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ISSN : 0750-4039 143e ANNÉE – HEBDOMADAIRE N° 3431

10 JUIN 2020

À fréquenter
les chats, on ne risque
que de s’enrichir
Colette
Les Fleuristes

Le musée des Veillées Francisco de GOYA (1746-1828)


Musée du Prado – Madrid

BRIDGEMAN IMAGES / LEEMAGE


L’almanach de la semaine par Annie Viaud

‘‘ Dans le monde,
personne n’est
inutile s’il allège
le fardeau

’’
des autres
Charles Dickens

C’est arrivé un…


15 juin 1752. Cejour-là, dans la ville

ISTOCK
de Philadelphie (États-Unis), Benjamin
Franklin invente le paratonnerre.
Le physicien améri-
Le mot de la rédac’
CC - STEVEN GREEN - FLICKR
cain a démontré la
nature électrique de la

L
e mois de juin est peut-être, avec mai, le plus joli de l’année.
foudre en lançant dans
Les journées continuent de s’allonger, les températures
le ciel, lors d’un orage,
sont clémentes et les familles ne sont pas encore dispersées
un cerf-volant muni
à cause de la trêve estivale… Cette année plus que jamais,
d’une pointe en métal.
juin est placé sous le signe de la liberté et, nous l’espérons
pour vous, des retrouvailles avec vos proches. Profitons-en
pour nous dire combien nous nous aimons, et souvenons-nous
que ce lien est d’autant plus précieux qu’il est fragile. C’est leur fête cette semaine…
N’hésitez pas à nous transmettre vos messages par mail Diane (le 10), Barnabé (le 11), Guy
à redaction.veillees@reworldmedia.com ou sur notre page (le 12), Antoine (le 13), Élisée (le 14),
Facebook. Germaine (le 15), Aurélien (le 16).

Le langage des fleurs La main verte


L’ancolie se décline en plus d’une centaine d’espèces, Arroser sans arrosoir, c’est possible!
dont les plus grandes mesurent près d’un mètre de haut. Récupérez des bouteilles en plastique
Sa forme rappelant à certains le bonnet des fous du roi avec leur bouchon. À l’aide d’un tournevis
au Moyen Âge, cette fleur symbolise donc la folie. cruciforme, percez quelques trous sur
le bouchon. Remplissez la bouteille d’eau
et vissez le bouchon. Vous n’avez plus
qu’à la retourner pour arroser vos plantes.
CAPTURE D’ÉCRAN - UNE FLEUR
PHOTOS ISTOCK (X 3)

PARMI LES FLEURS - YOUTUBE

2
SOMMAIRE
HEBDOMADAIRE N° 3431 – 10 JUIN 2020
Une publication du groupe

NOTRE COUVERTURE : Chasseur et curieux, un petit félin essaie Rédaction


d’attraper un papillon en vol ! 8, rue François-Ory
Photo : iStock 92543 Montrouge Cedex
Tél. 01-46-48-47-12 – Fax. 01-46-48-47-00
redaction.veillees@reworldmedia.com
Directrice de la rédaction Stéphanie Pic,
2 L’almanach de la semaine par Annie Viaud assistée de Patricia Molnar
Rédactrice en chef Annie Viaud
4 Exposition par Sandrine Tournigand Chef de service Valérie Dufils
vdufils@reworldmedia.com
Jean-Marie Delaperche, le destin d’un génie révélé Secrétaire générale de la rédaction
Anne Dumoulin
8 L’occasion rêvée par Françoise Kerymer adumoulin@reworldmedia.com
Première secrétaire de rédaction
La mission secrète Annie Touzé

10 Santé pratique
atouze@reworldmedia.com
par Joséphine Balique et Annie Viaud Courrier des lecteurs Ouarda Akdache
Efficaces, les remèdes de grand-mère ! Première rédactrice graphiste Soifia Hanami
Rédactrice graphiste Ouarda Akdache
12 Patrimoine religieux par Florence Dauly Iconographe Christian Rousselet
Direction – Edition
L’hôtel des Invalides
Directeur d’édition Germain Perinet
15 Feuilleton par Mathilde Corvaia Fabrication
Directeur des opérations industrielles
Je sculpte avec toi, liberté ! Dominique Aymard

20 Du côté de chez moi


Directrice de la fabrication Isabel Delanoy
par Sandrine Liochon Chefs de fabrication
Mon coin de paradis Daniel Rougier, Agnès Châtelet
Prépresse
22 Femme d’exception par Émilie Esnaud-Victor Sylvain Boularand, Christophe Guérin
Abdellatif Zirar, Stéphane Mossot, Marina Capelle
Gaby Deslys, la première star mondiale du music-hall Directeur du contrôle de gestion
Pascal Rigaud
24 Les bonnes histoires de Fernande Huc
Le chien et l’agneau Les manuscrits non insérés dans Les Veillées ne sont pas
rendus à leurs auteurs. Dans nos textes
26 Nos jeux de la semaine par Laurence Tournay
de fiction, toute ressemblance avec des situations, des
personnes ou des patronymes existant
ou ayant existé serait purement fortuite.
28 Nouvelle par Manon Desmet Editeur Reworld Media Magazines
Siège social 8, rue François-Ory
La bastide 92543 Montrouge Cedex
Directeur de la publication Gautier Normand
35 Vos poésies Actionnaire Reworld Media France
Imprimeur : Rotochampagne
36 Métier d’autrefois par Sandrine Dereu
11, rue des Frères-Garnier,
52000 Chaumont.
N° ISSN : 0750-4039
Herboriste, les graines de l’espoir Commission paritaire : 0218 K 80260

39 Feuilleton
Dépôt légal : juin 2020
par Ginette Briant
AFFICHAGE ENVIRONNEMENTAL
Un loup sur la lande Origine du papier Allemagne

46 Série par Gabrielle Adam Taux de fibres recyclées


Certification
80 %
PEFC
3 – Les plateaux de la balance Impact sur l’eau Ptot 0,006 kg/tonne

52 La bonne cuisine par Safia Amor


Abonnements
Un air d’été Pour les abonnements et
les changements d’adresse, s’adresser
56 Allons au jardin par Noémie Vialard à Les Veillées des Chaumières, CS 90125
27091 ÉVREUX Cedex 09. Tél. 01-46-48-48-99
Transfigurez votre jardin grâce aux annuelles Par Internet : www.kiosquemag.com
Prix au numéro : 2,20 €
60 Le musée des Veillées
Exposition

Jean-Marie Delaperche
le destin d’un génie révélé
Grâce à l’acquisition de près d’une centaine de dessins il y a trois  ans,
le musée des Beaux-Arts d’Orléans dévoile l’œuvre méconnue du peintre
Jean-Marie Delaperche, de son frère, Constant, et de leur mère, Thérèse.

retraçant la vie de cet homme volontairement


resté dans l’ombre des sphères officielles.
L’histoire de cette famille d’artistes commence
à Orléans. Issue de la petite bourgeoisie commer-
çante, Thérèse Leprince, de son nom de jeune fille,
COLLECTION PARTICULIÈRE / PATRICE DELATOUCHE

Autoportrait
(après 1839 ou se destine à une carrière artistique. Elle se forme
vers 1810-1812). d’abord auprès du grand pastelliste Jean-Baptiste
Copie Perronneau (1715-1783) et progresse rapidement au
d’après Jean-Marie
Delaperche. contact du dessinateur et collectionneur Aignan-
Huile sur toile. Thomas Desfriches (1715-1800). Faute de pouvoir
assister aux séances de nu, interdites aux femmes,
c’est au château de Ménars, à 50 km d’Orléans,
que la jeune femme s’exerce à dessiner les sculp-
tures du parc. Pour vivre de son art, elle ouvre en
parallèle un magasin de pastels et de fixatifs pour
les artistes, rue Royale. Sept ans après la nais-
sance de son premier fils, Jean-Marie, elle quitte
Orléans pour Paris en 1778. En quête de reconnais-
eu de gens le connaissent. Jean-Marie sance, elle fréquente les ateliers d’Élisabeth Vigée

P Delaperche est considéré à tort comme un


peintre mineur dans l’histoire de l’art. Son
parcours est pourtant digne d’un roman et
son talent proche de celui des plus grands artistes
du XIXe siècle. La redécouverte de ses œuvres est
Le Brun (1755-1842) et de Jean-Baptiste Greuze
(1725-1805). Ne pouvant intégrer l’Académie royale
de peinture et de sculpture, qui refuse d’ouvrir
ses portes aux femmes, Thérèse Delaperche vit
principalement des commandes de l’aristocratie.
tout aussi rocambolesque. Il y a trois ans, le mar-
chand d’art parisien Emmanuel Roucher déniche
La peinture, une histoire de famille
un carton comprenant 91 dessins, dont seulement Soucieuse de délivrer la meilleure éducation
quatre sont datés et signés de la main de cet artiste intellectuelle et artistique à ses enfants, Thérèse
né en 1771. Convaincu de l’importance de ces Delaperche fait entrer Jean-Marie et son frère
œuvres, le musée des Beaux-Arts d’Orléans décide cadet, Constant, dans l’atelier de David, le peintre
d’en faire l’acquisition au moyen d’une campagne officiel de Napoléon. Mais Thérèse sera sans doute
de financement participatif couronnée de succès. leur premier et principal professeur : elle enseigne
Aujourd’hui, cet ensemble de petits tableaux à ses fils les rudiments du portrait en même temps
en grisaille est enfin dévoilé dans une exposition qu’ils complètent leur formation par la copie d’après

4
ORLÉANS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS / PHOTO PATRICE DELATOUCHE
Jean-Marie Delaperche, L’Âge mûr. Le temps amène la réflexion et confond la frivolité
(vers 1817). Lavis d’encre et gouache blanche sur papier vergé.

l’estampe. Pendant la Révolution, son mari, Jean-


Baptiste Laperche, un militaire, est emprisonné et
ORLÉANS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS / PHOTO PATRICE DELATOUCHE

échappe de peu à la guillotine. Pour tenter de le


faire libérer, elle s’immisce dans les milieux révo-
lutionnaires et se lie avec la femme de Danton.
Avec Constant, encore mineur, elle se réfugie à
Reims dans l’espoir de se faire oublier. Jean-Marie,
lui, part à Caen où du travail l’attend. En 1798, il
échoue à devenir directeur de l’école de dessin
de Fontainebleau, et voyage entre la Normandie
et Paris, où il continue d’étudier avec son frère.
En 1801, Constant abandonne les pinceaux pour
entrer au service de la maison de champagne
Ruinart, que connaît bien sa mère, avant de partir
trois ans plus tard pour La Roche-Guyon où le
prince de Léon, futur duc de Rohan-Chabot, lui
confie l’éducation de ses six enfants. En 1813, il
Jean-Marie Delaperche,
épouse Alexandrine, fille du régisseur du château Les Adieux de Louis XVI à sa
et maire de la commune. C’est à cette date qu’il famille (vers 1815). Crayon,
adopte la fausse particule « de » dont il fait précéder plume, encre, lavis, gouache
sur papier vélin.
son nom – Laperche – qui devient Delaperche,
RE

UL

imité par ses parents et son frère.


TIC

En même temps qu’il enseigne les arts aux


AR
NP

enfants, Constant joue également le rôle de peintre Thérèse


CTIO

Laperche,
officiel, produisant pour la famille et leurs amis
COLLE

Portrait
des portraits, tableaux religieux et sculptures. À la d’un homme
mort de son épouse, le duc Louis-François prend en tenue de
l’habit ecclésiastique et lui commande des bas- révolutionnaire
(1794).
reliefs pour la chapelle troglodyte de La Roche- Pastel sur
Guyon, réalisés entre 1816-1819. Deux d’entre eux, papier bleu.
tout juste restaurés, sont exposés à Orléans. Son

5
Exposition

ORLÉANS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS / PHOTO CHRISTOPHE CAMUS


Jean-Marie
Delaperche,
Le Philosophe
entre la jalousie
et l’innocence
(vers 1815-1817).
Crayon, pierre
noire, plume, encre
sur papier vélin.

principal chantier reste toutefois le chemin de causée par le décès de ses fils. En 1814, c’est au tour
croix et la chaire de l’église Saint-Roch, à Paris, de sa mère de disparaître, puis, en 1817, de son
dont il obtient la commande grâce au soutien des père, qu’il n’avait pas revu depuis près de dix ans.
Rohan-Chabot.
Des années sombres
Les aventures moscovites Dans Moscou dévastée, Jean-Marie Delaperche,
De son côté, Jean-Marie Delaperche s’expatrie à plongé dans un état mélancolique, développe par
Moscou pour y trouver du travail et fuir le régime le biais du dessin une réflexion sur la tyrannie,
napoléonien. Royaliste, profondément marqué par depuis l’arrestation de Louis XVI jusqu’à la fin
la Révolution, il voit l’arrivée de l’Empereur comme des Cent-Jours. La peinture lui offre une voie de
un fléau. Un dessin intitulé Scène de mal de mer salut à travers laquelle il explore sous forme allé-
laisse supposer qu’il part avec sa femme, Cécile de gorique les tragédies de l’histoire contemporaine.
Sérigny, et ses deux cadets du port du Havre, lais- Dès 1815, il entre au service des Vénévitinov, une
sant son aîné, Jean, poursuivre sa scolarité au col- famille aristocratique cousine de Pouchkine. En
lège de Mayence. Commence alors une période de devenant le précepteur des trois enfants – Dmitri,
vingt ans hors de France, durant laquelle il exerce Sofia et Alexey – qui ont perdu leur père un an
comme peintre en miniatures et précepteur au ser- plus tôt, il retrouve un cocon familial dans lequel
vice de familles aristocratiques. À l’instar de sa se reconstruire, et offre à ses jeunes protégés sa
mère, il refuse de signer ses œuvres, préférant sa connaissance des arts et de la philosophie.
liberté au diktat de la critique, avec la volonté de À cette époque, l’artiste réalise des centaines
vivre sa carrière en dehors du feu des projecteurs. de chefs-d’œuvre, dont il se sert très probable-
Son art s’ouvre à de nouvelles influences, notam- ment comme supports d’enseignement pour les
ment britanniques. Jean-Marie Delaperche se enfants Vénévitinov. À côté de scènes révélant la
remémore des épisodes de la Révolution et défend culture classique du peintre, issues de l’Ancien et
le souvenir de la famille royale déchue. Les Adieux du Nouveau Testament ou de la littérature antique,
de Louis XVI à sa famille consacrent son talent de d’autres trahissent la recherche de sujets rares
peintre d’Histoire et mettent en lumière la grande apportant un éclairage sur la situation politique.
sensibilité de l’artiste pour l’expression du senti- Érudit et savant, Delaperche vit entouré d’encyclo-
ment héritée des maîtres du XVIIIe siècle. pédies qui lui permettent d’y puiser ses sujets. Dans
En 1812, Moscou tombe entre les mains de son Autoportrait, il se représente avec les outils
Napoléon. Les deux fils de Jean-Marie sont enrôlés du peintre – un pinceau, une plume, un compas –,
par le maréchal de Castellane, l’un comme traduc- mais également des livres, dont un dictionnaire.
teur, l’autre comme soldat. Tous deux trouvent la Toute sa vie, Delaperche porta une réflexion sur le
mort dans la débâcle de la Grande Armée. Son statut de l’artiste. Dans bon nombre de ses œuvres,
œuvre restera à jamais marquée par la souffrance il fait également allusion à des représentations de

6
la Comédie-Française en Russie, témoignage de
son attrait pour la vie culturelle moscovite, par-
ticulièrement francophile avant la campagne de
Russie. Comme toutes les familles aristocratiques,
les Vénévitinov accueillent des lectures et pièces
de théâtre. Dans ces années sombres, la peinture
des sentiments figure parmi ses domaines d’excel-

ORLÉANS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS / PHOTO PATRICE DELATOUCHE


lence. L’influence de Jean-Baptiste Greuze, chez qui
sa mère a étudié et qu’il a dû copier en gravure, se
fera sentir dans son rendu des expressions.
Un marché loin du Salon
En 1824, les deux frères s’installent comme
portraitistes alors que ce genre connaît un fort
engouement. L’accès au Salon reste néanmoins dif-
ficile aux Delaperche, vus comme les protégés de
grandes familles aristocratiques, et ils se heurtent
à la censure du jury. Le Portrait des enfants de l’ar-
tiste, refusé en 1824, montre pourtant le talent de
Constant Delaperche. Artistes de leur temps, les
deux frères ne négligent pas pour autant la pein-
ture religieuse. Sans bénéficier du soutien de l’État, Jean-Marie Delaperche, Scène de mal de mer (vers
ils reçoivent des commandes pour les églises grâce 1805). Pierre noire, encre, gouache blanche sur vélin.
à leurs relations, essentiellement en Normandie.
Ils partagent successivement plusieurs ateliers
dans Paris où ils peignent et enseignent.
Toujours en quête de travail, Jean-Marie
s’éloigne souvent de Paris. Depuis Saint-Malo,
Limoges, Le Mans, des lettres adressées à son frère
et des annonces passées dans la presse proposant
ses services de portraitiste permettent de suivre sa
carrière. Comme s’ils n’avaient pu continuer l’un
sans l’autre, ils décèdent à deux mois d’intervalle,
à la fin de 1843. L’un à la tête d’une famille soudée
et heureuse, l’autre sous le poids d’une vie dont les
dessins révèlent les douleurs. Avant de s’éteindre,
Jean-Marie Delaperche a envoyé au Salon un der-
nier tableau, le portrait d’une vieille femme, pro-
bablement son épouse malade. Une œuvre qui,
cette fois, aura la considération du jury, mais dont
on cherche encore la trace aujourd’hui.
COLLECTION PARTICULIÈRE

Sandrine TOURNIGAND

Jean-Marie Delaperche (1771-1843), un artiste


face aux tourments de l’Histoire, jusqu’au
18 octobre, musée des Beaux-Arts, 45000 Orléans.
Rens. : www.orleans-metropole.fr Constant Delaperche, Portrait des enfants
de l’artiste (vers 1822). Huile sur toile.
7
L’occasion rêvée

La mission
11–Les choses s’éclaircissent… si on peut dire,
par ce temps brumeux ! Le secret de Marthe
est enfin révélé.

Novembre, deux heures du matin

C e n’est pas le vagabond endormi


sur mon dos qui va me gêner, son
ronflement de sonneur me dit qu’il
est loin dans les songes. Tant mieux pour
lui. Avec ce froid humide, la nuit passera
plus vite.
La place est déserte, profitons-en. Et
puisque la fin de l’année approche, je
peux maintenant vous mettre dans la
confidence.
Vous connaissez déjà l’amour de Marthe
pour les livres. Mais ce que vous ne savez
pas, c’est son amour particulier pour les
livres d’occasion. Et pour cause… Car elle
est douée d’un merveilleux sixième sens,
ma petite Marthe. Un sens qui lui permet
de ressentir les impressions de tous ceux
qui ont lu le livre avant elle. Des impres-
sions encore présentes pour elle, comme
on retrouve parfois des photos entre les
pages d’un livre, ou des plantes séchées.
Marthe peut ainsi recueillir les pensées
les plus intimes des lecteurs précédents.
Leurs espérances les plus secrètes, elle
les ajoute à l’histoire… Et, sans fin, elle
se promène dans son jardin d’hypothèses,
au bras d’amis sincères, glissés pour tou-
jours dans les pages de son livre. Sans
ILLUSTRATIONS LAURENCE GRIVEAU

fin, elle tisse autour d’elle un labyrinthe


de possibles.
« Fiction augmentée », dit-elle de sa voix
douce.
Elle dit aussi que beaucoup de gens
ont ce pouvoir, mais que très peu savent
l’utiliser. Rien de plus simple, pourtant ! Il
suffit, encore et toujours, de lire des livres

8
par Françoise Kerymer

secrète
déjà lus. Ainsi, la magie opère, progressi- s’introduire dans les locaux de la presti-
vement. gieuse M.L.P., la Maison du livre et de la
Marthe en rapportait chez elle, et leur don- poésie. Et s’y laisser enfermer pour la nuit,
nait une seconde vie, ou une troisième, une pour tenter de sauver un ouvrage mis à
quatrième… Oubliés, délaissés ou perdus, l’écart.
tant de livres souhaitent être recueillis ! Pauvre Victor ! pas un livre condamné à
Et sur mes planches, elle faisait de jolies se mettre sous la dent. Quelle déception !
récoltes. Mais elle en espérait d’autres, hélas Pour se distraire avant l’ouverture, il avait
bien inaccessibles pour elle. Il lui fallait de occupé sa nuit à recoller avec du scotch une
l’aide. Sauver des ouvrages en péril est un page dactylographiée, déchirée dans une
combat admirable. corbeille.
Et moi, je ne pouvais rien faire de plus. Au moins, il ne reviendrait pas bredouille,
En janvier dernier, le hasard s’en est mêlé. et après tout, la couverture d’un livre en
Un homme aux bottines de cow-boy et au moins, c’était un texte comme les autres.
manteau trop large l’avait abordée dans la Était alors arrivée une chose très éton-
rue : « Aidez-moi… » nante. Au fur et à mesure que les mots se
Elle avait longuement regardé son visage, reconstituaient sous ses yeux – des mots
un visage comme blanchi de sa propre his- légers comme une bulle de savon –, Victor
toire. Victor venait de sortir de prison, pour avait senti les déchirures de sa propre his-
sa première permission. Elle avait alors toire se refermer une à une.
passé un marché avec lui. Fou de joie à l’idée d’apporter à Marthe
Contre un peu d’argent, il devrait sillonner ce papier fabuleux, c’était un homme neuf
la ville et lui rapporter des livres aban- qui s’était précipité dehors, son butin à la
donnés, mais dans des conditions hors du main. Si vite qu’il avait attiré l’attention du
commun. Et pour entrer partout, passer ina- gardien, qui l’avait pris en photo, par pré-
perçu était indispensable. Marthe lui avait caution. La photo de Victor, transmise au
donc offert des chaussures neuves, pour service de sécurité, avait navigué dans le
remplacer ses bottines trop voyantes. monde des images, jusqu’au bureau du juge.
Tout cela devait bien évidemment être Inutile de vous dire que, depuis ce matin-
discret, Marthe tenait à sa réputation. Je là, Victor n’avait plus eu le droit de quitter
la comprends ! Sur la place, tout le monde la prison. On ne plaisante pas avec les pou-
s’observe toujours un peu… Un peu trop, belles des institutions.
même, souvent. (à suivre)
À chaque permission de sortie accordée
par le juge, Victor avait donc fréquenté
les lieux les plus intenses de la condition
humaine : les urgences des hôpitaux, les

‘‘
quais de gare la nuit… et même les cime-
tières et les locaux des inspecteurs des
impôts. Mais il s’exécutait à contrecœur. Ce  Il suffit, encore et toujours,
dont il avait besoin, lui, c’était au contraire de lire des livres déjà lus. Ainsi,

’’
d’oublier la misère du monde. En septembre,
il accepta pourtant une mission périlleuse : la magie opère…
9
Santé pratique

Efficaces, les remèdes


de grand-mère !
Utilisées depuis des millénaires, certaines « recettes de grand-mère »
font aujourd’hui encore leurs preuves pour guérir les petites affections
du quotidien. Illustration avec le clou de girofle et les cataplasmes.

et filtrez. Ajoutez 1 c. à café de miel Couvrez et laissez infuser pen-


et buvez ce breuvage lorsqu’il est dant quinze minutes. Buvez froid
encore bien chaud. ou chaud après chaque repas.

