DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

73E ANNÉE– NO 22684

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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SUPPLÉMENT QUAND LA SPHÈRE NUMÉRIQUE SE TRANSFORME EN FUNÉRARIUM

Migrants : Macron choisit la ligne dure

▶ En campagne, il évoquait
« l’honneur de la France
▶ Outre la dissuasion poli-
cière, les dernières semaines
▶ La Place Beauvau, pour
multiplier les renvois,
▶ Six maires – dont Martine
Aubry, Alain Juppé et 1 ÉDITORIAL
à accueillir les réfugiés ». Le ont été marquées par la pu- a même mis un pied dans Roland Ries – s’alarment L’HONNEUR
chef de l’Etat semble être blication de plusieurs circu- l’hébergement d’urgence, du manque de moyens
désormais sur la même laires signant une volonté censé être géré par les affai- pour l’accueil des migrants DE LA FRANCE EN JEU
ligne que Gérard Collomb d’expulser massivement res sociales. Une première P. 6-7, GÉOPO P.14-15 ET DÉBATS – PAGE 27 PAGE 2 8

AUTRICHE : L’EXTRÊME DROITE AU GOUVERNEMENT France

Inquiétudes sur la
▶ Le conservateur
Sebastian Kurz dette des grandes
et le chef de l’extrême
droite autrichienne,
entreprises
Heinz-Christian Le Haut Conseil de stabi-
Strache, ont annoncé lité financière, qui réunit
vendredi soir être l’exécutif et les régula-
parvenus à un accord teurs financiers, demande
aux banques de limiter le
de coalition crédit aux grandes entre-
prises tricolores les plus
▶ Le FPÖ, arrivé troi- endettées. Du jamais-vu
sième aux élections CAHIER ÉCO – PAGE 1
législatives, pourrait
obtenir les ministères
de l’intérieur, de la Politique
défense, des affaires
étrangères, des trans- Le président DRH
ports et de la santé Depuis plus de six mois, Emma-
nuel Macron reçoit à l’Elysée les
PAGE 2 directeurs d’administration cen-
trale, juste avant leur nomination
en conseil des ministres. Le chef
de l’Etat les voit en tête à tête,
pour les jauger et leur donner
leur feuille de route. Une pratique
inédite sous la Ve République, qui
exclut les ministres de tutelle des
hauts fonctionnaires concernés.
Heinz-Christian Strache Au risque de fragiliser l’autorité
et Sebastian Kurz, de ces derniers et de surexposer
à Vienne, le 15 décembre. le chef de l’Etat.
RONALD ZAK /AP PHOTO PAGE 8

Transparence Justice
Le procès
Le patrimoine de Georges Tron
des ministres est renvoyé
publié PAGE 1 0

Les déclarations de Brexit

patrimoine des ministres
ont été publiées le
L’Irlande a
15 décembre. Accusé peut-être sauvé
par l’opposition d’être la face du
le « président des riches »,
Macron compte une
Royaume-Uni
Dany Boon : douzaine de millionnaires
dans son équipe
PAGE 2 7

JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI... gouvernementale

Danse
… « je n’avais pas fait rire
PAGE 9
Une fantaisie sur
le pouvoir de la
ma mère, enfant » Afrique du Sud peinture à Chaillot
BERTRAND RINDOFF / GETTY IMAGES
L’ANC clôt l’ère PAGE 2 1
chaque semaine, Le Monde in-
terroge une personnalité, avec
pour point de départ un moment
d’humoriste, Dany Boon les fait
pour « faire rire sa mère quand elle
n’allait pas bien ». Avec le succès
Jacob Zuma
décisif pour la suite de sa vie. de Bienvenue chez les Ch’tis, il dit La 54e conférence natio- Culture
L’humoriste devenu réalisateur, avoir « réparé l’irréparable ». nale du parti de Nelson Des coffrets de
qui fête à l’Olympia ses vingt-cinq « C’est l’aboutissement de [sa] rési- Mandela s’est ouverte le
ans de scène, s’est livré à l’exer- lience. » Aujourd’hui, il a décidé DVD pour le Noël
16 décembre. Il doit se
cice. Il revient sur son histoire fa-
miliale à Armentières et ses dé-
d’arrêter les one-man-show et
rêve de faire du théâtre. choisir un nouveau chef des cinéphiles
buts à Paris. Ses premiers pas PAGE S 2 2 - 2 3 PAGE 5 PAGE S 1 8 - 1 9
Algérie 220 DA, Allemagne 3,00 €, Andorre 3,00 €, Autriche 3,10 €, Belgique 2,70 €, Cameroun 2 100 F CFA, Canada 5,20 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 100 F CFA, Danemark 33 KRD, Espagne 2,90 €, Finlande 4,50 €, Gabon 2 100 F CFA, Grande-Bretagne 2,40 £, Grèce 3,00 €, Guadeloupe-Martinique 2,90 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,90 €, Italie 2,90 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,70 €, Malte 2,70 €, Maroc 17 DH, Pays-Bas 3,00 €, Portugal cont. 2,90 €, La Réunion 2,90 €, Sénégal 2 100 F CFA, Slovénie 2,90 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,90 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,10 DT, Afrique CFA autres 2 100 F CFA
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L’ E X T R Ê M E D R O I T E E N E U R O P E

En Autriche, le FPÖ de retour au pouvoir

Le parti d’extrême droite a scellé un accord de coalition avec les conservateurs dirigés par le jeune Sebastian Kurz

vienne - correspondant

U
n virage très à droite,
amorcé d’une voix de
miel. Vendredi 15 dé-
cembre, peu après
21 heures, le conservateur Sebas-
tian Kurz (Parti populaire, ÖVP) et
Heinz-Christian Strache, le chef
de l’extrême droite (Parti de la li-
berté, FPÖ), se sont présentés tout
sourire face aux journalistes.
Deux mois après les législatives,
ils ont dévoilé le résultat de leurs
négociations en vue de la forma-
tion d’un gouvernement.
Affichant leur décontraction, ils
ont annoncé sans surprise être
parvenus assez facilement à un
accord de coalition. « Nous sou-
haitons baisser les impôts et amé-
liorer la sécurité, en luttant contre
l’immigration illégale », a expli-
qué M. Kurz, qui doit devenir à
31 ans le plus jeune dirigeant au
monde. L’allié de Marine Le Pen
lui a ensuite donné du « cher Se-
bastian », louant « une estime réci-
proque » et une volonté com-
mune de faire souffler le vent du
changement sur cette « magnifi-
que patrie qu’est l’Autriche ».
Si leur style se voulait chaleu-
reux, leur programme est plutôt
radical. Tous deux souhaitent
autoriser des journées de douze
heures de travail et revenir sur
une réforme portée par la précé-
dente législature, qui visait à in-
terdire la cigarette dans les restau-
rants du pays. Le retour des notes
à l’école est aussi prévu, ainsi que
la baisse des allocations versées Le chef de file du FPÖ, Heinz-Christian Strache, et le président de l’ÖVP, Sebastian Kurz, à Vienne, le 15 décembre. RONALD ZAK/AP
aux réfugiés.
Sebastian Kurz affirme qu’il oc-
cupera la chancellerie. Heinz- De son côté, l’extrême droite, ar- et lui lance un appel à agir. Notam- l’extrême droite. Cette concession notamment lorsque Paris céda,
Christian Strache sera numéro rivée troisième aux élections, ment à cause de la personnalité de
Sebastian Kurz semble majeure, étant donné la en 2015, les locaux viennois de
deux. Concernant le reste, rien pourrait obtenir l’intérieur, la dé- deux des candidats annoncés. a exigé que vision du monde exposée par son Institut français au Qatar.
n’est encore officiellement fixé. fense, les affaires étrangères, les Le futur probable « premier flic » Heinz-Christian Strache. Ce der- Mme Kneissl s’était alors fendue
L’investiture de leur gouverne- transports et la santé. Un cadeau d’Autriche se nommerait Herbert
les prérogatives nier veut en effet emboîter le pas d’une tribune au vitriol dans la
ment par le président de la Répu- bien trop beau, selon le journa- Kickl. C’est l’ancienne plume du concernant au président américain Donald presse autrichienne. En cas de no-
blique, Alexander Van der Bellen, liste d’investigation Florian sulfureux tribun Jörg Haider et Trump dans la reconnaissance de mination, Paris n’aurait toutefois
doit avoir lieu lundi, après la rati- Klenk, qui s’inquiète de voir pour l’éminence grise du parti. Il était
l’Union Jérusalem comme capitale d’Is- que peu à faire à elle : Sebastian
fication du pacte de coalition par la première fois « les militaires, les secrétaire général du FPÖ en 2010, européenne raël. Et, à la mi-novembre, des Kurz a exigé que les prérogatives
l’ÖVP et le FPÖ, samedi. Mais la ré- services secrets et les policiers sou- quand ce dernier avait sorti l’un élus du FPÖ étaient encore en Cri- concernant l’Union européenne
partition des postes et une liste mis à la régence du FPÖ ». de ses slogans les plus polémi-
lui reviennent mée sur invitation de la Russie, (UE) lui reviennent à lui. L’Autri-
des ministres ont fuité dans la ques : « Plus de courage pour notre alors que l’annexion de cette pé- che présidera l’UE au second se-
presse, notamment dans le quoti- Rassurer les Européens sang viennois ! Trop d’étrangers ninsule ukrainienne par Moscou mestre 2018 et les conservateurs
dien Der Standard. A la tête de l’hebdomadaire Falter, n’est jamais bon. » Tout un pro- l’accuse de cultiver des liens avec n’est pas reconnue par Bruxelles. souhaitent rester les uniques in-
Selon ces documents, les con- il appelle ouvertement Alexander gramme, pour celui qui pourrait les milieux identitaires. Face à lui, Pour tenter de rassurer les Euro- terlocuteurs des Vingt-Sept.
servateurs devraient s’occuper Van der Bellen à user des droits désormais incarner la nouvelle la perspective de voir l’ancien péens, l’extrême droite promet
des finances, qui permettent de que lui confère la Constitution politique de l’Autriche concernant candidat FPÖ à la présidentielle d’offrir la diplomatie autri- Le président sous pression
contrôler de facto tous les minis- pour empêcher le FPÖ d’avoir ac- les questions de l’asile et de l’im- de 2016, Norbert Hofer, hériter chienne à une non-encartée, Ka- Séparer ainsi les choses pourrait
tères. Les portefeuilles de l’éduca- cès aux postes incarnant l’auto- migration. des transports apparaît comme rin Kneissl. Cette experte du quand même se révéler acrobati-
tion, de la culture, de la famille, de rité. Die Grünen, le parti écologiste Le choix du soldat Mario Kuna- un non-sujet. Moyen-Orient se trouve être une que. Selon Der Standard,
l’agriculture, de l’environnement dont est issu le président, dit aussi sek pour prendre la tête des ar- L’autre surprise de taille, c’est le diplômée de l’ENA. Elle connaît Mme Kneissl, qui a par ailleurs
et de la justice leur reviendraient craindre la mise en place d’un mées donne également quelques passage du portefeuille des affai- donc bien la France et s’est mon- tenu des propos publics très durs
aussi. « Etat de surveillance généralisée » sueurs froides à l’opposition, qui res étrangères entre les mains de trée parfois critique à son égard, envers le président de la Commis-
sion européenne, Jean-Claude
Juncker, conserverait la capacité
La Commission prête à agir contre la Pologne pour défendre l’Etat de droit de nommer le représentant offi-
ciel de l’Autriche à Bruxelles.
La balle est désormais dans le
la pression est montée brutalement de remettre en cause l’indépendance vernement disposait encore de quelques quièmes des pays membres est en effet camp d’Alexander Van der Bellen.
à l’égard du gouvernement polonais des juges. Le gouvernement, contrôlé jours pour renoncer à ses lois », selon un nécessaire, soit 22 capitales, pour que les Il pourrait décider, comme l’un de
lors du conseil européen des 14 et 15 dé- par le parti PiS ultraconservateur, a fait diplomate bruxellois. Emmanuel Ma- recommandations de la Commission ses prédécesseurs, de jouer les
cembre. Selon nos informations, la adopter début décembre la refonte à la cron l’aurait aussi mis en garde ven- soient adoptées. trouble-fête. En 2000, le président
Commission se dit désormais prête à fois du Conseil national de la magistra- dredi, lors d’un premier tête-à-tête. Le compte y sera-t-il le moment venu, de l’époque avait refusé de nom-
déclencher la première phase de l’arti- ture, chargé de la nomination et de la Le président français a en tout cas réi- si Varsovie maintient ses textes ? Difficile mer deux candidats du FPÖ qui
cle 7 des traités, recommandant aux déontologie des juges, et de la Cour su- téré son soutien à la Commission. Si elle à dire : la Hongrie du premier ministre avaient tenu des propos ouverte-
Vingt-Huit de constater un risque prême. Pour l’opposition polonaise, il « juge qu’elle doit déclencher la procé- Viktor Orban a déjà assuré qu’elle n’irait ment xénophobes. Il s’appelait
« clair » de violation « grave » de l’Etat s’agit d’une politisation alarmante du dure [article 7.1], alors nous soutiendrons pas jusqu’à l’étape ultime de la procédure Thomas Klestil. Et surtout il était
de droit dans un pays membre. système judiciaire. la Commission, a-t-il souligné, lors « article 7 », la privation des droits de conservateur. De quoi mettre un
Les commissaires européens devraient d’une conférence de presse commune vote, rendant cette sanction fort impro- peu de pression sur ce président
aborder cette épineuse question lors de « Laisser une chance aux discussions » avec Mme Merkel. Je souhaite pour ma bable, puisqu’elle nécessite l’unanimité à écologiste estampillé « de gau-
leur prochaine réunion, mercredi 20 dé- Ces deux lois avaient fait l’objet d’un part que la Pologne puisse faire les ef- Bruxelles pour être activée. che », élu en décembre 2016 au se-
cembre. La procédure pourrait être lan- veto du président Andrzej Duda, lui- forts nécessaires pour lever les ambiguï- Le premier ministre Morawiecki s’est cond tour face à l’extrême droite,
cée dans la foulée. Elle n’a encore jamais même membre du parti PiS au pouvoir, tés qui persistent et rassurer les Etats montré presque fataliste à Bruxelles, re- après le Brexit et l’arrivée de Do-
été utilisée contre un Etat membre mais en juillet. Mais les tractations avec la membres et la Commission. J’ai plutôt connaissant devant les journalistes que nald Trump au pouvoir, par une
peut aller jusqu’à sa mise au ban, par une majorité du PiS au Parlement polonais l’impression que c’est l’intention du nou- la Commission « activera probable- large majorité d’Autrichiens qui
privation de ses droits de vote au Conseil n’ont abouti qu’à des modifications à la veau premier ministre. Il faut laisser une ment » mercredi 20 décembre l’article 7. voulaient faire barrage à M. Hofer.
européen. Ce dispositif avait été imaginé marge de ces textes. Or, dès cet été, la chance à ces discussions et à ces aména- « Mais, entre le début d’une telle procé- Pour lundi, six demandes d’auto-
après le bras de fer survenu entre Commission s’était engagée sans ambi- gements dans les prochains jours ». dure injuste à notre égard et sa conclu- risation à manifester ont aussi été
l’Union européenne et l’Autriche, lors- guïtés à agir. La chancelière Merkel s’est aussi affi- sion, nous parlerons certainement à plu- déposées. Le chancelier social-dé-
que l’extrême droite était entrée au gou- C’est le message que Jean-Claude Junc- chée derrière la Commission, vendredi. sieurs reprises avec nos partenaires », a- mocrate sortant, Christian Kern,
vernement à Vienne, en 2000. ker, le président de la Commission, a Mais il faudra davantage que Paris et t-il ajouté. A ce stade, une quinzaine de qui va rejoindre les bancs de l’op-
La Commission, qui a tenté en vain transmis au tout nouveau premier mi- Berlin pour que la procédure de l’arti- capitales seraient prêtes à soutenir le position, estime qu’on « peut com-
d’établir un dialogue avec Varsovie, nistre polonais, Mateusz Morawiecki, cle 7, même son premier volet, ait une lancement de la procédure. p prendre » ceux qui veulent descen-
s’alarme des lois récemment adoptées qu’il a rencontré jeudi à Bruxelles. chance de suivre son cours au Conseil cécile ducourtieux dre dans la rue. p
en Pologne ayant pour effet, selon elle, « M. Juncker devait lui dire que son gou- européen. Une majorité des quatre cin- (bruxelles, bureau européen) blaise gauquelin
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Marine Le Pen de plus en plus isolée en Europe

La coopération se distend entre la dirigeante frontiste et les extrêmes droites autrichienne et allemande

vienne - correspondant En choisissant de se réunir à Pra-

gue, les dirigeants du MENL es-
rassemblement du parti à Vienne,
en 2016, et assumait de s’afficher
Certains après les législatives allemandes,
en même temps que sa compa- LE CONTEXTE

A
lors que le Front natio-
nal (FN) traverse une
crise d’identité, Ma-
rine Le Pen a décidé de
se relancer par l’Europe. Ce sujet
même qui a valu tant de divisions
internes au parti d’extrême
droite et l’a handicapé lors du
scrutin présidentiel, avec la pro-
messe mal ficelée d’un « Frexit »
et d’une sortie de l’euro qui ont
entamé la crédibilité de sa prési-
dente. C’est donc avec les élec-
tions européennes de 2019 en li-
gne de mire que la députée du
Pas-de-Calais devait participer à
Prague, samedi 16 décembre, au
congrès du Mouvement pour
l’Europe des nations et des liber-
tés (MENL), le parti qui réunit le
FN et ses partenaires européens.
« Mon objectif, notre objectif,
c’est de gagner l’Europe, a assuré la
frontiste, mercredi, au journal de
20 heures de TF1. C’est-à-dire
d’être majoritaires en Europe pour
pouvoir imposer cette union des
nations européennes qui se substi-
tuera à cette épouvantable Union
européenne [UE]. » Censé enclen-
cher une dynamique, ce rendez-
vous va aussi souligner les diffi-
cultés qu’éprouve le FN à conser-
ver ses alliances.
sayent de se raccrocher à un parti
en pleine croissance, en l’occur-
rence le SPD tchèque de Tomio
Okamura, nouvelle étoile mon-
tante de l’extrême droite en Eu-
rope. Cet entrepreneur tchéco-ja-
ponais, qui veut « interdire l’is-
lam » et faire sortir son pays de
l’UE, a réussi à placer sa formation,
créée en 2015, en quatrième posi-
tion des législatives en octobre,
remportant 10,6 % des suffrages.
A Prague, il assure désormais une
vice-présidence au Parlement et
se présente comme un ami
d’Heinz-Christian Strache, patron
du FPÖ en Autriche – l’autre pilier,
avec Marine Le Pen et le FN, de ces
partis qui coopèrent sur le Vieux
Continent tout en développant
leurs discours nationalistes.
« Altereuropéenne »
Las, cette alliance, où figurent
également le PVV néerlandais de
Geert Wilders ou le Vlaams Be-
lang belge – deux partis présents
à Prague, même si le PVV n’est pas
un membre formel du MENL –, a
pris un sérieux coup dans l’aile.
M. Strache est en effet le grand ab-
sent du rendez-vous tchèque,
après avoir été un élément mo-
teur du MENL : il avait accueilli un
en conférence de presse aux côtés
de Mme Le Pen, qui se trouvait
alors en pleine dynamique.
Mais les élections autrichiennes
ont eu lieu entre-temps, en octo-
bre. Le FPÖ est arrivé en troisième
position et va former une coali-
tion avec le vainqueur conserva-
teur. « Strache s’apprête à devenir
vice-chancelier et souhaite prendre
ses distances avec Marine Le Pen,
très controversée en Autriche, af-
firme une source membre du
parti démocrate-chrétien ÖVP, ce-
lui du futur chancelier Sebastian
Kurz. Il réfléchit à quitter le groupe
MENL avant que l’Autriche n’assure
la présidence tournante de l’UE au
second semestre 2018, parce que
cela serait trop lourd à porter politi-
quement. Mais il ne veut pas don-
ner l’impression de le faire sous la
pression », veut croire cette source.
« Mon gouvernement se devra
de rester proeuropéen », avait pré-
venu Sebastian Kurz dans un en-
tretien au Monde, le 9 novembre.
Difficile, dans ces conditions de
s’afficher avec une Marine Le Pen
qui assumait le surnom de « Miss
Frexit » à l’international. Même
si cette dernière essaie de con-
vaincre aujourd’hui qu’elle est
« altereuropéenne » et non pas
frontistes
ne veulent pas
couper le lien
avec l’influente
AfD allemande
« antieuropéenne ». Selon le
MENL, le FPÖ devrait être discrè-
tement représenté par l’eurodé-
puté Georg Mayer. Un nom qui
ne figure même pas dans le com-
muniqué transmis par le FN, pas
plus que celui du FPÖ…
« Nous sommes en attente »
Dans ce paysage, un autre parte-
naire de poids manque à l’appel :
l’AfD (Alternative für Deuts-
chland). Le parti d’extrême droite
allemand, qui a fait une entrée
fracassante au Bundestag, en sep-
tembre, avec l’élection de 93 dé-
putés, avait mis en scène son rap-
prochement avec le FN en début
d’année, sans pour autant adhé-
rer au MENL. Mais le parti s’est en-
tre-temps déchiré. L’eurodéputé
Marcus Pretzell, qui avait rejoint
le groupe où siègent les élus du
Front national au Parlement
européen, a quitté l’AfD juste
gne Frauke Petry, l’ex-coprési-
dente de la formation nationa-
liste. Ils accusent tous deux l’AfD
de dérive radicale.
M. Pretzell sera donc le seul re-
présentant de l’extrême droite al-
lemande présent à Prague. « Il re-
présente une des neuf nationalités
du groupe, il avait la priorité par
rapport à l’AfD. Nous n’allions pas
créer un incident avec le groupe »,
avoue Edouard Ferrand, chef de la
délégation FN au Parlement euro-
péen, pour expliquer l’absence de
l’AfD à Prague. Dans un tweet, Ma-
rine Le Pen avait pour sa part af-
firmé, en septembre : « Sans m’im-
miscer dans les débats internes qui
secouent l’AfD, ma confiance va
évidemment à Frauke Petry. »
Mais certains frontistes n’enten-
dent pas couper le lien avec l’AfD,
de plus en plus influente. « On
garde le contact avec eux. Il y a dif-
férentes sensibilités à l’intérieur de
l’AfD, c’est assez complexe, nous
sommes un peu en attente. En tout
cas, on ne s’interdit rien pour l’ave-
nir », assure un eurodéputé fron-
tiste. Pas certain que le parti de
Marine Le Pen soit en position de
force dans cette histoire. p
blaise gauquelin
et olivier faye (à paris)
MENL
Le Mouvement pour une Europe
des nations et des libertés est un
parti politique qui réunit formel-
lement le Front national et qua-
tre de ses partenaires euro-
péens : le FPÖ (Autriche), le
Vlaams Belang (Belgique), la Li-
gue du Nord (Italie) et le SPD
(République tchèque). Sa com-
position est plus restreinte que
celle de leur groupe au Parle-
ment européen, qui se nomme
Europe des nations et des liber-
tés et où l’on retrouve, en sus
des nationalités précédemment
citées, des élus issus du PVV
néerlandais de Geert Wilders, du
Parti bleu allemand de Frauke
Petry (mouvement issu d’une
scission de l’AfD), ainsi que deux
élus polonais, une britannique
et un roumain.

De Tokyo à Prague, le profil détonnant

du patron de l’extrême droite tchèque
L’homme d’affaires tchéco-japonais Tomio Okamura veut faire
Un bouleversant portrait de femme. L’OBS
interdire l’islam et s’inspire des saillies de Donald Trump
Une belle rencontre
prague - envoyé spécial Le programme de connaissance de Jérusalem
comme étant la capitale d’Israël et en plein désert argentin.
O n peut avoir subi des bri- Tomio Okamura inciter les décideurs à la pru- TÉLÉRAMA

Un petit joyau. Un petit bijou.

mades dès la cour d’école
à cause de ses yeux bri-
dés et exiger la « tolérance zéro »
pour « l’islam et les migrations illé-
gales ». On peut avoir connu le
succès grâce à l’importation de
produits asiatiques et fustiger la
« subordination au lobby multicul-
turel bruxellois ». On peut s’appe-
ler Tomio Okamura, avoir fondé le
parti d’extrême droite SPD (« Li-
berté et démocratie directe »)
en 2015 et vouloir « défendre
l’identité de la civilisation euro-
péenne » ainsi que les « valeurs an-
ciennes, juives et chrétiennes ».
Pour voir un homme politique
né en 1972 d’une mère morave et
d’un père japonais enthousias-
mer les foules en reprenant à son
compte la dialectique propre à la
démocratie illibérale, introduite
au sein de l’Union européenne
par le Hongrois Viktor Orban, il
fallait être à Prague, le 9 décem-
bre. Il fallait assister au discours
de la nouvelle étoile montante de
l’extrême droite européenne.
Tomio Okamura s’exprimait au
congrès annuel de son parti,
après avoir créé la surprise aux lé-
gislatives des 20 et 21 octobre, en
se plaçant en quatrième position,
avec 10,6 % des voix. Et ce alors
que le paysage politique de ce
pays d’Europe centrale est déjà sa-
turé de figures populistes.
Depuis, celui qui incite les Tchè-
ques à aller se balader avec des co-
chons près des mosquées a été élu
vice-président du Parlement,
sans avoir vraiment renié ses dé-
clarations passées, comparant
par exemple l’islam au nazisme. Il
souhaite même carrément inter-
dire cette religion – une « idéolo-
gie » plus qu’une croyance selon
lui –, ce qui est « très inquiétant
est présenté
comme une lutte
du « bien contre
le mal »
dans un Etat démocratique », se-
lon le blogueur d’origine tuni-
sienne Hatem Berrezouga.
« On devrait lui prêter bien plus
d’attention qu’on ne le fait actuelle-
ment, car son succès repose sur la
rhétorique la plus extrême qu’on ait
jamais entendue en République
tchèque, prévient la chercheuse en
histoire contemporaine Veronika
Pehe. Une autre figure, Miroslav
Sladek, était très populaire avec ses
propos antiroms dans les années
1990. Okamura est le premier ex-
trémiste à devenir un acteur aussi
important au Parlement. Il est
ouvertement raciste et xénophobe.
Paradoxalement, le fait qu’il soit
d’origine japonaise lui offre une lé-
gitimité aux yeux de certains élec-
teurs. Il peut leur dire : moi, je suis
assimilé, alors que les Roms ou les
musulmans venus du Moyen-
Orient ne veulent pas s’intégrer. »
« Storytelling »
Sortie de l’Union européenne, dé-
nonciation des médias, des « pa-
rasites » et des politiciens corrom-
pus, instauration de la démocra-
tie directe, réduction des impôts,
suppression du financement des
« ONG politiques », limitation
dans le temps du « mandat des ju-
ges » : le programme de cet allié de
Marine Le Pen est présenté
comme une lutte du « bien contre
le mal », qui devrait selon lui
pousser les Européens à emboîter
le pas à Donald Trump dans la re-
dence, lorsqu’ils critiquent la Rus-
sie de Vladimir Poutine.
Voilà pour les idées. Elles sont
servies par un « storytelling » que
POSITIF
Tomio Okamura sait dérouler à PARIS MATCH
merveille sur les réseaux sociaux
et dans les médias. Il raconte vo-
lontiers son enfance brisée. Les
placements en institution, après
la séparation de ses parents, l’ex-
périence des discriminations vé-
cues sous les communistes, les
allers-retours entre l’archipel
nippon et la campagne tchèque
avec, des deux côtés, ce senti-
ment de ne jamais appartenir
vraiment à un monde plutôt qu’à — LA NOVIA DEL DESIERTO —
un autre.
A Tokyo, il vendra du pop-corn
dans un cinéma, deviendra en-
suite éboueur avant de rebondir
en montant une agence de voyage
vantant la magie du pont Charles,
monument praguois, aux Japo-
nais férus des histoires du Golem,
la créature d’argile imaginaire. Là
encore, c’est un parcours de self-
made-man qui ressemble à celui
d’autres personnalités politiques
populaires, dans les démocraties
ayant rejoint l’UE en 2004.
Mais le virage idéologique de
M. Okamura est singulier par sa
soudaineté. Il avait déjà décroché
un siège de parlementaire en 2013.
Il faisait de la télé-réalité, écrivait
des best-sellers et siégeait dans le
jury d’un concours visant à cou-
ronner la plus belle des « expats »
de Prague. Il postait sur Facebook
des photos de ses visites enthou-
siastes à Londres, la capitale la plus
multiconfessionnelle d’Europe. UN FILM DE CECILIA ATÁN & VALERIA PIVATO
C’était avant la crise des migrants.
Avant que toute l’Europe centrale
refuse en un seul bloc d’accueillir
les damnés de la guerre. p
ACTUELLEMENT
bl. g.
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DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Chili : la gauche radicale,

arbitre du second tour
En Libye, la réconciliation
de la présidentielle espérée par l’ONU marque le pas
La candidate du Frente Amplio est arrivée Mal appliqué, le plan de paix signé en 2015 est difficile à amender
troisième avec 20 % des voix au premier tour
tunis - correspondant nation islamiste régnant à partir dispose que d’un pouvoir consul-
buenos aires - correspondante blics pour les universités, aux cô- de Tripoli sur la Libye de l’Ouest.
La crise de tatif aux termes de l’accord de

J
tés de Camila Vallejo, membre du e vais jusqu’aux poètes. » L’homme qui était censé récon- confiance est telle Skhirat, de partager le pouvoir lé-

