JEUDI 11 JUIN 2020

76E ANNÉE– NO 23458

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WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Après le Covid, la fiscalité des plus riches en débat
▶ La récession qui suit ▶ L’opposition de gauche ▶ Si ces mesures ont ▶ Les rangs des Français ▶ Selon l’Observatoire
l’épidémie de Covid­19 et au Parlement multiplie les les faveurs de l’opinion, les plus riches ne se sont des inégalités, 5 millions
le déblocage de plans de propositions pour rétablir l’exécutif rejette toute idée pas étoffés, selon l’Insee, de Français peuvent être
soutien nourrissent l’idée l’ISF ou créer une contri­ d’augmenter les impôts mais leur fortune a grossi, considérés comme aisés,
de faire contribuer les plus bution exceptionnelle et juge que restaurer l’ISF et l’écart se creuse avec le soit 8 % de la population
aisés à la facture de la crise sur les grandes fortunes serait démagogique reste de la population PAGE S 10- 11

Etats­Unis « COLÈRE » DANS LA POLICE APRÈS LES PROPOS DE CASTANER Coronavirus 

La peine et l’espoir  ▶ Le durcissement de ton du ministre de l’intérieur nourrit un sentiment de « lâchage » Une enquête 
▶ Le comité Adama maintient la pression avant une manifestation prévue samedi 13 juin P. 15
aux funérailles  ouverte sur la 
de George Floyd gestion de la crise
L’hommage à cet Afro­
Américain, devenu le la crise sanitaire due au coro­
navirus prend une tournure judi­
symbole des violences ciaire. Alors que les plaintes se
policières, a été marqué multiplient, le procureur de la Ré­
par des interventions à la publique de Paris a annoncé
tonalité politique, mardi, l’ouverture d’une vaste enquête
à Houston. Dans plusieurs préliminaire sur la gestion de
cette crise, notamment pour
villes et Etats du pays, les « homicides involontaires, bles­
initiatives se multiplient sures involontaires et mise en
pour réformer la police danger de la vie d’autrui ».
PAGES 2-3, IDÉES PAGE 2 9 De son côté, le gouvernement
ET CHRONIQUE PAGE 31 devait présenter, en conseil des
ministres, mercredi, un projet de
loi permettant de ne pas prolon­

Economie ger l’état d’urgence sanitaire au­

delà du 10 juillet, mais l’autori­
sant à restreindre certaines liber­
La France devrait  tés pendant encore quatre mois.
PAGE S 8- 9

subir l’une des 
pires récessions 1
É D ITO RI A L
Selon l’OCDE, la contrac­
tion du PIB en France DÉCONFINEMENT :
va se situer entre 11,4 %
et 14,1 % en 2020, soit un LA DOCTRINE
décrochage parmi les plus Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, et Frédéric Veaux,
directeur général de la police nationale, en visite au commissariat BOUSCULÉE
sévères de la planète d’Evry (Essonne), le 9 juin. CREDIT : LUDOVIC MARIN/POOL VIA REUTERS PA GE 31
PAGE 19

Cisjordanie Renseignement Suède Santé « IMPLACABLE ET ÉMOUVANT »

L’Autorité Des députés Le mystère de Médecins ou  ARIANE ASCARIDE
Télérama

palestinienne alertent sur l’assassinat d’Olof

tente un pari risqué l’obsolescence de Palme résolu après directeurs, qui  JEAN-PIERRE DARROUSSIN
GÉRARD MEYLAN

face à l’annexion la loi de 2015 34 ans d’enquête dirige l’hôpital ?  

PAGE 4 PAG E 1 6 PAGE 6
Alors que le poids
de l’administration est
LE REGARD DE PLANTU dénoncé par les soignants
dans un climat d’austérité,
les moyens accordés
pendant la crise liée
au Covid­19 ont fait bou­
ger les lignes et constitué
un moment d’union UN FILM DE
PAGE 14 (SIC TRANSIT) ROBERT GUÉDIGUIAN

GLORIA MUNDI
Entretien
Naomi Klein
appelle à l’audace 
face à la crise Maintenant disponible
en DVD et BLU-RAY
L’essayiste canadienne
souligne l’imbrication des
crises sanitaire, sociale,
économique et climatique
PAGE 28
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
L E S   S U I T E S   D E   L A   M O R T   D E   G E O R G E   F L OY D
Multiplication 
d’initiatives 
aux Etats­Unis 
pour réformer 
la police
Deux semaines après la mort
de George Floyd , plusieurs villes et
Etats prennent des mesures pour
limiter le financement de la police
et améliorer ses pratiques,
tandis qu’un mouvement de
contestation grandit pour couper
les crédits des forces de l’ordre
D
eux semaines
après la mort de
George Floyd, les
propositions de
réforme de la po­
lice se multi­
plient aux Etats­Unis. Il y a ur­
gence. Les manifestants étaient
encore dans les rues mardi 9 juin :
des marches du Lincoln Memo­
rial à Washington, au centre­ville
de Los Angeles, en passant par le
pont de Brooklyn à New York. Ils
réclament de vraies sanctions
pour les auteurs de violences,
souvent couverts par des mesu­
res d’immunité et une réduction
des budgets policiers.
Avec une rapidité exception­
nelle, les élus ont annoncé des
mesures censées limiter les vio­
lences policières dans tout le
pays, signe de la pression à la­
quelle ils sont soumis. Selon un
sondage publié lundi par CNN,
67 % des Américains considèrent
que le racisme est actuellement
un problème important alors
qu’ils n’étaient que 49 % en 2015.
La famille de George Floyd demande justice lors de ses funérailles
Le mouvement contre les violences policières conserve un fort soutien dans l’opinion, alors que Trump nie l’existence d’un racisme systémique
houston ­ envoyé spécial
L a peine s’est mêlée à l’es­
poir lors des funérailles de
George Floyd dans l’église
Fountain of Praise à Houston
(Texas), mardi 9 juin. La veille, des
centaines de personnes avaient
bravé la chaleur pour rendre un
dernier hommage à cet Afro­
Américain devenu le symbole des
violences policières, mort étouffé
par le genou d’un policier de Min­
neapolis (Minnesota) alors qu’il
gisait au sol, menotté.
La cérémonie de mardi était ré­
servée à la famille, dont les mem­
bres étaient majoritairement vê­
tus de blanc. Cette dernière avait
convié des personnalités de la mé­
tropole texane où George Floyd
avait longtemps vécu, dont le
maire, Sylvester Turner, et le chef
de la police, Art Acevedo, ainsi que
des figures du militantisme afro­
américain, l’avocat Ben Crump et
le pasteur Al Sharpton. Les acteurs
Jamie Foxx et Channing Tatum
Huit sondés sur dix estiment
aussi que les manifestations paci­
fiques qui ont suivi le meurtre de
George Floyd sont « justifiées ».
Lundi 8 juin, les élus démocra­
tes ont présenté au Congrès un
projet de loi qui prévoit de créer
un registre national pour les poli­
ciers convaincus de violences dis­
proportionnées, d’interdire la
pratique de la clé d’étranglement,
qui a coûté la vie à George Floyd
et de faciliter les poursuites judi­
ciaires contre les auteurs de bavu­
res. Le frère de la victime, Philo­
nise Floyd, devait témoigner mer­
credi devant la commission des
affaires judiciaires. Les républi­
cains ont assuré qu’ils prépa­
raient eux­mêmes des proposi­
tions.
« COUPER LES VIVRES »
L’urgence de la réforme a gagné
tout le pays. Douze villes et seize
Etats ont annoncé des projets ou
sont passés à l’action. Alors que le
slogan « Defund the Police »
(« couper les crédits de la police »)
étaient également présents.
La commémoration a été vi­
brante et rythmée, ponctuée de
pas de danse dans les travées et
d’applaudissements nourris. Au
cours de la cérémonie, un artiste
a réalisé sous les yeux de l’assem­
blée un grand portrait à l’envers
du disparu qu’il a installé dans le
bon sens sur un chevalet une fois
sa performance achevée. Les
chants, les rires et les voix conte­
nues par l’émotion se sont suc­
cédé pour retracer la vie de « Big
Floyd », le « doux géant », le « su­
perman » qui excellait en football
américain et au basket, capable,
comme l’a raconté l’un de ses pro­
ches, de claquer des paniers des
deux mains.
Dans un message vidéo, le can­
didat démocrate à la présiden­
tielle de novembre, Joe Biden,
a laissé parler son empathie avant
d’évoquer une nécessité de réfor­
mes. « Pourquoi dans ce pays de
trop nombreux Américains noirs
se lèvent­ils le matin en sachant
a pris comme un feu de paille
dans les manifestations de Black
Lives Matter, plusieurs villes ont
annoncé des mesures, qui, si elles
sont loin d’avoir l’ampleur sou­
haitée par les militants, montrent
que les syndicats de police ont
quelques raisons d’être inquiets.
A moins de cent cinquante
jours de l’élection présidentielle,
l’idée de « couper les vivres » ou
d’« éliminer » la police, comme
l’envisage la ville de Minneapolis,
fait les délices des partisans de
Donald Trump, qui se présente
comme le défenseur de « la loi et
l’ordre ». Ils espèrent mettre dans
l’embarras le candidat démocrate
Joe Biden, hostile à « Defund the
Police », qui est à la fois critiqué
par son aile gauche et les syndi­
cats de police. Mais la majorité
des activistes sont plus nuancés.
Ils insistent surtout sur un chan­
gement de priorités : financer le
logement social et les écoles pu­
bliques plutôt que de privilégier
le maintien de l’ordre.
A New York, le maire Bill de Bla­
qu’ils risquent de mourir en vivant
simplement leur vie ? », s’est­il in­
terrogé. « Le temps de la justice ra­
ciale est venu. C’est la réponse que
nous devons donner à nos enfants
quand ils demandent : Pourquoi
[ces violences] ? », a­t­il ajouté.
Un collage de vidéos et de pho­
tos personnelles de George Floyd
a été diffusé pendant la cérémo­
nie, entrecoupé d’images de ma­
nifestations et de slogans qui ont
rappelé son destin paradoxal : ce­
lui d’un inconnu devenu une
« IL ÉTAIT DU TROISIÈME  Brown, morts tous les deux
DISTRICT [DE HOUSTON],  en février, et Trayvon Martin, tué
MAIS TOUT LE MONDE SUR  par un vigile en 2012. L’une des
TERRE VA SE SOUVENIR
 DE LUI, IL VA CHANGER  l’Amérique », le slogan de campa­
LE MONDE »
RODNEY FLOYD
la mort par suffocation d’Eric Gar­
SELON UN SONDAGE  ner, en 2014. Il a été hué, notam­
PUBLIÉ LUNDI PAR CNN,  ment par les Afro­Américains,
lors d’un hommage à George
67 % DES AMÉRICAINS  Floyd, le 4 juin, à Brooklyn.
A San Francisco, la maire Lon­
CONSIDÈRENT QUE  don Breed a annoncé qu’une por­
tion – non encore définie ­ du bud­
LE RACISME EST  get de la police serait réaffectée
ACTUELLEMENT UN  pour la communauté noire – « une
modeste réparation après des an­
PROBLÈME IMPORTANT,  nées de désinvestissement ». A Los
Angeles, où sur les 885 personnes
ALORS QU’ILS N’ÉTAIENT  tuées par des policiers depuis
QUE 49 % EN 2015 2000, 85 % étaient noirs ou lati­
nos, le maire Eric Garcetti a annulé
l’augmentation de 150 millions de
sio a annoncé que le budget de la dollars qui était prévue pour la po­
police – 6 milliards de dollars lice. A Portland (Oregon), la con­
(5,3 milliards d’euros), avec 36 000 seillère municipale Jo Ann Har­
policiers et 19 000 civils – serait desty qui essayait vainement d’éli­
réduit pour payer des services so­ miner deux unités de police de­
ciaux et des aides à la jeunesse. Il puis des années, a réussi à
s’est aussi engagé à la transpa­ convaincre ses collègues. « Grâce à
rence des dossiers disciplinaires vous ! », a­t­elle lancé en annon­
des policiers, qui étaient, jusqu’à çant la nouvelle aux manifestants.
présent, confidentiels. M. de Bla­ D’autres réformes visent les
sio est contesté pour avoir tardé à techniques de maintien de l’or­
limoger le policier responsable de dre. A Washington, le recours à la
icône mondiale du fait des condi­ cains]? », s’est­elle interrogée. La
tions de sa mort, et dont les funé­ jeune femme a donné le ton des
railles ont mobilisé l’armada des
médias américains, déployée sur
l’un des vastes parkings de l’église
Fountain of Praise.
« Il était du troisième district [de
revendications et des interven­
tions beaucoup plus politiques
qui ont marqué la fin de la céré­
monie. Elles ont culminé avec
l’oraison funèbre du pasteur Al
Houston], mais tout le monde sur Sharpton, qui s’en est pris vive­
Terre va se souvenir de lui, il va ment au président des Etats­Unis.
changer le monde », a assuré avec
confiance l’un de ses frères, « Un crime »
Rodney. « Quand certains jeunes déclen­
D’autres familles que celle des chent à tort des violences que cette
Floyd avaient pris place dans les famille a condamnées, le président
travées de l’église, celles de victi­ parle de faire appel à l’armée », a­
mes précédentes de violences si­ t­il déclaré dans une allusion aux
milaires, Eric Garner, Michael troubles qui avaient poussé Do­
nald Trump à inviter les gouver­
en 2014, Ahmaud Arbery, abattu neurs à « dominer » les personnes
qui sèment le désordre. « Mais il
n’a pas dit un mot à propos des
nièces de George Floyd, Brooke huit minutes et quarante­six se­
Williams, s’est étonnée que « cer­ condes du meurtre de George
tains veulent rendre sa grandeur à Floyd par la police », a­t­il déploré.
« Ce n’était pas une tragédie,
gne de Donald Trump en 2016, mais un crime », a­t­il ajouté alors
« mais quand l’Amérique a­t­elle que l’administration de Donald
été grande [pour les Afro­Améri­ Trump nie l’existence d’un ra­
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
prise d’étranglement en pesant
sur le cou d’un suspect, déjà inter­
dit par les règles internes à la po­
lice, sera désormais considéré
comme un crime. A Houston, le
maire démocrate Sylvester Tur­
ner a annoncé cette même me­
sure lors des obsèques de George
Floyd, sous les applaudissements.
Dans l’Etat de New York, le projet
de loi pénalisant cette pratique
était bloqué depuis 2015, sous
l’influence des syndicats de po­
lice. Il a été voté par les élus du Sé­
nat et de la Chambre des repré­
sentants lundi 8 juin et portera le
nom de « loi Eric Garner ». Le gou­
verneur de Californie Gavin New­
som a, lui, banni la technique de
« carotid hold » (étranglement
sanguin), qui « vise à empêcher le
sang de monter au cerveau », a­t­il
décrit, horrifié.
A Washington, le conseil du
District de Columbia (DC), qui
correspond à la branche législa­
tive dans la capitale fédérale, a
adopté mardi une série de réfor­
mes. Les noms des policiers im­
cisme systémique. Al Sharpton a
annoncé un combat de longue
haleine pour que justice soit ren­
due à George Floyd, comme n’ont
cessé de le réclamer les membres
de sa famille, mardi. « Lorsque le
dernier camion de télévision sera
reparti, nous serons toujours là. »
Pour l’instant, le mouvement de
mobilisation conserve un fort
soutien dans l’opinion. La convic­
tion de l’existence d’une inégalité
systémique de traitement envers
les Afro­Américains est partagée
désormais par 69 % des person­
nes interrogées par le Washing­
ton Post, au lieu de 43 % en 2014,
après la mort de Michael Brown à
Ferguson (Missouri). L’évolution
la plus significative concerne les
femmes blanches (+ 38 points).
Seules 37 % des personnes inter­
rogées préfèrent un président
dont la priorité est la sécurité,
alors que 50 % optent pour un res­
ponsable capable d’évoquer les
fractures raciales américaines. 
gilles paris
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 international | 3

Manifestation,
à Houston, le 9 juin.
RED AGHO POUR « LE MONDE » A Oxford, haro sur une statue « coloniale »
Au Royaume­Uni, des manifestants veulent déboulonner des monuments liés à l’esclavage

oxford (royaume­uni) ­ Beaucoup de colère s’exprime « Nous assistons à une conver­ élite, blanche », explique l’ensei­ rues vont également être passés
envoyée spéciale chez les orateurs qui se succèdent gence entre l’émotion créée par le gnant. « Nous abhorrons le ra­ en revue.
au micro. Des jeunes d’origine meurtre de George Floyd, et la crise cisme et la discrimination sous Cette symbolique chasse aux

L a statue du colonisateur Ce­

cil Rhodes n’a pas été jetée
au sol mardi 9 juin, ni traî­
née jusqu’à la Tamise, à quelques
centaines de mètres de l’Oriel Col­
lege d’Oxford, dont elle orne la fa­
çade. Elle était pourtant la
deuxième sur la liste des statues à
abattre, après celle de l’esclava­
giste Edward Colston, qui a fini sa
course dans le port de Bristol, di­
manche 7 juin, traînée par des ma­
nifestants galvanisés par le slogan
« Black Lives Matter » (BLM).
Elle était bien trop haut perchée
et trop bien gardée par des poli­
ciers. Mais ses jours sont comptés,
tant la détermination des milliers
de jeunes rassemblés à ses pieds,
mardi, semblait grande d’en finir
avec ce « meurtrier, symbole de
l’oppression coloniale britanni­
que », comme l’ont scandé les or­
ganisateurs de la campagne Rho­
des Must Fall (« Rhodes doit tom­
ghanéenne, caribéenne, zimba­
bwéenne ou sud­africaine – moins
des étudiants que des habitants de
la ville. Car Oxford n’est pas
qu’une université prestigieuse de
24 000 étudiants, c’est également
une ville de 160 000 habitants,
avec une activité industrielle dé­
clinante et des populations mo­
destes, majoritairement d’origine
« BAME » (pour Black, Asian and
Minority Ethnic). « Rien n’a changé
dans ce pays depuis les années
1970, les BAME sont toujours les
moins bien logés, ceux qui ont le
moins accès aux soins, qui remplis­
sent les jobs les moins qualifiés ! »,
hurle une intervenante. Et ceux
qui sont le plus morts du Covid­19,
renchérit une autre.
due au Covid­19. Le confinement a
pu être un moment de réflexion
pour certains d’entre nous, c’est
vrai, mais qui a exacerbé les inéga­
lités. Inégalités face au logement, à
l’emploi, à l’accès à la santé », réa­
git Simukai Chigudu, un profes­
seur de politique africaine, croisé
dans la manifestation. « Je suis
l’un des sept enseignants noirs
d’Oxford », nous précise­t­il.
« Discrimination »
L’université est­elle vraiment ra­
ciste, comme le disent les mani­
festants ? « Oui, mais son racisme
est institutionnel : il s’agit d’un sys­
tème qui rend difficile la promo­
tion des BAME, et qui représente les
vues et les valeurs d’une certaine
toutes leurs formes et nous som­
mes prêts à débattre de la présence
[…] de la statue de Cecil Rhodes », a
fait savoir la direction de l’Oriel
College, mardi. Les manifestants
se sont de nouveau donné ren­
dez­vous vendredi 12 juin, forts du
soutien du conseil municipal –
majoritairement travailliste. Par­
tout ailleurs au Royaume­Uni, des
autorités municipales travaillis­
tes prennent aussi les devants
pour « faire le ménage » dans leur
espace public. A Londres, la statue
de Robert Milligan, un planteur
esclavagiste du XVIIIe siècle, a été
déboulonnée dans le calme,
mardi, sur ordre du maire, Sadiq
Khan : elle ira au Museum of Lon­
don Docklands. Les noms des
statues survient alors qu’il est dé­
sormais prouvé que le Covid­19 a
disproportionnellement tué les
populations BAME du pays. Elle
semble avoir pris de court le gou­
vernement Johnson, qui a rendu
une enquête indigente sur les iné­
galités face au coronavirus, et s’est
jusqu’alors contenté de répondre
aux manifestants par des rappels
à l’ordre. « Les gens ont le droit de
manifester en paix », a dit le pre­
mier ministre, le 8 juin, mais les
manifestations ont été « subver­
ties par la brutalité », a­t­il ajouté,
faisant référence aux déborde­
ments observés à la fin des mani­
festations Black Lives Matter du
week­end précédent à Londres. 
cécile ducourtieux

MERCREDI 10 JUIN
ber »). Au Royaume­Uni, depuis
une dizaine de jours, l’émotion
suscitée par le meurtre de George
Floyd ravive des blessures profon­
des et donne lieu à un vigoureux
travail de mémoire.
« En 2016, en 2017, en 2018,
en 2019, nous avons plaidé auprès

pliqués dans des incidents, de
Profitez d’
d’offres exclusives
de l’Oriel College pour qu’ils enlè­
vent la statue de Rhodes, nous
avons accepté la discussion, argu­

même que les images de leurs ca­
méras corporelles, devront être
rendus publics dans les soixante­
douze heures. Plus significatif, le
en supermarché
menté… en vain. Maintenant, c’est
fini, on ne mendiera plus, on veut
juste qu’elle soit enlevée, mise au
musée », explique une des organi­

sur une sélection de

texte prévoit d’exclure les syndi­ satrices d’un mouvement né à Ox­
cats de police des procédures dis­ ford il y a cinq ans, juste après
ciplinaires, alors que la nature qu’une autre statue de Cecil Rho­

des conventions collectives est
souvent considérée comme un
obstacle à la mise en œuvre de
sanctions. L’utilisation des gaz
lacrymogènes et des balles en
plastique est désormais interdite
pour disperser une manifesta­
tion pacifique, une réponse aux
techniques employées lundi
1er juin, devant la Maison Blan­
plus de 80 bières !
des a été déplacée de l’université
du Cap, ville où ce dernier avait
vécu quand il était premier minis­
tre de la « colonie du Cap », à la fin
du XIXe siècle.
Les jeunes massés au pied de
l’Oriel College, des Noirs mais
aussi beaucoup de Blancs et
d’Asiatiques (d’origine indo­pa­
kistanaise), connaissent le rap­

che. En revanche, la proposition
de ramener les effectifs de police
de 3 800 à 3 500 fonctionnaires
n’a pas été adoptée.
FOIRE
port étroit qu’a jusqu’à présent
entretenu Rhodes avec Oxford. |
Année 2020 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622
Né en 1853 dans le Hertfordshire
(centre de l’Angleterre), Cecil Rho­

e
des était un homme d’affaires
À LA 2016

r
COUP DE PIED prospère, convaincu de la supé­

i è
A travers le pays, les sanctions ex­ riorité anglo­saxonne, qui a con­

péditives à l’encontre de policiers
impliqués dans des violences en
marge des manifestations se
multiplient également, comme
un sursaut face à l’impunité dé­
noncée par les manifestants. Un
policier new­yorkais a été inculpé
mardi pour avoir violemment re­
poussé une manifestante le
29 mai. Il est le premier de la ville
à être ainsi poursuivi. Une sanc­
tion similaire a été prise contre
un policier, filmé alors qu’il don­
nait un coup de pied à une
femme agenouillée, en Floride.
Deux autres fonctionnaires ont
b #lidl
sacré une partie de sa vie à l’ex­
tension africaine de l’empire bri­ 2019
tannique. Il met la main sur le 2013
monopole de l’extraction du dia­ 2018
2020
mant en Afrique du Sud (il crée De
Beers), colonise d’immenses pans
de territoires pour la reine Victo­
ria, donne son nom à deux pays 2020
(Rhodésies du Sud et du Nord, de­
venues respectivement le Zimba­
bwe et la Zambie). Avant de mou­
rir, il fait d’importantes dona­
tions à l’Oriel College, où il a étu­
dié et créé une bourse d’études (la
bourse Rhodes), réservée a des
étudiants mâles du Com­

5
été renvoyés en Géorgie, alors monwealth.
BOUTEILLES
que les images de leurs propres « Quand on lève la tête au ciel, en
AU CHOIX

caméras les montraient brutali­
sant deux étudiants dans leur
voiture.
A Buffalo (Etat de New York),
deux fonctionnaires ont été sus­
pendus sans paye, quelques heu­
res après la diffusion d’images où
on les voit bousculer et faire chu­
ter un homme de 75 ans, hospita­
lisé depuis dans un état grave.
Une cinquantaine de collègues
des policiers incriminés leur ont
exprimé leur soutien. Sur Twitter,
le président Donald Trump a sug­
géré, lundi, que cet incident avait
été mis en scène par le septuagé­
naire, qualifié de « provocateur
antifa ». 
stéphanie le bars,
arnaud leparmentier
(a new york)
et corine lesnes
(a san francisco)
1
général, c’est pour chercher une
forme d’élévation, mais ici, quand ACHETÉES
on lève les yeux au ciel, on voit ce
meurtrier ! », insiste un membre
du collectif Uncomfortable Ox­
ford, qui organise des tours de la
ville en insistant sur son passé
controversé.
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FLOYD ET LA CRISE DUE 
AU COVID­19. »
SIMUKAI CHIGUDU
professeur de politique africaine
 0123
4 | international JEUDI 11 JUIN 2020

Le pari de l’Autorité palestinienne face à l’annexion

Ramallah suspend ses accords sécuritaire et économiques avec Israël, pour faire reculer Nétanyahou

jérusalem ­ correspondant
Quelque 150 000

A
u début, rares sont Palestiniens, qui
ceux qui ont pris la
menace du raïs au sé­
font vivre toute
rieux. Le 19 mai, en une famille sur
plein mois du ramadan, le prési­
dent palestinien est apparu der­
leurs revenus,
rière son bureau massif, encadré pourraient se
de deux immenses drapeaux.
En réaction aux velléités israé­
retrouver sans
liennes d’annexion d’une par­ ressources
tie de la Cisjordanie occupée,
Mahmoud Abbas a annoncé que
l’Autorité palestinienne, qu’il di­ de la ligne verte. « Il y a toujours
rige, est « absoute, à partir une certaine coordination de
d’aujourd’hui, de tous ses accords facto, mais beaucoup moins de
avec les gouvernements américain communication entre les deux
et israélien et de toutes ses obliga­ côtés », nuance Céline Touboul,
tions basées sur ces ententes, y codirectrice générale de l’Eco­
compris celles relatives à la sécu­ nomic Cooperation Foundation,
rité ». Le vieux dirigeant de 85 ans l’un des artisans israéliens des
avait déjà brandi cet avertisse­ accords d’Oslo.
ment à maintes reprises par le Pour l’instant, le raïs n’a déchiré
passé, sans jamais y donner suite. qu’une partie des accords, le volet
Cette fois­ci, Mahmoud Abbas Oslo II, qui dicte la mise en œuvre
entend tenir sa promesse : les concrète du processus lancé par
Palestiniens coupent, peu à peu, la célèbre poignée de main entre
les ponts dans l’espoir de faire re­ Yasser Arafat et Yitzhak Rabin à
culer les Israéliens sur leur projet Washington, en 1993. Ramallah a
d’annexion. Fin mai, le Fatah, le ainsi aussi cessé de faire l’inter­
parti du président, a diffusé deux face entre les Palestiniens et l’Etat
vidéos sur Twitter censées mon­ hébreu. Permis, visas, démarches
trer des forces de sécurité palesti­ administratives… Les guichets
niennes barrant l’entrée d’Hébron palestiniens ne transmettent
et du gouvernorat de Bethléem plus les demandes à Israël.
aux militaires israéliens. Depuis Les malades en attente de per­
le discours du président, « il n’y a mis pour y être soignés se retrou­ Dans le village de Kobar, près de Ramallah, en Cisjordanie, le 11 mai. ABBAS MOMANI/AFP
eu aucune coopération sécuritaire vent dans les limbes. « Nous som­
israélo­palestinienne, à aucun mes face à un chaos médical :
niveau », a affirmé le premier aujourd’hui ce sont des centaines tement est aussi économique. En groupe de réflexion palestinien l’ordre du jour », a martelé Moha­ d’enclencher, dès le 1er juillet, l’an­
ministre palestinien, Mohamed de patients, bientôt des milliers », vertu des accords conclus en 1995, Al­Shabaka. Le gouvernement pa­ med Shtayyeh. L’économie est nexion de l’ensemble des colo­
Shtayyeh, lors d’une conférence met en garde Ghada Majadle, la di­ Israël, qui contrôle les frontières, lestinien a fait savoir qu’il « ne sera l’un des rares leviers aux mains nies illégales en Cisjordanie et de
de presse à Ramallah, mardi 9 juin. rectrice en charge des territoires prélève pour les Palestiniens taxes pas en mesure de payer les salaires de Mahmoud Abbas. « C’est un la vallée du Jourdain. Ramallah
occupés au sein de l’ONG Physi­ et droits de douane. La semaine des fonctionnaires civils et des ser­ pari risqué », concède Ofer Zalz­ estime que le gouvernement de
« Au bord de la faillite » cians for Human Rights Israël. dernière, l’Autorité palestinienne a vices de sécurité » dès juillet. berg, analyste au sein du groupe Benyamin Nétanyahou pourra
Honnie des Palestiniens, la L’organisation a suivi le cas d’un annoncé qu’elle avait refusé le re­ de réflexion International Crisis compter sur le soutien du prési­
coopération sécuritaire est un enfant de 8 ans, souffrant de pro­ versement de ces fonds. « Les Is­ Coup de canif Group. Sauf que les Palestiniens dent américain Donald Trump,
instrument essentiel du contrôle blèmes cardiaques, qui n’a pas pu raéliens nous ont dit : “Si vous vou­ Quelque 150 000 Palestiniens, le savent : « Très cyniquement, si qui a ouvert la voie à l’annexion
israélien sur la Cisjordanie occu­ quitter Gaza pour se faire soigner lez votre argent, parlez­nous”, a dit qui font vivre toute une famille Israël veut annexer une partie de avec son « plan de paix » pour le
pée, interrompue une seule fois, dans un hôpital israélien car le le premier ministre palestinien. sur leurs revenus, pourraient la Cisjordanie et conserver l’Auto­ Proche­Orient présenté en jan­
lors de la seconde Intifada, de comité civil palestinien a refusé de Nous avons répondu non. » Ces ainsi se retrouver sans ressour­ rité palestinienne sans créer trop vier. En face, les pays européens
2000 à 2005. Derrière les décla­ soumettre sa demande de permis. sommes « représentent 60 % du ces, calcule Sam Bahour. Ramal­ d’opposition dans la rue, alors il se contentent d’avertissements,
rations au ton grave, Ramallah a D’autres patients n’ont pas été budget de l’Autorité palestinienne », lah organise sa faillite économi­ doit faire en sorte que l’économie certes de plus en plus appuyés,
toutefois laissé entendre à l’Etat soignés en Israël parce que l’Auto­ qui va donc rapidement se retrou­ que mais sans aller jusqu’à se sa­ palestinienne soit forte », pour­ mais sans réelle stratégie.
hébreu qu’il ne laisserait pas le rité palestinienne ne couvre plus ver « au bord de la faillite », expli­ border. « La dissolution de l’Auto­ suit le chercheur. Les Israéliens Une contre­proposition au plan
« chaos s’installer » de l’autre côté leurs frais de traitement. L’affron­ que Sam Bahour, consultant du rité palestinienne n’est pas à clament haut et fort leur volonté Trump a été soumise au Quar­
tette (Union européenne, ONU,
Russie et Etats­Unis) pour la créa­
A Hébron, l’économie reste au ralenti malgré le déconfinement tion d’un « Etat palestinien souve­
rain, indépendant et démilita­
risé », pouvant inclure de « mi­
les cris des vendeurs de rue ryth­ trine à moitié vide. A quelques rues de là, lenti. Les manufactures tournent pres­ et tissus chatoyants. Au­dessus du comp­ neures modifications au tracé de
ment les gammes des klaxons ; le centre­ Monther Mohsab pense avoir perdu « au que à vide, le tourisme est à l’arrêt. « La si­ toir, il a accroché des photos du fondateur frontières lorsque nécessaire », a
ville d’Hébron, poumon économique du moins » 200 000 shekels (50 000 euros) tuation ne reviendra pas à la normale de la boutique, son père, la tête ceinte indiqué Mohamed Shtayyeh.
sud de la Cisjordanie, a repris vie après depuis le début de l’épidémie : la saison avant au moins six mois », estime Mah­ d’un keffieh palestinien. « Mais ce que no­ Si le gouvernement Nétanya­
deux mois de confinement. Ici et là, des des fêtes de l’Aïd, qui clôt le mois du ra­ moud Sunnoqrot, analyste économique tre président décide, on suit : on ne vend hou met son projet à exécution,
passants s’appliquent à ne pas s’appro­ madan, lui « est passée sous le nez ». à Hébron. La Banque mondiale prédit pas notre cause », dit­il. les Palestiniens envisagent de
cher de leurs voisins, rares sont ceux qui « Même pendant l’Intifada, il y avait des une contraction de l’économie palesti­ Le premier ministre palestinien a pro­ donner un dernier coup de canif
ont enfilé un masque. Avec 2 morts et boutiques ouvertes, les gens travaillaient, nienne de plus de 7 % − jusqu’à 11 % dans mis un plan de sauvetage de 300 mil­ aux accords d’Oslo. Ils menacent
481 cas recensés, l’épidémie n’a pas eu c’était moins dur », se souvient le mar­ les scénarios les plus noirs. Le nombre de lions de dollars, sous la forme de prêts de revenir sur la reconnaissance
l’effet dévastateur prédit mais elle a laissé chand de vêtements. Palestiniens vivant sous le seuil de pau­ aux petites et moyennes entreprises. de l’Etat d’Israël. L’Autorité pales­
d’autres traces. vreté pourrait bondir de 30 % en Cisjorda­ Dans l’étroit magasin de chaussures où tinienne serait alors dissoute,
Assis au fond de sa petite bijouterie, Tourisme à l’arrêt nie. Au marasme économique post­Co­ il flâne sans rien acheter, Abu Zaki se non pas pour laisser place aux Is­
Hassan attend le chaland. « Les gens A Hébron, on brasse plus d’un tiers de vid­19 s’ajoute une nouvelle crise. Le gou­ gausse. Avec un déficit de plus de raéliens, mais pour établir, de
viennent pour vendre leur or, pas pour en l’économie palestinienne. Dans les villa­ vernement palestinien a annoncé qu’il 1,23 milliard d’euros, l’Autorité palesti­ facto, un Etat palestinien dans les
acheter », soupire le trentenaire aux ges alentours, beaucoup vivent du salaire ne verserait pas les salaires des fonction­ nienne est en difficulté. « Que peuvent­ frontières de 1967, avec Jérusalem
yeux azur. « D’ordinaire, l’été, c’est la sai­ des ouvriers qui vont trimer de l’autre naires en juillet si l’affrontement avec Is­ ils faire ? Eux non plus n’ont pas de quoi pour capitale, a prévenu le pre­
son des mariages. Juin, juillet, août, sep­ côté, en Israël. Depuis une semaine, les raël autour de l’annexion se poursuit. payer leur pléthore de gardes ! », grin­ mier ministre. Et de conclure :
tembre, je n’ai pas le temps de respirer », checkpoints ont rouvert, certains ont re­ « Ça va avoir un impact désastreux », pré­ ce­t­il, avant d’ajouter : « On se tait, on se quoi qu’il en soit, « le statu quo ne
lâche­t­il, en jetant un coup d’œil à sa vi­ pris leur poste mais l’économie est au ra­ dit Khairi Salhab, au milieu des dentelles tait, mais ça va exploser. » (– Intérim)  peut plus perdurer ». (– Intérim) 

Le militant des droits de l’homme Nabil Rajab libéré à Bahreïn

L’opposant avait été condamné à cinq ans de prison, en 2018, pour avoir critiqué l’intervention militaire saoudienne au Yémen

E ntouré de sa famille, un
collier de roses blanches
autour du cou et un large
sourire illuminant son visage,
Nabil Rajab est apparu, libre, chez
lui, à Manama, mardi 9 juin. Fi­
gure de proue du « printemps
arabe » et illustre opposant ba­
hreïni, le militant des droits de
l’homme de 55 ans a bénéficié de
mesures « alternatives » pour les
trois années d’emprisonnement
qu’il lui reste à purger, a indiqué
son avocat, Me Mohammed Al­Ji­
chi. Il avait été condamné,
en 2018, à cinq ans de prison pour
des Tweet critiquant l’interven­
tion militaire saoudienne au Yé­
men et dénonçant des cas présu­
més de torture dans son pays.
« Nous nous réjouissons de la
nouvelle de la libération de Nabil
Rajab », a déclaré Aya Majzoub,
chercheuse sur Bahreïn pour
l’ONG Human Rights Watch. « Il
n’aurait jamais dû être empri­
sonné, mais nous sommes heureux
qu’il ait enfin retrouvé sa famille »,
a­t­elle ajouté. Nabil Rajab est le
premier prisonnier politique à
être libéré depuis le début de la
pandémie de Covid­19, qui a fait
29 morts et contaminé plus de
15 000 personnes dans le royaume
de 1,5 million d’habitants, réguliè­
rement épinglé par les ONG pour
son bilan en matière de droits de
l’homme. Dans un communiqué,
la famille du militant a précisé que
ce dernier « souffre d’un affaiblis­
sement sévère du système immuni­
taire, ce qui le rend vulnérable » à
une contamination par le nou­
veau coronavirus et constitue
« une menace pour sa vie ».
Répression féroce
Sa condamnation, en 2018, pour
« diffusion de rumeurs en temps de
guerre », « insulte à un pays étran­
ger » et « insulte au ministre de l’in­
térieur » avait suscité un tollé in­
ternational. La Ville de Paris l’avait
alors fait citoyen d’honneur pour
« son combat pour les droits hu­
mains ». Cofondateur du Centre
bahreïni pour les droits de
l’homme et fondateur du Centre
golfien pour les droits de
l’homme, Nabil Rajab est une fi­
gure du mouvement de contesta­
tion, essentiellement chiite, qui
réclame une monarchie constitu­
tionnelle dans le petit pays du
Golfe gouverné par la dynastie
sunnite des Khalifa.
En 2011, il avait pris la tête des
manifestations qui avaient vu des
dizaines de milliers de Bahreïnis
réclamer leurs droits. Le mouve­
ment avait été écrasé dans le sang
avec l’aide de troupes saoudiennes
et émiraties.
Depuis 2011, le royaume golfien,
siège de la Ve flotte américaine,
mène une campagne de répres­
sion féroce contre ses opposants.
Les autorités ont banni les princi­
paux partis et groupes d’opposi­
tion, incarcéré des centaines de
dissidents et déchu de leur ci­
toyenneté plus de 700 Bahreïnis.
Nabil Rajab a été dès lors une cible
récurrente des autorités de Ma­
nama. En 2012, il avait été con­
damné à trois ans de prison, ac­
cusé d’avoir fomenté des troubles
entre la police et les manifestants.
Libéré en mai 2014, il avait été de
nouveau arrêté pour des Tweet an­
tigouvernementaux, puis gracié
par le roi Hamad Ben Issa Al Kha­
lifa pour raisons de santé, en
juillet 2015. En 2016, il avait été une
nouvelle fois condamné pour
« propagation de fausses nouvel­
les » lors d’interviews accordées à
la presse, notamment étrangère,
au sujet de la situation des droits
humains à Bahreïn, et avait passé
deux ans derrière les barreaux. 
hélène sallon
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 international | 5

Pyongyang coupe la ligne directe avec Séoul

La Corée du Nord dénonce l’expédition depuis le Sud de ballons porteurs de messages hostiles
tokyo ­ correspondance Jong­un, et Kim Yong­chol, vice­
président du comité central et
déjà été décidée par Pyongyang
dans le passé. La première ligne
qui privilégie l’octroi d’une aide
économique une fois la dénu­
NIGERIA
59 morts lors d’une
attaque djihadiste
Les combattants du groupe
Etat islamique en Afrique de
l’Ouest (ISWAP) ont tué,
mardi 9 juin, 59 personnes,
lors d’une attaque contre un
village d’éleveurs dans le
promettant une loi pour les nord­est du Nigeria, selon des
interdire. miliciens locaux et un res­

U
sant d’une rhétorique
à l’agressivité crois­
sante, la Corée du
Nord a rappelé, mardi
9 juin, l’impasse dans laquelle se
trouvent les pourparlers sur son
programme nucléaire et de déve­
loppement de missiles. Ce
jour­là, Pyongyang a en effet an­
noncé l’interruption de la tota­
lité des communications avec
Séoul, notamment celles, direc­
tes, entre le bureau du comité
central du Parti du travail et la
présidence du Sud.
A l’origine de sa colère, des ex­
péditions, au départ de la Corée
du Sud, de ballons porteurs de
messages critiques du régime. A
en croire l’édition du 10 juin du
quotidien nord­coréen Rodong
Sinmun, « tout le pays est em­
brasé par la fureur ».
D’après une dépêche de
l’agence KCNA, les expéditeurs
de ballons − pour la plupart des
transfuges du Nord − ne sont que
de la « racaille répugnante », et les
expéditions « des actes hostiles »
menés « en profitant de la posi­
tion irresponsable des autorités
sud­coréennes ». Peu de temps
après l’annonce, la Corée du
Nord a refusé de répondre à l’ap­
pel quotidien passé sur le réseau
militaire entre les deux pays.
Toujours selon KCNA, la déci­
sion a été prise lundi 8 juin, lors
d’une réunion des responsables
des relations avec le Sud, notam­
ment par Kim Yo­jong, l’in­
fluente sœur du dirigeant Kim
responsable des projets interco­
réens. Selon eux, précise KCNA,
« les actions envers le Sud doivent
désormais être considérées
comme des actions contre l’en­
nemi ». « Nous sommes parvenus
à la conclusion qu’il n’est pas né­
cessaire de s’asseoir avec les auto­
rités sud­coréennes, et qu’il n’y a
plus de sujets à discuter avec el­
les », ajoutent­ils.
La timide réaction sud­co­
réenne traduit un certain embar­
ras. Le ministère de l’unification
a simplement déclaré que le gou­
vernement continuera « à faire
des efforts pour la paix et la pros­
périté dans la péninsule co­
réenne ». Même l’intervention du
département d’Etat américain,
rappelant que « les Etats­Unis ont
toujours soutenu les progrès dans
les relations intercoréennes », ne
semble pouvoir amadouer Pyon­
gyang. L’interruption des com­
munications intercoréennes a
« Les relations
intercoréennes
entrent dans une
situation critique.
Une démonstration
de force
est possible »
CHOI KANG
membre de l’institut d’études
politiques Asan
directe avec Séoul a été établie
en 1972, à la suite d’une visite
au Nord du chef des services se­
crets du Sud. Depuis, son fonc­
tionnement dépend de l’état des
relations. Il y a eu sept interrup­
tions depuis 1976.
Son dernier rétablissement
date de janvier 2018. Après une
année marquée par de vives ten­
sions alimentées par un essai nu­
cléaire et des tirs de missiles ba­
listiques intercontinentaux,
Pyongyang misait sur la détente.
Dans les mois qui ont suivi, trois
sommets intercoréens ont été or­
ganisés, assortis d’engagements,
notamment à la cessation des
« actes hostiles » dont l’envoi des
ballons. La dynamique du rap­
prochement a été interrompue
par l’échec, en février 2019, du
sommet de Hanoï (Vietnam) en­
tre Kim Jong­un et le président
américain, Donald Trump.
Par la suite, Pyongyang a cher­
ché à convaincre Séoul de pren­
dre ses distances avec Washing­
ton et d’améliorer les liens éco­
nomiques bilatéraux, avant
même le début de la dénucléari­
sation. Le régime nord­coréen
voulait notamment relancer l’ex­
ploitation en commun du site
touristique du mont Kumgang et
les activités au complexe indus­
triel de Kaesong. Interrompues
depuis des années, elles repré­
sentaient une importante source
de devises pour Pyongyang.
Séoul n’a jamais accepté, par
crainte de heurter Washington –
cléarisation amorcée – et d’en­
freindre les sanctions économi­
ques onusiennes imposées à
Pyongyang.
L’absence d’avancées concrètes
et l’enlisement du dialogue avec
Washington ont poussé le Nord à
durcir son positionnement, en
ciblant Séoul, qui s’est posé en
médiateur entre les deux parties.
En août 2019, Pyongyang a réagi
au discours prononcé par le pré­
sident Moon Jae­in à l’occasion
des cérémonies célébrant l’indé­
pendance, en qualifiant le diri­
geant du Sud d’« impudent d’un
niveau rarement vu » et balayant
toute idée de dialogue : « Nous
n’avons plus rien à discuter avec
les autorités sud­coréennes. »
Tensions
Par la suite, la Corée du Nord a en­
chaîné les tirs de missiles de
courte portée. La Corée du Sud,
cherchant à minimiser l’impor­
tance de ces essais et désireuse
d’éviter un regain de tension,
a toujours parlé de « projectiles ».
Un échange de tirs a même eu lieu
début mai dans la zone démilitari­
sée, qualifié par Séoul d’« acciden­
tel ». Le 24 mai, KCNA a annoncé
des discussions visant à renforcer
la « dissuasion nucléaire ».
Dernier épisode en date avant
l’interruption des communica­
tions, une violente diatribe du
4 juin, signée Kim Yo­jong, con­
tre l’envoi des ballons. Au risque
de donner l’impression de céder
à Pyongyang, Séoul a répondu en
« La Corée du Nord considère que
l’administration Moon Jae­in a né­
gligé la question des messages hos­
tiles. Elle n’en attend plus rien »,
juge Cheong Seong­chang, de
l’institut Sejong. Analyste du fo­
rum coréen de défense et de sécu­
rité, Shin Jong­woo considère, de
son côté, que Pyongyang, con­
fronté à de profondes difficultés
économiques, accentue la pres­
sion sur Séoul pour le forcer d’agir
et persuader Washington de lui
accorder une aide et d’alléger les
sanctions. « L’absence de réponse
sur les canaux militaires signifie
que les relations intercoréennes en­
trent dans une situation critique.
Une démonstration de force est
possible », redoute Choi Kang, de
l’institut d’études politiques Asan.
Les dernières tensions fragili­
sent Moon Jae­in, qui tablait sur le
15 juin, jour du 20e anniversaire du
premier sommet intercoréen de
l’histoire, pour relancer les discus­
sions. « Compte tenu de son hosti­
lité croissante à l’égard de la Corée
du Sud, la Corée du Nord aura pro­
bablement bientôt recours à des
provocations », écrit dans son édi­
torial du 10 juin le quotidien con­
servateur Joongang, qui déplore
« l’optimisme aveugle » du gouver­
nement Moon. « Même si les der­
nières attaques sont du bluff pour
pousser le Sud à agir sur le plan
économique, Séoul ne devrait pas
prendre à la légère la réalité de la
menace », écrit de son côté le
Korea Times. 
philippe mesmer
ponsable local. Les assaillants
ont attaqué le village de Felo,
dans le district de Gubio (Etat
du Borno). « Certains ont été
abattus et d’autres ont été
écrasés » par les véhicules de
djihadistes, a précisé un chef
de la milice antidjihadiste.
L’ISWAP est une faction dissi­
dente de Boko Haram, qui a
fait scission en 2016. Elle a
multiplié les attaques meur­
trières ciblant l’armée depuis
deux ans. – (AFP.)
HO NGKONG
Peu de manifestants pour
le premier anniversaire
du mouvement
Quelques milliers de mani­
festants sont descendus,
mardi 9 juin au soir, dans les
rues de Hongkong, pour mar­
quer le premier anniversaire
du mouvement de contesta­
tion historique, qui peine dé­
sormais à mobiliser les fou­
les. Aux nombreuses
arrestations qui ont porté un
sérieux coup au mouvement
s’ajoutent les mesures prises
contre le coronavirus, qui in­
terdisent les rassemblements,
ainsi que l’imminence de
l’entrée en vigueur de la loi
sur la sécurité nationale. Le
9 juin 2019, une foule im­
mense était descendue dans
les rues pour s’opposer à un
projet de loi visant à autori­
ser les extraditions vers la
Chine continentale. – (AFP.)

