MERCREDI 18 JANVIER 2023
79E ANNÉE – NO 24272
3,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT  LES FONDS FABULEUX DU LAC TITICACA
La natalité française au plus bas depuis 1946
▶ Le bilan démographique
de l’Insee montre une sta­
gnation de l’espérance de
vie en France en 2022,
pour les femmes (85,2 ans)
et les hommes (79,3 ans)
Fin de vie
« Mon père 
voulait juste mourir 
dignement »
▶ La grande reporter
au « Monde » Vanessa
Schneider raconte
les derniers mois de
son père, l’écrivain et
psychanalyste Michel
Schneider, mort d’un
cancer en juillet 2022
Italie Cinéma
Le « boss » de Cosa Carla Simon
Nostra sous les filme la fin d’une
verrous, après époque dans le
trente ans de cavale « Far West » catalan
PAGE 2 PAG E 2 2
VU PAR URBS (FRANCE)
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
▶ Après l’embellie de 2021, ▶ La mortalité est toujours ▶ La fécondité continue ▶ La Chine a, elle aussi,
la natalité atteint son plus haute, avec 46 000 décès de baisser légèrement, publié ses données, avec
bas depuis la seconde supplémentaires par avec 1,8 enfant par femme, un recul démographique
guerre mondiale, le solde rapport aux projections, ce qui place tout de même historique (– 850 000 per­
naturel est très légère­ un effet dû au Covid, aux la France en tête des sonnes depuis 2021)
ment positif (+56 000) canicules et à la grippe pays européens PAGE S 10, 11 ET 15
Retraites Crispations dans la 
majorité, les ambitions s’aiguisent
L’annonce en ce début janvier du
contenu de la réforme des retrai­
discours de politique générale
qui a contrarié le chef de l’Etat.
tes s’est accompagnée de tiraille­ Edouard Philippe et François
ments au sein de la majorité, tant Bayrou affichent, eux, un soutien
sur la forme que sur le fond. critique aux arbitrages d’Elisa­
En creux, ce sont les différents beth Borne, pour un report de
prétendants à la succession d’Em­ l’âge légal de départ à 64 ans.
manuel Macron en 2027 qui font L’ancien premier ministre, qui
valoir leurs divergences. A com­ avait plaidé pour 65 ans en 2019,
mencer par Bruno Le Maire, le ne juge plus cette mesure priori­
ministre de l’économie, qui a fait taire, et le patron du MoDem sou­
fi des consignes de sobriété don­ haite, de son côté, « améliorer le
nées par l’Elysée concernant les projet ».
vœux ministériels, déroulant un PAGE S 8- 9
Planète
Malaise au sein 
du Haut Conseil 
Economie
Davos à l’heure 
du retour du 
▶ A l’heure du débat ▶ « Bienvenue dans
pour le climat protectionnisme
sur la fin de vie, ce l’effondrement du L’institution, créée par Au forum économique
récit illustre la faillite système médical Emmanuel Macron en qui se tient en Suisse, du
de la prise en charge français », lâchent des 2018 pour évaluer les poli­ 16 au 20 janvier, sur fond
des patients condam­ médecins à la journa­ tiques publiques, traverse de croissance mondiale
une période difficile, avec atone, les dirigeants
nés, avec un hôpital liste, qui s’épuise en dé­ une production réduite, d’entreprise anticipent la
et une médecine de marches infructueuses et peine à jouer son rôle fin de l’ère de la mondiali­
ville débordés PAGE S 20- 21 de vigie indépendante sation et du libre­échange
PAGE 6 E T ÉDITORIAL PAGE 31 PAGE S 14 E T 1 5
Campus DISPARITION
Le stress généré
par Parcoursup
GINA  -20 % -30% SUR LES PLUS
profite au « marché LOLLOBRIGIDA GRANDES MARQUES DE
de l’anxiété » CANAPÉS, LITERIE, MOBILIER*
PAGE 13
CARTOONING FOR PEACE HERE COME
THE S
SOLDE
OLDE
SOLDES **
*Sur les modèles d’exposition. **Voici les soldes.
11 JANVIER
11 JANVIER >
>77 FÉVRIER
FÉVRIER 2023
2023
Dans les années 1950. LAPRESSE VIA AP Canapés, convertibles, fauteuils : Bretz, Duvivier,
Fama, Himolla, Leolux, Milano Bedding, Neology,
L’actrice italienne s’est éteinte à Ralph M, Stressless®... Literie : André Renault, Bultex,
Rome, le 16 janvier 2023, à l’âge de Dunlopillo, Emma, Epéda, Simmons, Stearns & Foster,
95 ans. La comédienne, qui avait Tempur, Treca... Mobilier contemporain : Artcopi,
fait ses débuts dans des concours Bontempi, Calligaris, Celio, Mobliberica, Novamobili...
de beauté à la fin des an­
nées 1940, avait rencontré le suc­
©
cès avec notamment Fanfan la
Tulipe, de Christian­Jaque (1952),
et Notre­Dame de Paris, de Jean
Delannoy (1956), avant une brève Paris 12 et 15 :
époque hollywoodienne. Elle toutes nos adresses sur www.topper.fr
avait incarné en 1995 la fée du ci­
néma, dans Les Cent et Une Nuits,
d’Agnès Varda.
PAGE 19
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
 INTERNATIONAL
2|
Fin de cavale pour le « boss » de Cosa Nostra
Matteo Messina
Denaro,
surnommé
« Diabolik », a été
arrêté à Palerme,
en Sicile,
après trente ans
de clandestinité
rome ­ correspondant
I
l était le dernier des grands
noms de la Cosa Nostra à
avoir échappé à la justice ita­
lienne. Sa cavale de trente
années a pris fin lundi 16 janvier
au matin, dans les locaux de la cli­
nique privée La Maddalena, à Pa­
lerme. Avec cette arrestation, c’est
un chapitre de l’histoire du crime
organisé sicilien qui se termine,
ainsi qu’un cycle entier de l’his­
toire italienne. Malade, Matteo
Messina Denaro, 60 ans, a été ar­
rêté à l’endroit même où il suivait
depuis un an des séances de chi­
miothérapie, sous l’identité d’An­
drea Bonafede, géomètre de son
état. C’est là, non loin du centre
historique de la grande ville sici­
lienne et à 650 mètres des locaux
de la direction palermitaine des
enquêtes antimafia, que l’ont
trouvé les hommes du Raggrup­
pamento operativo speciale
(ROS) des carabiniers.
Jusqu’à lundi, on ne connaissait
de lui que le visage d’un trente­
naire flambeur, photographié
avant sa longue clandestinité
commencée en 1993. Son image
de « boss » mafieux légendaire
vient de connaître une transfor­
mation brutale, en prenant la
forme d’une silhouette affaiblie,
emmitouflée dans un blouson
d’hiver et encadrée par des agents
en uniforme, descendant lente­
ment les marches d’un hôpital
pour disparaître dans un véhicule
de police.
Des questions sans réponse
Le nom de Messina Denaro était
associé au clan des Corleone, ce
courant de la Mafia sicilienne qui,
après avoir triomphé de ses ad­
versaires dans l’île, avait déclaré la
guerre à la République italienne
au début des années 1990. Sous le
commandement de Salvatore
Riina, le mentor de Matteo Mes­
sina Denaro, les Corleone avaient
alors pris la direction d’une vio­
lence terroriste meurtrière con­
tre des cibles étatiques.
Alors trentenaire, Matteo Mes­
sina Denaro avait d’ailleurs pris
part à l’organisation des attentats
à la bombe de 1992 contre les ju­
ges Giovanni Falcone et Paolo
Borsellino, ce pour quoi il a été
condamné à perpétuité par con­
tumace en 2020. Son implication
dans les attentats qui ont fait une
dizaine de morts à Florence, à
Rome et à Milan en 1993 est éga­
lement connue. Et pourtant, le
chef mafieux avait réussi, grâce à
de puissants soutiens, à passer
trois décennies sous les radars,
décennies au cours desquelles il
avait pu développer l’emprise du
crime organisé sicilien sur l’éco­
nomie légale.
Le mafieux avait
pris part à
l’organisation des
attentats à la
bombe de 1992
contre les juges
Giovanni Falcone
et Paolo
Borsellino
« Cet homme a accompli [ce qui
compte] parmi les pires méfaits de
l’histoire de l’Italie. Il est déposi­
taire des plus grands secrets de
Cosa Nostra, explique Antonio
Balsamo, le président du tribunal
de Palerme. Son témoignage per­
mettrait de faire la lumière sur des
épisodes cruciaux de l’histoire de
la Mafia, et de l’Italie. » Le magis­
trat confie que l’atmosphère des
derniers mois était à l’optimisme
parmi les enquêteurs, mais que
lui­même n’était pas au courant
de l’opération de capture, lancée
de façon fulgurante, dans la plus
grande discrétion.
Lors d’une conférence de presse
qui s’est tenue à Palerme dans
l’après­midi, le général des carabi­
niers, Pasquale Angelosanto, a dé­
voilé le patient jeu de piste ayant
permis aux enquêteurs de retrou­
ver la trace du fugitif : au courant
des problèmes de santé du
« boss », notamment grâce à des
écoutes, ils ont ensuite resserré le
cercle des individus de son âge
susceptibles de consulter dans les
cliniques et hôpitaux de l’île.
« C’est seulement le matin même
(…) que nous avons eu la certitude
qu’il s’agissait bien de lui », a révélé
le général Angelosanto. C’est
donc la maladie, un cancer du cô­
lon, qui a fini par trahir Matteo
Messina Denaro.
« Une grande victoire de l’Etat »
« Avec le temps et dans la clandes­
tinité, la figure de Messina De­
naro a pris des proportions quasi
mythologiques, explique Gia­
como Di Girolamo, journaliste si­
cilien et auteur de deux biogra­
phies du criminel. Il était le der­
nier représentant en vie et en li­
berté d’un temps dont l’évocation
continue à poser des questions
sans réponse sur les relations
troubles entre certaines parties de
l’Etat et la Mafia. Beaucoup de
gens pensent que, s’il parlait, il fe­
rait tomber l’Italie du pouvoir. »
Signe de l’importance politi­
que de cette arrestation qui a été
décrite comme « une grande vic­
toire de l’Etat », la présidente du
conseil, Giorgia Meloni, s’est im­
médiatement rendue en Sicile,
Ci­dessus :
Matteo Messina
Denaro quitte
une caserne de
police après
son arrestation
à Palerme.
Photo tirée
d’une vidéo
postée par les
carabiniers
italiens, lundi
16 janvier.
Ci­contre :
le mafieux,
alors âgé
d’une trentaine
d’années. AFP
PHOTO/HANDOUT- ANSA
lundi, après l’annonce de l’arres­
tation de Matteo Messina De­
naro. Elle a d’ailleurs profité du
déplacement pour se recueillir
sur la stèle honorant la mémoire
du juge Falcone, près du mor­
ceau d’autoroute où il a été tué
avec son épouse et avec les mem­
bres de son escorte dans l’explo­
sion d’une charge de 400 kilos
déposée par les associés du cri­
minel sicilien.
Giorgia Meloni explique réguliè­
rement son entrée en politique à
l’âge de 15 ans, dans les rangs de la
jeunesse postfasciste en 1992,
comme une réaction à l’extrême
violence des attentats de la Mafia.
Elle a ainsi trouvé l’occasion,
lundi, d’introduire dans l’actualité
une partie de son récit personnel.
La carrière de Matteo Messina
Denaro a pourtant commencé
bien avant qu’il ne devienne l’un
des acteurs de cette période au
cours de laquelle le déchaîne­
ment du terrorisme mafieux en
même temps que des scandales
de corruption massifs ont en­
traîné par le fond le système poli­
tique italien issu de la fin de la se­
conde guerre mondiale. Fils d’un
grand dignitaire mafieux de
l’ouest de la Sicile, l’ancien
« boss » est entré dans la carrière
criminelle comme tueur au ser­
vice des groupes mafieux de Cor­
leone.
Né a Castelvetrano, une localité
de la province de Trapani qui est
demeurée son fief, il a évolué
très tôt dans une atmosphère de
totale impunité. A 20 ans, il parti­
cipe à la guerre d’extermination
menée par les familles de Cor­
leone contre leurs rivales de Pa­
lerme, sous la protection de Salva­
tore Riina. La présence symboli­
que de ce parrain qui lui a fait gra­
vir les échelons du monde
criminel sicilien le poursuit
d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui :
son arrestation lundi est interve­
nue précisément trente ans et un
jour après celle du grand chef ma­
fieux sicilien auprès duquel il a
fait l’apprentissage de la violence.
La « stratégie de la terre brûlée »
En 1991, ce jeune homme sur­
nommé « Diabolik », en référence
à un héros de bande dessinée très
populaire en Italie, et à qui on at­
tribue des goûts de luxe ainsi
qu’un train de vie de séducteur,
abat un concurrent en amour.
Alors qu’il est à peine entré en
clandestinité, inquiété par les en­
quêtes sur les attentats sanglants
de ces années­là, Matteo Messina
Denaro participe également à la
séquestration du jeune Giuseppe
Matteo, 13 ans, le fils d’un repenti.
Après deux ans d’une prise
d’otage destinée à faire pression
sur son père, qui collabore avec la
justice, le garçon est finalement
tué en 1996, par étranglement.
Son corps sera ensuite dissous
dans l’acide.
« Avec ceux que j’ai tués, on pour­
rait remplir un cimetière », se se­
rait un jour vanté Matteo Messina
Denaro. La violence sanguinaire
aura cependant été surtout pour
lui un capital de départ mis au
service de la construction d’un
empire économique. Malgré la
clandestinité à laquelle il a été
condamné pendant trois décen­
nies, son parcours traduit en effet
la transformation réussie d’une
Mafia poseuse de bombe en un
acteur majeur de l’économie
réelle sicilienne et italienne.
Les enquêteurs ont ainsi re­
trouvé sa trace du secteur du tou­
risme à celui des énergies renou­
velables, en passant par la grande
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
« Cet homme a
accompli [ce qui
compte] parmi
les pires méfaits
de l’histoire
de l’Italie »
ANTONIO BALSAMO
président du tribunal
de Palerme
distribution. Partout où elle a pu
déceler son implication, la jus­
tice a confisqué ses biens au fil
d’un long travail de sape. La po­
lice a également réussi à arrêter
année après année l’ensemble de
ses proches, en pratiquant ce que
les professionnels de l’Antimafia
nomment en Italie la « stratégie
de la terre brûlée ». Selon les auto­
rités, ces méthodes ont fini par
payer, permettant d’isoler Mat­
teo Messina Denaro, avant
d’identifier sa couverture et de
l’interpeller.
« Cette arrestation marque la fin
d’une longue période au cours de
laquelle l’Etat de droit a été tenu
en échec », confiela procureure
Teresa Principato, qui a mené la
traque contre Matteo Messina
Denaro huit années durant,
avant d’être remplacée par son
ancien adjoint Paolo Guido,
en 2017. « Cet échec n’était pas lié
au manque de capacité de nos
forces de l’ordre et de nos enquê­
teurs. Il est le résultat d’un sys­
tème de soutiens dont Messina
Denaro a pu bénéficier à tous les
niveaux, politique, économique,
institutionnel »,accuse la magis­
trate, qui a toutefois peu d’espoir
que son arrestation aboutisse à
des révélations fracassantes.
« Il faudrait qu’il ait quelque
chose à négocier pour collaborer
avec l’Etat. Or, il est très malade,
voire mourant, et n’a pas grand­
chose à y gagner », remarque­t­
elle. Les conditions très dures de
détention, utilisées comme un
moyen de pression sur les chefs
mafieux, sont censées s’appli­
quer à Matteo Messina Denaro.
Mais son état de santé pourrait lui
permettre d’y échapper. Il revient
désormais à la justice d’identifier
le système de collusion qui lui a
permis de rester libre trente an­
nées durant. Un système toujours
en place. p
allan kaval et
thomas saintourens (à paris)
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MERCREDI 18 JANVIER 2023
Le procès Garcia Luna, superflic et narcotrafiquant
L’ex­chef de la police mexicaine est jugé à New York pour avoir fourni des informations au cartel du Sinaloa
new york, rio de janeiro ­
correspondants
G
enaro Garcia Luna
était il y a quinze ans
le plus haut respon­
sable de la sécurité au
Mexique, chargé de la lutte contre
les cartels de drogue. A 54 ans, il
comparaît à partir de mardi
17 janvier devant un tribunal fédé­
ral de Brooklyn (New York) pour
trafic de cocaïne. Le procès de Ge­
naro Garcia Luna devrait mettre
au jour les relations entre les nar­
cotrafiquants et le pouvoir mexi­
cain, sous la présidence de Felipe
Calderon (2006­2012), mais aussi
le trafic transfrontalier qui ali­
mente les Etats­Unis à partir de
l’Amérique du Sud via le Mexique.
La chute de Genaro Garcia Luna
est intervenue en 2019, pendant
le procès de Joaquin Guzman, sur­
nommé « El Chapo », patron du
cartel du Sinaloa, le plus impor­
tant du Mexique, condamné à la
perpétuité aux Etats­Unis. Un
narco repenti avait expliqué com­
ment il avait versé des valises de
billets à l’ancien ministre de la sé­
curité, conduisant à son arresta­
tion quelques mois plus tard, en
décembre 2019, à Dallas (Texas).
« En échange du paiement de
pots­de­vin, le cartel du Sinaloa a
obtenu un passage sûr pour ses ex­
péditions de drogue, des informa­
tions sensibles sur les forces de l’or­
dre concernant les enquêtes sur le
cartel et des informations sur les
cartels de la drogue rivaux », ac­
cusa le ministère de la justice amé­
ricain, au lendemain de son inter­
pellation à Dallas, en décem­
bre 2019. Selon la justice améri­
caine, « à deux reprises, le cartel a
personnellement versé des pots­de­
vin à Garcia Luna dans des
mallettes contenant entre 3 mil­
lions et 5 millions de dollars [en­
tre 2,7 millions et 4,6 millions
d’euros] ».
L’ancien policier, qui s’était éta­
bli en Floride en 2012, avait, pour­
suit­elle, « amassé des millions de
dollars de fortune personnelle ».
Pour le poursuivre aux Etats­
Unis, le Parquet américain utilise
le chef de « trafic de drogue trans­
frontalier » et l’accuse de men­
songe lors de sa demande de na­
turalisation en 2018 : « Il aurait
menti sur ses actes criminels pas­
sés au nom du cartel du Sinaloa. »
Londres bloque une loi écossaise facilitant le changement de genre
En usant, pour la première fois, de son droit de veto, le pouvoir britannique prend le risque de galvaniser les indépendantistes à Edimbourg
londres ­ correspondante
L e gouvernement britan­
nique a choisi l’option
nucléaire contre l’Ecosse.
Lundi 16 janvier, Alister Jack, le mi­
nistre délégué à l’Ecosse du cabi­
net de Rishi Sunak, a confirmé que
Londres avait l’intention de blo­
quer le Gender Recognition Re­
form Bill, une loi qui facilite le
changement de genre des person­
nes trans, adoptée il y a à peine un
mois au Parlement d’Edimbourg,
en lui refusant son assentiment
royal. Une étape purement for­
melle, mais sans laquelle aucune
loi ne peut être définitivement
promulguée au Royaume­Uni.
« Je n’ai pas pris cette décision à
la légère. Ce projet de loi [écossais]
aurait eu un impact significatif
en matière, notamment, d’égalité
des droits en Grande­Bretagne. J’en
ai conclu [qu’exercer ce veto] était
une action nécessaire et appro­
priée », explique M. Jack.
C’est la première fois depuis la
création du Parlement écossais,
par dévolution de pouvoir, il y a
une vingtaine d’années, que le
gouvernement britannique choi­
Le président mexicain, Felipe Calderon (à gauche), et Genaro Garcia Luna, à Mexico, le 9 mai 2008. MCT/TRIBUNE NEWS SERVICE VIA GETTY IMAGES
M. Garcia Luna a plaidé non cou­
pable, estimant qu’il était victime
de la vengeance de narcos repen­
tis et d’accusations infondées.
Il encourt, s’il est reconnu coupa­
ble, entre dix ans de prison et la
réclusion à perpétuité. « L’arresta­
tion d’aujourd’hui démontre notre
détermination à traduire en jus­
tice ceux qui aident les cartels à in­
fliger des dommages dévastateurs
aux Etats­Unis et au Mexique,
quels que soient les postes qu’ils
occupaient en commettant leurs
crimes », avait déclaré le procu­
reur fédéral de Brooklyn, Richard
P. Donoghue.
Un policier « médiocre »
Jamais un responsable politique
mexicain d’un grade aussi élevé
n’avait été traduit en justice aux
Etats­Unis. M. Garcia Luna fut pen­
dant plus d’une décennie le grand
architecte de la « guerre contre les
cartels », lancée tambour battant
par le président Felipe Calderon à
sit d’exercer ce veto, allant a
priori à l’encontre de la volonté
des élus écossais, mais prévu
par le Scotland Act de 1998. Ce
texte fondamental confère cer­
tes à « Holyrood » (l’assemblée
d’Edimbourg) le pouvoir de voter
des lois dans des domaines réser­
vés (l’éducation ou la santé), mais
il maintient ce parlement régio­
nal sous la coupe de Westmins­
ter, le Parlement britannique.
Inédit et politiquement très sen­
sible, ce blocage législatif donne
des arguments en or aux in­
dépendantistes écossais, qui con­
testent la souveraineté britanni­
que, et spécialement l’autorité
des conservateurs à Londres.
Le veto londonien est d’autant
plus explosif qu’il porte sur un
projet de loi ayant suscité un débat
enflammé à Holyrood. Le Gender
Recognition Reform Bill entend
faciliter l’acquisition par des per­
sonnes trans d’un certificat de re­
connaissance de genre établissant
que leur genre « n’est pas celui qui
[leur] a été assigné à la naissance ».
Ce document, qu’elles peuvent
réclamer dès 16 ans, sans avis mé­
dical, permet de réclamer un nou­
son arrivée au pouvoir en 2006.
Une politique qui fera du Mexique
un immense tombeau.
Genaro Garcia Luna devint le vi­
sage de cette guerre, et le plus pro­
che collaborateur du chef de l’Etat,
obtenant un budget record pour
la police fédérale, et en particulier
pour l’Agence fédérale d’investiga­
tion (AFI), qu’il avait dirigée pen­
dant le mandat du président Vin­
cente Fox (2001­2006). Il avait
auparavant travaillé pendant une
décennie, au sein des services de
renseignement mexicains.
« Ce policier, qui a toujours été
très médiocre, a atteint les plus
hautes fonctions en faisant le sale
boulot. Il s’est sali les mains pour
ses chefs et a ainsi gravi les éche­
lons dans l’administration et dans
le crime organisé. Selon mes en­
quêtes, il est entré dans le monde
du crime dès les années 1990,
en protégeant déjà des bandes
de kidnappeurs en échange de ju­
teuses rétributions », affirme par
veau certificat de naissance et
d’obtenir la reconnaissance de ce
changement sur les papiers
d’identité. A l’échelle du Royau­
me­Uni, le gouvernement Sunak
n’a pas l’intention d’aller aussi
loin et s’en tient à une reconnais­
sance de changement de genre
conditionnée à un avis médical
(et impossible avant 18 ans).
Espoir d’un nouveau référendum
Nicola Sturgeon, la première mi­
nistre écossaise et cheffe du Parti
national écossais (SNP), premier
parti indépendantiste, s’est insur­
gée contre le veto de Londres. « Il
s’agit d’une attaque frontale contre
notre parlement démocratique­
ment élu et contre sa capacité à
prendre ses propres décisions sur
les sujets dévolus, a déclaré celle
qui domine la vie politique de la
nation depuis les années 2010.
Le gouvernement écossais défen­
dra cette législation et le Parlement
écossais, car, si ce veto de West­
minster aboutit, cela risque d’être le
premier d’une longue liste. » Le
SNP réclame un deuxième réfé­
rendum sur l’indépendance,
après celui, raté, de 2014 (les par­
téléphone la journaliste d’investi­
gation Anabel Hernandez, autrice
de plusieurs livres sur cette
guerre.
Cet homme trapu au visage
fermé, dont les conférences de
presse étaient presque incompré­
hensibles tant son bégaiement
était fort, a bénéficié d’un soutien
« En échange
du paiement de
pots-de-vin
à Genaro Garcia
Luna, le cartel
a obtenu
un passage pour
ses expéditions
de drogue »
ministère de la justice
américain
tisans du maintien dans le
Royaume­Uni l’avaient emporté
avec 55,3 % des voix).
Nicola Sturgeon tient beaucoup
à ce projet de loi : c’est elle qui l’a
suggéré, il y a six ans, peu après
son arrivée à la tête du gouverne­
ment écossais, fin 2014. Cette mi­
litante convaincue de l’indépen­
dance se positionnait alors
comme une dirigeante progres­
siste, se faisant l’avocate d’une
société écossaise ouverte, tout
le contraire du gouvernement
conservateur à Londres… Mais le
Gender Recognition Reform Bill
lui a fait perdre beaucoup de capi­
tal politique. Il a divisé son parti
comme jamais : neuf députés
ont voté contre le projet de loi en
première lecture, fin octobre, à
Holyrood, et une ministre (Ash
Regan, chargée des collectivités)
a même démissionné.
La dirigeante, une féministe re­
vendiquée, a par ailleurs braqué
une partie des organisations fé­
ministes écossaises qui ont in­
tensément milité contre le texte,
assurant qu’il ne protégeait
pas assez les droits des femmes
et n’offrait pas suffisamment de
international | 3
sans faille des deux présidents is­
sus du Parti Action nationale
(PAN), la droite catholique mexi­
caine. C’est lui qui a représenté le
Mexique dans les réunions bilaté­
rales de sécurité de haut niveau
où étaient présents Hillary Clin­
ton, alors secrétaire d’Etat, Robert
Mueller, ancien directeur du FBI,
ou encore Eric Holder, ministre de
la justice sous Barack Obama.
Pourtant, dès qu’il en prend la
direction en 2001, les méthodes
de l’AFI et de la police fédérale sont
dénoncées tant par les victimes
du crime organisé que par ses pro­
tagonistes. M. Garcia Luna mène
une supposée guerre contre tous
les cartels, mais il apparaît vite
que cette lutte épargne celui du Si­
naloa, dirigé par Joaquin « El
Chapo » Guzman Loera, dont l’in­
fluence ne cesse de grandir sur le
territoire. Les Zetas par exemple –
le groupe criminel formé d’an­
ciens militaires d’élite de l’armée
mexicaine et qui règne sur l’Etat
garanties contre les préda­
teurs sexuels prétextant un chan­
gement de genre pour accéder
aux espaces réservés aux femmes
(prisons, toilettes, refuges).
Le projet de loi a certes été
adopté, le 22 décembre, à une
large majorité à Edimbourg
(86 voix pour, 39 contre), avec le
soutien des Verts et des travaillis­
tes. Mais, à en croire les sondages,
ce texte salué par les associations
de défense des droits des person­
nes transgenres est peu populaire
auprès des Ecossais – un point qui
n’a évidemment pas échappé au
gouvernement britannique. Lon­
dres craint que des personnes
ayant obtenu un changement de
genre en Ecosse utilisent des es­
paces réservés aux femmes en
Angleterre sans que leur change­
ment de genre ait été validé par
la loi britannique.
Rishi Sunak a adopté un ton con­
ciliant vis­à­vis de Mme Sturgeon,
tranchant avec l’attitude condes­
cendante de ses prédécesseurs, Bo­
ris Johnson et Liz Truss, qui ne fai­
sait qu’attiser le sentiment indé­
pendantiste. Il a même dîné avec la
dirigeante à Inverness (Ecosse), dé­
de Tamaulipas, à la frontière avec
le Texas – accusent à plusieurs re­
prises Genaro Garcia Luna de pro­
téger leurs ennemis du Sinaloa.
Les personnes kidnappées ra­
content d’autre part des mises en
scène médiatiques au moment de
leur libération, à tel point que,
dans la presse mexicaine, l’AFI est
qualifiée d’« agence des films in­
ventés ». Le ministre et son équipe
auront souvent recours à ces tours
de passe­passe médiatiques pour
s’attribuer des résultats devant la
société mexicaine. Les suspects et
les innocents doivent avouer de­
vant les caméras leurs crimes sup­
posés, alors qu’ils ont été arrêtés
et torturés auparavant. Parmi
ceux qui ont subi les méthodes de
Genaro Garcia Luna se trouvent la
Française Florence Cassez – libé­
rée en 2013 après l’annulation par
la Cour suprême de sa condamna­
tion – et son compagnon mexi­
cain, Israel Vallarta, qui attend en
prison depuis dix­huit ans son
procès pour enlèvements.
Le procès de Genaro Garcia Luna
devrait fournir des arguments au
président mexicain actuel, Andres
Manuel Lopez Obrador, qui a dis­
sous l’AFI infiltrée par les narcos et
n’a de cesse de fustiger la corrup­
tion sous le mandat de ses pré­
décesseurs. Le Mexique a de facto
approuvé le procès new­yorkais
en assignant lui­même M. Garcia
Luna pour exiger le rembourse­
ment de 250 millions de dollars
qu’il aurait frauduleusement ac­
quis. Le président Lopez Obrador
exhorte les médias à suivre ce pro­
cès, qui devrait révéler la gangrène
à l’intérieur de l’Etat mexicain. « Il
est très important que tout cela soit
connu, soit raconté, pour que cela
ne se reproduise plus », a estimé ré­
cemment M. Lopez Obrador.
Tous les procès n’ont pas droit
au même soutien au sud du Rio
Grande : l’arrestation en 2020 du
général Salvador Cienfuegos avait
provoqué un tel tollé à Mexico
que les Etats­Unis l’avaient ren­
voyé au Mexique. Le procès, qui
devrait durer deux mois, donnera
lieu à des débats pour produire ou
non des pièces sur les relations
entre M. Garcia Luna et les plus
hauts responsables américains
qui soutenaient alors la guerre
contre la drogue. p
arnaud leparmentier
et anne vigna
but janvier. Pour autant, le conser­
vateur reste sur une ligne inflexi­
ble : pas question d’accorder un
deuxième référendum sur l’indé­
pendance, même si le Brexit a
changé la donne depuis 2016.
Le veto britannique déclenche,
en tout cas, une nouvelle crise en­
tre Londres et Edimbourg. Le gou­
vernement écossais va probable­
ment le contester auprès des tribu­
naux, arguant que les questions de
genre sont du domaine réservé
de la politique écossaise. Le bras de
fer pourrait se terminer devant la
Cour suprême britannique. En at­
tendant, il va donner du carburant
au SNP, qui s’apprête à relancer sa
campagne en faveur d’un nouveau
référendum, après que la Cour su­
prême a conclu, fin 2022, que Holy­
rood ne pouvait organiser un
scrutin populaire sans l’aval de
Downing Street. Mme Sturgeon
pourrait définitivement balayer
l’argument des modérés, qui plai­
dent encore pour la stratégie des
petits pas et pour plus de dévolu­
tion (de pouvoirs pour Holyrood)
avant d’effectuer le grand saut
vers l’indépendance. p
cécile ducourtieux
 0123
4 | international MERCREDI 18 JANVIER 2023

Indonésie : les « regrets » du Au Japon, la secte

président sur les crimes de masse Moon au cœur
Joko Widodo a présenté les premières excuses au nom de l’Etat de l’appareil politique
pour des massacres commis depuis les années 1960 L’Eglise de l’unification a tissé un large
réseau au sein du Parti libéral démocrate
bangkok ­ correspondant les exactions commises contre la appelé au lancement de nouvelles perpétrés par des milices nationa­
en Asie du Sud­Est population civile et des militants procédures judiciaires. Des tribu­ listes et islamistes, ils furent tokyo ­ correspondance
pro­indépendantistes à Aceh, au naux spéciaux créés à quatre re­ conçus et mis en œuvre par l’ar­
« Les politiciens

C E
e n’est pas encore le
temps de la justice, mais
celui de la reconnais­
sance de crimes d’am­
pleur commis par l’Etat, les forces
de sécurité et diverses organisa­
tions en Indonésie durant un
demi­siècle. Cinquante­sept ans
après les massacres de 1965 et
1966, qui firent entre 500 000 et
un million de morts parmi les
membres du Parti communiste
indonésien, l’Indonésie a franchi
une étape essentielle avec la re­
connaissance par le président Joko
Widodo, lors d’un discours télé­
visé le 11 janvier, au nom de l’Etat,
de « graves violations des droits de
l’homme ». Des sympathisants,
des membres de la diaspora chi­
noise, ainsi que d’innombrables
intellectuels ou militants de gau­
che avaient aussi été frappés.
« Je regrette profondément la
réalité de ces crimes », a déclaré
« Jokowi » au sujet des massacres
de 1965­1966, mais aussi de 11
autres cas de violations majeures
des droits de l’homme plus récen­
tes mais jamais entièrement pu­
nies ou élucidées, allant des dis­
paritions forcées de militants
prodémocratie en 1997­1998,
à plusieurs fusillades contre
des manifestants, en passant par
Timor oriental ou en Papouasie.
M. Widodo s’est exprimé lors
d’une cérémonie marquant la re­
mise officielle du rapport com­
mandé en août 2022 à une équipe
de huit personnalités, avec mis­
sion de formuler une « résolution
non judiciaire à de graves viola­
tions des droits de l’homme
passées ». Les tribunaux se sont
jusqu’ici révélés impuissants à
condamner des responsables mi­
litaires ou des policiers : « Le gou­
vernement et moi­même nous tâ­
cherons de rétablir leurs droits,
de manière juste et responsable,
sans pour autant renoncer à une
résolution par la voie judiciaire », a
promis « Jokowi » à l’attention
des victimes et de leurs proches.
La question du règlement judi­
ciaire reste essentielle aux yeux
des ONG ou des associations de
victimes, qui se sont félicitées du
discours de M. Widodo mais ont
L’establishment
militaire et
policier continue
d’exercer une
forte influence
HORS-SÉRIE
prises dans le passé pour juger des
membres de l’armée et de la po­
lice dans différentes affaires ont
conduit à des acquittements sys­
tématiques. Le dernier, en décem­
bre 2022, concerne le seul suspect,
un officier, dans la tuerie de qua­
tre manifestants en Papouasie en
décembre 2014, un mois après
l’investiture de Joko Widodo.
En cause, l’impunité lancinante
de l’establishment militaire et po­
licier, qui continue d’exercer une
forte influence sur la vie politique
et institutionnelle du pays : « Jo­
kowi » a pour ministre de la dé­
fense Prabowo Subianto, ex­beau­
fils du dictateur Suharto et ancien
commandant des forces spécia­
les, dont les troupes ont enlevé et
torturé des activistes juste avant
la chute du régime. Le président
du conseil consultatif, ancien mi­
nistre de la défense, est un autre
général, Wiranto, accusé en 2004
de crimes de guerre par un tribu­
nal du Timor oriental pour sa
responsabilité dans des tueries
en 1999, lors de la marche vers
l’indépendance de ce territoire.
Aucun des douze événements
cités par le président n’a été à l’ori­
gine d’autant de traumatismes
au sein de la société indonésienne
que les massacres de 1965­1966 :
mée et celui qui s’impose alors à sa
tête, le général Suharto, après l’as­
sassinat, le 30 septembre 1965,
de six généraux par de supposés
agents communistes. Celui­ci
évince Sukarno, le héros de l’indé­
pendance, et bannit le Parti com­
muniste, alors le troisième au
monde après ceux de Chine et
d’Union soviétique, liquidant ses
soutiens supposés. Les pogroms
antichinois sont, eux, le fruit de la
xénophobie à l’égard de cette com­
munauté jalousée pour son succès
dans le commerce, et d’un amal­
game avec la Chine communiste,
dont Sukarno s’était rapproché.
Redorer le blason de Widodo
Après la chute de Suharto,
en 1998, le président Abdurrah­
man Wahid (1999­2001), premier
chef d’Etat démocratiquement
élu, prononcera des excuses pour
les violences de 1965 au nom de la
Nahdlatul Ulama, la plus grande
association musulmane du pays
dont il fut le dirigeant. En 2012, la
Commission nationale des droits
de l’homme (Komnas HAM),
mise en place après la dictature,
publie un rapport historique,
resté en partie secret, sur les évé­
nements de 1965 et appelle le
gouvernement à agir. Le bureau
du procureur général refuse tou­
tefois de lancer des poursuites.
En 2013, le documentaire de
l’Américain Joshua Oppenheimer,
The Act of Killing, sur d’anciens
bourreaux de 1965 mettant en
scène avec jubilation les tortures
et les meurtres qu’ils ont commis,
produit un électrochoc en Indoné­
sie, même s’il n’a jamais été offi­
ciellement diffusé dans le pays.
Démonstration éclatante du sen­
timent d’impunité des auteurs des
massacres, le film conduira des
militants indonésiens à organiser
en 2015 un tribunal symbolique, à
La Haye, aux Pays­Bas, qui entend
lu à cinq reprises au conseil
général sous l’étiquette
du Parti libéral démocrate
(PLD au pouvoir), Hidemitsu Ito
est une figure politique du dépar­
tement de Gifu (centre du Japon).
Le septuagénaire, ancien ingé­
nieur et président de la petite
entreprise Ito Haikan, affirme
aujourd’hui qu’il ignorait avoir
bénéficié du soutien de l’Eglise de
l’unification, qui depuis dix ans
l’aurait aidé à son insu à rempor­
ter plusieurs scrutins. La chose
peut sembler improbable mais
le problème de cette influence
concerne un nombre important
d’élus. La secte Moon a fini par de­
venir un pouvoir de l’ombre au
sein de la vie politique japonaise.
Egalement connu comme la
« Fédération des familles pour la
paix mondiale et l’unification »,
ou secte Moon, le mouvement est
au cœur de l’enquête sur l’assassi­
nat le 8 juillet 2022 de l’ancien
premier ministre Shinzo Abe. Son
meurtrier, Tetsuya Yamagami,
aurait agi pour venger sa famille,
ruinée par la secte par des dons
consentis par sa mère. Il avait éta­
bli que M. Abe avait des liens
étroits avec l’organisation reli­
gieuse créée en 1954 en Corée du
Sud par Sun­myung Moon (1920­
2012). Le meurtrier a été mis en
examen vendredi 13 janvier. Dans
l’attente de son procès, il peine à
susciter l’hostilité dans un Japon
sonné par les révélations sur les
liens entre la secte et le monde
politique, au point d’être qualifié
de « héros noir » par le journaliste
romancier Akira Tachibana.
Adoubée par le grand-père d’Abe
Selon une enquête réalisée en
août et septembre 2022 par le quo­
tidien Asahi, 150 parlementaires,
sept gouverneurs sur 47, et
290 élus des conseils généraux
– plus de 10 % du total – ont admis
ne sont pas
trop regardants.
Les deux parties
s’utilisaient »
EITO SUZUKI
journaliste
« Les politiciens ne sont pas trop
regardants, tente d’expliquer Eito
Suzuki, journaliste qui enquête
depuis 2002 sur la secte Moon et
auteur de Jimintō no Toitsukyokai
osen tsuiseki 3 000­nichi (« 3 000
jours à enquêter sur la contami­
nation du PLD par l’Eglise de l’uni­
fication », Shogakukan, 2022, non
traduit). Ils savaient que l’organi­
sation avait causé des problèmes
et ne voulaient pas que ces liens
soient divulgués. Les deux parties
s’utilisaient pour tout un ensem­
ble de raisons : gagner les élections
pour les uns, gagner en respectabi­
lité pour les autres. »
Les liens entre la secte Moon
et le monde politique nippon re­
montent aux années 1960. Béné­
ficiant du soutien du pouvoir en
Corée du Sud, à commencer par la
KCIA, les services de renseigne­
ments locaux, l’Eglise de l’unifica­
tion devient un outil politique
dans son pays mais aussi au Japon.
Elle est adoubée dans l’Archipel
par l’ex­premier ministre Nobu­
suke Kishi (1896­1987), grand­
père de Shinzo Abe, à travers la Fé­
dération internationale pour la
victoire sur le communisme, une
de ses émanations. M. Kishi lui a
fait obtenir le statut de société
religieuse « chrétienne » en
juillet 1964. Forte de ce puissant
appui, la secte se rapproche de
la Seiwakai, le courant du PLD
auquel appartient la famille
Kishi­Abe. Dans les années 1980,
Shintaro Abe, père de Shinzo, en­
courage les jeunes parlementai­

L’EAU & LES OCÉANS

des dizaines de témoins et émet des liens avec la secte. Quatre­ res à accepter le soutien de la
en 2016 des sentences de crimes vingts pour cent sont membres secte pour se faire élire. En 1986,

CARTES
EN contre l’humanité et de génocide.
En réaction, le gouvernement
indonésien, sous « Jokowi », or­
ganise dans le pays, en avril 2016,
un symposium de deux jours sur
la question, intitulé « Disséquer
la tragédie de 1965 » et qualifié
alors d’« historique ». Mais des
groupes nationalistes et islamis­
tes menés par des généraux à la
retraite se mobilisent. Un contre­
symposium, lui aussi pris en
charge par le gouvernement, est
organisé sur les périls du com­
munisme par un ancien général,
Kiki Syahnakri.
M. Widodo, qui se réclame régu­
lièrement de la tradition java­
naise de « gagner sans humilier »,
a l’art de coopter ses adversaires :
Kiki Syahnakri fait ainsi partie de
l’équipe d’experts qu’il a chargée
d’élaborer des solutions non
judiciaires aux crimes du passé.
Souvent accusé de privilégier les
questions économiques au détri­
Berceau de la vie, l’eau est aussi à l’origine des civilisations. Parcourez ment des droits de l’homme, le
cette vaste géographie aquatique qui irrigue notre Histoire au gré président, estiment les observa­
de plus de 200 cartes. Découvrez comment l’eau est au centre des teurs, a pu aussi vouloir redorer
relations de pouvoir et des enjeux écologiques. Comment les océans, son blason, d’ici à la fin, en 2024,
de son second mandat.
après avoir porté découvertes et conquêtes, restent des espaces Reste, pour l’Indonésie, à aller
disputés, et désormais surexploités, pollués, voire menacés. plus loin : « L’armée et la police in­
Une approche originale et nécessaire à une prise de conscience donésiennes devraient cesser de
soustraire les membres de leur per­
collective, car l’eau porte en elle la clé de notre survie. sonnel dirigeant à l’obligation de
rendre des comptes pour les hor­
reurs qu’ils ont commises contre
L’EAU & LES OCÉANS EN CARTES leur propre peuple », lit­on dans un
éditorial du 13 janvier du Jakarta
Un hors-série Post, qui appelle les Indonésiens
à « avoir le courage et l’intégrité
124 pages - 14,90 €
Chez votre marchand de journaux de continuer » ce que « Jokowi » a
amorcé : « Il est temps de faire sor­
et sur lemonde.fr/boutique
tir les squelettes du placard. » p
brice pedroletti
du PLD. Pour Hidemitsu Ito, la re­
lation avec la secte Moon trouve
son origine dans la visite à sa per­
manence d’une femme venue il y
a dix ans pour critiquer l’éduca­
tion sexuelle dispensée dans les
écoles qui, selon elle, allait « trop
loin ». Elle prêchait un convaincu.
La question se trouve au cœur
des idées politiques du très
conservateur PLD depuis une
vingtaine d’années. Or cette
femme appartenait à la branche
japonaise de la Fédération des
femmes pour la paix mondiale
(WFWP). Elle a convié M. Ito à des
événements organisés par cette
structure liée à la secte Moon. « Je
ne m’inquiétais pas car l’orga­
nisation est reconnue par les
Nations unies. Leurs activités
étaient bien intentionnées. »
En échange, la femme a mobi­
lisé les membres de la WFWP au
moment des élections. « Je suis
extrêmement reconnaissant car je
n’avais pas beaucoup de person­
nel », admet l’élu. Par la suite, il a
accepté la présidence de la section
locale de la Fédération pour la
paix universelle (UPF), autre
entité de la secte Moon.
Selon
une enquête
du quotidien
« Asahi », plus
de 10 % des élus
du PLD ont admis
des liens
avec la secte
le mouvement se vante d’avoir
contribué à la victoire de 150 par­
lementaires lors des législatives.
La question des « ventes spiri­
tuelles » – qui voient les sectes
vendre aux adeptes à prix exorbi­
tants des produits de faible va­
leur – fait scandale en 1987, ame­
nant l’opposition à pointer les
liens entre le PLD et la secte. Le
premier ministre d’alors, Yasu­
hiro Nakasone, balaye les criti­
ques, y voyant une atteinte à la
liberté de conscience.
Ni l’attentat au gaz sarin de 1995
par la secte Aum Shinrikyo qui a
exposé publiquement les dérives
sectaires, ni les procès intentés
– et gagnés – par d’anciens adep­
tes contre les « ventes spirituel­
les » n’ont mis fin à ses liens.
Shinzo Abe, imprégné des
mêmes idées conservatrices que
la secte Moon (opposition aux
avancées des questions LGBT et
soutien à la révision de la Cons­
titution « pacifiste ») est resté
très proche de cette dernière. En
mai 2006, alors qu’il était secré­
taire général du gouvernement,
il a adressé un télégramme de
félicitations lors d’un événe­
ment organisé par l’UPF, l’asso­
ciation vitrine des « moonistes ».
Les liens se seraient encore
renforcés, particulièrement pour
les élections, durant son man­
dat entre 2012 et 2020.
Le 8 juillet 2022, à deux jours du
vote pour les élections sénatoria­
les, M. Abe était assassiné alors
qu’il prononçait un discours de
campagne à Nara, près de la gare
de Yamato­Saidaiji, voisine du
siège local de la secte Moon. p
philippe mesmer
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023 international | 5

Ukraine : la vie suspendue dans les ruines à Dnipro

Le bombardement russe
sur un immeuble a été l’un
des plus meurtriers de la guerre

L
e bilan du bombardement russe d’un immeuble à Dnipro, en Ci­contre :
Ukraine, continue de s’alourdir. La frappe survenue samedi des secouristes,
14 janvier à 15 h 40, heure locale, a tué au moins 40 person­ le 16 janvier,
nes, selon le plus récent bilan des services de secours ukrai­ à Dnipro,
niens, établi lundi 16 janvier. « Trente­neuf personnes ont été sauvées, sur le site
75 ont été blessées », a fait savoir le gouverneur régional, Valentyn de l’immeuble
Reznitchenko. Il a précisé que « le sort de 35 autres habitants de l’im­ détruit par le
meuble reste inconnu ». Au total, 577 sauveteurs et 103 véhicules ont bombardement
été mobilisés pour prendre part aux opérations de sauvetage, qui se russe.
poursuivaient lundi soir sur le site de la tragédie. Une dizaine de ten­ La cuisine jaune
tes ont été dressées à proximité de l’immeuble détruit pour que les appartenait
habitants puissent se chauffer et s’alimenter. Quatre­vingt­dix­huit à un entraîneur
victimes et riverains ont été pris en charge par des psychologues. de boxe dont
Soixante­douze appartements ont été détruits, 236 endommagés le corps a été
par l’explosion. L’arme utilisée a été identifiée par la vice­ministre de retrouvé par
la défense ukrainienne, Hanna Maliar, comme étant un missile de des voisins
croisière Kh­22. Relativement imprécis, il a été conçu au début des à proximité
années 1960 pour détruire des porte­avions. Samedi, l’armée russe a des décombres.
tiré cinq Kh­22 sur le territoire ukrainien. La charge extrêmement Les filles
puissante de ce missile (une tonne d’explosif) peut détruire n’im­ et l’épouse
porte quel bâtiment civil. La présidence suédoise de l’Union euro­ de Mikhaïlo
péenne a vivement réagi, indiquant que « les attaques intentionnelles Korenovsky
contre des civils sont des crimes de guerre et ceux qui en sont responsa­ étaient parties
bles doivent être poursuivis aussi longtemps qu’il le faudra ». p se promener
service international au moment
photos : rafael yaghobzadeh de la frappe.
Une famille
ayant fui
Nikopol habitait
l’appartement
du dessous
(ci­contre).
Les parents
sont morts alors
que leurs enfants
de 9 et 14 ans
les attendaient
dehors.
PHOTOS : RAFAEL
YAGHOBZADEH
POUR « LE MONDE »