Retrouver la forme En finir avec les douleurs


Pour revitaliser votre corps, com- dentaires
mencez votre petit déjeuner par Cette épice est employée depuis
cette routine matinale : prenez des siècles pour sa puissante
1 goutte d’huile essentielle de clou action antalgique et antiseptique
de girofle et 1 goutte d’huile essen- au niveau des dents. L’eugénol,
Le clou de girofle tielle de ravintsara dans 1 petite
cuillerée de miel.
l’un des principes actifs du clou
de girofle, est un anesthésiant avec
un pouvoir calmant et désinfectant.
Soulager un aphte

O
riginaire d’Indonésie, le Pour apaiser une rage de dents
clou de girofle est utilisé La muqueuse buccale cicatrise en attendant d’aller chez le den-
en cuisine, mais aussi en assez lentement. Pour accélérer tiste, mélangez quelques clous de
médecine. En poudre, en huile le processus de guérison, essayez girofle entiers dans de l’eau bouil-
essentielle ou même entière, on cette solution : mélangez 1 c. à lante, infusez dix minutes et laissez
trouve cette épice sous de nom- café de yaourt, de fromage blanc refroidir. Retirez les clous de girofle
breuses formes. Connu en France ou de faisselle dans un petit bol et utilisez comme bain de bouche.
depuis le Moyen Âge, le giroflier avec 3 gouttes d’huile essentielle Vous pouvez aussi placer un clou
porte des boutons floraux rosés de laurier noble et 3 gouttes d’huile de girofle entier sur la zone doulou-
qui sont récoltés avant leur éclo- essentielle de giroflier. Gardez reuse pendant quelques minutes.
sion et produisent les baies que cette potion en bouche, principale-
nous connaissons. ment sur la zone infectée, pendant Attention aux doses!
deux à trois minutes, puis recra- Les actifs du clou de girofle sont
Atténuer les toux grasses chez. Réitérez 3 ou 4 fois par jour puissants. Un surdosage de son
Le clou de girofle possède des pro- le temps de la cicatrisation, sans huile essentielle, très concentrée
et potentiellement toxique,
priétés antiseptiques et antispas- dépasser quatre jours. peut entraîner des troubles
modiques. En tisane, il soulagera la gastro-intestinaux (vomissements,
toux grasse et la gorge. Mélangez Faciliter la digestion diarrhées ou nausées).
1/2 c. à café de clous de girofle en Soulagez vos ballonnements avec Cette huile est déconseillée aux
poudre, 1/2 c. à café de gingembre cette infusion : dans 1 l d’eau enfants de moins de 12 ans et en
et 1/2  c. à café de cannelle en bouillante, ajoutez 5 clous de cas de traitement anticoagulant.
poudre dans 1/2 tasse d’eau bouil- girofle, 4 feuilles de menthe poi- Par prudence, parlez-en à votre
lante. Laissez infuser dix minutes vrée et 5 feuilles de laurier noble. pharmacien avant tout traitement.

10
par Joséphine Balique et Annie Viaud

pour qu’il ne colle pas à vos vête-


ments. Laissez agir trente minutes,
puis rincez à l’eau tiède. Vous pou-
vez renouveler ce cataplasme
jusqu’à 3 fois par jour.

Le chou calme
le mal de gorge
Grâce à ses nombreuses vertus
thérapeutiques du fait de sa teneur
en minéraux et vitamines, le chou,

PHOTOS ISTOCK (X 3)
appliqué en cataplasme, soulage
les angines, bronchites, rhumes
et sinusites. Préférez un chou bio
Les cataplasmes pour éviter le transfert de résidus
chimiques à travers la peau.
Lavez et séchez 4  feuilles de

C es préparations pâteuses,
appliquées directement, ou
enveloppées dans un tissu fin, sur
une spatule en bois jusqu’à obte-
nir une pâte homogène. Couvrez
la zone sensible avec une com-
chou. Retirez la côte centrale et
les grosses nervures, puis pas-
sez un rouleau à pâtisserie, ou
la partie douloureuse, soulagent presse et étalez la pâte dessus en une bouteille, dessus (les feuilles
rapidement: elles désenflent, cal- couche épaisse (1 à 2 cm). Gardez vont s’imprégner de leur propre
ment les douleurs, diminuent les deux heures. Pour rendre la zone suc). Appliquez les feuilles sur la
spasmes et détendent, permettant étanche, enveloppez-la de papier zone à soigner (la gorge, le nez…).
une guérison plus rapide. Utiles cellophane. Renouvelez l’opéra- Recouvrez d’une compresse,
pour des premiers soins, les cata- tion tous les jours sans dépasser maintenez avec un bandage et
plasmes aident aussi à soigner trois semaines de traitement. gardez une à deux heures.
des maladies chroniques ou à un Attention : ce cataplasme est
stade avancé. N’étant pas un trai- déconseillé chez les enfants et L’ortie soulage
tement à part entière, on les com- les femmes enceintes. les rhumatismes
bine souvent aux médicaments La feuille d’ortie possède des ver-
classiques. Demandez l’avis de Le miel allège tus anti-inflammatoires qui sou-
votre médecin, il vous conseillera. les douleurs des plaies lagent les rhumatismes grâce à
et les brûlures sa riche teneur en minéraux. Le
L’argile atténue Très employé pour soigner les cataplasme d’orties est à réaliser
les douleurs articulaires maux de gorge, ce puissant anti- soi-même, en portant des gants,
Blanche, grise, rouge ou verte, l’ar- septique et antimicrobien apaise pour éviter piqûres et démangeai-
gile permet de soigner les douleurs aussi les petites affections. En sons, et un tablier, car cette plante
musculaires, les brûlures, mais cataplasme, le miel accélère la tache beaucoup.
surtout les douleurs articulaires. cicatrisation des petites plaies, des Hachez des feuilles d’orties, puis
Source naturelle de minéraux et piqûres d’insectes ou des brûlures mixez-les en ajoutant 2 c. à café
d’oligo-éléments, l’argile a des superficielles. Et il est très facile à d’huile de lin, ainsi que 25 gouttes
propriétés antalgiques et décon- utiliser, car il ne nécessite pas de d’huile essentielle de gaulthérie,
tractantes reconnues. Vous pouvez préparation particulière. Privilégiez connue pour ses vertus antidou-
l’acheter en pâte prête à l’emploi, le miel de thym bio, reconnu leur. Étalez la préparation entre
en pharmacie ou boutique bio, comme un cicatrisant efficace. 2 compresses de la taille de la zone
ou la préparer vous-même à par- Appliquez le miel directement sur douloureuse à traiter. Maintenez-
tir d’argile en poudre. Pour cela, la zone à traiter après l’avoir bien les en place grâce à un bandage
mélangez-la à de l’eau tiède avec nettoyée. Recouvrez d’un tissu et laissez agir toute une nuit. •

11
Patrimoine religieux

L’église Saint-Louis-
des-Invalides offre une façade
très classique surmontée
d’un dôme doré.

12
par Florence Dauly

L’hôtel des Invalides


cité vivante et chef-d’œuvre classique
Alors que la vénérable institution militaire des Invalides fête
cette année ses 350 ans, retour sur l’histoire de ce bâtiment étonnant,
devenu une véritable cité ouverte à tous.

P
our que ceux qui ont exposé Paris des militaires handicapés qui couvent, un hôpital et une mai-
leur vie et prodigué leur noient leur souffrance dans l’alcool. son de retraite pour recevoir les
sang pour la défense de la La première pierre de l’établisse- grands blessés de guerre et les
monarchie […] passent le ment, qui leur est dédié, est posée invalides. Les matériaux du chan-
reste de leurs jours dans la tran- le 30 novembre 1671. Le secrétaire tier, situé près de la Seine, dans
quillité », garantit l’édit royal du d’État français à la Guerre, Louvois, la plaine de Grenelle, sont ache-
12 mars 1670. Il consacre la créa- confie le chantier à l’architecte offi- minés par le fleuve au niveau du
tion de l’hôtel national des Invalides, ciel du roi, Libéral Bruant, dont le futur pont Alexandre-III.
voulu par le roi Louis XIV en per- projet, parmi les huit en compéti- Une église royale est égale-
sonne. Une institution qui évoluera tion, a séduit le monarque. Bruant ment prévue, mais la construction
au fil des siècles, en fonction des propose un plan en quadrilatère prend du retard. Louvois écarte
volontés politiques et des besoins derrière une façade monumentale, alors Bruant, le protégé de son
de la société. à l’image de sa dernière réalisation, rival Colbert, un des principaux
l’hospice de la Salpêtrière. Il est ministres de Louis XIV, au profit de
Une institution militaire
conçu autour de cinq cours cen- Jules Hardouin-Mansart. Le neveu
Au sortir de la guerre de Trente trées sur la plus grande, la cour du célèbre François Mansart, qui
Ans entre catholiques et protes- royale, encadrée par quatre corps travaillait jusque-là sur les pavillons
tants, qui a mis l’Europe à feu et à de logis. Il reprend ainsi le modèle d’entrée, reprend donc l’ouvrage
sang, Louis XIV cherche le moyen de l’Escurial, le palais monastère complet en mars 1676.
de s’occuper des blessés. Alors de Philippe II d’Espagne, près
Un lieu de culte
que le jeune roi vient d’accéder de Madrid. Les bâtiments princi-
et un panthéon
officiellement au trône de France, paux comportent des logements,
ISTOCK

il veut aussi nettoyer les rues de un réfectoire, une caserne, un Si les plans d’origine suggèrent
une seule église avec un double
autel, il existe bien aujourd’hui deux
édifices qui forment la façade sud
CC - THESUPERMAT - WIKIMEDIA COMMONS

des Invalides. Le bâtiment a même


été séparé en deux par une vitre,
matérialisée en 1873. L’église Saint-
Louis-des-Invalides, simple nef en
forme de croix latine, a été ouverte
pour les soldats à partir de 1679. Ils
étaient tenus d’assister quotidien-
nement à la messe. Le chœur est
orné en permanence de drapeaux
français, les bannières et drapeaux

Des drapeaux français ornent


le chœur en permanence. 13
Patrimoine religieux
pris à l’ennemi sont traditionnelle- relativement épargné. L’église, elle, de la Libération. Entièrement
ment accrochés sous la voûte. En devient le temple du dieu Mars. rénové en 2010, le traditionnel
1967, l’église a obtenu le statut de Sous le Consulat et l’Empire, l’édi- musée de l’Armée accueille plus
cathédrale du diocèse aux armées fice bénéficie de la protection de de 1,2 million de visiteurs par an.
françaises. Napoléon Ier qui en fait un panthéon De nombreuses cérémonies en
Le deuxième édifice accolé est des gloires militaires et y transfère hommage aux victimes de guerre
une petite chapelle réservée à la le corps du maréchal Turenne. En et d’actes terroristes ont encore
famille royale, avec un plan en croix 1840, Louis-Philippe décide d’y lieu chaque année dans sa cour.
grecque inscrite dans un carré, installer la dépouille de Napoléon L’Institution nationale des Invalides
couronnée d’un dôme doré qui lui-même, enterré jusque-là sur continue également sa mission
fait désormais partie du paysage l’île de Sainte-Hélène. L’architecte de soin à l’égard des blessés de
urbain parisien. Avec son lanternon Visconti réalise alors de nombreux guerre. Composé de trois centres,
au sommet, elle est longtemps res- travaux pour pouvoir placer le tom- celui des pensionnaires, le centre
tée le monument le plus haut de la beau royal sous le dôme, quelques médico-chirurgical, et le centre
capitale, culminant à 107 mètres, années plus tard en 1861, ainsi que d’études et de recherche sur l’ap-
jusqu’à l’érection de la tour Eiffel. le mausolée de Vauban. pareillage des handicapés, il reçoit
Sa façade, très classique, est com- de nombreux soldats en réédu-
posée de colonnes superposées
Un site patrimonial
cation. Les Invalides restent, plus
soulignées par un porche orné d’un Après la guerre de 1870, l’activité que jamais, une cité fourmillante
fronton triangulaire. hospitalière de l’hôtel national des d’activités, au carrefour entre patri-
Pendant la Révolution française, Invalides décline, au profit de sa moine, santé et religion. •
malgré les pillages de ses armes, fonction patrimoniale. Seule une
l’hôtel national des Invalides est quarantaine de blessés de guerre
y est encore hébergée à la fin du Pour célébrer
XIXe siècle. Le musée d’Artillerie
s’y installe en 1871, suivi par le
les 350 ans
musée historique de l’Armée en
des Invalides
1896. Ils fusionneront en 1905, Spectacle La Nuit aux Invalides,
devenant le musée officiel de du 8 juillet au 29 août,
l’Armée. Les chefs d’état-major, dans la cour d’honneur.
dont le gouvernement militaire, y Les Journées du patrimoine,
prennent aussi leurs quartiers au les 19 et 20 septembre, avec
début du XXe siècle. l’ouverture exceptionnelle des
Après la défaite de 1940, les réfectoires et des salons privés.
Allemands occupent l’édifice et De nouveaux parcours de
récupèrent de nombreuses pièces visite des collections du musée.
issues des collections du musée. Exposition Invalides: mémoires
Ils font transférer dans le panthéon de guerre. Photographies
la dépouille de Napoléon II, sur- de Philippe de Poulpiquet,
CC - JOSH HALLETT - WIKIMEDIA COMMONS

nommé l’Aiglon. D’autres héros de à partir de septembre.


la Seconde Guerre mondiale sui- Colloque Déjà!Trois cent
vront après 1945, comme les géné- cinquante ans d’histoire des
raux Bertrand et Duroc, ou encore Invalides, les 22 et 23 septembre.
les célèbres maréchaux Lyautey et
Foch. Le dôme aura aussi servi de Renseignements: www.musee-
refuge à des pilotes alliés pendant armee.fr/au-programme/350-
le conflit. ans-du-musee-de-larmee/
En 1970, un deuxième musée programmation-culturelle
Le dôme abrite le ouvre ses portes, celui de l’ordre
tombeau de Napoléon
depuis 1861.
par Mathilde Corvaia Feuilleton

ISTOCK
Je sculpte avec toi, liberté !
11 – RÉSUMÉ : Toute la famille Nesti est venue au Épisode 11
Caire pour voir Dante : ses parents, mais aussi Le courage de faire ce que l’on est
Leone, sa femme Imma et leur fils, ainsi que
Rosanna et Gabriele. Angelo Fabbri et Amedeo
Anima sont là également. Et tous savourent la vec le Nil en toile de fond, Dante
joie d’être ensemble et ces moments de paix et Cristina se parlaient tout bas,
retrouvée. La visite de l’atelier de Cristina leur comme s’ils étaient seuls au
révèle la belle réussite de la jeune femme. Et c’est monde. Il n’existait rien d’autre
aussi l’occasion de constater la puissance et la qu’eux et ce moment.
maturité du récent travail de Dante. Mais ce que Comme ils auraient voulu rendre cet ins-
chacun ignore encore, c’est la force des senti- tant éternel !
ments des deux jeunes gens qui, enfin, vivent leur – Je t’aime, Dante… J’ai enfin trouvé le cou-
amour. Pourtant, Dante doit bientôt partir. Son rage de te le dire. Je t’aime !
projet d’exposition à Carrare l’oblige une nou- – Mais Cristina, pourquoi maintenant, alors
velle fois à se séparer de Cristina. (Voir Veillées que je suis sur le point d’embarquer ?
nos 3421 et suivants.) – Parce que mon « je t’aime » n’est pas une
chaîne. L’unique chaîne que je voudrais te
donner, c’est celle-ci. Tiens.
Elle lui tendit la croix ânkh qu’elle portait
autour du cou depuis le début de son séjour

15
Je sculpte avec toi, liberté!
égyptien. Celle que son frère Gabriele lui – Mon ami, c’est tellement incroyable ce
avait offerte au souk. qui s’est passé !
– C’est le symbole de la vie. Vis, Dante, et – Dis-moi si je peux travailler ici en paix.
ne reviens au Caire que si tu reviens pour – Viens, je t’ai tout préparé, comme au bon
moi, parce que tu m’aimes. vieux temps. Amedeo est avec mon père. Ils
– Tu veux que je reste ? Dis-moi de rester sont en train de s’occuper de la logistique de
et je reste. ton exposition. Je ne te cache pas que c’est
– Tu ne comprends pas ! un événement pour l’atelier !
– Non, je ne comprends pas… – Je te reconnais bien là Francesco, tu es
– Je crois que tu as besoin de savoir qui tu es… toujours l’homme d’affaires de la famille !
– Cristina… Malgré toutes les précautions prises,
Ils échangèrent un long baiser. Le bateau même dans l’atelier Fabbri, Dante eut bien
s’éloigna. Sur le pont, le jeune homme la des difficultés à sculpter les œuvres qu’il
regarda longuement. Elle était secouée de désirait terminer pour compléter l’expo-
sanglots. Puis elle devint une silhouette sur la sition. Photographes, journalistes, jeunes
rive… Il fut assailli par un énorme doute: «Et sculpteurs du monde entier venaient le
si au lieu de me trouver, j’allais me perdre ? » solliciter constamment. Chacun souhaitait
percer les mystères de sa guérison.
Francesco sut exploiter cette histoire pour

P
endant la traversée, le sculpteur com- le bien de l’entreprise familiale. L’exposition
prit ce qu’il était en train de retrouver : de Dante à Carrare devenait ainsi un événe-
les obligations familiales. Ces liens du ment incontournable dont la presse faisait
devoir, tout ce qu’il avait toujours fui pour ses gros titres : « Le sculpteur Dante Nesti,
pouvoir être lui-même et créer. Tout devint guéri, expose de nouveau à Carrare », « Un
limpide dans son esprit. Les souvenirs foi- chamane a guéri le sculpteur», «Dante Nesti
sonnaient, envahissaient son âme. La tra- ou la renaissance d’un sculpteur ».
versée de la Méditerranée depuis Alexandrie Pour fuir cette effervescence sur le point de
lui sembla interminable. Une fois débarqué l’engloutir, Dante trouva la solution. Il savait
à Brindes, dans le sud de l’Italie, il prit le où sculpter en paix, à l’abri des regards. Dans
train. Retrouver sa terre lui laissa des sen- l’entrepôt secret de Cristina, il se sentit enfin
sations contradictoires : on lui avait parlé lui-même. Il se l’imaginait très bien, sa douce
de ses racines, mais que ressentait-il ? rebelle, habillée en homme, travaillant en
Appartenait-il vraiment à ce pays ? Puis elles ces lieux pendant des journées entières.
apparurent dans toute leur majesté: les Alpes Combien d’années avait-elle passées ainsi
apuanes qui se détachaient au loin. Carrare ! à devoir lutter contre les conventions pour
Il eut la sensation d’être aspiré dans un accéder à ce désir profond : sculpter ? Tout
tourbillon : famille, amis, curieux, tout un devenait clair: cette Cristina jeune expliquait
défilé de gens qui tenaient absolument à le la Cristina d’aujourd’hui, forte et déterminée.
voir. La nouvelle de sa guérison avait fait Il se sentit en communion avec elle et une
le tour de la ville. Et ces visites finirent par harmonie parfaite s’établit entre son esprit
l’étouffer. Sculpter à l’atelier Fabbri dès et ses mains. Son cœur débordait d’amour et
l’aube, voilà ce qui lui était vital. Il ne parvint de gratitude envers la vie.
à s’y rendre que dix jours après son arrivée.
Depuis sa guérison, il n’avait pas encore

E
revu son ami Francesco et tomba dans ses n ce printemps 1904, au Caire, Gustave
bras. de Mauzac fut le messager d’une nou-
– Tu es un miraculé, Dante ! velle incroyable : la vente des œuvres
– Oh non, tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! de Cristina à son exposition d’Alexandrie
rit le sculpteur. avait atteint un chiffre extraordinaire.