F ait inédit au Chili, c’est une

coalition de gauche radi-
cale, le Frente Amplio
(« front large »), qui sera l’arbitre
du second tour, très serré, de la
Parti communiste. Ils tiennent à
garder leurs distances vis-à-vis
de M. Guillier.
« Sa campagne pour le second
tour a démontré que nous n’avons
Ghassan Salamé sourit en ra-
contant qu’il a dîné « aux
chandelles » en début de se-
maine à Tripoli, avec une
quarantaine de poètes, lors d’une
cilier tout le monde, Faïez Sarraj,
un inconnu choisi par les parrains
internationaux de l’accord de
Skhirat, n’a que très partiellement
réussi dans sa mission. Depuis
que les hommes
politiques libyens
surinvestissent
gislatif à égalité avec la Chambre
des représentants. Résultat : ce
Conseil d’Etat bloque la révision
souhaitée par M. Salamé. Et, si-
multanément, les responsables
présidentielle, dimanche 17 dé- rien à espérer », a affirmé Ga- soirée sans électricité, le lot quoti- avril 2016, son autorité ne s’exerce dans le provisoire politiques libyens ne s’intéressent
cembre. Le scrutin oppose briel Boric. « Certains soutien- dien de la vie des Libyens. « Mais je que péniblement sur la Tripoli- qu’à concocter des « tickets » pour
l’homme d’affaires Sebastian nent qu’une victoire de la droite vois aussi les femmes, les groupes taine, tandis que la Cyrénaïque du pourvoir les trois postes du Con-
Piñera, président de 2010 à 2014 ne serait pas grave car elle facilite- armés, les autorités locales », maréchal Khalifa Haftar, chef en ti- mission onusienne est que la Li- seil présidentiel réaménagé, alors
et candidat de la coalition de cen- rait la consolidation du Frente nuance aussitôt le chef de la mis- tre de l’Armée nationale libyenne, bye doit en finir avec les phases même que cette instance pourrait
tre-droit, et le sénateur Alejandro Amplio comme meilleure alterna- sion des Nations unies pour la Li- lui conteste toute légitimité. de transition interminables et n’avoir que quelques mois d’exis-
Guillier, représentant de l’al- tive politique », a-t-il précisé, bye, dont la nomination avait été Or les amis de Khalifa Haftar qu’elle doit enfin entrer dans une tence. « Il ne faut pas dépenser trop
liance de centre-gauche. ajoutant : « Je crois que cette ana- approuvée fin juin par Conseil de n’ont cessé, ces derniers mois, d’af- solution « permanente et défini- d’énergie à amender un accord de
La candidate de gauche, Beatriz lyse se fonde sur une profonde er- sécurité. L’arrivée de ce Libanais, firmer que l’accord de Skhirat de- tive ». A cette fin, affirme-t-il, il Skhirat qui ne va de toute manière
Sanchez, avait créé la surprise en reur, car elle ne tient pas compte ex-ministre de la culture, aux com- venait – selon leur propre lecture faut adopter une nouvelle Cons- gouverner la Libye que pour quel-
arrivant en troisième position, des conditions matérielles de vie mandes d’une mission onusienne juridique – caduc le 17 décembre et titution, tenir des élections (lé- ques mois encore », déplore M. Sa-
au premier tour, le 11 novembre, de milliers de Chiliens qui se ver- qui avait jusqu’à présent échoué à qu’une offensive militaire d’enver- gislatives et présidentielle) et lamé. Amère leçon de l’épisode : la
avec plus de 20 % des suffrages, raient sérieusement affectées stabiliser la Libye post-Kadhafi, gure sur Tripoli devait s’imposer construire la réconciliation. Et en crise de confiance dans l’avenir est
soit le double que prévoyaient les dans leur dignité. » avait soulevé beaucoup d’espoirs. pour combler le vide. Ghassan Sa- attendant, afin de soulager les telle que les hommes politiques li-
sondages, et talonnant de près Sa méthode, en rupture avec celles lamé, épaulé par les diplomaties difficultés quotidiennes de la po- byens surinvestissent dans le pro-
M. Guillier (22,7 %). Mme Sanchez, Nouveau bloc parlementaire de ses prédécesseurs, l’Espagnol occidentales, a intensifié les dé- pulation, il lui a semblé utile de visoire, partant du principe que
que ses partisans appellent « La Le député Jackson a également Bernardino Leon ou l’Allemand marches pour mettre en garde le former un nouveau gouverne- celui-ci risque de devenir définitif.
Béa », a annoncé qu’elle voterait soutenu « qu’il fallait voter, di- Martin Kobler, une approche maréchal Haftar contre toute ten- ment « fonctionnel » et plus « per- Du coup, face au blocage, un cer-
pour M. Guillier. « Un triomphe manche, pour empêcher que le moins soucieuse des états-majors tation d’aventurisme militaire. formant » que l’actuel exécutif à tain nombre d’Etats, initialement
de Piñera ne serait pas seulement Chili soit gouverné par Piñera et et plus en contact avec la popula- Tripoli, critiqué de toutes parts. bien disposés à l’égard de la dé-
un retour en arrière, mais un ris- José Antonio Kast ». M. Kast, can- tion, où sa maîtrise de la langue Interminables transitions C’est là que la difficulté a surgi. marche de M. Salamé, se deman-
que pour le Chili », a-t-elle déclaré. didat d’extrême droite, qui se re- arabe lève bien des préventions, Il semble que les efforts aient L’affaire semblait purement tech- dent s’il n’est pas préférable de
Nouvelle venue en politique, vendique de la dictature du géné- avait certes vaguement irrité dans porté leurs fruits. « Haftar tient à nique, mais elle a pris un tour poli- s’en tenir au statu quo plutôt que
cette ancienne journaliste, ren- ral Augusto Pinochet (1973- quelques chancelleries, mais il a la légitimité internationale qu’il tique. « Il y a un investissement de vouloir restructurer un exécu-
due célèbre par ses interviews in- 1990), avait été l’autre grande bénéficié au départ d’un incontes- s’est taillée depuis un an », com- émotionnel sur quelque chose tif au motif de le rendre « plus per-
cisives, entretient des relations surprise du premier tour, obte- table état de grâce. Six mois après, mente un diplomate occidental auquel je n’accordais finalement formant ». Selon des sources di-
amicales avec M. Guillier, lui nant 7,8 % des suffrages. Il a ap- la dynamique s’est quelque peu es- en poste à Tunis. Depuis qu’il a pas beaucoup d’importance », dé- plomatiques à Tunis, cette posi-
aussi ex-journaliste, présenta- pelé à voter pour M. Piñera, qui soufflée, même s’il conserve un conquis, à l’automne 2016, le clare Ghassan Salamé au Monde. tion serait celle de l’Italie, des
teur vedette de la télévision, n’a réuni que 36,6 % des voix au optimisme inaltérable. Croissant pétrolier, la principale Car cette restructuration de l’exé- Etats-Unis ou de l’Egypte. Ces
qu’elle a souvent croisé sur les premier tour, bien au-dessous du Ghassan Salamé a dépensé pas plate-forme d’exportation du brut cutif, qui doit notamment prendre Etats opteraient pour maintenir
plateaux. score prédit dans les sondages. mal d’énergie, ces dernières se- libyen, celui qui fut un paria diplo- la forme d’une diminution de la en fonction l’actuel chef du Con-
Quatre jours seulement avant Le Frente Amplio a précisé qu’il maines, à tenter de désamorcer matique snobé par les Européens taille du Conseil présidentiel (de seil présidentiel, Faïez Sarraj, dont
le second tour, les deux princi- serait toutefois dans l’opposi- une échéance qui s’annonçait sen- et Américains a redoré son bla- neuf à trois membres) et d’une sé- le bilan est pourtant très contro-
paux piliers de la coalition de tion, quel que soit le président sible, voire explosive : la date du son. Et il tient apparemment à paration de ce dernier d’avec le versé. « Il s’agirait d’un rafistolage
gauche, les députés Gabriel Boric élu pour un mandat de quatre 17 décembre. Il y a deux ans était si- cette reconnaissance extérieure. gouvernement, requiert l’amen- plutôt que d’un vrai changement »,
et Giorgio Jackson, ont mis fin au ans (2018-2022). La gauche de la gné à Skhirat (Maroc) un accord Si l’échéance, potentiellement dement de l’accord de Skhirat de regrette un observateur interna-
suspens en annonçant qu’ils vo- gauche dispose désormais d’un politique censé mettre fin à la explosive, du 17 décembre, sem- 2015. Et le mécanisme de révision, tional à Tunis. Cette option impli-
teraient également pour M. siège de sénateur et de 20 dépu- guerre civile qui avait éclaté l’été ble avoir été désamorcée – sous qui implique la mobilisation de que nécessairement, selon une
Guillier « afin d’empêcher un re- tés, formant un nouveau bloc 2014 et qui avait déchiré le pays en réserve d’un coup de théâtre de deux instances – la Chambre des autre source, un « pacte de non-
tour de Piñera ». Cet appui, donné parlementaire qui a réussi à s’im- deux gouvernements et Parle- dernière minute –, il reste toute- représentants siégeant à Tobrouk agression mutuelle entre Sarraj et
« à titre personnel » à M. Guillier, poser face aux deux alliances po- ments rivaux : un bloc « antiterro- fois encore à Ghassan Salamé (Est) et le Conseil d’Etat établi à Tri- Haftar ». Bref, un « ticket » qui ris-
ce qui laisse à leurs partisans la li- litiques traditionnelles qui ont riste » en Cyrénaïque, proche des beaucoup à accomplir pour faire poli –, a révélé les frustrations. que d’attiser les ressentiments de
berté de choisir, témoigne des di- gouverné le Chili depuis le retour thèses égyptiennes, opposé à une accepter aux Libyens son « plan Le principal écueil est la revendi- bien d’autres acteurs. p
visions au sein de la coalition hé- de la démocratie en 1990. coalition « révolutionnaire » à incli- d’action ». La thèse du chef de la cation du Conseil d’Etat, qui ne frédéric bobin
téroclite de gauche, qui regroupe Cette nouvelle force, issue de la
14 mouvements et partis. révolte étudiante et des manifes-
Tous deux trentenaires, Gior- tations massives, et plus récen-
gio Jackson et Gabriel Boric ont tes, organisées par les retraités
été les leaders charismatiques de
la révolte en 2011 des étudiants
exigeant des financements pu-
pour défendre leurs droits, n’est
apparue qu’en janvier. « Nous
avons changé la carte politique
En Russie, huit ans de camp pour un ancien ministre
du Chili », se félicite Mme Sanchez.
Passionnée de flamenco, les che-
M. Oulioukaïev, accusé d’avoir reçu un pot-de-vin du pétrolier Rosneft, dénonce un coup monté
veux courts à la garçonne, jo-
Le Frente Amplio viale, elle dispose d’un capital de
a précisé qu’il votes lui permettant de défendre moscou - correspondante C’est un « verdict terrible » qui re- née-là, M. Oulioukaïev est inter- tersbourg, dans les années 1990.
son propre programme. Notam- pose sur « une enquête bâclée », a pellé par le FSB, les services de sé- Par la suite, ce fidèle suivra son
serait dans
l’opposition, quel
que soit le futur
président élu
ment une réforme de la Consti-
tution, héritée de Pinochet, à
l’origine des profondes inégali-
tés, mais aussi la dépénalisation
totale de l’avortement et le droit
C oupable. L’ancien ministre
de l’économie Alexeï
Oulioukaïev, 61 ans, a été
condamné vendredi 15 décembre,
par un tribunal de Moscou, à huit
protesté Alexeï Koudrine, ex-mi-
nistre des finances et vice-prési-
dent du Conseil économique
auprès du chef du Kremlin, à l’an-
nonce de la condamnation de son
curité russes, sortant du siège de
Rosneft avec, dans une main, un
sac de 22 kg contenant 2 millions
de dollars, et dans l’autre, un pa-
nier rempli de saucisson. « Je pen-
mentor à Moscou, où il fera son
entrée dans l’administration pré-
sidentielle. Rosneft, dont il finira
par prendre les rênes en 2012, s’est
en partie développé sur les ruines
au mariage pour les personnes années de colonie pénitentiaire à ancien collègue, en fonction de sais que dans le sac, il y avait du de Ioukos, l’entreprise de Mikhaïl
pour un mandat du même sexe. p régime sévère et à 130 millions de 2013 à 2016. « Hélas, beaucoup sont vin que m’avait promis Setchine et Khodorkovski. Aujourd’hui dans
de quatre ans christine legrand roubles d’amende (1,8 million aujourd’hui confrontés à une telle que je n’avais jamais goûté », dira- l’opposition, en exil, l’ex-oligarque
d’euros) pour corruption, deve- injustice », a ajouté le chef de file t-il pour sa défense. Selon le pa- a lui-même passé dix ans en pri-
nant ainsi le responsable politique des économistes libéraux. tron de Rosneft, le ministre aurait son à régime sévère. « Vous êtes
russe le plus haut placé envoyé en « Le glas peut résonner pour cha- tenté de lui extorquer cet argent. étonnés ? », a-t-il réagi, vendredi,
prison depuis l’ère stalinienne. cun d’entre vous », avait déclaré A l’époque, les deux hommes di- sur son compte Twitter.
Tous ses biens, voiture et domicile M. Oulioukaïev en s’adressant au vergent sur le programme des
compris, ont été saisis. Accusé public, d’un ton lugubre, lors privatisations. « Pardonnez-moi »
d’avoir perçu un pot-de-vin de d’une dernière audience de ce pro- Il y a d’abord celle de Bachneft, Trente témoins se sont succédé
2 millions de dollars (1,7 million cès. Dans cette affaire, « le metteur une compagnie pétrolière sur la- au procès d’Oulioukaïev. Mais
d’euros) alors qu’il était en fonc- en scène est connu », ajoutait-il, dé- quelle Rosneft, inscrite sur les lis- aucune preuve du chantage
tion, l’ancien membre du gouver- nonçant une « provocation mons- tes des sanctions américaines et qu’aurait exercé le prévenu n’a été
nement russe dénonce un « ver- trueuse et cruelle ». L’ex-ministre, européennes, lorgne, mais que réellement présentée au tribunal
dict injuste » et un coup monté par qui fut longtemps l’interlocuteur M. Oulioukaïev juge inadaptée de Basmany. Les écoutes de son
un proche de Vladimir Poutine. d’Emmanuel Macron lorsque ce- pour une telle opération : « Les téléphone ont été produites, dans
L’ombre d’Igor Setchine, patron lui-ci était à Bercy et l’avait rencon- sociétés publiques ne devraient lesquelles il est clairement apparu
de la deuxième compagnie pétro- tré à Moscou en janvier 2016, est pas participer aux privatisa- que c’est M. Setchine qui l’a ap-
Le grand entretien lière publique russe, Rosneft, a
plané sur ce procès hors normes,
apparu au fil des mois de plus en
plus amaigri.
tions », estime-t-il.
En fin de compte, Bachneft sera
pelé, et non l’inverse.
Lors d’une ultime audience, le
sur l’actualité du monde commencé le 8 août. A l’origine Les faits remontent à l’automne bel et bien absorbée par le géant 7 décembre, M. Oulioukaïev a ex-
des accusations portées contre 2016. Le 15 novembre, cette an- pétrolier public, dont une partie primé des regrets. Non sur sa cul-
Ce dimanche à 12h10 M. Oulioukaïev, le puissant chef des actions, 19,5 % du capital, est pabilité, qu’il n’a jamais recon-
d’entreprise n’a pourtant répondu elle-même cédée sur le marché, nue, mais sur sa participation au
à aucune des quatre convocations quelques semaines plus tard, gouvernement. « Je suis coupable
Avec Françoise Joly (TV5MONDE), qui lui avaient été envoyées pour Aucune preuve pour renflouer les caisses de l’Etat. d’avoir fait trop de compromis,
Sophie Malibeaux (RFI) venir témoigner. « Setchine aurait
du chantage Une deuxième étape qui suit de d’avoir choisi les moyens faciles et
pu venir au tribunal et répéter tout peu l’arrestation du ministre. la carrière à la place des principes.
et Christophe Ayad (Le Monde)
Photo © Marianne Rosenstiehl

ce qu’il a dit aux enquêteurs, [mais]
Diffusion sur TV5MONDE, RFI et sur Internationales.fr la loi n’a pas été violée. Il y a eu assez
de preuves », a assuré M. Poutine,
en partenariat avec après qu’une journaliste l’eut in-
terrogé, jeudi, sur une justice à
deux vitesses, lors de sa confé-
rence de presse annuelle.
qu’aurait exercé Relativement modeste il y a
quinze ans, Rosneft a connu une
le prévenu croissance fulgurante sous la di-
n’a réellement rection de M. Setchine, un proche
du chef du Kremlin depuis l’épo-
été présentée que où il travaillait au service de
au tribunal M. Poutine à la mairie de Saint-Pé-
Je tournais dans une ronde bu-
reaucratique dénuée de sens, j’ai
reçu des cadeaux, j’en ai moi-
même donné. » « Pardonnez-moi
pour tout cela », concluait-il à l’in-
tention de ses concitoyens. p
isabelle mandraud
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DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

En Afrique du Sud, l’ANC plus divisé que jamais

Le Congrès national africain, en posture délicate pour les élections de 2019, choisit le successeur de Jacob Zuma

johannesburg - correspondance Les analystes prévoient un con- chérit Aaron Hutton, le gérant face, Jacob Zuma va tenir son der- L’indéboulonnable Jacob Zuma,
grès difficile, au moment où le d’un cybercafé. Tous deux sont
Le duel est aussi nier discours de président du fin connaisseur des rouages du

C
inq jours de congrès,
plus de 5 000 délégués,
six postes à pourvoir,
dont celui de prési-
dent : l’Afrique du Sud retient son
souffle alors que le Congrès na-
tional africain (ANC) s’apprête à
vivre une semaine historique. Sa-
medi 16 décembre s’ouvre à Jo-
hannesburg la 54e conférence na-
tionale du parti de Nelson Man-
dela, dans un contexte d’intenses
divisions, de morosité économi-
que et de crise de confiance. Plus
que jamais, la nation arc-en-ciel
et le parti au pouvoir depuis la
fin de l’apartheid sont en proie
au doute.
Organisée tous les cinq ans, la
conférence élective du plus
vieux parti politique d’Afrique
culmine avec la désignation d’un
nouveau chef. Ce scrutin est capi-
tal : le candidat victorieux sera
chargé de mener la bataille aux
prochaines élections générales,
en 2019. Rongé par de multiples
affaires de corruption, confronté
à l’érosion de son électorat, l’ANC
s’y présente en très mauvaise
posture.
septuagénaire Jacob Zuma, vu
comme l’artisan de la débâcle,
doit passer la main après deux
mandats. « Jacob Zuma est le pré-
sident le plus clivant que l’ANC n’a
jamais eu. En plus d’être parvenu à
diviser le parti, il a torpillé l’alliance
tripartite, avec les communistes et
les syndicats, qui l’a porté au pou-
voir, tel un entrepreneur du
chaos », explique l’analyste politi-
que Judith February. « Le parti va
devoir faire face à ce qu’il est de-
venu, c’est-à-dire une formation
minée par la corruption, alimen-
tée par Zuma lui-même et les très
nombreux scandales dans lesquels
il est impliqué. »
Deux candidats partent favoris
dans cette course à la succession.
D’un côté, Jacob Zuma a adoubé
l’ancienne chef de la Commission
de l’Union africaine, Nkosazana
Dlamini-Zuma, 68 ans, son ex-
femme. Expérimentée, plusieurs
fois ministre, elle est perçue
comme la plus à même de proté-
ger les intérêts de son clan et de le
préserver de nombreuses pour-
suites judiciaires.
Face à elle, le vice-président Cy-
ril Ramaphosa, 65 ans, a pris la
tête des frondeurs au sein de
encartés à l’ANC et reprochent à
Zuma ses manœuvres politiques
qui ont déstabilisé l’économie,
marquée par une croissance pro-
che de zéro et un chômage avoisi-
nant les 30 %.
Le président zoulou, l’ethnie
majoritaire en Afrique du Sud,
maintient toutefois sa popula-
rité auprès des populations rura-
les, noires et défavorisées. « Si Ra-
maphosa gagne, absolument rien
ne changera. Seuls les Blancs vont
s’enrichir, car ils contrôlent l’éco-
nomie », estime Kwanda Nkwa-
nyna. Originaire du Kwazulu-Na-
tal (est), le fief des Zuma, cet in-
formaticien de 25 ans vivant à Jo-
hannesburg pourrait de prime à
bord ne pas correspondre au par-
tisan-type du président. Pour lui,
la chute de l’apartheid n’a pas
tenu ses promesses, alors que la
minorité blanche, qui représente
9 % de la population, détient tou-
jours 73 % des terres agricoles.
le choc de
deux visions
économiques,
l’une
« nationaliste »
et l’autre
« sociale-
démocrate »
« Je suis à fond derrière Nkosa-
zana Dlamini-Zuma, d’abord
parce que c’est une femme, qu’elle
est noire, et ensuite parce qu’elle
peut corriger certaines des erreurs
commises par Zuma », espère-t-il.
Dans l’histoire de l’ANC, c’est la
première fois qu’une femme ar-
rive aussi loin dans la course à la
magistrature suprême.
Samedi, devant les deux ba-
taillons de délégués qui se feront
parti. Ensuite commenceront les
tractations pour l’accréditation
des délégués, qui pourraient cris-
talliser les tensions et retarder la
tenue du vote.
Tractations en coulisse
Les délégués représentent plus
de 3 000 fédérations locales du
Congrès national africain. De-
puis plusieurs mois, chaque fé-
dération a désigné son candidat
préféré et désigné ses représen-
tants pour la conférence.
Selon des décomptes non offi-
ciels, Cyril Ramaphosa mène la
course avec plus de 1 800 nomi-
nations, contre 1 300 pour sa ri-
vale. Un avantage en trom-
pe-l’œil : le vote étant secret, les
délégués peuvent théorique-
ment voter comme ils l’enten-
dent, ce qui ouvre la porte à des
tractations en coulisse, des
achats de votes, des promesses
de postes.
parti, qui a survécu à toutes les
tentatives de l’opposition visant
à le démettre, pourrait en outre
ne pas concéder facilement la dé-
faite de sa candidate. Tandis que
l’étau judiciaire se resserre
autour de lui, il doit impérative-
ment placer ses alliés au pouvoir
afin d’échapper à la prison.
Enfin, le chef de l’Etat devrait
très probablement être contraint
de quitter la présidence plus tôt
que prévu, comme son prédéces-
seur Thabo Mbeki, en 2008. « Le
parti a véritablement besoin d’un
nouveau leadership pour pouvoir
espérer se maintenir, décrypte
l’analyste politique Daniel Silke.
Quel que soit le gagnant, il devra
précipiter la fin du mandat de
Zuma pour pouvoir remettre
l’ANC en ordre de marche et espé-
rer relancer l’économie ». Et, peut-
être, éviter la débâcle électorale
en 2019. p
adrien barbier

LES PROFILS l’ANC. Un syndicaliste réputé, de-

venu homme d’affaires million-
naire, il coalise tous ceux qui sont
exaspérés par la litanie de scanda-
les qui entourent Zuma et plom-
bent son second mandat.

« Unifier l’Afrique du Sud »

Nkosazana Dlamini-Zuma
Enigmatique et discrète, l’ex-
femme de Jacob Zuma dispose
d’une forte expérience gouver-
nementale et d’un CV presti-
gieux : trois fois ministre – de la
santé, des affaires étrangères et
de l’intérieur – sous trois prési-
dents, elle a présidé, de 2012 à
2017, la Commission de l’Union
africaine, qui siège à Addis-
Abeba, en Ethiopie.
Cyril Ramaphosa
Soutenu par les milieux d’affaires
et les centres urbains, le vice-pré-
sident, militant anti-apartheid de
la première heure, vise la prési-
dence depuis toujours. Ex-syndi-
caliste, négociateur de la transi-
tion démocratique aux côtés de
Nelson Mandela, il était le dau-
phin de l’icône sud-africaine
avant d’être doublé dans les an-
nées 1990 par Thabo Mbeki.
Ce duel est aussi le choc de deux
visions économiques. D’un côté,
la ligne « nationaliste » qui veut
corriger les injustices de l’apar-
theid par une « transformation
radicale de l’économie » télégui-
dée par l’Etat. Une politique in-
carnée par Jacob Zuma depuis
son arrivée au pouvoir en 2009,
et vécue comme un échec, en ce
qu’elle a permis l’enrichissement
d’une petite élite liée au pouvoir
et de nombreux débordements.
De l’autre, une ligne « sociale-dé-
mocrate », favorable à l’écono-
mie de marché, compatible avec
le capitalisme mondialisé. Pour
beaucoup, Cyril Ramaphosa est
attendu comme le messie qui va
ramener l’économie dans le droit
chemin et regagner la confiance
des milieux d’affaires.
À Soweto, dans le quartier de
Tshiawelo où il a grandi, le vice-
président suscite une forte adhé-
sion. « Il faut donner à Cyril la
chance de diriger le pays. Plein de
gens ici n’ont pas de travail. Lui va
nous apporter des opportunités,
c’est un businessman, il va faire re-
venir les investisseurs », explique
Thembiso Dumbi, qui travaille
dans la construction. « Il va unifier
l’Afrique du Sud – les Blancs, les
Noirs, les Indiens, les métis », en-

I SRAËL- PALEST I N E AUST RALI E

Quatre Palestiniens
tués par les forces
israéliennes
Quatre Palestiniens ont été
tués vendredi 15 décembre
dans des heurts avec les for-
ces israéliennes, lors d’une
nouvelle journée de mobili-
sation contre la reconnais-
sance par le président améri-
cain, Donald Trump, de la
ville de Jérusalem comme
capitale d’Israël. Trois mani-
festants ont été abattus par
la police et un homme a été
tué après avoir agressé un
policier militaire israélien au
couteau. Cent soixante Pa-
lestiniens ont par ailleurs été
blessés, selon les services de
secours. Selon l’armée israé-
lienne, les manifestations
ont mobilisé 2 500 Palesti-
niens en Cisjordanie et 3 500
dans la bande de Gaza.
– (AFP, Reuters.)
Pédophilie : l’inertie
de plusieurs institutions
mise en cause
Une commission d’enquête
australienne sur la lutte con-
tre la pédophilie a affirmé
dans un rapport rendu public
vendredi 15 décembre que le
pays a « gravement manqué à
ses devoirs » envers ses en-
fants pendant des décennies,
en parlant de « tragédie natio-
nale ». Mise en place en 2013, la
commission a été contactée
par 15 000 personnes disant
avoir été victimes de tels actes
impliquant l’Eglise, des orphe-
linats, des clubs de sport, des
écoles ou des organisations de
jeunesse. Plus de 4 000 insti-
tutions ont été mises en
cause. « Dans de nombreux
cas, [les] manquements ont été
aggravés par une réponse ma-
nifestement inadaptée », af-
firme le rapport. – (AFP).
6|
FRANCE
I M M I G R AT I O N
Migrants :
la ligne dure
d’Emmanuel
Macron
La position du chef de l’Etat,
qui vantait l’accueil des réfugiés,
se précise, sept mois après
son arrivée au pouvoir : celle
de la dissuasion migratoire
A
u fil des jours, la « ligne
Macron » devient plus
nette et dessine une
politique migratoire
d’une rudesse sans précédent.
Vendredi 15 décembre, en fin de
journée, une réunion interminis-
térielle sur le projet de loi immi-
gration, qui arrivera en discussion
au printemps 2018, a révélé que les
tenants de la ligne dure avaient la
main. La même philosophie pré-
valant déjà sur le terrain et dans
les textes ministériels.
A Calais (Pas-de-Calais), alors
que la ville grelotte, les couvertu-
res des 700 exilés sont jetées au
gré des opérations policières, les
abris détruits. A Paris, les petites
toiles de tente des plus chanceux
des 800 migrants vivant dans les
rues ont été lacérées cette se-
maine. Dans ces deux départe-
ments, la consigne donnée aux
03 NOVEMBRE > 31 DÉCEMBRE 2017
LE MALADE
IMAGINAIRE
COMÉDIE BALLET DE
MOLIÈRE
MISE EN SCÈNE
MICHEL DIDYM
AVEC
ANDRÉ MARCON, AGNÈS SOURDILLON,
NORAH KRIEF, JEAN-CLAUDE DURAND,
DIDIER SAUVEGRAIN, CATHERINE MATISSE,
BRUNO RICCI, JEAN-MARIE FRIN...
DU MARDI AU SAMEDI - 20H45 MATINÉES SAMEDI - 16H
MATINÉES DIMANCHE 24 ET 31 DÉCEMBRE - 14H
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Le ministre
de l’intérieur,
Gérard Collomb,
a demandé à
chaque préfet
d’élaborer un
De jeunes migrants marchent jusqu’au squat communautaire Chez Marcel, à Briançon (Hautes-Alpes), le 11 décembre. B. FERT POUR « LE MONDE »
plan de bataille
départemental
plus souvent des familles –,
comme dans celui du Mesnil-
forces de l’ordre d’éviter la recons- Amelot (Seine-et-Marne), où un
titution de campements efface homme, marié avec une femme
toute autre considération.
ayant obtenu le statut de réfugiée
Dans la Roya ou l’arrière-Brian- et père d’une petite fille, a entamé
çonnais, la frontière se gère à
coups de « refus d’entrée » notifiés
une grève de la faim et de la soif
début décembre.
en série. Et, dans les terres, les cen- Outre cette dissuasion policière,
tres de rétention administrative les dernières semaines ont été
se referment chaque soir sur de marquées par la publication de
nouveaux prisonniers – de plus en circulaires signant une volonté
d’expulser massivement. Dans un
texte daté du 20 novembre, le mi-
nistre de l’intérieur, Gérard Col-
lomb, a demandé à chaque préfet
de multiplier les renvois et d’éla-
borer un plan de bataille départe-
mental. Les déboutés du droit
d’asile, mais aussi des « dublinés »,
ces demandeurs qui ont laissé
trace de leur passage dans un
autre pays d’Europe avant d’arri-
ver en France, sont dans la ligne de
mire du ministère.
Pour parvenir à expulser, l’inté-
rieur va même désormais pren-
dre la main sur l’hébergement
d’urgence qu’il sait être une ré-
serve de sans-papiers. Une autre
circulaire, en date du 12 décembre,
instaure la création de « brigades
mobiles » envoyées pour contrô-
ler les personnes hébergées dans
les hôtels sociaux.
Une stratégie en trois temps
Jamais un gouvernement n’était
allé aussi loin. C’est la première
fois, en effet, que le ministère de
l’intérieur met un pied dans l’hé-
bergement d’urgence géré par les
affaires sociales. Depuis la créa-
tion du ministère de l’identité na-
tionale, au début du quinquennat
Nicolas Sarkozy en 2007, l’immi-
gration glisse doucement vers
l’option sécuritaire, donc sous la
coupe de la Place Beauvau.
Le quinquennat Hollande n’a
pas mis de coup d’arrêt à ce trans-
fert. Et un nouveau pas est désor-
mais franchi. C’est d’ailleurs l’ana-
lyse du Conseil de Paris, qui rap-
pelle dans un vœu voté lundi
11 décembre « qu’un débat de na-
ture comparable [sur les contrôles
Photo © Serge Martinez
dans les centres d’hébergement] a
déjà été ouvert en 2007 à l’occasion
de l’examen du projet de loi sur
l’immigration ». M. Sarkozy y avait
renoncé. Emmanuel Macron ira-
t-il plus loin ? La question s’invite
dans le débat alors qu’au vu de sa
campagne présidentielle la
France s’attendait à une politique
plus nuancée. Le candidat d’En
marche ! avait parlé d’« honneur
de la France à accueillir les réfu-
giés » et avait cité l’Allemagne en
modèle. Cet été, le président avait
ouvert un autre espoir, promet-
tant qu’à la fin de l’année plus per-
sonne ne dormirait « dans les rues,
dans les bois ».
Dans la pratique, depuis l’élec-
tion de M. Macron, la Place Beau-
vau et son ministre d’Etat, Gérard
Collomb, ont la main sur la ges-
tion territoriale, l’Elysée se penche
sur les flux africains et se garde les
opérations à haute portée symbo-
liques comme la réinstallation de
réfugiés venus d’Afrique ou de
Turquie. Dans le fond, MM. Ma-
cron et Collomb semblent parta-
ger la même vision de la politique
migratoire et s’accordent sur une
stratégie en trois temps.
D’abord ils souhaitent limiter les
arrivées en France. Ce qui explique
la politique menée en Afrique et
notamment en Libye. Ensuite,
M. Collomb déploie beaucoup
d’énergie pour monter des dispo-
sitifs permettant de renvoyer tous
ceux qui n’obtiennent pas l’asile.
Et, dans un troisième temps, une
fois les deux premiers points mis
en place, il s’agira de mieux ac-
cueillir des réfugiés, qui, de fait,
seront bien moins nombreux
compte tenu de la politique de dis-
suasion migratoire appliquée.
« On semble surpris, mais, en
quelques phrases prononcées de-
vant la Cour européenne des droits
de l’homme à Strasbourg, M. Ma-
cron avait déjà tout dit », remarque
« Le contrôle dans
les hôtels sociaux
va casser ce lien
de confiance
établi avec
des populations
en difficulté »
BRUNO MOREL
directeur d’Emmaüs Solidarité
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
Yves Pascouau, chercheur à l’uni-
versité de Nantes et à l’Institut Jac-
ques-Delors. Ce 31 octobre, il avait
rappelé qu’il souhaitait une « pe-
tite révolution » qui consiste à don-
ner le statut de réfugié « dès le pays
d’origine », puis à « être intraitable
avec celles et ceux qui ne relèvent
pas du droit d’asile, accélérer nos
procédures de manière drastique
pour qu’en six mois, recours com-
pris, nous puissions y voir clair, que
la décision prise soit notifiée ». La
raison était simple : « Pouvoir effi-
cacement reconduire dans leur
pays celles et ceux qui n’ont pas ces
titres à l’issue de la procédure. »
« Manque de pragmatisme »
Sept mois après l’arrivée à l’Elysée
d’Emmanuel Macron, plus ques-
tion donc de penser qu’il y aurait
deux lignes sur ce sujet. Le chef de
l’Etat et Gérard Collomb semblent
au diapason. Ce qui laisse d’autant
moins de marges de manœuvre
au secteur associatif, qui pallie
quotidiennement ce que l’Etat
n’offre pas en termes d’héberge-
ment et de nourriture, et s’in-
quiète de la suite.
« Le contrôle dans les hôtels so-
ciaux va casser ce lien de confiance
établi avec des populations en diffi-
culté dans ces lieux sanctuarisés. Je
reste très dubitatif sur les résultats,
car les gens auront peur de nous et
on risque de renvoyer à la rue des
personnes qu’on avait sorties », ob-
serve Bruno Morel, le directeur
d’Emmaüs Solidarité.
Une crainte partagée par Lau-
rent Giovannoni du Secours ca-
tholique, pour qui les mesures an-
noncées révèlent « un manque
criant de pragmatisme ou de réa-
lisme ». Selon lui, « des milliers de
personnes et de familles seront à la
rue dont les pouvoirs publics ne
sauront que faire, malgré ce qu’ils
prétendent ». Preuve que personne
ne croit vraiment à la possibilité
de renvoyer très massivement.
Dans le silence des bureaux, cer-
tains observateurs évoquent
quand même une possible ouver-
ture pour les sans-papiers non ex-
pulsables auxquels il manquait
juste un titre de séjour pour pren-
dre le chemin de l’intégration. La
circulaire qui autorise les recense-
ments dans les foyers va concen-
0123
LE CONTEXTE
JOURNÉE
DES MIGRANTS
Depuis 2000, la journée interna-
tionale des migrants, le 18 dé-
cembre, commémore l’adoption
de la Convention internationale
sur la protection des droits de
tous les travailleurs migrants et
des membres de leur famille.
Lundi, 150 manifestations se dé-
rouleront partout en France
pour donner le coup d’envoi offi-
ciel des Etats généraux de la mi-
gration : 470 mouvements, lo-
caux ou nationaux, veulent
rappeler qu’il existe une France
solidaire qui agit au nom des
droits de l’homme et du respect
de la dignité. Ces états généraux
sont nés en novembre du refus
du gouvernement de prendre en
compte la voix des associations
travaillant au côté des migrants.
trer l’attention sur eux. Rien n’em-
pêchera demain les préfets de re-
garder les dossiers au plus près
pour régulariser au cas par cas.
Une vague de régularisations mas-
sives comme la France en a connu
ces dernières décennies n’est plus
dans l’air du temps. Mais il existe
des manières moins voyantes de
parvenir au même but.
Si les associations comptent
bien faire entendre leur voix sur
ce point, elles espèrent aussi occu-
per le terrain lundi 18 décembre.
La Journée internationale des mi-
grants devrait marquer un temps
fort dans leurs états généraux des
migrations. Une initiative portée
par 470 collectifs locaux ou natio-
naux qui ont envie, comme le rap-
pelle Jean-François Dubost, d’Am-
nesty International, « de remettre
au cœur des choix du gouverne-
ment le respect des droits des mi-
grants et des réfugiés, quel que soit
leur statut, comme l’exigent les
textes internationaux de protec-
tion des droits humains ». Et de
montrer qu’il existe bien une
France de l’accueil. p
maryline baumard
 france | 7
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Dans les Alpes, «on va redescendre des cadavres, un de ces jours»

Au col de l’Echelle, des habitants viennent en aide aux migrants qui traversent la frontière enneigée au péril de leur vie

REPORTAGE A Briançon, attend, cachés, en faisant tout pour

que les exilés ne nous prennent pas
dans la légalité puisqu’« ils trans-
portent des demandeurs d’asile qui
on se réhydrate à coups de thé brû-
lant, en jouant ou en devisant.
doute la seule de France à avoir
géré un centre pour les exilés ve-
briançon, névache
(hautes-alpes) - envoyée spéciale
les citoyens sont pour des gendarmes. » Le 19 août, en plus sont très souvent mi- Francine Daerden, la soixan- nus de la « jungle » de Calais. Luc
nombreux à avoir Moussa et Ibrahim, deux jeunes neurs ». Entre ces centaines de bé- taine, ne fait que passer mardi soir Marchello, son directeur, a com-

A Névache, la lumière reste

allumée longtemps dans
les chalets. Les nuits sans
lune, elle guide le voyageur vers la
maison des veilleurs. Nichée au
pied du col de l’Echelle, dans les
Hautes-Alpes, à 1 700 mètres d’al-
titude, cette bourgade de quelque
360 âmes est comme un phare
pour le voyageur qui débarque de
Bardonnèche, la petite ville ita-
lienne de l’autre côté du massif.
Ceux que Bernard Leger, 82 ans,
appelle « les visiteurs inattendus ».
Tout au fond, la vallée de la Cla-
rée, aux confins de la France, on
est un peu comme sur une île.
Autour, l’océan n’est pas bleu mais
blanc ; pas liquide, mais neigeux.
Mais pour « Jean Gab » (Jean-Ga-
briel Ravary) ou les autres, « tout
ça c’est pareil », la vague de neige
est la sœur de celle qui engloutit
les canots de la Méditerranée ; le
montagnard, le frère du marin.
« On a le même devoir de sauve-
tage chevillé au corps », affirme ce
guide de haute montagne. Alors,
avec une vingtaine d’hommes et
de femmes, il recueille les naufra-
gés de la frontière. Gelés, choqués.
« On leur donne des vêtements,
de l’eau, de la nourriture et un lit au
chaud, ajoute Bernard Leger. Le
lendemain, ils sont encore en état
de choc, muets de fatigue. » Avec
son « commando humanitaire »,
cet ancien commandant d’un ré-
giment de chasseurs alpins pré-
pare ensuite la descente vers
Briançon, pour rallier la base ar-
rière et « faire de la place aux sui-
vants ». Avec plus de 2 000 mi-
grants accueillis dans la ville de-
puis juillet, le col de l’Echelle a re-
trouvé sa vocation séculaire de
point de passage entre l’Italie et la
France.
été entendus par
la gendarmerie
pour avoir aidé
un migrant
De plus en plus souvent, ça se
gâte avant d’atteindre Névache
pour ces jeunes Africains igno-
rants de la montagne. Chef des ur-
gences de l’hôpital de Briançon,
un service qui en a déjà soigné
300 depuis l’été, Yann Fillet est
monté deux fois au col le 10 dé-
cembre avec le peloton de gendar-
merie de haute montagne
(PGHM). La seconde fois, en pleine
nuit, le médecin a aperçu « un des
gamins pieds nus dehors alors que
le thermomètre affichait – 10 °C».
Désormais, cela ne fait plus de
doute pour lui, « on va redescendre
des cadavres un de ces jours ».
D’autres estiment qu’il y en a déjà
sous la neige. Des morts de froid
et d’épuisement. En ce lundi ma-
tin 11 décembre, la salle de sur-
veillance des urgences compte six
rescapés. « La mort a tourné
autour de nous. Ça ne se raconte
même pas, mais j’en ai encore froid
dans le dos », susurre Madou, le re-
gard vide. « Sans le villageois venu
à notre secours, on ne serait plus
là », complète celui qui dit avoir
prié pour cette venue, « et comme
dans le canot sur la Méditerranée,
Dieu nous a entendus ».
Pour ceux que les dieux n’enten-
draient pas, des « virées » secon-
dent la veille des Névachais. C’est
Alain Mouchet, accompagnateur
en montagne, qui en gère le plan-
ning. « J’ai trente-cinq bénévoles,
explique-t-il. On monte le soir et on
Guinéens, sont tombés dans le ra-
vin pour fuir les forces de l’ordre.
Une chute de quarante mètres
pour Ibrahim, évacué alors à l’hô-
pital de Grenoble, et désormais en
rééducation à Briançon. Lundi, sur
son lit de rééducation, l’exilé était
triste. Sa voix est tellement affec-
tée par son traumatisme crânien
que sa mère venait de pleurer au
téléphone, inquiète de ce que l’Eu-
rope avait fait de son fils.
En vertu des accords bilatéraux
signés avec l’Italie, les majeurs se
voient notifié un refus d’admis-
sion sur le territoire. En dépit de la
Convention internationale des
droits de l’enfant, de nombreux
mineurs sont aussi remis de
l’autre côté. Avant de recommen-
cer le passage, au risque de se per-
dre, parce qu’en haut le panneau
France a été enlevé, ce qui conduit
un certain nombre de migrants
vers des passages plus élevés que
le col de l’Echelle. Plus dangereux.
Le jeu du chat et de la souris
« L’un d’eux a passé cinq jours dans
la montagne. Aujourd’hui encore,
il est traumatisé de ce qu’il y a vécu,
mais ne raconte toujours pas », ré-
sume Léna Carlier, bénévole de
18 ans en parallèle de son service
civique à la maison des jeunes et
de la culture (MJC). A-t-il subi des
violences policières ? Tout le
monde se le demande, car « ici, il y
a deux catégories de forces de l’or-
dre. Ceux qui secourent en monta-
gne et qui sont avant tout monta-
gnards, et ceux qui font du zèle »,
disent les bénévoles.
Ici, les citoyens solidaires sont
nombreux à avoir été entendus
par la gendarmerie pour avoir
descendu un migrant de la mon-
tagne. Pourtant, tous s’estiment
névoles et les forces de l’ordre,
c’est pourtant le jeu du chat et de
la souris. Un sujet dont Bernard
Leger et Jean-Gabriel Ravary aime-
raient bien parler avec la nouvelle
préfète, tout juste nommée.
Cette pression n’empêche pas
150 foyers de s’être portés volon-
taires pour héberger les plus fragi-
les. Moussa, le copain d’Ibrahim,
vit depuis l’été chez un « couple so-
lidaire » en attendant que son ami
remarche. C’était sa seule solution
puisque le conseil départemental
l’a, comme bien d’autres, décrété
majeur – un recours a été déposé.
Les moins affectés, ceux pour qui
quelques jours de répit suffisent,
sont installés à la maison com-
mune du Collectif réfugiés solidai-
res, la CRS, avant d’acheter un
billet de train ou de profiter d’un
covoiturage solidaire pour conti-
nuer leur route. A la CRS, on est
nourri, soigné, vêtu et écouté.
C’est la municipalité qui a ouvert
ce lieu, estimant qu’il n’était « pas
question de laisser qui que ce soit à
la rue », comme le rappelle l’ex-PS
Gérard Fromm, maire de Brian-
çon, qui a su convaincre la com-
munauté de commune et son
conseil municipal. Désormais, sur
la toile cirée de la pièce commune,
12 décembre pour déposer des gâ-
teaux et mélanger la marmite du
dîner préparée par une autre ci-
toyenne. « Ici, chacun participe se-
lon ses envies et ses compétences »,
indique Michel Rousseau, mem-
bre de l’association Tous migrants.
Il dispose d’une liste de 450 béné-
voles impliqués dans cet accueil
qui prolonge en bas ce qui est fait
au nom de l’urgence sur les cimes.
Car à Briançon aussi règne l’« es-
prit veilleur » et Michel, Béatrice
ou Alain accompagnent les exilés
dans leurs premiers pas en France.
Pullulement des solidarités
Mercredi, à la CRS, Fofana cher-
chait un pull au vestiaire des dons,
avant de rejoindre Chez Marcel, le
squat communautaire installé
par des jeunes du coin pour per-
mettre un hébergement de plus
longue durée. C’est là que Justin va
attendre d’être autorisé à déposer
sa demande d’asile en France. Un
lieu à l’esprit un peu différent, aux
relents plus anarchistes, sans
doute, mais qui complète bien la
Briançon solidaire.
Dans cette ville de 12 000 habi-
tants, la MJC, qui jouxte la CRS, est
pour quelque chose dans le pullu-
lement des solidarités. C’est sans
pris dès la première heure la né-
cessité d’un accueil citoyen. Dès
l’automne 2015, il lançait un appel
qui, plusieurs mois après, a éclos
en un énorme mouvement ci-
toyen. Parce qu’à Briançon, où se
côtoient 35 nationalités, on s’oc-
cupe de l’étranger depuis des dé-
cennies. En montagnard peut-
être, en humain tout simplement
puisque la Mission d’accueil des
personnes étrangères de la MJC
existe depuis quinze ans. Et pour
certainement longtemps encore.
De l’autre côté de la frontière, en
effet, dans la petite gare de Bar-
donnèche, ils étaient quatre,
mardi matin, à se réchauffer, avec
la France pour horizon. Ibrahim a
poussé sa valise jaune dans un re-
coin et rajuste sa chemise blanche
sous sa petite veste noire d’été.
Alfa somnole, avachi sur le radia-
teur, pieds nus dans ses chaussu-
res. En Italie depuis quatre mois,
mis dehors de son centre pour mi-
grants près de Rome pour n’avoir
pas pointé, il a pris le bus pour Pa-
ris, et en a été descendu tôt le ma-
tin à la frontière par la police fran-
çaise. Une grande fatigue règne
sur la petite gare. Une rage aussi.
Celle d’être si près de la France. p
maryline baumard

