à l’ensemble des espèces vivantes, et partie intégrante de l’écosystème global ;- le
changement radical structurel du mode actuel de production agricole, dans les sens d’une agriculture
mise au service de l’alimentation humaine, surtout des populations qui ont faim, et du respect de la
nature et des droits des générations futures.. Il en va de même des modes de production industrielle dont
les dégâts pour les ressources naturelles, (malgré les modestes progrès accomplis) ne sont plus à
démontrer ;- mettre en place un système fiscal national, international et mondial destiné à financer les
investissements nécessaires à garantir le droit à l’eau pour tous et la valorisation de l’eau en tant que
bien commun. Le financement public collectif devra se fonder sur des institutions et des règles les plus
démocratiques possibles. C’est la raison de la proposition de la constitution d’une «Autorité Mondiale de
l’Eau» (sorte de parlement mondial de l’eau) dotée de pouvoirs législatifs, judiciaires et de sanction à la
manière (à améliorer) de l’organe de résolution des conflits au sein de l’Organisation Mondiale du
Commerce. De même il convient de promouvoir le partenariat public-public, à la place du vieux
partenariat public-privé qui, dans les domaines essentiels à la vie et au vivre ensemble, a montré ses
limites et ses dérives structurelles ;- enfin, expérimenter des formes nouvelles de démocratie
représentatives, directe et participative à tous les niveaux (du local au global), en partant de la
«démocratie des fleuves», ces fleuves transnationaux (sur les 262 principaux bassins hydrologiques du
monde 260 sont transnationaux) qui de source de guerre - aujourd’hui encore trop souvent - peuvent et
doivent devenir source de paix et de solidarité.

A lire : Hérodote 3è trimestre 2001. Géopolitique de l'eau. Les problèmes des ressources en eau dans les prochaines années.
Revue des deux mondes. L'eau pour tous. Aspects géopolitiques des ressources en eau. septembre 2000.
Fréderic Lasserre. La Ruée vers l'eau, Le Serpent à plumes, 2003.
Marie-Odile Monchicourt, Jean-François Donzier, Va-t-on manquer d'eau ?. Platypus Press, 2002. Enquête sur les ressources
en eau de la planète, sa consommation, la pollution, les enjeux politiques.
Marq de Villiers, L'Eau, Solin-Léméac, 2000. Un recensement planétaire des menaces qui pèsent sur les ressources en eau.
Jean-Marc Lavieille Droit international de l’environnement, Ellipses, Paris, 1998, 192 pages, 14,50 euro.
Marie-Agnès Bernardis. Le Grand Livre de l'eau, La Manufacture, 1990. Aspects scientifique, économique, historique,
symbolique.
Hervé Maneglier, Histoire de l'eau: du mythe à la pollution, François Bourin, 1991. L'eau à travers le temps et les
civilisations (mythe, technique, hygiène, ressource naturelle).
Jean Matricon et Jean-Paul Deleage, Vive l'eau, Gallimard, 2000 (Coll. Dècouvertes). Petite encyclopédie illustrée de l'eau.
Paul Emile Vicor. dir., La Fabuleuse Histoire de l'eau, Casterman, 1974. Une encyclopédie thématique sur l'eau.

101
102
Attac En français et en anglais.www.attac.org/fra/themes/mondialisation/etat.htm Attac a réalisé un dossier concernant la
mainmise des multinationales sur le marché de l'eau. On lira à cet égard l'étude éclairante de Kate Bayliss sur la privatisation
- et la marchandisation - de l'eau en Afrique, dont les conséquences, souligne l'auteur, ne peuvent être que « désastreuses pour
la santé publique ».

Enron « Je crois en Dieu et je crois dans le marché », expliquait, il y a deux ans, M. Kenneth Lay,
président d'Enron. Puis, assimilant Jésus-Christ à une sorte de libéral-libertaire fin de siècle, ce titan du
secteur de l'énergie ajoutait : « Il voulait que les gens puissent choisir. » Enron s'attela donc au travail du
Seigneur en oeuvrant en faveur de la déréglementation de l'électricité. Chemin faisant, l'entreprise se
métamorphosa. Spécialiste des oléoducs, elle devint négociant géant sur le marché de l'énergie : EDF
figura un instant dans sa ligne de mire. La prédestination divine se confirma : la rémunération de M. Lay
atteignit 141,6 millions de dollars en 2000, en hausse de 184 % par rapport à l'année précédente. « Nous
sommes du côté des anges ; dans toutes les affaires que nous avons conduites, nous sommes les bons
gars », expliqua M. Jeff Skilling, ancien directeur général d'Enron, au magazine Business Week.

Le 2 décembre 2001, Enron, le numéro un mondial du courtage en énergie, se déclarait en faillite et allait
entraîner dans son sillage une profonde remise en cause du mode de fonctionnement du capitalisme
anglo-saxon.
Très vite, il est apparu que les règles élémentaires du gouvernement d'entreprise avaient été détournées
au profit de quelques dirigeants. En outre, Enron cristallisait l'ensemble des fêlures des pratiques
comptables qui permettaient de répondre aux nouveaux impératifs de rentabilité provenant du nouveau
pouvoir des actionnaires.

Le suicide supposé d'un ancien vice-président d'Enron et la démission de son PDG sont les derniers
épisodes d'un des plus gros krachs frauduleux de l'histoire économique américaine. Au-delà de la
destruction d'un conglomérat géant - et de la ruine de ses salariés, dont même le financement de la
retraite est désormais compromis -, l'affaire éclaire tout à la fois le cynisme des dirigeants de l'entreprise,
la symbiose entre multinationales et responsables politiques américains, les étranges pratiques d'une
firme d'audit, l'arrière-cour des déréglementations et du système des fonds de pension.

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Pour les gourous du management, Enron constituait une opération quasiment sainte. Le petit
fabricant d'oléoducs devenu grand - et ambitieux - achetait, vendait, proposait son énergie au pays tout
entier. Mais foin d'oléoducs, d'usines et d'actifs physiques devenus archaïques ! C'était l'ère de l'Internet,
de la « nouvelle économie ». Enron n'était rien moins qu'un « créateur de marchés », un missionnaire de
l'esprit d'entreprise et de l'accumulation des bénéfices n'hésitant pas, pour accomplir sa tâche, à plonger
dans les strates les plus profondes d'une vieille économie encore engoncée dans une idéologie de
réglementations et de service public. Vous doutez ? Regardez nos profits !

Première grande entreprise à avoir fait faillite après que le maquillage de ses résultats financiers aient été
mis au grand jour, Enron est devenue l’exemple type (et répété depuis par Universal, ..) de ces grandes
firmes, qui, bénéficiant du manque de transparence de leurs résultats, et de l’absence contrôle
indépendant, parviennent pendant un certain temps à masquer leur banqueroute.

Enron symbolise les travers issus de la croissance qu'ont connue les Etats-Unis durant les années 90,
basée sur la déréglementation de nombreux secteurs, comme l'énergie ou les télécommunications, mais
aussi sur une vague sans précédent d'innovations. Le capitalisme anglo-saxon triomphait par sa capacité
à générer des profits extraordinaires, les fonds d'investissement devenant les garants d'une dynamique
qui allait assurer l'enrichissement de tous les salariés via les stock-options et l'épargne salariale. Or, ce
modèle de croissance, fondé sur l'apport (incontestable) de l'Internet, a suscité des choix particulièrement
risqués en situation de forte incertitude. Même si les modes d'organisation mis en place par Enron se
sont révélés opérants, à chaque fois qu'il a fallu faire des choix, les dirigeants ont préféré maximiser les
gains plutôt que s'assurer une meilleure protection contre les risques. La cascade de révélations de
fraudes comptables qui ont suivi la faillite d'Enron, de WorldCom à Xerox, ont fait plonger les marchés
financiers en jetant le doute sur les comptes des firmes. Or, la crédibilité des informations financières est
un véritable bien public.

L'entreprise s'était gargarisée de sa « transparence ». Au moment de sa déconfiture, elle dévoila un


mélange de fraudes et de népotisme. Sans oublier une exagération prodigieuse de ses profits qui
provoqua la panique des investisseurs et l'effondrement d'un empire énergétique dont le chiffre d'affaires
avait dépassé 100 milliards de dollars. En un an, sa valeur boursière a été divisée par 350. Un tel destin
éclaire à sa manière le débat sur les fonds de pension : 60 % des sommes destinées à financer la retraite
des employés d'Enron étaient investis en actions de la société.

La particularité de l'affaire Enron réside dans l'ampleur de l'exploitation de pratiques comptables légales
afin de passer pour une entreprise performante, alors même que s'accumulaient des pertes colossales, et

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ce au nez et à la barbe de tous les dispositifs de surveillance censées assurer la crédibilité de
l'information comptable. De fait, Enron, pour camoufler des investissements déficitaires ou peu
rentables, a créé des structures financières appelées special purposes entities (SPE) qui peuvent ne pas
être consolidées au bilan des entreprises. Si Enron a recouru de manière particulièrement opaque à ces
SPE, cet instrument est utilisé couramment par les entreprises américaines pour aménager leur bilan et
constitue donc un moyen aisé de falsification des résultats. La présentation de comptes pro forma, c'est-
à-dire de comptes réajustés en fonction du périmètre retenu de l'entreprise fait également partie de ces
pratiques, certes légales, mais qui participent au manque de transparence de l'information sur les
résultats des firmes.

Parmi les nombreuses causes de sa déconfiture, plusieurs relèvent des malversations classiques autour
d'une entreprise. De nombreuses dépenses ont par exemple été enregistrées comme des investissements
afin de réduire les pertes et certains actifs ont été réévalués artificiellement. Par ailleurs, les dirigeants
d'Enron ont mené un intense lobbying auprès des parlementaires américains afin que ceux-ci ne
remettent pas en cause la déréglementation du secteur énergétique.

L'extraordinaire dans cette affaire, c'est qu'elle n'est pas extraordinaire. L'« achat » de responsables
politiques par des contributions électorales est légal aux Etats-Unis, l'existence d'entreprises de
certification des comptes qui servent par ailleurs de conseillers rétribués aux entreprises dont elles
certifient les comptes est légale, le fait que des journalistes financiers et des essayistes aient vanté auprès
du public (et donc des actionnaires potentiels) un « modèle » d'entreprise dont le fleuron les rémunérait
personnellement est légal. Dans ces conditions, il faut décidément beaucoup de candeur aux observateurs
qu'un « scandale » réveille pour découvrir que l'opacité des comptes caractérise nombre de sociétés
cotées en Bourse, que la porosité est extrême entre le monde de l'entreprise privée et celui du service
public, que la corruption et la prévarication sont courantes au sein du système économique et politique
américain.

Enron s'employa à aider M. George W. Bush à devenir une personnalité politique nationale.
Quand l'actuel président des Etats-Unis était encore gouverneur du Texas, il traversait cet Etat
dans un jet privé fourni par la compagnie. Puis, dans sa campagne pour la Maison Blanche, il eut
Enron comme principal contributeur. Ce n'était pas tout. M. Kenneth Lay était à la fois une
connaissance d'affaires de l'actuel vice-président des Etats-Unis, M. Richard Cheney, et le
coprésident de la Fondation Barbara Bush contre l'illettrisme. La symbiose d'Enron avec les

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cercles dirigeants allait même permettre à M. Lay d'être le seul patron d'une entreprise électrique
à rencontrer M. Cheney en tête à tête au moment où ce dernier préparait le plan énergie de
l'administration. Il aurait également suggéré un certain nombre de désignations à la tête de
l'agence fédérale chargée de réglementer son secteur d'activité. Au Royaume-Uni, où Enron sut
tirer parti des privatisations de l'eau, l'entreprise compta en 1998 au nombre des parrains
financiers de la réunion annuelle du Parti travailliste.

Le scandale n'est pas seulement national. Le conglomérat texan procédait en effet à de multiples
acquisitions sur plusieurs continents : en Inde, au Mozambique, en Australie, au Japon... Les
« réformes » libérales (levée des restrictions à l'importation, création d'un « bon climat » pour les
investisseurs) favorisées à l'échelle de la planète par l'Organisation mondiale du commerce
(OMC) permettaient en effet au conglomérat de Houston de profiter au maximum de l'ouverture
des marchés. Il fut d'ailleurs un lobbyiste très actif à Genève, siège de l'OMC. Parallèlement,
comme c'est souvent la règle d'une économie « de marché » basée sur la concurrence, des
diplomates américains et des officiels de la Maison Blanche apportaient, parfois brutalement, à la
défense des intérêts de l'entreprise privée « mondialisée » (Enron fut la 16ème du monde par le
chiffre d'affaires) tout l'appui de la puissance publique. Deux agences fédérales furent même
mobilisées par les administrations Clinton et Bush pour garantir les investissements d'Enron à
l'étranger. Et l'entreprise, experte des paradis fiscaux, parvint à ne pas payer d'impôts entre 1996
et 2000, période pendant laquelle elle déclara néanmoins 2 milliards de dollars de profits. Enfin,
le jour où la situation se gâta, le conglomérat put compter sur un avocat de poids : l'ancien
ministre des finances de William Clinton, M. Robert Rubin, devenu ensuite patron de Citigroup,
avait intérêt à ce que sa banque récupère les sommes prêtées à Enron. Il se démena pour que les
agences de notation ne baissent pas la « note » de l'entreprise.

Alors même que la nature et la cohérence de ses activités ne paraissaient pas évidentes, Enron
prospéra, vanté dans la presse d'affaires comme un modèle d'audace et de « modernité », de
« gouvernement d'entreprise » capable d'opérer au mieux sur le marché déréglementé des
produits dérivés.

L'autre défaillance majeure mise en exergue par l'affaire Enron est celle de l'ensemble de la
chaîne de l'information financière. En effet, le cabinet Andersen a certifié des comptes
manifestement falsifiés afin de préserver ses activités de conseil auprès d'Enron. Cette confusion

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des genres lui a valu une condamnation judiciaire qui s'est soldé par la disparition du cabinet. La
fin d'Andersen souligne le conflit d'intérêt qui empêche de concilier audit et conseil au sein d'une
même entité. Au-delà des auditeurs, les banques d'affaires sont également impliquées dans
l'affaire Enron car elles ont participé de fait à l'ingénierie financière utilisée par le courtier en
énergie. De peur de perdre un client et leurs intérêts déjà investis, elles ont préféré se taire, voire
même conseiller les titres à l'achat par l'intermédiaire de leurs analystes financiers, profession
elle aussi sérieusement discréditée par le scandale Enron.

Tranquillisés par les bulletins de bonne santé financière émis par cette prestigieuse agence de
certification, Andersen, d'autant plus indulgente pour Enron que le conglomérat texan l'avait
recrutée comme cliente, les petits épargnants se précipitaient. L'ascension de la valeur de l'action
faisait taire les derniers sceptiques. Les meilleurs essayistes et éditorialistes - pas seulement dans
la presse américaine - avaient eux aussi les yeux de Chimène pour cette firme de Houston qui
savait reconnaître leurs talent d'écrivains au prix fort et, le cas échéant, les inviter à de très
lucratives ratiocinations sur l'état du monde.

La chute se révélera moins dure pour eux que pour les salariés américains qui ont investi dans
Enron une partie de leurs retraites (environ les deux tiers des actifs boursiers de la firme étaient
détenus par des fonds de pension ou des fonds de mutuelle). Si la liquéfaction des cours a ruiné la
plupart des employés de l'entreprise, les dépouillant de leur emploi et de leurs économies (les
règlements internes leur interdisaient en effet de vendre leurs actions), les cadres de haut niveau
ont pu, eux, s'en débarrasser à temps. C'est-à-dire au plus haut.

Les dernières années furent celles de l'enronphilie. Dans un ouvrage de Gary Hamel publié en 2000,
Leading the Revolution (« A la pointe de la révolution »), l'auteur estimait que, dans cette entreprise
« révolutionnaire », les « idées radicales » fleurissaient car elles étaient encouragées à s'exprimer : « De
nouvelles voix peuvent se faire entendre. » L'entreprise se référait même à Gandhi, à Lincoln et aux
militants des droits civiques qui, en 1963, risquaient leur vie en Alabama pour arracher l'égalité des
Noirs...

Lire : « Election was decisive in arena of spending : ever-higher sums », par Alan C. Miller et T. Christian Miller, Los
Angeles Times, 8 décembre 2000, sur le site de CNN Europe.

« Enron's global crusade », par John Nichols, The Nation, 4 mars 2002.

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L'équipe de Daniel Mermet consacra cinq émissions Là-bas si j'y suis à l'affaire Enron, sur France Inter, du lundi 18 au
vendredi 22 mars 2002.

Environnement Question dont l’importance en matière de relations internationales n’a cessé de croître.
Depuis les idées du Club de Rome* et l’objectif de la croissance zéro, la protection de l’environnement
devrait être au premier plan des préoccupations internationales, car ce phénomène, qui ne connaît pas de
frontières, exige une approche transnationale, un développement de la diplomatie multilatérale, la
formation d’un droit spécifique de l’environnement et la notion de développement durable*

Après la conférence des Nations unies sur l’environnement (CNUED*) tenue à Stockholm en 1972, qui
voit s’affronter les pays en voie de développement préoccupés d’abord par leur développement, les «
sommets de la Terre» de Rio de Janeiro (1992) et de New York (1997) expriment avec peine
l’émergence d’une conscience planétaire et renforcent les principes juridiques. Un accord est conclu, à la
conférence de Kyoto* (décembre 1997), pour une réduction des rejets de gaz nocifs à effet de serre d’ici
à 2012, pour lutter contre le réchauffement de la Terre.

La référence au patrimoine commun de l’humanité envahit le droit maritime, spatial et constitue une
limite à la souveraineté étatique. Dans le domaine de l’eau*, elle pose en principe la non-appropriation
de la haute mer et des fonds marins (Convention de Montego Bay, 1982) en dehors de la zone
économique exclusive à 200 miles nautiques, et une nouvelle définition du plateau continental (traité de
1959, renouvelé en 1991) de l’Antarctique, territoire dont l’exploitation minière est ajournée, comme
celle de l’Espace, de la Lune et des corps célestes (traité de 1967). Elle prévoit la démilitarisation,
l’interdiction du stockage d’armes nucléaires sur les fonds marins (1971) et de mise en orbite d’armes de
destruction massive (1967, 1979). Elle impose le respect de l’environnement par la convention de 1954,
prohibant la pollution par les hydrocarbures qui provoquent des catastrophes écologiques à répétition
(Amoco-Cadiz en 1978, Erika en 2000, Prestige en 2002).

ERT : (European Roundtable of Industrialists). Fondée au début des années 80, elle poursuit ce que l'un
de ses membres les plus éminents, le baron Daniel Janssen (PDG du géant de la chimie Solvay), appelle
la «double révolution». Dans un discours devant la Commission trilatérale qui, depuis un quart de siècle,
regroupe les élites de l'Amérique du Nord, du Japon et de l'Europe, Janssen expliquait que cette
révolution consiste à «réduire le pouvoir de l'État et du secteur public en général au moyen de la
privatisation et la déréglementation [et à] transférer un grand nombre des pouvoirs des États-nations à
une structure plus moderne et plus orientée vers la sphère internationale au niveau européen ».
Janssen apprécie beaucoup la «nouvelle Commission plus puissante: « La Commission joue le premier

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rôle dans de nombreux domaines de grande importance économique et elle est extrêmement ouverte
à la communauté des affaires si bien que, quand des hommes d'affaires comme moi se trouvent face à un
problème qui a besoin d'une contribution (input) politique, nous avons accès à d'excellents
commissaires tels que Monti pour la concurrence, Lamy pour le commerce et Liikanen pour le
commerce électronique et l'industries ».
Les exemples abondent, qui illustrent la manière dont les entreprises sont les premières servies dans les
enceintes où sont établies les règles du commerce: nous pourrions évoquer comment la Coalition
américaine des industries des services demande à leurs négociateurs d'ouvrir le «marché».

Etats voyous Dans le dessein d'avoir une plus grande flexibilité dans ses rapports avec les Etats ainsi
désignés, le Département d'Etat, à Washington, a exclu tout récemment cette expression (« Etat
voyou » ) de son langage diplomatique, au profit de la catégorie, plus vague, de « state of concern »
(« Etat source d'inquiétude »). La définition d'Etat voyou appartenait au champ rhétorique engendrée par
le FBI: "Le terrorisme est l'usage illégal de la force ou de la violence contre des personnes ou des biens
pour intimider un gouvernement, une entreprise ou une communauté quelconque afin de faire adopter
une nouvelle ligne de conduite politique ou sociale".

Chaque année, le département d'Etat établit une liste qui, au 5 octobre 2001, comprenait : l'Iran, l'Irak, le
Soudan, la Syrie, la Libye, la Corée du Nord et Cuba… 28 adhérents ! On trouve notamment dans ce
club : Al Qaïda, mouvement d'Oussama Ben Laden, La Gama'a Islamiyya en Egypte (supposée apporter
son aide à Al Qaïda), le Hezbollah libanais , le Hamas, le Djihad islamique palestinien, le Front
populaire de libération de la Palestine (FDLP) et le mouvement juif extrémiste Kach et Kahane. Y
figurent également les Tigres Tamouls, au Sri Lanka, les FARC colombiennes et l'ETA basque. Deux
nouvelles organisations ont été ajoutées dans l'édition 2001 : Les Autodéfenses unies de Colombie et
l'IRA-véritable, branche dissidente de l'IRA irlandaise, et deux autres mouvements ont été éliminés: les
Tupac Amaru au Pérou et l'Armée rouge japonaise. Ce nouveau terrorisme, au lieu d'être mené par des
personnes ou des groupes l'est par un Etat, qui préfère les supprimer par de moyens différents, tels que
les armes de destruction massive : nucléaires, missiles, chimiques ou bactériologiques.

Cependant, certains analystes affirment que l'histoire récente ne démontre pas de soutien significatif de
Cuba, de l’Iran ou de l'Irak aux groupes terroristes. En 2000, le département d'État reconnaissait que le
régime irakien n'aurait tenté aucun acte terroriste anti occidental « depuis son complot d'assassinat raté
contre l'ancien président George Bush en 1993 ». Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001,

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Washington affirmait que Mohammed Atta, le chef des pirates de l'air, avait rencontré en 2000 à
Prague des agents des services de renseignements irakiens. Après enquête, les autorités tchèques ont
catégoriquement exclu la possibilité d’une telle rencontre.

La caractéristique la plus intéressante de ce débat sur les « Etats voyous » est qu’il ne devrait pas avoir
lieu.. Il est bon de rappeler que la Charte stipule que, « une fois constatée l'existence d'une menace
contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression, le Conseil de sécurité peut décider
quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises. Si ces mesures se
révèlent inadéquates, le Conseil peut entreprendre toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au
rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ».

Le mépris de la primauté du droit est profondément enraciné dans la culture intellectuelle et les pratiques
américaines. Il suffit de se rappeler, entre autres exemples, la réaction de Washington à l'arrêt de la Cour
internationale de justice de La Haye en 1986. On se souvient que les Etats-Unis furent condamnés pour
« usage illégal de la force » contre le Nicaragua sandiniste, et sommés de mettre un terme à leurs
activités clandestines au service des antisandinistes de la Contra ainsi qu'à verser des réparations au
gouvernement légal de Managua .

Cette décision de la plus haute instance judiciaire internationale souleva un ouragan de protestations aux
Etats-Unis. La Cour fut accusée de s'être « discréditée », et son arrêt ne fut pas jugé digne d'être publié.
Il n'en fut évidemment tenu aucun compte, bien au contraire : le Congrès, à majorité démocrate,
débloqua de nouveaux fonds pour les terroristes de la Contra. Dans une déclaration d'avril 1986, le
secrétaire d'Etat George Shultz avait bien formulé la doctrine américaine en la matière : « Le mot
négociation est un euphémisme pour capitulation si l'ombre de la puissance n'est pas projetée sur le
tapis vert », expliqua-t-il, fustigeant dans la foulée ceux qui préconisaient « des moyens utopiques,
légalistes, telles la médiation par des tiers, l'ONU ou la Cour de La Haye, en ignorant l'élément de
puissance dans l'équation. »

Il existe des voies de recours légitimes pour faire face aux nombreuses menaces pesant sur la paix du
monde, et aucun Etat n'a autorité pour agir à sa guise par des mesures unilatérales. Les Etats-Unis et le
Royaume-Uni ne font pas exception à la règle, quand bien même ils auraient les mains propres, ce qui
est loin d'être le cas. Ni les « Etats voyous », par exemple l'ex Irak de Saddam Hussein, ni les Etats-Unis
n'acceptent ces contraintes. Ainsi, lors d'une première confrontation avec l'Irak, Mme Madeleine
Albright, ancienne secrétaire d'Etat, et, à l'époque, ambassadrice auprès de l'Organisation des Nations

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unies (ONU), ne se gêna pas pour déclarer au Conseil de sécurité : « Nous agirons de façon
multilatérale quand nous le pourrons, et unilatéralement quand nous le jugerons nécessaire », car
« nous considérons cette région du Proche-Orient comme d'une importance vitale pour les intérêts
nationaux des Etats-Unis ».

Elle réitéra cette position en février 1998, au moment où le secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan,
entreprenait une mission diplomatique à Bagdad : « Nous lui souhaitons bonne chance et, à son retour,
nous verrons si ce qu'il rapporte est compatible avec nos intérêts nationaux. » Quand M. Annan annonça
qu'un accord avec Saddam Hussein était intervenu, le président Clinton, pour sa part, déclara que si l'Irak
ne s'y conformait pas (Washington étant seul juge en la matière ) : « tout le monde comprendrait que les
Etats-Unis et, il faut l'espérer, tous nos alliés, auraient le droit unilatéral de répliquer quand, où et
comment ils le décideraient ». Le Conseil de sécurité de l'ONU entérina à l'unanimité l'accord signé par
M. Annan et rejeta l'exigence de Londres et de Washington d'être autorisés à faire usage de la force s'il
n'était pas observé. Dans cette dernière hypothèse, l'Irak s'exposerait cependant « aux plus graves
conséquences », indiquait - sans plus de précisions - la résolution du Conseil, lequel décidait de rester
saisi en permanence. Aux termes de la Charte des Nations unies, il s'agissait bien du Conseil de sécurité,
et de lui seul.

Washington eut une lecture totalement différente de ce texte pourtant sans aucune ambiguïté. Selon
l'ambassadeur américain auprès des Nations unies Bill Richardson, l'accord conclu « n'empêchait pas
l'usage unilatéral de la force », et les Etats-Unis conservaient le droit légal d'attaquer Bagdad quand bon
leur semblerait. M. Richardson précisa : « Nos bombardements peuvent être de trois types : frappes
chirurgicales, frappes ponctuelles ou frappes massives. Les frappes chirurgicales ne seront pas
suffisantes. Nous envisageons des frappes ponctuelles. » M. Clinton déclara à son tour que la résolution
du Conseil de sécurité lui « conférait autorité pour agir » - par des moyens militaires, précisa son
conseiller de presse - en cas de non-respect par l'Irak de ses engagements. Au Congrès, certains élus
considérèrent que cette position officielle était encore trop respectueuse du droit national et international.
Ainsi, le républicain Trent Lott, leader de la majorité au Sénat, dénonça le gouvernement de M. Clinton
pour avoir « sous-traité » sa politique étrangère « à d'autres », c'est-à-dire au Conseil de sécurité. Son
collègue démocrate John Kerry, pourtant ancienne « colombe », ajouta que l'invasion de l'Irak par les
Etats-Unis était « légitime » si M. Saddam Hussein « s'obstinait à violer les résolutions de l'ONU ».

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Femmes et mondialisation Le vrai coup d’envoi de cette guerre contre les femmes a été donnée par les
Etats-Unis le 22 janvier 2001, date anniversaire de la légalisation de l’avortement aux Etats-Unis. Le
Président George Bush annonce le rétablissement de la Politique dite de Mexico City, promue en son
temps par le Président Reagan.
Cette politique impose de sérieuses restrictions aux organisations non gouvernementales (ONG)
étrangères agissant dans le domaine de la santé et recevant des dons ou des subventions des Etats Unis.
Ces ONG doivent certifier qu’elles ne pratiquent ni n’encouragent, ni n’informent sur l’avortement pour
pouvoir bénéficier de l’aide américaine au titre du planning familial. Ces restrictions visent donc à
interdire toute aide à des ONG ayant des activités en lien, même indirect, avec l’avortement.
A défaut de pouvoir s’attaquer directement au droit à l’avortement aux Etats Unis, le gouvernement
Bush semble tout mettre en œuvre pour empêcher l’accès à ce droit aux citoyennes d’autres pays.
Motivée par des considérations morales contestables, une telle politique est de plus totalement contre-
productive. Au lieu de contribuer à la diminution des grossesses non désirées et des avortements illégaux
souvent très risqués pour les femmes, cette politique favorise en fait leur augmentation, comme cela a pu
être déjà constaté lors de sa précédente mise en œuvre par le Président Reagan. Elle engendre une
dégradation de l’accès aux moyens de contraception et, de ce fait, elle a un impact négatif sur les
politiques de prévention du SIDA. Par ailleurs, en interdisant le débat public et la possibilité pour les
ONG d’influencer leur gouvernement concernant l’avortement, cette politique porte atteinte à la liberté
d’expression des ONG étrangères alors que ce droit est garanti aux Etats-Unis.
La Fédération Internationale pour la Planification familiale (IPPF) a refusé de se soumettre à la Politique
de Mexico City. Du coup, les Etats Unis ne les subventionnent plus, ce qui a des incidences graves sur
les programmes de l’IPPF.
Comme cela ne suffisait pas, le 22 juillet 2002, le gouvernement Bush a annoncé le gel de la
contribution américaine au Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP), en dépit d’un vote du
Congrès lui ayant alloué 34 millions $US. La Maison Blanche a motivé sa décision sur la base de
soupçons contre le FNUAP, accusé d’avoir soutenu un programme d’avortements et de stérilisations
forcées en Chine. Or, deux missions d’enquête composées de personnalités indépendantes des Etats-Unis

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et de parlementaires anglais ont conclu, qu’en l’absence de preuves, ces accusations étaient non
fondées.
Le FNUAP, en tant qu’agence de l’ONU pour la Population, joue un rôle essentiel en matière d’accès de
tous à la santé sexuelle et reproductive. Par les programmes qu’il finance dans plus de 140 pays, il
contribue activement à l’accès des plus démunis aux services de santé péri-natale, de planification
familiale, de prévention du SIDA et d’autres infections sexuellement transmissibles. La perte de la
contribution des Etats-Unis va avoir des conséquences dramatiques pour des centaines de milliers de
femmes et de familles des pays pauvres, qui bénéficient aujourd’hui des programmes du FNUAP. Celui-
ci estime que cette contribution aurait notamment pu permettre de prévenir 2 millions de grossesses non
désirées et par voie de conséquence environ 800.000 avortements et, ainsi que plus de 77.000 décès de
nourrissons et d’enfants.
Non contant du résultat, les Etats-Unis tentent d’exporter sur une base morale et religieuse, cette guerre
contre les femmes et trouvent un certain nombre d’alliés objectifs au sein des l’ONU.
A titre d’exemple, lors du Sommet de la Terre*, une coalition menée par les Etats Unis, le Vatican et
l’Arabie Saoudite, a soutenu une disposition visant à subordonner le respect des droits des femmes aux
« valeurs culturelles et religieuses », rendant possible un renforcement des lois contre l’avortement et le
maintien de pratiques telles que l’excision.
Lors de la session annuelle de la Commission de la condition de la Femme de l’ONU en mars 2003, le
délégué de l’Iran, soutenu par l’Egypte et le Soudan, s’est opposé à un projet de résolution dans lequel
les Etats s’engageaient à « condamner la violence contre les femmes et à s’abstenir d’invoquer toute
coutume, tradition ou considération religieuse pour éviter de respecter leurs obligations pour
l’élimination de cette violence ». Les Etats Unis se sont abstenus lors du vote de cette résolution.
La guerre de Bush contre les femmes a aussi trouvé des relais au sein de l’UE.. Des membres du
Parlement se mobilisent régulièrement pour s’opposer aux politiques d’aide au développement des pays
du Sud dans le champ de la planification familiale. Dans les différents pays de l’Union, des mouvements
anti-choix (anti-avortement, anti-homosexuel, anti-euthanasie etc.), souvent proches du Vatican ou des
mouvements d’extrême droite américaine, tentent par différents biais de remettre en question le droit à
l’avortement. Les nouveaux pays membres de l’Union ne sont pas épargnés par ces stratégies. La
Pologne en est l’exemple le plus criant. Le Vatican de Jean Paul II aurait négocié son engagement à
mobiliser les polonais en faveur de l’entrée dans l’Union en échange du maintien d’une loi restrictive sur
l’avortement.

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Le Sida est, à lui seul, responsable de 15 années d’espérance de vie perdue en Afrique sub saharienne
(47 ans au lieu de 62 ans). La croissance économique et le développement des pays en sont affectés
(croissance annuelle des pays d’Afrique sub-saharienne réduite de 0,8% en moyenne du fait du Sida),
l’aspect micro-économique sur les familles est très lourd (dépenses de santé x 4, revenus divisés par 2,
dépenses de nourriture en baisse de 50%).
Dans les pays en développement, bien que les femmes soient les principales productrices de vivres, elles
n’ont le plus souvent aucun droit sur la terre qu’elles cultivent, ni sur les produits de leur travail. Les
règles de succession peuvent les mettre à la merci de la famille de leur mari. Elles exercent par ailleurs
un double travail : travail rémunéré et non rémunéré. Le travail non rémunéré recouvre les soins aux
enfants, aux personnes âgées, aux malades mais aussi l’agriculture de subsistance et les tâches
domestiques. Dans une étude sur 9 pays en développement, la part respective de travail rémunéré et non
rémunéré pour les femmes était de 34% et de 66%. A l’inverse, pour les hommes les part respectives
étaient de 76% et de 24% !
Certes Les femmes se sont organisées pour améliorer leur capacité productive (micro crédit, associations
de village…) mais les programmes internationaux appuient peu ces modèles d’organisation qui pourtant
favorisent leur autonomie.
Le préservatif féminin ne connaît pas le soutien qu’il devrait rencontrer : outil de protection que les
femmes maîtrisent, il reste cher, mal diffusé, peu promu par les acteurs de prévention comme si en parler
faisait émerger la parole sur la sexualité féminine. Les obstacles ne sont pas que matériels. Les
résistances relèvent aussi d’un refus de donner aux femmes des outils qui favorisent leur autonomie.
Il faut ajouter à cette dénonciation d’un désastre humanitaire et économique que, dans les pays en
développement, ce sont les femmes qui payent le plus lourd tribut, en particulier les plus jeunes d’entre
elles : elles sont les plus touchées par l’épidémie !
A la fin de 2001 les femmes représentent 58% des personnes contaminées en Afrique sub- saharienne
(50% dans le monde).
Une telle situation a été provoquée par de multiples facteurs, dont:
- la dépendance économique dans laquelle les femmes sont maintenues
- leur niveau de scolarisation inférieur à celui des hommes
- la difficulté d’imposer, dans une situation d’inégalité des sexes, des moyens de protection des
relations sexuelles
- les violences et les rapports forcés sur lesquels planent un silence de plomb….

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- la nécessité vitale dans un certain nombre de situations de recourir à des rapports contre de
l’argent qui les placent en situation de vulnérabilité
- le manque d’accès à l’information
- leur difficulté plus grande d’accès aux structures de soins.
Mais pourquoi aujourd’hui ce silence assourdissant sur une réalité que l’on ne peut plus nier ? Doit on
comprendre que, délibérément, pour ne pas remettre en cause les pouvoirs établis, on accepte que les
femmes continuent à être les premières concernées par cette pandémie sans que les moyens nécessaires
soient pris pour lutter efficacement contre cette situation ?
Tant que l’égalité des sexes n’aura pas progressée, les femmes représenteront la majorité des nouveaux
cas. La lutte pour les droits des femmes fait partie intégrante de la lutte contre le sida !

Est ce parce que cela concerne les femmes et principalement les femmes des pays les moins solvables ?
Ou encore parce que du fait des contraintes scientifiques et éthiques, ces recherches demandent un
investissement relativement lourd au regard des profits attendus ? En tous cas on constate que les
laboratoires pharmaceutiques sont aux abonnés absents dans ce domaine!

Pourtant quelques produits sont actuellement disponibles pour des expérimentations de tolérance et / ou
d’efficacité, qui pourraient bénéficier de développements plus rapides si les moyens étaient donnés.

Dans la situation d’urgence de la contamination massive des femmes, la mise à disposition de produits
intra vaginaux sous formes diverses (ovules, crèmes etc..) auraient un effet local de destruction du VIH
et autres IST. Ce serait un pas en avant gigantesque. Sans remettre en cause la lutte pour l’égalité des
droits, les femmes disposeraient d’un outil précieux pour gérer l’urgence !
Confrontées à ces urgences, elles ont d'abord cherché à y répondre. Parties des compétences qu'elles
possèdent et de leurs savoir-faire traditionnels, elles les ont transformés en outils de production, en se
regroupant et se structurant pour les faire fructifier.
Il est urgent pour les féministes de lier lutte pour la démocratie et lutte pour leurs droits.
Mais ne l'est-il pas moins pour l'ensemble des mouvements sociaux de dénoncer le patriarcat comme
pilier du libéralisme ?
_________________________si es largo, se puede terminar aquí, el resto son estadisticas
conocidas.______________________________________________
Selon les données du PNUD, 70% des démunis seraient des femmes ; et non seulement elles sont plus
pauvres, mais les politiques de mondialisation libérale ne font qu’accentuer les inégalités.

114
115
Les conséquences des Plans d’Ajustement Structurels touchent en premier lieu le secteur social où
les femmes sont majoritaires..
La privatisation des secteurs de l’éducation et de la santé fait reposer sur le travail non rémunéré et
invisible des femmes l’ensemble des tâches, des soins et des systèmes de soutien qui étaient auparavant
assumés par l’Etat.
Dans toutes les cultures, et quel que soit le niveau de développement, les femmes assument le travail
domestique, de reproduction et de soins. Non seulement ce travail n’est pas rétribué mais il n’est pas
reconnu comme une contribution à la richesse du pays. Le temps total d’activité payée et non payée des
femmes est plus important que celui des hommes. En moyenne, les femmes travaillent plus, ont moins
de revenus, moins de contrôle sur leurs revenus et pratiquement pas d’accès au crédit.
De même dans le domaine de l’emploi, on peut constater que la précarisation des marchés du travail vise
d’abord les femmes. Certes, la mondialisation libérale a créé des opportunités d’emplois pour de
nombreuses femmes, mais ces emplois sont en majorité précaires, et à très bases rémunérations.
Encore faut il que les femmes aient accès au marché du travail. Or, les femmes travaillent de plus en plus
dans le secteur informel que, de même que le travail intra-familial, n’est pas reconnu ni valorisé comme
une contribution au développement des pays.
Parmi les capacités reconnues comme fondamentale pour accéder à une vie décente figurent : l’éducation
de base, l’accès à l’eau potable, l’accès aux soins de santé, un revenu minimal, etc. Au regard de cette
liste, on observe que les inégalités entre homme et femme se voient accentuées par les politiques de
mondialisation libérale :
- A titre d’exemple, 2/3 des analphabètes adultes sont des femmes (Source : rapport PNUD.
L’inscription des filles à l’école primaire a chuté dans 42 pays depuis 1985, car la préférence est donnée
aux garçons lorsque les familles n’ont pas les moyens d’assumer la scolarisation de tous leurs enfants.
La privatisation du secteur de l’éducation ne peut que renforcer cette tendance.
- Sur un autre plan, on constate que la malnutrition touche principalement des fillettes et des femmes
enceintes ou allaitant (Source : rapport PNUD). Les conséquences des guerres, dont les crises
alimentaires, pèsent avant tout sur les femmes et les enfants qui constituent la grande majorité des
réfugiés.
Le problème de l’accès à l’eau concerne toujours les femmes au premier chef puisque, d’une manière
générale, ce sont elles qui ont la charge de se procurer l’eau potable. La privatisation du secteur de l’eau,
si elle peut éventuellement contribuer à l’amélioration de l’accès et de la gestion de l’eau, risque fort
d’avoir un impact négatif pour les populations pauvres, dont les femmes, en grevant lourdement un

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budget familial déjà réduit voir en empêchant les populations qui n’en ont pas les moyens d’avoir
accès à l’eau potable.
- Les femmes et les filles sont très souvent pénalisées dans l’allocation des richesses à l’intérieur des
ménages du fait des préjugés liés aux rapports sociaux de sexe.
- En matière d’accès aux soins de santé, les inégalités entre hommes et femmes sont également
importantes. Par exemple, le taux de mortalité des fillettes de moins de 5 ans est de 41 pour mille contre
31 pour mille s’agissant des garçons. Ce taux est significatif du manque de soins et de nourriture dont
sont victimes les fillettes pour des raisons culturelles liées à la place des femmes dans les sociétés. La
privatisation du secteur de la santé ne peut qu’accentuer de telles inégalités.
Le droit à la santé sexuelle et reproductive est un enjeu clé pour les femmes, mais aussi dans la
perspective de la lutte contre la pauvreté. Ce droit comprend notamment le droit de choisir le nombre et
l’espacement des naissances, l’accès à des services de base pré et post natal, le droit à l’information sur
la sexualité et la contraception, le respect de l’intimité, la non discrimination basée sur l’orientation
sexuelle etc.
Ces droits font partie des droits humains fondamentaux. Pourtant, les femmes demeurent
particulièrement touchées par une forte mortalité due à la maternité, au manque de soins donnés aux
filles, à l’avortement à risque et au VIH/SIDA.
Les chiffres sont affligeants : une femme meurt en couche chaque minute dans le monde (Source :
rapport PNUD) ; 78.000 femmes meurent chaque année des conséquences d’un avortement clandestin
(FNUAP) ; chaque minute 10 jeunes filles de 15 à 19 ans pratiquent un avortement à risque mettant ainsi
leur santé voire leur vie en danger (Source : rapport IPPF), 58% des personnes contaminées en Afrique
sub-saharienne sont des femmes, les jeunes filles de 15 à 24 ans sont globalement deux fois plus
infectées par le VIH/SIDA que les garçons (Source : rapport Onusida 2002), elles sont touchées 5 à 10
ans plus tôt que les garçons (Onusida 2002).
Le thème de la santé des femmes évoque souvent des « affaires de femmes », des choses mystérieuses et
peu ragoûtantes qui se passent au sein du gynécée. Des choses de mères, car qui dit femme dit
reproduction. Cette sphère sexuelle et reproductive, dans laquelle on tente de cantonner le corps des
femmes, subit les lois des hommes. Lois implicites telles que les coutumes, les traditions, la religion qui
justifient les violences sexuelles de toutes sortes. Lois explicites qui, quand elles ne stagnent pas,
régressent au nom de la morale ou du pragmatisme économique.
On observe aujourd’hui une remise en question de plus en plus systématique des droits acquis en matière
de sexualité et de reproduction. Les régressions ne sont pas l’apanage unique des pays musulmans

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comme on aimerait nous le faire croire : les Etats Unis de Bush les orchestrent au niveau
international, armés de convictions religieuses toutes aussi arrogantes. Au nom d’une morale qu’on ne
les a pas invitées à co-forger, des millions de femmes souffrent et meurent sans que l’on se rende compte
qu’il n’y aura pourtant pas de développement durable sans les femmes !
20 millions d’avortements à risque sont encore pratiqués chaque année dans le monde. Le droit de
disposer de son corps, au nom duquel les combats pour la légalisation de l’avortement ont été menés,
devrait être considéré comme un droit humain fondamental. Et pourtant, l’on assiste, consternées, à une
mondialisation de la lutte contre ce droit fondamental des femmes.
Biblio……………..

Flux migratoires Un vieux proverbe iroquois dit: « Qui quitte son pays n'a plus de pays. Parce qu'il a
deux pays: son ancien pays et son nouveau pays. » La plupart des personnes entraînées dans l'odyssée de
l'émigration vérifient la douloureuse exactitude de ce dicton. Elles éprouvent un sentiment à la fois de
perte et d'anxiété, d'amputation et de greffe, de manque et d'inquiétude. L'ancien est perdu et le neuf n'est
pas acquis. C'est dire que nul n'émigre jamais de gaieté de cœur. Toute émigration constitue un
traumatisme, qui suppose des ruptures multiples et pénibles avec l'environnement affectif, la famille, les
amis, les amours, les paysages, les fêtes, les traditions, les saveurs, et dans bien des cas, évidemment, la
langue ou la religion.

Si l’on définit la mondialisation comme l'aboutissement de l'internationalisation à un stade de


développement où les barrières s' estompent ou apparaissent proches, accessibles, faisant communiquer
des réseaux, des solidarités et où les interdépendances vont croissant, on peut considérer que les flux
migratoires sont entrés aujourd'hui dans ce processus. Il s'agit en effet d'un phénomène de dimension
globale, politique, économique, sociale et culturelle, de nature à entraîner l'érosion du cadre étatique et
l'apparition ou la recomposition d'autres réseaux multipolaires, transnationaux ou transcontinentaux,
mais aussi régionaux, et à inscrire la question migratoire parmi les grands enjeux stratégiques mondiaux.
On compte environ 150 millions de personnes déplacées dans le monde, soit 2,8 % de la population
mondiale, dont un tiers de migration familiale, un tiers de migration de travail et un tiers de réfugiés [1).
Tous les continents sont concernés, et l'existence de nouveaux pôles de départ et d'accueil tend à es-
tomper peu à peu le poids des anciens liens coloniaux et du caractère bilatéral des flux. Même si les pays

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d'accueil occidentaux (Europe de l'Ouest, EtatsUnis, Canada, auxquels on peut adjoindre l'Australie
et le Japon) font l'objet de l'essentiel des analyses, plus de 60 % des migrants ne quittent pas
l'hémisphère Sud. Tout porte à croire que la mondialisation des flux migratoires va se poursuivre, du fait
de la persistance des écarts de développement et d'une connaissance accrue des filières d'entrée dans les
pays d'accueil, contre lesquelles les politiques de contrôle des frontières n'ont que peu d'effets.
Jean-Baptiste Duroselle nous apprend que la période de grands mouvements migratoires européen se
situe 1880 et 1914. Pendant ces quarante années, trente-quatre millions d’hommes ont quitté l’Europe,
dont seize millions environ pendent les treize premières années du XXème siècle. Défalcation faite des
rapatriements, la émigration intercontinentale nette a été vraisemblablement de l’ordre de vint-cinq
millions d’individus qui en grande majorité étaient des hommes dans la force de l’âge. Hors d’Europe,
les courants migratoires internationaux n’avaient rien de comparable avec les déplacements massifs de
populations européennes. Au Japon, ou la pression démographique était encore peu sensible, la moyenne
annuelle de l’émigration ne dépassait pas 12 000 hommes, entre 1910 et 1913.
Après la première guerre mondiale, qui avait momentanément paralysé les départs, les mouvements
migratoires européens n’ont plus la même ampleur. La « reprise » qui se manifeste en 1920 (820.000
départs) n’est qu’un feu de paille ; à partir de 1921, les statistiques enregistrent un déclin presque
continu , parce que les États-Unis, qui avaient reçu avant 1914 des émigrants européens ferment leur
porte.
Au tournant des années 80, une nouvelle donne migratoire est apparue, liée à de nouvelles formes de
mobilité et à de nouveaux migrants, originaires de zones géographiques jusque-là peu engagées dans des
flux de population de cette ampleur: Asie centrale et orientale, Europe de l'Est, Afrique centrale.
Quelques idées reçues doivent être violemment combattues dans ce nouveau paysage de la mobilité
mondialisée: tout d'abord, ce ne sont pas les plus pauvres qui partent, mais ceux qui disposent d'un
réseau, de famille installée à l'étranger, d'un pécule quand le franchissement des frontières est impossible
par les voies légales: s'il n'y a pas de réseaux, point de migrations. La seule exception à cette force
transnationale qui transgresse les frontières et les Etats est la migration forcée des réfugiés, mais là
encore, les pays riches sont loin d'accueillir le plus grand nombre, le tiers-monde, producteur et receveur
de ces flux, en accueillant les trois quarts.
Ensuite, et contrairement au passé, ce sont moins la pression démographique (d'ailleurs en baisse dans
beaucoup de pays de départ, notamment sur la rive sud de la Méditerranée) et la pauvreté qui poussent
les gens hors de chez eux que l'attirance d'un imaginaire migratoire. Celui-ci se construit par les médias
qui diffusent les chaînes de télévision occidentales, le bouche à oreille, la visibilité sur les marchés

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locaux et par les migrants de retour chez eux, le temps des vacances d'une société de consommation
si proche et pourtant parfois si difficile d'accès. Aussi les migrants sont-ils davantage des urbains
scolarisés, issus des classes moyennes, informés des chances de réussite dans les pays riches, que des
ruraux analphabètes comme du temps des migrations de masse des années de croissance. Les femmes et
les enfants isolés font aussi partie de ce nouveau profil. Enfin et surtout, la migration actuelle s'inscrit
davantage dans la mobilité que dans l'installation: beaucoup des nouveaux migrants, de l'Est notamment
mais aussi du Sud, s'inscrivent dans une stratégie de coprésence, de migrations pendulaires où l'on ne
part plus définitivement mais pour de courtes durées, même si cette aspiration est fortement contrée par
la politique des visas: plus les frontières sont fermées, plus les gens s'installent, faute de pouvoir repartir
et revenir, plus elles sont ouvertes ou entrouvertes, plus ils circulent et moins ils s'installent.
Faut-il ajouter, pour finir, que le codéveloppement et la libre circulation des marchandises, souvent
présentés comme une alternative aux migrations, sont plutôt, à court terme, un accélérateur de la mobi-
lité qu'un frein à celle-ci? Car ils inscrivent les populations touchées par celui-ci dans des réseaux
d'échanges qui se traduisent un jour ou l'autre par la mobilité des hommes.
On connaît mal ampleur des migrations dans le monde, tant l'enregistrement des diverses formes de
mobilité est épisodique et aléatoire dans les pays.

Chez les nomades, elles sont inscrites dans les mœurs, mais seules les circonstances poussent les
sédentaires à l'émigration. Des circonstances souvent dramatiques ou tragiques: les migrations sont
inscrites dans les mœurs, mais seules les circonstances poussent les sédentaires à l’émigration. Des
circonstances souvent dramatiques ou tragiques ; misères, famine, chômage, discriminations,
persécutions guerres, dictatures, calamités... D'une manière ou d'une autre, ceux qui émigrent, même si
la déci: de le faire relève d'une démarche individuelle résulte d'un libre choix individuel, sont en chassés
de chez eux.

Ainsi les Irlandais, partis par centaines de milliers aux Etats-Unis, fuyaient-ils à la fois la discrimination
politico-religieuse et la grande famine de 1845-1949. Ou les juifs de Russie, au cours de la seconde
moitié du XIXe siècle, échappant aux pogroms meurtriers. Ou les Siciliens s'éloignant, à la même
époque, du servage et de la pauvreté.

Des émigrés, il y en a toujours eu. On pourrait presque dire que chaque nation – et pas seulement les
Etats-Unis ou l'Argentine – est en grande partie constituée de descendants plus ou moins lointains
d'immigrés. Céline d'ailleurs ne définit pas la France autrement: «Ce grand ramassis de miteux dans
mon genre, chassieux puceaux, transis, qui ont échoué ici poursuivis par la faim, la peste, les tumeurs et

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le froid, venus vaincus des quatre coins du monde. Ils ne pouvaient aller plus loin à cause de la mer.
C'est ça la France, et puis c'est ça les Français. »

Il y a à peine deux décennies, des pays du sud de l'Europe comme le Portugal, l'Espagne, l'Italie ou de la
Grèce étaient exportateurs nets de main-d'œuvre. Pendant un siècle environ, ces pays sous-développés à
la démographie galopante, avaient encouragé à partir des millions de pauvres vers l' Amérique du Nord,
les Antilles, l'Amérique latine, l'Afrique coloniale (Maroc, Angola, Mozambique) ou vers l’Europe
développée (France, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, Suisse).

Cette émigration massive, douloureuse pour les familles, avait été fort bénéfique pour ces Etats. Elle
avait considérablement réduit la pression sociale, favorisé - grâce aux transferts de devises des
travailleurs émigrés - la situation économique générale, et contribué largement à moderniser, au niveau
des mœurs, des sociétés arriérées et sous l'emprise de la religion ou de traditions archaïques.

Aujourd'hui, ces pays sud européens, devenus membres de l'Union européenne, font partie du club très
restreint des Etats riches. Ils ont enfin accédé à une modernité si longtemps rêvée. Et ils semblent avoir
tout d'un coup oublié leur long passé de terres d'émigration ainsi que les humiliations et discriminations
qu'eurent autrefois à subir leurs ressortissants dans les contrées étrangères.

Ils se comportent, à l'égard des nouveaux émigrés venus chercher du travail chez eux en provenance du
Maghreb, d'Afrique, d'Amérique latine ou d'Europe de l'Est, avec une dureté scandaleuse et, souvent,
avec un racisme méprisable, comme l'ont montré tragiquement les pogroms anti-immigrés (contre des
Marocains et des Africains) à El Ejido, en Espagne, en février 2000.

A leur tour, Maghrébins ou Africains, Albanais ou Kurdes, Afghans ou Sri-Lankais fuient aujourd'hui la
misère, le sous-développement, les guerres, les persécutions, les conséquences dramatiques de la
mondialisation libérale... Au risque de leur vie, ils traversent des déserts, des océans, des tunnels ou des
détroits3, victimes de passeurs indélicats, pour se retrouver finalement dans la peau de clandestins
exploités par des marchands de sommeil et par des négriers modernes qui leur proposent du travail au
noir payé une misère, sans droits, sans papiers, sans soins, sans respect.. .

Partout, en Afrique comme en Europe ou en Amérique latine, les émigrés deviennent vite des boucs
émissaires. En cas de crise économique, il est facile de les désigner comme responsables de la pénurie de
travail, cause du chômage des nationaux. Des partis xénophobes surgissent qui accusent alors les
étrangers de tous les maux, de manger le pain des habitants locaux, de leur voler le travail, de fomenter

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Des dizaines de Maghrébins et d'Africains meurent chaque année, dans l'indifférence générale, en tentant de traverser à bord
d'esquifs de fortune le détroit de Gibraltar.

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l'insécurité et la délinquance, de répandre des maladies contagieuses, d'instiller la perversion et le
vice...

Devant tant d'injustices à l'égard des émigrés, il est temps de modifier la perception que les sociétés
d'accueil en ont. Etranges, les étrangers l'ont toujours été et le resteront malheureusement. Mais, en
connaissant mieux leurs histoires, leurs itinéraires, leurs espoirs et leurs ambitions, peut-être pourrons-
nous mieux admettre qu'ils sont devenus, nolens valens, une composante importante de la population des
pays développés, que leur lutte constante pour la dignité oblige à les respecter dans tous les domaines.
Qu'ils ont finalement conquis le droit aux libertés fondamentales: faculté d'aller et venir, de vivre en
paix, accès à l'éducation, à la santé, au travail, au logement, aux loisirs, à la culture... Et que, faisant
partie intégrante de la cité, ils doivent avoir aussi, dans les élections locales notamment, le droit de voter.
Et le droit d'être élus.

Pour toutes sortes de raisons: multiplication des Etats et des conflits, déséquilibres économiques et
démographiques, progrès des transports intercontinentaux, etc., le vingtième siècle a, entre autres
spécificités, le triste privilège d'être celui des réfugiés. En 1992, l'Europe occidentale compte 18,27
millions d'étrangers résidents sur son territoire. Ils sont aujourd'hui quelque 15 millions. Mais, de tout
temps, les "victimes de la tourmente de l'histoire", de l'intolérance religieuse et de l'ostracisme politique
ont existé. Tout particulièrement en France et en Europe.. le caractère inéluctable de la persistance des
pressions migratoires dans un avenir prévisible; la nouveauté de certains traits les caractérisant; la
diversité des politiques suivies par les États européens. Non seulement la disparité des niveaux de vie et
celle des régimes politiques motivent les migrants à se déplacer vers certains pays jugés plus attirants,
mais les migrations de l'Est se superposent à celles du Sud.

Quelles que soient les origines des flux, les politiques européennes convergent cependant dans une
tendance à la fermeture. Les divergences quant aux politiques suivies par chaque État vis-à-vis des
immigrés régulièrement admis à séjourner sont réelles et tiennent largement à la spécificité de chaque
histoire nationale.

Plusieurs millions de personnes quittent chaque année leur pays pour s’installer dans un autre, dans
l’espoir d’y trouver une vie meilleure. Les flux migratoires ainsi générés touchent désormais tous les
Etats, révélant les déséquilibres du monde, avec ses inégalités, ses clivages et ses aires d’influence. Mais
sur ce sujet, qui soulève presque partout des passions, l’information statistique est déficiente. Il faut donc
se contenter de chiffres très approximatifs. Selon le Fonds des Nations unies pour la population, le
nombre des personnes vivant dans un autre pays que leur pays natal serait passé de 75 millions en 1965 à

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122
120 millions en 1990 et à 150 millions en 2000. Ces chiffres doivent être relativisés: il s’agit de près
de 2 % de la population du monde, une proportion qui n’a pas beaucoup changé depuis la seconde guerre
mondiale. Sur ces 150 millions, les neuf dixièmes auraient émigré pour des raisons économiques et un
dixième pour des raisons politiques, en général à cause d’un conflit armé.

Dans les pays d’accueil, le nombre des immigrés est souvent mal connu: seuls les réfugiés font l’objet de
comptages. Dans les pays de départ, le nombre des absents fait l’objet, au mieux, d’évaluations
grossières.

Ce n’est pas tant l’ampleur que la généralisation des flux qui est le trait nouveau: presque tous les pays
du monde sont désormais concernés. Parmi les migrants, les travailleurs manuels font place aux
personnes qualifiées et les femmes sont de plus en plus nombreuses. Nombre de mouvements ont une
longue portée et les itinéraires migratoires sont de plus en plus compliqués. En raison des restrictions
appliquées par la plupart des Etats du Nord depuis les années 1970, la proportion des « sans-papiers» est
importante. La pression migratoire est telle que certains pays, notamment les Etats-Unis et l’Australie,
sélectionnent les migrants qu’ils jugent utiles. Derrière la complexité des mouvements transparaît un
principe simple: les flux sont générés par les écarts de niveau de vie tels qu’ils sont perçus par les
candidats au départ.

Les pays d’émigration sont devenus très nombreux depuis les années 1980. Parmi les plus affectés
figurent ceux de l’Asie du Sud et de l’Est, en particulier la Chine et les Philippines. Plusieurs pays
d’Amérique sont aussi très concernés, particulièrement le Mexique, Cuba et Haïti. En Afrique du Nord
et au Proche-orient, le Maroc, la Turquie et le Yémen sont les plus touchés. L’Afrique subsaharienne est
gagnée peu à peu. Les pays du Sud ne sont d’ailleurs pas les seuls à connaître des départs. Depuis la fin
des régimes communistes, l’émigration a nettement repris à partir de l’Europe centrale et orientale.

Les pays d’accueil aussi sont devenus plus nombreux avec l’émergence de nouveaux foyers d’attraction.
Certains exercent un attrait modéré, à caractère régional: c’est le cas du Japon en Asie..

D’autres exercent une attraction forte, mais limitée à certains pays: Australie et Arabie saoudite. Deux
groupes de nations exercent une puissante attraction planétaire: l’Amérique du Nord et l’Europe de
l’Ouest.

Les Etats-Unis comptent au moins 25 millions d’immigrants et accueillent près d’un million de
personnes supplémentaires chaque année. Les autres pays ayant un gros effectif d’immigrants sont
l’Allemagne (5 millions), la France (plus de 4 millions), l’Arabie saoudite et le Royaume-Uni (près de 4
millions chacun).

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Les migrations internationales ont des effets économiques considérables, car une partie importante
de l’épargne des migrants est transférée vers les pays d’origine, dont elle représente souvent la première
source de revenu extérieur. Les flux étaient estimés à 70 milliards de dollars au début des années 1990,
mais ce chiffre a probablement doublé en dix ans.

Au sommet européen de Tampere (Finlande), fecha les dirigeants de l'Union avaient réaffirmé une
vision restrictive de la politique d'immigration. Mais, alors que la mondialisation économique a
profondément transformé les Etats et le système interétatique, pouvait-on continuer de penser
l'immigration comme s'il s'agissait d'une dynamique indépendante des autres champs; comme si son
"traitement" relevait encore exclusivement d'une souveraineté nationale unilatérale? Pouvait-on persister,
dans la réflexion sur les migrations internationales, à faire l'économie d'une interrogation sur les
transformations décisives qui ont affecté l'Etat, à la fois sur le plan domestique et dans ses relations
internationales?

Un an plus tard, tandis que se préparait le sommet de Nice de décembre, le commissaire européen
Antonio Vitorino appelle les pays membres à reconnaître que "la politique immigration zéro des vingt-
cinq dernières années [n'est] plus opérationnelle" et à mener une "politique plus ouverte" afin de
répondre aux besoins de main-d'œuvre.

On pourrait se réjouir de l'abandon du mythe de la fermeture des frontières, ainsi que de la fin de la
suspicion systématique envers les immigrés et les candidats à l'immigration. Toutefois, derrière la
nouvelle gestion de l'immigration ne se profilent ni l'accompagnement social des travailleurs étrangers
présents sur le sol européen ni la fin de l'absurde situation faite aux sans-papiers et aux demandeurs
d'asile. L'Europe, à sa façon, installe un tri sélectif, recrute les travailleurs "utiles" et rejette les "inutiles".
On ouvrira la porte aux diplômés formés par le système universitaire indien ou marocain. Quelques
indésirables, choisis pour l'exemple, repartiront menottés dans l'avion, tandis que la plupart resteront sur
place, privés de droits et de perspectives, et travaillant dans des conditions inacceptables.

La répression accrue de l'immigration rendue illégale est le fruit d'une panique des dirigeants politiques
devant leur impuissance à "réguler les flux" - un sentiment qui perdurera tant que l'on pensera les
migrations internationales dans le cadre étroit de l'Etat-nation. Les Etats n'ont-ils pas eux-mêmes, en
ratifiant de nombreux accords internationaux (commerce, construction européenne, défense des droits
humains...), contribué à la mondialisation du travail?

Cette vision interdit tout débat serein. La question importante, en effet, ce n'est pas l'efficacité du
contrôle des Etats sur leurs frontières, dont on sait bien le caractère nécessairement imparfait, mais plutôt

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la nature de ce contrôle. Comment les politiques migratoires s'intègrent-elles au nouveau cours
mondial, avec son intégration économique, ses accords internationaux sur les droits humains, avec
l'extension aux immigrants résidents de divers droits sociaux et politiques, la multiplication des acteurs
politiques, etc.?

Saskia Sassen, sociologue à l’université de Chicago, signale dans Le Monde Diplomatique du novembre
2000 que les migrations internationales ne représentent pas des phénomènes autonomes. Et parmi les
acteurs majeurs, mais rarement identifiés comme tels, de ces migrations, elle relève:

- certaines sociétés multinationales, qui, du fait de leur rôle dans l'internationalisation de la production,
supplantent les petits producteurs locaux, ce qui limite les perspectives de survie de ces derniers dans
l'économie traditionnelle et crée ainsi une main-d'oeuvre mobile. De plus, l'installation de pôles de
production tournés vers l'étranger contribue à l'établissement de liaisons entre pays demandeurs de
capitaux et pays exportateurs de capitaux;

- des gouvernements qui, par leurs opérations militaires, provoquent des déplacements de populations et
des flux de réfugiés et de migrants;

- les mesures d'austérité imposées par le Fonds monétaire international (FMI), qui obligent les pauvres à
envisager l'émigration (domestique ou internationale) comme stratégie de survie;

- enfin, les accords de libre-échange qui, renforçant les flux de capitaux, de services et d'informations
transfrontaliers, impliquent la circulation transfrontalière de travailleurs spécialisés.

Organisations d’aide aux immigrants :


Cimade (Service œcuménique d'entraide) www.cimade.org
La Cimade œuvre, entre autres, en faveur des étrangers faisant l'objet d'une mesure d'expulsion ou d'interdiction du territoire.
On lira avec intérêt les dossiers qu'elle a réalisés sur leur situation dans les centres de rétention administrative et dans les
zones d'attente, qui dressent un état des lieux accablant pour les pouvoirs publics.
Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) www.ccem-antisiavery.org Multilingue
Le CCEM présente son bulletin mensuel d'information en version intégrale, une série de publications (dont les actes du
colloque organisé en septembre 2000 : « Esclavage moderne et trafic des êtres humains, quelles approches européennes? ») à
télécharger gratuitement et une section d'actualités juridiques...
France Terre d'asile. www.france-terre-asile.org
L'association d'aide aux demandeurs d'asile et aux réfugiés fournit une documentation complète sur le droit d'asile et propose
un dossier sur la situation en Europe.
Fonds européen pour les réfugiés (FER) www.european-refugee-fund.org. En français, en anglais et en allemand.
Mis en place par la direction générale de la justice et des affaires intérieures de la Commission européenne, le FER propose
des informations concernant les projets financés par l'Union européenne en matière d'accueil et de rapatriement volontaire des
réfugiés, personnes déplacées et demandeurs d'asile.
Forum Réfugiés www.forumrefugies.org En français. Le site de cette association investie dans le soutien des réfugiés et la
défense du droit d'asile présente une rubrique d'actualités juridiques et des schémas explicatifs sur le droit d'asile.

124
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Gisti www.gisti.org Ce Groupe d'information et de soutien des immigrés a mis en ligne les conseils juridiques utiles
concernant le droit des étrangers, la liste des services administratifs compétents, ses pétitions et communiqués, etc. Il propose
également une sélection d'articles en version intégrale de la revue Plein Droit et les sommaires détaillés de ses autres
publications. En français.
Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB) mibmib.free.fr En français. Cette association de défense des personnes
issues de l'immigration née officiellement en 1995 inscrit son action dans le sillage des luttes pour la reconnaissance des
droits et de la dignité des immigrés menées par des organisations comme le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) dans
les années 1970 ou Résistance des banlieues (ROB), créée en 1989. Elle apporte un soutien juridique aux étrangers en
difficulté, organise des campagnes d'action contre la double peine et milite pour un égal accès aux services publics. Elle
propose sur son site un dossier sur la « Justice en banlieue » et revient sur l'acquittement, le 28 septembre 2001, du policier
Pascal Hiblot, qui avait tué Youssef Khaïf d'une balle dans la nuque en 1991 à Mantes-la-Jolie.
Migrations Santé. www.migrations-sante.org En français et en anglais. Cette association basée à Paris cherche à promouvoir
la santé et l'intégration des migrants et de leurs familles en facilitant l'accès aux soins et en développant des programmes
d'action, d'information et de recherche. Elle publie une revue trimestrielle, dont le sommaire est disponible en ligne, ainsi
qu'une lettre d'information.
Migrants contre le sida www.survivreausida.org En français principalement. Ce collectif d'information et de soutien des
séropositifs issus de l'immigration propose les archives électroniques de son émission de radio hebdomadaire (diffusée sur
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Il propose des informations régulièrement actualisées, des articles de presse, des documents de référence, des ressources
juridiques et associatives ainsi qu'une liste de diffusion et fait le point sur les différents mouvements et les campagnes
d'action.
A Lire : D'un voyage à l’autre. Des voix de l’immigration pour un développement pluriel. Collectif de Institut Panos, Paris,
2001, 300 pages,
Jeunes immigrés dans la cité. Andrea Rea (Editions Labor, Bruxelles, 2001, 170 pages,
Repenser le migrations. Nancy L. Green (P.U.F, coll. " Le nœud gordien ", Paris, 2002, 140 pages)

125
126
F

FMI Le Fonds Monétaire International a été créé en juillet 1944 lors d’une conférence des Nations
Unies qui s’est tenue á Bretton Woods*. Il est gouverné par 183 États membres, ce qui lui donne une
dimension quasi universelle. Les représentants de 45 nations s’étaient accordés sur la mise en place d’un
cadre de coopération économique destiné á prévenir les politiques économiques qui avaient contribué á
la crise des années 30.

Au cours de cette décennie, le ralentissement de l’activité des grandes économies industrielles avait
incité les pays á enter de se protéger en intensifiant les restrictions á l’importation, ce qui n’a fait
qu’accentuer le processus de contraction des changes, de la production et de l’emploi à l’échelle
mondiale.

Pour stopper l’hémorragie de leurs réserves d’or et de devises, certains pays ont limité les possibilités
d’achat á l’étranger offertes á leurs ressortissants, d’autres ont dévalué leur monnaie ou imposé des
restrictions complexes à la détention de devises. Mais ces remèdes se sont révélés inopérants, et cette
politique de « chacun pour soi » à porté un coup à l’économie internationale : les échanges mondiaux ont
fortement diminué, de même que l’emploi et le niveau de vie dans un grand nombre de pays.

En 1944, suite à la seconde Guerre, le revenu réel mondial enregistre une croissance sans précédent. Les
bienfaits de la croissance ne sont pas équitablement établis, la plupart des pays semi-coloniaux surfent
sur la vague de croissance que constituaient les « Trente Glorieuses ». Leurs exportations augmentent à
un taux suffisant pour empêcher un déficit de leurs balances des paiements. Ils ne croulaient pas sous le
poids des importations.

Leur éventuels déficits étaient financés par des crédits commerciaux, des prêts des gouvernements
étrangers ou des agences internationales. En 1971, les banques privées ne possédaient qu’un tiers des
prêts étrangers dans les pays du « tiers monde ».

Puis les années 70 ont été marquées par la crise ; deux récessions mondiales ont frappé l’économie
internationale et la demande pour les exportations traditionnelles d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine
a chuté.

La configuration multi-nationale va être marquée par une mutation profonde de la régulation du système
monétaire international. Les conséquences de cet événement radical n'apparaîtront que plus tard, au
début des années 1980. Mais, à partir du discours du président Nixon du 15 août 1971, l'architecture

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financière mise en place à Bretton Woods va être progressivement démantelée. Cette décision
américaine va ouvrir la voie à la prochaine configuration de la mondialisation, celle de la globalisation
financière.

Lorsque le président Nixon proclame unilatéralement l'abandon de la convertibilité du dollar en or, il ne


consomme pas seulement la rupture du lien avec la « relique barbare », comme l'appelait J. M. Keynes,
mais il donne aussi le coup de grâce à l'un des pivots de la coopération intergouvernementale issue de
Bretton Woods.

Le gold exchange standard (étalon de change or) avait mis le dollar américain au cœur du système des
paiements internationaux. Le plan proposé par J. M. Keynes qui recommandait la création d'une
« banque centrale des banques centrales » ayant la capacité d'émettre une monnaie internationale (le
bancor) avait été repoussé et le plan White, celui soutenu par les États-Unis, finalement adopté. Une
monnaie nationale, le dollar américain, devient une devise clé, la seule monnaie internationale. Elle pré-
sente deux caractéristiques spécifiques. D'une part, elle est la seule à pouvoir être convertie en or (le prix
d'une once d'or est fixé à 35 dollars). D'autre part, les autres monnaies nationales sont convertibles en
dollars sur la base d'un taux de change fixe. Les banques centrales des pays membres sont garantes du
respect des taux de change. Les mouvements de capitaux sont strictement contrôlés. Le FMI est créé
pour servir de cheville ouvrière à la nouvelle architecture des paiements internationaux. Les taux de
change des monnaies des pays membres sont enregistrés auprès du FMI, auquel des ressources sont
allouées à travers un système de quotas versés par les pays membres.

A la fin de la récession mondiale de 1980-82, des pays comme le Brésil, le Mexique, l’Argentine et le
Venezuela ont fait faillite. Ils ne pouvaient plus payer les intérêts des dettes contractées auprès des
banques privées qui avaient proposé des prêts pendant les années 70 afin que les pays pallient aux
déficits produits par la crise internationale.

En 1970, la dette des pays dominés par l’impérialisme était de l’ordre de 75 milliards de dollars. 15 ans
plus tard, ce chiffre a été multiplié par 12 : la dette s’élevait à 900 milliards de dollars.

La plupart des prêts demandés par les classes dirigeantes des pays semi-coloniaux n’avaient pas pour
objectif d’augmenter le niveau de vie de la population. Un grand nombre d’entre eux étaient directement
liés à des contrats militaires dont l’objectif était de renforcer les régimes répressifs d’Amérique latine et
d’Afrique confrontés à la pression populaire ainsi qu’au renforcement, dans le même temps, des profits
des sociétés multinationales d’Europe et des USA qui fabriquaient des produits militaires (armes, avions,
hélicoptères, voitures, etc.). D’autres prêts servaient, eux, des projets dits « de prestige », inutiles pour la

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population, mais qui avaient pour objectif de renforcer le régime aux yeux du peuple et des classes
dirigeantes des États voisins. Et, bien entendu, parmi ces sommes empruntées, des milliards de dollars
ont tout simplement été détournés vers des comptes privés dont jouissaient les Mobutu et les Suharto.

Pendant la récession de 1980-82, le poids de la dette est devenue écrasant. L’effondrement de la


demande de matières premières pendant les années 70 a porté un premier coup de massue aux pays
d’Amérique latine. Ceci a été suivi en 1979 de l’explosion des taux d’intérêt - de 7 % à 17 % - alors que
les USA cherchaient à freiner l’inflation. Par voie de conséquence, le remboursement des seuls intérêts
—et non pas la dette elle-même—a consommé une partie croissante des revenus d’exportation qui
diminuaient. La proportion des revenus des pays semi-coloniaux absorbés par le paiement des intérêts
est passée de 15 % en 1977 à 25 % en 1982.

Pendant cette même période, la somme totale remboursée par les pays dominés par l’impérialisme est
passée de 40 à 121 milliards de dollars. Pays après pays, les bourgeoisies locales s’apprêtaient à jeter
l’éponge.

Les banques, menacées par la perte pure et simple de leur argent, ont exigé l’intervention du FMI pour
renflouer les économies. Il fallait éviter la faillite et imposer les mesures politiques et économiques
nécessaires pour assurer le remboursement de la dette. C’est dans ce contexte que le FMI a trouvé sa
raison d’être.

Le FMI occupe une position centrale dans le système monétaire international - c'est-à-dire dans le
système des paiements internationaux et des taux de change entre les monnaies nationales qui permet les
transactions entre les pays.

Son but serait de prévenir les crises systémiques en encourageant les pays à adopter des politiques
économiques saines; comme son nom l'indique, elle constitue en même temps un fonds auquel les États
membres qui ont des besoins de financement temporaires peuvent faire appel pour remédier à leurs
problèmes de balance de paiements.

Concernant son objectif préventif, force est de constater que la FMI n’a pas su prévenir les crises
économiques au Mexique (1994), en Asie (en 1997 – même si le FMI se dédouane en ayant débloqué 36
milliards de dollar), en Russie (1998), au Brésil (1999), enfin en Argentine* plus récemment (2001.)Le
FMI a mis en place lors de ces crises des aides d’urgence qui servent à maintenir l’emprunteur la tête
hors de l’eau, le temps de récupérer un peu d’argent du côté des salaires, des retraites, des services
publics et sociaux, pour rétribuer les préteurs qui, eux n’ont jamais des problèmes. Les banques
créancières sont toujours remboursées, soit par le biais de l’aide accordée aux pays débiteurs par les

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États du Nord, soit par celui du FMI et de la Banque mondiale. Mais son rôle d’observation et
d’anticipation a clairement fait défaut.

Pilier de l’ordre impérialiste mondial depuis l’après-guerre, le FMI est pour les travailleurs des « pays en
voie de développement » synonyme de licenciements, d’attaques contre le niveau de vie des travailleurs
et de misère généralisée pour la classe ouvrière.

Afin de « stabiliser » les économies et de « restaurer la confiance des investisseurs », le FMI insiste pour
que chaque gouvernement applique ses plans d’austérité dont les travailleurs du monde entier supportent
les conséquences.

Le plan d’austérité est devenu le principal préalable du FMI à toute aide financière mise en place pour
faire face à la fuite des capitaux, à la dette étrangère devenue écrasante ou à la disparition des réserves de
devises étrangères - les signes classiques d’une crise financière aggravée.

Le FMI, structure fondamentale de l’impérialisme moderne, se définit lui-même de la manière suivante :


Il est politiquement neutre, comme une espèce de banquier bénévole mais plein de bon sens, qui ne fait
qu’appliquer la volonté de ses pays-membres. Il a comme unique objectif d’appuyer le développement et
la croissance du commerce international. Son aide financière ne sert qu’à permettre aux pays-membres
de surmonter des difficultés financières temporaires - en particulier dans le domaine de la balance des
paiements (c’est-à-dire avoir assez d’argent pour payer les importations) - et à les aider à effectuer les
changements structuraux nécessaires afin d’augmenter les exportations.

Sa doctrine est celle du néo-libéralisme, avec comme objectif que tous les pays puissent avoir une
spécialité dans le domaine de la production, afin de maximiser le bien-être des citoyens.

Voilà la version officielle, la vision impérialiste de la chose. La vérité est tout autre.

En fait, le FMI fonctionne comme une espèce de ministère des finances à l’échelle planétaire. Il contrôle
notamment la situation des pays du « tiers monde » - les semi-colonies d’Asie, d’Amérique latine et
d’Afrique - dans l’intérêt d’une poignée de puissances impérialistes, en particulier les USA,
l’Allemagne, la France, le Japon et la Grande-Bretagne, qui dominent l’économie mondiale.

Les objectifs réels du FMI sont en fait évidents : Assurer la capacité d’un pays à remplir ses obligations
en matière de dette aux banques privées. Tout surproduit financier créé par l’exportation ou la
privatisation doit avant tout servir à payer l’intérêt des dettes aux banques étrangères.

Ouvrir des marchés nationaux à l’investissement et à l’appropriation par les principaux pays
impérialistes : Au sein du FMI, certains pays-membres - les puissances impérialistes - sont plus égaux

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que d’autres. En poursuivant son projet d’abolition de toute restriction sur la libre circulation des
marchandises, des services et du capital, le FMI montre clairement qu’il n’est qu’une arme au service
des classes riches et puissantes.

Dès la fondation des instances financières gérant l’économie capitaliste mondiale en 1944, les USA ont
fait en sorte que tous les pays souhaitant recevoir de l’argent de la Banque mondiale doivent
obligatoirement adhérer au FMI et donc subir sa politique.

En 1978, les USA ont modifié la charte du FMI, afin que tout prêt soit conditionné à l’acceptation de la
politique du FMI en matière de réforme économique. Ce changement généralisait une politique qui
n’avait jusque là été appliquée que sélectivement.

Par exemple, quand un pays impérialiste avait des difficultés à boucler son budget - comme ce fut le cas
pour la Grande Bretagne en 1960 - aucune condition particulière n’était associé au prêt accordé par le
FMI.

Le sort des pays semi-coloniaux était très différent. En 1954, le Pérou fut le premier pays d’Amérique
latine à se tourner vers le FMI ; il dut subir un programme de réformes économiques drastiques. Idem
pour le Chili en 1956.

La crise d’endettement des années 80 a conduit à une véritable ruée vers le FMI. A la fin de 1984, 40
pays semi-coloniaux avaient signé des accords avec lui. Bien sûr, ces accords étaient formulés de
manière à éviter tout contrôle démocratique sur le procesquq de « réforme » exigé par le FMI.

Les choses se passent toujours de la même façon : le FMI écrit une lettre d’intention spécifiant les
conditions qu’il impose ; le gouvernement doit la signer. Les fonds s130130t @ite débloqués. L’accord
n’est pas nécessairement publié et il n’a pas le statut de traité international, il n’est donc pas
nécessairement discuté par le parlement du pays concerné.

Le FMI n’est pas gratuit. Le pays concerné doit payer 0,25 % du prêt afin de couvrir les « frais d’agent »
du FMI ! Ensuite, il doit acquitter 4,5 % du prêt directement aux pays-membres dont les devises
composent l’argent prêté.

Résultat : un transfert de la richesse des pays semi-coloniaux vers les pays impérialistes.

Enfin le pays-emprunteur doit adopter un plan « d’ajustement structurel », sans lequel il n’est pas admis
sur les marchés internationaux des capitaux, ce qui le prive de l’accès à la richesse. Le but des plans est
d’assurer les profits des banques et de transférer les richesses nationales vers les impérialistes.

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Le plan traditionnel du FMI comporte certains éléments immuables : la dévaluation de la devise
nationale ; la hausse des taux d’intérêt ; l’élimination des subventions, y compris sur la nourriture
;l’augmentation des prix demandés par les entreprises d’État pour l’énergie, l’eau etc. ou la privatisation
de ces entreprises ; le contrôle des salaires ; la restriction du crédit.

Toutes ces mesures « d’ajustement » ont un même objectif : la limitation de la demande intérieure et des
importations et le renforcement des exportations occasionnées par la diminution de leur prix. Tous les
revenus découlant des exportations doivent être utilisées pour le remboursement de la dette.

Investissements étrangers : En restaurant l’équilibre de la balance des paiements, le FMI assure que le
pays puisse à nouveau attirer les investissements étrangers. Lorsque les impérialistes reviennent dans ces
pays, tout est moins cher à cause de la dévaluation.

Là encore une fois, ces mesures n’ont qu’un seul objectif : créer - ou recréer - les conditions pour
l’extraction des sur profits par les impérialistes.

En Amérique latine, pendant les années 80, la politique du FMI a conduit à une « décennie perdue » pour
les masses. Le Brésil constitue un exemple typique.

En janvier 1983, le Brésil a signé un accord avec le FMI et s’est lancé dans un programme de
« stabilisation » prévu sur trois ans. En échange d’un prêt de 4,5 milliards de dollars, le plan prévoyait :
la dévaluation de la devise de 30 % ; la réduction de moitié du déficit de la balance des paiements en
1983 ; la réduction de moitié du déficit budgétaire ; la baisse de l’inflation de 100 % par an à 85 % en 12
mois ; la hausse des taux d’intérêt et la suppression des subventions ; l’abandon de l’indexation des
salaires, conduisant ainsi à une perte du pouvoir d’achat des travailleurs.

Étant donné qu’avec la dévaluation, les prix ont grimpé deux fois plus vite que les salaires, bon nombre
de travailleurs ont connu la pauvreté. Les exportations ont augmenté mais la résistance ouvrière a fait en
sorte que les salaires n’ont pas diminué dans les proportions espérées par le FMI.

Conséquence ? Le FMI a refusé de livrer la deuxième tranche du prêt, jusqu’à ce que le gouvernement
adopte une loi décrétant que la hausse des salaires ne pouvait atteindre que 80 % de la hausse des prix !
Les travailleurs se sont mis en mouvement et le gouverneur de la Banque du Brésil a dû démissionner.
Au bord de la faillite, le gouvernement brésilien a écrasé le mouvement et a fait adopter la politique du
FMI à la hussarde.

En novembre 1983, le FMI a débloqué enfin 11 milliards de dollars, dont l’unique fonction était... de
rembourser la dette.

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Les pays d’Amérique latine des années 80 ont joué le rôle de cobayes néo-libéraux du FMI. L’un
après l’autre, chaque pays a dû adopter une politique orientée vers les exportations, basée sur un
programme de privatisation des industries nationales au profit des sociétés multinationales impérialistes
et la destruction pure et simple des aides étatiques destinées aux couches les plus pauvres.

Mais en 1997, l’effondrement des pays du Sud-Est asiatique a montré l’erreur des théories néo-libérales
prônées par le FMI sur le développement capitaliste. Incapable d'enrayer la crise en Asie orientale, le
FMI a également échoué dans les politiques d'ajustement structurel qu'il a imposées à nombre de pays en
développement. En particulier, son dogme de la priorité aux exportations ne résiste pas aux données
présentées dans ses propres rapports. L'exemple de l'Inde montre que le refus de tout miser sur le
commerce international et sur l'intégration dans l'économie globale constitue la meilleure garantie de la
stabilité et d'une croissance modeste, mais soutenue.

Le FMI chantait les louanges de ces économies. Il les prenait pour modèles afin de montrer comment des
pays du « tiers monde » pouvaient connaître croissance et stabilité et jouir des investissements étrangers.
Entre 1990 et 1996, les banques étrangères se sont ruées vers ces pays, applaudis par le FMI qui y voyait
des modèles à suivre partout dans le monde semi-colonial.

Et puis, la vérité a éclaté aux yeux de tous : surproduction, effondrement des profits, mauvaises dettes et
fuite des capitaux. L’un après l’autre, l’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie, la Corée du Sud et les
Philippines ont tous sombré. Incapables de défendre leurs devises face à la déferlante financière, leurs
économies se sont effondrées.

Étant donné qu’ils suivaient tous et sans conditions la politique du FMI, ils étaient en droit d’attendre
que celui-ci débloque immédiatement les fonds nécessaires pour les sauver. Pas du tout. Pour le FMI, la
crise devait être payée par les populations. Cela s’est traduit par la réduction des dépenses d’État, la
limitation de la demande intérieure et des salaires et l’augmentation des taux d’intérêt. Les « apprentis
sorciers » du FMI ont même rajouté une clause visant la dérégulation du mouvement des capitaux, un
des facteurs qui avaient déclenché la crise !

Le but du FMI est simple : se servir de la crise afin d’ouvrir ces pays comme autant d’huîtres, permettant
ainsi aux banques et aux sociétés impérialistes d’en déguster les meilleurs morceaux.

Voilà pourquoi l’accord de décembre 1997 entre le FMI et la Corée du Sud exige une profonde réforme
structurelle, la fermeture des institutions financières, le rachat des banques coréennes par des banques
étrangères et la fin des prêts gouvernementaux. Comme l’a dit un commentateur, l’objectif du FMI est
net : « Il ne peut y avoir aucun doute, les vrais gagnants sont les sociétés occidentales et nippones. Le

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transfert vers des propriétaires étrangers a commencé, marqué par l’euphorie, comme le montre cette
remarque de la part d’un dirigeant d’une banque britannique : « Si quelque chose qui hier valait 1
milliard de livres, aujourd’hui ne vaut que cinquante million, c’est assez excitant. » La combinaison des
dévaluations massives avec la libéralisation à tout va et la reprise soutenue par le FMI pourrait même
précipiter le plus grand transfert de richesses des propriétaires nationaux vers l’étranger qu’on ait jamais
vu en temps de paix depuis cinquante ans. Même les transferts vers les USA qu’on a vu en Amérique
latine pendant les années 80 ne seraient rien à côté.

Le caractère pro-impérialiste des conditions avancées par le FMI n’a jamais été aussi évident malgré ce
qu’en dit Michel Camdessus. Celui-ci déclarait, sans rire, fin octobre, que les programmes du FMI
« cherchent à faire en sorte que la reprise des dynamiques de développements serve le développement
humain, que la dépense publique soit autant que possible destinée à l’éducation, à la santé de base, etc.
C’est le meilleur moyen pour donner leur chance aux plus pauvres. »

La seule pointe de critique que Camdessus concède avec cynisme, c’est que « la libéralisation a parfois
été conduite en dépit du bon sens ». Et les millions de travailleurs et de jeunes qui ont subi les effets
nocifs des programmes du FMI sur leurs conditions de vie, alors ? Oubliés !

L’avenir du FMI peut prendre deux directions. D’une part, il est possible que le nombre et la profondeur
des crises financières des années 90 épuisent les ressources du FMI.

Par conséquent, les impérialistes craignent que la prochaine crise soit la dernière. Car pour répondre à la
crise rampante qui déferle sur les places boursières de la planète, le FMI a besoin de plus d’argent
encore.

Aux USA, le Congrès n’a donné « que » 18 milliards de dollars au FMI le mois dernier. Mais son
instrument financier préféré a besoin de beaucoup plus. S’il s’écroule sous le poids de cette crise ou de la
suivante, on pourrait assister à l’effondrement du système d’échange planétaire et à un retour au chaos
qui a caractérisé les années 30. Voilà la voie réactionnaire.

Mais il y a une autre piste : Les luttes des pauvres et des exploités contre l’austérité imposée par le FMI
pourraient bloquer les plans de ce dernier, aboutir au renversement des gouvernements bourgeois qui
cherchent à les mettre en œuvre. Voici la voie révolutionnaire.

C’est seulement en suivant une telle voie que l’on peut arracher des mains des capitalistes les banques et
les usines du monde entier et les mettre sous le contrôle de ceux qui y travaillent.

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Dans ces circonstances, si les pays les plus développés étaient munis de gouvernements ouvriers, ils
pourraient commencer la construction d’un ordre monétaire international opposé à celui du FMI. Ce
serait un ordre basé sur un système planétaire de planification socialiste, un système destiné à augmenter
le niveau de vie des plus pauvres.

L’expropriation des banques abolirait les dettes nationales. Les revenus des exportations n’assouviraient
plus l’avarice des financiers internationaux et ne conduiraient plus au transfert des richesses entre les
mains d’une poignée de sociétés multinationales.

Une institution monétaire internationale sous le contrôle démocratique des travailleurs dirigerait un
système de paiements à taux de change stables entre les pays-membres d’une fédération socialiste, tout
en permettant aux devises nationales d’exister si tel était le souhait des masses travailleuses de ces pays.

Mais une transition socialiste, durant laquelle chaque pays serait intégré au sein d’un plan international
de production et de distribution, aurait comme conséquence inévitable de miner le besoin de devises
nationales. Les sommes dépensées pour les échanges pourraient utilement servir ailleurs.

Dans cette optique, celle de l’après-révolution socialiste, la politique monétaire aurait comme seul
objectif de mesurer la productivité du travail, signalant ainsi aux institutions de planification comment
mieux répartir l’argent au sein du système socialiste tout entier.

C’est une perspective très différente de celle du FMI. Mais c’est la seule qui peut faire sortir l’humanité
du cycle de crise, de répression et de guerre qui est le lot commun sous la férule capitaliste. Il s’agit
d’une perspective émancipatrice et rationnelle plaçant la production au service de l’humanité et non
l’inverse.

Pendant les années 30, le monde capitaliste fut ravagé par la Grande Dépression. Des milliers de
banques ont fait faillite ; la valeur marchande des terres s’est effondrée ; les usines se sont arrêtées et des
dizaines de millions de travailleurs se sont retrouvés au chômage. Le système financier et d’échange
monétaire international fut profondément endommagé. Une perte de confiance généralisée dans le
papier-monnaie a conduit à un accroissement de la demande d’or à laquelle ne pouvait faire face les
trésoreries nationales. C’est pourquoi de nombreux pays copiant une décision prise par le Royaume-Uni
ont abandonné l’étalon or, qui, depuis des années, établissait la valeur des devises en comparaison d’une
certaine quantité d’or.

Pendant les années 30, la valeur des monnaies étant incertaine, les pays ont stocké l’or. Cela eut pour
effet de diminuer encore l’importance et la fréquence des transactions monétaires, intensifiant la

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dépression. Les gouvernements voulant vendre coûte que coûte leurs produits agricoles aux
acheteurs étrangers ont baissé leur devise nationale en dessous de sa valeur réelle afin de miner le
commerce des pays vendant les mêmes produits.

Cette pratique (« la dévaluation compétitive ») a été employée également par le commerce privé,
renforçant ainsi l’incertitude financière et minant l’activité commerciale.

Le rapport entre la monnaie et la valeur des marchandises est devenu de plus en plus confus, tout comme
celui entre les devises. Le capitalisme mondial fut plongé dans une spirale de déflation et de récession.
Entre 1929 et 1932, à l’échelle planétaire, les prix ont diminué de 48 % et la valeur du commerce
international a chuté de 63 %.

La destruction massive du capital et l’écrasement de la classe ouvrière engendrés par la deuxième guerre
mondiale ont créé les conditions d’une reprise économique. Sur cette base, les puissances impérialistes
victorieuses ont construit un système monétaire dont l’objectif était d’éviter une répétition de la
catastrophe économique des années 30.

Au début des années 40, deux économistes anglo-saxons - H. Dexter White aux USA et J. Maynard
Keynes en Grande-Bretagne - ont avancé des projets similaires. Ils proposaient la création d’un système
dont le rôle serait : d’appuyer la conversion sans limites des devises ; d’établir une valeur claire pour
chaque devise ; d’éliminer toute pratique restrictive, telle que la dévaluation compétitive.

Pour contrôler ce système, il fallait une instance internationale. En 1944, lors de la conférence de Bretton
Woods aux USA, le FMI fut fondé. Si par tradition le président du FMI est un européen (l’actuel
Directeur Général, Michel Camdessus, est un Français), celui de l’instance parallèle, la Banque
Mondiale, est toujours un américain.

La base fondamentale du FMI a toujours été l’impérialisme nord-américain. Installé aux USA, composé
principalement d’économistes américains, le FMI échange régulièrement son personnel avec celui de la
trésorerie des USA. De plus, en tant que principal contributeur du budget du FMI, les USA ont toujours
eu plus de voix que tout autre pays et ont pu ainsi bloquer toute modification de sa charte.

Comme l’a dit en 1983 le Secrétaire de la Trésorerie des USA, Donald Regan :

« Le FMI est essentiellement une institution non politique... Mais cela ne veut pas dire que les intérêts
politiques et sécuritaires des USA ne sont pas servis par le FMI. »

Pendant ses 25 premières années d’existence, le FMI fut peu visible, et le système monétaire
international stable. Selon l’accord de Bretton Woods*, 1’once d’or valait 35 dollars. Les USA étaient

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prêts à vendre et à acheter à ce prix en toutes circonstances. Du moment que la domination
économique américaine soit absolue et qu’il y ait suffisamment d’or dans les coffres, il n’y a pas besoin
d’une intervention du FMI.

Mais pendant les « Trente Glorieuses »*, la domination des USA par rapport aux autres pays s’est
affaiblie alors que ces derniers - Europe et Japon - se sont enrichis. Au début des années 70, la trésorerie
des USA n’avait plus de réserves d’or suffisantes pour échanger les dollars détenus à l’étranger. En
1971, face à une crise financière montante, les USA ont abandonné unilatéralement les taux de change
fixes. Une nouvelle période s’est ouverte : celle des taux de change flottants.

Mais comment éviter le retour des dévaluations compétitives des années 30 ? C’est à ce moment-là que
le FMI est entré en scène. Comme le dit l’historien officiel du FMI :« En adoptant le système actuel, les
pays-membres ont demandé au FMI d’aller au-delà de la valeur d’échange qui, après tout, est le résultat
final d’une série de politiques économiques, d’examiner tous les aspects de l’économie d’un pays-
membre qui conduisent la valeur d’échange à être comme elle est et d’évaluer franchement la
performance de l’économie pour que tous les pays-membres puissent la connaître. Bref, le système
actuel exige une transparence plus grande à l’égard de la politique des pays-membres et donne au FMI
une plus grande capacité à contrôler ces politiques. Le FMI appelle cette activité le ‘contrôle’, ou la
supervision, de la politique d’échange des pays-membres. Cette supervision est basée sur la conviction
qu’une politique économique domestique qui est forte et conséquente conduira à des taux de change
stables, et à une économie mondiale croissante et prospère. »

Traduction : le FMI est le gendarme financier de l’impérialisme. Il existe afin d’assurer que la politique
économique intérieure des pays-membres serve l’ouverture du commerce et du mouvement du capital,
au profit des pays impérialistes.

Inévitablement, un tel système d’ouverture ne peut que servir et renforcer la richesse et la puissance des
impérialistes, dont la productivité économique, les ressources du capital et la domination technologique
permettent de balayer toute concurrence là où il n’existe pas de barrières protectionnistes au mouvement
des capitaux ou des marchandises.

Le FMI existe afin d’assurer que les pays qui entrent dans une crise financière et qui sont obligés de
demander son aide - principalement les pays semi-coloniaux les plus pauvres - soient contraints
d’enlever de telles barrières.

Sur l’aide financière, la contrepartie pour les pays bénéficiaires de ces prêts dits « concessionnels » est
souvent très lourde. Les pays concernés doivent s’engager à mettre en œuvre des politiques massives de

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privatisations et de réductions des budgets d’Etat et des services publics, les obligeant à adopter une
politique résolument et exclusivement libérale.

D’autre part, le fonctionnement même du FMI est éclairant à plus d’un titre : contrairement à certaines
organisations internationales (comme l’Assemblée générale des Nations Unies, où un pays égale une
voix ), le FMI applique un système de vote pondéré : plus la quote-part d’un pays membre (déterminé
par son poids économique !) est importante, plus le nombre de voix qui lui sont attitré est élevé . Un
système de vote donc où le pays le plus fort économiquement (les Etats-Unis ?) a une voix
prépondérante pour décider des taux de change à appliquer, des aides à accorder.. etc.

Ses adversaires lui reprochent en outre son manque de transparence dans les décisions et la gestion de
l’attribution des fonds.

Le FMI est donc devenu, au même titre que la Banque Mondiale*, l’Organisation Mondiale du
Commerce*, le G7*, le Forum Economique Mondial*, une institution symbole « centrale » de la
problématique de la mondialisation et donc un adversaire identifié des mouvements anti-mondialisation.

A lire :

Forum Economique Mondial ( World Economic Forum) Le Forum Economique Mondial est une
institution privée basée à Genève (Suisse). Depuis sa fondation en 1971, il est devenu un moteur
puissant de la politique. Ses membres sont les 2000 sociétés transnationales les plus influentes. Sa devise
est "Committed to Improving the Sate of the World" (engagé à améliorer l'état du monde). Le FEM est
plus connu sous le nom de "Forum de Davos" car, jusqu'à 2001, ce forum se tenait à Davos, une station
de ski réputée de Suisse. Depuis 2001, il se tient à New York. Ses quelques 300 réunions offrent
l'opportunité de créer un consensus entre élites sur des problèmes économiques et politiques, de conclure
des marchés ou de mener des négociations politiques en coulisse. Chaque année, environ 3000
participants provenant de l'élite politique, économique, académique et médiatique y sont attendus. Du 31
janvier au 3 février 2002, de nombreux chefs d'entreprises puissantes, mais aussi des dirigeants de
gouvernement comme Guy Verhofstadt, premier ministre belge, Gerhard Shröeder, Chancelier allemand,
étaient présents.

A l’origine, le European Manager Forum se voulait un laboratoire réunissant plusieurs disciplines


cherchant à créer un contrepoids européen au « défi américain ». Mis en place en 1971 par un jeune
professeur allemand d’économie Klaus Schwab, cette manifestation est devenue le symbole de la
mondialisation en marche.

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Destiné, selon ses organisateurs « à faire évoluer l’esprit d’entreprise au service du bien de tous », le
Forum Economique Mondial n’en cultive pas moins une certaine ambiguïté : sélection élitistes de ses
participants (seuls les dirigeants d’entreprise dont le chiffre d’affaires dépassent le milliard de dollar
peuvent y participer) ; présence de Very Important Persons de tous bords : de Bill Clinton en passant par
le chanteur Bono, le mannequin Naomi Campbell, l’acteur Warren Beatty…) Ces caractéristiques
contrastent avec la volonté d’ouverture et renforce l’image d’un espace où « les décideurs parlent aux
décideurs ».

C’est l’année du changement de millénaire (janvier 2000) que le FEM a pris un tournant particulier dans
le « paysage et l’histoire de la mondialisation », avec l’omniprésence des Etats-Unis. Outre la présence
de Bill Clinton, Madeleine Albright (Affaires Etrangères), Larry Summers (Finance), il s’est déroulé un
débat sur le thème de « la difficulté d’être la seule superpuissance mondiale » !

Ce regroupement des plus grands penseurs, décideurs, chefs d’entreprises, hommes politiques de la
planète s’est vu pour la première fois de façon en 2000 « contrarié » par les mouvements anti-
mondialisation, qui souhaitaient affirmer leur résistance à la toute-puissance des grands groupes
industriels, avec cependant des divergences et des philosophies différenciées :

Une trentaine d’ONG* (dont Médecins sans frontières, Amnesty International, Greenpeace*, Human
Rights Watch), invités au Forum, y ont présenté leurs revendications aux grands chefs d’entreprise afin
de « tempérer un peu leur euphorie mondialisatrice »

D’autres organisation, comme « Attac »* ont refusé d’être présents. Aujourd’hui, le Forum Economique
Mondial n’a plus de mondial que le nom. Ses thèmes, rythme et manière sont américains et le lieu de
rencontre informel des décideurs devient « un club de vacances où il est bon être vu ».

Forum social mondial D'un côté de l'Atlantique, en haut d'une montagne suisse, banquiers et
spéculateurs en tout genre, présidents de transnationales et hommes politiques venus leur prêter main
forte - ou tout simplement les courtiser - symbolisaient avec arrogance l'asservissement des sociétés aux
diktats du profit. De l'autre, ce sont précisément ces sociétés, représentées par les syndicats, associations,
ONG et élus du suffrage universel, qui sont venues dire qu'un monde autre que celui imposé par le néo-
libéralisme dominant est bel et bien possible.

Depuis trois ans, au même moment où s’enferment à Davos ( maintenant à New York), les huit pays les
plus riches de la planète dans un Forum économique mondial*, de milliers de personnes, venues des cinq

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continents, se réunissent à Porto Alegre (Brésil) autour des économistes, hommes politiques,
universitaires qui pensent qu’un « autre monde est possible ». Durant quatre jours, les participants à ce
forum travaillent autour de thèmes centraux qui concernent tant l'éthique des politiciens que la
répartition des richesses, et le respect d'un développement durable. Jusqu’à présent, ces rencontres se
sont tenues à Porto Alegre, au Brésil, début janvier. Les nombreux acteurs de ce forum venaient
d'horizon très divers, ce qui rendait la prise de décision difficile. On y retrouvait des agriculteurs indiens,
des pêcheurs africains, des politiciens. On y apercevait également José Bové , leader de la lutte contre la
"malbouffe",mais aussi des intellectuels américains comme le linguiste Noam Chomsky*, homme de
gauche opposé à la politique de George Bush. Etaient présents encore des syndicats, des mouvements
écologistes, de défense des droits de l'homme ; des organisations féministes...

Après 15.000 participants la première année, plus de 50.000 l’année suivante, on ne calcule plus le
nombre de personnes qui, à quelques milliers de kilomètres de distance, donnent la réplique au discours
libéral de Davos.

Et s’il fallait en mesurer le succès, sur lequel peu d’observateurs avaient osaient miser, c’est bien ce
chiffre inconnu qu’il faudrait citer. Les Brésiliens et leurs voisins du continent forment l’essentiel de
cette foule cosmopolite, mais des bourses permettent aussi à d’autres représentants des pays du Sud,
d’Asie et d’Afrique, de faire le déplacement. Des dizaines de thèmes de débat, jugés essentiels, sont
retenus chaque année pour la critique de la mondialisation libérale. Chacun fait l’objet d’une conférence
dont l’organisation est confiée à un ou plusieurs mouvements reconnus par leur expertise. A l’issue du
Forum, les organisateurs présentent une synthèse des débats en publiant des cahiers des propositions.
Mais il n’y a pas de « programme de Porto Alegre ». Ce n’est pas la vocation du Forum. Voici quelques
unes des propositions qui ont été avancées lors des précédents réunions et à partir desquelles les
participants entendent tracer les contours d’un contre-modèle au libéralisme :

Taxation des flux des capitaux, pour combattre la spéculation et dégager de nouvelles ressources en
faveur des pays en développement. Attac* à qui a été confié le débat sur ce thème l’année précédente,
propose d’introduire trois taxes globales : la taxe Tobin* appliquée sur le marché de changes. A cet
égard, on notera que le mégaspéculateur qu'est M. George Soros* s'est publiquement prononcé pour
cette taxe à Davos même. Une autre proposition a été l’application d’une taxe sur les investissements
directs étrangers – dont le taux serait variable de 10 à 20% et indexé sur une notation attribuée à chaque
pays par l’Organisation internationale du travail (0IT*) , en fonction du respect des droits fondamentaux
des travailleurs. Suppression des paradis fiscaux. Annulation de la dette des pays en développement.

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Définition d’un nouveau système de gouverne mondiale en rééquilibrant le poids des institutions.
Celui des institutions économiques – Banque mondiale*, Fond monétaire international*, Organisation
mondiale du commerce*, ne doit pas prévaloir sur celui, par exemple, de l’Organisation internationale
du travail ou de la santé. La charte universelle des droits de l’homme doit servir de cadre de référence.

Réorganisation de la production agricole en privilégiant le principe de souveraineté alimentaire, et


renoncer aux OGM* (organismes génétiquement modifiés) tant que leur innocuité n’est pas avérée.
L’agriculture devrait ainsi être exclue du champ des négociations de l’OMC*. Chaque pays devra avoir
le droit de définir sa stratégie de production, il ne devra pas être obligé d’ouvrir son marché s’il veut
protéger ses paysans, mais les subventions à l’exportation doivent être interdites. Un modèle fondé sur la
petite et moyenne exploitation devra être privilégié. Réforme des démocraties, en renforçant la
participation des citoyens en s’inspirant des expériences menées, notamment, à Porto Alegre.

Le Forum Social Mondial rassemble, on l’a vu, les anti et alter-mondialistes. Son but est, selon les
organisateurs, de développer un monde plus juste, plus proche du citoyen et ne répondant pas à des
critères boursiers et à des investissements économiques. Ils se basent sur quelques chiffres de la Banque
mondiale qui donnent à réfléchir : Nous sommes 6,1 milliards d'êtres humains, 4 milliards vivent sous le
seuil de pauvreté, voire dans la misère totale. 20% de la population mondiale possède 80% de la
production industrielle. Enfin, quatre (4 !!) citoyens américains dont Bill Gates (le patron de Microsoft)
ont une fortune supérieure à la richesse cumulée de 42 pays où vivent 600 millions de personnes.

La seule existence du FSM retire toute légitimité à Davos, qui apparaîtra désormais, s'il se perpétue,
comme une simple réunion d'intérêts corporatistes ; un Medef de la globalisation ligué contre les
aspirations à un monde plus juste, plus solidaire, plus soucieux de l'avenir de la planète.

Ce qui s'est passé dans la capitale gaucha constitue donc un véritable tournant. Dans leur grande
diversité, les mouvements opposés à la mondialisation libérale - c'est-à-dire à une mondialisation conçue
par et pour le pouvoir de l'argent, ce que rend bien la formulation anglaise de corporate-led
globalization - vont maintenant non seulement continuer à surveiller de près les décideurs réunis dans les
assemblées du FMI, de l'OMC, de la Banque mondiale, voire comme à Nice, en conseil européen, mais
également avancer des propositions résultant d'un consensus international.

A lire : « Manifeste pour une économie à finalité humaine », par René Passet dans le numéro de février). Celles de
Porto Alegre, élaborées dans quelque 400 ateliers, vont être diffusées sur le site du FSM monté par l'équipe de
l'édition brésilienne du Monde diplomatique.

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France Libertés Créée en 1986, cette fondation est reconnue d’utilité publique et dotée du statut
consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations Unies. Sans se spécialiser dans un
domaine d’intervention, elle est active partout où les droits de l’Homme, tels qu’ils sont définis dans
la Déclaration Universelle, ne sont pas respectés.
Comme la plupart des ONG, elle à assisté et contribué au foisonnement stupéfiant, ces dernières années,
d’associations menées par des citoyens qui décident de s’emparer de leurs propres problèmes et de les
résoudre à leur manière, contribuant ainsi à un enrichissement considérable des pratiques et des idées.
Aussi France Libertés, riche d’un potentiel de 16 années de travail avec des organisations dans le monde
entier, s’est donné comme objectif, la construction d’un réseau mondial de la citoyenneté, mettant à
disposition les coordonnées et les actes des associations et initiatives citoyennes du monde, soutenant
leurs luttes dans les médias au travers d’actions de communication, rassemblant les convictions pour
contribuer localement à la construction de ce grand dessein mondial.
La fondation de Madame Mitterrand use de sa liberté, en France, pour rassembler les solidarités autour
de ses milliers de partenaires dans le monde, tous désireux de partager leur savoir-faire, leur richesse
intellectuelle, leur créativité et de donner un sens à leur vie en faisant fructifier leur héritage humain
pour le bénéfice de tous.
Son réseau est une organisation transversale qui met en relation toutes les organisations qui œuvrent en
ce sens dans leur pays. Spécifiques selon leur terrain d’action, leurs recherches et leurs connaissances,
toutes poursuivent les mêmes buts : permettre aux hommes de tous pays l’exercice de leur savoir-faire,
de leur citoyenneté, et en favoriser l’expression concrète.
France Libertés soutient des projets liés au développement durable, ce thème est aujourd’hui plus que
jamais mis en avant. Une attention toute particulière se porte donc sur les projets à caractère socio-
économique où l’économie solidaire est privilégiée.
France-Libertés, 22 rue de Milan 75009 Paris France Site : www.france-libertes.fr
Tel : 01.53.25.10.40, Fax : 01.48.74.01.26, E-mail :contact@france-libertes.fr
Publication : La Lettre de la Fondation, trimestrielle.
A lire, de Danielle Mitterrand :
- En toutes libertés, Ed Ramsay, février 1996
- Ces hommes sont avant tout nous frères, Ed Ramsay, juillet 1996
- Le printemps des insoumis, Ed Ramsay, mars 1998
- Echanger la vie, Ed Actes sud, avril 2000.

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G

GATT D'un côté, des Américains champions de la libre circulation des idées, des marchandises et des
services, en un mot résolument modernes et soucieux du bien-être du consommateur planétaire; de
l'autre, des Français agrippés à des privilèges archaïques: exportations agricoles subventionnées par le
contribuable européen et quotas audiovisuels empêchant cinéphiles et téléspectateurs d'exercer leur libre
choix en faveur de Walt Disney, Steven Spielberg ou Woody Allen au profit de films hexagonaux ou
vulgaires ou ésotériques. Chacun aura reconnu les protagonistes de la bataille de l'Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce (GATT), tels qu'ils sont présentés à l'opinion internationale par une
bonne partie des éditorialistes de la presse américaine, mais aussi européenne et même... française.
Conclu entre une vingtaine d'États en 1947. Le GATT a pour objet d'instaurer parmi ses membres des
règles économiques libérales établissant des principes de non-discrimination économique et tarifaire et
de liberté des échanges. C'est dans le cadre du GATT que furent décidés l'abaissement général et
progressif des droits de douane et l’interdiction des restrictions quantitatives. Les accords ne sont
obtenus qu'à la suite de longues et complexes négociations. Ainsi, les négociations dites de l'Uruguay
Round, entamées en 1986 et censées prendre fin en 1990, s’ accrochèrent sur les questions agricoles. Les
États-Unis s'opposèrent à la Communauté européenne (CE), en particulier à la France, l'accord ne fut
signé qu'en décembre 1993. De plus, pour la première fois, les produits culturels furent pris en compte
dans une négociation du GATT. L'Europe, et en particulier la France, défendaient le principe de
l'exception culturelle, c'est-à-dire les différents dispositifs mis en place par l'Europe et chaque pays
européen pour protéger ses produits culturels contre la position très libérale des Américains qui
refusaient de voir se limiter le marché européen. Les négociations du GATT devinrent en quelque sorte
un enjeu politique. Pour éviter que les différends commerciaux entre États ne prennent un caractère trop
conflictuel, les membres du GATT ont prévu la création d'une Organisation mondiale du commerce
(OMC) placée sur le même pied que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
L'OMC a remplacé le GATT en janvier 1995.

Génétique Qui ne connaît Pokémon ? A la fois jeu vidéo sur Game Boy de Nintendo, dessin animé et
jeu de cartes à collectionner, Pokémon et sa myriade de sous-produits marchandisés ont envahi le monde
à la vitesse de l'éclair. Formé de la contraction des mots pocket monster (monstre de poche), le terme
Pokémon désigne des sortes d'elfes transgéniques, des lutins de l'ère biotech, des « créatures qui vivent
dans les herbes, les fourrés, les bois, les cavernes, les lacs (1) ». Il y en a 150 différents. Ils sont tous
uniques, avec leur propre caractère génétique. Certains sont très rares, d'autres difficiles à attraper. Le

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jeu consiste à s'emparer des Pokémon. Après les avoir capturés, il faut les domestiquer, les entraîner,
pour qu'ils opèrent une mutation d'espèce. Ils peuvent alors changer d'aspect, se métamorphoser, bref,
« évoluer » (c'est ce concept darwinien qui est utilisé dans le jeu), et avoir de nouvelles aptitudes, plus de
pouvoirs...

A l'heure de la révolution des biotechnologies, du clonage et de l'invasion des organismes génétiquement


modifiés (OGM), est-il étonnant que cette épopée de « mutants gentils » fascine les enfants ?

Les capacités d'intervention sur le patrimoine génétique ne cessent de croître. Et la production d'animaux
transgéniques, le clonage, le séquençage du génome humain, la thérapie génique, la brevetabilité du
vivant, le dépistage génétique des maladies héréditaires et l'utilisation de tests génétiques soulèvent de
sourdes inquiétudes .

On se souvient que, dès les années 60 et 70, aux Etats-Unis, des chercheurs comme le docteur José
Delgado, l'un des plus chauds partisans du contrôle de l'esprit en vue d'arriver à une « société psycho-
civilisée », affirmaient que la question philosophique centrale n'était plus : « Qu'est-ce que l'homme ? »,
mais : « Quel genre d'homme devons-nous fabriquer ? »

Le professeur Marvin Minsky, l'un des pères de l'ordinateur, a pronostiqué : « En 2035, l'équivalent
électronique du cerveau, grâce à la nanotechnologie, sera peut-être plus petit que le bout de votre doigt.
Cela signifie que vous pourrez avoir, à l'intérieur de votre crâne, tout l'espace que vous voudrez pour y
implanter des systèmes et des mémoires additionnels. Alors, petit à petit, vous pourrez apprendre
davantage chaque année, ajouter de nouveaux types de perceptions, de nouveaux modes de
raisonnement, de nouvelles façons de penser et d'imaginer.»

L'Américain Francis Fukuyama n'a-t-il pas soutenu que, « d'ici les deux prochaines générations, les
biotechnologies nous donneront les outils qui nous permettront d'accomplir ce que les spécialistes
d'ingénierie sociale n'ont pas réussi à faire. A ce stade, nous en aurons définitivement terminé avec
l'histoire humaine, parce que nous aurons aboli les êtres humains en tant que tels. Alors commencera
une nouvelle histoire, au-delà de l'humain » ?

Depuis le clonage de la brebis Dolly, en février 1997, on sait que celui de l'homme est à portée
d'éprouvette. La science a dépassé la fiction dans la mesure où elle fait plus fort que le « procédé
Bokanosky », imaginé par Aldous Huxley dans Le Meilleur des mondes. Car Dolly nétait pas le résultat

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d'aucune fécondation : son embryon avait été créé par simple fusion du noyau d'une cellule adulte
avec l'ovule énucléé d'une brebis porteuse. On a cloné, depuis, des souris à Hawaï, des moutons en
Nouvelle-Zélande et au Japon, des chèvres en Amérique du Nord, etc. Dès 1998, la revue scientifique
britannique The Lancet estimait que, malgré les mises en garde morales et mondiales, la création d'êtres
humains par clonage était devenue « inévitable », et elle appelait la communauté médicale à « l'admettre
dès maintenant ».

C'est dans cet esprit que les médias ont annoncé la naissance d'une nouvelle ère le 26 juin 2000, date du
décryptage des quelque trois milliards de paires de bases, enchaînées le long des vingt-trois
chromosomes qui composent notre patrimoine héréditaire. Cela va permettre le séquençage des gènes
impliqués dans des maladies. Potentiellement, les bénéfices pour l'humanité sont énormes,
l'identification d'un gène responsable d'une maladie héréditaire ouvrant la voie à la découverte d'un
possible traitement et à sa guérison.

Mais on est loin d'avoir pris l'exacte mesure des conséquences de cette découverte, qui peut déboucher
sur de dangereuses dérives. La génétique permet désormais à l'homme de procéder, comme jamais, à
« une appropriation sauvage du monde, la version moderne de l'esclavagisme ou de la mise en coupe
des ressources naturelles, comme l'ont montré les entreprises coloniales ». Car breveter des gènes
revient à privatiser un patrimoine commun de l'humanité. Et vendre l'information à l'industrie
pharmaceutique - qui la réserverait à quelques privilégiés - risque de transformer cette avancée
scientifique majeure en nouvelle source de discrimination ).

De surcroît, l'ingénierie génétique préfigure un eugénisme de type nouveau ouvrant sur une sorte de
transhumanité. Ne voit-on pas là resurgir le fantasme de l'« enfant parfait », sélectionné en fonction de
l'excellence de son code génétique ?

Nos sociétés osent à peine se l'avouer. Une indicible frayeur commence à les hanter : l'espèce humaine
va-t-elle faire l'objet d'un usinage en règle ? Avec recours massif aux biotechnologies lourdes ? Pour
fabriquer des Pokémon humains ou transhumains ? Allons-nous vers une invasion des HGM : des
hommes génétiquement modifiés... ?

A lire : Transversales Science Culture, janvier-février 1999.

Jean-Yves Nau, « Brevets industriels pour matériau humain ? », Le Monde, 22 juillet 2000.

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G7/8 En novembre 1975, le président français Valéry Giscard d'Estaing invite à Rambouillet quatre
chefs d'Etat ou de gouvernement ( Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne fédéral et Japon) pour aborder
les problèmes internationaux majors, notamment sur le plan économique. Ils seront rejoints par l'Italie,
puis par le Canada en 1976 pour former le G7. Le président de la Commission européenne est un invité
permanent. Depuis 1998, la Russie est associé à certaines réunions, et le G7 est devenu le G8, ce sommet
devenant l’un des plus importants du monde. Ils représentent à eux seuls les deux tiers des richesses
mondiales et possèdent près de la moitié des réserves monétaires mondiales.

Ces sommets annuels sont une manière de renforcer les liens et de maintenir le dialogue entre ces
principaux Etats. Depuis sa création le « sommet des pays les plus industrialisés » a connu des
évolutions : à partir des sujets monétaires qui étaient la raison d’être de ces consultations informelles de
chefs d’états après les chocs pétroliers , les « sommets » ont dérivé vers des questions politiques surtout
après l’effondrement de l’URSS.Le sommet de l’Arche (1989 ) a marqué un tournant.

Le G7 a pu être considéré dans une certaine mesure comme une « machine à diviser l’Europe » :
jusqu’à l’admission du président de la Commission puis du pays de la présidence, puis de « M. PESC »
(Solana) (= G11), les quatre pays européens du G7 (F, GB, All, It) parlaient rarement au nom de l’UE.
Les USA ont joué sur le fait que pour l’Allemagne et l’Italie le G7 a fait fonction de « conseil de
sécurité » qui leur a donné une légitimité de grande puissance que ne leur donnait pas leur statut de
vaincu de 1945. Chaque pays a cherché a être reconnu en bilatéral par les US comme un « interlocuteur
privilégié » et à traiter en tête à tête. Cette tendance s’est atténuée aujourd’hui (bien que les US préfèrent
avoir la Commission pour interlocuteur unique). Cependant bien que majoritaire au sein du « G11 » (7
européens contre 4 autres) l’Europe n’arriver jamais à imposer quoique ce soit aux US ou au Japon. Le
Japon est le plus passif des pays du groupe (repli traditionnel du Japon sur lui-même), se sent solidaire
du système économique et monétaire (jusqu’à un certain point) mais éloigné du monde « occidental »
représenté par le bloc USA-UE. La Russie n’a pas encore trouvé ses marques au G8 : elle a été admise
pour être « encadrée » et amarrée au bloc occidental pour lui éviter des dérives aventureuses. Mais on se
méfie d’elle (démocratie fragile, mafias, Tchétchénie…) alors qu’elle cherche a se faire reconnaître
comme égale aux autres.
Ce qui nous paraît essentiel et que les « alter-mondialistes » n’ont pas bien perçu : le « noyau dur » du
G8 reste le « G7 finances » (réunions des ministres des finances). Ce sont eux les « gardiens du
temple », ils veillent au strict respect du Consensus de Washington et à la cohérence de la ligne G7-FMI-
OCDE-BM. C’est là que se situe le véritable pouvoir. Les décisions politiques prises par le G7/8 sur les

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sujets les plus variés doivent se conformer aux règles du « pouvoir économico-financier mondial) :
les politiques d’annulation de dette des PVD (l’initiative PPTE est une « usine à gaz » conçue par les
technocrates de la finance internationale pour traduire en « affichage financier » une décision politique
qui ne remette pas en question le principe de base : une dette doit être payée. De fait il n’y a pas
d’annulation : les mécanismes d’annulation de dette sont un trompe l’œil car les pays doivent
rembourser le capital et réinvestir les intérêts chez eux sous le contrôle des bailleurs de fonds (en réalité
ce mécanisme ne se traduit pas par des flux financiers supplémentaires pour le développement, il est très
critiqué par les ONG qui dénoncent cette supercherie). Toutes les initiatives en faveur du
développement (NEPAD, Fonds SIDA, fracture numérique…) sont pilotées par les ministères des
Finances. Les chefs d’Etat n’ont pas de marge de manœuvre (ni Mitterrand, ni Chirac), ils sont otages
du « G7 finances ». Chirac s’en est plaint auprès des ONG avant Evian. En France, le vrai pouvoir est
entre les mains de la Direction du Trésor, véritable caste « a-politique » qui impose ses choix aux
gouvernements quels qu’ils soient. La direction du Trésor est en général alignée sur le trésor américain
sur les grandes options économiques et financières mondiales. Cette élite financière mondiale fait preuve
d’un autisme impressionnant et ignore les catastrophes qui se produisent sous nos yeux (l’Argentine est
le pus bel exemple) : le modèle est bon par définition, à long terme il aura démontré son efficacité.
Le G8 est un summum d’ambiguïté : il veut rester une rencontre informelle et pour cela il est préparé
par les représentants personnels des chefs d’Etat (« sherpas »). Mais tous les dossiers sont préparés par
une infinité de réunions des administrations, certaines allant parfois dans des détails qui ne sont pas du
niveau des chefs d’Etat. Certaines délégations sont pléthoriques. En cela le G8 constitue bien un
« directoire », car lorsqu’il y a consensus entre les 8 les décisions sont ensuite facilement imposées au
reste du monde par le relais des autres organisations internationales (on dit pudiquement que le G8 a un
rôle « d’impulsion »).
A l’origine, il n’y avait que des réunions des sherpas, des Ministres des finances et des Affaires
Etrangères pour préparer les sommets. Aujourd’hui il y a en plus des réunions des ministres de
l’intérieur et de la justice, de l’environnement et des transports. Une activité opaque dans le domaine de
la sécurité qui échappe au contrôle parlementaire.
Depuis 1996 la France a introduit le sujet « criminalité organisée et mafias » et a crée un groupe de
travail spécial sur ces questions (« groupe de Lyon », crée au Sommet de Lyon), puis s’est ajouté un
« groupe de Rome » sur le terrorisme ). Ce groupe a dérivé sur des réunions ministérielles intérieur –
justice. Après l’effondrement de l’URSS, l’Occident (dont le système politique et économique ne
pouvait être que bon), a eu besoin de se trouver de nouveaux ennemis : les mafias qui allaient miner

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l’ordre occidental et la démocratie, puis depuis 2001 les terroristes. Le G7/8 a joué ce rôle de
représentant suprême des intérêts de l’Occident. Le niveau d’analyse des «nouvelles menaces » du G7/8
est particulièrement faible : il s’agit d’une représentation de l’insécurité qui tend à placer les pays
occidentaux en « victimes », sous la menace de l’exportation de l’insécurité par les pays en
développement.
Depuis le sommet de l’Arche en 1989 le G7 s’était emparé du sujet « narco-trafic » en créant le GAFI
(groupe d’action financière) qui a mis en place les règles de lutte contre le blanchiment d’argent. Comme
toujours ce sont les ministres des finances qui ont « occupé le terrain » pour circonscrire les règles
pénales contre le blanchiment dans un cadre acceptable par les marché financiers : il n’était pas
envisageable qu’au nom de la lutte contre le blanchiment on dresse des obstacles à la libre circulation
des flux financiers qui était devenue le credo de la mondialisation. La directive européenne de 1991 sur
le marché unique va dans le même sens . Le GAFI a donc adopté des « recommandations » qui font
porter sur les acteurs financiers toute le responsabilité de la prévention du blanchiment : il s’agit d’un
renoncement important des Etats qui limitent leurs actions aux poursuites pénales lorsque le blanchiment
est prouvé (c’est a dire, presque jamais, comme le montre le très faible nombre de condamnations
pénales pour blanchiment dans le monde). Après bientôt 15 ans de « lutte contre le blanchiment », les
résultats sont faibles, les paradis fiscaux et les centres off-shore par où transitent 50% des flux financiers
mondiaux se portent mieux que jamais et la plupart d’entre eux ont été déclarés conformes aux normes
du GAFI.
Les américains qui manifestaient peu d’intérêt pour la lutte contre le terrorisme jusqu’au 11 sept 2001
ont utilisé le G8 pour mobiliser la « communauté internationale » contre la terrorisme. Il s’agit pour eux
de faire entériner comme « normes mondiales » leurs propres lois (notamment le US Patriot Act). Le G8
est alors utile pour servir de « caisse de résonance » des intérêts américains/occidentaux. Quelques jours
seulement après les attentats du 11 septembre, les ministres des finances du G8 se sont réunis pour
adopter de nouvelles recommandations pour lutter contre le financement du terrorisme. Comme dans la
lutte contre la criminalité organisée, ils ont voulu être les premiers à établir des normes qui sauvegardent
le principe de liberté de circulation des flux financiers. Il n’ y a donc pas de réponse multilatérale.
Le G8 a profondément modifié la perception du droit d’asile et des migrations, ramenant ces
phénomènes à leurs liens possibles avec le terrorisme. Ces liens ne sont pourtant pas avérés. Ces deux
questions essentielles dans le monde contemporain sont désormais traitées uniquement à travers le
prisme de la lutte contre le terrorisme ce qui est une régression fantastique et un signal de
« bunkérisation » de l’Occident qui entend ainsi se protéger contre les nuisances du reste du monde.

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C’est ainsi que se mettent en place des normes très strictes de contrôle des passagers aériens
(communication des listes aux services américains par les compagnies aériennes), des containers
maritimes (« certification » de 20 ports dans le monde contrôlés par les douanes américaines ),
l’instauration de normes biométriques dans les passeports (qui permettront l’interconnection des fichiers
informatisés et la création d’un gigantesque base de données mondiale aux Etats-unis), le tout pour
protéger en premier lieu le territoire américain. Il s’agit de la mise en œuvre du principe des « frontières
intelligentes » (« smart borders ») c-a-d des frontières américaines délocalisées sur le territoire de pays
étrangers où sont faits les contrôles pour le compte des Etats-Unis. Nous sommes loin d’un système de
sécurité universel et multilatéral qui profiterait à tous les Etats : tout est conçu pour assurer en premier
lieu la sécurité du territoire américain. Mais tous les Etats sont priés par le G8 de se mettre le plus vite
possible aux normes américaines au nom de la lutte contre le terrorisme global. Même quand c’est
contraire à leurs intérêts : le risque de « bio-terrorisme » donne aux Etats-Unis un droit de contrôle
renforcé sur toutes les importations de produits agricoles et alimentaires ! A tout moment le roquefort
français peut être considéré comme présentant une menace sanitaire…
La fabrication de passeports biométriques infalsifiables va poser de grands problèmes à tous les pays.
Ceci représente un coût important que les pays pauvres auront du mal à supporter. Même l’Union
Européenne, soumise à une forte pression américaine, a du demander un report de l’entrée en vigueur
des passeports biométriques (sans l’obtenir). Il y aura des batailles industrielles pour la conquêtes du
marché de la biométrie. Ces nouvelles technologies permettront de lutter efficacement contre la fraude
documentaire mais au prix de la mise en fiches informatique de toute la population du monde. Ce
système risque d’aboutir d’ici quelques années à une sorte d’espace « super Schengen » entre les pays
développés (UE, Etats-Unis, Canada , Israël, Australie…) où la liberté de circulation sera assurée et
facilitée pour tout ceux qui seront « fichés positivement », et difficilement pénétrable pour tous les
autres : une nouvelle fracture mondiale !
Il est inquiétant de constater que tout ceci se met en place en silence, que les groupes d’experts du G8 se
réunissent sans que personne ne sache ce qu’ils font. Les parlements du monde ont pourtant le devoir
d’exercer un contrôle démocratique sur des mesures qui peuvent fortement conditionner la vie de
millions de personnes. « Big Brother » met en place en silence et sans rencontrer d’obstacles un système
de contrôle qui pourrait aller très loin dans l’intrusion dans la vie privée des personnes (« profiling » des
personnes à partir des achats réalisés avec carte de crédit, des sites Internet visités, des films loués…).
Les européens feignent de croire que le G8 est la seule enceinte où les Etats-unis

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acceptent les règles du multiléralisme : rien de plus faux ! Lorsque le G8 reprend à son compte les
préoccupations américaines, tout va bien, la « locomotive G8 » fonctionne. Mais s’il n’y a pas d’accord
rien ne se passe. Le G8 n’a pas fait plier les USA sur le protocole de Kyoto. On évite de parler en G8
des sujets qui fâchent : à Evian personne n’a demandé d’explication sur l’Irak ou sur l’avenir de la Cour
Pénale internationale…Lorsqu’il n’y a pas d’accord (et c’est fréquent) on élude le problème !C’est
pourquoi les déclarations du G8 sont un catalogue de bonnes intentions, rarement contraignantes.
Le G8 est donc loin d’être un bloc monolithique. Mais globalement tous ses membres sont d’accord pour
la mise en place progressive d’un monde entièrement soumis à la loi des marchés, dans lequel les acteurs
privés occuperont de plus en plus la place des Etats dans l’élaboration de normes et dans la surveillance
de leur application. Seul l’Etat américain ne semble pas être tenu de s’effacer dans la mise en place
d’une « gouvernance mondiale ».
La France a toujours eu une attitude ambiguë par rapport au G8. Elle est fière d’avoir été à l’origine de
sa création et d’appartenir à ce petit club de puissants. Alors qu’il disait détester ce forum, Mitterrand a
été celui qui a présidé les sommets les plus fastueux (Versailles pour se faire admettre dans ce club
libéral alors qu’il avait des ministres communistes dans son gouvernement, l’Arche pour projeter dans le
monde les valeurs universelles de la Révolution Française à l’occasion du bicentenaire) .
La France pratique volontiers le grand écart. Avec un président de gauche ou de droite, elle s’efforce de
montrer à ses partenaires que malgré ses idées à contre-courant (sur le rôle de l’Etat, sur la diversité
culturelle, sur la mondialisation…) elle reste un pilier fiable du monde occidental. C’est un moyen pour
elle de défendre son statut de grande puissance.
Cependant, c’est sans doute le président Chirac qui a été le plus loin dans la critique de cette institution,
allant même à Evian jusqu’à reconnaître son illégitimité.
Par conviction personnelle ou par habileté politique, J. Chirac a compris que l’orientation actuelle de la
mondialisation orchestrée par le G8 pouvait conduire le monde à de grandes catastrophes. Il a été le
premier et le seul chef d’Etat à associer à la préparation du sommet les mouvements alter-mondialistes,
se faisant l’interprète de leurs préoccupations auprès des autres chefs d’Etats. Mais en même temps, il
n’a pas pu ou voulu s’opposer à la vague de fond ultra-libérale : tous les textes adoptés à Evian vont
dans le même sens et prônent une régulation « soft » de la mondialisation marginalisant les Etats, une
mobilisation contre le terrorisme qui répond avant tout aux intérêts américains, une politique pour
l’Afrique qui donne à l’initiative privée l’essentiel de la responsabilité du développement.
La seule innovation réellement porteuse d’espoir a inscrire à l’actif de J. Chirac a été l’invitation des
chefs d’Etats de pays émergents ou en développement qui représentent 80% de la population mondiale.

