Céline Levain/Mirage collectif pour « LE MONDE »

Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023

79e année – No 24444
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio

L’installation au camping - Les fantômes du château de Fougeret

Les routes clandestines du pétrole russe

▶ Théoriquement limitées
par les sanctions occiden-
▶ Des tankers vieillissants
ont été recyclés pour
▶ Dissimulés derrière des
sociétés-écrans, leurs pro-
▶ Consciente des risques
élevés de contournement
1 éditorial
tales, les exportations transporter l’or noir, priétaires livrent le brut des sanctions, l’UE les a L’efficacité
d’hydrocarbures russes se et mènent des opérations en Asie, d’où il est parfois durcies, mais les moyens des sanctions
poursuivent grâce à une de transbordement au réexporté vers l’Europe de contrôle sont restreints en question
flotte de navires fantômes large, malgré les risques après son raffinage Pag es 2- 3 pag e 28

Niger
Le risque d’une
confrontation
militaire
La Bretagne La voie militaire est « la der-
nière option sur la table », mais ils
se disent « prêts » à intervenir

face au défi contre la junte qui a pris le pou-

voir à Niamey. Les chefs d’état-
major des pays de la Cedeao ont

climatique
continué, vendredi, d’agiter la
menace d’une intervention ar-
mée, à quelques heures de l’expi-
ration de leur ultimatum, fixé au
▶ La région côtière est dimanche 6 août.
S’il devait avoir lieu, un tel af-
profondément bou­le­- frontement entre « blocs » de
versée par le dérè­- pays – le Mali et le Burkina Faso
étant solidaires des putschistes –
glement climatique serait inédit en Afrique de
l’Ouest, et particulièrement ris-
▶ Les risques de sub- qué dans une région sahélienne
déjà très instable.
mersion et d’érosion Page 4
du littoral sont de
plus en plus marqués

▶ De la pêche à l’éolien Russie

offshore et au tourisme, L’opposant
les mutations
Matthieu Le Fur,
Alexeï Navalny
choisies ou imposées pêcheur à Concarneau voit sa peine de
sont multiples (Finistère), le 1er juin.
détention alourdie
FLORENCE JOUBERT POUR « LE MONDE ».
Pages 14 à 16 et france pages 6-7 page 4

Planète
En Haute-Loire,
Automobile
Dans la fabrique
Culture
Rencontre en
Migrations
un projet de des 4 × 4 massifs bord de mer avec A Gap, des sans-
contournement et très polluants le rappeur Hamé, papiers logés au HORS-SÉRIE
routier contesté du groupe Ineos de La Rumeur HANS HARTUNG ET

page 12 pag e 1 0 page 1 8 camping depuis ANNA-EVA BERGMAN

JOSÉPHINE BAKER

des années SARAH BERNHARDT

ROSA BONHEUR
PIERRE CARDIN
Dans les Hautes-Alpes, CEZANNE
étape fréquente pour les DALI
migrants, cette situation MIRO
s’est installée dans la du- MONET

80
rée, alors que se pressent GUSTAVE MOREAU
de nouveaux arrivants CAROL RAMA
Le roman pag es 8 -9 LA VILLA SEURAT
VAN GOGH
du cannabis
Quand
Démographie MAISONS
le « business »
D’ARTISTES
devient légal
pag e 24
Forte baisse P O U R L’ É T É

Faire la paix
des naissances La maison
de Claude Monet à Giverny.

En 1992, en France
la guerre
de Bolzano Au premier semestre, 80 MAISONS D’ARTISTES POUR L’ÉTÉ
le taux de natalité a reculé
n’a pas eu lieu de 7 % par rapport à 2022, Un hors-série du « Monde »
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0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
lée aux îles Marshall. Aucune trace, non plus,
de la société chargée de l’inspection tech­-
nique, et encore moins de l’assureur. Fin
juin, le Pablo prenait toujours la rouille à
l’entrée du détroit de Singapour, en atten-
dant d’être remorqué.
Au-delà de l’essor des flottes clandestines,
l’embargo de Bruxelles a aussi redessiné les
routes maritimes du pétrole russe, dont la
part dans les importations du Vieux Conti-
nent a chuté de 31 % en janvier 2022 à 3 % en
mars 2023. Avec de nouveaux débouchés en
Asie, ces routes se sont rallongées d’environ
une vingtaine de jours, tandis que l’Europe
doit s’approvisionner plus loin, comme aux
Etats-Unis, au Brésil ou en Angola. « L’allon-
gement des distances a augmenté les durées
de transport et donc la demande en navires-
citernes, ce qui a provoqué une hausse des
prix du fret et des navires », explique Mat-
thew Wright, analyste chez Kpler.
C’est aussi toute une logistique qu’il a fallu
réinventer. Les ports russes de la mer Balti-
que orientale ne pouvant pas accueillir les
pétroliers géants habitués à effectuer des tra-
jets de longue distance, des hubs ont vu le
jour au large de la Grèce ou de l’Espagne, où
de grands navires récupèrent le chargement
de plus petites embarcations. « Kalamata, au
large des côtes grecques, est devenue un nœud
important du trafic maritime, car c’est là que
se rejoignent les navires quittant les ports rus-
ses de la mer Noire et de la mer Baltique sur la
route qui mène vers l’Asie. » Autre avantage : la
présence sur place de nombreuses compa-
gnies grecques de services maritimes.
Changements de nom
Avec l’allongement des routes, la pénurie de
navires pointe à l’horizon, surtout depuis
que des transporteurs refusent de desservir
la Russie pour ne pas entacher leur réputa-
tion. « Les risques d’infraction sont plus élevés
depuis les sanctions, et il faut être aussi plus
vigilant lorsque l’on travaille avec d’autres
compagnies », note-t-on chez Maersk Tan-
kers, qui a décidé que ses 150 navires
n’iraient plus en Russie. Où trouver les navi-
res pour transporter le pétrole russe, même
légalement ? Ce problème, à plusieurs mil-
liards de dollars, a vite été résolu.
Un Français, par exemple, y a vu l’occasion
de faire fortune, au risque d’alimenter, indi-
rectement, l’effort de guerre russe. Diplômé
de l’école de commerce Edhec, Mathieu
­Philippe travaille d’abord à Genève puis à
Dubaï, où il se spécialise dans le transport
maritime avant de cofonder en 2022 Fractal
Shipping, qui transporte des millions de
­barils de brut des ports russes vers l’Asie.
Lorsqu’il est contacté par Le Monde, c’est une
lobbyiste qui répond à sa place. Grace Fens-
termaker travaille pour le cabinet Geopols
dont la mission consiste, comme son site
­Internet l’indique, à « informer, influencer et
transformer les opinions » pour aider « les en-
treprises, les pays et les personnes fortunées
dans les situations difficiles ».
Les investisseurs russes financent-ils l’en-
treprise de Mathieu Philippe afin de sécuri-
ser le transport de leur pétrole ? Fractal Ship-
ping confirme tout juste qu’elle transporte
du pétrole russe, sans vouloir révéler l’iden-
tité de ses actionnaires ou de ses investis-
seurs, ni le nombre de navires qu’elle ex-
ploite ou détient. Selon la base de données
Equasis, Fractal Shipping gère une flotte d’au
moins 24 pétroliers qui se rendent quasi ex-
clusivement en Russie. Certains d’entre eux
sont couverts à la fois par une assurance
­occidentale et russe (Ingosstrakh) si jamais,
en cas d’accident, la compagnie occidentale
découvre une violation des sanctions et re-
fuse le dédommagement.
L’affréteur précise qu’il respecte scrupuleu-
sement tous les régimes de sanctions inter-
nationales, et les « normes les plus rigoureu-
ses » en matière de sûreté. Contrairement
aux navires clandestins, Fractal Shipping fait
partie de ces compagnies de l’ombre spécia-
lisées dans le transport risqué du pétrole
russe, mais qui n’enfreignent pas les sanc-
tions car elles achètent au-dessous de
60 dollars le baril.
Celles-ci ne doivent surtout pas attirer
­l’attention, comme l’a appris Gatik à ses dé-
pens. Cette entreprise domiciliée dans un
bureau de la taille d’un cagibi dans un cen-
tre commercial de Bombay a acquis, entre
novembre 2022 et mars 2023, près d’une
soixantaine de navires, pour une somme
évaluée à 1,4 milliard de dollars. Un trop
grand appétit, qui a éveillé les soupçons : en-
tre avril et juin, plusieurs sociétés de certifi-
cation, à l’instar de Lloyd’s Register et du
l’Inde est devenue
le principal pays
« blanchisseur » du
brut russe interdit
en Europe. Elle le lui
réexporte sous la
forme de diesel ou de
gazole après l’avoir
raffiné sur son sol
American Bureau of Shipping, ainsi que des
assureurs réputés comme The American
Club ont cessé de fournir leurs services à
plusieurs dizaines de ses pétroliers. « Le sim-
ple fait qu’un navire transporte du pétrole
russe ne signifie pas qu’il soit dans l’illégalité
ou qu’il viole des sanctions, précise au
Monde Daniel Tadros, le patron de The Ame-
rican Club. Un transport est légal à condition
que l’on reçoive une ­attestation prouvant que
le pétrole a été acheté au-dessous du prix pla-
fond. » Depuis, Gatik a transféré la propriété
de ses navires à une multitude d’entreprises
qui changent de noms régulièrement pour
passer inaperçues.
« Ne vous trompez pas de piste, prévient
Ami Daniel, le patron de Windward. Ceux qui
détournent les sanctions sont moins les navi-
res clandestins que les négociants pour la
simple et bonne raison qu’ils achètent et ven-
dent le pétrole. » Depuis que la Suisse, un
centre mondial pour les négociants en ma-
tières premières, a appliqué à son tour les
sanctions occidentales, plusieurs d’entre
eux ont quitté Genève pour s’installer dans
les tours climatisées de Dubaï. Situé à la
pointe de la péninsule arabique, entre l’Asie
et l’Afrique, le port se trouve idéalement sur
la nouvelle route du pétrole russe qui s’est
prolongée vers la Chine, en passant par l’Ara-
bie saoudite et l’Inde. Dubaï est aussi un pa-
radis fiscal où se croisent les trafiquants d’or
et les oligarques russes, protégés par le se-
cret bancaire. Autant dire un endroit idéal
pour des négociants en quête de discrétion,
qui louent des bureaux dans l’immense
zone franche de la Dubai Multi Commodi-
ties Centre, un quartier de tours de verre et
de centres commerciaux.
Le cabinet d’intelligence économique Dili-
gencia indique au Monde que les entreprises
spécialisées dans le négoce de pétrole russe y
prolifèrent depuis 2022. Il cite par exemple
Tejarinaft FZCO, la toute nouvelle société
créée en 2022 par le Marocain Hicham Fizazi,
mais aussi Coral Energy DMCC, Marshal
Shipping LLC, Everest Energy DMCC ou en-
core Petroruss DMCC. Ces nouveaux négo-
ciants, domiciliés aux Emirats arabes unis,
ont acheté le tiers du pétrole russe exporté
dans le monde, soit 17 milliards de dollars,
entre janvier et avril. Une grande partie est
­livrée ailleurs.
La relocalisation, de Genève à Dubaï, n’est
pas sans risque. Les autorités suisses soup-
çonnent ainsi Paramount Energy & Com-
modities SA, l’un des principaux négociants
helvètes de pétrole russe, dirigé par le Néer-
landais Niels Troost, d’avoir continué à en
transporter au-dessus du prix plafond auto-
risé, par l’intermédiaire d’une entreprise do-
miciliée à Dubaï au nom étrangement simi-
laire, Paramount Energy & Commodities
DMCC. Une enquête du Financial Times pu-
bliée en mars démontrait comment ce
même négociant l’utilisait pour continuer à
transporter du pétrole depuis la Russie,
acheté à plus de 60 dollars le baril, via cer-
tains navires assurés auprès des compagnies
d’assurance occidentales. Des accusations
rejetées par Niels Troost.
Les négociants seraient les principaux bé-
néficiaires des contournements de sanc-
tions, selon Ami Daniel : « Admettons que
vous êtes un trader à Dubaï et que vous ache-
tez du pétrole russe, vous louez un vieux pé-
trolier qui le transporte au large de la Malai-
sie, puis vous le stockez là-bas pendant un
mois dans un tanker au large pour 1 million
de dollars, ensuite vous transférez le pétrole
dans un deuxième, puis un troisième navire,
vous falsifiez les documents pour
100 000 dollars et vous revendez le tout en
Occident avec une énorme marge. »
C’est en partie grâce à ces négociants que
les exportations de pétrole russe vers l’Inde
ont décuplé depuis le début de la guerre en
Ukraine, en février 2022. En mai, l’Inde ache-
tait 40,4 % de son pétrole importé à la Russie,
contre seulement 2 % avant le conflit. Ces
­approvisionnements lui auraient permis
d’économiser plus de 7 milliards de dollars
entre avril 2022 et mai 2023 grâce au bas prix
des hydrocarbures russes, soumis aux sanc-
tions. En quelques mois, l’Inde a détrôné
l’Union européenne comme premier desti-
nataire des hydrocarbures russes… tout en
prenant la place de la Russie pour approvi-
sionner le Vieux Continent en produits pé-
troliers. Autrement dit, l’Inde est devenue le
principal pays « blanchisseur » du pétrole
russe interdit en Europe, mais elle le lui réex-
porte sous la forme de diesel ou de gazole
après l’avoir raffiné sur son sol.
Des « sociétés-écrans »
Les chiffres du ministère indien du com-
merce montrent que les exportations in-
diennes de produits pétroliers vers le Vieux
Continent sont passées de 287 millions de
dollars, en avril 2021, à 1 milliard de dollars
en avril 2023. Des affaires juteuses qui profi-
tent indirectement à la Russie puisque la
deuxième plus grande raffinerie indienne,
située à Vadinar, dans l’ouest du pays, est ex-
ploitée par l’entreprise Nayara Energy, dont
le capital est détenu à 49,13 % par l’énergéti-
cien russe Rosneft. Une position tout à fait
assumée par le troisième consommateur de
pétrole au monde, qui dépend beaucoup de
ses importations. « Une partie de ce qui est
acheté et raffiné en Inde est vendue en Europe,
relève Jawed Ashraf, ambassadeur de l’Inde
en France, donc nos achats aident à stabiliser
le marché pétrolier international. »
Mais tout le pétrole russe n’est pas vendu
au-dessous du prix plafond de 60 dollars.
Début juillet, la moyenne du cours du baril
du brut dit de « l’Oural », exporté en
­majorité depuis les ports russes de la mer
Baltique, a légèrement dépassé le seuil de
60 dollars pendant deux semaines, suggé-
rant que le prix imposé par le G7 n’a pas été
respecté. « Cela signifie que des entreprises
occidentales ont transporté ou assuré le
transport de pétrole russe alors que c’est in-
terdit », s’insurge Isaac Levi, analyste au
Centre for Research on Energy and Clean Air
basé en Finlande, qui plaide pour que « le
plafonnement du prix du pétrole soit
abaissé, surveillé et respecté ».
Les sanctions internationales ont déjà tari
d’environ de moitié les revenus que Moscou
tire des hydrocarbures, un pilier qui contri-
buait à lui seul à 45 % du budget de l’Etat.
Mais, consciente des risques élevés de dé-
tournement de sanctions, l’Union euro-
péenne les a durcies le 23 juin en précisant
qu’elle interdirait l’accès de ses ports aux na-
vires soupçonnés de transporter du pétrole
brut russe acheté au-dessus du prix plafond,
ou de ceux qui « brouillent, éteignent ou dé-
sactivent de manière illégale leur système de
navigation ». « Non seulement ceux qui en-
freignent les sanctions en Europe ne risquent
pas grand-chose, à part l’interdiction de
­l’accès aux ports pendant quelques mois, re-
grette Ami Daniel, le patron de Windward,
mais les pays européens n’ont pas autant
d’enquêteurs que le Royaume-Uni ou les
Etats-Unis pour détecter ces fraudes. » De
puissants outils d’intelligence artificielle et
d’analyse de données permettent pourtant
de mesurer la cargaison des navires à partir
de leur tirant d’eau et de suivre précisément
leurs itinéraires.
« Il est possible d’identifier l’origine du pé-
trole brut, car il présente un ensemble de
­compositions uniques un peu comme avec
une empreinte digitale humaine, explique
­Peter Kolding, vice-président de Hafnia, le
plus grand opérateur mondial de navires-ci-
ternes, mais la plupart des compagnies mari-
times n’ont pas les capacités techniques
d’identification, et les documents d’expédi-
tion ne contiennent pas ce niveau de détail. »
« On peut suivre les navires de la flotte fan-
tôme ou de la flotte de l’ombre, mais il est très
difficile de remonter jusqu’aux propriétaires
dissimulés derrière des sociétés-écrans »,
tempère Matthew Wright. Le monde du
transport ­maritime se termine là où com-
mence celui de la finance offshore, où les ca-
pitaux circulent instantanément et sont
bien plus difficiles à suivre que les pétro-
liers. « Il y a tellement d’argent en jeu dans le
commerce de pétrole russe, ajoute Matthew
Wright, qu’il y a aussi beaucoup de moyens et
de personnes compétentes pour contourner
les sanctions. » p
Julien Bouissou
International | 3
En mer Noire, les
drones ukrainiens
harcèlent la flotte russe
Le port de Novorossiïsk a été la cible,
vendredi, d’engins maritimes sans pilote
L e conflit en Ukraine s’est
soudainement déplacé
vers la côte orientale de la
mer Noire avec l’attaque de la ville
de Novorossiïsk par des drones de
surface navals ukrainiens, ven-
dredi 4 août au matin. La frappe
sur ce port russe, qui abrite une
base militaire, des installations
commerciales ainsi qu’un termi-
nal pétrolier, a endommagé un
navire militaire et interrompu le
trafic maritime pendant quel-
ques heures. En dix-huit mois de
guerre, c’est la première fois
qu’un port commercial russe,
­décrit comme crucial pour les ex-
portations de blé, est pris pour ci-
ble. Samedi, les médias russes ont
rapporté qu’un pétrolier russe
avait aussi été touché par des dro-
nes ukrainiens dans le détroit de
Kertch, interrompant brièvement
le trafic sur le pont stratégique
­reliant la Crimée à la Russie.
Moscou affirme avoir repoussé
l’assaut de vendredi, précisant
que deux de ses bâtiments, l’Ole-
nogorski Gorniak et le Souvoro-
vets, ont réussi à détruire deux
drones kamikazes. Le bref com-
muniqué du ministère russe de la
défense ne fait mention d’aucun
dommage.
Pourtant, une vidéo postée le
jour même sur L’Observateur mi-
litaire, une chaîne Telegram russe,
montre l’Olenogorski Gorniak net-
tement penché sur son flanc gau-
che, en train d’être remorqué par
autre navire. Le blogueur militaire
Vladimir Romanov, qui soutient
l’invasion russe de l’Ukraine, a lui
aussi posté une vidéo du remor-
quage. Ces images prouvent que le
patrouilleur, en réalité un navire
de débarquement fait pour trans-
porter des hommes et du matériel
lourd, a subi une voie d’eau, sa co-
que ayant vraisemblablement été
percée par l’explosion d’un drone.
La flotte russe de la mer Noire ne
sera pas particulièrement affectée
par cet incident, Moscou ayant re-
noncé à organiser un débarque-
ment sur les côtes ukrainiennes,
dotées de solides défenses.
« Ce type de navires [de débar-
quement], au nombre de neuf en
mer Noire, assure la liaison entre la
Russie et la Crimée du fait des atta-
ques ukrainiennes sur le pont de
Kertch », explique Alexandre
­Sheldon-Duplaix, analyste naval
et historien.
Pont endommagé
Autre symbole de la montée des
tensions dans la zone, ce pont
routier et ferroviaire, qui relie la
Crimée annexée à la Fédération
de Russie, avait été partiellement
endommagé le 17 juillet par des
drones navals. Une partie de la
voie routière est actuellement en
réfection, mais les trains trans-
portant l’essentiel du matériel
militaire vers le front sud
­(Kherson, Zaporijia) continuent
de circuler.
Par ailleurs, la Crimée est en
butte à des attaques incessantes
de drones aériens. Ces dernières
semaines, des dépôts d’armes et
de munitions ont été détruits
­tandis qu’un pont (Tchonhar) et
un aérodrome (Djankoï) ont été
partiellement endommagés. Ven-
dredi, le ministère russe de la dé-
Kiev nargue l’ennemi
avec des petits kayaks
guidés à distance
et chargés d’explosifs
fense a déclaré avoir déjoué une
nouvelle attaque nocturne d’en-
gins volants sans pilote à Feodos-
sia, une plaque tournante de la
­logistique militaire dans l’est de la
presqu’île.
Dépourvue d’une flotte de
guerre digne de ce nom, l’Ukraine
nargue l’ennemi avec ses engins
maritimes sans pilote, des petits
kayaks guidés à distance et char-
gés d’explosifs (450 kilos de TNT).
Utilisés à plusieurs reprises déjà
mais jamais à une telle distance,
ils peuvent désormais frapper en-
core plus loin, comme le prouve
l’attaque du port de Novorossiïsk,
situé à 750 kilomètres d’Odessa
par la mer.
Kiev ne reconnaît pas ouverte-
ment avoir perpétré ces frappes.
« Les drones changent les règles du
jeu… et finissent par détruire la
­valeur de la flotte russe », a com-
menté, vendredi, sur les réseaux
sociaux, Mykhaïlo Podoliak, le
conseiller du président ukrainien,
Volodymyr Zelensky. La fré-
quence des attaques « risque
d’augmenter », a indiqué l’ana-
lyste militaire Roman Svytan sur
Kanal24, une chaîne ukrainienne,
estimant que la sortie de la Russie
de l’accord céréalier en mer Noire
a « délié les mains » de Kiev.
Supérieure sur le plan naval, la
Russie contrôle la mer Noire d’où
ses navires lancent régulière-
ment des missiles de croisière sur
les principaux ports et villes
ukrainiens. La tactique du harcè-
lement utilisée par Kiev l’oblige à
renforcer ses défenses. « Les Rus-
ses ont déjà placé une barrière
physique dans le port de Sébas­-
topol [en Crimée], qui empêche
l’entrée des drones ukrainiens. En
revanche le port de Novorossiïsk
n’était pas protégé d’après mes
­informations », assure M. Shel-
don-Duplaix.
Les experts ukrainiens crai-
gnent que les sous-marins russes,
pourvus de capacités de minage
en profondeur, ne soient sollici-
tés, ce qui serait un risque majeur
pour la navigation en mer Noire,
cette artère du commerce écono-
mique mondial devenue un en-
jeu stratégique de premier plan
entre Kiev et Moscou.
Pour autant, la puissance navale
russe tendrait à décliner. « Au fur
et à mesure de la guerre, l’espace
maritime contrôlé par la Russie n’a
cessé de se réduire, en raison des
pertes subies, de la pression exer-
cée par les drones navals et aériens
utilisés par les Ukrainiens, et de la
fermeture des détroits du Bos-
phore et des Dardanelles, qui em-
pêche toute bascule d’effort entre
d’autres ports russes et Sébasto-
pol », a souligné le général Jacques
Langlade de Montgros, directeur
du renseignement militaire fran-
çais, lors d’une audition à l’As-
semblée nationale, le 12 juillet. p
Emmanuel Grynszpan
et Marie Jégo

4 | International
Le Niger devant le risque d’une intervention militaire
Les pays d’Afrique de l’Ouest se disent prêts à mobiliser leurs armées pour réinstaller le président renversé
O
n est prêt », affirme
d’une voix ferme un
ministre ouest-afri-
cain, vendredi 4 août.
Son pays, un des poids lourds de la
région, se prépare à faire « usage de
la force » contre la junte à la tête du
Niger depuis le 26 juillet, assure-
t-il. « Notre ligne n’a pas varié, c’est
la fermeté. C’est le coup d’Etat de
trop », explique le responsable po-
litique. A quelques heures de l’ex-
piration de l’ultimatum fixé au di-
manche 6 août par les pays de la
Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (Ce-
deao) pour que les militaires nigé-
riens rendent le pouvoir au prési-
dent Mohamed Bazoum, les deux
camps – celui des « putschistes »,
qui soutient la junte nigérienne, et
celui des « légalistes », qui réclame
la réinstallation du dirigeant ren-
versé – restent sur leurs positions
et chacun envisage la guerre. Si
elle devait avoir lieu, cette con-
frontation entre « blocs » serait
inédite en Afrique de l’Ouest et
particulièrement risquée.
Vendredi, à Abuja, capitale nigé-
riane, les chefs d’état-major des
pays de la Cedeao ont conclu trois
jours de réunion en annonçant
que les contours d’une « éventuelle
En cas de
confrontation,
une des clés sera
l’unité de l’armée
nigérienne
intervention militaire » contre la
junte nigérienne ont été « définis ».
« Y compris les ressources nécessai-
res, mais aussi la manière et le mo-
ment où nous allons déployer la
force », a précisé le commissaire
chargé des affaires politiques et de
la sécurité, Abdel-Fatau Musah.
« Un enjeu existentiel »
Une source militaire affirme que
près de 50 000 soldats pourraient
être mobilisés pour cette opéra-
tion, un chiffre considéré comme
« plausible » par plusieurs ex-
perts, mais qui n’est qu’une « pla-
nification » vouée à être ajustée. Il
correspond au nombre d’hom-
mes que l’armée nigérienne
pourrait aligner en 2025, selon les
projections qu’avait faites le
­gouvernement. Plusieurs pays
comme le Nigeria, le Sénégal et la
Côte d’Ivoire ont d’ores et déjà
confirmé leur participation à
cette force. Le Tchad – qui n’ap-
partient pas à la Cedeao, mais
dont le président, Mahamat Idriss
Déby, a tenté une médiation au
lendemain du coup d’Etat – a an-
noncé qu’il n’y participerait pas.
Après avoir imposé de lourdes
sanctions économiques et finan-
cières, la Cedeao montre-t-elle les
muscles pour faire céder les
­putschistes, ou est-elle prête à
partir au combat ? « La voie mili-
taire n’est que la dernière option
sur la table », a souligné M. Mu-
sah. Mais, ces derniers jours, la
voie du dialogue a semblé se
muer en impasse : la médiation
envoyée mercredi à Niamey par
Bola Tinubu, le chef de l’Etat nigé-
rian, qui préside actuellement la
Cedeao, n’a pas été reçue par le
­général Abdourahamane Tiani, à
la tête du Conseil national pour la
sauvegarde de la patrie (CNSP), et
n’a pas pu rencontrer M. Bazoum,
le président déchu, toujours
­séquestré.
Le Nigeria est la pièce maîtresse
du dispositif, qui mobilisera des
moyens terrestres et aériens en
cas d’intervention. Le pays, qui
partage 1 500 kilomètres de fron-
tières avec le Niger, est prêt à
­mettre à disposition le contin-
gent le plus important et des di-
zaines de blindés. « Pour chaque
pays, l’enjeu est existentiel. Si les di-
rigeants de la Cedeao ne réagis-
sent pas, ils encourent le risque
d’entériner le fait que les régimes
militaires sont la norme et qu’ils
sont les prochains sur la liste »,
analyse un ministre nigérien du
gouvernement renversé. « S’ils in-
terviennent, ils prennent le risque
que leur rue grogne », poursuit-il.
En cas de confrontation, une des
clés sera l’unité de l’armée nigé-
rienne. Considérée comme l’une
des meilleures de la zone. Les sol-
dats seront-ils solidaires du géné-
ral Tiani ? Lors de la déclaration de
prise de pouvoir du CNSP, à la télé-
vision nationale le 26 juillet, tous
les corps de l’armée étaient repré-
sentés, ce qui plaide pour une co-
hésion. Néanmoins, le général
Tiani « est un général mal-aimé de
la troupe », souligne le ministre
­nigérien du gouvernement ren-
versé. Il pourra en tout cas comp-
ter sur des militaires expérimen-
tés, alors qu’ils ont nommé un
nouvel état-major, vendredi, di-
rigé par Salaou Barmou. Ce géné-
ral formé par les Etats-Unis est un
spécialiste de la lutte antiterroriste
et a combattu sur tous les théâtres
nigériens, de Diffa à Agadez.
La junte pourra aussi s’appuyer
sur le Mali et le Burkina Faso. Ces
deux pays également dirigés par
des putschistes ont annoncé
qu’une intervention contre Nia-
mey serait assimilée à une « dé-
claration de guerre » à leur encon-
tre. Allié de la Russie en Afrique,
Bamako travaille main dans la
main avec le Groupe Wagner, qui
a déployé environ 1 600 merce-
naires sur son territoire. Lors de la
visite, mercredi, au Mali de Sali-
fou Mody, considéré comme le
numéro deux du CNSP, « un
­contact a été établi entre la junte
nigérienne et les mercenaires rus-
ses de Wagner », selon des sources
diplomatiques françaises.
Lutte contre les djihadistes
Le groupe russe, dont le patron,
Evgueni Prigojine, s’est réjoui de
ce nouveau coup contre les « colo-
nisateurs », serait-il prêt à aider
Niamey ? Le rapprochement est
surveillé de près par les forces
­occidentales présentes au Niger,
alors que la junte veut changer
d’alliance. Jeudi, elle a dénoncé les
« accords de coopération dans le
domaine de la sécurité et de la dé-
fense avec la France », qui a
1 500 soldats déployés sur le terri-
toire pour participer à la lutte
­contre les groupes djihadistes.
Une demande que Paris a rejetée,
estimant que seules les « autorités
Russie : Alexeï Navalny à nouveau
condamné de manière expéditive
Le tribunal de Moscou a prononcé une peine de dix-neuf ans
de prison pour « extrémisme » contre l’opposant à Vladimir Poutine
Vladimir (Russie) - envoyé spécial
L a sévérité de la peine était
prévisible. En milieu de
journée, vendredi 4 août, le
principal opposant russe à Vladi-
mir Poutine, Alexeï Navalny, a
été condamné à dix-neuf ans de
­détention dans une colonie à­
­« régime spécial » pour « extré-
misme ». Un verdict prononcé
à distance, par le tribunal munici-
pal de Moscou, que le condamné
a entendu depuis sa prison, où
il purge déjà une peine de neuf
ans. L’audience n’a duré que
quinze minutes.
La veille du verdict, le condamné,
47 ans, dont deux passés derrière
les barreaux, avait lucidement pré-
dit son châtiment. « La peine sera
longue, de type “stalinien”, annon-
çait l’opposant sur sa chaîne Tele-
gram. La formule pour calculer [le
verdict] est simple : ce que le procu-
reur a demandé, moins 10 %-15 %.
Ils ont demandé vingt [ans], je ré-
colterai dix-huit [ans] ou quelque
chose comme ça. Cela n’a pas
grande importance, car une affaire
de terrorisme survient déjà à toute
allure. Ils peuvent me donner en-
core dix ans [supplémentaires]. »
Le chef de file de l’opposition
russe invitait ses partisans à « ré-
fléchir » à la signification de l’iné-
vitable lourde peine. « Son but
principal est d’intimider. Vous, pas
moi », ajoutant à propos de lui-
même qu’il considère « honteux »
de se laisser intimider.
Les dix-neuf années de prison
correspondent à la durée totale
qu’Alexeï Navalny devra passer en
colonie pénitentiaire, en vertu
des peines déjà prononcées.
Auparavant, il avait été condam­-
né à neuf ans de colonie péniten-
« Si la junte
se maintient
au pouvoir, Paris
n’aura d’autre
choix que de
quitter le Niger »
Julien Antouly
chercheur en droit
des conflits armés
nigériennes légitimes » avaient le
pouvoir de revenir sur ces accords.
« C’est une position politique, mais
aussi juridique, explique Julien
­Antouly, chercheur en droit des
conflits armés. Contrairement à ce
qui s’est passé au Mali et au Bur-
kina Faso, où une transition avait
été mise sur pied, avec une charte et
un gouvernement, le coup d’Etat
est encore en cours au Niger. » Cela
dit, souligne le chercheur, « si la
junte se maintient au pouvoir, la
position française deviendra inte-
nable, et Paris n’aura d’autre choix
que de quitter le Niger ».
Le pays était devenu le cœur du
dispositif des Français pour la
lutte contre les groupes djihadis-
tes au Sahel. Ils y disposent d’au
moins deux bases, communes
avec l’armée nigérienne. Les
Américains (1 000 hommes) sont
aussi présents, non seulement
dans leur base d’Agadez, mais
aussi dans diverses emprises
­discrètes, dont celle de la CIA à
­Dirkou, dans le nord du pays. Se-
lon nos sources, ces partenaires
tiaire pour « escroquerie » et
« outrage à magistrat ».
L’audience – sans les magistrats,
restés à Moscou – s’est déroulée
dans l’enceinte même de la colo-
nie pénitentiaire n° 6 (IK-6) de la
région de Vladimir, à 250 kilomè-
tres à l’est de la capitale. La presse,
soit une cinquantaine de journa-
listes venus de Moscou en train,
était parquée dans une autre pe-
tite salle, d’où elle pouvait obser-
ver l’audience sur un écran télé-
visé mais avec une retransmis-
sion sonore quasi inaudible.
« Acharnement judiciaire »
M. Navalny, sa défense, un coac-
cusé et un homme en uniforme
de gardien de prison sont apparus
derrière trois bureaux alignés en
contreplaqué, constituant quasi-
ment le seul mobilier d’une salle
aux hauts murs d’aspect spartiate.
Selon les partisans de l’opposant,
l’acharnement judiciaire vise à
l’écarter à jamais de la vie politique
russe. Ivan Jdanov, l’un de ses plus
proches alliés, actuellement en
exil, a réagi à la condamnation en
détaillant les six articles du code
pénal russe en vertu desquels l’op-
posant était emprisonné. « Créa-
tion d’une organisation à but non
lucratif portant atteinte aux droits
des citoyens » ; « financement de
l’extrémisme » et « organisation
d’une communauté extrémiste »,
en référence à la Fondation anti-
corruption (en russe : FBK) dirigée
par Alexeï Navalny ; « appels pu-
blics à l’extrémisme », fondés sur
des publications en ligne d’un ca-
méraman de FBK, et par le dis-
cours de l’un des participants à un
rassemblement à Oufa en 2017 ;
« implication de mineurs dans la
commission d’actes dangereux
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
militaires étrangers pourraient
être utiles à la Cedeao en cas de
confrontation avec la junte,
­notamment en matière de rensei-
gnement, mais ils s’abstiendront
d’apparaître.
« Tout le monde a capitalisé sur le
modèle nigérien, bien avant que les
Français se fassent chasser du
Mali » en 2022, analyse un spécia-
liste étranger des questions de
­sécurité. Les regards se tournent
désormais vers le Tchad, dernier
allié, avec la Mauritanie, de la
France au Sahel. C’est à N’Djamena
que l’état-major de « Barkhane »
était installé et 1 000 soldats fran-
çais y sont toujours déployés, mal-
gré la fragilité du pouvoir tcha-
dien. Son importance pour Paris
est telle qu’Emmanuel Macron
était venu en personne assister
aux funérailles du président
Idriss Déby, en avril 2021, ce qui
avait été perçu comme un geste
de soutien envers son fils, Maha-
mat, qui avait pris le pouvoir.
« A la lumière de ces dernières
années, il faut questionner l’op-
portunité d’un redéploiement des
forces. Ne faut-il pas plutôt envisa-
ger un départ pur et simple de la
France du Sahel », s’interroge
­Julien Antouly. La première hy­-
pothèse reviendrait à parier sur
un Etat fragile, dont le pouvoir est
régulièrement défié par des
­rébellions. p
Jean-Philippe Rémy
et Anna Sylvestre-Treiner
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
pour la vie », du fait de leur partici-
pation à des manifestations aux-
quelles avait appelé l’opposant.
L’article le plus loufoque de la
condamnation, « réhabilitation du
nazisme », s’applique à un collage
réalisé par des partisans de l’oppo-
sant à Volgograd, sur lequel figure
la photographie du plus célèbre
monument soviétique de la ville,
recouvert de teinte verte. Une
­couleur appliquée en protestation
après une agression contre M. Na-
valny, restée impunie, lors de la-
quelle l’opposant avait été blessé à
l’œil par un produit chimique vert.
Après le verdict, les Nations
unies ont demandé la « libération
immédiate » de M. Navalny. Cette
condamnation « suscite de nouvel-
les inquiétudes concernant le har-
cèlement judiciaire et l’instrumen-
talisation du système judiciaire à
des fins politiques en Russie », a dé-
noncé dans un communiqué le
haut-commissaire de l’ONU aux
droits de l’homme, Volker Türk.
« C’est la conclusion injuste d’un
procès injuste », a déploré le porte-
parole du département d’Etat
américain dans son communi-
qué, évoquant une nouvelle ­sen­-
tence judiciaire basée « sur des ac-
cusations infondées de prétendu
extrémisme ».
De son côté, la France exige la li-
bération d’Alexeï Navalny et dé-
nonce « avec la plus grande vi-
gueur » la peine de dix-neuf ans de
prison, y voyant « un acharnement
judiciaire » contre l’opposant
russe. Ces mots n’ont toutefois
aucune prise sur un Vladimir Pou-
tine de moins en moins soucieux
des apparences légales lorsqu’il ré-
prime ses opposants. p
Emmanuel Grynszpan (à Paris)
et Nicolas Ruisseau
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Inde : face à Modi,
l’opposition
se met en ordre
de marche
La levée de l’inéligibilité de
Rahul Gandhi, farouche critique
du premier ministre, renforce
la nouvelle coalition de 26 partis
New Delhi - correspondantes
L
a décision de la Cour su-
prême pourrait rebattre
les cartes dans la course
pour les élections généra-
les du printemps 2024 en Inde. La
plus haute instance judiciaire a
suspendu, vendredi 4 août, la
peine infligée à Rahul Gandhi,
principale figure de l’opposition,
dans une affaire de diffamation à
l’encontre du premier ministre,
Narendra Modi. Lors d’un ras-
semblement électoral en 2019, le
dirigeant du Parti du Congrès
avait moqué le nom de famille de
Modi, ce qui lui a valu d’être
­condamné à deux ans de prison
en mars par un tribunal du Guja-
rat, ancien fief du chef du gouver-
nement. Cette sanction, à l’évi-
dence politique, a entraîné son
éviction du Parlement et le ren-
dait inéligible pour six ans.
Rahul Gandhi, farouche critique
du premier ministre, devrait pou-
voir à nouveau siéger dans l’hémi-
cycle. Le Parti du Congrès va saisir
le Parlement afin de demander sa
réinstallation le plus rapidement
possible. Dans son jugement, la
Cour suprême a fait valoir que la
condamnation de M. Gandhi était
« gravement préjudiciable à la li-
berté de parole » et qu’elle portait
également atteinte aux « droits de
ceux qui avaient voté pour lui ». Au
pouvoir depuis 2014, le gouverne-
ment nationaliste hindou est ré-
gulièrement accusé d’utiliser la
justice pour museler les critiques.
« Je reviens… les questions vont
continuer », prévient un message
du Parti du Congrès sur le réseau
Dans un Japon vieillissant, l’épineux débat sur la fin de vie
L’Archipel cherche des solutions à l’isolement des personnes âgées. Des initiatives tendent à favoriser le maintien à domicile et les soins palliatifs
Tokyo - correspondant
L e centre pour personnes
âgées de Santafe Garden
Hills, à Tokyo, a des airs de
maison de retraite futuriste. Des
robots aident les malades à se le-
ver, se coucher, s’asseoir, se dépla-
cer. Des capteurs situés dans les
matelas surveillent les fonctions
organiques vitales, ce qui permet
de réduire la fréquence des ron-
des de nuit. Des machines parlan-
tes invitent – sans beaucoup de
succès – les pensionnaires à chan-
ter à l’unisson avec elles.
Il existe une quarantaine d’éta-
blissements de ce type au Japon,
où le gouvernement multiplie les
initiatives pour faire face au
vieillissement rapide par des
­approches transversales médico-
sociales et des technologies de
pointe. « Les Japonais ne sont pas
beaucoup plus avancés que nous,
mais ils ont vu le problème se pro-
filer depuis des années, alors que
nous en sommes aux balbutie-
ments », relève, à l’issue d’une
mission à Tokyo, Xavier Emma-
nuelli, cofondateur de Médecins
sans frontière (MSF), qui préside
le SAMU social international.
social X (ex-Twitter), accompagné
d’une photo de M. Gandhi. Avant
sa condamnation, l’héritier de l’il-
lustre dynastie des Nehru-Gandhi
n’a cessé d’interroger le gouver-
nement sur des dossiers gênants,
notamment sur les liens entre le
premier ministre et le magnat
Gautam Adani. L’empire de ce
milliardaire avait été ébranlé en
février après des accusations d’es-
croquerie par un fonds américain.
Puissants partis régionaux
Rahul Gandhi devrait être en
­mesure de participer aux pro-
chaines élections générales, à
moins qu’un jugement final ne
l’en empêche, toutes les procé­-
dures d’appel n’ayant pas été
­épuisées. « Advienne que pourra,
mon devoir reste le même :
­protéger l’idée de l’Inde », a-t-il ré-
sumé après la décision.
Quoi qu’il en soit, la compéti-
tion de 2024 ne ressemblera pas
aux deux précédentes. L’opposi-
tion indienne a décidé de
­présenter un front uni contre
­Narendra Modi. Vingt-six partis
ont scellé une alliance le 18 juillet
pour tenter d’empêcher le pre-
mier ministre de remporter
un troisième mandat.
La nouvelle coalition, baptisée
India (Indian National Develop-
mental Inclusive Alliance), ras-
semble autour du Parti du
­Congrès les représentants de tou-
tes les régions qui résistent à la
pression du Parti du peuple in-
dien (Bharatiya Janata Party, BJP),
au pouvoir. Il compte les puis-
sants partis régionaux du Benga-
le-Occidental, de Delhi, du Jhar­-
Il a trouvé, dans l’Archipel, un in-
terlocuteur d’envergure pour tra-
vailler sur la question du vieillis-
sement et de la mort : le chirur-
gien Oichiro Kobori qui, après
avoir pris sa retraite, a choisi de
devenir médecin de quartier ren-
dant visite à des personnes en fin
de vie. Tous deux sont de fervents
avocats du maintien à domicile
des personnes en fin de vie, ac-
compagné de soins palliatifs. « La
médecine a fait des progrès prodi-
gieux pour maintenir en vie, mais
nous avons oublié ce que les méde-
cins d’autrefois savaient faire : ac-
compagner, consoler », déplore
Xavier Emmanuelli.
Indifférence
Au cours des dernières années,
Oichiro Kobori (dont le livre La
Belle Mort, vivre sa mort à domi-
cile au Japon a été publié en fran-
çais, chez Atlande, en 2022) a ac-
compagné 604 personnes, dont
les trois quarts sont mortes chez
elles. « Souvent, à l’hôpital j’ai vu
des malades gribouillant sur un
bout de papier leur souhait de
mourir chez eux », dit-il.
« Le médecin doit comprendre la
demande ultime du patient »,
Rahul Gandhi (deuxième à droite) avec d’autres dirigeants de l’opposition à Patna (Inde), le 23 juin. ANI/Pappi Sharma via Reuters Connect
khand, du Bihar, du Tamil Nadu,
du Telangana, du Kerala.
L’idée d’une telle union était en-
core impensable il y a quelques
mois, tant les différends et la
­concurrence entre les acteurs sont
importants. Longtemps consi-
déré comme arrogant, le Parti du
­Congrès a cessé d’être un repous-
soir, notamment grâce à l’élection
en octobre 2022 d’une personna-
lité extérieure à la famille Gandhi
à la tête du mouvement, Mallikar-
jun Kharge, et à l’organisation, par
M. Gandhi, d’une grande marche
de l’unité, reliant le pays du sud au
nord, qui a changé son image. La
large victoire du parti dans l’Etat
du Karnataka en mai a aussi pesé.
« Nous mettons de côté nos diffé-
rences politiques pour sauver la dé-
mocratie et la Constitution », a as-
suré Mallikarjun Kharge.
Après neuf ans de pouvoir, le
BJP poursuit sa stratégie d’hin-
douisation du pays. Le conflit
inter­ethnique qui consume Ma-
nipur, dans le nord-est de l’Inde,
depuis plus de trois mois, n’est
que la dernière illustration de la
polarisation extrême voulue par
le gouvernement, au détriment
des minorités religieuses chré-
Le ministère de
la santé a ouvert
dans chaque
quartier des
« group homes »,
comparables
aux crèches
pour enfants
poursuit le docteur Kobori. Mais,
« c’est à la famille et non au patient
que sont présentées les conclu-
sions du diagnostic, constate le
docteur Kae Ito, psychiatre, char-
gée du groupe de recherche sur
l’inclusion à l’Institut de gériatrie
de Tokyo. Médecins, nous sommes
pris entre le respect de la demande
de la personne qui dispose de ses
facultés de discernement, et les va-
leurs prévalant au Japon, qui don-
nent la primauté à la famille ».
La majorité des Japonais meu-
rent désormais à l’hôpital. Sans
aller jusqu’à l’aide active à mourir,
des établissements se sont spé-
cialisés dans les soins palliatifs.
Mais ils sont inégalement répar-
tiennes et musulmanes, mais
aussi des basses castes.
A rebours de cette stratégie, l’al-
liance India promet de défendre
les fondements laïques de l’Inde,
les minorités, les dalits (ancienne-
ment appelés intouchables) et les
Adivasis (tribus), ceux qui ont été
la cible des nationalistes hindous.
Elle s’engage en cas de victoire à
conduire un recensement des
castes pour obtenir une photo-
graphie exacte de la composition
sociale de l’Inde. Ce serait une ré-
volution. Le dernier recensement
publié de ce type date de 1931.
Chef omniprésent
Cette union ouvre le scrutin de
2024. Face à une opposition divi-
sée, Narendra Modi n’avait em-
porté en 2019 que 37 % des voix.
La mécanique parlementaire à la
britannique lui a permis d’obtenir
une très confortable majorité,
303 sièges sur 543. « Cela fait
[presque] dix ans que le BJP est le
visage du pouvoir et il peut aussi
exister une forme de fatigue de la
part des citoyens dont la qualité de
vie ne s’est pas améliorée à la hau-
teur des promesses qui leur
avaient été faites. Il ne faudrait pas
tis dans le pays. En outre, les
aides-soignants sont en nombre
insuffisant, en dépit d’une dis-
crète ouverture à l’immigration
d’étrangers formés au Japon.
D’autres approches, fondées sur
le sens communautaire, subsis-
tent dans les « quartiers villages »
des grandes villes. Dans ces ruelles
bordées de modestes maisons in-
dividuelles survit un esprit d’en-
traide entre voisins. Le ministère
de la santé a ouvert dans chaque
quartier des « group homes », com-
parables aux crèches pour jeunes
enfants. Une douzaine de person-
nes âgées y sont amenées par la
municipalité pour y passer la jour-
née. Un soulagement pour les fa-
milles : souvent, c’est la fille ou la
bru qui doit s’occuper des parents,
selon la sociologue Muriel Jolivet,
de l’université Sophia, à ­Tokyo,
autrice de nombreux ouvrages
sur le Japon.
Des temples bouddhistes ac-
cueillent aussi des personnes
âgées dans des sortes de « cafés »
où elles peuvent parler avec le
bonze de leurs inquiétudes. Des
laïcs estiment toutefois que ces
actions favorisent le prosélytisme
– voire la captation des hérita-
International | 5
« Advienne que
pourra, mon
devoir reste le
même : protéger
l’idée de l’Inde »
Rahul Gandhi
principale figure
de l’opposition indienne
grand-chose pour faire basculer la
majorité », affirme Gilles Verniers,
chercheur au Centre for Policy Re-
search de New Delhi.
Depuis 2019, le BJP, malgré un
investissement très important de
M. Modi – figure de toutes les
campagnes régionales –, a perdu
presque une élection sur deux. Le
BJP gouverne principalement les
Etats du Nord, dans la ceinture
hindiphone, où se trouve le cœur
de son électorat, sensible au su-
prémacisme hindou. S’il ne dirige
plus aucun Etat dans le Sud, il dé-
tient néanmoins des Etats straté-
giques qui envoient un grand
nombre de députés à la chambre
basse. Et cette arithmétique
l’avantage largement.
ges par les temples. Selon Tsu-
neyoshi Okamura, responsable
de l’équipe de recherches sur la
démence sénile à l’Institut de gé-
rontologie de Tokyo, « confrontés
aux demandes des patients aux-
quelles ils ne savent que répondre,
les aides soignants sont favorables
aux rencontres avec des bonzes ».
Cette compassion a pour revers,
dans une partie de la population,
une indifférence à l’égard des per-
sonnes âgées. Pour le révérend
Sudo du temple Kudo-ji (départe-
ment d’Aomori), « la mort effraie
les jeunes mais, à en juger par leurs
demandes, c’est moins le sort des
autres, ou de leurs proches, que leur
propre disparition qui les inquiète ».
« Se sentir indésirable »
« Autrefois, vivre longtemps était
une aspiration de tout être hu-
main. Aujourd’hui, vieillir c’est se
sentir indésirable », disait la réali-
satrice Chie Hayakawa à la sortie
de son film Plan 75 (2022) dans le-
quel elle imaginait qu’un jour, les
personnes âgées se verraient
­proposer par l’Etat une euthana-
sie volontaire, afin d’alléger le
« fardeau » du maintien en vie de
ces « improductifs ».
Il reste aux membres d’India à
trancher la délicate question du
partage des sièges, celle du lea-
dership et d’une offre program-
matique. « Si elle se distingue du
BJP, cette alliance n’a pour l’instant
pas de projet alternatif bien défini
pour étendre son poids politique
au-delà de l’arithmétique électo-
rale », prévient Gilles Verniers. En
face, le BJP dispose de moyens fi-
nanciers et logistiques considéra-
bles, mais aussi d’un chef charis-
matique, omniprésent, béné­-
ficiant d’une exposition à l’inter-
national. Narendra Modi a été
accueilli ces dernières semaines à
Washington et à Paris et s’apprête
à recevoir les dirigeants des pays
du G20 lors du sommet qui se dé-
roulera à New Delhi en septembre.
Il a accueilli l’alliance de l’opposi-
tion par la moquerie et ne cesse de
l’attaquer, notamment pour le
choix de son nom. Signe d’une cer-
taine fébrilité, le jour même de
l’annonce de la création du groupe
India, le BJP décidait de relancer sa
propre alliance NDA (National
­Democratic Alliance) avec une
trentaine de petits partis. p
Carole Dieterich
et Sophie Landrin
Au Japon, beaucoup de person-
nes âgées vivent seules : 6,7 mil-
lions sur les 35 millions de plus de
65 ans (près d’un tiers de la popu-
lation) selon une enquête du mi-
nistère de la santé, du travail et de
la protection sociale de 2021.
Certains de ces esseulés meu-
rent comme ils ont vécu : discrè-
tement. On ne découvre le corps
de « ces morts qui n’intéressent
personne », comme les nomme le
docteur Kobori, que des jours plus
tard. Le phénomène porte un
nom (« kodokushi », soit « mort
solitaire »), mais, sans définition
légale, il ne fait pas l’objet de sta-
tistiques. Alarmant au cours de la
pandémie, il a donné naissance à
des petites entreprises spéciali-
sées dans le nettoyage des lieux à
la suite de la découverte d’un
­décès. Il semble avoir régressé.
L’isolement commence à être
reconnu comme un problème so-
cial. En 2021, a été créé un poste de
ministre chargé du problème de
la solitude dont l’une des mis-
sions est d’identifier les person-
nes âgées vivant seules et d’orga-
niser des visites régulières de
­volontaires à leur domicile. p
Philippe Pons
 France
6|
C r i s e c l i m at i q u e
Les régions bousculées par le climat
Le réchauffement climatique va bouleverser profondément l’identité culturelle des territoires
P
our comprendre le
réchauffement cli-
matique, il y a les
courbes, les cartes…
Toutes plus alarmis-
tes les unes que les
autres. Mais, il y a aussi le senso-
riel. Car ces graphiques aux multi-
ples dégradés de rouge sont déjà
ressentis par des millions de Fran-
çais qui voient leur terre changer.
En Bourgogne, la date des ven-
danges ne cesse d’être avancée. En
moyenne d’un mois par rapport
au Moyen Age. En Bretagne et en
Normandie, des précurseurs ont
replanté des vignes. En moyenne
montagne, les milieux économi-
ques hésitent entre une reconver-
sion vers un tourisme estival
tourné vers le pastoralisme et l’in-
vestissement dans les canons à
neige. Les forêts de hêtres dispa-
raissent au sud de la Seine.
Et puis, il y a ces animaux que
l’on voit moins, d’autres qui re-
montent du sud, comme les
moustiques tigres. En Ariège, les
frelons asiatiques s’attaquent aux
abeilles, jusqu’à 1 200 mètres d’al-
titude. « La géographie est le pro-
duit d’un environnement naturel
et d’un patrimoine historique, la
transition climatique bouleverse
les choses, résume Magali Reghez-
za-Zitt, géographe et membre du
Haut Conseil pour le climat. A
terme, on peut se demander ce que
vont devenir les marais salants de
Guérande, les marais maritimes
du Mont-Saint-Michel, la Camar-
« Il y a de grandes
interrogations et un
impératif à défendre
les agricultures
de notre territoire »
Loïg Chesnais-Girard
président de la région Bretagne
gue, les régions viticoles, les sapi-
nières de montagne. La France
bouge déjà beaucoup au niveau
des paysages, et ça va s’accélérer. »
A peine redécoupées par la loi
­NOTRe en 2015, les régions vont-
elles devoir se réinventer dans les
décennies à venir ? Après cette
évolution administrative et carto-
graphique, les grandes entités
ainsi regroupées avaient planché
pour se trouver une identité com-
mune, parfois en se rebaptisant
avec des appellations liées à l’his-
toire ou à la géographie : Midi-Py-
rénées-Languedoc-Roussillon de-
venant Occitanie ; Provence-Al-
pes-Côte d’Azur se transformant
en région Sud. Le futur climatique
risque de bouleverser une nou-
velle fois les choses.
Tourisme et environnement
Des questions qui se posent déjà
dans certains endroits balnéaires
avec l’érosion du trait de côte.
D’autres mutations paraissaient
alors plus lointaines. Depuis 2022,
celles-ci deviennent très présen-
tes. Avec les canicules, les grandes
villes vont-elles perdre de leur
­attractivité à certaines périodes
de l’année ? Le soleil, principal
atout du littoral méditerranéen,
deviendra-t-il un ennemi ?
« Je vous l’avais dit, il y a de l’eau
dans le lac de Serre-Ponçon cette
année », blague Renaud Muselier,
président de la région Provence-
Alpes-Côte d’Azur. En 2022, avec
un niveau extrêmement bas, ce
lac artificiel était devenu un des
symboles de la sécheresse. M. Mu-
selier se targue d’avoir mis en
place un budget 100 % vert, avec
une augmentation de 80 millions
d’euros de l’enveloppe consacrée
aux trains (480 millions d’euros
pour une flotte de 750 trains), la
gestion de neuf parcs régionaux,
une électrification des lieux d’es-
cale des paquebots, le développe-
ment de drones pour surveiller
les départs de feu…
Il est persuadé que son territoire
s’acclimatera. « On reste la pre-
mière destination touristique de
France, certes derrière Paris, mais
ça, ça ne compte pas. Mon ambi-
tion est que mes 5 millions d’habi-
tants puissent arriver à vivre en
protégeant leur environnement
tout en accueillant tous ces touris-
tes. Je crois en l’intelligence hu-
maine et en sa capacité à s’adap-
ter, affirme le président d’une ré-
gion-pilote de la planification
écologique. En Israel, 98 % des
eaux usées sont recyclées, on a un
peu de marge. Il n’y a jamais eu
beaucoup d’eau chez nous, pas la
peine de vous rappeler Manon des
sources. Selon les scientifiques, il y
aura de la neige jusqu’en 2050
dans deux tiers des stations, ça
laisse le temps de lancer des études
pour savoir comment faire évoluer
nos montagnes. »
Erigées en cheffes de file de la
transition énergétique par des
lois de 2014 et 2015, les régions se
sont rapprochées des scientifi-
ques. La Nouvelle-Aquitaine a
créé AcclimaTerra, un « GIEC » ré-
gional composé d’experts. Ces
structures existent aussi en Nor-
mandie, en Ile-de-France ou en
Provence-Alpes-Côte d’Azur. La
Bretagne a installé une Breizh
COP et un Haut Conseil breton
pour le climat. Une façon d’aider
les responsables à prendre des dé-
cisions, et à construire leurs sché-
mas régionaux d’aménagement
durable et d’égalité des territoires.
« Toutes les régions interrogées té-
moignent d’une prise de cons-
cience forte des enjeux climati-
ques. Leur appropriation reste ce-
pendant encore variable selon les
exécutifs régionaux », expliquait
le Haut Conseil pour le climat,
dans son rapport de 2020.
Mais les changements à venir
sont tels qu’ils peuvent menacer
des cultures séculaires dans les
prochaines décennies. Un péril
pour l’image des régions. En Bre-
tagne, les températures de
2022 ont abouti à une baisse
­d’environ 30 % des récoltes de
deux productions emblémati-
ques, l’oignon et l’artichaut. « Il y a
de grandes interrogations et un
impératif à défendre les agricultu-
res de notre territoire, très liées aux
prairies et donc aux ruminants, es-
time Loïg Chesnais-Girard, prési-
dent de la région Bretagne. Mon
obsession est que la Bretagne ne
devienne pas une terre 100 % cé-
réalière, ou avec du maïs partout. Il
faut rester sur une agriculture plu-
rielle. Ça rimerait à quoi si on im-
portait du lait venu d’ailleurs ? »
Attractivité
En Normandie, pays de bocages
tourné vers la mer, l’évolution du
trait de côte inquiète. « On pourrait
se dire que quelques degrés en plus
sont une bonne chose pour le cli-
mat de notre région, mais on a déjà
des endroits où les falaises s’effon-
drent », résume Hervé Morin, pré-
sident de la région. Lors de la cani-
cule de l’été 2022, le président du
conseil départemental de la Man-
che avait vanté, sur les plateaux de
télévision, l’habituelle clémence
de la météo dans sa zone. Mais
l’élévation de la mer rend déjà ur-
gente la question des relocalisa-
tions. A Quiberville (Seine-Mari-
time), le camping installé près de la
plage a été déplacé sur les hauteurs
de la commune, à plusieurs centai-
nes de mètres. « On voit déjà les
conséquences. Et si on ne veut pas
construire des digues, il faudra mu-
tualiser les coûts de relocalisation,
car ce sera un chantier impossible
pour les communes et les collectivi-
tés », prévient M. Morin.
Pour les régions, le réchauffe-
ment pose aussi le défi de l’attrac-
tivité. Le climat peut devenir pré-
pondérant dans les choix des en-
treprises et provoquer des migra-
tions nouvelles au sein du pays.
Depuis quelques années, les re-
traités, qui plébiscitaient la Côte
« La France bouge déjà
beaucoup au niveau
des paysages,
et ça va s’accélérer »
Magali Reghezza-Zitt
géographe et membre du Haut
Conseil pour le climat
d’Azur, se tournent vers l’Atlanti-
que et la Manche. « Si les gens
changent leurs habitudes, leurs
lieux de vacances, les acteurs
s’adapteront, mais depuis le Covid,
il y a une réflexion globale sur l’im-
portance du cadre de vie, analyse
Christophe Alaux, directeur de la
chaire Attractivité et nouveau
marketing territorial (université
Aix-Marseille). Les grandes villes
qui semblent être les perdantes de
cette mobilité résidentielle ont pris
conscience que si elles ne propo-
saient pas une meilleure qualité de
vie avec des espaces verts, beau-
coup de gens partiraient. » A l’occa-
sion d’une vaste étude, « Image-
terr », les responsables de la chaire
ont pu récupérer 4 500 verbatims.
« Au moins 600 de ces entretiens
évoquent le climat. En majorité
pour chercher le soleil. Mais on voit
monter en puissance les mots
“tempéré”, “douceur”. Il y a claire-
ment une préoccupation grandis-
sante », conclut M. Alaux.
Migrations
A l’image d’autres métropoles,
­Paris a commandé une enquête
à l’Organisation internationale
pour les migrations. « Les migra-
tions liées au changement climati-
que vont transformer le visage des
villes dans un avenir proche. Cer-
taines villes verront leur popula-
tion augmenter en raison d’un
exode rural, mais d’autres seront
confrontées à un exode urbain »,
peut-on lire dans le rapport, et le
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Une falaise
à Quiberville,
en Seine-
Maritime,
touchée par
l’érosion, le
22 juin 2022.
DAMIEN MEYER / AFP
manque d’espaces verts et la qua-
lité de l’air sont parmi les trois
principales raisons avancées pour
quitter la capitale. « La chaleur, les
incendies, les moustiques… Beau-
coup de facteurs peuvent entraîner
une reconfiguration de la carte de
France, estime Mme Reghezza-Zitt.
Il y a déjà des endroits où on se de-
mande s’il faut reconstruire après
des catastrophes. Il pourra y avoir
des déplacements à l’intérieur du
pays et peut-être même des ré-
flexions sur des logements provi-
soires où certains passeront une
partie de l’année. En France, ça
­reposera la question des inégalités
sociales avec ceux qui peuvent le
faire, et les autres. »
Des évolutions qui obligent les
régions à un grand écart : à la fois
tenter de préserver ce qui fait la
spécificité de leur histoire, tout en
se projetant vers un futur climati-
que source de profonds change-
ments. Pour les aider à s’adapter,
Météo-France met ainsi à disposi-
tion des acteurs économiques et
des élus plusieurs simulateurs,
comme les plates-formes Drias-
climat.fr ou Climadiag, pour voir
quelle sera la situation climatique
des territoires ou des communes
à la fin du siècle. Le ministère de la
transition écologique va aussi re-
voir son simulateur Explore 2070.
Finalement, l’idée est d’être ca-
pable de diviser la France en car-
rés de 8 kilomètres sur 8. Car, en
Nouvelle-Aquitaine, l’évolution
climatique de Bayonne (Pyrénées-
Atlantiques) n’aura rien à voir
avec celle de Guéret. « Le monde
dans cinquante ans sera différent
partout, et le climat sera le facteur
de changement le plus important,
ne serait-ce que pour le tourisme,
l’agriculture… Cela altérera les pay-
sages et probablement les modes
de vie », conclut le paléoclimatolo-
gue Jean Jouzel. S’adapter ou su-
bir, un immense dilemme pour
les vieilles régions françaises. p
Matthieu Goar
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023 France | 7