16
– Cristina, tu es une femme riche, désormais! vie de courtisane pour devenir sa secrétaire
Cet argent permit à la jeune femme de faire et sa plus fidèle collaboratrice. Sa connais-
vivre toute une communauté. Elle vendit sa sance de l’arabe était déterminante pour
maison-atelier pour acheter un petit palais régler certaines questions avec les clients
en ruine dans le cœur historique de la ville. égyptiens et orientaux.
Désormais, elle n’avait plus à se préoccuper

‘‘
des questions d’argent ou du commerce de ses
sculptures. Quel soulagement, quelle liberté !
Elle eut les moyens de déléguer, d’employer  Combien d’années
des collaborateurs. Restaurer ce palais fut
comme réparer son âme et se reconstruire avait-elle lutté pour accéder à ce

’’
elle-même. désir profond : sculpter ?
Elle commença par le patio abandonné qui
lui rappelait celui de son ami le peintre ita-
lien Alberto Rossi, qui l’avait généreusement À la fin des travaux, Cristina organisa une
hébergée. C’était au cœur de ce jardin inté- fête. Parmi les invités, il y avait Hassan. Ils
rieur qu’elle avait aménagé son premier ate- ne s’étaient plus revus depuis des mois. Il la
lier au Caire et que tout avait vraiment débuté félicita pour sa magnifique maison. Les yeux
pour elle, à la fois en tant qu’artiste et en tant de Djamila ressemblaient à des astres de dia-
que femme, car c’était là qu’Hassan l’avait mant quand elle aperçut son ami. Elle baissa
aimée pour la première fois. la tête avec un pincement au cœur quand elle
De ses propres mains, elle restaura la fon- vit que Cristina et lui s’étaient éloignés vers
taine centrale et sculpta deux magnifiques la fontaine aux lions. « Ils forment un bien
lions en marbre pour en orner la vasque. joli couple », se dit-elle. Ce que l’Égyptienne
Grâce à des jardiniers cairotes, elle fit planter ignorait, c’est que Cristina voulait simple-
jasmin, menthe, myrte, roses, grenadiers, ment garder l’amitié d’Hassan.
orangers, palmiers dattiers. Le premier étage – Je comprends, lui murmura-t-il. Ces lieux
du palais constituait le cœur névralgique de attendent leur maître…
la demeure : un salon ouvert avec vue sur le
patio d’où l’on entendait la fontaine, comme

L
une source de vie. Au centre, une grande ’atelier-salon de Cristina devint ce dont
table ronde accueillait de nombreux convives. elle avait rêvé : un lieu d’échanges
Des divans moelleux invitaient au repos, une entre artistes de tous horizons,
ancienne bibliothèque incitait à l’étude et les hommes et femmes. Musiciens, sculp-
sculptures engageaient à la contemplation. teurs, peintres, actrices, photographes,
Ses œuvres ornaient tout l’espace, elle archéologues, journalistes, poètes, gens de
avait choisi avec soin leur emplacement, en passage. Des amitiés s’y nouaient, des his-
fonction du soleil. Le soir, un rayon oranger toires d’amour aussi… On y conversait, on
venait illuminer Les Amants séparés ; sa s’y enflammait, on s’y disputait, on y dan-
Guerrière au combat s’éclairait le matin à la sait, on y riait, on y mangeait, on s’y sentait
faveur d’une lumière blanche et intense qui bien. Cristina ouvrait toujours la porte à qui-
lui donnait une incroyable intensité. La nou- conque venait y frapper et elle offrait l’hospi-
velle demeure de Cristina reflétait son uni- talité à qui en avait besoin. On la surnomma
vers intérieur, avec un peu d’Italie, d’Égypte, « Amira », la princesse. Elle semblait avoir
de Paris… et beaucoup d’elle-même. Sa fidèle trouvé un équilibre parfait. Du moins en
Leila était heureuse de sa nouvelle cuisine. apparence… Car les autres ne parvenaient
Quant au deuxième étage, il était occupé par pas complètement à remplir le vide qui l’ha-
les appartements privés de la propriétaire et bitait. Elle aurait voulu accueillir la vie les
de son amie Djamila, qui avait dit adieu à sa bras ouverts et accepter les événements tels

17
Je sculpte avec toi, liberté!
qu’ils étaient, mais elle ne parvenait pas à plus à Carrare. » Quatre années étaient pas-
cette sagesse. Il lui suffisait d’entendre la sées, Dante était toujours là, accueilli par les
mélodie Amoureuse sur le gramophone, de gens de Carrare, reconnu comme sculpteur.
sentir un parfum ou de regarder la statue Lorsque Dominique Colonna avança vers
qu’il lui avait offerte pour penser inévita- lui pour remplir ses devoirs officiels, instinc-
blement à Dante : sa voix, son regard, sa tivement, ses parents, ses frères, sa sœur, ses
peau lui manquaient terriblement. Devait- belles-sœurs ainsi qu’Amedeo et les Fabbri
elle l’oublier ? Reviendrait-il ? Avait-il ren- s’approchèrent de leur Dante bien-aimé. Ils
contré une autre femme ? Pensait-il à elle ? l’entourèrent comme une armée céleste d’ar-
changes prêts à terrasser le démon. Colonna
se raidit devant la force de ces regards rivés

A
Carrare, l’exposition de Dante fut sur lui comme autant de flèches prêtes à le
un événement sans précédent. Une transpercer au moindre faux pas. Le temps
foule vint admirer ses sculptures, fut comme suspendu. Le silence devint
en présence des autorités de la ville. Son gênant. L’entourage de Colonna l’observa
discours fut très attendu. Il s’entoura de d’un air décontenancé.
son équipe de l’atelier dont il fit l’éloge. Il – Monsieur Colonna, vous ne vous sentez
remercia sa famille, son maestro Angelo pas bien ? lui murmura-t-on.
Fabbri, Amedeo Anima, tous ses amis et le Des gouttes de sueur ruisselaient sur son
public venu si nombreux. front. Blême, il sortit un mouchoir de la poche
– Je voudrais dédier cette exposition à de sa redingote et s’épongea le visage. Il bal-
toutes celles et tous ceux qui m’ont permis butia quelque chose d’inaudible. Lui, cet ora-
de guérir parce qu’ils ont eu foi. Foi en la vie. teur arrogant qui habituellement usait des
Foi en l’impossible. mots comme un chasseur lançait ses chiens
On l’applaudit chaleureusement. Le maire pour infliger le coup de grâce à ses proies.
de Carrare, le préfet de la région et les pré- Combien de personnes avait-il humiliées
sidents de diverses institutions s’avancèrent avec ses mots haineux ?
pour lui serrer la main. Le sang du sculpteur Une sorte de crise le terrassa et on dut l’ac-
se glaça à la vue de Dominique Colonna, qui compagner à la sortie. Ce fut comme si une
faisait partie de ce groupe de personnes. Il page s’était définitivement tournée. On s’em-
s’était imaginé tant de fois leur rencontre. brassa et on but une coupe de champagne.
Dans les journaux, il avait toujours parlé Le sculpteur s’excusa auprès des siens et
d’un accident cérébral, sans en mentionner s’éloigna un instant. Il trembla légèrement,
la cause. Pendant toutes ces années, les mais il se sentait poussé par un élan mys-
Nesti et les Fabbri avaient évité cet homme térieux.
et s’étaient bien gardés de l’affronter. Le Il se dirigea vers les parents d’Elena qu’il
désir de vengeance avait bien effleuré à plu- avait reconnus dans la foule. Ils avaient vieilli
sieurs reprises les caractères les plus san- sous le poids du chagrin.
guins et bouillonnants comme Leone, le frère – Je suis désolé pour votre fille. Nous étions
de Dante, ou Gabriele, le frère de Cristina. amis, leur dit-il.
Mais Giuseppe Nesti et Angelo Fabbri avaient – Vous la connaissiez? lui demanda la mère
veillé à ce qu’aucun membre de leur famille d’Elena, touchée par ces mots.
ne fasse la guerre à un tel personnage et à – Oui, c’était une belle personne. J’aimerais
ce que tous résistent à la tentation de la vio- vous parler d’un projet qui me tient à cœur.
lence. Préserver la paix leur avait paru plus Quand pourrions-nous nous revoir ?
important que tout. Et puis le message de – Venez chez nous quand vous pourrez,
Colonna à Dante, quand ce dernier était roué monsieur Nesti, vous êtes le bienvenu, pro-
de coups par ses trois hommes de main, avait posa le père d’Elena. À notre âge, nous ne
été : « Ta carrière est finie. Ne reviens jamais sortons plus beaucoup, vous savez.

18
– Alors, je suis encore plus honoré que vous Debout, dans la petite partie à l’écart
soyez venus voir mon exposition. du cimetière où la jeune femme avait été
– Vous savez, monsieur Nesti, mon mari enterrée, loin des allées principales, les
et moi, nous avons senti comme un besoin parents d’Elena éprouvèrent une émotion
impérieux de venir. Nous avons lu votre his- indicible. La statue de Dante parvint à récon-
toire dans les journaux et nous en avons été forter un peu le cœur meurtri d’un père et
très émus. d’une mère accablés par le chagrin. On avait
montré du doigt leur fille, on avait condamné
son geste et jugé son acte de désespoir comme

L
e lendemain, le sculpteur se présenta une faute ou une faiblesse. Tous leurs amis
chez le vieux couple. Et Dante leur les avaient abandonnés, leur seule consola-
confia : tion était de voir leurs petits-enfants et ils
– Le jour de mon arrivée ici, je suis allé me avaient dû se battre pour pouvoir le faire.
recueillir sur la tombe de votre fille. Et je sou- Le monument de Dante était un phare dans
haiterais vous soumettre mon projet. Voilà, la nuit qui balayait cette vile tentative d’éli-
leur dit-il en sortant plusieurs esquisses. miner le souvenir d’une femme parce que
Permettez-moi de vous offrir ceci, au nom d’autres en avaient décidé ainsi. Le marbre
de l’amitié qui me liait à Elena. diaphane semblait redonner vie à leur fille.
Les parents regardaient les dessins du Elle semblait être là, belle et heureuse.
jeune Toscan, bouleversés. Une statue
d’ange, dont le visage ressemblait trait pour

D
trait à leur fille bien-aimée, se dressait sur ante retrouva bientôt Paris, mais il
une tombe. Les gestes de la mère d’Elena observa avec détachement l’agitation
trahissaient son trouble. et le succès qui semblaient tourner
– Elle n’a même pas eu droit à une messe ! autour de lui. Continuellement sollicité, il
murmura-t-elle d’une voix étranglée. ne céda jamais à la légèreté. Il comprit qu’il
Réaliser cette œuvre, Là où sont les anges, n’était plus le même…
permit à Dante de se réconcilier avec lui- Il remplit son rôle, pour assurer la prospé-
même. Il songeait parfois à sa responsabilité rité de sa famille, de l’atelier de Carrare et de
dans la disparition d’Elena : indirectement, toutes les personnes qui y travaillaient, mais
n’avait-il pas causé son chagrin et provoqué rien de plus. Il apprit à déléguer des pans
son suicide en la quittant ? N’avait-il pas été entiers de son travail pour ne se consacrer
lâche ? qu’à l’essentiel. Présent aux mondanités, son
Pourtant, il se souvenait qu’à l’époque, esprit était ailleurs. Il songeait au silence du
rester à Carrare était au-dessus de ses forces: désert, aux mots de son ami Youssef, le cha-
il avait senti que partir était un besoin vital. mane, qui sonnaient comme une poésie, aux
Parfois, pour être soi-même, il fallait avoir gestes d’affection de toute la tribu envers
le courage de se détacher du jugement des lui, aux sourires de Myriam et de ses filles.
autres. Cette statue, c’était sa façon à lui de Tout l’amour reçu. Et puis surtout, il sentit
demander pardon et aussi de se pardonner le manque de Cristina. Tout son être emplis-
à lui-même. C’était transformer regret, cha- sait son âme. Il éprouva le besoin de lui
grin, doute et peur en quelque chose d’autre écrire une longue lettre dans laquelle il lui
et dire merci à cette femme qu’il avait aimée, confia ce qu’il avait vécu depuis son retour à
mal, mais qu’il avait aimée malgré tout. Il Carrare et termina sa missive par ces mots :
avait sculpté dans la blancheur du marbre Au milieu du tourbillon de la vie, je ne rêve
l’inscription : que de toi, comme dans le désert. Paris ne
Elena Colonna, née Stella, me montre que ton image, ma belle madone.
un ange devenu femme sur la terre Où es-tu ?
appartient toujours au ciel. (à suivre)

19
Du côté de chez moi

CC - TUGDUAL DE GUERDAVID - WIKIMEDIA COMMONS


Mon coin de paradis
S
noopy, mon border collie noir et de Coincy à Fère-en-Tardenois. Nous pou-
blanc, a huit ans et demi, mais c’est vons observer le paysage à perte de vue, il y
un infatigable marcheur qui m’ac- a une impression de grands espaces, comme
compagne au moins deux heures par jour à certains endroits des États-Unis, avec un
dans mes promenades. De chez nous, je côté sauvage préservé, peu de constructions
peux aller à pied avec lui aux Fantômes de qui sont de la main de l’homme, juste dans
Landowski, cette magnifique statue qui com- le lointain les quelques maisons qui forment
mémore la seconde bataille de la Marne, sur le village de Nanteuil-Notre-Dame. Nous
la butte de Chalmont, à la sablonnière de entrons dans la forêt. Le vent nous pousse
Coincy, une superbe étendue de sable blanc parfois très violemment.
en pleine forêt à la sortie du village, cou- Je préfère faire cette promenade en
ronnée de grands monticules rocheux. Mais semaine, à l’heure du déjeuner. C’est le
la balade que mon chien et moi préférons, moment où le soleil est le plus chaud et nous
c’est aller à la Hottée du diable. ne croisons aucun être humain, juste le bruit
Nous quittons notre paisible hameau de d’un tracteur ou un coup de fusil dans le
la Poterie, traversons la jolie rivière l’Ordri- lointain. Des lièvres et des biches détalent à
mouille, parfois à sec l’été, parfois en crue l’approche de Snoopy, des hérons décollent
au printemps, comme maintenant où l’eau des marécages proches de l’Ordrimouille.
prend la couleur de la boue et inonde les Récemment, j’ai aperçu trois jeunes renar-
cultures. Nous montons sur la plaine par deaux qui folâtraient dans les champs.
de petits chemins caillouteux, dominant les Sous nos pas, terre et sable mêlés procurent
champs, les vergers de pommes et de poires une douce élasticité à notre avancée dans le
de la Pommeraie, ainsi que la route qui mène sous-bois. Parfois, du bout de ma chaussure,

20
par Sandrine Liochon

je dessine des formes sur le sol. Des chênes doigts, c’est tout cela la Hottée du diable, avec
et des bouleaux constituent l’essentiel des des points de vue exceptionnels et des lieux
espèces. Dessous, les fougères et les blechnes uniques comme « la chambre des fées », un
en épi surabondent. Quelques arbres sont endroit qui existe depuis des millénaires et
couchés, parfois les racines en l’air… dans qui continue d’évoluer avec le temps, de nous
ce sol sableux, elles ont moins de prise. raconter une histoire.
Nous enjambons un arbre tombé au milieu Petit Poucet, je nettoie mon endroit pré-
du chemin depuis des mois. Quarante féré, ramassant les morceaux de verre et
minutes après avoir quitté la maison, nous autres détritus semés par les promeneurs,
arrivons à l’un des trois points d’accès de la

‘‘
Hottée du diable, le moins fréquenté, une
chance pour nous, et le plus éloigné de la
route et du parking réservé aux voitures des Tous les sens sont émoustillés
visiteurs.
Nous avons déjà fait le tour de ce site des dans ce lieu qui semble raconter

’’
dizaines de fois, mais il y a plusieurs chemins l’histoire de la Terre
possibles. Chaque fois, nous en empruntons
un nouveau et chaque fois, nous découvrons
des rochers et des points de vue différents, les restes de pique-niques… Snoopy hume
nous escaladons d’autres monticules. Snoopy le sable, surveille les visiteurs et joue avec
cherche l’eau fraîche dans le creux des roches les autres chiens, il grimpe, se faufile, furète,
pour se désaltérer, je monte sur les pierres s’amuse comme un fou dans ce lieu où mille
pour scruter les environs. Au point le plus senteurs et recoins l’attirent irrésistiblement.
haut du lieu, cent cinquante mètres, nous Je prends quelques photos et me pose
dominons toute la forêt environnante. C’est sur une pierre au soleil, telle la sirène de
vraiment magique. Copenhague sur son rocher. La douce cha-
leur des grès qui forment des banquettes de
repos naturelles invite à la sieste. Il ferait

I
l n’y a en France que deux hot- bon camper là. D’ailleurs, des cabanes
tées, celle de Gargantua plus au improvisées, sortes de huttes de bois, ont
nord, près de Laon, et celle-ci, été construites. C’est un terrain de jeu fan-
la plus célèbre des deux. Cette imposante tastique pour les enfants comme pour les
masse rocheuse a la particularité d’être adultes, où chaque pas peut révéler de nou-
composée de rochers pour certains sculptés veaux trésors. Tous les sens sont émoustillés
naturellement par le temps, pour d’autres dans ce lieu qui semble raconter l’histoire de
par l’homme. Ainsi la célèbre Camille la Terre de la préhistoire à nos jours.
Claudel qui passa son enfance non loin de Il peut m’arriver d’y aller avec Snoopy plu-
là, à Villeneuve-sur-Fère, et commença là sieurs fois par semaine, je ne m’en lasse pas.
à ramasser la glaise et à sculpter la pierre, Des centaines de visites seraient nécessaires
accompagnée de son frère Paul, que le site pour connaître chaque rocher, escalader
inspirera également dans ses écrits. chaque pierre et observer tous les points
Des rochers en forme de dinosaure, de de vue que la Hottée offre au visiteur. C’est
serpent, d’otarie, de poisson, de coquillage, mon petit coin de paradis, où je peux me
de figure humaine, des pins dont les racines ressourcer, où je guide parfois ceux qui le
forment un escalier naturel pour les prome- découvrent pour la première fois et ne revien-
neurs, des bouleaux, de la bruyère créant dront peut-être pas, ne faisant qu’effleurer ce
un tapis enchanteur où l’on imagine lutins mystère formidable que la nature nous offre.
et fées dansant de joyeuses sarabandes, du
lichen, du sable léger et scintillant entre les FIN

21
Femme d’exception

Gaby Deslys, la première


star mondiale du music-hall
C’est la première artiste à avoir connu une renommée internationale.
Extraordinaire exemple d’émancipation, elle s’est affranchie d’un destin tout tracé afin
de vivre sa passion, le chant et la danse. Une existence courte, mais hors norme.

A
dorable poupée blonde ville accueille l’Exposition univer-
et rose, les yeux bleus, la selle et 50 millions de visiteurs !
bouche en cœur, la cheve- Gabrielle débute dans des cafés-
lure frisée en toutes petites concerts et fait de petites appa-
boucles. Belle comme seules les ritions dans des revues. Elle est
Marseillaises le sont quand elles notamment choriste aux Folies-
se mêlent d’être belles. » C’est Bergère. Elle prend des cours de
avec ces mots que le composi- chant avec madame Paravicini, l’un
teur Vincent Scotto décrit Gaby des professeurs les plus connus des
Deslys, la première star interna- aspirantes vedettes. Elle travaille sa
tionale du music-hall. D’elle, il ne diction avec Marie-Thérèse Kolb,
reste malheureusement que des de la Comédie-Française, notam-
photos, trois disques et cinq films ment pour gommer son accent
muets. Et l’histoire d’une vie pas marseillais. En vain. Qu’à cela ne
comme les autres. tienne, il fera partie intégrante de
Marie-Élise Gabrielle Caire naît à son charme ! Rapidement, sa car-
Marseille le 4 novembre 1881 dans rière est lancée. Devenue Gaby
une famille bourgeoise. Avec ses Deslys, elle enchaîne les rôles, les
sœurs, elle suit sa scolarité dans paillettes, les plumes et les tenues
une institution religieuse. Mais, les plus folles. Les plus grandes
passionnée de danse et de chant, salles lui font un triomphe : on l’ap-
Gabrielle sait qu’elle ne sera jamais plaudit au Parisiana, au théâtre
la couturière bien mariée dont sa des Mathurins, à Marigny et sur-
famille rêve. Malgré les réticences tout à La Scala, le plus prestigieux
de son père, et avec le soutien de des cafés-concerts parisiens de
sa mère, elle suit ensuite les cours l’époque.
du conservatoire de Marseille pen- En 1904, elle obtient le premier
CC - NESNAD - WIKIMEDIA COMMONS

dant deux ans, où elle obtient en rôle dans la pièce À fleur de peau,
1899 un premier prix de solfège et où joue Joseph Gabin, le père de
un accessit de chant. Jean. En 1906, elle danse et chante
La Kraquette à l’Olympia dans la
À l’assaut de la capitale revue Paris fêtard. Dans ce tourbil-
En mai 1900, elle part pour Paris, lon de succès, Gaby Deslys attise
où elle pourra vivre de son art, et les passions. Les admirateurs se
arrive en pleine effervescence : la bousculent. Parmi eux, le jeune
Douée de talents nombreux et reconnus,
elle fut même la maîtresse d’un roi !
par Émilie Esnaud-Victor

Sacha Guitry. Mais, pour séduire roi est très instable. Il a accédé au en France et en Angleterre à un
Gaby, il faut en avoir les moyens: trône après l’assassinat de son rythme effréné. En 1914, le couple
ses amants doivent faire preuve père, Carlos Ier, et de son frère, part en tournée à travers les États-
d’une grande générosité. Sacha Louis-Philippe, par des républi- Unis. Elle tourne là-bas son premier
Guitry abandonnera vite la partie. cains le 1er février 1908, et est très film, Her Triumph. Les succès s’en-
contesté. Ses opposants l’accusent chaînent. Mais Gaby ne perd pas
L’idylle royale de dilapider la fortune du pays contact avec la réalité : en pleine
La renommée de Gaby Deslys dans cette idylle. Les rumeurs les Première Guerre mondiale, elle
finit par dépasser les frontières. Et plus folles courent sur le prix des récolte des fonds pour les soldats
c’est d’abord en Angleterre qu’elle cadeaux qu’il fait à Gaby. Mais le grâce à des galas de bienfaisance.
triomphe. Remarquée par un col- départ de la starlette ne sauve pas
la couronne de Manuel II, démis
Descente de l’escalier
laborateur du producteur George
Edwards, elle se rend à Londres par un coup d’État en octobre 1910. En 1917, elle marque les esprits
en septembre 1906. Elle y triomphe et l’Histoire avec sa performance
dans le rôle du «Charme de Paris»
Une carrière internationale au Casino de Paris dans la revue à
dans la comédie musicale The New Après ces mésaventures, Gaby grand spectacle Laissez-les tom-
Aladdin, qu’elle joue plus de deux se concentre sur sa carrière. Elle ber, où elle inaugure ce qui devien-
cents fois. Quand elle rentre à enregistre à Vienne trois faces de dra un classique des revues : la
Paris, en mars 1907, Gaby Deslys disques 78 tours, qui seront un descente du grand escalier. Pour
achète grâce à ses cachets un petit échec commercial. Ce qui aura Vincent Scotto, ce spectacle est
hôtel particulier du XVIe arrondis- deux conséquences : d’une part, «la naissance du music-hall tel que
sement. Pendant un an, elle alterne elle ne souhaitera pas réitérer l’ex- nous le comprenons désormais,
spectacles londoniens et produc- périence; d’autre part, les disques, orgie de plumes, de strass, de
tions parisiennes. À cette époque, rapidement retirés des catalogues, satin, de femmes nues, de décors,
les amours de celle qui est entrée sont aujourd’hui très rares. de lumières. Le règne de la vedette
au Bottin mondain passent au pre- 1911 est en revanche une année et de la grande machinerie; paque-
mier plan de l’actualité européenne. particulièrement faste. Après bot qui semble avancer sur la salle,
En septembre 1909, Manuel II, s’être rendue à New York, Gaby forêt en flammes, train qui passe
roi du Portugal, se rend au Moulin Deslys remporte un franc succès toutes fenêtres éclairées…»
Rouge. Gaby Deslys y joue Son au théâtre des Capucines dans la Mais, au printemps 1918, ses
Altesse l’amour. Le titre est-il pré- revue Midi bouge, avant de jouer années sans repos la rattrapent, elle
monitoire? C’est le coup de foudre à Londres dans Les Débuts de est malade et doit laisser sa place
pour le jeune monarque de 20 ans, Chichine. Elle y apparaît en tenue à Mistinguett jusqu’en novembre.
qui ne résiste pas à la beauté et au légère, assurant la publicité du Durant l’été, elle acquiert pour elle
charisme de la danseuse. La liai- spectacle. En septembre, c’est et sa mère une somptueuse villa
son qui s’ensuit captive l’Europe. à New York, au Winter Garden, à Marseille, aujourd’hui connue
L’artiste est même aperçue dans les qu’elle se produit. Elle rencontre comme la Villa  Gaby. Après
appartements royaux de Lisbonne. le danseur et chorégraphe Harry quelques mois d’arrêt, elle reprend
Mais cette relation a un goût de Pilcer, qui devient son partenaire sa vie professionnelle si intense,
scandale et Gaby doit quitter le et son grand amour. Mais Gaby est avec notamment le tournage de
Portugal. Le couple se retrouve en une femme libre et ils ne se marie- deux films et une nouvelle revue.
mai 1910 à Londres, alors que Gaby ront jamais. Pour elle, il imagine le Fin 1919, elle négocie des
Deslys joue dans Les Caprices de «Gaby Glide», une danse quelque contrats en Italie et aux États-Unis,
Suzette et que le roi est en dépla- peu sulfureuse pour l’époque. alors que sa santé s’est encore
cement officiel pour les funérailles Ensemble, ils jouent en 1912 au dégradée. Elle doit être hospita-
d’Édouard VII. Manuel II la fait reve- Palace de Londres dans la pièce lisée. Elle est emportée par une
nir à Lisbonne, mais la pression de Une journée à Trouville, où elle réa- pleurésie le 11 février 1920. Elle
l’opinion publique la force à repartir. lise à nouveau le «Gaby Glide». Elle n’a que 38 ans, mais elle a déjà
Il faut dire que la position du jeune enchaîne ensuite les spectacles marqué l’Histoire. •