Ci­dessous :
Alexander,
35 ans, réside au
troisième étage
de l’immeuble
contigu de
celui qui a été
entièrement
détruit. Il venait En bas à droite :
de quitter son Svetlana Ivanova,
domicile lorsque dans la chambre
l’explosion a de ses deux filles
retenti. Revenu qui ont
immédiatement survécu au
sur les lieux, bombardement.
il déblaie depuis Elle est
son appartement retournée dans
et rebouche l’appartement
les fenêtres pour récupérer
soufflées avec les cahiers d’école
l’aide d’amis. des fillettes,
Il vit seul, son âgées de 7 et
épouse et sa fille 9 ans. Toutes
s’étant réfugiées les trois vivent
à l’étranger au désormais
début du conflit. chez des amis.
 PLANÈTE
6|
Malaise au Haut Conseil pour le climat
Vigie de la transition écologique, l’instance indépendante se réorganise après une année houleuse
D
es accusations de
complaisance à l’égard
du gouvernement,
une production ré­
duite au minimum, des cas de
souffrance au travail, un climat
délétère… L’année 2022 a été hou­
leuse au Haut Conseil pour le cli­
mat (HCC), l’instance installée
en 2018 par Emmanuel Macron et
placée sous l’autorité du premier
ministre pour évaluer les politi­
ques publiques climatiques.
Si la présidence du HCC assure
aujourd’hui que la sortie de crise
est en vue, avec une réorganisa­
tion et des recrutements en cours
de finalisation, des inquiétudes
perdurent. Preuve du malaise,
plusieurs membres du HCC n’ont
pas voulu répondre aux ques­
tions du Monde et, sur les dix ex­
perts, salariés et anciens salariés
du HCC interrogés, sept préfèrent
rester anonymes.
L’enjeu de l’indépendance est
crucial pour le Haut Conseil, tant
cette structure est devenue une vi­
gie de la transition écologique en
France. Ses rapports sont utili­
sés dans les procès contre l’Etat
pour « inaction climatique » et sont
cités par les députés ou les ONG. La
structure est composée de treize
membres (climatologues, écono­
mistes, agronomes, etc.), tous re­
nommés dans leur domaine, et
d’un secrétariat, qui comptait
en 2022 sept personnes, notam­
ment des analystes. Ces derniers
ont aujourd’hui tous quitté le HCC.
« Un ton plus en retrait »
En juin 2022, dans son rapport an­
nuel, le HCC a appelé à un « sur­
saut » de l’action climatique dans
le pays. Peu avant la sortie de cette
publication phare de l’instance,
qui évalue notamment si la
France est dans les clous pour ré­
duire ses émissions de gaz à effet
de serre, certains de ses membres
s’étaient émus auprès du Monde
de sujets « écartés ou édulcorés »
dans le rapport. Nombre d’entre
eux avaient par ailleurs rejeté une
première version de son résumé,
jugée trop « complaisante » à
l’égard du gouvernement et « or­
thogonale » avec le contenu, écrite
par la présidente et le directeur du
HCC avant le rapport lui­même.
Cette version, que Le Monde
avait consultée, ne mentionnait
par exemple pas que la trajectoire
climatique était insuffisante et
abordait peu l’enjeu de la sobriété.
Elle « saluait » le plan stratégique
national déclinant la politique
agricole commune – alors qu’il
contribuerait à atteindre au
mieux la moitié des objectifs cli­
matiques pour l’agriculture. Elle
valorisait également les plans cli­
mat, pourtant publiés par trois
ministères seulement et dont le
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX
(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-
sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siège
social est à 37, Boulevard du Régent, 1000
BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir que,
la garantie financière dont bénéficiait la :
HAPPY DAYS IMMO SARL
22 avenue Klebert Catherine
97233 SCHOELCHER
RCS: 804 478 725
depuis le 30/01/2018 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis.Les créances éventuelles se
rapportant à ces opérations devront être pro-
duites dans les trois mois de cette insertion à
l’adresse de l’Établissement garant sis Cœur
Défense – Tour A – 110 esplanade du Général
de Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX.
Il est précisé qu’il s’agit de créances éven-
tuelles et que le présent avis ne préjuge en
rien du paiement ou du non-paiement des
sommes dues et ne peut en aucune façon
mettre en cause la solvabilité ou l’honorabi-
lité de la SARL HAPPY DAYS IMMO.
Corinne Le Queré,
présidente
du HCC, et
Jean­François
Soussana,
membre du HCC
(à gauche),
remettent leur
rapport annuel
à Elisabeth Borne,
entourée
des ministres
Stanislas Guerini
et Agnès Pannier­
Runacher,
à Matignon,
le 29 juin 2022.
JULIEN DE ROSA/AFP
peu d’ambition avait été épin­
glé par un précédent avis du HCC.
Finalement, après une réunion
de crise, le résumé avait fait l’objet
de nombreuses réécritures et des
passages avaient été réintégrés
dans le rapport. Certains mem­
bres regrettaient encore, après sa
publication, une « inquiétante
dépolitisation » du document et
un « ton plus en retrait que les
années précédentes ». « Il y a eu
vingt versions du résumé, cela
fait partie du processus de rédac­
tion », rétorque la climatologue
Corinne Le Quéré, présidente du
HCC depuis sa création, qui dé­
ment fermement toute « ingé­
rence » du gouvernement.
L’équipe est
dans l’immédiat
fortement
réduite, ce qui
interroge sur sa
capacité à assurer
l’évaluation
annuelle de juin
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX
(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-
sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siège
social est à 37, Boulevard du Régent, 1000
BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir que,
la garantie financière dont bénéficiait la :
PREFERENCE EURL
8 Rue de Colombes
92400 COURBEVOIE
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depuis le 01/01/2004 pour ses activités de :
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET
FONDS DE COMMERCE cessera de porter
effet trois jours francs après publication du
présent avis. Les créances éventuelles se rap-
portant à ces opérations devront être produites
dans les trois mois de cette insertion à l’adresse
de l’Établissement garant sis Cœur Défense –
Tour A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé
qu’il s’agit de créances éventuelles et que le
présent avis ne préjuge en rien du paiement ou
du non-paiement des sommes dues et ne peut
en aucune façon mettre en cause la solvabilité
ou l’honorabilité de la EURL PREFERENCE.
A l’issue de cet épisode, le Haut
Conseil s’est lancé dans une réor­
ganisation. « Les ressources étaient
insuffisantes pour répondre à nos
missions », explique Corinne Le
Quéré. La mise en place d’une
nouvelle structure, le secrétariat
général à la planification écologi­
que, en juillet 2022, chargé d’accé­
lérer la transition et de piloter l’ac­
tion des ministères, nécessitait
par ailleurs un recadrage pour
mieux définir le rôle de chacun.
Pour le HCC, l’idée est désormais
de développer des « compétences
plus spécifiques » au sein de son
propre secrétariat − qui mène les
analyses et rédige les rapports −,
en se dotant d’une dizaine de spé­
cialistes de l’agriculture, de l’éner­
gie, des transports, de l’adapta­
tion ou des bâtiments. « Nous
avons aussi élaboré un nouveau
cadre d’évaluation des politiques
publiques pour mieux identifier ce
qui bloque dans l’accélération de
l’action et faire des recommanda­
tions plus spécifiques et plus uti­
les », poursuit la présidente.
Pour mener à bien ce travail, Co­
rinne Le Quéré se félicite du ren­
forcement prévu du secrétariat.
En fin d’année 2022, le vote du
budget a acté la création de cinq
nouveaux postes, ce qui permet­
tra d’atteindre une « masse criti­
que de quinze personnes », ob­
serve la climatologue. Dans l’im­
médiat, l’équipe est fortement ré­
duite. Le secrétariat n’est plus
composé que de trois personnes
et ne compte plus aucun analyste,
en raison de quatre départs et
non­renouvellement de postes
fin 2022. Au total, il faudra recru­
ter quelque douze agents. Trois fi­
ches de poste ont pour l’instant
été ouvertes, et ceux­ci devraient
être pourvus dans les deux mois
qui viennent, selon la direction.
Un vaste chantier qui interroge,
en interne, sur la capacité du HCC,
à court terme du moins, d’assurer
la production des rapports. La
principale incertitude concerne
l’évaluation annuelle de juin – un
pavé de 180 pages en 2022. Si cer­
tains jugent impossible la produc­
tion d’analyses robustes en si peu
de temps, d’autres se disent con­
fiants pour rédiger, entre mem­
bres, un rapport plus synthétique.
« La rédaction du rapport annuel
est complexe chaque année,
mais nos travaux préparatoires ont
déjà débuté, très en amont », assure
Said Rahmani, le directeur exécu­
tif du HCC depuis octobre 2021.
Ce qui se cache en creux derrière
l’enjeu des moyens, c’est la capa­
cité du HCC à rester un acteur
majeur du débat public sur le
climat. En 2022, le rythme de pro­
duction a fortement ralenti. Seuls
trois rapports ont été publiés − la
synthèse annuelle, sa version
grand public et un avis sur la sor­
tie de la France du traité sur la
charte de l’énergie −, contre res­
pectivement six et sept en 2020 et
en 2021.
« Le HCC ne s’exprime plus »
Deux autres rapports thémati­
ques sur les systèmes alimen­
taires et les mobilités du quoti­
dien, qui auraient dû paraître
en 2022, ont été mis en suspens
pour cause d’effectifs insuffisants
et devraient aboutir cette an­
née. Des recommandations sur le
plan de la sobriété devraient éga­
lement être publiées.
« Le HCC ne s’exprime plus, re­
grette un membre. On aurait dû se
prononcer sur la COP27, le paquet
européen ou la crise énergétique.
On est très faibles sur la biodiver­
sité, on ne mène pas d’auditions sur
la Stratégie française énergie­cli­
mat », la future feuille de route de
la France pour atteindre la neutra­
lité carbone en 2050. « Certains
secteurs sont un peu absents de no­
tre évaluation, comme la santé, le
tourisme ou un suivi plus fin des
impacts du changement climati­
que », estime de son côté la clima­
tologue Valérie Masson­Delmotte,
l’une des membres du HCC.
L’avis sur le traité sur la charte de
l’énergie, publié le 19 octobre, est
intervenu trop tard, regrettent
plusieurs sources internes au HCC,
alors que le gouvernement avait
déjà pris sa décision de sortir la
France de cet accord international
qui compromet les objectifs cli­
matiques. « Cela a traîné en raison
d’un manque d’organisation et
d’une réticence de la direction du
HCC à se prononcer sur un sujet très
politique », juge l’une d’entre elles.
En 2022 a été mise au jour une
désorganisation au sein de la
structure et de nombreuses
tensions entre le secrétariat et la
direction notamment. Plusieurs
agents expliquent au Monde avoir
été « sous­employés », passant
Plusieurs agents
dénoncent un
« management
défaillant », avec
des injonctions
contradictoires
du directeur
des mois avec un manque de tâ­
ches, alors qu’ils étaient sub­
mergés de travail aux débuts du
HCC. Ils dénoncent un « mana­
gement défaillant », avec des « in­
jonctions contradictoires » du
directeur, un « manque de vision
et d’orientations ».
Une enquête administrative,
menée par les services du pre­
mier ministre, a été réalisée entre
octobre et novembre, à la suite
des fiches de signalement de
souffrance au travail remplies par
trois agents. Une synthèse des
conclusions, datée de début dé­
cembre et à laquelle Le Monde a
eu accès, conclut que « la situation
de souffrance au travail résulte de
différents facteurs et ne peut être
imputée au seul management de
Said Rahmani ». « Les faits rappor­
tés ne permettent pas de caractéri­
ser ni des agissements de harcèle­
ment moral ni un manquement
aux obligations d’assurer la sécu­
rité et la protection de la santé phy­
sique et mentale des agents »,
poursuit le document. Il recon­
naît un « management et [une]
disponibilité insuffisante du direc­
teur » mais évoque une « situation
qui préexistait à son arrivée ».
« Le rapport d’enquête a mis en
évidence des difficultés organisa­
tionnelles qui précédaient mon ar­
rivée et les actions que j’ai entrepri­
ses pour y remédier, toujours dans
l’intérêt du HCC, mais aussi une
confusion des rôles et un position­
nement inadapté de certains mem­
bres du secrétariat qui a entravé le
bon fonctionnement de notre
équipe », explique Said Rahmani.
Le rapport, dont les conclusions
sont toutefois jugées « insuffisan­
tes » par les agents concernés, re­
commande des actions visant à
améliorer le fonctionnement de
l’organisation, « que nous allons
intégrer à la réorganisation en
cours », précise Corinne Le Quéré.
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
Malgré la promesse d’une
équipe renforcée et restructurée,
plusieurs personnes au sein de
l’instance restent inquiètes de
l’orientation des futurs rapports.
Car les problèmes d’organisation
ont masqué, l’an dernier, une
défiance de certains membres et
agents du secrétariat envers le bi­
nôme à la tête du HCC.
Un des treize experts membres
du HCC dénonce une volonté,
depuis l’arrivée du nouveau
directeur, « de mettre plus l’accent
sur le positif » dans l’évaluation du
gouvernement. « On présente les
conclusions en les enrobant pour
qu’elles soient moins douloureu­
ses, assure­t­il. Une partie des
membres sont découragés, dé­
motivés. Ils sont partagés entre
leur inquiétude et leur volonté de
protéger l’institution », dit­il en­
core. Lui­même se réserve la
possibilité de démissionner, en
fonction de l’issue du prochain
rapport annuel de juin.
« Le HCC, qui était vu comme
une machine à baffes par le gouver­
nement, ne veut plus de cette éti­
quette », abonde un ancien mem­
bre du secrétariat, qui juge que la
désorganisation est « voulue par la
direction pour reprendre la main
sur le contenu des rapports ». En
2020 notamment, le HCC n’avait
pas hésité à être critique, deman­
dant à la France de « redresser le
cap et d’accélérer », l’appelant à ré­
duire ses émissions de CO2 liées
aux importations, à multiplier les
rénovations énergétiques et à les
rendre beaucoup plus efficaces ou
en mettant en garde contre le dé­
ploiement de la 5G.
A l’inverse, plusieurs membres
récusent toute complaisance ou
censure du tandem dirigeant. « On
est libres de ce qu’on écrit. Il y a des
tensions comme dans toute institu­
tion, c’est normal avec autant de
gens », souligne l’un d’eux. « Tous
ces débats sur le HCC, qui relèvent
de questions internes, ne doivent
pas occulter les sujets de fond, sur
les politiques climatiques et les tra­
jectoires d’émissions. Elles ont pris
des proportions pénalisantes pour
le HCC », regrette Said Rahmani,
qui rappelle qu’il est un « haut
fonctionnaire, serviteur de l’Etat
impartial ». Corinne Le Quéré, elle,
veut croire que le Haut Conseil est
entré dans une nouvelle phase. p
audrey garric
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
PFAS : un plan d’action lancé
contre les « polluants éternels »
Ces composés toxiques ont contaminé tous les milieux naturels
A
près des années d’er­
rements, la France
semble décidée à
s’attaquer aux PFAS
(substances polyfluoroalkylées
et perfluoroalkylées) et à la me­
nace que ces produits chimiques
ultratoxiques représentent pour
l’environnement et la santé. Le
gouvernement publie mardi
17 janvier 2023 un premier « plan
d’action sur les PFAS », dans l’at­
tente de leur interdiction à
l’échelle européenne.
Surnommés « polluants éter­
nels » en raison de leur extrême
persistance dans l’environne­
ment, les PFAS regroupent plus
de 4 500 composés. Massive­
ment utilisés dans l’industrie de­
puis les années 1950 pour leurs
propriétés antiadhésives, imper­
méables ou résistantes à de for­
tes chaleurs, on les retrouve dans
une multitude d’applications in­
dustrielles (mousse anti­incen­
die, peintures, pesticides) et d’ob­
jets du quotidien (poêles en Te­
flon, papier cuisson, emballage
alimentaire, textiles, cosméti­
ques…). Ils ont également conta­
miné tous les milieux (eau, air,
sol) et l’ensemble de la chaîne ali­
mentaire. Cancers (rein, testi­
cule), perturbations du système
endocrinien (thyroïde), augmen­
tation du taux de cholestérol,
baisse de la fertilité ou de la ré­
ponse à la vaccination : les « pol­
luants éternels » sont suspectés
d’avoir de multiples effets délétè­
res, même à très faible dose.
Malgré l’accumulation des
alertes scientifiques, pour le mi­
nistre de la transition écolo­
gique, Christophe Béchu, à tra­
vers ce plan d’action, « il s’agit
L’interdiction des colliers de dressage votée
Les députés se sont prononcés contre ces dispositifs coercitifs nuisibles aux chiens et chats
O n en trouve à des prix al­
lant de 50 à plusieurs cen­
taines d’euros, en vente
dans des grandes enseignes d’ani­
malerie ou d’articles de sport. Col­
liers à pointes, étrangleurs ou élec­
triques… ces dispositifs dits « de
dressage », vendus à des proprié­
taires de chiens (et plus rarement
de chats) voulant maîtriser les
aboiements de leur animal, éviter
leur fugue ou qu’ils ne tirent sur la
laisse, sont des facteurs de souf­
frances physique et psychique
pour l’animal, et pourraient bien­
tôt être interdits en France.
Lundi 16 janvier au soir, les dé­
putés ont voté à une quasi­una­
nimité (111 voix pour, 5 contre)
une proposition de loi interdisant
la vente de ces outils coercitifs et
punissant leur utilisation d’une
amende de 750 euros. Le texte
avait reçu l’approbation de l’en­
semble des groupes politiques
de l’Assemblée nationale, le
10 janvier, en commission des af­
faires économiques. C’est donc
dans un climat de concorde qu’a
été adoptée en première lecture
cette proposition « modeste mais
attendue, qui répond à une de­
mande forte des concitoyens », se­
lon les propos de la rapporteuse,
la députée Renaissance de Haute­
Garonne Corinne Vignon.
Pour Mme Vignon, interdire ces
colliers est un enjeu de respon­
sabilisation des propriétaires de
chiens, ainsi que des profession­
nels – éducateurs et vétérinaires –
qui interviennent auprès d’eux.
« Le problème des colliers est
qu’ils sont en vente libre et que le
maître n’a même pas conscience
qu’ils sont maltraitants, fait valoir
dans un premier temps de mieux
connaître ces substances dans
l’environnement, les quantifier et
les mesurer, et ensuite de mettre
en place des actions de réduc­
tion à la source chez les princi­
paux émetteurs ».
Premier des six axes sur lequel
s’appuie le plan : « Disposer de
normes sur les rejets et les milieux
pour guider l’action publique. »
Le gouvernement a saisi l’Agence
nationale de sécurité sanitaire
afin de déterminer, pour les
principaux PFAS, des valeurs
maximales de concentration à
respecter dans les milieux, en
particulier aquatiques.
Contamination « généralisée »
Deuxième axe : « Améliorer la
connaissance des rejets et l’impré­
gnation des milieux pour réduire
l’exposition des populations. »
Depuis avril 2022, quatre PFAS
sont surveillés dans les eaux de
surface (rivières, lacs, étangs) et
vingt dans les eaux souterraines
par les agences de l’eau. Le minis­
tère « étudie la possibilité d’en in­
clure de nouveaux ». « C’est le mini­
mum, la proposition européenne
de révision de la directive­cadre
sur l’eau prévoit d’inclure vingt­
quatre PFAS dans la liste des subs­
tances prioritaires », commente
François Veillerette, de l’associa­
tion Générations futures. Dans
un rapport publié le 12 janvier,
l’ONG soulignait une contamina­
tion à la fois « généralisée » et « lar­
gement sous­évaluée » des eaux
de surface en France.
Pour les sols, l’imprégnation en
PFAS sera « investiguée systémati­
quement » après des cessations
d’activités industrielles, détaille
l’élue, nommée présidente du
groupe d’étude « condition et
bien­être des animaux » à l’As­
semblée, fin décembre 2022.
Or l’animal dressé à la douleur et à
la contrainte physique est un ani­
mal qui aura des problèmes physi­
ques, psychologiques, et qui a plus
de risques d’être mordeur. »
A quel point l’utilisation de ces
colliers est­elle répandue ? Les
chiffres de vente ne sont pas con­
nus, mais une étude menée en
France en 2018 suggérait qu’un
chien sur cinq en a porté un au
cours de sa vie. Dans un avis
rendu en novembre 2022, l’Asso­
ciation française des vétérinaires
pour animaux de compagnie
(Afvac) estime que « l’utilisation
de colliers de dressage a des consé­
quences délétères sur la santé phy­
sique et psychique de l’animal », et
que « leur utilisation en éducation
n’est pas justifiée ». L’association
confirme que ces colliers peu­
vent entraîner, dans près de 10 %
des cas, des lésions physiques,
comme des brûlures avec né­
crose de la peau, qu’ils peuvent
favoriser des états phobiques,
« Si un chien
aboie, c’est qu’il
est anxieux, et
le collier ne va
faire qu’aggraver
cela »
LORÈNE JACQUET
responsable au sein de la
Fondation Brigitte Bardot
L’axe le plus
ambitieux vise
à « réduire
les émissions
des industriels
de façon
significative »
le plan. Un inventaire sera égale­
ment mené sur les sites d’entraî­
nement civils et militaires où ont
été répandues des mousses anti­
incendie. Le plan prévoit aussi de
« renforcer la surveillance de l’ex­
position » de la population dans le
cadre de la nouvelle enquête na­
tionale de biosurveillance Al­
bane, qui doit être lancée en 2023.
La précédente, Esteban, a toute­
fois déjà montré que 100 % de la
population française était impré­
gnée par les composés perfluorés.
L’axe le plus ambitieux du plan
vise à « réduire les émissions
des industriels émetteurs de fa­
çon significative » en identifiant
les plus gros pollueurs. Après
les révélations, en mai 2022, par
le magazine « Vert de rage »
(France 5) d’une importante pol­
lution aux PFAS autour de l’usine
Arkema dans la vallée de la chi­
mie, à Pierre­Bénite, près de
Lyon, le ministère a demandé à
l’inspection générale d’identifier
les principales sources de PFAS
sur le territoire. Les résultats de
la mission sont attendus en fé­
vrier. Des dizaines, voire des cen­
taines de sites sont concernés.
Après le cas de la vallée de la
chimie, des analyses réalisées à
anxieux ou dépressifs chez l’ani­
mal, et aggraver certains troubles
de comportement.
Auditionné par la députée, l’or­
dre national des vétérinaires s’est
aussi déclaré en faveur de l’inter­
diction, tout comme le ministère
de l’intérieur, qui compte dans ses
rangs de nombreuses équipes cy­
notechniques, qui appliquent dé­
sormais les méthodes de dressage
positif. Une exception est toute­
fois prévue dans la proposition de
loi pour les chiens militaires – ex­
ception qu’a regrettée le groupe
La France insoumise –, ainsi que
pour les opérations de capture de
chiens errants dangereux.
Investir dans l’éducation canine
Pour la Fondation Brigitte Bardot,
qui alerte depuis plusieurs mois
sur les risques liés aux colliers
électriques et étrangleurs, le sujet
est loin d’être anecdotique et par­
ticipe de la hausse du nombre
d’animaux abandonnés et devant
être euthanasiés. « On a une gra­
dation dans la violence avec l’utili­
sation de ces colliers sur des chiens
difficiles, explique Lorène Jacquet,
responsable des campagnes de la
fondation. On va casser des ani­
maux qui ont déjà des problèmes
de comportement, en renforçant
leur stress et en augmentant le
risque de dangerosité. »
Des alternatives existent pour­
tant. « Les colliers semblent être
une solution de facilité. Mais si un
chien aboie, c’est qu’il est anxieux,
et le collier ne va faire qu’aggraver
cela, note Lorène Jacquet. Il faut au
contraire travailler avec l’animal
sur la gestion des émotions, de l’en­
vironnement et de la solitude. » Se
l’automne 2022 par l’agence
régionale de santé Auvergne­
Rhône­Alpes ont déjà mis en
évidence des niveaux impor­
tants de PFAS dans le réseau
d’eau potable de Rumilly, en
Haute­Savoie. Trois sources po­
tentielles de « polluants éter­
nels » ont été identifiées et sont
désormais surveillées : un site in­
dustriel de Tefal, une ancienne
fabrique de ski Salomon et une
ancienne tannerie.
Projet européen
Le plan vise à imposer aux sites
industriels des contrôles de leurs
rejets et des mesures pour les ré­
duire. « Le site Arkema de Pierre­
Bénite sera préfigurateur de cette
démarche », indique le ministère.
L’Etat a demandé à Arkema de
réduire ses rejets par paliers
(− 65 % en mars, − 73 % en décem­
bre et − 80 % en septembre 2024),
jusqu’à cesser d’utiliser tout addi­
tif PFAS d’ici à la fin 2024.
Le plan d’action français
passe aussi par l’Europe : « La
priorité des autorités françaises
est l’aboutissement du processus
d’interdiction en cours au niveau
européen. » Le gouvernement as­
sure soutenir le projet d’interdic­
tion global des PFAS dans le cadre
de la réforme du règlement
européen Reach sur les substan­
ces chimiques. Portée par quatre
Etats membres de l’UE (Allema­
gne, Pays­Bas, Danemark et
Suède) et la Norvège, une pro­
position de restriction a été
soumise le 13 janvier à l’Agence
européenne des produits chimi­
ques. Elle doit être rendue publi­
que le 7 février. p
stéphane mandard
passer de colliers nécessite donc
d’investir du temps, mais aussi de
l’argent lorsqu’il faut recourir à
des séances d’éducation canine.
« Si on prend un chien, il faut savoir
que ça coûte de l’argent pour le
dresser, pour le nourrir, pour le
soigner. Si on ne peut pas assumer
ces coûts, on ne prend pas de
chien », martèle Corinne Vignon.
La députée rappelle que la loi de
lutte contre les maltraitances ani­
males de 2021 a mis en place un
« certificat d’engagement et de
connaissance », qui vise à sensi­
biliser tout acquéreur ou adop­
tant à ses obligations en matière
de soin, d’alimentation, d’éduca­
tion, et à lui fournir une estima­
tion des coûts induits. « Prendre
un animal, c’est comprendre ses
besoins, indique Lorène Jacquet.
Et l’éducation fait partie du
package : ce n’est pas mettre un
collier anti­aboiement, c’est s’en­
gager à ce que l’animal soit bien. »
Si l’interdiction des colliers
coercitifs est votée par le Sénat, la
France rejoindra la liste des pays
ayant légiféré en la matière, dont
l’Allemagne, le Danemark, l’Autri­
che, le Royaume­Uni, la Suède ou
l’Australie. Plusieurs députés ont
également souligné que le pro­
chain chantier sera de mieux en­
cadrer la profession d’éducateur
canin, qui peut être exercée avec
seulement deux jours de forma­
tion, suivie à distance et sans con­
tact avec un animal. « Il y a des
professionnels très sérieux, et les
vétérinaires connaissent les bons
éducateurs, mais il est temps de
mieux réglementer cette profes­
sion », estime Corinne Vignon. p
mathilde gérard
Terres rares en Suède :
les populations
autochtones inquiètes
La découverte annoncée par la compagnie
LKAB suscite des réactions contradictoires
malmö (suède) ­
correspondante régionale
D ans cette opération de
communication ronde­
ment menée, rien n’a été
laissé au hasard. Des ongles de la
ministre de l’industrie, Ebba
Busch, décorés des symboles chi­
miques du fer et du lithium, jus­
qu’au décor – à 500 mètres sous
terre, dans la mine de Kiruna, qui
fournit 80 % du minerai de fer pro­
duit en Europe –, en passant par le
timing : le 12 janvier, quelques
heures avant l’arrivée de la Com­
mission européenne à Kiruna,
alors que soixante­dix journalis­
tes étrangers se trouvaient déjà
sur place, conviés pour le lance­
ment de la présidence suédoise du
Conseil de l’Union européenne.
En fin de matinée, le président
de la compagnie minière LKAB,
contrôlée à 100 % par l’Etat
suédois, a annoncé la découverte
du plus gros gisement connu de
terres rares en Europe. De quoi
charmer Bruxelles, qui s’inquiète
de la dépendance croissante de
l’Europe vis­à­vis de la Chine, pre­
mier producteur mondial de ces
minéraux, essentiels à la transi­
tion écologique.
Selon les calculs de LKAB, le gi­
sement de Per Geijer (du nom
d’un géologue suédois), situé au
nord de Kiruna, contiendrait au
moins un million de tonnes
d’oxydes de terres rares, en plus
de l’équivalent d’un quart des be­
soins européens en phosphore et
de 400 millions de tonnes de mi­
nerai de fer. Son existence était
connue depuis longtemps, mais
la compagnie n’a commencé à y
effectuer des forages que récem­
ment, afin d’analyser la concen­
tration en terres rares.
En 2022, LKAB avait déjà an­
noncé son intention de retraiter
les déchets miniers de la mine de
Kiruna, pour en extraire les pré­
cieux minéraux. Surprise : les tests
réalisés sur le gisement de Per Gei­
jer ont révélé une concentration
« sept fois plus élevée [que dans la
mine principale] en oxydes de ter­
res rares », révèle Anders Lindberg,
le porte­parole de la compagnie.
Ambiance euphorique
Pour le moment, cependant,
aucune date de production n’a
été avancée. Jan Moström, le PDG
de LKAB, a estimé que le calen­
drier sera « extrêmement dépen­
dant des processus d’autorisa­
tion ». « Dans le pire des cas, on
parle de dix à quinze ans, ce qui est
le temps moyen pour démarrer
une nouvelle mine en Suède », pré­
cise M. Lindberg.
Dans le royaume scandinave, la
nouvelle a été accueillie dans
l’euphorie. Cette découverte
« montre que la Suède a un avenir
glorieux comme nation minière »,
s’est réjouie Mme Busch, tandis
que sur les réseaux sociaux des
Suédois se félicitaient malicieu­
sement de voir leur pays enfin
capable de concurrencer la Nor­
RISQ U E IN DUSTRIEL
Incendie dans un
bâtiment loué par Bolloré
Logistics près de Rouen
Plus d’une centaine de pom­
piers s’affairaient toujours,
mardi 17 janvier au matin, à
Grand­Couronne, près de
Rouen, pour noyer l’impor­
tant incendie qu’ils sont par­
venus à circonscrire dans un
bâtiment loué par Bolloré Lo­
gistics, et contenant quelque
12 000 batteries au lithium et
70 000 pneus. Aucune res­
triction de circulation n’a été
mise en place. Il n’y a « pas de
planète | 7
vège voisine et ses sous­sols ri­
ches en hydrocarbures.
Mais l’annonce ne fait pas que
des heureux. Car le gisement se
trouve sur le dernier point de pas­
sage emprunté par des éleveurs
de rennes sami pour contourner
Kiruna et permettre à leurs trou­
peaux, partis des montagnes de
Norvège où ils passent l’été, de re­
joindre leurs pâturages d’hiver.
« Si une mine est construite, ce sera
impossible pour nous de continuer
notre activité telle que nous le fai­
sons depuis des siècles », assure
Karin Kvarfordt Niia, porte­parole
du sameby – un groupement
d’éleveurs – de Gabna.
Les Sami s’insurgent de n’avoir
été informés qu’au dernier mo­
ment de la découverte faite par
LKAB. « Nous savions que la com­
pagnie faisait des forages et nous
avions exprimé notre opposition.
Mais nous n’avons appris que
douze heures avant, par hasard,
qu’il y aurait une conférence de
presse, sans qu’on nous donne la
possibilité de nous exprimer », s’of­
fusque Mme Kvarfordt Niia.
Colonialisme vert
Anders Lindberg balaie les criti­
ques : « Nous sommes en contact
avec les éleveurs depuis le début.
Nous n’avons pas pu leur dire ce
que nous avions découvert, car
nous venions d’obtenir ces résul­
tats. » Il évoque une course contre
la montre pour pouvoir faire coïn­
cider l’annonce avec la présence
de la Commission européenne.
Concernant les inquiétudes des
Sami, LKAB les comprend, assure
M. Lindberg : « Quand la mine de
Kiruna a été établie, en 1890, les
Sami n’ont pas du tout été pris en
considération. » Depuis, d’autres
mines ont vu le jour. Des routes
ont été construites, un chemin de
fer, puis un autre, quand il a fallu
déplacer la ville, sous laquelle le
sol menaçait de s’effondrer…
Une addition de projets dénon­
cée par les Sami, qui multiplient
les actions en justice, malgré des
coûts financiers élevés et sou­
vent sans obtenir gain de cause :
« Nous avons perdu 68 % des terres
sur lesquelles nous avons un droit
d’usage », remarque Karin Kvar­
fordt Niia, qui estime que les inté­
rêts des éleveurs de rennes ne sont
jamais pris en compte. « Nous
sommes vus comme une menace
par l’industrie, car nous sommes les
seuls à dénoncer le colonialisme
vert qui est soi­disant mené au nom
de la transition écologique, sur nos
terres, alors qu’il s’agit de gagner de
l’argent », dénonce­t­elle.
LKAB rappelle que le projet n’en
est qu’à ses débuts et assure vou­
loir faire le maximum pour limi­
ter l’impact sur l’activité des éle­
veurs – « même s’il y en aura un »,
concède M. Lindberg, qui précise
toutefois qu’« un seul sameby sur
cinquante et un sera affecté ».
Quant à la décision d’exploiter le
gisement de Per Geijer, dit­il, « elle
appartient à toute la société ». p
anne­françoise hivert
blessé, pas de victime, pas de
destruction voisine », s’est féli­
cité, mardi, le préfet de Seine­
Maritime, Pierre­André Du­
rand, rappelant que l’entrepôt
touché, qui n’est pas classé
Seveso, est situé « dans une
zone industrielle avec un en­
tourage immédiat plutôt ru­
ral ». « Le seul risque chimique
provient de la combustion du
lithium qui peut dégager de
l’acide fluorhydrique, unique­
ment dans le cœur du foyer »,
et cette substance n’est « pas
présente à l’extérieur du site »,
a­t­il précisé. – (AFP.)
 FRANCE
0123
8| MERCREDI 18 JANVIER 2023

MAJORITÉ  PRÉSIDENTIELLE

Les ambitions 
de Bruno Le Maire 
agacent l’Elysée
Le ministre de l’économie ne cache pas ses
intentions pour 2027, au risque d’être accusé
de faire cavalier seul, quand l’exécutif affronte
la colère contre la réforme des retraites

I
l y a foule ce jeudi 5 janvier à Bercy.
A un jet de pierre de la Seine, quelque
900 personnes – grands et petits pa­
trons, représentants de fédérations,
parlementaires, journalistes – pénè­
trent dans la cour d’honneur du bâti­
ment Colbert pour écouter l’homme que
les députés de la majorité surnomment
sous cape « le vice­premier ministre » : Bruno
Le Maire. Le numéro deux du gouvernement
amorce ses vœux aux acteurs économiques :
« Même lieu, même décor, même ministre. La
stabilité règne. » Mais pour sa sixième année
à la tête du ministère de l’économie et des fi­
nances, le rendez­vous prend soudain des al­
lures d’un discours de politique générale.
L’ancien du parti Les Républicains (LR)
s’emporte en évoquant les « défis » qu’il devra
affronter. Promet de faire de la France « une
grande nation économique au XXIe siècle ».
Aborde la réforme des retraites, l’impératif
écologique, la mondialisation et la politique
internationale, avant de conclure que « les dé­
mocraties sont plus efficaces que les régimes
autoritaires ». Comme étourdi par son suc­
cès, le locataire de Bercy a fait fi de la consi­
gne donnée par Matignon et l’Elysée d’atten­
dre le 23 janvier et les cérémonies de la pre­
mière ministre et du chef de l’Etat pour faire
sa rentrée. L’épisode n’a pas été du goût
d’Emmanuel Macron qui, jeune ministre de
l’économie, en août 2016, s’était lui­même
envolé vers son aventure présidentielle en
sautant dans la navette fluviale de Bercy,
pour aller porter sa démission à François
Hollande… « Emmanuel Macron ne supporte
pas que ça brille à côté de lui », persifle Jean­
François Copé, l’ancien président de l’UMP
(devenu LR), qui se dit ami de Bruno Le Maire.
Vu de l’Elysée, le puissant ministre est allé
trop loin. « Je veux être clair : 2023 ne marquera
pas le retour du “quoi qu’il en coûte” », avertit
le normalien devant le parterre de chefs d’en­
treprise, en décrétant que ce « serait la mau­
vaise politique au mauvais moment ». « Il y a
en France une ivresse de la dépense publique »,
cingle­t­il, alarmiste. Manque de chance,
Emmanuel Macron s’apprête à accueillir, ce
jour­là, les boulangers au palais présidentiel
CHRONIQUE | par sole nn d e r oy er
pour annoncer de nouvelles aides aux très pe­
tites entreprises écrasées par le coût de l’éner­
gie. Le chef de l’Etat laisse éclater sa colère
contre les initiatives de son ministre, ricanant
des « circulaires incompréhensibles » et de son
numéro vert : « J’en ai ras le bol, ça marche
pas ! » A Bercy, l’intéressé s’empresse de réper­
cuter la décharge à ses services. « Emmanuel
Macron n’aime pas que les ministres s’embour­
geoisent », fait valoir un conseiller du Palais.
« JE PEUX AVOIR UN AVIS »
Bruno Le Maire n’élude pas l’anicroche. « La
France n’a pas connu d’inflation depuis les an­
nées 1970, forcément, on peut tâtonner. Le
président de la République peut avoir un avis,
je peux avoir un avis », confie le ministre de
l’économie au Monde. S’il vante une relation
« très directe, très franche » avec l’hôte de
l’Elysée, il souligne que, à ces postes de pou­
voir, « il y a nécessairement des tensions et
elles sont saines. S’il n’y a pas de tensions, c’est
qu’on est dans le béni­oui­oui ». Des frictions
inévitables, à l’entendre, entre le chef de
l’Etat et le ministre qui, pour tenir les cor­
dons de la bourse, dit non. « La politique est
un rapport de force. Si vous ne le construisez
pas, vous vous faites marcher sur les pieds en
permanence », expliquait l’intéressé dans sa pour la présidentielle de 2017, qui s’était un tement la même décision », nous confie l’an­
biographie, Bruno Le Maire, l’insoumis, du temps rêvé à Matignon et désigne toujours la cien élu qui avait promis de ne pas faire plus
journaliste Olivier Biscaye (Editions du LE CHEF DE L’ÉTAT A  première ministre par son prénom, « Elisa­ de trois mandats et voit dans cette victoire de
Moment, 2015). « Bruno Le Maire ? Si Emma­ LAISSÉ ÉCLATER SA  beth ». Des députés de la majorité relèvent l’extrême droite un sombre avertissement.
nuel Macron peut lui laisser un peu la tête qu’il arrive en retard et repart en avance aux Les plus madrés des macronistes identi­
sous l’eau, c’est de bonne guerre », estime Paul COLÈRE CONTRE LES  réunions du groupe. « Il doit avoir rendez­ fient un obstacle potentiel dans sa course à
Midy, député (Renaissance) de l’Essonne. vous avec Olaf [Scholz] ou Xi Jinping… », bro­ l’Elysée. Le ministre qui côtoie les fortunes
Le ministre écrivain, ami de Michel Houel­ INITIATIVES DE SON  cardent­ils, évoquant le chancelier allemand du CAC 40 possède l’un des patrimoines
lebecq, auteur de romans, dont un opus éroti­ et le président chinois. Il reçoit régulièrement les plus modestes du gouvernement
que publié dans sa jeunesse sous le pseudo­
MINISTRE, RICANANT  une bande d’une quinzaine d’entre eux, lors (445 000 euros). Dépourvu d’appareil politi­
nyme de Duc William, cite Shakespeare pour DES « CIRCULAIRES  de déjeuners politiques où l’échéance de 2027 que, de mandat électif et de courant partisan,
apaiser tout soupçon de mésentente : « Much s’invite à l’entrée, au plat, au fromage et au Bruno Le Maire serait contraint de compter
ado about nothing – beaucoup de bruit pour INCOMPRÉHENSIBLES »  dessert. « Qui est connu au gouvernement ? », sur le parti Renaissance pour financer une
rien ». Rien qui puisse tarir sa détermination à rappelle Bruno Le Maire devant ses convives éventuelle campagne. Et de jouer collectif.
creuser son sillon. Lui qui, il y a quelques se­ ET DE SON  bienveillants, en concluant : « Ma pomme ! » « On a tous des ego enflés. L’enjeu, c’est de (…)
maines encore, laissait entendre à ses visi­ NUMÉRO VERT « En 2027, ce sera soit nous, soit le RN [Ras­ mettre [son ego] au service de l’intérêt collec­
teurs qu’il pourrait prendre le large pour pré­ semblement national] », prophétise aussi tif plus que personnel », observe Roland Les­
sider le Fonds monétaire international, ne dit l’ex­député de l’Eure, qui ne s’est pas repré­ cure, ministre délégué à l’industrie.
plus que ses valises sont prêtes. « Je ne me pro­ senté en juin 2022 aux législatives dans ce dé­
jette pas dans d’autres fonctions », affirme le partement tombé dans le giron de Marine AMBIANCE GLACIALE
seul ministre à avoir concouru à une primaire Le Pen. Si c’était à refaire, « je reprendrais exac­ Conscient que les luttes de pouvoir ne feront
que s’exacerber au fil de ce second quin­
quennat, le chef de l’Etat a demandé aux plus
ambitieux un sursis, jusqu’en 2024. Se défen­
dant de vouloir être « pote » avec le président
de la République, Bruno Le Maire se dit atta­

La solitude du président ché à « la liberté de ton, la liberté de convic­

Semaine décisive pour la réforme
des retraites. Personne n’est capable
de dire si le mouvement social qui
s’amorce, avec une journée de mobili­
sation jeudi 19 janvier, prendra. Et si
l’opinion, partagée entre résignation et
colère, l’accompagnera. Quoi qu’il en
soit, Emmanuel Macron va avoir be­
soin de puissants relais dans les semai­
nes qui viennent. Or, ceux­ci semblent
lui faire défaut, au moment où se joue
pourtant son mandat.
A force d’avoir théorisé l’inutilité,
voire la nuisance, des corps intermé­
diaires – des obstacles à la réforme,
selon lui –, le président s’est privé de
l’appui de la CFDT et doit affronter
un mouvement syndical uni. Cette ré­
forme éprouve aussi la solidité de son
dispositif politique. Dans la majorité,
les législatives ont emporté deux voix
de la Macronie, celles de Christophe
Castaner et de Richard Ferrand,
élus expérimentés qui auraient été
précieux pour porter le fer. Au gouver­
nement, M. Macron a souvent préféré
s’entourer d’experts plutôt que de per­
sonnalités fortes, dotées d’un poids
politique. Ne pouvant se représenter
dans quatre ans, il est en outre con­
fronté aux arrière­pensées de ses lieu­
tenants et alliés. Ces derniers, François
Bayrou et Edouard Philippe, font tous
deux entendre une musique disso­
nante, le premier multipliant les criti­
ques, le deuxième soutenant la
réforme du bout des lèvres.
« Chef de guerre » désarmé
Quant aux rares poids lourds du gou­
vernement, notamment Bruno
Le Maire et Gérald Darmanin (pour
l’heure discret), ils se projettent déjà
dans l’après. Des prétendants qui s’or­
ganisent, attirent à eux des élus,
quand l’hôte de l’Elysée se retrouve
comme un « chef de guerre » désarmé.
Ces jours­ci, Emmanuel Macron et
Elisabeth Borne ont appelé ministres
et parlementaires de la majorité à
jouer collectif et à faire de la pédago­
gie sur les retraites. Matignon a identi­
fié des ministres de « rang 1 » – appelés
à porter la réforme dans sa globalité –
et de « rang 2 » – porte­parole thémati­
ques – et les a incités à monter au filet.
Même chose pour une quinzaine de
parlementaires, censés être aux avant­
postes de la bataille. A tous, des consi­
gnes d’humilité ont été données. « Pas
d’expressions crânes, pas de provoca­
tions », résume­t­on à Matignon : « Le
sujet, c’est de ne pas faire de faute. »
Paradoxalement, c’est du soutien du
parti Les Républicains – que M. Ma­
cron a tout fait pour affaiblir – que dé­
pend le succès. La semaine dernière,
les députés de droite invités sur les pla­
teaux ont été amenés à faire – malgré
eux – le SAV d’une réforme qu’ils vont,
pour la plupart, voter. Gênés par ce
rôle à contre­emploi, certains ont dé­
cidé de moins s’exposer, afin de ne pas
payer le prix d’un texte impopulaire
« à la place des députés de la majorité ».
Dans la bataille, le chef de l’Etat
s’appuie surtout sur Elisabeth Borne,
pilier du dispositif, dont la méthode
– écoute, sobriété et petits pas – s’avère
jusqu’à présent payante. Mais, en ayant
obtenu de l’Elysée des concessions –
sur le timing et sur le contenu de la
réforme –, peaufinant ainsi un profil
plus « social », la première ministre
empêche le président d’endosser le
beau rôle – celui d’arbitre qui lâche du
lest – et rend plus compliquée pour lui
la possibilité d’en faire un fusible si les
choses tournaient mal. M. Macron s’est
souvent posé en président seul face à
« [son] peuple » et se targue d’avoir pu
retourner lui­même des situations
inextricables (comme avec le grand
débat pendant la crise des « gilets jau­
nes », ou lors de la décision de ne pas
reconfiner pendant la crise sanitaire,
contre l’avis de tous). Plus les obstacles
sont grands, plus le mérite lui revenant
l’est aussi, croit­il. Le voilà servi, pour
le meilleur ou pour le pire. p
tion ». L’agrégé de lettres de 53 ans se plaît à
décrire à ses visiteurs sa vision du monde et
tente d’investir le terrain de l’écologie, avec
son futur projet de loi sur l’industrie verte,
annoncé dès le 4 janvier. Le germaniste se
rêve en « deal­maker » d’un Inflation Reduc­
tion Act (IRA) européen, qui ferait contre­
poids à l’IRA américain, pour favoriser la pro­
duction industrielle verte et instaurer une
taxe carbone aux frontières européennes.
De quoi peaufiner sa stature internationale
et asseoir la France comme « grande nation
décarbonée en Europe ». Mais la diplomatie,
même économique, reste une chasse gardée
sur laquelle Emmanuel Macron veille jalouse­
ment. A Washington, fin 2022, où le président
s’est rendu à l’invitation de son homologue
américain, Joe Biden, la délégation française
n’a pu qu’observer l’ambiance glaciale entre­
tenue par le chef de l’Etat à l’égard de son mi­
nistre. Cette froideur fut immortalisée par un
cliché où le président français s’affiche tout
sourire aux côtés de la vice­présidente améri­
caine Kamala Harris. On y voit M. Macron
tourner ostensiblement le dos à M. Le Maire.
Une façon, peut­être, de rappeler la distance
qui sépare un ministre d’un chef d’Etat. p
claire gatinois et ivanne trippenbach
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
Le macronisme survivra­t­il à Emmanuel Macron après 2027 ?
Le débat agite ceux qui souhaitent un « arc central » mariant gauche et droite et ceux qui défendent une force de droite plus large
ANALYSE
L es interrogations sur l’héri­
tage en politique sont éter­
nelles. Le 28 août 1969, qua­
tre mois après la démission du
fondateur de la Ve République, un
François Mauriac plus gaullien
que jamais analysait le lourd
poids sur les épaules de ses suc­
cesseurs. « La fidélité à de Gaulle,
et nous sommes tous d’accord sur
ce point, ne saurait s’exprimer
par une imitation, par une copie
de ce qu’il fut et sans tenir compte
des changements intervenus, des
cartes que nous n’avons plus en
main », estimait l’écrivain dans
son Bloc­notes (Mollat­Robert Laf­
font, 2020), avant de se féliciter
sur le changement de République
« qui a créé les conditions perma­
nentes de salut pour quand il ne se­
rait plus là ». Un an avant sa propre
mort, Mauriac avait un espoir : le
gaullisme survivrait à de Gaulle.
L’époque a changé, les person­
nages aussi. Mais pas les ques­
tionnements. A la fin de l’été 2022,
l’Elysée avait peu apprécié de voir
naître un début de bataille de suc­
cession entre quelques ténors de
l’arc macroniste. Pendant quel­
ques semaines, Gérald Darmanin,
Bruno Le Maire ou encore
Edouard Philippe avaient fait
l’objet d’articles de presse sur les
« ambitieux de 2027 ». L’après­Ma­
cron commençait alors que son
second mandat venait à peine de
débuter. Un enjambement qui
rappelait la façon dont Nicolas
Sarkozy avait secoué le début du
second mandat de Jacques Chirac
en 2002. En apparence, les inté­
ressés et leurs proches ont calmé
ce début de fièvre. Trop tôt, trop
Bruno Le Maire,
ministre de
l’économie,
et Emmanuel
Macron,
à l’Elysée,
le 31 août 2022.
AURÉLIEN MORISSARD/AFP
risqué. « Je ne supporte pas qu’on
parle de 2027, c’est une injure de
faire l’impasse sur le quinquennat
en cours », tranche le sénateur
François Patriat (Côte­d’Or).
En coulisses pourtant, la bataille
de positionnement continue avec
une grande question stratégique :
le macronisme survivra­t­il à Em­
manuel Macron ? Dans un pay­
sage dominé par trois blocs (gau­
che­Nupes, macronisme, extrême
droite), le centre peut­il prendre
le risque de muter ? Ironie de
l’histoire récente, ces réflexions
avaient d’abord agité les opposi­
tions balayées et affaiblies après
2017. Depuis la réélection
d’avril 2022, de nombreux cadres
de la majorité se demandent à
leur tour si l’alliance macroniste
qui va du social­libéralisme au
centre droit sera pérenne ou si
elle s’écroulera lorsque le loca­
taire de l’Elysée ne tiendra plus
« les deux bouts de l’omelette », se­
lon une expression juppéiste.
Dès sa nomination à Matignon,
Edouard Philippe s’était décrit en
homme de droite. Il n’a jamais
porté beaucoup d’intérêt à l’aile
ÉDOUARD PHILIPPE N’A  ment en défendant le programme
JAMAIS PORTÉ BEAUCOUP  ment il ne s’est distingué, il a pris
D’INTÉRÊT À L’AILE  sez complète. » Comme s’il voulait
GAUCHE DE LA MAJORITÉ  capter l’héritage pour édifier sa
ET EST TOUJOURS  tion plus marquée à droite.
PERSUADÉ QUE LE CENTRE  rappelle que nos voisins euro­
DROIT SERA UNE FORCE  péens travaillent plus et reprend
D’ATTRACTION
François Bayrou et Edouard Philippe, deux
soutiens critiques de la réforme des retraites
Ambition présidentielle oblige, le chef de file du MoDem et l’ex­premier ministre avancent
leurs idées pour faire évoluer le texte. Et pouvoir s’en dissocier si les choses tournent mal
L e premier « se prépare »,
le second y pense. Le pre­
mier, Edouard Philippe,
52 ans, peaufine, depuis la mairie
du Havre (Seine­Maritime) sa
stratégie pour être présent, sans
être pesant, dans la vie politique
et ne pas se faire oublier d’ici à
l’élection présidentielle de 2027,
qu’il convoite. Le second, Fran­
çois Bayrou, 71 ans, n’écarte rien,
se voyant bien, lui aussi, à l’Ely­
sée. « Un seul responsable politi­
que qui ne pense pas à l’élection
majeure, on se demande ce qu’il
fait dans le jeu », a avoué le maire
de Pau, dimanche 15 janvier sur
BFM­TV, rappelant que, au­delà
de Joe Biden aux Etats­Unis, le
président Lula, au Brésil, avait
un âge comparable au sien.
Les deux chefs de parti, le pre­
mier d’Horizons et le second du
MoDem, sont alliés du gouverne­
ment. Mais, ambition présiden­
tielle oblige, à l’heure où la pre­
mière ministre, Elisabeth Borne,
s’engage dans la très impopulaire
réforme des retraites, le soutien
se fait soudain plus nuancé. Voire
dissonant.
Service minimum
Entre deux entraînements de
boxe, Edouard Philippe défend
du bout des lèvres ce qu’il assi­
mile, dans Le Point du 12 janvier,
à « une longue crispation natio­
nale ». « Si l’on va vers un système
qui équilibre à terme les retraites,
qui contient des mesures de jus­
gauche de la majorité et il est tou­
jours persuadé que le centre droit
sera une force d’attraction, même
si son entourage préfère tempori­
ser. « La succession de Macron sera
un moment de vérité. Le macro­
nisme sans Macron, ce ne sera for­
cément pas la même chose, il y
aura une adaptation, estime Gilles
Boyer, député européen et ancien
conseiller politique de M. Philippe
à Matignon. Est­ce qu’il y aura
l’émergence d’un macronisme de
gauche et d’un macronisme de
droite ? Je doute que l’ensemble res­
tera uni autour de quelqu’un. »
Scission du « bloc central »
Le maire du Havre a fait l’analyse
que le macronisme s’est droitisé
au fur et à mesure des élections et
que seul un homme bien ancré sur
ces terres électorales pourra succé­
der à M. Macron. Jamais il ne renie
son aventure auprès du président
de la République mais il se tient
très à l’écart des polémiques quoti­
diennes en construisant son parti
Horizons, sorte de RPR nouvelle
génération appuyé sur une es­
couade d’élus locaux issus de la
droite. « Tout le monde sait d’où
vient Edouard Philippe, poursuit
Gilles Boyer. Il a incarné le dépasse­
d’Emmanuel Macron, à aucun mo­
son risque et il a une popularité as­
propre maison, avec une décora­
Dans Le Point du 12 janvier, il
des classiques de sa famille sur
l’immigration en évoquant le dé­
« PARLER TROP
DES RETRAITES, POUR 
ÉDOUARD PHILIPPE,  Edouard Philippe, c’est risquer
C’EST RISQUER
DE RÉACTIVER  l’institut de sondage IFOP.
LE SOUVENIR DE  nement ne veut pas de cette idée.
L’ÉCHEC DE 2019 »
FRÉDÉRIC DABI
directeur général opinion de l’IFOP
tice, très bien. Si la mesure que le
gouvernement propose [départ à
la retraite à 64 ans et allonge­
ment de la durée de cotisation] a
le même effet sur l’équilibre qu’un
report à 65 ans, très bien. Hori­
zons soutiendra tout ce qui va
dans le sens de plus de travail
pour garantir plus de prospérité
et plus de solidarité », explique­
t­il pour mieux évacuer le sujet.
Une validation aux allures de
service minimum. Si Edouard
Philippe veut toujours que la ré­
forme se fasse, il estime aussi
qu’« il y a mille choses beaucoup
plus importantes à faire ».
Un pas de côté étonnant de la
part de l’ancien premier minis­
tre, qui avait porté la réforme
des retraites en 2019, avant de re­
noncer du fait de la pandémie de
Covid­19, et défendu, dans le ma­
gazine Challenges deux ans plus
bat sur la Convention euro­
péenne des droits de l’homme. Si
son entreprise perdure jusqu’à sa
candidature, l’aile gauche pour­
rait avoir la tentation de présenter
un candidat ou une candidate.
Clément Beaune, Barbara Pompili
ou encore Olivier Véran essaient
de faire vivre cette famille de pen­
sée, sous le regard des « macronis­
tes originels » comme l’ancien
président de l’Assemblée natio­
nale Richard Ferrand.
Ce scénario d’une scission du
« bloc central » ne plaît pas du tout
à l’entourage du chef de l’Etat.
Selon eux, la majorité ne pourra
se permettre le luxe de se diviser
car ce serait laisser la porte ouverte
aux populismes et notamment à
Marine Le Pen. « Nous avons be­
soin, aujourd’hui et demain, de
continuer la formidable aventure
politique du dépassement entamée
en 2016, avait ainsi déclaré Emma­
nuel Macron dans une vidéo diffu­
sée lors du congrès fondateur du
parti Renaissance, samedi 17 sep­
tembre 2022, à Paris. C’est unis et
rassemblés que nous allons ouvrir
un nouveau chapitre de la vie politi­
que. (…) Sans l’unité, les extrêmes
l’emporteront. » « Votre aspiration,
c’est ce que vous pensez nécessaire
pour la nation, répond Edouard
Philippe dans Le Point. Ramener
le combat politique, l’ambition po­
litique à vouloir gagner ou à empê­
cher que l’autre gagne me paraît in­
croyablement réducteur. »
Le parti macroniste Renaissance
a pour le moment repoussé la
question de la succession. Les sta­
tuts précisent qu’il aura un candi­
dat mais le processus de désigna­
tion sera discuté plus tard, sans
doute après les élections euro­
tard, un recul du départ à la re­
traite à 65, 66 ou 67 ans. On s’est
trompé, affirme­t­il aujourd’hui.
« Parler trop des retraites, pour
de réactiver le souvenir de l’échec
de 2019 », observe Frédéric Dabi,
directeur général opinion de
« Je ne suis pas un trublion »
François Bayrou, lui, a fait siens
les propos d’Elisabeth Borne, qui
assurait, au moment d’annoncer
les détails de la réforme, mardi
10 janvier : « Cette présentation
n’est pas un point final. Nous som­
mes prêts à faire encore évoluer
notre projet. » La locataire de
Matignon s’adressait aux parle­
mentaires de l’opposition plus
qu’à ses partenaires. Aux élus
du parti Les Républicains, qui
pourraient ajouter quelques
amendements au texte avant
de l’approuver, pour ne pas appa­
raître comme des auxiliaires
du gouvernement. Et à La France
insoumise pour la dissuader de
jouer l’obstruction.
Mais François Bayrou s’est senti
concerné et entend lui aussi
« améliorer le projet ». Le cen­
triste, qui s’est félicité d’avoir
évité une réforme menée « à la
sauvette » en incitant le gouver­
nement à mener plus de concer­
tations, plaide, entre autres, pour
faire contribuer les entreprises,
et non uniquement les actifs,
comme il est prévu dans le projet
« LA GRANDE FAIBLESSE 
DE CET ESPACE CENTRAL, 
DE CE NOUVEAU MONDE, 
C’EST QU’IL N’A PAS 
DE FRONTIÈRES BIEN  idées du parti Renaissance. Une
DÉFINIES »
BRUNO LE MAIRE
ministre de l’économie
péennes de 2024. « Macron a surfé
sur une vague qui existait avant lui
et qui traverse tous les pays occi­
dentaux, celle d’une défiance vis­à­
vis des politiques et celle d’un cli­
vage entre progressistes et populis­
mes, résume Paul Midy, député Re­
naissance de l’Essonne. C’est l’un
des symptômes de la fin d’un cycle,
celui de la mondialisation heu­
reuse, et ça perdurera après lui, jus­
qu’à ce que la vie politique retrouve
un autre équilibre. Reste à savoir
si quelqu’un arrivera à incarner ce
bloc­là encore en 2027. »
« Ce n’est pas du tout le moment »
Bruno Le Maire ne croit plus dans
les vieilles familles politiques,
dont il est pourtant un pur pro­
duit. Le ministre de l’économie
pense lui aussi que les trois blocs
sont installés pour un moment.
« En dehors de ces espaces, il n’y a
rien, la droite et la gauche sont de­
venues des interstices, cela ne veut
plus rien dire, théorise­t­il en privé.
La grande faiblesse de cet espace
central, de ce nouveau monde,
c’est qu’il n’a pas de frontières bien
définies. Quelles sont les valeurs
communes ? Jusqu’où va­t­on ? Il
france | 9
actuel. « Elles sont déjà très à
contribution », a rétorqué, lundi
16 janvier, sur RMC, le ministre
de l’économie, Bruno Le Maire.
« Augmenter les cotisations des
entreprises, c’est courir le risque
du chômage », a balayé le loca­
taire de Bercy, rejetant l’option.
« Je sais très bien que le gouver­
Mais je défends mon point de
vue », insiste le Béarnais, qui
parle d’un « effort limité » pour
les entreprises, aux allures de
« signal ». Et si son point de vue
peut braquer la droite, qui a
donné son aval au projet,
François Bayrou répond, tel un
vieux sage, qu’il ne faut pas
« s’enfermer dans les jeux de par­
tis qui ont cours dans le bocal de
l’Assemblée ».
Depuis le démarrage des dis­
cussions, le centriste freine,
jugeant l’opinion rétive et mal in­
formée, au risque d’irriter le chef
de l’Etat. « Je ne suis pas un tru­
blion ni un frondeur, mais quel­
qu’un d’assez libre de parole et de
pensée », nuance­t­il. Mais pour
quel effet ? A la fin, le patron du
MoDem le concède, avec ou sans
ses propositions, son parti votera
la réforme. Un pied dedans et
un pied dehors, en somme. Une
attitude vue à Matignon comme
une posture permettant au
maire de Pau de dire « je vous
l’avais bien dit », si les choses
tournaient à l’aigre. p
claire gatinois
manque certains traits et certains
points pour définir les frontières. »
Tout comme Gérald Darmanin
qui a pris des fonctions au sein de
Renaissance et croit, lui, en une
régénérescence du macronisme
par les catégories populaires,
M. Le Maire a pris la tête du pôle
place idéale pour tenter de donner
un corpus programmatique au
postmacronisme. Le ministre de
l’économie veut travailler sur
l’écologie tout en commençant à
critiquer « le temps de l’argent gra­
tuit ». Balayé à la primaire de la
droite en 2016 après avoir long­
temps pensé être un symbole du
renouveau, M. Le Maire a regretté
ne pas avoir emprunté le même
chemin que M. Macron : s’émanci­
per de son parti pour partir à
l’aventure seul. Il n’a renoncé à
rien mais refuse dorénavant de
se projeter trop tôt. Il n’évoque ja­
mais 2027 mais n’a jamais non
plus écarté publiquement cette
hypothèse. « Ce n’est pas du tout le
moment, tranche Charles Rodwell,
ancien membre de son cabinet,
devenu député des Yvelines en
2022. Tous ceux dont on parle en ce
moment savent très bien que leur
avenir et leur légitimité future dé­
pendent de la réussite du quinquen­
nat. » Il s’appuie sur plusieurs
parlementaires, plutôt attentifs à
l’équilibre des finances publiques.
Des jeunes qui ont connu les af­
frontements des ténors à droite.
Pour le moment, ce débat reste
cantonné en coulisses. Si le quin­
quennat de M. Macron s’enlise, par
exemple en cas d’échec de la ré­
forme des retraites, il pourrait res­
surgir de façon encore plus vive. p
matthieu goar