Entre l’Allemagne et les pays de l’Est,

la France cultive le compromis
Paris demeure ambiguë au sujet des quotas de réfugiés dans l’UE

bruxelles - bureau européen lière allemande, Angela Merkel, et pays sur les questions migratoires,
à la Commission, est d’essayer de après son revers électoral en sep-

L
e débat continue de ten-
dre les relations entre l’est
et l’ouest du continent :
les dirigeants européens
ne sont pas parvenus à trouver un
compromis, lors du Conseil euro-
péen des 14 et 15 décembre à
Bruxelles, sur le maintien, ou non,
d’un dispositif de quotas obliga-
toires pour l’accueil des réfugiés.
Une mesure imaginée en 2015 par
la Commission de Bruxelles après
l’échec d’une politique volontaire
d’accueil et qui oppose les pays de
l’Est (Pologne, Hongrie, Slovaquie,
République tchèque) aux Etats
dits « de première ligne » (Italie et
Grèce) et à ceux qui ont développé
la politique d’accueil la plus géné-
reuse (Allemagne et Suède).
Et la France ? Très prudente,
voire ambiguë, elle entend jouer
les arbitres et favoriser un com-
promis mêlant « responsabilité et
solidarité », le mantra d’Emma-
nuel Macron et de ses conseillers.
Le dispositif de répartition mis en
place en 2015, au plus fort de la
crise migratoire, visait à accueillir
160 000 demandeurs d’asile arri-
vés en Italie et en Grèce, dont
120 000 répartis au sein de l’Union
européenne selon des quotas obli-
gatoires. Quelque 32 000 seule-
ment ont été effectivement « relo-
calisés ». L’idée, chère à la chance-
pérenniser le dispositif.
La querelle atteint même les ins-
titutions bruxelloises : Donald
Tusk, le président du Conseil euro-
péen, juge que les quotas ne sont
« pas la solution » au problème mi-
gratoire qu’affronte l’Europe et
qu’« inefficaces et conflictuels », ils
ne feraient que compliquer la
mise au point d’une politique
d’asile réellement commune.
M. Tusk accorde davantage d’im-
portance à la concrétisation d’une
ligne spécifique affectée aux poli-
tiques migratoires dans le futur
budget de l’UE.
Discussion « vive »
Désavouée, la Commission ren-
voie la balle vers les capitales, ac-
cusées par ailleurs de ne pas tenir
leurs promesses : il manque du
personnel en Grèce et en Bulgarie
pour contrôler les frontières exté-
rieures et de l’argent pour le Fonds
pour l’Afrique destiné à aider les
pays d’origine et de transit.
« Nous avons engrangé les pre-
miers succès externes, en Libye et
au Sahel. La solidarité interne est
également indispensable », expli-
quait M. Macron, vendredi, à l’is-
sue du sommet européen, pour ne
pas sembler en porte-à-faux avec
la chancelière allemande, plus que
jamais sous pression dans son
tembre. Cependant, les quotas
fixes et la réforme des accords de
Dublin, qui confient la responsabi-
lité du traitement d’une demande
d’asile au pays de première entrée
dans l’Union, ne seraient, selon
l’approche française, que « des élé-
ments » de la politique d’accueil.
En clair, si les pays qui traînent
les pieds accomplissaient des ef-
forts dans d’autres domaines, un
compromis pourrait être dégagé.
Ce n’est sans doute pas un hasard
si les pays du Groupe de Visegrad
(Pologne, Hongrie, République
tchèque et Slovaquie) ont an-
noncé, jeudi, qu’ils débloquaient
35 millions d’euros pour aider
l’Italie à contrôler la route du sud
de la Méditerranée. La suppres-
sion des quotas obligatoires per-
mettrait à tous (la France y com-
pris) de renoncer à l’accueil
d’autres vagues de migrants.
Un compromis sera-t-il trouvé
en juin 2018, comme l’affirment
les Vingt-Huit ? « Ce sera très diffi-
cile », estime un diplomate. Une
discussion qualifiée de « vive » a
eu lieu jeudi soir, lors d’un dîner
des chefs d’Etat. « Les points de vue
des uns et des autres n’ont pas
changé », a expliqué Angela Mer-
kel, critiquant le principe d’une
« solidarité sélective ». p
jean-pierre stroobants
8 | france 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Macron, le DRH
de la République
Le chef de l’Etat reçoit en tête à tête
les futurs directeurs d’administration
avant leur nomination. Une pratique
peu habituelle sous la Ve République

D
es rendez-vous très Les futurs nominés sont priés
discrets, qui ne figu- de se plier à la nouvelle règle. « Ce
rent jamais à l’agenda n’est pas un rendez-vous de cour- Emmanuel
officiel. Depuis plus toisie pour faire connaissance », Macron et
de six mois, Emmanuel Macron raconte un directeur, qui a été le premier
reçoit dans son bureau à l’Elysée reçu pendant une demi-heure ministre,
les directeurs d’administration pour un entretien « très dense. J’ai Edouard
centrale, juste avant leur nomina- été impressionné par la manière Philippe,
tion en conseil des ministres. Pra- dont le président prépare les entre- à l’Elysée,
tique inhabituelle, si ce n’est iné- tiens. Il avait lu ma lettre de candi- le 18 mai. JEAN-
dite, sous la Ve République, le chef dature et avait des questions et des CLAUDE COUTAUSSE/
de l’Etat voit les intéressés en tête- interrogations très précises. J’avais FRENCH-POLITICS
à-tête, pour les jauger et leur don- été reçu auparavant par le premier POUR « LE MONDE »
ner leur feuille de route. ministre puisqu’il ne serait pas lo-
Ces derniers mois, le président a gique que je voie le président sans
reçu les trois nouveaux directeurs voir le premier ministre. » devant le Parlement, rappelle l’his- entre les élus de la nation et la que cela ne se faisait pas »,
d’administration centrale du mi- torien Nicolas Roussellier, auteur haute administration, censée être
« Le pouvoir confirme son ancienne directrice
nistère de la justice : Rémy Heitz, « Une barrière invisible » de La force de gouverner (Galli- impartiale ». se concentre de cabinet à l’Elysée, Emmanuelle
directeur des affaires criminelles Certes, les impétrants restent gé- mard, 2015). S’il a une quelconque Dans le milieu des hauts fonc- Mignon, pour qui cette méthode
et des grâces, Stéphane Bredin, di- néralement présélectionnés par influence sur un haut fonction- tionnaires, cette nouvelle prati-
de plus en plus demeure « transgressive ».
recteur de l’administration péni- les ministères concernés, puis naire, il rompt avec la vieille idée que fait réagir. « On n’a jamais vu à l’Elysée, « Il faut imaginer la même chose
tentiaire, et Peimane Ghaleh- passés au crible d’un comité de de souveraineté nationale. » ça ! Si Macron contourne les minis- dans une entreprise, illustre cette
Marzban, directeur des services hauts fonctionnaires sous l’auto- M. Roussellier évoque toutefois tres, l’ordre républicain n’est plus
qui devient conseillère d’Etat aujourd’hui
judiciaires. Il a convié aussi le nou- rité de Matignon. Mais ces ren- un précédent. Pendant la pre- respecté, s’indigne un commis de l’équivalent de la avocate dans un grand cabinet
veau directeur de la législation fis- dez-vous ultimes de validation à mière guerre mondiale. Ray- l’Etat formé à l’ENA. L’administra- privé. En recevant directement un
cale (DLF) de Bercy, Christophe l’Elysée se font sans la présence mond Poincaré, qui estimait que tion n’est pas supposée être en rap-
Maison Blanche » collaborateur, sans la présence de
Pourreau. Ou encore le directeur du ministre de tutelle, au risque le ministre de la guerre lui cachait port direct avec le président. Elle UN HAUT FONCTIONNAIRE son chef direct, un PDG se mettrait
général de la police nationale, Eric de fragiliser l’autorité de ces der- ce qui n’allait pas, avait rompu est sous l’autorité des ministres. » toute l’entreprise à dos ! » Mais,
Morvan, et le directeur général de niers, qui se voient court-circui- l’usage et convoqué directement Pour ce responsable, qui comme pour Mme Mignon, cette pratique
la sécurité intérieure, Laurent Nu- tés par l’échelon présidentiel. les directeurs d’administration, tout haut fonctionnaire ne peut de choquant à ce que le président reste sans doute l’un des seuls
nez. Une liste non exhaustive, tant « Dans la tradition républicaine, le pour s’informer. Mais « hors pé- pas témoigner à visage découvert, voit le DLF, il fait partie des plus moyens de lutter contre les pe-
la pratique est devenue systémati- président ne convoque jamais les riodes exceptionnelles, souligne la méthode Macron pose « un su- hauts fonctionnaires, explique- santeurs de l’administration.
que et témoigne de l’exercice du hauts fonctionnaires car c’est aux ce professeur à Sciences Po, il y a jet politique et un sujet managé- t-on dans l’entourage du minis- « Macron connaît l’administration
pouvoir du nouveau chef de l’Etat. ministres de rendre des comptes toujours eu une barrière invisible rial. Ça va loin : non seulement le tre. Et vu l’agenda surbooké du mi- par cœur, c’est son monde, pour-
président nomme des ministres ex- nistre, heureusement qu’il n’ac- suit-elle. Sarkozy l’aurait d’autant
perts au gouvernement, mais en compagne pas les directeurs du moins fait que ce n’était pas son
plus il les court-circuite. C’est le ministère à chaque entretien avec monde. » « Macron est aussi trans-
triomphe de la technocratie ! » le président ! » gressif que Sarkozy, mais comme il
Pour l’ancien ministre de l’inté- Dans la technocratie, certains présente mieux, ça passe, ajoute
rieur de Jacques Chirac et ex-pré- hauts fonctionnaires jugent posi- un autre ancien conseiller ély-
sident du Conseil constitutionnel tivement cette nouvelle pratique, séen. En fait, avec lui, tout passe,
Jean-Louis Debré, « c’est mettre les ravis de sortir enfin de l’ombre et c’est assez incroyable. »
ministres dans une situation im- d’être directement associés à la
possible, en minant leur autorité » décision politique. Une puissance Le risque de devoir tout assumer
d’emblée. « Je ne l’aurais pas ac- nouvelle, accentuée par la baisse Pour les partisans de M. Macron,
cepté », poursuit-il. du nombre de conseillers techni- ces méthodes de management
A l’Elysée, ce nouveau fonction- ques dans les cabinets ministé- traduisent l’évolution naturelle
nement est totalement assumé riels. « Les directeurs d’administra- des institutions et le rôle central
au nom de l’efficacité et de la vo- tion centrale sont dans la satisfac- dévolu au président de la Républi-
lonté réformatrice tous azimuts tion d’approcher le soleil et le vrai que. « Le pouvoir se concentre de
du chef de l’Etat. L’énarque Em- pouvoir, même si certains sont plus en plus à l’Elysée, qui devient
manuel Macron, qui a connu à la aussi dans la crainte de prendre les l’équivalent de la Maison Blanche
fois l’Inspection des finances et la responsabilités qui vont avec. Jus- américaine », explique un haut
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banque privée, sait que le vérita-
ble pouvoir d’exécution en
France se situe au niveau de l’ad-
ministration, qu’il entend donc
contrôler étroitement.
« L’état d’esprit a changé »
Si la valse des directeurs d’admi-
qu’à présent, ils avaient l’influence
de la technique et la sérénité de la
durée, c’était plus confortable
mais moins flatteur », sourit un
connaisseur avisé de la haute
fonction publique.
Cette mainmise de la prési-
dence participe pleinement de
fonctionnaire. Mais le député
Nouvelle Gauche Boris Vallaud,
ancien secrétaire général adjoint
de l’Elysée sous le quinquennat
Hollande, s’inquiète d’un système
qui « crée des allégeances person-
nelles entre des hauts fonctionnai-
res et un président tout-puissant

DÉCOUVREZ LES ALBUMS ORIGINAUX nistration centrale annoncée, le

fameux spoil system à l’améri-
DES ROLLING STONES DANS UNE caine, n’a pas vraiment eu lieu à
cette heure, les responsables en
FABULEUSE COLLECTION INÉDITE ! place sont mis sous pression.
« L’état d’esprit a changé, reconnaît
un conseiller de l’Elysée. Les direc-
teurs d’administration centrale
CD N°9 999 ,
SEULEMENT
l’hyper-concentration du pou-
voir sous l’ère Macron. « On a eu
qui leur dit “c’est à moi que vous
devez rendre des comptes” ». Or,
rarement un président à ce point
centralisateur, au carrefour de la
appuie un ancien ministre socia-
liste, « une bonne administration
mise en place des politiques publi-
ques, estime un ancien ministre.
est celle qui décline l’action des mi-
nistères, pas celle qui la décide à
C’est lui qui domine tout. » Une leur place ». « Macron applique à
tendance naturelle chez le nou- l’ensemble du gouvernement la

ALBUM REMASTÉRISÉ
¤
THEIR SATANIC
MAJESTIES REQUEST
Avec cet album, les Rolling Stones nous
emmènent dans un nouveau voyage, entre les
expérimentations sonores de « Sing This All
Together » et la pop Flower Power de « She’s
A Rainbow », tous les éléments convergent
avec réussite vers un but unique, créer un
chef-d’œuvre psychédélique
TM
sont tenus avec des rênes courtes.
Ils doivent être en accord avec la
veau chef de l’Etat qui tranche
avec les pratiques en la matière de
méthode Bercy, où le directeur du
Trésor est souvent plus puissant
feuille de route présidentielle et ses prédécesseurs. que le ministre de l’économie et des
gouvernementale. Chacun doit as- Si François Hollande s’occupait
peu des nominations des direc-
finances », ajoute ce responsable.
sumer ses responsabilités. » L’agenda présidentiel étant très
Au gouvernement, les ministres teurs d’administration centrale chargé, il n’est pas toujours facile
concernés ne pipent mot. Mieux, (« Il faisait confiance à ses minis- de trouver une date pour le grand
au ministère de l’économie et des tres », selon un ex-conseiller), Ni- oral avec tel ou tel impétrant. Ce
finances, on ne voit aucun incon- colas Sarkozy, en revanche, aurait qui retarde parfois des nomina-
vénient à ce que le président ait rêvé être en prise directe avec la tions. A tout centraliser, le chef de
auditionné le directeur de la légis- haute fonction publique. Mais il l’Etat prend aussi le risque à terme
lation fiscale sans Bruno Le n’a jamais osé aller aussi loin que de devoir tout assumer, y compris
Maire, qui s’était pourtant impli- M. Macron. « Il avait très envie de les ratés. De fusibles pratiques
qué dans la nomination de son recevoir lui-même les DAC mais pour le pouvoir, les hauts commis
ex-conseiller fiscal. « Il n’y a rien beaucoup de gens lui ont expliqué de l’Etat pourraient alors se trans-
former en boomerangs.
« Comme Macron nomme direc-
Le président interviewé sur France 2 tement les gens, le jour où il y a un
problème et où il faut désigner un
Un peu plus d’un mois après son émission sur TF1, Emmanuel responsable, on désigne qui ? Le
Macron sera sur France 2, dimanche 17 décembre, à 20 heures, fonctionnaire ? Ou celui qui l’a
pour un entretien avec le journaliste Laurent Delahousse, enre- nommé, le président ?, s’interroge
gistré mardi à l’Elysée en marge du sommet sur le climat. Selon cet ancien ministre du précédent
un communiqué de la chaîne, le chef de l’Etat a répondu à des quinquennat. Jusqu’à présent,
questions sur les grands dossiers internationaux (Syrie, Etats- tout le management de Macron
Unis), a évoqué les questions sociales et environnementales, repose sur la martingale de la vic-

EN KIOSQUE ACTUELLEMENT
et la situation budgétaire du service public audiovisuel alors que toire, mais si un jour il trébuche,
les tensions se multiplient entre France Télévisions et l’exécutif. tout peut exploser. » p
M. Macron s’est aussi exprimé sur « son rapport au temps, bastien bonnefous
son destin, sa vision de l’exercice du pouvoir ». et solenn de royer
 france | 9
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Plusieurs millionnaires au gouvernement

La Haute Autorité pour la transparence a publié vendredi les déclarations de patrimoine des ministres

C’
est un exercice au-
quel les responsa-
bles politiques sont
aujourd’hui habi-
tués, mais toujours à risque pour
l’exécutif. Conformément à la loi
relative à la transparence de la vie
publique adoptée en 2013, la
Haute Autorité pour la transpa-
rence de la vie publique (HATVP) a
publié, vendredi 15 décembre, les
déclarations de patrimoine de la
quasi-totalité des 32 membres du
gouvernement d’Edouard Phi-
lippe. Nommés lors du mini-re-
maniement du 24 novembre, les
secrétaires d’Etat Olivier Dussopt
et Delphine Gény-Stephann dis-
posent d’un délai supplémentaire
et leur patrimoine ne sera pas pu-
blié avant quelques semaines.
Accusé par l’opposition d’être le
« président des riches », Emmanuel
Macron compte une douzaine de
millionnaires dans son équipe
gouvernementale. Le patrimoine
le plus élevé est détenu par Muriel
Pénicaud, la ministre du travail,
qui a déclaré posséder pour plus
de 7,5 millions d’euros de biens.
L’ex-directrice des ressources hu-
maines de Danone est proprié-
taire de deux maisons, l’une dans
les Hauts-de-Seine (estimée à
1,3 million d’euros), l’autre dans la
Somme (340 000 euros), mais elle
possède également des valeurs
mobilières (contrats d’assurance-
vie, instruments financiers, etc.)
pour quelque 5,9 millions d’euros.
Deuxième ministre le mieux
loti, Nicolas Hulot a déclaré un
patrimoine de plus de 7,2 millions
d’euros, composé d’une maison
de plus de 300 mètres carrés en
Corse (1 million d’euros), ainsi que
de plusieurs autres biens immo-
biliers dans les Côtes-d’Armor et
en Savoie, d’une valeur totale de
1,9 million. A cela s’ajoute la so-
ciété Eole, qui encaisse les droits
d’auteurs et royalties des produits
dérivés Ushuaïa, dont la valeur est
estimée à 3,1 millions d’euros,
ainsi que des valeurs mobilières
d’environ 1,2 million d’euros. Dé-
tail amusant, le ministre de la
transition écologique et solidaire
possède neuf véhicules à moteur
(six voitures, un bateau, une
moto et un scooter électrique).
Pas d’anomalies graves
En comparaison, Edouard Phi-
lippe possède un patrimoine plus
modeste, estimé à un peu plus de
1,7 million d’euros, où l’on trouve
un appartement de 1,25 million
d’euros à Paris, un autre en Seine-
Maritime (400 000 euros) et des
valeurs mobilières d’environ
56 000 euros. Le chef du gouverne-
ment, qui avait, en 2014, alors qu’il
était maire du Havre et député de
Seine-Maritime, écopé d’un blâme
de la part de la HATVP pour une
déclaration incomplète et fantas-
que assortie d’annotations ma-
nuscrites ironiques, s’est cette fois
plié à l’exercice avec sérieux.
Le moins bien nanti du gouver-
nement est Gérald Darmanin, le
ministre de l’action et des comp-
tes publics, qui possède moins de
50 000 euros de biens, principale-
ment représentés par un terrain
non constructible de deux hecta-
res situé dans le Nord (estimé
à 30 000 euros). Une « fortune »
qui place l’ancien député Les Ré-
publicains parmi les Français les
plus modestes.
Selon l’Insee, le patrimoine
moyen est de 158 000 euros bruts
par ménage en France. Les 10 %
des Français les plus riches dé-
tiennent 595 700 euros d’actifs et
les 1 % les plus favorisés disposent
de plus de 1,95 million d’euros.
Selon la Haute Autorité, tous les
ministres se sont prêtés de bonne
grâce, et dans les délais, à l’exercice
de transparence. Sur la base des in-
formations qui lui ont été transmi-
ses, ainsi que des vérifications ef-
fectuées auprès de l’administra-
tion fiscale mais aussi des banques
et des notaires, le collège de la HA-
TVP n’a pas relevé d’anomalies
graves, qui auraient nécessité une
observation publique ou, pire, un
signalement au parquet.
Le patrimoine
le plus élevé
est détenu par
Muriel Pénicaud,
qui possède plus
de 7,5 millions
d’euros de biens
Néanmoins, un tiers des décla-
rations ont donné lieu à des
échanges entre la HATVP et les
déclarants, et des demandes de
précisions ou de rectifications
« techniques », portant sur des élé-
ments manquants, incomplets
voire erronés (quote-part, usu-
fruit ou nue-propriété, etc.), ont
été effectuées, selon la Haute
Autorité. Il s’agit d’une propor-
tion certes importante mais com-
parable, par exemple, à celle cons-
tatée pour les députés de la précé-
dente législature (2012-2017).
DU 1 ER AU 30 DÉCEMBRE
LES COUPS DE FOUDRE
Trois situations particulières
ont notamment retenu l’atten-
tion de la HATVP : celles de
Nathalie Loiseau, ministre char-
gée des affaires européennes, de
Nicole Belloubet, garde des
sceaux, et de Nicolas Hulot, qui
ont été priés de réévaluer leur pa-
trimoine, dans le cadre de décla-
rations rectificatives séparées.
Ainsi, Mme Loiseau a dû rehaus-
ser de 400 000 euros la valeur de
son appartement de 190 m2 à Paris
(à 2 millions d’euros), tandis que
Mme Belloubet a dû rajouter à un
patrimoine immobilier déjà
conséquent ses parts dans
deux appartements à Paris et une
maison dans l’Aveyron, pour une
valeur supplémentaire de
336 000 euros (environ 1 million
d’euros au total). Et M. Hulot avait
lui aussi omis, dans sa longue liste
de biens, des parts dans une mai-
son et un appartement, pour une
valeur cumulée de 157 000 euros.
Toutes les déclarations publiées
vendredi restent sous le contrôle
de la HATVP durant toute la durée
des fonctions ministérielles des
déclarants, celle-ci se réservant la
possibilité d’en réexaminer la vé-
racité, si de nouvelles informa-
tions lui parvenaient… signalées
par des citoyens ou par la presse.
« Ces premières vérifications cons-
tituent une étape importante.
Mais elles n’ont pas valeur de qui-
tus ad vitam aeternam », souli-
gne-t-on à la HATVP.
Quant à Emmanuel Macron,
c’est la déclaration qu’il a effec-
tuée lorsqu’il s’était porté candi-
dat à l’élection présidentielle qui
reste valable. A la différence de ses
ministres, celle-ci n’a pas été
contrôlée par la HATVP, la loi alors
en vigueur ne le prévoyant pas.
Mais celle sur la confiance dans la
vie publique du 15 septembre 2017
a changé les règles. Du coup, la
Haute Autorité sera amenée à
contrôler sa déclaration à la fin de
son mandat… en 2022. p
anne michel
et cédric pietralunga

A Chambord, l’anniversaire
CERTAINES ÉMOTIONS
« privé » du président NE PEUVENT PAS ATTENDRE

D epuis le début du quinquennat, il aime manier les sym-

boles. Né un 21 décembre, Emmanuel Macron fêtera ses
40 ans samedi 16 décembre dans le château de Fran-
çois Ier, à Chambord, joyau architectural du Loir-et-Cher, selon
une information de La Nouvelle République, confirmée au
Monde par des proches du président. Accompagné de son
épouse, Brigitte, et des enfants et petits-enfants de cette der-
nière, le président passera le week-end à 200 mètres du château,
à la Maison des réfractaires, ancienne maison forestière transfor-
mée en deux gîtes pouvant accueillir jusqu’à huit personnes
chacun. Un « week-end privé », insiste l’Elysée, qui précise que
M. Macron financera cet hébergement sur ses « deniers propres ».
Le chef de l’Etat est arrivé vendredi soir à Chambord, où il a re-
trouvé en pleine forêt des présidents de fédérations de chasse
ayant traqué le sanglier lors d’une « battue de régulation »
comme il en existe une douzaine par an sur le domaine. Devant
ses invités, il a réaffirmé son attachement à cette pratique.
« C’est la première fois depuis quarante ans qu’un président de
la République vient en forêt à la fin de la chasse », se réjouit le
lobbyiste Thierry Coste, qui défend les intérêts des chasseurs et
a conseillé le candidat d’En marche !
Les « chasses présidentielles » ont été remplacées en 2010 par
des « battues de régulation » qui continuent d’attirer grands
élus et grands patrons, mécènes et hauts fonctionnaires. Pen-
dant la campagne, M. Macron s’était
déclaré favorable à la « réouverture »
de ces chasses de prestige en assu-
L’ÉLYSÉE PRÉCISE mant de les utiliser comme instru-
QUE CE WEEK-END ment d’influence de l’Etat et de
rayonnement de la culture française.
EST FINANCÉ SUR SES Il n’a pas participé au dîner qui se
tenait au château, au son des cors de
« DENIERS PROPRES » chasse. « Il est parti manger une crêpe

ALFA ROMEO GIULIA À partir de 275€/mois

au village », hasarde un invité. Il de-
vait en revanche fêter ses 40 ans samedi soir dans un salon de ce (1)
château né il y a cinq cents ans du caprice d’un roi, symbole de la
puissance royale, désormais placé sous la haute autorité du pré-
sident de la République. Il visitera l’édifice au cours du week-end Sans condition de reprise. LLD sur 36 mois. Avec apport de 4 800 €. Garantie et entretien inclus*.
et en profitera pour se rendre au zoo de Beauval voisin pour y
voir le bébé panda que son épouse a « baptisé » début décembre.
Ces festivités interviennent alors qu’un nouveau président du
R E P A R T E Z S A N S A T T E N D R E A U V O L A N T D E V O T R E A L F A R O M E O (2)
conseil d’administration de Chambord vient d’être nommé : à
56 ans, le président des Aéroports de Paris, Augustin de Roma- (1) Exemple pour une Alfa Romeo Giulia Diesel 2.2 150 ch au tarif constructeur du 01/12/2017 en location longue durée sur 36 mois et
45 000 km maximum, soit 36 loyers mensuels de 275 € TTC après un apport de 4 800 € TTC, sans condition de reprise. Offre non cumulable,
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puté de la Mayenne Guillaume Garot. En lien avec le directeur par LEASYS France, SAS - 6 rue Nicolas Copernic - ZA Trappes Élancourt 78190 Trappes - 413 360 181 RCS Versailles. Courtier en assurance
général du domaine, Jean d’Haussonville, il devra veiller à l’at- enregistré à l’ORIAS n. 08045147. *La prestation d’assistance est garantie et mise en œuvre par Europ Assistance, entreprise régie par le code des assurances.
Modèle présenté : Giulia 2.2 Diesel 210ch Veloce avec Jantes 19’’ et étriers de freins rouges à 629 €/mois après un apport de 4 800 TTC, sans condition de
tractivité de ce haut lieu culturel et touristique classé au Patri-
reprise. (2) Véhicules disponibles avec délais de livraison. **La mécanique des émotions.
moine mondial de l’Unesco, dont on fêtera les 500 ans en 2019.
M. de Romanet abandonne son siège de président du conseil Alfa Romeo Giulia - Consommations mixtes (l/100 km) : 3,8 à 8,5. Émissions CO2 (g/km) : 99 à 198. Alfa Romeo France
d’orientation du domaine qui, selon nos informations, doit re-
venir à un proche d’Emmanuel Macron, le sénateur de Cô-
te-d’Or François Patriat. Ce chasseur assidu, qui ne pouvait pré-
tendre à la présidence du conseil d’administration, étant parle-
mentaire et atteint par la limite d’âge fixée pour cette fonction,
voit donc son rêve se réaliser en partie. p
solenn de royer
10 | france
Le smic est revalorisé
sans « coup de pouce »
Le salaire minimum augmentera de 1,24 %
au 1er janvier 2018
L e ministère du travail a an-
noncé, vendredi 15 décem-
bre, dans un communiqué,
que le salaire minimum sera reva-
lorisé, le 1er janvier 2018, de 1,24 %,
mais sans bénéficier d’un « coup
de pouce » du gouvernement.
Cette décision ne constitue pas
une surprise : elle est conforme
aux recommandations récentes
d’un groupe d’experts qui est
chargé, chaque année, de formu-
ler un avis sur l’évolution du smic.
Cette instance, présidée par
l’économiste Gilbert Cette, se pro-
nonce notamment sur l’opportu-
nité d’accorder une majoration, en
plus de la hausse qui s’applique
automatiquement, tous les ans, en
prenant en compte deux paramè-
tres : l’accroissement des prix
pour les 20 % des ménages les plus
modestes et l’augmentation du sa-
laire horaire de base ouvrier et em-
ployé (SHBOE). Comme les années
précédentes, le comité d’experts
avait jugé que le salaire minimum
ne devait seulement être aug-
menté qu’en fonction de ces deux
éléments – et l’exécutif l’a suivi.
« Alibi médiatique »
Ce qui est un peu plus étonnant,
c’est la méthode choisie par le mi-
nistère du travail pour rendre pu-
blic son arbitrage : un communi-
qué diffusé quatre jours avant la
réunion de la Commission natio-
nale de la négociation collective
(CNNC), consacrée à la revalorisa-
tion du smic. Un geste très éloigné
des usages, qui froisse les syndi-
Enventechezvotremarchanddejournaux
etsurboutique.telerama.fr
cats : « La messe est dite avant
même la réunion de la CNNC. C’est
la première fois que ça arrive, as-
sure Marie-Alice Medeuf-Andrieu
(FO). Ce n’est pas acceptable. » « Le
gouvernement dit vouloir encoura-
ger le dialogue social mais son dis-
cours tient de l’alibi médiatique »,
renchérit Fabrice Angei (CGT).
La décision dévoilée vendredi
fait passer le smic de 9,76 euros à
9,88 euros brut de l’heure, soit
1 498,47 euros brut par mois pour
un travailleur à temps plein
(+ 18,2 euros par rapport à 2017).
Dans son communiqué, le mi-
nistère du travail précise que si
l’on intègre la baisse des cotisa-
tions salariales prévue en 2018, un
smicard employé sur la base des
35 heures verra sa rémunération
augmenter de 20 euros net par
mois « de janvier à septembre puis
de 35 euros à partir du 1er octobre »
(la diminution des prélèvements
étant étalée dans le temps). « Au
total, la hausse sur l’année sera de
285 euros », complète le cabinet de
Muriel Pénicaud.
Cette annonce intervient alors
que le gouvernement envisage
une modification de la formule de
calcul du smic. La piste qui tient la
corde consisterait à supprimer
toute référence au SHBOE, pour
ne prendre en considération que
l’inflation. Si cette idée était mise
à exécution, le salaire minimum
progresserait à un rythme infé-
rieur à celui qui prévalait jusqu’à
maintenant. p
bertrand bissuel
Épices, plats, produits, chefs venus d’ailleurs,
la cuisine française s’est constamment nourrie
d’eluvemigratoire.Entremétissage,appropriation,
acclimatation et moteur d’intégration, dans ce
hors série «Au cœur de la cuisine française»,
Télérama raconte ce qui, dans nos assiettes,
au quotidien, nous unit aux saveurs de l’étranger.
Le procès de Georges Tron
renvoyé, à force d’incidents
Le président de la cour d’assises a fini par accéder à la requête de la défense
A
près une journée
émaillée d’incidents
d’audience, vendredi
15 décembre, le procès
de Georges Tron et de son ex-ad-
jointe à la mairie de Draveil (Es-
sonne), jugés pour viols et agres-
sions sexuelles sur deux plai-
gnantes, a été renvoyé à une date
ultérieure. Après avoir entendu
les représentants des parties civi-
les, de l’accusation et de la dé-
fense, le président de la cour d’as-
sises de Seine-Saint-Denis à Bobi-
gny, Régis de Jorna, et ses deux as-
sesseurs ont considéré qu’il
n’était plus possible d’assurer la
sérénité des débats et de tenir le
calendrier prévu de l’audience qui
devait s’achever le 22 décembre.
Tout s’est précipité lors d’une
rencontre « informelle » entre le
président de la cour et les parties
au procès, avant la reprise des dé-
bats vendredi matin. Cette discus-
sion, à l’initiative du président,
portait sur la diffusion la veille,
dans l’émission « Envoyé spécial »,
d’un documentaire consacré à l’af-
faire, à laquelle participait l’une
des plaignantes, Virginie Faux,
ainsi qu’une femme citée comme
témoin et qui n’avait pas encore
été entendue par la cour d’assises.
La veille, Me Eric Dupond-Mo-
retti, qui assure la défense de
Georges Tron, avait lu la lettre
qu’il venait d’adresser au Conseil
supérieur de l’audiovisuel dans
laquelle il dénonçait la diffusion
Enpartenariatavec
d’un tel documentaire, réalisé
quelques jours avant l’audience,
qui constituait, selon lui, « une at-
teinte particulièrement grave » à la
présomption d’innocence de son
client et apparaissait « susceptible
d’influencer largement les débats
de justice ». La défense des accusés
envisageait de faire un incident à
ce sujet à la reprise des débats.
Au cours de cette discussion te-
nue « sous la foi du palais » – un
code non écrit qui régit les rela-
tions entre magistrats et avo-
cats –, le président de Jorna, pen-
sant sans doute avec un peu de
naïveté s’exprimer en confiance
auprès de ses interlocuteurs, a
fait part de ses états d’âme. Il a
souligné le problème que posait
la diffusion d’une émission ne re-
prenant que la parole des plai-
gnantes, mais aussi la violence de
la mise en cause personnelle
dont il était l’objet sur la façon
dont il avait interrogé, la veille,
Virginie Faux, notamment dans
certains comptes rendus réalisés
en direct à l’audience, tant par des
journalistes que par des person-
nes proches des plaignantes.
Piège tendu
Il s’interrogeait notamment sur la
pression que tout cela pouvait
exercer sur les interrogatoires à
venir dans la formulation de ses
questions et laissait entendre
que, pour juger une telle affaire, il
aurait peut-être été plus judicieux
d’avoir choisi une femme.
Mais ce qui aurait pu rester une
simple conversation entre profes-
sionnels a aussitôt été perçu par la
défense des deux accusés comme
une formidable opportunité d’ob-
tenir le renvoi du procès. Elle le
souhaitait pour deux raisons : la
première tient au contexte parti-
culier créé par la lame de fond de
l’affaire Weinstein dans lequel ce
dossier est jugé et qui est défavo-
rable à la défense. La seconde
– liée à la première ou pas – vient
de la mauvaise surprise
qu’a constituée, pour les conseils
de Georges Tron et de Brigitte
Gruel, la découverte d’un avocat
général pugnace et offensif, Fré-
déric Bernardo, qui, par ses pre-
mières questions, laissait claire-
ment entendre qu’il ne comptait
pas suivre l’attitude jusque-là très
favorable aux accusés qui avait été
celle du parquet tout au long de
l’instruction, puis en appel devant
L’ampleur de la discrimination
à l’accès à la location mesurée
Les noms d’origine maghrébine et africaine sont plus souvent rejetés
T ous les candidats à la loca-
tion n’ont pas les mêmes
chances au départ. Le labo-
ratoire de recherches « Travail,
emploi et politiques publiques »
du CNRS a publié, vendredi 15 dé-
cembre, une étude d’une ampleur
inédite sur la discrimination à la
location d’appartements.
Quatre chercheurs des universi-
tés de Marne-la-Vallée, de Bourgo-
gne-Franche-Comté et du Mans
ont réalisé un « testing », méthode
scientifique qui mesure les écarts
de taux de réussite entre des can-
didatures fictives. Ils ont inventé
huit candidats cherchant un deux-
pièces, loué environ 500 euros par
mois, et ont répondu à un total de
5 000 annonces sur Leboncoin, Se-
Loger ou LogicImmo. Dans 83 %
des cas, les annonceurs ont été sé-
lectifs et ont traité les candidats
différemment, affichant bien une
attitude discriminatoire.
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
« Que va retenir
l’opinion de tout
cela ? Que M. Tron
ne veut pas être
jugé, c’est tout ! »
FRÉDÉRIC BERNARDO
avocat général
la chambre de l’instruction. A cha-
cune de ces étapes, le parquet
avait, en effet, requis un non-lieu
en faveur du maire de Draveil et
de sa coaccusée.
A la reprise des débats, la dé-
fense s’est donc appuyée implici-
tement sur ces propos informels
de Régis de Jorna pour justifier sa
demande de renvoi du procès, en
soulignant que celui-ci n’était plus
à même de les mener sereine-
ment. Comprenant le piège qui lui
était tendu, le président ordon-
nait une suspension d’audience
dont il revenait, avec ses deux as-
sesseurs, quatre heures plus tard.
Le visage blême, il annonçait que
la cour rejetait cette demande.
Me Dupond-Moretti menait
alors une seconde offensive, en
évoquant explicitement cette fois
les propos tenus par le président.
Face à l’indignation des avocats
de la partie civile sur cette viola-
tion de « la foi du palais », il rétor-
quait que celle-ci avait une limite,
« l’intérêt supérieur de celui que
l’on défend ».
« Stratégie de bulldozer »
« Vous dites que votre nom a été
associé au #balancetonporc. Vous
dites que cette émission d’“Envoyé
spécial” est honteuse ! Vous dites
qu’il aurait mieux valu une femme
comme présidente ! Qu’est-ce que
c’est que cette discrimination ?
Est-ce que cela signifie qu’il aurait
fallu choisir un président musul-
man au procès Merah ? Et pour-
quoi une femme ? Quelles qualités
La défense de Tron avait saisi le CSA
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a confirmé vendredi
15 décembre avoir reçu un courrier adressé la veille par la dé-
fense de Georges Tron. Elle réclamait que soit différée, au nom
de la présomption d’innocence, la diffusion d’un sujet d’« Envoyé
spécial », sur France 2, consacré à l’affaire. Mais, souligne-t-on au
CSA, l’instance n’est pas un « organe de censure » et n’a donc pas
pour mission d’« intervenir avant la diffusion d’une émission », en
raison de la liberté éditoriale des radios et des télévisions.
Un profil – servant de référence –
se voulait neutre, celui de Sébas-
tien Petit ; un deuxième, Frédéric
Rousseau, affichait une adresse
dans un quartier prioritaire de la
politique de la ville (QPV) où il
candidatait ; Kevin Durand indi-
quait qu’il avait 20 ans ; quatre
profils portaient des patronymes
supposant une origine maghré-
bine, Mohamed Chettouh, Mou-
nir Mehdaoui (fonctionnaire), Ka-
rim Benchargui (aussi résident en
QPV), et Nordine M’Barek ; Désiré
Sambou campait le candidat d’ori-
gine présumée africaine.
Palmarès des villes
Sébastien Petit a reçu 13,9 % de ré-
ponses positives et Mohamed
Chettouh 10,2 % : la différence de
3,7 points équivaut à 26,7 % de
chances en moins. Désiré Sambou
a eu le moins de succès, à 9,44 %,
soit 32,5 % de chances en moins.
0123
prêtez-vous à une femme que vous
n’auriez pas ? On ne peut pas conti-
nuer comme ça. Au pis, c’est un
aveu d’incapacité, au mieux celui
d’une difficulté qui vous honore.
Les difficultés que vous éprouvez, il
faut en tirer les conséquences », a
conclu Me Dupond-Moretti en lui
demandant de se déporter.
Farouchement hostiles à ce ren-
voi, les avocats des parties civiles
et l’avocat général ne pouvaient
que constater que ces heures pas-
sées en incidents d’audience, ve-
nues s’ajouter au retard déjà accu-
mulé sur le calendrier, rendaient
de plus en plus hasardeuse la pos-
sibilité de terminer ce procès
avant Noël. Les uns après les
autres, ils ont donc été contraints
de rendre les armes. « La tension
de cette audience, elle n’est aucune-
ment le fait des parties civiles, mais
intégralement celui de la défense,
qui a mené une stratégie de bulldo-
zer destinée à nous museler », a ob-
servé Me Alexandre-M. Braun,
avocat d’Eva Loubrieu. En écho,
son confrère Vincent Ollivier a dé-
noncé « le terrorisme judiciaire »
d’Eric Dupond-Moretti, « qui n’a
eu de cesse de dynamiter toute la
procédure pour éviter d’exposer les
turpitudes de Georges Tron ».
L’avocat général a dû se soumet-
tre à son tour. « Si nous renvoyons
ce procès, c’est uniquement parce
que la défense a décidé de polluer ce
débat. » Frédéric Bernardo a toute-
fois adressé une mise en garde à la
défense : « Que va retenir l’opinion
de tout cela ? Que Georges Tron
échappe à ses responsabilités, qu’il
ne veut pas être jugé, c’est tout ! »
Dans le palais de justice de Bobi-
gny, la cour d’assises qui avait
prévu neuf jours d’audience pour
instruire cette affaire de viols et
d’agressions sexuelles se vidait,
pendant que, dans les salles voisi-
nes, jusque tard dans la nuit, on
allait continuer de juger à la
chaîne. p
pascale robert-diard
Si le candidat d’origine maghré-
bine supposée est fonctionnaire,
il améliore un peu ses chances, à
10,7 %, sans parvenir au score du
profil neutre. « Les annonceurs
perçoivent bien la meilleure qua-
lité de candidature avec le rassu-
rant statut de fonctionnaire, mais
ça ne suffit pas », commente l’éco-
nomiste Loïc du Parquet, l’un des
auteurs de l’étude.
L’adresse et l’âge ne semblent,
en revanche, pas jouer de rôle, être
jeune, maghrébin et habiter en
QPV paraissant même susciter un
peu plus de bienveillance. L’étude
dresse aussi une cartographie et
un palmarès des villes accueillan-
tes : Nice, Paris, Poitiers, Rouen,
Bordeaux sont les moins discri-
minantes, mais la ségrégation sé-
vit partout et de façon plus mar-
quée à Perpignan, Limoges, Valen-
ciennes, Avignon ou Nancy. p
isabelle rey-lefebvre