23
Les bonnes histoires de Fernande Huc

PHOTOS STOCK (X2)


Le chien et l’agneau
E
lle s’appelait Sandra. – Ça, tu lui demanderas. Elle Alors soudain, j’eus une idée:
C’était une chienne des a dû aller à un rendez-vous – Maman, tu te rappelles ce
Pyrénées, presque aussi sans nous en avertir. matin à la ferme, cette brebis qui
grande que le petit bourricot Un mois plus tard, les consé- refusait d’allaiter son agneau?
gris du château. Elle était quences de cette rencontre – Allons-y, c’est peut-être la
blanche avec une tache fauve secrète firent leur apparition. solution…
aux oreilles. Elle était belle. Apparition très brève, car mon L’agneau était là, petit tas
Elle nous avait faussé com- père fit disparaître discrète- blanc sur la paille. Il n’essayait
pagnie un beau matin et s’était ment les fruits de ces amours même plus de téter sa mère,
amourachée d’un chien ren- clandestines. Sandra se mit à las de se faire rejeter à grands
contré au coin d’une rue. Puis geindre, à tourner en rond, à coups de tête, et il s’affaiblissait
elle était revenue, guillerette, chercher sous les meubles, à d’heure en heure.
sans nous dire qu’elle était retourner les coussins, puis elle – Faudrait que je lui donne un
mariée. s’allongea sur sa couverture, biberon, dit la fermière, mais je
– Tu lui donnes trop à manger, posa son museau sur ses pattes n’ai pas le temps. Je verrai ce
disait ma mère, regarde ses et resta là, prostrée, refusant soir… s’il vit encore, il est si
flancs, on dirait une… de sortir, refusant de manger. maigrelet.
– Une chienne qui attend des En la caressant, je remarquai – Nous le prenons, proposa
petits, l’interrompit mon père, les mamelles lourdes, dures, ma mère, si vous voulez bien
narquois. rouges, et appelai ma mère. nous le donner.
– Tu crois ? vraiment tu – Elle risque de faire une – Prenez-le, prenez-le, vous
crois qu’elle pourrait… ? Mais mammite, dit-elle, il faut abso- me débarrassez, je n’aurai pas
quand… ? lument lui tirer ce lait. à l’enterrer.

24
Sandra ne nous fit pas la qu’il n’avait rien à voir avec Les douze coups de minuit
fête habituelle en nous voyant cette race d’animaux là ? sonnent. J’installe dans la
revenir. Elle ouvrit seulement – Je me mettrai au fond de crèche l’agneau qui bêle déses-
un œil, puis reposa sa tête sur l’allée, côté crèche, dis-je au pérément qu’il ne restera là
ses pattes. jeune prêtre ravi de l’ardeur qu’avec sa nounou, laquelle
– Lève-toi, dis-je, on a une de tout le village à réussir sa d’un bond le rejoint entre le
surprise pour toi. crèche. Ainsi Bibo (j’avais bœuf et l’âne, et d’une poussée
Il fallut la forcer. Puis je mis appelé l’agneau Bibo, je ne sais du museau l’invite à téter.
la bouche de l’agneau contre pas pourquoi), me sentant près Un grand silence règne dans
sa mamelle gonflée. Il hésita. de lui, ne bougera pas. l’église quand le prêtre rentre
Il ne reconnaissait pas l’odeur Le soir de Noël, je prends par la sacristie.
de sa mère, mais quand je lui Bibo dans mes bras et rien ne Va-t-il se mettre en colère ?
fis gicler un jet de lait sur le va plus. Sandra refuse éner- Exiger qu’on fasse sortir cet
nez, il s’empara goulûment giquement de me prêter son animal qui n’a pas sa place
de la mamelle, et la chienne, enfant. Nous décidons d’en- dans la crèche ?
apaisée, se mit à le lécher. fermer la chienne. Je me lève, hésitante :
Adoption réussie ! – Dans le garage, suggère – Monsieur le curé, je suis
L’agneau tétait la chienne mon père, le rideau de fer désolée, la chienne s’est
(avec apports de biberons refermé, elle ne risquera pas échappée pour rejoindre son
quand même), dormait contre de s’échapper. petit, vous voulez que j’essaie
la chienne, trottait derrière la – Dors, dis-je avant de quitter de la faire sortir ?
chienne, quand arriva le mois l’animal séparé pour la pre- En même temps, je pense
de décembre. Et Noël ! mière fois de son nourrisson, qu’obliger cette masse de cin-
tu peux quand même prêter ton quante-cinq kilos à sortir, ce
bébé une heure au bon Dieu. ne sera pas du gâteau, mais il

N
ous avions un jeune prêtre Et nous descendons le rideau sourit, notre gentil petit curé,
très dynamique qui sou- métallique entre la mère et l’en- il me sourit et il sourit à cette
haita, pour la messe fant, qui manifestent chacun de crèche un peu… surpeuplée.
de minuit, faire une crèche leur côté leur désaccord. J’ai le Et il dit :
vivante, idée qui nous souleva cœur gros entre ces gémisse- – Ce n’est certes pas une
d’enthousiasme. Tout le village, ments et ces bêlements, mais il crèche tout à fait dans les tra-
enchanté, se mobilisa. Les uns est l’heure, il faut partir. ditions, mais je crois qu’elle
cherchaient une Marie digne Il ne faut pas cinq minutes ne peut pas déplaire à Dieu.
de figurer dans la crèche, les à la chienne pour repérer les Laissons téter ce petit agneau.
autres un Joseph digne de cette vasistas ouverts au-dessus du
Marie. On courut à la ferme véhicule resté là. Une voiture, FIN
demander un bœuf bien pai- ça s’escalade quand on mesure
sible, au château demander le quatre-vingts centimètres,
petit âne gris. À la boulangerie presque la hauteur du capot…
aussi, demander si le nour- Ce n’est pas la mer à boire.
risson habitué à dormir sage- En deux temps trois mouve-
ment dans son couffin pourrait ments, Sandra retombe sur la
être l’Enfant Jésus. Et l’agneau? bordure d’iris. Coupant à tra-
Eh bien, tout le monde fut una- vers champs, elle arrive même
nime, quel agneau autre que le à l’église avant nous. Tout le
nôtre, si totalement apprivoisé long du chemin, elle nous a
qu’il regardait passer les trou- suivis, de l’ouïe, de la vue, de
peaux de brebis passivement, l’odorat. Elle nous attend, assise
très certainement convaincu sur le parvis.
Nos jeux de
HORIZONTALEMENT
MOTS CROISÉS 1 – Cette soupe est bonne pâte ! 2  –  Élargir au niveau de l’ori-
A B C D E F G H I J fice. Arbre à pommes. 3 –  Ils sont en règles. Ce que le noir fait
1 avec l’ivoire. 4 – Peut suivre la normale à Paris. Céréale à paille.
5 – Elle a la priorité. 6  –  Répété en riant. T’exposes. 7  –  Loi
2 de la botte. Langue d’Asie du Sud-Est. 8  –  Mets fin. Candide.
3 9  –  Très incliné. Il a remplacé le disque vinyle. 10  –  Celui de Dieu
4 est le paradis. Arbre à latex. 11  –  Gros tas de neige. 12  –  Flétrir.
Vieux Péruvien. 13 – L’aluminium. Contusionné. 14 – Bon débarras.
5
Se court à l’ennemi.
6
7
VERTICALEMENT
8 A – Figures de style fondées sur l’analogie. Douceur bretonne.
9 B – Appelée aussi « petit if ». Fait en étalant ses cartes. Une enve-
10 loppe à la noix. C – Piège à congres. Taupe cachée. D – Te trouves.
Élimer. Numéro un lorsqu’il est public. E – Il fait partie des cotillons.
11
On en fait des poteries. F – Classement. Ses feuilles sont très décou-
12 pées. Vingt-huit états. G – Un simple instructeur de colo. Délivrer du
13 mal. H – Sorte de couvercle. Leur rose porte une rosace. I – Non plus.
14 Gestion. On connaît son bouilleur. J – Greffe. L’homme de Khartoum.

L’univers est composé Quel constructeur automobile


LE BON CHOIX 3 de 4 éléments, dont… 6 a conçu la célèbre 4L?
Autour du chiffre 4 … a. le vent
… b. le cosmos
… a. Renault
… b. Peugeot
… c. la terre … c. Citroën
Quelles noces souhaite-t-on Dans le roman Les 4 filles Quelle actrice interpréta
1 à un couple fêtant ses 4 ans 4 du Docteur March, quel est 7 l’héroïne du feuilleton Noële
de mariage? le prénom de law dernière? aux quatre vents ?
… a. Cire … a. Margaret … a. Anouk Aimée
… b. Chypre … b. Amy … b. Sophie Darel
… c. Coquelicot … c. Joséphine … c. Anne Jolivet
Parmi les 4 points cardinaux, Dans le Nouveau Testament, Quel chanteur n’interprète
2 lequel est également appelé 5 on mentionne les célestes et 8 pas le tube 4 mots sur un
septentrion? mystérieux Cavaliers… piano avec Christine Ricol?
… a. Le nord … a. du Déluge … a. Patrick Fiori
… b. L’est … b. de l’Apocalypse … b. Jean-Jacques Goldman
… c. Le sud … c. du Christ … c. Calogero

Rayez sur la grille les mots de la liste ci-dessous, sachant qu’ils y sont inscrits
MOTS MÉLANGÉS horizontalement de gauche à droite et de droite à gauche, verticalement de
haut en bas et de bas en haut (mais jamais en diagonale), chaque lettre ne
Des villes du Pas-de-Calais
servant qu’une fois. Le mot rayé vous indique la façon de procéder. Il restera
un mot sur la grille, correspondant à la définition suivante :
A T H U B U O U S A N G T E R E La ville des Audomarois.
P E ET N L C R T N T A T M E M … AIRE-SUR-LA-LYS … BULLECOURT … SAMER
L B CE R L E S A I O R E A S U
… … CALAIS
E S KB E E H T R E M E U X P A … SANGATTE
… ARRAS … DESVRES
D E DN I S E H A N I M A C A B
S AV R Z R O U N W A L A I S … AZINCOURT … ÉTAPLES … THÉROUANNE

S E I N C O E R I N I V I … BAPAUME … HESDIN
… VIMY
I H S Y T R U S E S A V Y M … BERCK … HOUCHIN
N C U O H L A L R U A R R E I L … BÉTHUNE … LIÉVIN … WIMEREUX

26
la semaine
MOTS FLÉCHÉS Des cirques célèbres
ÉLÉGANT RÉSILIABLE LE FAUX BRAS DE IL FAIT NOMMÉ
EST UN MOT CIRQUE LEVIER DANS CIRCULER «CIRQUE
CIRQUE PETITS TROMPEUR FONDÉ EN LE LOQUET LE CORDAGE BRITANNIA»
FONDÉ ÉCHASSIERS SANS MOTIF ALGÉRIE DANS SON À SES
EN 1871 MIGRATEURS APPARENT POUR LUI CREUX DÉBUTS
CERTAINS
Y METTENT
DEDANS! INTRANSI-
GEANTES
MÉLANGE
À MÂCHER
MANGEUR SA RECHER-
D’HOMME CHE AIDE
EN CRIMINO-
L’HOMME LOGIE
DÉJÀ CITÉ BABA
ERBIUM DE VOISIN
CHIMISTE DÉCLARA- DU LUTH
TION
GAGNANT DE PESTE NE TOURNE
AUX URNES PAS ROND
ARTICLE EN RAJOUTE S’OUVRIR
S’ENLISER IMPORTÉ TOUJOURS À LA VIE
(S’) RETIRÉE DES CIRQUE DIEU
AFFAIRES D’HIVER SOLAIRE
CIRQUE AP-
PELÉ AVANT
«CIRQUE
NATIONAL»
(D’)
PLANTATION
N’A D’ÉCORCES LE CŒUR AUTREFOIS
VRAIMENT BLANCHES GROS CIRQUE
PAS FAIT FERNANDO
PLAISIR SAISON À LE
DOUCE
L’ALUMINIUM
MOUILLES
PREND À AU PORES
LA SOURCE

DÉSERT
AUTOUR ROCHEUX
D’UNE TAILLE
JAPONAISE INSTRUMENT
À CORDES

ILS SONT AU BAS DE


SUR RAILS MONTER LA CARTE
ET EN VILLE UN BATEAU
CHAMPÊTRE

POUR QUI
EST CONTRE
ISTOCK

AU TOUT
DÉBUT
RANIMA DEVANT CE
LA FLAMME IL POSSÈDE PAS QUI EST À LUI
DES CORNES ENCORE
SE REN- RECOURBÉS UN HOMME UN DIXIÈME
FLOUENT (SE) DE GRAMME
FONDÉ EN
1957 PAR C’EST
«MAIGRET» INCRO-
YABLE!
ARRONDIES
INDICATION
DE MOUVE-
MENT LENT
VALLÉE
FLUVIALE
LE PREMIER RÉPARE SOLUTION
EST SOU- UN OUBLI AQUEUSE UNITÉ DE SE MET À
VENT LE FLUIDITÉ TABLE S’IL
PLUS DIFFI- DRÔLE DE PLUTÔT EST FIN
CILE À FAIRE RECUEIL SUFFISANT

MILLET À UN AMOUR
GRAINS FINS DE DIEU

À TOI PÂTE DE FA-


RINE DE MIL

LE FAISAIT ACCUEILLE
CIRQUE LA PEAU PAR DES
D’ACHILLE SIFFLETS

CIRQUE
CANADIEN
(DU)

Jeux réalisés par Laurence Tournay. Solutions page 45. 27


Nouvelle

ISTOCK

La Bastide
M
ichelle huma la délicieuse odeur de participer à ce tourbillon de bonheur
de café chaud qui s’échappait étourdissant. Si La Bastide pouvait parler !
de sa tasse fumante. Face à La tristesse se mêla soudain aux souvenirs,
elle, le soleil se levait derrière les collines, et Michelle sentit l’émotion lui monter aux
irisant de ses éclats dorés la nature à peine yeux. Elle s’était pourtant promis d’être
éveillée. Depuis son balcon, Michelle pou- forte. À son âge, elle avait déjà traversé des
vait apprécier la vue, qui s’étendait jusqu’à épreuves et les avait toujours surmontées.
l’horizon. Cela la changeait de son environ- La sonnerie de son téléphone por-
nement parisien, pensa-t-elle en avalant une table retentit alors qu’elle rentrait dans la
gorgée de café. Elle ferma les yeux et res- chambre. Elle posa sa tasse sur le guéridon
pira les odeurs de lavande et de jasmin en et s’assit sur le lit avant de répondre. Une
provenance du jardin. Les premiers bou- voix familière emplit le silence du matin.
quets de basilic et de sauge apparaissaient – Bonjour maman ! Est-ce que tout se
déjà en ce début de printemps. Quel bon- passe bien ?
heur de retrouver sa Provence natale, ne Michelle sourit en reconnaissant la viva-
put-elle s’empêcher de se dire, même dans cité habituelle de sa fille Vanessa.
de telles circonstances. – Dis-moi, c’est bien aujourd’hui que tu
Son regard se posa sur l’olivier qui avait vas chercher mamé à l’hôpital, n’est-ce pas ?
abrité tant de secrets. Que de souvenirs reprit la jeune fille.
à l’ombre de cet arbre centenaire ! Elle – Oui, ma chérie, j’y vais tout à l’heure.
repensa avec nostalgie aux vacances d’été – Je voulais te souhaiter une bonne
enchantées de son enfance, lorsque ses cou- journée. Et te dire que… que je t’aimais, voilà.
sins débarquaient à La Bastide, annonce de La délicatesse de l’attention tout comme
plusieurs semaines de rires et de jeux, où la pudeur de Vanessa touchèrent Michelle
les adultes eux-mêmes ne manquaient pas au cœur.

28
par Manon Desmet

– Moi aussi, je t’aime, ma chérie. mamé dans ses démarches quotidiennes et


– Tu embrasseras mamé pour moi… enchaînait les allers-retours entre Paris et la
– Bien sûr. Et toi, n’oublie pas d’embrasser Provence. Malheureusement, l’infirmière ne
Loris de ma part. pouvait parer à tout, et au cours d’une de ses
– Si tu penses qu’il le mérite, répondit rares absences, la vieille dame était sortie
Vanessa d’une voix soudain boudeuse. de La Bastide et avait été retrouvée, errante
Michelle éclata de rire. À leur âge, ses et désorientée, sur la place du village, hur-
deux enfants conservaient encore un reste lant de terreur à l’arrivée des pompiers.
de la jalousie de leur enfance, même s’ils Elle avait dû être hospitalisée et Michelle
s’aimaient tendrement. s’était décidée à s’installer à plein temps à
– Je dois me préparer. Je te rappelle ce La Bastide.
soir, dit Michelle. – Oui, je le sais, répondit-elle tristement.
– Quand penses-tu rentrer ? – Alors vous comprenez que la laisser dans
– Je ne sais pas. Cela dépendra de l’état de sa maison représente un véritable danger
santé de mamé et… s’interrompit Michelle. pour elle.
– Et de la vente de La Bastide ? – Que voulez-vous dire exactement ?
– Oui, de cela aussi, répondit Michelle – Je parle d’un placement dans un établis-
d’une voix étouffée. sement médicalisé, où des soins appropriés
– À ce soir, maman. N’oublie pas que je lui seront prodigués.
t’aime. Michelle regarda le professeur.
Après avoir raccroché, Michelle retourna – Êtes-vous certain que ce soit la seule
un bref moment sur le balcon, où les rayons solution ? dit-elle d’une voix blanche.
du soleil, qui venait de se lever, caressèrent – Compte tenu de l’évolution de la maladie,
son visage. Elle ferma les yeux et respira je le crains.
avidement l’air de son enfance. – Je comprends.
Le professeur Bochet lui tendit un papier.
– Je vous ai noté l’adresse de quelques

J
e voulais vous parler avant que vous établissements, parmi les meilleurs de la
n’alliez chercher votre mère. région. Donnez-vous le temps d’y réfléchir.
Michelle appuya fermement son – Merci, répondit Michelle.
dos contre le dossier de sa chaise et regarda Assise sur le lit de sa chambre, à côté de
attentivement le professeur Bochet, qui lui ses affaires préparées par les infirmières,
faisait face. sa mère ne sembla pas la reconnaître quand
– Je vous écoute. elle l’embrassa. Elle ne parut pas non plus
Il avait un air ennuyé. comprendre ce que Michelle lui expliqua,
– Vous savez que la maladie de votre mère comme cela arrivait de plus en plus souvent,
est irrémissible et que son état ne peut que mais se laissa conduire jusqu’à la voiture,
s’aggraver. qui les ramena à La Bastide.
Michelle acquiesça d’un hochement de
tête. Depuis qu’on avait diagnostiqué à sa

T
mère la maladie d’Alzheimer, cinq ans aupa- u sais bien que je ne pourrai
ravant, elle connaissait tout à ce sujet. jamais m’y résoudre! dit Michelle,
Depuis les premières difficultés à retenir éclatant en sanglots.
certains noms, qui étaient passées inaper- Véronique se leva et prit son amie dans
çues, aux pertes de repères et d’orienta- ses bras pour la consoler.
tion, la maladie n’avait fait qu’empirer au – Je sais que c’est difficile, mais tu dois être
fil des années, jusqu’à devenir inquiétante raisonnable. Tu vois bien que les choses ne
pour la sécurité de la vieille dame. Michelle font que s’aggraver. Elle ne te reconnaît plus,
avait dû engager une infirmière pour aider a des crises de colère. Elle pense qu’elle est