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Par ce geste courageux il a mis ses collègues devant la réalité du monde : le G8 doit ouvrir les yeux
sur l’Etat de la planète et ne peut pas statuer sur son avenir sans consulter ceux qui représentent les 4/5
de l’humanité. Il a marqué un point important, sans le dire, vers l’ouverture de grands chantiers
mondiaux : la réforme du Conseil de sécurité des nations Unies et la création d’un Conseil de Sécurité
Economique et social. Connaissant l’opposition américaine sur ce sujet, il s’est contenté de se faire
entourer des représentants des plus grands pays du monde, comme pour indiquer à son successeur à la
présidence du G8 en 2004, Georges Bush, que le G8 ne pourra plus être crédible s’il persiste à ne pas
voir la réalité du monde. C’est sans doute le maximum de ce que pouvait faire la France, éternelle
rebelle et enfant terrible de l’Occident mais qui , à l’heure des choix, se plie à la logique américaine :
« ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi ».
La position prise par la France durant le conflit irakien lui a valu un large soutien dans le monde entier.
Au moment où la sinistre mise en scène américaine est dévoilée et où les évènements lui donnent raison,
elle est le seul pays à pouvoir réellement proposer une nouvelle architecture mondiale. Or elle est
devenue étrangement silencieuse…

Progressivement ce groupe de dirigeants est devenu une institution mondiale, et de nombreuses


personnes le compare à un club de riches qui en réalité pense à l'argent et ne se soucie pas des pays
pauvres. Un exemple tristement célèbre de manifestation "anti-G8" est celui du sommet de Gênes, en
Italie, en 2001. Un manifestant, Carlo Giuliani, un Romain de 23 ans, est en effet décédé suite à deux
coups de feu tirés par un policier.

Les résistances et les contestations ont pris un nouvel élan au cours des dernières années, avec
l’émergence du mouvement social que nous appelons le « mouvement alter-mondialisation ». Elles
éclairent la nature de ce groupe dirigeant et les conséquences des politiques qu'il préconise.

En 2000, les pays du G8 représentent 12 % de la population, 45 % de la production et 60 % des dépenses


mondiales. Le G7 d'alors joue un rôle actif dans l'imposition d'un credo et dans le pilotage de la phase
néo-libérale de la mondialisation. La doctrine qui guide les politiques repose sur le triptyque
stabilisation, libéralisation, privatisations.

Face à une crise économique qui procédait autant de l’écroulement du système de Bretton Woods que du
choc pétrolier de 1973 les sept responsables politiques ont pu échanger leurs vues sur l’ordre du jour
essentiellement monétaire.

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Ne tournons pas autour du pot. Il faut définir le G8, quoique cela soit difficile : Ce n'est pas un
gouvernement mondial, d'autant qu'il n'existe pas d'état mondial. Mais, si le G8 n'est pas l'exécutif
mondial, il ne faudrait pas pour autant déduire qu'il ne sert à rien et qu'il n'est qu'un simulacre. C'est le
cercle des dirigeants des pays dominants, les pays les plus riches et les plus puissants de la planète, le
syndicat des actionnaires majoritaires de l'économie mondiale. Avec ses réunions périodiques des chefs
d'État et des ministres, les « sherpas », conseillers permanents qui en assurent le secrétariat, la
mobilisation très large des experts de toute nature, les relais dans les institutions internationales
économiques, financières, commerciales et militaires, l'accès permanent et privilégié aux médias et à
tous les supports de communication, le club est devenu une institution mondiale permanente.

Au départ, l'objectif du club était de permettre aux dirigeants de discuter de leurs problèmes et de trouver
des solutions à leurs conflits et leurs contradictions lors de réunions informelles sans véritable ordre du
jour, sans périodicité, sans conseillers, sans journalistes, préparées hors hiérarchie administrative par des
représentants personnels. Rien n'est plus éloigné de la réalité que la vision d'un monde unifié et sans
conflits entre les grandes puissances. Il s'agissait donc de trouver, comme dans un club anglais très
sélect, des « Gentlemen Agreement », des accords entre « gentlemen », si on peut qualifier ainsi les
dirigeants du monde! Il s'agissait de discuter de la récession des années soixante-dix, des crises
monétaires et pétrolières. Dans un deuxième temps, et surtout avec l'effondrement du système soviétique
parachevé en 1989, la discussion a porté sur l’extension du modèle libéral au monde entier . Aujourd'hui,
avec la crise de l'économie mondiale et de la pensée libérale et, surtout, avec la guerre américaine voulue
et imposée, les contradictions reprennent le dessus et pèsent sur l'avenir de l'institution.
À partir des années 80, les objectifs changent. De nouvelles orientations économiques s'imposent avec le
tournant qui commence par la mise en avant de la lutte contre l'inflation en 1979 et la politique
monétariste en 1981. Le G8 joue un rôle actif dans l'imposition d'un credo et dans le pilotage de la phase
néo-libérale de la mondialisation. Il met en avant les politiques de libéralisation fondée sur la
prééminence de l'investissement international et des entreprises dites multinationales, sur l'ajustement au
marché mondial et l'élargissement du commerce mondial, sur le désengagement des États et la réduction
des dépenses publiques, sur les privatisations et la remise en cause du statut du salariat et de l'emploi, sur
la régulation de l'économie mondiale par le marché mondial des capitaux. Pour imposer ces politiques, il
s'appuie sur les institutions financières internationales, Fonds monétaire international et Banque
mondiale," dans lesquelles il dispose de la majorité du capital. Il construit avec constance le cadre
institutionnel de la mondialisation néo-libérale, dont l'élément déterminant est l'Organisation mondiale
du commerce.

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Avec le temps, les réunions du G7-G8, devenues un événement annuel, ont perdu tout caractère
intime. Elles mobilisent des délégations pléthoriques et deux à trois milliers de journalistes. Un grand
formalisme s'est installé, parfois avec faste comme à Versailles en 1982, au détriment de la spontanéité.
Il y a désormais un véritable ordre du jour au contenu chaque fois plus abondant et, malheureusement,
d'un intérêt inégal. La rencontre au sommet ne dure que quarante-huit heures mais elle est préparée par
six mois d'intenses consultations et encadrée par une constellation d’autres réunions régulièrement
programmées.

Car aucune économie ne peut fonctionner sans régulation politique, sans adaptation des cadres
institutionnels et sans des instances qu portent des visions stratégiques à long terme. La mondialisation
est un processus contradictoire, le G8 a assuré une double fonction de reproduction de l'ordre existant et
de sa profonde remise en cause au bénéfice de ses membres. Il a orchestré la mise en œuvre par les
dirigeants des pays dominants d'une stratégie de reconquête. II s'est attaqué à la décolonisation, à travers
la gestion de la crise de la dette et en s'appuyant sur le discrédit de régimes répressifs et corrompus. Il
s'est attaqué au soviétisme, à travers la course aux armements et l'idéologie spectaculaire des droits de
l'homme, en s'appuyant sur le discrédit des régimes qui avaient nié les aspirations démocratiques. Il s'est
attaqué au compromis social de l'après-guerre, à travers une offensive contre le salariat, en tant que statut
social, et en s'appuyant sur les politiques de libéralisation et les privatisations, l'affaiblissement de la
régulation publique, des États et du contrôle citoyen.

Le G8 poursuit sa route sans être apparemment gêné par l'ampleur des désastres qui la jalonnent.
Pourtant, la prise de conscience des dégâts provoqués par la gestion économique, politique et militaire
du monde est devenue si forte et si sensible que l'on peut parler, aujourd'hui, de l'expression d'une
opinion publique mondiale. Le monde dans lequel nous vivons est caractérisé par des inégalités
croissantes; inégalités économiques et sociales entre les pays et dans chaque société; inégalités politiques
qui se traduisent dans les discriminations et l'accès différencié aux droits fondamentaux; inégalités
écologiques mettant en danger les droits des générations futures; inégalités géopolitiques dont la
manifestation la plus éclatante est une domination des pays du Sud qui s'apparente à une recolonisation.
La menace de guerre cyniquement programmée et annoncée par les États-Unis aiguise cette prise de
consci,ence d'un monde injuste dont nous ne voulons plus.

Pour répondre aux critiques qui montent, le dogme est formalisé en 1990 par l'économiste John Willam-
sson, sous l'appellation du « consensus de Washington». Il repose sur sept principes : discipline fiscale
(équilibre budgétaire et baisse des prélèvements fiscaux); libéralisation financière (taux fixés par le seul

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marché des capitaux); libéralisation commerciale (suppression des protections douanières); ouverture
totale des économies à l'investissement direct; privatisation de l'ensemble des entreprises; dérégulation
(élimination de tous les « obstacles à la concurrence ») ; protection totale des droits de propriété intellec-
tuelle des multinationales (5).

Pour imposer ces politiques; le G8 s'appuie sur les institutions financières internationales, Fonds
monétaire international et Banque mondiale, dans lesquelles il dispose de la majorité du capital. Il
construit avec constance le cadre institutionnel de la mondialisation néo-libérale, dont l'élément déter-
minant est l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Nous mettons en cause la responsabilité, dans l'état du monde, des dirigeants des pays les plus riches et
les plus puissants de ce monde. Un par un, et tous ensemble, ils ont imposé des politiques et fait évoluer
dans le sens de leurs intérêts, l'organisation du système économique mondial. Leur responsabilité est
engagée quant à l'évolution de la situation, du fait des orientations des politiques imposées et de la nature
des moyens utilisés pour les mettre en œuvre.

La mondialisation est un processus contradictoire, dans lequel le G8 a assuré une double fonction de
reproduction et de profonde remise en cause de l'ordre existant au bénéfice de ses membres. Le G7 (puis
le G8) a orchestré la mise en œuvre par les dirigeants des pays dominants d'une stratégie de reconquête.
Il s'est attaqué à la décolonisation, à travers la gestion de la crise de la dette et en s'appuyant sur le
discrédit de régimes répressifs et corrompus. Il s'en est pris au soviétisme, à travers la course aux
armements et l'idéologie spectaculaire des droits de la personne, en s'appuyant sur le discrédit des
régimes qui avaient nié les aspirations démocratiques. Il a ciblé le compromis social de l' après-guerre, à
travers une offensive contre le salariat en tant que statut social, et en s'appuyant sur les politiques de
libéralisation et les privatisations, l' affaiblissement de la régulation publique des Etats et du contrôle
citoyen.

La contestation croissante du G8 offre une autre lecture de la phase néo-libérale de la mondialisation.


Elle permet de remettre les enjeux en perspective. Jusqu'en 1984, le G7 n'a fait l'objet d'aucune
protestation. Pourtant, l'impact social des mesures de réajustement économique imposées aux pays
endettés du tiers-monde conjuguées à la chute du prix des matières premières est devenu très vite
insupportable. Dès 1980, des explosions populaires mettent en cause nommément le Fonds monétaire
international et, indirectement, le G7.

C'est pourquoi le mouvement altermondialisation en est venu à mettre en avant l'illégitimité du G8 à


s'arroger un rôle dirigeant dans la conduite d'une politique mondiale. Le fait que les membres de ce club

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des riches et des puissants soient tous, à l'exception du Canada, d'anciennes puissances coloniales
est, dans ce sens, une circonstance aggravante! Nous contestons la légitimité du G8 et nous demandons
sa dissolution. À ceux qui craignent que sa disparition n'entraîne une dérégulation supplémentaire, nous
rappelons que cette instance n'a pas empêché les guerres et les désordres, qu'elle a au contraire affaibli le
système des Nations unies, certes critiquable et imparfait, mais combien plus légitime. Le G8 a débuté
en France en 1975 ; vingt-huit ans après, au vu de son ilégitimité et des conséquences de ses actions,
considérons qu'il faille fermer la boucle et obtenons que cette réunion en France soit la dernière réunion
du G8.

Lire : Attac, Le G8 illégitime, Mille et Une Nuits, Paris, 2003.


Gérard Duménil et Dominique Lévy, L'Histoire et la nature du G8, Cepremap, 2003.
Il existe plusieurs analyses des déclarations du G8. René Deschutter, Analyse des déclarations de 1975 à 1995, Gresea,
Bruxelles; Gérard Surdez, à partir de 1996, déclarations, extraits et analyses sur le site: france.attac.org

Greenpeace Principale organisation mondiale de défense des consommateurs et de l’environnement.


Fondée en 1971, elle est née de l’association de militants écologistes et de déserteurs et objecteurs de
conscience américains pendant la guerre du Vietnam, de Quakers, dont l’idéologie imprègne le
mouvement, ainsi que de pacifistes. Greenpeace revendique plus de trois millions de sympathisants.

Si Greenpeace, dirigé aujourd’hui par Thilo Bode, a fait du combat contre les essais nucléaires son
principal cheval de bataille, elle lutte maintenant contre les OGM*, et a ainsi publié sur son site Internet
la liste des aliments transgéniques. Ses militants ont organisé, en France notamment, des opérations
coups de poing dans plusieurs supermarchés.

Le leader du mouvement, David McTaggart, incarne à lui tout seul l’esprit du combat. Jusqu’en 1975, la
lutte contre le nucléaire demeure d’ailleurs la seule mission de Greenpeace qui diversifie ensuite ses
activités en organisant des expéditions et des campagnes contre la chasse à la baleine ou au bébé phoque,
avant de dénoncer toute forme d’agression faite par l’homme à l’environnement.

Aujourd’hui, Greenpeace concentre son attention sur les problèmes globaux qui menacent
l’environnement au sens large et qui constituent des enjeux planétaires: changements climatiques,
consommation énergétique, prolifération nucléaire, dégradation de la biodiversité, pollutions génétiques,
dissémination des produits toxiques... Certains de ces problèmes sont difficilement perceptibles dans la
vie de tous les jours ou dans notre proche voisinage. Pourtant, ces menaces pèsent sur notre quotidien et
sur les générations futures. De même, certaines pratiques apparaissant comme peu dangereuses sur un
espace donné, auront des conséquences désastreuses à l’autre bout du monde. Ainsi, seule une approche
globale permet de traiter ces questions globales.

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En ce qui concerne le Développement durable*, Greenpeace préconise la mise en oeuvre effective
d’un modèle de gestion des activités humaines qui réponde aux attentes des sociétés actuelles, sans
hypothéquer les capacités des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. Ce concept vise à
reconsidérer les enjeux économiques en fonction des contraintes environnementales et des
considérations sociales. Cette approche remet en cause la définition même d’un « progrès » qui serait
aussi inéluctable que bénéfique. Construire une centrale nucléaire ne représente aucun progrès
puisqu’elle constitue un risque inacceptable et génère des déchets que nos descendants devront gérer
pendant des siècles... En revanche, les énergies éoliennes ou solaires constituent de vrais axes de
développement pour aujourd’hui et pour demain.

La liberté politique repose sur une indépendance financière totale: Greenpeace ne vit que des
contributions des particuliers qui ont choisi de soutenir sa démarche. Greenpeace refuse toute
contribution financière venant des entreprises, des collectivités territoriales, des gouvernements, des
institutions gouvernementales et intergouvernementales. Cette indépendance structurelle est le gage de
sa liberté de parole et d’action, en tous lieux et en toutes circonstances.

Son principal instrument est la non-violence: jamais de dégradation de matériels, jamais d’inhumanité
envers qui que ce soit. Cette attitude a un grand impact sur l’opinion publique, comme l’illustre en 1985
l’affaire du Rainbow Warrior qui la propulse sur le devant de la scène internationale.

http://www.greenpeace.org/france_fr/history/

Gouvernance Utilisé en ancien français au XIIIe siècle comme équivalent de « gouvernement » (l'art et
la manière de gouverner), ce mot passe en anglais (governance) au siècle suivant avec la même
signification. Puis il tombe en désuétude. Son grand retour s'effectue à la fin des années 1980 dans le
discours de la Banque mondiale, repris par les autres agences de coopération, le FMI* et par le
Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Il s’agit d’une technique de gestion des
affaires mise en œuvre quand une multiplicité d’acteurs aux intérêts différents doit trouver un terrain
d’entente. La notion s’applique aussi bien à la gestion des entreprises qu’à celle d’un Etat ou d’une
organisation internationale. L’expression corporate governance renvoie à des méthodes de gestion et
d’administration particulières visant à rassembler les actionnaires et les dirigeants d’une entreprise au
sein d’un système équilibré de pouvoir et de contrôle.

La gouvernance est la question majeure du XXIème siècle. Les sociétés de la planète sont
interdépendantes entre elles et avec le reste du monde vivant. La mondialisation est irréversible.
L'évolution accélérée des sciences, des techniques et des économies, les nouveaux rapports de

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domination qui en découlent, l'emprise excessive des rapports marchands, l'incompatibilité des
modèles actuels de développement et de consommation avec les grands équilibres de la planète, tous ces
changements rapides ont bousculé les systèmes de pensée et les modalités d'organisation des sociétés. Ils
ont entraîné la ruine des repères intellectuels, moraux et politiques traditionnels, ont affaibli les
solidarités. Les valeurs, les systèmes de pensée et les régulations sociales et politiques ont évolué mais
pas au même rythme.

Si peu de citoyens ont une idée précise de ce qu'est cette fameuse « gouvernance », on ne fera pas
l'injure aux décideurs de penser qu'ils emploient ce terme sans discernement. Une publication récente,
mais on pourrait en citer des dizaines d'autres, atteste qu'il fait partie de leur bagage sémantique
ordinaire. Ainsi le Conseil d'analyse économique créé par M. Lionel Jospin a-t-il publié en anglais un
ouvrage tiré d'un colloque organisé conjointement avec la Banque mondiale - un partenariat qui met déjà
la puce à l'oreille -, et dont la traduction littérale du titre est Gouvernance, équité et marchés globaux. On
voit bien dans quel champ lexical se situe le concept...
Celui-ci prétend chercher une réponse aux grandes questions de la mondialisation, présenté comme une
alternative progressiste au néo-libéralisme.
Le concept de « gouvernance mondiale » a été développé au début des années 90 par James Rosenau
pour analyser les dimensions politiques – et non économiques – de la mondialisation : la combinaison de
la mondialisation et du renforcement de la politique local met en marche de nouvelles forces au sein des
sociétés, qui provoquent un double processus d'intégration mondiale et de fragmentation. Il s’ensuit un
éclatement de l'autorité entre les niveaux mondial, national et infranational. Par exemple, le cas de la
maladie de «vache folle » montre que les Etats ne sont pas les seuls concernés: l'autorité politique en jeu
s'est diffusée vers haut, au niveau supranational (européen), vers le côté, par le rôle joué par les
organisations non gouvernementales sur les questions de sécurité alimentaire, et vers le bas, par
l'intervention des régions concernées.
Cela ne veut pas dire que les gouvernements ne jouent aucun rôle, mais que vouloir comprendre
comment se transforme l'économie mondiale en faisant uniquement référence aux Etats et aux
institutions internationales est à la fois trompeur et inadéquat. Pour Rosenau, les acteurs de base de la
gouvernance sont les « sphères d 'autorité » plutôt que les Etats, des structures historiques ou des
compromis politiques qui caractérisent les approches présentées jusqu'à présent. Leur existence n'est
rendue visible que lorsque l'autorité s'exerce et qu'elle est acceptée. Chaque sphère exerce son autorité
selon des modalités qui lui sont propres et les relations entre les sphères ne sont pas forcément
hiérarchiques, aucune ne domine a priori les autres. A l'intérieur de chaque sphère, il existe des acteurs

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puissants qui font respecter l'autorité dont ils disposent. Le marché mondial de l'assurance, par
exemple, est une sphère d'autorité, où un acteur dominant, l'entreprise Lloyd's, dispose de l'essentiel du
pouvoir. Quand la Lloyd's décide d'un nouveau type de procédures ou de règles, les autres assureurs
suivent la nouvelle donne, qui devient alors la nouvelle façon de faire fonctionner le marché.

De plus, la gouvernance de certains marchés mondiaux est assurée par des agences d'autorégulation du
secteur privé comme le Comité international des normes comptables, basé à Londres. La société civile
mondiale s'est donc en partie développée avec les tentatives de citoyens d'obtenir plus de poids dans la
gouvernance post-étatiste. Avant l'accélération récente de la mondialisation, gouvernance signifiait
gouvernement, Etat territorial centralisé. Dans les dernières décennies, la gouvernance est devenue
multidimensionnelle, mettant en cause des niveaux de régulation superposés, du local au mondial en
passant par le régional et le national. Les associations mondiales d'entrepreneurs, les organisations de
base, les ONG, les syndicats, etc., exercent leurs pressions au niveau de gouvernance le plus favorable à
leur cause. Des groupes transnationaux de coopération au développement passent souvent accord avec
les autorités provinciales et locales du Sud. De nombreuses organisations de femmes travaillent avec
l'Union européenne. Presque toutes les agences régionales et mondiales de gouvernance ont aujourd'hui
établi des mécanismes institutionnels de liaison avec la société civile. Intentionnellement ou non, cet
engagement a augmenté la légitimité de la gouvernance supra étatique.

La société civile offre d'importantes possibilités pour améliorer la gouvernance* mondiale. Elle peut
contribuer à un développement plus humain de la mondialisation, en améliorant le bien-être matériel et,
par-là même, la cohésion sociale. Elle constitue aussi un canal privilégié d'éducation du public sur la
mondialisation. Parmi les autres contributions positives possibles, citons qu'elle peut fournir une tribune,
alimenter le débat, approfondir la transparence et la responsabilité dans la gouvernance mondiale. Autant
d'actions positives qui peuvent augmenter la légitimité de ces régimes.

Lire: - P. Jacquet La gouvernance globale à l'épreuve des contestations, Ramsès 2002.

Marie-Claude Smouts, Du bon usage de la gouvernance en relations internationales , Revue internationale des sciences
sociales, Unesco, Paris, n° 155.

Ali Kazancigil, Gouvernance et science : modes de gestion de la société et de production du savoir empruntés au marché ,
Revue internationale des sciences sociales.

Governance, Equity and Global Markets. The Annual Bank Conference on Development Economics-Europe (sous la direction
de Joseph E. Stiglitz et Pierre-Alain Muet), Oxford University Press, Oxford, 2001, 324 pages, 25 livres

Guerres préventives Serait-ce la mondialisation de la justice ? Au lendemain du 11 Septembre 2001, la


présidence américaine lançait sous cette expression, un défi global à la menace constituée par le

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terrorisme sans frontières. Tétanisés, les membres de la communauté internationale se voyaient alors
sommés de choisir leur camp et de rejoindre la nouvelle « croisade » en se plaçant derechef sous la
Bannière étoilée - sauf, évidemment, à vouloir être comptés aux rangs des pays hostiles ou des États
voyous. Comme l’avaient martelé George Bush, devant le Congrès réuni solennellement quelques jours
plus tard : « Ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous » !

Après Septembre 2001, ce qui n’était visible qu’aux historiens et aux analystes critiques, saute à présent
aux yeux de tout observateur attentif et suscite a fortiori un réflexe de légitime inquiétude. L’Amérique
n’a pas changée, ses dirigeants ne sont pas subitement devenus « fous », elle a seulement atteint ce que
Lénine nommait, apparemment à juste titre, « le stade ultime du capitalisme » avec toutes les nuances et
les explications que cela suppose ! Et cette « mue » se traduit aujourd’hui par une sorte de déclarations
de guerre tous azimuts, une sommation universelle à se soumettre ou à se voir amené à résipiscence,
assujetti ou réduit a quia par des mesures de rétorsions, la faillite économique, le blocus, la subversion
ou la guerre !
Le président Bush, héritier et vecteur d’une vision normalisatrice, expansionniste et impériale vieille de
deux siècles, « nous » a promis une « Justice sans limites » et des décennies de guerre sans merci
(Donald Rumsfeld lors de l’offensive afghane « Nous n’avons pas les moyens de faire de prisonniers »,
propos concrétisé emblématiquement par les bombardement et les massacres de la forteresse prison de
Kalat i Jambi où l’on devait retrouver le taleb américain John Walker). Quant aux clapiers où
croupissent et se déshumanisent dans les in pace du non-droit, les prisonniers de Guantanamo -
prisonniers du champ de bataille et non prisonniers d’une guerre qui n’a pas eu lieu - illustrent mieux
encore ce propos.
De ce seul point de vue, la déclaration d’intention de George Bush doit évidemment être prise au
premier degré c’est-à-dire au pied de la lettre. En 1974 paraissait aux Etats-Unis un curieux récit de
science-fiction The Forever War, « la Guerre Éternelle ». Cette transposition de l’expérience d’un soldat
au Vietnam est à tous égards imprégnée de l’essence même de la guerre américaine dans toutes ses
dimensions et spécificités. Incidemment l’auteur, Joe Haldeman, a su toucher du doigt certaines
éléments architectoniques de l’Amérique-monde : sa vocation à une universalité normative et
conquérante, celle d’un éternel prédateur voué par sa nature même (c’est-à-dire par la logique du
système qui la régit) à une expansion sans fin, éternel retour de phases de destruction et de
reconstruction …
Cet invariant est, à y bien regarder, « génétiquement » inscrit dans le passé et la mentalité des peuples de
l’Amérique moderne, et la guerre éternelle (contre les agents et les États supports de la terreur) ne sont

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que la reconduction actuelle de ce pionnering spirit qui animaient les pères fondateurs dans leur
marche messianique et conquérante vers le grand Ouest. Ici l’analogie s’impose entre la croisade
engagée contre les nouveaux barbares (ceux d’Al Quaïda et tous les « fondamentalismes ») et les guerres
indiennes qui s’étalèrent sur plus d’un siècle. Les territoires de l’Islam irrédentiste sont ainsi une
nouvelle frontière (à l’instar de l’Initiative de défense spatiale) et « un bon islamiste ne peut être – en
vertu d’une rhétorique négationniste de l’altérité - qu’un islamiste mort ». Ce qui est aussi vrai des
anciens dignitaires irakiens recherchés « morts ou vifs » sur les cartes d’un hallucinant « jeu » de poker
menteur d’un digne du pire western.
L’image souvent reprise par le régime baasiste avant sa chute, de la diplomatie du revolver et de la loi du
Far West, n’est finalement pas aussi caricaturale qu’il pouvait y paraître au premier abord. La diplomatie
dure, hard dipomacy, ne vise-t-elle pas à instaurer ce « Nouvel ordre international » triomphalement
annoncé par George Bush père un certain 11 Septembre 1990 ? Fondation d’une hégémonie durable
avant que la réorganisation entreprise du Vieux monde ne le lui interdise ? L’Europe, géant économique
mais nain politique, la Russie en chantier, la Chine qui s’éveille à grand peine de la glaciation
communiste ne peuvent encore s’opposer concrètement à l’extension de ce champ de dominance
planétaire, par conséquent toute fenêtre d’opportunité doit être mise à profit en temps réel…
De ce seul point de vue la promesse d’une « Justice sans limites » , fondée sur le principe du right is
might - « Est juste tout ce qui est réalisable » - ne peut se traduire désormais pour tous, que par un
horizon écrasé sous des ciels de plomb, prémonition des guerres futures et de leurs orages d’acier …
A lire :
Guerre d’occupation . La seule guerre injuste et légale, disait à peu près Unamuno, qui était, il est vrai,
aussi contradictoire qu’un oxymoron, est la guerre entre frères, c’est à dire, la guerre civile. Toutes les
autres sont illicites et dangereuses, notamment lorsqu’elles sont suivis d’une occupation.

Après avoir en vain plaidé contre l'expédition de Sicile imaginée par le démagogue Alcibiade, Nicias
lança aux Athéniens un avertissement prémonitoire: "Il nous faut avoir un armement supérieur à l'enne-
mi à tous les points de vue. Même ainsi, il ne sera pas facile de l'emporter et d'en sortir sans dommages,
Nous devons nous considérer comme des colons qui, partis pour fonder une ville dans un pays ,étranger
et peuplé de gens hostiles, sont tenus de se rendre maîtres du terrain dès le premier jour, ou condamnés
en cas d'échec à ne trouver autour d'eux que des ennemis"

De fait, l'échec du siège de Syracuse déboucha sur la destruction du corps expéditionnaire en 413,
entraînant une succession de défaites qui s'achevèrent par la victoire totale de Sparte et le démantèlement
des murailles d'Athènes en 404.

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Il n'est pas de fatalité à ce que l'Histoire se répète. Ainsi en 1918, et en 1945 les démocraties sont-
elles sorties victorieuses des guerres mondiales qui les ont opposées aux empires autoritaires et
totalitaires du XXème siècle. A l'inverse, les Etats-Unis ont éprouvé la seule défaite de leur histoire au
Vietnam, dans un conflit périphérique perverti en guerre coloniale, face à l'alliance du nationalisme
vietnamien.

Depuis la fin de la guerre froide, la guerre a changé de sens. Autrefois, on "déclarait la guerre",
maintenant, il n'y a même plus cette règle. On la fait pour la prévenir. La guerre du Golfe était un
laboratoire grandeur nature. Même si ça ressemblait encore à la guerre traditionnelle, avec un agresseur
et un agressé, il y avait encore un cadre. Il s'est volatilisé depuis et on était déjà passé par dessus l'ONU.

Néanmoins, la stratégie ne s'est pas vraiment transformée. On assiste à la création par les États-Unis d'un
désordre social mondial qui attise les velléités de terrorisme, afin de légitimer la guerre. Et depuis la
guerre du Golfe ceux-ci s'assoient littéralement sur l'ONU. Les États-Unis s'enfoncent dans une crise
économique face à laquelle le lobby militaro-industriel a une réponse toute trouvée : faire la guerre.

Devant l'académie militaire de West Point, George W. Bush présentait, le 1er juin 2002, la doctrine
stratégique dont son administration allait s'inspirer. Plus qu'un nouveau concept de défense, il s'agit
d'une remise en question sans complexe des principes admis jusque-là par les Etats-Unis, avec d'amples
conséquences pour la conduite de leur politique étrangère, l'organisation, le commandement et la
doctrine d'emploi de leurs forces. Selon lui, les menaces que l'Amérique doit affronter viennent de
groupes terroristes internationaux et des Etats qui les tolèrent, les abritent ou les soutiennent, mais aussi
de ceux qui détiennent des armes de destruction massive, sont en train de s'en doter ou se préparent à en
construire. Ces menaces ayant changé d'origine et de nature, la riposte doit changer tout aussi
complètement. En résumé, le président affirmait que les Etats-Unis ne doivent absolument plus accepter
que leurs ennemis nouveaux puissent porter contre eux ou contre leurs alliés des coups analogues à ceux
qu'ils ont subis le 11 septembre, ni même admettre qu'ils puissent attaquer, comme dans le passé, des
ambassades, des unités navales ou des garnisons américaines. Il a donc annoncé que la stratégie de
Washington viserait à empêcher que de telles menaces se matérialisent en déclenchant contre leurs
ennemis potentiels des « actions préventives » (preemptive actions). C'est un peu comme la justification
des bavures, quand le flic assassin prétend, après avoir tiré dans le dos de sa victime, "qu'elle le
menaçait".
C’est le même concept de menace diffuse qui a été appliqué pour attaque l’Irak.

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Cependant, l'Irak n'est pas le Vietnam, notamment parce que le régime de Saddam Hussein ne
disposait d'aucun soutien extérieur. Et, quelques mois après la fin des opérations, il serait déraisonnable
de conclure à la victoire de la coalition américano-britannique.

Sur le plan tactique, la résistance de la population irakienne contraint les Etats-Unis à une nette
ascension dans le niveau de la violence. La guérilla prévisible ne sera pas « technologique et propre »,
mais urbaine et meurtrière dans les deux camps. La destruction systématique des infrastructures rendra
plus longue et coûteuse la reconstruction du pays, que les Etats-Unis ne pourront assumer seuls.
Sur le plan stratégique, la dynamique de la violence, symbolisée par les premiers attentats-suicides,
pousse à la fusion du nationalisme arabe, du fondamentalisme islamique et de la lutte à mort contre
Israël, donnant ainsi corps au choc des civilisations. Et l'exacerbation des passions hostiles aux Etats-
Unis et à la démocratie au sein des populations arabo-musulmanes accélère la déstabilisation des
gouvernements alliés de l'Occident.
Avec la meilleure des volontés, ceux qui examinent les arguments avancés par Washington restent
sceptiques. Mineur, l'incident était néanmoins éclairant. Le 28 février 2002, le sénateur démocrate
Thomas Daschle, tête de file de la majorité, estimait devant les journalistes « avoir besoin de
comprendre plus clairement » à quoi servirait le surcroît de fonds que lui et ses collègues devaient
affecter à la croisade antiterroriste du président George W. Bush. Engagé dans la préparation de la
guerre contre l'Irak, le président des Etats-Unis semblait considérer que le conflit en Afghanistan était
définitivement clos. Pourtant, remarquait M. Daschle, certains objectifs restaient en suspens, et plus
particulièrement la capture de M. Oussama Ben Laden qui avait, à l'origine, motivé cette guerre. Les
Américains ne « sont pas en sécurité tant que nous n'avons pas brisé les reins d'Al-Qaida, et nous n'y
sommes pas encore parvenus », ajoutait-il.
Les autorités américaines ne sont pas parvenues à convaincre que cette guerre était nécessaire.
L’écrivain Norman Mailer se le demande encore : pourquoi ont-ils fait la guerre? Il n’a pas encore
trouvé de réponse. Il est inimaginable que Bush ait lu Machiavel : « On ne doit jamais laisser se
produire un désordre pour éviter une guerre ; car on ne l'évite jamais, on la retarde à son
désavantage. » Alors, pourquoi ? En fin de compte – concède Mailer -, on peut penser que la
multiplication des réponses produira un grand bouillon intellectuel, ce qui permettra au moins de
hasarder sa propre hypothèse. « Si nous avons fait la guerre, pense-t-il, c'est que nous avions bien besoin
d'une guerre. L'économie américaine était en plein naufrage, les marchés, en chute libre, l'avenir
s'annonçait sombre, et certain .bastions traditionnels de la foi américaine (l'intégrité des grandes
entreprises, le FEI et l'Eglise catholique, pour n'en citer que trois) souffraient, chacun pour des raisons

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distinctes, d'une terrible perte de crédibilité. Et comme nos dirigeants n'étaient sans doute prêts à
résoudre. aucun des vrais problèmes qui se posent à eux, il était tout naturel qu'ils soient tentés de
s'engager dans des entreprises plus ambitieuses, de s'aventurer sur les cimes glorieuses de la guerre!
On a donc choisi l'Irak. Les braves dirigeants se sont empressés de proclamer que leur ennemi potentiel
représentait une menace nucléaire. Par la même occasion, ils ont présenté le président Saddam Hussein
comme le cerveau caché du 11 septembre. Puis, ils ont affirmé qu'il couvait un nid de terroristes. Rien de
tout cela ne résistait à l'analyse, mais ça n'avait pas d'importance. De toute façon, ils étaient prêts à partir
en guerre. Après le 11 septembre, et faute d'avoir retrouvé le cadavre d'Oussama Ben Laden en
Afhghanistan ou ailleurs, pourquoi ne pas désigner Saddam comme le génie du Mal responsable de
l'effondrement des Twin Towers ? Ils allaient donc libérer les Irakiens.
Leur insistance à marteler de piètres justifications rendait l'opinion internationale plus dubitative. Quels
en sont les arguments officiels ? Au nombre de sept, ils avaient été énoncés dans le rapport « Une
décennie de mensonge et de défi », présenté par le président George W. Bush devant le Conseil de
sécurité de l'ONU le 12 septembre 2002. Ce texte de vingt-deux pages rappelle les trois reproches
principaux : Bagdad n'aurait pas respecté seize résolutions des Nations unies ; l'Irak détiendrait ou
chercherait à posséder des armes de destruction massive (nucléaires, biologiques, chimiques) et des
missiles balistiques ; enfin, il se serait rendu coupable de violations des droits humains (tortures, viols,
exécutions sommaires).
Les quatre autres accusations concernent : le terrorisme (Bagdad abriterait des organisations
palestiniennes et remettrait 25 000 dollars à la famille de chacun des auteurs d'attentats suicides contre
Israël) ; les prisonniers de guerre (dont un pilote américain) ; les biens confisqués lors de l'invasion du
Koweït (des oeuvres d'art et du matériel militaire) ; le détournement du programme « Pétrole contre
nourriture ».

Tous ces reproches avaient conduit le Conseil de sécurité de l'ONU à voter, à l'unanimité, le 8 novembre
2002, la résolution 1441, qui instituait « un régime d'inspection renforcé dans le but de parachever de
façon complète et vérifiée le processus de désarmement ». Ces arguments étaient-ils à tel point effrayants
que tous les pays devraient considérer l'Irak comme le problème numéro un du monde ? Faisaient-ils de
l'Irak la plus terrible menace pesant sur l'humanité ? Justifient-ils en définitive une guerre de grande
envergure et une longue occupation? A ces trois questions, les Etats-Unis et quelques-uns de leurs amis
(Royaume-Uni, Australie, Espagne...) répondaient par l'affirmative. Sans attendre le feu vert d'une
quelconque instance internationale, les autorités de Washington (et de Londres) ont dépêché aux

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frontières de l'Irak une redoutable force militaire d'environ 200 000 hommes, dotée d'une colossale
puissance de destruction.

En revanche, à ces mêmes questions, d'autres pays occidentaux (la France, l'Allemagne, la Belgique...) et
une importante partie de l'opinion mondiale répondaient par un triple « non ». Ils reconnaissaient la
gravité des reproches, mais jugeaient que l'on pourrait exprimer ces mêmes accusations - non-respect des
résolutions de l'ONU, violations des droits de la personne et possession d'armes de destruction massive -
à l'égard d'autres Etats du monde, à commencer par le Pakistan et Israël, proches alliés des Etats-Unis,
contre lesquels nul ne songe à déclarer une guerre. Ils observent aussi que, sur bien d'autres dictatures
amies des Etats-Unis - Arabie saoudite, Egypte, Tunisie, Pakistan, Turkménistan, Ouzbékistan, Guinée
équatoriale, etc. - qui piétinent les droits humains, Washington gardait le silence. D'autre part, ils
estimaient que, soumis depuis douze ans à un embargo dévastateur, à une limitation de sa souveraineté
aérienne et à une surveillance permanente, le régime irakien ne semblait pas constituer une menace
imminente pour ses voisins.

Enfin, à propos de l'interminable recherche d'armes introuvables, beaucoup étaient tentés de penser,
comme Confucius, qu'« on ne peut pas attraper un chat noir dans une pièce obscure, surtout s'il n'y a
pas de chat ». Ils considéraient que les inspecteurs de la Commission de contrôle, de vérification et
d'inspection des Nations unies conduite par le diplomate suédois Hans Blix, et ceux de l'Agence
internationale de l'énergie atomique (AIEA), dirigée par l'expert égyptien Mohamed El Baradei, faisait
des progrès constants dont attestent les rapports présentés devant le Conseil de sécurité, et que cela
devrait permettre d'atteindre le but recherché - le désarmement de l'Irak - sans avoir recours à la guerre.

Elle aurait été inconcevable - ou plus difficile à initier – sans le choc du 11 septembre, et vise a
démontrer que l’Amérique est un pays qui doit être craint. Sa crédibilité était en jeu. Pour avoir fait sien
ce raisonnement de bon sens et avoir su fermement l'exprimer par la voix de son ministre des affaires
étrangères, M. Dominique de Villepin, dans l'enceinte des Nations unies, le président français,
M. Jacques Chirac, incarne, aux yeux de ceux qui à travers le monde s'opposent à cette guerre, la
résistance face à la prépondérance américaine. Ce costume est sans doute un peu large, mais il est
indéniable que le président de la République française a gagné en quelques semaines une popularité
internationale que peu de dirigeants français ont connue avant lui. Comme le personnage du général
della Rovere dans le célèbre film de Roberto Rossellini (5), M. Chirac s'est peut-être retrouvé par hasard
dans ce rôle de résistant, mais force est de constater qu'il en assume la mission.

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De son côté, l'administration américaine ne parvenait toujours pas à convaincre que cette guerre se
justifiait. Elle restait exposée au veto français et suivait, coup sur coup, deux désastres diplomatiques au
Conseil de sécurité : le 4 février d'abord, avec le flop de la présentation des « preuves » contre l'Irak par
M. Colin Powell ; le 14 février ensuite, avec la présentation des rapports plutôt positifs des inspecteurs,
au cours de laquelle M. Blix n'a pas hésité à affirmer que plusieurs des « preuves » contre Bagdad
présentées par M. Powell étaient « sans fondement ». Ce même jour, M. de Villepin a également
soutenu : « Il y a dix jours, M. Powell a évoqué des liens supposés entre Al-Qaida et le régime de
Bagdad. En l'état actuel de nos recherches et informations menées en liaison avec nos alliés, rien ne
nous permet d'établir de tels liens. » Or l'établissement de liens entre le réseau de M. Ben Laden et le
régime de M. Saddam Hussein était décisif pour légitimer ce conflit. En particulier aux yeux de l'opinion
publique américaine, qui demeurait choquée par les odieux attentats du 11 septembre 2001.

C'est parce que aucun argument vérifiable ne semblait fonder cette guerre que tant de citoyens se sont
partout contre elle. Et qu'il est impossible de ne pas s'interroger sur les véritables motivations des Etats-
Unis. Trop de gens pensent que les vraies raisons de cette guerre demeurent énigmatiques. Nous
pensons, comme André Gide, que tout à été dit, mais comme personne n’écoute il faut répéter mille fois
les choses. A l'évidence, celles-ci sont, au moins, au nombre de trois.

Il y a, en premier lieu, la préoccupation, devenue obsessionnelle depuis le 11 septembre 2001, d'éviter


toute jonction entre un « Etat voyou » et le « terrorisme international ». Dès 1997, M. William Cohen,
secrétaire à la défense du président Clinton, déclarait : « Nous faisons face à la possibilité que des
acteurs régionaux, des armées de troisième type, des groupes terroristes et même des sectes religieuses
cherchent à obtenir un pouvoir disproportionné, par l'acquisition et l'utilisation d'armes de destruction
massive. » Dans un communiqué diffusé le 11 janvier 1999, M. Ben Laden admettait que cette
possibilité était bien réelle : « Je ne considère pas comme un crime de chercher à acquérir des armes
nucléaires, chimiques et biologiques . » Et M. George W. Bush a reconnu que cette éventualité le
hantait : « Notre crainte, c'est que les terroristes trouvent un Etat hors la loi qui pourrait leur procurer
de la technologie pour tuer. »

Cet « Etat hors la loi », dans l'esprit du président des Etats-Unis, n'était autre que l'Irak. D'où la théorie
de la « guerre préventive », définie le 20 septembre 2002, et que M. James Woolsey, ancien directeur de
la CIA, a résumée de la manière suivante : « La nouvelle doctrine née de cette bataille asymétrique
contre la terreur est celle de la "dissuasion avancée" ou de la "guerre préventive". Puisque les

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terroristes ont toujours l'avantage d'attaquer en secret n'importe quand et n'importe où, la seule
défense consiste à les cueillir maintenant, où qu'ils se trouvent, avant qu'ils puissent être en mesure de
monter leur coup ». Bien entendu, aucune autorisation des Nations unies ne sera demandée.

La deuxième motivation, non avouée, est le contrôle du golfe arabo-persique et de ses ressources en
hydrocarbures. Plus des deux tiers des réserves mondiales connues de pétrole se trouvent concentrés
sous le sol de quelques Etats situés en bordure du Golfe : Iran, Irak, Koweït, Arabie saoudite, Qatar et
Emirats arabes unis. Pour les pays développés, et surtout pour les Etats-Unis, grands dilapidateurs
d'énergies, cette région joue un rôle capital et détient l'une des clés fondamentales de leur croissance et
de leur mode de vie.

Toute intervention contre des pays du Golfe est donc considérée comme une menace pour les « intérêts
vitaux » des Etats-Unis. Dès 1980, dans son discours sur l'état de l'Union, le président James Carter, Prix
Nobel de la paix 2002, définissait la doctrine américaine pour cette région : « Toute tentative, de la part
de n'importe quelle puissance étrangère, de prendre le contrôle de la région du golfe Persique sera
considérée comme une attaque contre les intérêts vitaux des Etats-Unis d'Amérique. Et cette attaque
sera repoussée par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire. »

Contrôlée par les Britanniques depuis la fin de la première guerre mondiale et le démantèlement de
l'Empire ottoman, la région du Golfe a vu grandir l'influence américaine depuis 1945. Deux importants
pays échappaient toutefois à la mainmise de Washington : l'Iran, depuis la révolution islamique de 1979,
et l'Irak, depuis l'invasion du Koweït, en 1990. L'Arabie saoudite est elle-même devenue suspecte depuis
les attentats du 11 septembre 2001 en raison de ses liens avec l'islamisme militant et de l'aide financière
qu'auraient apportée des Saoudiens au réseau Al-Qaida. Washington considère qu'il ne peut se permettre
de perdre un troisième pion sur l'échiquier du Golfe, et encore moins de l'importance de l'Arabie
saoudite. D'où la décision d'occuper, sous de faux prétextes, l'Irak, et de reprendre le contrôle de la
région.

M.Bush n'est certes pas un tyran, seulement le vainqueur hasardeux d'une élection contestable et
contestée. Et la guerre, qu'il annonce perpétuelle, lui donne les moyens d'affirmer la puissance
américaine et de refonder son pouvoir politique personnel. A l'extérieur, elle lui permet de démontrer à
nouveau la suprématie militaro-technologique des Etats-Unis, de souligner, comme son père et le
président William Clinton l'avaient fait en Irak, l'utilité persistante de la force dans l'après-guerre froide
et de remodeler le paysage stratégique mondial. A l'intérieur, elle l'amène à ressusciter l'Etat de sécurité

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nationale (National Security State), à affirmer son autorité et à justifier la marginalisation des contre-
pouvoirs législatif et judiciaire. Pourfendeur de l'Etat aux penchants quelque peu autoritaires, l'ex-
gouverneur provincial est en train de construire un exécutif fort, unifié, interventionniste et autonome.

Et last, but not least, la destruction de l'Irak marque l'ouverture du plus grand marché public du monde
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avant même que le président Bush ait adressé son
ultimatum à l'Irak, le Pentagone, qui s'apprête à exercer un protectorat militaire sur le pays, avait déjà
signé les contrats de reconstruction.

Cinq grandes sociétés états-uniennes se partagent ce gigantesque gâteau. En premier lieu, le Bechtel
Group. Cette société de BTP, la plus importante des États-Unis, est détenue depuis quatre générations
par la famille Bechtel. L'un de ses administrateurs n'est autre que George Schultz, l'ancien secrétaire
d'État de Ronald Reagan. Il préside par ailleurs le Conseil d'orientation du Comité pour la libération de
l'Irak, le lobby pro-guerre financé par Lockheed Martin. L'alliance Lockheed Martin-Bechtel augure un
nouveau type de business : la destruction d'un pays par un marchand d'armes, puis sa reconstruction par
un bétonneur.

Schultz siège également à la direction de Gilead Science, le géant de la pharmacie dont Donald
Rusmfeld était le Pdg jusqu'à son retour au gouvernement. Cette firme vient d'obtenir d'importants
marchés publics dans le cadre de la prévention des attaques chimiques et biologiques. En effet, Rumsfeld
a réussi à convaincre son opinion publique que le régime de Saddam Hussein détiendrait encore
quelques armes de destruction massive qu'il lui avait lui-même vendues pendant la guerre Iran-Irak et
que Bagdad envisagerait des les utiliser contre le peuple états-unien. Au cours des dernières années,
Gilead Science a tiré une grande partie de ses bénéfices des antiviraux qu'il produit pour traiter le sida.
Le prix élevé de ces traitements ne permettant pas leur diffusion dans le tiers-monde, plusieurs États ont
tenté d'en fabriquer hors licence. Ils ont été condamnés par l'OMC. En 1998, des antiviraux identiques
ont été fabriqués hors licence par une usin e pirate à Al-Shifa (Soudan). À la demande de Rumsfeld et de
Schultz, Bill Clinton accusa le centre d'Al-Shifa d'être une couverture pour la fabrication d'armes de
destruction massive par Al Qaïda et le fit bombarder. Diverses enquêtes internationales montrèrent
ultérieurement que ces accusations étaient sans fondements.

Le deuxième lauréat du marché de reconstruction de l'Irak est la Compagnie Halliburton. Leader


mondial des équipements pétroliers, cette société connaît bien ce pays où elle a reconstruit l'essentiel des
installations de forage et de raffinage après la guerre de 1991. Son PDG était alors Dick Cheney, qui

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venait de commander la destruction du pays en qualité de secrétaire à la Défense de George H. Bush
(le père). Bien qu'officiellement Cheney ait démissionné de ses fonctions dans le privé lors de sa
désignation comme vice-président de George W. Bush (le fils), il continue néanmoins à percevoir des
émoluments résiduels approchant le million de dollars annuel. C'est donc dans une position équivoque
qu'il commandera à cette nouvelle destruction de l'Irak qui ne manquera pas de lui rapporter de nouvelles
primes.

Les autres bénéficiaires de la destruction de l'Irak sont The Fluor Group, Parsons Corporation et The
Louis Berger Group ; trois sociétés qui se sont montrées particulièrement généreuses avec les think tanks
des fondamentalistes.

Dans de telles conditions, on peut s'interroger sur le choix des cibles qui ont été bombardées par les
États-Unis : répondait-t-il uniquement à des objectifs militaires ou aussi à la préparation du plus vaste
chantier du monde ?

Au-delà des difficultés militaires, l'administration par des forces d'occupation américaines d'un Irak
délivré de M. Saddam Hussein ne sera pas facile. Du temps où il était lucide, M. Colin Powell en
mesurait l'inextricable difficulté : « Nous avions beau mépriser Saddam pour ce qu'il avait fait, les
Etats-Unis n'avaient aucune envie de détruire son pays. Au cours des dix dernières années, c'est l'Iran,
et non l'Irak, qui avait été notre grand rival dans le Moyen-Orient. Nous voulions que l'Irak continue de
faire contrepoids à l'Iran. L'Arabie saoudite ne voulait pas que les chiites prennent le pouvoir dans le
sud de l'Irak. Les Turcs ne voulaient pas non plus qu'au nord les Kurdes fassent sécession avec le reste
de l'Irak. (...) Les Etats arabes ne voulaient pas que l'Irak soit envahi et démantelé. (...) Un Irak divisé
en factions sunnite, chiite et kurde ne contribuerait pas à la stabilité que nous voulions au Moyen-
Orient. Le seul moyen d'éviter cela aurait été de conquérir et d'occuper cette lointaine nation de vingt
millions d'habitants. Nous ne pensons pas que c'est ce que les Américains souhaitaient.

La troisième motivation non avouée de cette guerre, c'est d'affirmer l'hégémonie des Etats-Unis sur le
monde. L'équipe d'idéologues qui entoure M. George W. Bush (MM. Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz,
Perle, etc.) a théorisé depuis longtemps cette montée vers la puissance impériale des Etats-Unis . Ils
étaient déjà là, dans les années 1980, autour du président Bush père. C'était la fin de la guerre froide et, à
l'inverse de la plupart des stratèges qui prônaient un allégement de l'instrument militaire, eux
encourageaient la réorganisation des forces armées et le recours à outrance aux nouvelles technologies
dans le but de restituer à la guerre son caractère d'instrument de politique étrangère.

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Il fallait d’ailleurs enterrer , une fois pour toutes, le syndrome du Vietnam, et l’idée trop souvent
défendu chez ses futurs ennemis que son armée refusait de payer l’impôt du sang. A l'époque, raconte un
témoin, « le syndrome du Vietnam était encore vivace. Les militaires ne voulaient recourir à la force
que si tout le monde était d'accord. Les conditions posées requéraient pratiquement un référendum
national avant qu'on puisse employer la force. Aucune déclaration de guerre n'était possible sans un
événement catalyseur tel que Pearl Harbor ». Pourtant, cette équipe de faucons, avec l'aide déjà du
général Colin Powell, parvint à mettre sur pied, en décembre 1989, sans l'accord du Congrès ni celui des
Nations unies, l'invasion du Panama (plus de mille morts) et le renversement du général Noriega.

Ces mêmes hommes ont ensuite conduit la guerre du Golfe, au cours de laquelle les forces armées des
Etats-Unis effectuèrent une démonstration de surpuissance militaire qui stupéfia le monde. Défendre
l’Amérique, pour les néoconservateurs, c’est aussi exporter la démocratie, comme Bonaparte croyait
défendre les principes acquis de la Révolution française en l’exportant chez ses voisins.

Revenus au pouvoir en janvier 2001, ces idéologues ont considéré les attentats du 11 septembre comme
l'« événement catalyseur » attendu depuis longtemps. Rien désormais ne semble les freiner. Au moyen
du Patriot Act, ils ont doté les pouvoirs publics d'un instrument liberticide redoutable ; ils ont promis
d'« exterminer les terroristes », proposé la théorie de la « guerre globale contre le terrorisme
international », conquis l'Afghanistan, renversé le régime des talibans et projeté des forces de combat en
Colombie, Géorgie, Philippines... Ils ont ensuite défini la doctrine de la « guerre préventive » et justifié,
à base de propagande et d'intox, cette guerre contre l'Irak.

Ils acceptent que Washington se concentre sur les vrais lieux de pouvoir à l'heure de la globalisation
libérale : G7, FMI, OMC, Banque mondiale... Mais ils souhaitent extraire peu à peu les Etats-Unis du
cadre politique multilatéral. C'est pourquoi ils ont poussé le président Bush à dénoncer le protocole de
Kyoto sur les effets de serre, le traité ABM sur les missiles balistiques, le traité instituant une Cour
pénale internationale, le traité sur les mines antipersonnel, le protocole sur les armes biologiques,
l'accord sur les armes de petit calibre, le traité sur l'interdiction totale des armes nucléaires, et même les
conventions de Genève sur les prisonniers de guerre pour ce qui concerne les détenus du bagne de
Guantanamo. Le prochain pas serait le refus de l'arbitrage du Conseil de sécurité. Ce qui menacerait de
mort le système des Nations unies.

Pièce par pièce, au nom de grands idéaux - la liberté, la démocratie, le libre-échange, la civilisation -, ces
idéologues procèdent ainsi à la transformation des Etats-Unis en Etat militaire de nouveau type. Et

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renouent avec l'ambition de tous les empires : redessiner le monde, retracer les frontières, policer les
populations.

Les colonialistes d'antan n'agissaient pas autrement. Ils « pensaient - rappelle l'historien Douglas Porch -
que la diffusion du commerce, du christianisme, de la science et de l'efficacité de l'administration de
l'Occident repousserait les bornes de la civilisation et réduirait les zones de conflit. Grâce à
l'impérialisme, la pauvreté se changerait en prospérité, le sauvage retrouverait le salut, la superstition
deviendrait lumière, et l'ordre serait instauré là où jadis régnaient seules la confusion et la
barbarie (14) ».

Pour éviter cette affligeante dérive, la France et l'Allemagne, au nom d'une certaine idée de l'Union
européenne, ont choisi de faire contrepoids - non hostile - aux Etats-Unis au sein de l'ONU. « Nous
sommes convaincus - a affirmé M. de Villepin - qu'il faut un monde multipolaire et qu'une puissance
seule ne peut pas assurer l'ordre du monde. »

Alors Bonaparte, Bush, Rumsfeld : même combat, même optimisme, même croyance en la force avec,
en fin de parcours, ce risque, déjà noté par Hegel dans ses Leçons sur la philosophie de l’Histoire, à
propos de Bonaparte (devenu Napoléon ) : « On n’a jamais remporté de plus grandes victoires, jamais
exécuté de plus grands coups de génie ; toutefois, jamais l’impuissance de la victoire n’apparut plus
clairement , car le nationalisme et les « sentiments religieux » des peuples occupés se firent si insistants
et virulents qu’ils « renversèrent le colosse. »Les précédents de l’Afghanistan, d’Haïti, de la Bosnie ne
sont guère prometteurs.

L'esquisse d'un nouveau monde ainsi se dessine. Dans lequel un second pôle de pouvoir pourrait être
constitué soit par l'Union européenne si elle sait se rassembler, soit par une alliance inédite Paris- Berlin-
Moscou, ou encore par d'autres configurations variables (Brésil - Afrique du Sud - Inde - Mexique).
L'initiative franco-allemande constitue une démarche historique qui sort enfin l'Europe de soixante ans
de peurs et lui permet de redécouvrir la volonté politique. Une démarche si audacieuse qu'elle a révélé,
par contraste, l'attitude pusillanime de certains pays européens (Royaume-Uni, Espagne, Italie,
Pologne...) trop longtemps vassalisés.

Les Etats-Unis commençaient à s'installer dans le confort d'un monde unipolaire dominé par la force de
leur instrument militaire. La guerre contre l'Irak devait servir à affirmer leur nouveau pouvoir impérial.
La France et l'Allemagne sont venues leur rappeler qu'en matière de puissance quatre facteurs sont

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décisifs : la politique, l'idéologie, l'économie et le militaire. La globalisation a pu faire croire que
seules l'idéologie (libérale) et l'économie constituaient des facteurs fondamentaux. Et que les deux autres
(politique et militaire) étaient devenus secondaires. C'était une erreur.

Dans la nouvelle réorganisation du monde qui commence, les Etats-Unis misent désormais sur le
militaire (et le médiatique). La France et l'Allemagne, en revanche, sur le politique. Pour affronter les
problèmes qui accablent l'humanité, celles-ci parient sur la paix perpétuelle. Le président Bush et son
entourage sur la guerre perpétuelle...

Lire : Alain Joxe. L’Empire du chaos. La Découverte.

Paul-Marie de La Gorce, « Ce dangereux concept de guerre préventive », Manière de voir, n° 67.

Bob Woodward. Chefs de guerre, Calmann-Lévy, Paris, p. 226.

Colin Powell, Un enfant du Bronx, Odile Jacob, Paris, 1995, p. 414 et p. 452.

Douglas Porch, Les Guerres des empires, Autrement, Paris, 2002, p. 16.

Havelaar, Max Tout commence avec le café cultivé dans les montagnes du sud du Mexique. Le label
sera « Max Havelaar », titre d'un roman célèbre aux Pays-Bas. Son héros dénonce l'oppression des petits
paysans dans l'ancienne colonie indonésienne. Actuellement, la marque est implantée dans cinquante
pays et plus de cinq millions de producteurs de thé, de café, de cacao en bénéficient.

Cette association se bagarre depuis une dizaine d'années pour la juste rémunération du travail des petits
producteurs du tiers-monde et n’hésite pas à s’allier avec le diable (McDonald’s). Sa plus belle réussite a
trait au café. Sept cent mille familles d'Amérique centrale, soit cinq millions de personnes environ sont
associées au «système », qui repose sur un triptyque mêlant humanisme et marketing. Un: payer le
producteur de café un prix décent ; de l'ordre de 20 % au-dessus du cours fixé a la Bourse de Londres.
Deux: lutter contre la pauvreté en incitant les petits producteurs et leurs familles a se grouper en coopé-
ratives. Trois: attirer par des opérations médiatiques l'attention du consommateur des pays développés
sur la situation dramatique des paysans dans les pays pauvres.

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Apposer le label Max Havelaar sur des paquets de café ( vendus généralement avec 15 % de
supplément ), c'est garantir que du producteur au consommateur les principes du commerce équitable
sont respectés.

Chaque seconde il se vend en Europe un paquet et demi de «café équitable », ce qui représente douze
mille tonnes dans l'année, dont un peu moins du quart écoulé en France ; chiffres qui devraient bientôt
être doublés. Il est vrai que certains hypermarchés s'y mettent. A l'Assemblée nationale, a l'Élysée et a
Matignon, on ne sert plus que du café «éthique ». Et lors du dernier concours national du jeune
professionnel du café, au lycée hôtelier de Nice, les candidats tous futurs professionnels de la restaura-
tion ont été systématiquement interrogés sur le label Max Havelaar et le commerce équitable. Les signes
d'une évolution des mentalités? Il n'y a pas encore de quoi s'exciter: sur cent petits noirs au comptoir, un
seul est pour l'heure «equitativo.»

Site maxhavelaar.org– ethnik.org


A lire : Nico Roozen et Frans van der Hoff. L'Aventure du commerce équitable. Jean-Claude Lattès, Paris.

Humanitaire Ce terme apparaît pour la première fois vers 1830. Le Littré de 1874 le considère comme
un néologisme. Pourtant, l’esprit d’humanité n’a pas attendu le XIX siècle pour exister: Au Moyen Age
le mouvement de la Paix de Dieu allégeait les souffrances des victimes des guerres féodales; les œuvres
des religieux de la Merci, des Trinitaires ou des Chevaliers de Malte combattaient en faveur des
chrétiens captifs en terre d’islam, et la bagarre de Las Casas, évêque du Chiapas, pour la défense des
Indiens victimes de la Conquête, préfiguraient les actions humanitaires de notre temps. Mais c’est vers
1850 qui émerge un mouvement humanitaire autonome par rapport aux institutions politiques et
religieuses, puisant dans ses propres principes sa raison d’être et les règles de son action.

La Croix-Rouge est la première organisation répondant à ces principes. Elle est née de l’initiative du
Suisse Jean Henri Dunant. A la vue du champ de bataille de Solferino (1859), il organise les premiers
soins aux blessés autrichiens et français. Dans son livre Un souvenir de Solferino (1862), Dunant
suggère la création dans tous les pays des associations volontaires de bienfaisance. Il s’agissait de tirer,
sur le plan humain, les conséquences du changement de nature et de dimension des conflits: puissance
accrue du feu, importance des effectifs mis en jeu par les armées de conscription, apparition de théories
stratégiques impliquant l’anéantissement de l’adversaire.

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La Convention sur les militaires blessés des armées en campagne fut signée, le 22 août 1864, par
douze États. Les quatre Conventions de 1949, complétées par les protocoles additionnels de 1977, le
sont à ce jour par cent soixante-six pays.

Il convient de distinguer l’aide humanitaire apportée bénévolement à l’occasion de catastrophes


naturelles, de l’intervention humanitaire. Celle-ci implique une intrusion dans les affaires d’un État. Le
droit d’ingérence humanitaire, en théorie, exige la reconnaissance par la communauté des États de la
supériorité de cette légitimité sur la légalité internationale. Mais, en pratique, il s’agit d’une illusion
politique et d’une fiction juridique. Illusion politique, car l’ingérence — action de s’installer dans un
pays contre la volonté de son gouvernement — ne désigne que des situations où l’État est effondré, ou
vaincu.

Longtemps, le principe de non-ingérence a prévalu sur la volonté de faire respecter les droits de
l’homme. Pendant la guerre du Biafra (1968), le gouvernement fédéral nigérian interdit à la Croix-Rouge
l’accès aux populations Ibos en détresse. Ce constat d’impuissance des organisations humanitaires
traditionnelles incite en 1971 des médecins français à créer Médecins sans frontières, pour venir en aide
aux victimes quels que soient leur camp et leur nationalité. A partir de 1975 surgissent des conflits dits «
périphériques », guerres civiles ou de résistance (Angola, Éthiopie, Salvador, Sri Lanka, Afghanistan).
L’ONU et la Croix-Rouge ne reconnaissent que les guerres entre États, d’où la multiplication
d’organisations humanitaires non gouvernementales qui interviennent sur la scène internationale en
dehors de toute autorité étatique: Amnesty International, Oxfam, Médecins sans frontières..

Considérées comme une menace au principe de souveraineté, des interventions humanitaires se


multiplient (Somalie, Haïti, Liberia, Rwanda, Bosnie) aux risques d’un échec (illustré par le retrait
américain de Somalie en 1992), de récupération politique (cas d’Haïti en 1994) ou d’une
surmédiatisation).

Il est vrai que la pression globale des opinions publiques, via les médias, a considérablement élargi,
depuis la fin des années 1970, le champ d’intervention humanitaire: jamais dans l’histoire autant
d’organismes d’aide n’ont secouru autant de personnes. Loin de refléter l’augmentation des besoins,
ce phénomène illustre à la fois l’essor et la reconnaissance internationale du mouvement humanitaire.
C’est là, pour le meilleur en général, mais parfois pour le pire, que réside la véritable nouveauté.

A lire :Rufin, Jean-Christophe, L’Aventure humanitaire, Gallimard, 1994.

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Impérialisme « Vous ne régnez pas à l'intérieur de limites déterminées et personne ne vous a
prescrit jusqu'où devait s'étendre votre domination. La mer s'étend comme une ceinture au milieu du
monde habité, ainsi qu'au milieu de votre empire. Tout autour, sur d'immenses espaces, s'étendent les
continents, et ils vous rassasient toujours de leurs productions. Et la Ville est semblable à un marché
commun à toute la terre. C'est véritablement à vous que s'applique ce que dit Hésiode des parties
extérieures de l'Océan où tout conflue en un même commencement et une même fin, car c'est vers vous
que tout converge: c'est là que se rencontrent commerce, navigation, agriculture, travail du métal, tous
les métiers qui existent ou qui ont existé, tout ce qui se fabrique et tout ce qui pousse. On peut dire que
ce que l'on n'a jamais vu ici n'existe pas ou n'a jamais existé. En conséquence, il est difficile de répondre
à la question de savoir si la Ville l'emporte sur toutes les villes qui existent ou si c'est votre empire qui
l'emporte sur tous les empires qui ont existé. »

Ce n’est un pas un Ben Laden de nos jours qui a écrit ces lignes, mais l’auteur du II siècle Aelius
Aristide, dans son Éloge de Rome. Et si le terme « mondialisation » est apparut dans les années 1980,
l’explosion des échanges –conjugué à la colonisation - a rétréci les dimensions du globe, entraînant un
mouvement d’unification qui semble irréversible.

Souvent symbolisé par l’expansion de l’Europe depuis 1500, même s’il est de toutes les époques et de
toutes les civilisations, l’impérialisme est la tendance d’États puissants à se subordonner par la force
d’autres États ou territoires, tendance qui peut sembler inéluctable dans une société internationale sans
règle.

La doctrine des partisans de cette expansion a été élaborée, au cours du 19’siècle sous le nom plus
classique de colonialisme. L’exploitation économique se mêlait alors à la «mission civilisatrice » de
l’homme blanc et primait sur une conquête militaire et une sujétion politique. Ce n’est qu’avec l’essor du
capitalisme dans sa phase moderne et industrielle que le concept prend toute sa signification. La fin du
XIX siècle et le début du XXème voient s’accélérer la course pour la possession de territoires qui
doivent procurer marchés, matières premières et débouchés pour des capitaux accumulés prêts à
s’investir. Les deux grandes puissances impériales, la Grande-Bretagne et la France, finissent par
s’affronter devant Fachoda en 1898, provoquant une grave crise dans les relations franco-britanniques,
tandis que l’Allemagne et l’Italie, entrées tardivement dans la compétition, partent à leur tour à la
conquête des derniers territoires « sans maître» pour se faire «une place au soleil ».

Quelles chances peut avoir la République pour se constituer en un modèle capable de résister à l'empire
global ?

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Ce désir impérial est poussé à ses limites par les États-Unis qui, après avoir conquis et dominé leur
territoire-continent, s’opposent la même année de 1898 à l’empire espagnol en déclin, s’emparant des
Philippines, de Puerto-Rico et établissant un protectorat sur Cuba. Cette nouvelle volonté impériale
s’incarne dans la personnalité du président Théodore Roosevelt et se confirme dans la « Grande Société
» voulue par Lyndon Johnson. Celui-ci était persuadé que les Etats-Unis ont l’obligation d’agir partout
où le communisme risque de l’emporter. Ainsi n’hésite-t-il à intervenir en Amérique Latine
(débarquement de Marines en République Dominicaine en avril 65), et à faire savoir que les Etats-Unis
seraient prêts à soutenir tout gouvernement dont les intérêts seraient compatibles avec ceux de
Washington, sans référence à leur caractère démocratique (doctrine Johnson).

Il n’est donc pas étonnant qu’au cours du XXème siècle, le terme même d’impérialisme ait pris une forte
connotation péjorative et son concept subit un double choc. Avec Lénine, dans son ouvrage de 1916,
L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, la notion d’impérialisme est définitivement liée à celle de
capitalisme où le monopole a remplacé la concurrence, et qui recherche, dans des pays lointains et
faibles, des espaces économiques à conquérir. Mais, pour le moment, le choc entre les impérialismes ne
débouche pas inéluctablement sur l’affrontement armé. Dans l’entre-deux guerres, le Japon fait montre
d’un impérialisme particulièrement dynamique et établit en Asie sa « sphère de coprospérité », comme
en témoigne la crise de Mandchourie. Les États-Unis élaborent un empire sans barrières ni contrôle, avec
leurs investissements à l’étranger, et une doctrine de la porte ouverte qui prône le libre accès aux
marchés et aux matières premières, jetant ainsi les bases de l’impérialisme contemporain.

Immuable dans son essence, l’impérialisme, lié au système capitaliste change au rythme de l’évolution
du capitalisme lui même. Les États-Unis incarnent à eux seuls cet impérialisme de la multinationale qui
n’exclut pas un impérialisme traditionnel à l’emprise territoriale : la puissance militaire américaine
essaime des bases partout, suscite des contestations virulentes, et pas uniquement dans le Tiers Monde.
Si dans les années 1970-80, la domination économique américaine connaît des déboires, l’impérialisme
américain ne s’est jamais autant affirmé que dans l’après-guerre froide. L’impérialisme culturel et la
domination du modèle de société anglo-saxons qui l’accompagnent ont une part évidente dans les
craintes que suscite aujourd’hui la mondialisation*.

Mais les États-Unis, signale Alain Joxe, refusent aujourd'hui d'assumer la fonction protectrice à l'égard
de leurs auxiliaires amis ou soumis. Ils ne cherchent pas à conquérir le monde et à prendre donc la
responsabilité des sociétés soumises. Ils n'en sont pas moins à la tête d'un empire, mais c'est un système
qui se consacre seulement à réguler le désordre par des normes financières et des expéditions militaires,

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sans avoir pour projet de rester sur le terrain conquis. Ils organisent au coup par coup la répression
des symptômes de désespoir, presque selon les mêmes normes au-dedans et au-dehors.

On se pose la question de savoir si le pouvoir des États-Unis est avant tout économique ou bien militaire,
et dans quelle proportions ou sur quel mode d'articulation. En somme, quelle est la définition de la
domination politique mondiale qu'ils mettent en place sous le nom de «globalisation» et qui entraîne
l'accentuation de la différence entre riches et pauvres, l'apparition d'une «caste noble », internationale,
sans racines, et la multiplication des guerres sans fin?

A lire :Alain Joxe.L’Empire du chaos. La Découverte, Paris.


Zorgbie, Charles. L’impérialisme, PUF, QSJ,1996.
Poirier, Lucien. Essais de stratégie théorique. Fondation pour les études de Défense nationale, coll. « Les sept épées,., 1982,
et reprise dans deux recueils de 1987 et 1994 parus chez Economica, sous le titre Stratégie théorique Il et Stratégie théorique
Ill.

Internet Jusqu'à une époque très récente, les multinationales et quelques grands Etats disposaient seuls
des moyens très onéreux d'une information mondialisée, fondement de leur puissance.
Le spectaculaire développement des technologies de l'information et de la communication déclenche, à
l'échelle de la planète, un phénomène de transformation civilisationnelle.

Certains soutiennent même que les conséquences sociales, économiques et culturelles seront beaucoup
plus profondes que celles qu'avait provoquées, vers le milieu du XIXèmè siècle, la révolution
industrielle. Dès à présent, des pans entiers de l'activité économique, des finances, du commerce, des
loisirs, de la recherche, de l'éducation, des médias sont profondément bouleversés par l'explosion des
réseaux électroniques, et des technologies du multimédia et du numérique.

En 1961, quittant la Maison-Blanche, le général Eisenhower déclarait que le consortium militaro-


industriel était une « menace pour la démocratie». En 1996, au moment où s'installe un véritable
complexe industrialo-informationnel, et alors même que certains leaders américains parlent de virtual
democracy avec des accents qui rappellent l'intégrisme mystique, comment ne pas voir la menace d'une
véritable vassalisation cybernétique?

L'articulation du téléviseur, de l'ordinateur et du téléphone, crée une nouvelle machine à communiquer,


interactive, fondée sur les performances du traitement numérique. En assemblant les talents multiples de
médias dispersés (auxquels s'ajoutent la télécopie, la télématique et la monétique), le multimédia marque
une rupture et pourrait bouleverser tout le champ de la communication ; ainsi que la donne économique,

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comme l'espérait William Clinton, qui lança l'ambitieux projet des autoroutes électroniques pour
redonner aux Etats-Unis le rôle de chef de file dans les industries du futur.

Si les origines du réseau remontent à la fin des années soixante, sa véritable naissance date de 1974,
quand, répondant à un souhait du Pentagone, un professeur de l'université de Californie à Los Angeles,
Vint Cerf, mit au point la norme commune permettant de fédérer tous les ordinateurs et lui donna son
nom: Internet. Vint Cerf avait découvert que les ordinateurs, comme les hommes, sont grégaires, et qu'ils
ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu'ils sont reliés à d' autres ordinateurs.

Le développement massif de la galaxie Internet est beaucoup plus récent. Il date en fait de 1989 lorsque,
à Genève, des chercheurs du CERN mirent au point le World Wide Web, la « Toile », fondé sur une
conception hypertexte qui a transformé Internet en réseau plus convivial. Grâce au Web, le nombre
d'ordinateurs connectés dans le monde double chaque année, et le nombre de sites Web tous les trois
mois.

Ces caractéristiques, indiscutables, ne doivent pas nous empêcher de réfléchir aux dangers qui planent
actuellement sur Internet. D'une part, sectes, négationnistes et autres pornographes envahissent le réseau;
d'autre part, les entreprises commerciales songent à en prendre le contrôle, alors que les deux tiers de
l'humanité sont, de fait, exclus d'Internet. Une foule de problèmes nouveaux se posent, juridiques,
éthiques, politiques, culturels. Internet parviendra-il à demeurer longtemps un espace de communication
libre, peu cher, ouvert aux citoyens, et à l’abri des grands prédateurs du multimédia ?

Le succès du premier Forum social mondial de Porto Alegre, fin janvier 2001, nous donne un aperçu de
l’importance de ce système. On attendaient quelques 2000 participants pour débattre d’ « un autre
monde possible ». A la grande surprise, cet anti-Davos en réunit 5 000. Ses organisateurs, qui se veulent
aussi des visionnaires, expliquèrent cette réussite inattendue par l’effet Internet.
Un site d’information avait été ouvert un mois avant le début du Forum. Bien que rudimentaire, il allait
servir de levier à cette mobilisation exceptionnelle. Elle a fourni un argument de plus aux « anti-
globalisation » qui plaidaient, sans rencontrer jusque-la beaucoup d’écho, pour que la « place et la prise
en compte » de la communication en général et d’Internet en particulier deviennent « un enjeu de la lutte
contre le néo-libéralisme » prioritaire, au même titre que la promotion de la Taxe Tobin, l’annulation
de la dette du tiers-monde ou le contrôle des organisations financières mondiales. A défaut, ce secteur
deviendrait une chasse gardée de nos adversaires, qui en ont déjà fait un rouage essentiel de leur
révolution économique et, surtout, « idéologique ». Telles étaient les conclusion de l’atelier
« communication et citoyenneté », moteur de cette prise de conscience.

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Enfin c'est Internet qui a rendu possible la mondialisation de l'information et de l'opposition à l'AMI:
diffusion instantanée des textes en discussion, dans leurs versions anglaise et française, malgré la
volonté de confidentialité; partage des connaissances et échange permanent par-delà les frontières des
expertises et analyses critiques indispensables sur des sujets hautement techniques; forums de débats,
propositions d'action, coordination des luttes entreprises dans les différents pays; veille et suivi des suites
de l'AMI...

Les enjeux sont cruciaux pour l'avenir. Le programme américain, The National Information
Infrastructure, bible de William Clinton et de son vice-président Albert Gore, est clair: « Il revient à la
libre entreprise d'assurer le développement du programme des info routes. »

Avec la privatisation rampante, les réseaux, et surtout Internet, seront progressivement libérés de toute
obligation de service public au profit des intérêts privés.

L'essor d'Internet crée une nouvelle inégalité entre les inforiches et les infopauvres. Non seulement au
Nord, dans les pays développés, où seule une minorité dispose d'ordinateur personnel, mais surtout au
Sud, où le manque d'équipements minimaux marginalise des millions de personnes. Et ne parlons pas du
sous-équipement en matière d'électricité (plus les deux milliards de personnes ne disposent pas
d'électricité sur la planète) ainsi que de la désastreuse situation en matière d'alphabétisation.

Il ne fait pas de doute qu'avec Internet, média désormais aussi banal que le téléphone, nous entrons dans
une nouvelle ère de la communication. Beaucoup estiment, non sans ingénuité, que plus il y aura de
communication dans nos sociétés, plus l'harmonie sociale y régnera. Ils se trompent. La communication,
en soi, ne constitue pas un progrès social. Et encore moins quand elle est contrôlée par les grandes
firmes commerciales du multimédia. Ou quand elle contribue à creuser les différences et les inégalités
entre citoyens d'un même pays, ou habitants d'une même planète.

Et pourtant le rêve qu'incarne Internet, celui d'un échange d'information universel et sans entraves, est
loin d'être mort. Mais, aussi longtemps que la transmission du savoir continuera à suivre les normes
imposées par le pouvoir politico-économique, cet idéal d'une « démocratie de l'information » restera au
stade de l'utopie.

Les réseaux mondiaux d'entreprises en concurrence comptent sur les autoroutes de l'information et de la
communication pour mieux gérer leurs affaires, appliquer leurs stratégies de conquête, développer et
imposer leurs normes, défendre les positions monopolistiques acquises sur les marchés.

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Il en va de même du capitalisme financier. L'une des plus grandes contributions des nouvelles
technologies à l'économie contemporaine a été l'accélération des mouvements des capitaux. Dans ce
contexte, la techno-utopie de la société de l'information sert à la nouvelle classe dirigeante planétaire
pour affirmer et faire accepter la mondialisation, c'est-à-dire la libéralisation totale de tout. marché,
partout dans le monde.

Selon les nouveaux maîtres du monde, la société de l'information appelle de nouvelles formes de
régulation allant au-delà de l'Etat. Ils exigent que la régulation soit laissée au seul marché global.

La mondialisation des marchés, des circuits de la finance, et de l'ensemble des réseaux immatériels
conduit à une radicale déréglementation comme en témoigne l'accord de Genève, du 17 février 1997, sur
les télécommunications... Avec tout ce que cela signifie de déclin du rôle de l'Etat-nation et du service
public. C'est le triomphe de l'entreprise, de ses valeurs, de l'intérêt privé et des forces du marché.

Ce qui se modifie ainsi c'est également la définition même de la « liberté d'expression». La liberté
d'expression des citoyens est directement mise en concurrence avec la « liberté d'expression
commerciale», présentée comme un nouveau «droit de l'homme». On assiste à une tension constante
entre la « souveraineté absolue du consommateur» et la volonté des citoyens garantie par la démocratie.

C'est autour de cette revendication de «la liberté d'expression commerciale» que se sont structurées les
actions de lobbying des organisations interprofessionnelles (annonceurs, agences publicitaires et médias)
lors des débats amorcés, dans la seconde moitié des années quatre-vingt, sur les nouvelles règles de la
Télévision sans frontières, auprès de l'Union européenne.

Cette « liberté d'expression commerciale» est indissociable du vieux principe, inventé par la diplomatie
américaine, du free flow of information (libre flux d'informations), qui a toujours fait peu de cas de la question des
inégalités en matière de communications. La doctrine de la mondialisation aligne la liberté tout court sur la liberté
de faire du commerce. mouvement altermondialisation n’en finit pas de créer des ramification sur le Net. C’est
souvent lors des sommets du G8, de Gênes en 2001, de Barcelone, que des sites se créent et d’autres s’enrichissent
pour permettre aux internautes de s’informer sur les alternatives au système néo-libéral. Impossible de citer ici
toutes les adresses, mais certaines sont cependant incontournables. Tout d’abord, il faut consulter le site de
l’Observatoire de la mondialisation, organisme né en 1996 suite à l’entrée en vigueur de l’OMC et composé de
chercheurs, journalistes, économistes et responsables associatifs engagés dans le suivi critique de la
mondialisation de l'économie. Il constitue une très bonne introduction au sujet. On peut poursuivre avec les site de
la campagne française pour la réforme des institutions financières internationales qui propose de nombreux
dossiers et d'une rubrique "actualités ". Quant à la fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), elle a
ouvert sur son site un dossier spécial"mondialisation et droits humains ». A signaler également le site d'ATTAC

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qui défend l'instauration d'une taxe de 0,1 % (taxe Tobin) sur les transactions des marchés de change. Très en
vogue sur le Net, les sites consacrés à la "mal-bouffe" et aux problèmes rencontrés par les agriculteurs comme le
site français de la confédération paysanne et du désormais célèbre José Bové.
Lire : Ignacio Ramonet….
L'Unesco et la société de l'information pour tous. Paris, Unesco.

Islam Les attentats du 11 septembre 2001 ont relancé, dans la plupart des pays occidentaux, l'intérêt
pour cette religion fondée sur des textes du Coran, qui ne cautionne la guerre ni le terrorisme. Comme
dans les principales croyances, le message que l'on retrouve dans les textes saints est un message de
tolérance et de paix.

Il y est question d'unicité de Dieu, de sa bonté, de sa protection, de ses châtiments. Le Coran évoque
également la responsabilité de l'être humain, de la sanction de ses actes qui seront jugés au jour de la
Résurrection, avec le paradis pour les bons et l'enfer pour les méchants durant la vie éternelle; il souligne
le droit des pauvres, et exhorte les fidèles (musulmans) à prier, à être patients et à espérer.

La cohérence et la simplicité de la doctrine ont conféré à l'islam, dès le début, une puissance de
conviction qu'aucune autre religion n'a connue. En un siècle, de 632 à 732, la religion musulmane s'étend
des confins de la Chine jusqu'à Poitiers. Et ce malgré les dissensions survenues après la mort de
Mahomet (en 632) qui conduiront à l'apparition du grand schisme de l'islam: le chiisme, très répandu au
Liban, en Irak et surtout en Iran.

Aujourd'hui encore, l'islam est une religion conquérante qui gagne constamment des fidèles non
seulement en Europe et aux Etats-Unis mais surtout en Afrique sub-saharienne « l’islam noir») et en
Asie. Il y a plus d'un milliard de musulmans dans le monde et les principaux Etats islamiques sont
l'Indonésie, le Pakistan et le Bangladesh, trois pays non arabes.

Dans les librairies, les exemplaires du Coran et les essais sur le monde arabo-musulman se sont soudain
vendus comme jamais. Et puisque, très vite, les auteurs de ces attentats furent identifiés comme
appartenant au réseau Al-Qaida et que celui-ci et son chef, M. Oussama ben Laden, furent associés à la
nébuleuse islamiste, on a voulu en savoir plus, dix ans après la disparition du « Grand Satan» soviétique,
sur ces nouveaux « ennemis de l'Occident ».

Quelques années auparavant, certains essayistes comme Samuel Huntinton, auteur du Choc des civi-
lisations, avaient déjà annoncé comme « inéluctable» un nouvel affrontement entre l'Occident chrétien et
le monde musulman. De très vieilles peurs - réminiscences des Croisades, souvenirs de batailles

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coloniales et expériences des guerres de décolonisation - se mêlaient dans l'esprit de nombreuses
personnes encore sous le choc après avoir assisté à l'effondrement des tours géantes du World Trade
Center.

Le président des Etats-Unis, dans les heures qui suivirent le crime, parla lui-même de « croisade », de
lutte du « Bien contre le Mal », et qualifia les attentats d'« attaque contre la civilisation ». Donnant ainsi
l'impression de rejeter l'islam du côté du Mal et de la barbarie... Le président du conseil italien, M. Silvio
Berlusconi, fut plus explicite dans le mépris en affirmant « la suprématie de la civilisation occidentale
sur l'islam ». Thèse à relents racistes que, d'une manière ou d'une autre, répètent ouvertement tous les
ténors du national-populisme en Europe, des Pays-bas à l'Autriche, du Danemark à la France.

Parce qu’il est souvent synonyme, dans les médias, de fanatisme et de violence, et à cause de trop
d'amalgames, l'islam fait peur. En réalité, il demeure très mal connu, ce qui favorise toutes sortes de
fantasmes et d'élucubrations. L’islam (mot signifiant « soumission », « abandon à Dieu » ) est pourtant
fort proche des deux autres grandes religions monothéistes - judaïsme et christianisme. Il est tout entier
édifié sur un livre sacré, le Coran, « annoncé par Dieu au prophète Mahomet» en Arabie, au VIle siècle
de l'ère chrétienne. La doctrine du Coran ne se donne pas pour une nouveauté; de nombreux versets
assurent, au contraire, qu'elle confirme les messages révélés antérieurs mais qu'elle clôt le cycle des
prophètes.

Cette nouvelle peur de l'islam n'est pas sans rapport avec l'augmentation de la population d'origine
musulmane dans plusieurs pays européens, qui fait de l'islam, en France, en Belgique, en Hollande, en
Italie, en Espagne et en Allemagne, la religion la plus pratiquée après le catholicisme. On estime le
nombre de musulmans, au sein de l'Union européenne, à une quinzaine de millions...

Dans ces mêmes pays se multiplient les faits divers, ressassés par les journaux télévisés et les grands
médias, qui donnent prétexte à insister sur la violence des banlieues, le danger des « bandes ethniques »,
la montée des délinquances et l'explosion des criminalités. Informations désignant, partout, comme
responsables de cette poussée de l'insécurité, des jeunes d'origine maghrébine et musulmane.

Plusieurs de ces jeunes, nous apprennent ces mêmes médias, après avoir été endoctrinés par des
prêcheurs islamistes et formés dans des camps d'entraînement lointains, ont été envoyés défendre l'islam,
dans les guerres d'Afghanistan, de Bosnie, d'Algérie - avec parfois des répercussions en Europe (comme,
en France, le réseau d'Ahmed Kelkal). Et dont certains (Britanniques, Français, Espagnols) auraient fini
par rejoindre la secte Al-Qaida avant de se retrouver prisonniers sans statut dans les cellules-cages de la
base militaire américaine de Guantanamo. . .

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A lire : Le Coran, traduit de l'arabe et annoté par Jacques Berque, Sindbad, Paris, 1990.
Samuel Huntinton, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2000.
Marc Ferro. Le choc de l’Islam.XVIII-XXI siècles. Odile Jacob, mai 2002.

Islamisme L'imbrication de la religion, du droit et de l'Etat est très forte dans l'histoire de l'islam.
Edouard Henriot ne disait-il pas : « Qui possédera la Syrie possédera tout l’Islam » ? Le particularisme
des Syriens et le rayonnement de Damas ont fait qu’il a presque toujours été impossible de discerner
cette région du monde au milieu des constructions politiques dont elle fait partie.

On appelle « islamistes» (ou « intégristes », ou « fondamentalistes musulmans») les militants qui, dans
le monde musulman, conservent la nostalgie de cette imbrication. Et luttent pour que l'Etat et la société
redeviennent conformes aux règles du droit islamique, la charia, telles que le Coran, les hadith (récits et
actions du prophète et de ses compagnons) les ont établies.

Par conséquent, les islamistes s'opposent au projet d'unité des pays arabes et à l'idée que puissent exister
différentes nations au sein du monde musulman. Ils entendent agir pour que se réalise l'unité politique de
l' oumma, la communauté de tous les musulmans et l'unification sous une même autorité de tous les pays
musulmans du monde. Ils prônent une république islamique qui en finirait avec la corruption, la déca-
dence, l'immoralité, le népotisme et les inégalités sociales. C'est pourquoi, dans de nombreux pays, les
classes moyennes et populaires les soutiennent. Certaines organisations islamistes poursuivent ces buts
par la voie pacifique, et participent aux élections, lorsqu'il y en a et que les autorités le leur permettent. Il
est arrivé ( Iran,1979) qu'une insurrection populaire contre un régime autocratique soit dirigée par des
islamistes - avec, à leur tête l'ayatollah Khomeyni - qui finissent par l'emporter et par instaurer une «
république islamique ».

D'autres organisations, très minoritaires, ont choisi la violence. On les appelle des « islamistes radicaux
». Au Proche-Orient, ils sont souvent à l'origine des attentats les plus odieux contre les civils israéliens.
Mais c'est surtout en Algérie que, depuis plus de dix ans, se déroulent les affrontements les plus durs
entre des islamistes radicaux et un appareil d'Etat plus ou moins laïc. D'autres affrontements ont lieu
également en Egypte, par exemple.

Il existe aussi quelques réseaux islamistes transnationaux - le plus célèbre est désormais Al-Qaida*, dont
la stratégie vise non seulement à unifier politiquement le monde musulman, mais aussi à affronter ce
qu'ils appellent 1'« Occident chrétien ». Ils voudraient également empêcher, y compris par la terreur,
l'intégration des minorités musulmanes aux EtatsUnis et dans les pays européens.

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Ces islamistes radicaux, goutte dans l'océan du milliard de musulmans du monde, fournissent le
prétexte à un déferlement de haine contre l'ensemble des fidèles. Emportés par l'islamophobie ambiante,
certains en arrivent à oublier que l'islam c'est aussi une culture et une civilisation. Parmi les plus
brillantes que l’humanité ait jamais connues. Et que c'est grâce à des philosophes et à des savants arabes
que les grands textes des principaux créateurs et penseurs grecs de l'Antiquité furent sauvés et sont
parvenus jusqu'à nous. Sans eux, il n'y aurait tout simplement pas de science moderne sans leur apport
en mathématiques (invention de l'algèbre), en physique, en médecine, en optique, en géométrie et en
astronomie…

Alain Gresh et Dominique Vidal, Les 100 portes du Proche-Orient, Autrement, Paris, 1989.

Jubilé 2000 Coalition de mouvements issus de la gauche catholique anglaise, le Jubilé 2000 est le
premier réseau à avoir milité (et ce depuis plusieurs années) pour l’annulation de la dette des pays du
sud. Il a recueilli plus de 24 millions de signatures dans le monde, et plaide pour un Tribunal
International de la Dette (TBI).

http://www.jubilee2000uk.org

Jean-Paul II et l’œcuménisme Qui représente-t-il? L’Etat du Vatican? Le Saint-Siège? Rome? Rome


qui inclut le Vatican, Etat dirigé par l'évêque de toute la ville, elle-même siège de l'Etat italien ? Et
combien de divisions peut aligner cet Etat sans nation, sans véritables citoyens, dont le rôle diplomatique
se distingue de jure, mais certainement pas de facto, de son action spirituelle? Où commence le
politique? Où le spirituel s'arrête-t-il (s'il s'arrête), qui commande en principe tout acte diplomatique? Le
chef de cet Etat est élu par des représentants de l'Eglise universelle et, s'il se rend à l'étranger, c'est
d'abord à l'invitation d'une communauté spirituelle, avec le nécessaire accord, mais toujours second, des
autorités étatiques locales. Ce faisant, il franchit une frontière, au sens où l'entend le droit international,
mais il est en même temps chez lui parce qu'il visite un peuple sans frontières dont il est le Saint-Père.

L'analyse de cette ambiguïté permanente est donc par essence équivoque. Cette situation a l'âge de la
catholicité, mais les temps modernes lui ont conféré une dimension nouvelle: la disparition des Etats

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pontificaux a mis fin au pouvoir temporel du pape, et celui-ci s'est mis à voyager. Jean-Paul II,
notamment, qui, en un peu plus de trois lustres de règne, a passé presque trois ans hors du Vatican.

Immergée dans le monde, l'Eglise ne saurait s'abstraire de ses changements. Les pontificats de Pie XII,
Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II ne peuvent être décrits sans une constante référence à l'époque. Ainsi,
le Saint-Siège se trouve plongé dans les relations internationales, et le Vatican mène une stratégie
diplomatique. Sur ce jeu double pèsent d'un poids écrasant la personnalité du pape, son origine, sa
culture, sa vision du monde.

Certains ont été surpris par la vigueur de ses dénonciations contre la guerre d’Irak en février 2003. Et par
l’énergie avec laquelle l’Eglise et les organisations catholiques ont participé aux grands rassemblements
de protestation. C’est oublier que le Vatican a vite perçu que la guerre pouvait être interprétée, dans les
pays du Sud, comme un affrontement entre riches et pauvres, ou comme un heurt entre islam et
chrétienté. En s’opposant à cette guerre, le Vatican a réussi éviter qu’elle soit perçue par les musulmans
comme un choc de civilisations. Au passage, cela a sans doute évité aux chrétiens d’Irak de tragiques
représailles. Enfin, Jean-Paul II a pu rappeler que le christianisme n’était plus réductible à l’Occident.

Si, il y a cinquante ans, les trois premières nations catholiques étaient la France, l’Italie et l’Allemagne,
aujourd’hui ce sont le Brésil, le Mexique et les Philippines. Le plus grand nombre de catholiques vit
désormais dans le Sud. Le catholicisme est devenu une religion du tiers-monde, une foi des pauvres.

Ce constat capital a conduit le Vatican à redéfinir le rôle que le christianisme doit jouer dans une planète
marquée par la mondialisation libérale. L’Eglise est confrontée à deux logiques. D’un côté, une
mondialisation dominée par la finance, un système où l’argent est au cœur et où l’économie domine tout.
De l’autre, des textes bibliques témoignant que Dieu a confié la terre aux êtres humains pour qu’ils la
fassent prospérer.

L’Evangile demande que les pauvres soient servis, et non pas que l’on se serve d’eux. L’Eglise a
toujours été travaillée par la question des pauvres. Et une Eglise qui embrasse la cause des pauvres, met
en défi la mondialisation libérale.

Nul ne sait si l’histoire classera le pape Jean-Paul II comme conservateur ou pas... Il est conservateur
dans sa relation avec l’Opus Dei, dans ses admonestations à propos de la morale sexuelle, des couples
qui utilisent pilules ou préservatifs, des homosexuels, des Etats qui légalisent des atteintes à la vie
(avortement, euthanasie), ainsi que dans son blocage obstiné sur des questions comme l’accès des
femmes au sacerdoce, dans le profil des évêques qu’il choisit, ou dans son attitude hostile à l’égard des
théologiens modernistes et en particulier ceux de la théologie de la libération. Mais il a des côtés

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déconcertants : son engagement en faveur du dialogue inter-religieux, ses appels réitérés pour
l’annulation de la dette des pays pauvres, ses invitations à bâtir un monde plus solidaire. Et ses
condamnations répétées du libéralisme économique.

S’exprimant, en 2001, sur « les exigences éthiques de la mondialisation », devant l'Académie pontificale
des sciences sociales, Jean-Paul II a déclaré : « Le marché impose sa façon de penser et d'agir, et impose
son échelle de valeurs sur le comportement. Ceux qui en sont l'objet considèrent souvent la
mondialisation comme un flot destructeur qui menace les normes sociales qui les ont protégés. »

Dès 1987, dans l'encyclique Sollicitudo Rei Socialis, il affirmait qu'un développement qui ne respecte
pas les droits sociaux, économiques et politiques, «n'est plus vraiment digne de l'homme». En 1991, dans
Centessimus annus, tout en déclarant que «le marché libre est l'instrument le plus approprié pour
répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins», il dénonçait les failles du capitalisme:
chômage, conditions de travail, salaires indécents, marginalisation de catégories de travailleurs
(immigrés, clandestins) et l’exploitation des pays du Sud.

Il vilipendait cette mondialisation «où l'économie devient un absolu, où la production et la


consommation des marchandises finissent par occuper le centre de la vie sociale et deviennent la seule
valeur de la société». Il en venait même à justifier «l'engagement et les luttes contre un système
économique entendu comme méthode pour assurer la primauté absolue du capital, de la propriété des
instruments de production, sur la liberté et la dignité du travail de l'homme».

En 1993, il n’hésitait pas à affirmer que « les graves problèmes sociaux et humains qui tourmentent
actuellement l'Europe et le monde trouvent en partie leur origine dans les manifestations dégénérées du
capitalisme».

A maintes reprises, Jean-Paul II a rappelé qu’il considère les droits sociaux, économiques et culturels
comme indivisibles. Il a regretté que ces droits reçoivent beaucoup moins d'attention que les droits
politiques. Et estimé qu’il y a viol des droits des plus démunis lorsque les milieux financiers s'opposent à
l'effacement de la dette des pays pauvres.

A l’occasion du Congrès mondial pour la promotion pastorale des droits humains, à Rome, en 1998, le
pape soulign la contradiction entre libéralisme économique et christianisme, et réitéré que la pauvreté,
face à l'opulence de certains, constitue une des situations qui «entravent le plus gravement le plein
exercice des droits humains». Et ajoute : «Trop fréquemment, les personnes les plus pauvres, à cause de
la précarité de leur situation, deviennent les victimes les plus sérieusement touchées par les crises
économiques qui affectent les pays en voie de développement.»

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Descendant lui-même d'une famille d'ouvriers, Jean-Paul II aimerait laisser le souvenir d’un pape du
peuple, défenseur des droits des travailleurs. Faire que le texte biblique s’accomplisse. Et que les
derniers soient enfin les premiers.

A lire :

Klein, Naomi Le mouvement altermondialisation n'est pas unifié par un parti politique ou une
organisation nationale. Il est façonné par les idées d'intellectuels et d'organisateurs individuels, mais
aucun d'eux n'est considéré comme un leader. Aussi entend-on souvent les critiques prétendre que les
jeunes qui manifestent n'ont pas de direction claire. Pour ceux qui cherchent une réplique des années 60,
le mouvement apparaît apathique et parfaitement désorganisé. Ce sont, dit-on, des activistes mal remis
d'avoir été sevrés de MTV, éparpillés et sans objectifs clairs.

Peut-être n'est-ce pas aussi simple. Peut-être les manifestations de Seattle et de Washington, et de Gênes,
ont-elles semblé dépourvues d'objectifs clairs parce qu'elles n'étaient pas le fait d'un grand mouvement
homogène, mais d'un agrégat de protestations émises par de nombreux mouvements peu importants,
chacun ayant dans son collimateur une grande société multinationale (comme Nike), une industrie
particulière (comme l'agriculture intensive) ou une nouvelle initiative commerciale (comme la Zone de
libre-échange des Amériques). Mais ces petits mouvements ciblés partagent la conviction que les
différents problèmes découlent de la dérégulation globale, processus qui voit une concentration du
pouvoir et de la richesse entre des mains de moins en moins nombreuses. Bien entendu, des désaccords
existent, concernant le rôle de l'Etat-nation, la possibilité ou non d'une rédemption du capitalisme, la
rapidité avec laquelle devraient survenir les changements. Mais un consensus se dégage au sein de ces
mouvements sur la nécessité de bâtir un pouvoir de décision fondé sur la communauté - que ce soit au
les syndicats, les quartiers, des collectifs anarchistes ou de l'autogouvernement aborigène - pour contrer
la puissance des sociétés multinationales.

Un livre sorti en novembre 1999 aux Etats-Unis, en même temps que les manifs de Seattle, sert de
référence à tous les insurgés. « No Logo » est devenu la Bible du mouvement altermondialisation, ou
pour reprendre les termes d'un quotidien anglais, « Le Capital » contre le libéralisme ». Son auteur ?
Une journaliste canadienne de 30 ans, habitant Toronto, aux marges de l'Empire.

Enfant de deux juifs américains issus de l’Europe de l’Est, son père est médecin et sa mère, féministe, se
consacre comme réalisatrice un film anti-porno. Naomi n’as pas un an lorsque ses parents essayent de
revenir aux Etats-Unis et se trouvent marginalisés. Elle devient surtout l’enfant de la gauche américaine.
A 13 ans elle est virée du lycée, accusée d’y avoir mis le feu. A tort, mais ses penchants nihilistes la

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désignent. A 17 ans elle bosse comme vendeuse pour « Esprit ». Un an plus tard elle décide de rester
auprès de sa mère, malade et paralysée. C’est alors qu’un psychopathe antiféministe massacre quatorze
filles dans sa fac. Son destin est décidé. Elle écrira dans un magazine alternatif.

Naomie ne sera pas une furieuse militante de base, non, mais une journaliste déterminée. A vingt-cinq
ans passe cinq longues années à enquêter sur le pouvoir des marques dans le monde, des campus
américains aux usines à sueur d'Indonésie, des media-planners d'Adidas aux militants antipub
canadiens…Et que découvre-telle ? Des entreprises qui produisent de plus en plus d'images de leurs
marques que des produits; des marques devenues valeur de capital et des publicités des investissements
dans la valcur nette des actions; des logos se métamorphosant en « accessoires culturels et
philosophiques du mode de vie » (le branding ) ; des entreprises délocalisant leur produits loin dans des
zones géographiques à main-d'œuvre bon marché; etc. C'est la partie coup de poing du best-seller de
Naomi Klein, celle qui poussera les multinationales à mettre plus d'éthique dans leurs comportements.
Mais il ne faut pas se tromper. Il y a bien longtemps (fin années soixante) qu'un certain Guy Debord
plaçait au cœur de son analyse sur la Société du spectacle l'effacement de la valeur d'usage des produits
au profit de la valeur d'image. Ensuite, la journaliste canadienne fait surtout œuvre d'enrichir le catalogue
déjà copieux des dérapages d'entreprises traquant le profit dans le moindre recoin de l'univers du
commerce mondial.

Chapitre après chapitre, la jeune journaliste canadienne démonte la mécanique parfaitement huilée du
branding, dont la finalité consiste à imprimer dans la société l’esprit d'une marque - le « Just do it » de
Nike est ainsi bien plus qu'un slogan, c'est devenu pour beaucoup l'esprit du sport selon Nlke, puis
l'esprit du sport tout court - jusqu'aux zones franches industrielles d'Indonésie ou de Chine où sont
fabriquées ces mêmes chaussures que porteront les adolescents du monde entier, l'analyse de Naomi
Klein, à force de documents et de tableaux éclairants, ne laisse aucune zone d'ombre.
Nous ne mesurons pas toujours l'ampleur du phénomène. Ainsi, en Amérique du Nord, les marques se
sont répandues comme un virus dans les écoles et les universités: La contraction des dépenses publiques
en matière d'éducation contraint la direction des facultés à passer des contrats de partenariat avec Mi-
crosoft ou Coca-Cola. Les marques ne se contentent pas d'étaler leurs slogans jusque dans les toilettes
des campus, mais réclament et obtiennent d'être intégrées aux enseignements. Les industriels de la cul-
ture et de la communication ont parfaitement ciblé le marché de la jeunesse, potentiellement le plus
porteur, et ont compris que le meilleur moyen de le toucher était de l'atteindre dans l'un des rares espaces
encore à l'abri des marchands.
Naomi Klein se garde bien de toute analyse en termes de complot. Sa vision est tout sauf systématique.

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Simplement, voilà le monde dans lequel nous vivons, un monde qui s'homogénéise au rythme des
pubs et où les consommateurs. dont la seule liberté consiste à se gaver finissent par remplacer les
citoyens libres et responsables. Et ce, dès le plus jeune âge: aux Etats-Unis, certains enfants apprennent
la géométrie avec le biscuit Oreo. «Il ne s'agit plus de sponsoriser la culture mais d'être la culture», c'est
le leitmotiv des multinationales. «Zéro Espace», «Zéro Choix», «Zéro Boulot», assène Naomi Klein, les
marques déploient leurs tentacules, étendent leur empire jusqu'à nous asphyxier.
Ce serait une erreur de classer son livre au seul rayon de l'antimondialisalion. De brandir son No Logo
comme le nouveau logo d'une lutte contre les multinationales. D'ailleurs, l'auteur rappelle que la
meilleure résistance aux violations des règles de bonne conduite du commerce international viendra
d'une démocratie locale forte. Une attitude citoyenne mondiale en quelque sorte.
A lire : No logo, de Naomi Klein. Actes Sud/Leméac. 570 p.

Kyoto En décembre de 1997 se tient à Kyoto, au Japon, une des conférences sur les changements
climatiques qui sont régulièrement organisées sous l’égide de l’ONU. Elle concrétise la convention de
lutte contre le changement climatique, adoptée au Sommet de la Terre de Rio* (1992), et aboutit à la
signature, par 59 pays, d’un Protocole qui témoigne d’une perception globale des question
environnementales.
Ledit protocole implique un engagement de la part des pays de l’OCDE, les pays d’Europe de l’Est, la
Russie et l’Ukraine de réduire à 5,2% leurs émissions de gaz à effet de serre, de 2008 à 2012 (année de
référence 1998). Il fixe des objectifs précis à chaque pays signataire (diminution de 7% pour les Etats-
Unis, de 8% pour l’Europe, de 6% pour le Japon…).

Cependant, pour que le Protocole soit applicable, il fallait le ratifier. Cela aurait du être fait à La Haye en
novembre 2000, dans une réunion qui se solda par un échec. Il a été finalement ratifié en juillet 2001 à
Bonn, mais avec de nombreuses concessions. Fruit d’un long processus diplomatique, il propose des
solutions nouvelles. Pour entrer en vigueur, il doit accueillir l’adhésion de 55 pays représentant 55% des
émissions de GES*. De plus, et c’est peut-être le plus ennuyeux, les États-Unis, premier pollueur au
monde (40% des gaz à effet de serre !) ont refusé de signer, après un engagement du gouvernement
Clinton.

Les opposants au Protocole de Kyoto, les américains en tête, ne contestent pas les chiffres sur
l’augmentation des émissions de GES, mais restent dans une logique purement marchande avec des
arguments d’un cynisme étonnant : les conclusions de l’IPCC sont politiques ( !) ; réduire les émissions
de GES coûtera plus cher que de s’adapter à la hausse des températures, et enfin, selon la logique que le

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réchauffement de la planète n’est pas le problème le plus urgent, les américains défendent le principe
de « permis d’émission », qui autorise un pays à vendre son droit de polluer le monde.

BIBLIO

LANGUES « MONDIALES »
Biblio :
English as a global language (David Crystal –Universitaire au Pays de Galles – Cambridge University
Press 1997)
The Futur of English ? – David Graddol – The British Council – 1997
Cours de linguistique générale – Payot 1995 – Ferdinand de Saussure – fondateur de la linguistique
moderne

Larzac Jean de la Fontaine aurait été un prophète s’il avait signalé sa préférence pour le roquefort dans
ses « Eloges » (« Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute»). Car c’est de là que tout est parti. Bien
avant les grandes mobilisations contre la mondialisation, ceux du Larzac, ceux de la Confédération
paysanne* ensuite, ont su , dans une saisissante anticipation, inscrire leur action dans le cadre de la
planète. Indiens d’Amérique du Nord et du Sud, Kanaks, Sahraouis, Polonais de Solidarisnoc, paysans
japonais ou africains : on chercherait presque qui n’est pas passé, au cours des trente dernières années,
sur le plateau de Larzac.

A l’automne 1970, l’armée française annonce son intention d’agrandir le champ militaire situé sur ce
Grand Causse, un sorte de désert habité par une poigné de survivants. Il faudra exproprier, mais
personne n’imagine que cette terre pauvre, et aussi puissamment catholique, pourrait se révolter.
Commence pourtant une bagarre de onze années au cours de laquelle des barrières réputées
infranchissables tombent une à une. Les paysans du plateau – les Tarlier, les Burguière, les Maillé
-contre toute attente s’associent à des hordes chevelues venues des villes. Toutes les variétés du
gauchisme parisien font le voyage de Millau, des maoïstes aux anarchistes, en passant par les
bordighistes ou les conseillistes. La plus part ne font qu’un tour de piste, mais José Bové et quelques
autres s’installent. Et sont accueillis, et sont écoutés, et sont finalement acceptés.

Après la victoire en 1981 sur l’armée, deux mondes découvrent qu’ils peuvent vivre ensemble. On
imagine, on invente, on prouve en marchant que l’agriculture, qu’on disait moribonde sur le causse, reste
possible. Non seulement de nouvelle fermes son mises en culture, mais le combat contre Roquefort
démontre qu’en s’unissant , les petits paysans peuvent encore défendre leurs intérêts.

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189
Biblio…………

Liberalisme À l’origine, le libéralisme est une philosophie politique dont 1789 apparaît comme la

consécration solennelle. Déjà au milieu du XVIIe siècle, John Locke se faisait l’ardent défenseur des
droits individuels, droits dont il souligne qu’ils plongent leurs racines dans la nature de l’homme, ce qui
contraint du même coup les gouvernements à les reconnaître et à les protéger.

À la même époque, Spinoza affirme: «Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est utile à lui-
même, alors les hommes sont les plus utiles les uns aux autres» (Éthique, IV). Le cartésianisme figure
également parmi les fondements de la philosophie du libéralisme politique. Les initiateurs de la
Réforme partent eux aussi de l’idée selon laquelle chacun dans le monde social doit être construit sur
la base du libre examen et de la responsabilité individuelle.

Spinoza, Locke, Descartes, Milton: la liste des pères fondateurs du libéralisme politique est
assurément plus longue. Bien que leur inspiration philosophique diffère, tous s’accordent sur les traits
caractéristiques de la société libérale. Le premier concerne l’étendue des pouvoirs qui assurent le
fonctionnement de la société. L’État n’a pas le droit de tout faire, et il ne doit jamais entreprendre ce
que d’autres que lui pourraient réaliser à sa place. Ainsi le libéralisme politique se définit d’abord
négativement: il n’est ni un étatisme ni un anarchisme; il refuse pareillement le dépérissement de
l’État et sa déification.

Avec ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Adam Smith achève
la conceptualisation de cette doctrine, contemporaine de la naissance de l’industrie en Angleterre. Selon
lui, toute la richesse vient du travail de l’homme. Et c’est la perception de son intérêt personnel qui
pousse l’homme à l’épargne et au travail. D’où cette conclusion décisive: l’intérêt privé est le moteur de
l’économie.

Tous les pays « développés », et ceux qui cherchent ou que l'on pousse à le devenir, l'appliquent avec
plus ou moins de rigueur depuis une vingtaine d'années. Il suffira ainsi de rappeler ses articles de foi
essentiels. Seul le marché peut apporter une croissance économique forte et stable, à partir de laquelle
l'emploi et donc la prospérité sont promis à tous. L'État doit se mettre au service du marché, renonçant à
toute activité économique directe, se concentrant sur la mise en évidence des « avantages comparatifs »
du pays et facilitant l'accès du capital privé, d'où qu'il vienne, à ces avantages. Toute autre solution est
vaine et fausse, l'histoire du XX siècle l'a prouvé, et il convient de s'en persuader, de quelque horizon
que l'on vienne.

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L'idéologie du marché transcende donc les courants politiques. Le « consensus » devient le mot
fétiche, il faut le promouvoir - au besoin l'imposer par la force - pour qu'advienne le règne du marché.
Autrement dit, le libéralisme se donne le marché pour seul fondement, avec pour alliées naturelles
l’initiative privée et la libre concurrence ; liberté d’entreprise, des échanges, de choix dans les
dépenses comme dans l’épargne et l’investissement.

C’est le socialisme qui oppose les principaux arguments au libéralisme. Proudhon, le premier, lance
l’anathème: «La propriété, c’est le vol.». Par-delà son interprétation de la société capitaliste, Marx
fera de l’appropriation collective des moyens de production le passage obligé vers la société sans
classe, celle où peut seulement prendre fin l’exploitation de l’homme par l’homme.

Cependant, le plus grand défi que le marxisme ait lancé contre le libéralisme réside dans la
distinction, désormais classique, entre les libertés «formelles» et les libertés «réelles». À quoi bon
bénéficier de la liberté formelle, inscrite dans le droit positif, si l’on ne dispose pas des moyens de
l’exercer? Quelle est la liberté des loisirs de celui dont le temps est tout entier absorbé par le travail
quotidien? Que signifie pour un homme d’être libre de se cultiver s’il manque matériellement du
minimum vital? Quelle est la liberté des poules lorsqu’on introduit un renard libre dans le
poulailler libre?

Aujourd’hui, les fondateurs du libéralisme se retrouveraient mal dans l'idéologie du néo-libéralisme.


Ils avaient mis à son fonctionnement des conditions (comme la transparence des marchés, la libre
ouverture à la concurrence) loin d'être respectées. Restent les hypothèses de base, selon lesquelles la
régulation par le marché est la meilleure modalité de gestion de l'économie, et l'optimum de l'intérêt
général la somme des optimums des intérêts particuliers. On est passé de la théorie à la doctrine, en
confondant libéralisme économique et libéralisme politique. Confusion qui permet à l'économie de
prendre le pas sur le politique. Le libéralisme politique est d'une autre essence. Il exprime des
principes comme l'égalité civile des individus, le respect des libertés fondamentales, la primauté du
droit sur la violence.

Le nouveau capitalisme se développe sur des structures qui n'ont plus grand chose à voir avec ce
qu'elles étaient du temps des premiers théoriciens du libéralisme.

La bourse, qui ne produit que des valeurs virtuelles, devient l'arbitre essentiel de la gestion des
entreprises, au détriment de la production de biens ou de service ; les nouvelles technologies ont des
coûts de production marginal infimes par rapport aux investissements. Seules les ventes massives en

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permettent l'amortissement. Et la mondialisation produit des inégalités croissantes. Elle engendre un
type de développement insoutenable qui se traduit par une destruction rapide des ressources de la
terre, à la limite de l'irréversible.

Cette forme du capitalisme vit au rythme de crises de plus en plus graves et fréquentes. Son
implosion apparaît inévitable à une échéance plus ou moins proche.

Libéralisme politique et libéralisme économique ne se confondent pas. À l'origine, le libéralisme


politique recouvre l'ensemble des doctrines et des pratiques qui s'opposent aux monarchies
occidentales. C'est l'invention de la souveraineté populaire. Le pouvoir trouve son origine dans le
peuple, il lui garantit ses droits fondamentaux. Il se régule grâce aux contre-pouvoirs, comme le veut
la tradition institutionnaliste, de Montesquieu à Benjamin Constant. Les deux garantissant la
protection des libertés individuelles.

Le libéralisme politique a des conséquences économiques: par exemple le droit de propriété.


L’économique exige du politique de garantir le fonctionnement de l'économie. Il a aussi des consé-
quences sociales: les conceptions libérales ont appuyé le mouvement de différentiation sociale. Dans
la société médiévale, l'état est conçu comme une famille. Le pouvoir politique familial est soumis à
"ordre religieux, qui lui-même dirige l'économie et la politique. Les sociétés" totalitaires"
fonctionnent un peu de manière analogue.

Dans les sociétés modernes, nous acceptons l'existence d'un pluralisme social. Tout en respectant les
droits civils. Nous ne pouvons accepter qu'une sphère domine les autres. C'est alors l'Etat qui garantit
l'autonomie des pratiques sociales. Il est le gardien des frontières et interdit toute pratique de
domination. Le libéralisme correspondrait alors à la forme d'organisation la mieux adaptée à nos
sociétés différenciées.

Qu'en est-il réellement? Les sociétés libérales ne sont pas fidèles à leur fonction de garant des
indépendances. L’ensemble des logiques se dissout dans une pratique marchande. On part du principe
que le consommateur rationnel devrait accepter le libéralisme. Le service public n'est plus qu'un
garant de l'égalité sociale. Le pouvoir économique supplante le pouvoir politique.

On observe une triple contradiction: la violation de l'autonomie des catégories sociales, la domination
du droit de propriété, la opposition entre le libéralisme économique et le libéralisme politique. On
attend du pouvoir qu'il soit à la fois état-providence et état régulateur. Mais cette exigence ne suffit

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pas. Il doit aussi empêcher tous les excès, avec deux dangers, celui de l'excès de pouvoir et celui de
l'abandon de pouvoir. Il nous faut donc à la fois aider l'Etat, et le contester s'il domine. Et pour cela
renforcer la vigilance civile, tout en veillant à conserver l'autonomie des sphères sociales.

Libéraliser, déréglementer, flexibiliser... Tels sont les maîtres-mots de la nouvelle politique économique,
dont le modèle est britannique. Il faut désormais introduire la concurrence dans tous les domaines, sur la
base des règles du marché : ouverture extérieure, abolition du contrôle des changes, abandon des
subventions, privatisations... Dans l'électricité, le réseau de transport reste unifié, mais la production et la
distribution d'énergie sont réparties entre plusieurs opérateurs privés. Il en est de même du réseau des
chemins de fer, confié à Trailtrack, alors que les différentes lignes sont exploitées par des
concessionnaires.

Même chose pour les télécommunications, le transport aérien ou la santé. La situation déplorable des
services publics britanniques que l'on observe aujourd'hui est bien loin du modèle libéral idéal et de ses
promesses. Il s'est avéré que, dans bien des cas, les privatisations massives des services sociaux ont
davantage servi à remplir les caisses de l'Etat et à transférer au privé, pour des raisons peu avouables, des
activités financièrement juteuses.

La vague libérale ne se limite pas aux pays industrialisés. Sous la houlette du grand gendarme financier
international, le FMI, et sa sœur jumelle, la Banque mondiale, les pays du Tiers Monde sont également
touchés. Les institutions de Bretton Woods* s'engagent alors dans un travail de sape du rôle de la puis-
sance publique, de démantèlement de l'Etat-providence, de démolition des protections sociales... au nom
de la concurrence.

Dès lors, naît l'idée qu'un secteur privé puissant, fonctionnant sans « entraves » étatiques, serait le
fondement de la croissance et du développement. Toujours au nom de la concurrence, on proclame la «
vérité des prix », Y compris le taux de change, c'est-à-dire le prix de la monnaie, ainsi que l'expansion du
commerce international. Partout, les plans d'ajustement structurel de la Banque mondiale s'appuient sur
les facilités du même nom (pas) du FMI, imposant des réformes structurelles draconiennes. Par-dessus
tout, le maître-mot reste « monnaie forte ».

A lire :

Libre échange: L'une des trois libertés revendiquées par les libéraux, à côté de la liberté d'entreprise et
de la liberté d'emploi. Le libre-échange conduit théoriquement à la spécialisation de chaque pays en
fonction de ses avantages comparatifs et donc à une division internationale du travail.

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Lula. C'est dans un contexte latino-américain en plein bouleversement que le nouveau président du
Brésil, ancien dirigeant syndical, chef du Parti des travailleurs, élu en octobre 2002, vient d’assumer ses
fonctions. Pour la première fois, un pays de 170 millions d'habitants est gouverné par un leader issu de la
gauche radicale qui rejette la mondialisation libérale. C'est un événement de première grandeur. Dans un
environnement fort différent, il rappelle ce que signifia, en 1970, l'élection à la présidence du Chili du
socialiste Salvador Allende...

Certes, le modèle neolibéral était déjà remis en cause par le sous-commandant Marcos, par l'expérience
d'Hugo Chavez au Venezuela dans une certaine mesure, de même que par la situation de l'Argentine
après la crise. Nous savions que ce cycle était en voie d'extinction, ou tout moins que, arrivé en fin de
course, il ne pouvait se poursuivre. Or l'élection de Lula revêt une valeur symbolique dans la mesure où
elle met en place une troisième solution. La première solution avait été la réponse militaire, les
dictatures, la politique de sécurité nationale pour l'Amérique Latine. La deuxième solution a été apportée
par les régimes démocratiques, mais avec des politiques néo-libérales. Pour la première fois, depuis la
chute de Salvador Allende au Chili en 1973, il est possible qu'avec Lula démarre un cycle où le souci de
redistribution de la richesse et de constitution de sociétés plus homogènes -bien que ce mot soit quelque
peu galvaudé-; la perspective de reconstruire un Etat de Bien-être peut désormais être envisagée.

Lula intronisé porte-drapeau des mouvements sociaux et des gauches latino-américaines d'un continent
qui chérit ses héros libérateurs et se plait à croire à la loi des séries: sous la coupe de dictatures dans les
années 70, libéré dans les années 80, repris par la tyrannie du libre-échangisme dans les années 90, rendu
aux peuples dans les années 2000? Possible. Le 24 novembre 2002, confirmation de la tendance, c'est
Lucio Gutiérrez, colonel de gauche, qui remporte largement la course à la présidence de l'Équateur. «
Lucio Gutiérrez, le candidat des Indiens - 40 % des 12 millions d'habitants -, et du peuple des « sans-
chemise », dans ce pays où 80 % de la population vit dans la pauvreté. Brasilia-Caracas-Quito-Cuba,
Lula-Châvez-Gutierrez-Castro, quatre dirigeants qui se connaissent bien et s'apprécient: à travers cette
poussée historique de la gauche sur le continent, certains discernent déjà une nouvelle géopolitique à
l'œuvre en Amérique latine.

Des analystes proches de la Maison-Blanche préfèrent traduire l'avènement de Lula comme un


ralliement du Brésil à « l'axe du mal », terminologie bushienne qui désigne les pays hostiles aux intérêts
des États-Unis. Au-delà de son outrance, le propos traduit bien le souci d'une administration étasunienne,
qui pourrait avoir du fil à retordre avec son « arrière-cour» latino dans les années à venir.

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Personne n'imagine cependant un retour de révolutions populaires. L’Equatorien Lucio Gutierrez
appelle à la formation d'un large gouvernement d'union nationale, et n'envisage pas de rompre avec le
FMI ni avec l'indexation de l'économie sur le dollar. Lula, et il semble avoir convaincu, a rangé au
placard ses discours enflammés contre les oppresseurs. Même s'il n'a pas renié ses idéaux sociaux, son
credo n'est plus le refus de payer la dette extérieure et la mise à bas du capitalisme, qu'il désire réformer
et humaniser, mais relancer la croissance prioritairement au profit des masses oubliées, mieux distribuer
les richesses.»

Il est évident que le nouveau président connaît ses limites. Avant son élection, il avait envoyé des signes
vers le FMI et les milieux d’affaires brésiliens, assurant que le Brésil ferait face à ses engagements et
qu’il n’y aurait pas de nationalisations massives de type communiste. Seulement, et même si sa nécessité
apparaît évidente, réaliser la réforme agraire implique d'affronter ce qu'il y a de plus arriéré dans le
système social brésilien. Une nouvelle option agricole aura des répercussions sur les intérêts de l'élite
brésilienne associée aux entreprises étrangères, une tradition depuis la période coloniale. Elle implique
de peser sur la politique d'exportation, de contrarier les intérêts des multinationales et des promoteurs
des semences génétiquement modifiées, de contrôler le territoire amazonien, de revoir les accords
internationaux sur les brevets. De plus, il s'agit de suspendre immédiatement les négociations pour
l'implantation de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), qui propose des clauses étouffant
toute possibilité pour le pays de développer une politique alimentaire autonome.
Doté d'une technologie très développé dans plusieurs secteurs, il abrite quelques-unes des plus grandes
fortunes du monde et certaines des entreprises les plus importantes. À l'évidence, le but à atteindre
maintenant pour le Brésil est de bâtir une société plus juste, comme, en fin de compte, l'Uruguay et
l'Argentine l'ont fait en leur temps.

McDonald’s « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ». S’il faut croire
Brillat-Savarin, nous galopons vers la catastrophe : McDonald’s anticipe sur un futur qui déborde la
question même de l'alimentation. Sa modernité se caractérise par un processus d'homogénéisation, qui
concerne le produit lui-même, les matières premières, son mode de fabrication, de commercialisation et
de consommation. Cela s'étend à ses formes de gestion, de ses fournisseurs, de salariés et même à sa
clientèle. Le "système McDo » est consigné dans près de 25 000 manuels ou fiches techniques qui
s'imposent à l'échelle mondiale.

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La table identique d'un bout à l'autre de la planète est cohérente avec le village planétaire qu’on nous
promet. Comment l'alimentation pourrait-elle échapper à cette mondialisation? Que l'on ne s'y trompe
pas: McDo est plus éloigné de la cuisine de nos grands-mères que ne l'était l'alimentation la plus
exotique qui soit. Le hamburger nous est véritablement plus étranger qu'un plat de serpent. L'homme
mondialisé ne s'en rend déjà plus compte. Ce communisme alimentaire à la Ubu est très inquiétant
puisqu'on ne mange jamais impunément n’importe quoi.

Ses menus reposent sur la torture et la mort de millions d'animaux. Ceux-ci sont le produit d'un élevage
intensif, donc n'ont accès ni au grand air, ni à la lumière du jour et ne peuvent circuler librement. Dans le
célèbre procès McLibel, le juge considéra que McDonald's "est volontairement responsable de pratiques
cruelles dans l'élevage et l'abattage des animaux qui lui servent à produire de la nourriture." Lors du
procès, le fournisseur de McDonald's en Grande Bretagne admit qu'"en conséquence de l'industrie
d'abattage, la souffrance des animaux est inévitable."

Ainsi McDonald's poursuit sa conquête du monde avec 15 700 restaurants implantés dans 83 pays et
servant 30 millions de repas par jour. Une nouvelle unité ouvre toutes les sept heures. L'Europe
n'échappe pas bien sûr à cette invasion puisque seuls trois petits pays résistent encore (Albanie, Bulgarie,
Roumanie). La France ne fait pas exception ; avec 353 unités et un chiffre d'affaires de 5,7 milliards de
francs.

Jusqu’à la fin des années 70, ce géant américain du hamburger ne croyait pas à ses chances de
s’implanter dans la patrie de la grande cuisine et du jambon-beurre. Il avait confié sa licence à un
franchisé du pays, chargé de développer l’activité à son compte. En 1980, celui-ci n’avait réussi à faire
décoller l’enseigne. Un an plus tard, McDonald’s comprend son erreur, retire sa licence et reprend
l’exploitation en direct, créant un filiale : la chaîne est aujourd’hui la première en France, avec quelques
800 restaurants dans 470 villes, qui réalisent un chiffre d’affaires de 1, 05 milliards d’euro et servent
plus d’un million de repas par jour. En juillet 1997, le grand rival, Burger King, arrivé lui aussi en 1980,
jeté l’éponge et ferme tous ses établissements en France.

McDonald’s est la plus grande fortune immobilière du monde et dépense chaque année plus de 10
milliards de francs en publicité afin de faire croire que Ronald aime les enfants. Il est écrit dans le guide
officiel et confidentiel de la compagnie: "Ronald adore McDonald's et la nourriture McDonald's. Et il
en est de même des enfants puisqu'ils adorent Ronald. Gardez en mémoire que les enfants exercent une
influence phénoménale quant au choix des restaurants, ce qui signifie que vous devrez faire tout votre
possible pour que les enfants aiment Ronald et McDonald's."

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A quoi ressemblera l’homme qui sortira de ses milliers d'équations culinaires? La McDonalisation du
monde est préoccupante car elle crée un cosmopolitisme alimentaire qui se donne comme universel.
McDonald's n'est pas plus américain que chinois ou français. Il a bricolé pour la première fois dans
l'histoire de l'humanité un produit alimentaire infraculturel, car la culture est précisément ce qui
différencie les hommes et freine donc l'homogénéisation des mangeurs. On mangera demain partout la
même chose, de la même façon, avec le même regard. Cette mutation est néfaste, car elle engendre de
nouveaux standards alimentaires qui sapent peu à peu les fondements de toutes nos cultures culinaires
traditionnelles.

Selon un rapport récent du Fonds Mondial pour la Nature (WWF), depuis 1970 notre planète a perdu
30% de ses richesses naturelles du fait de la surconsommation des pays industrialisés occidentaux. Et
cela ne fait que s'aggraver. Cette surconsommation est provoquée et encouragée par les grandes
compagnies telles que McDonald's, qui est une multinationale représentant plus de 150 milliards de
francs par an. Alors que des millions de gens meurent de faim, de vastes régions du Tiers-Monde sont
utilisées pour l'élevage du bétail ainsi que pour la culture du grain destiné à l'engraisser avant qu'il ne
soit mangé en Occident. Il faut 7 millions de tonnes de céréales pour ne produire qu'un million de tonnes
de viande. Il faut environ 10 kilos de protéines végétales pour produire 1 kilo de protéines animales sous
forme de viande de bœuf, dont McDonald's est, au niveau mondial, le plus grand consommateur. Un
tiers des récoltes mondiales de céréales est destiné au bétail, d'où un gâchis de ressources alimentaires
considérable.
De plus, les petits paysans du Tiers Monde sont expropriés par les milices des multinationales et les
forces gouvernementales, la logique ultralibérale passant avant la sécurité alimentaire des populations
locales. Ainsi, les populations indigènes crèvent de faim alors que leurs propres terres sont exploitées par
les grosses entreprises capitalistes.

Les sociétés multinationales détruisent les forêts à une vitesse effrayante. Lors du procès cité,
McDonald's a été forcé d'admettre qu'il utilisait du bétail élevé sur des terres qui faisaient parti de la forêt
tropicale, empêchant ainsi la régénération de la forêt. Cette pratique est une cause majeure de la
déforestation. Depuis 1960, l'équivalent de la superficie de l'Espagne a été déboisée dans la forêt
amazonienne, McDonald's, parmi d'autres, a donc une grande part de responsabilité dans ce désastre
pour notre environnement. De plus, en utilisant des terres agricoles du Tiers-Monde à grande échelle,
l'élevage intensif du bétail oblige les populations locales à s'installer dans d'autres régions.
Le bétail élevé sur cette planète consomme 3600 milliards de mètres cubes d'eau par an alors que 15
millions de personnes meurent par manque d'eau dans le même temps. Rappelons que le problème de la

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raréfaction de l'eau potable constitue déjà un grave problème écologique.
Les 21000 fast-foods McDonald's dans le monde produisent à eux seuls 1 million de tonnes de déchets
d'emballages par an qui n'auront servi guère plus de 5 minutes avant de finir dans les décharges. De
nombreux produits chimiques polluants interviennent dans la fabrication de ces emballages. Ceux-ci sont
souvent en carton, donc un autre source de déforestation, et ne sont que très rarement recyclés. Le
bulletin d'information local de mai 95 des magasins McDonald's en Angleterre rappelle que ces
emballages » pourront être aperçus dans les rues tant que les gens continueront à jeter leurs détritus",
sous-entendu feront de la publicité à McDonald's!