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6 | international
Nouvelle disparition
d’un critique du pouvoir
thaïlandais en exil
Wanchalearm Satsaksit, qui dénonçait le
régime, a été enlevé dans la rue, à Phnom Penh
L’ enlèvement, à Phnom
Penh, jeudi 4 juin, du dis­
sident thaïlandais Wan­
chalearm Satsaksit, dit « Ta »,
37 ans, par des hommes armés en
civil a mis en émoi le milieu pro­
démocratie du royaume siamois.
Plusieurs rassemblements ont eu
lieu les 5 et 6 juin à Bangkok et
d’autres villes de province autour
de portraits du militant entourés
de fleurs. Des manifestants se
sont rendus le 8 juin devant l’am­
bassade du Cambdoge à Bangkok
pour demander que ce pays mène
l’enquête.
Wanchalearm (l’usage en
Thaïlande est de n’utiliser que le
prénom) était affilié au mouve­
ment des « chemises rouges » né
après le coup d’Etat de 2006 qui
avait renversé le premier minis­
tre Thaksin Shinawatra. Il vivait
en exil au Cambodge depuis le
putsch suivant, celui de 2014. Il
attendait un repas commandé
dans une échoppe à proximité de
l’immeuble où il vivait dans la ca­
pitale cambodgienne quand trois
hommes sortis d’une voiture
l’ont empoigné et embarqué. Les
témoins interrogés par l’ONG
Human Rights Watch, la pre­
mière à donner l’alerte, affirment
qu’ils étaient armés. Le militant
était au téléphone avec sa sœur,
qui l’a entendu dire « je ne peux
pas respirer », un cri d’alarme qui
a donné sur les réseaux sociaux
thaïlandais un avatar local au
supplice de George Floyd.
Les frasques du roi
La disparition de Wanchalearm
intervient un peu plus d’un an
après celle de trois militants qui
s’étaient enfuis au Laos puis au
Vietnam, d’où ils auraient été
transférés en secret vers la
Thaïlande. Leurs familles n’ont
aucune nouvelle d’eux malgré de
multiples requêtes auprès des
autorités thaïlandaises, et ils sont
donnés pour mort. Wanchalearm
est la neuvième victime de ce que
Human Rights Watch a qualifié de
« disparitions forcées » aux mains
du régime thaïlandais depuis
2016. Seuls les cadavres de deux
d’entre eux, enlevés au Laos et re­
pêchés fin 2018 dans le Mekong
remplis de ciment, ont été formel­
lement identifiés.
Un porte­parole de la police
cambodgienne a confirmé, mardi
9 juin, qu’elle « n’a pas arrêté cet
individu » Wanchalearm. La police
thaïlandaise affirme « n’avoir pas
connaissance » de sa localisation,
tandis que le ministère des affai­
res étrangères thaïlandais s’est
borné à solliciter des informa­
tions auprès son ambassade au
Cambodge.
Ces dénégations sont moquées
sur les réseaux sociaux et par les
militants qui soupçonnent une
opération des agents spéciaux de
l’armée. Les élections générales de
mars 2019 ont officiellement mis
fin à la parenthèse ouverte par le
coup d’État de 2014, mais c’est l’ex­
général putschiste Prayuth qui
s’est fait désigner premier minis­
tre au terme d’un scrutin entaché
de graves irrégularités. Nombre de
ministres sont d’ex­généraux. Les
libertés civiles continuent d’être
très encadrées et l’opposition est
tenue en laisse. Cet entre­deux a
« Wanchalearm
connaissait
beaucoup
de choses sur
les relations entre
le palais et
l’armée », explique
un de ses amis
C’est la neuvième
victime de ces
« disparitions
forcées » liées au
régime thaïlandais,
depuis 2016
ravivé, en Thaïlande, un fort cou­
rant contestataire marqué par
l’opposition à la mainmise des mi­
litaires mais aussi, de manière de
moins en moins voilée, aux fras­
ques du nouveau roi, Maha
Vajiralongkorn dit Rama X, qui a
établi sa résidence en Allemagne,
où il a passé le confinement, et à
l’accaparement des richesses na­
tionales auquel se livre le palais,
protégé par des généraux ultra­
royalistes et des lois de lèse­ma­
jesté pouvant conduire jusqu’à
quinze ans d’emprisonnement.
« Vétérans de la lutte »
Wanchalearm était connu pour
ses commentaires satiriques pu­
bliés sur sa page Facebook. Il fai­
sait partie des centaines de per­
sonnes « convoquées » par la
junte en 2014. En 2018, la police
thaïlandaise avait publié un man­
dat d’arrêt contre lui en vertu de
la loi sur les crimes informatiques
pour désigner comme « fake
news » un de ses billets dénon­
çant la collusion entre l’armée et
la police locale avec les trafi­
quants de drogue. « Wanchalearm
connaissait beaucoup de choses
sur les relations entre le palais et
l’armée. Il disait qu’il ne se sentait
plus en sécurité et avait été suivi il
y a quelques mois à Phnom Penh »,
explique l’un de ses amis à Ban­
gkok qui préfère parler sous cou­
vert d’anonymat.
« Faire disparaître Wanchalearm,
c’est, comme dit le proverbe, tuer le
poulet pour faire peur aux singes.
Les singes, c’est nous, les militants
en exil en Europe », explique Jaran
Ditapichai, un dissident établi à
Paris et président de l’Association
des démocrates thaïlandais sans
frontières. « Les conseillers du roi
sont persuadés que nous sommes
responsables des actions de protes­
tation organisées contre le roi [en
Allemagne], nous les vétérans de la
lutte pour la démocratie. Or, c’est
beaucoup plus difficile et risqué de
s’attaquer à nous en Europe. Donc
ils s’en prennent à ceux qui sont en­
core en Asie », poursuit le militant.
L’hôtel de luxe occupé à l’année
par le roi de Thaïlande à Gar­
misch­Partenkirchen, en Bavière,
a été la cible de plusieurs actions
d’éclat organisées par l’ONG Pixel­
Helper, un réseau d’artistes mili­
tants, depuis le début du mois de
mai. L’une d’entre elles a consisté
à projeter sur la façade de l’hôtel
de gigantesques messages en
thaïlandais, en anglais et en alle­
mand, qui disaient, entre autres,
« La capitale de la Thaïlande n’est
plus Bangkok, mais Munich ».
L’ONG a agi après que le hashtag
#WhyDoWeNeedAKing (« pour­
quoi avons­nous besoin d’un
roi ? ») est devenu viral sur les ré­
seaux sociaux thaïlandais fin
mars quand les Thailandais ont
réalisé que le roi restait en Allema­
gne pendant la crise du Covid­19.
« Nous savons que le roi est extrê­
mement fâché contre ces actions.
Mais ce n’est pas cela qui a déclen­
ché l’enlèvement de Wancha­
learm », explique la militante Ju­
nya Yimprasert, qui collabore avec
PixelHelper et est basée en Eu­
rope. « Depuis 2016, tous les ans,
des exilés thaïlandais ont été kid­
nappés, il y a un plan systématique
de la part du pouvoir pour éliminer
les critiques, qu’il y ait ou pas ce
genre de protestations. » 
brice pedroletti
Trente­quatre ans après, la Suède
identifie l’assassin d’Olof Palme
Selon le procureur, l’assassin, Stig Engström, un graphiste mort en 2000,
était hostile au premier ministre social­démocrate
malmö (suède) ­
correspondante régionale
C
haque année, le 28 fé­
vrier, date anniversaire
de l’assassinat, en 1986,
du premier ministre
suédois Olof Palme, la police
ouvre un numéro vert pour re­
cueillir d’éventuelles informa­
tions concernant le meurtre.
Cette année n’a pas fait exception.
Pendant trente­quatre ans, les en­
quêteurs n’ont jamais abandonné
l’espoir de découvrir l’identité du
ou des assassins du leader social­
démocrate, dont il est dit, que le
jour de sa mort, la Suède « perdit
son innocence ».
En février dernier, le procureur
général, Krister Petersson, en
charge de l’enquête depuis 2017,
avait promis une « résolution pro­
che ». Mercredi 10 juin, lors d’une
conférence de presse, il a estimé
qu’il n’était « plus possible d’avan­
cer davantage » et que tout poin­
tait vers la culpabilité de Stig Engs­
tröm, baptisé « Skandiamannen »
− « l’homme de Skandia », la com­
pagnie d’assurances où il tra­
vaillait à quelques dizaines de mè­
tres du lieu du crime. Le procureur
a ajouté qu’« aucune preuve ne sug­
gère une conspiration », mais
qu’elle « ne peut pas être exclue ».
Pour les Suédois, ce n’est pas
complètement une surprise. De­
puis le début de l’enquête, son
nom revenait régulièrement. Gra­
phiste de 52 ans, politiquement
proche des conservateurs, Stig
Engström travaillait le soir du
meurtre. Il est sorti de son bureau
deux minutes avant l’assassinat
d’Olof Palme, qu’il détestait. Inter­
rogé par les policiers plus tard, il
s’est régulièrement contredit. En
Interrogations au Burundi sur les causes
du décès du président Pierre Nkurunziza
L’ex­chef rebelle pourrait avoir succombé au Covid­19, alors que le pays a refusé de confiner
P ierre Nkurunziza est­il le
premier dirigeant à périr
des suites du Covid­19 ?
Selon le communiqué publié
mardi 9 juin par la présidence du
Burundi, le chef de l’Etat est mort,
la veille, « à la suite d’un arrêt car­
diaque », à l’âge de 55 ans. L’an­
nonce officielle explique que, dans
la nuit du 6 au 7 juin, Pierre Nkuru­
nziza s’est rendu à l’hôpital de
Karuzi, dans le centre­est du pays,
pour se faire soigner à la suite d’un
malaise. Sa situation se serait amé­
liorée dimanche mais « à la très
grande surprise, dans l’avant­midi
du lundi 8 juin, son état de santé a
brusquement changé avec un arrêt
cardiaque. (…) Malgré une prise en
charge intense, continue et adap­
tée, l’équipe médicale n’a pas pu ré­
cupérer le patient. »
Un deuil national de sept jours a
été décrété après l’annonce de la
mort de celui qui s’était fait inves­
tir « guide suprême du patrio­
tisme » en mars. De sérieuses in­
terrogations surgissent sur les
raisons de son décès car, dans les
derniers jours de mai, l’épouse de
Pierre Nkurunziza a été transfé­
rée vers le Kenya en avion médi­
calisé et était suspectée d’avoir
contracté le Covid­19. Le gouver­
nement, qui avait prétendu que
« la grâce divine » protégeait le
Burundi de cette pandémie mon­
diale, a démenti.
Quand le monde entier vivait
confiné, le Burundi votait, priait,
mars 2018, le journaliste Thomas
Pettersson avait révélé que Stig
Engström, décédé en 2000, avait
non seulement accès à des armes à
feu, par un ami collectionneur
mais possédait aussi une expé­
rience du tir. Depuis, les enquê­
teurs avaient mené de nombreux
interrogatoires avec ses proches et
réalisé des prélèvements ADN.
L’arme du meurtre n’a cependant
jamais été retrouvée.
Stig Engström aurait croisé Olof
Palme et sa femme, dans la rue, en
début de soirée, quand le couple se
rendait au cinéma, sans garde du
corps. Il serait revenu, quelques
heures plus tard, avec une arme, à
la fin de la séance. Les témoins ont
raconté avoir vu un homme d’une
quarantaine d’années, mesurant
autour de 1,80 mètre et portant un
manteau. Le meurtrier marche
derrière le couple. Il tire deux
coups de feu. Il est 23 h 21. La pre­
mière balle tue Olof Palme. La se­
conde effleure sa femme.
L’homme s’évapore dans la nuit.
« Traumatisme national »
Les Suédois apprendront la mort
de leur premier ministre au petit
matin. « Ce fut un traumatisme na­
tional », constate son biographe,
Henrik Berggren. L’historien
avoue être plus intéressé par
l’homme que sa mort tragique. Né
en 1927, dans une famille bour­
geoise, Olof Palme s’engage au
sein du Parti social­démocrate à la
fin de ses études de droit. Il a
26 ans quand le premier ministre,
Tage Erlander, en fait l’un de ses
principaux conseillers. Il entre au
gouvernement dix ans plus tard.
A la tête du Parti social­démo­
crate depuis 1968, il avait été pre­
mier ministre entre 1969 et 1976,
jouait au football et déclarait
même, le 14 mai, persona non
grata quatre experts de l’Organi­
sation mondiale de la santé, dont
son représentant officiel à
Bujumbura, la capitale. Dès lors,
reconnaître que le président Nku­
runziza a succombé à cette mala­
die reviendrait à admettre que la
stratégie mise en œuvre a échoué.
Pis, que les rassemblements orga­
nisés durant la campagne pour
les élections générales, organi­
sées le 20 mai, ont certainement
contribué à propager le virus.
Ces scrutins ont également per­
mis l’élection, sans surprise, du
général Evariste Ndayishimiye, le
candidat du Conseil national
pour la défense de la démocratie­
Forces pour la défense de la dé­
mocratie (CNDD­FDD), le parti au
pouvoir. Successeur non désigné
par M. Nkurunziza, le nouvel élu
devrait, désormais, avoir les
mains plus libres pour mener à
bien la politique qu’il entend.
« Ce décès inattendu pourrait
accélérer le phénomène d’ouver­
ture suggéré par l’élection d’Eva­
riste Ndayishimiye et débloquer la
situation », estime Christian Thi­
bon, professeur à l’université de
Pau et ancien directeur de l’Insti­
tut français de recherche en Afri­
que. Selon le calendrier établi, le
général Ndayishimiye devrait en
théorie attendre jusqu’au 20 août
pour entrer en fonctions. D’après
l’article 121 de la Constitution, en
« Aucune preuve
ne suggère une
conspiration »,
mais elle « ne peut
pas être exclue »,
a affirmé
le procureur
avant de revenir à la direction du
gouvernement, en 1982. Il fait
adopter des réformes ambitieu­
ses, qui posent les fondements de
l’Etat­providence. Sur la scène in­
ternationale, il redéfinit la tradi­
tionnelle neutralité suédoise, en
faveur d’un engagement pour la
décolonisation et du désarme­
ment. Il prend partie contre l’apar­
theid et la guerre au Vietnam, en
faveur des mouvements contre les
dictatures en Amérique latine…
Ses ennemis sont nombreux.
Les suspects ne manquent pas,
tant à étranger qu’en Suède où la
haine à son égard atteint des som­
mets. On lui reproche son arro­
gance, sa brutalité dans les débats.
Dans certains cercles de droite, « il
était considéré comme un traître,
pour avoir rejoint le Parti social­dé­
mocrate et le mouvement ouvrier »,
selon Henrik Berggren.
Dès le départ, pourtant, l’en­
quête dérape. Les balles sont re­
trouvées par des passants. Cer­
tains témoins ne seront pas enten­
dus avant des mois. Le chef de la
police de Stockholm, Hans Hol­
mér, prend la direction de l’en­
quête. Il est convaincu de la culpa­
bilité du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK), classé comme or­
ganisation terroriste par Stoc­
kholm. Début 1987, il fait arrêter
cas de mort du président de la Ré­
publique en cours de mandat,
« l’intérim est assuré par le prési­
dent de l’Assemblée nationale ».
Or, la fonction est actuellement
occupée par Pascal Nyabenda,
un proche de Pierre Nkurunziza
et un dur du régime. Passé la
période de deuil, des luttes sont à
prévoir au sein du CNDD­FDD
entre les partisans d’une réou­
verture vers l’extérieur et ceux
tentés de maintenir la voie tracée
par le défunt.
Fervent évangélique
Chef rebelle avant de devenir chef
d’Etat, fan de football qu’il prati­
quait quotidiennement avec son
club, le Haleluya Football Club, et
fervent évangélique se plaisant à
mélanger rassemblements politi­
ques et prières publiques, Pierre
Nkurunziza aura d’une certaine
manière incarné le dévoiement
d’une espérance.
Enfant lors des massacres de
1972, lorsqu’une tentative d’insur­
rection menée par des soldats
hutu (qui sont majoritaires au
pays) fut violemment réprimée
par l’armée (principalement
tutsi) – environ 100 000 morts –,
il entre en rébellion en 1995 après
avoir échappé à un attentat
à l’université de Bujumbura où il
enseignait le sport. Il prend par la
suite la tête du groupe d’insurgés
le plus important du pays, le
CNDD­FDD, et accède au pou­
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
vingt­deux de ses militants réfu­
giés en Suède. Tous sont relâchés.
Hans Holmér démissionne.
L’enquête repart à zéro. Christer
Pettersson, un délinquant, con­
damné pour un meurtre à l’arme
blanche seize ans plus tôt, devient
le principal suspect. En 1989, il est
condamné en première instance,
grâce à au témoignage de Lisbeth
Palme. Mais la fiabilité de son
identification est mise en cause, et
Christer Pettersson est relaxé. Jus­
qu’à sa mort, le 18 octobre 2018,
Lisbeth Palme n’a jamais douté.
« Sa disparition a peut­être relancé
l’enquête, en permettant d’envisa­
ger d’autres suspects », avance le
journaliste Gunnar Wall, auteur de
plusieurs ouvrages sur le meurtre.
De nombreuses pistes ont été
étudiées, du rôle de la CIA, à un
complot au sein de la police sué­
doise, en passant par le régime
d’apartheid d’Afrique du Sud…
Olof Palme soutenait activement
l’ANC. Devant la Commission de
vérité et de réconciliation en 1996,
Eugene de Koch, le chef de la police
d’apartheid, avait admis la respon­
sabilité de ses services. En mars,
les enquêteurs se sont rendus une
dernière fois à Pretoria.
En 2010, les députés avaient levé
la prescription. Le gouvernement
suédois a promis une récompense
de 50 millions de couronnes
(5 millions d’euros) pour toute in­
formation permettant d’aboutir à
une condamnation. Des dizaines
de journalistes et détectives ont
tenté d’élucider le meurtre. Ils es­
péraient, mercredi, des preuves
techniques, permettant d’étayer
les conclusions du procureur gé­
néral. En leur absence, les spécula­
tions devraient continuer. 
anne­françoise hivert
voir en 2005. Après une guerre ci­
vile de près de dix ans et
300 000 morts, le Burundi expé­
rimente alors un partage des res­
ponsabilités entre toutes les com­
posantes ethniques du pays. L’ac­
cord signé à Arusha sous l’auto­
rité du médiateur sud­africain
Nelson Mandela prévoyait aussi
que le président n’a droit « qu’à
deux mandats ».
Tout cela, Pierre Nkurunziza
tentera de le balayer en 2015 en
imposant par la violence sa candi­
dature pour un troisième quin­
quennat. L’esprit de l’accord de
paix est mis à mal ; le président
sortant est reconduit, mais le
Burundi s’isole. Aux exactions
commises par les Imbonerakure,
les jeunes du parti au pouvoir,
s’ajoutent la crise économique et
la fuite de milliers de réfugiés bu­
rundais vers les pays voisins.
Sa mort inattendue redorera­t­
elle son image ? Ses funérailles ne
devraient attirer aucune person­
nalité de renom. Mais il sera inté­
ressant d’observer si les partici­
pants se présentent le visage cou­
vert ou s’ils adhérent à la
croyance de Pierre Nkurunziza,
selon laquelle « nous pouvons
nous réunir sans masque, car Dieu
purifie l’air ». 
cyril bensimon
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 PLANÈTE
8|
C R I S E   S A N I TA I R E
Covid : ouverture d’une vaste enquête judiciaire
Les chefs d’« homicides involontaires » et de « mise en danger de la vie d’autrui » sont notamment visés
L
a crise sanitaire due au
nouveau coronavirus
prend désormais une
tournure judiciaire. Dans
un communiqué diffusé mardi
9 juin, le procureur de la Républi­
que de Paris, Rémy Heitz, a an­
noncé l’ouverture lundi d’une
vaste enquête préliminaire sur la
gestion de la crise du Covid­19 en
France visant les chefs d’« homici­
des involontaires », de « blessures
involontaires », de « mise en danger
de la vie d’autrui », d’« abstention
volontaire de combattre un sinis­
tre » et de « non­assistance à per­
sonne en péril ».
Celle­ci, baptisée pour l’occasion
« enquête chapeau » et confiée à
l’Office central de lutte contre les
atteintes à l’environnement et à la
santé publique (Oclaesp), doit re­
grouper treize procédures consa­
crées aux plaintes d’associations
ou d’organisations syndicales, et
une quatorzième englobant tren­
te­trois plaintes émanant, pour
une grande majorité, de particu­
liers. Depuis le 24 mars, une se­
maine après la mise en place du
confinement, le parquet de Paris
a reçu 62 plaintes mettant en
cause, pour l’essentiel, la gestion
de la crise sanitaire par « différen­
tes instances, structures ou dépar­
tements ministériels ainsi que des
responsables administratifs, déci­
deurs publics », selon le communi­
qué du procureur de Paris.
« Eventuelles infractions pénales »
Ce dernier a toutefois tenu à préci­
ser auprès de l’Agence France­
Presse que cette enquête « n’est pas
là pour définir des responsabilités
politiques ou administratives, mais
pour mettre au jour d’éventuelles
infractions pénales » de décideurs
nationaux. Il a par ailleurs affirmé
que si des fautes pénales sont mi­
ses au jour, « ce seront très proba­
blement − c’est une hypothèse − des
fautes non intentionnelles ».
Dans une interprétation restric­
tive de la séparation des pouvoirs,
le ministère de la justice avait lui­
même demandé, le 19 mai, aux
procureurs d’être attentifs aux
conditions d’engagement de la
responsabilité des décideurs pu­
blics et privés. « Leur action ne doit
pas être paralysée par le risque de
voir leur responsabilité pénale en­
gagée dans des conditions excessi­
ves », écrivait ainsi la directrice des
affaires criminelles et des grâces,
Catherine Pignon, dans un cour­
riel adressé à l’ensemble des pro­
cureurs généraux et des procu­
Les Français respectent moins bien les gestes barrières
L’épidémie de Covid­19 reste en tête des préoccupations, selon le baromètre Datacovid­Ipsos, mais l’économie inquiète de plus en plus
A lors que les hôpitaux se
sont vidés, que les rues
grouillent à nouveau, que
la vie reprend ses droits, comment
ne pas baisser la garde ? « Si jamais
l’épidémie reprend dans quelques
semaines, on pourra dire que cette
vague du Datacovid a été prémoni­
toire… », observe Brice Teinturier,
le directeur général délégué de
l’institut Ipsos.
Semaine après semaine, le baro­
mètre créé par l’association Data­
covid avec Ipsos, à partir d’un
échantillon de 5 000 personnes
représentatives de la population,
permet de scruter le comporte­
ment des Français face à la crise du
Covid­19. Les résultats de la sep­
tième vague, qui va de la période
du 26 au 31 mai, montrent un net
relâchement, tant dans la peur vis­
Le premier
ministre,
Edouard
Philippe, et le
ministre des
solidarités et de
la santé, Olivier
Véran (à gauche),
lors du
lancement du
Ségur de la
santé, à Paris,
le 25 mai. MICHEL
EULER/REUTERS
reurs de la République. Cette der­
nière avait ainsi rappelé les termes
de la loi dite « Fauchon », du
10 juillet 2000, encadrant les délits
non intentionnels et l’article 121­3
du code pénal en indiquant que,
par conséquent, les personnes
ayant commis une violation ma­
nifestement délibérée d’une obli­
gation de prudence ou de sécurité
ou celles ayant commis une faute
caractérisée exposant autrui à un
risque d’une particulière gravité
qu’elles ne pouvaient ignorer ne
pourront être mises en cause
qu’en cas de « faute d’une particu­
lière intensité ». Un appel à la pru­
dence pour les autorités de pour­
suite qui pourrait toutefois laisser
libre cours aux interprétations
quant à la définition de « l’inten­
sité » en question.
Dans un communiqué diffusé
sur Twitter, le collectif inter­urgen­
ces a annoncé son intention de dé­
poser une plainte avec constitu­
tion de partie civile le 28 juin afin
d’obtenir la saisine d’un juge d’ins­
truction. « L’ampleur de cette crise
à­vis de l’épidémie que dans le res­
pect des fameux gestes barrières.
Priés de choisir les trois sujets les
plus « préoccupants » dans une
liste de dix propositions, les son­
dés placent l’épidémie en tête
(56 %), mais ce chiffre décroche
brutalement (– 10 points). Les su­
jets économiques, eux, redressent
la tête. Le pouvoir d’achat (36 %, +
2 points), les inégalités sociales
(27 %, + 1 point), le chômage (27 %, +
2 points) indiquent une inquié­
tude grandissante sur ce front­là.
Le respect des gestes barrières
pour se protéger du coronavirus
est à l’avenant. La proportion des
Français qui affirme ne pas se ser­
rer la main et ne pas s’embrasser
(« tout le temps » et « souvent »),
par exemple, marque le pas (90 %,
– 4 points). Celle de ceux qui res­
et des questions qui restent en sus­
pens, comme sur les pénuries de
matériel et l’exposition des person­
nels, nécessite une instruction ap­
profondie menée par un juge indé­
pendant et non par le parquet pour
être à la hauteur des enjeux soule­
vés », écrit­il.
Si des ministres venaient à être
mis en cause par des éléments re­
cueillis au cours des différentes
enquêtes, le parquet de Paris
aurait alors à charge de transmet­
tre ces éléments à la Cour de jus­
tice de la République (CJR) − dont
le chef de l’Etat, Emmanuel
Macron, avait promis la suppres­
sion −, seule habilitée à juger des
ministres pour des faits s’étant
produits au cours de leur mission
gouvernementale.
De son côté, la CJR assure avoir
reçu 84 plaintes à ce jour visant
notamment le premier ministre,
Edouard Philippe, les ministres de
la santé, de l’intérieur, du travail et
de la justice. Certaines ciblent
aussi Marisol Touraine, ministre
des affaires sociales et de la santé
pectent le mètre de distance re­
commandé avec des personnes
rencontrées hors foyer aussi
(86 %, – 5 points).
La part de travail de chaque Fran­
çais dans l’endiguement de l’épi­
démie va ainsi diminuant. Deux
gestes, cependant, échappent à la
tendance au relâchement : utiliser
du gel hydroalcoolique (70 %, + 3
points) et porter un masque (69 %,
+ 5 points). L’usage de cette protec­
tion, d’abord jugée inutile, est en
hausse constante depuis que le
discours des autorités a changé et
depuis qu’elle est disponible.
Cette septième vague du baro­
mètre Datacovid s’attarde aussi
sur le rapport des Français aux
autres. Soumis à deux affirma­
tions (« 0n peut faire confiance à la
plupart des gens » et « On n’est ja­
PLUSIEURS PLAINTES  de Paris, avaient été transmises à
VISENT LE PREMIER  la brigade de répression de la dé­
MINISTRE, LES MINISTRES  et aux commissariats d’arrondis­
DE LA SANTÉ, DE  les faits de « mise en danger de la
L’INTÉRIEUR, DU TRAVAIL  elles, les faits d’homicides invo­
ET DE LA JUSTICE
de 2012 à 2017, sous la présidence
de François Hollande. La CJR de­
vrait communiquer à la fin du
mois de juin sur les suites qu’elle
entend donner à ces plaintes. Dans
le même temps, les auditions des
différents responsables devraient
débuter devant les commissions
d’enquête parlementaire.
Le parquet de Paris a par ailleurs
fait savoir que trois plaintes dépo­
sées par des familles ayant des
proches en établissement d’hé­
bergement pour personnes âgées
dépendantes (Ehpad), dans des
résidences situées notamment
mais assez prudent quand on a af­
faire aux autres »), les sondés choi­
sissent la seconde à une écrasante
majorité de 80 %.
« Altérophobie »
L’épidémie de Covid­19 n’a pas
permis de retisser des liens de con­
fiance. « C’est un indicateur que l’on
suit depuis longtemps, qui avait
baissé lors de l’élection d’Emma­
nuel Macron, et qui retrouve un ni­
veau historiquement haut. Les
Français sont dans l’altérophobie et
ça nous singularise par rapport aux
autres pays », pointe M. Teinturier.
Enfin, ce sondage permet de
comprendre l’une des raisons de
la popularité de Didier Raoult,
l’infectiologue marseillais qui
préconise l’usage de l’hydroxy­
chloroquine pour lutter contre le
dans les 9e et 12e arrondissements
linquance aux personnes (BRDP)
sement. Elles visent notamment
vie d’autrui » et, pour l’une d’entre
lontaires et de non­assistance à
personne en péril. Des enquêtes
similaires visant des Ehpad ont
déjà été ouvertes par les parquets
de Grasse (Alpes­Maritimes) et de
Nanterre.
Ce même mardi 9 juin, plusieurs
médecins s’étaient réunis dans le
7e arrondissement de Paris pour
annoncer, lors d’une conférence
de presse, le dépôt « imminent »
d’une plainte pour « abus de
droit », « abstention volontaire de
combattre un sinistre » et « mise en
danger délibérée de la vie d’autrui »
contre Edouard Philippe, le minis­
tre de la santé Olivier Véran, sa pré­
décesseure avenue de Ségur,
Agnès Buzyn, et l’actuel directeur
général de la santé, Jérôme Salo­
Covid­19. Une part importante de
Français (42 %) – elle n’est pas ma­
joritaire, cependant – estime que
« les médecins doivent pouvoir
prescrire des médicaments suscep­
tibles de combattre le virus même
si leur efficacité n’a pas été prouvée
scientifiquement ».
Entre politiques et scientifiques,
pour régler les problèmes sanitai­
res, les Français tranchent sans
hésiter en faveur des seconds. Mis
face à deux propositions (« C’est
aux scientifiques de dire quelles
mesures doivent être prises pour
lutter contre l’épidémie et le gou­
vernement doit les appliquer le
plus strictement possible » et
« C’est au gouvernement seul de
décider des mesures qui doivent
être prises pour lutter contre l’épi­
démie, même si elles ne suivent pas
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
mon. Revendiquant près de cin­
quante signataires, l’un des initia­
teurs de la démarche, le docteur
François Paraire, a affirmé que
« l’indépendance professionnelle
des soignants, la liberté de prescrip­
tion et la déontologie médicale ont
été attaquées au cours de l’épidé­
mie ». Son confrère Jean­Louis
Chabernaud, pédiatre à Clamart, a
ensuite dénoncé « une faillite to­
tale de l’Etat sur les masques, les
réactifs, les tests et les problémati­
ques relatives à la prise en charge
des patients lourds ».
Alors que la France était l’un des
pays les mieux dotés en masques
en 2010, les stocks n’ont pas été re­
nouvelés et la parole gouverne­
mentale a varié sur la nécessité
pour la population d’en porter.
Contrairement à certains voisins
européens comme l’Allemagne, la
France s’est par ailleurs illustrée
par ses difficultés à mettre en
place des tests à grande échelle, qui
auraient permis de casser plus tôt
les chaînes de contamination. 
simon piel
les mesures préconisées par les
scientifiques »), ils plébiscitent la
première, à 87 %.
Ce soutien ne va cependant pas
sans bémols – et sans contradic­
tions. Ainsi, 73 % des sondés esti­
ment que « les chercheurs servent
trop souvent les intérêts de l’indus­
trie, notamment pharmaceuti­
que »… tout en affirmant à 86 %
que « les chercheurs sont des gens
dévoués, qui travaillent pour le
bien de l’humanité ».
Globalement, la crise du Co­
vid­19 a eu un impact plutôt neu­
tre sur la confiance accordée à la
science et aux scientifiques, selon
cette étude d’opinion. « On aurait
pu penser que leur crédibilité en se­
rait renforcée, ce n’est pas le cas »,
pointe M. Teinturier. 
pierre jaxel­truer
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
Etat d’urgence sanitaire :
l’exécutif veut maintenir
des mesures provisoires
Le gouvernement souhaite mettre fin au régime
en vigueur depuis mars en octroyant, pour quatre
mois, des pouvoirs exceptionnels à Edouard Philippe
L es macronistes y verront
une nouvelle démonstra­
tion du « en même temps »
de leur champion. L’opposition
une nouvelle atteinte aux libertés.
Le gouvernement a décidé de ne
pas prolonger au­delà du 10 juillet
l’état d’urgence sanitaire, mis en
place le 23 mars pour lutter contre
l’épidémie de Covid­19 et prolongé
le 11 mai pour une durée de deux
mois. Mais un nouveau projet de
loi reprenant un certain nombre
de ses dispositions sera présenté
en conseil des ministres, mercredi
10 juin, avant d’être examiné à par­
tir du 17 juin à l’Assemblée natio­
nale, puis au Sénat.
« Compte tenu de l’évolution, à ce
stade, positive de la situation sani­
taire, le gouvernement souhaite
mettre un terme à l’état d’urgence
sanitaire, qui doit demeurer un ré­
gime d’exception. Pour autant,
cette sortie (…) doit être organisée
rigoureusement et progressive­
ment, afin de continuer à protéger
les Français face à un virus qui cir­
cule encore en France, et peut justi­
fier dans les semaines ou mois pro­
chains la poursuite voire, si néces­
saire, le renforcement de certaines
mesures actuellement en vigueur »,
explique­t­on à Matignon.
Concrètement, ce nouveau pro­
jet de loi, qui était encore examiné
au Conseil d’Etat mardi, permettra
au premier ministre, Edouard Phi­
lippe, de restreindre les libertés
au­delà du 10 juillet, et ce durant
une période de quatre mois. Selon
Matignon, l’exécutif pourra no­
tamment, s’il l’estime nécessaire,
« réglementer ou interdire la circu­
lation des personnes et des véhicu­
les », ainsi que « l’accès aux moyens
de transport et les conditions de
leur usage ». L’obligation de port
du masque dans les transports pu­
blics pourrait notamment être
prolongée.
Ce texte donnera au premier
ministre « la possibilité d’ordon­
ner la fermeture provisoire et de ré­
glementer l’ouverture, y compris
les conditions d’accès et de pré­
sence, d’une ou plusieurs catégo­
ries d’établissements recevant du
public ainsi que des lieux de réu­
nion avec une jauge maximale »,
indique­t­on à Matignon. Cette
mesure pourrait notamment
s’appliquer aux salles de specta­
cle, aux restaurants, aux cinémas,
aux centres de congrès, aux cen­
tres commerciaux, etc.
« Interdire les rassemblements »
Si ce projet de loi est adopté par le
Parlement, le gouvernement aura
la possibilité de « limiter ou d’inter­
dire les rassemblements sur la voie
publique ainsi que les réunions de
toute nature », pour une durée de
quatre mois à l’issue de l’état d’ur­
gence sanitaire, soit jusqu’au
10 novembre. Une mesure qui sus­
cite l’interrogation, alors que les
manifestations contre le racisme
et les violences policières se multi­
plient ces derniers jours, malgré
les interdictions ordonnées par la
Préfecture de police de Paris.
Différence notable avec l’état
d’urgence sanitaire, l’exécutif ne
pourra pas décider un nouveau
confinement strict, avec interdic­
tion de sortie du domicile. « Si une
aggravation générale ou localisée
de la situation devait justifier des
mesures plus restrictives de liberté,
le gouvernement devrait alors re­
courir à nouveau à l’état d’urgence
sanitaire, lequel pourrait être remis
en vigueur, sur tout ou partie du
territoire, par un décret en conseil
des ministres », précise­t­on dans
l’entourage d’Edouard Philippe.
L’EXÉCUTIF NE POURRA 
PAS DÉCIDER 
D’UN NOUVEAU  le train des solutions pour une
CONFINEMENT STRICT, 
AVEC INTERDICTION  consacré aux « obstacles à l’inves­
DE SORTIE DE DOMICILE
Contrairement à la façon dont
Emmanuel Macron avait orga­
nisé la sortie de l’état d’urgence
décrété en 2015 pour lutter contre
le terrorisme, le gouvernement
ne choisit pas de faire entrer dans
le droit commun des mesures
d’exception. Cette fois, il s’agit de
confier au premier ministre, pour
quatre mois seulement, la possi­
bilité de recourir à certaines dis­
positions de l’état d’urgence sani­
taire. Mais la France reste bel et
bien pour quatre mois supplé­
mentaires dans un dispositif dé­
rogatoire au droit commun, en
confiant à l’exécutif des pouvoirs
exceptionnels.
Certaines dispositions intro­
duites à l’occasion de la loi proro­
geant l’état d’urgence sanitaire
sont déjà entrées dans le droit
commun, comme les mesures
relatives à l’isolement ou à la
quarantaine. Plus qu’une sortie
progressive de l’état d’urgence, le
projet du gouvernement ressem­
ble à une prolongation de ce­
lui­ci, avec quelques outils en
moins, comme le confinement
général du pays.
Décision saluée dans la majorité
« La sortie de l’état d’urgence sani­
taire a un effet symbolique fort, es­
time Serge Slama, professeur de
droit public à l’université Greno­
ble­Alpes, même si le dispositif res­
semble à un état d’urgence light. »
Pour ce spécialiste des libertés pu­
bliques, le gouvernement aurait
pu choisir de prolonger l’état d’ur­
gence pour deux mois supplé­
mentaires. Sa décision est donc à
saluer. « Mais le risque que certai­
nes mesures dérogatoires finissent
dans le droit commun existe, il faut
rester vigilant. » Pour M. Slama,
l’un des éléments à surveiller est le
régime de sanctions pénales pré­
vues en cas de non­respect de ces
mesures. L’un des aspects les plus
contestés de l’état d’urgence sani­
taire était la création d’infractions
nouvelles, juridiquement fragiles.
Elles sont l’objet de procédures de­
vant le Conseil constitutionnel.
Pour éviter les procès en autori­
tarisme, Edouard Philippe assure
que ce texte doit permettre d’orga­
niser « de façon progressive » la
sortie de l’état d’urgence sanitaire,
et que celle­ci se fera « sous le con­
trôle du Parlement, qui sera in­
formé, dans les mêmes conditions
que pendant l’état d’urgence sani­
taire, des mesures prises par le gou­
vernement ».
Mardi, cette décision de rempla­
cer l’état d’urgence sanitaire par
un texte de loi ordinaire était sa­
luée dans la majorité. « L’état d’ur­
gence est un état d’exception. Et, en
démocratie, l’exception ne peut de­
venir la règle », a ainsi tweeté Hu­
gues Renson, député (La Républi­
que en marche) de Paris, disant se
réjouir « de la décision de ne pas
proroger l’état d’urgence sanitaire
au­delà du 10 juillet ». « Le droit
commun permettra la vigilance in­
dispensable pour contenir le virus »,
ajoute le vice­président de l’As­
semblée nationale. 
jean­baptiste jacquin
et cédric pietralunga
Des financements en Afrique
de la Fondation Gates critiqués
Selon des experts indépendants, un modèle agricole intensif
est encouragé, au détriment de l’environnement et de la qualité
S
i Bill Gates fait figure de
visionnaire en ayant mis
en garde en 2015 sur les
risques imminents de
pandémie, il semble que la capa­
cité de sa fondation [par ailleurs
partenaire et contributrice finan­
cière au Monde Afrique] à prendre
agriculture plus durable subisse
un important retard.
C’est la conclusion du rapport
tissement dans la recherche agroé­
cologique pour l’Afrique » publié
mercredi 10 juin par le groupe in­
ternational d’experts indépen­
dants sur les systèmes alimen­
taires durables (IPES­Food), avec la
Fondation suisse Biovision et l’Ins­
titute of Development Studies.
« Alors que, depuis dix ans, nous
assistons à une prise de conscience
croissante en faveur de l’agroéco­
logie, y compris par l’Organisation
des Nations unies pour l’agricul­
ture et l’alimentation [FAO], nous
constatons que les investisse­
ments dans la recherche agricole
continuent de soutenir massi­
vement un modèle industriel dé­
passé pour relever les défis envi­
ronnementaux et assurer la
sécurité alimentaire. La Fondation
Bill et Melinda Gates [FBMG] en
tant qu’acteur très influent dans ce
domaine illustre cette réalité »,
déplore Olivier De Schutter, vice­
président d’IPES­Food, qui réunit
des scientifiques et des repré­
sentants de la société civile de
dix­huit pays.
Olivier De Schutter, qui fut aupa­
ravant rapporteur spécial des Na­
tions unies pour le droit à l’alimen­
tation, est un défenseur de longue
date de l’agroécologie, qui permet
de produire en utilisant moins
d’intrants chimiques, de protéger
la biodiversité et la fertilité des
En Ile­de­France, le retour de la pollution de l’air
La reprise des activités et du trafic automobile entraîne une remontée des polluants
S ur le front de la pollution de
l’air, le monde d’après le
Covid­19 risque fort de res­
sembler au monde d’avant. Un
premier bilan post­déconfine­
ment, publié mercredi 10 juin par
Airparif, l’organisme chargé de la
surveillance de la qualité de l’air en
Ile­de­France, montre un retour
progressif aux niveaux d’avant la
crise sanitaire et laisse augurer
que la nette amélioration obser­
vée pendant que la France était
confinée n’était qu’une respira­
tion éphémère. Des études simi­
laires devraient confirmer ces ré­
sultats dans les autres régions
dans les prochains jours.
La reprise des activités, et parti­
culièrement du trafic, a conduit à
une remontée des quantités de
polluants rejetés dans l’atmos­
phère à des niveaux équivalents à
80 % des émissions observées
avant le confinement, analyse Air­
parif. Et jusqu’à 90 % pour le bou­
levard périphérique, l’axe le plus
emprunté. Ce constat concerne les
deux principaux polluants : les
oxydes d’azote (NOX), émis princi­
palement par le trafic routier, et
les particules – PM10, de diamètre
inférieur à 10 micromètres (µm) et
PM2.5, inférieures à 2,5 µm. Il est
également valable pour les émis­
sions de dioxyde de carbone (CO2),
reparties à la hausse avec une aug­
mentation jusqu’à 80 % des ni­
veaux habituels. A l’échelle de l’ag­
glomération parisienne, la baisse
sols, tout en assurant aux paysans
une alimentation plus diversifiée
et de meilleure qualité.
Le rapport a cherché à compren­
dre les raisons d’un tel blocage en
retraçant l’origine des flux finan­
ciers mis à la disposition des cen­
tres de recherches publics et privés
par les grands donateurs. La re­
cherche en Afrique dépend encore
largement de financements exté­
rieurs. Si les institutions multilaté­
rales comme la Banque mondiale
assurent les plus gros budgets, les
fondations philanthropiques, et la
FBMG au premier rang d’entre el­
les, jouent « un rôle désormais cru­
cial aux côtés des gouvernements
et des organisations internationa­
les », selon les auteurs.
« Sortir de la pauvreté »
L’évaluation des projets de recher­
che sur le développement de
l’agriculture africaine conduit
ainsi à constater que 63 % des fi­
nancements alloués ne servent
qu’à « conforter les systèmes exis­
tants » fondés sur l’intensification
des modes de production et l’inté­
gration aux marchés. Cela est en­
core plus vrai dans le cas de la Fon­
dation Gates avec un pourcentage
qui atteint 85 %. Seuls 3 % des pro­
jets de recherche soutenus par elle
ciblent l’agroécologie. Ces résul­
tats s’appuient sur les critères pro­
posés par la FAO pour évaluer la
transition des systèmes agricoles
vers des modèles de production
plus durables.
La philosophie de la fondation
est de permettre « aux petits pay­
sans de passer d’une agriculture de
subsistance à une production com­
merciale générant un surcroît de
revenus qui leur permette de sortir
de la pauvreté. Cela conduit à valo­
riser des solutions technologiques
et à concentrer tous les efforts de la
observée des concentrations de
dioxyde d’azote (NO2) est passée
de – 25 % pendant le confinement
à – 15 % sur les trois premières se­
maines de déconfinement.
Pour les PM10 et PM2.5, l’impact
a été moins marqué : après une di­
minution de 7 % pendant le confi­
nement, les niveaux observés ha­
bituellement à cette période de
l’année sont d’ores et déjà atteints.
Plusieurs raisons à cela : des condi­
tions météorologiques propices à
la formation et au transport des
particules et des sources d’émis­
sion comme les épandages agrico­
les qui n’ont pas faibli pendant le
confinement, à la différence du
trafic automobile.
Limiter la ruée vers la voiture
Concernant la principale source
de pollution en Ile­de­France, le
trafic routier, les émissions de
NOx et de particules ont connu
« une chute brutale et sans précé­
dent » pendant le confinement, re­
lève Airparif, avec des valeurs « di­
visées par 4 » par rapport aux ni­
veaux préconfinement (date de
référence au 9 mars). Au contraire,
l’impact du déconfinement est
« bien plus progressif », avec une re­
prise graduelle des activités et
donc du trafic qui engendre une
« remontée » tout aussi progres­
sive de la pollution d’origine auto­
mobile, même si un retour à la
« normale » est déjà constaté cer­
tains jours sur le périphérique.
« Les solutions
pour l’Asie dans
les années 1960-
1970 ne peuvent
être les mêmes
pour l’Afrique
aujourd’hui »
OLIVIER DE SCHUTTER
vice-président d’IPES-Food
recherche sur l’amélioration des se­
mences, le rendement du bétail, le
développement de vaccins sans ré­
férence à l’environnement ou à la
durabilité de tels modèles »,
résument les auteurs.
La fondation, qui débourse en
moyenne 400 millions de dollars
(350 millions d’euros) par an pour
le développement agricole en Afri­
que, exerce notamment son in­
fluence à travers l’Alliance pour
une révolution verte en Afrique
(AGRA), dont elle est l’un des
bailleurs. « Cette coalition, à la­
quelle collaborent aussi de grandes
entreprises du secteur agro­indus­
triel, joue un rôle très important à
travers les partenariats tissés avec
les gouvernements », pointe Olivier
De Schutter. Mais « les solutions
imaginées pour l’Asie dans les an­
nées 1960­1970 ne peuvent être les
mêmes pour l’Afrique aujourd’hui.
C’est le message que nous essayons
de faire passer », poursuit­il.
Il ressort aussi du rapport que la
culture du résultat rapide et
mesurable qui guide les investis­
sements de la fondation n’encou­
rage pas au soutien de la recher­
che sur l’agroécologie. « La Fonda­
tion Gates réfléchit sur l’agricul­
ture comme sur la santé. Elle veut
des solutions réplicables à grande
Cette progressivité s’explique, se­
lon Airparif, par les mesures tou­
jours en vigueur lors de la pre­
mière phase de déconfinement,
comme l’incitation au télétravail
ou l’interdiction (levée le 2 juin)
des déplacements au­delà de
100 kilomètres sans motif impé­
rieux. Les aménagements de
pistes cyclables temporaires dans
certaines villes, et notamment à
Paris, ont aussi permis de limiter
la ruée vers la voiture, estime
l’organisme.
L’association Le Mouvement
vient de lancer une plate­forme
qui cartographie ces « coronapis­
tes » dans 75 villes. Elle demande
aux maires et aux candidats aux
élections municipales de les ren­
dre permanentes. Selon un son­
dage réalisé par l’ONG euro­
péenne Transport & Environ­
ment et dont les résultats doivent
être publiés jeudi 11 juin, ces amé­
nagements en faveur des mobili­
tés dites douces sont largement
plébiscités par les Français.
La partie française de l’enquête a
été menée entre le 14 mai et le
21 mai auprès d’un échantillon de
1 000 personnes dans six métro­
poles : Paris, Marseille, Lyon, Tou­
louse, Nice et Lille. Une très large
majorité de ces urbains (71 %)
a ressenti une amélioration de la
qualité de l’air pendant le confine­
ment et ne veut pas d’un retour à
la situation antérieure. Les opi­
nions varient selon les villes avec
planète | 9
échelle. Mais une semence n’est
pas un vaccin. Son succès est étroi­
tement lié à un contexte local »,
rappelle encore l’ancien rappor­
teur au droit à l’alimentation.
Une science participative
La transition vers l’agroécologie
suppose d’investir dans une re­
cherche plus complexe et plus
ouverte aux solutions proposées
par les petits agriculteurs locaux,
de s’intéresser aux conséquences
sociales des systèmes de produc­
tion. Une forme de science partici­
pative pour laquelle la Fondation
Gates comme la plupart des
autres bailleurs ne sont pas jus­
qu’à présent équipés. Néanmoins,
certains pays, comme la Suisse,
ont déjà pris le tournant. Plus de la
moitié de ses financements béné­
ficient à l’agroécologie.
Contactée par Le Monde Afrique,
la Fondation Gates indique que,
n’ayant pu consulter le rapport, il
ne lui est pas possible d’en com­
menter ses conclusions. Elle pré­
cise toutefois que, « dans son tra­
vail en Afrique, la fondation a pour
vocation de soutenir de manière
inclusive et durable les moyens de
subsistance des petits exploitants,
en étant adaptée à leurs besoins et
aux contextes locaux ». Elle ajoute
que, pour promouvoir des solu­
tions urgentes d’adaptation au
changement climatique, « la Com­
mission mondiale sur l’adaptation,
coprésidée par Bill Gates, a re­
connu l’importance d’investir da­
vantage de ressources dans la re­
cherche agricole et d’assurer une
variété d’approches, y compris
agroécologiques ». 
laurence caramel
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
79 % à Marseille, 73 % à Paris, et
seulement 58 % à Toulouse. Les
sondés souhaitent aussi des me­
sures capables de mieux les proté­
ger contre la pollution de l’air, res­
ponsable chaque année, en
France, de 48 000 à 67 000 dé­
cès prématurés.
« Transformer nos villes »
Ainsi, 72 % se disent ainsi favora­
bles à l’interdiction des voitures
polluantes en centre­ville et no­
tamment à l’introduction de zo­
nes zéro émission ; une propor­
tion qui monte à 78 % à Marseille
qui, contrairement à Paris, ne s’est
pas encore engagée dans cette
voie. La plupart des Parisiens
(75 %) sont favorables à un nou­
veau partage de l’espace public,
avec une place accrue pour les pié­
tons (73 %), les pistes cyclables
(63 %) et les transports en com­
mun (65 %). Les chiffres sont simi­
laires dans les autres villes, avec
78 % en faveur du vélo à Toulouse,
76 % pour les piétons à Nice.
« Pendant le confinement, cha­
cun a pu goûter à un air pur et à des
rues silencieuses, commente Oli­
vier Blond, le président de l’asso­
ciation Respire. La crise a modifié
profondément les comportements
et créé des conditions uniques pour
transformer nos villes. Les élus et
futurs élus doivent désormais s’en
saisir pour améliorer le quotidien
de leurs concitoyens. » 
stéphane mandard
 FRANCE
0123
10 | JEUDI 11 JUIN 2020

INÉGALITÉS

Combien gagnent les riches ? Quel est leur patrimoine ?

