­­Mardi 16­ mai 2023

79e année – No 24373

3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio

Turquie : Erdogan en tête, un second tour se profile

▶ Le président sortant est
arrivé en première posi-
▶ Il s’agit d’une victoire
pour le chef de l’Etat,
▶ Si les résultats se confir-
ment, il sera favori, dans
▶ La confusion régnait en-
core lundi sur les chiffres 1 éditorial
tion de l’élection présiden- donné perdant par un second tour inédit définitifs. Seule certitude :
tielle, réunissant selon un les sondages, qui a bien pour lui, face à l’opposant l’AKP d’Erdogan remporte La démocratie
décompte encore tempo- résisté dans les zones Kemal Kiliçdaroglu, la majorité aux législatives en jeu
raire 49,4 % des suffrages ravagées par le séisme qui a réuni 45 % des voix Pag es 2- 3 Pag e 26

Zelensky s’assure du soutien européen avant la contre-offensive Economie Défaut de paiement :

les Etats-Unis sur la ligne de crête
L’Amérique se rapproche dange- l’instant de s’entendre sur le relè-
reusement du plafond d’endette- vement de ce seuil, au risque
ment fixé par le Congrès, à d’une crise aiguë, avec une portée
31 381 milliards de dollars. Au-delà mondiale : Joe Biden communi-
de ce montant, l’Etat fédéral ne que à tout-va sur les dégâts qu’en-
pourrait plus régler ses factures, gendrerait ­pareil scénario, quand
ce qui entraînerait des consé- ses adversaires veulent condi-
quences en cascade pour toute la tionner tout accord à des coupes
chaîne économique. Démocrates claires dans le budget fédéral.
▶ Le président
et républicains refusent pour Pag e 13
ukrainien s’est rendu
ce week-end à Rome,
Berlin et Paris, avant
Londres lundi
▶ La France a acté
Politique Investissements
l’envoi de nouvelles Le groupe LIOT Moisson de
armes, mais a refusé
de livrer des avions veut faire voter projets étrangers
de combat
Page 4
l’Assemblée au sommet
sur les retraites Choose France
Lors de sa niche parle- Depuis sa création,
mentaire, le 8 juin, le ras- en 2018, l’événement,
semblement de députés organisé à Versailles,
indépendants veut mettre n’avait jamais autant
au vote l’abrogation attiré les investisseurs,
de la réforme, et pourrait avec notamment 28 im-
rallier une majorité d’élus, plantations ou extensions
Le 14 mai, à l’Elysée.
même si le texte de sites, pour un total
Ludovic MARIN/AFP ne passera pas le Sénat de 13 milliards d’euros
Page 8 Page 14

Thaïlande Santé Drogue

Le jeune parti pro- Bronchiolite : La vente libre
démocratie Move la course aux du cannabis
Forward arrive en
tête des législatives
traitements
des laboratoires
de synthèse
HHC en sursis Cinéma Comprendre
Page 4 Pag e 6 Page 1 0
Sur la Croisette, où va
Vu par urbs (france) Cartooning for Peace un regain le monde.
de confiance
Retour des studios améri-
cains, premiers films
encourageants, fin des
contraintes sanitaires…
la 76e édition du Festival
fait souffler un vent
d’optimisme sur un
secteur qui en a besoin
Flammarion

Maïwenn
Dans la peau
Photo Pascal Ito © Flammarion

de la « transfuge »,
Jeanne du Barry
Page s 18 -1 9
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
2|
Élections en Turquie
En Turquie, Erdogan
en position de force
avant le second tour
Le chef d’Etat sortant, qui était devancé dans les sondages
par son adversaire, Kemal Kiliçdaroglu, sort finalement en tête
du premier tour de la présidentielle. Avec 49,4 % des suffrages,
il est en mesure de décrocher un troisième mandat d’affilée
Istanbul - correspondant
L
a journée a commencé dans le
calme et sous un beau soleil de
printemps, elle s’est terminée
dans la confusion et la nuit la
plus noire. Il a fallu attendre près
de minuit pour se rendre à cette
double évidence : pour la première fois de sa
carrière, le président sortant Recep Tayyip
Erdogan, au pouvoir depuis vingt ans, n’a
pas remporté l’élection dès le premier tour,
recueillant 49,4 % des suffrages. Son adver-
saire Kemal Kiliçdaroglu, contrairement aux
prévisions de la quasi-totalité des sondages
qui le donnaient en tête ces dernières semai-
nes, arrive en deuxième position, avec 45 %.
Un second tour aura donc lieu le 28 mai.
Sinan Ogan, l’ultranationaliste antiréfugiés propulsé faiseur de rois
Il est l’une des surprises du pre-
mier tour de la présidentielle turque,
accaparé par le duel entre le chef
d’Etat sortant, Recep Tayyip Erdogan,
et Kemal Kiliçdaroglu, leader du Parti
républicain du peuple. Avec ses 5,3 %,
Sinan Ogan, 54 ans, ancien membre
du Parti d’action nationaliste (MHP),
une formation d’extrême droite, s’est
offert les moyens de peser sur le se-
cond tour, dont l’issue demeure in-
certaine.
Dans sa première allocution après
les résultats, dimanche 14 mai, vers
23 heures, cet ultranationaliste au
port altier et à la mise impeccable
s’est refusé à donner des consignes de
vote. Il a déclaré qu’il ne déciderait
pas à quel camp il comptait offrir son
soutien au second tour, avant d’avoir
consulté sa base et ses soutiens. Mais,
en bon tacticien, désireux de mon-
nayer ses voix, il a fait comprendre,
sur un ton cru et offensif, quelles
étaient ses conditions : « Ce que je
veux est clair, c’est le départ des Sy-
riens. Tous les réfugiés doivent rentrer
chez eux. Le candidat qui est d’accord
Cette élection est déterminante pour sa-
voir non seulement qui dirigera la Turquie,
mais aussi quelle sera l’orientation de politi-
que étrangère de cette puissance régionale
de 85 millions d’habitants, notamment dans
ses relations avec ses alliés traditionnels et
avec la Russie.
Les résultats disent à quel point la Turquie
est polarisée. M. Erdogan se présente en po-
sition de force au second tour, alors que les
résultats préliminaires des élections législa-
tives qui se sont déroulées le même jour
donnent à l’alliance au pouvoir – le Parti de
la justice et du développement (AKP) et son
allié, le Parti de l’action nationaliste (MHP) –
une majorité parlementaire.
Le MHP, la formation d’extrême droite de
Devlet Bahceli, l’allié indispensable d’Erdo-
avec cela et qui met cette politique en
pratique, je voterai pour lui. »
La Turquie accueille près de 3,6 mil-
lions de Syriens, les trois quarts béné-
ficiant d’un statut de protection
­temporaire. En raison de la crise éco-
nomique et monétaire qui frappe le
pays et de mouvements d’hostilité de
plus en plus visibles envers ces réfu-
giés, la quasi-totalité des partis
­politiques turcs ont durci le ton
­contre eux. La coalition de l’opposi-
tion, dominée par les ­nationalistes,
avait pris en premier des positions
claires à cet égard. Puis, en mai 2022,
un an avant la présidentielle, M. Erdo-
gan, alors en mauvaise posture dans
les sondages, avait annoncé un plan
de retour « volontaire » pour au
moins un million de Syriens.
Depuis, Sinan Ogan et son allié
Ümit Özdag, chef d’une nouvelle
­formation d’extrême droite, le Parti
de la Victoire (Zafer Partisi), lui aussi
ancien membre du MHP et militant
d’une forme de théorie du « grand
remplacement » à la mode turque,
n’ont cessé d’alimenter la suren-
gan, a visiblement fait le plein de ses voix,
l’alliance contrairement à ce qu’avaient annoncé la
au pouvoir a fait plupart des sondages et enquêtes de terrains.
Par ailleurs, l’alliance au pouvoir a fait mieux
mieux que résister que ce à quoi on pouvait s’attendre dans les
régions touchées par le tremblement de terre
dans les régions en février, atteignant même des résultats ex-
trêmement élevés dans les villes de Kahra-
touchées par manmaras, Gaziantep et la région du Hatay.
le tremblement Pour expliquer la résistance inattendue du
champion de l’islamo-conservatisme, plu-
de terre sieurs raisons sont avancées. Soner Çagaptay,
expert de la Turquie au Washington Institute,
de février, estime que les musulmans conservateurs ont
comme Hatay pu avoir, malgré ce qui a pu être dit et écrit,
des réserves à voter pour un candidat comme
Kemal Kiliçdaroglu, qui a revendiqué son alé-
visme, un courant religieux turc minoritaire,
chère anti-immigrés. Avec des mots Sinan Ogan est désormais courtisé
parfois très durs contre la politique assidûment par les deux finalistes.
du chef de l’Etat. Kemal Kiliçdaroglu l’a appelé en per-
Interrogé en pleine nuit, vers sonne pour le féliciter, de même que
2 h 30 du matin, par Fox TV, M. Ogan a Binali Yildirim, le vice-président du
tenu à rappeler que sans sa présence Parti de la justice et du développe-
« Erdogan aurait remporté ce scrutin ment (AKP), la formation du chef de
dès le premier tour » et a défendu sa l’Etat. Selon le journaliste Baris Pehli-
clairvoyance : « J’avais dit et répété que van, de la chaîne Halk TV, une réu-
le HDP [Parti démocratique des peu- nion entre Sinan Ogan et le candidat
ples, gauche prokurde, soutien de de l’opposition pourrait avoir lieu
­Kemal Kiliçdaroglu] et Hüda Par dans les prochains jours.
[parti islamiste des Kurdes de Tur- Avec un point d’achoppement ma-
quie, allié au camp présidentiel] ne se- jeur toutefois : l’ancien membre du
raient pas les clés de cette élection, MHP répète qu’il ne soutiendra M. Ki-
mais bien les nationalistes. » liçdaroglu que si le HDP est exclu du
système politique turc. Une mesure
Courtisé assidûment extrême qui aurait pour effet de ré-
Sur la question des étrangers, l’un de duire à néant les chances au second
ses thèmes favoris, il multiplie les tour de l’opposant en le privant du
­déclarations incendiaires, préten- vote kurde. « Personne ne nous a pris
dant par exemple, contre toute évi- en compte au début de la campagne
dence, que le « vote a été marqué par électorale, et ce soir nous avons été
un taux d’électeurs étrangers impor- ­appelés de partout, s’est réjoui
tant, près de deux millions de person- M. Ogan. J’espère que, demain, la poli-
nes qui ne parlent pas le turc, qui ont tique turque sera plus équilibrée. » p
été pris en compte et qui ont pesé dans Nicolas Bourcier
la balance ». (Istanbul, correspondant)
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­Mardi 16­ mai 2023
hétérodoxe et longtemps stigmatisé. La force
indéniable d’Erdogan, qui a maintes fois dé-
montré son habileté à utiliser les ressources
de l’Etat à son avantage, a sûrement joué
aussi. Le chef de l’Etat s’est doté d’un vaste ré-
seau d’influence dans le secteur des entrepri-
ses, créant des liens de clientélisme et de dé-
pendance importants, d’autant plus vitaux
dans certaines régions que la situation éco-
nomique et sociale y est préoccupante.
La mainmise du camp présidentiel sur
les médias est un autre facteur d’explication.
Près de 90 % des chaînes de télévision sont
entre les mains de proches du chef de l’Etat.
Cette semaine, on a appris que le temps de pa-
role alloué aux candidats à la présidentielle,
entre 1er avril et le 11 mai, sur la chaîne publi-
que TRT, avait été de quarante-huit heures
pour le président sortant et d’à peine trente-
deux minutes pour son rival, M. Kiliçdaroglu.
« Il faut rester calme »
Dès dimanche matin, l’affluence était grande
dans les quelques 192 000 bureaux de vote du
pays. Toute la journée, les urnes se sont rem-
plies de grosses enveloppes couleur mou-
tarde déposées par des électeurs qui ont at-
tendu plusieurs heures dans les files indien-
nes qui serpentaient sur des dizaines et dizai-
nes de mètres devant les salles de classe des
écoles transformées en bureaux de vote. Le
taux de participation, non communiqué offi-
ciellement, a été estimé à 88 %, un record. Glo-
balement, le vote s’est déroulé dans le calme.
C’est ensuite, au moment du décompte des
voix, que la machine a commencé à se déré-
gler, transformant la soirée électorale en une
guerre des nerfs. Fidèle à une tactique large-
ment éprouvée par le passé, l’agence de
presse officielle Anadolu a projeté une vic-
toire du président sortant Erdogan avec plus
de 50 % des voix, tout de suite après la ferme-
ture des bureaux de votes. Dans l’attente des
résultats de la commission électorale, les
deux camps se sont ensuite livrés une bataille
de chiffres, enjoignant leurs observateurs res-
pectifs à rester sur les lieux de dépouillement
« jusqu’au bout ». Autant la formation au pou-
voir, l’AKP que le Parti républicain du peuple
(CHP) de Kemal Kiliçdaroglu ont, chacun à
leur tour, revendiqué la victoire.
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­Mardi 16­ mai 2023 International | 3

A gauche : le président Recep Tayyip Erdogan, accompagné de

son épouse, Emine, s’adresse à la foule venue l’acclamer, dans
la nuit du 14 mai, au siège de l’AKP. A droite : scène de liesse des
partisans de l’AKP, à Istanbul. PRESIDENTIAL PRESS OFFICE/via REUTERS ; OZAN KOSE/AFP

A Ankara, la folle nuit

de célébration
des partisans d’Erdogan
Les électeurs de l’AKP ne doutent pas de voir
leur candidat l’emporter au second tour

Ankara - envoyée spéciale

Au siège de l’AKP,

D ans l’ouest d’Ankara, la

A 19h45, le maire d’Istanbul, Ekrem Ima-
moglu, et le maire d’Ankara Mansur Yavas,
deux des piliers de l’opposition, apparais-
sent une première fois à la télévision. Leur
mine est grave. « Ne tenez pas compte des
chiffres d’Anadolu, lance l’édile de la capitale
économique du pays. Comme pour les élec-
tions municipales d’Istanbul en 2019
[qui avaient été annulées en mars avant
d’être remportées haut la main deux mois
plus tard], l’agence falsifie la réalité, elle n’est
plus crédible. » A peine une heure plus tard,
il reviendra, la mine un peu plus enjouée,
pour rassurer les électeurs. Entre temps,
­Kemal Kiliçdaroglu a affirmé, « nous som-
mes en tête ».
C’est le moment que choisi Ali Ihsan Yavuz,
responsable AKP, pour annoncer que son
parti a intenté plusieurs recours et demandé
le recompte de nombreuses urnes. On parle
alors de 10 000 boîtes principalement locali-
sées dans des bastions du CHP, comme cer-
tains arrondissements d’Istanbul ou d’Izmir.
« Il faut rester calme, a-t-il souri, nous avons
jusqu’à mardi aux yeux de la loi, nous avons le
temps. Vous avez des observateurs [dans les
bureaux de vote], nous aussi. » En retour, les
responsables du parti kémalistes ont rap-
Candidats arrivés en tête au premier tour de l’élection présidentielle turque
en % des voix exprimées (résultats provisoires à 9 h 30)
R. T. Erdogan (AKP)
K. Kiliçdaroglu (CHP)
Résultats des élections législatives en nombres de sièges (résultats provisoires à 9 h 30)
Iyi Parti
Le Bon Parti
(nationaliste du centre)
CHP
44
Parti républicain
porté que certaines urnes avaient été re-
comptées sept fois, d’autres onze fois. « C’est
de l’obstruction ! », a lâché un élu.
Peu après 22 heures, le président Recep
Tayyip Erdogan écrit sur son fil Twitter :
« Les élections qui se tiennent en paix sont
l’expression de la maturité démocratique de
notre pays. Annoncer prématurément des ré-
sultats alors que le décompte bat encore son
plein est une usurpation de la volonté natio-
nale. » Quelques minutes plus tard, le prési-
dent du Haut Conseil électoral, visiblement
nerveux, annonce que seuls 47,08 % des vo-
tes ont été introduits dans le système du dé-
compte national et à peine 12 % des urnes
provenant de l’étranger.
Il n’empêche, les chiffres sont têtus. Vers
23 heures, d’après les principales chaînes de
télévision, on comprend qu’il y aura bien
un second tour. Lorsque Erdogan prend en-
fin la parole à Ankara, vers 2 heures du ma-
tin, du haut du balcon du siège de l’AKP, la
place est noire de monde.
Il annonce clairement être « en tête » de la
présidentielle, mais se dit prêt à « respecter »
un second tour s’il est nécessaire. « Nous res-
pectons ce scrutin et nous respecterons la
prochaine élection », assure-t-il. Se voulant
49,4 %
45 %
Coalition d AKP
e la m
ajo
Parti de la justice
rit et du développement
é
(islamo-conservateur)
266
so
rassurant, il répète : « Nous ne savons pas en-
core si l’élection est terminée avec ce premier
tour, mais si le peuple nous emmène au se-
cond tour, nous le respecterons. » Nouveaux
applaudissements.
« Peu importe le résultat, 27 millions de per-
sonnes ont préféré voter pour nous », pour-
suit-il, revendiquant la « majorité » des 600
sièges au Parlement avec son allié du MHP. Il
en profite pour fustiger à nouveau son rival.
« Le peuple a choisi la stabilité et la sécurité
lors de cette élection présidentielle. Il n’a pas
choisi ceux qui ont négocié avec les terroris-
tes, il n’a pas voté pour ceux qui prennent
leurs ordres de Kandil [la base arrière du Parti
des travailleurs du Kurdistan, le PKK, dans le
nord de l’Irak] ».
L’inquiétude des marchés
A 3 heures du matin, Kemal Kiliçdaroglu
prend enfin la parole, entouré des six repré-
sentants de sa coalition ainsi que des deux
maires charismatiques d’Istanbul et d’An-
kara. Le rival d’Erdogan est debout, il tente
d’élever la voix, mais la flamme n’y est plus.
« Nous allons gagner, veut-il croire. On ne ga-
gne pas du haut d’un balcon ».
Il promet la victoire de son camp « au se-
cond tour ». « Erdogan n’a pas pu obtenir le ré-
sultat qu’il escomptait en dépit de toutes les
insultes proférées à mon encontre. Il n’a pas
obtenu le vote de confiance qu’il escomptait.
La perte des voix de l’AKP [comparé aux an-
ciens scrutins] en est la preuve. » Son inter-
vention a duré trois minutes.
Le très bon score d’Erdogan, qui sort en tête
du premier tour et semble en mesure de dé-
crocher un troisième mandat d’affilée, a été
perçu comme une mauvaise nouvelle par les
marchés. La perspective de deux semaines
supplémentaires d’incertitude, jusqu’au
deuxième tour prévu le 28 mai, risque de pe-
ser sur la livre turque, qui s’est affaiblie lundi
capitale turque, dans la
soirée du dimanche
14 mai, les grandes avenues si-
tuées aux abords du quartier gé-
néral du Parti de la justice et déve-
loppement (AKP, islamo-conser-
vateur, au pouvoir) n’apparte-
naient plus qu’aux partisans de
Recep Tayyip Erdogan. Des voitu-
res étaient stationnées au milieu
d’artères condamnées pour l’évé-
nement. Des enceintes jouaient
de la musique à plein volume. Des
pistes de danse s’improvisaient
partout. Si grand était le soulage-
ment au soir d’un scrutin difficile,
où la percée annoncée de l’oppo-
sition n’a pas eu lieu : le chef de
l’Etat, faute de l’emporter au pre-
mier tour, s’achemine vers une
possible victoire au second.
Les scènes de liesse se sont pour-
suivies jusque tard dans la nuit,
tandis que les derniers résultats de
la présidentielle et des législatives
s’affichaient sur les écrans de télé-
vision et dans les fils d’actualité
des réseaux sociaux. « Notre pays
vient de vivre une nouvelle fête de
la démocratie. Bien que les résul-
tats définitifs ne soient pas encore
connus, nous sommes de loin en
tête », a lancé le président turc, au
balcon du siège du parti, à Ankara,
vers 2 heures du matin, après avoir
passé la journée à Istanbul, où il
votait. Des milliers de personnes
étaient venues l’accueillir. « Nous
serons unis ! » « Nous sommes la
Turquie ! », a-t-il clamé, repris en
chœur par ses partisans. Et
comme à Istanbul, le week-end
précédent, M. Erdogan a chanté en
communion avec la foule.
« Nous le soutiendrons toujours »
Toute la soirée, les morceaux de
musique de campagne, composés
en l’honneur du président, ont ré-
sonné. Fikriye, au regard perçant,
la tête couverte d’un voile bleuté,
rayonne de bonheur. « Je suis telle-
ment heureuse qu’il ait gagné », se
réjouit la sexagénaire. « Nous le
soutiendrons toujours, quoi qu’il
arrive ! », assure-t-elle en cher-
chant du regard l’approbation des
deux jeunes femmes à ses côtés.
Un peu plus loin, Ibrahim,
19 ans, scande des slogans avec un
groupe de militants devant une
caméra de télévision. Comme
cinq millions de jeunes électeurs,
dimanche, il glissait un bulletin
dans l’urne pour la première fois.
Il n’a pas hésité : « J’ai voté pour
Recep Tayyip Erdogan et je suis
venu l’écouter ce soir avec mes
amis du parti, à Mamak [à l’est de
la capitale]. » Ce soir, il espérait
une victoire plus franche, mais
n’émet aucun doute sur une large
avance au second tour, prévu
pour le 28 mai.
Pourtant, au siège de l’AKP, la
soirée avait débuté dans la gri-
saille. Une majorité des sondages
publiés dans la presse, ces derniè-
res semaines, donnaient le princi-
pal candidat de l’opposition, Ke-
mal Kiliçdaroglu, en tête devant le
président sortant. La dernière en-
quête d’opinion de l’institut
Konda – considéré comme le plus
fiable –, jeudi 11 mai, créditait les
deux candidats de 49,3 % et 43,7 %
des voix. Le désistement de der-
on ironise : « même
avec le séisme
et la crise
économique, les
partis d’opposition
ne parviennent
pas à s’imposer »
continu la progression des résul-
tats, tenant le pays en haleine. Ac-
cusée d’être inféodée très directe-
ment à M. Erdogan, l’agence gou-
vernementale Anadolu suscite la
méfiance de l’opposition, notam-
ment depuis les municipales d’Is-
tanbul, en 2019 – l’agence avait
suspendu la diffusion des résul-
tats en faveur d’Ekrem Imamoglu,
qui a mis fin au long règne de l’AKP
dans la cité du Bosphore.
Or, dans un pays très polarisé, où
l’essentiel des médias appartient à
des proches du président Erdogan,
la diffusion des résultats électo-
raux est considérée comme criti-
que dans la guerre psychologique
que se mènent les deux camps. Au
siège de l’AKP, les chaînes de télévi-
sion NTV, A Haber et CNN Türk af-
fichaient simultanément des ré-
sultats similaires donnant une
nette avance au président sortant.
Cet avantage n’a surpris per-
sonne, et certains militants espé-
raient une victoire au premier
tour avant que le score ne des-
cende sous la barre des 50 %. Le dé-
compte a été entrecoupé des inter-
ventions du président du Haut
Conseil électoral, Ahmet Yener,
ainsi que de celles de l’opposition.
A 23 h 30, les maires d’Istanbul,
Ekrem Imamoglu, et d’Ankara,
Mansur Yavas, annonçaient des
résultats en décalage avec ceux
des agences, soit 47,2 % des voix
pour M. Kiliçdaroglu et 46,8 % des
suffrages pour M. Erdogan, après
dépouillement de plus de la moi-
tié des voix des 192 000 urnes.
Dans les rangs de l’AKP, on iro-
nise : « Ils vont sans doute accuser
les agences de partialité et insister
pour que leurs partisans ne quit-
tent pas leur bureau de vote », iro-
nise un militant. « Si même avec le
séisme et la crise économique les
partis d’opposition ne parviennent
pas à s’imposer, c’est véritablement
qu’ils n’arrivent pas à convaincre la
population », commente une
autre, en fin de soirée.
Les résultats du vote des Turcs de
l’étranger et des derniers bureaux
des grandes villes du pays man-
quaient encore au milieu de la
nuit, mais les écarts confirmaient
l’hypothèse d’un second tour pla-
çant le candidat Sinan Ogan, dissi-
dent du parti nationaliste MHP,
crédité de 5,3 % des voix, dans une
position de faiseur de rois.
Quant aux résultats provisoires
des législatives, l’Alliance popu-
laire (coalition gouvernementale)
enregistre un léger recul, mais
remporte plus de la moitié des siè-
ges : l’AKP en perd 29, son allié du
MHP en gagne 2 et le Yeniden Re-
fah (islamiste) entre à la Grande
Chambre de Turquie, avec 5 élus
permettant à la coalition d’obtenir

du peuple matin par rapport aux devises fortes (dollar nière minute du candidat Muhar- la majorité avec 321 sièges au total
rta

(centre gauche) 169

nte

MHP et euro). La monnaie turque est sous pression rem Ince, le même jour, laissait (sur 600). Si une partie des Turcs
:

Parti d’action depuis qu’Erdogan a mis en place une série espérer un report de voix suffi- aspirait à un changement, la plu-
321

Yesil Sol Parti*

(Gauche écologiste) nationaliste de politiques peu orthodoxes, en baissant les sant pour permettre à M. Kiliçda- part des électeurs semble orienter
sièges

600 50 taux d’intérêt pour stimuler la croissance roglu d’être élu au premier tour. le résultat du scrutin vers un
TIP* 62 Yeniden Refah
sièges 5 (islamiste)
alors même que l’inflation augmente. p Dès 18 h 30, les agences de presse maintien au pouvoir de la coali-
(Communiste) 4 Nicolas Bourcier – Anadolu et Anka en tête – et les tion gouvernementale. p
* Alliance soutenue par le HDP kurde Source : Anadolu et Marie Jégo (à Paris) partis d’opposition ont diffusé en Angèle Pierre