Transition écologique : œuvre de l’objectif zéro artificiali-

sation nette [ZAN]. Cela pourrait
passer par le couple maire-préfet. »
La ZFE et le ZAN empêchent des
« Je suis là
pour convaincre
mais 1 000 lauréats. Au total, ce
sont déjà 128 millions d’euros de
subventions de l’Etat qui vont per-
mettre d’enclencher 605 millions
les élus locaux
maires et préfets
maires de dormir. La première est d’euros d’investissement dans
un périmètre que les 43 plus gran- les territoires ».
des agglomérations devront défi- et les appuyer » Reste que le couple maire-préfet
nir avant 2025 afin d’en exclure, si Michel Vilbois sera sans doute « plus important

en première ligne
nécessaire, les véhicules les plus préfet de Haute-Saône pour les petites communes que
polluants. La seconde vise à ré- pour les grandes, souligne l’entou-
duire la bétonisation : à partir de rage de Dominique Faure, car la
2050, le moindre mètre carré arti- Le préfet peut être amené à tran- préfecture est, pour les premières,
ficialisé devra être compensé par cher des conflits entre élus vraiment porteuse de solutions et
La collaboration entre le représentant de l’Etat son équivalent rendu à la nature.
Le ZAN, le préfet Vilbois en en-
autour de projets controversés,
comme les canons à neige en
d’accompagnement ». Les métro-
poles disposent de services étof-
et les élus locaux est indispensable à l’adaptation tend souvent parler dans son
« comcom tour ». « Parfois, les
moyenne montagne, par exem-
ple. Souvent le délégué territorial
fés et doivent gérer les dossiers
structurants, comme la rénova-
des villes au réchauffement climatique élus sont un peu braqués, recon-
naît-il. Evidemment, si on leur dit
des agences de l’Etat apporte in-
génierie et soutien matériel aux
tion des bâtiments publics ou les
transports. Donc, nuance Jeanne
que l’on va sucrer la moitié de leurs maires, complète Gil Avérous. Barseghian, les villes peuvent sou-
possibilités de développement, ça « Qui dit projets dit aussi régle- vent se passer du préfet. Pour ré-

Q
ui d’autre que le
maire peut lutter
contre les îlots de
chaleur ? Qui peut
conduire les citoyens
à délaisser la voiture pour le vélo ?
En matière de transition écologi-
que, « les villes représentent un effet
levier très fort, note Jeanne Barse-
ghian (Europe Ecologie-Les Verts),
maire de Strasbourg. Elles ont un
rôle majeur à jouer. Ce sont les villes
qui sont à la manœuvre, et ce, par-
tout dans le monde ». Mais, rap-
pelle un conseiller de la ministre
chargée des collectivités locales,
Dominique Faure, « la réussite ne
peut être que collective, cela ne
peut fonctionner que si le préfet et
le maire travaillent ensemble ».
Le binôme maire-préfet est « un
maillon indispensable, reconnaît
Mme Barseghian. Le préfet est no-
tre interlocuteur au niveau local ».
La collaboration entre le bras
armé de l’Etat et les édiles a
prouvé son intérêt à de nombreu-
ses reprises. En particulier lors de
la crise due au Covid-19, où « ce
couple a montré son importance »,
soulignait Emmanuel Macron,
lors d’un discours devant des
maires en novembre 2022. « Nous
croyons à sa force, à sa cons-
tance », insistait le chef de l’Etat.
Un « comcom tour »
Pour conduire concrètement la
transition écologique, le binôme
sera « à la manœuvre sans aucun
doute », estime Gil Avérous
(Les Républicains), maire de Châ-
teauroux et président de Villes
de France, qui rassemble les villes
de 10 000 à 100 000 habitants.
Notamment, explique-t-il, parce
que « ce n’est pas qu’une obliga-
tion morale ; c’est une obligation
réglementaire imposée par des en-
gagements nationaux, déclinés ré-
gionalement et localement ». Or,
considère Morgane Nicol, direc-
trice de programme à l’Institut de
l’économie pour le climat, « le
couple maire-préfet peut faciliter
cette coordination ».
« Je suis là pour les convaincre et
les appuyer », expose Michel Vil-
bois, préfet de Haute-Saône.
Même s’il reconnaît que la con-
viction n’est « plus un gros travail
à faire ». Le représentant de l’Etat
s’est lancé dans ce qu’il nomme
un « comcom tour » : la tournée
des dix-huit communautés de
communes de son département.
Il en a déjà visité seize, rencon-
trant beaucoup d’élus. « Je cons-
tate qu’ils sont tous convaincus,
dit-il. Il n’y a plus de combats d’ar-
rière-garde. Sur l’eau, par exem-
ple, ils vont tous la confier à
­l’intercommunalité. Dans le dé-
partement, on en est à la cin-
quième année de sécheresse sur
six ; ils ont compris. »
Il reste cependant un gros tra-
vail à faire. « Le dialogue Etat-col-
lectivités sur les enjeux de transi-
tion écologique doit encore s’amé-
liorer, constate Morgane Nicol,
comme en témoignent les crispa-
tions actuelles sur les zones à fai-
bles émissions [ZFE] et la mise en
part en vrille. Mais, quand on re- mentation, enquêtes publiques et/
garde de près de quoi on parle, que ou arrêtés préfectoraux, comme
l’on donne des exemples, ils ad- c’est le cas pour les parcs éoliens
mettent les choses. » Ainsi des par- et photovoltaïques… », poursuit le
celles pour la construction de maire de Châteauroux.
maisons : les maires paraissent Selon les travaux de l’Institut
revenus des « 2 000 mètres car- de l’économie pour le climat, les
rés, sinon rien » au profit de ter- collectivités locales vont devoir
rains de 600 à 800 mètres carrés. doubler leurs investissements
Ils sont d’accord pour considérer pour tenir les engagements de
qu’il faut éviter de bétonner la neutralité carbone du pays :
moitié de la surface pour y garer 12 milliards d’euros par an contre
les voitures, et qu’il faut inciter 5,5 milliards actuellement. « Mais
les habitants à s’équiper de récu- en auront-elles les moyens ? », in-
pérateurs d’eau de pluie… terroge l’institut de recherche.
« Le dialogue maire-préfet peut
12 milliards d’euros par an permettre de faire remonter les
Dans certaines communes dont besoins de financement, les obsta-
l’urbanisme dépend encore du cles à l’investissement », indique
préfet, celui-ci peut même aller Morgane Nicol. D’ailleurs, le
plus loin. « Pour les aider à inter- Fonds vert, doté par l’Etat de
connecter ou à rénover les réseaux 2 milliards d’euros, sera distribué
d’eau, par exemple, je leur propose par les préfets. Début mai, le mi-
des aides d’urgence, explique nistère de la transition écologi-
­Michel Vilbois. S’ils n’agissent pas, que se félicitait de son « vif suc-
je peux leur dire : “Ça fait cinq ans cès », en dénombrant « plus de
que nous avons des ruptures d’eau 10 000 dossiers déposés (…) par les
chez vous, on ne construit plus.” » élus et les collectivités, avec désor-
nover ses écoles et ses gymnases,
Strasbourg a obtenu un prêt de
95 millions d’euros de la Banque
européenne d’investissement. La
municipalité traite également di-
rectement avec les ministères.
« Les financements préfectoraux
sont marginaux », assure Mme Bar-
seghian, qui reconnaît que, « en
matière de transition écologique,
on est assez peu en lien avec la pré-
fecture. Car c’est nous qui agissons
et qui rendons compte à la popula-
tion ». Elle le regrette, d’ailleurs.
Notamment parce qu’elle souhai-
terait que l’Etat soit plus ambi-
tieux en la matière, y consacre
plus de crédits et soit plus coura-
geux pour assumer ses choix.
« C’est souvent nous qui nous
­faisons critiquer, rappelle-t-elle.
Le préfet devrait davantage expli-
quer à la population les objectifs
des politiques publiques. Sur les
ZFE, par exemple, la biodiversité
ou l’alimentation, il faut que l’Etat
soit plus présent. » p
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8 | France
i m m i g r at i o n
Pauline et Lahouaria rejoignant le camping Napoléon, à Gap, le 27 juillet. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »
A Gap, des
migrants logés
au camping
depuis 2017
Plus d’une centaine de sans-papiers sont
hébergés par le 115 dans des bungalows,
aux côtés des touristes, dans l’attente
d’une régularisation
Reportage
Gap - envoyée spéciale
C’
est soirée ka-
raoké au Na-
poléon. Sur la
petite terrasse
de ce camping
trois étoiles,
situé dans les hauteurs de Gap,
des vacanciers s’attardent, en
cette fin de mois de juillet, autour
d’un repas tandis que leurs en-
fants entonnent le refrain d’un
morceau du rappeur Naps : « Faut
qu’j’quitte la France, elle a fait la
petite frange (ouh) /C’est la kif-
fance, c’est la kiffance. » Au même
moment, aux confins du terrain
de l’établissement, dans des bun-
galows similaires à ceux des tou-
ristes, ou presque, des sans-abri
s’apprêtent à passer la nuit.
De l’hébergement d’urgence
dans un camping… La situation
est presque inédite sur le terri-
toire et elle s’est installée dans la
durée dans ce département de
140 000 habitants, frontalier de
l’Italie. Selon la préfecture,
112 personnes, la plupart sans pa-
piers, originaires surtout d’Afri-
que de l’Ouest, mais aussi d’Eu-
rope de l’Est, sont actuellement
prises en charge dans des bunga-
lows du Napoléon. Elles représen-
tent la majorité des personnes hé-
bergées par le 115 dans les Hautes-
« La municipalité ne
met pas à disposition
des lieux pour
accueillir les gens »
Odile Carrau
membre de la Cimade et du
réseau d’accueil JRS Welcome
Alpes, essentiellement des fa-
milles. « Ces dernières années, le
dispositif d’hébergement d’ur-
gence est passé de 64 places
en 2017 à 175 aujourd’hui », expli-
que par mail le service communi-
cation de la préfecture, souli-
gnant que « le dispositif est pour
l’heure complet ».
Les Hautes-Alpes sont deve-
nues, depuis fin 2016, l’une des
étapes de la route migratoire de-
puis les Balkans ou les rives ita-
liennes de la Méditerranée. « L’uti-
lisation de ce camping a débuté
lors de l’arrivée rapide et massive
de migrants depuis la frontière ita-
lienne en 2017, explique la préfec-
ture. Il s’agissait d’une solution de
mise à l’abri aux conditions de vie
décentes (…) en fonction des bâti-
ments et espaces disponibles. »
Site difficilement accessible
Ainsi, Fjorentina (les personnes
citées par leur prénom n’ont pas
souhaité donner leur nom), une
Albanaise de 31 ans, vit ici depuis
près de quatre ans, avec son mari
et ses deux enfants. Pauline, une
femme de 36 ans originaire du
Congo-Kinshasa, cumule près de
cinq années en bungalow.
Elle avait d’abord déposé une de-
mande d’asile à Paris, mais les
services de l’Etat l’ont envoyée,
avec son mari et leurs cinq en-
fants, dans un centre d’accueil
à Gap. Son statut de réfugié re-
fusé, la famille a ensuite basculé
dans l’hébergement d’urgence,
au Napoléon.
« La municipalité ne met pas à
disposition des lieux pour ac-
cueillir les gens », croit pour sa
part Odile Carrau, membre de la
Cimade et du réseau d’accueil JRS
Welcome. Le maire divers droite,
Roger Didier, reconnaît s’être
« opposé », il y a deux ans, à l’utili-
sation d’un hôtel du centre-ville
Un enfant devant un bungalow du camping Napoléon, à Gap, où il est logé, le 27 juillet. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »
pour faire de l’hébergement d’ur-
gence. « Ce n’est pas digne », argu-
mente-t-il auprès du Monde.
Queen, une Nigériane de 35 ans,
pourrait abonder dans son sens.
Avant d’arriver au Napoléon, elle
a vécu un an dans une « petite
chambre » d’hôtel avec son mari
et ses deux enfants et, elle ne veut
« surtout pas y retourner ». En
France, sur les plus de
200 000 places que compte le dis-
positif d’hébergements d’ur-
gence, environ 70 000 se trou-
vent dans le parc hôtelier. Queen
apprécie le calme du camping et
l’intimité que lui offre, depuis
trois ans, la vie en bungalow, la
chance d’avoir une cuisine et des
sanitaires privatifs. « Le camping,
c’est mieux », la rejoint Lahouaria,
une Algérienne de 38 ans, mère
de quatre enfants et qui a vécu
deux ans dans la chambre d’un
Formule 1, même si elle partage
aujourd’hui un lit avec son mari
et son plus jeune fils. « C’est pas
top mais c’est comme ça, pour-
suit-elle. L’hiver, c’est le plus diffi-
cile. Il fait très froid. »
Plusieurs personnes hébergées
qui ont gardé sur leur téléphone
des photos prises durant l’hiver
2022-2023 montrent des matelas
ou des plinthes tachetés de moi-
sissure. Dans certains bungalows,
les blattes prolifèrent. D’autres
ont été bardés à la hâte de tôle et
de laine de verre. Mais ce qui
coûte le plus à certains, c’est le
manque d’accessibilité du site, si-
tué à environ 3 kilomètres du
centre-ville. L’une des femmes
Deux enfants d’une famille de sept personnes, dans un bungalow, à Gap, le 27 juillet. BRUNO FERT POUR « LE MONDE »
hébergées embauche à 7 heures
dans un établissement d’héber-
gement pour personnes âgées dé-
pendantes (Ehpad) et, faute de
transports collectifs à cette heu-
re-ci, elle marche une heure pour
rejoindre son travail. Le camping
n’est de toute façon pas directe-
ment desservi par le réseau de
bus de ville – sauf en été – et au re-
tour de leurs courses, les person-
nes doivent remonter à pied sur
plus de 1 kilomètre la route natio-
nale qui mène au Napoléon.
C’est parce qu’ils se plaignaient
de plus en plus de certains désa-
gréments de la vie au camping,
appuyés par le collectif militant
Réseau hospitalité et relayés par
la presse locale, que le proprié-
taire du Napoléon a souhaité re-
donner au site sa seule finalité
touristique. Début mars, l’opéra-
teur du 115, l’association Appase-
Coallia, a signifié aux hébergés
qu’ils devraient déménager au
31 mai. Puis la préfecture a fait
machine arrière. Le maire de la
ville s’était en outre une nouvelle
fois opposé à ce qu’un hôtel soit
utilisé pour la prise en charge des
familles. « On allait entasser
les personnes dans des chambres
de 9 mètres carrés, en pleine zone
d’activités commerciales, justifie
l’élu. Ce n’était pas convenable et
on aurait perdu un hôtel. »
Dans l’esprit de Roger Didier, il y
a aussi le souci de conserver un
certain « équilibre » dans le « terri-
toire rural » qu’il administre.
Comme si la mise à distance des
migrants dans un camping com-
« Les touristes, on
ne les croise pas.
C’est chacun dans
son coin », estime
une mère de famille
pensait l’« impact désagréable »
de leur arrivée à Gap. Le maire
cite, pêle-mêle, l’ouverture de
squats ces dernières années, des
« regroupements de jeunes mi-
grants » qui occuperaient « sans
partage » des terrains de sport, ou
encore « un petit peu de délin-
quance, du bruit, des agressions »,
conséquences à son sens de la
présence de personnes « sans
autorisation de travail ou sans
destination précise ».
« Laxisme » de l’État
Depuis que l’utilisation du cam-
ping par le 115 a été prolongée, un
avenant au règlement intérieur
de l’établissement a été diffusé,
dans lequel il est précisé que les
barbecues et le bruit après 22 heu-
res sont interdits ou encore que
« les aires de jeux sont réservées à
la clientèle touristique ». « C’est
chacun dans son coin », estime
une mère de famille. « Les touris-
tes, on ne les croise pas », appuie
une autre, même si d’anciens jeu-
nes hébergés ont rejoint les cuisi-
nes du restaurant du Napoléon
comme commis ou plongeur.
Pour cela, ils ont obtenu des pa-
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
piers. La régularisation, c’est ce à
quoi tous aspirent, en définitive,
seul moyen pour eux d’accéder
au parc locatif social ou privé.
Lahouaria, qui vient d’obtenir
un titre de séjour après neuf ans
en France dont cinq années pas-
sées au camping, est en train de
faire une demande de logement
social et s’est empressée de dépo-
ser des CV pour travailler à l’Eh-
pad ou comme aide à domicile.
Après deux demandes de titre in-
fructueuses, Pauline, elle, attend
toujours et souffre de voir son fils
aîné de 19 ans contraint à l’oisi-
veté car sans-papiers, alors qu’il
détient un CAP de cuisine. Queen
aimerait aussi sortir de l’impasse
administrative : « Ça fait presque
six ans qu’on est en France et on
me conseille d’attendre encore
avant de demander une régulari-
sation », confie-t-elle.
Certaines des femmes parvien-
nent à faire quelques heures de
ménage déclarées ici et là, chez
des particuliers, tandis que de ra-
res hommes travaillent au noir,
notamment dans le bâtiment.
Pas de quoi, pour la plupart, de-
mander une régularisation au ti-
tre du travail. Et pour le faire au ti-
tre de la vie privée et familiale, il
faut cumuler au moins cinq ans
d’ancienneté sur le territoire et
avoir scolarisé ses enfants depuis
trois ans. En attendant, le maire
de Gap peste contre le « laxisme »
de l’Etat qui n’expulse pas les per-
sonnes sans papiers et les laisse
des années dans l’« illégalité ». p
Julia Pascual
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023 France | 9

Le taux de natalité a baissé

de 7 % au premier semestre
Entre janvier et juin, 314 400 bébés sont nés, 24 000 de moins
qu’en 2022 sur la même période, selon les chiffres de l’Insee

E n France, la natalité conti-

nue de décroître. C’est le
constat que dresse l’Institut
national de la statistique et des
études économiques (Insee) sur
les six premiers mois de l’année.
Au premier semestre, 314 400 bé-
bés sont nés, 24 000 de moins
qu’en 2022 sur la même période,
soit une diminution de 7 %. La ten-
dance est déjà à l’œuvre depuis
une décennie. Comme chaque
mois depuis le début de l’année,
en juin, les naissances sont restées
très faibles (1 904 en moyenne cha-
que jour) ; une baisse de 7,2 % par
rapport à juin 2020, un mois de ré-
férence pour les conceptions
d’avant la pandémie de Covid-19.
Autre fait marquant, de janvier à
Issouf et son père, Abdoul, aux Terrasses solidaires, à Briançon, le 27 juillet. BRUNO FERT POUR « LE MONDE » juin, le nombre de personnes dé-
cédées (313 300) a presque dépassé
celui des naissances. Ce solde na-
Entre 2012 et 2022, on est passé de
2,1 enfants en moyenne par
femme à 1,8. Si la baisse actuelle de
7 % se prolonge sur l’ensemble de
l’année, cela porterait le taux de
fécondité à 1,68 enfant par femme,
au plus bas depuis le milieu des
années 1990 », note-t-il.
Evolution des mœurs
Alors, pour quelles raisons la fé-
condité française, la plus forte de
l’Union européenne, est-elle en
train de se tasser ? « Depuis plu-
sieurs années, les femmes font une
entrée plus tardive dans la mater-
nité », déclare Gilles Pison, démo-
graphe à l’Institut national d’étu-
des démographiques (INED).
L’âge moyen de la mère à la nais-
sance de son premier enfant est
passé de 24 ans en 1974 à 31 ans
en 2022. Et si en France, pendant
en Ukraine et les incertitudes liées
au réchauffement climatiques,
peuvent faire partie des explica-
tions. M. Le Bras, sans nier l’im-
pact de ces phénomènes, estime
lui que « la fécondité est davantage
liée à des éléments très personnels :
conditions de vie, emploi, etc. ».
Une autre piste tient, selon le dé-
mographe de l’EHESS, à une évolu-
tion des mœurs, avec des femmes
de plus en plus diplômées et qui
sont entrées plus tard sur le mar-
ché du travail. Par ailleurs, plu-
sieurs enquêtes de l’Insee mon-
trent que la participation des
hommes aux tâches domestiques
et à l’éducation des enfants n’a
guère augmenté. « Les femmes ne
voient plus pourquoi elles assume-
raient seules la seconde journée,
celle de l’entretien de la famille, ana-
lyse M. Le Bras, ce qui peut les inci-

Accueil à Briançon : turel – écart entre les naissances et

les morts –, désormais proche de
zéro, est au plus bas depuis la se-
conde guerre mondiale.
un temps, la forte baisse des nais-
sances chez les femmes de moins
de 30 ans « était compensée » par
le nombre de naissances chez cel-
ter à décider d’en réduire la taille. »
En ce sens, les spécialistes esti-
ment que des politiques publi-
ques pourraient favoriser la nata-

« Ce n’est plus gérable »

Le nombre de naissances dé-
pend de deux facteurs : le nom-
bre de femmes en âge de pro-
créer, qui lui varie peu, et le nom-
bre d’enfants par femme. « Cet
Les bénévoles des Terrasses solidaires peinent à ­indicateur de fécondité est en
baisse depuis 2012, affirme Hervé
héberger dignement les migrants venus des Alpes Le Bras, démographe et directeur
d’étude à l’Ecole des hautes étu-
des en sciences sociales (EHESS).
les ayant plus de 30 ans, « ce n’est
plus le cas », explique M. Le Bras.
« Les femmes n’ont plus seulement
leurs enfants plus tard, elles en ont
moins », estime-t-il.
Les deux spécialistes s’accor-
dent sur la difficulté à expliquer
cette baisse des naissances. Pour
le démographe de l’INED, la con-
joncture économique, la guerre
lité, pour les femmes qui le sou-
haitent : augmenter le nombre de
places en crèche – la première mi-
nistre, Elisabeth Borne, a annoncé
en juin 200 000 places supplé-
mentaires à l’horizon de 2030 –,
élargir l’accès au logement, ren-
forcer l’égalité entre les femmes
et les hommes au travail, etc. p
Minh Dréan

Reportage « Nos stocks de

Briançon (Hautes-Alpes) -
envoyée spéciale
B les dons arrivent de
eaucoup marché dans le
désert… C’est pas facile…
Police tunisienne courir
derrière moi… Marcher
cinq jours, pas d’eau, pas d’om-
bre… » Il ne s’arrête plus. Sans
qu’on ne lui ait posé la moindre
question, Issouf (les personnes ci-
tées par leur prénom n’ont pas
souhaité donner leur nom) s’est
mis à parler du parcours migra-
toire qu’il a engagé il y a presque
six mois depuis le Burkina Faso,
avec son père, Abdoul. Le garçon
de 10 ans montre ses jambes, truf-
fées de cicatrices. Des cailloux sur
lesquels il serait tombé. « J’ai vu des
cadavres, des gens mourir. Le Sa-
hara a tué les gens, demande à
papa ! Je dis la vérité », poursuit-il.
Après avoir traversé le Mali, l’Al-
gérie et la Tunisie, Issouf et son
père ont franchi la Méditerranée
jusqu’à l’île italienne de Lampe-
dusa. « Ma maman ne voulait pas
qu’on traverse, elle avait peur, elle
disait : "Retournez-vous". On a ris-
qué la vie. Tout le monde rit mainte-
nant. Ils sont contents. »
Fin juillet, Issouf et Abdoul ont
passé à pied le col alpin de Montge-
nèvre, près de la frontière entre
nourriture s’épuisent,
façon ponctuelle »
Jean Gaboriau
administrateur de l’association
Refuges solidaires
t-il, en pleurs. J’aurais pu devenir
djihadiste, j’étais dos au mur. »
De sa route vers la France, il ra-
conte chaque étape, les nuits ca-
chés dans des champs d’oliviers à
attendre les passeurs, les francs
CFA acquittés à chaque étape,
les pick-up et marches harassan-
tes, les nombreux refoulements
de la Tunisie vers l’Algérie, les
­petits boulots payés 30 dinars
[8,80 euros] la journée, les gens
« de bonne foi » qui lui offraient à
boire et à manger, ou ceux, ef-
frayants, qui raflaient « les Noirs »
et les envoyaient vers le désert.
Depuis le mois de mai, à Brian-
çon, on constate un afflux crois-
sant de personnes aux Terrasses
solidaires, en lien avec l’augmen-
tation des départs de Tunisie, en
proie à une crise économique et à
une montée des violences envers
demande à la préfecture d’ouvrir
un centre d’hébergement mais elle
nous laisse sans réponse », se dé-
sole Alfred Spira, également mem-
bre du conseil d’administration
des Terrasses solidaires.
Sollicités sur le sujet, les services
de l’Etat dans le département as-
surent que les demandes d’héber-
gement faites auprès du 115 – le Sa-
musocial – « restent conformes au
nombre constaté les années précé-
dentes à la même époque ».
« Nos stocks de nourriture s’épui-
sent, les dons arrivent de façon
ponctuelle. On a trois veilleurs de
nuit salariés, on en voudrait bien
quatre », explique Jean Gaboriau,
administrateur de l’association
Refuges solidaires. Les seuls de-
niers publics seraient ceux de
l’agence régionale de santé, qui
consacrerait environ 40 000 euros
par an à la blanchisserie.
L’Espagne en ligne de mire
Du reste, une quinzaine de béné-
voles s’active chaque jour sur
place. « On est complètement ac-
caparés par la gestion de l’accueil,
témoigne Luc Marchello. En géné-
ral, les personnes restent entre
trois et cinq jours mais une partie
ne sait pas où aller ou attend un
Western Union pour pouvoir ache-
ter un billet de train. »
EELV défend la venue du rappeur
Médine à ses journées d’été
Le parti a été taxé d’« islamo-gauchisme » par l’extrême droite
C’ est l’été, et les partis de
gauche cherchent à at-
tirer les meilleures tê-
tes d’affiche pour leurs universi-
tés de rentrée. C’est Europe Ecolo-
l’artiste a fait détruire par son pu-
blic des pinatas à l’effigie du parti.
Ciblé, comme Jean-Luc Mélen-
chon, par un projet d’attentat ter-
roriste néonazi en 2018, le rappeur
militante de Révolution perma-
nente Adèle Haenel et professe :
« On veut la justice sociale, on veut
combattre l’extrême droite, on veut
en finir avec les mécanismes d’op-
gie-Les Verts (EELV) qui remporte a depuis adopté des mots d’ordre pression qui frappent à la fois les
pour le moment la palme de l’in- plutôt consensuels à gauche. Dans populations LGBT, les racisés, les
vitation la plus médiatique, avec un entretien à la revue anticapita- ­féministes. » En septembre, il se
la venue du rappeur Médine, le liste Ballast, le 15 juillet, il proclame produira à la fête de l’Humanité. p
24 août, au Havre (Seine-Mari- son admiration pour l’actrice et Julie Carriat
time). Les contempteurs du chan-
teur lui reprochent notamment
un titre de 2015, Don’t Laik – et les
paroles « crucifions les laïcards » –,
l’album Jihad (2005) ainsi qu’une
photo de 2014 le montrant
en train de faire une quenelle,
geste popularisé par Dieudonné,
condamné pour antisémitisme. HORS-SÉRIE
Marine Tondelier, secrétaire na-
tionale d’EELV, admet des désac-
cords avec les prises de position
du rappeur, mais, en écoutant ses

l’Italie et la France. Une route qui a
pris son essor fin 2016, face à la re-
crudescence des contrôles poli-
ciers dans les Alpes-Maritimes. Is-
les migrants subsahariens. La nuit,
ils peuvent être soixante-dix à arri-
ver au refuge. Ces derniers jours, le
nombre de personnes hébergées
Abdoul et Issouf sont de ceux
que personne n’attend. « Il nous
faut des indices pour nous orienter.
On ne connaît personne en France,
L’ATLAS
dernières chansons, elle retient
qu’« il écrit sur l’excision, se pro-
clame écologiste » et œuvre
­contre les violences policières.

