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Droit international du

développement
Dans la même collection
Série Points chauds
Colloque de Paris, janvier/février 1981
Le refus de l'oubli
(la politique de disparition forcée de per sonnes)
Abdelkader Maachou
L'OPAEP et le pétrole arabe
Marcel David
La solidarité comme contrat et comme éthique
Institut international d'études sociales
Université et développement solidaire
Série Manuels BL
Madjid Benchikh
Droit international du sous-développement
Edmond Jouve
Relations internationales
du Tiers monde et droit des peuples
(3e édition à paraître)
Série Documents et Essais
Maurice Torrelli
Le médecin et les droits de l'homme
Mondes en devenir
Collection dirigée par Edmond Jouve
Série Manuels BL
1

MohamedBennouna
agrégé des facultés de droit
professeur aux universités de Rabat et de Nice

Droit international
du développement
Tiers monde
et interpellation du droit international

Berger-Levrault
© Berger-Levrault, janvier 1983
229, boulevard Saint-Germain, 75007 PARIS
ISBN 2-7013-0499-7
MONDES EN DEVENIR
Collection dirigée par Edmond Jouve

Lemonde d'aujourd'hui est secoué par des mouvements d'une


rare ampleur. Les institutions les plus assurées vacillent. Les
modèles les plus universels se disloquent. Les inquiétudes les plus
vives s'emparent de l'esprit humain.
Hier arrogants et sûrs d'eux-mêmes, les pays industrialisés pré-
sentent désormais un visage marqué par les stigmates de la crise et
de la peur. Le Tiers Monde s'enlise. Son avenir s'obscurcit. Les
échecs s'accumulent.
Aurions-nous oublié que «toute espérance est un risque»?
Que la légende et la chanson de geste ne sauraient tenir lieu d'His-
toire ? Que demain est riche de promesses ?
Des réalités nouvelles se font jour? Qu'on les analyse. Les
Etats cherchent un nouveau souffle? Qu'on scrute la conscience
toute neuve des peuples. Le pessimisme étend son empire? Qu'on
le fasse céder.
La collection Mondes en devenir et ses trois séries ont pour
ambition de se faire l'écho de ces mutations et de ces espérances.
La série Manuels B.-L. accueille, en particulier, des ouvrages
rédigés par des universitaires du Tiers Monde.
La série Points chauds se propose de révéler au public le plus
large les institutions, les événements, les hommes et «les milliers
d'inconnus dont les noms même sont perdus».
La série Documents et essais offre au lecteur des matériaux et
des clés pour tenter de rendre intelligibles nos Mondes en devenir.
Tous ces livres sont autant de témoignages sur notre époque,
sur ses germinations, sur son impatience à voir fleurir «les flam-
boyants de l'avenir».
Ils veulent faire entendre ce que Julio Cortázar nomme volon-
tiers «les voix venant de tous les quadrants de la rose des vents ».

E. J.
INTRODUCTION

MUTATION DU DROIT INTERNATIONAL


ET DÉVELOPPEMENT

Le diagnostic de « crise » est partagé par tous les analystes des


relations internationales contemporaines, mais là s'arrêtent probable-
ment leurs convergences, tant s'opposent et les explications de la
«crise »et, en conséquence, les remèdes proposés pour en sortir.
Les aspects de cette «crise » ont été diversement exposés et
appréciés ; ils tiennent principalement à l'universalisation de l'Etat
souverain et à la participation des peuples non européens au système des
relations internationales (au-delà de l'acception géographique, l'Europe
englobe également, dans un sens géopolitique, les pays occidentaux).
La crise actuelle est multiforme, rampante et évolutive en fonction de
l'état des contradictions et des rapports de force, mais elle trouve son
origine et sa continuité dans l'émergence des peuples du Tiers monde, de
tous les laissés-pour-compte de la révolution industrielle et commerciale
(fin XVIII début XIX siècle) qui a déséquilibré durablement le rapport
de forces mondial au profit des peuples de civilisation européo-chrétien-
ne.
Les économistes et les politologues furent les premiers à tenter
d'appréhender ce phénomène en renouvelant leurs instruments d'analyse
et leurs approches théoriques ; les juristes, plus sensibilisés aux
exigences de la stabilité et «conservateurs » par profession, ont été
relativement plus lents à prendre en considération le grave problème du
sous-développement.
Le droit international était marqué, il est vrai, par un extrême
formalisme, considéré comme la meilleure protection de la sacro-sainte
souveraineté, mais couvrant en fait du voile de la légalité toutes ses
manifestations. Apprécier, critiquer étaient autant d'attitudes condamna-
bles qui relevaient de la basse politique.
Les timides remises en cause des Etats latino-américains étaient
soigneusement isolées en tant qu'expression d'un droit latino-américain
particulier qui ne pouvait ébranler l'édifice, tout comme était reléguée,
au niveau d'une simple contestation politique, la critique marxiste
élaborée par le premier Etat socialiste après 1917 (1).
L'apparition de nouveaux Etats socialistes au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale et surtout le vaste mouvement de décolonisa-
tion ont permis à des peuples, réduits jusque-là au silence et à
l'inexistence juridique, de condamner le droit établi et la doctrine
chargée de l'étayer. Dès lors, les juristes classiques, qui se recrutaient
principalement en Occident, ne pouvaient plus persister dans le confort
d'un positivisme intégral.
Le premier effort de réflexion a consisté simplement à mettre les
principes du droit classique à l'épreuve de l'intrusion de nouveaux sujets
du droit. Désormais le droit procédural devait tenir compte de
l'influence des «Etats nouveaux »qui cherchaient dans unpremiertemps
à asseoir leur indépendance politique. L'adaptation s'est faite sans trop
de heurts car la stratégie néocolonialiste faisait en sorte que cela ne
s'accompagne d'aucun sacrifice matériel, ni perte de privilèges économi-
ques de la part des puissances dominantes. Il convenait simplement de
s'habituer à des conférences internationales plus colorées, plus longues
et plus houleuses.
Les échos de la misère et des souffrances duTiers monde parvenaient
bienjusqu'au nord de la planète, mais l'assistance internationale calmait
les consciences des uns et des autres ainsi que les appétits des élites
locales du sud auxquelles était inoculé le virus du superflu.
La division nord-sud pénétra progressivement dans le vocabulaire
courant, au moment où se dissipaient les effets de l'assistance-anesthésie
et que s'imposait à l'évidence la nécessité de réformes de structure. Les
puissances industrielles, ayant toujours l'initiative, ont compris la
nécessité de consentir à des aménagements du cadre ancien pour éviter
son éclatement. La Conférence des Nations-unies sur le commerce et le
développement (CNUCED) sera l'occasion en 1964 (Genève - 23
mars-16 juin 1964) d'engager une opération d'amendement des règles
régissant les relations commerciales internationales. C'est dans ce
contexte qu'est apparue l'expression «Droit international du développe-
ment (DID) »dont la paternité est attribuée à A. Philip, représentant de
la France à la première CNUCED, qui prend bien soin de souligner cette
relation :
(1) M. Bedjaoui, Pour un nouvel ordre économique international, éditions UNESCO,
Paris 1979, p. 262.
les pays en voie de développement souffrent de leur misère, de leur retard et ont
envie d'entrer dans la vie économique moderne, ce qui leur pose une série de
problèmes de modernisation, d'investissement, de planification, de réorganisa-
tion de leurs structures qui ne sont pas dans notre sujet actuel. Ce qui importe,
par contre, pour nous pays industrialisés, c'est de voir ce que nous pouvons
faire sur le plan d'une organisation commune et de la naissance d'un droit
international du développement. Or la difficulté essentielle, c'est que la structure
présente des échanges internationaux, non seulement ne peut pas résoudre les
problèmes de ces pays, mais porte la plus grande responsabilité dans le retard
de leur développement économique ; c'est toute cette structure qui doit être
repensée en commun dans le cadre d'un système international (2).
Simultanément le professeur Virally tentera de conceptualiser
l'expression dans une étude parue à l'AFDI en 1965 (3).
Interventionniste, le DID ne sera pas adopté spontanément par la
doctrine anglo-saxonne méfiante, par tradition, à l'égard de toute
approche cartésienne et volontariste du droit. Initié par le monde
industrialisé, le DID rencontrera la réticence des auteurs du Tiers monde
qui craignent la naissance d'un «droit des autres, d'un droit du ghetto »
(4).
Bien que pour des raisons différentes, ces deux courants préfèrent
généralement parler des implications ou des aspects juridiques du
Nouvel ordre économique international (5). C'est que, dix années après
la réunion de la première CNUCED, la sixième session extraordinaire
de l'assemblée générale des Nations unies adoptait (le 1 mai) la
déclaration sur l'instauration d'un NOEI, qui consacrait la radicalisa-
tion des positions du Tiers monde et, corrélativement, l'échec relatif de
l'expérience d'aménagement intentée au cours de la décennie 1960.
Le débat sur le droit international du développement reste ouvert et
il s'amplifie même au fur et à mesure de l'élargissement du champ
d'action du droit international. Sans nier les ambiguïtés inhérentes à
toute terminologie, ce débat traduit à notre avis une réalité juridique
nouvelle qu'il importe de cerner scientifiquement.