4 | International
Ukraine: avant la contre-offensive,
Zelensky en tournée européenne
Le président ukrainien s’est rendu ce week-end à Rome, Berlin et Paris
A
vant de lancer une
­contre-offensive desti-
née à reprendre un
maximum de territoi-
res occupés par la Russie, le prési-
dent ukrainien, Volodymyr Ze-
lensky, s’assure de l’appui de ses al-
liés européens. Tel est le sens de la
mini-tournée effectuée ce week-
end en Italie, en Allemagne, puis
en France, où il est arrivé diman-
che soir 14 mai, en provenance
d’Aix-la-Chapelle. Il venait d’y
­recevoir une prestigieuse récom-
pense allemande (le prix Charle-
magne) pour sa contribution à
l’unité européenne. Lundi, le pré-
sident ukrainien devait encore se
rendre à Londres, où il devait s’en-
tretenir avec le premier ministre
Rishi Sunak.
L’Ukraine frappe avec insis-
tance, depuis le début de la
guerre, à la porte des Vingt-Sept,
et son président est tenu de soi-
gner ses relations avec les trois
principaux Etats membres de
l’Union européenne, dont le sou-
tien militaire a d’abord paru ti-
moré, comparé à celui des Etats-
Unis ou de la Pologne, avant de
s’affermir au fil de l’invasion
russe. Accueilli par la première
ministre, Elisabeth Borne, à l’aé-
roport de Villacoublay (Yvelines),
Volodymyr Zelensky s’est entre-
tenu avec Emmanuel Macron lors
d’un dîner de plus de trois heures
à l’Elysée, dimanche soir – dont
une heure en tête-à-tête.
Les deux hommes ont examiné
« les besoins urgents » de l’Ukraine
que ce soit sur le plan militaire
mais aussi humanitaire. Et ce alors
que la situation est difficile sur le
front, en particulier à Bakhmout.
En matière militaire, le président
français a assuré à son homologue
ukrainien que « de nouvelles livrai-
sons sont en préparation pour tenir
compte en permanence des besoins
les plus urgents et les plus immé-
diats de l’Ukraine dans le renforce-
ment de ses capacités de défense ».
La France va notamment fournir
« des dizaines de véhicules blindés
et de chars légers, dont des AMX-
10RC (…) dans les semaines à ve-
nir », s’est engagé le chef de l’Etat.
Des « efforts sur le soutien des
­capacités de défense aérienne de
l’Ukraine » sont également prévus.
Si toute nouvelle livraison d’ar-
mes est importante pour
l’Ukraine, ces annonces ne mar-
quent pas un changement
d’échelle en matière de soutien de
la France. Ces derniers mois, Paris
a déjà livré des chars légers
AMX-10 RC et des véhicules de
l’avant blindé (VAB) à Kiev, deux
véhicules progressivement retirés
des arsenaux français, où ils sont
remplacés par des Jaguar et des
Griffon. En matière de défense
­antiaérienne, si deux batteries de
missiles Crotale ont déjà été li-
vrées à l’Ukraine, le système
SAMP/T Mamba, équivalent aux
IRIS-T allemands et promis en dé-
but d’année par la France et l’Italie,
n’est toujours pas arrivé.
A la différence du Royaume-Uni,
qui a annoncé, le 11 mai, l’envoi de
missiles à longue portée Storm
Shadow à l’Ukraine – une pre-
mière depuis le début du conflit –,
la France ne s’est pas engagée à li-
vrer leur équivalent tricolore, ap-
pelé Scalp, dont elle détient plu-
sieurs centaines d’exemplaires.
Aucune annonce n’a non plus été
faite sur une éventuelle fourniture
d’avions de combat, que l’Ukraine
réclame avec insistance à ses alliés
occidentaux. « La question est un
peu prématurée », estime l’entou-
rage de M. Macron, qui rappelle
que former un pilote demande
plusieurs mois. La France dispose
pourtant de 13 Mirage 2000-C en
stock, que l’armée de l’air et de l’es-
pace vient de déclasser.
Echéances internationales
Au-delà des questions militaires, la
venue de Volodymyr Zelensky
­visait également à préparer une sé-
rie d’échéances internationales : le
sommet du G7, du 19 au 21 mai à
Hiroshima (Japon), celui de la
Communauté politique euro-
péenne, le 1er juin à Chisinau (Mol-
davie), le Conseil européen de juin
à Bruxelles, et le sommet de
l’OTAN, à Vilnius (Lituanie), le 11 et
12 juillet. Vue de Paris, l’idée est de
définir les objectifs des prochaines
semaines pour mettre la Russie
sur la défensive et placer l’Ukraine
en position de force, quand elle ju-
gera le temps venu de négocier.
S’il s’agissait de la seconde visite
de Volodymyr Zelensky en France
– après celle improvisée le 8 fé-
vrier dans la foulée d’un déplace-
ment à Londres –, sa venue en
­Allemagne a constitué une pre-
mière. Le président ukrainien
s’étant déjà rendu depuis le début
de la guerre à Washington, Bruxel-
les, Varsovie, Londres, Helsinki et
Aucune annonce
n’a été faite sur
une éventuelle
fourniture
d’avions
de combat
La Haye, mais jamais à Berlin.
Alors qu’elle faisait jusque-là fi-
gure d’alliée prudente, agissant
davantage sous pression qu’à sa
propre initiative, l’Allemagne s’est
efforcée de rompre avec cette
image. Le gouvernement du chan-
celier Olaf Scholz a annoncé dès
samedi l’octroi d’un paquet de
2,7 milliards d’euros de livraisons
d’armes, incluant notamment
trente chars de combat Leopard 1,
20 véhicules blindés Marder,
18 obusiers automoteurs et 4 sys-
tèmes antimissiles IRIS-T.
« Dans la période la plus difficile
de l’histoire moderne de l’Ukraine,
l’Allemagne s’est révélée être une
véritable amie et une alliée fiable,
se tenant résolument aux côtés
du peuple ukrainien dans la lutte
pour la défense de la liberté et des
valeurs démocratiques », a écrit
M. Zelensky, en anglais, sur le livre
d’or du château Bellevue, où il était
reçu par le président de la Répu­-
blique, Frank-Walter Steinmeier.
Il y a encore un an, de tels mots
auraient été impensables. En
avril 2022, M. Steinmeier avait en
effet dû renoncer à se rendre à
Kiev avec ses homologues esto-
nien, letton et polonais, les auto­-
rités ukrainiennes l’ayant déclaré
persona non grata en raison de ses
positions prorusses comme nu-
méro deux de la chancellerie sous
Gerhard Schröder (1999-2005)
puis comme ministre des affaires
étrangères d’Angela Merkel (2005-
2009 puis 2013-2017).
« Merci, cher Olaf [Scholz], à toi et
à tout le peuple allemand pour
­chaque vie ukrainienne sauvée »,
a ensuite répété M. Zelensky lors
d’une conférence de presse à la
chancellerie, soulignant que l’Alle-
magne, avec 17 milliards d’euros
au total, « est le deuxième pays qui
aide le plus l’Ukraine après les
Etats-Unis ». Pour Olaf Scholz qui,
depuis le début de la guerre, fut
­régulièrement critiqué pour son
manque d’empressement à livrer
des armes à l’Ukraine, y compris
Le chancelier allemand,
Olaf Scholz (à gauche),
et le président ukrainien,
Volodymyr Zelensky,
à Aix-la-Chapelle
(Allemagne), dimanche
14 mai. HANDOUT / AFP
par ses partenaires de coalition
écologistes et libéraux, de tels élo-
ges étaient précieux. Mais cela ne
signifie pas pour autant que les
positions de l’Allemagne et de
l’Ukraine sont parfaitement ali-
gnées. Le chancelier allemand n’a
pas souhaité se prononcer sur la
question des avions de combat de-
mandés par Kiev, préférant « se
concentrer » sur la livraison des
équipements déjà promis.
La veille, pour sa première visite
en Italie depuis le début de l’inva-
sion russe, Volodymyr Zelensky
avait tenu à se rendre sur les deux
rives du Tibre. Après un accueil
au palais du Quirinal par son ho-
mologue italien Sergio Mattarella,
le président ukrainien s’est entre-
tenu avec Giorgia Meloni. « Nous
continuerons à apporter notre sou-
tien, y compris militaire, afin que
l’Ukraine puisse arriver aux négo-
ciations avec une position solide »,
a souligné la cheffe du gouverne-
ment italien, précisant que « la
paix ne peut être obtenue avec
l’idée d’une capitulation ». Une
manière de répondre aux voix cri-
tiquant l’envoi d’armement à Kiev.
Volodymyr Zelensky a aussi eu
droit à un tête-à-tête avec le pape,
au Vatican. Une visite particulière-
ment attendue dans une Italie où
la parole du souverain pontife et
ses nombreux appels à la paix ont
un grand écho. François, en ména-
geant Moscou au début du conflit,
avait provoqué l’irritation à Kiev.
« J’ai demandé au pape de condam-
ner la Russie pour ses crimes en
Ukraine, a commenté M. Zelensky
sur Twitter à l’issue de la rencon-
tre, car il ne peut y avoir d’égalité
entre la victime et l’agresseur. »
Pour le président ukrainien,
cette étape au Vatican est l’occa-
sion de séduire l’opinion publique
catholique italienne, marquée par
un pacifisme peu compris en
Ukraine. « Nous n’avons pas besoin
de médiation avec un agresseur
mais d’une paix juste, c’est ce que
j’ai répété à Sa Sainteté », a encore
confié le président ukrainien sur
la RAI. Une façon, juste avant de se
rendre en Allemagne, puis en
France, de montrer sa détermina-
tion à repousser les forces russes,
autant que possible, avant d’envi-
sager des négociations. p
Olivier Bonnel (à Rome),
Cédric Pietralunga,
Philippe Ricard
et Thomas Wieder (à Berlin)
En Thaïlande, la percée
de Move Forward
bouscule le jeu politique
Le parti, qui incarne les aspirations
antisystème, arrive en tête aux législatives
Bangkok - correspondant
L’ atmosphère était électri-
que, dimanche 14 mai,
vers 23 heures, au siège du
parti Move Forward (« aller de
l’avant »), un petit immeuble aux
grandes baies vitrées, dans l’est de
Bangkok, où se pressaient journa-
listes, personnel de campagne et
supporteurs, et pas seulement en
raison du climat orageux.
En terminant en tête des législa-
tives, avec 151 sièges, tout près de
son score maximal espéré, cette
jeune formation prodémocratie
fait une entrée fracassante dans le
paysage politique thaïlandais.
75 % des Thaïlandais se sont ren-
dus aux urnes pour le scrutin.
Pourtant, quand le candidat du
parti au poste de premier minis-
tre, Pita Limjaroenrat, dit « Pita »
(les Thaïlandais se désignent par
leur prénom), 42 ans, est sorti
dans la cohue des partisans, aux
cris de « na-yok ! na-yok ! » (pre-
mier ministre), rien dans le reste
de Bangkok assoupie et silen-
cieuse – ni drapeaux ni cris de
joie – ne pouvait laisser devi-
ner que la quasi-totalité des sièges
de député de l’immense capitale
et de sa banlieue venaient de virer,
ce soir-là, à l’orange, la couleur du
Move Forward.
Sage Thaïlande, qui retient son
souffle : les forces dites « démocra-
tiques », c’est-à-dire le parti Move
Forward et le Pheu Thai (« Pour les
Thaïlandais »), la formation politi-
que liée à la famille de l’ancien
premier ministre en exil Thaksin
Shinawatra, arrivée en deuxième
position avec 141 sièges, rassem-
blent, certes avec plusieurs petits
partis alliés, entre 60 % et 65 % des
500 sièges de l’Assemblée législa-
tive. Mais le pouvoir en place, issu
du putsch militaire de 2014 et
­soutenu par le palais royal, a par le
passé usé et abusé de son emprise
sur les institutions pour disquali-
fier des partis ou leurs dirigeants.
Surtout, l’élection du chef du
gouvernement n’est pas unique-
ment le résultat du vote des
500 députés nouvellement élus :
s’y ajoute celui de 250 sénateurs
nommés par l’ancienne junte
­militaire, en 2017, dont le mandat
n’expire qu’en 2024 – ce qui place
la barre à 376 sièges, Sénat et As-
semblée confondus, pour faire
triompher un candidat au poste
de premier ministre.
Les regards se portent donc vers
la troisième formation du scrutin,
celle du ministre de la santé sor-
tant et artisan de la dépénalisation
controversée du cannabis, Anutin
Charnvirakul (70 sièges) : son rôle
pourrait être déterminant selon
qu’il décide de s’allier à l’un ou à
l’autre des deux camps. La gifle
­infligée par les électeurs aux géné-
raux putschistes au pouvoir – le
premier ministre sortant, le géné-
ral Prayuth Chan-o-cha, arrive en
cinquième position du scrutin, et
son vice-premier ministre, le gé-
néral Prawit Wongsuwan, arrivé
quatrième sous les couleurs d’un
parti différent – ne les élimine pas
encore du champ politique.
Move Forward n’en incarne pas
moins le « dégagisme » à la mode
siamoise : « Nous entrons dans
une nouvelle phase de la politique
en Thaïlande. Ce ne sont plus les
“rouges” [les partisans de Thaksin
Shinawatra] contre les “jaunes”
Un tandem
pourrait se
constituer avec le
Pheu Thai, parti
lié à la famille de
l’ancien premier
ministre Thaksin
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
La proposition
du parti de
réformer le crime
de lèse-majesté
n’a visiblement
pas choqué
les électeurs
[l’axe militaro-monarchique],
mais l’establishment contre nous,
les nouveaux venus, la force nou-
velle », analysait, dimanche soir,
au siège de Move Forward, l’uni-
versitaire Piyabutr Saengkano-
kkul, cofondateur du parti et con-
seiller de la campagne, frappé
d’inéligibilité. Le parti revient de
loin : fondé en 2018, sous le nom
de Future Forward, par trois qua-
dragénaires épris de démocratie,
il s’était hissé en troisième posi-
tion lors des élections semi-dé-
mocratiques de 2019, avant d’être
dissous sur ordre du pouvoir, puis
de renaître sous un nouveau nom.
« Ce n’est pas une question d’âge.
C’est dans la tête. Pour moi, le Pheu
Thai représente aussi l’ordre an-
cien », juge Piyabutr. Pour l’heure,
les analystes estiment qu’un tan-
dem entre les deux leaders du
scrutin devrait vraisembla­-
blement se constituer. Certains
­n’excluent cependant pas une
autre configuration, poussant
Move Forward dans l’opposition.
« Démilitariser » le royaume
Le camp des généraux n’a cessé
de diaboliser les opposants. Les
« rouges » de Thaksin, décrits
comme une alliance entre affai-
ristes et paysans incultes, et les
« orange » comme le produit
d’une jeunesse effrontée et in-
grate. La victoire écrasante du
Move Forward à Bangkok, sa per-
cée dans le nord de la Thaïlande,
indique que le discours réforma-
teur de la formation a conquis
toute une partie des élites urbai-
nes qui se méfient de la forme de
populisme portée par le camp
Thaksin, tout en ne supportant
plus les militaires et leur pater-
nalisme écrasant. Le Pheu Thai,
qui avait gagné toutes les élec-
tions depuis 2001, mais a été
chassé du pouvoir par deux
coups d’Etat (en 2006 et en 2014)
est en perte de vitesse, alors que
le parti de Thaksin espérait un
« raz de marée ».
Move Forward veut « démilitari-
ser » le royaume, qui a connu dix-
huit coups d’Etat depuis 1932, et
renvoyer l’armée dans les caser-
nes. Il souhaite le décentraliser, au
profit des provinces pauvres pri-
vées d’industrie et de tourisme. Le
parti compte briser les monopoles
en vigueur dans de nombreux sec-
teurs. Par cette triple formule, Pita
nous déclarait, le 4 mai : « Nous
­allons démocratiser la Thaïlande,
au lieu de garder une démocratie
hybride, où se perpétue le conflit
entre un système basé sur des élec-
tions et des institutions imposées
d’en haut, comme le Sénat. »
La proposition visant à réformer
le crime de lèse-majesté n’a visi-
blement pas choqué les électeurs.
L’abus de cette disposition par le
pouvoir militaire a en effet con-
duit à un nombre record d’incul-
pations depuis 2020, notamment
celle des fondateurs de Move
Forward. Le jeune parti souhaite-
rait que le crime de lèse-majesté
soit sanctionné par une peine non
cumulable, limitée à un an, contre
trois à quinze ans aujourd’hui.
« Ce n’est plus [une proposition]
conditionnelle. Il est clair que nous
allons faire cette réforme », a ré-
pondu Pita aux journalistes, di-
manche, après sa victoire. p
Brice Pedroletti
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
Mexique : nouvel espoir sur la « route de la mort »
La fin des restrictions du « titre 42 » de l’ère Trump entrouvre la frontière avec les Etats-Unis
Reportage
Ciudad Juarez (Mexique) -
envoyée spéciale
L
es images faisaient re-
douter le pire aux autori-
tés américaines et mexi-
caines : des dizaines de
milliers de migrants se massant à
la frontière, après avoir traversé le
Mexique, en provenance d’Améri-
que centrale ou de bien plus loin
encore, pour passer aux Etats-
Unis. Cette fois, ils n’allaient pas
s’installer dans les refuges de la
ville frontalière de Ciudad Juarez,
mais se diriger directement vers
le mur qui sépare les deux pays
voisins, juste avant l’expiration de
l’ensemble de normes migratoi-
res américaines Title 42 (« titre
42 »), jeudi 11 mai.
Ces files de gens, rompus de fati-
gue et assommés de chaleur, qui
se massaient devant cette barrière
de métal de 6 mètres de haut,
avaient déjà disparu le lendemain.
De ce campement improvisé, il ne
reste désormais que des déchets
balayés par le vent et des habits
abandonnés, recouverts de sable.
Les voitures de la patrouille fron-
talière américaine sont toujours
là, de l’autre côté de la frontière,
veillant sur leur étendue de dé-
sert, séparée du Mexique par le rio
Bravo, où tant de migrants sont
morts noyés ces dernières an-
nées, et qui n’est plus qu’un ruis-
seau qu’on traverse facilement.
Flot de rumeurs
Jeudi 11 mai, à minuit, les Etats-
Unis ont mis fin à cette législation
d’urgence, adoptée sous l’admi-
nistration Trump au début de la
pandémie de Covid-19, qui autori-
sait l’expulsion immédiate des mi-
grants des Etats-Unis sans examen
de leur demande d’asile. Entre
mars 2020 et mars 2023, 2,6 mil-
lions de migrants ont été renvoyés
vers le Mexique dans ce contexte.
La disparition du Title 42 ouvre la
voie au retour du Title 8, ensemble
de règles qui permet aux réfugiés
de déposer une demande d’asile,
dont l’examen par les tribunaux
prend plusieurs années, au cours
desquelles le demandeur peut
néanmoins rester sur le sol améri-
cain. Cette législation autorise éga-
lement l’expulsion immédiate et
dans leur pays d’origine de tous les
migrants déboutés de leur de-
mande à la frontière.
Ce changement de règles migra-
toires a provoqué, ces derniers
jours, l’énorme afflux de migrants
devant les portes du mur fronta-
Inde: le Parti du Congrès se relance après une large victoire dans le Sud
Les législatives dans le Karnataka se soldent par un échec pour le premier ministre Narendra Modi, qui s’était très impliqué dans la campagne
New Delhi - correspondante
L es cartes ne sont pas encore
rebattues, mais le jeu s’est
ouvert. En remportant très
largement les élections régiona-
les au Karnataka, samedi 13 mai, le
Congrès, le parti de la dynastie
Nehru-Gandhi, s’est relancé dans
la compétition pour les élections
nationales de 2024. Le scrutin,
dans cet Etat de 65 millions d’ha-
bitants, un des plus riches du pays
avec sa capitale, Bangalore, avait
valeur de test à plus d’un titre.
Le Parti du Congrès obtient la
plus grande victoire d’un parti
­politique en matière de sièges
(135 sur 224 sièges) et de voix aux
élections législatives du Karna-
taka depuis 1989. Il détient la ma-
jorité à lui seul, fixée à 113 dépu-
tés. A l’inverse, le premier minis-
tre, Narendra Modi, qui s’était
personnellement impliqué, en
menant campagne avec une dé-
bauche de moyens, essuie une
Des migrants traversent le Rio Bravo pour retourner au Mexique depuis les Etats-Unis, alors que des membres de la garde nationale
américaine tendent des barbelés pour empêcher de traverser, le 13 mai, au niveau de Ciudad Juarez. Jose Luis Gonzalez/Reuters
Les migrants
doivent
demander
l’asile via une
application
mobile, dont le
service est saturé
lier. Marcelo Ibito était dans cette
file, jeudi, à la porte 40, avec son
épouse et leurs deux garçons, de
5 et 7 ans. Cette famille mexicaine
venue de l’Etat du Guerrero, dans
le sud-ouest du pays, s’est trouvée
comme tant d’autres perdue au
milieu du flot de rumeurs qui
courent le long de la frontière.
« On est venus, parce qu’on a cru
qu’avec la fin du Title 42 on allait
pouvoir passer. Mais quand on est
arrivés ici mercredi, on nous a dit le
contraire : les règles du Title 8 vont
être pires. Il faut vite traverser
avant qu’elles soient mises en
place », raconte ce père de famille,
en buvant un café dans un refuge
sévère défaite. Son parti ne con-
serve que 65 sièges.
Le Karnataka était le seul Etat du
sud du pays gouverné par le Bha-
ratiya Janata Party (BJP). La forma-
tion de Narendra Modi en a fait un
laboratoire de l’hindutva, cette
idéologie qui vise à instaurer la su-
prématie des hindous. Durant
cinq ans, les nationalistes hin-
dous ont mené une guerre sans
relâche aux musulmans, 13 % de la
population, en interdisant le port
du voile à l’école, en supprimant le
quota de 4 % réservés aux musul-
mans dans les emplois publics et
les établissements scolaires, en in-
terdisant l’abattage des vaches, en
se livrant à une polarisation ex-
trême. Les chrétiens étaient aussi
dans le viseur, accusés de conver-
tir les hindous. Le scrutin montre
que l’hindutva n’est pas une re-
cette miracle, même s’il a permis
d’ancrer le BJP dans les Etats du
Nord et même si ses idées conti-
nuent de se répandre dans le Sud.
pour migrants, dans le centre-
ville de Ciudad Juarez. « On a fait la
queue, comme les autres », raconte
son épouse, Edna, qui tente
comme elle peut d’occuper ses
deux fils dans ce refuge où s’en-
tassent au moins 200 personnes.
Après cinq heures d’attente,
sous un soleil de plomb, ils ont été
admis à passer la porte vers les
Etats-Unis, mais ils n’ont rien vu
du « rêve américain ». Ils ont été
simplement placés dans des bus
et renvoyés, de nuit, à Ciudad Jua-
rez : « On a erré dans cette ville ul-
tra-dangereuse à 2 heures du ma-
tin. On ne pouvait même pas rester
près du poste de police frontalier, il
fallait déguerpir et se débrouiller »,
ajoute Marcelo, qui voulait de-
mander l’asile pour avoir été me-
nacé par le crime organisé, qui do-
mine à présent son Etat natal. Les
trois Honduriens qui étaient juste
après eux dans la file et avec qui
ils sont restés en contact ont aussi
été renvoyés au Mexique, mais à
Matamoros, dans l’Etat de Ta-
maulipas, à 1 300 kilomètres de là.
Le lendemain, de nouvelles ru-
meurs circulaient, mais, en arri-
Les électeurs se sont montrés plus
préoccupés par la détresse écono-
mique et le chômage.
« La boutique de la haine a été fer-
mée », a réagi Rahul Gandhi, princi-
pal dirigeant du Congrès. Son parti
avait promis en cas de victoire d’in-
terdire une organisation extré-
miste hindoue violente, le Bajrang
Dal, dont plusieurs membres ont
été condamnés pour viol, meurtre
et incitation à la haine, au grand
dam de Modi. Siddaramaiah, ex-
chef du gouvernement du Karna-
taka et membre du Congrès, es-
time que les habitants ont claire-
ment rejeté « les politiques commu-
nautaristes ». « C’est la victoire d’un
parti laïque », s’est-il félicité.
Chômage et inflation
L’échec du parti safran montre
que le pouvoir personnel de Modi
a ses limites et que, malgré ses
ambitions, son parti reste can-
tonné dans les Etats hindiphones.
Le premier ministre n’a pas la ca-
vant au refuge Hope Center, la fa-
mille Ibito a enfin été bien con-
seillée. Il lui faut demander l’asile
avec une application mobile.
Comme tous les migrants, ils pia-
notent en permanence sur leur té-
léphone. « Des dizaines de fois par
jour », précise Edna. Avec seule-
ment mille demandes acceptées
toutes les vingt-quatre heures, le
service est saturé et l’application
leur dit sans cesse de réessayer.
« Cocotte-Minute »
Dans les refuges, comme dans un
campement improvisé non loin
de la frontière à Ciudad Juarez,
tous les migrants gardent un œil
sur leur téléphone. Il y a les chan-
ceux, et ceux qui sont désespérés.
La Vénézuélienne Esther Espinoza
est rayonnante. Au milieu de ten-
tes de fortune, recouvertes de bâ-
ches et tendues par des ficelles,
elle a découvert que sa demande a
été acceptée. Elle réconforte sa
voisine, qui laisse couler ses lar-
mes en fixant l’écran de son télé-
phone. A 28 ans, Esther a laissé à
ses parents la garde de ses deux
enfants, à Caracas, et s’est lancée
pacité de sauver un scrutin sur
son seul nom, lorsque ses diri-
geants locaux sont défaillants.
Le Congrès était parti en croi-
sade contre la corruption dont les
dirigeants du BJP sont accusés. Les
entrepreneurs du Karnataka affir-
ment que 40 % du montant des
appels d’offres pour les projets
d’infrastructure financés par l’Etat
sont perçus comme des pots-de-
vin par les dirigeants et les fonc-
tionnaires du BJP. « Au cours de la
dernière décennie, la politique in-
dienne a été marquée par l’omni-
présence du premier ministre. Peu
de gens peuvent nier que Modi est
extrêmement populaire et que le
succès du BJP dépend en grande
partie de lui. Toutefois, comme le
Karnataka l’a clairement montré,
dépendre uniquement de lui est
une erreur », estime le journaliste
Shoaib Daniyal, du site d’informa-
tion Scroll.in.
La campagne du Congrès a fait
écho aux préoccupations et aux
International | 5
sur ce qu’elle nomme « la route de
la mort » pendant huit longs mois.
Arrivée à Ciudad Juarez début
mars, elle a échappé de peu à une
rafle de la police migratoire, le
27 mars : « On était tous en train de
laver des pare-brise, comme on le
faisait souvent. J’ai vu la police et
j’ai couru du bon côté, alors que les
autres sont tous partis par-là », dit-
elle, en montrant une avenue au
loin. Trente-huit migrants pris
dans les filets de la police, cette
même nuit, sont morts dans un
incendie, alors qu’ils étaient rete-
nus dans une « station migra-
toire » de l’Institut national de mi-
gration ; un joli nom pour nom-
mer une prison, où les migrants
étaient enfermés, quand ils
étaient trop nombreux en ville.
« Ciudad Juarez est une Cocotte-
Minute où les autorités tentent de
réguler la pression. Et le plus sou-
vent, les agents ne savent que faire.
Alors ils enferment ou poussent les
migrants vers la sortie », admet
Evarardo Esquivel, de l’ONG Inter-
national Rescue Committee, qui
offre eau et nourriture à une di-
zaine de jeunes Vénézuéliens pos-
difficultés des Indiens, notam-
ment au chômage, à l’inflation des
prix des produits alimentaires, du
gaz, de l’électricité et de l’essence
qui creuse les inégalités. Le jour du
scrutin, l’un des responsables du
parti au Karnataka, Doddalahalli
Kempegowda Shivakumar, avait
appelé les électeurs à voter après
avoir « regardé le prix des bouteilles
de gaz ». Le Congrès a promis
des subventions pour l’électricité,
des rations de riz pour les familles
pauvres, une aide financière
pour les diplômés sans emploi,
2 000 roupies (22 euros) par mois
pour les femmes au foyer. Il est
parvenu à séduire les groupes so-
ciaux défavorisés, les pauvres, les
dalits, les musulmans, les tribus et
il fait une percée chez les jeunes et
les femmes. Le BJP a conservé son
socle, les classes moyennes et su-
périeures urbaines.
Ce succès du Congrès intervient
alors que son chef, Rahul Gandhi,
vient d’être évincé du Parlement
ÉTATS-UNIS
El Paso
Ri
o Br
avo
Ciudad Juarez
Matamoros
TAMAULIPAS Golfe du
Mexique
MEXIQUE Mexico
GUERRERO
Océan HONDURAS
Pacifique
1 000 km
tés au milieu du pont frontalier,
vendredi soir. Le groupe venait
d’apprendre, par une journaliste,
qu’il était aussi possible de de-
mander directement l’asile aux
gardes-frontières, sans passer par
l’application mobile. Refoulés par
la police mexicaine à minuit, ils
ont retenté leur chance dès le sa-
medi matin, et ont été finalement
admis sur le sol américain à la
tombée de la nuit. « L’information
était bonne et je suis en train de
l’envoyer à tous mes contacts à
Ciudad Juarez », raconte au télé-
phone, euphorique, la jeune
Willianys, 22 ans, qui cherchait, à
minuit, un refuge pour passer la
nuit à El Paso, coté américain,
juste en face de Ciudad Juarez.
Le long de la frontière, les infor-
mations contradictoires vont bon
train et la parole des gouvernants
suscite la méfiance. Le ministre
des affaires étrangères mexicain,
Marcelo Ebrard, a assuré, ven-
dredi, que « le Mexique [allait] rece-
voir, chaque jour, un quota maxi-
mal de mille migrants expulsés des
Etats-Unis », mais sans préciser ce
qu’il comptait mettre en place
pour les accueillir. « On voit bien
que le gouvernement mexicain n’a
pas de plan d’action et n’a pas non
plus exigé une aide financière des
Etats-Unis pour gérer ce grand
chaos qu’est devenue la frontière »,
estime Eunice Rendon, porte-pa-
role de l’ONG Agenda Migrante.
Les migrants qui étaient devant
les portes du mur frontalier, il y a
quelques jours, n’ont pas disparu :
on les croise toujours errant dans
les rues poussiéreuses de Ciudad
Juarez, lavant les voitures, occu-
pant refuges et maisons aban-
données. Selon le gouvernement
mexicain, ils seraient toujours en-
viron 10 000 à Ciudad Juarez et
plus de 26 000 au total le long des
3 300 kilomètres de frontière. p
Anne Vigna
et sans doute écarté de la compéti-
tion pour 2024 après avoir été con-
damné pour diffamation, dans un
procès très politique. La sanction
ne l’a pas empêché de faire campa-
gne. Elle n’a pas démoralisé le Con-
grès, mais lui a, au contraire,
donné un nouvel élan et permis
de resserrer les rangs. Pour Rahul
Verma du Centre for Policy Re-
search de Delhi, le résultat du Kar-
nataka ne doit cependant pas être
surinterprété. « La victoire a créé
des conditions et ouvert des voies
pour que le parti réfléchisse à ses
plans de relance ; elle n’a en aucun
cas inversé le cours du déclin du
parti », estime ce politiste.
Les élections au Karnataka sont
les premières d’une série de cinq
scrutins cruciaux organisés, cette
année, au Rajasthan, Madhya Pra-
desh, Chhattisgarh et Telangana.
Le Karnataka ne donne pas encore
d’indications pour 2024, mais il
montre que rien n’est écrit. p
Sophie Landrin
6 | Planète
Bronchiolite : course de vitesse entre laboratoires
Sanofi et AstraZeneca ont présenté les résultats prometteurs de leur anticorps monoclonal contre le VRS
C’
est une nouvelle
étape dans la lutte
contre le virus res-
piratoire syncytial
(VRS), responsable de la majorité
des cas de bronchiolite qui tou-
chent nourrissons et personnes
âgées pendant l’hiver. Le labora-
toire Sanofi, associé à Astra­-
Zeneca, a publié, vendredi 12 mai,
des résultats prometteurs sur le
nirsevimab, son anticorps mo-
noclonal qui sera commercialisé
sous le nom de Beyfortus.
L’étude Harmonie, menée sur
8 000 enfants dans quatre pays
européens entre septembre 2022
et février 2023, montre en effet
une baisse de 83 % des hospitali­-
sations liées au VRS chez les en-
fants de moins de 1 an grâce à une
simple injection de ce produit. Les
précédentes études cliniques
montraient une efficacité déjà
forte, à 79 %. « C’est une surprise.
Habituellement, les études en vie
réelle ont toujours des résultats in-
férieurs aux études cliniques »,
s’enthousiasme Pierre Tissières,
chef du service de réanimation
pédiatrique de l’hôpital Bicêtre, au
Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne),
et auteur de l’étude.
« Prévention dès la naissance »
Un nouveau succès pour les deux
laboratoires, qui avaient déjà ob-
tenu en novembre 2022 l’appro-
bation de la Commission euro-
péenne pour le nirsevimab, préa-
lable indispensable à son déploie-
ment dans les Etats membres.
Dans la course engagée entre la-
boratoires pour lutter contre le
VRS chez les nourrissons, le nirse-
vimab dame ainsi le pion aux vac-
cins en cours de développement.
Il s’agit d’un traitement par anti-
corps de synthèse permettant une
immunisation passive des nour-
rissons. Contrairement aux vac-
cins, qui apprennent au corps à fa-
briquer ses propres anticorps, les
anticorps monoclonaux mettent
directement à disposition des ar-
mes pour lutter contre les virus.
« L’étude montre qu’on peut lan-
cer une stratégie de prévention du
VRS dès la naissance, puisque la
moitié des enfants recrutés l’ont été
en maternité, à moins de trois
mois », insiste Pierre Tissières. Et
ce chez tous les nourrissons. Pour
le moment, le seul anticorps mo-
noclonal contre le VRS disponible
en France depuis vingt-cinq ans, le
palivizumab, commercialisé par
La future stratégie pour l’alimentation et le climat fait déjà débat
La société civile signe une lettre ouverte à Matignon afin de demander des objectifs ambitieux de transition pour une alimentation durable
L e gouvernement s’engage-
ra-t-il en faveur d’une politi-
que volontariste de transi-
tion vers une alimentation saine
et durable ? Comme proposé par
les membres de la ­convention ci-
toyenne pour le climat en 2019, et
fixé dans la loi Climat et résilience
de 2021, l’exécutif doit présenter –
en théorie avant le 1er juillet, mais
tous les observateurs s’accordent
à dire que ce calendrier ne sera pas
respecté – une « stratégie natio-
nale pour l’alimentation, la nutri-
tion et le climat » (Snanc).
Si le grand public n’a guère eu
vent de l’acronyme « Snanc », en-
core méconnu, cette stratégie sus-
cite d’ores et déjà des attentes de
la société civile, qui se mobilise
pour qu’y soient fixées des trajec-
toires claires de transition. Elle in-
quiète également certains acteurs
économiques, qui craignent l’im-
position de nouvelles contraintes.
Alors que le gouvernement n’a,
jusqu’ici, rien laissé filtrer de ses
arbitrages, les différents camps
fourbissent leurs armes. Dernier
épisode : lundi 15 mai, soixante-
Un enfant de 2 ans, hospitalisé pour une bronchiolite, à Valence, en décembre 2022. NICOLAS GUYONNET/Hans Lucas via AFP
AstraZeneca, n’est recommandé
que chez les enfants nés prématu-
rés et/ou atteints de pathologies
cardiaques et respiratoires.
Il s’agit désormais de savoir si et
quand le nirsevimab sera dispo-
nible en France. « Nous avons les
moyens de faire en sorte que l’im-
pact de la prochaine épidémie de
bronchiolite soit modeste ; tout dé-
pend de la réactivité des autorités
sanitaires », plaide Pierre Tissiè-
res. On estime à 50 000 le nom-
bre d’hospitalisations liées cha-
que année à la bronchiolite. Ré-
duire ce chiffre de 83 % changerait
fortement la donne pour le sys-
tème hospitalier. Des discussions
sont en cours entre l’industriel et
le gouvernement français. « L’ob-
jectif est que le produit soit dispo-
nible en France dès l’hiver pro-
chain », avance-t-on chez Sanofi.
Le laboratoire attendait les résul-
tats de l’étude Harmonie pour en-
voyer le dossier à la Haute Autorité
de santé (HAS). « On peut légitime-
ment se poser la question de savoir
s’il est réaliste d’espérer démarrer
dix organisations environne-
mentales et de santé publique,
d’associations de consomma-
teurs, de professionnels de santé
et de sociétés savantes publient
une lettre ouverte à la première
ministre, Elisabeth Borne, pour
demander que la Snanc « énonce
clairement des objectifs ambitieux
et précis pour la transition de notre
alimentation » et « planifie des po-
litiques structurelles tout au long
de la chaîne alimentaire », en fai-
sant de l’accès pour tous à une ali-
mentation durable une priorité.
Un tel front uni est rare : du Ré-
seau action climat (RAC) à l’UFC-
Que choisir, de la Fédération fran-
çaise des diabétiques à la Ligue
contre le cancer, de la Société fran-
çaise de santé publique au syndi-
cat Jeunes médecins et à l’Associa-
tion française des diététiciens-nu-
tritionnistes, ces entités appellent
« le gouvernement à résister à la
pression de certains lobbys agrico-
les et agroalimentaires et à suivre
les recommandations partagées
par les scientifiques et la société ci-
vile pour que la Snanc soit à la hau-
une campagne dès l’automne, sou-
ligne Daniel Floret, vice-président
de la commission technique de
vaccination de la HAS, même si des
procédures accélérées existent. »
Car plusieurs questions se posent :
la production sera-t-elle suffi-
sante ? Quelle stratégie va être
mise en place (population cible,
obligation ou recommandation,
personnes habilitées à injecter) ?
Quel prix va être négocié ?
Sanofi avance prudemment :
« Puisqu’on vise la vaccination de
tous les nourrissons, on est plutôt
sur un prix comparable à celui
d’une vaccination, alors que le coût
de production d’un anticorps mo-
noclonal est supérieur à celui d’un
vaccin. » Pour ce qui est de la pro-
duction, assurée par AstraZeneca,
tout dépendra de l’issue des négo-
ciations, mais « la France est un
marché prioritaire », assure Sanofi.
Par ailleurs, les anticorps mono-
clonaux coûtent très cher et sont
souvent difficiles à distribuer,
dans les pays du Sud en particulier,
où le VRS fait le plus de ravages.
teur des enjeux écologiques, de jus-
tice sociale et de santé publique ».
Elles demandent que la stratégie
ne soit pas qu’un texte vague
mais énonce de véritables outils
et mesures pour améliorer l’offre
et l’environnement alimentaire.
Réglementer la publicité
« La portée de cette stratégie dépen-
dra des arbitrages qui seront ren-
dus très prochainement par la pre-
mière ministre, explique Benoît
Granier, responsable alimenta-
tion au sein du RAC. Il ne faut pas
que ce soit un énième plan, mais
une stratégie structurante, qui fixe
des objectifs, mais aussi des outils
concrets pour les atteindre, qui
puissent ensuite être déclinés régle-
mentairement ou par la loi. » Ces
organisations de la société ci-
vile espèrent des mesures pour
­réglementer l’environnement et
­l’offre alimentaire, comme l’inter-
diction des publicités pour les
­produits les plus mauvais pour la
santé ou l’environnement.
C’est l’idée que défend le Conseil
national de l’alimentation (CNA),
« Et on ne sait pas comment le virus
va évoluer par rapport à cette nou-
velle pression de sélection. Il peut y
avoir des phénomènes d’échappe-
ment immunitaire plus forts avec
les anticorps monoclonaux qu’avec
les vaccins », nuance Marie-Anne
Rameix-Welti, virologue à l’hôpi-
tal Ambroise-Paré, à Paris.
Cas de prématurité
C’est pourquoi les vaccins restent
une piste importante à explorer.
Pfizer est le plus avancé : son
­produit cible les femmes encein-
tes, qui développeront ainsi des
anticorps transmis à leur bébé à
travers le placenta. En novem-
bre 2022, le laboratoire a an-
noncé que son vaccin rédui-
sait de 81,8 % le taux de maladie
grave chez les nouveau-nés.
L’agence américaine chargée
d’autoriser la vente de médica-
ments (Food and Drug Adminis-
tration, FDA) doit se prononcer
en août et une décision est atten-
due de l’Agence européenne du
médicament (EMA) dans l’année.
La formulation
« modérer l’offre
de produits
carnés et
laitiers » divise le
Conseil national
de l’alimentation
instance consultative indépen-
dante, qui a remis au gouverne-
ment un avis adopté le 5 avril. Le
CNA y propose dix-sept objectifs
pouvant servir de base à l’élabora-
tion de la Snanc. Cet avis a été très
débattu, comme le confirme le
document final, qui fait part de
plusieurs désaccords : la Fédéra-
tion nationale des syndicats d’ex-
ploitants agricoles (FNSEA), La
Coopération agricole (LCA) et
cinq autres membres du CNA
s’opposent par exemple à la for-
mulation « modérer l’offre de
­produits carnés et laitiers » au sein
de la distribution, et disent privi-
Des inquiétudes se sont toute-
fois exprimées dans le monde
scientifique sur la sécurité de ce
produit à injecter à partir du
sixième mois de grossesse. Un an
plus tôt, le laboratoire GSK, qui
testait un vaccin basé sur la
même technologie à destination
des femmes enceintes, a dû
­mettre un terme définitif à son
essai de phase 3 en raison d’une
proportion plus élevée de nais-
sances prématurées dans le
groupe recevant le traitement par
rapport au groupe de contrôle re-
cevant un placebo. En lien avec
ces naissances prématurées, plu-
sieurs nouveau-nés sont morts
dans le groupe traité.
« Les vaccins de GSK et Pfizer ci-
blent tous deux la même protéine
présente à la surface du VRS et
sont tous deux non adjuvantés,
analyse Marie-Anne Rameix-
Welti. Il ne faut pas s’attendre à des
effets secondaires très différents. »
Or, dans l’essai de Pfizer, un petit
excès de naissances prématurées
a également été observé, sans
légier la « notion d’équilibre ali-
mentaire entre produits végétaux
et animaux ». De même, l’Associa-
tion nationale de l’industrie
agroalimentaire (ANIA), la FNSEA,
LCA et deux autres représentants
sont en désaccord avec l’idée de
« réglementer le marketing et la
publicité des produits allant à
­l’encontre d’une alimentation
équilibrée, saine et durable » et di-
sent préférer un « encadrement
volontaire ». En tout, la moitié des
objectifs énoncés par le CNA font
l’objet d’avis défavorables de
­certains membres.
« Aujourd’hui, il n’y a pas de stra-
tégie française pour l’alimentation
durable. On ne reconnaît même pas
l’alimentation comme un nœud de
politiques publiques fondamen­-
tales », regrette Mathieu Saujot,
coauteur d’une étude de l’Institut
du développement durable et des
relations internationales trans-
mise en avril au gouvernement.
Estimant que la Snanc est une
occasion d’anticiper des risques
futurs, la fondation de recherche
insiste sur la nécessité de mettre
­
0123
­Mardi 16­ mai 2023
Des inquiétudes
se sont
exprimées sur
la sécurité du
vaccin Pfizer,
à injecter à partir
du sixième mois
de grossesse
pour autant qu’il soit considéré
comme statistiquement signifi-
catif. « Les petites différences dans
le design des études suffisent-elles
à expliquer cet écart statistique ? »,
s’interroge la virologue.
Dans l’essai de Pfizer, les pays
du Nord sont en effet prédo­-
minants, alors que la liste de pays
est plus variée dans l’essai GSK.
L’âge gestationnel auquel a été
administré le vaccin aux femmes
enceintes est en revanche à peu
près similaire, entre 24 et 36 se-
maines de grossesse.
Dans le British Journal of Medi-
cine, des spécialistes ont appelé,
mercredi 10 mai, à de nouvelles
analyses des données de Pfizer et
un suivi postapprobation du vac-
cin, si la FDA l’approuve. « Il s’agit
d’un nouveau vaccin pour lequel
on dispose de données de sécurité
sur un nombre assez réduit de
­sujets, ce qui justifie une position
de méfiance chez de nombreux
spécialistes et un appel à la vigi-
lance », explique Odile Launay,
directrice du centre de vaccinolo-
gie Cochin-Pasteur.
Les réticences peuvent aussi
s’expliquer historiquement :
dans les années 1960, des essais
pour un vaccin à administrer di-
rectement aux nourrissons
avaient été abandonnés car le
produit n’entraînait pas de pro-
tection et aggravait même la ma-
ladie. « Sur la vaccination anti-
VRS, il y a une étiquette “attention
danger” », résume Daniel Floret,
Par ailleurs, l’existence d’autres
solutions que le vaccin, tels les an-
ticorps monoclonaux, accroît
l’attention portée à la balance bé-
néfice-risque de ce nouveau vac-
cin, rappelle Odile Launay. « At-
tention à ne pas condamner trop
tôt un produit qui peut apporter
un vrai bénéfice en termes de
santé publique », avertit de son
côté Marie-Anne Rameix-Welti. p
Delphine Roucaute
fin au « mythe du consommateur
responsable » : « Pendant vingt
ans, on s’est dit que des groupes
­sociaux leaders entraîneraient
l’ensemble des consommateurs et
de l’offre vers le haut. Force est de
constater que ça n’a pas marché,
résume M. Saujot. Aujourd’hui, il y
a un environnement alimentaire
en partie néfaste sur les questions
de santé et d’environnement, sur
lequel il faut agir et mettre des
­contraintes. C’est aussi un autre
­récit à construire : c’est l’Etat, avec
les acteurs privés, qui est responsa-
ble de la transition alimentaire,
pas juste les consommateurs. »
Le gouvernement suivra-t-il les
appels à engager une stratégie
d’ampleur ? A Matignon, l’entou-
rage de la première ministre,
­Elisabeth Borne, se montre peu
disert sur le sujet. Tout juste expli-
que-t-on que « l’ambition du gou-
vernement est de mettre en œuvre
la loi Climat et résilience et d’ac-
compagner la transition vers des
systèmes alimentaires plus dura-
bles », sans autre précision. p
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0123
8| ­
­Mardi 16­ mai 2023

Retraites : la majorité appréhende un revers

Les députés doivent examiner, le 8 juin, la proposition de loi du groupe LIOT visant à abroger la réforme