0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
Saint-Féliu-
d’Avall, en « état
de choc total »
Les adolescents victimes
de l’accident entre un TER
et un autocar, près de Millas,
habitaient tous le village voisin
millas et saint-féliu-d’avall
(pyrénées-orientales)
- envoyé spécial
C
ela pourrait ressembler
à un après-midi normal
dans la cour de l’école
élémentaire Louis Clerc
à Saint-Féliu-d’Avall, commune de
2 860 âmes, à une dizaine de kilo-
mètres de Perpignan. Mais ce ven-
dredi 15 décembre, les enfants
sont un peu moins disciplinés
qu’habituellement, beaucoup
pleurent, les encadrants sont plus
inquiets. A travers la grille de
l’école, certains de leurs copains
sont venus parler du « drame ».
Dans le village, tout le monde
veut parler. La veille, à 16 h 03, un
TER qui circulait sur la ligne Perpi-
gnan-Villefranche – Vernet-les-
Bains a heurté de plein fouet un
car de la compagnie Faur, au pas-
sage à niveau n° 25, à la sortie de
Millas. Le car scolaire, qui trans-
portait vingt-quatre personnes, a
été littéralement coupé en deux.
Un second autocar, qui suivait, a
échappé à la collision.
La fermeture d’une
mosquée validée
Le tribunal administratif de Marseille
a rejeté le recours de l’association
marseille - correspondant
L a mosquée salafiste As
Sounna ne rouvrira pas. Le
tribunal administratif de
Marseille a validé, vendredi 15 dé-
cembre, la décision du préfet de
police des Bouches-du-Rhône de
fermer pour six mois à partir de
jeudi cette importante salle de
prière du 3e arrondissement qui
accueille jusqu’à 800 fidèles.
Vêtus de khamis, une trentaine
d’entre eux ont assisté le matin
même à l’audience avec l’imam Al
Hadi Doudi, un Algérien de 61 ans,
président de l’association des
musulmans du boulevard Natio-
nal, qui gère As Sounna. Le tribu-
nal a rejeté sa demande de sus-
pension de l’arrêté de fermeture,
considérant qu’il « ne porte pas
une atteinte grave et manifeste-
ment illégale à la liberté de culte ».
Christophe Reynaud, directeur
de cabinet du préfet de police, a ré-
sumé une note des services de ren-
seignement démontrant « com-
bien les prêches de M. Doudi – et ses
posts sur le site assalafia.com –
sont contraires aux lois de la Répu-
blique, motivent un repli commu-
nautaire et constituent le terreau
d’actes de terrorisme ».
Des perquisitions aux domiciles
de M. Doudi et des responsables de
la mosquée, le gel des comptes de
l’association en passe d’acquérir
ses locaux avaient précédé cet ar-
rêté pris sur la base de la nouvelle
loi sur la sécurité intérieure, « aux
seules fins de prévenir la commis-
sion d’actes de terrorisme ».
L’imam, qui s’est installé à Mar-
seille en 1980, « s’inscrit dans la
mouvance islamiste radicale, en
devenant une référence du sala-
fisme », selon le préfet de police.
Ses prêches ont « conduit plusieurs
Parmi les victimes figurent dix-
neuf enfants âgés de 11 à 17 ans,
scolarisés au collège Christian-
Bourquin de Millas. Cinq adoles-
cents, dont le plus jeune avait
11 ans, sont morts dans la colli-
sion. Vendredi soir, le pronostic
vital était engagé pour cinq
autres. Tous habitaient Saint-Fé-
liu-d’Avall, ainsi que la conduc-
trice du bus et celui du TER.
Vendredi, en fin d’après-midi,
les gendarmes du peloton de
Montpellier bloquaient encore
l’accès au passage à niveau fu-
neste. Les experts du pôle spécia-
lisé dans les accidents collectifs,
Vers 18 heures,
les hauts murs
de l’église Saint-
André ont abrité
le recueillement
d’environ
400 habitants
fidèles de la mosquée à rejoindre la
zone irako-syrienne ou à se récla-
mer d’Al-Qaida ». Soupçonné de lé-
gitimer le djihad et la mise à mort
des auteurs d’adultère et des apos-
tats, l’imam a « incité à la discrimi-
nation, à la haine, à la violence à
l’égard des femmes, des juifs, des
chiites », a expliqué M. Reynaud.
Réprobation « de façade »
Pourquoi fermer maintenant une
mosquée qui fait l’objet des mê-
mes critiques depuis son ouver-
ture en 1999 ? Est-ce pour faire un
exemple et appliquer la loi qui
vient d’entrer en vigueur ?, a ques-
tionné Me Philippe Perollier, dé-
fenseur de l’association. Si
M. Doudi regrette un article sur la
Palestine qui a « pu être compris de
travers », il explique que ses prê-
ches puisent directement dans le
Coran. Y compris lorsque ses pro-
pos présentent les juifs comme
des « impurs », « les frères des sin-
ges et des porcs ». « Ce sont les ter-
mes d’une sourate », a précisé
Me Perollier selon lequel ces pro-
pos ont été sortis de leur contexte
religieux et mal interprétés.
« Doit-on fermer une mosquée
parce que l’imam lit des passages
du Coran ? », a plaidé l’avocat, rap-
pelant que M. Doudi avait con-
damné les attentats de Paris et de
Saint-Denis. Une réprobation qua-
lifiée « de façade » par le préfet.
De son côté, le conseil régional
du culte musulman invite « à faire
confiance aux institutions de la
République ». Un de ses représen-
tants, Abderrahmane Ghoul, a dé-
signé M. Doudi comme « le chef
spirituel d’une tendance qui ap-
pelle à la haine et à violence ». « On
l’a averti, a-t-il ajouté, malheureu-
sement, il n’écoute pas. » p
luc leroux
arrivés de Marseille, travaillaient
encore sur les lieux. A sa tête, le
procureur de la République, Xa-
vier Tarabeux, s’est saisi de l’en-
quête. Lors d’un point presse, ven-
dredi soir, il a fait savoir que ni le
car ni le TER ne se trouvaient en
excès de vitesse lors de l’accident.
La majorité des témoignages re-
cueillis à l’heure actuelle va dans
le sens de « barrières fermées » au
moment où le bus se trouvait sur
la voie. La conductrice du bus,
dont le test d’alcoolémie s’est ré-
vélé négatif, a toutefois affirmé à
son patron que les barrières du
passage à niveau étaient levées et
que le feu clignotant était éteint
au moment où elle traversait les
voies. Mais elle n’a toujours pas
été entendue par les gendarmes.
Gérer « l’après »
Loin du début de polémique sur
les responsabilités, c’est tout un
village qui se trouve « en état de
choc total », selon le maire de la
commune, Robert Taillant. Arrivé
rapidement au passage à niveau,
il parle d’une « scène de guerre,
d’horreur absolue pour les secours
arrivés sur place » à peine cinq mi-
nutes après l’accident. En début
d’après-midi, il recevait dans sa
mairie les familles des victimes et
enchaînait les réunions pour sa-
voir comment gérer « l’après ».
Chapelle ardente, funérailles
communes ? La réponse sera don-
née en début de semaine.
Au collège Christian-Bourquin à
Millas, psychologues, médecins
scolaires et enseignants se sont
relayés pour accueillir parents et
enfants, après une visite le matin
du ministre de l’éducation natio-
nale, Jean-Michel Blanquer.
Sur 250 élèves que compte l’éta-
blissement, une centaine sont ve-
nus pour se retrouver. Lors d’une
conférence de presse, le ministre
a promis qu’« au-delà d’un soutien
Bienvenue
au Royaume enchanté
pratique et psychologique immé-
diat, il faudra suivre ces jeunes
pendant des mois, voire des an-
nées ». Un coordonnateur inter-
ministériel, Philippe Cèbe, a été
nommé pour renforcer la cellule
médico-psychologique.
Assis sur les marches bien gar-
dées de l’entrée du collège, Tom et
Adrien, 15 ans, assistent au ballet
des allées et venues. Désormais
au lycée, ils sont venus pour « ten-
ter de voir les potes » selon Tom.
« Hier soir, on est allés sur les lieux
de l’accident vers 18 heures. J’ai vu
le bus coupé en deux, du sang par-
tout, des corps déchiquetés… Je
suis triste, très triste », ajoute son
ami. Le papa d’une élève de 6e,
présente dans le bus qui suivait
l’autocar accidenté, témoigne :
« Elle devait être dans le premier
car, je crois qu’elle se sent coupa-
ble. Désorientée, en tout cas. »
Même envie de se rencontrer,
de ne pas rester seul, de se sentir
utile dans la salle polyvalente voi-
sine. Prévu de longue date, un
don du sang organisé par l’Eta-
blissement français du sang a vu
défiler près de 200 personnes,
« contre une trentaine habituelle-
ment », commentait, ébahi, un in-
firmier. Vers 18 heures, les hauts
murs de l’église Saint-André de
Saint-Féliu-d’Avall ont résonné
des pleurs et abrité le recueille-
ment d’environ 400 habitants.
Familles des victimes, voisins,
amis ou élus ont écouté l’abbé
Benoît De Roeck évoquer « une
grande espérance, malgré une infi-
nie douleur », avant qu’il ne
vienne parler à la presse, et lui de-
mande « d’aider ce village meur-
tri ». Le maire, pour sa part, regret-
tait de « n’avoir reçu aucun coup
de fil, ni de l’Etat ni de la SNCF ».
Avec cet adjectif permanent à la
bouche : « Incompréhensible, tout
cela est incompréhensible. » p
philippe gagnebet
Willem Dafoe Bria Vinaite
F lorida The
Project
un film de Sean Baker
20 décembre
Le MoDem cherche
sa place dans la majorité
Le parti centriste, qui tient congrès ce week-end,
peine à exister face à La République en marche
A vec 47 députés et deux
membres du gouverne-
ment issus de ses rangs, le
MoDem ne s’est jamais aussi bien
porté. Mais le parti centriste, qui
tient un congrès samedi 16 et di-
manche 17 décembre, à Paris,
peine à exister face à l’hégémonie
exercée par La République en mar-
che (LRM). Aussi bien au gouver-
nement, depuis le départ forcé de
François Bayrou du ministère de
la justice à cause de l’affaire des
soupçons d’emplois fictifs des as-
sistants parlementaires euro-
péens, qu’à l’Assemblée, où la voix
du principal allié de LRM porte
peu face aux 313 élus macronistes.
Contraint de se différencier pour
se faire entendre, le MoDem n’a
pas été écouté lors du débat bud-
gétaire sur la question de l’ISF. Son
amendement qui visait à rendre
moins radicale la réforme de cet
impôt – en excluant la détention
de titres de société – a été rejeté
par le gouvernement. Récem-
ment, des députés macronistes se
sont aussi opposés à la proposi-
tion de loi centriste visant à faire
de la résidence alternée le principe
en cas de séparation des parents.
Différences d’approche
Ces épisodes et la relative indiffé-
rence du groupe LRM vis-à-vis de
son allié ont alimenté l’idée chez
certains élus MoDem que leur
groupe était « maltraité ». Un sen-
timent partagé jusque dans les
rangs de LRM. « Nous devons veiller
à être davantage dans le partage
Brooklynn Prince
france | 11
avec le MoDem, admet la députée
LRM de l’Isère, Cendra Motin. Nous
sommes parfois trop durs avec
eux. » Son collègue de Paris, Pierre
Person, préconise d’« améliorer le
dialogue » en organisant des réu-
nions de groupe communes.
« Notre défi consiste à être les ga-
rants du projet présidentiel et, en
même temps, à porter notre mes-
sage, avec nos spécificités », ré-
sume le chef de file des députés
MoDem, Marc Fesneau, citant les
thèmes sur lesquels sa formation
peut faire valoir sa différence : « la
défense des collectivités territoria-
les, le projet européen, l’équilibre
social ou la politique familiale ».
Sur ce dernier sujet, le MoDem se
dit attaché au maintien de l’uni-
versalité des allocations familia-
les, alors que LRM n’exclut pas de
la remettre en cause.
S’il manifeste un soutien sans
faille à Emmanuel Macron, Fran-
çois Bayrou l’exhorte à porter « un
projet social » sans trop dériver à
droite. Seul candidat à sa succes-
sion, M. Bayrou a été réélu sans
surprise à la présidence du Mo-
Dem, vendredi. Bien qu’il assure le
contraire, certains de ses proches
lui prêtent toujours l’ambition
d’être nommé à Matignon durant
le quinquennat. Le premier minis-
tre, Edouard Philippe, sera juste-
ment l’invité vedette du congrès,
en compagnie de Christophe Cas-
taner, secrétaire d’Etat chargé des
relations avec le Parlement et dé-
légué général de LRM. p
alexandre lemarié
   
      



       
         

        

      


     

                


       
  
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des thermes, 2 couchages max.       
(lit 140), entièrement meublé
et équipé (TV-Wi-Fi), salle de bain
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de l’immeuble. Photos supp.
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0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017 carnet | 13
Mme Renée Brocard, Pierre Franchi, Charles Rafin,
François, Denis et Claude-Fabienne, son compagnon, son époux
ses enfants, Charlotte Lerolle
et Sébastien Joffreau, et ses enfants, Steven et Stanley,
/H &DUQHW
en vente Julien et Séverine Lerolle, Denise Stephanus,
ont l’immense peine de faire part du décès ses enfants,
! !" # !   sa sœur, Musée d’Orsay
actuellement de Guy et Monique Flottes,
Gérard Vincent,
"   !  son père,
Pierre BROCARD, Mathurin, Ludivine, Blandine, Camille, son frère Conférence
K En kiosque   !     $ Emma, et leurs familles,
!  ! !    ses petits-enfants, samedi 16 décembre 2017, à 17 heures
survenu à l’âge de quatre-vingt-quatre ans,
HORS-SÉRIE

    le 14 décembre 2017. ont la tristesse de faire part du décès de ont le regret de faire part du décès de « Conversation avec Aurélie Dupont »
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DE STYLO  ! !     Il a donné son corps à l’école Anne FLOTTES,
De Léonard de Vinci au 21e siècle,
Monique VINCENT, animée par Claire Chazal,
! !  de chirurgie.
en passant par Albert Einstein,
la fabuleuse histoire de la douceur d’écrire.

survenu le 29 novembre 2017. suivie de la projection, à 19 heures,

3RXU WRXWH LQIRUPDWLRQ &DUQHW  le 13 décembre 2017. de La Sylphide,
Le CERMEP (Lyon) Un hommage funèbre lui sera rendu
     le vendredi 22 décembre, à Grenoble production du Ballet
     a la tristesse de faire part du décès
(Isère), à 11 heures. Les obsèques auront lieu mardi de l’Opéra national de Paris.
FDUQHW#PSXEOLFLWHIU 19 décembre, à 16 heures, au crématorium
de son ancien directeur, p.franchiconseil@orange.fr
Les grands inventeurs

du cimetière du Père- Lachaise, Paris 20e.

La saga des marques
Les stylos de légende
La magie des encres Auditorium
L’enfant et le stylo
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M Barbara Fouesnant,
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et ses petits-enfants, Il y a un an, le 18 décembre 2016,
Julia et Audrey, Thomas et Ronan, Félicitations
le 10 décembre 2017.
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David Fonteneau, et leurs épouses, Félicitations pour ton doctorat
Philippe Nepomiastchy, Il a été un pionnier de la leur maman, Mme Liliane Fouesnant, en études cinématographiques !
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Andreas, Inès, Quentin, Alix, Félix et Zoé,
ses petits-enfants, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, par Leslie DAGNEAUX,
Nous garderons le souvenir Que tous ceux qui l’ont approchée, à Rennes 2, le 8 décembre 2017,
Marine Bartholin Mme Constance Castela,
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Le Crime de
ses sœurs, par la recherche biomédicale. et sa famille, une pensée pour elle en ce jour.
l’Orient-Express ou le cinéma scolaire autrement. »
le film Chantal Bartholin,
sa belle-sœur, ont la tristesse de faire part du rappel
L’université Paris Nanterre, à Dieu de C’était le 15 décembre 1997, Fiers de ta réussite !
Hors-série son président,
ont la profonde tristesse d’annoncer Dédé et Mireille de Kercadiou.
le décès, le 12 décembre 2017, de L’UFR droit et science politique, Loïc FOUESNANT, Philippe SORIN,
HORS-SÉRIE Ses codirecteurs, ingénieur général de 1ère classe
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née BARTHOLIN, oficier de la Légion d’honneur, mourait subitement sur la neige,
son directeur,
médecin psychiatre, commandeur à l’âge de soixante et onze ans.
praticien hospitalier à l’hopital Ses anciens collègues, de l’ordre national du Mérite.
L’ATLAS et à l’UCSA de la prison de Meaux. Ses anciens étudiants,
Une messe sera célébrée le mardi « Rien n’est plus vivant qu’un souvenir. »
ENJEUX
DE
GÉOPOLITIQUES L’EAU 200
CARTES
La cérémonie aura lieu au Temple
protestant, 58, rue Madame, Paris 6 e,
ont la profonde tristesse de faire part 19 décembre 2017, à 14 h 30, en la
cathédrale Saint-Corentin de Quimper
ET DES OCÉANS du décès de Souvenirs
le 20 décembre, à 10 h 30. (Finistère).

La crémation aura lieu à 16 heures, Semur-en-Brionnais.

au crématorium du cimetière du Père- Patrick DAILLIER, SOS AMITIE
Lachaise, Paris 20e. professeur de droit émérite, Ginette LYON-CAEN, In memoriam,
Hors-série née LÉVY, Envie d’être utile ? Venez nous rejoindre
enseignant et chercheur ingénieur Institut d’optique (1946),
Sylvie et Bruno, très apprécié de tous, bibliothécaire Raymond BRAMANT.
dans un centre proche de chez vous !
Collections Hélène et Luis,
ses enfants,
Antoine, Tristan, Ana et Michel,
coauteur
du Traité de droit international public.
à la Bibliothèque nationale,

est décédée le 12 décembre 2017,

ses petits-enfants,
Thomas,
son arrière-petit-ils,
Ses amis et ses proches,
ont la tristesse de faire part du décès de
Le musée idéal
Jacqueline BASTUJI,
professeur des Universités,
survenu le 12 décembre 2017,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
L’incinération aura lieu au crématorium
DEGAS
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
le 19 décembre, à 12 heures.
L’art du mouvement
Ils s’associent à la peine de sa famille
et de ses proches, auxquels ils adressent
leurs sincères condoléances.
Françoise Escalère,
son épouse,
Bruno, Christophe et Thi Kimnga,
ses ils et sa belle-ille,
Thomas, Denis, Alexandre et Laurent,
ses petits-ils,
Il aurait cent ans. Décédé en 1986,
cet homme exceptionnel, instituteur,
dans sa quatre-vingt-quatorzième année. militant laïc et progressiste, milita au Pcf, Les bénévoles de SOS Amitié écoutent
auquel il avait adhéré clandestinement
par téléphone et par internet
De la part de en 1942 dans un camps de prisonniers.
ceux qui souffrent de solitude, mal-être
Maurice Lyon-Caen,
Une vie professionnelle et sociale
son mari, et pensées suicidaires.
Alain et Christiane Lyon-Caen, très active, unanimement appréciée.
Claudine et Daniel Lacroix, Directeur d’école à Ligny puis à Charolles
Jean-Jacques Lyon-Caen et enfin, la retraite venue, maire de
et Nora Tenenbaum, Semur-en-Brionnais, son village natal Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 7
Jean-François Lyon-Caen, qu’il affectionnait tant.
et recherchons des écoutants bénévoles.
Hélène Lyon-Caen et Pierre Briole,
ses enfants, Un homme exceptionnel, honoré L’écoute peut sauver des vies
Nicolas, Nathalie, Sophie et Clément par une Légion d’honneur à titre militaire,
Lyon-Caen, et enrichir la vôtre.
pour le courage dont il it preuve en 1940

ont la tristesse de faire part du décès de Cécile, Pascal, Sylvie et Olivier

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l’aîné des scouts de notre famille.
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survenu à Paris,
dans sa quatre-vingt-troisième année.
La cérémonie religieuse aura lieu
le lundi 18 décembre 2017, à 14 h 30,
en l’église de Notre-Dame de Clignancourt,
1, place Jules Joffrin, Paris 18e.
Lacroix,
Igor et Judith Lyon-Caen,
Sarah, Mathilde et Juliette Lyon-Caen,
Samuel et Alice Briole,
ses petits-enfants
ainsi que leurs conjoints et leurs enfants,
Bernard et Françoise Lyon-Caen,
son beau-frère et sa belle-sœur.
Ses obsèques auront lieu au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
mardi 19 décembre, à 14 h 30.
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des Palmes académiques aussi,
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se fera l’allumage des sept bougies
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s’est endormi en Paix Aux fleurs et couronnes, Bernard Du Cannet,
et a rejoint sa chère et tendre épouse, préférait des prières et des dons Jean-Jacques Baudouin-Gautier,
Jean PINTURAULT,
aux associations (Solidarité Jean Merlin, oficier ton ami.
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Marie-Christine,
Les Petits Frères des Pauvres, L’Armée dans l’ordre des Palmes académiques,
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son gendre, Laurence et Marc, Francis et Wanda,
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du décès du Tél. : 01 44 50 43 01.
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19 décembre, à 10 heures, pour lui rendre information@musee-orangerie.fr
hommage et l’accompagner de nos prières léguons à l’UNICEF
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!0* !") #$, $'(-#
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(2013) Joel, Muriel et Jim Ronez,   # #   )) $-),$*
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K Abonnements Béatrice, 1!. -"##
sa belle-ille, ses enfants, Samedi 13 janvier 2018 :  #   $ $
Didier Bolling, et Liselotte, Ferdinand, Evan « Moins de gestes, plus de regards : !'' &-) ! 2 $/* 
son beau-frère, et Erin Ronez, le corps dévoilé »
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Anne Goscinny, Marie-Frédérique ses petits-enfants,
www.lemonde.fr/abojournal
Manuelle Pefferkorn-Mazerand, Samedi 7 avril :   #$ $ $ %# $  $
(1967). « La faillite de la pudeur »
!!* .# $,
K Boutique du Monde ont la tristesse d’annoncer le décès de   #$ $ %# $ $
ont la tristesse de faire part du décès de Samedi 26 mai : -!# )$ $-),
www.lemonde.fr/boutique L’inhumation a lieu ce samedi « Le triomphe de l’impudeur ».
Pierre RONEZ,
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IGREF,
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#  $!* "#2
  !'# '#
Une cérémonie religieuse sera célébrée oficier du Mérite agricole ivoirien,  #$ )# $-
le lundi 18 décembre, à 11 h 15, Hélène Espinas, Formation continue No 11 753 805 075.  #     $  $ )-), $!-0
en la cathédrale orthodoxe Saint-Alexandre 5, cours de la Trinité, survenu le 24 novembre 2017, Intervenants et programme sur  #        # )*,# ,
!  !$ %   # $-*  ')*#,
Nevsky, 12, rue Daru, Paris 8e. 13100 Aix-en-Provence. à son domicile. www.medpsycha.org *,# )#$ .')*#,
14 |
GÉOPOLITIQUE
Niger
Un barrage
sur la route
de l’Europe
Le verrouillage du flux des migrants imposé
par l’Union européenne aux autorités nigériennes
pèse sur Agadez, dernière étape avant les côtes
méditerranéennes. L’impact s’avère lourd pour
la population, qui vivait de la manne migratoire
frédéric bobin
agadez (niger) - envoyé spécial
C’
est une fourrière géante
au cœur du Sahara. Cent
sept véhicules tout-ter-
rain sont là, immobilisés,
pneus enfoncés dans le
sable qui monte comme
une ligne de flottaison. Sécurité oblige, le
précieux parc automobile a été déplacé dans
cette cour d’une caserne de l’armée à la sor-
tie d’Agadez, la « capitale » du pays touareg,
dans le nord du Niger. Le type pick-up Toyota
Hilux, à l’ample plateau arrière, domine. Des
bidons d’essence vides, des sandales ou des
tubes de dentifrice y sont toujours étalés, té-
moins dérisoires de traversées inachevées.
« Les véhicules sont saisis et à la disposition
de la justice », clame le commissaire Haro
Amani, silhouette noueuse et verbe assuré.
C’est un véritable butin arraché aux mains
des passeurs. A Agadez, ville plate aux mai-
sons de pisé ocre, oasis cernée de lumière, la
confiscation de cette coûteuse flotte auto-
mobile nourrit bien des ressentiments. Elle
a été ravie sur les pistes du désert aux chefs
de réseau qui transportaient les migrants
subsahariens vers la Libye ou l’Algérie. Le
vent a tourné. Agadez n’est plus le grand car-
refour que traversaient les centaines de mil-
liers de candidats au rêve européen. Ou, plus
précisément, elle ne l’est plus officiellement.
A destination de l’opinion et des gouverne-
ments de l’Union européenne (UE), il doit
être dit, écrit et proclamé que le trafic a cessé.
Même si la réalité est bien plus nuancée.
En 2016, sur les 180 000 migrants débarqués
sur les côtes italiennes à partir de la Libye,
les trois quarts avaient préalablement tran-
sité par le Niger, et donc par Agadez, l’ultime
porte d’accès au désert à la riche mémoire
caravanière. Là où l’on harnache les convois
de 4 × 4 après s’être ravitaillé pour l’odyssée
saharienne.
A défaut de pouvoir influencer un Etat
failli comme la Libye pour endiguer le flux,
l’Europe préfère désormais peser plus en
amont, sur ce grand couloir de transit qu’est
le Niger. « C’est comme si l’Europe avait im-
posé sa frontière méridionale à Agadez », dit,
grinçant, le président du conseil régional,
Mohamed Anako, un notable touareg qui re-
çoit sous une tente dressée dans son jardin.
COUPS DE BOUTOIR POLICIERS
De fait, le courant migratoire s’est ralenti
sous les coups de boutoir policiers du gouver-
nement nigérien, sensible aux sollicitations
d’une Europe aux financements désormais
très généreux. Depuis le début de l’année, les
autorités appliquent avec sévérité une loi de
2015 réprimant le trafic illicite de migrants,
qui était jusqu’alors mollement respectée.
Une soixantaine de personnes, pour l’essen-
tiel des chauffeurs, ont été condamnées à
Agadez, forçant désormais les convoyeurs à
faire le dos rond. Selon l’Organisation inter-
nationale pour les migrations (OIM), la
moyenne mensuelle de migrants ayant été
repérés sur la route de la Libye ou de l’Algérie
est passée de 27 000 en 2016 à 5 400 en 2017,
soit cinq fois moins.
Le verrouillage débute dès Niamey, la ca-
pitale nigérienne. Les liaisons de bus avec
Agadez sont désormais placées sous très
haute surveillance. « Il y a deux ans, ces salles
d’attente étaient pleines à craquer. » L’homme
qui s’exprime ainsi – sous le couvert de l’ano-
nymat – est un cadre de la Sonef, une des plus
grosses compagnies de transport du Niger. Il
indique une grande salle carrelée de la gare
routière gérée par la compagnie, à Niamey.
Des clients sont assis en tailleur sur une natte
déroulée à même le sol. Certains sont allon-
gés, épuisés, tête calée sur leur sac de voyage.
En cette fin octobre, les voyageurs patientent.
Un vieux monsieur, barbe blanche et volu-
mineux turban noir noué sur la tête, est
plongé dans la lecture d’un document. Le pu-
blic est plutôt clairsemé, l’ambiance déten-
due. Le cadre de la Sonef se souvient d’atmos-
phères plus fiévreuses dans un passé récent,
notamment avant les départs engorgés vers
Agadez. A l’en croire, le nombre de passagers
enregistrés sur cette ligne a chuté en 2017 de
30 % à 40 % par rapport à 2015. « Le gouverne-
ment contrôle désormais plus efficacement »,
commente le cadre.
L’une des armes utilisées par les autorités
de Niamey consiste à imposer aux voyageurs
de nationalité étrangère la présentation de
papiers d’identité lors de l’achat d’un billet de
transport. Or, nombreux sont ceux qui sont
dépourvus de tels documents. Les compa-
« C’EST COMME gnies de transport préfèrent ainsi leur refu-
ser ce billet plutôt que d’encourir des tracas
SI L’EUROPE sur la route d’Agadez de la part de la police,
AVAIT IMPOSÉ qui multiplie les contrôles.
Au fil des mois, le message est passé. « Les
SA FRONTIÈRE migrants d’Afrique de l’Ouest viennent de
moins en moins à Niamey, car ils savent qu’il
MÉRIDIONALE leur sera difficile d’accéder à Agadez », souli-
À AGADEZ » gne le responsable d’une autre compagnie,
Azawad. Cette dernière a d’ailleurs récem-
MOHAMED ANAKO ment dû fermer sa ligne vers Agadez, qui
président du conseil n’était plus rentable. « On est contents du ré-
régional d’Agadez sultat, même si on ne fait pas de triompha-
lisme », se félicite, à Niamey, un diplomate
italien, au vu des statistiques de l’OIM attes-
tant d’un brutal ralentissement du flux de
migrants quittant Agadez vers l’Algérie et la
Libye. Ces chiffres sont toutefois contestés,
les critiques soulignant que l’OIM n’a pas les
moyens de surveiller les nouvelles routes se-
condaires empruntées au fin fond du Sahara
par des réseaux ayant basculé dans la clan-
destinité après avoir eu pignon sur rue.
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
Giuseppe Loprete, chef de la mission OIM
au Niger, admet l’objection, mais il main-
tient qu’« il n’y a plus, en 2017, la masse criti-
que qui existait en 2016 ». D’autres n’en sont
pas si sûrs. « Il y a certes une baisse, mais elle
est très relative », résume un observateur
européen à Niamey.
Quoi qu’il en soit, l’impact économique et
psychologique du tour de vis sur Agadez est
profond. Car c’est toute la population locale
qui vivait, de près ou de loin, de la manne
générée par ce flux migratoire qui puise son
origine au Nigeria, au Cameroun, en Côte
d’Ivoire, en Guinée, au Sénégal, en Gambie…
En 2016, 333 000 Subsahariens ont transité
par Agadez pour rejoindre l’Algérie ou la Libye.
Il a fallu les transporter, les guider, les loger,
les nourrir, transférer leur argent, leur procu-
rer le « kit » de la traversée du désert (turban,
lunettes, gourdes, médicaments…).
L’ensemble de ces services a alimenté une
prospère économie régionale qui est venue
opportunément compenser l’effondrement
du tourisme (victime des rébellions touareg
des années 1990-1997 et 2007-2009), puis la
crise plus récente de l’exploitation de l’ura-
nium à Arlit ou la fermeture des sites aurifè-
res du plateau du Djado, dans l’extrême nord
de la région. « La migration, c’était une éco-
nomie florissante », explique Sadou Saloké,
le gouverneur d’Agadez.
CONVOIS DE MIGRANTS TAXÉS
Les collectivités locales elles-mêmes (région,
districts, communes) imposaient le plus of-
ficiellement du monde des taxes sur le pas-
sage des convois de migrants. A en croire
M. Anako, les revenus tirés des flux migra-
toires se sont chiffrés à environ 100 millions
d’euros en 2016. « La mise en œuvre de la loi
2015 a déstabilisé toute cette économie
migratoire », reconnaît Mahamadou Abou
Tarka, président de la Haute Autorité à la
consolidation de la paix, une instance créée
en 1995 lors du processus de règlement
de la première rébellion touareg. « Il faut
trouver des projets de reconversion qui aient
un impact immédiat si l’on veut conserver
les gens avec nous », ajoute cet ancien re-
belle devenu un conseiller très écouté à la
présidence de la République.