DES
souf et Abdoul ont été refoulés sur place est monté à plus de deux confie le père, qui souhaite dépo- « Si on ne veut que des gens qui 6 000 ANS 200
une première fois par la police cents, des hommes presque exclu- ser une demande d’asile. On se nous ressemblent, qui ont les bons D’HISTOIRE CARTES

française, avant de réussir à gagner
Briançon (Hautes-Alpes), à une
quinzaine de kilomètres. On les
rencontre aux Terrasses solidaires,
un ancien sanatorium, racheté
1 million d’euros en 2021 par une
poignée de fondations et d’asso-
ciations telles que Refuges solidai-
res, Médecins du monde ou Tous
migrants et au sein duquel sont ac-
cueillis les migrants en transit.
« J’étais dos au mur »
« Inchallah, on va trouver les do-
sivement, alors que les normes de
sécurité limitent la capacité du lieu
à une soixantaine de personnes.
Des tentes ont été montées de-
hors ; le réfectoire du bâtiment est
devenu un vaste dortoir où une
quarantaine de lits de camp ont
été alignés. Les personnes s’y repo-
sent, un œil sur leur téléphone
quand elles ne dorment pas, le vi-
sage enfoui sous une couverture.
Les bénévoles ont toujours
connu les variations saisonnières
des arrivées. A l’hiver 2021, tout
mettra dans les mains des gens qui
sont gentils. » Quelques jours plus
tard, il partira vers Strasbourg.
Mounir, lui, veut aller à Paris
pour travailler dans la pâtisserie.
Au Maroc, dont il est originaire, le
salaire qu’il pouvait espérer n’at-
teint pas les 300 euros. « Et puis tu
n’es pas déclaré et tu te fais dégager
du jour au lendemain », dit-il.
L’homme de 25 ans s’inquiète de la
possibilité de travailler en France
alors qu’il n’a pas de titre de séjour
et se renseigne sur les démarches
AFRIQUES
codes, on reste entre nous », as-
sure celle qui promet de sortir le
parti d’un certain entre-soi. Elle
ajoute qu’il va « faire un tabac »
chez les jeunes écologistes. Et
puis, ­insiste-t-elle, « ce n’est pas
l’extrême droite qui décide des in-
vitations à nos journées d’été ».
Cette invitation relance le pro-
cès en « islamo-gauchisme » vi-
sant le parti. Le député du Rassem-
blement national (RN) Sébastien ÉDITION 2023
Chenu y a ainsi vu le fait d’une
« extrême gauche rouge et verte », 001 UNE ATLAS AFRIQUE_DEF_Promo_RTL.indd 1 31/05/2023 15:49

cuments et on va faire venir ma-
man en France », dit Issouf, volu-
bile. Son père, Abdoul, vit des
moments douloureux. Il a laissé
sa femme et deux de ses enfants
dans un Burkina « invivable », en
proie à l’« insécurité » et à la
« crise » économique. Il vivait à
Koudougou, la troisième ville du
pays, sous la pression de groupes
djihadistes. « Tout saute, raconte-
juste après avoir été inauguré, le
lieu avait fermé ses portes plu-
sieurs semaines alors que quelque
deux cent trente personnes s’y
trouvaient. « On est saturé, alerte
aujourd’hui encore Luc Marchello,
membre du conseil d’administra-
tion des Terrasses solidaires. Ce
n’est plus gérable, ni par rapport à
la dignité de l’accueil ni par rapport
aux tensions que cela génère. » « On
pour être régularisé. Avec ses com-
pagnons de route, il a pris un avion
vers la Turquie avant de remonter
la route des Balkans. La plupart ont
l’Espagne en ligne de mire. Pour y
faire de la soudure, de l’électricité,
de la coiffure ou de l’agriculture,
qu’importe. Là-bas, ont-ils com-
pris, obtenir les papiers ne pren-
drait « que » deux ans et demi. p
Julia Pascual
accusée d’« islamisme » et d’« ho-
mophobie ». Engagé depuis plu-
sieurs années dans un combat de
L’ATLAS DES AFRIQUES
plus en plus frontal avec l’extrême
droite, le rappeur natif du Havre
est régulièrement ciblé par des de- Un hors-série
mandes d’annulation de ses con- 180 pages - 14,90 €
certs par le RN. En avril à Agen, ou chez votre marchand de journaux
encore le 1er-Mai lors d’une contre- et sur Lemonde.fr/boutique
manifestation en opposition à
celle qu’organisait le RN au Havre,
 Économie & Entreprise
0123
10 | Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023

Le succès paradoxal du 4 × 4 Ineos Grenadier

La marque s’apprête à embaucher dans son usine lorraine pour produire ses véhicules ultra-polluants

Reportage
Hambach (Moselle)

S
ur le parking de l’hôtel
Saint-Hubert, rue de la Fo-
rêt à Hambach (Moselle),
on ne voit qu’eux : des
4 × 4 massifs, prêts à partir sur des
terrains inhospitaliers. Ce sont les
Grenadier d’Ineos, fabriqués à
quelques kilomètres de là, dans
l’ancienne usine Smart. Elle a été
rachetée à Mercedes en décem-
bre 2020 par le groupe pétrochi-
mique britannique pour concréti-
ser le rêve de son propriétaire et
fondateur Jim Ratcliffe.
Trois ans plus tôt, Sir Jim – la
reine Elizabeth II l’a anobli
en 2018 – s’était promis de lancer
un modèle inspiré du Defender, la
voiture tout-terrain rustique que
la souveraine affectionnait, le
groupe Jaguar Land Rover ayant
décidé de cesser sa production
pour miser sur une version plus
urbaine, chic et chère.
La voiture tient son nom du pub
londonien dans lequel le projet
est né. En 2023, la lubie de
l’homme le plus riche du Royau-
me-Uni (selon le magazine For-
bes) est bel et bien devenue réalité.
Toutes les cinq minutes, un 4 × 4
massif sort de la chaîne de mon-
tage de Hambach qu’Ineos Auto-
motive a fait visiter à un groupe
de journalistes le 26 juillet. Le site
recrute actuellement 400 salariés
supplémentaires pour faire tour-
ner deux équipes en deux huit.
Mille six cents personnes (logisti-
que et intérimaires compris)
­travaillent déjà dans cette usine Un 4 × 4 Grenadier, à sa sortie de la chaîne de montage dans l’usine d’Ineos, à Hambach (Moselle), en juillet. Ineos Automotive
de 210 000 mètres carrés.

Aberration environnementale vient-il. Entre 2015 et 2016, en tant PDG, était venu à Paris annoncer à deux vitres latérales arrière par de du groupe en un vrai construc-
Philippe Steyer, son directeur, que DRH de l’usine française, il Emmanuel Macron que l’usine de la tôle, comme une camionnette,
Mille six cents teur automobile. Cette Ecossaise
s’en félicite. Ce Mosellan, dont les avait bataillé pour convaincre les Hambach fabriquerait l’EQB, un le Grenadier 5 places échappe au personnes de 45 ans, économiste de forma-
deux grands-pères étaient mi- salariés et leurs syndicats d’accep- SUV compact électrique. « C’était malus. Cette niche n’est-elle pas tion, a d’abord travaillé, comme
neurs, vivait aux Etats-Unis de- ter de travailler 39 heures payées la première Mercedes jamais fabri- menacée à terme ? Ineos, qui ins-
travaillent son boss, dans l’industrie pétro-
puis un an lorsque la vente du site 37, avec un objectif : devenir l’un quée en France », se souvient l’in- trumentalise tous les interstices déjà sur le site lière, avant de rejoindre un fonds
de Hambach a été annoncée. Il pi- des sites les plus compétitifs du génieur. Le groupe allemand a in- réglementaires, table sur le fait d’investissement, puis Ineos. Elle
lotait deux usines Mercedes, l’une groupe Daimler pour emporter la vesti 500 millions d’euros dans que Bercy évitera toujours les me-
d’Hambach a été nommée en décembre 2022,
en Alabama, l’autre au Mexique. fabrication d’un nouveau modèle. l’usine, équipée de 250 robots sures pénalisant le Renault Mas- après avoir dirigé successivement
« Pour moi, cette vente a été une La manœuvre avait fonctionné. Kuka flambant neufs, d’un atelier ter, produit en France… Le Grena- deux entités de ce groupe de
très grosse déception », se sou- En mai 2018, Dieter Zetsche, le de peinture ultra-performant et dier peut même rouler dans les avons mis toutes les chances de no- 26 000 personnes et 65 milliards
même de trois machines Zeiss, zones à faibles émissions (ZFE) : tre côté pour limiter les émissions de dollars de chiffre d’affaires.
qui contrôlent au micron près son moteur BMW répondant à la de CO2 », reconnaît-il. Jim Ratcliffe fait valser les équi-
la qualité des véhicules. Ce sont norme Euro 6, « il sort avec une vi- Pour l’instant, les clients du Gre- pes dirigeantes dès que le rythme
les seules de ce type en France. gnette Crit’Air 1 en version essence, nadier sont surtout des nostalgi- de développement ne lui con-
Le Tribunal de Commerce de Paris, statuant publiquement en premier ressort L’usine aura finalement fabri- Crit’Air 2 en diesel », assure le res- ques du Defender, qui vivent hors vient plus. Ce collectionneur, qui
par jugement contradictoire du 19 décembre 2022 : qué moins de 300 véhicules Mer- ponsable commercial. de France. Ils « veulent un 4 × 4 dé- posséderait 400 voitures, s’est fait
• Dit irrecevable l’action intentée par Monsieur le Ministre de l’Economie et cedes. Au moment de l’annonce pouillé, utilitaire, travailleur », livrer dès la présérie un modèle
des Finances et de la Relance envers la Société privée à responsabilité limitée de la vente, le groupe Daimler a Usages professionnels avec peu d’électronique, annonce du Grenadier en Islande. Il aime y
constituée selon le droit irlandais APPLE SOFTWARE SERVICES LIMITED, proposé à Philippe Steyer de venir Le Grenadier serait-il la voiture la marque, qui assure qu’on peut pêcher à la mouche (en relâchant
• Dit l’intervention volontaire à titre accessoire de l’ASSOCIATION FOR assurer la transition avec le des cyniques et des climatoscepti- passer le jet d’eau à l’intérieur ses prises) et participe à un pro-
COMPETITIVE TECHNOLOGY recevable, • Prend acte de l’abandon par groupe pétrochimique. « Je n’avais ques ? Philippe Steyer veut se con- aussi bien qu’à l’extérieur. Le gramme de préservation des sau-
Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances et de la Relance de ses aucune connaissance d’Ineos, ni vaincre – et nous convaincre — groupe, qui ne veut pas d’une mons sauvages. Chaque jour, il
prétentions concernant la clause 15.6 dans le contrat communiqué le 19 mai même précisément du projet du contraire. Avec son faux air de image élitiste, cherche la popula- appelait pour signaler le mauvais
2015 et 14.6 dans le contrat communiqué le 22 septembre 2016, intitulée « ­Grenadier », se souvient-il, mais Thomas Pesquet, il vend le Grena- rité en sponsorisant une équipe fonctionnement d’un bouton ou
Autonomie des clauses » qui avait été mentionnée par erreur dans l’assignation, se sentant engagé vis-à-vis des sa- dier comme un allié de la nature du Tour de France. On le verra lors demander la modification d’un
• Condamne solidairement la Société californienne de droit américain APPLE lariés, il a rencontré Jim Ratcliffe. ou des causes humanitaires. de la Coupe du monde de rugby équipement, se souviennent les
INC et la Société privée illimitée constituée selon le droit irlandais APPLE DIS- Depuis, sous le contrôle et la « C’est un 4 × 4 de franchissement, sur le maillot des All Blacks. Cinq équipes de Hambach.
TRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED à payer à Monsieur le Ministre de pression du milliardaire de 70 ans, qui répond à des besoins. C’est une mille modèles sont déjà sortis de C’est lui qui a voulu l’habitacle
l’Economie et des Finances et de la Relance la somme de 1 090 909 € au titre très impatient, l’usine s’est réorga- niche », répète-t-il. Sa place est l’usine de Hambach. Lynn Calder, aux allures de cockpit d’avion avec
de l’amende civile, • Dit que le greffe de ce tribunal transmettra une expédition nisée pour s’adapter à la produc- hors des routes, sur des terrains PDG d’Ineos Automotive, vise une dizaine de boutons au pla-
exécutoire du présent jugement au Service Amendes de la Direction Régionale tion d’un véhicule massif : accidentés, là où les voitures clas- une production de 15 000 d’ici à la fond pour commander les élé-
des Finances Publiques de Paris situé 16 rue Notre Dame des Victoires 75081 4,90 mètres de long, 1,93 mètre de siques et le Duster de Dacia, chou- fin de l’année et 30 000 en 2024, ments extérieurs. Passionné de
Paris cedex 02 pour en permettre la mise en recouvrement. • Dit n’y avoir lieu à
large, plus de 2 mètres de haut. Il chou de l’Office national des eaux en intégrant la version pick-up, safari, Jim Ratcliffe a également
ordonner à la Société californienne de droit américain APPLE INC et la Société
embarque un moteur BMW 6 cy- et forêts, ne peuvent pas passer. dont la commercialisation en fait l’acquisition d’un petit garage
privée illimitée constituée selon le droit irlandais APPLE DISTRIBUTION IN-
lindres, essence ou diesel (285 ou « Parmi les premiers à nous con- France a démarré le 1er août. du Botswana qui adapte les Grena-
TERNATIONAL LIMITED de cesser, sous astreinte, les pratiques consistant à
249 chevaux), qui consomme 14 li- tacter, il y a eu Enedis », explique Jusqu’en 2024, une ligne est tou- dier pour en faire des véhicules de
mentionner les clauses litigieuses dans leurs contrats ou à les mettre en oeuvre
tres aux 100 kilomètres dans sa M. Steyer, lui-même étonné par jours consacrée à la production de safari. Sa dernière lubie ? Il aurait
sous quelque forme que ce soit, la nouvelle Législation sur les Marchés Numé-
version essence et émet 336 gram- les marques d’intérêt qui se multi- 20 000 Smart électriques Fortwo demandé une onzième couleur,
riques en vigueur contraignant dorénavant les défenderesses à se conformer aux
exigences légitimes de Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances et
mes de CO par kilomètre. Une plient. « Nous avons reçu les pom- et sous-traite une pièce de l’EQB un rouge vif comme chez Ferrari,
de la Relance, • Ordonne solidairement à la Société californienne de droit amé-
aberration environnementale. piers d’Alsace, nous sommes en dis- de Mercedes. En revanche, Ham- et peine à comprendre qu’il faille
ricain APPLE INC et la Société privée illimitée constituée selon le droit irlan- Le malus écologique en France cussion avec le Raid et avec les CRS bach ne produira pas le futur petit neuf mois pour la mettre au point.
dais APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED de publier à leurs commence à 123 grammes et chargés de la surveillance des pla- 4 × 4 électrique d’Ineos, confié à « On va la faire en six mois », pro-
frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispo- ­augmente progressivement jus- ges. Avec l’armée française aussi, l’équipementier canadien Magna met d’ailleurs Philippe Steyer.
sitif dudit jugement dans les journaux suivants en version électronique et papier qu’à 226 grammes. A ce niveau détaille-t-il. Le “made in France” en Autriche. Pour ne pas être Le Grenadier s’installe donc
: LE MONDE, LE FIGARO et LES ECHOS et ce, pour une durée d’un mois, et au-delà, il peut atteindre joue un rôle dans leur intérêt, mais ­soumis à l’amende européenne à dans sa niche, même s’il va devoir
le tout sous astreinte de 10 000 € par jour de retard à compter de la signification 50 000 euros (il est plafonné à il n’y a pas que cela. » Ineos est cause du niveau moyen d’émis- faire face à la toute nouvelle géné-
du présent jugement, excluant expressément l’exécution provisoire au titre de- 50 % du prix du véhicule) et ainsi partenaire de l’ONG britan- sions de ses véhicules, Ineos va de- ration du Land Cruiser de Toyota,
mande de publication, • Dit que le tribunal ne se réserve pas la liquidation de s’ajoute à la facture. Le tarif d’en- nique Halo Trust, spécialisée dans voir produire au moins deux véhi- qui n’avait pas été renouvelé de-
l’astreinte, • Condamne solidairement la Société californienne de droit améri- trée de gamme pour un Grena- le déminage. Ces usages profes- cules électriques pour chaque puis 2009. La voiture coûte cher à
cain APPLE INC et la Société privée illimitée constituée selon le droit irlandais dier est à près de 68 000 euros. sionnels peuvent être l’avenir Grenadier. La direction table sur Ineos, qui a investi 1,5 milliard
APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED à payer à Monsieur le « En France, une dizaine de clients commercial de ce véhicule de ni- 2026. Elle n’a donc pas voulu at- d’euros dans son projet, mais, à
Ministre de l’Economie et des Finances et de la Relance la somme de 3 000 € ont payé la pénalité sans sour- che, une fois que les passionnés et tendre la fin de la production de la voir la place du Grenadier dans la
au titre de l’article 700 du CPC, • Déboute les parties de leurs demandes plus ciller », constate Shashi Vaidyana- collectionneurs auront acquis le Smart. Elle aurait aussi un autre décoration des bureaux du
amples ou contraires, • Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision than, un ancien de Citroën, direc- leur. Un Grenadier est censé durer projet dans les tuyaux : un Grena- groupe à Monaco, où Sir Jim s’est
à l’exclusion de la demande de publication, • Condamne solidairement la So- teur commercial de la marque vingt-cinq ans. Le directeur de dier à hydrogène, une énergie exilé fiscalement, son patron se
ciété californienne de droit américain APPLE INC et la Société privée illimitée pour la France, Monaco et le l’usine se défend toutefois de vou- qu’Ineos produit en quantité. sent déjà payé de retour. La mar-
constituée selon le droit irlandais APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL Benelux. Les autres passent entre loir induire qui que ce soit en er- Lynn Calder a pour mission que lui apporte une notoriété que
LIMITED aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme les gouttes au prix d’une astuce reur : « Avec ses 2,8 tonnes et sa d’élargir la gamme, afin de trans- la pétrochimie n’assure pas à cet
de 318,07 € dont 52,37 € de TVA. réglementaire : classé en véhicule forme de brique, je ne vais pas es- former une division qui pèse entrepreneur parti de rien. p
utilitaire lorsque l’on remplace sayer de vous faire croire que nous moins de 2 % du chiffre d’affaires Sophie Fay
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023 Économie & Entreprise | 11

L’Argentine se débat avec sa dette envers le FMI

Avec des réserves de devises étrangères au plus bas, le pays se trouve dans une situation incertaine

Buenos Aires - correspondante l’espace d’un mois, afin d’honorer intérêts) à l’Argentine, lesquelles soja, maïs ou blé, soit un manque du 13 août, lors desquelles seront
un versement auprès du FMI. Le servent à honorer les échéances
La Chine se pose à gagner de 5 milliards de dollars désignés les candidats à la prési-

L
e ton est calme, solennel.
« Je veux apporter de la
tranquillité, l’Argentine ne
va pas utiliser un seul dol-
lar de ses réserves pour payer son
échéance d’aujourd’hui », assure
le ministre de l’économie du pays,
Sergio Massa (centre-gauche),
lundi 31 juillet. Surprenant pro-
pos, alors que ce jour-là Buenos
Aires doit honorer le paiement de
2,7 milliards de dollars (2,4 mil-
liards d’euros) auprès du Fonds
monétaire international (FMI).
Aux abois, avec des réserves à sec,
le pays a trouvé une formule acro-
batique pour faire face à
l’échéance sans dépenser ses pré-
cieux billets verts : un prêt-relais
de 1 milliard de dollars auprès de
la Banque interaméricaine de dé-
veloppement et un montant en
yuans équivalent à 1,7 milliard de
dollars, inclus dans un échange
de devises avec la Chine.
La monnaie chinoise a été utili-
sée pour la deuxième fois, et ce en
signe que la Chine se pose en prê-
teur de dernier ressort, bâtissant
son influence financière.
Quelques jours plus tard, ven-
dredi 4 août, l’Argentine suscite la
surprise : le règlement de près de
800 millions de dollars d’intérêts
s’effectuera par un prêt venu du
Qatar. Une première. Les verse-
ments se font toujours plus acro-
batiques, jetant la lumière sur
une économie hagarde et un pays
plongé dans l’incertitude, en
constante négociation avec l’ins-
titution sise à Washington.
Ces versements s’inscrivent
dans le cadre du prêt de 45 mil-
liards de dollars contracté en 2018
auprès du FMI, objet d’une rené-
gociation en mars 2022, faute de
solvabilité de l’Argentine. Si les
échéances ont été ajournées à
2026, l’accord repose en réalité
sur l’étrange mécanique sui-
vante : en attendant le rembour-
sement définitif du prêt, le FMI
­effectue des avances (soumises à
payées au… FMI. Ces avances sont
conditionnées au respect d’objec-
tifs économiques révisés chaque
trimestre.
Révision des objectifs
Aussi, le 28 juillet, un accord a été
annoncé – il doit être soumis à
l’approbation du conseil d’admi-
nistration du FMI – afin de per-
mettre une avance de 7,5 milliards
de dollars à l’Argentine. L’accord
ouvre la voie à la révision des ob-
jectifs. « D’autant que si, en 2022,
l’Argentine a généralement pu tenir
ses objectifs, ce n’est plus le cas cette
année, notamment en matière de
réserves de devises et de déficit pri-
maire [hors intérêts de la dette] »,
souligne Santiago Manoukian,
économiste au sein du cabinet
Ecolatina. Cependant, même
­modifiés, « les objectifs restent dif-
ficiles à respecter. On observe cette
année un FMI beaucoup moins
souple que l’année dernière »,
poursuit l’économiste. L’accumu-
en prêteur de
dernier ressort,
bâtissant
son influence
financière
lation de réserves est ainsi fixée à
1 milliard de dollars d’ici à la fin de
l’année (contre 8 milliards lors de
la précédente révision). Un nouvel
horizon qui semblerait raisonna-
ble si la Banque centrale ne pré-
sentait pas des réserves nettes né-
gatives de 8 milliards de dollars,
selon les cabinets privés, l’instiÈ-
tution ne communiquant pas ses
réserves nettes.
C’est la sécheresse historique
qui a notamment creusé un
abîme dans les réserves cette an-
née. Le secteur agricole, moteur
économique du pays, a vu se
­volatiliser 20 milliards de dollars
d’exportations en 2023, faute de
de recettes fiscales. Selon le nou-
vel accord avec le FMI, l’objectif de
déficit primaire reste de 1,9 % du
produit intérieur brut cette an-
née, ce qui implique « un durcisse-
ment de la politique budgétaire »,
stipule le Fonds. Un cap diffici­-
lement atteignable. « Selon nos
calculs, au 30 juin, l’Argentine dé-
passait déjà ce déficit. Pour tenir
l’objectif, il faudrait une réduction
drastique des dépenses publiques.
C’est intenable en une année
­électorale », observe Martin Kalos,
économiste et directeur du
­cabinet EPyCA, d’autant plus que
quatre Argentins sur dix vivent
dans la pauvreté.
En effet, le 22 octobre, les Argen-
tins se rendront aux urnes afin de
choisir un nouveau président et
de renouveler partiellement leur
Parlement – Alberto Fernandez,
actuel chef d’Etat, élu en 2019, ne
se représente pas. En amont, c’est
une autre date qui cristallise les
attentes : les élections primaires
dentielle. « Le risque d’une crise
monétaire post-scrutin existe tou-
jours, avec pour conséquence une
explosion de l’inflation », estime
M. Kalos. Celle-ci s’élève déjà à
115 % sur un an.
Ainsi, le FMI et l’Argentine se li-
vrent à un jeu de bonneteau, es-
time l’économiste. « Il est clair que
les objectifs de l’accord sont inat-
teignables. Mais, avec le plus gros
prêt de son histoire accordé à un
pays, le FMI n’a aucun intérêt à ce
que l’économie argentine explose,
il y va de sa réputation. Et l’Argen-
tine n’a aucun intérêt à tomber en
défaut non plus. » Si le gouverne-
ment freine des quatre fers de-
vant une quelconque dévalua-
tion, l’écart grandissant entre le
taux parallèle (1 dollar pour 575
pesos début août, thermomètre
de l’économie) et officiel (1 dollar
pour 283 pesos, contrôlé par
l’Etat) laisse présager un réajuste-
ment de ce dernier taux. p
Flora Genoux

A Hollywood, les studios et le syndicat Pharmac ie

des scénaristes reprennent le dialogue
Les parties ne s’étaient pas rencontrées depuis le déclenchement de la grève, le 2 mai
San Francisco - correspondante
protestait devant les studios de
Netflix ; quatre jours plus tard,
de critiques ont fait remarquer
que ces films ou séries sont en fait
de sympathie pour les deux côtés
et 25 % se disent indécis.
Une pilule contre
la dépression du
post-partum autorisée
aux Etats-Unis
Le Zurzuvae, des laboratoires
Sage Therapeutics, est le pre-
mier comprimé oral destiné
au traitement de la dépres-
sion post-partum à être auto-
risé aux Etats-Unis, a annoncé
vendredi 4 août l’Agence amé-
ricaine du médicament (FDA).
l’ébranlement physique et
psychique qu’est la dépres-
sion du post-partum. – (AFP)
Éne rg ie
Le prix du pétrole
au plus haut depuis
plus de trois mois
Les cours du pétrole ont pour-
suivi leur hausse vendredi
4 août, poussés par une offre
mondiale restreinte, l’Arabie
saoudite ayant prolongé jus-

U ne éclaircie dans le con-

flit social qui paralyse
Hollywood ? Pour la pre-
mière fois depuis trois mois, les
représentants du syndicat des
scénaristes et les délégués des
studios se sont rencontrés, ven-
dredi 4 août, à Los Angeles. Rien
n’a filtré de la rencontre. Selon le
syndicat, la Writers Guild of Ame-
rica (WGA), la reprise des contacts
s’est faite à l’initiative de l’Alliance
des producteurs de films et de té-
lévision (AMPTP) ; il s’agit d’un
groupement qui représente les
grands studios et les plates-for-
mes de streaming – Disney, War-
ner Bros, NBC-Universal, Sony,
Netflix, Amazon ou encore Apple.
Les parties ne s’étaient pas ren-
contrées depuis le déclenche-
ment de la grève des scénaristes,
le 2 mai. Les acteurs se sont joints
au mouvement, le 14 juillet, une
configuration qui ne s’était plus
produite depuis 1960. Leur syndi-
cat, SAG-Aftra, n’était toutefois
pas partie prenante à la rencontre
de vendredi. Selon le Los Angeles
Times, l’industrie estime que les
acteurs sont encore trop radicaux
dans leurs revendications.
La grève a beau s’éterniser,
aucun rapprochement n’a été ob-
servé dans les positions des uns et
des autres. Alors que le syndicat
des scénaristes rencontrait les
­délégués de l’industrie, plusieurs
centaines de manifestants blo-
quaient les abords des studios
Universal à Burbank, au nord de
Los Angeles. « Cela illustre la déter-
mination de nos membres à obte-
nir un contrat juste, équitable et
qui nous respecte », a commenté
le négociateur du syndicat des
­acteurs, Duncan Crabtree-Ireland.
Les grévistes réclament une
meilleure compensation des re-
venus du streaming, et une pro-
tection contre le recours à l’intel-
ligence artificielle (IA), craignant
de voir leur image utilisée à leur
insu. L’IA risque aussi d’éliminer
des milliers d’emplois en permet-
tant le remplacement des figu-
rants par des animations.
Depuis le 14 juillet, des célébri-
tés se joignent chaque jour aux pi-
quets de grève devant les studios,
à Hollywood, mais aussi à New
York, devant NBC-Universal ou
Amazon. Le 28 juillet, Jane Fonda
­devant ceux de Disney. Stars ou
inconnus, les grévistes sont vêtus
de tee-shirts aux couleurs de leur
syndicat : SAG-Aftra, qui repré-
sente 160 000 acteurs de cinéma,
destinés à Netflix ou à Prime
­Video (Amazon), les plates-formes
dont les abus sont au cœur des
­revendications des artistes.
de télévision et artistes de radio ;
WGA, fort de 11 000 membres.
L’acrimonie n’a pas diminué.
Les syndicats accusent les négo-
ciateurs des studios de répandre
des fausses rumeurs pour diviser
les grévistes, comme pendant la
grève des scénaristes de 2007-
2008 qui avait duré cent jours.
Mécanisme de solidarité
Depuis début mai, les téléspecta-
teurs sont privés de leurs « late
­night shows », des émissions sati-
riques diffusées tardivement et
nourries par l’actualité. Nombre
de sitcoms sont aussi en suspens.
Quant à la 75e cérémonie des
Emmy Awards – elle récompense
les meilleures émissions de télé-
vision – prévue pour le 18 septem-
bre, elle a été reportée sine die.
Les acteurs ont mis en place un
mécanisme de solidarité pour
aider les grévistes en difficulté,
dans un monde où les cachets des
vedettes cachent la quasi-misère
des petites mains du cinéma.
­Selon le SAG-Aftra, 86 % de ses
membres ont des revenus infé-
rieurs à 26 500 dollars
(24 000 euros) par an. Ce fonds
d’assistance a recueilli plus de
15 millions de dollars depuis le
14 juillet. Des stars comme George
Clooney, Leonardo DiCaprio, Ben
Affleck, Julia Roberts, Arnold
Schwarzenegger, Oprah Winfrey
et Meryl Streep ont offert chacun
au moins 1 million de dollars. Ob-
jectif : sauvegarder l’unité de la
profession face à des géants « déci-
dés à retirer l’humanité, la dignité
humaine et même l’humain tout
court de notre profession », a expli-
qué, le 2 août, Meryl Streep.
Une unité mise à l’épreuve par la
décision du syndicat des acteurs
d’octroyer des dérogations à une
centaine de films indépendants,
qui peuvent donc continuer à être
produits et tournés malgré la
grève. Il a justifié sa décision en
expliquant que les producteurs de
ces œuvres, qui ne font pas partie
de l’AMPTP, avaient accepté l’aug-
mentation de rémunération de
11 % qu’il a réclamée. Mais nombre
Selon un sondage publié le
Les pressions se multiplient sur
les patrons des studios. Le prési-
dent Joe Biden a déclaré soutenir
les grévistes. Karen Bass, la maire
de Los Angeles, s’est félicitée de
Selon deux études menées
en double aveugle citées par
la FDA, les patientes ayant
reçu du Zurzuvae « ont mon-
tré de bien meilleures amélio-
qu’en septembre sa réduction
de production entamée en
juillet, et la Russie lui ayant
emboîté le pas. Le baril de
Brent de la mer du Nord
2 août par le Los Angeles Times, cette rencontre « encourageante » rations de leurs symptômes a ainsi augmenté de 1,29 %
trois Américains sur quatre sont tout en déplorant « l’impact pro- que celles dans le groupe pla- à 86,24 dollars (78,22 euros),
conscients de l’existence de la fondément négatif » de la grève sur cebo ». Le traitement a des ef- retrouvant son niveau de la
grève et 60 % connaissent « plus l’économie de la ville et sur la si- fets secondaires et la FDA re- mi-avril. La réduction saou-
ou moins » le contentieux qui op- tuation de dizaines de milliers commande de ne pas dienne de 1 million de barils
pose les parties ; 38 % des person- d’habitants (cameramen, décora- conduire pensant son admi- pourrait être « prolongée » au-
nes interrogées indiquent sympa- teurs, assistants de production) ré- nistration. Chaque année, en- delà de septembre, a indiqué
thiser davantage avec les grévistes, duits au chômage technique. p viron un demi-million d’Amé- le ministère de l’énergie dans
mais 29 % affirment avoir autant Corine Lesnes ricaines font l’expérience de un communiqué. – (AFP)
Le Fonds national suisse (FNS) est la plus importante institution suisse œuvrant dans le
domaine de l’encouragement de la recherche scientifique. Sur mandat de la Confédération, il
encourage toutes les disciplines scientifiques. Le Conseil national de la recherche est respon-
sable de l’évaluation scientifique et de la sélection des projets de recherche. Il lui incombe également d’élaborer la politique et les instruments
d’encouragement du FNS dont il assume la direction stratégique en collaboration avec le Conseil de fondation.
Le FNS recherche une personne expérimentée à l’esprit innovant afin qu’elle exerce à compter de début 2025 les fonctions de
présidente ou président du Conseil de la recherche du FNS
organisations scientifiques en Suisse et à l’étranger et les autorités
Vos tâches
• Elaborer l’orientation stratégique du FNS en collaboration avec les fédérales
• Représenter le FNS sur le plan national et international
organes de direction respectifs
• Diriger le Conseil de la recherche du FNS et son Comité, • Représenter la recherche dans les médias et les discussions
coordonner les activités des commissions du Conseil de la publiques portant sur des thèmes en lien avec la science et la
recherche politique de recherche
• Collaborer avec le président du Conseil de fondation et le Comité • Expérience confirmée en matière de gestion
de direction • Expérience dans l’accompagnement des processus évolutifs
• Accompagner activement le Conseil de la recherche dans la mise en • Bonne connaissance d’au moins deux langues nationales et de
œuvre des changements à opérer l’anglais.
• Négocier avec les plus importants responsables de la politique de
recherche suisse Conditions d’engagement
• Maintenir des relations avec les hautes écoles suisses, les • Taux d’occupation d’au moins 50% (60% recommandé)
organisations scientifiques en Suisse et à l’étranger et les autorités • Entrée en fonction au 01.01.2025, ou selon accord
fédérales • Durée de mandat de quatre ans, renouvelable une fois
• Représenter le FNS sur le plan national et international Le FNS s’engage pour la diversité et l’égalité des chances. Nous
• Représenter la recherche dans les médias et les discussions nous réjouissons tout particulièrement de recevoir des candidatures
publiques portant sur des thèmes en lien avec la science et la féminines et soumises par des personnes issues de minorités.
politique de recherche.
Votre profil
• Elaborer l’orientation stratégique du FNS en collaboration avec les Merci de nous faire parvenir votre candidature accompagnée de tous
organes de direction respectifs les documents nécessaires avant le 15 août 2023 à l’adresse
• Diriger le Conseil de la recherche du FNS et son Comité, rc.presidency@snf.ch
coordonner les activités des commissions du Conseil de la Le dossier de candidature se composera d’une lettre de motivation
recherche dans laquelle vous décrirez votre vision pour le FNS et d’un CV
• Collaborer avec le président du Conseil de fondation et le Comité mettant en exergue vos qualifications par rapport au profil demandé.
de direction L’ensemble des documents présentés ne devra pas excéder dix
• Accompagner activement le Conseil de la recherche dans la mise en pages.
œuvre des changements à opérer
• Négocier avec les plus importants responsables de la politique de Votre contact
recherche suisse Angelika Kalt, directrice du FNS : angelika.kalt@snf.ch
• Maintenir des relations avec les hautes écoles suisses, les + 41 31 308 21 40
12 | Planète
En Haute-Loire, les 10 kilomètres de la discorde
Les opposants à la construction d’un nouveau tronçon de la RN 88 espèrent toujours l’abandon du projet
Reportage
Saint-Hostien et Le Pertuis
(Haute-Loire) - envoyé spécial
P
our le moment, sur le
tracé du futur tronçon de
la RN 88, qui vise à
­contourner les bourgs de
Saint-Hostien (680 habitants) et
du Pertuis (470 habitants), en Hau-
te-Loire, au nord du Puy-en-Velay,
point de zone à défendre, de ZAD.
Mais des chantiers de construc-
tion, quelques ouvrages d’art déjà
finis et de vastes zones déjà défo-
restées. C’est là que paissent Casta-
gne, Biche ou Bisou… Vingt-cinq
« brebis des sucs » aux boucles lai-
neuses ont été achetées par des as-
sociations de Haute-Loire, dont
France Nature Environnement
Haute-Loire (FNE 43), mais aussi de
tout l’Hexagone pour occuper pa-
cifiquement le terrain.
Début juillet, c’est dans ce pay-
sage de prairies et de bois, avec
pour horizon les emblématiques
sucs, ces grands dômes témoins du
passé volcanique de l’Auvergne,
que le collectif La Lutte des sucs a
accueilli une rencontre nationale
de la coalition Déroute des routes,
regroupant une cinquantaine de
collectifs contre des projets rou-
tiers. La mobilisation contre ce
projet de déviation, qui va courir
sur 10,7 kilomètres, et consommer
190 hectares de terres naturelles et
agricoles, a aussi été adou­bée par
Les Soulèvements de la terre, le
mouvement dissous par le gouver-
nement le 21 juin.
Dans ce paysage très vallonné, le
projet de cette deux fois deux
voies, située sur l’axe reliant Lyon
à Toulouse en passant par Albi et
Saint-Etienne, nécessite de nom-
breux ouvrages : un viaduc, deux
échangeurs complets, des passa-
ges de cours d’eau, des passages
pour la grande faune, une cin-
quantaine d’ouvrages hydrauli-
ques, sans oublier de nombreux
bassins de traitement des eaux de
ruissellement… Ce qui en fait, se-
lon les opposants, une des routes
les plus chères au kilomètre et, se-
lon Laurent Wauquiez (Les Répu-
blicains), le président de la région
Auvergne-Rhône-Alpes, « un des
plus importants chantiers » d’in-
frastructure routière de France.
Le projet est ancien. La déclara-
tion d’utilité publique remonte à
1997. En 2020, l’autorisation envi-
ronnementale a été accordée par
arrêté préfectoral, malgré un avis
Deux cas autochtones de dengue près de Marseille
Depuis le 1er mai, plus de 227 cas importés de l’étranger ont déjà fait l’objet de signalements au niveau national
I l s’agit des premiers cas
autochtones de la saison esti-
vale. Deux personnes résidant
ensemble à Gardanne, près de
Marseille, dans les Bouches-du-
Rhône, ont été identifiées comme
porteuses du virus de la dengue
alors qu’elles n’avaient pas voyagé
en zone contaminée avant l’appa-
rition de leurs symptômes. Cela si-
gnifie qu’elles ont attrapé la mala-
die sur le territoire français, par
l’intermédiaire d’un moustique-
tigre – Aedes albopictus de son vrai
nom. Un premier signal pris au sé-
rieux par l’Agence régionale de
santé (ARS) de Provence-Alpes-
Côte d’Azur, alors que le nombre
de moustiques-tigres ne fait
qu’augmenter sur le territoire mé-
tropolitain depuis son arrivée
en 2004 à Menton.
« Pour éviter la propagation de la
maladie, une démoustication a été
réalisée [vendredi matin] dans un
rayon de 200 mètres dans le quar-
tier de lieu de résidence des cas (voie
publique, jardins privés) », précise
l’ARS dans un communiqué ven-
dredi 4 août. Il s’agit de la procé-
Les espèces
protégées sont
nombreuses
dans cette
zone
défavorable du Conseil national de
la protection de la nature. Alors
que des ouvrages sont déjà en
train d’être construits et que des
défrichages, des libérations d’em-
prises sont effectués, une nouvelle
consultation, avec une participa-
tion du public par voie électroni-
que (PPVE), est organisée du
12 juillet au 12 août. Cette consulta-
tion, qui n’est pas une enquête pu-
blique – ce que dénoncent les op-
posants –, doit permettre au préfet
de prendre la décision d’un arrêté
modificatif de l’autorisation envi-
ronnementale.
Dans son dernier avis, adopté le
22 juin, l’autorité environnemen-
tale (AE), après ses réserves formu-
lées dans un premier avis le
20 mai 2020, avait de nouveau ex-
primé des critiques. La principale
d’entre elles vise le cœur même du
projet. « L’AE observe que l’intérêt
public majeur du projet, condition
d’octroi de la dérogation à l’inter-
diction d’atteinte aux individus et
aux habitats d’espèces protégées,
est insuffisamment étayé, d’autant
que sa rentabilité socio-économi-
que repose sur des hypothèses non
étayées de croissance du trafic à
courte distance… », souligne-t-elle.
D’autres aspects du dossier sont
étudiés, bruit, sécurité routière,
qualité de l’air, avec des apprécia-
tions plus ou moins positives. Au
final, l’AE estime que « le dossier ac-
tualisé et les travaux en cours ne
sont donc conformes ni à la régle-
mentation ni à l’autorisation envi-
ronnementale de 2020 ». Elle pré-
conise, après que « les raisons d’in-
térêt public majeur ainsi que l’ab-
sence de solution alternative » ont
été démontrées, que soit présen-
tée une nouvelle demande de dé-
rogation pour la destruction d’es-
pèces protégées et leurs habitats,
intégrant des mesures de compen-
sation suffisantes.
Les espèces protégées sont nom-
breuses dans la zone : 64 espèces
d’oiseaux dont 51 protégées, parmi
lesquelles le milan royal, ainsi que
deux autres espèces dont la nidifi-
cation est « rare » en France, la bé-
dure standard dans les cas de
transmission autochtone, com-
plétée par une enquête en porte-à-
porte dans le quartier concerné
pour identifier d’éventuelles
autres personnes présentant des
symptômes évoquant la maladie.
« Un second passage sera ­réalisé la
semaine prochaine pour être cer-
tain que tout risque est éliminé »,
précise Grégory L’Ambert, respon-
sable du pôle de lutte préventive
contre l’Aedes albopictus à l’En-
tente interdépartementale pour la
démoustication du littoral médi-
terranéen (EID-Med), acteur de la
lutte contre les moustiques dans le
pourtour ­méditerranéen.
La démoustication consiste à
pulvériser de la deltaméthrine, un
pesticide de la famille des pyréth-
rinoïdes, autour des cas autochto-
nes ou importés par des voya-
geurs contaminés. Pourquoi dans
un rayon de 200 mètres ? Le mous-
tique-tigre est connu pour se dé-
placer de manière limitée autour
de son point d’éclosion, une dis-
tance estimée à environ 150 mè-
tres par les entomologistes.
Manifestation contre le projet de la RN 88, aux Estables, en Haute-Loire, le 29 août 2021. Rolland Quadrini/IP3 PRESS/MAXPPP
cassine des marais et la mésange
boréale. Batraciens, reptiles, mam-
mifères, 22 espèces de chauves-
souris, écrevisses à pattes blan-
ches « en danger d’extinction au ni-
veau mondial » complètent le ta-
bleau de cette biodiversité.
L’avis rendu par l’autorité envi-
ronnementale en juin a conforté
les opposants, qui espèrent l’aban-
don du projet. Si la requête en réfé-
ré-suspension des travaux a été re-
jetée par le juge des référés du tri-
bunal administratif de Clermont-
Ferrand, en mars 2021, comme le
pourvoi au Conseil d’Etat, en
­décembre 2021, le recours au fond,
déposé en janvier 2021 par
FNE Auvergne-Rhône-Alpes (FNE
Aura), FNE 43, l’Association des
usagers des transports d’Auvergne
(AUTA) et SOS Loire vivante, n’a
pas encore été jugé. « L’instruction
est close depuis février, on attend
l’audience mais plus longue est l’at-
tente et plus les travaux avancent »,
dénonce Martine Chatain, vice-
présidente de FNE Aura.
La région Provence-Alpes-Côte
d’Azur, qui comporte le plus grand
nombre de communes colonisées
par Aedes albopictus, fait l’objet
d’une surveillance particulière.
En 2022, 52 cas autochtones y ont
été documentés sur les soixante-
six repérés en France, lors d’une
épidémie jugée « exceptionnelle »
par Santé publique France. Depuis
le début de la saison 2023,
seuls 29 cas importés y ont jus-
que-là été signalés et vingt traite-
ments réalisés. « Mais le plus gros
est devant nous et les choses s’accé-
lèrent avec les retours de vacan-
ces », précise M. L’Ambert.
Pose massive de pièges
En l’occurrence, le cas index, à
partir duquel le couple de Gar-
danne a probablement été conta-
miné, a bien été identifié ; il reve-
nait de Martinique. Ce dernier « a
été traité correctement mais ces
deux cas sont apparus juste à l’ex-
térieur de la zone traitée, ce qui est
plutôt rare », relève M. L’Ambert.
Depuis le 1er mai, au moins
227 cas importés ont déjà fait l’ob-
Pour la région Auvergne-Rhône-
Alpes, qui porte le projet – et le fi-
nance, puisque, sur le budget pré-
visionnel de 226 millions d’euros,
elle apporte 198 millions, l’Etat
14,5 millions et le département
14 millions d’euros –, depuis que
l’Etat lui a transféré la maîtrise
d’ouvrage en 2017, la décision du
Conseil d’Etat « a permis une pre-
mière clarification des choses en
démontrant que tout avait été fait
dans les règles », estime Caroline
Di Vincenzo (LR), conseillère ré-
gionale et référente sur le dossier
de la RN 88.
Gain de temps minime
Pour l’élue, membre de la majorité
du président de région, Laurent
Wauquiez, ardent partisan du
contournement routier, « un tra-
vail approfondi a été réalisé pour
proposer des mesures ambitieuses
et qualitatives pour compenser les
impacts du projet qui n’auront pu
être évités ». Selon elle, les travaux
« suivent le calendrier prévisionnel
Le début de
la saison a été
marqué par
une présence
inhabituellement
forte de
moustiques
jet de signalements au niveau na-
tional. Un tiers d’entre eux reve-
naient des Antilles, où la maladie
est endémique depuis plus de dix
ans. Cette année, 89 cas ont été
confirmés en Martinique et 61 en
Guadeloupe, mais de très nom-
breuses personnes ont des symp-
tômes évocateurs de la patholo-
gie sans avoir été formellement
dépistées. Les deux collectivités
d’outre-mer ont été placées en
phase de risque épidémique, se-
lon un bulletin publié vendredi.
Dans les régions Occitanie et
Nouvelle-Aquitaine, où la société
Altopictus est chargée de démous-
établi (…) pour une mise en service
de la déviation en 2027 ».
Antoine Wassner, le président
de la chambre de commerce et
d’industrie (CCI) de Haute-Loire,
est persuadé des avantages
­économiques que procurera ce
­contournement, qui ne représen-
terait pourtant qu’un gain de
temps de deux à trois minutes.
« On a besoin d’une continuité sur
cet axe Lyon-Toulouse avec beau-
coup de camions qui traversent
notre région. Il faut désenclaver la
région du Puy », argumente-t-il.
Selon lui, le contournement ap-
portera la sécurité pour les habi-
tants et les transporteurs. « Il faut
absolument sortir nos camions de
ces villages », insiste M. Wassner.
Qui reconnaît aussi : « Si j’avais
une autoroute qui se construit à
côté de ma maison, je m’oppose-
rais, c’est normal. »
Au vu du défilé incessant de ca-
mions qui traversent les villages
de Saint-Hostien et du Pertuis
(14 000 véhicules en moyenne par
tiquer autour des cas avérés de
dengue, aucun cas autochtone n’a
encore été identifié, mais 107 en-
quêtes avaient été menées au
4 août, menant à 88 traitements.
Dans les endroits sensibles, une al-
ternative à la pulvérisation d’in-
secticide toxique pour les hu-
mains et la faune consiste à dépo-
ser des larvicides dans les gîtes lar-
vaires, où les femelles moustiques
déposent leurs œufs. Aux abords
des rivières, les experts proposent
aussi la pose massive de pièges.
A titre de comparaison, à la
même date l’année précédente,
seuls 47 enquêtes et 34 traite-
ments avaient été activés dans ces
deux régions. « Le nombre de cas
importés augmente le risque de
cas autochtones mais ne préjuge
pas du bilan de la fin de saison »,
avertit Charles Tizon, directeur
d’Altopictus, qui note que le taux
de traitement par enquête a aug-
menté de près de 80 % depuis
2019. Un indice de la plus grande
vigilance des autorités sanitaires.
Malgré tout, le début de la sai-
son, en mai et juin, a été marqué
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
jour, dont 2 000 camions), les mai-
res des communes concernées
sont tous en faveur du projet. « Je
n’ai pas été élu pour que les habi-
tants vivent en autarcie, mais pour
le désenclavement de ma com-
mune. J’espère que la région ira au
bout, si on arrêtait, ce serait un gâ-
chis », estime Raymond Abrial,
maire de Saint-Pierre-Eynac.
Les opposants reconnaissent
eux aussi la nécessité de diminuer
l’important trafic routier. « Si le
nouveau tronçon ne se fait pas, il
faudra bien sûr aider à baisser le
trafic dans les villages. Il existe des
alternatives qui n’ont pas été prises
en compte », défend Nathalie
­Collet, une habitante du Pertuis.
Parmi les pistes avancées, un con-
tournement réduit au minimum
pour le village de Saint-Hostien,
une tranchée pour enterrer la tra-
versée du Pertuis, des radars pour
limiter la vitesse ou encore des
passages pour pouvoir traverser
sans risque l’actuelle RN 88. p
Rémi Barroux
par une présence inhabituelle-
ment forte de moustiques. Le ré-
seau de surveillance de la société a
en effet relevé deux à trois fois
plus d’œufs de moustiques que
l’année précédente, en raison des
pluies régulières et des tempéra-
tures plus élevées que la normale.
Selon l’Organisation mondiale
de la santé, la moitié de la popu­-
lation mondiale est désormais
exposée à la dengue, plus de
130 pays étant affectés, sur tous
les continents. Le monde est en
passe d’enregistrer « plus de qua-
tre millions » de cas en 2023, a
­précisé Raman Velayudhan, chef
de l’unité Santé publique vétéri-
naire, lutte antivectorielle et envi-
ronnement à l’organisation onu-
sienne, dans le cadre d’une réu-
nion d’information en ligne sur la
maladie, mercredi. La plupart des
cas sont actuellement concentrés
dans la région des Amériques, où
plus de trois millions de cas ont
déjà été enregistrés depuis le dé-
but de l’année, particulièrement
au Brésil. p
Delphine Roucaute
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023 Carnet | 13
Agathe Bonitzer, Mme Sophie Leperlier-Jimenez, Philippe et Jean-Charles Pogam, L’Association de formation Balint
Adam Bonitzer, son épouse, ses enfants, (AFB),
ses enfants Emmanuel et Michaël, Mme Anne Birks, née Lohéac, L’Association internationale du
et leur père, Pascal Bonitzer, ses fils sa sœur, psychodrame Balint (AIPB),
en vente Le Carnet Dominique Fillières, et leurs conjointes, L’Association de relaxation
Mattéo, Diego, Carla et Louise, psychanalytique Sapir (AREPS)
actuellement sa mère,
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire part
Et l’équipe d’animateurs des
Hélène Fillières, du décès de
Romain Fillières, Christiane et Jean Estin Journées Balint d’Annecy,
Vous pouvez nous faire parvenir et ses neveux
K En kiosque vos textes soit par e-mail : sa sœur et son frère
Et toute sa famille, Et toute la famille Leperlier,
Mme Jeanne POGAM,
née LOHÉAC, ont appris avec une grande tristesse
carnet@mpublicite.fr le décès, survenu dans la nuit du 2 au
(en précisant impérativement ont la douleur de faire part du décès ont la tristesse de faire part du décès 3 août 2023, du
de survenu le 1er août 2023,
HORS-SÉRIE
votre numéro de téléphone et de dans sa quatre-vingt-seizième année.
Rencontre avec Jean
docteur Gildas LE BAYON,
VAN HAMME votre éventuel numéro d’abonné
Sophie FILLIÈRES,
M. Marc JIMENEZ,
La cérémonie aura lieu le mardi
psychiatre,
L’aventurier de la bande dessinée
ou de membre de la SDL) professeur émérite pédopsychiatre,
à l’université de Paris 1 8 août, à 10 h 30, au crématorium psychanalyste,
soit sur le site : survenu le lundi 31 juillet 2023, à Paris, Panthéon-Sorbonne, de Nice. membre actif de ces associations.
https://carnet.lemonde.fr à l’âge de cinquante-huit ans.
En avant-première :