(2) A. Philip, «Les Nations unies et les pays en voie de développement »in L'adapta-
tion de l'ONU au monde d'aujourd'hui, Colloque international de Nice, 27-29 mai 1965,
Paris éditions Pedone, 1965 p. 131-132.
(3) M. Virally, Vers un droit international du développement. AFDI, 1965, p. 3-12.
(4) M. Bedjaoui, Pour un nouvel ordre économique international, op. cité, p. 261.
Et A. Mahiou «Les implications du Nouvel ordre économique international et le droit in-
ternational » in Droit international et développement. Colloque d'Alger, 11-14 octobre
1976, SNED, Alger 1978 p. 309-343.
(5) A. Mahiou, op. cité.
1
TIERS MONDE
ET DROIT INTERNATIONAL

Si l'expression «Tiers monde »a connu un grand succès auprès des


analystes des relations internationales, c'est qu'elle s'est révélée
probablement irremplaçable pour rendre compte decertaines des réalités
du monde contemporain. L'apparition de l'expression en 1956 (6) est
pratiquement concomittante à l'accélération des mouvements de
libération des peuples sous domination coloniale. La première conféren-
ce «des peuples de couleur »s'est tenue à Bandœng (Indonésie) en avril
1955. Il était naturel que le Tiers monde se confonde rapidement avec la
contestation du droit international classique qui a servi précisément à
légitimer la domination coloniale et l'impérialisme. Les «nouveaux
Etats »se devaient de mieux asseoir leur souveraineté en revendiquant
une épuration minutieuse du droit existant (7). Les promoteurs
afro-asiatiques (de là vient l'expression de «nouveaux Etats »utilisée en
doctrine) seront rejoints par les latino-américains dont l'indépendance,
bien que plus ancienne (premier quart du XIX siècle), était restée
formelle et limitée du fait des interventions incessantes de l'impérialisme
nord-américain dans l'hémisphère occidental considéré comme une
«chasse gardée ».
La composante psychologique et culturelle est certainement la
meilleure caractéristique du Tiers monde qui, tout en étant très
hétérogène, parvient, du fait de cette sensibilité commune, à exprimer des
(6) Selon E. Jouve, Relations internationales du Tiers monde et droit des peuples. Edi-
tions Berger-Levrault, 1979, p. 13, «la paternité de l'expression Tiers-monde n'est pas
établie avec certitude. On considère pourtant qu'Alfred Sauvy en serait l'inventeur, ce
terme créé en 1956... »L'auteur se réfère à l'ouvrage de G. Balandier et autres, Le Tiers-
monde, sous-développement et développement, Paris, PUF, 1956, p. 369.
(7) Milan Sahovic, Influence des Etats nouveaux sur la conception du droit internatio-
nal. AFDI, 1966, p. 30-49. A. Colin «Le rôle des Etats nouveaux dans les transforma-
tions du droit international» Annales africaines, Pedone 1975 p. 11-23.
attitudes solidaires lorsqu'il s'agit de résister à l'oppression des
puissances d'hier et d'aujourd'hui (8). Le Tiers monde est donc porteur
d'un courant de «démocratisation » des relations internationales et il
exercera ainsi une influence sur l'évolution du droit international dans le
sens d'une plus grande égalité des chances et d'une meilleure protection
des pays démunis.
Le Tiers monde issu de l'émergence des peuples dépourvus de
structures étatiques, a œuvré tout d'abord pour la consécration, en droit
positif, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La déclaration
1514 (XV) sur «L'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux », adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 14
décembre 1960, a marqué une coupure très nette par rapport au système
initial de la charte des Nations unies qui organisait le phénomène
colonial dans deux de ses chapitres intitulés : «Déclaration relative aux
territoires non autonomes » (XI) et «Régime international de tutelle »
(XII). La déclaration de 1960 va plus loin que la simple condamnation
du colonialisme «sous toutes ses formes », elle appelle à des mesures
concrètes :
des mesures immédiates seront prises dans les territoires sous tutelle, les
territoires non autonomes et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé
à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires
sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux
librement exprimés, sans aucune distinction derace, decroyance oudecouleur,
afin de leur permettre dejouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.
Le Tiers monde allait agir simultanément sur la scène diplomatique,
en organisant l'assistance aux mouvements de libération nationale et sur
le terrain juridique en initiant une codification, une relecture juridique
des grands principes de droit international, inscrits à l'article 2 de la
charte des Nations unies.
La déclaration 2625-XXV du 24 octobre 1970 sur «les principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
les Etats » est considérée généralement comme une interprétation
authentique de la charte ; elle a permis ainsi de prendre en compte
l'apport des pays du Tiers monde, désormais majoritaires au sein de
l'organisation universelle sans avoir participé à l'élaboration du traité
constitutif.
Bien qu'elle se soit prononcée à maintes reprises, dans le passé, en
(8) Notre contribution sur «Tiers monde et autodétermination » in Le droit a
l'autodétermination. Presses d'Europe, 1980 p. 83-94.
vertu du droit colonial (9), la Cour internationale de justice a pris acte,
en 1971, de l'évolution normative, dans son avis consultatif sur
les conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique
du sud en Namibie (sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du
conseil de sécurité.
La Cour a déclaré notamment :
En outre, l'évolution du droit international à l'égard des territoires non
autonomes tel qu'il est consacré par la Charte des Nations unies a fait de
l'autodétermination un principe applicable à tous ces territoires ... Une autre
étape importante de cette évolution a été la déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) de
l'assemblée générale en date du 14 décembre 1960) applicable àtous les peuples
et à tous les territoires «qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance ... Dans
le domaine auquel se rattache la présente procédure, les cinquante dernières
années ont marqué, comme il est dit plus haut, une évolution importante. Du
fait de cette évolution, il n'y a guère de doute que la «mission sacrée de
civilisation » avait pour objectif ultime l'autodétermination et l'indépendance
des peuples en cause. Dans ce domaine comme dans d'autres, le corpusjuris
gentium s'est beaucoup enrichi, et pour s'acquitter fidèlement de ses fonctions,
la Courne peut l'ignorer (Avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ, Recueil 1971
§ 52 et 53).
Le principe de l'autodétermination est considéré dorénavant comme
le fondement de l'existence étatique. L'effectivité d'un pouvoir sur un
territoire ne lui confère droit de souveraineté que dans la mesure où
celle-ci est présumée conforme au principe de libre détermination.
Autrement il ne pourrait s'agir que d'un fait accompli, d'un rapport de
forces. Partant de cette nouvelle exigence de légalité internationale, les
Nations unies ont appelé, par exemple, tous les Etats à ne pas
reconnaître le pouvoir minoritaire rhodésien issu de la déclaration
unilatérale d'indépendance le 11 novembre 1965 (10), les Bantoustans
sud-africains érigés en Etats fantoches (Transkei en 1976, Baphusthats-