A lire : Paul Ariès, Les fils de McDo. L’Harmattan

Marcos Derrière sa pipe et sous sa cagoule devenus légendaires, l'identité du sous-commandant Marcos
demeure incertaine. D’après le gouvernement mexicain, il s’agirait de Rafael Guillén. Né à Tampico de
parents dirigeant une chaîne de magasins de meubles, 1m75, cheveux châtain foncés, les yeux brun clair,
ce qu’il est difficile à vérifier, car lui et ses compagnons Indiens portent toujours un passe-montagnes…
pour qu’enfin on les découvre ! Il aurait été professeur de théorie des arts plastiques à l’Université de
Mexico. En revanche, lui se définit avec précision : « Gay à San Francisco, noir en Afrique du Sud,
asiatique en Europe, anarchiste en Espagne, Palestinien en Israêl, Indigène dans les rues de San
Cristóbal… »

Ce nouvel héros politico-romantique a fait spectaculairement irruption sur la scène mexicaine le 1er
janvier 1994 quand tous les politologues d'Amérique latine considéraient que l'ère des guérillas était
finie et que la voie des armes ne conduisait plus qu'à une impasse. Ce chef zapatiste a rappelé aux
dirigeants latino-américains que les laissés-pour-compte de l'ultralibéralisme - « les sans visage, ceux
qui marchent la nuit, ceux qui sont la montagne, les hommes et les femmes vrais » - et, en particulier, les
Indiens, vivaient dans une telle humiliation sociale que leur révolte pouvait secouer toute l'Amérique
latine. Depuis une bonne quinzaine d’années il demeure assiégé au Chiapas, mais, à son tour, il assiège
le système politique mexicain. Rien n'est plus comme avant depuis l'irruption du zapatisme* comme
miroir restituant l'image du Mexique réellement existant, tel que le néo-libéralisme enfin le révèle.
Marcos pense que, à côté des partis politiques et des syndicats, la société civile et le mouvement social
sont devenus de nouveaux acteurs sociaux, porteurs de capacités plus efficaces de changement. il part
d'un constat: le système politique actuel brouille les identités de classe, ce qui, en contrepartie, permet
l'épanouissement du citoyen, de la société civile et du mouvement social. Celui-ci n'appartient pas à un

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courant politique prédéterminé. Ce n'est pas comme l'ancien mouvement ouvrier, qui, selon les
léninistes ou les trotskistes, "appartenait" presque naturellement au Parti communiste. A côté des partis
politiques et des syndicats, société civile et mouvement social constituent, selon Marcos, les plus
puissants acteurs du changement contemporain - pour peu qu'ils restent fidèles aux valeurs de gauche -
parce que, dépourvus de dogmatisme, ils peuvent mobiliser en leur faveur les forces de la conviction et
de la raison.

A lire : Yvon Le Bot. Entretiens avec le sous-commandant Marcos. Le Seuil, Paris.


Ignacio Ramonet. Marcos, la liberté rebelle.
Documentaire : Carmen Castillo. La véridique histoire du sous-commandant Marcos. Vidéo-couleur.

Medias Dans le champ des médias, l'irruption d'Internet et la révolution numérique ont provoqué un
traumatisme inédit. La convergence technologique câble-téléphone-informatique a entraîné depuis un
peu plus d'un an une vague d'alliances stratégiques entre partenaires venant de secteurs différents.
Attirés par des ambitions de pouvoir et des perspectives de gains faciles, des mastodontes industriels
venus de l'électricité, de l'informatique, de l'armement, du bâtiment, du téléphone ou de l'eau se sont rués
sur le secteur de l'information. Ils ont rapidement édifié de gigantesques empires. Et piétiné au passage
quelques valeurs fondamentales : en premier lieu, le souci d'une information de qualité.

A travers le monde, des conglomérats géants font main basse sur les médias, car les évaluations et
capitaux propres à chaque entreprise ne suffisent pas pour créer et mettre en marché les nouveautés
technologiques pour la mise en place des diverses autoroutes de l'information. Plusieurs aspects de ces
marchés présentent encore beaucoup d'incertitude (vitesse de pénétration des ordinateurs, des décodeurs
et des soucoupes de satellites, popularité des nouveaux services informationnels ou de divertissement), et
les risques financiers sont très grands. Il vaut donc mieux les partager.
De plus, les entreprises dont la vocation se limitait à gérer des réseaux de communication, nommément
les câblodistributeurs et les telcos, veulent développer des contenus adaptés aux nouvelles technologies.
Ils cherchent ainsi à accroître l'utilisation de leurs infrastructures techniques qui nécessitent d'importants
investissements et à maximiser leur part de marché dans la guerre que vont se livrer les divers vecteurs
de distribution: téléphonie, câblodistribution, satellite et câble sans fil.
Plusieurs analystes prétendent d'ailleurs que les profits seront plus élevés dans l'information et le
divertissement que dans la distribution. Aux Etats-Unis, où les règles anticoncentration dans
l'audiovisuel ont été abolies en février 2002, America Online a racheté Netscape, le magazine Time, la

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société Warner Bros et la chaîne d'informations CNN ; General Electric, première entreprise
mondiale par sa capitalisation boursière, s'est emparée du réseau NBC ; la firme Microsoft de M. Bill
Gates règne sur le marché des logiciels, veut conquérir celui des jeux vidéo avec sa console X-Box et,
par le biais de son agence Corbis, domine le marché de la photo de presse ; la News Corporation de
M. Rupert Murdoch a pris le contrôle de certains journaux britanniques et américains les plus diffusés
(The Times, The Sun, The New York Post), possède un réseau de télévision par satellite (BskyB), une des
chaînes des Etats-Unis (Fox), ainsi qu'une des principales firmes de production de films (20thCentury
Fox)...

Les entreprises européennes venant de divers horizons créent elles aussi des consortiums dans le
domaine de l'audiovisuel. Ceux-ci ont la particularité d'être transnationaux et de survenir au moment où
la concurrence pénètre le domaine des télécommunications.

Le groupe allemand Bertelsmann, premier éditeur mondial, a acquis RTL Group et contrôle désormais,
en France, la radio RTL et la chaîne M6 ; M. Silvio Berlusconi possède les trois principales chaînes
privées d'Italie et maîtrise, en tant que président du conseil, l'ensemble des chaînes publiques ; en
Espagne, la firme Prisa contrôle le quotidien El País, le réseau SER de radios, la chaîne cryptée Canal+
et un pôle de maisons d'édition...

En France, la crise du marché publicitaire, la baisse des ventes des quotidiens et l'arrivée des journaux
gratuits incitent au regroupement des titres de la presse, favorisant l'entrée d'industriels dans le capital de
sociétés de presse en difficulté. Dans ce contexte, le démantèlement de Vivendi Universal Publishing
(VUP) a provoqué un bouleversement radical. Le groupe Dassault, présidé par M. Serge Dassault,
homme de droite élu maire avec les voix du Front national, qui contrôle déjà Le Figaro et de nombreux
journaux régionaux, a pu ainsi acquérir l'hebdomadaire L'Express, le magazine L'Expansion et quatorze
autres titres, devenant, via la firme Socpresse, le premier groupe de presse.

De plus, le groupe Lagardère, premier éditeur de France (Hachette, Fayard, Grasset, Stock...), qui
possède déjà des journaux régionaux (Nice-Matin, La Provence), domine la presse magazine (Paris
Match, Elle, Télé 7 Jours, Pariscope...) et contrôle la distribution des journaux via les kiosques Relay et
les Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), a racheté le pôle édition de VUP (Larousse,
Robert Laffont, Bordas...), devenant l'un des géants européens de la communication et ne cachant plus
son ambition d'avaler soit Canal +, soit la chaîne publique France 2...

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Ces deux groupes - Dassault et Lagardère - ont en commun l'inquiétante particularité de s'être
constitués autour d'une firme centrale dont l'activité est militaire (avions de chasse, hélicoptères,
missiles, fusées, satellites...). La vieille crainte s'est donc réalisée : certains des plus grands médias sont
désormais aux mains de marchands de canons... A l'heure des tensions avec l'Irak, on peut supposer que
ces médias ne s'opposeront pas avec la dernière énergie à une intervention militaire contre Bagdad...

Les appétits carnassiers des nouveaux empereurs de la communication poussent d'autres publications à
rechercher une taille critique afin d'échapper à une prise de contrôle. Par exemple, le groupe Le Monde 4
s'est récemment rapproché des Publications de la Vie catholique (Télérama, La Vie), dont il a acquis
30 % du capital, ainsi que de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, et envisage de placer une partie de
son capital en Bourse.

Toutes ces concentrations menacent le pluralisme de la presse. Et la démocratie. Elles conduisent à


privilégier la rentabilité. Et à placer aux postes de commande des gestionnaires dont le souci est de
répondre aux exigences des fonds d'investissement qui détiennent une part du capital. Ces « fonds
tablent sur des taux de retour sur investissement compris entre 20 % et 50 % selon le niveau de risque
des actifs, la presse étant considérée comme un secteur plutôt risqué » ; et ils n'hésitent pas à exiger
« des dégraissages de personnels »...

La ronde des fusions, achats et alliances ne fait que commencer. La prochaine étape est probablement
l'accentuation de son internationalisation. Déjà, dans le domaine des télécom, de nombreuses co-
entreprises impliquant des européens et des américains sont nées avec pour mission de profiter de
l'ouverture des marchés de la téléphonie tant aux États-Unis qu'à l'intérieur de la Communauté
européenne,ou de l'ex-U.R.S.S. qu'en Amérique latine et en Asie.

L'un des droits les plus précieux de l'être humain est celui de communiquer librement ses pensées et ses
opinions. Dans les sociétés démocratiques, la liberté de parole est non seulement garantie, mais elle
s'accompagne d'un autre droit fondamental : celui d'être bien informé. Or ce droit est mis en péril par la
concentration des médias, par la fusion de journaux naguère indépendants au sein de groupes devenus
hégémoniques. Les citoyens doivent-ils tolérer ce détournement de la liberté de la presse ? Peuvent-ils
accepter que l'information en soit réduite à n'être qu'une simple marchandise ?
4
Ce groupe détient 51 % du capital du Monde diplomatique SA ; il contrôle par ailleurs, en plus du quotidien Le Monde, les
magazines Courrier international, Cahiers du cinéma et le quotidien régional Midi libre.

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A Lire : Ignacio Ramonet. La Tyrannie de la communication, Folio Actuel, n° 92, Paris, 2001.

Stratégies, Paris, 30 novembre 2001.

Media watch global A la fin janvier 2003, Porto Alegre est la ville de tous les forums. La capitale de
l'Etat de Rio Grande do Sul (Brésil) accueille pour la troisième fois le Forum social mondial (FSM) du
23 au 28. Près de 5000 organisations de 121 pays, représentées par 30000 délégués, participaient à ses
travaux dans des dizaines de conférences, panels, témoignages et tables de dialogue et de controverses,
ainsi que dans plus de 1 500 ateliers et séminaires.

Le Monde diplomatique et plusieurs de ses éditions étrangères sont présents. Ignacio Ramonet donne une
conférence sur le rôle des médias. Bernard Cassen anime une table ronde sur le thème «Globalisation,
information et communication ». Déjà, conjointement avec l'agence de presse coopérative International
Press Service (IPS), Le Monde diplomatique et son édition brésilienne avaient créé un site journalistique
indépendant (http://www.portoalegre2003.net) qui diffÉtats-Unisit des informations, des analyses et
contributions de nombreuses personnalités sur les thèmes qui étaient en débat au FSM 2003.

Par ailleurs, le 27 janvier, ce journal participe au lancement public de l'association internationale Media
Watch Global (Observatoire international des médias) proposée par Ignacio Ramonet au FSM de janvier
2002, et que certains observateurs qualifient déjà d'«Attac internationale des médias »... Cette initiative
entend répondre à la préoccupation des citoyens de tous les pays et leur donner des moyens de réagir
face à la puissance des firmes géantes de la communication, vecteurs idéologiques et bénéficiaires
économiques de la mondialisation libérale.
A l'ère d'Internet, la surabondance d'informations se traduit par une augmentation exponentielle des
manipulations, des bidonnages, des mensonges et des campagnes d'intoxication. Dès lors, une
décontamination, une dépollution des médias deviennent indispensables par l'élaboration de ce que l'on
pourrait appeler une « écologie de l'information».
De nombreux médias fondent leur propre liberté sur la liberté d'entreprise, considérée comme la
première des libertés. Mais la liberté d'entreprise peut-elle servir de prétexte à la diffusion de fausses
nouvelles, de contrevérités ou de diffamations? La liberté des médias implique une responsabilité sociale
et doit s'exercer sans mépriser la société.
Naguère «quatrième pouvoir» qui, au sein des démocraties, s'opposait aux abus des trois autres
(législatif, exécutif, judiciaire), la presse et, par extension, les grands médias sont devenus l'un des
principaux pouvoirs dans nos sociétés d'opinion et d'information: ils cumulent en effet puissance
économique et hégémonie idéologique. A leur tour, maintenant, et faute de contre-pouvoir, ils

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oppriment. Il est donc indispensable d'inventer un «cinquième pouvoir» pour protéger la société
contre leurs abus, défendre l'information comme bien public et revendiquer le droit de savoir des
citoyens.
Dans chacun des observatoires nationaux des médias qu'elle contribuera à mettre en place, Media Watch
Global se propose de contribuer à la construction de ce « cinquième pouvoir». Sa force sera avant tout
morale: elle prononcera des admonestations éthiques; elle sanctionnera les manquements à l'honnêteté
professionnelle au moyen de rapports et d'études qu'elle publiera et diffusera très largement.
L'information ne pouvant être uniquement garantie par des organisations réunissant seulement des
journalistes, ces observatoires rassembleront statutairement trois types de membres fondateurs: 1) des
journalistes professionnels - de la presse traditionnelle ou alternative -, actifs ou retraités, de tous les
médias (écrit, son, image, Internet) ; 2) des universitaires et des chercheurs de toutes disciplines, et en
particulier des spécialistes des médias, de l'information et de la communication; 3) des« consommateurs
» de médias : personnes morales (associations de lecteurs, auditeurs et téléspectateurs) et personnes
physiques: intellectuels, créateurs et, d'une manière générale, personnalités connues pour leur stature
morale. Chaque citoyen intéressé sera invité à devenir membre actif, dans tous les sens du terme, des
différents observatoires nationaux ainsi créés.

A lire : Ignacio Ramonet : La tyrannie de la communication (1997); Propagandes silencieuses (2000) Galilée éditeur.
La communication, victime des marchants, La Découverte, 1989, et Nouveaux pouvoirs, nouveau maîtres du monde,
Montreal, Fides, 1996.

Monde diplomatique, Le

On peut dire que ce journal représente un îlot de résistance face au rouleau compresseur néo-libéral.
Nous le qualifierions volontiers « d'outil intellectuel de masse» .
Car il n'existe pas à notre connaissance d'outil capable de décrypter les grands enjeux du monde
contemporain, d'en éclairer les soubassements, un outil qui ne cède ni aux chants des sirènes de la soi-
disant modernité, ni à la facilité de la simplification, et qui s'adresse à notre intelligence et non pas à nos
émotions.
Le Monde diplomatique a su produire au moment des grands rendez-vous que nous a fixé l'histoire ces
dernières années, des analyses à contre-courant de la pensée dominante: que ce soit dans la mise en
lumière des rapports Nord-Sud, au moment de l'émergence puis du déferlement de la contrerévolution
néo-libérale ; ou encore au moment de la guerre du Golfe. Durant les mouvements sociaux de l'hiver 95,
sans parler de la mise en évidence du rôle central tenu par les médias dans le grand mécano néo-libéral,
ou bien encore au moment de la guerre en ex-Yougoslavie, sans oublier bien entendu le conflit israelo-

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palestinen et les conséquences de l'après 11 septembre, le Monde diplomatique nous a apporté, non
pas un prêt à penser, mais des éléments pour stimuler notre propre réflexion et déterminer nos
engagements.
Ce journal, vous le savez, est à l'origine d'Attac, Il est aussi à l'origine du Forum Social Mondial de Porto
Alegre et des autres forums sociaux qui sont nés dans le sillage de ce Forum.
Là aussi, on peut dire sans risque de se tromper qu'aucun journal dans l'histoire n'a été à la fois
producteur d'idées et créateur de mouvements sociaux.
Cette année ce célèbre le cinquantième anniversaire de sa fondation. C’était en 1954. Hubert Beuve-
Merry, alors directeur du journal « Le Monde » décide d’offrir

Mondialisation Bien que le phénomène soit récent, ses racines plongent dans l’ancienneté. Le célèbre
« Eloge de Rome », du rhéteur Aelius Aristide, énumère les peuples que participent au bien-être de la
métropole. Y figurent les Indiens, les habitants de l’Arabie Heureuse (Yémen), Babylone, qui
n’appartient pas à l’empire, au même titre que l’Egypte, la Sicile ou l’Afrique : « Vous ne régnez pas à
l'intérieur de limites déterminées et personne ne vous a prescrit jusqu'où devait s'étendre votre
domination. La mer s'étend comme une ceinture au milieu du monde habité, ainsi qu'au milieu de votre
empire. Tout autour, sur d'immenses espaces, s'étendent les continents, et ils vous rassasient toujours de
leurs productions. C'est véritablement à vous que s'applique ce que dit Hésiode des parties extérieures
de l'Océan où tout conflue en un même commencement "et une même fin, car c'est vers vous que tout
converge: c'est là que se rencontrent commerce, navigation, agriculture, travail du métal, tous les
métiers qui existent ou qui ont existé, tout ce qui se fabrique et tout ce qui pousse. On peut dire que ce
que l'on n'a jamais vu ici n'existe pas ou n'a jamais existé. En conséquence, il est difficile de répondre à
la question de savoir si la Ville l'emporte sur toutes les villes qui existent, ou si c'est votre empire qui
l'emporte sur tous les empires qui ont existé. »
On voit bien que la nouveauté du mot ne doit pas occulter le fait qu'il pourrait parfaitement décrire une
situation bien antérieure, celle du monde entre la moitié du XVIIIe siècle et la guerre de 1914. Sans
parler même des entreprises d'ouverture et d'unification - tant économiques que culturelles - qu'ef-
fectuèrent à leur profit l'Empire romain ou l'Espagne de Charles Quint.

Mais la concentration ancienne ne profitait pas spécialement à Rome ni à l'Italie, dont les marchandises
souffraient de la concurrence des provinces lointaines ; Rome ne protégeait pas sa production, et ne
faisait rien pour l'imposer au-dehors. S'il y avait unification, c'était sans doute dans le domaine de la

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langue, du droit, et de la vie religieuse qu'on en trouve les meilleurs indices.
Dès la fin du XVIII siècle, à l'aube de la révolution industrielle, s'accélère, sur les bases édifiées à
l'époque moderne, le processus de concentration. Le XIX siècle en sera le premier âge d'or et le cœur,
l'Europe occidentale. Car depuis que l'Europe a découvert le monde, elle n'a cessé de vouloir l'unifier à
son profit. Cette mondialisation se traduit par le fait que, désormais, tout se fabrique, se transforme,
s'échange sur un marché mondial où les distances sont raccourcies par la révolution des transports
matériels et immatériels qui s'effectue du milieu du XIX siècle aux années 1900 : du chemin de fer au
téléphone, du navire à vapeur au télégraphe, de l'automobile à la presse.
La planète n'a plus de secrets pour les Européens et la colonisation - dite « partage du monde »- qui a eu
lieu entre 1880 et 1914 ouvre à la domination des nations d'Europe l'ensemble des continents. C'est aussi
la mort du protectionnisme, hérité du vieux mercantilisme ; le temps des décloisonnements massifs avec
le désarmement douanier généralisé - traités bilatéraux entre tous les pays d'Europe, conclus sous
impulsion britannique entre 1850 et 1870 -, tandis que circulent marchandises, capitaux, culture,
information et hommes (on en compte 100 millions de migrants à la fin du, XlX"siècle). Dès lors, le
commerce extérieur des métropoles européennes explose : 2,5 milliards de francs pour la France en 1847
et 15 milliards en 1913 ; de 13 à 35 milliards pour l’Angleterre entre 1870 et 1870 et 1914 ; de 5 à 25
milliards pour l’Allemagne aux mêmes dates. Comme l’écrit l’économiste anglais Keynes,
« l’internationalisation de la vie économique était alors à peu près complète. »

Engagés dans la Seconde guerre mondiale dès l'été 1941, les États-Unis songent à réaliser le rêve de leur
président Franklin D. Roosevelt et celui de Wilson en 1917: démocratie et libre-échange pour tous et
forum des nations pour maintenir la paix pour un nouveau régime d'accumulation capitaliste dominé par
le secteur de la finance, et grâce à une libéralisation et une déréglementation des échanges, des
investissements directs et des flux financiers.

Il se sentent en mesure de le faire : la puissance américaine est incomparablement plus tangible, et les
dirigeants américains comme leur peuple plus enclins à accepter un rôle qu’ils avaient refusé en 1920.

Mais peut-on rêver d'une mondialisation dont profitent les pauvres et les exclus, d'une mondialisation
qui réduise les incertitudes et multiplie les opportunités pour tous, d'une mondialisation équitable ?

Peu importe. Il fallait résoudre les seules inconnues de cette équation. D'abord l'URSS, mais Roosevelt
ne la croit pas hostile à une insertion dans le marché mondial et à une participation à la sécurité
collective ; et ensuite l'Europe, dont les États-Unis espèrent qu'elle émancipera ses colonies.

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C'est ce qui va inspirer le président américain, puis son successeur, Harry Truman, dans la mise en
place de l'Organisation des Nations unies lors de la conférence de San Francisco le 26 juin 1945. Truman
déclare à cette occasion que, grâce à la charte des Nations unies, « le monde entier peut commencer à
entrevoir le moment où tous les êtres humains pourront vivre une vie décente d’hommes libres. Car
l’ONU ce ne serait pas la sécurité collective et le maintient de la paix, ce serait aussi, comme
l’annoncent le préambule et l’article 1 de la charte, la naissance d’une coopération internationale visant à
assurer les libertés politique et économique sur l’ensemble de la planète.

Pour y parvenir, il convenait de mettre en place des organes de régulation permettant de recréer un
marché mondial unique. A la suite de la conférence de Bretton Woods de juillet 1944 naissent donc en
mars 1947 le FMI (Fonds monétaire international siégeant à Washington), et surtout, en octobre 1947, le
GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

Le premier renoue avec la pratique du Gold Exchange Standard déjà expérimentée dans les années
1920 : est restaurée la libre convertibilité de toutes les monnaies entre elles et avec le dollar, monnaie de
référence convertible en or sur la base de 35 dollars l'once. Le FMI prévoit des parités fixes entre les
monnaies dans une fourchette de plus ou moins 1 %. Son accord est nécessaire en cas de dévaluation.
Une caisse commune, alimentée par les cotisations des membres, doit aider ceux qui auraient besoin de
devises pour équilibrer leur balance des paiements.

Sur cette base peuvent se développer les échanges selon les modalités prévues par le GATT : baisse des
droits de douane et d’obstacles non tarifaires. Les principes qui les régissent sont la réciprocité, la
généralisation de la clause de la nation la plus favorisée, et l’interdiction des pratiques déloyales comme
le dumping ( la vente de marchandises à un prix inférieur à leur prix de revient).

C’est dans les années 1990 que la mondialisation a pris une signification plurielle pour rendre compte
d'une situation qui évoluait avec une rapidité exceptionnelle. L'effondrement du communisme, la
conversion de la Chine à une économie plus ouverte ont unifié le marché mondial en effaçant la sphère
de l'économie autarcique née en 1917 avec l'URSS. Ces événements ont clôturé, au bénéfice du
libéralisme, l'évolution constatée au début des années 1980. .

Aujourd'hui, la mondialisation est assimilée à la prééminence des Etats-unis, et le terme mondialisation,


traduction française de celui de « globalization» employé par les américains au début des années 1980,
marque à la fois la victoire du libéralisme sur le communisme et le profit qu'il tire de cette victoire,
( accès au rang d’hyperpuissance, orchestrant et dominant le village planétaire). C'est ainsi que la
mondialisation est désormais souvent entendue comme l'américanisation du monde

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Présenté comme un phénomène inévitable, d'ordre quasi naturel, il déferle sur nos sociétés comme
une forte pluie dont on peut attendre à la fois des effets fertilisateurs et quelques dégâts matériels. Grâce
à l’essor des technologies, il permet aux marchés financiers du monde entier d'être en relation
permanente et ainsi d'accroître leur pouvoir. Au point, aujourd'hui, d'avoir pris beaucoup de pouvoirs
aux Etats eux-mêmes.

Mais le rêve américain n’est pas placide pour tout le monde. Depuis la fin de la convertibilité en
or du dollar, décidée par le président américain Richard Nixon en 1971, et de la libéralisation
généralisée des mouvements de capitaux - aux Etats-Unis en 1974, dans l'ensemble de la
Communauté européenne à partir de 1990 -, le monde vit dans une totale instabilité monétaire.
Une économie financière purement spéculative s'est développée, de plus en plus dissociée -
quand elle n'en est pas ennemie - de l'économie réelle et d'une véritable culture industrielle.
L'objectif de la rentabilité à court terme provoque, ici, des crises de surproduction (industrie
automobile, électronique, informatique, acier), là des pénuries (logement, éducation,
alimentation) et, dans maints autres secteurs, des chutes de productivité (céréales de base,
systèmes informatiques, etc.) Sous prétexte de mettre en valeur « la bonne ressource, venue du
bon endroit, pour le bon produit, sur le bon marché et au bon moment pour le bon
consommateur », l’homogénéisation des structures de production permet aux grands réseaux de
firmes multinationales d'exploiter, à l'échelle planétaire, les petites et moyennes entreprises de
manière intensive et au moindre coût. Ces PME, confinées dans un rôle de sous-traitants de plus
en plus fragilisés, sont tenues pour de simples centres de profit au service des grandes
corporations. La situation devient encore plus intenable pour les PME elles-mêmes sous-
traitantes des gros sous-traitants. Le sentiment d'insécurité et d'exploitation n'est plus l'apanage
des ouvriers, paysans et travailleurs indépendants. Il touche désormais de manière concrète le
milieu des petits entrepreneurs. Reengineering, production flexible, externalisation, dégraissage
(downsizing) : toutes ces nouvelles techniques du management contribuent au développement de
la grande machine mondiale du capitalisme de marché, dont l'unique objectif est l'extirpation du
maximum de profit, et au moindre prix, de la richesse du monde. Ressources, individus, groupes
sociaux, villes et régions, voire pays entiers, sont abandonnés ou exclus : ils n'ont pas été jugés
suffisamment rentables par - pour - la machine mondiale. D'où la folle concurrence à laquelle ils
se livrent pour être « compétitifs », c'est-à-dire pour simplement rester vivants.

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Ce concept de mondialisation renvoie également à une dimension culturelle. La propagation en
temps réel et en tous lieux des sons et des images a montré que le terme de « mondialisation »,
purement économique au départ, va bien au-delà de cette sphère pour concerner les personnes,
les identités, les valeurs, et toucher ainsi au politique, voire à l'idéologique.. La mondialisation
entraîne les économies vers des structures de production de l'éphémère, du volatile - par la
réduction massive et généralisée de la durée de vie des produits et des services - et du précaire
(travail intérimaire, flexible, à temps partiel subi). Au lieu de revaloriser en permanence les
ressources disponibles, elle les rend le plus vite possible obsolètes, inutiles, non recyclables. Le
travail humain et les rapports sociaux en font les frais. La mondialisation entraîne les économies
vers des structures de production de l'éphémère, du volatile - par la réduction massive et
généralisée de la durée de vie des produits et des services - et du précaire (travail intérimaire,
flexible, à temps partiel subi). Au lieu de revaloriser en permanence les ressources disponibles,
elle les rend le plus vite possible obsolètes, inutiles, non recyclables. Le travail humain et les
rapports sociaux en font les frais.

Il s'est opérée plus tard, vers 1990, une révolution de la communication grâce aux NTIC (nouvelles
technologies de l'information et de la communication), dont le phénomène dit « Internet »* a été le plus
spectaculaire. La planète est devenue un village, les prophéties de McLuhan se sont concrétisées et le
terme de « mondialisation » s'est enrichi d'une nouvelle signification : la transmission universelle et
instantanée des informations.

Pour les milieux politiques dirigeants qui se proclament progressistes, le défi à relever serait dès lors de
cueillir les fruits bénéfiques attendus de cette «mousson» tout en limitant au maximum les effets non
désirés. Il n'en reste pas moins, qu'à l'échelon dirigeant, tous sont unanimes sur ce qui est présenté
comme une évidence: la mondialisation fait désormais partie des données de base qui donnent forme à
l'ensemble des politiques présentes et à venir; rien ne peut plus se faire sans elle.

La mise en place de ce nouveau type d'accumulation est une réaction ultraconservatrice pour
déconstruire les avancées démocratiques obtenues par les divers mouvements contestataires et
revendicatifs de la fin des années 60 et du début des années 70, dont les actions et les valeurs
(autogestion et autonomie, remise en cause des hiérarchies, féminisme, subversion des rapports sociaux
traditionnels, augmentation des salaires et du financement public des besoins sociaux...) commençaient à
être intégrées dans les politiques gouvernementales et avaient permis une redistribution des richesses
plus marquée en faveur du monde du travail. Ce nouveau type d'accumulation financière a débuté avec

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l'aide des gouvernements européens qui ont engagé des politiques de transferts massifs de ressources
publiques vers le secteur privé à travers les politiques de « reconversion ou de restructuration
industrielle» dès la fin des années 70. L'histoire économique qui retracerait et tenterait de chiffrer ces
processus de transferts, des ressources publiques vers le secteur privé, pour chacun des pays d'Europe
occidentale, est encore, malheureusement, très largement à écrire. Pour ce que nous connaissons de la
Belgique, le nombre de mesures d'aide publique aux entreprises (multiples allégements fiscaux sur les
bénéfices, aides diverses aux investissements et à la recherche au sein de l'entreprise, aides à l'embauche,
reprise publique des secteurs obsolètes, plans sociaux de fermeture...), adoptées par l'Etat depuis la fin
des années 70 jusqu'à nos jours, a été et demeure impressionnant. Un économiste a chiffré au début des
années 80 ces transferts d'aide à la reconversion à 279 milliards de francs belges en quatre ans (1978-
1982).

Il s'agissait alors d'appliquer la formule magique selon laquelle «les profits d'aujourd'hui sont les
investissements de demain et les emplois d'après-demain» ; vingt ans après, on attend toujours que la
magie opère... pour les emplois! Pour réaliser ces transferts, la plupart des Etats européens se sont
endettés, ce qui a permis au secteur bancaire d'accroître encore ces transferts par le mécanisme du
remboursement des intérêts de la dette publique. Le budget et la faculté d'emprunt des Etats, c'est-à-dire
une part importante des ressources collectives, ont ainsi été « vampirisés» par les secteurs financiers. Le
nouveau culte rendu à la Bourse à partir des années 80, entretenu par le déversement de ces mannes
providentielles, a encore accentué la vision de l'économie réduite à un jeu de placements financiers à
court terme. Avec l'écroulement en 1989 des régimes communistes en Europe de l'Est, les termes de
«globalisation » et de « mondialisation» deviennent à la mode, marquant le triomphe de l'idéologie d'un
capitalisme rentier désormais certain d'imposer son fonctionnement à l'échelon planétaire, notamment à
travers les outils que sont le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation pour la Coopération et
le Développement économique (OCDE), la Banque mondiale, le GATT (General Agreement on Tarif
and Trade) et ensuite l'Organisation mondiale du Commerce (OMC). L'absorption progressive par le
secteur privé de l'ensemble des secteurs publics, y compris les services publics essentiels, complète cette
situation de transferts massifs de l'ensemble du patrimoine collectif. Si l'objectif de ré appropriation
privée des richesses collectives à des fins de profit accru pour une minorité saute aux yeux, il ne faut pas
perdre de vue que les phénomènes d'exploitation économique et de domination politique sont toujours
étroitement imbriqués, le premier n'étant du reste pas possible sans le second. Aussi cette accumulation
a-t-elle induit une transformation radicale des rapports au travail, et de façon plus large du rapport
salarial, par l'imposition de la flexibilité et de la précarité ainsi que le retour à une situation d'exploitation

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renforcée et de domination politique plus marquée.
Fruit d’un développement du commerce, des flux financiers et de la mise en place de réseaux mondiaux
d’information, la mondialisation pose le problème de la division internationale du travail qui voit
l’émergence de nouvelles puissances régionales et des délocalisations correspondantes dont profitent les
multinationales*. Elle concerne aussi des types d’échanges autres qu’économiques, de la culture aux
media (avec CNN) en passant par les techniques, faisant du monde un « village planétaire », selon
l’expression du Canadien McLuhan.

Par le biais des institutions financières internationales, du G8* et de ses avatars, du GATT*, la
mondialisation touche un très grand nombre d’acteurs, des pays industrialisés aux pays les moins
avancés qui vivent des délocalisations et des stratégies des multinationales.

Les pays qui se sont convertis corps et âme à la nouvelle orthodoxie découvrent que l'ouverture n'a pas
tenu ses promesses. Malgré l'abaissement radical des barrières commerciales et financières depuis les
années 80, on ne compte plus les économies d'Amérique latine et d'Afrique qui stagnent ou croissent
moins rapidement qu'aux beaux jours de la politique de substitution [de produits locaux) aux impor-
tations, dans les années 60 et 70. Avec un aplomb extraordinaire, on a alors incorporé au credo les
résultats décevants de la libéralisation tous azimuts. Aujourd'hui, ceux qui considèrent l'intégration
mondiale comme la condition préalable au développement économique affirment tranquillement que
l'ouverture des frontières ne suffit pas. Pour recueillir les fruits de celle-ci, prétendent-ils, il faut la com-
pléter par de profondes réformes institutionnelles.

En particulier dans le domaine financier. L'opinion qui prévaut à Washington et dans d'autres capitales
du G8, est que la faiblesse des systèmes bancaires, des règles prudentielles et du gouvernement
d'entreprise était au cœur de la crise asiatique de la fin des années 90. D'où les efforts déployés par le G8
pour élaborer des normes traitant de la transparence budgétaire, des politiques monétaire et financière,
de la surveillance bancaire, du gouvernement d'entreprise et de la comptabilité.

Allons-nous laisser à cette machine infernale le pouvoir d'être le seul arbitre de l'histoire
économique, technologique, politique et sociale du prochain siècle ? Certainement pas avec le
modèle actuel. Mais ce modèle peut être changé si l'on admet qu'on doit poser un socle social
sous l'économie mondiale afin que ses avantages atteignent beaucoup plus de monde, et que les
coûts de l'ajustement ne tombent pas sur le dos des plus faibles de la société. Il est possible
d'adapter ou de modifier l'approche purement économique qui sous-tend la mondialisation.

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Dans un commerce international où producteur et consommateur sont coupés l'un de l'autre,
l'absence de tout critère autre que marchand donne naissance à des formes nouvelles de surexploitation
dont pâtissent, en premier lieu, les producteurs du Sud. Estimant « dépassée » la régulation politique, les
grandes entreprises entendent la remplacer par leur propre sollicitude. Sans remettre en question la
répartition inique des ressources à l'échelle mondiale, l'accent est mis sur l'« éthique », ainsi intégrée au
service du processus de marchandisation globale. La Terre connaît ainsi une nouvelle ère de conquête,
comme lors des découvertes au XVIème siècle ou des colonisations au XIXe siècle.

Jamais les maîtres de la Terre n'ont été aussi peu nombreux, ni aussi puissants. Ces groupes conquérants
sont situés dans la Triade: Etats-Unis, Europe, Japon. Cette concentration du capital et du pouvoir s'est
formidablement accélérée au cours des vingt dernières années, sous l'effet des mutations des
technologies de l'information, de la révolution numérique et d'Internet.

Un nouveau bond en avant sera effectué à partir de ce début de millénaire, avec les nouvelles maîtrises
des techniques génétiques de manipulation de la vie (biotechnologies*). La privatisation du génome
humain, .l'ingénierie génétique et le brevetage généralisé du vivant, ouvrent de nouvelles perspectives
d'agir sur la santé des êtres humains, mais surtout laissent entrevoir de fabuleuses possibilités
d'expansion des affaires. Les grandes firmes liées à la recherche biologique et les entreprises
pharmaceutiques géantes s'apprêtent à voir leur puissance exploser. Une grande privatisation de tout ce
qui touche aux gènes, à la vie et à la nature se prépare. Favorisant ainsi l'apparition d'un pouvoir
probablement plus absolu que tout ce qu'on a pu connaître dans l'histoire.

Surexploitation des hommes, des femmes et - plus scandaleux encore - des enfants: 300 millions
d'enfants sont exploités, dans des conditions d'une brutalité sans précédent.

La mondialisation c'est aussi le pillage planétaire. Les grands groupes saccagent l'environnement avec
des moyens démesurés; ils tirent profit des richesses de la nature qui sont le bien commun de l'humanité;
et le font sans scrupule et sans frein.

Cela s'accompagne également d'une criminalité financière liée aux milieux d'affaires, et aux grandes
banques qui recyclent des sommes dépassant les 1000 milliards de dollars par an, c'est-à-dire 20% de
tout le commerce mondial et davantage que le produit national brut d'un tiers de l'humanité. La
marchandisation généralisée de mots et des choses, des corps et d’esprits, de la nature et de la culture
provoque une aggravation des inégalités (diversité culturelle*, world music*.)

L'abondance de biens et les progrès des techniques atteignent des niveaux sans précédent dans les pays
riches et développés, mais, à l'échelle de la planète, le nombre de miséreux augmente sans cesse. Ainsi,

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sur les 4,5 milliards d'habitants que comptent les pays en voie de développement, près d'un tiers soit
un milliard et demi de personnes n'ont pas accès à l'eau potable... Un cinquième des enfants n'absorbent
pas suffisamment de calories ou de protéines. Et quelque 2 milliards d'individus - le tiers de l'humanité -
souffrent d'anémie. Il est bien loin l'optimisme qu'affichaient, il y a cent ans, les scientifiques et les
médecins devant l'avenir sanitaire radieux que promettaient les progrès de l'hygiénisme et de la
révolution pasteurienne.

Certes le monde a beaucoup progressé en matière de meilleure santé pour tous, mais ces avancées sont
tempérées par l'existence du plus révoltant des scandales: les très graves inégalités d'accès aux soins.*
«Plus d'un milliard de personnes - constate Mme Gro Harem Brundtland, directrice générale de
l'Organisation mondiale de la santé (OMS)- vont aborder le XXIe siècle sans avoir profité de la
révolution sanitaire: leur vie demeure brève et marquée par la maladie. » De plus le fossé ne cesse de se
creuser entre pays riches et pays pauvres, en matière d'accès aux médicaments existants et de recherche
de traitements pour des maladies absentes ou peu présentes dans les pays développés.

Parmi les principales menaces qui affecteront la santé des êtres humains au cours du XXIe siècle,
figurent certes les maladies cardio-vasculaires qui sont, pour une large part, liées aux maladies
métaboliques - hypercholestérolémie, obésité, diabète - en expansion à cause de la diffusion du mode de
vie occidental, c'est-à-dire la nourriture trop abondante et trop grasse, et l'absence d'exercices physiques.
Mais les maladies infectieuses auront une importance croissante et tueront, chaque année, des dizaines
de millions de personnes. Surtout au Sud. Toutefois, comme la planète est devenue un village, il va se
produire un effet boomerang avec le retour dans les pays développés du Nord des maladies endémiques
des pays pauvres.

La forte croissance de la population mondiale, et en particulier l'émergence de villes géantes autour


desquelles s'est constitué un monde de marginaux, de migrants et d'exclus, favorisent l'émergence et la
réémergence de maladies. Par ailleurs, la mondialisation accélère la propagation des infections.

Désormais, les maladies voyagent, et les bactéries résistantes voyagent aussi. Naguère le risque sanitaire
n'existait que là où il était produit, mais maintenant la diffusion des maladies est devenue extrêmement
rapide. A cause de la mondialisation, les germes se déplacent à la vitesse des avions. Des germes adaptés
aux conditions de vie d'une population résistante peuvent se diffuser au sein de populations mal
préparées et fort vulnérables. Les virus circulent, eux aussi, à la vitesse de la lumière. Un tiers des morts,
à l'échelle planétaire, survenues les dernières années étaient dues aux maladies infectieuses graves,

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comme la tuberculose, le sida, le choléra, les maladies diarrhéiques des enfants, et tout récemment, la
pneumonie atypique.

La mondialisation connaît des résistances de plus en plus fortes. Dans le domaine commercial, les
opposants à l’OMC* manifestent, notamment lors du sommet de Seattle (décembre 1999)* et d’autres
réunions altermondialistes*, comme le Forum Social Mondial*, et la création de groupes d’opposition
(Attac)*; dans le domaine culturel, la lutte contre l’américanisation mettant en avant l’exception
culturelle ( comme la France et la francophonie) et même dans l’alimentation, avec les campagnes contre
produits symboliques du fast food américain, Coca-cola et McDonald’s*. Mais de façon plus radicale,
les diverses manifestations du fondamentalisme, et notamment l’islamisme, en apportent souvent
dramatiquement les preuves de cette opposition.

La mondialisation touche les moindres recoins de la planète, ignorant aussi bien le statut des individus
ou l'indépendance des peuples que la diversité des régimes. Ses fondements sont politiques autant
qu’économiques. A partir de la révolution industrielle, la société a spontanément construit des systèmes
de contrôle du « marché autorégulateur » - un autre nom du capitalisme, au fond - et de protection de la
société contre ses effets destructeurs et humainement inadmissibles. A partir des années 1870 se
construisent des systèmes de protection qui concernent à la fois les conditions de travail (durée du tra-
vail, travail des femmes et des enfants, hygiène et sécurité, salaire minimum, etc.) et les assurances
sociales (d'abord les accidents du travail, puis la maladie, la vieillesse, la famille, le chômage). Et ce
n'est possible que parce qu'il existe des Etats capables de protéger à la fois la force de travail (législation
sociale), le marché intérieur (protectionnisme douanier) et la monnaie (institution d'une banque centrale).
Mais entre 1914 et 1945, avec les deux guerres mondiales, la crise de 1929 et la prise du pouvoir par le
fascisme, le nazisme et l'impérialisme japonais, le monde se fragmente, se replie sur le territoire national.
Le libéralisme n'a pas été capable de maintenir les économies ouvertes au sein d'une économie-monde
européenne, désormais devenue économie mondiale sous le leadership de la Grande-Bretagne. La
globalisation ne vise pas tant à conquérir des pays qu'à conquérir des marchés. La préoccupation de ce
pouvoir moderne n'est pas le contrôle physique des corps, ni la conquête de territoires comme lors des
grandes invasions ou des périodes coloniales, mais la prise de possession des richesses. Cette conquête
s'accompagne de destructions impressionnantes. Des industries entières (textile, chantiers navals,
sidérurgie, mines, pêche, etc.) sont brutalement sinistrées, dans toutes les régions. Avec les souffrances
sociales qui en résultent: chômage massif, sous-emploi, précarité, délabrement sanitaire, exclusions,
apparition de nouvelles maladies et réapparition d'anciennes pandémies.

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La mondialisation - économique mais surtout financière s'accompagne de l'effacement des idéologies
issues du XIXème siècle, de l'affaiblissement des Etats-nations, de la dissociation brutale entre des
marchés globalisés et des identités particulières, de l'extension de la consommation et de la
communication de masse, de la fragmentation des cultures. Elle s'accompagne aussi, et en réaction, de la
montée de mouvements identitaires à référence ethnique, religieuse ou nationale. Leur expression
politique est rarement démocratique. Un peu partout fleurissent des pouvoirs néo-communautaires, des
régimes communautaristes, des tentatives de perpétuer ou de recréer, de manière volontariste et
autoritaire, des communautés homogènes.

Il peut sembler anachronique de parler de « mondialisation » à propos de l’Empire romain. D’ailleurs,


les Anciens n’avaient pas conscience de l’unité du monde, et le mot qui en rend compte, « oikoumene »
ne désigne que les terres habitées. Une « mondalisation » de l’Empire devrait donc se limiter à une bien
petite partie de la planète. Malgré tout, Rome a bien sa place ici. D’abord, parce que, par certains aspects, elle
a unifié un espace comme aucun État auparavant.

A lire : La Mondialisation du capital, de François Chesnais, 2éme édition amplifiée, Editions Syros, 1997
Pierre Vilain, Les chrétiens et la mondialisation. (Desclée de Brouwer, Paris, 2002, 268 pages, 21,50 euro. Un livre en deux
parties, présenté par Michel Cool, directeur de Témoignage chrétien. D'abord un mode d'emploi de la mondialisation proposé
par Pierre Vilain, ancien directeur de La Vie, qui dénonce le "casino sans frontières.. obéissant au dogme infaillible de
l'argent. Familier des communautés chrétiennes d'Afrique et du Vietnam et témoin engagé de leurs luttes contre l'oppression
libérale, il s'étonne, par contraste, de l'extrême frilosité des catholiques français et de la majorité de l'épiscopat. Dans une
deuxième partie sont rassemblées des tribunes sur la mondialisation publiées dans Témoignage chrétien.
James Petras et Henry Veltmeyer La face caché de la mondialisation. Parangon, Paris, 2002, 284 pages, 20 euro. Cet
ouvrage de deux universitaires américains explique que la mondialisation ne peut être comprise que comme un nouveau
visage de l'impérialisme et des conflits de classes. Elle ne saurait donc que bénéficier à ceux qui détiennent déjà pouvoir et
privilèges.
Sachwald Frédérique (sd) Les défis de la mondialisation. Masson, 1994.
Mondialisation – origines – dates-clé (cf Atlas Monde diplomatique)
Taz. Cet acronyme connu de longue date par le cyber-underground est devenu en quelques mois l'une des références du
milieu antimondialisation. TAZ (pour Temporary Autonomous Zone ; en français Zone autonome temporaire), est le titre
d'un ouvrage publié en 1991 par le très mystérieux auteur américain Hakim Bey. Ce dernier cultive en effet son anonymat et
laisse ses textes, libres de tous droits, apparaître ici ou là sur le Net. La TAZ est une « communauté subversive "occupant
provisoirement le territoire dans l’espace, le temps, ou l’imaginaire ", qui se dissout « dès qu’elle est répertoriée ". Hakim
Bey se réfère beaucoup aux « utopies pirates " du XVIII' siècle, ces microsociétés nichées à l'abri d'îlots isolés des Caraïbes,
où les flibustiers trouvaient refuge « loin des arpenteurs de l'Etat »

Mondialisation financière L’intégration internationale croissante des marchés et des économies ; les
progrès des technologies et des communications ont facilité la fusion croissante des marchés et le
resserrement des liens entre les économies nationales. Conséquence, les crises financières qui éclatent
dans un pays se propagent plus vite à d’autres.

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Dans un monde toujours plus intégré et interdépendant, la prospérité d’un pays est plus que jamais
tributaire des performances économiques des voisins, ainsi que du degré d’ouverture et de la stabilité de
l’environnement économique mondial.

Les arguments présentés ainsi plaident pour un renforcement du système monétaire, préconisé par de
nombreuses institutions comme le FMI ou la Banque Mondiale , même si de leurs aveux même, c’est
bien cette « mondialisation » qui aggrave les conséquences planétaires de chaque nouvelle crise
financière.« La mondialisation a créé de nouveaux défis pour nous, avoue un responsable de cet
organisme : renforcer le système financier mondial – pour rendre les crises financières moins fréquentes
et mieux y répondre quand elles se déclenchent- et faire reculer la pauvreté dans les pays à faible
revenu. La mondialisation a été bénéfique à de nombreux pays et peuples à travers le monde, et
l’intégration à l ‘économie mondiale est une dimension essentielle à toute stratégie visant à relever les
niveaux de vie. Mais en augmentant le volume et la vitesse des flux internationaux de capitaux, la
mondialisation a aussi accru le risque de crise financière. »

La mondialisation que connaît actuellement l’économie mondiale, et dont les effets touchent avant tout
les travailleurs, est la suite des développements suivants:

En 1971, l’hégémonie nord-américaine sur l’économie mondiale s’est effondrée, entraînant la disparition
de la parité dollar-or et tout le système d’échanges mis en place après la dernière guerre.

A partir de 1989, l’écroulement de l’ordre mondial a bouleversé les rapports de domination entre les
pays et a encore affaibli la capacité des Etats à réguler le commerce et les investissements
internationaux. Malheureusement, la classe ouvrière internationale n’a pas pu saisir cette opportunité
pour imposer son propre pouvoir et une autre organisation de l’économie mondiale. En conséquence, ce
sont les patrons qui ont triomphé — temporairement.

Les entreprises multinationales sont donc devenues les véritables puissances, gérant des budgets plus
grands que le PNB des pays “moyens” et capables d’imposer leur volonté aux Etats. Le capital, toujours
à la recherche de la production la plus rentable, déplace ses entreprises comme autant de pions sur
l’échiquier. C’est l’époque de la délocalisation.

Depuis 15 ans, le commerce mondial s’est développé deux fois plus vite que la production, et depuis
1983 les investissements à l’étranger ont augmenté de plus de 30% par an en moyenne.

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Les cibles de ces investissements ne sont pas forcément les pays semi-coloniaux. Si l’exploitation
directe des pays dominés par l’impérialisme est au cœur de ce système pourri, l’écrasante majorité des
investissements à l’étranger s’est toujours faite et se fait encore aujourd’hui entre pays riches.

On voit ainsi que plusieurs aspects “novateurs” de la phase actuelle de l’économie mondiale ne sont que
de nouvelles expressions des tendances fondamentales de l’époque impérialiste.

Néanmoins, certains développements sont réellement nouveaux. L’affaiblissement de l’hégémonie nord-


américaine sur les plans politique et économique, et l’effondrement du système stalinien avec la
restauration du capitalisme qui a suivi, ont bouleversé le cadre d’exploitation et de domination établi à la
fin de la Deuxième Guerre Mondiale par les impérialistes.

Aujourd’hui, les États-Unis tentent — avec un certain succès — de rétablir cette domination, à travers
leurs succès économiques des années 90, et leurs terribles guerres contre l’Afghanistan et l’Irak, qui ont
reçue le soutien de la plupart des pays, excepté notamment la France et l’Allemagne.

En parallèle, depuis les années 70, les États-Unis, soutenus par la Grande Bretagne, avaient décidé de
“déréguler” les marchés financiers partout sur la planète, contraignant tous les autres pays à ouvrir leur
économie. Ce tournant a mis fin à la spirale inflationniste des années 70, et a érigé le dogme néo-libéral
au rang de nouvelle “pensée unique”. Cette nouvelle phase de l’impérialisme, qui touche tous les pays de
la planète, explique la mise en place de l’euro, la politique de la Commission Européenne en matières
économique et sociale, et la politique actuelle du FMI à l’égard de l’Argentine.

Désormais, la politique économique des plus grands Etats impérialistes a comme maîtres mots efficacité,
réduction des dettes et discipline financière. Cela a eu trois conséquences importantes :

1) L’explosion des bourses et des marchés des changes. Toutes les bourses de la planète enregistrent des
records historiques car les actions et la spéculation sur les devises représentent le placement le plus
rentable pour le capital financier. Avec l’introduction de nouvelles technologies et la disparition des
contrôles sur l’échange de devises, on assiste à une spirale vertigineuse de spéculation. Chaque jour,
autour de la planète, plus de 10.000 milliards de francs sont échangés dans la seule spéculation sur les
devises ! Cette bulle d’argent quasiment fictive a déjà perdu beaucoup de sa superbe, lors de
l’effondrement des cours liés à l’Internet et l’après 11 septembre. Mais c’est loin d’être terminé, et elle
risque de s’effondrer complètement un jour ou l’autre.

2) L’attaque contre les « dépenses sociales » —sécurité sociale, retraite, sécurité de l’emploi — afin de
réduire le budget de l’Etat. Les travailleurs de tous les pays impérialistes ( États-Unis, France, Grande-

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Bretagne, Allemagne, Italie ), subissent le même genre d’attaques que celles dirigées contre les
travailleurs des plus puissants pays semi-coloniaux (Corée de Sud...). Les pays d’Afrique et d’Amérique
Latine ont déjà fait les frais de cette politique, avec une chute dramatique du niveau de vie et la montée
en flèche de la pauvreté. Le fait que ce soit une politique poursuivie par tous les pays nous montre
également que le Traité de Maastricht, même s’il coordonne et rythme la politique anti-ouvrière en
Europe, n’est nullement le seul responsable de ces attaques.

3) Les “délocalisations” d’emplois afin de profiter de salaires plus bas ou de charges sociales moins
élevées. Une partie importante de cette délocalisation se fait vers les pays sous-développés ; par
exemple, dans l’informatique la sous-traitance est de plus en plus réalisée en Inde ou aux Philippines.
Cette tendance n’est pas nouvelle : depuis longtemps, l’industrie textile a largement disparu de l’Europe
pour être “délocalisée” en Inde ou ailleurs, et les chantiers navals ont presque disparu de l’Europe et des
Etats-Unis pour réapparaître en Corée du Sud.

La concentration de la production et du capital est parvenue à un degré de développement si élevé,


qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique. La fusion du capital
bancaire et du capital industriel aboutit à la création d’une oligarchie financière, sur la base de ce
“capital financier”.

L’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance
toute particulière. Formation d’unions internationales monopolistiques des capitalistes se partageant le
globe.

Non seulement la mondialisation financière n'est pas mondiale, mais, dans les parties de la planète
qu'elle affecte, elle provoque d'énormes dégâts sociaux et écologiques : l'Asie orientale en offre un triste
exemple. Comment s'en étonner ? Les capitaux ont-ils jamais eu d'autre finalité que de s'optimiser le
plus rapidement possible, en se souciant comme d'une guigne de la situation des populations et des
milieux naturels de leurs territoires d'implantation, d'ailleurs toujours très provisoires ? Le modèle de
« développement » qu'ils exportent, celui du Nord riche, est pourtant écologiquement insoutenable.

Donner sa place au Sud, c'est mettre fin aux politiques d'ajustement structurel ; annuler une grande partie
de la dette publique ; augmenter l'aide au développement, alors qu'elle est en chute libre ; promouvoir,
notamment par le codéveloppement, des économies autocentrées ou en tout cas moins extraverties,
seules garantes d'une croissance saine et de la sécurité alimentaire ; investir massivement dans la
construction d'écoles, de logements et de centres de santé ; donner accès à l'eau potable au milliard
d'humains qui en est dépourvu, etc.

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Pour le Nord, cela reviendrait à accepter de remettre en cause son propre mode de vie prédateur, en
termes énergétiques notamment, et de mobiliser ses ressources publiques et privées pour un
rééquilibrage planétaire. En particulier, les centaines de milliards de dollars qui s'investissent dans les
folies high-tech. Le lien social ne saurait se limiter à une collectivité ou une nation. Dans un monde fini,
il se doit d'être sans frontières. Si tel n'est pas le cas, il sera futile de prétendre résister aux forces de
déstabilisation (migrations massives, intégrismes) auxquelles l'égoïsme du Nord aura frayé la voie. Si la
nation est le seul cadre dans lequel les citoyens peuvent effectivement exercer l'intégralité de leurs droits
démocratiques, du moins quand ils en ont, la globalisation des problèmes à régler et celle des acteurs
dominants (marchés financiers, entreprises transnationales, mafias) imposent des régulations à l'échelle
mondiale. C'est le rôle théorique des organisations internationales et des agences intergouvernementales,
dont les pouvoirs doivent être renforcés. Et, si les Etats-Unis, qui ne paient pas leur quote-part à l'ONU,
souhaitent démanteler les structures multilatérales, afin de privilégier le bilatéral, où ils font davantage la
loi, le reste du monde peut au moins envisager de s'organiser sans eux. Pourquoi un gouvernement
européen ou asiatique ne demanderait-il pas que l'ONU déménage de New York, et le FMI et la Banque
mondiale (à supposer qu'il faille les conserver), de Washington ?

Mais des superstructures internationales sans espace public à la même échelle risquent de rester des
oligarchies ou des bureaucraties. Tout ce qui crée ou consolide les liens transfrontières et contribue à
faire naître une conscience planétaire est bon à prendre : réseaux associatifs, syndicaux, religieux,
sportifs, culturels, ONG humanitaires et autres ; organisations à fondement linguistique (francophonie,
hispanophonie, lusophonie, etc.) ; partenariats pour l'économie solidaire ou alternative, et commerce
équitable. La liste peut s'allonger indéfiniment.

Sans idéaliser les associations, au fonctionnement parfois peu démocratique, et sans leur accorder une
représentativité que seul le suffrage universel peut conférer, il reste que leur foisonnement est une
condition sine qua non de la création d'un embryon d'espace public planétaire, donc d'un moyen de
pression et de conscientisation sur les gouvernements et les organisations internationales dont ils sont
membres.

L'indispensable retour au primat du politique et des droits des citoyens implique une reconquête des
espaces perdus au profit de la sphère financière. Certains des moyens à utiliser sont bien connus :
taxation significative du capital, des revenus financiers et des transactions sur les marchés des changes
(taxe Tobin). Interdiction, pour les entreprises publiques et parapubliques, d'ouvrir des comptes dans des

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banques ayant des succursales dans des paradis fiscaux, dont la liste devra être régulièrement mise à
jour et largement diffusée. Campagnes internationales auprès des actionnaires des entreprises privées en
vue du même objectif. Exigence de la levée du secret bancaire, en particulier en Suisse et au
Luxembourg. Refus des fonds de pension comme solution de rechange aux systèmes de retraite par
répartition. C'est sur ces thèmes que va travailler l'association internationale Attac (Action pour une taxe
Tobin d'aide aux citoyens).

Monsanto : Firme américaine qui produit du soja transgénique dont le gène rend la plante tolérante au
Roundup, herbicide « total » (qui tue toutes les plantes bonnes ou mauvaises) commercialisé par cette
même firme. A ce sujet il faut rappeler que Monsanto avait accusé une famille d’agriculteurs du Dakota
du Nord, les Nelson, de violation du droit de brevet. Ils étaient accusés d’avoir mis de côté des graines
de soja Roundup Ready en 1998 et de les avoir plantées en 1999 sans payer les droits correspondants. En
mars 2001, le responsable de l’agriculture de l’Etat avait estimé qu’il n’y avait aucune preuve de la
culpabilité des Nelson. Mais le procès n’a pas eu lieu car un accord tenu secret a été trouvé entre les
agriculteurs et Monsanto.

Les agriculteurs utilisant le soja Monsanto ont l’obligation de n’utiliser que son désherbant, ainsi
Monsanto vend ses semences transgéniques et augmentant fortement ses ventes d’herbicides (pollution
accrue des nappes phréatiques et des sols)

Lire : Agnès Sinai, « Comment Monsanto vend les OGM », Le Monde diplomatique, juillet 2001.

Moore, Michael. En 1918, un certain Lénine, comprenant que le cinéma pouvait être une redoutable
arme de guerre, lançait à travers la nouvelle Russie soviétique ses fameux « trains culturels » équipés de
projecteurs et salles de montage… Michael Moore est américain et pas communiste. Mais il est à lui tout
seul une énorme locomotive lancée à travers le pays, que rien ne semble pouvoir arrêter.

Il n’as pas son pareil pour faire naître le rire des situations au rives de l’absurde. Ainsi dans ce petit coin
de Michigan, où débute son film Colombine, nom du lycée d'une paisible bourgade, où deux élèves ont
massacré douze de leurs condisciples et un professeur, avant de se suicider avec des armes à feu acquises
en toute légalité. On voit le réalisateur à la dégaine inimitable entrer dans une banque. Au lieu des
traditionnels gadgets, l’établissement offre à tout nouveau client un fusil, à sélectionner parmi plus de
cinq cents armes en stock. Les munitions, elles, peuvent être choisis à l’occasion d’un passage chez le
barbier.

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Michael Moore est ce documentariste américain rendu célèbre par le film Roger et moi, où il essayait
de mettre en lumière pourquoi General Motors, la principale entreprise de sa région, en avait programmé
la ruine. L'Etat du Michigan est aussi le premier bastion de la Ligue de défense des armes à feu,
qu'anime avec d'inépuisables ressources de mauvaise foi, de fierté cocardière et de démagogie l'acteur
Charlton Heston. Et c'est à Flint, Michigan, ville natale du réalisateur, qu'a été battu le record du plus
jeune meurtrier par balle, le jour où un gosse de six ans a flingué à la maternelle une gamine du même
âge. Michael Moore, fils d’ouvrier, enfant de la ville, s’interroge : pendant que Flint s’enfonce dans la
misère, où est donc Roger Smith, big boss de la GM ? La chasse – filmée- au pdg est ouverte….

Voilà l'ancrage personnel des dossiers que Michael Moore, avec sa caméra têtue, son culot et sa tête de
bon gros Américain, instruit mieux que personne. Son mode d'opération combine deux approches
d'ordinaire exclusives l'une de l'autre. La première est celle du cinéma militant, recourant aux données-
chocs, aux récits rapprochant efficacement les faits, aux techniques de l'agitprop. Il pousse le montage au
niveau de l’art du collage. Le juxtaposition d’archives, de documents, de propos et de faits produit des
détonations de sens. De petit bourgeois armés jusqu’aux dents, réfugiés dans les grandes banlieues
pavillonnaires. Des gouvernants qui, il le rappelle avec précision, ne réchigent pas devant la dépense
lorsqu’il s’agir de bombarder un endroit de la planète. Il est rare de nos jours que cet arsenal soit
employé avec autant de puissance d'impact, dont l'humour vengeur n'est pas le moindre détonateur.

Mais il est rare que semblable approche s'accompagne d'explications sur le discours officiel. Le pays
connaît une phase de croissance historique. Le chômage est au plus bas. En tournée dans les grandes
villes américaines pour promouvoir son best-seller Dégraise-moi ça !), Michael Moore montre une
réalité tout autre: des entreprises certes florissantes, des bénéfices records, mais des patrons virant des
employés pourtant payés au lance-pierre - cinq ou six dollars de l'heure - pour réimplanter leurs usines
au Mexique ou en Indonésie.

Loin de se contenter de pointer du doigt les allumés de la gâchette, ou même le cynisme du lobby des
armes à feu, Michael Moore ne cesse de formuler les questions commençant par « pourquoi ». L'histoire
longue des Etats-Unis d'Amérique, l'ensemble de ses pratiques collectives, sa politique étrangère, du
Vietnam à l'après-11 septembre, le racisme, les modes d'organisation des différentes communautés, la
structure de l'habitat, la comparaison avec les autres pays industrialisés, et jusqu'à la réflexion sur la
nature humaine servent à multiplier les pistes critiques.

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On a peut-être vu des enquêtes plus rigoureuses, des raisonnements mieux articulés. Mais personne
aujourd’hui n’a comme Michael Moore le talent d’appuyer avec pertinence et acharnement là où ça fait –
vraiment – mal. Et ça fait du bien.

A voir : Films de Michael Moore: Roger and Me (1989) The big one( 1999) Bowling for Columbine (2002 )
A lire: Michael Moore. « Mike contre-ataque » La Découverte.

Multinationales Sociétés réalisant au moins un tiers de sa production hors de son territoire d'origine, là
où la main d'œuvre est la moins chère, pour vendre sur les marchés les plus dynamiques, et faire
apparaître les bénéfices là où le fisc est le plus discret.

Dès le début du 20ème siècle, dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917) Lénine mettait
en cause les firmes industrielles, à l’origine de la Grande Guerre. Les matières qu’elles convoitaient
étaient, notamment, le pétrole, la bauxite et l’aluminium. Dans l’entre-deux-guerres, la crise ralentit le
mouvement de création des multinationales et donna le jour aux cartels, comme le cartel de l’acier.
Après 1945, aidé par la croissance mondiale, le développement des transports et le décloisonnement des
marchés nationaux, l’essor des multinationales est net, reflétant d’ailleurs l’hégémonie des Etats-Unis.

Dans les années 1960, les firmes multinationales héritent du colonialisme, et profitant de la faiblesse des
États du Tiers Monde, elles utilisent leur main-d’œuvre et ponctionnent plus facilement leurs richesses.

Le cas particulier des multinationales américaines est mis en évidence dans Le Défi américain de Jean-
Jacques Servan Schreiber (1969), qui prédit que, faute de réagir, l’Europe sera colonisée par les firmes
industrielles américaines. En Amérique latine, les multinationales américaines sont créditées d’un
redoutable pouvoir politique, susceptible de faire et défaire les présidents en Amérique centrale (United
Fruit) ; le coup de force organisé au Chili contre le gouvernement de Salvador Allende* illustre
l’influence occulte de ces multinationales, ITT dans ce cas précis. Depuis le début des années 1980, dans
un monde en voie d’intégration économique rapide, les entreprises adoptent une perspective mondiale de
leurs marchés, de leurs unités de production et de leur organisation. Au cours des années 1980, pour
faire face à la crise, certaines firmes ont une stratégie de délocalisation* permettant de réduire les coûts
de production en raison de la valeur de la main-d’œuvre, ce qui provoque des tensions dans les États
européens. Mais d’un autre côté, ce processus étend la croissance à de nouvelles aires géographiques.
Une centaine de grands groupes industriels (comme General Electric, Ford, Shell) sont les moteurs du
système de production mondial intégré.

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Par ailleurs, la mondialisation des entreprises par leurs activités transnationales met en cause la
souveraineté des États et provoque un malaise social par la déréglementation. L’échec des négociations
sur l’Accord multilatéral d’investissement (AMI)* puis celui de la conférence de Seattle (1999)*,
montrent les dangers de la mondialisation.

A lire : Bertand Demazet, David Buttler, Robert Canone. Busines and globalization. Ellipses-Marqueting, 1999.IBSN 2-
7298-6862
" Les secrets de Chiquita mis à nu ", Révélations sur les pratiques d’une multinationale. Enquête du Cincinnati Enquirer *
Editions Les Magasins du monde Oxfam, Bruxelles, octobre 1998.

Voici enfin traduite une enquête minutieuse et approfondie, portant sur la multinationale de la banane basée à Cincinnati. On
apprend que le patron de Chiquita, M. Carl Lindner, a toujours été très généreux, que ce soit à l'égard des démocrates de M.
Clinton ou des républicains de M. Dole, déjà à l'époque où John Dulles dirigeait la CIA. Les témoignages des employés de
Chiquita révèlent des conditions de travail atroces, des épandages de pesticides dangereux pour les ouvriers et pour
l'environnement. Un monde de sociétés écrans, de fraudes fiscales, de détournement des législations locales sur la propriété
agraire et sur les contrats de travail, de corruption de ministres ou même de fonctionnaires européens, d'entraves aux
syndicats, de manipulations politiques, d'enquêtes de la SEC (Securities and Exchange Commission des Etats-Unis, qui
contrôle les opérations boursières), voire de suicides, d’assassinats jusqu’à la destruction d’un village hondurien par l’armée
pour que prospère la culture de la banane.

Munia Abu-Jamal Noir américain, co-fondateur en 1969 de la branche des Black Panthers de
Philadelphie. Né le 24 avril 1954 à Wesley Cook, il choisit ce prénom Swahili (Munia) au lycée, sous
l'influence d'un enseignant d'origine kenyane. Il y ajoutera Abu (père de), et Jamal, à la naissance de son
premier fils. A l'âge de 14 ans, Mumia est arrêté et battu pour avoir protesté contre un meeting du
candidat ultra-raciste George Wallace. Quelques mois plus tard, il est fiché par le FBI pour avoir voulu
rebaptiser son lycée "Malcolm X". En 1969, le jeune homme est chargé de l'information à la section de
Philadelphie du Black Panther Party. Le FBI le considère comme l'une des personnes "à surveiller et
interner en cas d'alerte nationale". Il est l'une des cibles du COINTELPRO (programme de contre-
espionnage) dont seront aussi victimes Leonard Peltier et de nombreux membres de l'American Indian
Movement (AIM). ,

Après l'université, Mumia, journaliste de radio apprécié, lauréat de plusieurs prix, est surnommé "La
« voix des sans-voix » pour sa critique ouverte des méthodes brutales et de la corruption de la police et
des dirigeants politiques locaux. Depuis 1978, il lutte contre la violente répression qui frappe la
communauté Move, et, à l’été 1981, suit le procès de John Africa, fondateur de MOVE, où celui-ci est
acquitté des charges fabriquées contre lui. Mumia se rapproche encore de MOVE, ce qui ajoute à
l'exaspération des politiques et de la police de Philadelphie et lui vaut d'être renvoyé d'un de ses emplois
à la radio, le contraignant à prendre un job de taxi de nuit.

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Aux premières heures du 9 décembre 1981, Mumia Abu-Jamal, est grièvement blessé lors d'une
fusillade dans le quartier sud de Philadelphie où il venait de déposer un client et arrêté pour le meurtre
de l'officier Daniel Faulkner. Malgré ses dénégations et une enquête inéquitable (expertises balistiques
inexistantes, balles non Identifiables, absence de relevé d'empreintes, zone non sécurisée, tests non
effectués, etc.), malgré les témoins subornés, menacés, écartés ou Intimidés ; des rapports de police
contradictoires, des procédures d'appel et des violations de ses droits, Mumia Abu-Jamal est condamné
sous la pression du juge Sabo, recordman des condamnations à mort. Il est condamné à mort le 3 juillet
1982.

Par deux fois, en 1995 et 1999, la mobilisation empêche son exécution. En 1999 Arnold Berverly
confesse à Maître Rachel H. Wolkenstein qu'il est l'auteur du crime. En juillet 2001 cette avocate publie
d'autres révélations. En décembre 2001, sa condamnation à mort est écartée.

Les avocats de Mumia ont déposé récemment deux requêtes. Une auprès de la Cour Suprême de
Pennsylvanie pour replacer la condamnation de Mumia dans le contexte historique de discrimination
raciale. Une autre requête d'Amicus Curae (pdf 155 Ko) auprès de la Cour d'Appel de 3° circuit des
Etats-Unis pour rappeler les faits nombreux non pris en compte par la justice.

Et Mumia est encore dans le couloir de la mort.

www.mumiabujamal.net

Musiques du monde La mondialisation est un projet d’uniformisation déguisée en universalisme bon


marché, qui souhaite la suppression des identités pour mieux régner. Supprimer les identités c’est se
préparer un marché homogène et sans problème.
On estime que la création du terme revient au musicologue allemand Georg Capellen, qui dans un essai
intitulé « Un nouveau style musical exotique » en 1906, entrevoit un nouveau style de musique
« mondiale qui engendrerait une nouvelle ère artistique.
Cette dénomination suscite chez nombre d’ethnomusicologues, légitimement soucieux de la défense des
folklores, une réaction de rejet. Il faut la ramener à sa juste valeur : une stratégie de conquête de marché.
Jean-Bernard Vighetti, Directeur de l’Office de Tourisme de Rennes et Directeur Artistique du Festival
Les Tombées de la nuit déclarait, au sujet de la world music : « La troisième guerre mondiale est
engagée depuis longtemps et elle est économique. Depuis 1974, cela a été dit et redit, étudié et analysé.
Un paramètre cependant semble avoir été oublié dans l’appréhension du phénomène, en Europe d’une
façon générale et en France en particulier, à savoir le rôle joué par l’industrie culturelle dans la

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pénétration des marchés (…) L’industrie culturelle est devenue la véritable canonnière des temps
moderne : pour conquérir un pays durablement, mieux vaut le maîtriser culturellement que
physiquement »

Sous l’étiquette world music, on trouve aujourd’hui les musiques traditionnelles ou « musiques du
monde », c’est à dire, un ensemble de traditions plurielles, absolument irremplaçables et qui peuvent se
rencontrer dans une écoute mutuelle. Les essais de fusion plus ou moins réussie de traditions musicales
différentes, une musique de variété, qui pour des besoins strictement commerciaux, suit une mode
écologique et mondialiste.
Il faut attendre 1976 et le premier succès planétaire d’un artiste africain, Manu Dibango avec Soul
Makossa, pour avoir la preuve que " la musique d’ailleurs peut se vendre".(100.000 exemplaires, disque
d’or, N°1 sur tous les charts des Etats-Unis, en passant par toute l’Europe).
Ce sera à Londres, avec la création du label Realword, par Peter Gabriel (ex-Genesis) et le producteur
Stern’s Mango, que pour la première fois le concept de « world music » est utilisé et défini comme une
ligne de produits marketing.
Dans les années 80, chaque maison de disque se récupère son artiste africain, pour surfer sur la
vague croissante de l’exotisme ambiant : Mory Kanté chez Barclay (1988), Johnny Clegg chez WEA
(1988), Salif Keita (1987) RealWorld, Alpha Blondy chez Pathé, pour finir en 1989 par Youssou
N’Dour chez Realworld, devenu depuis un label parmi d’autres de Virgin.
Exotisme à tout crin en 1991 : Amina représente la France à l’Eurovision, comme le fera Dan Ar Braz
quelques années plu tard.. De la Tunisie francisée au folklore breton, tout est bon pour être catalogué
world music. Les années 90 vont découvrir que la manne africaine n’est pas la seule exploitable. Le Raï
(avec le succès planétaire de Khaled « didi », les bons scores de Faudel, ou de Cheb Mami), puis la
musique latino, qui regroupe dans un même panier la samba brésilienne, les « papi » cubains dont
Compay Segundo, pour arriver à des fusions électroniques à la Gotan Project (Gotan, signifiant
« tango » en verlan).
L’exemple le plus extrême de cette vague de produits world music sur mesure est sans conteste Deep
Forest, qui, remixant quelques sons de pygmées volés aux ethnomusicologues et sous couvert d’écologie
et de rapprochement des peuples, est le prototype même de la world music, pas chère, à succès, et
dénaturant une musique traditionnelle.
Pour Alain Swietlik, le terme de world music disparaît en 1993 des rayons spécialisés des Fnac et autres
distributeurs. La terminologie hésite entre musiques du monde et musiques ethniques et traditionnelles.

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Si l’idée d’une ouverture sur les « autres musiques » est à priori positive, riche d’échanges culturels,
l’histoire récente montre qu’en matière de world music, comme il en est des matières premières, il ne
s’agit pas à proprement parler d’échanges mais d’emprunts, avec plusieurs conséquences dramatiques :
l’utilisation de musiques traditionnelles dans des produits de world music contribue souvent à les
dénaturer. Contre une industrialisation massive de la culture, une standardisation des harmonies et des
rythmes soumises aux lois du marché, il s’agit de défendre non pas seulement la musique des autres,
mais une musique autre, ouverte, étrange autant qu’étrangère.
Dans l’article de Martin D.Roberts intitulé « World music : la transplantation de la culture », l’auteur
nous rappelle - musique de gamelan (Indonésie) à l’appui que cette musique traditionnelle a des
fonctions sociale et religieuse, fonctions qui , de fait, disparaissent dans la fusion world musi, de même
que l’engouement actuel pour les musiques gnawa, musiques religieuses, elles-aussi. « La
mondialisation de la musique de gamelan en a modifié les modes de production et d’exécution au niveau
mondial - écrit-t-il -, de même l’impact de la modernité technologique, de la musique populaire
occidentale et du tourisme ont modifié le gamelan au niveau local ».
Autre conséquence, l’inspiration est à sens unique, et le concept va même plus loin. La world music
considère que les musiques traditionnelles n’ont pas de valeur en elles-mêmes et doivent être enrobées
d’instruments ou de musiciens conformes aux habitudes occidentales ; qu’elles ne peuvent pas être
commercialisées telles quelles et doivent être habillées de rock et de synthé pour satisfaire aux normes.
Relevons d’autres conséquences, de nature économique celles-ci. : l’utilisation (on peut même parler de
vols) de sons, de mélodies, de rythmes empruntés par les producteurs occidentaux à l’Afrique, l’Asie, ou
l’Amérique Latine, ne fait que rarement l’objet de convention de droits ou de rétribution des artistes en
bout de chaîne. On comprend le désir des musiciens traditionnels de se plier aux exigences marketing
des « majors », de transformer souvent radicalement leurs origines musicales et donc culturelles pour se
faire connaître. .
Dans l’article intitulé « Identité africaine et mondialisation », Boubacar Boris Diop revient sur
l’exemple de la musique africaine, qui en raison de ses facilités de diffusion et de son caractère tout à la
fois populaire, est à l’origine de réussites personnelles exemplaires (Youssou N’Dour, Salif Keita, Toure
Kunda) : « La notoriété internationale de quelques musiciens incite les autres à marcher sur leurs traces
en adaptant les sonorités africaines aux goûts d’une clientèle mondiale, surtout occidentale (…) ils
savent bien que dans le dosage subtil qu’implique la « world music », il est important pour lui de cibler
la clientèle lointaine surtout friande d’exotisme ».

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On peut bien parler de récupération de ces musiques par les majors (maisons de disques, secteur
concentré s’il en est), et des medias. En 2000, Jean-Marie Messier, alors PDG de Vivendi–Universal
(une des plus grandes maisons de disques mondiales) utilisait même les exemples de la world music pour
se défendre contre les attaques d’uniformisation de la culture dont son groupe était entre autres l’acteur.
« Si Faudel, Khaled et bien d’autres – assurai-t-il - sont devenus des vedettes extraordinairement
populaires en France et en Europe, ce n’est pas un épiphénomène. C’est le signe d’une mixité croissante
des cultures, un pont entre la France et le Maghreb ». Sous-entendu, c’est grâce à l’action des
compagnies privées qui diffusent (et accessoirement s’enrichissent de) ces « musiques-là ».
Ce sont les critères de rentabilité des industries les plus puissantes qui dictent la standardisation des
produits culturels. L’homogénéisation des goûts, des langages et des valeurs permet aux industries
culturelles de créer des marchés plus vastes pour la diffusion de leur produits. « La production culturelle
devient production mercantile ou culture mercantilisée, une activité d’entreprise ; ainsi, la consommation
culturelle devient consommation mercantile »5
La compétition extrême et brutale entre les produits-phares (stars, blockbuster, best-sellers) et tous les
autres produits culturels, s’appuie sur les techniques de marketing mises en œuvre par des réseaux de
distribution susceptibles d’établir un contact immédiat avec un très grand nombre de consommateurs.
Ainsi, de la fabrication d’artistes mondialisés dans le domaine de la World music et de la variété
internationale. Il s’agit de fabriquer l’artiste « qui voyage » le mieux et dont la diffusion simultanée à
l’échelle planétaire permettra de maximiser les profits ou de simplement de rentabiliser les
investissements engagés. Sa carrière sera soumise à l’examen quotidien des résultats de ventes planétaire
et au cycle, méticuleusement programmé et contrôlé par la firme discographique, des albums, des
tournées et de la promotion médiatique.
Certes, une musique s’enrichit toujours au contact d’une autre, le tout est de savoir dans quelles
conditions. La world music serait acceptable si elle parvenait à réaliser un véritable échange, sans pour
autant dénaturer chacun des deux systèmes. Il existe des exemples de belles rencontres, notamment entre
le jazz et la musique indienne. Malgré les apparences, ces deux systèmes musicaux sont fondés sur les
mêmes principes : contrainte et liberté, et liberté dans la contrainte. Les deux font une large part à
l’improvisation, à l’intérieur d’un cadre donné au départ .
Lévi-Strauss constate qu’« il n’y a pas de société sans musique, et il n’y a pas deux sociétés avec la
même musique ». Il est évident que le processus occidental de développement de la world music est un
processus déguisé d’acculturation.

5
Julio Carranza, Cultura y desarrollo. Editions UNESCO, Buenos Aires, 2001.

225
226
Alain Swietlik conclue :"La mémoire musicale des peuples est un portrait du monde. C’est un livre
sonore qui parle des peuples dans leur irréductible originalité, qui parle d’humanité dans son
inestimable diversité. C’est ça , la musique du monde . La world music fabrique à partir des musiques
traditionnelles des produits complètement coupés du peuple, des inventeurs, des pratiquants. C’est la
négation de l’esprit d’invention, et l’assassinat à coup sûr de tout ce qui a généré les formes musicales
que le monde découvre et admire aujourd’hui. » 6:
Lire : Martin D.Roberts Pour une anthropologie musicale, Ecouter-Voir N°62, février 1997. Société française
d’Ethnomusicologie.
Cahiers d’études africaines (mars 2003 - N°168, trimestriel, EHESS, 5-7 rue Marcelin-Berthelot, 92762 Antony Cedex), qui
offre une analyse sur la notion de World Music dans l’expression musicale africaine.
« Identité africaine et mondialisation », Boubacar Boris Diop
Guide des musiques du monde – Eliane Azoulay
Patrick Tiernay. « Au nom de la civilisation ». Grasset. Paris.
Etienne Bours « Dictionnaire thématique des musiques du monde ». (Fayard) Paris
Ecouter : Musiqes du Monde. Emission de Laurence Aloir sur RFI. (www.rfi.fr)

Negri, Toni La révolte de 1968 eut en Italie une ampleur toute particulière. Le gouvernement répondit à
la rébellion par une stratégie de raideur qui eut pour effet de fortifier certains groupes d'extrême gauche.
A ce moment-là Toni Negri, né le 1er août 1933 à Padoue, fréquentait des mouvements marxistes,
militant au sein du PC italien avant de basculer dans l'agitation gauchiste. Il était l'un des théoriciens de
la rupture politique, y compris par la violence, à travers l’alliance d'un pouvoir ouvrier associé aux autres
luttes (féministes, étudiants, exclus). Universitaire, il a profondément influencé par ses analyses et
théories les groupuscules révolutionnaires italiens et participa avec d’autres militants à la fondation en
1969 du groupe Potere Operaio.
Aux occupations d'usine répondirent les violences policières et les attentats fascistes, ceux-ci suivis à
leur tour les attentats d'extrême gauche. Cet engrenage de la violence qu'on appelle les " années de
plomb " culmine avec l'assassinat, en 1976, par les Brigades rouges, du premier ministre démocrate-
chrétien Aldo Moro qui cherchait à réaliser un " compromis historique " avec le PCI. La politique de
6
Article paru en 1996 dans Ecouter-Voir N°58

226
227
répression qui suivit provoqua la fuite de nombre d'intellectuels engagés, en particulier en France, et
jeta la suspicion sur la démocratie italienne.
Accusé de complicité dans l'assassinat d'Aldo Moro, Toni Negri fait quatre ans et demi de prison en
préventive dans des quartiers haute sécurité. Il est élu député du Parti Radical en 1983 et cette même
année s'exile en France.

L’ex-directeur de l'Institut d'études politiques de Padoue devient Chargé de cours à l'Ecole normale
supérieure de la rue d'Ulm à Paris. Il enseigne également à l'université Paris-VIII et au Collège
international de philosophie, sans cesser de publier des ouvrages, dont la rigueur et la qualité sont
incontestables.

Après quatorze ans d'exil à Paris, il rentre de son plein gré, le 1er juillet 1997, à Rome, où il est arrêté a
sa descente de l’avion et incarcéré à la prison Rebibbia, où il purge le reliquat des dizaines d'accusations
lancées contre lui en 1979. La plus grande partie de ces accusations ayant été levée, Negri n'est plus
incarcéré que pour " insurrection armée contre l'Etat " et " responsabilité morale " dans les affrontements
entre les militants d'extrême gauche et la police entre les années 1973 et 1979.

Pendant ces années, il retrouve une nouvelle jeunesse dans des luttes altermondiales. Le capitalisme
demeure encore et toujours le grand ennemi et prêche que « à la globalisation économique actuelle, il
faut répondre en demandant la globalisation des droits des citoyens du monde. »

« Si la démocratie veut tourner la page, écrivait récemment M. Toni Negri, il faut qu'elle reconnaisse
l'existence d'une minorité qui s'est certes trompée, et qui a subi une défaite cuisante, mais qui a lutté
pour obtenir le changement. Cette minorité a payé sa générosité par des milliers d'années de prison :
c'est cette même générosité dont devraient aujourd'hui faire preuve les instances qui gouvernent
l'Italie. »

A Lire, de Toni Negri : La Classe ouvrière contre l'Etat, Galilée, Paris, 1978 ; Italie rouge et noire, Hachette, Paris, 1985 ; Il
domino e il sabotaggio, Feltrinelli, Milan, 1978.

227
228
OCDE L’Organisation de Coopération et de Développement Économique a été créée en 1961. Elle
rassemble 30 pays les plus riches de la planète. Son siège se situe à Paris. Ses objectifs principaux
sont la promotion de l'économie de marché et du libre-échange. Pour prendre ses décisions, l'OCDE
se réunit chaque année en un conseil qui compte un représentant de chaque pays membre. Ils
produisent les deux tiers des biens et des services du monde. Sans pouvoir décisionnel, l’OCDE se
veut un laboratoire d'idées.
Selon l'expression de l'un de ses experts, l’OCDE « examine, élabore et perfectionne» les politiques
économiques et sociales des Etats membres. Une mission floue mais très influente. De l'environnement à
l’agriculture, en passant par la technologie ou la fiscalité, les «recommandations» de l'OCDE
«persuadent souvent ses membres d'adopter des politiques plutôt orthodoxes et monétaristes. Et acquises
au libéralisme et à l’euroréchange. D'où son rôle de «pilier» de la mondialisation (avec le FMI, la
Banque mondiale et l'OMC) que dénoncent les contestataires.
Dotée d'un budget de 200 millions de dollars (227 millions d'euro), l'OCDE abrite à Paris 1850
permanents, dont 700 experts qui produisent annuellement 12000 documents, 300 livres et 25
périodiques. En crise de légitimité, l'OCDE s'est efforcée de se «diversifier». Elle promeut la
biotechnologie comme la sécurité alimentaire. Récemment, l'un de ses rapports a vanté les politiques de
lutte contre l’exclusion. Un autre a redécouvert les mérites de l'Etat -providence. Mais le souci de
«dialogue» avec les contestataires ne passe pas toujours. Ainsi, les Amis de la Terre avaient remis à
Donald Johnston, secrétaire général de l’OCDE, un «trophée de l'hypocrisie», épinglant l' «utilisation
opportuniste du thème du développement durable pour améliorer son image ».
OGM Un organisme génétiquement modifié est une entité vivante (micro-organisme, plante, animal)
dont on a modifié le patrimoine génétique afin de le doter de propriétés que la nature ne lui a pas
attribuées. Ce résultat est obtenu par manipulation de l’Acide Désoxyribo Nucléique (ADN), qui est le
principal constituant des chromosomes et donc le porteur de l’hérédité. Par conséquent, un OGM est un
organisme « bricolé » afin de lui rajouter artificiellement un ou plusieurs gènes (par exemple introduire
un gène humain dans un porc pour obtenir des bêtes plus musclées ou moins grasses).

La variété des applications possibles de ces techniques constitue l'un des volets de la polémique. Les
OGM peuvent être présentés comme des réponses à des inquiétudes majeures: qualité de l'alimentation,
lutte contre des maladies et, plus encore, possibilité de résoudre la question alimentaire. Des OGM
obtenant de meilleurs rendements, avec moins de consommation de pesticides, d'engrais, d'eau,
permettant de mettre en culture des terres pauvres apparaissent alors comme une alliance - inattendue -
entre écologie et productivité, entre ressources du «Nord» et difficultés du « Sud ». Mais ce discours

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229
positif est de plus en plus couvert par les propos anti-omg, et il semble qu'il y ait désormais peu de
place entre refus global et acceptation confiante.
Les critiques portées à l'encontre des OGM tiennent à la fois à des incertitudes techniques et
scientifiques et à la remise en cause d'une certaine conception de la production agricole, ainsi que des
échanges agricoles mondiaux.
Hormis les quelques «bricolages» dénoncés dans la mise au point des OGM, leur principe touche au
fonctionnement même du vivant et repose sur des avis scientifiques qui ne sont pas des certitudes. La
question majeure est celle de la dissémination. Les propriétés conférées aux OGM ne risquent-elles pas
de se transmettre dans l'environnement? Peut-on imaginer qu'une plante adventice devienne résistante à
un herbicide? Une bactérie rebelle à un antibiotique?
Et alors même qu'aucun scientifique ne peut garantir l'innocuité des OGM, le gouvernement de
M. George Bush exige de l'Union européenne qu'elle lève le moratoire de 1998 sur de nouvelles
importations de ces produits. Et le même prend des mesures protectionnistes sur le Rocquefort ! Loin de
résister aux pressions de Washington, la Commission européenne les relaie complaisamment chez les
Quinze, et le commissaire Pascal Lamy garantit à ses interlocuteurs américains qu'il ne se battra pas pour
l'application du principe de précaution.

Aiguillonnée par les multinationales du complexe génético-industriel, l'administration Bush


s'impatiente : certains Etats membres de l'Union européenne - dont la France - s'obstinent à ne pas suivre
les propositions de la Commission de Bruxelles, qui, elle, a fait siens les desiderata de Washington. Pour
reprendre le titre d'un article du Financial Times (10 janvier 2003), « les Etats-Unis sont prêts à
déclarer la guerre sur les OGM » par une plainte contre l'Union devant l'Organe de règlement des
différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Déjà, en janvier 2002, la secrétaire américaine à l'agriculture, Mme Ann Veneman, rappelait, dans un
discours prononcé à Oxford, que les Etats-Unis, eux, s'appuient toujours sur de la « science solide »,
alors que « malheureusement, en Europe, [il existe] un concept concurrent qui s'appelle le principe de
précaution, lequel semble reposer sur la prémisse de la seule existence d'un risque théorique... Ce
concept pourrait facilement bloquer certains des produits agricoles les plus prometteurs, surtout ceux
issus des biotechnologies ». Huit jours plus tard, son sous-secrétaire d'Etat aux affaires économiques et
agricoles, M. Alan Larson, devenu conseiller économique de M. Colin Powell, faisait de la surenchère à
Bruxelles, en déclarant que « la patience des Etats-Unis est à bout ».

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230
On va vers une monopolisation du vivant, doublée d'une confiscation de la diversité génétique, par
une poignée de firmes. Le 6 novembre 2001, à Doha, 64 des plus puissants groupes et associations de
producteurs agricoles américains (dont Cargill, Monsanto, le Farm Bureau, les Grocery Manufacturers,
etc.), représentant des milliards de dollars d'exportations, écrivaient au Secrétaire au commerce et à
l'agriculture, pour dénoncer le principe de précaution et les « mesures illégitimes et autres barrières
techniques au commerce » mises en oeuvre par l'Union. Ces organisations sommaient les gouvernements
de ne plus laisser bafouer deux accords de l'OMC : celui sur les mesures sanitaires et phytosanitaires
(sigle SPS en anglais), et celui sur les obstacles techniques au commerce.

Le commissaire européen chargé du commerce, M. Pascal Lamy, semble partager cette vision. Avant la
signature de la déclaration de Doha, et pour le rassurer, il écrivait à son ami Robert Zoellick,
représentant spécial du président des Etats-Unis pour le commerce international (USTR) : « Vous m'avez
fait part des profondes préoccupations de votre gouvernement, particulièrement en ce qui concerne le
commerce des produits biotechnologiques, et la mise en oeuvre des aspects commerciaux des accords
multilatéraux sur la biosécurité, actuels ou futurs, en exprimant votre souci que l'Europe pourrait se
servir des négociations décidées à Doha comme moyen pour justifier des barrières illégitimes au
commerce. A cet égard, et en tant que négociateur de la Commission européenne, je vous écris pour
vous garantir que ce ne sera pas le cas. Je veux également vous assurer que je ne me servirai pas de ces
négociations pour changer l'équilibre des droits et des obligations au sein de l'OMC en ce qui concerne
le principe de précaution»
La dernière phrase de cette lettre en dit long : pas question que l'Union demande le renforcement du
principe de précaution. Pas question, en particulier, qu'elle exige le renversement de la charge de la
preuve en matière de bio sécurité : le pays ou groupe de pays qui ne veut pas importer tel ou tel produit
(ce qui est le cas pour le bœuf aux hormones dans l'Union européenne) sera toujours contraint de prouver
que ce produit présente un danger. Les exportateurs, eux, continueront à être dispensés d'apporter la
preuve de son innocuité. Le lobby américain, appuyé à Washington par toute la machine
gouvernementale, prétend que le moratoire européen représente un manque à gagner de 300 millions de
dollars pour le seul maïs, et il pousse d'autant plus fort à la roue qu'il est alléché par la perspective d'un
monopole américain potentiel sur tous les produits agricoles OGM.
Pourtant, aussi bien la prestigieuse Royal Society britannique que la British Medical Association (BMA)
témoignent de sérieuses inquiétudes sur le sujet .Ainsi la BMA déclare que « la recherche des effets
néfastes potentiels des OGM alimentaires sur la santé humaine n'existe toujours pas. Au nom du
principe de précaution, les essais d'OGM en plein champ ne devraient plus être autorisés ».

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231
Le risque est grand de voir s'instaurer officiellement un directoire technologique et financier des pays
riches, une sorte de « G 8 du médicament», décidant de tout, du niveau des recherches comme du
lancement (ou non) de tel ou tel produit. Cela accentuerait encore les déséquilibres: les pays développés,
très solvables, disposeraient de thérapies de pointe, très onéreuses et protégées par le droit de propriété
intellectuelle; les autres pourraient en bénéficier quand seraient épuisés les droits de brevet... vingt ans
plus tard et quelques centaines de milliers de morts après.

En ratifiant, vendredi 13 juin à New York, le protocole sur la biosécurité, l'Etat insulaire de Palau per-
mettra peut-être l'entrée en vigueur du traité qui régit le commerce des OGM. Signé en janvier 2000 à
Montréal, le protocole, dit aussi «de Carthagène », devait recevoir la ratification de cinquante Etats pour
entrer en vigueur: Palau permettant d'atteindre ce chiffre, il sera applicable quatre-vingt-dix jours après
cette signature, soit le 1l septembre 2003.

Le traité régit les mouvements internationaux d'OGM. Toute semence transgénique devra, à la première
arrivée dans un pays importateur, obtenir un accord préalable de ce dernier. Le pays peut s'opposer à
l'importation en se référant au principe de précaution ainsi qu'à des considérations socio-économiques. Il
prévoit aussi l'étiquetage des cargaisons d'OGM. Le texte n'a pas été signé par les Etats-Unis, qui ont
lancé une plainte auprès de l'Organisation mondiale du commerce contre l'Union européenne à propos
des OGM. Les Européens pourront se référer au protocole de biosécurité, d'un rang égal au traité de
l'OMC, pour contester l'attaque américaine.

Lire : Susan George, « Vers une offensive américaine sur les OGM », Le Monde diplomatique, mai 2002.
Bulletin de l'Académie nationale de médecine, 186, n° 9, séance du 10 décembre 2002.
Académie des sciences, « Les plantes génétiquement modifiées », rapport Science et technologie, n° 13, décembre 2002.
The Royal Society, Genetically Modified Plants for Food Use, septembre 1998 ; The British Medical Association, Board of
Science, The Impact of Genetic Modification on Agriculture, Food and Health : an Interim Statement, 1999 ; BMA, The
Health Impact of GM Crop Trials, novembre 2002.

OIC John Maynard Keynes, l'architecte de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international
(considérés à l'époque comme des institutions progressistes), aurait bien voulu ajouter un troisième pilier
à son édifice de l'après-guerre. Avant sa mort survenue en 1946, il avait préparé le terrain pour cette
Organisation internationale du commerce.

Il a d’ailleurs très convenablement accompli ce travail. En quarante-cinq ans, les pays membres et leurs
experts, réunis au cours de Rounds ou cycles de négociations successives, (Kennedy, Tokyo, Uruguay,
etc.), ont réussi à abaisser les tarifs douaniers d’une moyenne de 40-50%. Mais le GATT ne s’occupait
que des marchandises (textiles exclus) ; il n’avait pas compétence pour les produits agricoles ou les

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232
services et la propriété intellectuelle, immatériels par définition. A la longue, les entreprises
transnationales ont compris les avantages d’un accord similaire dans ces domaines et, ont décidé de bâtir
une nouvelle organisation internationale qui s’occuperait de leurs intérêts dans un cadre plus large.
Les statuts de cette OIC ont été négociés et la Charte de La Havane, qui les promulguait, a été signée par
56 pays lors d'une conférence internationale tenue à Cuba en 1947-1948. Les États-Unis ont toutefois
refusé de la ratifier. Était-ce parce que ses statuts prévoyaient de substantielles garanties pour les
travailleurs et encourageaient les accords entre producteurs de matières premières? Toujours est-il que
seul le chapitre IV de cette Charte a survécu, sous le nom du GATT (General Agreement on Tariffs and
Trade ou Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et c'est ce GATT qui a servi de cadre, à
partir de 1948, pour réduire progressivement les droits de douane sur les produits manufacturés .

OMC Sans une organisation de cette nature, ne serait-ce pas la loi de la jungle? Ne profite-t-elle pas à
tous les pays, riches et pauvres, forts et faibles? Alors, pourquoi suscite-t-elle tant de méfiance et
d'opposition? Pourquoi Attac et bien d'autres organisations luttent-elles, en France et dans le monde
entier, pour l'amender, la transformer, voire la supprimer, alors qu’elle prétend être nécessaire pour
réglementer un commerce entre les nations qui dépasse désormais les 6000 milliards de dollars
annuellement ?

L'OMC a été conçue et voulue par les pays développés (surtout les Etats-Unis) et par leurs entreprises
transnationales (ETN). Elle a été créée pour aller au-delà du GATT de 1947, qui ne couvrait que les
produits industriels et ne pouvait imposer d'arbitrages en cas de litige. Le GATT organisait les
discussions commerciales entre pays dans ce qu'il appelait des Rounds (cycles). Les pays riches vont se
servir du Cycle de l'Uruguay (ultime cycle des négociations du GATT) pour, à partir de 1986, préparer la
création de l'OMC. Les divers Accords qui en résulteront vont régir non seulement les biens industriels,
mais aussi les services, l'agriculture et la propriété intellectuelle.
L'un des Accords instaure le "tribunal" de l'OMC (appelé l'Organe de règlement des différends), dont les
décisions seront contraignantes. D'autres accords fixent des normes et des règles (par exemple sur les
barrières techniques au commerce, ou les mesures sanitaires et phytosanitaires). Les pays membres
doivent se plier à la loi du "tout ou rien" et accepter l'ensemble des accords - deux bonnes douzaines -
consignés dans 600 pages serrées et des milliers de pages d'annexes. Ils signent le tout à Marrakech en
avril 1994. L'OMC voit le jour le 1er janvier 1995 et s'installe à Genève dans l'ancien siège du GATT.
L'OMC compte aujourd'hui 145 pays membres. Ses langues officielles sont l'anglais, le français et
l'espagnol mais, comme c'est souvent le cas, l'anglais est la véritable langue de travail. Le secrétariat est
censé être purement technique et n'exercer aucun pouvoir politique; en fait, les textes rédigés par ses

232
233
fonctionnaires révèlent la nette orientation libérale de l'organisation. Formellement, la règle « un
pays-un vote » la régit; en pratique, il n'y a jamais de vote, et, le plus souvent, les Etats-Unis, l’Union
européenne, la Canada, et le Japon décident et les autres acceptent: cela s'appelle le « consensus ». Bien
des pays pauvres n'ont même pas d'ambassadeur auprès de l'OMC à Genève, et aucun n'a le personnel
nécessaire pour suivre un grand nombre de négociations et de comités divers en parallèle. Comme le
disait un ambassadeur du Sud: »L’OMC est comme un cinéma multiplex, vous devez choisir votre film
parce que vous ne pourrez pas les voir tous". Quant à l'Union européenne, c'est la Commission
européenne qui représente ses 15 membres dans toutes les négociations.
Comme il se doit, l'OMC est parfaitement adaptée aux exigences des entreprises transnationales qui
assurent plus des deux tiers du commerce mondial. Ses règles reflètent fidèlement l’idéologie néo-
libérale, à son apogée pendant les années 1985-1995. La loi du marché y prime sur le droit national ou
international; l'environnement, la démocratie et la capacité des Etats à gouverner chez eux sont mises à
rude épreuve car, contrairement au GATT qui s'arrêtait aux frontières, les règles de l'OMC lui permettent
de s'immiscer dans les affaires intérieures des pays membres. En 1998, son directeur général d'alors,
Renato Ruggiero, a bien résumé la situation: "Je doute que les gouvernements aient encore apprécié
toute l'étendue de leurs engagements"...
Ce qui pose problème avec l'AGCS, comme cela avait été le cas dans le cadre de l'AMI*, c'est avant tout
le manque de transparence qui ne permet même pas aux parlementaires de pouvoir s'informer sur les
négociations en cours au sein de l'Union européenne. Pascal Lamy, Commissaire européen au
Commerce est en charge de ces négociations mais entretient un savant flou artistique dès qu'il s'agit
d'informer les citoyens sur les tenants et les aboutissants de cet accord. De ce fait, ce sont les ONG qui
travaillent à l'information et à la sensibilisation des citoyens sur ce sujet.
Après sept ans d'existence, l'OMC affiche un triste bilan: déstabilisation des productions agricoles
vivrières des pays en développement; subordination de la préservation de l'environnement, de la sécurité
sanitaire et alimentaire et des droits économiques et sociaux à l'idéologie libre-échangiste et aux intérêts
des entreprises transnationales; brevetage du vivant; allongement généralisé de la durée des brevets à 20
ans, contre les intérêts, parfois vitaux, d'une large majorité de l'humanité, etc.
La OMC a pour unique objectif de supprimer les entraves au commerce mondial. Son postulat est que
plus il y aura de commerce, et plus il y aura de croissance et de richesse pour tous. En fait, l'histoire
économique démontre exactement le contraire: le libre-échange profite essentiellement aux forts, et il
ruine les faibles, comme l'atteste la situation de nombreux pays d'Afrique et d'Amérique latine qui
avaient cru à cette chimère idéologique, ou se l'étaient fait imposer.

233
234
Les pays du Sud ont déjà fait de nombreuses fois l'amère expérience de cette libéralisation imposée
par la Banque mondiale et le FMI en échange de prêts: augmentation des tarifs, couverture géographique
et qualité du service inégales, exclusion des services de santé d'une partie de la population... Dans le
cadre de l'AGCS, ils vont devenir un réservoir de main d'œuvre pour les pays riches mais avec des droits
et des salaires moindres (au travers du mode 3 de l'Accord qui concerne la présence commerciale d'une
filiale de firme étrangère). Alors que le droit d'asile se fait de plus en plus restrictif, on va assister à des
déplacements de salariés pour une période donnée, au bon vouloir des entreprises transnationales. Pour
les pays du Nord, les conséquences seront aussi désastreuses: le secteur public va être condamné à
pratiquer les mêmes tarifs que les entreprises privées sous peine de devoir payer des compensations à la
firme d'un autre pays membre (là encore dans le cadre du mode 3 de libéralisation). On voit donc toute la
précarisation de l'emploi et la détérioration des services fournis que cela peut entraîner. Les entreprises
publiques vont donc se retrouver à gérer les services les moins rentables économiquement: nul doute
dans ce cas que les gouvernements (de droite comme de gauche) préféreront alors privatiser plutôt que
d'avoir à subir des mesures de rétorsion devant le tribunal de commerce qu'est l'OMC (2).

Par exemple, en 1999, l’OMC a autorisé les Etats-Unis à exiger des droits de douane de 100% d’un
montant total de 700 millions de francs, à certains produits français, italiens, belges et autres- parmi
lesquels le roquefort, et ce, en guise de représailles contre le refus de l’Union européenne d’importer de
la viande aux hormones américaines.

Imperturbables, les Etats-Unis et la Commission européenne proposent néanmoins de mettre à l'ordre du


jour la « libéralisation» - comme on dit pudiquement - de secteurs qui, dans des pays comme la France,
relèvent encore du service public, c'est-à-dire de la solidarité nationale. Ce qui est ainsi programmé - si
les citoyens n'y font pas barrage -, c'est un véritable basculement dans un univers où tout deviendra
marchandise, y compris le corps humain. Et cela au seul profit des institutions financières et des
multinationales, avides de pénétrer des terrains dont elles étaient jusqu'ici exclues, et sans que l'on ait
jamais demandé leur opinion aux électeurs. On est très loin, on le voit, de simples considérations de
commerce international.

Et ce n'est qu'un début : les textes instituant l'OMC, signés à Marrakech en 1994, visent, étape par étape,
à organiser, au plan mondial, l'ensemble du commerce selon les principes de la " liberté" des échanges
marchands et de la concurrence parfaite. Ainsi, en application des principes de l' " accès au marché" et
du "traitement national ", l'OMC non seulement intervient dans le commerce pratiqué à l'intérieur de
chacun des Etats, mais aussi dans leurs lois et règlements, tant au niveau national que local ; à soumettre

234
235
des domaines toujours plus nombreux de l'activité humaine au marché mondial (univers des sociétés
transnationales) et à la sphère financière. Ainsi, l'Accord général sur le commerce des services (AGCS),
l’un des piliers aucun service de ses visées, tant sous l’angle du commerce que sous celui de
l’investissement.
L’OMC a des compétences beaucoup plus vastes que celles des accords de libre-échange. D'où les
risques supplémentaires qu'elle fait courir au développement des pays pauvres. Malgré cela, la plupart
d'entre eux veulent continuer à en faire partie. Ils la tiennent pour un moindre mal, dans
la mesure où elle leur permet de se faire entendre dans le fonctionnement du système commercial
international, chaque Etat disposant, en théorie, d'une voix. Elle leur accorde une protection minimale
contre les pressions bilatérales en faveur de la libéralisation de leurs échanges venant des pays
développés, principalement des Etats-Unis.
En 1999, à Seattle, la précédente Conférence ministérielle de l'OMC entendait confirmer et renforcer
cette orientation en ouvrant un nouveau cycle global mondial de libéralisation commerciale: le cycle dit
du Millénaire. Elle échoua en raison de désaccord des pays riches entre eux, et entre eux et les pays
pauvres, et aussi grâce à l'action de dizaines de milliers de manifestants. A l'occasion de la nouvelle
Conférence ministérielle de l'OMC, du 9 au 13 novembre 2002 à Doha (Qatar), les Etats-Unis et l'Union
européenne, notamment, entendaient relancer le projet laissé en suspens à Seattle.
Ils se heurtent à une opposition de plus en plus résolue de syndicats, de mouvements sociaux, d'élus qui
se refusent à la marchandisation du monde, avec les entraves inévitables pour les pays pauvres. Malgré
cela, la plupart d'entre eux veulent continuer à en faire partie. Ils la tiennent en effet pour un moindre
mal, dans la mesure où elle leur accorde une protection minimale contre les pressions bilatérales en
faveur de la libéralisation de leurs échanges venant des pays développés, principalement des Etats-Unis.
Cette situation pourrait bien ne pas durer en raison du ressentiment des pays en développement à l'égard
du fonctionnement réel de l'OMC : apparemment « démocratique », elle est en fait dirigée par une
oligarchie de pays riches. Non pas simplement parce que ces derniers disposent du pouvoir implicite de
cajoler ou de menacer les plus faibles, cas de figure classique dans une démocratie composée d'acteurs
de poids inégal. Le problème est qu'ils ne se donnent même pas la peine de sauver les apparences,
comme on le constate dans les réunions dites du «salon vert» où les représentants des pays en
développement ne sont pas invités, et auxquelles on leur interdit l'accès s'ils se présentent à la porte!
Si l'OMC continue à priver les pays pauvres des outils de leur développement, leur départ en masse ne
saurait être totalement exclu. A l'inverse, ils pourraient tenter d'utiliser pleinement les mécanismes
démocratiques de l'Organisation en vue d'en renégocier les paramètres fondamentaux. Dans cette hypo-

235
236
thèse, les pays les plus puissants, et tout particulièrement les Etats-Unis qui ont érigé l'unilatéralisme
en doctrine, pourraient décider de quitter l'OMC plutôt que de risquer la défaite dans un scrutin.
Dans les deux cas, c' en serait fini du libre-échange tel que nous le connaissons. Et ce ne serait pas
nécessairement à regretter, tant est déplorable son bilan des deux dernières décennies.
Tout sur Attac. Les Paradis fiscaux, Remettre l'OMC à sa place, ces " petits livres" à moins de 2 €, édités par Attac en
collaboration avec les éditions des Mille et une nuits, se sont vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Leur
objectif: faire de la vulgarisation sur des sujets d'économie réputés ardus.

OMS Instituée en 1946 par l’ONU, l'Organisation mondiale de la santé réunit les représentants des 191
pays membres. Elle élit pour trois ans un Conseil exécutif de représentants (rééligibles) de 32 pays, et
désigne, sur proposition du Conseil, le directeur général pour un mandat de cinq ans renouvelable une
fois. La structure administrative de l'OMS comporte, outre le siège à Genève, six bureaux régionaux,
dont les directeurs. Élus également pour cinq ans par les représentants des Etats de leur région et
renouvelables une fois, ils jouissent d'une grande autonomie par rapport au siège. L'OMS publie tous les
ans un Rapport sur la santé dans le monde.

Alors que des épidémies dévastent la planète, peut-on compter sur cette organisation pour répondre au
défi de « la santé pour tous » ? L'avidité des grands laboratoires, un des premiers obstacles, n'a guère
rencontré d'opposition de la part de l'organisation. Sa directrice générale, Mme Gro Harlem Brundtland,
qui doit solliciter en juillet 2003 ATTENTION un renouvellement de son mandat, leur a même
largement ouvert les portes, accélérant la privatisation d'un système mondial de santé qui court à la
faillite. Dès le début de son mandat, le 13 mai 1998, Mme Brundtland avait annoncé les principes de sa
stratégie devant la 51ème Assemblée: « Nous devons nous ouvrir aux autres. » Quels « autres » ?
Essentiellement le secteur privé, auquel un partenariat était proposé, ainsi que les principales
organisations multilatérales : Banque mondiale, FMI et OMC. « Nous devons protéger les droits des
brevets - renchérit-elle - pour garantir que la recherche-développement nous fournira les outils et les
technologies nouvelles (...). Nous avons besoin de mécanismes pour empêcher la réexportation de
médicaments à bas prix vers des économies plus riches. » Cette vibrante profession de foi en faveur des
brevets pharmaceutiques n'a pas été prononcée par le PDG d'une multinationale de la chimie, mais
encore par Mme Gro Harlem Brundtland elle même, le 29 janvier 2001, au Forum économique mondial
de Davos.
Au cours de la même réunion, Mme Brundtland n'avait pas été avare de louanges aux firmes
pharmaceutiques : « L'industrie, avait-elle remarqué, a fait un effort admirable pour remplir ses
obligations par ses dons de médicaments et ses réductions de prix. » Un « effort » d'autant plus méritoire

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237
qu'il avait été effectué malgré « la préoccupation des firmes pharmaceutiques que la fixation de prix
inférieurs pour les médicaments dans les pays en voie de développement puisse être utilisée comme un
levier pour influencer les négociations avec les pays qui, eux, ont les moyens de les acheter ». Un brevet
de moralité décerné aux multinationales... tout juste cinq semaines avant l'ouverture du procès intenté, à
Pretoria, par une quarantaine d'entre elles contre le gouvernement sud-africain, coupable de préparer
l'importation des médicaments génériques d'autres pays en développement...
Elue le 13 mai 1998, Mme Gro Harlem Brundtland , ancien premier ministre norvégien, s'était rendue
célèbre par la publication, en 1987, sous l'égide de l'ONU, d'un rapport sur l'environnement introduisant
le concept de développement durable. Nommée avec l'appui des principaux pays contributeurs pour
mettre de l'ordre dans une organisation affaiblie par plusieurs affaires de corruption et par la mauvaise
gestion de son prédécesseur, le Japonais Hiroshi Nakajima, Mme Brundtland a porté ses efforts de
réorganisation dans cinq directions principales : la restructuration des anciennes sous-directions
générales, la concentration des activités, la décentralisation des services administratifs, la réduction du
nombre de contrats à long terme au profit des contrats temporaires, et enfin une nouvelle tentative pour
unifier l'OMS en obligeant les six bureaux régionaux à se conformer à la politique décidée à Genève.
Une grande partie de la haute hiérarchie a été modifiée. Le 18 mai 2002, une motion présentée par le
Pakistan et adoptée lors de la dernière Assemblée, exigeait que le secrétariat et les comités d'experts
comprennent une représentation équitable des pays du sud et qu'enfin la transparence sur le mode de
sélection du personnel soit la règle.
Le budget de l'OMS s'élève à environ 1 milliard de dollars par an. Seuls 41 % proviennent des
contributions obligatoires des Etats membres, qui ont diminué de 20 % en dix ans. Le reste est constitué
de contributions volontaires provenant pour 61 % des Etats, pour 17 % de fondations et pour 16 %
d'entreprises privées. Ces contributions volontaires financent des actions bilatérales échappant au
contrôle du Conseil exécutif. Elles rendent l'OMS de plus en plus dépendante des principaux donateurs.
Onze priorités de santé publique ont été définies, qui remplacent la cinquantaine de programmes existant
au préalable. Les projets dits « du cabinet », aux intitulés très médiatiques - « Faire reculer le
paludisme », « Initiative pour un monde sans tabac (4) », « Partenariats pour le développement du
secteur sanitaire » -, viennent en tête, suivis de près par « Halte à la tuberculose » et par le programme de
lutte contre le sida. Cette restructuration a été accueillie favorablement par la majorité des pays riches, et
en particulier par les Etats-Unis.

A lire

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ONG C’est à partir de l’après-guerre, et plus encore sur les 30 dernières années, qu’on a vu fleurir ces «
pompiers humanitaires » . Les plus connues du grand public interviennent après de grandes catastrophes
naturelles (cyclone, inondation, tremblement de terre..), lors de conflits ou de crises ponctuelles
(famines, récession), pour apporter des solutions d’urgence dans les domaines de l’alimentaire, de la
santé ou du social.

Quelques ONG agissent dans le cadre d’une démarche à plus ou moins long terme, pour aider au
développement économique de pays défavorisés, pour un respect de l’environnement (WWF,
Greenpeace*), pour dénoncer les violations des Droits de l’homme (Amnesty International, FIDH*,
Handicap International…), ou pour défendre la liberté de la presse (Reporters sans frontières).

.Dans les faits, il n’existe pas de définition officielle commune, l’appellation ONG recoupe aussi bien
des associations, des syndicats, des entreprises, les Eglises, certains centres de recherches universitaires
également. On estime cependant que sur la dernière décennie, une « labellisation ONG » est accordée à
certaines associations par les grandes institutions internationales ( voir ONU, UE, FMI…) dés lors que
ces associations, par leurs actions, ont su démontrer leur compétence dans des domaines tels que
l’économie, la justice, la santé, l’éducation, l’environnement, la recherche.

Les ONG, particulièrement les grandes organisations internationales, ont acquis, au cours des trente
dernières années, un poids considérable et peuvent infléchir les politiques nationales, déterminer la
«mise en agenda» d'un problème ou même peser sur les décisions et fonctionnements de la politique
mondiale. On connaît le rôle joué par des organisations humanitaires françaises comme Médecins sans
frontières, née lors de la crise du Biafra en 1971, qui regroupe, outre 200 permanents, des milliers de
volontaires ; ou encore Médecins du monde (née en 1980), mais aussi Action internationale contre la
faim dans le monde. C'est MSF qui, la première, a attiré l'attention sur la famine de la province
sécessionniste nigériane. L’organisation a également été l'un des instruments de définition du « droit
d'ingérence » doctrine de politique internationale adoptée par la diplomatie française à la fin des années
80. Les ONG humanitaires (dont la principale demeure la Croix-Rouge) ont contribué à la «prise de
conscience» du monde, que la globalisation économique d'un côté et la fin de la guerre froide d'un autre,
ont renforcée.

Avec la problématique de la mondialisation* est apparu un nouveau type d’ONG. Entrent dans cette
catégorie les mouvements plurinationaux (plus ou moins importants en termes d’effectif et de budget)

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nés de la révolte contre le néo-libéralisme*. C’est le cas du Forum Social Mondial de Porto Alegre,
ou de l’association Attac*.

Il convient également de distinguer plusieurs types d’ONG suivant qu’elles sont ou non subventionnées
par des Etats ou des institutions internationales, car en fonction de ce lien financier, elles sont à même
(ou non) de conserver une indépendance dans leurs choix et actions. Par exemple le budget de
Greenpeace* (100 millions d’euro en 2001) ne provient que des souscriptions, alors que Max Havelaar*
en France fonctionne avec des subventions de l’Union Européenne et du Ministère des Affaires
étrangères français.

On sait, par ailleurs, que certaines ONG (notamment américaines) présentes en Amérique Latine ou en
Afrique, ont, sous prétexte d’actions de développement, servi de cellules d’espionnage locales.

Depuis quelques années, les entreprises privées ont compris l’intérêt médiatique (et par là-même l’intérêt
mercantile) de s’associer à certaines ONG, qui leur délivrent labels de qualité, d’éthique, de commerce
équitable* ; c’est notamment le cas des entreprises de la Grande distribution en France.(voir campagne
de publicité de l’enseigne Auchan).

Ainsi se diffuse l’idée d’une dérive liée aux ONG vers ce qu’on a appelé « la privatisation de l’action
publique ». Tout en reconnaissant le travail d’urgence et de fonds qu’elles accomplissent, on leur
reproche (mais est-ce à elles qu’on doit le reprocher ?) de se substituer au pouvoir politique et de
suppléer aux manquements des gouvernements. Ces derniers peuvent désormais se reposer sur ces seules
ONG et sur la sphère associative d’un point de vue local, pour gérer les problèmes inhérents à la mise en
place des politiques d’ajustement structurel (PAS).

La mise en œuvre de politiques néo-libérales dans un certain nombre de pays défavorisés a conduit à la
privatisation des secteurs de la santé, de l’éducation et du social. Le politique se désengageant de ses
responsabilités dans ces secteurs a accueilli très favorablement l’éclosion multiple des associations et
autres ONG gérant à sa place la satisfaction des besoins humains élémentaires (alimentation, santé,
éducation ) .

Dans certains cas, on estime même que le déploiement de certaines ONG a été fortement encouragé par
le FMI et la Banque Mondiale, dans le but d’affaiblir - en créant ces structures parallèles que sont les
associations – les administrations en place.

L’exemple d’Haïti est particulièrement éclairant (et dramatique) en la matière ; sous l’influence
américaine, le pays a été « partagé » entre 300 associations ou organisations confessionnelles (dont

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240
certaines ont un fonctionnement de type « sectaire »), qui remplissent les rôles d’éducation,
pourvoient aux besoins alimentaires ou de santé.

A Lire : A lire : Blaise Lempen. La mondialisation sauvage : de la fin du communisme à la tragédie du Kosovo. P.M.Favre,
1999

Rapport sur le développement humain 2002- Banque Mondiale


www.coe.int (conseil de l’Europe)
www.un.org

Patriot Act Quelques semaines après les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, les
Etats-Unis adoptent le Patriot Act, une loi qui permet de détenir des citoyens américains sans qu'aucune
charge ne soit retenue contre eux, comme ce fut le cas, après l'engagement des Etats-Unis dans la
Seconde Guerre mondiale, avec ceux d'origine japonaise.

" Avec les mises à jour viennent les nouveaux noms " , expliquait Paul Bresson, porte-parole du FBI. La
précédente dénomination ( Carnivore) évoquait des prédateurs avides de chair fraîche, véhiculant des
images " malencontreuses " pour bien des gens, ajoutait-t-il.
Carnivore est un logiciel d'écoutes installé sur les serveurs de fournisseurs d'accès à Internet, sous le
contrôle des autorités fédérales. Utilisé dans les affaires criminelles ou en matière de sécurité nationale,
ce mécanisme permet d'effectuer un suivi de messages et autres activités suspectes sur le Web.
Des défenseurs des libertés individuelles estiment que le système viole certaines protections contre les
recherches inutiles inscrites dans le quatrième amendement de la Constitution américaine.

L'ancienne Attorney General (ministre de la Justice) Janet Reno avait demandé une enquête
indépendante sur le fonctionnement du système après que le Congrès s'en fut ému. " S'il ne s'était pas
appelé Carnivore, -ajouta Paul Bresson - le système n'aurait pas suscité une telle controverse "

L’ancien chef de police Jacques Duchesneau peut dormir tranquille. Il rêvait du jour où chaque foyer
aurait son "policier de famille" comme un médecin de famille : la loi anti-terrorisme et le "Patriot Act"
donnent carte blanche à toute la réaction pour finaliser l'État policier qui se prépare depuis un bon
moment. Un exemple frappant? La coordinatrice du Parti Vert Américain, Nancy Oden, se présenta à
l'aéroport Bangor International du Maine, afin de se rendre à Chicago pour une réunion politique. Des
militaires armés lui firent savoir qu'elle ne pouvait prendre ni ce vol ni aucun vol pour une période. Son
crime ? Se prononcer publiquement contre la guerre en Afghanistan. Comme quoi, sous prétexte des
attentats, beaucoup en profitent pour faire passer trop rapidement des lois qui ouvrent des portes vers la

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violation des libertés individuelles. On a pu le voir récemment avec les tentatives des majors de
disques voulant faire passer une loi pour légaliser l'espionnage des internautes face aux copyrights.

L'enquête n'est plus liée à un téléphone en particulier mais au présumé terroriste. Le représentant de la
loi pourra donc obtenir des informations électroniques sur toute la batterie d'instruments utilisés par le
suspect : téléphone classique, téléphone mobile, Internet, etc. et il partagera ses découvertes avec les
autres agences gouvernementales.
" Aujourd'hui, nous franchissons une étape essentielle dans la lutte contre le terrorisme, tout en
protégeant les droits constitutionnels des Américains " , a déclaré le Président, lors d'une conférence de
presse à la Maison Blanche. Sans pour autant convaincre l'ensemble des avocats, défenseurs des libertés
civiles.
Il y a de quoi être inquiet si l'on se réfère à la déclaration de James Sensenbrenner, président du comité
judiciaire à la Chambre des représentants, au moment du vote de la loi : " Nous nous débarrassons des
tracasseries bureaucratiques qui ralentissaient les efforts de la police contre les nouveaux ennemis de
l'ombre ", s'est-il réjoui.
Mais objecte David Kairys, professeur de droit à l'université Temple, de Philadelphie, on sacrifie par la
même occasion beaucoup trop de libertés. " Les cibles habituelles de ce genre de loi ne sont pas les
terroristes, a-t-il ainsi expliqué au quotidien San Francisco Chronicle , mais les citoyens ayant une
opinion différente du gouvernement. "
Liberté : le mot est bien choisi. La guerre a toujours une double face, externe et interne. Déjà, Aristote
avait souligné au sujet du tyran qu'il faisait parfois la guerre « pour priver ses sujets de loisirs et leur
imposer constamment le besoin d'un chef».

Les guerres d'Afghanistan de d’Irak apporteront-t-elles au président républicain George W. Bush le


pouvoir institutionnel qu'une élection très discutable et la perte d'une des Chambres du Congrès avaient
paru mettre en péril ? Les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone ont renforcé des
tendances déjà présentes dans la politique américaine depuis 1978-1979. A partir de cette date, qui a
précédé l'élection de Ronald Reagan à la Maison Blanche, un spectaculaire glissement à droite a pétri la
société américaine. Même lorsqu'ils perdaient les élections, les républicains sortaient plus forts et plus
confiants de chaque nouvelle confrontation, alors que les démocrates tantôt recherchaient des compromis
avec les conservateurs, tantôt s'efforçaient de leur disputer le terrain le plus réactionnaire (abolition en
1996 de l'aide fédérale aux pauvres) (4).

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La déroute démocrate s'aggrava en décembre 2000, quand M. Albert Gore décida de ne pas discuter
le verdict de la Cour suprême (contrôlée par les républicains) proclamant la victoire électorale de
M. Bush. Enfin ce fut l'effondrement lorsque, après le 11 septembre, les responsables démocrates du
Congrès annoncèrent l'avènement d'une nouvelle ère de « bipartisme » et déclarèrent qu'en conséquence
il n'y aurait pas l'ombre d'une différence entre eux et le président à propos de la croisade internationale
contre le terrorisme.

L'effondrement des Twin Towers dans un ouragan de poussières et de gravats peut presque servir de
métaphore au déclin de la démocratie américaine. Dans la déferlante de patriotisme qui suivit l'attentat -
en quelques jours les drapeaux étoilés firent leur apparition dans toutes les vitrines de New York et sur
les voitures, taxis et camions -, il devint presque impossible d'envisager l'idée que la politique
américaine aurait pu encourager le terrorisme ou, simplement, contribuer à la vague d'« anti-
américanisme » à l'étranger. Le verdict parut unanime : les Etats-Unis ne pouvaient pas être coupables ;
ils n'étaient en rien responsables ; toute déclaration contraire équivaudrait à prendre le parti de l'ennemi.

Déjà, en tout cas, l'état de danger national est venu à point nommé pour justifier un renforcement de
l'exécutif, y compris dans des domaines sans rapport apparent avec la conduite des opérations militaires
(le Congrès vient ainsi de conférer des pouvoirs commerciaux très étendus à la Maison Blanche). C'est
cependant surtout dans les domaines de la justice et de la police que les attributions de l'exécutif se
développent de manière frappante. Au point d'inquiéter les apôtres de la « séparation des pouvoirs ».

Depuis la fin de la guerre du Vietnam, la droite américaine rêve d'une restauration impériale. Au-delà de
son volet économique et social néo-libéral, la « (contre)révolution conservatrice » des années 1980
aspirait à ranimer un patriotisme blessé, rétablir la gloire et l'honneur militaires des Etats-Unis et
redonner à l'exécutif une autonomie largement perdue après la chute de Saigon et l'affaire du
« Watergate » au profit des contre-pouvoirs législatif et judiciaire. Paradoxalement, au pays de l'« Etat
faible », ce sont souvent les contempteurs les plus féroces de l'Etat fédéral qui, une fois arrivés aux
affaires, renforcent considérablement ses pouvoirs régaliens, celui en particulier de faire la guerre.
Héraut du moins d'Etat, M.Ronald Reagan (1981-1989) avait présidé à la plus ample expansion militaire
en temps de paix de l'histoire des Etats-Unis(1) même si la relance des dépenses militaires eut lieu du
temps du président James Carter, un démocrate. Géopoliticien habile mais piètre politique, son
successeur, George H.W.Bush (1989-1993), avait dans l'ensemble poursuivi ce programme de

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remobilisation de l'appareil de sécurité nationale dans le contexte de l'après-guerre froide. Mais ni
l'un ni l'autre ne parvinrent à poursuivre cette logique jusqu'au bout.

Grâce à la soumission volontaire des deux Chambres du Congrès (dont le Sénat contrôlé par le Parti
démocrate) qui, en votant le États-Unis Patriot Act, fin septembre (5), se sont privées d'une bonne part
de leurs prérogatives, il a doté l'exécutif de pouvoirs extraordinaires. Par exemple la détention secrète et
indéfinie des non-citoyens (aliens) en situation « irrégulière » ou encore la mise en place, en vertu d'un
décret présidentiel (Executive Order) du 13novembre dernier, de tribunaux militaires d'exception. Plus
de 1200 personnes arrêtées au lendemain du 11septembre restaient emprisonnées à la mi-décembre, sans
que l'on sache qui elles sont ou de quoi elles sont accusées (6).

Ni les détenus ni leurs familles n'ont accès aux pièces des dossiers à charge. Quant aux tribunaux
militaires d'exception, créés sans consultation aucune du Congrès ou de la Cour suprême, ils seront
habilités à emprisonner, juger et exécuter des « terroristes » et des « criminels de guerre » identifiés
comme tels par le seul pouvoir exécutif et sur la base de témoignages ou de preuves secrètes. Seront
aussi tenus secrets les lieux, la procédure, les actions, les délibérations, les jugements et la composition
de ces tribunaux. Contrairement à la procédure des tribunaux militaires ordinaires, les accusés ne
pourront pas faire appel, même en cas de condamnation à mort.

Comme l'a souligné le New York Times, ces outrages faits aux principes fondamentaux de l'Etat de droit,
qui en théorie s'appliquent uniformément et universellement à tous ceux qui relèvent de sa juridiction,
reviennent à « construire un système judiciaire parallèle ». Pour les citoyens américains, y compris les
terroristes comme Timothy McVeigh, auteur de l'attentat meurtrier d'Oklahoma City de 1995, il y aura
des tribunaux ordinaires. Pour les étrangers, résidents ou non aux Etats-Unis, il y aura des tribunaux
d'exception militaires. Bref, l'exécutif aura créé de toutes pièces une institution de non-droit dans l'Etat
de droit, dotée de surcroît de pouvoirs d'investigation et d'intervention globaux. Ainsi, le Pentagone
ferait la guerre, identifierait les coupables et dispenserait la justice.

Sous un président que l'on croyait destiné à la médiocrité et à l'impuissance politiques, la refondation
d'un pouvoir exécutif fort centré autour de l'appareil de sécurité nationale semble en passe de devenir
réalité. Grâce au crime inouï du 11septembre et à la guerre d'Afghanistan, dernier des trois conflits high-
tech victorieux menés par les Etats-Unis en l'espace de dix ans, l'ancien gouverneur provincial s'est érigé
en César américain. Ni M.Reagan ni M.Bush père n'avaient réussi cet exploit. « Les attaques du
11septembre et la guerre d'Afghanistan, écrit le Washington Post, ont considérablement accéléré la

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dynamique de renforcement des pouvoirs présidentiels recherchée par l'administration Bush (...). Le
président jouit d'une domination dépassant celle de tous les présidents postérieurs au Watergate,
rivalisant même avec celle de M.Franklin D.Roosevelt (2). »

Paradis fiscaux On connaît le mot de Chateaubriand : « Neutres dans les grandes révolutions des Etats
qui les environnaient, les Suisses s'enrichirent des malheurs d'autrui et fondèrent une banque sur les
calamités humaines. » Une oligarchie financière règne depuis près de deux cents ans sur un Etat et un
peuple dont la législation, le système idéologique et les bureaucraties électorales sont étroitement
adaptés à ses besoins. Grâce à un système bancaire hypertrophié, grâce aussi à ces institutions que sont
le secret bancaire et le compte à numéro, cette oligarchie fonctionne comme le receleur du système
capitaliste mondial.