Le débat sur 
Niveau de vie mensuel minimum, en 2017, Patrimoine minimum en euros
en euros
Revenu disponible pour une personne, après impôts Patrimoine brut par ménage, sauf pour les grandes
et prestations sociales. fortunes (valeur nette fiscale, endettement et
abattements déduits).

la taxation des 
Catégories aisées Part dans l’ensemble
3 070
selon l’Insee (2014) des ménages
Seuil de richesse
Double du patrimoine médian
selon l’Observatoire 23 %
Les 10 % les plus riches 3 184 des inégalités 320 000 € soit 6,7 millions
Double du niveau de vie de ménagess
3 470

plus riches fait 
médian
Triple du patrimoine médian 16 %
3 950 soit 4,6 millions
Les 5 % les plus riches 490 000 € de ménages

Les 1 % les plus riches* 6 650 Les 10 % les plus fortunés 10 %

soit 2,9 millions
Niveau de vie minimum

son grand retour
607 700 € de ménages
de 100 000 euros par an 8 333

Les 0,1 % les plus riches* 14 800 Millionnaires 4%

1 000 000 € soit 1,2 million
Les 0,01 % les plus 38 500 de ménages
riches*
Après une crise sanitaire qui a valorisé *2015
Grandes fortunes (imposées à l’ISF) 1,2 %
le rôle des salariés modestes et fait Le seuil de richesse selon l’Observatoire 1 300 000 € soit 358 000
ménages
des inégalités
plonger les finances publiques, l’exécutif
Niveau de vie mensuel, en 2017, en euros Le 1 % le plus fortuné 1%
exclut tout revirement, mais doit 1 914 600 € soit 290 000
ménages
composer avec une opinion bouleversée 8 328
7 287
Le patrimoine des plus riches
5 205 s’est envolé depuis vingt ans

C’
est l’un des débats struc­
turants de l’après­crise,
apparu dès les prémices
du déconfinement, sui­
vant des clivages politi­
ques anciens. D’un côté,
les partisans d’un rattrapage économique ac­
céléré, prêts à brandir la nécessité de travailler
plus ou de diminuer les salaires. De l’autre,
ceux qui entendent faire contribuer les plus
aisés à la facture de la crise, à l’issue d’une
pandémie qui a érigé en héros les « premiers
de corvée ». Dans ce jeu politique plus bipo­
laire que jamais, le débat sur la suppression de
l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui a
déjà caricaturé Emmanuel Macron en « prési­
dent des riches » au début de son quinquen­
nat, ressurgit avec une vigueur nouvelle.
Au Parlement, l’opposition de gauche mul­
tiplie les propositions pour rétablir l’ISF ou
créer une contribution exceptionnelle
ponctionnée sur les plus grandes fortunes.
Dans la majorité, on tente d’éviter de renier
les choix du premier acte du quinquennat,
tout en esquivant le reproche d’être sourd
aux revendications légitimes des « héros »
de la crise sanitaire.
Les défenseurs d’une plus large imposition
des fortunes n’ont pas attendu le déconfine­
ment pour porter cette analyse. Mais la crise
sanitaire et économique, en faisant planer la
menace d’une récession appauvrissant en
premier lieu les travailleurs « essentiels » de
ces trois derniers mois, réactive le débat.
Dès le 6 mai, dans un entretien au Monde,
Laurent Berger, à la tête de la CFDT, plaidait
pour « une contribution accrue des plus riches,
notamment en appliquant aux revenus du ca­
pital le même barème que celui des revenus du
travail et en ajoutant une tranche supplémen­
taire d’impôt sur le revenu ». L’économiste Es­
ther Duflo, prix Nobel d’économie 2019, s’est
déclarée favorable mi­mai au rétablissement
de l’ISF en France, jugé « raisonnable ».
Après avoir conseillé la candidate démo­
crate américaine Elizabeth Warren sur la taxa­
tion des plus riches, les économistes Gabriel
Zucman et Emmanuel Saez, avec Camille
Landais, proposent pour leur part une taxa­
tion progressive de 1 % des Européens les plus
riches, pour une durée limitée, afin d’assurer
le remboursement des dettes mutualisées
créées par la crise ou d’abonder un fonds d’ur­
gence commun. Plutôt que de réduire la dette
publique par le biais de l’inflation, la rem­
bourser par une taxe progressive sur le patri­
moine des 1 % serait une « réalisation con­
crète » de la solidarité européenne contre
l’épidémie, font­ils valoir.
Sensible à ces arguments, le député socia­
liste Boris Vallaud (Landes) entend reprendre
la proposition. « La crise est l’occasion de met­
tre fin à la sécession des élites », juge­t­il. « Les
1 % les plus riches – ceux ayant un patrimoine
au­dessus de 2 millions d’euros – aideraient les
99 % restants. Rappelons qu’en France ils re­
présentent 20 % à 25 % de la richesse totale ! »,
précise M. Vallaud.
« TAXE JEAN VALJEAN »
Dans l’immédiat, c’est une proposition de loi
communiste (PCF) qui sera examinée, mer­
credi 10 juin, en commission des finances à
l’Assemblée nationale. Au programme : réta­
blir l’ISF, supprimer le prélèvement forfaitaire
unique (flat tax) sur les revenus du capital et
relever la contribution exceptionnelle sur les
hauts revenus, cette taxe créée par Nicolas
Sarkozy en 2011 après la crise financière, qui
rapporte aujourd’hui un peu plus de 1 mil­
liard d’euros par an. En tout, ces trois mesures
rapporteraient 6 milliards d’euros.
D’autres députés de gauche – Sébastien Ju­
mel (PCF, Seine­Maritime) ou Clémentine
Autain et François Ruffin (La France insou­
mise, Seine­Saint­Denis et Somme) – ont
puisé leur inspiration pour une proposition
de résolution dans la longue tirade de l’acteur
Vincent Lindon, qui a plaidé début mai, dans
une vidéo publiée sur Mediapart, pour une
« taxe Jean Valjean », du nom du personnage
principal des Misérables : une contribution
3 470
Patrimoine selon le niveau de fortune, en euros constants
Les 10 % les moins
fortunés
Personne Couple
seule sans avec avec
enfant 2 enfants** 3 enfants**
**enfants de moins de 14 ans
Source : Observatoire des inégalités
300
d’après l’Insee et le ministère des finances
Infographie Le Monde
Données 2018 sauf pour l’ISF (2017) 1998
exceptionnelle, progressive, de 1 % à 5 %, sur
les patrimoines évalués à plus de 10 millions
d’euros, afin de redistribuer 2 000 euros aux
foyers les plus pauvres.
Selon un sondage Elabe pour Les Echos réa­
« L’IMPÔT DE  lisé début juin, ces pistes ont les faveurs de
SOLIDARITÉ SUR LA  l’opinion : sept sondés sur dix considèrent
que le rétablissement de l’ISF est une mesure
FORTUNE EST DEVENU  de relance efficace, tandis que l’idée d’une
« contribution exceptionnelle » en séduit 68 %.
UN MARQUEUR  Même des députés macronistes évoquent
l’idée d’une taxation exceptionnelle. « S’inter­
TELLEMENT CLIVANT  roger sur une contribution des plus aisés, pour­
QU’ON NE PEUT PLUS  quoi pas ? », a déclaré Richard Ferrand, prési­
dent (LRM) de l’Assemblée nationale et pro­
REVENIR DESSUS »,  che du chef de l’Etat, le 26 mai à L’Express, évo­
quant une contribution « ponctuelle ».
ESTIME UN MINISTRE Parmi les anciens macronistes de gauche
qui ont quitté la majorité pour former le
groupe Ecologie démocratie solidarité (EDS) à
l’Assemblée nationale, la députée de la Meuse
Emilie Cariou plaide pour une hausse de la
contribution exceptionnelle sur les hauts re­
venus, qui rapporterait 750 millions d’euros
supplémentaires d’ici à 2022. Elle prône aussi
une réduction des niches fiscales sur les divi­
dendes des grandes entreprises, qui profitent
des différences de fiscalité entre pays. Enfin,
sans rétablir l’ISF ancienne version, « on pour­
rait imaginer de réintégrer dans l’impôt sur la
entre 50 %
et 60 % (6 e décile)
192 400
1 800 83 200
2018 1998 2018
fortune immobilière [IFI] l’assurance­vie et les
comptes courants », estime Mme Cariou.
Mais, entre taxes « Robin des bois » ou « Jean
Valjean », les métaphores en faveur de la re­
distribution se heurtent à une fin de non­re­
cevoir du gouvernement. Ce dernier s’en tient
à sa ligne de conduite de ne pas augmenter les
impôts, afin de ne pas reproduire les erreurs
faites au sortir de la crise financière de 2009.
Lundi 8 juin, sur LCP­Public Sénat, la secré­
taire d’Etat Agnès Pannier­Runacher résu­
mait ainsi le roman de Victor Hugo. « Lors­
qu’on lit l’histoire des Misérables jusqu’au
bout, c’est cette facette de Jean Valjean que je
préfère : il devient M. Madeleine, il monte
d’abord une fabrique de verroterie, devient en­
suite un industriel reconnu et enfin il s’engage
comme maire auprès de ses compatriotes, et
c’est comme ça qu’il fait en sorte que tous les
gens autour de lui aient un emploi. » « Cela me
semble beaucoup plus intéressant que l’idée de
taxer systématiquement le capital. »
BERCY DROIT DANS SES BOTTES
A Bercy, on reste droit dans ses bottes. Mi­
mai, déjà, le ministre de l’économie, Bruno Le
Maire, avait estimé que le rétablissement de
l’ISF serait de la « pure démagogie ».
Pour payer la facture de la crise, le ministère
préfère renvoyer vers les discussions en cours

Au Royaume­Uni, imposer les plus fortunés redevient populaire

Un impôt sur la fortune ou une hausse de la fiscalité sur les plus riches sont en débat outre­Manche, où la crise creuse les déficits

londres ­ correspondance travailliste ne soutiennent une porter 174 milliards de livres l’évolution des mentalités. Selon gressivement. C’est vrai en parti­ gers qui utilisent leur fortune
telle idée. Mais le sujet gagne du (195 milliards d’euros), calcule­t­il. un sondage du site PoliticsHome, culier pour les étrangers, dont le dans l’immobilier londonien.

I l se passe de drôles de choses

au pays de Margaret Thatcher :
l’impôt redevient une idée po­
pulaire. Faire payer les plus riches,
en particulier, est de retour. Le
choc économique majeur de la
pandémie de Covid­19 va provo­
quer un déficit abyssal en 2020,
mais après une décennie d’austé­
rité, il n’est plus question de re­
commencer les coupes budgétai­
res. Boris Johnson, le premier mi­
nistre, l’a exclu à plusieurs repri­
ses. Peu à peu, une hausse de la
fiscalité semble même s’imposer,
y compris un impôt sur la fortune.
Pour l’instant, ni le Parti conser­
vateur au pouvoir ni l’opposition
terrain. Selon un sondage, début
mai, 61 % des Britanniques sou­
tiennent un impôt sur les fortu­
nes supérieures à 750 000 livres
sterling (850 000 euros), tandis
que seuls 14 % s’y opposent.
Richard Murphy, économiste à
Tax Justice Network, une associa­
tion de lutte contre l’évasion fis­
cale, a publié, le 22 avril, un rapport
évaluant la fiscalité britannique
entre 2011 et 2018. Sa conclusion :
l’imposition sur les revenus du
travail était de 29,4 %, tandis que
celle sur les revenus du capital
était de 3,4 %. Théoriquement, en
mettant les deux impositions au
même niveau, cela pourrait rap­
M. Murphy s’empresse d’ajouter
qu’il ne demande pas nécessaire­
ment un ajustement aussi impor­
tant, mais estime qu’il y a « une
large marge de manœuvre pour
taxer la richesse au Royaume­Uni ».
Evolution des mentalités
Avec le conservateur Boris John­
son au pouvoir, la mise en place
d’un tel impôt est­elle envisagea­
ble ? Peut­être pas en l’état, mais
son gouvernement avait fait fuiter
dans la presse, en février, un bal­
lon d’essai pour créer une surtaxe
sur les biens immobiliers de va­
leur. L’idée avait finalement été
abandonnée, mais en dit long sur
en mai, 72 % des députés pensent
que « les impôts vont augmenter
pour financer les services publics »,
et 83 % sont d’accord avec l’idée
que « le rôle de l’Etat dans l’écono­
mie va augmenter ». Qu’elle paraît
loin l’époque où, sous le blairisme
triomphant, Peter Mandelson,
alors ministre travailliste, avait dé­
claré : « Nous sommes tout à fait à
l’aise à ce que les gens deviennent
riches comme des cochons. »
Si la pandémie a accéléré le mou­
vement vers une plus forte fisca­
lité, celui­ci avait démarré au len­
demain de la crise financière de
2008. Depuis, les avantages fis­
caux des riches se réduisent pro­
fameux statut de « non­domici­
liés », qui leur permettait de n’être
taxés que sur une fraction de leur
fortune, a été limité. Le nombre de
bénéficiaires a presque été réduit
de moitié depuis 2008, pour at­
teindre 80 000 personnes.
En parallèle, la lutte contre l’éva­
sion fiscale a fait de réels progrès.
La justice britannique peut saisir
un bien si son propriétaire ne peut
pas justifier l’origine de ses reve­
nus, alors qu’il lui fallait aupara­
vant réussir à prouver qu’il s’agis­
sait d’argent sale. Cette inversion
de la charge de la preuve change la
donne pour les nombreux oligar­
ques et autres milliardaires étran­
L’évolution des mentalités,
réelle, est à mettre en perspective,
le Royaume­Uni étant l’un des
pays où l’imposition est la plus fai­
ble d’Europe. Selon l’Organisation
de coopération et de développe­
ment économiques, celle­ci
s’élève, au Royaume­Uni, à 34 % du
produit intérieur brut, contre 38 %
en Allemagne et 46 % en France.
Les grands vainqueurs de ces im­
pôts limités ? Contrairement à
l’idée reçue, ce ne sont pas les plus
riches, mais les classes moyennes,
qui sont imposées à 28 % (pour un
salaire médian), contre 44 % dans
le reste de l’Europe occidentale. 
éric albert
 0123
JEUDI 11 JUIN 2020
Les 20 grandes villes et arrondissements
où les riches sont les plus riches
Niveau de vie annuel minimum des 10 % les plus riches en euros
pour les villes et arrondissements de plus de 20 000 habitants.
Clé de lecture : les 10 % les plus riches des habitants
du 6 e arrondissement de Lyon ont un niveau de vie d’au moins
63 780 euros par an.
Paris et alentour
Levallois-Perret 67 330
Saint-Germain-en-Laye Paris 17e 78 280
66 230
Paris 8e 116 670
Maisons-Laffitte
67 930 Paris 9 79 040
e
Paris 2e 76 390
Neuilly-sur-Seine 114 050 Paris 3e 79 040
Saint-Cloud Saint-Mandé 71 260
78 960
Paris 4e
Boulogne-Billancourt
77 540
70 180
Paris 5e
77 920
Sèvres 67 560
Paris 6e 110 840
Paris 16e 108 810 Paris 7e 132 690
Paris 15e 66 210
(biens immobiliers, actifs financiers ainsi que le patrimoine
professionnel pour les indépendants.Ne tient pas compte
des dettes).
entre 80 % Les 10 % les plus
et 90 % (9 e décile) fortunés
552 700
480 100
211 300
€
€
€ importante pour savoir qui peut
1998 2018 1998
sur une taxe mondiale sur les géants du nu­
mérique, un niveau minimum d’impôts sur
les sociétés au niveau international et une
taxe carbone aux frontières de l’Union euro­
péenne. Hors de question de revenir sur la
suppression de l’ISF. « Faire un geste symboli­
que, pourquoi pas. Mais on ne va pas remettre
l’ISF, alors qu’on était en train d’envoyer les
bons signaux aux investisseurs », justifie l’en­
tourage du ministre.
Outre l’effet d’image, la question du mon­
tant rapporté par l’ISF lorsqu’il était encore en
vigueur revient souvent chez ses contemp­
teurs. « Si l’ISF était rétabli, 3 milliards d’euros
seraient dégagés, alors même qu’on est sur un
plan de relance de 100 milliards d’euros. Il s’agit
d’un choix politique, (…) en aucun cas un dispo­
sitif d’équilibre fiscal », arguait Geoffroy Roux
de Bézieux, le patron du Medef, dans un en­
tretien au Monde le 13 mai.
A droite, sans surprise, on oppose un « non »
catégorique à toute augmentation d’impôt.
« Il n’y a plus aucune marge de manœuvre,
plaide Eric Woerth (Les Républicains, Oise),
président de la commission des finances de
l’Assemblée nationale et ancien ministre du
budget, à moins, ajoute­t­il, un brin provoca­
teur, de décider d’éliminer toute une partie de
la population ».
« DÉBAT IDÉOLOGIQUE RENOUVELÉ »
Politiquement, pour l’exécutif, l’ISF et son
successeur, l’impôt sur la fortune immobi­
lière, semblent devenus intouchables. Un mi­
nistre estime ainsi que les critiques sur l’ISF
rendent paradoxalement impossible son re­
tour : « C’est devenu un marqueur tellement cli­
vant qu’on ne peut plus revenir dessus. »
Bruno Cautrès, chercheur CNRS au centre de
recherches politiques de Sciences Po (Cevi­
pof), note que le débat sur l’ISF, maintes fois
rejoué dans l’histoire politique française, mo­
bilise les arguments usuels, mais que, cette
fois, le contexte a changé. La crise, en appor­
tant son lot de plans d’aide de milliards
d’euros, a sonné la fin de la crédibilité de l’im­
pératif de rigueur budgétaire. « Ces semaines
où les robinets ont été ouverts vont imprimer
en profondeur dans l’opinion, on ne pourra pas
présenter cela comme une parenthèse que l’on
peut refermer, estime­t­il. Indirectement, cela
va poser des questions de priorité fiscale et
budgétaire. » Aussi, prévient­il, « nous ne som­
mes qu’au début d’un nouveau cycle d’âpres
discussions et d’un débat idéologique renou­
velé sur la dette publique et les impôts ». 
sarah belouezzane, julie carriat,
alexandre lemarié, audrey tonnelier
et sylvia zappi
« Etes­vous riche ? » La réponse
de l’Observatoire des inégalités
Le seuil de richesse en France se situe à 3 470 euros par mois et par unité
de consommation. 8 % de la population entre dans cette catégorie
Q u’est­ce qu’être riche ?
Qui l’est ? A ces deux
questions apparem­
ment simples, l’Observa­
toire des inégalités, fondé par
Louis Maurin, journaliste écono­
mique, tente de répondre dans un
rapport, « Les riches en France ».
Publié mardi 9 juin, le document
défriche un terrain peu exploré, la
Lyon littérature étant nettement plus
abondante à propos des pauvres.
L’observatoire fixe, pour la pre­
Lyon 6e
63 780 mière fois, un seuil de la richesse
en France et le situe au double du
revenu médian de 1 735 euros (chif­
fres 2017), soit 3 470 euros par mois
et par unité de consommation
(UC). Dans un foyer, le premier
adulte compte pour 1 UC ; tout
adulte supplémentaire ou enfant
de plus de 14 ans compte pour
0,5 UC ; les moins de 14 ans, pour
0,3 UC. Ces montants s’entendent
après impôts et prestations socia­
les. Un couple, soit 1,5 unité de con­
sommation, est donc riche à partir
de 5 205 euros par mois de reve­
nus ; s’il a deux enfants de moins
1 279 000 de 14 ans, soit 2,1 UC au total, à par­
tir de 7 287 euros.
« Alors qu’il existe un voire plu­
sieurs seuils de pauvreté, personne
n’avait, jusqu’ici, fixé un seuil de ri­
chesse alors qu’il est une référence
contribuer à la solidarité collective,
2018 argumente Louis Maurin. Les poli­
tiques posent souvent cette ques­
tion, ne serait­ce qu’en ce moment,
avec le projet de proposition de loi
sur la contribution des riches qui
propose, lui, un seuil très élevé, de
250 000 euros par an, ce qui est une
manière d’exonérer les classes
aisées. Le riche serait donc toujours
l’autre ? », s’interroge­t­il.
A l’aune de l’Obervatoire des iné­
galités, 5 millions de Français, soit
Les rangs des plus aisés des Français ne se
sont pas étoffés, mais leur fortune a grossi
L’écart entre les plus riches et la classe moyenne s’est creusé ces vingt dernières années
N on, les riches ne sont pas
de plus en plus nom­
breux en France. En ma­
tière de revenus, l’Insee indique
que le nombre de personnes
« aisées », qui touchent 1,8 fois le
niveau de vie médian, est passé
de 6,7 millions en 1996 à 6,8 mil­
lions en 2014. Compte tenu du fait
que la population française a plu­
tôt augmenté sur la même pé­
riode, il est difficile d’affirmer
que les rangs des riches se sont
étoffés. En revanche, les riches
sont de plus en plus riches, ce qui
contribue à creuser l’écart avec le
reste de la population.
« En vingt ans, les riches se sont
éloignés des classes moyennes »,
souligne le rapport de l’Observa­
toire des inégalités. D’abord parce
que leurs revenus ont augmenté.
En 1996, l’écart entre le niveau de
vie médian de la population et le
niveau de vie moyen des 10 % les
plus riches était de 27 800 euros
annuels. En 2017, il était de
36 300 : l’écart s’est donc creusé
de près de 8 500 euros par an en
une vingtaine d’années. Parallè­
lement, le patrimoine des plus fa­
vorisés a augmenté, ne serait­ce
qu’en raison de la flambée des
prix de l’immobilier, notamment
à Paris, qui fait enfler mécanique­
ment la valeur des biens. Un chif­
fre éloquent : pour entrer dans le
8 % de la population, sont riches,
pas loin de la conception qu’en a
l’Insee, qui parle, elle, de « catégo­
rie aisée » pour les 10 % de la popu­
lation dont le revenu mensuel dé­
passe 3 200 euros par UC.
Le seuil de la richesse fait écho à
celui de la pauvreté, désormais
fixé, selon les normes européen­
nes, à 60 % du niveau de vie mé­
dian (soit 1 026 euros par mois)
mais auquel Louis Maurin préfère
l’ancienne norme de 50 %
(855 euros), la jugeant plus réaliste.
En France, cet étiage bas concerne
8 % de la population, en symétrie
avec la proportion de riches.
« Ce seuil de la richesse peut pa­
raître bas, notamment à un Pari­
sien, qui ne pourra pas, avec ça,
s’offrir un logement spacieux de
plus de 60 m2, concède Louis Mau­
rin, mais il s’agit d’un seuil d’entrée
dans un club très hétérogène, avec
des écarts de ressources impres­
sionnants. Le niveau de vie moyen
des 1 % les plus riches, à 14 750 euros
par mois et par UC, a fortiori celui
des 0,1 %, à 30 508 euros, n’a évi­
demment rien à voir avec celui des
ménages du bas de la catégorie. »
Oasis de prospérité
Une révélation de ce rapport est
que le 1 % des Français les plus ri­
ches a les revenus parmi les plus
hauts de toute l’Europe. Pour
faire partie de cette élite, il faut
gagner au moins 6 848 euros par
personne et par mois, plus qu’en
Allemagne (6 500 euros) et qu’au
Royaume­Uni (5 977 euros) ; seuls
les Suisses font mieux
(8 801 euros). « Cela met à mal la
thèse selon laquelle les Français
fortunés fuiraient leur pays, com­
mente M. Maurin. La France
compte 1,2 million de millionnai­
res, ce qui est énorme. »
club fermé des 10 % les plus fortu­
nés, en 1998, il fallait être à la tête
d’un patrimoine d’une valeur de
553 000 euros. En 2010, le ticket
d’entrée au même club avait plus
que doublé et atteignait 1,2 mil­
lion, dettes non comprises. Cette
envolée s’est calmée depuis,
n’augmentant « que » de
36 000 euros – ce qui représente
une somme coquette pour l’es­
sentiel de la population.
Pour caractériser l’évolution des
inégalités entre les plus riches et
le reste de la population, l’obser­
vatoire distingue trois grandes
périodes sur les trente dernières
années. Du début des années
1990 à 1996, les inégalités de reve­
nus se sont atténuées. De 1996 à
2010, en revanche, les revenus des
riches se sont envolés, pendant
que les revenus des plus pauvres
stagnaient, voire diminuaient. Le
nombre de redevables de l’impôt
sur la fortune – qui s’appliquait
alors sur les patrimoines supé­
rieurs à 800 000 euros – a été
multiplié par 2,8 entre 1999 et
2010. La crise financière de 2008,
qui a entraîné la baisse des divi­
dendes et des taux d’intérêt, donc
des rendements des produits fi­
nanciers, a toutefois marqué un
premier point d’inflexion.
A partir de 2011, les mesures fis­
cales ont permis une nouvelle di­
UNE RÉVÉLATION DE CE 
RAPPORT EST QUE LE 1 % 
DES FRANÇAIS LES PLUS 
RICHES A LES REVENUS  sont plus considérables encore
PARMI LES PLUS HAUTS
DE TOUTE L’EUROPE
Où habitent les 10 % des Français
les plus riches ? Dans une quaran­
taine de villes, voire de quartiers,
pour l’essentiel d’Ile­de­France, où
leur entre­soi est assuré.
Ils s’éparpillent dans onze arron­
dissements parisiens, le 7e les dé­
passant tous avec un niveau de vie
moyen de 132 690 euros par an (et
même 210 000 euros dans le seul
secteur du Gros­Caillou, près de la
tour Eiffel), et dans quelques ban­
lieues résidentielles comme
Neuilly­sur­Seine (Hauts­de­
Seine, 114 050 euros), Saint­Cloud
(Hauts­de­Seine, 78 960 euros),
Saint­Mandé (Val­de­Marne), Bou­
logne­Billancourt (Hauts­de­
Seine), Maisons­Laffitte (Yvelines),
Sèvres, Levallois­Perret (Hauts­de­
Seine) ou Saint­Germain­en­Laye
(Yvelines), mais un seul arrondis­
sement lyonnais, le 6e.
De petites villes, plus discrètes,
sont des oasis de prospérité
comme Veyrier­du­Lac (Haute­Sa­
voie), Divonne­les­Bains (Ain),
Saint­Didier­au­Mont­d’Or ou
Saint­Cyr­au­Mont­d’Or, ban­
lieues chics de Lyon, et jusqu’à des
villages comme Chens­sur­Lé­
man (Haute­Savoie), près de la
frontière Suisse.
Les hauts revenus sont, bien sûr,
à 90 % des propriétaires (contre
56 % pour le reste de la population)
et, « bizarrerie française, 2 % des ri­
minution des inégalités. Le nom­
bre d’assujettis à l’impôt de soli­
darité sur la fortune (ISF) a pro­
gressé à un rythme plus faible,
alors que le seuil d’imposition
était relevé à 1,3 million d’euros.
De 2015 à 2018, les revenus ont
stagné de manière à peu près uni­
forme pour toutes les catégories
de la population. Au final, de
2006 à 2016, les évolutions an­
nuelles par tranche de niveau de
vie restent nuancées : une évolu­
tion en dents de scie pour les plus
pauvres, une forte progression en
début de période pour le niveau
de vie des plus riches suivie d’une
nette diminution et une progres­
sion suivie d’une stagnation pour
les couches moyennes.
Allégements fiscaux
Que s’est­il passé depuis ? Pour
étudier la période la plus récente,
l’Observatoire des inégalités ne
dispose pas encore de données
statistiques. Mais Louis Maurin,
cofondateur de l’observatoire,
émet l’hypothèse que les mesures
prises par le gouvernement de­
puis l’arrivée au pouvoir d’Emma­
nuel Macron « ont été très favora­
bles » pour les plus aisés. L’ISF,
transformé en impôt sur la for­
tune immobilière (IFI), a allégé le
poids de la fiscalité sur les plus ri­
ches. Parallèlement, la taxation
france | 11
ches sont locataires d’un logement
social, relèvent les auteurs. Visible­
ment, les offices HLM maintien­
nent dans les lieux des personnes
qui n’ont plus de raison d’y être ».
Les inégalités de patrimoine
que celles de revenus car, par défi­
nition, être riche, c’est être en me­
sure d’épargner, donc d’accumu­
ler du capital.
Par convention, Louis Maurin a,
là aussi, fixé le seuil de fortune à
490 000 euros, soit trois fois le pa­
trimoine médian (163 000 euros).
En France, 4,6 millions de ména­
ges, soit 16 % de la population, se
situent au­dessus de ce montant.
Les 10 % des plus hauts patrimoi­
nes se situent, eux, au­delà de
607 700 euros, pour 2,9 millions
de ménages, soit 10 % d’entre eux
qui détiennent ainsi 51 % de la ri­
chesse française. Cette concentra­
tion situe la France au milieu du
classement mondial, bien loin
derrière les Etats­Unis, où ces mê­
mes 10 % les plus riches s’arrogent
79 % de la richesse nationale, ou
l’Allemagne avec 60 %.
En France, ils ont un patrimoine
diversifié composé à 47 % d’im­
mobilier, 32 % d’actifs financiers,
11 % de patrimoine professionnel
et 9 % de dépôts bancaires. Plus on
grimpe dans le palmarès de la for­
tune, plus la détention d’actions
devient prépondérante, jusqu’à
86 % pour le 0,1 % le plus doté.
L’impôt sur la fortune immobi­
lière (IFI) ne touche plus que
133 000 contribuables déclarant
un patrimoine immobilier supé­
rieur à 1,3 million d’euros, bien
moins que l’impôt de solidarité
sur la fortune (ISF) qu’il a rem­
placé et qui touchait, jus­
qu’en 2018, 358 000 foyers. 
isabelle rey­lefebvre
des revenus financiers a été ré­
duite. Les deux conjugués ne re­
présentent pas moins de 5 mil­
liards d’euros d’allégements fis­
caux en faveur des plus favorisés.
La hausse des prix de l’immobilier
contribue à enrichir les plus aisés,
plus souvent propriétaires que les
autres catégories de la population.
La crise due au Covid­19 ne va
pas rétablir les équilibres : « Le ra­
lentissement de l’activité économi­
que et la montée du chômage qui
s’annonce vont peser très forte­
ment sur les catégories populai­
res », avance M. Maurin. De fait, les
premières victimes de la crise sur
le plan des revenus sont les per­
sonnes aux emplois précaires : in­
térimaires, titulaires de contrats
courts, indépendants mais aussi
toutes les personnes qui vivaient
de « petits boulots », souvent
payés au noir, qui se sont retrou­
vées sans revenu et sans filet de
protection sociale. Comme le rap­
pelle l’Observatoire des inégalités,
face au débat qui monte autour de
la question de la redistribution, le
statut de « riche » n’englobe pas
uniquement la notion de revenu,
mais également d’autres dimen­
sions. Et notamment celle de « dis­
poser d’un travail avec des marges
d’autonomie, sans trop de risques
d’en être dépourvu demain ». 
béatrice madeline

12 | france
Face à la crise, un Etat central à « bout de souffle »
Emmanuel Macron pourrait recevoir dès la semaine prochaine des représentants d’associations d’élus
L’
épidémie due au coro­
navirus n’aura pas seu­
lement permis de me­
surer l’ampleur de la
crise qui secoue l’hôpital public
depuis des années. Selon de nom­
breux dirigeants de la majorité et
de l’opposition, ce choc ferait réa­
liser les lourdeurs d’un Etat fran­
çais dont les pouvoirs sont en
grande partie centralisés à Paris.
Difficultés d’approvisionne­
ment en masques, lenteur de
la chaîne de commandement,
concentration excessive des déci­
sions… « La crise a montré que no­
tre organisation étatiste est à bout
de souffle », estime le délégué gé­
néral de La République en marche
(LRM), Stanislas Guerini. « Il y a
une sève qui ne circule plus venant
de la base avec le sommet du
pays », abonde le président du Mo­
Dem, François Bayrou, qui appelle
en conséquence Emmanuel Ma­
cron à « réinventer le lien entre la
société et l’Etat ». Un message que
le chef de l’Etat assure avoir reçu.
« Girondisme rénové »
Selon un proche, le locataire de
l’Elysée serait décidé à « retrouver
un agenda de réforme de l’Etat »
en imposant « davantage d’Etat à
l’échelon territorial que central »,
dans une sorte de « girondisme
rénové ». La stratégie de déconfi­
nement, qui a été différenciée en
fonction des territoires, repré­
sente à ce titre un exemple pro­
metteur, estime­t­on au sein du
pouvoir. « En trois mois, on est
passés d’un confinement très ver­
tical, assez autoritaire, très centra­
lisé, à un déconfinement plus pro­
che du terrain. La réponse, elle est
là. Le déconfinement fonctionne
parce qu’il fait confiance aux ci­
toyens », a jugé, lundi 8 juin, sur
Europe 1, Sylvain Fort, ancienne
plume du chef de l’Etat.
Dès la semaine prochaine,
M. Macron pourrait donc recevoir
les représentants d’associations
d’élus, afin de mener de premières
consultations sur cette question.
« Dans cette crise du Covid­19, le
président de la République a vu
le partage des rôles qui pouvait
s’organiser sereinement entre les
différents niveaux de collectivités
territoriales et l’Etat, souligne un
Les élus locaux plaident pour une relance territorialisée
Les collectivités veulent prendre leur part d’une redéfinition des priorités en matière de politique industrielle et de transition énergétique
T out à ses réflexions sur
l’après­crise, Emmanuel
Macron multiplie rencon­
tres et consultations. Il devrait
ainsi s’entretenir prochainement
avec les représentants d’associa­
tions d’élus locaux, comme il
l’avait fait pour le déconfinement.
Avec une première échéance : l’éla­
boration du plan de relance de
l’économie que le président de la
République devrait annoncer
avant la fin de l’été.
Une des premières conséquen­
ces de cette crise sanitaire est
qu’elle aura conduit l’Etat à asso­
cier de manière plus étroite les
collectivités et à intégrer, dans
les faits, la nécessité d’une diffé­
renciation dans la mise en œuvre
des politiques publiques, tenant
compte de la diversité des situa­
tions territoriales. Mais, de même
que l’Etat est amené à redéfinir sa
relation avec les collectivités terri­
toriales, cela doit conduire les col­
lectivités à repenser la hiérarchie
de leurs missions et à mieux coor­
donner l’exercice de leurs compé­
tences à l’échelle du territoire.
Deuxième constat : contraire­
ment à ce qui s’était passé après la
crise financière de 2008, le gou­
vernement vient en aide aux
collectivités, fragilisées par la crise
– un premier volet de 4,5 milliards
d’euros figure dans le projet de loi
Edouard Philippe et ses collaborateurs, lors d’une visioconférence avec les autorités locales, à Matignon, le 29 mai. THOMAS SAMSON/AFP
conseiller. Il a vu l’inventivité, la so­
lidarité, la disponibilité des collecti­
vités à proposer des formules qui
méritent d’être regardées. On l’a
souvent présenté comme jacobin,
ce qui n’est pas tout à fait juste. Il est
disposé à avancer sur le sujet. »
Cette ambition rejoint un cons­
tat déjà formulé au lendemain de
la crise des « gilets jaunes »,
en 2019. Une des réponses avait
alors été la création des maisons
France Services, sorte de toilet­
tage du système des maisons de
services au public, créé il y a vingt
ans. La ministre de la cohésion des
territoires, Jacqueline Gourault,
planchait par ailleurs ces derniers
mois sur le projet de loi « 3D »
(décentralisation, différenciation,
déconcentration), mis à l’arrêt en
raison de la crise sanitaire. Pour
l’heure, aucun arbitrage n’a été
de finances rectificative qui devait
être présenté le 10 juin en conseil
des ministres. Même si certains,
comme l’Association des maires
de France (AMF), présidée par
François Baroin (LR), auraient sou­
haité une reprise totale par l’Etat
des dépenses liées à l’épidémie,
l’avancée a été saluée par la plu­
part des associations d’élus.
« Planification »
Plusieurs d’entre elles ont publié
leur contribution au plan de re­
lance de l’économie. A commen­
cer par les régions, que la loi
NOTRe de 2015 a consacrées
comme chefs de file dans les do­
maines de l’intervention écono­
mique et de l’aménagement du
territoire. Dans le document pu­
blié par Régions de France (RdF),
l’association présidée par Renaud
Muselier (LR) propose d’identifier,
à travers des « contrats de relance »,
région par région, les projets ralen­
tis ou à l’arrêt et d’y inclure des in­
vestissements en matière de
santé, de politiques sanitaires et
de recherche médicale. Elle sou­
haite aussi organiser un déploie­
ment massif, à l’échelle des terri­
toires, de dispositifs d’aide à l’amé­
lioration de l’efficacité énergéti­
que de l’habitat et des bâtiments.
« Il est indispensable de redéfinir
une stratégie économique et envi­
pris sur les orientations des se­
maines à venir. « Les élus ne veu­
lent pas de grand soir mais une
plus grande souplesse de l’action
publique, une meilleure adapta­
tion du droit aux besoins locaux et
un Etat fort au sein des territoires.
Le préfet de département trouve
d’ailleurs toujours grâce à leurs
yeux », assure Mme Gourault.
Les pressions sont nombreuses
sur le sujet. Dans un entretien au
Journal du dimanche, le président
de l’association des maires de
France, François Baroin, prévient
qu’il compte réclamer, début
juillet, à Emmanuel Macron « un
grand texte de libertés locales ».
« Nous demanderons des trans­
ferts de compétences, de moyens
et d’effectifs aux collectivités loca­
les, et une modification de la
Constitution, notamment de son
Pour l’Association
des petites villes
de France,
« le monde
de demain devra
être écologique,
mais aussi local »
ronnementale qui soit la charpente
d’une nouvelle politique indus­
trielle, estime RdF. Cette nouvelle
politique industrielle doit faire
l’objet d’une planification et d’une
contractualisation entre l’Etat et
les régions. » Elle doit à son sens
identifier les secteurs­clés à relo­
caliser, réorienter le modèle pro­
ductif pour une véritable transi­
tion écologique, investir massive­
ment dans la production d’éner­
gies renouvelables et dans les
savoir­faire stratégiques. Pour ap­
puyer la mise en œuvre de cette
stratégie, RdF propose d’institu­
tionnaliser un « comité économi­
que permanent Etat­régions », du­
pliqué à l’échelle de chaque région.
L’Assemblée des communautés
de France (AdCF) insiste sur le fait
que l’intensité des chocs liés à la
crise ne sera pas homogène d’un
territoire à l’autre, d’un secteur
d’activité à l’autre. « Les mesures
article 72, pour consacrer leur
autonomie fiscale et financière et
leur libre administration », expli­
que le maire de Troyes.
Dans le viseur, également, les
agences régionales de santé (ARS),
considérées comme trop éloi­
gnées du terrain, ainsi que le pilo­
tage jugé parfois erratique du mi­
nistère de la santé. « Ça pédalait
dur pendant la crise…, souffle le
président de l’assemblée des dé­
partements de France, Domini­
que Bussereau. Le bon lieu de la
gestion des crises, c’est le ministère
de l’intérieur, et au niveau local, les
préfets. » « Il faut avancer plus fort
et avec plus d’ambition dans ce
dossier. Lier la déconcentration
des services de l’Etat à la décentra­
lisation de l’Etat lui­même », juge
un macroniste au fait de ces ques­
tions. Ce discours rejoint une cri­
d’aide à la reprise puis à la relance
se doivent de différencier les situa­
tions et demeurer ciblées, pilota­
bles localement, au vu des situa­
tions particulières, note l’associa­
tion présidée par le président du
Grand Annecy, Jean­Luc Rigaut.
Des dispositifs “aveugles” pour­
raient produire des effets d’aubaine
et coûter très cher aux finances pu­
bliques. » Là aussi, il s’agit de ne pas
reproduire les erreurs du plan de
relance de 2009­2010.
Dans sa contribution, l’associa­
tion énumère une liste d’« axes
prioritaires », au titre de la transi­
tion écologique – parmi lesquels
les investissements d’entretien et
de renouvellement sur les réseaux
d’eau –, au titre du développement
économique – comme le recyclage
des friches industrielles –, ou à ce­
lui de la cohésion sociale et territo­
riale – tel que l’encouragement à
de nouveaux modèles d’urbanisa­
tion. Elle souhaite que des pro­
grammes d’investissement terri­
torialisés soient mis en œuvre dès
la fin 2020­début 2021.
France urbaine (FU), qui re­
groupe les grandes villes et mé­
tropoles, a livré ses « premières ré­
flexions pour un plan de relance
écologique et social ». L’associa­
tion présidée par le maire (LR) de
Toulouse, Jean­Luc Moudenc,
met au premier plan la question
tique générale plus ancienne au
sein de l’exécutif contre les bloca­
ges qui se feraient jour dans la
conduite du pouvoir. « Nous
avons une administration qui
n’hésite pas à jouer contre le politi­
que », a ainsi assuré Sylvain Fort.
Paris et le reste de la France
Pour leur part, certains alliés
d’Emmanuel Macron, comme
François Bayrou, n’ont pas hésité à
appuyer avec vigueur sur le cli­
vage entre Paris et le reste de la
France, quitte à susciter des criti­
ques au sein de l’exécutif. « Si on
avait attendu l’Etat pour avoir des
masques, on aurait pu attendre
longtemps, et encore aujourd’hui,
on n’en aurait pas », a tancé le
maire de Pau, relevant que « les
autorités supérieures ont été obli­
gées de se remettre à l’action lo­
du financement et du transfert
de ressources pérennes de l’Etat
vers les grandes métropoles, à sa­
voir une part de la fiscalité écolo­
gique. Elle souhaite en outre pro­
mouvoir le principe de « condi­
tionnalité » des aides et finance­
ments pour favoriser la transition
écologique et sociale
Relocalisation
« Il convient de tirer les leçons
des mesures de relance prises après
la crise financière de 2008, lesquel­
les ont “raté le coche” en ne pro­
posant aucune conditionnalité en
ce sens », note­t­elle. Comme les
autres, elle plaide pour une re­
lance « territorialisée », qui s’ap­
puie sur certains secteurs priori­
taires, tels que la rénovation éner­
gétique des bâtiments, les mobili­
tés, la refonte de l’habitat urbain
ou la relocalisation d’activités.
Dans sa contribution, l’Associa­
tion des petites villes de France
(APVF), présidée par le député so­
cialiste de Seine­Maritime Chris­
tophe Bouillon, estime que « les
petites villes sont au cœur du
monde d’après ». La crise sanitaire
n’a­t­elle pas accéléré les désirs de
nombreux citadins de s’éloigner
des grandes métropoles pour re­
trouver un cadre d’habitat plus
équilibré et moins pollué ? Encore
faut­il qu’ils y trouvent des servi­
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
« Si on avait
attendu l’Etat
pour avoir des
masques, encore
aujourd’hui, on
n’en aurait pas »
FRANÇOIS BAYROU
maire de Pau
cale ». « L’Etat a mis du temps à se
mettre en branle sur la question des
masques, mais c’est lui qui a quand
même passé la majorité des com­
mandes. Il faut remettre l’église au
milieu du village », réplique un
conseiller gouvernemental.
Car tous ne veulent pas crier
haro sur l’Etat central. Le premier
ministre, Edouard Philippe, no­
tamment, « qui est conseiller d’Etat
et vient de la famille gaulliste »,
rappelle­t­on au sein de l’exécutif,
se montrerait plus réticent à ces
transferts de compétences. « Pour
lui, la nation et l’Etat, ça ne fait
qu’un », note un ministre. « On
voit à quel point la suppression du
cumul des mandats a des consé­
quences en cascade : une fracture
entre les élus locaux et nationaux,
entre Paris et le terrain, et cette de­
mande de plus d’autonomie de dé­
cision, relève Gilles Boyer, député
européen proche de M. Philippe.
Mais il y a une forme de schizoph­
rénie chez certains élus, qui se di­
sent abandonnés et qui, en même
temps, trouvent tatillonne la circu­
laire qu’on leur transmet pour la
réouverture des écoles. »
« Ça allait très bien aux uns et aux
autres que l’Etat jacobin sorte sa
belle ombrelle et protège tout le
monde pendant la crise, ajoute
une députée qui a ses entrées à
Matignon. L’administration doit
être plus proche des gens, mais il
faut qu’ils se rendent compte qu’ils
ne sont pas seulement consomma­
teurs de service public. » Un proche
d’Emmanuel Macron sourit :
« C’est un sujet transversal, qui tou­
che au périmètre de chacun au sein
du gouvernement. Il ne peut avan­
cer que si le premier ministre est
convaincu. Sinon, ça s’enlisera. » 
olivier faye
ces publics de proximité, des équi­
pements sociaux et culturels qui
répondent à leurs demandes.
Pour l’APVF, « les collectivités ter­
ritoriales sont au cœur de la transi­
tion écologique, des politiques de
rénovation énergétique, des cir­
cuits courts, des énergies renouve­
lables ; le monde de demain devra
être écologique, mais aussi local ».
Comme sa grande sœur France ur­
baine, elle réclame l’affectation
d’une part des recettes de la fis­
calité carbone aux territoires, ainsi
qu’un véritable soutien en ingé­
nierie afin de favoriser une « réin­
dustrialisation verte » des terri­
toires. « Cette crise est peut­être no­
tre dernière chance de transformer
nos modèles de société et de pla­
cer les territoires et l’écologie au
cœur de ce nouveau système », re­
lève l’association.
Les collectivités territoriales,
comme elles l’ont été pendant la
crise, seront des acteurs majeurs
de la sortie de crise et, surtout,
de la refondation de l’après­crise.
Aucun modèle nouveau ne pourra
émerger sans leur étroite implica­
tion. A condition qu’elles­mêmes
sachent dépasser une simple pos­
ture de revendication et acceptent
de prendre toute leur part des res­
ponsabilités que cela implique.
Sans faux­semblants. 
patrick roger
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 france | 13

Assemblée : Le Gendre s’offre Frictions inhabituelles entre la

presse et le ministère des armées
un sursis à la tête du groupe LRM L e Covid­19 a fait une victime collatérale, la relation entre la
presse et le ministère des armées. La tension couvait de­
puis de longs mois, mais ses symptômes se sont manifes­
Fragilisé par la révélation du contenu d’une note destinée à Macron, tés avec vigueur à l’occasion de la crise sanitaire.
Une réunion inédite s’est tenue mardi 9 juin, dans les locaux de
le chef de file des députés du groupe majoritaire s’accroche à son poste l’hebdomadaire Le Point, voisins du siège des armées à Paris, en­
tre six membres de l’Association des journalistes de défense
(AJD), dont Le Monde, et les grands communicants de l’institu­
tion – porte­parole de l’état­major, officiers chefs des services de

J
e ne suis coupable de rien. »
Fragilisé par la révélation
d’une « note » sur un rema­
niement ministériel, le pa­
tron du groupe La Républi­
que en marche (LRM) à l’Assem­
blée nationale, Gilles Le Gendre,
s’accroche à son poste. Alors que
certains de ses collègues exigent
son départ, il a montré sa volonté
de résister à une polémique qui
pourrait lui être fatale, mardi
9 juin, après des départs en série
dans les rangs de la majorité.
Lors d’une réunion de groupe en
visioconférence, M. Le Gendre a
dénoncé « la divulgation mal­
veillante – et peut­être illicite – d’un
échange privé avec le président de
la République ». D’après l’hebdo­
madaire Marianne, qui a révélé le
contenu de cette « note de travail »,
le 5 juin, le patron du groupe majo­
ritaire l’aurait adressée « fin mai » à
Emmanuel Macron pour lui pro­
poser des pistes de casting gouver­
nemental en cas de remaniement.
Le député de Paris propose notam­
ment un remplacement du pre­
mier ministre Edouard Philippe à
Matignon, en citant les noms de
deux « favoris » pour lui succéder :
le ministre des affaires étrangères,
Jean­Yves Le Drian, et celui de l’éco­
nomie, Bruno Le Maire.
M. Le Gendre aurait par ailleurs
plaidé pour sa nomination au
poste de porte­parole du gouver­
nement, tout en héritant… du mi­
nistère des relations avec le Parle­
ment ! « Je ne suis pas l’auteur de ce
casting gouvernemental », a­t­il as­
suré aux quelque 280 députés de
son groupe, en évoquant des
« échanges personnels, informels et
privés » avec le chef de l’Etat.
Mais cela n’a pas suffi à rassurer
ses troupes : durant près de deux
heures, le patron des députés
« marcheurs » a essuyé une série
de critiques de la part de ses collè­
gues, dont certains ont évoqué
son départ, après le second tour
des élections municipales, le
28 juin, et un probable remanie­
ment gouvernemental. « C’est
une épreuve pour notre groupe,
qui intervient au pire moment. On
n’est pas sur une affaire privée
mais sur une note qui se veut poli­
tique et un casting », a regretté la
députée de Paris, Anne­Christine
Lang. Et de conclure : « En juillet,
il faudra un renouvellement des
équipes du groupe, qui devront
avoir l’entière confiance du
groupe et de l’exécutif. »
Relations glaciales avec Philippe
Sur la vingtaine d’intervenants, la
plupart ont reproché à M. Le Gen­
dre d’avoir détérioré un peu plus
son rapport avec Edouard Phi­
lippe, avec lequel il entretient des
relations glaciales depuis de longs
mois. « Ta note met un coin entre le
président de groupe et le premier
ministre », a regretté Roland Les­
cure, député des Français de
l’étranger. Avant d’évoquer, lui
aussi, un départ de M. Le Gendre
de son poste : « Je m’interroge sur la
manière dont on peut continuer
dans cette configuration. » « On
aura besoin de réinterroger cette
configuration », a insisté M. Les­
cure, en précisant n’être « candidat
à rien ». « Le président du groupe
doit avoir un lien de confiance avec
le premier ministre. Nous devons
porter collectivement des priorités
politiques dont nous serons fiers »,
a souligné Aurore Bergé (Yvelines),
proche du locataire de Matignon.
Conscient de ce point de fragilité,
Gilles Le Gendre a « réaffirmé
« Gilles partira
début juillet, en
même temps que
le remaniement »,
croit savoir un
responsable
de la majorité
solennellement » sa « confiance à
Edouard Philippe et à son gouver­
nement ». Des mots choisis,
qui n’en ont pas convaincu cer­
tains. François Cormier­Bouligeon
(Cher) a par exemple moqué « le
sens politique » de son patron de
groupe, qui demande « un change­
ment de premier ministre alors que
le premier ministre est au zénith
de sa popularité ». Plus direct, son
collègue Jean­Baptiste Moreau
(Creuse) a déploré, de son côté, une
note « du niveau du café du com­
merce ». « C’est ni fait ni à faire ! »
En retour, le chef de file des dépu­
tés LRM s’est défendu de « tout mé­
pris », après avoir considéré dans
sa note qu’il ne voyait « aucun can­
didat crédible » pour Matignon au
sein de son groupe. Dans son pro­
pos liminaire, il s’est lancé dans
une brève séance de câlinothéra­
pie, en assurant avoir une « pro­
fonde affection » pour ses troupes.
« Je dois réparer le lien de confiance
avec vous », a­t­il admis. Un sacré
défi, tant sa « mission » à la tête de
ce groupe hétéroclite demeure
« d’une difficulté inouïe », comme il
l’a lui­même reconnu.
En échappant à une sanction,
Gilles Le Gendre ne s’est finale­
ment offert qu’un sursis à la tête
du groupe. La plupart des stratèges
de LRM jugent inéluctable son
remplacement, lors du remanie­
ment du gouvernement prévu en
juillet, qui pourrait s’étendre à
toute l’architecture du pouvoir
macroniste. « Gilles partira début
juillet, en même temps que le rema­
niement. Il ne tient pas le groupe »,
croit savoir un responsable de la
majorité. « C’est bientôt fini pour
lui, tranche un ministre. Cela fait
un moment que tout le monde a
acté qu’il devait bouger. »
En attendant, ses détracteurs se
sont contentés de l’affaiblir un peu
plus, mardi matin, sans aller jus­
qu’à le faire vaciller. « Ce n’est pas
notre intérêt de créer une crise sup­
plémentaire maintenant. Le chan­
gement sera en juillet », confie un
des élus au cœur des manœuvres
internes. D’où l’urgence de tem­
poriser, comme l’a fait Richard
Ferrand. Lors de la réunion, le pré­
sident de l’Assemblée a appelé les
députés LRM à « l’unité » dans « un
moment politique très particulier »,
où « la crise sanitaire préfigure une
crise sociale et économique d’une
vaste ampleur ». Avant de minimi­
ser l’ampleur de la polémique
autour de la désormais fameuse
note : « Je trouverais surréaliste
qu’une anecdote devienne un
drame collectif. »
Le changement annoncé aiguise
en tout cas les appétits. Plusieurs
noms circulent déjà parmi les po­
tentiels successeurs de M. Le Gen­
dre : Roland Lescure, Yaël Braun­
Pivet (Yvelines), François de Rugy
(Loire­Atlantique), Mounir Ma­
hjoubi (Paris) ou encore Olivia
Grégoire (Paris) chez les députés,
et, chez les ministres, Gabriel Attal,
voire Christophe Castaner, en cas
de sortie du gouvernement. 
alexandre lemarié
presse des trois armées, cadre du secrétariat général pour l’admi­
nistration, responsables (civile et militaire) de la délégation à
l’information et à la communication de la défense (Dicod).
Les griefs accumulés relèvent en apparence des frictions bien
connues du rapport entre médias et pouvoir : questions restées
sans réponse, autorisations d’accès au terrain trop limitées,
agendas et événements annoncés sans le préavis nécessaire à un
travail sérieux, exigences de relecture d’articles, pressions direc­
tes exercées sur certains journalistes… Mais l’AJD n’est pas
connue pour user du rapport de force, comme ont dû le faire ses
cousines de la presse présidentielle ou de la presse judiciaire
au début du quinquennat d’Emma­
nuel Macron pour préserver des
LORS DE LA CRISE  conditions d’exercice aux standards
démocratiques.
DUE AU COVID­19, 
« LA COMMUNICATION  Rencontre écourtée
Pour la première fois de son his­
A ÉTÉ DÉSASTREUSE »,  toire, le 7 mai, l’AJD a, au nom de ses
cent adhérents actifs (chiffre 2019),
ABONDE UNE SOURCE  adressé une lettre ouverte aux
communicants de la défense dont
DANS LES ARMÉES celui du cabinet de la ministre, Flo­
rence Parly. Elle dénonce des « dys­
fonctionnements multiples et récurrents », « entravant l’exercice
[du] métier ». Les problèmes ont été exacerbés durant la crise du
Covid­19, quand le ministère a indiqué renvoyer toute informa­
tion à la responsabilité des autorités de la santé, selon les instruc­
tions de l’exécutif. Entre bureaucratie interne et pression politi­
que, « la communication a été désastreuse au final », abonde une
source dans les armées. Sur trois sujets marquants, les tensions
ont été vives après les révélations de la presse : le foyer épidémi­
que de la base aérienne de Creil, le nombre de malades dans les
armées, et la contamination du porte­avions Charles­de­Gaulle.
Questionnée par des députés le 11 mai, Mme Parly a dit vouloir
« faire toute la clarté sur ce qui n’a pas fonctionné et voir comment
nous pouvons améliorer ce dialogue (…), car c’est tout à fait indis­
pensable ». La rencontre de mardi a toutefois a été écourtée, à
l’initiative des journalistes. Car le conseiller pour la presse du ca­
binet – l’échelon politique auquel rapportent les services concer­
nés des armées – n’est pas venu, malgré la demande de l’AJD.
Dans une nouvelle lettre ouverte ce 9 juin, l’association espère
« une rencontre courtoise et franche » avec la ministre. L’actualité
vient de fournir un nouveau sujet de débat : contrairement aux
usages lors d’opérations militaires de ce niveau, aucun briefing
n’a été organisé pour évoquer les conditions de l’élimination de
l’émir d’Al­Qaida, Abdelmalek Droukdel, le 3 juin, au Mali. 
nathalie guibert