0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
La reconversion, c’est là tout le problème. Si
les réseaux de passeurs les plus puissants
continuent d’œuvrer dans l’ombre, les « peti-
tes mains » de l’économie migratoire souf-
frent grandement de la nouvelle crispation
policière. Des projets existent, sur le papier,
pour tenter de les « recycler », mais le fossé
entre la théorie et la pratique reste abyssal.
Environ 6 500 anciens « acteurs de la mi-
gration » – tel est le vocable officiel dési-
gnant les ex-fournisseurs de services aux
migrants – ont ainsi accepté de s’enregistrer
auprès des autorités. Ils sont éligibles à des
aides à la reconversion qui oscillent entre
800 000 francs CFA (1 200 euros) par per-
sonne pour un projet collectif et 1,5 million
de francs CFA (2 300 euros) pour un projet in-
dividuel. Pour y apporter son concours fi-
nancier, l’Europe puise dans la partie allouée
au Niger de son fonds fiduciaire d’urgence
pour l’Afrique – 140 millions d’euros.
« APRÈS LES TOURISTES, LES MIGRANTS »
Mais les lenteurs s’accumulent. Seuls trois
cents dossiers ont été agréés à ce jour. Parmi
eux, cent « boutiques villageoises » et qua-
tre-vingt-seize « motos-taxis ». Autant dire
que le marché risque vite d’être engorgé par
« LES PASSEURS la multiplication des projets, surtout en pé-
riode de chute du pouvoir d’achat de la popu-
ONT VÉCU COMME lation. « Leur durabilité laisse à désirer », dé-
DES ROIS, CEUX plore un animateur d’association, impliqué
dans ce processus de reconversion.
QUI Y ONT GOÛTÉ Bachir Ama est l’un de ces anciens « ac-
teurs de la migration ». « Je dirigeais une so-
ONT TENDANCE ciété de courtage de voyages, précise-t-il.
À S’ACCROCHER » Après les touristes européens, on a eu les mi-
grants subsahariens. » Gaillard aux épaules
SADOU SALOKÉ solides, il avoue son inquiétude : « L’écono-
gouverneur d’Agadez mie migratoire avait amené la paix à Agadez.
Et maintenant ? » Lui a fait le pari de jouer le
jeu des autorités. Il va percevoir 2 300 euros
pour lancer son restaurant. Il lui a fallu bien
réfléchir, car cette somme – allouée une fois
pour toutes – est très inférieure aux revenus
hebdomadaires (entre 3 000 et 7 600 euros)
qu’il tirait de son ancienne profession. « Une
minorité d’entre nous a accepté », dit-il.
Les offres du gouvernement sont en effet
loin de faire l’unanimité parmi les anciens
passeurs. « Ils ont vécu comme des rois,
géopolitique | 15
Photos prises à Agadez,
le 4 novembre.
Page de gauche : Dicko,
Ivoirien de 16 ans,
survit dans un « ghetto »
en périphérie de la ville.
Il espère réunir
la somme qu’exigent
les passeurs pour
rejoindre la Libye.
En haut : la fourrière,
où sont rassemblés
les véhicules
de passeurs saisis
par la police nigérienne.
En bas : Souleyman,
Guinéen de 14 ans, dans
un « ghetto » du quartier
Tadresse. On lui réclame
1 200 euros pour aller
en Italie via la Libye.
SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »
Traverser le Sahara,
coûte que coûte
agadez (niger) - envoyé spécial
I l est résolu, inflexible. Fofana
Issouf prendra le chemin de
l’Europe via la Libye, quoi qu’il
arrive. « Ça ne me fait pas peur »,
clame-t-il. Le jeune Ivoirien, 17 ans,
vêtu d’un maillot de basket-ball
à l’emblème des Bulls de Chicago,
a tiré une chaise sous l’auvent de
paille d’une maison aux murs
de pisé ocre en lisière d’Agadez, la
« capitale » du pays touareg dans le
nord du Niger. Dans la courette ter-
reuse, des chèvres avalent goulû-
ment une bassine de céréales. Ces
logis, où patientent les migrants
avant d’embarquer vers la Libye,
on les appelle des « ghettos ».
Les « ghettos » d’Agadez étaient
pleins à craquer lorsque la ville
était le grand carrefour migratoire
ouvrant l’accès à la Libye. Depuis
une bonne année, sous l’effet d’un
durcissement répressif des autori-
tés de Niamey contre le « trafic illi-
cite des migrants », le flux de Sub-
observe M. Saloké. Ceux qui y ont goûté ont sahariens transitant par Agadez
tendance à s’accrocher. » Dans ces conditions, vers le nord s’est ralenti, même s’il
chacun souligne l’urgence de reconvertir ceux demeure soutenu. La détermina-
qui ont renoncé sous peine d’aggraver la crise tion de Fofana Issouf illustre la dif-
de confiance entre Agadez et Niamey. ficulté pour l’Europe et pour le
Déjà, la grogne couve. Des slogans ont été gouvernement nigérien de décou-
écrits sur des murs, dénonçant la loi de 2015 rager ces volontés de migration.
comme « une loi nigérienne pour les Blancs
et contre les Noirs ». Le procès de l’Europe « Si Dieu existe, je passerai »
gagne les esprits. « Nous verrouillons l’accès Les embûches ne dissuadent pas
à la Libye, mais nous le faisons le couteau les plus volontaires. Les tracas-
sous la gorge, déplore Dongo Tori, adjoint au series policières sur la route de la
maire de Dirkou, située à environ 600 kilo- Libye ou de l’Algérie ? « On prendra
mètres au nord-est d’Agadez. Les Européens des routes secondaires », répond
se servent de cette question migratoire com- Fofana Issouf. Les échos des vio-
me d’un instrument de négociation pour lences que subissent les migrants
faire pression sur les Etats. » « Cette loi de 2015 en Libye ? « J’en ai conscience, mais
a été adoptée de manière souveraine par le cela ne me décourage pas », assu-
Parlement nigérien », objecte l’ambassadeur re-t-il. Si le jeune Ivoirien est si
Raul Mateus Paula, chef de la délégation de confiant en son étoile, c’est qu’un
l’UE à Niamey. « Globalement, la population de ses bons amis est récemment
a compris ce que fait le gouvernement, mais arrivé en Europe. Il l’a appelé de
il y a de la résistance », reconnaît Amadou l’île italienne de Lampedusa pour
Moussa Zaki, le procureur de la République lui annoncer la bonne nouvelle.
en poste à Agadez. Ce seul coup de téléphone a ba-
Jusqu’où pourrait aller cette résistance ? La layé tous les doutes qui avaient
question préoccupe les observateurs alors pu assaillir Fofana Issouf. « Cet
que la stabilité de la région, encore hantée ami m’a donné la foi, dit-il. Si Dieu
par la mémoire des rébellions touareg, de- existe, je passerai. »
meure fragile. Les avis divergent sur le risque Face à ces candidats au départ
de voir une insurrection touareg renaître de qui patientent toujours à Agadez,
ses cendres si la défiance à l’égard de Niamey
devait s’accroître. Contre le pessimisme de
en nombre certes moins impor-
tant qu’il y a un an, les réseaux de
certains, M. Tarka, le président de la Haute passeurs sont toujours là, prêts à
Autorité à la consolidation de la paix, assure offrir les services requis. Ils n’ont
que « la querelle identitaire a été tranchée ». pas été franchement déstabilisés
Mais il y a consensus sur une possible dé-
rive d’une frange de la jeunesse désœuvrée
par la répression qui a surtout
frappé les chauffeurs, épargnant
vers des groupes criminels. C’est le ministre les propriétaires de véhicules.
de l’intérieur, Mohamed Bazoum, architecte « La justice a condamné les “petits
du plan d’endiguement du flux migratoire, poissons”, mais les gros passeurs
qui l’admet lui-même : « Un certain nombre sont toujours actifs », s’inquiète le
de jeunes peuvent se reconvertir dans une responsable d’une organisation
forme ou dans une autre de banditisme. » internationale à Niamey.
Déjà, les « coupeurs de route » sévissent A Agadez, on peut rencontrer
dans la région. « Cette recrudescence d’acti- aisément ces chefs de réseau à
vités criminelles nous semble un effet inévi- condition toutefois de respec-
table de notre lutte contre le trafic illicite de ter leur anonymat. Appelons-le
migrants », ajoute M. Bazoum. Le jeu de l’Eu- Moussa. Il est assis en tailleur dans
rope sur sa nouvelle « frontière » d’Agadez la pénombre d’une pièce, verre de
n’est pas sans périls. p thé à la main. « Je continue mon
travail, dit-il. Pourquoi j’arrêterais ?
Ceux qui ont accepté les projets
de reconversion du gouvernement
n’ont encore rien reçu. Ils n’ont rien
dans leurs poches. Mais, moi, j’ai
quatre femmes et dix-sept enfants,
il faut bien que je les nourrisse. »
Moussa possède trois véhicules
tout-terrain. Chaque semaine, il
convoie une soixantaine de mi-
grants vers la Libye – contre qua-
tre-vingts avant la répression me-
née à partir de 2016 par le gouver-
nement. Son activité accuse donc
une baisse, mais celle-ci est large-
ment compensée par l’explosion
des tarifs.
Dopé par l’adversité ambiante, le
prix du trajet Agadez-Sebha (Libye),
naguère fixé à 150 000 francs CFA
(230 euros), a doublé, voire triplé.
« Je gagne deux fois plus d’argent
qu’avant ! », se réjouit Moussa. Bien
sûr, il lui faut multiplier les ruses
pour échapper aux contrôles poli-
ciers. La grande nouveauté, c’est de
délaisser les grands axes menant
aux postes-frontières de Toummo
(en Libye) et d’Assamakka (fron-
tière avec l’Algérie), situés respecti-
vement à 1 150 km et 418 km d’Aga-
dez, pour emprunter des routes
sahariennes secondaires impossi-
bles à surveiller. « Il y a mille routes
à travers le Sahara ! », dit-il. Ces dé-
tours ont imposé un nouvel équi-
pement aux convoyeurs de mi-
grants : la géolocalisation GPS et
le téléphone satellitaire de type
Thuraya. « Si une voiture a un pro-
blème, ajoute Moussa, le chauffeur
m’appelle et me donne ses coor-
données GPS. J’envoie tout de suite
une voiture de secours. »
Mais le nouvel attirail des pas-
seurs ne suffit pas à neutraliser le
risque croissant lié à ces nouvel-
les routes. Un nombre élevé de
migrants périt désormais sur ces
circuits officieux.
A l’époque où l’« économie mi-
gratoire » d’Agadez était légale, les
colonnes de véhicules 4 × 4 char-
gés de migrants qui empruntaient
la route de Toummo étaient es-
cortées par l’armée nigérienne.
Une panne en cours de route
n’était pas fatale. Maintenant que
les trajets sont éclatés et clandes-
tins, leur sécurité s’est profondé-
ment dégradée. Les incidents
techniques peuvent avoir des con-
séquences tragiques. Il devient en
outre assez fréquent que des
chauffeurs abandonnent des mi-
grants en plein désert à la moin-
dre crainte de croiser des forces de
l’ordre, de peur d’être arrêtés ou de
voir leur véhicule confisqué. En
juin, trente-six personnes ont
ainsi péri près de Bilma, à 600 km
au nord-est d’Agadez. Mohamed
Anako, le président du conseil ré-
gional, dénonce : « Avant, les gens
ne mouraient pas comme ça dans
le désert. » p
f. b. (agadez, niger),
envoyé spécial
16 | géopolitique 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Au Sahel, les guerres interminables

Le caractère stratégique de cette vaste région désertique la soumet à des tensions accrues

1 SAHEL : ZONE DES TRAFICS

Le Sahel est traditionnellement une zone de
transit où le savoir-faire nomade est
essentiel. Les routes caravanières du passé
(or, sel, esclaves…) permettent aujourd’hui
des commerces à la fois licites et illicites
entre la Méditerranée et l’Afrique subsaha-
rienne, et entre l’océan Atlantique et la
2 DE LA CHUTE DE KADHAFI À LA CRISE DU NORD DU MALI
A la suite de l’effondrement du régime libyen, en l’opération « Serval », qui combat les
mer Rouge. Les frontières, relativement 2011, des stocks d’armes ont été disséminés djihadistes du nord du Mali. Les armes
récentes, ne sont pas des obstacles aux dans le Sahel. Le fragile Etat malien ne contrôle libyennes affluent aussi dans le nord du
nombreux trafics d’armes, de drogue et plus la partie sahélienne du pays, prise entre la Nigeria où le groupe islamiste radical Boko
d’êtres humains. rébellion touareg et les djihadistes d’Al-Qaida. Haram est actif depuis 2009.
L’armée française intervient en janvier 2013 avec

Désert du Sahara
Zone sahélienne
Hydrocarbures Routes principales Route des armes Stocks d’armes Peuplement touareg Azawad (zone revendiquée
détournés Peuplement toubou par les indépendantistes touareg)
Uranium Route de la drogue Route migratoire
(cocaïne et haschich) Route des armes Sanctuaire d’Al-Qaida
libyennes au Maghreb islamique (AQMI)

ALGÉRIE LIBYE

MAURITANIE
NIGER
TCHAD
MALI
B. F.
NIGERIA

TUNISIE
Ghardaïa

MAROC

ALGÉRIE
Adrar
Sebha LIBYE

Sahara Arak Djanet

occidental

GSIM Tamanrasset
B
GSIM
MALI
Tessalit B
MAURITANIE GSIM
B
B M Arlit B
Nouakchott
Kidal
Tombouctou M Agadez
B M
GSIM Sévaré
Gao EIGS NIGER TCHAD
SÉNÉGAL Ansaroul SOUDAN
Mopti M Niamey
Islam Lac Tchad
Bamako B B
M
BURKINA FASO N’Djamena
Ouagadougou Ni Kano B
ge
r
Forêt de Sambisa
Boko Haram

CÔTE D’IVOIRE NIGERIA RÉPUBLIQUE

CENTRAFRICAINE

300 km

3 LA CONTAGION DJIHADISTE AU CENTRE DU MALI ET DANS LA RÉGION

Le Mali ne parvient pas à prendre le relais côtoient islamisme radical, banditisme et
4 UNE RÉPONSE AFRICAINE QUI S’ORGANISE DIFFICILEMENT
Les opérations internationales au Mali « des trois frontières ». Paris, qui souhaite
de l’armée française. Les groupes djihadistes milices communautaires. A l’est, Boko (MINUSMA et « Barkhane » n’ont pas endigué se désengager à terme, est le principal
se fragmentent, se multiplient Haram sort des frontières du Nigeria en la violence. Une force militaire regroupant soutien de cette force dont les moyens
et s’installent dans le delta intérieur du fleuve 2014 et propage sa violence aux pays cinq pays se met en place : le G5 Sahel lance, restent limités. Le G5 Sahel s’inspire de la
Niger, zone agropastorale en déclin à cause riverains du lac Tchad. Attaqué, le groupe en novembre 2017, sa première opération, force multinationale africaine créée en
de sécheresses successives. Le Mali devient se replie dans les marécages du lac et la aux côtés des troupes françaises de 2012 pour combattre Boko Haram autour
une plaque tournante pour le Sahel, où se forêt de Sambisa, difficiles d’accès. l’opération « Barkhane », dans la zone dite du lac Tchad.
Violences GSIM (Groupe pour le EIGS (Etat islamique dans Boko Haram a
M MINUSMA (depuis 2013), mission de l’ONU XX Etat-membre du G5 Sahel (depuis 2014)
en 2016 et 2017 soutien de l'islam et des le Grand Sahara, mai 2015) prêté allégeance pour la stabilisation au Mali
musulmans), né en mars Ansaroul Islam (fin 2016) à l’EI en mars 2015 Quartier général du G5 Sahel
Groupes 2017 de la fusion de né au Burkina Faso, veut B « Barkhane » (depuis 2014), opération
djihadistes plusieurs entités dont AQMI se rapprocher de l’EI française pour soutenir les pays du Sahel XX Force multinationale mixte,
opérationnelle autour du lac Tchad
dans la lutte antiterroriste
Base de drones
américaine

ALGÉRIE LIBYE LIBYE

ALGÉRIE

B
GSIM B
MAURITANIE MAURITANIE MALI
NIGER BM B NIGER B
TCHAD M BM TCHAD
GSIM EIGS
MALI Ansaroul M B B
B. F. Islam
Boko Haram M B. F. B
NIGERIA NIGERIA

CAMEROUN
INFOGRAPHIE LE MONDE
Sources : International Crisis Group ; ministère des armées ; Commission européenne ; OCDE, « An Atlas of the Sahara-Sahel », 2015 ;
ONUDC, World Drug Report 2017 ; CSIS, « Militancy and the Arc of Instability : Violent Extremism in the Sahel » , 2016 ; IRIN ; Small Arms Cartographie : Francesca Fattori, Véronique Malécot,
Survey ; Conflict armament research ; OIM ; Le Monde Delphine Papin et Charlotte Recoquillon

0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
Selon la dirigeante
palestinienne,
membre de l’OLP,
les Etats-Unis
se sont disqualifiés
pour mener
les négociations
de paix depuis que
Trump a désigné
Jérusalem comme
capitale d’Israël
Hanan Ashrawi
« Les Américains sont devenus
complices de l’occupation
israélienne »
ENTRETIEN
propos recueillis par piotr smolar
jérusalem - correspondant
L
a télévision est allumée dans
le bureau d’Hanan Ashrawi, à
Ramallah. Quelques minutes
plus tôt, ce mercredi 13 décembre,
cette membre du comité exécu-
tif de l’Organisation de libération
de la Palestine (OLP) a écouté avec attention
le discours de Mahmoud Abbas à Istanbul.
S’exprimant devant les représentants de
l’Organisation de la coopération islamique,
le président de l’Autorité palestinienne a dé-
claré qu’il n’accepterait plus « aucun rôle
des Etats-Unis » dans la résolution du conflit
israélo-palestinien. Une semaine après la
reconnaissance unilatérale de Jérusalem
comme capitale d’Israël par l’administration
Trump, cette rupture réjouit Mme Ashrawi,
71 ans, figure très respectée de la scène
politique palestinienne.
Cette cassure avec les Etats-Unis
marque-t-elle une colère ponctuelle
ou un changement réel de stratégie ?
C’est la fin d’une ère. Les Etats-Unis sont dis-
qualifiés. Il ne peut plus y avoir de paix tant
qu’ils sont impliqués, car les Américains sont
devenus partie prenante du crime, complices
de l’occupation. Ils ont violé la loi internatio-
nale, défié la volonté de la communauté inter-
nationale. Pourquoi, dès lors, accueillerait-on
le vice-président Pence [qui devrait arriver au
Proche-Orient le 20 décembre], alors qu’il a
œuvré pour cette reconnaissance de Jérusa-
lem ? Si Abou Mazen [surnom de Mahmoud
Abbas] était invité à la Maison Blanche, je
pense qu’il refuserait de s’y rendre.
Nous allons placer notre sort entre les
mains de la communauté internationale,
de l’ONU. Nous allons rejoindre les orga-
nisations et agences internationales – il y a
en vingt-deux – que les Etats-Unis nous
avaient fait promettre d’éviter, en échange
du gel de la colonisation et du respect des
cadres de référence du processus de paix.
Les Américains, eux, sont revenus sur tous
leurs engagements. Et nous allons formel-
lement saisir la Cour pénale internationale
(CPI) sur plusieurs points : la colonisation,
les violences israéliennes contre la popu-
lation civile à Gaza et, enfin, le traitement
des prisonniers en Israël.
La direction palestinienne a semblé
désarçonnée par l’annonce américaine.
Va-t-on vers un abandon de la solution
à deux Etats ?
Personne ne peut changer de stratégie na-
tionale de façon unilatérale. Notre pro-
gramme a été adopté en 1988 par le Conseil
national palestinien (PNC) et, en 1994, par le
Comité central de l’OLP. Pour en changer, il
faudrait réunir toutes les parties concer-
nées. L’OLP prend les décisions politiques,
pas l’Autorité palestinienne. Dans nos lois,
si le PNC ne peut se rassembler, le Comité
central peut décider en son nom. Nous invi-
terions le Hamas à y participer. Mais ne me
demandez pas de détails sur un calendrier,
on se remet à peine du choc ! On savait que
Trump était imprévisible, mais qui aurait pu
penser qu’il était aussi irresponsable ?
N’êtes-vous pas déçue de la faible
mobilisation populaire ?
Les gens sont en colère et totalement dé-
goûtés. Notre objectif est de maintenir la
mobilisation, et que celle-ci prenne de l’am-
pleur. Chaque jour [depuis le 6 décembre], il
y a des manifestations et des affrontements,
dans les camps [de réfugiés], les villages et
les villes. Sans présence des médias, on ne
voit pas ce qui s’y passe : ce n’est pas un
soulèvement ponctuel, mais graduel, qui se
poursuivra. Au même moment, les Arabes se
font entendre. Je n’ai pas aimé la déclaration
de la Ligue arabe, qui m’a semblé faible. Mais
la réaction monte en puissance. On sait que
le bloc arabe présentera un projet de résolu-
tion au Conseil de sécurité, non seulement
pour condamner les Etats-Unis mais aussi
pour leur demander de se rétracter. Ils créent
une situation d’instabilité et de violence, fai-
sant le jeu du terrorisme, et expliquent en-
suite que c’est pour servir la cause de la paix !
Ils vivent dans un monde parallèle.
Y aura-t-il au bout du compte un plan
de paix américain ?
Soit ils n’ont pas la moindre idée, soit ils
insultent notre intelligence. Ils en parlent
depuis près d’un an, il y a eu vingt visites et
rencontres. Ils gagnent du temps et per-
mettent à Israël d’étendre la colonisation et
l’annexion de Jérusalem. Ils agissent de fa-
çon à compromettre la paix et à rendre tout
plan impossible. Si la communauté interna-
tionale croit encore à la solution à deux
Etats, elle doit agir et parler. Dans ce cadre,
on a vraiment besoin des Européens.
« I’m Going to Build You
a Brother… » (« Je vais
te construire un frère »),
fresque de Lushsux.
PHOTO : THOMAS COEX/AFP
Lushsux
Australien vivant
à Melbourne, ce street-
artist est connu pour
ses grandes fresques
satiriques et provocatrices,
toujours accompagnées
d’une légende. Sa
réputation a grandi depuis
que Banksy, le graffeur le
plus célèbre du monde, lui
a demandé de participer,
en 2015, à son exposition
« Dismaland, Bemusement
Park », en Angleterre.
En juillet 2016, Lushsux
peint, à Béthléem,
la fresque ci-dessus
sur le mur de séparation
israélien. Donald Trump,
portant kippa, dit : « Je vais
te construire un frère… »
– allusion au mur
que le président américain
veut ériger le long
de la frontière mexicaine.
Le 7 décembre 2017, après
la déclaration de Trump
sur Jérusalem, la fresque a
été détournée. Désormais,
on lit : « Attention,
M. Pence [vice-président
américain], vous n’êtes
pas le bienvenu », et
« Jérusalem est la capitale
de la Palestine ».
ABBAS MOMANI/AFP
géopolitique | 17
Le président Macron a dit qu’il voulait
laisser l’initiative de paix américaine
se développer, sans la parasiter…
Ah bon ? C’est le genre de piètre excuse
qu’on entend depuis 1991, et même avant. Ce
n’est plus valide. Les Etats-Unis sont un dan-
ger pour la paix. Ils ne sont plus capables ni
même qualifiés pour proposer un règlement.
Le temps est venu de se manifester et de s’af-
firmer. Les Européens ne peuvent plus rester
sur la banquette arrière à signer des chèques.
Notamment la France, qui prétend jouer un
rôle particulier. Ils doivent se réunir et pro-
poser un calendrier, par exemple sur un an,
ainsi que des étapes concrètes pour mettre
un terme à l’occupation – ils sont le plus
grand partenaire commercial d’Israël. Ils
doivent dire qu’en cas de refus des mesures
punitives seront adoptées, conformément à
la législation européenne.
Sentez-vous que des forces intérieures et
extérieures essaient de pousser vers
une nouvelle confrontation avec Israël ?
Oui. Personne n’a le droit de prendre une
décision à notre place. L’OLP est toujours en-
gagée par sa politique de consensus natio-
nal. Si on voulait retourner à la lutte armée, il
faudrait convoquer les organes compétents.
Aucun groupe ni individu ne peut décider au
nom du peuple palestinien.
Pendant des décennies, l’OLP s’est engagée
en faveur de la non-violence et de négocia-
tions de paix, sans arriver nulle part. Certains
veulent exploiter ces circonstances et utiliser
la violence, par intérêt, pour gagner de l’in-
fluence, ou parce qu’ils s’estiment provo-
qués. Hassan Nasrallah [le chef du Hezbollah
libanais] est l’une des figures les plus popu-
laires du monde arabe. Ne sous-estimez pas
son influence. Chacun de ses mots est très
écouté en Palestine. Il a son propre agenda,
mais il est perçu comme voulant libérer la
Palestine de façon désintéressée. Ce qui me
préoccupe davantage, c’est Al-Qaida ou l’[or-
ganisation] Etat islamique, qui conduisent
des attaques terroristes au nom de la guerre
religieuse et détournent l’islam pour justifier
la violence. Je ne veux pas que la Palestine
soit instrumentalisée.
Quelle conséquence peut avoir
la reconnaissance de Jérusalem
pour la réconciliation entre factions
palestiniennes ? Celle-ci stagne…
Les deux parties [le Fatah du président Abbas
et le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza
depuis 2007] en sont responsables. Les minis-
tres sont retournés travailler, mais ont dé-
couvert qu’il y a encore des hauts fonction-
naires du Hamas qui sont actifs. Il y a une
différence entre les discussions politiques
et les actes sur le terrain. Parmi les jeunes,
les activistes de toutes les factions, il existe
une unité nationale contre les Israéliens. Les
deux parties se trouvent sous une pression
énorme. L’opinion publique est enflammée
et sera très remontée contre ceux qui jouent
des jeux partisans. Si l’on continue à être
divisés, on continuera à être faibles.
Selon un sondage publié cette semaine,
70 % des Palestiniens veulent
la démission de Mahmoud Abbas.
Quelle conclusion en tirez-vous ?
C’est un pourcentage énorme. Les gens es-
timent que [Mahmoud Abbas] n’a pas res-
pecté son programme : la fin de l’occupation,
la solution à deux Etats, Jérusalem comme
capitale… J’ai dit un jour à mes parents qu’ils
avaient échoué. Maintenant, ce sont mes
enfants qui me le disent. Mais la question
palestinienne ne disparaîtra pas.
Si on refaisait le sondage après le discours
d’Abbas à Istanbul, le résultat serait différent.
J’ai vu ces retournements si souvent par le
passé. Les gens veulent un leader fort, qui
fait face aux Américains et aux Israéliens. Il
y a eu beaucoup de pressions et de chantages
exercés sur les Palestiniens. Les gens veulent
que leur fierté nationale s’exprime. Abou
Mazen n’a jamais été un populiste. Mais il
arrive au point où il doit écouter l’opinion.
Il nous faut des élections générales. Le sys-
tème est tellement rigide et en stagnation !
Les gens ne veulent plus nous entendre. Ils
veulent de nouveaux visages, de nouveaux
messages. J’encourage ce changement de-
puis longtemps. Il faut faire place aux jeu-
nes, aux femmes, à ceux qui comprennent la
mécanique du monde.
Concernant Jérusalem, n’avez-vous
pas le sentiment que les deux parties
se battent pour une ville fétiche,
sans se préoccuper de ses habitants ?
Israël a tordu l’histoire, la démographie et
la topographie de Jérusalem. Il suit un plan
qui prévoit de négliger Jérusalem-Est [où se
concentre la population arabe], en y faisant
des ghettos pour leur rendre la vie difficile,
percevoir les impôts, confisquer leurs titres
de résident. Ils veulent se débarrasser des
Palestiniens. La signature de la Déclaration
de principes [les accords d’Oslo de 1993] est la
pire des choses qui soit arrivée à Jérusalem.
L’Autorité palestinienne a renoncé à tout
contrôle sur la population de Jérusalem-Est,
la laissant à la merci d’Israël.
Israël se livre à de l’ingénierie démographi-
que. Regardez la carte, voyez comme les fron-
tières de Jérusalem sont étranges. Ils veulent
le maximum de territoire, avec le minimum
de population. Ils veulent ajouter à l’agglo-
mération les blocs de colonies comme Goush
Etzion, tout en se débarrassant de zones pales-
tiniennes très peuplées. Jérusalem va devenir
un monstre, qui avalera la plupart de la Cis-
jordanie ! Israël n’a jamais payé de prix pour
ses actions. C’est la raison pour laquelle nous
devons aller devant la CPI, pour que les Israé-
liens craignent un mandat d’arrêt lors de leurs
voyages à l’étranger. L’impunité israélienne
est devenue ridicule. Elle doit cesser. p
18 |
CULTURE
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Un Noël
de cinéphiles
Les chroniqueurs
du « Monde »
ont retenu
une quinzaine
de coffrets DVD
à (s’)offrir en cette
fin d’année
Youssef Chahine
Youssef Chahine
Les terribles événements de ces derniè-
res années en Egypte, qui donnent le
sentiment, sans doute faux, qu’on en
est revenu au point de départ, incitent
tous les cinéphiles à repenser au grand
Youssef Chahine. Cinéaste humaniste
et charnel, mort en 2008, influencé tant
par le classicisme hollywoodien que par
la tradition du film populaire arabe, il
ne manquait jamais, sous des formes
romanesques et échevelées, de se con-
fronter aux défis sociaux et politiques
de son pays.
Trois titres récents sont rassemblés ici.
Le Destin (1997), situé au XIIe siècle, évo-
que la lutte pour les Lumières du philo-
sophe Averroes contre les fous de Dieu,
façon péplum musical. L’Autre (1999),
c’est l’histoire d’amour d’Adam et de
Hanan, sur fond de corruption politique
et de fanatisme montant, dans un mé-
lange stylistique qui donne le tournis.
Silence… on tourne (2001) dépeint une
star de cinéma tombée dans les rets d’un
Tartuffe arriviste que le film, avec une
joie rageuse, va s’employer à démasquer.
On déplore l’absence de tout appareil
critique. p jacques mandelbaum
3 DVD, Ed. Montparnasse. 25 €.
Luis Buñuel
La collection
Sept Buñuel en Blu-ray, qui dit non ? On
est ici dans la dernière période du maître,
de retour du Mexique où le franquisme
l’avait chassé, mais accueilli par la France
où il va concocter, avec son complice
Jean-Claude Carrière à la manœuvre scé-
naristique, les derniers longs-métrages
de sa carrière. L’ex-surréaliste aragonais
et ex-communiste en fuite y cultive,
loin des outrages abrasifs de sa jeunesse
franco-espagnole, loin du naturalisme
pimenté de sa période mexicaine,
des récits diablement sophistiqués où
la haine de l’hypocrisie bourgeoise n’a
pas dit son dernier mot. Les titres par-
lent d’eux-mêmes, il ne reste qu’à se
les procurer : Le Journal d’une femme
de chambre (1964), Belle de jour (1967),
La Voie lactée (1969), Tristana (1970),
Le Charme discret de la bourgeoisie
(1972), Le Fantôme de la liberté (1974), Cet
obscur objet du désir (1977). Dix heures
de bonus annoncées. p j. m.
7 Blu-ray, Studio Canal. 69,90 €.
Andreï Tarkovski
L’intégrale (version restaurée)
L’œuvre du grand cinéaste soviétique
(mais russe dans l’âme) Andreï Tarkovski
continue de rayonner, avec cette nouvelle
édition intégrale de son œuvre, à partir
de masters restaurés qui rendent pleine-
ment justice à ce grand concert de matiè-
res et d’éléments qui la caractérisent : les
eaux sombres de L’Enfance d’Ivan (1962),
les brumes nébuleuses du Miroir (1975),
l’incendie rédempteur du Sacrifice (1986),
les friches radioactives de Stalker (1979),
n’étaient encore jamais apparues avec un
tel éclat sur nos écrans domestiques. En
plus des trois courts-métrages de forma-
tion du cinéaste, on trouvera également
le magnifique Tempo di Viaggio (1983),
journal filmé des repérages de Nostalghia,
coréalisé avec le scénariste italien Tonino
Guerra, où l’on voit les deux artistes vi-
siter les plus beaux sites de l’Italie, parta-
gés entre l’enthousiasme méridional de
l’un et la mélancolie slave de l’autre.
S’ajoute à cela le formidable documen-
taire, sous forme de « tombeau », que
Chris Marker a consacré au maître sur
son lit d’agonie (Une journée d’Andreï
Arsenevitch, 2000), le replaçant au cœur
de ses images et de son geste de création.
Indispensable. p mathieu macheret
7 Blu-ray + 2 DVD + 2 livres, Potemkine.
149,90 €.
Abel Gance
« J’accuse », coffret prestige
C’est une édition en tous points ex-
emplaire que livre Gaumont, en réunis-
sant dans un même coffret, constitué
comme un dossier d’enquête, les trois
versions différentes de J’accuse (1919,
1938 et 1956), d’Abel Gance, tryptique
magistral sur un canevas reformulé même bataillon qui se rend au casse- Hou Hsiao-Hsien
pendant presque quarante ans. L’appro- pipe. Il comporte l’une des séquences les 6 œuvres de jeunesse
che historique, archéologique et dé- plus célèbres du cinéma d’Abel Gance, Voici réunies en un coffret DVD la sélec-
taillée s’imposait pour saisir le caractère dite du « retour des morts », où les victi- tion d’œuvres de jeunesse de Hou Hsiao-
protéiforme de cette œuvre toujours en mes de 14-18 se relèvent de leurs tombes Hsien sorties en salle en 2016 : deux co-
mouvement, jamais fixée, passant du et marchent à la rencontre des vivants. médies romantiques emblématiques de
muet au parlant, puis du noir et blanc à Le coffret présente également deux ses débuts au cœur de l’industrie (Cute
un format polychrome démultiplié sur autres films du cinéaste ayant pour ca- Girl et Green, Green Grass of Home) et
trois écrans. dre la Grande Guerre – Les Gaz mortels trois des quatre grands films autobiogra-
Ensemble qui constitue l’un des témoi- (1916) et La Fin du monde (1931) –, ainsi phiques avec lesquels il a établi son style,
gnages les plus forts, mais aussi les qu’un livret très éclairant de l’historien inventant un rapport à l’espace et au
plus hallucinés, sur la première guerre Laurent Veray. p ma. mt temps unique, un langage propre qui
mondiale, selon un récit suivant la tra- 8 Blu-ray et DVD + 3 livrets, Gaumont. rend ses films si incroyablement denses
jectoire de deux soldats français d’un 109,97 €. et tout à la fois légers comme des mille-

Preston Sturges, cul par-dessus tête

“D’UNE HUMANITÉ DÉBORDANTE” “UN TRÈS BEAU FILM”
STUDIO CINÉ LIVE LE MONDE
loin des gloires éternelles
“UN GRAND FILM” “UNE ŒUVRE SALUTAIRE” (Capra, Lubitsch, Wilder), il
MARIANNE LA CROIX
semble que Preston Sturges,
cinéaste également génial,
soit voué en Europe à être
« redécouvert » à intervalles
réguliers. L’éditeur Wild Side
sort donc à bon escient un
somptueux coffret compre-
nant six de ses meilleurs
films (l’œuvre, ramassée
sur quinze ans, en compte
douze), agrémenté d’un beau
livre richement illustré. L’as-
surance, entre deux règle-
ments de comptes familiaux,
de passer les fêtes de fin d’an-
née les plus joyeuses de votre
carrière de spectateur.
Cette promesse tient à la
liberté corrosive de Sturges,
à son goût funambulesque
du saugrenu. Nul autre n’est,
comme lui, parvenu à synthé-
tiser, à fondre dans le creuset
de l’insouciance créatrice, les
apports primitifs du burles-
que américain et ceux, plus
tardifs, de la comédie sophis-
tiquée. La lecture des textes,
fort sentis, de Philippe Gar-
nier et Marc Cerisuelo permet
de comprendre où Sturges
puise sa singularité. Nais-
sance en 1898, père absent,
mère anglaise à fort cha-
risme, polydivorcée, installée
à Paris et amie de la danseuse
Isadora Duncan, séjour pro-
ACTUELLEMENT AU CINÉMA longé en Europe, parfumeur à
son retour aux Etats-Unis, in-
venteur polymorphe (du mo-
teur d’avion à décollage ver-
tical au rouge à lèvres indélé-
bile), restaurateur, bientôt
scénariste le mieux payé de
Hollywood, et l’un des pre-
miers à arracher le droit de
passer à la réalisation.
Les six titres présentés dans
le coffret vont de 1941 à 1948.
Dans Le Gros Lot (1940), un
petit employé de bureau,
participant à un concours de
slogan publicitaire organisé
par une marque de café, est
victime de collègues facé-
tieux qui lui font croire qu’il a
gagné. Cette nouvelle, la réus-
site appelant la réussite en dé-
pit de la nullité de son slogan,
lui ouvre la voie du succès jus-
qu’à ce qu’on découvre le pot
aux roses. Dans Les Voyages
de Sullivan, un réalisateur à
succès désireux de signer un
drame social (l’excellent Joel
McCrea) se laisse persuader
qu’il ne sait rien de la vraie vie
par ses producteurs (qui ne la
connaissent pas plus que lui),
et décide de s’immerger inco-
gnito chez les sans-abri, mais
en compagnie de la sublime
Veronica Lake et suivi en
douce par une caravane hol-
lywoodienne.
Inventivité débridée
Un cœur pris au piège (1941)
voit un fils de brasseur mil-
liardaire devenu herpéto-
logue (spécialiste des amphi-
biens et des reptiles – Henry
Fonda) se faire harponner sur
un paquebot par une tri-
cheuse professionnelle (Bar-
bara Stanwyck) dont il
s’éprend avant de la répudier,
la belle se vengeant une fois à
terre en se présentant à lui
comme une aristocrate an-
glaise. Madame et ses flirts
(1942) voit Gerry (Claudette
Colbert) quitter par amour
son mari, Tom, architecte im-
pécunieux, pour mettre le
grappin sur un millionnaire
qui arrange leurs affaires (il se
met alors à pleuvoir des crésus,
notamment dans un voyage en
train où, fin beurrés, ils s’exer-
cent au ball-trap), ce que Tom
n’entend pas de cette oreille.
Non moins récalcitrant, le
personnage principal de Héros
d’occasion (1944), réformé des
armées de libération américai-
nes pour rhume des foins, re-
vient dans sa ville natale, sou-
tenu par une bande de Marines
auxquels il a payé une tournée
et qui le font passer pour un hé-
ros. Infidèlement vôtre (1948),
enfin, nous montre les trois vi-
sions d’un chef d’orchestre an-
glais jaloux durant un concert
qu’il conduit, tuant successive-
ment sa femme sur du Rossini,
lui pardonnant sur du Wagner,
se suicidant sur du Tchaïkovski.
Au gré de cette inventivité dé-
bridée, qui fait de Sturges le roi
bientôt destitué d’Hollywood,
c’est l’Amérique qui est passée à
la moulinette, à travers le motif
de l’imposture et du règne ab-
surde des apparences. Dans ce
monde cul par-dessus tête, le
mensonge passe pour vérité et
mène à la gloire, l’honnêteté est
conspuée et conduit au tour-
ment. Le vice engendre la vertu,
et vice-versa. Sturges, qui y mit
un peu du sien au demeurant,
sera rapidement débarqué. p
jacques mandelbaum
Preston Sturges, 9 DVD et Blu-
ray. Ed. Wild Side. 119,99 euros.