Il serait abusif d’accabler la Suisse. 95 % des paradis fiscaux sont d'anciens comptoirs ou colonies
britanniques, français, espagnols, néerlandais, américains, restés dépendants des puissances tutélaires, et
dont la souveraineté fictive sert de cache-sexe à une criminalité financière non seulement tolérée, mais
encouragée parce qu'utile et nécessaire au fonctionnement des marchés. La City de Londres - comme les
autres grandes places financières - travaille avec cet argent. En témoigne l'opposition constamment
renouvelée du Royaume-Uni, mais aussi du Luxembourg et des Pays-Bas, à toute tentative de politique
européenne de taxation et de contrôle des mouvements de capitaux. Si prompte à s'immiscer dans tous
les secteurs d'activité, l'OMC ainsi que l'Union européenne trouveraient, dans le démantèlement de ces
sanctuaires du crime, une tâche à la hauteur de leurs immenses prétentions à supprimer toutes les
discriminations et à exiger partout la « transparence ».

En mesure d'ordonner des plans d'ajustement structurels draconiens à des dizaines de pays passés sous le
joug du FMI et de la Banque mondiale, de placer, des années durant, des Etats sous embargo, (Irak, Iran,
Libye, Cuba), de négocier en permanence des abandons de souveraineté, les grandes puissances et la
« communauté internationale » seraient donc incapables de contraindre une poignée de pseudo-Etats
confettis, souvent restés sous protectorat, à se conformer à un ensemble de normes communes. Au nom
du respect de leur souveraineté et de l'indépendance nationale…

Abandons de souveraineté et mondialisation libérale - permettant aux capitaux de circuler sans contrôle
d'un bout à l'autre de la planète - ont favorisé l'explosion d'un marché de la finance hors la loi, moteur de
l'expansion capitaliste, et lubrifié par les profits de la grande criminalité. Partenaires associés sur
l'archipel planétaire du blanchiment de l'argent sale, gouvernements, mafias, compagnies bancaires et
sociétés transnationales prospèrent sur les crises et se livrent au pillage du bien commun en toute

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impunité. Avec, de temps à autre, des opérations « poudre aux yeux » pour donner l'impression de
lutter contre des paradis bancaires et fiscaux en pleine expansion, que les gouvernements, s'ils en avaient
véritablement l'intention, pourraient mettre hors d'état de nuire du jour au lendemain. A la « tolérance
zéro » prônée un peu partout à l'encontre des petits délinquants de la précarité et du chômage répond la
« répression zéro » des grands criminels de l'argent. Les grandes organisations criminelles ne peuvent
assurer le blanchiment et le recyclage des fabuleux profits tirés de leurs activités qu'avec la complicité
des milieux d'affaires et le « laisser-faire » du pouvoir politique. Pour conforter et accroître leurs
positions et leurs bénéfices, écraser ou résister à la concurrence, emporter les « contrats du siècle »,
financer leurs opérations illicites, les entreprises transnationales ont besoin du soutien des
gouvernements et de la neutralité des instances de régulation. Quant au personnel politique, directement
partie prenante, son pouvoir d'intervention dépend des appuis et des financements qui garantiront sa
pérennité. Cette collusion d'intérêts constitue une composante essentielle de l'économie mondiale, le
lubrifiant indispensable au « bon » fonctionnement du capitalisme.

Systématiquement présentée sous forme de « scandales » mettant en cause épisodiquement, dans un pays
puis un autre, une entreprise ou une banque, un responsable ou un parti politique, un cartel ou une mafia,
la criminalité financière perd sa lisibilité. Cette masse de transactions relatives à des opérations illicites -
qualifiées de crimes et délits au regard des lois nationales ou des accords internationaux - se réduit à une
succession de dysfonctionnements accidentels de l'économie et de la démocratie libérales qu'une « bonne
gouvernance » saurait résorber. Tout le contraire de ce qu'elle est en réalité : un système cohérent,
intimement lié à l'expansion du capitalisme moderne, et fondé sur l'association de trois partenaires :
gouvernements, entreprises transnationales, mafias. Les affaires sont les affaires : la criminalité
financière est d'abord un marché, prospère et structuré, où se rencontrent offre et demande - business as
usual.

Or le capitalisme a été considérablement amélioré sous l'effet de trois facteurs conjoints : la libéralisation
complète des mouvements de capitaux, qui, depuis la fin des années 80, échappent à tout contrôle
national ou international ; le gonflement et la dématérialisation des transactions financières, accélérés par
la révolution technologique des communications ; enfin, la fiabilité accrue d'un archipel planétaire de
places spécialisées dans la gestion tolérée de la criminalité financière : les paradis fiscaux.

On y fait tout ce qui se rapporte au traitement de la délinquance financière et au blanchiment des profits
des organisations criminelles par opérations successives : placement, empilage, intégration. Le
placement, ou prélavage, consiste à transférer argent liquide et devises du lieu d'acquisition vers les

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établissements financiers de différentes places, ventilés sur une multiplicité de comptes. Suit
l'empilage, ou brassage, qui rend impossible de remonter à l'origine des profits illicites : multiplication
de virements d'un compte à un autre - chaque compte étant lui-même éclaté en sous-comptes -, et
accélération des mouvements de capitaux par des allers-retours parallèles sur plusieurs marchés
financiers, en utilisant en particulier le réseau Swift ou le système Chips. Enfin, dernière étape,
l'intégration planifiée des capitaux blanchis, regroupés sur des comptes de banques sélectionnées, et
prêts à être réutilisés en toute légalité.

Au total, des millions de comptes, des dizaines de milliers de sociétés-écrans (plus que d'habitants à
Gibraltar, aux îles Vierges, à Vaduz ou à Jersey) gèrent et recyclent les centaines de milliards de dollars
de la face cachée de l'économie mondiale. « Tout au long d'une carrière de magistrat et d'avocat, longue
de vingt-cinq ans, je n'ai connu aucun cas de criminalité financière dans lequel les auteurs n'aient pas
utilisé une ou plusieurs sociétés commerciales ou financières ayant leur siège dans un paradis fiscal »,
témoigne l'italien Paolo Bernasconi, se faisant l'écho de tous les spécialistes du blanchiment .

Si peu de places offrent la panoplie complète, et si un grand nombre se spécialisent dans certains types
de services, elles sont liées entre elles par des jeux d'opérations garantissant à l'utilisateur le maximum
d'efficacité, tant dans la gestion des affaires criminelles que contre les enquêtes et poursuites policières
et judiciaires. Ainsi, les banques helvétiques - la Suisse, « recycleuse » en chef, lave plus blanc -
délocalisent leurs opérations les moins présentables de prélavage et d'empilage.

En ce qui concerne la si dénigré Suisse, les grandes et puissantes cités-Etats protestantes de Zurich,
Genève, Bâle et Berne forment la véritable armature économique et politique de la Confédération. Leur
puissance financière date de la fin du XVIIe siècle, du triomphe de la Contre-Réforme. En 1685, Louis
XIV révoqua l'édit de Nantes. Les bourgeois protestants de France, généralement prospères, furent
persécutés, et leurs biens saisis. Des milliers d'entre eux s'enfuirent en Suisse ou, du moins, y envoyèrent
leurs liquidités. L'accueil, la garde, le recel et le réinvestissement des capitaux en fuite du monde entier
sont, depuis lors, les fondements de la prospérité helvétique. Le maniement de l'argent revêt en Suisse le
caractère d'un sacrement : le garder, l'accueillir, le compter, thésauriser, spéculer, receler, autant
d'activités investies d'une majesté quasi ontologique qu'aucune parole ne doit venir souiller, et qui
s'accomplissent dans le silence et le recueillement. Quiconque commet le péché de trop parler les
désacralise. Un tel sacrilège est logiquement puni par la loi. Neutralité, hypocrisie, profits... On estime à
27 % la part de la Suisse dans l'ensemble des marchés financiers offshore du monde. Avec ce
pourcentage, la Confédération se trouve loin devant le Luxembourg et les divers paradis fiscaux des

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247
Caraïbes et de l'Extrême-Orient. A l'abri du secret, les « gnomes » font fructifier plus de 3 000
milliards de dollars de fortunes privées étrangères, les avoirs étrangers, dits institutionnels (fonds de
pension, etc.), gérés à Zurich, Genève et Bâle, étant nettement minoritaires. Tout le monde, y compris les
banquiers eux-mêmes, admet qu'environ 80 % de ces clients confient leurs capitaux aux établissements
helvétiques pour des raisons de confidentialité.

Le crime organisé international utilise très largement les banques helvétiques pour recycler et blanchir
ses profits. En Suisse, en effet, la justice, la police et les lois de procédure pénale relèvent de la
souveraineté des cantons, et, parmi eux, seule la République et canton de Genève fait de réels efforts
pour préserver sa place financière de l'infiltration systématique par les mafieux russes, les barons des
cartels sud-américains ou les seigneurs des triades chinoises.

L'argent de la corruption et du pillage des Etats du tiers-monde par les dictateurs et les élites autochtones
est la deuxième grande source de la fabuleuse richesse du paradis helvétique. La Suisse pratique la libre
convertibilité des monnaies. Sa neutralité politique, le cynisme et l'extrême compétence de ses banquiers
ont traditionnellement incité les dictateurs de tout acabit - les Sani Abacha (Nigeria), Mobutu (ex-Zaïre),
Jean-Claude Duvalier (Haïti) et autres Marcos (Philippines) - à déposer en toute confiance le produit de
leurs rapines au Paradeplatz de Zurich ou rue de la Corraterie à Genève.

Mais telle est la complexité de la loi helvétique que très peu de gouvernements africains, latino-
américains ou asiatiques ont une chance quelconque de récupérer plus que quelques miettes des fortunes
de leurs tyrans déchus. Ainsi, sur les quelque 3,4 milliards d'euro détournés par Sani Abacha entre 1993
et sa mort en 1998, et placés dans dix-neuf banques suisses, seuls 730 millions ont été retrouvés et
bloqués et 115 millions restitués aux autorités de Lagos.

Troisième rente particulièrement juteuse : l'évasion fiscale internationale. Du monde entier, mais surtout
d'Allemagne, d'Italie et de France, les fraudeurs du fisc transfèrent leurs capitaux en Suisse. Pour une
raison simple : à peu près partout dans le monde, l'évasion fiscale constitue un délit justiciable du pénal.
Mais pas en Suisse, où la fausse déclaration d'impôt et la soustraction intentionnelle de revenus
imposables constituent seulement des infractions administratives. Seule est pénalement punissable la
fabrication de faux documents. En matière d'évasion fiscale, le secret bancaire est donc absolu. Il n'est
jamais levé pour qui que ce soit.

Certes la Suisse a signé avec pratiquement tous les Etats du monde des conventions dites d'entraide
judiciaire, reposant sur le principe de la réciprocité. Mais, pour que ses autorités accordent ladite

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248
entraide à une autorité étrangère, il faut que les faits dont elles sont saisies soient définis comme un
délit pénal dans les deux Etats. Or, comme l'évasion fiscale n'est pas mentionnée dans le code pénal de la
Confédération, les fraudeurs du fisc allemands, français ou italiens - clients des banques suisses ou de
leurs succursales aux Bahamas ou à Hongkong - peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Aucun juge ni
aucune autorité fiscale de Genève, Bâle, Berne ou Zurich ne donnera la moindre information aux juges
français, allemands ou italiens.

Mais le vent est en train de tourner, et de manière très préoccupante pour la place financière helvétique,
qui, selon une étude de l'université de Bâle, gérerait environ 35 % des avoirs privés mondiaux et
assurerait 11 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Les membres de l'Union européenne sont en
effet parvenus, le 27 novembre 2000, à un compromis sur l'harmonisation de la fiscalité des revenus du
capital qui, à terme, constitue une sérieuse menace pour les banques suisses. Sans doute les Quinze
prennent tout leur temps : le projet de directive envisagé prévoit un échange d'informations généralisé
entre les administrations fiscales, mais seulement en... 2010 ! Cependant, des discussions auront lieu
avec les pays tiers, en premier lieu européens, dont le Liechtenstein, Monaco et la Suisse, afin de
s'assurer que ceux-ci s'alignent sur la législation communautaire. En d'autres termes, le secret bancaire
va bien devoir être négocié avec l'Union...

A lire : Jean Ziegler, La Suisse lave plus blanc, Seuil, Paris, 1990.

Paolo Bernasconi, « La criminalité transfrontière : sophistications financières et faiblesse judiciaire », Les Cahiers de la
sécurité intérieure, no 19, 1995.

Rapport que la Mission parlementaire d'information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la
délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe a consacré au Liechtenstein, très lié à la place financière
helvétique (rapport n° 2311, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 30 mars 2000). Ce rapport figure en
annexe de l'ouvrage collectif d'Attac, Les Paradis fiscaux, Mille et Une Nuits, Paris, 2000, 102 pages, 10 F.

André Biéler, La Pensée économique et sociale de Calvin, Ed. Georg, Genève, 1959. Lire également Giovanni Busino,
« Intorno al pensiero economico e sociale di Calvino », in Rivista storica svizzera, n° 10, 1960.

Plan Colombie De tous les pays Andins, la Colombie est sans nul doute celui qui détient le triste
privilège d’une longue histoire de violence, de guerres civiles, de massacres et de terrorisme d’Etat qui
remontent aux temps de la conquête espagnole.
Plutôt que de nébuleuses explications psychologiques, génétiques ou socio-géographiques, les racines de
cette violence historique sont à rechercher dans la structure de classe de cette nation, l’une des plus
inégalitaires au monde où Indiens, afro-colombiens, petits paysans et travailleurs ont toujours été exclu

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du partage des richesses nationales et du contrôle démocratique de ces dernières. Parmi les plaies qui
la minent, la plus grave aujourd’hui est sans doute cella de la drogue, avec son corollaire, la guérilla

Un Plan anti-drogue a été lancé en 2000 par les Etats-unis afin de faire disparaître ces deux blessures.
L'aide américaine est passée de 1,3 à 2 milliards de dollars en 2002. Ce « Plan Colombia » ne cesse
d'être de plus en plus mal vu par les organisations de défense des droits de l’homme et de
l’environnement.

Tout semblait avoir parfaitement commencé. Alors que le président conservateur César Gaviria (1990-
1994) avait décrété la guerre intégrale contre les « chiens enragés » de la guérilla et réveillé les secteurs
les plus militaristes de la société colombienne ; alors que le libéral Ernesto Samper (1994-1998),
déstabilisé par les Etats-Unis (1), avait dû baisser pavillon et jeter à la poubelle sa « politique de paix
intégrale et de dialogue », le nouveau président conservateur, M. Andrés Pastrana, élu le 20 juin 1998,
renouait aussitôt le fil avec l'opposition armée. En accordant aux Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC) une zone démilitarisée (7 novembre 1998) de 42 000 kilomètres carrés, il permettait
la reprise de négociations depuis longtemps au point mort.

Adepte des réformes structurelles et de l'orthodoxie financière, M. Pastrana ne pouvait que séduire
Washington. Les relations bilatérales se normalisant, il reçoit d'emblée 280 millions de dollars d'aide
nouvelle pour l'effort anti-drogue et le développement. Au plan intérieur, la Loi 508 du 29 juillet 1999
formalise un Plan national de développement - « Changement pour construire la paix, 1999-2002 » -,
approuvé par le Parlement (la Constitution colombienne établit que chaque gouvernement doit élaborer
un tel Plan national de développement). Cependant, le 21 septembre 1999 à Washington, au terme d'un
entretien avec le président William Clinton et sans que le Congrès colombien n'ait été en rien consulté,
M. Pastrana remplace ce Plan de développement par un " Plan pour la paix, la prospérité et le
renforcement de l'Etat ", dit Plan Colombie, qui ne sera divulgué au pays que le 2 janvier 2000, par le
quotidien El Espectador.

Conçu et rédigé en anglais avec la participation, sinon sous la direction, de conseillers du Département
d'Etat des Etats-Unis, ce plan de 46 pages détaille un programme qui coûtera 7 500 millions de dollars,
dont 3 500 millions de dollars en aide extérieure. Dans un projet de Loi S 1758, présenté par les
sénateurs Dewine, Grassley et Coverdell, et qui va prendre le nom d'Alianza Act, l'administration
américaine propose 1 600 millions de dollars, dont 954 millions de dollars comme supplément d'urgence
pour l'an 2000. L'objet est ambitieux. Il ne présente qu'un défaut, mais de taille. Alors que tous les yeux

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sont tournés vers des négociations de paix dont on sait qu'elles seront longues et difficiles, il n'a pour
objectif que de renforcer, équiper et entraîner l'armée colombienne ; il joue délibérément la guerre, niant
la nature sociale et politique du conflit. En la matière, on se contentera de rappeler que les 25% les plus
riches de la population ont des revenus 30 fois plus élevés que les 25% les plus pauvres et que 80% des
13 millions de personnes abandonnées par l'Etat dans les campagnes vivent en dessous du seuil de
pauvreté.

L'objet est ambitieux. Il ne présente qu'un défaut, mais de taille. Alors que tous les yeux sont tournés
vers des négociations de paix dont on sait qu'elles seront longues et difficiles, il n'a pour objectif que de
renforcer, équiper et entraîner l'armée colombienne ; sous la pression de Washington, il joue la guerre
contre la drogue, niant la nature sociale et politique du conflit.

C’est le narcotrafic qui occupe de nos jours l’avant-plan dans ce qui fut le centre colonial du Vice-
Royaume de la Nouvelle Grenade espagnole. Et c’est la question du narcotrafic qui conditionne,
apparemment, ce fameux “Plan Colombie”, actuellement à l’ordre du jour. Avec celui-ci, les Etats-Unis
et la bourgeoisie colombienne prétendent érradiquer la culture de coca et du pavot et ainsi battre en
brèche le commerce de la drogue. En réalité, il s’agit d’un fer de lance militariste visant à liquider les
guérillas colombiennes, endiguer les mobilisations populaires contre le néo-libéralisme dans les Andes et
rasseoir l’hégémonie politico-économique des Etats-Unis en Amérique. Au risque de provoquer une
guerre civile totale, une internationalisation du conflit et des ravages humains et écologiques
irréparables.

Le prétexte pour maquiller les véritables objectifs de la future intervention américaine, conserver le
contrôle de cette région vitale, riche en ressources stratégiques, le pétrole en particulier, est ainsi trouvé :
pour le Pentagone, la principale menace qui pèse sur l'hémisphère n'est plus Cuba, mais la possibilité que
surgisse un « narco-Etat colombien ». Il s'agit, tant d'après Washington que Bogotà, de mener une guerre
totale au narcotrafic. Premier producteur latino-américain de coca (cultivée par des paysans qui n'ont
d'autre choix que les cultures illicites ou la misère), la Colombie est aussi le premier exportateur de
cocaïne à destination des Etats-Unis. Pour le Pentagone, la principale menace qui pèse sur l'hémisphère
n'est plus Cuba, mais la possibilité que surgisse un « narco-Etat colombien » dans les zones contrôlées
par la guérilla, rebaptisée, pour les besoins de la cause - et en niant la nature sociale et politique du
conflit -, « narcoguérilla ».

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Les méthodes utilisées pour détruire les plantations de coca menacent gravement la population et la
biodiversité Des déplacements massifs de populations sont à prévoir. Le Plan Colombie continue de
provoquer de grandes inquiétudes dans les pays limitrophes de la Colombie. La destruction systématique
de la culture de la coca dans le Putumayo, à la frontière de l’Équateur, est faite à base d'un produit, le
glyphosate, caÉtats-Unisnt des détériorations très graves de l'environnement - sans parier de l'utilisation
éventuelle d'un champignon transgénique qui pourrait détruire d'autres cultures servant de base à
l'alimentation des populations. Des déplacements de population colombienne vers l’Équateur ont déjà
commencé.

Cette politique étatsunienne d'ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat latino-américain n'est pas
nouvelle. Du Chili de Salvador Allende au Guatemala indigène, du Brésil de la dictature militaire au
Nicaragua sandiniste, Washington a toujours été présent chaque fois qu'il s'est agi de lutter contre les
oppositions à un modèle prédateur et injuste, que ces oppositions soient civiles ou politiques, armées ou
non.

Cette politique jamais démentie a permis à l'Empire, aidé ultérieurement par ses fidèles alliés - la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international -, d'ouvrir les économies latino-américaines, de les pousser
à mener des politiques résolument libérales pour le plus grand profit des multinationales et le plus grand
malheur des populations. Sous l'égide du « consensus de Washington » et sous couvert de
« démocratie », les inégalités se sont aggravées et la pauvreté progresse chaque jour un peu plus.

Dans ces conditions, que valent les préoccupations sociales affichées par les gouvernants ? La Charte
sociale de Buenos Aires, adoptée en juin 2000, ne prévoit aucune mesure contraignante pour renforcer la
protection des travailleurs. Pourtant, comme le constate le Bureau international du travail (BIT),
l'internationalisation de la production a réduit les possibilités de négociations collectives et les violations
du droit du travail se multiplient.

Si les peuples latino-américains déjà paupérisés n'avaient plus qu'à choisir à quelle sauce néo-libérale
(nord-américaine ou latino-américaine) ils souhaitent être mangés, ils risqueraient fort de rejeter les
deux. En l'absence de solution de rechange, face à l'essor de l'insécurité et de la misère, livrées aux
narcotrafiquants et à la corruption, les sociétés pourraient sombrer dans le chaos dont la désintégration
territoriale et la dislocation sociale qui frappent déjà certaines régions donnent un avant-goût.

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En ce sens, loin d'éradiquer le narcotrafic, le Plan Colombie risque de provoquer un exode des
populations du sud de ce pays. D'ores et déjà, 22 000 soldats brésiliens sont massés à la frontière
colombienne pour prévenir les débordements du conflit. En approuvant (avec réticences) le plan
américain, pièce stratégique de Washington dans le maintien de son hégémonie, certains dirigeants
latino-américains ont peut-être mis le doigt dans un engrenage périlleux.

Plan Puebla-Panama L'existence de ce plan avait été révélée le 12 février 2001 par le président Vicente
Fox. Agissant en prête-nom régional du gouvernement des Etats-Unis, il le lancera officiellement les 26
et 27 juin de la même année, lors d'une réunion avec les présidents centraméricains et des fonctionnaires
de la Banque mondiale. Reposant sur un investissement supposé de 10 à 12 milliards de dollars (voire
25 milliards), ce plan est présenté comme un « projet de développement durable et intégral (2) » destiné
à une zone comprenant neuf Etats mexicains (Puebla, Campeche, Guerrero, Oaxaca, Tabasco, Veracruz,
Quintana Roo, Yucatan et Chiapas) et sept pays d'Amérique centrale (Belize, Guatemala, El Salvador,
Honduras, Nicaragua, Costa Rica et Panamà). En tout, 65 millions d'habitants (28 millions de Mexicains
et 37 millions de Centraméricains), dont 78 % vivent dans la pauvreté (60 % dans l'extrême pauvreté). Il
faut dire que la seule portion mexicaine du PPP abrite 65 % des réserves pétrolières du pays (neuvième
producteur mondial) et fournit 94 % de la production ainsi que 54 % de celle du gaz. Cette région
présente donc un intérêt majeur pour Washington, qui ne cesse de prôner l'intégration énergétique du
Mexique et a prévu d'augmenter ses importations de pétrole au cours des prochaines années. Elle
voisine, au sud du Panamà, avec le Venezuela et la Colombie, que des oléoducs et des gazoducs
pourraient connecter, à travers l'Amérique centrale et le Mexique, aux Etats-Unis.

Au Chiapas, quelques jours après la présentation officielle de ce grand dessein, le sous-commandant


Marcos, un des dirigeants de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), réagit: « Nous voulons
l'autonomie indigène et nous l'aurons. Nous n'admettrons plus aucun projet ni plan qui ignore nos
volontés ; ni le plan Puebla-Panamà ni le grand projet transocéanique, ni rien qui signifie la vente ou la
destruction de la Maison des Indiens, qui, il ne faut pas l'oublier, fait partie de la Maison de tous les
Mexicains (4). » En écho, des centaines d'organisations se sont donné rendez-vous, depuis, à Tapachula
(Chiapas, mars 2001), à Xelajú (Guatemala, novembre 2001) et à Managua (Nicaragua, juillet 2002) -
pour ne citer que les réunions les plus importantes -, afin de s'opposer à ce plan. Plus de 14 millions
d'Indiens appartenant à 68 groupes ethniques, riches de leurs langues, cultures, traditions et
connaissances millénaires, habitent le territoire compris entre les hautes terres de l'Etat de Puebla, au
centre du Mexique, et l'isthme de Panamà. Or, en dépit des déclarations officielles sur le

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« multiculturalisme et la richesse des traditions des ethnies », ces populations rejettent
catégoriquement « ce plan de colonisation sauvage qui détruira notre terre, l'agriculture familiale, la
biodiversité et les ressources naturelles ».

Il va sans dire que pour atteindre ses objectifs, qui reposent plus sur l'extraction massive de l'énergie et
des ressources que sur le développement, le PPP doit déloger les paysans des terres convoitées par les
transnationales. Les couloirs (corredores) de maquiladoras sont censés attirer cette main-d’œuvre sans
qualification qui, en échange de salaires de misère, devra s'urbaniser. Quatre mille de ces usines
d'assemblage sont déjà installées sur le territoire mexicain (l'immense majorité à proximité de la
frontière américaine). Elles abondent également en Amérique centrale. Au Mexique, Mme Rocio Ruiz,
sous-secrétaire chargée du commerce intérieur au ministère de l'économie, confirme cyniquement
pourquoi ces maquiladoras doivent désormais s'installer à Oaxaca, au Chiapas et dans le Sud-Est en
général : « Dans le Nord, on paie entre deux et trois salaires minimum ; de ce fait, nous ne sommes plus
compétitifs pour ce type d'entreprise. » Une vision partagée par M. Jorge Espina, dirigeant de la
Confédération des patrons du Mexique (Coparmex), pour qui « l'avenir [des maquiladoras] est au Sud-
Est : cela résoudra le problème politique de la région et, en outre, la main-d’œuvre y est très bon
marché (10) ».

Ce mode de développement n'a rien à voir avec celui auquel elles aspirent. Elles n'entendent pas voir
leurs terres occupées par de vastes monocultures d'eucalyptus (désastreuses pour l'environnement) et de
palme africaine, par des plantes transgéniques d'exportation développées au mépris de la sécurité
alimentaire du pays, et refusent la privatisation de ces terres, « nécessaire » à la construction des voies
interocéaniques et « indispensable » pour sécuriser les investisseurs.

Sur le plan Puebla-Panama, consulter le site : http://ppp.presidencia.gob.mx

A lire : Ignacio Ramonet, Marcos, la dignité rebelle, Galilée, Paris, 2001, pp. 52-57.

Ileana Valenzuela, El plan Puebla-Panamà para las comunidades de Guatemala : destrucción y dependencia o la
oportunidad de construir un futuro nuevo ?, Ciudad Guatemala, août 2002.

« Los peligros del plan Puebla-Panama », in Mesoamerica los rios profundos, Mexico, 2001.

Joaquín Giménez Héau, « ICBG, laboratorio global o negocio redondo », Chiapas, n° 12, Mexico.

Ignacio Ramonet, « Marcos marche sur Mexico », Le Monde diplomatique, mars 2001.

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PMA Il y la le G8, les huit pays les plus riches du monde, et il y a les PMA, c'est-à-dire les Pays
Moins Avancés. C’est aux PMA que les plus graves difficultés causés par la mondialisation au sous-
développement sont portées à leur paroxysme : Non seulement ils sont les plus démunis parmi les
pauvres, mais pour eux, plus le temps passe, plus l’écart s’accroît en valeur relative. Pour l’instant la
question de leur viabilité n’est pas résolue. L’euphémisme PMA désigne donc les pays laissés pour
compte de la mondialisation ; soit ils stagnent, soit ils sont en voie de sous-développement :
(Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cap-Vert,
République centrafricaine, Tchad, Comores, République démocratique du Congo, Djibouti, Guinée
équatoriale, Erythrée, Ethiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Haïti, Kiribati, République
démocratique populaire Tao, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Maldives, Mali, Mauritanie,
Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Rwanda, Samoa, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal*, Sierra
Leone, Iles Salomon, Somalie, Soudan, Togo, Tuvalu, Ouganda, République-Unie de Tanzanie,
Vanuatu, Yémen et Zambie) ; au nombre de 48, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie
du Sud, leur population atteint 10% de celle du globe. Mais ils ne réalisent que 0,5% du commerce
mondial et reçoivent moins de 1% des investissements internationaux. Cette sous catégorie de pays a
été créée en 1971 par les Nations unies.
Pour en faire partie, les pays doivent présenter leur candidature et répondre à certains critères : faible
revenu national (revenu moyen par habitant en dessous de 900 dollars par an pour les pays qui
s'inscrivent maintenant sur la liste), une production industrielle qui n’atteint pas le 10% du PNB et un
taux d’alphabétisation inférieur à 20%. De plus, la population des pays qui répondent à tous ces critères
d'admissibilité ne doit pas dépasser 75 millions d'habitants.

L’objectif était de faire décoller ces oubliés du développement mondial. D'où des avantages: exemption
de taxes ou de quotas, prêts préférentiels, aménagements de transitions économiques plus souples.
rentrée au club a ses conditions: d'abord un produit intérieur brut de moins de 900 dollars (1028 euro)
par habitant.

"Mal gouvernance", guerres civiles, famines et pandémies sont trop régulièrement leur
lot. L'aide publique leur est accordée à des conditions exceptionnelles (fort pourcentage
de dons, priorité dans les pro grammes d'allégement de la dette, programmes spéciaux du
FMI, de la Banque mondiale et de l'Union européenne) mais elle a diminué de 45 % dans
les années 1990. Revenue au niveau du début des années 1970, elle ne représente plus que

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0,05 % du PNB des pays membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE qui
regroupe la quasi-totalité des contributeurs. Quant aux financements privés, ils n'ont
fléchi que de 30 % mais se limitent pratiquement à des investissements concentrés sur
l'exploitation des ressources naturelles et
sont donc réservés à un très petit nombre de ces pays.
On est loin: la moyenne du pm des 49 PMA est de 278 dollars (318 euro) par habitant. Certains comme
l'Ethiopie, la république démocratique du Congo, le Burundi et la Sierra Leone sont même sous la barre
des 150 dollars (l71 euro). A titre de comparaison, la moyenne du PIB par habitant des pays riches
s'élève à plus de 25000 dollars (28600 euro)... Leur situation n’a cessé de se détériorer et depuis 1980
leur part dans le commerce mondial s’est réduite de 40%. Les PMA cumulent les carences dans la santé
(74% de naissances non médicalisées en moyenne), l'éducation (50% d'illettrés), l'accès à l'eau (43 % de
la population p'a pas d'accès direct à l'eau potable) ou l'espérance de vie (51 ans en moyenne). En trente
ans, loin de se combler, le fossé s'est élargi. De 25 en 1971,on est passé à 49 ce mois-ci, avec l'arrivée du
Sénégal. An total, 10% de la population mondiale ne vit qu'avec moins de 1 % du revenu mondial.
L'Afrique concentre 34 PMA Seul le Botswana a quitté le club.

Le concept es apparu à la conférence de la CNUCED d’Alger en 1967 mais le mot c’est répandu lorsque
la disparité entre PDV est devenue évidente. Depuis, leur nombre a presque doublé, victimes tant de la
politique du FMI que des règles du commerce mondial, élaborées dans l’intérêt des pays riches, passant
de 25 à 49. Il n'est pas exact de dire que les PMA ne progressent pas. Leur croissance s'est élevée à 3,8
% en 1998 contre 4,8 % en 1997 alors que l'ensemble des pays en développement n'enregistraient qu'une
croissance de 1,8 % en 1998 contre 5,4 % en 1997. Seulement cette croissance est trop lente pour
enrayer la pauvreté et enclencher un processus de décollage économique. En effet; les PMA souffrent de
handicaps qu'ils ont du mal à dépasser: absence de productivité et de compétitivité, mise en valeur
insuffisante des ressources humaines, faibles capacités technologiques, infrastructures lacunaires,
manque de financements. Leur économie dépend trop souvent d'un ou de quelques produits agricoles ou
miniers ne dégageant qu'une faible valeur ajoutée. En outre, certains moyens d'actions comme la
protection des industries naissantes et les avantages fiscaux sont contraires aux règles de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC) ou ne peuvent être utilisés que dans des circonstances très particulières.

Il n'en demeure pas moins que, selon la Cnuced, la politique des pouvoirs publics dans les PMA a un
rôle déterminant, tant au plan macro-économique que dans l'aide aux initiatives des entreprises privées.

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Les PMA devraient également, avec l'assistance technique internationale, apprendre à mieux utiliser
les opportunités liées au système de préférences généralisées (SGP) du commerce international.

Une récente étude met en évidence le fait que les PMA utilisent moins de 50 % des « facilités »
offertes par l'Union européenne alors que l'UE constitue leur principal marché d'exportation.

Les raisons de leur retard sont diverses, au moins autant que les «fléaux » du non-développement. Les
PMA ont souvent une économie qu'ils n'ont pas su ou pu diversifier. Résultat ils sont dépendants à
l'exportation d'une seule matière première. Et lorsque le cours de celle-ci s'effondre, ils sont d'autant plus
vulnérables aux rentrées de devises. Le cuivre pour la Zambie (71 % des exportations),le café pour le
Burundi (73%), les noix de cajou pour la Guinée Bissau (74%) ou le pétrole pour le Yémen (84%).
Beaucoup, dans les années 70-80, ont dû ou ont été poussés à emprunter: la spirale de la dette a achevé
de les étouffer. Vingt -deux pays ont une dette supérieure à 100% de leur PIB. C'est le cas de la Guinée-
Bissau (417%), de la Mauritanie (240%), du Laos (205%). Pour la rembourser, des pays ont dû couper
dans les budgets de la santé, de l'éducation, des services de base. Cette paupérisation a fait croître le
nombre de PMA

L'aide publique au développement (APD), qui, pour ces pays, reste souvent le seul levier de
développement, a dramatiquement fondu. Elle a diminué de moitié dans les années 90, pour tomber à un
plancher de 0,05% du PIB des pays riches. En 1997-1990, l'APD était en moyenne inférieure de 22 %,
comparé à la période 1990-1995. Les aides 1 :

totales (multi et bilatérales) sont passées, en dix ans, de 16,7 à 11,6 milliards de dollars... Restent les
fameux IDE, les investissements directs étrangers, clés supposées d'un réel développement. Même s'ils
ont crû, ils n'ont atteint, en 2000, que 5,2 milliards de dollars (5,9milliardsd'euro) sur un total de 1100
milliards de dollars (l260 milliards d'euro). Soit 0,5% du flux mondial des investissements. Dérisoire.
Les pays les plus pauvres souffrent, en outre, de la concurrence des pays en développement, lesquels,
engagés eux aussi dans un processus de libéralisation - privatisation, sont devenus une destination
importante des investisseurs étrangers.

Les experts, ou le G7, ne manquent jamais de le signifier, «l'instabilité politique», «les troubles civils»,
«la mauvaise conduite des affaires», «la corruption», «le népotisme» ne favorisent guère l'essor écono-
mique et social. Ni la fuite des élites. . . Les carences sociales et démocratiques expliqueraient les
carences de la croissance, donc du développement Mais les privatisations, les libéralisations et les
resserrements budgétaires imposés par les «plans d'ajustement structurel» du FMI et de la Banque
mondiale n'ont pas aidé. Même si ces institutions, pressées par les ON G et les pays du Sud, disent au-

256
257
jourd'hui vouloir les adoucir. . . La remise en cause de ces stratégies, comme du rôle des experts, qui
ne tiennent pas compte des spécificités nationales, commence à poindre.

Le Nord est ambigu, voire hypocrite. Il tarde à alléger le fardeau de la dette, rogne sur l’APD. Surtout, il
prône l'abaissement des barrières douanières au Sud et conserve les siennes dans le textile et
l'agriculture, seuls domaines ',.. dans lesquels les PMA ont des' avantages compétitifs. L'accès. aux
marchés leur est trop sou vent refusé, quand il permettrait de dégager des rentrées de devises bien
supérieures à toutes les aides. Ainsi, plus de 50% des exportations des PMA en direction du Canada, .des
Etats-Unis et du Japon se heurtent aux entraves douanières. Par effet de ricochet, ce protectionnisme
empêche les PMA de diversifier leur économie. Un seul exemple: les exportations de cacao vers les pays
développés. Peu taxées à l’état brut, elles le sont huit fois plus quand la matière première est transformée
en chocolat. . Ainsi, les PMA sont cantonnées à la production de matières premières et renoncent à la
transformation des produits, qui engendrerait davantage de plus value.

Ils représentent 13 % de la population mondiale, mais seulement 0,4 % des exportations et 0,6 % des
importations. Ces pays accueillent moins de 1 % du total des investissements directs étrangers. Plus
grave, leur part dans le commerce international s'est réduite de 40 % en 20 ans, souligne le rapport que la
Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement) leur consacre. Les PMA
n'ont pas, dans l'ensemble, tiré profit de la libéralisation ni de la mondialisation. Ce sont les pays les plus
pauvres du monde. Une souscatégorie de «pays en voie de développement» créée en 1971 par les
Nations unies. Objectif, tenter de faire décoller ces oubliés du développement mondial. D'où des
avantages: exemption de taxes ou de quotas, prêts préférentiels, aménagements de transitions écono-
miques plus souples. rentrée au club a ses conditions: d'abord un produit intérieur brut de moins de 900
dollars (1028 euro)par habitant. On en est loin: la moyenne du pm des 49 PMA est de 278 dollars (318
euro) par habitant. Certains comme l'Ethiopie, la république démocratique du Congo, le Burundi et la
Sierra Leone sont même sous la barre des 150 dollars (l71 euro). A titre de comparaison, la moyenne du
PIB par habitant des pays riches s'élève à plus de 25000 dollars (286ooeuro)... Les PMA cumulent les
carences dans la santé (74% de naissances non médicalisées en moyenne), l'éducation (50% d'illettrés),
l'accès à l'eau (43 % de la population p'a pas d'accès direct à l'eau potable) ou l'espérance de vie (51 ans
en moyenne). En trente ans, loin de se combler, le fossé s'est élargi. De 25 en 1971,on est passé à 49 ce
mois-ci, avec l'arrivée du Sénégal. An total, 10% de la population mondiale ne vit qu'avec moins de 1 %
du revenu mondial. L'Afrique concentre 34 PMA Seul le Botswana a quitté le club.

2- Pourquoi le nombre de PMA a-t-il doublé?

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Les raisons sont diverses, au moins autant que les «fléaux » du non-développement. Les PMA ont
souvent une économie qu'ils n'ont pas su ou pu diversifier. Résultat ils sont dépendants à l'exportation
d'une seule matière première. Et lorsque le cours de celle-ci s'effondre, ils sont d'autant plus vulnérables
aux rentrées de devises. Le cuivre pour la Zambie (71 % des exportations),le café pour le Burundi
(73%), les noix de cajou pour la Guinée Bissau (74%) ou le pétrole pour le Yémen (84%). Beaucoup,
dans les années 70-80, ont dû ou ont été poussés à emprunter: la spirale de la dette a achevé de les
étouffer. Vingt -deux pays ont une dette supérieure à 100% de leur PIB. C'est le cas de la Guinée-Bissau
(417%), de la Mauritanie (240%), du Laos (205%). Pour la rembourser, des pays ont dû couper dans les
budgets de la santé, de l'éducation, des services de base. Cette paupérisation a fait croître le nombre de
PMA

3- Pourquoi les devises désertent-elles ces pays? L'aide publique au développement (APD), qui, pour ces
pays, reste souvent le seul levier de développement, a dramatiquement fondu. Elle a diminué de moitié
dans les années 90, pour tomber à un plancher de 0,05% du PIB des pays riches. En 1997-1990, l'APD
était en moyenne inférieure de 22 %, comparé à la période 1990-1995. Les aides totales ( multi et
bilatérales) sont passées, en dix ans, de 16,7 à 11,6 milliards de dollars... Restent les fameux IDE, les in-
vestissements directs étrangers, clés supposées d'un réel développement. Même s'ils ont crû, ils n'ont
atteint, en 2000, que 5,2 milliards de dollars (5,9milliardsd'euro) sur un total de 1100 milliards de dollars
(l260 milliards d'euro). Soit 0,5% du flux mondial des investissements. Dérisoire. Les pays les plus
pauvres souffrent, en outre, de la concurrence des pays en développement, lesquels, engagés eux aussi
dans un processus de libéralisation - privatisation, sont devenus une destination importante des
investisseurs étrangers.

Alors qu'ils devraient faire l'objet de priorités en matière d'aide publique au développement, ils ne
reçoivent plus que 0,05 % de la richesse nationale des pays donateurs contre 0,09 % en 1990, soit une
baisse réelle de 23 %. Bien que les membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'Ocde, se
soient fixés un objectif de 0,15 % de la richesse nationale réservée aux PMA, seul un tiers d'entre eux
atteint cette proportion. Il est vrai que les donateurs ne remplissent pas, non plus, leur engagement de
consacrer 0,7 % de leur PIB à l'ensemble des pays en développement. En 1998, la moyenne était de 0,25
% et seuls quatre pays du nord de l'Europe parvenaient à cet objectif.
L'aide aux pays les moins avancés a pâti, de la même façon, de la réduction des budgets consacrés à
l'aide au développement au cours de la décennie, tendance qui semble toutefois enrayée avec les derniers
chiffres publiés par le CAD pour 1998. Or, l'APD représente jusqu'à 70% du budget de développement
des PMA et 40 % de leur budget ordinaire. La Cnuced préconise donc, dans le cadre de la préparation à

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la Conférence des Nations Unies sur les PMA, en 2001, d'augmenter l'aide, d'alléger la dette plus
largement et plus rapidement et de fournir une assistance technique plus conséquente.
Une récente étude met en évidence le fait que les PMA utilisent moins de 50 % des « facilités » offertes
par l'Union européenne alors que UE constitue leur principal marché d'exportation.

A lire : " Du tiers-monde aux tiers-mondes ", de Guy Burgel (Dunod, 2000,128 p., 49 F, 7,47 €).
" La renaissance afro-asiatique? " Jean Coussy et Jérôme Lauseig. Politique africaine, n° 76, décembre 1999, Karthala,
210 p., 120 F, 18,3 €);
."Les Pays en développement face à la mondialisation ",de Françoise Nicolas
(Ramsès, édition 2001, Dunod, 219 F, 33,38 €).
" La Fin du tiers-monde? " Les dossiers de l'état du monde, La Découverte, 1996, 181 p., 85 F, 13 €).
" Les Pays les moins avancés ", (Rapport 2000 de la Conférence des Nations unies pour
le commerce et le développement - Cnuced, 252p., 45 $, service des ventes, Palais des Nations, CH-1211 Genève 10, Suisse).
" The Quality of Growth " (Rapport 2000 de la Banque mondiale, 262 p., 25 $, distribué en France par Data Books, ²48, rue
Gay-Lussac, 75006 Paris).

Propriété intellectuelle. Il est plus avantageux pour l'humanité de faire circuler les idées que de limiter
leur mouvement. Aristote affirme que l'homme est l'animal mimétique par excellence. Les Lumières
reprennent cette idée, ainsi le philosophe français Etienne Bonnot de Condillac (1715-1780) : « Les
hommes ne finissent par être si différents que parce qu'ils ont commencé par être copistes et qu'ils
continuent de l'être ».

Une protection trop forte de la propriété intellectuelle ébranle la « libre concurrence », pilier du
fonctionnement du marché. Le décret d'Allarde et Le Chapelier des 2 et 17 mars 1791 exprime le
principe de la liberté du commerce et de l'industrie, et donc le principe de la liberté de faire concurrence.
Il implique par définition la possibilité d'offrir sur le marché le même produit qu'autrui grâce à la liberté
de copie.

Deux tendances du néo-libéralisme s’y affrontent : la volonté de dérégulation et de « concurrence


loyale » d'une part, et la montée en puissance des oligopoles et des monopoles, d'autre part.

La millénaire quinua des populations andines est devenue l’un des symboles de cette contradiction ; plus
qu'une simple plante vivrière, élément essentiel d'un patrimoine vivant, elle est devenue, par un tour de
passe-passe biotechnologique, propriété privée nord-américaine.

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La quinua est une plante typique de l'Altiplano, cet immense plateau d'altitude aride mais nourri de
lumière, de vents, d'esprits, dans la cordillère des Andes. On la consomme en soupe, en grillant ses
grains pour les moudre et obtenir une farine dont on confectionne la chicha, boisson populaire fermentée
qui, comme la coca, remplit trois fonctions précises d'ordre social, magico-religieux et médicinal.
Cela n’avait pas échappé pas aux américains, premiers consommateurs étrangers de quinua. En 1994 ils
décident d'envoyer leurs experts agronomes se former dans ce petit pays andin où les connaissances
circulent librement, généreusement partagées entre gens d'un savoir millénaire et hôtes étrangers
désireux d'apprendre... ou désireux de prendre, de s'approprier gratuitement les ressources locales, de
faire main basse sur la vie d'autrui pour en retirer du profit, tels Duane Johnson et Sarah Ward,
«chercheurs» en agronomie de l'université du Colorado ( Etats-Unis ). Flairant la bonne affaire, ils s'en
emparent et y apposent leur marque de propriété privée: Brevet n° 5304.718. Quinua made in Etats-
Unis .
Stupeur mêlée d'indignation lorsque se dévoile l'ampleur du désastre et qu'il apparaît que la mainmise
étrangère ne se limite pas à cette seule variété, mais s'étend également aux 43 différentes variétés
traditionnelles cultivées par des millions de paysans disséminés sur tout l'arc andin, depuis la Colombie
jusqu'au Chili.
Une autre histoire de brevetage qui tourne à la rapine, celle-ci en Afrique: En 1995, l'université du
Wisconsin dépose quatre brevets sur la brazzein, une protéine ultra-sucrée que des chercheurs ont isolée
d'une plante poussant au Gabon. Depuis, cette université accorde des licences d'exploitation à plusieurs
sociétés biotechnologiques, qui vont tenter d'introduire dans des fruits et des légumes un gène produisant
la brazzein afin d'obtenir des aliments au goût sucré mais moins riches en calories. De gros bénéfices
sont à la clé. Sauf pour les paysans gabonais, qui ne toucheront pas un centime de l' exploitation de cette
plante. Ils en connaissaient les propriétés de longue date, ils l'ont toujours utilisée et, par leur mode de
vie et leurs pratiques culturales, ils ont contribué à l'entretenir de génération en génération.

Mais qui sont les « pirates », ces « voleurs » ? La réponse se trouve dans une récente note de la
Commission européenne à propos des Adpic* : « Il faut s'attendre, peut-on y lire, à une résistance de la
part d'un certain nombre de pays en développement membres de l'Organisation mondiale du commerce.
Ils considèrent que la protection fournie par la Convention internationale pour la protection des
nouvelles variétés de plantes bénéficie trop aux propriétaires de ces variétés et ne prend pas en compte
les besoins des agriculteurs traditionnels. »

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Cette même note conclut en évoquant un « problème stratégique » : « Les pays en développement
vont résister à l'engagement de négociations substantielles sur la protection de la propriété
intellectuelle. Ils pourraient même lancer un débat sur la relation entre les Adpic et d'autres aspects
comme la concurrence, l'environnement, et son impact sur la santé et le bien-être. Il faut résister à une
telle tentative pour préserver les intérêts de toutes les parties. »

Chaque année, des brevets sont déposés par des entreprises ou des universités des pays du Nord sur des
plantes cultivées ou utilisées dans les pays du Sud. Sans l'accord des parties concernées ni aucune
contrepartie. C'est pour mettre fin à ce biopiratage que la commission scientifique, technique et de
recherche de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) vient de rédiger une « loi modèle» sur « la
protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs et sur les règles d'accès
aux ressources biologiques ».

Cette législation met en place un système approprié d'accès aux ressources biologiques, aux
connaissances et technologies des communautés, sous réserve d'un consentement informé préalable de
l'Etat et des communautés locales concernées» ainsi que des « mécanismes en vue d'un partage juste et
équitable» des avantages tirés de l'utilisation commerciale de ces ressources.
Pressé jusqu'à la moelle durant des siècles de colonisation, le tiers monde qui constitue, avec près des
trois quarts des réserves génétiques de la planète, la plus fantastique réserve de bio-diversité est
aujourd'hui soumis à l'ultime pillage de ses ressources de vie. Depuis 1982, date de démarrage des
recherches sur les Organismes génétiquement modifiés, les grandes firmes agro-chimiques et
multinationales de la faim se lancent dans une fantastique course au trésor en jouant d'un nouvel atout
dans l'établissement de la propriété privée: le brevet sur les OGM*. Un système qui fonctionne sans
règles et autorise le piratage des plantes, animaux, micro-organismes ou de leurs gènes (regroupés sous
l'appellation ressources biologiques) pour les commercialiser sous forme de monopole. Une véritable
aubaine pour les lobbies phyto-pharmaceutiques et semenciers qui entendent faire main basse sur
l'alimentaire de la planète, à travers le système des brevets sur les organismes vivants. Une terrible
menace pour les populations, sans aucun doute la plus grave dans l'histoire de l'humanité puisque pour
la première fois, c'est l'être humain qui est directement menacé dans son essence, dans le fondement
même de sa liberté: liberté d'utiliser ses semences selon des droits ancestraux nés de l'origine de
l'agriculture, de choisir son alimentation, sa culture issue des savoirs de ses pères.
La santé de nombreuses personnes dans le monde se trouve améliorée par la connaissance des plantes
indigènes médicinales. Ces droits de propriété intellectuelle appartiennent aux collectivités. Pourtant, il

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n'existe aucune disposition dans les accords pour protéger ces connaissances ou pour prévenir
l'exploitation des plantes médicinales par les sociétés pharmaceutiques multinationales.
A l'heure actuelle, le gouvernement des Etats-Unis essaie d’encourager ces pratiques, exerçant des
pressions incompatibles avec les principes du commerce mondial, sur des pays comme l'Afrique du Sud
et la Thaïlande, parce que ceux-ci ont adopté des politiques, légales en vertu du droit international, mais
qui vont à l'encontre des intérêts des grandes sociétés pharmaceutiques.
Une loi a été conçue comme un cadre permettant aux Etats africains d 'harmoniser leurs positions sur la
propriété intellectuelle. Adoptée à Addis-Abeba (Ethiopie) en novembre 1999, une version définitive
vient d'être entérinée, qui servira de point d'appui pour un débat entre Etats, organisations régionales
(Organisation africaine de la propriété intellectuelle, Agence africaine de biotechnologie, etc.) et
organisations non gouvernementales.
Le fondement juridique de cette législation s'appuie sur la convention sur la diversité biologique (CDB),
adoptée en 1992 au Sommet de la. Terre, à Rio. Cette convention marque trois ruptures fondamentales.
Premièrement, elle reconnaît aux Etats le droit de souveraineté sur leurs ressources biologiques et
génétiques, jusqu'alors considérées comme patrimoine commun de l'humanité, et stipule que l'accès à ces
ressources est soumis au consentement préalable des Etats concernés. Deuxièmement, elle exige des
signataires qu'ils protègent et soutiennent les droits des communautés, des agriculteurs et des peuples
autochtones sur leurs ressources biologiques et leurs systèmes de savoirs. Troisièmement, elle requiert
un partage équitable des bénéfices tirés de l'utilisation commerciale des ressources biologiques

Quelle est la finalité de la protection de la propriété intellectuelle ? S'agit-il encore, comme l'exprime la
doctrine sur laquelle elle est fondée, de protéger l'intérêt général en assurant la diffusion universelle des
connaissances et des inventions, en échange d'un monopole d'exploitation consenti aux auteurs (pour une
période limitée) ? La création d'un monopole sur l'exploitation des oeuvres jusqu'à quatre-vingt-quinze
ans après la mort d'un auteur (comme dans le cas américain depuis le Sonny Bono Copyright Act) n'est
pas en soi de nature à favoriser la création. Elle aurait plutôt tendance à inciter les éditeurs à vivre sur
leur catalogue d'auteurs reconnus plutôt que d'encourager la recherche de nouveaux talents.

Ce qui est en jeu, c'est de favoriser la création et d'éviter qu'elle ne se perde, et non pas seulement de
protéger des ayants droit. Si la société concède à l'inventeur une certaine protection, c'est en échange de
contreparties, conçues dans « l'intérêt supérieur de l'humanité » : faire que l'invention retombe à terme
dans le domaine public, ou qu'elle soit précisément décrite et publiée, afin d'être appropriée par tous.

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Fin 1997, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) décidait de diminuer
d'environ 15 % les redevances imposées aux entreprises désireuses de déposer des brevets industriels. La
raison ? Le nombre croissant des demandes de dépôt, passées en à peine dix années de quelques milliers
par an à plus de 50 000 en 1997. De ce fait, l'organisation dégageait des surplus financiers importants
dont elle ne savait quoi faire. Le fait qu'une organisation internationale gagne trop d'argent est, à l'heure
actuelle, rarissime. Et les idées ne manquent pas pour affecter à l'intérêt général de tels fonds, provenant
continûment d'une des sources financières les plus profondes qui soient...

Les brevets industriels, et plus généralement toutes les productions intellectuelles protégées par les lois
sur la propriété intellectuelle, utilisent pour une bonne part un fonds commun d'informations, de savoirs
et de connaissances appartenant de manière indivise à l'humanité tout entière. Il serait juste, dans une
optique de « bien commun mondial » , d'utiliser les revenus obtenus par l'OMPI grâce au dépôt des
brevets. Par exemple, pour encourager la création d'une bibliothèque publique mondiale virtuelle,
uniquement constituée de textes appartenant au domaine public, et donc accessibles à tous gratuitement.

Cela serait d'autant plus juste que, dans des organisations internationales comme l'OMPI, c'est la
puissance publique combinée des pays membres qui est mise au service de la défense des intérêts privés
des déposants. Le coût de l'infrastructure juridique et policière permettant le renforcement effectif de la
propriété intellectuelle est, en effet, entièrement supporté par des fonds publics.

Une partie des fonds collectés auprès des détenteurs de brevets pourrait aussi servir à financer des
recherches négligées du fait de leur manque d'intérêt pour le « marché », comme le propose un récent
rapport du PNUD (9). Ces sommes pourraient être allouées aux agences des Nations unies dont on sait
qu'elles sont notoirement sous-financées. Ces agences pourraient alors d'autant mieux jouer le rôle de
régulation de la recherche au niveau planétaire qu'on attend d'elles, rôle que le marché laissé à lui-même
est bien incapable de remplir.

Depuis 1995, les droits de propriété accordés sur les créations intellectuelles, font l’objet d’un accord
planétaire dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Les pays industrialisés contraignent les pays du « Sud » à adopter des législations protectrices similaires
aux leurs, et à sanctionner les pratiques de contrefaçon.

L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, entre autres, terriblement touchés par le sida, le paludisme et la
lèpre, disposent de laboratoires capables de reproduire les médicaments mis aux point par les grandes

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multinationales. Mais pas question pour les lobbies pharmaceutiques de laisser tomber dans le
domaine public le produit d’années de recherche.

De son coté, l’OMS a fini par appuyer les pays ayant recours aux « licences obligatoires », mais elle
demeure très en retrait des nécessités. Elle reste prisonnière d'un mode de fonctionnement opaque et
d'une conception dépassée de ses missions. Ce qui entrave ses capacités d'innovations pour construire de
nouvelles ambitions sanitaires à l'échelle de la planète. Bien sûr, le manque de ressources financières est
tout aussi crucial. Pourtant, il serait possible d'imaginer des campagnes d'urgence, mettant à la
disposition des soignants des pays pauvres des médicaments à prix coûtant (et même au-dessous). La
différence serait payée par les compagnies pharmaceutiques, par les gouvernements des pays concernés,
par les Etats des pays développés. Après tout, un modèle de ce type fut adopté dans les années 1950 et
1960 pour lutter contre la variole, maladie éradiquée de la planète depuis 1977.

Mais voilà, les industries pharmaceutiques ne semblent guère prêts à dégager des voies nouvelles. Dans
son bureau de directeur géné11 du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique, M. Bernard Lemoine
ne cache pas on agacement devant la campagne des associations sur cette question. Il met en avant les
opérations positives des laboratoires: baisse passagère de prix, dons de molécules inutilisés, aides à des
fondations. Sa conclusion est néanmoins sans appel: « Je ne vois pas pourquoi on exigerait de l'industrie
pharmaceutique des efforts spécifiques. Personne ne demande à Renault de donner des voitures à ceux
qui n'en ont pas. » Justement, le médicament n'est pas un produit banalisé.
Or non seulement les compagnies pharmaceutiques imposent leurs prix et sélectionnent les seuls
marchés qui feront monter leurs cours en Bourse, mais elles combattent toute 1initiative prise en dehors
d'elles. En ThaÏlande, pour faire face à la méningite à cryptocoque, une maladie mortelle souvent liée au
sida, il n'existait, jusqu'au premier semestre 1998, qu'un seul médicament, le fluconazole, produit sur
place par le laboratoire américain Pfizer sous le nom de Triflucan. Efficace mais hors de prix: 12 000
baths (aux alentours de 2000 francs) la boîte de cinquante comprimés. Pour un malade en début de
traitement, cela représentait un coût mensuel de 15 000 baths, une fois et demie le salaire d'un cadre.
Deux entreprises thaïlandaises réussirent finalement à commercialiser un produit équivalent au prix de 4
000 à 4 500 baths la boîte. Trop cher encore pour une grande partie de la population, mais nettement plus
abordable que le Triflucan. Six mois plus tard, les ventes étaient interdites: alerté par Pfizer, le
gouvernement des Etats-Unis avait menacé les autorités thaïlandaises de taxer leurs principales
exportations (bois, bijoux, microprocesseurs...) si elles ne renonçaient pas à produire le fluconazole.
L’Afrique du Sud a failli connaître le même sort. En 1997, le gouvernement adoptait des lois sanitaires
autorisant les entreprises locales à produire des traitements contre le sida, ou à les importer, sans passer

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par les brevets des grandes compagnies. Immédiatement, les grandes compagnies pharmaceutiques
américaines - dont certaines ont des filiales au Cap - portaient plainte, puis poussaient leur
gouvernement à prendre des mesures de rétorsion de même type que celles infligées a la Thailande.

« Le véritable ennemi n'est pas la prudence financière, explique l'économiste et Prix Nobel
Amartya Sen, mais l'utilisation des deniers publics à des fins dont l'intérêt social est loin d'être évident,
comme par exemple les dépenses militaires massives dans de nombreux pays pauvres (...). Il est
révélateur du monde fou dans lequel nous vivons que le médecin, le maître d'école ou l'infirmière se
sentent 1davantage menacés par le conservatisme financier que ne le sont un général ou un com-
mandant de l'armée de l'air. » Et d'ajouter: « Le prix à payer pour l'inaction et l'apathie, ce peut être la
maladie et la mort. » .

Le rapport de force entre pays riches et pays pauvres, multinationales pharmaceutiques et malades
indigents, s’accroît ainsi avec l’aval de l’Organisation Mondiale du Commerce.

La garantie des profits doit-elle interdire l’accès aux soins ?

A lire : Saine Hargous. Bio-piratérie dans les Andes. Les temps modernes, N° 607
«L'industrie pharmaceutique : réalités économiques 1999 », document édité par le Syndicat national de l'industrie
pharmaceutique (SNIP), 88, rue de la Faisanderie, Paris.
German Velasquez, Sarah Benett et Jonathan D. Quick, « Rôles des secteurs public et privé dans le domaine pharmaceutique.
Incidences sur !'équité en matière d'accès et sur l'États-Unisge rationnel des médicaments », OMS, Genève, 1997.
Amartya Sen, « Santé et développement », allocution prononcée Ii la 52°assemblée mondiale de la santé, Genève, mai 1999:

Régimes globalitaires Autour de soi, chacun sent bien que l'alibi de la modernité sert à tout faire ployer
sous l'implacable niveau d'une stérile uniformité. Un pareil style de vie s'impose d'un bout à l'autre de la
planète, répandu par les médias et prescrit par le matraquage de la culture de masse. De La Paz à Ouaga-
dougou, de Kyoto à Saint-Pétersbourg, d'Oran à Amsterdam mêmes films, mêmes séries télévisées,
mêmes informations, mêmes chansons, mêmes slogans publicitaires, mêmes objets, mêmes vêtements,
mêmes voitures, même urbanisme, même architecture, même type d'appartements souvent meublés et
décorés d'identique manière... Dans les quartiers aisés des grandes villes du monde, l'agrément de la
diversité cède le pas devant la foudroyante offensive de la standardisation, de l'homogénéisation, de
l'uniformisation. Partout triomphe la world culture, la culture globale.

La vitesse a fait exploser la plupart des activités humaines et singulièrement celles liées aux transports et
à la communication. Instantanéité, omnivision et ubiquité, naguère super pouvoirs des divinités de
l'Olympe, appartiennent désormais à l'être humain. Dans l'histoire de l'humanité, jamais des pratiques
propres à une culture ne s'étaient imposées comme modèles universels aussi rapidement. Modèles qui

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sont aussi politiques et économiques; la démocratie parlementaire et l'économie de marché, admises
désormais presque partout comme attitudes « rationnelles », « naturelles », participent, de fait, à
l'occidentalisation du monde.

Est-il étonnant que, en réaction à ce nivellement, se multiplient les sursauts identitaires et les crispations
traditionalistes? Partout, intégrismes et fondamentalismes rejettent une conception abstraite de la
modernité réclamant un enracinement dans le texte fondateur; les nationalismes resurgissent exaltant les
passions autour de quelques traits culturels fétichisés. Mais que peuvent ces réactions (parfois
obscurantistes, passéistes, archaïques) contre la puissance d'un mouvement que stimule très fortement la
mondialisation de l'économie?

Cette mondialisation a été accentuée par l'accélération des échanges commerciaux entre nations après la
signature, en 1947, de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). La rapidité des
communications et leur coût de plus en plus réduit, depuis le début des années quatre-vingt, ont fait
exploser ces échanges et ont multiplié de manière exponentielle les flux commerciaux et financiers. Des
firmes de plus en plus nombreuses se projettent à l'extérieur de leur pays d'origine et développent des
ramifications tous azimuts; l'investissement direct à l'étranger s'accroît massivement augmentant trois
fois plus vite que le commerce mondial. La vitesse de la mondialisation est d'autant plus rapide que les
flux sont de moins en moins matériels et concernent chaque fois davantage des services, des données
informatiques, des télécommunications, des messages audiovisuels, du courrier électronique, des consul-
tations sur Internet, etc.

Toutefois, l'interpénétration des marchés industriels, commerciaux et financiers pose de graves


problèmes de nature politique. De nombreux gouvernements, confrontés à la récession, en viennent à
s'interroger sur les bienfaits de cette économie globale dont ils tentent, par ailleurs, de comprendre la
véritable logique.

Les années soixante-dix avaient connu l'expansion des entreprises multinationales comparées alors à des
pieuvres possédant de multiples extensions mais dépendant toutes d'un même centre, géographiquement
localisé, où s'élaborait la stratégie d'ensemble et d'où partaient les impulsions.

L'« entreprise globale» d'aujourd'hui n'a plus de centre, elle est un organisme sans corps et sans cœur,
elle n'est qu'un réseau constitué de différents éléments complémentaires, éparpillés à travers la planète et
qui s'articulent les uns aux autres selon une pure rationalité économique, obéissant à deux maîtres mots:
rentabilité et productivité. Ainsi, une entreprise française peut emprunter en Suisse, installer ses centres
de recherche en Allemagne, acheter ses machines en Corée du Sud, baser ses usines en Chine, élaborer

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sa campagne de marketing et de publicité en Italie, vendre aux Etats-Unis et avoir des sociétés à
capitaux mixtes en Pologne, au Maroc et au Mexique.

Non seulement la nationalité de la firme se dissout dans cette folle dispersion mais aussi, parfois, sa
propre personnalité. Le professeur américain Robert Reich, ex-secrétaire d'État au Travail dans le
premier gouvernement de William Clinton, cite le cas de l'entreprise japonaise Mazda qui, depuis 1991,
« produit des Ford Probe dans l'usine Mazda de Flat Rock, dans le Michigan. Certaines de ces voitures
sont exportées au Japon et vendues sous la marque Ford. Un véhicule Utilitaire Mazda est fabriqué dans
l'usine Ford de Louisville, Kentucky, et ensuite vendu dans les magasins Mazda aux Etats-Unis. Nissan,
pendant ce temps, conçoit un nouveau camion léger à San Diego, Californie. Les camions seront montés
dans une usine Ford dans l'Ohio, avec des pièces détachées fabriquées par Nissan dans son usine du
Tennessee, et ensuite commercialisés par Ford et Nissan aux États-Unis et au Japon ». Et Robert Reich
de se demander: « Qui est Ford? Nissan ? Mazda ? »

Les salariés des pays d'origine de la firme sont intégrés malgré eux dans le marché international du
travail. Le nivellement se faisant par le bas; les faibles salaires et la moindre protection sociale
l'emportent. Les mises en garde du Bureau international du travail (BIT) n'y peuvent rien. L'entreprise
globale recherche, par les délocalisations et l'augmentation incessante de la productivité, le profit
maximal; cette obsession la conduit à produire là où les coûts salariaux sont les plus faibles et à vendre
là où les niveaux de vie sont les plus élevés. Au Sud, les délocalisations d'usines visent à exploiter el à
tirer profit d'une main-d'œuvre très bon marché. Au Nord, automatisation, robotisation et nouvelle
organisation du travail entraînent des licenciements massifs (downsizing) qui traumatisent profondément
les sociétés démocratiques développées, d'autant que la destruction de millions d'emplois n'est point
compensée par des créations dans d'autres secteurs.

Ces entreprises, loin d'être mondiales, interviennent essentiellement dans les trois pôles dominant
l'économie du monde: Amérique du Nord, Europe occidentale et zone Asie-Pacifique. L'économie
globale provoque ainsi, paradoxalement, une cassure de la planète entre ces trois pôles de plus en plus
intégrés et le reste des pays (en particulier, l'Afrique noire) de plus en plus pauvres, marginalisés, exclus
du commerce mondial et de la modernisation technologique.

Parfois, les investissements spéculatifs se concentrent sur un « marché émergent » du Sud parce que la
Bourse locale offre des perspectives de gains faciles et importants, et parce que les autorités promettent
aux capitaux flottants des taux d'intérêts fort alléchants. Mais cela ne garantit nullement un quelconque

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décollage économique. Car plus rapidement qu'ils sont venus, les capitaux peuvent s'enfuir. D'une
seconde à l'autre. Comme le Mexique en fit l'amère expérience en 1994.

Le Mexique n'a échappé à la faillite totale que grâce à l'octroi d'une aide internationale massive ge plus
de 50 milliards de dollars (dont 20 milliards par les Etats-Unis) ; l'aide la plus importante jamais
accordée à un pays. Si importante qu'on se demande si elle cherchait à sauver le Mexique (dont le pétrole
passait sous le contrôle des États-Unis qui prenaient ainsi une revanche sur le président Làzaro
Càrdenas, lequel, en 1938, avait nationalisé les compagnies pétrolières américaines...), ou si elle visait
plutôt à sauver le système financier international.

Car on n'a pas assisté au même empressement s'agissant d'autres situations d'urgence. Par exemple, au
Rwanda, ravagé pourtant par un génocide. Pratiquement aucun prêt, non plus, à la Russie, qui n'a
effectivement reçu, depuis 1990, que 3 milliards de dollars d'aide directe quand ses besoins sont
gigantesques. Enfin, nulle aide à Gaza-Cisjordanie, ou à peine quelques dizaines de millions alors qu'il
en faudrait des centaines pour réduire les tensions et tenir enfin les promesses des accords d'Oslo. .

À quel degré d'absurdité est parvenu le système financier international? Il obéit, désormais, au chacun
pour soi. Nul n'arbitre un jeu que nulle règle n'organise, hormis celle de la recherche du profit maximal.
Aux yeux de tous, cette crise aura révélé qui sont les nouveaux maîtres de la géofinance : les
gestionnaires des fonds de pension et des fonds communs de placement. Ce sont eux que, en langage
expert, la presse économique appelle: « les marchés». On connaissait l'importance astronomique des
sommes mobilisées par ces gestionnaires (les seuls fonds de pension américains représentent 6 000
milliards de dollars...), et on prévoyait que leur déplacement brutal provoquerait un jour des dégâts
importants. Le Mexique, le premier, en a éprouvé le choc. Il y a laissé une part de sa souveraineté
nationale.

Tout comme au cours du XIXème siècle les grandes banques dictèrent leur attitude à de nombreux pays,
ou comme les entreprises multinationales le firent entre les années soixante et quatre-vingt, les fonds
privés des marchés financiers tiennent désormais en leur pouvoir le destin de beaucoup de nations. Et,
dans une certaine mesure, le sort économique du monde. Qu'ils cessent d'avoir confiance demain en la
Chine (où les investissements étrangers directs ont atteint, en 1994, 32 milliards de dollars), et, tels des
dominos, les pays les plus exposés (Hongrie, Argentine, Brésil, Turquie, Thaïlande, Indonésie...)
verraient les capitaux se retirer sous le coup de la panique, provoquant leur faillite et la faillite du
système.

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La chute de la banque britannique Barings, en 1995, a confirmé d'ailleurs que, contrairement au
mythe colporté par la pensée unique, les « marchés ouverts » ne fonctionnent pas à la perfection et le
capital privé n'a pas le monopole de la sagesse. Réputés « infaillibles», les marchés se sont encore
lourdement trompés. Et - grâce à l'aide apportée par les États sur fonds publics - ils n'ont pas été
sanctionnés; ce qui constitue une entorse au dogme libéral, que les libéraux se sont bien gardés de
dénoncer tant il est vrai qu'une autre règle d'or non proclamée s'est une fois de plus vérifiée: au capital
les rendements les plus fabuleux, et à la collectivité les pertes. Dans une économie globale, ni le capital,
ni le travail, ni les matières premières ne constituent, en soi, le facteur économique déterminant.
L'important c'est la relation optimale entre ces trois facteurs. Pour établir cette relation, la « firme

globale » ne tient compte ni des frontières ni des réglementations, mais seulement de l'exploitation
intelligente qu'elle peut faire de l'information, de l'organisation du travail et de la révolution de la
gestion. Cela entraîne souvent une fracture des solidarités au sein d'un même pays: « L'ingénieur en
logiciel américain, lié à son réseau mondial par des ordinateurs et des fax, - écrit Robert Reich - est plus
dépendant d'ingénieurs de Kuala Lumpur, de fabricants de Taïwan, de banquiers de Tokyo et de Bonn, et
de spécialistes des ventes et du marketing de Paris et de Milan que de travailleurs routiniers exerçant leur
activité dans une usine située de l'autre côté de la ville. » On en arrive ainsi au divorce entre l'intérêt de
l'entreprise et l'intérêt de la collectivité, entre la logique du marché et celle de la démocratie.

Les firmes globales ne se sentent, en la matière, nullement concernées; elles sous-traitent et vendent dans
le monde entier; et revendiquent un caractère supranational qui leur permet d'agir avec une grande liberté
puisqu'il n'existe pas, pour ainsi dire, d'institutions internationales à caractère politique, économique ou
juridique en mesure de réglementer efficacement leur comportement.

Les grandes instances économiques - Fonds monétaire international, Banque mondiale - connaissent une
crise structurelle. La mondialisation de l'économie a déstabilisé ces organismes créés à la fin de la
seconde guerre mondiale. Le GATI, obsédé par les droits de douane, ne maîtrisait plus les problèmes de
concurrence et d'accès aux marchés, semblait frappé d'obsolescence après la fin de l'Uruguay Round, et a
été remplacé, dès 1995, par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le système monétaire international, issu de la conférence de Bretton Woods (194_) et déjà mis à mal en
1971 par la décision unilatérale des Etats-Unis de suspendre la convertibilité du dollar en or, est
désormais pris de vitesse par la mondialisation des marchés monétaires et financiers. Le « big bang»
(informatisation) des Bourses et la déréglementation à grande échelle permettent aux flux de capitaux de

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se déplacer à la vitesse de la lumière, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, stimulant une formidable
spéculation financière.

Les transactions financières s'effectuent en continu, les opérateurs pouvant intervenir, en temps réel, sur
les marchés de Tokyo, Londres ou New York. Le volume des transactions financières est dix fois
supérieur à celui des échanges commerciaux. L'économie financière l'emporte, de loin, sur l'économie
réelle. Le mouvement perpétuel des monnaies et des taux d'intérêt apparaît comme un facteur
d'instabilité, d'autant plus dangereux qu'il est autonome et de plus en plus déconnecté du pouvoir
politique.

Cette immense rupture économique, financière et politique que constitue la mondialisation de l'économie
n'a pas encore été sérieusement analysée. Objet, depuis quelques années, de multiples travaux sectoriels,
en particulier sur ses dimensions économiques, financières, technologiques et culturelles, la
mondialisation a rarement été appréhendée. dans sa globalité, en tant que basculement de civilisation.
Elle constitue pourtant l'aboutissement ultime de l'économisme, de « l'impensable en train de naître sous
nos yeux » : l'homme « mondial », c'est-à-dire l'atome infra-humain, vidé de culture, de sens et de
conscience de l'autre.

Tel est le résultat final prévisible, mais déjà fortement présent, de la combinaison des trois dynamiques
qui convergent de manière explosive sur l'humanité de cette fin de siècle: la mondialisation de
l'économie, ultime avatar de la modernité occidentale datant de l'expansion de l'Europe sur le monde au
XVème siècle; la remise en cause de l'État providence et de l'État tour court, qui pourrait sonner le glas
du politique et de la société; la destruction généralisée des cultures, au Nord comme au Sud, par le
rouleau compresseur de la communication, de la mercantilisation et de la technologie.

Les principaux fondements théoriques de cette vision à la fois consensuelle et désespérante empruntent
au marxisme (mais en les retournant) certains de ses postulats: prétention naïve à la scientificité (le «
cercle de la raison »), évocation eschatologique d'un «avenir radieux », et indifférence à l'égard de ses
propres échecs.

Le plus grave, dans cette instrumentalisation idéologique de la mondialisation, c' est évidemment de
condamner par avance - au nom du « réalisme» - toute velléité de résistance ou même de dissidence.
Sont ainsi frappés d'opprobre ou définis comme «populistes» tous sursauts républicains, toutes
recherches d'alternatives, toutes tentatives de régulation démocratique, toutes critiques du marché. La
mondialisation n'est ni une fatalité incontournable, ni un «accident» de l'histoire. Elle constitue un grand
défi à relever, une sauvagerie potentielle à réguler, c'est-à-dire, au bout du compte, à civiliser. C'est

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politiquement qu'il s'agit de résister à cette obscure dissolution de la politique elle-même dans la
résignation ou la désespérance.

Ce n'est pas le moindre paradoxe de cette mondialisation que de dissimuler, derrière l'apparence d'une
modernité postindustrielle et informatisée - la fascination Internet -, une évolution politiquement «
réactionnaire» au sens strict de terme. C'est-à-dire un démantèlement progressif des conquêtes
démocratiques, un abandon du contrat social européen, un retour - sous couvert d'« adaptation» et de «
compétitivité» - au capitalisme primitif du XIXème siècle.

On a la confirmation de cela chaque année, lorsque, au cœur de l'hiver, les principaux responsables de la
planète chefs d'État, banquiers, financiers, patrons des grandes entreprises transnationales - se retrouvent
à Davos, petite ville suisse, pour faire le point sur les avancées de l'économie de marché, du libre-
échange et de la déréglementation.

Rendez-vous des nouveaux maîtres du monde, le forum économique de Davos est devenu La Mecque de
l'hyperlibéralisme, la capitale de la mondialisation et le foyer central de la pensée unique.

Dans leur grande majorité, les deux mille global leaders y confirment, rituellement, qu'il faut combattre
l'inflation, réduire les déficits budgétaires, poursuivre une politique monétaire restrictive, encourager la
flexibilité du travail, démanteler l'État providence et stimuler sans relâche le libre-échange. Ils vantent
l'ouverture croissante des pays au commerce mondial; les efforts des gouvernements pour réduire les
déficits, les dépenses et les impôts; applaudissent aux privatisations. Selon eux, il n'y a plus d'alternative
politique ou économique; acquis au marché et dopé par Internet, le monde vit en quelque sorte la fin de
l'histoire.

La compétition reste, à leurs yeux, la seule force motrice : « Qu'on soit un individu, une entreprise ou un
pays - y a déclaré, par exemple, Helmut Maucher, patron de Nestlé l'important pour survivre dans ce
monde, c'est d'être plus compétitif que son voisin.» Et malheur au gouvernement qui ne suivrait pas cette
ligne: «Les marchés le sanctionneraient immédiatement - a averti Hans Tietmeyer, président de la
Bundesbank - car les hommes politiques sont désormais sous le contrôle des marchés financiers. »
Comme a pu le constater, à Davos, en 1996, Marc Blondel, secrétaire général du syndicat français Force
ouvrière: « Les pouvoirs publics ne sont, au mieux, qu'un sous-traitant de l'entreprise. Le marché
gouverne. Le gouvernement gère. »

Les accents triomphalistes ne manquent pas. Pourtant, dès 1996, sur cet aréopage des élites mondiales,
on a senti planer le sentiment qu'une période d'euphorie s'achevait. A cet égard, la révolte des salariés
français de décembre 1995 a sans doute servi de tocsin. Car même ces global leaders ne peuvent pas

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manquer de constater que l'événement majeur de cette fin de siècle est la paupérisation de l'Europe
occidentale.

C'est une sacrée tache dans le tableau. Le professeur Klaus Schwab, fondateur du Forum de Davos, a lui-
même formulé la première mise en garde: « La mondialisation est entrée dans une phase très critique. Le
retour de bâton se fait de plus en plus sentir. On peut craindre qu'il ait un impact fort néfaste sur l'activité
économique et la stabilité politique de nombreux pays. »

D'autres experts ont fait un constat encore plus pessimiste. Ainsi, Rosabeth Moss Kanter, ancienne
directrice de la Harvard Business Review et auteur de l'ouvrage The World Class, a averti: « Il faut créer
la confiance chez les salariés, et organiser la coopération entre les entreprises afin que les collectivités
locales, les villes et les régions bénéficient de la mondialisation. Sinon nous assisterons à la résurgence
de mouvements sociaux comme nous n'en avons jamais vu depuis la seconde guerre mondiale.» C'est
également la grande crainte de Percy Barnevik, patron de Asea Brown Boveri (ABB), l'une des
principales compagnies énergétiques du monde, qui a lancé ce cri d'alerte: « Si les entreprises ne relèvent
pas les défis de la pauvreté et du chômage, les tensions vont s'accroître entre les possédants et les
démunis, et il y aura une augmentation considérable du terrorisme et de la violence. »

Cette inquiétude se répand même dans les milieux les plus acquis au libéralisme. Le sénateur
(démocrate) des ÉtatsUnis, Bill Bradley, a révélé que: « En raison de l'actuelle fureur compétitive, de la
précarisation de l'emploi et de la baisse des salaires, les classes moyennes américaines vivent de plus en
plus mal, et doivent travailler de plus en plus pour maintenir leur niveau de vie. » C'est pourquoi l'heb-
domadaire américain Newsweek n'a pas hésité, le 26 février 1996, à dénoncer le killer capitalism (le
capitalisme tueur), clouant au pilori les douze grands patrons qui, ces dernières années, ont licencié à eux
seuls plus de 363 000 salariés! « Il fut un temps où licencier en masse était une honte, une infamie.
Aujourd'hui, plus les licenciés sont nombreux plus la Bourse est contente... », accuse ce journal qui, lui
aussi, redoute un violent retour de bâton contre la mondialisation.

« La mondialisation est en train de créer, dans nos démocraties industrielles, une sorte de sous-classe de
gens démoralisés et appauvris. » Affirme l'ex-ministre américain du Travail, Robert Reich. Il vient de
réclamer que les entreprises ayant manqué à leur devoir civique en réduisant le nombre de leurs salariés
soient sanctionnées par l'État, obligées de payer une taxe supplémentaire.

Le rôle de l'État, dans une économie globale, est inconfortable. Il ne contrôle plus les changes, ni les flux
d'argent, d'informations, ou de marchandises et on continue, malgré tout, de le tenir pour responsable de
la formation des citoyens et de l'ordre public intérieur, deux missions très dépendantes de la situation

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générale de l'économie... L'État n'est plus totalitaire, mais l'économie, à l'âge de la mondialisation,
tend de plus en plus à le devenir.

On appelait naguère « régimes totalitaires » ces régimes à

parti unique qui n'admettaient aucune opposition organisée, négligeant les droits de la personne humaine
au nom de la raison d'Etat, et dans lesquels le pouvoir politique dirigeait souverainement la totalité des
activités de la société dominée.

À ces régimes, caractéristiques des années trente, succède, en cette fin de siècle, un autre type de
totalitarisme, celui des « régimes globalitaires ». Reposant sur les dogmes de la mondialisation et de la
pensée unique, ils n'admettent aucune autre politique économique, négligent les droits sociaux du
citoyen au nom de la raison compétitive, et abandonnent aux marchés financiers la direction totale des
activités de la société dominée.

Dans nos sociétés déboussolées, les gens n'ignorent pas la puissance de ce nouveau totalitarisme. Selon
une récente enquête d'opinion, 64 % des personnes interrogées estimaient que « ce sont les marchés
financiers qui ont le plus de pouvoir aujourd'hui en France», devant « les hommes politiques» (52 %) et
« les médias» (50 %). Après l'économie agraire, qui a prévalu pendant des millénaires; après l'économie
industrielle qui a marqué les XIXémé et XXème siècles; nous sommes entrés dans l'ère de l'économie
financière globale.

La mondialisation a tué le marché national qui est l'un des fondements du pouvoir de l'État-nation. En
l'annulant, elle a modifié le capitalisme national et diminué le rôle des pouvoirs publics. Les États n'ont
plus les moyens de s'opposer aux marchés. Les banques centrales étant devenues indépendantes, les
États ne disposent plus que de leurs réserves de changes pour contrer éventuellement un mouvement de
devise hostile. Or, le volume de ces réserves est ridiculement faible face à la force de frappe des
marchés.

Les États sont dépourvus de moyens pour freiner les flux formidables de capitaux, ou pour contrer
l'action des marchés contre ses intérêts et ceux de leurs citoyens. Les gouvernants acceptent de respecter
les consignes générales de politique économique que définissent des organismes mondiaux comme le
Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, ou l'Organisation mondiale du commerce
(OMC). En Europe, les célèbres « critères de convergence» établis par le traité de Maastricht
(endettement public réduit, comptes extérieurs sans distorsions graves, inflation contenue) exercent une
véritable dictature sur la politique des États, fragilisent le fondement de la démocratie, et aggravent la
souffrance sociale.

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Si des dirigeants affirment encore croire en l'autonomie du politique, leur volonté de résistance
ressemble fort à du bluff, puisqu'ils réclament, avec une véhémente insistance, des « efforts
d'adaptation» à cette situation. Or, en de telles circonstances, qu'est-ce que s'adapter? Tout simplement
admettre la suprématie des marchés et l'impuissance des hommes politiques, ou, pour le dire autrement,
accepter d'« être pieds et poings liés dans un monde qui s'impose à tous ».

Telle est la logique de ces régimes globalitaires. En favorisant, au cours des deux dernières décennies, le
monétarisme, la déréglementation, le libre-échange commercial, le libre flux de capitaux et les
privatisations massives, des responsables politiques ont permis le transfert de décisions capitales (en
matière d'investissement, d'emploi, de santé, d'éducation, de culture, de protection de l'environnement)
de la sphère publique à la sphère privée. C'est pourquoi, à l'heure actuelle déjà, sur les deux cents
premières économies du monde, plus de la moitié ne sont pas des pays mais des entreprIses.

Le phénomène de multinationalisation de l'économie s'est

développé de manière spectaculaire. Dans les années soixante-dix, le nombre de sociétés multinationales
n'excédait pas plusieurs centaines, aujourd'hui leur nombre frôle les 40 000... Et si l'on considère le
chiffre d'affaires global des 200 principales entreprises de la planète, son montant représente _plus du
quart de l'activité économique mondiale; et pourtant, ces 200 firmes n'emploient que 18,8 millions de
salariés, soit moins de 0,75 % de la main-d'œuvre planétaire...

Au début des années quatre-vingt-dix, quelque 37000 firmes transnationales enserraient, avec leurs
170000 filiales, l'économie internationale dans leurs tentacules. Les 200 premières sont des
conglomérats dont les activités planétaires couvrent sans distinction les secteurs primaire, secondaire et
tertiaire: grandes exploitations agricoles, production manufacturière, services financiers, commerce, etc.;
géographiquement, elles se répartissent entre dix pays: Japon (62), États-Unis (53), Allemagne (23), .
France (19), Royaume-Uni (11), Suisse (8), Corée du Sud (6), Italie (5), et Pays-Bas (4).

Le chiffre d'affaires de la General Motors est plus élevé que le produit national brut (PNB) du
Danemark, celui de Ford est plus important que le PNB de l'Afrique du Sud, et celui de Toyota dépasse
le PNB de la Norvège. Et nous sommes ici dans le domaine de l'économie réelle, celle qui produit et
échange des biens et des services concrets. Si l'on y ajoute les acteurs principaux de l'économie
financière, c'est-à-dire les principaux fonds de pensions américains et japonais qui dominent les marchés
financiers, le poids des

États devient presque négligeable.

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De plus en plus de pays, qui ont massivement vendu leurs entreprises publiques au secteur privé et
ont déréglementé leur marché, sont devenus la propriété de grands groupes multinationaux. Ceux-ci
dominent des pans entiers de l'économie du Sud; ils se servent des États locaux pour exercer des
pressions au sein des forums internationaux et obtenir les décisions politiques les plus favorables à la
poursuite de leur domination globale.

Ainsi, la réalité du nouveau pouvoir mondial échappe largement aux États. La mondialisation et la
déréglementation de l'économie favorisent l' émergence de pouvoirs nouveaux, qui, avec l'aide des
technologies modernes, débordent et transgressent en permanence les structures étatiques.

Quand le modèle économique est celui des paradis fiscaux, et que « les marchés» en viennent à
sanctionner (au nom de la lutte contre l'inflation) la création d'emplois et la croissance, n'y a-t-il pas une
irrationnelle perversion dans le royaume de finance ?

Le mécanisme qui peut arrêter cette course au désastre, dans la phase de glaciation mondialisatrice à
laquelle nous sommes parvenus, est celui d'une dissidence impliquant progressivement une masse
critique de citoyens décidés à faire prévaloir leurs droits élémentaires et à favoriser l'avènement d'une
vraie société politique. Cette dissidence commence avec le refus de la théologie économique qui a confié
au marché le gouvernement du monde: desserrer les ajustements, les recentrer sur le marché interne et
non sur les exportations, tempérer la concurrence, réhabiliter la planification, modérer le jeu de casino de
la spéculation, utiliser l'Europe comme levier d'un projet social, etc.

Il reste peu de temps, car à de multiples signes, on voit revenir, dans nos sociétés déboussolées, une
troublante interrogation: la démocratie est-elle confisquée par un petit groupe de privilégiés qui en usent
pour leur bénéfice quasi exclusif?

Parce qu'ils considéraient que la République devait se fonder sur le « contrat social» - comme l'avait
enseigné Jean-Jacques Rousseau -, cette même interrogation a conduit, pendant plus d'un siècle, les
socialistes révolutionnaires (de Karl Marx à Trotsky en passant par Blanqui, Bakounine et Lénine) à
combattre, au nom de la liberté, la « démocratie bourgeoise» et à rêver, pour certains d'entre eux, d'une
«dictature du prolétariat ». En même temps, au nom du nationalisme ethnique, l'extrême droite cherchait
à abattre le « parlementarisme ».

La défaite militaire des fascismes en 1945, puis l'effondrement des régimes communistes en 1989
semblèrent régler la, question. La thèse de Francis Fukuyama sur la « fin de l'histoire» pouvait
triompher: la démocratie était l'horizon indépassable de tout régime politique. Et chacun de rappeler le

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célèbre aphorisme de Winston Churchill: « La démocratie est le pire des systèmes... à l'exception de
tous les autres. »

À la faveur de cette embellie, la démocratie s'est étendue partout de manière spectaculaire. Au point que,
rarissime à la veille de la seconde guerre mondiale, la démocratie est devenue le régime politique
dominant. Et pourtant, de plus en plus nombreux sont ceux qui dénoncent ce système comme une
imposture...

En France, le nombre des licenciements a dépassé, en moyenne, en 1996, les 35000 par mois...
L'hémorragie sociale atteint des proportions scandaleuses, notamment dans les. industries de main
d’œuvre: textile, chaussure, agroalimentaire, électroménager, automobile, bâtiment. Ce dernier secteur, à
lui seul, a vu disparaître, en un an,

24 000 emplois... Celui de l'habillement, 15 000, en un semestre.. .

La France a déjà perdu plus de 1,8 million d'emplois industriels, et le taux de chômage atteint 12,3 % de
la population active, un record historique. On continue cependant d'annoncer une série de « plans
sociaux » visant à réduire les effectifs tant dans des entreprises publiques (Aérospatiale, France
Télécom, Sernam) que dans des groupes privés (Pechiney, Moulinex, Peugeot).

De surcroît, à la veille de grandes fusions, les banques envisagent la suppression de quelque 40000
emplois. Une identique saignée se prépare dans les secteurs des assurances, de l'aéronautique et du
multimédia. Et il faut ajouter la baisse de 24 % des effectifs des armées, décidée par le ministère de la
Défense. Tout cela, pour de nombreuses communes, signifie la mort économique.

Entre-temps, en Italie, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, dans l'ensemble de


l'Union européenne, les licenciements massifs se poursuivent. Partout, chômage et sous-emploi
s'étendent, les salaires sont bloqués, et les budgets sociaux drastiquement réduits au nom de la sacro-
sainte compétitivité.

Les inégalités ne cessent de croître à tel point que certains États européens en viennent à accepter une
sorte de tiers-mondisation de leurs sociétés. Ainsi, selon des rapports récents de l'ONU, de la Banque
mondiale et de l'OCDE: « Au Royaume-Uni, les inégalités entre riches et pauvres sont les plus
importantes du monde occidental, comparables à celles qui existent au Nigeria, et plus profondes que
celles que l'on trouve, par exemple, à la Jamaïque, au Sri Lanka ou en Éthiopie.» En moins de quinze
ans, s'est construite une société de rentiers doublée d'une société d'assistés...

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Partout, en Europe, la cohésion sociale se lézarde dangereusement; au sommet, se renforce une
classe de plus en plus aisée (10 % des Français, par exemple, détiennent 55 % de la fortune nationale)
tandis que, vers le bas, les poches de pauvreté se creusent. Or, on sait que des citoyens trop démunis,
marginalisés, exclus sont incapables de profiter des libertés formelles et de faire valoir leurs droits.

Tout cela se produit dans un cadre économique général où la finance triomphe. Les marchés financiers
exercent une influence tellement colossale qu'ils imposent leur volonté aux dirigeants politiques. De
même que naguère on pouvait dire que « deux cents familles» contrôlaient le destin de la France, on peut
affirmer à présent que « deux cents gérants » contrôlent le destin de la planète. Les gouvernements en
viennent même à abandonner toute velléité de politique budgétaire autonome et acceptent d'obéir à des
logiques parfaitement étrangères aux préoccupations sociales des citoyens.

C'est sans doute pour cette raison, parce que les politiques consentent désormais à se soumettre à la
domination de l'économique et à la dictature des marchés, que le régime démocratique s'étend sans
entraves à travers la planète. Naguère tout projet d'instauration démocratique était férocement combattu
par les tenants du capital, alliés le plus souvent aux forces armées. De la guerre civile d'Espagne (1936-
1939) au renversement du président du Chili, Salvador Allende, en 1973, les exemples ne manquent pas
de régimes démocratiques tragiquement abattus parce qu'ils s'apprêtaient à réduire les inégalités en
répartissant plus équitablement la richesse. Parce qu'ils entendaient nationaliser (mettre au service de la
nation) les secteurs stratégiques de l'économie. La démocratie supposait la domination de l'économie par
le politique, pour le bénéfice des citoyens. i '

Aujourd'hui, démocratie rime avec démantèlement du secteur d'État, avet piivatisatÏohS;':lvec


enrichissement d'une petite caste de privilégiés, etc. Tout est sacrifié (et en premier lieu le bien-être du
peuple) aux impératifs de l'économie financière. À cet égard, en Europe, les critères de convergence
imposés par le traité de Maastricht sont devenus des / absolus quasiment constitutionnels. Au grand
scandale des millions de laissés-pour-compte.

Si l'on ajoute à cela le cynisme de dirigeants qui à peine élus s'empressent de renier les promesses faites
durant leur campagne électorale; le poids démesuré des groupes de pression; et la montée de la
corruption dans la classe politique, comment ne pas voir que cette démocratie en panne favorise, en
premier lieu, l'expansion de l'extrême droite? Comment ne pas comprendre la colère des citoyens
confrontés, dans l'ensemble de l'Union européenne, à la marée des injustices? Le bon sens remportera-t-
il? En viendra-t-on enfin à admettre que sans développement social il ne peut y avoir de développement
économique satisfaisant? Et qu'on ne peut bâtir une économie solide sur une société en ruines?

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Sans terre Le Brésil, géant de l'Amérique du Sud (8511 965 Km2 et 168 millions d'habitants), considéré
comme la neuvième puissance économique mondiale, n’est pas un pays, mais une énorme désillusion.
Cette phrase, attribuée à un anonyme, probablement chanter de “samba”, parle des paradoxes du Brésil.
Si un jour l’écrivain autrichien Stefan Zweig a pu dire que le Brésil était une terre d’avenir, le présent se
montre plus avare : il a le triste privilège de figurer parmi les peuples où règne la plus grande inégalité
sociale. Selon le PNUD, 20% de la population la plus pauvre se partagent seulement 2,5% du revenu
national, tandis que 20% des plus riches en détiennent 63,4%, et selon la Banque Mondiale, 10% de la
population s'approprient la moitié de la richesse nationale, et 1 % environ un sixième.

Des inégalités qui font que le Brésil demeure le plus grand « latifundido » du monde où quelque 1% des
propriétaires possèdent environ 46% des terres, tandis que 90% s'en partagent 20% . avec comme facteur
aggravant, le fait qu'un peu plus de la moitié des terres cultivables sont improductives. Une réforme
agraire en certes marche, mais elle est trop timide et, de toute façon, elle est la conséquence de la
pression du Mouvement des Sans Terre (MST), conduit par l’économiste chrétien João Pedro Stédile, 46
ans, et soutenu par le Parti des Travailleurs, l’église catholique progressiste, la Centrale Unique des
Travailleurs et tous les mouvements sociaux tournés vers une nouvelle répartition de la richesse au
Brésil.

L'image du Brésil, deuxième pays de la planète pour la concentration de la propriété foncière, s'identifie
chaque jour davantage au visage du travailleur rural sans terre : regard dur, desséché par le vent, à la
limite de la détermination et du désespoir. Les chiffres ne permettent aucune erreur sur l'analyse de la
situation. Pour un territoire continental de 850 millions d'hectares, 390 millions d'hectares sont
utilisables pour l'activité agricole, mais, selon l'Institut national de colonisation et de réforme agraire
(Incra), 120 millions d'hectares demeurent en jachère. Dans ce pays aux quatre millions de familles
dépourvues de terre, de vastes étendues - presque 60 % des surfaces rurales - appartiennent à moins de
3 % des propriétaires.

De façon continue, de la colonie à l'Empire en passant par les gouvernements républicains, les élites ont
toujours été attentives face à la possibilité qu'une telle quantité de terres ne facilite la transformation
rapide de l'esclave ou de l'ouvrier agricole en petit propriétaire rural. C'est ainsi que furent prises les

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mesures nécessaires pour empêcher leur accès à la terre, tout en favorisant une accumulation limitée
aux cercles du pouvoir.

Le travailleur agricole est, historiquement, le plus pénalisé de tous les travailleurs brésiliens. Il a été
maintenu à l'écart quand la main-d’œuvre urbaine a vu ses droits reconnus par une loi, à partir de 1930.
Même la modernisation de l'agriculture, mise en oeuvre dans les années 1950, et qui, selon les
techniciens de l'époque, devait avoir comme résultat naturel l'amélioration de la qualité de la vie pour les
populations rurales, ne contribua en rien à la résolution du problème agraire. Elle ne fut pas plus efficace
en ce qui concerne l'exploitation rationnelle du potentiel agricole du pays.

Comprise comme l'assimilation des nouvelles technologies et l'augmentation de la productivité, la


modernisation agricole tenta, en particulier pendant les gouvernements militaires, de se confondre avec
le développement rural. Mais la modernisation a été responsable, entre autres, de l'exacerbation des
différences régionales. En ce qui concerne les structures, elle créa, d'un côté, un secteur extrêmement
moderne, composé d'environ 500 000 entreprises, qui assurent la majeure partie des exportations
agricoles et de l'emploi rural. D'un autre côté, elle généra un secteur arriéré, composé de près de 5
millions d'unités agraires de tailles diverses, opérant à des niveaux de productivité très bas, mais assurant
une part considérable de la production d'aliments. En outre, les données sur la violence révèlent que les
conflits sociaux agraires et leurs conséquences souvent dramatiques sont justement plus importants dans
les régions de grande concentration de la terre (2) ; celles-ci sont également les zones de plus faible
indice de développement humain du pays.

Conséquence de l'ouverture économique et d'une politique cherchant à attirer les capitaux étrangers, le
flux de ces derniers en direction du Brésil est passé de 43,3 milliards d'euro en 1995 (6 % du PIB) à
201,5 milliards d'euro en 1999 (21,6 % du PIB). C'est en offrant les taux d'intérêt réels les plus élevés du
monde, durant la plus grande partie de son gouvernement, que, entre prêts privés et prêts provenant
d'organismes internationaux, M. Fernando Henrique Cardoso a obtenu ces ressources. Elles ont permis
de réduire l'inflation, de 50 % en juin 1994 à 6 % un mois après l'implantation du Plan Real, à la fin
juillet de la même année. Maintenue à un bas niveau durant toutes les années Cardoso, cette inflation est
descendue à 1,79 % en 1998, pour augmenter après la crise de 1999, mais toujours en deçà des deux
chiffres.

Ce n’est pas un hasard, le président était, lui aussi, un gros latifundiste. Le 24 mars 2002, 500 paysans
occupent la fazenda (propriété) de la famille du président Fernando Henrique Cardoso. Quelques jours

279
280
plus tard, dans le Para, 14 humbles Brésiliens liés au Mouvement des sans-terre (MST) sont enfin
libérés, après 60 jours de prison, pour avoir occupé, eux aussi, une propriété appartenant à l'ex-président
du Sénat, poursuivi pour diverses affaires politico-financières, M. Jader Barbalho. Le 23 mai, le major
José Maria Oliveira est condamné à 158 ans de prison pour sa responsabilité dans la mort de 19 paysans
assassinés par la police militaire à Eldorado do Carajas, le 17 avril 1996. Comme le colonel Mario
Pantoja, autre officier inculpé, et malgré des preuves accablantes, il reste en liberté, leurs avocats ayant
demandé l'annulation des deux jugements. En trois événements, la situation du problème agraire à la fin
du mandat de l'actuel président est ainsi résumée. Les latifundios (plus de 1 000 hectares), qui
représentent 1 % du nombre des établissements agricoles, occupent 45 % des surfaces productives -
souvent non exploitées. Les 20 plus grandes propriétés accaparent à elles seules la même surface que 3,3
millions de petits producteurs. Dans le même temps, au moins 3,5 millions de familles paysannes
attendent une réforme agraire.

Le gouvernement Cardoso prétend en avoir fait bénéficier 482 206 familles (fin 2001), mais des
estimations ramènent ce chiffre à 234 062, dont 60 % sur le front pionnier, par le défrichage de
nouvelles surfaces (qui aggrave la déforestation). Par ailleurs, il promeut une politique de vente des
latifundios (rachetés par l'Etat à prix d'or) aux paysans (qui ne pourront pas payer !) au lieu de
démocratiser l'accès à la terre par l'expropriation. Le MST revendique, lui, le transfert de propriété des
terres improductives et a déjà installé 138 000 familles sur des terres « occupées ». En réponse, il ne s'est
attiré qu'une répression féroce de ses dirigeants et une vague d'expulsions, d'emprisonnements arbitraires
et d'assassinats des pauvres des campagnes.

L'ouverture de l'économie a provoqué à la fois une rapide augmentation des importations et la perte de
ce qui constituait l'une des conquêtes de l'économie brésilienne, sa compétitivité à l'étranger. Il en est
résulté un déficit de la balance commerciale comme jamais le pays n'en avait connu. Aggravé par
l'arrivée de capitaux spéculatifs, ce déficit a eu des conséquences directes sur la balance des paiements.

Alors que les exportations progressaient de 35,68 milliards d'euro (1992) à 53,02 milliards d'euro (1997),
les importations ont plus que triplé, passant de 20,9 milliards d'euro à 62,5 milliards d'euro. Dans le
même temps, la balance des paiements a évolué d'un excédent de 15,4 milliards d'euro à un déficit de 8,4
milliards, une différence significative de 23,8 milliards d'euro.

Le niveau d'endettement du secteur public a progressé vertigineusement, de 30 % du PIB en 1994 à


61,9 % en juillet 2002. Un résultat catastrophique pour un gouvernement qui prétendait que, l'Etat

280
281
dépensant beaucoup et mal, son objectif central pour lutter contre l'inflation serait l'assainissement
des finances publiques. Avec l'aggravation de la crise en 2002, non seulement le niveau d'endettement a
augmenté, mais aussi sa qualité : la proportion de dette libellée en dollars s'est accrue, allant de pair avec
un raccourcissement des échéances et une hausse des taux. Tel a été le cas du dernier prêt du Fonds
monétaire international (FMI), en 2002 : 30,5 milliards d'euro, dont 6,1 milliards libérés immédiatement
pour que le gouvernement de M. Cardoso puisse terminer son mandat sans décréter un moratoire. Le
reste sera versé en fonction de l'acceptation, par le prochain président, des conditions qu'a imposées le
FMI.

Ce piteux résultat est dû au fait que la stabilité monétaire a été essentiellement obtenue par l'attraction de
capitaux spéculatifs, des taux d'intérêt « stratosphériques », et non à travers la croissance, la
consolidation de l'économie et l'assainissement des finances publiques. Celles-ci, au contraire, ont
souffert des taux d'intérêt destinés à attirer les capitaux spéculatifs, multipliant la dette par la même
occasion.

La croissance économique n'a pas plus été au rendez- vous. Les années 1980 ont été vécues comme
celles de la décennie perdue, mais il ne s'agissait pas que de cela. Après une croissance inédite entre
1930 et 1980, le pays est entré dans une phase de faible croissance et même de stagnation. Dans les
années 1980, avec une croissance réduite à 3,02 %, le revenu per capita n'a progressé que de 0,72 % -
conséquence de la crise de la dette. Au long de la décennie suivante, la croissance de l'économie a été
encore inférieure (2,25 %) et la progression du revenu par tête n'a atteint que 0,88 % - la moitié de la
croissance démographique -, dans un pays où la distribution de la richesse demeure la plus inégalitaire
du monde.

Alors que le Brésil importe des milliards de dollars de produits agricoles, des millions de travailleurs des
campagnes se voient refuser l'accès à la terre, qui continue à n'être un droit que pour une minorité. Du
fait de l'exode rural, des centaines de milliers d'entre eux viennent s'agglutiner chaque année dans les
favelas des grandes villes. Mais à la demande d'une réforme agraire n'ont. répondu que les
atermoiements du gouvernement et, à la mobilisation des paysans sans terre, la répression.
L'image du Brésil, deuxième pays de la planète pour la concentration de la propriété foncière, s'identifie
chaque jour davantage au visage du travailleur rural sans terre: regard dur, desséché par le vent, à la
limite de la détermination et du désespoir. Les chiffres ne permettent aucune erreur sur l'analyse de la
situation. Pour un territoire continental de 850 millions d'hectares, 390 millions d'hectares sont

281
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utilisables pour l'activité agricole, mais, selon l'Institut national de colonisation et de réforme agraire
(Incra), 120 millions d'hectares demeurent en jachère. Dans ce pays aux quatre millions de familles
dépourvues de terre, de vastes étendues - presque 60 % des surfaces rurales - appartiennent à moins de 3
% des propriétaires.

De façon continue, de la colonie à l'Empire en passant par les gouvernements républicains, les élites ont
toujours été attentives face à la possibilité qu'une telle quantité de terres ne facilite la transformation
rapide de l'esclave ou de l'ouvrier agricole en petit propriétaire rural. C'est ainsi que furent prises les
mesures nécessaires pour empêcher leur accès à la terre, tout en favorisant une accumulation limitée aux
cercles du pouvoir.

Le travailleur agricole est, historiquement, le plus pénalisé de tous les travailleurs brésiliens. Il a été
maintenu à l'écart quand la main-d'oeuvre urbaine a vu ses droits reconnus par une loi, à partir de 1930.
Même la modernisation de l'agriculture, mise en oeuvre dans les années 1950, et qui, selon les
techniciens de l'époque, devait avoir comme résultat naturel l'amélioration de la qualité de la vie pour les
populations rurales, ne contribua en rien à la résolution du problème agraire. Elle ne fut pas plus efficace
en ce qui concerne l'exploitation rationnelle du potentiel agricole du pays.

Politiquement et idéologiquement, les grands domaines ruraux « modernisateurs» ont eu pour objectif de
« légitimer» le latifundio en rendant productif un certain pourcentage de la terre. Ils oublient que,
contrastant avec ces grandes propriétés foncières implantées surtout dans le sud du pays, une fragile
agriculture de type familial tente de survivre. Sans l'appui technique et financier de l'Etat, elle ne
résistera pas à la dynamique de concentration. Se déplaçant également vers le nord-est du territoire
national, la domination du grand latifundio y exploite à outrance et y opprime la population rurale.

Etroitement lié à ce qu'on appelle la « question agraire », on a donc affaire à un grave problème de
caractère structurel. La concentration des propriétés foncières a produit un tissu de relations
économiques, sociales, culturelles et politiques qui provoquent la stagnation de toutes les sphères de la
vie rurale et affectent même l'exercice de la démocratie dans le pays. Ce tissu crée un cercle vicieux aux
effets pervers : systèmes agricoles peu productifs, qui dévastent la nature, ont une faible rentabilité et
entraînent la pauvreté ; exode rural ; clientélisme, violence et analphabétisme. Pour les plus pauvres et
pour l'agriculture en général, il fait obstacle à toute possibilité de développement équilibré.

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283
Dès lors, s'estimant dédouanés, quelques intellectuels et hommes politiques n'appartenant pas aux
secteurs les plus conservateurs se sont sentis en droit de prôner une acception plus étroite du concept de
fonction sociale de la propriété et d'abandonner la défense de la réforme agraire.

Ils oublient que, contrastant avec ces grandes propriétés foncières implantées surtout dans le sud du
pays, une fragile agriculture de type familial tente de survivre. Sans l'appui technique et financier de
l'Etat, elle ne résistera pas à la dynamique de concentration. Se déplaçant également vers le nord-est du
territoire national, la domination du grand latifundia y exploite à outrance et y opprime la population
rurale. Etroitement lié à ce qu'on appelle la « question agraire », on a donc affaire à un grave problème
de caractère structurel. La concentration des propriétés foncières a produit un tissu de relations
économiques, sociales, culturelles et politiques qui provoquent la stagnation de toutes les sphères de la
vie rurale et affectent même l'exercice de la démocratie dans le pays. Ce tissu crée un cercle vicieux aux
effets pervers: systèmes agricoles peu productifs, qui dévastent la nature, ont une faible rentabilité et
entraînent la pauvreté; exode rural; clientélisme, violence et analphabétisme. Pour les plus pauvres et
pour l'agriculture en général, il fait obstacle à toute possibilité de développement équilibré.

Seule une réforme agraire suivant deux lignes d'action stratégiques l'expropriation du grand latifundio
pour y installer les sans-terre et l'aide à la viabilité technique et financière de l'agriculture de type
familial constituerait une solution. Ces deux types d'action permettraient de redistribuer le revenu, la
richesse et le pouvoir dans les campagnes, obligeraient à augmenter le salaire des ouvriers agricoles et à
faire progresser la production de nourriture (afin de répondre à l'augmentation de la demande résultant
d'une nouvelle répartition du revenu) et assurerait la viabilité de l'agriculture de type familial. En outre,
cela permettrait de faire face de manière intelligente au problème du chômage. Plusieurs études ont déjà
démontré que la réforme agraire est l'une des solutions les moins coûteuses pour créer des emplois, avec,
comme avantage annexe, des solutions au problème de la faim. Seule une réforme agraire suivant
deux lignes d'action stratégiques - l'expropriation du grand latifundio pour y installer les sans-terre et
l'aide à la viabilité technique et financière de l'agriculture de type familial - constituerait une solution.
Ces deux types d'action permettraient de redistribuer le revenu, la richesse et le pouvoir dans les
campagnes, obligeraient à augmenter le salaire des ouvriers agricoles et à faire progresser la production
de nourriture (afin de répondre à l'augmentation de la demande résultant d'une nouvelle répartition du
revenu) et assurerait la viabilité de l'agriculture de type familial. En outre, cela permettrait de faire face
de manière intelligente au problème du chômage. Plusieurs études ont déjà démontré que la réforme

283
284
agraire est l'une des solutions les moins coûteuses pour créer des emplois, avec, comme avantage
annexe, des solutions au problème de la faim.

Mais ces mesures dérangent les « élites » en question, qui y voient un danger pour leur pouvoir
économique et leur domination électorale à l'intérieur du pays. Entre-temps, l'augmentation de la
pauvreté dans les campagnes et le manque de perspectives augmentent les mobilisations et les révoltes,
le gouvernement recourant aux méthodes du régime militaire pour réprimer le fer de lance des luttes, le
Mouvement des sans-terre. 7

Plutôt que de traiter les mouvements sociaux des campagnes, des indigènes, des petits agriculteurs et des
sans-terre comme un problème de police, le gouvernement qui dirigera le pays à partir de janvier 2003
devra comprendre qu'ils sont ses alliés pour la promotion du développement rural. Il devra retrouver
auprès d'eux la sagesse, le sens d'une relation correcte avec la terre : plus qu'un lopin à exploiter, elle est
aussi l'espace de la convivialité des hommes et des femmes, le lieu de la diversité biologique et
culturelle, de la production, de la création, de la démocratie et d'une vie sociale harmonieuse.

Seulement, et même si sa nécessité apparaît évidente, réaliser la réforme agraire implique d'affronter ce
qu'il y a de plus arriéré dans le système social brésilien. Les obstacles que devra affronter l'homme d'Etat
décidant de s'attaquer à cette tâche ne se limitent pas aux pressions des grandes propriétés foncières
improductives. Une nouvelle option agricole aura des répercussions sur les intérêts de l'élite brésilienne
associée aux entreprises étrangères, une tradition depuis la période coloniale. Elle implique de peser sur
la politique d'exportation, de garantir la souveraineté alimentaire de la nation, de contrarier les intérêts
des multinationales et des promoteurs des semences génétiquement modifiées, de contrôler le territoire
amazonien, de revoir les accords internationaux sur les brevets. De plus, il s'agit de suspendre
immédiatement les négociations pour l'implantation de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA),
qui propose des clauses étouffant toute possibilité pour le pays de développer une politique alimentaire
autonome.

C'est en réaction à cette douloureuse injustice qu'est né, sous la bannière de la réforme agraire, le
Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre, plus communément appelé le Mouvement des Sans
Terre (MST). Si 1984 marque la naissance officielle du mouvement, il est difficile de dater avec
précision son apparition, dans la mesure où il n'est que l'expression actuelle - mais avec une puissance et
7
Entre 1985 et 2001, 1 237 petits paysans et défenseurs de paysans ont été assassinés, généralement par des tueurs à gages à
la solde des grands propriétaires terriens, parfois par la police militaire. Commission pastorale de la terre (CPT),
« Assassinatos no campo Brasil », Goiania, décembre 2001.

284
285
une combativité profondément nouvelles - des luttes que le mouvement paysan brésilien a menées
tout au long de son histoire . Ce qui fait dire à Celso Furtado, un des intellectuels brésiliens les plus
lucides, que le MST est "le mouvement le plus beau et le plus important du pays". On pourrait même
dire « des Amériques », sinon du monde.

"Vive le MST!" : en entendant ce cri, proféré jusqu'à son dernier soupir, par un jeune homme battu à
mort par la police à Eldorado dos Carajas, dans l'État du Para, beaucoup ont commencé à éprouver un
profond respect pour ce phénomène appelé "Mouvement des Sans Terre". Un sentiment qu'est venu
renforcer en avril 1997, la Marche de plus d'un millier de kilomètres accomplie par les Sans Terre
jusqu'à Brasilia: on ne pouvait qu'être gagné par l'impressionnant enthousiasme de ces pèlerins d'un
nouveau genre.

Si l'occupation des terres fait partie de notre histoire nationale dans la tradition des Ajuricaba, Zumbi,
Antônio Conselheiro ou Juliao - avec ce Mouvement des Sans Terre il se passe quelque chose de
spécifique qui lui donne son caractère unique et irréductible dans l'histoire brésilienne des luttes pour la
conquête de la terre. Avec le MST, est apparu une nouvelle forme d'organisation visant à une occupation
massive aux quatre coins du pays de terres, productives et improductives, avec la certitude inébranlable
de la victoire contre le latifundio et aussi le gouvernement. Et apparemment ce type d'occupation est
parvenu à se pérenniser. De la même façon que l'occupation en douceur et pacifique des Noirs des
"quilombos"8 et des paysans avait trouvé sa traduction sur la plan législatif l'occupation dans sa forme
actuelle, accol1lplie par l'ensemble de la communauté - hommes, femmes, adultes, jeunes et enfants, des
familles entières - ouvre de nouvelles perspectives à l'interprétation de la loi, voire à sa modification.
Vaille que vaille, ce qui existe actuellement en terme de réforme agraire au Brésil, on le doit à ces
occupation de terres.

Un autre aspect novateur de ces occupations, et qui en fait toute la valeur, réside dans le mode de
production. Il s’agit d’une expérience concrète de division du travail indissociable de la redistribution du
revenu, alors que cette dernière dans le système capitaliste s'accompagne forcément de l'exploitation des
travailleurs.

8
On appelle « quilombos" au Brésil, les communautés formées par des esclaves fugitifs, qui s'étaient installés dans des zones
difficiles d'accès (intricados). Un des plus connus, en raison de sa longue résistance aux attaques dont il avait fait l'objet, est
le Quilombo dos Palmares" (dates?)

285
286
Enfin, un troisième point important: l'aspect mystique du MST, qui lui a permis de rompre
l'isolement auquel on voulait le condamner. Il s'est libéré du sectarisme de gauche, de l'intolérance du
dogmatisme, de l'intransigeante rigueur dans le recrutement de ses membres. Et ce coté « macro-
œcuménique » pourrait bien expliquer, en partie, la capacité de résistance du mouvement, qui, avec ses
quinze ans d'existence, a dépassé les autres mouvements de lutte pour la terre. Bien loin d’être un groupe
de fanatiques fermé sur lui même, le Mouvement des Sans Terre a su relever les défis, prendre en
con1pte les angoisses et les espérances du peuple brésilien, de tous ceux qui sont à 1a recherche d'un
Brésil véritablement souverain.

Tous ces facteurs sont à l'origine du Mouvement des Sans Terre. Sur le plan socio-économique, les
transformations qu'a connues l'agriculture brésilienne au cours des années 1970 ont joué un rôle
déterminant. « Modernisation douloureuse" : c'est l'expression utilisée par José Graziano da Silva 9 pour
caractériser cette période de mécanisation du travail, la plus rapide et la plus intense qu'ait connu le
Brésil.

Dans le Sud, considéré comme le berceau du MST, l'introduction du soja accéléra la mécanisation de
l'agriculture, tant dans le Rio Grande do Sul, en association avec la culture du blé, qu'au Parana, comme
alternative au café. La mécanisation du travail et l'introduction d'un mode de production agricole disons
plus capitaliste, dans une agriculture qui reposait jusque là sur une utilisation intensive de la main
d’œuvre, provoquèrent un exode rapide et massif de populations. Il s'agissait de familles locataires ou
propriétaires de parcelles, les enfants d'agriculteurs qui avaient hérité d'un lopin de terre pris sur la
propriété déjà bien modeste de leurs parents. Ces contingents de populations émigrèrent dans un premier
temps vers les zones de colonisation, en particulier cers les états de Rondônia, du Para et du Mato
Grosso.

Mais dans ces régions, les paysans ne réussissaient pas à s'intégrer comme tels. Il n'y avait pas de
tradition d'agriculture familiale, alors qu'ils étaient habitués à produire haricots, riz, maïs, etc.

Un autre aspect novateur de ces occupations, et qui en fait toute la valeur, réside dans le mode de

9
Professeur à l'Université d'Etat de Campinas (UNICAMP) et auteur d'un ouvrage intitulé "A Modernizaçao dolorosa" (Zahar
Editora, Rio de Janeiro, 1982). Il s'agit d'une analyse du processus de développement capitaliste de "agriculture brésilienne
dans les années 70. Un processus caractérisé par 'e progrès technologique, mais aussi par le maintien de la concentration de la
propriétés

286
287
production. Il s'agit d'une expérience concrète de division du travail, indissociable de la
redistribution du revenu, alors que cette dernière, dans le système capitaliste s'accompagne forcément de
l'exploitation des travailleurs.
Enfin, un troisième point important: l'aspect mystique du MST , qui lui a permis de rompre l'isolement
auquel on voulait le condamner. Il s'est libéré du sectarisil1e de gauche, de l'intolérance du dogmatisme,
de l'intransigeante rigueur dans le recrutement de ses membres. Et ce coté "macro œcuménique" pourrait
bien expliquer, en partie, la capacité de résistance du mouvement, qui, avec ses quinze ans d'existence, a
dépassé les autres mouvements de lutte pour la terre. Bien loin d'être un groupe de fanatiques fermé sur
lui même, le Mouvement des Sans Terre a su relever les défis, prendre en compte les angoisses et les
espérances du peuple brésilien, de tous ceux qui sont à la recherche d'un Brésil véritablement souverain.
http :/ /www.sanet.com.br/semterra

A lire : Maurice Lemoine, La dette. Editions l’Atalante. Paris.

Lucio Costa : Travail, famille, mondialisation. Récits de la vie ouvrière, São Paulo, Brésil
Au pays des sans-terre Publications de l'université de Saint-Etienne, 2002, 320 pages avec photos, 27,44 euro.-( Coordination
Jean-Loup Hébert )

287
SIDA C'est un cadeau de la mondialisation à tous les pauvres de la planète. Avant que
l'Afrique ne soit tenue pour son berceau et que certains pays n'exigent le dépistage du VIH
pour la délivrance de visas d'entrée, les Etats-Unis avaient stigmatisé les Haïtiens comme un
groupe particulièrement exposé. Après son explosion aux Etats-Unis, la maladie a été recher-
chée et démasquée dans le monde entier ; c’est en Afrique subsaharienne que la situation s'est
révélée la plus tragique: un nombre égal d'hommes et de femmes atteints de sida et, en milieu
urbain, un taux de séropositivité supérieur à 10 % dans la tranche d'âge des 15-49 ans, qui
regroupe les adultes actifs sur les plans économique et sexuel, mais proche de zéro chez les
sujets plus âgés, illustrant la propagation récente du virus.
En 1993, les experts de la Banque mondiale estimaient qu'il faudrait compter 26 millions de
personnes infectées par le VIH dans le monde en l'an 2000 et que, à cette date, le virus tuerait,
chaque années, 1,8 million de malades. On considérait ces chiffres trop pessimistes. Mais on
constate aujourd'hui, à la lecture des rapports de l'OMS, que ces prévisions étaient
malheureusement en deçà de la réalité et que l'épidémie du sida s'est répandu plus vite et de
façon plus meurtrière que prévue.
Tous les chercheurs confirment que les pays du tiers-monde concentrent l'écrasante majorité -
environ 950/0 - des personnes infectées par le VIH. Et cette proportion va sans doute
s'accroître, au fur et à mesure de l'augmentation du taux d'infection dans les pays où la
pauvreté et l'insuffisance des systèmes de santé et de ressources destinées à la prévision et aux
soins entretiennent la propagation du virus.
Les grandes épidémies ont toujours été ressenties comme une agression venue d'ailleurs.
L'émergence du sida ne fait pas exception. Dans les pays du Sud, où il fut nié dans un premier
temps, le sida a connu diverses représentations : celle d'un virus échappé des laboratoires
américains et destiné à décimer les populations autochtones ; puis, face à la croissance du
drame, celle d'un victimaire spécifique à l'Afrique subsaharienne. L'Inde a également occulté,
plusieurs années durant, la menace du sida. A la fin de 1999, environ 16,5 millions de
personnes (adultes et enfants) étaient morts du sida depuis l'émergence de cette maladie, dont
plus de 2,5 millions pour la seule année 1999.
Environ 95% des nouvelles infections surviennent chez des habitants du tiers-monde ne
disposant d'aucun moyen pour enrayer l'évolution de la maladie. Ce qui laisse présager que le
289

nombre de décès va croître au cours des années à venir.


Pour la seule année 1999, on estime le nombre des nouveaux infectés à 5,6 millions de
personnes, dont 570 000 enfants de moins de 15 ans - 900/0 ' Africains - ; ce qui équivaut à
environ 15000 contaminations chaque jour...
A mesure que la maladie s'étend, elle absorbe les ressources publiques et privées, elle
déstabilise la production économique, épuise l'épargne, aggrave la pauvreté et dissémine la
misère. On estime qu'au Kenya, par exemple, en 2005, la production économique aura chuté
de -14,50/0 à cause des effets de l'épidémie. A cette même date, l'Ethiopie devra consacrer
33% de son budget au traitement et aux soins de ses malades du sida. Le Kenya environ
500/0. Et le Zimbabwe plus de 66% !
Face à un tel constat, la solidarité internationale apparaît dérisoire, voire inexistante. Rien, en
pratique, n'est réellement mis en place pour organiser une lutte commune. Une lutte dans
laquelle l'argent et le savoir-faire en matière de diagnostic et de thérapeutique des pays
industrialisés viendraient au secours des malades les plus démunis de la planète. Le rêve d'une
mondialisation de la lutte contre le sida ne risque pas de devenir réalité. Qui, dans les pays
développés, se mobilisera pour enrayer une épidémie qui frappe, à 95%, des habitants du
tiers-monde?
Car face au sida, comme pour le reste, à l'heure de la mondialisation, tout le monde n'est pas
égal. Les riches et les pauvres n'ont pas accès aux mêmes types de soins. Pour la plupart, les
seconds continuent de mourir alors que les premiers bénéficient d'un répit salvateur. Même si
les perspectives de la mise au point d'un vaccin préventif semblent de plus en plus lointaines,
le contexte a changé depuis 1996. La mise à la disposition des patients de nouvelles molécules
inhibitrices de la protéase du virus, associées aux inhibiteurs de la transcriptase inverse, a fait
chuter dans certains pays du Nord la mortalité de 60% en quatre ans.

Début mai 2000, un rapport de la CIA identifiait, pour la première fois, l'épidémie mondiale
de sida comme une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis. C’est alors seulement
que la présidence décidait de consacrer 254 millions de dollars à l'aide pour la lutte contre ce
fléau. Cynisme, diront certains : ne s'agit-il pas, avant tout, d'une menace pour les pays les
plus touchés ? Si l'on admet toutefois que les décisions des Etats répondent à leur intérêt bien
compris, cet exemple invite à réfléchir sur les incitations économiques qui peuvent les
conduire à coopérer pour le bien de l'humanité.

Puisque mondialisation il y a, pourquoi l'accès aux soins et aux médicaments n'est-il pas

289
290

mondialisé? Devant le risque de maladie infectieuse, comme dans l'accès aux soins, les
inégalités sont flagrantes. Mais surtout, et on le dit moins, le ravage épidémique est un effet
de l'inégalité elle-même. Devant l'urgence, qu'attend-on pour déclarer biens publics les
médicaments antiviraux? Tous les pays qui souhaitent et peuvent les produire - comme le
Brésil, l'Afrique du Sud ou la Thaïlande devraient être encouragés à le faire. Et les pays riches
peuvent en produire pour les mettre, avec la logistique nécessaire, à la disposition des plus
pauvres.
La découverte de la tri thérapie, l'efficacité des nouvelles combinaisons de traitements
antirétroviraux, en plus des mesures de prévention, ont permis de stopper l'expansion de la
maladie dans les pays développés. En Europe occidentale, le nombre de nouveaux cas annuels
de sida s'était régulièrement accru jusqu'en 1994, où il avoisinait les 25 000 ; depuis, grâce à
l'efficacité des nouveaux soins, il recule régulièrement et est repassé sous la barre des 15 000
dès 1997. Et le nombre de décès dus au sida a chuté de 80% en quatre ans grâce à
l'introduction de la polythérapie.
Aux Etats-Unis, ce recul est également spectaculaire: les statistiques estiment à 440/0 la
réduction du nombre de décès dus au sida entre le premier semestre 1996 et celui de 1997.
Tous les indicateurs épidémiologiques en témoignent, le sida est devenu, dans les pays
industrialisés, une maladie virale évoluant sur un mode chronique mais peu mortelle.
Alors que le reflux du sida s'amorce dans les pays riches, la marée épidémique continue de
submerger les pays en voie de développement. Car les taux d'infection et de mortalité
augmentent rapidement dans la plupart des pays d'Europe orientale, d'Asie, d'Afrique centrale
et australe, ainsi que dans certains pays d'Amérique latine (Pérou, Venezuela, Colombie,
Argentine et Chili).
Le coût des traitements les rend inaccessibles au plus grand nombre. Ainsi, par exemple, en
Thaïlande, le coût mensuel d'une trithérapie est de 675 dollars alors qu'un employé du secteur
tertiaire gagne le plus souvent 120 dollars par mois. Au Kenya, le coût des deux premières
semaines de traitement d'une méningite venant compliquer l'infection par le virus du sida est
de 800 dollars, alors que le salaire moyen ne dépasse pas les 130 dollars.
Quoi de plus urgent donc, alors que le sida emporte huit mille vies chaque jour, que de
vaincre le blocage de l'accès aux traitements ? De mois en mois, l'épidémie progresse,
l'espérance de vie recule et les souffrances augmentent. Comment justifier que des impératifs
commerciaux persistent à interdire aux pays du Sud de se procurer des médicaments? En dépit
de la promesse faite par l'Organisation mondiale du commerce à Doha, en novembre 2001, les
multinationales pharmaceutiques du Nord livrent une guerre mondiale aux pauvres.. Avec la

290
291

complicité, notamment, des Etats-Unis et de l'Union européenne.


De nombreuses organisations de défense des malades s'indignent du prix exorbitant des
traitements actifs contre le VIH utilisés au Nord, inaccessibles pour les populations du Sud.
Face à de telles inégalités, ni les pays du Nord ni les firmes pharmaceutiques ne font pas
grand chose. « L'industrie pharmaceutique a une dette envers les malades du sida. Il faudrait
qu'elle la paye - déclare un responsable d'une association de lutte contre le sida - Pendant 15
ans, les laboratoires ont dégagé d'énormes profits sur nos vies; aujourd'hui, alors que
l'épidémie se transforme dans les pays du Nord et explose dans les pays du Sud, ils refusent
de modifier leurs stratégies. Ils tardent à distribuer les nouvelles molécules attendues par les
patients sur lesquels tous les traitements ont échoué et qui vont mourir. »
Commet est-on arrivé là ? D'un côté, le respect à tout prix de la propriété intellectuelle* - et
donc des brevets - reconnu par les principes de libéralisation des échanges qui étayent l'édifice
de l'OMC; de l'autre, les 19 000 personnes qui, chaque jour, meurent dans le monde, du sida,
du paludisme, de la tuberculose, de la maladie du sommeil ou d'autres maux qui, longtemps,
ont eu beaucoup de mal à émouvoir Etats et fabricants.
Cette douce indifférence n'a pas résisté au tonnerre qu'a déclenché en son temps le procès
intenté par 39 firmes pharmaceutiques à l'encontre du gouvernement sud-africain, coupable de
s'être doté d'une loi l'autorisant à fabriquer des médicaments génériques. L'émotion
déclenchée par cette affaire a incité l'industrie pharmaceutique à faire machine arrière tandis
que d'autres pays émergents ou en développement se mettaient aussi sur les rangs pour
développer, si possible à moindre coût, leur propre secteur pharmaceutique. A commencer par
le Brésil.
C'est là que se situe la nouveauté. Il s'agit moins d'un dur affrontement entre pays du Sud
offert aux pandémies et laboratoires du Nord confortablement assis sur leurs brevets et leurs
profits que d'une bataille engagée par des industries naissantes au Brésil, en Thaïlande, en
Inde, en Afrique du Sud, bien décidées à profiter elles aussi de la mondialisation. Et à clarifier
les disparités de prix existant aussi entre du du tiers-monde. A titre d'exemple, la
nifédipine, ,un antihypertenseur, est vendu six fois plus cher en Afrique du Sud qu'au Brésil,
le prix de ce médicament se situant à des niveaux intermédiaires au Ghana. et aux
Philippines, selon une sorte de manuel de là transparence tarifaire que viennent de publier
conjointement l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et' l'Action internationale pour la
santé.
Pour les multinationa1es du médicament, la concurrence peut s'avérer redoutable. Alors qu'un
traitement classique du sida, par trithérapie coûte environ 12 000 dollars par an et par

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personne (et jusqu'à près de 19 000 dollars dans sa version Fuzeon, mise au point par les
laboratoires suisse Roche et américain Trimerls), ce prix peut tomber à 200 dollars par an en
Inde ou en Thailande.
Le compromis péniblement conclu à Doha ouvrait une petite fenêtre en permettant aux pays
en voie de développement de copier les molécules' des grands laboratoires en cas d'urgence,
en échange du versement de royalties. Mais, depuis Washington est revenu sur cet
engagement, en cherchant à limiter son champ d'application à trois fléaux : le sida, la
tuberculose et le paludisme.
Une petite phrase prononcée par M. George W. Bush, dans son discours sur l'état de l'Union,
en janvier 2003, laissa les observateurs perplexes. Annonçant une augmentation substantielle
de la participation américaine au financement de la lutte contre le sida dans le monde, le
président Bush se félicita que le coût annuel d'un traitement antirétroviral ait chuté de 12000
dollars à... 300 dollars, un prix que seuls les fabricants de copies génériques proposent
actuellement. L’administration américaine (tout comme la précédente) combat bruyamment.
dans tous les forums internationaux, ces mêmes génériques qui, selon M. Bush, « mettent à
notre portée des possibilités immenses ».
Depuis deux ans, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'est engluée dans un combat
amer autour des brevets sur les médicaments. Les principales puissances commerciales -
Etats-Unis et Union européenne en tête, suivis par le Japon et le Canada - ont tout tenté pour
saborder l'accord conclu à Doha (Qatar) en novembre 2001. Et l'intransigeance des Etats-Unis
fit échouer les « discussions de la dernière chance », fin décembre 2002, à Genève.
D'autres aspects, plus techniques, furent soulevés pour limiter la portée de l'accord, On allait
réduire la liste des pays autorisés à réclamer ces exceptions ; restreindre les technologies aux-
quelles ils pouvaient prétendre dans le cadre de l'accord; et créer un ensemble de contraintes
légales qu'il serait à la fois complexe et coûteux à mettre en œuvre, et qui limiterait encore les
possibilités de se procurer à bas prix des médicaments sous brevet... Les pays riches avaient,
en vérité, conspiré pour dévaloriser - ou détruire - les promesses faites un an plus tôt.
La controverse portait sur l'étendue des besoins sanitaires au nom desquels un pays serait
autorisé à passer outre aux brevets pour soigner sa population. Selon les pays riches, dont
l'industrie monopolise la quasi-totalité des brevets pharmaceutiques mondiaux, des exceptions
aux brevets pouvaient être tolérées pour les médicaments permettant de lutter contre le sida, la
tuberculose et le paludisme. Ils y ajoutèrent, pour faire bonne mesure, une poignée de
maladies, pour la plupart tropicales et de faible intérêt commercial. Mais ni le cancer, ni le
diabète, ni l'asthme, par exemple, ne figurent sur la liste limitative de maladies auxquelles ils

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veulent désormais restreindre l'accord de Doha.