29
La Bastide

M
entourée d’ennemis qui lui veulent du mal… ichelle avançait lentement
C’est sûrement terrifiant pour elle aussi ! entre les étals aux couleurs
– Mais la placer dans un établissement ! chatoyantes, s’arrêtant pour
dit Michelle en essuyant ses larmes. soupeser un melon ou goûter un fruit pro-
– Pense à ce qui est le mieux pour elle. Elle posé par un primeur. Si elle aimait faire le
sera entourée d’une équipe médicale, pro- marché à Paris, elle adorait ce petit marché
tégée d’elle-même. Imagine ce qui se serait provençal qui lui rappelait tant de sou-
passé si on ne l’avait pas retrouvée. Ou si venirs. Elle se rappelait l’époque où elle
elle avait eu un accident. arpentait ces mêmes allées aux côtés de sa
Michelle regarda son amie d’enfance avec mère, à la recherche de bons produits pour
tristesse. Véronique connaissait sa mère agrémenter le repas dominical. L’éclat des
depuis l’époque de leur rencontre, à l’école légumes gorgés de soleil était le même, mais
primaire, et l’aimait presque autant qu’elle- tout avait changé, ne put-elle s’empêcher de
même. Elle savait que si elle lui donnait ce penser. L’une de ces vagues de nostalgie qui
conseil, c’était qu’elle estimait que c’était la la submergeaient parfois depuis la maladie
seule solution possible. de mamé commença à l’envahir, mais elle
– Tu sais très bien que je te dis toujours décida de repousser l’assaut.
ce que je pense… et dans ce cas, je ferais S’approchant de l’étal du fleuriste, elle
la même chose pour ma propre mère, dit se fit confectionner un immense bouquet
Véronique avec émotion. qui saurait mettre du soleil à La Bastide,
– Tu es comme une sœur pour moi, en attendant que les fleurs du jardin rem-
répondit Michelle avec reconnaissance. plissent à leur tour cet office. Elle choisit ses
– Il faut parfois agir contre notre volonté. fleurs préférées, les tournesols.
Et je parle aussi de la vente de La Bastide. Elle venait à peine de payer et de se
Michelle respira profondément. Au fond remettre en marche qu’elle se sentit sou-
d’elle, elle savait que Véronique avait raison. dain bousculée, le bouquet lui cachant la
Mais en dépit de toute logique, elle ne pou- vue. Quelqu’un venait de la percuter.
vait se résoudre à mettre en vente la maison – Michelle ?
de son enfance. Cette voix familière la fit sursauter. Elle
Elle n’ignorait pas qu’une aussi grande repoussa les fleurs pour mieux voir.
maison était devenue invivable pour une – Antoine ?
personne âgée. Pire encore, le magnifique – Je n’en crois pas mes yeux ! Tu es de
et vaste jardin qui l’entourait représentait retour en Provence ?
un danger potentiel pour la vieille dame, – Temporairement. Je suis revenue pour
qui y avait déjà fait plusieurs chutes. Depuis ma mère qui…
sa séparation de Rémi, son mari, Michelle – Oui, on me l’a dit, dit Antoine tristement
n’avait d’ailleurs plus les moyens financiers en hochant la tête.
d’entretenir une telle propriété. Pourtant, – Et, euh… toi, qu’est-ce que tu deviens ?
depuis plus d’un an, si elle se promettait – Je suis maraîcher, répondit Antoine avec
chaque mois de mettre La Bastide en vente, un large sourire.
elle repoussait aussi à chaque fois sa déci- – Ah ? c’est ce que tu voulais faire, déjà…
sion à plus tard, ne pouvant se résoudre à euh… à l’époque.
accepter l’inévitable. – Oui. Tu es toujours enseignante? ajouta-
– Ce n’est vraiment pas facile d’avoir à t-il après un bref silence.
décider pour ma mère et pour La Bastide – Toujours. Je viens de me mettre en dis-
en même temps… ponibilité pour m’occuper de maman.
– Je sais que c’est terrible, dit Véronique – Et… tes enfants vont bien ?
en posant sa main sur le bras de son amie, – Loris vient de réussir l’examen du bar-
mais tu n’as pas d’autre choix. reau de Paris et commence un stage dans

30
un cabinet d’avocats. Vanessa est en der- souvenirs. Antoine avait été son premier
nière année à l’école du Louvre. amour, rencontré en classe de seconde. Ils
– Rémi et toi devez être fiers ! s’étaient aimés comme on aime à l’adoles-
Michelle se crispa à l’évocation de Rémi, cence, avec intensité et effervescence, se
ce qui n’échappa pas à Antoine. promettant un amour éternel. Ils avaient
– Nous le sommes, répondit-elle. tout partagé durant trois ans, leurs joies
– Est-ce que tu penses rester longtemps comme leurs peines, ne se quittant que
dans la région ? pour rentrer chez leurs parents respectifs.
– Je ne sais pas. Tout dépend de la santé Le père d’Antoine était propriétaire d’une
de maman. Et de la vente de La Bastide. petite exploitation agricole. En dépit de leurs
– Vendre La Bastide ! Tu ne peux pas faire
ça ! s’exclama Antoine avec une fougue qui

‘‘
surprit Michelle.
– La vie nous oblige parfois à faire des
choix que nous aurions préféré éviter, dit-
Michelle le regarda
elle tristement. s’éloigner… troublée par ces

’’
– Je le sais, dit Antoine avec un sourire
navré. Mais se séparer de La Bastide… retrouvailles inattendues
– Je viens à peine de la mettre en vente,
répondit Michelle. Aucun acheteur ne s’est sentiments, le jeune homme avait soutenu
encore manifesté. Michelle dans sa décision de partir pour-
– Tu sais bien que ça ne tardera pas… la suivre ses études à l’université d’Avignon,
rassura Antoine. pour devenir professeur de français. Ils
– Je dois y aller. Maman m’attend. Je… je pensaient tous deux que leur amour sur-
suis contente de t’avoir revu, Antoine. vivrait à la séparation… Michelle repensa
– Moi aussi, dit Antoine, et heureux que à sa peine lorsqu’elle avait compris, avant
tu aimes toujours les tournesols, ajouta-t-il lui peut-être, qu’Antoine était tombé amou-
en souriant. reux d’une autre jeune fille, Françoise, l’une
Michelle le regarda s’éloigner, ses che- de leurs amies communes. Leur rupture,
veux bruns illuminés par les éclats du soleil, quelques mois plus tard, lui avait brisé le
quelque peu troublée par ces retrouvailles cœur, et l’avait sans doute poussée trop vite
inattendues. dans les bras de Rémi, un jeune avocat pari-
sien qui passait ses vacances dans la région.
À présent, vingt ans plus tard, leur pro-

C
’est vraiment incroyable, cette ren- cédure de divorce était un souci de plus
contre ! Mais tu ne l’avais pas revu parmi ceux qui la préoccupaient, même si
depuis… ? elle n’avait jamais regretté leurs années de
Michelle s’amusa de l’intérêt soudain de vie commune.
Véronique, passée prendre des nouvelles – Depuis qu’il s’est lancé dans l’agricul-
de mamé. ture biologique, son exploitation a pris un
– Je ne sais pas… presque vingt ans. essor incroyable. Antoine est l’un des plus
Nous nous étions croisés une fois lors d’un importants maraîchers de la région désor-
14 Juillet. Il était avec Françoise. mais, dit Véronique, sortant Michelle de ses
Véronique fronça le nez à l’évocation de souvenirs.
ce nom, ce qui fit rire Michelle. – Son père aurait été fier de lui.
– Je te verse encore un peu de thé ? – Et tu n’as rien ressenti en le revoyant ?
– Merci. – Qu’est-ce que tu aurais voulu que je res-
Tout en servant son amie, Michelle ne sente ? répliqua Michelle en souriant.
put s’empêcher de se replonger dans ses Un silence se fit.

31
La Bastide

– Et donc, tu me confirmes ta présence à Dans le jardin, plusieurs tables étaient


mon anniversaire samedi soir ? demanda garnies de plats sucrés et salés. Michelle
Véronique, désireuse de changer de conver- salua les quelques invités qu’elle connais-
sation. sait et s’approcha de la table centrale.
Michelle éclata d’un rire joyeux. Depuis – Sers-toi, je vais chercher le champagne,
une semaine, Véronique ne cessait de dit Véronique avant de s’éloigner.
réitérer cette question. Michelle hésita entre une part de crespeou
– Je ne sais pas. Tu sais, en ce moment… et des crudités à l’aïoli, se décidant finale-
commença-t-elle. ment pour une assiette de tian aux légumes.
– Justement, cela te changera les idées ! En se retournant, elle bouscula quelqu’un,
Cela fait des années que tu penses aux manquant de peu de renverser son assiette.
autres… Il est temps de penser un peu à – Décidément ! dit Antoine en lui souriant.
toi… au moins pour une soirée. Elle ne put retenir une expression de
Michelle ne put s’empêcher de rire. Son contrariété en le reconnaissant.
amie avait raison et, de plus, elle savait que – Antoine! je ne savais pas que tu serais là.
celle-ci ne renonçait jamais. Véronique avait – En fait, je m’occupe du service traiteur.
toujours été présente pour elle, depuis leur Véronique est l’une de nos fidèles clientes.
enfance, elle pouvait bien lui accorder ce Je suis passé pour vérifier que tout était en
plaisir. Michelle se dit qu’après tout, mettre place et… ma présence ne te dérange pas,
ses soucis de côté, le temps d’une soirée, ne j’espère ? ajouta-t-il.
pourrait pas lui faire de mal. – Non, rassure-toi… Certaines choses ont
cicatrisé depuis longtemps, tu sais.
Antoine la regarda avec douceur.

E
lle s’avança dans l’allée éclairée de – Cela t’ennuie si je te tiens compagnie ?
lampions multicolores. – Bien sûr que non.
– Mon Dieu, mais tu es très en Ils s’installèrent un peu à l’écart du
beauté ce soir ! s’exclama Véronique en groupe des invités, sur des chaises placées
apercevant son amie. à l’ombre d’un cyprès.
Vêtue d’une robe noire agrémentée – Parle-moi un peu de ta propriété,
d’une étole de soie sauvage bleue, ses che- demanda Michelle lorsqu’ils eurent tous
veux relevés mettant en valeur ses boucles deux fini leurs assiettes.
d’oreilles assorties, elle était effectivement
resplendissante. Un maquillage discret mais

A
efficace achevait de lui donner confiance ntoine évoqua avec passion le tra-
en elle. Cela faisait si longtemps qu’elle ne vail qu’il avait effectué pendant
s’était pas apprêtée. Elle s’était surprise en toutes ces années pour déve-
se regardant dans le miroir, avant de partir. lopper la petite exploitation de son père. Il
– Bon anniversaire ! dit Michelle en ten- parla des hectares qu’il avait fait planter,
dant à son amie un paquet joliment emballé. des nouvelles techniques d’agriculture bio-
– Je t’avais pourtant dit de ne rien acheter ! logique qu’il utilisait, de l’accroissement de
s’exclama Véronique en fronçant les sour- ses activités, qu’il diversifiait à présent vers
cils d’un air faussement contrarié. la restauration. Michelle regardait son beau
– Depuis le temps que tu me connais, visage buriné, animé par l’enthousiasme.
tu devrais savoir que je n’obéis jamais ! Hormis quelques cheveux blancs qui parse-
répliqua son amie en riant. maient désormais ses tempes, il n’avait pas
– Viens, la plupart des invités sont déjà changé. Elle l’avait aimé pour ce caractère
arrivés, ajouta Véronique en la prenant par entreprenant et volontaire, prêt à prendre
le bras, après l’avoir embrassée en guise de tous les risques lorsqu’il croyait au bien-
remerciement. fondé de ses initiatives.

32
À son tour, elle parla du lycée parisien où puis les jours suivants, la perturbait plus
elle s’efforçait de transmettre à ses élèves qu’elle ne l’aurait souhaité. Elle regarda le
sa passion pour la littérature, de ses enfants bouquet une dernière fois avant de refermer
dont elle était si proche. Étrangement, il ne la poubelle, ne pouvant oublier qu’Antoine
lui paraissait pas incongru de partager cette et elle s’étaient embrassés pour la première
discussion avec Antoine. Ils se parlaient fois au milieu d’un champ de tournesols
avec tant de naturel, riant de bon cœur aux appartenant au père du jeune homme, par
mêmes plaisanteries, partageant la même une après-midi de canicule.
complicité qu’autrefois, que Michelle se Depuis la soirée, il n’avait donné aucun
demanda si vingt ans s’étaient réellement signe de vie, regrettant sans doute son geste
écoulés depuis leur dernière conversation. et ne sachant sûrement pas comment s’ex-
Ils semblaient si proches! Devant la maison, cuser. Il aurait pu envoyer des fleurs, pensa
les invités avaient depuis longtemps fini le Michelle. Elle aurait aimé qu’il ait au moins
gâteau et ceux qui restaient dansaient au le courage de l’appeler, mais ne s’étonnait
son d’une musique lointaine. L’air était doux. plus de la lâcheté des hommes.
Michelle sentit une légère brise parfumée
lui caresser le visage. Elle frissonna et posa

L
sa tête sur l’épaule d’Antoine. a sonnette de la porte d’entrée la
– Nous n’avons pas été très polis ce soir, fit sursauter. Monique, l’infirmière,
murmura-t-elle en souriant. venait de sortir. Elle avait dû oublier
– Non, dit Antoine en relevant doucement quelque chose. Michelle pâlit en apercevant
son visage, qu’il entoura de ses mains. Françoise, qui se tenait devant l’immense
Avant que Michelle ne réalise ce qui se portail de la propriété, l’air irrité. Un frisson
passait, il posa ses lèvres sur les siennes et lui parcourut l’échine.
l’embrassa avec douceur. Elle se redressa – Françoise ! eh bien, cela fait tellement
brusquement, avec un mouvement de recul. d’années, commença Michelle en tentant
– Excuse-moi, dit-il. Je ne sais pas ce qui… vainement de prendre un ton anodin. Entre,
– Tu n’as pas à t’excuser, l’interrompit- je t’en prie.
elle. C’est… cette soirée qui… je dois ren- Françoise fit un geste pour signifier son
trer de toute façon, ajouta-t-elle en se levant agacement.
et en rajustant son châle. – Je ne suis pas venue pour discuter, dit-
Et avant qu’Antoine ait pu lui répondre, elle d’une voix tendue.
elle se dirigea vers la maison pour prendre Les deux femmes s’affrontèrent du regard.
congé de Véronique, espérant que celle-ci – Je ne comprends pas ce que…
n’avait pas relevé son absence. – On vous a vus! dit Françoise avec colère.
– Qu’est-ce que…
– Ne fais pas l’innocente, je t’en prie. Je

V
oici bien l’histoire de ma vie, se dit sais que toi et Antoine…
Michelle avec lassitude en sortant – Ce n’est pas du tout ce que tu imagines,
les tournesols fanés de leur vase et rétorqua Michelle, dont la voix s’étrangla.
en les déposant dans la poubelle de la cui- – J’ignore à quoi tu joues, mais sache
sine. Un court moment de bonheur et… que j’aime Antoine et que je n’abandon-
Depuis la soirée d’anniversaire, elle nerai jamais ce que nous avons construit
n’avait revu Véronique qu’une seule fois, et ensemble.
celle-ci n’avait pas semblé s’être aperçue de – Bien sûr que non.
ce qui s’était joué entre Antoine et elle, ou – Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais
du moins n’en avait-elle pas parlé, ce dont nous nous aimons.
Michelle lui était infiniment reconnaissante. – Je t’assure que… commença Michelle,
Le trouble qu’elle avait ressenti ce soir-là, sentant les larmes lui monter aux yeux.

33
La Bastide

– Je voulais juste te prévenir, répondit – Attends, je t’en prie !


Françoise d’une voix dure. Ne t’approche – Je ne comprends rien ! s’écria-t-elle,
plus de lui… ou je saurai te le faire regretter, le visage baigné de larmes. Pas un mot
crois-moi. depuis trois mois, et à présent, tu achètes
La Bastide !
Antoine la prit fermement par les épaules

M
ichelle traversa une dernière pour l’obliger à s’immobiliser.
fois les pièces de La Bastide, – Lorsque je t’ai revue à la soirée, j’ai com-
illuminées par un soleil res- pris que je t’aimais. Que je n’avais peut-être
plendissant. Chaque recoin lui rappelait même jamais cessé de t’aimer en dépit de…
un souvenir. Elle sourit en apercevant les – Tais-toi, je t’en prie, le coupa Michelle
encoches de sa courbe de croissance, que en s’essuyant maladroitement les yeux.
son père notait scrupuleusement au fil des – J’étais terriblement embarrassé par mon
années sur la porte de la cuisine. Elle passait geste. Je n’ai pas osé t’appeler. J’avais peur
dans les pièces lentement, refusant cepen- que tu refuses de me parler. Que tu m’en
dant de se laisser aller à la nostalgie, bien veuilles à cause de… Rémi.
décidée à être reconnaissante pour tous – Rémi et moi sommes en instance de
les moments de bonheur qu’elle avait eu la divorce, parvint à prononcer Michelle.
chance de vivre ici. Antoine la regarda longuement avant de
À présent, La Bastide était vendue et elle continuer.
s’apprêtait à entamer un nouveau chapitre – Je t’aime. Je veux que tu vives avec moi,
de sa vie. Elle voulait parcourir une dernière ici, à La Bastide.
fois chaque pièce de la résidence, après avoir Michelle le regarda sans comprendre.
dit adieu à son jardin, qu’elle aimait tant. – Françoise est venue ici et m’a menacée.
Elle avait dû se résoudre à placer sa mère – Cela fait des années que nous sommes
dans un établissement spécialisé après une séparés. Je n’ai jamais pensé à demander
nouvelle crise, et même si cela l’avait ter- le divorce et je crois qu’à cause de ça, elle a
riblement affligée, elle savait au fond d’elle toujours secrètement espéré que…
que c’était la seule chose à faire… Michelle posa un doigt sur les lèvres d’An-
Le bruit d’une voiture dans l’allée attira toine.
son attention. Sans doute les nouveaux – Et tu veux vivre à La Bastide ?
propriétaires. Elle sourit en reconnaissant – J’étais à la recherche d’un lieu pour créer
Matthieu, le directeur de l’agence immobi- un restaurant. Cet endroit est… magique.
lière, puis se figea en apercevant Antoine Nous pourrions nous servir du rez-de-
à ses côtés. chaussée et vivre à l’étage. Si tu acceptes…
– Bonjour madame Dorieux, je vous pré- En guise de réponse, Michelle posa ses
sente l’acheteur de La Bastide. lèvres sur celles d’Antoine, avec toute la ten-
Michelle salua Antoine avec stupéfaction. dresse dont elle était capable.
Elle ne comprenait plus rien. À quoi jouait- Le soleil irradiait les collines environ-
il, après trois mois de silence ? nantes. Elle se souvint que le père d’An-
– Excusez-moi, dit Antoine au jeune toine lui avait un jour raconté que les têtes
homme, serait-il possible que je m’entre- des tournesols suivaient le soleil tout au long
tienne avec madame Dorieux en particu- de la journée, pour se repositionner la nuit
lier ? en direction de l’est. On appelle ce phéno-
– Bien sûr, dit le directeur. Je vous laisse, mène l’héliotropisme.
ajouta-t-il en s’éloignant vers sa voiture. À présent, elle aussi se sentait prête à
Michelle, incapable d’en supporter plus, suivre le chemin du soleil.
s’enfuit en direction du jardin… vite rat-
trapée par Antoine. FIN

34
Vos poésies

Gourmandises
Il est des traditions qui perdurent…
Devinez… oui, celles des confitures !
Ma tante met la même application
Pour faire le thé que pour leur confection !
Il faut dire que nos cinq sens sont flattés :
Nos yeux goûtent la couleur des fruits sucrés,
Nos narines dévorent avec gourmandise
Le parfum subtil des baies cerise.
Nos doigts avides caressent de douces rondeurs ;
L’ouïe affinée guette avec ardeur
Le floc-floc répété de la cuisson,
Brisé par la cuillère qui trace des ronds.
La confiturière pleine de fraîches mûres,
Puis la température monte… attention !
Il faut bien surveiller l’ébullition !
Les verrines, comme soldats au défilé,
Se tiennent prêtes, rangées et égouttées,
Elles attendent la quantité promise,
Versée selon les règles admises.
Nous humons encore une fois cette odeur
Envoûtante qui s’échappe de la vapeur…
Quelques secrets nous ajouterons…
Plus tard, nous goûterons le produit d’une passion.

Annie VILMONT, Obernai (Alsace)


ISTOCK

35
Métier d’autrefois

Les vertus des plantes


médicinales sont connues
depuis la nuit des temps.
ANGELO / LEEMAGE

Herboriste
les graines de l’espoir
Au début des années 1940, le pays comptait près de 4 500 herboristeries.
Aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une petite quinzaine. Mais, avec un marché
des plantes médicinales florissant, le cours de l’Histoire pourrait s’inverser.