Le gouvernement présente un budget L’Etat refuse de faire

inachevé en soutien aux secteurs sinistrés crédit à l’Agirc­Arcco
La caisse de retraite complémentaire doit
Le Haut Conseil des finances publiques appelle à une « vigilance particulière » sur la dette faire face à des problèmes de trésorerie

E t de trois. Après un premier

budget rectificatif voté en
urgence mi­mars, au plus
fort de la pandémie de Covid­19,
puis un deuxième mi­avril, c’est
un troisième projet de loi de fi­
nances rectificative (PLFR) qui de­
vait être présenté en conseil des
ministres, mercredi 10 juin. Au
menu, toujours pas d’éléments
sur le plan de relance de l’écono­
mie, prévu fin août, mais de nou­
veaux crédits budgétaires pour
faire face à la crise économique
qui succède à la crise sanitaire.
L’urgence est désormais au sou­
tien des secteurs les plus sinistrés
par des semaines de mise sous
cloche de l’activité, ainsi qu’à
ceux qui n’ont pu redémarrer.
Après l’annonce mi­mai d’un
plan d’aide de 18 milliards d’euros
au secteur du tourisme, une enve­
loppe de 8 milliards d’euros a été
attribuée à l’automobile fin mai,
auxquels sont venus s’ajouter,
mardi 9 juin, 15 milliards pour le
secteur aéronautique.
Une litanie impressionnante,
qui reprend en fait en partie des
dispositifs déjà annoncés (chô­
mage partiel, prêts aux grandes
entreprises comme Air France…).
Le gouvernement va en outre gon­
fler de 5 milliards d’euros l’enve­
loppe prévue pour le chômage
partiel, à 30,8 milliards d’euros,
ainsi que le fonds de solidarité en
faveur des très petites entreprises
et des indépendants, qui passera
de 7 à 8 milliards. De quoi déblo­
quer au total 13 milliards de crédits
budgétaires supplémentaires et
12 milliards d’euros de garanties
d’Etat pour les entreprises.
Mais tout n’est pas finalisé.
« Nous prévoyons aussi un plan à
destination des petits commerces
qui devrait être introduit fin juin,
par amendement », indique­t­on
au cabinet du ministre de l’écono­
mie, Bruno Le Maire. Les mesures
de soutien à l’embauche d’ap­
prentis, annoncées la semaine
dernière par la ministre du tra­
vail, Muriel Pénicaud, ne sont pas
non plus budgétées.
Une méthode que déplore le
Haut Conseil des finances publi­
ques (HCFP), chargé d’évaluer la
crédibilité des prévisions budgé­
taires : « Toutes les mesures de sou­
tien de l’activité annoncées par le
gouvernement, notamment cer­
tains plans sectoriels de relance,
n’ont pas été traduites dans ce
PLFR », note l’instance dans son
avis publié le 10 juin.
La trajectoire des finances publi­
ques, elle, continue son plongeon.
L’exécutif table désormais sur une
chute de 11 % du produit intérieur
L’exécutif table
désormais sur
une chute de 11 %
du PIB en 2020
brut (PIB) en 2020, contre 8 %, chif­
fre envisagé il y a deux mois. Le dé­
ficit public est attendu à 11,4 % du
PIB, bien au­delà de son précédent
record de 2009, après la crise fi­
nancière (– 7,2 %). Quant à la dette,
elle devrait s’établir à 120,9 % du
PIB. Une « hausse massive » qui ap­
pelle à une « vigilance particu­
lière », selon le HCFP.
Prévisions « prudentes »
Côté recette, le marasme écono­
mique ampute encore davantage
les recettes publiques : les pré­
lèvements obligatoires (cotisa­
tions, TVA, impôt sur les sociétés…)
devraient fondre de 27 milliards
par rapport à la prévision du pré­
cédent budget rectifié. Le montant
de la dépense publique s’élèverait
à 63,6 % du PIB.
« Le scénario du gouvernement
ne suppose plus, contrairement à
celui présenté dans le précédent
PLFR, un retour rapide à la normale
de l’activité, mais prévoit que l’acti­
vité restera au second semestre
nettement en dessous de son ni­
veau de la fin 2019 », relève le HCFP.
Des prévisions particulièrement
« prudentes » qui pourraient se ré­
véler moins catastrophiques que
prévu si la consommation des mé­
nages et/ou l’évolution de la situa­
tion sanitaire s’améliorent.
En revanche, « une partie des me­
sures présentées comme des mesu­
res de trésorerie pourrait finale­
ment avoir un impact sur le déficit
dès cette année », prévient le HCFP.
Ainsi, certaines entreprises fragili­
sées pourraient ne pas être en me­
sure d’honorer in fine le paiement
des cotisations reportées en rai­
son de la crise.
Pour Eric Woerth, président (Les
Républicains) de la commission
des finances de l’Assemblée, « ce
texte remet un peu de réalité sur les
chiffres de déficit, de récession, de
dette. Mais il manque d’une vision
globale de la sortie de crise, avec des
projections sur le long terme et la
manière de les financer. Le “quoi
qu’il en coûte” [formule d’Emma­
nuel Macron dans son discours du
12 mars], ce n’est pas le “quoi qu’il
advienne” ! A un moment, l’Etat va
devoir expliquer comment on re­
vient à une situation acceptable,
comment on fait face au mur du
chômage de masse, sans augmen­
ter les impôts, que ce soit par la
croissance ou une gestion plus fine
des dépenses publiques », souligne
celui qui était ministre du budget
lors de la crise financière de 2009.
Le nouveau groupe parlemen­
taire Ecologie, démocratie, solida­
rité, qui comprend plusieurs an­
ciens députés de l’aile gauche de
La République en marche, prévoit
de déposer des amendements
pour faire contribuer les plus
hauts revenus à la facture, et con­
ditionner plus strictement les
aides accordées aux secteurs aéro­
nautique et automobile. 
audrey tonnelier
L’ Etat refuse de faire crédit à
l’Agirc­Arrco, la caisse de
retraite complémentaire
des salariés du privé. Cette fin de
non­recevoir a été notifiée dans
un courrier du 29 mai que Le
Monde a pu consulter : il est signé
par le ministre de l’action et des
comptes publics, Gérald Darma­
nin, celui des solidarités et de la
santé, Olivier Véran, et par le se­
crétaire d’Etat chargé des retrai­
tes, Laurent Pietraszewski. Ces
trois membres du gouvernement
rejettent la demande d’avance
remboursable qui avait été for­
mulée par le président (CFDT) du
régime, Jean­Claude Barboul, et
par son vice­président (Medef),
Didier Weckner.
Début mai, les deux dirigeants
de l’institution paritaire avaient
réclamé un prêt de 8 milliards
d’euros pour affronter les consé­
quences de la crise et honorer le
paiement des pensions de juin et
juillet. Ils mettaient en avant l’im­
pact de décisions prises par l’exé­
cutif pour soutenir l’économie :
déploiement massif du chômage
partiel, report de cotisations socia­
les… Autant de mesures qui ont
provoqué une baisse importante
des recettes pour la caisse et mis à
mal sa trésorerie.
L’Agirc­Arrco dispose certes de
copieuses réserves financières
– 65 milliards d’euros en 2019.
Mais ce pactole est constitué d’obli­
gations et d’actions, dont certaines
ont vu leur valeur chuter au cours
des derniers mois. MM. Barboul et
Weckner ont donc jugé qu’il n’était
pas opportun de piocher dans ces
actifs, ce qui les a conduits à sollici­
ter une avance de la part de
l’Agence centrale des organismes
de Sécurité sociale (Acoss).
Mais MM. Darmanin, Pietras­
zewski et Véran estiment que
l’Agirc­Arrco peut se débrouiller
seule : d’après eux, « les actifs obli­
gataires, qui constituent une part
substantielle des réserves,(…) sont
de nature à permettre la couverture
du besoin », d’autant plus que leur
« valeur de cession n’a pas été ré­
duite par la crise ».
Le secrétaire national de la CFDT
chargé du dossier des retraites,
Frédéric Sève, se veut rassurant :
« Les rentrées de cotisations du
mois d’avril sont moins dégradées
que prévu. Le soutien de l’Acoss
pour obtenir de la trésorerie s’avère
donc bien moins nécessaire. » Un
prêt bancaire de l’ordre de 2 mil­
liards d’euros va être demandé, se­
lon M. Sève : « Ça sécurise le paie­
ment [des pensions], sans avoir à
vendre une part du portefeuille
dans de mauvaises conditions. » Le
coût de cet emprunt ne sera pas
forcément plus élevé que l’avance
remboursable qui aurait pu être
consentie par l’Acoss, précise
Philippe Pihet, administrateur FO
au sein du régime. 
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel

14 | france
Médecins,
directeurs… qui
doit gouverner,
à l’hôpital ?
LES MAUX DE L’HÔPITAL 3|6 Les soignants
critiquent le poids de l’administration.
A l’occasion du Ségur de la santé,
« Le Monde » se penche sur
les questions qui agitent l’hôpital
U
n hôpital, c’est fait
pour soigner des pa­
tients. Du coup, quand
tout le monde est foca­
lisé là­dessus, ça râle beaucoup
moins », plaisantait, mi­avril, un
directeur d’établissement hospi­
talier de l’est de la France, en
pleine crise due au Covid­19. Il se
disait surpris par « la diminution
des dissensions et par la synergie
autour d’un objectif commun » :
lutter contre l’épidémie.
Paradoxalement, cette période
de crise sanitaire a souvent consti­
tué un moment d’union et d’apai­
sement des tensions dans une
communauté hospitalière struc­
turée par l’éternelle opposition
entre soignants et administratifs.
Une question « archaïque » pour
Jérémie Sécher, président du Syn­
dicat des manageurs publics de
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santé (SMPS), qui veut croire que
le problème n’est plus là. « C’est le
dixième ou le vingtième épisode
d’un faux nez », estime­t­il.
La répartition du pouvoir entre
administratifs et soignants est un
débat vieux comme l’hôpital, qui
a balancé au fil des époques. De­
puis les réformes de 2005 et de
2009, la structure hiérarchique
d’un hôpital public est partagée
entre médical et administratif.
D’un côté, une direction admi­
nistrative, chapeautée par un di­ De l’autre, la commission médi­
recteur nommé par le ministre et cale d’établissement (CME), qui
soumis aux consignes des agen­ représente le corps médical et
ces régionales de santé (ARS) et du dont le président élu siège lui
ministère. Le directeur siège au aussi au directoire. La CME est
sein d’un conseil de surveillance, composée des chefs de pôle, de
composé d’élus locaux, de repré­ service et de représentants, pour
sentants du corps médical, du partie élus, des divers pôles et
personnel et des publics. Il pré­ corps de métiers médicaux. Le
side également le directoire. climat austéritaire de la décennie
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écoulée, avec une forte pression
financière exercée sur les direc­
tions hospitalières, a conduit à
un mouvement de balancier vers
ces dernières, parfois mal vécu
par les médecins. « Tout est tou­
jours vu par ce prisme de la con­
trainte budgétaire », soupire ainsi
Rémi Salomon, qui préside la
CME de l’Assistance publique­Ho­
pitaux de Paris (AP­HP), pour qui
la crise démontre qu’un fonc­
tionnement apaisé est avant tout
affaire de moyens.
Les tensions sociales à répéti­
tion au sein des hôpitaux se sont
accompagnées d’une volonté de
redonner plus de pouvoir aux
médecins face aux administra­
tifs. « Ces derniers mois, on ne
parle pas de moyens en plus, mais
de comment médicaliser la gou­
vernance », notait déjà un direc­
teur en novembre 2019. Un mois
plus tard, Agnès Buzyn, alors mi­
nistre de la santé, chargeait le pro­
fesseur Olivier Claris, président
de la CME des Hospices civils de
Lyon (HCL), d’une mission autour
de la « médicalisation de la gou­
vernance », suscitant l’inquiétude
des directions hospitalières.
« Macron veut nous pendre. On va
devenir consultant à 1 500 euros
par jour pour les médecins qui de­
viendront directeurs », plaisantait
alors un directeur.
Ce sujet de la gouvernance,
pourtant, ne figure pas en tête de
la pile des questions sur la table
du Ségur de la santé, la grande
concertation lancée par le gou­
vernement pour « refonder » l’hô­
pital. « Pendant la crise, ces règles
de gouvernance n’ont pas posé de
réelles difficultés. Ma conviction
profonde est que la réponse réside
bien plus dans le mode de mana­
gement que dans les règles de
gouvernance », a ainsi souligné le
premier ministre, Edouard Phi­
lippe, le 25 mai.
Quelques signes ont cependant
été adressés, comme la nomina­
tion, au sein de l’AP­HP, d’une di­
rectrice adjointe issue du corps
médical, la professeure et anes­
thésiste­réanimatrice Catherine
Paugam­Burtz. Un symbole de la
volonté que « “l’après” ne soit pas
comme “l’avant” », notait le patron
de l’AP­HP, Martin Hirsch, dans un
« Les soignants
subissent les
réorganisations.
C’est cela dont
on ne veut plus »
CÉLINE LAVILLE
présidente de la coordination
nationale infirmière
mail adressé au personnel. « Les
directeurs sont souvent les boucs
émissaires », regrette Jérémie Sé­
cher. Pourtant, rappelle­t­il, « diri­
ger un hôpital est un métier, c’est
une responsabilité juridique et pé­
nale. De fait, il faut plus de concer­
tation, mais cela ne peut pas fonc­
tionner comme une coopérative ».
Les questions de gouvernance
semblent toucher en priorité les
grandes structures de soins que
sont l’AP­HP, avec ses 13 000 mé­
decins et ses équivalents, les HCL
ou l’Assistance publique­Hôpi­
taux de Marseille. Pour M. Sécher,
la question n’est pas tant celle du
partage du pouvoir que celle des
moyens : « On sort de dix années
d’une politique d’une hypocrisie
sans nom, où l’Etat impose aux
ARS, qui imposent aux hôpitaux,
des plans d’économies entraînant
des suppressions de postes. »
L’oubli des soignants
Les ARS, justement, reviennent
souvent dans les critiques, tant
des administratifs que des méde­
cins. « Ce qui ne fonctionne pas
bien, c’est l’écart entre les acteurs
de terrain et les gens qui prennent
des décisions qui, du coup, ne sont
pas toujours adaptées », ajoute
Rémi Salomon, qui prend pour
exemple les nombreuses deman­
des de quantification et de suivi
administratif qui encombrent les
journées des soignants : « On rem­
plit des tableaux pendant des mois
et, au final, il ne se passe rien. »
Autre question, celle du rôle des
professeurs des universités­prati­
ciens hospitaliers (PUPH), qui as­
socient la direction de services et
l’enseignement aux étudiants en
médecine. « Un chef de service doit
être un bon manageur, mais ce
n’est pas toujours le cas. Et on choi­
sira souvent un bon universitaire
plutôt qu’un bon manageur », re­
connaît Rémi Salomon.
« C’est difficile, en vingt­qua­
tre heures, d’être à la fois cher­
cheur, médecin et manageur »,
confirme Jérémie Sécher, pour
qui « beaucoup de jeunes méde­
cins ne se retrouvent plus dans ce
système ». Le président du Syndi­
cat des manageurs publics en
santé plaide pour une « profes­
sionnalisation » et un meilleur ac­
compagnement administratif de
ces professeurs, afin de « laisser
aux chercheurs du temps pour
chercher ».
Au­delà de cette dichotomie
médecins­administratifs, une
autre question revient souvent,
celle de la représentation des
autres corps médicaux : infir­
miers, pharmaciens, aides­soi­
gnants… « La décision à l’hôpital
se fait aujourd’hui en dyarchie en­
tre médecins et administratifs, or
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
« On sort de dix
années où l’Etat
impose des plans
d’économies
entraînant des
suppressions
de postes »
JÉRÉMIE SÉCHER
président du SMPS
les soignants sont au cœur du sys­
tème hospitalier, qui ne fonction­
nerait pas sans eux. Cela implique
de les associer davantage à la gou­
vernance », reconnaît Jérémie Sé­
cher. « Ils doivent être mieux asso­
ciés », renchérit Rémi Salomon.
Mais des paroles aux actes, il y a
parfois un monde. « On n’est pas
du tout conviés, les paramédicaux
sont très peu représentés dans le
Ségur », déplore Céline Laville, pré­
sidente de la Coordination natio­
nale infirmière. Pour elle, « lors­
qu’on regarde les différentes stra­
tes de l’hôpital, vous avez tout en
haut la direction générale, qui cha­
peaute tout avec la CME et les ARS.
Vient ensuite une seconde strate,
avec les chefs de pôle et des cadres
infirmiers qui ont souvent bien
oublié le terrain ».
Au dessous, « il n’y a plus de déci­
sion prise, on est sur une organi­
sation uniquement descendante
où ce sont ceux du dessus qui
prennent les décisions. On ne
nous demande pas notre avis, et il
est là, le problème », insiste­t­elle :
« Les soignants au plus proche du
terrain subissent toutes les réorga­
nisations depuis dix ans au lieu
d’être moteurs, c’est cela dont on ne
veut plus. »
La crise épidémique a conduit à
une inversion de ce système :
« Au moment du confinement, les
directions n’ont pas eu d’autre
choix que de laisser faire les
agents de terrain, car ça devait
être très rapide. Si on avait pro­
cédé comme d’habitude, tout
aurait pris six mois », assure Cé­
line Laville. Un constat partagé,
au cœur de la crise, par plusieurs
directeurs d’hôpitaux, admira­
tifs de l’agilité des personnels à
trouver des solutions pour aug­
menter rapidement le nombre
de lits de réanimation. « Chez
nous, à Poitiers, on a tout réorga­
nisé en une semaine grâce aux
agents de terrain. Pourquoi on
n’utilise cette intelligence collec­
tive qu’en cas de catastrophe ? »,
s’interroge Mme Laville. 
samuel laurent
Prochain épisode A l’hôpital,
le casse­tête du financement
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
Les policiers « en colère » après
les déclarations de Castaner
Le durcissement du ton du ministre de l’intérieur, lundi, sur les
questions de racisme nourrit dans les rangs un sentiment de « lâchage »
D L
epuis lundi, tout le
monde ne parle que de
ça dans les services »,
lâche Sofiane, un poli­
cier affecté en Seine­Saint­Denis.
Mathilde, qui travaille dans un
commissariat de l’Ouest parisien,
abonde : « On est tous dégoûtés, il
n’y a pas d’autres mots. Pourtant,
on a l’habitude d’être lâchés par les
différents gouvernements, mais là,
c’est le point de non­retour. » Chris­
tophe Rouget, secrétaire général
du Syndicat des cadres de sécurité
intérieure, résume : « Les collègues
sont en colère. Ils se sentent blessés
dans leur honneur. »
Dans les rangs de la police, les an­
nonces faites par Christophe Cas­
taner, lundi 8 juin, ne passent pas.
Sur demande expresse d’Emma­
nuel Macron, le ministre de l’inté­
rieur a pris la parole lors d’une
conférence de presse pour annon­
cer différentes mesures afin, en
principe, d’améliorer la déontolo­
gie des forces de l’ordre, après
deux semaines de mobilisation
contre les violences et les accusa­
tions de racisme formulées à l’en­
contre des policiers.
Face aux cas révélés ces derniers
jours, Christophe Castaner a eu un
message clair : « Cela vaut pour
tous, mais parce qu’ils sont les gar­
diens de notre République, j’ai pour
nos forces de l’ordre une exigence
particulière et une intransigeance
plus haute encore. »
En demandant qu’« une suspen­
sion soit systématiquement envisa­
gée pour chaque soupçon avéré
d’actes ou de propos racistes »,
Christophe Castaner s’est attiré les
foudres des policiers. Ces derniers
voient dans ces propos une remise
en cause de la présomption d’in­
nocence. « Une suspicion n’est pas
un cas avéré », s’indigne Frédéric
Le comité La vérité pour Adama maintient
la pression sur le gouvernement
Un appel à une nouvelle mobilisation nationale est lancé pour le samedi 13 juin
U ne immense fresque en
hommage à George
Floyd, afro­américain
mort le 25 mai lors de son arresta­
tion par un policier blanc, et
Adama Traoré, mort à 24 ans sur
le sol de la caserne de Persan
(Val­d’Oise) à la suite d’une inter­
pellation musclée, en juillet 2016,
est apparue dans la nuit de lundi 8
à mardi 9 juin, sur la façade d’un
immeuble du 10e arrondissement
de Paris. Elle a été réalisée par le
célèbre street­artiste français JR
et des élèves de l’école de cinéma
Kourtrajmé, créée par Ladj Ly, le
réalisateur du film couronné aux
Césars Les Misérables.
C’est ici, place Jan­Karski, à quel­
ques mètres de ce collage en noir
et blanc de 40 mètres de long qui
laisse entrevoir le regard de cha­
cun des deux hommes, que le co­
mité Adama a donné rendez­vous
à la presse, mardi 9 juin. Pour ap­
peler à une « grande manifesta­
tion nationale », samedi 13 juin, à
Paris. « Nous appelons les autres
collectifs de familles de victimes
[de violences policières] à monter
à Paris », a lancé Youcef Brakni, du
comité Adama.
Une semaine après la mobilisa­
tion parisienne du 2 juin – qui a
rassemblé 20 000 personnes se­
lon la Préfecture, 80 000 selon les
organisateurs – le comité Adama
ne lâche pas la pression sur le
gouvernement.
Les propos de Christophe Casta­
ner, lundi 8 juin, n’ont pas apaisé
Lagache, délégué général du syn­
dicat Alliance. Mathilde, la poli­
cière francilienne, complète : « Si
on n’est pas au­dessus des lois en
tant que policier, on n’est pas non
plus en dessous des lois. »
Depuis deux semaines, les poli­
ciers sont « sous pression », pour­
suit Mathilde. « Les accusations de
racisme sont extrêmement diffici­
les à vivre pour les collègues, sa­
chant que la très grande majorité
d’entre eux font leur boulot correc­
tement », rapporte Christophe
Rouget. Si des agents reconnais­
sent des « blagues lourdes », des
« bizutages », la plupart se cabrent
devant les accusations dont ils
font l’objet. Mathilde développe :
« On a tous entendu des histoires de
racisme. Il y a des brebis galeuses
dans la police, des collègues qui doi­
vent être sanctionnés. Mais on ne
peut pas mettre dans le même sac
150 000 fonctionnaires. »
Pression de groupe « très forte »
Selon un policier à l’origine d’un
des deux groupes Facebook mis
en cause pour des propos racistes,
la vision des discussions sur cette
plate­forme serait tronquée. « On
a créé ce groupe pour que les poli­
ciers puissent échanger sur plein de
sujets de leur quotidien. La tonalité
des discussions n’est pas du tout ra­
ciste. Les propos qui dérapent sont
extrêmement rares, même si ça
m’est arrivé de faire des rappels à
l’ordre ou de bannir des gens.
Après, il y a l’humour des policiers,
parfois c’est drôle, parfois non. »
Sur les captures d’écran de ce
groupe nommé « FDO 22 Unis »,
l’un des membres demande, le
3 octobre 2018 : « Quelle mesure
aimeriez­vous que le nouveau mi­
nistre de l’intérieur prenne ? S’il en
fallait une toute de suite. » Un autre
la colère des familles. Le ministre
de l’intérieur a déclaré vouloir
« une tolérance zéro contre le ra­
cisme dans notre République » et
annoncé l’abandon de la mé­
thode d’interpellation controver­
sée de la « prise par le cou, dite “de
l’étranglement” ». « Il n’a jamais
employé le mot de violences poli­
cières », fustige Assa Traoré,
grande sœur d’Adama.
« Personne ne parle pour nous »
Lors d’un déplacement à Evry (Es­
sonne), mardi matin, pour ren­
contrer policiers et associations,
Edouard Philippe a tenté de faire
descendre la tension en appelant
au « respect et à la confiance » en­
vers la police, mais aussi à « l’exi­
gence vis­à­vis d’elle ». Il a constaté
une « émotion très grande » dans
le monde entier, à la suite de la
« diffusion d’images montrant la
mort d’un homme dans des condi­
tions inacceptables et, à vrai dire,
monstrueuses », à propos de la
mort de George Floyd.
Au même moment, dans le
10e arrondissement de Paris, Ladj
Ly, présent à la conférence de
presse du comité Adama, a dé­
claré : « Ça fait plus de vingt ans
que je me bats contre les violences
policières, que je les filme. Vingt ans
plus tard, les choses ne changent
pas. » Le comité Adama tient à se
démarquer du « rassemblement
solennel » organisé à l’initiative de
SOS­Racisme en fin de journée
mardi, à Paris, pour rendre hom­
« Les accusations
de racisme
sont difficiles
à vivre pour
les collègues »
CHRISTOPHE ROUGET
secrétaire général du Syndicat
des cadres de sécurité intérieure
répond : « Virer les policiers incom­
pétents, racistes et violents qui
pourrissent notre profession. » Le
20 janvier 2018, l’administrateur
du groupe avait aussi exclu une
policière qui « insultait gratuite­
ment des collègues ou les autres
corps de métiers », expliquant dans
un message que « ce genre de com­
portement est intolérable ».
Mardi 9 juin, lors d’une confé­
rence de presse de présentation
du rapport 2019 de l’inspection
générale de la police nationale
(IGPN), Brigitte Jullien, qui dirige
l’institution, a assuré qu’il n’y
avait pas d’omerta à ce sujet dans
la police : « Des propos de cette na­
ture­là ne sont pas acceptables. La
pression de groupe est très forte
parmi la police, quelqu’un qui se
comporterait de cette manière­là
resterait isolé. »
Quand il s’agit d’évoquer le ra­
cisme, un argument revient systé­
matiquement : la grande diversité
dans les rangs des forces de l’ordre
préserverait l’institution. « J’ai
toujours travaillé avec des Blacks,
des rebeus, des Chinois… Il n’y a ja­
mais eu de problème », assure un
agent, qui estime que la police
« donne à chacun la chance de
montrer qui il est ». Seules quel­
ques voix minoritaires tentent
d’alerter. « Les mots bougnoule, bi­
mage à George Floyd, inhumé au
même moment. La France insou­
mise, le Parti socialiste (PS), Eu­
rope Ecologie­Les Verts, la Ligue
des droits de l’homme, la CGT et
l’UNSA se sont aussi associés à ce
« moment de recueillement ». « La
marche de 1983 [Marche pour
l’égalité et contre le racisme, re­
baptisée Marche des beurs] a été
récupérée [par les partis politi­
ques, le PS en tête], aujourd’hui,
plus personne ne parle pour
nous », tranche Assa Traoré.
Pour Ladj Ly, « la situation est cri­
tique » et « la solution ne peut être
que politique ». « Le monde d’après
[l’épidémie de Covid­19] a com­
mencé le 2 juin, s’il le faut, chaque
semaine on sortira dans la rue », a
enchaîné Assa Traoré, qui a ré­
clamé des « actes judiciaires et la
mise en examen des gendarmes
[qui ont procédé à l’arrestation de
son petit frère ] ».
« On ne demande pas une dis­
cussion dans un salon de thé de
l’Elysée, nous avons refusé le ren­
dez­vous proposé par ministre de
la justice, a­t­elle ajouté. Nous
sommes dans une guerre d’exper­
tises [médicales], nous deman­
dons des experts spécialistes des
maladies nommées (…) et nous de­
mandons une reconstitution [de
l’interpellation]. »
En février, la chambre de l’ins­
truction de la cour d’appel de Paris
avait rejeté la demande des par­
ties civiles, qui avait été refusée
une première fois en avril 2019 par
cot, pédé, négro, malheureuse­
ment, ça fait partie du vocabulaire,
rapporte un policier. Pour le mo­
ment, il est plus compliqué de dé­
noncer ces propos que de les tenir. »
Les réponses apportées par
Christophe Castaner aux accusa­
tions de violences policières ont
aussi suscité l’indignation dans les
rangs des forces de l’ordre. Sur
l’abandon de la clé d’étrangle­
ment, les policiers restent aba­
sourdis. « C’est une méthode qu’on
nous apprend en école de police.
Donc, concrètement, sur le terrain,
qu’est­ce qu’on fait maintenant ? Le
message du ministre, c’est “dé­
brouillez­vous !” », résume Sofiane.
Quant au remplacement de
cette méthode par l’utilisation du
pistolet à impulsion électrique,
elle laisse bon nombre de poli­
ciers perplexes. « Beaucoup de bri­
gades ne disposent que de quel­
ques Taser. En plus, on ne peut pas
toujours l’utiliser : il est par exem­
ple inefficace quand les individus
ont plusieurs couches de vête­
ments. Et il peut être dangereux si
les gens ont des problèmes cardia­
ques, ce que l’on ne peut pas savoir
à l’avance », avance Mathilde.
Plus largement, les syndicats es­
timent payer le prix fort après des
années difficiles. « Depuis 2015, on
n’arrête pas : les attentats, les ma­
nifestations contre la loi travail, les
“gilets jaunes”, le mouvement con­
tre la réforme des retraites, le Co­
vid. On est toujours sur le devant de
la scène, résume Philippe Capon,
secrétaire général de l’UNSA­Po­
lice. A chaque fois, l’institution se
réforme en période de trouble et
donc de manière inadaptée. Il faut
une réflexion de fond, apaisée, qui
dépasse les enjeux politiques. » 
juliette bénézit
et nicolas chapuis
les juges d’instruction chargés du
dossier. Mais la procureure géné­
rale près la cour d’appel de Paris
avait rendu trois mois plus tard un
réquisitoire favorable à la tenue de
cette reconstitution, à laquelle
l’inspection générale de la gendar­
merie nationale s’était aussi dé­
clarée favorable.
Cela faisait des années aussi que
la famille Traoré demandait à ce
que deux témoins – une femme
qui dit avoir assisté à la première
tentative d’arrestation d’Adama
et un homme chez qui le jeune
homme a finalement été inter­
pellé – soient auditionnés par les
magistrats instructeurs. Ces der­
niers devraient finalement les en­
tendre en juillet.
Dans un communiqué publié
ce lundi, le procureur de la Répu­
blique de Paris, Rémi Heitz, a ce­
pendant affirmé que ces deux
auditions étaient programmées
avant la manifestation de la se­
maine passée. Pour Assa Traoré,
« ce n’est pas une petite victoire
que nous voulons : nous voulons
l’interdiction de toutes les techni­
ques d’immobilisation, nous vou­
lons que la police française soit ré­
formée, nous attendons que les
gendarmes et les policiers qui se
disent “bons” dénoncent les
comportements de ceux que j’ap­
pelle les brebis galeuses, nous at­
tendons que samedi, comme aux
Etats­Unis, ils mettent un genou à
terre, le poing levé ». 
louise couvelaire
Violences :
trois CRS renvoyés
devant la justice
Deux fonctionnaires sont accusés d’avoir
menti pour couvrir l’un des leurs, en
accusant un bénévole de Calais de violence
es images paraîtraient
presque anodines en com­
paraison des nombreuses
vidéos de violences policières
diffusées ces derniers mois. Mais
les trois courtes séquences sont
lourdes de conséquences : elles
ont permis à la justice de blan­
chir un bénévole de Calais (Pas­
de­Calais), injustement accusé de
violence et d’outrage envers des
policiers. Et elles valent à trois
CRS d’être renvoyés devant la jus­
tice, l’un pour violences volon­
taires par personne dépositaire
de l’autorité publique, et les trois
pour faux en écriture publique.
Selon une information du
Monde, les fonctionnaires de
police sont accusés d’avoir
menti pour couvrir l’un des
leurs, qui s’était rendu coupable
de violences, et d’avoir ainsi pro­
voqué le renvoi devant la justice
d’un innocent.
Les faits ont eu lieu à l’été 2018
sur l’une de ces bretelles routiè­
res qui avoisine la rocade de Ca­
lais, où se massent des migrants,
candidats au départ vers l’Angle­
terre. Ce matin­là, Thomas Ciot­
kowski, un bénévole britanni­
que âgé d’une trentaine d’an­
nées, circule en camionnette
avec l’un de ses amis. Il fait partie
d’une des associations qui dé­
fend les droits des réfugiés. Aper­
cevant trois personnes en train
de se faire contrôler par quel­
ques policiers, à proximité de
migrants, il s’arrête pour filmer
la scène. Les fonctionnaires déci­
dent alors « d’évincer » l’ensem­
ble du groupe.
Une version de la suite est ra­
contée sur procès­verbal, par le
chef de groupe, Laurent M.,
membre de la CRS 40, qui porte
plainte contre M. Ciotkowski :
« Nous avons essayé de les repous­
ser, mais ça durait et, à ce mo­
ment­là, l’individu anglais que
nous avons interpellé après a
commencé à parler fort, à crier et
nous a insultés dans sa langue en
ces termes “bitch­bastard” et il est
venu à mon contact, puis a posi­
tionné ses mains sur ma poitrine
et m’a poussé en arrière. J’ai effec­
tué un geste pour le repousser, il a
reculé et comme derrière lui se
trouvait la glissière de sécurité, il a
basculé en arrière et, comme il me
tenait, j’ai suivi et j’ai basculé avec
lui. Nous nous sommes retrouvés
au sol tous les deux et j’ai procédé
à son interpellation.
– Est­ce que les insultes ont été
prononcées plusieurs fois ?
– Oui, plusieurs fois en anglais, à
chaque fois qu’on essayait d’avan­
cer, ils nous repoussaient tout en
nous insultant. »
Réalité toute différente
Les deux collègues de Laurent M.
confirment sur procès­verbal
l’ensemble de ces déclarations,
citant les mêmes propos : « Ils
étaient agressifs envers nous et
nous ont copieusement insultés
en anglais, de mots comme “bas­
tard, bitch, fuck…” et j’en passe »,
assure le brigadier G. Quant au
gardien de la paix L., il est for­
mel : « J’ai vu l’individu qu’on
a ramené qui s’est approché du
chef M. et l’a poussé au niveau du
torse. J’ai entendu le chef M. dire
aux Anglais “Me pousse pas",
mais le gars l’a refait, donc le
chef M. l’a repoussé mais en recu­
lant l’individu a butté contre la
glissière de sécurité et est parti en
arrière en s’agrippant au chef M.,
ils sont tombés tous les deux. »
Insultes, provocations, agres­
sion physique, tous les éléments
semblent être réunis pour un dé­
pôt de plainte. A ce détail près
que les images, filmées sous trois
angles différents, qui montrent
l’intégralité de la scène et sur les­
france | 15
Pour les avocats
du bénévole,
« les vidéos ont
été le rempart
à la logique
d’impunité que
les policiers
recherchent »
quelles l’ensemble des propos
échangés sont audibles, présen­
tent une réalité toute différente.
Tout au long des vidéos, les béné­
voles ne profèrent pas d’injure,
Thomas Ciotkowski ne pousse ja­
mais le CRS et ce dernier ne se re­
trouve à aucun moment au sol.
On y voit au contraire des poli­
ciers qui évacuent un groupe de
migrants et de bénévoles dont
aucun ne semble être virulent.
L’un des fonctionnaires traite un
militant de « putain d’Anglais ».
Un autre assène un coup de pied
par derrière dans le mollet d’un
jeune homme pour le faire avan­
cer. Thomas Ciotkowski s’en in­
digne. « C’est illégal », l’entend­on
dire dans un français mâtiné
d’accent britannique. Il relève le
matricule de l’un des policiers.
Un policier donne alors un
coup de matraque à une jeune
femme sur le bras. « Don’t hit wo­
men », intervient Thomas Cio­
tkowski, qui ne porte jamais la
main sur le fonctionnaire. Lau­
rent M. le pousse pourtant par­
dessus la glissière de sécurité. Il
tombe à la renverse sur la route,
alors qu’un camion passe à ce
moment­là, juste derrière sa tête.
Les policiers tentent d’empêcher
une jeune femme de lui porter
assistance et interpellent le jeune
homme. Il fera vingt­neuf heures
de garde à vue et sortira avec une
convocation devant le tribunal
correctionnel pour violence et
outrage sur une personne dépo­
sitaire de l’autorité publique.
Jugé en juin 2019, le jeune
homme a été relaxé de toute
poursuite. Aprèsl’audience, le
procureur de Boulogne­sur­Mer
(Pas­de­Calais), interpellé par la
diffusion des vidéos, a saisi l’Ins­
pection générale de la police na­
tionale (IGPN) pour faire la lu­
mière sur les déclarations des po­
liciers. Sur la base de l’enquête
qui lui a été remise un an plus
tard, le magistrat a décidé de citer
à comparaître les trois CRS. Inter­
rogés par Le Monde, ces derniers
n’ont pas souhaité pour le mo­
ment faire de commentaire.
Pour M. Ciotkowski, « c’est bien
de voir la justice en action et de
voir qu’une enquête solide a été
menée. Bien que je leur pardonne
ce qu’ils m’ont fait, j’ai été chan­
ceux de ne pas être sévèrement
blessé ou même tué et ils de­
vraient être tenus pour responsa­
bles de leurs actes. »
Les avocats du bénévole,
Me William Bourdon et Me Apol­
line Cagnat, estiment que « les
poursuites pour faux sont un si­
gnal fort qui tranche avec la pré­
somption de crédibilité invaria­
blement accordée aux fonction­
naires de police, même face à de
nombreux témoignages contrai­
res ». Ils regrettent qu’il ait fallu
« comme trop souvent des vidéos
pour rendre possibles ces poursui­
tes. Elles ont été le rempart à la lo­
gique d’impunité que les policiers
recherchent systématiquement. »
A l’audience de 2019, le repré­
sentant du parquet, qui avait vu
les vidéos, avait choisi de croire la
version des policiers en requé­
rant quatre mois de prison avec
sursis contre le jeune homme. 
j. bé. et n. ch.
 0123
16 | france JEUDI 11 JUIN 2020

La loi sur le renseignement passée au crible

PRISO NS
Un rapport critique
la gestion des détenus
radicalisés
« Uniformisation » de la prise
Une mission parlementaire alerte sur « l’obsolescence technologique » du texte de 2015 en charge, critères « opa­
ques », atteintes aux libertés :
dans un rapport rendu pu­
blic mercredi 10 juin, la con­

P
résentée comme la ré­
ponse aux attentats de
janvier 2015 alors que le
texte végétait dans les
tiroirs depuis un an, et devait y
rester jusqu’à la fin du mandat
de François Hollande, la loi ren­
seignement du 24 juillet 2015,
première du genre en France,
avait été votée à la va­vite. Encore
sous le coup de l’émotion des at­
tentats de janvier 2015, les parle­
mentaires avaient néanmoins
fait inscrire dans le texte qu’un
audit complet de la loi serait con­
duit cinq ans plus tard. C’est
chose faite. La mission d’évalua­
tion, présidée par le député (Les
Républicains, Yonne) Guillaume
Larrivé, entouré de deux rappor­
teurs (La République en marche,
LRM), Loïc Kervran (Cher) et
Jean­Michel Mis (Loire), a rendu
son rapport mardi 9 juin.
Ceux qui espéraient un nou­
veau départ du contrôle démo­
cratique sur le renseignement se­
ront déçus. Pour la mission, si la
loi de 2015 est menacée d’obsoles­
cence technologique, elle est ce­
pendant équilibrée et a le mérite
d’avoir bien fonctionné face au
terrorisme.
Les parlementaires n’émettent
de sérieuses réserves qu’à l’égard
de l’usage de « la reconnaissance
biométrique », notamment fa­
ciale, que certains semblent im­
patients d’utiliser. En revanche,
les députés se font l’écho fidèle
des intérêts des services de ren­
seignement aussi bien face à la
justice européenne que face à la
Commission nationale de con­
trôle des techniques de rensei­
gnement (CNCTR).
Dernier grand pays à s’être doté
d’une loi pour encadrer l’activité
de ses services, la France est un
cancre en matière de débat dé­
mocratique sur ce qui relève
pourtant d’une politique publi­
que, qui est financée par l’impôt
et opérée par des fonctionnaires.
Le rapport de la mission rappelle
combien cette loi 2015 a consti­
tué « un changement culturel »
profond pour les agents de ren­
seignement qui se voyaient, d’un
coup, rattachés à l’État et proté­
gés juridiquement. Car, en réa­
lité, cette loi a consisté à légaliser
des techniques de renseigne­
ment qui, à deux exceptions
près, étaient déjà utilisées, mais
illégalement, depuis des années.
« Un tsunami de données »
La nécessité d’apporter, en 2015,
une réponse politique forte
après les événements de Charlie
Hebdo et la peur du juge qui pou­
vait à tout moment poursuivre
des agents secrets pour le simple
exercice de leur fonction ont
conduit à l’adoption d’un texte
dont la compréhension véritable
avait largement échappé à l’opi­
nion mais aussi aux médias et
même à beaucoup d’élus. Le gou­
vernement, craignant une trop
grande publicité sur des affaires
dont dépend une grande partie
de son autonomie de décision,
avait imposé un examen du
texte en urgence. Cette précipita­
tion avait bridé un débat déjà ap­
pauvri par la méconnaissance
Les députés
se font l’écho
fidèle des
intérêts des
services de
renseignement
d’une matière très technique et
largement couverte par le secret.
D’ailleurs, la loi ne donne pas de
définition du renseignement. Ce
sont les techniques listées dans le
texte – collecte de données, géolo­
calisation, sonorisation, algo­
rithme, etc. – qui le définissent.
Cinq ans plus tard, la mission
d’évaluation ne s’affranchit pas de
cette logique et indique que le
principal défi de la loi « est de na­
ture technologique ». D’après ses
membres, « le législateur ne peut
s’abstenir de prendre en compte »
les évolutions en cours : explosion
de la quantité de données à traiter,
déploiement de la 5G, développe­
ment du chiffrement des commu­
nications et des techniques de re­
connaissance biométrique.
L’impact, disent­ils, est direct sur
le travail des services. Le big data,
qui envahit nos vies, nécessite le
recours à l’intelligence artificielle
(IA), souvent des algorithmes,
seule à même de traiter « un tsu­
nami de données », selon l’expres­
sion du général Jean­François Fer­
let, directeur du renseignement
militaire entendu par la mission.
L’IA permet de traiter l’image, la
parole, le texte, mais aussi de tra­
duire, de détecter une langue, d’ex­
traire des informations, de traiter
des vidéos sur requête sémanti­
que, etc. Le champ est si large qu’il
justifie, selon les députés, que l’on
modifie la loi actuelle pour en
autoriser l’accès.
Mais l’entrée du renseignement
dans l’IA nous fait définitivement
basculer dans l’ère de la collecte
massive et indiscriminée des
données. Car, expliquent les dé­
putés, pour fonctionner, l’IA, tel
un ogre, a besoin de digérer des
quantités de données personnel­
les avant d’être opérationnelle. Et
il lui faut de vraies données.
Collecte indiscriminée
Les députés proposent donc de
distinguer une « phase d’entraî­
nement », au cours de laquelle
des algorithmes surpuissants
moulineront nos données sans
les traiter, et « une phase opéra­
tionnelle », où les données per­
sonnelles seront, cette fois­ci,
soumises au cadre légal. Les dé­
putés veulent également adapter
la loi à l’arrivée de la 5G, en 2020,
qui menace de compliquer l’ac­
cès des services aux données
personnelles.
Si le rapport est plutôt mesuré, il
change de ton lorsque ses auteurs
évoquent l’arrêt Tele2 Sverige AB
de la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE), du 21 décem­
bre 2016, qui a condamné la con­
servation généralisée et indiffé­
renciée des données personnelles.
Cette décision est « une épée de Da­
moclès » sur les services, disent les
trois députés, car une partie de
leurs ressources vient justement
de ce gigantesque stockage qui
permet de conserver la trace de
toutes les formes de connexions
entre les individus. « La CJUE s’est
placée du seul point de vue des
droits individuels », se plaignent les
députés, reprenant, mot pour
mot, le discours des services.
Enfin, la mission adresse une sè­
che fin de non­recevoir à la
CNCTR, seul organisme indépen­
dant chargé de veiller au bon
usage des techniques de rensei­
gnement. Lors de son audition,
son président, Francis Delon, avait
plaidé pour que la loi de 2015 soit
amendée afin que son institution
dispose d’un droit de regard sur les
masses de données échangées
dans le cadre de la coopération
avec les services étrangers. En
France, ces échanges échappent à
tout contrôle, à la différence
d’autres pays, comme la Grande­
Bretagne ou l’Allemagne. « Cela
n’est pas opportun », a tranché la
mission, épousant, une nouvelle
fois, la position des services.
Pour introduire leur rapport,
ses auteurs ont placé en exergue
une citation des Mémoires d’Ha­
drien, extraite de l’ouvrage de
Marguerite Yourcenar : « Il faut
l’avouer, je crois peu aux lois. Trop
dures, on les enfreint, et avec rai­
son. » Appliqué au renseigne­
ment, ce propos sonne comme
un étrange aveu de faiblesse. On
aurait préféré celui d’Hippo­
crate : « Ainsi, les lois contribuent,
de manière non négligeable, à
produire de la vaillance. » 
jacques follorou
trôleuse des prisons, Adeline
Hazan, dresse un bilan criti­
que de la gestion des déte­
nus radicalisés, cinq après la
création de premiers quar­
tiers spécifiques. Cette prise
en charge spéciale avait été
décidée après le choc des at­
tentats de janvier 2015. Sé­
vère avec les premiers re­
groupements de détenus
radicalisés, le contrôle géné­
ral des lieux de privation de
liberté juge toujours « insa­
tisfaisante » leur prise en
charge, dans son troisième
rapport sur le sujet. – (AFP.)
PARLEME NT
Violences conjugales : le
Sénat vote à l’unanimité
une proposition de loi LRM
Le Sénat a adopté à l’unani­
mité, dans la nuit de mardi 9
à mercredi 10 juin, en pre­
mière lecture, après l’Assem­
blée nationale, une proposi­
tion de loi LRM pour mieux
« protéger les victimes de vio­
lences conjugales ». Le texte,
précisé par les sénateurs,
autorise le médecin à déroger
au secret professionnel, lors­
qu’il « estime en conscience »
qu’il y a « danger immédiat »
pour la vie de la victime et si­
tuation d’emprise. Il alourdit
les peines en cas de harcèle­
ment au sein du couple, les
portant à dix ans d’emprison­
nement lorsque le harcèle­
ment a conduit la victime à
se suicider ou à tenter de se
suicider. – (AFP.)