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DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
feuilles (Les Garçons de Fengkuei, Un
temps pour vivre, un temps pour mourir
et Poussières dans le vent). Sixième film
du coffret, réalisé en 1987, La Fille du Nil
était à ce jour inédit en France. Au som-
met de son art, le cinéaste taïwanais y
brosse le portrait d’une jeune fille que
ses rêveries entraînent, à la lecture d’un
manga, dans l’Egypte du pharaon, tandis
que les Bangles chantent dans son Walk-
man Walk Like an Egyptian. Les deux
pieds dans la modernité, elle jongle entre
ses cours du soir, son job sous les néons
roses du KFC, le basculement de son
grand frère dans la mafia, une petite
sœur dont elle a la charge, les tiraille-
ments de la pauvreté, tandis que le fleuve
du temps dilue les restes de son enfance
et, avec eux, la séduction scintillante de
la modernité. p isabelle regnier
6 DVD, un livret, Carlotta Films. 60,20 €.
Philippe Garrel
Philippe Garrel Marie pour
mémoire
1964, Philippe Garrel réalise Les Enfants
désaccordés, son premier court-métrage.
Il a l’âge de ses personnages, deux jeunes
adolescents qui larguent les amarres, font
l’expérience de la ville, de l’amour, de la li-
berté. Magnétisé par leur beauté, il les
rend légendaires. Maurice Garrel est là,
déjà, qui joue le père, un homme qui a
tenté de transmettre ses idéaux, « sans
trop les imposer ». On le retrouve dans
Marie pour mémoire, quatre ans plus tard,
premier long-métrage du cinéaste qui se
pose, à 18 ans, en héritier de Godard.
Deux couples cette fois : Jésus et Marie,
dont l’amour scandaleux verra s’achar-
ner contre lui tout ce que la société
compte de forces réactionnaires ; Gabriel
et Blandine qui composent, eux, avec ses
diktats. Entre les enseignes Prisunic, les
terrains vagues des faubourgs de Paris,
et la belle Zouzou, émouvante comète de
la nuit, de la mode, du cinéma, dans le
rôle de Marie, Garrel revisite la Bible à
l’aune des drogues, des slogans situation-
nistes, de la psychanalyse lacanienne, et
pose les bases de sa mythologie future.
Nous sommes à la veille de Mai 68, qui
le verra gravir les barricades. Et tourner
le court-métrage Actua 1, que l’éditeur
Re : Voir a eu la bonne idée d’associer à
ces deux films. p i. r.
1 DVD/Blu-ray, 1 livret, Re : Voir. 29,90 €.
Roberto Rossellini
Trilogie de la guerre
La réédition de cette Trilogie de la guerre
agrémentée de nombreux commentai-
res éclairants est l’occasion parfaite de
faire un retour sur l’œuvre fondatrice et
toujours vibrante d’actualité de Roberto
Rossellini. On y retrouve Rome, ville
ouverte, tourné en 1945, narrant l’histoire
d’un réseau de résistants traqués par la
Gestapo.
C’est l’acte de naissance du néoréalisme
italien, un cinéma de rupture, en phase
avec les bouleversements de l’Europe
d’après-guerre : économie de moyens,
acteurs non professionnels et tournage
dans des décors réels, notamment dans
les décombres d’une Europe défigurée,
comme en témoignent Païsa (1946) et Al-
lemagne année zéro (1948). Trois œuvres
à la frontière entre fiction et documen-
taire, d’un humanisme à la fois sombre
et lucide, parfois désespéré, mais nourri
par le catholicisme du cinéaste. La vo-
lonté de rendre compte de la réalité so-
cio-économique d’un pays alimente la
puissance de surgissement des plans et
la force mélodramatique de l’œuvre du
plus grand cinéaste italien du XXe siècle.
p murielle joudet
3 DVD, BlaqOut. 37 €.
Version Blu-ray. 45 €.
Solveig Anspach
Fictions et documentaires
Entre 1988 et 2015, Solveig Anspach a réa-
lisé sept longs-métrages de fiction et une
quinzaine de documentaires. Ni moins,
ni plus. Solveig Anspach est morte le
7 août 2015, et la quasi-intégralité de son
travail est réunie dans ce coffret. L’ombre
de la disparition de la réalisatrice de Haut
les cœurs ! ne transforme pas pour autant
cet objet en monument funéraire. Le ci-
néma de Solveig est trop vivace pour res-
ter confiné dans le deuil et la nostalgie.
De l’observation du monde moderne et
de ses injustices (le documentaire Made
in the USA) à la fantaisie utopique autour
du bassin chloré d’une piscine (la fiction
L’Effet aquatique, 2016), ses films des-
sinent le portrait d’une créatrice fantas-
que partagée entre la drôlerie de la
banlieue qu’elle a filmée (voir Queen of
Montreuil, 2012) et la violente mélancolie
nordique de son ascendance islandaise
(Stormy Weather, 2003). Et bien sûr, tout
ce qu’on n’aura pas vu (le portrait de
Louise Michel réalisé pour la télévision,
les documentaires tournés à la fin des
années 1980…). p thomas sotinel
10 DVD, Le Pacte/Ex nihilo. 60 €.
Divers
Cinébox Gangsters
Tout pour voir des films, sauf un ticket
de cinéma : ce cadeau moderne, pre-
mier d’une série annoncée, joint les
plaisirs du DVD et du streaming, autour
du thème des gangsters au cinéma. Sur
les galettes, un classique hollywoodien,
L’enfer est à lui, de Raoul Walsh (1949), et
les deux volets des Gangs de Wasseypur,
la saga criminelle de l’Indien Anurag
Kashyap, découverte en 2012 à la Quin-
zaine des réalisateurs cannoise.
L’écart dans le temps et l’espace entre
les deux films, et leur patrimoine géné-
tique commun – la violence, le crime en
famille… – esquisse un panorama ample
que vient compléter une revue sur pa-
pier qui donne quelques repères supplé-
mentaires sur la mappemonde du film
de gangster. Ajoutez à cela quelques ba-
Chasseur ou chassé, William Petersen brouille les pistes
police fédérale Los Angeles
(1985), de William Friedkin, et
Le Sixième Sens (Manhunter)
(1986), de Michael Mann, deux
polars emblématiques des an-
nées 1980, sortent dans de
luxueuses éditions combinant
copies DVD et Blu-ray à de
beaux livres illustrés.
Bien qu’issus d’approches
différentes, les deux films se
laissent facilement apparier.
Non seulement parce qu’ils
partagent une même tête d’af-
fiche – le jeune William Peter-
sen (qui connaîtra plus tard
une seconde carrière dans la
série Les Experts) –, mais parce
qu’ils ont marqué l’évolution
du récit policier en phase avec
leur époque. Ceux-ci consis-
tent moins, en effet, en la réso-
lution d’une intrigue qu’en
l’exploration d’un nouveau ré-
gime de visibilité, qu’il s’agisse,
pour le premier, de la gigan-
tesque ville-écran de Los Ange-
les ou, pour le second, d’un
monde hanté par les images.
culture | 19
bioles (un jeu de cartes aux effigies de lywoodiennes de son temps que le réa-
grandes figures du crime, jeux, auto- lisateur, qui ne tourne plus pour les
collants…) et une carte en plastique sur grands studios américains depuis plu-
laquelle est inscrit un code donnant ac- sieurs années, regarde avec désillusion
cès à Uncut, l’offre éditorialisée de la et lucidité, tout autant que les méthodes
plate-forme de streaming et téléchar- de travail de l’auteur de Carrie y sont dé-
gement Universciné (avec, entre autres, crites en détails. Le livre s’accompagne
une thématique gangsters qui va d’un d’une série de six films en DVD, depuis
film méconnu de Carlos Saura, Los le mythique Phantom of the Paradise
Golfos (1959), à Téhéran, de l’Iranien jusqu’à Body Double en passant par
Nader T. Homayoun, 2009), et il y a là de Scarface, remake extatique et variations
quoi devenir un criminologue en fau- hitchcockiennes tracent donc une des
teuil. Il ne restera qu’à se lever pour aller œuvres les plus fortes du cinéma améri-
voir en salle un film de gangster. p t. s. cain contemporain. L’ouvrage a, entre
Cinebox. 34,90 €. autres qualités, celle de complexifier
la notion de genre au cinéma. Après
Alfred Hitchcock sa lecture, on est largement convaincu
Les années Selznick que Scarface n’est sans doute pas moins
Il est un lieu commun qui prétend que un film fantastique que Furie, par
le producteur David O. Selznick, promo- exemple. p j.-f. r.
teur de projets aussi imposants que 6 DVD + 1 livre, Carlotta. 69,99 €.
l’adaptation d’Autant en emporte le vent,
brida davantage l’inspiration d’Alfred Divers
Hitchcock, qu’il fit venir à Hollywood, Collection Freaksploitation
qu’il ne la libéra. Comme tous les cli- Amateurs d’excentricités cinématogra-
chés, celui-ci contient une part de vé- phiques, ceci est pour vous. Sous le label
rité, et de cette contrainte naîtront des Freaksploitation, l’éditeur Bach Films
œuvres (Rebecca, La Maison du docteur propose une série de films de genre
Edwardes, Le Procès Paradine) qui ne dont la particularité est d’être interpré-
compteront pas parmi les plus grandes tés par des handicapés. Dans Les Mons-
réussites du maître du suspense, tout en tres du kung-fu, film réalisé par Law Shi
témoignant toutefois de qualités tout en 1979, un acteur manchot et un autre
exceptionnelles. qui n’a plus l’usage de ses jambes incar-
La collaboration avec le producteur nent un couple d’experts en kung-fu dé-
donnera pourtant naissance à un cidé à se venger d’un cruel seigneur.
chef-d’œuvre, Les Enchaînés. C’est Ce qui donne lieu à d’ahurissants com-
un des grands mérites du coffret Blu-ray bats dont les participants deviennent
proposé par Carlotta de revenir sur ce des virtuoses de l’hypertrophie com-
moment dans la carrière d’Hitchcock en pensatoire.
proposant les quatre films et un livret Dans L’Infernale poursuite, de Ricou
collectif, La Conquête de l’indépendance, Browning, Ted Vollrath, ancien marine
où l’analyse et la précision historique se amputé des deux jambes à la suite
conjuguent. p jean-françois roger d’une blessure en Corée, ceinture noire
4 DVD ou Blu-ray, Carlotta. 98,99 €. de karaté, y incarne un gangster dont le
fauteuil roulant dissimule des mi-
Brian De Palma traillettes. Enfin le film philippin
« Blow Out », « Pulsions », « Furie » L’Invincible Kid du kung-fu est interprété
Carlotta propose une édition augmen- par Weng Weng, acteur lilliputien et vé-
tée de l’ouvrage d’entretiens écrit par ritable star dans son pays, y est l’agent
Laurent Vachaud et notre collaborateur 00 d’Interpol, vivant des aventures à la
Samuel Blumenfeld. Celui qui est peut- James Bond, séduisant les femmes et
être le plus conceptuel et le plus abs- conduisant une minimoto. Le plus beau,
trait des cinéastes américains modernes évidemment, c’est qu’à aucun moment
s’y livre avec précision, sans céder à une du récit, il n’est fait allusion à sa petite
auto-analyse de son art dont on se doute taille. Dément. p j.-f. r.
qu’elle lui répugne. Les mœurs hol- Bach Films. 15 € le DVD.
Tous deux dressent le récit reurs et provoque des catas-
d’une traque : celle d’un faux- trophes en chaîne. Il fonce
monnayeur (Willem Dafoe) lié dans les parois d’une ville vi-
au milieu de l’art contempo- trifiée et factice, plantée là
rain par une tête brûlée des ser- comme un décor sans fond.
vices secrets dans le premier ; Michael Mann désamorce la
celle d’un tueur en série sur- logique de l’action en ralentis-
nommé la « Dent vicelarde » sant l’intrigue, en la truffant
par un repenti du FBI repre- de moments suspendus à la
nant du service dans le second. rumeur électrique d’une urba-
Les deux flics étant joués par le nité striée de lueurs artificiel-
même Petersen. Les films or- les, dont les couleurs saturées
chestrent un brouillage des li- ouvrent des plages de mélan-
mites entre le chasseur et sa colie. Graham ne trouve la clé
proie. Richard Chance emploie de l’enquête qu’en s’immer-
des méthodes de voyou pour geant dans les vidéos familia-
coincer le faussaire, William les des victimes, en plongeant
Graham tente de se projeter au cœur même de leur gré-
dans la tête du psychopathe. sillement électronique. Dans
un film ou dans l’autre,
Une ville vitrifiée et factice l’image prenait alors douce-
Mais le plus intéressant est ce ment le pas sur la réalité. p
qui les sépare. Friedkin fait mathieu macheret
preuve d’un nihilisme sauvage
en caractérisant son enquê- Police fédérale Los Angeles,
teur non par la perspicacité de 2 DVD + 1 Blu-ray + 1 livre.
rigueur, mais par son absence Carlotta Films. 50,16 €.
de réflexion. Chance roule des Manhunter, 1 DVD + 2 Blu-ray
mécaniques, commet des er- + 1 livre. ESC Editions. 39,99 €
20 | culture DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
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Le requiem pour une jeunesse

A L B U M S
T HE R OLLI N G STON ES
On Air
Régulièrement publiées sur des disques
pirates, les participations des Rolling Sto-

défunte de Vincent Macaigne

nes à des émissions de radio de la BBC,
entre 1963 et 1965, connaissent, en partie,
une sortie officielle. Sur la cinquantaine
d’interprétations recensées, le double CD
On Air en présente trente-deux – dont
Le metteur en scène présente « En manque » à la Grande Halle de La Villette quatre qui étaient déjà dans le coffret
Grrr ! en 2012. Et sans respecter la chronologie. Après Come on,

S É L E C T I O N
de Chuck Berry, pour l’émission « Saturday Club » diffusée le
26 octobre 1963, première des Stones à la BBC, l’on saute au
THÉÂTRE 18 septembre 1965 pour (I Can’t Get No) Satisfaction. Les séances
de chaque émission sont ainsi dispersées sur les deux CD. Les

C
e n’était pas gagné. Vin- Stones jouent alors surtout des reprises et l’essentiel d’On Air
cent Macaigne reprend consiste en leurs versions de thèmes rock’n’roll ou blues, plutôt
à Paris En manque, qu’il fidèles aux originaux. Reste qu’en mono ou en stéréo, restauré,
a créé au Théâtre Vidy- le son de ces enregistrements est plutôt de meilleure qualité
Lausanne en décembre 2016, et il que ce qui circulait jusqu’à maintenant. Autre intérêt, l’on trou-
change d’échelle, en passant vera ici plusieurs thèmes que le groupe n’avait pas enregistrés à
d’une toute petite salle à la Grande l’époque sur ses albums ou singles, dont Cops and Robbers (déjà
Halle de La Villette. Le spectacle dans Grrr !), Fannie Mae ou Beautiful Delilah. p sylvain siclier
aurait pu en pâtir ; il devient autre, 2 CD ABKCO-BBC-Polydor/Universal Music.
tout en restant le même, sur le
fond : une fable d’aujourd’hui, très S OF T
lointainement inspirée par Sarah Ti Gwadloupéyen
Kane, l’auteure britannique De la chanson créole qui swingue sur les rythmes du gwoka (la
morte à 28 ans en 1999, qui reste musique traditionnelle cardinale de la Guadeloupe), des mélo-
un repère pour toute la généra- dies solaires cousues au point jazz et des voix sucrées, des
tion « Ground Zero », dont la cons- hymnes à l’amour (Nou Wo, Bonbon Siwo, Kléré) et… un peu de
cience s’est forgée sur les ruines poil à gratter (Ti Gwadloupéyen). C’est un cocktail avec lequel
des Twin Towers détruites par l’at- Soft se distingue depuis 2005, l’année où il est apparu dans le
tentat du 11 septembre 2001 à New paysage musical guadeloupéen, remportant d’emblée un suc-
York. Sarah Kane parlait d’autres cès énorme. Pour le quatrième album de Soft, Fred Deshayes
ruines, celles de la guerre en ex- (chant et guitare), Maxence Deshayes (chant), Julie Aristide
Yougoslavie, mais ce qui importe, (violon, chant), Joël Larochelle (basse, contrebasse) et Philippe
c’est le théâtre de la dévastation Sadikalay (saxophones) sont rejoints par « la famille », les co-
qu’elle a introduit sur les scènes. pains, une ribambelle de musiciens caribéens, dont Jacob Des-
Vincent Macaigne est fait de varieux, de Kassav’, Dominik Coco, Joby Julienne et Arnaud
tout ce qui traverse l’époque. Il a Dolmen. p patrick labesse
38 ans, et il a grandi en entendant 1 CD Aztec musique/PIAS.
parler des morts en Iran, d’où sa
mère est originaire. Comme l’écri- VI VALD I
ture de Sarah Kane dans En man- Dorilla in Tempe
que, son théâtre n’est pas linéaire. Romina Basso (Dorilla), Serena Malfi (El-
Il explose, d’une manière que cer- miro), Marina de Liso (Nomio), Lucia Ci-
tains trouvent pubertaire et ex- rillo (Filindo), Sonia Prina (Eudamia),
cessive – « gonflante » pour em- Clara Lama Schmit dans « En manque », à Lausanne, en décembre 2016. MATHILDA OLMI Christian Senn (Admeto), Coro della Ra-
ployer un langage de sortie de diotelevisione svizzera, I Barocchisti,
salle. En un sens, c’est vrai. Diego Fasolis (direction).
D’autres voient dans les specta- salle et la scène. A une fusion des tionnaires et fracas enfants-pa- promesses de lendemains. On s’y Après trois années d’interruption, la re-
cles de Vincent Macaigne une re- sens, déchaînés. Au risque de se re- rents. Le bruit de ce combat est perd comme dans une forêt de dé- prise de l’Edition Vivaldi, lancée en 2000
sucée des expériences hystéri- dire : il vaut mieux avoir de bons étourdissant de mots et de cris, sirs, et s’y retrouve dans la pré- au sein du label Naïve, ne risque pas de passer inaperçue. L’opéra
ques des années 1960-1970. C’est yeux et de bonnes oreilles pour ré- noyé dans les fumigènes et saturé sence d’une enfant qui prend la Dorilla in Tempe, volume 55 de la collection, est un mélodrame
sûrement vrai aussi, mais le théâ- sister aux décibels et aux zébrures d’éclairs. C’est le vacarme d’âmes main de sa mère. Et l’on y voit, héroïco-pastoral présenté dans sa version de 1734. Il relate les
tre est ainsi fait qu’il se renouvelle de lumière d’En manque, placé en peine, qui pleurent quand elles pour peu que l’on soit disposé à amours impossibles entre Dorilla, fille du roi Admeto, et le ber-
en reprenant des formes passées, sous le signe de la fureur théâtrale entendent Purple Rain de Prince suivre les chemins parfois impro- ger Elmiro, d’autant plus qu’Apollon, épris de la belle, a pris les
souvent sans le savoir. Ce qui im- des tableaux du Caravage accro- et dansent sur Tornero, de I Santo bables de Vincent Macaigne, le re- traits du berger, Nomio, pour la délivrer du serpent Python qui
porte, c’est l’ici et maintenant chés aux murs blancs (pas pour California – et alors les specta- quiem pour une jeunesse dé- la retient prisonnière. Le soin apporté à la réalisation de l’album
d’un spectacle, et ce que l’on est longtemps) du décor, une galerie teurs sont invités à venir danser funte, qui a envie non pas de fuir et le choix des artistes suscitent l’admiration. Diego Fasolis et
en droit d’aimer chez Vincent Ma- d’art dans les montagnes où vi- sur le plateau, au-dessus duquel le monde, mais de l’enlacer, dans ses Barocchisti, qui gravent ici leur première intégrale d’opéra
caigne, c’est le débordement. vent deux mondes, ceux d’en haut flotte un gros nuage qui bientôt une pulsion de vie. p dans la collection, font des merveilles dans la fosse. De même les
De ce point de vue, En manque et ceux d’en bas. éclate, déversant des trombes brigitte salino interventions chorales. Quant à la distribution, qui réunit la
clôt en beauté la 46e édition du d’eau dans la galerie dévastée. crème féminine du chant baroque italien (Romina Basso, Serena
Festival d’automne. Une foule Une course effrénée Pour les comédiens, En manque En manque, de et mis en scène Malfi, Marina de Liso, Sonia Prina, Lucia Cirillo) au baryton chi-
nombreuse se presse à La Villette. Vallée et sommets sont bien sûr est un marathon, une course ef- par Vincent Macaigne. Avec lien, Christian Senn, elle fait miroiter cette musique inventive et
Beaucoup de jeunes, au regard les métaphores d’un monde entre frénée. Pour les spectateurs, c’est Thibaut Evrard, Clara Lama colorée, riche en émotions, qui conjugue habilement atmos-
neuf. Vincent Macaigne leur parle. possédants et laissés-pour- une expérience, un puits sans Schmit, Liza Lapert, Sofia Teillet, phère pastorale et passions humaines. p marie-aude roux
Il est là, au milieu du public et des compte, dont Vincent Macaigne fond. On y voit des images à dam- des figurants et des enfants. 2 CD Naïve.
acteurs. Comme un chef de rend compte à sa façon. Moins ner l’âme, ou à la consoler. Des Grande Halle de La Villette,
meute, qui donne le rythme et le que la lutte de classes, il met en cieux qui en appellent aux grands Paris 19e. Jusqu’au 22 décembre, K Lire aussi sur Lemonde.fr, « Arbre nuage – Contemporary
tempo. Jamais content : il aspire à scène le combat que mène cha- soirs d’orages intérieurs, des du lundi au samedi, à 20 heures. Music for Erhu », de Ying-Chieh Wang et « Je regarde le
un absolu de la rencontre entre la cun pour être, entre rêves révolu- éclats de lumières comme des Durée : 2 h 15. De 12 € à 32 €. ciel », de Damien Jourdan
G A L E R I E

GALER I E MAR I AN GOOD MAN

Hiroshi Sugimoto
Voilà près de quarante ans qu’Hiroshi Sugimoto regarde la mer.
EXPOSITION 22 SEPT. 2017 - 21 JANV. 2018 Toutes les mers. De la baie de son enfance à la Tasmanie,
il a posé cent fois son appareil photo devant ces horizons
changeants, saisissant, à travers les mille nuances de son noir
et blanc, le passage du temps autant que le paysage. A chaque
fois, l’artiste japonais, célèbre aussi pour ses photographies
de cinéma à l’écran vide, applique un système intangible :
ses Seascapes sont strictement coupés en deux, entre air et
conception : C. Masset / R. Cotentin - PBA 2017

mer. Voir plusieurs de ces images rassemblées relève à la fois

du vertige et d’un sentiment de profonde sérénité, tous deux
magnifiés par l’accrochage parfait que lui consacre la galerie
Goodman. D’océans moutonneux en vagues sages,
d’irradiations lunaires en ciels chargés, le regard suit cette Jean-François Millet
ligne sans cesse rompue, passant d’une fenêtre à l’autre au gré
d’un éclairage théâtral. La galerie présente aussi cinq
Jean-François Millet, L’Homme à la houe (Vers 1860-1862), Los Angeles, The J. Paul Getty Museum

sculptures en verre optique : ces sortes de pagodes miniatures

encapsulent dans leur transparence d’autres mers que l’œil
ne décerne qu’en s’en approchant. Entre globe oculaire
et globe terrestre, une tentative de rapprochement. p
emmanuelle lequeux
« Surface Tension », Hiroshi Sugimoto, galerie Marian jusqu’au 22 janvier 2018
Goodman, 79, rue du Temple, Paris 3e. Du mardi au samedi
de 11 à 19 heures. Jusqu’au 22 décembre.

DAN SE premier plan d’Angelin Preljo-

Sylvain Groud nommé
directeur du Centre
chorégraphique national
de Roubaix
Whitney Museum of American Art, New York; gift of The American Contemporary Art Foundation, Inc., Leonard A. Lauder, President 2002.254
caj, Sylvain Groud, danseur
et chorégraphe formé au
Conservatoire national supé-
rieur de musique et de danse

ICONS THAT MATTER

Sylvain Groud a été nommé
COLLECTION DU WHITNEY MUSEUM OF AMERICAN ART
à la direction du Centre choré-
graphique national (CCN)
Roy Lichtenstein Girl in Window (Study for World’s Fair Mural), 1963.
de Paris, a fondé sa compa-
gnie MAD en 2002. Son projet
« CCN et vous ! », proposé pour

© Estate of Roy Lichtenstein, New York / Adagp, Paris, 2017

#PopArtMaillol 61 Rue de Grenelle 75007 Paris

BEYOND BANKING
Roubaix Hauts-de-France/Bal- le Centre de Roubaix, met
let du Nord, en remplacement en avant le travail de proxi- Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’Etat.

du chorégraphe Olivier Du- mité sur le territoire avec la

bois. Longtemps interprète de création d’un CCN mobile.
 culture | 21
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

L’Afrique expose ses non-dits La rêverie d’un cinéaste

Le réalisateur Jean-Paul Civeyrac s’interroge
Les Rencontres de Bamako explorent les tabous du continent sur une scène obsédante vue à la télévision

LIVRE s’était mis à arrêter le temps, à fis-

PHOTOGRAPHIE énergie et optimisme. Question
« On n’ouvre pas
bamako
de tempérament, mais aussi
d’époque, Barnor ayant vécu les
leurs récits pour n’en garder que surer le glacis des apparences, à
un débat
soupirs et claquements de langue.
Manière d’illustrer la difficulté de
J ean-Paul Civeyrac est
cinéaste. On lui doit, depuis
s’insinuer très loin en moi sans
que j’y prenne garde, m’emplis-

D
epuis leur lancement
en 1994, les Rencon-
tres de Bamako, bien-
nale de photographie
africaine organisée jusqu’au
31 janvier, tiennent du miracle. A
chaque édition, les mêmes ques-
tions reviennent en boucle : com-
ment trouver des fonds, motiver
les troupes, accorder les violons
de la France et du Mali, coproduc-
teurs de l’événement ?
Avec la montée du djihadisme
dans le nord et le centre du pays,
le pari semble encore plus fou.
Annulée en 2013, la manifestation
est endeuillée deux ans plus tard
par l’attentat meurtrier contre
l’Hôtel Radisson Blu de Bamako.
En juin dernier, une nouvelle ac-
tion terroriste contre un écolodge
très prisé des Occidentaux, près
de la capitale, a ravivé les peurs.
Malgré tout, la biennale a
ouvert ses portes, le 2 décembre,
au Musée national du Mali, dans
une ambiance festive. La nou-
velle cuvée conçue par Marie-
Ann Yemsi est bien plus char-
pentée que la précédente. Plus
ouverte aussi à d’autres pratiques
comme la vidéo. Baptisé « Afro-
topia », hommage appuyé à
l’essai du penseur sénégalais
Felwine Sarr, le cru 2017 veut po-
ser l’Afrique comme source d’ins-
piration pour le monde.
Inspirant, le Ghanéen James
Barnor l’est indéniablement. La
vie, l’invité vedette des Rencon-
tres l’a toujours croquée avec
liesses de l’indépendance.
La plus jeune génération expo-
sée dans la plate-forme panafri-
caine est moins rieuse. Et elle
prend à bras-le-corps les sujets
qui fâchent. Deux semaines après
l’attentat djihadiste qui a fait
19 morts, en mars 2016, à Grand-
Bassam, en Côte d’Ivoire, Joana
Choumali est allée à la rencontre
de ses habitants. « Nous sommes
un peuple optimiste, qui dit tout le
temps “ça va aller !”, mais on n’a
pas fait de travail de deuil, y com-
pris après la crise de 2011 », sou-
pire l’artiste ivoirienne, qui a
brodé sur les images un joli récit
parallèle, suturant par la couleur
les plaies cachées.
« Doigt d’honneur »
Blessures, interdits et non-dits
tissent d’ailleurs la trame de l’ac-
crochage. Tabou majeur, l’homo-
sexualité est pénalisée dans une
trentaine de pays africains. L’ar-
tiste ghanéen Eric Gyamfi, 27 ans,
l’aborde sans détours, mais non
sans nuances, dans une installa-
tion murale composée de photos,
coupures de presse et chats gla-
nés sur les réseaux sociaux. « Rien
n’est noir ou blanc en Afrique. Les
homosexuels ne vivent pas la
même réalité selon le lieu où ils ha-
bitent et la classe sociale à laquelle
ils appartiennent, confie-t-il. Nous
sommes en tout cas sur le bon che-
min, si on peut ouvrir la conversa-
tion sur ce sujet. Ça ne sert à rien de
modifier les lois si les esprits, eux,
en disant
brutalement :
“Allez, parlons
de l’excision ! ” »
LOLA KEYEZUA
artiste
ne changent pas. » Pas simple de
bousculer les mentalités. Prenez
la cruelle pratique de l’excision.
Selon l’Unicef, 200 millions de
femmes subissent chaque année
des mutilations sexuelles. Rien
qu’au Mali, près de 90 % d’entre
elles seraient excisées.
L’Angolaise Lola Keyezua a in-
terrogé pendant huit mois des So-
maliennes meurtries dans leur
chair. Leurs histoires lui ont ins-
piré des collages mêlant frag-
ments d’anatomie et portraits de
femmes au visage barré d’une
pierre. « Je n’ai pas voulu représen-
ter des victimes mais des survivan-
tes. Ce n’est pas non plus un appel à
la désobéissance », précise-t-elle
prudemment. Et de justifier : « On
n’ouvre pas un débat en disant
brutalement ; “Allez, parlons
maintenant de l’excision !” En re-
vanche, une œuvre moins frontale
peut délier les langues. »
Même précaution dans l’instal-
lation vidéo de Gabrielle Goliath,
qui a longuement écouté cinq
Sud-Africaines victimes de viol.
Au montage, elle a toutefois coupé
se faire entendre dans un pays qui
détient le triste record mondial en
matière de violences sexuelles.
Teddy Mazina sait, lui, donner
de la voix. Au péril de sa vie, le lan-
ceur d’alerte burundais dénonce
sur les réseaux sociaux les exac-
tions du président Pierre Nkurun-
ziza. Ses photos illustrent tout
autant les manifestations répri-
mées dans le sang que les prisons
engorgées de Bujumbura. « Ma
présence ici est un doigt d’honneur
à mon gouvernement, lance, non
sans fierté, le photographe,
aujourd’hui réfugié au Rwanda. Je
suis recherché au Burundi et je
m’exprime à Bamako ! » Nom-
breux sont les créateurs à avoir
trouvé comme lui une visibilité
précieuse dans les Rencontres.
Mais pour combien de temps ?
Question lancinante, relancée
par le départ à la retraite, fin dé-
cembre, de Samuel Sidibé, charis-
matique directeur du Musée na-
tional du Mali et, depuis 2009, dé-
légué général de la biennale. « Jus-
qu’à présent, tout fonctionnait au
dernier moment. Mais on est arrivé
au bout du système, prévient-il. Il
faut donner un statut aux Rencon-
tres pour les pérenniser, pour que
les équipes puissent préparer les
choses de manière plus sérieuse, en
amont. » A bon entendeur… p
roxana azimi
Les Rencontres de Bamako,
jusqu’au 31 janvier 2018.
Rencontres-bamako.com
Ni d’Eve ni d’Adam, en 1997,
une poignée de films atta-
chants et sensibles. De carrière,
au sens classique du terme,
point. Une œuvre plus volon-
tiers, avec des titres qui ont mar-
qué un public de cinéphiles, quel-
que chose qui ressemble, faute de
goût pour la criarde brutalité du
temps, à une présence discrète et
élégante, obstinément tenue au
seuil de la disparition. C’est
d’ailleurs par un soir où la vie
s’engloutit dans ce sentiment de
disparition et se rend du même
coup disponible, un soir où l’on
se dissout mollement devant sa
télévision, que s’ouvre Rose pour-
quoi, court et séduisant récit por-
tant sur la mystérieuse persis-
tance d’un souvenir, que vient de
publier Jean-Paul Civeyrac.
Coup de foudre
Cette absence à soi-même que fa-
vorise le zapping du petit écran
conduit à la découverte inopinée
d’une brève scène d’un film des
années 1930, dans laquelle une
femme est saisie d’un coup de
foudre pour un joli cœur rencon-
tré dans une fête foraine. Voici
comment l’auteur décrit l’im-
pression alors faite sur lui : « Il y
avait là un mystérieux halo iso-
lant ces deux êtres, une sorte de
bruissement entre eux, une émou-
vante vibration de l’air, beaucoup
d’amour par courants électriques,
et surtout quelque chose qui, dans
l’immédiat de la circonstance,
sant d’une sorte de joie étrange, et
qui aussi, selon de mystérieux
effets à infusion lente, laissera
affleurer plus tard et de manière
intermittente, à la lisière de la
conscience, l’écho presque imper-
ceptible d’un éclair – comment
le nommer autrement ? – d’ori-
gine inconnue. »
Le film en question se nomme
Liliom, c’est un mélodrame de
Frank Borzage, adapté d’une
pièce de théâtre hongroise, et il
est interprété par Rose Hobart et
Charles Farrell. L’histoire d’une
fille qui part par amour avec un
séducteur qui la maltraite, avant
de s’en repentir, de se suicider et
d’attendre, depuis le purgatoire,
la naissance de leur enfant. La
scène obsédante dont procède le
livre est leur rencontre. S’interro-
geant sur le mystère de cette
persistance, l’auteur en vient à
penser qu’il a intimement à voir
avec l’essence même du cinéma,
qui atteint au meilleur de lui-
même la grâce d’une épi-
phanie. Agrémentée des quel-
ques photogrammes qui saisis-
sent l’extase de Rose Hobart, en-
châssant l’un des gros plans les
plus magnifiques de l’histoire du
cinéma, la rêverie analytique à
laquelle il nous invite nous
emporte par sa finesse, sa pas-
sion, sa beauté. p
jacques mandelbaum
Rose pourquoi, de Jean-Paul
Civeyrac. P.O.L, 128 p., 13 €.