F
umigations, cataplasmes, bains aroma- civilisation des pharaons utilisait environ quinze
tiques… les tablettes mésopotamiennes siècles avant notre ère. Grèce, Rome, Chine, Inde,
l’attestent: près de 5000 ans avant notre aucun grand empire ne fit exception.
ère, les Sumériens avaient déjà recours à
des remèdes à base de plantes pour faire face aux
Une profession à risque
divers bobos et maladies. Adorateurs du Soleil, Et pourtant, « Herboriste est aujourd’hui un
reconnaissants envers ses fruits, les Égyptiens métier à risque dans notre pays», fulmine Michel
ont pris le même chemin. Menthe, saule, safran, Pierre, à la tête de l’Herboristerie du Palais Royal,
genévrier, aloès, feuilles de ricin, lotus bleu, extrait à Paris, depuis 1972. L’homme sait de quoi il parle.
de lys… sur vingt mètres de long et trente centi- Condamné pour exercice illégal de la pharmacie en
mètres de large, le papyrus Ebers déroule ainsi les mai 2013, il explique: «La réglementation actuelle
vertus de quelque 200 plantes médicinales que la est une hérésie : j’ai le droit de vendre environ

36
par Sandrine Dereu

600 plantes sous forme de gélules, comprimés et basé sur la reconnaissance d’une centaine de
autres types de compléments alimentaires. Mais, plantes, accompagné de questions de botanique.
je n’ai le droit d’en vendre que 148 sous forme de En 1916, le ministère de l’Intérieur comptabilise
plante seule! Et je n’ai théoriquement le droit de quelque 1220 herboristes en exercice sur le terri-
ne donner aucun conseil à mes clients. C’est un toire français. Un âge d’or. Mais, le 11 septembre
désastre. Si le public vient chercher une plante 1941, une loi promulguée par le régime de Vichy
qui ne lui convient pas, il est de mon devoir de lui annonce la suppression du statut au profit de la
en proposer une autre.» Un devoir qu’a reconnu création d’un ordre des pharmaciens, seuls habi-
le procureur au cours de son procès, lors de son lités à la vente et au conseil en matière de plantes.
plaidoyer: «Formellement, vous serez déclaré cou-
pable, mais j’ai totalement conscience des limites
Une branche en plein renouveau
de cette loi puisque l’on est dans une impasse «Notre savoir, nous l’avons sauvé dans le maquis.
totale. On peut aussi déplorer que le savoir-faire Ça va faire trente ans que je fais ce métier, mais
des herboristes, qui existe depuis des siècles, voire dans une logique de résistance, déplore Thierry
depuis toujours, et qui sont les ancêtres des phar- Thévenin, qui se définit comme un paysan-herbo-
maciens, se perde… J’espère que les législateurs riste malgré la disparition officielle de la branche
trouveront les moyens de régulariser les choses.» il y a bientôt quatre-vingts ans. Quand j’ai com-
mencé, il n’y avait que 34 plantes à la non-toxicité
Du métier d’herbier à l’interdiction
avérée que l’on avait le droit de vendre hors offi-
Un appel à renouer avec les racines du métier cine. Aujourd’hui, elles sont au nombre de 148…
qui nous ramène en janvier 1312. Jusque-là, les ça nous laisse un espace. Surtout pour nous, les
personnes ayant reçu le droit de récolter et de cueilleurs. Mais les vendeurs n’ont toujours pas le
vendre les plantes séchées par leurs soins étaient droit de donner des conseils. Or, les herboristes ne
connues sous le nom d’«herbiers». Elles prennent prétendent pas guérir de grandes maladies. Juste
alors le nom d’herboristes. Leur rôle? Connaître aider les gens à rester en bonne santé.» Michel
les «simples», le terme s’appliquant aux remèdes Pierre abonde: «Il faut trouver une vraie complé-
non composés, par opposition aux préparations mentarité avec les pharmaciens. Les gens poussent
médicales plus savantes. Des remèdes naturels qui, notre porte pour prévenir les maladies ou accom-
comme le rappelle Thierry Thévenin, président pagner des effets secondaires dus à leurs traite-
du syndicat des Simples, «appartiennent histori- ments. Notre clientèle est de plus en plus jeune.
quement à la médecine du plus grand nombre, à L’intérêt du public pour les plantes est évident.
la médecine du peuple.» Aujourd’hui, il faut encadrer le métier pour que
Le Moyen Âge et la Renaissance voient fleurir l’on puisse conseiller, et bien ! » Un cadre strict
moult jardins de simples et botaniques. De nom- que Christophe de Hody appelle également de ses
breux traités de pharmacopée sont imprimés. Mais, vœux: «Le savoir est là. Avec tous les progrès de
pour la création d’un cursus permettant d’encadrer la science, on a beaucoup avancé sur la connais-
la branche, il faudra attendre. Car, comme le raconte sance des plantes. Mais le grand public a perdu
Christophe de Hody, fondateur du site Le Chemin de cette connaissance. On a besoin d’un cadre sérieux
la nature, «les herboristes n’étaient pas tradition- avec une formation sérieuse.» Michel Pierre com-
nellement diplômés. Le diplôme a existé de manière plète: «En Allemagne et en Italie, il y a environ
assez récente et sur une période assez courte.» 5000 diplômés. En Belgique, il doit y en avoir 700
Une période qui débute en 1778 et une certifica- ou 800. La situation en France est absurde. Mais on
tion reconnue par la faculté de médecine de Paris. travaille à y remédier avec le sénateur Joël Labbé.»
Suite à l’abolition des corporations sous la En avril 2018, sous l’impulsion de l’homme poli-
Révolution, Napoléon Bonaparte, Premier consul, tique élu du Morbihan, une mission d’information
veut éviter que chacun ne puisse se proclamer pro- sur le thème du «développement de l’herboristerie
fessionnel de santé. Sa loi du 11 avril 1803 reconnaît et des plantes médicinales, des filières et métiers
l’existence des herboristes à travers un certificat d’avenir» a en effet été créée. Donnant enfin un
d’État. Pour l’obtenir, les élèves passent un examen nouvel horizon à la profession? •

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Un loup sur la lande


3 – RÉSUMÉ : Après avoir remis son texte au mart se persuada intérieurement
journal, Smart décide d’accompagner sa voi- qu’il n’avait rien à faire dans cette
sine Nancy Holgan au cabaret où elle doit se propriété de Killiney où l’avait
produire le soir même. Le lendemain, alors qu’il conduit le riche homme d’affaires,
s’apprête à monter en voiture, un homme l’aborde Robert J. Malcolm pour lui pré-
et lui demande de le suivre jusqu’à la Rolls garée senter sa jeune épouse, Megan.
en contrebas, où un certain Robert J. Malcom, – Voyons, puis-je vous aider ? interrogea-
célèbre homme d’affaires, l’attend pour lui parler. t-il avec une évidente bonne volonté. Les
Smart obtempère. Sur le trajet qui les conduit à quelques allusions que vous avez faites
Killiney, où l’homme d’affaires possède un cot- concernant la profession de mon père et
tage, Malcolm lui apprend qu’il souhaite l’entre- les enquêtes que je suis moi-même amené
tenir au sujet de son épouse, mais n’en révèle à conduire pour les besoins de mon journal
pas plus. Arrivés dans le cottage, Smart fait la me mettent sur la voie… Est-ce que je me
connaissance de Megan, jeune femme ravissante trompe ? Il est fort possible que vous ayez
et émouvante de vingt-cinq ans environ. Il est per- reçu des menaces, Mrs Malcolm, enchaîna-
plexe. Que fait-il là ? (Voir Veillées nos 3429 et 3430.) t-il en s’adressant directement à elle, et il
ne manqua pas de remarquer qu’elle tres-
saillait. Votre position sociale, cette pro-
priété et sans doute d’autres résidences, en
un mot votre fortune, voilà de quoi exciter

39
Un loup sur la lande

l’envie. Car c’est bien votre femme qui est – Ce chien n’a jamais fait de mal à per-
plus particulièrement visée, n’est-ce pas ? sonne.
ajouta-t-il en se tournant vers son hôte. – Sauf quand il égorge les moutons du
Il ne pouvait se montrer plus compré- voisin !
hensif. Aussitôt, d’ailleurs, l’industriel se Megan avait pâli. Elle protesta :
leva pour lui serrer les mains avec effusion : – Ce n’est arrivé qu’une fois et rien ne
– Ah ! je savais qu’en m’adressant à vous, prouve que c’est Jeremy.
je ne perdrais pas mon temps. Vous me – Quelle idée de donner un nom chrétien
soulagez d’un grand poids, croyez-moi. à un animal !
Pourtant, il s’agit de quelque chose de
plus complexe. En fait, si Megan subit les

L
assauts répétés d’un odieux individu, il m’a ’homme qui venait de surgir à l’im-
été jusqu’ici impossible de l’amener à se proviste sur la terrasse fit tressaillir
dévoiler. Vous serez étonné de savoir qu’il le trio.
ne demande strictement rien. Il se contente – Ah, révérend Fox, bonsoir ! Prenez un
de lui faire peur, au point de provoquer en Baileys avec nous, cela fera passer votre
elle un véritable état de psychose. S’apprête- colère !
t-elle à sortir, à faire des emplettes, qu’elle – Étouffer un péché par un autre ne me
reçoit un coup de fil anonyme. Au bout, c’est semble guère conseillé.
la respiration saccadée d’un individu qui La démarche du prêtre était vive, son corps
s’y connaît dans l’art de créer la panique. sec et son visage anguleux. Smart le trouva
Megan en est arrivée à ne répondre au télé- antipathique. Son œil bleu toisait le jeune
phone qu’après avoir prié Jack ou Susan, sa homme avec méfiance et, tout naturellement,
femme de chambre, de décrocher avant elle. ils évitèrent de se serrer la main. Quant à
Cela réduit de beaucoup les désagréments Megan, elle s’agitait sur son siège, contra-
que lui causent ces appels, mais je ne suis riée sans doute d’une discussion où Jeremy
pas tranquille, M. Wilson, vous me com- finissait toujours pas être accusé à tort.
prenez, d’autant que maintenant, elle ose de – Je l’ai élevé au biberon, comprenez-vous,
moins en moins s’aventurer hors de la pro- glissa-t-elle au journaliste. On l’avait aban-
priété, et Dieu sait qu’elle aimait parcourir donné sur la falaise. Il était si près du bord
la colline, aller prendre le thé au Fitzpatrick qu’il aurait pu tomber à la mer… Je l’ai rap-
Castle, que sais-je ! Ma femme a toujours été porté à la maison. Ce n’était qu’une petite
une solitaire, voyez-vous, ce qui fait qu’elle boule noire, grosse comme les poings. Il a
n’a guère d’amies en compagnie desquelles acquis en grandissant les qualités des groe-
elle pourrait se promener. nendaels. Malheureusement, mon mari ne
– Jeremy, heureusement, ne me quitte pas. peut pas le souffrir…
Smart fut frappé de l’intonation pro- – Je vois, dit Smart avec un sourire de
fonde de sa voix. Aussi harmonieuse, en connivence. Dans un sens, voici un garde
vérité, que son physique ; il y décela pour- du corps que votre mystérieux correspon-
tant une fêlure, quelque chose qu’il ne sut dant ne doit pas négliger !
pas définir. – Mais je ne peux pas aller en ville avec
– Qui est Jeremy ? dit-il. lui. Pensez qu’il ne porte pas de collier !
– Mon chien. – Un fauve dont on ne vient à bout qu’avec
– Cette sale bête ferait peur au diable en une trique ! renchérit Robert J. Malcolm.
personne ! On la croirait sortie tout droit Vous voyez le tableau, M. Wilson ? Où
de l’enfer, grommela Malcolm. Je ne vous l’avez-vous enfermé, Megan ?
recommanderai jamais assez de vous en – Dans ma chambre. Mais je compte aller
méfier… Dans un de ses accès de rage, elle le délivrer sans tarder.
se retournerait tout aussi bien contre vous. Quand il s’agissait de son fidèle compagnon

40
à quatre pattes, la jeune femme se montrait qui se penchait avec sollicitude sur la ter-
volontaire ; il n’était pas sûr qu’elle le soit rasse. Puis la haute silhouette du révérend
pour toutes les autres choses de la vie. distança celle des jeunes gens et les jeux de
– Resterez-vous dîner, révérend ? ques- glace perdirent de leur attrait, mais Smart se
tionna l’industriel. dit qu’il venait de se passer quelque chose
– Oui, si le poisson est un peu mieux entre lui et sa compagne d’un soir. Il était
accommodé que la dernière fois ! persuadé qu’elle avait eu la même vision.
Malcolm rit de nouveau sans retenue. Tous deux, un instant si proches que leurs
– Vous êtes impayable ! mains s’étaient involontairement frôlées,
La conversation tournait de telle façon ne resteraient pas des étrangers l’un pour
que Smart commençait à trouver le temps l’autre.
long.
– Bien entendu, nous vous gardons,

S
M. Wilson. mart en éprouva une douceur teintée
Le jeune homme s’apprêtait à trouver de vague à l’âme qui le désorienta. Il
un prétexte pour ne pas partager le repas n’était point habitué à ces impressions
de ses hôtes quand il croisa le regard de fugitives qui se gravaient dans sa mémoire
Megan, un regard suppliant qui le boule- en même temps qu’elles s’imprégnaient dans
versa. Qu’essayait-elle donc de lui dire ? le tain. Ah ! miroirs qui servent de portes à
– Je n’étais pas venu pour dîner. l’infini, que d’images ne gardez-vous pas !
Malcolm s’écria : Disparues, oubliées, flétries et pourtant pré-
– Oh ! ne croyez pas que j’oublie ce pour sentes…
quoi j’ai été vous chercher… Je pense, révé- – Croyez-vous que vous pourrez faire
rend, que M. Wilson pourrait nous aider. quelque chose pour moi, M. Wilson ?
– Puissiez-vous dire vrai ! Cette pauvre – Je vous aiderai autant que je le pourrai,
enfant est en butte à tant de soucis ! Il fau- répliqua-t-il sur le même ton confidentiel.
drait vraiment que vous trouviez une solu- À condition que vous me disiez tout.
tion. Elle baissa les yeux, apparemment trou-
– Madame est servie, annonça Jack sur le blée par ses exigences, déroutée sans doute
seuil de l’immense baie vitrée largement qu’il ait deviné ce que ces coups de télé-
ouverte, au travers de laquelle apparaissait phone devenus effrayants dissimulaient.
un confortable salon de cuir noir. – Hélas ! dit-elle, et il eut l’impression que
Le mur du fond était entièrement recou- ce mot se noyait dans un chagrin sans nom.
vert d’une glace rose rehaussée de fleurs – Nous en reparlerons seul à seul, voulez-
gravées. Cela donnait un curieux éclairage vous ?
à la pièce. Au côté de Smart se reflétait la Elle acquiesça, attentive à ne point attirer
maîtresse de maison. l’attention de son mari et du pasteur.
– Darling…
Très homme du monde, l’industriel venait

U
n instant, ils se dévisagèrent par l’in- de tirer la chaise en invitant son épouse à
termédiaire de ce miroir qui accen- s’y asseoir. Le révérend prit place à la droite
tuait la chevelure flamboyante de la de cette dernière, et Smart à sa gauche.
jeune femme et fardait d’ambre son teint de Une ombre se glissa soudain le long du
lis. Les derniers feux du couchant n’étaient mur auquel était adossé un monumental
pas étrangers à cette métamorphose. Par living de bois précieux. L’ombre vint ramper
contraste, la peau mate de Robert J. Malcolm jusqu’à la table et s’y dissimula. Smart était
semblait olivâtre, et ses yeux enfoncés dans persuadé que personne n’avait remarqué le
les orbites. En arrière de quelques pas, il chien, mais bien vite il comprit que Megan
se noyait dans les branches du grand sapin Malcolm s’était aperçue de sa présence, car

41
Un loup sur la lande

un sourire éclaira ses traits. Smart ramassa sourde colère. Smart eut la tentation de se
sa serviette qu’il venait de laisser tomber lever, afin de prendre congé. Il ne s’enten-
exprès. Un court instant, il vit devant lui drait jamais avec cet homme, il le pressen-
le museau à la truffe humide, les oreilles tait. À quoi bon tergiverser davantage, le
dressées, les yeux sombres, belliqueux, qui contrarier pour si peu, risquer de le rendre
le dévisageaient, et il ne put s’empêcher de jaloux pour des entretiens en tête à tête qu’il
frémir. Dieu sait pourtant qu’il ne craignait jugeait absolument nécessaires ? Car, il en
pas les chiens ! était certain, Malcolm devait surveiller son
Satisfait sans doute de s’être couché sur épouse et l’enfermer au besoin dans une
les pieds de sa maîtresse, Jeremy eut l’in- tour d’ivoire… Le tempérament mélanco-
telligence de se laisser ignorer pendant tout lique de la jeune femme, son goût pour les
le repas. promenades solitaires et les grands espaces
– Comment comptez-vous vous y prendre? le servaient admirablement.
– M. Malcolm, répliqua Smart avec une
fermeté courtoise dont n’était pas exclue

A
la question de M. Malcolm, le jour- une pointe de sarcasme, vous m’avez tout à
naliste ne sut que répondre, pour l’heure supplié de vous aider. Je ne le ferai
la bonne raison qu’il pensait à tout pas si vous vous obstinez dans votre atti-
autre chose. tude. J’exige d’avoir carte blanche en cette
Il enchaîna : affaire. Je veux m’y prendre de la façon
– J’aimerais, avant de vous répondre, qui me conviendra le mieux, même si vous
m’entretenir avec votre femme. estimez que je fais fausse route. D’autre
– Je vous ai raconté l’essentiel. part, ajouta-t-il froidement, nous n’avons
– Mais ce sont les détails qui m’inté- pas parlé de mes honoraires.
ressent. Malcolm eut un sursaut. Son regard glacé
Et, devant le mouvement de mauvaise étincela. Il serra les lèvres.
humeur de son hôte, Smart précisa : – Faites-moi la grâce de croire que je ne
– Si vous vous mettiez à ma place, je suis suis point avare quand il s’agit de la tran-
sûr que vous réagiriez de la même façon. quillité d’esprit de ma femme.
Vos propos sont si vagues. Des coups de – Voyons, Robert, protesta Fox, personne
téléphone anonymes, une respiration hale- n’oserait vous taxer de parcimonie.
tante… Y a-t-il eu des menaces formulées ? – Parfait, dit Smart.
De grossières interjections ? Avez-vous reçu – Viendrez-vous loger ici ? questionna
des lettres ? Megan, et le jeune homme se demanda si
– Non. elle l’espérait ou si elle redoutait cette coha-
– Dans ce cas, ne vous affolez-vous pas bitation.
un peu vite ? – Non, madame. Vous l’avez peut-être
Megan eut un léger cri : oublié, mais je travaille pour l’Irish Times,
– Oh, non ! non ! M. Wilson, je vous prie et je n’ai pas l’intention d’abandonner mon
de me croire… emploi.
Il ne doutait pas de sa sincérité. Cela signi- – Comment ferez-vous, dans ce cas ?
fiait-il pour autant qu’elle soit en danger ? – Je n’en sais strictement rien, avoua
– Soit ! intervint l’industriel, parlez-lui si le journaliste en haussant les épaules.
vous le désirez, mais vous n’obtiendrez rien Laissez-moi le temps d’y réfléchir.
de plus que ce que je viens de vous dire… À – Pas trop longtemps, j’espère…
moins que Megan ne me dissimule quelques – Je reprendrai contact avec vous.
faits qu’elle trouverait bon de vous confier, Sur ce, il se leva en posant sa serviette.
à vous, un étranger. – Vous me permettrez de me retirer.
Il y avait du mépris dans sa voix et une – Bien entendu, approuva l’industriel

42
qui semblait s’être apaisé. Avant de partir, certains soirs de venir le chercher à son
voulez-vous passer quelques instants dans journal, de l’inviter à dîner dans un somp-
mon bureau ? tueux restaurant dont elle avait payé roya-
Smart acquiesça, après s’être incliné sur lement la note sans lui donner le temps de
la main de Mrs Malcolm et avoir salué le sortir son portefeuille, et il s’était retrouvé
pasteur. Sous la table, Jeremy n’avait pas peu après dans son magnifique apparte-
bougé. Une patte sur le pied de sa maîtresse, ment au dix-huitième étage d’un building
il surveillait ses moindres mouvements et dominant toute la baie de Dublin. Smart
guettait les inflexions de sa voix. n’avait pas eu le temps d’admirer le pay-
sage. Sous prétexte de lui servir un cocktail
de sa composition, le médecin était revenu
Chapitre 2 peu après en petite tenue (entendez par là

M ‘‘
Ah ! miroirs qui servent
oins de dix minutes plus tard,
Smart quittait la propriété. Il se
disait qu’il était tenu de réussir de portes à l’infini, que d’images

’’
dans sa mission pour deux raisons, d’une
part parce que la ravissante Megan se sen- ne gardez-vous pas !
tait si persécutée qu’elle n’en dormait pas de
la nuit, et d’autre part parce qu’il rêvait de
coincer le tueur de Dublin. Intuitivement, une simple blouse blanche courte et trans-
sans vouloir en parler à ses hôtes, il mettait parente) sous laquelle il venait de la décou-
son action en parallèle avec les appels qui vrir nue ! Eh bien ! que croyez-vous que cela
terrorisaient la jeune femme. Il ne fallait lui avait fait ? tout le contraire de ce que
pas, Dieu merci, non ! qu’elle soit la qua- vous pensez !
trième victime. – Excuse-moi, chérie, mais je ne suis pas
À cette seule pensée, le journaliste s’agita en forme, ce soir.
sur la banquette de la Rolls. Si on lui avait Il était sans doute vexé d’avoir à déclarer
dit, le matin de ce même jour, qu’il accep- forfait ; un homme dans une telle situation
terait de jouer les détectives, il aurait souri n’en garde pas un très bon souvenir, et s’il
d’un air sceptique. En lui se révélait un ata- finit par en rire, c’est d’un rire jaune.
visme qui ne demandait qu’à s’exprimer. Mais ce n’était rien en comparaison de sa
Son père n’aurait pas été peu fier de le voir fureur à elle. Elle le traita de goujat en le
basculer dans son camp ! raccompagnant jusqu’à la porte et s’élança
« Pour les besoins de mon journal ! », pro- à sa suite jusqu’à l’ascenseur en poussant
testa-t-il intérieurement. Mais une petite des cris perçants. Le corridor était glacé, et
voix ajouta : « Non ! pour les beaux yeux de il lui avait lancé d’un air goguenard qu’elle
Megan. » allait prendre froid.
Des femmes plus jolies qu’elle, dotées de Pour comble de malchance, un violent
classe et d’élégance, il en connaissait au courant d’air se mit à sévir juste au moment
moins dix. Cependant, aucune ne retenait où il appuyait sur le bouton. Il eut le temps
son attention bien longtemps, parce qu’il de voir dans l’entrebâillement que la porte
les prenait pour des petites dindes, même de son appartement venait de lui claquer
si elles avaient fait de solides études. Il y au nez.
avait parmi elles une oto-rhino-laryngolo- Un instant, il eut la tentation de la laisser
giste (terme prétentieux à souhait, pensait- se débrouiller avec ses problèmes, mais un
il sans trop savoir pourquoi) qui l’énervait sursaut de courtoisie l’obligea à laisser l’as-
au plus haut point. Elle s’était permis censeur descendre les dix-huit étages, puis

43
Un loup sur la lande

à les remonter. Il se fit incendier en arri- de présence comme cela au journal ! – et


vant, au point qu’elle lui lança à la tête la encore moins d’aller dormir. Il finit pour-
potiche qui ornait le palier. tant par somnoler dans le fauteuil quelque
Smart jugea qu’il avait assez patienté et peu avachi où il avait pris place, parce que
il partit sans prononcer un mot. c’était le seul qui lui emboîtait bien le dos
« Au fond, je ne suis pas un gars comme et lui soutenait la nuque.
les autres », se dit-il en se remémorant ce
bref épisode de sa vie amoureuse. Tant

I
qu’elle était en robe de cocktail, il la jugeait l commençait à s’endormir pour de bon,
désirable au possible, mais en la voyant bercé par le débit monotone du speaker,
apparaître en blouse blanche, il s’était cru quand la voix soudain plus affermie de
à l’hôpital ! Pour elle, cela devait sans doute celui-ci annonça :
faire partie d’un jeu qu’elle pensait excitant. « Le maniaque a encore frappé. En effet,
– J’ai une sainte horreur des nympho- on estime que c’est vers vingt-deux heures
manes, grommela-t-il tandis que la Rolls trente, en plein centre-ville, à l’abri d’une
se garait devant son immeuble. porte cochère de O’Connell Street, qu’il s’est
– Vous êtes arrivé, Sir. attaqué à Miss Percy Blackwell, bien connue
– Merci, dit Smart. dans les milieux de la couture dublinois.
Il mit la main à la poche pour donner au Miss Blackwell a été trouvée à terre, un
chauffeur un pourboire. Craignant que son poignard en plein cœur. Elle a été délestée
geste ne soit offensant, il se ravisa. Avec de ses bijoux et de l’argent qu’elle portait
ces larbins de grande maison, on ne savait sur elle, une grosse somme représentant
jamais sur quel pied danser. probablement la recette du magasin qu’elle
Smart se montrait au fond passablement dirigeait. Le scénario est toujours le même,
dédaigneux de ces milieux bourgeois, confits semble-t-il. Mais cette fois-ci, le commis-
d’orgueil et d’argent, qui n’ouvraient leurs saire Reder aurait découvert un indice qu’il
portes qu’à bon escient et seulement quand n’a pas voulu nous communiquer. La victime
ils croyaient pouvoir en tirer parti. était âgée d’une quarantaine d’années. »
C’était le cas de Malcolm. Pourquoi ne – My God ! soupira Smart tout à fait
s’était-il pas tout simplement adressé à la réveillé maintenant. Qui arrêtera jamais
police ? Le journaliste se persuadait que ce salopard ?
cela aurait été la meilleure façon d’agir, Il bondit de son fauteuil. Il enfilait sa veste
puis il imagina le visage fermé du com- quand le téléphone sonna.
missaire Reder, son scepticisme et la façon – Où étiez-vous, nom d’un chien ! hurla le
brutale avec laquelle il lui aurait simple- rédacteur en chef de l’Irish Times à l’autre
ment demandé de repasser le voir lorsqu’il bout du fil. Vous savez la nouvelle ?
se serait procuré des informations valables – À l’instant, dit Smart en évitant de
sur le minable du téléphone. répondre à la question précédente.
– Je croyais que vous deviez repasser au
journal ?