Ligue 1: le Conseil d’Etat relance

Au Théâtre de la Ville Du 15 19
au juin
Espace Cardin 5 jours de débats
En direct sur Télérama.fr
le débat pour Toulouse et Amiens
et theatredelaville-paris.com
La juridiction a ordonné de suspendre la rétrogradation des deux clubs

Télérama/
A défaut de suspense sur les
pelouses, l’avenir du foot­
ball français se joue désor­
mais sur le terrain juridique. A
combien de clubs se disputera le
ment sur la montée déjà actée de
deux clubs issus de deuxième di­
vision, Lorient et Lens.
A l’inverse, si la Ligue accepte un
élargissement à 22 clubs, elle per­
plus » par saison. Problème : cette
convention expire au 30 juin et
n’est donc pas valable pour la sai­
son prochaine.
Entre­temps, la Ligue a déjà

Théâtre de la Ville Paris prochain championnat de Ligue 1, mettra aux Amiénois et aux Tou­ adopté une convention identique

L’URGENCE
et à partir de quelle date ? La ques­
tion reste ouverte après la déci­
sion du Conseil d’Etat, mardi
9 juin. La plus haute juridiction ad­
ministrative du pays, dont les déci­
sions ne peuvent se contester, a re­
jeté la demande de reprendre le
lousains de se maintenir. « Il faut
mettre fin à cette bataille judiciaire
qui n’a que trop duré, espère le pré­
sident du club d’Amiens, Bernard
Joannin, qui plaide pour cette se­
conde option. Mettons de l’huma­
nité et de la solidarité dans le
pour la période 2020­2024. Le do­
cument nécessite encore l’appro­
bation de l’assemblée générale de
la FFF, dont le comité exécutif a
déjà mis son veto, le 27 mai, à l’op­
tion d’une Ligue 2 à 22 clubs. Si la
Ligue maintenait sa décision de ré­

DESALLIANCES
championnat 2019­2020 formulée
par Lyon, mais elle a ordonné en
urgence de suspendre la rétrogra­
dation d’Amiens et de Toulouse.
Ces deux clubs reprochent à la Li­
gue de football professionnel (LFP)
de les avoir relégués en Ligue 2, le
30 avril, en raison du contexte sa­
nitaire, sans qu’ils aient eu l’occa­
monde du football. » Le président
du TFC, Olivier Sadran, n’a pas ré­
pondu à nos sollicitations.
Possibles nouveaux recours
Dans un communiqué minima­
liste, la LFP « prend note » de l’in­
jonction à un réexamen de la si­
tuation. « On nous demande de
trograder les plaignants, « elle s’ex­
poserait à un nouveau recours »
auprès de la même juridiction,
suppose Guillaume Tapie, avocat
de l’équipe amiénoise. « C’est le ris­
que majeur », confirme Claire Ra­
meix­Séguin, son homologue
pour Toulouse. Le contentieux
pourrait aussi « entraîner des dom­

Culture et… santé/

sion de disputer leurs dix derniers
matchs. D’ici au 30 juin, le juge des
référés fait désormais injonction à
environnement/sciences/ la LFP de « réexaminer la question
du format de la Ligue 1 pour la sai­
économie/éducation son 2020­2021 », dont le début est
toujours espéré au mois d’août.
Dès mardi, l’Amiens Sporting
Club (ASC) et le Toulouse Football
Club (TFC) ont chacun publié un
communiqué pour se féliciter de
leur maintien en Ligue 1. Au point
Toutes les infos Avec la Scène de recherche de dévoiler par inadvertance, côté
sur Télérama.fr de l’ENS Paris-Saclay picard, le futur logo du cham­
pionnat… Or, l’ordonnance du
theatredelaville-paris.com juge des référés ne sauve pas en­
et institutfrancais.com core les deux clubs, pas plus
qu’elle ne les condamne.
Toulouse et Amiens demeurent
sous la menace d’une relégation
si la Ligue persiste à vouloir d’un
championnat à 20 clubs, et non
d’une formule élargie à 22. « Si
l’on joue à 20, il n’y a pas d’autres
débouchés possibles que la des­
cente pour Amiens et Toulouse »,
estime Loïc Poupot, avocat de la
LFP. Ce dernier s’appuie égale­
réexaminer cette décision, on va la
réexaminer, mais cela ne veut pas
dire forcément qu’on va jouer à 22 »,
insiste Didier Quillot, le directeur
général exécutif de la Ligue, à
l’Agence France­Presse.
Jusque­là, son institution a sur­
tout invoqué – outre la cagnotte
des droits télévisés à partager – le
risque d’une surcharge du calen­
drier pour justifier le refus d’une
formule à 22, d’autant que l’Euro
mobilisera les équipes nationales
dès juin 2021. Faux problème, se­
lon la partie adverse : la suppres­
sion de la Coupe de la Ligue libé­
rera des créneaux sur le plan na­
tional, rappellent les avocats
d’Amiens et de Toulouse.
La Ligue avançait aussi un autre
argument, mais c’est celui­ci qui a
conduit le Conseil d’Etat à sus­
pendre la relégation de Toulouse
et d’Amiens : la convention plu­
riannuelle passée avec la Fédéra­
tion française de football (FFF)
permet la présence en Ligue 1 de
« 18 clubs au moins et 20 clubs au
mages et intérêts extrêmement
conséquents » lorsque le conseil
d’Etat jugera du fond, poursuit­
elle. En principe, après le début de
la nouvelle saison de Ligue 1.
Si Amiens et Toulouse ne sont
pas encore à coup sûr les ga­
gnants de l’ordonnance du Con­
seil d’Etat, l’Olympique lyonnais
(OL) et son président, Jean­Michel
Aulas, sont en revanche les
grands perdants de la journée. Le
dirigeant aura multiplié les prises
de parole pour réclamer la reprise
du championnat. En vain.
Pour autant, il n’est pas décidé à
lâcher : mardi, à travers un com­
muniqué, l’OL a souligné que « la
LFP a toujours la possibilité de re­
prendre le championnat selon une
formule adaptée », qui pourrait
être celle de rencontres élimina­
toires. « A défaut, l’Olympique lyon­
nais poursuivra son action au fond
devant le Conseil d’Etat. » Le match
n’est pas fini. Il va falloir en passer
par des prolongations. 
adrien pécout
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 | 17

Les aéroports, oubliés des aides à l’aérien
Le plan de soutien à l’aéronautique ne prévoit pas 1 euro pour les plates­formes aéroportuaires

L
es aéroports sont les
grands oubliés des mesu­
res de soutien aux princi­
paux secteurs de l’écono­
mie. Ils ne figurent pas dans le
plan de 15 milliards d’euros pour
l’aéronautique, annoncé, mardi
9 juin, par le ministre de l’écono­
mie et des finances, Bruno Le
Maire. « Nous sommes dans l’angle
mort », s’inquiète Thomas Juin, le
président de l’Union des aéroports
français (UAF). Pourtant, sur les
tarmacs, c’est l’état d’urgence. « Les
aéroports sont pour la plupart à
l’arrêt depuis deux à trois mois.
C’est sans précédent », se lamente
Thomas Juin.
Un paysage sinistré. L’activité
s’est effondrée. Un repli de 60 %, A l’aéroport
en moyenne, avec, parfois, des de Toulouse­
baisses de 70 % pour certaines, Blagnac,
précise le patron de l’UAF. Alors le 17 mars.
qu’ils ont vu transiter 206 millions FRED SCHEIBER/SIPA
de passagers en 2019, les aéroports
prévoient une baisse du trafic de
42 % en 2020.
A Toulouse­Blagnac, qui frôlait
les 10 millions de passagers en
2018 et 2019, la sixième plate­
forme de France, vit ses jours les
plus sombres. Le trafic a chuté à
moins de 1 % en avril et mai. A
Nice, la situation était aussi catas­
trophique, avec une activité tom­
bée à 2 % par rapport à la normale.

Des licenciements se profilent

Maintenant que la pandémie re­
cule, les plates­formes craignent le
pire, car les caisses sont vides. pas eu droit « à la prolongation de L’autre menace pour l’avenir des en Europe pour « déterminer la gestion et d’exploitation, ne dit
Thomas Juin évalue « le manque à l’activité partielle » au­delà du aéroports, c’est le coût de la sûreté place de la France par rapport à ses
L’activité des pas autre chose : « Avec la crise
gagner à environ 5 milliards 1er juin. C’était pourtant l’une de aérienne. Environ 1 milliard compétiteurs européens », notam­ plates-formes économique qui s’installe dans le
d’euros », dont 2,5 milliards d’euros leurs principales revendications. d’euros par an. A cause de la crise, ment l’Espagne. monde entier, la question du prix
pour Groupe ADP (ex­Aéroports Ils voulaient bénéficier « de ce dis­ en 2020, c’est un déficit de Obtenir des pouvoirs publics un
aéroportuaires du billet d’avion sera encore plus
de Paris), qui représente 50 % du positif au même titre que la filière 500 millions d’euros qui s’an­ coût de touchée compétitif est vi­ s’est effondrée, décisive qu’avant. »
trafic. Le groupe, dont le PDG est touristique », s’étonne le président nonce. « Les mois qui viennent vont tal pour la reprise de l’activité des Les aéroports s’inquiètent aussi
Augustin de Romanet, a annoncé de l’UAF. Déjà, des licenciements être compliqués », redoute M. Juin. aéroports. « La France est le seul
avec un repli de la prochaine fermeture par Air
avoir perdu 98 % de son chiffre se profilent. A Nice, les syndicats Le montant de la taxe d’aéroport pays, [sur le continent], à faire re­ de 60 % France de destinations en concur­
d’affaires pendant les deux mois s’inquiètent pour les milliers pour 2020, de 7 euros à 15 euros poser le financement de la sûreté rence avec le TGV. « Il y a un besoin
de fermeture. Un drame pour un d’emplois secondaires qui décou­ prélevés sur les billets d’avion, « a aérienne sur les passagers. Aux
en moyenne impérieux d’avoir des lignes inté­
secteur « aux coûts fixes très im­ lent de l’activité aéroportuaire. été fixé en 2019, avant la pandémie, Etats­Unis, c’est l’Etat fédéral qui rieures en France », signale
portants, dont le modèle économi­ « Cela représente entre 6 000 et avec des prévisions de trafic en paie. En Espagne, la puissance pu­ M. Juin. La fréquentation des des­
que repose sur des charges fixes 8 000 personnes », précise Laury croissance de 3 % à 4 %, alors qu’il blique finance une bonne part, par EasyJet, qui met les aéroports tinations transversales qui relient
[80 %] et des investissements Bouhachi, l’un des responsables va baisser de 60 % au minimum », voire l’essentiel, de la taxe », dé­ en concurrence, ou Ryanair, qui a entre elles des villes de province a
lourds financés par l’activité. de la CGT du commerce de l’aéro­ ajoute ce dernier. Un véritable cas­ clare l’UAF. préféré Beauvais à Paris. Air explosé. En dix ans, le trafic a aug­
Quand l’activité s’arrête, les coûts port Nice­Côte d’Azur. A Toulouse, se­tête. « Si nous voulons financer France, qui ne cesse de dénoncer menté de 70 %, contre 53 % pour
continuent de courir », dit M. Juin. la zone aéroportuaire, autour de ces missions régaliennes, il fau­ Concurrence des pays du Sud un surcoût de 300 millions les lignes internationales. En re­
Déjà tenus à l’écart des plans de l’aéroport, enregistre 9 000 em­ drait augmenter cette taxe de plus A l’occasion de la reprise, le mon­ d’euros de taxes et de redevances à vanche, le trafic des destinations
relance, les aéroports n’ont même plois indirects. de 50 % », signale M. juin. Impossi­ tant du coût de touchée sera dé­ Roissy­Charles­de­Gaulle par rap­ entre Paris et la province n’a pro­
ble, « sauf à désavantager la France terminant dans le choix des com­ port à l’aéroport d’Amsterdam­ gressé que de 2,5 %.
vis­à­vis des autres pays euro­ pagnies de se poser ou non sur un Schiphol, pourrait emprunter la « Certains aéroports ne pourront
Pertes nettes record pour les compagnies péens », prévient l’UAF. aéroport. « Au cours des prochains même démarche à l’avenir. pas tenir sans l’intervention de la
La taxe d’aéroport, c’est ce qui mois et en 2021, il va y avoir une Les aéroports redoutent la con­ puissance publique, prévient
Les compagnies aériennes pourraient subir un total de plus de pèse le plus lourd dans le coût de phase de consolidation parmi les currence des pays du sud de l’Eu­ l’UAF. Nos demandes n’ont pas été
84 milliards de dollars (74 milliards d’euros) de pertes nettes touchée, le prix payé par les com­ compagnies, souligne M. Juin. Cela rope. « Quel sera le coût de tou­ prises en considération. Elles sont
en 2020 et encore 15 milliards de dollars de pertes en 2021, en pagnies pour se poser sur un aéro­ va entraîner une réduction des chée des aéroports d’Italie et d’Es­ restées lettre morte. Nous ne som­
raison de la pandémie de Covid-19, a annoncé, mardi 9 juin, l’As- port. En France, il évolue de vols. » Au moment de relancer leur pagne, car les compagnies vont mes pas sur les radars de Bruno Le
sociation internationale du transport aérien (IATA). Les pertes de 20 euros à 40 euros. M. Juin sou­ activité, les compagnies qui survi­ faire leur calcul », s’inquiète l’UAF. Maire. » 
2020 seraient ainsi les plus importantes de l’histoire de l’aviation. haite que l’Observatoire du coût vront auront le choix. « Elles rou­ A Beauvais, plate­forme 100 % guy dutheil, sofia fischer
« En comparaison, les compagnies aériennes avaient perdu 31 mil- de touchée, créé à l’occasion des vriront leurs lignes en fonction du low cost, François Rubichon, pré­ (nice, correspondante)
liards de dollars lors de la grande crise financière » de 2008 et assises du transport aérien, coût de touchée », ajoute l’UAF. sident du conseil de surveillance et audrey sommazi
2009, indique Alexandre de Juniac, directeur général de l’IATA. en 2019, établisse un comparatif Une politique déjà mise en œuvre de la société aéroportuaire de (toulouse, correspondance)

Les liaisons avec l’outre­mer bientôt rétablies

Les Antilles figurent dans le top 10 des destinations long­courriers. Le tourisme représente en moyenne 10 % du PIB des territoires ultramarins

L’ étau se desserre pour les

départements et collecti­
vités d’outre­mer soumis,
dans le cadre de l’état d’urgence
sanitaire, à des règles strictes de
restriction des arrivées sur leur
territoire en provenance de
l’Hexagone : seuls les déplace­
ments pour des motifs impérieux
sont autorisés. Les voyageurs doi­
vent suivre une procédure d’ac­
cueil de plusieurs heures et se
voient imposer une mesure de
quatorzaine obligatoire, à leur do­
micile ou dans un lieu réservé à
cela. Des mesures dont le premier
ministre, Edouard Philippe, a an­
noncé le 28 mai le maintien du­
rant la phase 2 du déconfinement,
jusqu’au 22 juin.
Depuis le 9 juin, un protocole
sanitaire expérimental a été mis
en place à l’initiative de la minis­
tre des outre­mer, Annick Girar­
din, pour les voyageurs venant de
métropole à destination de la
Guadeloupe, la Martinique,
Saint­Martin, Saint­Barthélemy
et La Réunion.
L’enjeu est considérable
Pour tous les territoires concer­
nés, les passagers sont invités à
réaliser, dans les soixante­
douze heures précédant le vol, un
test RT­PCR de détection du virus.
Ils doivent s’adresser à leur méde­
cin, qui leur prescrira le test – rem­
boursé par la Sécurité sociale – sur
présentation de leur billet ou
d’une réservation.
A l’arrivée, les passagers présen­
tant un test négatif bénéficieront
d’une procédure accélérée de
traitement à l’aéroport et effec­
tueront sept jours de quaran­
taine, au lieu de deux semaines,
suivis d’un nouveau test RT­PCR.
Pour les personnes n’ayant pas
effectué de test préalable, les me­
sures actuellement en cours res­
tent applicables.
« Un bilan de cette expérimenta­
tion sera réalisé avant le 22 juin, in­
dique Mme Girardin. Nous sommes
dans une logique de vigilance res­
ponsable. Le premier ministre a dit
que les Français pourraient aller
dans les territoires ultramarins cet
été. C’est ce à quoi nous nous pré­
parons. » L’enjeu est considérable.
Durant les vacances d’été, les dé­
placements de métropole vers les
départements d’outre­mer sont
majoritairement composés d’affi­
nitaires, qui souhaitent pouvoir
retrouver leur famille.
C’est à cette fin que la ministre
entend, à partir du 22 juin, que les
« motifs impérieux » soient levés
et que soient supprimés les pla­
fonds de passagers dans les avi­
ons pour permettre une occupa­
tion plus importante des sièges
et, en conséquence, une baisse du
prix des billets. Ceci accompagné
d’une augmentation progressive
du nombre de vols hebdomadai­
res en fonction des territoires.
Elus et voyagistes s’opposent
Les Antilles figurent dans le
top 10 des destinations long­
courrier, soit cent mille clients
par an. Le tourisme représente en
moyenne 10 % du produit inté­
rieur brut de ces territoires ultra­
marins, une part supérieure à
celle de la métropole mais qui
reste inférieure à celle des autres
îles caribéennes, jugées plus effi­
caces et plus agressives dans leur
offre touristique et, surtout,
moins chères.
Pour les voyagistes, ce disposi­
tif reste trop « compliqué ». Pas­
ser d’une quarantaine de qua­
torze à sept jours peut éventuel­
lement relancer le « tourisme af­
finitaire », mais pas le tourisme
marchand.
« Pour nous, le problème reste
entier, estime Valérie Boned, se­
crétaire générale des Entreprises
du voyage. On attend que les dé­
partements d’outre­mer soient
traités de la même façon que la
France métropolitaine. Ce sont les
seules destinations long­courrier
que l’on pourrait exploiter et on
est entravé par un traitement par­
ticulier, du fait surtout des politi­
ques locaux. Tant qu’on n’a pas
levé la septaine à l’arrivée, c’est ab­
solument impossible de faire par­
tir un touriste. »
Deux logiques s’affrontent. Du
côté des élus ultramarins, relayés
par la ministre des outre­mer, la
préoccupation sanitaire est un
souci permanent, même si l’enjeu
économique est fort. Jusqu’à pré­
sent, l’épidémie a été contenue
dans les outre­mer, si l’on excepte
Mayotte et la Guyane qui restent
des sujets d’inquiétude. Pour les
voyagistes, qui ont l’oreille du se­
crétaire d’Etat au tourisme, Jean­
Baptiste Lemoyne, « ce serait du
bon sens que de mettre fin à ces
mesures ».
Mme Girardin, quant à elle, en­
tend promouvoir un « tourisme
responsable sanitaire ». Le test,
obligatoire au départ, devrait le
rester après le 22 juin et ce sera
aux préfets de décider des proto­
coles d’accueil sur place. Quoi
qu’il en soit, le nombre de vols à
destination de ces territoires de­
vrait rester de l’ordre de la moitié
des flux habituels. 
clément guillou
et patrick roger

18 | économie & entreprise
Habillement :
l’angoisse de
15 000 salariés
Laminées par la crise, de grandes
enseignes de mode sont placées
en redressement judiciaire
N
af Naf a ouvert le bal
funeste des enseignes
d’habillement en
quête de repreneurs,
mardi 9 juin. Réunis en audience,
les juges du tribunal de com­
merce de Bobigny ont examiné
les offres de reprise de la chaîne
de mode féminine placée en re­
dressement judiciaire mi­mai.
Seules deux entreprises sont can­
didates à une reprise partielle. La
chaîne fondée à Paris en 1973 ex­
ploite 146 magasins.
Sy, fournisseur de Naf Naf, es­
père mettre la main sur son réseau
de points de vente pour écouler sa
production issue de ses usines tu­
nisiennes. « Sy a déjà un pied dans
la distribution en France depuis la
reprise de Sinequanone en novem­
bre 2019 », fait valoir Luc Mory,
PDG de Naf Naf, qui soutient l’offre
portée par Selçuk Yilmaz, fonda­
teur de Sy. Ses détracteurs y voient
une manœuvre pour garantir ses
factures impayées ; Naf Naf lui de­
vrait près de 4 millions d’euros.
M. Mory, qui sera associé au capi­
tal de l’entreprise, le cas échéant, y
voit, lui, une association salutaire
entre un fabricant et un distribu­
teur. Sy s’engage à reprendre
125 magasins du réseau et 944 de
ses 1 219 employés. Son rival, le
groupe Beaumanoir, propose, lui,
de sauver 195 magasins et 604 sa­
lariés, ainsi que la filiale espagnole
et ses 100 employés.
Qui décrochera l’enseigne qui
habillait les jeunes femmes des
années 1980 ? Les salariés se sont
prononcés en faveur de l’offre du
groupe Sy. Les juges, eux, de­
vraient trancher d’ici au 16 juin.
Les 5 391 employés La Halle se
rongent aussi les sangs. Jeudi
11 juin, ils découvriront les offres
Les députés jugent sévèrement
le bilan de l’action de groupe
Depuis 2014, seulement vingt et une actions ont été intentées,
regrettent les rapporteurs qui suggèrent de desserrer le cadre
U n bilan qui reste déce­
vant », tels sont les ter­
mes employés par les dé­
putés Philippe Gosselin (LR, Man­
che) et Laurence Vichnievsky (Mo­
Dem, Puy­de­Dôme) rapporteurs
du « Rapport d’information sur le
bilan et les perspectives des actions
de groupe », publié mercredi
10 juin par l’Assemblée nationale.
Introduite en France par la loi du
17 mars 2014 relative à la consom­
mation, l’action de groupe permet
à des consommateurs de se ras­
sembler, sous l’égide d’une asso­
ciation agréée, pour intenter en­
semble la demande de réparation
d’un préjudice.
Pour éviter les dérives des class
actions anglo­saxonnes, l’action
de groupe « à la française » avait
alors été strictement encadrée par
les pouvoirs publics : « seule une
quinzaine d’associations bénéficie
de la qualité à agir ; les consomma­
teurs doivent avoir manifesté leur
volonté de s’inclure dans le groupe
avant même que la décision de res­
ponsabilité soit rendue… », rappelle
le rapport.
Bilan : depuis 2014, seulement
21 actions de groupe ont été inten­
tées, malgré leur extension à la
de reprise de l’enseigne aux
830 magasins placée en redresse­
ment judiciaire, mi­avril, à la de­
mande de sa maison mère, Vi­
varte. Pour l’heure, une demi­dou­
zaine de candidats sont connus.
Parmi eux figurent Lidl, Gémo,
Chaussea et… à nouveau Beauma­
noir. Le groupe breton est prêt à re­
prendre plus de 360 magasins et
2 300 salariés. « Plus de 2 200 sala­
riés de La Halle pourraient être li­
cenciés dans les prochaines semai­
nes », calcule Loïc Riffaud, secré­
taire du comité social et économi­
que (CSE), élu CFTC.
« Peu d’espoir »
Les 3 400 salariés de Camaïeu
sont aussi dans l’expectative. Au
siège de Roubaix, la CGT croit en­
core en ce « leader du marché fé­
minin » créé en 1984, à Lens, par
quatre hommes, dont Jean­Pierre
Torck, un ancien proche de Gé­
rard Mulliez, fondateur d’Auchan.
Sa chute pourrait mettre en péril
« au total 5 000 emplois » dans la
région, s’alarme Thierry Siwik, dé­
légué syndical. Les candidats à la
reprise doivent déposer leur dos­
sier d’ici au 29 juin.
Le tribunal de commerce de Lille
aura aussi prochainement à déci­
der du sort de Verywear, maison
de l’enseigne Devianne, placée en
redressement judiciaire, mardi
2 juin. 680 emplois sont concer­
nés. A Grenoble, les 600 salariés
d’André, chaîne de chaussures en
redressement judiciaire depuis le
1er avril, seront fixés fin juin.
« Nous avons peu d’espoir », avoue
un élu du personnel. A Paris, Un
jour ailleurs, enseigne de mode fé­
minine fondée en 1985, a déposé
le bilan. Plus de 146 points de
vente et 550 salariés sont sur la
santé, à l’environnement, à la dis­
crimination et aux données per­
sonnelles en 2016, et à la location
immobilière en 2018. Quatorze
portent sur la consommation,
trois sur la santé, deux sur les dis­
criminations et deux sur les don­
nées personnelles. « Même si le ca­
ractère relativement récent de l’ac­
tion de groupe en France peut expli­
quer son faible développement »,
les députés constatent que « le
nombre d’actions de groupe reste
très limité » et « qu’aucune entre­
prise n’a encore vu sa responsabi­
lité engagée ».
Un système trop complexe
Trois procédures ont abouti à un
accord de médiation, cinq ont été
rejetées sur des moyens de procé­
dure ou de fond… Aucune des qua­
torze actions concernant la con­
sommation « n’a franchi la phase
de déclaration de responsabilité du
professionnel », résument les dé­
putés, qui concluent que le dispo­
sitif n’a « pas été à l’origine d’avan­
cées significatives dans la défense
des consommateurs ».
Les députés dénoncent un sys­
tème d’une trop grande com­
plexité, avec différents types de
Un magasin
La Halle
(groupe
Vivarte),
à Paris,
le 27 mai.
CHARLES
PLATIAU/REUTERS
sellette. Enfin, le 16 juin, les juges
doivent décider du sort d’Orches­
tra­Prémaman, groupe qui em­
ploie 1 500 personnes.
En tout, près de 15 000 emplois
de la distribution d’habillement
sont menacés. Comment ce sec­
teur est­il tombé si bas ? « Depuis
les manifestations des “gilets jau­
nes”, en 2018, rien ne nous a été
épargné », avance Gaëlle de Pru­
nelé, directrice générale d’Un jour
ailleurs. Les grèves contre la ré­
forme des retraites à l’hiver 2019
ont aussi plombé les comptes.
« Puis, en mars, ce fut la pandémie
de Covid­19 », raconte la dirigeante.
La fermeture des magasins pour
lutter contre la propagation de
l’épidémie a réduit à quasiment
zéro les recettes, entre mi­mars et
mi­mai. Ces deux mois ont été « fa­
tals ». Mais ni Camaïeu ni Un jour
ailleurs ni André, parce que mal en
point, n’ont été éligibles aux prêts
garantis par l’Etat. Les fédérations
professionnelles s’en alarment.
D’autant que Bercy n’a guère
œuvré pour l’annulation des
loyers à valoir dans les centres
commerciaux pendant la période
de confinement. « Bercy a fait le
choix de l’industrie, en soutenant
Renault, Air France, l’aéronautique.
Pas celui du commerce. Cette ab­
procédures pour les consomma­
teurs (action conjointe, action en
représentation conjointe, initia­
tive d’avocats recourant à des pla­
tes­formes en ligne…). Mais ils re­
connaissent que son existence a
pu avoir un effet dissuasif sur les
entreprises.
En formulant treize proposi­
tions, les députés suggèrent de
simplifier le cadre de cette procé­
dure, et de profiter d’un projet en
cours de directive européenne re­
lative aux actions de groupe. Ils
préconisent la mise en place
d’une « action collective univer­
selle » applicable dans tous les do­
maines, qui pourrait être engagée
par toute association ayant au
moins deux ans d’ancienneté. Et
de lever l’interdiction de faire la
publicité d’une action de groupe
qu’elles souhaitent intenter « afin
de faciliter l’identification du
nombre de consommateurs lésés
et quantifier le montant du préju­
dice ». Les députés suggèrent en­
fin de lever un des principaux
freins, financier cette fois, en per­
mettant un remboursement plus
complet des frais engagés par les
associations. 
cécile prudhomme
sence de soutien nous achève », re­
grette Yohann Petiot, directeur gé­
néral de la fédération Alliance du
commerce. « Un vrai scandale »,
renchérit le président d’une fédé­
ration, sous couvert d’anonymat,
en pointant ce gouvernement qui
rechigne à aider un secteur sous
prétexte qu’« il vend des produits
importés de Chine ».
A en croire François Videlaine,
associé au cabinet Kearney, ce
« tsunami qui atteint les enseignes
françaises » était cependant prévi­
sible. Car « le mauvais cocktail “gi­
lets jaunes” et Covid­19 n’explique
pas tout », juge Laurent Thoumine,
directeur exécutif chez Accenture
France. Un premier « élément dé­
clencheur a été l’expansion de Zara
et H&M au début des années
1990 », souligne M. Videlaine. Leur
modèle de « produits à bas prix
couplés à des stocks tournants »
s’est imposé, mais il exige d’« être
un ogre » pour « acheter aux
meilleures conditions d’achat en
Chine ou au Bangladesh », expli­
que­t­il. Sans cette taille, il est im­
possible d’obtenir les bons prix.
Dès lors, dès les années 1990,
alors que les centres commer­
ciaux ouvrent à tout­va, les inau­
gurations de points de vente s’en­
chaînent pour augmenter les vo­
PERTES & PROFITS | CHÔMAGE PARTIEL
par phi lippe e scand e
Reprise, le paradoxe français
Jean­Michel Aulas a finalement
perdu le match. Le bouillant pré­
sident de l’Olympique lyonnais
n’est pas parvenu à empêcher, en
Conseil d’Etat, la Ligue de foot­
ball professionnel d’arrêter défi­
nitivement le championnat
2019­2020. Paris, Marseille et
Rennes participeront à la Ligue
des champions, pas Lyon. Beau­
coup ont raillé l’activisme dé­
bridé de l’industriel lyonnais
pour éviter le déclassement de
son club. Lui en faisait une af­
faire économique. Pourquoi l’Al­
lemagne a­t­elle remis ses
joueurs sur la pelouse et pas la
France ? La question dépasse lar­
gement le cadre footballistique
et remet en cause le redresse­
ment économique du pays.
Un nouveau paradoxe français
est train d’émerger. La France a
adopté le système de protection
le plus avantageux et coûteux
d’Europe, avec un recours massif
au chômage partiel, au motif
non seulement de protéger la po­
pulation des dégâts du chômage
de masse, mais aussi pour accé­
lérer la reprise. Les entreprises
ayant gardé leurs employés, elles
devaient pouvoir redémarrer
bien plus rapidement et éviter
ainsi une crise prolongée
comme celle que nous avons vé­
« La distribution
française
doit purger
son trop-plein de
mètres carrés »
PASCAL MADRY
directeur de l’Institut
pour la ville et le commerce
lumes d’achat. Les Camaïeu et La
Halle étaient alors « des machines
de guerre très rentables », confirme
Laurence­Anne Parent, directrice
associée chez Advancy. « C’était la
belle époque », reconnaît Mme de
Prunelé, d’Un jour ailleurs. Mais,
« certains rachats par LBO se sont
ensuite traduits par une course à
l’ouverture de points de vente » qui
leur a été fatale, juge Mme Parent.
D’autant que le marché plonge.
Depuis douze ans, les Français dé­
pensent moins. « Il y a trop de ma­
gasins en France », conclut Pascal
Madry, directeur de l’Institut pour
la ville et le commerce.
De fait, les dossiers qui tour­
mentent le marché de l’habille­
ment sont issus de deux rachats
d’enseignes par effet de levier
(LBO en anglais), opération qui
cue au sortir de la catastrophe fi­
nancière de 2008. C’est un peu le
contraire qui semble se produire.
Avec une prévision de baisse de
sa richesse, le produit intérieur
brut (PIB), de plus de 10 % pour
l’année 2020, l’Hexagone se
place en queue du peloton euro­
péen, loin derrière l’Allemagne,
qui table sur une chute d’un peu
plus de 6 %.
Une société en veilleuse
Cette mauvaise performance an­
noncée s’explique d’abord par la
sévérité des mesures de confine­
ment. Les travaux de l’Insee et
d’une étude en cours du Conseil
d’analyse économique montrent
une corrélation très forte, et logi­
que, entre la sévérité des mesu­
res de confinement et la baisse
de PIB enregistrée au premier tri­
mestre de cette année. Aux deux
extrêmes, d’un côté, la Suède,
zéro confinement et un PIB très
légèrement positif, et, à l’autre
bout, l’Italie, son confinement
total et un PIB en chute de plus
de 5 %. Mais cela n’explique pas
tout. Au milieu de ce graphique,
une exception française, et aussi
espagnole, avec des mesures offi­
ciellement moins sévères qu’en
Italie, mais une contraction de
l’économie encore plus pronon­
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
pousse les enseignes à gagner du
chiffre d’affaires pour rembour­
ser les emprunts contractés lors
de leur rachat par des fonds dits
de private equity. « Ce fut morti­
fère », juge M. Madry. Vivarte, dé­
tenu par LBO depuis 2007, en est
le symbole. Jusqu’en 2018, le
groupe détenait André et Naf Naf.
Et La Halle était sa « vache à lait ».
Tous trois sont au plus mal. Le
parcours de Camaïeu est aussi ce­
lui d’un LBO qui tourne vinaigre.
Comment le marché va­t­il se re­
dessiner ? « La distribution fran­
çaise doit purger son trop­plein de
mètres carrés et rattraper son re­
tard dans l’e­commerce », juge
M. Madry. Dès lors, les fermetures
de magasins pourraient se multi­
plier. « Plus de 12 % des locaux sont
vides dans les centres­villes et les
centres commerciaux », avance ce
dernier. Le sort des villes de taille
moyenne, dont les commerçants
sont laminés par l’envolée ac­
tuelle des ventes en ligne, in­
quiète. L’Etat a déjà consacré
5 milliards d’euros sur cinq ans
dans le programme national « Ac­
tion cœur de ville » pour ranimer
ces rues dont les enseignes de
mode étaient les piliers. Est­ce à
fonds perdu ? 
juliette garnier
cée. C’est ce surplus qui affecte le
redémarrage.
Il semblerait que la société
française se soit mise spontané­
ment en veilleuse. Des secteurs
qui n’étaient pas interdits se sont
arrêtés d’eux­mêmes. Comme le
BTP, stoppé à 85 %. Début mai, le
ministre de l’économie, Bruno Le
Maire, s’était inquiété de cette si­
tuation, en remarquant que,
dans les pays voisins, cette acti­
vité avait repris plus fortement.
En Allemagne ou aux Pays­Bas,
peu de chantiers se sont arrêtés.
Parmi les causes connues,
comme le souligne l’économiste
Jean Pisani­Ferry, la défiance et
les mauvaises relations sociales
en France. Témoins, les arrêts à
La Poste ou chez Amazon.
Au­delà, il faut s’interroger sur
le dispositif même de protection.
Le chômage partiel est si géné­
reux (plus que le chômage pur)
qu’il n’incite pas les entreprises à
reprendre le travail à 100 %, avec
l’explosion des charges d’exploi­
tation que cela impliquerait. Al­
lons­nous vivre trois mois de
semi­léthargie supplémentai­
res ?, s’interroge Olivier Passet,
l’économiste de Xerfi. C’est alors
tout le tissu économique et in­
dustriel français qui serait dura­
blement atteint. 
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 économie & entreprise | 19

La récession frappera plus durement la France

Pour l’OCDE, l’Hexagone enregistrera l’une des plus fortes chutes du PIB au monde, entre 11,4 % et 14,1 %

L’
horizon économique
de la France et des pays
de la zone euro s’as­
sombrit un peu plus.
Selon les prévisions de l’Organisa­
tion de coopération et de dévelop­
pement économiques (OCDE),
publiées mercredi 10 juin, la con­
traction du produit intérieur brut
(PIB) va se situer entre 11,4 % et
14,1 % en 2020 en France. Soit la
contraction la plus importante au
monde, dans les mêmes propor­
tions qu’en Espagne, en Italie et
au Royaume­Uni. Même l’Argen­
tine, qui vient pourtant d’entrer,
fin mai, en défaut de paiement,
s’en sortira mieux avec une chute
de son PIB attendue entre 8,3 % et
10,1 %. C’est dans la zone euro que
le décrochage, compris entre
– 9,1 % et – 11,5 %, sera le plus bru­
tal de la planète.
En raison de « l’incertitude excep­
tionnelle » de la conjoncture cette
année, l’OCDE présente ses prévi­
sions en prenant en compte deux
scénarios. L’un avec une
deuxième vague de la pandémie
de Covid­19 se propageant sur la
planète à la fin 2020, l’autre sans.
L’économie française cumule
les handicaps en cette période.
« Ses avantages comparatifs se si­
tuent dans des secteurs parmi les
plus touchés par la crise comme le
transport aérien, le tourisme ou
même le luxe, explique Daniel Co­
hen, directeur du département
d’économie de l’Ecole normale
supérieure. Et l’Hexagone n’a pas
eu d’autre solution que le confine­
ment massif, contrairement à l’Al­
lemagne qui s’était préparée plus
tôt à la pandémie. »
« Grande fragmentation »
L’OCDE constate que les « services
ont été plus touchés que l’indus­
trie », particulièrement dans les
secteurs de l’hôtellerie, du tou­
risme et des loisirs. « On assiste à
l’épuisement d’un Etat jacobin qui
a voulu tout gérer depuis le som­
met, des écoles aux transports pu­
blics, ajoute M. Cohen. Or, un Etat
centralisateur est mieux placé
pour imposer un confinement to­
tal que pour en gérer sa sortie, là
où il faut agir par petites touches
et avec de la concertation sociale,
secteur par secteur. »
Autre inquiétude exprimée par
l’OCDE : le passage de « la grande
intégration » à « la grande frag­
mentation » avec la montée des
inégalités entre les salariés, les
pays et la fermeture des frontiè­
res. Même si la récession sera
moins spectaculaire dans les éco­
nomies émergentes, les filets de
sécurité sociale y sont plus fragi­
les et les marges de manœuvre
budgétaires des gouvernements
plus réduites. Or, ces économies
sont touchées par la baisse du
prix des matières premières, la
fuite des capitaux étrangers, un
endettement élevé, un secteur in­
formel répandu et la baisse du
commerce mondial. La diminu­
tion des échanges ne devrait pas
dépasser 11,5 % cette année, un ni­
veau comparable à ce qui fût ob­
« On assiste à
l’épuisement d’un
Etat jacobin qui a
voulu tout gérer
du sommet »
DANIEL COHEN
économiste à l’ENS
servé pendant la crise 2009, mais
ils contribuent à hauteur de 30 %
du PIB des pays en voie de déve­
loppement, contre 18 % dans les
régions développées. Selon les
nouvelles estimations données,
mardi, par la Banque mondiale, la
pandémie va faire tomber dans
l’extrême pauvreté entre 71 et
100 millions de personnes, avec
un seuil de revenu fixé à 1,90 dol­
lar (1,70 euro) par jour.
La sortie progressive du confi­
nement ne coïncidant pas avec
une reprise normale de l’activité,
encore freinée par la fermeture
des frontières et la distanciation
physique, l’OCDE s’attend à une
reprise « lente ». Et souligne que
cette crise aura des effets dura­
bles, en « touchant de manière dis­
proportionnée les gens les plus
vulnérables ».
« La plupart des secteurs les plus
touchés dans les services em­
ploient beaucoup de
main­d’œuvre, avec souvent des
bas salaires, des contrats précaires,
et ce sont des emplois où le travail
à distance est plus difficile », ajoute
l’Organisation. Les plans de sauve­
garde mis en place dans les grands
pays européens ont permis de fi­
nancer le chômage total ou partiel
de 20 % à 25 % des salariés du sec­
teur privé. Mais ce système de pro­
tection social permet tout juste
d’éviter – ou de retarder – les licen­
ciements sans éliminer la préca­
rité. En France, le chômage est ag­
gravé par le gel des embauches et
la fin des contrats d’intérim ou
des CDD qui ont fait disparaître
450 000 emplois depuis le début
de la pandémie. Le taux de chô­
mage a doublé dans les pays de
l’OCDE sur les six premiers mois
de l’année, après avoir enregistré,
en 2019, son plus bas niveau de­
puis cinquante ans. Il devrait at­
teindre un pic à 12,5 % d’ici décem­
bre. L’OCDE préconise, pendant
cette période de transition, d’ac­
compagner les chômeurs vers les
secteurs en croissance et aider les
entreprises à se restructurer.
« En préparant la fin du confine­
ment d’une ampleur sans précé­
dent, avertit le Fonds monétaire
international dans une note pu­
bliée début juin, les pays asiati­
ques et européens doivent agir
avec précaution et résister à la ten­
tation de se déconfiner trop tôt
avec le risque d’une hausse des
contaminations. » Redonner de
l’oxygène à l’économie mondiale
tout en évitant une nouvelle va­
gue de la pandémie : la ligne de
crête de la reprise économique
s’annonce très étroite. 
julien bouissou

« La crise touche
surtout les moins
qualifiés et les jeunes »
L’économiste en chef de l’OCDE,
Laurence Boone, s’inquiète
du creusement des inégalités

ENTRETIEN l’activité durant cette période, et

LA FRANCE REPART,
S’INFORME ET S’EXPRIME
ils vont devoir continuer pour ac­

D ans ses prévisions pu­

bliées mercredi 10 juin,
l’Organisation de coopé­
ration et de développement éco­
compagner les personnes et les
entreprises vers la reprise.

Quel sera le rythme de

SUR BFM BUSINESS

nomiques (OCDE) estime que la
récession mondiale en 2020 sera
comprise entre − 6 % et − 7,6 %.
Son économiste en chef,
Laurence Boone, s’inquiète des
conséquences pour les personnes
les plus vulnérables.
Pourquoi la zone euro va­t­elle
connaître la pire récession du
monde en 2020 ?
Tout d’abord, la récession af­
fecte tous les pays de l’OCDE.
En 2020, aucun ne va enregistrer
de croissance positive. Plusieurs
facteurs contribuent à l’ampleur
plus ou moins importante de la
récession. Il y a d’abord la durée et
l’ampleur du confinement, le mo­
ment où il a eu lieu, la densité de
population dans les lieux où se
concentre l’activité économique
et les leçons tirées par certains
pays des précédentes épidémies.
Ensuite, la spécialisation de l’éco­
nomie joue un rôle.
Certains secteurs sont plus af­
fectés que d’autres par la distan­
ciation physique, comme le tou­
risme. La Grèce a enregistré peu
de cas de Covid­19, mais son éco­
nomie est très touchée car très dé­
pendante de cette activité.
Les pays les plus touchés font
pourtant partie de ceux qui ont
lancé les plans de sauvetage les
plus ambitieux…
En choisissant de fermer une
partie de leur économie pour
mieux lutter contre la pandémie,
les pays ont interrompu l’activité
la reprise ?
La période est extraordinaire­
ment incertaine. Il y a encore
beaucoup d’inconnues autour de
ce virus. Nous n’avons pas en­
core ni vaccin ni traitement, on
peut seulement viser à limiter sa
propagation. Il va donc falloir vi­
vre avec cette pandémie. La fin
progressive du confinement
dans un pays ne coïncide pas
avec la reprise de l’activité pleine,
ni avec l’ouverture de toutes les
frontières.
Prenez la Nouvelle­Zélande, le
pays a annoncé que ses frontiè­
res resteraient fermées jus­
qu’en 2021, pour se protéger con­
tre une importation du virus. La
reprise est lente car de nom­
breux secteurs ne peuvent plus
fonctionner comme avant.
Quelles solutions permet­
traient de sortir de la crise ?
Cette crise affecte durement
ceux qui étaient déjà les plus vul­
nérables car elle touche surtout
le secteur des services, notam­
ment à la personne, où l’on
trouve beaucoup de CDD, de tra­
vailleurs indépendants. C’est une
crise qui frappe les moins quali­
fiés et les jeunes qui arrivent sur
le marché du travail. Il faut aider
cette population pour qu’elle
puisse intégrer le marché du tra­
vail, se réorienter vers les sec­
teurs qui fonctionnent bien.
Il faudrait aussi, au moins tem­
porairement, les autoriser à ac­
cumuler plusieurs emplois si el­
DeBonneville-Orlandini

des entreprises, des salariés, des les sont en chômage partiel. Il

travailleurs indépendants. Les faut aussi soutenir les entrepre­
gouvernements et les banques neurs pour qu’ils puissent redé­
centrales ont agi très rapidement marrer une activité différente.

et massivement.
Des mesures comme le chô­
mage partiel ou les lignes de cré­
dit aux entreprises ont permis de
protéger les salaires et les appa­
reils de production, mais elles
n’ont pas pu compenser la forte
diminution de la production et
de la consommation pendant le
confinement. Les Etats ont dé­
pensé beaucoup pour maintenir
RADIO I TV I DIGITAL
Bref, il va falloir être agile et flexi­
ble car la situation est inédite et
évolue très rapidement. A l’heure
où les inégalités risquent de se
creuser, la question de l’équité
est importante, et c’est notam­
ment l’occasion d’avancer plus
vite sur les questions de taxation
internationale sur lesquelles tra­
vaille l’OCDE. 
propos recueillis par j. bo

20 | économie & entreprise
L’euro ne s’est pas imposé
comme monnaie internationale
La pandémie a confirmé la domination du dollar. Au deuxième rang,
mais loin derrière, la devise européenne ne sert pas de valeur refuge
D
epuis un mois, avec le
rebond de la Bourse et
des marchés finan­
ciers, les capitaux re­
viennent vers la zone euro. Mais
les deux premiers mois de la pan­
démie en Europe ont mis en évi­
dence la faiblesse de la monnaie
unique. Pendant cette période, les
capitaux du monde entier sont
partis vers le dollar, qui reste plus
que jamais la monnaie reine.
Mardi 9 juin, la Banque centrale
européenne (BCE), qui a publié
son rapport annuel sur le rôle in­
ternational de la monnaie uni­
que, est venue confirmer en
creux ce constat. Ce document se
penche sur l’année 2019, avant la
pandémie, mais rappelle que la
« part de marché » de l’euro – que
ce soit pour les réserves financiè­
res, le libellé des contrats, les
prêts internationaux… – s’effrite
depuis une décennie. Cette part
avait atteint 24 % avant la crise fi­
nancière de 2008. Elle est désor­
mais de 19 %, après un point bas
de 16 % il y a trois ans.
Certes, « l’euro reste la deuxième
monnaie la plus utilisée au
monde », souligne le rapport, très
loin devant le yen japonais et le
renminbi chinois. Mais face au
dollar, il reste un poids plume. Le
billet vert représente 60 % des ré­
serves financières de devises,
trois fois plus que l’euro. La pro­
portion est à peu près la même
pour les prêts internationaux et
les dettes internationales, qui
sont majoritairement libellées en
dollars. La seule catégorie où
l’euro a une part de marché pro­
che du billet vert est celle des
paiements, avec 35 % contre 42 %.
L’illustration la plus évidente de
la domination du dollar est arri­
Les Vingt­Sept exposent leurs divisions
sur le plan de relance européen
Les montants proposés par Bruxelles et le mode d’attribution ne font pas l’unanimité
bruxelles ­ bureau européen
D epuis la présentation par
Bruxelles de son plan de
relance, fin mai, les capi­
tales européennes ainsi que leurs
ambassades auprès de l’Union
européenne (UE) n’ont pas
chômé. C’est plus de 1 000 pages
qu’il leur a fallu décortiquer et
analyser, et pas des plus simples à
lire… Mardi 9 juin, leurs vingt­
sept ministres des finances se
sont retrouvés pour l’Ecofin, en
visioconférence, pour en débattre
ensemble, pour la première fois,
avant que les chefs d’Etat et de
gouvernement se réunissent (vir­
tuellement) le 19 juin.
La réunion n’a pas donné lieu à
ces échanges musclés dont les
Européens peuvent avoir le secret.
C’est en effet plus à un tour de ta­
ble que les argentiers se sont livrés
les uns après les autres qu’à une
discussion à bâtons rompus. Mais
la succession des exposés n’en a
pas moins confirmé les divergen­
ces profondes qui existent à ce
stade entre les Vingt­Sept. A la frac­
ture classique entre le nord et le
sud de l’Europe, où l’on n’a pas la
même conception de l’orthodoxie
budgétaire, s’ajoute désormais un
clivage entre le sud et l’est du
Vieux Continent, où l’on a le senti­
ment que ce que l’on donne aux
uns est pris aux autres.
Il faut dire que le sujet est haute­
ment complexe, tant les mon­
tants sont importants et les en­
vée dimanche 15 mars. Les mar­
chés étaient alors en train de dé­
visser, et la Réserve fédérale amé­
ricaine (Fed) a décidé d’asséner
un grand coup : elle a réduit ses
taux d’intérêt à une fourchette
entre 0 % et 0,25 %, et a annoncé
une enveloppe de 700 milliards
de dollars d’achat d’actifs
(620 milliards d’euros).
En parallèle, l’ensemble des
grandes banques centrales – BCE,
banques d’Angleterre, du Japon,
de Suisse et du Canada – ont an­
noncé la création de nouvelles li­
gnes de « swaps » en dollars. Der­
rière le jargon, il s’agit tout sim­
plement de lignes de crédits en
dollars que les banques centrales
étrangères peuvent utiliser, en
échange de leur propre monnaie.
Accélérer les réformes en cours
Cette mesure d’urgence était né­
cessaire pour assouvir la soif de
dollars de nombreuses entrepri­
ses et d’investisseurs à travers le
monde, qui se trouvaient soudai­
nement à court de liquidités.
Pourquoi ce besoin de billets
verts ? En partie, il s’agit de la
principale monnaie utilisée pour
le commerce international. Face
aux chaînes logistiques qui
étaient asphyxiées par la pandé­
mie et le confinement, c’était la
devise la plus demandée. Mais en
partie, il s’agissait aussi d’une
question de confiance.
Le dollar reste la valeur refuge
par excellence, alors que l’euro a
traversé une crise existentielle il y
a seulement quelques années.
« Pendant la pandémie, le dollar a
réaffirmé avec force son rôle de
monnaie suprême », écrivait en
avril Pierre Ortlieb, économiste à
l’Official Monetary and Financial
jeux considérables. Non seule­
ment le plan de relance à 750 mil­
liards d’euros qu’a concocté la
Commission pose les jalons
d’une Europe plus intégrée, plus
fédéraliste et plus solidaire
qu’aujourd’hui : il prévoit l’émis­
sion d’une dette commune pour
le financer, fait une large place
aux subventions (500 milliards)
plutôt qu’aux prêts (250 mil­
liards), ou évoque la création
d’impôts communautaires…
Mais, en plus, il vient abonder le
budget de l’UE pour la période
2021­2027, qui représente quelque
1 100 milliards d’euros, sur lequel
les Européens doivent également
trouver un accord.
« Inacceptable »
La France et l’Allemagne, qui ont
largement inspiré le plan de re­
lance de la Commission, ont rap­
pelé qu’il fallait aller vite, alors
que l’économie européenne a été
mise à terre par le confinement
quasi généralisé du continent. Ils
souhaitent qu’un accord politi­
que soit trouvé en juillet. Olaf
Scholz, le ministre allemand des
finances, s’est, pour sa part, lon­
guement exprimé pour deman­
der à ce que le plan de relance,
conçu en l’état pour durer jus­
qu’en 2024, soit resserré sur une
période plus courte, d’ici à 2022.
Après, a­t­il expliqué, l’Europe
aura renoué avec la croissance.
Les quatre « frugaux » – Autriche,
Pays­Bas, Suède et Danemark – ont
Le billet vert
représente
60 % des
réserves
financières
de devises,
trois fois plus
que l’euro
Institutions Forum (Omfif), un
groupe de réflexion spécialisé sur
les banques centrales.
Ce rôle central est rendu possi­
ble par l’action de la Fed, qui inter­
vient systématiquement à chaque
crise. « Elle a repris son rôle de
2008 », explique Robert Dohner,
un ancien économiste du Trésor
américain, dans un article publié
par l’Omfif. « La Réserve fédérale
reconnaît depuis longtemps que
les économies américaine et inter­
nationales sont profondément
entremêlées, et ce qui se passe à
l’étranger affecte l’emploi, l’infla­
tion et la stabilité financière aux
Etats­Unis. » Elle sert donc, sans
l’avouer de manière officielle, de
prêteur international en dernier
recours.
Interrogée lundi 8 juin par la
commission des affaires écono­
miques et monétaires du parle­
ment européen, Christine La­
garde, la présidente de la BCE, se
disait sensible au sujet. Selon elle,
renforcer le rôle international de
l’euro nécessite d’accélérer les ré­
formes en cours. La première est la
création du fonds de relance pour
faire face à la pandémie, actuelle­
ment en discussion. Si celui­ci
voyait le jour, il permettrait à la
rappelé leur opposition à l’archi­
tecture globale du plan de relance.
Ils souhaitent que cet argent soit,
pour l’essentiel, distribué aux
Etats membres sous forme de
prêts, que ceux­ci devront donc
rembourser, et non pas sous
forme de subventions, qu’il in­
comberait aux Vingt­Sept de rem­
bourser. Ce que propose la Com­
mission, a jugé le ministre autri­
chien des finances, Gernot Blü­
mel, en marge de l’Ecofin, « est
inacceptable, que ce soient en ter­
mes de montants ou de contenus ».
De nombreux ministres ont cri­
tiqué la manière dont l’exécutif
européen prévoit de répartir les
500 milliards de subventions en­
tre Etats membres et demandent à
ce que soit mieux prise en compte
l’incidence de la pandémie sur leur
économie. « La Commission a tra­
vaillé à partir des chiffres de 2019,
pour mesurer la capacité des pays à
rebondir. C’est à ceux pour qui elle
est la plus faible qu’elle a consenti le
plus », explique un diplomate.
Les « frugaux »,
Pays-Bas en tête,
réclament que
les aides aillent
de pair avec
des réformes
structurelles
commission européenne de venir
en aide aux pays les plus touchés
par le Covid­19, ce qui équilibrerait
un peu mieux les économies des
pays de la zone euro et repousse­
rait le spectre d’une nouvelle crise
de la monnaie unique.
Mme Lagarde pousse aussi au dé­
veloppement du marché des capi­
taux européens. En zone euro, les
entreprises se financent essen­
tiellement auprès des banques,
pas sur les marchés. En soi, ce
n’est pas une mauvaise chose,
mais cela rend les marchés finan­
ciers moins gros et moins liqui­
des, et donc moins attirants pour
les investisseurs internationaux.
Une directive sur les marchés de
capitaux européens est en discus­
sion depuis des années, mais ses
progrès sont lents. « La pandémie
du Covid­19 souligne l’urgence de
ces réformes, qui sont essentielles
pour améliorer l’attractivité de
l’euro internationalement », conti­
nue Mme Lagarde.
M. Dohner souligne cependant
que le système actuel a ses avanta­
ges. « Bien sûr, il va y avoir des
plaintes contre l’hégémonie du
dollar et des appels à ce que le
monde dépende moins du dollar.
Mais l’alternative est un système
avec de nombreuses devises, sans
personne sur qui on puisse comp­
ter en cas de crise financière ma­
jeure. On peut débattre de savoir si
les Etats­Unis sont encore une na­
tion incontournable. Mais il est
clair qu’en cas de crise, la Réserve
fédérale reste la banque centrale
incontournable. » Si l’euro finit
par gagner en parts de marché et
s’imposer comme monnaie inter­
nationale, la BCE sera­t­elle prête
à jouer le même rôle ? 
éric albert
Même les Pays­Bas ou la Suède ont
relayé cette problématique.
Du côté des pays de l’Est, la Polo­
gne, particulièrement bien servie
par le plan de la Commission, n’a
pas eu à défendre ses intérêts.
Mais d’autres ont, en revanche,
exprimé leur inquiétude de se
voir lésés par rapport au sud de
l’Europe. « Dans sa forme actuelle,
ce plan de sauvetage est injuste
pour la Hongrie, puisqu’il est, par
essence, taillé sur mesure pour
aider les Etats membres du sud », a
ainsi déclaré le ministre hongrois
des finances, Mihaly Varga.
Autre point de clivage qui est ap­
paru lors des discussions mardi : la
question de la conditionnalité des
aides. Les « frugaux », Pays­Bas en
tête, réclament que celles­ci aillent
de pair avec des réformes structu­
relles. Quand l’Italie, l’Espagne ou
l’Irlande refusent d’envisager quoi
que ce soit qui ressemblerait à une
mise sous tutelle de leur écono­
mie par Bruxelles.
Les discussions ne font que com­
mencer et elles préfigurent déjà
des débats houleux. Mardi, les mi­
nistres des finances n’ont pas
abordé le sujet du budget plurian­
nuel, qui, dans la répartition des
tâches bruxelloises, revient aux
ministres des affaires européen­
nes, mais qui est en fait insépara­
ble de celui du plan de relance. Une
chose est certaine, il faut s’atten­
dre à un gigantesque marchan­
dage entre les Européens… 
virginie malingre
Les pistes de trois
économistes pour limiter
l’explosion du chômage
Olivier Blanchard, Jean Pisani­Ferry et
Thomas Philippon proposent de remplacer
le chômage partiel par des subventions
L’ automne sera terrible. »
Depuis quelques semai­
nes, le même cri d’alarme
résonne du côté des petites et
moyennes entreprises (PME), des
syndicats et des associations :
passé l’été, lorsque les différentes
aides publiques déployées du­
rant le confinement pour proté­
ger l’économie s’estomperont, la
crise pourrait s’aggraver subite­
ment. Avec, dans le pire des cas,
une explosion du chômage et des
faillites.
Dans l’espoir d’éviter un tel scé­
nario, trois économistes français
– Thomas Philippon, de l’univer­
sité de New York, Olivier Blan­
chard et Jean Pisani­Ferry, du Pe­
terson Institute, un think tank
américain – ont publié une série
de préconisations, lundi 8 juin.
Avec, pour fil rouge, une ques­
tion­clé : comment retirer la per­
fusion de l’argent public soute­
nant l’emploi et les entreprises
sans trop de douleur ?
Leur réponse sera d’autant plus
auscultée par le gouvernement
que tous les trois font également
partie de la commission d’ex­
perts nommée, fin mai, par l’Ely­
sée, pour préparer l’après­Covid.
« Pendant le confinement, les
Etats européens ont pris des me­
sures très proches, avec le chô­
mage partiel et les garanties pu­
bliques de prêts aux entreprises »,
explique Jean Pisani­Ferry, qui a
été l’un des inspirateurs du pro­
gramme économique d’Emma­
nuel Macron pour la présiden­
tielle de 2017. Ces instruments se
sont révélés efficaces, notam­
ment pour limiter l’envolée du
chômage. « Mais, désormais, il est
temps de les adapter et de les
compléter pour accompagner le
redémarrage », argumente Jean
Pisani­Ferry.
Les trois économistes propo­
sent ainsi de remplacer peu à peu
le chômage partiel par des sub­
ventions aux salaires, dans les
secteurs les plus touchés par la
crise liée au Covid­19 : tourisme,
hôtellerie­restauration, transport
aérien… Celles­ci seraient tempo­
raires et calibrées différemment
selon les mesures sanitaires exi­
gées pour les entreprises – à
l’exemple de la distanciation phy­
sique, très pénalisante pour les
restaurants. « Cette option nous
semble plus efficace que le durcis­
sement du chômage partiel pour
inciter le retour à l’emploi, tout en
limitant les licenciements », expli­
quent­ils.
PRESS E
Deux repreneurs
potentiels pour
« Paris-Normandie »
Deux groupes belges ont pré­
senté, mardi 9 juin, devant la
justice une offre de reprise
du quotidien Paris­Norman­
die, dont la liquidation judi­
ciaire a été prononcée le
21 avril. L’une émane de La
Voix du Nord, propriété du
groupe belge Rossel, l’autre
de NP Holding, détenue à
51 % par un autre groupe
belge IPM et à 49 % par Fi­
ninco, holding de Jean­Louis
Louvel, actuel propriétaire du
titre normand. Les deux pré­
voient de supprimer environ
60 postes. – (AFP.)
HIPPISME
Philippe Augier nommé
président du PMU
L’assemblée générale du
PMU, réunie mardi 9 juin, a
décidé la nomination de Phi­
lippe Augier en tant que pré­
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
Selon le périmètre choisi, les
secteurs concernés pèseraient en­
tre 4 et 9 points du produit inté­
rieur brut (PIB). Pour l’Etat, le coût
d’une telle subvention à hauteur
de 30 % du salaire coûterait, en
montant brut, 0,8 % à 1,9 % du
PIB. En net, la facture serait néan­
moins plus limitée, puisque l’Etat
verserait moins d’allocations­
chômage et toucherait des cotisa­
tions sociales sur les emplois
ainsi créés.
Reste que pour être vraiment ef­
ficaces, ces subventions de­
vraient s’accompagner d’un volet
d’aide aux entreprises, estime le
trio. « S’il est difficile d’en prédire
l’ampleur, il est certain qu’il faut
s’attendre à une vague de difficul­
tés financières pour les TPE­PME »,
ajoute Thomas Philippon, qui
avait apporté son soutien à Em­
manuel Macron en 2017. Parmi les
plus endettées, certaines ne pour­
ront pas être sauvées.
En outre, les administrations et
tribunaux gérant les liquidations
judiciaires seront débordés et ne
pourront pas traiter correcte­
ment les dossiers – au risque de
mettre en faillite des entreprises
susceptibles d’être malgré tout ti­
rées d’affaire.
Un mécanisme inédit
Pour l’éviter, les auteurs propo­
sent un mécanisme inédit, où
l’Etat travaillerait avec les ban­
ques, mieux informées sur la si­
tuation des entreprises concer­
nées. Dans certains cas, pour con­
vaincre les créanciers privés de
négocier une restructuration de
la dette, l’Etat accepterait une plus
grosse décote que la leur sur les
créances qu’il détient dans le ca­
dre des prêts garantis, ou bien
concéderait un effort plus impor­
tant. « Si, par exemple, un prêt con­
senti par une banque à une PME
sur trois ans est rééchelonné sur
quatre ans, celui de l’Etat serait
rééchelonné sur cinq ans », illustre
M. Philippon.
De quoi, assurent les auteurs, ré­
gler un grand nombre de cas rapi­
dement. « Peut­être, mais cela po­
serait la question de la légitimité
démocratique des banques à trai­
ter ce genre de dossiers sensibles »,
remarque Ludovic Subran, écono­
miste en chef d’Allianz. « Une telle
option serait sans doute efficace,
mais elle me paraît difficile à ven­
dre politiquement », ajoute l’un de
ses confrères, sous le couvert de
l’anonymat. 
marie charrel
sident du conseil d’adminis­
tration de l’opérateur de
paris hippiques, sur proposi­
tion des sociétés mères du
galop et du trot. M. Augier,
maire de Deauville (Calva­
dos), succède à Bertrand Mé­
heut, qui avait souhaité met­
tre fin à son mandat.
EU ROPE
Le président
de l’Eurogroupe
va quitter son poste
Mario Centeno a annoncé,
mardi 9 juin, son intention
de quitter la présidence de
l’Eurogroupe qu’il occupait
depuis décembre 2017, après
avoir remis, le même jour, sa
démission du poste de minis­
tre portugais des finances.
Les spéculations sur un dé­
part imminent de M. Cen­
teno circulaient depuis plu­
sieurs mois, lui attribuant des
visées sur le poste de gouver­
neur de la Banque du Portu­
gal, qui se libère le 7 juillet.
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 management | 21
Psychologues, formateurs, coachs : ruée sur CARNET DE BUREAU 
CHRONIQUE PAR ANNE RODIER