10 | france
DÉMOGRAPHIE
L
a légère embellie de
2021, qui affichait une
hausse inattendue
des naissances après
le choc démographi­
que de 2020 provoqué
par le Covid­19, aura été de courte
durée. En 2022, non seulement les
naissances repartent à la baisse,
souligne le dernier bilan démo­
graphique de l’Institut national
de la statistique et des études éco­
nomiques (Insee), présenté mardi
17 janvier, mais s’ajoute à cela un
nombre élevé de décès, supérieur
aux projections, qui fait de l’an­
née 2022 celle où le solde naturel
atteint son plus bas niveau his­
torique. La population française
s’élève à 68 millions d’habitants
au 1er janvier 2023, en hausse de
0,3 %. Voici les principaux ensei­
gnements de ce bilan annuel.
Une stagnation de l’espérance
de vie Une espérance de vie à la
naissance de 85,2 ans pour les fem­
mes et de 79,3 ans pour les hom­
mes. Après une baisse importante
en 2020, directement liée à la pan­
démie, les hommes gagnent seule­
ment 0,1 an d’espérance de vie
en 2022, par rapport à 2021. Celle
des femmes ne progresse pas. Ré­
sultat : l’espérance de vie pour tous
stagne ; elle est même inférieure
de 0,4 an à celle de 2019. C’est sur ce
phénomène de stagnation que
l’Insee a choisi de mettre l’accent
dans son bilan de l’année 2022.
« Sur la décennie 2010­2019, avant
la pandémie, il y avait des gains
d’espérance de vie pour les hom­
mes et pour les femmes, bien que
plus ralentis pour les femmes, rap­
pelle Sylvie Le Minez, responsable
de l’unité des études démographi­
ques et sociales à l’Insee. Le phéno­
mène que l’on observe en 2022 est
directement lié au nombre de dé­
cès, qui reste très élevé », souligne
l’experte. Avec 667 000 décès
en 2022 (5 000 de plus qu’en 2021),
le décompte est proche de celui de
2020, année noire, avec seulement
2 000 morts supplémentaires. Par
rapport à l’ère pré­Covid, soit 2019,
54 000 personnes de plus sont dé­
cédées l’an passé.
Certes, l’arrivée de plusieurs gé­
nérations du baby­boom à des
âges élevés joue dans cette ten­
dance à la hausse du nombre de
décès ces dernières années. Mais
l’écart entre la mortalité enregis­
trée en 2022 et celle qui était at­
tendue dans les projections est
considérable ; on compte ainsi
46 000 décès supplémentaires.
Comment l’expliquer ? Tout en
rappelant avec prudence ne pas
disposer des causes de décès,
l’Insee note que 2022 a été mar­
quée par la poursuite de l’épi­
démie du Covid­19, ainsi que par
une « épidémie de grippe tardive,
avec un pic en avril, et trois pé­
riodes de canicule ». Il y a non
seulement « les décès liés direc­
Le chantier du service public de la petite enfance sur les rails
Une phase de concertations territoriales s’est ouverte le 11 janvier à Versailles pour revoir l’organisation des modes d’accueil
L e sujet est particulière­
ment brûlant en cette pé­
riode de réforme des retrai­
tes. Comment préserver la vitalité
démographique française, l’un
des piliers sur lesquels repose la
répartition entre actifs et retrai­
tés ? Interrogé sur l’action du
gouvernement en la matière, le
ministre des comptes publics,
Gabriel Attal, a évoqué dimanche
15 janvier lors du Grand Rendez­
vous Europe 1­CNews­Les Echos,
un « chantier majeur du quin­
quennat », celui du « service pu­
blic de la petite enfance ».
Après l’allongement du congé
paternité lors de son premier man­
dat (passé de 14 jours à 28 jours),
c’est en effet l’engagement concer­
nant la petite enfance qu’a répété
Emmanuel Macron lors de sa cam­
En 2022, le solde naturel au plus bas
en milliers
900
800
700
Solde naturel
600
500
400
1957 1970 1980
Une espérance de vie qui stagne
Espérance de vie, en 2022*
à la naissance
79,3 ans
pour les hommes,
contre 79,7 ans en 2019
85,2 ans
pour les femmes
contre 85,6 ans en 2019
France entière à partir de 2014. Chiffres hors Mayotte jusqu’en 2013
La démographie
française toujours
impactée par le Covid­19
Dans son dernier bilan annuel, l’Insee relève
une mortalité élevée, des naissances au plus bas
et une stagnation de l’espérance de vie en 2022
tement au Covid, mais aussi ceux
qui lui sont imputables indirecte­
ment, comme les personnes souf­
frant de maladies chroniques, qui
ont pu être fragilisées, et les décès
dus à l’épidémie de grippe et aux
épisodes de canicule », précise
Laurent Toulemon, démographe
à l’Institut national d’études dé­
mographiques.
Un solde naturel au plus bas
Avec un solde naturel (c’est­à­dire
la différence entre le nombre de
naissances et le nombre de décès)
à + 56 000, l’année 2022 atteint un
plus bas historique depuis la fin
de la seconde guerre mondiale.
C’est l’autre enseignement ma­
pagne présidentielle. L’objectif est
d’assurer aux couples désireux
d’avoir un enfant qu’ils dispose­
ront d’un mode de garde pour ce­
lui­ci avant sa scolarisation à la ma­
ternelle à 3 ans. 200 000 nouvelles
places d’accueil ont été promises
d’ici à la fin du quinquennat.
Métiers peu attractifs
Une concertation nationale, pilo­
tée par le ministère des solidarités,
a été lancée en novembre 2022
pour réunir tous les acteurs (syn­
dicats, élus, professionnels, repré­
sentants des familles…) autour de
l’élaboration du nouveau service
public de la petite enfance. Une
deuxième phase, de concerta­
tions territoriales cette fois, s’est
ouverte le 11 janvier à Versailles.
« Le constat est que malgré le tra­
Naissances
en 2020
Décès
1990 2000 2010
Plus de mariages et de PACS en 2022
en milliers
Mariages PACS
225
196
174
155
2019 2020
L’ANNÉE DERNIÈRE
SE CARACTÉRISE  première fois depuis 2015, la nata­
PAR LE PLUS FAIBLE
NOMBRE DE NAISSANCES  qué par la crise sanitaire et les in­
DEPUIS 1946
jeur de ce bilan démographique.
Deux trajectoires se conjuguent
pour conduire à cette situation : le
nombre élevé de décès, allié à des
naissances en berne.
Selon les données disponibles,
qui s’arrêtent fin novembre,
723 000 enfants sont nés en 2022,
vail énorme des professionnelles et
la bonne volonté des élus, notre sys­
tème est grippé et les parents n’ont
pas les réponses suffisantes », ex­
plique Elisabeth Laithier, rappor­
teuse de ces concertations.
A l’heure actuelle, la capacité
d’accueil couvre 60 % des besoins
de garde pour les enfants de
moins de 3 ans, selon les données
de la Caisse d’allocations familia­
les (CAF). Mais le pourcentage
masque des disparités territoriales
importantes. Longtemps présen­
tée comme un modèle, l’organisa­
tion des modes d’accueil des jeu­
nes enfants montre désormais des
signes d’essoufflement. En cause :
le peu d’attractivité des métiers de
la petite enfance, avec un manque
de professionnels dans les crèches
évalué au printemps par le gouver­
Une population vieillissante
Répartition de la population, par groupe d’âge,
en milliers, au 1er janvier 2023
+ 66
+ 56
hommes
2022* 400 200
Une fécondité en légère baisse
Indicateur conjoncturel de fécondité
pour 100 femmes
244 205
219 209
192
180
155 173
130
2021 2022* 1995
Infographie : Le Monde
soit une baisse de 2,6 % par rap­
port à 2021. Cette année­là, pour la
lité était repartie à la hausse, béné­
ficiant probablement d’un report
des projets de parentalité provo­
certitudes qui l’accompagnaient.
Ce n’est plus le cas en 2022, an­
née qui se caractérise par le plus
faible nombre de naissances enre­
gistré depuis 1946. « On renoue
avec des naissances à la baisse, et
avec une saisonnalité assez cham­
boulée », observe Sylvie Le Minez.
Difficile de ne pas y voir des effets
du Covid­19 ; janvier, par exemple,
a été marqué par un nombre de
naissances assez faible, et il cor­
nement à 10 000 personnes, ainsi
qu’un vieillissement des assistan­
tes maternelles qui conduira à des
départs à la retraite massifs dans
les dix ans. « Entre 2017 et 2020,
leur nombre a baissé de 38 500 et
on estime qu’environ 120 000 parti­
ront à la retraite d’ici à 2030 », pré­
cise le ministère des solidarités.
La feuille de route d’Elisabeth
Laithier consiste donc à « aller à la
rencontre des acteurs pour voir sur
le terrain quels problèmes se po­
sent, qu’il s’agisse des finances ou
du foncier par exemple ». Par
ailleurs présidente du comité de la
filière petite enfance et élue char­
gée de la petite enfance à Nancy
pendant vingt­cinq ans, cette fine
connaisseuse des enjeux a prévu
d’enchaîner seize déplacements
avant de remettre ses préconisa­
âge
100
21 %
de la population
a plus de 65 ans
75
65
60
femmes
20
0 en milliers
0 0 200 400
179,6
2005 2015 2022*
* Chiffres provisoires à fin novembre
Source : Insee
respond à neuf mois après le troi­
sième confinement. Idem pour
les mois de septembre et d’octo­
bre, à la natalité particulièrement
peu vigoureuse, conséquence
d’un mois de janvier très marqué,
là encore, par la pandémie. « A
partir du mois de mars 2022, les
naissances sont presque toujours
inférieures à celles du mois corres­
pondant en 2020, en particulier en
octobre 2022 », résume l’Insee.
La fécondité en légère baisse
En 2022, l’indice conjoncturel de
fécondité (ICF) descend à 1,80 en­
fant par femme. Il était de 1,84
en 2021. L’âge moyen à la mater­
nité reste stable à 31 ans. Ce sont
tions au printemps. Quelle articu­
lation des responsabilités entre
l’Etat et les collectivités territoria­
les ? De quelle manière inclure les
assistantes maternelles dans le
nouveau service public de la pe­
tite enfance ? Et pour l’accueil col­
lectif, comment prendre en
compte l’essor du secteur privé
marchand et de l’associatif ? L’un
des « gros nœuds qu’on aura à dé­
lier concerne la multiplicité des ty­
pes de gestionnaires et des modes
d’accueil », reconnaît­elle.
Du côté des familles, les attentes
sont fortes. L’Union nationale des
associations familiales, partie pre­
nante des négociations, entend
bien remettre sur la table un autre
sujet majeur pour l’articulation
entre vie familiale et vie profes­
sionnelle : celui de la réforme des
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
les femmes âgées de 25 à 34 ans
qui sont les plus fécondes, bien
que le taux de fécondité de celles
de moins de 30 ans connaisse de­
puis les années 2000 une baisse
qui s’accentue depuis 2014.
« Neuf mois après le premier
confinement, on avait relevé une
baisse de la conception d’enfants à
la fois chez les femmes les plus jeu­
nes et chez les plus âgées, et, en 2021,
le rebond de la fécondité s’est pro­
duit plutôt chez les plus âgées, indi­
que Laurent Toulemon. En 2022, la
fécondité des femmes de 35 à 39 ans
marque le pas, tandis que celle des
plus jeunes continue de baisser. »
Cette baisse de l’ICF annuel reflè­
te­t­elle simplement un décalage
des calendriers de fécondité, lié à
une évolution des modes de vie
(allongement des études, recul de
l’âge de la mise en couple, incerti­
tudes économiques…) ? Dans
quelle mesure ce report se tradui­
ra­t­il, à une échelle de temps plus
longue, par un impact sur la « des­
cendance finale » des femmes ?
Sur ces questions, les démogra­
phes sont divisés, répond M. Tou­
lemon. « Depuis 1975, la fécondité
des femmes oscille entre 1,8 et 2 en­
fants par femme, il n’y a donc pas
d’inquiétude à avoir sur l’évolution
de la population sur le long
terme. Malgré une baisse depuis les
années 2010, ce que je trouve le plus
frappant, c’est plutôt la stabilité de
la fécondité des femmes françaises
depuis cinquante ans. » A l’inverse
d’autres chercheurs, M. Toule­
mon, avec prudence, ne se dit « pas
convaincu que cette tendance à la
baisse va se poursuivre ».
Selon les dernières données
européennes disponibles (datant
de 2020), la France demeure le
pays le plus fécond de l’Union
européenne, dont l’ICF moyen est
de 1,50 enfant par femme.
Regain des mariages C’est finale­
ment l’un des seuls points positifs
de ce bilan annuel : l’augmen­
tation des mariages et des pactes
civils de solidarité (pacs) est sen­
sible en 2022 : 244 000 mariages,
dont 7 000 entre personnes du
même sexe, ont été célébrés,
contre 220 000 en 2021, qui se ca­
ractérisait déjà par une très forte
hausse. Après une baisse histori­
que de 31 % en 2020, le nombre de
mariages avait rebondi en 2021,
mais « certains couples ont pu sou­
haiter reporter leur union en l’ab­
sence de visibilité sur l’évolution
de la pandémie », avance l’Insee.
Les mariés étaient âgés de 37,2 ans
en moyenne pour les femmes et
de 39,6 ans pour les hommes.
Par ailleurs, 209 000 pacs ont été
conclus en 2022, soit « le nombre le
plus élevé depuis sa création
en 1999 ». Ces chiffres s’expliquent
très probablement, là encore, par
un rattrapage des unions repor­
tées en raison de la pandémie. p
solène cordier
congés parentaux. « C’est fonda­
mental de permettre aux parents
de jeunes enfants de reprendre le
travail après une naissance en leur
assurant un mode de garde. Mais
certains souhaitent garder leur
bébé au cours des premiers mois, et
l’indemnisation actuelle du congé
parental ne leur permet pas de le
faire », dit la présidente Marie­An­
drée Blanc, qui fut corapporteuse
d’un avis sur le service public de la
petite enfance remis par le Conseil
économique social et environne­
mental en mars 2022. « Si on per­
met aux parents qui le souhaitent
de s’occuper de leur enfant, cela
aura des effets sur les crèches et
les assistantes maternelles, obser­
ve­t­elle. Tout est lié, et c’est le mo­
ment d’activer tous les leviers. » p
s. cr
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
En matière de fécondité,
la France reste une
bonne élève en Europe
Les pays où les naissances sont les plus
nombreuses sont ceux qui concilient
le mieux maternité et carrière professionnelle
L es Françaises et les Fran­
çais, dont les enquêtes
soulignent volontiers le
pessimisme et le manque de
confiance dans l’avenir, sont,
dans le même temps, les cham­
pions de la fécondité au niveau
européen. Selon les dernières
données comparatives d’Euros­
tat, en 2020, la France se trouvait
en tête de classement, avec un
indice conjoncturel de fécondité
(ICF) alors à 1,83, talonnée par la
Roumanie avec 1,80. Bien que ce
taux baisse au fil des ans, la
publication, mardi 17 janvier, du
bilan démographique annuel de
l’Insee confirme une nouvelle
fois la place de bonne élève de la
France, avec un ICF à 1,80 enfant
par femme.
Or notre pays se caractérise
aussi par des dépenses importan­
tes en matière de politique fami­
liale, avec environ 4 % du produit
intérieur brut (PIB) consacrés aux
divers dispositifs (congé parental,
allocations familiales, accueil du
jeune enfant…). Faut­il y voir un
lien de cause à effet ? Investisse­
ment élevé rime­t­il nécessaire­
ment avec fécondité élevée ? Les
chercheurs se sont emparés de
ces questions. Concernant la si­
tuation française, les travaux me­
nés ces dernières années par les
économistes et les démographes
pour tenter d’établir un lien de
causalité entre les deux relèvent
tous la difficulté à mesurer l’im­
pact des politiques d’aide aux fa­
milles sur la fécondité.
Si effet il y a, il est probablement
modeste, disent­ils en substance
et avec prudence. Un exemple
récent tend à l’illustrer : avant
les engagements de campagne
pris par le candidat Emmanuel
Macron, décision avait été prise,
sous le quinquennat de François
Hollande, de moduler les alloca­
tions familiales en fonction des
revenus. La mesure avait provo­
qué de vifs débats. Ses adversaires
avaient brandi l’argument du dé­
clin de la fécondité. Sept ans plus
tard, « rien ne permet d’associer ce
changement à une évolution des
naissances », estiment les spécia­
listes que nous avons interrogés.
Grande variété de mesures
« Faut­il attribuer à sa politique fa­
miliale la première place euro­
péenne de la France en matière de
fécondité ? Sans doute y a­t­il un
lien entre les deux, mais sans qu’il
soit possible de vérifier l’impact de
chaque mesure et de vérifier la
causalité », résume le démogra­
phe Gilles Pison, professeur émé­
rite au Muséum national d’his­
toire naturelle, en soulignant,
d’une part, la grande variété des
mesures que recouvrent les poli­
tiques familiales et, d’autre part,
la complexité à évaluer les rela­
tions croisées entre l’emploi des
femmes, la fécondité et la crois­
sance. L’exemple des Etats­Unis,
caractérisé par une forte fécon­
dité malgré des politiques fami­
liales limitées, rappelle l’impor­
tance des contextes locaux.
La comparaison avec nos voi­
sins européens est instructive.
Depuis plusieurs décennies, les
variations de la fécondité mon­
trent, en effet, un niveau plus
élevé dans les pays du Nord
(Suède, Danemark, France) et plus
faible dans ceux du sud du conti­
nent (Espagne, Italie). Or « tous ces
pays disposent de politiques fami­
liales, aux modalités variables »,
relève Gilles Pison, auteur d’un
ÉCONOMISTES
ET DÉMOGRAPHES NOTENT 
QU’IL EST DIFFICILE DE 
MESURER L’IMPACT  parmi les médecins, et donc pour
DE LA POLITIQUE  résoudre les difficultés d’exercice
FAMILIALE HEXAGONALE
Atlas de la population mondiale
(Autrement, nouvelle édition en
janvier 2023, 96 pages, 24 euros).
Mais ils n’y consacrent pas les
mêmes montants, rappelle aussi
le conseiller de la direction de
l’Institut national d’études démo­
graphiques. Les pays nordiques
investissent autour de 3,5 % de
leur PIB dans leurs politiques fa­
miliales, contre 1,5 % en moyenne
au Sud. Les dépenses relatives aux
congés parentaux sont nette­
ment supérieures chez les pre­
miers, de même que l’offre de
garde pour les jeunes enfants.
Autre différence majeure : l’exis­
tence d’inégalités plus fortes entre
les femmes et les hommes, no­
tamment sur l’accès à l’emploi,
dans les pays du Sud. A cet égard,
l’économiste à l’Observatoire fran­
çais des conjonctures économi­
ques Hélène Périvier souligne « un
phénomène structurel, depuis les
années 1980 dans les pays euro­
péens, avec une modification dans
la corrélation entre le taux d’acti­
vité des femmes et la fécondité ».
Avant cette date, le développe­
ment de l’activité féminine s’ac­
compagnait d’une baisse marquée
du taux de fécondité moyen. Mais,
depuis quarante ans, les pays où
les femmes participent fortement
au marché du travail enregistrent
les taux de fécondité soutenus, et,
à l’inverse, ceux avec un faible
taux d’emploi féminin ont des
taux de fécondité faibles.
Les politiques familiales accom­
pagnent ce processus. La mise en
place, en Suède, d’un congé paren­
tal de seize mois, correctement
rémunéré et réparti entre les deux
parents, s’inscrit, par exemple,
dans une volonté de favoriser l’ac­
tivité des femmes. La fécondité su­
périeure à la moyenne euro­
péenne n’est, au final, dans les
pays nordiques, qu’une « consé­
quence indirecte de politiques vi­
sant à promouvoir l’égalité », re­
marque Gilles Pison.
L’aspiration des femmes à conci­
lier vie professionnelle et vie fami­
liale est un des faits marquants de
ces dernières années, et c’est bien
cette dimension qui joue un rôle
dans la fécondité. « On observe que
c’est dans les pays où les politiques
familiales sont axées sur l’articula­
tion entre la vie familiale et la vie
professionnelle que les taux de fé­
condité sont élevés », souligne Hé­
lène Périvier. Et, à cet égard, la
France occupe une place à part
parmi ses voisins européens. C’est
l’un des pays où mener de front
maternité et vie professionnelle
est à la fois le moins difficile et le
plus valorisé.
Cette idée de libre choix, typi­
quement française, s’additionne à
une autre spécificité : celle de
l’école préélémentaire, qui prend
en charge les enfants à partir de
3 ans, contre 6 ans chez nombre de
nos voisins. Davantage que les
aides financières, c’est bien cet en­
vironnement propice qui joue un
rôle décisif dans la bonne santé de
la fécondité française. p
solène cordier
Une proposition de loi sur l’accès
aux soins irrite les médecins
Les députés devaient examiner, mardi, un texte censé élargir l’offre médicale
A
ccès direct », « déléga­
tion de tâches » : ces ex­
pressions ne parlent
pas, ou très peu, au
néophyte. Elles sont pourtant au
cœur des débats qui agitent – et,
parfois, opposent – les acteurs de
la santé, entre eux et avec leurs
autorités de tutelle ; au cœur des
tensions qui traversent, ces der­
nières semaines, le monde médi­
cal et paramédical.
Faut­il, pour répondre à l’enjeu
d’une démographie en berne
– pour encore au moins dix ans –
et d’accès aux soins, faire bouger
les lignes et les périmètres des mé­
tiers de la santé ? Si oui, comment
faire, jusqu’où aller, quel type de
missions aujourd’hui assumées
par les médecins déléguer, et au
profit de quel(s) autre(s) soi­
gnant(s) ? Ces questions promet­
tent de rebondir avec le début
des discussions à l’Assemblée na­
tionale, probablement ce mardi
17 janvier au soir, en séance publi­
que, de la proposition de loi « por­
tant amélioration de l’accès aux
soins par la confiance aux pro­
fessionnels de santé ». Le contexte
donne à ce texte un écho parti­
culier : la médecine de ville et
l’Assurance­maladie sont enga­
gées dans d’âpres négociations
conventionnelles devant aboutir,
d’ici à la fin février, à redéfinir
pour cinq ans le contrat qui les lie.
Portée par toute une frange de
députés Renaissance (et apparen­
tés) regroupés autour de la dépu­
tée du Loiret Stéphanie Rist, la pro­
position de loi entend instaurer
un « accès direct » des patients aux
infirmiers en pratique avancée
(IPA) – diplômés à bac + 5, et non à
bac + 3 comme les infirmiers di­
plômés d’Etat –, ainsi qu’aux mas­
seurs­kinésithérapeutes et aux
Accusés de chantage par le roi du Maroc,
deux journalistes devant le tribunal
Eric Laurent et Catherine Graciet avaient accepté de ne plus écrire sur le royaume contre de l’argent
A ccepter de l’argent pour
ne pas divulguer des in­
formations compromet­
tantes pour quelqu’un est
contraire à la déontologie journa­
listique. En demander contre le
fait de ne pas publier ces informa­
tions est illégal. Cela s’appelle du
chantage. C’est dans l’espace créé
par cette différence que s’est situé
le procès, lundi 16 janvier, de deux
journalistes accusés d’avoir voulu
faire chanter le roi du Maroc,
Mohammed VI, en 2015.
Sept ans et demi plus tard, Eric
Laurent et Catherine Graciet
comparaissaient libres devant la
10e chambre correctionnelle du
tribunal judiciaire de Paris.
Lui, 75 ans, petit et de santé pré­
caire, assis sur une chaise pen­
dant l’audience ; elle, 48 ans,
dressée sur la pointe des pieds
dès qu’elle s’adresse à la cour,
présidée par le juge Edmond
Brunaud. Jusqu’à leur arrestation
à l’hôtel Raphael, tout près des
Champs­Elysées, le 27 août 2015,
à Paris, avec 80 000 euros répar­
tis en deux enveloppes au sortir
d’une longue entrevue avec un
émissaire de la monarchie chéri­
fienne, l’avocat Hicham Naciri,
ils avaient la réputation de soli­
des enquêteurs, auteurs de plu­
sieurs ouvrages séparément et,
ensemble, du Roi prédateur :
main basse sur le Maroc (Le
Seuil), en 2012.
orthophonistes. Ses partisans en
font un levier pour « libérer du
temps médical », à l’heure où l’of­
fre de santé ne suffit pas toujours à
répondre aux besoins, quand ses
détracteurs, soit la quasi­totalité
des porte­parole des praticiens li­
béraux, dénoncent déjà une « mé­
decine à deux vitesses », une « mé­
decine low­cost » voire une « méde­
cine sans médecins ».
« Exercice coordonné »
Si le texte était voté, les patients
pourraient consulter ces trois pro­
fessions « en première intention »
(autrement dit, sans visite chez un
médecin en amont), à la condition
toutefois d’un « exercice coor­
donné » ou d’un exercice dans une
« structure de soins coordonnés ».
Le gouvernement entend par
ailleurs instaurer – et différen­
cier – des IPA « praticiens » et des
IPA « spécialisés ». Les premiers
prendraient en charge des pa­
thologies courantes ; les seconds,
des pathologies complexes. Le
champ de leurs compétences se­
rait étendu à certaines prescrip­
tions de soins et de médicaments.
Un virage, sans doute, mais qui
s’inscrit dans une dynamique
déjà amorcée : des délégations de
tâches protocolisées ont été adop­
tées depuis 2017. La crise du Co­
vid­19, qui a vu les pharmaciens et
étudiants en santé vacciner à tour
de bras, a fait bouger les lignes et
posé un nouveau jalon. Même
chose de la loi de financement de
la sécurité sociale pour 2023, par
la voie de quelques amende­
ments. Kinés et orthophonistes
sont déjà autorisés à prescrire cer­
tains dispositifs médicaux.
Le sujet peut sembler technique.
Il a pris une tournure politique :
« Le médecin traitant doit être la
porte d’entrée, mais pas le verrou
de notre système », a fait valoir
A l’été 2015, ils préparaient juste­
ment la suite et devaient boucler
leur manuscrit en novembre.
Tout commence le 23 juillet, lors­
que Eric Laurent prend attache
avec le cabinet royal en vue d’un
rendez­vous avec son secrétaire
particulier, Mounir Al­Majidi. La
demande débouche sur un pre­
mier rendez­vous, le 11 août, à Pa­
ris, entre M. Laurent et un émis­
saire, Me Naciri, star du barreau et
fils d’un ancien ministre de la jus­
tice au Maroc. Catherine Graciet
est absente, en vacances.
« Ils veulent changer de vie »
Comme l’affirme Me Eric Moutet,
l’avocat de Mme Graciet, ce ren­
dez­vous du 11 août, à l’hôtel
Royal­Monceau, est « le fait ma­
jeur du dossier ». C’est là, dès la
huitième minute, selon l’enregis­
trement de la rencontre fourni
au procureur de la République
par Me Naciri dans sa plainte,
qu’il est question d’une transac­
tion. Toute la question est de sa­
voir qui a proposé le premier.
D’après les avocats de la partie ci­
vile, Ralph Boussier et Antoine
Vey, défenseurs du royaume du
Maroc, l’échange est limpide : « Ils
veulent changer de vie. Ils ont une
opportunité. Ils n’ont pas de li­
vre (…) C’est la belle vie », raille
Me Boussier. Me Vey cite une
phrase prononcée par Eric Lau­
rent : « J’ai un chiffre », dit­il.
Emmanuel Macron, le 6 janvier,
lors de ses vœux au monde de la
santé. Et d’expliquer qu’un géné­
raliste « malin » devait déléguer
« les actes qui ont le moins de va­
leur » aux paramédicaux comme
les renouvellements d’ordonnan­
ces. Une position bien accueillie
par l’ordre des infirmiers, mais
qui a mis en alerte les médecins.
Emmanuel Macron s’est engagé, à
cette occasion, à ce que chaque
Français se voit proposer d’ici à la
fin de l’année un médecin traitant
– où, le cas échéant, une « équipe
traitante » – quand six millions de
personnes, dont 650 000 en affec­
tion longue durée, n’en ont pas.
La priorité est partagée, dé­
fend­on dans les cercles syndi­
caux. Mais pas la méthode. Le
5 janvier, veille du discours prési­
dentiel, l’ordre des médecins, de
nombreuses organisations de li­
béraux, mais aussi d’hospitaliers,
ont, dans un communiqué com­
mun, pris la défense du « médecin
chef d’orchestre » du parcours de
soins. « La compétence du méde­
cin garantit la qualité et la sécurité
de la prise en charge globale du pa­
tient, y écrivent­ils. Il est le seul à
avoir une longue formation pro­
fessionnalisante qui permette le
diagnostic médical et la décision
thérapeutique. (…) Les décisions
politiques prochaines devront res­
pecter ces principes. »
Les praticiens
dénoncent déjà
une « médecine
à deux vitesses »,
« low cost », voire
une « médecine
sans médecins »
L’avocate générale, Audrey
Durrieux, le pense aussi : « A
aucun moment Eric Laurent ne
fait autre chose que négocier une
somme d’argent » pendant ce
rendez­vous. Quant à Catherine
Graciet, elle estime qu’« elle est
loin d’être passive ». M. Laurent,
lui, conteste l’intégrité de l’enre­
gistrement. Il assure avoir parlé
longuement avec son interlocu­
teur d’un éventuel rendez­vous
avec M. Al­Majidi, chose qui n’ap­
paraît plus du tout dans l’en­
registrement soumis à la justice.
« Très vite, on bascule sur une
transaction, poursuit­il. C’est lui
qui me propose. Moi je n’ai jamais
dit ça (…). C’était très étrange. On a
détruit le contenu de cet enregis­
trement. » S’ensuit un dialogue
surréaliste sur des chiffres, qui
aboutissent au montant de
3 millions d’euros.
Logiquement, les deux plaidoi­
ries de la défense se sont concen­
trées sur cet enregistrement dont
la version d’origine a été détruite
par Me Naciri et la copie, transfé­
rée sur une clé USB, a passé six
jours entre les mains des services
de renseignement marocains.
Pour Me Serge Portelli, ancien ma­
gistrat et conseil d’Eric Laurent,
« la justice a été dupée et la vraie
victime, c’est elle » : l’instruction,
selon lui, ne s’est faite qu’à charge
contre les deux journalistes, ja­
mais les accusateurs n’ont été
france | 11
Le 10 janvier, en commission,
la proposition de loi a aussi sus­
cité de vives réactions. « Un pan­
sement sur une plaie béante »,
pour les élus socialistes ; une pro­
position sous forme de « pochet­
te­surprise », a taclé Hadrien
Clouet (La France insoumise).
« Nous ne sommes pas opposés à
cette possibilité d’accès direct
dans le cadre de l’exercice coor­
donné, mais il faut mieux enca­
drer les conditions exactes d’exer­
cice », a­t­il expliqué. L’écologiste
Sandrine Rousseau a dénoncé
des « demi­mesures ».
« On fait l’impasse sur la ques­
tion des moyens, la vraie question
c’est la formation et l’attractivité
des professions de santé », a mis
en avant le député Les Républi­
cains Thibault Bazin. Face à ces
critiques, la rapporteuse Stépha­
nie Rist a rappelé que le texte
n’avait pas vocation à « résoudre
tous les problèmes du système de
santé en France » tout en s’enga­
geant à porter certains amende­
ments, en séance publique.
Depuis, les syndicats de méde­
cins ont encore haussé le ton.
« Cette initiative parlementaire est
un non­sens », réagit Luc Du­
quesnel, de la Confédération des
syndicats médicaux français­Gé­
néralistes. « Elle pourrait venir
court­circuiter les négociations
conventionnelles », prévient­il.
Chez MG France, majoritaire, on
assure vouloir « absolument » tra­
vailler avec les infirmiers en pra­
tique avancée, mais « de façon
proche et coordonnée », défend sa
présidente, Agnès Giannotti. « Si
la proposition de loi Rist était
adoptée en l’état, associée à des
contraintes imposées à la profes­
sion, le mouvement de colère s’ac­
centuera », prévient­elle. p
mattea battaglia
et minh dréan
questionnés. « On n’a pas assisté à
l’essentiel, la preuve du chantage,
insiste Me Moutet. Nous ne som­
mes pas à la commission de la
carte de presse aujourd’hui. Nous
sommes devant un tribunal. »
Pour lui, toute cette opération
était destinée à « salir des jour­
nalistes ». Les autres enregistre­
ments, ceux des rencontres des 21
et 27 août, réalisés sous la supervi­
sion de la police et du parquet, ne
sont plus contestés depuis que
l’assemblée plénière de la Cour de
cassation les a jugés valides.
Car les deux journalistes, dont
les carrières se sont arrêtées le
27 août 2015, ne nient pas avoir
cédé aux sirènes de l’argent, « par
lassitude » pour Eric Laurent, par
faiblesse pour Catherine Graciet.
« Hicham Naciri m’a lavé le cer­
veau, se justifie­t­elle. Ça arrive
même aux durs et aux coriaces. »
Mais ces explications butent
sur un document compromet­
tant : le contrat manuscrit dans
lequel les journalistes s’engagent
à ne plus rien publier ni décla­
rer sur le Maroc contre 2 mil­
lions d’euros. La procureure, pas
convaincue par les explications
des deux journalistes, a requis un
an de prison avec sursis et
15 000 euros d’amende pour cha­
cun d’entre eux.
Le délibéré est prévu le mardi
14 mars. p
christophe ayad

12 | france
Au Sénégal, Marine Le Pen veut se En Côtes­d’Armor,
Callac n’accueillera
donner une image internationale pas de réfugiés
Avant de se rendre à Dakar, la cheffe de file du RN affiche une vision
pour l’Afrique qui tranche avec ses déclarations habituelles
D C
e quoi sera fait le
voyage de Marine Le
Pen au Sénégal ? La
candidate battue à
l’élection présidentielle de 2022
s’est envolée, lundi 16 janvier, pour
Dakar, dont elle reviendra ven­
dredi, enjambant ainsi la mobili­
sation sociale contre la réforme
des retraites. Mais le programme
de son premier voyage africain
depuis 2017 reste tenu secret par le
Rassemblement national (RN), qui
réserve la couverture de cette vi­
site à son équipe de communica­
tion et à des médias choisis.
Il y a six ans, Marine Le Pen avait
obtenu un entretien avec
Idriss Déby, le président du Tchad,
qui brisait, selon elle, « les barrières
de l’ignorance et de la stigmatisa­
tion médiatique ». Las, aucun chef
d’Etat africain n’a imité l’autocrate
disparu en 2021. Le parti ne con­
firme pas d’entrevue avec Macky
Sall, le président sénégalais. L’ex­
trême droite a trop de souvenirs
de rencontres avortées avec des
chefs d’Etat étrangers pour s’en ré­
jouir à l’avance, surtout dans un
pays aux liens étroits avec Paris.
« Il y aura toujours des pressions
de dernière minute, or il ne faut
surtout pas gêner les autorités du
pays où vous vous rendez : c’est la
règle cardinale », explique Marcel
Ceccaldi, l’avocat qui, depuis des
décennies, met ses réseaux
africains au service de Jean­Marie
Le Pen et de sa fille. Empêché
par des problèmes de santé – et
une condamnation, en décem­
bre 2022, pour trafic d’influence,
dont il a fait appel –, M. Ceccaldi
n’a pas contribué à l’élaboration
de ce voyage, qui est plutôt
l’œuvre du maire de Perpignan,
Louis Aliot, l’autre « M. Afrique »
du RN, et de l’ancien directeur de
cabinet de Marine Le Pen, Nicolas
Lycéen tué à Thiais : l’enquête s’oriente
vers une rivalité entre quartiers
Le meurtre d’un adolescent de 16 ans devant son établissement du Val­de­Marne, lundi,
relèverait d’un « phénomène de bandes », selon le procureur de Créteil
U n coup de couteau mor­
tel près du cœur. Un
adolescent de 16 ans est
mort, lundi 16 janvier, à quelques
centaines de mètres de son lycée
à Thiais, dans le Val­de­Marne. Un
second du même âge a été griève­
ment blessé à la cuisse, sans que
son pronostic vital soit engagé.
Les premiers éléments de l’en­
quête s’orientent vers une rivalité
entre deux bandes de Choisy­le­
Roi et de Thiais, deux villes voisi­
nes du Val­de­Marne, entre les­
quelles la tension montait depuis
une dizaine de jours.
Il est à peine 8 heures, lundi,
lorsqu’un groupe de cinq à
dix jeunes individus fait le guet, à
l’angle d’une rue adjacente au
lycée Guillaume­Apollinaire. Se­
lon les témoins, le groupe pour­
suit les deux victimes sur quel­
ques dizaines de mètres, puis l’un
des jeunes sort une arme
blanche. A l’arrivée des secours,
le corps du premier adolescent
est retrouvé sans vie. Deux ga­
zeuses, un club de golf cassé et un
morceau de bois sont découverts
sur les lieux, ainsi qu’un couteau,
un peu plus loin.
Au cours d’une conférence de
presse, le procureur de la Répu­
blique de Créteil, Stéphane Har­
douin, a précisé que plusieurs
suspects avaient rapidement été
Lesage. Mais il n’envisage pas que
la présidente du groupe RN à
l’Assemblée nationale ait entre­
pris ce déplacement sans garan­
ties : « Les Sénégalais voient quelle
peut être l’évolution politique de
leur partenaire privilégié. Il serait
curieux que Macky Sall ne puisse
pas accueillir la leader de l’opposi­
tion. Sans doute prépare­t­il une
alternance crédible en France. »
En cas de rencontre, elle répétera
son souhait, déjà exprimé durant
la campagne présidentielle, que le
Sénégal soit le pays africain repré­
senté en permanence au Conseil
de sécurité des Nations unies,
dans l’hypothèse très improbable
d’une réforme de son fonctionne­
ment. Le RN dit apprécier le « souci
de l’équilibre géopolitique » de
Macky Sall, qui s’est abstenu, à
l’ONU, de condamner l’agression
russe en Ukraine, et a rendu visite
à Vladimir Poutine, en juin 2022,
en tant que président en exercice
de l’Union africaine.
Coopération « respectueuse »
Outre M. Lesage, Marine Le Pen
sera accompagnée de la vice­prési­
dente de l’Assemblée nationale,
Hélène Laporte, et de son conseil­
ler spécial, Philippe Olivier, député
européen. Elle entend porter
« l’idée d’une nouvelle coopération
avec l’Afrique, respectueuse, sans le­
çon de morale », explique ce der­
nier. La cheffe de file des députés
RN souhaite aborder les questions
de défense, de coopération, de
sécurité alimentaire ou encore le
sujet monétaire.
Dans la lignée de son père,
Mme Le Pen a tendance à flatter les
désirs de souveraineté des pays
africains, de la question du franc
CFA – qu’elle critique de manière
moins virulente aujourd’hui – à
celle de la « Françafrique », où le
identifiés, et que l’un d’eux avait
été interpellé chez lui deux heu­
res plus tard, à Choisy­le­Roi. Il a
été immédiatement placé en
garde à vue.
Agé de 16 ans, il est connu des
services de police et de justice
pour des faits de violences aggra­
vées et de participation à un at­
troupement armé en mai 2021. Il
était alors âgé de 15 ans, et a été
mis en examen pour violences
volontaires aggravées et renvoyé
devant le tribunal pour enfants.
Au moment des faits, lundi
16 janvier, il était placé sous con­
trôle judiciaire, avec notamment
l’interdiction de se rendre à
Thiais, sauf pour suivre sa scola­
rité. Le jeune suspect avait lui­
même déposé plainte pour des
violences commises le 16 décem­
bre, lors d’une rixe dans la rue du
L’un des
suspects, âgé de
16 ans, est connu
des services
de police et de
justice pour des
faits de violences
aggravées
« La question
migratoire
fait partie
des relations
avec l’Afrique,
mais il n’y a pas
que cela »
PHILIPPE OLIVIER
député européen du RN
Front national eut longtemps ses
propres réseaux grâce à M. Cec­
caldi. Dans une tribune publiée
lundi 16 janvier par L’Opinion, Ma­
rine Le Pen affirme : « Il existe en­
core une envie de France en Afrique
et un espace d’action commun qui
peut se déployer avec succès dans le
cadre d’une relation mature (…), en
bannissant certains travers du
passé qui ont pu pervertir les rela­
tions entre la France et l’Afrique. »
Pas un mot, en revanche, sur
l’immigration dans ce texte. « La
question migratoire fait partie
des relations avec l’Afrique, mais il
n’y a pas que cela », évacue Phi­
lippe Olivier. C’est pourtant le
cœur de tous les discours du RN
sur le continent. « La France est
devenue l’hôtel de l’Afrique » est
l’une des formules favorites du
président du RN, Jordan Bardella.
Dans le programme de Marine
Le Pen pour 2022, la question afri­
caine était quasi exclusivement
traitée par le prisme de l’immigra­
tion et du partenariat militaire.
Osera­t­elle répéter au Sénégal son
envie de restreindre les visas étu­
diants ? De conditionner l’aide au
développement à la délivrance de
laissez­passer consulaires – qui
permettent de renvoyer les étran­
gers en situation irrégulière dans
lycée Guillaume­Apollinaire, où
les jeunes de Thiais et de Choisy­
le­Roi se côtoient. Deux autres
adolescents, âgés de 15 et 16 ans,
ont été interpellés et placés en
garde à vue après l’arrestation du
premier, a annoncé dans la soirée
le parquet de Créteil.
Potentielles représailles
« Les circonstances de l’agression,
le mode opératoire et la personna­
lité des suspects nous conduisent
à émettre l’hypothèse que les faits
ont été commis dans le cadre de ce
que l’on appelle un “phénomène
de bandes” opposant des jeunes
issus de quartiers différents », a
précisé le procureur de Créteil.
En l’occurrence, les victimes sont
toutes deux originaires du quar­
tier Grignon, à Thiais, et scolari­
sées au lycée Guillaume­Apolli­
naire. Un événement récent pose
également la question de poten­
tielles représailles.
Vendredi 13 janvier à 21 heures,
une quinzaine d’individus, cer­
tains portant couteau ou mar­
teau, ont en effet été aperçus se
dirigeant de l’arrêt de bus « Thiais
Village » vers Choisy­le­Roi. Qua­
tre d’entre eux – un majeur et
trois mineurs – ont été présentés
à la justice dimanche pour des
faits de participation avec arme à
un attroupement. Les noms des
leur pays d’origine ? Son souhait
d’une politique de coopération
« moins dispendieuse et plus
conforme à nos intérêts » ?
A l’Assemblée nationale, en com­
mission des affaires étrangères, où
siège Mme Le Pen, le RN a voté con­
tre l’augmentation des crédits de
l’Agence française de développe­
ment, qui priorisait pourtant l’in­
sécurité alimentaire. Une ques­
tion qu’elle juge, avec la santé,
parmi « les plus structurantes pour
l’avenir de l’Afrique ». Expliquant
le vote de son groupe, la députée
Marine Hamelet a résumé : « Le RN
considère comme louable la vo­
lonté d’améliorer les conditions de
vie des étrangers si leur pays est
pauvre, mais pas lorsque celles des
Français se détériorent et qu’il est
urgent de les améliorer. »
Dans les exécutifs régionaux, les
élus du RN sont souvent seuls à
s’opposer aux projets d’aide ou de
coopération avec des localités afri­
caines, au motif que cela ne béné­
ficie pas aux Français. Au Parle­
ment européen, enfin, les repré­
sentants du RN ont rejeté, en 2021,
la résolution en faveur d’un « nou­
veau partenariat équitable UE­Afri­
que », qui vantait un discours simi­
laire à celui de Marine Le Pen
aujourd’hui, priorisant les ques­
tions de santé et s’émancipant « de
la relation donateur­bénéficiaire ».
Dans son contre­projet de résolu­
tion, le groupe Identité et Démo­
cratie, auquel appartient le RN,
écrivait que « toute aide au déve­
loppement de l’Union devrait pro­
mouvoir des priorités et des objec­
tifs stratégiques communs (sécu­
rité et gestion des migrations avant
tout) ». L’autre priorité était, selon
lui, « l’amélioration de la capacité
des nations africaines à résoudre le
problème de la surpopulation ». p
clément guillou
victimes, inconnues de la justice,
comme du mis en cause n’appa­
raissent pas dans cette affaire, a
tenu à préciser le procureur de
Créteil, ajoutant toutefois que
l’enquête devra déterminer « les
rapports éventuels » entre « l’évé­
nement » de vendredi et le guet­
apens de lundi matin.
Le service départemental de la
police judiciaire du Val­de­Marne
a été saisi d’une enquête en fla­
grance, et les investigations doi­
vent désormais se poursuivre
afin, notamment, d’identifier et
d’interpeller les autres mis en
cause. Le parquet a d’ores et déjà
annoncé sa volonté d’ouvrir une
information judiciaire au terme
de la garde à vue du suspect,
des chefs d’homicide volontaire
commis en bande organisée et de
tentative d’homicide volontaire
commis en bande organisée.
De son côté, l’académie de
Créteil a exprimé dans un com­
muniqué ses « condoléances » à
la famille du lycéen mort et
son « soutien » aux proches du
blessé « ainsi qu’à l’ensemble de la
communauté éducative » cho­
quée. Une cellule d’écoute et de
soutien psychologique a été mise
en place au sein de l’établis­
sement, qui continue à accueillir
les lycéens. p
lucie soullier
L’extrême droite a fait pression sur le maire,
qui souhaitait accueillir des familles
de réfugiés pour redynamiser sa petite ville
allac a finalement aban­
donné son projet d’accueil
de réfugiés, largement mé­
diatisé depuis six mois. Le maire
divers gauche de ce bourg des Cô­
tes­d’Armor l’a confirmé à l’Agence
France­Presse (AFP), le 11 janvier.
« Personnellement, a expliqué
Jean­Yves Rolland, j’étais pour le
projet mais ce n’était plus tenable,
le conseil municipal allait tomber.
(…) J’assume la décision d’arrêter. »
Aux avant­postes de l’opposi­
tion, le parti d’Eric Zemmour,
Reconquête !, s’est aussitôt félicité
de cette « victoire symbolique im­
portante contre l’immigration im­
posée ». A gauche, deux députés
de La France insoumise, Thomas
Portes (Seine­Saint­Denis) et
Murielle Lepvraud (Côtes­d’Ar­
mor) ont regretté l’abandon du
projet. « Le gouvernement a laissé
la situation pourrir à Callac et n’a
rien mis en œuvre pour empêcher
les fascistes de faire régner la ter­
reur sur la commune », ont accusé
les deux élus dans un communi­
qué. Avant d’alerter : cette « com­
plaisance insupportable avec les
milices fascistes » entraîne « par­
tout sur le territoire une banalisa­
tion des idées d’extrême droite ».
Callac était devenue un symbole,
trop lourd à porter pour cette pe­
tite commune. « Trop de pression,
trop de menaces. On a lâché car on
n’a pas été aidés. Voilà tout », re­
grette Laure­Line Inderbitzin, ad­
jointe au maire. La municipalité
pensait avoir trouvé la panacée
pour redynamiser sa petite ville
déclinante, plantée en Centre­Bre­
tagne à l’écart des grands pôles ur­
bains et des principaux axes.
Le projet « Horizon », sur lequel
le conseil municipal s’accorde
en avril avec le fonds de dotation
Merci, créé en 2009 par un couple
d’entrepreneurs, prévoit d’ac­
cueillir, sur dix ans, des familles
réfugiées. Le fonds servirait de le­
vier pour attirer subventions et
soutiens privés, aiderait à rénover
des bâtiments et faciliterait la
création de nouveaux services :
une crèche, une librairie ou une
ressourcerie. « C’est une réponse à
de nombreux enjeux locaux. L’idée
est simple : rajeunir, redynamiser
notre Centre­Bretagne en ac­
cueillant de nouveaux habitants,
rappelait Mme Inderbitzin, début
novembre 2022. Et, répétons­le, les
personnes réfugiées sont une
chance pour nos territoires, avec
leurs compétences et leurs talents. »
Mais très vite, le sujet échappe
au contrôle de la mairie. La presse
locale évoque l’arrivée d’« une
soixantaine de familles ». « Les
seuls chiffres que l’on a donnés,
rectifie le maire, c’est qu’il serait
possible, sur cinq ou dix ans, d’ac­
cueillir cinq, sept, dix ou quinze fa­
milles. Donc, à peu près soixante­
dix personnes dans dix ans. » Mais
l’extrême droite ne cessera dès
lors de brandir ce chiffon rouge,
annonçant l’arrivée de « 530 per­
sonnes dans un petit bourg de
Bretagne de 2 200 habitants ».
S ANTÉ
Réforme de la formation
des sages-femmes
Le Parlement a définitive­
ment adopté, lundi 16 janvier,
une proposition de loi pour
réformer la formation des sa­
ges­femmes. Le texte prévoit
d’intégrer, d’ici à 2027, leur
formation au sein des univer­
sités. Il complète leurs études
par la création d’un troisième
cycle d’une durée de un an
et prévoit de considérer leur
activité comme une profes­
sion médicale et non plus
« paramédicale ». – (AFP.)
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
Les Callacois s’inquiètent. A l’ex­
trême droite, Eric Zemmour y voit
une formidable opportunité
après sa cinglante défaite à l’élec­
tion présidentielle de 2022. Pour
Reconquête !, Callac serait l’avant­
poste du « grand remplacement »,
théorie complotiste dénonçant
l’installation délibérée d’une po­
pulation allogène à la place du
peuple français. « C’est le premier
endroit où ils mettent en place
cette politique », affirme Bernard
Germain, l’ex­candidat du parti de
M. Zemmour aux législatives de
2022. Lequel considère par ailleurs
que le maire n’a reçu aucun man­
dat pour lancer une telle initiative.
Deux manifestations sont or­
ganisées, en octobre et novem­
bre 2022. L’ambiance devient
vite délétère à Callac, et les pre­
mières victimes sont les élus lo­
caux, qui ont fait l’objet de diffa­
mation, de menaces et de harcè­
lement sur Internet. Selon
Mediapart, douze plaintes ont
été déposées. La population, le
maire l’a constaté, éprouve de la
« lassitude ». « Elle ne nous sou­
tient pas forcément. Elle ne s’op­
pose pas forcément non plus.
Mais elle a envie que tout ça, ça
s’arrête », reconnaissait Jean­
Yves Rolland en fin d’année.
« Déception » et « amertume »
Le fonds de dotation Merci as­
sure qu’il tirera « les enseigne­
ments de son expérience à Callac
pour permettre la mise en œuvre
d’un nouveau projet “Horizon”
dans une autre commune fran­
çaise ». « De nombreuses commu­
nes se sont déjà portées volontai­
res », affirme Merci.
Les Callacois qui ont soutenu le
projet confient éprouver « décep­
tion, amertume, trahison, forte
inquiétude au niveau national, in­
terrogation sur l’incapacité des
institutions à protéger la démocra­
tie de l’extrême droite », comme
l’expliquent Sylvie et Denis La­
grue, Callacois depuis quarante­
cinq ans, investis dans des associa­
tions locales pour les personnes
en situation de précarité. D’autres
familles de réfugiés sont censées
arriver en 2023. « On attend de sa­
voir si le préfet va installer les deux
autres familles », précisent les
époux Lagrue. Et c’est le cas. « Le
projet porté par l’Etat [d’accueillir
des réfugiés identifiés par le Haut­
Commissariat des Nations unies
pour les réfugiés] n’est pas remis en
question, précise Stéphane Rouvé,
préfet des Côtes­d’Armor. On ne re­
nonce pas, c’est une question de
principe. » Le préfet conteste avoir
« laissé pourrir la situation ». « Les
moyens sont mis en œuvre pour
tenter d’identifier les auteurs
de menaces et de harcèlement »,
précise M. Rouvé, assurant avoir
été « en contact permanent avec le
maire tout au long de l’automne et
encore début janvier ; [et avoir] pu­
bliquement condamné les menaces
dont ils étaient les cibles ». p
benoît floc’h
SO C IAL
Le ministre
des transports prévoit
« un jeudi de galère »
La situation devrait être « très
difficile » dans les transports
publics jeudi 19 janvier, avec
la mobilisation contre la ré­
forme des retraites, a déclaré,
mardi 17 janvier, le ministre
délégué aux transports,
Clément Beaune, sur France
2, appelant les usagers à
différer leurs déplacements
ou à télétravailler. « Ce sera
un jeudi de galère », a­t­il
prévenu. – (AFP.)
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
Parcoursup, aubaine pour le « marché de l’anxiété »
De nombreux acteurs marchands sont dopés par le stress généré par la plate­forme d’admission postbac
S
ur le papier, rien ne l’y
poussait tellement. Mère
d’une élève de terminale
dans un lycée réputé de la
région parisienne, avec d’excel­
lentes notes dans toutes les ma­
tières, Elise Masiulis le reconnaît
volontiers : « Objectivement, nous
n’avions aucune raison de nous in­
quiéter pour notre fille. » Pourtant,
saisie d’une vive anxiété à l’appro­
che des choix pour le postbac,
cette cadre du secteur médico­so­
cial a décidé de payer les services
d’une coach en orientation pour
son enfant. 600 euros pour trois
séances, commencées en classe de
première. « Un contexte hyper­
anxiogène entoure la procédure
Parcoursup : on ne sait rien des
algorithmes, j’avais peur qu’elle se
retrouve sans aucun choix qui lui
plaise vraiment », justifie­t­elle.
La mère de famille a entendu
parler du coaching par quelqu’un
de son entourage. « C’était une
solution personnalisée et, dans la
masse anonyme des élèves, c’était
rassurant, souligne­t­elle. Concrè­
tement, la coach a surtout fait un
travail de liste de formations que
j’aurais pu faire seule. Que ma fille
puisse confronter ses idées m’a
déstressée, mais c’est tout de
même cher payé, la sérénité. »
Dans le lycée de sa fille, il y a bien
des psychologues d’orientation
ou des professeurs impliqués,
mais elle craignait que cela ne suf­
fise pas. « La compétition entre les
élèves nous pousse à avoir recours
au privé pour nous différencier,
c’est regrettable », déplore­t­elle.
« Orientation à deux vitesses »
Dans le sillage du lancement de la
plate­forme Parcoursup, en 2018,
une myriade d’acteurs privés se
sont engouffrés dans la brèche de
cette anxiété exprimée au sein
des familles. Alors que la pression
démographique est grandissante
à l’entrée de l’enseignement supé­
rieur et que Parcoursup cristallise
le stress autour de l’orientation,
ces officines de coaching et ces
avocats spécialisés dans les re­
cours juridiques sont dopés à l’an­
goisse scolaire. « Des profession­
nels m’ont très clairement dit qu’ils
y voyaient un marché à prendre »,
raconte ainsi la sociologue Anne­
Claudine Oller, qui s’est intéressée
à l’une des facettes de cet essor
marchand, dans Le Coaching sco­
laire. Un marché de la réalisation
de soi (PUF, 2020).
« J’avais été frappée de voir appa­
raître des stands de coachs privés
dans les salons d’orientation :
c’était très nouveau », explique la
chercheuse, qui estime dans son
ouvrage que le chiffre d’affaires du
marché de l’aide à l’orientation a
augmenté de 63 % entre 2015 et
2020. Interrogée par Le Monde,
en 2018, la fondatrice du réseau de
coaching Tonavenir, Sophie
Laborde­Balen, jaugeait la hausse
de son activité « de 25 % à 30 % » en
un an – conséquence directe de
l’arrivée de Parcoursup. Elle se
montre plus prudente aujourd’hui
quant au dévoilement de ses chif­
fres, mais confirme que « de plus
en plus de parents [les] sollicitent
chaque année, perdus devant les
multiples formations et la sélecti­
vité qui augmente ».
Les qualificatifs des offres de ces
officines en disent long sur ce
nouveau « marché de l’anxiété » :
Tonavenir propose un Pass Séré­
nité, où un conseiller entre lui­
même les vœux du lycéen sur la
plate­forme, pour la rondelette
somme de 750 euros (une formule
à 390 euros, destinée à détermi­
ner son projet, est aussi propo­
sée). A Eurêka Study, le prix peut
atteindre 890 euros – avec la for­
mule « Parcoursup premium » ;
l’entreprise de coaching explique
accompagner 600 jeunes par an
sur la plate­forme. Avec la réforme
du lycée mise en place à la rentrée
2019 et son choix de spécialités,
« c’est à présent dès la seconde que
les familles nous sollicitent, inquiè­
campus | 13
« Des avocats se
spécialisent sur
la contestation
des décisions
d’affectation »
ANNABELLE ALLOUCH
sociologue
une peur du déclassement et donc
la recherche d’acteurs externes
pour y remédier. »
Ces recours sont le signe d’un
nouveau rapport à l’institution
scolaire, plus facilement contes­
tée, mais aussi de l’anxiété liée à
l’incertitude de l’admission post­
bac. « Chez les familles qui ont fait
un recours juridique, cette velléité
s’accompagne d’ailleurs réguliè­
rement de suivis psychologiques,
ou de la prise de médicaments
contre le stress : la santé est un
autre versant de ce marché de l’an­
goisse scolaire », souligne Anna­
belle Allouch, qui s’intéresse aussi
à l’effet d’aubaine de Parcoursup
pour l’industrie pharmaceutique.
« Le moment de l’accès au supé­
rieur s’est peu à peu construit
comme une étape cruciale de bifur­
cation sociale, un “one shot”, avec
ANNA WANDA GOGUSEY une seule chance. Le stress est une
réaction presque attendue, le signe
qu’on est bien investi comme
tes de choisir la meilleure voie », ves dans le secondaire. « Cela as­ qui conduit une étude avec la candidat : alors payer pour un ser­
détaille Sophie Laborde­Balen.
« La compétition soit une sorte d’orientation à deux chercheuse en droit Delphine vice destiné à s’apaiser ou prendre
« Dans ce processus d’orienta­ entre les élèves vitesses, inégalitaire socialement. Espagno­Abadie sur les conten­ des anxiolytiques paraît normal »,
tion, il faut avant tout “se réaliser Ce n’est pas anodin d’avoir l’oppor­ tieux liés à l’orientation. Avec détaille­t­elle. « La pression est
soi” : c’est sur cette nouvelle injonc­
nous pousse à tunité de passer du temps à parler Parcoursup, elles observent une forte dans les familles, qui se trans­
tion que prospère une forme de avoir recours au avec un adulte qui ne soit ni un augmentation du nombre de forment en mini­entreprises de la
marchandisation de l’éducation. parent ni un enseignant, dans une sollicitations d’acteurs juridiques, constitution du dossier Parcour­
Le coaching scolaire en fait partie,
privé pour nous posture réflexive. Et tout le monde visant à « contourner le jugement sup, abonde la psychologue Sylvie
souligne Anne­Claudine Oller. différencier, c’est n’y a pas accès », constate Anne­ scolaire » par des recours (gra­ Amici. C’est aussi un moment où
Pour cela, il reprend beaucoup aux Claudine Oller. cieux, le plus souvent, ou devant les parents se retournent sur leur
codes du coach en entreprise, avec
regrettable », Mais avoir recours à ces diffé­ des tribunaux). « Mais aussi propre parcours. On voit arriver
une forme semblable à celle des déplore la mère rents services est aussi – et peut­ pour se prémunir en amont d’un chez nous beaucoup d’états an­
bilans de compétences qui s’ap­ être avant tout – un outil de réas­ verdict décevant, ajoute Anna­ xieux et dépressifs liés à cette
puient sur un registre de la rhétori­
d’une élève d’un surance pour les parents des clas­ belle Allouch. Certains parents sai­ conjonction de problématiques,
que de soi, de la confiance person­ lycée réputé ses moyennes et supérieures ci­ sissent des notaires pour faire noti­ avec prise de traitements. »
nelle mais aussi de l’optimisation blées. « On se rend compte que fier des bugs ponctuels sur Par­ Dans les alternatives qui s’of­
de ses atouts. » l’essor d’officines privées ne répond coursup. Ils constituent, par antici­ frent pour le postbac, l’enseigne­
Isabelle Wackenier, journaliste pas tant à de réels besoins qu’à une pation, une preuve de défaillance ment supérieur privé se propose
secrétaire de rédaction de 52 ans demande, constate Sylvie Amici, de la plate­forme. » aussi de contourner ce stress, en
dans une commune moyenne des psychologue d’orientation au cen­ faisant la promesse de trouver des
Landes, avait pour souci d’éviter tre d’information et d’orientation Retombées pharmaceutiques places à tous les profils. Recrutant
que sa fille lycéenne « ne se trompe d’Aulnay­Sous­Bois (Seine­Saint­ Selon les deux chercheuses, parfois en dehors de Parcoursup,
trop dès maintenant ». « En pre­ Denis). Les familles veulent surtout comme pour le coaching, les pa­ les formations privées en font un
mière, elle était sèche niveau idées. être déstressées avec des promes­ rents qui déposent des recours argument marketing. « On ob­
Cela me rendait très anxieuse, je ses, parfois des mirages, d’efficacité sont issus de milieux plutôt privi­ serve d’ailleurs une présentation
me disais qu’il fallait anticiper, assurée, qu’ils vont chercher chez légiés et ce phénomène concerne très appuyée des offres d’ensei­
explique cette mère, qui a alors des tiers, extérieurs à l’école. » plutôt des élèves ayant de bons ré­ gnement supérieur privées chez les
payé une formule de coaching à De plus en plus, ce tiers peut sultats. « Mais tout ce marché de coachs d’orientation », relève
690 euros. Dans son lycée, la per­ aussi s’avérer être un profession­ l’anxiété concerne aussi les classes Anne­Claudine Oller. Ce marché
sonne chargée de l’orientation de­ nel du droit. « Une niche juridique moyennes : désignées initialement est en pleine santé : depuis 2017,
vait s’occuper de trois établisse­ est en train de se développer, avec comme les gagnantes de la massi­ les effectifs des écoles privées
ments : ce n’était pas possible. » des avocats qui se spécialisent sur fication scolaire et de la méritocra­ augmentent de 7 % chaque année.
Ce nouveau marché privé doit en les questions d’accès au postbac et tie, elles sont rappelées à l’ordre Le secteur représente désormais
partie son essor à la précarité des sur la contestation des décisions par Parcoursup, décrypte Anna­ un quart de l’ensemble des
moyens publics : on ne compte en d’affectation », observe la sociolo­ belle Allouch. Avec cette procédure étudiants. Il est, lui, loin d’avoir
France, en moyenne, qu’un con­ gue Annabelle Allouch, spécia­ jugée opaque et la médiatisation besoin d’anxiolytiques. p
seiller d’orientation pour 1 500 élè­ liste de l’enseignement supérieur, des injustices qui en résultent, il y a alice raybaud
« Il ne faut pas sous-estimer l’influence des émotions dans les choix d’orientation »
« parcoursup : machine à stress », « Parcoursup, Ces émotions peuvent­elles avoir un rôle positif ? qui sont moins favorisés ont une peur d’échouer ou de
une angoisse nationale », « Parcoursup, le stress à l’heure Joie, tristesse, anxiété, colère, peur, dégoût… on pense décevoir leurs parents plus élevée.
du choix », etc. : depuis son lancement en 2018, chaque parfois que ces émotions ne sont que la conséquence
session de la procédure d’orientation vers l’enseigne­ psychologique d’une situation, ou la source de troubles Comment affronter au mieux l’anxiété et les peurs
ment supérieur donne lieu aux mêmes titres anxiogè­ du comportement, mais elles ont en fait une fonction liées à cette procédure d’orientation ?
nes et au même type de témoignages. Emmanuelle « adaptative ». Autrement dit, elles jouent le rôle de La littérature scientifique montre que partager ses
Vignoli, maîtresse de conférences en psychologie de guide pour l’individu, chez qui elles orientent les émotions avec une ou plusieurs personnes de con­
l’orientation au CNAM, détaille comment les émotions conduites et processus cognitifs, afin de répondre – en fiance permet en général aux élèves de mieux les régu­
interfèrent dans les réflexions des futurs étudiants. théorie efficacement – à la situation en question. Elles ler. Il y a d’abord une dimension socio­affective qui
l’alertent sur le fait qu’il se passe quelque chose d’im­ joue. L’anxiété étant un sentiment d’insécurité, le fait
A quels types d’émotions la procédure Parcoursup portant dans son environnement : dans ce cas, il faut de s’en ouvrir à une personne à laquelle on fait con­
soumet­elle les lycéens ? faire attention et préparer l’organisme. fiance permet de diminuer le sentiment de solitude,
La procédure d’affectation dans l’enseignement supé­ d’être rassuré, de restaurer l’estime de soi. Mais cette
rieur catalyse les émotions que ressentent plus globa­ Les élèves sont­ils tous égaux face à cette anxiété ? réassurance est en général temporaire.
lement les lycéens vis­à­vis de leur orientation et de Les filles déclarent en général d’avantage d’anxiété et Le partage social permet également de prendre de la
leur avenir. « Est­ce que je sais ce que j’ai envie de de peur d’échouer ou de décevoir les parents que les distance avec un événement. L’interlocuteur peut
faire ? », « Quelles formations sont adaptées pour y arri­ garçons. Elles en parlent en tout cas plus spontané­ veiller dans la discussion à recadrer l’interprétation
ver ? », « Est­ce que j’ai le niveau pour réussir ? »… ces ment, en conformité avec les stéréotypes de rôles d’une situation, en donnant une autre grille de lecture
questionnements, qui répondent à une logique en ap­ sexués. En effet, la société attend d’elles qu’elles mani­ et de nouvelles informations (sur les qualités du jeune
parence seulement rationnelle et cognitive, obligent à festent davantage certaines émotions, alors que cela est par exemple, ou des formations auxquelles il n’avait
se connaître, à avoir une idée claire des formations, à considéré comme un aveu de « faiblesse » par les pas pensé) qui vont créer un sens nouveau pour le ly­
faire appel à ses goûts et envies. Mais ils projettent sur­ garçons. Cela n’est pas anodin, lorsqu’on s’intéresse à la céen, lui faire voir différemment sa situation, réorgani­
tout vers l’avenir, avec une part d’incertitude forte, capacité à maîtriser ses émotions. ser ses priorités ou objectifs, et in fine le rassurer pour
même une fois que les vœux de formation ont été De la même manière, les élèves issus de milieux fa­ avancer. Outre un parent ou un ami proche, les ensei­
effectués. D’où l’anxiété ressentie par un nombre im­ vorisés sont un peu moins anxieux que les autres de­ gnants, lorsqu’ils sont formés, peuvent être les interlo­
portant de jeunes – l’une des principales émotions vant la procédure et la plate­forme d’orientation, car cuteurs adéquats pour les jeunes, tout comme les con­
d’anticipation. Il ne faut pas sous­estimer l’influence ils savent qu’ils ont le bagage et les connaissances seillers d’orientation­psychologues. p
des émotions dans les choix d’orientation. nécessaires pour s’orienter du mieux possible. Ceux propos recueillis par séverin graveleau
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
A Davos, l’ombre de la démondialisation
La tentation protectionniste avive la fragmentation planétaire, thème du 53e Forum économique mondial
D
evant les bâtiments en
construction, sur la
terre sèche de l’Ari­
zona, Morris Chang,
91 ans, voit à la fois son passé et
son avenir. Le fondateur du fabri­
cant de puces électroniques TSMC
ne peut masquer son amertume :
« La mondialisation est morte, le li­
bre­échange est mort, et je ne pense
pas qu’ils reviendront de sitôt. »
Il était pourtant là, ce 6 décem­
bre 2022, pour célébrer un mo­
ment joyeux. En compagnie du
président des Etats­Unis, Joe Bi­
den, et des patrons d’Apple, AMD
ou Nvidia, parmi ses principaux
clients, il assistait à la cérémonie
d’ouverture d’une usine électroni­
que géante, une première depuis
longtemps sur le sol américain.
Les deux acteurs du drame qui se
joue aujourd’hui étaient à la tri­
bune. Le créateur Chang, qui a
théorisé et lancé, durant les an­
nées 1980, la grande vague de
mondialisation de l’industrie élec­
tronique, et le fossoyeur Biden.
Amplifiant la guerre commerciale
contre la Chine lancée par Donald
Trump, l’actuel locataire de la Mai­
son Blanche a porté le coup de
grâce, en interdisant les exporta­
tions de technologie vers la Chine,
et en déversant des torrents de
subventions pour attirer les usi­
nes sur son territoire. Désormais,
deux clans s’affrontent, et pas seu­
lement dans l’électronique. Pour
M. Chang, dont les clients majeurs
se trouvent dans les deux camps,
c’est un déchirement.
Machine infernale
Dans ce contexte, il n’est pas éton­
nant que le 53e Forum économi­
que de Davos, qui se tient du lundi
16 au vendredi 20 janvier, ait
choisi comme thème principal
« Coopérer dans un monde frag­
menté ». La rencontre annuelle
dans la paisible station alpine des
Grisons, en Suisse, se veut le point
de convergence du monde des af­
faires et de la politique. Une sorte
d’« ONU du business », où pou­
vaient se croiser Vladimir Pou­
tine, Xi Jinping et Donald Trump,
face aux PDG de la planète entière.
Ce n’est plus vraiment le cas.
Cette année, pas de Russes et peu
de Chinois sur les quelque 2 700
dirigeants et experts de 130 pays.
Seuls parmi les grandes nations,
les Allemands, qui semblent être
les derniers à y croire, ont envoyé
une délégation fournie emmenée
par le chancelier Olaf Scholz. Le
vice­premier ministre chinois,
Liu He, les premiers ministres es­
pagnol, Pedro Sanchez, finlan­
dais, Sanna Marin, et grec, Ky­
riakos Mitsotakis, ainsi que la pré­
sidente de la Commission euro­
Les défaillances des entreprises françaises en forte hausse en 2022
L’année passée s’est soldée par 42 500 faillites. Un niveau inférieur à celui de l’avant­crise mais en augmentation de 49,9 % par rapport à 2021
L es défaillances sont bel et
bien reparties à la hausse
en 2022, après une paren­
thèse de deux ans pendant les­
quels les entreprises ont été
maintenues la tête hors de l’eau.
Selon les chiffres du groupe Alta­
res publiés mardi 17 janvier,
42 500 procédures ont été ouver­
tes en 2022, soit une hausse de
49,9 % par rapport à 2021.
Si le volume de faillites reste in­
férieur à l’étiage d’une année
« normale », avec environ 50 000
entreprises en défaut, le rattra­
page est rapide. « Le rythme est
plus soutenu qu’envisagé, faisant
craindre un retour aux valeurs
d’avant­crise plus tôt que prévu »,
estime Thierry Millon, directeur
des études du groupe Altares.
Le fondateur
du Forum
économique
mondial,
Klaus
Schwab,
à Davos
(Suisse),
le 16 janvier.
MARKUS
SCHREIBER/AP
péenne, Ursula von der Leyen,
seront également de la partie.
Le président américain a ouvert
la boîte de Pandore de la démon­
dialisation en dévoilant un plan
de près de 400 milliards de dollars
(370 milliards d’euros) de subven­
tions pour combiner l’investisse­
ment dans les énergies vertes et la
relocalisation industrielle. Ces
aides ont un effet massif sur les
industriels européens, pénalisés
par la crise du gaz et dont les plus
énergivores étudient le dévelop­
pement de leurs investissements
en Amérique du Nord.
Le chimiste allemand BASF avait
lancé, en octobre 2022, le mouve­
ment de réduction de sa voilure
européenne, et, lundi 16 janvier,
son rival Bayer a fait part, dans le
Financial Times, de la même inten­
tion de favoriser la Chine et les
Etats­Unis. Pour contrer les sirènes
américaines, les Européens doi­
vent réagir. Ursula von der Leyen
et même la très orthodoxe com­
missaire à la concurrence, Mar­
grethe Vestager, sont désormais
favorables à un assouplissement
des règles européennes de la con­
Depuis 2020, au total 103 000
sociétés ont fait défaut contre
162 000 sur les trois années précé­
dentes. Ce sont donc près de
60 000 défaillances qui ont pu
être évitées par les aides publi­
ques, d’abord pour faire face aux
conséquences de la pandémie de
Covid­19, puis pour accompagner
la hausse des prix de l’énergie.
Au­delà de cette « normalisa­
tion » attendue, les chiffres pu­
bliés par Altares révèlent les fragi­
lités du tissu économique, con­
fronté, après deux ans de pandé­
mie, à la crise énergétique. Avec
3 214 procédures ouvertes en 2022,
l’accélération des faillites est très
forte (+ 78 %) dans les rangs des
PME de moins de 100 salariés. Les
jeunes entreprises de moins de
Cette année,
pas de Russes et
peu de Chinois
sur les quelque
2 700 dirigeants
et experts
de 130 pays
currence afin de favoriser les sub­
ventions des pays pour maintenir
ou rapatrier leurs usines.
Une machine infernale se met
en branle. Selon l’hebdomadaire
The Economist, la plupart des pays
développés et même du Sud,
comme l’Inde ou l’Indonésie, sont
en train d’adopter des lois similai­
res. Il estime que si les sept gran­
des économies de marché – l’Aus­
tralie, le Canada, le Royaume­Uni,
l’Union européenne, le Japon,
l’Inde et la Corée – instauraient des
mesures comparables à celles des
Etats­Unis, cela coûterait près de
2 % du produit intérieur brut mon­
dial, soit 1 100 milliards de dollars.
trois ans apparaissent particuliè­
rement vulnérables : les défaillan­
ces ont quasiment doublé (+ 94 %)
dans cette catégorie.
D’après les chiffres communi­
qués par les greffes des tribu­
naux de commerce le 5 janvier,
30 % des entreprises radiées en
2022 avaient été créées moins de
deux ans auparavant. Enfin, le
nombre total d’emplois menacés
par une liquidation ou une pro­
cédure judiciaire est repassé au­
dessus de la barre des 140 000, ce
qui représente 50 000 emplois
supplémentaires en un an.
Alors que l’année 2022 devrait
se solder par une hausse du pro­
duit intérieur brut de 2,6 %, ces
faillites ne sont pas forcément
liées à une atonie de l’activité,
Un coût énorme consacré à du­
pliquer des chaînes de valeur exis­
tantes, comme celle des batteries
de voitures ou des puces électroni­
ques. Dans ce dernier domaine,
M. Chang, considère que produire
ses puces aux Etats­Unis comme il
est en train de le faire grâce aux gé­
néreux chèques américains, lui
coûtera au moins 50 % de plus qu’à
Taiwan. Le prix de la souveraineté.
Il n’est donc guère surprenant
que, du côté des patrons, la
conjoncture mondiale soit le pre­
mier souci. D’après l’enquête Glo­
bal Risk conduite par le Forum
économique mondial auprès de
1 200 experts, le risque de l’infla­
tion et du coût de la vie est placé
en tête des risques à court terme
(à deux ans), devant ceux relatifs
au climat, qui restent dominants
sur le plus long terme (dix ans).
Pourtant, dans ce tableau som­
bre, des zones plus lumineuses
émergent, dont celle offerte par le
cabinet de conseil PwC, qui mène
tous les ans une enquête sur le
moral des patrons dans le monde.
La surprise vient des Français, tra­
ditionnellement plus pessimistes
bien au contraire. « Pour certaines
TPE et PME, c’est leur incapacité à
honorer des carnets de comman­
des pourtant bien remplis qui
pourrait les amener au défaut »,
analyse M. Millon.
Réductions d’effectifs
Les problèmes proviennent plu­
tôt « des difficultés d’approvision­
nement, de l’explosion des coûts
des matériaux et des problèmes de
recrutement ». Les secteurs les
plus touchés sont aussi parmi
ceux qui sont confrontés à des
factures d’énergie particulière­
ment lourdes ou qui peinent le
plus à trouver de la
main­d’œuvre : la restauration, la
boulangerie, la maçonnerie, les
salons de coiffure, les cafés…
que la moyenne. Si, en 2023, ils se
disent plus inquiets qu’en 2022 sur
la conjoncture, ils font preuve de
résilience puisque 60 % des PDG
français sondés jugent qu’ils vont
continuer à investir, contre une
moyenne de 40 % pour leurs collè­
gues étrangers. De même, 63 % es­
timent avoir fini d’augmenter
leurs prix et anticipent un reflux
de l’inflation dans l’Hexagone.
Besoin d’investissement
Dans une tonalité similaire, le Cer­
cle des économistes, qui tient son
propre Davos en juillet à Aix­en­
Provence, a cherché pour sa pro­
chaine édition des raisons d’espé­
rer. Et l’économiste Patrick Artus
lui en fournit : la politique des
banques centrales moins sévère,
les politiques budgétaires des
Etats qui demeurent généreuses
en dépit de leur dette, le besoin
d’investissement, notamment
dans la transition énergétique, le
rattrapage européen en matière
de recherche, les marges préser­
vées des entreprises et le réveil
chinois qui soutiendra l’activité.
« Au total, affirme l’économiste, il
Dans ce contexte, l’année 2023
s’annonce périlleuse, entre rem­
boursements des prêts garantis
par l’Etat, hausse des coûts et ra­
lentissement de l’activité. « L’an­
née ne commence pas très bien »,
reconnaît David Cousquer, fonda­
teur du cabinet Trendeo, qui iden­
tifie « quelques signaux faibles in­
dicateurs de tensions ». De grands
groupes tels que BNP Paribas, No­
kia ou Novartis ont annoncé des
réductions d’effectifs ou des fer­
metures de sites pour faire face à
la dégradation de la conjoncture.
Des start­up comme MagicStay,
Gangz ou Sportrizer ferment,
« alors qu’à des moments plus fa­
vorables, elles auraient probable­
ment trouvé des financements ou
elles auraient été rachetées ».
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
y a plus de nouvelles favorables à la
croissance que de mauvaises ».
Un acte de foi qui ne peut igno­
rer les désordres du monde. Avec
la fin de la mondialisation telle
qu’elle s’est déployée depuis les
années 1990, le monde sera
moins efficace et plus cher. Quant
à savoir s’il sera plus juste, ce n’est
pas la question que l’on se pose à
Davos. Pourtant, selon le baromè­
tre annuel de l’organisation Ox­
fam, publié à l’ouverture du fo­
rum, depuis 2020, les 1 % les plus
aisés ont capté 63 % des richesses
produites, soit près de deux fois
plus que le reste de la population
mondiale. Au cours des dix der­
nières années, ils avaient acca­
paré environ la moitié des nou­
velles richesses.
Autrement dit, les riches sont
devenus plus fortunés à la faveur
de la crise, accroissant les inégali­
tés qui poussent les peuples à re­
jeter la mondialisation. D’où la
réaction des politiques, qui appel­
lent au repli. Ils craignent l’explo­
sion sociale, qui habite la tête de
tous les puissants de ce monde. p
philippe escande
D’autres jeunes pousses suppri­
ment des emplois, à l’instar de
Back Market ou de La Ruche qui
dit oui. Sans oublier les difficultés
du secteur du commerce, marqué
par la disparition de Camaïeu
(2 600 salariés), de Toupargel
(1 900 salariés) et le sort de Go
Sport (2 160 salariés), qui doit se
jouer jeudi 19 janvier devant le tri­
bunal de commerce de Grenoble.
Cette série de mauvaises nouvel­
les laisse planer de lourdes mena­
ces pour la suite de 2023. La Ban­
que de France se veut toutefois ras­
surante. L’institution, en publiant
ses propres statistiques de dé­
faillances, le 5 janvier, disait « ne
pas s’attendre pas à une vague de
faillites dans les mois à venir ». p
béatrice madeline
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023 économie & entreprise | 15