D
ès qu’il se retrouva dans son appar- – J’en avais l’intention, en effet, mais il me
tement, Smart enleva sa veste, posa semble plus urgent à présent de me mettre
sa serviette sur le bureau, prit une en rapport avec Reder.
cigarette sans l’allumer et mit en marche la – Je doute que vous puissiez lui arracher
télé. Il aurait les dernières nouvelles dans son secret.
moins d’un quart d’heure, cela valait la – Par la bande, peut-être… J’ai pas mal
peine d’attendre. D’ailleurs, le jeune homme d’amis dans la brigade. En attendant, pré-
n’avait nulle envie de se remettre au tra- voyez de modifier la une. Je vous appelle
vail – après tout, il faisait assez d’heures dans une heure.

44
– Peut-être est-ce inutile de vous déranger. diable ! », qui le confirma dans l’idée qu’il
On me dit que David est déjà sur les lieux. ne devait en aucun cas fréquenter cette
Smart dédaigna de répondre et sortit de sorte de fille.
son appartement à la vitesse de l’éclair. À peine quittait-il l’immeuble qu’il vit
arriver Bruce Hannon. « Souhaite-t-elle le
rendre jaloux ? », pensa Smart qui se féli-

O
n aurait dit que Nancy Holgan le cita de sa méfiance.
guettait dans l’entrebâillement de Aussitôt, à la place du visage outrageu-
sa porte. sement fardé de Nancy, lui apparurent les
Enveloppée dans un manteau de vison traits fins, légèrement fanés, de Megan
sauvage, elle minauda : Malcolm. Il revit son air inquiet, suppliant,
– Dites, chéri, vous pourriez sûrement me qui lui donna brusquement envie de se
déposer. Le taxi que j’ai commandé n’ar- trouver auprès d’elle.
rive pas. Ça ne vous obligerait pas à faire « J’aimerais la prendre dans mes bras, la
un grand détour. consoler, lui insuffler le désir de lutter, de
– Détrompez-vous, je ne vais pas du tout vaincre sa peur… »
dans la direction du cabaret. Excusez-moi… « Pourrez-vous vraiment quelque chose
Outre le « chéri » intentionnel qu’il n’ap- pour moi ? » lui avait-elle demandé.
préciait pas beaucoup, il tenait à demeurer (à suivre)
sur la réserve.
Elle fit la moue et lui lança un « Allez au Ginette BRIANT

SOLUTIONS DES JEUX DES PAGES 26-27

MOTS CROISÉS LE BON CHOIX MOTS FLÉCHÉS


A B C D E F G H I J AUTOUR DU CHIFFRE 4 R A A A C R P
1 M I N E S T R O N E 1 a. 6 ans de mariage pour les B A R N U M M I L L E I
2 E V A S E R P I N noces de Chypre, 8 pour celles C A N N I B A L E A D N
3 T E S R I M E T de Coquelicot. 2 a. L’ouest est C E L U I E R N A U D
4 A S U P O R G E appelé ponant ou couchant, le
sud, méridien, et l’est, orient ou E L E T E C L O R E
5 P R E S E A N C E levant. 3 c. Le symbole de la E N S A B L E R H I V E R
6 H A E N C O U R S terre est un triangle à l’envers. U B O U L A I E A S
7 O M E R T A L A O 4 b. Margaret «Meg» est l’aînée, D E P L U A L M
8 R I S I N G E N U Joséphine «Jo» la deuxième,
Elizabeth «Beth» la troisième. R E G P U I S E
9 E P E N T U C D C’est un roman de Louisa May O B I L S U D
10 S E I N H E V E A Alcott, paru en 1868. 5 b. 6e cha- A N T I G R E E R
11 C O N G E R E N pitre du livre de l’Apocalypse. I N T R O T C U S A
12 F A N E R I N C A 6 a. La Renault 4 fut construite
J E A N R I C H A R D N
d’août 1961 à décembre 1992.
13 A L M E U R T R I P O M M E E S A D A G I O
7 c. Ce feuilleton fut diffusé à
14 R E M I S E S U S partir de novembre 1970. 8 c. P S F O R M O L N
En 2007. La musique a été com- P A S F O N I O E R O S
MOTS MÉLANGÉS posée par J.-J. Goldman. La N T A N N A I T H U E
L e mot qui répond à l’énigme est : chanson est une ballade, qui se
Saint-Omer. vendit à 150000 exemplaires. Z A V A T T A S O L E I L

45
Série

ISTOCK
Les plateaux de la balance
3 – RÉSUMÉ : Pour la Mouchette, il ne fait aucun e sera quelque chose de très
doute que Geneviève et André, à qui elle a ouvert simple, prévint la jeune femme
sa porte et qu’elle a hébergé sans hésiter, sont quand l’épineux sujet de sa robe
faits l’un pour l’autre. Si Euphémie Catin trouve de mariée, qu’elle devait aller
toujours quelque critique à l’égard de l’Italien et acheter dans le plus grand mys-
de sa promise, elle se voit vite rappelée à l’ordre tère l’après-midi même, fut abordé au cours
par la Mouchette. André semble avoir trouvé d’un repas.
sa place, enfin. Auprès de celle qu’il a aimée dès Elle ne souhaitait pas se marier à nouveau
l’instant où ils se sont rencontrés, mais aussi en blanc, avec traîne et demoiselles d’hon-
auprès de sa fille, la petite Véronique. Et le jour tant neur, comme la première fois. La Mouchette
attendu de la cérémonie qui les unira approche acquiesça, Euphémie opina vaguement du
à grands pas. (Voir Veillées nos 3429 et 3430.) chef, mais n’en pensa pas moins. On se
mariait ou on ne se mariait pas. Mais l’es-
sentiel était que la petite Véronique, une
Mouchet, elle, attire tous les regards avec la

46
par Gabrielle Adam

robe de princesse que Geneviève venait de jouait faux selon elle. Personne ne semblait
terminer. Un velours turquoise rehaussé de en être affecté, mais bon, tout le monde ne
dentelle blanche au col et aux manches, un pouvait pas avoir l’oreille musicale. Elle était
gros nœud dans les petites boucles blondes, chargée de la mission de garder Véronique
une vraie merveille. près d’elle. Tâche qui s’avéra bien vite dif-
André resta sombre à l’évocation de la ficile. En effet, au fur et à mesure que la
robe de sa promise. Brusquement, lui était cérémonie avançait, la petite manifesta des
revenu en mémoire ce jour de l’hiver 1967 signes d’agitation intense, gigotant comme
où elle lui avait instamment demandé, met- une diablesse sur les genoux de la vieille
tant leur amitié en avant, de l’accompagner fille. Sa petite bouche s’ouvrait comme pour
en ville pour prendre livraison de celle dans appeler sa mère, mais aucun son n’en sortait,
laquelle elle allait se marier à un autre dans et elle fixait intensément les deux mariés de
les jours suivants. Il se souvint de son cœur ses grands yeux pleins de larmes prêtes à
serré quand il l’avait aperçue en train de couler. À la sortie de l’église, alors que tout
l’essayer à son retour à la ferme. le monde se mettait en place pour la photo,
Quant à lui, il étrenna ce jour-là le pre- elle échappa à la surveillance de sa mar-
mier costume de sa vie. raine et, au grand dam de cette dernière,
sauta dans les bras d’André qui la tint contre
lui tout le temps que dura la prise de clichés,

S
implicité et bonheur furent les maîtres opérée par Roger, qui maîtrisait mal l’appa-
mots de cette journée. Chaleureusement reil dont il avait récemment fait l’acquisition.
soutenue par Euphémie et bravant l’op- Peu de gens du village s’étaient déplacés
position muette de la Mouchette et d’André pour assister à la messe qui voyait l’union
qui haussaient les épaules, Geneviève avait de cette espèce de métèque de Bletri et de
exigé une cérémonie religieuse. Face au cette jeune veuve Mouchet qui n’était même
curé de la paroisse, celui qui avait béni la pas d’ici. Certains durent s’avouer tout de
première union de la jeune femme, les deux même qu’ils avaient fière allure, ce brun
mariés, graves mais souriants, rayonnaient. ténébreux et cette jolie blonde…
Ils étaient superbes d’élégance et de main-
tien. Geneviève trouva encore plus beau

L
André quand elle le vit le matin dans son e repas de noces eut lieu à la maison,
complet bleu marine, chemise blanche et confectionné par un restaurateur des
cravate finement rayée. Le couple qu’ils for- environs. On s’attarda peu, comme si
maient n’avait en effet rien à voir avec celui cette réunion avait un goût de déjà-vu. Seuls
de Roger, boudiné dans un costume trop la Mouchette, Marie-Hélène et les deux
petit, et Mireille, attifée d’une de ces robes jeunes mariés échangeaient des regards
à fleurs criardes dont elle avait le secret. confiants pleins de joie sereine. Eux seuls
Peu de monde dans l’assemblée, juste la semblaient comprendre la portée de l’évé-
famille proche. André avait pensé inviter nement, les épreuves et les embûches qu’il
Benzoni, puis s’était ravisé. La Mouchette avait fallu surmonter, les coups du sort qu’il
souriait doucement, chassant le triste sou- avait fallu accepter pour en arriver là.
venir du premier mariage de Geneviève, de – Les enfants n’en peuvent plus, il faudrait
son aîné (à peine remis de sa soûlographie les coucher, finit par gémir Euphémie alors
de la veille) qu’elle avait mené à l’autel et de que le dessert allait arriver sur la table.
la brusque fuite d’André, de Dédé comme on – Vous pouvez vous en charger ? demanda
l’appelait à l’époque, dont elle était la seule Geneviève.
à être peinée. Elle se tenait serrée contre son mari tout
Euphémie trônait au premier rang, pes- neuf à côté duquel elle présidait la table
tant intérieurement contre l’organiste, qui en U dressée pour la circonstance. Elle

47
Les plateaux de la balance
resplendissait, éclatait de rire pour un rien. pleine bouche et Euphémie remarqua que
Dieu merci, aucune réminiscence de son Geneviève n’avait même pas pris la peine,
premier mariage ne lui était venue pendant comme elle le faisait d’habitude, de fermer
la cérémonie, tout occupée qu’elle était à sa robe de chambre sur sa chemise de nuit,
savourer son bonheur. Plus grave, André res- qu’elle trouva au passage outrageusement
tait le plus souvent silencieux, se demandant décolletée. Elle détourna la tête à la vue des
simplement s’il n’était pas en train de rêver. deux amoureux un peu trop démonstratifs à
– Je couche Simon avec la petite ? son goût. Elle avait sa pudeur. Occupée sur
Mireille et Roger ayant acquiescé, l’évier, la Mouchette se retourna en souriant:
Euphémie se dirigea en bougonnant vers – Eh bien ! je vois que vous avez apparem-
la chambre de Véronique. Toute la journée, ment trouvé un nouveau terrain d’entente !
elle avait supporté les bouderies et les crises Devant l’air outragé d’Euphémie, elle
d’excitation de sa filleule, qui avaient alterné poursuivit :
au fil des heures. Grand Dieu ! la prenait-on – Eh ! eh ! c’est que c’est important, les
pour une bonne d’enfants ? Elle avait passé choses de la chair ! C’est même au lit que
l’âge ! Occupée à surveiller les deux petits les couples trouvent souvent une solution à
monstres, elle avait déjà raté le champagne leurs problèmes. Tenez, moi, avec Jules, je
qui avait ouvert le repas, et voilà qu’on la me souviens que…
privait de l’arrivée de la pièce montée ! Elle s’arrêta et rit sous cape : Euphémie
Elle fourra prestement les bambins au lit frôlait la crise cardiaque.
et revint à la place qu’on lui avait assignée, à André cligna plaisamment de l’œil en
côté de la mère de la mariée, qu’elle trouvait direction de sa femme. L’air radieux de
sinistre et qui manquait cruellement d’édu- cette dernière laissait en effet penser que
cation, pensait-elle. N’avait-elle pas coupé son mari lui avait révélé pendant la nuit ce
d’eau son vin rouge et noué sa serviette de qu’elle avait cherché en vain dans les bras
table autour de son cou ? de son premier époux, une joie inédite dans
sa vie de femme qui lui dévoilait une part
jusqu’alors inconnue d’elle-même.

M
arinette partit la première. Elle
serait bien restée plus longtemps,

U
mais Joël, son mari, semblait impa- ne nouvelle phase de leur vie com-
tient de quitter les lieux et le manifestait mença alors. Après l’agitation des
ostensiblement. Puis, un à un, tous les dernières semaines, tout reprit un
invités s’en allèrent et le calme revint dans cours plus calme. André revenait chaque
la vaste pièce. soir de son travail, savourant le simple
– Je vous souhaite tout le bonheur que bonheur de retrouver « sa petite femme »,
vous méritez, mes enfants, dit simplement comme il disait. Un autre projet put alors
la Mouchette, en déposant un baiser sur le prendre forme dans son esprit, encouragé
front des jeunes mariés. par Geneviève et Marinette, Roger se mon-
Cela leur fit l’effet d’une bénédiction. Ils la trant plus réticent. Celui de faire opérer la
laissèrent se retirer dans sa chambre, puis Mouchette de son cœur malade. André avait
gagnèrent celle d’André, qui était désormais désormais réuni tous les éléments néces-
la leur. saires et était allé en cachette consulter un
Le lendemain matin, ils ne pénétrèrent médecin à Nancy, lequel lui avait appris
dans la cuisine qu’à dix heures. Euphémie, que la Mouchette se sentirait certainement
invitée à venir finir les restes de la veille au mieux avec un pacemaker. Il lui avait aussi
déjeuner, avait accepté d’aider la Mouchette indiqué le nom d’un professeur de méde-
à débarrasser dans la matinée. Lorsqu’ils cine spécialiste en cardiologie. Lorsqu’il
franchirent la porte, ils s’embrassaient à aborda le sujet au repas dominical, André

48
expliqua que cet appareil, implanté dans rétorqua André. Les levers à l’aube, les
le cœur, contrôlait le rythme de cet organe lourdes charges, l’entretien des bêtes, la
vital, palliait l’insuffisance cardiaque et responsabilité de la ferme une fois veuve…
qu’il s’agissait d’une espèce de pile. La vieille fille l’arrêta d’un geste las. Elle
– Une pile, comme celles de mes jouets ? savait tout cela et cela l’agaçait toujours pro-
demanda Véronique, qui avait toujours suivi digieusement que la Mouchette passe pour
avec attention les conversations des adultes une sainte.
et, maintenant qu’elle commençait à former
de petites phrases, intervenait souvent et
faisait rire tout le monde, à cause de ses Après la subite déclaration
erreurs enfantines ou de ses mots prononcés
de travers. Seule Geneviève semblait parfois d’amour de sa fille, l’esprit rebelle
agacée par la vivacité linguistique de sa fille.
– Mais non, voyons ! sûrement pas ! inter-
de la Mouchette l’emporta
vint-elle d’ailleurs ce jour-là.
– Ce serait mieux de lui expliquer que de
la réprimander, non ? dit André avec une Cette dernière, pourtant la première
légère nuance de reproche dans la voix. concernée, n’avait encore pas ouvert la
Non, pas tout à fait, ma chérie, dit-il à la bouche, écoutant attentivement les uns et
petite. C’est un peu plus compliqué. Mais les autres. Ce ne fut que lorsque André lui
la Mouchette n’aurait plus de ces terribles demanda ce qu’elle en pensait qu’elle se
crises qui la prennent parfois et te font peur. décida à parler.
– L’opération n’est pas dangereuse ? – Avoir un corps étranger dans la poitrine,
hasarda Roger. ça ne me dit rien qui vaille.
André assura que le médecin avait répondu Euphémie prit un air triomphant et revint
par la négative à cette question, mais que à l’attaque :
toute intervention chirurgicale compor- – C’est vrai, ça n’est pas naturel tout ça et
tait bien sûr des risques impondérables. c’est contre les lois du bon Dieu. Il faut se
– Sans compter ce que ça doit coûter ! soumettre quand il a décidé de nous rap-
ajouta Euphémie d’un air entendu. peler à lui.
– Ça, c’est mon problème, dit André. J’en – Fiche-nous la paix, Euphémie, avec ton
ai parlé avec Geneviève, je prendrai en bon Dieu ! s’exclama Marinette. Moi, je suis
charge ce qui n’est pas remboursé par la sûre que maman a envie de vivre encore un
Sécurité sociale. Je ne saurai jamais rendre peu. Et nous aussi, on la veut à côté de nous
à la Mouchette ce qu’elle a fait pour moi. aussi longtemps que possible !
« Bien sûr, pensa la vieille fille. Il joue La subite déclaration d’amour de sa fille
encore les grands seigneurs, histoire de se et l’esprit rebelle de la Mouchette, qui ne
faire bien voir, espèce de lèche-bottes même voyait pas pourquoi elle se soumettrait à
pas de la famille… » Elle ne put, une fois de une autre volonté que la sienne propre, fût-
plus, s’empêcher d’enfoncer le clou. elle divine, l’emporta. Elle autorisa André
– Moi, je me porte comme un charme. Bien à prendre un rendez-vous avec le profes-
sûr, j’ai quelques années de moins que la seur nancéien.
Mouchette, mais, Dieu merci, je n’ai pas
besoin de toutes ces inventions du diable.

L
En réalité, elle avait le même âge que la es modifications intérieures de la
Mouchette, mais une absurde coquetterie maison, prévues de longue date par
entretenait cette légende. Geneviève, commencèrent, effectuées
– Si vous aviez eu la vie qu’elle a eue, peut- par André qui lui avait promis lorsqu’elle
être seriez-vous aussi souffrante qu’elle, était devenue veuve qu’il ferait son

49
Les plateaux de la balance
maximum pour qu’elle retrouve le confort échappèrent des mains à cause de « ces
ménager qu’elle avait tant apprécié dans son gants de malheur ».
appartement de la banlieue parisienne. Le Ces nouveautés technologiques, apparues
premier achat important qu’ils firent fut un depuis déjà longtemps en ville, modifièrent
réfrigérateur. Le garde-manger, c’était un profondément la vie dans les campagnes.
pis-aller, qui rendait service quand on ne Les principaux arguments étaient une
pouvait faire autrement, mais peu pratique fatigue moindre et un gain de temps, car
et surtout peu hygiénique, surtout quand de plus en plus de femmes souhaitaient à
il y avait un enfant en bas âge dans une présent travailler à l’extérieur, quitter leurs
maison. Combien de fois n’y avait-on pas fourneaux et s’épanouir dans des activités
oublié des restes qu’on retrouvait complè- plus enrichissantes. Sans compter l’auto-
tement décomposés quelque temps après ? nomie financière que leur salaire pouvait
Ou bien il était visité par les rats quand on éventuellement leur procurer. La révolu-
en avait mal fermé la porte. Bref, un gros tion féministe était en route, libératrice
cube blanc prit un jour place dans la cuisine pour beaucoup de femmes, déstabilisante
et Geneviève s’empressa d’en expliquer le pour nombre d’hommes, dont l’ancestrale
fonctionnement, fort simple, et d’en vanter domination patriarcale était mise à mal. Ne
les mérites à une Mouchette sceptique mais disait-on pas qu’il existait même à présent
de bonne volonté. Véronique qui, par jeu, ne un médicament, la « pilule », qui empêchait
cessait d’en ouvrir et fermer la porte, reçut d’avoir des enfants si on le souhaitait ? Les
pour sa part plusieurs tapes de sa mère sur femmes allaient pouvoir prendre en main
ses petites fesses. André, lui, appréciait de leur fécondité, ne procréer que lorsqu’elles
pouvoir siroter de temps à autre un soda le désireraient. Profond bouleversement
bien frais plutôt que d’être obligé de des- dans les mœurs qui allait susciter bien des
cendre à la cave. Et Euphémie ne manqua controverses. Une ère nouvelle commençait,
pas de s’octroyer un étage pour ses denrées et la démission du général de Gaulle en 1969,
qui menaçaient de se perdre, avec la cha- chassé du pouvoir par un référendum qui
leur qui s’installait. « Ce serait dommage de l’avait désavoué, en était un des symboles.
jeter, n’est-ce pas ?» Geneviève, qui avait vécu de plein fouet
les événements parisiens de Mai 68, était
sensible à ces changements dans l’air du

O
n prévoyait à présent, enfin temps, elle qui avait subi pendant toute sa
Geneviève avait ce projet, que la jeunesse les lourdes obligations qui pesaient
prochaine acquisition serait une sur les femmes des campagnes. Elle voulut
machine à laver le linge. Elle se réjouis- travailler. N’était-ce d’ailleurs pas son
sait à l’avance de ne plus avoir à effectuer intention, lorsqu’elle prenait des cours de
cette corvée, surtout celle des pénibles et secrétariat à Châtenay-Malabry ?
interminables lessives de draps à la sortie – La Mouchette serait sans doute d’ac-
de l’hiver. Et puis, il ne fallait pas croire, cord pour s’occuper de Véronique, dit-elle
mais cet appareil rendait les mêmes ser- un soir à André, tandis qu’ils s’apprêtaient
vices que les pauvres mains des femmes à se coucher.
qui, de plus, s’abîmaient dans les agres- – Je gagne suffisamment bien ma vie, il
sives poudres à laver. D’ailleurs, Geneviève me semble, rétorqua André, à qui l’idée de
avait également introduit l’usage de gants sa femme ne plaisait guère a priori.
ménagers en caoutchouc pour les travaux – Bien sûr, mais nous avons beaucoup
sur l’évier. Là, la Mouchette se rebiffa. Sa de frais en ce moment, et puis il va y avoir
bonne volonté à être dans le sens du pro- l’opération.
grès et du modernisme flancha lorsqu’elle – Ne t’inquiète pas de cela, j’ai tout anti-
cassa coup sur coup deux assiettes qui lui cipé.