L
a promulgation de la ré-
forme des retraites par
Emmanuel Macron ou
les différentes décisions
du Conseil constitutionnel
n’auront pas mis un terme au
rapport de force engagé par les
oppositions sur ce texte. Si l’exé-
cutif cherche à tourner la page, à
l’Assemblée nationale, chaque
examen d’un projet ou d’une
­proposition de loi, chaque séance
de questions au gouvernement,
est l’occasion pour les adversaires
du camp présidentiel de remettre
en question le recul de l’âge légal
de 62 ans à 64 ans.
Cette contestation va prendre
une nouvelle tournure le 8 juin,
jour où le groupe Libertés, indé-
pendants, outre-mer et territoires
(LIOT) aura la main sur l’ordre du
jour jusqu’à minuit. Dans le cadre
de sa niche parlementaire, cette
formation hétéroclite a, en effet,
placé en première position sa
­proposition de loi pour abroger le
texte du gouvernement et propo-
ser la tenue d’une grande confé-
rence sociale sur le financement
du système des retraites, afin d’en
« garantir la pérennité ».
Le groupe composé de 21 élus is-
sus du centre droit, du centre gau-
che, d’outre-mer et de régionalis-
tes a rencontré en ce sens, les 9 et
10 mai, les secrétaires généraux
de la CFDT, Laurent Berger, et de la
CGT, Sophie Binet. Lesquels ap-
pellent, avec les autres membres
de l’intersyndicale, à une quator-
zième journée d’action, le 6 juin.
L’objectif est de « faire reculer le
gouvernement sur sa réforme et
d’offrir l’occasion à Emmanuel Le député de la Meuse et coprésident du groupe LIOT, Bertrand Pancher, à l’Assemblée nationale, le 17 janvier. ARTHUR N. ORCHARD/Hans Lucas via AFP
Macron de sortir par le haut de
cette crise », avance le coprésident
du groupe LIOT, Bertrand Mais, pour ses défenseurs, voter le texte de LIOT « par cohé- s’appuyant sur l’article 89.4 du préciée par le président [de la com-
­Pancher. Une initiative parle­- l­ ’intérêt de cette proposition de rence », le président du parti, Eric
L’objectif ­règlement de l’Assemblée natio- mission des finances] ou par le
mentaire qui sera l’occasion pour loi vise à permettre aux députés Ciotti, a déjà assuré que les élus de est « d’offrir nale, le gouvernement ou tout dé- rapporteur général du budget ».
les élus du camp présidentiel « de de voter pour la première fois sur droite auront « une liberté de puté pourrait interroger la receva- Autrement dit, soit l’« insoumis »
continuer à expliquer [leur] pro- la mesure la plus emblématique vote » sur ce scrutin.
l’occasion bilité financière de la mesure dé- Eric Coquerel, soit le macroniste
jet », a rétorqué Emmanuel du programme d’Emmanuel Pour le gouvernement et sa à Macron de fendue par LIOT. Un argument Jean-René Cazeneuve. Lequel juge
­Macron dans un e ­ ntretien à L’Opi- ­Macron. En février, ceux-ci ­majorité relative, la crainte est soulevé par le rapporteur général l’article en question « écrit de ma-
nion, publié dimanche 14 mai, n’avaient, en effet, pas pu aller au donc grande de voir la réforme
sortir par le haut du budget, Jean-René Cazeneuve nière ambiguë ». « C’est seulement
dans lequel il dénonce « le déni de terme de l’examen en première phare du second quinquennat de de cette crise », (Renaissance), rappelant – comme en cas d’empêchement du prési-
réalité » des opposants à la ré- lecture du projet de loi de finance- M. Macron être fragilisée par M. Macron – que l’abrogation de la dent de la commission des finan-
forme. « Que l’on m’explique com- ment rectificatif de la Sécurité so- l’adoption à l’Assemblée de cette
affirme Bertrand mesure d’âge coûterait quelque ces que celui-ci peut déléguer au
ment, sans réforme, financer une ciale, puis l’exécutif avait décidé, à proposition de loi. Depuis quel- Pancher, 15 milliards d’euros à l’horizon rapporteur général », rétorque
proposition de loi à 15 milliards la mi-mars, de recourir à l’arti- ques jours, une question taraude 2030 pour le système des retraites. M. Coquerel, citant un rapport de
d’euros. Par le déficit, avec les inté- cle 49.3 de la Constitution – qui le camp présidentiel : faut-il pren-
coprésident « Le problème, c’est qu’on ouvre la son prédécesseur socialiste Jé-
rêts à venir ? En réduisant d’autres permet de faire adopter un texte dre le risque d’aller jusqu’au vote de LIOT boîte de Pandore, déplore l’élu ger- rôme Cahuzac, rédigé en 2012.
politiques publiques ? En baissant sans vote – devant l’incertitude de le 8 juin ? La stratégie des trois sois. Chaque niche va être l’occa- L’élu LFI rappelle aussi que la pro-
les pensions ? En augmentant les disposer d’une majorité. « C’est groupes de la majorité (Renais- sion pour les oppositions d’alourdir position de loi a passé le premier
cotisations ? », questionne-t-il. inimaginable dans une démocra- sance, MoDem et Horizons) doit camp macroniste durant cette les factures. » filtre du bureau de l’Assemblée
tie que le Parlement ne se pro- être discutée, mardi 16 mai, en ­législature à l’occasion des niches nationale, présidée par Yaël
La clé viendra des élus de LR nonce pas sur une telle réforme », matinée, à l’occasion de la de La France insoumise (LFI), de « Manœuvres dilatoires » Braun-Pivet (Renaissance), qui a
« C’est assez irresponsable de leur argue M. Pancher, convaincu que ­réunion de l’intergroupe. LR ou encore celle des communis- Avant l’examen du texte en com- jugé le texte recevable.
part de laisser croire que leur le chef de l’Etat n’aura d’autre Une partie de l’exécutif et de la tes le 5 mai, afin de ne pas perdre mission des affaires sociales, le Pour se prémunir de cette ten­-
­démarche permettra de revenir sur choix que de retirer sa réforme si coalition présidentielle envisage des scrutins face à des opposi- 31 mai, puis en séance publique le tation de l’obstruction, le prési-
la réforme des retraites », a égale- sa proposition de loi est votée. d’utiliser tous les moyens à leur tions coalisées. 8 juin, une première bataille juri- dent du groupe LIOT, Bertrand
ment critiqué la première Dans un Hémicycle où neuf voix disposition (dépôt d’amende- Parmi les outils évoqués dans le dique et politique a eu lieu entre ­Pancher, a écrit une lettre ouverte
­ministre, Elisabeth Borne, le seulement ont manqué le 20 mars ments, longues prises de parole, camp présidentiel figure l’arti- les membres de la coalition prési- au président de la République, le
11 mai, au cours d’un déplace- pour faire adopter la motion de rappels au règlement…) pour faire cle 40 de la Constitution, qui inter- dentielle et des oppositions, mer- 9 mai, dans laquelle il prévient
ment à la Réunion. S’il est adopté censure transpartisane contre le traîner les débats et empêcher la dit qu’une proposition de loi ou credi 10 mai, au sein du bureau de que « le recours à des manœuvres
à l’Assemblée nationale, le texte gouvernement, la clé viendra, une tenue d’un scrutin, qui s’annonce un amendement déposé par un la commission des finances. Elle a dilatoires (…) alimenterait le feu de
n’a aucune chance de passer en- nouvelle fois, du vote des 62 dépu- serré, avant l’heure fatidique de parlementaire entraîne « soit une porté sur l’interprétation de l’arti- la colère et aggraverait la crise dé-
suite l’étape du Sénat, où la majo- tés Les Républicains (LR). Alors minuit. Des manœuvres d’obs- diminution des ressources publi- cle 89.4 du règlement de l’Assem- mocratique ». Son groupe fait
rité de droite et du centre a fait que le député LR du Lot Aurélien truction gouvernementale et par- ques, soit la création ou l’aggrava- blée nationale, selon lequel « l’ir- aussi planer la menace d’une
­savoir qu’elle ne le voterait pas. Pradié a annoncé son intention de lementaire déjà éprouvées par le tion d’une charge publique ». En recevabilité » d’un texte « est ap- nouvelle motion de censure si un
vote n’a pas lieu. « Auront-ils assez
d’intelligence politique pour met-
Les syndicats misent sur le texte de LIOT pour prolonger la mobilisation tre leur ego de côté et ne pas faire
d’obstruction ? », demande l’autre
coprésident du groupe LIOT
Au moment du vote, c’est une voix l’examen du texte. Ce rapprochement les députés de gauche et de droite pour « Nous allons multiplier les appels en fa- Christophe Naegelen (Vosges).
qui ne sera pas comptabilisée, mais elle entre des membres de la représentation qu’ils convergent avec leurs collègues. veur de l’adoption de cette proposition de De nombreux élus de la coali-
va peser sur le scrutin. Le 8 juin, les dé- nationale et le mouvement social donne Les autres centrales syndicales repré- loi », prévient Frédéric Souillot, le secré- tion présidentielle plaident toute-
putés du groupe Libertés, indépendants, lieu à des scènes plutôt inattendues. Le sentatives à l’échelon interprofession- taire général de FO, en précisant qu’« une fois pour assumer le débat dans
outre-mer et territoires (LIOT) défen- 10 mai, le centriste Charles de Courson et nel ont été ou vont être invitées par attention particulière sera accordée aux l’Hémicycle et prendre le risque
dront dans l’Hémicycle une proposition plusieurs autres députés LIOT étaient M. de Courson et ses amis. Parmi elles, représentants de la majorité et du parti d’aller au vote. « Si on doit avoir le
de loi qui entend abroger le recul de côte à côte avec Sophie Binet, la secré- la CFDT. « On est presque à la fin du Les Républicains ». « La logique voudrait débat, alors il faudra l’avoir sur
l’âge légal de départ à la retraite de 62 à taire générale de la CGT, à quelques match, indique son secrétaire général, que la plupart d’entre eux s’opposent à la l’ensemble des enjeux : l’emploi des
64 ans – la disposition phare de la ré- ­enjambées de l’Assemblée nationale. Pre- Laurent Berger. Mais le groupe LIOT démarche du groupe LIOT, mais nos argu- seniors, la pénibilité, les carrières
forme promulguée le 14 avril. Outre la nant la parole devant des journalistes à nous offre du temps additionnel. » Une ments peuvent en faire vaciller quelques- longues… », prévient la présidente
gauche, l’extrême droite et des person- l’issue d’une réunion, les protagonistes métaphore sportive pour signifier que uns et les conduire à se faire porter pâle, le du groupe Renaissance, Aurore
nalités de droite, une autre force, exté- ont exprimé le désir partagé de jeter aux ces parlementaires injectent du carbu- jour du vote », affirme-t-il. Cyril Chaba- Bergé. L’élu Renaissance du Bas-
rieure au Palais-Bourbon, appuie cette oubliettes la retraite à 64 ans. rant dans une contestation qui risquait nier, le président de la CFTC, veut, lui Rhin Charles Sitzenstuhl appelle
initiative : les treize organisations de de tomber en panne sèche. « On sent aussi, cibler les députés de ces deux blocs aussi son camp « à faire de la
­salariés et de défense de la jeunesse, ras- « Electrochoc politique » qu’il y a une possibilité que cette proposi- « pour les convaincre » de s’opposer au re- ­politique », le 8 juin. « Il va falloir
semblées dans une intersyndicale. « La proposition de loi du groupe LIOT tion de loi passe », poursuit le responsa- port de l’âge légal. Le fait d’en discuter déposer des amendements, être
A la pointe du conflit contre la mesure constitue une sortie de crise par le haut ble cédétiste. Si tel est le cas, « ça n’abro- avec des élus LIOT est « un symbole im- présent dans l’Hémicycle, répon-
d’âge dictée par l’exécutif, elles exhortent qui permettrait enfin de tourner la page », gera pas [les 64 ans], mais ça créera un portant », considère François Hommeril, dre aux oppositions, les mettre
les parlementaires à faire chorus avec les confie au Monde Mme Binet. Selon elle, il électrochoc politique », dont le pouvoir le numéro un de la CFE-CGC : « Nous ­devant leurs propres contradic-
élus LIOT. Et pour que leur message soit était « important de rencontrer » des élus en place devra tirer les conséquences : sommes là pour dire que le combat n’est tions… », estime-t-il, donnant le
entendu, elles appellent – pour la quator- de cette formation « afin de savoir dans « Il appartiendrait au gouvernement de pas fini et que le sparadrap des retraites ton d’une journée qui s’annonce
zième fois – la population à descendre quelles circonstances sera voté » leur comprendre qu’il ne peut pas faire reste accroché à Emmanuel Macron. » p d’ores et déjà électrique. p
dans la rue, quarante-huit heures avant texte. Il s’agissait aussi d’« interpeller » comme s’il ne se passait rien. » Bertrand Bissuel Jérémie Lamothe
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023 France | 9

Aurélien Pradié Mailly, la philosophe Julia de

­Funès ou l’ex-président du
­Medef Pierre Gattaz. Mais der-
l’idée de la semaine des quatre
jours est aussi portée par la
­gauche, Aurélien Pradié ne craint
Eric Ciotti,
le président
ses valises à l’Elysée. « On n’est
pas candidat à la présidentielle
pour acquérir un peu de

veut continuer
rière l’espace de réflexion, il y a
aussi la volonté de continuer à
marquer sa différence. Celle en-
tre sa droite populaire et une
pas d’être de nouveau taxé de ­notoriété. Ce que je dis, je me l’ap-
« droite CGT » par ses détracteurs
du parti, semble plique comme un vaccin. »
dans sa famille politique. « Si la avoir renoncé Peut-être. Mais en attendant,
droite continue à ne pas repenser ­celui qui se pose comme le
à toute autorité

à agiter la droite
autre qualifiée de « doloriste » et
incarnée, à ses yeux, par le chef
de file des sénateurs LR, l’ex-fillo-
niste Bruno Retailleau, partisan
de mesures radicales pour ré-
Le député Les Républicains du Lot duire la dette ou encore favora-
ble à un report de l’âge de départ
devait organiser une convention à la retraite à 65 ans. « Je ne crois
pas à cette droite qui mesure son
sur le travail lundi 15 mai courage politique à la douleur
qu’on inflige aux Français et qui
considère que ce sont des profi-
teurs », tranche Aurélien Pradié.
la valeur travail, alors elle laissera
l’extrême gauche seule à le faire,
pour mieux la détruire, à l’image
de [la députée écologiste de
­Paris] ­Sandrine Rousseau », se
­défend-il.
Sa réflexion l’amène à vouloir
questionner la pertinence des
contrats à durée déterminée et
indéterminée (le CDD et le CDI)
– qu’il juge « aujourd’hui à bout
de souffle » – et à prôner une ap-
proche « révolutionnaire » sur la
­défenseur de la droite populaire
sur son travaille son réseau à LR, multi-
plie les rencontres (comme
ex-numéro deux ­Emmanuelle Mignon, l’ancienne
conseillère de Nicolas Sarkozy) et
8 juin. « Eric Ciotti [le président
a invité un certain Jean-Louis Bor-
loo pour sa convention lundi.
de LR] ne donne pas de consignes
parce qu’il sait ­qu’elles ne servent
D’autres sont prévues sur la réno-
vation des institutions ou les
à rien », assène-t-il.
Aux dernières nouvelles, les
­services publics.
A sa façon, Aurélien Pradié a
deux hommes se parlent à nou- déjà lancé ses Etats généraux un
veau au téléphone et doivent mois avant ceux que prépare

E
n deux mois, j’ai pris cinq
ans. » Aurélien Pradié
l’avoue volontiers : être
le trublion de la droite
pendant la réforme des retraites
vous fatigue son homme. A
37 ans, le député Les Républi-
cains (LR) du Lot a gagné en noto-
riété avec son opposition très
médiatisée au texte, mais il a
perdu en qualité de sommeil ; et
surtout son poste de vice-prési-
dent du parti pour insubordina-
tion. Début mai, il a reposé son
corps et son esprit face à l’Atlanti-
que au centre de rééducation du
sportif de Capbreton (Landes).
En parfait amateur de surf, le
trentenaire sait reconnaître une
bonne vague et comment la
prendre le plus longtemps possi-
ble. « Ce qui s’est passé sur les re-
traites, ce n’était pas qu’une
­agitation, c’était la base d’une
vraie reconstruction d’une droite
populaire », veut-il croire.
Au sein du parti, certains
­prennent comme de l’agitation
sa convention pour « repenser le
travail », organisée lundi 15 mai,
à l’Assemblée nationale. Le
­patron des députés LR, Olivier
­ arleix, goûte peu l’initiative.
M question du partage de la valeur
D’autres députés estiment que le
Lotois « continue à jouer perso ».
« On m’a redonné ma liberté. Il ne
fallait pas le faire, leur rétor­-
que-t-il. Je ne vais pas seulement
avoir les inconvénients d’une li-
berté ­retrouvée. »
Le temps d’un après-midi,
M. Pradié entend faire dialoguer
« des gens différents pour sortir
des mêmes rengaines de la
droite » et cite comme invités
l’ancien secrétaire général de
Force ouvrière, Jean-Claude
L’élu occitan
cherche à faire
infuser son
« travailler plus
et travailler
mieux », sorte
de « travailler
plus pour gagner
de plus » mis
au goût du jour
Soutien au texte de LIOT
Le défenseur des « carrières
­longues » lors de la réforme des
retraites en est persuadé, « le
­travail est le sujet qui traverse le
plus le pays, bien au-delà de la
droite ». Il a l’intuition que la
grande réforme nécessaire au
pays réside dans l’organisation
du temps de travail. Il cherche
à faire infuser son « travailler
plus et travailler mieux ». La
­formule sonne comme le « tra-
vailler plus pour gagner plus » du
candidat ­Nicolas Sarkozy,
en 2007, mais mise au goût du
jour de 2023 dans une France
post-Covid-19 marquée par le dé-
veloppement du télétravail. Lui
propose que la semaine de qua-
tre jours (travaillée 38 heures ou
39 heures) remplace les heures
supplémentaires défiscalisées
comme mesure phare.
« Toutes les entreprises sont en
train de muter, de la plus petite à
la plus grande. L’organisation de
la semaine de travail est une
­nouvelle manière de rémunérer le
travail », développe l’éphémère
­numéro deux de LR. Et tant pis si
dans les entreprises. Sans trop en
dire plus pour l’instant.
Mais Aurélien Pradié n’a fini de
faire parler de lui sur le sujet des
­retraites. Après avoir affiché ses
divisions lors des débats sur la ré-
forme du gouvernement, ces der-
niers mois, la droite risque de
connaître une nouvelle crise sur
ce sujet. Avec une nouvelle fois, le
député du Lot à l’offensive ­contre
l’exécutif, aux côtés d’autres
membres de ­l’opposition.
Alors que le groupe Libertés,
­indépendants, outre-mer et ter-
ritoires (LIOT) portera une pro-
position de loi, le 8 juin, à
­l’Assemblée nationale, visant à
abroger la réforme de l’exécutif,
Aurélien Pradié a annoncé son
intention de voter ce texte,
en compagnie d’autres dépu-
tés LR. Le scénario rappelle celui
du vote de la motion de censure
contre le gouvernement, du
20 mars. L’élu occitan était alors
un des 19 élus de droite à l’avoir
soutenue et il sent que certains
camarades de groupe, favorable
à la réforme des retraites, ris-
quent de se faire porter pâle le
bientôt se revoir. Pour se dire Eric Ciotti pour l’ensemble du
quoi ? Convaincu que l’électron parti LR, en juin. J’y participerai
libre de la droite prépare son aussi, dit-il. Mais on ne va pas se
aventure personnelle en vue de regarder le bout des chaussures
l’élection présidentielle de 2027, pendant 107 ans avant de prendre
le patron du parti semble avoir des initiatives. » De quoi renfor-
renoncé à avoir toute autorité cer son image d’homme pressé
sur lui. L’intéressé répète et ambitieux, véhiculée par ses
­pourtant ne pas avoir grandi détracteurs. p
avec l’objectif de poser un jour Alexandre Pedro
Eric Ciotti se dote
d’un « contre-gouvernement »
Le président du parti Les Républicains (LR), Eric Ciotti, a dévoilé
dans Le Journal du dimanche, le 14 mai, un « contre-gouverne-
ment » alternatif à celui d’Emmanuel Macron pour défendre
les idées du parti de droite et bâtir un projet programmatique.
Dans cette équipe, au sein de laquelle la secrétaire générale
de LR, ­Annie Genevard, joue le rôle de « coordinatrice », on re-
trouve l’ex-patron de la police nationale, Frédéric Péchenard ­
(intérieur), l’eurodéputée Nadine Morano (immigration),
ou ­encore les députés ­Véronique Louwagie (comptes publics)
et Philippe Juvin (santé). Autre visage connu : Michel Barnier,
chargé des affaires étrangères. Si cet organigramme de trente-
deux « contre-ministres » mêle toutes les tendances de LR,
­l’ancien numéro deux du parti, Aurélien Pradié, n’y figure pas,
après sa fronde sur le sujet des retraites. Chaque responsable
d’un dossier doit porter la parole du parti sur sa thématique,
et ­s’imposer comme un futur ministre en puissance, en vue
de l’élection présidentielle de 2027.

Chronique |
p a r s ol e nn de roy e r

L’anniversaire amer de Borne

Elle fête mardi 16 mai sa
­première année à Matignon.
­Elisabeth Borne – qui doit tenter
de renouer, mardi et mercredi,
le dialogue avec des syndicats
toujours à cran – n’a rien prévu
pour cet anniversaire amer.
Qu’aurait envie de célébrer cette
première ministre en sursis, qui
enchaîne les défis impossibles
tout en voyant son autorité dé-
fiée et son image abîmée ?
Ses relations avec Emmanuel
Macron se sont beaucoup
­dégradées. Mme Borne supporte
ment éconduite dans une lettre –
dévoilée le 10 mai par Le Canard
enchaîné – au ton jugé « limite »
par les proches de Matignon. De
son côté, le ministre de la dé-
fense, Sébastien Lecornu, autre
prétendant, n’en fait qu’à sa tête
sur la loi de programmation mili-
taire, qui arrive devant le Parle-
ment la semaine du 22 mai.
La cheffe du gouvernement
s’est également vivement oppo-
sée à Gabriel Attal au sujet des
baisses d’impôts pour les classes
­moyennes, auxquelles elle n’était
ciers, autant que je m’y colle,
moi ! », a-t-elle glissé au président,
l’incitant à l’« essorer » jusqu’au
bout. Ce dernier a semblé se ral-
lier à ses arguments, lui assurant
qu’elle passerait l’été.
Emmanuel Macron n’a en effet
que des mauvaises solutions
pour la remplacer. Une nomina-
tion de MM. Darmanin ou
­Lecornu, issus de la droite, ferait
fuir le président du MoDem,
François Bayrou, et l’aile gauche
de la majorité. A l’inverse, une
­nomination du macroniste Julien
©Lisa Mandel

de plus en plus mal les injonc-
tions calendaires du président :
« trois semaines » pour concerter
et tenter d’« élargir la majorité »,
« cent jours » pour « apaiser »…
Des mises en garde ­sèches (« J’es-
père qu’elle y parviendra »), sans
le moindre mot de gratitude
pour le travail accompli – vingt-
sept textes votés en un an –
dans un contexte politique
pas favorable, compte tenu de la
situation budgétaire. Mais
­Emmanuel Macron a tranché en
faveur du ministre délégué aux
comptes publics. Piquée, elle n’a
pas jugé bon d’évoquer le sujet, le
26 avril, dans son discours des
cent jours ; c’est M. Attal qui a dû
l’annoncer lui-même le lende-
main, à l’Assemblée nationale.
Denormandie crisperait
MM. Darmanin, Le Maire et
­Lecornu, le premier ayant déjà fait
savoir à certains poids lourds de
la majorité qu’il ne resterait pas
dans un gouvernement dirigé par
l’ancien ministre de l’agriculture,
au profil jugé trop lisse et techno.
Les promesses n’engageant que
ceux qui les reçoivent, celles du
chef de l’Etat deviendraient inte-

d’une rare complexité.
Entre les deux têtes de l’exécutif,
les dissonances se font de plus
en plus fréquentes (et bruyantes) :
sur l’immigration – elle avait an-
noncé un report du texte, finale-
ment remis sur le métier à la
­demande du chef de l’Etat ; sur la
fiscalité – elle voulait faire une
« pause » dans les baisses d’im-
pôts, finalement confirmées par
M. Macron ; ou sur la méthode
– elle plaidait pour un temps
d’« apaisement », alors que le chef
de l’Etat répète qu’il faut conti-
nuer à réformer vite et fort.
Au sein même du gouverne-
ment, la première ministre peine
à imposer son autorité aux poids
lourds qui convoitent sa place et
se montrent de plus en plus in-
disciplinés. Le ministre de l’inté-
rieur, Gérald Darmanin, à qui elle
a demandé – comme aux autres –
de faire 5 % d’économies dans
son ministère, l’a ainsi sèche-
« Elle en bave »
Quant au ministre du travail,
­Olivier Dussopt, il répète partout
qu’il n’a « qu’un seul patron » :
­Emmanuel Macron. « Quand
même, elle en bave… », fait parfois
mine de s’apitoyer le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, qui
rêve, lui aussi, de la remplacer.
L’intéressée sait que ses jours
sont comptés. Courant avril, Em-
manuel Macron a même envisagé
de remanier dès le mois de mai.
« Pourquoi pas le 1er ? », jour du dé-
filé syndical, a-t-il même imaginé,
bravache, avant de se raviser.
Plusieurs ministres sont jugés
fragilisés : Eric Dupond-Moretti
(justice), Jean-Christophe Combe
(solidarités), François Braun
(santé) ou encore Pap Ndiaye
(éducation nationale). De son
côté, Elisabeth Borne a plaidé
pour rester à Matignon jusqu’à
l’automne, au moins. « Il va y
avoir des 49.3 sur les textes finan-
BANDE DESSINÉE
nables en cas de nouvelles turbu-
lences politiques, notamment
le 8 juin, jour de l’examen de la
proposition de loi du groupe
­Libertés, indépendants, outre-
mer et territoires (LIOT) visant
à abroger la réforme des retraites. avec Lisa Mandel
Dans son entourage, on loue la
ténacité de Mme Borne, et son
« courage ». L’intéressée continue Explorez les techniques narratives de la bande dessinée « du réel ».
de se battre. Dans Le Journal du Avec la créatrice de Se rétablir (sélection officielle Angoulême 2023), Les Nouvelles de la jungle (de Calais)
dimanche du 14 mai, elle affiche (Casterman, 2017), et Esthétique et filatures (Prix Artémisia de la BD féminine 2009).
sa « détermination » à « relever les
défis considérables du pays » et dit — Du 22 au 26 mai - 15 heures de formation sur une semaine
vouloir poursuivre sa tâche.
« Je n’ai pas de doute sur le fait que
certains se verraient bien à ma
place », ajoute-t-elle, mais « avan-
cer, c’est la seule chose qui m’im-
porte ». Quoi qu’il arrive, elle veut
croire qu’elle pourra capitaliser
à terme sur sa capacité de résis-
tance. Le moment venu, elle s’em- ateliers.lemonde.fr
ploiera aussi à soigner son profil
de gauche. M. Macron n’est pas le
seul à préparer son héritage. p

10 | France
Un cannabis
de synthèse,
le HHC, suscite
l’inquiétude
Le ministère de la santé doit
se prononcer sur cette substance
en vente dans les magasins de CBD
E
xiste-t-il désormais un
« joint légal » ? L’expres-
sion fait florès ces der­-
nières semaines pour ra-
conter l’essor d’une nouvelle subs-
tance arrivée sur le marché
­français depuis près d’un an : le
HHC, pour hexahydrocannabinol.
Huile, bonbons, fleurs, à fumer ou
à vaporiser… ce cannabinoïde de
synthèse – soit l’une des molécu-
les de la plante de chanvre (canna-
bis) obtenue après des opérations
chimiques – a déferlé dans les bou-
tiques « bien-être », spécialisées
jusqu’ici dans le CBD (cannabidiol)
et sur les sites de vente en ligne.
Les mêmes effets planants,
euphorisants, désinhibiteurs, le
même processus de consomma-
tion possible sous forme de
joints, une composition simi-
laire : le HHC ressemble à s’y mé-
prendre au THC (tétrahydrocan-
nabinol), la substance responsa-
ble des effets psychotropes du
cannabis, classé pour cette raison
comme un stupéfiant et interdit à
la consommation en France. Sauf
qu’il circule, lui, librement.
Chez les médecins, l’inquiétude
monte. « C’est une question de
­cohérence en termes de santé publi-
que, explique Nicolas Authier,
pharmacologue et psychiatre.
Quand on observe une similarité
chimique avec le THC, de mêmes
­effets, avec une molécule qui agit
sur les mêmes récepteurs, est-ce
qu’on attend d’observer des compli-
cations ou bien doit-on agir pré-
ventivement ? » Les effets indésira-
bles du psychotrope ne devraient
pas manquer, eux aussi, d’être
constatés également pour le HHC.
« Cela n’a rien à voir avec le CBD »,
précise le médecin, à propos de ce
« cannabis-bien-être » recherché
pour son effet relaxant et autorisé,
n’étant pas considéré comme un
stupéfiant, « en raison de l’absence
de risque de dépendance ».
Tariq Ramadan affronte un premier procès pour viol en Suisse
L’islamologue est accusé d’avoir agressé une femme dans un hôtel de Genève en 2008. Il est poursuivi dans d’autres affaires en France
L a première confrontation
publique entre Tariq Rama-
dan et l’une de ses accusa-
trices s’ouvre, lundi 15 mai, devant
le tribunal correctionnel de Ge-
nève. Selon l’acte d’accusation,
l’islamologue se serait rendu cou-
pable de viol « à trois reprises » et
de « contrainte sexuelle » (fella-
tion) durant la même nuit du
28 au 29 octobre 2008, dans un
hôtel de Genève. Il encourt de
deux à dix ans de prison. Son pro-
cès a été ordonné par le parquet
suisse, à la suite d’une plainte dé-
posée en avril 2018.
La plaignante, R. A. D., surnom-
mée « Brigitte » dans la presse, est
une Suissesse convertie à l’islam,
qui avait rencontré Tariq Rama-
dan dix ans plus tôt, lors d’une
séance de dédicaces, puis d’une
conférence. Alors âgée d’une qua-
rantaine d’années, cette mère de
famille avait entretenu pendant
quelques mois une correspon-
dance sur MSN et Facebook avec
lui, avant de le rejoindre, en octo-
Pourquoi le HHC est-il en libre
accès ? Quel est le statut de ce nou-
veau venu ? Impossible de répon-
dre clairement à cette question sur
cette création chimique synthéti-
sée pour la première fois dans les
années 1940. Selon Yann Bisiou,
enseignant-chercheur à l’univer-
sité Paul-Valéry à Montpellier et
spécialiste du droit de la drogue, il
s’agit de définir si cette substance,
par sa structure chimique, appar-
tient bien à l’une des sept familles
de cannabinoïdes de synthèse
classées par l’Agence nationale de
sécurité du médicament et des
produits de santé (ANSM) comme
stupéfiant. Ce qui, selon ses con-
sultations auprès de pharmacolo-
gues, est le cas du HHC : « Il n’y a
pas de vide juridique. Il s’agit seule-
ment d’une incertitude pharmaco-
logique sur la nature de ce produit,
qu’il faut trancher au plus vite. »
Public jeune ciblé
« On court toujours après les dro-
gues, le temps d’identifier un pro-
duit, d’observer les problèmes qui
remontent, reprend Nicolas Au-
thier. Mais la différence avec le
HHC, c’est qu’au lieu de se dévelop-
per sur le marché noir des drogues
de synthèse, il s’appuie sur ce mar-
ché légal du CBD. »
Dans un rapport publié le 17 avril,
l’Observatoire européen des dro-
gues et des toxicomanies alerte
sur ce « problème émergent » que
constitue le « nouveau marché »
d’une molécule aux potentiels
« risques sanitaires et sociaux »,
tout en retraçant sa fulgurante as-
cension. Le HHC a fait son appari-
tion en Europe lors d’une saisie
des douanes du Danemark en
mai 2022. Présenté dans une fiole
anodine comme une décoction fa-
vorisant l’endormissement, fabri-
quée en Suisse, il s’agit du premier
cas d’hexahydrocannabinol relevé
par le « système d’alerte précoce »
bre 2008, à l’hôtel où il séjournait.
Il aurait saisi un prétexte pour
l’entraîner dans sa chambre et lui
aurait fait subir des actes sexuels
d’une très grande violence, ac-
compagnés de gifles et d’insultes.
L’enquête suisse s’est ouverte à
l’automne 2018, alors que Tariq
Ramadan était en détention pro-
visoire en France, dans le cadre de
deux autres affaires de viol (il a
été incarcéré pendant neuf mois,
du 2 février au 15 novembre 2018).
Sa première audition par le procu-
reur suisse Adrian Holloway, re-
tardée tant par le confinement
que par la lenteur de la coopéra-
tion entre les deux pays, n’a eu
lieu que deux ans plus tard, en
juillet 2020, au palais de justice de
Paris, le contrôle judiciaire im-
posé à l’islamologue après sa re-
mise en liberté lui interdisant de
quitter le territoire national.
En septembre, puis en octo-
bre 2020, Tariq Ramadan a été
confronté à la plaignante, tou-
jours à Paris. Deux longues jour-
de l’observatoire européen. En
quelques mois, une cinquantaine
d’autres saisies sont répertoriées.
Si bien qu’en avril, le HHC est déjà
diffusé dans vingt pays de l’Union
européenne.
La gamme des produits au HHC
est large. Il s’agit notamment de
fleurs de cannabis vaporisées par
cette substance ; d’e-liquide des-
tiné aux vapoteuses ; ou encore de
bonbons gélifiés aromatisés. Au fil
des saisies douanières et policiè-
res, on retrouve des produits au
packaging sophistiqué et bariolé,
ciblant un public jeune, et utilisant
des dénominations bien connues
des consommateurs de joints :
« afghan kush », « amnesia », « pur-
ple haze »… Soit les variétés de can-
nabis parmi les plus populaires.
En Allemagne, la police du Bade-
Wurtemberg a ainsi repéré des
­vapoteuses « mango kush » ven-
dues à 40 euros pièce dans un dis-
tributeur automatique. D’autres
lots de matière première transpor-
« Tariq Ramadan
l’a croisée
deux fois,
rencontrée un
soir et démolie
dans la nuit »
François Zimeray
avocat de la plaignante
nées pendant lesquelles R. A. D. a
maintenu ses accusations, Tariq
Ramadan dénonçant des « men-
songes » et des « affabulations ». Il
n’a reconnu, pour sa part, que des
« caresses consenties » et a produit
pour sa défense des messages de
son accusatrice avant et après leur
rencontre à l’hôtel. Selon l’une de
ses avocates suisses, Me Yaël
Hayat, cette confrontation avait
aussi permis de révéler les « liens
étroits » entretenus par la plai-
gnante avec d’autres femmes
tés dans des sachets opaques noirs
font aussi partie de ces saisies pro-
venant essentiellement des Etats-
Unis, ainsi que des Pays-Bas et
d’Espagne – des pays connus pour
être des places fortes des laboratoi-
res clandestins de production des
nouvelles drogues de synthèse.
C’est à l’été 2022 que le HHC, sous
ses formats commerciaux, com-
mence à être proposé en France
aux boutiques de CBD. Ses ventes
peuvent aujourd’hui représenter
jusqu’à la moitié du chiffre d’affai-
res de certains magasins. Le prix
au gramme, environ 10 euros, est
presque le même que celui du
­cannabis drogue (avec THC) – et
plus élevé que celui du CBD.
Dans un communiqué commun
publié le 12 avril, les trois princi­-
pales organisations profession-
nelles françaises de la filière du
CBD « déconseillent » néanmoins
son usage, « compte tenu de l’in-
certitude scientifique, sanitaire et
juridique entourant cette molé-
mettant en cause son client. Des
contacts qui, selon elle, tradui-
saient une volonté concertée de
« mettre cet homme à terre ».
Parmi les charges qui seront dé-
battues devant le tribunal correc-
tionnel figurent les attestations et
les notes de deux psychiatres qui
ont suivi R. A. D., dont l’un
­consulté dans l’urgence au lende-
main de cette nuit d’octo-
bre 2008. « Tariq Ramadan l’a
­croisée deux fois, rencontrée un
soir et démolie dans la nuit », ré-
sume l’avocat François Zimeray,
en soulignant le climat « de mena-
ces et de peur » dans lequel vit sa
cliente. Le parquet suisse a égale-
ment obtenu le versement d’une
partie de la procédure française,
notamment les procès-verbaux
d’audition de deux premières
plaignantes françaises, dont
Henda Ayari, décrivant des vio-
lences sexuelles similaires de la
part de Tariq Ramadan. Autant
d’éléments qui, selon l’accusa-
tion, confortent le récit de R. A. D..
« Il y a une
incertitude
pharmacologique
sur la nature
de ce produit,
qu’il faut trancher
au plus vite »
Yann Bisiou
spécialiste du droit de la drogue
cule ». Charles Morel, président de
l’Union des professionnels du
CBD (UPCBD), qui regroupe envi-
ron 500 points de vente, met ainsi
en avant le « principe de précau-
tion, pour la sécurité des consom-
mateurs, face à un produit mal
connu et potentiellement dange-
reux ». Selon lui, seule « une mino-
rité » de ses membres s’est résolue
à vendre du HHC, répondant à
une logique commerciale.
En France, trois autres femmes
se sont constituées partie civile
contre l’islamologue, portant à
cinq le nombre d’affaires de viol
dans lesquelles il est mis en exa-
men. Après avoir nié toute rela-
tion sexuelle avec ses accusatri-
ces, Tariq Ramadan a fait volte-
face pendant l’instruction, en
évoquant des rapports consentis.
« Pas un blanc-seing »
Cette question du consentement
est au cœur du réquisitoire de
90 pages rendu, en juillet 2022,
par le parquet de Paris, qui de-
mande son renvoi devant la cour
d’assises de Paris dans quatre
­dossiers et sollicite un non-lieu
dans le cinquième. Les parties ci-
viles « désiraient et aspiraient à
une relation sexuelle [avec l’ac-
cusé], mais pas dans les conditions
où elles se sont déroulées », relè-
vent les deux procureures, en
évoquant le schéma répété de re-
lations « non protégées, teintées
de mépris et d’humiliation de la
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
Car la demande potentielle est
large. Elle regroupe non seule-
ment les utilisateurs de cannabis,
mais aussi de nouveaux consom-
mateurs, rassurés par l’aspect « lé-
gal » – dont les amateurs déjà con-
vertis au CBD à la recherche d’ef-
fets plus puissants. Ils peuvent se
laisser tenter par les réclames
vantant un produit similaire au
THC, avec des « bienfaits » sur « le
sommeil », « le soulagement de la
douleur », « l’apaisement psycho-
logique », comme le promet par
exemple l’un des sites marchands
spécialisés les mieux référencés.
Réponses en ordre dispersé
Face à cette course de vitesse lan-
cée entre les laboratoires de pro-
duction et les autorités sanitaires,
les pays européens répondent en
ordre dispersé, non sans une cer-
taine confusion. Pour l’heure,
l’Autriche, la Finlande, la Pologne
et la Suisse sont les premiers à
avoir réagi, en interdisant le HHC
au motif qu’il s’agit d’une nou-
velle substance psychoactive,
quand la majorité des pays, à des
phases plus ou moins avancées
de tests pharmacologiques, ne
s’est pas encore prononcée au ni-
veau réglementaire.
La France est de ceux-là. Il n’y a
pas de retard à l’allumage, assu-
rent les pouvoirs publics. « Infor-
mées de la diffusion de cette nou-
velle molécule, les autorités sani­-
taires sont actuellement en train de
travailler à une clarification de son
statut juridique dont l’une des
­conclusions pourrait prendre la
forme d’un classement comme stu-
péfiant », annonce-t-on à la direc-
tion générale de la santé, en fai-
sant référence au travail mené par
l’ANSM. A ce jour, un signalement
est remonté des centres d’évalua-
tion et d’information sur la phar-
macodépendance d’« effets psy-
choactifs chez une personne après
exposition respiratoire à du CBD
contenant du HHC ».
Au ministère de la santé, on dit
suivre les « procédures classi-
ques » et appliquer le « cadre lé-
gal » : « Les enquêtes sont lancées
dans les centres d’addictovigilance
en région pour définir les effets de
la substance, cela devrait aller as-
sez vite. » Les résultats sont atten-
dus « en juin », annonce-t-on au
cabinet de François Braun.
La méthode et la rapidité des
pouvoirs publics ont ceci d’impor-
tants que le HHC risque de n’être
qu’un premier épisode avant
d’autres. L’observatoire européen
signale déjà que, depuis la décou-
verte puis l’expansion du HHC en
Europe, deux autres cannabinoï-
des de synthèse ont été repérés
sur le continent : le HHC-acétate et
l’hexahydrocannabiphorol. p
Thomas Saintourens
et Camille Stromboni
partenaire », notamment « des so-
domies imposées par surprise ».
« Le consentement n’est pas un
blanc-seing qui autorise une fois
pour toutes le partenaire à dicter sa
loi dans tous les registres et qui légi-
time, comme partagée, n’importe
quelle pratique sexuelle imposée »,
poursuivent les procureures. Elles
écartent également un autre argu-
ment présenté par la défense, en
soulignant que l’information judi-
ciaire « n’a pas permis d’établir la
réalité d’un complot [entre les plai-
gnantes], tel que dénoncé par Tariq
Ramadan, mais plutôt une prise de
conscience commune ayant permis
de dénoncer les faits de viols dont
elles ont été victimes ».
L’écho de ce réquisitoire devrait
résonner dans la salle d’audience
du tribunal de Genève. Le procès
est prévu pour durer deux ou trois
jours. Le jugement sera mis en
­délibéré et prononcé le 24 mai. Il
est susceptible d’appel devant la
chambre pénale. p
Pascale Robert-Diard
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­Mardi 16­ mai 2023
Soignants non vaccinés : la réintégration débute
Le retour de ces agents après la fin de l’obligation vaccinale contre le Covid-19 soulève des questions
L
a réintégration des soi-
gnants non vaccinés aura
bien lieu. Elle doit démar-
rer lundi 15 mai : le décret
suspendant l’obligation vaccinale
contre le Covid-19, paraphé par la
première ministre, Elisabeth
Borne, et le ministre de la santé,
François Braun, a été publié au
Journal officiel ce dimanche, pour
une application le lendemain.
Pas de surprise sur le calendrier :
dès l’avis en ce sens remis par la
Haute Autorité de santé – qui, le
30 mars, a revu sa doctrine pour
suggérer que l’injection soit dé-
sormais « fortement recomman-
dée » aux professionnels concer-
nés –, M. Braun s’était engagé à
suivre le cap donné par l’autorité
scientifique. En dépit de l’inquié-
tude exprimée par bon nombre
d’associations de soignants et de
patients. L’obligation avait été
fixée, à l’été 2022, par la loi de sor-
tie de l’état d’urgence sanitaire.
La « méthode », détaillée dans
une instruction adressée il y a
quelques jours aux préfets et aux
agences régionales de santé, pré-
voit un retour au travail « si possi-
ble » dans les deux semaines sui-
vant la parution du décret. D’ici à
la fin mai, donc. Avec une réaffec-
tation au poste précédemment
occupé ou sur un « emploi équiva-
lent » pour les agents publics et les
personnels médicaux. C’est là le
« principe » retenu, quand bien
même un changement d’affecta-
tion pourra être proposé « dans
l’intérêt du service », peut-on lire
dans le document ; voire une rup-
ture conventionnelle, en cas de
difficultés ou de désaccord.
Moins de 4 000 personnes
Si le personnel refuse le poste pro-
posé par l’employeur, il pourra
faire l’objet d’une radiation pour
« abandon de poste ». Mais « l’enjeu
est que cette étape se passe le mieux
possible… ou en tout cas le moins
mal possible », explique au Monde
le ministre de la santé, François
Braun, en faisant état d’une « in-
quiétude réelle » quant à de possi-
bles tensions « ravivées », pour l’oc-
casion, au sein des équipes.
Ces retours ne risquent pas de
ressembler à une « déferlante ».
Pas plus qu’ils ne sauraient être
une réponse à la crise du recrute-
ment à l’hôpital, martèle-t-on sur
le terrain : si, à l’automne 2021, lors
Dans les quartiers, un ras-le-bol face aux pannes d’ascenseur
A Grigny (Essonne), un homme est mort début mai en chutant dans la cage vide d’un appareil défectueux. Un drame qui réveille les critiques
L es habitants du 8, rue Vla-
minck, copropriété dégra-
dée de Grigny 2 (Essonne),
sont sous le choc. Le 3 mai, un
homme de 79 ans a fait une chute
mortelle dans la cage d’ascenseur
de l’immeuble. « L’homme serait
entré et aurait chuté, la cabine
n’étant pas présente », confirme le
parquet d’Evry-Courcouronnes,
indiquant qu’une enquête, con-
fiée au commissariat de Juvisy-
sur-Orge, était en cours.
Une des interrogations porte sur
la responsabilité de la société Otis,
dont un technicien était sur place
ce jour-là pour une opération de
maintenance sur l’ascenseur en
panne. Contactée, l’entreprise a
expliqué travailler « en étroite col-
laboration avec la police pour dé-
terminer les circonstances exactes
de cet accident ». Une cellule psy-
chologique devrait être mise en
place en ce début de semaine.
Ce drame a relancé la probléma-
tique des pannes d’ascenseur ré-
currentes dans les quartiers popu-
laires. Ces derniers jours, Habiba
Dehbi, la présidente du conseil
syndical de l’immeuble, a reçu des
messages de soutien d’« un peu
Des soignants suspendus manifestent pour demander leur réintégration, à Toulouse, le 7 janvier. FREDERIC SCHEIBER / Hans Lucas via AFP
de l’entrée en vigueur de l’obliga-
tion vaccinale pour 2,7 millions de
personnes (soignants mais aussi
personnels des hôpitaux ou des
maisons de retraite, ambulanciers,
aides à domicile ou encore pom-
piers), le gouvernement avait es-
timé à 15 000 les personnes « sus-
pendues ou suspendables », les esti-
mations officielles ont, depuis,
fondu. Avenue de Ségur, on avance
le chiffre de 0,3 % de profession-
nels encore concernés. Moins de
4 000 agents, donc, sur un total de
1,2 million dans la fonction publi-
que hospitalière ; pour moitié
dans le secteur sanitaire, pour
moitié dans le médico-social,
avance-t-on à la Fédération hospi-
talière de France (FHF).
En libéral, l’Assurance-maladie
comptabilise un peu moins de
1 900 professionnels suspendus,
dont 275 médecins. Les praticiens
hospitaliers seraient, eux, moins
d’une centaine – sur 60 000
comptabilisés à l’hôpital public.
partout ». Véritable cœur du bâti-
ment (l’ascenseur est le premier
moyen de transport en France,
avec 100 millions de « trajets » par
jour), l’appareil est aussi la source
de nombreuses frustrations liées
aux dysfonctionnements récur-
rents en banlieue. C’est notam-
ment le cas en Ile-de-France, qui
concentre plus de la moitié du
parc national, dont 25 % aurait
plus de 40 ans.
Dans un immeuble de la cité du
140 de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-
Denis), le 21 avril a été « un jour de
fête », selon Océane Ritbi, rési-
dente de 32 ans. La raison : l’un des
deux ascenseurs de l’immeuble
avait été remis en marche. Deux
jours plus tard, il était de nouveau
hors service et n’a toujours pas
été réparé depuis. « C’est un enfer
quotidien », résume cette maman
de trois enfants et enceinte, habi-
tant au 14e étage.
Prendre les escaliers est pour elle
un défi quasi insurmontable : en
plus des séquelles du Covid, il lui
faut faire avec le squat et le deal
dans les parties communes. « Dès
que les ascenseurs sont en panne, je
ne rentre pas à la maison. Je vais là
Les infirmières et infirmiers,
moins d’un millier, selon l’ordre et
leurs syndicats. Personnels admi-
nistratifs, techniques et logisti-
ques représenteraient, avec les
aides-soignants, la majorité des
personnes concernées.
En dehors de l’Assistance publi-
que-Hôpitaux de Paris, masto-
donte francilien, qui estime à envi-
ron 200 personnes – sur plus de
100 000 professionnels – le nom-
bre de non-vaccinés qui pour-
raient potentiellement revenir, les
remontées, ailleurs, ne dépassent
pas – ou exceptionnellement –
quelques dizaines par établisse-
ment. Ils seraient vingt-huit
agents encore concernés sur les
28 000 que comptent les Hospices
civils de Lyon, dont une quinzaine
de soignants et un seul médecin, y
explique-t-on. Une douzaine à
­l’Assistance publique-Hôpitaux de
Marseille, dont trois aides-soi-
gnants, une infirmière et un
­psychomotricien sur 18 000.
« Dès que
les ascenseurs
sont en panne,
je ne rentre pas
à la maison »
Océane Ritbi
habitante de Noisy-le-Sec
(Seine-Saint-Denis),
vivant au 14e étage
où je peux dormir, notamment
chez ma grand-mère, qui habite
dans le même quartier en rez-de-
chaussée », souffle-t-elle. Comme
d’autres locataires, elle enrage de
payer des charges pour un service
défaillant, et devient résignée.
Ces problèmes participent à
l’isolement d’un public déjà fra-
gile. Des acteurs locaux s’inquiè-
tent aussi de voir certains rési-
dents en rupture de soins, les am-
bulanciers ne venant pas toujours
les chercher. « Les habitants de
banlieue ont l’impression d’être des
sous-citoyens, de ne pas être priori-
taires et imaginent que c’est tou-
jours plus rapide à être réparé dans
Le CHU de Bordeaux a, lui, re-
censé moins de trente agents sur
14 000. Celui de Rennes, dix-huit
agents sur 8 000. « Il y a là sept
aides-soignantes, trois infirmières,
une psychologue, une cadre de
santé, une secrétaire, deux
ouvriers, un aumônier… Bref, un
peu tous les métiers de l’hôpital »,
énumère Erwann Paul, directeur
des ressources humaines de l’éta-
blissement rennais. « La plupart »
lui ont déjà « confirmé la reprise de
poste », dit-il. Mais « pas tous ».
Ce recensement est aussi en
cours au CHU de Toulouse, où
vingt-neuf suspensions – sur
16 000 personnels – étaient tou-
jours en vigueur à la veille du
15 mai. « Vingt agents disent vou-
loir revenir, sept ne pas savoir, et
deux ne pas le souhaiter, rapporte
Edouard Douheret, DRH de l’éta-
blissement toulousain. Mais au
regard des propositions d’affecta-
tion qui seront faites, les positions
peuvent encore changer. »
une tour de bureaux que dans leur
immeuble », confirme Alexandre
Guillemaud, vice-président délé-
gué de l’Union nationale des loca-
taires indépendants Ile-de-France.
A qui la faute ? Du côté des as-
censoristes, on souligne les mau-
vais usages qui peuvent causer
des dysfonctionnements. « Les
dégradations et les incivilités sont
la cause de nombreuses pannes »,
déplore Philippe Boué, président
de la Fédération des ascenseurs.
Du matériel de qualité moindre
Les défenseurs des locataires dé-
noncent, eux, la qualité du maté-
riel : « Si vous avez une Fiat Uno,
vous n’allez pas faire le taxi et rou-
ler 200 kilomètres par jour. L’as-
censeur, c’est le même principe »,
souligne Fouad Ben Ahmed, fon-
dateur du collectif Plus sans as-
censeurs, créé en 2016. « Le maté-
riel installé dans les cités n’est pas
toujours en adéquation avec le tra-
fic, confirme un expert technique
travaillant depuis vingt ans dans
le secteur. On peut installer du ma-
tériel chinois pour pas trop cher. »
Les pièces détachées pour les ré-
parations, dans un secteur déjà à
Qui reviendra ? Qui ne reviendra
pas ? « A notre connaissance, beau-
coup d’infirmiers suspendus ont
tourné la page, quand ils n’avaient
pas déjà en tête, lors de leur suspen-
sion, un projet de reconversion », ré-
pond Patrick Chamboredon, prési-
dent de l’ordre des infirmiers, en
rappelant qu’à l’entrée en vigueur
de l’obligation vaccinale, en 2021,
le Covid-19 avait déjà « durement
éprouvé les troupes ».
La question résonne aussi dans
les établissements d’hébergement
pour personnes âgées dépendan-
tes (Ehpad), sans susciter toutefois
de « trop fortes inquiétudes à ce
stade »,selonAnnabelle Vêques, di-
rectrice de la Fédération nationale
des associations de directeurs
d’établissements et services pour
personnes âgées. « Cela fait un an
et demi que ces personnels sont loin
de nous,dit-elle, certains vivent
probablement autre chose, profes-
sionnellement… Difficile d’anticiper
leur décision. » Une certitude :
flux tendu, ajoutent au problème.
« On est confronté à une explosion
des délais de réparation à cause des
problèmes de stocks des compo-
sants électroniques. On peut atten-
dre une pièce pendant des semai-
nes », regrette Sébastien Jolis, di-
recteur général adjoint d’Est En-
semble Habitat. En cas de panne,
ce bailleur social assure mettre en
place un système de portage des
courses, bagages, etc., à certains
moments de la journée. Tous ne
proposent pas forcément cette
­solution ponctuelle.
En septembre 2022, la région Ile-
de-France a lancé un plan ascen-
seurs, doté de 2 millions d’euros.
Elle a aussi promis l’achat de
40 fauteuils monte-escaliers, pro-
posés par le collectif Plus sans
­ascenseurs. De son côté, la Fédéra-
tion des ascenseurs interpelle les
pouvoirs publics afin que ces tra-
vaux soient compris dans le dispo-
sitif d’aide à la rénovation énergé-
tique, MaPrimeRenov’. « Un ascen-
seur rénové représente 60 % d’éco-
nomie sur la facture énergétique »,
relève Philippe Boué.
L’autre axe du plan concerne la
formation des ascensoristes, « qui
France | 11
« L’enjeu est
que cette étape
se passe le mieux
possible… »
François Braun
ministre de la santé
« L’appel d’air ne viendra pas
d’eux », dans un secteur éprouvé
par la crise du recrutement.
Petits effectifs, vrais enjeux ?
­Enjeux « humains », répondent les
intéressés, qui ont vécu ces mois
de suspension sans salaire, sans
droits afférents, et contestent les
chiffres officiels, pour estimer à
plusieurs dizaines de milliers les
personnels suspendus, tous sec-
teurs confondus. Enjeux « mana-
gériaux » mais aussi « éthiques » et
« sanitaires », souffle-t-on dans les
hôpitaux. « Retravailler avec des
personnes qui ont remis en ques-
tion l’un des fondamentaux de la
médecine, un pilier de la santé pu-
blique, c’est très compliqué », com-
mente une cheffe de service à Nice.
« Au cas par cas »
« C’est une échéance symbolique
mais qui énerve beaucoup », réagit
une autre, en région parisienne.
D’autres, encore, regrettent le
« message brouillé » livré aux pa-
tients. Et, soulignent-ils, les dé-
bats parlementaires n’aident pas
à y voir clair : les députés ont
adopté en première lecture, le
4 mai, une proposition de loi pour
abroger – et pas seulement sus-
pendre – l’obligation vaccinale
des soignants. Un échec pour la
majorité et le gouvernement.
« L’étape de la réintégration dé-
marre, les lettres recommandées
sont parties, les premiers entre-
tiens ont lieu, rapporte Matthieu
Girier, président de l’Association
pour le développement des res-
sources humaines dans les éta-
blissements sanitaires et sociaux.
Les cas sont peu nombreux, mais
chacun doit être traité comme sin-
gulier, inédit. » « Au cas par cas, ré-
sume Sophie Marchandet, char-
gée de ces questions à la FHF.
L’étape de la suspension, on s’en
souvient, a été très délicate. Celle
de la réintégration justifie toute
notre attention. » p
Mattea Battaglia
souffre d’un fort déficit », regrette
Jean-Philippe Dugoin-Clément, vi-
ce-président du conseil régional
chargé du logement. Selon l’Asso-
ciation Exigence Ascenseurs, un
technicien ne devrait pas gérer
plus de 90 appareils. Aujourd’hui,
en Ile-de-France, il peut aller jus-
qu’à 170, voire 200 les week-ends.
La région travaille à ce que plu-
sieurs lycées franciliens proposent
un BTS « 100 % ascensoriste », seu-
lement dispensé à Arras et
Clermont-Ferrand pour l’instant.
Sur le plan national, ce problème
des pannes d’ascenseurs pourrait
même faire l’objet d’un futur pro-
jet de loi déposé par le sénateur de
la Seine-Saint-Denis Thierry Mei-
gnen, ancien maire Les Républi-
cains (LR) du Blanc-Mesnil, et par
Philippe Mouiller, sénateur LR des
Deux-Sèvres. « Lorsqu’un ascen-
seur est inutilisable pendant plus
de soixante-douze heures, le pro-
priétaire serait tenu de mettre en
œuvre une solution de déplace-
ment vertical de substitution », pré-
cise Thierry Meignen. Le sénateur
espère que son projet sera voté
d’ici à l’automne 2023. p
Robin Richardot
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12 | France ­
­Mardi 16­ mai 2023