philosophe et germaniste,
un récit inédit
du prochain album
MISÉRICORDE

L’équipe du Carnet reviendra vers Nous avons la profonde tristesse de Ancien président de l’AREFFS
J. VAN HAMME

La cérémonie aura lieu le vendredi

HISTOIRE SANS HÉROS

V A N H A M M E
J E A N
F R A N C Q

HISTOIRE
JEAN VAN

P H I L I P P E
EDGAR P. JACOBSd’
D’après les personnages

JEAN VAN
HAMME

survenu à Evreux, le 30 juillet 2023.

LES AVENTURES
DE BLAKE ET MORTIMER
W. VANCE

d’après les personnages

SANS HÉROS
d’ EDGAR P. JACOBS
HAMME

(devenue AREPS), il a mis son

BAZIN • BERTAIL

faire part du décès, survenu le 1er août

DJIEF • DURIEUX • DE JONGH
• EFA • MUNUERA
L’HÉRITIER

vous dans les meilleurs délais 11 août, à 15 h 30, au crématorium du

JEAN VAN HAMME

DU SOLEIL NOIR

DJIEF • DURIEUX
BAZIN • BERTAIL
• TEUN BERSERIK

DANY - VAN HAMME

XIII — LE JOUR

intelligence et sa générosité au
• EFA
FRANCQ • VAN HAMME

• DE JONGH

2023, de
• PETER VAN

1
DONGEN

D
LE LOMBARD

Largo Winch, Blake & Mortimer, Histoire sans héros, Thorgal, XIII...
pour vous confirmer la parution. cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. La cérémonie religieuse aura lieu service de la formation des soignants
ce lundi 7 août, à 14 h 30, en l’église à la relation avec les patients, que ce
Gérard POMMIER,
En partenariat avec :

Évian-les-Bains. Sainte-Foy de Conches-en-Ouche. soit dans l’animation des groupes

Hors-série psychanalyste,
carnet@mpublicite.fr psychiatre, Balint ou par sa réflexion clinique et
Cet avis tient lieu de faire-part. théorique. Le souvenir de son écoute
https://carnet.lemonde.fr Mme Maryse Gavoury, ancien interne des hôpitaux,
née Combalot, professeur des Universités, et de sa parole ainsi que de
son épouse, Bordeaux (Gironde). Luçon (Vendée). professeur honoraire l’ouverture aux autres qui le
Mathilde, Dublin (Irlande). caractérisait est un soutien pour
AU CARNET DU «MONDE» de l’université de Rosario,
HORS-SÉRIE
HANS HARTUNG ET
ANNA-EVA BERGMAN
sa fille, tous les professionnels de santé qui
JOSÉPHINE BAKER cofondateur de la Fondation
SARAH BERNHARDT
Frédéric Volant Gavoury, Mme Flavie Pacteau-Roche, l’ont connu.
ROSA BONHEUR
européenne pour la psychanalyse.
PIERRE CARDIN
CEZANNE Décès son gendre, sa fille
DALI
Lucie et Alice Volant Gavoury, avec son époux, Sébastien Roche
MIRO
MONET
et leurs enfants, Octave et Adrien,
L’inhumation aura lieu le mardi Anniversaire
Elisabeth Deliry-Antheaume, ses petites-filles, 8 août, à 15 heures, au cimetière du
80
GUSTAVE MOREAU
CAROL RAMA
Nicolas, Blandine, Cyril, Christian, Les familles Pacteau, Gautron,
LA VILLA SEURAT
VAN GOGH
Maurin, de Luze, Faure, Père-Lachaise, Paris 20e, division 10
MAISONS ses enfants son frère, ligne 15/9. Marcel LESUR
D’ARTISTES et leurs conjoints, Mme veuve Philippe Gavoury,
P O U R L’ É T É Ses petits-enfants, sa belle-sœur, font part du décès, survenu le
La maison

31 juillet 2023, à l’âge de soixante- Fleurs et oiseaux espérés. est né le 5 août 1920, à Paris, dans un
Alain et Marie-France Combalot,
de Claude Monet à Giverny.

dix-sept ans, de milieu modeste.

Hors-série ont la tristesse de faire part du décès son beau-frère et sa belle-sœur,
de Emmanuel, Marianne, Dominique, Paris.
Bernard PACTEAU, Son père est dessinateur industriel,
Catherine et Juliette Gavoury, agrégé des Facultés de droit sa mère gardienne d’immeuble.
Benoît ANTHEAUME, ses neveu et nièces, Nathalie Van Landeghem Saison,
Après des études au lycée Voltaire,
géographe, (concours de droit public sa femme,
HORS-SÉRIE Ses cousins et science politique en 1972), il obtient le baccalauréat en 1938
directeur de recherche émérite Et petits-cousins, Alban Alev, Maya et Tamar Saison,
ancien professeur aux universités et devient instituteur en Seine-
à l’IRD, ses enfants,
de Clermont, Poitiers et Bordeaux, Inférieure. Il entre dans la Résistance
ont la douleur de faire part du décès ancien professeur associé leurs conjoints, Marion Alev, Armin
survenu le 1er août 2023, en 1942 et est un des dirigeants actifs
de à l’université nationale d’Athènes, Ridinger, Olivier Robert,
INCLUS

dans sa soixante-dix-huitième année. des Auberges de Jeunesse, alors

des dessins

officier dans l’ordre Anat, Yoan, Talya et Aaron,

clandestines. Organisateur de loisirs,
rares et inédits

M. Jean-François GAVOURY, des Palmes académiques. ses petits-enfants

Une cérémonie d’hommage aura rien de ce qui concerne la jeunesse,
président fondateur Et Marlène Barouh, Andrée Martins
lieu au crématorium de Pierres (Eure- les vacances et les loisirs ne lui est
BLUEBERRY d’une association mémorielle, Un culte d’action de grâce sera de Barros, Doris Remnant,
et-Loir), ce lundi 7 août, à 11 h 15. étranger. Fondateur de Tourisme
officier célébré le 9 août, à 11 heures, en la ses sœurs,
et Travail en 1944, de la Maison
UNE LÉGENDE DE LA BANDE DESSINÉE
NUMÉRO SPÉCIAL 60 ANS
de l’ordre national du Mérite, Chapelle du cimetière protestant de générale de tourisme en 1947, du
antheaume@orange.fr
En partenariat avec

titulaire de la médaille d’honneur Bordeaux, rue Judaïque. ont la douleur de faire part du décès
Centre laïque de tourisme culturel
Hors-série de la Police nationale, de
en 1947, de la Maison internationale
Nous avons la douleur de faire Son inhumation aura lieu dans
des jeunes, secrétaire général en
part du décès de survenu le 3 août 2023, l’intimité familiale, près de son M. Ishak SAISON, 1948 et vice-président fondateur de
à l’âge de soixante-treize ans. épouse, dit Isaac,
la Fédération des Clubs de loisirs
HORS-SÉRIE
M. Guy BÉRAT, Léo Lagrange en 1951, président
Les obsèques seront célébrées le née Séverine de LUZE, survenu le 1er août 2023.
fondateur du Centre d’études
survenu le 3 août 2023. mardi 8 août, à 15 heures, en l’église
L’ATLAS Les obsèques auront lieu le 9 août,
de l’Assomption-de-Marie, place de
l’Église, à Évian-les-Bains (Haute-
décédée le 21 août 2017. Ses obsèques seront célébrées ce
lundi 7 août, à 15 h 30, au cimetière de
touristiques en 1951 devenu le club
européen du tourisme, fondateur de
6000 ANS
D’HISTOIRE DES 200
CARTES
à 11 heures, au crématorium du Sa vie professionnelle fut vouée Voir et Connaître en 1953 et
Savoie), suivies de l’inhumation dans Pantin (Seine-Saint-Denis), 11, avenue
AFRIQUES cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. l’intimité familiale.
à l’enseignement et aux travaux
du Cimetière Parisien.
président du Club européen du
de droit administratif, d’histoire tourisme et de Bucotour en 1966, il
Zhen Huang-Bérat, universitaire et sur le Conseil d’État, devient président-directeur général
Ni couronnes ni plaques. ayant été membre de son comité Nous nous retrouverons après la
Pascal, Véronique Bérat, du Centre d’organisation de transports
d’histoire. cérémonie pour célébrer Isaac, son
Izumi, Emma Bérat, et de loisirs, président du Comité
ÉDITION 2023 La famille invite toutes les grand cœur et sa force de vie.
Mégumi, Arnaud Alexandre. français du tourisme social, membre
personnes ayant connu et estimé le Ni fleurs ni couronnes, mais des
Hors-série du comité exécutif de la Fédération
défunt à prendre part à sa peine en dons au profit de l’Église protestante
La Baule-Escoublac. s’unissant en pensée ou en prière. Hommages internationale des organismes de
et de ses œuvres. tourisme social, administrateur du
Paris, 21 février 2021, Bureau international du tourisme
Mme Marie-Paule Constance, Elle remercie l’ensemble des
M. Michel Périgord, est décédé l’astrophysicien social et administrateur de tourisme,
UNE VIE, UNE ŒUVRE son épouse, personnels de Gustave-Roussy et de
son époux, culture et loisirs de France. En 1967, il
Dorothée (†) et Stéphan, l’Institut de cancérologie d’Annecy
Hélène et Sophie, Serge LAPOINTE. achète l’hôtel Carlton’s, 55, boulevard
ses enfants pour leur dévouement et la qualité
ses filles, de Rochechouart, Paris 9e, devenu
et leurs conjoints, de leur accompagnement. Julien, récemment l’hôtel Rochechouart.
William, Jérôme, Zoé, Romane, Il laisse dans le deuil,
son gendre,
Orwell
Titouan, Adresse de réception des Hadrien et Tristan,
ses petits-enfants, condoléances : Il a épousé en 1955, Mlle Evelyne
dérange
ses petits-fils, Les enfants de Madeleine, Patrice,
toujours
Sœur Norbert-Marie, Famille Gavoury, Conseil, dont il a eu deux fils, Jean-
Ses parents, Bibiane, Martine, Geneviève et Philippe,
sa sœur 13, rue Édouard et Gaspard-Folliet, Louis, né en 1957 et Jean-Marc, né
Sa famille Céline Allard, en 1959.
Vu par Jean-Jacques Rosat, Simon Leys, Rushdie, Kundera…
Et toute sa famille, 74500 Évian-les-Bains. Et ses amis, sa veuve.
Hors-série Au terme d’une longue maladie,
ont la tristesse de faire part du décès ont le chagrin de faire part du décès
du Ses obsèques seront célébrées à il est mort en 1990.
John GUEZ, de
Montréal (Canada), en l’église Saint-
général saltimbanque, Viateur, le vendredi 18 août 2023. R.I.P.
Mme Marie-Dominique
Norbert CONSTANCE, PÉRIGORD,
Saint-Cyr, promotion nous a quittés ce mercredi 2 août
conseillère maître honoraire Société éditrice du « Monde » SA
2023.
HORS-SÉRIE
SAISON 2

300 QUESTIONS
DE CULTURE GÉNÉRALE
lieutenant-colonel Jeanpierre
par les journalistes du Monde
(1959-1961),
chevalier de la Légion d’honneur,
officier
de l’ordre national du Mérite,
survenu le 1er août 2023.
Une cérémonie religieuse sera
célébrée le 8 août, à 10 h 30, en
Hors-série l’église Sainte-Thérèse de la Baule.
Ni fleurs ni couronnes.
à la Cour des comptes, Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
chevalier de la Légion d’honneur, Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Christopher et Nathanaël, Anne chevalier
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
Lise et Michael, Joanna, Iémima et de l’ordre national du Mérite, Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
Ariel, Harold Thibault
ses enfants, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
survenu à Limoges, le 5 juillet 2023. Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
Nathanaël, Marine, Jules, Joséphine, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Louise et Hugo. Les obsèques ont eu lieu le 11 juillet, Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez (photo-
graphie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
ses petits-enfants, à Solignac, dans l’intimité familiale. Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Clélia Brunel Guez, « Je veux passer mon ciel Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
24, rue Emile-Duployé, à faire le bien sur la terre. » Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
75018 Paris. Sainte-Thérèse de Lisieux. Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président

100 GRILLES

PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 6

Magazine n°6

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14 | 0123
DIMANCHE 6 - LUNDI 7 AOÛT 2023

Chapitre 11|11
LES NOUVEAUX HORIZONS DU LITTORAL BRETON

A daptation », le mot a fait irruption

dans l’espace public, comme le ti-
tre accrocheur d’un roman d’anti-
cipation ou d’une série catastrophe à suc-
cès. Il ne s’agit pourtant ni d’une fiction ni
région dont le trait de côte de près de
2 500 kilomètres représente à lui seul le
tiers des côtes de métropole, des risques
de submersion et d’érosion de plus en
plus marqués.
acidité, courants) affecte les espèces, et par
conséquent les pratiques de la pêche bre-
tonne, de loin la première flotte française.
Du centre de Saint-Malo au port de
Concarneau en passant par la rade de
du futur. La France fait face au défi du siè- L’adaptation est un enjeu majeur pour le Brest, acteurs du tourisme, de la pêche et
cle, pour s’adapter à un réchauffement cli- littoral breton, où le changement climati- de l’industrie s’interrogent sur le cap à
matique qui pourrait atteindre en métro- que, en modifiant les paramètres de la prendre pour s’adapter à cette nouvelle
pole 4 °C en 2100, dans un scénario que le biodiversité marine (température de l’eau, donne environnementale. p
gouvernement juge désormais « réaliste ».
Cet horizon a ceci de paradoxal qu’il est in-
quiétant mais encore lointain. Ne nous y
L a M a n c h e
trompons pas : le chantier de l’adaptation
Saint-Cast-
est l’urgence du moment présent.
le-Guildo Saint-Malo
Le Monde a mobilisé plus d’une centaine
Brest
de personnes de sa rédaction pour racon-
ter, au long d’une enquête en onze chapi-
Côtes-
tres, ce que cela représente pour la France. d’Armor
Finistère
Pour ce dernier volet, nous avons parcouru
la Bretagne, où l’été 2022 fut marqué par Ille-et-Vilaine
des épisodes caniculaires sans précédent,
une sécheresse intense et des anomalies de Morbihan
la température océanique. Un climat atypi- Concarneau
que qui pourrait se banaliser dans le futur, Oc
pressentent les experts du Haut Conseil éa
n A
breton pour le climat. tlan
tique
Aux effets déjà perceptibles du dérègle-
50 km
ment climatique s’ajoutent, dans cette

Les pêcheurs bretons

face à une déferlante
de prédateurs Matthieu Auffret, conchyliculteur à Saint-Cast-le-Guildo (Côtes-d’Armor),
protège ses moules avec des filets, le 3 mai.

Les professionnels bretons sont confrontés à l’invasion
d’espèces habituellement peu présentes,
telles que les daurades, les araignées et les poulpes,
qui déstabilisent l’équilibre des ressources halieutiques
REPORTAGE
saint-cast-le-guildo (côtes-d’armor)
et concarneau (finistère) - envoyé spécial
les dents des poissons et les pinces des crus-
tacés ne viennent tout ravager. « Si on m’avait
dit qu’un jour j’enfilerais des bas à des bou-
chots », ironise Matthieu Auffret. Fatigué des
dant, les filets de protection sont efficaces l’araignée, donc il y a des facteurs environne-
mais demandent beaucoup de travail. mentaux qui entrent en ligne de compte. On
Au milieu des bouchots, comme ailleurs manque de recul mais les changements sont
dans les zones de conchyliculture ou de pê- très importants dans plusieurs secteurs. »
che, ces changements inquiètent. Certains y La dernière étude sur les migrations des
voient les aléas des métiers de la côte, ryth- araignées date de quarante ans, et la daurade,
més par la météo changeante de l’Ouest et par espèce au comportement aléatoire, est peu ci-
les migrations des poissons. Un milieu où blée par les pêcheurs, ce qui rend compliqué
l’adaptation est la règle. Mais le réchauffe- le recensement. L’Ifremer a effectué de nom-
ment climatique s’invite aussi dans les breuses études, en laboratoire ou en mer,
conversations et les scientifiques viennent de pour observer toute une série de phénomè-
plus en plus souvent faire des visites aux tra- nes où, à chaque fois, le réchauffement clima-
vailleurs de la mer, tel Martial Laurans, cher- tique a des incidences : MicroCO2sme, un
cheur en écologie halieutique à l’Institut fran- projet ouvert au public, qui permet d’étudier

L
a main sur le moteur de son hors-
bord, Matthieu Auffret navigue
entre les rangées de bouchots de
moules. La marée descendante
laisse apparaître les ravages de la
nuit, des jours précédents, de ces
semaines cruciales où toute une saison se
joue. « Là, bouffées… Là-bas, le carnage… »
Boucle à l’oreille droite, capuche bleue sur
une casquette kaki, l’homme pointe les pieux
nettoyés de leurs moules. Il connaît chaque
caillou. Tout petit déjà, il allait pêcher sur la
côte dinardaise. Depuis vingt-cinq ans, il tra-
vaille pour les conchyliculteurs installés à
Notre-Dame-du-Guildo (localité qui appar-
tient aujourd’hui à la commune de Saint-
Cast-le-Guildo, dans les Côtes-d’Armor), un
lieu de confluence où la mer brasse les nutri-
ments de la rivière Arguenon, s’insérant par-
tout entre les avancées rocheuses, remontant
jusqu’aux champs. Et il sait repérer les préda-
teurs. « Sur celui-là, ce sont les araignées, elles
grignotent et laissent tomber des morceaux de
coquille sur le fond. Ça, c’est les daurades, elles
commencent par le bas et nettoient tout jus-
qu’en haut avec la marée. » Il hèle son frère.
Sur son embarcation, le Costegnio, Cyril
Auffret a, lui, été chargé par le Comité régio-
nal des conchyliculteurs de faire des relevés.
Chaque jour, il pose ses casiers et ses filets, et
les relève le lendemain matin. « Ce matin, 84,
rien que sur une seule filière, lance-t-il, au mi-
lieu de ses bacs débordant d’araignées. Par-
fois, il y en a tellement que le casier est rempli
et qu’elles s’agglutinent dessus. »
La Manche s’est retirée, laissant apparaître
une vaste étendue de sable entre la plage des
Quatre-Vaulx et Saint-Jacut-de-la-Mer. Avec
leur tracteur, Guillaume Bouchonneau et ses
hommes s’activent. La mer ne leur laisse que
quelques dizaines de minutes pour travailler.
Enlever les naissains – les grappes de moules
juvéniles –, les enrouler sur les pieux, les ac-
crocher solidement. Et, surtout, installer un
filet de protection. Il est tenu écarté des co-
quillages par de larges pièces de plastique, les
écarteurs. Une innovation pour éviter que
attaques de daurades royales, un poisson qui
n’existait auparavant que de façon sporadi-
que dans la Manche, M. Bouchonneau a dé-
veloppé ce système puis l’a posé pour la pre-
mière fois en 2021. Avant cela, il pouvait
perdre jusqu’à 60 % de sa production.
Aujourd’hui, il espère en sauver 90 %, peut-
être la totalité. « Avec ces prédations, tu ne
maîtrises plus rien si tu restes inactif face à un
phénomène inédit et ultraviolent, explique-
t-il. J’ai eu peur de perdre l’entreprise. Mainte-
nant, même les gars du Mont-Saint-Michel
viennent nous voir pour se renseigner. »
FIL WHATSAPP « URGENCE PRÉDATION »
Aux bancs de daurades imprévisibles – « ça
arrive tout le temps deux jours avant la pleine
lune », murmure-t-on, entre deux marées –
s’est ajouté le problème des araignées, un ani-
mal bien d’ici. Pendant des décennies, ce
crabe remontait des hauts-fonds entre avril et
mai. Mais, depuis quelques années, la saison
des prédations commence beaucoup plus tôt
et dure quasiment jusqu’à l’automne. Et la
zone s’est étendue de l’île de Batz (à l’ouest, au
large de Roscoff) jusqu’à la Normandie, en
passant par le Mont-Saint-Michel, donc.
« Tu as vu que ça redémarrait à bloc ? Il paraît
que c’est dans La Fresnaye [baie proche de
Saint-Cast-le-Guildo] que ça tape le plus… »
Laurent Lesiourd raccroche. L’homme tra-
vaillait déjà avec le père de Guillaume Bou-
chonneau. Sur son téléphone, il ne lâche pas
un fil WhatsApp, « Urgence prédation », sur le-
quel des dizaines de conchyliculteurs s’en-
voient des vidéos. « C’est cataclysmique, té-
moigne-t-il. On s’est creusé les neurones pour
comprendre le comportement des animaux. La
daurade n’aime pas les eaux troubles, elle en-
voie des éclaireuses et peut nettoyer 4 kilomè-
tres de naissains en quelques heures. L’araignée,
elle, ça peut être tous les jours… On se fait des
nuits blanches et tout le monde est nerveux. »
Pour tenter de repousser ce monde vorace,
le Comité régional des conchyliculteurs a
commencé une campagne d’effarouche-
ment en faisant du bruit sur le fond grâce à
un bateau qui traîne une drague. En atten-
çais de recherche pour l’exploitation de la les effets sur l’huître Ostrea edulis, une espèce
mer, l’Ifremer, présent quelques jours plus tôt locale décimée en Europe ; étude Ceres sur la
dans la baie de l’Arguenon. « Pour la daurade, diminution de la taille des sardines et des
les observations montrent une présence là où il anchois ; observation de la dirette de Parin,
n’y en avait aucune il y a trente ans, par exem- un poisson tropical repéré en Norvège ;
ple jusqu’en Normandie, à Barfleur ou à Cher- CocoriCO2, une étude ambitieuse sur douze
bourg, c’est vraiment nouveau, détaille-t-il. sites différents, qui mesure les effets de l’aug-
L’explication est, comme souvent, multifacto- mentation de la température et de l’acidifica-
rielle car une espèce doit trouver une alimenta- tion de l’océan sur les coquillages.
tion et un habitat qui lui conviennent. Mais
plusieurs éléments permettent de dire que c’est NOUVELLES CONVOITISES
« ON S’EST CREUSÉ une conséquence du changement climatique. « En appliquant l’un des scénarios du Groupe
LES NEURONES La daurade est une espèce sentinelle. » d’experts intergouvernemental sur l’évolution
Dans cette zone océanique tempérée, les du climat, le plus réaliste, nous arrivons à des
POUR COMPRENDRE scientifiques font face à plusieurs difficultés. PH qui pourraient descendre occasionnelle-
D’abord, les côtes bretonnes sont « tampon- ment jusqu’à 7,2 dans les zones d’élevage, cela
LE COMPORTEMENT nées ». Les eaux sont brassées par les cou- peut réduire la taille des huîtres et des moules
DES ANIMAUX. rants de surface mais aussi par les remontées de 40 %. A ces valeurs, les eaux sont corrosives
océaniques des profondeurs, sans oublier les pour les coquillages », résume Fabrice Pernet.
ON SE FAIT DES grandes dépressions. L’évolution de la tempé- Chargé de ces études, ce chercheur en biolo-
rature est plus progressive que sur terre. Le gie marine, spécialisé dans l’adaptation aux
NUITS BLANCHES risque très réel d’une « tropicalisation » de la changements globaux, a démontré que les
Manche ne peut donc s’analyser que sur le algues permettaient de lutter contre ce phé-
ET TOUT LE MONDE long terme. Sauf que les données montrent, nomène en captant le CO2. Quelques ostréi-
EST TRÈS NERVEUX » là aussi, une accélération : le 10 juin, la tempé- culteurs se sont lancés dans la coculture. « Il y
rature moyenne de l’Atlantique Nord affichait a dix ans, tout cela n’aurait jamais été entendu
LAURENT LESIOURD une anomalie de + 1,2 °C par rapport à la de la même façon. Avec eux, on ne parle plus
conchyliculteur moyenne 1982-2011, selon les données de aujourd’hui de l’horizon 2100, mais de 2050.
l’institution américaine National Oceanic Beaucoup sont dans une idée de transmission
and Atmospheric Administration. et ils n’ont pas envie de faire un cadeau empoi-
Dans cet univers complexe, des milliers de sonné à leurs successeurs. » A moins que les
causes peuvent interagir, comme la météo changements soient beaucoup plus rapides…
d’une saison ou la qualité des eaux de Matthieu Le Fur fait partie de la France qui
certains estuaires qui peuvent nuire aux ale- se lève très tôt. A 4 heures en ce lundi 1er mai, il
vins. La raison de la disparition dégage son bateau, le Bacchus II,
progressive du carrelet n’est du ponton de Concarneau (Finis-
peut-être pas la même que celle tère), et embarque. Le caseyeur
à l’origine de la baisse du nom- de 8,30 mètres glisse le long des
bre de dormeurs, comme on ap- vieux murs de la ville close. La
pelle le tourteau dans le coin. veille, lors du départ de la Transat
Sans oublier l’impact de la pê- Paprec, des opposants à la ré-
che. « Il y a des espèces pour les- forme des retraites y ont inscrit :
quelles on sait que la gestion des « Macron dégage, demain tu
stocks a permis leur régénéres- prends le large ». Loin du
cence, comme le thon rouge ou la Retrouvez tous les bouillonnement social, le Bac-
coquille Saint-Jacques, poursuit articles du onzième chus II trace sa route vers l’archi-
M. Laurans. Pour d’autres, ce n’est chapitre en suivant pel des Glénan. L’éclat rouge du
pas ça, comme la daurade et ce QR code phare de Penfret, sur l’île du
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Matthieu Le Fur, pêcheur à Concarneau (Finistère), remonte de nombreux poulpes
quand il relève ses casiers à crustacés. Ici, le 1er juin. Photos : Florence Joubert pour « Le Monde »
même nom, est déjà visible. « L’été, il y a telle- des évolutions. Mois après mois, le poulpe
ment de bateaux au mouillage là-bas qu’on semble continuer sa remontée vers le nord.
croit qu’il y a une ville », glisse le marin. Au Conquet, dans le nord-ouest du Finis-
A l’est de l’île du Loc’h, il repère une de ses tère, Yannick Larsonneur, patron du Flip-
bouées pavillons, accroche le bout à son vire- per III, a délaissé les casiers pour se ­consacrer
casier et remonte sa première filière. Un ho- à ses filets. « Trois ou quatre gars s’y sont mis,
mard, quelques étrilles, mais surtout, une s’il y a des bateaux qui viennent d’ailleurs, je
douzaine de poulpes, parfois trois par casier. sens que ça peut être tendu dans les années à
Leurs tentacules s’accrochent partout. « J’en venir. » Cette colonisation de tout un écosys-
vois sortir au dernier moment quand on les re- tème par le poulpe a été très vite attribuée au
monte, faudrait mettre une GoPro pour voir réchauffement climatique. Le céphalopode,
tout ce qu’ils savent faire sous l’eau, mais bon, décrit par Victor Hugo comme un « effrayant
ça fait cher s’ils se barrent avec, balaye génie » capable de « sinistres patiences embus-
M. Le Fur, mi-amusé, mi-fasciné par cet ani- quées dans l’abîme » (Les Travailleurs de la
mal aux neuf cerveaux qui ne vit que deux mer,1866), devenu star de Netflix (La Sagesse
ans. Heureusement qu’ils ne transmettent pas de la pieuvre, documentaire avec Craig Foster,
tout ce qu’ils apprennent durant leur vie à leur 2021)et des Coupes du monde de football,
descendance, sinon ils auraient déjà pris le existe pourtant ici depuis longtemps. Les ca-
­contrôle sur terre. » Pendant quatre heures, le hiers scientifiques de la Station biologique de
pêcheur ­remonte les casiers, les vide, réins- Roscoff (Finistère) relèvent déjà sa présence
talle de la boette (l’appât) et remet le tout à la en 1905-1906. A 77 ans, Lucien Bizien, dit
mer. Il trie aussi en rejetant les poulpes les « Lulu », pêcheur professionnel dans l’aber
plus petits ou ceux qui ont trop de tentacules Benoît, se souvient d’en avoir vu sur les pla-
­amputés. Une énorme femelle homard dont ges quand il était enfant. « Ils filaient entre les
les œufs recouvrent tout le dessous de la ca- rochers », raconte-t-il, debout sur son bateau,
rapace repart aussi. « Il faut penser à la res- une pieuvre entre les jambes. A l’époque, les
source, j’ai vu mon père faire ça. Dans un mois, pêcheurs les rejetaient à l’eau, râlant contre ce
elle aura dégrainé et je la ­repêcherai. » goinfre. En 1996, les Sénégalais l’avaient vu se
Au lever du jour, un autre bateau s’appro- répandre sur toutes leurs côtes en quelques
che, plus grand. « Ceux de 12 mètres, on ne mois et en avaient pêché 60 000 tonnes.
­s’entend pas trop avec eux. La mer est à tout le
monde, mais bon… Eux, ils n’étaient pas là « L’hypothèse du réchauffement »
avant, ils viennent d’Auray [dans le « L’hiver 1962-1963, très froid sur toute la
­Morbihan]… » Dans ce monde où chaque port France et en Bretagne aussi, a peut-être été lé-
se répartit les zones de pêche de façon infor- tal pour une grande partie de la population des
melle mais sans que personne ne franchisse poulpes, et on pourrait assister aujourd’hui à
les limites, le poulpe a créé des convoitises. une reconstitution naturelle, suppose M. Lau-
Certains matins du printemps 2021, année où rans, étonné lui aussi de ­l’explosion de la bio-
cette espèce est apparue en masse, Mat- masse entre 2020 et 2021… On peut formuler
thieu Le Fur en a remonté jusqu’à 1 200 kilo- l’hypothèse du réchauffement, mais ça n’est
grammes à lui tout seul. L’Ifremer estime que pour le moment qu’une hypothèse car nous
3 200 tonnes ont été pêchées en un peu plus n’avons pas encore assez de recul. » « Beaucoup
de deux mois, un magot d’environ 25 mil- de facteurs ont pu favoriser l’arrivée à l’âge
lions d’euros à répartir entre une soixantaine adulte de poulpes juvéniles, l’accélération a pu
de bateaux. Une filière s’est créée avec des ca- être causée par le climat », poursuit Julien Du-
mions partant des criées finistériennes pour breuil, biologiste marin à Quimper et chargé
alimenter les marchés italiens et espagnols, de mission pour le Comité régional des pê-
où le poulpe disparaît peu à peu. L’année ches. Des études sont en cours pour mieux
2023 est repartie sur les mêmes bases. Avec comprendre le poulpe et tenter d’éclaircir les
raisons de sa prolifération. A 10 h 30, Matthieu
Le Fur amarre son Bacchus II au quai de la
criée de Concarneau. Cent cinquante-deux ki-
logrammes de pieuvres ce matin pour une di-
Des études sont zaine de homards : « Certaines marées, je pou-
en cours pour mieux vais en ramener 150 à l’époque. » Tout autour,
des dizaines de bacs remplis de poulpes. Quel-
comprendre le poulpe que chose a changé dans ces eaux, les pê-
cheurs de Cornouaille se sont adaptés. Marée
et tenter d’éclaircir après marée, ils sont dans ­l’expectative sur ce
les raisons que leur réserve l’année à venir. Et dans le
brouillard sur les décennies futures. p
de sa prolifération Matthieu Goar
Le port de Brest
redessiné par les
énergies renouvelables
Un polder de 40 hectares est en construction
dans la rade afin d’accueillir la filière de l’éolien
offshore, en plein développement en Bretagne
Reportage
Brest (Finistère) - envoyé spécial
L
es élus locaux bretons ont
eu le nez creux. Lorsque la
région et les collectivités
­locales finistériennes ont
­commencé à s’intéresser sérieu-
sement aux énergies marines re-
nouvelables, il y a vingt ans, « cela
faisait plus sourire qu’autre
chose », se remémore Eric Van-
denbroucke, directeur du déve-
loppement économique et inter-
national à Brest Métropole. « On
n’était pas alors dans la pure pani-
que [sur le] climat », euphémise-
t-il. Aujourd’hui, on y est. L’époque
est aux canicules, aux mégafeux
et à l’effondrement de la biodiver-
sité. « Nous avons été confortés par
le changement climatique », cons-
tate M. Vandenbroucke.
Brest, sous-préfecture du Finis-
tère, peut espérer se hisser aux
avant-postes de la transition éco-
logique. Sur un polder qui agran-
dit le port de commerce de
40 hectares, une activité indus-
trielle liée aux éoliennes flottan-
tes de haute mer devrait large-
ment se développer dans les an-
nées qui viennent. « Cet outil offre
la capacité d’être pionnier dans le
développement industriel et éco-
logique, indispensable à la Breta-
gne, estime Christophe Chabert,
président du directoire de la So-
ciété portuaire Brest Bretagne.
Aujourd’hui, Brest est “au bout”.
Demain, elle sera “au milieu” d’un
vaste complexe énergétique. »
Tandis que la mer du Nord est
parsemée d’éoliennes posées sur
un sol marin pas trop profond,
les pays de l’Atlantique ne peu-
vent faire autrement que de mi-
ser sur le « flottant » : des plates-
formes grandes comme un ter-
rain de foot, pesant 4 000 tonnes
pour les structures métalliques
et jusqu’à 20 000 tonnes pour le
béton, amarrées jusqu’à 300 kilo-
mètres de la côte, lestées d’une
turbine puissante et d’une éo-
lienne aussi haute que la tour Eif-
fel. Le cahier des charges est am-
bitieux et le chantier titanesque,
reconnaît M. Chabert : « Faire
deux fois plus avec deux fois
moins d’éoliennes. »
Projet pharaonique
Le gouvernement a lancé la
­création de cinquante parcs éo-
liens offshore d’ici à 2050. La
puissance totale pourrait attein-
dre 40 gigawatts (soit 40 mil-
liards de watts), dont entre six et
dix au large de la Bretagne. La
puissance actuelle de l’ensemble
des 56 réacteurs nucléaires fran-
çais est de 63 gigawatts. C’est dire
l’ampleur de ce projet pharaoni-
que. L’idée n’est pas de se substi-
tuer au nucléaire, mais d’aug-
menter la ­production d’électricité
pour faire face au choc de con-
sommation que provoquera la
décarbonation de l’économie.
En cet après-midi de juin, au
fond du port de commerce de
Brest, des ouvriers s’activent pour
équiper les mâts des 62 éoliennes
qui seront plantées au large de
Saint-Brieuc. On est là sur le nou-
veau polder, non loin de l’aqua-
rium Océanopolis. Ou plutôt le
dernier : depuis le décret signé
par Napoléon III en 1859, le port
ne cesse de s’étendre, prenant pa-
tiemment sur la mer. En 2012,
pour 220 millions d’euros, les col-
lectivités locales décident d’ajou-
ter 40 hectares, 25 seront consoli-
dés et 15 seront créés. La techni-
que est simple : on crée une digue
close que l’on comble petit à petit
avec, notamment, des sédiments
de dragage. Le chenal portuaire a
été creusé jusqu’à 9 mètres pour
accueillir les énormes porte-con-
teneurs appelés « Panamax ».
Une matière première bon mar-
ché, mais pas propre, proteste
Christian Bucher, écologiste,
membre de la commission mer et
littoral d’Europe Ecologie-Les
Verts : « Il y a un impact sur la rade.
On prend de la vase, polluée depuis
la seconde guerre mondiale, on la
déplace. Et c’est une pollution chi-
mique toxique qui se diffuse. La
rade est très polluée. »
Sur cette vaste étendue gou-
dronnée prise sur la rade de Brest,
qui ressemble plus à un vaste par-
king avec vue sur mer qu’autre
chose, des tubes d’acier de 21 à
36 mètres de long, pesant chacun
plus de 100 tonnes, attendent au
soleil. Ils ont été construits à Bil-
bao, en Espagne. Un à un, ils sont
transportés sous une immense
tente où ils sont équipés de câbles
électriques, de plates-formes inté-
rieures et d’équipements de sécu-
rité. Ils partiront ensuite au Havre
(Seine-Maritime). Les tronçons y
seront mis à la verticale et assem-
blés, par trois. Les turbines et les
pales, fabriquées dans le port nor-
mand, seront ajoutées ; puis les
éoliennes installées en mer, au
large de Saint-Brieuc. « Un grand
puzzle », déclare, avec le sourire,
Jean-Maxime Pape, coordonna-
teur du site de Brest pour l’entre-
prise Haizea Breizh.
Un autre parc devrait être ins-
tallé en 2024 au large de Belle-Ile-
en-Mer (Morbihan). Il aura une ca-
pacité de 250 mégawatts (250 mil-
lions de watts). Un mégawatt per-
met d’alimenter 700 foyers. Le
terminal créé sur le port de Brest
y suffira. « Pour les autres, pré-
cise Christophe Chabert, il faudra
travailler avec ­Nantes ou Lorient
[Morbihan]. Grâce à la surface
dont nous disposons, on peut
­procéder à l’assemblage des flot-
teurs. Nantes peut assurer le mon-
tage de la turbine et Lorient la
maintenance. »
Avec la crise ukrainienne, « on a
changé de dimension », poursuit
le patron du port. Au-delà des
questions écologiques, « l’énergie,
ce n’est plus tant une question de
compétitivité ou de rentabilité que
de souveraineté, souligne-t-il. On
a la chance d’avoir une grande sur-
face maritime et d’être à proximité
des parcs éoliens. Cela peut per-
mettre à l’industrie de se dévelop-
per ». Et, conclut-il, « il faut que
nous, ports, nous apportions une
solution coordonnée. Aucun n’est
à lui seul capable d’apporter l’en-
semble de la solution ».
Sur ce projet, les écologistes se
montrent nuancés : « L’intention,
on aura du mal à la critiquer, re-
| 15
« L’énergie,
ce n’est plus tant
une question de
compétitivité ou
de rentabilité que
de souveraineté »
Christophe Chabert
responsable du port de Brest
connaît Glen Dissaux, président
du groupe écologiste à la ville et à
la métropole. On soutient le projet
EMR [pour énergie marine renou-
velable]. Nos questions portent sur
la façon dont le projet est mené. »
Outre la pollution évoquée par
Christian Bucher, M. Dissaux met
en garde contre le risque de sub-
mersion des polders, « assez peu
considéré », prévient-il : « Et on
continue à aménager le port, c’est
un vrai problème. » Dans le plan
d’urbanisme, abonde M. Bucher,
« le risque de submersion, c’est
trois lignes sur des milliers de pa-
ges. En 2050, le nombre de jours de
submersion aura augmenté et
­certains secteurs du port seront
sous les eaux ». Christophe Cha-
bert minimise l’argument en évo-
quant l’important marnage, de
8 mètres, auquel a toujours été
soumise la rade. « Mais ça se re-
garde », admet-il.
« Occasions manquées »
Présidente du groupe d’opposi-
tion de droite et du centre, Berna-
dette Malgorn soutient égale-
ment l’idée de miser sur cette ac-
tivité d’avenir. Elle regrette sim-
plement que la région ait tant
tardé à mettre en place la société
portuaire, la structure technique
et commerciale permettant de
développer le secteur. « Entre-
temps, beaucoup d’occasions ont
été manquées », déplore-t-elle. Se-
lon elle, la part de l’activité éo-
lienne assumée sur place de-
meure aujourd’hui « modeste » :
« Beaucoup d’opérations se font en
dehors de Brest, constate-t-elle. Ça
reste bien. Mais il ne faut pas se
pousser du col. »
A la métropole, on préfère se pro-
jeter. « Ce positionnement sur les
énergies marines renouvelables est
un investissement qui prendra son
ampleur dans le temps, indique
Michel Gourtay, vice-président de
Brest Métropole. Notre approche
est globale, même si le polder est un
atout majeur. » Dans un contexte
de transition écologique, les éner-
gies marines renouvelables, « c’est
l’exemple parfait de ce qu’il faut
réussir », insiste M. Gourtay.
Le rôle des élus locaux, fait-il re-
marquer, c’est de percevoir « les si-
gnaux faibles » qui annoncent les
grands bouleversements à venir.
La métropole pense déjà à l’après-
polder, travaillant à la cyber­-
sécurité ou aux biotechnologies,
car « la biodiversité marine est ri-
che d’éléments qui seront utiles
dans le futur », assure M. Gourtay.
« Chaque époque a ses signaux fai-
bles », souligne-t-il. p
Benoît Floc'h