50
Pourtant ouvert à toutes les nouveautés, il complexité, de chichis, dans des choses
voyait d’un œil inquiet le projet de sa femme. qui servaient juste à couvrir certaines par-
Il songeait surtout à Véronique qui, pensait- ties, invisibles, du corps féminin. André
il, avait besoin de la présence constante de n’était pas de cet avis. Comme Geneviève,
sa mère à la maison. Elle n’était pas encore il trouvait cela ravissant. La coquetterie de
en âge d’aller à l’école et son caractère diffi- son épouse, son art de se vêtir (qui s’était
cile risquait de fatiguer une Mouchette déjà encore affiné en léchant les vitrines lors de
bien lasse. ses années parisiennes) n’avait pas été pour
Ce dernier argument convainquit la jeune rien dans l’attirance qu’il avait eue et qu’il
femme, qui pourtant revint à la charge dès avait toujours pour elle, et qui rejaillissait à
le lendemain avec une autre proposition. Et présent sur sa fille, toujours habillée d’ado-
un travail à domicile ? Cela lui permettrait rables robes, même si c’était pour rester à
de rester avec la petite, de ne pas se sentir la maison.
« une femme entretenue » comme elle disait, Cette question des chiffons visa même un
et de participer aux frais d’éducation de sa jour la Mouchette et ses fameuses blouses.
fille. Elle ne voulut pas insister sur le fait En effet, on ne la voyait jamais que vêtue
que Véronique n’était pas la fille d’André, de ces attributs typiquement campagnards,
ce qui aurait sûrement mis ce dernier en en nylon et sans manches à la belle saison,
rage. En effet, et cela était incontestable, il à manches longues et en tissu plus épais
s’occupait d’elle depuis sa naissance comme en hiver. Un fond de coquetterie féminine
si elle était de son propre sang. poussait tout de même la fermière à les
– Et puis, dit-il pour terminer cette conver- choisir dans les tons bleus (à fleurs, à pois,
sation qu’il ne voulait pas voir s’envenimer, à rayures) pour les assortir à ses yeux. Ces
si nous avons un autre enfant, il faudra que deux pièces maîtresses de sa garde-robe ne
tu lui donnes tous les soins nécessaires à lui coûtaient de plus pas très cher. Elle les
un bébé… renouvelait une fois l’an lors du passage du
C’était en effet un de leurs vœux les plus camion du père Girardin « Mercerie, bonne-
chers que de donner naissance à un petit terie, articles de chasse et de pêche », et elles
être qui serait le fruit, la preuve matérielle étaient vite lavées et vite séchées. Il fallait
du profond amour qu’ils se portaient. Mais avouer que c’était bien pratique pour vaquer
il finit par accepter le compromis proposé à certaines occupations, parfois salissantes.
par Geneviève. Ce fut d’ailleurs l’argument qu’elle mit en
avant lorsque Geneviève la titilla gentiment
à ce sujet.

D
eux semaines plus tard, la débrouil- – Oui, bien sûr, je comprends, mais vous
larde jeune femme avait trouvé pourriez les enlever une fois votre travail
un emploi qui ne l’occuperait que terminé et enfiler une jupe, une robe…
quelques heures par jour. Il s’agissait d’ef- – Pour me déshabiller à nouveau cinq
fectuer de fins travaux de couture, d’assem- minutes après parce qu’il faut que je coure
blage, sur des pièces de lingerie féminine, au poulailler chercher des œufs ou à la
soutiens-gorges, jupons, chemises de grange chercher du bois, merci bien !
nuit… qui seraient ensuite vendues dans La jeune femme n’eut pas gain de cause et
des boutiques de luxe des grandes villes. n’insista pas. Car, hormis ce détail purement
Elle travaillait sur la table de la cuisine, où esthétique, la mise de la Mouchette était tou-
s’amoncelaient des morceaux de soie, de jours irréprochable, contrairement à beau-
satin, de dentelle, aux délicats coloris pastel coup de ruraux qui ne se lavaient encore
qui ravissaient Véronique. Les modèles entièrement qu’une fois par semaine, le
une fois terminés intriguaient Euphémie, dimanche avant d’aller à la messe…
qui se demandait pourquoi mettre tant de (à suivre)

51
La bonne cuisine

Un air d’été
Profitez des beaux jours pour manger dehors et partager avec
vos proches ces recettes ensoleillées, simples à préparer et délicieuses
à déguster, concoctées par la chef cuisinière Sophie Dudemaine.

Papillotes de saumon au sirop d’érable


pour 4 personnes – préparation : 10 min – marinade : 30 min – cuisson : 20 min

Ingrédients : 4 dos de saumon de


150 g sans leur peau • 3 c. à soupe
de sirop d’érable • 3 c. à soupe de
sauce soja • 2 oignons en botte
émincés avec les tiges • 4 c. à
soupe d’herbes ciselées • poivre
du moulin • fleur de sel.

Réalisation
– Mettez le saumon dans un sac
zippé avec le sirop d’érable et la
sauce soja.
– Laissez mariner 30 min minimum.
– Préchauffez le four à th. 6 (180 °C).
– Découpez 4 morceaux de papier
d’aluminium et 4  morceaux de
papier sulfurisé. Posez-les l’un sur
l’autre, en mettant l’alu dessous.
– Répartissez les dos de saumon
égouttés sur les papiers sulfurisés.
– Parsemez d’oignons et d’herbes,
salez et poivrez.
– Fermez bien les papillotes et met-
tez-les au four pendant 20 min.
– Servez tiède ou à température
ambiante, avec une salade de
concombres, par exemple.
PHOTOS : RINA NURRA (X 3)

Le conseil de Sophie : « Vous pou-


vez servir ce saumon avec une sauce au
yaourt. Pour la réaliser, mélangez 200 g
de yaourt à la grecque ou du fromage
blanc avec le jus de 1 citron, du sel, du
poivre et plein d’herbes ! »

52
par Safia Amor

Compotée de
maquereaux
au chèvre
pour 6 à 8 personnes
préparation : 15 min
cuisson : 15 min
attente : 1 h
Ingrédients : 600 g de maque-
reaux entiers vidés (frais ou surge-
lés) • 80 g de chèvre frais (type Petit
Billy) • 5 c. à soupe de mayonnaise
• 50 g de beurre mou • 1 citron
• 1 c. à soupe de moutarde forte
• 3 c. à soupe de ciboulette cise-
lée • 1 pomme verte Granny Smith
coupée en dés • poivre du mou-
lin • sel. Pour le court-bouillon :
1 carotte • 2 échalotes • 30 cl de
vin blanc* • 2 c. à soupe de pastis*
• 2 brins d’estragon • poivre.
Réalisation
Préparez le court-bouillon : émincez
la carotte et les échalotes. Mettez-
les dans une sauteuse avec le vin,
le pastis, 70 cl d’eau et l’estragon
effeuillé. Poivrez et faites bouillir * L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
pendant 15 min.
– Plongez les maquereaux dans le Le conseil de Sophie : « J’utilise souvent de la lisette, surnom du petit maque-
bouillon, coupez le feu et laissez reau. Pour gagner du temps, vous pouvez aussi utiliser une tablette de bouillon diluée
refroidir avant d’égoutter le pois- dans 70 cl d’eau en guise de court-bouillon, ou bien acheter directement des boîtes
son délicatement. de maquereau au vin blanc ou autres. »
– Levez les filets en retirant les
arêtes ainsi que les parties noires.
Émiettez la chair à la fourchette À lire
dans un saladier.
– Ajoutez la mayonnaise, le beurre,
La Cuisine d’été de Sophie,
le chèvre, le jus du citron, la mou-
90 recettes ensoleillées
tarde et la ciboulette. Mélangez pour La saison des fruits et légumes d’été bat son
obtenir une consistance de rillettes, plein. Sophie Dudemaine, cuisinière émérite
puis ajoutez les dés de pomme. (Les Cakes de Sophie, c’est elle !), les accorde avec
– Goûtez et rectifiez l’assaisonne- goût pour tous les repas de la journée. Elle fait
ment si nécessaire. également la part belle aux viandes et crustacés,
– Servez cette compotée avec des en brochettes, rôtis ou à la plancha, et tout est
tranches de pain, des toasts ou des très appétissant. Un livre qui apporte du soleil
gressins. dans la cuisine ! Éd. de La Martinière, 24,90 €.

53
La bonne cuisine

Spaghettis
de courgettes
au parmesan
pour 6 personnes – préparation : 15 min
réfrigération : 15 min – pas de cuisson

Ingrédients : 6 courgettes • le jus de 2 citrons jaunes


• 3 c. à soupe de basilic ciselé (ou de persil) • 50 g
de parmesan en copeaux • 3 c. à soupe de tomates
confites • 6 c. à soupe d’huile d’olive • poivre • fleur
de sel.

Réalisation
– Lavez les courgettes, passez-les à la mandoline sans
les éplucher afin de réaliser des spaghettis.
– Mélangez le basilic avec l’huile d’olive. Ajoutez le jus Le conseil de Sophie : « Pour réaliser les spaghettis, j’uti-
des citrons, du sel, du poivre et arrosez les courgettes lise un appareil spécial spaghettis ou tagliatelles de légumes, le
de cette vinaigrette acide, qui va les « cuire ». Réservez spiralizer, mais vous pouvez aussi prendre un rasoir à julienne. Il
au réfrigérateur 15 min minimum. en existe un dont la lame crantée permet d’obtenir des tranches
– Répartissez les spaghettis sur les assiettes. fines et striées : il ne reste plus qu’à les frotter entre vos doigts
– Parsemez de parmesan et de tomates confites. pour séparer les spaghettis. »

Tian de légumes
pour 6 personnes – préparation : 20 min – cuisson : 1 h

Ingrédients : 3 courgettes • 1 aubergine • 2 oignons


jaunes ou rouges • 4 tomates • 2 gousses d’ail hachées
• 6 c. à soupe d’huile d’olive + 1/2 (pour le plat) • 1 c. à
soupe d’herbes de Provence • poivre du moulin • sel.

Réalisation
– Lavez tous les légumes et ne pelez que les oignons.
Coupez le tout en rondelles assez fines.
– Mélangez l’huile avec l’ail, les herbes de Provence,
du sel et du poivre dans un bol.
– Préchauffez le four à th. 6 (180 °C).
– Disposez les légumes dans un plat à gratin huilé, en
les alternant. Arrosez les légumes avec le mélange à
base d’huile et enfournez 50 min à 1 h.

Le conseil de Sophie : « Pour un tian plus riche, ajoutez


des rondelles de pommes de terre et de mozzarella. Vous pou-
vez également étaler de la sauce tomate au fond du plat avant
de répartir les légumes dessus. »

54
PHOTOS : RINA NURRA (X 3)

Tarte crumble aux framboises et quetsches


pour 6 à 8 personnes – préparation : 20 min – cuisson : 40 min

Ingrédients : 1 pâte sablée pur Réalisation – Répartissez les quetsches et les


beurre prête à dérouler • 300 g de – Préchauffez le four à th. 6 (180 °C). framboises sur le fond de la tarte,
quetsches coupées en 2 • 125 g – Étalez la pâte sablée dans un puis versez la garniture dessus.
de framboises • 1 sachet de sucre moule à tarte de 26 cm de diamètre – Parsemez de crumble et saupou-
vanillé. Pour le crumble : 15 g de et réservez au réfrigérateur. drez de sucre vanillé.
poudre de noisettes • 65 g de farine Préparez le crumble : mélangez la – Enfournez pendant 40 min environ.
• 20 g de sucre roux • 40 g de sucre poudre de noisettes avec la farine, – Laissez la tarte refroidir sur une
en poudre • 125 g de beurre demi- le sucre roux, le sucre en poudre grille.
sel froid. Pour la garniture : 1 c. à et le beurre demi-sel préalablement
soupe de farine • 50 g de sucre coupé en morceaux, jusqu’à former
en poudre • 1 œuf entier battu une pâte à grosses miettes. Le conseil de Sophie : « Vous pou-
+ 1 jaune • 8 cl de crème liquide Préparez la garniture : mélangez la vez remplacer les fruits par ceux de votre
entière • 50 cl de lait entier ou demi- farine avec le sucre, l’œuf entier, le choix. Si vous prenez des fruits surgelés,
écrémé. jaune, la crème liquide et le lait. utilisez-les tels quels dans la recette. »

55
Allons au jardin

Semer des
annuelles, c’est
la garantie
d’un espace fleuri
de l’été à l’automne.

Transfigurez votre jardin


grâce aux annuelles
Votre jardin n’est guère fleuri ? Vite, quelques sachets
de graines et, en un mois, les premières fleurs vont le métamorphoser.

G
rimpantes, rampantes, jardiniers. Semer tient du miracle grimpantes. Faites-les tremper
tapissantes ou buisson- de la vie, lorsqu’on s’émerveille dans l’eau toute une nuit avant
nantes, elles vont s’épa- devant les jeunes plantules. de les semer pour les rendre plus
nouir jusqu’aux gelées, tendres, donc plus faciles à germer.
Comment procéder
se faufilant dans les arbustes et À ce moment de l’année, conser-
sur les grillages, bouchant les trous Avant tout, préparez parfaite- ver le sol frais est indispensable
dans les massifs de vivaces, com- ment le terrain. Semez directement pendant un mois, voire deux en
posant de belles bordures, animant en place, à la volée ou en lignes. cas de sécheresse. Puis ces
le potager ou formant un massif à Vous éclaircirez à 3 ou 4 feuilles. plantes peuvent vivre seules. Mais
elles seules. Semez les grosses graines en un arrosage hebdomadaire, le soir
Multiplier ces plantes fait par- poquets à raison de 3 par trou. jusqu’en septembre, et le matin en
tie des grands bonheurs des C’est surtout valable pour les automne, leur donnera bonne mine.

56
Ces fleurs variées Les cosmos sont faciles à vivre et se renouvellent en permanence.
composent de ravissants
bouquets multicolores.
Des semis modèles… Pincez les plants lorsqu’ils
Le cosmos, léger mesurent 20 cm pour les aider
comme un papillon à se ramifier. Pendant le premier
mois, arrosez si le temps est sec.
S’il y a une plante pour jardinier Ensuite, laissez vivre les cosmos
débutant, c’est bien le cosmos ! Il sans arrosage.
s’épanouit tout l’été, avec grâce Tuteurez les variétés les plus
et générosité. Léger, élégant, il grandes si elles ne sont pas suf-
danse à la moindre brise. Les fisamment ramifiées. Employez,
larges fleurs, blanches ou dans afin de les soutenir, quelques
tous les tons de rose, se renou- branches de noisetier rassemblées
vellent en permanence. Installez en fagots : c’est ravissant !
cette annuelle en massif, en bor- S’installant vite, cette annuelle
dures, au potager fleuri, au jardin transforme en deux mois un nou-
bouquetier… veau jardin en jardin bien établi.
Le semis est d’une facilité En bonus, elle se ressème d’elle-
déconcertante. Les variétés naines même l’année suivante… si vous
conviennent bien aux potées. n’êtes pas un(e) maniaque du dés-
PHOTOS ISTOCK (X 3)

Le cosmos aime un sol profond, herbage !


léger, même pauvre, ainsi que le À semer de la même façon : des
soleil. Il supporte parfaitement bien lavatères annuelles, des reines-
la sécheresse. marguerites, des belles-de-jour,
Éclaircissez à 25 ou 30 cm. des tournesols, des malopes…

57
Allons au jardin

Le pois de
senteur, sublime Les nigelles peuvent
en bouquets aussi être mauves, roses
odorants. ou blanches.

Le pois de senteur, à croquer de 20 à 30 cm entre les poquets. travaillés, ses teintes bleues s’as-
Si vous rêvez de parfum, de À semer de la même façon : les sortissent à toutes les autres cou-
charme et de douceur, optez pour haricots d’Espagne. leurs et son feuillage très fin n’altère
le pois de senteur. Il part à l’assaut en rien l’allure des plantes voisines.
du moindre support, s’agrippant à La nigelle, aussi jolie Elle se marie bien avec les rosiers,
l’aide de vrilles. Faites-le grimper en fleurs qu’en graines bouche les trous dans les massifs
partout, même dans les endroits Étrange, charmante, aérienne… de vivaces et convient aussi bien
oubliés. Installez-le aux pieds d’ar- Les qualificatifs ne manquent pas aux jardins sophistiqués qu’aux jar-
bustes à floraison printanière : il les lorsque l’on évoque les fleurs de dins sauvages. Mélangez-la à des
ornera en été. Faites-le déborder cette annuelle au bleu céleste. annuelles faciles à vivre : cosmos
des potées, s’enrouler autour des Parfois, elles sont blanches, de petite taille, pavot de Californie,
rambardes, partir à l’assaut des mauves ou roses. Le fin feuillage, soucis…
arbustes, s’agripper sur un mur, très attractif, et les capsules inso- À semer de la même façon : les
ramper sur le sol… lites qui contiennent les graines soucis, les bleuets, les pavots de
Il a son rôle à jouer au potager, sont des atouts supplémentaires. Californie, les coquelicots…
pour la déco bien sûr, mais aussi En tout sol ordinaire, bien drainé,
parce que ses fleurs, comestibles, même pauvre, semez en place en La capucine, belle à tout faire
peuvent décorer les salades. Et, recouvrant à peine les semences Gouttes de rosée, perles de pluie…
bien sûr, il est sublime en bou- de terreau. Après la levée, éclair- Les superbes feuilles rondes de
quets, autant pour sa joliesse que cissez tous les 20 cm. L’entretien la capucine les retiennent et s’en
pour son parfum exquis. est inexistant, car les fleurs fanées parent comme des bijoux. Puis les
Les graines des pois de senteur restent belles, puis les fruits sont tiges grimpent, s’enroulent, et se
sont très dures : trempez-les dans magnifiques. Faites des bouquets garnissent tout l’été de corolles
un bol d’eau toute une nuit avant la aussi bien avec les fleurs qu’avec vives. Comment se passer de la
plantation, pour accélérer la ger- les capsules, mais ne cueillez pas capucine grimpante ?
mination. tout, afin d’obtenir des semis spon- Avant le semis, faites tremper les
En pleine terre, semez en tanés. La nigelle de Damas fait graines une nuit dans un bol d’eau,
poquets de 3 graines, à 2,5 cm partie de ces plantes que l’on a car elles sont coriaces.
de profondeur, dans un sol bien envie d’installer un peu partout. Elle En terre bien préparée, semez
préparé, en laissant un espace pousse dans les sols peu ou pas 3 graines par poquet, à 30 cm de

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distance. Maintenez le sol bien net
tout autour puis, lorsque les plants
ont 15 cm de haut, guidez-les vers
un grillage ou tuteurez-les, en les
PHOTOS ISTOCK (X 4)

dirigeant vers le support choisi.


Vous pouvez aussi les laisser cou-
rir au sol.
Récoltez les graines au fur et à
mesure de leur maturité, afin de
constituer des réserves pour l’an- Grimpante ou naine, très ornementale,
la capucine au potager éloigne les pucerons des légumes.
née suivante.
Placez la capucine partout,
jusqu’au potager : comme elle attire La bourrache, ornementale Parmi ses grandes qualités, la
les pucerons, ces derniers laissent et potagère bourrache est mellifère, comestible
les fèves et les haricots verts tran- Cette annuelle se comporte parfois et officinale… Et si belle !
quilles. La capucine fait partie des en bisannuelle. Il n’est pas rare de À semer de la même façon : les
plantes d’ornement comestibles trouver en même temps des pieds soucis, les pavots de Californie.
les plus utilisées. Ses feuilles défleuris, des plantes épanouies et
se mangent crues, ou cuites en d’autres juste nées. Noémie VIALARD
potage ; ses fleurs décorent les En sol profond, riche et humi-
salades ; ses boutons se consom- fère, semez en place. Lorsque les Lesquelles
ment crus ou, comme les graines,
confits dans le vinaigre. La saveur
jeunes plants ont 4 ou 5 feuilles,
éclaircissez tous les 30 cm. choisir ?
est proche de celle du cresson. Aussitôt semée, la bourrache gar- Renseignez-vous sur la hau-
La capucine naine ne grimpe nit vite massifs et potagers de ses teur, le port et les couleurs des
pas, mais elle a les mêmes qualités, touffes au feuillage poilu. Laissez-la annuelles que vous souhaitez ins-
formant de jolies bordures vives. fleurir, monter en graines et se res- taller. Elles doivent s’harmoniser
À semer de la même façon : les semer. En désherbant, attention à entre elles et s’intégrer élégam-
volubilis, les haricots d’Espagne, ne pas éradiquer les bébés qui ne ment au jardin.
les cobées… manqueront pas de s’installer.

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