Un indépendantiste
modéré président
de la Polynésie
Moetai Brotherson, élu vendredi, entend
avancer en douceur vers l’indépendance

Papeete - correspondance pouvoir des indépendantistes,

mais n’adhère qu’en 2013 au parti

I l était jusqu’ici la force tran-

quille de l’opposition. Moetai
Brotherson va désormais pré-
sider la Polynésie française pour
les cinq prochaines années, après
avoir été largement élu, vendredi
12 mai, président du territoire par
les représentants de l’Assemblée
locale de cette collectivité du Paci-
fique Sud. Le gendre du leader
­indépendantiste historique Os-
car Temaru a recueilli trente-huit
voix, contre seize pour le prési-
dent autonomiste sortant,
Edouard Fritch, et trois pour une
autre candidate autonomiste, Ni-
cole Sanquer. Avec le souhait de
décoloniser ce territoire formé de
cinq archipels, mais sans en préci-
piter l’indépendance.
M. Brotherson est un homme
qui assume ses différences. Il est
républicain, mais il défend son
particularisme polynésien en
portant chemisette à fleurs, tongs
et lavalava (le pagne traditionnel),
y compris à l’Assemblée natio-
nale, où il siège sur les bancs de la
Nouvelle Union populaire écolo-
gique et sociale (Nupes). Il est
taillé comme un pilier de rugby,
sport qu’il a pratiqué, mais appré-
cie tout autant les échecs. Ancien
boxeur et amateur de MMA
(mixed martial arts) aux bras ta-
toués, il apprécie tout autant les
joutes verbales en français
comme en tahitien, sans jamais
se départir de son calme.
Nouvelle génération
En 2013, ce Polynésien aux origi-
d’Oscar Temaru, le Tavini huiraa-
tira. Ensuite, tout s’accélère. Moe-
tai ­Brotherson devient le troi-
sième adjoint de ce dernier à la
mairie de Faaa, en 2014, puis le
premier député indépendantiste
polynésien en 2017. Il a été réélu
en 2022. Il bouscule le paysage
politique local, face à des élus au
pouvoir quasi continus depuis
quatre décennies, comme
M. Fritch (71 ans).
Moetai Brotherson est rapide-
ment désigné futur président par
son beau-père, Oscar Temaru. A
78 ans, le vieux chef à la santé dé-
clinante espère obtenir l’indé-
pendance de la Polynésie fran-
çaise de son vivant et manque ra-
rement une occasion de s’en
prendre à la France. M. Brother-
son est plus modéré, et moins Destruction d’habitations insalubres sur le chantier d’un futur lycée, à Longoni (Mayotte), le 27 avril. MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »
pressé. Pour lui, la Polynésie n’est
pas prête à être indépendante
avant dix à quinze ans. Et cette in-
dépendance ne peut passer que
par un référendum d’autodéter-
mination, préparé par un proces-
A Mayotte, l’Etat cherche
à reprendre la main
sus de décolonisation. A rebours
de M. Temaru, il estime souvent
qu’il faut « respecter l’Etat ». Un
respect qu’il exige en retour.
Comme tous les candidats aux
élections territoriales, il souhaite Une décision de justice pourrait relancer les destructions de bidonvilles.
rendre la Polynésie davantage
autosuffisante, elle qui importe Le gouvernement peine pour l’instant à afficher des résultats
plus de 80 % de ce qu’elle con-
somme. Et veut développer son
économie pour moins dépendre
des transferts de l’Hexagone. Saint-Denis (La Réunion) - ­ arents handicapés ou encore une
p tion, en dépêchant en amont de
Père de cinq enfants, quatre fois correspondance mère de famille de huit enfants
Dans son l’opération des émissaires aux
grand-père, Moetai Brotherson « qui n’a aucune garantie pour sa- jugement du Comores, notamment le con-

L’
nes danoises a obtenu auprès de affiche une relation fusionnelle opération « Wuam- voir si le logement est adapté ». seiller gendarmerie de M. Darma-
l’Organisation des Nations unies avec sa seconde épouse, Teua Te- bushu » va-t-elle se re- Dans son jugement du 13 mai,
13 mai, le tribunal nin et le directeur général des
la réinscription de la Polynésie maru, ancienne ministre et fille lancer ? Trois semaines que Le Monde a pu consulter, le tri- considère que étrangers en France, Eric Jalon.
française sur la liste des territoi- d’Oscar Temaru, son mentor en après les débuts contra- bunal considère que les condi- Déjà reçu cinq fois à l’Elysée
res non autonomes à décoloni- politique. Saura-t-il s’affranchir riés de cette opération de lutte tions sont finalement remplies et
les conditions en trois ans, M. Assoumani a ren-
ser. C’est l’un de ses premiers de cette figure tutélaire, bien plus contre les bidonvilles, la délin- que « le préfet justifie d’un accom- de relogement contré Emmanuel ­Macron le
faits d’armes politiques, un pre- populaire parmi les indépendan- quance et l’immigration irrégu- pagnement social par diverses 8 mai – « convoqué », selon les
mier pas théorique vers la déco- tistes, mais aussi plus clivante ? lière à Mayotte, le gouvernement structures et associations ». Le juge
sont remplies mots de l’exécutif à Paris. Officiel-
lonisation, même si la France a Saura-t-il ménager la frange radi- va peut-être reprendre la main. des référés a toutefois exigé des lement, l’heure est toujours à la
toujours refusé de s’asseoir à la cale de son parti, menée par La préfecture du 101e départe- garanties supplémentaires. Il en- discussion. Mais, si les liaisons
table des négociations. M. Temaru et par le nouveau pré- ment français vient en tout cas de joint ainsi au préfet de Mayotte de La décision du tribunal admi- maritimes habituelles ne repren-
A 53 ans, M. Brotherson dit avoir sident de l’Assemblée, Antony Gé- remporter, samedi 13 mai, une protéger et de stocker, après in- nistratif du 13 mai devrait en nent pas cette semaine, l’Elysée a
acquis ses convictions indépen- ros, un autre indépendantiste, première victoire à la suite de ventaire, les biens meubles des outre servir de jurisprudence prévenu que Paris passerait à une
dantistes dès l’enfance, face à des dont il fut le directeur de cabinet ? deux revers stoppant le travail des vingt familles expulsées. Il est dans les futurs recours contre les autre méthode. L’aide financière
enseignants nostalgiques du De cet exercice d’équilibriste en- pelleteuses escortées par les for- également enjoint au préfet, au arrêtés préfectoraux en attente apportée à Moroni, qui pèse 10 %
temps des colonies. Après avoir tre la ligne des cadres historiques ces de l’ordre, dès le premier jour recteur de Mayotte et aux maires d’être publiés pour une quinzaine à 15 % du produit intérieur brut
fait carrière dans l’informatique de son parti et la politique de dé- de l’opération. Alors que le minis- des communes concernées que d’autres opérations de « dé- comorien, pourrait être revue.
et les télécommunications, il se veloppement qu’il prône dépen- tre de l’intérieur, Gérald Darma- soit assurée la scolarisation des casage ». De quoi relancer une Sur ce rapport de force possible, le
rapproche du monde politique dra la réussite de son mandat. p nin, avait promis la destruction enfants des familles concernées opération défendue comme un ministère de l’intérieur, soucieux
en 2004, à la ­première arrivée au Mike Leyral de 1 000 maisons de tôle en deux dans les établissements scolaires « coup de pied dans la fourmi- d’avancer, s’oppose à celui des af-
mois, des recours engagés devant relevant du nouveau domicile des lière », selon les termes du préfet faires étrangères. Mais le mes-
la justice par des habitants de bi- parents. « Il s’agit d’une décision de Mayotte, Thierry Suquet, dans sage présidentiel du 8 mai était
donvilles promis à la destruction politique », réagit Marjane Ghaem, un entretien au Figaro le 30 avril. clair : « Ça suffit. »
avaient fait valoir l’absence ou l’une des avocats des familles. Dans l’entourage de Gérald Dar-
COMMUNIQUÉ l’inadéquation de propositions
de relogement par l’Etat, comme Effet domino
manin, on assure qu’« il n’y a pas
de dead line » fixée pour « Wuam-
Moins d’arrivées des Comores
Place Beauvau, on fait en outre va-
01.49.04.01.82 - annonces@osp.fr l’exige pourtant la loi Elan de Cette ordonnance du tribunal ad- bushu ». « Des rotations de forces loir que les arrivées maritimes de
2018. Le tribunal administratif de ministratif pourrait avoir un effet mobiles sont en préparation si be- migrants sur les kwassa-kwassa
AVIS DE MISE À PARTICIPATION DU PUBLIC pour le La Réunion-Mayotte avait alors domino sur la décision du tribu- soin », alors que quelque 500 ef- (de longs bateaux à fond plat) se
projet de mise en service du réacteur EPR de Flamanville suspendu l’opération de démoli- nal judiciaire de Mamoudzou fectifs de gendarmes et de poli- sont taries, compte tenu de l’« effet
(INB 167)
tion concernant vingt requérants prise le 24 avril de suspendre les ciers ont été dépêchés en renfort dissuasif » des renforts policiers.
La création du réacteur EPR de Flamanville (installation
nucléaire de base 167 - Flamanville 3) a été autorisée par le du bidonville de Talus 2, à Koun- évacuations et les démolitions dès avril sur l’archipel de l’océan Le ministère de l’intérieur évoque
décret n° 2007-534 du 10 avril 2007. gou, au nord de Mamoudzou. pour l’ensemble du bidonville, où Indien. Certitude : l’opération du- aussi plus de 130 interpellations
En application de l’article R. 593-30 du code de l’environnement, EDF a adressé Samedi, le président du tribunal vivent plus de soixante-dix fa- rera largement au-delà de la mi- dites de « haut du spectre », dont
à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sa demande d’autorisation de mise en ser- administratif, Gil Cornevaux, a fi- milles. Ce jugement avait mis juin, date citée comme son terme des chefs de gang ou des responsa-
vice du réacteur le 4 juin 2021. nalement « rabattu son ordon- un coup d’arrêt à l’opération possible depuis plusieurs mois. bles de filières de faux papiers.
Conformément à l’article R. 593-30 du code de l’environnement, cette demande nance » du 27 février en raison « Wuambushu » mais le litige de- Une nécessité pour remplir les Sollicité, le procureur de la Répu-
est accompagnée du rapport de sûreté de l’installation, des règles générales d’éléments nouveaux mis en vait être examiné lundi 15 mai à la objectifs, face aux blocages qui blique à Mayotte, Yann Le Bris, ne
d’exploitation que l’exploitant prévoit de mettre en oeuvre, du plan de déman-
tèlement, du plan d’urgence interne, de l’étude d’impact ainsi que de l’étude de avant par la préfecture de Mayotte. suite d’un appel de la préfecture. entravent les plans prévus. « commente pas les chiffres du mi-
maîtrise des risques. Lors des débats, le juge des référés Dans sa décision du 24 avril, le En dehors des destructions de nistère de l’intérieur ». Le magistrat
La participation du public pour le projet de mise en service du réacteur EPR de avait exigé des services de la pré- juge civil avait qualifié d’« irrégu- bidonvilles, c’est le renvoi d’étran- précise toutefois que « l’activité ju-
Flamanville, avec mise à disposition de l’ensemble du dossier de demande, aura fecture des documents tangibles lière » la destruction de Talus 2, en gers sans titre de séjour qui a été diciaire est continue et ne se limite
lieu du 5 juin au 15 septembre 2023 sur le site Internet de l’ASN. pour prouver « l’existence » de ces raison d’une « voie de fait ». En ra- empêché en raison d’une brouille pas à la période “Wuambushu” ».
Toute information pertinente complémentaire, notamment en ce qui concerne relogements alors que certaines sant « les autres habitations de diplomatique avec l’Union des En 2022, sur le département, envi-
la procédure administrative mise en oeuvre, pourra être sollicitée auprès de l’Au- adresses n’existaient pas. « Je ne ­Talus 2, avait-il conclu, celles des Comores voisine. ron 350 personnes ont été placées
torité de sûreté nucléaire, autorité compétente pour prendre la décision, par voie
électronique à l’adresse info@asn.fr, ou dans ses locaux, 15 rue Louis-Lejeune - crois pas le préfet sur uniforme », requérants seront fragilisées, ins- Quelques jours avant le déclen- en garde à vue chaque mois, tous
CS 70013 - 92541 Montrouge Cedex - sur prise de rendez-vous au 01 46 16 42 74. avait lancé le magistrat. tables, mettant en péril leur sécu- chement de « Wuambushu », le types de délits confondus.
Le dossier sera consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.asn.fr/l- « Pour chacune des vingt fa- rité et conduisant à leur destruc- président des Comores, Azali En attendant, désireux de voir
asn-reglemente/consultations-du-public. Le dossier sur support papier pourra milles, nous avons produit des tion malgré la décision de la juri- ­Assoumani, dont plusieurs mi- « Wuambushu » tenir ses promes-
être consulté sur demande et sur rendez-vous préalable auprès de la préfecture
de la Manche (au 02 33 75 47 39), qui coordonnera la mise à disposition dans ses baux et des attestations correspon- diction administrative ». nistres possèdent la double natio- ses, des collectifs de citoyens ma-
locaux, dans les sous-préfectures, dans l’espace France Services de la commune dant à ces relogements qui ont été Le juge judiciaire a indiqué qu’il nalité franco-comorienne et que horais bloquent l’accès de Como-
des Pieux et en mairie de Flamanville. attribués en fonction de la situa- était nécessaire d’attendre que le Paris a aidé à prendre la prési- riens aux écoles, aux centres de
Les observations et les propositions du public pourront être formulées sur le site tion de chacune d’entre elles », juge administratif statue à nou- dence de l’Union africaine, a criti- soins, et même aux pontons d’ar-
Internet de l’ASN pendant la durée de la consultation. Le projet étant soumis à avaient plaidé les avocats de la pré- veau. Ce qu’il vient de faire. Selon qué avec virulence la France et an- rivée des bateaux à Mayotte. Le
évaluation environnementale, l’avis de l’Autorité environnementale, le mémoire
d’EDF en réponse à cet avis et les avis des collectivités territoriales concernées fecture, Alain Rapady et Olivier Ta- Mes Alain Rapady et Olivier Tamil, noncé, dès le 24 avril, la fermeture ministère de l’intérieur estime
par le projet seront également consultables sur le site Internet de l’ASN. mil. Une version contestée par avocats de la préfecture, « la voie de de ses ports où d’ordinaire accos- que ces actions restent « pacifi-
La décision susceptible d’être adoptée postérieurement à cette mise à participa- une des représentantes des fa- fait n’existe plus. Les dispositions de tent les Comoriens sans-papiers ques » et qu’elles n’appellent pas
tion est une décision d’autorisation de mise en service, prise par l’ASN. milles, Me Yseult Arnal, en citant le la loi Elan sont respectées. Les opé- expulsés de Mayotte. de réponse répressive. p
Le présent avis est également publié sur le site Internet de l’ASN : www.asn.fr. cas d’une femme avec quatre en- rations de destruction du bidonville Le gouvernement avait pour- Nathalie Guibert (à paris)
fants ayant en charge ses deux de Talus 2 peuvent être validées ». tant tenté d’éviter une telle situa- et Jérôme Talpin

0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
L’Amérique au bord du défaut de paiement
Les Etats-Unis vont atteindre début juin le montant maximum de dette publique autorisé par le Congrès
NEW York - correspondant
L
es cinéphiles se souvien-
nent de la scène antholo-
gique de course de voitu-
res dans La Fureur de vivre
(Rebel Without a Cause, 1955, de
­Nicholas Ray) avec James Dean : les
deux pilotes lancent leurs véhicu-
les à pleine vitesse vers la falaise, et
« le premier qui saute est un dégon-
flé ». Sauf que, parfois, une lanière
de blouson peut se prendre dans la
portière et empêcher l’un des
­conducteurs de sortir à temps, qui
bascule dans le précipice. Il en est
de même pour le débat sur le relè-
vement du plafond de la dette.
Les Etats-Unis vont atteindre
dans quelques semaines le pla-
fond d’endettement fixé par le
Congrès à 31 381 milliards de dol-
lars (environ 29 000 milliards
d’euros), et les deux adversaires
­refusent de céder. D’un côté, le
président (speaker) républicain de
la Chambre des représentants,
­Kevin McCarthy, qui veut condi-
tionner ce relèvement à des
­coupes claires dans le budget fédé-
ral ; de l’autre, le président démo-
crate, Joe Biden, qui refuse toute
conditionnalité et répète à l’envi
qu’il ne cédera pas au chantage.
« Faire défaut n’est pas une option.
Nous payons nos factures. Et éviter
le défaut de paiement est un devoir
fondamental du Congrès des Etats-
Unis », a déclaré le président à l’is-
sue d’une réunion avec les mem-
bres du Congrès mardi 9 mai.
Sauf que la date de la faillite
­approche : peut-être dès le 1er juin,
selon la secrétaire au Trésor Janet
Yellen, en raison des moindres
rentrées fiscales. Dans les semai-
nes ou les mois qui suivront en
tout cas. Et le risque d’accident
augmente : un défaut de paiement
sur la dette américaine. « Faire
­défaut sur notre dette saperait
­tellement les Etats-Unis et l’écono-
mie mondiale que tout le monde
devrait considérer cette idée
comme inimaginable », a mis en
garde Janet Yellen jeudi 11 mai, en
amont d’une réunion des minis-
tres des finances du G7 au Japon.
Il n’empêche, les marchés com-
mencent à s’inquiéter. « Plus vous
vous en approcherez, plus vous
aurez de panique » sur les marchés
d’actions et d’obligations, a alerté
Jamie Dimon, PDG de J.P. Morgan.
C’est au fond déjà le cas, avec
­l’envolée des credit default swaps,
qui sont, en simplifiant, des
­assurances sur le risque de défaut
de la dette : leur coût a plus que
doublé par rapport à la crise précé-
dente de 2011.
« Nous n’avons rien appris »
« L’affaire est un peu plus inquié-
tante que d’habitude. Nous n’avons
rien appris, déplore Jason Furman,
ancien conseiller économique de
Barack Obama et professeur d’éco-
nomie à Harvard. Nous avons un
speaker qui dispose d’une faible
majorité, moins intéressée à un
compromis, face à un président qui
a une stratégie de négociation
dure. » Olivier Jean Blanchard, an-
cien économiste en chef du FMI,
n’est guère optimiste non plus :
« Le risque d’une crise aiguë mais
temporaire est élevé – temporaire
car la crise forcerait un accord. »
Aiguë car il existe peu d’espoir
d’une résolution de la crise à
froid. Joe Biden envoie des com-
Dette publique des Etats-Unis, en milliards de dollars, par trimestre
Président républicain démocrate
35 000
30 000
25 000
20 000
15 000
10 000
5 000
G.W. Bush
0 (2001-2009)
T1 2001
Source : Federal Reserve Bank of St. Louis
Économie & Entreprise
muniqués sur les conséquences
catastrophiques d’un défaut : ici
une étude de Moody’s qui détaille
Etat par Etat le nombre d’emplois
perdus, là un article de CNN assu-
rant que le coût d’acquisition
d’une maison pourrait bondir de
22 %. Côté républicain, on dit
­chiche, tel Donald Trump, mer-
credi 10 mai, sur CNN : « Je dis aux
républicains, aux membres du
Congrès, aux sénateurs, s’ils ne
vous donnent pas des coupes
­massives, vous allez devoir faire
défaut », a-t-il estimé. « Les démo-
crates vont céder », a prédit
M. Trump, mais « nous ferions
aussi bien de faire [défaut] mainte-
nant parce que vous le ferez plus
tard. Parce que nous devons sau-
ver ce pays… Nous dépensons de
l’argent comme des marins ivres ».
Qu’en est-il ? D’abord, le plafond
de la dette est une particularité
américaine. Il est fixé par le
­Congrès, qui a tous les pouvoirs
budgétaires, ceux du président
des Etats-Unis étant très res-
treints. Ce concept fut esquissé
en 1917, lors de l’entrée en guerre
des Etats-Unis, pour permettre au
Trésor d’emprunter sans deman-
der à chaque fois l’autorisation du
Congrès, et connaît sa forme ac-
tuelle depuis 1939. Il s’agissait
alors d’une mesure facilitant le
B. Obama D. Trump J. Biden
(2009-2017) (2017-2021)
T4 2022
« Faire défaut
n’est pas
une option.
Nous payons
nos factures »
Joe Biden
président des Etats-Unis
pouvoir de l’exécutif, mais elle est
devenue aujourd’hui très contrai-
gnante. Ce plafond a été relevé à
78 reprises par le Congrès depuis
1960. Sauf que les républicains ont
choisi d’en faire un levier politique
contre la Maison Blanche, lorsque
son locataire est démocrate. Le
conflit le plus mémorable date de
2011 sous la présidence Obama en
pleine révolte fiscale conservatrice
du Tea Party : les tergiversations
avaient conduit l’agence Standard
& Poor’s à retirer sa note AAA au
Trésor des Etats-Unis.
« Une trajectoire explosive »
A l’approche de l’échéance, beau-
coup sont ceux qui souhaite-
raient se débarrasser du concept
de plafond de la dette. Selon le
New York Times, Janet Yellen y est
favorable, mais le président Biden
ne le veut pas. Les Etats-Unis ex-
plorent les subterfuges pour
échapper à la contrainte. Le pre-
mier consisterait à invoquer le
quatorzième amendement de la
Constitution américaine : adopté
en 1868 à la sortie de la guerre de
Sécession, il précise que « la vali-
dité de la dette publique des Etats-
Unis, autorisée par la loi… ne sera
pas mise en question ». Barack
Obama avait voulu s’en servir,
mais y avait renoncé en raison
des réticences de ses juristes.
M. Furman estime que cette solu-
tion comporte de nombreuses in-
certitudes, qui affecteraient les
marchés, et pourrait in fine être
invalidée par la Cour suprême.
Deuxième piste, le Trésor ayant
le droit de frapper des pièces de
monnaie librement, l’idée a été
lancée de frapper une pièce de pla-
tine de 1 000 milliards de dollars.
Mme Yellen a exclu cette hypothèse
et M. Furman estime que cette
voie, qui a pour clair objectif de
permettre à l’exécutif de s’arroger
des pouvoirs que la loi ne lui con-
fère pas, a toutes les chances d’être
censurée par les tribunaux.
Mais, chacun le sait à Washing-
ton, la seule issue est de négocier,
quitte à suspendre le plafond de la
dette, le temps de parler budget.
De toute façon, il va falloir en
adopter un d’ici à la fin de l’année,
fruit d’un compromis entre la
chambre (républicains), le Sénat et
la Maison Blanche (démocrates).
Les républicains ont-ils des argu-
ments sur l’évolution de la dette ?
Le passé ne plaide guère pour eux
– les républicains sont orthodoxes
quand ils sont dans l’opposition –
et Joe Biden ne cesse de vanter sa
vertu budgétaire : « Au cours de
mes deux premières années, j’ai
­réduit le déficit de 1 700 milliards de
dollars. Aucun président n’a jamais
fait cela », répète-t-il.
En effet, le président compare le
déficit de l’exercice clos le 1er octo-
bre 2020 (14,9 % du PIB), année de
l’explosion du Covid, à 2022 (5,2 %
de déficit). En réalité, aucune loi de
M. Biden n’a réduit les déficits. Le
président démocrate a rajouté des
dépenses, notamment avec son
plan de relance « Covid-19 » de
mars 2021 (1 900 milliards de dol-
lars, alors que vaccin et reprise
étaient là, ce qui a conduit à un dé-
ficit de 12,3 % du PIB en 2021).
Aujourd’hui, les dépenses liées
au Covid-19 sont révolues, mais
l’administration Biden affiche un
déficit de 5,2 % du PIB, supérieur
aux 4,1 et 4,6 % de 2018 et 2019.
­Selon le Congressional Budget
­Office (CBO), le service du budget
du Congrès qui est indépendant,
ce taux sera en moyenne de 5,8 %
sur les années 2024-2028 et s’en-
volerait même à 7,3 % en 2033. La
dette, qui atteignait 107 % du PIB
en 2019, est montée à 128 %
| 13
Joe Biden
et Kevin
McCarthy,
président
républicain
de la
Chambre
des repré-
sentants,
à la Maison
Blanche,
le 9 mai.
BRENDAN
SMIALOWSKI/AFP
en 2020 et a baissé à 124 % en rai-
son de l’inflation. Mais elle de-
vrait, selon le CBO, augmenter de
près de 20 points d’ici à 2033. Cette
année-là, les recettes fédérales se-
raient de 18,1 % du PIB et les dépen-
ses de 24,9 %. Parmi les postes de
hausse de dépenses, la Social Secu-
rity (la retraite par répartition des
Américains qui augmente avec le
vieillissement), Medicare (la mé-
decine publique, étendue par
M. Biden) et les intérêts de la dette.
Négociation budgétaire
« Des négociations à terme sur le
budget sont nécessaires, mais pas
sous prise d’otage, estime M. Blan-
chard. Par opposition à l’Europe, la
dette est sur une trajectoire
­explosive. Vu l’évolution des dépen-
ses contraintes [Social Security,
Medicare], et les limites aux coupes
[que l’on peut faire] dans les dé-
penses facultatives, je crois qu’à
terme une augmentation des im-
pôts est nécessaire. »
M. Biden a proposé un budget –
purement indicatif, cette préro-
gative étant celle du Congrès – qui
prévoit des hausses d’impôts,
mais il n’a pas réussi à le faire pas-
ser quand la Chambre et le Sénat
étaient tous deux sous contrôle
démocrate. Les républicains, eux,
veulent s’attaquer à l’Inflation Re-
duction Act (IRA), le plan massif
de subventions énergétiques
adopté à l’été 2022. Constitué de
crédits d’impôts non limités,
l’IRA devrait coûter, selon Gold-
man Sachs, 1 200 milliards de dol-
lars sur dix ans au lieu de 379 mil-
liards annoncés.
La négociation budgétaire, qui
doit reprendre cette semaine, se
tient alors que la campagne prési-
dentielle démarre et qu’aucun des
acteurs n’a la confiance des Améri-
cains : sur l’économie, les républi-
cains ne sont crus que de 38 % des
Américains, M. Biden obtient un
taux de 35 % – seul George W. Bush
a fait pire avec 34 % pendant la
crise financière de 2008. p
Arnaud Leparmentier