La Chine n’a plus

tiré la croissance
mondiale en 2022
Le PIB chinois n’a augmenté que de 3 %
l’an dernier, le pire chiffre, hors crise
Covid­19 de 2020, depuis 1976

pékin ­ correspondant consommateur chinois est resté Un marché

frugal. La vente au détail de biens nocturne,

L
es élites de Davos comme
le pouvoir chinois en rê­
vent : oublier 2022, ses
confinements, ses ba­
teaux qui restent à quai, ses usi­
nes qui, au mieux, tournent au ra­
lenti, ses centres commerciaux
fermés et ses aéroports déserts,
pour mieux rebondir et pour que
la Chine soit de nouveau, en 2023,
l’un des principaux moteurs de
la croissance mondiale.
Les statistiques publiées mardi
17 janvier prouvent que le chemin
sera ardu. En 2022, le produit inté­
rieur brut (PIB) chinois n’a aug­
menté que de 3 %. Le pire chiffre
depuis 1976, à l’exception de 2020
(2,24 %), marqué par la paralysie
du pays au premier trimestre.
Bien loin, surtout, de l’objectif
annoncé en mars 2022, qui était
« d’environ 5,5 % ». Après une
croissance – sur un an – de 4,8 %
au premier trimestre, de 0,4 % au
deuxième, de 3,9 % au troisième,
la Chine finit avec une hausse
de l’activité – toujours sur un an –
de 2,9 % au quatrième trimestre.
En 2022, la croissance chinoise a
été au diapason de l’économie
mondiale. Pour la première fois
depuis des décennies, elle n’a pas
joué son rôle de locomotive. Au
contraire, d’autres pays émergents
ont mieux tiré leur épingle du jeu.
C’est même plutôt le reste du
monde qui a tiré la Chine, avec des
exportations en hausse de 10,5 %,
alors que les importations n’ont
augmenté que de 4,3 %. Résultat :
le commerce extérieur affiche un
de consommation a même baissé
de 0,2 % sur l’année. Si, globale­
ment, l’investissement a pro­
gressé de 5 %, c’est essentielle­
ment dû aux investissements
(publics) dans les infrastructures
(+ 9,4 %) et à ceux manufacturiers
(+ 9,1 %). Comme prévu, l’immo­
bilier s’est effondré (− 10 %), les
ventes de surfaces commerciales
ont même plongé de 24 %.
Chômage urbain en hausse
Autre conséquence logique de
cette faible consommation : le
chômage urbain est passé de 5,1 %,
en décembre 2021, à 5,5 %, en dé­
cembre 2022 (pour les jeunes de
16 à 24 ans, il a progressé de 14,3 %
à 16,7 %). De son côté, l’inflation
est restée maîtrisée, avec une aug­
mentation de 2 % des prix à la
consommation.
En 2022, le coût des dépenses
liées à la stratégie zéro Covid a été
phénoménal. La seule province
du Guangdong (126 millions
d’habitants, soit un peu moins
du dixième de la population chi­
noise) évalue les siennes à
146,8 milliards de yuans en trois
ans : 30,3 milliards de yuans
en 2020, 45,4 milliards en 2021 et
71,1 milliards en 2022.
Une hausse exponentielle qui
en dit long sur la machine infer­
nale qu’était devenue la politique
zéro Covid pour les dépenses pu­
bliques, et qui explique en grande
partie l’abandon de celle­ci, le
7 décembre 2022. D’autant que
constituée principalement de
à Ruili
(Yunnan),
le 13 janvier.
NOEL CELIS/AFP
Chine à l’économie mondiale sera tifs du gouvernement. On s’at­ inopiné de sa politique zéro Co­
Cloîtré chez lui plus limité qu’on aurait pu le pen­ tend à ce qu’ils tournent « autour vid et de la vague de décès en
à cause ser, en raison de l’ouverture rapide de 5 % ». Mais 2022 a montré que cours. Pékin a déjà annoncé d’im­
de son économie, après une stricte même dans ce pays où, en prin­ portantes mesures de soutien à
de la politique politique zéro Covid », écrit Alicia cipe, tout est planifié, la crois­ l’économie, a assoupli la régle­
zéro Covid, le Garcia­Herrero, experte de l’Asie sance ne se décrète pas. D’ailleurs, mentation, afin de relancer l’im­
pour la banque française. Les la Banque mondiale ne prévoit mobilier, et a annoncé avoir
consommateur deux grandes provinces du sud une progression de l’activité que achevé la remise en ordre du sec­
chinois est de la Chine, le Guangdong et le de 4,3 % cette année, ce qui est fai­ teur des hautes technologies.
Zhejiang se fixent comme objec­ ble par rapport aux décennies Le pays reste, de toute façon,
resté frugal tif une croissance « supérieure à précédentes, mais plus élevé que incontournable. Avec un produit
5 % », sans plus de précisions. le reste du monde. intérieur brut de 121 020 mil­
Même si elle a perdu de sa vi­ liards de yuans, la Chine conforte
ne le prévoyaient, les experts ne Mesures de soutien gueur, la Chine devrait donc de sa place de deuxième économie
s’attendent à une réelle reprise Un objectif moins ambitieux que nouveau jouer son rôle de loco­ mondiale, derrière les Etats­Unis
qu’à partir du deuxième trimes­ les 5,5 % que s’est fixés Shanghaï motive. D’autant que le président et très loin devant le Japon. A lui
tre. Tant en raison de l’épidémie ou les 7 % du Jiangxi. Ce n’est Xi Jinping va sans doute tout seul, le Guangdong a un PIB
de Covid­19, dont le pic n’est peut­ qu’en mars, au moment de la ses­ faire pour relancer la croissance, équivalent à celui du Canada,
être pas encore atteint, que du ra­ sion annuelle du Parlement chi­ afin, notamment, de faire taire membre du G7. p
lentissement de l’économie mon­ nois que l’on connaîtra les objec­ les critiques liées à l’abandon frédéric lemaître
diale, le premier trimestre ne de­
vrait pas être très bon.
« La tendance à la hausse com­
mence au deuxième trimestre »,
estiment les experts américains
de China Beige Book. Entre un Etat
déjà largement surendetté, une
Événement
politique monétaire sans grande
marge de manœuvre et des con­
sommateurs qui ne vont pas se
&
transformer de fourmis en ciga­
les du jour au lendemain, les ex­

LA RUÉE
excédent record de 5 863 milliards tests et de mesures de police pour perts de la banque Natixis ne se

Gilles Coulon / Tendance Floue pour le Forum Vies Mobiles

de yuans, soit plus de 800 mil­ isoler des quartiers, voire des font pas beaucoup d’illusion.
liards d’euros (contre 597 milliards villes, ces dépenses ne sauraient « Globalement, la Chine devrait
d’euros en 2021). Quoi qu’on en être sérieusement qualifiées être capable de croître d’environ

dise, le découplage des économies
est loin d’être évident.
En revanche, cloîtré chez lui à
cause de la politique zéro Covid, le
d’investissements.
Même si la croissance, au qua­
trième trimestre 2022, a été
moins mauvaise que beaucoup
VERS L’OUEST
5,5 % en 2023 (…). Loin des 8 % de
2008 ou des 8,1 % de 2021, après
la première vague de Covid. En
d’autres termes, le soutien de la

Crise sanitaire, mobilité, télétravail,

Chute démographique inédite en soixante ans
c’est un basculement historique. En 2022,
la population chinoise a officiellement diminué.
Selon les données publiées, mardi 17 janvier, il
y avait, à la fin de l’année, 1,411 750 milliard de
Chinois (sans compter Hongkong, ni Macao ni
les étrangers vivant en Chine), soit 850 000
de moins qu’à la fin de 2021. Du jamais­vu de­
puis le début des années 1960 et les ravages de la
famine et de la politique du Grand Bond en
avant qui, selon certains démographes, aurait
coûté la vie à 30 millions de personnes, davan­
tage que ce que reconnaissent les autorités.
Il y avait environ 540 millions de Chinois lors
de l’arrivée des communistes au pouvoir,
en 1949, et la barre du milliard a été franchie
en 1982, il y a donc exactement quarante ans.
Cependant, en raison de la faible natalité, la po­
pulation chinoise devrait rapidement décliner.
Selon l’ONU, elle passerait cette fois sous le mil­
liard en 2078, et il n’y aurait plus que 672 mil­
lions de Chinois à la fin du XXIe siècle, moins
que l’Inde mais aussi, à en croire certaines pré­
visions, que le Nigeria.
En 2022, il n’y a eu dans l’empire du Milieu que
9,56 millions de naissances, soit un taux de nais­
sance de 6,77 pour 1 000 habitants. Par ailleurs,
le pays a enregistré 10,41 millions de décès, soit
7,37 pour 1 000habitants. A titre de comparai­
son, en 2021, il y avait eu 10,62 millions de nais­
sances (7,52 pour 1 000 habitants) et 10,14 mil­
lions de décès (7,18 pour 1 000 habitants). Le
taux de croissance naturel qui était donc légère­
ment positif en 2021 (+ 0,34 pour 1 000) est de­
venu négatif (– 0,60 pour 1 000) en 2022.
De surcroît, il y a toujours davantage d’hom­
mes que de femmes, avec un ratio de 104 pour
100, la différence étant particulièrement visi­
ble dans certaines campagnes. A cela s’ajoute
le fait que la population vieillit. Pour la pre­
mière fois en 2021, l’espérance de vie (78,2 ans)
envie d’espace... quelles politiques
a même dépassé celle des Etats­Unis, tombée à
76,6 ans. Il reste à voir si l’actuelle épidémie de
pour la France ?
Covid­19 change la donne.
Si la politique de l’enfant unique mise en
place par les autorités de 1979 à 2015 explique
19 janvier 2023 / 18h00 – 20h00
en partie ce « papy­boom » et le déclin démo­
graphique qui s’ensuit, celles­ci ne parvien­
nent pas à inverser la tendance. Pourtant, les
mesures en faveur d’une politique familiale se
multiplient, tant au niveau national que local.
La ville de Shenzhen vient ainsi d’annoncer
que les aides en faveur des familles de trois
enfants pourraient s’élever à 19 000 yuans
(soit environ 2 600 euros).
« Les jeunes n’osent plus avoir des enfants »
Cependant, de nombreuses raisons sociologi­
ques continuent d’y faire obstacle. Mardi
17 janvier, le sujet était bien davantage débattu
sur les réseaux sociaux que le ralentissement
de la croissance. « Les étudiants sont au chô­
mage, les plus de 35 ans sont discriminés sur le
lieu de travail. Les jeunes n’osent plus ni consom­
mer ni avoir des enfants, et les conflits entre les
hommes et les femmes ne cessent de croître », af­
firme un internaute. « La principale cause du
faible nombre de naissances est qu’on ne veut
pas être mis en difficulté en tant que parent », es­
time une femme qui fait notamment référence
à la pression qui s’exerce sur les familles quant
à la réussite scolaire des enfants.
Un internaute voit déjà les conséquences
géopolitiques de ce basculement. « Nous serons
bientôt moins nombreux que les Indiens. On va
perdre le Tibet. Que restera­t­il de tout cela dans Entrée libre
Auditorium du Monde
les livres d’histoire ? » Même si certains font 67 avenue Pierre Mendès-France
sur inscription
remarquer que cette baisse de la population 75013 Paris
signifie aussi que le produit intérieur brut par
habitant va désormais croître plus vite. p
f. le. (pékin, correspondant)
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16 | économie & entreprise MERCREDI 18 JANVIER 2023

Industriels et grande distribution à couteaux tirés

Les distributeurs s’élèvent contre une proposition de loi rééquilibrant le rapport de force avec les fournisseurs

C
omment amortir le
choc inflationniste
pour les ménages dans
leurs achats du quoti­
dien ? Après avoir étudié l’idée
complexe d’un chèque alimen­
taire, le gouvernement pourrait
avoir trouvé un nouveau disposi­
tif sous la forme d’un « panier an­
ti­inflation », comme l’a révélé Le
Parisien, lundi 16 janvier.
« Nous n’en sommes qu’au début
des réflexions, mais l’idée est de
travailler avec les distributeurs sur
une sélection minimum d’une
vingtaine de produits de base
qu’ils s’engageraient à vendre au
prix le plus bas possible dans l’inté­
rêt des consommateurs, explique,
au Monde, Olivia Grégoire, la mi­
nistre déléguée chargée des peti­
tes et moyennes entreprises, du
commerce, de l’artisanat et du
tourisme, à l’origine de ce projet.
Ce panier ne concernerait pas uni­
quement des produits alimen­
taires, mais aussi des produits
d’hygiène comme les couches
pour bébé, qui représentent une
large partie du budget pour des fa­
milles monoparentales. »
Depuis le mois de mai 2022, les
distributeurs ont, chacun de son
côté, mené des opérations com­
merciales (« bouclier anti­infla­
tion », « défi anti­inflation »,
« prix bloqués », etc.) dans le but
de conserver des clients tentés de
s’échapper vers des enseignes de
discount. L’idée du gouverne­
ment serait ainsi de mieux coor­
donner les initiatives.
Pas sûr toutefois que les acteurs
de la grande distribution soient
d’aussi bonne volonté qu’à
l’automne, lorsque l’idée a germé
au sein du gouvernement. Le ca­
lendrier est bousculé par une pro­
position de loi (PPL) « visant à sé­
curiser l’approvisionnement en
produits de grande consomma­
tion », qui devait entrer en débat à
l’Assemblée, contre laquelle ils
sont vent debout.
Ils accusent le texte, porté par
le député du Val­de­Marne Frédé­
ric Descrozaille (Renaissance),
d’avoir été façonné par les
grands industriels de l’agroali­
mentaire, et dénoncent son ca­
ractère inflationniste. « Il y a une
petite incohérence à nous deman­
der de lutter contre l’inflation et
faire une loi qui la favorise »,
lance Jacques Creyssel, délégué
général de la Fédération du com­
merce et de la distribution.
« Renversement radical »
La tension est telle que la grande
distribution a boycotté la réunion
de suivi des négociations com­
merciales qui s’est tenue, dans la
matinée de lundi, sous l’égide du
gouvernement. A Bercy, on con­
cède mener « des discussions »
pour faire évoluer le texte qui, « en
l’état, est un renversement radical
qui n’est pas souhaitable dans la
période actuelle ». « Je discute avec
le député pour chercher un com­
promis plus équilibré », assure
Mme Grégoire.
Avec ce texte, M. Descrozaille
n’a pas caché qu’il souhaitait con­
trebalancer le rapport de force
dans les relations entre les distri­
buteurs et les fournisseurs, et évi­
ter que ces derniers soient con­
traints, en période de hausse des
coûts, de livrer leurs produits aux
tarifs de l’année précédente s’ils
ne parviennent pas à un contrat
signé le 1er mars.
Les deux parties auraient, selon
le texte, un mois de discussion
supplémentaire pour s’entendre
sur un préavis de rupture com­
merciale ou reprendre la négocia­
tion à zéro. Faute de quoi, ensuite,
le nouveau prix demandé par le
fournisseur s’appliquerait auto­
matiquement si le distributeur
veut continuer à être livré.
Dans un rare élan d’union sa­
crée, plus d’une dizaine d’ensei­
gnes de distribution ont inter­
pellé les députés, dimanche
15 janvier, dans un communiqué :
« Les enseignes seront obligées
d’accepter les tarifs que leur impo­
seront ces multinationales, y com­
pris avec des augmentations supé­
rieures à 30 % », car, expliquent­ils
« ces très grands fournisseurs pro­
posent des marques incontourna­
bles, que les distributeurs doivent
nécessairement proposer pour
faire venir les consommateurs
dans leurs magasins. »
Les distributeurs ajoutent que
« cette proposition sera inévitable­
Face à cet
affrontement,
le gouvernement
est contraint de
jouer les arbitres,
en dégainant
un « panier
anti-inflation »
ment préjudiciable aux PME fran­
çaises », qui, « à la différence des
grands groupes, seront moins ca­
pables de résister à la baisse prévi­
sible des volumes vendus ». Léo­
nard Prunier, président de la Fé­
dération des entreprises et entre­
preneurs de France, un
organisme qui regroupe les PME
fournisseurs de la grande distri­
bution, craint, « en cas de non­ac­
cord à l’issue des négociations
commerciales, un risque de déré­
férencement rapide des produits
en grande distribution, alors
qu’aujourd’hui il y a un préavis de
dix­huit à vingt­quatre mois ». Il
souhaiterait donc le retrait de
l’article controversé.
M. Prunier soutient à l’inverse la
proposition de prolongation jus­
qu’en 2026 des dispositions de la
loi EGalim 1 concernant les pro­
motions et le seuil de revente à
perte. Adopté en octobre 2018, ce
dispositif encadre les réductions
sur les produits alimentaires dans
les grandes surfaces à 34 % de leur
valeur et à 25 % en volume, et ma­
jore de 10 % le seuil de revente à
perte, c’est­à­dire la limite au­des­
sous de laquelle un distributeur ne
peut revendre un produit. Un
autre point crucial de la PPL du dé­
puté Descrozaille.
Face à l’affrontement distribu­
teurs­fournisseurs, le gouverne­
ment est donc contraint de jouer
les arbitres, en dégainant un « pa­
nier anti­inflation » qui permet­
trait de répondre aux craintes des
Français. L’idée s’inspire d’autres
pays européens qui ont pris des
mesures pour faire baisser les
prix. En Grèce, les autorités ont
instauré en novembre un « pa­
nier du ménage », qui propose en­
viron 51 produits alimentaires de
base à prix fixes. Mme Grégoire,
qui ne souhaite pas passer par un
texte de loi, préférerait aboutir à
un engagement similaire à celui
du « pacte de solidarité commer­
ciale », signé en décembre, où les
distributeurs s’étaient engagés
en 2023 à ne pas négocier dans
leurs prix d’achat la hausse des
coûts de l’énergie pour les PME.
Même si elle admet que, pour le
moment, « la consommation ré­
siste et ne s’effondre pas », la mi­
nistre espère parvenir à un enga­
gement « pour le printemps », au
moment où l’inflation pourrait
franchir un cap supplémentaire.
Les prix de l’alimentation ont crû
de plus de 12 % en décembre, se­
lon les données de l’Insee. p
laurence girard
et cécile prudhomme

PERTES & PROFITS | DIDI GLOBAL
p ar j ea n­ mi c he l b e zat

L’étau se desserre
sur la tech chinoise
Ni Uber ni Twitter ni Facebook
n’ont été soumis au même ré­
gime (autocratique) que le chi­
nois Didi Global ! La Big Tech
américaine n’est pas sous le joug
d’un Etat totalitaire et d’un parti
unique omnipotent, seulement
sous l’œil du Congrès. Dara
Khosrowshahi, Elon Musk et
Mark Zuckerberg peuvent dormir
plus tranquilles que Cheng Wei.
Mais ce dernier peut désormais
espérer retrouver un sommeil
apaisé. Le géant chinois du véhi­
cule de tourisme avec chauffeur
(VTC) a annoncé, lundi 16 janvier,
avoir reçu le feu vert de son régu­
lateur pour le téléchargement de
ses vingt­cinq applications inter­
dites en Chine et l’enregistre­
ment de nouveaux utilisateurs.
Le communiqué de l’« Uber chi­
nois » a des accents d’autocriti­
que : « Notre société a soigneuse­
ment coopéré avec l’examen de la
cybersécurité du pays, a sérieuse­
ment traité les problèmes de sécu­
rité trouvés lors de l’examen et a
effectué des rectifications complè­
tes pendant plus d’un an. » Ainsi
se ferme une parenthèse ouverte
en juin 2021. Pékin lui avait alors
infligé une amende de 1,2 milliard
de dollars (1,1 milliard d’euros) ; il
l’avait aussi obligé à quitter la
Bourse de New York, faisant plon­
ger les valeurs technologiques
chinoises à Wall Street.
Pour ce secteur, tout avait com­
mencé fin 2020, quand le bras fi­
nancier d’Alibaba, Ant Group,
avait dû arrêter, du jour au lende­
main, son énorme introduction
sur les places de Shanghaï et de
Hongkong. Les géants de la tech
ont été mis au pas les uns après
les autres pour divers motifs :
menace sur la sécurité nationale,
possession de plus de données
que l’Etat lui­même sur la popu­
lation, comportement monopo­
listique, fragilité de leur modèle
d’affaires… Une manière pour
l’Etat­parti de reprendre un con­
trôle qui lui échappait.
Redonner confiance
La donne a changé, surtout de­
puis l’arrêt brutal de la politique
zéro Covid, fin 2022. Avec une
hausse de seulement 3 % du pro­
duit intérieur brut, l’an dernier,
l’empire du Milieu affiche son
plus mauvais résultat depuis la
mort 1976 (hormis 2020). Si le
président, Xi Jinping, fait toujours
primer la stabilité politique et le
contrôle du 1,4 milliard de Chi­
nois sur toute autre considéra­
tion, il doit redonner très vite
confiance aux entrepreneurs pri­
vés, particulièrement à ceux du
secteur technologique, s’il veut at­
teindre son ambitieux objectif de
6,5 % de croissance cette année.
La purge exercée sur Alibaba,
Tencent, JD.com ou Didi semble
achevée, et le risque d’une pertur­
bation de leur activité s’éloigne.
Le premier ministre, Li Keqiang, a
assuré que le gouvernement est
plus ouvert à des introductions
en Bourse, même à l’étranger. La
force de ces groupes de l’Internet
est un atout de poids dans la lutte
engagée avec les Etats­Unis pour
la suprématie technologique
mondiale. Et une source de fierté
patriotique, fortement cultivée en
Chine : il n’y a pas si longtemps
que Didi, créé en 2012, était porté
aux nues pour avoir chassé l’amé­
ricain Uber du marché chinois,
quatre ans plus tard. p
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
L’arrière­pays,
clé de l’essor des
ports français
Haropa, qui réunit Le Havre, Rouen
et Paris, entend créer le long de la
Seine un axe logistique décarboné
L’
avenir est aux comple­
xes portuaires asso­
ciant plusieurs ports et
un large territoire inté­
rieur. Un an et demi après le lance­
ment d’Haropa Port, opération de
fusion destinée à mieux intégrer
l’activité du Havre, de Rouen et de
Paris pour assurer le développe­
ment de l’axe Seine, son directeur
général a présenté, lundi 16 jan­
vier, les résultats 2022 du premier
ensemble fluvio­maritime fran­
çais. Et un bilan provisoire de ce
mariage défendu par Edouard Phi­
lippe comme maire du Havre (Sei­
ne­Maritime), puis comme pre­
mier ministre entre 2017 et 2020.
« En 2022, même dans un con­
texte international marqué par
plusieurs crises, Haropa Port a fait
mieux que résister », estime Sté­
phane Raison. Le volume du trafic
maritime a crû de 2 % (85,1 mil­
lions de tonnes), notamment
grâce aux céréales et au pétrole,
tandis que celui des conteneurs
(3,1 millions d’équivalents vingt
pieds) progressait légèrement, du
moins en nombre. En revanche, le
trafic fluvial a baissé de 6 %, péna­
lisé par le recul de l’activité du BTP.
L’établissement public a un pre­
mier objectif stratégique, réclamé
par l’Etat : décarboner les treize
zones industrialo­portuaires qui
s’égrènent, de la région parisienne
jusqu’au Havre. Cela passe par la
production de biogaz à partir de
déchets par Paprec sur le port de
Gennevilliers (Hauts­de­Seine), et
l’ouverture de stations multi­
énergies (gaz vert, hydrogène…)
alimentant barges et camions. A
Port­Jérôme, entre Rouen et
Le Havre, l’américain Eastman va
construire une importante usine
de production et de recyclage de
plastique, et Air liquide, une unité
de production d’hydrogène vert.
« Ouvrir des corridors »
Le second objectif d’Haropa est de
créer un corridor logistique
« multimodal » entre la région ca­
pitale et Le Havre, où le fluvial et
le ferroviaire (13,3 % des conte­
neurs écoulés seulement) pren­
draient des parts de marché au
transport routier, bien plus émet­
teur de CO2. M. Raison se félicite
du choix d’Ikea de tout transpor­
ter par la Seine depuis Le Havre. Et
surtout de la décision de l’italo­
suisse MSC, premier armateur
mondial, d’investir 700 millions
d’euros dans le port normand
pour accroître les capacités d’ac­
cueil et de stockage. Deux nou­
économie & entreprise | 17
Dans le nord
de l’Europe,
la domination
d’Anvers,
de Rotterdam
et d’Hambourg
est écrasante
veaux postes à quai ultramoder­
nes permettront d’augmenter le
trafic de conteneurs, tandis
qu’une « chatière » reliant Port
2000 au port ancien permettra
un meilleur transbordement des
conteneurs sur barges en 2025.
« Les gestionnaires des ports ont
compris que la bataille se gagnait
à terre, et la création d’Haropa est
logique, souligne Pierre Cariou,
professeur d’économie maritime
à la Kedge Business School. Il faut
ouvrir des corridors et offrir des
services aux armateurs et aux in­
dustriels jusqu’aux clients finaux.
Ces clients se trouvent à Paris pour
Haropa ; en Allemagne pour Rot­
terdam et Anvers, qui ont su déve­
lopper des corridors très puis­
sants », où barges et trains sont
plus sollicités. « Il y a, selon lui,
une logique marketing à dire aux
transporteurs et aux affréteurs :
vous voyez, au Havre, vous êtes
déjà à Paris. »
En créant Haropa Port, les pou­
voirs publics lui ont accordé une
enveloppe de 1,45 milliard d’euros
pour 2020­2027, qui offre un effet
de levier financier aux acteurs
privés. En 2022, ces derniers ont
investi 304 millions, et 251 mil­
lions sont venus du public. C’est le
prix minimum pour qu’Haropa
Port puisse regagner des parts de
marché sur les grands ports du
nord de l’Europe, où la domina­
tion d’Anvers, de Rotterdam et de
Hambourg est écrasante. Il y a de
la marge, la moitié des conte­
neurs destinés à la France transi­
tent par des ports étrangers.
L’Etat envisage de rééditer l’opé­
ration Haropa. « Il faut qu’on fasse
sur Marseille­Lyon ce qu’on a fait
sur Le Havre­Paris, a indiqué Em­
manuel Macron, le 10 décembre,
dans un entretien à La Provence.
L’idée est d’intégrer le transport de
marchandises et d’énergies, le tou­
risme et le développement indus­
triel. » Le chef de l’Etat pourrait
préciser ce projet très flou lors
d’un déplacement, en janvier ou
février, dans la cité phocéenne. Il
y dispose d’un bon relais : Chris­
tophe Castaner, son ex­ministre
de l’intérieur, parachuté prési­
dent du port de Marseille­Fos. p
jean­michel bezat
Xavier Niel fait un pas
de plus vers la télévision
L’homme d’affaires, fondateur de Free, serait
intéressé par la fréquence TNT de M6
M 6 doit­elle s’inquiéter
pour son avenir ? Tout
comme TF1, la chaîne
dirigée par Nicolas de Tavernost
avait jusqu’au lundi 16 janvier à la
mi­journée pour demander à
l’Autorité de régulation de la com­
munication audiovisuelle et nu­
mérique (Arcom, anciennement
CSA) de « disposer des modalités
de dépôt électronique du dossier
de candidature » au renouvelle­
ment de la fréquence qu’elle oc­
cupe sur la TNT.
Autrement dit, les deux premiè­
res chaînes privées avaient jusqu’à
cette date pour réclamer l’adresse
e­mail où transmettre, le 23 jan­
vier au plus tard, un dossier com­
plet en vue de poursuivre leur acti­
vité sur les canaux 1 et 6 au­delà du
5 mai, date de la fin de leur autori­
sation actuelle. Mais un troisième
homme s’est invité dans le proces­
sus : le fondateur de Free, Xavier
Niel (également actionnaire à titre
individuel du Monde), aurait, lui
aussi, manifesté son souhait de
disposer du fameux lien.
Cette initiative, que son entou­
rage refuse toutefois de confir­
mer, n’est qu’une demi­surprise.
Deux fois déjà, le patron de NJJ (la
holding personnelle du patron
d’Iliad) a vainement tenté de met­
tre la main sur M6. Une première
fois, TF1 avait été choisie par Ber­
telsmann (propriétaire de 48,3 %
de la société qui détient le groupe
M6, RTL Group) pour fusionner.
Quand, mi­septembre 2022, les
deux futurs mariés ont renoncé à
convoler et que M6 a prestement
été remise en vente, Xavier Niel a
de nouveau tenté sa chance. Le
vendeur avait finalement renoncé
à se séparer de sa chaîne. Toute­
fois, l’homme d’affaires n’a pas ab­
diqué, et, le 30 novembre, le vice­
MÉDIAS
Plan social à « La Voix
du Nord » ciblé sur
les plus de 57 ans
La direction de La Voix du
Nord a annoncé, lundi 16 jan­
vier, aux salariés du quoti­
dien régional la suppression
de 105 postes et la création
de 50 nouveaux, ce qui repré­
sente une coupe de 55 em­
plois sur 580 salariés (dont
310 journalistes), ont indiqué
LES CHIFFRES
85,1 MILLIONS
C’est, en tonnes, le trafic mari-
time d’Haropa Port en 2022, soit
une hausse de 2 % par rapport
à l’année précédente. A compa-
rer aux 487 millions de tonnes
du port de Rotterdam (en 2021).
Le trafic fluvial s’est élevé à
21 millions de tonnes, en recul
de 6 % par rapport à 2021.
555 MILLIONS
C’est, en euros, le montant de
l’investissement dans les infras-
tructures d’Haropa Port en 2022,
dont 251 millions issus du public
et 304 millions venus d’investis-
seurs privés.
+ 12 %
C’est la hausse du trafic céréalier
en 2022, portée par les consé-
quences de la guerre en Ukraine
et qui confirme Rouen comme
premier port d’exportations de
céréales d’Europe de l’Ouest.
président d’Iliad, Maxime Lom­
bardini, et l’avocat François Su­
reau sont allés demander à
l’Arcom de desserrer le calendrier
afin d’avoir le temps de ficeler un
projet de chaîne alternatif à celui
de M6. Ce dont l’autorité, qui a fixé
la date de remise des dossiers au
23 janvier et non mi­février
comme l’espéraient les deux hom­
mes, n’a pas semblé tenir compte.
« Renforcer » les investissements
Esquissé à grands traits ce jour­là,
le projet de Xavier Niel, s’il devait
effectivement être soumis à l’Ar­
com, devrait se montrer mieux­di­
sant en matière de fictions – M6
produit peu de téléfilms de pre­
mière partie de soirée –, de docu­
mentaires ou d’informations que
la chaîne. Ces dernières semaines,
des représentants de l’homme
d’affaires ont rencontré des ac­
teurs du secteur, syndicats et orga­
nisations professionnelles, afin de
faire valoir leurs ambitions.
Dans un entretien au Figaro mi­
décembre, Nicolas de Tavernost
annonçait opportunément vou­
loir « renforcer » les investisse­
ments de la chaîne « dans les pro­
grammes et la production », et
« étudier la possibilité d’un feuille­
ton quotidien » (en 2008, une pre­
mière tentative de ce type, Pas de
secret entre nous, n’avait tenu que
quelques semaines).
Une fois qu’elle aura récep­
tionné les dossiers, l’Arcom dira
quelles candidatures, au regard
des critères fixés par la loi, lui pa­
raissent recevables. Elle mènera
des auditions publiques courant
février, puis les deux candidats re­
tenus auront deux mois pour
peaufiner leurs nouvelles
conventions. p
aude dassonville
les syndicats du journal dans
un communiqué publié
mardi 17 janvier. Le plan
social « cible principalement
les salariés nés juqu’en 1965 »,
précisent les représentants
du personnel. Des négocia­
tions, dont la date butoir
est fixée au 14 avril, doivent
se tenir avec la direction. Un
précédent plan avait abouti,
en 2017, à 132 départs volon­
taires. – (AFP.)
 0123
18 | économie & entreprise MERCREDI 18 JANVIER 2023