16 |
La submersion, menace ancienne pour Saint-Malo
Alors que la cité corsaire se prépare à une multiplication des tempêtes, l’immobilier continue de flamber
Reportage
Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) -
envoyé spécial
C
haque tempête attire les
curieux de ce spectacle
typique de Saint-Malo
(Ille-et-Vilaine). Poussée
par les vents d’ouest, la houle se
fracasse contre la digue. Projetés
par la force inouïe des vagues, des
paquets d’eau heurtent les faça-
des des maisons et des immeu-
bles du front de mer. Au point cul-
minant de la marée, la poussée est
telle que l’eau passe au-dessus des
édifices, fauche parfois en retom-
bant les imprudents qui se sont
approchés trop près, et finit sa
course dans les rues en contrebas.
« Depuis quelques années, on
sent bien que la mer passe beau-
coup plus souvent et facilement
au-dessus de la digue et que les dé-
gâts sont beaucoup plus fré-
quents », observe Gilles Lurton,
maire (Les Républicains) de Saint-
Malo et président de l’aggloméra-
tion. Face au danger, l’édile an-
nonce même, d’ici à un an, « un
exercice d’évacuation grandeur
nature d’alerte submersion ».
Les données collectées par le
Service hydrographique et océa-
nographique de la marine
(SHOM) confirment que le risque
se précise pour la cité corsaire.
« Nous avons compté 192 tempê-
tes entre 1979 et 2019, explique
Héloïse Michaud, coordinatrice
du programme d’actions de pré-
vention des inondations de
Saint-Malo au SHOM. Il est inté-
ressant de remarquer une période
de forte activité entre 1980 et
2000, une plus faible activité en-
tre 2000 et 2015, puis à nouveau
un regain du nombre de tempêtes
entre 2015 et 2019. »
Comme partout en Europe, c’est
le phénomène climatique appelé
oscillation nord-atlantique (ONA)
qui dicte sa loi, entre autres, sur
les tempêtes. « Comme certaines
études indiquent que l’ONA est af-
fectée par le changement climati-
que, il y a de grandes chances que
le régime des tempêtes le soit
aussi », observe la scientifique.
Un marais envahi par la mer
Mais, surtout, Saint-Malo, comme
toute agglomération en bordure
du littoral, va devoir composer
avec la montée du niveau de la
mer, qui pourrait atteindre 1 mè-
tre d’ici à 2100. Le phénomène,
qui va accentuer la puissance des
tempêtes, ravive la crainte de voir
se reproduire un événement de
l’ampleur de Xynthia. En 2010,
vingt-neuf personnes avaient
trouvé la mort à La Faute-sur-Mer,
en Vendée, lors d’un épisode ex-
ceptionnel de submersion de zo-
nes habitées.
« Pour comprendre la submersion
marine, la tempête Xynthia est un
bon exemple, explique Françoise
Vimeux, climatologue à l’Institut
de recherche pour le développe-
ment. Il y a eu une surcote de
1,6 mètre à La Rochelle. Si, en 2100,
le niveau des mers a augmenté de
60 centimètres, il suffira d’une tem-
pête beaucoup moins forte avec
une surcote de 1 mètre pour engen-
drer les mêmes dégâts. »
Si Saint-Malo n’a jamais connu
de tempête dévastatrice et meur-
trière comme Xynthia, sa topo-
graphie a de quoi nourrir les in-
quiétudes. A commencer par les
marées dont le marnage (la diffé-
rence de hauteur entre les marées
haute et basse) dépasse les 13 mè-
tres lors des plus gros coefficients.
La marée la plus faible charrie
avec elle une hauteur d’eau de
plus de 4 mètres, alors que la Mé-
diterranée varie au plus d’une ou
deux dizaines de centimètres.
Chaque marée génère une im-
mense quantité d’énergie captée,
Le centre-ville de Saint-Malo,
de mois en moins protégé par sa digue
Digue existante
Degré d’aléas inscrit dans le plan de prévention
des risques de submersion marine
Faible
Zone déjà classée inconstructible
dans le plan de prévention
Prix moyens
de l’immobilier
au mètre carré,
en juin 2023
DINARD
Sources : IGN ; plan de prévention des risques
de submersion marine de Saint-Malo ; Meilleursagents.com
à quelques centaines de mètres
de là, par les turbines de l’usine
marémotrice de la Rance.
Jusqu’au XIXe siècle, tout le cen-
tre de la ville, où se trouvent
aujourd’hui le port, le casino, la
gare et de nombreux logements,
était un marais que la mer enva-
hissait inlassablement puis dé-
laissait deux fois par jour.
« En 1835, Claude Toussaint Cha-
pel, un médecin installé intra-mu-
ros, lance l’idée des bains de mer
et ainsi le destin de cité balnéaire
de Saint-Malo, explique Gilles
Foucqueron, auteur de l’ouvrage
Saint-Malo, deux mille ans d’his-
toire (Foucqueron, 1999). Des en-
trepreneurs parisiens investissent
alors Paramé et, à partir de là, la
ville va s’étendre. Viendra ensuite
la poldérisation. »
Saint-Malo, qui n’est alors
qu’une pointe rocheuse de 1 kilo-
mètre carré face à la mer, va en-
fermer derrière elle son marais
en s’étendant à l’est vers Paramé,
avec l’endiguement et l’urbanisa-
tion de la dune du Sillon, alors
seule voie d’accès terrestre
quand la marée le permet. Au
sud, protégé par un môle, l’avant-
port ferme le polder en s’ap-
puyant sur les rochers au pied de
Saint-Servan. Reliés par une
écluse, le port intérieur et ses
bassins, où s’admirent désor-
mais tous les quatre ans les voi-
liers du Vendée Globe, jouent en-
core aujourd’hui le rôle de modé-
Quarante-cinq
hectares
situés en plein
cœur de la ville
sont d’ores et déjà
inconstructibles
Fort
13 400 €
L e Gran d - Bé
4 800 €
La
Port de
Ra
plaisance
nc
e
rateurs entre la ville et les ar-
deurs de la Manche.
« Les bassins participent à la
prévention du risque de submer-
sion, explique Stéphane Perrin-
Sarzier, vice-président (Union
des gauches) de la région Breta-
gne. En cas d’alerte, on abaisse les
niveaux des bassins qui absorbent
le surplus. » Chargé de la rénova-
tion du port de Saint-Malo, l’élu
est conscient que « la fréquence
du risque va augmenter et [que]
ce serait une faute de l’ignorer.
Mais personne ne peut dire
aujourd’hui que, dans cinquante
ans, le risque sera maîtrisé ».
Comment s’adapter à la montée
des eaux quand 450 hectares de la
ville se situent en dessous du ni-
veau de la mer ? La principale con-
trainte à laquelle la cité corsaire
doit déjà s’adapter est venue de
l’Etat, en réaction à Xynthia, avec
la mise en place des plans de pré-
vention des risques de submer-
sion marine (PPRSM), qui délè-
guent aux agglomérations la
compétence de gestion des mi-
lieux aquatiques et prévention
des inondations (Gemapi). Une
mission qui inclut, entre autres, la
gestion des digues.
Règles d’urbanisme durcies
Dans le cas de Saint-Malo, ce plan
s’articule autour d’un « aléa de ré-
férence », dit aussi « aléa centen-
nal », à savoir le niveau marin ex-
trême auquel la ville peut poten-
tiellement faire face. Actuelle-
ment estimé à 7,94 mètres par
rapport au zéro hydrographique,
ce niveau correspond aux
7,49 mètres de la plus forte ma-
rée connue, auxquels s’ajoutent
25 centimètres d’incertitude et
20 centimètres issus d’une « pre-
mière prise en compte immé-
diate de l’élévation de la mer liée
au changement climatique ». Le
­document précise que la
­commune doit intégrer dans ses
La Manche
Mairie
Casino
Vieille
ville Port
Port
Les
S ab lo n s
Centre
hospitalier
Saint-Servan
1 kilomètre
« L’équation est
insoluble si l’on
n’a pas la volonté
de brider le marché
des résidences
secondaires »
Alain Guillard
porte-parole
de l’association Osons
projets à horizon 2100 une
hausse de 60 centimètres du ni-
veau de la mer.
Ces niveaux de référence, fixés
en 2011 au terme d’une concerta-
tion entre l’Etat, les collectivités
locales et des experts, posent
question. Stéphane Costa, cher-
cheur à l’université de Caen, a
animé la commission environ-
nement qui a abouti à cette régle-
mentation. « On était plusieurs
scientifiques à évoquer à l’époque
que le GIEC [Groupe d’experts in-
tergouvernemental sur l’évolu-
tion du climat] envisageait déjà
une hausse de 1 mètre du niveau
de la mer. Or, la préfecture a fait le
choix de retenir les 60 centimètres
officiellement validés par le GIEC
dans un rapport de 2007, car cela
ne faisait pas débat. »
Pour cet expert, « on sait claire-
ment aujourd’hui que c’est sous-
estimé ». Il constate en effet que
« l’idée d’une élévation de 1 mètre
aurait été inaudible pour les élus
locaux, qui ont tendance à remet-
tre en cause assez facilement les
chiffres qui ne les arrangent pas.
Pour eux, c’est extrêmement vio-
lent, car on vient leur dire qu’une
partie de leur territoire va être ge-
lée dans le cadre du plan de pré-
vention des risques ».
Depuis la concrétisation du
PPRSM à Saint-Malo en 2018, c’est
Po
in
te
de
Ro
che
bon
ne
lon Thermes
Sil marins
Le
Commissariat
Gare SNCF
Hippodrome
S A I N T- M A L O
Infographie Le Monde, Xemartin Laborde
tout le polder qui se voit menacé.
Quarante-cinq hectares situés en
plein cœur de la ville sont d’ores
et déjà inconstructibles. Et ce
n’est qu’un début. « L’Etat nous a
fait savoir qu’il engageait préma-
turément la révision du PPRSM,
annonce Gilles Lurton. La consé-
quence sera d’avoir un peu plus de
surface inconstructible. Nous avi-
ons un projet de musée maritime
situé dans une zone actuellement
constructible. Avec la révision du
PPRSM, ce ne sera plus possible. »
Au total, 266 hectares seront
potentiellement soumis à de for-
tes restrictions dans les décen-
nies à venir. En pleine révision de
son plan local d’urbanisme, la
municipalité espère pourtant
construire 500 nouveaux loge-
ments par an. Mais, selon les do-
cuments validés en conseil mu-
nicipal, ces logements sont pour
le moment majoritairement pla-
nifiés dans des zones où la régle-
mentation devrait se durcir.
« Tout est bâti autour d’une fa-
ble », s’emporte Alain Guillard,
porte-parole de l’association
Osons et candidat (sans éti-
quette) aux deux dernières élec-
tions municipales. Cet ancien di-
recteur technique de l’agglomé-
ration tire à boulets rouges sur la
vision urbaine du maire. « Il y
aura une superposition sur les
contraintes de submersion, esti-
me-t-il. On va faire un projet
­politique urbain axé sur la cons-
truction sans avoir la certitude
qu’elle sera possible. L’équation
est insoluble si on n’a pas la vo-
lonté de brider le marché des rési-
dences secondaires. »
Entre 2015 et 2020, les résiden-
ces secondaires ont représenté
40 % des transactions et pèsent
sur les prix de l’immobilier. « Sur
le marché global, on est à la
hausse », avance Alain Gautron,
notaire à Saint-Malo. Avec des
prix inversement proportion-
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Rothéneuf
ic
in
ih
M
Paramé
nels à leur distance de la mer :
« On peut monter jusqu’à
12 000 euros le mètre carré pour
un bel appartement en front de
mer. » Et les risques de submer-
sion ne semblent pas refroidir les
potentiels acquéreurs. « Le désir
est plus fort que l’inquiétude,
poursuit le notaire. Les gens culti-
vent un relatif optimisme. On vit
avec le folklore des vagues qui
submergent. Et on fait avec les dé-
sagréments, le bruit, les coûts
d’entretien importants. »
Rehausser la digue
La seule résistance possible pour
la ville afin de gagner du temps et
de l’espace serait de rehausser la
digue. « L’état de la digue est tout
à fait satisfaisant, mais n’est pas
suffisant pour garantir de résister
à l’aléa centennal, explique David
Poncet, responsable de la Ge-
mapi à Saint-Malo Aggloméra-
tion. Obtenir ce niveau de protec-
tion suppose d’énormes travaux,
difficiles à prévoir à court terme.
Si on souhaite obtenir des méca-
nismes dérogatoires en matière
d’urbanisme, cela signifie qu’il
faudrait rehausser de manière
substantielle les digues. » Cela
aurait naturellement un coût
que personne ne s’est encore
aventuré à estimer.
Mais qui peut imaginer la digue
de Saint-Malo, qui attire tant de
touristes, rehaussée de 1 mètre ou
2 ? « Je ne vois pas comment on
peut surélever la digue, je ne veux
pas y croire, soupire Gilles Lurton.
Vous avez vu les immeubles sur la
digue ? Comment fait-on pour
mettre un mur devant ? Franche-
ment, je n’anticipe pas ça pour le
moment. » Par le passé, la mer l’a
par endroits endommagée sans
toutefois causer de dégâts ma-
jeurs. Mais, à ce jour, aucune
étude n’a été réalisée pour savoir
si elle résistera au XXIe siècle. p
Maxime Ferrer
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
La drogue au Proche et Moyen-Orient, trafic et pratiques
De l’Antiquité à nos jours, RFI retrace l’histoire de la production et de la consommation de stupéfiants dans la région
RFI
Dimanche 6 - 21 h 40
Série audio
D’
entrée de jeu, la
bande-son donne
le ton : la BO du film
Midnight Express
met l’auditeur dans l’ambiance.
De l’Egypte antique à l’Afghanis-
tan d’aujourd’hui, de la dynastie
des Abbassides à Bachar Al-Assad,
en passant par la « French connec-
tion » immortalisée par Hol-
lywood, c’est un voyage dans le
temps et l’espace que nous pro-
pose RFI dans sa série estivale sur
La Stupéfiante Histoire des dro-
gues au Proche et Moyen-Orient.
L’historien Jean-Pierre Filiu, qui
a publié en janvier un livre sur la
question, propose une plongée
en cinq épisodes (un chaque di-
manche jusqu’au 3 septembre)
dans l’histoire millénaire du can-
nabis, du pavot et de leurs dérivés
(haschisch, opium, héroïne…).
Précieuse ressource
L’épisode 1 (« De l’Antiquité à l’avè-
nement de l’Islam ») explore
d’abord la dimension religieuse.
Comment le Coran, après avoir
(plus ou moins) réussi à jeter
l’anathème sur l’alcool – l’ivresse
« trouble l’esprit du fidèle » –, ne
parvint jamais à éradiquer
l’« herbe des pauvres » – en arabe
haschich. Comment les disciples
La vie de l’architecte Frank Lloyd Wright, plus que son œuvre
Un documentaire sans ennui, mais superficiel, met en images la biographie du grand artiste américain du XXe siècle
ARTE
DIMANCHE 6 - 5 H 50
DOCUMENTAIRE
C e documentaire consacré
par Sigrid Faltin à Frank
Lloyd Wright (1867-1959),
qui se considérait, immodeste-
ment mais avec raison, comme le
plus grand architecte américain
du XXe siècle, semble se référer
aux bonnes sources et faire parler
les spécialistes patentés. Sans en-
nui, il reste, hélas !, à la surface des
choses en se contentant de redites
assez générales. Karajan. Portrait
GRILLE N° 23 - 181
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V de la circulation. IX. Ile des Amis,
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 180
HORIZONTALEMENT I. Indéfendable. II. Moulinée. Let. III. Pneus. Fadeur.
IV. Oïl. Salle. Ri. V. RN. Turista. VI. Timorée. Elle. VII. Atèle. Raseur.
VIII. Biture. Ut. Me. IX. Lei. Adora. En. X. Essaieraient.
VERTICALEMENT 1. Importable. 2. Non-initiés. 3. Duel. Métis. 4. Elu. Tolu.
5. Fissurerai. 6. En. Are. Ede. 7. Néflier. Or. 8. Deals. Aura. 9. Détestai.
10. Blé. Ale. 11. Leur. Lumen. 12. Etripèrent.
Des réfugiés syriens travaillent dans un champ de cannabis,
dans la plaine de la Bekaa, au Liban, en 2016. PATRICK BAZ/AFP
de Zoroastre (le Zarathoustra de
Nietzsche) ne purent se passer de
l’éphédrine, qui provoquait « des
visions de type psychédélique »,
avance l’historien – non sans ad-
mettre qu’on ne sait pas grand-
chose de cette religion « initiati-
que et élitiste ». Comment en Pa-
lestine, dans les vestiges du
royaume de Juda (de 931 à 586 av.
J.-C. selon la Bible), des archéolo-
du maestro (2019), signé de la
même réalisatrice, avait d’ailleurs
le même défaut.
Frank Lloyd Wright, le phénix de
l’architecture semble de surcroît
ne pas trouver son angle : le titre
pourrait laisser présager l’analyse
du renouvellement créatif par
­périodes que connaissent tant
d’artistes. Mais pas vraiment chez
Wright : si le Musée Guggenheim
de New York demeure aux yeux
du grand public sa construction la
plus célèbre, ce bâtiment au génie
singulier est peut-être le moins
typique de son auteur.
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
gues israéliens ont trouvé des tra-
ces d’un usage de haschisch pour
des cérémonies religieuses.
Chez les musulmans, de Bagdad
au Caire, ces drogues populaires
acquièrent vite une dimension po-
litique, sous l’influence des confré-
ries soufies, en opposition à l’élite
des mamelouks ottomans. « C’est
à la fois une consommation mysti-
que, une contestation de classe et
Wright a certes évolué, mais
il s’est surtout caractérisé par la
permanence de gestes architec-
turaux (toits plats ou à faible
pente, fenêtres en bandeau,
ouverture sur l’extérieur, espaces
intérieurs communicants, al-
liage du béton et du gothi-
que, etc.). Cela se constate de ses
premières maisons dans le style
Prairie jusqu’à la fameuse Fallin-
gwater House, agriffée à flanc
de cascade, en passant par ses
constructions massives et mo-
numentales inspirées par les
temples mayas.
HORIZONTALEMENT
I. Assez désagréable quand ils re-
viennent en bouche. II. De haute
taille, il apprécie les lieux humides.
Romains chez Vinci. III. Solidement
charpenté. La belle des Maîtres chan-
teurs. IV. Le gros arrive en premier.
Deuxième voyelle chez les Grecs.
V. Pressée pour faire toute la lumière.
S’est opposée la paix. Roule en piste.
VI. Solides enduits de renfort. Trois
barres sur le parcours de la monture.
VII. Répétition. Sur la portée.
VIII. Ouvre des possibilités. Arrêt
en Océanie. Ouvre aussi des possibili-
tés. Donne de belles peaux. X. Trans-
mettrais aux générations futures.
VERTICALEMENT
1. Assure la défense et la plaidoirie.
2. Prise après délibération. 3. Remet
la chambre en état. Points en opposi-
tion. 4. Ebène verte. A négocier pour
ne pas sortir. 5. Choisi par la majorité.
Chez les Grecs. Paresse dans les
arbres. 6. Echange de coups en public.
Admets à la fin. 7. En fin de journée.
Particule de charge positive. 8. Polit
à la meule. Quatre sur les six chez
le noctambule. 9. Ont encore du mal
à sauver leur peau. 10. Renvoie vers
les grappes. Longtemps en lutte au
Pays basque. 11. Le titane. Poésies
lyriques. D’un auxiliaire. 12. Donne-
rions notre accord par écrit.
l’affirmation d’une identité arabe »,
résume M. Filiu, pour qui « le XXe et
le XXIe siècle n’ont rien inventé ! ».
A Damas, un cheikh écrivit au
Moyen-Age un traité sur le has-
chisch, « le mal absolu ». Son livre
inspirera jusqu’à aujourd’hui les
tenants d’une prohibition totale –
et les salafistes les plus intransi-
geants. Les chiites ne sont pas en
reste : en Perse, des chroniques re-
Le titre du documentaire évoque
en fait les incendies qui ont ravagé
sa résidence de Taliesin, dans la
campagne du Wisconsin natal de
l’architecte, notamment celui qui,
en 1914, avait défrayé la chronique
après qu’un domestique avait as-
sassiné à la hache sept personnes
– dont la compagne de Wright res-
tée au domaine en son absence –,
puis mis le feu au bâtiment.
L’accent est mis sur le caractère
contrasté et la vie sentimentale
agitée de Wright et ses compa-
gnes, maîtresses et épouses… A
cet effet, T. C. Boyle est interrogé :
sudoku
n°23-181
3 1
2 6
7 3
6 8
9 7
3 2 1 5
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
UNE VIE,
Vu par Ar
on, Kunde
ra, Leys,
Rosat, Ru
Télévision | 17
latent l’ampleur de l’addiction à
l’opium. Un ayatollah mènera une
croisade contre les stupéfiants,
l’alcool et… le soufisme.
Pas plus que l’Empire ottoman,
les puissances coloniales, tant
dans le Golfe qu’en Afghanistan et
au Pakistan, ne parviendront à éra-
diquer la culture (à tous les sens du
terme) de ces drogues. Après la
chute du mollah Omar, prohibi-
tionniste virulent, les Américains
rétablirent les seigneurs de la
guerre afghans et, avec eux, la cul-
ture du pavot. Une précieuse res-
source économique qui n’échap-
pera pas aux talibans lors de leur
retour au pouvoir en 2021…
La France, premier pays con-
sommateur de cannabis d’Eu-
rope, est aussi partie prenante de
cette « stupéfiante histoire ». Le
film The French Connection, de
William Friedkin (1971), met en lu-
mière les chimistes des mafias
corses et marseillaises, très doués
pour transformer en héroïne
l’opium produit en Turquie. Son
succès contribuera au démantèle-
ment de cette filière française… au
profit d’une Mafia sicilienne !
Avec de la matière première ve-
nue cette fois du Liban. p
Pascal Galinier
La Stupéfiante Histoire des
drogues au Proche et Moyen-
Orient, série « Orient Hebdo »
(Fr., 5 épisodes de 20 min).
en plus d’avoir acheté une maison
construite par Wright, l’écrivain a
fait de l’architecte, de ses frasques
amoureuses et de son école-pha-
lanstère la trame de The Women
(2009, Les Femmes, Grasset, 2010).
Le documentaire use et abuse
des tics de l’époque, avec figuri-
nes animées et autres artefacts
pour meubler on ne sait quel
vide, le comble dans le cas de Wri-
ght qui évitait les murs où l’on
pouvait accrocher des tableaux…
Quant à la bande-son, elle pro-
pose de très douteux arrange-
ments de musique classique.
1 4 9 8 7 3
2 7 8 1 5 6
5 3 6 2 9 4
8 7 6 8 2 4 3 7
4 9 3 6 1 5
8 5 7 1 5 9 2 8
9 2 4 7 8 1
3 6 1 5 4 9
8 5 7 3 6 2
7 3 Expert
1 2 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
4 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
9 par colonne et par
carré de neuf cases.
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déra Un hors-série du « Monde »
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Notre
sélection
Dimanc he 6 août
Ciné+ Premier
Enquête sur un scandale d’Etat
20.50 Pourquoi, un jour, un flic des
« stups » a décidé de tout déballer à
un journaliste, et de lui révéler
comment un de ses supérieurs
est devenu un grand trafiquant.
Un film de Thierry de Peretti.
France 5
Une maison, un artiste
22.40 Inédite, la visite de la maison
que la chanteuse de fado Amalia
Rodrigues habita pendant quatre
décennies, rue de Sao Bento, à
Lisbonne. Une visite intime, avec,
en agréable arrière-plan, la superbe
capitale portugaise.
Lund i 7 août
France 4
Gilberto Gil à la Philharmonie
22.00 C’était le 25 octobre 2021.
Si le répertoire n’était pas nouveau,
la présence sur scène au côté de
Gilberto de ses trois fils et de sa
petite-fille Flor, était inédite en France.
Ou quand la voix de l’octogénaire
rejoint la voix adolescente de la jeune
fille alors âgée de 13 ans.
Canal+
Babylon Berlin
21.10 Inspirée d’un polar, cette série
à succès a pour cadre la capitale
allemande de la fin des années 1920,
avec son vent de liberté et ses
personnages aux desseins
politiques inquiétants.
A un moment, on entend
c­ ependant Appalachian Spring
(1944), d’Aaron Copland, qui in-
carne la Prairie et les grands espa-
ces américains. Un développe-
ment sur ces emblèmes de l’Ame-
ricana que sont le musicien et l’ar-
chitecte (très mélomane) aurait
été bienvenu. On aura préféré
s’en passer. Dommage. p
Renaud Machart
Frank Lloyd Wright,
le phénix de l’architecture, de
Sigrid Faltin (All., 2020, 52 min).
Disponible jusqu’au 30 août.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
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Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
 Culture
18 |
Rencontre
Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-
Orientales) - envoyé spécial
C’
est une période assez
hystéro… », rumine
Hamé, bougon.
Quand les émeutes
qui ont suivi la mort de Nahel M.,
à Nanterre, ont embrasé la France,
toute la presse a cherché à les
­joindre, son copain Ekoué et lui,
qui, avec leur « posse » de rap,
La Rumeur, ont tenu tête pendant
huit ans à Nicolas Sarkozy. C’était
en 2002. Mohamed Bourokba,
alias Hamé, avait écrit dans le
­fanzine qui accompagnait un de
leurs disques : « Les rapports du
ministère de l’intérieur ne feront
jamais état des centaines de nos
frères abattus par les forces de l’or-
dre sans que les assassins soient
inquiétés. » Résultat : procès en
correctionnelle pour diffama-
tion, deux appels, deux cassa-
tions, avant d’être définitivement
relaxé. Un symbole.
L’Ombre sur la mesure, Regain de
tension, Du cœur à l’outrage, Tout
brûle déjà… Les titres de leurs
­albums parlent d’eux-mêmes. Le
nouveau, sorti le 16 juin, est inti-
tulé Comment rester propre ? « Ce
n’est pas une volonté de pureté.
Mais quand tout t’invite au sale… »
A 47 ans, assis face à la mer qui
l’a vu faire ses premières conne-
ries, ses premières dragouilles,
sur son premier BMX aux roues
voilées et au pédalier mal serré,
Hamé a le visage fermé.
« Pour apporter quelque chose
d’utile au débat, il faut du temps,
articuler un discours et ne pas
­entrer dans le marché de l’image,
des news qui tournent en boucle. Je
pense lentement, je préfère atten-
dre que la poussière retombe », ex-
plique le rappeur qui a fait autre-
fois un DEA sur les travaux de
Marshall McLuhan, le théoricien
canadien de l’analyse des médias.
« Comprendre l’idéologie silen-
cieuse, codée, le contenu manifeste
et le contenu latent de ce que les
hommes produisent, de ce qu’une
société raconte d’elle-même, c’est
fascinant, dit-il. Aujourd’hui, il
manque une parole : de grands
­intellectuels, un homme d’Etat…
Ce sont les footballeurs qui par-
lent. C’est chaud. Comme si c’était
le seul endroit, le foot, où on puisse
encore s’asseoir ensemble. »
La tramontane souffle sur
­Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-
Orientales), ses campings et ses
cabanons, son vamos a la playa
bon marché. Il a grandi à deux
pas d’ici, dans cette plaine agri-
cole et productive du nord de Per-
pignan que l’on appelle la Salan-
que. Pas de cités qui s’embrasent,
mais des bleds aux couleurs d’ar-
gile rouge, écrasés de soleil et
d’ennui. A l’époque, avec sa bande
de ­copains, il coupe à travers
champs pour rejoindre la plage et
une ­demi-douzaine de digues ar-
tificielles qui s’avancent en épis
dans la mer. Ils y chassent les cra-
bes à mains nues et sautent de ro-
cher en rocher, avant de plonger
dans l’eau tiède.
« Une enfance sauvage »
Aujourd’hui, il rumine : « Alors
que j’ai des gamins qui ont prati-
quement l’âge de la victime,
­assister aujourd’hui, d’une telle
manière fulgurante et crue, à
­Nanterre, au même type d’événe-
ment sur lequel on me reprochait
d’avoir écrit il y a vingt ans, c’est
violent. Pendant qu’on regardait
les informations, mon père me ra-
contait qu’en 1947, dans son vil-
lage, le père d’un voisin s’était fait
tuer par un gendarme… » Il allume
une cigarette en se protégeant du
vent. « C’est éternel. Ce n’est pas un
livre d’histoire de Benjamin Stora,
ça. C’est mon père dans son salon. »
En 1952, un fils de berger quitte
Mediouna en Kabylie (Algérie),
Mohamed Bourokba, alias Hamé, à Sainte-Marie-la-Mer (Pyrénées-Orientales), le 1er juillet. JEAN-CHRISTOPHE MILHET/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Hamé : « Une œuvre, c’est
d’abord un autoportrait »
Un château de sable avec… – 3/6 – Chaque samedi, durant l’été,
« Le Monde » accompagne un ou une artiste à la plage. Rencontre
avec le rappeur de La Rumeur, de son vrai nom Mohamed Bourokba
pour rejoindre Oran d’où, à l’épo-
que, la ligne maritime dessert
Port-Vendres (Pyrénées-Orienta-
les). Nous sommes deux ans
avant le déclenchement de la
guerre d’Algérie. On a besoin de
main-d’œuvre dans les riches ex-
ploitations catalanes. Les salades,
les pommes de terre, le céleri, la
vigne… Le jeune immigré a 21 ans.
Il en a 92 aujourd’hui. Et continue
d’habiter là, survivant à ses
­cancers de la vessie, la maladie
des travailleurs agricoles exposés
sans protection aux sulfates.
« Quand il me raconte cette
­période, j’ai l’impression de
­regarder un film néoréaliste ita-
lien. Il y avait une nécessité
­presque vitale chez mon père à
­rester près de la terre, il ne voulait
pas aller à l’usine. »
Le journalier a trois filles. Puis,
un jour, sa femme meurt. Il re-
tourne au pays, à Mostaganem,
en épouser une autre : la mère
d’Hamé. Ils seront six enfants, les
trois grandes sœurs ayant un rôle
très important dans la vie du petit
Mohamed. L’enfant est bon élève.
« J’ai eu une enfance sauvage. Le
monde des parents et celui des
­enfants ne se mélangeaient pas.
Mais on a tous converti le parcours
du père… Même si cela ne nous
était pas répété, l’unique demande
était de bien travailler à l’école,
seule façon de sortir de là. » Un
Arabe premier de la classe dans
un pays où les anciens de l’Algérie
française, à commencer par
les profs, sont légion, ça agace
les autres, ça vous forge aussi…
« Quand tu plonges en toi,
qu’est-ce qui ressort ? L’histoire
de nos parents », dit-il.
A 18 ans, son bac scientifique
obtenu, Hamé prend la tangente.
Quitte ce monde où il « étouffe »
pour Paris. La mythologie de Pi-
galle et des cinémas du ­Quartier
latin. Les cités universitaires
d’Antony (Hauts-de-Seine) et de
Nanterre. Etudes de lettres, ren-
contre avec Ekoué, le fils de­
­Togolais des cités de Trappes­
(Yvelines), et ses potes Philippe et
Mourad. C’est là que La Rumeur
commence, qui continue un
quart de siècle plus tard. Trois
maxi, six albums. Et maintenant
des films.
Car les rappeurs, qui s’étaient
construits seuls, sont devenus
­depuis, en parallèle, des cinéastes
qui se construisent seuls. « La
seule chose qui arrête, c’est de
­penser que ce n’est pas pour nous.
Alors, on n’aurait fait ni musique
ni cinéma. » Après les études de
lettres et le DEA, Hamé obtient
ce dont il rêvait : pouvoir suivre
un cursus en option cinéma à la
Tisch School de New York
comme, avant lui, au milieu des
années 1960, son maître à filmer,
Martin Scorsese. Après un
­premier film pour Arte, un court-
« Tu as toujours
la possibilité
de transformer
les choses,
de conquérir
ta liberté, tu ne
te plains pas,
tu te bats »
métrage sélectionné à Cannes et
dans la foulée du remarqué
Les Derniers Parisiens (2017),
avec Reda Kateb et Slimane Dazi,
leur troisième long-métrage,
Rue des dames, est annoncé pour
la fin de l’année.
Pour cela, de même qu’ils
avaient créé leur propre label de
rap pour ne pas répondre aux
­injonctions du marché, avec pas-
sage obligé par la case Skyrock, ils
créent leur maison de production.
« On a pris au mot la contre-cul-
ture. Il y a ce qu’on a fait de toi, et
puis il y a ce que tu fais de ce qu’on
a fait de toi. C’est ce qui est beau. Tu
as toujours la possibilité de trans-
former les choses, de ­conquérir
ta liberté, tu ne te plains pas, tu
te bats, assène Hamé. ­Pendant
dix ans, j’ai avancé comme ça
[il montre ses poings en avant],
prêt à mettre une patate. »
Ce n’est plus le cas. Le cheveu
a commencé à grisonner. « A la
quarantaine, les rappeurs se
­teignent les cheveux ou se les
­rasent », s’amuse-t-il. Pas lui.
« Une œuvre, c’est d’abord un
autoportrait. Avec Ekoué, on ap-
proche de la cinquantaine et on
veut que notre musique ait l’âge de
nos artères, le sens de la nuance,
l’expérience de l’histoire… »
Issu du monde ouvrier
Alors qu’une lumière blanche et
crue défie les nuages noirs qui
descendent de la montagne, on
lui rappelle l’année du black-out à
New York où, profitant de cette
immense coupure d’électricité,
les gars des quartiers avaient pillé
massivement les boutiques. Pour
la première fois, il esquisse un
sourire : « 1977, rebondit-il, c’était
en 1977. Un jalon dans l’histoire
du hip-hop. D’un seul coup, tout
le monde avait du matos et il y a eu
une explosion du nombre des
block parties [« fêtes de quar-
tier »]. Ça a donné un véritable
coup de booster au mouvement. »
Un mal pour un bien ?
« Carrefour historique de
­questions culturelles, le rap m’a
donné une image valorisée de
mes origines, explique-t-il, satis-
fait. L’Algérie, fer de lance des peu-
ples colonisés qui se défaisaient
de leurs ­chaînes, a en effet été
très importante pour les Black
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
« La seule chose
qui arrête, c’est
de penser que
ce n’est pas pour
nous. Alors,
on n’aurait fait
ni musique
ni cinéma »
­ anthers, qui ont beaucoup infusé
P
les textes des rappeurs. C’est
comme ça qu’à 14 ans j’entends
parler de Frantz Fanon. »
Et de là, il tire un fil. « Quand tu
es issu du monde ouvrier, d’une
histoire du colonialisme et que tu
as le XXe siècle en héritage, quels
sont les outils qui permettent de
penser le monde, de comprendre
de quoi tu hérites, incontestable-
ment le marxisme est quelque
chose qui éclaire et qui a fait partie
de la bagarre. Mais je ne suis pas
en “isme”, je ne suis pas une ouaille
suivant un prêcheur. Il y a des
­choses à prendre ici et là, chez
­Weber, chez Lévi-Strauss… »
On l’a compris, le rappeur est un
intello. On ne passera pas l’après-
midi sur le sable à se badigeonner
de Bergasol, à mater les rombières
en débouchant des canettes sur
fond d’hyperbasses à 90 décibels.
« Ne jamais mouiller des espa-
drilles, conseille-t-il, sourire en
coin, alors qu’il s’aventure dans
l’eau, les tenant à bout de bras.
Ce sont mes chaussures préférées.
Même à Paris. »
Il a trois enfants qui grandissent
gentiment à Gennevilliers (Hauts-
de-Seine) – à quelques kilomètres
de Nanterre – et a foi « en la Répu-
blique ». « Nous sommes des ani-
maux capables de s’extraire de leur
animalité. Je crois à l’état de
­culture, face à la nature. Là où le
rouge et le bleu se retrouvent, c’est
ça la vie, affirme cet enfant de l’ac-
culturation. Il faut être créatif.
Donner une cohérence à une forme
d’hybridité, c’est ça le rap. Et, au-
delà la création, au sens universel. »
De plus en plus, Mohamed
­Bourokba revient ici, au pays de
son enfance. « Comme si j’avais
quelque chose à y faire… Peut-être
offrir à ce pays un récit ? », ques-
tionne celui qui avoue un « atta-
chement contradictoire » à cette
région excentrée qui n’est pas
sans évoquer les no man’s land
white trash des Etats-Unis ;
­région frontalière, zone tampon,
goulot d’étranglement pour ceux
qui venait d’Espagne, avec ses
camps, à Argelès-sur-Mer ou
­Rivesaltes (Pyrénées-Orientales).
Terre rugueuse, voyou, violente,
percluse d’antagonismes com-
munautaires, catalans tradis,
­gitans, arabes, pieds-noirs…
­Perpignan. La Catalogne « archi-
pélisée » comme il dit. « Je ne sais
qui se nourrit de l’autre, les gens
ou la terre. C’est un lieu qui a
­besoin de victimes expiatoires. »
La came, les meurtres, les
­accidents de voiture sur ces ­routes
où les limitations de vitesse
­semblent facultatives, ont eu
­raison des copains dont il énu-
mère les prénoms : Paul, Christo-
phe, José… « La manière dont on a
été propulsé dans le XXIe siècle
est totalement déstabilisante. Quel
projet collectif ? Est-ce que le cy-
nisme n’a pas tout emporté ? », s’in-
terroge-t-il. Après le cycle de films
parisiens, dont Rue des ­dames se
présente comme le ­dernier volet,
il confie travailler désormais à un
long-métrage qui se passerait ici.
« Une sorte de ­thriller psychologi-
que… Et nocturne : je n’aime pas
­filmer le soleil. » p
Laurent Carpentier
Prochain article L’actrice
Julia Piaton
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Vue par Antoni Campaña, la
guerre d’Espagne sans parti pris
Dans ses images longtemps dissimulées, exposées à Montpellier,
le photographe a montré aussi bien les républicains que les franquistes
Photographie
Montpellier
A
près la « valise mexi-
caine », dans laquelle
on avait retrouvé
en 2008 des négatifs
de la guerre d’Espagne pris par
­Robert Capa, voici les « boîtes
­rouges » d’Antoni Campaña
(1906-1989). Il y a cinq ans furent
découvertes 5 000 photographies
en majorité inédites, prises du-
rant les trois années de la guerre
civile espagnole, de 1936 à 1939,
­signées d’un Catalan qui les a
­cachées toute sa vie dans ses
­archives. Deux cents d’entre elles
sont aujourd’hui exposées à
Montpellier : elles donnent une
vision complexe et en profon-
deur du conflit, depuis Barcelone,
où résidait Antoni Campaña.
Pour l’historien Arnau Gonzalez
i Vilalta, l’un des trois commissai-
res espagnols de l’exposition, l’in-
térêt de ces images tient au fait
que « contrairement à Capa ou à
d’autres, Campaña montre toute
la réalité de la guerre, pas juste le
côté républicain, car il n’était pas
engagé ». Le photographe était un
partisan de la Catalogne indépen-
dante, démocrate, catholique,
mais ni anarchiste ni commu-
niste. Et tout sauf un militant : ré-
publicain, il a pourtant travaillé
quelques mois après guerre pour
La Vanguardia, devenu organe du
régime franquiste après la défaite
des républicains. « Nous n’avons
rien caché de ses ambiguïtés », in-
siste son petit-fils Toni Monné
Campaña, l’un des commissaires.
Lorsque la guerre lui tombe
­dessus, Campaña est un pho­-
tographe artistique reconnu, ré-
compensé pour des photos de
style pictorialiste et influencé par
l’esthétique des avant-gardes. Il
sera par la suite photographe de
sport et éditeur de cartes postales.
« Le paradoxe, c’est qu’il est
aujourd’hui connu pour ce qu’il a
caché ! », souligne son petit-fils.
Selon lui, son grand-père n’aimait
pas regarder vers le passé, et il
était traumatisé par cette période,
au point de nier avoir pris des
photos à l’époque. Pourtant,
­Campaña n’a pas livré ses négatifs
au régime franquiste, comme il
était censé le faire après la guerre,
et ne les a pas détruits non plus,
préférant les garder dans des
­boîtes d’archives où ils ont été dé-
couverts bien après sa mort, à la
faveur d’un déménagement.
Témoin étonné et horrifié
C’est moins en reporter qu’en
­témoin étonné et horrifié par ce
qu’il avait devant les yeux qu’a
opéré Antoni Campaña pendant
la guerre civile. Dans cette exposi-
tion documentée et très dense
(une chronologie de la guerre
d’Espagne et de son déroulé à
­Barcelone aurait d’ailleurs été
bienvenue), on voit le photogra-
phe capturer avec son appareil
tout ce qui le touche. Etonnam-
ment, malgré la noirceur des
­sujets, il ne perd pas de vue ses
­cadrages modernistes, ses ­com­-
positions en diagonale – l’esthéti-
que léchée des images ­contraste
souvent de façon étonnante avec
leur sujet.
Pendant le coup d’Etat militaire
manqué de 1936, qui signe le
­début de la guerre civile, le photo-
graphe documente d’abord la
­violence des affrontements et les
barricades dressées par les habi-
tants, puis il s’attache à montrer la
nouvelle société révolutionnaire
que tentent de mettre en place les
partis et syndicats anarchistes qui
vont prendre le ­pouvoir à Barce-
lone. Ce fervent catholique, qui ne
se sépare jamais d’une image de la
Départ des miliciens anarchistes et poumistes vers le front d’Aragon depuis la gare du Nord,
à Paris, le 28 août 1936. ARXIU CAMPAÑA
Pour son petit-fils
Toni Monné
Campaña,
l’artiste « est
aujourd’hui
connu pour
ce qu’il a caché ! »
Vierge, est visiblement choqué
par le traitement réservé à la reli-
gion, et notamment les cadavres
de religieuses sortis des églises
par les miliciens anarchistes et ex-
posés à la foule.
Ce qui n’empêche pas Campaña
de photographier les miliciens
mis en scène comme des héros
glorieux, dans des cadrages en
contre-plongée très constructi-
vistes. Un de ses portraits d’une
jeune milicienne en salopette sur
une barricade deviendra même
une icône révolutionnaire – les
commissaires ont récemment
­retrouvé les descendants de la
jeune femme, installés en France
après son exil.
Campaña décrit avec soin les
souffrances de la vie quotidienne
à Barcelone, les soupes populaires,
les bombardements et le trauma-
tisme des réfugiés rescapés de la
« Desbanda » – en 1937, des centai-
nes de milliers de civils fuyant
­Malaga ont été délibérément pris
pour cible, massacrés par les trou-
pes de Franco, bombardés à la fois
par des bateaux franquistes et des
avions italiens et allemands. Mais
les images éclairent aussi des as-
pects plus originaux de politique
intérieure, comme la propagande
et les différents groupes politiques
qui s’affrontent à Barcelone : anar-
chistes, nationalistes catalans,
communistes fidèles à Moscou ou
communistes dissidents…
La ville est couverte d’affiches,
les trains sont peints de slogans et
de dessins politiques, une mani-
festation prosoviétique à la gloire
des révolutionnaires d’octobre
est organisée en novembre 1936.
L’exposition prend soin de
­montrer comment certaines ima-
ges de Campaña ont été détour-
nées à des fins politiques par les
deux camps, franquiste ou anti-
fasciste – l’artiste allemand anti-
fasciste John Heartfield a utilisé
une photo de Campaña pour un
photomontage, en faisant passer
une mère réfugiée à Barcelone
pour une victime des bombarde-
ments nazis à Guernica.
La fin de la guerre et la chute des
républicains verront Campaña,
qui travaille comme chauffeur
pour les forces aériennes républi-
caines, fuir pour la France. Mais il
renonce à l’exil juste avant d’at-
teindre la frontière. Il rentre à
­Barcelone où, grâce à l’aide de son
ami Ortiz Echagüe (1886-1980),
ingénieur et photographe picto-
rialiste qui a embrassé la cause
franquiste, il échappe aux pour-
suites du nouveau régime.
Pendant quelques mois, ­Cam­-
paña s’attachera à photographier
les vainqueurs pour La ­Van­-
guardia : sur les avenues où, quel-
ques années plus tôt, il avait im-
mortalisé le passage des miliciens
anarchistes, défilent désormais
l’armée franquiste, les troupes ita-
liennes de Mussolini et même des
soldats nazis – autant de militaires
qu’il prend en photo avec exacte-
ment le même soin que les précé-
dents. Mais ­Campaña ne goûte
guère le ­nouveau ­pouvoir dictato-
rial. Il abandonnera vite la photo
d’actualité pour se cantonner à la
photo de sport, et enfouira ses
images de la guerre dans des boî-
tes rouges que jamais plus il ne
voudra ouvrir. p
Claire Guillot
Antoni Campaña. Icônes
cachées. Les images méconnues
de la guerre d’Espagne (1936-
1939). Pavillon populaire
de Montpellier, esplanade
Charles-de-Gaulle, Montpellier.
Entrée gratuite. Jusqu’au
« La programmation
relève du plaisir »
Giona A. Nazzaro, directeur artistique du
Festival de Locarno, présente ses ambitions
Entretien
Locarno (Suisse) - envoyée spéciale
L e Festival international du
film de Locarno (Suisse),
dont la 76e édition a lieu
jusqu’au samedi 12 août, figure
parmi les manifestations les plus
défricheuses. Nommé en 2020,
Giona A. Nazzaro entend faire
rayonner ce « laboratoire » tout
en continuant de célébrer un
­cinéma grand public lors des
­projections en plein air.
Comment définiriez-vous
­votre travail
de programmateur ?
La programmation est un acte
qui pour moi relève du plaisir. J’ai
un peu de mal à programmer de
façon stratégique. Et si mon
­intuition devait me tromper, je
préfère avoir fait un choix dicté
par l’amour d’un film plutôt que
par l’opportunité. Cela me permet
de mieux dormir.
Ce que je souhaite, c’est que la
compétition ne soit pas prévisible,
ni ennuyeuse. Même les auteurs
les plus identifiés (Lav Diaz, Radu
Jude ou Quentin ­Dupieux) propo-
sent des films très différents de
leurs précédents. Par ailleurs, il ne
faut pas s’interdire de rire et nous
avons sélectionné deux comé-
dies : outre Yannick, de Quentin
Dupieux, Lousy Carter, de l’Améri-
cain Bob Byington.
Il y a aussi cette ambition de
­dénicher de nouveaux regards :
je pense notamment à Baan, de
la Portugaise Leonor Teles, et à
­Patagonia, de l’Italien Simone
­Bozzelli. Voilà deux films dépour-
vus de toute nostalgie, qui ont une
conscience de l’image vraiment
étonnante. En résumé, il y a l’idée
d’offrir une invitation au voyage,
d’engager une conversation qui
24 septembre, du mardi soit à la fois politique et basée sur
au dimanche de 11 heures le plaisir, au sens le plus ample.
à 13 heures et de 14 heures
à 19 heures. Des festivals comme
A lire : le catalogue, Hazan, Cannes ou Venise ont créé
144 p., 24,95 €, et un livre avec la ­polémique en invitant
des textes fournis sur le parcours des ­acteurs ou réalisateurs
de Campaña : La Boîte rouge. ­impliqués dans des affaires
Le dernier grand trésor d’agressions sexuelles :
photographique de la guerre Luc Besson, Roman Polanski
d’Espagne, Le Seuil, 332 p., 32 €. et Woody ­Allen sont ainsi
UP#3 Lang & Baumann – © Philippe Bréard – Ville du Havre
Culture | 19
­ nnoncés à la Mostra.
a
Qu’en dites-vous ?
Je crois à la présomption d’inno-
cence, mais on ne doit pas sous-
évaluer ce que ce type d’annonce
projette à l’extérieur, sans parler
de la question des victimes. Par
ailleurs, il s’agit souvent de réali-
sateurs très affirmés qui, pour cer-
tains, ont écrit une partie de l’his-
toire du cinéma ou l’histoire du
box-office. Ce n’est pas forcément
à cet endroit que se situe la décou-
verte. On doit choisir un camp, et
il me semble plus important
d’avancer dans la définition d’un
monde qui soit plus inclusif, post-
binaire, plutôt que de réaffirmer
les valeurs d’hier. Et cela n’a rien à
voir avec le point de savoir si telle
personnalité est coupable ou pas.
Ma priorité, c’est d’avoir par
exemple un film comme Règle 34,
de la Brésilienne Julia Murat, qui
a reçu le Léopard d’or de 2022 et
articule un discours d’un type
­nouveau sur la politique et la
sexualité. En 2022, au ­moment du
palmarès, j’ai vécu un moment
émouvant en regardant la salle et
en pensant à tous les gens qui
étaient « derrière » les films. J’ai eu
subitement l’image d’un monde
possible. Un festival peut aussi
­servir à ça, à fédérer des alternati-
ves, à créer des « zones d’autono-
mie temporaires » pour reprendre
l’expression de l’écrivain et poète
américain Hakim Bey (1945-2022).
A partir de cette année, les prix
d’interprétation ne seront plus
genrés à Locarno. Comment
cette décision est-elle venue ?
J’en suis assez fier. En tant que
personne de gauche, libérale sur le
plan sociétal, j’avais dans mon
ADN une sorte de pensée binaire
et je répétais un peu dans ma tête
les erreurs de tout le monde. C’est
en discutant à Locarno, lorsque
nous cherchions à réfléchir à ce
que signifie une autre société,
que nous sommes arrivés pres-
que ­organiquement à ce choix.
­Lorsqu’il s’agit de mise en scène,
on ne répartit pas les récompenses
selon le genre, il en va de même dé-
sormais pour l’interprétation. p
Propos recueillis par
Clarisse Fabre