la prévention des risques psychosociaux La tentation des accords

Le contexte anxiogène dû au Covid­19 nécessite d’aider les salariés à retrouver la sérénité
de performance
L
e marché est là. La crise Paris. Du coaching d’équipe est psychologique aux salariés, ac­
Il n’est pas

sanitaire a engendré son
lot d’angoisse chez les sa­
lariés : crainte d’être con­
taminé, risque de tensions avec
les clients, peur de perdre son em­
ploi ou d’exercer son métier dans
des conditions dégradées.
Dans ce contexte particulière­
ment anxiogène, les prestataires
– coachs, psychologues, consul­
tants et formateurs –, dont cer­
tains n’ont pas été épargnés par
la crise, sont nombreux à propo­
ser leurs services aux entreprises
pour aider leurs salariés à repren­
dre le chemin du travail plus se­
reinement. « Tous les jours, je suis
assailli de nouvelles proposi­
tions ! », témoigne Jean­François
Ode, directeur des ressources hu­
maines d’Aviva France, qui se dit
sceptique face à cette inflation.
Pour accompagner le redémar­
rage des entreprises, « les coachs
sont particulièrement bien placés
puisque leur spécialité est la mise
en mouvement, estime Véroni­
que Hénaff, fondatrice et diri­
geante d’Avantilt et, par ailleurs,
responsable pédagogique au
sein de l’école de coaching HEC
LES CHIFFRES
45 %
C’est la hausse du nombre
d’appels enregistrée depuis
la mi-mars par les membres de
la Fédération des intervenants
en risques psychosociaux.
42 %
C’est le pourcentage de salariés se
déclarant en détresse psychologi-
que durant la semaine du 20 au
29 mai (47 % du 15 au 22 avril),
selon une étude OpinionWay
pour Empreinte humaine.
notamment nécessaire pour re­
créer des collectifs solides ».
Les 780 psychologues de l’Insti­
tut d’accompagnement psycholo­
gique et de ressources (IAPR), spé­
cialisé dans la prévention des ris­
ques psychosociaux (RPS), filiale
du groupe de conseils Oasys, ne
chôment pas. « Un soutien psycho­
logique est nécessaire dans cette si­
tuation inédite où tout le monde
vit une situation post­traumati­
que », explique Aude d’Argenlieu,
directrice générale d’IAPR.
« Démarche d’anticipation »
L’institut s’adapte à la nouvelle
donne. Les baromètres de santé,
habituellement réalisés de façon
annuelle, bénéficieront d’un suivi
plus rapproché durant les mois à
venir. D’autre part, la plate­forme
numérique avec ses programmes
de soutien (gestion du stress, re­
laxation…) mise en place durant
le confinement va se poursuivre.
« Ces programmes restent perti­
nents dans le temps, mais avec
une évolution des sujets traités »,
précise Aude d’Argenlieu.
« Aujourd’hui, il est important
de ne plus être dans une simple lo­
gique d’assistance aux personnes
en détresse, mais dans une dé­
marche d’anticipation », avance
pour sa part Célia Badet, chargée
du développement de HuCare,
tout nouveau programme de
prévention en matière de santé
psychologique au travail mis en
place par le cabinet Empreinte
humaine. Le but : instaurer une
culture de la sécurité psychologi­
que dans l’entreprise.
Les formateurs ne sont pas en
reste. Ainsi, Equipage Formation
propose une session baptisée
« Reprendre le travail en toute sé­
rénité ». « La reprise de l’activité
est l’occasion de former salariés et
manageurs aux techniques
d’écoute, de partage et de dialo­
gue », justifie Edouard Baudry, gé­
toujours
facile pour
les entreprises de
se repérer dans
cette profusion
d’acteurs
rant et consultant­formateur. La
demande est là : « Les stages pré­
vus avant le confinement sur les
techniques de vente sont pour la
plupart transformés en forma­
tions de développement person­
nel : gestion du stress, confiance
en soi… », explique­t­il.
L’Académie Equicoaching, spé­
cialisée dans le team building, a
conçu une approche en cinq mo­
dules, spécifiquement adaptée
pour les équipes touchées par la
crise due au coronavirus, avec
des chevaux comme partenaires
à part entière de la formation.
Pour l’occasion, des exercices
spécifiquement orientés sur la
résilience collective et la gestion
postcrise ont été élaborés.
Psychologues, coachs, forma­
teurs, consultants… Il n’est pas
toujours facile pour les entre­
prises de se repérer dans cette
profusion d’acteurs. Aviva a fait
le choix de rester fidèle à son
prestataire habituel, Qualiso­
cial, et a mobilisé ses onze
coachs internes. « Le lien de con­
fiance est fondamental et il se
bâtit au fil des années », expli­
que Jean­François Ode.
Dans un contexte où les be­
soins sont particulièrement im­
portants, Aude d’Argenlieu es­
time que tout le monde a sa
place : « Face à des démarches va­
riées de la part de prestataires, les
entreprises doivent être en mesure
de cerner l’offre nécessaire selon
leurs objectifs : assurer un soutien
compagner un changement d’or­
ganisation du travail, identifier
des situations à risque… »
Véronique Hénaff ne constate
pas de demande massive de la
part des entreprises. « Pour le mo­
ment, elles restent concentrées sur
les aspects sanitaires. Il est encore
trop tôt, peut­être la demande
d’accompagnement repartira­t­
elle en septembre ou en fin d’an­
née », espère­t­elle, tout en ayant
conscience que les prestataires
servent de variables d’ajuste­
ment en temps de crise.
« Beaucoup d’entreprises n’ont
mis en place une ligne d’écoute
que pour une durée de trois mois.
Pour le moment, peu d’entre elles
ont manifesté le souhait de péren­
niser le dispositif », regrette Em­
manuel Charlot, secrétaire géné­
ral de la Fédération des interve­
nants en risques psychosociaux
(Firps) et directeur de Stimulus et
Psya. Pourtant, « prévenir les fac­
teurs de RPS est moins coûteux
que de devoir les prendre en
charge ultérieurement », avertit
Célia Badet.
François Cochet, président de la
Firps et directeur de l’activité RPS
chez Secafi, invite quant à lui les
entreprises à prendre le temps de
la réflexion pour faire leur choix.
« Agir dans l’urgence multiplie les
risques de tomber sur des presta­
taires moins soucieux d’éthique.
La première chose à faire avant de
choisir un intervenant est de s’as­
surer qu’il respecte les règles de
déontologie, telles que la confi­
dentialité et la sécurité des don­
nées dans le cas de la mise en
place de numéros verts. Il est
d’autre part fondamental d’asso­
cier les représentants du person­
nel via la commission santé, sécu­
rité et conditions du travail du
CSE. Enfin, il est nécessaire de s’ac­
corder du temps. » L’urgence n’est
jamais bonne conseillère. 
myriam dubertrand
R
eprise ou pas, les entreprises préparent « l’après­
Covid » en ouvrant les négociations sur les condi­
tions de travail. La perspective première des em­
ployeurs est évidemment de relancer l’activité,
mais elle s’accompagne de mesures d’économies pour anti­
ciper le recul de 11,4 % du produit intérieur brut (PIB).
Avant d’être sûr de pouvoir produire davantage… l’idée est
de produire à moindre coût pour éviter les licenciements.
« Pour se serrer les coudes, on peut aussi négocier des accords
de performance collective », a déclaré la ministre du travail,
Muriel Pénicaud, le 31 mai, sur LCI. « Il peut y avoir quelques
cas où il faut un gel provisoire des salaires, pendant une période
à déterminer, mais ça ne peut être fait qu’avec un accord », sou­
lignait Geoffroy Roux de Bézieux, le 4 juin, sur Europe 1.
Le président du Medef faisait aussi référence aux accords de
performance collective (APC), créés en 2017 par les ordonnan­
ces Macron. Fusion des anciens « accords de maintien dans
l’emploi », « accords de préservation ou de développement de
l’emploi » et « accords de mobilité interne », ces accords d’en­
treprise permettent de modifier le salaire, le temps de travail
et la mobilité au nom de la préservation de
l’emploi. Plus de 300 APC ont été signés en
L’IDÉE EST  deux ans, indique le ministère du travail.
DE PRODUIRE  « Ce sont les secteurs les plus touchés par la
crise qui s’y intéressent : tourisme, trans­
À MOINDRE COÛT  ports, aéronautique, BTP », affirme Laurent
Termignon, directeur Talent & Rewards du
POUR ÉVITER LES  cabinet de conseil Willis Towers Watson.
Derichebourg Aeronautics Services et
LICENCIEMENTS L’Equipe ont ouvert les négociations pour
supprimer le treizième mois et une part de
la rémunération en échange d’une réduction du plan social
pour l’un et du maintien de l’emploi pendant quatre à
cinq ans pour l’autre. Ryanair, sans négociation, a donné
cinq jours aux syndicats pour se prononcer sur cinq ans de
baisse de salaires de 10 % pour les hôtesses et jusqu’à 20 %
pour les pilotes, s’ils voulaient éviter des licenciements.
« L’APC peut être efficace pour conserver l’emploi, dans la me­
sure où il donne le temps à l’entreprise de retrouver de l’oxy­
gène pour développer son activité », explique M. Termignon.
« La contrepartie, c’est que, quand l’entreprise ira mieux, on ga­
gnera plus », a assuré Muriel Pénicaud sur LCI. A condition
que l’accord ait prévu une clause de retour à meilleure for­
tune. « C’est un dispositif de court terme destiné aux entrepri­
ses qui sont dans une situation extrêmement délicate, mais
qui, mal appliqué, peut durablement dégrader le climat social
de l’entreprise », précise M. Termignon. Les salariés savent
bien que, au chantage à l’emploi, ils sont souvent perdants.
Les accords de maintien dans l’emploi de Continental
(2010), Bosch (2013), Smart (2015) ont finalement abouti à
des suppressions d’emplois. Or, un salarié qui refuse l’appli­
cation d’un accord de performance est licencié. Même si la
direction participe au sacrifice, le pari est risqué. 

AVIS D’EXPERT  |  DROIT SOCIAL EMPLOI : À CHACUN SON MODÈLE

Flexibilité interne ou externe ?

N L
ombre d’entreprises font aujourd’hui
face à des difficultés. Alors que leur acti­
vité est loin d’avoir repris, comment
peuvent­elles payer leurs salariés ? Le droit du
travail leur offre deux possibilités : la flexibilité
externe (avec des ruptures de contrat) ou interne
voulant maintenir la collectivité du personnel.
La flexibilité externe – et ses licenciements
économiques – est la plus classique. Avec obli­
gation, si plus de dix départs sont prévus, de
monter un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)
soumis à l’avis du comité social et économique
(CSE), puis à une validation administrative. Le
PSE ne mérite son nom que si sa première par­
tie (« mesures destinées à éviter les licencie­
ments ») aboutit à ce que le nombre de licencie­
ments soit finalement inférieur à celui des pos­
tes supprimés, en particulier grâce à l’obliga­
tion de reclassement au sein de l’entreprise.
La flexibilité interne veut maintenir la collecti­
vité du personnel, autant pour des raisons d’in­
térêt général (exclusions et finances de l’Unédic),
que ceux de la société en cause voulant laisser
passer l’orage en gardant ses compétences.
Signé « en vue de préserver ou de développer
l’emploi », l’accord de performance collective né
en mars 2018 par la loi de ratification des ordon­
nances de 2017 en est l’exemple emblématique.
Cet accord d’entreprise majoritaire permet de re­
voir durée du travail et salaires (ex : augmenta­
tion de 35 heures à 39 heures avec maintien du
salaire mensuel), en échange du maintien de
l’emploi pendant la durée fixée par l’accord.
Mais il n’est pas certain que, fin 2020, ce dispo­
sitif ait le succès attendu, pour plusieurs raisons.
Outre qu’il peut inciter les meilleurs collabo­
rateurs à partir, il nécessite un accord d’entre­
prise. Or, nombre de syndicats sont réticents à
signer : par principe parfois, par réalisme sou­
vent, car des salariés endettés risquent de leur
faire payer cette baisse de rémunération aux
prochaines élections professionnelles. Plus
généralement, enfin, la flexibilité interne re­ es politiques de l’emploi dispositifs relativement géné­
pose sur un triptyque qui se construit sur le font face à un double défi, reux et orientés vers une amélio­
long terme, mais peut disparaître en un jour : à la fois conjoncturel et ration à moyen terme des trajec­
consensus, transparence et loyauté. structurel. D’un côté, la toires individuelles, les pays
Consensus. Il est de fait dans nombre de PME. crise de 2008 a entraîné de nou­ anglo­saxons développent des
Mais là où des syndicats sont présents, le droit velles hausses du chômage et mesures centrées sur le retour ra­
exige un accord majoritaire : sur un sujet aussi creusé les inégalités entre grou­ pide à l’emploi et des formations
sensible, la barre reste très haute. pes sociaux. De l’autre, la « qua­ d’adaptation au poste de travail.
Transparence. Cet engagement de toutes les trième révolution industrielle » Le troisième chapitre se concen­
parties pour traverser une période difficile exige voit s’amplifier la diffusion du tre sur les réformes récentes et les
que tous les comptes soient sur la table, afin numérique et de formes d’auto­ facteurs qui les favorisent. L’effi­ LES POLITIQUES DE L’EMPLOI
qu’un diagnostic partagé puisse être posé. Le matisation avancées, et engendre cacité des dispositifs est enfin dis­ de Christine Erhel, PUF,
CSE peut donc désigner un expert­comptable des transformations majeures de cutée dans un dernier chapitre. « Que sais-je ? », 128 pages, 9 euros
« afin d’apporter toute analyse utile aux organisa­ l’emploi et du travail.
tions syndicales pour pré­ Depuis la fin des années 1990, Emplois précaires et bas salaires
parer la négociation rela­ les politiques de l’emploi connais­ Malgré une baisse du chômage
tive à l’accord de perfor­
L’ACTIVITÉ  sent une histoire mouvementée, depuis 2013 en Europe, les politi­ L’ouvrage souligne l’impor­
mance collective ». DES ENTREPRISES  rappelle Christine Erhel. La coor­ ques de l’emploi restent aux pri­ tance de politiques de l’emploi
Loyauté, enfin, car dination européenne s’affirme, ses avec des niveaux de chômage poursuivant « non seulement un
l’application d’un en­ EST LOIN  sous la forme d’échanges d’infor­ élevés dans certains pays, avec objectif de baisse du chômage et
gagement sur l’emploi mations et de fixation d’objectifs des inégalités selon les groupes de réduction des inégalités, mais
peut donner lieu à di­
D’AVOIR REPRIS.  communs. Quelle est l’efficacité sociaux et un accroissement du aussi un objectif de qualité de l’em­
verses interprétations COMMENT PAYER  des innovations politiques et ins­ chômage de longue durée. Elles ploi ». Certaines politiques consti­
(ex : périmètre, CDD…), titutionnelles ? Comment articu­ doivent également prendre en tuent des avancées en ce sens,
le minimum étant une LES SALARIÉS ? ler le maintien de spécificités hé­ compte des tendances défavora­ même si elles demeurent fragiles.
clause précise de re­ ritées du passé et l’adhésion à des bles, amorcées dans les années L’Allemagne a mis en place un sa­
tour à meilleure fortune, et des efforts parta­ tendances communes, largement 2000, et qu’elles ont « sinon géné­ laire minimum fédéral en 2015,
gés entre capital et travail. partagées et diffusées notam­ rées, du moins accentuées ». tandis que les Etats­Unis et le
Nouveauté : « L’activité réduite pour le main­ ment par l’Union européenne ou Certains pays, comme l’Allema­ Royaume­Uni ont augmenté le
tien de l’emploi », issue du projet de loi lié à la l’Organisation de coopération et gne ou la Suède, connaissent ainsi niveau de leur salaire minimum.
crise sanitaire voté le 2 juin 2020. Jusqu’au de développement économiques une progression des inégalités de Au niveau européen, la fixation
30 juin 2022, elle permettra « aux entreprises (OCDE) ?, s’interroge la profes­ revenu alors qu’elles y étaient re­ d’un salaire minimum européen
confrontées à une réduction d’activité durable seure au Conservatoire national lativement faibles à la fin des an­ figure toujours parmi les sujets
n’étant pas de nature à compromettre leur pé­ des arts et métiers dans Les Politi­ nées 1990. En Allemagne tou­ de débats et d’analyse. Au­delà de
rennité » de bénéficier d’une indemnisation au ques de l’emploi (PUF). jours, mais aussi dans les pays la question du salaire minimum,
titre de la réduction du temps de travail contre Après avoir précisé les contours anglo­saxons, l’emploi précaire et l’amélioration de la qualité de
un engagement de maintien de l’emploi. Avec des politiques de l’emploi dans un à bas salaire augmente. « La re­ l’emploi passe également « par les
in fine, et logiquement vu les sommes en jeu, premier chapitre, la titulaire de la cherche de compétitivité conduit à mesures de formation, notam­
un feu vert de l’administration du travail.  chaire Economie du travail et de une focalisation sur le coût du tra­ ment pour les chômeurs et pour les
l’emploi se penche sur l’hétérogé­ vail, induisant des risques de dum­ jeunes en difficulté sur le marché
Jean­Emmanuel Ray est professeur à l’école néité des modèles nationaux. Si le ping social et de déconstruction du du travail. » 
de droit de Paris­I­Panthéon­Sorbonne. modèle nordique conserve des modèle social européen. » margherita nasi
22 | horizons
Un passé à recomposer
saint­thégonnec loc­eguiner (finistère),
bamako ­ envoyés spéciaux
L
e temps s’est arrêté à Saint­Thé­
gonnec Loc­Eguiner, dans le nord
du Finistère. Assis devant deux
albums photo, Françoise Raoult
et son fils Jean­Noël, 35 ans, revi­
vent une à une chaque image, le
sourire aux lèvres et le regard tendre. Ce
17 octobre 2019, rien d’autre n’existe que ces
clichés, vestiges de l’enfance de Jean­Noël et
de celle de son petit frère Pierre­Yves. « Un
vrai bain. Avec de l’eau qui sort du pommeau
de douche ! », s’émerveille encore Jean­Noël
en pointant la photo où ils rient tous les deux
à gorge déployée dans une baignoire.
C’était en décembre 1990. Françoise et Ber­
nard Raoult, un couple breton, venaient
d’adopter Jean­Noël et Pierre­Yves, arrivés du
Mali à l’âge de 6 ans et 4 ans. Grâce à l’associa­
tion française Rayon de soleil de l’enfant
étranger (RDSEE), les parents et leurs nou­
veaux enfants réalisent alors leur rêve : Fran­
çoise devient maman et les deux frères
découvrent la France au sein d’une famille
aimante, après avoir été « abandonnés » par
leur famille biologique. « Abandonnés », c’est
en tout cas ce que RDSEE leur a toujours dit…
Trente ans ont passé, et, malgré l’amour qui
les lie, les uns et les autres ne peuvent s’em­
pêcher d’éprouver amertume et rancœur au
moment de refaire le film de cette adoption.
Au point, pour Jean­Noël, d’avoir porté
plainte pour escroquerie, recel d’escroquerie
et abus de confiance, lundi 8 juin, au tribunal
de grande instance de Paris, contre RDSEE et
Danielle Boudault, l’ancienne correspon­
dante de l’association au Mali. Huit autres
personnes, sur les 324 enfants adoptés au
Mali par l’entremise de cette association
entre 1989 et 2001, se lancent avec lui dans
cette procédure. Ils reprochent à l’organisme,
aujourd’hui encore agréé par le ministère des
affaires étrangères dans six pays, d’avoir
menti sur les conditions de leur adoption et
sur la réalité de leur « abandon ».
Un drame a définitivement convaincu
Jean­Noël, un ancien militaire devenu
homme au foyer, d’engager ce combat judi­
PARIS­BAMAKO, LES CHEMINS DE L’ADOPTION 2|2 
Entre 1989 et 2001, plus de
300 enfants furent adoptés,
au Mali, par l’intermédiaire
d’une association française.
Plusieurs d’entre eux, partis
à la recherche de leurs racines,
s’interrogent sur les conditions
troubles de ces adoptions
ciaire : la mort de son frère Pierre­Yves, d’une
overdose en 2013, à l’âge de 27 ans. Le jeune
homme, passionné de rugby mais sans réel
projet de vie, n’avait jamais vraiment sup­
porté le déracinement de son pays d’origine.
Longtemps, il avait espéré y retourner un
jour et revoir ses parents biologiques. Mais
les années avaient passé, sans nouvelles
d’eux, et il avait fini par perdre espoir, noyant
sa détresse dans l’alcool puis dans les dro­
gues, de plus en plus dures. « J’accuse Rayon
de soleil d’être responsable de son malheur,
murmure Jean­Noël, après avoir rassemblé
les pièces de son dossier d’adoption. Si RDSEE
avait respecté ce qu’elle avait promis aux pa­
rents biologiques, il est évident qu’il ne serait
pas arrivé là où il est désormais, c’est­à­dire
dans une boîte. »
Les yeux embués du trentenaire trahissent
une profonde tristesse, doublée d’un senti­
ment de culpabilité. Depuis la mort de son
cadet, il n’a pas eu la force de se rendre sur sa
tombe. Cette issue tragique reste pour lui un
échec personnel. Car, avant leur départ du
Mali, en 1990, sa mère biologique, prénom­
mée Oumou, lui avait fait promettre de
veiller sur son petit frère et de lui expliquer
que, une fois leurs études en France termi­
nées, ils reviendraient auprès d’elle. Jean­
Noël n’a cessé de le répéter à Pierre­Yves,
pour le maintenir à flot. Plusieurs mois avant
sa mort, il avait même retrouvé leurs
parents, à Bamako. Tout allait s’arranger,
pensait­il, imaginant déjà leur séjour au pays.
Mais il était trop tard. Pierre­Yves plongeait,
et n’était déjà plus en état d’entreprendre un
tel voyage. Il est mort sous un porche, à Brest,
sans avoir revu le Mali.
C’était surtout pour lui que Jean­Noël s’était
lancé dans la recherche de leurs origines, six
ans plus tôt. Nous sommes alors en 2007. En
regardant la télévision, Pierre­Yves tombe sur
un reportage de l’émission de TF1 « Sept à
huit ». Il y est question des destins brisés de
familles maliennes trompées, semble­t­il, par
l’association RDSEE, à laquelle elles avaient
confié leurs enfants. D’un coup, il voit sa
propre mère, Oumou, à l’écran. Celle­ci af­
firme chercher depuis une décennie quatre de
ses enfants, envoyés en France pour étudier :
Pierre­Yves et Jean­Noël, donc, mais aussi
Gaëtan et Sylvia. Un frère et une sœur de sang
dont les époux Raoult eux­mêmes – les
parents adoptifs – ignoraient l’existence !
FRATRIE SÉPARÉE
A travers ce reportage, Françoise et Bernard
comprennent que la fratrie de leurs enfants a
été éclatée, séparée dans trois familles fran­
çaises différentes par RDSEE. Dès leurs pre­
miers contacts avec cette association autori­
« C’EST DIFFICILE  sée par l’Etat français, ils avaient pourtant pré­
POUR LES FAMILLES  cisé vouloir justement privilégier l’adoption
d’une fratrie, même nombreuse. Ils
BIOLOGIQUES, C’EST  découvrent, en outre, que Jean­Noël avait été
séparé de sa jumelle, Sylvia. Dès son arrivée en
DIFFICILE AUSSI  Bretagne, ce dernier n’avait cessé de leur répé­
POUR LES FAMILLES  ter qu’il avait une sœur, mais ils n’avaient pas
accordé trop de crédit à ces paroles de petit
ADOPTANTES.  garçon, sans doute un peu désorienté.
Assise dans sa salle à manger, ce 17 octo­
JE PENSE QU’ON NE  bre 2019, Françoise Raoult, une femme calme
et mesurée, fixe l’écran où défile le reportage
MÉRITAIT PAS ÇA » de TF1. C’est la première fois, en douze ans,
FRANÇOISE RAOULT qu’elle le visionne de nouveau, cette fois avec
mère adoptive de son fils Jean­Noël. « Pourquoi ? Pourquoi ?
Jean-Noël et Pierre-Yves C’est incompréhensible », soupire­t­elle en
sortant un mouchoir. Son regard s’attarde
sur Oumou, la mère biologique, qui décrit la
manière dont l’association avait, selon elle,
manœuvré en 1990. « C’est difficile pour les
familles biologiques, c’est difficile aussi pour
les familles adoptantes parce qu’on ne les a
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
pas volés, nos enfants ! On ne les a pas volés. Je
pense qu’on ne méritait pas ça. Ni les uns ni les
autres », s’exclame Françoise avant de quitter
la pièce, profondément ébranlée.
Après le choc de 2007, Jean­Noël s’est rendu
à quatre ou cinq reprises au siège parisien de
RDSEE, déterminé à obtenir à la fois des expli­
cations et de l’aide pour retrouver sa famille
malienne. « Par hasard ou par magie », les
responsables lui rétorquent à chaque fois la
même chose : ni lui ni sa sœur jumelle n’exis­
tent dans leurs dossiers. Le jeune homme se
sent abandonné, une fois de plus. Mais rien
ne saurait entamer sa détermination. Ce
combat pour renouer avec ses origines, il
finira par le gagner. En solo s’il le faut.
Trois ans plus tard, il parvient ainsi à locali­
ser ses parents biologiques à Bamako, puis sa
sœur jumelle, Sylvia, en France. Toutes ces
années, elle n’habitait qu’à trois heures de
route de chez lui ! Le choc est immense, la joie
aussi. Mais les liens entre eux semblent
aujourd’hui s’effilocher. Leurs contacts sont
rares, et Jean­Noël a beau multiplier les argu­
ments, Sylvia demeure persuadée, elle, d’avoir
été abandonnée. Les retrouvailles familiales
organisées par Jean­Noël, en 2016, à Bamako,
n’y ont rien changé. « Maintenant, elle vit dans
la culpabilité, regrette­t­il au sujet de sa sœur.
Elle a dit des choses très blessantes à notre mère
biologique et, aujourd’hui, elle ne peut plus
dire : “Maman, excuse­moi.” » Leur mère,
Oumou, est morte en février 2019.
A plus de 6 000 km du Finistère, au cœur
d’un quartier pauvre de Bamako, Amadou
Sow, le père, est découragé. Cet homme de
55 ans, d’ordinaire avenant et plein d’entrain,
ne sait plus quoi faire pour convaincre Sylvia,
mais également Gaëtan, son fils aîné, que lui
et son épouse ne les avaient pas abandonnés,
il y a trente ans, contrairement à ce que pré­
tend RDSEE. « Voilà ce que j’ai envie de dire à
Rayon de soleil : “Vous nous avez trahis et vous
avez menti. J’ai perdu trois enfants” », tempête­
t­il en tournant les pages d’un album photo.
Sur les clichés, Pierre­Yves, son fils défunt,
Gaëtan, l’aîné, qui a coupé les ponts, et Sylvia
sourient à l’objectif. « Sur les quatre enfants, un
seul a compris la réelle cause de leur voyage :
Jean­Noël. Les autres n’ont pas confiance en
moi. Ça me fait mal. Ce qu’ils pensent et ce que
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
nous avons fait, c’est diamétralement opposé »,
déplore Amadou Sow.
Ces photos, M. Sow les a reçues par le biais
de l’association, dans les années suivant le dé­
part des petits. RDSEE lui livrait aussi des let­
tres du couple Raoult, racontant les premiers
pas en France des deux garçons. M. Sow était
comblé de recevoir ces courriers. L’organisme
tenait ainsi l’engagement pris de lui donner
régulièrement des nouvelles d’eux, en atten­
dant leur retour. Mais sur les correspondan­
ces, RDSEE avait masqué l’adresse des Raoult,
et il n’a donc jamais pu tenir la promesse faite
à ses enfants, avant leur départ, de leur répon­
dre pour maintenir le lien. Restés pendant
des années sans le moindre signe de vie de la
part de leurs parents biologiques, nombre
d’adoptés, à l’instar de Sylvia et de Gaëtan, en
sont ainsi venus à croire à la thèse de l’aban­
don pur et simple.
Amadou Sow, Jean­Noël et Françoise Raoult
attendent désormais des dirigeants actuels
de RDSEE qu’ils assument leurs responsabili­
tés. Mais ce 16 janvier, dans le petit local pari­
sien de l’association, le débat tourne court.
« Je pense qu’une mise en cause éventuelle ne
s’impose pas du tout. Je ne pense pas qu’il y ait
eu de faute », estime Sylvie Cyprien, prési­
dente bénévole de RDSEE depuis 2017. Celle­ci
pèse chacun de ses mots, répétant à l’envi sa
version des faits. D’après elle, les familles
maliennes avaient bel et bien été informées
par l’association qu’en envoyant leurs en­
fants en France les liens avec eux seraient dé­
finitivement rompus. « Peut­être qu’elles n’ont
pas compris ou qu’elles n’ont pas voulu com­
prendre », ajoute Bénédicte Biosse Duplan,
une psychologue travaillant pour RDSEE.
Toutes deux le martèlent : dans cette af­
faire, c’est parole contre parole. Elles appor­
tent aussi une précision importante : per­
sonne, dans l’organigramme actuel, n’était
en poste au moment des faits. Mme Biosse
Duplan soutient d’autre part n’avoir jamais
eu connaissance de la séparation de fratries.
Idem en ce qui concerne le démarchage que
leurs correspondants installés au Mali
auraient effectué, à l’époque, dans les cours
des quartiers pauvres de Bamako, afin d’inci­
ter les familles analphabètes, comme celle de
Jean­Noël, à faire adopter leurs enfants.
Pour Amadou Sow comme pour les autres
parents maliens rencontrés au cours de
cette enquête, la France représentait l’eldo­
rado, une chance d’offrir une meilleure édu­
cation à des enfants qui, une fois revenus de
« l’école du Blanc », auraient eu la capacité
d’assurer l’avenir de la famille. M. Sow, lui,
n’a jamais eu la chance d’aller à l’école. Sa
maigre rémunération de couturier ne lui a
pas non plus permis d’y envoyer ses quatre
enfants, dont Jean­Noël.
Alors, en 1990, quand le petit garçon débar­
que dans la cour de l’école primaire de Saint­
Thégonnec Loc­Eguiner, un nouveau monde
s’ouvre à lui. « C’était une chance énorme, se
remémore­t­il, de retour devant le petit éta­
blissement privé. Le mot “chance” est même
petit. Un avenir s’offrait à moi, un espoir de
vivre bien et d’ensuite pouvoir proposer une
meilleure vie à ma famille au Mali. » Empoi­
gnant les barreaux de la grille d’entrée, il sou­
rit en contemplant la cour de récréation. Des
souvenirs lui reviennent de son premier
jour, et de la bienveillance de ses camarades,
mais aussi de l’insouciance de ces écoliers
français qui n’avaient pas connu, eux, la mi­
sère et la faim. Du temps où il vivait au Mali, il
mendiait pour avoir de quoi manger et se
payer, les mois prospères, quelques jours
d’école coranique. En arrivant en France, il
découvre aussi une autre forme de brutalité :
le racisme de certains habitants, agressifs à
son égard, au point de le pousser à fuir par­
fois les festivités organisées par la commune.
« Je continuerai à dire à ces personnes­là que je
suis fier d’être français et d’origine malienne »,
clame­t­il aujourd’hui, depuis sa campagne
bretonne, qu’il n’a jamais quittée.
LA CONFUSION DES CONSENTEMENTS
Jean­Noël ne souhaitait pas vraiment faire des
études. Son rêve était de devenir fermier.
Après la classe, il lui arrivait de courir d’une
étable à l’autre, en traversant les champs de
maïs, ou de s’arrêter pour pêcher dans les
étangs. Mais jamais il n’a perdu de vue la rai­
son qui avait poussé ses parents maliens à
l’envoyer en France : les études et leurs pro­
messes de prospérité. Depuis, il a atteint ses
objectifs. Titulaire d’un diplôme en hôtellerie­
restauration, il est ensuite devenu militaire. Sa
situation financière lui a même permis de
mettre sa carrière entre parenthèses pour s’oc­
cuper de sa fille lourdement handicapée,
Maïyna, ainsi que de ses trois autres enfants.
C’est au tribunal de grande instance (TGI)
de Morlaix, à 30 km de son foyer actuel, que
son destin français s’est joué en partie, le
25 mars 1992. Quand nous l’accompagnons
devant ce bâtiment, il lève les yeux et sourit.
Il n’a rien oublié du jour de printemps où,
derrière ces murs, le jugement d’adoption
prononcé par la cour fit de lui un Français.
« C’est très fort, confie­t­il, mais j’aurais aimé
que cela se passe autrement, que personne ne
souffre dans cette histoire. Les tribunaux
comme celui­ci étaient censés veiller au res­
Jean­Noël Raoult
se replonge
dans les photos
de son enfance pect de toute cette procédure et, au contraire,
chez sa mère ce sont eux qui ont permis de tricher. Encore
adoptive, à Saint­ pire, avec des enfants. »
Thégonnec Ce jour­là, le jugement du TGI consacre son
Loc­Eguiner adoption plénière par le couple Raoult. En
(Finistère), France, cette forme d’adoption entraîne une
le 14 février. rupture totale de la filiation entre l’adopté et
Au centre, trois ses parents biologiques. Au Mali, cette notion
photos souvenirs n’existe pas dans la loi, qui lui préfère le
de Jean­Noël et terme d’« adoption­filiation ». Mais ce n’est
de son frère pas sur cette base que Jean­Noël et son frère
Pierre­Yves, ont été autorisés par la justice locale à quitter
tirées de l’album Bamako, en 1990. Quelques jours avant leur
familial des départ, les tribunaux maliens ont approuvé
Raoult, leurs une tout autre forme d’apparentement pour
parents adoptifs. les époux Raoult, appelée « adoption­protec­
A droite, Jean­Noël tion ». Sans équivalent en France, celle­ci
Raoult et sa mère donne seulement aux parents adoptifs des
adoptive, droits et des devoirs sur l’enfant, ceux d’assu­
Françoise. rer son éducation, son entretien et sa protec­
VINCENT GOURIOU POUR tion matérielle et morale. Il s’agit d’une sorte
« LE MONDE » de délégation d’autorité parentale, sans
aucun effet sur la filiation. Au regard de la loi
malienne, les liens entre les mineurs concer­
nés et leurs parents biologiques doivent donc
être maintenus. En mars 1992, la justice
française en a décidé autrement…
Le Monde a retrouvé, toujours en Bretagne,
le juge de Morlaix ayant participé au rendu
des jugements concernant Jean­Noël et Pier­
re­Yves. Vingt­huit ans ont passé, Pascal
Vieilleville est désormais à la retraite. L’ancien
magistrat perd son sourire, et son regard se
met à briller au moment de replonger dans le
passé. Des remords l’envahissent. Lui­même
en convient : il aurait dû vérifier davantage ces
procédures d’adoption internationale. Assis
sur un banc au bord d’un étang, il découvre
avec nous le code de la parenté malienne de
1973. A Bamako, à l’époque, c’était le texte
législatif de référence, détaillant les multiples
différences entre « l’adoption­protection » et
« l’adoption­filiation ». L’ancien juge affirme
n’en avoir jamais eu connaissance. Pour
prononcer les adoptions plénières, il explique
qu’il se fondait surtout sur le consentement
En partenariat écrit des parents biologiques.
avec TV5 Monde Dans le dossier de Jean­Noël comme dans
« Le Monde » a celui d’autres adoptés, ces consentements
enquêté pendant prêtent à confusion. Sur ces documents d’une
un an sur les circuits page à en­tête de RDSEE, les parents maliens
d’adoption mis déclarent consentir à « l’adoption plénière »
en place au Mali de leur enfant par l’entremise de l’association.
par l’association Or, on l’a dit, cette notion n’existe pas dans
Rayon de soleil de l’en­ leur pays. « Si l’adoption plénière n’existe pas,
fant étranger. Des té­ c’est que c’est un faux », affirme M. Vieilleville,
moignages exclusifs à après avoir lu le consentement concernant
retrouver en replay sur Jean­Noël. « Quand on statue sur la base d’un
le site de TV5 Monde faux, cela veut dire que, évidemment, on s’est
horizons | 23
fait duper, admet­il, avec beaucoup de regret.
Si nous avions poussé nos investigations
jusqu’à rechercher la réalité de l’adoption plé­
nière dans la culture malienne, il est vraisem­
blable que l’adoption n’aurait pas été pronon­
cée. En tout cas pas l’adoption plénière. Il est
évident que nous avons pu commettre des
erreurs. Ces adoptions ont été mal réalisées. »
Aux yeux de M. Vieilleville, la perception
humanitaire et positive de l’adoption répan­
due en France dans les années 1990 a joué sur
les décisions de justice. A l’époque, l’adoption
internationale était en plein essor. Et lui­
même était convaincu qu’adopter un petit
garçon ou une petite fille à l’étranger, qui
plus est dans un pays du Sud, c’était leur ren­
dre service. Trois décennies ans plus tard, il
regrette cette empathie, qu’il qualifie de
« coupable ». Le visage grave, M. Vieilleville
assume ses erreurs, mais d’après lui l’Etat et
la justice française, d’une manière plus géné­
rale, ont aussi une part de responsabilité.
Au ministère des affaires étrangères, la
directrice des Français de l’étranger, Laurence
Haguenauer, s’en défend. Selon elle, la res­
ponsabilité de l’Etat ne saurait être engagée,
dans la mesure où il n’y avait, à l’époque, pas
de réel mécanisme de contrôle des orga­
nismes d’adoption : « L’adoption n’était pas
réglementée et régulée comme elle l’est
aujourd’hui. Parfois, les choses se sont passées
tout à fait correctement, parfois ce n’était pas
le cas. Tous les dossiers que nous avons sont
ouverts, et l’important, c’est vraiment d’être
transparent pour permettre aux adoptés de
savoir ce qu’il s’est passé. »
« C’EST DEVENU UN TRAFIC »
Le Quai d’Orsay affirme n’avoir reçu, dans les
années 1990, aucune alerte de suspicion
d’adoptions frauduleuses au Mali. Pourtant,
dès 1994, la consule de France à Bamako sem­
blait préoccupée par la situation, comme le
montre un rapport de mission de RDSEE, que
Le Monde s’est procuré : « Mme le Consul est con­
tente de nous rencontrer, est­il écrit. Elle nous
explique qu’elle a dû freiner la délivrance de vi­
sas pour les bébés adoptés en direct, car il y
avait une véritable “hémorragie” d’enfants vers
la France. » Dans le Bamako d’alors, l’adoption
internationale tourne au business. RDSEE dira
elle­même en être victime, flouée par sa pro­
pre antenne locale, l’Association rayon de so­
leil de l’enfant malien (Arsem), avec laquelle
elle doit couper les ponts en 1994.
Après la rupture avec l’Arsem, RDSEE monte
un nouvel orphelinat à Bamako. Dans un
document interne, l’organisme français en
explique le fonctionnement : « Certaines fem­
mes, venues se louer comme petites bonnes du­
rant la saison sèche, ont des aventures pendant
leur séjour en ville. Lorsque arrive la saison des
pluies, elles ne peuvent envisager de rentrer au
village avec ce bébé, elles venaient donc accou­
cher en toute sécurité à la MAMI [Maison d’ac­
cueil maternel et infantile]. » RDSEE précise
que leurs enfants, adoptés par la suite, sont
arrivés en France « en toute légalité ».
Et pourtant. La version de l’histoire de
RDSEE n’est pas celle des principales intéres­
sées. A Bamako, Le Monde a recueilli le témoi­
gnage d’une femme d’une quarantaine d’an­
nées, soucieuse de préserver son anonymat,
mais désireuse de raconter l’histoire de sa
sœur. En 1995, alors qu’elle était enceinte et
sans moyens, celle­ci avait été abordée par un
membre du personnel de la MAMI, dans un
quartier de la capitale. Son cas n’était pas isolé.
« Quand ils voyaient les filles en détresse, ils les
approchaient. Ils les repéraient. Après l’accou­
chement, elles donnaient l’enfant. C’est devenu
un trafic », nous a confié la quadragénaire. Se­
lon elle, la MAMI avait proposé à sa sœur d’en­
voyer son bébé en France temporairement,
pour son éducation. Mais, depuis son départ,
durant cette même année 1995, elle n’a jamais
revu son petit garçon devenu grand.
Au Quai d’Orsay, on estime « légitimes » les
interrogations sur la réalité de ce supposé
trafic d’enfants, tout en affirmant ne pas dis­
poser d’éléments probants permettant de le
confirmer. Jean­Noël, lui, est moins prudent
pour qualifier ces faits qui le hantent. « C’est
un trafic, dénonce­t­il, assis devant le tribu­
nal de Morlaix. Ça ne serait que justice que
l’Etat reconnaisse qu’il a soit eu la main légère,
soit fermé l’œil. Il y a des enfants qui sont deve­
nus des adultes et souffrent encore. Alors,
peut­être avons­nous droit à une reconnais­
sance ? » Même si, pour lui, rien ne pourra
réparer le passé, ni la mort de son frère. 
morgane le cam et kaourou magassa
FIN
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 CULTURE
24 |
Des peintures 
venues de l’au­delà
A Paris, le Musée Maillol réunit des œuvres
de Fleury­Joseph Crépin, Augustin Lesage
et Victor Simon, marquées par le spiritisme
ARTS
F
leury­Joseph Crépin
(18751948), Augustin Le­
sage (1876­1954) et Victor
Simon (1903­1976) ont
plusieurs points communs. Ils
sont nés dans des familles de mi­
neurs du Pas­de­Calais et ont eux­
mêmes travaillé dans les mines.
Aucun n’est passé par une école
des beaux­arts. Néanmoins, ils
sont aujourd’hui connus pour
leurs œuvres picturales. Dernier
point, essentiel : tous trois étaient
des adeptes du spiritisme, exer­
çaient des capacités de médiums
et de guérisseurs, étaient mem­
bres actifs d’associations spiritua­
listes et ésotériques. Ils étaient
certains que des esprits inspi­
raient et observaient leurs créa­
tions, auxquelles ils attribuaient
une puissance religieuse.
Il est donc logique de les réunir
dans une exposition, comme ils le
sont dans les collections du LaM,
musée d’art moderne de
Villeneuve­d’Ascq (Nord), dont
deux conservateurs sont les com­
missaires d’« Esprit es­tu là ? Les
peintres et les voix de l’au­delà »,
présentée au Musée Maillol, à
Paris. Il est aussi logique de faire
précéder leurs œuvres d’un bref
préambule consacré à l’appari­
tion et la diffusion du spiritisme
en Europe et aux Etats­Unis à
partir du XIXe siècle ; et d’avoir
ajouté à des fins de comparaison
quelques œuvres d’autres adeptes
du spiritisme, Hélène Smith (1861­
1929), qui affirmait s’être rendue
sur Mars, Magde Gill (1882­1961),
aux visions crépusculaires de fan­
tômes, ou Victorien Sardou (1831­
1908), qui dessinait les maisons
des esprits sur Jupiter.
Quelques créations contempo­
raines s’insèrent parmi elles,
attendues, comme les terres cui­
tes d’Elmar Trenkwalder, entre or­
nemental et symbolique, ou inat­
tendues, comme les photogra­
phies de magazine dans lesquel­
les Abdelkrim Doumar voit
apparaître des spectres. Du point
de vue de l’histoire, il manque un
chapitre sur la photographie spi­
rite, mais, telle quelle, l’exposition
est démonstrative.
Elle donne à voir combien les
toiles de Crépin, Lesage et Simon
ont entre elles des similitudes de
Une plainte déposée contre The Wildenstein Plattner Institute, Inc.
L’historien d’art Marc Restellini attaque en justice l’institut basé aux Etats­Unis qui envisage de diffuser le fruit de ses recherches contre son gré
E ncore des soucis en pers­
pective pour les Wildens­
tein. Il ne s’agit pas des mil­
lions d’euros que leur réclame le
fisc français, mais d’une question
de droit moral. Un juge new­yor­
kais a reçu, mardi 9 juin, une
plainte déposée par les avocats de
l’historien d’art Marc Restellini,
auteur d’un nouveau catalogue
raisonné de Modigliani, à paraî­
tre, contre The Wildenstein
Plattner Institute, Inc. (WPI), le­
quel envisage de diffuser contre
son gré le fruit de ses recherches.
Cette institution à but non lucra­
tif a été conçue par Guy
Wildenstein et la Fondation, d’ori­
gine allemande, Hasso Plattner,
spécialiste des technologies
digitales, en 2016. Elle a peu ou
prou la même vocation que le
conception et d’exécution. A l’ex­
ception des premiers essais de
Lesage en 1912, qui relèvent d’une
sorte de tachisme gestuel sans
équivalent dans l’art de cette épo­
que, leurs compositions sont
commandées par des structures
géométriques très précises orga­
nisées par la symétrie. Les formes,
qui sont d’une grande complexité
dans l’arrangement des courbes
et des triangulations, et les cou­
leurs, qui occupent les surfaces
ainsi déterminées, se répondent
exactement de part et d’autre de
l’axe vertical qui partage la sur­
face en deux moitiés égales.
Méticulosité admirable
La méticulosité des trois peintres
est admirable. Qu’ils se servent ou
non de compas et de règles, ils se
montrent d’une dextérité et d’une
patience remarquables. Comme
nombre des Lesage et des Simon
sont de grand ou très grand
format, leur exécution occupe des
mois, de la détermination du
schéma d’ensemble à sa mise en
couleurs. Dans le cas de Crépin, le
temps nécessaire à l’achèvement
dépend moins des dimensions,
plus réduites, que d’une particula­
rité technique. La couleur est tan­
tôt étendue par aplats parfaite­
ment lisses et denses, tantôt
posée par gouttes rondes en léger
relief, d’un geste répété à l’infini.
Selon ces techniques, Lesage et
Simon remplissent entièrement
les surfaces d’une prolifération de
rosaces, spirales, hachures, ban­
deaux de cercles ou de signes ré­
pétés à l’identique. A l’intérieur de
ces dispositifs, dans des mé­
daillons circulaires ou lancéolés,
ils placent des figures symboli­
ques, face du Christ, panthère
noire, lotus et, chez Lesage, divini­
tés de l’Egypte ancienne ou reine
Néfertiti. Crépin inclut des dra­
peaux, la faucille et le marteau
et des visages schématisés en
masques plats. A la différence des
deux autres, il ne remplit pas la to­
talité de la surface de ses motifs,
mais les projette en avant d’un
fond monochrome, souvent d’un
bleu intense. Cette particularité
attire ses compositions du côté
de paysages et villes imaginaires,
alors que Lesage est plutôt un vir­
tuose du palimpseste, et Simon
proche de l’imagerie saint­sulpi­
Wildenstein Institute, crée à Paris
en 1970 par Daniel Wildenstein, le
père de Guy, un des nombreux
maillons dans une dynastie de
marchands d’art qui remonte au
XIXe siècle. Elle était basée à Paris
dans un immeuble de la rue La
Boétie, acquis en 1905 par l’ancê­
tre de Daniel, Nathan.
Sa bibliothèque, riche de près de
400 000 ouvrages, permettait aux
chercheurs de produire des catalo­
gues raisonnés, ces ouvrages de
très longue haleine (cela fait
trente ans que Marc Restellini tra­
vaille sur celui de Modigliani) qui
répertorient l’ensemble de l’œuvre
d’un artiste, chaque toile étant ac­
compagnée de son « pedigree »,
des lieux où elle fut conservée
comme de ceux où elle a été expo­
sée, des livres ou des catalogues où
« Tête de la déesse
Nut/XVIII/Karnak »
(vers 1942),
d’Augustin Lesage.
COLLECTION PARTICULIÈRE/
PHOTO : CLAUDE THÉRIEZ/
ADAGP, PARIS, 2020
cienne par sa pieuse idéalisation
des visages.
Leur style n’a aucun rapport
avec ce qui se voit dans les galeries
dans l’entre­deux­guerres. Son
étrangeté les tient alors à l’écart
des expositions autres que celles
organisées par l’Institut métapsy­
chique international, l’Union spi­
rite française, La Revue spirite et
des cercles d’adeptes, dans le nord
de la France d’abord, puis à Paris
et jusqu’en Algérie plus tard. Cette
même étrangeté leur vaut l’inté­
rêt d’André Breton dès les débuts
du surréalisme et celui de Jean
Dubuffet après la seconde guerre
mondiale. Celui­ci les inclut dans
l’art brut, quoiqu’il n’y ait rien de
brut dans leurs travaux. Depuis,
leur reconnaissance est en pro­
grès constant, jusqu’à cette expo­
sition en forme de consécration.
elle apparaît… Une « traçabilité »
qui offre l’un des meilleurs
moyens de détecter les faux ta­
bleaux, et de savoir qui possède les
vrais, information toujours pré­
cieuse pour un marchand.
Or, parmi les quelques contra­
riétés judiciaires des Wildenstein
(malgré une première relaxe au
pénal, le fisc français continue à
leur réclamer des sommes consi­
dérables), certaines concernent
l’institut parisien : en novembre
2010, les policiers de l’Office cen­
tral pour la répression de la
grande délinquance financière
(OCRGDF) perquisitionnent l’en­
droit. Ils y trouvent des œuvres
qui n’avaient rien à faire là. No­
tamment une quarantaine de ta­
bleaux, disparus lors de l’inven­
taire d’une succession.
Reste à comprendre leur passion
pour les diagrammes. Elle tient à
leurs convictions : ils pensent
leurs œuvres comme les manifes­
tations visuelles strictement or­
données du vrai ordre du monde,
et pour les révélations hallucinan­
tes de vérités cachées et fascinan­
tes. Ce sont des sortes de mandalas
(lieu d’invocation d’une divinité) :
cosmogonies, invocations et talis­
mans tout à la fois. Crépin est con­
vaincu que ses « tableaux mer­
veilleux » peuvent sauver l’huma­
nité du mal. Simon en appelle au
bouddhisme et au christianisme
conjointement. Lesage ressuscite
les dieux égyptiens. Leur art se
veut sacré et magique, organisé
comme l’est leur doctrine.
Mais leur art s’explique aussi
par des facteurs moins spirituels.
L’un d’eux est le développement
L’héritier, l’écrivain Yves Rouart,
avait alors porté plainte. Raison
pour laquelle, en janvier 2011, des
policiers de l’Office central de
lutte contre le trafic des biens cul­
turels (OCBC) investissent les lo­
caux. Guy Wildenstein est mis en
examen pour « recel d’abus de
confiance ». D’autres familles se
rendent alors compte que des ta­
bleaux qu’elles croyaient perdus
dorment dans les caves des
Wildenstein.
Méthodologie complexe
Cinq ans après est donc créé, aux
Etats­Unis, The Wildenstein Plat­
tner Institute, Inc., qui poursuit
les mêmes buts que l’entité pari­
sienne malmenée. Or, il semble,
et c’est la raison de la plainte de
Marc Restellini, que des transferts
Fleury-Joseph
Crépin est
convaincu que
ses « tableaux
merveilleux »
peuvent sauver
l’humanité
du mal
des méthodes d’enseignement
du dessin technique et industriel,
dont ils reprennent des procédés.
Un autre est la diffusion par la
photographie en noir et blanc,
puis en couleur, du musée uni­
versel des civilisations, de la
tombe de Toutankhamon aux
de connaissances et de données
aient eu lieu d’un côté à l’autre de
l’Atlantique.
Parfois contesté en France par
les conservateurs des musées na­
tionaux et par les maisons de ven­
tes aux enchères, Marc Restellini a
démontré ses compétences à pro­
pos de Modigliani auprès de la jus­
tice italienne : c’est sur son inter­
vention qu’a été annulée une ex­
position à Gênes, en 2016, où figu­
raient des faux. Il a pour les
détecter, mis au point une métho­
dologie complexe (il fut un des
pionniers en la matière, au mitan
des années 1980, à l’université de
Paris­I et l’a développée en créant
un laboratoire d’analyses scienti­
fiques) qu’il a appliquée lors de
son séjour au Wildenstein
Institute de Paris. Il y a travaillé de
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
temples d’Angkor, de la peinture
romane aux écritures de l’île de
Pâques. Leurs toiles naissent à la
conjonction de ces savoirs et de
ces références.
Mais d’autres faits s’expliquent
moins aisément : la stupéfiante
capacité de Lesage à développer
des entrelacs dignes du plus ha­
bile des moines enlumineurs du
Moyen Age ou du meilleur minia­
turiste moghol, et l’intensité gla­
cée des rapports chromatiques
que Crépin plaque sur la toile sans
une hésitation. 
philippe dagen
Esprit es­tu là ? Les peintres
et les voix de l’au­delà. Musée
Maillol, 61, rue de Grenelle,
Paris 7e. Jusqu’au 1er novembre,
tous les jours de 10 h 30 à 18 h 30.
Entrée de 9,50 € à 13,50 €.
1997 à 2015. Il y jouissait d’un bu­
reau et d’un secrétariat, mais
n’était pas payé : ce qu’un cher­
cheur indépendant peut espérer
d’une fondation à but non lucratif.
Une méthodologie qu’il ne sou­
haite pas divulguer dans son en­
tier, au risque que des faussaires
s’en inspirent pour faire des ta­
bleaux plus difficiles encore à re­
pérer. C’est tout cela, et bien
d’autres choses encore, à en juger
par la plainte déposée à New York,
que The Wildenstein Plattner
Institute, Inc., envisage de rendre
public, au mépris du droit
d’auteur, dit Marc Restellini. Au
nom du copyright ou de l’open
data, les « données ouvertes »,
plaideront peut­être ses contra­
dicteurs américains. 
harry bellet
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 culture | 25