S
uis­je en train de com­
mettre une erreur ? »
Neuf mois après, Ar­
thur Sadoun, le prési­
dent du directoire de
Publicis, avoue avoir
été saisi par le doute au moment
de publier en ligne, le 7 avril 2022,
après la clôture de la Bourse, un
message vidéo très personnel à
l’intention des 96 000 collabora­
teurs du troisième groupe mon­
dial de communication.
Blême, le cou rayé d’une longue
cicatrice, le dirigeant de 50 ans y
révèle qu’il a été opéré
quinze jours auparavant d’une
« petite tumeur qui s’est avérée can­
céreuse », et qu’il va subir un « trai­
tement de suivi ». Deux minutes
vertigineuses, pour M. Sadoun au
premier chef, mais aussi pour le
capitalisme français : jamais
aucun patron du CAC 40 n’avait
admis publiquement qu’il souf­
frait d’un cancer. Une omerta qui
contraste avec la relative transpa­
rence ailleurs dans le monde.
De Warren Buffett, le légendaire
investisseur, à Lloyd Blankfein
(Goldman Sachs), plusieurs figu­
res de Wall Street ont révélé ces
dernières années être traitées
pour un cancer. Quand, en 2014,
Jamie Dimon, le PDG de J.P. Mor­
gan, s’est découvert un cancer de
la gorge en se rasant, la banque
américaine précisait même dans
quel hôpital il serait soigné. Rien,
pourtant, dans le règlement de la
Securities and Exchange Com­
mission n’oblige les entreprises
cotées à divulguer le bulletin de
santé de leurs dirigeants­clés, sauf
à ce que cette information soit
susceptible d’influencer l’activité.
Affaire de génération ? Les jeu­
nes pousses tricolores semblent
PLEIN CADRE
s’affranchir davantage du culte du
secret. Laurent Perrin, cofonda­
teur de Front, une plate­forme de
communication pour les entre­
prises, n’a pas hésité lorsqu’il s’est
vu détecter en 2016, à 35 ans, un
Le cancer au travail : des parcours patients du centre
contre le cancer Gustave­Roussy
(Villejuif). Or « quand vous repre­
nez après un cancer, vous n’êtes
cancer au testicule. « A l’époque,
nous étions une vingtaine dans
l’entreprise, justifie le polytechni­
cien. C’était impossible de dispa­
raître sans explication. Le jour
se taire ou en parler ? pas à 100 %. Vous avez des pertes
de mémoire, de la fatigue, de la
peine à vous concentrer. Il faut un
écosystème à l’écoute et un accom­
pagnement », rappelle Valérie
même du diagnostic, nous avons
averti les salariés. » Quant à Octave
Le PDG de Publicis, Arthur Sadoun, qui a annoncé sa maladie Raoul­Desprez, directrice finan­
cière de Dassault Systèmes.
Klaba, le fondateur français d’ori­
gine polonaise de l’hébergeur
en 2022, devait présenter à Davos, mardi, une plate­forme où Cachez ce cancer du sein qu’on
ne saurait voir, lui avait conseillé
OVHcloud, il avait révélé avoir été
soigné d’un lymphome en 2012.
les entreprises exposeront leurs engagements envers leurs salariés le spécialiste qui l’a prise en charge
en octobre 2018 : « Toutes les fem­
mes de votre niveau qui ont révélé
CRAINTES POUR LA CARRIÈRE leur maladie ont terminé au pla­
« Le cancer reste trop souvent la card », la prévient­il. « Pour moi,
maladie innommable, au sens pre­ conte­t­il. « J’ai subi des traite­ un club d’entreprises consacré à la pas développer des modèles de Publicis avec le soutien de trois c’était inconcevable. J’en ai parlé et
mier, celle qui suscite la peur et le ments lourds. Je n’ai jamais arrêté réflexion sur le cancer au travail. Et super­patients, par opposition à centres anticancer majeurs, sur j’ai continué à travailler. Je calais
rejet, souligne la psychiatre Sarah de travailler. Mon bureau s’était les hauts gradés, ceux qui de­ d’autres qui seraient perçus comme laquelle les entreprises « pourront mes chimios le vendredi pour récu­
Dauchy. Comme ceux qui guéris­ transformé en hôpital. Je l’avoue, vraient montrer la voie, ne sont faibles, prévient la docteure Dau­ exposer leurs engagements à des­ pérer le week­end. J’étais lessivée.
sent n’en parlent pas, on n’apprend l’assemblée générale du 25 juin a pas les moins réticents. chy. Certains veulent continuer à tination de leurs salariés atteints Avec l’hormonothérapie, c’est plus
le cancer que quand quelqu’un en été une épreuve », poursuit­il. « Ça « Quand on dit cancer, on pense travailler, d’autres ont besoin de de cancer ». Garantir leur emploi de six ans de galère. » Au siège de
meurt. Plus nombreuses seront les m’a ouvert les yeux sur la réalité du que vous êtes cuit. Mon oncologue s’arrêter. C’est lié à la lourdeur de la et leur salaire de base pendant un Dassault Systèmes, à Vélizy­Villa­
personnes qui en parleront cancer au travail. », conclut­il. m’avait dit de ne pas prononcer le pathologie et des traitements, aux an, leur offrir un accompagne­ coublay (Yvelines), elle a laissé son
comme d’une maladie grave, cer­ Après sa vidéo, le patron a reçu mot, témoigne un cadre dirigeant, systèmes sociaux ou financiers, à la ment personnalisé, c’est ce que numéro de portable à la médecine
tes, mais d’une pathologie comme des milliers de messages en pro­ qui était à la tête d’une filiale au position personnelle. » Mais tous promet, par exemple, Publicis. du travail, au cas où : « En deux ans,
une autre, plus les représentations venance du monde entier. sein d’un groupe familial quand il ceux qui ont été déclarés en rémis­ cinq femmes m’ont appelée. »
associées se diversifieront. » « C’était une avalanche. Les gens a fait face à la maladie. J’ai voulu sion savent qu’il y a un grand vide L’ENJEU DU RETOUR La chaîne de solidarité d’an­
Le dire ou ne pas le dire ? Arthur me remerciaient, me racontaient être transparent, et je me suis re­ quand le parcours du combattant « Il est temps de faire tomber le ta­ ciens malades, dont des PDG,
Sadoun a bien pesé le pour et le leur propre histoire, leurs question­ trouvé face à la froideur inhumaine est terminé. bou du cancer au travail », de­ peut­elle faire une différence ?
contre : « Je ne pouvais pas prêcher nements : “est­ce que je vais survi­ de mon patron, à un moment où « Quand votre bilan est enfin po­ mande le patron du groupe de « Les entreprises ne peuvent plus
la transparence auprès de nos vre”, bien sûr, mais tout de suite j’étais forcément secoué. » Le quin­ sitif, votre cœur bat très fort mais communication. Baptisée « Wor­ être le lieu où l’on fait seulement
clients et ne pas me l’imposer à après, “est­ce que je vais perdre quagénaire veut conserver l’ano­ vous regardez à gauche, à droite, il king with cancer », cette coalition fructifier les apports financiers, af­
moi­même », tranche l’homme de mon job ?” Ce sentiment d’insécu­ nymat, car il a signé une transac­ n’y a plus personne pour vous, ni à comprend déjà de très grands firme Anne Yannic, coach de diri­
pub. Même si, à quatre mois du rité professionnelle m’est apparu tion imposant la confidentialité l’hôpital ni au boulot », témoigne employeurs, comme Carrefour, geants. Au moment où le phéno­
renouvellement de son mandat à comme une profonde injustice. » quand il a quitté cet employeur. Jean­Baptiste Escudier, directeur Sodexo ou l’enseigne américaine mène de grande démission inter­
la tête de Publicis, cela revenait à Le constat est sévère : par crainte adjoint à la caisse d’assurance­re­ de grande distribution Walmart roge sur le rapport au travail, c’est
« exposer [sa] vulnérabilité dans d’être stigmatisé ou freiné dans sa « BESOIN D’ACCOMPAGNEMENT » traite et de la santé au travail des et ses 2,3 millions de collabora­ l’occasion de prouver qu’elles pren­
un monde des affaires où il ne fait carrière, un salarié français sur D’autres se sont exposés sans re­ Hauts­de­France, qui sort à peine teurs. « J’ai envoyé un mail à Doug nent au sérieux leur responsabilité
pas bon montrer ses faiblesses ». deux atteint d’un cancer préfère gret. Forte d’une panoplie de per­ d’un an de lutte contre un cancer McMillon [PDG de Walmart], il sociétale, et de démontrer la va­
« La plupart des gens ont cherché à ne pas en parler à son employeur, ruques de plusieurs couleurs, Fa­ très avancé du rhinopharynx. m’a répondu dans la minute », dit leur des liens sociaux qu’elles con­
me dissuader, confesse­t­il, sauf selon une étude de Cancer@Work, bienne Lecorvaisier, directrice gé­ « Les patients sont lâchés dans la M. Sadoun. tribuent à créer. »
mon épouse, Maurice Lévy [prési­ nérale adjointe d’Air liquide, avait nature, et les entreprises ne sont Si le tampon d’un distributeur Il y a quinze ans, elle­même avait
dent du conseil de surveillance de pris le parti, il y a dix ans, de ne pas pas armées pour les aider, consta­ connu pour la dureté de ses rela­ choisi de ne pas révéler un cancer
Publicis] et deux amis très proches occulter son cancer du sein. « Je n’ai te­t­il. L’assistante sociale ou la tions sociales n’apparaît pas du sein lorsqu’elle avait rejoint le
qui m’ont également encouragé. » « L’important, pas été pénalisée, mais il est vrai médecine du travail ne suffisent comme un gage évident de bonne Club Med pour diriger ses activités
« Je me suis fait violence, mais, que j’étais au comité exécutif depuis pas toujours. Un dispositif plus foi, le promoteur de ce mouve­ en France, en Belgique et en
quand on dirige une entreprise
pour les patients, cinq ans et que j’ai assuré la quasi­ large d’accompagnement, du type ment reste convaincu : « C’est très Suisse. « J’ai commencé la radiothé­
aussi incarnée que Publicis, l’in­ n’est pas juste totalité des publications financiè­ Sophia, que propose l’Assurance­ contraignant de s’engager ainsi. A rapie le jour de mon arrivée, racon­
time devient public », professe le res », affirme­t­elle. A quel prix ? « Il maladie pour le diabète et l’heure des réseaux sociaux, si ces te­t­elle. C’était impossible dans le
mari d’Anne­Sophie Lapix, la pré­
de se dévoiler, m’est arrivé d’assister au conseil l’asthme, me semble nécessaire. » promesses ne sont pas respectées, contexte d’une prise de poste de dé­
sentatrice vedette du journal télé­ mais d’être d’administration et de vomir pen­ M. Sadoun estime que les entre­ cela se sait très vite. » voiler ma situation. La maladie
visé de France 2, alors que son ob­ dant la pause », dit­elle. « Mes colla­ prises aussi ont un rôle à jouer. L’enjeu est notamment celui du change le regard des autres, qui
session jusque­là était, au con­
acceptés, avec borateurs m’ont soutenue et je leur Mardi 17 janvier, en ouverture du retour au travail. « L’important vous voient faible. » Aujourd’hui,
traire, de protéger sa vie privée. leurs douleurs et en suis très reconnaissante. Cer­ Forum économique mondial, à pour les patients, ce n’est pas juste agirait­elle autrement ? « Si c’était
Chimio et radiothérapie ont pris tains m’ont certifié que ma coupe Davos (Suisse), dont Publicis est le de pouvoir se dévoiler, mais d’être à refaire, je continuerais à ne rien
fin en juin 2022. « J’ai eu beaucoup
leurs limitations » “GI” m’allait bien, alors que c’était grand ordonnateur, le Français acceptés, avec leurs douleurs et dire. Il faut un sentiment de sécu­
de chance, la tumeur a été détectée FLORIAN SCOTTÉ atroce », sourit­elle aujourd’hui. devait présenter aux PDG les plus leurs limites », souligne Florian rité. Toutes les organisations ne
très tôt, avec un très bon pronostic, dirigeant de département au Evidemment, chacun vit son puissants de la planète une plate­ Scotté, qui dirige le département sont pas prêtes. » p
mais tout ça a été très difficile », ra­ centre Gustave-Roussy cancer à sa façon. « Attention à ne forme, créée par la Fondation interdisciplinaire d’organisation isabelle chaperon
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
Gina
Lollobrigida
Actrice italienne
N
ée le 4 juillet 1927 à Su­
biaco, dans le Latium
(Italie), Luigia Lollo­
brigida, morte à Rome
lundi 16 janvier, à l’âge de 95 ans,
fut remarquée par le milieu ciné­
matographique dans un roman­
photo. Elle y posait sous le pseu­
donyme de Diana Loris, alors
qu’elle poursuivait des études aux
Beaux­Arts et participait à des
concours de beauté (en 1947, elle
termine deuxième au concours
de Miss Rome et troisième à celui
de Miss Italie derrière Lucia Bose
et Gianna Maria Canale).
Durant des années, sa présence
à l’écran, dans des rôles secondai­
res, n’est dictée que par ses atouts
physiques, sa beauté volup­
tueuse. Elle partage avec Silvana
Mangano l’honneur de susciter
les fantasmes érotiques des spec­
tateurs italiens de l’après­guerre.
Il se dit dans la Péninsule que
Gina est « la meilleure chose qui
soit arrivée depuis l’invention des
spaghettis ».
En 1952, dans un film à sketches
d’Alessandro Blasetti, Heureuse
époque, elle incarne une sédui­
sante criminelle qui, le jour de
son procès, use d’un argument
déloyal (aux yeux de la justice)
pour impressionner ses juges :
une robe s’ouvrant en losange
sous le col, comme si le tissu avait
éclaté, dévoilant un corset blanc
délicieusement rempli.
Mais tout se régule. En décem­
bre 1953, on pouvait lire ceci dans
les Cahiers du cinéma (n° 30) : « La
charmante Gina Lollobrigida a été
lancée par la gorge. Une gorge gé­
néreuse en vérité et faite d’une ma­
tière à la fois marmoréenne et
transparente qui fascine le regard
et énerve la main. Ceux qui ont vu
“La Marchande d’amour”, de Ma­
rio Soldati, adapté de “La Provin­
ciale”, d’Alberto Moravia, savent
maintenant que Gina ne dispose
pas seulement d’une gorge, d’un
nombril et d’une très belle chute de
Frene Ginwala
Première présidente du Parlement sud­africain
L
e plus grand rôle de sa vie,
Frene Ginwala n’en vou­
lait pas. Après quatre dé­
cennies à lutter contre le
régime raciste de l’apartheid au
sein du Congrès national africain
(ANC), cette juriste d’origine in­
dienne devient, en 1994, la pre­
mière présidente du Parlement
sud­africain dans un pays qui dé­
couvre la démocratie.
Elle se serait bien imaginée sim­
ple députée. Mais Nelson Man­
dela, qui voit en elle la candidate
idéale pour guider les parlemen­
taires novices, ne lui laisse guère
le choix, après avoir convaincu les
poids lourds de son parti de la
soutenir. Après la mort de Frene
Ginwala, le 12 janvier, à 90 ans, le
président sud­africain, Cyril Ra­
maphosa, a regretté la disparition
« d’un autre géant » parmi les lea­
ders de la lutte de libération de
l’Afrique du Sud.
Née en 1932 à Johannesburg au
sein d’une famille aisée d’origine
indienne, installée en Afrique du
Sud depuis la fin du XIXe siècle,
reins, mais aussi d’un très sûr et
très sensible talent de comé­
dienne. »
Entre­temps, elle a épousé un
médecin, Milko Skofic, qui est de­
venu son agent. Elle a également
accédé aux premiers rôles, dans
Fanfan la Tulipe, réalisé par Chris­
tian Jaque (1952) et Les Belles de
nuit, de René Clair (1952), tous
deux aux côtés de Gérard Philipe,
alors au faîte de sa gloire. Un re­
gain de carrière qu’elle poursuit
dans La Belle Romaine, de Luigi
Zampa (rédemption d’une prosti­
tuée sous Mussolini, 1954), Notre­
Dame de Paris, de Jean Delannoy
(Esmeralda, femme fatale en robe
rouge, 1956), Pain, amour et fan­
taisie puis Pain, amour et jalousie,
de Luigi Comencini (piquante
bersaglière, en 1953 et 1954, aux
côtés de Vittorio de Sica), Le Grand
Jeu, de Robert Siodmak (un dou­
ble rôle de maîtresse et de prosti­
tuée dans un bordel tenu par Ar­
letty, 1954).
Survient l’épisode hollywoo­
dien. Amateur compulsif de bus­
tes canons, le producteur Howard
Hughes la voit sur une photo en
bikini, envoie un émissaire lui
faire signer un contrat. Et la sé­
questre plusieurs mois dans une
chambre de l’Hôtel Town House
sur Wilshire Boulevard, à Los An­
geles. Un gorille posté devant sa
porte a ordre de l’empêcher de
sortir. Parfois, Howard Hughes
survient à 2 heures du matin,
l’emmène au restaurant de l’hôtel
où il a fait venir un orchestre, et
l’entraîne sur la piste de danse.
Elle réussit à plier bagage, mais
aligne quelques films américains.
Jalouse de Sophia Loren
On la voit avec Humphrey Bogart
(Plus fort que le diable, de John
Huston, 1953), avec Burt Lancaster
(Trapèze, de Carol Reed, 1956),
avec Yul Brynner (Salomon et la
reine de Saba, de King Vidor, pé­
plum kitsch pour une espionne
Frene Ginwala est confrontée très
jeune aux injustices.
Sous domination des descen­
dants de colons britanniques,
l’Union sud­africaine pratique
déjà la ségrégation, qui deviendra
systématique sous le régime de
l’apartheid, après la victoire du
parti nationaliste afrikaner aux
élections de 1948.
« Savoir pourquoi »
« Je voulais faire du manège, mais
on n’avait pas le droit. J’étais une
enfant curieuse, j’ai toujours
voulu savoir pourquoi », confie­t­
elle dans une série de portraits
consacrée aux figures marquan­
tes de l’Afrique du Sud. Quelques
années plus tard, elle ira ainsi de­
mander des comptes au princi­
pal d’une école réservée aux
Blancs, dans laquelle elle ne peut
être admise.
Dans les années 1950, la jeune
fille de bonne famille décroche
son diplôme de droit à Londres.
Elle aurait pu poursuivre sa car­
rière à l’étranger ou rejoindre ses
envoyée ensorceler le roi d’Israël,
1959), avec Rock Hudson (Le Ren­
dez­vous de septembre, de Robert
Mulligan, 1961).
Contrariée par l’essor de sa com­
patriote Sophia Loren, Gina Lollo­
brigida voit sa carrière marquer le
pas. « Elle joue les paysannes, moi
les dames », lâche­t­elle, mauvaise
joueuse. Un nouveau film à sket­
ches lui vaut une condamnation à
deux mois de prison en 1966,
heureusement amnistiée, pour
attentat à la pudeur dans Les Pou­
pées, à cause de tenues osées.
En 1968, elle fait un bref numéro
d’autodérision dans La Marine en
parents, qui s’installent au Mo­
zambique. Mais Frene Ginwala re­
tourne en Afrique du Sud, où elle
jouit d’à peine plus de droits que
les Africains, conformément à la
hiérarchie raciale dictée par les
nationalistes afrikaners. Elle re­
joint alors le Congrès national
africain. Le mouvement s’ouvre
tout juste aux femmes mais leur
réserve encore, généralement,
des rôles subalternes. A l’inverse,
Frene Ginwala va rapidement de­
venir une figure de poids.
En 1960, la jeune intellectuelle
fuit le pays après le massacre de
Sharpeville, au cours duquel des
centaines de Noirs manifestant
contre les lois qui interdisent à la
population de se déplacer libre­
ment sont tués par les forces de
l’ordre. L’ANC est interdit dans la
foulée. Ses membres sont con­
traints à la clandestinité ou l’exil.
Installée dans ce qui deviendra
la Tanzanie, Frene Ginwala, qui
dispose de solides contacts en
Afrique australe et en Afrique de
l’Est, est chargée de superviser
4 JUILLET 1927 Naissance
à Subiaco (Italie)
1952 « Fanfan la Tulipe »
1956 « Notre-Dame de Paris »
1969 « Ce merveilleux
automne »
1995 « Les Cent
et Une Nuits »
16 JANVIER 2023 Mort
à Rome
l’exfiltration des grands noms du
mouvement. Expulsée de Tanza­
nie en 1967, elle revient par la
suite dans le pays et y devient
journaliste notamment. Elle crée
un mensuel, puis prend la tête du
quotidien tanzanien The Stan­
dard, à la demande du président
tanzanien Julius Nyerere. En pa­
rallèle, elle contribue à divers
journaux britanniques. Dans les
années 1970 et 1980, elle est l’une
des grandes voix de l’ANC à
l’étranger, et notamment au
Royaume­Uni, où elle devient
porte­parole du mouvement.
Elaboration de la Constitution
Elle revient en Afrique du Sud
après la levée de l’interdiction de
l’ANC, en 1990. En 1991, le gouver­
nement abolit les dernières lois
de l’apartheid et Frene Ginwala
participe aux négociations vers la
transition démocratique sud­afri­
caine sans s’imaginer de rôle de
premier plan. Mais au lendemain
des premières élections libres,
en 1994, Nelson Mandela insiste
disparitions | 19
A Munich (Allemagne), en 1954. HERBERT LIST/MAGNUM PHOTOS
folie, de Franck Tashlin, pour se
moquer de son image de brune
volcanique.
Dans Ce merveilleux automne,
de Mauro Bolognini (1969), et Roi,
dame, valet, de Jerzy Skolimovski
(1972), elle campe joliment des
tantes matures ensorcelant leurs
jeunes neveux. Puis fait une brève
apparition dans Les Aventures de
Pinocchio, serie télévisée de Luigi
Comencini : elle y interprète une
revêche fée Turquoise. Puis se
consacre à sa passion pour la pho­
tographie.
Gina Lollobrigida aura interprété
plusieurs fois son propre rôle,
pour la voir prendre la présidence
du Parlement, qu’elle gardera dix
ans. Sa mission : s’inventer un
rôle, dans la continuité de la tran­
sition pacifique.
L’une de ses premières initiati­
ves est de placer l’opposition,
dont une partie est directement
issue du régime précédent, sur les
bancs du premier rang de l’As­
semblée, afin de montrer à tous
qu’elle aussi fait partie de la nou­
velle Afrique du Sud. Frene
Ginwala imprime également sa
marque sur l’élaboration de la
nouvelle Constitution sud­afri­
caine, considérée comme l’une
des plus progressistes au monde,
en défendant notamment la place
des femmes dans le texte.
A la tête du Parlement d’Afrique
du Sud, elle est confrontée à la
première grande affaire de cor­
ruption post­apartheid, liée à des
contrats d’armements massifs, à
la fin des années 1990. Certains
l’accusent alors de faire obstruc­
tion au comité parlementaire qui
enquête sur l’affaire et de placer
dans Boum sur Paris, de Maurice
de Canonge (1954), et dans Box­Of­
fice 3D, d’Ezio Greggio (2011), le pre­
mier film italien tourné en 3D. Elle
incarne la fée du cinéma dans Les
Cent et Une Nuits, d’Agnès Varda
(1995), perruque rose et pulsions
très star system. Nommée ambas­
sadrice de bonne volonté en 1999
par l’Organisation des nations
unies pour l’alimentation et l’agri­
culture, elle s’était présentée la
même année aux élections euro­
péennes en numéro 2 de la liste
d’Antonio Di Pietro, l’ex­magistrat
anticorruption, sans être élue. p
jean­luc douin
25 AVRIL 1932 Naissance
à Johannesburg, capitale
économique sud-africaine
1960 Contrainte à l’exil,
elle s’installe notamment
en Tanzanie
1990 Retour en Afrique
du Sud après la levée
de l’interdiction de l’ANC
1994 Devient présidente
du Parlement de l’Afrique
du Sud démocratique
2004 Se retire de la vie
politique
12 JANVIER 2023 Mort
à Johannesburg
les intérêts de l’ANC devant ceux
du pays, ce qu’elle dément.
En 2013, sa voix s’étrangle lors­
qu’elle évoque, dans un discours,
la violence, les inégalités et la cor­
ruption qui submergent l’Afrique
du Sud. « Qu’est­il arrivé aux va­
leurs défendues par l’ANC ? », de­
mande­t­elle, en implorant le
mouvement de reconnaître ses
erreurs et de les corriger.
Dix ans plus tard, alors que le
pays, privé d’électricité jusqu’à
dix heures par jour, s’enfonce
dans la crise, la question hante
plus que jamais les Sud­Afri­
cains. p
mathilde boussion
(johannesburg,
correspondance)
20 | horizons
O « Mon père voulait juste
n invoquera probablement
le manque de chance.
Se faire diagnostiquer un
cholangiocarcinome intra­
hépatique – en langage
courant, un cancer des
voies biliaires –, maladie très rare, incurable,
à quelques semaines du confinement, le
timing était mauvais, on ne va pas préten­
dre le contraire.
Janvier 2020. Mon père, 75 ans, me
demande les coordonnés d’un gastro­entéro­
logue de ma connaissance, me confiant avoir
« un peu mal au ventre ». Consultation, batte­
rie d’examens, puis silence radio. Le verdict
tombé, il décide de ne rien dire du mal qui
le ronge. Lorsque Emmanuel Macron décrète
le confinement, le 16 mars, je prends prétexte
de la situation pour le contraindre à me
parler : il m’avoue le cancer, la présence d’une
tumeur de 10 centimètres dans son foie,
l’opération programmée.
Il était temps : il est attendu le surlende­
main à l’hôpital Paul­Brousse de Villejuif
(Val­de­Marne), pour ce que le chirurgien
appelle une « intervention risquée ». Puisque
je suis désormais dans la confidence, mon
père me demande de bien vouloir signer les
formulaires me désignant « personne de
confiance ». C’est à moi, désormais, que le
personnel médical s’adressera, c’est moi qui
serai chargée d’attester de ses directives
anticipées en cas de décès.
J’encaisse la charge. Il se sait condamné,
mais m’assure que tout va bien se passer,
qu’il va se battre. Alors je lui dis la même
chose en retour : « Tout va bien se passer, tu
vas te battre et nous serons à tes côtés. » Il me
fait promettre de ne parler à personne de la
gravité de sa maladie. J’insiste pour qu’il
prévienne au moins mon frère et ma mère.
Nous nous quittons sans savoir quand nous
allons nous revoir – à cause de l’épidémie de
Covid­19, l’hôpital est interdit aux visites, y
compris aux familles des patients.
LE MÉDECIN SANS VISAGE
C’est par téléphone que je prends connais­
sance du compte rendu opératoire, un bilan
en demi­teinte : l’intervention s’est bien pas­
sée (comprendre : il n’y a pas eu de complica­
tions), mais le chirurgien n’est pas parvenu à
enlever la totalité de la tumeur – « trop dange­
reux » –, le cancer est jugé « très agressif ».
Pendant les huit jours qui suivent l’opéra­
tion, mon père, comme des milliers de mala­
des, reste seul, sans visites dans sa chambre
d’hôpital. Passons sur l’épisode où sa valise
avec ses effets personnels a été perdue pen­
dant vingt­quatre heures, le plongeant dans
un état de stress phénoménal…
Dès sa sortie, ou presque, il enchaîne les
traitements avec une résistance et un cou­
rage sidérants. A chaque consultation, je l’ac­
compagne pour faire le point avec l’oncolo­
gue. Les premiers mois se déroulent plutôt
bien. La maladie ne progresse pas, il supporte
mourir dignement »
Vanessa Schneider, grande reporter au « Monde », raconte les derniers mois
de la vie de son père, l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider, mort
d’un cancer, en juillet 2022. A l’heure où la question de la fin de vie fait débat,
ce récit en dit long sur la faillite de la prise en charge de patients condamnés
la médication, on peut continuer. Mais au fil
du temps, les nouvelles sont moins bonnes.
Printemps 2021. Nouveau rendez­vous.
L’oncologue nous explique que les images
montrent une prolifération des tumeurs.
La chimiothérapie ne sert plus à rien.
Comme à chaque fois, il est pressé, les pa­
tients se succèdent tous les quarts d’heure
dans son bureau, une pièce sans fenêtre
dont la peinture s’écaille. L’endroit est sinis­
tre : une table, un ordinateur, des dossiers
entassés et deux chaises en plastique sur
lesquelles nous sommes assis.
De ce médecin, je n’ai jamais vu le visage,
mangé par des lunettes et un masque chirur­
gical. Seule une voix dotée d’un fort accent,
celle d’un médecin étranger probablement,
comme j’en ai croisé beaucoup durant ces
années d’accompagnement, main­d’œuvre
importée, la seule à accepter de travailler
dans de telles conditions. Tout est résumé
dans cette pièce : le manque de moyens, la
déréliction de l’hôpital public, l’impuissance.
L’oncologue ne nous regarde pas pendant
qu’il annonce la mauvaise nouvelle. Ses
yeux sont rivés sur l’écran de son ordinateur.
Sa voix couvre à peine les grondements
incessants d’un marteau­piqueur qui fait
trembler les murs. Des travaux ont lieu en
sous­sol pour accueillir un imageur IRM ; il
n’y en a pas encore dans ce service supposé
de pointe. Le docteur fait le bilan tant
redouté : son patient s’est battu comme un
lion, mais il n’y a désormais plus rien à faire.
Mais mon père ne veut pas qu’on le laisse
mourir. Il se sent bien, il exige d’être soigné,
il supplie : « Trouvez quelque chose ! » L’onco­
logue lui assure finalement qu’il va parler de
son cas au collègue de l’hôpital voisin,
Gustave­Roussy, qui expérimente de nouvel­
les techniques, mais il ne promet « rien ».
Je raccompagne mon père chez lui. Il est à la
fois assommé et très angoissé : « Il est hors de
question que je souffre, emmène­moi en
Suisse. » Je lui réponds que ce n’est pas le
moment de parler de ça, il est sous le choc
(moi aussi), il faut digérer la nouvelle. De la
Suisse, il ne sera plus question car, quelques
jours plus tard, l’oncologue de Gustave­
Roussy accepte de le prendre dans son proto­
cole expérimental tout en continuant à le
faire suivre à Paul­Brousse. L’entêtement de
mon père lui a offert une année supplémen­
taire durant laquelle il sera soigné.
30 mai 2022. Malgré cette ultime tenta­
tive de soin, son état physique s’est considé­
J’INSISTE, PUISQUE  rablement dégradé. Il tient à peine debout, il
LE MÉDECIN EST  a perdu l’appétit, parfois la mémoire, et son
corps est épuisé. « Et maintenant ? »,
DÉJÀ DEBOUT  demande mon père alors que l’oncologue qui
le suit depuis maintenant plus de deux ans
POUR NOUS DIRE  lui annonce l’arrêt de tout traitement. « Eh
bien, vous allez rentrer chez vous. » Je serre sa
AU REVOIR :  main amaigrie. Il a tenu des mois sans se
« ET MAINTENANT,  plaindre, sans raconter, cachant sa maladie
au plus grand nombre, continuant à tra­
ON FAIT QUOI ? »  vailler, à voyager, à écrire et à lire, à partager
du temps avec ses proches, joyeux et
ET C’EST LÀ  confiant. Mais ce jour­là, quand tombe la
QUE LA FOLIE  phrase : « Il n’y a vraiment plus rien à faire », il
s’affaisse d’un coup sur la chaise en plastique.
COMMENCE Pour qu’il comprenne bien, le docteur fait
pivoter l’écran de son ordinateur, montre
l’évolution des images, le foie complètement
atteint. Il rappelle la chronologie des soins :
l’ablation de la tumeur, puis les douze séan­
ces de chimiothérapie, la rechute, les essais
d’immunothérapie, le traitement expéri­
mental de chimiothérapie injectée directe­
ment dans le foie. Mon père détient le record
de séances de chimio de Paul­Brousse, et
cette « performance » lui arrache un sourire.
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
L’oncologue explique ce qu’il va se passer
dans les jours et les semaines à venir : une
jaunisse va probablement se déclarer, les
organes vont lâcher les uns après les autres,
les atteintes neuronales vont se multiplier. Il
me glisse : « Il ne passera pas l’été. »
J’insiste, puisqu’il est déjà debout pour
nous dire au revoir : « Et maintenant, on fait
quoi ? » Et c’est là, à cet instant précis, que la
folie commence.
ON BRICOLE, SANS AIDE EXTÉRIEURE
« Il rentre chez lui », répète le médecin.
Comme ça, sans rien, ni médicaments ni
soins à domicile ? Mon père ne peut quasi­
ment plus se lever ni marcher sans aide, il
dort presque toute la journée, il a perdu
énormément de poids, son ventre est gonflé
par l’eau car les reins ne font plus leur travail,
il manifeste des signes de confusion,
s’emmêle dans les jours et les dates. L’onco­
logue finit par proposer une consultation par
téléphone quinze jours plus tard. « En cas de
problème, appelez les urgences. »
Autant sa maladie a été admirablement trai­
tée, autant sa fin de vie aura été honteuse­
ment négligée. Lui voulait juste mourir digne­
ment, et cela n’a pas été le cas. Le retour chez
lui après l’arrêt des traitements se révèle vite
intenable. Un ami médecin me conseille de
chercher d’urgence une unité de soins pallia­
tifs ou bien la mise en place d’un accompagne­
ment à domicile. Le parcours du combattant
commence. Comme il veut rester chez lui, je
sollicite des associations spécialisées. Des
heures au téléphone à attendre que quelqu’un
décroche. On me balade gentiment de struc­
ture en structure. Fin de non­recevoir polie à
chaque fois. On m’explique que son appar­
tement n’est pas adapté aux soins à domicile :
il ne comporte pas de douche, seulement une
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
baignoire, et la cuisine est à l’étage, personne
n’acceptera de s’occuper de lui dans ces condi­
tions. Surtout, il ne souffre pas, et il faut souf­
frir pour être éligible aux soins à domicile :
les traitements antidouleur ne peuvent en ef­
fet être administrés sans une surveillance mé­
dicale, mais puisqu’il n’a pas si mal…
Je réclame à l’hôpital au moins une visite
régulière d’un médecin ou d’une infirmière :
on me répond « sous­effectifs » en me ren­
voyant sur son médecin traitant, qui refuse
sèchement : il ne se déplace pas, pas le temps.
Il n’aura jamais vu mon père pendant les
deux ans et demi du cancer, jamais pris de
ses nouvelles non plus. Je me cogne à des
murs. « Bienvenue dans l’effondrement du
système médical français », me lâchent, dépi­
tés, des médecins de ma connaissance.
Même eux ne peuvent intervenir.
L’option « unité de soins palliatifs » se
révèle, elle aussi, infructueuse. Liste d’at­
tente, aucune place disponible. On me glisse
un « tuyau » : quelqu’un peut tenter de le faire
accepter à Jeanne­Garnier, le « meilleur en la
matière » à Paris, dit­on. Je connais, ma cou­
sine y a fini ses jours il y a dix ans. Je découvre
qu’il faut désormais du « piston » pour être
accepté en soins palliatifs, tant les places sont
chères. Je piétine, je m’épuise dans des
démarches qui n’aboutissent pas. Mon père,
lui, s’enfonce. Il ne quitte plus son lit, ne se
nourrit plus, ne peut plus se déplacer jusqu’à
sa baignoire, ne se lave plus. Bientôt, il ne
peut plus se rendre aux toilettes.
Le spectacle de sa dégradation est insup­
portable. Son amie s’installe chez lui pour
l’aider. Mon frère pose également un arrêt
maladie pour s’en occuper. On fait ce que l’on
peut, mais aucun d’entre nous n’a une forma­
tion médicale. On bricole, sans aide exté­
rieure, et le voici qui commence à tousser, à
parler de moins en moins bien. Une semaine
à peine après la dernière consultation avec
l’oncologue, il se plaint d’avoir passé une très
mauvaise nuit, il souffre de douleurs au ven­
tre. J’appelle Paul­Brousse, qui me conseille
de téléphoner à SOS­Médecins.
Un médecin arrive deux heures plus tard.
Tétanisé par l’état de délabrement physique
de ce patient dont il ignore tout, il me
demande son dossier médical. Nous ne
l’avons pas, l’hôpital ne nous l’a pas donné.
Prudent, il refuse de faire quoi que ce soit sans
avoir l’historique de la maladie et prescrit des
analyses de sang. Dans la journée, la situation
se dégrade. Premier séjour aux urgences du
Kremlin­Bicêtre. Un aller­retour, plutôt. L’hô­
pital qui l’a accueilli étant saturé, mon père
passe la nuit sur un brancard dans un couloir.
Le lendemain, retour à domicile. Petit pro­
grès : un infirmier viendra désormais matin
et soir pour prendre ses constantes et lui
poser une perfusion de sérum physiologique
afin d’éviter la déshydratation. Je me débats
pour obtenir de Paul­Brousse son dossier
médical. La secrétaire de l’oncologue me
répond qu’ils sont débordés, elle n’a pas le
temps de lui parler tellement les consulta­
tions s’enchaînent. Le médecin n’a même pas
pris de pause déjeuner. Deux jours plus tard,
toujours rien. Je harcèle le service d’appels
suppliants, entre deux rendez­vous profes­
sionnels, je finis par éclater en sanglots, je
suis à bout de fatigue et de découragement. Je
hurle : « Vous ne pouvez pas nous laisser seuls
comme ça ! » Je récupère enfin le dossier dans
l’après­midi, une feuille et demie conclue par
ces mots : « Prise en charge palliative ».
Deuxième alerte, le 13 juin. Mon père vomit
du sang. Pompiers, transfert à la Salpêtrière,
le plus grand hôpital d’Europe, la crème de la
crème, du moins sur le papier. J’appelle un
ami médecin qui y a ses entrées, dans l’espoir
d’obtenir une attention particulière. Je
comprends que ça ne marche que comme ça.
Un médecin me rappelle à 20 heures : « Votre
père va mieux, on va le renvoyer chez lui. » Je
m’étrangle. « Vous ne pouvez pas le garder ne
serait­ce qu’une nuit ? » « Nous n’avons pas de
lits, des dizaines de malades sont dans les
couloirs des urgences. » Il me rappelle deux
heures plus tard : « Votre père a revomi du
sang, on le garde dans le couloir. » Impossible
de le voir, visites interdites aux urgences
depuis l’épidémie de Covid­19.
DES « COMPLICATIONS » DANS LA NUIT
Le médecin me donne un numéro pour join­
dre une collègue chargée de prendre sa relève
le lendemain matin. Ça ressemble à un petit
traitement de faveur. A l’heure dite, j’appelle :
la femme en question m’explique qu’il y a eu
des « complications » dans la nuit. Mon père a
probablement avalé son sang, il a fait une
infection pulmonaire, ils vont le transférer à
Paul­Brousse. D’après elle, il parle et dit qu’il
« va bien ». Je lui réponds : « Mon père dit tou­
jours qu’il va bien. » Je saute dans un taxi pour
le rejoindre. Je n’ai pas encore atteint Villejuif
qu’un numéro masqué s’affiche sur mon
portable. C’est l’hôpital Paul­Brousse : « On
vient de réceptionner votre père, il est dans le
coma. » Choc. Je ne saurai jamais ce qui s’est
passé à la Salpêtrière cette nuit­là, entre le « il
va bien » et le diagnostic du coma une heure
plus tard. Je n’ai pas cherché à savoir, je crois
que je préfère ne pas savoir.
L’oncologue m’attend devant la chambre
où mon père a été installé. « C’est fini, m’an­
nonce­t­il, il ne passera sans doute pas la nuit,
il faut lui dire au revoir. » Mon frère saute dans
un train pour Paris, mon fils revient de
Marseille, je préviens ma mère, son amie, les
plus proches. Nous nous succédons à son
chevet. Mais, deux jours plus tard, le voici qui
se réveille. Il ne veut décidément pas nous
quitter. Il ne se souvient de rien. Il se sent très
fatigué. Je lui raconte le coma, aucun soi­
gnant ne lui avait expliqué. Les antibiotiques
ont jugulé l’infection pulmonaire, on lui
enlève l’oxygène. Il parle à nouveau, heureux
de nous voir, demande qu’on lui apporte ses
livres de chevet, Proust et le texte posthume
de Céline qu’il a entrepris de lire, sa radio, sa
tablette, son portable. Mais déjà le médecin
nous dit qu’il ne peut pas rester là, le service
n’est pas adapté. Retour à la case départ.
Mon père n’est pas du tout en état de ren­
trer chez lui : il est tombé de son lit en ten­
tant de se rendre aux toilettes, présumant
de ses forces. Le personnel soignant avait
omis de mettre les barrières de sécurité. Je
me démène pour trouver une solution. On
me répète qu’il n’y en a pas. Je fais intervenir
le médecin qui a diagnostiqué son cancer, le
docteur L., un homme exceptionnel, d’un
soutien sans faille, qui me rejoint à Paul­
Brousse pour faire avec moi le siège de l’on­
cologue. Ce dernier refuse de nous recevoir,
il n’a pas le temps. Par chance, le docteur L. a
fait ses études avec le chef du service. La
situation se débloque : le 22 juin, mon père
est transféré à l’unité de soins palliatifs de
l’hôpital. Il est rassuré, content, apaisé. Il
reçoit des visites, son amie dort à ses côtés,
le personnel est prévenant, doux, il se sent
enfin en sécurité. On met à sa disposition un
fauteuil roulant pour lui permettre d’accé­
der au jardin. Il goûte le soleil sous les arbres.
On le douche, on le rase, il retrouve allure
humaine. Le répit sera de courte durée.
Deux jours après son installation, le mé­
decin responsable de l’unité vient le voir dans
sa chambre, flanqué d’une infirmière. Je
suis présente. Il explique doctement à mon
père qu’il va « très bien » et qu’il peut rentrer
chez lui. Je tombe de ma chaise. Mon père me
jette des regards affolés, il balbutie qu’il est
bien là, qu’il ne se sent pas de rentrer tout de
suite. « Vous n’avez pas envie de revoir votre
appartement une dernière fois ? », insiste le
médecin. Bien sûr qu’il a envie de retrouver
les lieux qu’il occupe depuis quarante ans,
dans lesquels nous avons vécu enfants, là où
il a tous ses livres, ses objets, son piano. Ne sa­
« BIENVENUE DANS  chant que répondre, il se tourne vers moi :
L’EFFONDREMENT DU  « C’est à toi, ma fille, de prendre une décision. »
Le médecin me fixe. Il voit en moi la per­
SYSTÈME MÉDICAL  sonne susceptible de contrarier ses plans.
Mais quels plans ? Je ne comprends pas. Je
FRANÇAIS », ME  réponds que je ne l’estime pas en mesure de
retourner chez lui, c’est trop risqué, il n’est pas
LÂCHENT, DÉPITÉS,  en état, mais que je le soutiendrai et l’accom­
DES MÉDECINS DE  pagnerai quel que soit son choix. Je demande
au médecin de le laisser réfléchir. Il est sorti
MA CONNAISSANCE.  du coma il n’y a pas quarante­huit heures.
Le docteur quitte la chambre, contrarié.
MÊME EUX  Le lendemain matin, mon père me télé­
NE PEUVENT  phone. Il a très mal dormi, il est angoissé, on
a dû lui donner du Xanax. Il se sent trop faible
INTERVENIR pour quitter l’hôpital, mais l’argument de
revoir son appartement l’a ébranlé. Je le ras­
sure, lui conseille de prendre son temps pour
décider. Mais le médecin n’a pas dit son
dernier mot. Chaque matin, avant l’ouver­
ture du service aux visites, il se rend à son
chevet pour l’inciter à signer une demande
de prise en charge à domicile.
Quand j’arrive à l’hôpital, la fois suivante,
mon père a le front tuméfié. Il est tombé lors
de la douche. Le soignant l’a lâché une frac­
horizons | 21
ALINE BUREAU
tion de seconde pour attraper une serviette
et il s’est effondré. Je demande à voir le
médecin. Celui­ci me fait attendre plus de
trois heures. Seules trois ou quatre cham­
bres sont pourtant occupées dans le service,
ce qui ne manque pas de m’intriguer.
Je comprendrai plus tard que la plupart des
lits ont été fermés pour défaut de personnel.
Nous sommes au mois de juillet, certains
soignants ont le Covid­19, d’autres sont
partis en vacances.
« C’EST UNE QUESTION D’HEURES »
La discussion avec le médecin démarre mal. Il
commence par ces mots : « Je vous sens très en
colère, madame. » Je lui rétorque qu’on ne va
pas commencer comme ça, le coup de la
misogynie, la femme hystérique… « Je ne suis
pas en colère, je suis inquiète pour mon père. Il
est bien ici, on s’occupe bien de lui, pourquoi le
harceler pour partir ? » Il m’oppose une batte­
rie d’arguments, du condescendant : « Vous
êtes médecin ? » aux explications les plus
incompréhensibles du genre : « C’est un ser­
vice pour les cas aigus, ici. » Moi : « C’est écrit
“soins palliatifs”, et mon père est en soins pal­
liatifs. Il a donc toute sa place ici, non ? »
Je crois deviner qu’il estime que ce patient­là
ne va pas mourir assez vite. Il prononce le
mot « coûts ». Le ton monte encore : « Il a co­
tisé toute sa vie sans jamais se rendre à l’hôpi­
tal jusqu’à son cancer, il a tout de même le
droit d’être pris en charge ! »
Furieux, le médecin me tourne le dos. Il a
abandonné la bataille. Les jours s’écoulent.
Mon père a de moins en moins de périodes
d’éveil. Je fais régulièrement des points
santé avec le médecin, qui ne me parle plus
de départ. Le jeudi 21 juillet, en présence de
ma mère et de mon compagnon, il nous
explique que mon père est désormais dans
un « coma profond ». « Il ne se réveillera plus,
prévient­il, c’est une question d’heures ou de
jours. » Il a l’air ennuyé : « Je dois vous donner
une information : nous fermons le service la
semaine prochaine. » Je comprends soudain
pourquoi il voulait à tout prix le convaincre
de rentrer chez lui. Il ajoute : « On lui trou­
vera une place ailleurs, mais c’est sûr, ce n’est
pas idéal de le bouger dans son état. » Je
retourne serrer mon père dans mes bras. Il
mourra deux heures plus tard, comme s’il
avait senti qu’il était de trop.
Un mois plus tard, je contacte son méde­
cin traitant fantôme pour lui annoncer la
mort de son patient et lui demander un cer­
tificat réclamé par les assurances. Il me
propose de passer à son cabinet après
ses consultations. Il remplit en quelques
secondes le formulaire que je lui ai apporté
puis croise les bras. Alors que je m’apprête à
partir, il me lance : « La carte Vitale de votre
père doit être désactivée puisqu’il est décédé,
il me faudrait la vôtre. » Je tarde à compren­
dre puis, stupéfaite, je lui tends la mienne et
règle le tarif d’une consultation. p
vanessa schneider
 CULTURE
22 |
« On a tourné dans le “Far West” catalan »
Carla Simon revient sur sa chronique agricole dans « Nos soleils », interprétée par des acteurs amateurs
ENTRETIEN
C’
est une nouvelle ar­
rivante, peu identi­
fiée sur la scène des
festivals, qui, en fé­
vrier 2022, a remporté la plus
prestigieuse distinction de la Ber­
linale, l’Ours d’or, pour Nos soleils,
une chronique agricole profuse et
inspirée. En deux longs­métrages,
Carla Simon, 36 ans, s’est imposée
comme la figure d’une scène
catalano­espagnole très active.
Chacun de ses films puise dans
son histoire personnelle des élé­
ments transposés dans les uni­
versaux de la fiction. Eté 93 (2017)
évoquait son enfance, la perte
de ses parents des suites du sida.
Nos soleils brosse le dernier été
d’une famille de cultivateurs
de pêches, menacés d’expulsion
après la requalification de leurs
terres en parc photovoltaïque.
Quel est votre parcours ?
J’ai grandi à la campagne, dans
une maison à l’orée de la forêt.
Au lycée, une professeure nous
a montré le film Code inconnu
[2000], de Michael Haneke, qui
m’a beaucoup marquée. J’ai voulu
en savoir plus sur les films, mais
n’avais pas les moyens de faire
une école. Je suis partie à Barce­
lone pour des études de commu­
nication visuelle. A l’occasion
d’un échange, j’ai passé un an en
Californie à respirer l’optimisme
américain et à enfin croire en ma
bonne étoile. Après obtention
d’une bourse, j’ai terminé mon
cursus à la London Film School,
en Angleterre. C’est là que mon in­
térêt s’est précisé pour les histoi­
res de famille, et que j’ai écrit mon
premier long­métrage, Eté 93.
Quel fut le processus d’écriture
pour « Nos soleils » ?
Je commence généralement par
établir des listes d’instants ou
d’images que j’aimerais mettre
dedans. Dans le cas d’Eté 93,
il s’agissait surtout d’une collec­
tion de souvenirs. Ici, je tenais
à ancrer le récit dans ce village
d’Alcarras, dans l’Ouest catalan.
Avec mon coscénariste, Arnau
Vilaro, on a écrit sur place.
On s’est installés durant l’été dans
la maison de mon oncle, on ob­
servait tout en essayant de le res­
tituer fidèlement – comme mon
cousin faisant tomber une palette
pleine de pêches au sol ! [Rires.]
Les acteurs, non profession­
nels, forment à l’écran une
L’adieu au verger d’une famille de cultivateurs catalans
Dans son deuxième film, la réalisatrice retrace, sans pathos, le dernier été de paysans privés de leurs pêchers au profit de panneaux solaires
NOS SOLEILS
pppv
C atalogne, été 2021. La fa­
mille Solé cultive des pê­
chers sur la base d’un ser­
ment oral établi pendant la
guerre d’Espagne. Mais, depuis
la mort de son père, le proprié­
taire prévoit de raser les arbres et
de construire une ferme photo­
voltaïque. Choc dévastateur pour
la tribu de cultivateurs qui pei­
nent à rivaliser avec l’agriculture
industrielle. A la rentrée, le verger
tenu pour acquis ressemblera
à une marée noire de silicium.
Contre la nature, l’industrie éco­
logique gagne du terrain. Face à
cette fin prématurée, les Solé
n’ont rien d’autre à faire que
de terminer la dernière récolte.
La grande force de Nos soleils
tient à sa capacité d’échapper aux
partitions théoriques et militan­
tes du sujet écologique. Si le film
famille très convaincante. Com­
ment les avez­vous trouvés ?
Ce fut très long. Ils se devaient
d’être du cru, car pratiquant
un dialecte catalan spécifique.
Et aussi parce qu’on peut recon­
naître, à l’écran, un vrai fermier de
quelqu’un qui simule. On a com­
mencé le casting avant la pandé­
mie de Covid­19, en faisant la
tournée des fêtes de village, des
coopératives, des marchés, dans
les coins où l’on cultive les pêches.
On avait une caravane dans la­
quelle on faisait monter les gens
pour les filmer. C’était plus facile
de trouver des femmes et des en­
fants que des hommes, car la plu­
part de ceux­ci étaient occupés
l’été, pendant les moissons. On a
vu près de 9 000 personnes.
Vous voguez sur la fine crête
entre fiction et documentaire…
Je viens en effet d’une famille de
cultivateurs de pêches, comme
se présente a priori comme tel,
il privilégie le portrait de famille
à hauteur d’homme. Il fourmille
de scènes de travail, de bavarda­
ges, de jeux et de siestes, qui met­
tent en évidence l’attachement
du clan Solé à la ferme, dont on ne
sort quasiment jamais. C’est avec
une fluidité étonnante que Carla
Simon s’arrime au quotidien
de chacun des membres, sans
hiérarchie aucune, traversant des
petites tempêtes individuelles
au sein de la communauté et
composant habilement une pa­
lette d’intrigues secondaires.
Parti pris sensoriel
Dans son deuxième long­mé­
trage, la scénariste et réalisatrice
espagnole revient dans le village
rural où elle a grandi, Alcarras (qui
donne au film son titre original).
L’endroit a également servi de dé­
cor à son beau premier long­mé­
trage autobiographique, Eté 1993
pppp CHEF­D'ŒUVRE          pppv À  NE  PAS  MANQUER          ppvv À  VOIR          pvvv POURQUOI  PAS          vvvv ON  PEUT  ÉVITER
celle dépeinte dans le film. Pour
moi, c’est de la fiction, car on tra­
vaille avec un scénario, on suit
l’histoire et on recrée des situa­
tions. Mais il est vrai que je puise
beaucoup dans l’expérience des
acteurs, qui incarnent des person­
nages proches de ce qu’ils sont.
Avant le tournage, on a passé qua­
tre mois avec eux, à créer des rela­
tions entre leurs personnages.
Pour ce faire, j’avais loué une mai­
son dans le coin pour qu’ils puis­
sent venir y improviser des scè­
nes de famille. Au premier jour
de tournage, ces liens existaient.
Vous filmez trois générations,
dont chacune entretient
un rapport singulier avec
la terre. Terrain de jeu pour les
enfants, motif de passion ou
d’angoisse pour les adultes…
Le site que nous avons choisi
pour tourner est très intéressant.
Je l’appelle le « Far West » catalan :
(2017), qui suivait un premier
deuil, celui d’une fillette de 6 ans,
partie vivre à la campagne chez
son oncle et sa tante, après
la mort de ses parents.
Nos soleils bénéficie une fois
de plus de la proximité affective
de son autrice avec ce paysage ver­
doyant, qui dépose dans la rétine
du spectateur le battement d’une
enfance à ciel ouvert. Refus
de deuil en jardin d’Eden. L’œil
de la caméra se gorge de nature,
se refusant à croire à cette mort
organisée. Le parti pris sensoriel
épouse la courbe des feuilles,
se glisse dans la pénombre des ar­
bres et se colle au jus sucré
des fruits. Nos soleils se vit à la fois
comme l’exaltation du présent
et le refoulement de la peine tapie
en chacun.
Ce dernier été a toutes les appa­
rences d’une récolte ordinaire.
Les hommes patrouillent la nuit
avec des fusils de chasse et des
« Les petits
fermiers
ne transmettent
même plus leur
métier. C’est
pourtant leur
modèle qui s’avère
le plus durable »
c’est très plat, et la nature est
sculptée par l’homme. Ça fait
penser aux Raisins de la colère
[1940], de John Ford. En arrivant
là avec un point de vue extérieur,
il est tentant de verser dans
le paysagisme, avec de beaux
couchers de soleil, l’horizon
à perte de vue… On veut capter
toute cette beauté. Pour moi,
c’était dangereux, car les paysans
ne le vivent pas comme ça. Pour
lampes torches, attentifs aux la­
pins dans les vergers, les enfants
zigzaguent entre les arbres,
les adolescents se font beaux
et s’ennuient, les femmes prépa­
rent les grandes tables à plus
de quinze personnes… Dans les
interstices, il y a pourtant le dou­
loureux apprentissage à vivre
sans ses terres, avec tout ce que ça
implique de disputes et de contra­
riétés. Cette violence rejaillit dans
les déplacements de chacun, à ne
plus vouloir se croiser, à accélérer
le pas, à avancer la tête basse.
On ne marche plus sur cette terre
comme avant. L’équilibre pré­
caire de l’écosystème naturel est
aussi d’ordre domestique.
Carla Simon ne nous fait jamais
perdre de vue qu’Alcarras est
d’abord un lieu de vie. La mise en
scène prête une attention parti­
culière à la maison, située au mi­
lieu du verger. La caméra circule
non­stop entre l’intérieur et l’ex­
eux, ce lieu, c’est surtout leur
quotidien : beaucoup de travail,
beaucoup de fatigue.
Quels aspects du monde
paysan souhaitiez­vous
mettre en relief ?
Au début, j’avais imaginé une
fin heureuse, qui a changé pen­
dant le processus d’écriture. Le
déclic a eu lieu quand nous avons
assisté à une manifestation
d’agriculteurs : les rangs étaient
clairsemés, et la population plu­
tôt âgée. En discutant avec eux,
beaucoup se montraient pessi­
mistes sur leur avenir. Bien sûr,
l’agriculture ne va pas disparaî­
tre. Mais c’est un certain type
d’exploitation à échelle familiale
qui s’estompe peu à peu. Les gros­
ses compagnies grignotent les
terres, mettent les gens au travail.
Pour les petits fermiers, ça de­
vient difficile, car ils ne savent
pas, avec la pression que les
térieur, l’habitat (que les Solé ont
l’autorisation de garder) et le tra­
vail agricole. Un des traits les plus
remarquables du film tient préci­
sément à l’idée que cette maison
est en exil sur ses propres terres.
Lieu de réconfort, elle devient
une tour de vigie, qui garde un œil
ouvert sur les premières modifi­
cations industrielles du terrain,
avant de se replier sur elle­même.
La réalisatrice distille subtile­
ment les éléments de cette expul­
sion stationnaire, à l’exemple
de ce tout petit panneau solaire
arraché par le chef de famille pour
le remiser dans la maison.
En racontant la fin d’un paysage,
Nos soleils décrit surtout la fin
d’une époque. Ce dernier été au
bord du documentaire – les prota­
gonistes sont interprétés par des
acteurs non professionnels issus
des environs, eux­mêmes très at­
tachés à leur région – a aussi une
aura mystique. Le film s’ouvre sur
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
La famille Solé.
PYRAMIDE DISTRIBUTION
grands groupes font peser sur les
prix, combien ils seront payés
pour chaque kilo produit. Ils ne
souhaitent même plus trans­
mettre le métier à leurs enfants.
Face au changement climatique,
c’est pourtant leur modèle qui
s’avère le plus durable, respec­
tueux de l’environnement, et qui
mérite d’être transmis aux géné­
rations futures.
Le cinéma que vous pratiquez
n’est­il pas, lui aussi, compara­
ble à un artisanat, par opposi­
tion au modèle industriel ?
C’est drôle, car mon oncle en est
venu à la même conclusion
en nous voyant préparer le film.
Il comparait cela aux moissons :
les pêches comme les plans,
on les fait pousser lentement,
on les nourrit, on les irrigue et,
à la fin, on les récolte un par un ! p
propos recueillis par
mathieu macheret
une séquence vue comme un mi­
rage. Trois enfants jouent à l’inté­
rieur d’une 2CV abandonnée.
Ils font semblant de conduire
dans l’espace, tirant au lance­
pierre sur des extraterrestres,
alors qu’ils s’approchent du So­
leil. La réalité dépasse leur imagi­
naire : la voiture bouge pour
de vrai. Une grue va bientôt
la monter au ciel devant un pay­
sage de Far West qui contraste
avec le verger. A cet arrachement
inaugural, joyeux comme un jeu
d’enfant, vont se succéder
les tourments des adultes noyés
dans une nappe brillante de pan­
neaux solaires éclairés par la lune.
La joie a toujours quelque chose
en elle de mélancolique quand
elle perd ses illusions. p
maroussia dubreuil
Film espagnol de Carla Simon.
Avec Anna Otin, Albert Bosch,
Ainet Jounou (2 heures).
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
Il était une fois
Hollywood,
capitale
du péché
Damien Chazelle dépeint la cité
du cinéma dans les années 1920,
lors du passage du muet au parlant
BABYLON
pvvv
I
l y a quelque chose de tou­
jours inquiétant à voir Hol­
lywood se regarder dans le
miroir, comme si l’industrie
se dotait d’une conscience de soi
mélancolique, pressentant la fin
d’une ère. En 2019, dans Once
Upon a Time… in Hollywood, c’était
Quentin Tarantino qui, à travers
l’amitié entre un acteur de
seconde zone et son cascadeur,
filmait la fin d’un certain Hol­
lywood. Rétrospectivement, cet
éblouissant spectacle, incroyable­
ment libre, avait quelque chose de
performatif : un an après, la crise
liée au Covid­19 plongera l’indus­
trie dans un gouffre d’incertitudes
et de restructurations dont on n’a
pas encore vu le bout.
Quatre ans plus tard, Babylon
semble entretenir sa gémellité
avec le film de Tarantino : même
structure chorale suivant trois per­
sonnages qui tentent de se faire
une place sous le soleil californien,
mêmes vedettes – Margot Robbie
et Brad Pitt – en tête d’affiche ;
choix de situer l’intrigue à un
moment de bascule : ici, la fin des
années 1920 et la transition du
muet au parlant, qui transformera
Los Angeles en mastodonte tenta­
Une étrange histoire de rêves et de verres
brisés réinventant de fabuleux monstres
Entre Franju et Cronenberg, le troisième long­métrage de Lucile Hadzihalilovic
suit le quotidien d’une fillette sans dents et d’un homme reclus dans une vieille demeure
EARWIG
L’
pppv
univers bizarre de Lucile
Hadzihalilovic est peuplé
d’enfants vivant à l’écart
du monde, dans des « hors­lieux »
plus oppressants que protecteurs.
Des fillettes au corps discipliné
par la danse grandissent dans
un pensionnat ceinturé par
un immense mur (Innocence,
2004) ; des garçons prépubères
reçoivent un mystérieux traite­
ment au sein d’un hôpital sur­
plombant la mer, dans un film
d’anticipation, Evolution (2015),
qui résonne aujourd’hui avec
Les Crimes du futur (2022), de
David Cronenberg.
A chaque fois, une poignée
d’adultes veille au respect des cy­
cles et des contraintes, afin de « li­
vrer » à bon port, le moment venu,
les adolescents. Iront­ils dans
la vraie vie, dans un univers en
mutation ? Le cinéma sensoriel de
Lucile Hadzihalilovic, également
productrice, qui a fondé, avec Gas­
par Noé, Les Cinémas de la zone,
laisse ouvertes toutes les pistes,
jusqu’aux plus dérangeantes.
Earwig, son troisième long­mé­
trage, adapté du roman du même
nom (Coronet, 2019, non traduit)
de Brian Catling (1948­2022),
propose une expérience encore
plus trouble. Mia (Romane He­
melaers) vit dans une demeure
culaire et hyper­organisé. Il s’agit
d’abord de décrire un paradis : Ba­
bylon puise son énergie dans la
frénésie de la période électrique
où Hollywood était un terrain de
jeu bohème et décadent, un refuge
de saltimbanques partageant leur
temps entre des fêtes dionysia­
ques et les tournages bordéliques
qui semblaient les prolonger. Le
titre s’inspire sans doute du récit
sulfureux de Kenneth Anger, Hol­
lywood Babylone (1959), portrait
d’une capitale du péché se régéné­
rant à coups de scandales sexuels
et d’ambitions dévorantes qui se
rétractent en destins funestes.
Vision d’artiste
C’est – apparemment – sur la
même note que joue Damien
Chazelle, introduisant son film
par une immense orgie dans le
manoir d’un dirigeant de studio
où, à tous les étages, les corps
s’abîment dans un bain de luxure
et de stupéfiants au­dessus du­
quel voltige la Steadicam – très
vite épuisante – du cinéaste. Ba­
bylon emboîte les séquences
comme d’imposants tableaux
que traversent des parades felli­
niennes. A chaque fois, le même
principe : la situation pourrit len­
tement, court vers la gueule de
bois, révélant peu à peu son
envers cauchemardesque.
aux volets clos, triste et dé­
pouillée, comme dans les ta­
bleaux de Vilhelm Hammershoi.
Elle s’occupe toute seule, ne
connaît rien du dehors. On dé­
couvre la monotonie de son exis­
tence durant les vingt premières
minutes du film, hypnotiques.
Bain acoustique
La vie de la jeune fille, que l’on si­
tue au lendemain de la seconde
guerre mondiale, est rythmée par
un étrange rituel qu’accomplit
scrupuleusement Albert (Paul Hil­
ton), un homme tourmenté mais
bienveillant. Le joli minois de Mia
est en effet troué par une bouche
sans dents, comme une variation
de l’héroïne (Edith Scob) du
chef­d’œuvre de Franju, Les Yeux
sans visage (1960) : la fillette porte
un appareil hors norme, lequel
recueille sa salive dans deux petits
flacons situés aux extrémités de
sa bouche. Chaque jour, Albert
prélève le précieux liquide qui,
une fois réfrigéré, servira à fabri­
quer la denture. Le protocole est
ainsi répété, jusqu’au jour où la
mâchoire de Mia doit être équipée
de dents en verre.
Les verres, justement, qui rem­
plissent les étagères du salon,
sont la porte d’entrée des rêves.
Au bout d’une trentaine de minu­
tes, Earwig bascule dans une
autre dimension et nous plonge
dans un bain acoustique : la ca­
Au premier, plan, Manny Torres (Diego Calva) et Nellie LaRoy (Margot Robbie). SCOTT GARFIELD/PARAMOUNT PICTURES
C’est dans ces enfers que se dis­
tingue une galerie de personna­
ges : Jack Conrad (Brad Pitt), acteur
vedette sur le déclin, Nellie LaRoy
(Margot Robbie), starlette mal
dégrossie, et Manny Torres (Diego
Calva), jeune Mexicain rêveur. Ces
deux derniers sont prêts à tout
pour gravir les sommets. Tout
comme le couple de La La Land
(2016), Nelly et Manny ne s’allient
que dans la reconnaissance mu­
tuelle de leur arrivisme. C’est que,
chez Chazelle, un personnage ne
s’individualise que par un affect
cardinal qui lui fait office d’uni­
que bagage psychologique : l’am­
bition. C’est ce qui donne à ces
récits l’apparence de froide com­
pétition, à peine réchauffée par les
attributs d’un genre.
En face, le spectacle est un ogre
aveugle qui met au pas les corps,
méra s’approche de la surface du
cristal, lequel renvoie un fabuleux
jeu de lumières, ainsi que des
images du passé. Il y a cette
femme aimée disparue (Anasta­
sia Robin), qui ressurgira plus tard
dans le cerveau halluciné d’Albert.
Une autre héroïne (Romola Garai)
allumera, elle aussi, des étincelles,
avant d’être sauvagement défigu­
rée, la cinéaste réinventant de fa­
buleux monstres à l’écran.
Il faut entrer dans ce récit kaléi­
doscopique comme on s’aban­
donne aux mains d’un hypnoti­
seur. Earwig est un film songe
dont les éclats de verre seraient
le reflet. Albert n’emballe­t­il pas
dans du papier les morceaux
de cristal cassés, pour garder des
bribes de son histoire refoulée ?
Hanté par les métamorphoses,
le contrôle du corps des femmes,
l’appel de l’eau, cette rêverie sul­
fureuse tisse des filiations avec
d’autres œuvres cultes : le jour
Il faut entrer
dans ce récit
kaléidoscopique
comme
on s’abandonne
aux mains
d’un hypnotiseur
Le film emboîte
les séquences
comme
d’imposants
tableaux
que traversent
des parades
felliniennes
les dévore avant de les recracher.
C’est ce que nous raconte la scène
la plus intéressante (directement
inspirée de Chantons sous la pluie,
comme tout le film), lorsque
Nellie tourne son premier film
parlant et que la prise de son
oblige toute l’équipe à la disci­
pline : faire silence, se placer à un
où Mia sort enfin de la maison,
dans son petit manteau rouge,
elle est attirée par un étang
et y tombe la tête la première,
mais heureusement Albert la rat­
trape aussitôt. Comment ne pas
penser à la scène de la noyade
dans Ne vous retournez pas (1973),
de Nicolas Roeg, la petite fille
au ciré rouge coulant dans
la mare du jardin, son père arri­
vant trop tard pour la sauver ?
La beauté d’Earwig est aussi
de se promener dans l’histoire
du cinéma, déjouant le sort, re­
cousant les destins, dans des
plans magnifiques éclairés en lu­
mière naturelle – l’un des plus
beaux étant celui où Mia, pen­
chée au­dessus de l’eau, découvre
pour la première fois son reflet.
Ce sera la seule « réponse » à son
existence. Car Mia ne sait rien
de son histoire et, contrairement
aux enfants des précédents films
(Innocence, Evolution), elle ne
pose pas de questions sur son
avenir. D’ailleurs, le film intro­
duit des décalages temporels qui
sèment le doute. Seule persiste
la sensation délicieuse d’avoir
découvert un objet rare du ci­
néma français. p
clarisse fabre
Film français de Lucile
Hadzihalilovic. Avec Paul Hilton,
Romane Hemelaers, Romola
Garai, Anastasia Robin (1 h 56).
endroit précis du décor… Autant
de contraintes qui obligent à re­
faire des prises jusqu’à la crise de
nerfs, jusqu’à ce qu’un technicien
en meure littéralement. C’est une
scène de bascule tant on sent là,
de la part du cinéaste, beaucoup
plus de joie à filmer des corps
corsetés que libres de jouir
comme ils veulent. Le dernier
mouvement confirmera la moti­
vation inconsciente de Babylon :
le cinéaste n’observe la jouissance
de ses personnages que pour
mieux la sanctionner – un à un,
ils seront sacrifiés. Et si ces
grandes bacchanales sonnaient si
faux, c’est qu’elles étaient obser­
vées à travers le regard d’un
cinéaste puritain qui, en coulis­
ses, fomentait sa punition.
En somme, il y a ce que le film
croit être : un geste d’auteur
Des migrants posent
des mots sur leurs maux
Avec des réfugiés libyens, Cécile Allegra mêle
cinéma direct et séquences mises en scène
LE CHANT DES VIVANTS
ppvv
C omment rester vivant,
trouver la force de nom­
mer ce que l’on a vécu,
quand on a subi l’enfer dans des
camps ? Cette question taraudait
la journaliste et réalisatrice Cécile
Allegra, lorsqu’elle rapportait des
images et des témoignages terri­
fiants de viols et de tortures
commis dans le désert du Sinaï
(Voyage en barbarie, qui a valu
à Cécile Allegra et à sa coréalisa­
trice, Delphine Deloget, le prix
Albert­Londres, en 2015), ou lors­
qu’elle enquêta sur les camps
de la mort en Libye (Libye, anato­
mie d’un crime, 2018), voie d’accès
vers l’Europe pour des migrants.
La réalisatrice a trouvé une ré­
ponse en créant, à Conques (Avey­
ron), en 2016, l’association Limbo.
Une vingtaine de personnes
en font partie (psychologues, art­
thérapeutes, bénévoles…), qui
accompagnent des « survivants »
du trafic et de la torture en Libye,
grâce à la parole, au travail corpo­
rel, au chant. L’objectif est de per­
mettre à ces hommes et à ces fem­
mes de témoigner, un jour, de leur
calvaire auprès d’une instance na­
tionale ou internationale.
Le Chant des vivants s’ouvre avec
l’arrivée à Conques de jeunes gens,
originaires d’Erythrée, du Soudan,
de Somalie, de Guinée, etc. La plu­
part viennent de centres d’accueil
pour demandeurs d’asile environ­
culture | 23
suprêmement libre (trois heures
et huit minutes), une vision d’ar­
tiste célébrant un vieil Hollywood
artisan face aux blockbusters ré­
gressifs. Et puis, ce qu’il est vrai­
ment : un épilogue filmé du point
de vue de l’industrie (le très péni­
ble montage final qui tente de ré­
sumer cent ans de cinéma, de
Méliès à Godard), l’œuvre d’un
Père Fouettard annonçant la fin de
la récré. Difficile de ne pas voir,
dans le désastre de la sortie améri­
caine, une invitation à extrapoler :
Babylon, ce serait l’excuse toute
trouvée par les studios pour liqui­
der le cinéma adulte et les derniers
restes d’auteurisme. p
murielle joudet
Film américain de Damien
Chazelle. Avec Margot Robbie,
Diego Calva, Brad Pitt (3 h 08).
nants. Là débute la vie en commu­
nauté. Promenades, ateliers, par­
tage des repas avec les frères
de l’abbatiale Sainte­Foy…
Libération de la parole
Le film s’intéresse à la libération
de la parole. La réalisatrice s’entre­
tient avec chacun, les aide à poser
des mots sur leur vécu. Exercice
douloureux, mais qui installe
la confiance. Le compositeur Ma­
thias Duplessy réfléchit ensuite
à une mélodie qui pourrait ac­
cueillir ces témoignages. Ce ci­
néma direct se mêle à de la mise en
scène lorsque l’un des protagonis­
tes chante devant la caméra : c’est
une chanson folk pour l’étudiante
soudanaise Egbal, Why Leave Your
Home ?, presque joyeuse, si l’on
ne prenait garde au texte.
Cette aventure est un moment
rare d’hospitalité, le film sou­
lignant l’accueil chaleureux que
les habitants réservent aux jeunes.
Le Chant des vivants est ainsi
le meilleur antidote à d’autres ex­
périences sur le territoire français :
le 11 janvier, le maire de Callac (Cô­
tes­d’Armor), petite commune bre­
tonne, annonçait qu’il renonçait
à un projet d’accueil pour des réfu­
giés et des demandeurs d’asile,
afin de « dynamiser le territoire »,
face à l’opposition croissante
d’une partie de la population. p
cl. f.
Documentaire français
de Cécile Allegra (1 h 22).