Angelin Preljocaj chorégraphie UNE ŒUVRE CINÉMATOGRAPHIQUE MAJEURE,

PRIMÉE DANS LE MONDE ENTIER.
un conte chinois du XIIIe siècle
« La Fresque », une fantaisie sur le pouvoir de la peinture à Chaillot

DANSE « J’ai pensé en floutant les repères ; avec les se-

conds, qui découpent la boîte
COSTA-GAVRAS INTÉGRALE VOL. 2 / 1986 - 2012

L es adaptations d’œuvres
littéraires commencent à
s’entasser sur les étagères
du chorégraphe Angelin Preljocaj.
Il y a eu L’ Anoure, d’après la nou-
velle La Voix perdue, de Pascal
Quignard, Ce que j’appelle oubli et
Retour à Berratham, en compli-
cité avec Laurent Mauvignier, Le
Funambule, de Jean Genet, Sid-
dhartha, d’après Hermann Hesse
dans une adaptation d’Eric Rein-
hardt, mais encore Roméo et Ju-
liette et Blanche-Neige. Il y a
aujourd’hui La Fresque, pièce
pour dix danseurs inspirée par un
conte chinois du XIIIe siècle.
Cette veine plus classique,
qu’Angelin Preljocaj a toujours
défendue en revendiquant l’héri-
tage du ballet et son rapport au li-
vret, oblige à resserrer la danse
autour d’un sens et d’une narra-
tion. Ce qu’il fait avec talent.
Même sans l’appui d’un scénario
précis, il aime raconter des his-
toires, en trouver le vocabulaire
chorégraphique et les images, dé-
tourner aussi la linéarité chrono-
logique pour bifurquer vers des
zones plus floues, celles de l’ima-
gination et de l’inconscient. Ce-
lui qui travaille aussi le texte
comme une partition musicale
met toujours le geste au défi de
dire sans expliquer.
Pour La Fresque (2016), qui était à
l’origine une commande jeune pu-
blic proposée par Emmanuel De-
marcy-Mota, directeur du Théâtre
de la Ville, à Paris, avant de devenir
un spectacle pour tous, Preljocaj
s’est plongé dans les contes. Il s’est
éloigné du répertoire européen
pour aller voir du côté de l’Asie. Il a
été séduit par une fable chinoise
intitulée La Peinture sur le mur,
dans laquelle un jeune homme
à la façon
dont les jeunes
sont happés
par la réalité
virtuelle »
ANGELIN PRELJOCAJ
chorégraphe
tombe amoureux d’une femme
peinte dans un temple. « Il traverse
l’image et vit à l’intérieur, racontait
le chorégraphe lors de la création
en 2016. J’ai alors pensé à la façon
dont aujourd’hui les jeunes sont
happés par la réalité virtuelle, en
particulier avec le jeu Pokémon
Go. » Preljocaj s’est aussi souvenu
de sa fascination d’adolescent
pour une photo de Rudolf Nou-
reïev (1938-1993) saisi dans un saut
qui a nourri son rêve de danse.
Disjonction spatio-temporelle
Comment une œuvre plastique ou
littéraire peut impacter le mental
au point de faire basculer celui qui
la regarde dans l’irréalité, voire
même le déconnecter du monde ?
Ce pouvoir violent d’attraction et
de projection que recèlent une
photo ou une image se révèle pé-
rilleux à mettre en scène. L’élan de
l’imaginaire pour servir la cause
du fantasme s’affronte ici au con-
cret du plateau qui ne connaît pas
les effets spéciaux du cinéma.
Pour incarner cette disjonction
spatio-temporelle au cœur de La
Fresque, Preljocaj superpose et fait
coulisser des écrans et des pan-
neaux. Sur les premiers, il fait défi-
ler des volutes de fumée et des
nuées blanches, conçues par Cons-
tance Guisset, qui montent au ciel
noire, il travaille sur les cadres plus
ou moins serrés des tableaux. La
dilatation de l’imagination et
l’emprise de la peinture envahis-
sant ensuite toute la scène.
Cette adaptation est un levier
d’invention pour Angelin Preljo-
caj. Régulièrement, il tente de des-
serrer l’étreinte de son style fon-
ceur et de son écriture angulaire et
rapide. L’efficacité de certaines sé-
quences, toujours rattrapées par
sa faim de mouvements, se sus-
pend parfois. Quelques scènes se
démarquent avec bonheur. Une
diagonale de couples se souvient
des farandoles de l’enfance ; une
danse de groupe compact sautille
sur place et bat des bras à l’unis-
son ; une séquence proche du cir-
que envoie voltiger filles et gar-
çons autour de cordes de cheveux,
motifs érotiques de cette Fresque
balayée de coups de tête.
Sur la musique trop illustrative
de Nicolas Godin, du groupe Air,
ici en collaboration avec Vincent
9 FILMS EN VERSIONS RESTAURÉES
Taurelle, dans des costumes so-
bres d’Azzedine Alaïa, mort le CONSEIL DE FAMILLE, BETRAYED (LA MAIN DROITE DU DIABLE)
18 novembre, avec lequel Preljo- MUSIC BOX, LA PETITE APOCALYPSE, MAD CITY, AMEN,
caj avait déjà travaillé pour Les LE COUPERET, EDEN À L’OUEST ET LE CAPITAL
Nuits (2013), La Fresque en appelle
aussi en douce aux mystères de
l’esprit et des rencontres, qu’elles "À L’ESPOIR SUCCÈDE, AVEC CE SECOND
soient artistiques ou réelles. COFFRET, LA RÉSISTANCE."
« Existe-t-il un passage secret qui
permette d’accéder à l’essence
d’une image qui nous fascine ? », Toujours disponible
s’interrogeait Angelin Preljocaj COSTA-GAVRAS
en s’attaquant à la création de ce COFFRET 11 DVD / BLU RAY + INTÉGRALE VOL. 1
spectacle évidemment emporté 2 DVD BONUS ET UN LIVRET 1965-1983
Coffret DVD en vente partout
par l’amour de l’amour. p et sur www.arteboutique.com
rosita boisseau
La Fresque, d’Angelin Preljocaj.
Théâtre national de Chaillot,
Paris 16e. De 11 € à 37 €. Jusqu’au
22 décembre. Theatre-chaillot.fr
22 | entretien 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Dany Boon,
à Montpellier,
le 5 janvier 2017.
ERIC CATARINA/CONTOUR
BY GETTY IMAGES

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si je n’avais pas fait rire ma mère, enfant,
quand elle n’allait pas bien.

Pourquoi n’allait-elle pas bien ?

Ma mère est tombée amoureuse de mon
père, et réciproquement, à l’âge de 18 ans. Il
était algérien et avait 36 ans. Elle s’est retrou-
vée enceinte alors qu’elle était mineure
[la majorité civile était alors fixée à 21 ans].
Ma mère avait le choix d’aller dans une mai-
son de fille-mère ou de partir avec mon père
et d’être bannie par une partie de sa famille
catholique pratiquante. Elle a choisi l’amour.
Elle a été bannie par ses parents pour qui
cette liaison était un drame familial. Cela a
été très dur pour elle.

Est-ce grâce à son métier que votre père

a rencontré votre mère ?
Oui. Mes grands-parents avaient retiré ma
mère de l’école à 14 ans – alors qu’elle était
très douée – parce qu’en tant qu’aînée, elle
devait aider au garage familial. C’est en fai-
sant le plein de gasoil du 38 tonnes de mon
père qu’ils se sont rencontrés. C’est joli, non ?
C’est une scène de film. Mon père était ar-
rivé en France de Kabylie, comme boxeur
professionnel, à l’âge de 18 ans. Puis il avait
passé son permis poids lourds et était de-
venu chauffeur routier.

Comment faisiez-vous rire votre mère ?

J’ai grandi dans un quartier de corons. J’ai
eu une enfance difficile mais pas malheu-
reuse. Difficile à cause du manque d’argent et
parce que je ne pouvais pas aller voir mes
grands-parents, qui habitaient dans la même
ville. Chez nous, il y avait des amis, notam-
ment les patrons de mon père, mais pas de re-
pas de famille. Toutes ces tensions familiales
m’ont évidemment beaucoup marqué.
Quand vous êtes rejeté et que vous découvrez
que, dans la plupart des autres familles, cela

Dany Boon
n’existe pas, vous grandissez en vous
demandant : « Pourquoi n’est-on pas aimé ?
Qu’est-ce qu’on a fait pour ne pas être aimé ? »
Pour faire rire ma mère, j’imitais les adultes.
Elle était bon public et aimait blaguer sur des
choses dramatiques. Ce n’est pas un hasard si

« J’ai réparé l’irréparable »

l’un de mes premiers sketchs s’est appelé « La
déprime ». Je voulais faire rire ma mère pour
qu’elle aille mieux face à l’agressivité fami-
liale, mais aussi pour me faire aimer des
autres. Quand on fait rire quelqu’un, il de-
vient désarmé et il vous aime. Dans ma rési-
lience, il y avait inconsciemment cette idée.
Au lieu de dire « vous me haïssez, je vais vous
haïr aussi », j’ai opté pour « grâce à l’humour, JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI… « Le Monde »
interroge une personnalité avec,
je vais tout faire pour que vous m’aimiez ».
Cela a été le déclic de ma vocation. pour point de départ, un moment décisif pour la suite de sa vie.
Regardiez-vous beaucoup d’humoristes ?
On ne sortait jamais, ni au cinéma ni au
Cette semaine, rencontre avec Dany Boon, qui fête ses vingt-cinq ans
théâtre. A la télé, je regardais Raymond
Devos, Pierre Desproges dans « La minute
de scène à l’Olympia. L’humoriste devenu réalisateur revient sur
nécessaire de Monsieur Cyclopède », les
films de Jacques Tati, de Gérard Oury, de
l’histoire compliquée de sa famille et raconte ses années de galère
Blake Edwards. J’ai eu un choc émotionnel
avec Bienvenue Mister Chance, d’Hal Ashby,
avec Peter Sellers. Un film magnifique.

Avez-vous essayé d’entrer en contact
avec vos grands-parents ?
Mon grand-père a malheureusement tenu
parole toute sa vie, jusqu’au bout. Quand je
suis allé le voir pour la première fois, à l’âge
de 14 ans, il m’a jeté dehors. Quand le frère de
ma mère s’est marié, mon grand-père avait
fait savoir que, si elle venait, ça se passerait
mal. On y est allé quand même : toute la fa-
mille était sur l’escalier de la mairie, et nous
(ma mère et mon petit frère), endimanchés,
étions de l’autre côté de la place. J’ai le souve-
nir du regard de la famille sur nous, de voir de
la joie d’un côté et, de l’autre, ma mère en
larmes. J’avais 6 ans. Je tenais sa main, je la re-
gardais, ce moment m’a bouleversé.
Ma grand-mère est morte l’année dernière,
elle ne voulait pas que ses petits-enfants
viennent à son enterrement. J’ai dit à ma
mère : « Elle a ouvert une boîte de Pandore,
celle de la haine de l’autre, et ne s’en est jamais
sortie. Elle en a souffert plus que nous. »
Quels rapports entretenez-vous
avec votre mère ?
Comme elle m’a eu très jeune, j’étais à la fois
son fils, son confident, son frère. J’ai toujours
eu, même aujourd’hui, une relation très fu-
sionnelle avec elle. Toute mon enfance, je l’ai
entendue nous dire, à mes frères et à moi :
« Mais un jour vous allez partir, m’oublier. » Je
comprends sa peur de l’abandon après ce qui
lui est arrivé. J’ai beaucoup d’admiration
pour mes parents. Mon père n’avait pas de
rancœur et je ne l’ai jamais entendu dire du
mal de la famille de ma mère. Il ressentait
une souffrance, un rejet de lui en tant que Ka-
byle, mais il était très philosophe sur tout
cela. J’ai eu une éducation assez dure, mais il
était très généreux. Il invitait des gens plus
pauvres que nous et donnait le peu de jouets
que j’avais. « Il a moins que toi, il faut que tu
apprennes à donner », me disait-il.
Cette double culture liée à vos parents
a-t-elle suscité des réflexions racistes ?
Oui bien sûr. Mais mon père était très cos-
taud. Il n’avait peur de rien. Dans ces cas-là,
vous souffrez moins du racisme ! Il était affa-
ble, très sociable. Il m’a emmené plusieurs
fois en Kabylie. La première fois, j’avais 1 an.
Je suis rentré très malade à cause d’un virus
qui a nécessité une très longue hospitalisa-
tion. D’où mon hypocondrie, je pense !
Aimiez-vous l’école ?
J’ai appris à lire et à écrire à 5 ans, grâce à
ma mère. En primaire, j’étais le premier de la
classe. Ensuite, je n’ai travaillé que les matiè-
res qui m’intéressaient. Résultat : au bout
d’un moment, j’étais à deux doigts du bac
technique ou du BEP. J’ai dit à ma mère :
« Laisse-moi te prouver que je peux y arriver. »
J’ai développé des dons pour les matières ar-
tistiques, le dessin, la musique, grâce aux
cours gratuits que la ville d’Armentières
[Nord], où on habitait, proposait aux en-
fants d’ouvriers.
Et vous avez quitté la maison à 15 ans…
Je suis allé chez Philippe, un ami peintre
qui vivait avec sa femme dans une fermette à
Houthem, en Belgique, et que j’avais connu
grâce aux cours. Il avait un atelier d’artiste. Je
suis parti parce que c’était devenu conflictuel
avec mon père. Il ne voulait pas que je sois

0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
1966
Naissance à
Armentières (Nord)
artiste. Cette perspective l’inquiétait beau-
coup. Ma mère m’a dit : « Je comprends que tu
partes. Fais ce que tu aimes. » Je me suis ins-
crit à l’école d’arts Saint-Luc, à Tournai. Ma
mère est devenue femme de ménage, car
mes études coûtaient assez cher. Mes pa-
rents m’ont aidé financièrement, et je faisais
aussi des petits spectacles à Tournai. Comme
il me trouvait drôle, Philippe me poussait à
écrire. Moi, je voulais être dessinateur-illus-
trateur dans la publicité. Lorsque le jury de
l’école m’a remis mon diplôme d’art graphi-
que, ses membres m’ont dit : « Ne faites pas
ça, montez sur scène. »
Vous souvenez-vous du jour où vous avez
décidé de partir à Paris ?
Après mon diplôme, j’ai vécu quelques an-
nées en Belgique. C’est mon ami d’enfance,
Jean-Christophe Herbeth, surnommé « Tof »,
qui m’a poussé à partir à Paris. Il était à l’école
des Gobelins et m’annonce qu’il y a une pos-
sibilité de travailler sur la bande dessinée des
Triplés, de Nicole Lambert. Je pars donc à Pa-
ris et deviens coloriste chez Télé Hachette.
J’étais payé 2 francs du Celluloïd. Ma chef
tombe amoureuse de moi – et réciproque-
ment – et insiste pour que je vienne vivre
avec elle. Je me souviens que mon père m’a
emmené avec son camion. J’avais une guitare
et un sac à dos, et il m’a déposé porte de Vin-
cennes. Mais au bout de quinze jours, mon
amoureuse me demande : « Tu vas faire quoi
comme métier ? » Je lui dis que je suis artiste.
Elle me répond : « Non, artiste c’est un hobby.
Je te parle de métier. » Notre histoire d’amour
aura duré quinze jours ! Je pars alors chez
mon pote Tof à Saint-Denis [Seine-Saint-De-
nis]. J’avais honte de retourner dans le Nord
alors que j’avais dit à tout le monde : « Ça y
est, je suis amoureux, je vais vivre à Paris et
faire l’artiste. » Ensuite, je retourne à
Houthem, en Belgique, et Tof me rappelle à
nouveau : « Tu vas vivoter, il faut que tu re-
tournes à Paris, c’est là que ça se passe. » Je
l’écoute et je repars. Ma mère me donne
10 000 francs (1 500 euros), toutes ses écono-
mies de femme de ménage. Mais tout est
parti en trois mois. Je lui disais « oui, oui, j’ai
toujours de l’argent, tout va bien », alors que
j’étais devenu interdit bancaire.
Que faites-vous alors ?
Je galère à mort. Je ne connais personne. Je
voulais acheter un piano. Je fais un crédit
Cetelem, je l’obtiens, mais je ne peux pas le
rembourser. On vient me saisir l’instrument
et je suis interdit bancaire pendant un an.
Comment viviez-vous ?
On ne vit pas. On est banni de la société.
C’est un cauchemar. Et je crève de faim. Je lo-
geais soit chez des copines, soit je gardais des
apparts de personnes qui partaient en vacan-
ces. Je faisais du spectacle de rue, du mime
automate, de la guitare, je gagnais des petites
pièces. J’ai un souvenir très marquant : un
jour, je prends toutes mes pièces pour ache-
ter une baguette. Il y a du monde, la commer-
çante, un peu énervée, les compte et me dit :
« Il manque 10 centimes. » Je cherche dans
mes poches en sachant que je n’ai rien. Elle
me rétorque : « Allez ça va, dégagez », et me
jette la baguette. On apprend la vie… Il y a
moins d’ouverture sur les autres à Paris que
dans le Nord ou en Belgique.
A cette époque, je passe et réussis l’audition
du cours Simon, mais je ne peux pas payer les
leçons. On me propose de payer plus tard. Au
bout de quelques mois, je suis convoqué dans
le bureau de Roselyne Margat, la directrice. Je
lui explique que je n’ai rien. Elle me dit : « Ce
n’est pas grave, tu ne paieras pas, on ne dira
rien. » J’ai été très touché par cette générosité.
C’est aussi à ce moment-là que
la psychanalyse entre dans votre vie…
Oui, grâce à un psychanalyste qui faisait le
cours Simon. Je lui demandais qui était
Lacan, qui était Freud. J’ai lu grâce à lui
Une saison chez Lacan, de Pierre Rey. Ce livre
1996 2005
Premier Olympia A l’affiche de
avec son « Joyeux Noël »,
one-man-show de Christian Carion
« Tout entier »
2008
Sortie du film
« Bienvenue
chez les Ch’tis »
a été très important. Il a déclenché mon en-
vie de découvrir ce qu’est la psychanalyse,
cette aventure introspective.
Comment êtes-vous passé du cours Simon
au one-man-show ?
Je découvre Racine, Corneille, mais je veux
jouer mes sketchs. Je galère tellement que je
me remets au dessin pour m’en sortir. J’ar-
rête le cours Simon et je rentre à France
Animation, où je deviens story-boarder. Je
commence, pour la première fois, à bien ga-
gner ma vie. Un jour, je croise dans la rue une
ancienne élève du cours Simon. « Alors, tu es
acteur ? », me demande-t-elle. « Non, je suis
dessinateur. » « Mais pourquoi ? S’il y a bien
quelqu’un qui doit devenir acteur c’est toi. »
C’est elle qui avait raison. Le lendemain, j’an-
nonce au bureau que je pars, que je ne ren-
drai pas mon story-board, et que ma vie, c’est
la scène. Je commence à écrire, je passe des
auditions, mais je ne suis pris nulle part.
Un dimanche soir, je m’inscris à la scène
ouverte du Café de la Gare et joue le sketch de
la déprime. Je cartonne. Je rencontre Richard
Kalfa, le patron du café-théâtre Le Movies, qui
me propose de venir jouer dans sa salle. Je
n’ai pas encore une heure de spectacle, mais
il me fait confiance. Je connais alors une pé-
riode merveilleuse où je joue mon spectacle
tous les soirs, devant 2 ou 30 personnes, mais
je joue. Un jour de 1997, Thierry et Fanny Joly,
qui écrivent pour leur sœur Sylvie Joly, vien-
nent me voir. Avec Thierry, on devient les
meilleurs amis du monde. C’est lui qui me
donne confiance en moi. Et grâce à Sylvie
Joly, qui devient ma marraine, je joue au
Théâtre du Lucernaire.
A quel moment le succès arrive-t-il ?
Je commence à remporter des prix dans des
festivals d’humour. Je fais rire avec des cho-
ses graves et avec l’accent du Nord, cela me
différencie des autres. Au Festival du rire de
Rochefort, en Belgique, je fais la première
partie de Patrick Sébastien. Il commence à
s’intéresser à moi et me demande ce que je
veux faire. Je lui réponds : « Jouer dans un
théâtre à l’italienne. » Alors il loue le Théâtre
Tristan Bernard, à Paris. Mais je ne suis pas
connu, la salle est vide. C’est très dur. Pour-
tant, dans Télérama, Anne-Marie Paquotte
me compare à Zouc et Devos. Et Jean-Luc
Jeener me met en « une » du Figaroscope.
Mais c’est l’émission « Bas les maques » qui va
tout changer. Sur le thème « Je fais rire », Mi-
reille Dumas interroge Yves Lecoq, Anne
Roumanoff et Sylvie Joly, grâce à laquelle j’in-
tègre l’émission. Au lendemain de sa diffu-
sion, le théâtre se remplit. Le producteur
Jimmy Levy me propose le Palais des glaces.
Je vais y jouer huit mois à guichets fermés
avant de faire l’Olympia.
Et là, votre mère vient vous voir…
Elle est très heureuse pour moi, très fière. Je
la présente à Jean-Michel Boris, le directeur
de l’Olympia. Ma mère fait la tête, dit à peine
bonjour. Je lui demande ce qui se passe. Elle
me dit : « Tu tutoies ton directeur, c’est pas
comme ça que je t’ai élevé ! » Je lui réponds :
« Oui, mais c’est un ami. » Elle rétorque : « Et
alors, ça t’empêche d’être poli avec ton direc-
teur ? » Chez elle, on ne voit plus le papier
peint. Les murs sont recouverts de mes affi-
ches, de mes photos, elle garde tout, découpe
tout. Mais, pour ma mère, ce n’est pas la noto-
riété qui est importante. Plus tard, quand je
l’appellerai le soir de la sortie de Bienvenue
chez les Ch’tis, en 2008, pour lui annoncer le
succès, elle me dira : « N’achète pas une nou-
velle voiture ! » Ce décalage me fait garder
les pieds sur terre. Quand les Ch’tis ont été
projetés à l’Elysée, j’ai dit à ma mère de venir.
Mais elle ne voulait pas : « Je n’ai rien à me
mettre, ne m’embête pas avec ça. » J’insiste, lui
explique qu’il y aura mes frères, les petits-en-
fants, que je lui achèterai une robe. Elle arrive
très angoissée à l’Elysée. Mais lorsqu’elle voit
qu’il s’agit d’un buffet, elle respire : « Ouf ! On
n’est pas assis à table. » Elle avait peur de se
2014
Sortie du film
« Supercondriaque »
« Avec “Bienvenue
chez les Ch’tis”,
l’enfant le plus
détesté et rejeté
de sa famille
devient l’homme
le plus aimé
du Pas-de-Calais »
tromper dans les couverts et les verres !
Plus de 20 millions d’entrées, le film
français le plus vu en salle…
Comment l’aventure de « Bienvenue
chez les Ch’tis » est-elle née ?
Au départ, je voulais faire venir un prof du
Sud dans le Nord. Cette histoire me vient
aussi d’un sketch dans lequel je suppliais les
spectateurs de passer des vacances dans le
Nord-Pas-de-Calais : « Vous allez voir, c’est for-
midable, c’est très tranquille, même nous, on
s’en va ! » Mais je voulais savoir si j’étais capa-
ble de réaliser un film. Donc, j’ai d’abord fait
La Maison du bonheur, en 2006, car je ne vou-
lais pas me rater sur ma région et mes raci-
nes. Quand les producteurs ont vu le titre et
lu le langage ch’ti, ils n’ont rien compris.
Claude Berry me dit : « C’est illisible. » Je lui ré-
ponds : « Ne t’inquiète pas, c’est plus facile à
entendre qu’à lire. » Ce film a rassemblé tout
ce que j’avais appris dans ma carrière : le des-
sin, la photo (grâce, aussi, à l’école Saint-Luc
de Tournai), le story-board, l’humour. Mon
nouveau métier était désormais réalisateur.
Tout cela ressemble à un fabuleux destin…
Oui. L’enfant le plus détesté, le plus rejeté de
sa famille devient l’homme le plus aimé du
Pas-de-Calais. J’ai réparé l’irréparable. C’est
l’aboutissement de ma résilience. L’émotion
– au-delà du rire – que le film véhicule re-
donne ses lettres de noblesse à une région qui
a accueilli mon père, a un accent (qu’il a fallu
que je perde, car on se foutait de ma gueule à
l’époque où j’ai débuté) et rend hommage à
ma mère. C’est une boucle par rapport à mon
enfance, comme un fil rouge que j’ai suivi.
Mais comment expliquez-vous
ces 20 millions d’entrées en France ?
J’ai été le premier surpris, mais je pense
que c’était le bon sujet au bon moment. Je
suis fan de Glenn Gould, qui disait : le piano
ce n’est pas difficile, ce sont les bons doigts
sur les bonnes touches au bon moment.
Bienvenue chez les Ch’tis est devenu un phé-
nomène de société parce que c’est le film
dont les gens avaient besoin, il leur a fait du
bien. Parce qu’il véhicule une idée qu’on a en
nous, mais qui n’est plus visible dans la so-
ciété : la fraternité. Les comédies américai-
nes montrent la réussite comme une fin en
soi. Mon film dit l’inverse : le plus impor-
tant, c’est le rapport aux autres.
Vous avez, à plusieurs reprises, pris
position pour dénoncer le danger
du Front national…
En étant fils d’Algérien, ce sujet me touche
particulièrement. J’ai pris position la pre-
mière fois en 2009, lors des municipales
d’Hénin-Beaumont. La grand-mère ita-
lienne de ma femme m’avait envoyé par
mail un article du Corriere della Sera qui
parlait de Bienvenue chez les Ch’tis : « Ce film
est une fable. L’accueil, la fraternité, dans
entretien | 23
cette région, n’existe pas. La preuve, le FN
va gagner une ville importante. » En tant
que citoyen français issu d’une double
culture, je ne pouvais pas ne pas réagir. Le
discours extrémiste et xénophobe est
parfois fort dans les régions sinistrées
comme le Nord. Les gens ne vont pas résou-
dre leurs difficultés en ayant la haine de
l’autre et en reportant leurs problèmes sur
les minorités. La solution est dans l’édu-
cation et la culture. C’est notre responsa-
bilité de faire lire nos enfants. Souvent, des
artistes hésitent à prendre position parce
que les scores importants du FN,
c’est une partie du public. Un jour, dans le
Nord, quelqu’un m’a glissé à l’oreille :
« En même temps, vous n’êtes pas 100 %
ch’ti… » Quand j’entends des choses comme
celle-là, une plaie se rouvre. Heureusement
que je suis en analyse, cela aide à ne pas
répondre à la haine.
Etes-vous toujours en analyse ?
Oui, j’adore ma psy. On est au-delà du trans-
fert, maintenant on est amis, elle lit mes scé-
narios, vient voir mes films !
Quel rapport entretenez-vous
avec l’argent ?
J’espérais simplement avoir des moyens
suffisants pour ne pas avoir de soucis maté-
riels. Car mes parents en ont eu beaucoup.
Ils ont passé leur vie à rembourser leur mai-
son de coron de 60 mètres carrés. Au début,
je culpabilisais de gagner en peu de temps ce
qu’ils ont mis leur vie à obtenir. C’est désta-
bilisant. La psychanalyse m’a aidé à accep-
ter cela. Et puis on a créé Le Ch’ti Fonds
avec la Fondation de France. C’est vrai que
je pourrais arrêter de travailler, mais ce
qui m’importe, c’est de faire rire pour
faire du bien, car les premiers rires du pu-
blic m’ont réparé.
Aujourd’hui, vous sentez-vous avant tout
réalisateur, humoriste, comédien ?
J’arrête le one-man-show. Dany de Boon
des Hauts-de-France est mon dernier specta-
cle. Je voudrais faire du théâtre, j’en ai rêvé
enfant. A 10 ans, j’avais écrit une lettre au
théâtre de Lille pour leur demander de me
prendre, quand je serais grand, comme ba-
layeur, puis comme ouvreur et, comme cela,
je grimperais tous les échelons. Par timidité,
je ne l’ai jamais envoyée. Au-delà de l’argent
qu’on peut laisser à ses enfants, j’aimerais
aussi leur léguer des pièces de théâtre. Et
évidemment continuer le cinéma.
Et écrire un jour un film sur votre vie ?
Ma mère, qui vit toujours à Armentières, ne
veut pas. « Je ne préfère pas », m’a-t-elle dit.
Vous étiez ami avec Johnny Hallyday.
Que représentait-il pour vous ?
J’ai grandi avec lui. Quand j’étais gamin,
c’était un artiste très apprécié dans les mi-
lieux populaires. Ma mère a été très secouée
par son décès. C’est comme la fin d’une épo-
que. Il y a quinze ans, il est venu me voir sur
scène. Nous avons sympathisé. Quand je
suis parti à Los Angeles, il m’a prêté sa mai-
son pendant trois mois. Il m’appelait pour
que j’essaie sa nouvelle voiture, il était
comme un enfant qui voulait partager ses
plaisirs. Puis on s’est vus régulièrement. Jo-
hnny était d’une grande humanité, géné-
reux et intuitif avec les gens. L’hommage qui
lui a été rendu, samedi 9 décembre, était à la
hauteur de ce qu’il était. Tous ces gens qui
me disaient « embrassez-le », « dites-lui merci
pour nous », c’était bouleversant. p
propos recueillis par
sandrine blanchard
« Dany de Boon des Hauts-de-France »,
mise en scène Isabelle Nanty,
du 18 au 20 décembre à l’Olympia.
Puis en tournée du 7 au 25 mars 2018.
« La Ch’tite famille », de Dany Boon,
sortie en salle le 28 février.
24 | télévisions
A Limoges, les enfants
font de l’opéra
Un film finement tourné retrace le travail
de trois classes d’école primaire sur le projet,
« “De cendre et d’or”, une odyssée musicale »
FRANCE 3
NOUVELLE-AQUITAINE
LUNDI 18 - 0 H 20
DOCUMENTAIRE
R
émy Batteault est
l’auteur de documentai-
res aux sujets variés
et souvent singuliers :
Charcuterie fine (2001), le premier
d’une « trilogie charcutière », fai-
sait le portrait de ses parents char-
cutiers ; Intégration à l’italienne,
les Italorrains (2014) scrutait ce
qu’était devenue, au fil des généra-
tions, l’importante immigration
italienne en Lorraine.
En 2007, il réalisait deux films
pour France 3 : Vivre et grandir, à
propos du service de pédopsychia-
trie des hospices de la Charité, à
Beaune ; Voyage retour, au sujet du
retour aux Antilles de Guadelou-
péens et de Martiniquais qui
avaient passé leur vie profession-
nelle en métropole.
On peut noter également des
« nanodocumentaires » tournés à
la demande de la designer Matali
Crasset ou des fantaisies comme
un cinquante-deux minutes
chanté à propos de la comédie
musicale. Ou encore un faux do-
« Calls » : l’imagination au pouvoir
Frissons garantis à l’écoute de la nouvelle création originale de Canal+ : une série haletante uniquement sonore
MYCANAL
À LA DEMANDE
SÉRIE
E n octobre 2016, Timothée
Hochet (23 ans) lançait une
étrange création artistique
sur YouTube : un court-métrage
intitulé Calls, expérience auditive.
Une histoire tout en dialogues
dans une vidéo sans images, hors
des traces luminescentes ; hon-
neur au son ! La viralité aidant,
voilà l’esquisse devenue la pre-
mière série d’un nouveau label
lancé par Canal, « Création déca-
GRILLE N° 17 - 294
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V dents. VIII. Mît sur un siège. Sans in-
VI
VII
VIII
IX
X boîte. 4. Machin trop souvent bloqué.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 17 - 293
HORIZONTALEMENT I. Approximatif. II. Salacité. Ali. III. Trait. Embole.
IV. Uni. Es. Eon. V. Cadette. User. VI. Ise. Ségur. Té. VII. Esse. Noire. VIII. Ui.
Satineras. IX. Section. Lire. X. Enterrements.
VERTICALEMENT 1. Astucieuse. 2. Parnassien. 3. Plaides. Ct. 4. Rai. Este.
5. Octets. Air. 6. Xi. Stentor. 7. Ite. Egoïne. 8. Même. Uin (uni). 9. Bour-
relé. 10. Taons. Erin. 11. Ill. Et. Art. 12. Fiévreuses.
cumentaire sur la présence mar-
tienne à Besançon pour les repré-
sentations du Cabaret martien de
la chorégraphe Nathalie Pernette…
Son dix-septième opus est dé-
volu au travail fait pendant deux
ans sur un projet d’opéra (d’après
Cendrillon) par trois classes d’école
primaire de Limoges. Un projet
éducatif imposé, qui n’a pas fait
l’unanimité. « Un opéra ? Je n’ai pas
très envie, moi, c’est pas pour les
jeunes », dit la jeune Lindsay…
Et pourtant, presque tous – en-
fants et parents – seront captivés
par ce travail exigeant sous la gui-
dance d’un chorégraphe et met-
teur en scène (Sergio Simon),
d’une chanteuse (Eve Christophe),
d’une compositrice (Sally Galet) et
d’un librettiste (Thomas Gornet).
Véritablement transformés
Une plongée en milieu scolaire,
un projet collectif et artistique,
les mots d’enfant, les bouilles
adorables et les cabotins en
herbe : tout cela a un air de dé-
jà-vu depuis le fameux film de Ni-
colas Philibert, Etre et avoir
(2001), qui suivait la vie d’un ins-
tituteur et de sa classe unique, en
Auvergne, pendant un an.
lée » : Calls. Cette fiction audio a
l’audace de se présenter comme
de la télévision sans images. Car,
en dehors de lueurs sur fond noir,
n’apparaît à l’écran que la trans-
cription des dialogues entre les
personnages. L’objectif ? « Que
chacun développe son imagina-
tion et devienne le metteur en
scène de ces histoires », a com-
menté son jeune créateur.
Ecouter et lire
C’est en tombant sur une somme
d’enregistrements d’appels d’ur-
gence adressés à la police, aux
7 8 9 10 11 12
« De cendre et d’or », opéra interprété par trois classes d’école primaire de Limoges. E. BLOCH
L’idée de monter un opéra en
milieu enfantin a même été l’ob-
jet d’une mise en abyme dans
Let’s Make an Opera (1949), de
Benjamin Britten. Rien de nou-
veau donc – à première vue. Mais
on ne peut qu’être touché par la
manière dont certains écoliers,
qui ne se voyaient décidément
pas monter sur une scène
lyrique, sont véritablement
transformés par cette expérience
musicale.
Les discussions de certains en-
fants avec leurs parents – dont
Rémy Batteault a réussi, en se fai-
sant oublier, à préserver le natu-
rel – montrent combien un tel
travail peut modifier le compor-
Etats-Unis, que Timothée Hochet a
saisi le parti qu’il pourrait en tirer
en matière de fiction. A l’écoute de
ces appels éplorés ou terrifiés au
911, « j’ai ressenti des émotions
qu’aucun film ne m’avait procurées,
et j’ai tout de suite su qu’on pouvait
raconter des histoires à travers des
enregistrements sonores », racon-
te-t-il. Ce qui ne veut pas dire que
l’on soit face à une création radio-
phonique travestie en série télévi-
sée, le travail sur le son rendant
souvent fort utile la lecture des
dialogues que l’on est en train
d’entendre.
HORIZONTALEMENT
I. Ne laissera jamais passer une occa-
sion, surtout si elle est bonne.
II. Moins eicace quand elle dure.
Personnel. III. N’apportent plus de
nouvelles mais roulent toujours.
IV. Support d’informations. Enzyme.
Engrais azoté. V. La plus petite chez
les Grecs. Délit à remonter. VI. Pris en
considération. Ouverte à tout le
monde, en principe. Démonstratif.
Bouts de caoutchouc. VII. Arrachent à
chaque passage. Ramassé avec les
térêt. Une fois de plus. IX. Dernière
fois. Frappé fortement. X. Aide à re-
lancer la machine.
VERTICALEMENT
1. Cherche la fortune au fond de sa
batée. 2. Tombe vraiment mal. 3. Dé-
rangent les voisins. Déplaça dans la
Plume protégée par Jean des Bandes
noires. 5. Joua avec les mots. Chez
Donald Duck. Sur la portée. 6. Prépare
ses tartines à l’anglaise. Sur une table
asiatique. 7. Reste anonyme. Cours
court. 8. Nettoyât les noix. 9. Dans le
tourment. Pris dans l’heure. 10. En
partie coupé du monde. Protection
rapprochée. 11. Eliminée. Son pas est
une erreur. 12. Pour faire le plein en
Afrique.
tement individuel et collectif des
élèves. La qualité de la musique
de Sally Galet y aide aussi : ce
qu’elle a proposé n’est en rien
une suite de comptines et pré-
sente de nombreuses chicanes
rythmiques et mélodiques…
La diffusion de cet excellent et
touchant documentaire – hélas !
sur la seule chaîne régionale de
France 3 Nouvelle-Aquitaine, et
très tard dans la soirée, après
« Fauteuils d’orchestre », l’émis-
sion d’Anne Sinclair, et le journal
de la nuit – tombe à pic, au mo-
ment où le ministre de l’éduca-
tion nationale prescrit à nouveau
la pratique chorale comme élé-
ment fédérateur.
Ainsi, dans le deuxième épisode,
« Léviathan », les cinq plongeurs
du récit, partis en exploration
sous-marine, ont beau être munis
de masques faciaux de plongée
leur permettant des échanges
oraux – on est alors en 2026 –, les
distorsions de leurs voix, les
bruits aquatiques ou la musique
peuvent rendre une simple audi-
tion difficile, alors que la lecture
de leurs échanges sur écran en
facilite la compréhension.
Plus ou moins tragiques,
angoissants ou étranges, les évé-
nements présentés comme réels
SUDOKU
N°17-294
1 6 5 8
2 8
6 9
4 5
5 6
4 2 9
3 9 7 4 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
La captation du spectacle à
l’Opéra de Limoges a été parallèle-
ment effectuée par France 3 Nou-
velle-Aquitaine. L’idéal aurait été
qu’elle soit associée à la diffusion
du documentaire. Mais – autre re-
grettable incongruité – il faudra
attendre le 23 décembre à 10 h 50
pour la voir. p
renaud machart
De cendre et d’or, une odyssée
musicale, de Rémy Batteault
(Fr., 2017, 52 min). Diffusion
sur France 3 Nouvelle-Aquitaine
le 18 décembre après
« Le Grand Soir 3 » et le
lendemain, mardi 19 décembre,
à 8 h 50. Et à la demande.
que rapportent les épisodes de
Calls proviennent aussi bien de
la boîte noire d’un avion que
d’un répondeur, d’un portable
caché dans une poche que d’une
cassette de magnétophone. Le
tout porté par les voix d’une
impressionnante brochette d’ac-
teurs (dont Mathieu Kassovitz
ou Sara Forestier, par exemple).
Une trouvaille et un travail à
découvrir. p
martine delahaye
« Calls », série créée par Timothée
Hochet (10 x 10 minutes).
4 1 8 6 7 2
3 2 9 1 4 5
7 6 5 3 8 9
1 7 1 9 3 8 5 7
6 4 7 2 1 3
8 5 2 4 9 6
2 3 4 5 6 8
9 8 1 7 3 4
5 7 6 9 2 1
Expert
Complétez toute la
3 grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
2 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
1 seule fois par ligne,
colonne et par
carré de neuf cases.
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
0123
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
DIMANCHE 17 DÉCEMBRE
TF1
21.00 Spy
Comédie de Paul Feig (EU., 2015,
135 min).
France 2
20.55 Camping
Comédie de Fabien Onteniente
(Fr., 2006, 105 min).
France 3
20.55 Les Enquêtes de Vera
Série (GB, 2014, ép. 15 et 16).
Canal+
21.00 Football
Lyon-Marseille. 18e journée de Ligue 1.
France 5
20.55 Caviar, tarama,
le bon filon
Documentaire (Fr., 2017, 50 min).
Arte
20.55 Le Reptile
Western de Joseph L. Mankiewicz
(EU, 1970, 120 min).
M6
21.00 Capital
Magazine présenté
par Bastien Cadéac.
LUN D I 1 8 D É CE M B R E
TF1
21.00 Coup de foudre de Noël
Téléfilm (Fr., 2017, ép. 1 et 2/2).
France 2
20.55 Nicolas Le Floch
Série (Fr, 2014, 2 × 45 min).
France 3
20.55 Fauteuils d’orchestre
Magazine présenté par Anne Sinclair.
Canal+
21.00 Paris, etc.
Série (Fr., 2017, S1, ép. 10 à 12/12).
France 5
20.55 J’irai dormir
chez l’homme qui brûle
Documentaire (Fr., 2013, 85 min).
Arte
20.50 Eve
Drame de Joseph L. Mankiewicz
(EU., 1950, 135 min).
M6
21.00 M. Pokora & Friends
Divertissement présenté
par David Ginola.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
compter du 15 décembre 2000.
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durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
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DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
sur le sentier du
«made in paris»
Peut-on encore faire fabriquer
des vêtements dans la capitale ?
Complexe, depuis la disparition
massive des ateliers du Sentier.
Pourtant, à Paris et aux alentours,
des solutions locales renaissent,
souvent à l’initiative de petits labels
MODE
C’
est une ancienne
usine qui va en rede-
venir une. On voit
encore l’enseigne
« miroiterie vitrerie » au-dessus
de la devanture du 15, rue Cavé.
Mais dans ce coin tranquille du
18e arrondissement de Paris, les
machines verront désormais pas-
ser des métrages de tissus et des
jeunes gens bien sapés. Stéphane
Ashpool, créateur de la marque Pi-
galle Paris, lauréat du concours de
l’Association nationale pour le dé-
veloppement des arts de la mode
(Andam) en 2015, et son associé,
Adrien Haddad, ont prévu
d’ouvrir début 2018 ce qu’ils ont
appelé dans leur business plan
« un atelier de création manuelle ».
Cette structure regroupera, sur
environ 350 m2, un studio de sty-
lisme et de modélisme, un atelier
de confection et un centre de for-
mation. Pour commencer, les pro-
totypes du prochain défilé de Pi-
galle Paris (qui aura lieu à Paris fin
janvier 2018 pendant les collec-
tions de mode homme) seront
faits sur place, mobilisant environ
10 salariés. Et une fois rodé, l’ate-
lier devrait pouvoir travailler pour
d’autres marques à partir de mars
et espère, à terme, employer au
maximum 30 personnes.
« Au cours des dix dernières an-
nées, en tant que jeune marque,
nous avons rencontré beaucoup de
difficultés pour produire sur le ter-
ritoire français et en particulier en
Ile-de-France », explique Stéphane
Ashpool. La grande époque du
Sentier semble bien lointaine. On
pouvait alors, en plein cœur de Pa-
ris, faire faire un prototype de vê-
tement en une journée ou fabri-
quer – juste à partir d’un croquis –
une centaine de pièces livrables
sous quarante-huit heures…
Pas question évidemment d’in-
voquer une utopique relocalisa-
tion de l’industrie textile. Ni Paris
ni la France n’ont vocation à con-
currencer l’Asie, le Maghreb ou le
sud et l’est de l’Europe. Mais la
multiplication dans la mode des
petits labels créatifs, ces dernières
années, révèle un manque fla-
grant de solutions locales pour la
confection. Car, même s’il en reste
quelques-uns, la disparition mas-
sive des ateliers du Sentier – avec
leur réactivité, leur capacité à ré-
pondre à de petites commandes,
leur situation géographique, au
centre de la capitale mondiale de
la mode – a laissé un vide qui sem-
ble difficile à combler.
Il suffit d’aborder le sujet de la fa-
brication avec n’importe quel
créatif qui se lance ou se déve-
loppe pour entendre le même dis-
cours. « La production, c’est 80 %
des problèmes d’une marque, sou-
ligne Marie Marot, qui a lancé la
sienne, spécialisée dans les che-
mises pour femme, il y a trois ans.
C’est le plus gros poste de dépense
et celui qui procure le plus de stress
car on se sent coincé entre les bou-
tiques à livrer en temps et en heure
et la fabrication, sur laquelle on n’a
pas la main. Même en anticipant
au maximum, il y a toujours des
imprévus dans la chaîne de pro-
duction. La chose que tu entends le
plus souvent aussi quand tu dé-
marres, c’est “non, on ne peut pas”.
Personne ne peut jamais. »
L’idée de Stéphane Ashpool de
créer un lieu dans Paris pour per-
mettre « l’essor d’une fabrication
française aux mains de la jeu-
nesse » semble donc répondre à
une nécessité, presque une ur-
gence. Lui et Adrien Haddad se
lancent seuls avec leurs propres
fonds et le soutien de Bruno Pavlo-
vsky, directeur des activités mode
de Chanel et de ses Métiers d’art,
qui a aidé les deux jeunes gens à
s’installer, au-delà de l’année de
mentoring induite par l’Andam (le
lauréat du Grand Prix remporte
250 000 euros et un an de conseil
par un professionnel du secteur).
« En réalité, des ateliers dans Pa-
ris, poursuit Stéphane Ashpool, y
en a pas et y en a plein… De tout pe-
tits ateliers de confection africains
à Barbès, à Strasbourg-Saint-De-
nis, des façonniers très pros en péri-
phérie, et les artisans des grandes
maisons. Mais nous, ce qu’on vou-
drait, c’est démarrer un cercle ver-
tueux. Créer, confectionner, ap-
prendre, vendre et faire évoluer
tout ça de façon contemporaine,
avec une nouvelle énergie. »
« Une sorte de système D »
Qu’il croie ou non au succès du
projet, pas un seul de nos interlo-
cuteurs n’a contesté la pertinence
du constat ni l’intérêt de la démar-
che. « Le made in France coûte cher,
mais on n’a pas le choix, reconnaît
Patricia Lerat, fondatrice de
l’agence PLC Consulting Paris, qui
depuis vingt-cinq ans ne ménage
pas ses efforts dans le soutien à la
jeune création. Le calcul est sim-
ple : quand on veut produire de pe-
tites quantités, réaliser un patro-
nage, un prototype, travailler en
temps réel avec le façonnier pour
éviter d’avoir à tout refaire, il faut
de la proximité, de la flexibilité, de
la mutualisation, donc développer
une sorte de système D et faire
émerger des solutions pour aider
les jeunes créateurs. »
Car aujourd’hui, tout est possi-
ble : lancer sa marque tout en
créant pour d’autres, ne pas faire
de pub mais travailler son image
sur Instagram, consacrer autant
de fonds à son e-shop qu’à une
boutique… A condition de ne pas
oublier un postulat de base : toute
marque qui veut exister doit à un
moment donné présenter à un
acheteur professionnel ou à un
client lambda un vêtement, sous
forme de prototype, puis être ca-
pable de lancer une petite produc-
tion. Or, les vestes ne sortent pas
(encore) d’une imprimante 3D
branchée dans une cuisine.
Jean-Luc François, qui a été sty-
liste accessoires chez Yves Saint
Laurent et Christian Dior, a pris la
mesure de l’enjeu. Soutenu par
trois ministères de tutelle, les fé-
dérations, les écoles, les banques,
les régions, il a lancé, en 2010, l’as-
sociation JLF dans le but d’accom-
pagner des jeunes qui décro-
chaient en les formant aux mé-
tiers techniques de la mode.
« Dans les maisons de couture,
j’ai vu les premiers d’atelier partir
et ne pas être remplacés… », racon-
te-t-il en rappelant que la toile, le
montage, le prototypage, la pre-
mière petite série restent des éta-
pes incontournables dans l’élabo-
ration d’un vêtement. « On se
rend compte qu’à force de tra-
vailler sur ordinateur, les plus jeu-
nes ont du mal à penser un vête-
ment en volume ! Tout est plat
avec eux… Et puis il y a aussi plein
de grandes maisons qui ont des
soucis de production, pour leurs
petites séries notamment [les
« collaborations » sont très à la
mode ces dernières années].
Pourquoi ne pas subvenir à ces be-
soins fondamentaux en formant
des adultes au RSA ? En permettant
à des gens de se reconvertir, en re-
vitalisant des quartiers ? »
A Pantin, en Seine-Saint-Denis,
à deux pas des photographes
Pierre et Gilles et des ateliers
d’Hermès ou de Chanel, les ma-
chines à coudre de Jean-Luc Fran-
çois tournent pour sa formation,
mais aussi pour la production de
séries allant de une à 50 pièces,
ainsi que pour les jeunes mar-
ques. Marisa Garnier, Cécilia de
Rovère, Les Sublimes, OneO-
« LES JEUNES CRÉATEURS
ONT COMMENCÉ À DIRE :
“LA ROBE À 800 EUROS,
O.K. C’EST CHER,
MAIS ELLE EST PRODUITE
EN FRANCE” »
FRANÇOISE SEINCE
directrice des Ateliers de Paris
neOne… ils étaient une petite di-
zaine de stylistes, le matin de no-
tre visite, à expliquer comment ils
ont fini par trouver ici une porte
qui s’ouvrait enfin pour commen-
cer leur collection, recevoir des
conseils et peaufiner leur techni-
que. « Les seules conditions pour
intégrer l’incubateur sont d’avoir
déjà monté des pièces, et, bien sûr,
d’avoir un client. Ça peut être votre
mère ou un copain, peu importe,
on travaille ici pour honorer une
commande. » Or, que ce soit pour
la production ou la formation, les
demandes affluent. Si bien que
Jean-Luc François a inauguré en
octobre, à Ham, dans la Somme,
un second atelier coopératif.
Pour expliquer la nouvelle de-
mande de production parisienne,
Pierre-François Le Louët, prési-
dent de la Fédération française du
prêt-à-porter féminin, évoque
deux phénomènes : « Dans la
mode, tous les cinq-six ans en
moyenne, une nouvelle génération
de marques bouge les modèles exis-
tants, tant économiques qu’esthéti-
ques. Aux Bash, Sandro, Maje, The
Kooples, apôtres d’un middle
luxury, ont succédé les Jacquemus,
AMI, Y Project, etc. Les besoins en
matière de production et de distri-
bution ne sont pas les mêmes. Pa-
rallèlement, on assiste à un retour
en grâce du “made in local” [Broo-
klyn, Japon, Paris…] partout dans le
monde, les citadins réinvestissent
leur espace de vie, leur quartier par-
fois, à travers un outil de produc-
styles | 25
PAUL ROUSTEAU
tion capable d’animer, de créer de
l’emploi et de soutenir une logique
de développement durable. »
Le propos résonne d’autant plus
que la Ville a lancé en octobre un
tout nouveau label, Fabriqué à Pa-
ris, dont pourront bénéficier cer-
tains produits issus de l’artisanat
de bouche, des métiers d’art et de
la mode. « Pour ma génération, qui
a vécu le plongeon irréfléchi dans la
société de consommation et dans
la mondialisation comme une con-
dition d’accès à la modernité, c’est
un changement assez radical »,
confie Françoise Seince, directrice
des Ateliers de Paris, qui dépen-
dent de la Mairie. Ceux-ci héber-
gent depuis une dizaine d’années
des créateurs qui développent des
techniques textiles tellement re-
cherchées qu’elles les conduisent
à travailler en sous-traitance pour
des griffes pointues et respectées
comme Proenza Schouler.
Des avantages pour Paris
« Dans l’esprit général, l’activité du
territoire parisien, c’est le tertiaire,
mais il existe une force de produc-
tion de la ville de Paris. Petit à petit,
les jeunes créateurs se sont empa-
rés du handicap de départ et ont
commencé à dire : “la robe à
800 euros, O.K. c’est cher, mais elle
est produite en France”, un dis-
cours s’est construit autour des
questions environnementales ou
éthiques que pose la production
du bout du monde », veut croire
Françoise Seince.
On dit même qu’Anne Hidalgo,
flairant les avantages que peut en
tirer Paris (perçue comme plus so-
lidaire, plus innovante…), aimerait
prendre la parole sur ce sujet au
moment de la Fashion Week, en
février 2018. Elle rebondirait alors
sur une étude que finalise en ce
moment l’Atelier parisien d’urba-
nisme afin d’identifier les lieux de
production de la mode à Paris.
C’est toujours mieux de parler des
ateliers qui tournent plutôt que
des boutiques qui ferment. p
caroline rousseau
26 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Etienne Balibar « Refonder radicalement l’Europe »