20 |
Une nuit dans un château « hanté » — 3 /6 —
Fougeret, un cauchemar de conte de fées
La châtelaine les appelle les « invisibles ». Ils ont failli
l’obliger à fuir son bijou néogothique, mais elle a fini
par faire la paix avec ces fantômes encombrants
Par Magali Cartigny
I
l était une fois une enfant qui se rê-
vait reine en son château. Sa quête
insatiable d’un lieu si immense
qu’elle pourrait s’y perdre l’avait
amenée, à 45 ans, un jour de
mars 2009, au fond d’un bois, dans
la commune de Queaux, à 40 kilomè-
tres de Poitiers. Véronique Geffroy avait
trouvé Fougeret. Ce serait son château,
son conte de fées, croyait cette fille de la
ville, bourgeoise et bohème, du genre
têtu. En 1990, elle avait épousé un fils de
la terre, François-Joseph. Un poète aux
airs de savant fou qui aimait observer
les fleurs et « planter des arbres qui ne lui
feraient jamais d’ombre », écrit la châte-
laine dans Les Invisibles de Fougeret (Mi-
chel Lafon, 2021). François sait tout faire
et va la suivre, d’abord à contrecœur,
dans sa nouvelle lubie.
Ainsi, dix ans jour pour jour après
avoir racheté pour 1 euro symbolique un
premier donjon à restaurer en Corrèze,
cette docteure en histoire – sa thèse por-
tait sur les utopies sociales – signait
l’achat de ce bijou néogothique à l’aban-
don, sans trop réfléchir. « La toute pre-
mière impression, c’est comme si l’on était
sous hypnose, on était émerveillés. Puis,
très vite, on s’est dit que l’on avait fait une
connerie », nous raconte la « baronne ».
Un dimanche de juillet 2012, c’est
sur un chemin étroit du bois entourant la
bâtisse que Véronique, en voiture avec
son mari et son fils, tombera sur le corps
de son neveu suicidé, pendu à un arbre.
Véronique veut vendre cet endroit mau-
dit. Pas François, qui est comme envoûté.
La suite en décidera autrement. Un soir
de mai 2015, un couple de visiteurs les ini-
tie au spiritisme. A partir de là, les tables
tournantes allaient valdinguer.
Quand on arrive, ce 7 mai, à Fou-
geret, on ne connaît alors presque rien de
l’histoire du château ni de ses propriétai-
res. De nombreux reportages, tous mé-
dias confondus, le présentent comme le
« plus hanté de France » et sa réputation a
largement débordé la Vienne. Lors des
Journées du patrimoine, les touristes en-
vahissent l’édifice, bâti au XIVe siècle,
pour admirer ses tours imprenables qui
surplombent une falaise de 14 mètres
s’échouant dans la Vienne. Le château a
été agrandi au XIXe siècle et remis au goût
de la bourgeoisie dans le pur style néogo-
thique cher à l’architecte Eugène Viollet-
le-Duc, avec ses fausses échauguettes et
son escalier à la Chambord. Le couple
Geffroy y organise, d’avril à novembre,
des week-ends pour les curieux, les scep-
tiques, les amateurs de paranormal et
autres hipsters chasseurs de fantômes.
Nous avions donc réservé le for-
fait « Allan Kardec », du nom de l’inven-
teur du spiritisme, qui comprend, pour
120 euros, le dîner, les ateliers, la nuitée et
le petit déjeuner. Sur la page d’accueil du
site Internet, on avait lu : « Oserez-vous
l’expérience ? », celle de « tester sa récepti-
vité », de « se confronter à ses peurs ». En-
tendre : ne comptez pas forcément sur la
Nous avions
réservé le
forfait « Allan
Kardec »,
du nom
de l’inventeur
du spiritisme
qualité de la literie et le confort moderne.
Pas de chauffage, des pièces encombrées
et des toilettes à l’extérieur. On ne vient
pas dormir à Fougeret par hasard. On
vient y chercher des signes envoyés par
les « invisibles », qu’il s’agisse de nos pro-
pres défunts ou de ces « autres », ces gens
de Fougeret qui continueraient, à leur
manière, d’habiter le château.
Pour accéder au perron, en ce sa-
medi ensoleillé, il faut contourner le
tracteur et les amas de boiseries ver-
moulues. Une tente de fortune est posée
là, protégeant l’établi de menuiserie de
François. Fougeret est en pleins travaux.
« Désolée, c’est vraiment le bordel », s’ex-
cuse Véronique Geffroy. Le salon gothi-
que et son plafond sont en phase de réno-
vation ; un chantier titanesque.
Les hôtes arrivent à mesure que le
ciel s’assombrit : Claire et Sandra, deux
sœurs venues de Poitiers ; Nathalie, sala-
riée dans un Ehpad dans le sud de la
France ; et Rozen, ambulancière à Saint-
Malo. Les « intervenants » sollicités pour le
week-end se présentent : Manu Delpech,
au bras de sa compagne, Lisa, est sapeur-
pompier à Cannes, mais surtout TCiste.
La transcommunication instrumentale
désigne cette technique de contact avec
les morts qui consiste à enregistrer des
voix par le truchement d’un magnéto-
phone en utilisant un support – un dis-
cours en allemand inversé, par exemple.
Manu, la cinquantaine, s’est pris de pas-
sion pour la TCI à 42 ans, après le décès
d’un ami. Depuis, il officie bénévolement
pour les endeuillés qui le contactent.
Christelle Dubois, elle, est agente
de pompes funèbres à Saint-Malo. Mé-
dium reconnue dans le milieu, elle a écrit
plusieurs ouvrages, dont La Passeuse
d’âmes (Michel Lafon, 2020), où elle ex-
pose son parcours. Manu et Christelle
animent des séances pour Véronique de-
puis plusieurs années. Deux jeunes fem-
mes s’agrègent à la petite troupe : Cindy
et Marina font partie de l’association
Fougeret, le château encHanté, et prê-
tent main-forte à la maîtresse des lieux
pour guider les ateliers (table tournante,
planche ouija).
Dans son livre, Véronique Geffroy
raconte la multitude d’événements in-
sensés auxquels elle, sa famille puis ses
clients ont été confrontés. Apparitions de
silhouettes, de « personnes », déplace-
ments d’objets et de meubles, tapes sur
l’épaule, sons de voix, pleurs, bruits de
pas, coups de feu, rires d’enfants, coups
dans les murs, odeurs étranges, etc. Des
phénomènes dont les membres de la fa-
mille, au début, n’osaient pas parler entre
eux. « On a fini par verbaliser. Pour nous,
c’était un séisme intellectuel. » Véronique
fait alors appel à un médium, sur le con-
seil de son pharmacien ; le premier d’une
longue liste.
Véronique de Fougeret nous
guide dans les pièces de ce monument
classé, où chacune des onze chambres est
nommée en fonction de ses anciens pro-
priétaires ou des phénomènes qui s’y
sont produits. Véronique est érudite, a un
sens de la repartie ciselé et une gouaille
toute parisienne. « Je suis consciente que
tout ce que je raconte paraît invraisembla-
ble, mais, maintenant, je m’en fous. » Elle
est fière, quoi qu’il arrive, du travail ac-
compli : « C’était un tsunami de merdier,
que l’on a réussi, ensemble, à surpasser.
Pendant longtemps, “Fouge”, ça bassinait
pas mal nos enfants. » Violette, 34 ans,
Mathilde, 32 ans, et Enguerran, 28 ans,
soutiennent aujourd’hui leurs parents.
Au premier étage, nous entrons
donc dans la chambre d’Alice, qui vécut à
Fougeret durant les Années folles avec
sa famille. Des photos de la jeune
femme, récupérées auprès de descen-
dants, ornent aujourd’hui les murs de
cette pièce. Son père, le célèbre avocat
Paul Robain, organise alors au château
bals et réceptions. C’est dans le fumoir
du rez-de-chaussée, explique la proprié-
taire, qu’il réunissait ses amis dirigeants
du mouvement nationaliste et royaliste
d’extrême droite Action française, Char-
les Maurras et le marquis Marie de Roux.
Le 7 juillet 1924, quatre mois après son
mariage avec le vicomte de France, Alice,
22 ans, enceinte, meurt d’une infection
rénale, à l’hôpital de Maubeuge. Son
corps transporté à Fougeret sera veillé
dans cette même chambre.
Les chambres d’autres anciens
habitants ont été conservées avec tout
leur décorum soigneusement mis en
scène par la propriétaire, experte en bro-
cantes et en vide-greniers. Dans celle de
Félix, par exemple, une bouteille de
whisky entamée jouxte une paire de
gants noirs et un cigare éteint. Ce dandy,
célibataire endurci, dont on peut admi-
rer le portrait retrouvé par Véronique
dans les archives des états civils du
monde entier que tiennent à jour les
mormons, dans l’Utah, était le fils d’un
négociant en spiritueux. Homosexuel,
Félix Robin-Médard s’est tiré une balle
Ci-dessus : le château
de Fougeret, à Queaux,
dans la Vienne.
En haut à droite :
la « chambre de Marie ».
Ci-contre : chambre « de
la petite fille », au premier
étage d’une des tours.
CÉLINE LEVAIN/MIRAGE COLLECTIF
POUR « LE MONDE »
dans la tête dans sa chambre de Fouge-
ret, le 6 décembre 1898, à l’âge de 39 ans.
Comme tous les samedis soir, la
baronne sonne la cloche vers 19 heures
pour que les invités viennent prendre
une coupe de champagne et une part de
pissaladière dans le grand salon, orné de
sa monumentale cheminée où crépite
un feu. C’est Mathilde qui officie en cui-
sine. A la nuit tombée, après un copieux
dîner aux chandelles bercé par le chant
des trouvères et troubadours, le mo-
ment est venu pour Christelle Dubois de
communiquer avec les morts.
Difficile de décrire cette scène
pour le néophyte ou l’incrédule. Catégorie
dans laquelle je me range volontiers.
Christelle décrit les morts qui se présen-
tent à elles, les houspillent parfois (« arrê-
tez de crier ! », « un à la fois ! »), puis de-
mande à son auditoire si les détails physi-
ques, les traits de caractère et, surtout, les
circonstances de la mort évoquent une
personne connue. Nathalie, notamment,
se manifeste, pensant à sa grand-mère.
Puis c’est au tour des invités de
dire s’ils souhaitent un contact avec l’un
de leurs disparus. L’ambiance est chargée.
Christelle parle « toute seule » et délivre
des messages depuis près d’une heure. Sa
voix, éraillée par une angine tenace et une
toux encombrante, tient le choc. Cindy
veut aussi parler à sa grand-mère. On
comprend que l’aïeule est morte de mal-
nutrition dans un Ehpad. « Elle ne voulait
pas qu’on la place, continue Christelle.
Mais elle te dit qu’elle va bien, qu’elle n’en
veut à personne et que tu dois penser à
toi. » Vient ensuite le tour de Sandra et de
Claire, qui veulent parler à leur père. Ce
sont elles qui l’ont retrouvé mort en bas
des escaliers, il y a trois ans. Depuis, elles
sont rongées par les « si ». Elles repartiront
le cœur plus léger, le soir même.
Histoire de se changer un peu les
idées, direction la chambre de Félix, pour
la séance de TCI. Manu sort son vieux ma-
gnéto avec sa cassette audio – il en achète
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
par lot de 300 et ça lui coûte un bras.
Après une série de questions personnel-
les posées par des membres de l’assis-
tance, Manu repasse la bande au ralenti.
Des sons, des voix, des phrases, sont per-
ceptibles. Chacun cherche à interpréter
ces semblants de réponses. C’est un peu
comme les chansons, quand on est sûr de
capter une parole, alors que ce n’est pas la
bonne, tout le monde finit par entendre
le même mot une fois qu’il est défini.
Après l’atelier de ouija, une plan-
chette censée permettre la communica-
tion avec les esprits, selon les spirites, de-
vant le feu de cheminée, la petite troupe
se déplace avec le guéridon dans le salon
gothique. Chacun place deux doigts au
bord de la table. Il est 2 heures du matin,
Marina ouvre la séance : « Bonjour, qui est
là, s’il vous plaît ? Avez-vous un message
pour quelqu’un ? » Au bout de cinq minu-
tes, voilà six personnes en train d’essayer
de suivre ce guéridon qui vacille, frappe
du pied, tourne sur lui-même, fait des
embardées. Mais, à ce stade, plus rien ne
surprend vraiment notre cerveau fatigué.
Je dormirai dans l’ancienne salle
de garde, transformée en boudoir au
XIXe siècle, appelée « chambre de Marie ».
Sur la coiffeuse, une boîte ancienne
­contient un corset, des bas, un carnet…
On m’a conseillé d’éviter de l’ouvrir.
­Marie n’aime pas que l’on touche à ses
affaires. Après une bonne mais courte
nuit et un petit déjeuner royal, je quitte
Fougeret, un peu à regret.
Sur le chemin, je repense à cet
épisode de la série Ted Lasso, où le coach
de foot décide d’exorciser l’infirmerie
désertée par l’équipe, car elle est réputée
maudite. Face au succès du rituel, cet
entraîneur, adepte de la méthode Coué,
conclut : « L’important, ce n’est pas de
croire ou non aux fantômes, mais que les
fantômes croient en eux. »
La semaine prochaine La chambre-cellule
de Thérèse de Saint-Clar
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023 | 21

Petite mythologie du camping — 3/6 —

« Quand t’as tout monté,

tu te poses et tu contemples »
Choisir l’endroit idéal, posséder le matériel adéquat, s’aménager
un nouveau chez-soi douillet : le rituel de l’installation répond
à des règles bien précises, où l’improvisation n’est pas de mise
plus le camping d’il y a vingt ans », insiste
Edouard Delalande, directeur général de
Campingaz. A l’écouter, la tente et le bun-
galow ont suivi la même évolution que le
pavillon individuel. Chacun voudrait dé-
sormais aussi des salons de jardin et des
cuisines d’extérieur. Avec la contrainte de
ce qu’on pourra emporter. C’est à peine
Par Guillemette Faure s’il reste de la place pour les enfants dans
la voiture au moment de partir.

A
distance, les gérants de
camping repèrent très
vite les primo-campeurs
– ceux qui ont la tente
mais pas le maillet. Chez
les autres, il ne manque
rien. On pourrait voir dans le camping
une parenthèse informelle loin de la vie
quotidienne structurée ; c’est tout l’in-
verse, le triomphe de l’organisation.
Dans la famille Campeur, chacun
sait tacitement ce qu’il a à faire. Celui qui
tend. Celui qui déroule. Celui qui gonfle.
« Finalement, la seule improvisation du
camping, c’est le lieu, constate Aymeric
de Rorthays, directeur général d’Au Vieux
Campeur, l’enseigne culte des randon-
neurs. Il n’y a pas de “on arrive et on pose
tout en vrac”. Le camping, c’est l’ordre
dans le désordre. » Jusqu’à la manière de
faire son sac à dos. Il reste étonné du
nombre de clients qui demandent com-
ment ranger le leur, ainsi que des tutos
sur la meilleure façon de le remplir :
« C’est de la fausse improvisation, tout
doit être rigoureux. Même dans le choix
de la nourriture lyophilisée, les gens anti-
cipent leurs menus et se demandent :
“Qu’est-ce que je mangerai le lundi” ? »
Quand on vit avec peu de chose,
on ne peut pas se tromper. Professeure
dans le Nord, Cécile Dubois a sa liste
d’équipements, qu’elle a complétée lors
de ses trois premières années de cam-
ping : des cintres pour faire sécher les ser-
viettes à l’intérieur jusqu’à la balayette
pour éviter l’accumulation de brins
d’herbe dans la tente. Beaucoup de cam-
peurs admettent des tendances mania-
ques, célébrant un monde où chaque
­petite pince se range dans sa petite boîte.
« C’est assez agréable, parce qu’on
apprend vite : entre le premier et le dernier
jour, on installe, on désinstalle, on em­-
paquette de plus en plus vite », raconte
Philippe (qui a requis l’anonymat), la
quarantaine, cadre dans une ONG et
­assez fier de la capacité qu’il a développée
à trouver l’arbre idéal auquel accrocher
sa corde à linge. Dans cette quête de per-
fection, monter sa tente, c’est l’occasion
de regarder comment ça se passe chez les
autres, de lorgner le matériel des Néerlan-
dais avec leurs sardines high-tech à des
années-lumière de celles des Français.
« Terre dans la tente ! » Un cri re-
tentit devant ce havre familial posé dans
le Gers. Un visiteur n’a pas respecté le ri-
tuel consistant à enlever ses chaussures
sur la bâche posée sous l’auvent avant d’y
entrer. Le modèle de tente influe sur l’am-
biance du séjour et conditionne aussi le
bon déroulement de l’installation. Avec
celui à arceaux, pendant que deux adul-
tes les tiennent et s’engueulent, les ga-
mins courent partout, tandis que, avec les
systèmes gonflables, les enfants tiennent
à participer. « Quand t’as tout monté, tu te
poses et tu contemples », résume Cécile
Dubois. Généralement, le campeur n’est
pas peu fier. « Il y a un côté “tu te fais un
château”, explique Eva Zingoni, une Pari-
sienne mère de deux enfants, souvent
partie dans le Gers et en Dordogne. Tu te
crois le créateur de l’Univers. »
D’où l’attention portée au déco-
rum. Traverser un camping, c’est dénom-
brer les tables avec des toiles cirées instal-
lées par des gens qui n’en mettraient pas
chez eux. On reconnaît les emplacements
occupés par des Néerlandais grâce aux
guirlandes lumineuses qu’ils disposent
autour de leur campement. Même chez
les plus jeunes, adeptes de la « vanlife »,
subsiste ce petit côté vintage à sortir sa
décoration de jardin, ses lampions, voire
ses pots de fleurs. Pour un peu, on voya-
gerait avec ses géraniums. Raphaël Bony,
le gérant du Brévedent, dans le Calvados,
est persuadé que cela joue dans l’attrait
pour le camping : « Vous ne pouvez pas
­redesigner votre chambre au Mercure. »
Assistante maternelle près de
Sainte-Flaives (Vendée), Aurélie (qui a re-
quis l’anonymat) part camper avec ses
deux enfants près de Marseille. Elle adore
être « sous toile de tente » pour ne plus
être à la maison, où elle travaille. Mais elle
apporte une Senseo, la même qu’à la mai-
son. Loïc Chauveau vient, lui, en famille
des Ardennes jusqu’au camping de la
Grand’Métairie, en Vendée, « parce que ça
Liberty Azenstarck
Même chez les plus
jeunes, adeptes de
la « vanlife », subsiste
ce petit côté vintage
à sortir sa décoration
de jardin, ses lampions
change du quotidien ». Il emmène toute-
fois toujours une caisse d’Orval, une bière
fabriquée à 9 kilomètres de chez lui. Partir
loin de chez soi pour se sentir chez soi.
Tout en se réjouissant de se cou-
per du quotidien, les campeurs ne peu-
vent pas s’empêcher de recréer un « chez
soi » sur le modèle du « chez eux ». Des
placards. Parfois deux tables… « Ce n’est
Le camping, ce n’est pas rompre
avec la vie matérielle, mais la célébrer car
les choses sont comptées. Il faut voir l’ex-
citation avec laquelle, dans un bungalow,
on ouvre le « pack d’accueil ». Qu’y aura-
t-il à l’intérieur ? Un échantillon de pro-
duit vaisselle, deux capsules de café, quoi
d’autre ? A l’Huttopia de Versailles, on cite
ces Danois qui, il y a deux ans, ont signalé
en arrivant que la planche à découper pré-
vue dans l’inventaire n’était pas là. Signe,
selon la responsable des lieux, qu’un objet
peut faire la différence dans un séjour.
Si les rituels d’installation ne lais-
sent que de bons souvenirs, le départ est
plus douloureux. Sans doute pour mon-
trer aux locataires de bungalow qu’ils
n’allaient pas s’en sortir si vite sous pré-
texte qu’ils n’avaient pas de tente à re-
plier, les campings ont inventé le ménage
à faire soi-même suivi de l’inventaire de
10 heures. Côté tentes, c’est pire. « Mon
mari mettait le réveil à 6 heures du matin
pour être sûr d’avoir le temps de tout re-
plier », raconte une mère de famille qui a
découvert le camping avec son époux – et
qui se dit « soulagée d’avoir divorcé rien
que pour ça ». Ceux qui savent rouler un
sac de couchage pour le ranger dans sa
housse sont les enfants de ceux qui sa-
vaient replier une carte routière.
Au Brévedent, Raphaël Bony parle
de ceux qui abandonnent la tente der-
rière eux avec des airs généreux, quand ils
sont juste incapables de la replier. Même
Decathlon a fini par avouer que ses « ten-
tes deux secondes » pouvaient virer au
cauchemar quand il faut les reglisser dans
la housse. « L’ouverture instantanée était
un rêve d’utilisateur. On a essayé d’amélio-
rer le modèle, on a rajouté des boucles, des
sangles, des vidéos de conseils pour aider
à la fermeture », se souvient Réka Engel-
Angyal, cheffe de produit Quechua chez
Decathlon. Jusqu’à admettre, dix ans
après sa création, que le remballage était
compliqué. Et lancer la technologie Easy
promettant aussi une fermeture instan-
tanée ou quasi. La promesse optimisée
d’un avenir sans dispute.
La semaine prochaine Une piscine ou rien

Mon village Singulier — 3/6 —

D
ites-le avec des fleurs ! » La l’un de ces innombrables villages- autos à 15 km/h, remplacer les trot- gratuites commentées, le Festival
formule désuète agrafée aux rues aux trottoirs étroits que traver- toirs par des bandes plantées. Les des roses, fin mai…
bouquets, sur carte plastifiée, sent en trombe voitures et camions. unes après les autres, les fleurs du la- « Admiratif ! » Le formateur

Chédigny, la fine prend tout son sens à Chédigny, en

Indre-et-Loire. Les roses, ici, disent
un village qui revit et la solidarité de
« C’était moche, mort, indifférent, les
gens partaient à la ville ou sinon fai-
saient construire en dehors », se sou-
bel « Villes et villages fleuris » éclo-
sent sur le panneau d’entrée, jusqu’à
2019 et l’apothéose de la « Fleur d’or ».
en maraîchage bio Xavier Mathias,
résident de Chédigny, 52 ans, s’émer-
veille du résultat. « Les plantes ont

fleur des patelins ses 586 habitants, fiers du travail ac-

compli. Dans ses rues, les « Ooooh ! »,
les « Ah, c’est ravissant ! » des visi-
teurs qui déambulent n’altèrent pas
le calme ambiant, bercé de bourdon-
La commune d’Indre- nements d’abeilles, de chants de mé-
et-Loire a trouvé son salut sanges et de chardonnerets. L’air em-
baume. Les façades sont dévorées par
en laissant la nature les rosiers grimpants, les trottoirs en-
vahis de flopées d’asters, de dahlias,
prospérer sur les trottoirs de juliennes des dames et de coque-
lourdes dans lesquels les hérissons
et les façades des maisons furètent le soir venu.
La nature a repris ses droits
Pascale Krémer dans ce village tout entier labellisé,
depuis 2013, « Jardin remarquable »
par le ministère de la culture, au
même titre que 460 autres parcs ou
jardins exceptionnels. Chédigny,
première et longtemps seule com-
mune ainsi distinguée – jus-
qu’en 2022, où elle fut rejointe par
Yèvre-le-Châtel, dans le Loiret – était
encore, il y a moins de trente ans,
vient le sénateur centriste d’Indre-
et-Loire, Pierre Louault, 74 ans.
Le pouvoir des fleurs, c’est lui.
Maire de Chédigny à 27 ans, il est
alors jeune agriculteur. Un jour de
vacances, au pied des remparts de
Grignan (Drôme) végétalisés par le
pépiniériste André Eve, lui vient la ré-
vélation florale. Des roses ! Des mon-
ceaux de roses pour « cacher la mi-
sère » d’un bâti banal et « redonner la
rue aux habitants ». André Eve ac-
cepte l’invitation du village coincé
entre Chenonceaux et Loches ; il aide
au choix des premiers rosiers grim-
pants ou liane plantés au pied des
maisons au crépi gris.
Coup de chance, Chédigny est
sens dessus dessous, circulation dé-
viée, trottoirs éventrés par des tra-
vaux d’enfouissement de lignes élec-
triques, en cette fin des années 1990.
M. Louault en profite pour bouter les
camions hors du bourg, brider les
« Le but, ce n’était pas le villa-
ge-jardin, c’était de dire aux habi-
tants de sortir, de lâcher la télé, de re-
trouver une vie de village », com-
mente le maire actuel, Pascal Dugué,
56 ans, qui reçoit la France entière en
délégations municipales. L’on vient
comprendre le miracle de Chédigny
(360 habitants en 1977), repeuplé, fé-
déré grâce au fleurissement. Louise
Mancel, 25 ans, s’y est installée il y a
peu, en couple et en télétravail, pour
« cette bienveillance entre les habi-
tants » : « C’est comme si l’on habitait
un jardin commun. »
Tout le monde, ici, met la
main au sécateur. Ainsi, les petits de
maternelle apprennent à rempoter.
Leurs parents et grands-parents
s’initient à la taille de rosiers, échan-
gent leurs graines dans une boîte de
rue. Cent cinquante d’entre eux s’ac-
tivent bénévolement pour la guin-
guette d’été sur la place, les visites
­réveillé le meilleur de chacun »,
s’émeut-il dans son tee-shirt « Super
brocoli ». Ces plantes que trois jardi-
niers municipaux choisissent peu
gourmandes en eau (du ruisseau), vi-
vaces et généreuses, qu’ils préservent
de tout produit chimique.
Baignerions-nous dans les
­effluves trop sucrés d’un conte de
fleurs ? Les rosiers, bien sûr, ont quel-
ques épines. Les maisons se font ra-
res et chères. Quant aux 120 000 visi-
teurs annuels, ils provoquent une
certaine lassitude, aux beaux jours.
« On évite les grosses émissions télé
sur les plus beaux villages pour ne pas
perdre notre gain en matière de bien-
être, glisse le maire. Mais le fleuris­-
sement, c’est notre image. Si l’on s’en
passait, on crèverait, comme les
­communes autour qui n’ont rien fait. »
La semaine prochaine
La cité de granit et de papier