24 | culture
Youssef (Ramzy Bedia) et Lise, son éditrice (Noémie Lvovsky). TANDEM
Défaite de famille autour
d’une autobiographie
Une comédie tendre mais inégale de Baya Kasmi, avec Ramzy Bedia
YOUSSEF SALEM
A DU SUCCÈS
ppvv
C
e qu’on aime bien chez
Baya Kasmi, c’est son
côté rentre­dedans. On
se souvient du scénario
qu’elle cosigna avec Michel Leclerc,
pour Le Nom des gens (2010), dans
lequel une certaine Bahia Benma­
hmoud (Sara Forestier), activiste
de la gauche radicale, couche avec
tous les hommes de droite qui
croisent son chemin pour les
convertir aux valeurs du partage
équitable des richesses. Jusqu’au
jour où elle rencontre Arthur
Martin (Jacques Gamblin), un ob­
sessionnel précautionneux qu’elle
prend pour un fasciste, mais qui se
révèle un socialiste aussi discret
sur ses origines juives qu’elle met
en avant ses origines arabes.
Elle revient aujourd’hui comme
réalisatrice, toujours en coécriture
avec Michel Leclerc, pour mettre
en scène une famille méridionale
d’origine maghrébine, avec un
humour blasphématoire qui vien­
drait plutôt de chez Philip Roth ou
Voyage adolescent sur le chemin de l’âge adulte
Dans son premier long­métrage animé, Atsuko Ishizuka livre un récit initiatique
GOODBYE
ppvv
F ormée au studio japonais
de films et séries d’anima­
tion Madhouse, la réali­
satrice Atsuko Ishizuka a collaboré
à de nombreuses productions
avant de pouvoir revendiquer un
long­métrage entièrement écrit et
réalisé par ses soins. Sorti au Japon
en février 2022 et sélectionné
quelques mois plus tard au Festi­
val d’Annecy, Goodbye se plie à
l’exercice devenu quasi routinier
pour un premier film : le récit ini­
tiatique. Il est ici porté par trois
jeunes garçons plutôt solitaires,
Roma, Toto et Drop, soudain obli­
gés de faire route commune, le
temps d’un été. Le voyage les
mènera des forêts profondes du
Japon aux glaciers islandais, de
l’adolescence à l’âge adulte.
A ce thème rebattu, Atsuko Ishi­
zuka apporte un imaginaire
nourri de contes et de légendes
qu’elle restitue de manière im­
Woody Allen. Tout part de Youssef
Salem (Ramzy Bedia), quadragé­
naire qui s’inspire de sa propre
enfance et de sa propre famille
pour écrire un roman explosif sur
la répression du sexe et l’hypocri­
sie des comportements touchant
à cette question sensible, vis­à­vis
de laquelle la politique familiale
en vigueur consiste à fermer les
yeux et à sauvegarder les appa­
rences. Intitulé Le Choc toxique,
l’ouvrage fait référence à la lé­
gende qui menaçait, en Algérie, les
amoureux qui commettaient
l’acte en dehors des voies du ma­
riage, frappés qu’ils étaient, dès
lors, par une sorte de foudre fatale.
Feux de l’imaginaire
Le roman, dont le film « reconsti­
tue » des scènes qui vont parfois
jusqu’à la fantasmagorie, déballe
en réalité une partie de la vie des
Salem : homosexualité cachée de
la sœur qui vit avec une fille
qu’elle présente à sa famille
comme sa colocataire, mœurs
étranges du père qui se travestit à
ses heures perdues, début de ro­
mance de la mère avec le maître­
nageur… Sans parler de Youssef,
pressionniste, à travers des décors
picturaux dessinés comme des
gravures anciennes qui nous ra­
mènent à la nuit des temps. Et qui
s’opposent ainsi aux personnages
– ces figures contemporaines
ébauchées à la façon typique des
mangas –, au contraire frêles et
instables, sans cesse ballottés,
bousculés par les événements. La
qualité principale du film, dont il
tire sa puissance évocatrice et sa
beauté, réside dans ce geste qui
parvient à unir, dans le même
tableau, l’immuable et la fragilité
de la jeunesse en devenir. Pour
d’abord les confronter avant de les
réconcilier.
Fils unique d’un couple d’agri­
culteurs vivant dans la région du
Kanto, au Japon, Roma, collégien
de 15 ans, ne cherche guère la com­
pagnie des autres. Son meilleur
ami, Toto, un brin plus âgé que lui
et issu d’une famille aisée, pour­
suit depuis un an ses études dans
une école d’élite à Tokyo. Quand le
film commence, l’heure est au
bonheur des retrouvailles. Le se­
Youssef Salem
s’inspire de sa
propre enfance
et de sa propre
famille
pour écrire un
roman explosif
qu’on revoit adolescent obsédé
par la chose, en train de se mas­
turber dans la piscine en relu­
quant les filles, avant d’y aper­
cevoir sa mère et de redouter de
l’avoir mise enceinte ! Devenu
adulte, le même, pour ne pas in­
quiéter ses parents autant que
pour avoir la paix, leur fait croire
qu’il est sur le point de se marier, à
Paris, avec une femme qui l’a
quitté deux ans auparavant.
Tout se complique au moment
où, passant dans une émission lit­
téraire un peu chahutée dans la­
quelle il doit lutter contre une
indigéniste musulmane et un
sbire d’extrême droite, Youssef
voit, grâce aux réseaux sociaux,
cond étant de retour au village na­
tal pour les vacances, les deux co­
pains palabrent au fond des bois,
dans la cabane qui leur sert de
quartier général. Le sujet du jour ?
L’organisation des feux d’artifice
annuels. Un nouveau venu, Drop,
ado au franc­parler et à l’enthou­
siasme communicatifs, se joint à
eux. Le trio voit grand et se met en
tête d’acheter un drone destiné à
filmer leur spectacle. Les fusées
sont installées au milieu d’un
champ. Tout est prêt.
Notions fondamentales
Las, au moment venu, tout se met
à partir de travers : les fusées sont
défectueuses, le drone est em­
porté par le vent jusque dans la
montagne, et un incendie se dé­
clenche dans la forêt. Principaux
suspects, les adolescents décident
de partir à la recherche du drone,
le seul à pouvoir apporter la
preuve de leur innocence. Une
aventure débute, prétexte à une
exploration à la fois géographique
et mentale, la découverte de pay­
sa réputation décoller, et bientôt
le prix Goncourt s’intéresser à lui.
Si cela réjouit son exubérante édi­
trice (Noémie Lvovsky), qui a par
ailleurs des vues charnelles sur
son poulain, Youssef, quant à lui,
passe son temps sur les plateaux à
dénier le caractère autobiogra­
phique de son roman et à cacher à
ses parents, autant que faire se
peut, quitte à fracasser leur poste
de télévision, sa gloire montante.
Tandis que ses frères et sœurs,
dont la cadette est retournée à un
islam rigoriste, veulent lui faire la
peau, tout va ainsi bon train, avec
insolence et alacrité, allumant
sans complexe les feux de l’imagi­
naire et des possibles.
L’inflexion du film vers la ten­
dresse familiale finira toutefois
par saper sa drôlerie percutante,
et l’on ne peut que regretter que
Baya Kasmi, trop bonne nature
sans doute, ne se soit pas permis
d’être fidèle à la cruauté de ses
modèles artistiques. p
jacques mandelbaum
Film français de Baya Kasmi.
Avec Ramzy Bedia, Noémie
Lvovsky (1 h 37).
sages inconnus et de leurs dangers
venant tendre le miroir aux zones
inexplorées de l’inconscient. Les
adolescents abandonnent pro­
gressivement leur frivolité au
profit d’une gravité qui accapare
progressivement l’esthétique du
film, à travers une nature de plus
en plus grandiose, omnipotente,
réelle et quasi fantastique.
Histoire d’amitié, de vie et de
mort autour d’un trésor – sym­
bole d’une quête existentielle si­
bylline qui encombre plus qu’il
ne sert le récit –, Goodbye inter­
roge quelques notions fonda­
mentales, comme le libre arbitre
et l’ambition à laquelle chacun se
sent ou pas autorisé. Des secrets
se révèlent, des non­dits s’expri­
ment, des illusions meurent qui
conduisent nos jeunes héros à
l’âge adulte. Et enveloppent le
teen movie d’Atsuko Ishizuka
d’une douce mélancolie. p
véronique cauhapé
Film d’animation japonais
d’Atsuko Ishizuka (1 h 35).
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
pvvv POURQUOI PAS
L E S   A U T R E S   F I L M S   D E   L A   S E M A I N E
En plein jour
Documentaire français de Lysa Heurtier Manzanares (1 h 10).
Dans des jardins publics, des hommes et des femmes parlent
de leur sexualité et de leurs amours. L’une des protagonistes
raconte sa difficulté à continuer une relation dès lors qu’elle
se sent trop attachée ; un autre s’interroge sur le dogme
de la pénétration, une personne non binaire essaie d’envisager
sa sexualité au­delà du masculin et du féminin, etc. Certains
témoignages permettent de soulever des tabous, ouvrant
l’éventail des pratiques et des plaisirs, d’autres sont trop courts
pour réellement enrichir le débat. p cl. f.
Mon vieux
Documentaire français de Marjory Déjardin (1 h 17).
S’il y a un endroit où l’on n’attendait pas Elie Semoun, c’est dans
ce documentaire. Où il ne joue plus que son propre rôle, celui
d’un fils dont le père, atteint de la maladie d’Alzheimer, perd ses
repères. C’est aussi bien, à la lisière de sa rupture
et avant qu’il ne soit trop tard, du lien entre le fils et le père
dont ce film veut témoigner. Non pas tant du point de vue
de l’aidant qu’est devenu Elie – en cela, s’appeler Semoun
n’apporte rien de très singulier – que de la question lancinante
qui semble le tarauder depuis toujours. Orphelin de mère très
jeune, Elie Semoun semble n’avoir jamais pardonné à son père
le silence à peu près total dont il a d’emblée entouré cette
disparition. Terrible épreuve pour un fils, on le conçoit.
Etait­ce toutefois, à l’heure de l’insondable vacillement paternel,
le moment de la relancer avec lui ? De tenter de lui arracher,
in extremis, le secret de son silence ? A titre personnel, rien ne
nous autorise à en juger. Au titre de spectateur, il nous semble
qu’il aurait gagné, face à la faiblesse de son père, à consentir
enfin à son silence. p j. ma.
vvvv ON PEUT ÉVITER
Brillantes
Film français de Sylvie Gautier (1 h 43).
En 2011, le succès des Femmes du 6e étage, de Philippe Le Guay,
avait mis sur le devant de la scène une cinégénie socioprofes­
sionnelle – celle des femmes de ménage – plutôt inaccoutu­
mée, sauf le respect de Pauline Carton et d’Alice Sapritch. Le ci­
néma étant par ailleurs une industrie, la concurrence ne tarda
pas à occuper le terrain. On se souvient encore de Ouistreham
(2021), d’Emmanuel Carrère, ou des Femmes du square (2022),
de Julien Rambaldi, ce dernier fût­il consacré aux nounous.
C’est à présent Sylvie Gautier qui nous raconte les vicissitudes
prolétariennes d’une brigade de nettoyage industriel (interpré­
tée par les actrices Céline Sallette, Eye Haïdara, Souad Amidou,
Camille Lellouche), confrontée à la requalification par le bas
de leur pénible condition de travail. Le film fait le récit de leur
lutte, mais atteint assez vite ses limites, entre un naturalisme
dépourvu d’envergure, des scènes de vestiaire qui
se dupliquent les unes les autres, et une typologie rabâchée,
à laquelle on ne peut plus décemment souscrire. p j. ma.
À L’AFFICHE ÉGALEMENT
La Belle Bleue
Film français de Ronan de Suin (1 h 38).
La Guerre des Lulus
Film français de Yann Samuell (1 h 49).
Le Clan
Film français d’Eric Fraticelli (1 h 32).
Le Secret des Perlims
Film d’animation brésilien d’Alê Abreu (1 heure).
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Evolution
Nombre par rapport Total
de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis
d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie
Avatar. La voie de l’eau 5 974 174 998 ↓ – 31 % 11300542
Tirailleurs 2 237 688 596 ↓ – 39 % 694439
Le Chat Potté 2.
La dernière quête
6 141 663 728 ↓ – 7% 2301331
Les Cyclades 1 133 675 443 133675
L'Emprise du démon 1 74 905 254 74905
L’Immensita 1 74 200 207 74200
↓
Les Banshees d’Inisherin
Tempête
3
4
66 660
60 977
331
617 ↓
– 6%
– 38 %
253768
622671
M3gan 3 59 157 430 ↓ – 46 % 403420
Les Cadors 1 43 833 253 43833
AP : Avant­première * Estimation
Source : « Ecran total » Période du 11 au 15 janvier inclus
Avatar. La voie de l’eau, qui a signé le meilleur démarrage de l’année
2022, en France, avec 1 847 065 entrées cinq jours après sa sortie,
mercredi 14 décembre 2022, se maintient en tête pour sa cinquième
semaine d’exploitation, dépassant les 11 millions d’entrées. En
deuxième position, Tirailleurs, avec Omar Sy, frôle les 700 000
entrées, devant Le Chat Potté 2. La dernière quête qui, en sixième
semaine, perd peu de spectateurs et cumule 2,3 millions d’entrées.
Parmi les films sortis mercredi 11 janvier, Les Cyclades fait un bon
départ (133 675 entrées), mais L’Immensita, avec Penélope Cruz, n’a pas
déplacé les foules (74 200 entrées), ni Les Rascals (17 871). Black Pan­
ther. Wakanda Forever attire encore 28 000 spectateurs tandis que Si­
mone. Le voyage du siècle, en quatorzième semaine, pourrait bientôt
atteindre les 2,5 millions d’entrées.
ÉDITIO N Didier Decoin avait été
Didier Decoin contesté, à l’automne 2022,
réélu président à l’occasion de l’annonce des
de l’académie Goncourt finalistes du Goncourt qui
Le romancier Didier Decoin, avait eu lieu à Beyrouth. Une
77 ans, a été réélu, lundi partie du jury avait refusé de
16 janvier, président de s’y rendre, en réaction à des
l’académie Goncourt à l’una­ propos tenus par le ministre
nimité des voix sauf une. libanais de la culture.
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
La descente aux enfers du créateur des Chippendales
Le créateur de « Pam & Tommy », Robert Siegel, met en scène la genèse de la troupe de strip­tease masculin
DISNEY+
À LA DEMANDE
SÉRIE
A
vant de devenir un
classique un peu kitsch
des enterrements de
vie de jeune fille, les
Chippendales étaient une revue
de Los Angeles dont l’histoire est
aussi singulière que mal connue
de ce côté­ci de l’Atlantique. A mi­
chemin entre le biopic et le « true
crime », Welcome to Chippendales
s’inscrit dans la veine de Pam
& Tommy, la précédente – et excel­
lente – série du scénariste et réali­
sateur Robert Siegel. Avec pour
point commun de tirer d’un phé­
nomène de société une forme de
conclusion, dans les deux cas
plutôt amère, sur les paradoxes et
les limites du rêve américain.
A l’origine de l’idée folle qui
consiste à croire que les femmes
aussi aiment se rincer l’œil, il y a
un immigrant indien aux
passions bizarres : Hugh Hefner
(fondateur de Playboy), les belles
montres et un célèbre ébéniste
britannique. Somen « Steve » Ba­
nerjee, après avoir investi toutes
ses économies dans l’achat d’un
bar à Los Angeles à la fin des an­
nées 1970, se rend compte qu’il
faut le remplir. L’époque est délu­
rée, le sida n’a pas encore décimé
les corps sculpturaux qui s’exhi­
bent dans les bars gay, et Banerjee
Xavier Giannoli met Vincent Lindon au défi de la foi
Dans « L’Apparition », l’acteur incarne un journaliste chargé par le Vatican d’enquêter sur les apparitions de la Sainte Vierge à une jeune fille
ARTE
MERCREDI 18 - 20 H 55
FILM
U n crooner passé de mode
qui se prend à faire revi­
vre la flamme (Quand
j’étais chanteur, 2006). Un escroc
déguisé en chef de chantier qui
relève le défi du bien commun (A
l’origine, 2009). Un inconnu qui
devient célèbre du jour au lende­
main (Superstar, 2012). Une grande
bourgeoise, spécialiste des couacs,
qui se rêve en cantatrice (Margue­
rite, 2015). A force de creuser, de
GRILLE N° 23 - 015
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I parer aux meilleurs sur le parcours.
II
III
IV
V 8 3 6
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 014
HORIZONTALEMENT I. Factionnaire. II. Inavouée. Sen. III. Strass. Tient.
IV. CEE. TV. Lear. V. Acnés. EEE. Le. VI. Lecteurs. Nef. VII. Idéalistes.
VIII. Se. Il. Oit. Yl. IX. TNT. Azimutée. X. Etudieraient.
VERTICALEMENT 1. Fiscaliste. 2. Antécédent. 3. Carence. Tu. 4. TVA. Etai.
5. Ios. Sellai. 6. Oust. Ui. Ze. 7. Ne. Versoir. 8. Net. Estima. 9. Ile. Etui.
10. Isée. NS. Té. 11. Rénale. Yen. 12. Entrefilet.
Otis (Quentin Plair). DISNEY+/ERIN SIMKIN/HULU
flaire le bon filon. Après avoir es­
sayé le backgammon, les soirées
disco et les combats dans la boue,
il opte pour le fessier contracté. Le
concept aurait été peaufiné par un
producteur médiocre, qui fut briè­
vement l’associé de Banerjee, et sa
femme, Dorothy Stratten, une
playmate qui – c’est comme ça que
la présente la série – fera des
Chippendales les « unnies » de la
gent féminine. Leur disparition
film en film, la question de la
croyance (et de ses satellites, de
l’imposture jusqu’à la grâce), Xa­
vier Giannoli, grand distillateur de
fables consacrées au pacte fiction­
nel, devait un jour relever frontale­
ment le défi de la foi. C’est chose
faite avec L’Apparition (2018), à ceci
près que ce film à « twist », impos­
sible à étreindre, adopte une con­
duite plus sinueuse que rectiligne.
Blessé dans une zone de guerre
où Dieu a encore son mot à dire,
Jacques (Vincent Lindon), grand
reporter, est rapatrié d’urgence à
Paris, où, par une singulière ironie
7 8 9 10 11
brutale à la fin du premier épi­
sode, dans des circonstances
qu’on ne spoilera pas, laisse peu de
place au doute : l’histoire finit mal.
Racisme et Rolex
Mais cette séquence morbide a
l’avantage de nous retenir, au cas
où le défilé d’éphèbes en string et
nœud papillon n’aurait pas suffi.
La série, qui colle à la narration de
toutes les success stories à l’améri­
du sort sur cette terre sainte de la
laïcité, Dieu l’attend de nouveau,
en vertu de son ubiquité.
Personnage de taiseux
Il prend, cette fois, la forme d’un
appel téléphonique en prove­
nance du Vatican. On lui demande
d’exercer sa profession au sein
d’une commission d’enquête des­
tinée à prouver la véracité ou l’im­
posture du récit d’une jeune fille
du sud­ouest de la France, Anna, à
laquelle la Sainte Vierge serait ap­
parue à plusieurs reprises. S’in­
quiétant de la dimension que
HORIZONTALEMENT
I. Désuet et bien souvent ridicule.
II. Jeu d’images et d’esprit. Défenseur
sur le terrain. III. Suivi de près. Déran-
geai mes proches. Cours élémentaire.
12
IV. Equiperai la raquette. Pour se com-
V. Fait avancer à la campagne.
A la même maman. VI. Prises de bec.
Cours espagnol. Pour renforcer le
montage. VII. Scénique et spectacu-
laire. Pointe d’équerre. VIII. Très lé-
gère. S’installe en tête. IX. Pour traver-
ser sans se mouiller. Réduit à rien.
X. Couperaient les cheveux en quatre.
VERTICALEMENT
1. Peu de serrures lui résisteront.
2. Efface les trous et les saignées.
3. Pèse lourdement. Suit les affaires
dans la montée. 4. Qu’en est-il ?
Pointe d’étoile. 5. Accompagnent les
coutumes. Mettent à la disposition
des lecteurs. 6. Le parti de Sarko. Joli-
ment décorée. 7. Piège les jeunes oi-
seaux. Libre penseur. 8. Refusait la
vérité. Long cours de Russie. 9. Main-
tient le kimono en place. De juin à
septembre. Le titane. 10. Article. Lieu
de rencontres. Voleuse à l’opéra.
11. Partis au gré des vents. Les points
de la rose. 12. Laisse entrer en comp-
tant ou arrose à grandes eaux.
caine, se resserre au fil des épiso­
des autour de la rivalité entre
Banerjee et son directeur artisti­
que, Nick de Noia (Murray Bartlett,
qu’on n’arrête plus depuis The
White Lotus), qui se disputent la
paternité du succès des Chippen­
dales. A mesure que se creuse le
fossé entre les deux hommes, se
devine le poids du racisme que
subit Banerjee – et qu’il finit par re­
produire, convaincu que, pour
prend l’événement, le Saint­Siège
redouble de précautions.
Eloigné de la religion de son en­
fance et de la foi, sans leur être hos­
tile, Jacques relève le défi de l’en­
quête qui lui est confiée. Au sein
d’une commission très diverse­
ment constituée (du prêtre au psy­
chiatre) lui revient la tâche la plus
ingrate, celle d’enquêter selon les
règles de l’investigation journalis­
tique sur un phénomène, la vi­
sion, qui s’y soustrait par nature.
Cette aporie devient, hélas, celle à
laquelle se heurte le film lui­
même. Requis par sa mission,
SUDOKU
N°23­015
1 8
4 7
5 6 8 9
2 9
9 5 7 2 8 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
NOTRE NOUVEAU
HORS-SÉRIE
Face à la crise climatique,
les pistes de la presse étrangère
pour s’adapter, s’engager et lutter
contre le défaitisme ambiant.
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
télévision | 25
réussir dans cette société, il faut en
passer par là. L’immigré indien
aura beau accrocher une Rolex à
son poignet, il ne se sentira jamais
aussi américain que le charmant
chorégraphe aux yeux bleus.
Accaparée par la descente aux
enfers de Banerjee, Welcome to
Chippendales a par conséquent
tendance à survoler ce qui est
pourtant au centre de son sujet :
la fétichisation du corps mascu­
lin. Sauf peut­être à travers le
parcours d’Otis (Quentin Plair),
unique danseur noir de la troupe
et le seul à exister un peu en tant
que personnage.
Bien de son temps, la série valo­
rise le rôle des femmes dans le
succès des Chippendales, surtout
dans sa partie « artisanale » – la
comptable (Annaleigh Ashford)
conçoit le business plan du bar, la
couturière (Juliette Lewis) taille
des costards faits pour être arra­
chés avec un minimum d’efforts…
Le public féminin est bizarrement
absent du récit. Réduit à une foule
de bras tendus et à des cris d’ex­
tase, il semble être le seul rouage
de l’entreprise dont le mystère ne
nécessite pas d’explication. p
audrey fournier
Welcome to Chippendales,
de Robert Siegel. Avec Kumail
Nanjiani, Murray Bartlett,
Juliette Lewis, Quentin Plair
(EU, 2022, 8 x 45 min).
mais troublé par la jeune fille, le
personnage interprété par
Vincent Lindon – ici réduit à un
personnage de taiseux qui le rend
visiblement malheureux – se tient
continûment au milieu du gué.
La solution imaginée par Xavier
Giannoli afin de l’en tirer (une
piste policière menant, tel le Saint­
Esprit, à une troisième personne)
fait l’effet d’un deus ex machina
destiné à concilier tant l’hypo­
thèse de la vérité que celle du men­
songe. En un mot, à prôner, en ci­
néaste qui se respecte, les vertus
de l’illusion. Si subtile soit­elle,
3 1 5 7
8 2 9 3
7 4 6 9
6 4 5 9 7 2
6 8 4 5
7 2 3 1 6 4
4 6 2 8
1 7 8 4
9 5 3 1
3 2 Facile
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LE TEMPS
DE L’ACTION
NOTRE
SÉLECTION
ME RC R EDI 18 J ANVIE R
France 4
Renaud : Tournée d’enfer
21.10 Dans un décor de place
de village un jour de 14-Juillet,
ce concert de Renaud a été
enregistré au Zénith de Lille
en avril 2003.
Canal+
The Outfit
21.10 Première diffusion pour
ce film inédit en France de Graham
Moore, qui s’immerge dans le milieu
des truands des années 1950,
à travers la vie quotidienne de
Leonard (Mark Rylance), un tailleur,
et de sa boutique à Chicago.
France 2
Dangereux à perpétuité ?
23.05 Afin de déterminer le risque de
récidive, une équipe pluridisciplinaire
du Centre national d’évaluation
écoute et observe, nuit et jour, les
détenus de Fresnes (Val-de-Marne)
qui demandent une libération
anticipée. Frédérique Lantieri
les a suivis pendant une semaine.
France 3
Armées, les nouvelles menaces
23.15 Confrontée aux enjeux et
aux risques d’une guerre « de haute
intensité », l’armée française a ouvert
à France 3 Nouvelle-Aquitaine les
portes de l’usine, près de Limoges,
qui construit le Griffon, dernier-né
de la nouvelle génération de blindés.
cette dialectique semble inopé­
rante s’agissant d’un sujet aussi
brûlant que la représentation de la
foi au cinéma. Ici, il sera toujours
préférable de trancher entre deux
voies extrêmes : celle de Dreyer
(Ordet, 1955) et de Rossellini
(Voyage en Italie, 1954), ou celle de
Bergman (Le Septième Sceau, 1957)
et de Mocky (Le Miraculé, 1987). p
jacques mandelbaum
L’Apparition, de Xavier Giannoli.
Avec Vincent Lindon, Galatea
Bellugi, Patrick d’Assumçao
(Fr., 2018, 144 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
2 4 6 9 8
5 6 4 7 1 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
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9 7 8 5
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Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
26 | styles
Bateau­bus et bateau de pêche
se croisent dans la rade de Lorient.
JULIETTE PAVY/HORS FORMAT POUR « LE MONDE »
Lorient, l’appel du large
De la criée aux voiliers habités à l’année, de la citadelle
de Port­Louis au Pôle course et ses hangars à bateaux,
la cité du Morbihan est tout entière tournée vers la mer
VOYAGE
lorient (morbihan) ­
envoyée spéciale
A
vec son port de plai­
sance qui plonge au
cœur du centre­ville,
Lorient annonce
d’emblée sa teinte marine. Au
milieu des immeubles, les mâts
enchevêtrés semblent danser
vers le ciel. Certains voiliers
sont même habités à l’année.
Porte ouverte sur l’océan, la ville
du Morbihan avec sa rade pour
horizon incite immédiatement
à tourner le regard vers le large.
Sans doute pour ne pas s’attar­
der sur l’architecture austère de
la ville reconstruite après­
guerre. Une promenade au dé­
part du quai des Indes planté de
palmiers, de tulipiers et de peu­
pliers blancs offre de belles pers­
pectives sur le littoral en allant
jusqu’au Péristyle, quartier na­
tal de la ville. A peine quitte­t­on
les klaxons qu’on n’entend déjà
plus que les goélands et le vent
du large qui siffle dans les mâts.
C’est dans ce quartier que se
distingue l’aura historique de la
grande cité de commerce mari­
time que fut Lorient. La Compa­
gnie des Indes signe l’acte de
naissance de la ville en 1666.
Colbert, alors ministre de Louis
XIV, veut acquérir le monopole
du commerce maritime avec
l’Asie et concurrencer ainsi ses
homologues anglais et néerlan­
dais. Au croisement des fleuves
Scorff et Blavet, les ingénieurs
du roi pensent avoir trouvé l’en­
droit idéal destiné à devenir le
siège de la compagnie.
Un site désert, en friche, sur la
lande du Faouëdic qu’on nomme
d’abord « L’Orient », jusqu’à lui
faire perdre très vite son apostro­
phe. Depuis une pointe rocheuse
de la rade, la citadelle de Port­
Louis, bâtie au XVIe siècle par les
Espagnols, défend idéalement la
future ville de toute menace ma­
ritime, et, au large, l’île de Groix
joue les sentinelles. Café, thé, épi­
Lorient
Port
de Keroman
Citadelle
de Port-Louis
Larmor-Plage
Groix
5 km
ces, porcelaines, soieries… Les
précieuses richesses vont alors
défiler dans la cité portuaire.
Niché au cœur de la citadelle
fortifiée, le Musée de la Compa­
gnie des Indes est riche de ces
précieux objets d’époque mais
évoque aussi sans complaisance
le passé de Lorient, premier port
négrier de France entre 1723 et
1725. « Les esclaves ne transitaient
pas par la région. Les bateaux
quittaient les ports français avec
les marchandises de troc ou avec
l’avitaillement et prenaient les es­
claves sur le littoral africain pour
les conduire ensuite vers les colo­
nies qu’il fallait peupler », ra­
conte la directrice du musée, Bri­
gitte Nicolas, qui confie toutefois
à quel point « il existe un déficit
iconographique de la représenta­
tion du port de cette époque ».
Parmi les rares gravures ou pein­
tures, celles très connues du des­
sinateur Nicolas Ozanne (1728­
1811) relèvent plus du fantasme
que de la vérité historique.
Alors qu’elle fut le prestigieux
siège de la Compagnie des Indes,
la cité côtière de Port­Louis appa­
raît aujourd’hui comme un petit
« bout du monde » posté à l’em­
bouchure de la rade. Ses habi­
tants rejoignent quotidienne­
ment le centre­ville de Lorient
par des bateaux­bus en une di­
zaine de minutes. Une bouffée
d’air marin quotidienne qui
donne l’impression de passer
l’année à la plage. Même échap­
pée balnéaire pour les résidents
de Larmor­Plage, station située
de l’autre côté de la rade, dont le
port de Kernével est en perma­
nence plein à craquer avec ses
1 000 bateaux de plaisance amar­
rés aux pontons.
Depuis Kernével, un bout du
sentier côtier GR34 longe la
rade et mène en moins de
trente minutes à la presqu’île de
Keroman où se niche une an­
cienne base militaire de sous­
marins. Construite par les for­
ces allemandes durant la se­
conde guerre mondiale, elle fut
ensuite utilisée par la marine
nationale jusqu’en 1995. Re­
nommée Lorient­La Base, elle
attire désormais les grands voi­
liers de la course au large. Cette
mutation a commencé à la
toute fin des années 1990 lors­
que les skippers Alain Gautier et
Franck Cammas ont décidé de
s’installer à Lorient.
Le sanctuaire des skippeurs
Les bunkers militaires se trans­
forment alors peu à peu en han­
gars à bateaux. Le Pôle course au
large lorientais voit ainsi le jour
et, juste à côté, la Cité de la voile
Eric­Tabarly ouvre ses portes
en 2008. Sur les longs pontons,
les touristes déambulent désor­
mais devant les grands trima­
rans Ultim ou les voiliers mono­
coques Imoca, sur lesquels les
skippers s’affairent. « Pas de filtre
ni de barrière à l’entrée, l’accès aux
équipages est simple et direct à
Lorient­La Base. C’est une politi­
que assumée », affirme Julien Bo­
thuan, responsable de la capitai­
nerie de Lorient­La Base.
Accessible par tous les temps et
à tout moment de la marée, la
rade de Lorient est un précieux
terrain d’entraînement pour ces
engins de course pour qui la pro­
chaine Route du rhum ou le pro­
chain Vendée Globe n’est jamais
très loin. Le Pôle course compte à
ce jour 110 bateaux attachés au
port. « Nous proposons des pro­
grammes de formation, des en­
traînements, des stages de navi­
gation aux skippers installés à Lo­
rient­La Base », explique Pauline
Le Goulven, responsable de l’as­
sociation Lorient Grand Large
qui recense 130 skippers adhé­
rents. Dans la presqu’île de Kero­
man, toute une économie autour
de la course au large s’est déve­
loppée, entre architecture na­
vale, chantiers de construction,
voilerie ou production de nourri­
ture lyophilisée embarquée du­
rant les compétitions nautiques.
Située entre La Trinité­sur­mer
et Port­la­Forêt, Lorient tient dé­
sormais sa place entre ces deux
lieux historiques de la « Sailing
Valley » bretonne. Y aurait­il
comme un air balnéaire de Cali­
fornie dans le Morbihan ? Depuis
vingt ans, le surnom de « Lorian­
geles », contraction de Lorient et
de Los Angeles, colle en tout cas à
la ville et illustre à quel point la
plage, la mer et la voile sont dé­
sormais intimement associées à
son image. Hashtag récurrent
sur Instagram, Loriangeles (écrit
aussi « Loriengeles ») se retrouve
également en graffiti sur les bâti­
ments désaffectés en arrière­
plan du port de commerce de
Kergroise.
Tout au bout des quais, port de
commerce et port de pêche finis­
sent par se rejoindre sans réelle
frontière. Lorsqu’on emprunte
les bateaux­bus depuis cet en­
droit, on a ainsi une jolie vue sur
Son surnom,
« Loriangeles »,
illustre à quel
point la plage,
la mer et la voile
sont désormais
intimement liées
à son image
les deux entités maritimes. C’est
l’inauguration en 1927 d’un port
de pêche moderne qui fait bascu­
ler la cité dans l’ère de la pêche in­
dustrielle. Aujourd’hui, le port
de Keroman se dispute la pre­
mière place sur le podium des
ports de pêche français avec Bou­
logne­sur­mer (Pas­de­Calais).
La spécialité locale, c’est la lan­
goustine. Dans un ballet quoti­
dien parfaitement réglé, les ba­
teaux rentrent au port avec cette
pêche miraculeuse entre minuit
et 1 heure du matin. Avant les
premières lueurs de l’aube, vers
4 heures, les « vedettes » locales
sont encore bien vivantes et pas­
sent en première place à la criée :
« Pour mieux les conserver, les
langoustines sont maintenues
dans une salle spéciale aux allu­
res de thalasso avec la diffusion
d’une fraîche brume salée », ex­
plique Carole Boussion, média­
trice scientifique de la Maison de
la mer. Presque 1 000 tonnes de
langoustines ont ainsi été ven­
dues en 2021 sur la criée
lorientaise. Lorsque la criée se
calme, les ateliers de marée pren­
nent le relais. Ici, avec blouse,
charlotte et surchaussures, on
découpe des filets de sole ou de
lotte à une cadence infernale.
Avant la naissance de Kero­
man, les deux principaux ports
de pêche morbihannais étaient
Etel et Groix. C’est donc à sept
miles marins de Lorient, soit
quarante­cinq minutes de ba­
teau, que peut se finir la déambu­
lation dans la rade sur l’île des
thoniers, l’autre nom de Groix. A
l’arrivée à Port­Tudy, les nom­
breux bateaux de plaisance ont
peu à peu remplacé les dundees,
ces voiliers qui pêchaient le thon
en haute mer, surtout entre 1870
et 1940. La girouette de l’église
Saint­Tudy, ornée d’un grand
thon – et non d’un coq gaulois –,
raconte encore à quel point la pê­
che a marqué de son empreinte
l’histoire de cette île sentinelle
postée au large de Lorient. p
anne­lise carlo
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
C A R N E T
D E   R O U T E
Y ALL ER
Lorient est accessible
en moins de trois heures
en train depuis Paris
(Nantes, moins de deux
heures ; Rennes, moins
d’une heure trente).
SE LO GER
Hôtel Aiden. Au pied de
la gare, le décor de l’hôtel
s’inspire de l’univers de
la Compagnie des Indes.
Depuis Lorient, on vogue
jusqu’aux Mascareignes,
à Pondichéry et Canton.
A partir de 89 euros la nuit.
Hôtel Victor­Hugo. A deux
minutes à pied du port de
plaisance, cet établissement
est idéalement placé pour
humer l’air marin du centre­
ville. A partir de 50 euros
la nuit.
DÉJE U NER, DÎN ER
Club Bulot. Ce bar­restau­
rant de fruits de mer situé
au Péristyle, en bout de
jetée, offre un bain iodé
culinaire.
Camp de base Tara. Situé
à Lorient­La Base dans un
espace du hangar qui sert
de base technique à la
Fondation Tara Océan,
ce petit restaurant éco­
responsable, qui fait aussi
boutique design, propose
au déjeuner tartes, crum­
bles de légumes, wraps et
soupes 100 % maison.
À VO IR, À FAIRE
La Maison de la mer pro­
pose différents circuits au
sein du port de pêche de
Keroman, de la criée aux
aurores aux ateliers de
marée. Visites pendant les
vacances scolaires. Tarifs,
adulte : 6,50 euros ; enfant
entre 4 et 18 ans : 3,50 euros.
La Cité de la voile organise
la découverte guidée des
pontons du Pôle course
au large en juillet­août
à 16 heures. Tarifs, adulte :
6,80 euros ; enfant entre
7 et 17 ans : 3,40 euros.
Le Musée de la Compagnie
des Indes. Maquettes
de vaisseaux, estampes
etcartes anciennes, porce­
laines de Chine, cotonnades
indiennes racontent dans
ce musée d’art et d’histoire
l’incroyable épopée
du commerce maritime.
Tarifs, adulte : 8 euros,
gratuit pour les moins
de 26 ans.
Lorient est au 5e rang
de notre palmarès
« Le Monde » des 20 desti-
nations 2023. Retrouvez
l’ensemble du classement
en scannant ce QR code.
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023 carnet | 27
Jean-Pierre Courtiau, Catherine Jourdan Glasberg, Muriel Rist-Spohn, Barbara Rist, Claire et Raphaëlle Vinolas,
François-Laurent et Nathalie son épouse, ses filles, ses filles,
Contenay Bruno et Sonia, Nassim Medjoubi,
Hugues Leroy,
et leurs conjoints, Isabelle et Pascal, ses enfants, son gendre,
en vente Anne-Julie et Mathias Alain et Annie, son gendre,
Louise Medjoubi,
actuellement Le Carnet et leurs enfants, Nina et Armel, son frère et sa sœur Lucie et Hélena, Lou et Gabriel,
sa petite-fille,
Philippe Goetz Et toute la famille, ses petits-enfants,
et ses enfants, Florian et Anabel, Françoise Lucat,
Dominique Rist,
K En kiosque Daniel et Christine Contenay, ont la profonde tristesse d’annoncer son ancienne épouse,
Vous pouvez nous faire le décès de sa sœur, Nancy Stiegler,
ont la grande tristesse de faire part sa compagne,
0123
H O R S - S É R I E
ÉDITION 2023
parvenir vos textes du décès de Jimmy GLASBERG, Chantal et Alain Vinolas,
ont la tristesse de faire part du décès
LE BILAN
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE
directeur de la photographie, sa sœur et son frère,
DU MONDE de
soit par e-mail : Florence membre de l’AFC. Christiane Vinolas,
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS

COURTIAU-CONTENAY.
carnet@mpublicite.fr
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,

sa belle-sœur,
MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...

Ses obsèques auront lieu au M. Franklin RIST,

La cérémonie d’adieu aura lieu le Olivier, Aurélien, Julien, Benoît et
(en précisant impérativement cimetière de Ménerbes ( Vaucluse), le
vendredi 20 janvier 2023, à 10 h 30, mercredi 18 janvier 2023, à 14 heures. Hélène,
votre numéro de téléphone au cimetière parisien de Bagneux survenu le 10 janvier 2023, ses neveux et nièce,
et votre éventuel numéro (Hauts-de-Seine), 45, avenue Marx- dans sa quatre-vingt-unième année.
Dormoy. Philippe et Hélène Guilbaud,
d’abonné ou de membre Olivier Guilbaud, ont la douleur de faire part du décès
Irène Guilbaud et Alice Guilbaud, Il s’est éteint paisiblement, entouré de
de la SDL) Danielle Descombey, de ses proches.
Dès jeudi 19 janvier Christian Raulet, ont la tristesse de faire part du décès Didier VINOLAS,
soit sur le site : Cécile Raulet-Descombey,
de
La cérémonie aura lieu le lundi
commissaire divisionnaire honoraire,
HORS-SÉRIE

https://carnet.lemonde.fr Juliette Raulet-Descombey, Mme Monique GUILBAUD, 23 janvier, à 13 h 30, en la salle de la

détaché dans le corps préfectoral,
née SCHORSCH, Coupole du crématorium du cimetière aux préfectures
Gérard Danel,
L’équipe du Carnet ancienne professeure d’espagnol, du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, de la Sarthe (1991-1993),
reviendra vers vous ont la tristesse d’annoncer que
survenu à Créteil, le 4 janvier 2023.
Paris 20e. de la Seine-et-Marne (1993-1995),
de l’Aube (1995-1997)
dans les meilleurs délais Jeanne (Jeannette)
et de la Corse-du-Sud (1997-1998),
DESCOMBEY, Ses obsèques seront célébrées Cet avis tient lieu de faire-part.
LES DIEUX GRECS ET ROMAINS pour vous confirmer pédopsychiatre, en l’église Sainte-Marie-aux-Fleurs,
20, rue d’Alsace-Lorraine, à Saint-Maur- secrétaire général de la préfecture
la parution. nous a quitté.e.s le 11 janvier 2023, des-Fossés (Val-de-Marne), le vendredi
domirist1@gmail.com
de Paris (1998-2003),
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. 20 janvier, à 10 heures. m.rist@gmx.com
directeur général des services
barbara.rist@lecnam.net de la mairie de Paris 18e (2008-2012),
Dès jeudi 19 janvier carnet@mpublicite.fr Nous nous réunirons pour lui phiguilbaud@orange.fr
attaché de sécurité intérieure
https://carnet.lemonde.fr dire adieu, le lundi 23 janvier, o.guilbaud@gbo-avocats.fr
Marie-Thérèse Roussely,
à 13 h 30, à la maison funéraire à l’ambassade de France au Pakistan
HORS-SÉRIE
de Ménilmontant, 7, boulevard de son épouse, (2013-2018),
AU CARNET DU «MONDE» Ménilmontant, Paris 11e. Françoise Hardy,
Vincent et Nathalie,
L’EAU & LES OCÉANS son épouse,
Mathieu et Karine, chevalier de l’ordre
CARTES
Brigitte et Sylvie,
EN

L’inhumation aura lieu au cimetière national du Mérite,

Décès parisien d’Ivry-sur-Seine (Val-de- ses deux filles, ses fils et leurs conjointes,
Marne), à 15 heures, 44, avenue de Karim, médaille de la sécurité intérieure,
Clémentine, Léa, Megan et Tom,
Jean-Rémi et Eugénie Cabane, Verdun. son beau-fils, échelon or,
ses petits-enfants,
Bertrand Cabane, Rachel, Charlie et Roman,
Cécile Cabane et Olivier Boussard, Danielle Descombey, ses petits-enfants, survenu brutalement à Paris,
ses enfants, 10, rue Ernest Cresson, ont la tristesse de faire part du décès le 8 janvier 2023,
Diane, Matthieu, Elsa et Thomas, 75014 Paris. font part du décès de leur très cher de à l’âge de soixante-neuf ans.
ses petits-enfants, ddesc@orange.fr époux, père et grand-père,
Hors-série Jean Cabane,
Richard et Françoise Cabane, Gilbert HARDY, François ROUSSELY, Les obsèques auront lieu le vendredi
ses frères et sa belle-sœur, Dakar (Sénégal). Saint-Maur-des- 20 janvier, à 13 heures, au crématorium
Fossés (Val-de-Marne). commandeur
Ses neveux et sa nièce, survenu à Nemours, le 11 janvier 2023, du cimetière du Père-Lachaise, en la
HORS-SÉRIE

Les familles Cabane, Lalanne, Pardo, de la Légion d’honneur,

Les incontournables des à l’âge de quatre-vingt-dix ans. salle Mauméjean, Paris 20e, suivies de
Seydou Thierno, Karim-Franck, conseiller maître honoraire
PIEDS NICKELES Sentucq,
Anta-Caroline, Samir-Alain et Anne-
L’inhumation a eu lieu le 16 janvier, à la Cour des comptes,
l’inhumation au cimetière nouveau du
de René Pellos d’aprés Louis Forton

ont la douleur de faire part du décès Fatima, Raincy, à 15 h 45.

de ses enfants à 14 h 15, au cimetière de Montrouge président d’honneur d’EDF,
et leurs conjoints, Fatou, Maud, (Hauts-de-Seine). Cet avis tient lieu de faire-part et
M. Marc CABANE, Samba et Naomie, survenu le 10 janvier 2023, à Arpajon. de remerciements.
préfet honoraire, Luxembourg. Paris.
Karim, Saadiya, Théo-Salaam,
2
ALBUMS survenu le 12 janvier 2023, Nathan Sahel, Zaakiya, Malaïka, Jeanne et François, Un hommage lui sera rendu le Communication diverse
Les Pieds Nickelés font boum !
COMPLETS à l’âge de soixante-seize ans. Amani, Mohamed, Assane, Elijah, mercredi 18 janvier, à 15 heures, en la
Les Pieds Nickelés rois du pétrole
ses enfants,
ses petits-enfants, Emmanuel et Jean-David, cathédrale Saint-Louis-des-Invalides, Théâtre yiddish à Paris !
Hors-série Dans le souvenir de son épouse, ses petits-enfants, 129, rue de Grenelle, Paris 7e.
Ses frères et ses sœurs, Sa nièce, ses neveux Le Troïm Teater
Marie-Hélène CABANE, Et ses arrière-petits-neveux, de la Maison de la culture yiddish
née SENTUCQ. Toute sa famille, Ses obsèques auront lieu dans
100 GRILLES reprend
ont la douleur de faire part du décès l’intimité familiale dans son village Jacob Jacobson de Aaron Zeitlin
Pleyber-Christ. Beyrouth. Damas. L’ensemble du personnel du Groupe de
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 4

SUNU, de Belvès (Dordogne). en yiddish surtitré français,

Paris.
Mme Georges HEISBOURG,
Les familles Conan et Rouquette ont la grande douleur de faire part née Hélène PINET, Ni fleurs ni couronnes mais des du 8 au 12 février 2023
du décès de dons à l’Institut du cerveau. au théâtre de l’Opprimé
ont la tristesse de faire part du décès survenu le 11 janvier 2023, 78-80, rue du Charolais, Paris 12e.
de M. Pathé DIONE, à Luxembourg,
fondateur et président Famille Roussely,
à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans. Prix des places : 18 €
Jean-Noël CONAN, du Groupe SUNU, 5, allée du Moulin Vert,
architecte DPLG. officier de l’ordre national Les obsèques se sont déroulées dans 91700 Sainte-Geneviève-des-Bois.
Hors-série de la République de Côte-d’Ivoire, Réservation
l’intimité familiale, le 16 janvier, au https://theatredelopprime.mapado.
Les obsèques auront lieu le grand maître cimetière Notre-Dame à Luxembourg-
20 janvier 2023, à 10 h 30, en la paroisse de l’ordre du Lion du Sénégal, (Le Monde du 16 janvier.) com/
Saint-Joseph-des-Nations, Paris 11e. Limpertsberg.
survenu le 12 janvier 2023, à Créteil,
Marie-France, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Aix-en-Provence. Paris.
son épouse,
Martine, Lise et Cyrille, Les obsèques se sont tenues le Angéla Laprugne, née Riebisch,
ses enfants, dimanche 15 janvier 2023, à Dakar son épouse,
Nicolas, Mélanie, Aurélien, David, (Sénégal). Marithé (†) et Jean-François Jacoulet,
Christoph, Julien, Cécile, Rémi et sa sœur et son beau-frère,
Gaspard, Pour tout contact : Peter et Hilde Riebisch,
ses petits-enfants, sunu.participations@sunu-group.com son beau-frère et sa belle-sœur,
Valentina, Ange, Noé, Adriana, Gilles Jacoulet et Sophie Lengrand-
Léon et Aimé, Dominique, Olivier, Vincent et Aline, Jacoulet,
Musée idéal la revue n° 4 ses arrière-petits-enfants, ses enfants Olivier Jacoulet et Sophie Lussier-
ainsi que leurs conjoints, Jacoulet,

Collection ont la tristesse de faire part du décès

de
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants
Et toute sa famille,
Oliver et Katarine Riebisch,
ses neveux et nièces
et leurs enfants
Noël COULET, Et tous ses amis du 52, rue Mazarine,
P R É S E N T E
professeur émérite
ont la très grande tristesse de faire
d’histoire du Moyen Âge ont la tristesse d’annoncer le décès
à l’université de Provence, part du décès de
de
officier dans l’ordre des Palmes
académiques, Roseline DU CREST,
née de GRELING, Jean-Pierre LAPRUGNE,
brocanteur collectionneur d’art,
survenu brutalement à son domicile
à Aix-en-Provence, le 15 janvier 2023, survenu le 10 janvier 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans. à l’âge de quatre-vingt-sept ans. survenu à Aix-en-Provence,
le 12 janvier 2023,
Les obsèques seront célébrées le La cérémonie religieuse aura lieu à l’âge de quatre-vingt-six ans.
samedi 21 janvier, à 9 h 45, en l’Église le 20 janvier, à 10 h 30, en l’église
protestante unie, 4, rue Villars, à Aix- Sainte-Rosalie, Paris 13e. Les obsèques auront lieu le
en-Provence. lundi 23 janvier, à 16 heures, au
Elle sera inhumée le même jour, crématorium du parc Mémorial de
noelcoulet@gmail.com à 15 h 30, au cimetière de Loupeigne Provence, 2370, rue Claude-Nicolas
Dès jeudi 19 janvier, (Aisne), aux côtés de son mari. Ledoux, à Aix-en-Provence.
le volume n° 2 Société éditrice du « Monde » SA Gilles et Sophie Jacoulet.
DE BONAPARTE À NAPOLÉON Président du directoire, directeur de la publication Mme Marta Durieux, Jacoulet.gilles@wanadoo.fr
Louis Dreyfus son épouse,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la

Nos services publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio

Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
Mme Joëlle Perret,
sa fille,
Ses petits-enfants,
Les familles Berner, Leenhardt et
Groen,
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
Ses arrière-petits-enfants,
Lecteurs
fLelltondc
Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre ont la tristesse de faire part du décès
Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault ont la tristesse de faire part du décès
K Abonnements Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services
de de
Sur abo.lemonde.fr abonnés Françoise Tovo
Par tél. au 03 28 25 71 71 Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Jean DURIEUX, Marguerite LEENHARDT, Le Carnet
Gilles van Kote ancien rédacteur en chef
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davi-
denkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez de Paris Match,
survenu le 5 janvier 2023,
K Le Carnet du Monde (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),
Alain Salles (Débats et Idées) survenu le 8 janvier 2023, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Pour toute information:
carnet@mpublicite.fr Directrice du design Mélina Zerbib
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani carncl@mpuhliciLe.fr
Infographie Delphine Papin Une cérémonie aura lieu le
Directrice des ressources humaines du groupe
Emilie Conte
Les obsèques seront célébrées le
jeudi 19 janvier, à 10 heures, au
Prix à la ligne: 29,i0C TTC.
20 janvier, à 14 h 30, au crématorium
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico crématorium du cimetière du Père-
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, du cimetière du Père-Lachaise 17, rue
présidente, Gilles Paris, vice-président des Rondeaux, Paris 20e. Lachaise, Paris 20e.
 IDÉES
0123
28 | MERCREDI 18 JANVIER 2023

Benjamin Morel La méthode retenue pour faire passer

la réforme des retraites est plus qu’un détail technique
Le gouvernement a choisi d’inclure
sa réforme des retraites dans un projet de loi
de finances rectificatif de la Sécurité sociale.
Une décision de nature à fragiliser
la délibération démocratique, selon
le maître de conférences en droit public
de l’article 47­1 de la Constitution.
Celui­ci dispose que, « si l’Assemblée
nationale ne s’est pas prononcée en
première lecture dans le délai de
vingt jours après le dépôt d’un pro­
jet, le gouvernement saisit le Sénat
qui doit statuer dans un délai de
quinze jours ».
La procédure parlementaire im­
plique du temps. Le texte va d’abord
passer en commission, or sur un
Conseil d’Etat et le Conseil consti­
tutionnel, les PLFSS et leurs délais
resserrés deviendraient la norme
des futures réformes sociales.
Alors que l’on se pique de vouloir
ALORS QUE CHACUN réformer les institutions et que
SE DIT LE DÉFENSEUR chacun se dit le défenseur des
droits du Parlement, c’est là une fa­
DES DROITS DU çon radicale de marginaliser ce
dernier pour aujourd’hui, mais
PARLEMENT, C’EST LÀ aussi et surtout pour demain.

A
près de longs mois de tergi­
versations sur la méthode,
la décision a été prise par le
gouvernement de faire pas­
ser la réforme des retraites par la
voie d’un projet de loi de finances
rectificatif de la Sécurité sociale
(PLFSS rectificatif). Ce détail techni­
que a en réalité une incidence ma­
jeure. La crainte du gouvernement
est en effet d’être mis en échec par
une conjonction classique de qua­
tre facteurs : une opposition faisant
de l’obstruction à l’Assemblée ; des
grèves et une contestation qui
montent durant la bataille parle­
mentaire ; une opinion qui fait
grève par procuration en soutenant
les blocages ; une majorité qui se di­
vise sur la conduite à tenir.
Lors du précédent projet de loi re­
traite en 2020, le gouvernement a
été mis en difficulté par amateu­
risme procédural, puisqu’il s’est ap­
puyé sur l’ensemble des dispositifs
constitutionnels existants. Chat
échaudé craignant l’eau froide, il a
cette fois­ci sorti la grosse artille­
rie. En passant par un PLFSS rectifi­
catif, il s’assure de pouvoir faire
usage d’un 49.3, sans sacrifier une
cartouche pouvant être utilisée
pour un projet de loi ordinaire, no­
tamment le projet de loi immigra­
tion. Le PLFSS rectificatif ouvre
également la possibilité d’utiliser
le dispositif prévu au second alinéa
PLFSS la commission ne peut pas le
modifier, son examen n’a que va­
leur d’avis. Les évolutions propo­
sées doivent être adoptées en
séance. Ce sera donc du temps pres­
que perdu au regard des délais. Or si
l’on compte le temps passé en com­
mission et si une obstruction,
même très modérée, a lieu, il est
plus probable qu’in fine l’Assemblée
nationale n’ait même pas le temps
de voter le texte. Il sera alors trans­
mis au Sénat qui, en quinze jours,
n’aura guère le temps de l’apprécier
en détail. Il est même possible
qu’avant la Commission mixte pa­
ritaire et le vote final d’un bloc,
aucune des deux assemblées n’ait
vraiment eu l’occasion de se pro­
noncer sur l’ensemble du projet.
Nulle urgence
Les délais qui enserrent un PLFSS
ont un objectif : permettre l’adop­
tion d’un budget avant la fin de l’an­
née civile. En effet, si aucun n’est
adopté avant le 1er janvier, nous
pourrions nous retrouver en situa­
tion de shutdown (fermeture) à
l’américaine. Le constituant a donc
prévu des délais et, en cas d’échec,
une application temporaire par or­
donnance. Or, ici, pas de limite du
1er janvier, pas d’urgence, sauf à con­
sidérer que si la réforme n’était pas
votée en mars, le régime des retrai­
tes serait en faillite… ce que per­
sonne ne dit.
UNE FAÇON DE LE
MARGINALISER POUR
AUJOURD’HUI, MAIS
AUSSI POUR DEMAIN
En usant d’un tel dispositif, le
gouvernement prend un risque
procédural. D’abord, beaucoup de
dispositions risquent de ne pas en­
trer de manière évidente dans le
cadre d’un PLFSS. Ce véhicule n’a
pas été pensé pour porter une ré­
forme des retraites et les cadres de
la jurisprudence du Conseil consti­
tutionnel sont flous en la matière.
L’introduction de la fin des régi­
mes spéciaux notamment repré­
sente un risque. Ensuite, si le Con­
seil constitutionnel a validé l’usage
des délais pour les PLFSS rectifica­
tifs, c’était parce que ces derniers
étaient jugés urgents pour le main­
tien des comptes sociaux. En re­
vanche, il les a écartés pour les lois
de règlement au motif que celles­ci
ne revêtaient pas un caractère d’ur­
gence. Or ici, encore une fois, nulle
urgence au sens où cela est en­
tendu dans le cadre de la procédure
de l’article 47­1.
Surtout, un tel détournement de
procédure fait peser un risque dé­
mocratique. Si cette méthode de­
vait prospérer et être validée par le
Désenchantement politique aigu
Enfin, comment justifier de faire
passer une réforme aussi impor­
tante sans réel débat alors que le
sentiment de défiance envers le
politique est au plus haut et que
nombre de nos concitoyens ne
croient plus en la représentation
nationale ? Si vraiment voter ne
sert à rien, car les organes repré­
sentatifs sont marginalisés, alors
que dire aux millions d’absten­
tionnistes ? Si seule compte la
volonté du président de la Répu­
blique, que répondre à ceux qui
prônent le pouvoir d’un homme
fort faisant peu de cas des contre­
pouvoirs ?
Nos sociétés doivent affronter
une crise économique et un désen­
chantement politique aigu, il serait
donc temps de cesser de scier, par
pure opportunisme tactique, la fai­
ble branche sur laquelle nous som­
mes assis. Qu’elle soit absurde ou
nécessaire, cette réforme des re­
traites peut être un grand moment
de démocratie, à condition d’ac­
cepter d’en débattre. p
Benjamin Morel est maître
de conférences en droit public
à l’université Paris-Assas

Sébastien Crozier Le vrai débat

pés d’exosquelettes. Le compte pée, sur environ 650 000 dé­ compilés en 2020 par l’écono­
pénibilité de 2014, qui permettait parts annuels. Sur les quatre ans miste Michaël Zemmour dans
de déclarer une dizaine de fac­ et six ans d’espérance de vie Alternatives économiques mon­

n’est pas l’âge de départ

teurs de risque, travail de nuit, qu’elles ont de moins que les ca­ trent que la génération 1970
bruit et températures extrêmes, dres supérieurs, deux ans ont été aura, au moment de son départ à
s’est vu amputé, en 2017, de qua­ compensés. Et, les ouvriers et la retraite, 2,5 ans d’espérance de
tre facteurs permettant de vali­ employés représentant 45 % des vie de moins que la génération

mais la durée de vie en retraite

der des trimestres pour partir
plus tôt. Que l’on ait ou non prati­
qué la manutention de charges,
subi des postures pénibles, des
vibrations mécaniques et des
agents chimiques dangereux,
Le président du syndicat CFE­CGC au sein du groupe Orange cela ne change désormais plus
rien à l’âge de départ… Ce que le
déplore que la réforme des retraites envisagée gouvernement tente de faire
par le gouvernement soit la première à entraîner oublier, cinq ans après, avec un
fonds pour financer des « plans
un recul de l’espérance de vie en retraite de prévention » : même intention
louable sur le papier que le « trai­
actifs, chaque année plus de
100 000 employés et ouvriers
partent à la retraite à 62 ans, mal­
gré leur espérance de vie réduite.
Changeons de regard statistique
Pour être équitable, une vérita­
ble prise en compte de la pénibi­
lité est nécessaire. En 2017, la
Caisse nationale d’assurance­
vieillesse prévoyait qu’en 2024
un peu moins de 20 000 person­
nes anticiperaient leur départ à
1950 : 22,6 ans.
Ce n’est pas une question de fi­
nancement ou de conjoncture,
puisque les cotisations retraite
pourraient peser non plus seule­
ment sur le travail mais aussi sur
le capital.
Toute chose ressemble à un
clou pour celui qui a le marteau,
écrivait le psychologue améri­
cain Abraham Maslow, alors
changeons de regard statistique :
cessons de parler d’âge de départ

L
a réforme des retraites né­
glige les inégalités d’espé­
rance de vie et elle serait,
dans l’histoire récente, la
première régression de la durée
passée à la retraite. Elle n’est pas à
la hauteur du défi de la nouvelle
économie : prendre conscience
qu’elle s’appuie sur des gigafac­
torys (usines de très grande
LA GÉNÉRATION taille) et des travaux pénibles.
La croyance d’une partie des
1970 AURA AU élites en une France de services,
où l’ouvrier aurait disparu, a
MOMENT DE SON coûté deux millions d’emplois
DÉPART À LA industriels en trente ans. C’est
elle qui continue de nourrir les
RETRAITE 2,5 ANS réformes à répétition de l’âge de
départ à la retraite.
D’ESPÉRANCE DE Le confinement avait levé le
VIE DE MOINS QUE voile sur les professions essen­
tielles, montrant que, loin d’une
LA GÉNÉRATION dématérialisation généralisée,
l’économie repose sur un travail
1950 : 22,6 ANS souvent pénible. Au moment de
débattre sur les retraites,
n’oublions pas le secteur du bâti­
ment, qui tourne à plein régime
pour les Jeux olympiques de
2024, ni l’aéronautique, la chimie
et les cosmétiques, tout comme
le secteur agricole, qui sont nos
fleurons à l’exportation.
Postures pénibles
Rappelons que le numérique
aussi est une industrie qui ne re­
pose pas seulement sur ses ingé­
nieurs et développeurs mais éga­
lement sur le million de tonnes
de cuivre posé par France Télé­
com­Orange, sur des kilomètres
de fibre optique, déroulés pour
partie dans les égouts au milieu
des surmulots. Beaucoup de ceux
qui vont décider de l’âge de la
retraite travaillent dans un bu­
reau et s’illusionnent sur la réa­
lité du travail, allant jusqu’à dire
que les déménageurs sont équi­
tement social » du chômage avec
ce « traitement global » de la péni­
bilité, même inefficacité à résou­
dre les problèmes ? Le président
de la République avait déclaré ne
pas « adorer » le mot « pénibi­
lité », car il « donne le sentiment
que le travail serait pénible ». Nier
le mot n’a jamais fait disparaître
la réalité qu’il désigne.
Le moins mauvais indicateur
de pénibilité est l’espérance de
vie. Selon l’Insee, un ouvrier a
une espérance de vie inférieure
en moyenne de 6,4 ans à celle
d’un cadre supérieur. Et de
4,1 ans de moins pour un em­
ployé. La retraite anticipée pour
carrière longue permet à cer­
tains de partir deux ans plus tôt,
à condition d’avoir cotisé cinq
trimestres avant ses 16 ans ou
ses 20 ans et de réunir un nom­
bre minimum de trimestres.
En 2017, 187 000 personnes sont
ainsi parties en retraite antici­
la retraite de deux trimestres
grâce au compte pénibilité.
Même avant rabotage, la prise en
compte de la pénibilité était très
en deçà de la réalité des inégali­
tés sociales d’espérance de vie.
Une personne née dans les an­
nées 1970 peut statistiquement
espérer vivre deux ans de plus
que si elle était née dans les an­
nées 1950, mais la durée passée à
la retraite de 24,6 ans a été ré­
duite de deux ans par les réfor­
mes de 2010 et de 2014 obligeant
à travailler jusqu’à 62 ans,
d’après le Conseil d’orientation
des retraites.
Les réformes précédentes ont
empêché le progrès social con­
sistant à jouir d’un temps de re­
traite supérieur à celui des géné­
rations précédentes. La réforme
actuelle va plus loin. Elle serait la
première à entraîner une régres­
sion sociale : appliqués au projet
du gouvernement, les chiffres
à la retraite sous prétexte d’al­
longement de l’espérance de vie,
sans jamais comparer les deux
courbes. Pourquoi s’obliger à dé­
placer l’âge de départ, puisque
l’équilibre d’un système juste ré­
side avant tout sur le nombre de
trimestres cotisés ? Ainsi ceux
ayant commencé à travailler plus
tôt pourront partir plus tôt. Au
lieu de répéter de grandes décla­
rations sur le travail des seniors,
demandons aux Français s’ils
sont d’accord pour réduire leur
espérance de vie à la retraite. p
Sébastien Crozier préside
la Confédération française
de l’encadrement - Confédéra-
tion générale des cadres
Orange, premier syndicat du
groupe de télécommunications
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023 idées | 29

Laurent Vidal
« La place des Trois-Pouvoirs, à Brasilia, n’est pas
condamnée à devenir un cimetière de la démocratie »
La capitale brésilienne a été le théâtre, le 8 janvier, D’autres caractéristiques peuvent être
soulignées. D’abord, l’aspect monumen­
d’une tentative d’insurrection par des émeutiers tal des bâtiments pour traduire l’idée
d’extrême droite. L’historien analyse la symbolique d’une démocratie forte et puissante.
Ensuite, l’usage prépondérant de façades
profondément démocratique qui a présidé à la vitrées, qui ont été brisées le 8 janvier.
construction de cette place, visée par les assaillants En démocratie, elles symbolisent évi­
demment la transparence. Il y a enfin la
symbolique de l’eau, présente dans de
nombreux bassins autour des édifices,
ENTRETIEN en 1956, et Juscelino Kubitschek (1902­ permettant d’inscrire la vie politique
nous avons deux tours, reliées par un
couloir aérien, qui symbolisent un H :
celui du mot « humanité ».
Quant au Congrès et au Tribunal
suprême fédéral, ils ont comme élé­
ments caractéristiques leurs colonnes en
demi­losange, effilées à la base et larges
au sommet, posées sur leur pointe. Ces
demi­colonnes dialoguent entre elles et
partagent des caractéristiques commu­
nes avec les colonnes du palais de l’Alvo­
planade où se trouvent les ministères,
en amont sur l’Axe monumental. Ornée
d’immenses pelouses, elle accueille les
manifestations populaires, par exemple
celles exigeant ou refusant la destitu­
tion de la présidente Dilma Rousseff
en 2016. C’est le lieu où, contrairement à
la place des Trois­Pouvoirs, le peuple
vient faire valoir ses revendications, se
montre dans sa diversité, sa polari­
sation et ses divisions.

L
e 8 janvier, plusieurs milliers
d’émeutiers d’extrême droite dé­
vastaient les principales insti­
tutions brésiliennes, situées sur
la place des Trois­Pouvoirs, à Brasilia.
Spécialiste de l’histoire du Brésil, Laurent
Vidal est enseignant­chercheur à La Ro­
chelle Université et responsable scienti­
fique de l’ethnopôle « Humanités océa­
nes ». Il a consacré plusieurs livres à la
construction de cette capitale futuriste,
dont Les Larmes de Rio (Flammarion,
2009). Son prochain ouvrage, Villes et
histoire au Brésil, doit paraître en mars
aux Presses universitaires de Rennes.
Pour ceux qui ne la connaissent
pas, qu’est­ce que la place
des Trois­Pouvoirs ?
Comme son nom l’indique, c’est la
place qui accueille le siège des trois prin­
cipaux pouvoirs constitutionnels du
Brésil : le législatif, avec le Congrès, l’exé­
cutif, avec le palais présidentiel du
Planalto, et le judiciaire, avec le Tribunal
suprême fédéral. Elle est située tout au
bout de l’Axe monumental : une avenue
de 8 kilomètres, le long de laquelle sont
disposés la plupart des bâtiments of­
ficiels du gouvernement.
Cette place a été conçue dans un
contexte bien particulier. Nous sommes
1976) vient d’être investi président, mal­
gré de sérieuses menaces de putsch de
l’armée. Le projet de construction d’une
nouvelle capitale, qu’il porte, est censé
réunifier une société déchirée. A l’épo­
que, l’urbaniste brésilien Lucio Costa, en
voyage aux Etats­Unis, rencontre l’archi­
tecte Frank Lloyd Wright. « La démocratie
n’a pas encore construit », lui glisse ce
dernier, suggérant que les monarchies et
régimes autoritaires ont tous édifié des
capitales, à l’inverse des démocraties
modernes. Cette réflexion remue Lucio
Costa et le convainc de concourir pour
dessiner le plan pilote de Brasilia.
Comment cela se manifeste­t­il
sur la place des Trois­Pouvoirs ?
Il s’agit de représenter concrètement
la démocratie, c’est­à­dire d’abord l’équi­
libre des pouvoirs, d’où l’usage du trian­
gle équilatéral pour la disposition des
trois bâtiments. Sur la place, de forme
rectangulaire, ceux­ci entrent en réso­
nance. Ils se regardent et d’une certaine
manière se surveillent, se contrôlent…
Mais, pour Lucio Costa, il s’agissait aussi
de promouvoir la démocratie de forme
parlementaire. Le Congrès est le plus
vaste et le plus massif des trois édifices.
Le terrain a été surélevé pour que le
législatif domine visuellement le judi­
ciaire et l’exécutif, placés en contrebas.
dans une forme d’intemporalité.
Il y a plusieurs autres éléments
très symboliques…
Oui. Rappelons que si l’urbaniste Lucio
Costa a dressé la scène, c’est l’architecte
Oscar Niemeyer qui a fixé le décor. Il est
l’auteur des trois édifices. Pour le
Congrès, il a imaginé ces deux coupoles :
la première, orientée vers le ciel, symbole
d’ouverture sur la société, domine la
Chambre des députés, et la seconde,
repliée vers le sol, manifeste la réflexion,
la sérénité, et domine le Sénat. Entre eux,
« C’EST UN LIEU
OÙ LE PEUPLE
EST CONVOQUÉ
PAR LE POUVOIR
POUR DE GRANDS
MOMENTS D’UNION
ET DE CONCORDE
NATIONALES »
rada, résidence du chef de l’Etat, autre
prouesse architecturale de Niemeyer,
située plus à l’est à Brasilia. Malraux
considérera lors d’un voyage à Brasilia,
en 1959, qu’il s’agit des plus belles qu’il
ait vues « depuis les colonnes grecques ».
On l’a découvert, ce sont aussi
des musées remplis d’œuvres d’art…
Oui. La plupart des œuvres dégradées
par les émeutiers sont contemporaines
de la création de Brasilia. Lucio Costa et
Oscar Niemeyer considéraient l’architec­
ture comme une synthèse des arts. Sur la
place des Trois­Pouvoirs, ils ont travaillé
avec des peintres, des sculpteurs, des
céramistes, des verriers… On peut égale­
ment parler du mobilier, essentiel et
pour partie dessiné par Niemeyer…
Vous qualifiez la place
des Trois­Pouvoirs d’« espace
civique ». Pourquoi ?
La place des Trois­Pouvoirs est un lieu
où le peuple est convoqué par le pouvoir
pour de grands moments d’union et de
concorde nationales. C’est ici qu’on a
évidemment inauguré Brasilia, mais
qu’on célèbre aussi la prise de fonctions
des présidents ou les victoires en Coupe
du monde. C’est ici que fut fêtée la pro­
mulgation de la Constitution de 1988.
La place est à mettre en miroir avec l’es­
Que retenir sur le plan symbolique
des destructions du 8 janvier ?
Il est encore difficile de savoir ce qui a
été spontané et organisé. Il s’agit évidem­
ment d’une attaque contre la démocra­
tie, mais aussi contre une certaine idée
du Brésil, divers, métissé, humaniste. On
a vu une toile de Di Cavalcanti, représen­
tant des femmes de couleur, tailladée
sauvagement ; une galerie contenant des
bustes de grandes figures abolitionnistes
a été brisée au sol. Le fauteuil de la prési­
dente du Tribunal suprême, Rosa Weber,
conçu par le designer polono­brésilien
Jorge Zalszupin, survivant de la Shoah,
totalement saccagé. Tout cela ne paraît
pas être le fruit du hasard…
Mais ce lieu n’est pas condamné à deve­
nir un cimetière de la démocratie. Lula,
qui connaît la force des symboles, a tenu
dès le 10 janvier à traverser la place des
Trois­Pouvoirs entouré des chefs du lé­
gislatif et du judiciaire, des gouverneurs,
de parlementaires et de maires du pays.
Une image de concorde… comme s’il
voulait réensemencer ces lieux outragés.
Finalement, la place des Trois­Pouvoirs,
c’est la scène de théâtre du Brésil, où se
rejoue sans cesse son histoire. p
propos recueillis par
bruno meyerfeld
(rio de janeiro, correspondant)

Mauricio de Oliveira Campos Junior

Reconstruire le Brésil après quatre ans de saccages
L’avocat pénaliste et ancien secrétaire d’Etat brésilien à la défense social dit son émotion face à l’assaut lancé, le 8 janvier, par les partisans
de l’ancien président Jair Bolsonaro contre les symboles de la démocratie

L
es attaques du 8 janvier
contre les bâtiments pu­
blics et les symboles de la
démocratie brésilienne ne
peuvent être relativisées ni rester
impunies. Les meneurs, les fi­
nanceurs ou la simple masse par­
tisane, animés d’un esprit civi­
que et révolutionnaire confus,
masse hystérique et hors du
temps, doivent être punis de
manière ferme et rapide, tant par
la privation de liberté pour les
crimes commis, que par l’indem­
nisation des dommages causés
sur les biens et le patrimoine.
En tant qu’avocat, je suis tra­
versé d’un sentiment qu’il m’est
difficile d’exprimer. Le Tribunal
suprême fédéral fait partie de
mon environnement de travail ;
c’est un édifice que j’ai fréquenté,
solennellement, respectueuse­
ment, tant de fois sans jamais
imaginer qu’il serait un jour la
scène et la victime d’une telle bar­
barie… Un mélange de honte et
de chagrin profond m’envahit, du
type que l’on connaît lors d’un
deuil peut­être. La dimension sa­
crée des espaces publics, le sym­
bole des palais où sont installés
les pouvoirs de la République, la
mémoire nationale incarnée
dans des œuvres d’art et des do­
cuments historiques précieux,
ont été brutalement profanés.
Ce n’est pas un hasard si les atta­
ques les plus viles contre les trois
pouvoirs (exécutif, législatif et ju­
diciaire) ont visé du mobilier et
des œuvres d’art. Nous avons as­
sisté à des scènes cherchant à im­
poser des humiliations capricieu­
ses, certains se vautrant dans les
fauteuils de ministres, des fau­
teuils signés par le génial archi­
tecte Jorge Zalszupin (1922­2020),
d’autres dans les fauteuils des pré­
sidents des Chambres législatives,
d’autres encore urinant sur une
tapisserie réalisée par l’artiste
Burle Marx (1909­1994), ou en sac­
cageant les toiles du peintre Di Ca­
valcanti (1897­1976) et les sculptu­
res de Bruno Giorgi (1905­1993),
pour ne citer que quelques exem­
ples. Une horloge offerte par la
cour de France à la famille royale
portugaise, une pièce précieuse
du patrimoine national brésilien,
a été fracassée par un groupe
d’hallucinés qui, sans honte,
s’autoproclament « patriotes ».
Sans l’ombre d’un doute, les
violences physiques et morales
perpétrées par ces profanateurs
contre les symboles des institu­
tions démocratiques de la Répu­
blique brésilienne regorgeaient
d’une créativité redoutablement
perverse. La foule de hooligans
bolsonaristes, aux visages ordi­
naires et à l’uniforme jaune et
vert, s’est monstrueusement mé­
tamorphosée jour après jour, gal­
vanisée par un discours de haine
persistant, asséné par un chef lâ­
che – aujourd’hui réfugié à
l’étranger –, agressif, dans les ges­
tes et les paroles ; un chef lâche
qui n’a eu de cesse de mettre à
LA DIMENSION
SACRÉE DES
ESPACES PUBLICS
ET LA MÉMOIRE
NATIONALE ONT
ÉTÉ BRUTALEMENT
PROFANÉES
mal les institutions démocrati­
ques et leurs représentants dans
une débauche de vulgarité, de
grossièreté, de sarcasme, de déni­
grement. Le chef a sans cesse
cherché un prétexte pour justi­
fier la rupture avec la démocratie,
si souvent par lui annoncée.
Nous avons trop craint d’en faire
un martyr et nous avons trop
longtemps accepté son comporte­
ment nauséabond, en attendant
que la démocratie s’impose par
l’arbitrage des urnes. Lamentable­
ment, la connivence officielle de
personnages publics populistes,
ou simplement opportunistes, a
permis l’installation de campe­
ments antidémocratiques qui,
peu à peu, ont rassemblé des hor­
des d’individus en tout genre. Des
cabossés, des fanatiques, des per­
sonnes âgées isolées, des person­
nes souffrant de troubles de
toutes sortes et d’autres pauvres
bougres ont eu, d’un coup, l’im­
pression d’avoir une voix qui
porte et une légitimité sociale
dans ce monde, incarnant le sacri­
fice et le patriotisme.
Ils devenaient des héros en­
grangeant des followers sur les
réseaux sociaux… Des invisibles
propulsés sous les feux de la
rampe des algorithmes, comme
jamais dans leur vie. Des gens qui
jusque­là n’étaient pas pris au
sérieux ont commencé à croire
qu’ils étaient des agents de la
transformation sociale, assu­
mant un refrain qui, petit à petit,
a conduit à parier sur le chaos et
la violence comme moyens de ré­
soudre les frustrations. La tête du
mouvement antidémocratique a
ouvertement contribué à distiller
un climat de chaos imminent.
Les petits chefs et le troupeau
Et en même temps, de nouveaux
petits chefs se sont multipliés
parmi le troupeau, organisant
concrètement le mouvement qui
en est arrivé à fomenter un coup
d’Etat. Le projet était de provo­
quer la convulsion pour légitimer
l’arrivée au pouvoir des forces
armées, sous le couvert de réta­
blir l’ordre public. Il est nécessaire
d’unir, de réorganiser et de
reconstruire le Brésil après quatre
ans de graves saccages touchant
la santé, l’environnement, l’édu­
cation, la culture, la politique in­
ternationale et les relations entre
les institutions démocratiques.
Cette urgence nous a sauté au
visage, ce 8 janvier, avec ces actes
de violence contre les trois pou­
voirs de la République, contre la
démocratie, contre la mémoire,
contre l’histoire, contre les sym­
boles de la nation. Je souhaite que
les conséquences judiciaires frap­
pent comme il se doit tous les
auteurs des crimes qui ont fait de
la place des Trois­Pouvoirs une
terre brûlée, et que le choc de leur
incarcération dans des établisse­
ments pénitentiaires, qu’ils
n’auraient jamais imaginé fré­
quenter un jour, puisse enfin les
réveiller de leur transe. p
(Traduit du portugais par
Benoît Le Bouteiller)
Mauricio de Oliveira
Campos Junior a été
secrétaire d’Etat à la défense
sociale (2007-2010). Ancien
professeur à la faculté de droit
de l’Université pontificale
catholique du Minas Gerais
(Brésil), il a été conseiller
fédéral du barreau brésilien
 0123
30 | idées MERCREDI 18 JANVIER 2023

Les flottements de Pap Ndiaye au ministère de l’éducation

ANALYSE A l’inverse de son prédécesseur, Jean­Mi­
chel Blanquer, qui possédait déjà une
teintée de prudence et de discrétion a ses
vertus – les syndicats apprécient ce sens de
puis janvier de reprendre la main en axant sa
politique sur les « savoirs fondamentaux ».