(9) Cela a été le cas dans les affaires suivantes :


- Arrêt du 27 août 1952 sur les droits des ressortissants des Etats-Unis au Maroc
(France c. Etats-Unis d'Amérique).
- Arrêt du 12 avril 1960 sur le droit de passage en territoire indien (Portugal c./Inde).
- Arrêt du 18juillet 1966 sur le sud-ouest africain (2 phase, Ethiopie c./Afrique du sud,
Liberia c./Afrique du sud).
(10) Résolution du Conseil de sécurité, S/216, du 12 novembre 1965.
wana en 1977 et Venda en 1979) (II), l'occupation de territoires arabes
par Israël après la guerre de juin 1967 (12).
Cette position sera réaffirmée lors des débats au sein du comité
spécial des Nations unies sur la question de la définition de l'agression
et elle se reflètera dans le texte de la déclaration de l'assemblée générale
du 14 décembre 1974 portant définition de l'agression (3314-XXIX -
article 7). La légimité des luttes de libération nationale est consacrée, de
même que la légalité de toute assistance extérieure qui leur serait
apportée. Elles seront assimilées à des conflits internationaux par le
premier protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août
1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internatio-
naux (13).
La conférence de Vienne sur le droit des traités (1968-69) fournira
l'occasion aux pays du Tiers monde de développer leur conception de la
souveraineté de l'Etat (14). La théorie des vices de consentement fait son
entrée en droit international dans la partie Vde la convention de Vienne
du 23 mai 1969. Il en est de mêmede la notion d'ordre public et de l'idée
de hiérarchie des normes ; le droit impératif,jus cogens, sans être défini
avec précision, représente néanmoins une limitation à la capacité de
contracter des Etats et, en conséquence, la garantie juridique de leur
existence et de leur indépendance. La souveraineté ne peut, d'ailleurs,
être grevée à la naissance par un héritage quelconque d'obligations
conventionnelles conclues dans le passé au nom du nouvel Etat, par
l'Etat prédécesseur. La convention de Vienne du 22 août 1978, sur la
succession d'Etats en matière de traités, offre à cet égard, aux pays issus
de la décolonisation, un véritable droit d'option.
Ces quelques exemples étant donnés, il n'est pas question ici de
présenter de façon exhaustive la relation du Tiers monde au droit
international, il s'agissait simplement de donner un aperçu de la
revendicaion prônée par ce groupe de pays d'un nouvel ordre juridique
international. L'affirmation de l'identité et de la personnalité du Tiers
monde sera le prélude à l'élaboration d'un droit international du
développement.
(II) G. Fischer, «La non reconnaissance du Transkei », AFDI, 1976, p. 63-76.
(12) Résolution du Conseil de sécurité, S/242, du 22 novembre 1965.
(13) Protocoles adoptés le 10juin 1977 par la conférence diplomatique pour la réaffir-
mation du droit international humanitaire, ouverte à Genève le 20 février 1974. Texte in
RGDIP 1978, 1, p. 329-398.
(14) A. El Kadiri, «La position des Etats du Tiers monde à la conférence de Vienne sur
le droit des traités », Editions de la faculté des sciences juridiques et économiques et so-
ciales de Rabat, 1980.
II
INÉGALITÉ DE DÉVELOPPEMENT
ÉCONOMIQUE DES ÉTATS

Comme l'avait relevé Albert Memmi à propos des relations du


colonisé et du colonisateur (15), le développement et le sous-développe-
ment ne sont que les deux faces d'une même réalité et ils ne peuvent de
ce fait exister ni s'expliquer de façon autonome. Le couple pays
développé-pays sous-développé se caractérise par la profonde et
croissante inégalité des situations réelles, mais aussi par la dépendance
du second à l'égard du premier. Cette situation est un facteur permanent
de déstructuration des sociétés du Tiers monde dans la mesure où elles
sont privées des ressorts internes aptes à assurer une régulation entre les
différents secteurs de la vie économique, sociale, politique, militaire et
religieuse. L'injection dans ces sociétés de capitaux, de technologies,
d'armements, de produits de consommation aggrave le déséquilibre et
accentue la création d'enclaves de privilégiés artificielles et manipulées
de l'extérieur. Faute de se voir offrir une règle dujeu acceptable, le corps
social réagit par des explosions de violence oudes émeutes populaires de
plus en plus fréquentes. Elles interviennent souvent à la suite de
décisions adoptées par les autorités sur la demande insistante des
organisations financières internationales (augmentation, par exemple,
des prix des produits de première nécessité pour raison de soi-disant
orthodoxie financière imposée par le Fonds monétaire international).
Il faut reconnaître que la terminologie utilisée est source de
nombreuses ambiguïtés, car elle est le produit d'une idéologie de progrès
et de croissance selon laquelle les pays duTiers mondeont pris, pour des
raisons historiques, un retard dans une évolution qui doit les conduire
inéluctablement à passer par les mêmes étapes que les sociétés
actuellement industrialisées. On comprend que cette conception ait été
(15) A. Memmi.Portrait du coloniséprécédé duportrait du colonisateur. Paris, Pauvert,
1966.
propagée par certains apologistes de l'économie occidentale (théories de
Rostow) (16), mais on est surpris de la retrouver à l'article 19 de la
charte des droits et des devoirs économiques des Etats, texte
d'inspiration tiermondiste adoptée par l'assemblée générale des Nations
unies le 12 décembre 1974 (résolution 3281 XXIX):
Pour accélérer la croissance économique des pays en voie de développement et
combler le retard économique qu'ils ont sur les pays développés ...
De là à déduire de ces prémisses que la meilleure façon d'accélérer
l'évolution est de se soumettre aux remèdes procurés par les «devan-
ciers ), il n'y a qu'un pas qui est d'autant plus, rapidement franchi qu'il
sert la stratégie néo-colonialiste. Certes les pays de l'est européen, en
particulier l'Union soviétique, rejettent la responsabilité sur le capitalis-
me et préconisent l'adoption du modèle socialiste comme seul moyen de
sortir du sous-développement ; mais, ce faisant, ils n'échappent pas non
plus au péché d'européocentrisme puisqu'ils nient les spécificités
culturelles en se rangeant finalement à la devise : «Pour réussir, faites
comme moi ». Le mouvement en faveur du NOEI, les nouvelles théories
économiques opposant le centre à la périphérie et mettant l'accent sur le
rôle du système économique mondial dans « le développement du
sous-développement» (17) ont contribué largement à démystifier les
idéologies développementistes.
Quelques efforts ont été tentés pour innover au niveau terminologi-
que en recourant à des notions telles que le «mal-développement », pour
qualifier la situation économique des pays du Tiers monde, lesquels
seraient à la recherche d'un «autre développement ». Se référant à
l'étymologie Ph. Hugon a relevé que l'antinomie du développement,
«action d'étendre, de dérouler, de transformer », serait «l'enveloppe-
ment » processus, «involutif et régressif » (18).
La controverse porte moins, semble-t-il, sur la notion de développe-
ment que sur les qualificatifs qu'il convient de lui adjoindre pour la laver
de tout soupçon d'alignement sur un quelconque courant idéologique.
Les pays africains, suivant en cela les conclusions théoriques d'écono-
mistes tels que Samir Amin, ont fait leur, à l'occasion de l'adoption du
plan de Lagos, le concept de développement endogène ou autocentré
(16) Rostow (W.W.), Les étapes de la croissance économique, Paris, Seuil, 1975.
Rostow, Les étapes du développement politique. Paris, Seuil, 1975.
(17) Selon l'expression de H.G. Frank, The development ofUnderdevelopment. Monthly
Review, n° 4, 1966.
(18) Ph. Hugon «Réflexions sur le concept de sous-développement économique »ATM
1978 p. 525-535.
(19). Pour des raisons de commodité et avec les réserves déjà
mentionnées, nous reprendrons ici l'opposition, couramment évoquée
dans les relations internationales, entre «pays en développement» et
«pays industrialisés ».
Il nous paraît vain cependant d'essayer d'opérer un classement des
Etats au sein de ces deux catégories en fonction de critères ou d'indices
socio-économiques ou techniques. Le produit national brut (PNB) par
habitant, est l'indicateur le plus souvent utilisé, mais on s'est rendu
compte rapidement de ses insuffisances, s'agissant en particulier de
ranger certains Etats à faible population et à forte rente pétrolière (le
Koweit avec 14890 dollars viendrait avant les Etats-Unis d'Amérique,
9590, et la Suisse, 12 100). D'autre part, cet indice n'est pas à mêmede
rendre compte du bien-être, des disparités sociales et de la qualité de la
vie. Aussi a-t-on introduit d'autres données pour apprécier «le
développement humain ». Nous verrons que les organisations internatio-
nales ont tenté d'établir des typologies qui restent toutes marquées par
un certain arbitraire. Le phénomène du développement est global,
complexe et il s'inscrit dans un contexte dynamique, c'est ce qui explique
probablement que la conférence des Nations unies sur le commerce et le
développement ait défini les pays en développement comme ceux qui se
désignent eux-mêmes comme tels (principe de l'autoélection) avec
l'accord des pays industrialisés. Il s'agit des pays dits du groupe des
soixante-dix-sept (actuellement au nombre de 126) qui se recrutent dans
la zone tropicale et semi-tropicale (pays du sud) et qui ne représentent,
en dépit de leur nombre et de l'importance de leur population (près de
60% de la population mondiale sans compter la Chine) qu'une faible
part de la production mondiale (10% et seulement 5%de la production
industrielle). Les inégalités à l'intérieur des pays du Tiers monde et entre
ces derniers pris globalement et le monde industrialisé, s'accroissent
d'année en année. Quelle est, dans ce contexte, la signification du droit
international du développement ?