22 |
En 1992, dans les Alpes, la guerre
de Bolzano n’a pas eu lieu
Faire la paix— 6/6 —Italie et Autriche se disputaient la province alpine du Haut-Adige depuis la fin de la première guerre
mondiale. En 1992, les deux rivaux réglaient leur différend devant l’ONU et faisaient de l’art du compromis un cas d’école
L
es guerres évitées ne font pas de
bruit, aussi les hommes qui par-
viennent à empêcher que le sang
coule sont-ils souvent oubliés des
livres d’histoire. Et pourtant… Le
17 juin 1992, aux Nations unies, le
moment manque de force lyrique, mais il n’en
est pas moins historique. Ce jour-là, les repré-
sentants de l’Italie et de l’Autriche informent
le secrétaire général de l’organisation, Boutros
Boutros-Ghali, de la fin du litige qui les oppo-
sait concernant la petite province de Bolzano
(Haut-Adige pour les Italiens, Sud-Tyrol vu
d’Autriche). Après plusieurs décennies d’ef-
forts, émaillées de vagues d’attentats et de
crispations ethniques, celle-ci a su se doter
d’institutions convenant à tous, éloignant
ainsi le spectre d’un conflit ouvert. A force
d’intelligence et de modération, cette terre
­nichée au cœur des Alpes était parvenue à se
libérer des pièges du passé, et ce grâce à la
­volonté d’un homme qui, seul ou presque, a
eu le courage de tracer un chemin dont quasi-
ment personne, à l’origine, ne voulait.
Cet homme s’appelle Silvius Magnago.
Né le 5 février 1914 dans la ville thermale de
­Meran (Merano, en italien), alors située dans
l’empire des Habsbourg, il porte en lui toutes
les blessures du XXe siècle. Il a 6 ans à peine
lors de l’entrée en vigueur du traité de Saint-
Germain qui, au lendemain de la première
guerre mondiale, a démembré le Tyrol histo-
rique et attribué sa partie méridionale au
royaume d’Italie. Après avoir opté pour la na-
tionalité allemande, il servira dans la Wehr-
macht pendant la seconde guerre mondiale,
perdant une jambe sur les bords du Dniepr
en 1943. Revenu chez lui après la guerre, cet
homme au visage émacié, rongé par les dou-
leurs de l’amputation qui ne le laisseront
­jamais en paix, comprend que les compro-
mis et la réconciliation sont la seule voie pos-
sible pour que sa province échappe au retour
du cycle infernal des guerres. Et, plus impor-
tant encore, il arrive à convaincre la majorité
des habitants de le suivre.
Pour comprendre les racines de cette his-
toire, il faut prendre la route et se rendre sur le
col du Brenner (Brennerpass en langue alle-
mande, passo del Brennero en italien). Nous
sommes à 1 370 mètres d’altitude, au point de
passage le plus bas entre le nord et le sud de
l’arc alpin. Ici, les semi-remorques et les trains
de marchandises empruntent une route attes-
tée depuis le néolithique et qui reste l’un des
principaux axes commerciaux du continent.
Dépecer l’empire des Habsbourg
Reliant le monde méditerranéen au nord de
l’Europe, utilisé depuis toujours par les mar-
chands et les armées en campagne, le col du
Brenner marque également la ligne de par-
tage des eaux entre le bassin de drainage de
la mer Adriatique, avec le fleuve Adige, et ce-
lui de la mer Noire, avec l’Inn et le Danube.
Bref, le lieu semble tout indiqué pour être
une de ces « frontières naturelles » chères
aux géographes et aux diplomates qui,
­durant des siècles, ont cherché à définir des
lignes de délimitation rationnelles sur le
­continent européen. Aussi, au sortir de la
première guerre mondiale, lorsqu’il s’est agi
de dépecer l’empire des Habsbourg, les puis-
sances réunies en congrès à Paris n’ont-elles
eu aucun remords à en faire la nouvelle
­frontière séparant le royaume d’Italie de la
petite République d’Autriche.
Problème : cette décision entre en violation
flagrante avec le principe du droit des peu-
ples à disposer d’eux-mêmes, que les vain-
queurs de la guerre affirment vouloir mettre
en œuvre. En effet, la véritable ligne de par-
tage entre les mondes latin et germanique
existe, mais elle se trouve à une centaine de
kilomètres plus au sud, à la frontière de l’an-
cien évêché de Trente. Certes, le col du Bren-
ner marque une jolie ligne de crête, mais de
part et d’autre, depuis le Moyen Age, c’est le
Tyrol. Ainsi, dans la province de Bolzano, rat-
tachée d’un trait de plume à l’Italie, à peine
5 % des habitants parlaient italien lors du re-
censement de 1910… Aujourd’hui encore, les
populations des deux côtés de la frontière
sont les mêmes. Les inscriptions dans les
églises et les cimetières en témoignent et, de
quelque côté que l’on se trouve, c’est par un
« grüss Gott » sonore et chaleureux qu’on
vous accueille lorsque vous passez l’entrée
d’un café ou d’un restaurant.
L’historien Hans Heiss vit à quelques kilo-
mètres au sud de la frontière, dans la petite
ville de Bressanone (Brixen, en allemand),
où sa famille tient, depuis le milieu du
XVIIIe siècle, l’Auberge de l’éléphant, un hôtel
nommé ainsi en souvenir de l’animal offert
par le roi du Portugal à Maximilien II de
Habsbourg, qui avait fait escale ici durant
l’hiver 1551-1552 avant de franchir le col. Fin
connaisseur des subtilités locales, il nous
conduit un peu à l’écart de la ville, à l’ombre
des hauts murs de l’opulent couvent de No-
vacella, dans un ­décor champêtre et idylli-
que, pour une ­conversation à bâtons rompus
autour d’un plateau de fromages locaux.
Ancien élu provincial des Verts, Hans Heiss
mesure mieux que quiconque l’importance
stratégique de cette annexion : « Pour l’Italie
de 1919, avoir la frontière au Brenner, c’est la
garantie de n’être pas considérée uniquement
comme un pays méditerranéen. C’est un sym-
bole très important pour les Italiens… Au
XIXe siècle, les irrédentistes revendiquaient
Trente ou Trieste pour unifier le peuple italien.
Ici, cela n’a rien à voir avec les populations,
c’est une pure revendication géopolitique. »
Pour le reste, le Haut-Adige est une terre
­enclavée, sans intérêt économique majeur.
Bien sûr, les centres urbains comme Bolzano
et Merano étaient un peu plus développés et
accueillaient une population italienne plus
importante. Mais celle-ci, sur l’ensemble du
territoire, restait marginale. Aussi la volonté
affichée d’italianiser la province de Bolzano,
dès l’entrée en vigueur du traité de Saint-Ger-
main, en 1919, est-elle ­accueillie avec une
hostilité incrédule par le plus grand nombre.
L’Italie libérale promet d’offrir à ce territoire
une forme d’autonomie, mais, à peine deux
ans plus tard, Benito Mussolini arrive au pou-
Dans la province de Bolzano,
rattachée d’un trait de plume
à l’Italie, à peine 5 % des
habitants parlaient italien
lors du recensement de 1910
Silvius Magnago, au château Firmiano, à Bolzano, en Italie. Toscani/Alinari/Roger-Viollet
voir avec la ferme ­intention de transformer
le Haut-Adige en terre latine, de gré ou de
force. Les écoles de langue allemande sont
fermées, les noms des communes italianisés.
Les nouveaux maîtres du Haut-Adige – l’ap-
pellation « Sud-Tyrol » est interdite – vont
jusqu’à « dégermaniser » les noms propres :
sur les papiers d’identité ­désormais octroyés
par l’Etat italien, un Stefan est rebaptisé Ste-
fano, un Josef devient Giuseppe… Dans le
même temps, l’Italie fasciste favorise les im-
plantations d’italianophones venus de la Vé-
nétie voisine ou du sud du pays. Ils forme-
ront les gros bataillons des forces de l’ordre et
de l’administration locale, au point de don-
ner à l’italianisation du Haut-Adige les allu-
res d’une occupation coloniale.
La manœuvre de Gasperi
Autant dire que, pour l’écrasante majorité
des germanophones, l’accession au pouvoir
d’Adolf Hitler, en 1933, puis l’Anschluss (an-
nexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie) en
mars 1938 sont de nature à soulever de gran-
des espérances. Mais celles-ci seront vite dou-
chées. En mai 1938, Hitler se rend en train en
Italie pour sceller son alliance avec Mussolini.
Il passe par le col du Brenner, ignore les mil-
liers de germanophones massés sur son par-
cours et, depuis le balcon du palais de Venise,
à Rome, assure que la frontière du Brenner a
été « offerte par la providence » aux deux na-
tions. Moins d’un an plus tard, en mars 1939, il
propose aux habitants un choix terrible : soit
ils restent en Italie et devront devenir Italiens,
soit ils partent pour le Reich, où on leur pro-
posera des terres et un avenir parfaitement
germanique. C’est ce qu’on appellera l’Option.
Plus des trois quarts des germanophones
de la province émettent le souhait de partir,
mais la guerre interrompt le mouvement,
à peine amorcé. Comment expliquer un tel
­engouement ? « On a souvent tendance à mi-
nimiser la violence du fascisme, mais, dans la
province de Bolzano, il y a eu de vraies persé-
cutions. Donc ceux qui avaient le moins à per-
dre, ceux qui ne possédaient pas de terres, les
moins fortunés ou les professions libérales ont
été les premiers à choisir l’Option. Sans doute
l’ont-ils plus fait pour des raisons pragmati-
ques que par attachement idéologique », ana-
lyse l’historienne du nazisme Elissa Mailän-
der, elle-même originaire de Merano.
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Tyrol historique en 1914
Frontière linguistique
Frontières actuelles
ALLEMAGNE
AUTRICHE
Tyrol du Nord
Tyrol
Bolzano
SUISSE oriental
Haut-Adige
Trente
(Tyrol du Sud)
Milan
Venise
ITALIE
50 km
Les milliers d’« optants » qui ont combattu
sur le front de l’Est et reviennent dans la pro-
vince, en 1945, sont des hommes défaits,
­brisés. De plus, ils ont perdu la nationalité
­italienne. Face à eux, les habitants qui ont
choisi l’Italie ont eux aussi connu les hor-
reurs de la guerre, souvent en Afrique. Et,
­entre les deux communautés, un mur de
­silence se dresse, infranchissable.
Comment trouver une issue pacifique à
cette situation inextricable ? Au sortir de la
guerre, les Alliés sont face à un choix impos-
sible. Faut-il tenir compte de la volonté des
habitants et rectifier la frontière de 1919, en
rattachant le Tyrol du Sud à l’Autriche ? Im-
pensable, quelques mois après la chute du
nazisme et alors que le sol autrichien est tou-
jours occupé par les armées alliées. De plus,
le gouvernement italien, dépossédé après
guerre de l’Istrie et de ses colonies africaines,
assure qu’une amputation territoriale de
plus provoquerait à coup sûr une révolution
communiste… Les vainqueurs tombent d’ac-
cord sur une solution de compromis, l’idée
étant d’accorder à la province une large auto-
nomie, sans remettre en discussion la souve-
raineté italienne sur celle-ci. Le résultat est
l’accord dit « De Gasperi-Gruber », signé entre
l’Italie et l’Autriche le 5 septembre 1946 par les
ministres des affaires étrangères des deux
pays. Très ambigu et vague dans sa formula-
tion, il permet à l’Italie de créer, en 1948, une
région regroupant le Trentin et le Haut-Adige
et de lui conférer une grande autonomie.
Sur le papier, donc, les Italiens ont tenu
­parole. Mais, en réalité, c’est tout le contraire.
En effet, au lieu d’accorder une large auto­-
nomie à la province de Bolzano, au risque de
voir celle-ci s’éloigner peu à peu de Rome, le
gouvernement italien a l’englobée dans un
ensemble plus vaste, accolant la province de
Trente, italienne à plus de 90 % et plus peu-
plée, à la province de Bolzano. Ainsi, dans le
nouvel ensemble, les germanophones vivent
dans une région autonome, mais ils y sont
minoritaires… Du point de vue de Rome, la
solution consistant à « noyer » le Haut-Adige
dans un ensemble plus vaste est idéale.
La manœuvre porte la patte d’un homme
qui connaissait mieux que quiconque la
­situation, le président du conseil Alcide
De Gasperi (1881-1954), un « homme des fron-
tières » lui aussi, originaire du Trentin alors
autrichien, qui a commencé sa carrière politi-
que en 1911, en tant que député au Parlement
des Habsbourg. Gasperi sait parfaitement ce
qu’il fait, et les Autrichiens comprennent
tout de suite le piège, mais ils ne sont pas
en situation de s’opposer.
Entre italianophones et germanophones,
un climat de méfiance sourde s’installe. Mal-
gré l’égalité théorique, les seconds restent
pour la plupart exclus des emplois publics et
voient dans l’industrialisation progressive
de la région, à grand renfort de populations
­venues du sud de la Péninsule, le visage per-
nicieux d’une nouvelle forme d’italianisa-
tion. Un parti politique est créé pour défen-
dre leurs intérêts : le Südtiroler Volkspartei
(SVP, Parti populaire du Tyrol du Sud). Le
sentiment d’injustice est si fort que celui-ci
devient instantanément un mouvement de
masse, comptant 50 000 membres fin 1945,
soit 15 % de la population de la province.
Dans le même temps surviennent des atten-
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Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023 | 23

Aujourd’hui, le système né dans

le Haut-Adige est souvent cité
en exemple, et de nombreuses
délégations étrangères font
le voyage de Bolzano

tats sporadiques (une dizaine par an), sur-

tout contre des symboles de l’« occupation »
fasciste, mais pour l’heure les personnes ne
sont pas visées…
En 1955, l’Autriche recouvre sa pleine souve-
raineté, et elle ne tarde pas à porter le litige
­devant les Nations unies. En octobre 1960, l’af-
faire est même débattue devant l’Assemblée
générale de l’organisation, à New York : la
question du Tyrol du Sud devient un pro-
blème international, et Rome et Vienne se
­livrent à un authentique dialogue de sourds.
C’est à ce moment-là que Silvius Magnago
entre en scène. Né d’une famille italo-germa-
nique (son père, juge à la cour d’appel de
­Merano, était ethniquement italien, origi-
naire de Trente), il a étudié le droit à Bologne.
Revenu mutilé du front de l’Est, il s’est vite
engagé au SVP, entrant au conseil municipal
de Bolzano en 1947, avant de s’éloigner un
temps de la politique pour se consacrer à sa
carrière d’avocat. Il fait son retour en
mai 1957 et prend la tête du SVP.
Six mois plus tard, dans le sud de la pro-
vince, au pied de la forteresse Sigmundskron
(rebaptisée Castel Firmiano par les Italiens),
il organise la plus importante manifesta-
tion de l’histoire de la province (plus de
35 000 participants), pour réclamer le res-
pect de l’esprit des accords de 1946 et annon-
cer un nouveau mot d’ordre : « Los von Trent »
(« éloignons-nous de Trente »), et non plus
« éloignons-nous de Rome », comme précé-
demment. Ainsi donc le nouveau chef du SVP
a-t-il décidé de rompre avec les revendica-
tions d’autodétermination pour adopter des
positions plus susceptibles d’être écoutées à
Rome. La graine est plantée, il faut désormais
attendre. En 1960, Silvius Magnago est élu à
la présidence de la province de Bolzano. Il res-
tera à ce poste durant trois décennies.
La romancière italienne Francesca Melan-
dri, qui a vécu quinze ans au cœur de la pro-
vince, a consacré un très beau roman, Eva
dort (Gallimard, 2012), à ces années troublées,
marquées par une violence larvée entrete-
nue par les militants du Befreiungsausschuss
Südtirol (BAS), partisans de la réunification
du Tyrol, et la répression de l’Etat italien. Le
12 juin 1961, lors de la Feuernacht (« nuit des
feux »), où chaque année les montagnes s’il- Manifestation pour la réunification du Tyrol du Sud, à Innsbruck, en Autriche, en 1946. Erich Lessing/akg-images
luminent en souvenir de la résistance du
­Tyrol face aux armées de Napoléon, une cen-
trale électrique et une quarantaine de pylô-
nes à haute tension explosent simultané-
ment. En réponse à cette provocation, der- Moro (1916-1978), plusieurs fois président du ner. C’est que le temps a fait son œuvre. Center for Autonomy Experience. « La pro-
rière laquelle beaucoup de responsables ita- conseil à partir de 1963. Dès les années 1963- « Tout tient à ce vote de 1969, qui a été serré, et vince de Bolzano avait tout pour devenir une
liens voient la main de l’Autriche, Rome 1964, les militants du BAS sont rejoints dans au fait que Magnago a su faire en sorte que la deuxième Irlande du Nord ou un autre Kosovo,
envoie 15 000 hommes de plus pour mainte- les montagnes par des groupes de néonazis décision soit acceptée par tous. Vu ce que sont rappelle-t-il. La clé de tout, c’est un extrême
nir l’ordre. Les arrestations sont nombreuses, venus d’Autriche ou de Bavière. On com- devenus les partis politiques, je ne suis pas cer- pragmatisme, fondé sur les bases de l’accord
les témoignages faisant état de tortures dans mence à s’en prendre à des carabiniers, des tain qu’un tel compromis serait aujourd’hui de 1972 qui fonctionne comme une Constitu-
les casernes se multiplient… bombes explosent dans les trains (notam- possible », souligne le professeur de droit tion. Au centre, il y a une commission où l’Etat
ment à Rome et à Vérone). Dans les rues de Francesco Palermo, sénateur de la province et la province siègent à parité, et c’est par elle
Autonomie et bilinguisme Bolzano, des cortèges néofascistes défilent de Bolzano de 2013 à 2018. que passent des “normes d’actualisation”. Car
au nom de l’« italianité du Haut-Adige »… Bien sûr, le principe de départ, fondé sur des le statut ne doit pas être vu comme un texte
« Ce furent des années de tension extrême, se Les violences feront une quarantaine de recensements périodiques de la population figé, mais plutôt comme le début d’un proces-
souvient l’historien Hans Heiss. On ne savait morts. Alors que les négociations entre permettant une juste répartition des emplois sus dynamique, sans cesse en mouvement… »
pas comment cela pouvait finir. L’armée ita- ­Magnago et Rome avancent difficilement, la publics (70 % des citoyens se disent germano- Aujourd’hui, le système né en Haut-Adige il
lienne se comportait comme une force d’occu- tension est de plus en plus forte. Mais en phones, donc 70 % des enseignants recrutés y a un demi-siècle est souvent cité en exem-
pation, les carabiniers étaient barricadés dans ­parallèle, dans la population, les autonomis- appartiendront à cette communauté), ne cor- ple, et Marc Röggla confirme que de nom-
les casernes. Ici, à Bressanone, ils avaient placé tes perdent du terrain. Dans le même temps, respond plus tout à fait aux réalités, à l’urba- breuses délégations étrangères font réguliè-
des sacs de sable devant l’entrée de leur bâti- une autre révolution est en effet à l’œuvre : nisation, à la multiplication des unions rement le voyage de Bolzano, même s’il pré-
ment… » De part et d’autre, la mémoire de la l’explosion des sports d’hiver, qui transforme « mixtes » et aux arrivées de migrants. « Et fère ne pas en donner la liste, car « en général
seconde guerre mondiale reste à fleur de les sublimes pentes des Dolomites en eldo- puis parfois, au-dessus des logiques de groupe, elles préfèrent rester discrètes ». Retiré de la
peau. Ainsi les soldats ou fonctionnaires ita- rado. Pour les paysans des montagnes, il y a les calculs individuels, comme ces fa- vie politique depuis le début des années
liens deviennent-ils des « fascistes » pour ­naguère très pauvres, la possession d’un milles italiennes qui préfèrent que leurs en- 1990, Silvius Magnago a continué à vivre
les plus autonomistes tyroliens, tandis que bout d’alpage devient synonyme de richesse. fants étudient dans le système allemand car il dans la vieille ville de Bolzano, où il s’est
la droite italienne, et plus particulièrement Dans ces conditions, les habitants ont envie leur offre plus de possibilités », dit en souriant éteint discrètement en 2010, des suites d’une
les postfascistes du Mouvement social ita- de tout sauf de faire la guerre. M. Palermo, après avoir confié qu’à titre per- pneumonie. Dans les palmarès de la qualité
lien (MSI), ne cesse de dénoncer les membres Le moment décisif survient le 22 novem- sonnel il n’aimait pas avoir à se cataloguer de vie publiés par la presse italienne, sa ville
du SVP comme des nazis… bre 1969, à Merano, où, devant l’assemblée dans l’une ou l’autre des communautés. est systématiquement classée dans les trois
Face à cela, Magnago trace sa route, impa- plénière du SVP, Magnago présente en détail premières places. Avec moins de 4 % de chô-
vide. « Il savait bien que l’accent allemand les points du statut négocié pied à pied, « Extrême pragmatisme » mage et le niveau de vie le plus élevé d’Italie,
heurté avec lequel il parlait la langue de ­pendant des années, avec Rome. Après dix- la petite province perdue au cœur des Dolo-
Dante, d’ailleurs à la perfection, et le fait sept heures de débats, il emporte la décision Reste que ce système, même s’il est mites, qui avait tout pour devenir un enfer,
d’avoir servi pendant la guerre dans la Wehr- d’un souffle, avec moins de 53 % des voix du aujourd’hui critiqué, a assuré la paix civile, au semble avoir trouvé la paix.
macht suscitaient chez ses interlocuteurs une millier de délégués présents. La province de point de devenir un cas d’école étudié dans le Bien sûr, les partisans de l’autodétermina-
immédiate association avec le nazisme », écrit ­Bolzano, désormais bilingue, sera dotée monde entier. A une dizaine de minutes de tion n’ont pas disparu, et cet équilibre
Francesca Melandri. Mais « il ne pouvait pas à d’une autonomie quasi totale, en échange de marche du centre de Bolzano, au cœur de la ­demeure fragile. Aucun de nos interlocu-
chaque fois infliger un résumé complet de quoi elle restera italienne. Le statut entre en « ville nouvelle » construite à l’époque fas- teurs n’a manqué d’insister sur ce point.
l’histoire du Tyrol du Sud », ajoute l’écrivaine. vigueur en 1972, et les violences cessent ciste, se trouvent les locaux de l’Eurac, un ins- Reste qu’on s’attarde rarement sur les guer-
Placé sur une inconfortable ligne de crête, ­presque instantanément. L’Autriche ne peut titut international de recherche qui se consa- res qui n’ont pas lieu et que ce voyage dans
Magnago ignore les appels de ceux qui veu- qu’accepter cet état de fait. cre – entre autres – aux droits des minorités. les ­Dolomites nous a offert un plaisir rare :
lent venger les militants morts en captivité et Un demi-siècle plus tard, en se promenant C’est là, dans une cafétéria flambant neuve celui d’écrire une histoire qui finit bien. p
continue de discuter avec l’Etat italien, au par un soir d’été dans les rues de la vieille ville avec vue sur les montagnes, attenante à l’an- Jérôme Gautheret et Thomas Wieder
sein duquel la Démocratie chrétienne se de Bolzano, où le kitsch habsbourgeois sem- cienne salle de gymnastique des Jeunesses (Berlin, correspondant)
montre de plus en plus ouverte au dialogue, ble cultivé jusqu’à l’obsession, le poids de fascistes reconvertie en bibliothèque, que l’on
sous l’impulsion de dirigeants comme Aldo cette histoire est presque impossible à imagi- retrouve le juriste Marc Röggla, directeur du FIN
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Les vertiges du « cannabusiness »

Le roman du cannabis — 6/6 — L’autorisation des usages thérapeutiques puis récréatifs du cannabis, à partir des années
2010, dans un certain nombre de pays a provoqué l’émergence d’entrepreneurs de la « weed ». Avec des fortunes diverses

A
Smiths Falls, une bourgade
de l’est du Canada, la for-
tune a longtemps eu l’odeur
du chocolat. Celle que déga-
geait l’usine du géant de la
confiserie Hershey, premier
employeur de cette petite ville de l’Ontario,
jusqu’à ce que l’entreprise décide, en 2008,
de délocaliser sa production au Mexique. Dix
ans plus tard, alors que la ville est engluée
dans le marasme économique, un intrigant
repreneur transforme l’usine laissée à l’aban-
don. Smiths Falls exhale bientôt un autre
parfum, celui du cannabis, et devient la capi-
tale d’une industrie dont les habitants ap-
prennent le nom à mesure qu’ils sont réem-
bauchés : la weed tech – les nouvelles techno-
logies appliquées à l’herbe.
La nouvelle fierté locale s’appelle Canopy
Growth, numéro un mondial de la produc-
tion de cannabis. En 2019, un an après le ra-
chat des installations, l’entreprise atteint un
record de valorisation boursière à 13,7 mil-
liards d’euros et son PDG, David Klein, est
alors le mieux payé du Canada. Les cylindres
géants utilisés jadis par Hershey pour mé-
langer le sucre des barres chocolatées ser-
vent désormais à l’irrigation des plants de
« marijuana ». La factory tourne à plein :
800 000 joints par jour.
Miser sur Smiths Falls, en cette année
2019, n’a rien du hasard. Voilà tout juste
quelques mois que le pays a légalisé le can-
nabis, et les clients potentiels sont nom-
breux. Selon l’organisme officiel Statistique
Canada, 20 % des habitants âgés de plus de
15 ans sont alors des fumeurs réguliers. Le
cabinet Deloitte estime à 2,5 milliards de
dollars américains le marché national du
cannabis légal en 2020, et anticipe sa crois-
sance à 6,7 milliards en 2026.
De quoi donner à Canopy Growth des rê-
ves de grandeur… Sauf que la société, trop
ambitieuse, mal préparée, soumise aux Culture de plants de marijuana dans les bâtiments de Canopy Growth, à Smiths Falls, au Canada, en 2018. CHRIS WATTIE/REUTERS
stricts quotas des licences médicales et aux
rigidités d’un secteur contrôlé par l’Etat, va
exploser en vol.
Cotée au « Cannabis Index » de la Bourse de gée d’évaluer les occasions d’affaires autant Pourtant, le débat de la légalisation « n’est bureau de gestion du cannabis de l’Etat de
Toronto, son action dévisse, passant de que l’impact sanitaire d’une dépénalisation. pas sur la table », comme l’assure au Monde New York, qui a aussi délivré 277 licences ré-
32,8 dollars en février 2021 à 7,12 dollars en fé- Six ans après la légalisation du cannabis Nicolas Prisse, le président de la Mission inter- servées aux agriculteurs.
vrier 2022, et à moins de 39 cents à l’été 2023. récréatif en Californie, le marché américain ministérielle de lutte contre les drogues et les Transformer les fournisseurs historiques
Au dernier trimestre 2022, l’entreprise accu- se resserre autour de quelques « grands », en conduites addictives. Pas même après la pu- du marché noir en cultivateurs labellisés du
sait 260 millions de dollars de pertes nettes. l’occurrence les sociétés capables de résister blication du rapport du Conseil économique, circuit légal est aussi l’ambition du pays con-
Elle a licencié huit cents employés, dont la aux aléas politiques autant qu’à la concur- social et environnemental, en janvier, consta- sidéré par les Nations unies comme le pre-
majorité du personnel de Smiths Falls. rence déloyale des trafiquants. Pendant que tant « l’échec de la politique de répression » et mier producteur mondial : le Maroc, plus pré-
L’usine a de nouveau fermé. L’éphémère capi- Canopy Growth continue de sombrer, ses appelant à une « légalisation encadrée ». cisément la région montagneuse du Rif. Jus-
tale du cannabis a replongé dans la crise. concurrents les plus avisés, comme Green qu’alors, la culture était tolérée et la commer-
L’« affaire » de Smiths Falls n’est pas anec- Thumb et Curaleaf, se déploient à travers le Course aux nouvelles versions cialisation interdite. Rendre légale la
dotique. C’est la parabole d’un secteur ultra­- pays, aussi bien sur le segment des confise- production de cannabis à des fins médicales,
spéculatif, où règnent l’anticipation et les ries que sur la fourniture des dispensaires. Cette situation ambiguë est mise en lumière cosmétiques et industrielles est justifié par
paris financiers déraisonnables. Ses pion- Une génération de self-made-mans s’est lan- dans une « note d’alerte » de l’Office antistu- les objectifs d’améliorer les revenus des agri-
niers sont à l’affût des légalisations du can- cée sur ce marché en cultivant une image péfiants datée de 2021. Les policiers spéciali- culteurs et de développer l’emploi dans une
nabis thérapeutique et récréatif à travers le positive, vantée par des artistes, notam- sés s’inquiètent de « la banalisation du can- région où les cultivateurs ne toucheraient ac-
monde. Chaque loi ratifiée donne le feu vert ment de la chanson. « J’achète mes pêches en nabis et du renforcement de l’argumentaire tuellement que 4 % du chiffre d’affaires réa-
à la ruée vers un nouveau marché. Licences Géorgie et mon herbe en Californie », chante “pro-légalisation” », où « l’Etat est présenté lisé par la filière clandestine.
d’usage médical, confiseries aromatisées, Justin Bieber dans son hit Peaches. Ce refrain comme un conservateur répressif (“dino- Dans le Rif, où plus de cent mille familles vi-
recharges pour vapoteuses, huiles au CBD… n’est pas innocent : quelques semaines plus saure”) en rupture avec l’opinion publique sur vent du cannabis, la nature même des grai-
Il faut du cousu main pour s’adapter à des tard, l’artiste ontarien de 26 ans annonce sa le sujet du cannabis. Ainsi, l’action des associa- nes est au cœur d’enjeux économiques et
réglementations locales souvent négociées collaboration avec la marque Palms pour tions de prévention et surtout des services ré- écologiques de premier ordre. Les coupables
de haute lutte. Mais il faut pouvoir s’ap- vendre une collection de joints préroulés au pressifs est décrédibilisée, rendant la lutte con- s’appellent mexikana, pakistana ou encore
puyer sur une trésorerie solide pour survi- goût de pêche. Il rejoint Jay-Z, fraîchement tre le cannabis plus difficile ». critikal : ce sont les « hybrides », ces variétés
vre aux retournements de conjoncture et promu « visionnaire en chef » de The Parent Ailleurs, dans ce business où le moindre re- aux propriétés boostées en laboratoire, desti-
maîtriser des aspects aussi divers que l’agri- Company, nouveau colosse du secteur. virement politique peut conduire à la ban- nées à dominer le marché européen, tout en
culture industrielle, la logistique, la chimie Avec ses vingt-deux millions d’usagers, queroute, certains ont pris de l’avance. Ci- nécessitant sur place des besoins en eau ac-
de pointe ou le marketing. Si bien que des l’Europe est une cible de choix. La firme tons par exemple le cas du Néerlandais Henk crus. Elles y concurrencent la beldiya, la
mastodontes de l’alcool et du tabac ont déjà new-yorkaise Curaleaf, leader planétaire du de Vries. En 1970, alors qu’il n’avait qu’une graine historique, moins chargée en THC, à
posé leurs pattes sur ce marché naissant, au secteur, vient d’investir dans une usine de vingtaine d’années, il s’était distingué en laquelle pourrait être promise une appella-
moyen d’investissements discrets. Une transformation de cannabis à Setubal, au vendant du cannabis lors du Festival Hol- tion d’origine contrôlée.
mise au pot « pour voir », comme dans une Portugal. Parmi les pays ciblés par Curaleaf land Pop, à Rotterdam. Aujourd’hui âgé de A l’heure où il est question de labelliser
partie de poker. figure aussi l’Allemagne, qui doit, avant la 73 ans, il a fait carrière dans ce secteur. Son l’« herbe du diable », comme elle était appe-
fin de l’année, mettre en application sa nou- coffee shop, le Bulldog, ouvert en 1975 dans lée autrefois, la course aux nouvelles ver-
« Légalisation encadrée » velle loi de légalisation, portée notamment le quartier rouge d’Amsterdam, est devenu sions du cannabis se poursuit, au sein de la-
par l’implantation de « clubs » de consom- un lieu de pèlerinage apprécié des touristes. boratoires clandestins, autour de produits
Du côté des pays, l’Uruguay de l’iconoclaste mateurs. Même l’Ukraine a ouvert la voie à Sous cette marque devenue iconique, il pos- singeant les effets ou le nom de l’herbe mil-
président José « Pepe » Mujica fait figure de l’usage médical du cannabis, en juin, au re- sède désormais des hôtels au Canada, des lénaire. Chaque semaine, de nouveaux ava-
pionnier, depuis 2013, de la légalisation de la gard de « la douleur, du stress et des trauma- clubs à Ibiza et Barcelone (Espagne), des pro- tars, toujours plus puissants, sont disponi-
consommation et du commerce, mais il n’est tismes de guerre », comme l’a souligné le duits dérivés innombrables, mais aussi une bles en France, mais aussi sur des marchés
pas considéré comme un débouché d’avenir. président Zelensky. boisson énergisante. plus lointains. Le « kush », variété millénaire
Idem pour le Lesotho ou la Nouvelle-Zélande, La France, premier pays consommateur en Se faire un nom dans le business légal se- de l’indica (une sous-espèce de Cannabis sa-
où l’autorisation du cannabis est limitée à Europe avec cinq millions d’adeptes, est le dé- rait-il une revanche pour les anciens dea- tiva), circule aujourd’hui sous une autre
l’usage médical. L’Asie n’offre pas encore, elle bouché privilégié du cannabis en prove- leurs ? C’est la philosophie défendue par le forme dans les rues de Freetown, en Sierra
non plus, de perspectives de croissance, bien nance du Maroc. C’est aussi l’une des derniè- maire démocrate de New York, Eric Adams. Leone. Pour quelques dollars, les consom-
au contraire. A Singapour, la peine de mort res nations européennes où l’usage médical En novembre 2022, sa ville a octroyé trente- mateurs s’intoxiquent avec les vapeurs
est de rigueur pour qui s’aventure à vendre n’est pas encore autorisé. six premières licences à des revendeurs, sé- d’une substance démoniaque aux composés
500 grammes d’herbe. lectionnés selon une condition particulière : variables, parfois coupés au tramadol et au
La situation est bien différente aux Etats- priorité aux ex-condamnés. formol. Loin des poètes romantiques du
Unis (premier consommateur au monde), où Un symbole de « justice sociale », d’après Club des haschichins du XIXe siècle, loin des
une quarantaine d’Etats ont franchi le pas du l’administration de la ville. « Au cours des artistes engagés et de la jeunesse du Flower
marché thérapeutique, et une dizaine celui La france est l’une trente dernières années, les New-Yorkais noirs Power, mais toujours à la recherche, sans fin,
du cannabis récréatif. Le président Joe Biden ont été quinze fois plus susceptibles d’être ar- des paradis artificiels. p
a annoncé en 2022 une amnistie pour les des dernières nations rêtés pour détention de cannabis que les Simon Piel
6 500 personnes condamnées au niveau fé- européennes où l’usage Blancs. Pour les Latinos, c’est huit fois plus. Par et Thomas Saintourens
déral pour simple détention de cannabis. Il a conséquent, la moitié des licenciés du jour
aussi lancé une commission d’enquête char- médical n’est pas autorisé sont des personnes de couleur », annonçait le FIN
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la bibliothèque
insolite de Comment créer de faux souvenirs
Mara Goyet Les explorateurs de la psychologie — 6/6 — Dans les années 1990, l’Américaine Elizabeth
Loftus, spécialiste de la psychologie cognitive, travaille sur la malléabilité de la mémoire

E
lle a eu l’idée sur la route
fin 1991, en repartant
d’une conférence à l’uni-
versité de Géorgie, aux
Etats-Unis. A l’époque, Eli-
zabeth Loftus n’est pas en-
core la femme psychologue la plus in-
fluente du XXe siècle – cet honneur de
la revue scientifique de l’American Psy-
Léa Girardot chological Association viendra en 2002
– mais elle est déjà reconnue pour son
travail sur les témoignages oculaires,

Comme un qui a fait entrer la science de la mé-

moire dans les tribunaux. Son labora-

long papyrus toire a montré que le souvenir d’un

événement est corruptible : sous l’effet

érotique de suggestions ultérieures, une voiture

blanche peut virer au vert ou une
moustache apparaître sur un visage
glabre. La psychologue juge la mé-
moire humaine si malléable que son
idée fixe est à présent d’induire un sou-
venir fabriqué de toutes pièces en si-

C’
est le type de question que l’on
se pose un beau matin. Quand
vous avez 5 ans, elle concerne
la vie privée de la lumière du frigo une
fois la porte refermée. Là, ce fut tout
autre chose. Ainsi me suis-je demandé si
les antiques Egyptiens représentaient
leurs scènes érotiques avec des individus
dont le visage et les pieds étaient de pro-
fil et le corps de face. J’avais dans l’idée
que cela ne devait pas faciliter les choses
et me suis laissée aller à quelques spécu-
lations géométriquement sulfureuses.
Avant de me lancer dans la consulta-
tion d’images lascives, j’ai relu quelques
textes savants sur l’aspective : ce terme,
inventé jadis par l’égyptologue alle-
mande Emma Brunner-Traut, désigne
la manière qu’avaient certaines civilisa-
tions de « construire » une image qui, en
une seule fois et sans répétition d’un
même motif, narrait des événements
successifs, insistant par ce procédé sur le
caractère cyclique de ce qui est.
J’ai ensuite trouvé des réponses à mes
questions dans La Fabuleuse Histoire de
la levrette (La Musardine, 2022). Son
auteur, Didier Dillen, montre qu’on
­retrouve la pratique à plusieurs reprises
en Egypte : dans une sépulture comme
dans un long papyrus érotique. Ce docu-
ment offre un ensemble de douze scènes
pornographiques qui horrifia l’égyptolo-
gue français Jean-François Champollion :
« Des débris de peinture d’une obscénité
monstrueuse et qui me donnent une
bien singulière idée de la gravité et de
la ­sagesse égyptiennes. »
De face et de profil
Aujourd’hui, ce papyrus est en lam-
beaux, illisible. Heureusement, une
­reproduction, exécutée au XIXe siècle
par le chercheur italien Ippolito Rosel-
lini, permet de se faire une idée plus pré-
cise de la manière dont fut représenté
l’acte sexuel qui nous occupe. Chaussant
mes lunettes loupes afin de ne manquer
aucun détail significatif, j’ai patiemment
observé les deux scènes contiguës repré-
sentant un coït more ferarum. De toute
évidence, les femmes, obéissant aux
­codes iconographiques de l’époque,
semblent à la fois de face et de profil. Ce
qui est admirable, dans la mesure où
­elles sont dessinées la tête en bas, les
mains par terre ou tenant les rênes d’un
char. J’ai eu un moment l’impression
que les hommes, chauves et simiesques,
se ­conformaient, eux, aux lois de la
perspective. Mais non, seules les normes
de l’anatomie ont été ici bousculées.
Il y a pourtant un je-ne-sais-quoi de
moins figé, de plus souple, dans ces scè-
nes, qui laisse penser que l’explosion
­orgiaque s’affranchit des règles en
­vigueur. Ce qui nous mène à nous
­demander si l’acrobatique et l’érotique
ne guident pas vers la réconciliation
même de la représentation et de la
construction, de l’aspective et de la pers-
pective. Le more cano et le more geome-
trico ne trouvent-ils pas ici un terrain
d’entente ? Cela laisse rêveur. D’un point
de vue iconographique, s’entend. p
Mara Goyet
Mara Goyet est écrivaine et professeure
de collège
Prochain article Torrides formulaires
tuation expérimentale. « Un souvenir
marquant, dit-elle à la collègue qui la
conduit à l’aéroport, mais pas trauma-
tisant au point d’être jugé contraire à
l’éthique. » « Comme s’être perdu dans
une foule quand on était enfant ? », sug-
gère l’amie. Alors qu’elles dépassent un
shopping mall sur la route, Elizabeth
Loftus pense à voix haute : « Perdu
dans un centre commercial. »
De retour à l’université de Washing-
ton, où elle enseigne alors la psycholo-
gie cognitive, la chercheuse suggère à
ses étudiants de profiter de la pause de
Thanksgiving pour essayer d’implan-
ter ce souvenir dans la mémoire d’un
proche. Deux semaines plus tard, elle
écoute, médusée, l’enregistrement
d’un entretien réalisé par l’un d’eux
avec son frère de 14 ans « magnifique-
ment tombé dans le panneau ». Après
lui avoir rappelé quatre événements
de sa petite enfance, dont le faux,
l’aîné l’a encouragé à écrire tout ce
qu’il pouvait se remémorer à leur su-
jet. Au fil des jours, le cobaye a produit
des détails visuels comme la calvitie,
les lunettes et la chemise en flanelle
du vieil homme qui l’avait trouvé, en
larmes, et raccompagné auprès de sa
famille. Quand la supercherie a été ré-
vélée, le souvenir était si bien enraciné
que l’adolescent n’est pas parvenu à
deviner quelle anecdote, sur les qua-
tre, était fabriquée.
« Guerres de la mémoire »
Elizabeth Loftus fait approuver une va-
riante de ce dispositif par le comité
d’éthique de son institution, puis re-
crute vingt-quatre volontaires adultes
pour une étude présentée comme por-
tant sur les souvenirs d’enfance. « La
procédure est fastidieuse, d’où la petite
taille de l’échantillon, commente la
psychologue, aujourd’hui professeure
à l’université de Californie, à Ir-
vine. Chaque sujet de recherche devait
choisir un parent plus âgé qui accepte-
rait de nous renseigner. Ensuite, il fallait
rencontrer cette personne pour qu’elle
nous raconte les trois histoires véridi-
ques et nous aide à développer une es-
quisse crédible du faux événement.
Tout cela prend du temps. » Mais les ef-
forts sont récompensés. A l’issue de
trois entretiens menés à deux semai-
nes d’intervalle, six participants for-
ment le souvenir de s’être égarés dans
un centre commercial à l’âge de 5 ans.
Dans son article publié en 1995, et cité
depuis près de 1 800 fois, la spécialiste
de la mémoire interprète ce résultat
comme une « preuve d’existence » du
phénomène des faux souvenirs.
L’étude émerge en pleine Satanic Pa-
nic, une psychose collective de type
complotiste qui voit des foules
d’Américains ordinaires poursuivis
pour d’horribles rites pédocriminels
sur la base de témoignages qui se ré-
véleront induits par les enquêteurs.
Dans les cabinets des psys, on extrait
de l’inconscient de si nombreux sévi-
ces supposément refoulés depuis
l’enfance que le législateur abolit la
prescription, suscitant une vague de
procès. Obnubilée par le phénomène
des erreurs judiciaires depuis son
jeune âge, Elizabeth Loftus ne perd
pas une minute pour introduire ses
Stéphane Oiry
travaux devant la justice. La confrérie
des psychologues universitaires se
fracture : d’un côté, les tenants des
souvenirs retrouvés, principalement
des cliniciens ; de l’autre, ceux des
faux souvenirs, en majorité des cher-
cheurs en sciences cognitives. Ces
« guerres de la mémoire », comme les
appelleront les médias, se soldent par
la disgrâce des thérapies de récupéra-
tion de souvenirs, dont certains prati-
ciens sont condamnés à verser des
millions de dollars de dommages à
leurs patients manipulés.
Depuis, Elizabeth Loftus n’a jamais
cessé d’être invitée à comparaître en
tant qu’experte. La psychologue, qui
aura 80 ans en 2024, estime avoir té-
moigné à plus de 300 procès ces der-
nières décennies, y compris ceux de
prédateurs sexuels comme Harvey
Weinstein ou Ghislaine Maxwell. Ces
dépositions, qui lui valent d’innom-
brables insultes écrites et orales de-
puis les années 1990 – un procureur
l’a même traitée de « pute » dans le
couloir d’un palais de justice –, conti-
nuent d’indigner certains spécialistes
du traumatisme. « J’ai peur de ne pas
trouver très éthique de suggérer à un
jury qu’il est facile d’induire de faux
souvenirs, et de s’en servir pour jeter le
doute sur le témoignage de personnes
parlant de choses souvent terribles
qu’elles disent leur être arrivées », lui re-
proche ainsi Chris Brewin, un profes-
seur de psychologie clinique d’Univer-
sity College, à Londres. Sans nier leur
existence, une revue critique de la lit-
térature scientifique sur les faux sou-
D’autres travaux ont montré
qu’un faux souvenir
d’intoxication alimentaire
peut vous dégoûter des fraises
venirs cosignée par lui en 2017 conclut
qu’ils ne sont pas si faciles à induire.
La technique « lost in the mall » a en-
gendré une controverse ainsi qu’un
champ de recherche. « Nos détracteurs
disaient, “Se perdre est si banal, mon-
trez-nous que vous pouvez le faire avec
quelque chose de plus dérangeant, de
plus bizarre”, raconte la psycholo-
gue. Alors des collègues ont relevé le défi
avec une attaque d’animal, un baptême
de l’air en montgolfière, une quasi-
noyade, ou le fait d’avoir desserré le frein
à main et embouti quelque chose après
avoir été laissé seul dans une voiture. »
« Souvenirs non crus »
D’autres travaux ont montré qu’un
faux souvenir de dispute parentale ac-
tive le système nerveux autant qu’un
vrai, et qu’un faux souvenir d’intoxica-
tion alimentaire peut vous dégoûter
des fraises. A l’université de Maastricht
(Pays-Bas), où le psychologue néerlan-
dais Henry Otgaar mène des recher-
ches prolifiques, la méthode d’implan-
tation a été mise à jour. « Il utilise dé-
sormais ce qu’on appelle un feedback
trompeur [false feedback], explique Eli-
zabeth Loftus. Vous interrogez les gens
sur leur enfance, et plus tard, quand
vous revenez vers eux, vous leur dites :
“Voici certaines histoires que vous nous
avez racontées.” Et le faux événement
est glissé dedans, comme s’il venait
d’eux. C’est tellement élégant. »
En 2022, la première reproduction
de son expérience a mis fin aux
vieilles attaques sur l’insuffisance de
son échantillon. Intitulée « Encore
perdu dans un centre commercial »
(Lost in the mall again), cette rigou-
reuse étude irlandaise multiplie par
cinq le nombre de participants, et son
protocole tient compte des critiques
méthodologiques adressées à l’origi-
nale. « Les recherches d’Elizabeth
­Loftus tendent à être jugées un peu
­injustement, alors nous avons voulu
protéger notre travail du mieux que
nous pouvions », dit Gillian Murphy,
la psychologue d’University College, à
Cork, qui l’a dirigé. A la fin de l’expé-
rience, les deux tiers des sujets de
­recherche ont déclaré se souvenir du
faux événement (14 %) ou croire qu’il
s’était produit (52 %). Gillian Murphy
en était émerveillée : « On a beau con-
naître la recherche et comprendre ce
qui se passe dans le cerveau des gens, il
y a toujours quelque chose d’incroya-
ble à voir les faux souvenirs se former
sous vos yeux. »
Attentive à leur devenir, la jeune
chercheuse a voulu savoir si les sou-
venirs induits disparaissent complè-
tement après le débriefing. « Peut-on
faire marche arrière ? C’est une ques-
tion essentielle, et la réponse est oui.
Certains peuvent encore imaginer la
scène dans leur esprit, mais ils savent
qu’elle ne s’est pas produite. » Plus les
faux souvenirs sont riches en impres-
sions sensorielles, plus ils sont « col-
lants », précise-t-elle. Les psycholo-
gues parlent alors de « souvenirs non
crus » (non-believed memories),
comme pour les images du Père Noël
descendant de la cheminée que cer-
tains adultes peuvent encore voir
dans leur tête. Le centre commercial
où Elizabeth Loftus voudrait nous
égarer n’existe pas davantage que le
Père Noël, mais ses néons brillent
­encore dans un petit nombre de
mondes intérieurs. p
Stéphanie Chayet
FIN
 0123
26 | Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023