Les sommes allouées dans le monde à l'action contre le sida entre 1990 et 1997 n'ont
augmenté que de 165 à 273 millions de dollars alors que le nombre de personnes infectées
avait plus que triplé dans le même temps, passant de 9,8 à 30,3 millions. Selon le Programme
commun des Nations unies sur le VIH-sida (Onusida), les montants, en valeur absolue,
débloqués par les organismes d'Aide publique au développement des pays du Nord, pour
chaque personne infectée, entre 1988 et 1997, ont baissé de plus de 50% !
Lire: Josef Decosas, «Fighting AIDS or responding to the epidemic : can public health find its way», The
Lancet, Londres, 7 mai 1994
Dave Haran, «Africa : do health reforms recognize challenge of HlV », The Lancet, juin 1997, Supplément III.
Basil Donovan, Michael W. Ross, « Preventing AIDS : determinants of sexual behaviour », The Lancet. 27 mai
2000.
« De quelle guerre parle-t-on? », Act Up-Paris, Le Monde, 29 janvier 2000.

Société civile La définition de la société civile a grandement varié selon les époques, les
lieux, les perspectives théoriques et les convictions politiques. La société civile d'un
universitaire prussien du début du XIX siècle comme Hegel ne correspond en rien à celle
d'une organisation de base écologique et féministe indienne du début du XXI siècle. Nous
avons donc moins besoin d'une définition définitive que de comprendre ce que la société
civile apporte comme perspectives et politiques réelles dans le monde d'aujourd'hui. On
accole aujourd'hui l'adjectif «mondial » à beaucoup de termes et on l'emploie de plus en plus
pour qualifier la société civile. Les plus enthousiastes ont vu dans la société civile mondiale le
meilleur instrument pour promouvoir la solidarité, l'équité et la démocratie dans le monde
contemporain. La réalisation d'une telle promesse demande néanmoins encore de grands
efforts. Le vocabulaire politique est désormais truffé de mots comme «société civile »,
«mouvements sociaux », «organisations non gouvernementales », « association sans but
lucratif», «organisation de bénévoles », « groupes d'interpellation indépendants ».
La société civile, issue de la pensée politique anglaise du XVI" siècle, est la plus ancienne de
ces notions. La prolifération contemporaine de termes plus ou moins liés reflète l'incertitude,
la confusion et le désaccord qui règnent sur le sens de ce vieux concept.
La société civile n'est pas l'Etat: elle n'appartient ni à la sphère officielle, ni à la sphère
gouvernementale. Doit-on en exclure les partis politiques? Dans quelle mesure la société
civile peut-elle assurer des fonctions régulatrices officielles? Les limites précises des activités
non gouvernementales.
C’est à partir de Thomas Hobbes et surtout de Fréderic Hegel, que l’État est défini

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comme une structure institutionnelle distincte de la société civile. Cette


dernière est supposé permettre la perpétuation du lien communautaire, dans
des sociétés modernes de type individualiste. Hégel a redéfini la société
civile en la distinguant de l’état, mais aussi de la communauté par excellence
qui est la famille.

L'ambition discrète de la mondialisation, c'est la destruction du collectif et l'appropriation par


le marché et le privé des sphères publique et sociale dans le but de construire une société où
l'individu sera enfin privatisé. Et où s'épanouira l'hyperbourgeoisie naissante. Pour
contrecarrer un tel projet, un embryon de société civile internationale se met en place.
Cela fait maintenant plus de vingt ans que le terme de société civile a émergé publiquement,
plus de dix ans qu'il est devenu commun (à la suite des rencontres internationales sur
l'environnement de Rio en 1992) et utilisé largement par les journa1istes, les universitaires
(notamment les économistes ou les politologues), les militants et professionnels de l'aide au
tiers-monde mais aussi les diplomates et responsables d'instances internationales (Onu,
Banque mondiale, banques pour le développement, etc.). La définition la plus couramment
admise aujourd'hui, et défendue par ces mêmes instances internationales, est simple: la société
civile, qu'elle soit nationale ou transnationale (certains disent mondiale), est le regroupement
des organisations non gouvernementales (ONG), Eglises et autres «non-profit organisations»
qui se sont développées de manière spectaculaire depuis une trentaine d'années. Cette
définition suppose en arrière plan une conception de l'organisation interne des sociétés où sont
censées interagir trois sphères distinctes: une sphère étatique (englobant ou pas les syndicats
et partis politiques), une sphère du marché (englobant ou pas les secteurs de l'économie
sociale) et la sphère de la société civile, (englobant ou pas les syndicats et l'économie sociale,
selon les auteurs).
Pour la plupart des analystes et commentateurs de la scène internationale, il ne fait aucun
doute que les années 90 ont constitué le moment d'émergence d'une véritable force de
contestation et de proposition sociale à l'échelle mondiale. On compte aujourd'hui plus de
15000 ONG internationales dont 2000 accréditées auprès de l'Onu. A ces organisations
transnationales, mais souvent basées dans les pays occidentaux dont le mouvement est issu,
s'ajoutent plus de 7000 ONG nationales et locales, qui vont de la communauté paysanne de
base aux associations confessionnelles ou entrepreneuriales diverses. Les ONG, notamment
les plus grandes, sont organisées en réseaux. Leurs activités vont de la défense de la paix ou

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de la démocratie à l'aide humanitaire, au planning familial, aux interventions pour le


développement local ou à la mise en place de microcrédits et de commerces équitables ou
encore à la protestation contre la déforestation ou pour la sauvegarde de la biosphère. Elles
n'interviennent pas seulement dans les secteurs de l'aide et de la charité des pays riches envers
les pays pauvres. On compte de nombreuses associations, quels que soient les pays, qui inter-
viennent dans leur propre société: c'est même, et de loin, la part la plus importante de l'activité
des ONG.
Si l'on adopte une vision très large de la société civile, comme le fait le programme
économique et social de l'Onu en y incluant toute organisation qui n'est pas directement
étatique ou régie par le profit (par exemple l'école privée française, les associations culturelles
ou les centres médicaux associatifs ou religieux partout dans le monde), on constate un poids
très important des secteurs associatifs ou bénévoles dans les sociétés. En Europe, ils
représentent 10% de l'activité culturelle, près de 30% de l'éducation, plus de 20% de la santé
et 27% des services sociaux. Culture, éducation, santé, services sociaux constituent d'ailleurs
les quatre secteurs principaux des sociétés civiles nationales selon l'Onu. Hors d'Europe, les
situations sont évidemment différentes. En Amérique latine par exemple, l'éducation
comporte de larges secteurs associatifs (religieux), qui sont même dominants comme au
Pérou, alors que la proportion d'associations et d'ONG dans les secteurs de la santé ou des
services sociaux, eux-mêmes peu développés, est faible. Cependant, de manière générale, le
rapport de l'Onu signale que les organisations de la société civile réalisent de «profondes
contributions au financement et à la mise en place de services sociaux dans le monde». Non
seulement dans les quatre secteurs fondamentaux cités précédemment, mais également dans
les secteurs de l'environnement ou de services divers.
Une telle expansion de la société civile mondiale répond à la dégradation partielle de la
position de l'Etat face à la mondialisation. Celle-ci est un phénomène complexe, qui ne
concerne pas seulement les mouvements économiques, mais aussi l’organisation du savoir et
des techniques, celle de flux migratoire*, la configuration de l’espace public, la nature du
pouvoir, l’émergence de la supra territorialité. Ceci ne signifie en rien la disparition de l'Etat,
mais une nouvelle géographie s'est installée signifiant la fin du monopole étatique sur une
gouvernance développée sur des bases territoriales. De nombreux citoyens ont
raisonnablement conclu que des élections centrées sur l'appareil d'Etat ne constituaient plus
par elles-mêmes une bonne expression de la citoyenneté et de la démocratie. Certaines
agences multilatérales publiques comme le FMI, où les législateurs élus n'ont que peu
d'influence directe, produisent des régulations substantielles.

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La plupart de ses attributs ont été acquis par la société civile mondiale depuis les années 1960.
Moins de 10% des associations transfrontalières actives en 1998 avaient plus de 40 ans. Cette
prolifération s'inscrit dans un processus plus large de mondialisation et a été mise en route par
les mêmes forces: c'est-à-dire une pensée globale, autorisant les gens à imaginer le monde
comme un lieu unique; le développement capitaliste sur une échelle mondiale; des
innovations technologiques en matière de communications et de traitement de l'information;
des évolutions en termes de régulation, comme la libéralisation et la standardisation, créant un
cadre juridique favorable à la mondialisation. Enfin, beaucoup de gouvernements ont
récemment réécrit des lois afin de favoriser les groupements citoyens. Les pays anciennement
socialistes en transition en fournissent l'exemple le plus patent.
Les organisations de la société civile poursuivent des objectifs conformistes, réformistes ou
radicaux.
Les conformistes cherchent à maintenir et renforcer les règles existantes. Beaucoup de lobbies
d'entrepreneurs, d'associations professionnelles. certains think tanks et certaines fondations
adoptent des positions conformistes.
Les réformistes espèrent corriger ce qu'ils estiment mauvais dans les régimes existants, en
conservant intactes les structures sociales qui les soutiennent. Les groupes socio-démocrates,
les institutions de recherches. les consommateurs, les défenseurs des droits de l'homme, les
organisations humanitaires et les syndicats ont un agenda réformiste.
Les radicaux veulent transformer l'ordre social. Ils sont souvent désignés comme
«mouvements sociaux » et recouvrent anarchistes, environnementalistes, fascistes, féministes
radicaux, pacifistes comme des mouvements de renouveau religieux. Chacun en opposition
implacable à l'Etat, à l'industrialisme, aux valeurs libérales, au patriarcat, au militarisme et au
séculier. Ces dernières décennies, les gouvernements ont été soumis à de multiples pressions
pour réduire les impôts et les coûts du travail au nom de l'amélioration de la compétitivité
nationale. Dans ces circonstances, les Etats comme les agences multilatérales ont utilisé les
associations civiques transfrontalières pour fournir à moindre coût l'aide au développement ou
l'aide d'urgence. Dans les pays sous ajustement .structurel néo-libéral, les ONG et les groupes
de base se sont infiltrés dans la brèche en fournissant les services sociaux abandonnés par
l'Etat.
Dans ce contexte, la société civile mondiale existe lorsque les groups civiques s'occupent de
questions transfrontalières; utilisent des modes de communication transnationaux; disposent
d'une organisation mondiale et/ou partagent comme prémices une solidarité transfrontalière.
Ces quatre attributs vont souvent ensemble, mais certains groupes citoyens peuvent n'être

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globaux que selon une ou plusieurs de ces dimensions. Un groupe localisé qui fait campagne
sur une question supra territoriale comme le changement climatique peut être considéré
comme faisant partie de la société civile mondiale. A l'inverse, des réseaux mondiaux
«peuvent se mobiliser sur un problème très localisé, comme sur le génocide rwandais.
Nous considérons comme faisant partie des activités de la société civile, les efforts
d’associations non lucratives et non officielles pour peser sur les politiques, les normes et/ou
de plus profondes structures sociales. En un mot, la société civile existe quand les gens
mènent des efforts concertés visant à transformer les règles par le biais d'associations
bénévoles. La société civile désigne un collectif alors que les groupes civiques en sont les
éléments individualisés.
La société civile n'est pas le marché: elle appartient à la sphère non marchande. Mais cette
distinction n'a rien d'absolu. Certaines entreprises créent et financent des organismes non
lucratifs, dont des fondations qui portent le nom de sociétés commerciales. Par ailleurs, les
lobbies commerciaux -les chambres de commerce. les associations de banques - défendent des
intérêts marchands, même si ces organisations elles-mêmes ne produisent ni biens, ni
commerce. Greenpeace a songé à créer une marque. Mais hormis ces cas limites, les
opérations de la société civile restent en dehors du secteur privé de l'économie de marché.
Nous considérons comme faisant partie des activités de la société civile les efforts délibérés
d'associations non lucratives et non officielles.
Par ailleurs, la société mondiale s'est engagée directement dans la formulation et la mise en
œuvre de régulations. Beaucoup d'agences officielles ont demandé à des associations civiques
d'aider à la mise en œuvre de politiques, et tout particulièrement de programmes sociaux. En
pénétrant les canaux officiels de la formulation des politiques, les organisations de la société
civile ont un peu plus troublé division privé/public dans le domaine de la gouvernance. En
Australie ou en Nouvelle-Zélande, les ONG ont accepté de faire partie des délégations
nationales officielles aux conférences des Nations unies. Dans les années 1990, plusieurs
propositions ont demandé la création d'une « Assemblée des peuples », réunissant des
représentants des sociétés civiles aux Nations unies, à la manière de l'assemblée générale des
Etats. Certains critiques se sont alors inquiétés de ce qu'une telle incorporation dans la
gouvernance officielle ne limite le potentiel critique et créatif de la société civile.
Lire : M. Haubert, «L'idéologie de la société civile », in M. Haubert et P.P. Rey (dlr.), Les
Sociétés civiles face au marché. Le changement social dans le monde post colonial, Karthala,
2000.

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Société civile mondiale


Le discours sur la société civile mondiale a émergé dans les années 1990 comme un élément
d'une perception plus large de ce qu'est la mondialité (la condition de ce qui est mondial) et la
mondialisation (la tendance à une mondialité croissante). Notre conception de la société civile
mondiale, ou globale, correspond donc à celle que nous nous faisons plus généralement du
monde. Sa caractéristique principale pourrait être sa tendance à la déterritorialisation. La ter-
ritorialité demeure, bien sûr, mais la mondialisation a introduit une dimension supra
territoriale à la géographie sociale.
En revanche, dans un discours devant le Parlement européen, à Strasbourg, M. Romano Prodi,
expliquait que « nous devons cesser de penser en termes de pouvoirs hiérarchisés, séparés
par le principe de subsidiarité » et que « l'Europe n'est pas administrée que par les
institutions européennes, mais aussi par les autorités nationales, régionales et locales, ainsi
que par la société civile» ( Nous apprenons ainsi, au détour de deux phrases, que le principe
de subsidiarité serait caduc et que la « société civile » aurait des fonctions d'administration
que l'on croyait réservées à la puissance publique ! Qu'est-ce donc que cette « société civile »
ainsi appelée à la rescousse ? C'est simplement la sphère des intérêts particuliers, comme l'a
définie Hegel en l'opposant à l'Etat : « Dans la société civile, chacun est pour soi-même une
fin, tout le reste n'est rien pour lui. » Mais une addition d'intérêts privés, même légitimes, ne
fait pas l'intérêt général, d'autant que certains de ces intérêts sont plus égaux que les autres :
entre la Table ronde des industriels européens (ERT), qui a ses entrées dans les principales
directions générales de la Commission et qui, parfois, rédige même leurs projets de directives,
et une association ou un syndicat que l'on écoutera poliment, la balance n'est évidemment pas
égale.
A Lire : B.Pouligny, présentation du dossier «Une société civile internationale ?», Critigue internationale, n° 13,
octobre 2001, Presses de Sciences po.
-F. Houart, «Vers une société civile mondiale: celle d'en haut ou celle d'en bas», Contre-Temps, n° 2, septembre
2001, Textuel.
A. Fiorini (dir.), The Third Force, the Rise of Transnational Civil Society, Carnegie Endowement for Internatio-
nal Peace, 2000.
S. Charnovitz, «Les ONG, deux siècles et demi de mobilisation », L'Économie politique, 1er trimestre 2002,
éditions Alternatives économiques.
- Introduction au numéro «Société civile mondiale, la montée en puissance» du Courrier de la Planète, n° 63,
vol. III, 2001 (collaboration Solagral/Unesco/Most), site Internet: www.solagral.org
- P. Jacquet, «La gouvernance globale à l'épreuve des contestations», in T. de Montbrial et P. Jacquet, Ramsès
2002, Dunod, 2001.

Soros, George. L’homme qui contribua à faire chuter la livre sterling en 1992, avant de
spéculer contre le franc a fait trembler plus d’un ministre des Finances, est aux marchés ce
que Bill Gates est à l’informatique.

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Bien que condamné en France pour délit d’initiés dans le dossier de la Société générale, ce
financier américain d’origine hongroise est devenu en une dizaine d’années une légende
vivante sur les marchés financiers du monde entier.
Georges Soros est né en 1930 à Budapest. Il a émigré en 1947 en Angleterre et y a effectué
des études à la Londol Shcool of Economics. En 1956, il s’installe aux États-Unis où il a
accumule une large fortune en fondant et gérant un fonds d'investissement international.
Avant de se transformer en investisseur philanthropique, George Soros, dont la fortune est
estimée à environ 4 milliards d’euro, n’a pas connu que des succès. Il a essuyé des pertes
cuisantes lors du krach boursier de 1987, a été frappé par la crise russe de 1998 ou la bulle
Internet par exemple. Aujourd’hui, M. Soros, qui a quitté la Hongrie en 1956 au moment où
les chars soviétiques écrasaient le soulèvement de Budapest, aurait consacré plus de trois
cents millions d’euro à ses fondations présentes dans plus de trente pays.
Il a choisi de dédier plus de temps dorénavant à ses activités philanthropiques et à ses écrits
plutôt qu’à la gestion de son fonds d’investissement alternatif, Quantum Fund.
Il avait, dit-on, gagné un milliard de dollars en spéculant sur la sortie de la livre sterling du
SME, le système monétaire européen. Ce fonds aurait en revanche beaucoup perdu en août
1998 lors de la crise sur la dette russe. Il a, par ailleurs, créé plusieurs fondations (Open
Society Fund en 1979 et Eastern European Foundation en 1984) et coordonne un réseau de
fondations pour la reconstruction des économies en transition dont l'objectif est de maintenir
et développer des infrastructures dans les pays émergents.
Non content d’avoir été le principal donateur privé des ex-pays communistes, il multiple aussi
les initiatives aux Etats-Unis. Il a fait scandale en aidant financièrement ceux qui ont fait
adopter la dépénalisation de la marijuana dans deux Etats américains, et a également offert 50
millions de dollars pour venir en aide aux immigrés ilégaux, privés d’aide sociale par l’ancien
président Bill Clinton.

Plus récemment, G. Soros s'est impliqué dans le débat sur la réforme de l'architecture du
système financier international par une proposition toute personnelle ("The crisis of Global
Capitalism" (1998) comportant deux volets, qui visent à empêcher les pertes de confiance du
système financier (run) : Il propose la création d'une société publique qui assurerait les
investisseurs contre le risque de défaut des emprunteurs. Cette "agence d'assurance des crédits
internationaux" fonctionnerait à l'instar des dispositifs de fonds de garantie des dépôts
bancaires: en offrant une protection aux prêteurs, cette assurance des crédits permettrait de
prévenir les mouvements de panique susceptibles de dégénérer en crise systémique. Le Fonds

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monétaire international fixerait toutefois un plafond de prêts au-delà duquel les sommes
empruntées par les pays ne seraient pas assurées (ce plafonnement de la garantie a une
justification économique: la garantie des crédits peut encourager les comportements dits
"d'aléa moral", c'est-à-dire accentuer la prise de risque sans analyse du risque de défaut; pour
prévenir ces comportements pervers inhérents à tout mécanisme d'assurance, il conviendrait
dès lors de plafonner la garantie. Il s'est également prononcé en faveur d'une "Banque centrale
globale" qui agirait
comme prêteur en dernier ressort sur un groupe sélectionné de pays emprunteurs.
Le financier reconnaît s’être trompé en annonçant la fin du capitalisme, mais il maintient son
appel à un encadrement social des marchés. Il avait, en effet, prédit dans un livre paru en 1998
« la désintégration du système capitalisme global ».

Il se déclare également favorable à un changement radical du système financier international,


« incapable de s’auto gérer » et plaide pour une augmentation des crédits au profit des pays
pauvres et pour la création d’un impôt sur les flux financiers. « On a la TVA pour les biens,
alors pourquoi pas une taxe Tobin pour les transactions financières » indique-t-il.

L’ancien gourou de Wall Street qui dénonce la mondialisation « déshumanisante », se définit


lui-même comme le représentant d’une nouvelle gauche. Provocateur, il assène que « la
poursuite effrénée de l’intérêt personnel » risque d’abattre les démocraties et que « la menace
du laisser-faire » est aujourd’hui plus réelle que celles des idéologies totalitaires ».

Sport chimique Eduardo Galeano se souvient : Il y a cinquante ans, l'Uruguay battait au


football le Brésil au stade de Maracana, à Rio de Janeiro, et était consacré, contre tout
pronostic, contre toute évidence et contre toute logique, champion du monde de football.
L'acteur principal de cet exploit impossible s'appelait Obdulio Varela. Il se dopait au vin
rouge. On le traitait d'aviné.... C'était une autre époque.

Le dopage à l'ancienne, les corticoïdes et autres amphétamines de papa, dépassés, ont fait
place à de nouveaux produits, plus efficaces et plus dangereux. Le sport est passé au doping,
qui se mondialise. En novembre 1998, la police marseillaise arrête quatre trafiquants en
possession de quatre mille pilules d'anabolisants emballées dans des boîtes portant des
inscriptions en russe. Les quatre délinquants, dont l'un se présentait comme un chimiste
ukrainien, écoulaient leur marchandise dans les salles de sport de la cité phocéenne. Selon le
commissaire Deluc, "nous avons eu plusieurs affaires de ce type ces derniers mois. A chaque
fois, des ressortissants des pays de l'Est sont impliqués, une véritable mafia".

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301

La gangrène sortit vite de la botte. Le marché est lucratif pour les laboratoires, les docteurs et
les trafiquants. "Il y a des docteurs qui proposent leurs services rétribues en fonction des
points gagnés" poursuit sportif. La spirales est infernale. Les coureurs connaissent le ravage
causé par l'E.P.O, les risques de thromboses vasculaires et d'autres séquelles.

L'États-Unisge sportif des anabolisants est déjà relativement ancien, et une fois n'est pas
coutume, ce ne sont pas les cyclistes mais les athlètes qui sont en première ligne, ainsi que les
pratiquants de disciplines où la force physique est prédominante : l'haltérophilie, par exemple.
Mais, par dérapage du phénomène, on a vu leur usage s'étendre à de nombreux sports, dont la
natation et... le cyclisme ! En poussant à l'extrême le principe actif des anabolisants, on
aboutit à augmenter l'assimilation des protéines, donc le poids du sujet traité. L’effet de
rétention d'eau joue également un rôle important dans cette prise de poids. Ce développement
musculaire possède un double avantage a priori : accroître la puissance pure, mais également
augmenter le volume d'entraînement (ce dernier aspect n'étant pas le moindre dans le sport
moderne où les meilleurs doivent leur supériorité à la capacité d'entraînement qu'ils peuvent
fournir à partir de leur statut social et de leurs caractéristiques physiologiques). Le premier
avantage concerne directement les athlètes de lancer (poids, javelot, disque, marteau), les
spécialistes d'épreuves combinées (décathlon et heptathlon), les haltérophiles. Le second
intéresse beaucoup plus de monde !

Tout est venu d'Italie, au début des années 90, lorsque quelques médecins, ont trouvé le
"produit miracle", utilisé pour le traitement de certaines maladies et en vente libre dans
certains pays comme la Suisse. Les transalpins, alors, dominèrent outrageusement les courses.
"On s'est retrouvé largués" lâche un ancien coureur qui souhaite garder l'anonymat.

Trop longtemps, les officiels ont fermé les yeux sur ces pratiques, feignant de croire que
c'était l'affaire d'une minorité de brebis galeuses. Les enjeux économiques du sport-spectacle
sont d'une telle envergure qu'ils favorisent l'essor d'une véritable industrie du dopage dont le
chiffre d'affaires atteindrait les 50 milliards de francs...

Il y a deux ans, deux cavaliers qui s'affrontaient, à Sienne, lors du fameux « Palio », sont
tombés raides morts en pleine course. L'un deux, « Plume blanche », était le champion de
cette fête célébrée depuis le Moyen âge sur la place principale de la ville, en Toscane, Italie.
Selon la presse, les cavaliers sont morts d'une... overdose d'amphétamines.

Dans une autre région d'Italie, au même moment, étaient emprisonnés 20 propriétaires de
dangereux molosses, des pitbulls, stars des combats de chiens clandestins. Les chiens lutteurs

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étaient dopés. Leur musculature et leur énergie avaient été décuplées par des substances
anabolisantes...

A la même époque, le juge Raphaël Guarinello faisait asseoir sur le banc des accusés, des
clubs de football de première, deuxième et troisième divisions. Il les accÉtats-Unisit d'avoir
administré, à des fins supposées thérapeutiques, des « médicaments » à plus d'une centaine de
joueurs, pour augmenter artificiellement leur capacité d'endurance et leur force musculaire, et
pour masquer la fatigue provoquée par des championnats interminables et éreintants. On s'est
aperçu que les contrôles antidopage étaient mal faits ou encore que les échantillons de sang ou
d'urine disparaissaient miraculeusement. Un an auparavant, à la mi-1998, le directeur
technique du club AS Roma, Zdenek Zeman, avait déjà dénoncé l'usage fréquent de drogues
dans le football italien.

Tandis que ces nouvelles étaient rendues publiques, se disputait le Tour de France ; et les
cyclistes avançaient en esquivant les seringues. A la télévision, Michel Drucker, ancien
journaliste sportif, commentait : « On nage en pleine hypocrisie. Chacun sait qu'il est
impossible de disputer, avec un tube de vitamine C, des courses successives : la Classique
belge, le Paris-Roubaix, le Milan-San Remo, le Tour de France et le « Giro » d'Italie. Et cela
vaut pour tous les sports. Les gains colossaux des firmes qui parrainent les équipes reposent
sur les épaules d' athlètes professionnels. »

Joao Havelange, monarque retraité de la Fédération internationale du football (FIFA), n'a pas
hésité à déclarer : « Tous les cyclistes se dopent. En revanche, au football, c'est très rare.
Qu'on fiche la paix au football . » Ce n'est pas l'avis d'Emmanuel Petit et Franck Leboeuf,
deux piliers de l'équipe de France, championne du monde. Le premier a en effet reconnu :
« On joue un match tous les trois jours. Aucun athlète ne peut supporter un tel effort. Je ne
souhaite pas que les drogues deviennent systématiques dans le football ; mais cela risque de
devenir la norme. » Et Franck Leboeuf, d'ajouter : « Aujourd'hui les joueurs sont vite usés. Ce
sont les jeunes qui me préoccupent. À ce rythme-là, ils ne vont pas tenir plus de cinq ou six
ans. » Quelques années auparavant, le célèbre gardien de but allemand, Toni Schumacher,
avait été accusé de « trahison à la patrie », après avoir révélé que les joueurs de l'équipe de
son pays étaient de véritables « pharmacies ambulantes », et qu'on pouvait se demander s'ils
représentaient l'Allemagne ou l'industrie pharmaceutique germanique. De l'autre côté de
l'Océan, Luis Artime, un des meilleurs joueurs de tous les temps, avait avoué : « La drogue

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est un commerce dans tous les sports, y compris dans le football. Le football argentin ne
m'inspire pas du dégoût, mais de la peine. »

Sans médisance aucune, prenons l'exemple du genou de Ronaldo, le genou de cristal du


meilleur joueur de football du monde. Ronaldo retrouvera-t-il son genou perdu ? Ronaldo
redeviendra-t-il « Le Ronaldo » ? Rappelons-nous ces célèbres images : l'idole tombe, se tient
le genou droit, les caméras font un gros plan sur son visage déformé par la douleur. Autres
images : six ans plus tôt, sorti d'une banlieue pauvre de Rio de Janeiro, un gamin aux dents de
lapin et avec de la magie dans les jambes débarque en Europe. Il est maigre comme un fil de
fer. Autres images : deux ans plus tard, devenu l'un des joueurs les plus chers de la planète,
Ronaldo ressemble à Tarzan. Le double de muscles soutenus par les mêmes tendons ; le
double de carrosserie pour le même moteur. Cette métamorphose étonnante est-elle due
seulement à la viande qu'il a mangée et au lait qu'il a bu ?

Les drogues se moquent des contrôles. Durant les Jeux olympiques de Sydney, l'an dernier, un
nombre infime d'athlètes a été déclaré positif lors des tests antidopage. Jacques Rogge, un des
dirigeants du Comité international olympique (CIO), l'explique ainsi : « Ils ont été découverts
stupidement, parce qu'ils se dopaient pour leur propre compte ou parce qu'ils venaient de
pays pauvres. Les pays riches ont un système sophistiqué de dopage très onéreux, avec des
drogues chères, un encadrement spécialisé et des tests secrets. Les pauvres ne peuvent se
l'offrir. C'est aussi simple que cela. »

Le CIO a consacré le sportif américain Carl Lewis « athlète du siècle ». À Sydney, lors de la
cérémonie, le roi de la vitesse et du saut en longueur a donné son opinion, légèrement
différente : « Tous les dirigeants mentent, a-t-il déclaré, les contrôles antidopage ne
fonctionnent pas. Les dirigeants ont le pouvoir de contrôler, mais ils ne le font pas. Le sport
est sale. »

Que ce soit par manipulation scientifique ou par hypocrisie aveugle, ou les deux, le fait est
que l'on peut parfaitement masquer l'érythropoïétine synthétique (EPO), les hormones
artificielles de croissance, les stéroïdes anabolisants, et toute autre substance. Administrées
massivement aux sportifs, elles peuvent rapporter des médailles d'or, des trophées
internationaux, des infarctus, des apoplexies, des altérations du métabolisme, des problèmes
de thyroïde, d'impuissance, des déformations musculaires, et jusqu'aux cancers et la vieillesse

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prématurée. Selon des enquêtes publiées dans les revues Scientific American et New Scientist,
tout cela n'est rien, comparé à ce qui nous attend.

D'ici dix ans, on nous promet des athlètes génétiquement modifiés. A un prix : l'hypothèque
du corps. Car rien n'est gratuit dans ce monde. Le dopage de gènes artificiels fera, en une
seule injection, des merveilles pour la vitesse et la force des sportifs ; et il sera impossible de
le déceler dans le sang ou les urines.

Un ami, Jorge Marchini, de retour de Finlande, m'a offert récemment le règlement du football
catégories enfants et juniors de ce pays. J'ai ainsi appris qu'en Finlande, l'arbitre ne sort pas
seulement un carton jaune, en guise d'avertissement, et un carton rouge pour signifier une
expulsion, mais aussi un carton vert pour récompenser le joueur qui aide un adversaire à se
relever, ou qui fait des excuses lorsqu'il l'a frappé ou encore qui reconnaît une faute commise.

Dans le football professionnel, tel qu'il se pratique aujourd'hui dans le monde entier, ce
système du carton vert paraîtrait ridicule et se révélerait sans doute inutile. Selon la loi du
marché, une rentabilité élevée exige une productivité élevée, et pour y parvenir, tous les
moyens sont bons : la déloyauté, la tricherie ou la drogue. Cette dernière fait partie du trucage
d'un jeu qui ne joue plus le jeu.

Dans le football, comme ailleurs, le sport professionnel est plus dopé que les sportifs eux-
mêmes. C'est lui, grand intoxiqué, converti en grande entreprise de l'industrie du spectacle,
qui accélère toujours plus le rythme de travail des athlètes et les pousse à ravaler leurs
scrupules pour atteindre des rendements de surhommes. L'obligation de gagner est ennemie
du plaisir de jouer, du sens de l'honneur et tout simplement de la santé. C'est l'impératif de
gagner à tout prix qui oblige à consommer les drogues de la réussite.

A lire : Laure P. Le dopage. 1995, Paris : Presses Universitaires de France

Louveau C, Augustini M, Duret P, Irlinger P, Marcellini A. Dopage et performance sportive. 1995, Paris : Insep
Publications

Mondenard JP de. Dictionnaire des substances et procédés dopants en pratique sportive. 1990, Paris : Masson

Taxe Tobin: L’économiste James Tobin, professeur d’économie à l’Université de Yake, prix
Nobel d’Économie en 1979 proposa, dans l’esprit de la proposition de Keynes de créer une
taxe appliquée aux opérations boursières. Il avait formulé, en 1978, l’idée d’une taxe qui
serait prélevée sur la circulation internationale des capitaux pour décourager la spéculation

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financière en la rendant trop onéreuse. Cette taxe, qui n’a jamais été appliquée, aurait plus
spécialement pour objet les transactions à but spéculatif. Elle serait comprise entre 0,01 % et
0,025 % du capital investi et serait destinée à financer la dette des pays pauvres. En France,
l’association ATTAC* a été créée en 1998 pour promouvoir cette idée.

Hérésie pour les uns, saint Graal pour les autres, la taxe Tobin cristallise nombre de débats
passionnés entre acteurs financiers, économistes, leaders politiques et certaines associations.

On ne peut manquer de s'interroger sur l'origine d'un tel succès. Faut-il en particulier y voir le
signe d'une idée géniale, presque révolutionnaire? Vraisemblablement pas : modeste ( de
l'aveu même de James Tobin ) autant que technique, sa taxe avait à l'origine pour objectif de
restaurer une fraction de l'autonomie de la politique monétaire menacée par la mobilité sans
cesse croissante des capitaux. Elle fut largement ignorée à ses débuts et raillée depuis par
certains. Robert Mundell, prix Nobel d'économie lui aussi, n'a pas hésité à déclarer que la taxe
Tobin« était une idée idiote»!

Alors que ce point ne fut jamais au cœur de l'argumentation de James Tobin, il est tout
d'abord progressivement apparu que cette taxe était un moyen formidable pour engendrer, au
moindre coût, une manne financière considérable pouvant être consacrée à une liste quasi
infinie d'États-Unisges; 200, 300, 700 milliards de dollars par an, les estimations les plus
audacieuses alimentent le mythe d'une nouvelle corne d'abondance pouvant aussi bien
résoudre le problème de la dette externe des pays en développement apparu au début des
années 1980 que financer, à l'échelle planétaire, des programmes de lutte contre le sida. Ce
projet est d'ailleurs d'autant plus séduisant qu'il pénalise des spéculateurs traditionnellement
peu taxés et souvent mal perçus par le grand public qui les assimile à des joueurs de casino
réalisant des gains considérables, fondés sur une économie virtuelle. Il n'est alors pas
surprenant qu'en France, par exemple, cette proposition ait non seulement reçu de la plupart
des partis politiques un accueil favorable dès 1995, mais soit aussi devenue un thème des
campagnes électorales.

Cet impôt est censée également réduire les transaction internationales de court terme et par
conséquent la volatilité des taux de change et des produits connexes. L’application d’une telle
taxe augmenterai le coût relatif des transactions du court terme par rapport à celles de long
terme. Personne aujourd'hui ne peut l’ignorer : d'un taux faible proche de 0,1 % et prélevée
sur les opérations d'achat et de vente de devises, elle a pour objectif principal d'atténuer les
fluctuations des taux de change. Par ailleurs, elle inciterait les opérateurs à se reporter sur les

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capitaux de long terme qui assurent un financement plus stable de la croissance, et réduirait
par conséquent la volatilité excessive des changes.

D’autre part, celle taxe renforcerait l’autonomie de la politique monétaire. En système de


change fixe lorsque le capital est fortement mobile, la politique monétaire n’est plus
autonome. En particulier, les taux d’intérêt nationaux ne peuvent s’écarter sensiblement des
taux d’intérêt mondiaux sans entraîner une variation du change et donc des mouvements de
capitaux ; la politique monétaire d’un pays peut donc devenir dépendante des politique
monétaire menées à l’étranger. En décourageant les capitaux de court terme, cette taxe
permettrait de rompre avec la condition de stabilité relative des taux d’intérêt et ainsi de
desserrer la contrainte sur la politique monétaire.

Par la suite, les partisans d’une taxe sur les transaction financières ont souligné un autre
avantage : elle assurerait des recettes fiscales relativement faciles à recouvrer. Etant donné la
large assiette que représentent les transaction sur les marchés de change, un taux faible suffit à
dégager de substantielles recettes fiscales . Si on estime à 1 600 milliards de dollars le chiffre
d’affaires net quotidien des marchés de changes ( comptant, terme et produits dérivés), alors
une estimation purement statistique établit à 16 milliards de dollars la recette fiscale par jour
(pour un taux de 1%), soit environ 4 300 milliards de dollars par an. En outre, cet impôt serai
relativement facile a recouvrer car il reposerait sur des flux enregistrés et sur un nombre limité
de redevables qui n’opèrent que sur quelques sites.

Un réel problème s'oppose à sa mise en place: pour être efficace elle devrait simultanément
s'appliquer dans tous les pays. Un « passager clandestin » bénéficierait de l'arrivée massive de
capitaux dans son pays, au détriment des autres soumis à la taxe. Force est de constater, pour
ne citer que quelques exemples, que les nouvelles orientations du président américain Georges
W. Bush et l'évolution récente de la politique économique britannique ne laissent guère
envisager la possibilité de sa mise en place prochaine. Les auteurs défendent néanmoins le
symbole que procurerait la taxe Tobin. Et confirment l'idée qu'aujourd'hui cet impôt résulte
plus d'une volonté politique que d'une logique économique. Patrick Messerlin, directeur du
Groupe d'Economie Mondiale, prévient que l'instauration de la taxe pourrait entraîner
l'inverse de l'effet escompté. "Le vrai problème de la taxe Tobin est sa mise en œuvre. Elle est
impossible dans les pays industrialisés ou émergents car elle sera invariablement contournée
par des marchés financiers suffisamment développés. Et l'appliquer aux seuls pays en
développement risque fort de faire de ces derniers, une fois de plus, les perdants. "

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Third World Network (Réseau Tiers-monde ) Groupement de syndicats, mouvements


sociaux, association de citoyens et organisations non-gouvernementales. Affirme que «
L’OMC et ses accords ont été utilisés pour faciliter l’ouverture des marchés des pays en
développement, au bénéfice des entreprises transnationales, avec des effets néfastes sur les
économies nationales, les travailleurs, les paysans, les femmes et l’environnement en Afrique.
Cela a contribué à la concentration des richesses dans les mains des plus riches, tout en
accroissant la pauvreté pour la majorité de la population mondiale »

Terrorisme Acte de révolte individuelle au XIXe siècle, institutionnalisé par les Etats
totalitaires au XXème siècle, avant de devenir, avec Al-Qaeda, un acteur majeur du système
international au début du XXème siècle, le terrorisme en tant que tel n’est certes pas un
phénomène récent. Les indépendantistes irlandais, poursuivant leur grève de la faim jusqu’à
ce que mort s’ensuive ne préludaient-ils pas en quelque sorte au phénomène kamikaze dont
les tours de Manhattan venait de faire l’objet? Chacun sait, depuis l’attentat de Sarajevo à
l’été 1914, que les terroristes peuvent faire l’Histoire: l’Irlande où s’affrontent catholiques et
protestants, le Pays basque espagnol au sein duquel l’ETA poursuit ses actions, la Corse où
une minorité d’indépendantistes métissés d’intérêts non exempts parfois de liens mafieux en
sont, parmi d’autres, l’illustration toujours bruyante et parfois sanglante.; mais depuis le 11
septembre 2001, chacun doit comprendre qu’ils n’ont plus besoin des Etats pour la faire. Ces
terrorismes-là se déroulaient sur des territoires bien localisés, à l’intérieur des nations et
reposaient sur des revendications précises. Ce qui était nouveau, dans ce dernier attentat, à
part sa dimension mondiale, c’était le caractère diffus autant qu’insaisissable du phénomène.
Ses attaches principales se situaient peut-être en Afghanistan où le régime taliban lui
fournissait asile, bases et protection. Mais on savait qu’il étendait ses ramifications et
possédait des centres d’entraînement dans plusieurs pays, disséminés sur l’ensemble de la
planète. En cela, le terrorisme n’est rien d’autre que l’application à la violence radicale des
principes de la mondialisation: internationalisation, désétatisation, révolution technologique,
dérégulation du capitalisme. Aussitôt, journalistes et politiciens ont cherché à généraliser le
changement qu’ils percevaient dans la situation mondiale (« Rien ne sera plus comme avant
»), et ont annoncé la fin du mouvement altermondialisation. Avec le recul, on peut constater
que loin d’être dépassé par les événements, ou d’être devenu soudainement caduc, le
mouvement altermondialisation est plus que jamais d’actualité et plus que jamais nécessaire.

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Comme si les attaques contre New York et Washington avaient levé un « interdit », les
populations civiles ont été les premières touchées. Tous ces événements témoignent d'un
phénomène nouveau dans l'histoire du terrorisme, tant du point de vue qualitatif que
quantitatif. Nouveauté qui affecte les structures, les méthodes et les cibles de cette génération.

Mais quel était donc ce nouveau terrorisme qui venait de se manifester avec éclat? Et quel
était cet « avant» que l’on ne devait plus revoir? Il ne fait pas de doute que le terrorisme
islamique représente une nouvelle menace globale pour la démocratie, et pas seulement pour
les Etats-Unis. Le djihad islamique, et son appel à une violence illimitée contre les valeurs et
les sociétés libérales, catalyse les peurs, les frustrations, les inégalités du développement. Et
cette idée absurde sur le plan intellectuel peut devenir une réalité historique structurant pour
plusieurs décennies l’histoire mondiale, si le principe d’un choc des civilisations parvient à
s’enraciner durablement dans les mentalités collectives du monde arabo musulman comme du
monde occidental.

Sur les ruines des gratte-ciels sont apparues au grand jour les idéologies politiques des
mouvements radicaux à orientation pseudoreligieuse du XXIème siècle, qui ne se comportent
pas comme les mouvements terroristes des années 1970. Ceux-ci cherchaient la publicité et
l'éclat, mais n'avaient pas pour objectif le crime de masse. La première indication
préoccupante de ce nouveau terrorisme mondialisé date de 1993, quand la première attaque
contre le World Trade Center a échoué. L'ambition des auteurs, révélée au moment du procès,
était de tuer 25 000 personnes dans un jeu de domino, en faisant tomber la première tour sur
la seconde puis toutes deux sur Wall Street. Deux ans plus tard, un projet d'attentat envi-
sageait de faire exploser au même moment dix avions au-dessus de l'océan Pacifique. En août
1998, plus de deux cents morts sont retirés des décombres des ambassades américaines en
Tanzanie et au Kenya. Enfin, en 1999, un individu est arrêté par la police américaine à la
frontière canadienne en possession d'explosifs destinés aux cérémonies du Millenium* à Los
Angeles.

La lutte contre le terrorisme n'est pas et ne peut pas être un combat contre des civilisations, ou
bien un combat de celles-ci entre elles. Il s'agit de la lutte pour la culture du monde et pour les
valeurs qui doivent prédominer. Dans le monde multiforme d'aujourd'hui, toutes les
civilisations et les grandes religions respectent la dignité et la vie de l'homme. Dans notre
monde, tuer des gens – « coupables » ou « innocents »- est partout un égarement.

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Dans la pratique, il n’y a pas de meilleure définition de la mondialisation du terrorisme que


l’attaque du 11 novembre. Les tours jumelles sont tombées, tuant des milliers de civils sous le
regard de millions de téléspectateurs, à la suite d’une action préparée en Asie centrale,
réalisée à New York et à Washington par des terroristes saoudiens et égyptiens, qui avaient
fait leurs études en Europe et dont l’acte a eu des conséquences immédiates s'étendent sur
l'Afghanistan, l'Inde et le Pakistan, l'ensemble du monde musulman - du Maroc aux
Philippines-, les relations russo-américaines et la politique de défense japonaise. Plus
significatif encore, la cible majeure de l’attaque, le World Trade Center, constituait le
symbole même de la mondialisation, dans un pays qui, plus que tout autre, porte le drapeau de
la concentration économique. A l’ère de la mondialisation néo-libérale, le terrorisme lui-
même venait de se mondialiser ; un terrorisme à vocation planétaire, conduit par les partisans
du djihad armé contre l’impérialisme occidental ( Etats-Unis en tête), et contre les « ennemis
» de la communauté musulmane (l’Umma) était devenu réalité.

Paradoxalement, les épouvantables attentats du 1l septembre n'ont pas déclenché, dans de


nombreuses régions du monde, des débordements de sympathie à l'égard des Etats-Unis. Au
point que le président George W. Bush en est venu à déclarer: « Je suis impressionné qu'il y
ait une telle incompréhension de ce qu'est notre pays et que des gens puissent nous détester. Je
suis comme la plupart des Américains, je ne peux pas le croire, car je sais que nous sommes
bons. »

En effet, à travers le monde, et en particulier dans les pays du Sud, le sentiment le plus
souvent exprimé par les opinions publiques, à l'occasion de ces condamnables attentats, a été:
« Ce qui leur arrive est bien triste, mais ils ne l'ont pas volé! »

Pour comprendre une telle réaction, il n'est peut être pas inutile de rappeler que, tout au long
de la « guerre froide» (1948-1989), les Etats-Unis s'étaient déjà lancés dans une « croisade»
contre le communisme. Qui prit parfois des allures de guerre d'extermination: des milliers de
communistes liquidés en Iran, deux cent mille opposants de gauche supprimés au Guatemala,
plus d'un demi-million de communistes anéantis en Indonésie... Les pages les plus atroces du
livre noir de l'impérialisme américain furent écrites au cours de ces années, marquées
également par les horreurs de la guerre du Vietnam (1962-1975).

C'était déjà « le Bien contre le Mal ». Mais à l'époque, selon Washington, soutenir des
terroristes n'était pas forcément immoral. Par le biais de la CIA, les Etats-Unis préconisèrent
des attentats dans des lieux publics, des détournements d'avions, des sabotages et des

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assassinats. A Cuba contre le régime de M. Fidel Castro; au Nicaragua contre les sandinistes;
ou en Afghanistan contre les Soviétiques. C'est là, en Afghanistan, avec le soutien de deux
Etats très peu démocratiques, l'Arabie saoudite et le Pakistan, que Washington encouragea,
dans les années 1980, la création de brigades islamistes recrutées dans le monde arabo-
musulman et composées de ce que les médias appelaient alors les « freedom fighters », les
combattants de la liberté! C'est dans ces circonstances, on le sait, que la CIA engagea et forma
le désormais célèbre Oussama Ben Laden.

Combattre le terrorisme n'est pas suffisant. Malgré l'urgence présente de la lutte, il ne faut pas
méconnaître qu'il est le reflet d'une série de problèmes du monde moderne, un phénomène qui
pèse lourdement sur toutes les sociétés. Il faudra y faire face aussi à long terme. Il est
impératif d'éliminer les racines sociales, politiques et autres à partir desquelles le mal se
propage, c'est-à-dire supprimer les injustices, les oppressions, les inégalités et les
discriminations. Pour discerner et éliminer ces racines, tous les potentiels intellectuels,
philosophiques, conceptuels et religieux qui réfléchissent à l'avenir de l'humanité doivent être
réunis.

La mondialisation exige une réponse globale, à l'échelle mondiale. Celle-ci commence par la
responsabilité de chaque État. Même à l'intérieur de leurs frontières, les États ne peuvent plus,
au nom de leur souveraineté, commettre des actes arbitraires qui vont à l'encontre des valeurs
du monde démocratique et menacer en cela la sécurité des autres États et de la communauté
internationale. Dorénavant, aucun État ne peut ignorer de telles actions et de se barricader
derrière la sécurité virtuelle de ses frontières.

Pour l’heure, les conditions d’une lutte efficace contre le terrorisme sont très loin de se
trouver réunies. La divergence accélérée entre l’activisme militaire aveugle des Etats-Unis,
d’une part, la rivalité économique entre ce pays et une partie de l’Europe ( déguisée en
pacifisme) d’autre part, ruine la solidarité occidentale, ouvrant un large espace politique et
stratégique au terrorisme. La militarisation à outrance de la politique extérieure américaine et
la confusion abusivement entretenue entre Al-Qaeda et le régime Irakien décrédibilisent la
lutte contre l’Islamisme, détournée au service d’intérêts de puissance ou des enjeux pétroliers.
La dérive des Etats-Unis est servie par la passivité de l’Europe, où l’immigration tiers-
mondiste constitue l’un des terreaux les plus fertiles et l’une des bases de recrutement
majeures du terrorisme. Il est plus que temps de s’appliquer les reproches qu’elle adresse aux
Etats-Unis et de conjuguer l’indispensable effort en matière de sécurité intérieure et extérieure

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avec une réponse politique à l’échec cinglant des politiques d’intégration conduites depuis un
demi-siècle.

Les pires prévisions avancées sous le choc du 11 septembre – à l’exception notable du recours
aux armes biologiques, chimiques ou nucléaires- ont trouvé confirmation. Malgré la chute du
régime des talibans, obtenue dès la première phase de la campagne militaire menée par
Washington en Afghanistan, Oussama Ben Laden est vraisemblablement toujours en vie. Tout
indique que l’essentiel du réseau Al Quaida s’est reconstitué au Pakistan et dans les pays de
l’origine de ses combattants. Les liens individuels tissés dans les camps d’entraînement et sur
les théâtres d’affrontement en Afghanistan, en Bosnie, au Cachemire ou en Tchétchénie
restent lourds de périls. La menace du terrorisme islamiste s’est clairement mondialisée.

« L’avant» que l’on ne devait paraît-il plus revoir, c’était celui d’une puissance orgueilleuse,
isolée dans l’inviolabilité de ses frontières, affirmant hautement une idéologie et l’imposant
au monde. Idéologie formulée, au début des années 1980, par les gouvernements du G7 -
États-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie -, agissant à
l’initiative du plus puissant d’entre eux. On peut, avec Dominique Plihon, la résumer ainsi:
.

« Le mieux-être des peuples passe par l’ouverture des frontières, la libéralisation du


commerce et de la finance, la déréglementation et les privatisations; le recul des dépenses
publiques et des impôts au profit des activités privées, la primauté des investissements
internationaux et des marchés financiers; en somme, le déclin du politique et de l’État, au
profit des intérêts privés. »

L’économie de cet « avant 11 septembre» que nous sommes censés ne pas revoir, confondant
les fins et les moyens avait donc perdu « le sens du sens « , devenait insensée au sens propre.
Mais du même coup, elle perdait toute notion de limites. Quand l’instrument économique se
substitue à la finalité au lieu de la servir, les frontières entre le moral et l’immoral, le légitime
et l’illégitime, disparaissent. On voit alors prospérer une économie en marge de la légalité:
paradis fiscaux, blanchiment de l’argent des activités criminelles, argent propre, argent sale,
malversations, interfèrent de plus en plus étroitement. Sans la bienveillance du banquier «
propre », sans la complicité de l’avocat et du conseiller juridique ou financier « honorable»
ayant pignon sur rue, sans la « compréhension» des gouvernements, les activités de l’ombre
ne pourraient revêtir l’importance qui est désormais la leur. Sans les paradis fiscaux, bien des

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firmes transnationales ne pourraient, en y localisant des opérations fictives, tourner la loi


fiscale pour fausser les lois de la concurrence.

Cet « avant » réunissait donc toutes les conditions requises pour provoquer le désespoir puis
l’action et la réaction des peuples. Car, dans l’ombre, grandissait le fanatisme qui trouverait
dans cette situation un excellent terrain pour se développer.

La doctrine du néo-libéralisme venait de voir le jour à travers les dix points d’une déclaration
que l’économiste John Williamson désignait d’une expression appelée à connaître un très
grand succès: le « consensus de Washington » En libérant les mouvements de capitaux de tout
contrôle étatique, cette politique déplaçait le pouvoir économique de la sphère publique des
États à la sphère privée de la finance internationale. Fonds de pensions, fonds de spéculation,
banques, assurances... possèdent désormais la « puissance de feu » qui leur permet de faire la
loi sur la planète: ils contrôlent en effet une masse de liquidités de l’ordre de 30000 milliards
de dollars, supérieure au produit mondial d’une année et une seule journée de spéculation sur
devises représente l’équivalent de toutes les réserves d’or et de devises des grandes banques
centrales du monde. C’est dire qu’il n’y a pas de nation ou d’entreprise qui puisse résister à
leurs pressions. C’est une logique actionnariale de fructification rapide des patrimoines
financiers qui caractérise désormais le système.

La mise en oeuvre politique était simultanée: dès 1982, sous l’impulsion du président Reagan
et de madame Thatcher, progressivement tous les obstacles à la libre circulation des capitaux,
à la libre fluctuation de leurs cours et à la spéculation étaient supprimés à l’échelle du monde.

Il se produisit alors une double réaction : pacifique tout d’abord, manifestée notamment à
travers les grandes mobilisations, à la fois joyeuses et studieuses de Porto Alegre* lors des
forums sociaux mondiaux, et sanglantes aussi, celle de Manhattan, sur la quelle il est conseillé
de s’interroger pour tenter d’en conjurer le renouvellement.

Qu’est-ce le terrorisme et qu’est-ce la résistance? L’histoire montre que le même phénomène


revêt l’une ou l’autre qualification, selon que le pouvoir contre lequel on se dresse reste
encore en place ou qu’il a été renversé -la lutte contre l’occupation allemande en Europe lors
du dernier conflit mondial en est un exemple. Toute résistance ne serait-elle donc qu’un
terrorisme qui a réussi et le « terrorisme» d’aujourd’hui serait-il une résistance en puissance,
s’il atteint un jour ses objectifs... d’ailleurs mal explicités? Ces interrogations nous permettent
d’affirmer que s’il y a des terrorismes « de l’ombre « , il y a aussi des terrorismes d’État
lorsque celui-ci tolère l’existence de milices privées - et parfois déploie ses propres forces

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militaires - afin de massacrer des populations civiles et de s’approprier leurs territoires. La


puissance voisine qui soutient plus ou moins discrètement de tels agissements se fait elle-
même complice de ce terrorisme-là. Le « terrorisme d’État» ne justifie pas l’autre, mais il faut
savoir qu’il existe et qu’il peut contribuer à l’expliquer. Nous savons bien qu’il ne faut pas
confondre les deux phénomènes et nous voudrions proposer deux critères - qui doivent être
simultanément satisfaits - permettant d’opérer la distinction: la légitimité des fins et la
légitimité des moyens. Légitimé des fins d’abord, car on ne saurait confondre la cause d’un
peuple qui lutte pour affirmer son droit à l’existence ou à la liberté, avec la contestation du
droit d’un autre à l’existence ou à la liberté. Légitimité des moyens ensuite: une résistance
digne de ce nom combat des forces armées et non des populations civiles innocentes, il n’ y a
pas ici de population collectivement coupable du seul fait de son appartenance ethnique,
religieuse, nationale ou idéologique. De ce point de vue, le caractère terroriste de l’horreur
déclenchée à Manhattan ne laisse aucun doute.

Après 1991, les Etats-Unis se sont installés dans une position d'hyperpuissance unique, et ont
marginalisé, de fait, les Nations unies (1). Ils avaient promis d'instaurer un « nouvel ordre
international» plus juste. Au nom duquel ils ont conduit la guerre du Golfe contre l'Irak. Mais,
en revanche, sur le conflit israélo-palestinien, ils sont demeurés d'une scandaleuse partialité en
faveur d'Israël, au détriment des droits des Palestiniens (2). De surcroît, malgré des
protestations internationales, ils ont maintenu un implacable embargo contre l'Irak, qui
épargne le régime et tue des milliers d'innocents. Tout cela a ulcéré les opinions du monde
arabo-musulman, et facilité la création d'un terreau où s'est peu à peu épanoui un islamisme
férocement antiaméricain.

Les États-Unis, en fait, se préparaient théoriquement, depuis la guerre du Golfe et en tout cas
depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à quelque chose de nouveau dont ils avaient
prévu le principe. Certains think tanks ou groupes d'experts, plutôt proches de l'armée de terre
ou des Marines, comprenaient que la supériorité absolue acquise par leur maîtrise de la
révolution électronique, à la fois dans la sphère militaire, aérosatellitaire et dans la sphère
économique et financière, allait entraîner, avec la globalisation, des effets d'asymétrie
qualitative insupportables. Ils se doutaient que la riposte des pays, des peuples et des classes
sacrifiés allait se manifester par des manœuvres inattendues et qu'elle prendrait parfois la
forme du terrorisme, arme des faibles. Il fallait prévoir que cette contre-attaque exigerait une
inventivité accrue, dont à l'avance les États-Unis devaient se garder. Ce fut là l'origine de leur
concept général de «guerre asymétrique ».

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314

Comme le Dr Frankenstein, les EtatsUnis ont vu leur vieille création - M. Oussama Ben
Laden - se dresser contre eux, avec une violence démentielle. Et se sont engagés à le
combattre en s'appuyant sur les deux Etats - Arabie saoudite et Pakistan - qui, depuis trente
ans, ont le plus contribué à répandre à travers le monde des réseaux islamistes ayant
régulièrement recours à des méthodes terroristes!

Il est indéniable que la provocation suicidaire de Ben Laden et de son mouvement, l'appui que
lui a accordé le régime des Talibans, tout cela survient en septembre 2001 comme en temps
voulu pour créer les conditions d'une riposte éclatante des forces militaires globales des États-
Unis, prêtes depuis un an à démontrer leur savoir-faire. Ce synchronisme pose un problème.
On peut supposer soit que les membres d'Al Qaida (si toutefois cette organisation existe) aient
été au courant des transformations récentes du potentiel américain de projection de forces et
qu'ils en aient sous-estimé les capacités, soit qu'ils l'aient évalué, mais décidé néanmoins d'une
action suicidaire, propre à donner des États-Unis l'image implacable qu'ils ont aujourd'hui et
qui ne les rend pas populaires, mais redoutables. Soit encore qu'ils n'aient rien évalué de tout
cela et se trouvent simplement battus à plate couture, dans une épreuve de force imbécile qui a
abouti au massacre de 3000 civils américains et d'un nombre probablement équivalent de
civils afghans.

Vieux briscards de la guerre froide, les hommes et les femmes qui entourent le président
George W Bush ne sont peut-être pas mécontents de la tournure que prennent les choses.
Miraculeusement, les attentats du Il septembre leur ont restitué une donnée stratégique
majeure dont l'effondrement de l'Union soviétique les avait privés pendant dix ans: un
adversaire. Enfin! Sous le nom de« terrorisme », cet adversaire désigné, chacun l’aura
compris, est désormais l'islamisme radical. Tous les dérapages redoutés (confusion entre
islam et islamisme, entre Arabes et terroristes, chasse au faciès, restriction des libertés,
accentuation du contrôle social, etc.) risquent maintenant de se produire. Y compris une
moderne version du maccarthysme prenant pour cible tous les adversaires de la
mondialisation.

Quels sont les buts explicites de ce premier conflit du XX siècle? Un objectif principal a été
annoncé dès le lendemain du 1l septembre: démanteler le réseau Al-Qaida et capturer, « mort
ou vif», M. Oussama Ben Laden, responsable de crimes - 5 000 morts - que nulle cause ne
peut justifier. Facile à formuler, ce dessein n'est pas du tout simple à accomplir. A priori
pourtant, la disproportion de forces entre les deux adversaires paraît abyssale. Il s'agit même

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315

d'une situation militaire inédite, car c'est la première fois qu'un empire fait la guerre non pas à
un Etat, mais à un homme...

États-Unisnt de ses écrasants moyens militaires, Washington a jeté dans cette bataille toutes
ses forces et devrait l'emporter. Toutefois, les exemples abondent de grandes puissances
incapables de venir à bout d'adversaires beaucoup plus faibles. Comme la plupart des forces
armées, celles des Etats-Unis sont formatées pour combattre d'autres Etats et pas pour
affronter un « ennemi invisible ». L'histoire militaire enseigne que, dans un combat
asymétrique, celui qui peut le plus ne peut pas forcément le moins. «Une armée telle que
l'IRA, rappelle l'historien Eric Hobsbawm, s'est montrée capable de tenir en échec le pouvoir
britannique pendant près de trente ans; certes l'IRA n'a pas eu le dessus, mais elle n'a pas été
vaincue pour autant. »

Dans le siècle qui commence, les guerres entre Etats sont en passe de devenir anachroniques.
Et l'écrasante victoire dans le conflit du Golfe, en 1991, se révèle trompeuse. « Notre
offensive dans le Golfe a été victorieuse, reconnaît le général des marines Anthony Zinni,
parce que nous avons eu la chance de trouver le seul méchant au monde assez stupide pour
accepter d'affronter les Etats-Unis dans un combat symétrique. » L'OTAN pourrait dire la
même chose de M. Milosevic, lors de la guerre du Kosovo en 1999. Car les conflits
asymétriques de nouveau type sont plus faciles à commencer qu'à terminer. Et l'emploi, même
massif, de moyens militaires ne permet pas forcément d'atteindre les buts recherchés. Il suffit
de se souvenir de l'échec en Somalie en 1994.

En attaquant l' Afghanistan, sous le prétexte recevable que ce pays protège M. Ben Laden, le
gouvernement américain savait donc qu'il entreprenait la phase la plus facile du conflit. Et
qu'il renverserait assez vite le gouvernement des talibans. Mais cette victoire contre l'un des
régimes les plus odieux de la planète ne garantit pas l'obtention du but premier de cette
guerre: la capture de M. Ben Laden.

Le terrorisme d’aujourd’hui est mobile et nomade par excellence, prompt à utiliser toutes les
ressources offertes par l’internet et par les nouvelles technologies. Enfin, le terrorisme
Islamique est en prise directe sur le capitalisme dérégulé, qui lui fournit à la fois sa principale
source de financement (notamment sur la place de Londres) et de cibles privilégies ( le cœur
de la finance mondiales avec Wall Street, l’incendie du « Limbourg, le tourisme de masse à
Bali ou Djerba…)

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Karachi, Mombasa, Aden, les principaux attentats de l’année 2.000, font penser à autant de
répliques de ceux du 11 septembre 2001.

Le second objectif paraît trop ambitieux: en finir avec le « terrorisme international». D'abord
parce que le terme « terrorisme » est très imprécis. Depuis deux siècles, il a été utilisé pour
désigner indistinctement tous ceux qui recourent, à tort ou à raison, à la violence pour tenter
de changer l'ordre politique. Alors que l'expérience montre que, dans certains cas, cette
violence était nécessaire. De nombreux anciens « terroristes» ne sont-ils pas devenus des
hommes d'Etat respectés? Par exemple, et pour ne pas citer ceux issus de la Résistance
française: Menahem Bégin, ancien chef de l'Irgoun, devenu premier ministre d'Israël; M.
Abdellaziz Bouteflika, ancien « fellagha », devenu président de l'Algérie; ou M. Nelson
Mandela, ancien chef de l'ANC, devenu président de l'Afrique du Sud et Prix Nobel de la
paix.

La guerre et la propagande actuelles peuvent laisser croire qu'il n'est de terrorisme


qu'islamiste. C'est évidemment faux. Au moment même où se déroule ce conflit, d'autres
terrorismes sont à l'œuvre, un peu partout dans le monde non musulman: celui de l'ETA en
Espagne, celui des FARC et des paramilitaires en Colombie, celui des Tigres tamouls au Sri
Lanka, etc. Hier encore, celui de l'IRA et des loyalistes en Irlande du Nord.

Comme principe d'action, le terrorisme a été revendiqué, au gré des circonstances, par presque
toutes les familles politiques. Le premier théoricien à proposer, dès 1848, une doctrine du
terrorisme est l'Allemand Karl Heinzen dans son essai Der Mord (le meurtre) dans lequel il
estime que tous les moyens sont bons pour hâter l'avènement de... la démocratie! En tant que
démocrate radical, Heinzen écrit: « Si vous devez faire sauter la moitié d'un continent et
répandre un bain de sang pour détruire le parti des barbares, n'ayez aucun scrupule de
conscience. Celui qui ne sacrifierait pas joyeusement sa vie pour avoir la satisfaction
d'exterminer un million de barbares n'est pas un véritable républicain. »

Par l'absurde, cet exemple montre que même les meilleures fins ne justifient pas les citoyens.
Ceux-ci ont tout à craindre d'une République -laïque ou religieuse - bâtie sur un bain de sang.
Mais comment ne pas craindre aussi que la chasse tous azimuts aux « terroristes» qu'annonce
Washington comme but ultime de cette guerre sans fin ne provoque de redoutables atteintes à
nos principales libertés, à l'état de droit et à la démocratie elle-même?

A Lire : Alain Gresh, Israël. Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, Paris, 2001. (3) La Repubblica, Rome, 18
septembre 2001.
Thierry Vareilles : Encyclopédie du terrorisme international. L’Harmattan, 2001. 55O pages.

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317

Olivier Lepick (Presses universitaires de France, colI. " Que sais-je? ", Paris, 1999, 128 pages, 42 F.)
Ahmed Rashid : L'Ombre des Talibans. (Autrement, colI. " Frontières ", Paris, 2001, 288 pages, 130,86 F.)
Gilles Dorronsoro La Révolution afghane (Karthala, colI. " Recherches internationales ", Paris, 332 pages, 160
F.) jimelles
Claude Meyer :" Perspectives stratégiques " (Ellipses, colI. Paris, 2001, 448 pages, 195 F.)
Jean-Luc Marret (Presses universitaires de France, colI. " Défense et défis nouveaux ", Paris, 2000, 180 pages,
118 F.)
Tours jumelles Elles avaient été inaugurées en 1972 et en 1973. Chacune d’elles comptait
110 étages La première était haute de 417 mètres, la seconde de 415 mètres. Dans le quartier
de Wall Street où elles se situaient on trouve la bourse … De nombreux consortiums
financières les occupaient. Au total, 400 sociétés représentant 25 pays ! Plus de 50 000
personnes y travaillaient. Lorsque les avions les ont abattues, c'était l'heure de pointe. Tout le
monde venait d'arriver au bureau. Mais sous les deux tours, il y avait aussi des milliers de
personnes dans le métro, dans les gares souterraines… Outre le fait qu'ils visaient un endroit
très fréquenté, les terroristes ont touché le symbole de la puissance économique américaine
dans un monde économiquement et socialement inégal. Mais les deux tours, qui ne
constituent pas à elles seules le WTC, plus vaste, étaient aussi l’image de Manhattan car elles
étaient vues de partout dans New York ! On pouvait comparer "l'impact" visuel de ces tours à
celui de la Tour Eiffel à Paris (320 m, soit 95 mètres de moins que la plus petite tour du
WTC !)

Tute bianche " Nous entrons dans la zone rouge avec la seule arme de nos corps ", proclame
inlassablement Luca Casaroni, porte-parole de ce Mouvement, pour déclarer leur refus de la
violence. Très peu connu en France, il est issu des « centres sociaux », ces lieux occupés qui
ont fleuri dans la plupart des villes italiennes à la fin de 1980. La société officielle n’en parle
que rarement, et pour les caricaturer. Les tute bianche ( Combinaisons blanches et non Tuti
bianchi, " tous blancs ") ont démontré leur capacité de mobilisation, en agrégeant autour d¹eux
les organisations de jeunesse de Rifondazione communista, Sud Ribella ( surtout Napolitain,
issu du mouvement des chômeurs et de l¹autonomie), pas mal d¹étrangers ( Reclaim the street,
basques, et beaucoup de petits groupes, dont la cinquantaine de membres de No Pasaran...) .

Ils ont le sens de la médiatisation, goût pour la formule, esthétisme certain dans la
protestation, cette mouvance s’est fait remarquer depuis quelques ,années par ses actions
«coup de poing» et son sens de l'innovation.. Pas un jour sans que de petites délégations de
journalistes ne soient conviées ( avant les réunions du G8 ou autres) à assister aux leur

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séances d’entraînement, au cours desquelles ils se préparent à bloquer et à pénétrer dans les
« zones rouges », ce large périmètre d’accès interdit aux manifestants. En combinaison
blanche jetable, pour «évoquer la précarité du peuple des invisibles », plutôt que les battes de
base-ball ou les cocktails Molotov, ces adeptes du sous-commandant Marcos ont opté pour le
caoutchouc. Ils défilent derrière de « gomoni », de vieilles chambres il air de camions reliées
entre elles par des cordages qui forment un gigantesque matelas pneumatique de protection.
Boucliers en plexiglas et casques sortent dans les grandes occasions. Fin juin 2001, ils n'ont
pas hésité à organiser un défilé anti-G8 avec des stars du porno italien.

Pour autant, les Combinaisons blanches ne font pas l’unanimité dans la mouvance
« antagoniste » italienne. Les « centres sociaux » les plus radicaux – ceux de Turin, de
Naples, de Rome, et de la Toscane – critiquent leur « opportunisme » (ils dénoncent
notamment leur participation aux élections municipales ( sous l’étiquette des Verts ou
Rifondazione communiste) et leur « hégémonie ».

Propriété Intellectuelle A lire : Saine Hargous. Bio-piratérie dans les Andes. Les temps
modernes, N° 607

Des droits de propriété sont accordés aux personnes sur leurs créations intellectuelles. Ils
confèrent au créateur un droit exclusif su l'utilisation de sa création pendant un certain laps de
temps. Ils peuvent être répartis en deux groupes: droits d'auteur et droits connexes d'œuvres
littéraires et artistiques; et la propriété industrielle sur les marques de fabrique et sur les
créations technologiques. Un accord mondial en 1993, dans le cadre de l'OMC, sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC*) est entré en
vigueur le 1er janvier 1995. Ces accords sont administrés par la l’OMC. Les 161 membres de
l’Organisation mondiale de la propriété industrielle, l'OMPI, une des seize institutions
spécialisées des Nations unies, ont ratifié deux traités en décembre 1996 « sur le droit
d'auteur» et « sur les interprétions et exécutions et les phonogrammes».

La protection de la propriété intellectuelle est progressivement devenue un sujet majeur des


relations économiques internationales. Reflet de la part croissante des actifs immatériaux dans
l'économie des pays industrialisés, ce débat a jusqu'ici représenté essentiellement un enjeu
Nord-Sud, les pays industrialisés s'efforçant de contraindre les pays du «Sud» à adopter des
législations protectrices similaires à celles du Nord, et à sanctionner les pratiques et autres
formes de piratage en vigueur chez eux, Les pays pauvres négocient, quand à eux, un accès
équitable à la technologie des pays développés.

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Les maladies infectieuses constituent aujourd'hui la principale cause de mortalité dans le


monde, avec 17 millions de victimes chaque année, Affectant principalement les pays en voie
de développement, elles sont en recrudescence depuis les années 7O, Depuis deux ans
toutefois, en raison surtout de l'ampleur prise par l'épidémie du sida qui touche à 90 % dans
des pays en voie de développement, on assiste a un début de mobilisation internationale. En
effet. sur les 343 millions de personnes vivant avec le virus, moins de 10 % sont
diagnostiqués et ont accès aux soins. Les pays développés ont peu à peu pris conscience que
cela constituait « une menace pour la paix et la stabilité internationales », selon les termes
employés en janvier 2000 lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Fonds
international sida-santé , Le Fonds international sida-santé, qui a été lancé en avril 2001par
Kofi Annam, secrétaire général des Nations unies, pour lutter contre le sida, la tuberculose et
le paludisme, dont le but est de réunir 7 milliards à 10 milliards de dollars par an ; Global
Alliance for Tuberculosis Drug development qui a rassemblé 150 millions de dollars sur cinq
ans et associe des laboratoires pharmaceutiques comme Aventis, GlaxoSmith-Kline et
AstraZeneca, sont autant d'exemples d'initiatives internationales. Mais les niveaux de prix
pratiqués par les grands groupes pharmaceutiques, établis dans le contexte des marchés des
pays développés, constituent en fait un déni d'accès. Cependant, le caractère hors du commun
de l'épidémie du sida et la pression de l’opinion mondiale, força les laboratoires à réagir. Le
programme Accèss lancé en mai 2000 à l'initiative de cinq organisations internationales
(Onusida, Banque mondiale, OMC,. Unicef et le Fonds des Nations unies pour le déve-
loppement) et cinq laboratoires pharmaceutiques (Bochringer Ingelheim, Bristol-Myers
Squibb, GlaxoSmith-Kline, Merck et Roche), après une mise en place laborieuse, a finalement
été signé par une dizaine de pays.

Les pays industrialisés contraignent les pays du « Sud » à adopter des législations protectrices
similaires aux leurs, et à sanctionner les pratiques de contrefaçon.

L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, entre autres, terriblement touchés par le sida, le
paludisme et la lèpre, disposent de laboratoires capables de reproduire les médicaments mis
aux point par les grandes multinationales. Mais pas question pour les lobbies pharmaceutiques
de laisser tomber dans le domaine public le produit d’années de recherche.

Le rapport de force entre pays riches et pays pauvres, multinationales pharmaceutiques et


malades indigents, s’accroît ainsi avec l’aval de l’Organisation Mondiale du Commerce.

La garantie des profits doit-elle interdire l’accès aux soins ?

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Transports maritimes Le commerce mondial des biens s'est accru d'une manière
spectaculaire depuis 50 ans. L'augmentation du trafic maritime international en est le moyen
et le reflet. Ce secteur économique utilise environ 38000 navires de plus de 300 tonneaux et
occupe 930000 marins. Sur la durée, on constate cependant que les exportations ont augmenté
beaucoup plus vite que la production mondiale (quatre fois plus vite pour la période 1990-
1997). Libre échange accru, transports intra-firmes des transnationales (un tiers des échanges
mondiaux) expliquent largement le gonflement de cette bulle commerciale.

Ces échanges effrénés ne peuvent être intéressants pour les transnationales qu'en abaissant
toujours davantage le coût du transport maritime (intermédiaire obligé pour 80% des pro-
duits). Des navires de 15 à 20 ans, déjà amortis, offrent la rentabilité maximale. Il ne faut
donc pas être surpris si, en 2002, 60% de la flotte mondiale a une moyenne d'âge supérieure à
15 ans... Mais si l'on sait que 80% des naufrages concernent ces bateaux, on se demande
comment une telle prise de risque a pu devenir la norme.

Ainsi, depuis plus de deux décennies se multiplient les naufrages de navires chargés de
pétrole brut, de fioul lourd ou de produits chimiques divers. Des pollutions sévères se
produisent, provoquant atteintes à l'environnement et crises dans les activités économiques
liées à la mer et aux côtes: pêche, ostréiculture, tourisme.

Sur les côtes de l'Atlantique et de la Manche, le phénomène s'est reproduit trois fois en trois
ans: Erika, Iévoli Sun, Prestige, pour ne retenir que les catastrophes les plus importantes. Sur
l'ensemble de la planète, il se produit en moyenne un naufrage tous les trois jours, 1 600
disparitions de marins en mer par an ; plus de 6 000 navires répertoriés comme dangereux,
circulent sur les océans malgré des multitudes de lois et conventions internationales.
Comment en est-on arrivé là ?
Vers 1985, plusieurs éléments entraînent une nouvelle donne. La vente des produits pétroliers
au marché spot (coup par coup) se développe. Le trader (courtier) devient un personnage clé
du monde maritime. Informé rapidement, payé au pourcentage, il incite à toutes les spécu-
lations, et une cargaison pourra être achetée et revendue plusieurs fois en cours de trajet! Les
compagnies pétrolières qui, jusque là, pratiquaient des activités intégrées du " puits à la
pompe ", et qui possédaient de grandes flottes, vont de plus en plus souvent faire appel à des
armateurs indépendants qui offrent plus de souplesse dans ce marché spot.
Également, le repli de la construction navale. Liée à une surproduction spéculative des années
1970 et aux incertitudes des cours pétroliers (choc de 1979, contre-choc de 1983-1985), elle
entraîne l'utilisation de bateaux vieillis. Juste au moment où, suite au naufrage de l'Amoco

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Cadiz, des contraintes accrues pour améliorer la sécurité maritime se mettent en place
(Mémorandum de Paris de 1982). Le propriétaire du bateau étant responsable, les majors
pétrolières vont fuir peu à peu leur responsabilité en externalisant leur flotte. La libre
circulation des capitaux qui se développe à ce moment-là et va permettre la généralisation
d'un système qui fera d'une pierre trois coups: souplesse, irresponsabilité, profits.
Les paradis fiscaux offrent une domiciliation, et souvent une protection judiciaire, à des
sociétés fictives intégrées dans des montages complexes que des juristes financiers mettent
tout à fait légalement en place. Achat et gestion des bateaux échappent ainsi à l'impôt. De
même que les profits! La plupart des activités du transport maritime sont segmentées dans un
entrelacs de sociétés-écrans dont on ne sait plus qui possède l'autre, ce qui permet de
contourner efficacement les réglementations.
La libre immatriculation dans des États complaisants permet un triple avantage: diminuer de
30% à 50% les frais d'enregistrement; diminuer souvent de plus de 60% les frais d'équipage;
ces pays n'exigent ni protection sociale, ni conventions collectives. C'est la porte ouverte au
recrutement d'équipages plurinationaux, sous-payés et travaillant aux limites de leur forces,
d'où de grave risques pour la sécurité; La « libre immatriculation permet également
d’échapper à de nombreux règlements internationaux (devenus contraignants et coûteux), ces
pays ne les ayant pas ratifiés. De plus, l'immatriculation d'un bateau s'obtient en quelques
heures, en présentant des certificats de classification et des contrats d'assurances obtenus... par
correspondance souvent.
Enfin, la montée en puissance des lobbies d'armateurs et des lobbies financiers et le
contournement des lois. La complaisance, qui représentait 5% du tonnage brut mondial en
1945, en représentait 30% en 1980,44,5% en 1989, et 64% aujourd'hui! Après le naufrage de
l'Exxon Valdez en 1989, Exxon, reconnue fautive, dut supporter d'énormes réparations. Les
majors se débarrassèrent alors quasiment de leur flotte. Les armateurs" indépendants" des
pays riches, sur lesquels s'exerçait la pression évidente des groupes pétroliers affréteurs (40 %
du trafic mondial), ont été les véritables acteurs de ce " nouveau transport maritime".
En fait, ce sont les armateurs européens qui possèdent et contrôlent aujourd'hui 45% de la
flotte mondiale! La première flotte du monde appartient aux armateurs grecs qui, par exemple,
utilisent 70% des immatriculations de Chypre, 63% de celles de Malte...Le Japon utilise 43%
de la flotte du Panama, en apparence première flotte mondiale.
Loin de s'opposer à ces phénomènes, les anciens grands Etats maritimes les ont accompagnés
et même imités en créant des pavillons" bis". Pour la France, le pavillon des Kerguelen (1987)
permet aux armateurs de réduire les charges sociales de 50% en employant des équipages

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plurinationaux et en s'affranchissant des normes sociales françaises. Le travail précaire


devient la règle pour presque tous les marins du globe.

Il ne faudrait pas négliger le rôle accru des banques: Le transport maritime met en jeu des
sommes énormes (ex: la cargaison d'un pétrolier de 250 000 tonnes peut valoir plus de 57
millions d'euro, la construction d'un bateau plus de 300 millions d'euro) . Les banques jouent
un rôle de financement, mais aussi de pression quand la demande d'affrètement est forte (taux
de profit de 25% espéré...). C'est le cas actuellement: en 2001, toutes les capacités de transport
disponibles étaient utilisées. Pour répondre à la demande, le marché des vieux bateaux
rafistolés, voire maquillés, se développe et permet des spéculations juteuses: l'achat et la
revente deviennent plus intéressants que l'exploitation du bateau lui-même...
C'est la " mauvaise complaisance" qui augmente les risques de catastrophes.
Dans la navigation dangereuse sont admis des fictions juridiques et complaisances à tous les
échelons, comme celle de la one ship company. Grâce à un montage financier off-shore
(Luxembourg, Suisse, Gibraltar, Panama...), une société peut se créer pour l'achat d'un seul
bateau: s'il fait naufrage, la société propriétaire, légalement responsable, fait faillite ou
disparaît, et ne peut donc rien payer aux victimes! Ce fut le cas pour l'Erika. C'est encore le
cas pour le Prestige. Il faut alors un procès (une dizaine d'années...) pour retrouver
éventuellement les véritables responsables, car les États complaisants ne mettent pas en place
les moyens de contrôle nécessaires pour établir les certificats réglementaires de navigabilité,
dont l'attribution leur incombe. Des sociétés transnationales de classification technique sont
alors mandatées pour ce faire. Mais, sans contrôle supplémentaire, par un tour de passe-passe
que beaucoup admettent, une certification technique devient un certificat de navigabilité!
Placées sous la contrainte de la concurrence, ces sociétés privées, à la fois juges et parties, ne
font que satisfaire les attentes de leurs clients: les grands armateurs, mais aussi peu à peu des
armateurs amateurs seulement guidés par le profit, et des mafieux blanchisseurs d'argent sale
qui s'insinuent tout à fait légalement dans ce système hypocrite.
Placées dans la même logique de collusion, les compagnies d'assurance accordent des contrats
sans réserve au simple vu de ces certificats complaisants... Tous poussent ainsi le risque au
plus haut point, le considèrent comme normal et porteur de profits. Comment, dès lors, faire
face à ces dérives?
A lire :

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Vía Campesina Dénonçant un développement agricole inégal, cumulatif pour les uns, de
crise et d’exclusion pour les autres, et qui aboutit à la concentration croissante des ressources
productives dans les mains de l’industrie agroalimentaire, des coordinations paysannes
transnationales s’organisent peu à peu, d’abord en Amérique latine.

Rafael Alegria, le discret secrétaire général de Vía Campesina, ne possède pas l’aura
médiatique de son ami José Bové. Pourtant, ce petit homme trapu aux traits épais et à la peau
burinée par le soleil est à la tête d’une des organisations les plus représentatives et combatives
du mouvement.

Réforme agraire et du commerce mondial, sécurité alimentaire et agriculture paysanne


soutenable, lutte contre les organismes génétiquement modifiés et pour la biodiversité, mais
aussi pour le droit des femmes - qui représentent plus de la moitié de ses effectifs -, les
thèmes défendus par Via Campesina depuis bientôt dix ans dépassent largement le cadre des
intérêts agricoles.

A La Havane, en septembre 2001, Vía Campesina organise le premier Forum mondial


consacré à la question de la souveraineté alimentaire. A Paris, début janvier de l’année
suivante, elle réunit une vingtaine de délégués régionaux afin de préparer une campagne
contre la zone de libre-échange des Amériques. Mais c’est à Tegucigalpa, la capitale du
Honduras, pays où est né Rafael Alegria il y a 49 ans, qu’elle a installé son secrétariat et
unique organe de représentation.

Via Campesina est officiellement créée à Mons (Belgique) en 1993, « pour défendre un
modèle rural plus humain et, en particulier, le principe de la souveraineté alimentaire et le
droit de chaque nation de maintenir et d’élaborer sa propre capacité à produire ses propres
aliments de base, dans le respect de la diversité culturelle et productive ». Ce qui revient à
rejeter explicitement la règle la plus importante de l’accord sur l’agriculture de l’OMC : le
droit d’exporter. Revendiquant son implantation dans une soixantaine de pays (paysans sans
terre du Brésil, petits producteurs thaïlandais, communauté indigène au Chili ou
Confédération paysanne* en France), Via Campesina a réussi à s’imposer en défendant l’idée
que seule une «alliance des peuples» autour des mouvements sociaux peut donner la réplique
aux institutions et aux multinationales dans la gestion des affaires de la planète,

Sans Via Campesina, José Bové ne serait pas devenu l’effigie mondiale des petits paysans.
Quand il fait le tour de la planète pour défendre l’agriculture paysanne contre l’agrobussiness,
il s’appuie presque toujours sur le réseau de Via Campesina. Sans ce mouvement qui compte

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plus de cinquante millions de producteurs à travers une soixantaine de pays, le leader du


Larzac ne pourrait pas monter ses opérations spectaculaires, comme la destruction d’un
champ expérimental de soja transgénique appartenant à l’entreprise américaine Monsanto*.

Via Campesina tout comme la Confédération paysanne dénonce les subventions aux
exportations et toute autre forme de dumping qui permettent d’écouler à bas prix des produits
sur les marchés tiers. La lutte contre les OGM et le brevetage des nouvelles semences qui
contraint les paysans à acheter ce qui, jusqu’alors, faisait partie d’un patrimoine commun,
sont aussi des causes partagées entre José Bové et Rafael Alegria

Secretaria Operativa Internacional. Apartado Postal 3628, Tegucigalpa, M.D.C.


Honduras, C.A. Tel/fax: ++504. 235-9915 Tel/fax: ++504. 232-2198 E-mail: viacam@gbm.hn
http://ns.sdnhon.Org.hn/miembros/via/ ou www.viacampesina.org
Commission de coordination internationale
Egidio Brunetto, MST. Alameda Barao de Limeira, 1232 - 01202-002 Sao Paulo-SP – Brésil. Tel/fax: +
+55.11.3361.3866
Rafael Alegria Asocode, ASOCODE. Colonia Alameda, 11 Avenida (Alfonso Guillén Zelaya), entre 3 y 4
Calles, Casa 2025, Apartado Postal 3628. Tegucigalpa, M.D.C. - Honduras, C.A. Tel/fax: ++504. 235.99.15
Tel/fax: ++504. 232.21.98
A lire: Via Campesina, une alternative paysanne à la mondialisation libérale- Ouvrage collectif. Edition du
CETIM, Genève, 2002, 256 pages, 7,50 €). .
Le Défi paysan, de Luc Guyau (Le Cherche Midi éditeur, 2000, 240 p., 78 F, 11,89 €).
Tais-toi et mange: l’agriculteur, le scientifique et le consommateur, de Guy Paillotin (Bayard, 2000, 180 p., 9,82
€).
Les Champs du possible: plaidoyer pour une agriculture durable, d’André Pochon (Syros, 1998, 14,48 €).
Histoire des agricultures du monde, de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart (Seuil, 1998, 531 p, 27,44 €).

Ya Basta « Nous sommes une armée de rêveurs, c’est pour cela que nous sommes
invincibles », proclament-ils, qui prônent la désobéissance civile et la lutte politique non
violente. Ce qui les distingue des autonomes des années 70, ainsi que des centres sociaux
autogérés, plus portés sur l’affrontement. Atomisés, rompus aux techniques de l’Internet, les
collectifs Ya Basta ( ça suffit) sont capables de mobiliser leurs sympathisants en un clin d’œil
lorsque l’actualité l’exige, et prennent un grand plaisir à déjouer les mesures de sécurité de la
police. Que ce soit à Amsterdam, à Gênes ou à Prague, à chaque grande réunion européenne,
sommet de la Banque mondiale ou du FMI, les Ya Basta ( et les Tute Bianche*) répondent
présents.

L'année 1996, le Chiapas a suscité une importante mobilisation de l'opinion internationale. À

Paris, et dans d'autres capitales européennes, naissait le collectif de soutien au Chiapas, Ya

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Basta. Un slogan scandé en décembre 2000 lors du sommet européen de Nice : les militants

altermondialisation en provenance d'Italie qui furent bloqués par les autorités à la frontière

française, faisaient partie de Ya Basta ! Depuis 1996, le collectif s'est constitué un réseau au

Chiapas. Il a établi des liens avec les communautés indiennes, les zapatistes, le gouvernement

mexicain, et travaille en collaboration avec les ONG locales. Régulièrement, des bénévoles

parisiens partent vivre dans les communautés indiennes du Chiapas pour un minimum de 15

jours. De tels déplacements ne sont pas sans risques. Mais dans l'ensemble, les consignes du

gouvernement sont strictes : pas de bavures. Cela ferait mauvaise presse au Mexique, où le

tourisme est une source de revenus non négligeable. Les Ya Basta! sont connus, s'annoncent

auprès de l'ambassade, n'hésitent pas à rendre visite aux politiques mexicains, et servent

même parfois de bouclier humain entre l'armée et les Indiens dans les communautés.

yabasta@zapata.com

Zapatisme Toutes les cultures que les nations ont forgées-le noble passé indigène de
l'Amérique, la brillante civilisation européenne, la sage histoire des nations asiatiques et la
richesse ancestrale de l'Afrique et de l'Océanie- sont corrodées par le mode de vie américain.
Le néo-libéralisme impose ainsi la destruction de nations et de groupes de nations pour les
fondre dans un seul modèle. Il s'agit donc bien d'une guerre planétaire, la pire et la plus
cruelle, que le néo-libéralisme livre contre l'humanité.

Après les affrontements de janvier 1994, qui ont fait de 200 à 300 morts, les zapatistes se sont
maintenus en état de non-violence armée durant plus de cinq ans. En cela, ils se démarquaient
des guérillas révolutionnaires, ainsi que de ses propres origines. Ces guérillas répondaient au
coup par coup. La « violence révolutionnaire» était un élément central de leur doctrine et de
leur pratique.

L’Armée Zapatista de Liberation Nacionale (EZLN) se réclame du mouvement paysan


fondateur de la révolution mexicaine et des mouvements latino-américains de libération
nationale. Mais il a connu, depuis sa création au début des années 80, diverses inflexions
occasionnées par l'effondrement du communisme, par sa rencontre avec le monde indigène
(choc culturel), par l'affirmation en son sein d'une volonté d'émancipation féminine et, après

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le soulèvement du 1er janvier 1994, par sa rencontre avec la société civile. Les zapatistes sont
des paysans en armes à la manière du mouvement de Emiliano Zapata du début du siècle, et
non des guérilleros des dernières décennies en Amérique latine. Aujourd'hui le mouvement
apparaît comme plus proche de Gandhi et de Martin Luther King que de Guevara. Sa lutte
contre le racisme et pour la dignité le rapproche aussi de Mandela et de la lutte contre
l'apartheid.

« Soldats pour que demain les uniformes militaires ne servent plus que pour les bals
costumés», les zapatistes ne sont cependant pas des pacifistes. Pour la marche sur México en
septembre 1997 et pour la consultation nationale de mars 1999, ils les ont laissées derrière eux
dans les communautés, signifiant ainsi leur volonté de se transformer en mouvement civil.
Mais, au-delà des barrières mises par le pouvoir, les difficultés qui accompagnent la
constitution du Front zapatiste de libération nationale (FZLN) illustrent le caractère
problématique d'une telle conversion. Ni parti, ni organisation syndicale, ni ONG, cette
organisation, qui se veut une formation en réseau, aspire à être un moteur de la mobilisation
de la société civile. Elle n'y est guère parvenue jusqu'ici. Cela tient sans doute à la fois à ses
faiblesses internes et à celles des acteurs sociaux. Le zapatisme a éveillé une forte sympathie
dans divers secteurs de la société mexicaine, mais en dehors des organisations indiennes et
d'une association luttant pour la participation citoyenne et contre la fraude électorale, Alianza
Civica (association aujourd'hui éclatée), il n'y a pas trouvé les relais nécessaires à sa
transformation en un mouvement social capable d'occuper une place centrale. Ainsi que par le
choc qu'a constitué la contrerévolution néo-libérale entreprise dans les années 80 et poussée à
plein régime par le gouvernement Salinas (choc économique et social). L'une des raisons de
l'étonnement - du scepticisme comme de l'intérêt - qu'a suscité le soulèvement réside en ce
qu'il s'est produit au terme d'une période de déclin des idéologies révolutionnaires (y compris
la théologie de la libération), d'effacement ou de rétraction des acteurs - Etats, partis et
mouvements - qui en étaient porteurs ou qui s'y référaient, sur la scène nationale mexicaine
comme sur la scène régionale latino-américaine (notamment les guérillas) et sur l'ensemble de
la scène mondiale.

Toutes les guérillas révolutionnaires de l'après-Révolution cubaine en Amérique latine,


qu'elles aient été purement guévaristes ou qu'elles aient revêtu une connotation trotskyste,
maoïste ou parfois nationaliste (comme le Ml9 en Colombie ou l'ORPA au Guatemala),
avaient un dénominateur commun: leur objectif était la prise du pouvoir par la lutte armée.
Tous les autres buts étaient subordonnés à celui-là, toutes les actions devaient y mener. Bien

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qu'il provienne du même horizon, le zapatisme s'est progressivement éloigné de cette galaxie,
aujourd'hui en voie d'extinction.

La montée du zapatisme est contemporaine et parallèle à la chute du communisme. L'EZLN


est né au début des années 80 alors que l'épreuve de force entre Solidarnosc et le
gouvernement polonais amorçait la crise finale du système soviétique. Il a pris son envol à
partir de 1988-1989 alors que se défaisaient, l'un après l'autre, les régimes des pays de l'Est.
En 1989 également, le procès Ochoa accentuait la décadence et la perte de prestige du régime
cubain. En novembre de la même année, quelques jours après la chute du Mur de Berlin,
l'offensive du Frente Farabundo Marti de Liberaci6n Nacional (FMLN) au Salvador
constituait la dernière crue de la guérilla salvadorienne avant le reflux et les accords de paix
Ganvier 1992). Les sandinistes perdaient les élections au Nicaragua en février 1990. Dans ces
mêmes années commençait au Guatemala un laborieux processus de paix qui allait mener aux
accords de 1994-1996.

Au Mexique aussi, la majorité des composantes de la gauche révolutionnaire avait effectué un


virage. Certains s'étaient convertis à la contre-révolution néo-libérale du président Salinas.
Parmi eux, des leaders et des militants du mouvement maoïste qui, au Chiapas, avait précédé
le zapatisme. D'autres, plus nombreux, avaient rejoint la mouvance de Cuauthémoc Cârdenas
avant de s'intégrer au Parti de la révolution démocratique (pRD). La lutte armée n'était plus à
l'ordre du jour. Des membres du diocèse de San Crist6bal de Las Casas, qui avaient
sympathisé avec les mouvements révolutionnaires centre-américains et qui avaient aidé le
zapatisme à entrer en contact avec les communautés indiennes, considéraient maintenant que
la chute du Mur de Berlin, la fin des guérillas en Amérique centrale et la percée du néo-
cardénisme avaient rendu la lutte armée anachronique.

L'EZLN avait lui-même évolué dans une direction qui l'enracinait dans le monde indien et qui
le faisait revenir en deçà des mouvements révolutionnaires de libération nationale, à sa
composante proprement zapatiste. Ce double enracinement, ethnique et national, que Marcos
exprime par la figure syncrétique de Votan-Zapata 3, ne faisait cependant pas revenir le
mouvement en arrière. TI le projetait au contraire vers l'avenir.

En dépoussiérant, en « sortant des musées et des palais» la figure de Zapata, c'est-à-dire


l'image de la révolution qui, au début du siècle, avait précédé la révolution soviétique, le
zapatisme reprenait le fil interrompu par les régimes étatiques autoritaires du XX" siècle (y
compris le régime national-populaire mexicain). Ce fil conduit à s'interroger sur la nation et

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sur la relation entre la société civile et le pouvoir dans un monde globalisé, après la
décomposition des Etats nationaux-populaires comme des Etats communistes.

La révolte zapatiste n'est pas apparue sur une table rase, ni par génération spontanée. Elle n'est
pas non plus un épiphénomène engendré par des complots et des manipulations.

On connaît aujourd'hui l'essentiel de la généalogie et de la genèse du soulèvement. La


majorité de ses bases et de ses militants est issue du mouvement d'émancipation et de
modernisation qui a traversé et divisé les communautés indiennes à partir dès années 50. Les
zapatistes ont appartenu au courant de rénovation catholique animé par le clergé du diocèse de
San Cristobal, sous l'impulsion de Mgr Samuel Ruiz. Beaucoup d'entre eux ont été formés à
l'action sociale et politique dans le cadre d'une organisation maoïste. A partir de l'implantation
de l'EZLN dans la Selva Lacandona au début des années 80, la mobilisation, l'encadrement, la
formation ont été le fait de cette dernière organisation, d'inspiration castroguévariste et se
réclamant de précédents mexicains. Les guérillas centre-américaines ont, elles aussi, imprégné
le discours et la pratique des zapatistes, par contact, proximité ou diffusion médiatisée plutôt
que par participation de membres de l'EZLN à des guérillas centre-américaines ou de
guérilleros centre-américains au mouvement zapatiste.

Le mouvement zapatiste se présente comme un mouvement de résistance à la mondialisation


néo-libérale et comme une tentative de concilier identité et démocratie. Il refuse la toute-
puissance d'un marché qui multiplie les inégalités sociales et détruit les appartenances
particulières, mais ce n'est ni pour instaurer un ordre égalitariste nivélateur, ni pour prôner des
replis communautaristes ou nationalistes. Les expressions d'« insurrection postcommuniste»
ou de « guérilla postmoderne » qui lui ont été appliquées ne sont, peut-être, pas totalement
appropriées. Elles ont néanmoins le mérite de souligner certaines des caractéristiques qui font
l'originalité du zapatisme et qui expliquent son formidable écho: le mouvement s'est
développé parallèlement à la décomposition des idéologies du sens de l'histoire et à la crise de
la modernité. Il n'en appelle pas à des principes universels abstraits ou à des catégories
générales dans lesquelles ces principes s'incarneraient (la Raison, la Loi morale, le Progrès,
l'Histoire, l'Etat, l'Homme et le Citoyen, la Révolution, la Nation, le Peuple, le Prolétariat...),
mais à la formation d'acteurs historiques concrets, à leurs droits, à leurs intérêts, à leur culture.
Son horizon est celui d'une universalité plurielle, d'une universalité qui se conjugue avec la
diversité culturelle. « Il y a place pour plusieurs mondes dans le monde que nous voulons. »

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Le mouvement zapatiste n'est pas le simple prolongement des luttes paysannes indiennes qui
se sont développées dans le Chiapas lors des dernières décennies, accompagnées par des
organisations politiques et syndicales, par des institutions religieuses et des associations de
développement. Ni un prolongement des guérillas centre-américaines. Contrairement à une
interprétation « œcuménique », il n'est pas non plus la confluence des « quatre chemins»: les
luttes paysannes, l'émancipation indigène, la théologie de la libération et le projet politico-
militaire. A un certain moment, dans les années 80, ces diverses logiques ont effectivement
coexisté, fortement liées, dans Las Canadas en particulier, à travers les imbrications de la
Union de Uniones-ARIC, du groupe Slop 2, de la Palabra de Dios et de l'EZLN. Ce sont les
déchirements au sein de la société locale et les bouleversements aux niveaux régional,
national et international, la compétition entre projets différents, les ruptures dans les logiques
d'action, les discontinuités au moins autant que les continuités, qui permettent de comprendre
l'émergence du zapatisme. Celui-ci s'est développé sur fond de désagrégation des com-
munautés, de conflits de générations, de dissidences religieuses, de transformations des
rapports sociaux de production, de fractures du système de domination et d'éclatement des
organisations syndicales et politiques d'opposition. C'est aussi des dissidences, des divisions,
des échecs et de la volonté de les dépasser qu'il faut partir pour tenter de comprendre les
utopies, les espoirs, les projets, les tentatives de reconstruction dont s'accompagne le
zapatisme.

Les zapatistes sont des passeurs, ils cherchent et se frayent un passage entre l'ancien et le
nouveau monde. Par leurs origines, réelles ou mythiques (un mouvement historique a aussi
son mythe des origines), ils s'apparentent aux anciens sujets historiques (prolétariat, classe
ouvrière, mouvements paysans, mouvements de libération nationale) qui ont occupé le devant
de la scène au XIX" et au XX" siècle, y compris en Amérique latine où ces acteurs se
présentaient le plus souvent sous des formes hétéronomes, inachevées ou tragiques.

A lire : Danielle Miterrand. Ces hommes sont avant tous nos frères.
Yvon Le Bot. Le rêve zapatiste.

ZLNA. L’élection de M. Vicente Fox au Mexique, mettant un terme à soixante-dix ans de


pouvoir du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) ; l’intromission américaine, à travers le
Plan Colombie, dans le pays du même nom ; débandade de M. Alberto Fujimori au
Pérou...ces événements occultent les négociations discrètement menées pour mettre en place,
en 2005, une zone de libre-échange américaine. L'objectif stratégique des Etats-Unis est de

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former le plus grand marché du monde, mais surtout d'asseoir leur hégémonie sur le continent.

Concentré des pires aspects du défunt AMI, extension à l'ensemble du continent des règles de
l'Alena*) - qui a déjà ruiné l'agriculture mexicaine -, ce projet, voulu par Washington, est si
peu présentable aux sociétés du reste de l'hémisphère que même leurs Parlements n'en ont pas
eu connaissance.

Appelé au départ « Initiative pour les Amériques », il a été dévoilé par le présidente
républicain Georges Bush en juin 1990, et relancé à l’instigation du démocrate Bill Clinton,
qui convoqua un premier Sommet des Amériques à Miami en décembre 1994, once mois
après l’entrée en vigueur de l’ALENA*. Le projet des Amériques prévoit
l’approfondissement d’une intégration multiple, et pas seulement économique ou
commerciale, entre trente-quatre pays du continent dont le chef d’État ou de gouvernement
élu selon les règles des pays dits démocratiques, une exigence qui sert à exclure Cuba des
discussions.

Celles-ci devraient être achevées en 2005. Washington estime que la ZLEA ouvrira une
nouvelle ère de coopération en rapprochant, pour la première fois, les deux moitiés de
l'hémisphère autour d'un projet commun. Une partie des cadres dirigeants latino- américains
partagent ce point de vue. Garantir l'accès à long terme au marché nord-américain et favoriser
les investissements étrangers est un objectif-clé pour les petits pays de la zone (sur 34 Etats,
24 sont considérés comme des économies de taille réduite).

Aussi surprenante qu'elle puisse paraître sur un continent où l'agressivité commerciale et


l'hégémonie des Etats-Unis font des ravages, cette attitude s'explique par les difficultés
accumulées dans le passé. Echec du modèle antérieur de développement autocentré ; crise de
la dette au début des années 80, entraînant l'adoption d'une politique ultralibérale
(dérégulation, privatisations, libéralisation des échanges) ; faible complémentarité des
économies rendant plus difficile une stratégie de développement commune. Ce passif affaiblit
la crédibilité d'un projet d'intégration proprement sud-américain.

Ce projet de zone de libre-échange n'est pas étranger aux préoccupations sécuritaires de


Washington. Depuis la fin de la guerre froide, en 1991, il s'agit de maîtriser de nouvelles
menaces : trafic de drogue, blanchiment de l'argent sale, migrations illégales, terrorisme,
atteintes à l'environnement... Les mécanismes de contrôle policier, la surveillance aux

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frontières, plus généralement la sécurité du continent - et donc du commerce et des intérêts


américains - sont partie prenante du plan d'action adopté. La lutte contre le narcotrafic est un
excellent moyen de pression sur les gouvernements de la région et permet une présence
américaine accrue. Les efforts de Mme Madeleine Albright pour impliquer le plus grand
nombre de pays de la région dans le Plan Colombie - supposé destiné à lutter contre le trafic
de drogue mais dirigé, en fait, contre la guérilla des Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC) - illustrent cette volonté. Le rôle de l'Organisation des Etats américains
(OEA) est revalorisé. Sa charte, réformée par le Protocole de Washington en 1992, prévoit un
« droit d'ingérence » à l'intérieur des frontières nationales en cas de crises politiques ou
d'interruption des évolutions démocratiques.

De leur côté, des organisations non gouvernementales américaines ou des groupes de défense
de l'environnement dénoncent « les entreprises multinationales américaines et canadiennes qui
voient l'Amérique latine comme une opportunité où l'on peut profiter des bas salaires et de
règles moins contraignantes en matière d'environnement et de santé.

Humanitaire La Croix-Rouge est la première organisation fondée sur des principes


philanthropes. Elle est née à l’initiative du Suisse Jean Henri Dunant. A la vue du champ de
bataille de Solferino (1859), il organise les premiers soins aux blessés autrichiens et français.
Dans son livre Un souvenir de Solferino (1862), Dunant suggère la création dans tous les pays
d’associations volontaires de bienfaisance. Il s’agissait de tirer, sur le plan humain, les
conséquences du changement de nature et de dimension des conflits: puissance accrue du feu,
de l’importance des effectifs mis en jeu par les armées de conscription, de l’apparition de
théories stratégiques visant à l’anéantissement de l’adversaire.

La Convention sur les militaires blessés fut paraphée le 22 août 1864 par douze États. Les
quatre Conventions de 1949, complétées par les protocoles additionnels de 1977, sont à ce
jour ratifiées par cent soixante-six pays.

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Il convient de distinguer l’aide humanitaire apportée bénévolement lors de catastrophes


naturelles, de l’intervention humanitaire. Celle-ci implique une intrusion dans les affaires
d’un État. Le droit d’ingérence humanitaire, en théorie, exige la reconnaissance par la
communauté des États de la supériorité de cette légitimité sur la légalité internationale. Mais,
en pratique, il s’agit d’une illusion politique et d’une fiction juridique. Illusion politique, car
l’ingérence — action de s’installer dans un pays contre la volonté de son gouvernement — ne
désigne que des situations où l’État est effondré ou vaincu.

Longtemps, le principe de non-ingérence a prévalu sur la volonté de faire respecter les droits
de l’homme. Pendant la guerre du Biafra (1968), le gouvernement fédéral nigérian interdit à la
Croix-Rouge l’accès aux populations Ibos en détresse. Ce constat d’impuissance des
organisations humanitaires traditionnelles incite en 1971 des médecins français à créer
Médecins sans frontières, pour venir en aide aux victimes quels que soient leur camp et leur
nationalité. A partir de 1975, surgissent des conflits dits « périphériques », guerres civiles ou
de résistance (Angola, Éthiopie, Salvador, Sri Lanka, Afghanistan). L’ONU et la Croix-Rouge
ne reconnaissent que les guerres entre États, d’où la multiplication d’organisations
humanitaires non-gouvernementales qui interviennent sur la scène internationale en dehors de
toute autorité étatique: Amnesty International, Oxfam, Médecins sans frontières…

Bien que considérées comme une menace au principe de souveraineté, les interventions
humanitaires se multiplient (Somalie, Haïti, Liberia, Rwanda, Bosnie) au risque d’un échec
(illustré par le retrait américain de Somalie en 1992), de récupération politique (cas d’Haïti en
1994) ou d’une surmédiatisation.

Il est vrai que la pression globale des opinions publiques, via les médias, a
considérablement élargi, depuis la fin des années 1970, le champ d’intervention
humanitaire: jamais dans l’histoire, autant d’organismes d’aide n’ont secouru autant de
personnes. Loin de refléter l’augmentation des besoins, ce phénomène illustre à la fois
l’essor et la reconnaissance internationale du mouvement humanitaire. C’est là, pour le
meilleur en général, mais parfois pour le pire, que réside la véritable nouveauté.

A lire : David Rieff. L’Humanitaire en crise. Le Serpent à plumes, 2003.


Rufin, Jean-Christophe, L’Aventure humanitaire, Gallimard, 1994.

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Impérialisme « Vous ne régnez pas à l'intérieur de limites déterminées et personne ne vous a


prescrit jusqu'où devait s'étendre votre domination. La mer s'allonge comme une ceinture au
milieu du monde habité, ainsi qu'au milieu de votre empire. Tout autour, sur d'immenses
espaces, s'étalent les continents, et ils vous rassasient toujours de leurs productions. Et la
Ville est semblable à un marché commun à toute la terre(…). En conséquence, il est difficile
de répondre à la question de savoir si la Ville l'emporte sur toutes les villes qui existent ou si
c'est votre empire qui l'emporte sur tous les empires qui ont existé. »

Ce n’est pas un Ben Laden de nos jours qui a écrit ces lignes, mais l’auteur du II siècle
Aelius Aristide, dans son Éloge de Rome. Et si le terme « mondialisation » est apparu dans les
années 1980, l’ accroissement des marchés –conjugué à la colonisation - a rétréci les
dimensions de la planète, entraînant un mouvement globalisateur qui semble irréversible.

Souvent symbolisé par l’expansion de l’Europe depuis 1500, même s’il est de toutes les
époques, l’impérialisme est la tendance des États à soumettre par la force d’autres territoires.

La doctrine des partisans de cette expansion a été élaborée, au cours du XIXème siècle sous le
nom archaïque de colonialisme. L’exploitation économique se mêlait alors à la «mission
civilisatrice » de l’homme blanc et primait sur une conquête militaire et une sujétion
politique. Ce n’est qu’avec l’essor du capitalisme dans sa phase moderne et industrielle que le
concept prend toute sa signification. La fin du XIXème siècle et le début du XXème voient
s’accélérer la course pour la possession de territoires qui doivent procurer marchés, matières
premières et débouchés pour des capitaux accumulés prêts à être investis ( ?). Les deux
grandes puissances impériales, la Grande-Bretagne et la France, finissent par s’affronter à
Fachoda en 1898, provoquant une grave crise dans les relations franco-britanniques, tandis
que l’Allemagne et l’Italie, entrées tardivement dans la compétition, partent à leur tour à la
conquête des derniers territoires « sans maître» pour se faire «une place au soleil ».

Ce désir impérial est poussé à ses limites par les Etats-Unis. Après avoir conquis et dominé
leur territoire-continent, ils s’opposent la même année de 1898 à l’empire espagnol en déclin,
s’emparant des Philippines, de Puerto-Rico et établissant un protectorat sur Cuba. Cette
nouvelle volonté impériale s’incarne dans la personnalité du président Théodore Roosevelt et
se confirme dans la « Grande Société » voulue par Lyndon Johnson. Celui-ci était persuadé
que les Etats-Unis avaient l’obligation d’agir partout où le communisme risquait de
l’emporter. Ainsi, n’hésite-t-il à intervenir en Amérique latine (débarquement de Marines en

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République Dominicaine en avril 65), et à faire savoir que les Etats-Unis seraient prêts à
soutenir tout gouvernement dont les intérêts seraient compatibles avec ceux de Washington,
sans référence à leur caractère démocratique.

Il n’est donc pas étonnant qu’au cours du XXème siècle, le terme d’impérialisme ait pris une
connotation péjorative et son concept subit un double choc. Avec Lénine, dans son ouvrage de
1916, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, la notion d’impérialisme est
définitivement liée à celle de capitalisme où le monopole a remplacé la concurrence, et
recherche, dans des pays lointains et faibles, des espaces économiques à conquérir. Mais, pour
le moment, le choc entre les impérialismes ne débouche pas inéluctablement sur
l’affrontement armé. Dans l’entre-deux guerres, le Japon fait montre d’un impérialisme
particulièrement dynamique et établit en Asie sa « sphère de co-prospérité », comme en
témoigne la crise de Mandchourie. Les États-Unis bâtissent un empire sans barrières ni
contrôle, avec leurs investissements à l’étranger, et une doctrine de la porte ouverte qui prône
le libre accès aux marchés et aux matières premières, jetant ainsi les bases de l’impérialisme
contemporain.

Immuable dans son essence, l’impérialisme change au rythme de l’évolution du capitalisme


lui même. Les États-Unis incarnent à eux seuls cet impérialisme qui n’exclut pas un
comportement traditionnel: la puissance militaire américaine essaime des bases partout,
suscite des contestations virulentes, et non seulement dans le Tiers Monde. Si dans les années
1970-80, la domination économique américaine connaît des déboires, son impérialisme ne
s’est jamais autant affirmé que dans l’après-guerre froide. L’impérialisme culturel et la
domination du modèle de société anglo-saxon qui l’accompagne ont une part évidente dans
les craintes que suscite aujourd’hui la mondialisation*.

Mais les États-Unis, signale Alain Joxe, refusent aujourd'hui d'assumer la fonction protectrice
à l'égard de leurs auxiliaires amis ou soumis. Ils ne cherchent pas à conquérir le monde et à
prendre la responsabilité des sociétés soumises. Ils n'en sont pas moins à la tête d'un empire,
mais c'est un système qui se consacre seulement à réguler le désordre par des normes
financières et des expéditions militaires, sans avoir pour projet de rester sur le terrain conquis.
Ils organisent au coup par coup la répression des symptômes de désespoir, presque selon les
mêmes normes au-dedans et au-dehors.

On se pose la question de savoir si le pouvoir des États-Unis est avant tout économique ou
militaire, et dans quelle rapport ou sur quel mode d'articulation. En somme, quelle est la

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explication de la supériorité politique mondiale qu'ils mettent en place sous le nom de


«globalisation» et qui creuse l’écart entre riches et pauvres, entraînant l'apparition d'une
«caste noble », internationale, sans racines, et la multiplication des guerres sans fin?

A lire :Alain Joxe. L’Empire du chaos. La Découverte, Paris.


Zorgbie, Charles. L’impérialisme, PUF, QSJ,1996.
Poirier, Lucien. Essais de stratégie théorique. Fondation pour les études de Défense nationale, coll. « Les sept
épées,., 1982, et reprise dans deux recueils de 1987 et 1994 parus chez Economica, sous le titre Stratégie
théorique Il et Stratégie théorique Ill.

Islam Les attentats du 11 septembre 2001 ont relancé, dans la plupart des pays occidentaux,
l'intérêt pour cette religion fondée sur des écritures du Coran, qui ne cautionne la guerre ni le
terrorisme. Comme dans les principales croyances, le message que l'on retrouve dans les
livres saints est un message de tolérance et de paix.

Il y est question d'unicité de Dieu, de sa protection, de ses châtiments. Le Coran évoque


également la responsabilité de l'être humain, la sanction de ses actes, jugés au jour de la
Résurrection, avec le paradis pour les bons et l'enfer pour les méchants durant la vie éternelle;
il souligne le droit des pauvres, et exhorte les fidèles (musulmans) à prier, à être patients et à
espérer.

La cohérence et la simplicité de la doctrine ont conféré à l'islam une puissance de conviction


qu'aucune autre n'a connue. En un siècle, de 632 à 732, il s'étend des confins de la Chine
jusqu'à Poitiers. Et ce malgré les dissensions survenues après la mort de Mahomet (632) qui
mèneront à la naissance du grand schisme : le chiisme, très répandu au Liban, en Irak et
surtout en Iran.

Aujourd'hui encore, l'islam est une religion conquérante qui gagne constamment des fidèles,
non seulement en Europe et aux Etats-Unis, mais surtout en Afrique sub-saharienne (« l’islam
noir») et en Asie. Il y a plus d'un milliard de musulmans dans le monde, et les principaux
Etats islamiques sont l'Indonésie, le Pakistan et le Bangladesh, trois pays non-arabes. Dans les
librairies, les exemplaires du Coran et les essais sur le monde arabo-musulman prolifèrent. Et
puisque, très vite, les auteurs de ces attentats furent identifiés comme appartenant au réseau
Al-Qaida et que celui-ci et son chef, M. Oussama ben Laden, furent associés à la nébuleuse
islamiste, on a voulu en savoir plus, dix ans après la disparition du « Grand Satan» soviétique,
sur ces nouveaux « ennemis de l'Occident ».

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Quelques années auparavant, certains essayistes comme Samuel Huntington, auteur du Choc
des civilisations, avaient annoncé comme « inéluctable» un nouvel affrontement entre
l'Occident chrétien et le monde musulman. De très vieilles peurs - réminiscences des
Croisades, souvenirs de batailles coloniales et expériences des guerres de décolonisation - se
mêlaient dans l'esprit de nombreuses personnes, encore sous le choc après avoir assisté à
l'effondrement des tours géantes du World Trade Center.

Le président des Etats-Unis, dans les heures qui ont suivi le crime, a parlé lui-même de «
croisade », de lutte du « Bien contre le Mal », et qualifié les attentats d'« attaque contre la
civilisation ». Donnant ainsi l'impression de rejeter l'islam du côté du Mal et de la barbarie...
Le président du conseil italien, M. Silvio Berlusconi, a été plus explicite dans le mépris en
affirmant « la suprématie de la civilisation occidentale sur l'islam ». Thèse à relents racistes
que, d'une manière ou d'une autre, répètent ouvertement tous les ténors du national-populisme
en Europe, des Pays-bas à l'Autriche, du Danemark à la France.

Souvent synonyme, dans les médias, de fanatisme et de violence, et à cause de nombreux


amalgames, l'islam fait peur. En réalité, il demeure très mal connu, ce qui favorise toutes
sortes de fantasmes et d'élucubrations. L’islam (mot signifiant « soumission », « abandon à
Dieu » ) est pourtant fort proche des deux autres grandes religions monothéistes, le judaïsme
et le christianisme. Il est édifié sur un livre sacré, le Coran, « annoncé par Dieu au prophète
Mahomet» en Arabie, au VIle siècle de l'ère chrétienne. La doctrine du Coran ne se donne pas
pour une nouveauté; de nombreux versets assurent, au contraire, qu'elle confirme les
messages antérieurs déjà révélés mais qu'elle clôt le cycle des prophètes.

Cette nouvelle peur de l'islam n'est pas sans rapport avec l'augmentation de la population
d'origine musulmane dans plusieurs pays européens, qui fait de l'islam, en France, en
Belgique, en Hollande, en Italie, en Espagne et en Allemagne, la religion la plus pratiquée
après le catholicisme. Au sein de l'Union européenne, on estime que le nombre de musulmans
s’élève à une quinzaine de millions...

Dans ces mêmes pays, les faits divers, ressassés par les journaux télévisés et les grands
médias, se multiplient, et deviennent un prétexte pour insister sur la violence des banlieues, le
danger des « bandes ethniques », la montée des délinquances et l'explosion des criminalités.
Des informations désignant comme responsables de cette poussée de l'insécurité, des jeunes
d'origine maghrébine et musulmane.

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Plusieurs de ces jeunes, nous apprennent ces mêmes médias, après avoir été endoctrinés par
des prêcheurs islamistes et formés dans des camps d'entraînement lointains, ont été envoyés
défendre l'islam, dans les guerres d'Afghanistan, de Bosnie, d'Algérie - avec parfois des
répercussions en Europe (comme, en France, le réseau d'Ahmed Kelkal). Certains
(Britanniques, Français, Espagnols) auraient fini par rejoindre la secte Al-Qaida avant de se
retrouver prisonniers sans statut dans les cellules-cages de la base militaire américaine de
Guantanamo. . .

A lire : Le Coran, traduit de l'arabe et annoté par Jacques Berque, Sindbad, Paris, 1990.
Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 2000.
Marc Ferro. Le choc de l’Islam.XVIII-XXI siècles. Odile Jacob, mai 2002.

Islamisme L'imbrication de la religion, du droit et de l'Etat est très forte dans l'histoire de
l'islam. Edouard Henriot ne disait-il pas : « Qui possédera la Syrie possédera tout l’Islam » ?
Le particularisme des Syriens et le rayonnement de Damas ont fait qu’il a presque toujours été
impossible de discerner cette région du monde au milieu des constructions politiques dont il
fait partie.

On appelle « islamistes» (ou « intégristes », ou « fondamentalistes musulmans») les militants


qui, dans le monde musulman, conservent la nostalgie de cette imbrication. Et luttent pour
que l'Etat et la société redeviennent conformes aux règles du droit islamique, la charia, telles
que le Coran, les hadith (récits et actions du prophète et de ses compagnons) les ont établies.

Par conséquent, les islamistes s'opposent au projet d'unité des pays arabes et à l'idée que
puissent exister différentes nations au sein du monde musulman. Ils entendent parvenir à
l'unité politique de l' oumma, la communauté de tous les musulmans et l'unification sous une
même autorité de tous les pays musulmans du monde. Ils prônent une république islamique
qui en finirait avec la corruption, la décadence, l'immoralité, le népotisme et les inégalités
sociales. C'est pourquoi, dans de nombreux pays, les classes moyennes et populaires les
soutiennent. Certaines organisations islamistes poursuivent ces buts par la voie pacifique, et
participent aux élections, lorsqu'il y en a et que les autorités le leur permettent. Il est arrivé
( Iran,1979) qu'une insurrection populaire contre un régime autocratique soit dirigée par des
islamistes - avec, à leur tête l'ayatollah Khomeyni - qui finissent par l'emporter et par instaurer
une « république islamique ».

D'autres organisations, très minoritaires, ont choisi la violence. On les appelle des « islamistes
radicaux ». Au Proche-Orient, ils sont souvent à l'origine des attentats les plus odieux contre

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les civils israéliens. Mais c'est surtout en Algérie que, depuis plus de dix ans, se déroulent les
affrontements les plus durs entre des islamistes radicaux et un appareil d'Etat plus ou moins
laïc. D'autres affrontements ont lieu également en Egypte, par exemple.

Il existe aussi quelques réseaux islamistes transnationaux - le plus célèbre est désormais Al-
Qaida*, dont la stratégie vise non seulement à unifier politiquement le monde musulman,
mais aussi à affronter ce qu'ils appellent 1'« Occident chrétien ». Ils voudraient également
empêcher, y compris par la terreur, l'intégration des minorités musulmanes aux Etats Unis et
dans les pays européens.

Ces islamistes radicaux, goutte dans l'océan du milliard de musulmans du monde, donnent
prise à un déferlement de haine contre l'ensemble des fidèles. Emportés par l'islamophobie
ambiante, certains en arrivent à oublier que l'islam est aussi une culture et une civilisation,
parmi les plus brillantes que l’humanité ait jamais connues. Et que c'est grâce à des philo-
sophes et à des savants arabes que les grands textes des principaux créateurs et penseurs grecs
de l'Antiquité furent sauvés et sont parvenus jusqu'à nous. Il n'y aurait tout simplement pas de
science moderne sans leur apport en mathématiques (invention de l'algèbre), en physique, en
médecine, en optique, en géométrie et en astronomie…

Alain Gresh et Dominique Vidal, Les 100 portes du Proche-Orient, Autrement, Paris, 1989.

Jean-Paul II et l’œcuménisme Qui représente-t-il? L’Etat du Vatican? Le Saint-Siège?


Rome? Rome qui inclut le Vatican, Etat dirigé par l'évêque de toute la ville, elle-même siège
de l'Etat italien ? Et combien de divisions peut aligner cet Etat sans nation, sans véritables
citoyens, dont le rôle diplomatique se distingue de jure, mais certainement pas de facto, de
son action spirituelle? Où commence le politique? Où le spirituel s'arrête-t-il (s'il s'arrête), qui
commande en principe tout acte diplomatique? Le chef de cet Etat est élu par des
représentants de l'Eglise universelle et, s'il se rend à l'étranger, c'est d'abord à l'invitation d'une
communauté spirituelle, avec le nécessaire accord, mais toujours second, des autorités
étatiques locales. Ce faisant, il franchit une frontière, au sens où l'entend le droit international,
mais il est en même temps chez lui parce qu'il visite un peuple sans frontières dont il est le
Saint-Père.

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L'analyse de cette ambiguïté permanente est donc par essence équivoque. Cette situation a
l'âge de la catholicité, mais les temps modernes lui ont conféré une dimension nouvelle: la
disparition des Etats pontificaux a mis fin au pouvoir temporel du pape, et celui-ci s'est mis à
voyager. Jean-Paul II, notamment, qui, en un peu plus de trois lustres de règne, a passé
presque trois ans hors du Vatican.

Immergée dans le monde, l'Eglise ne saurait s'abstraire de ses changements. Les pontificats de
Pie XII, Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II ne peuvent être décrits sans une constante référence
à l'époque. Ainsi, le Saint-Siège se trouve plongé dans les relations internationales, et le
Vatican mène une stratégie diplomatique. Sur ce jeu double pèsent d'un poids écrasant la
personnalité du pape, son origine, sa culture, sa vision du monde.

Certains ont été surpris par la vigueur de ses dénonciations contre la guerre d’Irak en février
2003. Et par l’énergie avec laquelle l’Eglise et les organisations catholiques ont participé aux
grands rassemblements de protestation. C’est oublier que le Vatican a vite perçu que la
guerre pouvait être interprétée, dans les pays du Sud, comme un affrontement entre riches et
pauvres, ou comme un heurt entre islam et chrétienté. En s’opposant à cette guerre, le Vatican
a réussi à éviter qu’elle soit perçue par les musulmans comme un choc de civilisations. Au
passage, cela a sans doute évité aux chrétiens d’Irak de tragiques représailles. Enfin, Jean-
Paul II a pu rappeler que le christianisme n’était plus réductible à l’Occident.

S’il y a cinquante ans, la France, l’Italie et l’Allemagne étaient les trois premières nations
catholiques, aujourd’hui, ce sont le Brésil, le Mexique et les Philippines. Le plus grand
nombre de catholiques vit désormais dans le Sud. Le catholicisme est devenu une religion du
tiers-monde, une foi des pauvres.

Ce constat capital a conduit le Vatican à redéfinir le rôle que le christianisme doit jouer dans
une planète marquée par la mondialisation libérale. L’Eglise est confrontée à deux logiques.
D’un côté, une mondialisation dominée par la finance, un système où l’argent est au cœur et
où l’économie domine tout. De l’autre, des textes bibliques témoignant que Dieu a confié la
terre aux êtres humains pour qu’ils la fassent prospérer.

L’Evangile demande que les pauvres soient servis, et non pas que l’on se serve d’eux.
L’Eglise a toujours été sensible à la question des pauvres. Et une Eglise qui embrasse la cause
des pauvres, met en défi la mondialisation libérale.

Nul ne sait si l’histoire classera le pape Jean-Paul II comme conservateur ou pas... Il est
conservateur dans sa relation avec l’Opus Dei, dans ses admonestations à propos de la morale

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sexuelle, des couples qui utilisent pilules ou préservatifs, des homosexuels, des Etats qui
légalisent des atteintes à la vie (avortement, euthanasie), ainsi que dans son blocage obstiné
sur des questions comme l’accès des femmes au sacerdoce, dans le profil des évêques qu’il
choisit, ou dans son attitude hostile à l’égard des théologiens modernistes et en particulier
ceux de la théologie de la libération. Mais il a des facettes déconcertantes : son engagement en
faveur du dialogue inter-religieux, ses appels réitérés pour l’annulation de la dette des pays
pauvres, ses invitations à bâtir un monde plus solidaire. Et ses condamnations répétées du
libéralisme économique.

S’exprimant, en 2001, sur « les exigences éthiques de la mondialisation », devant l'Académie


pontificale des sciences sociales, Jean-Paul II a déclaré : « Le marché impose sa façon de
penser et d'agir, et impose son échelle de valeurs sur le comportement. Ceux qui en sont
l'objet considèrent souvent la mondialisation comme un flot destructeur qui menace les
normes sociales qui les ont protégés. »

Dès 1987, dans l'encyclique Sollicitudo Rei Socialis, il affirmait qu'un développement qui ne
respecte pas les droits sociaux, économiques et politiques, «n'est plus vraiment digne de
l'homme». En 1991, dans Centessimus annus, tout en déclarant que «le marché libre est
l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux
besoins», il dénonçait les failles du capitalisme: chômage, conditions de travail, salaires
indécents, marginalisation de catégories de travailleurs (immigrés, clandestins) et
l’exploitation des pays du Sud.

Il vilipendait cette mondialisation «où l'économie devient un absolu, où la production et la


consommation des marchandises finissent par occuper le centre de la vie sociale et deviennent
la seule valeur de la société». Il en venait même à justifier «l'engagement et les luttes contre
un système économique entendu comme méthode pour assurer la primauté absolue du capital,
de la propriété des instruments de production, sur la liberté et la dignité du travail de
l'homme».

En 1993, il n’hésitait pas à affirmer que « les graves problèmes sociaux et humains qui
tourmentent actuellement l'Europe et le monde trouvent en partie leur origine dans les
manifestations dégénérées du capitalisme».

A maintes reprises, Jean-Paul II a rappelé qu’il considère les droits sociaux, économiques et
culturels comme indivisibles. Il a regretté que ces droits reçoivent beaucoup moins d'attention

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que les droits politiques. Et estimé qu’il y a viol des droits des plus démunis lorsque les
milieux financiers s'opposent à l'effacement de la dette des pays pauvres.

A l’occasion du Congrès mondial pour la promotion pastorale des droits humains, à Rome, en
1998, le pape a souligné la contradiction entre libéralisme économique et christianisme, et
réitéré que la pauvreté, face à l'opulence de certains, constitue une des situations qui
«entravent le plus gravement le plein exercice des droits humains». Et ajoute : «Trop
fréquemment, les personnes les plus pauvres, à cause de la précarité de leur situation,
deviennent les victimes les plus sérieusement touchées par les crises économiques qui
affectent les pays en voie de développement.»

Descendant lui-même d'une famille d'ouvriers, Jean-Paul II aimerait laisser le souvenir d’un
pape du peuple, défenseur des droits des travailleurs. Faire que le texte biblique
s’accomplisse. Et que les derniers soient enfin les premiers.