(19) Plan d'action de Lagos en vue de la mise en œuvre de la stratégie de Monrovia pour
le développement économique de l'Afrique, EM/ECO/9/ (XIX), rev. 2. Document
adopté à l'issue du sommet économique des chefs d'Etats africains tenu les 28 et 29 avril
1980.
III
INTERPELLATION DU DROIT INTERNATIONAL

Le droit international du développement (DID) est une des


approches du droit international, une manière de l'interpeller, de le
questionner sur l'une des réalités fondamentales des relations internatio-
nales contemporaines. Cette interpellation n'est pas gratuite, elle ne
relève pas d'une curiosité scientifique pure et désincarnée, puisque
l'enjeu concerne le sort et l'équilibre physique et intellectuel de millions
de personnes humaines.
Le droit international du développement ne peut donc être considéré
comme une discipline autonome ayant un objet, des méthodes, des
sources complètement distincts, sur le plan scientifique, de ceux du droit
international général, conçu comme l'ensemble des règles régissant les
relations transfrontières. La distinction entre le «public »et le «privé »
nous paraît à maints égards artificielle et plaquée sur une réalité qui met
en relation des sujets et des normes relevant des ordres juridiques
étatique et interétatique.
Le droit international du développement ne peut pas non plus être
assimilé à une branche du droit international s'attachant à l'étude, sous
l'angle juridique, de l'un des aspects ou des secteurs des relations
internationales, tels que le droit de l'espace ou le droit de la mer. Les
inégalités de développement mettent en cause l'ensemble des relations
internationales et le droit qui les régit ; elles ne peuvent être réduites, par
ailleurs, à leur caractère économique, bien que celui-ci soit essentiel.
Ainsi le DID ne se confond-il pas avec le droit international économique
qui se fixe pour objectif «l'organisation internationale des échanges
économiques ». Outre que le DID ne se limite pas aux aspects juridiques
des relations économiques internationales, son optique est fondamentale-
ment opposée à celle du droit international économique qui se présente
comme «un droit de l'ordre international économique », c'est-à-dire un
droit de l'ordre établi (20). Ceci n'empêche pas cependant les
convergences au niveau de la techniquejuridique ; le droit international
économique a permis d'introduire des innovations qu'emprunte nécessai-
rement le droit international du développement.
Les difficultés précédentes de définition ont amené les auteurs du
Tiers monde à émettre certaines réserves sur la notion mêmede DID à
l'occasion d'un colloque qui s'est tenu à Alger en octobre 1976, sur le
thème «Droit international et développement ». Selon A. Mahiou,
le droit international du développement tel qu'il se présente actuellement est
davantage la sommedes exceptions àdes règles existantes plutôt qu'un corpus
derègles existantes et autonomes ; il est uncompromisprovisoire oùdesrègles
générales posées par les pays occidentaux doivent inclure des exceptions
contradictoires révélant la présence du Tiers monde (21).
M. Benchikh reproche à l'expression de laisser envisager «l'existence
d'un autre droit international non relié aux problèmes de développe-
ment »et de suggérer que «le développement peut se faire par le droit
international »(22)
Assurément le droit international du développement est «un autre
droit international »dans le sens d'une relecture de celui-ci à la lumière
de la volonté d'agir contre le fléau du sous-développement, qui n'est ni
une fatalité ni une donnée naturelle. Il n'est pas question, bien entendu,
que le droit soit l'agent exclusif du développement qui est d'abord
l'affaire de chaque peuple, de ses options, de sa culture, et de ses
sacrifices. Mais il est indispensable, au niveau des relations internationa-
les, d'élaborer scientifiquement des réponses aux interrogations suivan-
tes.
1) Dans quelle mesure les normes et les institutions internationales
contribuent-elles ou font-elles obstacle aux efforts des pays du Tiers
monde pour sortir de leur situation de sous-développement ?
2) Dans quelle mesure de telles normes et institutions favorisent-
elles le raffermissement des souverainetés et le pouvoir de décision des
pays du Tiers monde ou bien au contraire, les maintiennent-elles dans un
état de mineurs incapables et non émancipés ?
Les deux questions sont étroitement liées. Sans négliger le niveau
interne et les rapports de pouvoir et de force au sein de chaque Etat, elles
(20) D. Carreau, P. Julliard, Th. Flory, Droit international économique, Paris, LGDJ,
1980, 2 édition, p. 9 et 11.
(21) A. Mahiou, «Les implications du nouvel ordre économique et le droit internatio-
nal », in Droit international et développement. Alger, SNED, 1978, p. 321.
(22) Préface aux actes du colloque Droit international et développement? p. 3.
ambitionnent l'appréciation de l'impact du niveau international qui, par
hypothèse, a été organisé pour servir certains intérêts et puissances
donnés. Le droit international du développement nécessite une nouvelle
réflexion sur les méthodes d'analyse du droit international et l'abandon,
en tout cas, de la thèse de sa soi-disant neutralité.
Toute analyse juridique a un soubassement éthique et philosophi-
que ; en l'occurrence, la spécificité du DID résulte de la proclamation
d'un droit au développement au bénéfice de tous les peuples, droit
inhérent à la personne humaine et au respect de sa dignité. L'idée de
justice est-elle conciliable avec le système juridique établi qui a pour
propension d'aggraver la misère des uns, la majorité, pour accroître les
richesses et la consommation des autres ? Il n'est pas surprenant qu'un
tel système soit rejeté par le Tiers monde et qu'il manque, dès lors, du
consensus minimum indispensable à sa propre existence.
Les négociations globales engagées au sein des Nations unies ont
pour objet de dégager ce dénominateur commun susceptible de fonder
un Nouvel ordre international acceptable par les différents acteurs
internationaux. Ainsi le champ du droit international du développement
ne couvrira pas tous les domaines du droit international général, mais
s'attachera particulièrement aux secteurs les plus sensibles du dialogue
nord-sud. Il est nécessaire cependant, avant de passer en revue ces
secteurs, de s'interroger sur la consistance du «droit au développement »
dont le droit international du développement serait «l'application
positive »(23).