14 | Économie & Entreprise
Moisson record de projets étrangers en France
Au sommet Choose France, lundi, à Versailles, 13 milliards d’euros d’investissements devaient être annoncés
U
n cru sans précédent
depuis sa création,
en 2018… C’est ce que
devait être la sixième
édition de Choose France, la
grand-messe de l’investissement
étranger sur le territoire, qui s’est
tenue lundi 15 mai à Versailles,
autour du président de la Répu-
blique, Emmanuel Macron.
Le sommet des investisseurs
étrangers et ses plus de 200 pa-
trons s’annonce comme le théâ-
tre de nombreuses annonces, no-
tamment vingt-huit implanta-
tions ou extensions de sites pour
un total de 13 milliards d’euros
cette année, plus qu’en 2022
(10,6 milliards) et qu’en 2021
(3,6 milliards). L’investissement
se traduira par 8 000 créations
d’emplois directs, notamment
dans les villes moyennes.
Il confirme le baromètre du ca-
binet EY, publié vendredi 12 mai :
la France reste le pays le plus at-
tractif d’Europe par le nombre de
projets – sinon de postes créés – et
pour la recherche et développe-
ment. Le chef de l’Etat a déjà re-
dessiné sa politique industrielle,
jeudi 11 mai à l’Elysée et ven-
dredi 12 à Dunkerque (Nord), éri-
geant la réindustrialisation en
« mère des batailles ». Emmanuel
Macron ne prononcera donc pas
de discours à Versailles.
Baisse de la fiscalité
Dans un entretien publié lundi
par L’Opinion, il explique cette at-
tractivité « parce que nous avons
fait des réformes claires, audacieu-
ses et surtout que nous les tenons,
et que malgré la crise des “gilets
jaunes”, malgré la guerre, malgré
l’inflation, malgré les protesta-
tions, il y a une totale constance des
politiques macroéconomiques ».
Notamment la baisse de la fisca-
lité sur les entreprises, qui revient
dans la moyenne européenne.
Comme il l’a fait les années pré-
cédentes, M. Macron s’entretien-
dra en tête à tête avec les patrons
de six groupes étrangers : les
Comme
les années
précédentes,
Emmanuel
Macron
s’entretiendra
en tête à tête
avec les patrons
de groupes
étrangers
américains Pfizer et Disney, le da-
nois Novo Nordisk, le belge Sol-
vay, l’indien ArcelorMittal et le
thaïlandais CP Group, un conglo-
mérat géant présent dans l’agroa-
limentaire et la grande distribu-
tion. Il devra les rassurer, car les
dirigeants étrangers sont moins
nombreux que les années précé-
dentes à juger avec optimisme les
perspectives d’investissement à
un horizon de trois ans, selon le
baromètre de EY.
Pour l’heure, les investisse-
ments épousent le « verdisse-
ment » de l’économie. L’Elysée
souligne que nombre de projets
sont « emblématiques d’une réin-
dustrialisation verte ». Ils permet-
tent à la France de « se positionner
au cœur des chaînes de valeur de
la production d’équipements dans
les filières des énergies renouvela-
bles et décarbonées, ainsi que des
véhicules électriques ». Et, effecti-
vement, deux projets phares, pré-
vus à Dunkerque (Nord) et an-
noncés vendredi 12 mai, concer-
nent les véhicules électriques.
Le taïwanais ProLogium va in-
vestir 5,2 milliards d’euros à l’ho-
rizon 2030 pour construire un
site de batteries solides, une autre
technologie que celle du lithium-
ion, avec quelque 3 000 emplois à
la clé. Non loin de là, le produc-
teur chinois de matériaux pour
batteries XTC a signé des accords
de joint-venture avec le groupe
spécialisé dans le nucléaire Orano
pour fabriquer des précurseurs et
des cathodes, mais aussi recycler ;
un investissement de 1,5 milliard.
Autre annonce de poids : l’usine
de panneaux solaires photovol-
taïques d’Holosolis, du groupe
européen InnoEnergy, qui doit
sortir de terre à Sarreguemines
(Moselle) : 710 millions d’euros
qui permettront la création de
1 700 emplois en 2027 et de ré-
duire un peu la dépendance aux
produits chinois.
Le nucléaire est aussi une tech-
nologie bas carbone. La start-up
italienne Newcleo, créée en
2021 par le physicien turinois Ste-
fano Buono et installée au Royau-
me-Uni, mise très gros sur l’Hexa-
gone, qui a décidé de relancer
cette filière. La société, en pleine
période de levée de fonds (1 mil-
liard d’euros), est prête à y investir
3 milliards en 2023-2030 pour dé-
velopper en France des SMR – des
réacteurs modulaires de faible ou
moyenne puissance (jusqu’à
300 mégawatts) fabriqués en
usine et montés sur site par mo-
dules. Soutenue par le plan
France 2030, Newcleo a notam-
ment engagé des discussions
avec le Commissariat à l’énergie
atomique et aux énergies alterna-
tives, EDF et Framatome.
La mobilité est bien représen-
tée : l’italien Iveco va renforcer ses
sites d’Annonay (Ardèche) et de
Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire)
pour 115 millions d’euros, tan-
dis que le portugais Powerdot in-
vestira 140 millions pour éten-
dre son réseau de bornes de re-
charge de véhicules électriques
(66 emplois).
La santé est aussi très présente.
Le géant de la pharmacie Pfizer va
développer des activités, y com-
pris chez des sous-traitants, en
mobilisant 500 millions d’euros,
autant qu’annoncé en 2022. Le
britannique GSK dépensera
400 millions, en particulier pour
la production de la Ventoline
(contre l’asthme), à Evreux,
Mayenne (Mayenne) et Saint-
Amand-les-Eaux (Nord). Quant à
la biotech italienne Sapio, elle
prévoit 200 millions d’euros sur
trois ans pour une acquisition et
une extension d’activité avec la
perspective de 100 emplois.
Dans les télécommunications,
le finlandais Nokia, qui a absorbé
Alcatel-Lucent en 2015, muscle sa
recherche et développement à
Saclay (Essonne) et à Lannion
Bo u rse
Une année 2022 record
pour les actionnaires
du CAC40
Les entreprises de la Bourse
parisienne ont redistribué
aux actionnaires « les deux
tiers » des profits réalisés
en 2022 sous forme de ra-
chats d’actions ou de dividen-
des, a indiqué l’ONG Observa-
toire des multinationales,
lundi 15 mai. Les seuls divi-
dendes ont atteint le niveau
record de 67,5 milliards
d’euros. Les rachats d’actions
se sont également mainte-
nus des niveaux record,
à 25 milliards d’euros (26 mil-
liards en 2022). – (AFP.)
High-tec h
Emmanuel Macron
reçoit Elon Musk
à l’Elysée
Le milliardaire américain a
rencontré lundi 15 mai le
président de la République
avant de se rendre au som-
met Choose France qui réunit
200 dirigeants de multinatio-
nales à Versailles. Le fonda-
teur de Tesla et de Space X
a échangé par ailleurs avec
le ministre de l’économie et
des finances, Bruno Le Maire,
lors d’un déjeuner.
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
(Côtes-d’Armor) pour développer
la 5G et la 6G (environ 500 em-
plois). Quelque 500 postes se-
ront aussi créés dans les trois
prochaines années par la société
de conseil Accenture.
Le géant suédois Ikea investira
906 millions d’euros d’ici à 2026
sur ses magasins et un centre lo-
gistique à Toulouse, avec « très
probablement » des ouvertures de
postes, selon la direction. Les
transferts post-Brexit de la City
londonienne vers Paris se pour-
suivent et l’intérêt des banques
de Wall Street ne se dément pas :
Morgan Stanley annonce la créa-
tion de 200 nouveaux postes à
Paris d’ici à 2025, faisant de la
France « le principal pôle européen
pour les produits macro et les déri-
vés actions », selon l’Elysée.
Du chemin à parcourir
Les start-up, dont 1 900 sur un to-
tal de 22 000 ont une composante
industrielle, se félicitent d’un très
bon environnement en France.
Cet écosystème a favorisé le déve-
loppement de pépites comme
Ver­kor (batteries) ou HyPrSpace
(microlanceurs spatiaux).
Du chemin reste cependant
à parcourir pour résoudre plu-
sieurs problèmes cruciaux : des
pénuries de main-d’œuvre
dans certains métiers, la rareté
du foncier et la longueur des dé-
lais pour obtenir l’autorisation
d’implanter une usine. Emma-
nuel Macron s’est engagé à le ra-
mener de dix-huit mois en
moyenne à neuf mois.
En attendant, le gouvernement
se félicite que « les investisse-
ments étrangers continuent à irri-
guer l’ensemble du territoire », et
pas seulement les métropoles.
Dans son dernier bilan, l’agence
publique Business France souli-
gnait que 43 % des décisions d’in-
vestissement et 74 % de celles qui
portent sur des projets indus-
triels concernent des villes de
moins de 20 000 habitants.
Des emplois et des activités qui
contribuent à la revitalisation de
territoires qui se sentent par-
fois abandonnés. Le rôle des ac-
teurs territoriaux est « absolu-
ment clé » pour réussir la réindus-
trialisation, avait souligné Em-
manuel Macron, jeudi, avant
d’annoncer sa volonté de « dé-
multiplier » ce qui a marché dans
les « territoires de l’industrie »
créés il y a cinq ans. p
Jean-Michel Bezat
Mines
Newmont absorbe
Newcrest et fait naître
un géant de l’or
La société minière austra-
lienne Newcrest a annoncé,
lundi 15 mai, qu’elle acceptait
d’être rachetée par sa rivale
américaine Newmont pour
19 milliards de dollars
(17,5 milliards d’euros). Cette
fusion des deux groupes
crée la plus grande société
de mine d’or du monde.
C inéma
YouTube et MK2
s’associent pour des
projections communes
La plateforme de vidéos en
ligne et la chaîne de cinémas
parisiens ont dévoilé,
lundi 15 mai, la création de
leur ciné-club. Des vidéos
YouTube seront projetées
sur grand écran en présence
de créateurs de contenu,
l’occasion d’« encourager
un retour du public dans les
salles françaises, notamment
auprès d’audiences plus jeu-
nes », précise YouTube dans
un communiqué. Les conte-
nus présentés seront en
grande partie des vidéos
populaires de la plateforme.
– (AFP.)
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023 Économie & Entreprise | 15

Pertes & profits | distribution

Les agriculteurs restent confiants par Ph ilippe E sc ande

dans le potentiel des récoltes Bal des vampires

Depuis avril, la France est bien arrosée, mais le déficit de pluie dans
autour de Casino
le Roussillon laisse peser des incertitudes sur la production fruitière La bête est aux abois, les veneurs
sortent les trompes pour sonner
raient représenter jusqu’à la moi-
tié des ventes du groupe. Une
l’hallali et raconter l’exploit de la stratégie qui se veut en rupture
chasse. Le sort de Casino, le plus avec le modèle traditionnel de

L
es agriculteurs des Pyré-
nées-Orientales ou de
l’Hérault attendent la
pluie, tandis que leurs
collègues établis plus au nord,
eux, souhaiteraient qu’elle s’ar-
rête et fasse place au soleil. Cepen-
dant, au-delà des situations parti-
culières, au cœur de cette période
printanière, les feux sont encore
au vert pour la « ferme France ».
« On a une plaine magnifique.
On n’avait pas vu cela depuis 2016.
Même si cela ne préjuge pas de la
récolte finale, c’est comme dans un
match de foot, il vaut bien mieux
partir avec trois buts d’avance »,
lance Benoît Piétrement, prési-
dent du conseil spécialisé dans les
grandes cultures de FranceAgri-
Mer et céréalier dans la Marne.
Les données publiées par cet or-
ganisme public, vendredi 12 mai,
le prouvent. Elles montrent que
94 % des cultures de blé tendre
sont, à date, dans des conditions
bonnes ou très bonnes sur l’en-
semble du territoire.
Ce taux est de 92 % pour l’orge et
de 88 % pour le blé dur. « Nous
avons subi les aléas climatiques et
dans le Sud-Est les champs sont
­assoiffés. Mais dans le Nord, la
pluie est tombée de façon régu-
lière. Les cultures se portent bien »,
renchérit Eric Thirouin, président
de l’Association générale des pro-
ducteurs de blé.
Il faudra toutefois attendre
deux mois pour connaître le ver-
dict final de la production céréa-
lière. Un calendrier qui, une fois
de plus, a été bousculé par la mé-
téo. « En février, nous avions trois
semaines d’avance. Maintenant,
nous sommes revenus à une an-
née quasi normale. Les moissons
d’orge d’hiver devraient débuter
début juillet, et celles de blé tendre,
entre le milieu et la fin juillet »,
souligne M. Piétrement. Le cons-
tat des céréaliers est partagé par
les arboriculteurs ou les viticul-
teurs. Le manque de chaleur a ra-
lenti le développement végétatif.
« Nous avons un léger retard par
rapport aux années précoces. La
floraison des abricotiers a débuté
début mars et celle des pêchers,
quinze jours plus tard », explique
Bruno Darnaud, président de
l’AOP (appellation d’origine pro-
tégée) pêches et ­abricots, arbori-
culteur dans la Drôme. « Je vais
cueillir mes premiers abricots le
20 mai », note, pour sa part,
­Patrice Vulpian, arboriculteur à
Saint-Martin-de-Crau (Bouches-
du-Rhône) et coprésident de la
­Fédération nationale des produc-
teurs de fruits.
Mesures de contingentement
Tous deux se félicitent de l’ab-
sence d’épisodes de gel cette an-
née, ayant en mémoire le terrible
choc de 2021. « Pour l’instant, nous
nous attendons à une récolte nor-
male sans être extraordinaire,
avec une prévision de 120 000 ton-
nes d’abricots », précise M. Dar-
naud. Le ministère de l’agricul-
ture anticipe, de son côté, une
production de pêches, brugnons
et nectarines de 231 000 tonnes,
presque identique à celle de 2022.
La sécheresse qui sévit dans les
Pyrénées-Orientales fait, bien
sûr, peser une incertitude sur ces
hypothèses. « Ce département re-
présente près de 30 % de la pro-
duction de pêches et d’abricots,
mais toutes les zones ne sont pas
concernées de la même manière
par la sécheresse. On ne sait pas si
on perdra de la récolte ou du cali-
Il faudra attendre
deux mois pour
connaître
le verdict final
de la production
céréalière
bre. Tout dépendra de la disponi-
bilité de l’eau pour l’irrigation des
vergers. S’il n’y a plus d’eau, l’enjeu
est alors de sauver les arbres, au
détriment de la production, mais
nous n’en sommes pas là », relève
M. Darnaud.
L’arrêté de passage en crise sé-
cheresse, pris le mercredi 10 mai
par la préfecture des Pyrénées-
Orientales, a fait monter la ten-
sion d’un cran. Il réduit de 30 % à
50 % les prélèvements d’eau pour
l’arrosage des cultures. Pour les
viticulteurs catalans, cette déci-
sion n’a guère d’impact. « Seules
5 % des vignes sont irriguées », af-
firme David Drilles, président du
syndicat des vignerons du dépar-
tement et viticulteur à Tautavel. Il
estime toutefois que « la viticul-
ture est confrontée à une situation
jamais vue, avec une forte dispa-
rité des pousses végétatives ».
Dans d’autres régions, comme
la Beauce, force a été de constater
qu’à la fin de l’hiver les nappes
­phréatiques n’avaient pas reçu as-
sez d’eau pour se recharger. Des
mesures de contingentement ont
été prises. « Fin mars, il a été dé-
cidé que les volumes d’eau préle-
vée dans la nappe de la Beauce
pour l’arrosage seraient réduits de
35 % », remarque Eric Thirouin.
Toutefois, ajoute-t-il, « habituel-
lement, on commence à irriguer
en avril et de manière régulière en
mai. Cette année, avec les pluies
qui sont tombées en avril, nous
n’avons pas eu besoin d’irriguer
encore, et nous savons que ce sera
encore le cas jusqu’à la fin du mois
de mai ». M. Darnaud témoigne
également n’« avoir commencé
l’irrigation complète de ses ver-
gers qu’il y a huit jours », évo-
quant des températures beau-
coup moins élevées qu’en 2022,
et donc une transpiration moin-
dre des arbres.
Les pluies qui ont arrosé une
bonne partie du territoire hors du
pourtour méditerranéen et les
températures douces ont égale-
ment favorisé la pousse de
l’herbe. A la fin du mois d’avril, la
production des prairies françai-
ses était de 15 % supérieure à la
moyenne des cinq dernières an-
nées. Les éleveurs ont donc pu
faire une première coupe printa-
nière de bonne facture.
Reste que la pluie, bienvenue
après la période de sécheresse,
commence à inquiéter les régions
les plus arrosées. « L’humidité
­permanente est source de mala-
dies fongiques. Nous avons une
forte pression de maladies et nous
sommes également confrontés à
des problèmes de désherbage dans
nos cultures céréalières », observe
M. Piétrement.
Les semis de maïs et de pom-
mes de terre ont pris du retard
dans certaines zones. Par ailleurs,
dans les champs de betteraves, ce
ne sont pas les pucerons qui font
leur apparition, mais les limaces.
Rien n’est encore joué dans les
champs. Tout dépendra, en réa-
lité, de la météo des prochaines
semaines. p
Laurence Girard
ancien des grands distributeurs
français, ne lui appartient plus.
Dimanche 14 mai, l’un des chas-
seurs, Moez-Alexandre Zouari,
est sorti dans les médias pour
défendre son projet de reprise
et proposer une alliance avec son
rival Daniel Kretinsky, l’homme
d’affaires tchèque (par ailleurs
actionnaire indirect du Monde),
qui vise la même proie.
Au fur et à mesure que le can-
cer de la dette ronge le groupe,
tout le petit monde de la distri-
bution française s’approche
de l’animal pour le renifler :
­Carrefour, Auchan et Intermar-
ché allié avec Teract.
Cette société réunit les agricul-
teurs coopératifs d’InVivo, les
hommes d’affaires Matthieu
­Pigasse et Xavier Niel (actionnai-
res à titre individuel du Monde)
et l’un des principaux franchisés
du groupe Casino, le même
Moez-Alexandre Zouari. Ce der-
nier déploie un discours offensif
pour séduire les actionnaires
et dirigeants de Casino, à com-
mencer par Jean-Charles Naouri,
le propriétaire de Casino.
Il propose un modèle d’intégra-
tion verticale s’appuyant sur les
producteurs des 188 coopératives
d’InVivo et s’alliant avec Inter-
marché et ses 56 usines pour
­fabriquer les produits propres, de
marque distributeurs, qui pour-
Au Théâtre Dejazet, « Le Canard
enchaîné » en ligne de mire
négociations commerciales avec
les industriels indépendants.
Tentation de la verticalisation
Sujet éternel : depuis que la divi-
sion du travail existe, faut-il tout
faire soi-même ou préférer
l’échange commercial ? Le rôle
d’intermédiaire des distributeurs
les condamne à naviguer en
­permanence entre la tentation
de la verticalisation, qui promet
de meilleures marges mais est
coûteuse en capital et réduit la
­concurrence, et celle de l’inter-
médiation pure, plus dynami-
que, mais aussi plus fragile. Les
temps actuels, plus difficiles, pa-
raissent se prêter à la première
approche. Le succès d’enseignes
comme Decathlon, voire Lidl,
semble plaider pour cette voie.
Mais pour en atténuer le coût
et retrouver de la souplesse,
l’autre tendance à la mode est
celle de la franchise, voire du
groupement d’indépendants,
supposé libérer les initiatives.
Cette fois, c’est le modèle Leclerc
ou Intermarché, qui, avec leurs
marges supposées supérieures
à celles des grands groupes inté-
grés comme Carrefour ou Casino,
fait école. Avec, en juge de paix,
un consommateur inconstant,
blessé par l’inflation et séduit par
les sirènes du discount. C’est lui
qui a lancé la chasse. p

J e vous demande de condamner la direction du Canard

­enchaîné à une publication sur TikTok avec inscription au
casier judiciaire jusqu’à ce que démission s’ensuive. » Pour

Les chaînes de télévision privées lancent une fois qu’il entrait dans la peau d’un procureur, diman-
che 14 mai en fin d’après-midi, l’avocat Jérôme Karsenti ne s’est
pas privé du plaisir de plaider pour de faux.
Sur la scène d’un vrai théâtre, le Dejazet, à Paris, c’est un drôle

l’offensive contre France Télévisions de spectacle présenté par Julien Cazarre (ancien d’« Action dis-
crète », sur Canal+) qui a été donné, fait de lectures et de sketchs,
de militantisme et d’amitié, « en soutien à Christophe Nobili et à
l’esprit du Canard enchaîné ». Une extravagance de plus dans
TF1, M6, Canal+ et Altice dénoncent auprès du gouvernement des « asymétries concurrentielles » l’histoire rocambolesque de la découverte, puis de la révélation
par le journaliste, façon pavé dans la mare, de la probable rému-
nération sans contrepartie d’un travail, un quart de siècle du-

O n croyait les chaînes de

télévision unanimes à
désigner le péril qui les
menace, incarné par les plates-
formes mondiales à la puissance
« L’argent public pourrait per-
mettre à des sports émergents, pas
accessibles en clair aux téléspecta-
teurs, d’être diffusés », explique,
par exemple, Maylis Çarçabal, au
Outre leur opposition à toute
augmentation de la publicité sur
les chaînes publiques, les chaînes
privées demandent notamment
« la mise en place d’obligations
tamment à cause de revenus pu-
blicitaires plus faibles.
Pour les chaînes privées, le
­moment pour faire valoir leurs
arguments ne pouvait pas être
rant, de la compagne du dessinateur André Escaro.
Avait-on déjà vu un salarié de la presse se placer sous le statut

financière inégalable. Les voici
plus modestement engagées sur
le sentier d’une guéguerre des
­privées contre les publiques.
Sans envoyer de sommation à
leur ­ancienne associée dans
Salto, ­Delphine Ernotte, prési-
dente de France Télévisions, les
patrons de TF1, Rodolphe Belmer,
et de M6, Nicolas de Tavernost,
accompagnés de leurs alter ego
de Canal+, Maxime Saada, et
­d’Altice, Arthur Dreyfuss, réunis
au sein de l’Association des chaî-
nes privées (ACP), ont adressé,
jeudi 11 mai, une ­lettre très offen-
sive à la première ministre,
­Elisabeth Borne.
Ils y dénoncent les « avantages
compétitifs » dont l’audiovisuel
public leur paraît disposer et
dont ils estiment pâtir, et « s’in-
terrogent sur la clarté de ses mis-
sions et de son financement ». A
leurs yeux, les chaînes de France
Télévisions usent de subterfuges
divers pour contourner leurs
obligations (en matière de limita-
tion de la publicité, ou d’exposi-
tion du spectacle vivant sur les
antennes, par exemple) et oppo-
ser à la télévision privée une con-
currence trop frontale, notam-
ment sur le sport, la fiction et le
cinéma américain.
nom de l’ACP.
« Ce que nous défendons, c’est
qu’il n’y a aucune raison pour que
les impôts des Français financent
une programmation qui peut être
apportée réellement gratuitement
par les chaînes privées », ajoute-t-
elle. « Faustine Bollaert est sur
France 2 alors qu’elle a commencé
sur M6. France 2 a diffusé “Master-
chef” fin 2022, alors que l’émission
est d’abord apparue sur TF1 », dé-
veloppe le communicant d’un
autre groupe privé.
« De Nikos Aliagas à Jean-Luc
Reichmann, Arthur ou Cyril Ha-
nouna, la plupart des animateurs
sont “nés” sur France Télévisions »,
s’agace en retour Stéphane Sit-
bon-Gomez, le bras droit de
­Delphine Ernotte.
Pour le groupe
public, la raison
de la « fébrilité »
des chaînes
privées
est à trouver
du côté de leurs
soucis d’audience
­assorties d’indicateurs chiffrés,
chaîne par chaîne », là où
aujourd’hui elles s’appliquent à
France Télévisions en général.
« C’est un contresens historique,
­riposte à nouveau M. Sitbon-Go-
mez. C’est l’Etat qui a souhaité, par
une loi de 2008 et sur le lobbying
de TF1 à l’époque, que nos obliga-
tions soient globalisées. »
« Extrêmement agressif »
Le groupe public prend cette of-
fensive très au sérieux, et juge le
courrier – également envoyé à
­ministre de la culture, Rima Abdul
Malak, au ministre de l’économie
et des finances, Bruno Le Maire, et
au ministre des comptes publics,
Gabriel Attal – « extrêmement
agressif ». Delphine Ernotte a
donné rendez-vous à son conseil
d’administration, lundi à 8 heu-
res, pour ­préparer sa réponse.
Pour France Télévisions, la raison
de la « fébrilité » des ­chaînes pri-
vées est à trouver du côté de leurs
soucis d’audience.
« Depuis le début de l’année,
deux tiers de nos soirées sont lea-
ders », tacle M. Sitbon-Gomez,
rappelant par ailleurs que TF1 et
M6 ont ­dévoilé des résultats
­financiers pour le premier tri-
mestre 2023 en nette baisse – no-
plus opportun. Alors que TF1 et
M6 viennent de voir leur autori-
sation de diffusion sur la TNT re-
nouvelée, figeant pour les dix
prochaines années toutes sortes
d’obligations de financement et
de diffusion de programmes, les
premières discussions sur les
­cahiers des charges des autres
chaînes privées diffusées sur la
TNT (C8, W9, TMC, BFM-TV, etc.),
qui arriveront à échéance en 2025,
débuteront bientôt.
Afin de commencer à agir sur ce
qu’elle nomme « asymétries con-
currentielles », l’ACP espère peser
sur le prochain contrat d’objectifs
et de moyens que France Télévi-
sions négocie actuellement
avec le ministère de la culture, qui
fixera sa feuille de route pour les
cinq prochaines années.
En parallèle, une mission sur le
financement de l’audiovisuel pu-
blic est en cours d’achèvement à
l’Assemblée nationale, et le Sénat
s’apprête à déposer une proposi-
tion de loi pour réunir l’audio­-
visuel public au sein d’une hol-
ding. Magnanime, l’ACP recon-
naît « la nécessité d’un audiovisuel
public fort et financé », mais pas au
risque de « déstabiliser davantage
le secteur ». p
Aude Dassonville
Un spectacle a eu
de lanceur d’alerte pour dénoncer les
agissements de sa direction, porter
plainte contre X pour abus de biens
sociaux, être visé par une procédure
lieu en soutien de licenciement et ­recevoir le soutien
au journaliste de la sociétaire ­honoraire de la
­Comédie-Française Catherine Hiegel,
Christophe Nobili, du Prix Goncourt 2020 Hervé Le Tel-
lier, d’un autre Prix Goncourt,
licencié pour 2018 celui-ci, Nicolas Mathieu, ou des
comédiens Ariane Ascaride et Robert
avoir révélé Guédiguian ?
des soupçons « Je ne savais pas comment faire
pour soutenir Christophe Nobili »,
d’emploi fictif ­explique, sans donner son nom,
­Marie-Thérèse, venue, comme 150 à
200 autres personnes, passer la fin de son dimanche au Deja-
zet. Ex-lectrice du Canard, cette ancienne secrétaire de direc-
tion de 70 ans s’est décidée, après avoir entendu parler de la soi-
rée sur France Inter. « C’est un peu comme pour “C’est encore
nous” [l’émission présentée par Charline Vanhoenacker, sur
France Inter], qui mêle humour et politique, observe sa voisine
de travée, une fonctionnaire de 53 ans. On veut de l’information
libre et indépendante. Alors, venir ici, ça a du sens. » Ces propos
ressemblent au message porté par d’autres lecteurs déçus, dont
le comédien Raymond Vinciguerra s’est fait le relais en lisant de
longs extraits de leurs courriers envoyés au journal.
Face à Jérôme Karsenti, son confrère Christophe Clerc a pris
très au sérieux la défense de l’accusé du jour, louant son fonc-
tionnement en SAS (société par actions simplifiée) aux actions
gratuites et aux dividendes inexistants. « Le nec plus ultra », si
seulement la transparence était de mise, a-t-il précisé, recon-
naissant se faire « plus l’avocat du Canard que de sa direction ».
Celle-ci ne sait pas quel avenir la justice réserve à la plainte dépo-
sée par M. Nobili, ni le sort que réserve l’inspection du travail à la
procédure de licenciement enclenchée contre lui. Mais diman-
che soir, elle s’est, aimablement, fait voler dans les plumes. p
A. Da.

16 | Économie & Entreprise
L’épargne des Français,
un « magot » convoité
Dossier
L’
épargne protège de tout,
même du choléra – après
tout, cette « épidémie a peu
attaqué les personnes qui ont
des livrets à la Caisse d’épar-
gne », expliquait sans détour,
en 1832, Benjamin Delessert, cofondateur de
l’institution. Des propos rapportés par
­Carole Christen, professeure d’histoire, qui
conte, dans Les Français et l’argent. Entre
fantasmes et réalités (Presses universitaires
de Rennes, 2011), l’épopée des caisses d’épar-
gne, « symbole moralisateur de [cet] argent
dépassionné », devenu « source de régénéra-
tion » pour la société.
Deux siècles plus tard et à la faveur d’une
nouvelle épidémie, on pourrait croire que
les Français prennent les dires de M. Deles-
sert au pied de la lettre, quand, début 2020,
dès le début de la crise sanitaire, ils épar-
gnent massivement. Plus que d’ordinaire
encore. Pas pour se protéger du Covid-19,
certes, mais par difficulté à consommer,
confinement oblige, et pour se prémunir
face à un avenir incertain.
La Banque de France estime à 157 milliards
d’euros le surplus cumulé d’épargne finan-
cière des ménages depuis début 2020, dont
101 milliards la première année. Et si le taux
d’épargne ne dépasse plus les 20 % de leur re-
venu, comme au plus fort de la crise engen-
drée par le Covid-19, il reste haut : 17,8 % au
dernier trimestre 2022, selon l’Insee, ­contre
Les actionnaires rajeunissent en Bourse
Le mouvement avait étonné plus
d’un observateur. En plein premier
confinement, alors que les marchés
financiers connaissaient de fortes
turbulences, certains Français avaient
retrouvé le chemin de la Bourse. Tout
au long de l’année 2020, le solde des
vendeurs et des acheteurs d’actions
avait été largement positif, alors qu’il
était négatif les trimestres précé-
dents, à l’exception de la période de
l’introduction en Bourse de la Fran-
çaise des jeux, en novembre 2019.
Ce retour avait d’autant plus sur-
pris que, « par le passé, les épargnants
sont souvent venus à ­contretemps,
après des mouvements de hausse sur
les ­actions, ce qui n’est pas trop judi-
cieux. En France, l’éducation écono-
mique et financière n’est pas aussi
­élevée que dans d’autres pays », fait
remarquer Benoît de Juvigny, secré-
Les propositions fusent pour mettre les économies
des ménages au service des transitions écologique
et énergétique, ou encore de la réindustrialisation.
Mais le fléchage de cet argent est une affaire complexe
15,5 % au quatrième trimestre 2019. Pour les
deux premiers trimestres 2023, l’institut pré-
voit des niveaux toujours supérieurs à ceux
d’avant-Covid-19 (17 %, puis 16,3 %).
« Cette surépargne correspond à un besoin
fort et durable, analyse Alain Tourdjman, di-
recteur des études économiques du groupe
BPCE (organe central commun à la Banque
populaire et à la Caisse d’épargne fran-
çaise). Depuis 2020, la succession de crises a
donné aux ménages le sentiment qu’il fallait
non seulement avoir de l’épargne de précau-
tion, pour les coups durs, mais aussi de
l’épargne d’anticipation, face à des perspecti-
ves dégradées [emploi, pouvoir d’achat,
­niveau de vie à la retraite…]. »
« Un livret C, comme coronavirus »
« On pourrait penser que l’inflation siphonne
l’épargne, c’est le contraire. La peur que la vie
coûte plus cher demain et la volonté de
maintenir la valeur réelle de leur patrimoine
incitent les Français et nombre d’Européens
à mettre plus de côté. Les Américains ont
quasiment épuisé leur cagnotte Covid. Ici,
nous n’y avons pas touché », renchérit Phi-
taire général de l’Autorité des mar-
chés financiers (AMF). A ­condition
d’être patient, les actions sont pour-
tant parmi les meilleurs placements
qu’il soit, avec un taux de rendement
interne (qui prend en compte la ren-
tabilité du placement, mais aussi
les frais, la fiscalité…) de 15,1 % sur
quarante ans (1982-2022) et de 8,8 %
sur trente ans, selon la dernière
étude (avril) de l’Institut de l’épargne
immobilière et foncière.
Les Français restent généralement
très circonspects lorsqu’il s’agit
­d’investir en actions. « Après avoir
­culminé à plus de 6 millions dans la
deuxième moitié des années 2000,
le nombre d’actionnaires directs reste
inférieur à 4 millions aujourd’hui »,
observe Philippe Crevel, directeur du
cercle de réflexion le Cercle de l’épar-
gne. La crise financière de 2008, puis
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
moins quatre points de PIB », relève Patrick
Artus, conseiller économique de Natixis.
Le sujet est omniprésent. Sur les huit pro-
positions présentées lors de la concertation
en ligne organisée, en avril, dans le cadre de
la préparation du projet de loi sur l’industrie
verte, trois concernaient ce fameux fléchage
de l’épargne. Les trois idées : créer un label
« industrie verte » pour promouvoir les
fonds d’investissement « contribuant réelle-
ment à la décarbonation » ; lancer un « livret
climat » pour les mineurs, bloqué jusqu’à
leur majorité, mais favorisé fiscalement et
garanti ; transformer le Livret de développe-
ment durable et solidaire en « livret vert ».
Ces idées séduisent, sur le principe en tout
cas. « Bouleversement gigantesque, la transi-
tion énergétique s’accompagne d’une explo-
sion des projets et des besoins de finance-
ment, et on sous-exploite le potentiel de
l’épargne, sa force de frappe collective », réa-
git par exemple Julien Hostache, président
d’Enerfip, plate-forme de financement parti-
cipatif de la transition énergétique. Il re-
grette toutefois que Bercy « ne s’appuie pas
davantage sur l’investissement en circuit
court qui existe déjà, alors que l’Etat a ins-
tauré un cadre unique en Europe pour déve-
lopper le financement participatif et que l’ap-
pétence des épargnants est forte ».
« Qu’il y ait besoin d’investissement pour la
transition carbone, avec un grand volet éner-
gétique, est une évidence », commente, quant
à lui, Christian de Perthuis, professeur d’éco-
A la bourse nomie et fondateur de la chaire Economie
d’Euronext NV, du climat de l’université Paris-Dauphine-
à Paris, le 13 mars. PSL. Cependant, il tempère : « Pour diminuer
Nathan Laine/Bloomberg via les émissions de gaz à effet de serre, il faut en
Getty Images même temps désinvestir des énergies fossiles.
Pour l’épargnant, cela signifie basculer ses ac-
tifs carbonés vers des actifs décarbonés, la
question est celle du rythme du transfert. »
Moins de prêts, moins de placements
Et attention à ne pas surestimer les super-
pouvoirs de l’épargne. « La décarbonation
n’est pas qu’un problème de financement,
transférer des actifs physiques [comme des
usines] et le capital humain associé est bien
plus complexe encore que transférer des ac-
tifs financiers. Cela implique de détruire du
capital et des emplois, et de trouver de la
main-d’œuvre formée pour les nouvelles acti-
vités », complète M. de Perthuis.
Autre bémol : le magot n’est pas aussi gros
qu’on le pense. Economiste à l’Observatoire
français des conjonctures économiques,
­Céline Antonin invite à le relativiser. « Une
grande partie de l’épargne rembourse des cré-
dits immobiliers. Et la surépargne a pour l’es-
sentiel été mangée par l’inflation. En valeur
réelle, le patrimoine des ménages
[14 600 milliards d’euros fin 2021, selon
l’Insee, dont un peu moins d’un tiers de pa-
trimoine financier] est aujourd’hui finale-
lippe Crevel, fondateur du centre de ré- ment proche de celui de 2019. »
flexion Le Cercle de l’épargne. « On sous-exploite « Le taux d’épargne reflète la part de revenu
« Pécule », « cagnotte », « magot » , « tré- le potentiel non consommée par les ménages, il est en
sor »… cette épargne attise les convoitises, cela un indicateur macroéconomique de leur
et la flécher vers des placements répondant de l’épargne, comportement. Mais il ne faut pas le confon-
aux intérêts du pays est devenu un leitmo- dre avec le taux de placements financiers »,
tiv. De quoi nous rappeler que, jadis, le mot sa force de frappe précise, de son côté, M. Tourdjman. Or,
« espargne », en vieux français, renvoyait au poursuit-il, ce dernier est sensible à la distri-
« Thrésor Royal, où l’on porte l’argent du
collective » bution de crédits immobiliers, ralentie en
Roy » (Dictionnaire de l’Académie française, Julien Hostache début d’année 2020. Qui dit moins de prêts
2e édition, 1718). président d’Enerfip dit moins de placements financiers :
Dès 2020, les idées d’utilisation de l’épar- « Quand un ménage âgé vend sa maison à un
gne pour la relance ont fusé. Eric Woerth, ménage jeune, cas classique, le premier place
député Les Républicains, avait proposé de une part de l’argent reçu, alors que le second
créer « un livret C, comme coronavirus ». va surtout emprunter. »
Bercy avait créé le label Relance, pour attirer Certes, l’encours du Livret A croît vite. Il
l’épargne vers des fonds investis en actions s’est étoffé de près de 20 milliards d’euros au
dans les PME françaises. premier trimestre 2023. « Mais ce qui se
A partir de 2022, la guerre en Ukraine et les passe aujourd’hui sur le patrimoine finan-
tensions avec la Chine ont relancé le débat, cier, ce sont surtout des transferts de stocks,
avec de nouveaux appels à mettre cet argent pas des nouveaux flux massifs », martèle
au service de la transition énergétique, la ­Cyril Blesson, fondateur du cabinet d’exper-
réindustrialisation, la défense, l’innova- tise Pair Conseil. Il attire l’attention sur le
tion… « C’est un avantage d’avoir beaucoup dégonflement des comptes courants, qui,
d’épargne en France, la transition énergétique ­a-t-il calculé, ont perdu 43,2 milliards
requiert des investissements équivalents à au d’euros de septembre 2022 à mars 2023 (en-
cours fin 2022 : 588 milliards). « Ces dernières
années, ces comptes courants étaient les
stars du marché. De 20 % du revenu disponi-
ble des ménages en 2005, ils avaient atteint
37 % en 2021. L’épargne non risquée ne rap-
la crise de la dette en 2011 et la baisse aussi élevé : plus de 10 % des détenteurs portant presque plus, on ne faisait souvent
des marchés qui s’en sont suivies ont d’actions déclarés en mars 2022 », ob- plus d’arbitrage », raconte M. Blesson.
refroidi des épargnants français déjà serve l’AMF. « La ­nouvelle génération « Si l’on se concentre toutefois sur les flux
peu enclins à prendre des risques. semble plus encline à prendre plus de de nouveaux placements [hors effets de va-
La dernière enquête réalisée par risques, sans compter que l’investisse- lorisation et intérêts], poursuit-il, on voit
l’institut Kantar pour l’AMF montre ment en actions devient plus ludique que le marché des placements financiers se
qu’en mars 2022 seuls 6,7 % des Fran- avec l’apparition de “néobrokers” ­contracte fortement. Pour cette année, nous
çais de 15 ans et plus détenaient des [courtiers en ligne] », note M. Crevel. prévoyons des flux de collecte nette sur
actions en direct, un niveau stable de- Les derniers chiffres montrent un ­l’ensemble des produits de seulement 39 mil-
puis le milieu des années 2010, mais regain d’activité des investisseurs liards, contre 78 milliards en 2022 et 99 mil-
qui « cache néanmoins une évolution particuliers actifs en Bourse. Au cours liards en 2019. »
importante qui est celle d’un rajeunis- des trois premiers mois de 2023, Même si le magot reste moins abondant
sement de la population des action- 746 000 avaient réalisé au moins un qu’il n’y paraît, la question de son usage
naires individuels », souligne l’AMF. achat ou une vente d’actions, contre reste pendante. Quel(s) chemin(s) l’argent
600 000 environ au cours des deux doit-il emprunter pour parvenir aux projets
« Prendre plus de risques » trimestres précédents, selon l’AMF. que l’on souhaite financer ? Aujourd’hui, la
Depuis 2019, la proportion des moins Ce niveau est inférieur à ceux recen- route passe surtout par l’épargne non ris-
de 35 ans dans la population totale sés aux premiers trimestres 2020, quée, les « produits de taux » (livrets, fonds
des investisseurs est à la hausse, plus 2021 et 2022, mais est très supérieur en euros de l’assurance-vie…). Ils consti-
particulièrement chez les 15-24 ans. aux effectifs de 2018 et 2019, avant la tuent, selon la Banque de France, les trois
« Jamais, depuis le début de l’enquête crise sanitaire. p quarts de l’encours des placements finan-
SoFia [Kantar], leur poids n’avait été Joël Morio ciers des ménages (au total, 4 600 milliards