C
ertains disent qu’il est « prudent »,
d’autres « timoré ». Certains jugent
qu’il « fait un travail de fond »,
d’autres qu’il « navigue à vue ». Cer­
tains affichent leur déception, d’autres at­
tendent encore de voir. Près de huit mois
après son arrivée à la tête du ministère de
l’éducation nationale, beaucoup d’acteurs du
monde éducatif comme du monde politique
LES ENSEIGNANTS  s’interrogent encore sur la capacité de Pap
NE PARDONNENT  Ndiaye à endosser son rôle et à peser politi­
quement, au­delà du symbole que repré­
AUCUNE  sente la désignation d’un homme noir, « pur
produit de la méritocratie républicaine »,
APPROXIMATION  comme il aime à le rappeler, à la tête d’une
des plus grandes administrations de l’Etat.
AU MINISTRE,  La surprise de sa nomination a cédé la place
ET L’EXÉCUTIF  à la perplexité : Pap Ndiaye peine à s’imposer.
Le ministre est cerné de toute part, il est vrai.
LUI LAISSE PEU  L’extrême droite attend le moindre faux pas
pour intenter un procès en wokisme, les en­
– VOIRE PAS –  seignants ne lui pardonnent aucune approxi­
DE MARGES  mation, l’exécutif lui laisse peu – voire pas –
de marges de manœuvre, quand ce n’est pas
DE MANŒUVRE Brigitte Macron qui vient le contredire.
Les premiers pas du ministre Pap Ndiaye
ont laissé des traces. Son silence derrière Em­
manuel Macron lors de l’un de ses premiers
déplacements à Marseille, en juin 2022, tout
comme le discours du chef de l’Etat devant les
recteurs, fin août 2022, ont donné l’impres­
sion tenace d’un ministre peu sûr de lui, dans
l’ombre d’un président qui décide de tout.
équipe et une idée précise des évolutions à
mettre en œuvre, Pap Ndiaye s’est installé
Rue de Grenelle sans connaître les arcanes
de la machine qu’est l’éducation nationale,
sans réseau ni équipe constituée. Le nou­
veau ministre a appliqué son savoir­faire
d’universitaire : prendre le temps de se
plonger dans les dossiers, confronter les dif­
férents points de vue, notamment à travers
des déplacements fréquents sur le terrain.
Un procédé à rebours des habitudes politi­
ques et d’une époque marquée par l’immé­
diateté des réseaux sociaux.
L’historien spécialiste des minorités arrive,
et il le sait, à un moment particulier pour
l’école française : le malaise dans la profes­
sion grandit, après cinq ans entre épidémie
de Covid­19 et réformes qui ont épuisé les en­
seignants. Pis : le métier n’attire plus et le sys­
tème ne parvient toujours pas à réduire les
inégalités de naissance. « Les constats sont
durs », a asséné le ministre, dans Le Monde, le
22 décembre. Une tribune qui a surpris tant
sur la forme que sur le fond, sept mois après
son arrivée aux manettes. « La tâche du mi­
nistre de l’éducation nationale est devenue
quasi impossible au vu de l’état de tension de
la société et du milieu professionnel », com­
mente un ancien recteur.
La méthode Pap Ndiaye, fondée sur le dia­
logue et la concertation, a pour ambition ini­
tiale de renouer avec une profession trauma­
tisée par les années Blanquer. Cette stratégie
l’écoute, dont ils avaient perdu l’habitude –,
mais provoque aussi des moments de flotte­
ment. Après avoir qualifié dès septembre le
collège d’« homme malade du système », des
mesures devaient être annoncées en no­
vembre avant d’être retardées dans l’attente
d’« arbitrages de l’Elysée et de Matignon », a
fait savoir l’entourage du ministre aux syn­
dicats. Ces annonces ont finalement eu lieu
début janvier et ne concernent que la classe
de 6e, pour une heure supplémentaire de
soutien ou de renforcement en français ou
en mathématiques. La suite est renvoyée à
une concertation ultérieure.
Le chantier des salaires
Concernant le dossier de la mixité sociale
sur lequel Pap Ndiaye aimerait imprimer sa
marque en parallèle de la feuille de route
gouvernementale, le ministre crée aussi de
l’attente. Après avoir déclaré à plusieurs re­
prises que « l’école est injuste pour les pau­
vres », il doit annoncer sa politique en la ma­
tière « courant janvier ». Mais, là encore, la
scolarisation de ses enfants à l’Ecole alsa­
cienne – un établissement privé sous contrat
élitiste parisien –, sur laquelle il est interrogé
à chaque interview, vient troubler le mes­
sage qu’il souhaite faire passer.
Pap Ndiaye a beau faire, il n’arrive pas affi­
cher « une ligne claire », de l’avis d’observa­
teurs du système éducatif. Sa méthode at­
teint déjà ses limites. Le ministre tente de­
Ses services ont édicté des directives précises
sur la dictée en classe de CM1­CM2, notam­
ment. Une manière de se montrer à la
manœuvre sur un sujet qui passionne les
Français et rassure les parents d’élèves, mais
qui braque les enseignants attachés à leur li­
berté pédagogique.
Or Pap Ndiaye ne pourra gagner ses galons
de ministre que s’il réussit un chantier hau­
tement sensible : la revalorisation salariale
des enseignants. Chacun s’attend déjà à des
déceptions, au vu de l’ampleur du décro­
chage depuis des décennies. Le dossier, pour
lequel les discussions reprennent entre mi­
nistère et syndicats ce 18 janvier, a pâti d’an­
nonces floues, malgré une enveloppe im­
portante de 935 millions d’euros en 2023.
La revalorisation inconditionnelle de 10 %
promise par Emmanuel Macron lors de la
campagne électorale est devenue « une
moyenne » qui touchera avant tout les pre­
mières moitiés de carrière à partir de la ren­
trée 2023. La profession rejette en outre mas­
sivement l’idée d’un « pacte » qui doit per­
mettre aux enseignants volontaires d’obte­
nir une rémunération supplémentaire en
contrepartie de nouvelles missions. La ré­
forme des retraites et l’inflation qui grignote
toute avancée risquent de compromettre la
réussite sur ce dossier. L’heure est venue
pour Pap Ndiaye de fendre l’armure. p
sylvie lecherbonnier
(service société)

CHRONIQUE | PAR FRÉDÉRIC LEMAÎTRE LA RÉSISTANCE DÉPOUSSIÉRÉE

Attention, l’économie LIVRE nement et les conditions météo­
rologiques hivernales ont rendu
l’étude des « faux maquis », com­
posés d’individus qui se faisaient

chinoise va repartir ! J anvier 1943, Fritz Sauckel, res­

ponsable de la mobilisation
de la main­d’œuvre pour le
la vie et les combats très difficiles
pour ces hommes inexpérimen­
tés au départ, pour la plupart.
passer pour des résistants afin de
mieux rançonner les paysans.
Les illustrations sont un des
IIIe Reich, réclame 250 000 points forts de l’ouvrage. La part

I l aura suffi que la Chine aban­

donne sa politique zéro Covid et
que le virus se répande à toute vi­
tesse dans le pays pour que certains
Occidentaux prédisent la chute de Xi
Jinping, voire du Parti communiste
chinois. « La Chine est à l’aube d’une
grande tragédie. Elle pourrait briser le
contrat implicite entre le Parti commu­
niste et les Chinois : vous dirigez le pays,
mais vous prenez soin de nous, la po­
pulation », écrit le diplomate Jean­Ma­
rie Guéhenno, sur Twitter, fin décem­
bre 2022. « Xi Jinping est en sursis pré­
caire, car, à la minute même où la co­
lère des Chinois deviendrait si grande
que le régime pourrait en être ébranlé,
le parti sacrifierait son numéro un sans
une seconde d’hésitation et au plus
grand bonheur de tous ceux qu’il avait
écartés de la direction », prédit même
sur son site le député européen Ber­
nard Guetta (Renew Europe).
Certes, les images d’hôpitaux débor­
dés et de files d’attente devant les cré­
matoriums fonctionnant vingt­qua­
tre heures sur vingt­quatre ont fait le
tour du monde. Mais, ne nous y trom­
pons pas, dans le même temps, la
Chine repart. Les gares, les aéroports,
les hôtels et les restaurants font face à
une affluence qu’ils n’avaient pas con­
nue depuis 2019. Les réservations
dans les restaurants pour le 21 janvier,
veille du Nouvel An lunaire, ouvrant
l’année du Lapin, atteindraient 90 %
du niveau de 2019.
Il suffit de se promener dans n’im­
porte quel lieu touristique pour cons­
tater que, après trois ans de politique
zéro Covid, les Chinois sont ravis de
pouvoir de nouveau voyager et sortir
entre amis, ou retrouver leurs fa­
milles auxquelles certains n’avaient
pas pu rendre visite pendant ces an­
nées de pandémie. Certes, ils ont com­
pris que le nombre de décès dus au
Covid était infiniment supérieur à ce
que reconnaît le pouvoir, même si ce­
lui­ci a revu les chiffres à la hausse, le
14 janvier, mais ils savent aussi que le
virus a fait des ravages dans le reste du
monde, notamment aux Etats­Unis.
MALGRÉ LA GESTION  envisageait d’investir 10 milliards de
DE L’APRÈS­ZÉRO COVID,  Guangdong « afin de satisfaire la de­
LES CHINOIS N’ONT PAS  ques en Chine ». On peut certes tou­
FORCÉMENT ENVIE DE  jours miser sur la chute du Parti com­
RENVERSER XI JINPING
Si la popularité de Xi Jinping – tou­
jours difficile à évaluer – va sans doute
pâtir de cet afflux de décès, en déduire
que sa légitimité est remise en cause
par les Chinois relève davantage du
travailleurs français pour le
15 mars. Le gouvernement de Vi­
chy décide alors que tous les jeu­
nes Français nés entre 1920 et 1922
devront travailler en Allemagne
Risques et sacrifices
L’approche thématique s’avère ef­
ficace, faisant alterner rappels né­
cessaires et angles neufs. Ainsi,
M. Grenard revient sur les opéra­
belle revient aux photographies
qui révèlent des scènes inédites
comme cet enterrement d’un ma­
quisard dans le Var, pendant le­
quel ses camarades, fusils pointés
wishful thinking – une opinion déter­ pour une durée de deux ans. Si le tions de sabotage les plus fameu­ vers le ciel, tirent une salve pour
minée par ce que l’on souhaite – que service du travail obligatoire (STO) ses – comme la destruction du via­ lui rendre hommage. D’autres ty­
de l’analyse. Nombre de Chinois se de­ ILS ONT PRIS  crée un choc au sein de la jeunesse duc de Bussy­Varache (Haute­ pes d’archives jalonnent
mandent certes si ces trois années de LE MAQUIS française, seuls de 25 000 à 35 000 Vienne) par Georges Guingouin et l’ouvrage : comme des notes de
politique zéro Covid étaient vraiment de Fabrice Grenard, réfractaires font le choix de ses hommes en mars 1943 –, tout police et des articles parus dans la
nécessaires, mais ils continuent de Tallandier/ministère « prendre le maquis » et de rejoin­ en s’attardant sur des enjeux mé­ presse montrant les efforts dé­
penser que leur pays a mieux, ou, en des armées, dre la Résistance. Leur nombre ne connus, comme la place prépon­ ployés par le régime de Vichy et
tout cas, moins mal, géré cette épidé­ 192 pages, 26 euros gonflera qu’après le débarque­ dérante des étrangers dans le ma­ l’armée allemande pour traquer
mie que les Etats­Unis, le seul pays ment allié du 6 juin 1944, attei­ quis – José Gonzalvo Uson, ancien et décrédibiliser les maquisards,
avec lequel ils se comparent. gnant 137 000 après la Libération. officier de l’armée républicaine es­ qualifiés de « terroristes ».
Fabrice Grenard, directeur histo­ pagnole, devint le chef des Francs­ On retiendra également la mise
Ne pas louper le coche rique de la Fondation de la Résis­ tireurs et partisans en Dordogne. en page aérée et les mises en
De fait, la gestion de l’épidémie de Co­ tance, renouvelle la manière de ra­ Autre chantier historiographi­ exergue de témoignages des ac­
vid­19 par les autorités n’a pas été par­ conter cette histoire, d’abord en que récent abordé : la place des teurs, essentielles pour compren­
faite, tant s’en faut. Elle a reposé sur restituant toute son ampleur : du femmes. Anna Coissac, Andrée dre les risques et les sacrifices in­
un contrôle totalitaire de la popula­ plateau enneigé des Glières jus­ Audoin et Hilde Weill, militantes hérents à cette expérience com­
tion qui a été efficace sur le plan sani­ qu’aux bois touffus de Corrèze, en du Parti communiste clandestin, battante en pleine nature. Une
taire les deux premières années avant passant par les grottes en Corse. La sont recrutées par Georges Guin­ belle synthèse incarnée qui mon­
de montrer ses limites et de se voir de prise en compte de ces différents gouin pour servir d’agentes de tre au plus près ceux qui « prirent
moins en moins bien accepté par les théâtres de résistance lui permet liaison. Place est faite également à le maquis ». p
Chinois. On peut également repro­ de montrer comment l’environ­ des décalages bienvenus comme antoine flandrin
cher aux autorités de ne pas avoir
pensé l’après­zéro Covid, qui, pour­
tant, s’imposait depuis l’arrivée du
variant Omicron, au début de l’année
2022. Mais les Chinois n’ont pas forcé­
ment envie de renverser Xi Jinping
Comme on s’aime | par giulia d’anna lupo
pour autant. Le plus probable est que
les mécontents vont profiter de la
réouverture des frontières et de la dé­
livrance de visas pour émigrer, mais
que l’immense majorité des Chinois
va s’habituer à vivre avec le Covid­19
comme le reste de la planète.
Le principal enjeu pour le pouvoir
est maintenant la reprise de l’écono­
mie. Celle­ci, selon les experts, de­
vrait être progressive. Mais les mi­
lieux d’affaires sont dans les starting­
blocks. « Je n’arrête pas de recevoir des
coups de téléphone. Tout le monde
veut venir en Chine », témoigne un di­
plomate du sud de l’Europe. L’an­
nonce par le groupe industriel alle­
mand Bosch, le 13 janvier, d’un inves­
tissement de 1 milliard de dollars
dans un nouveau centre de recherche
en Chine le confirme.
Même les Américains ne veulent
pas louper le coche. La société pétro­
lière et gazière ExxonMobil a fait sa­
voir, il y a quelques semaines, qu’elle
dollars (9,2 milliards d’euros) dans le
mande croissante de produits chimi­
muniste chinois, mais, en attendant,
les affaires reprennent ! p
0123
MERCREDI 18 JANVIER 2023
FRANCE | CHRONIQUE
par fr ançoi se f re ssoz
Marine Le Pen
dans toutes les têtes
T
ous unis ! La détermina­
tion avec laquelle les
syndicats et la gauche se
battent pour tenter de
mettre en échec la réforme des re­
traites ne s’explique pas seule­
ment par leur volonté d’infliger
un revers au président de la Répu­
blique dont ils contestent l’orien­
tation idéologique. Elle ne tient
pas non plus uniquement à la
crainte de se laisser déborder par
des colères incontrôlées, comme
ce fut le cas lors du mouvement
des « gilets jaunes ».
Si, pour la première fois depuis
douze ans, les syndicats jouent
groupés dans la bataille, avec en
appui des partis de gauche sou­
dés contre le projet de retraite à
64 ans, c’est qu’un autre adver­
saire s’est enkysté dans le paysage
politique. Marine Le Pen est dans
toutes les têtes. Le risque que la
fondatrice du Rassemblement
national puisse faire basculer le
pays dans quatre ans, après trois
échecs consécutifs au scrutin pré­
sidentiel, est passé de faible à sé­
rieux. L’élection, en juin 2022, de
89 députés RN a été un coup de
semonce d’autant plus brutal que
personne ne l’avait anticipée.
Faire barrage au RN n’est plus
vécu comme un combat moral
mais comme l’obligation de rega­
gner des points dans l’électorat po­
pulaire perdu dont une partie sert
de force de propulsion à Marine Le
Pen. Au premier tour de la prési­
dentielle, la candidate a obtenu
36 % des suffrages exprimés chez
les ouvriers et autant chez les em­
ployés, selon l’enquête Ipsos­So­
pra Steria, réalisée du 6 au
9 avril 2022, auprès de 4 000 per­
sonnes inscrites sur les listes élec­
torales. Dans l’ensemble du sala­
riat, elle a devancé de 4 points Em­
manuel Macron (28 % contre 25 %).
Remise en cause
A gauche, la première réunion pu­
blique de mobilisation contre la
réforme des retraites a eue lieu, le
10 janvier, à l’initiative de François
Ruffin. Cela ne doit rien au hasard.
Le député de La France insoumise
(LFI) est celui qui a jeté un pavé
dans la mare après la séquence
électorale du printemps, en osant
relativiser la performance accom­
plie par Jean­Luc Mélenchon :
après avoir obtenu près de 22 %
des suffrages à la présidentielle
mais raté la qualification pour le
second tour, le leader des « insou­
mis » est parvenu à regrouper sous
la bannière de la Nouvelle Union
populaire écologique et sociale
(Nupes) des forces de gauche jus­
que­là éparses en vue du combat
législatif. Résultat : 149 élus mais
pas de majorité. Pour que réussite
il y ait, encore eût­il fallu que la
gauche ne subisse pas le revers
que lui a infligé le RN dans les
bourgs et les campagnes, a cons­
taté en termes polis l’« insoumis ».
Depuis, François Ruffin se dé­
multiplie pour tenter de ramener
à la gauche l’électorat perdu. Fus­
tigeant « un monde où il y a ceux
qui se gavent et ceux en bas qui
sont rationnés en permanence », il
renvoie dos à dos Marine Le Pen
et Emmanuel Macron, accusés de
faire les yeux doux aux patrons.
Jouant sur la corde de la considé­
ration, il s’érige en défenseur des
« auxiliaires de vie sociale, des
agents d’entretien, des caristes »,
bref de tous ceux dont le rôle
avait été salué pendant la crise
due au Covid­19 et qui vont devoir
FRANÇOIS RUFFIN SE 
DÉMULTIPLIE POUR  est fixé et tel qu’il est interprété est
TENTER DE RAMENER  empêche un changement radical. »
À LA GAUCHE  Des propos passés relativement
L’ÉLECTORAT PERDU
0123 | 31
CONSOLIDER 
LA CRÉDIBILITÉ  seau international des conseils consultatifs Le budget 2023 prévoit le financement
pour le climat et a inspiré la création d’un d’un vaste chantier de recrutement, dont il
DU HAUT CONSEIL 
POUR LE CLIMAT
équivalent européen. Mais les récents dys­
fonctionnements qu’elle connaît jettent un
doute sur sa capacité à remplir ses objectifs.
faut espérer qu’il soit mené à bien rapide­
ment. Actuellement, le secrétariat du HCC
ne compte plus aucun analyste, une fonc­
Lors de la publication de son dernier rap­
port annuel, en juin 2022, sa réputation a
été entachée, et la confiance ébranlée en in­
tion indispensable à l’élaboration des rap­
ports. Tous sont partis à la fin 2022, de ma­
nière volontaire ou parce que leurs con­
terne. Certains membres s’étaient émus de trats n’ont pas été renouvelés. Le HCC a
sujets « écartés ou édulcorés ». Nombre ainsi subi une profonde désorganisation,
POUR LA PREMIÈRE  d’entre eux avaient par ailleurs rejeté une qui a révélé des situations de souffrance au
première version de son résumé, jugée trop travail et a entraîné l’ouverture d’une en­
FOIS DEPUIS DOUZE  « complaisante » à l’égard du gouverne­ quête administrative. Celle­ci s’est conclue
ment et « orthogonale » quant à son con­ en dédouanant la direction, mais les ten­
ANS, LES SYNDICATS  tenu. Des membres regrettaient encore, sions restent fortes. L’institution doit prou­
après sa publication, une « inquiétante dé­ ver qu’elle est capable de les surmonter.
JOUENT GROUPÉS 
DANS LA BATAILLE 
DES RETRAITES
L a solidité d’une institution indépen­
dante requiert au moins deux préala­
bles : disposer des moyens nécessai­
res pour assumer sa mission et se doter de
modes de fonctionnement qui ne prêtent
politisation » du document et un « ton plus
en retrait que les années précédentes ».
La direction a tout fait pour déminer la
crise, arguant d’un fonctionnement normal
où le premier jet est amélioré au rythme de
Au­delà, la direction devra s’assurer que
le HCC a toujours les moyens d’évaluer
non seulement la trajectoire des émis­
sions de gaz à effet de serre de la France – à
ce stade insuffisante pour atteindre les ob­
pas le flanc à la critique, afin de ne pas saper versions successives. Surtout, pour justifier jectifs climatiques –, mais aussi les consé­
travailler deux ans de plus pour sa crédibilité. Le Haut Conseil pour le climat un rapport rédigé et bouclé rapidement, quences de la transition, qu’il s’agisse de
toucher leur retraite. (HCC), chargé d’évaluer les politiques publi­ elle a pointé des problèmes de sous­effectifs mobilité, d’agriculture, de santé ou de tou­
Le communiste Fabien Roussel ques dans ce domaine, a peiné, ces derniers chroniques. De fait, depuis l’origine, le HCC risme. C’est à ce prix qu’elle pourra inciter
affiche la même stratégie. « L’en­ mois, à remplir ces deux conditions. est doté de moyens insuffisants pour éva­ à l’accélération des politiques publiques.
jeu est d’aller conquérir un électo­ La structure installée en 2018 par Emma­ luer une transition écologique dont l’ur­ Pour cela, l’institution doit être capable de
rat populaire que nous avons nuel Macron sous l’autorité du premier mi­ gence ne cesse de croître. Ce manque de dire en toute indépendance ce qui va dans
perdu et d’unir le monde du tra­ nistre avait pourtant réussi ses débuts en moyens a sérieusement perturbé le rythme le bon sens, comme dans le mauvais sens.
vail. Je veux m’atteler à briser le s’imposant comme un acteur majeur du de publication de l’organisation. Ses recom­ Une autorité indépendante n’est ni une
mur de l’abstention et celui de l’ex­ débat public. Ses rapports sont régulière­ mandations sur les systèmes alimentaires, ONG ni une courroie de transmission du
trême droite », proclame­t­il, sa­ ment repris par la justice, les parlementai­ les mobilités du quotidien ou encore le plan pouvoir. C’est de ce fragile équilibre que le
medi 14 janvier, dans Le Journal res ou encore les ONG. Son aura lui a même de sobriété du gouvernement n’ont pas pu HCC tirera toute sa légitimité et son utilité
du dimanche, sans garantie d’y permis d’assurer une coprésidence du ré­ aboutir dans les temps, faute d’experts. publique. p
parvenir. Son score à la présiden­
tielle a été faible (2,28 % des suffra­
ges exprimés), et Marine Le Pen
veille jalousement sur son électo­
rat. En déplacement samedi à Fis­
mes (Marne), elle a qualifié la ré­
forme des retraites de « véritable
escroquerie » et promis de mener
la bataille à l’Assemblée pour
compenser l’absence de ses trou­
pes dans les manifestations. Son
pari : continuer d’incarner une
forme de respectabilité, face à de
possibles désordres dans la rue.
Le slogan de la retraite à 60 ans,
validé par l’accord Nupes, est le si­
gne le plus manifeste de l’évolu­
tion d’une gauche en rupture avec
son passé gestionnaire. Certes, il
ne recouvre pas le même projet
selon que l’on s’affiche commu­
niste, « insoumis », Vert ou socia­
liste, mais sa mise en avant, sur
fond de guerre fratricide au Parti
socialiste, témoigne de l’ampleur
de la remise en cause.
A droite, c’est autour d’un autre
nombre fétiche, 65 ans, que s’in­
carne le changement en cours.
« Pour maintenir les retraites, il va
falloir travailler à terme plus long­
temps. La retraite à 65 ans, c’est
inéluctable », proclamait pendant
la campagne présidentielle Valé­
rie Pécresse, fidèle à la ligne libé­
rale et européenne affichée cinq
ans plus tôt par François Fillon.
A peine élu à la tête du parti, Eric
Ciotti a au contraire mis comme
condition à un accord avec le gou­
vernement que la barre tombe à
64 ans, pour atténuer le caractère
trop brutal de la réforme. Une par­
tie des députés, à l’instar d’Auré­
lien Pradié (Lot), continue d’exer­
cer la pression pour que le sort de
ceux qui ont commencé à tra­
vailler à 20 ans soit amélioré. Dans
ce camp aussi, la traque aux injus­
tices et la volonté d’incarner une
droite plus populaire conduisent à
des remises en cause dont on ne
mesure pas encore bien l’ampleur.
Un dernier signe témoigne du
poids pris par Marine Le Pen dans
le débat. Interrogé le 12 janvier
dans Le Point à propos de l’immi­
gration, Edouard Philippe qui, à la
tête d’Horizons, prétend à la suc­
cession d’Emmanuel Macron, se
rallie à une idée défendue par le
RN et désormais reprise à son
compte par la droite : pour avoir
les coudées franches sur un sujet
qui irrite l’électorat populaire, il
va falloir réviser la Constitution.
JUSQU’À 60% DE RÉDUCTION
« Si vous voulez faire une politi­
que d’asile européenne, il faut que
les pays européens se mettent d’ac­
cord et il faudra changer la Consti­
tution », plaide­t­il. Avant d’ajou­
ter : « On peut même parler de la
Profitez des soldes sur une sélection exclusive
Convention européenne des droits
de l’homme, de la convention de
de produits à retrouver sur boutique.lemonde.fr.
Genève. Le cadre juridique tel qu’il
un système qui contraint et qui
inaperçus et pourtant significa­
tifs des disruptions en cours. p
 Un plongeur remonte une coupelle
en céramique de la période pacajes (1150-1400)
sur le bateau où se trouve Christophe Delaere,
l’archéologue belge codirecteur de la mission
Projet Titicaca, en juillet 2018. TEDDY SEGUIN/ULB
Le lac Titicaca livre enfin ses secrets
Depuis près de dix ans, une équipe Amanda Chaparro
Lac Titicaca (Bolivie) - envoyée spéciale
internationale d’archéologues
D
ans la petite embarcation scientifi-
mène des fouilles en Bolivie sur le site que, les journées commencent tôt,
naturel pour comprendre l’histoire rythmées par le bruit incessant du
bateau à moteur et le ballet inin-
préhispanique, encore largement terrompu des plongeurs qui s’en-
méconnue, du lac navigable foncent à tour de rôle dans les eaux froides du lac
Titicaca, en Bolivie. Le travail est à flux tendu et
le plus haut du monde l’organisation méthodique. La mission dure cinq
semaines et il n’est pas question de perdre un
­instant. Mais, parfois, une découverte extraordi-
naire vient bouleverser le dispositif.
En cet après-midi du mois de mai 2022, un
­frisson parcourt l’équipage. Un des archéologues
La recette Greffer une plante
du béton romain transgénique sans
pour traverser laisser de traces
les siècles Des scientifiques allemands
ont réussi à faire passer
Une équipe du MIT une modification génétique
a découvert la botte secrète des racines aux graines,
ayant préservé ce matériau une première qui interroge
VWPICS/AP
de l’usure du temps sur la définition des OGM
Page 3 Pag e 2
Cahier du « Monde » No 24272 daté ­­Mercredi 18­ janvier 2023 - Ne peut être vendu séparément
plongeurs a identifié une hache d’une quaran-
taine de centimètres, quasi intacte, enfouie sous
des couches de sédiments, à 10 mètres de pro-
fondeur. Avec une précaution infinie, l’objet sera
remonté lors d’une deuxième plongée.
La hache est un exemplaire rare et peut-être
unique dans l’Altiplano, qui pourrait dater de
l’époque inca, voire d’une période antérieure,
selon Christophe Delaere, chercheur à l’Univer-
sité libre de Bruxelles, codirecteur de la mission
d’archéologie baptisée « Projet Titicaca ». Mis-
sion que le gouvernement bolivien a souhaité
ne pas ébruiter avant janvier 2023.
La pièce présente un manche en bois travaillé
pyrogravé ; la lame est composée de différents
­alliages. Le bois date d’au moins « cinq cents ans »,
S. PEROLARI POUR « LE MONDE »
affirme l’archéologue, tout en l’auscultant déli-
catement, ce qui est « incroyable vu son état de
conservation ». L’objet passera au crible d’une
­datation au carbone 14.
Si la hache a pu traverser les siècles, c’est grâce
aux conditions subaquatiques du lac, qui per-
mettent une excellente conservation : sans lu-
mière, à température constante, plongée dans
l’eau en milieu anaérobie, évitant ainsi son oxy-
dation. « Le lac agit comme un gros frigo. Sur
terre, elle n’aurait pas tenu trois décennies »,
s’enthousiasme le chercheur de 36 ans. Objet
emblématique de la puissance inca, était-il cé-
rémoniel ou guerrier ? Il est encore tôt pour le
savoir, mais, sur le bateau, l’émotion est là.
→ L i r e l a s u i t e pag e s 4 - 5
Entretien
Alerte sur la
recherche médicale
Nouveau président de
l’Académie des sciences,
le médecin Alain Fischer
dénonce les conditions de
financement de la recherche
biomédicale en France
Page 8
 Actualité
2| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 18­ janvier 2023

Une greffe transgénique ravive le débat sur les OGM

Biologie - Des chercheurs allemands combinent plusieurs techniques afin d’éditer le génome de végétaux sans y laisser de traces

C
ombiner l’une des techniques de
modification de l’ADN les plus avan-
cées à l’une des méthodes de mani-
pulation végétale les plus ancien-
nes, la greffe : c’est l’idée présentée
le 2 janvier dans la revue Nature Biotechnology
par une équipe de l’Institut Max Planck de
physio­logie moléculaire des plantes, à Potsdam
(Allemagne). Friedrich Kragler et ses collègues y
décrivent comment ils ont utilisé Crispr-Cas9,
un outil d’édition du génome « nobélisé »
en 2020, pour modifier l’arabette des dames, une
plante modèle, avant de greffer sur celle-ci une
tige « sauvage », non modifiée. Ils ont ensuite
constaté qu’une partie des graines produites par
le greffon étaient porteuses des modifications
génétiques souhaitées.
« Le fait qu’un message passe des racines aux
fleurs est fascinant en soi », note Friedrich Kragler,
qui travaille depuis une vingtaine d’années sur la
mobilité des acides ribonucléiques (ARN) dans
les plantes. Les ARN sont des molécules-clés,
­notamment dans le transport, la régulation et la
traduction de l’information génétique portée par
l’ADN dans les cellules et entre les tissus. Chez les
plantes, leur circulation à longue distance passe
par le phloème, système vasculaire emprunté par
la sève, mais aussi par des virus porteurs d’une
conformation moléculaire similaire aux acides
ribonucléiques de transfert (ARNt) − on parle de
« tRNA-like sequences », ou TLS.
En 2016, l’équipe de Potsdam avait montré que
des structures de type TLS permettent le trans-
port à longue distance de molécules d’ARN, d’un
côté à l’autre de tissus végétaux greffés. « L’idée
nous est alors venue qu’on pourrait utiliser cette
technique pour faire des organismes génétique-
ment modifiés », raconte Friedrich Kragler, qui
rappelle que la greffe est utilisée depuis des mil-
lénaires − et pas seulement dans la vigne, pour
la sauver du puceron phylloxéra, mais aussi sur
nombre d’arbres fruitiers.
Graal de la sélection variétale…
Entrons dans le détail de la « cuisine moléculaire »
de l’équipe allemande. Elle a d’abord génétique-
ment modifié l’arabette pour qu’elle synthétise
des molécules destinées à remplir trois fonctions :
transporter ces molécules des racines aux feuilles
et aux fleurs grâce au passeport que constituent
les TLS ; couper l’ADN des cellules de la partie
­aérienne de la plante grâce à la protéine Cas9 ; et y
insérer une information génétique portée par un
ARN servant de guide. Restait à voir si cette molé-
cule produite dans le porte-greffe transgénique
allait bien circuler et s’exprimer dans le greffon
« naturel ». C’est ce qui a été constaté, à faible
­fréquence, y compris quand on greffait une
plante cousine, le colza, sur la racine d’arabette.
Sans qu’on sache comment cela fonctionne, le
tout formerait bien un « système mobile d’édition
du génome », qui a en outre le mérite d’« intro-
duire une caractéristique recherchée en une seule
génération », se réjouit Friedrich Kragler. Car, si
Crispr-Cas9 est déjà utilisé pour modifier, grâce à
divers vecteurs, dont des bactéries ou des virus,
le génome de certains végétaux, tous n’accep-
tent pas ces interventions nécessitant des phases
de culture in vitro et de régénération. Autre in-
convénient : il est impératif de nettoyer ensuite
le génome de la variété à vocation commerciale
Greffer des plantes sur des racines transgéniques pour les modifier
1 Greffe 2 Transport
Greffon « naturel »
(arabette ou colza)
Transport des
Coupe de la tige
molécules entre
pour la greffe
les racines et les
parties aériennes
Arabette
génétiquement
modifiée ARN mobile
Des racines aux fleurs
CRISPR-Cas9,
Les racines de la plante génétiquement (outil d’édition
modifiée produisent un système mobile du génome)
d’édition du génome.
Infographie : Le Monde ; Marianne Pasquier
des séquences qui font partie de la logistique
d’insertion du « gène d’intérêt » − comme la sé-
quence Cas9, susceptible d’induire des coupures
du génome indéterminées, des gènes de résis-
tance à un antibiotique ou à un herbicide utili-
sés pour repérer les spécimens où la transgénèse
est bien intervenue, etc. Il faut donc réaliser des
rétrocroisements pour « purger » le génome, ce
qui prend plusieurs générations, souvent des
années, pour atteindre une « pureté théorique »
qui reste incomplète.
Mais M. Kragler assure que, ici, les séquences
permettant la synthèse du ciseau moléculaire et
du transporteur TLS sont d’emblée absentes des
descendants. En somme, on gagne le gène, sans la
machinerie génétique qui a permis sa transplan-
tation, une formule présentée comme le Graal de
la sélection variétale. Le chercheur évoque déjà
une collaboration en cours avec une équipe
­sud-coréenne pour produire des porte-greffes de
pommiers résistants à certains champignons.
Pour les arbres fruitiers, « l’avantage du gref-
fage est de gagner beaucoup de temps, grâce à
une mise à fruit rapide possible des greffons per-
mettant d’éviter toute la phase juvénile », com-
mente Marianne Mazier. Pour cette chercheuse à
l’Institut national de recherche pour l’agri­culture
(Inrae Avignon) qui travaille sur la modification
de la tomate par Crispr-Cas9, « ces travaux inno-
vants peuvent apporter des solutions pour les
plantes récalcitrantes à la transformation, par
exemple du piment greffé sur de la tomate ». En re-
vanche, souligne-t-elle, l’obtention d’un nombre
suffisant de graines transformées « risque d’être
un souci pour pas mal de plantes cultivées »,
3 ARN en protéine 4 Modification de l’ADN 5 Graines modifiées
Cas9
L’ARN est
Une partie des graines produites
converti en
par le greffon sont porteuses
protéine Cas9
des modifications génétiques
6 Nouvelle génération
modifiée
Coupe de l’ADN des cellules
précurseuses des graines.
Grâce à la protéine Cas9,
insertion d’une information
TLS
(passeport pour génétique portée par un ARN
le transport servant de guide, ce qui induit un
jaunissement de la plante. Plantule avec ADN modifié
à longue distance)
Source : RTDS Association Yang et al., Nature Biotechnology, 2 janvier
moins prolifiques en la matière que l’arabette. jugé, dans un arrêt du 25 juillet 2018, que la
Autre difficulté : l’extension de la technique aux ­directive sur les OGM 2001-18 s’applique aussi
grandes cultures dans lesquelles la greffe reste aux nouvelles techniques de mutagénèse, dont
encore expérimentale. « Des travaux récents ont fait partie Crispr-Cas9. Une position sur laquelle
montré que c’était possible pour le maïs ou le riz, la Commission européenne pourrait revenir
mais on ne sait pas encore à quel point ce sera ­réglementairement dans les prochains mois.
­facile », admet Friedrich Kragler, qui reconnaît « J’espère que ça va changer, appuie M. Kragler,
que, « pour le blé, c’est un peu plus compliqué ». car c’est une des réglementations les plus stupides
qui soient. Elle autorise des plantes issues d’an-
… ou « économie de la promesse » ciennes méthodes de mutagénèse qui sont impré-
S’il juge d’intérêt « la partie la plus fondamentale visibles, pleines de “off target”, alors que Crispr-
de ces travaux », Yves Bertheau, directeur de re- Cas9 est plus rapide, plus sûr et bien plus ciblé. Je
cherche honoraire Inrae au Muséum national ne vois aucune raison de réguler sous le régime
d’histoire naturelle, n’est pas convaincu par leur OGM les plantes ainsi transformées − même s’il
application et évoque « une économie de la pro- est nécessaire de les nettoyer des transgènes
messe ». En l’absence de séquençage ultraprofond comme ceux d’antibiorésistance. » Autre ques-
sur plusieurs lignées, les preuves de l’absence de tion qui fâche généralement quand on parle des
séquences étrangères ne lui semblent pas, en OGM : leur traçabilité. « Notre produit sera im-
outre, suffisamment solides. Autre inconnue : possible à tracer génétiquement. Cela signifierait
« On ignore ce qu’il en est des modifications hors de le rendre transgénique. Je n’en vois pas l’inté-
­cible induites par Crispr-Cas9 », note le Français. rêt », indique Friedrich Kragler. Une assertion
Son confrère allemand admet que les analyses sur « fausse » qui laisse Yves Bertheau « pantois ».
d’éventuelles altérations « off target » n’ont pas Le système TLS utilisé par les chercheurs est
encore été conduites, mais, pour lui, « celles-ci ­breveté conjointement avec la société semencière
sont très rares. C’est un point technique qui peut néerlandaise Rijk Zwaan, mais l’équipe travaille à
être réglé simplement en ne gardant que les plan- une autre formulation qui serait non brevetée
tules issues des graines non affectées ». L’argument − « nous saurons dans six mois si ces motifs
de la rareté ne convainc pas M. Bertheau. ­fonctionnent », dit Friedrich Kragler. Sa rentrée
In fine, a-t-on affaire à un OGM ? La critique ma- s’annonce chargée : dans les jours qui ont suivi la
jeure de M. Bertheau porte en effet sur le fait que publication dans Nature Biotechnology, il estime
la présentation des résultats « part du postulat to- avoir reçu une centaine d’e-mails d’équipes
talement faux qu’un OGM serait défini par la pré- ­proposant des collaborations, sur des cucurbita-
sence d’ADN étranger ». Outre l’incertitude sur le cées, le maïs ou le riz. Une abondance de marques
statut des porte-greffes transgéniques, rappelle- d’intérêt dont il se dit le premier surpris. p
t-il, la cour de justice de l’Union européenne a Hervé Morin

Alzheimer : nouveau traitement, nouvelles mises en garde

Médecine - Un anticorps monoclonal visant à réduire le déclin cognitif a obtenu le feu vert des autorités sanitaires américaines

U n nouveau médicament
contre la maladie
d’Alzheimer a été ap-
prouvé le 6 janvier par les autori-
tés sanitaires américaines (Food
and Drug Administration, FDA), le
lecanemab, commercialisé par les
laboratoires Eisai et Biogen, sous
le nom de Leqembi. Cet anticorps
monoclonal, qui vise à diminuer
le déclin cognitif, s’adresse aux
­patients présentant une forme
­légère de cette maladie neuro­-
dégénérative. Elle touche environ
55 millions de personnes dans le
monde. Aucun traitement pour la
freiner n’existe à ce jour. Il y a eu
de nombreuses déconvenues ces
vingt dernières années, la der-
nière concernant l’Aduhelm (adu-
canumab), également développé
par Eisai et Biogen.
Si les causes de la maladie restent
mal connues, elle se caractérise
sur le plan physiopathologique
par des changements dans le cer-
veau. Des plaques bêta-amyloïdes,
formées par l’accumulation
anormale d’une protéine dite
­bêta-amyloïde, se déposent entre
les cellules nerveuses du cortex
cérébral, provoquant un dysfonc-
tionnement des connexions en-
tre les neurones. On constate
aussi une dégénérescence neuro-
fibrillaire, une accumulation
anormale de filaments à l’inté-
rieur des neurones, liée à l’effet
délétère de la protéine tau.
Or le lecanemab vise la protéine
dite bêta-amyloïde. Publiés dans le
New England Journal of Medicine
le 29 novembre, les résultats de
l’étude menée sur 1 795 partici-
pants (dont 898 ont reçu la molé-
cule) ont montré que le lecane-
mab, administré par perfusion in-
traveineuse toutes les deux semai-
nes, réduisait de plus de 50 % les
marqueurs de l’amyloïde. Ils ont
aussi mis en évidence une baisse
de 27 % des troubles ­cognitifs après
dix-huit mois de traitement par
rapport au placebo. Les chercheurs
ont utilisé l’échelle d’évaluation de
la démence (Clinical Dementia
­Rating) pour évaluer les fonctions
cognitives (mémoire, orientation,
jugement) et sociales (actes de la
vie courante, occupations, etc.).
« Ces résultats prometteurs signi-
fient que les patients peuvent
maintenir leurs activités plus long-
temps », explique le professeur
Bruno Vellas, coauteur de l’article
et coordinateur du pôle gériatrie
du CHU de Toulouse. « Ce n’est pas
un médicament qui va guérir la
maladie d’Alzheimer mais c’est la
première fois qu’on a un traitement
positif qui attaque les mécanismes
de la maladie et la fait progresser
plus lentement », précise-t-il.
Un « signal d’efficacité »
« Sachant que la dépendance
­survient cinq à six ans après les
premiers symptômes de la mala-
die, ces personnes pourraient en
théorie gagner seize à dix-neuf
mois d’autonomie avec le médica-
ment, ce qui n’est pas rien », re-
marque, quant à lui, Philippe
Amouyel, professeur de santé pu-
blique au CHU de Lille et directeur
de la Fondation Alzheimer.
Toutefois, « en dépit d’une dimi-
nution des plaques amyloïdes,
aucun des anticorps anti-subs-
tance amyloïde n’a pu démontrer à
ce jour un effet cliniquement perti-
nent permettant de soutenir un
rapport bénéfice-risque favorable
de ces médicaments », a indiqué
dans un communiqué le 10 janvier
la Société française de pharmaco-
logie et de thérapeutique (SFPT).
« Pour la première fois, il semble y
avoir un signal d’efficacité, mais
les effets indésirables pourraient
prendre le pas sur ce léger bénéfice.
Je comprends que les malades et
leurs familles prennent cette nou-
velle comme un signal positif mais,
d’un point de vue médical et scien-
tifique, la prudence reste de mise »,
avertit Dominique Deplanque,
président de la SFPT et chef du
service de pharmacologie médi-
cale du CHU de Lille. Il met en
garde contre les emballements
médiatiques et les faux espoirs.
En termes d’effets indésirables,
les examens d’imagerie ont mon-
tré 12,6 % d’œdèmes cérébraux
pour le groupe traité au lecane-
mab, contre 2 % dans le groupe
placebo, et 17 % de micro-hémor-
ragies cérébrales dans le groupe
traité, contre 9 % dans le placebo.
Le traitement a dû être arrêté chez
7 % des patients en raison d’effets
indésirables et devrait être contre-
indiqué chez ceux qui prennent
des anticoagulants.
Autre frein, le coût pourrait
être élevé. L’Agence européenne
du médicament (EMA) devrait
examiner le dossier dans les se-
maines à venir. En attendant, des
­essais se poursuivent. p
Pascale Santi

Les secrets du béton romain dévoilés
Archéologie - Une équipe américaine du MIT a percé le mystère de la résistance hors norme
du matériau concocté par les bâtisseurs antiques. L’ingrédient-clé de la recette : la chaux vive
L e talent des bâtisseurs ro-
mains n’est plus à démon-
trer. Vastes réseaux de rou-
tes, ports insubmersibles, palais
majestueux : deux mille ans plus
tard, les vestiges de ces réalisations
témoignent d’une maîtrise qui
laisse pantois. Mais qui sait que
nombre de ces merveilles ont été
construites en béton ? Le Panthéon,
à Rome, inauguré en 128 après J.-C.,
demeure même le plus grand dôme
de béton jamais réalisé à ce jour.
Quant aux aqueducs antiques, ils
restent des pièces essentielles dans
le réseau de distribution d’eau de la
capitale italienne.
Comment ont-ils fait ? Pour me­-
surer l’exploit, il suffit de savoir
qu’un béton moderne (conçu selon
la recette dite « de Portland ») est
­garanti cent ans. Avec quelques
clauses ­suspensives, comme les
tremblements de terre, assez fré-
quents dans le sud de la Botte. Alors,
quel est le secret des bâtisseurs
­antiques ? Les lecteurs d’Astérix ont
­évidemment la réponse : ces Ro-
mains étaient fous. Argument un
peu mince pour les scientifiques
qui, depuis des décennies, tentent
de percer le mystère. Ces dernières
années, leur quête a pris une nou-
velle dimension. Car, à elle seule,
l’industrie bétonnière est jugée res-
ponsable de 7 % à 8 % de l’ensemble
des émissions de gaz à effet de serre.
Sur la piste des clastes de chaux
Dans un article publié, vendredi
6 janvier, dans la revue Science
­Advances, l’équipe d’Admir Masic,
au Massachusetts Institute of
­Technology (MIT, Etats-Unis), ac-
compagnée de chercheurs italiens
et ­suisses, vient d’ajouter un élé-
ment essentiel à la reconstitution
de la ­recette antique. Selon ces cher-
cheurs, l’exceptionnelle résistance
du matériau tient à la présence d’un
­élément bien connu : la chaux. Mais
pas sous n’importe quelle forme :
de la chaux vive, la plus réactive, la
plus délicate à manier.
Longtemps, pourtant, les proprié-
tés du béton romain ont été exclu-
sivement attribuées à la pouzzo-
lane, cette roche volcanique dont
l’Italie regorge. L’archéologue amé-
ricaine Marie Jackson avait ainsi, la
première, démontré qu’en rempla-
çant le sable, aujourd’hui utilisé,
par cette pierre éruptive pilée et en
la mélangeant à des cendres volca-
niques et à de la chaux, une
­réaction de cristallisation donnait
La NASA finance aussi des projets un peu fous
espace - L’agence américaine a retenu quatorze études avant-gardistes, encourageant l’innovation
L e vol inaugural, fin 2022, du
programme lunaire Artemis
– vol qui a coûté, à lui seul,
plus de 4 milliards de dollars
(3,72 milliards d’euros), est inter-
venu après de nombreux reports et
a fait l’objet d’une mobilisation
­colossale d’ingénieurs et de techni-
ciens – a montré le goût de la NASA
pour les superproductions spatia-
les pharaoniques, sans prise de ris-
que. Mais, comme dans le cinéma,
l’agence américaine se permet
aussi des projets avant-gardistes à
petit budget, qui laissent libre cours
aux innovateurs. C’est l’objectif
du méconnu programme NIAC,
pour « NASA Innovative Advanced
Concepts », dont la cuvée 2023 a été
rendue publique, lundi 9 janvier.
Cette nouvelle liste, dite « de
phase I », comporte quatorze étu-
des, portées aussi bien par des dé-
partements de la NASA, des univer-
sités ou des sociétés privées. Chaque
Vue aérienne du Panthéon, inauguré en 128 après J.-C., piazza della Rotonda, à Rome, en mai 2020. FILIPPO MONTEFORTE/AFP
naissance à un minerai nommé
« stratlingite », dont les lamelles
pouvaient combler d’éventuelles
failles dans le mortier et ajouter
une certaine élasticité.
Mais, pour Admir Masic, il man-
quait encore quelque chose. Lui et
ses collègues ont concentré leurs
recherches sur les clastes de chaux,
ces petits éclats blancs toujours pré-
sents dans le béton romain. Et leur
analyse spectroscopique a montré
que ces inclusions de carbonate de
calcium s’étaient formées à haute
température. « Une telle réaction
n’est pas compatible avec l’utilisa-
tion de chaux inactivée, détaille-t-il.
A l’inverse, utiliser de la chaux vive
dans le mélange puis ajouter de l’eau
provoque une réaction qui dégage
une chaleur intense et entraîne l’in-
corporation des clastes dans le mor-
tier. Et ce sont eux qui vont servir de
source de calcium pour le processus
d’autoréparation. »
Là réside la découverte de l’équipe
américaine. Dès qu’une micro­-
fissure se forme, elle ne tarde pas à
toucher un claste. Et l’eau – de mer
dans les ports, de pluie ailleurs –
vient achever le processus. Au lieu
d’élargir la fissure, comme on le
chef de projet reçoit une bourse de
175 000 dollars et a neuf mois pour
élaborer sa proposition. Les plus
prometteurs passent en phase II.
Pouvant durer jusqu’à deux ans et
financée à hauteur de 600 000 dol-
lars, celle-ci doit permettre aux
chercheurs retenus de préparer une
feuille de route pour la poursuite
du développement.
Un gazoduc sur la Lune
Comme c’est souvent le cas dans le
spatial, la sélection se fait de plus
en plus sévère et, en phase III, un
seul candidat par an est sélec-
tionné, qui perçoit une enveloppe
de 2 millions de dollars pour deux
années supplémentaires de travail.
L’objectif de cette ultime étape est
de préparer le passage du projet à
une phase opérationnelle, que ce
soit au sein de la NASA, dans une
autre agence gouvernementale ou
dans une ­entreprise privée.
voit habituellement, le liquide
­réagit avec le claste, crée une solu-
tion ­saturée de calcium qui vient
rapidement combler la faille ou
boucher les pores, avant que la si-
tuation ne se dégrade. Un scénario
que semble confirmer l’observa-
tion de fissures ainsi réparées dans
différents échantillons antiques.
« Pendant des millénaires »
Mais la démonstration ne pouvait
être complète sans expérience.
­Admir Masic et ses collègues ont
produit eux-mêmes des prototypes
de béton semi-moderne, autrement
dit sans pouzzolane, mais en incor-
porant de la chaux vive. Ils les ont
délibérément fissurés, puis ont fait
couler de l’eau. En deux semaines,
des fissures de 0,6 millimètre ont
été intégralement comblées. A l’in-
verse, un même échantillon pré-
paré avec de la chaux inactivée n’a
jamais retrouvé son étanchéité.
Selon l’équipe américaine, la ca-
pacité d’autoréparation d’un tel
matériau apparaît presque sans li-
mite. Gel, chaleur, pluies acides,
tremblements de terre : à moins
d’une ­contrainte hors norme pro-
voquant un effondrement soudain,
Avec les études NIAC, on a fré-
quemment un pied dans la science-
fiction, et le cru 2023 le confirme.
Ainsi Quinn Morley, de la société
Planet Enterprises, souhaite-t-il pro-
fiter de l’atmosphère dense que
­possède Titan, le plus gros satellite
de Saturne, pour y faire voler un hy-
dravion qui se poserait sur les lacs
de méthane et d’éthane liquides de
cette lune froide, afin de les étudier.
Autre idée, parmi les quatorze
­retenues, celle de Peter Curreri, de
l’entreprise Lunar Resources, qui,
dans le cadre du retour des Amé­-
ricains sur la Lune et du projet d’y
avoir une présence permanente
quelque part près du pôle Sud,
­envisage d’y poser un gazoduc.
En effet, il faudra bien transporter
l’oxygène qui, produit sur place à
partir de la glace lunaire, sera respiré
dans les habitations et servira aussi
de comburant pour les véhicules
qui redécolleront de la Lune.
les édifices ainsi construits pour-
raient tenir « pendant des millénai-
res », assure la publication, sur un
ton mi-prophétique, mi-publicitaire.
L’équipe a, il est vrai, déposé sa for-
mule et, selon le communiqué du
MIT, « travaille à la commercialisa-
tion de ce béton modifié ».
Car, entre réduction de la facture
énergétique et diminution des gaz
à effet de serre, l’enjeu est considé-
rable. Et la quête de la recette mira-
cle se poursuit. « Certains cherchent
des polymères à base d’aluminium,
et pas de calcium, pour éviter les re-
jets de CO2, d’autres essaient d’amé-
liorer la tenue à la compression, la
résistance au vieillissement, tentent
de développer des bétons plus lé-
gers, ou plus recyclables, ou encore
d’abaisser la température de fabri-
cation », résume Pierre Lévitz, phy-
sicien et directeur de recherche
émérite au CNRS.
Du haut du Colisée, les Romains
nous montrent la voie. Selon les
études déjà réalisées, ils chauffaient
leur mélange à 800 °C, là où nous
portons le nôtre à 1 450 °C. Pour
un résultat autrement résistant.
Dura betonex… p
Nathaniel Herzberg
On notera aussi le concept sur-
prenant de la chercheuse Congrui
Jin (université du Nebraska) : elle
envisage la création d’un lichen
synthétique capable d’agréger le
sol martien pour en faire des
­matériaux de construction sur la
Planète rouge.
Ces idées ne se concrétiseront
pas toutes, certes, mais il y a quel-
que chose de rafraîchissant à
voir l’agence spatiale américaine
s’ouvrir à l’imagination. La NASA
veut montrer qu’elle ne répugne
pas à penser différemment pour
préparer son avenir. Comme l’a dé-
claré, le 9 janvier, Michael LaPointe,
responsable du programme NIAC,
les études de phase I « aident la
NASA à déterminer si ces idées fu­-
turistes pourraient ouvrir la voie à
de futures capacités d’exploration
spatiale et permettre de nouvelles
missions étonnantes ». p
Pierre Barthélémy
Actualité
·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 18­ janvier 2023 |3
Télescope
b
Épidé mio lo gie
Oreillons : des chercheurs américains
pour une troisième dose de vaccin
Selon les travaux d’épidémiologistes améri-
cains, une troisième dose de vaccin serait
­nécessaire pour faire disparaître les oreillons.
Dans certains pays − Etats-Unis, Canada,
Royaume-Uni, France mais aussi Danemark
et Corée du Sud −, des résurgences épidémi-
ques de cette maladie ont eu lieu depuis plus
de quinze ans. « Ce qui est inquiétant, disent
les chercheurs, c’est qu’une proportion non
négligeable de cas a été observée chez des per-
sonnes ayant leur schéma vaccinal complet. »
Selon eux, le déclin de la protection vaccinale
avec le temps serait en cause. D’après leurs
calculs, 32,8 % des individus perdent l’immu-
nité dérivée du vaccin avant l’âge de 18 ans.
> Deven V. Gokhale, « PNAS », 9 janvier
Médec in e
Microbiote : une bactérie pour
protéger des effets des émulsifiants
Des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de
l’université Paris Cité à l’Institut Cochin,
à Paris, ont montré dans une étude chez des
souris qu’une bactérie, Akkermansia mucini-
phila − présente naturellement dans l’intes-
tin −, pouvait contribuer à contrecarrer les
effets délétères induits par la consommation
d’émulsifiants. Ces additifs alimentaires, uti-
lisés pour améliorer la texture et prolonger
la durée de conservation des aliments, ont
un effet néfaste sur le microbiote. L’étude a
mis en évidence que les souris à qui on don-
nait cette bactérie, en plus des émulsifiants,
« étaient totalement protégées » ­contre
notamment l’inflammation chronique asso-
ciée à des altérations du métabolisme et à
une hyperglycémie. « Ce travail conforte la
notion que l’utilisation d’Akkermansia muci-
niphila en tant que probiotique pourrait être
une approche pour maintenir la santé méta-
bolique et intestinale », souligne l’Inserm.
> Daniel et al., « Gut », 16 janvier
Pal éo nto lo g ie
L’identité dévoilée d’une fleur
de 35 millions d’années
C’est la plus grande fleur conservée dans
l’ambre connue à ce jour. D’une taille de
28 millimètres, le triple des autres spéci-
mens, elle a été découverte il y a plus de cent
cinquante ans et classifiée depuis dans la lit-
térature comme une Stewartia kowalewskii,
datant de la fin de l’éocène, il y a environ
35 millions d’années. Une paléobiologiste du
Muséum d’histoire naturelle de Berlin remet
en cause ce qui semblait un fait établi.
­L’exceptionnel état de la fleur a permis des
études poussées. La morphologie de la
­corolle, des étamines et l’étude du pollen au
microscope électronique à balayage rappro-
chent cette fleur de la famille des Symplocos,
une espèce d’arbres à feuilles persistantes,
appelée désormais Symplocos kowalewskii.
(photo : CAROLA RADKE/MfN BERLIN)
> Sadowski et al. « Scientific Reports », 12 janvier
69
C’est le pourcentage de chercheurs européens
estimant avoir participé à des études pour les-
quelles certains des coauteurs n’ont pas suffi-
samment contribué pour que leur mention soit
légitime. Aux Etats-Unis, ce taux est d’environ
5 %. Ces statistiques sont issues de l’Internatio-
nal Research Integrity Survey, un sondage inter-
national sur l’intégrité de la recherche mené
auprès de 4 000 personnes. Une des explications
de cette situation pourrait être le système relati-
vement compétitif du monde scientifique, pous-
sant les chercheurs à être mentionnés le plus
souvent possible en tant que coauteurs. Le son-
dage ne dit pas si les chercheurs sont plus intè-
gres côté américain, ou si cette pratique est sim-
plement signalée moins systématiquement.
 Événement
4| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 18­ janvier 2023