(23) L'expression est de M. Flory, in Droit international du développement. Paris, PUF,


1977, p. 29.
IV
LE DROIT AU DEVELOPPEMENT

Keba M'Baye, premier président de la Cour suprême du Sénégal. a


été le promoteur de l'expression dans son cours inaugural intitulé Le
droit au développement comme un droit de l'homme, à la session de
1972 de l'Institut international des droits de l'homme de Strasbourg
(24). Un tel droit fait partie, selon K. Vasak, directeur de cet Institut, de
la troisième génération des droits de l'homme incluant entre autres, le
droit à un environnement sain et équilibré, le droit à la paix et le droit à
participer au patrimoine commun de l'humanité (25).
La commission des droits de l'homme des Nations unies, tout en
reconnaissant en 1977, l'existence d'un droit au développement,
demandait au secrétaire général de l'organisation de préparer une étude
sur ses « dimensions internationales ». Le rapport élaboré à la fin 1978
devait permettre à la commission lors de sa session de 1979, de réitérer
sa résolution précédente, en mettant l'accent sur les aspects individuel et
collectif du droit au développement (26).
La troisième génération des droits de l'homme est destinée à réaliser
la conciliation des droits civils et politiques (libertés dites formelles) et
des droits économiques et sociaux (libertés dites réelles) qui ont fait
l'objet des deux pactes internationaux adoptés par les Nations unies en
décembre 1966. En effet, pour la jouissance des premiers, il faut garantir
à la personne concernée un «niveau de vie minimum »dans le cadre des

(24) Cours reproduit dans la Revue des droits de l'homme, vol. V, n° 2-3, 1972, p. 505-
534.
(25) K. Vasak «A30 years struggle - The sustained efforts to give force of law to the
universal Declaration of Human Rights », Unesco Courrier, november 1977, p. 29.
(26) Résolution 5 (XXXV, 1979) adoptée à la suite du rapport du secrétaire général de
l'ONU sur «Les dimensions internationales du droit au développement comme un droit
de l'homme». E/CN 4 / 1334 du 11/12/78.
seconds (27). La mesure du droit au développement se fera nécessaire-
ment au niveau individuel en appréciant, en particulier, la satisfaction
des besoins fondamentaux, mais son exercice sera collectif au niveau des
peuples organisés en Etats.
L'évolution du droit international conduit de plus en plus à lever le
voile des formes étatiques pour saisir les peuples et les personnes
humaines destinataires directs de droits et d'obligations internationaux.
Cette évolution s'est réalisée sous l'effet de la reconnaissance internatio-
nale du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et, en tant que
corollaire, de leur souveraineté sur les richesses naturelles et activités
économiques, inscrits à l'article 1 des pactes internationaux sur les
droits de l'homme. Toute collectivité a donc le droit de disposer des
moyens d'assurer à ses membres la satisfaction des besoins fondamen-
taux en choisissant elle-même les modalités appropriées.
Les dimensions internationales du droit au développement rejoignent
ainsi la problématique du droit international du développement, déjà
évoquée, puisqu'il impose d'éliminer tous les obstacles que l'ordre
juridique dresse devant les efforts des peuples pour sortir du
sous-développement, et qu'il met à la charge de tous les Etats un devoir
de solidarité pour favoriser ces efforts. La solidarité peut trouver son
fondement, d'une part, dans l'obligation qui pèse sur les anciennes
puissances coloniales de réparer tous les préjudices et dommages
occasionnés dans le passé aux nouveaux Etats et, d'autre part, dans
l'intérêt bien compris et à long terme des pays industrialisés d'avoir dans
le Tiers monde des interlocuteurs dynamiques et solvables, aptes de la
sorte à participer à un véritable échange international sur des bases
équitables.
Les exigences du développement ne peuvent en aucun casjustifier les
atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine, qu'il s'agisse
de ses conditions de travail et de subsistance ou de ses aspirations à un
espace de liberté face à l'Etat. Mais cette acception du droit au
développement ne se heurte-t-elle pas au principe de non ingérence dans
les affaires intérieures des Etats, ou au respect du domaine réservé à leur
compétence nationale ? La réponse à cette question dépend de la
«faisabilité juridique »(28), en droit international, du concept de droit
(27) Pour une bonne synthèse des discussions relatives au «droit au développement ».
voir P. Alston «The Right to development at the international Level »in colloque sur Le
droit au développement au plan international, Académie de droit international de La
Haye et université des Nations Unies. Sijtoff et Nordhoff, La Haye. 1980, p. 99-114.
(28) Selon l'expression de G. Abi Saab, The légalformulation ofa right to development.
Subjects and content.Colloque sur le droit au développement au plan international, op.
cité, p. 159- 175.
au développement. On sait en effet, que la Cour permanente de justice
internationale a rejeté, dès 1923, la théorie d'un domaine réservé par
nature à l'Etat :
la question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le
domaine exclusif d'un Etat est une question essentiellement relative : elle dépend
du développement des rapports internationaux ... Il se peut très bien que dans
une matière qui, comme celle de la nationalité, n'est pas en principe réglée par
le droit international, la liberté de l'Etat de disposer à son gré soit néanmoins
restreinte par des engagements qu'il aurait pris envers d'autres Etats. En ce cas,
la compétence de l'Etat, exclusive en principe, se trouve limitée par des règles
du droit international (29).
Il apparaît ainsi que les obligations imposées aux pays du Tiers
monde dans la conduite de leur politique sociale et aux pays
industrialisés dans la mise en place d'une politique de coopération sont
fonction de la portée, en droit international et de la nature juridique du
concept de droit au développement. Pour en préciser les contours
juridiques, il faut rechercher, d'une part, le nouveau système de valeurs
soutenu par un large consensus (c'est le cas comme nous le verrons du
NOEI) et, d'autre part, les structures internationales destinées à fournir
une pression constante pour la traduction normative de ce système de
valeurs (30). Le droit au développement procède de la volonté des
acteurs internationaux de déployer une action collective, par voie de
négociations permanentes, dans le but de réduire les inégalités de
développement entre nations et entre les individus en leur sein. Il relève
donc de la catégorie juridique des principes de droit international, qui
ont pour fonction d'orienter et de canaliser la production normative et la
création institutionnelle. Le droit au développement, tel le principe
d'équité, n'est pas «une représentation de justice abstraite » (31), mais
une règle de droit qui prescrit la poursuite d'objectifs convenus en
commun et qui prohibe certains comportements incompatibles avec ces
objectifs. C'est en définitive, le fondement du droit international du
développement et sa justification, le principe de référence, d'analyse et
d'interprétation qui en garantit la cohérence et la continuité.
Comme on le démontrera dans les développements qui suivent sur les
(29) Avis du 7 février 1923, Affaire des décrets de nationalité en Tunisie et au Maroc.
CPJ1. série B. n° 4, p. 23-24.
(30) Voir l'analyse à ce sujet de G. Abi Saab, op. cité.
(31) Cour internationale dejustice. Affaire du plateau continental en merdu Nord entre
la République fédérale d'Allemagne d'un côté et le Danemark et les Pays-Bas de l'autre
(arrêt du 20 février 1969, p. 46 § 87).
méthodes d'analyse, nous n'adhérons pas, en soulignant l'existence d'un
droit au développement, à une vision idyllique des relations internationa-
les. En effet, la concrétisation de ce droit sera à la mesure des luttes des
pays du Tiers monde et de l'évolution des contradictions qui les
opposent aux pays industrialisés. Mais cela ne doit pas conduire à
proclamer «l'ineffectivité du droit au développement »et son caractère
de legeferenda (32) ; car le même raisonnement pourrait alors couvrir
des principes bien établis comme l'égalité, la non-ingérence et la libre
détermination des peuples, dont la mise en œuvre est bien imparfaite.
Leur caractère juridique est pourtant indéniable puisqu'ils bénéficient
d'une opinio juris universelle. Qui aujourd'hui, parmi les acteurs
intervenant sur la scène internationale, pourrait s'opposer au droit au
développement et proclamer une volonté manifeste de ne pas contribuer
à son application ? C'est bien la preuve que ce droit est la traduction
juridique de la prise de conscience, au cours de la deuxième moitié du
XX siècle, du problème des inégalités de développement. Cette prise de
conscience est à l'origine du droit international du développement,
nouvelle approche du droit international qui entraîne en conséquence, la
remise en cause des méthodes d'analyse de cette discipline.