18 |
Sur la Croisette, un
climat d’optimisme
pour le septième art
La 76e édition du Festival, qui doit s’ouvrir le 16 mai,
est marquée par la présence des studios américains
et la projection de nombreux premiers films
A la Quinzaine des cinéastes, l’esprit défricheur de Julien Rejl
Venu de la distribution de films chez Capricci, le nouveau délégué général entend revenir aux origines de la section parallèle cannoise
Rencontre
L
es équipes se suivent à la
tête de l’ex-Quinzaine
des réalisateurs, rebapti-
sée désormais Quinzaine des
­cinéastes, section parallèle de
poids au sein du Festival de
­Cannes, chapeautée depuis sa
création, en 1969, par la Société
des réalisatrices et réalisateurs de
films. L’édition 2023 marque l’ar-
rivée aux manettes d’un nouveau
pilote en la personne de Julien
Rejl, qui succède à l’Italien Paolo
Moretti, lequel aura assuré quatre
ans de bons et loyaux services
(2019-2022) au fil de trois éditions,
celle de 2020 n’ayant pas eu lieu
pour cause de crise sanitaire.
Baptême du feu, donc, pour un
profil qui tranche avec les habitu-
des du secteur, le nouveau man-
dataire ne venant pas du monde
des festivals mais de la distribu-
C
annes, sans entraves : la
76e édition du festival
cannois, qui doit avoir
lieu du 16 au 27 mai,
s’ouvre dans un climat plus
apaisé, du moins sur le plan sani-
taire, après deux années
­contraintes – port du masque
obligatoire en 2021, une moindre
présence des stars étrangères
en 2022… Place donc au cinéma,
tion. Julien Rejl fut en effet le
­défricheur attitré d’une petite
maison atypique, Capricci, tête
chercheuse d’auteurs pointus. Il
n’en fallait pas plus pour que le
milieu redoute un virage « radi-
cal » de la Quinzaine, écho ampli-
fié par l’annonce, le 18 avril, d’une
sélection où figuraient beaucoup
de jeunes pousses non identifiées,
en lieu et place d’autres noms
pourtant très attendus.
Le parcours du sélectionneur
ne laisse pourtant pas augurer le
moindre regard restrictif. Ren-
contré dans ses quartiers de l’Est
parisien, l’homme, né en 1982, se
décrit comme, à l’origine, « un
­enfant introverti des classes popu-
laires de la région Nord-Pas-de-
Calais, fils d’ouvrier. J’ai grandi
dans une toute petite commune
sans cinéma de quartier, à
200 mètres d’un vidéoclub ». Ses
premières classes se font ainsi
sous le signe de « l’audace », selon
le délégué général du Festival,
Thierry Frémaux. Lequel a choisi,
pour l’affiche de cette 76e édition,
une photo de Catherine De-
neuve, prise en 1968 sur le tour-
nage de La Chamade, d’Alain Ca-
valier. Et c’est Chiara Mas-
troianni, fille de l’actrice et de
Marcello Mastroianni, qui sera la
maîtresse de cérémonie.
par canaux domestiques, avec en
ligne de mire le cinéma améri-
cain des ­années 1980-1990, ten-
dance ­explosive : « Verhoeven,
­Kubrick, Cimino, découverts vers 7
ou 8 ans, puis James Cameron,
­David Lynch, les frères Coen. » Pulp
Fiction (1994), de Quentin
­Tarantino, met le feu à son désir
de faire du cinéma, mais le milieu
paraît bien loin.
Bon élève « obsessionnel », doté
de la bosse des maths, Julien Rejl
se hisse par voie de concours
­jusqu’aux grandes écoles de com-
merce parisiennes, qui l’amène-
ront à exercer un temps dans un
cabinet de conseil. Mais ses « ma-
rottes » ne l’ont pas quitté, et il en
vient à passer un autre concours,
celui de la Fémis, en section « dis-
tribution-exploitation ». En 2009,
il entre chez Capricci comme sta-
giaire et, peu de temps après, se
voit confier le pôle distribution
Quant au président du jury, qui
remettra la Palme d’or le 27 mai, il
n’est autre que le cinéaste suédois
Ruben Östlund, déjà deux fois
Palme d’or – pour The Square,
en 2017, et Sans filtre, en 2022. A
l’imposante sélection officielle
(outre la compétition, les sections
Un certain regard, Cannes Pre-
mière, Cannes Classics, les séan-
ces spéciales…) s’ajoutent les sec-
tions parallèles, la Quinzaine des
cinéastes (du 17 au 26 mai) – autre-
fois Quinzaine des réalisateurs et
rebaptisée pour des raisons pari-
taires –, la Semaine de la critique
(du 17 au 25 mai) et l’Association
du cinéma indépendant pour sa
diffusion, du 17 au 26 mai.
Caisse de résonance politique
Présenté hors compétition,
Jeanne du Barry, de (et avec)
Maïwenn, l’actrice et réalisatrice
donnant la réplique à Johnny
Depp, ouvrira le bal, mardi 16 mai.
Vingt et un films concourent pour
la Palme d’or, dont sept sont réali-
sés par des femmes. En dépit d’un
effort pour accueillir de nouveaux
auteurs, la compétition ­déroule
son tapis rouge à un certain nom-
bre d’« habitués » : le réalisateur
lui aussi doublement palmé Ken
Loach (The Old Oak), Nanni Mo-
retti (Vers un avenir radieux), Wes
Anderson (Asteroid City), Jessica
pour développer le label maison.
« J’ai toujours eu une place un peu
“bâtarde” dans la distribution, ex-
plique-t-il. Je ne peux pas dire que je
faisais le même métier que les gros
du secteur : pas les mêmes moyens,
ni les mêmes enjeux commerciaux.
Je me considérais plus comme un
éditeur de films, et c’est comme ça
que j’ai appris le métier. »
« Gestes artistiques forts »
Dix ans à naviguer dans ces
­franges, quand survient la néces-
sité d’une pause – « pour m’es-
sayer à des désirs d’écriture » –, qui
prépare la transition vers la
­Quinzaine : « J’ai été le premier
­surpris », avance-t-il, revenant sur
sa nomination. On se demande
où se situe le nouveau sélection-
neur dans la riche et turbulente
histoire de la sélection. « Je me suis
retourné vers ses origines, confie
le programmateur, en essayant de
Installation
de l’affiche
officielle sur la
façade du Palais
des festivals,
le 14 mai,
à Cannes.
VALERY HACHE/AFP
Hausner (Club Zero), etc. Parmi les
nouveaux venus, ­signalons la
­Tunisienne Kaouther Ben Hania
(Les Filles d’Olfa), le Brésilien d’ori-
gine algérienne Karim Aïnouz
­(Firebrand), ou encore la jeune
Franco-Sénégalaise Ramata-Tou-
laye Sy, qui arrive avec un premier
long-métrage, Banel & Adama.
Toutes sections ­confondues,
beaucoup de premiers « longs »
sont à ­découvrir cette année – l’un
d’eux recevra le prix de la Caméra
d’or, son jury étant présidé par
Anaïs Demoustier.
L’édition 2023 est également
marquée par le retour de la sulfu-
reuse Catherine Breillat, laquelle
présentera, le 25 mai, L’Eté dernier,
l’histoire d’une avocate (Léa Druc-
ker) qui met en péril sa carrière en
ayant une liaison avec son beau-
fils âgé de 17 ans (Samuel Kircher).
En tout, quatre films français
­concourent pour la Palme d’or :
outre L’Eté dernier, citons Anato-
mie d’une chute, de Justine Triet, La
Passion de Dodin Bouffant, du
Français d’origine vietnamienne
Tran Anh Hung, et Le Retour, de
Catherine Corsini – intégré après
avoir été mis en suspens, du fait de
témoignages sur des violences
sexuelles qui auraient eu lieu
­pendant le tournage.
L’événement cannois aura son
lot de polémiques, ses montées
des marches très attendues, avec
ses vedettes américaines et leurs
films hors compétition – entre
autres, Harrison Ford, star d’In-
Une manifestation
contre la réforme
des retraites est
annoncée pour le
dimanche 21 mai,
à l’initiative de
la CGT-spectacle
diana Jones et le cadran de la desti-
née, de James Mangold, mais aussi
Leonardo DiCaprio et Robert De
Niro, à l’affiche du dernier film en
date de Martin Scorsese, Killers of
the Flower Moon. Comme sou-
vent, la politique s’invitera à
­Cannes, caisse de résonance des
mouvements sociaux et débats
sociétaux : après l’adoption de la
­réforme des retraites, une mani-
festation est annoncée pour le
­dimanche 21 mai, à l’initiative
­notamment de la CGT-spectacle.
Cette année, sauf événement de
dernière minute, ce ne sont pas les
plates-formes qui cristalliseront
l’inquiétude : on observerait
comprendre l’esprit de sa création
en 1969. Bien sûr, on ne peut pas
transposer les recettes de l’époque
aujourd’hui, mais l’idée était bien
celle d’une contre-programma-
tion au Festival. Ce qui signi-
fie ouvrir au maximum les radars
de la prospection et privilégier les
formes audacieuses, les gestes
­artistiques forts. »
Un retour aux sources qui a
­parfois été interprété comme une
attitude de rupture, voire une
­façon de tourner le dos à l’indus-
trie. « Quand j’ai commencé à aller
à Cannes, début 2000, certains
films pouvaient arriver de nulle
part et repartir sans distributeur,
se souvient Julien Rejl. Moi, j’ar-
rive dans un contexte où tout est
devenu un marché. Avoir un film à
Cannes, c’est déjà être pris dans un
marché, être repéré par la profes-
sion. Le métier de vendeur interna-
tional a pris un tel essor que
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
même de premiers indices d’un ar-
mistice entre exploitants de ­salles
et géants du streaming. Ainsi, si le
film de Martin Scorsese produit
par Apple a droit au tapis rouge,
c’est bien parce qu’il sera ensuite
largement distribué en salle, avant
d’être accessible en ligne sur Apple
TV+. Fait nouveau, Apple et Ama-
zon ont décidé de consacrer désor-
mais 1 milliard de dollars (915 mil-
lions d’euros) par an à la produc-
tion cinématographique.
Rattrapage progressif
A la veille du rendez-vous cannois,
l’embellie de la fréquentation, en
France, réchauffe le cœur de la pro-
fession. De quoi espérer un rattra-
page progressif des scores d’avant
la pandémie : depuis le 1er janvier,
les cinémas ont enregistré
68,07 millions d’entrées, soit une
baisse de 13,9 % sur les quatre pre-
miers mois de 2023 par rapport à la
moyenne 2017-2019, selon le
­Centre national du cinéma et de
l’image animée. Mieux, au mois
d’avril, la barre des 19 millions
d’entrées a été franchie, dépassant
la moyenne mensuelle de 2017-
2019 (+ 2,7 %).
Parmi les nouveaux acteurs qui
devraient annoncer leur volonté
d’investir davantage dans le sep-
tième art (coproductions, méca-
nismes fiscaux) figure l’Arabie
saoudite, ce qui n’allait pas de soi :
le cinéma était encore totalement
banni jusqu’en avril 2018 dans
cette monarchie ultra-conserva-
trice. Signe de ce frémissement, la
fondation du Red Sea Internatio-
nal Film Festival (Festival interna-
tional du film de la mer Rouge) a
cofinancé Jeanne du Barry – une
production qui reste majoritaire-
ment française.
Quoi qu’il en soit, le Marché du
film, poumon économique du
Festival, reprend des couleurs.
Son nouveau directeur,
Guillaume Esmiol, qui succède à
Jérôme Paillard, table sur treize
mille professionnels accrédités
cette année, soit 15 % de plus
qu’en 2022. Surtout, sur les cent
vingt nationalités représentées, il
constate un retour de la Chine
(avec 253 professionnels inscrits,
contre seulement 55 en 2022,
mais plus de 600 en 2019). Les
Américains représentent les prin-
cipaux accrédités (18 %), devant
les Français (17 %). D’ores et déjà,
se réjouit Guillaume Esmiol, « les
négociations avec les vendeurs in-
ternationaux démarrent, et des
deals sur les principaux territoires
sont déjà conclus pour de nom-
breux films de la compétition ». p
Clarisse Fabre
et Nicole Vulser
ceux-ci sont devenus les nouveaux
interlocuteurs. C’est bien pour les
films – ils sont représentés et leur
diffusion s’accroît –, mais on peut
aussi voir les choses autrement, et
constater que le rapport au ci-
néaste, à la création, s’est un peu
abîmé. Je me suis donc fixé un cap
de découverte, mais sans me
­couper du marché. Ce serait
­absurde, car Cannes joue dans le
secteur un rôle de poumon. »
Comptant dans ses rangs
­quelques figures familières, no-
tamment les Français Cédric
Kahn, Bertrand Mandico ou
­Michel Gondry, la sélection de
­Julien Rejl et de son équipe a déjà
remporté un premier pari : redon-
ner aux festivaliers la sensation
d’aborder un territoire vierge à
l’aveuglette et sans certitudes, où
la surprise peut donc naître à
­chaque instant. p
Mathieu Macheret
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
« En transfuge,
je me suis
identifiée à
Jeanne du Barry »
Maïwenn revient sur la maturation
de son ambitieux « Jeanne
du Barry », consacré à la maîtresse
de Louis XV, qui fait l’ouverture de
la 76e édition du Festival de Cannes
« Il y avait
beaucoup de
culture chez mes
parents, mais
beaucoup trop
de violence pour
espérer la faire
partager »
A la cour du roi Louis XV, Maïwenn dans le reflet de la favorite
La réalisatrice se confronte au délicat exercice du film d’époque, entre récit d’une d’humiliation de classe et chronique d’un amour au sommet
Jeanne du Barry
pvvv
Sélection officielle
Hors compétition
F
ilm d’ouverture cannois
en même temps que sor-
tie nationale, Jeanne
du Barry, de Maïwenn – consacré
au destin de la courtisane d’ex-
traction populaire et à l’hostilité
que lui vaudra à la cour son
­commerce avec le roi Louis XV –,
se confronte au délicat défi du
film d’époque et, en son sein, à ce
que l’on pourrait plus précisé-
ment nommer le « film de cour ».
C’est-à-dire le plus redoutable
d’entre tous, celui dont la pompe
intrinsèque ripoline la plupart
des productions dévolues au
genre, à grand renfort de décors
Entretien
P
osant en Jeanne du Barry
– roturière et courtisane
– pour le film d’ouver-
ture cannois (le 16 mai
en salle), Maïwenn s’est identifiée
à un modèle qui fut, en son temps,
transfuge de classe à la cour du roi
Louis XV. Affranchie d’une famille
qu’elle a pu qualifier de « planche
pourrie », la réalisatrice s’éman-
cipe elle-même très tôt de la tu-
telle parentale. Actorat. Manne-
quinat. Mariage avec Luc Besson
à 16 ans, rupture cinq ans plus
tard, dépression, psychanalyse.
La vraie émancipation com-
mence en 2003 avec le féroce dé-
ballage de sa vie familiale dans
le one-man-show autobiographi-
que Le Pois chiche. Puis le cinéma
prend le relais de cette longue
­reconquête de soi-même, avec
six longs-métrages, de Pardon-
nez-moi (2006) à Jeanne du Barry
(2023). L’assujettissement d’autrui
et la cruauté mentale y occupent
le devant de la scène, combattus
en même temps qu’exaltés par
un cinéma qui ne s’envisage qu’à
l’estomac. Jeanne du Barry, éti-
quette oblige, calme à cet égard
le jeu, mais ne change pas fonciè-
rement la donne.
Le film d’époque n’est pas
la première chose à laquelle
on pense, s’agissant de vous.
Qu’est-ce qui vous y a menée ?
Le même cheminement que
pour mes films précédents, c’est-
à-dire un coup de foudre immé-
diat pour le personnage, que j’ai
découvert dans Marie-Antoinette
[2006], de Sofia Coppola, inter-
prété par Asia Argento. C’est
étrange parce que Asia l’inter-
prète comme une femme agui-
cheuse et vulgaire, qui rote à table
dès le premier plan du film, et
rutilants, de complots d’alcôves,
de grandes vedettes poudrées
parlant beau, riant fort, se répan-
dant, autrement, en messes bas-
ses. Soit une conception du ci-
néma appliquant au média la mé-
thode même par laquelle la mo-
narchie absolue aura domestiqué
et dévitalisé la noblesse française.
Peu d’exemples sortent de cette
ornière, si ce n’est celui, pétillant
et irrévérencieux, de Sacha Guitry
(Si Versailles m’était conté…,
en 1954), ou celui, réaliste et antis-
pectaculaire, de Roberto Rossel-
lini (La Prise de pouvoir par
Louis XIV, en 1966). Maïwenn,
quant à elle, reste fidèle à son ins-
piration, qui consiste à ne pou-
voir créer qu’à partir d’elle-même.
Jetant son dévolu sur la favorite
de Louis XV – après la version
hautement fantaisiste d’Ernst Lu-
c’est, en fait, tout ce que Jeanne
n’était pas et, au demeurant, tout
ce que je ne suis pas non plus.
A l’époque, je ne savais rien d’elle,
mais j’ai tout de suite senti, mal-
gré tout, que cette fille était pro-
che de moi.
Qu’entendez-vous, au juste,
par « coup de foudre » ?
On ne peut pas toujours dire
pourquoi. C’est un peu comme
quand on tombe amoureuse.
­Disons que je pressentais qu’il
y avait de forts points communs
entre sa vie et la mienne. Ver-
sailles, je le voyais comme le mi-
lieu du cinéma qui, peut-être parce
que j’avais été la femme de Luc
Besson, m’a rejetée d’emblée, qui
m’a traitée avec beaucoup de
­condescendance et d’agressivité.
Je me suis fortement identifiée
à son parcours de transfuge.
Vous vous décrivez souvent
comme une transfuge, mais
ce qu’on connaît de votre mère,
bardée de diplômes universi-
taires, journaliste, actrice, col-
laboratrice de Chris Marker, en
fait plutôt une intellectuelle…
bitsch en 1919 et celle, pittores-
que, de Christian-Jaque en 1954 –,
elle ne va donc pas tant vers la du
Barry qu’elle ne la tire à elle, don-
nant, semblablement, de la cour
L’actrice ne va
pas tant vers la
du Barry qu’elle
ne la tire à elle,
donnant de la cour
une image qui lui
est familière
du roi Louis XV une image qui lui
est familière, et qui pourrait évo-
quer le milieu du cinéma tel
qu’elle le perçut quand, ancienne
Je ne l’entends pas en termes de
prolétariat et de bourgeoisie. Pour
moi, cela veut dire passer d’un mi-
lieu où il n’y a pas d’argent, où
on vit entassé dans un apparte-
ment de Belleville, sans chauf-
fage, à un milieu et à une carrière
où il y a de l’argent. On peut par
ailleurs être un grand intellectuel
et ne pas savoir transmettre
la moindre chose à ses enfants,
pour ne pas dire être maltraitant.
Il y avait beaucoup de culture chez
mes parents, mais beaucoup trop
de violence pour espérer la faire
partager. Je me souviens encore
que ma mère, quand j’ai eu 12 ans,
m’a dit : « C’est une honte, à ton
âge, de ne pas connaître Anto-
nioni. » Du coup, je me suis cons-
truite, avec mes grands-parents,
dans la culture populaire.
Cela explique-t-il la très longue
maturation de ce projet ?
Bien sûr, je ne me sentais pas lé-
gitime, je me disais que ma chose
était le cinéma contemporain, en
impro, bref, que le film d’époque
ne pouvait pas rentrer dans mon
univers. Le projet est resté pen-
dant longtemps un fantasme.
épouse du roi du cinéma français
Luc Besson, elle chercha à en pé-
nétrer les arcanes. Soit un film
avec, oserait-on dire, Jeanne
du Barry (1743-1793) dans le rôle
de Maïwenn, et Louis XV dans ce-
lui de Luc Besson, Johnny Depp
servant en l’espèce de corps
­conducteur idéal entre ces deux
souverainetés déchues.
Clan de ses ennemis
Le film – hors un prologue et un
épilogue narrés en voix off qui
étendent le destin de la du Barry
vers son enfance et sa mort – se
concentre, pour l’essentiel, sur
ses années de cour (1768-1774), en-
tre le moment où elle va raviver
la passion d’un roi sexagénaire
que la mort, en 1764, de la mar-
quise de Pompadour a rendu in-
consolable, et celui où le clan de
La question politique passe,
dans votre film, par le prisme
de la relation intime entre
Jeanne et le roi. N’avez-vous
pas été tentée de l’élargir
à la situation et aux enjeux
du royaume ?
Je l’ai envisagé. Mais un film fait
deux heures et je me suis arrêtée
à ce qui m’importe le plus, je crois,
dans la vie : l’histoire d’amour
­entre cette femme et cet homme.
Et puis aussi le conte de fées à l’en-
vers : cette femme s’élève, mais
court inexorablement à sa perte.
Aviez-vous pressenti le défi
de ce que l’on pourrait appeler
le film de cour, à savoir son
empesage, son académisme,
le tribut, en un mot, que paie
la mise en scène à l’étiquette ?
Je savais en tout cas que je ne
voulais pas faire un film pop.
­Sofia Coppola l’avait déjà très bien
fait, et j’adore son film. Je ne vou-
lais pas non plus que mon film
paraisse, à l’opposé, trop guindé,
trop poussiéreux, qu’on y sente
le scénario et les dialogues. J’ai
­effacé tous les dialogues écrits par
les historiens pour écrire les
ses ennemis, mené par les trois
filles du roi, qui rallient dans leur
combat la jeune dauphine Marie-
Antoinette, la chasse impitoya-
blement de Versailles à la mort
du souverain, en 1774.
Récit d’humiliation de classe
et chronique romantique d’un
amour au sommet constituent
donc les colonnes vertébrales
d’un film qui fait l’éloge d’une
courtisane trouvant dans le cœur
(pour rester correct) du roi la re-
vanche de l’inimitié que lui porte
la cour. La part belle réservée
à cette héroïne de l’entre-deux-
mondes opère un peu au détri-
ment, il faut l’avouer, des autres
protagonistes, quand bien même
le roi falot et taiseux que campe
Johnny Depp n’est pas dénué
de drôlerie, ni India Hair d’une
resplendissante crétinerie dans
| 19
Maïwenn,
à Paris,
le 10 mai.
Chloe Sharrock/MYOP
pour « Le Monde »
miens. Je voulais que les acteurs
s’y sentent à l’aise. J’ai fait un film
qui me ressemble.
Comment avez-vous pensé
à Johnny Depp pour le rôle
de Louis XV ?
Je l’avais proposé à un acteur
français, qui a refusé sans lire le
scénario, puis à un autre qui a
­accepté, mais qui a eu des ennuis
de santé. Et je n’avais plus de désir
pour un acteur français. Un ami
m’a dit : fais-toi plaisir. Johnny
Depp était en haut de la liste.
J’adore cet acteur pour ce mé-
lange paradoxal de candeur et de
noirceur. J’ai voulu être loyale
­envers mon désir, quand bien
même on devrait me reprocher
d’avoir choisi un acteur améri-
cain pour ce rôle.
Ne croyez-vous pas que ce sera
plutôt pour le procès qui l’a op-
posé à sa femme sur la ques-
tion des violences conjugales ?
De la même façon, la plainte
déposée à votre encontre en
avril par Edwy Plenel pour
­violence, sur laquelle vous ne
vous êtes pas exprimée, ren-
verrait-elle à la manière dont
« Mediapart » a mis en cause
votre ex-mari Luc Besson dans
des affaires de mœurs ?
S’agissant de Johnny Depp, le
casting a eu lieu avant le premier
procès. S’agissant d’Edwy Plenel,
je ne veux rien dire pour le mo-
ment [elle a, depuis, reconnu
l’agression du journaliste sur le
plateau de l’émission « Quoti-
dien », sur TMC, le 10 mai]. Un pro-
cès aura lieu, il sera temps, plus
tard, pour moi, de m’expliquer.
L’une et l’autre « affaires » ren-
voient, en tout état de cause, à
la manière dont le mouvement
#metoo a radicalement changé
la manière, pour les femmes,
de lutter contre la démonétisa-
tion de leur statut et de leur
parole. Comment considérez-
vous ce mouvement ?
Je suis à fond pour ce mouve-
ment, cela va de soi. J’en partage la
colère. Cela dit, je suis contre sa ra-
dicalisation. La cancel ­culture,
l’écrasement des hommes, le re-
fus du pardon, la pensée que tout
homme est, par nature, contre les
femmes. Mais ce que je dis là est
aussi une généralisation, et c’est
précisément ce qu’on doit éviter.
L’idéal est d’entrer dans la parti­-
cularité de chaque cas pour le
­juger subtilement et sans paresse
intellectuelle. p
Propos recueillis par
Jacques Mandelbaum
l’interprétation de la fille du roi
la plus occupée à lui porter tort.
Jeanne du Barry, qui vient après
ADN (2020), piquante comédie
du deuil, dans la filmographie
de Maïwenn, en poursuit à l’évi-
dence la volonté de renouvelle-
ment. Tout, ici, ralentit, se pose,
vise (en trente-cinq millimètres)
à la picturalité, côté lumière pour
les fastes de la cour, côté ombre
pour la passion qui unit le roi et sa
maîtresse. Louable application,
qui n’évitera pas un sentiment de
frustration pour qui ne se conten-
terait pas de la peinture d’une pas-
sion contrariée entre une jeune
roturière et un vieux monarque. p
J. Ma.
Film français de et avec
Maïwenn. Avec Johnny Depp,
Benjamin Lavernhe (1 h 56).