Des pans de l’histoire

refont surface
▶ suite de la première page
Christophe Delaere se prend à scénariser les
conditions dans lesquelles il a pu se retrouver au
fond de l’eau : « Les Incas sont venus manu mili-
tari sur le lac. Il faut imaginer une armée qui le
traversait en direction de l’île du Soleil [la plus
grande île du lac]. La hache leur a peut-être
échappé des mains. » Pour Michaël Habex, l’ar-
chéologue plongeur qui l’a découverte sous
l’eau, c’est tout simplement « fantastique de
trouver ce genre d’objet ». Il raconte, encore vêtu
de sa combinaison de plongée et ému, ce mo-
ment d’intimité sous l’eau avec l’instrument
avant qu’il devienne Patrimoine mondial.
Nous sommes non loin des rives boliviennes
des îles du Soleil et de la Lune et l’équipe interna-
tionale d’archéologues, menée par le jeune Belge
Christophe Delaere et son collègue bolivien Mar-
cial Medina Huanca, de l’université supérieure
San Andrés de La Paz, s’est donné une mission
­titanesque : percer les mystères archéologiques
du lac, enfouis depuis un millénaire voire deux,
vestiges des civilisations précolombiennes tiwa-
naku (500-1150) et inca (1400-1532). Et écrire l’his-
toire de ce lieu unique, peu documenté et aux
pratiques encore largement inconnues.
Ce qui n’est pas une mince affaire. Car, ici, les
chiffres donnent le vertige. Dans les montagnes
andines, au cœur de l’Altiplano, à la jonction de
deux pays, le Pérou et la Bolivie, le plus haut lac
navigable du monde est situé à 3 812 mètres
­d’altitude. Il est d’une beauté à couper le souffle.
Il faut imaginer une immense mer intérieure de
8 560 kilomètres carrés, d’un bleu profond, coif-
fée à l’horizon par la cordillère Royale et ses
sommets enneigés.
Premier port préhispanique connu
Le Projet Titicaca est né il y a près de dix ans, dans
la tête de Christophe Delaere, d’une évidence
toute simple : le niveau du lac a fluctué. « Je me
suis donc mis à chercher les anciennes lignes litto-
rales et à faire des diagnostics à la recherche de
­sites archéologiques immergés. » Son intuition
s’est révélée bonne. Le niveau a monté d’environ
20 mètres, au cours des derniers millénaires.
L’équipe a fouillé chaque année, seulement
freinée par la pandémie, qui l’a empêchée de
­revenir sur le lac pendant trois ans. Après deux
cent soixante-trois jours de travail, deux
mille heures de plongées et 1 700 immersions,
son équipe a identifié vingt-cinq sites d’intérêt.
Parmi lesquels des lieux d’offrandes (incluant le
récif de Khoa, au large de l’île du Soleil), d’ancien-
nes habitations et le premier port préhispanique
connu, d’où provient la hache.
La mission possède un inventaire de plus de
21 000 isolats. Outre des fragments, les archéo-
logues ont déjà remonté, au fil des ans, des
cuencos – sorte de coupelles utilisées par les
­pèlerins incas –, des jarres, des encensoirs zoo-
morphiques, des tupus (broche ou fibule inca
pour fermer les châles), des ustensiles de cuisine,
des outils, ainsi que deux figurines cultuelles. La
diversité des ­artefacts se retrouve aussi dans les
matériaux : des céramiques, dont certaines
comportent de l’iconographie, des objets en
bois, en os, en cuir, en alliages de cuivre et des
ossements, témoignant de la richesse du lac, à la
fois comme lieu d’offrandes, mais aussi de vie,
de navigation et d’échanges.
Avant Christophe Delaere, d’autres plongeurs
se sont risqués dans les profondeurs du lac. Les
pionniers de l’archéologie subaquatique, le
Français Jacques-Yves Cousteau (1910-1997)
en 1968, puis l’Américain Johan Reinhard dans
les années 1980. Mais cette mission est la pre-
mière de cette en­vergure. « Le lac est difficile à
fouiller, c’est une activité risquée qui demande
des moyens, de l’expérience, des équipes spéciali-
sées », insiste Christophe ­Delaere. Les finance-
ments sont précieux quand une journée de
fouille peut s’élever à près de 2 000 euros.
A la différence des pionniers, cette équipe est la
première à fouiller en profondeur, à décaper, à
excaver. « Sous le lac, rien n’est visible à l’œil nu,
précise le chercheur belge, en tirant sur sa ciga-
rette électronique, devant son carnet de bord où « Ces sites n’ont jamais taines de kilomètres. Centre spirituel et symbole
tous les membres de l’équipage consignent ob- de puissance de la civilisation inca, c’est le lieu
servations des fouilles du jour et croquis. C’est le été visités par l’homme. « le plus sacré » de toutes les Andes, précise le
plus grand défi et sa richesse. » Les fonds sont re- On s’est plusieurs fois ­codirecteur de la mission, Marcial Medina
couverts d’une couverture végétale de 20 centi- Huanca. Là où sont pratiqués des rituels et des
mètres d’algues, puis d’une couche de sédi- cassé les dents. Il faut offrandes liés au culte du Soleil. Et où converge
ments de parfois 3 mètres. décaper, explorer les également le plus grand pèlerinage andin.
« Ce sont des sites qui n’ont pas été visités par L’étude menée actuellement sur un port préhis-
l’homme, poursuit Christophe Delaere. On s’est sous-sols, persévérer » panique permet de comprendre la période de
plusieurs fois cassé les dents. Il faut décaper, ex- Christophe Delaere conquête du lac Titicaca par les Incas, avec notam-
plorer les sous-sols, persévérer. Et prendre le risque Codirecteur du projet Titicaca ment la découverte de céramiques. « Les Incas
de faire un sondage, alors qu’on a seulement 8 % étaient des colonisateurs, rappelle Rocio Villar,
de réussite », c’est-à-dire la récompense de trou- ­archéologue péruvienne et seule femme à bord.
ver un site « positif », présentant du matériel ar- Ils cherchaient à nouer des alliances, mais, s’ils n’y
chéologique. Le lac livre alors des témoignages dure est stricte et complexe, ce qui est une autre parvenaient pas, alors ils conquéraient par la force.
matériels précieux des savoir-faire anciens, ja- particularité du travail d’archéologie subaquati- Leur objectif était que la population locale se sou-
mais documentés, ou des mécanismes rituels. que et la limite de l’exercice. mette dans un contexte de politique expansion-
Pour parvenir à ces résultats, les sept plongeurs Le Titicaca est, pour beaucoup, un nom mythi- niste et impériale. Pour y parvenir, ils pourvoyaient
se relaient deux par deux tout au long de la jour- que qui évoque des légendes, notamment à la subsistance des populations et leur procuraient
née. Les conditions sont extrêmes. Avec l’alti- ­celles des cités englouties et des cités d’or. Dans des activités économiques en période difficile,
tude, une plongée à 35 mètres est l’équivalent de la mythologie inca, le lac est le berceau des origi- grâce à leur politique agricole, qui leur permettait
60 mètres en saturation au niveau de la mer. Les nes, là où sont nés les dieux Manco Capac, fils du d’accumuler des denrées. Ils contrôlaient le culte,
réserves d’air (oxygène et azote) leur permettent dieu Soleil, et Mama Ocllo, fille de la Lune, qui l’économie, le politique et l’administratif. »
de rester un peu plus d’une heure sous l’eau à ont ensuite fondé l’empire, le Tahuantinsuyo,
chaque plongée. Le temps est compté. La procé- dont la capitale, Cuzco, se trouve à plusieurs cen- A la recherche du quotidien
L’histoire du lac, toutefois, n’a pas commencé
avec les Incas. Le Titicaca est l’un des centres de
peuplement les plus anciens des Andes et on ne
connaît qu’une portion de l’histoire : « Celle-ci

« Une mare nostrum sud-américaine »

Lac Titicaca (Bolivie) Christophe Delaere, codirecteur de la
- envoyée spéciale mission d’archéologie Projet Titicaca.
« Le lac était un lieu ultradynamique.
le totora, jonc géant présent dans le
lac, pour les toits des maisons, allaient
chasser le canard, s’adonnaient à la
nous arrive parfois biaisée, estime l’archéologue
péruvienne. Nous avons tendance à voir tout
comme paysage sacré, tout ritualisé, mais ce
n’était pas ainsi. Peut-être que nous sommes
­restés avec la dernière partie de l’histoire », celle
la région d’Ayacucho [Andes centrales des Incas qui ont dominé les Andes du XIVe au
péruviennes] qui se trouve à des centai- XVIe siècle, avant l’arrivée des Espagnols.
nes de kilomètres du Titicaca, des lapis- « Avant d’être un lieu d’offrandes inca et de

L es découvertes réalisées par

une équipe internationale d’ar-
chéologues plongeurs ces der-
nières années permettent de recen-
trer le lac Titicaca, entre Bolivie et
­Pérou, comme lieu socio-économique
d’envergure chez les populations pré-
hispaniques, notamment pour la civi-
lisation tiwanaku, dont l’apogée se si-
tue entre 800 et 1150 de notre ère.
« Ces cultures n’étaient pas seule-
ment des cultures de la terre, tournées
vers l’agropastoralisme, comme on les
­connaît habituellement [notamment
avec l’importance de la domestication
des camélidés], elles étaient également
des cultures lacustres, avec des pra­-
tiques de navigation ; un aspect qu’il
n’y avait dans aucun témoignage jus-
qu’alors », indique le chercheur belge
On se rend compte que c’était une
­petite mare nostrum sud-américaine »,
explique l’archéologue. En fouillant la
zone littorale, les chercheurs ont en
effet retrouvé un pôle industriel qui
n’existe nulle part ailleurs dans les si-
tes terrestres alentour.
« Formidable réseau d’échanges »
« Nous avons mis au jour des ateliers de
taille de pierre, avec chasse-lame [sorte
de burin], écarteur ; des ateliers de tra-
vail de la laine ; des tanneries, avec
leurs grattoirs en cuir qui, comme en
Europe médiévale, étaient au bord des
rivières et des lacs ; ou encore des ate-
liers textiles. Il y a tout un pôle d’acti-
vité qui était jusqu’à présent non docu-
menté », détaille Christophe Delaere.
Aussi, les habitants du lac exploitaient
pêche, naviguaient…
Ces cultures étaient constamment
en contact avec d’autres dès les épo-
ques ­anciennes des Tiwanaku. « Nous
avons découvert, notamment dans le
lac ­mineur [plus à l’est], des preuves de
­contacts avec la forêt amazonienne,
­raconte Marcial Medina Huanca, le
­codirecteur bolivien des fouilles. Sur
des céramiques, par exemple, on re-
trouve des motifs zoomorphiques : sin-
ges, serpents, têtes de félin. Cela nous
enseigne que ces sociétés n’étaient pas
isolées ; les artefacts mis au jour témoi-
gnent du formidable réseau d’échan-
ges qui existait à cette époque. »
Les commerçants d’alors voyageaient
sur de longues distances. « Nous avons
par exemple découvert la présence de
pierres de jade finement travaillées, de
lazuli du Chili, ou encore des ­coquillages
marins du genre Spondylus, originaires
d’Equateur, indique Marcial Medina
Huanca. Tout cela constituait un maté-
riel d’échange pour ces civilisations. »
­pèlerinage, le lac était aussi un lieu de navigation,
Néanmoins, à partir des Incas, on ne
décèle plus de traces de pêche sur le
lac. L’apogée des empereurs (1430-
1530) marque le déclin de cette mare
nostrum au profit d’activités rituelles.
« Ce que l’on retrouve pour cette épo-
que sous l’eau, ce sont des aribalos [une
des formes les plus courantes de la po-
terie inca, utilitaire et cérémonielle]
ou des cuencos [sorte de bol du pèle-
rin, à la fonction d’usage ou rituelle],
explique Christophe Delaere. Le lac
devient tabou, et la navigation et les
activités contrôlées. » p
Am. Ch.
de commerce et d’échanges, avec ses activités et
ses espaces portuaires », poursuit Christophe
Delaere. Même les Incas ont probablement hé-
rité de la civilisation de Tiwanaku leur vénéra-
tion du lac. « Les Incas arrivaient sur des lieux
­occupés par des populations et des anciennes
civili­sations. Pour accroître leur légitimité et leur
­prestige, ils faisaient leurs des zones sacrées et se
réappropriaient le passé », raconte-t-il. « Bien
sûr, il y a les offrandes, qui peuvent faire ­rêver,
mais on est là pour faire de l’archéologie, pas en
chasse de trésors », rappelle-t-il. « Le trésor est un
objet inédit, mais, pour nous, tout artefact, tout
tesson, est un trésor. D’autant que l’on retrouve
des objets jusqu’à présent méconnus, non docu-
mentés par l’archéologie, comme cette pierre de
lest servant pour les filets de pêcheurs ou cet
outil, peut-être de carrier ou alors une arme ? »,
commente-t-il.
 Événement
·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 18­ janvier 2023 |5

Le codirecteur du Projet
Titicaca, Christophe
Au-delà des objets, son travail repose sur la
r­ echerche de l’archéologie du geste, des modes
de vie des peuples, une sorte de reconstitution
Même si des sportifs ou des amateurs plon-
geaient dans le lac, ils ne verraient rien. Il faut ex-
caver très profondément ; et aussi savoir où tra-
Delaere (ci-dessus,
en sweat-shirt rose),
sur l’embarcation de
Une mystérieuse
de l’histoire. La discipline n’est pas à la recherche
de l’exceptionnel mais du quotidien. « L’échelle
individuelle est, pour moi, ce qu’il y a de plus fort,
vailler et comment identifier le matériel. »

« Axe géopolitique complet »

la mission archéologique,
en juillet 2018. Il montre
la photo d’une offrande
épave du XIXe siècle
poursuit l’archéologue. Par exemple, lorsqu’on Jusqu’ici, le Projet Titicaca s’est concentré du côté inca en forme de lama,
trouve un atelier avec des traces de feu, une mar- bolivien. Côté péruvien, tout reste à faire. « L’idée découverte en 2014.
mite et ce que la personne a mangé, son em- est d’y développer un projet similaire, d’encourager Trouvaille majeure des Lac Titicaca (Bolivie) d’un grand bateau à vapeur in-
preinte digitale ou un outil perdu. On peut ainsi l’investigation comme un projet binational pour fouilles de mai 2022, cette - envoyée spéciale troduit sur le lac dans les an-
­reconstituer le quotidien d’un individu il y a cinq tenter de comprendre le lac comme un tout, un axe hache (page de gauche) nées 1870 (et dont la construc-
cents ans. » Un travail d’autant plus précieux que
ces populations avaient une culture orale et
n’ont pas laissé de textes.
Marcial Medina Huanca déplore, par ailleurs,
le manque d’intérêt des autorités boliviennes,
géoculturel complet. Saisir quelle a été son impor-
tance politique, économique, administrative, idéo-
logique et rituelle », commente Rocio Villar.
Quant aux pièces extraites des fonds subaquati-
ques, elles sont soigneusement consignées puis
pourrait dater de l’époque
inca, voire d’une
période antérieure.
Les « communautés
originaires » sont
G isant à 5 mètres de pro-
fondeur, sous une cou-
che de sédiments, une
épave datant de plus de cent ans
de ce qui était probablement un
tion serait antérieure), déman-
telé pour être transformé en ba-
teau de charge, transportant
des minerais.

qui ont une approche plus « monumentaliste »,
alors que l’essentiel du travail de l’équipe d’ar-
chéologues est fastidieux, de longue haleine et
pas toujours spectaculaire.
Parfois, de petits miracles arrivent et l’équipe
ne boude pas non plus son plaisir lorsqu’elle
­effectue une découverte majeure. Un « coup de
pouce pour les missions », estime le Belge
­Arnaud Bourguignon, présent sur l’expédi-
tion 2022, tandis qu’il se remémore sa plus belle
plongée en 2013, sur le récif de Khoa – un des
­sites les plus exceptionnels d’un point de vue
­archéologique. « On fouillait une faille comblée
soumises à un processus de conservation : traite- associées au projet : bateau à vapeur, a été localisée le Précieux carnet de fouilles
ment de désalinisation, séchage contrôlé, avant les objets trouvés leur 2 mai 2022 par une équipe de Christophe Delaere a pu comp-
leur mise sous cloche et leur restitution aux sont restitués. Ci-dessus, plongeurs dans le lac Titicaca, ter sur un objet précieux pour
« communautés originaires ». Selon la loi d’auto- à gauche, visite sur les rives de l’île de la Lune ses recherches actuelles : le car-
nomie bolivienne de 2010, ces dernières sont sou- des dirigeants de la (Bolivie). Avec ses 24,5 mètres de net de fouilles du Français Fré-
veraines sur leur territoire et ont donc la respon- communauté de Tiraska, long et ses près de 4 mètres de déric Dumas (1913-1991), l’un des
sabilité de veiller sur ce patrimoine. L’intérêt des en mai 2017. X. RAMBAUD/ULB. large, il s’agirait de la plus haute archéologues de la mission de
populations autochtones a grandi avec le temps : TEDDY SEGUIN/ULB épave du monde étudiée par 1968. Un manuscrit très détaillé
« Avant, on ne donnait pas d’importance aux ob- l’archéologie – le lac Titicaca qui présente tant des croquis et
jets, on ne les protégeait pas. Si on en découvrait étant situé à 3 812 mètres. Recou- des dessins que des descriptions
dans un jardin ou dans un champ, on les détruisait. verte d’une couche d’algues, elle lui ayant permis de repérer
Maintenant, on se rend compte de leur valeur était invisible mais a pu être re- l’épave, invisible à l’œil nu.
­historique comme relique », confie ainsi Francisco pérée grâce à un drone. La tradition orale raconte que
C E

par un gros rocher, mais la recherche était sté- Mamani, habitant de l’île du Soleil. PÉROU S RD Les archéologues plongeurs le bateau a coulé à quai, par une
O
D

rile. » Alors que les plongeurs envisageaient de
fermer la fouille, ils ont insisté : « Et nous avons
découvert l’incenciario le plus complet qu’on ait
trouvé ! » Un récipient en céramique à tête de
puma, utilisé de manière rituelle pour brûler de
l’encens. « Ce genre de découverte concrétise les
espoirs ; c’est un travail d’équipe, collectif, grati-
fiant pour tous », raconte Arnaud Bourguignon,
entre deux plongées.
L’idée d’un musée subaquatique est aussi à AN I L ont fouillé ce bateau durant nuit de tempête, mal ancré
DE L È
l’étude pour rassembler tous les artefacts actuelle- Juliaca S RE quinze jours, certains d’y trou- dans ce qui était un ancien port
ment dispersés dans des dizaines de dépôts Lac ver des enseignements pré- du XIXe siècle. Les archéolo-
autour du lac. Un projet lancé par l’Unesco et Titicaca Ile du Soleil cieux sur l’histoire de la navi­- gues ont retrouvé le timon et le
3 812 m
aujourd’hui dans les mains du ministère de la cul- Ancohuma gation du lac. Découverte par ­gouvernail ainsi que des cor-
ture bolivien. Les secrets du lac sont encore nom- 6 427 m ­Jacques-Yves Cousteau (1910- des, des boîtes de conserve et
breux, mais, peu à peu, les chercheurs écrivent Copacabana 1977) en 1968, au cours d’une une semelle en cuir. « On étudie
l’histoire de ces civilisations millénaires. Sur les La Paz mission très médiatisée qui le bateau, son architecture
vingt-cinq sites identifiés, seulement six ont été fera l’objet du documentaire La ­navale, sa coque, et on tente de
BOLIVIE
Alt

L’année suivante, en 2014, une autre décou- fouillés. Les chercheurs ont calculé que cela ne Légende du lac Titicaca, l’épave retrouver le chantier qui l’a
ipl

verte a fait grand bruit : celle d’un coffret d’of- ­représentait que 0,001 % du lac, ce qui laisse entre- BOLIVIE avait été, depuis, relativement construit… Etait-il anglais ? »,
an

frandes en andésite – une roche volcanique lo- voir un futur riche en découvertes. « Il nous fau- oubliée. Elle revêtait pour les s’interroge Christophe Delaere.
o

cale –, déposé au fond du lac et sorti quasiment
intact de l’eau. Doté d’un bouchon de pierre, il
renfermait un lama miniature en coquille de
spondyle (un mollusque marin à épines) et un
cylindre d’or – représentant le masculin –, signes
de religiosité et de pouvoir dans l’Empire inca.
Ces découvertes ont suscité, depuis, des con-
voitises. Le ministère de la culture bolivien s’est
­inquiété de possibles pillages du patrimoine.
Mais si l’eau constitue une barrière pour les
fouilles, elle est aussi et surtout un atout, rap­-
pellent Christophe Delaere et Rocio Villar : « Loin
des pilleurs de tombes, le matériel est beaucoup
mieux conservé qu’ailleurs. Le patrimoine se
trouve sous plusieurs couches de sédiments.
drait donc douze mille ans de plus pour tout fouiller chercheurs de l’époque un inté-
à ce rythme », plaisante Christophe Delaere. rêt archéologique limité, car ils
50 km
Pour l’heure, le défi est de conserver la hache estimaient que son naufrage
préhispanique remontée des eaux, « pour qu’elle datait de 1940. Trop récent pour
soit transmise à la postérité », explique-t-il. Un susciter la curiosité.
­laboratoire se charge de la stabiliser. Si cela Aujourd’hui, de nouvelles
s’avère techniquement impossible, l’archéolo- données permettent de déter-
gue devra la redéposer au fond du lac, dans un miner qu’en réalité l’épave et
caisson sans lumière pour la conserver. « Il fau- son naufrage étaient plus an-
dra probablement l’enterrer dans la mousse sous ciens. « Probablement au tour-
2 mètres de sédiments. » Certain de la retrouver nant du XXe siècle ou vers 1910 »,
lors d’une future fouille. Figée dans le temps, estime le Belge Christophe
dans les profondeurs du lac. p ­Delaere, codirecteur de la mis-
Amanda Chaparro sion d’investigation archéologi-
(lac titicaca, bolivie, envoyée spéciale) que Projet Titicaca. Il s’agirait
Il y a encore beaucoup à décou-
vrir, selon lui.
Toujours selon la tradition
orale des habitants de l’île de la
Lune, il y avait en réalité deux
bateaux qui ont sombré dans
les eaux du lac cette même nuit
agitée. Celui mis au jour, la
­Jach’a-Emilia, la « grande Emi-
lia » en aymara (la langue ver-
naculaire), et un plus petit, bap-
tisé Marcela, que les archéolo-
gues plongeurs n’ont pas en-
core retrouvé. p
Am. Ch.
 Rendez-vous
6| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 18­ janvier 2023

Le livre

La révolution
quantique s’éclaire
Le physicien Julien Bobroff
nous guide de façon
passionnante au cœur d’une
science dont le seul nom
suffit à effrayer le néophyte

C oïncidence bienvenue, la même se-

maine où le Français Alain Aspect re-
cevait le prix Nobel de physique 2022,
un de ses confrères, Julien Bobroff, publiait
un ouvrage narrant le cœur du travail récom-
pensé par l’académie suédoise. C’est heureux,
car le sujet, la physique quantique, est diffi-
cile. Et plus précisément ce qu’Alain Aspect a
lui-même baptisé « la seconde révolution
quantique ». Heureux aussi car cette vulgari- Du plomb dans l’huile de Rembrandt
sation est faite par l’un de ses plus brillants re-
présentants, professeur à l’université Paris- C’est une première dans l’histoire de l’étude Rembrandt (1606-1669) en 1642. Cette décou- l’huile de lin chauffée. Le génie hollandais
Saclay, qui creuse ce terrain depuis plusieurs scientifique des peintures. Une équipe inter- verte, publiée dans la revue allemande avait probablement conçu cette recette pour
années. Soit avec ses étudiants, qui testent nationale a mis en évidence des formiates Angewandte Chemie, avait de quoi intriguer. accélérer le séchage des toiles. Une informa-
de plomb (photos de droite, étapes d’identifi- Les formiates de plomb n’ont jamais été iden- tion précieuse pour les spécialistes néerlan-
des méthodes pédagogiques innovantes, soit
cation du composé) dans l’huile d’un tableau tifiés sur la palette d’un maître ancien. Leur dais qui vont s’attaquer à la restauration du
avec de futurs dessinateurs, graphistes, illus- ancien. Et pas n’importe lequel : La Ronde présence résulte d’une réaction entre acide chef-d’œuvre du Rijksmuseum d’Amsterdam
trateurs, soit encore avec le grand public sous de nuit, l’œuvre emblématique peinte par formique et oxyde de plomb mélangés dans (Pays-Bas). (Photos : RIJKSMUSEUM - AXIS/U. ANTWERP)
forme de vidéos ou de conférences… Heu-
reux, enfin, car ce livre suit le premier volet,
en quelque sorte, qui présentait il y a deux
ans la première révolution quantique (La
Quantique autrement, Flammarion, 2020).
La méthode est la même. Une plume alerte,
des images et analogies éclairantes (les pho-
Dix mille pas et plus
tons polarisés sont des dauphins, le proces-
seur d’un ordinateur quantique est une pis-
cine à vagues…), des dessins simples et clairs.
Les JO pour faire bouger la population ?
S’y ajoutent des détails qui montrent que
l’auteur a mouillé la chemise en se plongeant
dans les articles de recherche ou qu’il a dis-
N’y comptez pas trop !
cuté avec ses collègues plus spécialistes que
lui. L’ensemble est vivant pour balayer un su-
jet parmi les plus ardus de la science actuelle. Par Sandrine Cabut les mégaévénements sportifs type JO ou compéti- gain à 700 000. Mais la chercheuse Karen Milton a fi-
A notre connaissance, c’est même le livre tions internationales, les succès de sportifs ou équi- nalement montré que la proportion de Britanniques
le plus complet pour expliquer le fonction-
nement de ces machines prometteuses que
sont les ordinateurs quantiques, capables
de surpasser un jour les superordinateurs
d’au­jourd’hui sur des tâches particulières.
L es Jeux olympiques (JO) de Paris 2024 vont-ils
­doper les pratiques sportives des Français et
permettre, à plus long terme, d’améliorer leur
santé ? Le message est en tout cas martelé. « Faire
bouger plus les Français est plus qu’un objectif, c’est
pes d’élite (médailles, victoires en championnat du
monde…), et l’effet modèle de sportifs médiatisés.

Constat sévère mais prévisible

Une bonne moitié du livre leur est consacrée.
Applications déjà là, ou presque
Le reste vaut aussi le détour car les applica-
tions sont déjà là, ou presque, sans qu’on le
voie vraiment. Il est donc question des hor-
loges atomiques et de leurs successeures
­optiques, des liaisons sécurisées par la phy-
sique quantique, et des simulateurs quanti-
ques, machines à ne pas confondre avec les
ordinateurs quantiques et qui pourraient
bien aider les physiciens et les chimistes de
la matière, et aussi des gravimètres à atomes
qui permettent de mesurer très finement les
variations de gravité à la surface de la Terre
et donc de mieux en comprendre la struc-
ture et la dynamique. Un chapitre est même
consacré aux diamants, dont des petits dé-
fauts pourraient améliorer les instruments
d’IRM ou faire du… calcul quantique.
Le contenu est riche, parfois un peu frus-
trant, car le lecteur transporté ainsi sur les
sommets de la connaissance se sentirait prêt
à aller encore plus haut. Le livre s’achève par
un exercice non pédagogique mais prospec-
tif, voire réflexif, sur ces progrès stimulants.
L’auteur se mouille cette fois pour répondre à
des questions essentielles pour rester lucide
face aux promesses : est-ce bien une révolu-
tion ? A quand l’ordinateur quantique ? p
David Larousserie
« Bienvenue dans la nouvelle
révolution quantique », de Julien Bobroff
(Flammarion, 338 p., 21 €).
un enjeu qui nous mobilise dans la construction de
notre projet », souligne ainsi le comité d’organisation
Paris 2024, qui multiplie les initiatives en ce sens, en
milieux scolaire et professionnel notamment.
A moins de six cents jours des épreuves, de nou­-
velles données scientifiques viennent cependant un
peu doucher la croyance, répandue chez les déci-
deurs, qu’accueillir un grand événement sportif va
rendre plus active toute une nation. Il n’y a pas de
preuve que le sport d’élite ait un quelconque effet sur
les pratiques d’activités physique et sportive de la
population générale, conclut une revue de la litté­-
rature publiée dans le numéro de janvier 2023 du
­Journal of Physical Activity and Health.
Le docteur en sciences du sport Alexis Lion (Fédéra-
tion luxembourgeoise des associations de sport de
santé) et ses collègues y ont recensé les études éva-
luant l’impact du sport de haut niveau sur les prati-
ques en population générale via trois mécanismes :
Affaire de logique – N° 1229
En l’honneur de 2023
Un « nombre d’Alice » est un entier écrit en système décimal dont la somme des chiffres est divisible par 2 023.
Un « nombre de l’année » est un nombre d’Alice N tel que (N + 1) soit aussi un nombre d’Alice.
1. Combien de chiffres le plus petit nombre de l’année compte-t-il ?
Bob cherche les « nombres de l’année » qui comptent 2 023 chiffres.
2. De tels nombres existent-ils ? Si oui, quel est le plus petit d’entre eux ?
Les chercheurs ont adopté une méthodologie
stricte, ne retenant que des études publiées dans des
revues à comité de lecture (avec une analyse par des
pairs), en anglais. Les travaux qualitatifs ont été ex-
clus. Au total, seulement trente-six articles ont été
sélectionnés, majoritairement anglo-saxons. Le
constat est sévère : aucun de ces trois mécanismes
n’a d’effet ­facilitateur des pratiques d’activité physi-
que dans la population, mesurées par des question-
naires ou le nombre de licences sportives, même
dans les disciplines concernées.
Dans la plupart des études, l’impact à distance est
négligeable ou mitigé. Les résultats sont même par-
fois contradictoires d’une publication à l’autre sur un
même sujet. C’est le cas pour les études consacrées à
l’héritage sportif des JO de Londres (2012), qui repré-
sentent le plus gros corpus avec dix publications. L’ob-
jectif affiché des autorités britanniques était d’aug-
menter de deux millions le nombre de pratiquants
­réguliers après leurs Jeux. Des études ont évalué le
N° 1229
actifs était, en fait, restée stable (environ 36 %) entre
2007 et 2016, la population totale ayant augmenté…
Pour les auteurs de l’article dans le Journal of
­Physical Activity and Health, ces résultats négatifs
ne sont pas inattendus. « Ils vont dans le même sens
que ceux de précédentes revues de la littérature réali-
sés avec des critères moins précis », relève Alexis
Lion, tout en soulignant la qualité moyenne des
études dans ce domaine, des recherches par ailleurs
difficiles à mener et à interpréter… Pour le cher-
cheur en sciences du sport, il est temps que les
­décideurs et les responsables politiques prennent
conscience que la théorie du ruissellement dans le
domaine du sport est un mythe.
« Ce qui est gênant, ce n’est pas qu’il y ait une promo-
tion du sport d’élite, mais que les moyens alloués à la
promotion d’une activité physique favorable à la
santé soient moindres », regrette Anne Vuillemin,
professeure en sciences et techniques des activités
physiques et sportives à l’Université Côte d’Azur.
Pour cette spécialiste, coautrice de la revue de la litté-
rature, la promotion de l’activité physique et du
sport santé doit passer notamment par des actions
locales, au plus proche des populations. p
Solution du problème 1228
1. Deux triangles du pentagone ABCDE peuvent être
découpés pour reconstituer un triangle rectangle iso-
cèle de côté [AC], d’aire 200 cm². F
Pour cela, Bob découpe le triangle
ABC et lui fait subir une rotation
D
de 90° autour de A. B se posi-
G
tionne en E, C en un nouveau E
point F. Puis il joint CF, qui coupe
ED en G, et découpe le triangle
CDG en lui faisant subir une rota- A C

Livraison tion de 180° autour de G. D se

E ss a i g rap h iq u e
« Neurosapiens »
La psychologue Anaïs Roux a créé, en 2020,
le podcast « Neurosapiens », où elle décrypte
le fonctionnement de notre cerveau. Passant
SECRETS DES ILLUSIONS D’OPTIQUE
AU KAFEMATH À PARIS LE 19/01
Dans le prochain café mathématique (20 h à
La Coulée douce, 51, rue du Sahel, Paris 12e), le
magicien des illusions d’optique Philippe
Socrate évoquera le thème «Illusions,
énigmes et curiosités visuelles ». L’illusion
SPECTACLE DE MATHS ET MAGIE
À PARIS LE 24/01
Dans le cadre de ses représentations « Des
savants sur les planches », le Théâtre de la
Reine-Blanche (2 bis, passage de Ruelle,
Paris 18e), fidèle à sa tradition de « scène des
arts et des sciences », présentera à 19 h un
« DU CAFÉ AUX MATHÉMATIQUES »
LE 25/01 EN LIGNE
Mercredi 25 janvier à 14 h, Hugo Duminil-
Copin, Médaille Fields 2022, partagera avec
vous, dans un exposé en ligne, sa passion
pour les maths afin de réconcilier ensei-
gnants et élèves avec cette discipline. Com-
positionne en E et C en F. Fin.
B
L’aire du pentagone de départ,
égale à celle du triangle CAF, est AC2/2, soit 200 cm2.
2. En découpant le triangle ABC en deux triangles, Alice
peut reconstituer un trapèze rectangle dont [AC] est la
« hauteur », perpendiculaire à deux côtés parallèles dont la
somme des longueurs vaut aussi AC. J

au format écrit, elle en a approfondi certains
épisodes, sur les relations amoureuses et
sexuelles, les rêves, l’impression de déjà-vu,
la créativité, l’intuition, le rire, les biais
cognitifs. Le ton, léger et pédagogique, avec la
complicité de la dessinatrice Lucie Albrecht,
ne néglige pas le fond scientifique. Une intro-
duction pas intimidante aux secrets d’un or-
gane dont la complexité peut impressionner.
> D’Anaïs Roux (Les Arènes, 320 p., 22,90 €)
d’optique recèle de passionnants mystères :
dans un premier temps, on ne comprend
rien, puis, progressivement, on accède au
secret. Au carrefour de l’optique, de la psycho-
logie, de la biologie de la vision, et, bien sûr,
de la géométrie, cet art, qui confine à la magie,
sera présenté par un expert, auteur d’ou-
vrages sur le sujet comme le coffret « Bien
vu » présentant cinquante énigmes visuelles.
Infos sur Kafemath.fr
E. BUSSER, G. COHEN ET J.-L. LEGRAND © POLE 2022
spectacle de mathématiques et magie. Le
« savant sur les planches » à l’honneur sera
Jean-Baptiste Aubin (INSA de Lyon), qui
évoquera aussi bien le calcul modulaire que
l’écriture décimale ou les critères de divisi-
bilité, toutes propriétés arithmétiques uti-
lisées pour créer des tours de calculateur
prodige. D’autres tours de magie, défiant la
logique, seront présentés.
Infos et réservation sur Reineblanche.com
ment ne plus en avoir peur ? Comment
rendre leur enseignement accessible à tous ?
Comment créer le plaisir d’apprendre ? A tra-
vers son parcours personnel et des expé-
riences simples du quotidien, il répondra à
ces questions et à d’autres, lors d’une confé-
rence en ligne inédite au titre évocateur du
pouvoir des mathématiques : « Du café aux
mathématiques ». Gratuit et ouvert à tous.
Inscription sur Reseau-canope.fr
affairedelogique@poleditions.com
Pour cela, elle mène en A et C les per- D
pendiculaires à (AC) qui coupent E
(DE) en I et J, ce qui donne le trapèze I
rectangle ACJI. Comme AI + CJ = AC,
la rotation de 90° de centre A amène A H
C
le triangle AHB sur AIE et celle de
centre C amène CJD sur CHB. Pour
B
obtenir le trapèze rectangle, il suffit
donc à Alice de découper dans le pentagone initial le tri-
angle ABC en AHB et CHB pour les amener en AIE et CJD.

carte
blanche
La biologie
moléculaire
passe de l’autre
côté du miroir
Par Alice Lebreton
I maginez un univers dans lequel on serre-
rait les vis en tournant dans le sens in-
verse des aiguilles d’une montre. Bou-
lons et écrous y seraient des images miroirs
de ceux que nous utilisons usuellement. Des
reflets en tout point semblables mais pas
identiques, car incompatibles entre eux : im-
possible de visser un boulon de l’univers
« gauche » dans un écrou de l’univers « droit ».
A l’échelle moléculaire, la situation est ana-
logue pour les principaux composants bio­-
logiques qui structurent nos cellules et en as-
surent le fonctionnement. Le squelette molé-
culaire de l’ADN et de l’ARN est ainsi constitué
de sucres de forme moléculaire droite. Consé-
quence de cette asymétrie : le filetage de l’hé-
lice de l’ADN s’enroule à droite. De même, les
protéines sont, elles aussi, orientées.
Pourrait-on concevoir un système biologi-
que miroir, dans lequel ADN, ARN et protéi-
nes auraient l’orientation opposée à celle
dans laquelle est engagé le monde vivant ?
C’est en théorie possible, car l’on sait synthéti-
ser artificiellement les composés de base né-
cessaires aussi bien sous leur forme droite
que gauche, et les assembler en chaînes de
quelques dizaines à centaines d’unités.
La difficulté pratique est d’orchestrer ces
molécules pour reconstituer leurs fonctions
biologiques : l’ADN doit être recopié à l’identi-
que pour se perpétuer, ce qui nécessite des
protéines nommées ADN polymérases ; puis,
transcrit en ARN messager, par une ARN
poly­mérase ; et, enfin, l’ARN messager est lu
et traduit par des ribosomes (constitués de
plusieurs molécules d’ARN, et de plus de cin-
quante protéines), assistés d’ARN de transfert,
pour fabriquer des protéines. La principale
contrainte est le filetage : de même que pour
des boulons et écrous incompatibles, com-
ment recopier l’ADN gauche si l’on n’a que des
ADN polymérases capables de lire l’ADN
droit ? Comment obtenir des polymérases
miroirs, si l’on n’a que des ARN messagers
droits, des ribosomes droits, etc. ?
Petits ARN à fonction de sondes
Ce problème de filetage implique d’être capa-
ble, au moins pour mettre en route la ma-
chine, de produire l’ensemble des consti-
tuants miroirs artificiellement. Une prouesse
que le laboratoire dirigé par Ting Zhu à West-
lake University (Hangzhou, Chine) est en
passe de réussir. Dans une précédente étude,
l’équipe avait synthétisé in vitro un ADN gau-
che d’assez grande longueur ainsi que l’ADN
polymérase miroir capable de le recopier.
Dans un nouvel article plus remarquable
encore, une doctorante, Yuan Xu, a abordé le
cas de l’ARN. Elle a d’abord synthétisé une
ARN polymérase miroir — tâche complexe,
en raison de la très grande taille de cette pro-
téine, qu’elle a pu mener à bien en décompo-
sant la polymérase en plusieurs modules
coopérant entre eux. Ceci lui a permis de
transcrire des molécules d’ARN gauche de dif-
férentes fonctions à partir d’ADN gauche : des
ARN ribosomiques, des ARN de transfert, et
de petits ARN à fonction de sondes qui émet-
tent une fluorescence lorsqu’ils se lient à des
composés précis. Le prochain défi sera de
synthétiser toutes les protéines ribosomi-
ques miroirs, afin de reconstituer des riboso-
mes miroirs capables de traduire des ARN
messagers gauches en protéines miroirs.
Cerise sur le gâteau : les ARN gauches sont
extrêmement stables, y compris dans l’eau
d’une mare où les ARN naturels sont dégra-
dés en quelques minutes. La raison ? L’ab-
sence dans l’environnement d’enzymes de
dégradation dotées du bon filetage. Cette ob-
servation apporte la preuve que la dégrada-
tion des ARN provient surtout d’activités bio-
logiques, dont l’orientation a été sélectionnée
au cours de l’évolution en fonction de l’orien-
tation unique des molécules à dégrader. Elle
ouvre aussi la porte à des applications : le
développement de sondes ARN stables afin
de détecter différents polluants. p
Alice Lebreton
Directrice de recherche à l’Institut national
de recherche pour l’agriculture, l’alimentation
et l’environnement (Inrae), Institut
de biologie de l’Ecole normale supérieure
Pour l’arrêt des démonstrations
médicales ou chirurgicales en direct
Tribune - Le professeur Philippe Lévy appelle à cesser ce genre d’intervention spectaculaire,
se félicitant de la récente position défavorable du Conseil consultatif national d’éthique
E n 1979, un article retentissant
dans Le Monde avait dénoncé et
mis fin au défilé – à visée péda-
gogique – de dermatologues, réunis en
congrès, devant des malades exposés
dans des box, y compris des enfants.
Pourtant, ces démonstrations « en di-
rect » continuent dans des disciplines
techniques comme la chirurgie, l’en-
doscopie, la cardiologie ou la radiologie
interventionnelle. Au cours de ce qui
s’apparente à des shows, des gestes de
difficulté variée sont exécutés en direct,
commentés et discutés devant des di-
zaines à quelques centaines de congres-
sistes. Cela n’est pas sans poser des pro-
blèmes de sécurité, de libre choix des
patients, et donc d’éthique.
Récemment, la section technique du
Conseil consultatif national d’éthique
(CCNE) a pris une position défavorable à
ces manifestations, qui devrait mener à
une remise en question de leur tenue.
De fait, plusieurs sociétés savantes re-
présentant des spécialités médicales ou
chirurgicales n’avaient pas attendu
cette prise de position pour réduire ou
renoncer à de telles pratiques, comme
les chirurgiens digestifs, cardiaques,
thoraciques ou encore orthopédiques.
Deux sociétés savantes américaines,
l’American Association for Thoracic
Surgery et la Society of Thoracic Sur-
geons, ont banni les démonstrations
en direct lors de leurs congrès natio-
naux. Pour elles, il est clair qu’il y a un
pas considérable entre le compagnon-
nage habituel en petit comité et les
­démonstrations, sous la pression des
caméras, devant un grand nombre de
collègues. Les mêmes chirurgiens
Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
Une quatrième barrière méningée entoure notre cerveau
1 SLYM, nouvelle membrane cérébrale
Trois méninges entourant notre cerveau avaient
jusqu’alors été décrites : la dure-mère,
l’arachnoïde et la pie-mère. Une quatrième
barrière vient d'être découverte. Elle a été
baptisée SLYM, pour subarachnoid
lymphatic-like membrane (« membrane
sous-arachnoïdienne de type lymphatique »).
Nombre de nos organes, comme le
cœur ou les poumons, sont enrobés
d’une fine membrane appelée méso-
thélium, bardée de cellules immuni-
taires participant à leur protection.
Kjeld Mollgard, professeur de neuro­-
s­ ’interrogent sur les motivations du
public susceptible de connaître une ex-
citation et une fascination semblables
à celles de la télé-réalité, que les gens
regarderaient en partie parce qu’ils
­savent qu’un incident peut arriver.
Certes, des chartes éthiques, des pré-
cautions techniques et d’information
des malades viennent encadrer certai-
nes de ces démonstrations. Il n’empê-
che, l’équivalence en matière de sécu-
rité des soins ne peut être considérée
comme démontrée. Les études compa-
ratives publiées sont de qualité métho-
dologique médiocre, et leurs résultats
sont pour le moins contradictoires.
Perte de chance
C’est en raison de ces doutes et de la
constatation d’accidents graves en
­direct que certaines sociétés savantes
ont cessé ces démonstrations. Dans le
même ordre d’idées, ne peut-on parler
d’une perte de chance quand le bon
malade doit arriver au bon moment
pour la démonstration en direct ? A par-
tir de quand cette nécessaire concor-
dance des temps est-elle délétère à la
santé des patients ? Peut-on omettre le
stress des opérateurs, qui, bien qu’ex-
perts dans leur domaine, opérant par-
fois en milieu universitaire, parfois
dans des établissements à but lucratif,
réalisent sans filet un geste plus ou
moins complexe devant plusieurs
centaines de collègues ? Leur faculté
de jugement, leurs choix, même épau-
lés par d’autres experts, sont-ils aussi
sereins qu’en situation normale ?
Peut-on écarter d’un revers de main
le risque de conflits d’intérêts avec les
anatomie à l’université de Copenha-
gue, s’est demandé si une telle struc-
ture n’entourait pas notre cerveau. As-
socié à des chercheurs de l’université
de Rochester (Etats-Unis), le Danois dé-
crit dans Science du 6 janvier une telle
Rendez-vous
· Le Monde Science & Médecine
Peut-on omettre
le stress des
opérateurs, qui,
bien qu’experts,
réalisent un geste
sans filet devant
des centaines
de collègues ?
industriels dont les matériels nou-
veaux et innovants sont mis en
avant ? S’ils sont écartés de la salle
d’inter­vention, ils sont bien présents
dans ­l’exposition industrielle adja-
cente au ­congrès, dans laquelle ils
payent chèrement leur place.
Peut-on parler de liberté de choix
quand on fait miroiter aux malades
l’accès à des techniques ou à des ex-
perts auxquels ils n’auraient pas droit
par la voie habituelle ? Dans certains
pays voisins, comme la Belgique, la par-
ticipation des malades à ces « shows »
est même rémunérée… Peut-on parler
de respect de la personne quand des
parties plus ou moins intimes du corps
des patients sont projetées à l’écran ?
Des arguments existent sur la valeur
pédagogique des démonstrations en
direct, sans doute aidée par leur côté
spectaculaire – dans tous les sens du
terme. Pourtant, des alternatives de
plus en plus performantes et faciles à
mettre en œuvre existent, grâce aux
techniques d’enregistrement. Celles-ci
2 Un rôle immunitaire ?
Epaisse de quelques cellules seulement (environ 14 micromètres),
cette membrane héberge des cellules immunitaires dont les chercheurs
pensent qu’elles assurent une fonction de surveillance quant
à la présence, dans le liquide céphalorachidien, de facteurs d’infection
ou d’inflammation.
Sources : Mollgard et al., Science du 5 janvier
enveloppe, observée tant chez la souris
que chez l’homme. Faite d’un pavage
de quelques cellules d’épaisseur seule-
ment, elle avait échappé aux neuro­-
scientifiques, qui n’avaient décrit que
trois barrières méningées. La nouvelle
­
­Mercredi 18­ janvier 2023 |7
permettent une plus grande inter­-
activité entre l’expert, délivré de tout
stress, et l’assistance par le biais d’ar-
rêts sur image, de retours en arrière, de
discussions avec l’assistance sur les
choix à faire.
Ainsi peut-on résumer les principaux
questionnements de la section techni-
que du CCNE : quelle est la possibilité
laissée ou non aux malades de refuser
une captation en direct – y compris au
dernier moment, compte tenu de la
lourdeur de la logistique – et quelles
sont les conséquences d’un refus sur sa
prise en charge ? Est-il possible que le
public soit au courant d’un diagnostic
parfois difficile avant le malade lui-
même ? Le secret médical est-il bien
préservé ? Quel est le bénéfice réel en
matière de formation ? Enfin, la section
technique du CCNE a bien souligné
­l’effet sans doute néfaste du stress lié à
la manifestation sur la qualité de la
prise de décision.
Sans remonter aux dérives effroya-
bles en dermatologie, il y a plus de
quarante ans, il semble très probléma-
tique qu’aujourd’hui des soins techni-
ques difficiles soient administrés en
direct, dans un show public, fût-il pro-
fessionnel, quelles que soient les pré-
cautions prises autour de ces événe-
ments. En ce sens, la position de la sec-
tion technique du CCNE devrait être
prise comme une référence. p
¶
Philippe Lévy, pancréatologue,
­professeur des universités et praticien
hospitalier à l’hôpital Beaujon (AP-HP,
Université Paris Cité).
Os du crâne
Dure-mère
Arachnoïde
SLYM
Pie-mère
SLYM
Pie-mère
Cerveau
Cellules immunitaires
Vaisseau sanguin
Infographie : Victoria Denys
venue semble impliquée dans la circu-
lation du liquide céphalorachidien et
la surveillance de signes d’infection ou
d’inflammation. Un chapitre entier des
manuels d’anatomie à réviser ! p
Hervé Morin
 Rendez-vous
8| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 18­ janvier 2023
Alain Fischer : « La recherche médicale
est dans un état préoccupant »
entretien - Le médecin s’alarme des conditions de financement des travaux dans les CHU
ou les instituts nationaux et déplore le court-termisme dans le choix des sujets d’étude
L
e think tank Terra Nova rend public,
mercredi 18 janvier, un rapport
d’Alain Fischer sur la recherche médi-
cale en France, un état des lieux pré-
occupant assorti de nombreuses pro-
positions. A 73 ans, ce spécialiste en immuno-
logie et en pédiatrie, qui a présidé le conseil
d’orientation de la stratégie vaccinale pendant
la crise du Covid-19, vient d’être élu président
de l’Académie des sciences pour 2023-2024.
Comment qualifieriez-vous la situation
de la recherche médicale française ?
Elle est dans un état préoccupant. Quels que
soient les indicateurs que l’on regarde, malgré
leurs défauts, ils vont dans le même sens. Sur
les publications scientifiques, notre place mon-
diale a reculé du sixième au neuvième rang
­depuis 2005. L’Italie, la Corée nous dépassent.
Le déclin est plus relatif qu’absolu : ce sont les
autres qui progressent plus vite alors que nous
restons sur un plateau. Pour les contrats du
Conseil européen de la recherche [ERC], attri-
bués de façon compétitive, les constats sont
douloureux aussi. En sciences de la vie, il y a
quinze ans, les chercheurs français obtenaient
plus de contrats ERC que leurs homologues
­allemands. Désormais, c’est l’inverse. Et l’écart
se creuse. Même ici, à Imagine [l’institut hospi-
talo-universitaire consacré aux maladies généti-
ques qu’Alain Fischer a dirigé], qui est dans une
situation privilégiée, je sens une baisse d’appé-
tence des jeunes pour les métiers de la recher-
che. Ils sont moins nombreux à se lancer en
thèse ou à poursuivre en postdoctorat.
Quelle serait la mesure la plus urgente ?
La priorité, c’est le financement. En 2020,
nous avions tous de l’espoir avec la loi de pro-
grammation de la recherche. Mais l’effort fi-
nancier est, en fait, très insuffisant. Le prési-
dent de la République, Emmanuel Macron,
aime bien regarder ce qui se passe en Allema-
gne. Je lui suggère très respectueusement de
­regarder ce qui s’y est fait sous les mandats
d’Angela Merkel : l’effort a été progressif, im-
portant et continu. Le financement public de la
recherche et développement a dépassé 1 % du
PIB allemand, quand nous restons sous 0,8 %.
Et ils sont au-delà des 3 % du PIB pour les dé-
penses totales, publiques et privées, quand
nous sommes à 2,2 %. Ces moyens doivent ser-
vir à améliorer l’attractivité du métier en reva-
lorisant les salaires, en offrant un meilleur en-
vironnement de travail – équipements, lo-
caux… Un collègue qui travaille en France mais
aussi en Suisse me faisait remarquer que, rien
qu’à Zurich, ils disposent de quatre cryomicros-
copes [utilisés pour imager les interactions entre
molécules]. C’est autant que toute la France !
Au-delà des moyens, les chercheurs
se plaignent de l’énergie qu’ils doivent
déployer pour les obtenir…
En effet, il faut améliorer le quotidien des
scientifiques, qui passent trop de temps à cher-
cher de l’argent, à remplir des dossiers… Bref, à
faire des tâches autres que la recherche. Je me
souviens que, dans les années 1990, la moitié
des moyens de mon équipe à l’Institut national
de la santé et de la recherche médicale [Inserm]
provenait d’une dotation de l’organisme. Dé-
sormais, c’est à peine 10 % ou 20 % ; le reste, il
faut aller le chercher sur des appels à projets.
Cela crée de l’insécurité pour les équipes, c’est
chronophage, et conduit à proposer des idées
court-termistes, avec peu de prise de risque.
C’est une critique claire de l’Agence
nationale de la recherche (ANR)…
Au début, en 2005, je n’étais pas favorable à
cette agence de moyens, mais je reconnais
qu’elle s’est améliorée, avec des procédures
plus simples et des taux de succès en hausse. Le
problème est celui de l’équilibre entre les dota-
tions et ce financement sur projet, dans lequel
on est allé trop loin. Dans le rapport pour Terra
Nova, je propose que, si l’ANR devait continuer
à jouer un rôle prépondérant, il faudrait des
taux de succès supérieurs à 25 %, une hausse
des crédits alloués et un allongement à
cinq ans de la durée des contrats, avec une sim-
plification administrative.
La nouvelle organisation de la recherche bio-
médicale que vous proposez ne conduit-elle
pas à la disparition de cette agence ?
Pas forcément, car elle a d’autres missions. En
tout cas, l’un de mes constats est qu’il n’y a pas
beaucoup de stratégie autour de la recherche
Alain Fischer,
à l’institut
Imagine, à Paris,
le 12 janvier.
SIMONE PEROLARI
POUR « LE MONDE »
médicale en France. Il faudrait une institution
forte, capable de le faire tout en simplifiant le
système, dont l’organisation en millefeuille
nuit à l’efficience. En partant de ce qui existe, on
pourrait confier à l’Inserm une mission glo-
bale, couvrant l’ensemble du champ de la santé,
sur le modèle de l’Institut national de la santé
américain. Cette organisation réunirait les
moyens d’agences telle l’Agence nationale de
recherches sur le sida, les hépatites virales et les
maladies infectieuses émergentes, la partie
­recherche de l’Institut national du cancer ou
l’enveloppe des programmes hospitaliers de re-
cherche clinique [PHRC]. Certes, l’Inserm n’est
pas une agence de moyens, mais, sur le prin-
cipe, je ne serais choqué qu’elle le devienne.
A l’échelle de la recherche hospitalière,
vous proposez aussi de grands changements.
Pourquoi ?
On connaît la crise des hôpitaux par ailleurs,
mais on ignore souvent que la recherche hospi-
talière aussi est en difficulté, mal financée et
sans stratégie. J’impute cela au fait que beau-
coup des décisions sont prises par des adminis-
trateurs sans lien avec la recherche ou l’univer-
sité. Les doyens des universités sont mis de
côté. Dans l’ensemble, le résultat est que l’un
des outils de la recherche hospitalière, le PHRC,
fonctionne mal : 1 700 articles publiés pour
5 000 projets en vingt ans. Alors que son bud-
get est assez important, il n’a jamais fait l’objet,
à notre connaissance, d’une évaluation.
Un autre système à réformer est celui des cré-
dits dits Merri-Migac des CHU. Cette enveloppe,
qui représente 10 % du budget des établisse-
ments, est censée couvrir leur surcoût recher-
che et enseignement. Mais la quasi-totalité des
CHU l’utilise pour combler le déficit ! En outre,
ces crédits sont attribués en grande partie en
fonction d’un indicateur quantitatif, appelé
­Sigaps, qui prend en compte les publications
scientifiques sans distinguer réellement le
poids d’un article selon sa qualité. C’est une fo-
lie qui encourage les publications nombreuses
d’intérêt modeste. En plus, ces scores sont pris
en compte pour les carrières, une aberration. Il
faudrait supprimer ce système pour l’évalua-
tion des individus. En revanche, l’utilisation
d’indices, revus pour être plus justes, à des fins
d’évaluations collectives ne me choque pas.
La crise du Covid-19 a mis au jour
les faiblesses de la santé publique en France.
Comment la renforcer ?
Nous avons de très bons spécialistes : épidé-
miologistes, modélisateurs, statisticiens, éco-
nomistes… Mais ils ne sont pas assez nom-
breux, et la recherche en santé publique n’est
pas satisfaisante. Cette discipline majeure est
peu présente dans les facultés de médecine et
dans celles de sciences humaines et sociales.
Les internes en médecine la considèrent
comme un dernier choix. Le système médical
est toujours tourné vers la thérapeutique, pas
vers la prévention. Je plaide pour une politique
proactive de promotion de la santé publique
dans toutes ses dimensions, dans les facultés
de médecine, mais pas seulement.
Voyez-vous d’autres points noirs ?
Dans notre pays, la culture scientifique n’a
pas la même place que la littérature, les arts…
Ce désintérêt s’observe jusque chez les
­décideurs, et ce n’est pas sans conséquence.
En ­Allemagne, ce n’est pas un hasard si
Mme Merkel, qui a un doctorat de chimie, a fait
ce programme pour développer la recherche
scientifique. Un chiffre me frappe : deux tiers
des ingénieurs allemands ont un doctorat,
contre 15 % à 20 % en France. Chez les jeunes, il
est des constats qui font peur. Certains
croient encore que la Terre est plate ou réfu-
tent la théorie de l’évolution.
Comment remédier à cette situation ?
Il y a beaucoup d’efforts à faire à tous les ni-
veaux : de l’école, où il y a des difficultés dans
l’enseignement des sciences, aux lieux où se
forment les élites, en passant par les médias…
Je voudrais que, sous ma présidence, l’Acadé-
mie des sciences renforce son rôle sur ce sujet
crucial. Avec une éducation à la rationalité, les
citoyens pourraient avoir une meilleure prise
de conscience des enjeux scientifiques. Ce se-
rait finalement bénéfique pour la démocratie.
En outre, je souhaite que l’Académie retrouve
ce pour quoi elle a été créée il y a plus de trois
cent cinquante ans [en 1666] : servir de base
d’expertise pour le pouvoir politique sur les
questions scientifiques. Il est injuste de voir
cette assemblée comme un club de gens hono-
rables sans impact sur la société. Ses membres
sont remarquables, et la société gagnerait à les
écouter davantage. Je rappelle aussi que l’Aca-
démie rajeunit et se féminise, avec sept fem-
mes sur les dix-huit derniers entrants. Ce n’est
pas un repaire de vieux scientifiques ! p
Propos recueillis par
Sandrine Cabut et David Larousserie
La Vie des labos
De si chers articles
scientifiques
E n ces temps d’inflation, rien d’éton-
nant à voir que la recherche aussi est
concernée. Mais des hausses battent
tous les records. Les dépenses pour les publi-
cations scientifiques ont augmenté de 48 %
entre 2018 et 2020 en France, selon une étude
réalisée par la coopérative Datactivist et com-
mandée par le ministère de la recherche.
Ainsi, en 2020, le montant pour frais de publi-
cation atteignait 30,1 millions d’euros. Si l’on y
ajoute le prix des abonnements aux revues
scientifiques, la somme atteint 117,6 millions
d’euros, soit l’équivalent d’environ 2 300 pos-
tes de jeunes chercheurs pendant un an !
Pour comprendre ces chiffres, des défini-
tions s’imposent. Les chercheurs publient
leurs résultats dans des revues, après éva-
luation par leurs pairs. Jusque dans les an-
nées 2000, le modèle dominant était que les
auteurs ne paient pas pour publier (sauf
supplément pour certaines figures), mais
que la lecture des articles est réservée aux
abonnés. La hausse régulière et forte du coût
des abonnements a été critiquée, car limi-
tant l’accès à l’information scientifique, et
donc à l’innovation.
Plusieurs modèles alternatifs, dits « en accès
ouvert » ou open access, sont apparus. Beau-
coup consistent à faire payer aux auteurs des
frais de publication (APC en anglais, pour arti-
cle processing charges), en échange de quoi la
lecture est gratuite. Selon l’étude, ces frais
sont environ de 2 000 euros par article en
moyenne, voire plus du double. Dans ce ca-
dre, il y a des revues « gold » (« dorées »), entiè-
rement financées par les APC, ou d’autres
« hybrides », qui gardent l’abonnement et
rendent gratuits les textes avec APC. Il existe
également des journaux « diamant », sans
APC et soutenus par des Etats ou des fonda-
tions. Le coût par article est estimé à environ
400 euros par l’étude française. Enfin, il y a le
modèle « vert », qui consiste à déposer gratui-
tement sur des sites dits « d’archive », souvent
soutenus là aussi par des fonds publics, des
versions avant publication, mais aussi après
publication, en respectant certaines ­règles ju-
ridiques. En France, 62 % des articles parus
en 2020 étaient en open access (contre un peu
plus de 40 % des articles en 2012).
Un modèle économique « insoutenable »
Ces modèles devaient non seulement abais-
ser les barrières d’accès, mais aussi faire
baisser le coût global. L’étude française
­confirme qu’il n’en est rien. Les auteurs ont
étudié un million d’articles coécrits par des
Français entre 2013 et 2020, pour identifier
lesquels avaient payé des APC, à quel prix et
dans quel modèle. D’où les 30,1 millions
d’euros en 2020, pour presque 80 % en voie
« dorée », qui ne s’expliquent pas par la crois-
sance du volume de publications. A cette
somme s’ajoutent les dépenses d’abonne-
ment négociées par le consortium Couperin
avec les éditeurs : 87,5 millions en 2020.
En outre, selon plusieurs scénarios pros-
pectifs proposés (une ruée vers la voie « do-
rée », un développement du « vert » …), le
­total s’élèverait en 2030 entre 136 millions
(15 % de hausse) et 166,2 millions (41 % de
hausse). « Ce modèle économique ne sera pas
soutenable (…) s’il devient dominant chez les
éditeurs : à terme, on dépenserait bien plus
que les sommes allouées aux abonnements »,
indiquait sur le site du CNRS, le 14 septem-
bre 2022, ­Sylvie Rousset, à la tête de la direc-
tion des données ouvertes de la recherche
de l’organisme. « Il faut que ce constat d’aug-
mentation massive des coûts soit pleinement
partagé et qu’en conséquence les APC devien-
nent un problème institutionnel pour lequel
une politique puisse être énoncée », précise
Didier Torny, sociologue CNRS au Centre de
sociologie de l’innovation et membre du
groupe de pilotage de l’étude.
En France, les pressions deviennent fortes
pour ne plus publier en « hybride » (car cela
­revient à payer deux fois, l’abonnement et les
APC) et pour déposer sur le site d’archive HAL,
voie « verte », les textes, y compris les versions
déjà publiées dans les journaux. Les éditeurs
aussi agissent. Springer Nature supprime
­depuis le 9 janvier les APC pour soixante-dix
pays en voie de développement dans les re-
vues affiliées à Nature. Surtout, les plus gros
signent des accords dits « transformants »
avec des consortiums qui acceptent de payer
un montant forfaitaire qui dispense les cher-
cheurs de payer des APC. Mais ces initiatives
sont encore trop jeunes pour pouvoir évaluer
leur effet sur les coûts globaux. p
D. L.