(32) M. Bettati, Les transcriptions juridiques et institutionnelles du droit au développe-


ment. Colloque sur «le droit au développement au plan international », op. cité, p. 278.
V
LE RENOUVELLEMENT
DES MÉTHODES D'ANALYSE
DU DROIT INTERNATIONAL

Précurseur du droit international du développement, M. Virally en


appelait dès 1965 à un «renouvellement de la méthode et des concepts »
dont se sert le juriste pour appréhender l'inégalité de développement
(33). Cerenouvellement est préconisé par souci deréalisme et dans le but
de rendre le droit international plus opératoire. Les mêmes préoccupa-
tions conduisent C. Chaumont à faire en 1970 le procès définitif du
formalisme juridique en analysant l'élaboration et l'application des
règles de droit au travers de leurs liens avec les structures socio-économi-
ques (34). Cette nouvelle réflexion méthodologique qui s'inspire du
marxisme et des approches sociologiques anglo-saxonnes, est partagée
également par desjuristes de droit interne (35). Ledroit international du
développement y trouve un outil adéquat pour saisir les Etats dans leur
rapport réel avec le système économique mondial (les Etats «situés »)
pour relativiser les relations juridiques et pour forger des concepts
appropriés à ses propres finalités.

1. Critique du formalisme juridique classique


La critique s'adresse essentiellement au courant positiviste qui a
dominé l'étude de l'ensemble du droit classique. Ce courant s'est affirmé
lui-même à l'encontre de l'école du droit naturel qui se donnait pour
référence un corps de règles inhérentes à l'existence humaine, et
supérieures de la sorte à toutes celles conjoncturelles et relatives établies
par la société. Le droit peut trouver sa source dans la parole révélée (en
(33) Vers un droit international du développement. AFDI, 1965, p. 7.
(34) Cours général de droit international public. RCADI, 1970, I, p. 343-527.
(35) M. Maille, Une introduction critique au droit. Paris, Maspéro, 1976.
droit international, école dite des théologiens aux XV et XVI siècles,
autour de Vittoria et Suarez), ou encore dans l'expression idéale de
l'harmonie sociale dont les philosophes et juristes seraient les
dépositaires (théorie «rationaliste » de Grotius au XVII siècle).
D'application universelle, le droit naturel préfigure les conceptions
européocentristes dominantes du droit classique, mais, dans l'immédiat,
il limitait la souveraineté des Etats naissants qui ne pouvaient produire
qu'un droit «volontaire »et subordonné. La notion de «guerrejuste »en
est la meilleure illustration.
L'affirmation de l'Etat souverain et le renforcement de ses
prérogatives, sous l'empire de la classe bourgeoise, entraînera lesjuristes
à écarter l'école du droit naturel, dont on a découvert tout d'un coup la
trop grande subjectivité. Toute attitude scientifique imposait, pensait-on,
de détacher au maximum l'observateur de l'objet observé, de sauvegar-
der, en d'autres termes, sa neutralité. Les positivistes se voulaient
réalistes dans la mesure où ils prétendaient relater le droit existant,
décrire les conditions de son élaboration et de sa mise en œuvre, sans
porter de jugement de valeur. Cette attitude empirique était considérée
comme l'unique moyen de garantir la neutralité du droit par rapport aux
politiques, aux philosophes et aux théologiens. Le positivisme se limite
donc aux formes, au rituel qui caractérise les règles du jeu social
sanctionnées par le pouvoir. En effet, la norme se crée par le moyen de
techniques formelles (les sources) et elle s'exécute par l'intermédiaire
d'une série de procédures (interprétation et règlement des différends).
Comme les mathématiques, le droit serait un système logique, fermé
sur lui-même et qui pourrait s'analyser dans le confort d'un cabinet
de travail et dans l'ignorance totale de l'environnement social. Dans
cette quiétude et au milieu d'un univers de formes, le juriste s'évertuera,
pour reprendre l'expression de H. Kelsen, à construire une «théorie
pure du droit », à partir d'une norme fondamentale hypothétique,
selon le principe de hiérarchie, et en suivant un raisonnement par
imputation (36).
Le monde du juriste n'est cependant aseptisé qu'en apparence, le
positivisme se réduit en fait à une défense inavouée du système
socio-politique dominant, dont le droit n'est, le plus souvent, que
l'expression et l'incarnation. Ainsi que le relève C. Chaumont,
le formalismejuridique peut aboutir àfaire dudroit unefin en soi, le droit pour
le droit, en oubliant que ledroit ne peut être détaché des réalités qu'il recouvre,
sans pour autant se limiter à fournir la caution de ces réalités.
(36) H. Kelsen, Théorie pure du droit. Paris, Dalloz, 1962.
Le droit, dans l'approche positiviste, ne peut prétendre au statut
scientifique puisqu'il n'apporte aucune théorie explicative du phénomène
juridique, se contentant, telle une technique, d'en décrire les mécanismes
de fonctionnement et les manifestations extérieures. Or cet appareil
juridique n'a aucune existence propre en dehors de l'observateur et de ses
hypothèses de travail. La neutralité n'est, dès lors, que pur artifice ou
camouflage car l'hypothèse, si elle n'est pas exprimée (sa formulation
serait la meilleure preuve d'objectivité) est toujours implicite. Elle peut
être, dans ce cas, celle du pouvoir établi qui consiste en la sacralisation
du droit, expression d'une «solidarité sociale »ou d'un «intérêt général »
imaginaires.
Le réalisme sur le plan méthodologique, consiste à revenir aux
réalités socio-économiques en aval, et en amont de la règle du droit,
laquelle n'est pas un jeu de l'esprit, mais un des lieux privilégiés où s'écrit
l'histoire sociale. Ceci n'empêche pas, bien entendu, de reconnaître sa
place et sa spécificité à la technique juridique en tant que forme
d'expression de relations humaines déterminées.