20 | Culture
Bruce Springsteen célèbre l’amitié et la générosité
Le chanteur américain a livré un long concert authentique, samedi 13 mai, à Paris La Défense Arena
Musique
L
ors de sa précédente
­tournée européenne, sai-
son printemps-été 2016,
Bruce Springsteen et son
E Street Band avaient joué à l’Ac-
cor Arena, à Paris, les 11 et 13 juillet.
Le premier soir, le système de son,
de lumières de scène et de projec-
tions sur des écrans était tombé
en panne. Durant une dizaine de
minutes, près de 20 000 person-
nes du public avaient chanté, avec
l’aide du batteur Max Weinberg
pour tenir le tempo, et Spring­-
steen et sa troupe avaient pris le
temps d’un bain de foule dans la
fosse, avant que le concert re-
prenne. Grand souvenir pour les
présents.
C’est dans un lieu à la capacité
d’accueil deux fois plus impor-
tante, Paris-La Défense Arena, à
Nanterre, ce samedi 13 mai – cette
fois sans problème technique –, et
lundi 15 mai, que le guitariste,
chanteur et auteur-compositeur
américain et sa formation d’une
vingtaine de membres (avec sec-
tion de vents, quatre choristes…)
font étape durant leur tournée
­internationale. Elle a commencé
le 1er février aux Etats-Unis, passe
par l’Europe du 28 avril au
25 juillet, avant un retour outre-
Atlantique du début d’août à la
mi-décembre.
Complets depuis des semaines
Un constat, à l’issue de ce premier
des deux concerts (complets de-
puis des semaines) en France :
Springsteen a calé un choix de
chansons quasi identique à celui
qui a prévalu chaque soir aux
Etats-Unis ou encore lors des pre-
mières dates européennes à
­Barcelone et Dublin. Cela se vérifie
sur le site Internet officiel Bruces-
pringsteen.net, où, dans un court
délai de deux ou trois jours après
le tomber de rideau, chaque con-
cert intégral du Springsteen and
E Street Band 2023 Tour est mis en
ligne et peut être acquis contre
paiement (de 14,99 à 39,99 dollars
[13,70 à 36,55 euros], selon la qua-
lité des fichiers numériques).
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Bruce Springsteen et le E Street Band, à Paris La Défense Arena, le 13 mai 2023. P. DELOYAL/DALLE
Sur des forums, des fans se sont
dit un peu dépités que Springs-
teen ne change pas davantage son
répertoire, glissant seulement de
temps à autre une ou deux
­différences dans le déroulé des
concerts. Et de rappeler que, lors
de tournées précédentes, les
­surprises et les changements
étaient bien plus nombreux,
Springsteen répondant aussi ré-
gulièrement aux demandes de
fans dans le public, qui inscrivent
sur des cartons brandis des titres,
dont certaines chansons perdues
sur des faces B de 45-tours.
Ce qu’ils ont perdu en sponta-
néité, Springsteen et le E Street
Band le remplacent par une effica-
Pour Springsteen
et le E Street
Band, la plongée
rock est jouée
avec une réelle
joie à se dépasser
cité indéniable, jouant de soir en
soir les mêmes thèmes, plaçant à
peu de chose près les mêmes solos
– en particulier le saxophoniste
Jake Clemons, qui a remplacé
­Clarence Clemons, mort en 2011,
présent dans le groupe de Spring­-
steen dès 1972, tout comme le
A Lugano, la Fondation Bally émerge des flots
« Un lac inconnu », l’exposition inaugurale de ce nouveau lieu, convie une vingtaine d’artistes
Arts
Lugano (Suisse)
S i les ouvertures de fonda-
tions donnent souvent lieu
à des démonstrations de
puissance, la Fondation Bally a
opté pour une apparition aussi in-
timiste qu’ondoyante, avec une
première exposition sous forme
de rêverie dans une des plus jolies
villas de la ville de Lugano, en
Suisse italienne.
L’impulsion est venue du
­Français Nicolas Girotto, PDG de
la maison suisse, qui s’applique à
relancer la marque de chaussures
et de prêt-à-porter et à en raviver
tous les aspects, dont son implica-
tion dans la création contempo-
raine. La découverte de la Villa
­Heleneum, bâtisse rose émer-
geant du lac, dans un jardin
­public, aura été pour lui décisive.
Situé près du siège de l’entreprise,
le lieu, propriété de la municipa-
lité, était vacant. La fondation qui
jusqu’ici n’avait pas de lieu propre
l’a loué pour quinze ans.
Pour réveiller cet écrin, le choix
s’est porté sur la Franco-Italienne
Vittoria Matarrese, alors ­directrice
de la performance au Palais de To-
kyo, à Paris. Architecte de forma-
tion, la curatrice prend ses quar-
tiers ce printemps avec « Un lac in-
connu », qui revisite l’esprit de ce
lieu plongé dans la nature, entre
­ assiste Garry Tallent. Cela pour-
b qui rejoindra le E Street Band
rait être interprété de façon méca-
nique, mais pour Springsteen, les
instrumentistes et les choristes, la
plongée rock ne peut être factice.
Elle est jouée avec une réelle joie à
se dépasser, avec l’authenticité
d’une première fois.
Cette feuille de route fixe ra-
conte aussi une manière pour
Springsteen de faire comme un
bilan. Il y a l’importance de l’ami-
tié, annoncée dès l’ouverture par
No Surrender, évocation des pre-
miers temps de Springsteen ado-
lescent écoutant des chansons
avec notamment, sans le nom-
mer, son copain le guitariste Ste-
ven Van Zandt dit « Little Steven »,
eau, ciel et relief ­escarpé, avec les
œuvres d’une vingtaine d’artistes.
Le titre est une référence au
Temps retrouvé, de Proust, où
l’image du « lac inconnu » décrit le
subconscient d’où émanent mots
et pensées. « J’ai réfléchi les fenêtres
ouvertes, pour que la première pré-
sence de chaque pièce soit celle du
lac et de la nature. Et j’ai cherché des
œuvres qui allaient entrer en dialo-
gue, car une ancienne villa d’habi-
tation, ce n’est pas un espace brut
comme le Palais de ­Tokyo », confie
la directrice-commissaire.
Œuvres créées in situ
Côté jardin, le public peut décou-
vrir des œuvres créées in situ,
comme celle imaginée sous la
vaste terrasse par le jeune artiste
français Mathias Bensimon. L’es-
pace ouvert est mué en un
­tableau immersif qui évoque les
Nymphéas, de Monet, et capte
toutes les variations de lumière à
fleur de lac. En entrant dans le
­bâtiment, le visiteur croise
­plusieurs figures mi-humaines,
mi-végétales, aux corps de lierre
et gazon synthétiques. Cet art
­topiaire du New-Yorkais Vito
­Acconci (1940-2017) rejoue le mo-
bilier de jardin – chaises, tables ou
­tonnelle – façon camouflage.
Les géants forsythias jaune d’or
de Petrit Halilaj et Alvaro Urbano,
qui dominent le grand escalier
en 1975, et qui traite aussi de l’im-
portance de ne pas renoncer à ses
rêves, ses espoirs de jeunesse.
L’amitié, encore, traitée dans
Backstreets ou Bobby Jean, qui est
en creux dans Ghosts, extraite de
l’album Letter to You, en 2020,
dont Springsteen avait dit qu’elle
traitait en partie « de la beauté et
la joie d’être dans un groupe ».
La conscience du temps qui passe
Il y a des nostalgies, de sa vie
d’adolescent encore, des ambian-
ces des quartiers où il a grandi,
écrites quand il était encore un
jeune adulte et qui prennent une
dimension plus grave, chantées
­ squissent un jardin intérieur
e
protecteur et solaire. Des limaces
bleu Klein se font la malle entre
deux salles : ce sont des sculptu-
res en bronze de Wilfrid Almen-
dra, qui n’aime rien tant qu’hybri-
der les petits riens et l’histoire de
l’art. En hauteur, un filet lustre de
Ligia Dias semble avoir remonté
du fond du lac des ­souvenirs en-
fouis, entre ­bouchons de champa-
gne et capsules de bière, scintille-
ment de pampilles et ­porte-clés
touristiques, autant de déchets
domestiques à l’éclat féerique.
« Close your eyes » : cette injonc-
tion paradoxale à fermer les yeux
s’inscrit « sur » le paysage, à
même la vaste baie vitrée panora-
mique du salon central. Cette
œuvre d’Haim Steinbach, qui en
appelle à d’autres sens que la vue,
trouve un écho dans les textes
fluides imprimés sur des rideaux
de Paul Maheke. Lac, un texte
court, commande faite à l’écri-
vain Yannick Haenel, est, lui, à
écouter en quatre langues, au
creux d’anciennes vitrines.
La peintre suisse Caroline
­Bachmann double les fenêtres
des lieux de hublots atmosphéri-
ques autant qu’introspectifs avec
vue sur un autre lac, le Léman. En
­partie dessinés à l’ombre à pau-
pières, les paysages d’Hélène
­Muheim se présentent comme de
minutieux mirages où nuages et
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
Des nostalgies
écrites quand
il était un jeune
adulte prennent
une dimension
plus grave,
chantées par
un septuagénaire
en voix puissante
par un septuagénaire toujours en
voix puissante (The E Street Shuf-
fle, Glory Days, Tenth Avenue
­Freeze-Out, accompagnée d’ima-
ges de Clarence Clemons et du
claviériste Danny Federici, lui
aussi des premiers temps du
E Street Band, mort en 2008).
Et puis le rappel de l’attention
constante de Springsteen au
monde ouvrier, qui va s’étourdir
dans la fête en fin de semaine
(Out in the Streets), est brisé par le
chômage (Johnny 99), fait face à
l’avidité de la finance (Wrecking
Ball). Le rappel aussi des trauma-
tismes de la guerre du Vietnam
(Born in the U.S.A.), du 11-Septem-
bre (Mary’s Place, The Rising,
hommage à dimension mystique
aux pompiers morts en allant
porter secours).
A cela s’ajoute la conscience du
temps qui passe, des absents, de la
vie qui va trouver une issue, et
que reflètent Letter to You, Last
Man Standing, jouée à la guitare
acoustique, dédiée à George
Theiss, mort en 2018, qui avait
­recruté Springsteen en 1965 pour
se joindre à son groupe The
­Castiles, et à la fin de la soirée, I’ll
See You in My Dreams, interprétée
par le seul Springsteen, à nouveau
en acoustique. Toutes trois avec
une traduction en français des
­paroles projetée sur des écrans,
qui auront montré en gros plan
durant deux heures cinquante la
générosité musicienne de
Springsteen et du E Street Band
envers le public. p
Sylvain Siclier
feuillages se fondent en des re-
flets imaginaires. Face au lac, une
vidéo montre l’artiste litua-
nienne ­Emilija ­Skarnulyte en si-
rène archéologue nageant au-
dessus des ruines d’une cité anti-
que engloutie dans la baie de
­Naples. Une vision aussi hypnoti-
que que mélancolique.
Deux installations sculpturales
se doublent de performances
­fortes en émotions : celle de l’Aus-
tralienne Mel O’Callaghan, aux
vastes sculptures de verre sus-
pendues, fait résonner les
­respirations des performeurs
jusqu’à la transe. Chez Adélaïde
Feriot, un saisissant chœur,
comme sorti des eaux, vient
­habiter des visages argentés qui
semblent flotter au-dessus de
cascades de pleurs.
Après cette déambulation poé-
tique et philosophique, invita-
tion à la contemplation, la petite
équipe de la fondation prépare
l’ouverture de résidences d’artis-
tes sous les toits de la Villa
­Heleneum, dès 2024. Ce seront
des résidences internationales de
recherche et de production, qui
promettent d’être intimement
liées au site et au territoire. p
Emmanuelle Jardonnet
Un lac inconnu. Bally
Foundation, Lugano (Suisse).
Jusqu’au 24 septembre.
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
Médecins de campagne au bord du burn-out
« Enquête de santé » a suivi durant plusieurs mois le quotidien de trois généralistes et d’une stagiaire
France 5
Mardi 16 - 21 heures
Documentaire
L
e diagnostic est alarmant.
En une décennie, alors
que la population fran-
çaise est passée de
63,4 millions à 68 millions d’habi-
tants, le nombre de médecins gé-
néralistes s’est en même temps
réduit, de 101 435 à 99 941 ; plus in-
quiétant, les généralistes tra-
vaillant en cabinet (les « méde-
cins de famille ») sont passés de
64 142 à 57 033 (selon la direction
de la recherche, des études, de
l’évaluation et des statistiques) –
les autres exerçant en milieu hos-
pitalier, en salariat ou en exercice
mixte. Ces chiffres sont nécessai-
res, mais moins parlants que l’ex-
cellent reportage de Céline Mar-
tel, diffusé dans « Enquête de
santé ». Elle a en effet suivi le quo-
tidien d’une étudiante en der-
nière année et de trois généralis-
tes, aux profils particulièrement
emblématiques.
A Lederzeele, dans le Nord,
Pierre Levisse, 69 ans, incarne
ainsi le médecin de campagne à
l’ancienne, joignable le jour, la
nuit, le week-end. Dans leur petite
maison, son épouse assure les
­prises de rendez-vous, les tâches
administratives et prépare les re-
pas… avalés en vingt minutes par
son mari avant de repartir en visi-
Etre homosexuel dans la France d’hier et d’aujourd’hui
Un documentaire nourri de témoignages dresse un bilan contrasté : davantage de tolérance, certes, mais de plus en plus d’actes homophobes
France 2
Mardi 16 - 21 h 10
Documentaire
Q u’est-ce qu’être homo-
sexuel (le) dans la France
de 2023 ? A quels tour-
ments, quelles émotions
et quelles réactions est-on con-
fronté quand on se découvre « pas
pareil que les autres » ? Comment
parvenir à s’accepter malgré la dé-
fiance, l’hostilité parfois des plus
proches ? Ces questions sont abor-
dées dans le documentaire Ho-
mos en France, diffusé à l’occasion
GRILLE N° 23 - 113
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X le bassin. Plats et sans intérêt. 4. Plu-
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 112
HORIZONTALEMENT I. Consécration. II. Apôtre. Lô. Pu. III. Rite. Déguste.
IV. Inarticulée. V. Cisaille. VI. Aa. Illusions. VII. TTC. Les. Ouïe. VIII. Urine.
Elu. Ar. IX. RER. Ui. Alu. X. Eraillements.
VERTICALEMENT 1. Caricature. 2. Opiniâtrer (s). 3. Notas. Cira. 4. Stérai.
5. Er. Tilleul. 6. Cédille. Il. 7. Ecluse. 8. Algues. Lam. 9. Toul. Ioule. 10. Se-
bou. Un. 11. Opte. Nia. 12. Nue. Useras.
Pierre Levisse, 69 ans, médecin à Lederzeele (Nord). 17 JUIN/FRANCE TV
tes à domicile, jusqu’à 22 heu-
res ou 23 heures. Mais, après qua-
rante ans ainsi, ébranlé par la mort
d’un confrère, il s’est résolu à pren-
dre sa retraite, malgré le senti-
ment insupportable d’abandon-
ner ses 2 500 patients, faute de
successeur. « Ce qui me taraude,
c’est de passer pour un déserteur »,
dit-il des sanglots dans la voix. Il
va alors décider de faire quelque
de la Journée mondiale de lutte
contre l’homophobie, la trans-
phobie, la biphobie du 17 mai.
Pour y répondre, l’humoriste
Vincent Dedienne et la réalisatrice
Aurélia Perreau, coauteurs, ont
choisi de donner la parole à des
hommes et à des femmes d’âges
et d’horizons divers. La décou-
verte de leur homosexualité, leur
coming out, la honte, les tentati-
ves vaines pour se convertir à l’hé-
térosexualité, l’affirmation de
soi… Il y a là des personnalités, tel-
les que les chanteuses Angèle, Ca-
therine Lara, l’ancien diplomate
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
chose d’admirable. Il s’en expli-
quera certainement lors du débat
qui suit le film, puisqu’il en est l’un
des six invités, avec notamment
la docteure Dominique Bontoux.
Questionnements
La vie de cette dernière peut paraî-
tre fatigante : Mme Bontoux, rési-
dant près de Carry-le-Rouet (Bou-
ches-du-Rhône), effectue 450 kilo-
Gérard Araud ou l’ancien footbal-
leur Ouissem Belgacem. Leurs
souvenirs se mêlent à ceux d’ano-
nymes, comme la lycéenne Arwen
et l’étudiant Gabriel, évoquant le
harcèlement à l’école et la phobie
scolaire, ou Mfaomé, commercial
de 30 ans, qui confie en faisant ré-
férence à son identité d’homme
noir homosexuel : « Au moins
quand t’es noir t’as pas à l’annon-
cer à ta mère… Quand t’es gay ce
sont tes proches qui te rejettent. »
Ce récit choral donne à voir la
manière dont la société traite et
malmène souvent ceux qui s’écar-
HORIZONTALEMENT
I. Fourre ses mains partout, même
dans les textes. II. Arriver à toute vi-
tesse. Sans tache. III. Adaptées à leur
but. En bouts de queue. IV. Démons-
tratif. Dans un tube. Quand deux
voyelles se rencontrent. V. Découpage
d’un gros ouvrage. Difficile de le
clouer. VI. Danseuse cubaine, de Gi-
selle à Carmen. Du fantastique chez le
libraire. Personnel. VII. Jamais facile à
partager. Peut se manifester à n’im-
porte quel moment. VIII. Met la
France en cartes. Particulièrement
désagréables. IX. Bonnes gardiennes.
Chassé ailleurs. X. A participé à l’ex-
pédition des Argonautes. Lumières
en ville.
VERTICALEMENT
1. Négociation et manœuvre, rare-
ment au singulier. 2. Les rayons et
les ondes à l’hôpital. 3. Rouge dans
tôt relevé. Patron du jour. 5. Devenu
embaumeur chez les Egyptiens.
6. Boisson anglaise en VO. Arrêter
les comptes. 7. Droit et correct chez
les Grecs. La Chapelle ou en Provence.
8. A écrit avec Freud Pourquoi la
guerre. 9. Peintre et poète japonais.
Grogne comme un chat. 10. Note.
Appréciation. Tous sur la rose.
11. Limace. 12. Compositeur rou-
main. Entre deux portes.
mètres en train pour exercer dans
un désert médical comme sala-
riée au centre de santé de Mont-
ceau-les-Mines (Saône-et-Loire).
Elle trouve ce rythme plus repo-
sant que les vingt années passées
avant en libéral, jusqu’à ce qu’elle
tombe gravement malade. Pour
combien de temps ? Filmée sur
plusieurs mois, sa charge de tra-
vail ne va cesser d’augmenter.
tent de la norme hétérosexuelle.
En parallèle des témoignages, des
archives montrent la façon dont
les homosexuels furent, ces der-
nières décennies, représentés
dans la culture populaire.
Caricatures et micro-trottoirs
Introduits par la voix off de Vin-
cent Dedienne, des extraits de
films, de séries, d’émissions de té-
lévision ponctuent ainsi la narra-
tion. On y (re)découvre les carica-
tures des personnages de films
tels que Gazon maudit ou La Cage
aux folles, mais aussi le baiser de
sudoku
n°23-113
HORS -SÉRIE
SES RÉGIONS
SON PAYSAGE POLITIQ
UE
SES INÉGALITÉS
40
CA RTES
POUR COMPRENDRE
COMMENT
VA LA
FRANCE
Télévision | 21
A 29 ans, Camille Bac, en der-
nière année de médecine, n’a pas
envie d’avoir la vie de ces aînés.
Les images montrent ses ques-
tionnements durant ses six pre-
miers mois de stage dans un cabi-
net de médecine générale près de
Lyon – ville qu’elle n’imagine pas
quitter pour exercer dans un dé-
sert médical. Comme elle, les
­étudiants interrogés expriment
leurs craintes : peur de s’installer,
peur de travailler énormément…
Le cabinet médical leur paraît
plus rassurant que d’exercer seul.
A l’inverse, Benoît Gombert,
40 ans, assume seul une respon-
sabilité maximale, en tant que gé-
néraliste de nuit pour SOS-Méde-
cins, à Saint-Malo. Et cela lui plaît,
dit-il, même si son activité noc-
turne l’oblige à des actes de méde-
cine légale inattendus : auprès
d’un noyé, sur la plage, ou à
­l’hôpital, pour constater un dé-
cès. Lui se sent utile et apprécie
surtout de pouvoir récupérer
chaque jour à la sortie de l’école,
son fils Maxime, 6 ans, atteint
d’une maladie rare.
En quatre portraits, Céline Mar-
tel dépeint une évolution de la
profession avec laquelle les mala-
des vont devoir composer. p
Catherine Pacary
Médecins de famille : soigner
jusqu’à l’épuisement ?, de Céline
Martel (Fr., 2023, 60 min).
l’actrice Clémentine Célarié à un
homme séropositif lors de la pre-
mière édition télévisée de « Tous
contre le sida », en 1994, ainsi que
des micros-trottoirs en noir et
blanc où des Françaises et des
Français s’indignent de ces prati-
ques « contre-nature ». Ces images
pas si anciennes rappellent que
la loi Forni abrogeant définitive-
ment le délit d’homosexualité
fut promulguée le 4 août 1982.
En seconde partie de soirée,
après un débat, la rediffusion d’un
autre documentaire, Homosexua-
lité. Les derniers condamnés, d’Em-
40 CARTES
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LCP
Le Système Total, anatomie
d’une multinationale de l’énergie
20.30 Après Arte, La Chaîne
parlementaire revisite les coulisses
de « l’entreprise la plus détestée de
France ». Trois reportages en Ouganda
et au Texas mettent en doute
la conversion verte du groupe
pétrolier aux 1 000 filiales.
Arte
Les Poisons de Poutine
20.55 L’art et la manière du maître
du Kremlin pour éliminer ses
opposants… Premier épisode de
cette série en trois volets : Alexandre
Litvinenko, ex-officier du FSB
empoisonné au polonium 210
à Londres en 2006, après avoir
dénoncé le meurtre de la journaliste
Anna Politkovskaïa.
Sailorz
Navigantes
A la demande Pierre-Yves Lautrou
et son équipe donnent à entendre
le milieu de la voile dans des
podcasts au long cours qui ont su
laisser la parole aux femmes.
France Inter
Les Odyssées
A la demande Laure
Grandbesançon a récemment
imaginé pour le plus grand plaisir
des enfants (à partir de 7 ans) et de
leurs parents de nouvelles odyssées.
manuel Hamon et Ariane Chemin
(journaliste au Monde), permet
de replonger dans cette histoire
récente et de découvrir d’autres
témoignages : ceux de ces hom-
mes qui passèrent devant le tribu-
nal en raison de leur vie amou-
reuse, il n’y a pas si longtemps. p
Solène Cordier
Homos en France, d’Aurélia
Perreau et Vincent Dedienne (Fr.,
2023, 100 min) ; Homosexualité,
les derniers condamnés, d’Ariane
Chemin et Emmanuel Hamon
(Fr., 2022, 60 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
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22 | Carnet ­
0123
­Mardi 16­ mai 2023

Jacques-Christian, L’administrateur, M. Jean de Rango,

son fils, L’assemblée des professeurs André MANDRAUD, son époux,
Et toute la communauté professeur agrégé d’espagnol Patricia, Jean-Eric et Valérie,
du Collège de France, et ses enfants,
en vente Le Carnet
a le regret de faire part du décès de
peintre de génie.
Ulysse, Florian, Lou, Yoann, Kim et
Sophie,
actuellement Sylvie BAJEUX WADESTRANDT,
apprennent avec une grande tristesse ses petits-enfants,
le décès de Claudette, Côme et Malo,
K En kiosque Vous pouvez nous faire survenu le 7 mai 2023, à Porto Rico.
son épouse,
Vincent et Isabelle,
ses arrière-petits-enfants
Et toute la famille,
parvenir vos textes Ian HACKING, ses enfants
Elle a consacré toute sa vie à professeur émérite et leurs conjoints, Fabienne et Marc, ont la profonde tristesse de faire part
soit par e-mail : du décès de
HORS-SÉRIE

la défense des droits humains et à du Collège de France, Gabriel, Anastasia et Aurélie,

carnet@mpublicite.fr la lutte contre l’impunité en Haïti. titulaire de la chaire Philosophie et ses petits-enfants, Mme Colette de RANGO,
(en précisant impérativement Elle a été promue pour cela au grade histoire des concepts scientifiques née BELLIN,
votre numéro de téléphone de 2000 à 2006. se souviennent de leur mari, père et directrice de recherche
LES de chevalier de la Légion d’honneur grand-père aimant. au CNRS,
HDE
ÉROS
LA
et votre éventuel numéro en 2013.
MYTHOLOGIE d’abonné ou de membre Ils rendent hommage à un professeur Il repose désormais à Toulon. survenu le 8 mai 2023,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
GRECQUE & ROMAINE
de la SDL) jwadestrandt@gmail.com qui a profondément marqué le Collège
de France par son immense érudition, La rédaction, Les obsèques ont eu lieu ce 15 mai,
soit sur le site :
En partenariat avec

Pierre Lowry Chaplain, son rayonnement international, et Le comité éditorial, à 13 h 30, au cimetière ancien Carnot,
Dès mardi 16 mai https://carnet.lemonde.fr son fils, sa capacité à dépasser les clivages, un Le comité scientifique à Suresnes (Hauts-de-Seine).
Éléna Chaplain, professeur qui a œuvré avec succès de la revue médecine/sciences,
L’équipe du Carnet reviendra au rapprochement des sciences et Cet avis tient lieu de faire-part.
sa petite-fille,
vers vous dans les meilleurs Michèle Mineo,
des humanités, de l’épistémologie et ont la profonde tristesse de faire part Famille de Rango,
HORS-SÉRIE

délais pour vous confirmer de l’histoire. du décès de 33, rue de l’Yvette,

SES RÉGIONS

sa tante,
SON PAYSAGE POLITIQUE
SES INÉGALITÉS

la parution. 78460 Chevreuse.

40
CARTES
Françoise, Magalie, Marthe et Laure,
Le président,
Le vice-président,
Suzy MOUCHET-PADBERG,
cofondatrice et conseillère
Tél. : 01 30 52 69 24.
POUR COMPRENDRE

COMMENT carnet@mpublicite.fr ses amies, Les secrétaires perpétuels de la revue, Paris. Neuilly-sur-Seine.
VALA Pierre, Cyril, Nil et Nicolas, Et les membres ancienne directrice du département
FRANCE https://carnet.lemonde.fr de l’information scientifique
ses amis de l’Académie des sciences, Mme Josette Serres,
et de la communication à l’Inserm sa sœur,
ont la tristesse de faire part de la (1991-2000), Mme Aurore Limosin,
AU CARNET DU «MONDE» Les éditions des femmes- sa nièce,
disparition de leur confrère ancienne responsable
Antoinette Fouque,
Hors-série du site histoire de l’Inserm
ont la profonde tristesse d’annoncer
Naissance et membre du comité
ont la douleur de faire part du décès le décès de
Vincent HAYWARD, pour l’histoire de l’Inserm,
de professeur à Sorbonne Université, Patrice SERRES,
survenu le 8 mai 2023.
UNE VIE, UNE ŒUVRE

Joseph, Laurent, Stéphane

PATRIER-LEITUS Camille CHAPLAIN, survenu le 10 mai 2023, à Courbevoie,
traductrice, survenue le 10 mai 2023, Suzy était une femme de passion à l’âge de soixante-seize ans.
à l’âge de soixante-huit ans. et de conviction, une grande
a pointé le bout de son nez, le mardi professionnelle de la communication La crémation aura lieu le 23 mai, à
9 mai 2023, à Lisieux. survenu le 29 avril 2023, à Rouen. 15 heures, à Clamart (Hauts-de-Seine).
Ils adressent à sa famille leurs plus scientifique et médicale, et armée
Annie Ernaux sincères condoléances. d’une grande culture. Elle a participé
La passion d’écrire Hortense et Jérémie, L’équipe des éditions des femmes- à toute l’aventure de médecine/ Souvenirs
Vue par Laure Adler, Camille Laurens, Denis Podalydès…
ses parents, Antoinette Fouque, ses ami.e.s autrices sciences depuis sa fondation en 1985.
et auteurs, saluent la mémoire d’une Nous apprenons avec tristesse Cofondatrice, animatrice, conseillère
Hors-série remercient très chaleureusement les
traductrice exceptionnelle, exigeante,
le décès de notre ami, et relectrice attentive et critique, elle Jean-Noël BEURTON
équipes de la maternité de Lisieux.
délicate, et d’une grande humanité. s’est battue aux côtés des chercheuses,
Georges KIEJMAN, nous a quittés, il y a dix ans.
chercheurs, cliniciennes et cliniciens
HORS-SÉRIE

Décès avocat. pour que vive et se développe une

Et s’associent à sa famille et ses Ses amis et sa famille pensent à lui.
revue francophone biomédicale
Marie-Laure Akchar-Laroche, ami.e.s pour une cérémonie, ce Sa présence indéfectible de haut niveau, ouverte et accessible beurton@orange.fr
Sylvain Akchar, 15 mai, à 15 h 30, au crématorium et attentionnée, aux côtés d’ à toutes et tous. Une femme
ses enfants, de Rouen (Seine-Maritime), rue du Antoinette Fouque et aux nôtres exceptionnelle dont la parole sans
depuis presque cinquante-cinq ans, Il y a trente ans,
Coline Akchar et Ulysse Vincent, Mesnil Gremichon. fard et la lucidité vont beaucoup
Lucile Akchar et Pablo Rodilla, nous manque déjà.
RAMSÈS
& L’OR DES PHARAONS
ses petites-filles et leurs compagnons, chaplain.pierre@gmail.com
nous manquer. Régine GABBEY,
épouse BOIS,
Amel Akchar-Vincent, A lui notre reconnaissance et
ÉDITION SPÉCIALE POUR L’EXPOSITION ÉVÈNEMENT
direction@desfemmes.fr M. et Mme Emmanuel Evrard, grand reporter à Géo,
son arrière-petite-fille, notre affection.
M. et Mme Xavier Puéchal,
Hors-série Bourg-en-Bresse. Montréal-la-Cluse. M. et Mme Frédéric Bastin, disparaissait en Sibérie après un
Ses amies du MLF, de Psychanalyse
ont la tristesse de faire part du décès ses enfants, accident d’hélicoptère, au cours d’un
et Politique, de l’Alliance des Femmes
de Clémence, Ladislas, reportage.
Jacqueline, pour la Démocratie et des éditions
Guillaume, Oriane, Violaine et
son épouse, des femmes-Antoinette Fouque. Nous nous souvenons et nous
100 GRILLES Marie Louise Paulette Augustin,
François, Claire, Anne, Bruno, Octave, Auguste et Hippolyte, l’aimons à jamais.
AKCHAR, (Le Monde du 11 mai.)
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 5
ses enfants ses petits-enfants,
née LATREILLE, Etienne, Ariane, François, Jean,
et leurs conjoints, M. Jean-Paul Masson, Aurélien, David, Max et Salomé.
Ses petits-enfants Laurent, M. Philippe Masson,
survenu le 3 mai 2023, dans sa son fils, M. et Mme Hervé Masson,
Et son arrière-petite-fille,
quatre-vingt-dix-huitième année. Constance, ses frères et sa belle-sœur, Communication diverse
sa fille Ses neveux et nièces
La cérémonie religieuse a lieu à ont la tristesse de faire part du décès et son époux, Fabien, et leurs enfants,
15 heures, ce mardi 16 mai, en l’église de Joséphine,
Saint-Pierre-de-Montrouge, Paris 14e, sa petite-fille, ont la douleur de faire part du décès
Magazine N°5 Paul DEGUERRY, de
suivie de l’inhumation au cimetière
parisien d’Ivry, 44, avenue de Verdun, chevalier de la Légion d’honneur ont la tristesse de faire part du décès
et officier de Mme Nicole PUÉCHAL,
Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne).
de l’ordre national du Mérite. née MASSON,
Me Bernard LAGARDE, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Marie-Laure Akchar-Laroche, avocat à la cour, survenu brutalement Les bénévoles de SOS Amitié
5, rue Camille-Crespin-du-Gast, Une cérémonie religieuse sera chevalier le mercredi 10 mai 2023, écoutent
75011 Paris. célébrée ce mardi 16 mai 2023, à 9 h 30, de la Légion d’honneur, à Neuilly-sur-Seine, par téléphone et/ou par internet
sylvain.akchar@gmail.com en l’église de Montréal-la-Cluse. chevalier à l’âge de quatre-vingt-six ans. ceux qui souffrent de solitude,
de l’ordre national du Mérite, de mal-être et peuvent avoir
chevalier La cérémonie religieuse sera des pensées suicidaires.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus de l’ordre des Arts et des Lettres, célébrée ce mardi 16 mai, à 10 h 30,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio Nous recherchons des écoutants
en l’église Saint-Pierre de Neuilly- bénévoles
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard, survenu le samedi 6 mai 2023, sur-Seine. sur toute la France.
Musée idéal la revue n° 5 Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, à l’âge de soixante-quinze ans. L’écoute peut sauver des vies
Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann L’inhumation aura lieu dans et enrichir la vôtre !

Collection Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo

Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin,
Les obsèques ont eu lieu à
Grimaud (Var), le vendredi 12 mai.
l’intimité familiale, le même jour,
à 14 h 30, au cimetière nouveau de
Choix des heures d’écoute,
formation assurée.
Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées) Neuilly-sur-Seine.
Directrice du design Mélina Zerbib En IdF RDV sur
P R É S E N T E
Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton Une messe sera célébrée à sa www.sosamitieidf.asso.fr
Infographie Delphine Papin mémoire, le mercredi 17 mai, à Conformément aux souhaits de la En région RDV sur
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico 10 h 30, en l’église Notre-Dame- défunte, vos dons pour la fondation www.sos-amitie.com
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président de-Grâce de Passy, Paris 16e. Abbé-Pierre seront les bienvenus.

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 Idées
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023 | 23

Philippe Marlière La surenchère verbale

à l’encontre du président
L’usage des termes « autoritaire » pour
qualifier le régime politique actuel,

rend la gauche inaudible

et « dictateur » pour évoquer Emmanuel
Macron contribue à l’abaissement du débat,
explique le politiste. Par cette posture,
la gauche conforte la droitisation du pays

A
en croire nombre de dirigeants
politiques et d’intellectuels de
gauche, la France serait devenue
un régime autoritaire. Les com-
paraisons avec la situation hongroise ou
russe sont devenues des lieux communs,
à tel point que les médias utilisent cette
terminologie sans même en interroger
la pertinence.
En science politique, l’autoritarisme
renvoie à un régime qui limite et encadre
le pluralisme politique, subordonne la
justice, repose sur l’adhésion des masses
à un exécutif chargé d’un projet de « ré-
génération nationale » (contre un en-
nemi intérieur ou extérieur), interdit les
manifestations antirégime et prend ses
aises avec l’Etat de droit. Sommes-nous
parvenus à ce point de négation de la dé-
mocratie en France ? Le prétendre, c’est
faire preuve d’une arrogance et d’un mé-
pris choquants à l’égard des peuples qui
vivent sous un régime autoritaire.
Le passage en force de la loi sur les re-
traites par le biais d’artifices constitu-
tionnels [comme le 49.3] est, à bien des
égards, critiquable. La gauche a raison de
s’opposer à une réforme injuste qui va
sanctionner les femmes, les classes
ouvrières et moyennes. On peut aussi
déplorer que le Conseil constitutionnel
ait rendu un avis portant, non sur la
constitutionnalité du texte de loi, mais
sur l’opportunité ou pas de fragiliser po-
litiquement le gouvernement.
Emmanuel Macron, président exécré à
gauche, serait, à en croire les mêmes diri-
geants et intellectuels de gauche, un ty-
ran, un dictateur, voire Caligula (selon
Mathilde Panot, présidente du groupe
parlementaire de La France insoumise,
LFI). La détestation ou la démonisation
d’opposants politiques participent de
l’abaissement des débats politiques. En
se concentrant sur les individus et en sti-
mulant des affects négatifs, elles éloi-
gnent des raisonnements qui s’intéres-
sent aux mécanismes structurels de la
domination. Bref, honnir à longueur de
colonnes ou de prises de parole médiati-
ques un président n’a rien d’émancipa-
teur. C’est se laisser entraîner sur le ter-
rain d’un populisme droitier et, surtout,
lâcher la proie pour l’ombre.
Pas la France d’Orban ou de Poutine
Affirmer cela ne revient aucunement à
valider la nature peu démocratique des
institutions de la V République, les pou-
voirs incongrus du président, les violen-
ces policières, la droitisation constante du
gouvernement sur les questions écono-
miques et les libertés publiques, la banali-
sation du racisme dans les débats publics
ou la normalisation du RN. Mais si la
France penche de plus en plus à droite,
cela n’en fait pas, actuellement, un régime
similaire à ceux d’Orban ou de Poutine.
En réalité, la présidence d’Emmanuel
Macron n’est pas radicalement diffé-
rente des présidences conservatrices qui
l’ont précédée. Le problème de la France
n’est pas que ce soit un régime autori-
taire, mais que sa république soit cultu-
rellement conservatrice et élitiste. Cel-
le-ci est, en effet, allergique à la diversité
qu’elle ne reconnaît pas ou aux minori-
tés qu’elle invisibilise. Sans les nier, elle
méprise les libertés publiques et tolère
les violences policières depuis toujours.
Tournant le dos au libéralisme politique
qui inspira la révolution de 1789 et la loi
de séparation des Eglises et de l’Etat de
1905, la France républicaine affronte les
pages noires de son passé à reculons ­(Vi-
chy, le colonialisme).
En embuscade, le RN
prétend soutenir
le mouvement
social actuel.
Il dénoncera
bientôt la chienlit
du gouvernement
et de la gauche
Plutôt que de haïr en boucle Macron, la
gauche serait avisée de commencer par
balayer devant sa porte. Elle est
aujourd’hui au plus bas, car son image
est brouillée et sa compétence politique
est mise en doute. Selon un sondage ré-
cent de l’IFOP, Jean-Luc Mélenchon, lea-
der autocrate de LFI et fer de lance de la
Nupes, est jugé moins compétent politi-
quement que Marine Le Pen. Les sondés
considèrent également qu’elle est plus
respectueuse de la démocratie que lui.
Ravalement d’étiquettes
Walter Benjamin parlait de « mélancolie
de gauche » pour désigner le conserva-
tisme idéologique d’une gauche, rhétori-
quement radicale, idéologiquement
pure, mais incapable de saisir le Zeitgeist,
l’air du temps politique, et ce qu’il char-
rie. Cette mélancolie de gauche est une
forme d’arrogance intellectuelle qui sous-
estime ses opposants politiques (Macron,
mais aussi la possibilité d’une victoire du
Rassemblement national, RN), et martèle
l’idée que davantage d’unité de façade ou
un programme mieux huilé ramèneront
la gauche au pouvoir.
Or, les causes du discrédit de la gauche
sont autres : un déficit d’image de ses di-
rigeants principaux, la perception d’une
faible compétence politique et l’absence
d’idées fortes qui mobilisent. En 1981, la
gauche proposait de réduire l’âge de la
retraite de 65 à 60 ans ou la suppression
de la peine de mort, et, en 1997, elle pré-
conisait la semaine de trente-cinq heu-
res. Quelle est la grande idée civilisation-
nelle de la gauche aujourd’hui ? Les hap-
penings théâtraux de LFI à l’Assemblée
nationale ne dupent personne, et la su-
renchère verbale antimacroniste rend la
gauche inaudible. La colère ou la dérision
publiquement orchestrées ne régleront
rien. Cette gauche mélancolique prétend
innover avec un ravalement d’étiquettes,
mais elle est fondamentalement conser-
vatrice dans ses mots d’ordre et la ma-
nière de s’opposer.
Le gouvernement table sur le pourrisse-
ment de la situation pour dénoncer la
« violence » de la gauche. En embuscade,
le RN prétend soutenir le mouvement so-
cial actuel. Il dénoncera bientôt la chienlit
du gouvernement et de la gauche, et ga-
gnera sur les deux tableaux : celui de la
­colère sociale et celui de l’ordre. Les Fran-
çais sont majoritairement opposés à la loi
sur les retraites, mais la Nupes est minori-
taire dans les urnes. Amplifier cette mé-
lancolie de gauche, c’est indirectement fa-
ciliter l’essor de l’extrême droite. p
Philippe Marlière est professeur
de sciences politiques à University
College London

Le macronisme béralisme, à ne pas confondre

avec la non-intervention de l’Etat,
est la pratique gouvernementale
A cet égard, l’histoire des rela-
tions entre la doctrine néolibé-
rale et la pratique gouvernemen-
devant nous : les raidissements
convulsifs de M. Macron engen-
drent des résistances massives et
par cette opération la guerre me-
née par cet Etat contre les adver-
saires de l’ordre néolibéral.

n’est pas
d’une guerre civile contre la dé-
mocratie, au sens où Michel Fou-
cault avançait que « la guerre ci-
vile est la matrice de toutes les lut-
tes de pouvoir, de toutes les
tale ne trompe pas. Dès 1927, l’éco-
nomiste Ludwig von Mises (1881-
1973) applaudit, à Vienne, lorsque
les pouvoirs d’urgence donnés à
la police pour réprimer une ma-
déterminées de la société.
Emmanuel Macron croit utile à
sa cause de jouer les défenseurs
de l’« ordre républicain ». Dénon-
cer « les factions et les factieux »,
Mais derrière le « chaos » que
Macron a déclenché, il convient
de déceler l’autre monde que
­portent en eux les « factieux ». En
quoi la défense d’une vie digne

violent
stratégies du pouvoir ».
Le néolibéralisme est né au
tournant des années 1930 avec
l’objectif de mettre en place un
ordre politique qui garantirait
nifestation ouvrière firent 89
morts. Les trois Prix ­Nobel d’éco-
nomie Friedrich Hayek (1974),
Milton Friedman (1976) et James
Buchanan (1986) se réunirent, à la
comme il l’a fait lors de son entre-
tien télévisé du 22 mars, n’a
d’autre sens que de fabriquer de
l’ennemi à l’intérieur même de la
société, selon une tradition bien
pour les travailleurs les plus âgés
et les futurs retraités et la dé-
fense de la nature contre des pro-
jets destructeurs offrent-elles
aujourd’hui une rare puissance

par hasard
les « libertés économiques ». Il fal-
lait « rénover le libéralisme » en
faisant de l’Etat la membrane
protectrice de la concurrence
marchande, la politique du lais-
ser-faire des libéraux classiques
et leur doctrine de l’Etat mini-
Un collectif de quatre intellectuels alerte mal ayant échoué à préserver le
sur le projet politique d’Emmanuel ­marché du dangereux désir
d’égalité des masses.
Macron, qui selon eux met à mal
la démocratie afin de servir le marché L’aggravation des crises
Dès le départ, les thuriféraires du
néolibéralisme ont ainsi explici-
tement identifié l’un des princi-
Société du Mont-Pèlerin, un
groupe de réflexion libéral, pour
célébrer, en 1981, la dictature du
Chilien Augusto Pinochet, au
faîte de sa répression. Margaret
Thatcher (1925-2013), qui corres-
pondait avec Hayek, fit de son
­livre La Constitution de la liberté
(1960) la bible du Parti conser­-
vateur : elle réprima militaire-
ment la grève des mineurs de
1984-1985 (trois morts et plus de
20 000 blessés) et s’attaqua dure-
ment aux émeutes urbaines des
Noirs et des Indo-Pakistanais,
établie des auteurs néolibéraux.
C’est là un aspect et un ressort
­essentiel de toute guerre civile.
Avec le néolibéralisme contem-
porain, cette « ennemisation »
vise tous ceux qui, à travers leurs
visions du monde, leurs formes
de vie ou leurs luttes, paraissent
aujourd’hui menacer la logique
du marché ou le « monopole de la
violence de l’Etat », des « islamo-
gauchistes » aux « postcoloniaux »
en passant par les « wokes ».
Puissance de coalition
de coalition ? Parce qu’en chaque
cas, il est question d’une vie dési-
rable et d’un monde habitable,
inconciliables avec la subordina-
tion de la vie et la domination du
monde par le capital et son Etat. Il
faudra s’y faire : devant l’urgence
des crises, les logiques du com-
mun et du capital apparaissent
comme irréconciliables au plus
grand nombre. En ce sens, le
­refus présidentiel et gouverne-
mental de tout « compromis »
avec les syndicats traduit exacte-
ment cet état de guerre civile

O
n dit beaucoup de mal
d’Emmanuel Macron à
propos du passage en
force de la réforme des re-
traites, mais on oublie qu’il est
Dénoncer l’homme de la situation, dont la
« les factions fonction historique aujourd’hui
consiste à poursuivre un projet
et les factieux » qui le dépasse. Expliquer l’im-
passe du pouvoir actuel par l’oc-
n’a d’autre sens casion qu’offre la Ve République
de recourir à des moyens non
que de fabriquer conformes au libéralisme politi-
de l’ennemi, selon que ne suffit donc pas : le 49.3
n’est ici que l’arme générique
une tradition d’une guerre à la fois plus spécifi-
que et plus large, comme le sont
bien établie d’ailleurs les forces policières et
des auteurs leurs usages immodérés de la
violence. Il est urgent que l’on
néolibéraux comprenne bien en quoi le néoli-
paux problèmes qui menaçaient
leur projet de fluidification du
marché par l’Etat : la démocratie,
toujours susceptible de mettre
en danger le fonctionnement du
marché. Leur stratégie politique,
qui trouve ses racines dans une
démophobie profondément
réactionnaire, est restée invaria-
ble de Hayek à aujourd’hui. Elle
consiste à neutraliser toutes les
forces qui s’attaqueraient au
principe de la concurrence en se
prévalant de la justice sociale, dé-
noncée comme un mythe.
Mais est-il légitime de parler de
« guerre civile » pour décrire la
mise en place de l’Etat fort néoli-
béral contre les forces sociales et
politiques hostiles au capitalisme
ou simplement désireuses de
plus d’égalité et de solidarité ?
tout en laissant l’extrême droite
ratonner librement.
Le macronisme n’est donc pas
violent par hasard. Il n’utilise
­certes pas les moyens meurtriers
des dictatures néolibérales
d’Amérique latine, mais il res-
semble de plus en plus au that-
chérisme. En tout cas, il est
­conforme à cette stratégie de
neutralisation de la puissance de
décision collective quand cette
dernière s’oppose à la logique du
marché et du capital. Sa particula-
rité historique tient à ce qu’il
­radicalise la logique néolibérale à
contretemps dans une période
où tous les signaux sociaux, poli-
tiques et écologiques sont au
rouge, de sorte qu’il ne peut
qu’aggraver toutes les crises la-
tentes ou ouvertes. Le résultat est
Avec l’intention affirmée de dis-
soudre Les Soulèvements de la
Terre ou de mettre en place une
« cellule anti-ZAD », ce sont main-
tenant les termes d’« écoterro-
risme » et d’« ultragauche » qui
vont être systématiquement utili-
sés pour neutraliser toute critique
de l’écologisme de marché du
gouvernement. Même la Ligue
des droits de l’homme est dans le
collimateur, c’est dire où nous en
sommes de la très grave régres-
sion en matière de démocratie.
Un tel vertige dénonciateur pré-
sente l’immense intérêt de consti-
tuer celles et ceux qui dénoncent
les diverses formes d’inégalité et
de prédation en ennemis de la
­République, et de maintenir la
croyance en la fonction pacifica-
trice de l’Etat, niant précisément
dont la grande masse de la popu-
lation est la cible. p
Pierre Dardot, philosophe,
chercheur à l’université Paris
Nanterre ; Haud Guéguen,
maîtresse de conférences en
philosophie au Conservatoire
national des arts et métiers ;
Christian Laval, professeur
émérite de sociologie, univer-
sité Paris Nanterre ; Pierre
Sauvêtre, maître de confé-
rences en sociologie à l’univer-
sité Paris Nanterre. Ils ont coé-
crit « Le Choix de la guerre
civile, une autre histoire du
néolibéralisme » (Lux, 2021)
 0123
24 | Idées ­
­Mardi 16­ mai 2023