Le jazz remonte
sur scène
La diffusion en ligne de leur
prestation filmée permet aux
artistes de renouer avec la pratique
du concert et d’être rétribués

MUSIQUE 12 au 21 juin, aux dates prévues à

l’origine. Conditions du direct,
Anne Paceo,
les 27 et 28 mai,

V
ous en avez assez des
prestations filmées
sur téléphone porta­
ble, aux images floues
et au son lointain, qui ont en­
vahi les réseaux sociaux pour pal­
lier l’absence de concerts en rai­
son de la pandémie de Covid­19 ?
Vous pensez aussi que la gratuité
qui y est majoritaire ne doit avoir
qu’un temps pour les musicien­
nes et musiciens ? La Société des
auteurs, compositeurs et éditeurs
de musique (Sacem) vient toute­
fois d’annoncer la mise en place
d’une « rémunération exception­
nelle de droits d’auteurs spéciale­
ment adaptée à la diffusion des li­
vestreams ». Trois structures, du
côté du jazz, ont eu les mêmes ré­
flexions. Le Maisons­Laffitte Jazz
Festival, AdLib­TV, télévision en li­
gne fondée par un collectif d’artis­
tes, et la radio TSF Jazz permettent
ainsi, au même moment, aux ar­
tistes de retrouver la pratique
presque normale du concert, pas
encore devant un public, mais
avec des captations filmées pro­
fessionnellement, et pour des
prestations rétribuées.
C’est à l’ancienne église de Mai­
sons­Laffitte (Yvelines), devenue
depuis plusieurs années une salle
de spectacles, et dans le jardin at­
tenant, qu’ont été accueillies, les
27 et 28 mai, l’équipe de tournage
et les sept formations – dont celles
avec le concert d’une trentaine de
minutes, filmé dans sa continuité,
auquel seront ajoutés, pour la dif­
fusion sur le site à 18 heures, des
extraits d’entretiens avec les inter­
prètes, les techniciens, l’équipe du
festival. En bonus, le 21 juin, un
montage d’inédits de chaque for­
mation permettra de recréer une
soirée festivalière.
« Pour nous, explique Samuel
Strouk, guitariste, compositeur et
directeur artistique du festival, il
était important, avec le soutien de
la mairie et de nos financeurs, que
nous puissions proposer un specta­
cle de qualité, qui rende honneur
aux artistes. Nous avons utilisé une
partie du budget du festival pour
les coûts de production, maintenu
les cachets, même s’ils sont moins
importants que pour un concert
normal avec billetterie. »
La batteuse Anne Paceo, pro­
grammée samedi 13 juin, a ac­
cepté tout de suite la proposition
du festival, en premier lieu pour
Chez TSF Jazz,
jusqu’au 26 juin,
du lundi
au vendredi,
un concert est
donné en direct,
à l’Ancienne
Eglise,
à Maisons­
Laffitte
(Yvelines).
MARC CHESNEAU
« pouvoir enfin rejouer ensemble,
après cette longue période. Et cela
a été un immense bonheur. Nous
étions très émus aussi ». Elle a pro­
fité du temps du confinement
pour composer de nouvelles mu­
siques, que son quintette fera dé­
couvrir à cette occasion.
« Petite utopie »
Retrouver les sensations de l’acte
créatif dans l’instant de l’échange
du concert, si fondamental pour le
jazz, a aussi été le moteur, le 4 juin,
de la prestation du trio Sweet Dog,
l’un des groupes qui participent
aux concerts hebdomadaires,
chaque jeudi à 20 heures, depuis
le 14 mai et pour l’instant jusqu’à
mi­juillet, diffusés en direct par
AdLib­TV. C’est depuis Le Nouveau
Prétexte, lieu de création pluridis­
ciplinaire et de résidence à Fonte­
nay­sous­Bois (Val­de­Marne), que
sont diffusés ces concerts. « Avec,
pour chaque groupe, une mise en
l’accès aux directs et aux rediffu­
sions des concerts.
Du swing au free, avec des croise­
ments vers le funk, l’électro, les es­
thétiques y sont diverses. Echoes
Of jouera le 11 juin, Ellinoa le 18… Le
modèle par abonnement, qui a
déjà séduit « plusieurs centaines de
personnes », vient s’ajouter à la re­
distribution de financement de
tournées annulées, d’aides à la ré­
sidence, pour payer les artistes et
la petite équipe de tournage. Il se
veut un signe fort pour « montrer
que le spectacle vivant a un coût. Si
l’on ramène cela au prix d’une place
de concert, nous en proposons qua­
tre par mois. Qui nécessitent une
quantité de travail dont nous n’avi­
ons pas la notion ». Le collectif en­
visage de faire durer cette « petite
utopie » jusqu’à la rentrée.
Chez TSF Jazz, c’est depuis les lo­
caux et studios du boulevard Pois­
sonnière, à Paris, qu’est proposé,
depuis le 1er juin et jusqu’au 26, le
Studio Grands Boulevards Festi­
val. Du lundi au vendredi, un
concert est donné en direct, de
20 heures jusqu’à 21 h 15, parfois
plus, filmé et diffusé sur le site
Internet, construit comme une
émission de radio, avec présenta­
tion, et entretiens menés par Sé­
bastien Doviane. « Nous diffusons
régulièrement des concerts en di­
rect depuis les clubs de jazz, précise
le directeur d’antenne et des pro­
grammes, Sébastien Vidal, mais là,
c’est assez nouveau pour nous. »
Les concerts, dont ceux du pia­
niste Gregory Privat, le 11 juin, et
du saxophoniste Laurent Bar­
dainne, le 12 juin, trouvent aussi
un relais auprès d’une « trentaine
de partenaires » qui les diffusent,
dont des festivals annulés cet été,
comme Jazz à Vienne ou le Nice
Jazz Festival. Au­delà, « c’est un for­
mat que l’on imagine faire en
juillet, à Nice, pour des concerts à
l’Observatoire ou sur l’Ile du Ber­
ceau à Samois­sur­Seine [Seine­et­
Marne], au moment des dates pré­
vues du Festival Django­Rein­
hardt ». En attendant le retour de
« vrais » concerts, dans de bonnes
conditions, avec public, espéré par
tous à l’automne. 
sylvain siclier

0123
de la batteuse Anne Paceo, du scène spécifique, un travail sur les
chanteur David Linx, du guitariste
à 20 heures, lumières », explique la chanteuse
Biréli Lagrène, du batteur André filmé et diffusé et compositrice Ellinoa, à l’origine,
Ceccarelli… – qui seront au pro­ avec quatre camarades, de cette té­
gramme de la « digital edition » du
sur le site lévision par abonnement qui
Maisons­Laffitte Jazz Festival, du Internet donne, pour 9,90 euros par mois,
HORS-SÉRIE

L’Etat débloque 230 millions d’euros

pour sauver l’édition et la librairie
Bruno Le Maire et Franck Riester ont présenté, mardi 9 juin, de
nouvelles mesures pour soutenir un secteur fragilisé par la crise
L es centaines d’acteurs du
livre qui signaient dans
Le Monde du 23 mai une tri­
bune implorant : « Monsieur le
Président, n’oubliez pas le livre ! »,
ont été entendus. Le ministre de
l’économie et des finances, Bruno
Le Maire, et son homologue de la
culture, Franck Riester, ont pré­
senté, mardi 9 juin, une série de
nouvelles mesures de soutien en
direction de l’édition et de la li­
brairie. « Plus de 230 millions
d’euros » seront mobilisés en 2020
par l’Etat en faveur de la filière,
ont­ils annoncé. Ces nouveaux
moyens d’action seront intégrés
au troisième projet de loi de finan­
ces rectificative présenté mer­
credi en conseil des ministres.
« Ce plan permettra d’accompa­
gner les libraires, les éditeurs et
les auteurs dans cette période très
compliquée », a assuré Bruno
Le Maire. « Deux objectifs princi­
paux » sont visés, a complété
M. Riester : « Soutenir les librairies
indépendantes, le poumon éco­
nomique de la chaîne du livre » ; et
accompagner les maisons d’édi­
tion, « garantes de la vitalité et de
la diversité éditoriale ».
Un fonds de soutien de 25 mil­
lions d’euros, confié au Centre na­
tional du livre (CNL), doit permet­
tre aux librairies indépendantes
de faire face à leurs difficultés fi­
nancières. De plus, une enveloppe
de 12 millions doit les aider à se
moderniser et à améliorer leurs
plates­formes de vente à distance.
Les libraires devraient, à terme,
pouvoir expédier des livres dans
« un cadre concurrentiel équi­
table ». Une manière de lutter
contre l’hégémonie d’Amazon.
Un autre fonds de 5 millions
d’euros sera destiné aux petites et
moyennes maisons d’édition,
tandis que l’Institut pour le finan­
cement du cinéma et des indus­
tries culturelles (IFCIC) accordera
40 millions d’euros, sous forme
de prêts, aux acteurs de la filière.
Activité partielle prolongée
De nombreux dispositifs mis en
place depuis le début de la crise
sanitaire sont complétés, comme
la prolongation jusqu’à la fin
2020 de l’accès des auteurs au
fonds de solidarité (ce qui leur
permet de toucher jusqu’à
1 500 euros par mois). Ils bénéfi­
cieront aussi d’une exonération
de cotisations sociales de mars à
juin. La commande publique, an­
noncée par Emmanuel Macron,
leur sera également ouverte.
Le fonds de solidarité – dont ont
déjà bénéficié 2 485 librairies et
1 535 maisons d’édition – sera ac­
cessible à un plus grand nombre
d’entreprises. Autre mesure très
attendue, l’activité partielle mise
en place par les librairies et les
1940 DE GAULLE
maisons d’édition en mars et en
avril, financée par l’Etat à hauteur
de 17 millions d’euros, pourra
encore être utilisée dans les
LA RÉSISTANCE
PÉTAIN
prochains mois. Jusqu’à présent,
729 librairies et 298 éditeurs ont LA COLLABORATION
bénéficié de prêts garantis par
l’Etat, ce qui constitue un encours
total de 115 millions d’euros.
Enfin, à la première enveloppe
d’aide d’urgence s’est ajoutée une
exonération automatique des
cotisations sociales pour certains
éditeurs et libraires.
Les réactions sont très positives.
« Cela permettra de neutraliser
l’effet de la crise et de relancer le
secteur », assure Guillaume Hus­
son, délégué général du Syndicat
de la librairie française. « C’est un
plan équilibré, précis. Nous avons
été écoutés », se félicite Vincent
Montagne, président du Syndicat
national de l’édition. « Cela nous
permet d’éviter une hécatombe et
de passer la crise », souligne Vin­ Quelle année terrible ! 1940 commence avec la « drôle de guerre », suivie par l’invasion
cent Monadé, président du Centre allemande en mai, l’exode, l’armistice, la poignée de main honteuse entre Pétain et Hitler
national du livre. Pour une fois à Montoire et enfin la collaboration avec l’occupant. L’espoir viendra de Londres, avec
d’accord, la présidente de la Ligue
des auteurs professionnels, Sa­ l’appel du 18 juin du général de Gaulle, qui saura fédérer l’esprit de résistance.
mantha Bailly, et le directeur de la
Société des gens de lettres, Patrice
Locmant, constatent qu’un pas 1940
important a été fait, même s’ils le
jugent insuffisant. Ils resteront Un hors-série du « Monde »
très mobilisés pour obtenir des 100 pages - 8,50 €
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mesures complémentaires. 
nicole vulser
26 | télévision
« Homeland » s’arrête sans se terminer
La huitième et dernière saison de la série aux multiples rebondissements s’achève sur une pirouette
CANAL+
JEUDI 11 - 21 H 06
SÉRIE
O
n a connu des fins de
séries plus inatten­
dues, plus absconses,
plus décevantes, plus
dramatiques, plus poétiques, plus
émouvantes ou plus décisives.
Celle que propose la huitième et
dernière saison de Homeland,
créée par les Américains Howard
Gordon et Alex Gansa, sous forme
de remake développé de la série
Hatufim (2010­2012) de l’Israélien
Gideon Raff, est une prise de congé
qui n’étonnera ni n’attristera.
Elle permettrait même, si le dé­
sir en venait aux créateurs et aux
acteurs principaux, d’imaginer et
d’incarner une suite à ces aventu­
res géopolitiques de l’Agence cen­
trale du renseignement des Etats­
Unis, la CIA, dans un avenir plus
ou moins lointain (l’épilogue pro­
jette d’ailleurs le spectateur
« deux ans après » les derniers évé­
nements marquants du récit).
Coup de théâtre final
Alex Gansa s’est exprimé sur le su­
jet, notamment dans un entretien
accordé au Hollywood Reporter :
« La série s’arrête mais ne se ter­
mine pas. Les vies de Carrie et Saul
se poursuivent, davantage dans
l’esprit de nos spectateurs que dans
tout film ou saison supplémen­
« Fortnite », Netflix, « Koh­Lanta »… Quel avenir pour la télé ?
« Complément d’enquête » propose trois reportages captivants sur le thème de l’essor du temps passé sur des écrans
FRANCE 2
JEUDI 11 - 22 H 50
MAGAZINE
P ourquoi un gamin qui joue
à Fortnite n’arrive pas à dé­
crocher de son écran ? Le
reportage diffusé dans « Complé­
ment d’enquête » apporte des ré­
ponses à cette question, et à beau­
coup d’autres, en immergeant le
téléspectateur néophyte dans les
dédales du jeu vidéo gratuit aux
350 millions de joueurs (100 mil­
lions de plus qu’il y a un an). On y
croise Guylème, 14 ans, qui joue
GRILLE N° 20 - 135
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 7
II
III
IV
V grille avec des chiffres
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20- 134
HORIZONTALEMENT I. Circonstance. II. Aliéné. Bruit. III. Mer. Tuf. Tire.
IV. Oser. Vas. Ter. V. Sévices. En. VI. Fa. Muettes. VII. Lit. Emu. Soda.
VIII. Adam. Erg. Let. IX. Gérai. Eugène. X. Eraillements.
VERTICALEMENT 1. Camouflage. 2. Iles. Aider. 3. Rires. Tara. 4. Ce. Rem.
Mai. 5. Ont. Vue. Il. 6. Neuvième. 7. Facturée. 8. TB. Set. Gum. 9. Art.
Ses. Gé. 10. Nuit. Solen. 11. Cirée. Dent. 12. Eternuâtes.
Claire Danes (Carrie Mathison), dans la série « Homeland ». FOX/ERICA PARISE/CANAL+
taire qui pourraient advenir. Je ne
crois pas que cela se produira
[même si la fin] laisse cette possi­
bilité ouverte. »
Pour autant, et pour l’heure, il
n’est pas plus mal que les choses
s’arrêtent là : Homeland, lancé
en 2011, avait déjà connu d’inévita­
bles moments moins exaltants, et
les incessantes chicanes zigzagan­
tes des relations entre le Moyen­
quatre heures par jour « avec des
potes » ; Etan, même âge, a dé­
pensé 600 euros en « skins » pour
personnaliser son guerrier. On
compatit au passage avec ces mè­
res à l’air totalement dépassé. Sur­
tout lorsqu’on apprend que la
firme de Tim Sweeney fait tra­
vailler la psychologue française
Célia Hodent à chercher les
meilleurs moyens de rendre ses
joueurs « accros »… Dans ce do­
maine, l’imagination semble sans
limite : une opération marketing
en octobre a ainsi fait disparaître
– temporairement – le jeu dans un
7 8 9 10 11 12
Orient et les Etats­Unis, ainsi que
les coups de théâtre répétés, me­
naçaient de devenir lassants.
Car, régulièrement, Carrie Ma­
thison (Claire Danes) et son men­
tor Saul Berenson (Mandy Patin­
kin) se faisaient enlever, coiffer
d’une cagoule aveuglante, mettre
au cachot puis relâcher, dans des
états divers, dont celui, très criti­
que, que connaît la jeune femme
trou noir. Sans oublier les cham­
pionnats démesurés où les
joueurs stars, en tête desquels
Kinstaar (qui tire 300 000 euros
par mois de Fortnite), viennent
s’affronter en chair et en os.
Deuxième volet, très réussi, de
cette soirée, le portrait du très dis­
cret producteur Stéphane Courbit.
De lui, on connaît les émissions –
« Loft Story », « Koh­Lanta », « Sur­
vivor », « Fort Boyard », « La Ferme
Célébrités », « Combien ça
coûte ? », « Le Bigdil », « Touche pas
à mon poste » – et les séries Peaky
Blinders et Black Mirror. Ce repor­
HORIZONTALEMENT
I. En pleine décadence et ramolli
du bulbe. II. Actif et débordant dans
l’Antarctique. Culmine à près de
8 000 mètres en Chine. III. Vaut tou-
jours mieux que l’ombre. Sapine ou
autre pièce de bois. IV. Victoire du
Grand Condé sur les impériaux. Relu-
queras sans te gêner. V. Amateur de
son. On y met billes et embrouilles.
République italienne. VI. Dans le titre.
Exécrera. Quand le bis n’est pas suffi-
sant. VII. Personnel. Unique en son
genre. Introduit des suppositions.
VIII. On ne badine pas avec lui chez
Alfred. D’un auxiliaire. IX. Préjudicie-
rez. Vergue ou beaupré. X. Envahis-
sant et difficilement contrôlable.
VERTICALEMENT
1. Pénible et désagréable. 2. Ne savent
pas trop où ils vont. Met la poule et
ses poussins à l’abri du renard. 3. A
mis des spaghettis dans le grand
Ouest. Toujours bon à apporter.
4. Sacré chez Aménophis. Opposition
brutale. 5. Pose question. Possessif.
Roule dans la moufle. 6. Dans nos ha-
bitudes. Alimente l’étable et la table.
Bouts de zinc. 7. Digne de respect.
8. Point lumineux. Dressé pour le
sacrifice. 9. Forts dans leur domaine.
Frustra. 10. Principauté du Golfe. Gon-
flé en course. 11. Associées à la neige.
L’argon. 12. Ne sort pas des fonds.
en fin de saison 7, quand elle est li­
bérée des geôles russes où, privée
des médicaments qu’exige sa bi­
polarité, elle a vécu l’enfer. C’était,
évidemment, pour la voir bientôt
repartir au front, suivant son ins­
tinct indéchiffrable, repoussant
les limites de la légalité et de ses
attributions professionnelles.
Aussi le coup de théâtre final
avec effet « double couche » est­il
tage permet de comprendre
comment l’ancien stagiaire de
Christophe Dechavanne est par­
venu, à 55 ans, à la tête de LOV
Group, premier groupe mondial
de production audiovisuelle
avec 3 milliards d’euros de chiffre
d’affaires annuel. Enfin, un docu­
mentaire sur Netflix, avec ses
« 180 millions de clients », com­
plète la programmation regrou­
pée sous une même interroga­
tion : « Et si c’était la fin de la télé ? »
Sans préjuger de la réponse, no­
tons que si la chute des rentrées
publicitaires due à la crise sani­
SUDOKU
N°20­135
5 2 4 3 Complétez
5 7 2
7 4 8 5 3 1
1 2 4 6 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
DES RELIGIONS
MAI-JUIN 2020 N° 101
GRAND ENTRETIEN
HAÏM KORSIA
GRAND RABBIN
logique, au vu des tours et détours
qu’ont pris les relations passion­
nelles et complexes de l’agente,
désormais détachée de la CIA, et
de son mentor, passé au service de
la Maison Blanche, au plus près
d’un nouveau pouvoir.
Les guerres entre conseillers – les
légitimes et les surnuméraires –,
l’incompétence du nouveau diri­
geant de la nation et les décisions
calamiteuses prises par ce dernier
ont une ressemblance avec la si­
tuation actuelle du 1600, Pennsyl­
vania Avenue qui n’est pas for­
tuite. Après avoir raté le coche de
l’élection de Donald Trump (les
auteurs avaient installé une prési­
dente au cours de la saison 6…), la
série se raccordait au réel d’une
manière qui aurait naturellement
pu être développée, mais au risque
d’être lourde et attendue.
Cette saison 8 n’étonnera ni ne
décevra le spectateur ; elle le tien­
dra même en haleine jusqu’à sa
conclusion ouverte. Il sera inté­
ressant de revoir le cycle complet
des saisons de Homeland afin
d’en apprécier la mécanique et la
pérégrination narrative selon une
perspective renouvelée. 
renaud machart
Homeland. Avec Claire Danes,
Mandy Patinkin, Maury Sterling
(EU, 2020, 12 × 53 min).
En intégralité sur MyCanal
et Canal+ à la demande.
taire met à mal les comptabilités
des groupes audiovisuels, ceux­ci
n’ont pas attendu 2020 pour « né­
gocier le virage Internet ». Parallè­
lement, le confinement a boosté
les audiences : 4 h 41 de durée
d’écoute individuelle par jour
pour la télé, contre 3 h 29 un an
auparavant, et 2 h 50 par jour pour
Internet contre 2 h 05. Video Killed
the Radio Star, chantaient les Bug­
gles en 1979. Il n’en fut rien. 
catherine pacary
Et si c’était la fin de la télé ?
(Fr., 2020, 80 min).
4 5 8 1 7 9
2 1 3 8 5 6
9 6 7 2 3 4
4 5 4 6 3 1 7 9
1 7 2 4 9 8
1 6 9 3 8 9 6 2 5 1
8 2 1 7 4 3
7 9 4 5 6 1
6 3 6 3 5 9 8 2
8 7 Moyen
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allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
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et sur Lemondedesreligions.fr
LES MUSULMANS
DE CHINE
ALLAH
AU FÉMININ
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
JEUDI  11  JUIN
TF1
21.05 Les Bronzés 3 :
amis pour la vie
Film de Patrice Leconte.
Avec Josiane Balasko, Michel Blanc,
Christian Clavier, Gérard Jugnot,
Thierry Lhermitte, Marie-Anne Chazel
(Fr., 2006, 110 min).
22.55 Les Experts : Manhattan
Série. Avec Gary Sinise,
Melina Kanakaredes (EU, 2009).
France 2
21.05 Envoyé spécial
Magazine présenté par Elise Lucet.
22.50 Complément d’enquête
Magazine présenté par
Jacques Cardoze.
France 3
21.05 Cassandre
Série. Avec Gwendoline Hamon,
Alexandre Varga, Dominique Pinon
(Fr., 2018 et 2017).
00.10 Wallis-et-Futuna,
l’exil à fleur de peau
Documentaire de Claire Perdrix
(Fr., 2020, 55 min).
Canal+
21.06 Homeland
Série. Avec Claire Danes,
Mandy Patinkin, Maury Sterling,
Linus Roache (EU, 2020).
22.50 This Is Us
Série. Avec Mandy Moore,
Justin Hartley (EU, 2019).
France 5
20.55 Attila, l’énigme des Huns
Documentaire de Laurent Portes
(Fr., 2020, 90 min).
22.30 C dans l’air
Magazine présenté par
Caroline Roux.
Arte
20.50 Le Domaine
Série. Avec Albano Jeronimo,
Sandra Faleiro (Por., 2019).
23.50 La Saveur de l’amour
Film de Kanwal Sethi.
Avec Neeraj Kabi, Shefali Shah
(All.-Inde, 2018, 95 min).
M6
21.05 This Is Us
Série. Avec Mandy Moore,
Justin Hartley, Sterling K. Brown
(EU, 2017 et 2018).
00.15 Salvation
Série. Avec Ian Anthony Dale,
Santiago Cabrera (EU, 2017).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
2 3 6
4 7 9 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
8 5 1 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
2 8 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
5 6 3 Par courrier électronique :
abojournalpapier@lemonde.fr.
4 7
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6 9 5
3 8 2 Courrier des lecteurs
7 1 4 Par courrier électronique :
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67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
75013 PARIS
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
styles | 27
Chanel ouvre le bal
des présentations
virtuelles
Pandémie oblige, la présentation
de la collection croisière de la maison
de luxe, qui devait avoir lieu à Capri,
s’est déroulée dans un studio parisien,
pour un shooting distillé « online »

MODE quelques jours durant la semaine du

1er juin, dans un studio parisien, pour

C
apri, c’est fini. » Voilà en subs­
tance ce que Bruno Pavlo­
vsky, président des activités
mode de Chanel, a annoncé
le 26 mars rue Cambon, à Paris. La mai­
son de couture avait prévu d’organiser
le défilé de sa collection croisière le
7 mai, sur l’île au large de Naples, au
cœur des grappes fuchsia de bougain­
villiers, face à la Méditerranée. Les
équipes planchaient depuis l’été 2019
sur la logistique pour accueillir les
quelques centaines d’invités (800 lors
de la session précédente), tout était
prêt ou presque. « L’avantage de Capri,
c’est qu’il n’y avait pas besoin de décor,
devise Bruno Pavlovsky. Les paysages,
les couleurs, les odeurs suffisaient. »
Mais le Covid­19, imperméable à la
beauté de la nature et au sort du tou­
risme italien, en a décidé autrement.
La maison de couture française ne
s’est pas laissé abattre. D’autant que la
collection croisière, ce n’est pas que de
l’image, « c’est aussi un moment très at­
tendu par [les] clientes », selon Bruno
Pavlovsky. Quand le confinement a
pris fin, au début du mois de mai, la di­
rectrice artistique, Virginie Viard, est
aussitôt retournée à l’atelier pour lan­
cer cette collection express riche de 51
passages – soit une vingtaine de moins
que de coutume.
La thématique de Capri a été élargie à
une « balade en Méditerranée ». En pa­
rallèle, le nombre de mannequins pour
présenter les vêtements s’est réduit.
« Avant même le confinement, le défilé
devait avoir lieu avec un petit nombre
de mannequins, car je voulais un show
plus petit », explique Virginie Viard. Le
Covid­19 a exaucé son vœu d’intimité,
peut­être au­delà de ses espérances.
Pour présenter la collection, quatre
mannequins se sont relayées pendant
poser devant une photo de coucher de
soleil, les pieds en instabilité sur un
tapis de galets, les cheveux gonflés
par l’air des ventilateurs. Tant que les
frontières sont fermées, les marques
ne peuvent travailler qu’avec les mo­
dèles présents en France, et pas ques­
tion d’être trop nombreux dans un
studio fermé.
Le résultat de ce shooting est distillé
depuis plusieurs jours. Le week­end
du 6 juin, premier avant­goût avec les
quelques images ensoleillées qui ont
fleuri sur l’Instagram Chanel. Lundi
8 juin, la marque a présenté sa collec­
tion à travers une vidéo de sept minu­
tes : les quatre mannequins déambu­
lent séparément devant la caméra,
sans trop de fioritures. On y voit un
peu de bleu de la mer, le détail des vê­
tements, l’allure générale des sil­
houettes, des regards langoureux.
D’autres contenus numériques sui­
vront, notamment un clip qui met en
scène des mannequins essayant la
nouvelle collection. « C’est la première
fois chez Chanel qu’on présente une col­
lection sans défilé. C’est un essai. On ap­
prend, on reste humbles », affirme
Bruno Pavlovsky.
Blanc éclatant et rose bougainvillier
Pour le directeur de l’activité mode
Chanel, ce basculement du défilé vers
une présentation digitale ne corres­
pond en aucun cas à une stratégie à
long terme. « Le défilé reste fondamen­
tal : c’est le début d’une histoire. Il
donne envie aux clientes de découvrir
la collection en boutique, il permet
d’imaginer l’agencement des vitrines
et des magasins, il donne le ton des
campagnes. »
Ces dernières années, Chanel a orga­
nisé ses défilés à Paris, mais aussi à
Dans les coulisses
du défilé croisière
numérique.
PHOTO : KARIM SADLI,
VIDÉASTE : JULIEN PUJOL
New York, Hambourg, Séoul, Salz­
bourg… Le rythme actuel des collec­
tions, que beaucoup de créateurs ju­
gent trop intense et épuisant créative­
ment, est celui qui convient à la mai­
son : « En 2000, on a été les premiers à
organiser un défilé autour d’une collec­
tion croisière. On ne va pas se plaindre
d’un rythme qu’on a développé pour
notre business », argumente Bruno Pa­
vlovsky, précisant que les chiffres lui
donnent raison : Chanel n’a que très
peu d’invendus chaque saison (et, de­
puis 2018, ils sont systématiquement
recyclés).
Et alors, qu’est­ce que vend cette
nouvelle collection ? « Elle a été conçue
pour voyager léger, avec juste quelques
vêtements à multiples usages. Une lon­
gue veste en mousseline noire que l’on
peut porter sur un maillot de bain, ou le
soir sur un jean. Et si on la porte nue,
c’est comme un déshabillé », détaille
Virginie Viard. On perçoit des réminis­
cences des années 2000 (le pantalon
baggy, le corsaire, la ceinture bijou po­
sée sur le ventre à l’air) et aussi de soli­
« C’est la première
fois qu’on présente
une collection
sans défilé. C’est un
essai. On apprend »
BRUNO PAVLOVSKY
président des activités mode
de Chanel
des classiques (la saharienne blanc
éclatant, la longue robe du soir décol­
letée noire). Puisque c’est Capri, on
croise aussi beaucoup de rose bou­
gainvillier, présent sur des tailleurs en
cuir souple ou dans l’éternel tweed
Chanel, façon Jackie Kennedy.
Avec le confinement, « il a fallu
s’adapter, explique Virginie Viard.
Nous nous sommes servis de tissus, de
fil, de boutons que nous avions déjà en
stock. J’ai fait faire des jeans aux poches
et applications en tweed qui peuvent se
porter avec les vestes des tailleurs des
saisons précédentes. » La collection
compte également plus de pièces en
tissus écoresponsables que d’habi­
tude (environ 30 %) portant la certifi­
cation GOTS qui englobe des exigen­
ces environnementales et sociales très
poussées. « On travaillait déjà sur ce
sujet avant la crise, mais elle a accéléré
le mouvement. C’est devenu une évi­
dence », affirme Bruno Pavlovsky.
Chanel se préoccupe de la planète,
mais ne renonce pas à ses ambitions
pour l’avenir. Bruno Pavlovsky espère
que, dès la Fashion Week de septembre,
un défilé sera possible, et n’envisage
pas de réduire le nombre de collections
(six par an). En attendant, ces mises en
scène numériques modestes s’adap­
tent à la situation actuelle. « Aux Etats­
Unis, en Grande­Bretagne, tout est en­
core fermé. Globalement, la moitié des
gens ne sont pas rentrés au bureau. Pen­
dant cette crise, on a vu à quel point tout
peut très vite basculer, à quel point une
entreprise, même très solide, peut être
vulnérable. C’est assez vertigineux. » 
elvire von bardeleben

La mode devient toc toc de TikTok

Saint Laurent ou Dior y ont créé leur compte. Des influenceurs s’y aventurent. L’application favorite des ados est devenue «the place to be »

U n coup d’index pour ba­

layer l’écran vers le haut
et les courtes vidéos
– quinze secondes en moyenne –
défilent. Olivier Rousteing, le di­
recteur artistique de Balmain,
danse dans son studio, tandis
qu’un assistant entre dans le
champ à l’arrière­plan pour pasti­
cher ses déhanchements. L’in­
fluenceuse star Chiara Ferragni se
trémousse auprès de son jeune
fils à boucles blondes. Le compte
de Vans montre la championne
Angie Marino en train de custo­
miser son BMX des carreaux noir
et blanc signatures de la marque.
Depuis quelques semaines, la
mode investit chaque jour davan­
tage TikTok, l’application qui per­
met à ses utilisateurs adolescents
ou jeunes adultes d’échanger des
vidéos faites maison, humoristi­
ques et sans sophistication, la
plupart du temps sur fond de
musique pop.
Les influenceurs s’y aventurent
et des griffes y créent leurs comp­
tes, comme Balenciaga, Saint Lau­
rent ou Dior. Certaines y lancent
les fameux « challenges », des dé­
fis typiques de TikTok que les
abonnés peuvent relever en pos­
tant eux­mêmes une vidéo : dan­
ses, séances de karaoké, jeux spor­
tifs pour Nike ou, pour Burberry,
figures pour dessiner avec ses
doigts TB, les initiales du fonda­
teur, Thomas Burberry… Le 18 mai,
le magazine français Vogue y a dé­
barqué, tandis que le média spé­
cialisé WWD a annoncé, le 28 mai,
le déploiement sur la plate­forme
de « Lessons in style », de courtes
vidéos sur l’histoire de la mode.
Des griffes comme Ralph Lauren,
Tory Burch, Converse, Calvin
Klein, Missoni, Jacquemus ou
Gucci s’y essayent. « Elles tentent le
coup, craintives de rater une ten­
dance et séduites par l’autodérision
et la spontanéité qu’autorisent les
vidéos de danse ou d’humour, le dé­
sir de rencontrer les 18­24 ans, qui
sont majoritaires sur TikTok »,
constate Nathalie Lemonnier, fon­
datrice de la société de conseil
pour maisons de luxe Lemon
Think et professeure en marketing
et communication digitale.
Certes, les affidés du réseau n’ont
pas encore le budget pour devenir
des clients réguliers de marques
établies et haut de gamme, mais
tenter de s’adresser à eux sans rien
leur vendre est une façon de les
« éduquer à l’univers » de chacune,
comme disent les stratèges en
communication. Etre sur TikTok
permet une première approche :
prendre langue pour plus tard.
Des vidéos « plus fraîches »
Cet engouement s’explique prin­
cipalement par deux facteurs.
D’une part, les audiences stratos­
phériques qu’elle enregistre. Au
premier trimestre, selon Sensor
Tower, cabinet d’analyse spécia­
lisé dans les applications, TikTok
et Douyin, sa version locale dispo­
nible en Chine, ont été téléchar­
gées plus de 315 millions de fois
dans le monde – un record sur un
trimestre, toutes applications con­
fondues. « Après l’année 2019 où el­
les avaient accumulé plus de
718 millions de téléchargements, le
confinement a accru leur popula­
rité, souligne Craig Chapple, straté­
giste chez Sensor Tower. Les utili­
sateurs apprécient le format des vi­
déos, faciles à créer, à partager et à
regarder. Au moment où ils étaient
isolés, TikTok leur a offert un diver­
tissement, mais aussi servi d’outil
pour exprimer leur créativité. »
D’autre part, le nouveau venu
profite d’une certaine lassitude
vis­à­vis d’Instagram, le réseau so­
cial favori de la mode depuis 2015.
« Instagram est devenu une con­
vention : n’importe quelle marque
y est présente. Mais les contenus
sponsorisés y remontent beau­
coup. Or, quand le marketing de­
vient trop visible, certains utilisa­
teurs prennent la fuite », observe
Nathalie Lemonnier. Pour tenter
d’asseoir leur crédibilité et leur
prestige, les maisons institution­
nelles ont montré qu’elles pei­
naient, sur Instagram, à produire
du contenu drôle et personnalisé,
multipliant les photos policées, les
campagnes publicitaires, les mes­
sages souvent convenus, une pluie
de hashtags marketés. Un discours
vertical et ripoliné qui rend les
amusantes vidéos moins calcu­
lées de TikTok « plus fraîches », as­
surent les convertis.
Pour autant, la plupart des mar­
ques semblent y tâtonner, étant
présentes mais postant peu ou ir­
régulièrement – plusieurs griffes
sollicitées n’ont d’ailleurs pas
donné suite pour évoquer publi­
quement l’utilisation qu’elles
font du réseau. Ou bien elles pré­
fèrent faire alliance avec des « Tik­
Tokers », chargés d’incarner leur
image et de porter leurs produits.
Ces dernières semaines, Prada a
ainsi mis en lumière la danseuse
de 16 ans Charli d’Amelio
(59,8 millions d’abonnés sur Tik­
Tok), et Dolce & Gabbana la star­
lette de la chanson Loren Gray
(43,7 millions). De son côté, Celine
a été jusqu’à faire apparaître sur
une campagne publicitaire Noen
Eubanks (10,9 millions), en crop
top rayé noir et blanc, pièce de la
maison française dans laquelle
on le voit depuis régulièrement
onduler dans ses vidéos.
Sur TikTok, l’incarnation est une
clé du succès. Il n’y a qu’à regarder
du côté de Balmain qui, avec ses
extraits de défilés et d’archives,
attire 12 000 abonnés. Soit large­
ment moins que son créateur, Oli­
vier Rousteing, qui, en son nom,
en amuse 135 000.
« D’ordinaire, les marques de
mode ont des codes très cadrés,
une communication maîtrisée
pour préserver leur image presti­
gieuse, rappelle Nathalie Lemon­
nier. Si elles veulent gagner en effi­
cacité sur TikTok, elles vont devoir
trouver des formats pour épouser
la grammaire de l’application sans
se trahir ni se dénaturer », se lais­
ser aller à du contenu moins lisse.
Leur « challenge » à elles. 
valentin pérez
 IDÉES
28 |
Naomi Klein
« Seule une réponse
très audacieuse
à la crise nous
mènera quelque part »
Pour l’essayiste
canadienne, autrice
d’ouvrages sur les
dérives du capitalisme
et sur le dérèglement
climatique,
la pandémie
souligne à quel point
les différentes crises
que nous traversons
sont imbriquées
ENTRETIEN
E
n 2007, la militante écologiste
et anticapitaliste canadienne
Naomi Klein publiait La Straté­
gie du choc : la montée d’un capi­
talisme du désastre (Actes Sud),
un essai dans lequel elle analy­
sait la façon dont pouvoirs et élites ten­
tent de profiter des situations de crise. La
journaliste, également professeure à
l’université Rutgers (New Jersey), a publié
en novembre 2019 Plan B pour la planète.
Le new deal vert (Actes Sud). Elle revient
ici sur la façon dont l’épidémie due au co­
ronavirus accroît les inégalités, et réagit
aux manifestations de colère aux Etats­
Unis après la mort de George Floyd, tué
par des policiers à Minneapolis.
Comment expliquez­vous ce qui se
passe actuellement aux Etats­Unis ?
Cela vous paraît­il lié, d’une certaine
façon, à la pandémie ou à la façon
dont elle est gérée ?
Le racisme et les inégalités ont façonné
la réponse à la crise du Covid­19. Tant
qu’il apparaissait que tout le monde était
en danger, les gouvernements étaient
prêts à suspendre l’activité économique
au nom de la santé humaine. Mais dès
qu’il est apparu que les plus menacés par
le virus étaient les pauvres, les Noirs, les
personnes âgées ou handicapées – ceux
que l’on considérait déjà comme des ci­
toyens au rabais –, alors les appels à « re­
lancer l’économie » sont devenus plus
vifs. Les policiers de Minneapolis filmés
en train d’étouffer tranquillement
George Floyd, ça a été la goutte de trop.
Cette période est extrêmement inquié­
tante, mais je dois dire aussi que je suis
impressionnée par le courage de tous ces
jeunes qui sont dans la rue – car ce sont
essentiellement des jeunes, de toutes ori­
gines. Ces personnes étaient chez elles
depuis des mois, et c’est pour mener ce
combat qu’elles brisent le confinement.
On ne sait pas sur quoi il va déboucher,
mais c’est un moment extraordinaire.
Vous écrivez depuis longtemps sur
les situations de crise. En quoi cette
pandémie a­t­elle confirmé ce que
vous observez depuis vingt ans ?
A chaque fois qu’une catastrophe
frappe les Etats­Unis, où je vis, elle
s’inscrit dans les lignes de faille des
inégalités et des injustices préexistant à
la crise. Lors de l’ouragan Katrina
[en 2005] par exemple, ce sont majoritai­
rement les Afro­Américains qu’on a lais­
sés se noyer, dont les maisons étaient les
plus vulnérables, et qui ont ensuite fait
face à des violences policières. La même
dynamique est à l’œuvre avec le Covid­19.
On sait que la pauvreté et l’exclusion
économique ont un lien avec la santé. Le
stress au travail, le surmenage partici­
pent à rendre cette maladie plus mor­
telle. Et la police contrôle de manière
inégale le respect de la distanciation
sociale, les personnes les plus vulnéra­
bles à la maladie étant davantage ciblées.
Ce qui se passe n’est donc pas nouveau.
Cette pandémie n’a­t­elle pas, malgré
tout, un caractère inédit ?
La façon profondément inégale dont la
pandémie affecte les gens est stupéfiante.
C’est lié à la durée de la crise. Un ouragan
survient dans une période de temps
relativement réduite. Là, cela fait déjà des
mois que ça dure.
Nous ne vivons pas une, mais plusieurs
pandémies très différentes. Il y a cette
expérience de « la pandémie de luxe »,
pour ceux qui peuvent rester chez eux, se
faire livrer tout ce dont ils ont besoin et se
divertir sans fin, grâce à Netflix et aux ré­
seaux sociaux. Et puis il y a ceux qui font
tourner le monde, qui travaillent plus dur
que jamais parce qu’ils sont considérés
comme des travailleurs essentiels. Ce
sont des travailleurs d’Amazon, d’usines
de transformation de viande… Plusieurs
catastrophes s’ajoutent les unes aux
autres : il y a les inégalités, la pauvreté, le
racisme, et, enfin, le coronavirus.
Dans votre livre « La Stratégie du
choc », vous décrivez comment des
politiques ultralibérales sont
imposées lors de périodes de crise
majeure. Cette stratégie vous
semble­t­elle à l’œuvre aujourd’hui ?
Au Canada, la ministre de l’énergie de
l’Alberta [Sonya Savage] a dit [fin mai] que
cette pandémie était le meilleur moment
pour construire l’oléoduc Trans Moun­
tain parce que les opposants ne
pouvaient pas manifester. En temps
normal, les populations autochtones, no­
tamment, font obstacle à l’avancée des
travaux. C’est un exemple classique de la
« stratégie du choc » et il y en a beaucoup
d’autres.
Des gouvernements utilisent cette
pandémie pour consolider leur pouvoir.
A Hongkong par exemple, les membres
du mouvement de protestation n’ont pas
pu se rassembler dans les rues comme ils
le faisaient auparavant. Et bien sûr, le
gouvernement chinois profite de ce
moment pour tenter de réellement met­
tre fin à l’autonomie de Hongkong. La
Hongrie a instauré un état d’urgence…
Tout cela est très familier.
Vous parlez aussi du risque
d’un « screen new deal » (« pacte des
écrans »), qu’entendez­vous par là ?
La protection contre le virus est un
marché qui va être vendu à ceux d’entre
nous qui ont suffisamment d’argent
pour essayer de se protéger. Les entrepri­
ses technologiques comprennent que
cela représente une énorme opportunité.
Avant la pandémie, ces entreprises
poussaient diverses technologies qu’elles
présentaient comme plus pratiques,
comme les voitures sans conducteur, la
livraison par drone, l’éducation à
distance, la télémédecine. Mais elles se
heurtaient à une résistance des citoyens.
Des véhicules sans chauffeur ont blessé
des piétons, nous craignons que nos
informations de santé soient piratées ou
que nos employeurs y aient accès, que
nos enfants passent trop de temps
devant des écrans… Toutes ces technolo­
gies étaient disponibles, mais leur déve­
loppement était restreint par diverses
formes d’engagement démocratique.
Les entreprises high­tech utilisent la
pandémie pour balayer ces préoccupa­
tions et pour vendre ces technologies
comme étant « sans contact » et « résis­
tantes à la pandémie ».
Ne peut­il pas y avoir du bon
dans l’éducation à distance ou
JE CROIS QUE la télémédecine ?
L’important, c’est que plusieurs options
BEAUCOUP DE GENS soient débattues. La réouverture des
ONT RESSENTI écoles n’est pas une décision facile à
prendre, mais il existe différentes maniè­
D’UNE MANIÈRE TRÈS res d’envisager l’éducation. Si nous
craignons que les salles de classe soient
VISCÉRALE, LORS surpeuplées, nous pourrions embaucher
DE CETTE CRISE, plus d’enseignants, nous pourrions en­
voyer les enfants à l’école en faisant des
À QUEL POINT roulements, nous pourrions développer
l’éducation en plein air… Je ne dis pas que
NOTRE SYSTÈME j’ai la solution, mais qu’il y a plus d’une
ÉCONOMIQUE EST option. Or si vous confiez aux entreprises
technologiques la mission de trouver des
EN GUERRE AVEC solutions, les seules qu’elles proposeront
sont celles qu’elles préconisaient avant la
LA VIE SUR TERRE pandémie.
Dans votre dernier livre, vous avez
plaidé pour un « Green New Deal », un
« Pacte vert ». Est­ce toujours le bon
instrument dans le contexte actuel ?
Le meilleur argument pour un « Green
Deal », c’est qu’il est conçu pour faire face
à la récession. Pour résoudre la crise
climatique, on agit d’ordinaire en créant,
par exemple, une taxe carbone, qui rend
l’énergie et l’essence plus chères. Mais dès
que l’économie ralentit, c’est la première
chose qui est supprimée, pour soulager
les populations. Le « Green Deal » ne
place pas la taxe carbone au centre, il
s’articule autour de la création d’emplois.
C’est un programme de relance et c’est ce
dont nous avons plus que jamais besoin.
Il est également plus facile, en période
de ralentissement économique, de parler
de tous les changements difficiles que
nous devons envisager pour agir face à la
crise climatique. Nous devons parler du
transport aérien : il faut avoir un usage
beaucoup plus rationnel et sélectif des
voyages en avion. Avoir cette conversa­
tion est plus simple lorsque les compa­
gnies aériennes sont en crise et que les
gens ont peur de voler, que lorsque le ciel
est rempli d’avions.
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
YANN LEGENDRE
Mais, concrètement, l’emploi n’est­il
pas le cœur du problème ? Ne pas
soutenir certaines industries peu
« vertes » risque de faire encore
augmenter le chômage, et quelqu’un
qui travaille dans l’industrie fossile,
par exemple, ne deviendra pas du jour
au lendemain ingénieur dans les
énergies renouvelables…
Il faut soutenir les travailleurs, même si
on ne soutient pas les industries. Et dans
ce cadre, il faut investir sérieusement
dans les programmes de formation. Nous
avons des gouvernements qui versent
80 % de leur salaire à des millions de
salariés qui sont au chômage partiel. Si
nous pouvons faire ça, nous pouvons les
payer à se former, à se reconvertir.
Mais je ne pense pas que tous les
aspects du « Green New Deal » puissent
être mis en œuvre de façon sûre dès
maintenant, dans le contexte du
Covid­19. Pour les deux prochaines
années, il serait utile de se concentrer sur
la guérison, celle des corps et celle de la
Terre. Et de réfléchir à la façon de créer
des emplois qui ont du sens pour des
jeunes du monde entier en leur faisant
faire des travaux de protection de la
nature, de conservation des sols, des
travaux qui ont un impact positif et leur
permettent d’être avec d’autres jeunes.
Cette pandémie est très brutale pour eux,
ils ont beaucoup d’incertitudes quant à
leur avenir.
Dans les années 1930, Franklin Delano
Roosevelt a créé les « Corps civils de pro­
tection de l’environnement » spécifique­
ment pour les jeunes. Ils ont été envoyés
dans des centaines de camps à travers les
Etats­Unis pour bâtir des parcs naturels,
tracer des sentiers, planter des arbres… Ça
a été un programme très populaire.
Quels moyens les citoyens ont­ils
pour agir ?
Malgré le confinement, il y a eu
beaucoup de manifestations pendant la
pandémie. Il est très significatif qu’il y ait
eu des manifestations de travailleurs
d’Amazon, d’infirmières, d’ouvriers
d’abattoirs qui réclamaient des moyens
de protection. Des travailleurs qui ont
dit : « Vous nous qualifiez de travailleurs
essentiels mais vous nous sacrifiez. » Des
travailleurs qui étaient sur la ligne de
front de cette logique qui place le profit
avant les vies humaines.
Pour ceux d’entre nous qui ne sont pas
des travailleurs essentiels, qu’est­ce que
cela signifie ? Que sommes­nous, des
travailleurs superflus ? L’un des moyens
de devenir essentiel consiste à nous tenir
aux côtés de ces travailleurs, de soutenir
leurs demandes. S’ils nous demandent de
boycotter Amazon, nous boycottons
Amazon. S’ils nous disent de ne pas
manger de viande tant que leurs
conditions de travail ne sont pas sûres,
nous ne mangeons pas de viande. Et nous
faisons pression sur notre personnel
politique pour qu’ils soient protégés. 
propos recueillis par
perrine mouterde
0123
JEUDI 11 JUIN 2020 idées | 29