2. Pour une méthode d'analyse


adaptée aux réalités internationales

Il convient de replacer le droit international au sein de l'ensemble des


réalités internationales, celles qui lui ont donné naissance et celles qui
ont été influencées par sa mise en œuvre. K. Marx, dans le cadre
principalement de l'étude du fonctionnement interne des sociétés, a mis
l'accent sur le concept de «structure », manifestation de la globalité des
phénomènes sociaux, tout en distinguant, pour les besoins de l'analyse,
différents niveaux :
l'ensemble des rapports de production constitue la structure économique de la
société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et
politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales
déterminées (37)
A l'image de certaines sculptures modernes, ce modèle est
dynamique et mobile en fonction des contradictions qui animent, d'une
part, l'infrastructure où s'opposent les groupes sociaux définis par la
place qu'ils occupent dans le processus de production, et d'autre part la
(37) K. Marx, Contribution à la critique de l'économie politique. 1859, Paris, Giad,
1928, p. 4 et 5.
superstructure idéologique où se déroulent des luttes pour l'exercice du
pouvoir, l'affirmation de représentations sociales et leur traduction en
règles de droit. Le mouvement prend son point de départ au niveau
économique qui impulse et oriente les éléments de la superstructure.
Mais cette relation de détermination n'est ni mécanique ni à sens unique,
ainsi que l'a justement relevé L. Althusser au sujet du mode de
production capitaliste :
il s'en dégage l'idée fondamentale que la contradiction capital-travail n'est
jamais simple, mais qu'elle est toujours spécifiée par les formes et les
circonstances historiques concrètes dans lesquelles elle s'exerce. Spécifiée par
les formes de la superstructure (l'Etat, l'idéologie dominante, la religion, les
mouvements politiques organisés, etc.) (38).
La méthode dialectique appliquée au droit international amène à
rechercher chaque fois les réalités concrètes derrière l'expression
formelle de l'accord des volontés étatiques. La place des Etats concernés
dans la division internationale du travail et dans le rapport de puissance
économique et militaire, permet de dégager les contradictions en
présence et, en conséquence, la signification profonde et la portée
véritable de leur accord. Les pays socialistes ont analysé ainsi leurs
relations juridiques avec les Etats capitalistes comme des relations de
«coexistence pacifique »(39). Quant aux pays sous-développés, ils ont
réussi, en se fondant sur la même méthode, à démystifier certains
conceptsjuridiques qui se sont révélés de pures fictions dans les rapports
entre Etats d'inégal développement économique ; par exemple les
principes d'égalité de traitement et de réciprocité en matière commercia-
le, ainsi que le principe de la liberté dans le droit de la mer. Le
«relativisme juridique » devient ainsi une démarche indispensable et
nécessaire et justifie le droit international du développement en tant que
«tentative de mutation de contradictions réelles » découlant des
inégalités de développement (40).
La notion de mutation signifie donc que l'accord (pris au sens large
de rencontre des volontés étatiques quelle qu'en soit la forme) organise
le passage d'un état des contradictions à un autre, sans bien entendu les
supprimer. Ce passage est destiné normalement à atténuer provisoire-
ment les oppositions initiales et c'est dans cette mesure seulement que
peut exister le sentiment d'obligation juridique dans les relations
(38) L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1968, p. 104.
(39) G. Tunkin, Droit international public (problèmes théoriques). Paris, Pedone, 1965.
(40) Pour reprendre les expressions de C. Chaumont. à propos du droit international gé-
néral, Cours général de droit international public, op. cité, p. 363.
proprement contractuelles. «Le seuil d'adhésion ou de non adhésion »
dépend du décalage existant entre « contradiction primitive » et
«contradiction consécutive »(41). Si la règle aggrave l'inégalité entre tel
pays développé et tel pays sous-développé, le seuil de «non adhésion »
est vite atteint de la part de ce dernier, et il s'en suit un rejet ou une
dénonciation. Mais ce seuil peut découler d'une évolution des réalités
qui ont donné naissance à la règle et justifié le compromis contenu dans
l'accord ; dès lors se fera jour une demande d'adaptation par voie de
révision.
La méthode d'analyse dialectique a l'avantage de maintenir le juriste
au contact des réalités socio-économiques et lui fournit un instrument
pour apprécier objectivement la production juridique en échappant aux
pièges du formalisme stérile et vain et de l'idéalisme mystificateur ou
inopérant. Il ne faut pas, cependant, perdre de vue que cette méthode
n'est pas un dogme et qu'elle n'a pas la prétention d'éliminer les
controverses doctrinales, souvent salutaires, au sujet des réalités et des
normes concernées.
Bien que s'inspirant de motivations différentes, l'école fonctionnalis-
te aboutit également à décloisonner le droit par rapport à son
environnement socioéconomique. Cette école, comme d'ailleurs le
marxisme, était centrée sur l'explication du phénomène du pouvoir dans
les sociétés nationales avant de concerner les relations entre Etats et,
surtout, les organisations internationales. Il existerait ainsi dans tout
corps organisé (social ou physique) un certain nombre de fonctions
remplies par des structures, centres de décisions ou organes. Le corps en
question peut être considéré comme un système, ensemble d'organes en
interrelations fonctionnelles dont on peut, pour les besoins de l'analyse,
isoler des sous-systèmes dotés d'une marge d'autonomie donnée. Il
convient donc de rechercher, chaque fois, la mesure dans laquelle un
centre de décision ou un organe déterminés s'acquittent des fonctions
dont ils ont la charge. Or la nature et la portée des fonctions sont
déterminées par les demandes (inputs) émanant de l'environnement
sociétal de l'organe concerné, lequel répond par des actions sous forme
de règles générales ou de décisions individuelles, donc par une
production juridique (outputs). Ces réponses, quelles qu'elles soient,
ont un impact sur l'environnement, sur les rapports sociaux, et
conduisent à de nouvelles demandes (feedback).
(41) C. Chaumont, «Ala recherche du fondement du caractère obligatoire du droit in-
ternational »in Réalités du droit international contemporain - force obligatoire et sujets
du droit. Actes des seconde et troisième rencontres de Reims, 1974, p. 60. Depuis 1973,
les rencontres de Reims ont été l'occasion en France de développer et d'approfondir cette
nouvelle méthode d'analyse du droit international.
Il reste à savoir si on peut appliquer ce type d'analyse aux relations
internationales globales marquées par l'inexistence d'un pouvoir ou d'un
centre de décision reconnus par l'ensemble des Etats. On parle certes,
par commodité et dans le vocabulaire diplomatique, d'une «communau-
té » ou d'une «société » internationales, mais ces expressions ne
signifient nullement l'existence d'entités solidaires soumises à un
pouvoir unique. On peut imaginer de la sorte les limites inévitables de
toute étude de l'ensemble des relations internationales en tant que
système. Ainsi M. Merle dut se résoudre, dans son ouvrage sur La
sociologie des relations internationales à un environnement, non plus à
l'extérieur du système, ce qui en l'occurrence serait impossible, mais à
l'intérieur de celui-ci. D'autre part, on peut s'interroger sur l'utilisation
de l'analyse fonctionnelle, à ce niveau, dans la mesure où les résultats
frisent de simples constatations d'évidence (42). Par contre l'application
de cette méthode à l'étude de tel ou tel facteur, Etat ou organisation
internationale, s'est révélée très opérante.
Les organisations internationales ont tout d'abord été analysées
selon «une approche constitutionnelle »qui s'attachait uniquement à la
répartition des compétences et des pouvoirs entre les différents organes
et aux procédures de votation et de règlement des différends. Ainsi se
trouvaient évacués toutes les oppositions et affrontements politiques
sous-jacents. «L'approche fonctionnelle », comme le note justement W.
Friedmann, a l'avantage de mettre en évidence les corrélations entre
l'organisation internationale et le droit international d'une part et les
réalités politiques et sociales, les orientations de la vie internationale
d'autre part. Ainsi, au pluralisme de la société internationale correspond
une série d'institutions et de règles plus ou moins perfectionnées selon les
acteurs en présence et les besoins à satisfaire. Le foisonnement des
organismes internationaux depuis la seconde guerre mondiale (plus de
trois cents actuellement), mais aussi l'appréciation de leur activité en
termes d'efficacité tendent à justifier le recours à l'« approche
fonctionnelle »(43).
Mais la méthodologie n'est pas neutre, elle est la résultante de
présupposés idéologiques et de certaines conceptions de ces mêmes
rapports sociaux qu'elle ambitionne d'expliciter et de clarifier. Derrière

(42) M. Merle, Sociologie des relations internationales. Paris. A. Colin. 1974.