Caroline Bachmann et sa « grotte »

Avant l’exposition — 6/6 — Le Crédac d’Ivry-sur-Seine présentera pour la première fois en France la peintre suisse

Cully (Suisse) - envoyée spéciale

« Le filtre du dessin

E
lle a grandi dans la maison d’à
côté, avec exactement cette
même vue plongeante sur le lac
Léman. L’eau au premier plan,
des contours escarpés au loin et
le ciel : le point de vue que l’on dé-
couvre depuis une fenêtre du salon de l’ar-
tiste Caroline Bachmann à Cully, un village
niché au bord du lac, à dix minutes de train
de Lausanne (Suisse), est immédiatement re-
connaissable quand on connaît sa peinture.
C’est le paysage qui apparaît sous une forme
stylisée sur la plupart de ses toiles, à l’inten-
sité atmosphérique presque magique.
Son atelier, qu’elle appelle sa « grotte », est
situé à quelques minutes à pied : c’est une an-
cienne forge où elle travaille en retrait de
toute relation visuelle avec la nature. Car l’es-
sentiel se joue en amont, devant sa fenêtre
orientée à l’est : « Je travaille à l’aube, entre 3 et
6 heures. Quand il se passe quelque chose d’in-
téressant, une soudaine tension entre les élé-
ments, qui me touche, je réalise un croquis très
rapide au crayon sur une feuille A4, avec des
annotations de couleur et de valeurs. » Des
feuilles qu’elle date et range dans un tiroir.
C’est dans cette réserve de captations qu’elle
vient puiser quand elle lance une nouvelle
série de peintures − toujours sept ou huit
­toiles à la fois, de divers formats, « pour varier
les plaisirs et les challenges ».
Pour elle, la nature offre un potentiel de re-
nouvellement inouï. « Le filtre du dessin est
hyperimportant pour moi, car je vais baser
toute la peinture dessus, loin de tout natura-
lisme », explique-t-elle. Ayant grandi là, les
sensations physiques liées aux couleurs ou
aux vents sont « sédimentées » dans son
­cerveau. « En interprétant intuitivement le
paysage, je me sens comme une espèce de mé-
dium qui serait en train de faire apparaître
quelque chose qui est lié à mon temps et à mes
expériences. Je n’ai pas grande influence sur
cette zone d’évocation poétique, mais pour la
convoquer, je dois laisser un espace de liberté
énorme », souligne la peintre. Entre mémoire
et retrouvailles, elle réactive patiemment ces
moments « quasiment existentiels » à la pein-
ture à l’huile diluée avec de l’eau.
Une carrière d’autodidacte
Ironie de la vie, ce cadre du lac qui irrigue son
travail aujourd’hui est celui qu’elle a toujours
cherché à fuir : « A partir de 12 ans, j’ai
­commencé à ne rêver que d’une chose : aller
derrière ces montagnes qui ferment son hori-
zon. En Suisse, on se sent dans un endroit clos
et je ressentais l’appel du large. » Après des
études de graphisme aux Arts décoratifs de
Genève, elle part ainsi travailler à Barcelone
en tant que graphiste puis, aspirant à davan-
tage de liberté d’expression, part à Rome, au
début des années 1990, pour entamer une
carrière d’artiste autodidacte.
Après dix années à Rome, elle a vécu à
­Berlin, où elle a rencontré son compagnon,
l’artiste et historien de l’art suisse allemand
Stefan Banz (1961-2021). C’est lui qui, il y a dix
ans, l’a ramenée vers la Suisse, et jusqu’au
bord du lac. Au moment de leur installation,
ils avaient un travail de peinture en
­commun, assez conceptuel, à partir de copies
Caroline Bachmann, dans son atelier, à Cully (Suisse). DOROTHÉE THÉBERT FILLIGER
d’œuvres, et ils se sont attaqués à une grande
reproduction, sur toile, de l’installation et ul-
time œuvre de Marcel Duchamp, Etant
­donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage.
Peinant à bien distinguer le paysage en ar-
rière-fond, et en recherchant plus d’informa-
tions, Stefan Banz tombe sur une note de bas
de page précisant que cette chute d’eau, qui
apparaît sous la forme d’un photomontage,
se trouvait dans cette région, en bordure du
lac. Ils mènent l’enquête et tombent sur le
lieu, situé… à seulement 4 km de là. « La
­coïncidence était incroyable. Moi qui avais
l’impression d’être revenue vivre dans un trou
perdu que je connaissais par cœur, dès notre
premier travail, on est entré en connexion
avec une des œuvres d’art les plus importantes
du XXe siècle ! »
est hyperimportant
pour moi, car je vais
baser toute
la peinture dessus,
loin de tout
naturalisme »
Caroline Bachmann
C’est lors d’une semaine de vacances dans
l’hôtel à côté de la chute, que Duchamp a com-
mencé à travailler sur Etant donnés, œuvre au
long cours datée 1946-1966. De fil en aiguille,
le couple se retrouvera à organiser sur place
un symposium international sur Duchamp
sous l’égide du Philadelphia Museum of Art,
propriétaire de l’œuvre. Puis à ouvrir, en 2010,
le plus petit centre d’art contemporain du
monde, de la taille d’une boîte aux lettres, la
Kunsthalle Marcel Duchamp, sur le quai en
bas de chez eux, et toujours en activité.
Après ces aventures, l’artiste ressent l’envie
de ralentir le rythme et de commencer un tra-
vail de peinture personnel, en explorant les
grands genres de l’histoire de l’art : le ­portrait,
la nature morte, le paysage et la peinture his-
torique. Elle a alors l’idée de continuer à
­suivre le regard de Duchamp, en allant voir ce
qu’il avait aimé lorsqu’il est chargé d’une
­exposition de groupe à New York en 1917.
Ses ­recherches la mènent à un prolifique
peintre américain aujourd’hui oublié : Louis
­Eilshemius (1864-1941). Elle va « tomber
amoureuse » de ses toiles à la sensuelle étran-
geté, s’emparant au passage d’une spécificité
de ses tableaux : peindre des cadres en
­trompe-l’œil, à même les toiles, créant
­d’emblée une image dans l’image. Elle achète
un des tableaux de l’Américain qui ressemble
furieusement au futur Etant donnés, avec un
corps dans une position invraisemblable, et
une chute d’eau. Et ne s’est jamais arrêtée :
elle en possède aujourd’hui une trentaine.
En 2022, l’artiste a démissionné des Beaux-
Arts de Genève, où elle enseignait depuis
quinze ans, pour se consacrer à sa peinture.
Mi-septembre, elle ouvrira sa première
grande exposition à l’étranger : en France, au
Crédac, centre d’art contemporain d’Ivry-sur-
Seine (Val-de-Marne). Intitulée « Le Matin »,
celle-ci rassemblera une de ses grandes pein-
tures historiques − un panorama helvète en
feu, d’après le premier récit de La Guerre des
Gaules ; sa galerie de portraits de femmes ar-
tistes ; sa collection d’Eilshemius, montrée
pour la première fois, et bien sûr, un grand
nombre de ses vues du lac, accompagnées
des croquis sur papier. « A chaque heure, le lac
change de robe », avait écrit Duchamp lors de
son séjour en Suisse. Près de quatre-vingts
ans plus tard, elle lui répond en peinture. p
Emmanuelle Jardonnet
Le Matin, Crédac, centre d’art contemporain
d’Ivry-sur-Seine, La Manufacture des Œillets,
1, place Pierre-Gosnat, Ivry-sur-Seine (Val-de-
Marne). Du 17 septembre au 17 décembre.
FIN

Un flot diluvien qui envahit sans cesse une cabane

L’art de la pluie
U
n déluge intérieur… Dans la cabane
de Stéphane Thidet, jamais la pluie
— 6/12 — ne cesse. Que le temps, au-dehors,
soit au beau fixe ou à l’orage, peu importe.
Il pleut sur la table, il pleut dans la cruche,
« Sans titre il pleut sur les livres. La lampe dégouline,
le plafond pleure à grands sanglots. Sous
(Le Refuge) » (2007) ­l’assaut des gouttes, tout est trempé, dé-
trempé, imbibé : la construction est de ces
Stéphane Thidet cabanes où l’on ne rentre pas. A travers les
ajours des planches, l’eau se devine. Par la
fenêtre, on envisage vraiment l’étendue du
désastre. Produite par un mécanisme caché
assez stupéfiant, l’averse martèle, tambou-
rine, et jamais ne faiblit : ce que les gens du
Nord appellent « une bonne drache ».
Magicien expert ès paradoxes, le plasti-
cien a produit cette installation grandeur
nature pour le Printemps de septembre, à
Toulouse, en 2007. Depuis, cette arche de
Noé inversée n’a cessé de tourner, du Palais
de Tokyo au tribunal de Nantes, dans le
programme « Estuaire ». L’artiste l’a intitu-
lée Sans titre (Le Refuge). Un double nom
qui dit bien le trouble de son statut. Entre
la maison de bûcheron et la cabine du
­Walden ou la Vie dans les bois (1854) écrit
par Henry David Thoreau (1817-1862), réfé-
rence majeure pour Thidet, ce « refuge » se
refuse : il ne saurait nous protéger de rien.
Il accable sous son flot diluvien, relevant
du dessin d’enfant qui tournerait au cau-
chemar, à l’impossible apparition. « A
­travers la référence très claire à la mytholo-
gie enfantine de la cabane au fond des bois,
il s’agissait pour moi de jouer avec des élé-
ments qui nous appartiennent de manière
lointaine et de les confronter à une nouvelle
situation, décrypte l’artiste. Que se passe-t-il
lorsque nous ne pouvons plus avoir
­confiance en ce qui nous réconforte ? L’état
d’harmonie est remis en question dans mon
travail. La familiarité confortable se re-
trouve mêlée à une certaine angoisse, une
fragilisation. Finalement, je crée des situa-
tions qui ne tiennent pas leur promesse. »
Dans son « refuge », la réalité est retour-
née comme une peau, à la Lewis Carroll
(1832-1898). Dans l’habitacle censé protéger,
tout peu à peu se délite : la pluie sculpte les
objets de son érosion, elle transforme
­chacun en un micropaysage toujours
­changeant. Un phénomène d’entropie qui
fascine particulièrement l’artiste : « Ce n’est
pas l’envie de travailler sur une maison qui
m’a conduit, mais le désir de créer un objet
qui lutte contre sa propre destruction, ana-
lyse-t-il. Un paysage intérieur qui est le
mien, le nôtre, évoquant cette lente destruc-
tion, assez belle dans son combat, qui nous
est commune à tous. » Pas étonnant qu’il
ait si souvent convoqué l’eau dans son
­travail. Il a détourné une fontaine du
­Havre, convoqué le souvenir de la Bièvre
qui coulait à deux pas de la Seine dans son
exposition à la Conciergerie, composé des
nuits d’encre sur de fantomatiques étangs.
Des scènes d’une inquiétante étrangeté,
traversées par la vision du philosophe
­Gaston ­Bachelard (1884-1962) dans L’Eau
et les ­Rêves (1942), quand il nous prévient :
« L’eau garde en son sein de la nuit et de la
mort. » La pluie aussi, ici. p
Emmanuelle Lequeux
Prochain article Singin’ in the Rain
0123
Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023
Créer
entre amis
Les métamorphoses de l’amitié — 6/6 —
Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que des artistes
commencent à louer les vertus de l’œuvre collective
pour expérimenter de nouvelles façons de travailler
S
ur une vieille photographie, dé-
nichée dans un carton poussié-
reux ou sur un étal de vide-gre-
nier, deux personnes se tien-
nent côte à côte. Des connais-
sances, des parents, des amis ?
Sans noms griffonnés au dos du cliché, sans
élément à l’arrière-plan pour contextualiser,
il est difficile de deviner la relation qui les
unit. Une accolade, un regard complice, un
sourire esquissé à l’intention de l’acolyte
peuvent être lus de nombreuses manières, et
laissent souvent le spectateur indécis.
Car si certains signes et codes permettent
de reconnaître facilement des amants,
qu’est-ce qui, dans l’image que deux person-
nes renvoient, définit des amis ? De quelle
­façon, par exemple, les arts visuels se sont-
ils saisis de cette question et ont-ils dessiné,
peint, sculpté ou filmé les amitiés d’hier à
aujourd’hui ?
« Jusqu’au XVIIIe siècle, dans la peinture, il n’y
a pas de tradition iconographique liée à l’ami-
tié, contrairement à l’amour ou à la galante-
rie », relève Dorothée Lanno, docteure en
­histoire de l’art moderne. Si l’amitié mascu-
line est valorisée sur le plan des idées, elle
n’est ainsi que peu représentée ; et quand elle
l’est, c’est souvent par le biais d’amitiés
exemplaires ou légendaires, à l’instar de cel-
les de Montaigne et La Boétie, peintes dans le
but d’édifier le spectateur.
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle,
pourtant, les peintres de genre − ces artistes
qui s’attachent à représenter des scènes de la
vie quotidienne de leurs contemporains − se
penchent peu à peu sur le sujet de l’amitié, et
en particulier de l’amitié féminine. Leurs
­tableaux, reflets d’une nouvelle conception
des relations et de l’intimité, représentent le
plus souvent des scènes domestiques où
deux femmes semblent se confier l’une à
l’autre. « C’est la naissance d’une iconogra-
phie propre à l’amitié, mais qui emprunte aux
­codes de l’amour », souligne Dorothée
Lanno, puisque cette imagerie passe par une
très grande proximité physique entre les
deux protagonistes, par une gestuelle de la
tendresse, de l’expression de l’émotion, par
des jeux de regards. « Certains objets s’impo-
sent aussi, comme la lettre qu’on lit à deux :
elle ­permet de signifier le partage d’intimité,
ainsi que le réconfort apporté par l’amie »,
poursuit la chercheuse.
Nouvelles pratiques
De nos jours, les métamorphoses de l’amitié
sont lisibles, par exemple, dans la place et le
rôle qui lui sont dévolus au cinéma ou à la télé-
vision. Si les amitiés féminines ont par exem-
ple longtemps joué le rôle de faire-valoir de la
relation amoureuse, elles ont aussi été instru-
mentalisées pour afficher une ouverture de
façade : « Les amitiés ont trop souvent servi à ne
pas raconter en profondeur les expériences des
autres, note ainsi la journaliste Pauline Le Gall
dans Utopies féministes sur nos écrans. Les
amitiés féminines en action (Editions Daron-
nes, 2022). Une meilleure amie grosse, racisée,
en situation de handicap, lesbienne, transgenre
a trop longtemps servi à prôner l’inclusivité
sans explorer véritablement son histoire, sans
lui offrir un véritable arc narratif. »
Devenue un sujet en soi et en vogue, en par-
ticulier dans les séries − de Broad City (2014) à
Insecure (2016), en passant par Grace and
Frankie (2015) −, la relation amicale entre
­femmes permet alors aux personnages fémi-
nins de gagner en complexité et en diversité.
La réécriture en cours ne concerne d’ailleurs
pas que la fiction : le rôle des amitiés créatri-
ces dans l’histoire des arts visuels, trop sou-
vent éludées par une historiographie centrée
sur le mythe du génie solitaire, est
aujourd’hui souligné par de nombreux spé-
cialistes. Dès la fin du Moyen Age, maîtres,
collaborateurs, ouvriers et apprentis se cô-
toient souvent au sein des ateliers et tra-
vaillent à plusieurs. Ces relations de travail
restent cependant strictement organisées et
hiérarchisées selon une division des tâches
qui varie avec l’époque, et les collaborations
amicales comme celles de Pierre-Paul Rubens
et de Jan Brueghel restent rares.
Un changement s’amorce au XIXe siècle,
qui voit naître des regroupements d’artistes
(parfois appelés « confréries », comme la
Confrérie de Saint-Luc à Vienne ou la Confré-
rie des préraphaélites à Londres) et ceux-ci se
multiplier. Ces artistes peignent côte à côte,
rédigent des manifestes, organisent des ex-
positions communes − et se considèrent
comme des égaux. L’amitié n’est pas la seule
raison pour ces artistes de se regrouper : « De
tels collectifs inventent de nouvelles formes,
pratiques et sociabilités dans lesquelles
­s’entremêlent relations affectives et objectifs
professionnels, économiques et sociaux »,
avise Véronique Goudinoux, historienne de
l’art contemporain et professeure à l’univer-
sité de Lille. Par ailleurs, ces groupes don-
nent rarement lieu à la production d’œuvres
à quatre mains ou plus.
C’est avec les avant-gardes de la fin du
XIXe siècle et du début du XXe siècle que des
artistes commencent à louer les vertus de la
création collective. Qu’il s’agisse de duos, tel
celui formé par Matisse et Derain, ou de grou-
pes comme ceux que formèrent les dadaïstes
ou les surréalistes, ces artistes vivent, tra-
vaillent et expérimentent de nouvelles façons
de voir et de créer entre amis. En témoignent
des œuvres comme l’Album zutique (1871) grif-
fonné entre autres par Paul Verlaine, Arthur
Rimbaud, Charles Cros et Germain Nouveau ;
ou les célèbres cadavres exquis auxquels se li-
vraient les peintres et poètes surréalistes
comme André Breton, Yves Tanguy, Jacques
Prévert ou Max Ernst dans les années 1920.
Jean-Jacques Lebel, artiste anticolonialiste
à l’initiative du Grand tableau antifasciste
Elsa & Johanna « Travailler à deux nous offre
une réflexivité décuplée »
E
lsa & Johanna sont deux
amies plasticiennes et pho-
tographes françaises. De-
puis 2014, ce duo s’installe dans
des territoires variés et observe,
des semaines durant, les gestes,
les attitudes et les relations que
tissent leurs habitants. Ce travail
d’immersion leur permet ensuite
de forger des personnages qu’el-
les interprètent elles-mêmes
devant l’objectif. En résultent des
autoportraits fictifs à la fois sin-
guliers et étrangement familiers.
Votre collaboration est-elle
née d’une amitié, ou est-ce
l’inverse qui s’est produit ?
Elsa Parra : Nous nous sommes
rencontrées par hasard − nous fai-
sions toutes les deux une année
d’échange universitaire à la
¶ School of Visual Arts, une école de
Site Internet : photographie à New York. C’était
https://elsa-and- le jour de la rentrée, et ça a été un
johanna.com/ coup de foudre amical. Très vite,
Instagram : nous avons tout fait ensemble,
@elsa.et. dans et surtout hors de l’école.
johanna Nous sentions déjà que nous avi-
| 27
Chiara Dattola
collectif, peint à l’automne 1960 avec Enrico art ! », explique le co-commissaire de l’expo-
Baj, Roberto Crippa, Gianni Dova, Erro et sition Amitiés, créativité collective, qui a été
­Antonio Recalcati, est depuis longtemps per- accueillie au MuCEM à Marseille, en 2022, et
suadé que ce sentiment est un matériau qui se tient au Kunstmuseum de Wolfsburg
­fécond pour la création. Celui qui n’a cessé (Basse-Saxe) jusqu’en septembre 2023.
tout au long de sa carrière de créer avec ses Véronique Goudinoux, quant à elle, inter-
« amis » y a beaucoup réfléchi. « Paradoxale- prète moins la multiplication actuelle des
ment, on est beaucoup plus libre quand on fait collectifs d’artistes ou des espaces autogérés
partie d’un collectif que quand on est seul », comme une volonté de travailler entre amis
explique-t-il. Portés par l’émulation et le jeu que comme le résultat d’une situation éco-
entre le « je » et le « nous », les artistes met- nomique dégradée pour ces professionnels.
tent à profit le regard de l’autre pour sortir de « La grande fragilité de leur statut, celui d’“ar-
leur routine et explorer d’autres facettes de tiste-auteur” − économiquement et sociale-
la subjectivité. Mais travailler entre amis est ment peu protecteur −, pousse les artistes à se
aussi, à ses yeux, un acte politique : « Tra- regrouper pour tenter de faire évoluer ce sta-
vailler à plusieurs, c’est aller contre des défini- tut. » En ce sens, créer ensemble ne procède
tions ­contraintes de l’art, contre les lois du pas toujours de l’affect ou du désir de mêler
marché qui préfèrent des auteurs et des styles les subjectivités, mais aussi de la nécessité. p
bien identifiés, faciles à vendre. C’est Marion Dupont
­construire une barricade pour défendre un es-
pace de liberté − la barricade est d’ailleurs un FIN
ons un terrain commun fertile maquiller, de se coiffer, de mani- tié était donc au cœur de nos
du côté de l’autoportrait, mais puler la lumière, de prendre la narrations. Elle peut être signi-
sans savoir encore quoi en faire. photo) pour pouvoir alternative- fiée par la gestuelle, ainsi que
Johanna Benaïnous : Ce qui ment remplir chacun de ces rôles. dans la manière d’être pris en
était une forme d’entente, d’en- C’était important, d’abord parce photo : le photographe devient
traide, est devenu une véritable que nous avions peu de moyens, alors lui aussi un personnage,
collaboration quand, une fois et ensuite parce que c’était indis- et l’amitié se lit dans la manière
rentrées en France, nous avons pensable à la construction de qu’a le modèle de poser.
décidé de repartir tout de suite notre univers commun, ce
ensemble aux Etats-Unis pour « troisième œil » qui n’est ni celui Créer à deux a-t-il été
un projet. Cette fois, c’était très d’Elsa ni le mien, mais le nôtre. un atout à vos yeux ?
sérieux, il s’agissait de travailler, Dix ans plus tard, cette identité E. P. : La solitude dans laquelle
de produire des images. Cela s’est commune existe bel et bien, et se retrouvent beaucoup d’artis-
très bien passé : voyager et vivre nous n’avons plus besoin d’y ré- tes peut être difficile à vivre.
ensemble, dans une forme de fléchir : nous pouvons plus facile- Travailler à deux nous a permis
mouvement ­commun, a facilité ment séparer les tâches, et tirer d’avoir très vite un cadre de
les moments de création à deux. profit de nos différences. travail, de disposer de deux fois
plus d’énergie, de nous reposer
Justement, comment L’amitié est-elle un sujet l’une sur l’autre dans les coups
travaillez-vous à deux ? important dans votre travail durs, d’encaisser les critiques et
J. B. : Nous avons dû inventer photographique ? de partager les bonnes nouvelles.
notre propre processus créatif, E. P. : Pour notre premier projet, J. B. : Et ça nous offre également
car quand nous avons commencé les personnages que nous avons une réflexivité décuplée : avoir un
à travailler ensemble, nous n’avi- créés allaient toujours par paires, interlocuteur, un miroir tendu,
ons pas beaucoup d’exemples de et ils étaient liés par une relation cela permet de respirer, d’avan-
duos amicaux autour de nous. fictive. Nous avons notamment cer, de se remettre en question,
Nous avons d’abord dû dévelop- beaucoup travaillé sur la théma- de trouver des solutions. p
per des compétences similaires tique du temps qui passe et de la Propos recueillis par
(être capables de s’habiller, de se jeunesse − inévitablement, l’ami- Ma. Du.
 0123
28 | 0123 Dimanche 6­­- Lundi 7­ août 2023

Antoine Levesque L’efficacité

des sanctions
Décarboner l’énergie
le régime de Vladimir Poutine, les alliés de pétrole russe, et que met en évidence notre
en question Kiev ont espéré frapper Moscou plus effica- enquête, représente entre 10 % et 20 % de la
cement qu’en sanctionnant un nombre capacité totale de transport mondiale. Elle

précède la réduction
toujours plus élevé de personnalités et
d’entités économiques ou politiques.
Cette stratégie, qui n’épargne plus guère
aujourd’hui que le gaz naturel liquéfié
permet donc de passer outre à ces sanc-
tions, y compris par le truchement de pays-
clés particulièrement courtisés par les
­Occidentaux, à commencer par l’Inde.

de la demande
Les politiques d’efficacité doivent servir
à minimiser les obstacles empêchant l’usage
d’une énergie propre, et non être le principal
levier pour réduire les émissions de CO2,
affirme le chercheur spécialiste de la question
L’ Inde, nouvelle puissance pétro-
lière ? Le doublement en un an de
ses exportations de produits pétro-
liers vers l’Union européenne peut en don-
ner l’illusion. Comme le raconte l’enquête
minutieuse publiée par Le Monde à propos
du pétrole russe, il ne s’agit en fait que de la
russe, a incontestablement produit des ef-
fets sur les finances russes. Si elle a résolu
pour ses architectes une impossible contra-
diction, le financement de fait d’une guerre
qu’ils dénoncent, elle n’a cependant pas
mis à genoux la Russie, faute d’un contexte
géopolitique adapté.
Le dernier succès diplomatique obtenu
par le biais de sanctions, la reprise des né-
gociations sur le nucléaire iranien, qui
avaient débouché en 2015 sur un accord hé-
las déchiré par Donald Trump après son ar-
rivée à la Maison Blanche, rappelle que
cette arme diplomatique ne peut être effi-
cace que si elle bénéficie d’un solide con-
L’étanchéité du dispositif est même com-
promise dans les deux sens, puisque la Rus-
sie parvient toujours à se procurer par
ailleurs des composants électroniques in-
dispensables pour une industrie d’arme-
ment particulièrement sollicitée par une
guerre de haute intensité. Les sanctions se
heurtent là à la politique : l’endiguement
impliquerait de durcir le ton vis-à-vis de
pays tiers, comme le Kazakhstan, au mo-
ment où les Occidentaux espèrent les
­détacher de l’orbite russe.
Longtemps, la politique de sanctions a été
critiquée pour des raisons morales, parce
qu’elle frappait directement les popula-

L
es politiques de décarbona-
tion des bâtiments mettent
un fort accent sur la réduc-
tion de la consommation
énergétique. Elles subvention-
nent, par exemple, l’isolation
des bâtiments ou l’installation
de chaudières efficaces. L’objectif
fixé est ambitieux puisqu’il vise à
atteindre un parc immobilier de
basse consommation d’ici à
2050. Cette focalisation sur l’effi-
cacité énergétique et le niveau
élevé de l’ambition portée peu-
vent s’expliquer par ses multiples
conséquence de l’affaiblissement d’une
arme diplomatique : celle des sanctions.
L’Inde achète en effet ce pétrole proscrit
dans de nombreux pays à bas prix pour le
raffiner et le réexporter.
Les sanctions ont constitué initialement
Dans des le cœur de la riposte occidentale à l’inva-
scénarios visant sion de l’Ukraine par la Russie, prélude à
une guerre conventionnelle dont on ne
la neutralité voit pas la fin. En s’attaquant aux exporta-
tions d’hydrocarbures sur lesquelles repose
carbone
d’ici à 2050,
seulement un
cinquième de la
sensus international. Faute de pouvoir ras-
sembler ensuite la vaste coalition mise
alors sur pied par son prédécesseur, Barack
Obama, les « pressions maximales » unilaté-
ralement imposées par Washington ont été
incapables de faire fléchir Téhéran.
Il en va de même aujourd’hui avec l’endi-
guement économique et industriel de la
Russie, compromis par un trop grand nom-
bre de contournements. La « flotte fan-
tôme » qui transporte clandestinement le
tions civiles alors que les régimes qu’elle
­visait parvenaient à s’en accommoder,
voire à la retourner à leur profit, comme ce
fut le cas en Irak avec le programme onu-
sien « Pétrole contre nourriture », de 1996 à
2003. Devenues une réponse automatique
aux crises, pénalisées au sein des Etats de
l’Union européenne par l’absence d’une vé-
rification dissuasive de leur respect, les
sanctions voient aujourd’hui leur efficacité
plus que jamais remise en question. p

Alain Genestar Les journalistes du « JDD »

bénéfices. Elle réduit les émis-
sions de gaz à effet de serre,
­contribue à la sécurité énergéti- décarbonation
que, améliore le confort des occu- des bâtiments

n’ont pas gagné contre le capital

pants. Toutefois, l’expérience
­récente interroge quant au rôle
qu’elle devrait jouer dans la
­décarbonation des bâtiments.
D’une part, depuis le milieu des
années 2010, les améliorations
en la matière dans le secteur rési-
dentiel européen n’ont fait que
compenser l’effet de la croissance
démographique et de l’évolution
des modes de vie. Les nombreux
est expliqué
par l’efficacité
d’un bâtiment permet d’abaisser L’ancien directeur de la rédaction du « Journal du dimanche » exhorte les responsables
les températures nécessaires
pour assurer le ­confort thermi- politiques à changer la loi, après l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête de l’hebdomadaire
que, et donc de faciliter la diffu-
sion des énergies propres. Cepen-

programmes d’efficacité exis-
tants n’auront donc pas amené
la baisse escomptée. D’autre part,
contrairement à une idée bien
ancrée, un parc immobilier de
basse consommation n’est pas
nécessaire pour atteindre les
­objectifs climatiques.
L’efficacité n’est en effet pas le
principal levier pour réduire les
émissions. Dans des scénarios
­visant la neutralité carbone d’ici à
2050, seulement un cinquième
de la décarbonation des bâti-
ments est expliqué par l’efficacité.
La majorité de la décarbonation
provient du recours à de l’éner-
gie décarbonée, comme l’électri-
cité ou les réseaux de chaleur uti-
lisant de l’énergie renouvelable.
Systèmes de chauffage
Les politiques actuelles prennent
donc le problème à l’envers. Dé-
carboner l’énergie consommée
devrait prendre le pas sur la ré-
duction de la demande. Cela im-
plique, d’une part, que l’électri-
cité et les réseaux de chaleur uti-
lisent des sources renouvelables
et, d’autre part, que soient instal-
lées des chaudières employant
ces énergies. Pour autant, il ne
s’agit pas d’abandonner les poli-
tiques ­d’efficacité, mais plutôt de
les ­repenser pour qu’elles ser-
vent au mieux la décarbonation.
Le ­déploiement des énergies pro-
pres se heurte en effet à d’impor-
tants obstacles que l’efficacité
énergétique peut minimiser.
Un premier obstacle réside
dans les températures des systè-
mes de chauffage qui, lorsqu’ils
sont ­fossiles, sont caractérisés
par des températures de chauf-
fage ­élevées que les alternati-
ves renouvelables atteignent dif-
ficilement. Améliorer l’isolation
Antoine Levesque est un
­ancien chercheur à l’Institut
de Potsdam pour la recherche
sur l’impact climatique (Alle-
magne), spécialisé dans la
décarbonation de la demande
énergétique des bâtiments
dant, des études récentes mon-
trent qu’il n’est pas nécessaire
qu’un bâtiment soit très bien
isolé pour pouvoir y installer
une pompe à chaleur. En outre,
il existe d’autres solutions, aux
coûts d’investissement plus fai-
bles, pour réduire la ­température,
telles que le remplacement de
certains radiateurs ou l’optimisa-
tion du système de chauffage.
Atténuer la pression
Un deuxième obstacle réside
dans les difficultés que le sys-
tème électrique pourrait avoir
afin de satisfaire la demande de
chauffage. Le déploiement mas-
sif de pompes à chaleur va gran-
dement augmenter la consom-
mation d’électricité. Or, la de-
mande de chaleur est très
concentrée sur quelques mois
de l’année. Ce regroupement sur
une courte période est coûteux
puisqu’il nécessite des investisse-
ments pour des centrales qui pro-
duiront peu de temps.
Ce qui importe alors n’est pas
tant de réduire la consommation
annuelle d’un bâtiment que de
réduire la demande quand elle
est critique pour le système.
­L’efficacité énergétique offre une
solution directe pour limiter
cette demande. Mais des solu-
tions complémentaires peuvent
aussi atténuer cette pression,
comme le préchauffage d’un bâti-
ment pour baisser la consomma-
tion de pointe ou le stockage de
chaleur dans les réseaux urbains.
Il convient donc de recentrer
les efforts d’amélioration de
­l’efficacité là où celle-ci permet-
tra au mieux de lever les obsta-
cles à l’utilisation d’énergie
­décarbonée. De cette manière,
il serait possible de réduire le
montant des investissements
­nécessaires que devront porter
des millions de particuliers pour
atteindre la neutralité carbone.
En effet, l’ambition et donc les
coûts des mesures d’efficacité
pourraient être revus à la baisse.
De plus, les améliorations
­seraient complétées par des me-
sures aux coûts d’investissement
plus faibles permettant égale-
ment de lever les obstacles. p
P
endant douze ans, j’ai eu l’hon-
neur de diriger Le Journal du di-
manche [JDD]. J’y ai appris, très
jeune, ce métier de directeur de
rédaction que j’ai continué d’exercer à
Paris Match durant sept ans puis, en-
core aujourd’hui, à Polka Magazine.
C’est un métier très particulier, fait
d’exigences, d’obligations et de rigueur :
avoir à la fois, et en même temps, la con-
fiance des actionnaires et de l’équipe ré-
dactionnelle, puis l’entretenir ; veiller,
dans les nombreuses décisions à pren-
dre, au strict respect de la ligne édito-
riale fondée sur des valeurs claires et
partagées par tous ; tenir un budget. Un
métier proche de celui du chef d’orches-
tre, qui conduit ses musiciens en sui-
vant, librement, une partition. Les fi-
nances en plus.
Aux premiers jours de la grève des
journalistes du JDD, j’ai tenu à leur expri-
mer mon soutien en leur adressant ce
message un peu grandiloquent mais qui
venait du cœur : « Un journal c’est
comme un pays, il a une histoire ; cette
histoire l’engage, tout comme elle engage
son propriétaire, son directeur et son
équipe rédactionnelle. » Ces lignes ont
été complétées et signées par d’autres
anciens directeurs du JDD ; et nous
avons rappelé ensemble que les valeurs
humaines et républicaines de notre an-
cien journal, largement ouvert à la plu-
ralité des opinions, sont en opposition
totale avec l’idéologie d’extrême droite.
Le propos était sincère, le ton solennel,
et le résultat… sans effet : Geoffroy Le-
jeune a été nommé directeur de la rédac-
tion du Journal du dimanche le 1er août.
Le propriétaire
d’un journal
est en droit
de nommer
le directeur de
son choix. C’est
le fait du prince.
Mais reconnu et
garanti par la loi
Le combat, il est vrai, semblait perdu
d’avance, car par trop inégal. La seule
victoire possible eut été qu’Arnaud La-
gardère, face à l’opposition quasi una-
nime de la rédaction, renonçât à cette
nomination ou que Geoffroy Lejeune,
par élégance, refusât de l’accepter.
Aucun des deux n’eut cette attitude.
Tout ce qui a été dit pendant ces
­longues semaines de mobilisation, les
grands discours, les incantations des
uns et des autres, les rencontres avec
une ministre de la culture compréhen-
sive et compatissante, n’aurait donc
servi à rien. Sinon à confirmer une
­règle, qui en soit n’est pas scandaleuse :
le droit, dans un pays dit justement
« de droit », a toujours le dernier mot.
Le droit mais aussi l’argent !
Il faudra contraindre
Sans cesse, tout au long de ce conflit, et
notamment le soir de ce grand meeting
en solidarité avec les journalistes en
grève, le 27 juin, au Théâtre libre de Pa-
ris, organisé par Reporters sans frontiè-
res, j’avais en tête cette phrase que
m’avait confiée, il y a quelques années,
un ami banquier, à propos d’un tout
autre conflit qui m’opposait, alors que
j’en étais le directeur, au propriétaire de
Paris Match, déjà Arnaud Lagardère,
dont je perdis la confiance, et lui la
mienne, car cela marche dans les deux
sens. « On ne gagne jamais, me dit mon
ami, contre le capital. » Il avait raison.
Les journalistes du Journal du diman-
che n’ont pas gagné contre le capital.
Et ajoutons : d’autant plus qu’ils com-
battaient une décision protégée par le
droit français. C’est l’enseignement
­majeur de ce conflit. Si le combat
des journalistes du JDD est juste, la déci-
sion du ­propriétaire du JDD est légale.
On peut le regretter, aucune loi ne s’op-
pose aujourd’hui à la volonté du pro-
priétaire d’un journal, qui est en droit
de nommer le directeur de son choix.
C’est le fait du prince. Mais reconnu et
garanti par la loi.
Dès lors, pour donner une suite à ce
long mouvement de grève, que les
journalistes du JDD paient au prix le
plus cher, et si on est convaincu que
ne rien faire serait mettre en danger
notre démocratie, la cohérence et la
simple logique sont de se mobiliser
pour changer la loi. Et la changer pour
toute la presse. Ce qui impliquera une
très forte volonté politique.
Car, pour y parvenir, il faudra convain-
cre tous les propriétaires de journaux
indépendants ou à la tête de groupes de
presse d’adopter un système de nomi-
nation des directeurs de rédaction qui
associerait à leur choix (comme au
Monde ou à Libération) les équipes ré-
dactionnelles. Or, il n’y a pas,
aujourd’hui, à ma connaissance, un
nombre important de propriétaires
prêts à renoncer à leur prérogative de
propriétaire. Plus que convaincre, il fau-
dra donc contraindre. D’où la question
essentielle qui se pose puisqu’il s’agit du
bon fonctionnement de notre démocra-
tie : y a-t-il réellement, au-delà des belles
intentions, cette volonté politique suffi-
samment forte, et largement soutenue
par une majorité, pour imposer ce genre
de nouvelle loi à des patrons de presse
réticents, puissants et influents ?
Le mérite des journalistes du Journal
du dimanche est d’avoir posé cette
­question et d’exiger une réponse qui,
de toute évidence, sera compliquée
puisque touchant au droit de propriété
et qui, en conséquence, nécessitera
plus encore qu’une volonté, du courage
politique. Du courage… C’est justement
ce dont ces journalistes, engagés par
amour envers leur journal et pour le
meilleur de notre profession, ont fait
preuve. Qu’ils en soient ici salués.
Ils ont tenté l’impossible et ouvert
un débat qui n’a rien de corporatiste,
car concernant tous les lecteurs et ci-
toyens. Les soutenir, donner du sens
à leur combat, c’est continuer à poser
la question à nos élus chargés de l’im-
pulsion, de la préparation, de la rédac-
tion, du vote de la loi, jusqu’à obtenir
des réponses : Monsieur le président de
la République, Mesdames et Messieurs
les ministres, Mesdames et Messieurs
les députés et sénateurs, franchement
qu’en pensez-vous ? Concrètement, que
proposez-vous ? Surtout, ne vous déro-
bez pas. Il s’est dit ces jours-ci que l’ave-
nir de notre démocratie dépendait de
vos réponses. p
Alain Genestar est cofondateur
et directeur de « Polka Magazine »,
et ancien directeur de la rédaction du
« Journal du dimanche » (1987-1999)
et de « Paris Match » (1999-2006)