Bernard E. Harcourt C’est peut-être la fin

de la contre-révolution américaine
En appelant à l’intervention de l’armée contre politique considérable : le passage, non
pas de l’Etat de droit à un Etat d’exception,
les manifestants antiracistes, le président Donald comme le philosophe italien Giorgio
Trump a franchi un pas de trop et déclenché lui­même Agamben et d’autres l’ont suggéré après
le 11­Septembre, mais d’une gouvernance
la vague révolutionnaire qu’il craignait, analyse inspirée du modèle de la guerre à grande
le professeur de droit, à l’université Columbia échelle à une autre, calquée sur les straté­
gies de la contre­insurrection. Ces straté­
gies nous viennent en grande partie de
tions anticoloniales armées, le paradigme
contre­insurrectionnel s’est imposé aux
Etats­Unis sans véritables insurgés. C’est
là que l’histoire devient intéressante.
Le concept moderne de révolution, tel
qu’il est apparu aux XVIIIe et XIXe siècles,
s’inscrivait clairement en rupture avec
les conceptions qui prévalaient dans l’An­
tiquité d’une transformation cyclique de
De hauts responsables de la défense
œuvrent à ce que le Pentagone prenne
ses distances avec l’infâme dispersion
voulue par Trump pour sa séance photo.
Le secrétaire à la défense, Mark Esper, et
plusieurs chefs militaires ont sévère­
ment condamné la riposte militarisée.
Même Lisa Murkowski, sénatrice républi­
caine de l’Alaska, a émis des objections,

E
n général, dans l’histoire, les évé­
nements se déroulent dans un cer­
tain ordre : d’abord surgissent les
révolutions, puis elles déclenchent
des contre­révolutions. Mais l’histoire –
comme à peu près tout en cette période
de pandémie – marche à l’envers.
Dans une surprenante inversion des cy­
cles, la réponse militarisée du président
Donald Trump aux protestations majori­
tairement pacifiques à travers le pays a
déclenché une fronde qui pourrait bien
faire basculer les élections de 2020.
Trump a été trop transparent sur ses
ambitions. Lors d’une réunion le 1er juin
avec les gouverneurs, il a explicitement
réclamé une réponse militarisée et une
« domination totale » du champ de ba­
taille pour éradiquer les manifestants,
qualifiés de « terroristes », des peines de
prison pouvant aller jusqu’à « dix ans » et
l’imposition d’une véritable « force d’oc­
cupation » dans les villes américaines.
C’est au chef d’état­major et plus haut
officier militaire, le général Mark A.
Milley, que Trump a confié la charge de
concevoir la riposte du gouvernement fé­
déral. Trump a martelé la nécessité de
« dominer » le champ de bataille. « Domi­
ner est le mot, a­t­il insisté. Si vous ne do­
minez pas votre ville et votre Etat, ils vont
vous foncer dessus. » A Washington, a­t­il
assuré, « nous obtiendrons une domina­
tion totale ».
Le même jour, Trump a mobilisé la po­
lice militaire et un hélicoptère Black
Hawk de l’armée pour contrôler une ma­
nifestation non violente, et il a déployé
la 82e division aéroportée à Washington.
Après avoir fait disperser la foule pacifi­
que à coups de gaz lacrymogènes et de
tirs de balles en caoutchouc pour une
séance photo désormais tristement célè­
bre, Trump a marché, de la Maison Blan­
che à l’église voisine Saint John, entouré
de son secrétaire à la défense et du géné­
ral Milley en tenue de camouflage.
Cette marche est le point culminant de
la transformation qui s’est opérée depuis
plusieurs décennies dans la politique
américaine. Le 11 septembre 2001 a mar­
qué un tournant dans la façon dont gou­
vernent les dirigeants américains. L’hy­
per­militarisation des forces de police n’a
pas été qu’un résultat accidentel des pro­
grammes d’équipement du département
de la défense, quand des milliards de dol­
lars de matériel militaire de pointe ayant
servi en Irak et en Afghanistan ont été
distribués à des polices de petites villes.
Cette approche militarisée est, en réalité,
le reflet d’un long processus par lequel
les Américains ont apprivoisé les prati­
ques et les logiques de la guerre contre­
insurrectionnelle à la suite des guerres
d’Irak et d’Afghanistan.
Stratégie française
En effet, un service de police ultra­milita­
risé fait partie intégrante du nouveau
mode de gouvernance américain – à l’in­
térieur du pays comme à l’étranger – ins­
piré par la logique de la guerre contre­in­
surrectionnelle. C’est une transformation
commandants français en Indochine et
en Algérie comme Roger Trinquier et Da­
vid Galula, qui ont conceptualisé cette
nouvelle forme de guerre non conven­
tionnelle appelée « guerre moderne ».
Depuis l’Irak et l’Afghanistan, ces prati­
ques ont refait surface aux Etats­Unis.
Presque toutes les stratégies de la guerre
moderne ont été déployées sur le terrain
américain. Et au cours de ces trois der­
nières années, Donald Trump a infléchi
ce mode contre­insurrectionnel de gou­
vernance du côté de la nouvelle droite et
de la suprématie blanche, transformant
ses propres citoyens musulmans, hispa­
niques et afro­américains en ennemis
intérieurs.
Le plus surprenant dans tout cela est
qu’aucune révolution n’a précédé cette
contre­révolution. Contrairement à l’Al­
gérie ou au Vietnam, théâtres de révolu­
LA PRINCIPALE
TACTIQUE DE LA
« GUERRE MODERNE »
N’ÉTAIT-ELLE PAS DE
GAGNER LES CŒURS
ET LES ESPRITS DES
MASSES PASSIVES ?
la politique – par exemple, de l’aristocra­
tie à l’oligarchie, puis de la démocratie à
la tyrannie, d’après Platon. A l’idée de ré­
volution comprise astronomiquement
comme un retour au point d’origine s’est
substituée celle d’une transformation
sociale décisive, un point de rupture vi­
sant, selon l’expression de l’historien
allemand Reinhart Koselleck (1923­
2006), « l’émancipation sociale de tous
les hommes ».
Or, nous assistons aujourd’hui à un
étrange retour aux cycles des Anciens,
mais dans le sens inverse. Trump a per­
fectionné la contre­révolution sans révo­
lution antérieure. Ce faisant, il a fini par
déclencher la révolution qu’il craignait.
Peut­être a­t­il été trop transparent sur
ses ambitions militaires. La principale
tactique de la « guerre moderne » n’était­
elle pas de gagner les cœurs et les esprits
des masses passives ? En envoyant claire­
ment les troupes, il pourrait avoir fait le
pas de trop.
De fait, nous avons aujourd’hui atteint
un point de bascule. A travers l’ensem­
ble du spectre politique, y compris
parmi certains élus républicains, le sen­
timent domine que Trump a franchi un
seuil. Accusant le président, son ancien
secrétaire à la défense, Jim Mattis, géné­
ral quatre étoiles du corps des marines,
vient d’écrire dans le mensuel The At­
lantic : « La militarisation de notre ré­
ponse, comme nous l’avons vu à
Washington, met en place un conflit – un
faux conflit – entre la société militaire et
la société civile. »
confessant qu’elle hésitait désormais à
soutenir Trump aux élections de 2020.
L’ancien président George W. Bush et Co­
lin Powell disent qu’ils ne voteront plus
pour Trump.
Les sondages d’opinion les plus récents
suggèrent que le peuple américain dé­
sapprouve la gestion des manifestations
par Trump. « Nous sommes peut­être arri­
vés au point où nous pouvons être plus
honnêtes vis­à­vis des inquiétudes que
nous avons en interne et avoir le courage
de nos propres convictions pour prendre
la parole », a déclaré la sénatrice
Murkowski.
Trump a peut­être bel et bien déclenché
cette vague révolutionnaire qu’il redou­
tait. Et peut­être, je dis bien peut­être,
que cela mettra enfin un terme à la con­
tre­révolution américaine. 
Traduit de l’anglais par
Pauline Colonna d’Istria
Bernard E. Harcourt est professeur
de droit et de science politique
à l’université Columbia (New York),
directeur d’études à l’Ecole des hautes
études en sciences sociales (EHESS),
auteur de « The Counterrevolution : How
Our Government Went to War Against
Its Own Citizens » (Hachette Book
Group, 2018) et de « La Société d’exposi-
tion. Désir et désobéissance à l’ère nu-
mérique » (Seuil, 336 p., 23 €)

Mark D. W. Edington L’image de Trump devant une église a suscité

un scandale formidable à travers tout le spectre politique
Le 1er juin, le président des Etats­Unis a pris la pose, une bible à la main, devant la Saint John’s Church, à Washington.
L’évêque de l’Eglise épiscopale à la cathédrale américaine de Paris estime que le geste de celui­ci a été vu comme une profanation

L
Le lecteur français est peut­
être resté perplexe, et on
peut le comprendre, de­
vant les images montrant
le président Donald Trump qui
brandissait gauchement une
bible devant une église, non loin
de la Maison Blanche. Et sans
doute peine­t­il tout autant à
comprendre le scandale formi­
dable que la scène a suscité à tra­
vers tout le spectre politique
américain.
Pour expliquer à la fois l’événe­
ment et les réactions, il faut
revenir sur la place qu’occupent
la religion et les communautés
de croyants dans le débat public
en France et aux Etats­Unis, deux
pays pourtant proches dans leur
conception des libertés
individuelles.
La longue histoire de
connivence entre l’Etat et une
Eglise chrétienne particulière
(l’Eglise catholique romaine)
telle que l’a connue la France
n’est pas du tout celle des Etats­
Unis. A l’inverse, même, la fon­
dation des Etats­Unis fut le fait
d’individus qui voyaient leurs
principes sur les questions de
conscience entravés par une
Eglise officielle soutenue par le
pouvoir (l’Eglise anglicane), et
qui rêvaient d’une nation qui
permettrait à toutes les confes­
sions de s’épanouir, sans
qu’aucune ne fût privilégiée.
Ainsi, alors que les Etats­Unis
comme la France garantissent la
liberté religieuse dans leur
Constitution, l’expression prend
un sens très différent dans
chacun des deux pays.
Des fins vaines et narcissiques
En France, les lois de 1901 et 1905
sur la laïcité instaurent entre les
Eglises et l’Etat une séparation
qui a clairement pour intention
de protéger ce dernier de toute
interférence, et même de toute
influence, des institutions ou des
communautés religieuses. Cette
séparation à la française est si
stricte que l’égalité de traitement
de toutes les religions revient
surtout, aux yeux d’un Améri­
cain, à les considérer toutes éga­
lement suspectes. Elle revient de
facto à refuser que les valeurs
d’un citoyen, lorsqu’elles sont le
produit des idées et principes
d’une tradition religieuse don­
née, puissent avoir un rôle
légitime à jouer dans le débat ou
les affaires publiques.
Aux Etats­Unis, la séparation
entre religion et pouvoir a
d’emblée été comprise tout autre­
ment. En 1802, Thomas Jefferson
(qui fut consulté par Lafayette
pour la rédaction de la Déclara­
tion des droits de l’homme et du
citoyen, et qui était en France
lorsqu’il commença à travailler
sur le « Statut de l’Etat de Virginie
sur la liberté religieuse » [de 1786])
évoque, lui, un « mur de sépara­
tion entre l’Eglise et l’Etat »
destiné avant tout à protéger les
religions de l’ingérence de l’auto­
rité publique.
En d’autres termes, le gouver­
nement fédéral aux Etats­Unis
n’a aucun droit à restreindre
l’exercice de la religion et ne doit
aucunement favoriser une
PERSONNE,
PAS MÊME
SES PLUS FERVENTS
SOUTIENS,
NE PEUT DIRE
QUE DONALD
TRUMP EST ASSIDU
À L’ÉGLISE
confession, quelle qu’elle soit,
plus qu’une autre. Toutes les
communautés de croyants
bénéficient d’un seul et même
avantage de la part de l’Etat,
l’exemption fiscale ; pour tout le
reste, elles jouissent d’une totale
autonomie.
C’est sans doute ce qui permet
à des individus engagés dans la
vie religieuse de participer de fa­
çon pleine et entière à la vie pu­
blique. Des Américains de toute
confession, ou sans aucune,
sont élus au Congrès. Ilhan
Omar, représentante élue dans
le Minnesota pour la ville [de
Minneapolis] où George Floyd a
été tué par un policier, est ainsi
une musulmane pratiquante
qui peut librement porter le hi­
jab au Capitole.
Parce que les Américains ne
voient pas la foi comme une
pathologie et, pour une large
part, considèrent les congréga­
tions religieuses comme une
force positive pour la société, tout
responsable public qui manque
de respect à une religion quelle
qu’elle soit (ou à ses lieux de
culte, ses textes saints, ses systè­
mes de croyances) commet une
grave erreur. Mieux, les lieux de
culte sont des sanctuaires pour
les opprimés, les persécutés et les
parias, et il s’agit là d’un principe
cher aux Américains et à l’idée
qu’ils se font des liens entre foi et
civisme.
Personne, pas même ses plus
fervents soutiens, ne peut dire
que Donald Trump est assidu à
l’église. Ses habitudes de vie ne
peuvent en rien laisser penser
qu’il prend très au sérieux les
principes de la foi chrétienne en
matière de conduite personnelle.
C’est pourquoi le spectacle qu’il a
offert, debout devant une église
incendiée, à brandir une bible
d’une main malhabile, comme il
aurait pu le faire d’un accessoire
sur le plateau d’une de ses émis­
sions de télévision, a été vu, y
compris par des non­chrétiens,
comme celui d’un homme profa­
nant à la fois les croyances et le
sanctuaire d’une communauté
de croyants, et ce à des fins vaines
et purement narcissiques.
Culte de la personnalité
Pis, comme la presse s’en est lar­
gement fait l’écho, des
manifestants qui avaient trouvé
refuge sous le portail de l’église
en ont été chassés manu militari,
à l’aide de gaz lacrymogènes et de
grenades assourdissantes, dans le
seul but de permettre au prési­
dent de faire son cinéma. Il s’agit
là, comme l’a déjà dit ma
consœur Mariann Budde, évêque
de Washington, d’une profana­
tion pure et simple.
Il est encore tôt pour dire si ce
énième affront, le dernier en
date dans une longue série de la
part de l’actuel locataire de la
Maison Blanche, dessillera enfin
les yeux fascinés des adorateurs
de ce César moderne et du culte
de la personnalité qu’il a ins­
tauré. Une chose est sûre, cepen­
dant : des croyants de toutes con­
fessions, partout aux Etats­Unis,
et des incroyants, ont pleuré de
rage devant cet acte manifestant
le plus profond irrespect, pas
seulement pour une Eglise en
particulier, mais pour la place
qu’occupent les communautés
confessionnelles dans la vie poli­
tique et sociale des Etats­Unis.
Cela aura un prix, sinon spirituel,
au moins politique. 
Traduit de l’anglais par
Julie Marcot
Mark D. W. Edington
est évêque de l’Eglise
épiscopale à la cathédrale
américaine de Paris
30 | carnet
Jacqueline Sanson,
la présidente,
Eliane Vergnolle
Bertrand Jestaz,
Le Carnet
les vice-présidents,
Et les membres du conseil
d’administration de la Société
Merci de nous adresser Française d’Archéologie,
vos demandes par mail
ont la tristesse de faire part du décès
en précisant impérativement de
votre numéro
de téléphone personnel,
votre nom et prénom, Alain
ERLANDE-BRANDENBURG,
adresse postale et votre
éventuelle référence
survenu le 6 juin 2020.
d’abonnement.
L’équipe du Carnet Grand historien de l’art gothique,
internationalement reconnu, il fut
reviendra vers vous
président de la Société Française
dans les meilleurs délais. d’archéologie de 1986 à 1994 après
avoir été longtemps au service de ses
publications.
carnet@mpublicite.fr
Ils s’associent à la peine de sa
famille et de ses proches.
AU CARNET DU «MONDE» Les familles Boussard, Gricourt,
Bouthors et Mical,
Anniversaire de naissance
ont la tristesse de faire part du décès
Happy 75th Birthday, de
Granny ! Mme Marie-Claude EYGLUNEN,
Many Happy Returns ! survenu à Paris, le 31 mai 2020,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Tes quatre enfants
Et tes onze petits-enfants. Une cérémonie a eu lieu ce
mercredi 10 juin, à 10 heures, en
l’église Sainte-Eustache, Paris 1er.
Décès
« Quelque chose à changé Simonetta,
son épouse,
pendant que nous passions. »
Giovanna,
Le 1er juin 2020, nous a quittés. sa fille,
Jean-Jacques Lebel,
Pierre BERNARD, son ami fidèle,
né 8 juillet 1946,
ont la tristesse d’annoncer à ses
compositeur, nombreux interlocuteurs, collègues
illustrateur sonore à France 2, et correspondants francophones,
le décès du sémiologue andante
entouré de giocoso,
Roberta Bernard, Paolo FABBRI,
son épouse,
Judith, Anne, Benjamin, survenu à l’âge de quatre-vingt-un
ses enfants ans, le 2 juin 2020, en sa ville natale
et leurs conjoints, David, Samy, Emma, de Rimini (Italie).
Erwan, Stella et Pïa.
ses petits-enfants. Ses obsèques ont eu lieu dans
l’intimité.
Un hommage lui sera rendu
ultérieurement autour de sa musique Paris. Bordeaux. Lyon. Zürich.
et de ses peintures.
Mme André Labry,
roberta.bernard@yahoo.fr née Denise Desjoyaux,
son épouse,
M. Jacques Delors, Patrick et Noëlle Labry,
son époux, Laurent,
Mme Martine Aubry, Brigitte et Gilbert Fichard,
Aymeric et Rosa Maria
sa fille,
Fichard Barua,
M. Jean-Louis Brochen,
son gendre,
Elodie et François Colas,
Agathe,
Mme Clémentine Aubry,
Sophie et Jean-Yves Rimaud,
sa petite-fille
et M. Edouard Fouré,
Augustin, Olympe,
Camille et Jeanne,
ses enfants et leurs conjoints,
ses petits-enfants et leurs conjoints,
ses arrière-petits-enfants,
Émilie, Marie, Anouk, Mathurin
Mme Jacqueline Housseaux
et Camille,
Et toute sa famille,
ses arrière-petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès
ont la tristesse de faire part du décès
de
de
Mme Marie DELORS, M. André LABRY,
née LEPHAILLE,
docteur en sciences économiques,
survenu à Lille, le 5 juin 2020, dans sa
quatre-vingt-dix-septième année.
ingénieur principal hors classe
honoraire de la SNCF,
officier de réserve de l’aéronavale,
Les funérailles religieuses ont eu survenu à Paris, le jeudi 4 juin 2020,
lieu en l’église de Fontaine-la- dans sa quatre-vingt-seizième année,
Gaillarde, le mardi 9 juin, dans la muni des sacrements de l’Église.
plus stricte intimité familiale, suivies
de l’inhumation dans la sépulture de
La cérémonie religieuse sera
la famille.
célébrée le vendredi 12 juin,
à 10 heures, en l’église Saint-Honoré-
Une pensée pour son fils,
d’Eylau, 66 bis, avenue Raymond-
Poincaré, Paris 16e, suivie de
Jean-Paul,
l’inhumation au cimetière de
Faverolles (Eure-et-Loir), dans la
décédé en 1982. stricte intimité familiale.
La famille tient à dire toute sa
reconnaissance aux médecins et Courcelotte
personnels soignants de l’hôpital commune de Dompierre-en-Morvan
Saint-Vincent-de-Paul, à Lille, pour (Côte-d’Or).
leur grande humanité. Boulogne-Billancourt
(Hauts-de-Seine).
Société éditrice du « Monde » SA Patrick,
Président du directoire, directeur de la publication son époux,
Louis Dreyfus Chrystelle,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio sa fille
Directeur de la rédaction Luc Bronner Et toute la famille,
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction ont la douleur de faire part du décès
Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle de
Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements) Chantal LARGILLIÈRE,
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
née BRADIER,
Rédaction en chef numérique
Hélène Bekmezian
Rédaction en chef quotidien survenu à Garches (Hauts-de-Seine),
Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
à l’âge de soixante-et-onze ans.
Franck Nouchi (Débats et Idées)
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Gilles van Kote La cérémonie religieuse sera
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
célébrée le samedi 13 juin 2020,
Chef d’édition Sabine Ledoux
Directrice du design Mélina Zerbib à 14 h 30, en l’église de Dompierre-
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani en-Morvan, suivie de l’inhumation
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin au cimetière du village.
Directrice des ressources humaines du groupe
Emilie Conte Chantal repose à l’espace funéraire
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, de Semur-en-Auxois, 9, avenue
Sébastien Carganico, vice-président Pasteur.
Philippe, Vincent et Thomas,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
Hugh Burgess,
son époux,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Nicole LOEB-BURGESS,
survenu le 7 juin 2020,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Ses obsèques seront célébrées
dans l’intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Anne-Sophie (†) et Rémy Flanet
et Mathilde, Claire, Adèle, Paul-Marie,
Cécile et Jean-Paul Viard
et Alexandre, Benjamin, Clémence,
Sophie et Matthieu Rabian
et Noé, Ambre,
ses enfants et petits-enfants
Toute sa famille,
ont la grande douleur de faire part
du rappel à Dieu de
M me
Micheline RABIAN,
née LE DEUN,
le 7 juin 2020,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Elle a rejoint dans la paix du
Seigneur son mari,
M. Bernard RABIAN,
décédé le 15 mai 2004
et sa fille aînée,
Anne-Sophie,
décédée le 26 mai 2012.
La cérémonie religieuse aura lieu
le 11 juin, à 10 h 30, en l’église Saint-
Budoc de Porspoder, sa paroisse,
suivie de l’inhumation au cimetière
de Porspoder (Finistère).
« Il y a un temps pour tout, un temps
pour toute chose sous les cieux :
un temps pour naître et un temps
pour mourir ; un temps pour planter
et un temps pour arracher
ce qui a été planté. »
(Ecclésiaste 3 :1-2).
12, allée des Erables,
44240 Sucé-sur-Erdre.
5 bis, rue Théodore Honoré,
94130 Nogent-sur-Marne.
2 bis, allée du Moulin,
28500 Chérisy.
Colombes. Aix-en-Provence.
Yvette ROUSSET
nous a quittés au début de sa quatre-
vingt-douzième années,
dramatiquement.
Nous honorerons sa mémoire au
crématorium et parc mémorial de
Provence, ce jeudi 11 juin 2020.
Vannes. Paris. Bruxelles.
Nous avons la grande tristesse de
faire part du décès de
M. Bruno SCHIPHORST,
survenu le 5 juin 2020, à l’âge de
soixante-dix ans, après une longue
lutte contre un cancer dû à
l’exposition à l’amiante au travail.
De la part de
Élisabeth Aymard,
sa compagne et épouse,
Camille et Victor,
ses enfants,
Suzanne,
sa petite-fille,
Antoine,
son gendre,
Brigitte et Philippe,
sa sœur et son frère,
Dominique,
son beau-frère,
Stéphanie, Charlotte, Romain, Pierre,
Marc, Alex, Chloé et Styriaque,
ses neveux et nièces,
Jacques et Christiane,
ses beaux-parents,
Martine, Marc
Et tous ses amis.
Un hommage lui sera rendu
le jeudi 11 juin, à 14 heures, au
crématorium du Pays de Vannes,
à Plescop.
La famille remercie vivement tous
les personnels soignants qui l’ont
accompagné durant ces années.
Des dons peuvent être faits à la
Ligue contre le cancer et aux
associations ADMD et ADDEVA56.
PFG,
56000 Vannes,
Tél. : 02 97 47 12 12.
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
Marie Cécile TRICON, Hommage Assemblée générale
ancienne infirmière chef
Séverine Lepape, L’Association
à la Compagnie générale directrice du musée de Cluny,
du Mouvement Français
transatlantique, musée national du Moyen Âge
Pour le Planning Familial de Paris
Et Thierry Crépin-Leblond,
nous a quittés le jeudi 4 juin 2020, directeur du musée national de la
Renaissance, château d’Ecouen,
dans sa quatre-vingt-treizième année, tiendra son assemblée générale,
Les équipes du musée de Cluny
en la résidence, Champ de Mars, le 30 juin 2020, à 17 h 30,
et du musée de la Renaissance,
Paris 15e. par visioconférence.
rendent hommage à la mémoire de
La famille remercie le personnel
de l’établissement pour ses soins
Adresser un mail
avant le 29 juin 2020, à :
attentionnés. Alain
ERLANDE-BRANDENBURG, mfpfsecretariat75@orange.fr
La cérémonie religieuse sera
conservateur
célébrée le vendredi 12 juin, à 10 h 30, Formation
au musée de Cluny (1967)
en l’église Notre-Dame-des-Champs,
et au musée de la Renaissance,
91, boulevard du Montparnasse,
conservateur en chef
Paris 14e.
des deux musées nationaux
(1981-1987),
La cérémonie pourra être suivie à directeur du musée national
l’adresse : Paroisse Notre-Dame des du Moyen Âge (1991-1994)
Champs - youtube. et directeur du musée national
de la Renaissance (2000-2005),
L’inhumation aura lieu le même
jour, au cimetière du Montparnasse, L’Inalco
disparu le 6 juin 2020
Paris 14e.
lance un DU d’ethnomédecine
et s’associent à la douleur de la
Cet avis tient lieu de faire-part. en septembre 2020
famille.
D’une durée de deux ans,
Contact : Colette Aubert-Moyse.
Remerciements ce nouveau DU comprend 12 UE
colette.moyse@wanadoo.fr de langues
(initiation chinois ou hindi),
Toute la famille Zuber
de sciences humaines et sociales
a la tristesse de faire part du décès de (droit de la santé, anthropologie
et géographie de la santé),
Willy ZUBER.
d’ethnobotanique,
d’ethnopharmacologie,
Un recueillement civil et
La Fondation AGES de médecine chinoise
l’inhumation ont eu lieu à Talcy, le
rend hommage
vendredi 5 juin 2020, dans l’intimité à ses généreux donateurs. et ayurvédique.
familiale. Ce diplôme est ouvert
En désignant notre fondation, à tous les professionnels de santé,
PF AEF Sennequier-Dubois, reconnue d’utilité publique,
89200 Sauvigny-le-Bois. comme bénéficiaire médecins, pharmaciens,
de leur patrimoine, infirmiers, sages-femmes,
ils contribuent à améliorer
Anniversaire de décès la vie quotidienne des personnes
kinésithérapeutes, ergothérapeutes,
âgées dépendantes, souvent isolées ainsi qu’aux autres professionnels
Il y a un an, le 11 juin 2019,
et vulnérables, et à soutenir à partir du niveau L2-L3
leurs aidants à domicile et en ehpad.
Bernard LAUZE (sélection sur dossier).
Leur mémoire restera à jamais
ancrée dans nos souvenirs. INALCO,
nous quittait.
Nous ne les oublierons jamais. 65, rue des Grands Moulins,
Fondation AGES 75013 Paris.
Il sera toujours dans nos cœurs. 75, allée Gluck - BP 2147
Renseignements :
68060 Mulhouse Cedex.
famillelauzebernard@gmail.com www.fondation-ages.org/ www.inalco.fr/formations/ecoles
Soutenez une rédaction
de 500 journalistes partout dans le monde
Quotidien + numérique
6 mois
3 PARENTOLOGIE
Le syndrome
Ronaldinho
Dans les yeux de votre enfant,
vous voilà doté de superpouvoirs.
Une hypertrophie du moi
qui peut vous pousser à vous
prendre pour le MBappé
du square d’à côté
SAMEDI 10 AOÛT 2019. Ne peut être vendu séparément. Disponible en France
M Le magazine du Monde no 412. Supplément au Monde no 23197/2000 C 81975
6 LES COUCOUS
DU NUMÉRIQUE
169E
C’est quoi
ton code ?
Ils squattent allègrement vos
abonnements Netflix et Spotify.
Le pire, c’est que c’est vous
métropolitaine, Belgique et Luxembourg.
qui leur avez donné accès
à vos comptes
9 UN APÉRO AVEC
Bigflo et Oli
Les deux frères n’ont pas le
temps de souffler. Un succès
qui ne se dément pas.
Rencontre avec les rappeurs
idées àIl Hollywood
préférés des enfants
DIMANCHE 27 - LUNDI 28 OCTOBRE 2019
75E ANNÉE– NO 23264
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
MAGAZINE
MA
était deux fois
Brad Pitt & Leonardo DiCaprio
SPÉCIAL DESIGN Saviano, Ferrante, Vargas Llosa, Rushdie… :
« La cause des Kurdes nous concerne »
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
JAPONAIS
L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ
ENQUÊTE
WEEK-END
Chômage: l’espoir d’une amélioration durable
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
4
Lynchez
▶ Au troisième trimestre, ▶ Le reflux du nombre ▶ Ces résultats font écho à ▶ La montée en régime du ▶ L’exécutif et sa majorité
SAMEDI 19 OCTOBRE 2019 - 75E ANNÉE - N O 23257 - 4,50 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
le nombre de demandeurs de chômeurs se confirme la bonne santé du marché plan gouvernemental de jugent atteignable
d’emploi sans aucune acti­ doucement. Il s’agit du travail. Jeudi, le réseau formation contribue aussi l’objectif d’un taux de
BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES
vité a diminué de 0,4%, du quatrième trimestre des Urssaf a fait état à cette baisse, encore fra­ chômage ramené à 7%
selon les chiffres publiés de baisse. Sur un an, la d’une «augmentation gile dans une conjoncture à la fin du quinquennat
vendredi 25octobre décrue est nette, à – 2,4% soutenue» des CDI internationale incertaine PAG E 1 0
▶ Jean­Claude Juncker,
Géopolitique Le rêveprésident
brisé de la Com­ 1
CHILI AUX SOURCES mission européenne,
d’autonomie des Kurdes
et Boris Johnson, ÉDITORIAL
DE LA COLÈRE premier ministre
britannique,
▶ L’offensive turque ont an­ AMER COMPROMIS
▶ Le mouvement de contestation qui TURQUIE
noncé, syrien
dans le Nord­Est à Bruxelles, POUR L’EUROPE
marque un coup
jeudi d’arrêt
17octobre, avoir
dénonce les inégalités sociales a connu une au projetconclu
politique
unduaccord sur
mobilisation historique à Santiago vendredi peuple apatride
PAG E 4
la sortie du Royaume­
PAG E S 1 6 À 1 9
la décision en juin 2016 des
SYRIE Uni de l’UE Britanniques de quitter l’UE
représente une régression
IRAK 1 ÉDITORIAL
▶ Approuvé par les s
Vingt­Sept, le textee
pour le continent et traduit
un échec collectif. Mais, ac­
ÉTERNELS LAISSÉS­
doit encore être va­
a­
quise à 51,9 %, elle doit être
respectée. L’accord sur les mo­
POUR­COMPTE
lidé, samedi, par un dalités de ce départ, conclu
PAG E 3 0 jeudi 17 octobre à Bruxelles,
tanni­
Parlement britanni­ prévoit une rupture nette, un
que qui reste Brexit plus dur que celui, flou,
avait
quii a
avait été vendu aux élec­
isé
extrêmement divisé
Lubrizol Cor
Corse
teurs. Mais, face à la menace
d’un «no deal», il représente
BULLETIN D’ABONNEMENT 173EMQAD6M
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www.cnil.fr
0123
JEUDI 11 JUIN 2020
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
L’autre version
d’« America first »
D LE MOUVEMENT BLACK
epuis deux semaines,
à Russia Today et à
Global Times, c’est
tous les jours la fête.
Que peut­on rêver de mieux, lors­
que l’on dirige un organe de pro­
pagande russe ou chinois, qu’une
bonne flambée d’émeutes dans
les grandes villes américaines ?
Quoi de plus efficace qu’une
photo de bâtiments en feu dans la
nuit en bannière d’un site Web,
agrémentée de manifestants de
toutes les couleurs dansant de
joie ? Et comment ne pas céder à
la tentation de relancer la méca­
nique lorsque la contestation
s’étend, de manière inespérée,
aux villes européennes ?
Choquée par l’usage de gaz la­
crymogènes contre les protesta­
taires aux Etats­Unis – une arme
surperflue à Moscou, tant les ra­
res manifestations y sont vite ré­
primées –, la porte­parole du mi­
nistère russe des affaires étrangè­
res, Maria Zakharova, a prié
Washington, le 7 juin, de « com­
mencer à respecter les droits de
l’homme et à observer les règles de
la démocratie ». « Le temps est venu
de cesser de se poser en donneur de
leçons et de se regarder dans la
glace », a­t­elle ajouté. Le même
ton est de rigueur à Pékin, où l’on
a malgré tout pris soin d’interdire
aux habitants de Hongkong, sous
prétexte de coronavirus, de com­
mémorer le massacre de la place
Tiananmen, le 4 juin 1989.
Curieusement, les hérauts de
l’ordre russe et chinois ne réali­
sent pas que ce qu’ils perçoivent
comme une faiblesse des démo­
craties libérales, cette capacité à
produire de la contestation et du
désordre, est en réalité leur force.
Que bien des jeunes russes et chi­
nois rêveraient de pouvoir pro­
tester et regardent peut­être les
images de cette ébullition non
pas avec horreur, mais avec envie.
Et que le mouvement Black Lives
Matter, en traversant l’Atlantique,
est en train de réunifier un Occi­
dent que Donald Trump et sa doc­
trine « America first » avait pro­
fondément divisé.
Le poison d’une relation
Au sommet, en effet, cette com­
munauté d’Etats que l’on appelait
« l’Ouest », pendant la guerre
froide, face à « l’Est », dominé par
l’Union soviétique, est spectaculai­
rement fracturée. La relation tran­
satlantique est devenue un objet
d’étude pour historiens, et les prin­
cipaux dirigeants européens se
sont mis à cet égard en mode
« pause » jusqu’au 3 novembre,
date de la présidentielle améri­
caine, dont, selon la formule con­
sacrée, ils espèrent le meilleur tout
en se préparant au pire. La chance­
lière Angela Merkel a fait échouer
le G7 de Donald Trump en préten­
dant ne pas pouvoir se déplacer à
cause de la pandémie ; le président
américain a riposté en menaçant,
selon le Wall Street Journal, de reti­
rer 9 500 soldats des 34 500 encore
stationnés en Allemagne, et de li­
miter à 25 000 leur nombre en per­
manence. On en est là.
La relation avec les Etats­Unis
sème son poison jusqu’au sein de
l’UE : sans même attendre la con­
firmation officielle de cette an­
PÉKIN ET MOSCOU NE  recte véhiculée, parfois violem­
RÉALISENT PAS QUE CE  qui n’admet pas la contradiction.
QU’ILS PERÇOIVENT  Elle aussi s’exporte. Mais, jus­
COMME UNE FAIBLESSE  l’Occident, ni l’ascension de la
DES DÉMOCRATIES  sie n’ont produit de valeurs capa­
LIBÉRALES EST EN FAIT  bles d’inspirer des mouvements
LEUR FORCE
Tirage du Monde daté mercredi 10 juin : 133 273 exemplaires
0123 | 31
DÉCONFINEMENT : 
LA DOCTRINE 
vertes depuis le 11 mai, l’école n’a pas repris que 158 clusters ont été identifiés depuis le
BOUSCULÉE
en continu. Des élèves ont cours deux fois
par semaine, d’autres pas du tout. Cela cons­
titue non seulement une entrave à la re­
9 mai, signe que le virus continue de cir­
culer sur l’ensemble du territoire. La reprise
de l’épidémie en Pologne, pays qui croyait
prise, mais aussi un gros risque d’aggrava­
tion des inégalités sociales, certains enfants
et adolescents ayant perdu tout contact avec
l’avoir jugulée, incite d’autant plus à la
circonspection que la grande crainte du
gouvernement est de voir la maladie repar­
l’école depuis le début du confinement, le tir en septembre, alors que les Français
17 mars dernier. Beaucoup de parents auraient baissé la garde. Pour toutes ces
 
étaient au début réticents à renvoyer leur raisons, la prudence domine. Mais, étant de
progéniture à l’école, mais l’évolution de la plus en plus incomprise, elle nécessite une
LIVES MATTER EST EN  situation sanitaire les a, depuis, rassurés si explication publique bien avant le rendez­
bien qu’eux aussi manifestent de l’impa­ vous du 22 juin.
TRAIN DE RÉUNIFIER UN  tience devant la lourdeur du protocole sani­ Car, depuis quelques jours, les pouvoirs
taire. Fondé sur la distanciation, le texte li­ publics se retrouvent en porte­à­faux sur
OCCIDENT QUE TRUMP 
ET SA DOCTRINE AVAIENT 
PROFONDÉMENT DIVISÉ
S ur le plan sanitaire, le déconfinement
se passe sans accroc en France métro­
politaine. L’expérience est à ce point
positive que, depuis quelques jours, une im­
patience se manifeste. Les milieux écono­
mite à dix ou quinze le nombre d’élèves par
classe, ce qui empêche de fait tout retour
normal à l’école. Jean­Michel Blanquer, le
ministre de l’éducation nationale, voudrait
l’assouplir le plus rapidement possible.
l’autre sujet sensible des libertés publiques.
Du fait de l’application de l’état d’urgence
sanitaire, les rassemblements de plus de
dix personnes sont théoriquement inter­
dits en France. Et pourtant des manifesta­
miques estiment que le principal risque est Une triple pression s’exerce ainsi sur tions s’y déroulent, presque quotidienne­
nonce, le premier ministre polo­ désormais de nature économique et so­ Edouard Philippe, le premier ministre, qui, ment en solidarité avec l’Afro­Américain,
nais, Mateusz Morawiecki, s’est ciale. Ils plaident pour un retour à la nor­ plébiscité pour sa prudence, se voit à pré­ George Floyd, tué le 25 mai dernier par un
empressé de faire savoir que son male le plus vite possible, afin d’éviter de sent prié d’accélérer, sans attendre le pro­ policier, à Minneapolis. Elles suscitent une
pays serait ravi d’accueillir les sol­ perdre des marchés, ce qui ne manquerait chain point d’étape, prévu le 22 juin. telle émotion que le ministre de l’intérieur,
dats américains retirés à l’Allema­ pas d’aggraver la récession annoncée (– 11 % La difficulté pour M. Philippe est que tous Christophe Castaner, est bien en peine de
gne. C’est un avant­goût de ce que selon les dernières prévisions du gouverne­ les clignotants sanitaires ne sont pas en­ les condamner. « L’émotion dépasse les rè­
signifierait un deuxième mandat ment) et les pertes d’emplois qui vont avec. core en vert. La dernière note publiée gles juridiques », a­t­il fait valoir mardi, légi­
Trump pour l’Europe : la fin possi­ Pressés de retourner sur leur lieu de tra­ mardi 9 juin par le conseil scientifique sou­ timant la revendication exprimée ces der­
ble de l’OTAN, l’exacerbation des vail, nombre de salariés invoquent, en re­ ligne, certes, que les indicateurs épidé­ niers jours par la gauche de voir abolie au
clivages entre Européens sur la tour, les difficultés qu’ils éprouvent à faire miologiques se situent à un niveau bas et plus vite « l’interdiction des manifesta­
Russie et la Chine, l’affrontement garder leurs enfants. Si les portes des écoles qu’ils ne témoignent pas d’une reprise de tions ». Si tel est le cas, c’est toute la doctrine
sino­américain et la difficulté de et des lycées se sont progressivement rou­ l’épidémie. Mais elle insiste aussi sur le fait du déconfinement qui serait à redéfinir. 
gérer des problèmes mondiaux
comme le climat, le commerce et
les pandémies sans la coopération
des Etats­Unis.
A la base, cependant, la situa­
tion est différente. Malgré la pola­
risation des électorats sous l’effet
de la pression populiste, les va­
leurs qui forment le socle des dé­
mocraties occidentales restent, présentent
précisément, un socle commun.
C’est au nom de l’égalité et de la li­
berté, valeurs héritées des Lumiè­
res et des révolutions américaine
et française, que les manifestants
contre le racisme et la violence
policière ont réussi à entraîner
avec eux ceux qui n’en sont pas
directement victimes, y compris
les élites du Pentagone. Les régi­
mes autoritaires ne voient de ce
mouvement que la composante
destructrice, celle des scènes de
pillage et de violence. Ils préfè­
rent en ignorer l’autre dimen­
sion, celle de la liberté d’expres­ LE SALON DES MBA & EXECUTIVE MASTERS
sion et de l’Etat de droit qui limite
la répression, parce qu’ils ont tout
à y perdre : l’attrait de la liberté
11e édition
n’a­t­il pas déjà fait chuter l’em­
pire soviétique, il y a trente ans ?
Interrogé, le 5 juin, lors d’une
réunion publique en ligne organi­ 19 et 20 juin 2020
sée par l’ONG américaine German
2 JOURS EN LIVE
Marshall Fund, le sénateur démo­
crate Chris Murphy a reconnu que
les émeutes urbaines qui ont suivi
la mort de George Floyd à Minnea­
polis mettaient en évidence des
blessures anciennes aux Etats­
40 webinars et Masterclass présentés
Unis. Mais, a­t­il ajouté, « elles par les directeurs de programmes
montrent aussi notre capacité à re­
garder ces blessures avec un esprit d’établissements les plus reconnus
ouvert, de telle manière que cela
puisse mener à un changement ».
Le commentaire vaut pour les 3 conférences animées par
pays européens, où les manifes­
tants sont nombreux à se réclamer des journalistes du Monde
de Black Lives Matter. Comme le
mouvement #metoo contre les
abus sexuels et pour l’égalité fem­
mes­hommes, il y a deux ans, la
dynamique Black Lives Matter
vient d’en bas, de la société civile,
pour s’imposer aux gouverne­
ments et aux législateurs des pays
démocratiques. Il se trouve que ces
deux mouvements sont partis des
Etats­Unis ; leur impact a été am­
plifié par les réseaux sociaux, eux
aussi nés aux Etats­Unis. Ce n’est
pas un hasard si les autocrates
cherchent à contrôler le plus possi­
ble les réseaux sociaux.
C’est une autre version, plus
plaisante, d’« America first ». Elle
peut avoir ses excès, dont celui
d’une culture politiquement cor­
ment, par les réseaux sociaux et
qu’ici, et quel que soit le déclin de
Chine ni les prétentions de la Rus­
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sociaux d’une telle ampleur au­
delà de leurs frontières. 
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