A lire :

Jubilé 2000 Coalition de mouvements issus de la gauche catholique anglaise, le Jubilé 2000
est le premier réseau à avoir milité (et ce depuis plusieurs années) pour l’annulation de la
dette des pays du Sud. Il a recueilli plus de 24 millions de signatures dans le monde, et plaide
pour un Tribunal International de la Dette (TBI). http://www.jubilee2000uk.org

Klein, Naomi Le mouvement altermondialisation n'est pas unifié par un parti politique ou
une organisation nationale. Il est façonné par les idées d'intellectuels et d'organisateurs
individuels, mais aucun d'eux n'est considéré comme un leader. Aussi entend-on souvent les
critiques prétendre que les jeunes qui manifestent n'ont pas de direction claire. Pour ceux qui
cherchent une réplique des années 60, le mouvement apparaît apathique et complètement
désorganisé. Ce sont, dit-on, des activistes mal remis d'avoir été sevrés de MTV, éparpillés et
sans objectifs clairs.

Peut-être n'est-ce pas aussi simple. Peut-être les manifestations de Seattle et de Washington,
et de Gênes, ont-elles semblé dépourvues d'objectifs clairs parce qu'elles n'étaient pas le fait
d'un grand mouvement homogène, mais d'un agrégat de protestations émises par de nombreux
mouvements peu importants, chacun ayant dans son collimateur une grande société
multinationale (comme Nike), une industrie particulière (comme l'agriculture intensive) ou

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une nouvelle initiative commerciale (comme la Zone de libre-échange des Amériques). Mais
ces petits mouvements ciblés partagent la conviction que les différents problèmes découlent
de la dérégulation globale, processus qui voit une concentration du pouvoir et de la richesse
entre des mains de moins en moins nombreuses. Bien entendu, des désaccords existent sur le
rôle de l'Etat-nation, la possibilité ou non d'une rédemption du capitalisme, la rapidité avec
laquelle devraient survenir les changements. Mais un consensus se dégage au sein de ces
mouvements sur la nécessité de bâtir un pouvoir de décision fondé sur la communauté - que
ce soit les syndicats, les quartiers, des collectifs anarchistes ou de l'autogouvernement
aborigène - pour contrer la puissance des sociétés multinationales.

Un livre sorti en novembre 1999 aux Etats-Unis, en même temps que les manifestations de
Seattle, sert de référence à tous les insurgés. No Logo est devenu la Bible du mouvement
altermondialisation, ou pour reprendre les termes d'un quotidien anglais, « Le Capital »
contre le libéralisme ». Son auteur ? Une journaliste canadienne de 30 ans, habitant Toronto,
aux marges de l'Empire.

Enfant de deux juifs américains issus de l’Europe de l’Est, son père est médecin et sa mère,
féministe, se consacre comme réalisatrice d’un film anti-porno. Naomi n’a pas un an lorsque
ses parents essayent de revenir aux Etats-Unis et se trouvent marginalisés. Elle devient surtout
l’enfant de la gauche américaine. A 13 ans elle est expulsée du lycée, accusée d’y avoir mis le
feu. A tort, mais ses penchants nihilistes la désignent. A 17 ans, elle travaille comme
vendeuse ; un an plus tard, elle décide de rester auprès de sa mère, malade et paralysée. C’est
alors qu’un psychopathe antiféministe massacre quatorze filles dans sa fac. Son destin est
décidé. Elle écrira dans un magazine alternatif.

Naomi ne sera pas une furieuse militante de base, mais une journaliste déterminée. A vingt-
cinq ans, elle commence à enquêter sur le pouvoir des marques dans le monde, des campus
américains aux usines à sueur d'Indonésie, des media-planners d'Adidas aux militants antipub
canadiens…Et que découvre-t-elle ? Des entreprises qui produisent de plus en plus d'images
de leurs marques que des produits; des marques devenues valeur de capital; des logos se
métamorphosant en « accessoires culturels et philosophiques du mode de vie » (le
branding ) ; des entreprises délocalisant leur produits loin dans des zones géographiques à
main-d'œuvre bon marché; etc. C'est la partie coup de poing du best-seller de Naomi Klein,
celle qui poussera les multinationales à mettre plus d'éthique dans leurs comportements.

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Mais il ne faut pas se tromper. Il y a bien longtemps (fin années soixante) qu'un certain Guy
Debord plaçait au cœur de son analyse sur la Société du spectacle l'effacement de la valeur
d'usage des produits au profit de la valeur d'image. La journaliste canadienne fait surtout
œuvre d'enrichir le catalogue déjà fourni des dérapages d'entreprises traquant le profit dans le
moindre recoin de l'univers du commerce mondial.

Chapitre après chapitre, Naomi Klein démonte la mécanique parfaitement huilée du branding,
dont la finalité consiste à imprimer dans la société l’esprit d'une marque - le « Just do it » de
Nike est ainsi bien plus qu'un slogan, c'est devenu pour beaucoup l'esprit du sport selon Nike,
puis l'esprit du sport tout court - jusqu'aux zones franches industrielles d'Indonésie ou de
Chine où sont fabriquées ces mêmes chaussures que porteront les adolescents du monde
entier. Son analyse, à force de documents et de tableaux éclairants, ne laisse aucune zone
d'ombre.
Nous ne mesurons pas toujours l'ampleur du phénomène. Ainsi, en Amérique du Nord, les
marques se sont répandues comme un virus dans les écoles et les universités: la contraction
des dépenses publiques en matière d'éducation contraint la direction des facultés à passer des
contrats de partenariat avec Microsoft ou Coca-Cola. Les marques ne se contentent pas
d'étaler leurs slogans jusque dans les toilettes des campus, mais réclament et obtiennent d'être
intégrées aux enseignements. Les industriels de la culture et de la communication ont
parfaitement ciblé le marché de la jeunesse, potentiellement le plus porteur, et ont compris
que le meilleur moyen de le toucher était de l'atteindre dans l'un des rares espaces encore à
l'abri des marchands.
Naomi Klein se garde bien de toute analyse en termes de complot. Sa vision est tout sauf
systématique. Simplement, voilà le monde dans lequel nous vivons, un monde qui s'ho-
mogénéise au rythme des pubs et où les consommateurs. dont la seule liberté consiste à se
gaver finissent par remplacer les citoyens libres et responsables. Et ce, dès le plus jeune âge:
aux Etats-Unis, certains enfants apprennent la géométrie avec le biscuit Oreo. «Il ne s'agit
plus de sponsoriser la culture mais d'être la culture», c'est le leitmotiv des multinationales.
«Zéro Espace», «Zéro Choix», «Zéro Boulot», assène Naomi Klein, les marques déploient
leurs tentacules, étendent leur empire jusqu'à nous asphyxier.
Ce serait une erreur que de classer son livre au seul rayon de l'antimondialisalion. De brandir
son No Logo comme le nouveau logo d'une lutte contre les multinationales. D'ailleurs, l'auteur
rappelle que la meilleure résistance aux violations des règles de bonne conduite du commerce
international viendra d'une démocratie locale forte. Une attitude citoyenne mondiale, en

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quelque sorte.
A lire : No logo, de Naomi Klein. Actes Sud/Leméac. 570 p.

Kyoto En décembre 1997 se tient à Kyoto une des conférences sur les changements
climatiques qui sont régulièrement organisées sous l’égide de l’ONU. Elle concrétise la
convention de lutte contre le changement climatique, adoptée au Sommet de la Terre* de Rio
(1992), et aboutit à la signature, par 59 pays, d’un Protocole qui témoigne d’une perception
globale des question environnementales.

Ce protocole implique l’engagement des pays de l’OCDE, les pays d’Europe de l’Est, la
Russie et l’Ukraine de réduire à 5,2% leurs émissions de gaz à effet de serre, de 2008 à 2012
(année de référence 1998). Il fixe des objectifs précis à chaque pays signataire (diminution de
7% pour les Etats-Unis, de 8% pour l’Europe, de 6% pour le Japon…).

Cependant, pour que le Protocole soit applicable, il fallait le ratifier. Cela aurait du être fait à
La Haye en novembre 2000, dans une réunion qui se solda par un échec. Il a été finalement
ratifié en juillet 2001 à Bonn, mais avec de nombreuses concessions. Fruit d’un long
processus diplomatique, il propose des solutions nouvelles. Pour entrer en vigueur, il doit
accueillir l’adhésion de 55 pays représentant 55% des émissions de GES*. De plus, et c’est
peut-être le plus ennuyeux, les États-Unis, premier pollueur au monde (40% des gaz à effet de
serre !) ont refusé de signer, malgré l’ engagement du gouvernement Clinton.

Les opposants au Protocole de Kyoto, les Américains en tête, ne contestent pas les chiffres
sur l’augmentation des émissions de GES, mais restent dans une logique purement marchande
avec des arguments d’un cynisme étonnant : les conclusions de l’IPCC sont politiques ( !) ;
réduire les émissions de GES coûtera plus cher que de s’adapter à la hausse des températures,
et enfin, selon la logique que le réchauffement de la planète n’est pas le problème le plus
urgent, les Américains défendent le principe de « permis d’émission », qui autorise un pays à
vendre son droit de polluer le monde.

Biblio

Larzac Jean de la Fontaine aurait été un prophète s’il avait signalé sa préférence pour le
roquefort dans ses « Eloges » (« Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute»). Car c’est de
là que tout est parti. Bien avant les grandes mobilisations contre la mondialisation, les

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militants du Larzac, ceux de la Confédération paysanne* ensuite, ont su , dans une saisissante
anticipation, inscrire leur action dans le cadre de la planète. Indiens d’Amérique du Nord et du
Sud, Kanaks, Sahraouis, paysans japonais ou africains : on chercherait presque qui n’est pas
passé, au cours des trente dernières années, sur le plateau du Larzac.

A l’automne 1970, l’armée française annonce son intention d’agrandir le champ militaire situé
sur ce Grand Causse, un sorte de désert habité par une poignée de survivants. Il faudra
exproprier, mais personne n’imagine que cette terre pauvre, et aussi puissamment catholique,
pourrait se révolter. Commence pourtant un combat de onze années au cours duquel des
barrières réputées infranchissables tombent une à une. Les paysans du plateau – les Tarlier,
les Burguière, les Maillé -contre toute attente s’associent à des hordes chevelues venues des
villes. Toutes les variétés du gauchisme parisien font le voyage de Millau, des maoïstes aux
anarchistes, en passant par les bordighistes ou les conseillistes. La plupart ne font qu’un tour
de piste, mais José Bové et quelques autres s’installent. Et sont accueillis, écoutés, et
finalement acceptés.

Après la victoire en 1981 sur l’armée, deux mondes découvrent qu’ils peuvent vivre
ensemble. On imagine, on invente, on prouve en marchant que l’agriculture, qu’on disait
moribonde sur le causse, reste possible. Non seulement de nouvelles fermes son mises en
culture, mais le combat contre Roquefort démontre qu’en s’unissant , les petits paysans
peuvent encore défendre leurs intérêts.

Biblio

Libéralisme À l’origine, le libéralisme est une philosophie politique dont 1789 apparaît

comme la consécration solennelle. Déjà au milieu du XVIIe siècle, John Locke se faisait
l’ardent défenseur des droits individuels, dont il souligne qu’ils plongent leurs racines dans la
nature de l’homme. Les gouvernements seront contraints à les reconnaître et à les protéger.

À la même époque, Spinoza affirme: «Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est
utile à lui-même, alors les hommes sont les plus utiles les uns aux autres» (Éthique, IV).
Le cartésianisme figure également parmi les fondements de la philosophie du libéralisme
politique. Les initiateurs de la Réforme partent eux aussi de l’idée selon laquelle chacun
dans le monde social doit être construit sur la base du libre examen et de la responsabilité
individuelle.

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Spinoza, Locke, Descartes, Milton: la liste des pères fondateurs du libéralisme politique est
assurément plus longue. Bien que leur inspiration philosophique diffère, tous s’accordent
sur les traits caractéristiques de la société libérale. Le premier concerne l’étendue des
pouvoirs qui assurent le fonctionnement de la société. L’État n’a pas le droit de tout faire,
et il ne doit jamais entreprendre ce que d’autres que lui pourraient réaliser à sa place. Ainsi
le libéralisme politique se définit d’abord négativement: il n’est ni un étatisme ni un
anarchisme; il refuse pareillement le dépérissement de l’État et sa déification.

Avec ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776),
Adam Smith achève la conceptualisation de cette doctrine, contemporaine de la naissance de
l’industrie en Angleterre. Selon lui, toute la richesse vient du travail de l’homme. Et c’est la
perception de son intérêt personnel qui pousse l’homme à l’épargne et au travail. D’où cette
conclusion décisive: l’intérêt privé est le moteur de l’économie.

Tous les pays « développés », et ceux qui cherchent ou que l'on pousse à le devenir,
l'appliquent avec plus ou moins de rigueur depuis une vingtaine d'années. Il suffira ainsi de
rappeler ses articles de foi essentiels. Seul le marché peut apporter une croissance économique
forte et stable, à partir de laquelle l'emploi et donc la prospérité sont promis à tous. L'État doit
se mettre au service du marché, renonçant à toute activité économique directe, se concentrant
sur la mise en évidence des « avantages comparatifs » du pays et facilitant l'accès du capital
privé, d'où qu'il vienne, à ces avantages. Toute autre solution est vaine et fausse, l'histoire du
XX siècle l'a prouvé, et il convient de s'en persuader, de quelque horizon que l'on vienne.

L'idéologie du marché transcende donc les courants politiques. Le « consensus » devient le


mot fétiche, il faut le promouvoir - au besoin l'imposer par la force - pour qu'advienne le
règne du marché. Autrement dit, le libéralisme se donne le marché pour seul fondement,
avec pour alliées naturelles l’initiative privée et la libre concurrence ; liberté d’entreprise,
des échanges, de choix dans les dépenses comme dans l’épargne et l’investissement.

C’est le socialisme qui oppose les principaux arguments au libéralisme. Proudhon, le


premier, lance l’anathème: «La propriété, c’est le vol.». Par-delà son interprétation de la
société capitaliste, Marx fera de l’appropriation collective des moyens de production le
passage obligé vers la société sans classe, celle où peut seulement prendre fin
l’exploitation de l’homme par l’homme.

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Cependant, le plus grand défi que le marxisme ait lancé contre le libéralisme réside dans la
distinction, désormais classique, entre les libertés «formelles» et les libertés «réelles». À
quoi bon bénéficier de la liberté formelle, inscrite dans le droit positif, si l’on ne dispose
pas des moyens de l’exercer? Quelle est la liberté des loisirs de celui dont le temps est tout
entier absorbé par le travail quotidien? Que signifie pour un homme d’être libre de se
cultiver s’il manque matériellement du minimum vital? Quelle est la liberté des poules
lorsqu’on introduit un renard libre dans le poulailler libre?

Aujourd’hui, les fondateurs du libéralisme se retrouveraient mal dans l'idéologie du néo-


libéralisme. Ils avaient mis à son fonctionnement des conditions (comme la transparence
des marchés, la libre ouverture à la concurrence) loin d'être respectées. Restent les
hypothèses de base, selon lesquelles la régulation par le marché est la meilleure modalité
de gestion de l'économie, et l'optimum de l'intérêt général la somme des optimums des
intérêts particuliers. On est passé de la théorie à la doctrine, en confondant libéralisme
économique et libéralisme politique. Confusion qui permet à l'économie de prendre le pas
sur le politique. Le libéralisme politique est d'une autre essence. Il exprime des principes
comme l'égalité civile des individus, le respect des libertés fondamentales, la primauté du
droit sur la violence.

Tout commence en 1980. À l'occasion de son débat télévisé avec Jimmy Carter dans le cadre
de l'élection présidentielle, Ronald Reagan se retourne vers les caméras et, s'adressant à
l'Amérique profonde, déclare: « Je veux vous rendre l'argent que cet homme vous a pris, vous
en fairez un meilleur usage. »

Cette pétition de principe va être interprétée, un peu partout dans le monde, comme un
plaidoyer en faveur du « moins d'État» et d'un allègement de la fiscalité. En réalité, Margaret
Thatcher a précédé Ronald Reagan dans la mise en œuvre du néo-libéralisme et la
systématisera davantage: c'est dès 1979 qu'elle ouvre la voie des privatisations et, de retour au
pouvoir, les travaillistes ont poursuivi cette orientation.

C'est d'abord l'efficacité gestionnaire du secteur privé et le recours à la concurrence que les
politiques de Margaret Thatcher et Ronald Reagan invoquaient pour justifier leur politique. À
partir de 1995, la Banque mondiale centre à son tour ses orientations sur les privatisations
(avec les programmes «d'ajustement structurel »). Avec un postulat central : le marché est
supposé réaliser une allocation optimale des ressources, notamment en matière
d'investissement. Dans le domaine des services publics (école, santé, transports,

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348

communications), les besoins en matière d'investissement sont souvent très lourds et


représentent une charge fiscale considérable. Il est tentant, pour les pouvoirs publics, d'alléger
cette charge fiscale en recourant au financement privé.

D'après les deux hérauts du néo-libéralisme , les recettes keynésiennes n'étaient plus en
mesure l'opérer le réglage minutieux de l'économie qu'exigeait la recherche d'une croissance
saine, créatrice d'emplois et sans inflation; il fallait basculer vers une nouvelle organisation
économique dite, grosso modo, de marché concurrentiel et de rôle minoré de Etat. C'étaient là
quelques-unes des thèses développées depuis les années 30 par les monétaristes de Chicago
qui prenaient ainsi une revanche historique sur les keynésiens de l'université britannique de
Cambridge, lesquels avaient façonné la pensée économique des administrations démocrates
Kennedy, puis Johnson.

Assurés d'un relais efficace à la Réserve fédérale, présidée alors par Paul Volcker, ainsi qu'à
la Maison Blanche, où l'administration républicaine Reagan-Bush pensait de même, les
conseillers de l'école monétariste ont également pénétré en force les institutions financières
internationales.

Le nouveau capitalisme se développe sur des structures qui n'ont plus grand chose à voir
avec ce qu'elles étaient du temps des premiers théoriciens du libéralisme.

La bourse, qui ne produit que des valeurs virtuelles, devient l'arbitre essentiel de la gestion
des entreprises, au détriment de la production de biens ou de service ; les nouvelles
technologies ont des coûts de production marginal infimes par rapport aux investissements.
Seules les ventes massives en permettent l'amortissement. Et la mondialisation produit des
inégalités croissantes. Elle engendre un type de développement insoutenable qui se traduit
par une destruction rapide des ressources de la terre, à la limite de l'irréversible.

Cette forme du capitalisme vit au rythme de crises de plus en plus graves et fréquentes.
Son implosion apparaît inévitable à une échéance plus ou moins proche.

Libéralisme politique et libéralisme économique ne se confondent pas. À l'origine, le


libéralisme politique recouvre l'ensemble des doctrines et des pratiques qui s'opposent aux
monarchies occidentales. C'est l'invention de la souveraineté populaire. Le pouvoir trouve
son origine dans le peuple, il lui garantit ses droits fondamentaux. Il se régule grâce aux
contre-pouvoirs, comme le veut la tradition institutionnaliste, de Montesquieu à Benjamin
Constant. Les deux garantissant la protection des libertés individuelles.

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Le libéralisme politique a des conséquences économiques: par exemple le droit de


propriété. L’économique exige du politique de garantir le fonctionnement de l'économie. Il
a aussi des conséquences sociales: les conceptions libérales ont appuyé le mouvement de
différentiation sociale. Dans la société médiévale, l'état est conçu comme une famille. Le
pouvoir politique familial est soumis à l’ordre religieux, qui lui-même dirige l'économie et
la politique. Les sociétés " totalitaires" fonctionnent un peu de manière analogue.

Dans les sociétés modernes, tout en respectant les droits civils, nous acceptons l'existence
d'un pluralisme social. Nous ne pouvons accepter qu'une sphère domine les autres. C'est
alors l'Etat qui garantit l'autonomie des pratiques sociales. Il est le gardien des frontières et
interdit toute pratique de domination. Le libéralisme correspondrait alors à la forme
d'organisation la mieux adaptée à nos sociétés différenciées.

Qu'en est-il réellement? Les sociétés libérales ne sont pas fidèles à leur fonction de garant
des indépendances. L’ensemble des logiques se dissout dans une pratique marchande. On
part du principe que le consommateur rationnel devrait accepter le libéralisme. Le service
public n'est plus qu'un garant de l'égalité sociale. Le pouvoir économique supplante le
pouvoir politique.

On observe une triple contradiction: la violation de l'autonomie des catégories sociales, la


domination du droit de propriété, la opposition entre le libéralisme économique et le
libéralisme politique. On attend du pouvoir qu'il soit à la fois état-providence et état
régulateur. Mais cette exigence ne suffit pas. Il doit aussi empêcher tous les excès, avec
deux dangers, celui de l'excès de pouvoir et celui de l'abandon de pouvoir. Il nous faut
donc à la fois aider l'Etat, et le contester s'il domine. Et pour cela renforcer la vigilance
civile, tout en veillant à conserver l'autonomie des sphères sociales.

Libéraliser, déréglementer, flexibiliser... Tels sont les maîtres-mots de la nouvelle politique


économique, dont le modèle est britannique. Il faut désormais introduire la concurrence dans -
tous les domaines, sur la base des règles du marché : ouverture extérieure, abolition du
contrôle des changes, abandon des subventions, privatisations... Dans l'électricité, le réseau de
transport reste unifié, mais la production et la distribution d'énergie sont réparties entre plu-
sieurs opérateurs privés. Il en est de même du réseau des chemins de fer, confié à Trailtrack,
alors que les différentes lignes sont exploitées par des concessionnaires.

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Même chose pour les télécommunications, le transport aérien ou la santé. La situation


déplorable des services publics britanniques que l'on observe aujourd'hui est bien loin du
modèle libéral idéal et de ses promesses. Il s'est avéré que, dans bien des cas, les privatisa-
tions massives des services sociaux ont davantage servi à remplir les caisses de l'Etat et à
transférer au privé, pour des raisons peu avouables, des activités financièrement juteuses.

La vague libérale ne se limite pas aux pays industrialisés. Sous la houlette du grand gendarme
financier international, le FMI, et sa sœur jumelle, la Banque mondiale, les pays du Tiers
Monde sont également touchés. Les institutions de Bretton Woods* s'engagent alors dans un
travail de sape du rôle de la puissance publique, de démantèlement de l'Etat-providence, de
démolition des protections sociales... au nom de la concurrence.

Dès lors, naît l'idée qu'un secteur privé puissant, fonctionnant sans « entraves » étatiques,
serait le fondement de la croissance et du développement. Toujours au nom de la concurrence,
on proclame la « vérité des prix », Y compris le taux de change, c'est-à-dire le prix de la
monnaie, ainsi que l'expansion du commerce international. Partout, les plans d'ajustement
structurel de la Banque mondiale s'appuient sur les facilités du même nom (pas) du FMI,
imposant des réformes structurelles draconiennes. Par-dessus tout, le maître mot reste «
monnaie forte ».

Lula. C'est dans un contexte latino-américain en plein bouleversement que le nouveau


président du Brésil, chef du Parti des travailleurs, élu en octobre 2002, vient d’assumer ses
fonctions. Pour la première fois, un pays de 170 millions d'habitants est gouverné par un
leader issu de la gauche radicale qui rejette la mondialisation libérale. Dans un environnement
fort différent, cet événement de première grandeur rappelle ce que signifia l'élection à la
présidence du Chili du socialiste Salvador Allende en 1970...

Certes, le modèle néo libéral était déjà remis en cause par le sous-commandant Marcos, par
l'expérience d'Hugo Chavez au Venezuela, de même que par la situation de l'Argentine après
la crise. Nous savions que ce cycle était en voie d'extinction, ou tout moins que, arrivé en fin
de course, il ne pouvait se poursuivre. Or l'élection de Lula revêt une valeur symbolique dans
la mesure où elle met en place une troisième solution. La première solution avait été la
réponse militaire, les dictatures, la politique de sécurité nationale pour l'Amérique Latine. La
deuxième solution a été apportée par les régimes démocratiques, mais avec des politiques
néo-libérales. Pour la première fois, depuis la chute de Salvador Allende au Chili en 1973, il
est possible qu'avec Lula démarre un cycle où le souci de redistribution de la richesse et de

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constitution de sociétés plus homogènes - bien que ce mot soit quelque peu galvaudé. La
perspective de reconstruire un Etat de bien-être peut désormais être entrevue.

Voilà donc Lula intronisé porte-drapeau des mouvements sociaux d'un continent qui chérit ses
héros libérateurs et se plaît à croire à la loi des séries: Il a été sous la coupe de dictatures dans
les années 70, libéré dans les années 80, repris par la tyrannie du libre-échangisme dans les
années 90 et… rendu aux peuples dans les années 2000?

Possible. Le 24 novembre 2002, confirmation de la tendance : Lucio Gutiérrez, colonel de


gauche, le candidat des Indiens - 40 % des 12 millions d'habitants -, et du peuple des « sans-
chemise » dans ce pays où 80 % de la population vit dans la pauvreté, remporte largement la
course à la présidence de l'Équateur. Lucio Gutiérrez,. Brasilia-Caracas-Quito-Cuba, Lula-
Châvez-Gutierrez-Castro, quatre dirigeants qui se connaissent bien et s'apprécient: à travers
cette poussée historique de la gauche sur le continent, certains discernent déjà une nouvelle
géopolitique à l'œuvre en Amérique latine.

Des analystes proches de la Maison-Blanche préfèrent traduire l'avènement de Lula comme


un ralliement du Brésil à « l'axe du mal », terminologie bushienne qui désigne les pays
hostiles aux intérêts des États-Unis. Au-delà de son outrance, le propos traduit bien le souci
d'une administration étasunienne, qui pourrait avoir du fil à retordre avec son « arrière-cour»
latino dans les années à venir.

Personne n'imagine cependant un retour de révolutions populaires. L’Equatorien Lucio


Gutiérrez appelle à la formation d'un large gouvernement d'union nationale, et n'envisage pas
de rompre avec le FMI ni avec l'indexation de l'économie sur le dollar. Lula, même s'il n'a pas
renié ses idéaux sociaux, son credo n'est plus le refus de payer la dette extérieure et la mise à
bas du capitalisme, qu'il désire réformer et humaniser, mais relancer la croissance
prioritairement au profit des masses oubliées, mieux distribuer les richesses.

Il est évident que le nouveau président connaît ses limites. Avant son élection, il avait envoyé
des signes vers le FMI et les milieux d’affaires brésiliens, assurant que le Brésil ferait face à
ses engagements et qu’il n’y aurait pas de nationalisations massives de type communiste.
Seulement, et même si sa nécessité apparaît évidente, réaliser la réforme agraire implique
d'affronter ce qu'il y a de plus arriéré dans le système social brésilien. Une nouvelle option
agricole aura des répercussions sur les intérêts de l'élite brésilienne associée aux entreprises
étrangères, une tradition depuis la période coloniale. Elle implique de peser sur la politique
d'exportation, de contrarier les intérêts des multinationales et des promoteurs des semences

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génétiquement modifiées, de contrôler le territoire amazonien, de revoir les accords


internationaux sur les brevets. De plus, il s'agit de suspendre immédiatement les négociations
pour l'implantation de la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), qui propose des
clauses étouffant toute possibilité pour le pays de développer une politique alimentaire
autonome.
Doté d'une technologie très développé dans plusieurs secteurs, il abrite quelques-unes des plus
grandes fortunes du monde et certaines des entreprises les plus importantes. À l'évidence, le
but à atteindre maintenant pour le Brésil est de bâtir une société plus juste, comme, en fin de
compte, l'Uruguay et l'Argentine l'ont fait en leur temps.

McDonald’s « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ». S’il
faut croire Brillat-Savarin, nous galopons vers la catastrophe : McDonald’s anticipe sur un
futur qui déborde la question même de l'alimentation. Sa modernité se caractérise par un
processus d'homogénéisation, qui concerne le produit lui-même, les matières premières, son
mode de fabrication, de commercialisation et de consommation. Cela s'étend à ses formes de
gestion, de ses fournisseurs, de salariés et même à sa clientèle. Le "système McDo » est
consigné dans près de 25 000 manuels ou fiches techniques qui s'imposent à l'échelle
mondiale.

La table identique d'un bout à l'autre de la planète est cohérente avec le village planétaire
qu’on nous promet. Comment l'alimentation pourrait-elle échapper à cette mondialisation?
Que l'on ne s'y trompe pas: McDo est plus éloigné de la cuisine de nos grands-mères que ne
l'était l'alimentation la plus exotique qui soit. Le hamburger nous est véritablement plus
étranger qu'un plat de serpent. L'homme mondialisé ne s'en rend déjà plus compte. Ce
communisme alimentaire à la Ubu est très inquiétant puisqu'on ne mange jamais impunément
n’importe quoi.

Ses menus reposent sur la torture et la mort de millions d'animaux. Ceux-ci sont le produit
d'un élevage intensif, donc n'ont accès ni au grand air, ni à la lumière du jour et ne peuvent
circuler librement. Dans le célèbre procès McLibel, le juge considéra que McDonald's "est
volontairement responsable de pratiques cruelles dans l'élevage et l'abattage des animaux
qui lui servent à produire de la nourriture." Lors du procès, le fournisseur de McDonald's en

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Grande Bretagne admit qu'"en conséquence de l'industrie d'abattage, la souffrance des


animaux est inévitable."

Ainsi McDonald's poursuit sa conquête du monde avec 15 700 restaurants implantés dans 83
pays et servant 30 millions de repas par jour. Une nouvelle unité ouvre toutes les sept heures.
L'Europe n'échappe pas bien sûr à cette invasion puisque seuls trois petits pays résistent
encore (Albanie, Bulgarie, Roumanie). La France ne fait pas exception ; avec 353 unités et un
chiffre d'affaires de 5,7 milliards de francs.

Jusqu’à la fin des années 70, ce géant américain du hamburger ne croyait pas à ses chances de
s’implanter dans la patrie de la grande cuisine et du jambon-beurre. Il avait confié sa licence à
un franchisé du pays, chargé de développer l’activité à son compte. En 1980, celui-ci n’avait
réussi à faire décoller l’enseigne. Un an plus tard, McDonald’s comprend son erreur, retire sa
licence et reprend l’exploitation en direct, créant un filiale : la chaîne est aujourd’hui la
première en France, avec quelques 800 restaurants dans 470 villes, qui réalisent un chiffre
d’affaires de 1, 05 milliards d’euros et servent plus d’un million de repas par jour. En juillet
1997, le grand rival, Burger King, arrivé lui aussi en 1980, jeté l’éponge et ferme tous ses
établissements en France.

McDonald’s est la plus grande fortune immobilière du monde et dépense chaque année plus
de 10 milliards de francs en publicité afin de faire croire que Ronald aime les enfants. Il est
écrit dans le guide officiel et confidentiel de la compagnie: "Ronald adore McDonald's et la
nourriture McDonald's. Et il en est de même des enfants puisqu'ils adorent Ronald. Gardez
en mémoire que les enfants exercent une influence phénoménale quant au choix des
restaurants, ce qui signifie que vous devrez faire tout votre possible pour que les enfants
aiment Ronald et McDonald's."

A quoi ressemblera l’homme qui sortira de ses milliers d'équations culinaires? La


McDonalisation du monde est préoccupante car elle crée un cosmopolitisme alimentaire qui
se donne comme universel. McDonald's n'est pas plus américain que chinois ou français. Il a
bricolé pour la première fois dans l'histoire de l'humanité un produit alimentaire infraculturel,
car la culture est précisément ce qui différencie les hommes et freine donc l'homogénéisation
des mangeurs. On mangera demain partout la même chose, de la même façon, avec le même
regard. Cette mutation est néfaste, car elle engendre de nouveaux standards alimentaires qui
sapent peu à peu les fondements de toutes nos cultures culinaires traditionnelles.

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Selon un rapport récent du Fonds Mondial pour la Nature (WWF), depuis 1970 notre planète
a perdu 30% de ses richesses naturelles du fait de la surconsommation des pays industrialisés
occidentaux. Et cela ne fait que s'aggraver. Cette surconsommation est provoquée et
encouragée par les grandes compagnies telles que McDonald's, qui est une multinationale
représentant plus de 150 milliards de francs par an. Alors que des millions de gens meurent de
faim, de vastes régions du Tiers-Monde sont utilisées pour l'élevage du bétail ainsi que pour la
culture du grain destiné à l'engraisser avant qu'il ne soit mangé en Occident. Il faut 7 millions
de tonnes de céréales pour ne produire qu'un million de tonnes de viande. Il faut environ 10
kilos de protéines végétales pour produire 1 kilo de protéines animales sous forme de viande
de bœuf, dont McDonald's est, au niveau mondial, le plus grand consommateur. Un tiers des
récoltes mondiales de céréales est destiné au bétail, d'où un gâchis de ressources alimentaires
considérable.
De plus, les petits paysans du Tiers Monde sont expropriés par les milices des multinationales
et les forces gouvernementales, la logique ultralibérale passant avant la sécurité alimentaire
des populations locales. Ainsi, les populations indigènes crèvent de faim alors que leurs
propres terres sont exploitées par les grosses entreprises capitalistes.

Les sociétés multinationales détruisent les forêts à une vitesse effrayante. Lors du procès cité,
McDonald's a été forcé d'admettre qu'il utilisait du bétail élevé sur des terres qui faisaient parti
de la forêt tropicale, empêchant ainsi la régénération de la forêt. Cette pratique est une cause
majeure de la déforestation. Depuis 1960, l'équivalent de la superficie de l'Espagne a été
déboisée dans la forêt amazonienne, McDonald's, parmi d'autres, a donc une grande part de
responsabilité dans ce désastre pour notre environnement. De plus, en utilisant des terres
agricoles du Tiers-Monde à grande échelle, l'élevage intensif du bétail oblige les populations
locales à s'installer dans d'autres régions.
Le bétail élevé sur cette planète consomme 3600 milliards de mètres cubes d'eau par an alors
que 15 millions de personnes meurent par manque d'eau dans le même temps. Rappelons que
le problème de la raréfaction de l'eau potable constitue déjà un grave problème écologique.
Les 21000 fast-foods McDonald's dans le monde produisent à eux seuls 1 million de tonnes
de déchets d'emballages par an qui n'auront servi guère plus de 5 minutes avant de finir dans
les décharges. De nombreux produits chimiques polluants interviennent dans la fabrication de
ces emballages. Ceux-ci sont souvent en carton, donc un autre source de déforestation, et ne
sont que très rarement recyclés. Le bulletin d'information local de mai 95 des magasins
McDonald's en Angleterre rappelle que ces emballages » pourront être aperçus dans les rues

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tant que les gens continueront à jeter leurs détritus", sous-entendu feront de la publicité à
McDonald's!

A lire : Paul Ariès, Les fils de McDo. L’Harmattan

Marcos Derrière sa pipe et sous sa cagoule devenus légendaires, l'identité du sous-


commandant Marcos demeure incertaine. D’après le gouvernement mexicain, il s’agirait de
Rafael Guillén, né à Tampico de parents dirigeant une chaîne de magasins de meubles, 1m75,
cheveux châtain foncés, les yeux brun clair. Ce qu’il s’avère difficile à vérifier, car lui et ses
compagnons Indiens portent toujours un passe-montagnes…pour qu’enfin on les remarque ! Il
aurait été professeur de théorie des arts plastiques à l’Université de Mexico. En revanche,
Marcos se définit avec précision : « Gay à San Francisco, noir en Afrique du Sud, asiatique
en Europe, anarchiste en Espagne, Palestinien en Israêl, Indigène dans les rues de San
Cristóbal… »

Ce nouvel héros politico-romantique a fait spectaculairement irruption sur la scène mexicaine


le 1er janvier 1994 quand tous les politologues d'Amérique latine considéraient que l'ère des
guérillas était finie et que la voie des armes ne conduisait plus qu'à une impasse. Ce chef
zapatiste a rappelé aux dirigeants latino-américains que les laissés-pour-compte de l'ultra
libéralisme - « les sans visage, ceux qui marchent la nuit, ceux qui sont la montagne, les
hommes et les femmes vrais » - et, en particulier, les Indiens, vivaient dans une telle
humiliation sociale que leur révolte pouvait secouer toute l'Amérique latine. Depuis une
bonne quinzaine d’années il demeure assiégé au Chiapas, mais, à son tour, il assiège le
système politique mexicain.

Rien n'est plus comme avant au Mexique depuis l'apparition du zapatisme* comme miroir
restituant l'image du pays réellement existant, tel que le néo-libéralisme enfin le révèle.
Marcos pense qu’à côté des partis politiques et des syndicats, la société civile et le
mouvement social sont devenus de nouveaux acteurs sociaux, porteurs de capacités plus
efficaces de changement. Il part d'un constat: le système politique actuel brouille les identités
de classe, ce qui, en contrepartie, permet l'épanouissement du citoyen, de la société civile et
du mouvement social. Celui-ci n'appartient pas à un courant politique prédéterminé. Ce n'est
pas comme l'ancien mouvement ouvrier, qui, selon les léninistes ou les trotskistes, dépendait
tout naturellement du Parti communiste. A côté des groupes politiques et des syndicats, la
société civile et mouvement social constituent, selon Marcos, les plus puissants acteurs du

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changement contemporain. Dépourvus de dogmatisme, ils peuvent mobiliser en leur faveur


les forces de la conviction et de la raison.

A lire : Yvon Le Bot. Entretiens avec le sous-commandant Marcos. Le Seuil, Paris.

Ignacio Ramonet. Marcos, la liberté rebelle, Paris, 2001.

Documentaire : Carmen Castillo. La véridique histoire du sous-commandant Marcos. Vidéo-couleur.

Media watch global A la fin janvier 2003, Porto Alegre est la ville de tous les forums. Du 23
au 28 la capitale de Rio Grande do Sul (Brésil) accueille pour la troisième fois le Forum
social mondial. Près de 5000 organisations de 121 pays, représentées par 30000 délégués,
participaient à ses travaux dans des dizaines de conférences, panels, témoignages et tables de
dialogue et de controverses, ainsi que dans plus de 1 500 ateliers et séminaires.

Le Monde diplomatique et plusieurs de ses éditions étrangères sont présents. Ignacio Ramonet
donne une conférence sur le rôle des médias. Bernard Cassen anime une table ronde sur le
thème «Globalisation, information et communication ». Déjà, conjointement avec l'agence de
presse coopérative International Press Service (IPS), Le Monde diplomatique et son édition
brésilienne avaient créé un site journalistique indépendant (http://www.portoalegre2003.net)
qui diffuse des informations, des analyses et contributions de nombreuses personnalités sur
les thèmes qui étaient en débat au Forum Social Monidal 2003. Voici, en résumé,
l’intervention d’Ignacio Ramonet.
« Il nous est apparu que depuis une quinzaine d’années, à mesure que s’est accéléré le
processus de globalisation libérale, le « quatrième pouvoir » a perdu peu à peu son rôle de
contre-pouvoir. En analysant la globalisation, en étudiant de quelle manière se met en place
une nouvelle forme de capitalisme qui n’est plus purement industriel mais financier ; un
capitalisme de spéculation dans la phase actuelle de globalisation où le pouvoir est détenu par
des groupes économiques planétaires ; et où en définitive, le débat principal réside dans des
luttes frontales entre le marché et la société, entre le privé et le publique, entre l’individuel et
le collectif, entre l’égoïsme et la solidarité, nous observons que les médias ont cessé de
constituer un contre-pouvoir.
Dans le cadre de cette philosophie de la globalisation économique, les entreprises globales
jouent désormais un rôle plus important parfois que celui de nombreux gouvernements ou de
nombreux Etats. Ces entreprises et les entrepreneurs qui les dirigent sont ceux-là mêmes qui
se réunissent tous les ans à Davos, dans le cadre du Forum économique mondial, là où se

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retrouvent les nouveaux maîtres du monde. Dans ce contexte géo-économique et géopolitique


de ce que signifie aujourd’hui la mondialisation, s’est produit une importante transformation
des moyens de communication de masse. Au cœur même de la structure industrielle et de la
propriété économique des médias.
Globalement, de nos jours, les moyens de communication (émissions de radio, presse écrite,
chaînes de télévision, Internet) appartiennent de plus en plus à de grands groupes médiatiques
qui ont également une vocation mondiale, le News Corp de M. Rupert Murdoch, ou
Amérique Online, Viacom ou encore Microsoft. Ces groupes ont de nouvelles possibilités
d’expansion, grâce à la transformation de la technique, dans la mesure où la révolution
numérique a rompu les frontières qui auparavant séparaient l’écriture, le son et l’image. Cette
révolution a permis l’éclosion d’Internet, qui apparaît comme une quatrième manière de
s’exprimer.
Avec ce bouleversement, les entreprises médiatiques regroupent, non seulement les médias
traditionnels (presse, radio, télévision) mais aussi tout ce que nous pourrions appeler le
secteur de la culture de masse, de la communication et de l’information. Ces trois sphères
étaient auparavant séparées : d’une part, la culture de masse avec sa logique commerciale, ses
créations populaires, ses objectifs de marché planétaire ; d’autre part, la communication, dans
son sens traditionnel, à savoir la publicité, le marketing, la propagande ; et enfin,
l’information, avec les agences de presse, les actualités, les journaux, les chaînes
d’information en continu, les journalistes de toute sorte.
Ces trois sphères, avant si cloisonnées, constituent de nos jours un seul et unique domaine,
dans lequel, il y a de moins en moins de différences entre l’activité qui se fait dans le cadre de
l’information et celle qui peut se faire dans la publicité ou la culture de masse.
En outre, ces nouvelles entreprises médiatiques géantes, ces producteurs de symboles,
ajoutent à leurs activités des messages d’un autre type, comme les jeux vidéos, les DVD, les
CD de musique, la musique populaire, les distractions, les villes de loisirs du genre de
Disneyland, par exemple et peuvent aussi intégrer le cinéma de divertissement, la télévision,
les dessins animés, les bandes dessinées, le sport spectacle, l’édition de livres, etc….En
d’autres termes, nous avons des groupes médiatiques dotés de deux nouvelles caractéristiques.
Première caractéristique : ils s’occupent de tout ce qui peut être écrit, de tout ce qui peut être
filmé, et de tout ce qui peut être diffusé par le son et aussi par toutes sortes de canaux : à
travers la presse écrite traditionnelle, par les radios, les télévisions hertziennes ou satellites, de
même que par Internet, et par tous les diffuseurs possibles, en technique numérique.
Deuxième caractéristique : ce sont des groupes mondiaux, planétaires, et non plus seulement

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nationaux ou locaux. Dans les années 1940, Orson Welles critiquait le « super pouvoir » de
« Citizen Kane ». Aujourd’hui, nous nous apercevons que M. Kane se limitait à posséder
quelques journaux de presse écrite dans un seul pays. C’est-à-dire qu’il disposait d’un pouvoir
minuscule (bien qu’efficace à l’échelle locale ou provinciale) face aux énormes pouvoirs des
mégagroupes actuels.
Aujourd’hui ces hyper entreprises sont propriétaires tous les secteurs médiatiques dans
presque tous les continents et par conséquent, les mégagroupes médiatiques tels la News Corp
Viacom, NB, AOL-Time-Warner, sont les acteurs centraux de la globalisation économique.
Leur capacité d’acquérir davantage de pouvoir encore moyennant une plus grande
concentration continue de croître, comme le montre la décision adoptée le quatre juin par la
Federal Communications Commission (FCC) qui permet aux mastodontes des médias aux
Etats-Unis d’augmenter leur taille.
La globalisation est également la concentration des médias et de l’information. Les
megagroupes ne se fixent pas comme objectif civique d’être un « quatrième pouvoir » pour
corriger les dysfonctionnements de la démocratie et perfectionner de ce fait ce système
politique. Elles ne veulent pas être un « quatrième pouvoir », et ne se proposent pas non plus
d’agir comme un contre-pouvoir.
Nous pourrions dire que si ces groupes constituent un éventuel « quatrième pouvoir », ce
serait dans le sens où ils s’allieent aux autres pouvoirs existants –législatif, exécutif, judiciaire
—, au pouvoir politique et au pouvoir économique pour écraser le citoyen.
Par conséquent, la question civique qui se pose est la suivante : comment résister, comment
s’opposer face à ce qui fut longtemps le seul pouvoir pour les citoyens d’opposition aux
pouvoirs dominants. Comment résister face à l’offensive de ce nouveau pouvoir qui a trahi
dans une certaine mesure le citoyen en passant à l’adversaire ?
Nous pensons que ce qu’il faudrait faire c’est créer tout simplement un « cinquième pouvoir »
qui nous permettrait d’opposer une force civique citoyenne à cette nouvelle alliance de
pouvoirs. Un « cinquième pouvoir » dont le rôle consisterait à dénoncer le nouveau super
pouvoir des médias, des grandes industries médiatiques, vecteurs et complices de la
globalisation. Ces médias qui, dans certaines circonstances, ont non seulement cessé de
défendre les citoyens mais agissent souvent contre le peuple dans son ensemble, comme ont
peut le voir dans l’affrontement qui se déroule actuellement au Venezuela. Au Venezuela où
l’opposition politique fut balayée en 1998 à la suite d’élections libres et démocratiques, où
l’opposition politique fut démocratiquement vaincue , les groupes médiatiques de presse,
radio et télévision les plus importants du pays se sont lancés depuis plus de deux ans dans une

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guerre médiatique contre la légitimité démocratique que représente le gouvernement de M.


Hugo Chavez. Quoi que l’on pense de ce dernier et de son gouvernement, force nous est de
constater que les médias entre les mains de quelques privilégies ont utilisé contre eux toute
l’artillerie de manipulations, de mensonges et de faux pour essayer d’intoxiquer le cerveau
des citoyens, dans une guerre idéologique ouverte destinée à défendre leurs privilèges et à
s’opposer à toute réforme sociale et à toute répartition de la richesse.
Le cas du Venezuela est exemplaire de la nouvelle situation internationale dans laquelle des
groupes médiatiques déchaînés assument ouvertement leur nouveau rôle de chiens de garde de
l’ordre économique établi, et leur nouveau statut de pouvoir anti-populaire et anti-citoyen.
Ces groupes ne s’assument pas seulement comme pouvoir médiatique mais —surtout—
comme pouvoir idéologique. Un pouvoir idéologique qui tente de contenir les revendications
populaires et qui ambitionne de s’emparer du pouvoir politique (comme l’a fait,
démocratiquement, M . Silvio Berlusconi en Italie).
Le cas exemplaire du Venezuela, cette « guerre sale médiatique » contre le Président Chavez,
plusieurs fois élu démocratiquement, l’empêchant de réaliser les réformes sociales votées par
la majorité des citoyens, cette manière de s’opposer et de saboter le résultat d’une élection
totalement démocratique, c’est ce qu’a fait dans les années 70 le journal El Mercurio au Chili
contre le gouvernement démocratique de Salvador Allende ou dans les années 80 le journal
La Prensa au Nicaragua contre les Sandinistes, ou la même campagne que demain les grands
médias peuvent mener en Equateur, au Brésil ou en Argentine contre toute réforme qui
modifierait la hiérarchie du pouvoir et de la richesse.
Ce ne sont plus seulement les pouvoirs de l’oligarchie traditionnelle, ce ne sont plus
seulement les pouvoirs de la réaction traditionnelle, mais les pouvoirs médiatiques, —au nom
de la liberté d’expression !— livrent la bataille contre les programmes qui défendent les
intérêts de l’ensemble des citoyens. Et cette façade médiatique est celle qui nous révèle de la
manière la plus claire, la plus évidente, la plus caricaturale, l’idéologie de la globalisation
libérale.
De là que les médias et la globalisation soient deux concepts intimement liés et qu’il faille
développer une réflexion sur la manière dont nous, les citoyens, pouvons exiger des médias
davantage d’éthique, exiger simplement qu’ils disent la vérité, exiger le respect d’une
déontologie obligeant les journalistes —dont la plupart sont sérieux et honnêtes—, à agir
selon leur conscience et non en fonction des intérêts des groupes, des entreprises, ou des
patrons qui les emploient..
Nous avons constaté que, d’une part, les médias sont utilisés aujourd’hui comme une arme de

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combat dans la nouvelle guerre idéologique mais d’autre part que l’information par son
explosion, sa multiplication, sa surabondance, se trouve aujourd’hui littéralement contaminée,
empoisonnée par toute sorte de mensonges, polluée par les rumeurs, les distorsions et les
manipulations. De là que les citoyens aient un besoin urgent de recourir à un référent qui leur
garantisse ou assure que l’information qu’ils vont consommer, est une information valable ,
sérieuse, sure, véridique, véritable.
Il se passe avec l’information ce qui s’est passé avec l’alimentation. Pendant longtemps,
l’alimentation a été très rare et continue à l’être dans de nombreux endroits du monde, dans
les pays pauvres du sud par exemple. De nombreux pays souffrent toujours de pénurie et cela
a aussi été pendant longtemps le cas dans les pays aujourd’hui développés. Mais lorsque,
grâce à la révolution agricole, la surproduction a permis aux pays européens, par exemple, de
produire de la nourriture en abondance, nous nous sommes rendus compte que de nombreux
aliments que nous consommions étaient contaminés, empoisonnés par des pesticides, qu’ils
étaient mal élaborés, qu’ils généraient des maladies, qu’ils donnent le cancer, toute sorte de
maladies et peuvent même entraîner la mort, comme la peste des vaches folles. Jadis, nous
pouvions mourir de faim, mais aujourd’hui nous pouvons mourir pour avoir consommé des
aliments contaminés.
Le même phénomène se produit avec l’information. Historiquement, l’information a été rare,
voire inexistante. Dans les dictatures il n’y a pas d’information fiable, de qualité, mais
aujourd’hui, dans les pays démocratiques, l’information s’est multipliée, elle explose, déborde
de toutes parts. Empédocle disait que le monde était fait de la combinaison de quatre
éléments : l’air, l’eau, la terre et le feu. Aujourd’hui nous pouvons dire que l’information est
si abondante qu’elle constitue un cinquième élément. En même temps, nous constatons que
cette information est, comme les aliments, contaminée. Aujourd’hui , l’information que nous
consommons nous empoisonne souvent l’esprit, intoxique notre cerveau ; elle essaie de nous
manipuler, d’introduire dans nos esprits des idées qui ne sont pas les nôtres. C’est pourquoi il
est nécessaire d’élaborer ce que, pour ma part, j’appelle une « écologie de l’information ». il
faut laver cette information de « la marée noire » de mensonges, la décontaminer. Les
citoyens doivent aujourd’hui se mobiliser pour exiger que les médias appartenant à ces grands
groupes aient un respect élémentaire de la vérité, parce que la vérité constitue en définitive la
légitimité de l’information.

C’est pour cette raison que nous avons proposé que soit créé l’Observatoire International des
Médias —Media Watch Global— pour qu’existe une arme civique, pacifique dont les

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361

citoyens disposeront pour s’opposer au super pouvoir des médias. L’association Media
Watch Global incarne une des expressions du mouvement social planétaire réuni à Porto
Alegre (Brésil). En pleine période de globalisation libérale, elle exprime l’inquiétude de tous
les citoyens face au pouvoir et à l’arrogance des industries géantes de la communication et des
médias massifs.
Il y a longtemps déjà que nombre de moyens de communications privilégient leurs intérêts
particuliers au détriment de l’intérêt général de la société, et confondent leur propre liberté
avec la liberté d’entreprise, considérée dans ces temps de mondialisation comme la première
des libertés. Mais la liberté d’entreprise ne peut en aucun cas prévaloir sur le droit citoyen à
une information rigoureuse et vérifiable. Elle ne peut pas être le prétexte à une diffusion de
fausses nouvelles, de vérités supposées ou de diffamations.
La liberté des médias n’est guère qu’une extension de la liberté collective d’expression,
fondement de la démocratie. En tant que telle, elle implique une « responsabilité sociale » et
partant, son exercice est soumis en dernière instance au contrôle responsable de la société.
La force de Media Watch Global est avant tout morale dans la mesure où ses admonestations
procèdent de l’éthique et où elle sanctionne les fautes d’honnêteté professionnelle par le biais
de rapports et d’études qu’elle publie et diffuse.
Media Watch Global constitue un indispensable contrepoids à l’excès de pouvoir des médias,
lorsque , en matière d’information prévaut une seule logique, celle du marché, et une seule
idéologie, néolibérale, qui permet au marché d’étendre son influence aux domaines de la vie
collective, préservés jusqu’à présent.
Cette association internationale souhaite exercer une responsabilité collective, au nom de
l’intérêt supérieur de la société et du droit des citoyens à être correctement informés.
Elle se propose également de protéger la société des manipulations médiatiques.
Media Watch Global rassemble trois sortes de membres: des journalistes professionnels ou
collaborateurs de presse, en activité ou à la retraite, de tous les médias ; des universitaires et
des chercheurs de toutes les disciplines, en particulier, des spécialistes en médias, information
et communication, car nous estimons que l’Université, dans le contexte actuel, reste un des
rares lieux encore partiellement protégés des ambitions totalitaires du marché ; des
consommateurs de médias, de citoyens de la société civile et des personnalités connues pour
leur stature morale (intellectuels, philosophes, créateurs, artistes….)
L’information étant un bien commun, sa qualité ne peut être garantie par des organisations
exclusivement composées de journalistes, souvent attachés à leurs intérêts corporatistes. Les
systèmes actuels de régulation des médias ne sont pas satisfaisants. Les codes déontologiques

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de chaque entreprise médiatique (quand ils existent) s’avèrent inaptes à sanctionner et à


corriger les déviations, les dissimulations et les censures. Il est indispensable que la
déontologie et l’éthique de l’information soient définies et défendues par un instance
impartiale, crédible, indépendante et objective, dans laquelle les universitaires auront un rôle
décisif.
La fonction des médiateurs, utile dans les années 1980 et 1990, est aujourd’hui mercantilisée,
dévalorisée et dégradée. Fréquemment instrumentalisée par les entreprises, elle répond
exclusivement à des impératifs d’image quand elle ne constitue pas un alibi bon marché,
destiné à renforcer artificiellement la crédibilité du média .
Un des droits les plus précieux de l’être humain est celui de communiquer librement ses
pensées et ses opinions. Aucune loi ne doit restreindre arbitrairement la liberté d’expression
ou de presse. Mais cette liberté ne peut s’exercer qu’à condition de ne pas enfreindre les droits
et les lois qui protègent la société contre la diffusion de fausses nouvelles et contre le danger
de manipulations médiatiques.
Media Watch Global estime par conséquent que l’absolue liberté des médias claironnée par
les propriétaires des grands groupes de communication ne doit pas se concrétiser aux dépens
de la liberté de tous les autres.
Les grands groupes médiatiques doivent savoir qu’est né un contre-pouvoir. A partir de
maintenant ils doivent réfléchir, ils doivent savoir que tandis qu’eux défendent effectivement
la globalisation libérale, beaucoup de citoyens s’engagent dans le nouveau Mouvement Social
qui se donne rendez-vous chaque année à Porto Alegre.
Nous journalistes, universitaires et simples citoyens sommes en train de forger une arme
nouvelle, pour ce siècle nouveau.
Les globalisateurs ont dit que ce siècle serait le siècle des entreprises globales, nous disons
quant à nous que ce siècle sera celui où la communication et l’information appartiendra enfin
aux citoyens.
Nous nous emparerons de la vérité, et avec la vérité, la démocratie triomphera. »

A lire : Ignacio Ramonet : La tyrannie de la communication (1997) et Propagandes silencieuses (2000) Galilée
éditeur.
La communication, victime des marchands, La Découverte, 1989, et Nouveaux pouvoirs, nouveau maîtres du
monde, Montreal, Fides, 1996.

Monde diplomatique, Le ( a finir )

On peut dire que ce journal représente un îlot de résistance face au rouleau compresseur néo-

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libéral. Nous le qualifierions volontiers « d'outil intellectuel de masse» .


Car il n'existe pas à notre connaissance d'outil capable de décrypter les grands enjeux du
monde contemporain, d'en éclairer les soubassements, un outil qui ne cède ni aux chants des
sirènes de la soi-disant modernité, ni à la facilité de la simplification, et qui s'adresse à notre
intelligence et non pas à nos émotions.
Le Monde diplomatique a su produire au moment des grands rendez-vous que nous a fixé
l'histoire ces dernières années, des analyses à contre-courant de la pensée dominante: que ce
soit dans la mise en lumière des rapports Nord-Sud, au moment de l'émergence puis du
déferlement de la contrerévolution néo-libérale ; ou encore au moment de la guerre du Golfe.
Durant les mouvements sociaux de l'hiver 95, sans parler de la mise en évidence du rôle
central tenu par les médias dans le grand mécano néo-libéral, ou bien encore au moment de la
guerre en ex-Yougoslavie, sans oublier bien entendu le conflit israelo-palestinen et les
conséquences de l'après 11 septembre, le Monde diplomatique nous a apporté, non pas un prêt
à penser, mais des éléments pour stimuler notre propre réflexion et déterminer nos
engagements.
Ce journal, vous le savez, est à l'origine d'Attac, Il est aussi à l'origine du Forum Social
Mondial de Porto Alegre et des autres forums sociaux qui sont nés dans le sillage de ce
Forum.
Là aussi, on peut dire sans risque de se tromper qu'aucun journal dans l'histoire n'a été à la
fois producteur d'idées et créateur de mouvements sociaux.
Cette année ce célèbre le cinquantième anniversaire de sa fondation. C’était en 1954. Hubert
Beuve-Merry, alors directeur du journal « Le Monde » décide d’offrir

Mondialisation Bien que le phénomène soit récent, ses racines plongent dans l’ancienneté.
La nouveauté du mot ne doit pas occulter le fait qu'il pourrait parfaitement décrire une
situation bien antérieure, celle du monde entre la moitié du XVIIIe siècle et la guerre de 1914.
Sans parler même des entreprises d'ouverture et d'unification - tant économiques que
culturelles - qu'effectuèrent à leur profit l'Empire romain ou l'Espagne de Charles Quint.

Mais la concentration ancienne ne profitait pas spécialement à Rome ni à l'Italie, dont les
marchandises souffraient de la concurrence des provinces lointaines ; Rome ne protégeait pas
sa production, et ne faisait rien pour l'imposer au-dehors. S'il y avait unification, c'était sans
doute dans le domaine de la langue, du droit, et de la vie religieuse qu'on en trouve les
meilleurs indices.

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Dès la fin du XVIII siècle, à l'aube de la révolution industrielle, s'accélère, sur les bases
édifiées à l'époque moderne, le processus de concentration. Le XIX siècle en sera le premier
âge d'or et le cœur, l'Europe occidentale. Car depuis que l'Europe a découvert le monde, elle
n'a cessé de vouloir l'unifier à son profit. Cette mondialisation se traduit par le fait que,
désormais, tout se fabrique, se transforme, s'échange sur un marché mondial où les distances
sont raccourcies par la révolution des transports matériels et immatériels qui s'effectue du
milieu du XIX siècle aux années 1900 : du chemin de fer au téléphone, du navire à vapeur au
télégraphe, de l'automobile à la presse.
La planète n'a plus de secrets pour les Européens et la colonisation - dite « partage du monde
»- qui a eu lieu entre 1880 et 1914 ouvre à la domination des nations d'Europe l'ensemble des
continents. C'est aussi la mort du protectionnisme, hérité du vieux mercantilisme ; le temps
des décloisonnements massifs avec le désarmement douanier généralisé - traités bilatéraux
entre tous les pays d'Europe, conclus sous impulsion britannique entre 1850 et 1870 -, tandis
que circulent marchandises, capitaux, culture, information et hommes (on en compte 100
millions de migrants à la fin du XlXème siècle). Dès lors, le commerce extérieur des
métropoles européennes explose : 2,5 milliards de francs pour la France en 1847 et 15
milliards en 1913 ; de 13 à 35 milliards pour l’Angleterre entre 1870 et 1870 et 1914 ; de 5 à
25 milliards pour l’Allemagne aux mêmes dates. Comme l’écrit l’économiste anglais Keynes,
« l’internationalisation de la vie économique était alors à peu près complète ».

Engagés dans la Seconde guerre mondiale dès l'été 1941, les États-Unis songent à réaliser le
rêve de leur président Franklin D. Roosevelt et celui de Wilson en 1917: démocratie et libre-
échange pour tous et forum des nations pour maintenir la paix pour un nouveau régime
d'accumulation capitaliste dominé par le secteur de la finance, et grâce à une libéralisation et
une déréglementation des échanges, des investissements directs et des flux financiers.

Il se sentent en mesure de le faire : la puissance américaine est incomparablement plus


tangible, et les dirigeants américains comme leur peuple plus enclins à accepter un rôle qu’ils
avaient refusé en 1920.

Mais peut-on rêver d'une mondialisation dont profitent les pauvres et les exclus, d'une
mondialisation qui réduise les incertitudes et multiplie les opportunités pour tous, d'une
mondialisation équitable ?

Peu importe. Il fallait résoudre les seules inconnues de cette équation. D'abord l'URSS, mais
Roosevelt ne la croit pas hostile à une insertion dans le marché mondial et à une participation

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365

à la sécurité collective ; et ensuite l'Europe, dont les États-Unis espèrent qu'elle émancipera
ses colonies.

C'est ce qui va inspirer le président américain, puis son successeur, Harry Truman, dans la
mise en place de l'Organisation des Nations unies lors de la conférence de San Francisco le 26
juin 1945. Truman déclare à cette occasion que, grâce à la charte des Nations unies, « le
monde entier peut commencer à entrevoir le moment où tous les êtres humains pourront vivre
une vie décente d’hommes libres. Car l’ONU ce ne serait pas la sécurité collective et le
maintient de la paix, ce serait aussi, comme l’annoncent le préambule et l’article 1 de la
charte, la naissance d’une coopération internationale visant à assurer les libertés politique et
économique sur l’ensemble de la planète.

Pour y parvenir, il convenait de mettre en place des organes de régulation permettant de


recréer un marché mondial unique. A la suite de la conférence de Bretton Woods de juillet
1944 naissent donc en mars 1947 le FMI (Fonds monétaire international siégeant à
Washington), et surtout, en octobre 1947, le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et
le commerce).

Le premier renoue avec la pratique du Gold Exchange Standard déjà expérimentée dans les
années 1920 : est restaurée la libre convertibilité de toutes les monnaies entre elles et avec le
dollar, monnaie de référence convertible en or sur la base de 35 $ l'once. Le FMI prévoit des
parités fixes entre les monnaies dans une fourchette de plus ou moins 1 %. Son accord est
nécessaire en cas de dévaluation. Une caisse commune, alimentée par les cotisations des
membres, doit aider ceux qui auraient besoin de devises pour équilibrer leur balance des
paiements.

Sur cette base peuvent se développer les échanges selon les modalités prévues par le GATT :
baisse des droits de douane et d’obstacles non tarifaires. Les principes qui les régissent sont la
réciprocité, la généralisation de la clause de la nation la plus favorisée, et l’interdiction des
pratiques déloyales comme le dumping ( la vente de marchandises à un prix inférieur à leur
prix de revient).

C’est dans les années 1990 que la mondialisation a pris une signification plurielle pour rendre
compte d'une situation qui évoluait avec une rapidité exceptionnelle. L'effondrement du
communisme, la conversion de la Chine à une économie plus ouverte ont unifié le marché
mondial en effaçant la sphère de l'économie autarcique née en 1917 avec l'URSS. Ces

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événements ont clôturé, au bénéfice du libéralisme, l'évolution constatée au début des années
1980. .

Aujourd'hui, la mondialisation est assimilée à la prééminence des Etats-unis, et le terme


mondialisation, traduction française de celui de « globalization» employé par les américains
au début des années 1980, marque à la fois la victoire du libéralisme sur le communisme et le
profit qu'il tire de cette victoire, ( accès au rang d’hyperpuissance, orchestrant et dominant le
village planétaire). C'est ainsi que la mondialisation est désormais souvent entendue comme
l'américanisation du monde.

Présenté comme un phénomène inévitable, d'ordre quasi naturel, il déferle sur nos sociétés
comme une forte pluie dont on peut attendre à la fois des effets fertilisateurs et quelques
dégâts matériels. Grâce à l’essor des technologies, il permet aux marchés financiers du monde
entier d'être en relation permanente et ainsi d'accroître leur pouvoir. Au point, aujourd'hui,
d'avoir pris beaucoup de pouvoirs aux Etats eux-mêmes.

Mais le rêve américain n’est pas placide pour tout le monde. Depuis la fin de la
convertibilité en or du dollar, décidée par le président américain Richard Nixon en
1971, et de la libéralisation généralisée des mouvements de capitaux - aux Etats-Unis
en 1974, dans l'ensemble de la Communauté européenne à partir de 1990 -, le monde
vit dans une totale instabilité monétaire. Une économie financière purement
spéculative s'est développée, de plus en plus dissociée - quand elle n'en est pas
ennemie - de l'économie réelle et d'une véritable culture industrielle. L'objectif de la
rentabilité à court terme provoque, ici, des crises de surproduction (industrie
automobile, électronique, informatique, acier), là des pénuries (logement, éducation,
alimentation) et, dans maints autres secteurs, des chutes de productivité (céréales de
base, systèmes informatiques, etc.) Sous prétexte de mettre en valeur « la bonne
ressource, venue du bon endroit, pour le bon produit, sur le bon marché et au bon
moment pour le bon consommateur », l’homogénéisation des structures de production
permet aux grands réseaux de firmes multinationales d'exploiter, à l'échelle planétaire,
les petites et moyennes entreprises de manière intensive et au moindre coût. Ces PME,
confinées dans un rôle de sous-traitants de plus en plus fragilisés, sont tenues pour de
simples centres de profit au service des grandes corporations. La situation devient
encore plus intenable pour les PME elles-mêmes sous-traitantes des gros sous-
traitants. Le sentiment d'insécurité et d'exploitation n'est plus l'apanage des ouvriers,

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paysans et travailleurs indépendants. Il touche désormais de manière concrète le


milieu des petits entrepreneurs. Reengineering, production flexible, externalisation,
dégraissage (downsizing) : toutes ces nouvelles techniques du management
contribuent au développement de la grande machine mondiale du capitalisme de
marché, dont l'unique objectif est l'extirpation du maximum de profit, et au moindre
prix, de la richesse du monde. Ressources, individus, groupes sociaux, villes et
régions, voire pays entiers, sont abandonnés ou exclus : ils n'ont pas été jugés
suffisamment rentables par - pour - la machine mondiale. D'où la folle concurrence à
laquelle ils se livrent pour être « compétitifs », c'est-à-dire pour simplement rester
vivants.

Ce concept de mondialisation renvoie également à une dimension culturelle. La


propagation en temps réel et en tous lieux des sons et des images a montré que le
terme de « mondialisation », purement économique au départ, va bien au-delà de cette
sphère pour concerner les personnes, les identités, les valeurs, et toucher ainsi au poli-
tique, voire à l'idéologique.. La mondialisation entraîne les économies vers des
structures de production de l'éphémère, du volatile - par la réduction massive et
généralisée de la durée de vie des produits et des services - et du précaire (travail
intérimaire, flexible, à temps partiel subi). Au lieu de revaloriser en permanence les
ressources disponibles, elle les rend le plus vite possible obsolètes, inutiles, non
recyclables. Le travail humain et les rapports sociaux en font les frais.

Il s'est produit plus tard, vers 1990, une révolution de la communication grâce aux
NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication), dont le
phénomène dit « Internet »* a été le plus spectaculaire. La planète est devenue un
village, les prophéties de McLuhan se sont concrétisées et le terme de « mondia-
lisation » s'est enrichi d'une nouvelle signification : la transmission universelle et
instantanée des informations.

Pour les milieux politiques dirigeants qui se proclament progressistes, le défi à relever serait
dès lors de cueillir les fruits bénéfiques attendus de cette «mousson» tout en limitant au
maximum les effets non désirés. Il n'en reste pas moins, qu'à l'échelon dirigeant, tous sont
unanimes sur ce qui est présenté comme une évidence: la mondialisation fait désormais partie
des données de base qui donnent forme à l'ensemble des politiques présentes et à venir; rien
ne peut plus se faire sans elle.

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368

La mise en place de ce nouveau type d'accumulation est une réaction ultraconservatrice pour
déconstruire les avancées démocratiques obtenues par les divers mouvements contestataires et
revendicatifs de la fin des années 60 et du début des années 70, dont les actions et les valeurs
(autogestion et autonomie, remise en cause des hiérarchies, féminisme, subversion des
rapports sociaux traditionnels, augmentation des salaires et du financement public des besoins
sociaux...) commençaient à être intégrées dans les politiques gouvernementales et avaient
permis une redistribution des richesses plus marquée en faveur du monde du travail. Ce
nouveau type d'accumulation financière a débuté avec l'aide des gouvernements européens qui
ont engagé des politiques de transferts massifs de ressources publiques vers le secteur privé à
travers les politiques de « reconversion ou de restructuration industrielle» dès la fin des
années 70. L'histoire économique qui retracerait et tenterait de chiffrer ces processus de
transferts, des ressources publiques vers le secteur privé, pour chacun des pays d'Europe
occidentale, est encore, malheureusement, très largement à écrire. Pour ce que nous
connaissons de la Belgique, le nombre de mesures d'aide publique aux entreprises (multiples
allégements fiscaux sur les bénéfices, aides diverses aux investissements et à la recherche au
sein de l'entreprise, aides à l'embauche, reprise publique des secteurs obsolètes, plans sociaux
de fermeture...), adoptées par l'Etat depuis la fin des années 70 jusqu'à nos jours, a été et
demeure impressionnant. Un économiste a chiffré au début des années 80 ces transferts d'aide
à la reconversion à 279 milliards de francs belges en quatre ans (1978-1982).

Il s'agissait alors d'appliquer la formule magique selon laquelle «les profits d'aujourd'hui sont
les investissements de demain et les emplois d'après-demain» ; vingt ans après, on attend
toujours que la magie opère... pour les emplois! Pour réaliser ces transferts, la plupart des
Etats européens se sont endettés, ce qui a permis au secteur bancaire d'accroître encore ces
transferts par le mécanisme du remboursement des intérêts de la dette publique. Le budget et
la faculté d'emprunt des Etats, c'est-à-dire une part importante des ressources collectives, ont
ainsi été « vampirisés» par les secteurs financiers. Le nouveau culte rendu à la Bourse à partir
des années 80, entretenu par le déversement de ces mannes providentielles, a encore accentué
la vision de l'économie réduite à un jeu de placements financiers à court terme. Avec
l'écroulement en 1989 des régimes communistes en Europe de l'Est, les termes de «globa-
lisation » et de « mondialisation» deviennent à la mode, marquant le triomphe de l'idéologie
d'un capitalisme rentier désormais certain d'imposer son fonctionnement à l'échelon
planétaire, notamment à travers les outils que sont le Fonds monétaire international (FMI),
l'Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE), la Banque

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mondiale, le GATT (General Agreement on Tariff and Trade) et ensuite l'Organisation


mondiale du Commerce (OMC). L'absorption progressive par le secteur privé de l'ensemble
des secteurs publics, y compris les services publics essentiels, complète cette situation de
transferts massifs de l'ensemble du patrimoine collectif. Si l'objectif de réappropriation privée
des richesses collectives à des fins de profit accru pour une minorité saute aux yeux, il ne faut
pas perdre de vue que les phénomènes d'exploitation économique et de domination politique
sont toujours étroitement imbriqués, le premier n'étant du reste pas possible sans le second.
Aussi cette accumulation a-t-elle induit une transformation radicale des rapports au travail, et
de façon plus large du rapport salarial, par l'imposition de la flexibilité et de la précarité ainsi
que le retour à une situation d'exploitation renforcée et de domination politique plus marquée.
Fruit d’un développement du commerce, des flux financiers et de la mise en place de réseaux
mondiaux d’information, la mondialisation pose le problème de la division internationale du
travail qui voit l’émergence de nouvelles puissances régionales et des délocalisations
correspondantes dont profitent les multinationales*. Elle concerne aussi des types d’échanges
autres qu’économiques, de la culture aux media (avec CNN) en passant par les techniques,
faisant du monde un « village planétaire », selon l’expression du Canadien McLuhan.

Par le biais des institutions financières internationales, du G8* et de ses avatars, du GATT*,
la mondialisation touche un très grand nombre d’acteurs, des pays industrialisés aux pays les
moins avancés qui vivent des délocalisations et des stratégies des multinationales.

Les pays qui se sont convertis corps et âme à la nouvelle orthodoxie découvrent que
l'ouverture n'a pas tenu ses promesses. Malgré l'abaissement radical des barrières
commerciales et financières depuis les années 80, on ne compte plus les économies d'Amé-
rique latine et d'Afrique qui stagnent ou croissent moins rapidement qu'aux beaux jours de la
politique de substitution (de produits locaux )aux importations, dans les années 60 et 70. Avec
un aplomb extraordinaire, on a alors incorporé au credo les résultats décevants de la
libéralisation tous azimuts. Aujourd'hui, ceux qui considèrent l'intégration mondiale comme la
condition préalable au développement économique affirment tranquillement que l'ouverture
des frontières ne suffit pas. Pour recueillir les fruits de celle-ci, prétendent-ils, il faut la com-
pléter par de profondes réformes institutionnelles.

En particulier dans le domaine financier. L'opinion qui prévaut à Washington et dans d'autres
capitales du G8, est que la faiblesse des systèmes bancaires, des règles prudentielles et du
gouvernement d'entreprise était au cœur de la crise asiatique de la fin des années 90. D'où les
efforts déployés par le G8 pour élaborer des normes traitant de la transparence budgétaire, des

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politiques monétaire et financière, de la surveillance bancaire, du gouvernement d'entreprise


et de la comptabilité.

Allons-nous laisser à cette machine infernale le pouvoir d'être le seul arbitre de


l'histoire économique, technologique, politique et sociale du prochain siècle ?
Certainement pas avec le modèle actuel. Mais ce modèle peut être changé si l'on
admet qu'on doit poser un socle social sous l'économie mondiale afin que ses
avantages atteignent beaucoup plus de monde, et que les coûts de l'ajustement ne
tombent pas sur le dos des plus faibles de la société. Il est possible d'adapter ou de
modifier l'approche purement économique qui sous-tend la mondialisation.

Dans un commerce international où producteur et consommateur sont coupés l'un de l'autre,


l'absence de tout critère autre que marchand donne naissance à des formes nouvelles de
surexploitation dont pâtissent, en premier lieu, les producteurs du Sud. Estimant « dépassée »
la régulation politique, les grandes entreprises entendent la remplacer par leur propre
sollicitude. Sans remettre en question la répartition inique des ressources à l'échelle mondiale,
l'accent est mis sur l'« éthique », ainsi intégrée au service du processus de marchandisation
globale. La Terre connaît ainsi une nouvelle ère de conquête, comme lors des découvertes au
XVIème siècle ou des colonisations au XIXe siècle.

Jamais les maîtres de la Terre n'ont été aussi peu nombreux, ni aussi puissants. Ces groupes
conquérants sont situés dans la Triade: Etats-Unis, Europe, Japon. Cette concentration du
capital et du pouvoir s'est formidablement accélérée au cours des vingt dernières années, sous
l'effet des mutations des technologies de l'information, de la révolution numérique et
d'Internet.

Un nouveau bond en avant sera effectué à partir de ce début de millénaire, avec les nouvelles
maîtrises des techniques génétiques de manipulation de la vie (biotechnologies*). La
privatisation du génome humain, .l'ingénierie génétique et le brevetage généralisé du vivant,
ouvrent de nouvelles perspectives d'agir sur la santé des êtres humains, mais surtout laissent
entrevoir de fabuleuses possibilités d'expansion des affaires. Les grandes firmes liées à la
recherche biologique et les entreprises pharmaceutiques géantes s'apprêtent à voir leur
puissance exploser. Une grande privatisation de tout ce qui touche aux gènes, à la vie et à la
nature se prépare. Favorisant ainsi l'apparition d'un pouvoir probablement plus absolu que tout
ce qu'on a pu connaître dans l'histoire.

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Surexploitation des hommes, des femmes et - plus scandaleux encore - des enfants: 300
millions d'enfants sont exploités, dans des conditions d'une brutalité sans précédent.

La mondialisation c'est aussi le pillage planétaire. Les grands groupes saccagent


l'environnement avec des moyens démesurés; ils tirent profit des richesses de la nature qui
sont le bien commun de l'humanité; et le font sans scrupule et sans frein.

Cela s'accompagne également d'une criminalité financière liée aux milieux d'affaires, et aux
grandes banques qui recyclent des sommes dépassant les 1000 milliards de $ par an, c'est-à-
dire 20% de tout le commerce mondial et davantage que le produit national brut d'un tiers de
l'humanité. La marchandisation généralisée de mots et des choses, des corps et d’esprits, de la
nature et de la culture provoque une aggravation des inégalités (diversité culturelle*, world
music*.)

L'abondance de biens et les progrès des techniques atteignent des niveaux sans précédent dans
les pays riches et développés, mais, à l'échelle de la planète, le nombre de miséreux augmente
sans cesse. Ainsi, sur les 4,5 milliards d'habitants que comptent les pays en voie de
développement, près d'un tiers soit un milliard et demi de personnes n'ont pas accès à l'eau
potable... Un cinquième des enfants n'absorbent pas suffisamment de calories ou de protéines.
Et quelque 2 milliards d'individus - le tiers de l'humanité souffrent d'anémie. Il est bien loin
l'optimisme qu'affichaient, il y a cent ans, les scientifiques et les médecins devant l'avenir
sanitaire radieux que promettaient les progrès de l'hygiénisme et de la révolution
pasteurienne.

Certes le monde a beaucoup progressé en matière de meilleure santé pour tous, mais ces
avancées sont tempérées par l'existence du plus révoltant des scandales: les très graves
inégalités d'accès aux soins.* «Plus d'un milliard de personnes - constate Mme Gro Harem
Brundtland, directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)- vont aborder le
XXIe siècle sans avoir profité de la révolution sanitaire: leur vie demeure brève et marquée
par la maladie. » De plus le fossé ne cesse de se creuser entre pays riches et pays pauvres, en
matière d'accès aux médicaments existants et de recherche de traitements pour des maladies
absentes ou peu présentes dans les pays développés.

Parmi les principales menaces qui affecteront la santé des êtres humains au cours du XXIe
siècle, figurent certes les maladies cardio-vasculaires qui sont, pour une large part, liées aux
maladies métaboliques - hypercholestérolémie, obésité, diabète - en expansion à cause de la
diffusion du mode de vie occidental, c'est-à-dire la nourriture trop abondante et trop grasse, et

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l'absence d'exercice physique. Mais les maladies infectieuses auront une importance
croissante et tueront, chaque année, des dizaines de millions de personnes. Surtout au Sud.
Toutefois, comme la planète est devenue un village, il va se produire un effet boomerang avec
le retour dans les pays développés du Nord des maladies endémiques des pays pauvres.

La forte croissance de la population mondiale, et en particulier l'émergence de villes géantes


autour desquelles s'est constitué un monde de marginaux, de migrants et d'exclus, favorisent
l'émergence et la réémergence de maladies. Par ailleurs, la mondialisation accélère la
propagation des infections.

Désormais, les maladies voyagent, et les bactéries résistantes voyagent aussi. Naguère le
risque sanitaire n'existait que là où il était produit, mais maintenant la diffusion des maladies
est devenue extrêmement rapide. A cause de la mondialisation, les germes se déplacent à la
vitesse des avions. Des germes adaptés aux conditions de vie d'une population résistante
peuvent se diffuser au sein de populations mal préparées et fort vulnérables. Les virus
circulent, eux aussi, à la vitesse de la lumière. Un tiers des morts, à l'échelle planétaire,
survenues les dernières années étaient dues aux maladies infectieuses graves, comme la
tuberculose, le sida, le choléra, les maladies diarrhéiques des enfants, et tout récemment, la
pneumonie atypique.

La mondialisation connaît des résistances de plus en plus fortes. Dans le domaine commercial,
les opposants à l’OMC* manifestent, notamment lors du sommet de Seattle (décembre 1999)*
et d’autres réunions altermondialistes*, comme le Forum Social Mondial*, et la création de
groupes d’opposition (Attac)*; dans le domaine culturel, la lutte contre l’américanisation
mettant en avant l’exception culturelle ( comme la France et la francophonie) et même dans
l’alimentation, avec les campagnes contre les produits symboliques du fast food américain,
Coca-cola et McDonald’s*. Mais de façon plus radicale, les diverses manifestations du
fondamentalisme, et notamment l’islamisme, en apportent souvent dramatiquement les
preuves de cette opposition.

La mondialisation touche les moindres recoins de la planète, ignorant aussi bien le statut des
individus ou l'indépendance des peuples que la diversité des régimes. Ses fondements sont
politiques autant qu’économiques. A partir de la révolution industrielle, la société a
spontanément construit des systèmes de contrôle du « marché autorégulateur » - un autre nom
du capitalisme, au fond - et de protection de la société contre ses effets destructeurs et
humainement inadmissibles. A partir des années 1870 se construisent des systèmes de

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protection qui concernent à la fois les conditions de travail (durée du travail, travail des
femmes et des enfants, hygiène et sécurité, salaire minimum, etc.) et les assurances sociales
(d'abord les accidents du travail, puis la maladie, la vieillesse, la famille, le chômage). Et ce
n'est possible que parce qu'il existe des Etats capables de protéger à la fois la force de travail
(législation sociale), le marché intérieur (protectionnisme douanier) et la monnaie (institution
d'une banque centrale). Mais entre 1914 et 1945, avec les deux guerres mondiales, la crise de
1929 et la prise du pouvoir par le fascisme, le nazisme et l'impérialisme japonais, le monde se
fragmente, se replie sur le territoire national. Le libéralisme n'a pas été capable de maintenir
les économies ouvertes au sein d'une économie-monde européenne, désormais devenue
économie mondiale sous le leadership de la Grande-Bretagne. La globalisation ne vise pas
tant à conquérir des pays qu'à conquérir des marchés. La préoccupation de ce pouvoir
moderne n'est pas le contrôle physique des corps, ni la conquête de territoires comme lors des
grandes invasions ou des périodes coloniales, mais la prise de possession des richesses. Cette
conquête s'accompagne de destructions impressionnantes. Des industries entières (textile,
chantiers navals, sidérurgie, mines, pêche, etc.) sont brutalement sinistrées, dans toutes les
régions. Avec les souffrances sociales qui en résultent: chômage massif, sous-emploi,
précarité, délabrement sanitaire, exclusions, apparition de nouvelles maladies et réapparition
d'anciennes pandémies.

La mondialisation - économique mais surtout financière s'accompagne de l'effacement des


idéologies issues du XIXème siècle, de l'affaiblissement des Etats-nations, de la dissociation
brutale entre des marchés globalisés et des identités particulières, de l'extension de la
consommation et de la communication de masse, de la fragmentation des cultures. Elle
s'accompagne aussi, et en réaction, de la montée de mouvements identitaires à référence
ethnique, religieuse ou nationale. Leur expression politique est rarement démocratique. Un
peu partout fleurissent des pouvoirs néo-communautaires, des régimes communautaristes, des
tentatives de perpétuer ou de recréer, de manière volontariste et autoritaire, des communautés
homogènes.

Il peut sembler anachronique de parler de « mondialisation » à propos de l’Empire romain.


D’ailleurs, les Anciens n’avaient pas conscience de l’unité du monde, et le mot qui en rend
compte, « oikoumene » ne désigne que les terres habitées. Une « mondalisation » de l’Empire
devrait donc se limiter à une bien petite partie de la planète. Malgré tout, Rome a bien sa
place ici. D’abord, parce que, par certains aspects, elle a unifié un espace comme aucun État auparavant.

A lire : La Mondialisation du capital, de François Chesnais, 2éme édition amplifiée, Editions Syros.

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Pierre Vilain, Les chrétiens et la mondialisation. (Desclée de Brouwer, Paris, 2002, 268 pages.
James Petras et Henry Veltmeyer La face cachée de la mondialisation. Parangon, Paris, 2002, 284 pages.
Sachwald Frédérique (sd) Les défis de la mondialisation. Masson, 1994.

Mondialisation financière L’intégration internationale croissante des marchés et des


économies ; les progrès des technologies et des communications, ont facilité la fusion des
marchés et le resserrement des liens entre les économies nationales. Conséquence, les crises
financières qui éclatent dans un pays se propagent plus vite à d’autres.

Les arguments présentés préconisés par de nombreuses institutions comme le FMI ou la


Banque Mondiale, plaident pour un renforcement du système monétaire, même si cela
aggrave les conséquences planétaires de chaque nouvelle crise financière.« La mondialisation
a créé de nouveaux défis pour nous - avoue un responsable de cet organisme - . Elle a été
bénéfique à de nombreux pays et peuples à travers le monde, et l’intégration à l ‘économie
mondiale est une dimension essentielle à toute stratégie visant à relever les niveaux de vie.
Mais en augmentant le volume et la vitesse des flux internationaux de capitaux, la
mondialisation a aussi accru le risque de crise financière. »

La mondialisation que connaît actuellement l’économie mondiale, et dont les effets touchent
avant tout les travailleurs, est la suite des développements suivants:

En 1971, l’hégémonie nord-américaine sur l’économie mondiale s’est effondrée, entraînant la


disparition de la parité dollar-or et tout le système d’échanges mis en place après la dernière
guerre.

A partir de 1989, l’écroulement de l’ordre mondial a bouleversé les rapports de domination


entre les pays et a encore affaibli la capacité des Etats à réguler le commerce et les
investissements internationaux. Malheureusement, la classe ouvrière internationale n’a pas pu
saisir cette opportunité pour imposer son propre pouvoir et une autre organisation de
l’économie mondiale. En conséquence, ce sont les patrons qui ont triomphé —
temporairement.

Les entreprises multinationales sont donc devenues les véritables puissances, gérant des
budgets plus grands que le PNB des pays “moyens” et capables d’imposer leur volonté aux
Etats. Le capital, toujours à la recherche de la production la plus rentable, déplace ses
entreprises comme autant de pions sur l’échiquier. C’est l’époque de la délocalisation.

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Depuis 15 ans, le commerce mondial s’est développé deux fois plus vite que la production, et
depuis 1983, les investissements à l’étranger ont augmenté de plus de 30% par an en
moyenne.

Les cibles de ces investissements ne sont pas forcément les pays semi-coloniaux. Si
l’exploitation directe des pays dominés par l’impérialisme est au cœur de ce système,
l’écrasante majorité des investissements à l’étranger s’est toujours faite et se fait encore entre
pays riches.

On voit ainsi que plusieurs aspects “novateurs” de la phase actuelle de l’économie mondiale
ne sont que de nouvelles expressions des tendances fondamentales de l’époque impérialiste.

Néanmoins, certains développements sont réellement nouveaux. L’affaiblissement de


l’hégémonie nord-américaine sur les plans politique et économique, et l’effondrement du
système stalinien avec la restauration du capitalisme qui a suivi, ont bouleversé le cadre
d’exploitation établi à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale par les vainquers.

Aujourd’hui, les États-Unis tentent — avec un certain succès — de rétablir cette domination,
à travers leurs succès économiques des années 90, et leurs terribles guerres contre
l’Afghanistan et l’Irak, qui ont reçue le soutien de la plupart des pays, excepté notamment la
France et l’Allemagne.

En parallèle, depuis les années 70, les États-Unis, soutenus par la Grande Bretagne, avaient
décidé de “déréguler” les marchés financiers partout sur la planète, contraignant tous les
autres pays à ouvrir leur économie. Ce tournant a mis fin à la spirale inflationniste des années
70, et a érigé le dogme néo-libéral au rang de “pensée unique”. Cette nouvelle phase de
l’impérialisme, qui touche tous les pays de la planète, explique la mise en place de l’euros, la
politique de la Commission Européenne en matières économique et sociale, et celle du FMI à
l’égard de l’Argentine.

Désormais, la politique économique des plus grands Etats impérialistes a comme maîtres mots
efficacité, réduction des dettes et discipline financière. Cela a eu trois conséquences
importantes :

1) L’explosion des bourses et des marchés des changes. Toutes les bourses de la planète
enregistrent des records historiques car les actions et la spéculation sur les devises
représentent le placement le plus rentable pour le capital financier. Avec l’introduction de
nouvelles technologies et la disparition des contrôles sur l’échange de devises, on assiste à
une spirale vertigineuse de spéculation. Chaque jour, autour de la planète, plus de 10.000

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milliards de francs sont échangés dans la seule spéculation sur les devises ! Cette bulle
d’argent quasiment fictive a déjà perdu beaucoup de sa superbe, lors de l’effondrement des
cours liés à l’Internet et l’après 11 septembre. Mais c’est loin d’être terminé, et elle risque de
s’effondrer complètement un jour ou l’autre.

2) L’attaque contre les « dépenses sociales » —sécurité sociale, retraite, sécurité de l’emploi
— afin de réduire le budget de l’Etat. Les travailleurs de tous les pays impérialistes ( États-
Unis, France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie ), subissent le même genre d’attaques que
celles dirigées contre les travailleurs des plus puissants pays en voie de développement (Corée
de Sud...). Les pays d’Afrique et d’Amérique Latine ont déjà fait les frais de cette politique,
avec une chute dramatique du niveau de vie et la montée en flèche de la pauvreté. Le fait que
ce soit une politique poursuivie par tous les pays nous montre également que le Traité de
Maastricht, même s’il coordonne et rythme la politique anti-ouvrière en Europe, n’est
nullement le seul responsable de ces attaques.

3) Les “délocalisations” d’emplois, afin de profiter de salaires plus bas ou de charges sociales
moins élevées. Une partie importante de cette délocalisation se fait vers les pays sous-
développés ; par exemple, dans l’informatique la sous-traitance est de plus en plus réalisée en
Inde ou aux Philippines. Cette tendance n’est pas nouvelle : depuis longtemps, l’industrie
textile a largement disparu de l’Europe pour être “délocalisée” en Inde ou ailleurs, et les
chantiers navals ont presque disparu de l’Europe et des Etats-Unis pour réapparaître en Corée
du Sud.

La concentration de la production et du capital est parvenue à un degré de développement si


élevé, qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique. La fusion
du capital bancaire et du capital industriel aboutit à la création d’une oligarchie financière, sur
la base de ce “capital financier”.

L’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une


importance toute particulière. Formation d’unions internationales monopolistiques des
capitalistes se partageant le globe.

Dans les parties de la planète qu'elle affecte, la mondialisation financière provoque d'énormes
dégâts sociaux et écologiques : l'Asie orientale en offre un triste exemple. Comment s'en
étonner ? Les capitaux ont-ils jamais eu d'autre finalité que de s'optimiser le plus rapidement
possible, en se souciant comme d'une guigne de la situation des populations et des milieux
naturels de leurs territoires d'implantation, d'ailleurs toujours très provisoires. Le modèle de

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développement qu'ils exportent, celui du Nord riche, est pourtant écologiquement


insoutenable.

Donner sa place au Sud, c'est mettre fin aux politiques d'ajustement structurel : annuler une
grande partie de la dette publique ; augmenter l'aide au développement, alors qu'elle est en
chute libre ; promouvoir, notamment par le codéveloppement, des économies autocentrées ou
en tout cas moins extraverties, seules garantes d'une croissance saine et de la sécurité
alimentaire ; investir massivement dans la construction d'écoles, de logements et de centres de
santé ; donner accès à l'eau potable au milliard d'humains qui en est dépourvu, etc.

Pour le Nord, cela reviendrait à accepter de remettre en cause son propre mode de vie
prédateur, en termes énergétiques notamment, et de mobiliser ses ressources publiques et
privées pour un rééquilibrage planétaire ; en particulier, les centaines de milliards de $ qui
s'investissent dans les folies high-tech. Le lien social ne saurait se limiter à une collectivité ou
une nation. Dans un monde fini, il se doit d'être sans frontières. Si tel n'est pas le cas, il sera
futile de prétendre résister aux forces de déstabilisation (migrations massives, intégrismes…)
auxquelles l'égoïsme du Nord aura frayé la voie. Si la nation est le seul cadre dans lequel les
citoyens peuvent effectivement exercer l'intégralité de leurs droits démocratiques, du moins
quand ils en ont, la globalisation des problèmes à régler et celle des acteurs dominants
(marchés financiers, entreprises transnationales, mafias) imposent des régulations à l'échelle
mondiale. C'est le rôle théorique des organisations internationales et des agences
intergouvernementales, dont les pouvoirs doivent être renforcés. Et, si les Etats-Unis, qui ne
paient pas leur quote-part à l'ONU, souhaitent démanteler les structures multilatérales afin de
privilégier le bilatéral, où ils font davantage la loi, le reste du monde peut au moins envisager
de s'organiser sans eux. Pourquoi un gouvernement européen ou asiatique ne demanderait-il
pas que l'ONU déménage de New York, et le FMI et la Banque mondiale (à supposer qu'il
faille les conserver), de Washington ?

Mais des superstructures internationales sans espace public à la même échelle risquent de
rester des oligarchies ou des bureaucraties. Tout ce qui crée ou consolide les liens
transfrontières et contribue à faire naître une conscience planétaire est bon à prendre : réseaux
associatifs, syndicaux, religieux, sportifs, culturels, ONG humanitaires et autres ;
organisations à fondement linguistique (francophonie, hispanophonie, lusophonie, etc.) ;
partenariats pour l'économie solidaire ou alternative, et commerce équitable. La liste peut
s'allonger indéfiniment.

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Sans idéaliser les associations, au fonctionnement parfois peu démocratique, et sans leur
accorder une représentativité que seul le suffrage universel peut conférer, il reste que leur
foisonnement est une condition sine qua non de la création d'un embryon d'espace public
planétaire, donc d'un moyen de pression et de conscientisation sur les gouvernements et les
organisations internationales dont ils sont membres.

L'indispensable retour au primat du politique et des droits des citoyens implique une
reconquête des espaces perdus au profit de la sphère financière. Certains des moyens à utiliser
sont bien connus : taxation significative du capital, des revenus financiers et des transactions
sur les marchés des changes ; interdiction, pour les entreprises publiques et parapubliques,
d'ouvrir des comptes dans des banques ayant des succursales dans des paradis fiscaux, dont la
liste devra être régulièrement mise à jour et largement diffusée ; campagnes internationales
auprès des actionnaires des entreprises privées en vue du même objectif ; exigence de la levée
du secret bancaire, en particulier en Suisse et au Luxembourg ; refus des fonds de pension
comme solution de rechange aux systèmes de retraite par répartition. C'est sur ces thèmes que
va travailler l'association internationale Attac*

A lire

Monsanto : Firme américaine qui produit du soja transgénique dont le gène rend la plante
tolérante au Roundup, herbicide « total » (il tue toutes les plantes, bonnes ou mauvaises)
commercialisé par cette même société. A ce sujet il faut rappeler que Monsanto avait accusé
une famille d’agriculteurs du Dakota du Nord, les Nelson, de violation du droit de brevet. Elle
était accusé d’avoir mis de côté des graines de soja Roundup Ready en 1998 et de les avoir
plantées en 1999 sans payer les droits correspondants. En mars 2001, le responsable de
l’agriculture de l’Etat avait estimé qu’il n’y avait aucune preuve de la culpabilité des Nelson.
Mais le procès n’a pas eu lieu car un accord tenu secret a été trouvé entre les agriculteurs et
Monsanto.

Les agriculteurs qui adoptent le soja Monsanto, ont l’obligation de n’utiliser que son
désherbant, ainsi l’entreprise vend ses semences transgéniques et augmente fortement ses
ventes d’herbicides (pollution accrue des nappes phréatiques et des sols…)

Lire : Agnès Sinai, « Comment Monsanto vend les OGM », Le Monde diplomatique, juillet 2001.

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Moore, Michael. En 1918, comprenant que le cinéma pouvait être une arme de guerre, un
certain Lénine lançait à travers la Russie soviétique ses trains culturels, équipés de projecteurs
et salles de montage…

Michael Moore est américain et pas communiste, mais il est à lui tout seul une locomotive
lancée à travers le pays que rien ne semble pouvoir arrêter.

Il n’as pas son pareil pour faire naître l’hilarité des situations aux rives de l’absurde. Ainsi
dans ce petit coin de Michigan où débute son film « Bowling for Columbine », nom du lycée
d'une paisible bourgade où deux élèves ont massacré douze de leurs condisciples et un
professeur, avant de se suicider avec des armes à feu acquises en toute légalité, on voit le
réalisateur à la dégaine inimitable entrer dans une banque. Au lieu des traditionnels gadgets,
l’établissement offre à tout nouveau client un fusil, à sélectionner parmi plus de cinq cents
armes en stock. Les munitions, elles, peuvent être choisis à l’occasion d’un passage chez le
barbier.

Loin de se contenter de pointer du doigt les allumés de la gâchette, ou même le cynisme du


lobby des armes à feu, Michael Moore ne cesse de formuler les questions commençant par «
pourquoi ». L'histoire des Etats-Unis d'Amérique, l'ensemble de ses pratiques collectives, sa
politique étrangère du Vietnam à l'après-11 septembre, le racisme, les modes d'organisation
des différentes communautés, la structure de l'habitat, la comparaison avec les autres pays
industrialisés, et jusqu'à la réflexion sur la nature humaine servent à multiplier les pistes criti-
ques.

L'Etat du Michigan est le premier bastion de la Ligue de défense des armes à feu, qu'anime
avec d'inépuisables ressources de mauvaise foi, de fierté cocardière et de démagogie l'acteur
Charlton Heston. Et c'est à Flint, ville natale du réalisateur, qu'a été battu le record du plus
jeune meurtrier par balle, le jour où un gosse de six ans a flingué à la maternelle une gamine
du même âge. Michael Moore, fils d’ouvrier, enfant de la ville, s’interroge : pendant que Flint
s’enfonce dans la misère, où est donc Roger Smith, big boss de la General Motors? La chasse
– filmée- au pdg est ouverte…. Michael Moore avait été rendu célèbre par le documentaire
Roger et moi. Il y essaie de mettre en lumière pourquoi la GM , la principale entreprise de sa
région, en avait programmé la ruine.

Voilà l'ancrage personnel des dossiers que Michael Moore, avec sa caméra têtue, son culot et
sa tête de bon gros Américain, instruit mieux que personne. Son mode d'opération combine
deux approches d'ordinaire exclusives l'une de l'autre. La première est celle du cinéma

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militant, recourant aux données-chocs, aux récits rapprochant efficacement les faits, aux
techniques de l'agitprop. Il pousse le montage au niveau de l’art. Le juxtaposition d’archives,
de documents, de propos et de faits produit des détonations de sens. De petit bourgeois armés
barricadés dans les banlieues pavillonnaires. Des gouvernants qui, il le rappelle avec
précision, ne rechignent pas devant la dépense lorsqu’il s’agir de bombarder un endroit de la
planète. Il est rare de nos jours que cet arsenal soit employé avec autant de puissance
d'impact, dont l'esprit vengeur n'est pas la moindre qualité.

Et il n’est pas courant que semblable approche s'accompagne d'explications sur le discours
officiel. Le pays connaît une phase de croissance historique ? Le chômage est au plus bas ? En
tournée dans les grandes villes américaines pour promouvoir son best-seller Dégraisse-moi
ça !, Michael Moore montre une réalité tout autre: des entreprises florissantes, des bénéfices
records, et des patrons virant des employés pourtant payés au lance-pierre - cinq ou six $ de
l'heure - pour réimplanter leurs usines au Mexique ou en Indonésie.

On a peut-être vu des enquêtes plus rigoureuses, des raisonnements mieux articulés. Mais
personne aujourd’hui n’a comme Michael Moore le talent d’appuyer avec acharnement et
pertinence là où ça fait mal. Et ça fait du bien.

A voir : Films de Michael Moore: Roger and Me, The big one, Bowling for Columbine
A lire: Michael Moore. Mike contre-ataque , La Découverte.

Multinationales Sociétés réalisant au moins un tiers de leur production là où la main d'œuvre


est la moins chère et le fisc est le plus discret, pour vendre sur les marchés les plus
dynamiques, et faire développer les bénéfices.

Dès le début du 20ème siècle, dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917)
Lénine met en cause les firmes industrielles, à l’origine de la Grande Guerre. Les matières
qu’elles convoite sont, notamment, le pétrole, la bauxite et l’aluminium. Dans l’entre-deux-
guerres, la crise ralentit le mouvement de création des multinationales et fait apparaître les
cartels, comme celui de l’acier. Après 1945, aidé par la croissance mondiale, le
développement des transports et le décloisonnement des marchés nationaux, l’essor des
multinationales reflète l’hégémonie des Etats-Unis.

Dans les années 1960, les firmes multinationales héritent du colonialisme, et profitant de la
faiblesse des États du Tiers Monde, utilisent leur main-d’œuvre et ponctionnent plus
facilement leurs richesses.

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Le cas particulier des multinationales américaines est mis en évidence dans Le Défi américain
de Jean-Jacques Servan Schreiber (1969). Il prédit que, faute de réagir, l’Europe sera
colonisée par les firmes industrielles américaines. En Amérique latine, les multinationales
américaines sont créditées d’un redoutable pouvoir politique, susceptible de faire et défaire les
présidents en Amérique centrale (United Fruit) . Le coup de force organisé au Chili contre le
gouvernement de Salvador Allende* illustre l’influence occulte de ces multinationales, ITT
dans ce cas précis. Depuis le début des années 1980, dans un monde en voie d’intégration
économique rapide, les entreprises adoptent une perspective mondiale de leurs marchés, de
leurs unités de production et de leur organisation. Au cours des années 1980, pour faire face à
la crise, certaines firmes ont une stratégie de délocalisation permettant de réduire les coûts de
production grâce a une main-d’œuvre bon marché, ce qui provoque des tensions dans les États
européens. En contrepartie, ce processus étend la croissance à de nouvelles aires
géographiques. Une centaine de grands groupes industriels (comme General Electric, Ford,
Shell) sont les moteurs du système de production mondial intégré.

Par ailleurs, la mondialisation des entreprises par leurs activités transnationales met en cause
la souveraineté des États ; la dérémentation provoque un malaise social. L’échec des
négociations sur l’Accord multilatéral d’investissement (AMI)* puis celui de la conférence de
Seattle (1999), montrent les dangers de la mondialisation.

A lire : Bertand Demazet, David Buttler, Robert Canone. Busines and globalization. Ellipses-Marqueting,
1999.IBSN 2-7298-6862
" Les secrets de Chiquita mis à nu ", Révélations sur les pratiques d’une multinationale. Enquête du Cincinnati
Enquirer * Editions Les Magasins du monde Oxfam, Bruxelles, octobre 1998.

Voici enfin traduite une enquête minutieuse et approfondie, portant sur la multinationale de la banane basée à
Cincinnati. On apprend que le patron de Chiquita, M. Carl Lindner, a toujours été très généreux, que ce soit à
l'égard des démocrates de M. Clinton ou des républicains de M. Dole, déjà à l'époque où John Dulles dirigeait la
CIA. Les témoignages des employés de Chiquita révèlent des conditions de travail atroces, des épandages de
pesticides dangereux pour les ouvriers et pour l'environnement. Un monde de sociétés écrans, de fraudes fiscales,
de détournement des législations locales sur la propriété agraire et sur les contrats de travail, de corruption de
ministres ou même de fonctionnaires européens, d'entraves aux syndicats, de manipulations politiques,
d'enquêtes de la SEC (Securities and Exchange Commission des Etats-Unis, qui contrôle les opérations
boursières), voire de suicides, d’assassinats jusqu’à la destruction d’un village hondurien par l’armée pour que
prospère la culture de la banane.

Musiques du monde Lévi-Strauss constate qu’« il n’y a pas de société sans musique, et il
n’y a pas deux sociétés avec la même musique ». La mondialisation, déguisée en
universalisme, vise à supprimer les identités pour s’approprier d’un marché docile.

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Si l’idée d’une ouverture sur les « autres musiques » est à priori positive, riche d’échanges
culturels, l’histoire récente montre qu’en matière de world music, comme il en est des
matières premières, il ne s’agit pas à proprement parler d’échanges mais d’emprunts, avec
plusieurs conséquences fâcheuses : l’utilisation de musiques traditionnelles dans des produits
de world music contribue souvent à les dénaturer.
Relevons d’autres effets, de nature économique : l’utilisation (on peut même parler de vol) de
sons, de mélodies, de rythmes empruntés par les producteurs occidentaux à l’Afrique, l’Asie,
ou l’Amérique Latine, ne fait que rarement l’objet de convention de droits ou de rétribution
des artistes en bout de chaîne. On profite du désir des musiciens traditionnels de se plier aux
exigences marketing des « majors », de transformer souvent radicalement leurs origines
musicales et donc culturelles pour se faire connaître.
On estime que la création du terme (« musiques du monde ») revient à l’allemand Georg
Capellen. Dans un essai de 1906 intitulé « Un nouveau style musical exotique », il entrevoit
un genre de musique qui engendrerait une ère artistique. Cette dénomination suscite une
réaction de rejet chez nombre d’ethonomusicologues, soucieux de la défense des folklores.
Pour eux, il faut lui donner sa juste valeur de stratégie de conquête du marché.
Sous l’étiquette world music, on trouve aujourd’hui les musiques traditionnelles ou
« musiques du monde » ; c’est à dire, un ensemble de traditions plurielles. Ce sera à Londres,
avec la création du label Realword, par Peter Gabriel (ex-Genesis) et le producteur Stern’s
Mango, que pour la première fois le concept de « world music » est utilisé et défini comme
une ligne de produits marketing. Cela se fera par la fusion plus ou moins réussie de traditions
musicales différentes ; une musique de variété qui pour des besoins strictement commerciaux
suit une mode écologique et mondialiste. On doit mentionner tout d’abord l’explosion du
reggae en Occident, grâce à Bob Marley , et une série de chansons à la fois mélodiquement
simples et bien arrangées.
Sa mort, en 1981, crée un choc intense dans tous les milieux musicaux, car il était devenu une
véritable icône musicale, un compositeur de premier plan, un performer parfait (son charisme
était impressionnant, quasi christique), et le symbole des luttes du Tiers-Monde.
Il faut attendre 1976 et le premier succès planétaire d’un artiste africain, Manu Dibango avec
Soul Makossa, pour avoir la preuve que la musique d’ailleurs peut se vendre.
Alors, dans les années 80, chaque maison de disque se récupère son artiste africain, pour
surfer sur la vague de l’exotisme: Mory Kanté chez Barclay (1988), Johnny Clegg chez WEA
(1988), Salif Keita (1987) RealWorld, Alpha Blondy chez Pathé, pour finir en 1989 par
Youssou N’Dour chez Realworld, devenu depuis un label parmi d’autres de Virgin.

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sà tout crins en 1991 : Amina représente la France à l’Eurosvision, comme le fera Dan Ar
Braz quelques années plu tard… De la Tunisie francisée au folklore armoricain, tout est bon
pour être catalogué world music. Les années 90 vont découvrir que la manne africaine n’est
pas la seule exploitable. On découvre le raï (avec le succès planétaire de Khaled, les bons
scores de Faudel, ou de Cheb Mami), puis la musique latino, qui regroupe dans un même
panier la samba brésilienne, les « papi » cubains dont Compay Segundo, pour arriver à des
fusions électroniques à la Gotan Project.
L’exemple le plus extrême de cette vague de produits world music sur mesure est sans
conteste Deep Forest. Remixant quelques sons de pygmées volés aux ethnomusicologues et
sous couvert d’écologie et de rapprochement des peuples. Ce groupe devient le prototype de
la world music, pas chère, à succès, qui dénature une musique traditionnelle.
Dans l’article intitulé « Identité africaine et mondialisation », Boubacar Boris Diop revient
sur l’exemple de la musique africaine, qui en raison de ses facilités de diffusion et de son
caractère populaire en m^ême temps, est à l’origine de réussites personnelles (Youssou
N’Dour, Salif Keita, Toure Kunda) : « La notoriété internationale de quelques musiciens
incite les autres à marcher sur leurs traces en adaptant les sonorités africaines aux goûts
d’une clientèle mondiale, surtout occidentale (…) ils savent bien que dans le dosage subtil
qu’implique la « world music », il est important pour lui de cibler la clientèle lointaine
surtout friande d’exotisme ».
On peut bien parler de récupération de ces musiques par les majors (maisons de disques,
secteur concentré s’il en est), et des medias. En 2000, Jean-Marie Messier, alors PDG de
Vivendi–Universal utilisait même les exemples de la world music pour se défendre contre les
attaques d’uniformisation de la culture dont son groupe était l’acteur. « Si Faudel, Khaled et
bien d’autres – assurait-il - sont devenus des vedettes extraordinairement populaires en
France et en Europe, ce n’est pas un épiphénomène. C’est le signe d’une mixité croissante
des cultures, un pont entre la France et le Maghreb ». Sous-entendu, c’est grâce à l’action des
compagnies privées qui diffusent (et accessoirement s’enrichissent de) ces « musiques-là ».
Les critères de rentabilité des industries les plus puissantes dictent la standardisation des
produits culturels. L’homogénéisation des goûts, des langages et des valeurs permet aux
industries culturelles de créer des marchés plus vastes pour la diffusion de leur produits. « La
production culturelle devient production mercantile ou culture mercantilisée, une activité
d’entreprise ; ainsi, la consommation culturelle devient consommation mercantile ».
La mise en concurrence extrême et brutale des produits-phares (stars, blockbusters, best-
sellers) et tous les autres produits culturels, s’appuie sur les techniques de marketing mises en

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œuvre par des réseaux de distribution susceptibles d’établir un contact immédiat avec un très
grand nombre de consommateurs. Il s’agit de fabriquer l’artiste « qui voyage le mieux » et
dont la diffusion simultanée à l’échelle planétaire permettra de maximiser les profits ou de
simplement de rentabiliser les investissements engagés. Sa carrière sera soumise à l’examen
quotidien des résultats de ventes à l’échelle planétaire et au cycle, méticuleusement
programmé et contrôlé par la firme discographique, des albums, des tournées et de la
promotion médiatique.
Certes, une musique s’enrichit toujours au contact d’une autre, le tout est de savoir dans
quelles conditions. La world music serait acceptable si elle parvenait à instaurer un véritable
échange, sans pour autant dénaturer chacun des deux systèmes. Il existe des exemples
de belles rencontres, notamment entre le jazz et la musique indienne. Malgré les apparences,
ces deux systèmes musicaux sont fondés sur les mêmes principes : contrainte et liberté, et
liberté dans la contrainte. Les deux donnet une large part à l’improvisation, à l’intérieur d’un
cadre établi.
Alain Swietlik conclue :"La mémoire musicale des peuples est un portrait du monde. C’est un
livre sonore qui parle des peuples dans leur irréductible originalité, qui parle d’humanité
dans son inestimable diversité. C’est ça , la musique du monde . La world music fabrique à
partir des musiques traditionnelles des produits complètement coupés du peuple, des
inventeurs, des pratiquants. C’est la négation de l’esprit d’invention, et l’assassinat à coup
sûr de tout ce qui a généré les formes musicales que le monde découvre et admire
aujourd’hui. »

Lire : Martin D.Roberts Pour une anthropologie musicale, Ecouter-Voir N°62,.


Patrick Tiernay. Au nom de la civilisation . Grasset, Paris.
Etienne Bours Dictionnaire thématique des musiques du monde. Fayard, Paris
Ecouter : Musiques du Monde. Emission de Laurence Aloir sur RFI. (www.rfi.fr)
N

Negri, Toni La révolte de 1968 eut en Italie une ampleur particulière. Le gouvernement
répondit à la rébellion par une stratégie de raideur dont l’effet a été de fortifier certains
groupes d'extrême gauche. A ce moment-là Toni Negri, né le 1er août 1933 à Padoue,
fréquentait des mouvements marxistes, militant au sein du PC italien avant de basculer dans
l'agitation gauchiste. Universitaire, il influença par ses analyses et théories les groupuscules
révolutionnaires italiens, participant à la fondation en 1969 du groupe Potere Operaio.

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385

Il était l'un des théoriciens de la rupture politique, à travers l’alliance des ouvriers avec les
féministes, les étudiants, les exclus... y compris par la violence.
Aux occupations d'usine répondent les violences policières et fascistes, suivis à leur tour par
des attentats d'extrême gauche. Cet engrenage de la violence, qu'on appelle les années de
plomb, culmine avec l'assassinat par les Brigades rouges, en 1976, du premier ministre
démocrate-chrétien, qui cherchait à réaliser un " compromis historique " avec le PCI. La
politique de répression qui suivit provoqua la fuite de nombre d'intellectuels engagés, en
particulier en France, et jeta la suspicion sur la démocratie italienne.
Accusé de complicité dans l'assassinat d'Aldo Moro, Toni Negri fait quatre ans et demi de
prison en préventive dans des quartiers haute sécurité. Il est élu député du Parti Radical en
1983 et cette même année s'exile à Paris. L’ex-directeur de l'Institut d'études politiques de
Padoue devient Chargé de cours à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm. Il enseigne
également à l'université Paris-VIII et au Collège international de philosophie, sans cesser de
publier des ouvrages dont la rigueur et la qualité sont incontestables.

Après quatorze ans d'exil, il rentre de son plein gré le 1er juillet 1997 à Rome, où il est arrêté
à sa descente de l’avion et incarcéré à la prison Rebibbia. Il y purge le reliquat des dizaines
d'accusations de 1979. La plus grande partie de ces charges ayant été levée, Negri n'est plus
enfermé que pour " insurrection armée contre l'Etat " et " responsabilité morale " dans les
affrontements entre les militants d'extrême gauche et la police entre les années 1973 et 1979.
Il retrouve une nouvelle jeunesse dans des luttes altermondialistes. Le capitalisme demeure
encore et toujours le grand ennemi et prêche que « à la globalisation économique actuelle, il
faut répondre en demandant la globalisation des droits des citoyens du monde ».

« Si la démocratie veut tourner la page, écrivait-il récemment, il faut qu'elle reconnaisse


l'existence d'une minorité qui s'est certes trompée, et qui a subi une défaite cuisante, mais qui
a lutté pour obtenir le changement. Cette minorité a payé sa générosité par des milliers
d'années de prison : c'est cette même générosité dont devraient aujourd'hui faire preuve les
instances qui gouvernent l'Italie ».

A Lire, de Toni Negri : La Classe ouvrière contre l'Etat, Galilée, Paris, 1978 ; Italie rouge et noire, Hachette,
Paris, 1985 ; Il domino e il sabotaggio, Feltrinelli, Milan, 1978.

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OCDE. Pur produit de la guerre froide (créée au début pour gérer le plan Marshall et
empêcher l’extension du communisme à l’ouest et laboratoire de la pensée libérale),
l’Organisation de Coopération et de Développement Économique fixe le cadre idéologique
dans lequel s’inscrivent toutes les questions économiques et financières. On ne le dira jamais
assez : c’est le creuset idéologique du monde occidental .
Elle rassemble à Paris les trente pays les plus riches de la planète, qui produisent les deux tiers
des biens et des services du monde. Ses objectifs principaux sont la promotion de
l'économie de marché et du libre-échange. Pour prendre ses décisions, l'OCDE se réunit
chaque année en un conseil qui compte un représentant de chaque pays membre.
Selon l'expression de l'un de ses experts, l’OCDE « examine, élabore et perfectionne» les
politiques économiques et sociales des Etats membres. Une mission floue mais très influente.
De l'environnement à l’agriculture, en passant par la technologie ou la fiscalité, ses
recommandations persuadent toujours ses membres d'adopter des politiques orthodoxes,
monétaristes, acquises au libéralisme et à l’euros-échange.
Dotée d'un budget de 200 millions de $ (227 millions d'euros), l'OCDE abrite à Paris 1850
permanents, dont 700 experts qui accouchent annuellement de 12000 documents, 300 livres et
25 périodiques. En crise de légitimité, l'OCDE s'est efforcée de se diversifier. Elle promeut la
biotechnologie comme la sécurité alimentaire. Récemment, l'un de ses rapports a vanté les
politiques de lutte contre l’exclusion. Un autre a redécouvert les mérites de l'Etat -providence.
Mais le souci de dialogue avec les contestataires ne passe pas toujours. Ainsi, les Amis de la
Terre avaient remis à Donald Johnston, secrétaire général de l’OCDE, un «trophée de
l'hypocrisie», épinglant l' «utilisation opportuniste du thème du développement durable pour
améliorer son image ».
A lire :

OGM En cette époque de forces mondialisatrices, où les organismes bureaucratiques


investis de pouvoirs réglementaires et les grandes entreprises étendent leur emprise sur la
société, les Européens ont l’impression que leur alimentation est le dernier vestige d’identité
culturelle où aient encore leur mot à dire. A la différence des Etats-Unis, ou la population a
accepté depuis longtemps la culture de la nourriture rapide imposée par les entreprises, la
nourriture et la culture sont, en Europe, intimement liées : chaque région est fière de ses
traditions culinaires et exalte ses produits locaux. Il n’est donc pas étonnant que la majorité
des Européens aient jeté l’anathème sur les aliments génétiquement modifiés.

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Il s’agit d’une plante, animal, micro-organisme dont on a transformé le patrimoine héréditaire


afin de le doter de propriétés que la nature ne lui a pas attribuées. Ce résultat est obtenu par
manipulation de l’Acide Désoxyribo Nucléique (ADN), qui est le principal constituant des
chromosomes et donc le porteur de la transmission. Par conséquent, un OGM est un être
bricolée auquel on rajoute un ou plusieurs gènes (par exemple un gène humain dans un porc
pour obtenir des bêtes plus musclées ou moins grasses).

Hormis les quelques manipulations dénoncées dans la mise au point des OGM, leur principe
touche au fonctionnement même du vivant et repose sur des avis scientifiques qui ne sont pas
des certitudes. La embarras majeur est celui de la dissémination. Les propriétés conférées aux
OGM ne risquent-elles pas de se transmettre à d’autres individus dans l'environnement? Peut-
on imaginer qu'une plante adventice devienne résistante à un herbicide? Une bactérie rebelle à
un antibiotique?
Les critiques portées à l'encontre des OGM tiennent à la fois à des incertitudes techniques et
scientifiques et à la remise en cause d'une certaine conception de la production agraire, ainsi
que des échanges agricoles mondiaux.
Alors même qu'aucun scientifique ne peut garantir l'innocuité des OGM, le gouvernement de
M. George Bush exige de l'Union européenne qu'elle lève son « moratoire de fait » sur de
nouvelles importations de ces produits. Et il prend lui même des mesures protectionnistes sur
le Roquefort ! L’UE a répliqué qu’il n’y avait aucun moratoire et a fait observer qu’elle avait
donnée son accord à deux demandes d’importations de semences transgéniques en 2002.
Quoiqu’il en soit, l’offensive du président Bush risque de déclencher une nouvelle querelle
entre les deux superpuissances, une querelle dont les retombés à long terme pourraient être
plus grave que le désaccord sur l’Irak.

En laissant entendre que l’opposition de l’Europe aux OGM équivaut à condamner des
millions de personnes à mourir de faim dans le tiers-monde, la Maison-Blanche a aggravé
une situation déjà peu brillante. Les commentaires du président Bush ressemblent davantage à
une campagne de relations publiques qu’a un discours politique fondé sur des arguments
cohérents.

Déjà, en janvier 2002, la secrétaire américaine à l'agriculture, Mme Ann Veneman, rappelait,
dans un discours prononcé à Oxford, que les Etats-Unis s'appuient toujours sur de la « science
solide », alors que « malheureusement, en Europe, [il existe] un concept concurrent qui
s'appelle le principe de précaution, lequel semble reposer sur la seule existence d'un risque
théorique ». Huit jours plus tard, son sous-secrétaire d'Etat aux affaires économiques et

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agricoles, M. Alan Larson, devenu conseiller économique de M. Colin Powell, faisait de la


surenchère à Bruxelles, en déclarant que « la patience des Etats-Unis est à bout ».

Il est vrai que pour les Etats-Unis les enjeux économiques son considérables. Les sociétés de
biotechonologie ont investi massivement dans le développement des couches génétiquement
modifiées, qui sont désormais utilisées pour la culture de 75% du soja, 71% du coton et 34%
du mais produit par le pays. Mais, au yeux de Washington, cette querelle no concerne pas que
les exportations On sait de source officielle que, même si le marché européen reste fermé, il
s’agit d’envoyer un signal fort aux autres pays pour les dissuader de prendre des mesures
restrictives similaires.

Le protocole de Cartaghène sur la biodiversité, avalise le principe de précaution. Ce protocole


( qui prend effet cet automne de 2003 crée la rupture : il va concurrencer les règles
commerciales de l’OMC et permettre de refuser l’importation des OGM, une menace
insupportable pour les multinationales.

Les Etats-Unis semblent déterminés à attaquer les principes stricts de l’étiquetage voté par le
Parlement européen. De plus, si les pollens des plantes génétiquement modifiées contaminent
les autres plantes, la distinction deviendra impossible à maintenir bien longtemps.

Loin de résister aux pressions de Washington, la Commission européenne les relaie


complaisamment chez les Quinze, et le commissaire Pascal Lamy garantit à ses interlocuteurs
américains qu'il ne se battra pas pour l'application du principe de précaution.

En ratifiant, vendredi 13 juin 2003 à New York, le protocole sur la biosécurité, l'Etat insulaire
de Palau permettra enfin et peut-être l'entrée en vigueur du traité qui régit le commerce des
OGM. Signé en janvier 2000 à Montréal, le protocole, dit aussi «de Carthagène », devait
recevoir la ratification de cinquante Etats pour entrer en vigueur. Ce chiffre atteint grâce à
Palau, le Protocole sera applicable à partir du 1l septembre 2003 - quatre-vingt-dix jours après
sa signature.

Le traité régit les mouvements internationaux d'OGM. Toute semence transgénique devra, à la
première arrivée dans un pays importateur, obtenir un accord préalable de ce dernier. Le pays
peut s'opposer à l'importation en se référant au principe de précaution ainsi qu'à des
considérations socio-économiques. Il prévoit aussi l'étiquetage des cargaisons d'OGM. Le
texte n'a pas été signé par les Etats-Unis, qui ont lancé une plainte auprès de l'Organisation
mondiale du commerce contre l'Union européenne à propos des OGM..

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Ils arguent que les risques supposés peuvent être écartés à la simple condition que l’on ne
consomme pas d’OGM. Le problème est qu’on ne peut pas les éviter que si l’on sait que la
nourriture en contient ou non. De plus, si les pollens des plantes génétiquement modifiées
contaminent d’autres plantes, la distinction deviendra impossible à maintenir bien longtemps.
Si interdire les OGM peut sembler une restriction des libertés du consommateur ( quelqu’un,
quelque part, qui sait, pourrait les trouver délicieux ), ne pas les interdire représenterait en fait
une bien plus grande intrusion dans nos libertés.
Aiguillonnée par les multinationales du complexe génético-industriel, l'administration Bush
s'impatientait : certains Etats membres de l'Union européenne - dont la France - s'obstinaient à
ne pas suivre les propositions de la Commission de Bruxelles, qui avait fait siens les
desiderata de Washington. Pour reprendre le titre d'un article du Financial Times (10 janvier
2003), « les Etats-Unis sont prêts à déclarer la guerre sur les OGM » .

Une nouvelle étape a été franchie le mercredi du juillet, avec le vote par le Parlement
européen d’un texte définissant les modalités selon lesquelles le citoyen pourra demain être
informé –via l’étiquetage – de la nature des aliments d’origine végétale qu’il pourra ou non
consommer. L’inconvénient avec ce vote est qu’il met tout le monde d’accord. Adversaires
acharnés et partisans en conviennent : le processus planétaire de banalisation des végétaux
génétiquement modifiés est irréversible et progresse à grands pas.

Ce vote, préalable à la levée d’une forme de sursis observé depuis 1999 dans l’union
européenne vis à vis de la commercialisation et de la culture de ces végétaux, n’aura
malheureusement été accompagné d’aucun effort de pédagogie et de vulgarisation vis à vis
des consommateurs.

La fragile digue un instant dressée par le Vieux Continent face aux premiers produits
alimentaires issus de la domestication génétique américaine se fissure. Une telle brèche
ouvrira-t-elle de nouvelles perspectives dans les rapports rationnels ou fantasmatiques que
nous entretenons avec nos aliments et avec la nature? Sommes-nous ici à l’aube de scandales
sanitaires et environnementaux d’une portée sans précédent ?

L’Union européenne dispose d’une carte essentielle. Tout comme elle s’oppose, pour des
raisons sanitaires, à l’importation de viandes bovines américaines traitées aux hormones,
l’Union peut aujourd’hui, au non de la science œuvrant au bénéfice de la santé ( celles des
plantes, des animaux et des hommes ), mettre en place sur son sol un dispositif d’étude et de
surveillance que les Etats-Unis n’ont jamais su, pu ou voulu installer ces dernières années.

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390

En attendant, le pays ou groupe de pays qui ne veut pas importer tel ou tel produit (ce qui est
le cas pour le bœuf aux hormones dans l'Union européenne) sera toujours contraint de prouver
que ce produit présente un danger. Les exportateurs, eux, continueront à être dispensés
d'apporter la preuve de son innocuité. Le lobby américain, appuyé à Washington par toute la
machine gouvernementale, prétend que le moratoire européen représente un manque à gagner
de 300 millions de $ pour le seul maïs, et il pousse d'autant plus fort à la roue qu'il est alléché
par la perspective d'un monopole américain potentiel sur tous les produits agricoles OGM.

Pourtant, aussi bien la prestigieuse Royal Society britannique que la British Medical
Association (BMA) témoignent de sérieuses inquiétudes sur le sujet. Ainsi la BMA déclare
que « Au nom du principe de précaution, les essais d'OGM en plein champ ne devraient plus
être autorisés ».
On va vers une monopolisation du vivant par une poignée de firmes, doublée d'une
confiscation de la diversité génétique. Le 6 novembre 2001, à Doha, 64 des plus puissants
groupes et associations de producteurs agricoles américains (dont Cargill, Monsanto, le Farm
Bureau, les Grocery Manufacturers, etc.), représentant des milliards de $ d'exportations,
écrivaient au Secrétaire au commerce et à l'agriculture, pour dénoncer le principe de
précaution et les « mesures illégitimes et autres barrières techniques au commerce » mises en
oeuvre par l'Union. Ces organisations sommaient les gouvernements de ne plus laisser
bafouer les accords de l'OMC.

Le commissaire européen chargé du commerce, M. Pascal Lamy, semble partager cette


vision. Avant la signature de la déclaration de Doha, et pour le rassurer, il écrivait à son ami
Robert Zoellick, représentant spécial du président des Etats-Unis pour le commerce
international (USTR) : « Vous m'avez fait part des profondes préoccupations de votre
gouvernement, particulièrement en ce qui concerne le commerce des produits
biotechnologiques, et la mise en oeuvre des aspects commerciaux des accords multilatéraux
sur la biosécurité, actuels ou futurs, en exprimant votre souci que l'Europe pourrait se servir
des négociations décidées à Doha comme moyen pour justifier des barrières illégitimes au
commerce. A cet égard, et en tant que négociateur de la Commission européenne, je vous
écris pour vous garantir que ce ne sera pas le cas. Je veux également vous assurer que je ne
me servirai pas de ces négociations pour changer l'équilibre des droits et des obligations au
sein de l'OMC en ce qui concerne le principe de précaution ».
La dernière phrase de cette lettre en dit long : pas question que l'Union demande le
renforcement du principe de précaution.

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Le risque est grand de voir s'instaurer officiellement un directoire technologique et financier


des pays riches, une sorte de « G 8 du médicament», décidant de tout, du niveau des
recherches comme du lancement (ou non) de tel ou tel produit. Cela accentuerait encore les
déséquilibres: les pays développés, très solvables, disposeraient de thérapies de pointe, fort
onéreuses et protégées par le droit de propriété intellectuelle; les autres pourraient en
bénéficier quand seraient épuisés les droits de brevet ne seraient plus en vigueur... vingt ans
plus tard et quelques centaines de milliers de morts après.
A Lire : Hervé Kempf. La guerre secrète des OGM, L’Histoire immédiate. Seuil 2003.
Guy Paillotin Tais-toi et mange: l’agriculteur, le scientifique et le consommateur. Bayard, 2000, 180 p.
Bulletin de l'Académie nationale de médecine, 186, n° 9, séance du 10 décembre 2002.
Académie des sciences, Les plantes génétiquement modifiées , rapport Science et technologie, n° 13, décembre
2002.
Jeremy Rifkin Le siècle biotech: le commerce des gènes dans le meilleur des mondes, La Découverte, Paris,
1998.

OIC John Maynard Keynes, l'artisan de la Banque mondiale et du FMI (considérés à l'époque
comme des institutions progressistes), aurait bien voulu ajouter un troisième pilier à son
édifice de l'après-guerre. Avant sa mort, survenue en 1946, il avait préparé le terrain pour
cette Organisation internationale du commerce.

Il a d’ailleurs très convenablement accompli son travail. En quarante-cinq ans, les pays
membres et leurs experts, réunis au cours de Rounds ou cycles de négociations successives,
(Kennedy, Tokyo, Uruguay, etc.), ont réussi à abaisser les tarifs douaniers d’une moyenne de
40-50%. Mais ces réunions ne s’occupaient que des marchandises (textiles exclus) ; elles
n’avaient pas compétence pour les produits immatériels par définition ; agricoles, services et
la propriété intellectuelle. A la longue, les transnationales ont compris les avantages d’un
accord similaire dans leurs domaines. Elles ont décidé de bâtir un nouveau service qui
s’occuperait de leurs intérêts dans un cadre plus large.
Les statuts de cette OIC ont été signée par 56 pays lors d'une conférence internationale tenue à
Cuba en 1947-1948. Les États-Unis ont toutefois refusé de la ratifier. Était-ce parce que ses
statuts prévoyaient de substantielles garanties pour les travailleurs et encourageaient les
accords entre producteurs de matières premières? Toujours est-il que seul le chapitre IV de
cette Charte a survécu, sous le nom du GATT* et c'est cet office qui a servi de cadre, à partir
de 1948, pour réduire progressivement les droits de douane sur les produits manufacturés.

A lire :

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OMC Sans une organisation de cette nature, ne serait-ce pas la loi de la jungle? Ne profite-t-
elle pas à tous les pays, riches et pauvres, forts et faibles? Alors, pourquoi ne l’aime-t-on pas ?
Pourquoi suscite-t-elle tant de méfiance et d'opposition? Pourquoi Attac et bien d'autres
luttent pour amender, transformer, voire supprimer un organisme qui prétend être nécessaire
pour réglementer le commerce entre les nations de plus de 6000 milliards de $ annuellement ?