C
haque président peut être aus-
culté dans son rapport au pou-
voir ainsi qu’à ceux qui l’ont
exercé avant lui, soit pour se si-
tuer en rupture soit pour assumer une
filiation. S’agissant d’Emmanuel Ma-
cron, l’exercice permet d’éclairer la situa-
tion, en forme d’impasse, qui est
aujourd’hui la sienne.
S’il a tout appris de François Hollande
(« Il sait ce qu’il me doit », disait même ce
dernier), il n’en a rien gardé. Entre norma-
lité, mollesse et indécision présumées,
l’ancien secrétaire général adjoint de l’Ely-
sée avait rapidement considéré celui qu’il
servait comme une sorte d’antimodèle.
Cruauté supplémentaire, c’est avec ­Nico­-
las Sarkozy qu’il a fait mine de convoler,
étant censé avoir en partage avec celui-ci
(outre le suffrage de Brigitte Macron à dix
années de distance), une énergie sans li-
mite, une capacité à gérer les crises, une
prétention à casser les codes et les rentes.
A la clé, un adoubement du cadet par son
aîné ainsi résumé : « Macron, c’est moi en
mieux » (selon des propos rapportés par
Le Canard enchaîné en juin 2017).
Avec Jacques Chirac en revanche, rien
de commun, à une exception près, celle
d’avoir remporté la présidentielle dans
un duel avec l’extrême droite et d’en su-
bir le même effet paradoxal : des victoi-
res écrasantes (surtout en 2002), mais
perçues comme des victoires « au ra-
bais », la présidentielle se transformant
en un plébiscite artificiel.
Parallèle plus inquiétant
C’est toutefois avec Valéry Giscard d’Es-
taing que la mise en miroir semble la
plus évidente : le sacre de la jeunesse, la
« fraîcheur » politique, le hold-up électo-
ral opéré sur les décombres d’un système
vermoulu, la compétence économique,
le libéralisme tempéré, un tropisme
européaniste et une forme d’arrogance
technocratique. A quelques nuances
près, le macronisme ressemble à s’y mé-
Mathieu Souquière
De Gaulle-Macron,
deux variantes d’une même
fracture avec le peuple
Si on rapproche parfois l’actuel président de Valéry Giscard
d’Estaing, la crise sociale et politique suggère, selon l’essayiste,
un autre parallèle, celui avec la pratique gaullienne du pouvoir :
ultraverticalité sur la forme, ultraplasticité sur le fond
« jupitérienne » d’Emmanuel Macron,
par sa raideur, son caractère parfois am-
poulé et le choix d’une parole rare est
souvent rapprochée de la pratique gaul-
lienne du pouvoir.
le fiasco de la A cette ultraverticalité sur la forme fait
écho une ultraplasticité sur le fond. Con-
réforme des cernant le gaullisme, de Stanley Hoff-
mann à Julian Jackson, même les biogra-
retraites n’est pas phes admiratifs ont relevé le grand flou
sans rappeler le qui entourait la doctrine et les idées poli-
tiques du général. Dans Le Fil de l’épée
référendum de 1969, (Plon, 1932), de Gaulle théorise lui-même
l’importance de la « contingence » en po-
qui avait conduit litique : une certaine idée non pas de la
De Gaulle à France, mais de ce que doit être un « bon
chef », reconnu pour sa constante capa-
démissionner cité à s’affranchir des cadres de pensée et
à s’adapter aux événements.
Une ode au pragmatisme et à l’agilité,
prendre à un néogiscardisme, jusque parfaitement intégrée par l’actuel occu-
dans la pente suivie face au rude exercice pant de l’Elysée, qui a réussi à se faire
du pouvoir : passant d’un réformisme élire en 2017 grâce aux voix de la gauche,
audacieux à un conservatisme étroit, à se faire réélire en 2022 grâce à celles de
d’une gouvernance moderne à une pré- la droite, à avoir désigné le Rassemble-
sidence verticale non plus seulement ment national comme son ennemi orga-
descendante mais vue comme condes- nique avant de lier à son tour insécurité
cendante, d’une ambition de rassembler et immigration et d’instruire, par la voix
« deux Français sur trois » à un splendide de Gérald Darmanin, le procès en « mol-
isolement politique. lesse » de Marine Le Pen.
Pourtant, les semaines écoulées suggè- Plus encore que leur style, ce sont les
rent de privilégier un autre parallèle, événements que l’un et l’autre auront
peut-être plus inquiétant. La présidence eus à affronter, à un demi-siècle de dis-
portées haut la main par de Gaulle, prési-
dentielle et législatives du printemps
2022 pour Emmanuel Macron, mais avec
un socle beaucoup plus fragile.
Plus grave encore peut-être, le fiasco de
la réforme des retraites d’Emmanuel
­Macron n’est pas sans rappeler le réfé-
rendum raté de 1969 sur la réforme du
Sénat, qui avait isolé le général de Gaulle
et l’avait conduit à la démission.
En effet, cette réforme des retraites de-
vait être l’occasion pour le président en
exercice de réaffirmer son identité politi-
que – celle d’un réformateur – et son
autorité politique, lui permettant d’agir
tance, qui semble aujourd’hui rappro- jusqu’au terme de son mandat. Double
cher leurs présidences. Les deux hom- peine : celui qui prétendait mettre le pays
mes ont semblablement accédé au pou- en mouvement est vu comme celui qui
voir avec l’image de figures providen- le paralyse, celui qui devait sortir ren-
tielles, agissant par-delà les partis, forcé semble plus affaibli que jamais.
récusant les concepts de gauche et de Pire, le rejet de la réforme s’est mué en
droite, revendiquant leur capacité de rejet du pouvoir et de celui qui l’incarne.
rassemblement. Résultat, leur arrivée En cause, l’image d’un président qui,
au pouvoir, en 1958 et en 2017, a reposé en 2017, semblait bien connaître l’écono-
sur une grande synchronisation avec les mie et le monde de l’entreprise, mais pa-
attentes et les espoirs de l’opinion. Avec, raît manifester aujourd’hui une pro-
pour le premier, le mandat de sortir la fonde méconnaissance du monde du tra-
France du bourbier algérien et de lui re- vail. Au passage, la verticalité du pouvoir
donner sa grandeur et une stabilité ins- est de plus en plus perçue comme une
titutionnelle ; pour le second, celui de surdité voire une brutalité du pouvoir.
débloquer la société française ainsi que « La chienlit, c’est lui » semblent dire les
le système politique. manifestants de mai 2023 en écho à ceux
qui, hier, visaient de Gaulle. Alors,
Celui qui paralyse ­« Macron, démission » ? En tout état de
L’un comme l’autre ont été rattrapés par cause, personne ne voit plus aujourd’hui
deux crises sociales et politiques majeu- comment ce dernier pourrait continuer
res, qui résonnent à distance : d’abord les de « présider », au sens plein du terme,
barricades de Mai 68, qui sont à de Gaulle jusqu’en 2027. p
ce que les ronds-points et les « gilets jau-
nes » de l’hiver 2018 sont à Macron. Entre
l’éruption de la jeunesse hier et celle des
classes moyennes périurbaines récem-
ment, réclamant reconnaissance et pers-
pectives, ce sont deux variantes d’une Mathieu Souquière est consultant,
même fracture entre le président et le expert associé auprès de la Fondation
peuple. Une fracture provisoirement ré- Jean Jaurès et auteur (avec Damien
parée grâce à une victoire aux élections Fleurot) de « 2022, la flambée
suivantes : législatives de juin 1968 rem- ­populiste » (Plon, 2021)

André Vallini La proportionnelle pour sortir de la crise politique

Ce mode de scrutin, qui assure une représentation plus juste, garantit une plus grande efficacité du pouvoir, estime le sénateur (PS) de l’Isère

D
epuis plusieurs semaines,
la France vit une crise
­politique qui a, en réalité,
commencé depuis plu-
sieurs années et qu’illustre
la montée inexorable de l’absten-
tionnisme. Plus que la présidenti-
alisation du régime, c’est la repré-
sentativité du Parlement qui est
en cause, notamment à cause du
mode de scrutin qui amplifie
­parfois démesurément le résultat
de la présidentielle. Cette distor-
sion démocratique, aggravée par
l’instauration du quinquennat
doublée de l’inversion du calen-
drier électoral, aboutit à faire de
la France le seul pays démocrati-
France ; et au-delà des révisions
constitutionnelles nécessaires,
mais à l’évidence difficiles à faire
voter par le Parlement actuel, il y
a une réforme de nature à apai-
ser notre vie politique : celle du
mode de scrutin.
Régime injustement honni
Une loi ordinaire y suffirait puis-
que le général de Gaulle n’a pas
jugé utile de faire figurer le
mode de scrutin dans la Consti-
tution, ce qui démontre au de-
meurant qu’il n’en faisait pas un
élément fondamental de sa con-
ception des institutions. L’ins-
tillation d’une dose de propor-
pondérant, on répond : d’abord,
qu’il faut cesser de diaboliser les
partis, dont même la Constitu-
tion dit qu’ils contribuent à l’ex-
pression démocratique. Ensuite,
que le scrutin majoritaire n’a ja-
mais empêché les partis de réser-
ver des circonscriptions à des
personnalités nationales, à tel
courant ou à telle sensibilité.
Enfin, que le scrutin majoritaire
donne souvent lieu à des réparti-
tions de circonscriptions entre
formations politiques coalisées.
A l’argument du prétendu re-
tour à l’impuissance de la IVe Ré-
publique, et selon lequel il faut
une majorité pour gouverner,
que après les législatives de 1988,
Michel Rocard dut négocier avec
les centristes sur chaque texte
important ;
4. qu’à l’inverse, la proportion-
nelle n’empêcha pas Jacques Chi-
rac d’avoir une majorité en 1986
pour mettre en œuvre son pro-
gramme, les seuls obstacles ve-
nant alors de l’Elysée ;
On ne devrait
5. que le seuil de 5 % des expri-
més pour avoir des sièges, conju-
gué à la règle de la plus forte
moyenne, permet de dégager
une majorité : en 1986, avec 40 %
des voix, les listes RPR-UDF
ont obtenu la majorité absolue
des sièges ;
6. que pour assurer l’efficacité
de l’action gouvernementale, l’ar-
senal constitutionnel est étoffé :
vote bloqué, procédure accélérée,
article 49.3, ordonnances, maî-
trise de l’ordre du jour, droit de
dissolution ;
7. enfin, et peut-être surtout,
que le scrutin proportionnel,
outre qu’il assure une représen-
apaisant le climat politique ac-
tuel, et de moyen terme en ga-
rantissant une gouvernance plus
démocratique lors des législatu-
res futures.
On ne devrait jamais réfléchir
au mode de scrutin avec des ar-
rière-pensées car le résultat est
souvent inverse à celui qu’on es-
père. Il faut au contraire s’élever
au-dessus des intérêts partisans
et des calculs politiciens, pour
voir plus haut et plus loin, et ne
penser qu’à ce qui peut permet-
tre d’améliorer la démocratie.
En France, c’est aujourd’hui un
impératif ! p

que avec un ­exécutif hyperpuis-
sant, disposant d’une majorité ni
vraiment ­représentative ni vrai-
ment ­indépendante.
Certes, La France insoumise et
plus encore le Rassemblement
national, dont la représentation
parlementaire ne reflétait pas
leur poids politique depuis 2012,
ont vu le nombre de leurs dépu-
tés augmenter en juin 2022. Pour
autant, le système démocratique
est aujourd’hui grippé en
tionnelle ou l’instauration du
système allemand de double
vote nécessiteraient un redécou-
page des circonscriptions, tou-
jours sujet à caution. Alors, la so-
lution la plus simple est celle du
scrutin le plus simple : la propor-
tionnelle départementale.
A l’argument selon lequel le
scrutin majoritaire per-
met d’échapper à l’emprise des
partis alors que la proportion-
nelle leur confère un rôle pré-
on répond :
1. que le régime injustement
honni n’a pas empêché, au lende-
main de la guerre, la reconstruc-
tion de la France, mais qu’il s’est
abîmé sur les guerres coloniales ;
2. que si le scrutin majoritaire
était gage d’efficacité gouverne-
mentale réformatrice, la compa-
raison entre la France et l’Allema-
gne suffirait à en douter ;
3. que le scrutin majoritaire ne
garantit pas une majorité puis-
jamais réfléchir tation plus juste du peuple, peut
aussi garantir une efficacité plus
au mode de grande du pouvoir : en Scandina-
vie, en Italie ou en Allemagne,
scrutin avec des il contraint les partis à des coali-
arrière-pensées tions programmatiques, longue-
ment discutées et clairement
car le résultat ­assumées avant d’être mises
en œuvre.
est souvent Il y a une majorité à l’Assemblée
inverse à celui nationale pour voter cette ré-
forme, dont l’effet bénéfique se-
qu’on espère rait à la fois de court terme en
André Vallini est sénateur
(PS) de l’Isère. Il a été secré-
taire d’Etat à la réforme
territoriale (2014-2016),
au développement et
à la francophonie (2016)
et secrétaire d’Etat chargé
des relations avec
le Parlement (2016-2017)
0123
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­Mardi 16­ mai 2023 Idées | 25

Alexandre Monnin
« Le renoncement n’est
plus un mot repoussoir »
La crise climatique oblige à repenser collectivement le monde, estime le philosophe

Entretien d’un côté, ceux qui croient que l’inno-

Le Livre
Politiser
le renoncement
Face aux crises écologiques,
comment déterminer les arbitrages
qui s’imposent pour que la Terre
reste habitable ? Le livre d’Alexandre
Monnin (Divergences, 160 p., 15 €)
propose un cadre conceptuel pour
y répondre. « Politiser le renonce-
ment », c’est le prendre suffisam-
ment au sérieux pour ne pas
s’en tenir aux fausses promesses
du solutionnisme technologique
ou à l’illusion qu’il serait possible de
refermer purement et simplement
la parenthèse de la modernité.
Entre ces deux « impasses » dont il
éclaire les limites, l’ouvrage propose
de tracer une « ligne de crête » qui
passe par un devoir d’inventaire.
Il s’agit d’identifier l’héritage qui
menace l’habitabilité de la planète,
mais aussi de reconnaître les dépen-
dances et les attachements qui nous
lient bien souvent à ces réalités.
En s’appuyant sur la notion de com-
muns négatifs, l’auteur met l’accent
sur la réappropriation collective
des ruines – sols pollués, déchets
radioactifs, mais aussi héritages
culturels et réalités techniques et
économiques obsolètes – afin de ne
pas laisser la responsabilité de leur
démantèlement aux seules popula-
tions touchées ou délaissées. On
peut regretter que l’ouvrage, qui
s’appuie sur une riche bibliogra-
phie, reste d’une lecture souvent
complexe. Il a l’intérêt de placer les
enjeux démocratiques et de justice
sociale au centre des arbitrages.
A
lexandre Monnin est philoso-
phe et enseigne la « redirection
écologique », discipline qu’il a
cocréée, à l’ESC Clermont Busi-
ness School. Cofondateur du labora-
toire de recherche en sciences sociales
Origens Media Lab, il vient de publier
Politiser le renoncement (Divergences,
160 pages, 15 euros).
En quoi l’enseignement
en « redirection écologique »
que vous assurez consiste-t-il ?
Nous sommes dans un moment pa-
radoxal où les discours et les prati-
ques commencent à basculer. Compte
tenu du réchauffement climatique, le
renoncement n’est plus perçu comme
un mot repoussoir. Pour l’Etat, les col-
lectivités, les entreprises, il est devenu
insoutenable de maintenir toutes les
infrastructures à l’échelle d’un terri-
toire. Il faut faire des choix. Mais nous
manquons d’institutions et de dispo-
sitifs pour porter démocratiquement
ces arbitrages, comme on le voit ac-
tuellement avec les mégabassines et
les projets inutiles.
Nous formons nos étudiants à ac-
compagner des municipalités, des ter-
ritoires ou des entreprises dans cette
réflexion. Certains sont intervenus à
la demande de communes de monta-
gne pour inventer d’autres modèles
que le ski ; d’autres ont accompagné la
MAIF sur les enjeux d’assurabilité des
habitations dans un contexte d’aléas
climatiques, ou encore des entrepri-
ses du BTP sur le passage de la cons-
truction neuve à la maintenance et à
l’isolation. Ils vont sur le terrain pour
essayer de comprendre les attache-
ments des habitants aux infrastructu-
res et aux activités concernées, et pro-
poser des directions qui tiennent
compte des réalités énergétiques, en-
vironnementales, géopolitiques. Au-
delà de solutions toutes faites, la dé-
marche est forcément expérimentale.
Comment faire pour que
les renoncements soient
­politiquement acceptables ?
Face à la crise environnementale,
deux modèles s’opposent souvent :
vation va tout résoudre, dans une
forme de solutionnisme qui fait abs-
traction des limites planétaires. Et de
l’autre, ceux qui veulent en finir avec
les technologies, en oubliant que nous
sommes collectivement dépendants
d’infrastructures et de chaînes logisti-
ques sans lesquelles on ne peut plus
survivre. N’oublions pas que pendant
la pandémie de Covid, ce sont des dis-
positifs technologiques qui ont permis
la survie des personnes vulnérables.
Parce qu’aucune des deux options ne
me semble pertinente, je plaide pour
une ligne de crête qui permette d’avan-
cer dans des conditions justes et dé-
mocratiques. Il y faut trois conditions :
le renoncement ne doit pas être im-
posé, mais démocratique ; il faut l’anti-
ciper pour ne pas décider au pied du
mur ; et il doit tenir compte des atta-
chements qui ont été tissés et des dé-
pendances des populations. Yann Legendre
Vous êtes critique à l’égard des
penseurs de l’écologie politique
qui appellent à une reconnexion
au vivant et s’inspirent des cosmo- tives – lacs, forêts, prairies, etc. – autour
gonies des peuples autochtones. « la technosphère desquelles des communautés s’organi-
Que leur reprochez-vous ? est tellement sent pour en bénéficier sans les épui-
Leur travail clarifie les enjeux mais ser. Nous héritons de tout un tas d’in-
s’arrête en chemin. Ces récits ne per- présente dans frastructures – sols pollués, usines dé-
mettent pas de rendre compte du saffectées, déchets nucléaires, etc. –
monde dans lequel nous vivons et nos sociétés dont on ne peut pas maintenir l’acti-
d’agir à la hauteur des enjeux plané- vité mais dont il va falloir s’occuper
taires, techniques et géopolitiques.
qu’il est illusoire très longtemps. Il nous faut trouver les
Les notions d’autonomie, de vivant de penser qu’elle moyens de partager cette responsabi-
ou de vernaculaire ne sont pas suffi- lité et ces coûts de façon juste, sans les
santes pour penser la bascule d’un va disparaître » faire porter par les territoires les plus
monde à 8 milliards d’individus. Ce pauvres, ou les profondeurs de la terre
discours ne dit rien de la technos- où ils sont souvent relégués.
phère, qui est tellement présente dans fermeture ou le renoncement, et ac- Les communs négatifs regroupent
nos sociétés – et à laquelle nous som- cepter aussi de mettre les mains dans aussi toutes les réalités managériales,
mes tellement attachés – qu’il est illu- le cambouis pour opérer les arbitrages économiques ou encore logistiques,
soire de penser qu’elle va disparaître nécessaires sans tomber dans le piège issues du capitalisme, qui nous ont
complètement. L’écologie ne peut pas de la tentation réactionnaire, raciste conduits à la catastrophe. Sur ces réa-
se penser comme un retour à la na- ou validiste. lités, la difficulté est de trouver des
ture ou à une époque antérieure, sous prises concrètes pour agir. En matière
peine de porter avec elle un arrière- Vous définissez les ruines héritées de logement par exemple, basculer le
plan malthusien ou réactionnaire. de plus d’un siècle d’industrialisa- secteur du bâtiment vers la réhabilita-
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas tion comme des « communs néga- tion peut constituer un levier pour re-
de marge de manœuvre. Mais il nous tifs ». Est-ce pour vous une façon mettre en question sa financiarisa-
faut construire une écologie politique de politiser leur gouvernance ? tion. Dans tous les cas, cette bascule
qui tienne les deux bouts de la dialec- La notion de « communs négatifs » doit se faire démocratiquement. p
tique : définir un cadre ambitieux, des s’inspire des travaux d’Elinor Ostrom Propos recueillis par
enjeux stratégiques forts comme la sur les communs, ces ressources posi- Claire Legros

Les syndicats se présentent à Matignon en position de force

Analyse Aucun ordre du jour n’a été établi pour les
entretiens, mais Laurent Berger, qui a joué
sation. « La politique de la chaise vide, a-t-il as-
suré, c’est le syndicalisme aux mains vides. »
vendiquent pas cette étiquette (FO, CFE-CGC),
les stratégies sont loin d’être convergentes.

I
nvitées à Matignon, mardi 16 et mer-
credi 17 mai, pour une reprise de dialo-
gue trop attendue, les cinq confédéra-
tions syndicales représentatives (CFDT,
CGT, FO, CFTC, CFE-CGC) ne se présenteront
pas tels Les Bourgeois de Calais, soumis, la
corde au cou, en reconnaissant leur défaite.
Malgré treize journées de forte mobilisation,
Si Élisabeth pendant plus de quatre mois, elles n’ont pas
Borne veut fait reculer Emmanuel Macron, inflexible
dans sa volonté de reporter de 62 à 64 ans
changer l’âge légal de départ à la retraite. Il leur reste
une dernière carte à jouer, avec l’examen, le
de méthode 8 juin à l’Assemblée, d’une proposition de loi
du groupe Libertés, indépendants, outre-mer
et redonner du et territoires visant à abroger la réforme.
grain à moudre Pour appuyer cette démarche, une quator-
zième journée d’action est programmée, le
au dialogue 6 juin. Mais l’espoir est ténu, car même si
une majorité de députés votent ce texte, il
social, elle n’a aucune chance de franchir l’obstacle du
est obligée de Sénat, dominé par une droite favorable au
report à 64 ans. Il faudra donc ouvrir une
donner des gages nouvelle page. Les syndicats, dotés d’une
image réhabilitée dans l’opinion – qui a sou-
tenu très majoritairement leur combat et
loué leur sens des responsabilités –, vont
rencontrer Elisabeth Borne en position de
force. Si elle veut changer de méthode et re-
donner du grain à moudre au dialogue
­social, la première ministre est obligée de
donner des gages.
un rôle majeur dans une contestation dont il
a pris le leadership, a esquissé une feuille de
route. Le secrétaire général de la CFDT – qui,
en dix ans de mandat, a hissé sa centrale au
premier rang – va passer le relais, le 21 juin, à
Marylise Léon. Il publiera le 19 mai Du mépris
à la colère (Seuil, 144 p., 12 €). Un titre très évo-
cateur, qui résume à la fois son ressentiment
vis-à-vis d’Emmanuel Macron et la passion
qui a été au cœur de son action.
M. Berger, qui n’entend pas « blablater » avec
Mme Borne, mais veut « négocier », a exposé
ses attentes, qui sont autant d’exigences, dans
un entretien à L’Obs, le 10 mai. « Certaines vic-
toires sont possibles, souligne-t-il, notamment
sur les salaires. Les minima sont au-dessous du
smic dans 151 branches professionnelles sur
171. » Il propose d’ouvrir une discussion sur la
semaine de quatre jours dans les entreprises
et d’y prévoir des accords obligatoires sur
l’emploi des seniors. « Nous pensons, ajoute-
t-il, que le gouvernement doit s’engager à dis-
cuter vraiment des propositions des organisa-
tions syndicales sur des sujets qui touchent à
la vie au travail. (…) Nous avons donc des cho-
ses à obtenir. Mais à une condition : que le gou-
vernement veuille vraiment écouter. »
Mme Borne a d’autant moins intérêt à faire
la sourde oreille que M. Berger a convaincu
les autres syndicats d’accepter les rencontres
de Matignon, à partir de « propositions com-
munes » et d’autres propres à chaque organi-
Il a ainsi entraîné la nouvelle secrétaire géné-
rale de la CGT, Sophie Binet, d’abord hésitante
face aux réticences de son aile la plus radicale.
Comme son homologue de la CFDT, elle
­continuera à « exiger » le retrait de la réforme
des retraites, mais sans en faire un préalable à
sa rencontre avec la première ministre.
Quasi-osmose
Face à Mme Borne, les syndicats s’appuient
donc sur la force que leur a donnée une con-
testation historique. Elle a été d’une ampleur
comparable à celle de 2010, lors de la réforme
des retraites sous Nicolas Sarkozy. Certes, la
France n’a pas été bloquée, l’économie n’a
pas été mise à l’arrêt. Mais ce qui a donné un
élan inédit au mouvement et fait apparaître
les syndicats comme gagnants, c’est leur ex-
ceptionnelle unité à huit (CFDT, CGT, FO,
CFTC, CFE-CGC, UNSA, FSU, Solidaires), plus
forte qu’en 2010 et illustrée par un 1er-Mai
unitaire, comme en 2009.
Cela n’avait rien d’évident compte tenu des
nombreux antagonismes hérités de l’histoire.
La CGT et la CFDT entretenaient des relations
très conflictuelles, ce qui n’a pas empêché la
première, en proie à de graves divisions inter-
nes, d’accepter le leadership de la seconde.
L’Union syndicale Solidaires, proche de l’ex-
trême gauche anticapitaliste, s’est construite
en opposition à la CFDT. Entre les réformistes
assumés (CFDT, CFTC, UNSA) et ceux qui ne re-
Dans une quasi-osmose, l’intersyndicale a
parlé d’une seule voix, sans fausse note,
comme si les huit syndicats avaient fusionné
dans une maison unique, à l’image du Con-
grès des syndicats britanniques où, de l’ex-
trême gauche au centre droit, différentes
sensibilités politiques cohabitent en bonne
intelligence. L’issue de la bataille semble gé-
rée sans anicroche majeure, même si tous ne
se retrouvent pas dans les « casserolades ».
Pour les syndicats, cette embellie s’est tra-
duite par de nouvelles adhésions. Mais leur
implantation dans les entreprises reste fra-
gile. Le principal défi consiste à regagner une
confiance en berne depuis plusieurs années :
selon le baromètre du Cevipof paru en fé-
vrier, seuls 36 % des Français leur font con-
fiance (– 2 points par rapport à 2002), contre
59 % en Allemagne et 46 % au Royaume-Uni.
Un bonus consécutif au conflit sur les re-
traites est probable, mais s’agira-t-il d’un
simple feu de paille ? Au sein de l’intersyndi-
cale, les approches divergent sur la négocia-
tion et la recherche du compromis. En fé-
vrier, la CFDT, FO, la CFTC et la CFE-CGC ont
signé un accord sur le partage de la valeur qui
a été rejeté par la CGT avant l’élection de
Mme Binet. La question est de savoir si l’arri-
vée, quasi simultanée, de nouvelles dirigean-
tes à la CGT et à la CFDT offrira au syndica-
lisme une chance durable de renouveau. p
Michel Noblecourt

26 | 0123
Économie | chronique
par j ean-M iche l B e z at
Industrie : la guerre entre Européens aussi
L
a guerre économique
n’oppose-t-elle vraiment
que trois grands ennemis,
les Etats-Unis, la Chine et
l’Europe ? Une lecture géoécono-
mique accrédite l’idée que tout se
joue entre ces blocs, engagés dans
une lutte sans pitié pour la domi-
nation industrielle et technologi-
que. Les grands programmes
d’aide aux filières industrielles dé-
cidés par Washington, Pékin et
Bruxelles montrent que l’analyse
est juste. Jusqu’à un certain point
pour l’Union européenne (UE),
moins monolithique que ses con-
currents. Chaque Etat joue sa pro-
pre partition avec des moyens
­inégaux, et la lutte pour attirer
centres de décision, usines ou la-
boratoires de recherche et déve-
loppement n’a jamais faibli.
L’Europe a longtemps freiné les
politiques industrielles nationales,
faisant de la concurrence le pre-
mier pilier de l’édifice communau-
taire. Son histoire est aussi mar-
quée par le maintien du dumping
fiscal (Irlande) et social des nou-
veaux entrants, ceux du Sud dans
les années 1980 et de l’Est vingt ans
plus tard. La délocalisation des sè-
che-linge Whirlpool d’Amiens en
Pologne reste dans les mémoires.
Couplée aux fonds de cohésion
européens, cette politique leur a
permis de rattraper, en partie, un
retard économique. C’est le Vieux
Continent qui en profitait, pas le
dragon chinois, se félicitaient les
élites européennes. Un argument
irrecevable par les victimes des dé-
localisations, qui ont poussé la
moitié des ouvriers français à vo-
ter pour l’extrême droite.
L’impensé de Choose France
« La réindustrialisation est la mère
des batailles » politique, économi-
que et sociale, juge Emmanuel Ma-
cron. Une bataille européenne ou
nationale ? L’enjeu a une évidente
dimension continentale : l’Europe
doit (re)trouver une souveraineté
en la matière, un axe fort de la
Commission dirigée par Ursula
von der Leyen. Elle fera payer le
CO2 importé par une taxe carbone
aux frontières, assouplit les règles
sur les aides d’Etat, protège mieux
ses entreprises stratégiques des ap-
pétits chinois et américains. L’UE
mobilise des dizaines de milliards
d’euros en faveur de secteurs jugés
stratégiques et cherche à réduire sa
dépendance aux minerais et aux
minéraux rares. Qui sait si elle
n’instaurera pas, un jour, un Buy
European Act pour répondre au
protectionnisme décomplexé des
Américains et des Chinois, comme
plusieurs Etats le réclament.
On peut défendre des projets
communs sur les batteries et les
semi-conducteurs, tout en préser-
vant ses intérêts dans la concur-
rence, qui fait rage en Europe. Ce
« en même temps » est l’impensé
du sommet Choose France, réuni,
lundi 15 mai, à Versailles. Il doit
marquer des annonces record de-
puis la première édition de 2018 :
13 milliards d’euros d’investisse-
ments étrangers arrachés aux Al-
lemands, aux Polonais ou aux Es-
pagnols. Pour la quatrième année
d’affilée, la France s’est maintenue
au premier rang européen par le
nombre de nouveaux projets, ex-
plique le dernier baromètre du ca-
binet EY sur l’attractivité.
Car, qu’ils l’admettent ou non,
les dirigeants défendent d’abord
l’intérêt national. L’Allemagne en
tête. Dans le seul secteur des semi-
conducteurs, elle va subvention-
ner les usines de puces d’Intel, de
Samsung et de TSMC à hauteur de
20 milliards d’euros, en partie sur
les 43 milliards prévus par le Chips
Act européen. Emmanuel Macron
assure, dans une tribune publiée,
vendredi 12 mai, par le Financial
Times, que « “Made in Europe” de-
vrait être notre devise » pour « plus
d’usines et moins de dépendan-
ces ». Certes, mais mieux vaut que
ce soit du « made in France ». Le
même jour, le chef de l’Etat saluait,
Qu’ils l’admettent
ou non,
les dirigeants
européens
défendent
d’abord l’intérêt
national
à Dunkerque (Nord), l’investisse-
ment de 5,2 milliards d’euros du
taïwanais ProLogium dans une gi-
gafactory de batteries électriques,
réalisé au détriment d’autres pays.
Une façon de signifier que la
France ne doit pas être l’idiot du
village européen. Après de grosses
« prise de guerre », comme celle de
ProLogium, l’Elysée et Bercy met-
tent en scène leur activisme. Cer-
tes, avec leurs usines automobiles
et de batteries en projet bien pla-
cées au cœur de l’Europe, les
Hauts-de-France présentaient des
atouts pour le groupe taïwanais.
Mais l’Etat et les collectivités se
sont mobilisés, le ministre de l’éco-
nomie, Bruno Le Maire, a négocié
un bon milliard d’euros d’aides pu-
bliques avec la commissaire à la
concurrence, Margrethe Vestager…
Et le président de la République a
déroulé le tapis rouge au PDG du
groupe, Vincent Yang, en le rece-
vant à l’Elysée en 2022, des tête-à-
tête avec les patrons que ses con-
seillers jugent « très utiles pour dé-
clencher la décision d’investisse-
ment ». Des esprits grincheux
dénoncent un « président-VRP » ;
les autres Européens ne trouvent
pas la démarche de leurs diri-
geants déshonorante quand il
s’agit de défendre l’industrie. Cet
engagement présidentiel ne fera
pas de mal : l’Hexagone est 22e sur
27 pour la part de l’emploi indus-
triel dans sa main-d’œuvre totale
et en queue de peloton pour la va-
leur ajoutée du secteur dans la ri-
chesse globale.
La France a plus à se battre que
l’Allemagne ou l’Italie, dont l’in-
dustrie a bien mieux résisté aux
délocalisations des trente derniè-
res années. « La concurrence intra-
européenne s’est exacerbée. Un
projet d’investissement peut avoir
des offres très crédibles d’une di-
zaine de pays, constate Marc Lher-
mitte, coordinateur du baromètre
EY. Les investisseurs ont de nou-
veaux critères d’appréciation : les
règles ESG, la disponibilité du fon-
cier et de la main-d’œuvre, le délai
des autorisations… »
M. Macron n’ignore rien de tout
cela. Il se réfère volontiers à Geor-
ges Pompidou, un libéral investi
dans la politique industrielle
pour moderniser le pays. Sans
doute aimerait-il, lui aussi, endos-
ser l’uniforme taillé au succes-
seur du général de Gaulle par Ber-
nard Esambert, influent con-
seiller industriel à Matignon et à
l’Elysée entre 1967 et 1974 : « géné-
ral français de la guerre économi-
que mondiale ». p
La démocratie
turque
en jeu
C’ est peu de dire que la
Turquie se trouve à un
moment crucial de son
histoire, alors que l’homme qui
règne sans partage sur le pays de-
puis près de deux décennies sem-
ble ne plus être le leader incon-
testé dans les urnes. Evénement
inédit depuis son arrivée au pou-
voir, en 2014, Recep Tayyip Erdo-
gan ne l’emporte pas au premier
tour de la présidentielle, organisé
dimanche 14 mai, comme il a fini
par l’admettre après avoir tenté
de se proclamer vainqueur. Au
terme du dépouillement de
98,31 % des urnes, le chef de l’Etat
sortant obtient 49,4 % de voix,
0123
­
­Mardi 16­ mai 2023
contre 45 % à l’opposant Kemal
Kiliçdaroglu. La perspective d’un
second tour, dimanche 28 mai,
alors que l’écart final entre les
deux candidats s’annonce serré
et que la situation financière du
pays est fortement dégradée,
ouvre une période de lourde in-
certitude et de tensions poten-
tielles pour la démocratie turque,
dont l’avenir et l’orientation sont
scrutés dans le contexte de la
montée des tensions géopoliti-
ques et de la guerre en Ukraine.
Alors que la population est
­durement frappée par l’inflation
et par les conséquences du
séisme meurtrier de février,
M. Erdogan résiste mieux que ne
l’avaient prédit les sondages,
­tandis que son opposant Kiliç­-
daroglu accomplit une percée
­remarquable qui fait vaciller
le tout-puissant « reis », mais
s’avère insuffisante pour le
­déboulonner au premier tour.
En dépit de la situation moné-
taire catastrophique, les posi-
tions du président sont loin de
s’effondrer, notamment dans le
scrutin législatif organisé en
même temps que la présiden-
tielle. Même dans les provinces
du sud-est du pays touchées par
le tremblement de terre, sa ges-
tion désastreuse pèse sur son
score sans pour autant boulever-
ser l’élection. De son côté, Kemal
Kiliçdaroglu pourrait avoir fait
l’objet de la réticence de l’électo-
rat conservateur sunnite à voter
pour un alévi kurde.
Entre-deux-tours dangereux
La première grande question
­posée pour le second tour con-
cerne l’attitude des électeurs de
Sinan Ogan, le troisième candidat
en lice dimanche 14 mai qui, en
prônant l’expulsion des 3,6 mil-
lions de réfugiés syriens vivant
en Turquie, a recueilli 5,3 % de
voix désormais déterminantes.
En affirmant qu’il ne donnerait
pas de consigne de vote, M. Ogan
alourdit les incertitudes qui pè-
sent sur le second tour.
Les deux semaines de l’entre-
deux-tours s’annoncent dange-
reuses au moins sur deux plans.
Financier d’abord, car cette at-
tente n’a rien pour plaire aux in-
vestisseurs échaudés par la poli­-
tique de baisse des taux d’intérêt
menée par M. Erdogan, qui se
­traduit par la dépréciation conti-
nue de la livre turque, encore
confirmée au lendemain du pre-
mier tour.
Second point d’attention, le
danger de surenchère nationa-
liste et de violence est lui aussi
particulièrement marqué dans
un pays coupé en deux parties
quasi égales, sur des positions
politiques diamétralement oppo-
sées, et dont chacune peut espé-
rer voir gagner son champion.
Le taux exceptionnel de partici-
pation au premier tour (88 %), si-
gne de bonne santé démocra­-
tique, ne peut masquer les ris-
ques multiples de la période qui
s’ouvre, pour une Turquie à la
croisée des chemins sur le plan
intérieur, mais aussi pour sa
place dans un environnement in-
ternational où elle joue un rôle
crucial. Si le risque d’un « troi-
sième tour » financier existe en
cas de poursuite de la politique
monétaire actuelle, c’est d’abord
sur son aptitude à la transpa-
rence et à l’honnêteté d’un scru-
tin démocratique que le pays, en
pleine dérive autoritaire, est at-
tendu. Y compris sur sa capacité à
admettre et à gérer une éven-
tuelle alternance politique. p