(43) The changing structure ofinternational law. London, Steven and sons. 1964 p. 275-
276.
Cf pour l'application de cette méthode à l'Etat : E. Haas, Beyond the nation state, Stan-
ford university Press 1964 ; et à l'organisation internationale : M. El Menjra. The United
Nations System - an analysis. London Faber and Faber, 1973.
la méthode d'analyse dialectique se profile l'affrontement entre classes
sociales et entre Etats qui n'en sont que la couverture juridique. Au
contraire, le fonctionnalisme est guidé par une vision réformiste qui
postule une régulation par les systèmes existants des rapports sociaux et
leur aménagement progressif. Ce n'est donc pas un hasard si cette
dernière méthode a été mise au point par des politologues et des juristes
américains en tant qu'antidote aux prophéties marxistes de crise
inéluctable des sociétés capitalistes. Ainsi la fonction de tout ordre
juridique serait de garantir la stabilité par la promotion de nouvelles
solutions qui ne perpétuent pas les anciennes causes des conflits et des
souffrances. Comme le souligne R. Falk, cette relation entre stabilité et
droit est encore plus prononcée dans un ordre juridique décentralisé,
comme l'ordre international, où la soumission volontaire compte plus
que la sanction par la police (44). Ce rapport entre idéologies et
méthodologies n'enlève rien au rôle de celles-ci dans la meilleure
connaissance des sociétés humaines et du droit qui les régit. Elles se
révèlent cependant insuffisantes pour rendre compte des mécanismes et
des logiques internes des normes et institutions et il faut dans de
nombreux cas, solliciter l'assistance du structuralisme pour découvrir
les codes permettant de décrypter certains textes juridiques, tels que les
avis et arrêts des tribunaux internationaux (45).
Dans le cadre de la relecture du droit international public que nous
entreprenons, nous pensons utiliser de façon éclectique les méthodes
évoquées précédemment. Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'abord
de méthodes de travail, d'instruments, dont la valeur est fonction des
possibilités qu'elles offrent d'approcher l'objectif de la recherche. Cet
ouvrage est destiné essentiellement aux étudiants, praticiens et cher-
cheurs intéressés par une meilleure compréhension des aspects juridi-
ques des problèmes du développement. Notre intention n'est point de
présenter ici une théorie générale, un modèle des relations nord-sud ou
de nous faire le défenseur de telle ou telle philosophie générale des
rapports entre Etats. Par exemple, il n'est pas question de rejeter l'étude
et la présentation de toutes les mesures juridiques réformistes sous
prétexte qu'elles supposent une stratégie de développement extravertie,
qui serait vouée à l'échec. Nous devons, par souci de bonne pédagogie et

(44) R. Falk «Historical tendancies, modernizing and revolutionnary nations, and the
international law in The strategy of world order, volume II : «International law ». edited
by R. Falk et S.H. Mendlovitz. World law fund. New York. 1966. p. 183.
(45) Voir notre article sur «L'affaire du Sahara occidental devant la Cour internationale
de justice. Essai d'analyse structurale de l'avis consultatif du 16octobre 1975. Revueju-
ridique politique et économique du Maroc, n° 1, décembre 1975. p. 81-106.
de vérité scientifique, présenter toutes les données du réel, en nous
munissant chaque fois des outils méthodologiques qui en autorisent une
ananlyse critique.
Nous rendrons compte aussi bien des domaines où des résultats
concrets ont été atteints que de ceux qui n'ont fait l'objet que de projets
ou de simples revendications contradictoires. N'est-ce pas la seule façon
d'éviter les pièges du positivisme et du dogmatisme que de présenter, en
plus du droit en vigueur, les remises en cause, les formules de rechange
et les propositions destinées à combler les lacunes ? La vision
prospective impose parfois d'imaginer l'avenir pour mieux apprécier le
présent sans se contenter de simples projections à partir de ce qui existe.
Nos développements seront consacrés d'abord au nouvel ordre
économique international en tant qu'expression d'un éventuel système de
valeurs propres au droit international du développement ; nous
aborderons ensuite l'étude des acteurs et des sources de ce droit avant de
nous pencher sur les différents domaines des relations internationales en
cause.
Bibliographie sélective de l'introduction
Ouvrages et cours
- AMin (S.), ARRIGHI (G.), GUNDER-FRANCK (A.), WALLERSTEIN (I.) La crise,
quelle crise ? Dynamique de la crise mondiale, Maspéro, Paris, 1982.
- ALTHUSSER (L.), Pour Marx, Maspero, Paris, 1968.
- CARREAU (D.), FLORY (T.), JULLIARD (P.), Droit international économique,
LGDJ, Paris, 1980 (2 édition).
- CARTAFAN (J.Y.), CONDAMINES (C.), Qui a peur du tiers-monde ? Rapports
nord-sud : les faits, Seuil, Paris, 1980.
- CHAUMONT (C.), Cours général de droit international public, RCADI, 1970
(1), tome 129, p. 343-527.
- COLOMBEAU (A.) DAVIN (C.), GUEYDEAU (C.), RUIZ (C.) : Etudes de
doctrine et de droit international du développement, Paris, PUF, 1975.
- Droit international et développement. Actes du colloque international tenu
à Alger du 11 au 14 octobre 1976, OPU, Alger, 1977.
- DUPUY (R.J.), Communauté internationale et disparités de développement -
Cours général de droit international public, RCADI, tome 165, 1981.
- ELMENJRA (M.), The United Nations system - an analysis, Faber and Faber,
Londres, 1973.
- FALK (R.), The new states and international legal order, RCADI, tome 118,
1977 (II).
- FLORY (M.), Souveraineté des Etats et coopération pour le développement,
RCADI, tome 141, 1974 (1).
- FLORY (M.), Droit international du développement, Paris, PUF.
- GONIDEC (P.F.) et CHARVIN (R.), Relations internationales, Paris,
Montchrestien, 1982, (3 édition).
- JOUVE (E.), Relations internationales du Tiers-Monde et droit des peuples,
Paris, Berger-Levrault, 1979 (2 édition).
- L'adaptation de l'ONU au monde d'aujourd'hui. Colloque international de
Nice, 27-29 mai 1965. Paris, Pedone, 1965.
- La relation du droit international contemporain avec la structure
économique et sociale. Actes de la quatrième rencontre de Reims, Faculté de
droit de Reims, 1978.
Le droit à l'autodétermination, Presses d'Europe, 1980.
Le droit au développement au plan international. Colloque de l'Académie de
droit international de La Haye et de l'Université des Nations unies, Sijtoff et
Nordhoff, La Haye, 1980.
- MENDE (T.) De l'aide à la recolonisation, Seuil, Paris, 1979 (3 édition).
- MERLE (M.), Sociologie des relations internationales, A. Colin, Paris, 1974.
- MUTHARIKA (A.P.), The international law of development, Ocean
publications, New York, 4 volumes (documents) à partir de 1978.
- Pays en développement et transformation du droit international. Colloque de
la société française de droit international, Aix-en-Provence, Pedone, Paris,
1974.

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