L'OMC a été conçue et voulue par les pays développés (surtout les Etats-Unis) et par leurs
entreprises transnationales. Elle a été créée pour aller au-delà du GATT de 1947, qui ne
couvrait que les produits industriels et ne pouvait imposer d'arbitrages en cas de litige. Les
divers Accords qui en résulteront vont régir non seulement les biens industriels, mais aussi les
services, l'agriculture et la propriété intellectuelle.
L'un des Accords instaure le "tribunal" appelé l'Organe de règlement des différends, dont les
décisions sont contraignantes. D'autres accords fixent des normes et des règles (par exemple
sur les barrières techniques au commerce, ou les mesures sanitaires et phytosanitaires). Les
pays membres doivent se plier à la loi du tout ou rien et accepter l'ensemble des accords -
deux bonnes douzaines - consignés dans 600 pages serrées et des milliers de feuilles annexes.
Ils signent le tout à Marrakech en avril 1994. L'OMC voit le jour le 1er janvier 1995 et
s'installe à Genève dans l'ancien siège du GATT.
L'OMC compte aujourd'hui 145 pays membres. Ses langues officielles sont l'anglais, le
français et l'espagnol mais, comme c'est souvent le cas, l'anglais est la véritable langue de
travail. Le secrétariat est censé être purement technique et n'exercer aucun pouvoir politique;
en fait, les textes rédigés par ses fonctionnaires révèlent la nette orientation libérale de
l'organisation. Formellement la règle « un pays-un vote » la régit. En pratique, il n'y a jamais
de vote ; le plus souvent, les Etats-Unis, l’Union européenne, la Canada, et le Japon décident
et cela s'appelle le consensus. Bien des pays pauvres n'ont même pas d'ambassadeur auprès de
l'OMC à Genève, et aucun n'a le personnel nécessaire pour suivre un grand nombre de
négociations et de comités divers en parallèle. Quant à l'Union européenne, c'est la
Commission qui représente ses quinze membres dans toutes les négociations.
La loi du marché y prime sur le droit national ou international; l'environnement, la démocratie
et la capacité des Etats à gouverner chez eux sont mises à rude épreuve car, contrairement au
GATT qui s'arrêtait aux frontières, les règles de l'OMC lui permettent de s'immiscer dans les
affaires intérieures des pays membres.
Après sept ans d'existence, l'OMC affiche un triste bilan: déstabilisation des productions
agricoles vivrières des pays en développement; subordination de la préservation de

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l'environnement, de la sécurité sanitaire et alimentaire et des droits économiques et sociaux à


l'idéologie libre-échangiste et aux intérêts des entreprises transnationales; brevetage du vivant;
allongement généralisé de la durée des brevets à 20 ans contre les intérêts, parfois vitaux,
d'une large majorité de gens.
La OMC a pour seul objectif la suppression des entraves au commerce mondial. Son postulat
est que plus il y aura de commerce, et plus il y aura de croissance et de richesse pour tous. En
fait, l'histoire économique démontre exactement le contraire: le libre-échange profite
essentiellement aux forts, et ruine les faibles, comme l'atteste la situation de nombreux pays
d'Afrique et d'Amérique latine qui avaient cru à cette chimère idéologique, ou se l'étaient fait
imposer.

Par exemple, en 1999, l’OMC a autorisé les Etats-Unis à exiger des droits de douane de 100%
d’un montant total de 700 millions de francs à certains produits français, italiens, belges et
autres- parmi lesquels le roquefort, en guise de représailles contre le refus de l’Union
européenne d’importer de la viande aux hormones américaine.

Imperturbables, les Etats-Unis et la Commission européenne proposent néanmoins de mettre à


l'ordre du jour la « libéralisation» - comme on dit pudiquement - de secteurs qui, dans des
pays comme la France, relèvent encore du service public, c'est-à-dire de la solidarité
nationale. Ce qui est ainsi programmé - si les citoyens n'y font pas barrage -, c'est un véritable
basculement dans un univers où tout deviendra marchandise, y compris le corps humain. Et
cela au seul profit des institutions financières et des multinationales, avides de pénétrer des
terrains dont elles étaient jusqu'ici exclues, et sans que l'on ait jamais demandé leur opinion
aux électeurs. On est très loin, on le voit, de simples considérations de commerce
international.

Et ce n'est qu'un début : les textes instituant l'OMC, signés à Marrakech en 1994, visent, étape
par étape, à organiser, à l’échelle mondiale, l'ensemble du commerce selon les principes de la
" liberté" des échanges marchands et de la concurrence parfaite. Ainsi, en application des
principes de l' accès au marché et du traitement national, l'OMC intervient non seulement
dans le commerce pratiqué à l'intérieur de chacun des Etats, mais aussi dans leurs lois et
règlements, tant au niveau national que local ; à soumettre des domaines toujours plus
nombreux de l'activité humaine à la sphère financière…
L’OMC a des compétences beaucoup plus vastes que celles liées aux accords de libre-
échange. D'où les risques supplémentaires qu'elle fait courir au développement des pays
pauvres. Malgré cela, la plupart d'entre eux veulent continuer à en faire partie. Ils la tiennent

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pour un moindre mal, dans


la mesure où elle leur permet de se faire entendre dans le fonctionnement du système
commercial, chaque Etat disposant, en théorie, d'une voix. Elle leur accorde une protection
minimale contre les pressions bilatérales en faveur de la libéralisation de leurs échanges
venant des pays développés, principalement des Etats-Unis.
En 1999, à Seattle, la précédente Conférence ministérielle de l'OMC entendait confirmer et
renforcer cette orientation en ouvrant un nouveau cycle mondial de libéralisation
commerciale: le cycle dit du Millénaire. Elle échoua en raison de désaccord des pays riches
entre eux, et entre eux et les pays pauvres, et aussi grâce à l'action de dizaines de milliers de
manifestants. A l'occasion de la nouvelle Conférence ministérielle de l'OMC, du 9 au 13
novembre 2002 à Doha (Qatar), les Etats-Unis et l'Union européenne, entendaient relancer le
projet laissé en suspens à Seattle.
Ils se heurtent à une opposition de plus en plus résolue de syndicats, de mouvements sociaux,
d'élus qui se refusent à accepter la marchandisation du monde, avec les entraves inévitables
pour les pays pauvres.
Cette situation pourrait bien ne pas durer en raison du ressentiment des pays en
développement à l'égard du fonctionnement réel de l'OMC : apparemment « démocratique »,
elle est en fait dirigée par une oligarchie de pays riches. Non pas simplement parce que ces
derniers disposent du pouvoir implicite d’amadouer ou de menacer les plus faibles, cas de
figure classique dans une démocratie composée d'acteurs de poids inégal. Le problème est
qu'ils ne se donnent même pas la peine de sauver les apparences, comme on le constate dans
les réunions dites du «salon vert» où les représentants des pays en développement ne sont pas
invités, et auxquelles on leur interdit l'accès s'ils se présentent à la porte!
Si l'OMC continue à priver les pays pauvres des outils de leur développement, leur départ en
masse ne saurait être totalement exclu. A l'inverse, ils pourraient tenter d'utiliser pleinement
les mécanismes démocratiques de l'Organisation en vue d'en renégocier les paramètres
fondamentaux. Dans cette hypothèse, les pays les plus puissants, et tout particulièrement les
Etats-Unis qui ont érigé l'unilatéralisme en doctrine, pourraient décider de quitter l'OMC
plutôt que de risquer la défaite dans un scrutin.
Dans les deux cas, ce serait fini du libre-échange tel que nous le connaissons. Et ce ne serait
pas nécessairement à regretter, tant est déplorable son bilan des deux dernières décennies.
Remettre l'OMC à sa place, ces " petits livres" à moins de 2 €, édités par Attac en collaboration avec les éditions
des Mille et une nuits, se sont vendus à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires. Leur objectif: faire de la
vulgarisation sur des sujets d'économie réputés ardus.

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OMS Instituée en 1946 par l’ONU, l'Organisation mondiale de la santé réunit les
représentants des 191 pays membres. Elle élit pour trois ans un Conseil exécutif de
représentants (rééligibles) de 32 pays, et désigne, sur proposition du Conseil, le directeur
général pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. La structure administrative de
l'OMS comporte, outre le siège à Genève, six bureaux régionaux, dont les directeurs. Élus
également pour cinq ans par les représentants des Etats de leur région et renouvelables une
fois, ils jouissent d'une grande autonomie par rapport au siège. L'OMS publie tous les ans un
Rapport sur la santé dans le monde.

Alors que des épidémies dévastent la planète, peut-on compter sur cette organisation pour
répondre au défi de « la santé pour tous » ? L'avidité des grands laboratoires, un des premiers
obstacles, n'a guère rencontré d'opposition de la part de l'organisation. Sa directrice générale,
Mme Gro Harlem Brundtland, qui doit solliciter en juillet 2003 ATTENTION un
renouvellement de son mandat, leur a même largement ouvert les portes, accélérant la
privatisation d'un système mondial de santé qui court à la faillite. Dès le début de son mandat,
le 13 mai 1998, Mme Brundtland avait annoncé les principes de sa stratégie devant la 51ème
Assemblée: « Nous devons nous ouvrir aux autres. » Quels « autres » ? Essentiellement le
secteur privé, auquel un partenariat était proposé, ainsi que les principales organisations
multilatérales : Banque mondiale, FMI et OMC. « Nous devons protéger les droits des
brevets - renchérit-elle - pour garantir que la recherche-développement nous fournira les
outils et les technologies nouvelles (...). Nous avons besoin de mécanismes pour empêcher la
réexportation de médicaments à bas prix vers des économies plus riches. » Cette vibrante
profession de foi en faveur des brevets pharmaceutiques n'a pas été prononcée par le PDG
d'une multinationale de la chimie, mais encore par Mme Gro Harlem Brundtland elle même,
le 29 janvier 2001, au Forum économique mondial de Davos.
Au cours de la même réunion, Mme Brundtland n'avait pas été avare de louanges aux firmes
pharmaceutiques : « L'industrie, avait-elle remarqué, a fait un effort admirable pour remplir
ses obligations par ses dons de médicaments et ses réductions de prix. » Un « effort » d'autant
plus méritoire qu'il avait été effectué malgré « la préoccupation ds firmes pharmaceutiques de
fixer de prix inférieurs pour les médicaments dans les pays en voie de développement ». Un
brevet de moralité décerné aux multinationales... tout juste cinq semaines avant l'ouverture du
procès intenté, à Pretoria, par une quarantaine d'entre elles contre le gouvernement sud-
africain, coupable de préparer l'importation des médicaments génériques d'autres pays en
développement...

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Mme Gro Harlem Brundtland , ancien premier ministre norvégien, s'était rendue célèbre par
la publication, en 1987, sous l'égide de l'ONU, d'un rapport sur l'environnement introduisant
le concept de développement durable. Nommée avec l'appui des principaux pays contributeurs
pour mettre de l'ordre dans une organisation affaiblie par plusieurs affaires de corruption et
par la mauvaise gestion de son prédécesseur, le Japonais Hiroshi Nakajima.
Le budget de l'OMS s'élève à environ 1 milliard de $ par an. Seuls 41 % proviennent des
contributions obligatoires des Etats membres, qui ont diminué de 20 % en dix ans. Le reste est
constitué de contributions volontaires provenant pour 61 % des Etats, pour 17 % de
fondations et pour 16 % d'entreprises privées. Ces contributions volontaires financent des
actions bilatérales échappant au contrôle du Conseil exécutif. Elles rendent l'OMS de plus en
plus dépendante des principaux donateurs.
Onze priorités de santé publique ont été définies, qui remplacent la cinquantaine de
programmes existant au préalable. Les projets dits « du cabinet », aux intitulés très
médiatiques - « Faire reculer le paludisme », « Initiative pour un monde sans tabac»,
« Partenariats pour le développement du secteur sanitaire » -, viennent en tête, suivis de près
par « Halte à la tuberculose » et par le programme de lutte contre le sida. Cette restructuration
a été accueillie favorablement par la majorité des pays riches, et en particulier par les Etats-
Unis.

A lire

ONG C’est à partir de l’après-guerre, et plus encore sur les 30 dernières années, qu’on a vu
fleurir les « pompiers humanitaires » . Les plus connues du grand public interviennent après
des catastrophes naturelles (cyclone, inondation, tremblement de terre..), lors de conflits ou de
crises ponctuelles (famines, récession), ou pour apporter des solutions d’urgence dans les
domaines de l’alimentaire, de la santé ou du social.

Dans les faits, il n’existe pas de définition officielle commune, l’appellation ONG recoupe
aussi bien des associations, des syndicats, des entreprises, les Eglises, certains centres de
recherches universitaires également. On estime cependant que sur la dernière décennie, une «
labellisation ONG » est accordée à certaines associations par les institutions internationales
( voir ONU, UE, FMI…) dés lors que ces associations, par leurs actions, ont su démontrer
leur compétence dans des domaines tels que l’économie, la justice, la santé, l’éducation,
l’environnement, la recherche.

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397

Les ONG, particulièrement les grandes organisations internationales, ont acquis, au cours des
trente dernières années, un poids considérable et peuvent infléchir les politiques nationales,
déterminer la «mise en agenda» d'un problème ou même peser sur les décisions et
fonctionnements de la politique mondiale. On connaît le rôle joué par des organisations
humanitaires françaises comme Médecins sans frontières, née lors de la crise du Biafra en
1971, qui regroupe, outre 200 permanents, des milliers de volontaires ; ou encore Médecins
du monde (née en 1980), mais aussi Action internationale contre la faim dans le monde. C'est
MSF qui, la première, a attiré l'attention sur la famine de la province sécessionniste nigériane.
L’organisation a également été l'un des instruments de définition du « droit d'ingérence »
doctrine de politique internationale adoptée par la diplomatie française à la fin des années 80.
Les ONG humanitaires (dont la principale demeure la Croix-Rouge) ont contribué à la «prise
de conscience» du monde, renforcée par la globalisation économique d'un côté et la fin de la
guerre froide d'un autre.

Avec la problématique de la mondialisation* est apparu un nouveau type d’ONG. Entrent


dans cette catégorie les mouvements plurinationaux (plus ou moins importants en termes
d’effectif et de budget) nés de la révolte contre le néo-libéralisme*. C’est le cas du Forum
Social Mondial de Porto Alegre, ou de l’association Attac*.

Il convient également de distinguer plusieurs types d’ONG suivant qu’elles sont ou non
subventionnées par des Etats ou des institutions internationales, car en leur indépendance dans
leurs choix et action dépend. Par exemple le budget de Greenpeace* (100 millions d’euros en
2001) ne provient que des souscriptions, alors que Max Havelaar* en France fonctionne avec
des subventions de l’Union Européenne et du Ministère des Affaires étrangères français.

On sait, par ailleurs, que certaines ONG (notamment américaines) présentes en Amérique
Latine ou en Afrique, ont, sous prétexte d’actions de développement, servi de cellules
d’espionnage localEq DaPq397P quelques années, les entreprises privées ont compris l’intérêt
médiatique (et par là-même l’intérêt mercantile) de s’associer à certaines ONG, qui leur
délivrent labels de qualité, d’éthique, de commerce équitable* ; c’est notamment le cas des
entreprises de la grande distribution en France

Ainsi se diffuse l’idée d’une dérive liée aux ONG vers ce qu’on a appelé « la privatisation de
l’action publique ». Tout en reconnaissant le travail d’urgence et de fonds qu’elles
accomplissent, on leur reproche (mais est-ce à elles qu’on doit le reprocher ?) de se substituer
au pouvoir politique et de suppléer aux manquements des gouvernements. Ces derniers

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peuvent désormais se reposer sur ces seules ONG et sur la sphère associative d’un point de
vue local, pour gérer les problèmes inhérents à la mise en place des politiques d’ajustement
structurel (PAS).

La mise en œuvre de politiques néo-libérales dans un certain nombre de pays défavorisés a


conduit à la privatisation des secteurs de la santé, de l’éducation et du social. Désengagé de
ses responsabilités dans ces secteurs, le monde politique s a accueilli très favorablement
l’éclosion multiple des associations et autres ONG gérant à sa place la satisfaction des besoins
humains élémentaires (alimentation, santé, éducation ) .

Dans certains cas, on estime même que le déploiement de certaines ONG a été fortement
encouragé par le FMI et la Banque Mondiale, dans le but d’affaiblir - en créant ces structures
parallèles que sont les associations – les administrations en place.

L’exemple d’Haïti est particulièrement éclairant (et dramatique) en la matière ; sous


l’influence américaine, le pays a été « partagé » entre 300 associations ou organisations
confessionnelles (dont certaines ont un fonctionnement de type « sectaire »), qui remplissent
les rôles d’éducation, pourvoient aux besoins alimentaires ou de santé.

A Lire : A lire : Blaise Lempen. La mondialisation sauvage : de la fin du communisme à la tragédie du Kosovo.
P.M.Favre, 1999

Rapport sur le développement humain 2002- Banque Mondiale


www.coe.int (conseil de l’Europe)
www.un.org

Paradis fiscaux On connaît le mot de Chateaubriand : « Neutres dans les grandes révolutions
des Etats qui les environnaient, les Suisses s'enrichirent des malheurs d'autrui et fondèrent
une banque sur les calamités humaines. » Une oligarchie financière règne depuis près de deux
cents ans sur un Etat et un peuple dont la législation, le système idéologique et les
bureaucraties électorales sont étroitement adaptés à ses besoins. Grâce à un système bancaire
hypertrophié, grâce aussi à ces institutions que sont le secret bancaire et le compte à numéro,
cette oligarchie fonctionne comme le receleur du système capitaliste mondial.

Il serait abusif d’accabler la Suisse. 95 % des paradis fiscaux sont d'anciens comptoirs ou
colonies britanniques, français, espagnols, néerlandais, américains, restés dépendants des
puissances tutélaires, et dont la souveraineté fictive sert de cache-sexe à une criminalité
financière non seulement tolérée, mais encouragée parce qu'utile et nécessaire au

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fonctionnement des marchés. La City de Londres - comme les autres grandes places
financières - travaille avec cet argent. En témoigne l'opposition constamment renouvelée du
Royaume-Uni, mais aussi du Luxembourg et des Pays-Bas, à toute tentative de politique
européenne de taxation et de contrôle des mouvements de capitaux. Si prompte à s'immiscer
dans tous les secteurs d'activité, l'OMC* ainsi que l'Union européenne trouveraient, dans le
démantèlement de ces sanctuaires du crime, une tâche à la hauteur de leurs immenses
prétentions à supprimer toutes les discriminations et à exiger partout la « transparence ».

En mesure d'ordonner des plans d'ajustement structurels draconiens à des dizaines de pays
passés sous le joug du FMI et de la Banque mondiale, de placer, des années durant, des Etats
sous embargo (Irak, Iran, Libye, Cuba), de négocier en permanence des abandons de
souveraineté, les grandes puissances et la « communauté internationale » seraient donc
incapables de contraindre une poignée d’Etats-confettis, souvent restés sous protectorat, à se
conformer à un ensemble de normes communes.

Abandons de souveraineté et mondialisation libérale - permettant aux capitaux de circuler


sans contrôle d'un bout à l'autre de la planète - ont favorisé l'explosion d'un marché de la
finance hors la loi, moteur de l'expansion capitaliste, et lubrifié par les profits de la grande
criminalité. Partenaires associés sur l'archipel planétaire du blanchiment de l'argent sale,
gouvernements, mafias, compagnies bancaires et sociétés transnationales prospèrent sur les
crises et se livrent au pillage du bien commun en toute impunité. Avec, de temps à autre, des
opérations « poudre aux yeux » pour donner l'impression de lutter contre des paradis
bancaires et fiscaux en pleine expansion, que les gouvernements, s'ils en avaient
véritablement l'intention, pourraient mettre hors d'état de nuire du jour au lendemain. A la
« tolérance zéro » prônée un peu partout à l'encontre des petits délinquants de la précarité et
du chômage répond la « répression zéro » des grands criminels de l'argent. Les grandes
organisations criminelles ne peuvent assurer le blanchiment et le recyclage des fabuleux
profits tirés de leurs activités qu'avec la complicité des milieux d'affaires et le « laisser-faire »
du pouvoir politique. Pour conforter et accroître leurs positions et leurs bénéfices, écraser ou
résister à la concurrence, emporter les « contrats du siècle », financer leurs opérations illicites,
les entreprises transnationales ont besoin du soutien des gouvernements et de la neutralité des
instances de régulation. Quant au personnel politique, directement partie prenante, son
pouvoir d'intervention dépend des appuis et des financements qui garantiront sa pérennité.
Cette collusion d'intérêts constitue une composante essentielle de l'économie mondiale, le
lubrifiant indispensable au « bon » fonctionnement du capitalisme.

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Systématiquement présentée sous forme de « scandales » mettant en cause épisodiquement,


dans un pays puis un autre, une entreprise ou une banque, un responsable ou un parti
politique, un cartel ou une mafia, la criminalité financière perd sa lisibilité. Cette masse de
transactions relatives à des opérations illicites - qualifiées de crimes et délits au regard des lois
nationales ou des accords internationaux - se réduit à une succession de dysfonctionnements
accidentels de l'économie et de la démocratie libérales qu'une « bonne gouvernance » saurait
résorber. Tout le contraire de ce qu'elle est en réalité : un système cohérent, intimement lié à
l'expansion du capitalisme moderne, et fondé sur l'association de trois partenaires :
gouvernements, entreprises transnationales, mafias. Les affaires sont les affaires : la
criminalité financière est d'abord un marché, prospère et structuré, où se rencontrent offre et
demande - business as usual.

Or le capitalisme a été considérablement amélioré sous l'effet de trois facteurs conjoints : la


libéralisation complète des mouvements de capitaux, qui, depuis la fin des années 80,
échappent à tout contrôle national ou international ; le gonflement et la dématérialisation des
transactions financières, accélérés par la révolution technologique des communications ;
enfin, la fiabilité accrue d'un archipel planétaire de places spécialisées dans la gestion tolérée
de la criminalité financière : les paradis fiscaux.

On y fait tout ce qui se rapporte au traitement de la délinquance financière et au blanchiment


des profits des organisations criminelles par opérations successives : placement, empilage,
intégration. Le placement, ou prélavage, consiste à transférer argent liquide et devises du lieu
d'acquisition vers les établissements financiers de différentes places, ventilés sur une
multiplicité de comptes. Suit l'empilage, ou brassage, qui rend impossible de remonter à
l'origine des profits illicites : multiplication de virements d'un compte à un autre - chaque
compte étant lui-même éclaté en sous-comptes -, et accélération des mouvements de capitaux
par des allers-retours parallèles sur plusieurs marchés financiers, en utilisant en particulier le
réseau Swift ou le système Chips. Enfin, dernière étape, l'intégration planifiée des capitaux
blanchis, regroupés sur des comptes de banques sélectionnées, et prêts à être réutilisés en
toute légalité.

Au total, des millions de comptes, des dizaines de milliers de sociétés-écrans (plus que
d'habitants à Gibraltar, aux îles Vierges, à Vaduz ou à Jersey) gèrent et recyclent les centaines
de milliards de $ provenant de la face cachée de l'économie mondiale. « Tout au long d'une
carrière de magistrat et d'avocat, longue de vingt-cinq ans, je n'ai connu aucun cas de
criminalité financière dans lequel les auteurs n'aient pas utilisé une ou plusieurs sociétés

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commerciales ou financières ayant leur siège dans un paradis fiscal », témoigne l'italien
Paolo Bernasconi, se faisant l'écho de tous les spécialistes du blanchiment .

Si peu de places offrent la panoplie complète, et si un grand nombre se spécialisent dans


certains types de services, elles sont liées entre elles par des jeux d'opérations garantissant à
l'utilisateur le maximum d'efficacité, tant dans la gestion des affaires criminelles que contre
les enquêtes et poursuites policières et judiciaires. Ainsi, les banques helvétiques - la Suisse,
« recycleuse » en chef, lave plus blanc - délocalisent leurs opérations les moins présentables
de prélavage et d'empilage.

En ce qui concerne la si dénigrée Suisse, les grandes et puissantes cités-Etats protestantes de


Zurich, Genève, Bâle et Berne forment la véritable armature économique et politique de la
Confédération. Leur puissance financière date de la fin du XVIIe siècle, du triomphe de la
Contre-Réforme. En 1685, Louis XIV révoqua l'édit de Nantes. Les bourgeois protestants de
France, généralement prospères, furent persécutés, et leurs biens saisis. Des milliers d'entre
eux s'enfuirent en Suisse ou, du moins, y envoyèrent leurs liquidités. L'accueil, la garde, le
recel et le réinvestissement des capitaux en fuite du monde entier sont, depuis lors, les
fondements de la prospérité helvétique. Le maniement de l'argent revêt en Suisse le caractère
d'un sacrement : le garder, l'accueillir, le compter, thésauriser, spéculer, receler, autant
d'activités investies d'une majesté quasi ontologique qu'aucune parole ne doit venir souiller, et
qui s'accomplissent dans le silence et le recueillement. Quiconque commet le péché de trop
parler les désacralise. Un tel sacrilège est logiquement puni par la loi. Neutralité, hypocrisie,
profits... On estime à 27 % la part de la Suisse dans l'ensemble des marchés financiers
offshore du monde. Avec ce pourcentage, la Confédération se trouve loin devant le
Luxembourg et les divers paradis fiscaux des Caraïbes et de l'Extrême-Orient. A l'abri du
secret, les « gnomes » font fructifier plus de 3 000 milliards de $ de fortunes privées
étrangères, les avoirs étrangers, dits institutionnels (fonds de pension, etc.), gérés à Zurich,
Genève et Bâle, étant nettement minoritaires. Tout le monde, y compris les banquiers eux-
mêmes, admet qu'environ 80 % de ces clients confient leurs capitaux aux établissements
helvétiques pour des raisons de confidentialité.

En Suisse, la justice, la police et les lois de procédure pénale relèvent de la souveraineté des
cantons, et, parmi eux, seule la République et canton de Genève fait de réels efforts pour
préserver leur place financière de l'infiltration systématique par les mafieux russes, les barons
des cartels sud-américains ou les seigneurs des triades chinoises.

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L'argent de la corruption et du pillage des Etats du tiers-monde par les dictateurs et les élites
autochtones est la deuxième grande source de la fabuleuse richesse du paradis helvétique. La
Suisse pratique la libre convertibilité des monnaies. Sa neutralité politique, le cynisme et
l'extrême compétence de ses banquiers ont traditionnellement incité les dictateurs de tout
acabit - les Sani Abacha (Nigeria), Mobutu (ex-Zaïre), Jean-Claude Duvalier (Haïti) et autres
Marcos (Philippines) - à déposer en toute confiance le produit de leurs rapines au Paradeplatz
de Zurich ou rue de la Corraterie à Genève.

Mais telle est la complexité de la loi helvétique que très peu de gouvernements africains,
latino-américains ou asiatiques ont une chance quelconque de récupérer à peine quelques
miettes des fortunes de leurs tyrans déchus. Ainsi, sur les quelque 3,4 milliards d'euros
détournés par Sani Abacha entre 1993 et sa mort en 1998, et placés dans dix-neuf banques
suisses, seuls 730 millions ont été retrouvés et bloqués et 115 millions restitués aux autorités
de Lagos.

Nouvelle rente particulièrement juteuse : l'évasion fiscale internationale. Du monde entier,


mais surtout d'Allemagne, d'Italie et de France, les fraudeurs du fisc transfèrent leurs capitaux
en Suisse. Pour une raison simple : à peu près partout dans le monde, l'évasion fiscale
constitue un délit justiciable du pénal. Mais pas en Suisse, où la fausse déclaration d'impôt et
la soustraction intentionnelle de revenus imposables constituent seulement des infractions
administratives. Seule est pénalement punissable la fabrication de faux documents. En matière
d'évasion fiscale, le secret bancaire est donc absolu.

Certes la Suisse a signé avec pratiquement tous les Etats du monde des conventions dites
d'entraide judiciaire, reposant sur le principe de la réciprocité. Mais, pour que ses autorités
accordent ladite entraide à une autorité étrangère, il faut que les faits dont elles sont saisies
soient définis comme un délit pénal dans les deux Etats. Or, comme l'évasion fiscale n'est pas
mentionnée dans le code pénal de la Confédération, les fraudeurs du fisc allemands, français
ou italiens - clients des banques suisses ou de leurs succursales aux Bahamas ou à Hongkong -
peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Aucun juge ni aucune autorité fiscale de Genève, Bâle,
Berne ou Zurich ne donnera la moindre information aux juges français, allemands ou italiens.

Mais le vent est en train de tourner, et de manière très préoccupante pour la place financière
helvétique, qui, selon une étude de l'université de Bâle, gérerait environ 35 % des avoirs
privés mondiaux et assurerait 11 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Les membres de

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l'Union européenne sont en effet parvenus, le 27 novembre 2000, à un compromis sur


l'harmonisation de la fiscalité des revenus du capital qui, à terme, constitue une sérieuse
menace pour les banques suisses. Sans doute les Quinze prennent tout leur temps : le projet de
directive envisagé prévoit un échange d'informations généralisé entre les administrations
fiscales, mais seulement en... 2010 ! Cependant, des discussions auront lieu avec les pays
tiers, en premier lieu européens, dont le Liechtenstein, Monaco et la Suisse, afin de s'assurer
que ceux-ci s'alignent sur la législation communautaire. En d'autres termes, le secret bancaire
va bien devoir être négocié avec l'Union...

A lire : Jean Ziegler, La Suisse lave plus blanc, Seuil, Paris, 1990.

Paolo Bernasconi, « La criminalité transfrontière : sophistications financières et faiblesse judiciaire », Les


Cahiers de la sécurité intérieure, no 19, 1995.

André Biéler, La Pensée économique et sociale de Calvin, Ed. Georg, Genève, 1959.

Les Paradis fiscaux. Les Mille et une nuits. Paris.

Patriot Act Depuis la fin de la guerre du Vietnam, la droite américaine rêve d'une
restauration impériale. Au-delà de son volet économique et social néo-libéral, la
« (contre)révolution conservatrice » des années 1980 aspire à ranimer un patriotisme blessé,
rétablir la gloire et l'honneur militaires et redonner à l'exécutif une autonomie largement
perdue au profit des contre-pouvoirs législatif et judiciaire, après la chute de Saigon et
l'affaire du Watergate.
L'effondrement des Twin Towers dans un ouragan de poussières et de gravats peut presque
servir de métaphore au déclin de la démocratie américaine. Les attentats contre le World
Trade Center et le Pentagone ont renforcé des tendances déjà présentes dans la politique
américaine depuis 1978-1979. A partir de cette date, qui a précédé l'élection de Ronald
Reagan à la Maison Blanche, un spectaculaire glissement à droite a pétri la société
américaine.

Dans la déferlante de patriotisme qui suivit l'attentat - en quelques jours les drapeaux étoilés
firent leur apparition dans toutes les vitrines de New York et sur les voitures, taxis et
camions -, il devint presque impossible d'envisager l'idée que la politique américaine aurait pu
encourager le terrorisme ou, simplement, contribuer à la vague d'« anti-américanisme » à
l'étranger. Le verdict parut unanime : les Etats-Unis ne pouvaient pas être coupables ; ils

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n'étaient en rien responsables ; toute déclaration contraire équivaudrait à prendre le parti de


l'ennemi.

En tout état de cause, l'état de danger national est venu à point nommé pour justifier un
renforcement de l'exécutif, y compris dans des domaines sans rapport apparent avec la
conduite des opérations militaires (le Congrès vient ainsi de conférer des pouvoirs
commerciaux très étendus à la Maison Blanche). C'est cependant surtout dans les domaines de
la justice et de la police que les attributions de l'exécutif se développent de manière frappante.
Au point d'inquiéter les apôtres de la « séparation des pouvoirs ». Les guerres d'Afghanistan
et d’Irak apporteront-t-elles au président républicain George W. Bush le pouvoir institutionnel
qu'une élection très discutable et la perte d'une des Chambres du Congrès avaient paru mettre
en péril ?

Quelques semaines après les attentats, les Etats-Unis adoptent le Patriot Act, une loi qui permet
de détenir des citoyens américains sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux, comme
ce fut le cas avec ceux d'origine japonaise, après l'engagement des Etats-Unis dans la Seconde
Guerre mondiale.

Des défenseurs des libertés individuelles estiment que le système viole certaines protections
contre les recherches inutiles inscrites dans le quatrième amendement de la Constitution
américaine.

L’ancien chef de police Jacques Duchesneau peut dormir tranquille. Il rêvait du jour où
chaque foyer aurait son "policier de famille" comme on a un médecin à domicile : la loi anti-
terrorisme et le "Patriot Act" donnent carte blanche à toute la réaction pour mettre en place
l'État policier qui se prépare depuis longtemp. Un exemple frappant? La coordinatrice du Parti
Vert Américain, Nancy Oden, s’est un jour présentée à l'aéroport International Bangor dans
le Maine, afin de se rendre à Chicago pour une réunion politique. Des militaires armés lui ont
fait savoir qu'elle ne pouvait prendre ni ce vol ni aucun vol pour une période. Son crime ? Se
prononcer publiquement contre la guerre en Afghanistan. Ce qui montre que, sous prétexte
des attentats, beaucoup en profitent pour faire passer trop rapidement des lois qui ouvrent des
portes à a violation des libertés individuelles.

Il y a des raisons d’être inquiet si l'on se réfère à la déclaration de James Sensenbrenner,


président du comité judiciaire à la Chambre des représentants, au moment du vote de la loi :
« Nous nous débarrassons des tracasseries bureaucratiques qui ralentissaient les efforts de la
police contre les nouveaux ennemis de l'ombre».

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Mais objecte David Kairys - professeur de droit à l'université Temple, de Philadelphie -, on


sacrifie par la même occasion un grand nombre de libertés : " Les cibles habituelles de ce
genre de loi ne sont pas les terroristes, a-t-il ainsi expliqué au quotidien
San Francisco Chronicle , mais les citoyens ayant une opinion différente du gouvernement. "

Grâce à la soumission volontaire des deux Chambres du Congrès (dont le Sénat contrôlé par
le Parti démocrate) qui, en votant le Patriot Act se sont privées d'une bonne part de leurs
prérogatives, l'exécutif a été doté de pouvoirs extraordinaires. Par exemple la détention
secrète et indéfinie des non-citoyens (aliens) en situation « irrégulière » ou encore la mise en
place, en vertu d'un décret présidentiel (Executive Order), de tribunaux militaires d'exception.
Plus de 1200 personnes arrêtées au lendemain du 11 septembre restaient emprisonnées à la
mi-décembre, sans que l'on sache qui elles étaient ou de quoi elles étaient accusées.

Ni les détenus ni leurs familles n'ont accès aux pièces des dossiers à charge. Quant aux
tribunaux militaires d'exception, créés sans consultation aucune du Congrès ou de la Cour
suprême, ils sont habilités à emprisonner, juger et exécuter des « terroristes » et des
« criminels de guerre » identifiés comme tels par le seul pouvoir exécutif et sur la base de
témoignages ou de preuves secrètes. Seront aussi tenus secrets les lieux, la procédure, les
actions, les délibérations, les jugements et la composition de ces tribunaux. Contrairement à la
procédure des tribunaux militaires ordinaires, les accusés ne pourront pas faire appel, même
en cas de condamnation à mort.

Comme l'a souligné le New York Times, ces outrages faits aux principes fondamentaux de
l'Etat de droit, qui en théorie s'appliquent uniformément et universellement à tous ceux qui
relèvent de sa juridiction, reviennent à « construire un système judiciaire parallèle ». Pour les
citoyens américains, y compris les terroristes comme Timothy McVeigh, auteur de l'attentat
meurtrier d'Oklahoma City de 1995, il y aura des tribunaux ordinaires. Pour les étrangers,
résidents ou non aux Etats-Unis, il y aura des tribunaux d'exception militaires. Bref, l'exécutif
aura créé de toutes pièces une institution de non-droit dans l'Etat de droit, dotée de surcroît de
pouvoirs d'investigation et d'intervention globaux. Ainsi, le Pentagone ferait la guerre,
identifierait les coupables et dispenserait la justice.

Sous un président que l'on croyait destiné à la médiocrité et à l'impuissance politiques, la


refondation d'un pouvoir exécutif fort, centré sur de l'appareil de sécurité nationale, semble en
passe d’être une réalité. Grâce au crime inouï du 11septembre et à la guerre d'Afghanistan,

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dernier des trois conflits high-tech victorieux menés par les Etats-Unis en l'espace de dix ans,
l'ancien gouverneur provincial s'est érigé en César américain. Ni M.Reagan ni M.Bush père
n'avaient réussi cet exploit. « Les attaques du 11 septembre et la guerre d'Afghanistan, écrit le
Washington Post, ont considérablement accéléré la dynamique de renforcement des pouvoirs
présidentiels recherchée par l'administration Bush (...). Le président jouit d'une domination
dépassant celle de tous les présidents postérieurs au Watergate, rivalisant même avec celle
de M.Franklin D. Roosevelt. »

Plan Colombie De tous les pays Andins, la Colombie est sans nul doute celui qui détient le
triste privilège d’une longue histoire de violence, de guerres civiles, de massacres et de
terrorisme d’Etat qui remontent aux temps de la conquête espagnole.
Plutôt que de nébuleuses explications psychologiques, génétiques ou socio-géographiques, les
racines de cette violence historique sont à rechercher dans la structure de classe de cette
nation, l’une des plus inégalitaires au monde où Indiens, afro-colombiens, petits paysans et
travailleurs ont toujours été exclus du partage des richesses nationales et du contrôle
démocratique de ces dernières. Parmi les plaies qui la minent, la plus grave aujourd’hui est
sans doute cella de la drogue, avec son corollaire, la guérilla.

Un Plan anti-drogue a été lancé en 2000 par les Etats-Unis afin de faire disparaître ces deux
blessures. L'aide américaine est passée de 1,3 à 2 milliards de $ en 2002. Ce « Plan
Colombia » ne cesse d'être de plus en plus mal vu par les organisations de défense des droits
de l’homme et de l’environnement.

Tout semblait avoir parfaitement commencé. Alors que le président conservateur César
Gaviria (1990-1994) avait décrété la guerre intégrale contre les « chiens enragés » de la
guérilla et réveillé les secteurs les plus militaristes de la société colombienne ; alors que le
libéral Ernesto Samper (1994-1998), déstabilisé par les Etats-Unis, avait dû baisser pavillon et
jeter à la poubelle sa « politique de paix intégrale et de dialogue », le nouveau président
conservateur, M. Andrés Pastrana, élu le 20 juin 1998, renouait aussitôt le fil avec l'opposition
armée. En accordant aux Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) une zone
démilitarisée (7 novembre 1998) de 42 000 kilomètres carrés, il permettait la reprise de
négociations depuis longtemps au point mort.

Adepte des réformes structurelles et de l'orthodoxie financière, M. Pastrana ne pouvait que


séduire Washington. Les relations bilatérales se normalisant, il reçoit d'emblée 280 millions

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de $ d'aide nouvelle pour l'effort anti-drogue et le développement. Au plan intérieur, la Loi


508 du 29 juillet 1999 formalise un Plan national de développement - « Changement pour
construire la paix, 1999-2002 » -, approuvé par le Parlement (la Constitution colombienne
établit que chaque gouvernement doit élaborer un tel Plan national de développement).
Cependant, le 21 septembre 1999 à Washington, au terme d'un entretien avec le président
William Clinton et sans que le Congrès colombien n'ait été en rien consulté, M. Pastrana
remplace ce Plan de développement par un " Plan pour la paix, la prospérité et le
renforcement de l'Etat ", dit Plan Colombie, qui ne sera divulgué au pays que le 2 janvier
2000, par le quotidien El Espectador.

Conçu et rédigé en anglais avec la participation de conseillers du Département d'Etat, ce plan


de 46 pages détaille un programme qui coûtera 7 500 millions de $, dont 3 500 millions de $
en aide extérieure. Dans un projet de loi, l'administration américaine propose 1 600 millions
de $, dont 954 millions de $ comme supplément d'urgence. L'objet est ambitieux. Il ne
présente qu'un défaut, mais de taille. Alors que tous les yeux sont tournés vers des
négociations de paix dont on sait qu'elles seront longues et difficiles, il n'a pour objectif que
de renforcer, équiper et entraîner l'armée colombienne ; il joue délibérément la guerre, niant la
nature sociale et politique du conflit.

C’est le narcotrafic qui occupe de nos jours l’avant-plan dans ce qui fut le centre colonial du
Vice-Royaume de la Nouvelle Grenade espagnole. Et c’est la question du narcotrafic qui
conditionne, apparemment, ce fameux “Plan Colombie”, actuellement à l’ordre du jour. Avec
celui-ci, les Etats-Unis et la bourgeoisie colombienne prétendent éradiquer la culture de coca
et du pavot et ainsi battre en brèche le commerce de la drogue. En réalité, il s’agit d’un fer de
lance militariste visant à liquider les guérillas colombiennes, endiguer les mobilisations
populaires contre le néo-libéralisme dans les Andes et rasseoir l’hégémonie politico-
économique des Etats-Unis en Amérique. Au risque de provoquer une guerre civile totale, une
internationalisation du conflit et des ravages humains et écologiques irréparables.

Le prétexte pour maquiller les véritables objectifs de la future intervention américaine,


conserver le contrôle de cette région vitale, riche en ressources stratégiques, le pétrole en
particulier, est ainsi trouvé : pour le Pentagone, la principale menace qui pèse sur l'hémisphère
n'est plus Cuba, mais la possibilité que surgisse un « narco-Etat colombien ». Il s'agit, tant
d'après Washington que Bogotà, de mener une guerre totale au narcotrafic. Premier
producteur latino-américain de coca (cultivée par des paysans qui n'ont d'autre choix que les

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cultures illicites ou la misère), la Colombie est aussi le premier exportateur de cocaïne à


destination des Etats-Unis.

Les méthodes utilisées pour détruire les plantations de coca menacent gravement la
population et la biodiversité Des déplacements massifs de populations sont à prévoir. Le Plan
Colombie continue de provoquer de grandes inquiétudes dans les pays limitrophes de la
Colombie. Des déplacements de population colombienne vers l’Équateur ont déjà commencé.

Cette politique étatsunienne d'ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat latino-américain
n'est pas nouvelle. Du Chili de Salvador Allende au Guatemala indigène, du Brésil de la
dictature militaire au Nicaragua sandiniste, Washington a toujours été présent chaque fois
qu'il s'est agi de lutter contre les oppositions à un modèle prédateur et injuste, que ces
oppositions soient civiles ou politiques, armées ou non.

Cette politique jamais démentie a permis à l'Empire, aidé ultérieurement par ses fidèles alliés
- la Banque mondiale et le Fonds monétaire international -, d'ouvrir les économies latino-
américaines, de les pousser à mener des politiques résolument libérales pour le plus grand
profit des multinationales et le plus grand malheur des populations. Sous l'égide du
« consensus de Washington » et sous couvert de « démocratie », les inégalités se sont
aggravées et la pauvreté progresse chaque jour un peu plus.

Dans ces conditions, que valent les préoccupations sociales affichées par les gouvernants ? La
Charte sociale de Buenos Aires, adoptée en juin 2000, ne prévoit aucune mesure
contraignante pour renforcer la protection des travailleurs. Pourtant, comme le constate le
Bureau international du travail (BIT), l'internationalisation de la production a réduit les
possibilités de négociations collectives et les violations du droit du travail se multiplient.

Si les peuples latino-américains déjà paupérisés n'avaient plus qu'à choisir à quelle sauce néo-
libérale (nord-américaine ou latino-américaine) ils souhaitent être mangés, ils risqueraient fort
de rejeter les deux. En l'absence de solution de rechange, face à l'essor de l'insécurité et de la
misère, livrées aux narcotrafiquants et à la corruption, les sociétés pourraient sombrer dans le
chaos dont la désintégration territoriale et la dislocation sociale qui frappent déjà certaines
régions donnent un avant-goût.

En ce sens, loin d'éradiquer le narcotrafic, le Plan Colombie risque de provoquer un exode des
populations du sud de ce pays. D'ores et déjà, 22 000 soldats brésiliens sont massés à la

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frontière colombienne pour prévenir les débordements du conflit. En approuvant (avec


réticence) le plan américain, pièce stratégique de Washington dans le maintien de son
hégémonie, certains dirigeants latino-américains ont peut-être mis le doigt dans un engrenage
périlleux.

A lire

Plan Puebla-Panama L'existence de ce plan avait été révélée le 12 février 2001 par le
président Vicente Fox. Agissant en prête-nom régional du gouvernement des Etats-Unis, il le
lancera officiellement les 26 et 27 juin de la même année, lors d'une réunion avec les
présidents centraméricains et des fonctionnaires de la Banque mondiale. Reposant sur un
investissement supposé de 10 à 12 milliards de $ (voire 25 milliards), ce plan est présenté
comme un « projet de développement durable et intégral » destiné à une zone comprenant
neuf Etats mexicains. En tout, 65 millions d'habitants (28 millions de Mexicains et 37 millions
de Centraméricains), dont 78 % vivent dans la pauvreté (60 % dans l'extrême pauvreté). Il
faut dire que la seule portion mexicaine du Plan Puebla Panamá 65 % des réserves pétrolières
du pays (neuvième producteur mondial) et fournit 94 % de la production ainsi que 54 % de
celle du gaz. Cette région présente donc un intérêt majeur pour Washington, qui ne cesse de
prôner l'intégration énergétique du Mexique et a prévu d'augmenter ses importations de
pétrole au cours des prochaines années. Elle voisine, au sud du Panamà, avec le Venezuela et
la Colombie, que des oléoducs et des gazoducs pourraient connecter, à travers l'Amérique
centrale et le Mexique, aux Etats-Unis.

Au Chiapas, quelques jours après la présentation officielle de ce grand dessein, le sous-


commandant Marcos, un des dirigeants de l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN),
réagit: « Nous voulons l'autonomie indigène et nous l'aurons. Nous n'admettrons plus aucun
projet ni plan qui ignore nos volontés ; ni le plan Puebla-Panamà ni le grand projet
transocéanique, ni rien qui signifie la vente ou la destruction de la Maison des Indiens, qui, il
ne faut pas l'oublier, fait partie de la Maison de tous les Mexicains (4). » En écho, des
centaines d'organisations se sont donné rendez-vous, depuis, à Tapachula (Chiapas, mars
2001), à Xelajú (Guatemala, novembre 2001) et à Managua (Nicaragua, juillet 2002) - pour
ne citer que les réunions les plus importantes -, afin de s'opposer à ce plan. Plus de 14 millions
d'Indiens appartenant à 68 groupes ethniques, riches de leurs langues, cultures, traditions et
connaissances millénaires, habitent le territoire compris entre les hautes terres de l'Etat de
Puebla, au centre du Mexique, et l'isthme de Panamà. Or, en dépit des déclarations officielles

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sur le « multiculturalisme et la richesse des traditions des ethnies », ces populations rejettent
catégoriquement « ce plan de colonisation sauvage qui détruira notre terre, l'agriculture
familiale, la biodiversité et les ressources naturelles ».

Il va sans dire que pour atteindre ses objectifs, qui reposent plus sur l'extraction massive de
l'énergie et des ressources que sur le développement, le PPP doit déloger les paysans des
terres convoitées par les transnationales. Les couloirs (corredores) de maquiladoras sont
censés attirer cette main-d’œuvre sans qualification qui, en échange de salaires de misère,
devra s'urbaniser. Quatre mille de ces usines d'assemblage sont déjà installées sur le territoire
mexicain (l'immense majorité à proximité de la frontière américaine). Elles abondent
également en Amérique centrale. Au Mexique, Mme Rocío Ruiz, sous-secrétaire chargée du
commerce intérieur au ministère de l'économie, confirme cyniquement pourquoi ces
maquiladoras doivent désormais s'installer à Oaxaca, au Chiapas et dans le Sud-Est en
général : « Dans le Nord, on paie entre deux et trois salaires minimum ; de ce fait, nous ne
sommes plus compétitifs pour ce type d'entreprise. » Une vision partagée par M. Jorge Espina,
dirigeant de la Confédération des patrons du Mexique (Coparmex), pour qui « l'avenir [des
maquiladoras] est au Sud-Est : cela résoudra le problème politique de la région et, en outre,
la main-d’œuvre y est très bon marché (10) ».

Ce mode de développement n'a rien à voir avec celui auquel elles aspirent. Elles n'entendent
pas voir leurs terres occupées par de vastes monocultures d'eucalyptus (désastreuses pour
l'environnement) et de palme africaine, par des plantes transgéniques d'exportation
développées au mépris de la sécurité alimentaire du pays, et refusent la privatisation de ces
terres, « nécessaire » à la construction des voies interocéaniques et « indispensable » pour
sécuriser les investisseurs.

Sur le plan Puebla-Panama, consulter le site : http://ppp.presidencia.gob.mx

Ileana Valenzuela, El plan Puebla-Panamà para las comunidades de Guatemala : destrucción y dependencia o
la oportunidad de construir un futuro nuevo ?, Ciudad Guatemala, août 2002.

PMA Il y a le G8 et il y a les PMA, c'est-à-dire les Pays Moins Avancés. Le concept est
apparu à la conférence de la CNUCED d’Alger en 1967, mais les sigles se sont répandues
lorsque, victimes tant de la politique du FMI que des règles du commerce mondial, leur
nombre a presque doublé.

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C’est auprès de ceux-ci que les difficultés causées par la mondialisation sont portées à leur
paroxysme : non seulement ils apparaissent comme les plus démunis parmi les pauvres,
mais pour eux, plus le temps passe, plus l’écart se creuse en valeur relative. Pour l’heure, la
question de leur viabilité n’est pas résolue. L’euphémisme PMA désigne donc les pays
laissés pour compte de la mondialisation ; soit ils stagnent, soit ils sont en voie de sous-
développement ; au nombre de 48, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du
Sud, leur population atteint 10% de celle du globe, mais ils ne représentent que 0,5% du
commerce mondial et reçoivent moins de 1% des investissements internationaux.
Pour faire partie des PMA, les candidats doivent présenter leur dossiers et répondre à certains
critères : faible revenu national (en dessous de 900 $ par an et par habitant pour les pays qui
s'inscrivent sur la liste), une production industrielle qui n’atteint pas le 10% du PNB et un
taux d’alphabétisation inférieur à 20%. De plus, la population des pays qui répondent à toutes
ces épreuves d'admissibilité ne doit pas dépasser 75 millions d'habitants.

L'aide publique leur est accordée à des conditions exceptionnelles (fort pourcentage de dons,
priorité dans l'allégement de la dette, programmes spéciaux du FMI, de la Banque mondiale et
de l'Union européenne). Leur niveau de vie a diminué de 45 % dans les années 1990. Revenu
au palier du début des années 1970, il ne représente plus que 0,05 % du PNB des pays
membres du Comité d'aide au développement de l'OCDE, qui regroupe la quasi-totalité des
contributeurs. Quant aux financements privés, ils n'ont fléchi que de 30 % mais se limitent
pratiquement à des investissements concentrés sur l'exploitation des ressources naturelles et
sont donc réservés à un très petit nombre de ces pays.

Selon la Cnuced, la politique des pouvoirs publics dans les PMA a un rôle déterminant, tant
au plan macro-économique que dans l'aide aux initiatives des entreprises privées. Les PMA
devraient également, avec l'assistance technique internationale, apprendre à mieux utiliser les
opportunités liées au système de préférences généralisées (SGP) du commerce international.

Une récente étude met en évidence le fait que les PMA utilisent moins de 50 % des « facilités
» offertes par l'Union européenne alors que l'UE constitue leur principal marché d'exportation.

Les raisons de leur retard sont diverses, autant que les fléaux du non-développement. Les
PMA ont souvent une économie qu'ils n'ont pas été à même de diversifier. Résultat, en
matière d’exportation, ils sont dépendants d'une seule matière première. Et lorsque le cours de
celle-ci s'effondre, ils sont d'autant plus vulnérables aux rentrées de devises.

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L'aide publique au développement (APD), qui, pour ces pays, reste souvent le seul levier de
développement, a dramatiquement fondu. Elle a diminué de moitié dans les années 90, pour
tomber à un plancher de 0,05% du PIB des pays riches. En 1997-1990, l'APD était en
moyenne inférieure de 22 %, comparé à la période 1990-1995. Les aides totales (multi et
bilatérales) sont passées, en dix ans, de 16,7 à 11,6 milliards de $...

Les experts, ou le G8, ne manquent jamais de le signaler, «l'instabilité politique», «les


troubles civils», «la mauvaise conduite des affaires», «la corruption», «le népotisme» ne fa-
vorisent guère l'essor économique et social. Ni la fuite des élites. . .

Les carences sociales et démocratiques expliqueraient les carences de la croissance, donc du


développement. Mais les privatisations, les libéralisations et les resserrements budgétaires
imposés par les «plans d'ajustement structurel» du FMI et de la Banque mondiale n'ont pas
aidé. Même si ces institutions, pressées par les ONG et les pays du Sud, disent aujourd'hui
vouloir les adoucir. . . La remise en cause de ces stratégies, comme du rôle des experts, qui ne
tiennent pas compte des spécificités nationales, commence à poindre.

Le Nord est ambigu, voire hypocrite. Il tarde à alléger le fardeau de la dette, rogne sur l’APD.
Surtout, il prône l'abaissement des barrières douanières au Sud et conserve les siennes dans le
textile et l'agriculture, seuls domaines dans lesquels les PMA sont relativement avantagés.
compétitifs. L'accès aux marchés leur est bien souvent refusé, quand il permettrait de rentrer
de devises supérieures à toutes les aides. Ainsi, plus de 50% des exportations des PMA en
direction du Canada, des Etats-Unis et du Japon se heurtent aux entraves douanières. Par effet
de ricochet, ce protectionnisme empêche les PMA de diversifier leur économie. Un seul
exemple: les exportations de cacao vers les pays développés. Peu taxées à l’état brut, elles le
sont huit fois plus quand la matière première est transformée en chocolat. Ainsi, les PMA sont
cantonnées à la production de matières premières et renoncent à la transformation des
produits, qui créerait davantage de plus value.

Ils représentent 13 % de la population mondiale, mais seulement 0,4 % des exportations et 0,6
% des importations. Ces pays accueillent moins de 1 % du total des investissements directs
étrangers. Plus grave, leur part dans le commerce international s'est réduite de 40 % en 20 ans,
souligne le rapport que la Cnuced (Conférence des Nations Unies pour le commerce et le
développement) leur consacre.

Les PMA n'ont pas, dans l'ensemble, tiré profit de la libéralisation ni de la mondialisation. Ce
sont les pays les plus pauvres du monde. Une sous catégorie de «pays en voie de dé-

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veloppement» créée en 1971 par les Nations unies. Objectif, tenter de faire décoller ces ou-
bliés du développement mondial. D'où des avantages: exemption de taxes ou de quotas, prêts
préférentiels, aménagements de transitions économiques plus souples. L’entrée dans le club
est bien contraignante: d'abord un produit intérieur brut inférieur à 1028 euros par habitant.
On en est loin: la moyenne des 49 PMA est de 318 euros par habitant. Certains comme
l'Ethiopie, la République démocratique du Congo, le Burundi et la Sierra Leone sont même
sous la barre des l71 euros...

Elle a diminué de moitié dans les années 90, pour tomber à un plancher de 0,05% du PIB des
pays riches. En 1997-1990, l'APD était en moyenne inférieure de 22 %, comparé à la période
1990-1995. Les aides totales ( multi et bilatérales) sont passées, en dix ans, de 16,7 à 11,6
milliards de $... Restent les fameux IDE, les investissements directs étrangers, clés supposées
d'un réel développement. Même s'ils ont crû, ils n'ont atteint, en 2000, que 5,9 milliards
d'euros sur un total de l260 milliards d'euros, soit 0,5% du flux mondial des investissements.
Dérisoire. Les pays les plus pauvres souffrent, en outre, de la concurrence des pays en déve-
loppement, lesquels, engagés eux aussi dans un processus de libéralisation - privatisation, sont
devenus une destination importante des investisseurs étrangers.

Alors qu'ils devraient faire l'objet de priorités en matière d'aide publique au développement,
ils ne reçoivent plus que 0,05 % de la richesse nationale des pays donateurs contre 0,09 % en
1990, ce qui représente une baisse réelle de 23 %. Bien que les membres du Comité d'aide au
développement (CAD) de l'Ocde, se soient fixés un objectif de 0,15 % de la richesse nationale
réservée aux PMA, seul un tiers d'entre eux atteint cette proportion. Il est vrai que les
donateurs ne remplissent pas, non plus, leur engagement de consacrer 0,7 % de leur PIB à
l'ensemble des pays en développement. En 1998, la moyenne était de 0,25 % et seuls quatre
pays du nord de l'Europe parvenaient à cet objectif.
L'aide aux pays les moins avancés a pâti, de la même façon, de la réduction des budgets
consacrés à l'aide au développement au cours de la décennie, tendance qui semble toutefois
enrayée avec les derniers chiffres publiés par le CAD pour 1998. Or, l'APD représente jusqu'à
70% du budget de développement des PMA et 40 % de leur budget ordinaire. La Cnuced
préconise donc, dans le cadre de la préparation à la Conférence des Nations Unies sur les
PMA, en 2001, d'augmenter l'aide, d'élargir et accélérer l’allégement de la dette et de fournir
une assistance technique plus conséquente.
Une étude récente met montre le fait que les PMA utilisent moins de 50 % des « facilités »
offertes par l'Union européenne alors que UE constitue leur principal marché d'exportation.

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A lire : Guy Burgel Du tiers-monde aux tiers-mondes. Dunod, 2000,128 p..


Jean Coussy et Jérôme Lauseig. La renaissance afro-asiatique? Politique africaine, n° 76, Karthala,
210 p.
Françoise Nicolas Les Pays en développement face à la mondialisation. Dunod,
La fin du tiers-monde? Les dossiers de l'état du monde, La Découverte, 1996, 181 p.
Les Pays les moins avancés , Rapport 2000 de la CNUD. Cnuced, 252p., Palais des Nations, CH-1211 Genève
10, Suisse).

Propriété intellectuelle. Il est plus avantageux pour l'humanité de faire circuler les idées que
de limiter leur mouvement. Aristote affirme que l'homme est l'animal mimétique par
excellence. Les Lumières reprennent cette idée, ainsi le philosophe français Etienne Bonnot
de Condillac (1715-1780) : « Les hommes ne finissent par être si différents que parce qu'ils
ont commencé par être copistes et qu'ils continuent de l'être. »

Néanmoins, des droits de propriété sont accordés aux personnes sur leurs créations
intellectuelles. Ils confèrent au créateur un droit exclusif su l'utilisation de sa création pendant
un certain laps de temps. Ils peuvent être répartis en deux groupes: droits d'auteur, droits
connexes d'œuvres littéraires et artistiques, propriété industrielle sur les marques de fabrique
et sur les créations technologiques. Un accord mondial en 1993, dans le cadre de l'OMC, sur
les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC*) est
entré en vigueur le 1er janvier 1995. Ces accords sont administrés par la l’OMC. Les 161
membres de l’Organisation mondiale de la propriété industrielle, l'OMPI, une des seize
institutions spécialisées des Nations unies, ont ratifié deux traités en décembre 1996 « sur le
droit d'auteur» et « sur les interprétions et exécutions et les phonogrammes».

La protection de la propriété intellectuelle est progressivement devenue un sujet majeur des


relations économiques internationales. Reflet de la part croissante des actifs immatériaux dans
l'économie des pays industrialisés, ce débat a jusqu'ici représenté essentiellement un enjeu
Nord-Sud, les pays industrialisés s'efforçant de contraindre les pays du Sud à adopter des
législations protectrices similaires à celles du Nord, et à sanctionner les pratiques et autres
formes de piratage en vigueur chez eux, Les pays pauvres négocient, quand à eux, un accès
équitable à la technologie des pays développés.

Une protection trop forte de la propriété intellectuelle ébranle la libre concurrence, pilier du
fonctionnement du marché. Le décret d'Allarde et Le Chapelier des 2 et 17 mars 1791

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exprime le principe de libre concurrence. Il implique par définition la possibilité d'offrir sur le
marché le même produit qu'autrui grâce à la liberté de copie.

Deux tendances du néo-libéralisme s’y affrontent : la volonté de dérégulation et de


« concurrence loyale » d'une part, et la montée en puissance des oligopoles et des monopoles,
d'autre part. Pressé jusqu'à la moelle durant des siècles de colonisation, le tiers monde qui
constitue, avec près des trois quarts des réserves génétiques de la planète, la plus fantastique
réserve de bio-diversité est aujourd'hui soumis à l'ultime pillage de ses ressources de vie.
Depuis 1982, date de démarrage des recherches sur les Organismes génétiquement modifiés,
les grandes firmes agro-chimiques et multinationales de la faim se lancent dans une
fantastique course au trésor en jouant d'un nouvel atout dans l'établissement de la propriété
privée: le brevet sur les OGM*. Un système qui fonctionne sans règles et autorise le piratage
des plantes, animaux, micro-organismes ou de leurs gènes (regroupés sous l'appellation
ressources biologiques) pour les commercialiser sous forme de monopole. Une véritable
aubaine pour les lobbies phyto-pharmaceutiques et semenciers qui entendent faire main basse
sur l'alimentaire de la planète, à travers le système des brevets sur les organismes vivants. Une
menace pour les populations, sans aucun doute la plus grave dans l'histoire de l'humanité
puisque pour la première fois, c'est l'être humain qui est directement menacé dans son
essence, dans le fondement même de sa liberté: liberté d'utiliser ses semences selon des droits
nés de l'origine de l'agriculture, de choisir son alimentation, sa culture issue du savoir de ses
ancêtres.

La santé de nombreuses personnes dans le monde se trouve améliorée par la connaissance des
plantes indigènes médicinales. Ces droits de propriété intellectuelle appartiennent aux
collectivités. Pourtant, il n'existe aucune disposition dans les accords pour protéger ces
connaissances ou pour prévenir l'exploitation des plantes médicinales par les sociétés
pharmaceutiques multinationales.

A l'heure actuelle, le gouvernement des Etats-Unis essaie d’encourager ces pratiques, exerçant
des pressions incompatibles avec les principes du commerce mondial, sur des pays comme
l'Afrique du Sud et la Thaïlande, parce que ceux-ci ont adopté des politiques, légales en vertu
du droit international, mais qui vont à l'encontre des intérêts des grandes sociétés
pharmaceutiques.

Une loi a été conçue comme un cadre permettant aux Etats africains d 'harmoniser leurs
positions sur la propriété intellectuelle. Adoptée à Addis-Abeba en novembre 1999, une ver-

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sion définitive vient d'être entérinée, qui servira de point d'appui pour un débat entre Etats,
organisations régionales (Organisation africaine de la propriété intellectuelle, Agence
africaine de biotechnologie, etc.) et organisations non gouvernementales.

Le fondement juridique de cette législation s'appuie sur la convention sur la diversité


biologique, adoptée en 1992 au Sommet de la Terre*. Ce compromis marque trois ruptures
fondamentales. Premièrement, il reconnaît aux Etats le droit de souveraineté sur leurs
ressources biologiques et génétiques, jusqu'alors considérées comme patrimoine commun de
l'humanité, et stipule que l'accès à ces ressources est soumis au consentement préalable des
Etats concernés. Deuxièmement, il exige des signataires qu'ils protègent et soutiennent les
droits des communautés, des agriculteurs et des peuples autochtones sur leurs ressources
biologiques et leurs systèmes de savoirs. Troisièmement, il requiert un partage équitable des
bénéfices tirés de l'utilisation commerciale des ressources biologiques.

Quelle est la finalité de la protection de la propriété intellectuelle ? S'agit-il encore, comme


l'exprime la doctrine sur laquelle elle est fondée, de protéger l'intérêt général en assurant la
diffusion universelle des connaissances et des inventions, en échange d'un monopole
d'exploitation consenti aux auteurs (pour une période limitée) ? La création d'un monopole sur
l'exploitation des oeuvres jusqu'à quatre-vingt-quinze ans après la mort d'un auteur (comme
dans le cas américain depuis le Sonny Bono Copyright Act) n'est pas en soi de nature à
favoriser la création. Elle aurait plutôt tendance à inciter les éditeurs à vivre sur leur catalogue
d'auteurs reconnus plutôt que d'encourager la recherche de nouveaux talents.

Ce qui est en jeu, c'est de favoriser la création et d'éviter qu'elle ne se perde, et non pas
seulement de protéger des ayants droit. Si la société concède à l'inventeur une certaine
protection, c'est en échange de contreparties, conçues dans « l'intérêt supérieur de
l'humanité » : faire que l'invention retombe à terme dans le domaine public, ou qu'elle soit
précisément décrite et publiée, afin de devenir la propriété de tous.

Fin 1997, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle décidait de diminuer d'environ


15 % les redevances imposées aux entreprises désireuses de déposer des brevets industriels.
La raison ? Le nombre croissant des demandes de dépôt, passées en à peine dix années de
quelques milliers par an à plus de 50 000 en 1997. De ce fait, l'organisation dégageait des
surplus financiers importants dont elle ne savait quoi faire. Le fait qu'une organisation
internationale gagne trop d'argent est, à l'heure actuelle, rarissime. Et les idées ne manquent

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pas pour affecter à l'intérêt général de tels fonds, provenant continûment d'une des sources
financières les plus profondes qui soient...

Les brevets industriels, et plus généralement toutes les productions intellectuelles protégées
par les lois sur la propriété intellectuelle, utilisent pour une bonne part un fonds commun
d'informations, de savoirs et de connaissances appartenant de manière indivise à l'humanité
tout entière. Il serait juste, dans une optique de « bien commun mondial » , d'utiliser les
revenus obtenus par l'OMPI grâce au dépôt des brevets. Par exemple, pour encourager la
création d'une bibliothèque publique mondiale virtuelle, uniquement constituée de textes
appartenant au domaine public, et donc accessibles à tous gratuitement.

Cela serait d'autant plus juste que, dans des organisations internationales comme l'OMPI, c'est
la puissance publique combinée des pays membres qui est mise au service de la défense des
intérêts privés des déposants. Le coût de l'infrastructure juridique et policière permettant le
renforcement effectif de la propriété intellectuelle est, en effet, entièrement supporté par des
fonds publics.

Une partie des fonds collectés auprès des détenteurs de brevets pourrait aussi servir à financer
des recherches négligées du fait de leur manque d'intérêt pour le « marché », comme le
propose un récent rapport du PNUD. Ces sommes pourraient être allouées aux agences des
Nations unies dont on sait qu'elles sont notoirement sous-financées. Ces agences pourraient
alors d'autant mieux jouer le rôle de régulation de la recherche au niveau planétaire qu'on
attend d'elles, rôle que le marché laissé à lui-même est bien incapable de remplir.

Depuis 1995, les droits de propriété accordés sur les créations intellectuelles, font l’objet d’un
accord planétaire dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Les pays industrialisés contraignent les pays du « Sud » à adopter des législations protectrices
similaires aux leurs, et à sanctionner les pratiques de contrefaçon.

L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, entre autres, terriblement touchés par le sida, le
paludisme et la lèpre, disposent de laboratoires capables de reproduire les médicaments mis
aux point par les grandes multinationales. Mais pas question pour les lobbies pharmaceutiques
de laisser tomber dans le domaine public le produit d’années de recherche.

De son côté, l’ OMS a fini par appuyer les pays ayant recours aux « licences obligatoires »,
mais elle demeure très en retrait des nécessités. Elle reste prisonnière d'un mode de

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fonctionnement opaque et d'une conception dépassée de ses missions. Ce qui entrave ses
capacités d'innovations pour construire de nouvelles ambitions sanitaires à l'échelle de la pla-
nète. Bien sûr, le manque de ressources financières est tout aussi crucial. Pourtant, il serait
possible d'imaginer des campagnes d'urgence, mettant à la disposition des soignants des pays
pauvres des médicaments à prix coûtant (et même au-dessous). La différence serait payée par
les compagnies pharmaceutiques, par les gouvernements des pays concernés, par les Etats des
pays développés. Après tout, un modèle de ce type fut adopté dans les années 1950 et 1960
pour lutter contre la variole, maladie éradiquée de la planète depuis 1977.

Mais voilà, les industries pharmaceutiques ne semblent guère prêtes à frayer des voies
nouvelles. Dans son bureau de directeur général du Syndicat national de l'industrie
pharmaceutique, M. Bernard Lemoine ne cache pas son agacement devant la campagne des
associations sur cette question. Il met en avant les opérations positives des laboratoires: baisse
passagère de prix, dons de molécules inutilisés, aides à des fondations. Sa conclusion est
néanmoins sans appel: « Je ne vois pas pourquoi on exigerait de l'industrie pharmaceutique
des efforts spécifiques. Personne ne demande à Renault de donner des voitures à ceux qui
n'en ont pas. » Justement, le médicament n'est pas un produit banalisé.
Or non seulement les compagnies pharmaceutiques imposent leurs prix et sélectionnent les
seuls marchés qui feront monter leurs cours en Bourse, mais elles combattent toute initiative
prise sans leur consentement. En Thaïlande, pour faire face à la méningite à cryptocoque, une
maladie mortelle souvent liée au sida, il n'existait, jusqu'au premier semestre 1998, qu'un seul
médicament, le fluconazole, produit sur place par le laboratoire américain Pfizer sous le nom
de Triflucan. Efficace mais hors de prix. Pour un malade en début de traitement, cela
représentait un coût mensuel de 15 000 baths, une fois et demie le salaire d'un cadre. Deux
entreprises thaïlandaises réussirent finalement à commercialiser un produit équivalent au prix
de 4 000 à 4 500 baths la boîte. Trop cher encore pour une grande partie de la population,
mais nettement plus abordable que le Triflucan. Six mois plus tard, les ventes étaient
interdites: alerté par Pfizer, le gouvernement des Etats-Unis avait menacé les autorités
thaïlandaises de taxer leurs principales exportations (bois, bijoux, microprocesseurs...) si elles
ne renonçaient pas à produire le fluconazole.
L’Afrique du Sud a failli connaître le même sort. En 1997, le gouvernement adoptait des lois
sanitaires autorisant les entreprises locales à produire des traitements contre le sida, ou à les
importer, sans passer par les brevets des grandes compagnies. Immédiatement, les grandes
compagnies pharmaceutiques américaines - dont certaines ont des filiales au Cap - portaient

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plainte, puis poussaient leur gouvernement à prendre des mesures de rétorsion de même type
que celles infligées a la Thaïlande.

« Le véritable ennemi n'est pas la prudence financière, explique l'économiste et Prix Nobel
Amartya Sen, mais l'utilisation des deniers publics à des fins dont l'intérêt social est loin
d'être évident, comme par exemple les dépenses militaires massives dans de nombreux pays
pauvres (...). Il est révélateur du monde fou dans lequel nous vivons que le médecin, le maître
d'école ou l'infirmière se sentent davantage menacés par le conservatisme financier que ne le
sont un général ou un commandant de l'armée de l'air. » Et d'ajouter: « Le prix à payer pour
l'inaction et l'apathie, ce peut être la maladie et la mort. »

Le rapport de force entre pays riches et pays pauvres, multinationales pharmaceutiques et


malades indigents, s’accroît ainsi avec l’aval de l’Organisation Mondiale du Commerce.

La garantie des profits doit-elle interdire l’accès aux soins ?

A lire : Saine Hargous. Bio-piratérie dans les Andes. Les temps modernes, N° 607
«L'industrie pharmaceutique : réalités économiques 1999 », édité par le Syndicat national de l'industrie
pharmaceutique (SNIP), 88, rue de la Faisanderie, Paris.
German Velasquez, Sarah Benett et Jonathan D. Quick, « Rôles des secteurs public et privé dans le domaine
pharmaceutique., OMS, Genève, 1997.
Amartya Sen, Santé et développement , allocution prononcée devant la 52°assemblée mondiale de la santé,
Genève, mai 1999:

Régimes globalitaires On appelait naguère « régimes totalitaires » ces systèmes à parti


unique qui n'admettaient aucune opposition organisée, négligeant les droits de la personne
humaine au nom de la raison d'Etat, et dans lesquels le pouvoir politique dirigeait
souverainement la totalité des activités de la société dominée.

À ces régimes, caractéristiques des années trente, succède, en cette fin de siècle, un autre type
de totalitarisme, celui des « régimes globalitaires ». Reposant sur les dogmes de la
mondialisation et de la pensée unique, ils n'admettent aucune autre politique économique,
négligent les droits sociaux du citoyen au nom de la raison compétitive, et abandonnent aux
marchés financiers la direction totale des activités de la société dominée.

Dans notre monde désorienté, les gens n'ignorent pas la puissance de ce nouveau
totalitarisme. Selon une récente enquête d'opinion, 64 % des personnes interrogées estimaient
que « ce sont les marchés financiers qui ont le plus de pouvoir aujourd'hui en France», devant

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« les hommes politiques» (52 %) et « les médias» (50 %). Après l'économie agraire, qui a
prévalu pendant des millénaires; après l'économie industrielle qui a marqué les XIX èmé et
XX ème siècles; nous sommes entrés dans l'ère de l'économie financière globale. nations

La mondialisation a tué le marché national qui est l'un des fondements du pouvoir de l'État-
nation. En l'annulant, elle a modifié le capitalisme national et diminué le rôle des pouvoirs
publics. Les États n'ont plus les moyens de s'opposer aux marchés. Les banques centrales
étant devenues indépendantes, les États ne disposent plus que de leurs réserves de changes
pour contrer éventuellement un mouvement de devise hostile. Or, le volume de ces réserves
est ridiculement faible face à la force de frappe des marchés.

Les États sont dépourvus de moyens pour freiner les flux formidables de capitaux, ou pour
contrer l'action des marchés contre ses intérêts et ceux de leurs citoyens. Les gouvernants
acceptent de respecter les consignes générales de politique économique que définissent des
organismes mondiaux comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale,
ou l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En Europe, les célèbres « critères de
convergence» établis par le traité de Maastricht (endettement public réduit, comptes extérieurs
sans distorsions graves, inflation contenue) exercent une véritable dictature sur la politique
des États, fragilisent le fondement de la démocratie, et aggravent la souffrance sociale.

Si des dirigeants affirment encore croire en l'autonomie du politique, leur volonté de


résistance ressemble fort à du bluff, puisqu'ils réclament, avec une véhémente insistance, des
« efforts d'adaptation» à cette situation. Or, en de telles circonstances, qu'est-ce que s'adapter?
Tout simplement admettre la suprématie des marchés et l'impuissance des hommes politiques,
ou, pour le dire autrement, accepter d'« être pieds et poings liés dans un monde qui s'impose à
tous ».

Autour de soi, chacun sent bien que l'alibi de la modernité sert à tout faire ployer sous
l'implacable niveau d'une stérile uniformité. Un pareil style de vie s'impose d'un bout à l'autre
de la planète, répandu par les médias et prescrit par le matraquage de la culture de masse. De
La Paz à Ouagadougou, de Kyoto à Saint-Pétersbourg, d'Oran à Amsterdam mêmes films,
mêmes séries télévisées, mêmes informations, mêmes chansons, mêmes slogans publicitaires,
mêmes objets, mêmes vêtements, mêmes voitures, même urbanisme, même architecture,
même type d'appartements souvent meublés et décorés d'identique manière... Dans les
quartiers aisés des grandes villes du monde, l'agrément de la diversité cède le pas devant la

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foudroyante offensive de la standardisation, de l'homogénéisation, de l'uniformisation. Partout


triomphe la world culture, la culture globale.

La vitesse a fait exploser la plupart des activités humaines et singulièrement celles liées aux
transports et à la communication. Instantanéité, omnivision et ubiquité, naguère super
pouvoirs des divinités de l'Olympe, appartiennent désormais à l'être humain. Dans l'histoire de
l'humanité, jamais des pratiques propres à une culture ne s'étaient imposées comme modèles
universels aussi rapidement. Modèles qui sont aussi politiques et économiques; la démocratie
parlementaire et l'économie de marché, admises désormais presque partout comme attitudes «
rationnelles », « naturelles », participent, de fait, à l'occidentalisation du monde.

Est-il étonnant que, en réaction à ce nivellement, se multiplient les sursauts identitaires et les
crispations traditionalistes? Partout, intégrismes et fondamentalismes rejettent une conception
abstraite de la modernité réclamant un enracinement dans le texte fondateur; les nationalismes
resurgissent exaltant les passions autour de quelques traits culturels fétichisés. Mais que
peuvent ces réactions (parfois obscurantistes, passéistes, archaïques) contre la puissance d'un
mouvement que stimule très fortement la mondialisation de l'économie?

Cette mondialisation a été accentuée par l'accélération des échanges commerciaux entre
nations après la signature, en 1947, de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
(GATT). La rapidité des communications et leur coût de plus en plus réduit, depuis le début
des années quatre-vingt, ont fait exploser ces échanges et ont multiplié de manière
exponentielle les flux commerciaux et financiers. Des firmes de plus en plus nombreuses se
projettent à l'extérieur de leur pays d'origine et développent des ramifications tous azimuts;
l'investissement direct à l'étranger s'accroît massivement augmentant trois fois plus vite que le
commerce mondial. La vitesse de la mondialisation est d'autant plus rapide que les flux sont
de moins en moins matériels et concernent chaque fois davantage des services, des données
informatiques, des télécommunications, des messages audiovisuels, du courrier électronique,
des consultations sur Internet, etc.

Toutefois, l'interpénétration des marchés industriels, commerciaux et financiers pose de


graves problèmes de nature politique. De nombreux gouvernements, confrontés à la récession,
en viennent à s'interroger sur les bienfaits de cette économie globale dont ils tentent, par
ailleurs, de comprendre la véritable logique.

Les années soixante-dix avaient connu l'expansion des entreprises multinationales comparées
alors à des pieuvres possédant de multiples extensions mais dépendant toutes d'un même

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centre, géographiquement localisé, où s'élaborait la stratégie d'ensemble et d'où partaient les


impulsions.

L'« entreprise globale» d'aujourd'hui n'a plus de centre, elle est un organisme sans corps et
sans cœur, elle n'est qu'un réseau constitué de différents éléments complémentaires, éparpillés
à travers la planète et qui s'articulent les uns aux autres selon une pure rationalité économique,
obéissant à deux maîtres mots: rentabilité et productivité. Ainsi, une entreprise française peut
emprunter en Suisse, installer ses centres de recherche en Allemagne, acheter ses machines en
Corée du Sud, baser ses usines en Chine, élaborer sa campagne de marketing et de publicité
en Italie, vendre aux Etats-Unis et avoir des sociétés à capitaux mixtes en Pologne, au Maroc
et au Mexique.

Non seulement la nationalité de la firme se dissout dans cette folle dispersion mais aussi,
parfois, sa propre personnalité. Le professeur américain Robert Reich, ex-secrétaire d'État au
Travail dans le premier gouvernement de William Clinton, cite le cas de l'entreprise japonaise
Mazda qui, depuis 1991, « produit des Ford Probe dans l'usine Mazda de Flat Rock, dans le
Michigan. Certaines de ces voitures sont exportées au Japon et vendues sous la marque Ford.
Un véhicule Utilitaire Mazda est fabriqué dans l'usine Ford de Louisville, Kentucky, et
ensuite vendu dans les magasins Mazda aux Etats-Unis. Nissan, pendant ce temps, conçoit un
nouveau camion léger à San Diego, Californie. Les camions seront montés dans une usine
Ford dans l'Ohio, avec des pièces détachées fabriquées par Nissan dans son usine du
Tennessee, et ensuite commercialisés par Ford et Nissan aux États-Unis et au Japon ». Et
Robert Reich de se demander: « Qui est Ford? Nissan ? Mazda ? »

Les salariés des pays d'origine de la firme sont intégrés malgré eux dans le marché
international du travail. Le nivellement se faisant par le bas; les faibles salaires et la moindre
protection sociale l'emportent. Les mises en garde du Bureau international du travail (BIT) n'y
peuvent rien. L'entreprise globale recherche, par les délocalisations et l'augmentation
incessante de la productivité, le profit maximal; cette obsession la conduit à produire là où les
coûts salariaux sont les plus faibles et à vendre là où les niveaux de vie sont les plus élevés.
Au Sud, les délocalisations d'usines visent à exploiter el à tirer profit d'une main-d'œuvre très
bon marché. Au Nord, automatisation, robotisation et nouvelle organisation du travail
entraînent des licenciements massifs (downsizing) qui traumatisent profondément les sociétés
démocratiques développées, d'autant que la destruction de millions d'emplois n'est point
compensée par des créations dans d'autres secteurs.

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Ces entreprises, loin d'être mondiales, interviennent essentiellement dans les trois pôles
dominant l'économie du monde: Amérique du Nord, Europe occidentale et zone Asie-
Pacifique. L'économie globale provoque ainsi, paradoxalement, une cassure de la planète
entre ces trois pôles de plus en plus intégrés et le reste des pays (en particulier, l'Afrique
noire) de plus en plus pauvres, marginalisés, exclus du commerce mondial et de la
modernisation technologique.

Parfois, les investissements spéculatifs se concentrent sur un « marché émergent » du Sud


parce que la Bourse locale offre des perspectives de gains faciles et importants, et parce que
les autorités promettent aux capitaux flottants des taux d'intérêts fort alléchants. Mais cela ne
garantit nullement un quelconque décollage économique. Car plus rapidement qu'ils sont
venus, les capitaux peuvent s'enfuir. D'une seconde à l'autre. Comme le Mexique en fit
l'amère expérience en 1994.

Le Mexique n'a échappé à la faillite totale que grâce à l'octroi d'une aide internationale
massive de plus de 50 milliards de $ (dont 20 milliards par les Etats-Unis) ; l'aide la plus
importante jamais accordée à un pays. Si importante qu'on se demande si elle cherchait à
sauver le Mexique (dont le pétrole passait sous le contrôle des États-Unis qui prenaient ainsi
une revanche sur le président Lázaro Cárdenas, lequel, en 1938, avait nationalisé les
compagnies pétrolières américaines...), ou si elle visait plutôt à sauver le système financier
international.

Car on n'a pas assisté au même empressement s'agissant d'autres situations d'urgence. Par
exemple, au Rwanda, ravagé pourtant par un génocide. Pratiquement aucun prêt, non plus, à
la Russie, qui n'a effectivement reçu, depuis 1990, que 3 milliards de $ d'aide directe quand
ses besoins sont gigantesques. Enfin, nulle aide à Gaza-Cisjordanie, ou à peine quelques
dizaines de millions alors qu'il en faudrait des centaines pour réduire les tensions et tenir enfin
les promesses des accords d'Oslo.

À quel degré d'absurdité est parvenu le système financier international? Il obéit, désormais, au
chacun pour soi. Nul n'arbitre un jeu que nulle règle n'organise, hormis celle de la recherche
du profit maximal. Aux yeux de tous, cette crise aura révélé qui sont les nouveaux maîtres de
la géofinance : les gestionnaires des fonds de pension et des fonds communs de placement. Ce
sont eux que, en langage expert, la presse économique appelle: « les marchés». On connaissait
l'importance astronomique des sommes mobilisées par ces gestionnaires (les seuls fonds de
pension américains représentent 6 000 milliards de $...), et on prévoyait que leur déplacement

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brutal provoquerait un jour des dégâts importants. Le Mexique, le premier, en a éprouvé le


choc. Il y a laissé une part de sa souveraineté nationale.

Tout comme au cours du XIXème siècle les grandes banques dictèrent leur attitude à de
nombreux pays, ou comme les entreprises multinationales le firent entre les années soixante et
quatre-vingt, les fonds privés des marchés financiers tiennent désormais en leur pouvoir le
destin de beaucoup de nations. Et, dans une certaine mesure, le sort économique du monde.
Qu'ils cessent d'avoir confiance demain en la Chine (où les investissements étrangers directs
ont atteint, en 1994, 32 milliards de $), et, tels des dominos, les pays les plus exposés
(Hongrie, Argentine, Brésil, Turquie, Thaïlande, Indonésie...) verraient les capitaux se retirer
sous le coup de la panique, provoquant leur faillite et la faillite du système.

La chute de la banque britannique Barings, en 1995, a confirmé d'ailleurs que, contrairement


au mythe colporté par la pensée unique, les « marchés ouverts » ne fonctionnent pas à la
perfection et le capital privé n'a pas le monopole de la sagesse. Réputés « infaillibles», les
marchés se sont encore lourdement trompés. Et - grâce à l'aide apportée par les États sur fonds
publics - ils n'ont pas été sanctionnés; ce qui constitue une entorse au dogme libéral, que les
libéraux se sont bien gardés de dénoncer tant il est vrai qu'une autre règle d'or non proclamée
s'est une fois de plus vérifiée: au capital les rendements les plus fabuleux, et à la collectivité
les pertes. Dans une économie globale, ni le capital, ni le travail, ni les matières premières ne
constituent, en soi, le facteur économique déterminant. L'important c'est la relation optimale
entre ces trois facteurs. Pour établir cette relation, la « firme globale » ne tient compte ni des
frontières ni des réglementations, mais seulement de l'exploitation intelligente qu'elle peut
faire de l'information, de l'organisation du travail et de la révolution de la gestion. Cela
entraîne souvent une fracture des solidarités au sein d'un même pays: « L'ingénieur en logiciel
américain, lié à son réseau mondial par des ordinateurs et des fax - écrit Robert Reich - est
plus dépendant d'ingénieurs de Kuala Lumpur, de fabricants de Taïwan, de banquiers de
Tokyo et de Bonn, et de spécialistes des ventes et du marketing de Paris et de Milan que de
travailleurs routiniers exerçant leur activité dans une usine située de l'autre côté de la ville. »
On en arrive ainsi au divorce entre l'intérêt de l'entreprise et l'intérêt de la collectivité, entre la
logique du marché et celle de la démocratie.

Les firmes globales ne se sentent, en la matière, nullement concernées; elles sous-traitent et


vendent dans le monde entier; et revendiquent un caractère supranational qui leur permet
d'agir avec une grande liberté puisqu'il n'existe pas, pour ainsi dire, d'institutions

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internationales à caractère politique, économique ou juridique en mesure de réglementer


efficacement leur comportement.

Les grandes instances économiques - Fonds monétaire international, Banque mondiale -


connaissent une crise structurelle. La mondialisation de l'économie a déstabilisé ces
organismes créés à la fin de la seconde guerre mondiale. Le GATT*, obsédé par les droits de
douane, ne maîtrisait plus les problèmes de concurrence et d'accès aux marchés, semblait
frappé d'obsolescence après la fin de l'Uruguay Round, et a été remplacé, dès 1995, par
l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le système monétaire international, issu de la conférence de Bretton Woods*, et déjà mis à


mal en 1971 par la décision unilatérale des Etats-Unis de suspendre la convertibilité du dollar
en or, est désormais pris de vitesse par la mondialisation des marchés monétaires et financiers.
Le « big bang» (informatisation) des Bourses et la déréglementation à grande échelle
permettent aux flux de capitaux de se déplacer à la vitesse de la lumière, vingt-quatre heures
sur vingt-quatre, stimulant une formidable spéculation financière.

Les transactions financières s'effectuent en continu, les opérateurs pouvant intervenir, en


temps réel, sur les marchés de Tokyo, Londres ou New York. Le volume des transactions
financières est dix fois supérieur à celui des échanges commerciaux. L'économie financière
l'emporte, de loin, sur l'économie réelle. Le mouvement perpétuel des monnaies et des taux
d'intérêt apparaît comme un facteur d'instabilité, d'autant plus dangereux qu'il est autonome et
de plus en plus déconnecté du pouvoir politique.

Cette immense rupture économique, financière et politique que constitue la mondialisation de


l'économie n'a pas encore été sérieusement analysée. Objet, depuis quelques années, de
multiples travaux sectoriels, en particulier sur ses dimensions économiques, financières,
technologiques et culturelles, la mondialisation a rarement été appréhendée. dans sa globalité,
en tant que basculement de civilisation. Elle constitue pourtant l'aboutissement ultime de
l'économisme, de « l'impensable en train de naître sous nos yeux » : l'homme « mondial »,
c'est-à-dire l'atome infra-humain, vidé de culture, de sens et de conscience de l'autre.

Tel est le résultat final prévisible, mais déjà fortement présent, de la combinaison des trois
dynamiques qui convergent de manière explosive sur l'humanité de cette fin de siècle: la
mondialisation de l'économie, ultime avatar de la modernité occidentale datant de l'expansion
de l'Europe sur le monde au XVème siècle; la remise en cause de l'État providence et de l'État
tout court, qui pourrait sonner le glas du politique et de la société; la destruction généralisée

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des cultures, au Nord comme au Sud, par le rouleau compresseur de la communication, de la


mercantilisation et de la technologie.

Les principaux fondements théoriques de cette vision à la fois consensuelle et désespérante


empruntent au marxisme (mais en les retournant) certains de ses postulats: prétention naïve à
la scientificité (le « cercle de la raison »), évocation eschatologique d'un «avenir radieux », et
indifférence à l'égard de ses propres échecs.

Le plus grave, dans cette instrumentalisation idéologique de la mondialisation, c' est


évidemment de condamner par avance - au nom du « réalisme» - toute velléité de résistance
ou même de dissidence. Sont ainsi frappés d'opprobre ou définis comme «populistes» tous
sursauts républicains, toutes recherches d'alternatives, toutes tentatives de régulation
démocratique, toutes critiques du marché. La mondialisation n'est ni une fatalité
incontournable, ni un «accident» de l'histoire. Elle constitue un grand défi à relever, une
sauvagerie potentielle à réguler, c'est-à-dire, au bout du compte, à civiliser. C'est
politiquement qu'il s'agit de résister à cette obscure dissolution de la politique elle-même dans
la résignation ou la désespérance.

Ce n'est pas le moindre paradoxe de cette mondialisation que de dissimuler, derrière


l'apparence d'une modernité postindustrielle et informatisée - la fascination Internet -, une
évolution politiquement « réactionnaire» au sens strict de terme. C'est-à-dire un
démantèlement progressif des conquêtes démocratiques, un abandon du contrat social
européen, un retour - sous couvert d'« adaptation» et de « compétitivité» - au capitalisme
primitif du XIXème siècle.

On a la confirmation de cela chaque année, lorsque, au cœur de l'hiver, les principaux


responsables de la planète chefs d'État, banquiers, financiers, patrons des grandes entreprises
transnationales - se retrouvent à Davos, petite ville suisse, pour faire le point sur les avancées
de l'économie de marché, du libre-échange et de la déréglementation.

Rendez-vous des nouveaux maîtres du monde, le forum économique de Davos est devenu La
Mecque de l'hyperlibéralisme, la capitale de la mondialisation et le foyer central de la pensée
unique.

Dans leur grande majorité, les deux mille global leaders y confirment, rituellement, qu'il faut
combattre l'inflation, réduire les déficits budgétaires, poursuivre une politique monétaire
restrictive, encourager la flexibilité du travail, démanteler l'État providence et stimuler sans
relâche le libre-échange. Ils vantent l'ouverture croissante des pays au commerce mondial; les

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efforts des gouvernements pour réduire les déficits, les dépenses et les impôts; applaudissent
aux privatisations. Selon eux, il n'y a plus d'alternative politique ou économique; acquis au
marché et dopé par Internet, le monde vit en quelque sorte la fin de l'histoire.

La compétition reste, à leurs yeux, la seule force motrice : « Qu'on soit un individu, une
entreprise ou un pays - y a déclaré, par exemple, Helmut Maucher, patron de Nestlé, -
l'important pour survivre dans ce monde, c'est d'être plus compétitif que son voisin.» Et
malheur au gouvernement qui ne suivrait pas cette ligne: «Les marchés le sanctionneraient
immédiatement - a averti Hans Tietmeyer, président de la Bundesbank - car les hommes
politiques sont désormais sous le contrôle des marchés financiers. » Comme a pu le constater,
à Davos, en 1996, Marc Blondel, secrétaire général du syndicat français Force ouvrière: « Les
pouvoirs publics ne sont, au mieux, qu'un sous-traitant de l'entreprise. Le marché gouverne.
Le gouvernement gère. »

Les accents triomphalistes ne manquent pas. Pourtant, dès 1996, sur cet aréopage des élites
mondiales, on a senti planer le sentiment qu'une période d'euphorie s'achevait. A cet égard, la
révolte des salariés français de décembre 1995 a sans doute servi de tocsin. Car même ces
global leaders ne peuvent pas manquer de constater que l'événement majeur de cette fin de
siècle est la paupérisation de l'Europe occidentale.

C'est une sacrée tache dans le tableau. Le professeur Klaus Schwab, fondateur du Forum de
Davos, a lui-même formulé la première mise en garde: « La mondialisation est entrée dans
une phase très critique. Le retour de bâton se fait de plus en plus sentir. On peut craindre qu'il
ait un impact fort néfaste sur l'activité économique et la stabilité politique de nombreux pays.
»

D'autres experts ont fait un constat encore plus pessimiste. Ainsi, Rosabeth Moss Kanter,
ancienne directrice de la Harvard Business Review et auteur de l'ouvrage The World Class,
avertit: « Il faut créer la confiance chez les salariés, et organiser la coopération entre les
entreprises afin que les collectivités locales, les villes et les régions bénéficient de la mon-
dialisation. Sinon nous assisterons à la résurgence de mouvements sociaux comme nous n'en
avons jamais vu depuis la seconde guerre mondiale.» C'est également la grande crainte de
Percy Barnevik, patron de Asea Brown Boveri (ABB), l'une des principales compagnies
énergétiques du monde, qui a lancé ce cri d'alerte: « Si les entreprises ne relèvent pas les défis
de la pauvreté et du chômage, les tensions vont s'accroître entre les possédants et les démunis,
et il y aura une augmentation considérable du terrorisme et de la violence. »

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Cette inquiétude se répand même dans les milieux les plus acquis au libéralisme. Le sénateur
(démocrate) des États-Unis, Bill Bradley, a révélé qu’en raison de l'actuelle fureur
compétitive, de la précarisation de l'emploi et de la baisse des salaires, « les classes moyennes
américaines vivent de plus en plus mal, et doivent travailler de plus en plus pour maintenir
leur niveau de vie. » C'est pourquoi l'hebdomadaire américain Newsweek n'a pas hésité, le 26
février 1996, à dénoncer le killer capitalism (le capitalisme tueur), clouant au pilori les douze
grands patrons qui, ces dernières années, ont licencié à eux seuls plus de 363 000 salariés! « Il
fut un temps où licencier en masse était une honte, une infamie. Aujourd'hui, plus les licenciés
sont nombreux plus la Bourse est contente... », accuse ce journal qui, lui aussi, redoute un
violent retour de bâton contre la mondialisation.

« La mondialisation est en train de créer, dans nos démocraties industrielles, une sorte de
sous-classe de gens démoralisés et appauvris », affirme l'ex-ministre américain du Travail,
Robert Reich. Il vient de réclamer que les entreprises ayant manqué à leur devoir civique en
réduisant le nombre de leurs salariés soient sanctionnées par l'État, obligées de payer une taxe
supplémentaire.

Le rôle de l'État, dans une économie globale, est inconfortable. Il ne contrôle plus les changes,
ni les flux d'argent, d'informations, ou de marchandises et on continue, malgré tout, de le tenir
pour responsable de la formation des citoyens et de l'ordre public intérieur, deux missions très
dépendantes de la situation générale de l'économie... L'État n'est plus totalitaire, mais
l'économie, à l'âge de la mondialisation, tend de plus en plus à le devenir.

Telle est la logique de ces régimes globalitaires. En favorisant, au cours des deux dernières
décennies, le monétarisme, la déréglementation, le libre-échange commercial, le libre flux de
capitaux et les privatisations massives, des responsables politiques ont permis le transfert de
décisions capitales (en matière d'investissement, d'emploi, de santé, d'éducation, de culture, de
protection de l'environnement) de la sphère publique à la sphère privée. C'est pourquoi, à
l'heure actuelle déjà, sur les deux cents premières économies du monde, plus de la moitié ne
sont pas des pays mais des entreprises.

Le phénomène de multinationalisation de l'économie s'est développé de manière


spectaculaire. Dans les années soixante-dix, le nombre de sociétés multinationales n'excédait
pas plusieurs centaines, aujourd'hui leur nombre frôle les 40 000... Et si l'on considère le
chiffre d'affaires global des 200 principales entreprises de la planète, son montant représente

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plus du quart de l'activité économique mondiale; et pourtant, ces 200 firmes n'emploient que
18,8 millions de salariés, soit moins de 0,75 % de la main-d'œuvre planétaire...

Au début des années quatre-vingt-dix, quelque 37000 firmes transnationales enserraient, avec
leurs 170000 filiales, l'économie internationale dans leurs tentacules. Les 200 premières sont
des conglomérats dont les activités planétaires couvrent sans distinction les secteurs primaire,
secondaire et tertiaire: grandes exploitations agricoles, production manufacturière, services
financiers, commerce, etc.; géographiquement, elles se répartissent entre dix pays: Japon (62),
États-Unis (53), Allemagne (23), France (19), Royaume-Uni (11), Suisse (8), Corée du Sud
(6), Italie (5), et Pays-Bas (4).

Le chiffre d'affaires de la General Motors est plus élevé que le produit national brut (PNB) du
Danemark, celui de Ford est plus important que le PNB de l'Afrique du Sud, et celui de
Toyota dépasse le PNB de la Norvège. Et nous sommes ici dans le domaine de l'économie
réelle, celle qui produit et échange des biens et des services concrets. Si l'on y ajoute les
acteurs principaux de l'économie financière, c'est-à-dire les principaux fonds de pensions
américains et japonais qui dominent les marchés financiers, le poids des États devient presque
négligeable.

De plus en plus de pays, qui ont massivement vendu leurs entreprises publiques au secteur
privé et ont déréglementé leur marché, sont devenus la propriété de grands groupes
multinationaux. Ceux-ci dominent des pans entiers de l'économie du Sud; ils se servent des
États locaux pour exercer des pressions au sein des forums internationaux et obtenir les
décisions politiques les plus favorables à la poursuite de leur domination globale.

Ainsi, la réalité du nouveau pouvoir mondial échappe largement aux États. La mondialisation
et la déréglementation de l'économie favorisent l' émergence de pouvoirs nouveaux, qui, avec
l'aide des technologies modernes, débordent et transgressent en permanence les structures
étatiques.

Quand le modèle économique est celui des paradis fiscaux, et que « les marchés» en viennent
à sanctionner (au nom de la lutte contre l'inflation) la création d'emplois et la croissance, n'y
a-t-il pas une irrationnelle perversion dans le royaume de finance ?

Le mécanisme qui peut arrêter cette course au désastre, dans la phase de glaciation
mondialisatrice à laquelle nous sommes parvenus, est celui d'une dissidence impliquant pro-
gressivement une masse critique de citoyens décidés à faire prévaloir leurs droits élémentaires
et à favoriser l'avènement d'une vraie société politique. Cette dissidence commence avec le

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refus de la théologie économique qui a confié au marché le gouvernement du monde:


desserrer les ajustements, les recentrer sur le marché interne et non sur les exportations,
tempérer la concurrence, réhabiliter la planification, modérer le jeu de casino de la
spéculation, utiliser l'Europe comme levier d'un projet social, etc.

Il reste peu de temps, car à de multiples signes, on voit revenir, dans nos sociétés
déboussolées, une troublante interrogation: la démocratie est-elle confisquée par un petit
groupe de privilégiés qui en usent pour leur bénéfice quasi exclusif?

Parce qu'ils considéraient que la République devait se fonder sur le « contrat social» - comme
l'avait enseigné Jean-Jacques Rousseau -, cette même interrogation a conduit, pendant plus
d'un siècle, les socialistes révolutionnaires (de Karl Marx à Trotsky en passant par Blanqui,
Bakounine et Lénine) à combattre, au nom de la liberté, la « démocratie bourgeoise» et à
rêver, pour certains d'entre eux, d'une «dictature du prolétariat ». En même temps, au nom du
nationalisme ethnique, l'extrême droite cherchait à abattre le « parlementarisme ».

La défaite militaire des fascismes en 1945, puis l'effondrement des régimes communistes en
1989 semblèrent régler la, question. La thèse de Francis Fukuyama sur la « fin de l'histoire»
pouvait triompher: la démocratie était l'horizon indépassable de tout régime politique. Et
chacun de rappeler le célèbre aphorisme de Winston Churchill: « La démocratie est le pire des
systèmes... à l'exception de tous les autres. »

À la faveur de cette embellie, la démocratie s'est étendue partout de manière spectaculaire. Au


point que, rarissime à la veille de la seconde guerre mondiale, la démocratie est devenue le
régime politique dominant. Et pourtant, de plus en plus nombreux sont ceux qui dénoncent ce
système comme une imposture...

En France, le nombre des licenciements a dépassé, en moyenne, en 1996, les 35000 par
mois... L'hémorragie sociale atteint des proportions scandaleuses, notamment dans les.
industries de main d’œuvre: textile, chaussure, agroalimentaire, électroménager, automobile,
bâtiment. Ce dernier secteur, à lui seul, a vu disparaître, en un an, 24 000 emplois... Celui de
l'habillement, 15 000 en un semestre.. .

La France a déjà perdu plus de 1,8 million d'emplois industriels, et le taux de chômage atteint
12,3 % de la population active, un record historique. On continue cependant d'annoncer une
série de « plans sociaux » visant à réduire les effectifs tant dans des entreprises publiques
(Aérospatiale, France Télécom, Sernam) que dans des groupes privés (Pechiney, Moulinex,
Peugeot).

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De surcroît, à la veille de grandes fusions, les banques envisagent la suppression de quelque


40000 emplois. Une identique saignée se prépare dans les secteurs des assurances, de
l'aéronautique et du multimédia. Et il faut ajouter la baisse de 24 % des effectifs des armées,
décidée par le ministère de la Défense. Tout cela, pour de nombreuses communes, signifie la
mort économique.

Entre-temps, en Italie, en Espagne, en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, dans


l'ensemble de l'Union européenne, les licenciements massifs se poursuivent. Partout, chômage
et sous-emploi s'étendent, les salaires sont bloqués, et les budgets sociaux drastiquement
réduits au nom de la sacro-sainte compétitivité.

Les inégalités ne cessent de croître à tel point que certains États européens en viennent à
accepter une sorte de tiers-mondisation de leurs sociétés. Ainsi, selon des rapports récents de
l'ONU, de la Banque mondiale et de l'OCDE: « Au Royaume-Uni, les inégalités entre riches
et pauvres sont les plus importantes du monde occidental, comparables à celles qui existent au
Nigeria, et plus profondes que celles que l'on trouve, par exemple, à la Jamaïque, au Sri Lanka
ou en Éthiopie.» En moins de quinze ans, s'est construite une société de rentiers doublée d'une
société d'assistés...

Partout, en Europe, la cohésion sociale se lézarde dangereusement; au sommet, se renforce


une classe de plus en plus aisée (10 % des Français, par exemple, détiennent 55 % de la
fortune nationale) tandis que, vers le bas, les poches de pauvreté se creusent. Or, on sait que
des citoyens trop démunis, marginalisés, exclus sont incapables de profiter des libertés
formelles et de faire valoir leurs droits.

Tout cela se produit dans un cadre économique général où la finance triomphe. Les marchés
financiers exercent une influence tellement colossale qu'ils imposent leur volonté aux
dirigeants politiques. De même que naguère on pouvait dire que « deux cents familles»
contrôlaient le destin de la France, on peut affirmer à présent que « deux cents gérants »
contrôlent le destin de la planète. Les gouvernements en viennent même à abandonner toute
velléité de politique budgétaire autonome et acceptent d'obéir à des logiques parfaitement
étrangères aux préoccupations sociales des citoyens.

C'est sans doute pour cette raison, parce que les politiques consentent désormais à se
soumettre à la domination de l'économique et à la dictature des marchés, que le régime
démocratique s'étend sans entraves à travers la planète. Naguère tout projet d'instauration
démocratique était férocement combattu par les tenants du capital, alliés le plus souvent aux

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forces armées. De la guerre civile d'Espagne (1936-1939) au renversement du président du


Chili, Salvador Allende, en 1973, les exemples ne manquent pas de régimes démocratiques
tragiquement abattus parce qu'ils s'apprêtaient à réduire les inégalités en répartissant plus
équitablement la richesse. Parce qu'ils entendaient nationaliser (mettre au service de la nation)
les secteurs stratégiques de l'économie. La démocratie supposait la domination de l'économie
par le politique, pour le bénéfice des citoyens. i'

Aujourd'hui, démocratie rime avec démantèlement du secteur d'État, avec privatisations, avec
enrichissement d'une petite caste de privilégiés, etc. Tout est sacrifié (et en premier lieu le
bien-être du peuple) aux impératifs de l'économie financière. À cet égard, en Europe, les
critères de convergence imposés par le traité de Maastricht sont devenus des absolus
quasiment constitutionnels. Au grand scandale des millions de laissés-pour-compte.

Si l'on ajoute à cela le cynisme de dirigeants qui à peine élus s'empressent de renier les
promesses faites durant leur campagne électorale; le poids démesuré des groupes de pression;
et la montée de la corruption dans la classe politique, comment ne pas voir que cette
démocratie en panne favorise, en premier lieu, l'expansion de l'extrême droite? Comment ne
pas comprendre la colère des citoyens confrontés, dans l'ensemble de l'Union européenne, à la
marée des injustices? Le bon sens remportera-t-il? En viendra-t-on enfin à admettre que sans
développement social il ne peut y avoir de développement économique satisfaisant? Et qu'on
ne peut bâtir une économie solide sur une société en ruines?

Sans terre Le Brésil, géant de l'Amérique du Sud (8511 965 Km2 et 168 millions
d'habitants), considéré comme la neuvième puissance économique mondiale, n’est pas un
pays, mais une énorme désillusion. Cette phrase, attribuée à un anonyme, probablement
chanter de samba, parle des paradoxes du Brésil. Si un jour l’écrivain autrichien Stefan Zweig
a pu dire que le Brésil était une terre d’avenir, le présent se montre plus avare : il a le triste
privilège de figurer parmi les peuples où règne la plus grande inégalité sociale. Selon le
PNUD, 20% de la population la plus pauvre se partagent seulement 2,5% du revenu national,
tandis que 20% des plus riches en détiennent 63,4%, et selon la Banque Mondiale, 10% de la
population s'approprient la moitié de la richesse nationale, et 1 % environ un sixième.

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Des inégalités qui font que le Brésil demeure le plus grand latifundium (plus de 1 000
hectares) du monde, où quelque 1% des propriétaires possèdent environ 46% des terres, tandis
que 90% s'en partagent 20% . avec comme facteur aggravant, le fait qu'un peu plus de la
moitié des terres cultivables sont improductives. Une réforme agraire en certes marche, mais
elle est trop timide et, de toute façon, elle est la conséquence de la pression du Mouvement
des Sans Terre (MST), conduit par l’économiste chrétien João Pedro Stédile, 46 ans, et
soutenu par le Parti des Travailleurs, l’église catholique progressiste, la Centrale Unique des
Travailleurs et tous les mouvements sociaux tournés vers une nouvelle répartition de la
richesse au Brésil.

L'image du Brésil, deuxième pays de la planète pour la concentration de la propriété foncière,


s'identifie chaque jour davantage au visage du travailleur rural sans terre : regard dur,
desséché par le vent, à la limite de la détermination et du désespoir. Les chiffres ne permettent
aucune erreur sur l'analyse de la situation. Pour un territoire continental de 850 millions
d'hectares, 390 millions d'hectares sont utilisables pour l'activité agricole, mais, selon l'Institut
national de colonisation et de réforme agraire (Incra), 120 millions d'hectares demeurent en
jachère. Dans ce pays aux quatre millions de familles dépourvues de terre, de vastes étendues
- presque 60 % des surfaces rurales - appartiennent à moins de 3 % des propriétaires.

De façon continue, de la colonie à l'Empire en passant par les gouvernements républicains, les
élites ont toujours été vigilantes face à la possibilité qu'une telle quantité de terres ne facilite
la transformation rapide de l'esclave ou de l'ouvrier agricole en petit propriétaire rural. C'est
ainsi que furent prises les mesures nécessaires pour empêcher leur accès à la terre, tout en
favorisant une accumulation limitée aux cercles du pouvoir.

Le travailleur agricole est, historiquement, le plus pénalisé de tous les travailleurs brésiliens.
Il a été maintenu à l'écart quand la main-d’œuvre urbaine a vu ses droits reconnus par une loi,
à partir de 1930. Même la modernisation de l'agriculture, mise en oeuvre dans les années
1950, et qui, selon les techniciens de l'époque, devait avoir comme résultat naturel
l'amélioration de la qualité de la vie pour les populations rurales, ne contribua en rien à la
résolution du problème agraire. Elle ne fut pas plus efficace en ce qui concerne l'exploitation
rationnelle du potentiel agricole du pays.

Comprise comme l'assimilation des nouvelles technologies et l'augmentation de la


productivité, la modernisation agricole tenta, en particulier pendant les gouvernements

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militaires, de se confondre avec le développement rural. Mais la modernisation a été


responsable, entre autres, de l'exacerbation des différences régionales. En ce qui concerne les
structures, elle créa, d'un côté, un secteur extrêmement moderne, composé d'environ 500 000
entreprises, qui assurent la majeure partie des exportations agricoles et de l'emploi rural. D'un
autre côté, elle généra un secteur arriéré, composé de près de 5 millions d'unités agraires de
tailles diverses, opérant à des niveaux de productivité très bas, mais assurant une part
considérable de la production d'aliments. En outre, les données sur la violence révèlent que les
conflits sociaux agraires et leurs conséquences souvent dramatiques sont justement plus
importants dans les régions de grande concentration de la terre (2) ; celles-ci sont également
les zones de plus faible indice de développement humain du pays.

Conséquence de l'ouverture économique et d'une politique cherchant à attirer les capitaux


étrangers, le flux de ces derniers en direction du Brésil est passé de 43,3 milliards d'euros en
1995 (6 % du PIB) à 201,5 milliards d'euros en 1999 (21,6 % du PIB). C'est en offrant les
taux d'intérêt réels les plus élevés du monde, durant la plus grande partie de son
gouvernement, que, entre prêts privés et prêts provenant d'organismes internationaux,
M. Fernando Henrique Cardoso a obtenu ces ressources. Elles ont permis de réduire
l'inflation, de 50 % en juin 1994 à 6 % un mois après l'implantation du Plan Real, à la fin
juillet de la même année. Maintenue à un bas niveau durant toutes les années Cardoso, cette
inflation est descendue à 1,79 % en 1998, pour augmenter après la crise de 1999, mais
toujours en deçà des deux chiffres.

Ce n’est pas un hasard, le président était, lui aussi, un gros latifundiste. Le 24 mars 2002, 500
paysans occupent la propriété de la famille du président Fernando Henrique Cardoso.
Quelques jours plus tard, dans le Para, 14 humbles Brésiliens liés au MST sont enfin libérés,
après 60 jours de prison, pour avoir occupé, eux aussi, une propriété appartenant à l'ex-
président du Sénat, poursuivi pour diverses affaires politico-financières, M. Jader Barbalho.
Le 23 mai, le major José Maria Oliveira est condamné à 158 ans de prison pour sa
responsabilité dans la mort de 19 paysans assassinés par la police militaire à Eldorado do
Carajas, le 17 avril 1996. Comme le colonel Mario Pantoja, autre officier inculpé, et malgré
des preuves accablantes, il reste en liberté, leurs avocats ayant demandé l'annulation des deux
jugements. En trois événements, la situation du problème agraire à la fin du mandat de l'actuel
président est ainsi résumée. Les latifundia qui représentent 1 % du nombre des établissements
agricoles, occupent 45 % des surfaces productives - souvent non exploitées. Les 20 plus

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grandes propriétés accaparent à elles seules la même surface que 3,3 millions de petits
producteurs. Dans le même temps, au moins 3,5 millions de familles paysannes attendent une
réforme agraire.

Le gouvernement Cardoso prétend en avoir fait bénéficier 482 206 familles (fin 2001), mais
des estimations ramènent ce chiffre à 234 062, dont 60 % sur le front pionnier, par le
défrichage de nouvelles surfaces (qui aggrave la déforestation). Par ailleurs, il promeut une
politique de vente des latifundiua (rachetés par l'Etat à prix d'or) aux paysans (qui ne pourront
pas payer !) au lieu de démocratiser l'accès à la terre par l'expropriation. Le MST revendique,
lui, le transfert de propriété des terres improductives et a déjà installé 138 000 familles sur des
terres « occupées ». En réponse, il ne s'est attiré qu'une répression féroce de ses dirigeants et
une vague d'expulsions, d'emprisonnements arbitraires et d'assassinats des pauvres des
campagnes.

L'ouverture de l'économie a provoqué à la fois une rapide augmentation des importations et la


perte de ce qui constituait l'une des conquêtes de l'économie brésilienne, sa compétitivité à
l'étranger. Il en est résulté un déficit de la balance commerciale comme jamais le pays n'en
avait connu. Aggravé par l'arrivée de capitaux spéculatifs, ce déficit a eu des conséquences
directes sur la balance des paiements.

Alors que les exportations progressaient de 35,68 milliards d'euros (1992) à 53,02 milliards
d'euros (1997), les importations ont plus que triplé, passant de 20,9 milliards d'euros à 62,5
milliards d'euros. Dans le même temps, la balance des paiements a évolué d'un excédent de
15,4 milliards d'euros à un déficit de 8,4 milliards, une différence significative de 23,8
milliards d'euros.

Le niveau d'endettement du secteur public a progressé vertigineusement, de 30 % du PIB en


1994 à 61,9 % en juillet 2002. Un résultat catastrophique pour un gouvernement qui
prétendait que, l'Etat dépensant beaucoup et mal, son objectif central pour lutter contre
l'inflation serait l'assainissement des finances publiques. Avec l'aggravation de la crise en
2002, non seulement le niveau d'endettement a augmenté, mais aussi sa qualité : la proportion
de dette libellée en $ s'est accrue, allant de pair avec un raccourcissement des échéances et
une hausse des taux. Tel a été le cas du dernier prêt du Fonds monétaire international (FMI),
en 2002 : 30,5 milliards d'euros, dont 6,1 milliards libérés immédiatement pour que le
gouvernement de M. Cardoso puisse terminer son mandat sans décréter un moratoire. Le reste

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sera versé en fonction de l'acceptation, par le prochain président, des conditions qu'a imposées
le FMI.

Ce piteux résultat est dû au fait que la stabilité monétaire a été essentiellement obtenue par
l'attraction de capitaux spéculatifs, des taux d'intérêt « stratosphériques », et non à travers la
croissance, la consolidation de l'économie et l'assainissement des finances publiques. Celles-
ci, au contraire, ont souffert des taux d'intérêt destinés à attirer les capitaux spéculatifs,
multipliant la dette par la même occasion.

La croissance économique n'a pas plus été au rendez- vous. Les années 1980 ont été vécues
comme celles de la décennie perdue, mais il ne s'agissait pas que de cela. Après une
croissance inédite entre 1930 et 1980, le pays est entré dans une phase de faible croissance et
même de stagnation. Dans les années 1980, avec une croissance réduite à 3,02 %, le revenu
per capita n'a progressé que de 0,72 % - conséquence de la crise de la dette. Au long de la
décennie suivante, la croissance de l'économie a été encore inférieure (2,25 %) et la
progression du revenu par tête n'a atteint que 0,88 % - la moitié de la croissance
démographique -, dans un pays où la distribution de la richesse demeure la plus inégalitaire du
monde.

Alors que le Brésil importe des milliards de $ de produits agricoles, des millions de
travailleurs des campagnes se voient refuser l'accès à la terre, qui continue à n'être un droit
que pour une minorité. Du fait de l'exode rural, des centaines de milliers d'entre eux viennent
s'agglutiner chaque année dans les favelas des grandes villes. Mais à la demande d'une
réforme agraire n'ont. répondu que les atermoiements du gouvernement et, à la mobilisation
des paysans sans terre, la répression.

Politiquement et idéologiquement, les grands domaines ruraux « modernisateurs» ont eu pour


objectif de « légitimer» le latifundia en rendant productif un certain pourcentage de la terre.
Ils oublient que, contrastant avec ces grandes propriétés foncières implantées surtout dans le
sud du pays, une fragile agriculture de type familial tente de survivre. Sans l'appui technique
et financier de l'Etat, elle ne résistera pas à la dynamique de concentration. Se déplaçant
également vers le nord-est du territoire national, la domination du grand latifundium y
exploite à outrance et y opprime la population rurale.

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Etroitement lié à ce qu'on appelle la « question agraire », on a donc affaire à un grave


problème de caractère structurel. La concentration des propriétés foncières a produit un tissu
de relations économiques, sociales, culturelles et politiques qui provoquent la stagnation de
toutes les sphères de la vie rurale et affectent même l'exercice de la démocratie dans le pays.
Ce tissu crée un cercle vicieux aux effets pervers : des systèmes agricoles peu productifs, qui
dévastent la nature, ont une faible rentabilité et entraînent la pauvreté ; exode rural ;
clientélisme, violence et analphabétisme. Pour les plus pauvres et pour l'agriculture en
général, il fait obstacle à toute possibilité de développement équilibré.

Dès lors, s'estimant dédouanés, quelques intellectuels et hommes politiques indépendants des
secteurs les plus conservateurs se sont sentis en droit de prôner une acception plus étroite du
concept de fonction sociale de la propriété et d'abandonner la défense de la réforme agraire.

Mais ces mesures dérangent les « élites » en question, qui y voient un danger pour leur
pouvoir économique et leur domination électorale à l'intérieur du pays. Entre-temps,
l'augmentation de la pauvreté dans les campagnes et le manque de perspectives augmentent
les mobilisations et les révoltes, le gouvernement recourant aux méthodes du régime militaire
pour réprimer le fer de lance des luttes, le Mouvement des sans-terre. 10

Plutôt que de traiter les mouvements sociaux des campagnes, des indigènes, des petits
agriculteurs et des sans-terre comme un problème de police, le gouvernement qui dirigera le
pays à partir de janvier 2003 devra comprendre qu'ils sont ses alliés pour la promotion du
développement rural. Il devra retrouver auprès d'eux la sagesse, le sens d'une relation correcte
avec la terre : plus qu'un lopin à exploiter, elle est aussi l'espace de la convivialité des
hommes et des femmes, le lieu de la diversité biologique et culturelle, de la production, de la
création, de la démocratie et d'une vie sociale harmonieuse.

Seulement, et même si sa nécessité s’avère incontestable, réaliser la réforme agraire implique


d'affronter ce qu'il y a de plus arriéré dans le système social brésilien. Les obstacles que devra
affronter l'homme d'Etat décidant de s'attaquer à cette tâche ne se limitent pas aux pressions
des grandes propriétés foncières improductives. Une nouvelle option agricole aura des
répercussions sur les intérêts de l'élite brésilienne associée aux entreprises étrangères, une
tradition depuis la période coloniale. Elle implique de peser sur la politique d'exportation, de
10
Entre 1985 et 2001, 1 237 petits paysans et défenseurs de paysans ont été assassinés, généralement par des
tueurs à gages à la solde des grands propriétaires terriens, parfois par la police militaire. Commission pastorale
de la terre (CPT), « Assassinatos no campo Brasil », Goiania, décembre 2001.

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garantir la souveraineté alimentaire de la nation, de contrarier les intérêts des multinationales


et des promoteurs des semences génétiquement modifiées, de contrôler le territoire
amazonien, de revoir les accords internationaux sur les brevets. De plus, il s'agit de suspendre
immédiatement les négociations pour l'implantation de la zone de libre-échange des
Amériques (ZLEA), qui propose des clauses étouffant toute possibilité pour le pays de
développer une politique alimentaire autonome.

C'est en réaction à cette douloureuse injustice qu'est né, sous la bannière de la réforme agraire,
le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre, plus communément appelé le Mouvement
des Sans Terre (MST). Si 1984 marque la naissance officielle du mouvement, il est difficile
de dater avec précision son apparition, dans la mesure où il n'est que l'expression actuelle -
mais avec une puissance et une combativité profondément nouvelles - des luttes que le
mouvement paysan brésilien a menées tout au long de son histoire . Ce qui fait dire à Celso
Furtado, un des intellectuels brésiliens les plus lucides, que le MST est "le mouvement le plus
beau et le plus important du pays". On pourrait même dire « des Amériques », sinon du
monde.

"Vive le MST!" : en entendant ce cri, proféré jusqu'à son dernier soupir, par un jeune homme
battu à mort par la police à Eldorado dos Carajas, dans l'État du Para, beaucoup ont
commencé à éprouver un profond respect pour ce phénomène appelé "Mouvement des Sans
Terre". Un sentiment qu'est venu renforcer en avril 1997, la Marche de plus d'un millier de
kilomètres accomplie par les Sans Terre jusqu'à Brasilia: on ne pouvait qu'être gagné par
l'impressionnant enthousiasme de ces pèlerins d'un nouveau genre.

Si l'occupation des terres fait partie de notre histoire nationale dans la tradition des Ajuricaba,
Zumbi, Antônio Conselheiro ou Juliao - avec ce Mouvement des Sans Terre il se passe
quelque chose de spécifique qui lui donne son caractère unique et irréductible dans l'histoire
brésilienne des luttes pour la conquête de la terre. Avec le MST, est apparu une nouvelle
forme d'organisation visant à une occupation massive aux quatre coins du pays de terres,
productives et improductives, avec la certitude inébranlable de la victoire contre le
latifundium et aussi le gouvernement. Et apparemment ce type d'occupation est parvenu à se
pérenniser. De la même façon que l'occupation en douceur et pacifique des Noirs et des
paysans avait trouvé sa traduction sur la plan législatif l'occupation dans sa forme actuelle,
accomplie par l'ensemble de la communauté - hommes, femmes, adultes, jeunes et enfants,
des familles entières - ouvre de nouvelles perspectives à l'interprétation de la loi, voire à sa

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modification. Vaille que vaille, ce qui existe actuellement en terme de réforme agraire au
Brésil, on le doit à ces occupation de terres.

Tous ces facteurs sont à l'origine du Mouvement des Sans Terre. Sur le plan socio-
économique, les transformations qu'a connues l'agriculture brésilienne au cours des années
1970 ont joué un rôle déterminant. Dans le Sud, considéré comme le berceau du MST,
l'introduction du soja accéléra la mécanisation de l'agriculture, tant dans le Rio Grande do Sul,
en association avec la culture du blé, qu'au Parana, comme alternative au café. La
mécanisation du travail et l'introduction d'un mode de production agricole disons plus
capitaliste, dans une agriculture qui reposait jusque là sur une utilisation intensive de la main
d’œuvre, provoquèrent un exode rapide et massif de populations. Il s'agissait de familles
locataires ou propriétaires de parcelles, les enfants d'agriculteurs qui avaient hérité d'un lopin
de terre pris sur la propriété déjà bien modeste de leurs parents. Ces contingents de
populations émigrèrent dans un premier temps vers les zones de colonisation, en particulier
cers les états de Rondônia, du Para et du Mato Grosso.

Mais dans ces régions, les paysans ne réussissaient pas à s'intégrer comme tels. Il n'y avait pas
de tradition d'agriculture familiale, alors qu'ils étaient habitués à produire haricots, riz, maïs,
etc.

Un autre aspect novateur de ces occupations, et qui en fait toute la valeur, réside dans le mode
de production. Il s'agit d'une expérience concrète de division du travail, indissociable de la
redistribution du revenu, alors que cette dernière, dans le système capitaliste s'accompagne
forcément de l'exploitation des travailleurs.

Enfin, un dernier point important: l'aspect mystique du MST , qui lui a permis de rompre
l'isolement auquel on voulait le condamner. Il s'est libéré du sectarisil1e de gauche, de
l'intolérance du dogmatisme, de l'intransigeante rigueur dans le recrutement de ses membres.
Et ce côté "macro œcuménique" pourrait bien expliquer, en partie, la capacité de résistance du
mouvement, qui, avec ses quinze ans d'existence, a dépassé les autres mouvements de lutte
pour la terre. Bien loin d'être un groupe de fanatiques fermé sur lui même, le Mouvement des
Sans Terre a su relever les défis, prendre en compte les angoisses et les espérances du peuple
brésilien, de tous ceux qui sont à la recherche d'un Brésil véritablement souverain.
http :/ /www.sanet.com.br/semterra

A lire : Maurice Lemoine, La dette. Editions l’Atalante. Paris.

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Travail, famille, mondialisation. Récits de la vie ouvrière, São Paulo, Brésil


Lucio Costa :
Au pays des sans-terre Publications de l'université de Saint-Etienne, 2002, 320 pages avec photos.
Coordination Jean-Loup Hébert.

SIDA C'est un cadeau de la mondialisation à tous les pauvres de la planète. Avant que
l'Afrique ne soit tenue pour son berceau et que certains pays n'exigent le dépistage du VIH
pour la délivrance de visas d'entrée, les Etats-Unis avaient stigmatisé les Haïtiens comme un
groupe particulièrement exposé. Après son explosion aux Etats-Unis, la maladie a été recher-
chée et démasquée dans le monde entier ; c’est en Afrique subsaharienne que la situation s'est
révélée la plus tragique: un nombre égal d'hommes et de femmes atteints de sida et, en milieu
urbain, un taux de séropositivité supérieur à 10 % dans la tranche d'âge des 15-49 ans, qui
regroupe les adultes actifs sur les plans économique et sexuel, mais proche de zéro chez les
sujets plus âgés, illustrant la propagation récente du virus.
En 1993, les experts de la Banque mondiale estimaient qu'il faudrait compter 26 millions de
personnes infectées par le VIH dans le monde en l'an 2000 et que, à cette date, le virus tuerait,
chaque années, 1,8 million de malades. On considérait ces chiffres trop pessimistes. Mais on
constate aujourd'hui, à la lecture des rapports de l'OMS, que ces prévisions étaient
malheureusement en deçà de la réalité et que l'épidémie du sida s'est répandu plus vite et de
façon plus meurtrière que prévue.
Tous les chercheurs confirment que les pays du tiers-monde concentrent l'écrasante majorité
des personnes infectées par le VIH. Et cette proportion va sans doute s'accroître, au fur et à
mesure de l'augmentation du taux d'infection dans les pays où la pauvreté et l'insuffisance des
systèmes de santé et de ressources destinées à la prévision et aux soins entretiennent la
propagation du virus.
Les grandes épidémies ont toujours été ressenties comme une agression venue d'ailleurs.
L'émergence du sida ne fait pas exception. Dans les pays du Sud, où il fut nié dans un premier
temps, le sida a connu diverses représentations : celle d'un virus échappé des laboratoires
américains et destiné à décimer les populations autochtones ; puis, face à la croissance du
drame, celle d'un victimaire spécifique à l'Afrique subsaharienne. L'Inde a également occulté,
plusieurs années durant, la menace du sida. A la fin de 1999, environ 16,5 millions de
personnes (adultes et enfants) étaient morts du sida depuis l'émergence de cette maladie, dont
plus de 2,5 millions pour la seule année 1999.
Environ 95% des nouvelles infections surviennent chez des habitants du tiers-monde ne
disposant d'aucun moyen pour enrayer la maladie. Ce qui laisse présager que le nombre de

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décès va croître au cours des années à venir.


Pour la seule année 1999, on estime le nombre des nouveaux infectés à 5,6 millions de
personnes, dont 570 000 enfants de moins de 15 ans ; ce qui équivaut à environ 15000
contaminations chaque jour...
A mesure que la maladie s'étend, elle absorbe les ressources publiques et privées, elle
déstabilise la production économique, épuise l'épargne, aggrave la pauvreté et dissémine la
misère. On estime qu'au Kenya, par exemple, en 2005, la production économique aura chuté
de 14,50% à cause des effets de l'épidémie. A cette même date, l'Ethiopie devra consacrer
33% de son budget au traitement et aux soins de ses malades du sida. Le Kenya environ 50%.
Et le Zimbabwe plus de 66% !
Face à un tel constat, la solidarité internationale apparaît dérisoire, voire inexistante. Rien, en
pratique, n'est réellement mis en place pour organiser une lutte commune. Une lutte dans
laquelle l'argent et le savoir-faire en matière de diagnostic et de thérapeutique des pays
industrialisés viendraient au secours des malades les plus démunis de la planète. Le rêve d'une
mondialisation de la lutte contre le sida ne risque pas de devenir réalité. Qui, dans les pays
développés, se mobilisera pour enrayer une épidémie qui frappe, à 95%, des habitants du
tiers-monde?
Car face au sida, comme pour le reste, à l'heure de la mondialisation, tout le monde n'est pas
égal. Les riches et les pauvres n'ont pas accès aux mêmes types de soins. Pour la plupart, les
seconds continuent de mourir alors que les premiers bénéficient d'un répit salvateur. Même si
les perspectives de la mise au point d'un vaccin préventif semblent de plus en plus lointaines,
le contexte a changé depuis 1996. La mise à la disposition des patients de nouvelles molécules
inhibitrices de la protéase du virus, associées aux inhibiteurs de la transcriptase inverse, a fait
chuter dans certains pays du Nord la mortalité de 60% en quatre ans.
Début mai 2000, un rapport de la CIA identifiait, pour la première fois, l'épidémie mondiale
de sida comme une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis. C’est alors seulement
que la présidence décidait de consacrer 254 millions de $ à l'aide pour la lutte contre ce fléau.
Cynisme, diront certains : ne s'agit-il pas, avant tout, d'une menace pour les pays les plus
touchés ? Si l'on admet toutefois que les décisions des Etats répondent à leur intérêt bien
compris, cet exemple invite à réfléchir sur les incitations économiques qui peuvent les
conduire à coopérer pour le bien de l'humanité.

Puisque mondialisation il y a, pourquoi l'accès aux soins et aux médicaments n'est-il pas
mondialisé? Devant le risque de maladie infectieuse, comme dans l'accès aux soins, les

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inégalités sont flagrantes. Mais surtout, et on le dit moins, le ravage épidémique est un effet
de l'inégalité elle-même. Devant l'urgence, qu'attend-on pour déclarer biens publics les
médicaments antiviraux? Tous les pays qui souhaitent et peuvent les produire - comme le
Brésil, l'Afrique du Sud ou la Thaïlande devraient être encouragés à le faire. Et les pays riches
peuvent en produire pour les mettre, avec la logistique nécessaire, à la disposition des plus
pauvres.
La découverte de la trithérapie, l'efficacité des nouvelles combinaisons de traitements
antirétroviraux, en plus des mesures de prévention, ont permis de stopper l'expansion de la
maladie dans les pays développés. En Europe occidentale, le nombre de nouveaux cas annuels
de sida s'était régulièrement accru jusqu'en 1994, où il avoisinait les 25 000 ; depuis, grâce à
l'efficacité des nouveaux soins, il recule régulièrement et est repassé sous la barre des 15 000
dès 1997. Et le nombre de décès dus au sida a chuté de 80% en quatre ans grâce à
l'introduction de la polythérapie.
Aux Etats-Unis, ce recul est également spectaculaire: les statistiques estiment à 44% la
réduction du nombre de décès dus au sida entre le premier semestre 1996 et celui de 1997.
Tous les indicateurs épidémiologiques en témoignent, le sida est devenu, dans les pays
industrialisés, une maladie virale évoluant sur un mode chronique mais peu mortelle.
Alors que le reflux du sida s'amorce dans les pays riches, la marée épidémique continue de
submerger les pays en voie de développement. Car les taux d'infection et de mortalité
augmentent rapidement dans la plupart des pays d'Europe orientale, d'Asie, d'Afrique centrale
et australe, ainsi que dans certains pays d'Amérique latine (Pérou, Venezuela, Colombie,
Argentine et Chili).
Le coût des traitements les rend inaccessibles au plus grand nombre. Ainsi, par exemple, en
Thaïlande, le coût mensuel d'une trithérapie est de 675 $ alors qu'un employé du secteur
tertiaire gagne le plus souvent 120 $ par mois. Au Kenya, le coût des deux premières
semaines de traitement d'une méningite venant compliquer l'infection par le virus du sida est
de 800 $, alors que le salaire moyen ne dépasse pas les 130 $.
Quoi de plus urgent donc, alors que le sida emporte huit mille vies chaque jour, que de
vaincre le blocage de l'accès aux traitements ? De mois en mois, l'épidémie progresse,
l'espérance de vie recule et les souffrances augmentent. Comment justifier que des impératifs
commerciaux persistent à interdire aux pays du Sud de se procurer des médicaments? En dépit
de la promesse faite par l'Organisation mondiale du commerce à Doha, en novembre 2001, les
multinationales pharmaceutiques du Nord livrent une guerre mondiale aux pauvres.. Avec la
complicité, notamment, des Etats-Unis et de l'Union européenne.

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De nombreuses organisations de défense des malades s'indignent du prix exorbitant des


traitements actifs contre le VIH utilisés au Nord, inaccessibles pour les populations du Sud.
Face à de telles inégalités, ni les pays du Nord ni les firmes pharmaceutiques ne font pas
grand chose. « L'industrie pharmaceutique a une dette envers les malades du sida. Il faudrait
qu'elle la paye - déclare un responsable d'une association de lutte contre le sida - Pendant 15
ans, les laboratoires ont dégagé d'énormes profits sur nos vies; aujourd'hui, alors que
l'épidémie se transforme dans les pays du Nord et explose dans les pays du Sud, ils refusent
de modifier leurs stratégies. Ils tardent à distribuer les nouvelles molécules attendues par les
patients sur lesquels tous les traitements ont échoué et qui vont mourir. »
Commet est-on arrivé là ? D'un côté, le respect à tout prix de la propriété intellectuelle* - et
donc des brevets - reconnu par les principes de libéralisation des échanges qui étayent l'édifice
de l'OMC; de l'autre, les 19 000 personnes qui, chaque jour, meurent dans le monde, du sida,
du paludisme, de la tuberculose, de la maladie du sommeil ou d'autres maux qui, longtemps,
ont eu beaucoup de mal à émouvoir Etats et fabricants.
Cette douce indifférence n'a pas résisté au tonnerre qu'a déclenché en son temps le procès
intenté par 39 firmes pharmaceutiques à l'encontre du gouvernement sud-africain, coupable de
s'être doté d'une loi l'autorisant à fabriquer des médicaments génériques. L'émotion
déclenchée par cette affaire a incité l'industrie pharmaceutique à faire machine arrière tandis
que d'autres pays émergents ou en développement se mettaient aussi sur les rangs pour
développer, si possible à moindre coût, leur propre secteur pharmaceutique. A commencer par
le Brésil.
C'est là que se situe la nouveauté. Il s'agit moins d'un dur affrontement entre pays du Sud
livrés aux pandémies et laboratoires du Nord, confortablement assis sur leurs brevets et leurs
profits, que d'une bataille engagée par des industries naissantes au Brésil, en Thaïlande, en
Inde, en Afrique du Sud, bien décidées à profiter elles aussi de la mondialisation. Et à clarifier
les disparités de prix existant aussi entre les pays du tiers mondes. A titre d'exemple, la
nifédipine, un antihypertenseur, est vendu six fois plus cher en Afrique du Sud qu'au Brésil, le
prix de ce médicament se situant à des niveaux intermédiaires au Ghana. et aux Philippines,
selon une sorte de manuel de là transparence tarifaire que viennent de publier conjointement
l'Oms et l'Action internationale pour la santé.
Pour les multinationales du médicament, la concurrence peut s'avérer redoutable. Alors qu'un
traitement classique du sida, par trithérapie coûte environ 12 000 $ par an et par personne (et
jusqu'à près de 19 000 $ dans sa version Fuzeon, mise au point par les laboratoires suisse
Roche et américain Trimerls, ce prix peut tomber à 200 $ par an en Inde ou en Thaïlande.

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Le compromis péniblement conclu à Doha ouvrait une petite fenêtre en permettant aux pays
en voie de développement de copier les molécules des grands laboratoires en cas d'urgence,
en échange du versement de royalties. Mais, depuis Washington est revenu sur cet
engagement, en cherchant à limiter son champ d'application à trois fléaux : le sida, la
tuberculose et le paludisme.
Une petite phrase prononcée par M. George W. Bush, dans son discours sur l'état de l'Union,
en janvier 2003, laissa les observateurs perplexes. Annonçant une augmentation substantielle
de la participation américaine au financement de la lutte contre le sida dans le monde, le
président Bush se félicita que le coût annuel d'un traitement antirétroviral ait chuté de 12000 $
à... 300 $, un prix que seuls les fabricants de copies génériques proposent actuellement.
L’administration américaine (tout comme la précédente) combat bruyamment. dans tous les
forums internationaux, ces mêmes génériques qui, selon M. Bush, « mettent à notre portée des
possibilités immenses ».
Depuis deux ans, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) s'est enlisée dans un combat
autour des brevets sur les médicaments. Les principales puissances commerciales - Etats-Unis
et Union européenne en tête, suivis par le Japon et le Canada - ont tout tenté pour saborder
l'accord conclu à Doha (Qatar) en novembre 2001. Et l'intransigeance des Etats-Unis fit
échouer les « discussions de la dernière chance », fin décembre 2002, à Genève.
D'autres aspects, plus techniques, furent soulevés pour limiter la portée de l'accord. On allait
réduire la liste des pays autorisés à réclamer ces exceptions ; restreindre les technologies aux-
quelles ils pouvaient prétendre dans le cadre de l'accord; et créer un ensemble de contraintes
légales qu'il serait à la fois complexe et coûteux à mettre en œuvre, et qui limiterait encore les
possibilités de se procurer à bas prix des médicaments sous brevet... Les pays riches avaient,
en vérité, conspiré pour dévaloriser - ou détruire - les promesses faites un an plus tôt.
La controverse portait sur l'étendue des besoins sanitaires au nom desquels un pays serait
autorisé à passer outre aux brevets pour soigner sa population. Selon les pays riches, dont
l'industrie monopolise la quasi-totalité des brevets pharmaceutiques mondiaux, des exceptions
aux brevets pouvaient être tolérées pour les médicaments permettant de lutter contre le sida, la
tuberculose et le paludisme. Ils y ajoutèrent, pour faire bonne mesure, une poignée de
maladies, pour la plupart tropicales et de faible intérêt commercial. Mais ni le cancer, ni le
diabète, ni l'asthme, par exemple, ne figurent sur la liste limitative de maladies auxquelles ils
veulent désormais restreindre l'accord de Doha.
Les sommes allouées dans le monde à l'action contre le sida entre 1990 et 1997 n'ont
augmenté que de 165 à 273 millions de $ alors que le nombre de personnes infectées avait

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plus que triplé dans la même période, passant de 9,8 à 30,3 millions. Selon le Programme
commun des Nations unies sur le VIH-sida (Onusida), les montants, en valeur absolue,
débloqués par les organismes d'Aide publique au développement des pays du Nord, pour
chaque personne infectée, entre 1988 et 1997, ont baissé de plus de 50% !
Lire: Josef Decosas, «Fighting AIDS or responding to the epidemic : can public health find its way», The
Lancet, Londres, 7 mai 1994
Dave Haran, «Africa : do health reforms recognize challenge of HlV », The Lancet, juin 1997, Supplément III.
Basil Donovan, Michael W. Ross, « Preventing AIDS : determinants of sexual behaviour », The Lancet. 27 mai
2000.
« De quelle guerre parle-t-on? », Act Up-Paris, Le Monde, 29 janvier 2000.

Société civile La définition de la société civile a grandement varié selon les époques, les
lieux, les perspectives théoriques et les convictions politiques. La société civile d'un
universitaire prussien du début du XIX siècle comme Hegel était bien différente de celle d’un
étudiant de la Sorbonne au début du XXI siècle. Nous avons donc moins besoin d'un
commentaire formel que de comprendre ce que la société civile apporte comme perspectives
et politiques réelles dans le monde d'aujourd'hui. On applique l'adjectif «mondial » à
beaucoup de termes et on l'emploie de plus en plus pour qualifier la société civile. Les plus
enthousiastes ont vu dans la société civile mondiale le meilleur instrument pour promouvoir la
solidarité, l'équité et la démocratie dans le monde contemporain. La réalisation d'une telle
promesse demande néanmoins encore de grands efforts. Le vocabulaire politique est
désormais jonché d’expressions comme «société civile », «mouvements sociaux »,
«organisations non gouvernementales », « association sans but lucratif», «organisation de
bénévoles », « groupes d'interpellation indépendants ».
La société civile, issue de la pensée politique anglaise du XVI ème siècle, est la plus ancienne
de ces notions. La prolifération contemporaine de termes plus ou moins liés reflète
l'incertitude, la confusion et le désaccord qui règnent sur le sens de ce vieux concept.
La société civile n'est pas l'Etat: elle n'appartient ni à la sphère officielle, ni à la sphère
gouvernementale. Doit-on en exclure les partis politiques? Dans quelle mesure la société
civile peut-elle assurer des fonctions régulatrices officielles? Quelles son les limites précises
des activités non gouvernementales.
C’est à partir de Thomas Hobbes et surtout de Fréderic Hegel, que l’État est défini
comme une structure institutionnelle distincte de la société civile. Cette
dernière est supposé permettre la perpétuation du lien communautaire, dans
des sociétés modernes de type individualiste. Hegel a redéfini la société

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civile en la distinguant de l’État, mais aussi de la communauté par


excellence qui est la famille.

L'ambition discrète de la mondialisation, c'est la destruction du collectif et l'appropriation par


le marché et le privé des sphères publique et sociale dans le but de construire une société où
l'individu sera enfin privatisé. Et où s'épanouira l'hyperbourgeoisie naissante. Pour
contrecarrer un tel projet, un embryon de société civile internationale se met en place.
Cela fait maintenant plus de vingt ans que le terme de société civile a émergé publiquement,
plus de dix ans qu'il est devenu commun (à la suite des rencontres internationales sur
l'environnement de Rio en 1992) et utilisé largement par les journa1istes, les universitaires
(notamment les économistes ou les politologues), les militants et professionnels de l'aide au
tiers-monde mais aussi les diplomates et responsables d'instances internationales (Onu,
Banque mondiale, banques pour le développement, etc.). La définition la plus couramment
admise aujourd'hui, et défendue par ces mêmes instances internationales, est simple: la société
civile, qu'elle soit nationale ou transnationale (certains disent mondiale), est le regroupement
des organisations non gouvernementales (ONG), Eglises et autres «non-profit organisations»,
développées de manière spectaculaire depuis une trentaine d'années. Cette définition suppose
en arrière plan une conception de l'organisation interne des sociétés où sont censées interagir
trois sphères distinctes: une sphère étatique (englobant ou pas les syndicats et partis
politiques), une sphère du marché (englobant ou pas les secteurs de l'économie sociale) et la
sphère de la société civile (englobant ou pas les syndicats et l'économie sociale, selon les
auteurs).
Pour la plupart des analystes et commentateurs de la scène internationale, il ne fait aucun
doute que les années 90 ont constitué le moment d'émergence d'une véritable force de
contestation et de proposition sociale à l'échelle mondiale. On compte aujourd'hui plus de
15000 ONG internationales dont 2000 accréditées auprès de l'Onu. A ces organisations
transnationales, mais souvent basées dans les pays occidentaux d’où est issu le mouvement,
s'ajoutent plus de 7000 ONG nationales et locales, qui vont de la communauté paysanne de
base aux associations confessionnelles ou entrepreneuriales diverses. Les ONG, notamment
les plus grandes, sont organisées en réseaux. Leurs activités vont de la défense de la paix ou
de la démocratie à l'aide humanitaire, au planning familial, aux interventions pour le
développement local ou à la mise en place de microcrédits et de commerces équitables ou
encore à la protestation contre la déforestation ou pour la sauvegarde de la biosphère. Elles
n'interviennent pas seulement dans les secteurs de l'aide et de la charité des pays riches envers

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les pays pauvres. On compte de nombreuses associations, quels que soient les pays, qui inter-
viennent dans leur propre société: c'est même, et de loin, la part la plus importante de l'activité
des ONG.
Si l'on adopte une vision très large de la société civile, comme le fait le programme
économique et social de l'Onu en y incluant toute organisation qui n'est pas directement
étatique ou régie par le profit (par exemple l'école privée française, les associations culturelles
ou les centres médicaux associatifs ou religieux partout dans le monde), on constate un poids
très important des secteurs associatifs ou bénévoles dans les sociétés. En Europe, ils
représentent 10% de l'activité culturelle, près de 30% de l'éducation, plus de 20% de la santé
et 27% des services sociaux. Culture, éducation, santé, services sociaux constituent d'ailleurs
les quatre secteurs principaux des sociétés civiles nationales selon l'Onu. Hors d'Europe, les
situations sont évidemment différentes. En Amérique latine par exemple, l'éducation
comporte de larges secteurs associatifs (religieux), qui sont même dominants comme au
Pérou, alors que la proportion d'associations et d'ONG dans les secteurs de la santé ou des
services sociaux, eux-mêmes peu développés, est faible. Cependant, de manière générale, le
rapport de l'Onu signale que les organisations de la société civile réalisent de «profondes
contributions au financement et à la mise en place de services sociaux dans le monde». Non
seulement dans les quatre secteurs fondamentaux cités précédemment, mais également dans
les secteurs de l'environnement ou de services divers.
Une telle expansion de la société civile mondiale répond à la dégradation partielle de la
position de l'Etat face à la mondialisation. Celle-ci est un phénomène complexe, qui ne
concerne pas seulement les mouvements économiques, mais aussi l’organisation du savoir et
des techniques, celle de flux migratoire*, la configuration de l’espace public, la nature du
pouvoir, l’émergence de la supra territorialité. Ceci ne signifie en rien la disparition de l'Etat,
mais une nouvelle géographie s'est installée qui marque la fin du monopole étatique sur une
gouvernance développée sur des bases territoriales. De nombreux citoyens ont
raisonnablement conclu que des élections centrées sur l'appareil d'Etat ne constituaient plus
par elles-mêmes une bonne expression de la citoyenneté et de la démocratie. Certaines
agences multilatérales publiques comme le FMI, où les législateurs élus n'ont que peu
d'influence directe, produisent des régulations substantielles.
La plupart de ses attributs ont été acquis par la société civile mondiale depuis les années 1960.
Moins de 10% des associations transfrontalières actives en 1998 avaient plus de 40 ans. Cette
prolifération s'inscrit dans un processus plus large de mondialisation et a été mise en route par
les mêmes forces: c'est-à-dire une pensée globale, autorisant les gens à imaginer le monde

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comme un lieu unique; le développement capitaliste sur une échelle mondiale; des
innovations technologiques en matière de communications et de traitement de l'information;
des évolutions en termes de régulation, comme la libéralisation et la standardisation, créant un
cadre juridique favorable à la mondialisation. Enfin, beaucoup de gouvernements ont
récemment réécrit des lois afin de favoriser les groupements citoyens. Les pays anciennement
socialistes en transition en fournissent l'exemple le plus patent.
Les organisations de la société civile poursuivent des objectifs conformistes, réformistes ou
radicaux.
Les conformistes cherchent à maintenir et renforcer les règles existantes. Beaucoup de lobbies
d'entrepreneurs, d'associations professionnelles. certains think tanks et certaines fondations
adoptent des positions conformistes.
Les réformistes espèrent corriger ce qu'ils estiment mauvais dans les régimes existants, en
conservant intactes les structures sociales qui les soutiennent. Les groupes socio-démocrates,
les institutions de recherches. les consommateurs, les défenseurs des droits de l'homme, les
organisations humanitaires et les syndicats ont un agenda réformiste.
Les radicaux veulent transformer l'ordre social. Ils sont souvent désignés comme
«mouvements sociaux » et recouvrent anarchistes, environnementalistes, fascistes, féministes
radicaux, pacifistes comme des mouvements de renouveau religieux. Chacun en opposition
implacable à l'Etat, à l'industrialisme, aux valeurs libérales, au patriarcat, au militarisme et au
séculier. Ces dernières décennies, les gouvernements ont été soumis à de multiples pressions
pour réduire les impôts et les coûts du travail au nom de l'amélioration de la compétitivité
nationale. Dans ces circonstances, les Etats comme les agences multilatérales ont utilisé les
associations civiques transfrontalières pour fournir à moindre coût l'aide au développement ou
l'aide d'urgence. Dans les pays sous ajustement .structurel néo-libéral, les ONG et les groupes
de base se sont infiltrés dans la brèche en fournissant les services sociaux abandonnés par
l'Etat.
Dans ce contexte, la société civile mondiale existe lorsque les groups civiques s'occupent de
questions transfrontalières; utilisent des modes de communication transnationaux; disposent
d'une organisation mondiale et/ou partagent comme prémices une solidarité transfrontalière.
Ces quatre attributs vont souvent ensemble, mais certains groupes citoyens peuvent n'être
globaux que selon une ou plusieurs de ces dimensions. Un groupe localisé qui fait campagne
sur une question supra-territoriale comme le changement climatique peut être considéré
comme faisant partie de la société civile mondiale. A l'inverse, des réseaux mondiaux
«peuvent se mobiliser sur un problème très localisé, comme sur le génocide rwandais.

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Nous considérons comme faisant partie des activités de la société civile, les efforts
d’associations non lucratives et non officielles pour peser sur les politiques, les normes et/ou
de plus profondes structures sociales. En un mot, la société civile existe quand les gens
mènent des efforts concertés visant à transformer les règles par le biais d'associations
bénévoles. La société civile désigne un collectif alors que les groupes civiques en sont les
éléments individualisés.
La société civile n'est pas le marché: elle appartient à la sphère non-marchande. Mais cette
distinction n'a rien d'absolu. Certaines entreprises créent et financent des organismes non
lucratifs, dont des fondations qui portent le nom de sociétés commerciales. Par ailleurs, les
lobbies commerciaux -les chambres de commerce. les associations de banques - défendent des
intérêts marchands, même si ces organisations elles-mêmes ne produisent ni biens, ni
commerce. Greenpeace a songé à créer une marque. Mais hormis ces cas limites, les
opérations de la société civile restent en dehors du secteur privé de l'économie de marché.
Nous considérons comme faisant partie des activités de la société civile les efforts délibérés
d'associations non lucratives et non officielles.
Par ailleurs, la société mondiale s'est engagée directement dans la formulation et la mise en
œuvre de régulations. Beaucoup d'agences officielles ont demandé à des associations civiques
d'aider à la mise en œuvre de politiques, et tout particulièrement de programmes sociaux. En
pénétrant les canaux officiels de la formulation des politiques, les organisations de la société
civile ont un peu plus troublé division privé/public dans le domaine de la gouvernance. En
Australie ou en Nouvelle-Zélande, les ONG ont accepté de faire partie des délégations
nationales officielles aux conférences des Nations unies. Dans les années 1990, plusieurs
propositions ont demandé la création d'une « Assemblée des peuples », réunissant des
représentants des sociétés civiles aux Nations unies, à la manière de l'assemblée générale des
Etats. Certains critiques se sont alors inquiétés de ce qu'une telle incorporation dans la
gouvernance officielle ne limite le potentiel critique et créatif de la société civile.
Lire : M. Haubert, L'idéologie de la société civile, M. Haubert et P.P. Rey, in Les Sociétés civiles face au
marché. Le changement social dans le monde post colonial, Karthala, 2000.

Société civile mondiale


Le discours sur la société civile mondiale a émergé dans les années 1990 comme un élément
d'une perception plus large de ce qu'est la mondialité (la condition de ce qui est mondial) et la
mondialisation (la tendance à une mondialité croissante). Notre conception de la société civile
mondiale, ou globale, correspond donc à celle que nous nous faisons plus généralement du

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monde. Sa caractéristique principale pourrait être sa tendance à la déterritorialisation. La ter-


ritorialité demeure, bien sûr, mais la mondialisation a introduit une dimension supra
territoriale à la géographie sociale.
En revanche, dans un discours devant le Parlement européen, à Strasbourg, M. Romano Prodi,
expliquait que « nous devons cesser de penser en termes de pouvoirs hiérarchisés, séparés
par le principe de subsidiarité » et que « l'Europe n'est pas administrée que par les
institutions européennes, mais aussi par les autorités nationales, régionales et locales, ainsi
que par la société civile» ( Nous apprenons ainsi, au détour de deux phrases, que le principe
de subsidiarité serait caduc et que la « société civile » aurait des fonctions d'administration
que l'on croyait réservées à la puissance publique ! Qu'est-ce donc que cette « société civile »
ainsi appelée à la rescousse ? C'est simplement la sphère des intérêts particuliers, comme l'a
définie Hegel en l'opposant à l'Etat : « Dans la société civile, chacun est pour soi-même une
fin, tout le reste n'est rien pour lui. » Mais une addition d'intérêts privés, même légitimes, ne
fait pas l'intérêt général, d'autant que certains de ces intérêts sont plus égaux que les autres :
entre la Table ronde des industriels européens (ERT), qui a ses entrées dans les principales
directions générales de la Commission et qui, parfois, rédige même leurs projets de directives,
et une association ou un syndicat que l'on écoutera poliment, la balance n'est évidemment pas
égale.
A Lire : B.Pouligny, présentation du dossier Une société civile internationale ?, Critique internationale, n° 13,
octobre 2001, Presses de Sciences politiques.
-F. Houart, Vers une société civile mondiale: celle d'en haut ou celle d'en bas, Contre-Temps, n° 2, septembre
2001, Textuel.
A. Fiorini (dir.), The Third Force, the Rise of Transnational Civil Society, Carnegie Endowment for International
Peace, 2000.
S. Charnovitz, Les ONG, deux siècles et demi de mobilisation, L'Économie politique, 1er trimestre 2002,
éditions Alternatives économiques.

Sommet de la Terre Du 3 au 14 juin 1992 s’est tenu à Rio une conférence sur la Terre. Il
réunit les représentants de 178 pays (dont 117 chefs d’État) et plus de 20.000 participants.
Préparée par deux ans de travaux préliminaires, cette conférence reste un événement
historique. Elle a mis en évidence le caractère indissociable de la protection de
l’environnement et du processus de développement, fait prendre conscience de la nécessité
d’un partenariat à l’échelon mondial et d’un engagement politique au plus haut niveau.
L’idée est devenue populaire dans le monde, mais les résultats sont mitigés. Dix ans plus tard,
en août 2002, le Sommet mondial du développement durable, à Johannesburg, a confirmé
l'objectif, mais n'a pas réussi à orienter l'action internationale en faveur d'une plus grande
équité mondiale au sein d'une biosphère limitée. Au contraire, c'est l'agenda du libre-échange

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qui a prévalu: les buts du développement durable et de la démocratie restent largement


inféodés à celui de construire un espace économique transnational débarrassé de la politique.
Il faut avouer que cette réunion a mis en lumière les limites de ce concept de développement
durable. Lancé en grande pompe, le sommet n'a pas débouché sur des mesures contraignantes.
En effet, de telles décisions nécessiteraient une remise en cause de la mondialisation libérale.
Déjà, au sommet de Kyoto en 1997, la pression des grandes firmes et des Etats les plus
pollueurs - tels les Etats-Unis - avaient dépourvu de toute efficacité les objectifs de réduction
des émissions de gaz à effet de serre. De plus en plus détourné des buts affichés, le
développement durable ne serait-il qu'un alibi pour maintenir une croissance par nature
destructrice de l'environnement ?

Malgré tous les discours sur les besoins vitaux et la lutte contre la pauvreté - et en dépit de
plusieurs décennies officiellement consacrées au développement -, le nombre de personnes
qui vivent dans le dénuement le plus extrême continue d'augmenter. La notion de
« durabilité » est devenue une pieuse incantation au lieu d'inciter à une action urgente et
concrète.

Actuellement, le monde consomme plus de ressources que la nature ne peut en régénérer. Les
activités humaines ont dépassé la capacité de sustentation de la biosphère dès le milieu des
années 1970. Depuis, la marque distinctive de l'histoire humaine est d'avoir outrepassé les
limites écologiques. Si, par exemple, la moyenne actuelle d'émissions de carbone par
personne dans le monde industrialisé était généralisée à l'ensemble des pays du globe,
l'atmosphère devrait absorber cinq fois plus d'émissions qu'elle n'en a la capacité - et cela sans
même tenir compte de l'augmentation prévisible de la population. En d'autres termes, il
faudrait cinq planètes pour permettre l'absorption du carbone requis par le développement
conventionnel. Pour cette raison, il ne peut y avoir d'équité dans le monde sans écologie.
En Afrique, la conception jusqu'ici la plus partagée du présent et de l'avenir était que la mort,
inévitable, est cependant tolérable dans la mesure où une nouvelle génération prend la relève.
La « durabilité » se concevait comme la possibilité de survivre ainsi à soi-même. Aucun
individu n'était considéré comme pauvre tant qu'il en existait une autre sur lequel il savait
pouvoir compter. D'où, dans les sociétés africaines, l'importance cruciale de la procréation :
en termes non seulement de nombre d'enfants, mais aussi et surtout de personnes de qualité
(santé physique et mentale, sociabilité, moralité) qui prolongent la vie et la pérennisent.
L’humanité a pris conscience des limites imposées au développement économique par la
biosphère. Des phénomènes comme la surpopulation dans les agglomérations géantes, la

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désertification, l’aggravation de la pollution de l’air et de l’eau ont modifié l’approche du


développement économique et social. En collaboration avec les sciences de la nature, les
études en la matière cherchent désormais un nouvel équilibre entre les pays, les individus et
leur environnement. Sans quoi, la biosphère sera précipitée dans des turbulences. Ni toutes les
nations, ni tous les citoyens ne bénéficient de parts égales. Au contraire, l'espace
environnemental est divisé de façon extrêmement inéquitable. il est toujours vrai que 20 % de
la population mondiale consomme 70 à 80 % des ressources mondiales. Ces 20 % mangent 45
% de toute la viande et du poisson, consomment 68 % de toute l'électricité, 84 % du papier et
possèdent 87 % des voitures. Surtout, ce sont les pays industrialisés qui exploitent l'héritage
naturel de façon excessive: ils puisent dans les ressources de l'environnement bien au-delà de
leurs frontières nationales. Leur empreinte écologique est plus grande et, dans certains cas,
beaucoup plus importante que leurs propres territoires, gaspillant un grand nombre de
ressources en provenance d'autres pays.
La notion de développement durable a émergé aux États-Unis à la faveur du mouvement
écologiste. Reconnaissant la légitimité du développement économique et social, celui-ci a
cherché à concilier les exigences de ce développement avec celles de la protection des
ressources et des milieux naturels. Aux objectifs écologiques et économiques initiaux se sont
ajoutés à Rio des objectifs sociaux, politiques et géopolitiques, voire culturels. Cet
élargissement multiplie les points de vue possibles sur la notion de durabilité. Mais le
développement - même durable - n'est qu'un mot-clé et un mot d'ordre de plus. Il est d'autant
plus redoutable qu'il permet la poursuite de la mission « civilisatrice » des puissances
coloniales, mais, cette fois, avec l'appui et la complicité des élites locales qui, à leur tour,
leurrent et assujettissent leurs propres peuples. La mondialisation libérale est le cadre logique
de cette imposture. Ses échecs et ses ravages ne nous découragent pas, même quand une voix
aussi autorisée que celle de M. Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque
mondiale et Prix Nobel d'économie, nous dit qu'« aujourd'hui, la mondialisation, ça ne
marche pas pour les pauvres du monde. Ça ne marche pas pour l'environnement. Ça ne
marche pas pour la stabilité de l'économie mondiale. »

Le chemin est encore long qui conduira à la prise en compte des coûts de l’homme et des
contraintes du milieu naturel. Aux pays riches qui leur réclament le respect des forêts ou de
la biodiversité, les pays du Sud rappellent la nécessité de l’industrialisation pour lutter
contre la pauvreté, ainsi que les obstacles rencontrés pour accéder aux techniques qui
préservent l’environnement. Ils soulignent également leur manque de moyens financiers et

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le gaspillage des ressources qui est le fait des pays développés. Le développement est ainsi
devenu un enjeu éthique. Le Nord saura-t-il modifier son mode de vie, ses financements et
ses technologies pour aider le Sud à sortir d’un sous-développement durable et à créer une
Terre qui préserve la vie de ses enfants?

Car la Terre va mal, très mal. La réalité est là : 80 pays ont un revenu par tête inférieur à
celui d'il y a dix ans ; le nombre de personnes qui vivent avec moins de 1 dollar par jour ne
diminue décidément pas (1,2 milliard), tandis que celui des individus qui gagnent moins de
2 $ par jour avoisine les 3 milliards. Il faudrait ainsi cent neuf ans à un pauvre pour obtenir
ce que le joueur de football français Zinedine Zidane peut gagner en un jour !

L’indifférence à l’égard des millions de personnes affectées, surtout dans les pays du sud, par
l’épidémie du sida est caractéristique des égoïsmes actuels que stimule la mondialisation. Elle
n’est pas la seule. La même indifférence se perçoit à l’égard de l’environnement et de la
destruction de la nature. Car la mondialisation c’est aussi le saccage écologique de la planète.
Une destruction que entraîne des conséquences en chaîne. Du Mozambique au Venezuela, de
la Chine à la Turquie, du Mexique à l’Inde : des catastrophes et des cataclysmes, des
inondations ou des tremblements de terre se sont succédés dernièrement, comme on en avait
rarement connu. Des morts par milliers, des dégâts par milliards, et des dévastations
écologiques ( forets détruites, faune décimée, récoltes ravagées, eaux polluées, terres arables
emportées…) impossibles à chiffrer.

Dans les pays développés - mieux protégés d'ordinaire contre les calamités dites "naturelles" -
les dérèglements climatiques se font aussi dramatiquement sentir. Que l’on songe simplement
à l’Europe de l’ouest qui aura connu, en décembre 1999, deux véritables ouragans, ayant fait
des centaines des morts et des ravages colossaux et insolites qui ont laissé, dans certaines
régions, la population sous le choc.

Il y a eu, dans ces mêmes pays développés qui se croient parfois à l'abri des désastres du Sud,
une interminable succession de nouveaux désordres écologiques qui commencent à semer une
sérieuse panique. Là encore, sans aller plus loin, observons ce qui s'est passé en Europe au
cours des dernières années. En premier lieu, la criminelle marée noire survenue en décembre
2002, sur la côte de la Galice, causée par le naufrage du pétrolier "Prestige" qui a provoqué la
mort de milliers d'oiseaux, la ruine de centaines d'entreprises, la dégradation esthétique de
plusieurs des plus belles régions du pays, et une contamination cancérigène de tous les
volontaires ayant participé à l'enlèvement du mazout des plages...

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Mais il y a eu également tous les problèmes liés à la pollution alimentaire: révélations sur
l'emploi d'excréments humains pour l'élaboration de farines animales (toujours pas interdites
en Europe) servant à l'alimentation des animaux de boucherie et aux poissons d'élevage;
nouveaux cas de "vache folle"; poulets à la dioxine; contamination de canettes de Coca-cola;
prolifération des Organisme génétiquement modifiés (OGM); bouteilles d'eau minérale
polluées; multiplication de cas mortels à cause de la présence de listéria dans des fromages ou
des charcuteries; etc.
Au nom d'une conception erronée du développement, la plupart des Etats du Nord poursuivent
ainsi une frénétique politique hyper productiviste, sur consommatrice de pesticides et de
polluants au détriment d'une agriculture paysanne et biologique. Tandis que, au Sud, de
nombreux Etats continuent, inconscients ou impuissants, la destruction systématique des
milieux naturels.
Partout, les prédations et les saccages en tous genres se succèdent, infligés aux sols, aux eaux,
à l'atmosphère, et à la santé des êtres humains. Urbanisation galopante, déforestation
tropicale, pollution des mers et des fleuves, réchauffement du climat, appauvrissement de la
couche d'ozone, pluies acides, etc. Les pollutions, en raison de leur démesure, mettent
désormais en péril l' avenir de l'humanité.
La Terre accueille actuellement 6 milliards d'individus. Ils seront 7,6 milliards dans un quart
de siècle, et peut-être 10 milliards en 2050. Si tous les êtres humains avaient le niveau de vie
et de consommation des citoyens européens ou américains, la planète pourrait à peine
subvenir aux besoins de 700 millions de personnes. Si, au contraire, ils acceptaient de vivre
comme des paysans du Mali, de 18 à 20 milliards de personnes pourraient subsister…
Six millions d'hectares de terres cultivables disparaissent chaque année du fait de la
désertification. Partout, à cause de la surexploitation, l'érosion grignote à un rythme accéléré
la superficie des terres cultivables. Les équilibres écologiques sont fondamentalement
fragilisés par la pollution industrielle de pays du Nord et par la pauvreté des pays du Sud. Des
conditions économiques et politiques absurdes font que, chaque année, 30 millions d'êtres
humains meurent encore de faim; et on estime que, annuellement, 800 millions de personnes
souffrent de malnutrition.
En 2010, la couverture forestière du globe aura diminué de plus de 40 %
par rapport à 1990. En 2040, l'accumulation des gaz à effet de serre pourrait entraîner un
réchauffement de 10 à 20 degrés de la température moyenne de la planète et une élévation de
0,2 à 1,5 mètres du niveau des océans. Ce n'est pas sûr, mais si on attend d'avoir acquis des
certitudes scientifiques, il sera trop tard pour agir. L'élévation du niveau des océans aura déjà

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occasionné des dommages irréparables.


Toutes confondues, les forêts couvrent 4 milliards d'hectares, soit un peu moins du tiers des
terres émergées. Au début des années 90, quatorze millions de kilomètres carrés (28 fois la
superficie de la France) avaient déjà été transformés en déserts et plus de 30 millions de
mètres carrés étaient menacés.
Entre 10 et 17 millions d'hectares disparaissent chaque année. Quatre fois la Suisse. La
déforestation détruit un patrimoine biologique unique: les forêts tropicales humides hébergent
en effet 70 % des espèce recensées. Chaque année, quelque 6 000 d'entre elles sont rayées de
la planète. Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) toutes les
espèces existantes auront disparu dans dix ans...
Les forêts les plus touchées sont les forêts tropicales. Ainsi, en Indonésie, près de 80 % de la
forêt humide de l'île de Sumatra a disparu depuis les années 70. Et à Bornéo, le nombre
d'arbres abattus a presque quintuplé en seize ans. Ces destructions ont certes pour origine la
croissance rapide de la population qui utilise le bois comme combustible et les terres pour
l'agriculture. Mais, surtout, l'exploitation forestière à destination des pays riches.
La principale raison de la déforestation massive est l'application d'un modèle de croissance
hyperproductiviste, spéculatif et suicidaire.
Au début du XIXè siècle, à peine 3 % de la population mondiale était urbanisée ; dans cinq
ans, plus de la moitié de l'humanité s'entassera dans des villes. Et le phénomène concerne
autant le Nord que le Sud où les villes ont littéralement explosé.
Une explosion urbaine aussi fulgurante est un phénomène inédit. Londres a mis 130 ans pour
passer de 1 million d'habitants à 8 millions. Tandis que Lagos (Nigeria), qui n'en avait que
300000 en 1950, en comptera 25 millions dès 2015. Brasilia, capitale artificielle, créée ex-
nihilo en 1960, approche déjà les 4 millions d'habitants.
En l'an 2000, dix-neuf des vingt-cinq villes les plus peuplées du monde se situeront dans des
pays très pauvres ou en voie de développement. Et rassembleront toute la misère et toute la
richesse de leur pays, le plus grand nombre d'usines polluantes, de véhicules en mauvais état,
de décharges à ciel ouvert; l'eau potable y sera rare, l'air irrespirable.
Dès à présent, plus de 600 millions d'êtres humains - la moitié des habitants des villes du Sud
- vivent dans des conditions épouvantables, dans des bidonvilles (il y en a 3000 à Calcutta),
sans égouts, sans hygiène, sans assistance publique.
Des multitudes, fuyant la détresse rurale ou les guerres, continuent pourtant de venir s'entasser
autour de centres urbains fondés souvent par les anciennes puissances coloniales (il s'agit
presque toujours de ports côtiers) et où se concentrent les investissements étrangers.

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La mondialisation, dont la rationalité est celle des grandes entreprises et des marchés
financiers, fait planer une lourde menace sur les villes. Sous sa pression, et au nom du dogme
de la déréglementation, l'Etat, un peu partout, est actuellement en train de se désengager de la
politique de la ville. Là encore, il voudrait laisser agir le marché qui est précisément incapable
de gérer les villes. Car il en fait des jungles où seul compte l'affrontement.
Avec l'accélération de la mondialisation libérale, le « schéma de consommation et de
production non viable» s'est même renforcé. Les inégalités ont atteint des niveaux jamais
connus depuis le temps des pharaons. La fortune des trois individus les plus riches du monde
dépasse la richesse cumulée des habitants des 48 pays les plus pauvres... La souillure
écologique du monde riche sur la biosphère s'est aussi accentuée. Alors que la trentaine de
pays les plus développés représentent 20 % de la population mondiale, ils produisent et
consomment 85 % des produits chimiques synthétiques, 80 % de l'énergie non renouvelable,
40 % de l'eau douce. Et leurs émissions de gaz à effet de serre par habitant, comparées à celles
des pays du Sud, sont dix fois plus élevées (3).
Au cours de la décennie écoulée, les rejets de gaz carbonique (CO2), cause principale du
réchauffement climatique, ont augmenté de 9 %... Ceux. des Etats-Unis, premier pollueur de
la planète, ont cru, durant la même période, de 18 % ! Plus de un milliard de personnes
continuent à ne pas disposer d'eal1 potable, et près de trois milliards (la moitié de l'humanité)
consomment une eau de piètre qualité. A cause de l'ingestion de cette eau polluée, 30 000
personnes meurent quotidiennement. Soit plus de dix fois - chaque jour! - le nombre de vic-
times des odieux attentats du Il septembre 2001...
Les forêts continuent d'être dévastées ; 17 millions d'hectares disparaissent chaque année -
quatre fois la taille de la Suisse. Et comme les arbres ne sont plus là pour absorber les
excédents de CO2, l'effet de serre et le réchauffement s'aggravent. Par ailleurs, chaque année,
quelque 6 000 espèces animales sont exterminées. Une extinction massive menace - 13 % des
oiseaux, 25 % des mammifères, 34 % des poissons -, comme la Terre n'en a jamais connu
depuis la disparition des dinosaures...
En détruisant le monde naturel, les hommes ont rendu la Terre de moins en moins vivable. On
doit inverser les tendances pouvant inéluctablement conduire à la catastrophe écologique
intégrale. Défi majeur de ce début de XXI siècle. Sinon, le genre humain lui même sera
menacé d'extinction. Ne pouvons-nous pas prendre une nouvelle direction ? Une direction
fondée sur la régénération plutôt que sur la durabilité d'un statu quo insoutenable, sur un bon
« économat » (une sorte d'« économie économe »)11 de l'existant plutôt que sur le
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développement et la poursuite effrénée de la croissance ? L'économat présente l'avantage


d'aller au-delà des simples principes économiques - si importants soient-ils - en restaurant un
équilibre par une attention tout aussi soutenue à l'environnement, l'éthique et la spiritualité,
qui sont les éléments vitaux de toute véritable et viable civilisation.
A lire : Edouard Goldsmith, Le Tao de l'écologie. Une vision écologique du monde, Editions du Rocher,
Monaco, 2002.
Environnement et développement. Le défi du XXIème siècle, Alternatives économiques, juillet-août 2002.
State of the World 2002, Worldwatch Institute, Washington, 2002.
Site officiel de l'ONU sur le sommet de Johannesburg : www.un.org/ftenchlevents/wssd/
Jean-Marie Harribey, L'Economie économe. Le développement soutenable par la réduction du temps de travail,
L'Harmattan, coll. « Logiques économiques », Paris, 1998.

Soros, George. L’homme qui contribua à faire chuter la livre sterling en 1992, avant de
spéculer contre le franc, faisant trembler plus d’un ministre des Finances, est aux marchés ce
que William Gates est à l’informatique.
Bien que condamné en France pour délit d’initiés dans le dossier de la Société générale, ce
financier américain d’origine hongroise est devenu en une dizaine d’années une légende
vivante sur les marchés financiers du monde entier.
George Soros est né en 1930 à Budapest. Il a émigré en 1947 en Angleterre et y a effectué des
études à la London School of Economics. En 1956, il s’installe aux États-Unis où il a amassé
sa fortune en fondant et gérant un fonds d'investissement international.
Avant de se transformer en investisseur philanthropique, George Soros, dont la fortune est
estimée à environ 4 milliards d’euros, n’a pas connu que des succès. Il a essuyé des pertes
cuisantes lors du krach boursier de 1987, a été frappé par la crise russe de 1998 ou la bulle
Internet par exemple. Aujourd’hui, M. Soros, qui a quitté la Hongrie en 1956 au moment où
les chars soviétiques écrasaient le soulèvement de Budapest, aurait consacré plus de trois
cents millions d’euros à ses fondations présentes dans plus de trente pays.
Il a choisi de dédier plus de temps dorénavant à ses activités philanthropiques et à ses écrits
plutôt qu’à la gestion de son fonds d’investissement alternatif, Quantum Fund.
Il avait, dit-on, gagné un milliard de $ en spéculant sur la sortie de la livre sterling du SME, le
système monétaire européen. Ce fonds aurait en revanche beaucoup perdu en août 1998 lors
de la crise sur la dette russe. Il a, par ailleurs, créé plusieurs fondations (Open Society Fund en
1979 et Eastern European Foundation en 1984) et coordonne un réseau de fondations pour la
reconstruction des économies en transition dont l'objectif est de maintenir et développer des
infrastructures dans les pays émergents.

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Non content d’avoir été le principal donateur privé des ex-pays communistes, il multiple aussi
les initiatives aux Etats-Unis. Il a fait scandale en aidant financièrement ceux qui ont fait
adopter la dépénalisation de la marijuana dans deux Etats américains, et a également offert 50
millions de $ pour venir en aide aux immigrés illégaux, privés d’aide sociale par l’ancien
président William Clinton.

Plus récemment, G. Soros s'est impliqué dans le débat sur la réforme de l'architecture du
système financier international par une proposition toute personnelle The crisis of Global
Capitalism (1998) comportant deux volets, qui visent à empêcher les pertes de confiance du
système financier (run) : il propose la création d'une société publique qui assurerait les
investisseurs contre le risque de défaut des emprunteurs. Cette "agence d'assurance des crédits
internationaux" fonctionnerait à l'instar des dispositifs de fonds de garantie des dépôts
bancaires: en offrant une protection aux prêteurs, cette assurance des crédits permettrait de
prévenir les mouvements de panique susceptibles de dégénérer en crise systémique. Le Fonds
monétaire international fixerait toutefois un plafond de prêts au-delà duquel les sommes
empruntées par les pays ne seraient pas assurées (ce plafonnement de la garantie a une
justification économique: la garantie des crédits peut encourager les comportements dits
d'aléa moral, c'est-à-dire accentuer la prise de risque sans analyse du risque de défaut; pour
prévenir ces comportements pervers inhérents à tout mécanisme d'assurance, il conviendrait
dès lors de plafonner la garantie. Il s'est également prononcé en faveur d'une Banque centrale
globale qui agirait comme prêteur en dernier ressort sur un groupe sélectionné de pays
emprunteurs.
Le financier reconnaît s’être trompé en annonçant la fin du capitalisme, mais il maintient son
appel à un encadrement social des marchés. Il avait, en effet, prédit dans un livre paru en 1998
« la désintégration du système capitalisme global ».

Il se déclare également favorable à un changement radical du système financier international,


« incapable de s’auto gérer » et plaide pour une augmentation des crédits au profit des pays
pauvres et pour la création d’un impôt sur les flux financiers. « On a la TVA pour les biens,
alors pourquoi pas une taxe Tobin pour les transactions financières », indique-t-il.

L’ancien gourou de Wall Street qui dénonce la mondialisation « déshumanisante », se définit


lui-même comme le représentant d’une nouvelle gauche. Provocateur, il assène que « la
poursuite effrénée de l’intérêt personnel » risque d’abattre les démocraties et que « la menace
du laisser-faire » est aujourd’hui plus réelle que celles des idéologies totalitaires ».

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Sport chimique Il titube. Il s’écroule en plein centre du terrain. On croit à une chute, il a û
trébucher. Les secondes passent, il ne se relève pas. Inanimé, mâchoires serrées. Les yeux
révulsés. Très rapidement, Colombiens et Camerounais lèvent les bras pour appeler les
secours. On le transporte sur une civière, le bras ballant effleurant la pelouse. Entre les banc
des entraîneurs des deux équipes, membres de la FIFA et joueurs s’affairent autour du
brancard. Au bout de plusieurs dizaines secondes il laisse de respirer. Marc-Vivien Foé, vingt-
huit ans, père de trois enfants, est décédé.

Eduardo Galeano se souvient : il y a cinquante ans, l'Uruguay battait au football le Brésil au


stade de Maracana, à Rio de Janeiro, et était consacré, contre tout pronostic, contre toute
évidence et contre toute logique, champion du monde de football. L'acteur principal de cet
exploit impossible s'appelait Obdulio Varela. Il se dopait au vin rouge. On le traitait d'aviné....
C'était une autre époque.

A l’heure où ces lignes sont écrites, les causes du décès restent inconnues. Les résultats de
l’autopsie n’ayant révélé « aucun élémentdéterminant sur l’origine de la mort », rien ne
permet d’évoquer le dopage. Mais une phrase sybile du Procueur de la République sème le
doute : »On a fait faire des examens complémentaires d’anatomie-pathologie et
tosicologiques. »

C’est que le dopage à l'ancienne, les corticoïdes et autres amphétamines de papa, ont fait
place à de nouveaux produits, plus sournois et plus dangereux. Le sport, qui se mondialise, est
passé au doping. En novembre 1998, la police marseillaise arrête quatre trafiquants en
possession de quatre mille pilules d'anabolisants emballées dans des boîtes portant des
inscriptions en russe. Les quatre délinquants, dont l'un se présentait comme un chimiste
ukrainien, écoulaient leur marchandise dans les salles de sport de la cité phocéenne. Selon le
commissaire Deluc, "nous avons eu plusieurs affaires de ce type ces derniers mois. A chaque
fois, des ressortissants des pays de l'Est sont impliqués, une véritable mafia".
La gangrène sortit vite de la botte. Le marché est lucratif pour les laboratoires, les docteurs et
les trafiquants. "Il y a des médecins qui proposent leurs services rétribues en rapport aux
points gagnés" poursuit un sportif. La spirale est infernale. Les coureurs connaissent le ravage
causé par l'EPO, les risques de thromboses vasculaires et d'autres séquelles.

L'usage sportif des anabolisants est déjà relativement ancien, et une fois n'est pas coutume, ce
ne sont pas les cyclistes mais les athlètes qui se trouvent en première ligne, ainsi que les

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pratiquants de disciplines où la force physique est prédominante : l'haltérophilie, par exemple.


Mais, par dérapage du phénomène, on a vu leur usage s'étendre à de nombreux sports, dont la
natation et... le cyclisme ! En poussant à l'extrême le principe actif des anabolisants, on
aboutit à augmenter l'assimilation des protéines, donc le poids du sujet traité. L’effet de
rétention d'eau joue également un rôle important dans cette prise de poids. Ce développement
musculaire possède un double avantage a priori : accroître la puissance pure, mais également
augmenter le volume d'entraînement (ce dernier aspect n'étant pas le moindre dans le sport
moderne où les meilleurs doivent leur supériorité à la capacité d'entraînement qu'ils peuvent
fournir à partir de leur statut social et de leurs caractéristiques physiologiques). Le premier
avantage concerne directement les athlètes de lancer (poids, javelot, disque, marteau), les
spécialistes d'épreuves combinées (décathlon et heptathlon), les haltérophiles.

Tout est venu d'Italie, au début des années 90, lorsque quelques médecins ont trouvé le
"produit miracle", utilisé pour le traitement de certaines maladies et en vente libre dans
certains pays comme la Suisse. Les transalpins, alors, dominèrent outrageusement les courses.
"On s'est retrouvé largués", lâche un ancien coureur qui souhaite garder l'anonymat.

Trop longtemps, les officiels ont fermé les yeux sur ces pratiques, feignant de croire que
c'était l'affaire d'une minorité de brebis galeuses. Les enjeux économiques du sport-spectacle
sont d'une telle envergure qu'ils favorisent l'essor d'une véritable industrie du dopage dont le
chiffre d'affaires atteindrait les 50 milliards de francs...

Il y a deux ans, deux cavaliers qui s'affrontaient, à Sienne, lors du fameux « Palio », sont
tombés raides morts en pleine course. L'un deux, « Plume blanche », était le champion de
cette fête célébrée depuis le Moyen âge sur la place principale de la ville, en Toscane, Italie.
Selon la presse, les cavaliers sont morts d'une... overdose d'amphétamines.

Dans une autre région d'Italie, au même moment, étaient emprisonnés 20 propriétaires de
dangereux molosses, des pitbulls, stars des combats de chiens clandestins. Les chiens lutteurs
étaient dopés. Leur musculature et leur énergie avaient été décuplées par des substances
anabolisantes...

A la même époque, le juge Raphaël Guarinello faisait asseoir sur le banc des accusés, des
clubs de football de première, deuxième et troisième divisions. Il les accusait d'avoir
administré, à des fins supposées thérapeutiques, des « médicaments » à plus d'une centaine de
joueurs, pour augmenter artificiellement leur capacité d'endurance et leur force musculaire, et

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pour masquer la fatigue provoquée par des championnats interminables et éreintants. On s'est
aperçu que les contrôles antidopage étaient mal faits ou encore que les échantillons de sang ou
d'urine disparaissaient miraculeusement. Un an auparavant, à la mi-1998, le directeur
technique du club AS Roma, Zdenek Zeman, avait déjà dénoncé l'usage fréquent de drogues
dans le football italien.

Au moment où ces nouvelles étaient rendues publiques, dans le Tour de France les coureurs
avançaient en esquivant les seringues. Joao Havelange, monarque retraité de la Fédération
internationale du football (FIFA), n'a pas hésité à déclarer : « Tous les cyclistes se dopent. En
revanche, au football, c'est très rare. Qu'on fiche la paix au football . » Ce n'est pas l'avis
d'Emmanuel Petit et Franck Leboeuf, deux piliers de l'équipe de France, championne du
monde. Le premier a en effet reconnu : « On joue un match tous les trois jours. Aucun athlète
ne peut supporter un tel effort. Je ne souhaite pas que les drogues deviennent systématiques
dans le football ; mais cela risque de devenir la norme. » Et Franck Leboeuf, d'ajouter :
« Aujourd'hui les joueurs sont vite usés. Ce sont les jeunes qui me préoccupent. À ce rythme-
là, ils ne vont pas tenir plus de cinq ou six ans. » Quelques années auparavant, le célèbre
gardien de but allemand, Toni Schumacher, avait été accusé de « trahison à la patrie », après
avoir révélé que les joueurs de l'équipe de son pays étaient de véritables « pharmacies
ambulantes », et qu'on pouvait se demander s'ils représentaient l'Allemagne ou l'industrie
pharmaceutique germanique. De l'autre côté de l'Océan, Luis Artime, un des meilleurs joueurs
de tous les temps, avait avoué : « La drogue est un commerce dans tous les sports, y compris
dans le football. Le football argentin ne m'inspire pas du dégoût, mais de la peine. »

Les drogues se moquent des contrôles. Durant les Jeux olympiques de Sydney, l'an dernier, un
nombre infime d'athlètes a été déclaré positif lors des tests antidopage. Jacques Rogge, un des
dirigeants du Comité international olympique (CIO), l'explique ainsi : « Ils ont été découverts
stupidement, parce qu'ils se dopaient pour leur propre compte ou parce qu'ils venaient de
pays pauvres. Les pays riches ont un système sophistiqué de dopage très onéreux, avec des
drogues chères, un encadrement spécialisé et des tests secrets. Les pauvres ne peuvent se
l'offrir. C'est aussi simple que cela. »

Le CIO a consacré le sportif américain Carl Lewis « athlète du siècle ». À Sydney, lors de la
cérémonie, le roi de la vitesse et du saut en longueur a donné son opinion, légèrement
différente : « Tous les dirigeants mentent, a-t-il déclaré, les contrôles antidopage ne

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fonctionnent pas. Les dirigeants ont le pouvoir de contrôler, mais ils ne le font pas. Le sport
est sale. »

Selon des enquêtes publiées dans les revues Scientific American et New Scientist, tout cela
n'est rien, comparé à ce qui nous attend. D'ici dix ans, on nous promet des athlètes
génétiquement modifiés. A un prix : l'hypothèque du corps. Car rien n'est gratuit dans ce
monde. Le dopage de gènes artificiels fera, en une seule injection, des merveilles pour la
vitesse et la force des sportifs ; et il sera impossible de le déceler dans le sang ou les urines.

Nous avons appris qu’en Finlande l'arbitre ne sort pas seulement un carton jaune, en guise
d'avertissement, et un carton rouge pour signifier une expulsion, mais aussi un carton vert
pour récompenser le joueur qui aide un adversaire à se relever, ou qui fait des excuses
lorsqu'il l'a frappé ou encore qui reconnaît une faute commise.

Dans le football professionnel, tel qu'il se pratique aujourd'hui dans le monde entier, ce
système du carton vert paraîtrait ridicule et se révélerait sans doute inutile. Selon la loi du
marché, une rentabilité élevée exige une productivité élevée, et pour y parvenir, tous les
moyens sont bons : la déloyauté, la tricherie ou la drogue. Cette dernière fait partie du trucage
d'un jeu qui ne joue plus le jeu.

Dans le football, comme ailleurs, le sport professionnel est plus dopé que les sportifs eux-
mêmes. C'est lui, grand intoxiqué, converti en grande entreprise de l'industrie du spectacle,
qui accélère toujours plus le rythme de travail des athlètes et les pousse à ravaler leurs
scrupules pour atteindre des rendements de surhommes. L'obligation de gagner est ennemie
du plaisir de jouer, du sens de l'honneur et tout simplement de la santé. C'est l'impératif de
gagner à tout prix qui oblige à consommer les drogues de la réussite.

A lire : Laure P. Le dopage. 1995, Paris : Presses Universitaires de France

Louveau C, Augustini M, Duret P, Irlinger P, Marcellini A. Dopage et performance sportive. 1995, Paris : Insep
Publications

Mondenard J.P. Dictionnaire des substances et procédés dopants en pratique sportive. Masson, Paris.

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Taxe Tobin: L’économiste James Tobin, professeur d’économie à l’Université de Yale, prix
Nobel d’Économie en 1979, proposa, dans l’esprit de la proposition de Keynes, la création
d’une taxe aux opérations boursières. Il avait formulé, en 1978, l’idée d’un impôt qui serait
prélevé sur la circulation internationale des capitaux pour décourager la spéculation financière
en la rendant trop onéreuse. Cette imposition, jamais été appliquée, concernerait surtout les
transactions à but spéculatif. Elle représenterait entre 0,01 % et 0,025 % du capital investi et
serait destinée à financer la dette des pays pauvres. En France, l’association ATTAC* a été
créée en 1998 pour promouvoir cette idée.

Hérésie pour les uns, saint Graal pour les autres, l’idée de Tobin cristallise nombre de débats
passionnés entre acteurs financiers, économistes, leaders politiques et certaines associations.

On ne peut manquer de s'interroger sur l'origine d'un tel succès. Faut-il en particulier y voir le
signe d'une idée géniale, presque révolutionnaire? Vraisemblablement pas : modeste ( de
l'aveu même de James Tobin ) autant que technique, son impôt était conçu pour restaurer une
fraction de l'autonomie de la politique monétaire menacée par la mobilité croissante des
capitaux. Elle fut largement ignorée à ses débuts et raillée depuis par certains. Robert
Mundell, prix Nobel d'économie lui aussi, n'a pas hésité à déclarer que la taxe Tobin« était
une idée idiote»!

Alors que ce point ne fut jamais au cœur de l'argumentation de James Tobin, il est tout
d'abord apparu qu’il s’agissait d’un moyen formidable pour engendrer, au moindre coût, une
manne financière: 200, 300, 700 milliards de $ par an, les estimations les plus audacieuses
alimentent le mythe d'une nouvelle corne d'abondance pouvant aussi bien résoudre le
problème de la dette externe des pays en développement apparu au début des années 1980 que
financer, à l'échelle planétaire, des programmes de lutte contre le sida. Ce projet est d'ailleurs
d'autant plus séduisant qu'il pénalise des spéculateurs traditionnellement peu taxés et souvent
mal perçus par le grand public qui les assimile à des joueurs de casino réalisant des gains
considérables, fondés sur une économie virtuelle. Il n'est alors pas surprenant qu'en France,
par exemple, cette proposition ait reçu de la plupart des partis politiques un accueil favorable
dès 1995, et qu’elle soit même devenue un sujet récurrent des campagnes électorales.

Cette mesure est censée également réduire les transactions internationales à court terme et par
conséquent la volatilité des taux de change et des produits connexes. L’application d’une telle
charge augmenterai le coût relatif des transactions du court terme par rapport à celles de long

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terme. Personne aujourd'hui ne peut l’ignorer : d'un taux faible proche de 0,1 % et prélevée
sur les opérations d'achat et de vente de devises, elle a pour objectif principal d'atténuer les
fluctuations des taux de change. Par ailleurs, elle inciterait les opérateurs à opter pour les
capitaux de long terme qui assurent un financement plus stable de la croissance, et réduisent
ainsi la volatilité des changes.

Par ailleurs, celle taxe renforcerait l’autonomie de la politique monétaire. En particulier, les
taux d’intérêt nationaux ne peuvent s’écarter sensiblement des taux d’intérêt mondiaux sans
entraîner une variation du change et donc des mouvements de capitaux ; la politique
monétaire d’un pays peut ainsi devenir dépendante des politiques monétaires menées à
l’étranger. En décourageant les capitaux de court terme, cette taxe permettrait de rompre avec
la condition de stabilité relative des taux d’intérêt et ainsi de desserrer la contrainte sur la
politique monétaire.

Les proposition de Tobin assurerait des recettes fiscales relativement faciles à recouvrer, car il
reposerait sur des flux enregistrés et sur un nombre limité de redevables qui n’opèrent que sur
quelques sites. Etant donné la large assiette que représentent les transaction sur les marchés de
change, un taux faible suffit à dégager de substantielles recettes fiscales . Si on estime à 1 600
milliards de $ le chiffre d’affaires net quotidien des marchés de changes ( comptant, terme et
produits dérivés), alors une estimation purement statistique établit à 16 milliards de $ la
recette fiscale par jour (pour un taux de 1%), soit environ 4 300 milliards de $ par an.

Un réel problème empêche sa mise en place: pour être efficace elle devrait s'appliquer
simultanément dans tous les pays. Un « passager clandestin » bénéficierait de l'arrivée
massive de capitaux dans son pays, au détriment des autres soumis à la taxe. Force est de
constater, pour ne citer que quelques exemples, que les nouvelles orientations du président
américain George W. Bush et l'évolution récente de la politique économique britannique ne
laissent guère envisager la possibilité de sa mise en place prochaine. Les auteurs défendent
néanmoins la valeur fortement symbolique de la taxe Tobin. Et confirment l'idée
qu'aujourd'hui cet impôt résulte plus d'une volonté politique que d'une logique économique.
Patrick Messerlin, directeur du Groupe d'Economie Mondiale, prévient que l'instauration de la
taxe pourrait inverser l'effet escompté. "Le vrai problème de la taxe Tobin est sa mise en
œuvre. Elle est impossible dans les pays industrialisés ou émergents car elle sera
invariablement contournée par des marchés financiers suffisamment développés. Et
l'appliquer aux seuls pays en développement risque fort de faire de ces derniers, une fois de
plus, les perdants. "

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A lire : The Tobin Tax, Mahbub Ul Haq, Inge Kaul, Isabelle Grunberg. Oxford University Press, Oxford, 1996..

Terrorisme Acte de révolte individuelle au XIXe siècle, institutionnalisé par les Etats
totalitaires au XXème siècle, avant de devenir, avec Al-Qaeda, un acteur majeur du système
international au début du XXIème siècle, le terrorisme en tant que tel n’est certes pas un
phénomène récent. Les indépendantistes irlandais, poursuivant leur grève de la faim jusqu’à
ce que mort s’ensuive ne préludaient-ils pas en quelque sorte au phénomène kamikaze dont
les tours de Manhattan allaient être les victimes? Chacun sait, depuis l’attentat de Sarajevo de
l’été 1914, que les terroristes peuvent faire l’Histoire: l’Irlande où s’affrontent catholiques et
protestants, le Pays basque espagnol au sein duquel l’ETA poursuit ses actions, la Corse où
une minorité d’indépendantistes non exempts parfois de liens mafieux en sont, parmi d’autres,
l’illustration toujours bruyante et parfois sanglante; mais depuis le 11 septembre 2001 chacun
doit comprendre qu’ils n’ont plus besoin des Etats pour la faire. Ces terrorismes-là se
déroulaient sur des territoires bien localisés, à l’intérieur des nations et reposaient sur des
revendications précises. Ce qui était nouveau, dans ce dernier attentat, à part sa dimension
mondiale, c’était le caractère diffus autant qu’insaisissable du phénomène. Ses attaches
principales se situaient peut-être en Afghanistan où le régime taliban lui fournissait asile,
bases et protection. Mais on savait qu’il étendait ses ramifications et possédait des centres
d’entraînement dans plusieurs pays, disséminés sur l’ensemble de la planète. En cela, le
terrorisme n’est rien d’autre que l’application à la violence radicale des principes de la
mondialisation: internationalisation, désétatisation, révolution technologique, dérégulation
caractéristiques du capitalisme.

Comme si les attaques contre New York et Washington avaient levé un interdit, les
populations civiles ont été les premières touchées. Tous ces événements témoignent d'un
phénomène nouveau dans l'histoire du terrorisme, tant du point de vue qualitatif que
quantitatif. Nouveauté qui touche sérieusement les structures, les méthodes et les cibles de
cette génération.

Mais quel était donc ce nouveau terrorisme qui venait de se manifester avec éclat? Et quel
était cet « avant» que l’on ne devait plus revoir? Il ne fait pas de doute que le terrorisme
islamique représente une nouvelle menace globale pour la démocratie, et pas seulement pour
les Etats-Unis. Le djihad islamique, et son appel à une violence illimitée contre les valeurs et
les sociétés libérales, catalyse les peurs, les frustrations, les inégalités du développement. Et
cette idée absurde sur le plan intellectuel peut devenir une réalité historique susceptible de

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restructurer pour plusieurs décennies l’histoire mondiale, si le principe d’un choc des
civilisations parvient à s’enraciner durablement dans les mentalités collectives du monde
arabo musulman comme du monde occidental.

Sur les ruines des gratte-ciel sont apparues au grand jour les idéologies politiques des
mouvements radicaux à orientation pseudoreligieuse du XXIème siècle, qui ne se comportent
pas comme les mouvements terroristes des années 1970. Ceux-ci cherchaient la publicité et
l'éclat, mais n'avaient pas pour objectif le crime de masse. La première indication
préoccupante de ce nouveau terrorisme mondialisé date de 1993, quand la première attaque
contre le World Trade Center a échoué. L'ambition des auteurs, révélée au moment du procès,
était de tuer 25 000 personnes dans un jeu de domino, en faisant tomber la première tour sur
la seconde puis toutes deux sur Wall Street. Deux ans plus tard, un projet d'attentat envi-
sageait de faire exploser au même moment dix avions au-dessus de l'océan Pacifique. En août
1998, plus de deux cents morts sont retirés des décombres des ambassades américaines en
Tanzanie et au Kenya. Enfin, en 1999, un individu est arrêté par la police américaine à la
frontière canadienne en possession d'explosifs destinés aux cérémonies du Millenium à Los
Angeles.

La lutte contre le terrorisme n'est pas et ne peut pas être un combat contre des civilisations, ou
bien un combat de celles-ci entre elles. Il s'agit de la lutte pour la culture du monde et pour les
valeurs qui doivent prédominer. Dans le monde multiforme d'aujourd'hui, toutes les
civilisations et les grandes religions respectent la dignité et la vie de l'homme. Dans notre
monde, tuer des gens – « coupables » ou « innocents »- est partout un égarement.

Dans la pratique, il n’y a pas de meilleure définition de la mondialisation du terrorisme que


l’attaque du 11 septembre. Les tours jumelles sont tombées, tuant des milliers de civils sous le
regard de millions de téléspectateurs, à la suite d’une action préparée en Asie centrale,
réalisée à New York et à Washington par des terroristes saoudiens et égyptiens, qui avaient
fait leurs études en Europe. Les conséquences immédiates se sont 'étendue sur l'Afghanistan,
l'Inde et le Pakistan, l'ensemble du monde musulman - du Maroc aux Philippines. Elles ont eu
des répercussions dans les rapports russo-américaines et la politique de défense japonaise.
Plus significatif encore, la cible majeure de l’attaque, le World Trade Center, constituait le
symbole même de la mondialisation, dans un pays qui, plus que tout autre, porte le drapeau de
la concentration économique. A l’ère de la mondialisation néo-libérale, le terrorisme lui-
même venait de se mondialiser ; un terrorisme à vocation planétaire, conduit par les partisans

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du djihad armé contre l’impérialisme occidental ( Etats-Unis en tête), et contre les « ennemis
» de la communauté musulmane (l’Umma) était devenu réalité.

Paradoxalement, les épouvantables attentats du 1l septembre n'ont pas déclenché, dans de


nombreuses régions du monde, des débordements de sympathie à l'égard des Etats-Unis. Au
point que le président George W. Bush en est venu à déclarer: « Je suis impressionné qu'il y
ait une telle incompréhension de ce qu'est notre pays et que des gens puissent nous détester. Je
suis comme la plupart des Américains, je ne peux pas le croire, car je sais que nous sommes
bons. »

En effet, à travers le monde, et en particulier dans les pays du Sud, le sentiment le plus
souvent exprimé par les opinions publiques, à l'occasion de ces condamnables attentats, a été:
« Ce qui leur arrive est bien triste, mais ils ne l'ont pas volé! »

Pour comprendre une telle réaction, il n'est peut être pas inutile de rappeler que, tout au long
de la « guerre froide» (1948-1989), les Etats-Unis s'étaient déjà lancés dans une « croisade»
contre le communisme. Qui prit parfois des allures de guerre d'extermination: des milliers de
communistes liquidés en Iran, deux cent mille opposants de gauche supprimés au Guatemala,
plus d'un demi-million de communistes anéantis en Indonésie... Les pages les plus atroces du
livre noir de l'impérialisme américain furent écrites au cours de ces années, marquées
également par les horreurs de la guerre du Vietnam (1962-1975).

C'était déjà « le Bien contre le Mal ». Mais à l'époque, selon Washington, soutenir des
terroristes n'était pas forcément immoral. Par le biais de la CIA, les Etats-Unis préconisèrent
des attentats dans des lieux publics, des détournements d'avions, des sabotages et des
assassinats. A Cuba contre le régime de M. Fidel Castro; au Nicaragua contre les sandinistes;
ou en Afghanistan contre les Soviétiques. C'est là, en Afghanistan, avec le soutien de deux
Etats très peu démocratiques, l'Arabie saoudite et le Pakistan, que Washington encouragea,
dans les années 1980, la création de brigades islamistes recrutées dans le monde arabo-
musulman et composées de ce que les médias appelaient alors les « freedom fighters », les
combattants de la liberté! C'est dans ces circonstances, on le sait, que la CIA engagea et forma
le désormais célèbre Oussama Ben Laden.

Combattre le terrorisme n'est pas suffisant. Malgré l'urgence présente de la lutte, il ne faut pas
méconnaître qu'il est le reflet d'une série de problèmes du monde moderne, un phénomène qui
pèse lourdement sur toutes les sociétés. Il faudra y faire face aussi à long terme. Il est
impératif d'éliminer les racines sociales, politiques et autres à partir desquelles le mal se

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propage, c'est-à-dire supprimer les injustices, les oppressions, les inégalités et les
discriminations. Pour discerner et éliminer ces racines, tous les potentiels intellectuels,
philosophiques, conceptuels et religieux qui réfléchissent à l'avenir de l'humanité doivent être
réunis.

La mondialisation exige une réponse globale, à l'échelle mondiale. Celle-ci commence par la
responsabilité de chaque État. Même à l'intérieur de leurs frontières, les États ne peuvent plus,
au nom de leur souveraineté, commettre des actes arbitraires qui vont à l'encontre des valeurs
du monde démocratique et menacer en cela la sécurité des autres États et de la communauté
internationale. Dorénavant, aucun État ne peut ignorer de telles actions et de se barricader
derrière la sécurité virtuelle de ses frontières.

Pour l’heure, les conditions d’une lutte efficace contre le terrorisme sont très loin de se
trouver réunies. La divergence accélérée entre l’activisme militaire aveugle des Etats-Unis,
d’une part, la rivalité économique entre ce pays et une partie de l’Europe ( déguisée en
pacifisme) d’autre part, ruine la solidarité occidentale, ouvrant un large espace politique et
stratégique au terrorisme. La militarisation à outrance de la politique extérieure américaine et
la confusion abusivement entretenue entre Al-Qaeda et le régime Irakien décrédibilisent la
lutte contre l’Islamisme, détournée au service d’intérêts de puissance ou des enjeux pétroliers.
La dérive des Etats-Unis est servie par la passivité de l’Europe, où l’immigration tiers-
mondiste constitue l’un des terreaux les plus fertiles et l’une des bases de recrutement
majeures du terrorisme. Il est plus que temps de s’appliquer les reproches qu’elle adresse aux
Etats-Unis et de conjuguer l’indispensable effort en matière de sécurité intérieure et extérieure
avec une réponse politique à l’échec cinglant des politiques d’intégration conduites depuis un
demi-siècle.

Les pires prévisions avancées sous le choc du 11 septembre – à l’exception notable du recours
aux armes biologiques, chimiques ou nucléaires- ont trouvé confirmation. Malgré la chute du
régime des talibans, obtenue dès la première phase de la campagne militaire menée par
Washington en Afghanistan, Oussama Ben Laden est vraisemblablement toujours en vie. Tout
indique que l’essentiel du réseau Al Quaida s’est reconstitué au Pakistan et dans les pays de
l’origine de ses combattants. Les liens individuels tissés dans les camps d’entraînement et sur
les théâtres d’affrontement en Afghanistan, en Bosnie, au Cachemire ou en Tchétchénie
restent lourds de périls. La menace du terrorisme islamiste s’est clairement mondialisée.

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« L’avant» que l’on ne devait paraît-il plus revoir, c’était celui d’une puissance orgueilleuse,
isolée dans l’inviolabilité de ses frontières, affirmant hautement une idéologie et l’imposant
au monde. Idéologie formulée, au début des années 1980, par les gouvernements du G7 -
États-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie -, agissant à
l’initiative du plus puissant d’entre eux. On peut, avec Dominique Plihon, la résumer
ainsi: :«Le mieux-être des peuples passe par l’ouverture des frontières, la libéralisation du
commerce et de la finance, la déréglementation et les privatisations; le recul des dépenses
publiques et des impôts au profit des activités privées, la primauté des investissements
internationaux et des marchés financiers; en somme, le déclin du politique et de l’État, au
profit des intérêts privés. »

L’économie de cet « avant 11 septembre» que nous sommes censés ne pas revoir, confondant
les fins et les moyens avait donc perdu « le sens du sens « , devenait insensée au sens propre.
Mais du même coup, elle perdait toute notion de limites. Quand l’instrument économique se
substitue à la finalité au lieu de la servir, les frontières entre le moral et l’immoral, le légitime
et l’illégitime, disparaissent. On voit alors prospérer une économie en marge de la légalité:
paradis fiscaux, blanchiment de l’argent des activités criminelles, argent propre, argent sale,
malversations, interfèrent de plus en plus étroitement. Sans la bienveillance du banquier «
propre », sans la complicité de l’avocat et du conseiller juridique ou financier « honorable»
ayant pignon sur rue, sans la « compréhension» des gouvernements, les activités de l’ombre
ne pourraient revêtir l’importance qui est désormais la leur. Sans les paradis fiscaux, bien des
firmes transnationales ne pourraient, en y localisant des opérations fictives, tourner la loi
fiscale pour fausser les lois de la concurrence.

Cet « avant » réunissait donc toutes les conditions requises pour provoquer le désespoir puis
l’action et la réaction des peuples. Car, dans l’ombre, grandissait le fanatisme qui trouverait
dans cette situation un excellent terrain pour se développer.

La doctrine du néo-libéralisme venait de voir le jour à travers les dix points d’une déclaration
que l’économiste John Williamson désignait d’une expression appelée à connaître un très
grand succès: le « consensus de Washington » En libérant les mouvements de capitaux de tout
contrôle étatique, cette politique déplaçait le pouvoir économique de la sphère publique des
États à la sphère privée de la finance internationale. Fonds de pensions, fonds de spéculation,
banques, assurances... possèdent désormais la « puissance de feu » qui leur permet de faire la
loi sur la planète: ils contrôlent en effet une masse de liquidités de l’ordre de 30000 milliards
de $, supérieure au produit mondial d’une année et une seule journée de spéculation sur

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devises représente l’équivalent de toutes les réserves d’or et de devises des grandes banques
centrales du monde. C’est dire qu’il n’y a pas de nation ou d’entreprise qui puisse résister à
leurs pressions. C’est une logique actionnariale de fructificati@ rapide des patrimoines
financiers qui caractérise désormais le système.

La mise en oeuvre politique était simultanée: dès 1982, sous l’impulsion du président Reagan
et de madame Thatcher, progressivemenp t470470s les obstacles à la libre circulation des
capitaux, à la libre fluctuation de leurs cours et à la spéculation étaient supprimés à l’échelle
du monde.

Il se produisit alors une double réaction : pacifique tout d’abord, manifestée notamment à
travers les grandes mobilisations, à la fois joyeuses et studieuses de Porto Alegre* lors des
forums sociaux mondiaux, et sanglantes aussi, celle de Manhattan, sur la quelle il est conseillé
de s’interroger pour tenter d’en conjurer le renouvellement.

Qu’est-ce le terrorisme et qu’est-ce que la résistance? L’histoire montre que le même


phénomène revêt l’une ou l’autre qualification, selon que le pouvoir contre lequel on se dresse
reste encore en place ou qu’il a été renversé -la lutte contre l’occupation allemande en Europe
lors du dernier conflit mondial en est un exemple. Toute résistance ne serait-elle donc qu’un
terrorisme qui a réussi et le « terrorisme» d’aujourd’hui serait-il une résistance en puissance,
s’il atteint un jour ses objectifs... d’ailleurs mal explicités? Ces interrogations nous permettent
d’affirmer que s’il y a des terrorismes « de l’ombre » , il y a aussi des terrorismes d’État
lorsque celui-ci tolère l’existence de milices privées - et parfois déploie ses propres forces
militaires - afin de massacrer des populations civiles et de s’approprier leurs territoires. La
puissance voisine qui soutient plus ou moins discrètement de tels agissements se fait elle-
même complice de ce terrorisme-là. Le « terrorisme d’État» ne justifie pas l’autre, mais il faut
savoir qu’il existe et qu’il peut contribuer à l’expliquer. Nous savons bien qu’il ne faut pas
confondre les deux phénomènes et nous voudrions proposer deux critères - qui doivent être
simultanément satisfaits - permettant d’opérer la distinction: la légitimité des fins et la
légitimité des moyens. Légitimé des fins d’abord, car on ne saurait confondre la cause d’un
peuple qui lutte pour affirmer son droit à l’existence ou à la liberté, avec la contestation du
droit d’un autre à l’existence ou à la liberté. Légitimité des moyens ensuite: une résistance
digne de ce nom combat des forces armées et non des populations civiles innocentes, il n’ y a
pas ici de population collectivement coupable du seul fait de son appartenance ethnique,
religieuse, nationale ou idéologique. De ce point de vue, le caractère terroriste de l’horreur
déclenchée à Manhattan ne laisse aucun doute.

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Après 1991, les Etats-Unis se sont installés dans une position d'hyperpuissance unique, et ont
marginalisé, de fait, les Nations unies (1). Ils avaient promis d'instaurer un « nouvel ordre
international» plus juste. Au nom duquel ils ont conduit la guerre du Golfe contre l'Irak. Mais,
en revanche, sur le conflit israélo-palestinien, ils sont demeurés d'une scandaleuse partialité en
faveur d'Israël, au détriment des droits des Palestiniens (2). De surcroît, malgré des
protestations internationales, ils ont maintenu un implacable embargo contre l'Irak, qui
épargne le régime et tue des milliers d'innocents. Tout cela a ulcéré les opinions du monde
arabo-musulman, et facilité la création d'un terreau où s'est peu à peu épanoui un islamisme
férocement antiaméricain.

Les États-Unis, en fait, se préparaient théoriquement, depuis la guerre du Golfe et en tout cas
depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à quelque chose de nouveau dont ils avaient
prévu le principe. Certains think tanks ou groupes d'experts, plutôt proches de l'armée de terre
ou des Marines, comprenaient que la supériorité absolue acquise par leur maîtrise de la
révolution électronique, à la fois dans la sphère militaire, aérosatellitaire et dans la sphère
économique et financière, allait entraîner, avec la globalisation, des effets d'asymétrie
qualitative insupportables. Ils se doutaient que la riposte des pays, des peuples et des classes
sacrifiés allait se manifester par des manœuvres inattendues et qu'elle prendrait parfois la
forme du terrorisme, arme des faibles. Il fallait prévoir que cette contre-attaque exigerait une
inventivité accrue, dont à l'avance les États-Unis devaient se garder. Ce fut là l'origine de leur
concept général de «guerre asymétrique ».

Comme le Dr Frankenstein, les Etats-Unis ont vu leur vieille création - M. Oussama Ben
Laden - se dresser contre eux, avec une violence démentielle. Et se sont engagés à le
combattre en s'appuyant sur les deux Etats - Arabie Saoudite et Pakistan - qui, depuis trente
ans, ont le plus contribué à répandre à travers le monde des réseaux islamistes ayant
régulièrement recours à des méthodes terroristes!

Il est indéniable que la provocation suicidaire de Ben Laden et de son mouvement, l'appui que
lui a accordé le régime des Talibans, tout cela survient en septembre 2001 comme en temps
voulu pour créer les conditions d'une riposte éclatante des forces militaires globales des États-
Unis, prêtes depuis un an à démontrer leur savoir-faire. Ce synchronisme pose un problème.
On peut supposer soit que les membres d'Al Qaida (si toutefois cette organisation existe) aient
été au courant des transformations récentes du potentiel américain de projection de forces et
qu'ils en aient sous-estimé les capacités, soit qu'ils l'aient évalué, mais décidé néanmoins d'une
action suicidaire, propre à donner des États-Unis l'image implacable qu'ils ont aujourd'hui et

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qui ne les rend pas populaires, mais redoutables. Soit encore qu'ils n'aient rien évalué de tout
cela et se trouvent simplement battus à plate couture, dans une épreuve de force imbécile qui a
abouti au massacre de 3000 civils américains et d'un nombre probablement équivalent de
civils afghans.

Vieux briscards de la guerre froide, les hommes et les femmes qui entourent le président
George W. Bush ne sont peut-être pas mécontents de la tournure que prennent les choses.
Miraculeusement, les attentats du Il septembre leur ont restitué une donnée stratégique
majeure dont l'effondrement de l'Union soviétique les avait privés pendant dix ans: un
adversaire. Enfin! Sous le nom de« terrorisme », cet adversaire désigné, chacun l’aura
compris, est désormais l'islamisme radical. Tous les dérapages redoutés (confusion entre
islam et islamisme, entre Arabes et terroristes, chasse au faciès, restriction des libertés,
accentuation du contrôle social, etc.) risquent maintenant de se produire. Y compris une
moderne version du maccarthysme prenant pour cible tous les adversaires de la
mondialisation.

Quels sont les buts explicites de ce premier conflit du XX siècle? Un objectif principal a été
annoncé dès le lendemain du 1l septembre: démanteler le réseau Al-Qaida et capturer, « mort
ou vif», M. Oussama Ben Laden, responsable de crimes que nulle cause ne peut justifier.
Facile à formuler, ce dessein n'est pas du tout simple à accomplir. A priori pourtant, la
disproportion de forces entre les deux adversaires paraît abyssale. Il s'agit même d'une
situation militaire inédite, car c'est la première fois qu'un empire fait la guerre non pas à un
Etat, mais à un homme...

Usant de ses écrasants moyens militaires, Washington a jeté dans cette bataille toutes ses
forces et devrait l'emporter. Toutefois, les exemples abondent de grandes puissances
incapables de venir à bout d'adversaires beaucoup plus faibles. Comme la plupart des forces
armées, celles des Etats-Unis sont formatées pour combattre d'autres Etats et pas pour
affronter un « ennemi invisible ». L'histoire militaire enseigne que, dans un combat
asymétrique, celui qui peut le plus ne peut pas forcément le moins. «Une armée telle que
l'IRA, rappelle l'historien Eric Hobsbawm, s'est montrée capable de tenir en échec le pouvoir
britannique pendant près de trente ans; certes l'IRA n'a pas eu le dessus, mais elle n'a pas été
vaincue pour autant. »

Dans le siècle qui commence, les guerres entre Etats sont en passe de devenir anachroniques.
Et l'écrasante victoire dans le conflit du Golfe, en 1991, se révèle trompeuse. « Notre

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offensive dans le Golfe a été victorieuse, reconnaît le général des marines Anthony Zinni,
parce que nous avons eu la chance de trouver le seul méchant au monde assez stupide pour
accepter d'affronter les Etats-Unis dans un combat symétrique. » L'OTAN pourrait dire la
même chose de M. Milosevic, lors de la guerre du Kosovo en 1999. Car les conflits
asymétriques de nouveau type sont plus faciles à commencer qu'à terminer. Et l'emploi, même
massif, de moyens militaires ne permet pas forcément d'atteindre les buts recherchés. Il suffit
de se souvenir de l'échec en Somalie en 1994.

En attaquant l' Afghanistan, sous le prétexte recevable que ce pays protège M. Ben Laden, le
gouvernement américain savait donc qu'il entreprenait la phase la plus facile du conflit. Et
qu'il renverserait assez vite le gouvernement des talibans. Mais cette victoire contre l'un des
régimes les plus odieux de la planète ne garantit pas l'obtention du but premier de cette
guerre: la capture de M. Ben Laden.

Le terrorisme d’aujourd’hui est mobile et nomade par excellence, prompt à utiliser toutes les
ressources offertes par l’Internet et par les nouvelles technologies. Enfin, le terrorisme
islamique est en prise directe sur le capitalisme dérégulé, qui lui fournit à la fois sa principale
source de financement (notamment sur la place de Londres) et de cibles privilégies ( le cœur
de la finance mondiale avec Wall Street, l’incendie du Limbourg, le tourisme de masse à Bali
ou Djerba…)

Karachi, Mombasa, Aden, les principaux attentats de l’année 2000, font penser à autant de
répliques de ceux du 11 septembre 2001.

Le second objectif paraît trop ambitieux: en finir avec le « terrorisme international». D'abord
parce que le terme « terrorisme » est très imprécis. Depuis deux siècles, il a été utilisé pour
désigner indistinctement tous ceux qui recourent, à tort ou à raison, à la violence pour tenter
de changer l'ordre politique. Alors que l'expérience montre que, dans certains cas, cette
violence était nécessaire. De nombreux anciens « terroristes» ne sont-ils pas devenus des
hommes d'Etat respectés? Par exemple, et pour ne pas citer ceux issus de la Résistance
française: Menahem Bégin, ancien chef de l'Irgoun, devenu premier ministre d'Israël; M.
Abdellaziz Bouteflika, ancien « fellagha », devenu président de l'Algérie; ou M. Nelson
Mandela, ancien chef de l'ANC, devenu président de l'Afrique du Sud et Prix Nobel de la
paix.

La guerre et la propagande actuelles peuvent laisser croire qu'il n'est de terrorisme


qu'islamiste. C'est évidemment faux. Au moment même où se déroule ce conflit, d'autres

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terrorismes sont à l'œuvre, un peu partout dans le monde non musulman: celui de l'ETA en
Espagne, celui des FARC et des paramilitaires en Colombie, celui des Tigres tamouls au Sri
Lanka, etc. Hier encore, celui de l'IRA et des loyalistes en Irlande du Nord.

Comme principe d'action, le terrorisme a été revendiqué, au gré des circonstances, par presque
toutes les familles politiques. Le premier théoricien à proposer, dès 1848, une doctrine du
terrorisme est l'Allemand Karl Heinzen dans son essai Der Mord (le meurtre) dans lequel il
estime que tous les moyens sont bons pour hâter l'avènement de... la démocratie! En tant que
démocrate radical, Heinzen écrit: « Si vous devez faire sauter la moitié d'un continent et
répandre un bain de sang pour détruire le parti des barbares, n'ayez aucun scrupule de
conscience. Celui qui ne sacrifierait pas joyeusement sa vie pour avoir la satisfaction
d'exterminer un million de barbares n'est pas un véritable républicain. »

Par l'absurde, cet exemple montre que même les meilleures fins ne justifient pas les citoyens.
Ceux-ci ont tout à craindre d'une République -laïque ou religieuse - bâtie sur un bain de sang.
Mais comment ne pas craindre aussi que la chasse tous azimuts aux « terroristes» qu'annonce
Washington comme but ultime de cette guerre sans fin ne provoque de redoutables atteintes à
nos principales libertés, à l'état de droit et à la démocratie elle-même?

A Lire : Alain Gresh, Israë, Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, Paris, 2001.
Thierry Vareilles : Encyclopédie du terrorisme international. L’Harmattan, 2001. 55O pages.
Ahmed Rashid : L'ombre des talibans. Autrement, colI. " Frontières ", Paris, 288 pages.
Gilles Dorronsoro La Révolution afghane Karthala, Paris, 332 pages
Claude Meyer Perspectives stratégiques. Ellipses, Paris, 448 pages.
Jean-Luc Marret Défense et défis nouveaux. Presses universitaires de France, Paris, 180 pages.

Tours jumelles Elles avaient été inaugurées en 1972 et en 1973. Chacune d’elles comptait
110 étages La première était haute de 417 mètres, la seconde de 415 mètres. Dans le quartier
de Wall Street où elles se situaient on trouve la bourse … De nombreux consortiums
financières les occupaient. Au total, 400 sociétés représentant 25 pays ! Plus de 50 000
personnes y travaillaient. Lorsque les avions les ont abattues, c'était l'heure de pointe. Tout le
monde venait d'arriver au bureau. Mais sous les deux tours, il y avait aussi des milliers de
personnes dans le métro, dans les gares souterraines… Outre le fait qu'ils visaient un endroit
très fréquenté, les terroristes ont touché le symbole de la puissance économique américaine
dans un monde économiquement et socialement inégal. Mais les deux tours, qui ne
constituent pas à elles seules le WTC, plus vaste, étaient aussi l’image de Manhattan car elles

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étaient vues de partout dans New York ! On pouvait comparer "l'impact" visuel de ces tours à
celui de la Tour Eiffel à Paris (320 m, soit 95 mètres de moins que la plus petite tour du
WTC !)

Tute bianche " Nous entrons dans la zone rouge avec la seule arme de nos corps ", proclame
inlassablement Luca Casaroni, porte-parole de ce Mouvement, pour déclarer leur refus de la
violence. Très peu connu en France, Tuti bianchi est issu des « centres sociaux », ces lieux
occupés qui ont fleuri dans la plupart des villes italiennes à la fin de 1980. La société
officielle n’en parle que rarement, et pour les caricaturer. Cependant, les « Combinaisons
blanches » ont démontré leur capacité de mobilisation, en agrégeant autour d¹eux les
organisations de jeunesse de Rifondazione communista, Sud Ribella ( surtout Napolitain, issu
du mouvement des chômeurs et de l’autonomie), pas mal d’étrangers ( Reclaim the street,
basques, et beaucoup de petits groupes, dont la cinquantaine de membres de No Pasaran...) .

Ils ont le sens de la médiatisation, goût pour la formule, esthétisme certain dans la
protestation ? Ce groupe s’est fait remarquer depuis quelques années par ses actions «coup de
poing» et son sens de l'innovation.. Pas un jour sans que de petites délégations de journalistes
ne soient conviées ( avant les réunions du G8 ou autres) à assister à leur séances
d’entraînement, au cours desquelles ils se préparent à bloquer et à pénétrer dans les « zones
rouges », ce large périmètre d’accès interdit aux manifestants. En combinaison blanche
jetable, pour «évoquer la précarité du peuple des invisibles », plutôt que les battes de base-
ball ou les cocktails Molotov, ces adeptes du sous-commandant Marcos ont opté pour le
caoutchouc. Ils défilent derrière de « gomoni », de vieilles chambres d’air de camions reliées
entre elles par des cordages qui forment un gigantesque matelas pneumatique de protection.
Boucliers en plexiglas et casques sortent dans les grandes occasions. Fin juin 2001, ils n'ont
pas hésité à organiser un défilé anti-G8 avec des stars du porno italien.

Pour autant, les Combinaisons blanches ne font pas l’unanimité dans la mouvance
« antagoniste » italienne. Les « centres sociaux » les plus radicaux – ceux de Turin, de
Naples, de Rome, et de la Toscane – critiquent leur « opportunisme » (ils dénoncent
notamment leur participation aux élections municipales ( sous l’étiquette des Verts ou
Rifondazione communiste) et leur « hégémonie ».

Transports maritimes Le commerce mondial des biens s'est accru d'une manière
spectaculaire depuis 50 ans. L'augmentation du trafic maritime international en est le moyen

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et le reflet. Ce secteur économique utilise environ 38000 navires de plus de 300 tonneaux et
occupe 930000 marins. Sur la durée, on constate cependant que les exportations ont augmenté
beaucoup plus vite que la production mondiale (quatre fois plus vite pour la période 1990-
1997). Libre échange accru, transports intra-firmes des transnationales (un tiers des échanges
mondiaux) expliquent largement le gonflement de cette bulle commerciale.

Ces échanges effrénés ne peuvent être intéressants pour les transnationales qu'en abaissant
toujours davantage le coût du transport maritime (intermédiaire obligé pour 80% des pro-
duits). Des navires de 15 à 20 ans, déjà amortis, offrent la rentabilité maximale. Il ne faut
donc pas être surpris si, en 2002, 60% de la flotte mondiale a une moyenne d'âge supérieure à
15 ans... Mais si l'on sait que 80% des naufrages concernent ces bateaux, on se demande
comment une telle prise de risque a pu devenir la norme.

Ainsi, depuis plus de deux décennies se multiplient les naufrages de navires chargés de
pétrole brut, de fioul lourd ou de produits chimiques divers. Des pollutions sévères se
produisent, provoquant atteintes à l'environnement et crises dans les activités économiques
liées à la mer et aux côtes: pêche, ostréiculture, tourisme.

Sur les côtes de l'Atlantique et de la Manche, le phénomène s'est reproduit trois fois en trois
ans: Erika, Iévoli Sun, Prestige, pour ne retenir que les catastrophes les plus importantes. Sur
l'ensemble de la planète, il se produit en moyenne un naufrage tous les trois jours, 1 600
disparitions de marins en mer par an ; plus de 6 000 navires répertoriés comme dangereux,
circulent sur les océans malgré des multitudes de lois et conventions internationales.
Comment en est-on arrivé là ?
Vers 1985, plusieurs éléments entraînent une nouvelle donne. La vente des produits pétroliers
au marché spot (coup par coup) se développe. Le trader (courtier) devient un personnage clé
du monde maritime. Informé rapidement, payé au pourcentage, il incite à toutes les spécu-
lations, et une cargaison pourra être achetée et revendue plusieurs fois en cours de trajet! Les
compagnies pétrolières qui, jusque là, pratiquaient des activités intégrées du " puits à la
pompe ", et qui possédaient de grandes flottes, vont de plus en plus souvent faire appel à des
armateurs indépendants qui offrent plus de souplesse dans ce marché spot.
Également, le repli de la construction navale. Liée à une surproduction spéculative des années
1970 et aux incertitudes des cours pétroliers (choc de 1979, contre-choc de 1983-1985), elle
entraîne l'utilisation de bateaux vieillis. Juste au moment où, suite au naufrage de l'Amoco
Cadiz, des contraintes accrues pour améliorer la sécurité maritime se mettent en place
(Mémorandum de Paris de 1982). Le propriétaire du bateau étant responsable, les majors

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pétrolières vont fuir peu à peu leur responsabilité en externalisant leur flotte. La libre
circulation des capitaux qui se développe à ce moment-là et va permettre la généralisation
d'un système qui fera d'une pierre trois coups: souplesse, irresponsabilité, profits.
Les paradis fiscaux offrent une domiciliation, et souvent une protection judiciaire, à des
sociétés fictives intégrées dans des montages complexes que des juristes financiers mettent
tout à fait légalement en place. Achat et gestion des bateaux échappent ainsi à l'impôt. De
même que les profits! La plupart des activités du transport maritime sont segmentées dans un
entrelacs de sociétés-écrans dont on ne sait plus qui possède l'autre, ce qui permet de
contourner efficacement les réglementations.
La libre immatriculation dans des États complaisants permet un triple avantage: diminuer de
30% à 50% les frais d'enregistrement; diminuer souvent de plus de 60% les frais d'équipage;
ces pays n'exigent ni protection sociale, ni conventions collectives. C'est la porte ouverte au
recrutement d'équipages plurinationaux, sous-payés et travaillant aux limites de leur forces,
d'où de grave risques pour la sécurité; La « libre immatriculation permet également
d’échapper à de nombreux règlements internationaux (devenus contraignants et coûteux), ces
pays ne les ayant pas ratifiés. De plus, l'immatriculation d'un bateau s'obtient en quelques
heures, en présentant des certificats de classification et des contrats d'assurances obtenus... par
correspondance souvent.
Enfin, la montée en puissance des lobbies d'armateurs et des lobbies financiers et le
contournement des lois. La complaisance, qui représentait 5% du tonnage brut mondial en
1945, en représentait 30% en 1980,44,5% en 1989, et 64% aujourd'hui! Après le naufrage de
l'Exxon Valdez en 1989, Exxon, reconnue fautive, dut supporter d'énormes réparations. Les
majors se débarrassèrent alors quasiment de leur flotte. Les armateurs" indépendants" des
pays riches, sur lesquels s'exerçait la pression évidente des groupes pétroliers affréteurs (40 %
du trafic mondial), ont été les véritables acteurs de ce " nouveau transport maritime".
En fait, ce sont les armateurs européens qui possèdent et contrôlent aujourd'hui 45% de la
flotte mondiale! La première flotte du monde appartient aux armateurs grecs qui, par exemple,
utilisent 70% des immatriculations de Chypre, 63% de celles de Malte...Le Japon utilise 43%
de la flotte du Panama, en apparence première flotte mondiale.
Loin de s'opposer à ces phénomènes, les anciens grands Etats maritimes les ont accompagnés
et même imités en créant des pavillons" bis". Pour la France, le pavillon des Kerguelen (1987)
permet aux armateurs de réduire les charges sociales de 50% en employant des équipages
plurinationaux et en s'affranchissant des normes sociales françaises. Le travail précaire
devient la règle pour presque tous les marins du globe.

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Il ne faudrait pas négliger le rôle accru des banques: Le transport maritime met en jeu des
sommes énormes (ex: la cargaison d'un pétrolier de 250 000 tonnes peut valoir plus de 57
millions d'euros, la construction d'un bateau plus de 300 millions d'euros) . Les banques
jouent un rôle de financement, mais aussi de pression quand la demande d'affrètement est
forte (taux de profit de 25% espéré...). C'est le cas actuellement: en 2001, toutes les capacités
de transport disponibles étaient utilisées. Pour répondre à la demande, le marché des vieux
bateaux rafistolés, voire maquillés, se développe et permet des spéculations juteuses: l'achat et
la revente deviennent plus intéressants que l'exploitation du bateau lui-même...
C'est la " mauvaise complaisance" qui augmente les risques de catastrophes.
Dans la navigation dangereuse sont admis des fictions juridiques et complaisances à tous les
échelons, comme celle de la one ship company. Grâce à un montage financier off-shore
(Luxembourg, Suisse, Gibraltar, Panama...), une société peut se créer pour l'achat d'un seul
bateau: s'il fait naufrage, la société propriétaire, légalement responsable, fait faillite ou
disparaît, et ne peut donc rien payer aux victimes! Ce fut le cas pour l'Erika. C'est encore le
cas pour le Prestige. Il faut alors un procès (une dizaine d'années...) pour retrouver
éventuellement les véritables responsables, car les États complaisants ne mettent pas en place
les moyens de contrôle nécessaires pour établir les certificats réglementaires de navigabilité,
dont l'attribution leur incombe. Des sociétés transnationales de classification technique sont
alors mandatées pour ce faire. Mais, sans contrôle supplémentaire, par un tour de passe-passe
que beaucoup admettent, une certification technique devient un certificat de navigabilité!
Placées sous la contrainte de la concurrence, ces sociétés privées, à la fois juges et parties, ne
font que satisfaire les attentes de leurs clients: les grands armateurs, mais aussi peu à peu des
armateurs amateurs seulement guidés par le profit, et des mafieux blanchisseurs d'argent sale
qui s'insinuent tout à fait légalement dans ce système hypocrite.
Placées dans la même logique de collusion, les compagnies d'assurance accordent des contrats
sans réserve au simple vu de ces certificats complaisants... Tous poussent ainsi le risque au
plus haut point, le considèrent comme normal et porteur de profits. Comment, dès lors, faire
face à ces dérives?
A lire :

Vía Campesina Dénonçant un développement agricole inégal, cumulatif pour les uns, de
crise et d’exclusion pour les autres, et qui aboutit à la concentration croissante des ressources
productives dans les mains de l’industrie agroalimentaire, des coordinations paysannes
transnationales s’organisent peu à peu, d’abord en Amérique latine.

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Rafael Alegría, le discret secrétaire général de Vía Campesina, ne possède pas l’aura
médiatique de son ami José Bové. Pourtant, ce petit homme trapu aux traits épais et à la peau
burinée par le soleil est à la tête d’une des organisations les plus représentatives et combatives
du mouvement.

Réforme agraire et du commerce mondial, sécurité alimentaire et agriculture paysanne


soutenable, lutte contre les organismes génétiquement modifiés et pour la biodiversité, mais
aussi pour le droit des femmes - qui représentent plus de la moitié de ses effectifs -, les
thèmes défendus par Vía Campesina depuis bientôt dix ans dépassent largement le cadre des
intérêts agricoles.

A La Havane, en septembre 2001, Vía Campesina organise le premier Forum mondial


consacré à la question de la souveraineté alimentaire. A Paris, début janvier de l’année
suivante, elle réunit une vingtaine de délégués régionaux afin de préparer une campagne
contre la zone de libre-échange des Amériques. Mais c’est à Tegucigalpa, la capitale du
Honduras, pays où est né Rafael Alegría il y a 49 ans, qu’elle a installé son secrétariat et
unique organe de représentation.

Via Campesina est officiellement créée à Mons (Belgique) en 1993, « pour défendre un
modèle rural plus humain et, en particulier, le principe de la souveraineté alimentaire et le
droit de chaque nation de maintenir et d’élaborer sa propre capacité à produire ses propres
aliments de base, dans le respect de la diversité culturelle et productive ». Ce qui revient à
rejeter explicitement la règle la plus importante de l’accord sur l’agriculture de l’OMC : le
droit d’exporter. Revendiquant son implantation dans une soixantaine de pays (paysans sans
terre du Brésil, petits producteurs thaïlandais, communauté indigène au Chili ou
Confédération paysanne* en France), Vía Campesina a réussi à s’imposer en défendant l’idée
que seule une «alliance des peuples» autour des mouvements sociaux peut donner la réplique
aux institutions et aux multinationales dans la gestion des affaires de la planète,

Sans Vía Campesina, José Bové ne serait pas devenu l’effigie mondiale des petits paysans.
Quand il fait le tour de la planète pour défendre l’agriculture paysanne contre l’agrobusiness,
il s’appuie presque toujours sur le réseau de Vía Campesina. Sans ce mouvement qui compte
plus de cinquante millions de producteurs à travers une soixantaine de pays, le leader du
Larzac ne pourrait pas monter ses opérations spectaculaires, comme la destruction d’un
champ expérimental de soja transgénique appartenant à l’entreprise américaine Monsanto*.

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Vía Campesina tout comme la Confédération paysanne dénonce les subventions aux
exportations et toute autre forme de dumping qui permettent d’écouler à bas prix des produits
sur les marchés tiers. La lutte contre les OGM et le brevetage des nouvelles semences qui
contraint les paysans à acheter ce qui, jusqu’alors, faisait partie d’un patrimoine commun,
sont aussi des causes partagées entre José Bové et Rafael Alegría

Secretaria Operativa Internacional. Apartado Postal 3628, Tegucigalpa, M.D.C.


Honduras, C.A. Tel/fax: ++504. 235-9915 Tel/fax: ++504. 232-2198 E-mail: viacam@gbm.hn
http://ns.sdnhon.Org.hn/miembros/via/ ou www.viacampesina.org
Commission de coordination internationale
Egidio Brunetto, MST. Alameda Barao de Limeira, 1232 - 01202-002 Sao Paulo-SP – Brésil. Tel/fax: +
+55.11.3361.3866
Rafael Alegría Asocode, ASOCODE. Colonia Alameda, 11 Avenida (Alfonso Guillén Zelaya), entre 3 y 4
Calles, Casa 2025, Apartado Postal 3628. Tegucigalpa, M.D.C. - Honduras, C.A. Tel/fax: ++504. 235.99.15
Tel/fax: ++504. 232.21.98
A lire: Vía Campesina, une alternative paysanne à la mondialisation libérale- Ouvrage collectif. Edition du
CETIM, Genève, 2002, 256 pages.
Le Défi paysan, de Luc Guyau, Le Cherche Midi éditeur, 2000, 240 P .
Les Champs du possible: plaidoyer pour une agriculture durable, d’André Pochon (Syros, 1998, 14,48 €).
Histoire des agricultures du monde, de Marcel Mazoyer et Laurence Roudart (Seuil, 1998, 531 p, 27,44 €).

Walt Disney «Si vous n’êtes pas content, je m’en vais ». Telle est la menace que brandissent
les sociétés multinationales face aux revendications des ouvriers des entreprises sous-
traitantes du textile ou du jouet. Une menace qu’elles mettent parfois à exécution, en
prétextant appliquer leur codes de conduite. Disney est coutumier du fait. L’ami public
numéro 1est connu pour déplacer ses sites de production au gré des revendications qui
émergent dans tous les pays. Dernier cas connu : au Bangladesh, Disney a rompu un contrat
avec une usine après que les ouvrières ont établi un cahier de requêtes.

Initialement centrée sur le secteur du divertissement, cette multinationale américaine


intervient aujourd’hui dans différents secteurs : les parc à thème, le cinéma mais aussi la
production de bien de consommation dérivés comme les jouets, les produits textiles ou
certains types d’accessoires.

En 2.000, l’ensemble générés par toutes ces activités s’élevait à 25 billions de $, avec un
revenu net de près de 4 billons de $.

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Ces diverses activités commerciales sont interdépendantes les unes des autres : les biens de
consommation vendus sous l’étiquette Disney sont directement liés aux activités de
divertissement de la multinationale.

Ces produits dérivés représentent aujourd’hui une part importante des revenus de la société.
Ils sont distribués dans les magasins spécialisés, dans la grande distribution, par les fameux
magasins Disney et bien entendu dans tous les parcs d’attraction Disney.

De manière à réduire ses coûts de production, et à augmenter toujours plus ses profits,
essentiel de la production des biens de consommation Disney a été progressivement déplacée
des pays du Nord aux pays du Sud dans les années 90, à l’instar de nombreuses autres
multinationales.

Disney ne possède aucune usine de fabrication Les étiquettes de ses produits portent le plus
souvent la mention « Made in China » ou en Indonésie, en Thaïlande, au Sri Lanka, pays du
Sud où les coûts de production sont parmi les plus bas.

La multinationales compte actuellement plus de 7.800 contractants dans le monde ( 3.8OO


détiennent une licence Disney, 2.000 sont des fabricants qui produisent pour les entreprises
ayant une licence et 2000 sont des sous-traitants de Disney. Chacun de ces contractants
entretient des relations commerciales et passe des contrats avec d’autres entreprises et sites de
production. On peut ainsi estimer a plus de 50.000 le nombre d’usines produisant des bien de
consommation Disney.

Ce système d’octroi de licence présente de multiples avantages pour la multinationale :

- Il lui permet de continuer à bénéficier de la véritable manne qui représente ces produits
dérivés tant sur le plan financier, que sur celui de l’image

- sans pour autant avoir à supporter les responsabilités directes habituelles d’un fabricant ou
d’un donneur d’ordre et tout en gardant par ailleurs le contrôle sur la qualité et l’image de ses
produits.

En prenant l’exemple d’une chemise Winnie the Pooh fabriquée au Bangladesh, on constate
que le salaire d’une ouvrière représente moins de 0’7% du prix final de la chemise payée à
Disney par le consommateur (environ 18$ ). Pour vendre cette chemise, Disney dépense au
total 25 fois en publicité qu’en salaire pour l’ouvrière : Disney dépense actuellement 1, 28 $
par chemise Winnie the Pooh pour la publicité (voir Naomi Klein*). La même ouvrière
devrait travailler 210 ans pour gagner ce que Michael Eisner, Président de Disney, gagne un

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une heure : de 1997 à 2001, ce monsieur a perçu 667 millions de $ en salaire et


compensations, ce qui représente un salaire de 63 300 $ de l’heure. Ce qui est légèrement
disproportionné, étant donné que le budget de Disney n’est que quatre fois et demi plus
important que celui du Bengladesh.

Les conditions de travail sont particulièrement dures pour les ouvrières : jusqu’à 102 heures
par semaine, sans un jour de repos, pour des salires oscillant entre 4 et 8 euros la semaine,
dans un silence imposé ; une pression des contre-maîtres allant pafois jusqu’à des violences
physiques…

A lire….

Ya Basta « Nous sommes une armée de rêveurs, c’est pour cela que nous sommes
invincibles », proclament-ils, qui prônent la désobéissance civile et la lutte politique non
violente. Cela les distingue des autonomes des années 70, ainsi que des centres sociaux
autogérés, plus portés sur l’affrontement. Atomisés, rompus aux techniques de l’Internet, les
collectifs Ya Basta ( ça suffit) sont capables de mobiliser leurs sympathisants en un clin d’œil
lorsque l’actualité l’exige, et prennent un grand plaisir à déjouer les mesures de sécurité de la
police. Que ce soit à Amsterdam, à Gênes ou à Prague, à chaque grande réunion européenne,
sommet de la Banque mondiale ou du FMI, les Ya Basta ( et les Tute Bianche*) répondent
présents.

L'année 1996, le Chiapas a suscité une importante mobilisation de l'opinion internationale. À


Paris, et dans d'autres capitales européennes, naissait le collectif de soutien au Chiapas, Ya
Basta. Un slogan scandé en décembre 2000 lors du sommet européen de Nice : les militants
altermondialisation en provenance d'Italie qui furent bloqués par les autorités à la frontière
française, faisaient partie de Ya Basta ! Depuis 1996, le collectif s'est constitué un réseau au
Chiapas. Il a établi des liens avec les communautés indiennes, les zapatistes, le gouvernement
mexicain, et travaille en collaboration avec les ONG locales. Régulièrement, des bénévoles
parisiens partent vivre dans les communautés indiennes du Chiapas pour un minimum de 15
jours. De tels déplacements ne sont pas sans risques. Mais dans l'ensemble, les consignes du
gouvernement sont strictes : pas de bavures. Cela ferait mauvaise presse au Mexique, où le
tourisme est une source de revenus non négligeable. Les Ya Basta! sont connus, s'annoncent
auprès de l'ambassade, n'hésitent pas à rendre visite aux politiques mexicains, et servent
même parfois de bouclier humain entre l'armée et les Indiens dans les communautés.

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yabasta@zapata.com

Zapatisme L'Armée zapatiste de libération nationale (Ezln) est née en 1983, dans un coin
perdu de la forêt dans l'Etat du Chiapas, au sud du Mexique. Elle reprend le drapeau
d'Emiliano Zapata, principal héros de la Révolution mexicaine de 1910, à un moment où le
PRI, qui a détourné l'héritage révolutionnaire et gouverne le pays sans partage depuis des
décennies, amorce un virage néolibéral. Elle relance le projet d'une guérilla à un moment où
le modèle socialiste commence à se décomposer à travers le monde. "Ces premières années,
83-85, sont des années de grande solitude. Nous apprenons à vivre dans la montagne, à
combattre et attendre qu'un jour la révolution éclate au Mexique". (…) C'était l’'île de
Robinson Crusoé, ici, mais il n'y avait personne à qui lancer des bouteilles, pas de Vendredi,
rien. Cette guérilla était seule" (RZ, 123-125)12.

La solitude augmente avec la chute du mur de Berlin, la défaite électorale des sandinistes, la
fin des guérillas centraméricaines, les difficultés du régime cubain. "Pour nous, ça voulait
dire le désert total. On était dans la montagne, en pleine solitude. (…) On n'avait plus aucun
point d'appui, même moralement. (…) Mais le pire c'était ce qui venait après, les murs que le
capitalisme mondial édifiait sur les ruines de celui-là : le monde unipolaire, globalisé, les
frontières qui se diluent pour le capitalisme et les marchandises et se multiplient pour les
êtres humains…" (RZ, 267-268).

Pourtant la mobilisation se renforce à partir de 1989, en réaction aux agressions de l'économie


de marché et du pouvoir néolibéral. "Maintenant, avec le recul, je me rends compte que cela
coïncidait avec des événements extérieurs dont on n'avait pas idée. Ça aurait dû nous
intriguer que notre projet de lutte armée, de changement social, même sans connotation
socialiste, acquière un tel écho, quand tout semblait démontrer que la lutte armée n'avait plus
aucun sens. (…) Il y a aussi la chute des prix du café et l'apparition d'épidémies très graves
dans la selva … des centaines d'enfants sont morts en quelques semaines… Ce n'était pas
nous qui convainquions les gens, en réalité ce qui les a surtout décidés, c'est la réforme
Salinas à l'article 27 : arrêt définitif de la répartition de terres, transformation de toutes les
terres, même celles des ejidos, en marchandises, à vendre ou à acheter13. Il ne restait plus que
la lutte armée" (RZ, 150).

12
Yvon Le Bot, Sous-commandant Marcos. Le rêve zapatiste, Paris, Seuil, 1997, p. 123-125. Dans la suite du
texte les citations de Marcos marquées RZ sont empruntées au même ouvrage.
13
Le gouvernement Salinas fait promulguer en 1992 une révision de l'article 27 de la Constitution, clé de voûte
de la réforme agraire depuis la Révolution mexicaine.

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Ce qui a assuré la croissance du mouvement, c'est sa rencontre avec des communautés


indiennes, avec des fractions dissidentes des communautés, des Indiens qui relèvent la tête
après cinq siècles de soumission, de résistance silencieuse et de rébellions écrasées. La révolte
zapatiste s'inscrit dans le mouvement continental contre la célébration de la "première
mondialisation", inaugurée par Christophe Colomb. "En 1992, c'est la célébration du
cinquième centenaire de la Découverte de l'Amérique, avec de grandes fêtes officielles. Nous
n'avions pas encore compris à quel point la Conquête reste importante et chargée de sens
pour les communautés indiennes. Au sein du mouvement indien local, sans doute aussi
national, on observe une espèce de fermentation, un besoin de s'exprimer que nous mettons
du temps à percevoir. Ils décident qu'il faut commémorer les cinq cents ans en rappelant la
réalité, la leur : cinq siècles de résistance contre la domination" (RZ, 158)

L'Accord de libre-échange nord-américain (Alena), unissant Etats-Unis, Canada et Mexique,


entre en vigueur le 1er janvier 1994. Pour le gouvernement Salinas, c'est la consécration d'une
politique d'insertion du pays dans l'économie de marché, le pas décisif pour son entrée dans le
premier monde. C'est le jour que choisissent les zapatistes pour se soulever. Les combats
durent douze jours et font quelques centaines de morts. Mais ces guérilleros ont pris les armes
pour prendre la parole et non le pouvoir.

Au pouvoir qui s'efforce de réduire le mouvement à un soulèvement indien local en 1996,


limité à quelques communautés du Chiapas, ils opposent une volonté de combiner dignité
indienne et lutte pour la démocratie au Mexique, une demande de respect des identités dans
l'égalité. Leur voix porte bien au-delà des frontières. "Nous sommes tous égaux parce que
nous sommes différents" déclare l'Indienne Ana María dans son discours de bienvenue aux
"frères et sœurs d'Asie, d'Afrique, d'Océanie, d'Europe et d'Amérique" qui, répondant à
l'invitation zapatiste, affluent au Chiapas en juillet 1996 pour participer à la "première
rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme", appelée aussi
"rencontre intergalactique". Ce qui était déjà présent dans le soulèvement du 1er janvier 1994
devient alors explicite : le mouvement est la première insurrection déclarée contre la
mondialisation néolibérale.
"L'écho de cette voix rebelle", "le réseau de voix qui naissent en résistant et qui reproduisent
cette résistance à travers d'autres voix, jusqu'alors muettes et solitaires", que Marcos appelait
de ses vœux dans le discours de clôture de la rencontre de 1996, ont pris une étonnante
ampleur, quelques années plus tard, avec les rassemblements de Seattle, Porto Alegre, Prague,
Gênes, Barcelone, Florence, Evian, Saint-Denis…

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Les zapatistes, cependant, ne sont pas directement présents dans ces mobilisations. Soumis
eux-mêmes à une guerre d'usure et de harcèlement par le régime finissant du PRI (l'expression
la plus sanglante en fut le massacre d'Acteal en décembre 1997), ils analysent la
mondialisation néolibérale comme une "quatrième guerre mondiale" (la troisième ayant été la
guerre froide), celle que livre le capitalisme financier à l'humanité entière. Ils tentent de
résister. "Nous ne sommes ni les meilleurs ni les seuls : il y a aussi les Indiens de l'Equateur
et du Chili, les manifestations à Seattle et à Washington (et celles qui suivront)."14 Mais ils
parviennent de plus en plus difficilement à briser l'encerclement.
La défaite du PRI aux élections présidentielles de juillet 2000 et l'offre du nouveau président,
Vicente Fox, de relancer le processus de paix suspendu depuis quatre ans, permet aux
zapatistes de rebondir sur la scène nationale et mondiale avec l'initiative d'une "marche
indienne pour la dignité". La caravane pacifique qui se déploie depuis le Chiapas jusqu'à
Mexico en février-mars 2001 consacre leur éloignement du guévarisme. Ils ont laissé les
armes derrière eux, dans les communautés, et ils les ont remplacées par un feu roulant de
paroles neuves. On pense à la marche sur Washington animée par Martin Luther King dans
les années 60, à ceci près que, plutôt que d'une marche pour les droits civiques, il s'agit d'une
marche pour les droits culturels, refoulés par le jacobinisme à la mexicaine, et pour la
diversité culturelle, menacée par la mondialisation néolibérale.
"Je suis zapatiste, mais cela n'importe pas en ce moment. Je suis indienne et je suis femme, et
c'est la seule chose qui importe en ce moment". Les paroles de la comandante Ester devant le
Congrès de la nation constituent le point culminant de cette marche qui a remis, pendant
quelque temps, la question indienne au cœur du débat national et lui a redonné un écho
international. Des centaines de sympathisants, de nombreuses personnalités politiques et
culturelles sont venues de l'étranger, d'Europe notamment, redire leur soutien15. Le zapatisme
se prépare à prendre la place qui lui revient dans le mouvement altermondialiste.
Mais un mois après avoir reçu la délégation zapatiste, le Congrès vote une "loi indigène" qui
dénature le projet qu'elle était venue défendre. Un ressort est cassé. Les porte-parole du
mouvement, retournés au Chiapas, s'enferment dans un long silence.

14
Cf. Sept pièces éparses du casse-tête mondial et Oxymoron, publiés en français dans Le Monde diplomatique
sous les titres "La quatrième guerre mondiale a commencé" (août 1997) et "La droite intellectuelle et le fascisme
libéral" (août 2000). Lire aussi les Conversations d'Ignacio Ramonet avec le sous-commandant Marcos, Marcos.
La dignité rebelle, Paris, Galilée, 2001.
15
Mais c'est à des enfants de Belleville, membres de la compagnie de théâtre Tamèrantong !, invités eux aussi
par Marcos, et aux représentations de Zorro, el zapato, une comédie musicale de leur création, que le public
mexicain et les zapatistes réservent l'accueil le plus chaleureux et le plus émouvant. L'aventure a eu un
prolongement en avril 2003 : avec des enfants de Mantes la Jolie, la même compagnie a donné des
représentations de la pièce au Chiapas et notamment dans la communauté zapatiste d'Oventic.

485
486

Marcos en sort fin 2002 en proposant une rencontre entre les différents protagonistes du
conflit basque. Il dira plus tard qu'il s'agissait de sortir le zapatisme de l'impasse dans laquelle
l'a plongé le rejet de ses demandes par les autorités mexicaines. L'initiative est un fiasco et,
même si aucune déclaration, aucun texte ne permet de parler de soutien zapatiste à l'ETA,
l'appui proclamé à la "noble cause basque" a créé un profond malaise que la cinglante fin de
non recevoir adressée à Marcos par l'organisation militaire basque n'a pas suffi à dissiper.

Les zapatistes ont toujours rejeté les accusations d'indépendantisme, ils ont tenu à se
démarquer des communautarismes, des ethnonationalismes et des méthodes terroristes. A la
veille de la marche sur Mexico, Marcos pointait les dangers de "la résistance de type
fondamentaliste, qu'elle soit religieuse ou ultranationaliste. Ces résistances, précisait-il,
s'opposent aussi à la mondialisation, mais en s'inspirant de bases ethniques, culturelles,
linguistiques ou religieuses. « Ce fondamentalisme prétend construire un monde, mais un
monde composé de petites îles, un archipel, où chaque seigneur local est un cacique, le roi de
tout. « Je pense aux mouvements fondamentalistes religieux qui étaient naguère limités,
semble-t-il, à l'Asie ou au Proche-Orient, mais qui maintenant s'étendent à l'Europe et aux
Etats-Unis. On trouve, parmi eux, des mouvements ultranationalistes fanatiques, qui peuvent
commettre des attentats meurtriers au nom de leurs valeurs et qui proposent une réponse à la
globalisation tout aussi absurde, dogmatique et irrationnelle. Ces fanatiques affirment : ici,
dans ce petit îlot, ne peuvent vivre que ceux qui sont comme moi. Et ce "qui sont comme moi"
signifie bien des choses, pas seulement une allusion à des traits physiques irrémédiables
comme la couleur de la peau, des yeux et des cheveux, mais également à l'origine ethnique, la
langue, la religion, etc. Ce dogmatisme religieux ou nationaliste prétend parfois être une
forme de résistance à la globalisation, quand, en réalité, il n'est qu'une manifestation
d'intolérance, d'obscurantisme et de sectarisme."16

Pourquoi, dans ces conditions, les zapatistes ont-ils, avec l'initiative basque, couru le risque
d'être assimilés à une lutte qui présente les caractéristiques de ce qu'ils dénoncent et se situe
aux antipodes de la leur ? Panne de sens, déprime, incident de parcours ?
Le coup d'arrêt porté au mouvement après la marche de 2001 s'inscrit dans la perspective
d'une inflexion générale de la situation mondiale consacrée, de manière spectaculaire,
quelques mois plus tard, par les attentats de New York et de Washington. Depuis,
contrairement à de nombreux pronostics, les zapatistes n'ont pas relancé la lutte armée, mais

16
Conversations d'Ignacio Ramonet avec le sous-commandant Marcos, op. cit., p. 45-46.

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les raidissements sensibles dans leurs discours et leurs conduites font écho aux crispations
d'une scène internationale de plus en plus encombrée de logiques guerrières. A Washington,
des stratèges évoquent à leur tour la "quatrième guerre mondiale", même s'il ne s'agit pas de
celle dont parlait Marcos, mais de la guerre que mènent les Etats-Unis contre le terrorisme et
au Proche-Orient. Au retour à la violence impérialiste correspondent des régressions, un
regain des violences anti-impérialistes, dont les plus efficaces et les plus brutales relèvent de
"cette autre résistance de type fondamentaliste, religieuse ou ultranationaliste".
Dans le même temps cependant, des forums de Porto Alegre au "village intergalactique"
d'Evian, on a vu se consolider le mouvement altermondialiste, et notamment des courants
dont l'inspiration, les méthodes et les manifestations sont opposées à la logique de guerre et
proches de celles des zapatistes. Le rêve zapatiste est rêvé sur les cinq continents. L'ancrage
social et la créativité culturelle dont, depuis le soulèvement de 1994 jusqu'à la marche de
2001, les zapatistes ont donné de multiples preuves les met, plus que d'autres, en position
d'apporter un contenu concret à ce rêve et à ce mouvement.

A lire : A lire : Danielle Miterrand. Ces hommes sont avant tous nos frères.
Jérôme Baschet, L'étincelle zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire, Paris, Denoël, 2002.
Ezln, Ya Basta !, Paris, Dagorno, 2 vol., 1994 et 1996.
Ezln, Chroniques intergalactiques. Première rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le
néolibéralisme, Paris, Aviva Presse, 1997.
Ezln et divers auteurs, La fragile armada. La marche des zapatistes, Paris, Métailié, 2001
Yvon Le Bot, Sous-commandant Marcos. Le rêve zapatiste, Paris, Seuil, 1997.
Yvon Le Bot (sous la direction de), Indiens. Chiapas>Mexico>Californie. Un monde fait de tous les mondes,
Harmonia Mundi, 2002.
Aurore Monod (sous la direction de), Feu maya : le soulèvement maya, Paris, Survival international France,
1994.
Ignacio Ramonet, Marcos. La dignité rebelle, Paris, Galilée, 2001.

ZLNA. L’élection de M. Vicente Fox au Mexique, mettant un terme à soixante-dix ans de


pouvoir du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) ; l’intromission américaine, à travers le
Plan Colombie, dans le pays du même nom ; la débandade de M. Alberto Fujimori au
Pérou...ces événements occultent les négociations discrètement menées pour mettre en place,
en 2005, une zone de libre-échange américaine. L'objectif stratégique des Etats-Unis est de
former le plus grand marché du monde, mais surtout d'asseoir leur hégémonie sur cette partie
du monde.

Concentré des pires aspects du défunt AMI, extension à l'ensemble du continent des règles de
l'Alena*) - qui a déjà ruiné l'agriculture mexicaine -, ce projet, voulu par Washington, est si

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peu présentable aux sociétés du reste de l'hémisphère que même leurs Parlements n'en ont pas
eu connaissance.

Appelé au départ « Initiative pour les Amériques », il a été dévoilé par le présidente
républicain George Bush en juin 1990, et relancé à l’instigation du démocrate William
Clinton, qui convoqua un premier Sommet des Amériques à Miami en décembre 1994, once
mois après l’entrée en vigueur de l’ALENA*. Le projet des Amériques prévoit
l’approfondissement d’une intégration multiple, et pas seulement économique ou
commerciale, entre trente-quatre pays du continent dont le chef d’État ou de gouvernement
élu selon les règles des pays dits démocratiques, une exigence qui sert à exclure Cuba des
discussions.

Celles-ci devraient être achevées en 2005. Washington estime que la ZLEA ouvrira une
nouvelle ère de coopération en rapprochant, pour la première fois, les deux moitiés de
l'hémisphère autour d'un projet commun. Une partie des cadres dirigeants latino- américains
partagent ce point de vue. Garantir l'accès à long terme au marché nord-américain et favoriser
les investissements étrangers est un objectif-clé pour les petits pays de la zone (sur 34 Etats,
24 sont considérés comme des économies de taille réduite).

Aussi surprenante qu'elle puisse paraître sur un continent où l'agressivité commerciale et


l'hégémonie des Etats-Unis font des ravages, cette attitude s'explique par les difficultés
accumulées dans le passé. Echec du modèle antérieur de développement autocentré ; crise de
la dette au début des années 80, entraînant l'adoption d'une politique ultralibérale
(dérégulation, privatisations, libéralisation des échanges) ; faible complémentarité des
économies rendant plus difficile une stratégie de développement commune. Ce passif affaiblit
la crédibilité d'un projet d'intégration proprement sud-américain.

Ce projet de zone de libre-échange n'est pas étranger aux préoccupations sécuritaires de


Washington. Depuis la fin de la guerre froide, en 1991, il s'agit de maîtriser de nouvelles
menaces : trafic de drogue, blanchiment de l'argent sale, migrations illégales, terrorisme,
atteintes à l'environnement... Les mécanismes de contrôle policier, la surveillance aux
frontières, plus généralement la sécurité du continent - et donc du commerce et des intérêts
américains - sont partie prenante du plan d'action adopté. La lutte contre le narcotrafic est un
excellent moyen de pression sur les gouvernements de la région et permet une présence
américaine accrue. Les efforts de Mme Madeleine Albright pour impliquer le plus grand

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nombre de pays de la région dans le Plan Colombie - supposé destiné à lutter contre le trafic
de drogue mais dirigé, en fait, contre la guérilla des Forces armées révolutionnaires de
Colombie (FARC) - illustrent cette volonté. Le rôle de l'Organisation des Etats américains
(OEA) est revalorisé. Sa charte, réformée par le Protocole de Washington en 1992, prévoit un
« droit d'ingérence » à l'intérieur des frontières nationales en cas de crises politiques ou
d'interruption des évolutions démocratiques.

De leur côté, des organisations non gouvernementales américaines ou des groupes de défense
de l'environnement dénoncent les entreprises multinationales américaines et canadiennes qui
voient l'Amérique latine comme une opportunité où l'on peut profiter des bas salaires et de
règles moins contraignantes en matière d'environnement et de santé. Négociations
discrètement menées pour mettre en place une zone de libre-échange panaméricaine.
L'objectif stratégique des Etats-Unis est de former le plus grand marché du monde, mais
surtout d'asseoir leur hégémonie sur le continent. En tant que partie d’une stratégie de
contrôle direct économique, politique et militaire des États-Unis dans la région latino-
américaine, cet organisme cherche à détruire l’appareil étatique en déréglant les secteurs tels
que l’éducation, la santé, l’accès aux services sanitaires (eau, énergie.) En les privatisant il
rendrait vulnérable les secteurs plus pauvres. La négociation pour la construction de de ce un
marché unique, la Zone de libre-échange des Amériques, amorcée à Miami par 34 pays à
l'exception de Cuba en 1994, a été confirmée à Santiago du Chili en 1998. Elle devrait être
achevée en 2005. Washington estime que la ZLEA ouvrira une nouvelle ère de coopération en
rapprochant, pour la première fois, les deux moitiés de l'hémisphère autour d'un projet
commun. D'après la secrétaire américaine au commerce, Mme Charlène Barchevsky, « les
exportations [en direction de l'Amérique latine] ont triplé de 1990 à 1996. En 1996, elles ont
augmenté deux fois plus que le commerce américain avec le reste du monde. Pour les Etats-
Unis, l'Amérique latine est un marché plus important que l'Union européenne ». On comprend
que l'objectif américain soit de libéraliser davantage les économies continentales où les
marchés sont encore très protégés. « On peut comparer la ZLEA à une version adaptée XXIe
siècle de la doctrine de Monroe, affirment les professeurs Victor Bulmer-Tomas et Sheila
Page, « le succès des négociations (...) renforcerait indiscutablement les liens économiques
puis politiques entre les pays d'Amérique latine et les Etats-Unis et affaiblirait les échanges
commerciaux avec l'Union européenne. »

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C'est donc au nom de l'établissement d'une « bonne gouvernance régionale », prônée par les
institutions financières internationales, que Washington propose de démanteler les barrières
commerciales dans l'ensemble de l'hémisphère. En fait, il s'agit de conforter un projet
économique planétaire, dont l'Amérique latine n'est qu'un des éléments, afin de faire
progresser un programme commercial plus adapté aux firmes multinationales. En effet, si le
point de vue américain prévaut, « la ZLEA peut être vue comme un effort pionnier destiné à
façonner la prochaine génération des accords de l'Organisation mondiale du commerce».

Une fois mis en place, ce gigantesque marché hémisphérique pourrait faire des Amériques
« un espace économique totalement ouvert à la libre circulation des marchandises et des
capitaux, et donner à cet espace le cadre normatif d'un nouveau modèle d'intégration ».
Pourtant, l'expérience du Mexique depuis l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena)
montre que l'ouverture commerciale vis-à-vis d'un pays ayant un niveau de développement
très supérieur provoque une désindustrialisation, la liquidation de pans entiers de l'agriculture
traditionnelle et un accroissement des inégalités sociales. Etant entendu, par ailleurs, qu'il ne
saurait être question de la libre circulation des personnes.

Lire : Christian Deblock, Dorval Brunelle, Le projet de zone de libre-échange des Amériques, un régionalisme
en trois dimensions,, in Amérique latine 2000. Paris.

Olivier Dabène, Le Mercosur et la zone de libre-échange des Amériques : vers la convergence ? , Amérique
latine 2000, La Documentation française, Paris.

François d'Arcy, Brésil : L'entrée à marche forcée dans la mondialisation, La Documentation


française, Paris, 2000.

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