Face aux diverses menaces, possibilité a priori. Il ne peut s’agir sim-
plement de sentiments proeuropéens,
le philosophe français pose ou de délégation de pouvoir aux gou-
les conditions politiques vernements. Il faut des mouvements col-
lectifs, impliquant des citoyens, avec
d’une refondation historique leurs héritages hétérogènes, suscepti-
de l’Union axée sur un bles de se rejoindre par-delà les frontiè-
res : soit pour protester (par exemple
nouveau type de fédération contre l’injustice et l’évasion fiscale), soit
pour engager des révolutions culturelles
inéluctables (par exemple une transfor-
Par ÉTIENNE BALIBAR mation des modes de production et de
consommation autodestructeurs).
Enfin, la cinquième condition, qui per-

L’ Europe est prise dans un double

bind. La structure quasi fédérale
dans laquelle s’exprime la com-
munauté d’intérêts et de normes juridi-
ques est pratiquement irréversible : on
l’a vu à l’impossibilité d’expulser la
Grèce de la zone euro, comme on le voit
à l’impossibilité pour le Royaume-Uni
de sortir de l’Union sans dommages.
Mais la conjonction des inégalités crois-
santes qui font exploser les sociétés, de
l’ingouvernabilité qui ne réussit plus à
se dissimuler dans « l’alternance » ou la
« grande coalition » des partis centris-
tes, de l’autoritarisme technocratique
qui engendre un fossé de plus en plus
infranchissable entre gouvernants et
gouvernés et des nationalismes qui se
rejoignent dans la violence potentielle
contre un ennemi de l’intérieur, tout
cela débouche sur la crise existentielle
de la forme politique en Europe.
Or elle ne se fait pas au profit d’une
« situation révolutionnaire » ou d’une
« insurrection qui vient », comme le
croient sincèrement de vieux anarchis-
tes et de jeunes illuminés, mais au profit
d’une décomposition de la citoyenneté.
L’Union européenne, désorientée, at-
tend la prochaine crise financière pour
savoir si, comme le prédisent certains,
elle connaîtra le même sort que l’Union
soviétique. C’est pourquoi il est telle-
ment question en ce moment, dans la
classe politique et chez les experts, de la
nécessité d’une « refondation ». Je ne ré-
cuse pas le terme, au contraire je pense
qu’il faut lui donner toute sa portée,
Le projet le plus cohérent est porté
aujourd’hui par le président français. Il
consiste à « renforcer le noyau euro-
péen » autour des pays de la zone euro
qui accepteraient de mettre une plus
grande partie de leurs ressources dans
le fonds commun d’un budget euro-
péen, voire d’un Fonds monétaire euro-
péen, soumis à une discipline renforcée
de la dette publique. Il s’accompagne
donc de l’officialisation d’une Europe à
« géométrie variable ».
L’UE, DÉSORIENTÉE,
ATTEND LA
PROCHAINE CRISE
FINANCIÈRE
POUR SAVOIR
SI ELLE CONNAÎTRA
LE MÊME SORT QUE
L’UNION SOVIÉTIQUE
Et comme un tel projet revient à consa-
crer la quasi-souveraineté des institu-
tions financières, il faut lui apporter
les correctifs démocratiques capables
de lui conférer un surcroît de légitimité.
Ce que les promoteurs imaginent sous la
forme d’une représentation parlemen-
taire spécifique, qui viendrait s’ajou-
ter au Parlement européen ou serait
l’émanation des Parlements nationaux.
HÉGÉMONIE DE CERTAINES NATIONS
Je vois bien l’argument de rationalité
qu’on peut invoquer en faveur d’un
tel plan : il tient à l’idée que le gouver-
nement économique, conformément à
une tendance présente dès la construc-
tion d’après-guerre, est le pivot autour
duquel gravite toute la « gouvernance »
de l’Europe, d’où découlent les consé-
quences sociales et institutionnelles de
l’intégration. Par conséquent, c’est aussi
une façon de reconnaître que, dans
l’époque de la mondialisation finan-
cière, l’économique et le politique ne
sont plus vraiment des « sphères » sé-
parées, de sorte qu’une avancée vers le
fédéralisme qui ne se fonderait pas sur
l’unification des politiques économi-
ques (et de leur base monétaire) n’aurait
aucune chance de se matérialiser. C’est
vrai, mais ce n’est aucunement suffisant
pour assurer la fonction réciproque,
c’est-à-dire le contrôle politique de la
gouvernance économique dans des for-
mes suffisamment démocratiques pour
instaurer la légitimité du « souverain ».
En réalité, ce projet comporte deux in-
convénients majeurs : le premier, c’est
qu’il maintient la représentation des ci-
toyens dans une fonction consultative,
où la logique des décisions « imposées »
par la conjoncture et « sanctionnées »
par le directoire exécutif ne peut être
véritablement discutée et contestée ; le
second, c’est qu’il installe un nouveau
fossé entre les degrés d’appartenance à
l’Union européenne et par conséquent
sème dans l’Union les germes du res-
sentiment et du renforcement des na-
tionalismes. Ce n’est pas une refonda-
tion, c’est une accentuation des tendan-
ces existantes à la concentration des
pouvoirs et à l’hégémonie de certaines
nations sur les autres.
En vérité, si l’idée de refondation est
bien à l’ordre du jour, il faut l’envisager
de façon plus radicale, en ne se conten-
tant pas de renforcer certains pouvoirs
ou de déléguer à certaines nations le
soin de piloter les autres. Il faut se de-
mander quelles seraient les conditions
politiques d’une refondation historique.
Je pense qu’on peut en énumérer au
moins cinq, qualitativement différentes,
mais dépourvues d’efficacité si elles ne
se combinent pas étroitement entre
elles. La première, c’est un intérêt maté-
riel des peuples européens, ou de leur
grande majorité, à constituer dans le
monde actuel un ensemble actif au re-
gard des tendances et des conflits de
puissance de la mondialisation, de façon
à en transformer les rapports de force au
bénéfice des citoyens. Il me semble que
cet intérêt coïncide avec le renforcement
d’une Europe « altermondialisatrice »,
en particulier dans le champ des régula-
tions financières et des protections envi-
ronnementales. A quoi une actualité tra-
gique impose d’ajouter une capacité de
médiation renouvelée dans la multipli-
cation des guerres proches et lointaines,
déclarées et non déclarées, en revitali-
sant le droit international.
La deuxième condition, c’est un objec-
tif institutionnel qui soit une innovation
historique. Cet objectif est de nous sortir
ADRIÀ FRUITOS
enfin de l’état de pseudo-fédération,
existant déjà sous la forme d’une étroite
interdépendance entre les économies,
les territoires et les cultures, mais dénié
par le discours officiel, et quotidienne-
ment contredit par la façon dont les clas-
ses politiques nationales cherchent à se
réserver le monopole de la négociation
avec les administrations et les pouvoirs
« corporatifs » : grandes entreprises ou
syndicats. L’objectif doit être d’inventer
le nouveau type de fédération qui n’abo-
lit pas la nationalité mais transforme sa
signification et sa fonction dans le cadre
d’une souveraineté partagée. La troi-
sième condition, c’est un idéal politique,
vers lequel l’objectif de fédération peut
s’orienter, et auquel le succès de sa réali-
sation peut être mesuré. (…) Il doit viser
un élargissement de la démocratie par
rapport au niveau qu’avaient atteint les
Etats-nations dans leurs moments de ci-
toyenneté active maximale. Il n’y aura
pas de fédération européenne si l’émer-
gence de pouvoirs exécutifs, adminis-
tratifs, judiciaires, représentatifs au-delà
de la souveraineté nationale ne s’accom-
pagne pas d’une renaissance des formes
locales, quotidiennes, de participation
directe non pas isolées mais suscep-
tibles de communiquer par-delà les
frontières. Une telle invention, bien en-
tendu, ne se décide pas de façon auto-
ritaire, elle doit surmonter des oppo-
sitions et des obstacles gigantesques,
qui ne relèvent pas tous du conserva-
tisme social. Ce qui m’amène aux deux
dernières conditions.
La quatrième, donc, c’est une demande
effective de refondation, dont il peut
sembler que nous soyons très éloignés
en cette période de réaction nationaliste
et de désagrégation, mais dont nous
n’avons pas de raisons de décréter l’im-
met de tenir ensemble les précédentes,
c’est la définition de problèmes politi-
ques à résoudre pour que la construction
européenne devienne non seulement
souhaitable, mais possible. (…) Il s’agit de
définir les « batailles » à livrer par les ci-
toyens, ou encore, de façon moins guer-
rière, les « campagnes » qu’ils doivent
engager pour que les obstacles sur les-
quels bute le projet européen devien-
nent autant de terrains pour la mobilisa-
tion, la communication et l’initiative.
LA « NOUVELLE QUESTION NATIONALE »
Cela vaut au premier chef pour la réduc-
tion de toutes les formes d’inégalités ag-
gravées par le triomphe du principe de
« concurrence libre et non faussée » sur
les valeurs de solidarité, qui ruine la pos-
sibilité même d’une communauté poli-
tique. Cela vaut bien entendu aussi pour
affronter la nouvelle question nationale
en Europe, héritant d’une longue his-
toire de dominations et d’antagonis-
mes, mais complètement transformée
depuis que les Etats européens, de part
et d’autre du Mur, sont devenus des
Etats « sociaux » en même temps que
« nationaux ». Cela vaut pour ce que j’ap-
pellerai, après Kant et Derrida, le défi de
l’hospitalité : en clair, un traitement des
mouvements de population présents et
à venir, où la fraternité humaine et la
coopération avec les nations du Sud
trouvent chacune leur juste place.
Inégalités galopantes, identités mal-
heureuses, populations délocalisées : au-
tant de questions à affronter pour avan-
cer collectivement et faire de l’Europe un
acteur historique, réunissant de multi-
ples capacités d’action civique (…) Plus
que d’un Jean Monnet, d’un Charles de
Gaulle ou même d’un Willy Brandt, nous
avons besoin à mon avis d’un Altiero
Spinelli ou d’une Ursula Hirschmann,
mais multipliés par dix ou par cent, ca-
pables de rédiger quelque chose comme
un nouveau Manifesto di Ventotene. Et
nous avons besoin d’en confronter l’ins-
piration avec ce que le monde attend
aujourd’hui de l’Europe. p
¶
Etienne Balibar est professeur
émérite à l’université de
Paris-Ouest-Nanterre. Il est
aussi l’auteur d’« Europe,
crise et fin ? » (Le Bord de l’eau,
« Diagnostics », 2016).
Le texte que nous publions
ici est extrait de son discours
prononcé lors de la réception
du prix Hannah-Arendt
pour la pensée politique,
à Brême, le 1er décembre

Les « conventions démocratiques » sur l’UE manquent d’ambition

La proposition d’Emmanuel Macron de consulter
donc prédire que les « conventions démo-
les citoyens sur la refonte de l’Union européenne est cratiques » ne seront représentatives du
louable, mais le processus retenu va empêcher un débat grand public européen ni démographi-
quement ni idéologiquement. L’option
représentatif, estime la politiste Claudia Chwalisz du tirage au sort, qui aurait permis la par-
ticipation de citoyens plus représentatifs
de la diversité européenne, est malheu-
Par CLAUDIA CHWALISZ Cela paraît louable, mais la plupart des reusement oubliée. Deuxièmement, la
études montrent que les personnes les proposition de tenir la moitié de ces
plus susceptibles de participer à n’im- « conventions » en ligne démontre un
Une liste de vœux pieux, pas forcément
réalistes émis par des proeuropéens.
Même si le format était modifié pour
être plus délibératif, la recherche mon-
tre qu’il n’est pas possible de véritable-
ment délibérer en ligne, car créer de la
confiance entre les gens nécessite qu’ils
soient face à face.
La délibération a aussi besoin d’un mo-
dérateur, qui assure que nul ne domine la
en Australie, où les citoyens tirés au sort
ont joué un rôle important dans le déve-
loppement des politiques publiques. On
peut aussi s’inspirer des plates-formes
d’innovation démocratique que sont les
G1000 en Belgique et aux Pays-Bas ou
des assemblées citoyennes de Gdansk
(Pologne). Tous ces exemples démon-
trent qu’un groupe de citoyens tirés au
sort et représentant la diversité de la so-

E mmanuel Macron veut lancer des

« conventions démocratiques »
pour refonder l’Union euro-
péenne (UE). Un rapport parlementaire
vient de proposer une méthodologie
porte quel type d’activité civique ou poli-
tique sont des hommes, bien éduqués, ri-
ches et habitant en ville.

LISTE DE VŒUX PIEUX

pour les mettre en œuvre. Il suggère
deux leviers d’action entre mai et octo-
bre 2018 : une vaste consultation en ligne
sur l’avenir de l’Europe puis des débats
dans les Etats intéressés. Mais si le but
est un « grand débat européen », ces pro-
positions sont peu susceptibles d’attein-
dre leur objectif pour trois raisons.
L’aspect le plus problématique est que,
pendant les deux étapes, le processus est
« ouvert » à tous ceux qui le souhaitent.
Par ailleurs, ce sont aussi les personnes
avec les points de vue les plus arrêtés qui
sont les plus susceptibles de participer. Il
n’est pas impensable que ce soit les gens
qui sont le plus susceptibles de voter aux
élections européennes qui participeront
en plus grand nombre. D’après le dernier
sondage Eurobaromètre de 2014, les élec-
teurs sont surtout des hommes, plutôt
âgés et aisés et qui pensent que l’adhé-
sion à l’UE est une bonne chose. On peut
vrai manque d’ambition. Au lieu d’être
une instance de délibération, où les gens
ont le temps d’apprendre, d’écouter des
participants venus d’autres pays, puis en-
semble de formuler un consensus, le rap-
port réduit cette étape à une simple con-
sultation sur trois questions : Quelles
sont les valeurs de l’Europe ? Qu’en atten-
dez-vous dans votre quotidien ? Quel
changement attendez-vous de l’Europe ?
Des questions très générales, et un
format qui ne demande aux partici-
pants ni de se mettre dans la peau des
autres ni de considérer les options assez
restreintes de ce qui est possible en réa-
lité. Quelle réponse peut-on obtenir ?
conversation. Finalement, la méthodolo-
gie proposée ne permet pas aux Euro-
péens d’échanger des idées avec des ci-
toyens des autres Etats membres. Si le
but est d’organiser un grand débat euro-
péen, pourquoi les « conventions » ne
réunissent-elles pas des participants de
tous les pays d’UE ? Ce manque d’ambi-
tion risque de donner l’impression que
les « conventions démocratiques » ne
sont qu’un exercice de relations publi-
ques pour le gouvernement et La Répu-
blique en marche (LRM).
Or les exemples d’engagement civique
réussi ne manquent pas. Il y a une cin-
quantaine d’expériences au Canada et
ciété est capable de résoudre des ques-
tions complexes si on leur donne le
temps et les ressources nécessaires de
réfléchir sereinement aux problèmes, de
trouver un terrain d’entente et d’élabo-
rer des solutions concrètes.
Mesdames et messieurs de La Républi-
que en marche, encore un effort pour or-
ganiser de véritables conventions démo-
cratiques sur l’avenir de l’Europe ! p
¶
Claudia Chwalisz est consultante
pour le think tank britannique Populus
 débats & analyses | 27
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Brexit : l’Irlande sauvera-t-elle le Royaume-Uni ?

Analyse maximum de liens économiques avec le con-
tinent, qui aspire 43 % de ses exportations ?
Ou concrétise-t-il un projet de rupture radi-
philippe bernard
cale « à la Trump » de type UK First inspiré
londres - correspondant
par l’idée que, « libéré » de la réglementation
L’accord annoncé vendredi 8 décembre à
Bruxelles et qui a été avalisé par les Vingt-Sept
lors du sommet européen des 14 et 15 décem-
bre ne résout pas cette contradiction fonda-
mentale : il promet tout et son contraire. A
notre propre pièce qui tourne autour d’un axe,
un disque que nous ayons conçu de façon in-
dépendante », ironise Matthew d’Ancona,
chroniqueur au Guardian.
Entre la sortie radicale et cette invention

Q
ui l’aurait cru ? La petite Ré-
publique d’Irlande, héri-
tière d’un pays autrefois
colonisé par les Britanni-
ques, vient de dispenser à
DUBLIN A PEUT-ÊTRE ses anciens maîtres une
ÉVITÉ LE PIRE magistrale leçon de Brexit.
En refusant bec et ongles le retour de la fron-
À LONDRES : tière qui lacérait l’île jusqu’à l’accord de paix
de 1998, Dublin a peut-être évité le pire à Lon-
LA RECRÉATION dres : la recréation de frontières douanières
DE FRONTIÈRES avec le continent. Ironie de l’histoire. L’Ir-
lande, dernier des soucis des partisans du
DOUANIÈRES AVEC Brexit, les a obligés à clarifier leur véritable
projet : isoler le Royaume-Uni de l’Union
LE CONTINENT. européenne pour le transformer en un pays
dérégulé à bas coût de main-d’œuvre, sorte de
IRONIE Singapour arrimé au continent européen.
DE L’HISTOIRE « L’Irlande a sauvé le Royaume-Uni de la folie
du hard Brexit », s’amuse Fintan O’Toole, chro-
niqueur à l’Irish Times.
En se défendant pour ne pas être transfor-
més en victimes ou boucs émissaires du
Brexit, les Irlandais ont posé la question fon-
damentale qui fâche et à laquelle Theresa
May tente de ne pas répondre pour ne pas
mettre le feu au Parti conservateur : le Brexit
vise-t-il à prendre de la distance par rapport à
l’Union européenne tout en conservant le
européenne, le Royaume-Uni décollera éco-
nomiquement grâce à de mirobolants ac-
cords de libre-échange avec les Etats-Unis, la
Chine ou les pays du Commonwealth.
Les 500 km de frontière qui séparent la Ré-
publique d’Irlande de l’Irlande du Nord (inté-
grée au Royaume-Uni) ne représentent pas
seulement un enjeu pour le maintien de la
paix sur une île qui sort de trente ans de
guerre civile. Le Brexit, qui n’a été voulu ni au
sud (la République a tout à y perdre) ni au
nord (les Nord-Irlandais ont voté à 55,8 %
pour rester dans l’UE), la transforme en fron-
tière extérieure de l’UE. Dès lors, pour les
Européens, Newry, point frontière sur l’auto-
route Belfast-Dublin, a la même importance
que Calais ou Brindisi. Sauf que, pour les Ir-
landais, le maintien d’une frontière la moins
visible possible est une condition sine qua
non de la paix civile et de la survie d’une éco-
nomie largement intégrée.
Or, la préservation de cette frontière invisi-
ble suppose des règles douanières et des nor-
mes identiques de part et d’autre, autrement
dit en République d’Irlande et en Irlande du
Nord. Une exigence incompatible avec la pro-
messe répétée de la première ministre britan-
nique de sortir du marché unique européen
et de l’union douanière, cette promesse in-
cluant mécaniquement l’Irlande du Nord.
Dublin, il assure du non-retour d’une « fron-
tière dure » – sans que cette notion soit préci-
sée. A Belfast, il jure qu’aucune barrière ne
sera érigée avec le Royaume-Uni – une exi-
gence des unionistes DUP dont Mme May a be-
soin pour réunir une majorité à Westminster.
L’ART DE RÉINVENTER LE MARCHÉ UNIQUE
La seule façon de résoudre l’équation serait
que la Grande-Bretagne demeure dans le mar-
ché unique européen. De façon spectaculaire,
l’accord ouvre cette éventualité : « En l’absence
de solutions acceptées [pour l’Irlande], le
Royaume-Uni maintiendra un alignement
complet sur les règles du marché unique et de
l’union douanière. » Que signifie « alignement
complet » ? Pour les Britanniques, il pourrait
s’agir non de textes identiques mais d’une
simple « reconnaissance mutuelle » de règles
et de normes dont les objectifs devraient seu-
lement concorder. Une sorte de « couper-col-
ler » qui permettrait de sauver la face.
Cette « solution » concoctée pour l’Irlande
du Nord pourrait être transposée pour l’en-
semble du Royaume-Uni. Le Brexit devien-
drait alors l’art de réinventer le marché uni-
que – il est vrai développé sous l’influence de
Margaret Thatcher –, tout en prétendant s’en
émanciper. « Abolissons la roue, fuyons la ty-
rannie de cet objet circulaire, et réinventons
d’un marché unique « Canada Dry », Bruxel-
les a permis à Mme May de ne pas choisir pour
ne pas relancer le chaos au sein de son gou-
vernement. Résultat : les europhobes applau-
dissent car la rupture est consommée ; les
proeuropéens respirent, soulagés de la pers-
pective d’un « alignement complet » des rè-
gles. « Il ne s’agit pas d’un Brexit dur ou doux »,
a insisté la première ministre, lundi 11 dé-
cembre, aux Communes, en assurant que le
compromis de Bruxelles avait éveillé « un
nouveau sentiment d’optimisme ».
Il n’est pas certain cependant que l’UE, qui
doit faire respecter l’intégrité du marché uni-
que, acceptera longtemps ce flou artistique.
Les Vingt-Sept, unis jusqu’à présent de façon
inattendue par la hantise d’avoir à payer la
facture du Brexit, le resteront-ils lorsqu’il
s’agira de défendre tel ou tel intérêt économi-
que, financier ou industriel dans les négocia-
tions sur l’accord de libre-échange que sou-
haitent les Britanniques ? « La seconde partie
du Brexit sera la plus dure pour l’UE », titre
l’europhobe Telegraph, mardi 12 décembre,
en expliquant en substance que Londres va
tout faire pour « diviser pour régner ». Pour
Mme May comme pour l’UE, les choses sérieu-
ses ne font que commencer. p
bernard@lemonde.fr

« Face aux flux migratoires, nous, Face aux pauvres,

les maires, sommes au pied du mur »
Dans une tribune collective, des maires de grandes villes
de France s’alarment de la pénurie de moyens mis
à disposition par l’Etat pour accueillir les migrants.
Et proposent de créer un réseau qui deviendra,
auprès du pouvoir, un « interlocuteur majeur »
Collectif
d’autres, en première ligne. Nous ne pouvons,
nous ne devons, nous résigner au drame hu-
main, social et sanitaire que constitue le déraci-
les riches résistent
grandes villes de ce pays, qui sommes au front
face aux personnes en détresse, aux citoyens, PANIQUE DANS LE 16E !
aux associations. Confrontés à l’insuffisance de Monique Pinçon-Charlot,
de l’accueil et de l’hébergement, nous nous im- Michel Pinçon et Etienne Lécroart,
pliquons, car nous connaissons notre terri- La ville brûle, 96 pages, 16 euros
toire, nous pouvons en mesurer les attentes,
stimuler la générosité et faire fructifier avec
l’ensemble de nos concitoyens un capital de so-
lidarité. Nous, maires, en sommes convaincus :
nos villes sont prêtes à repenser des réponses
aux défis que nous impose cette situation iné-
Le livre
dite, face à laquelle l’Etat ne peut plus se con-

L es flux migratoires, qui se sont renforcés

ces dernières années en Europe, sont la
conséquence de réalités internationales,
avec ses crises humanitaires, géopolitiques,
économiques, écologiques. L’année 2017
s’achève sur une hausse massive de la de-
mande d’asile et l’arrivée des nouveaux arri-
vants met sous une extrême tension – particu-
lièrement avec le début de la vague de froid – les
politiques publiques et institutionnelles classi-
ques. Dans une proportion jamais connue jus-
qu’alors, les dispositifs alloués à l’hébergement
des demandeurs d’asile, pilotés par l’Etat, sou-
vent avec l’appui de nos collectivités, sont en
effet complètement saturés, et ce malgré l’aug-
mentation régulière du nombre de places…
L’évidence est là, sous nos yeux, dans nos rues,
dans les foyers et les centres d’hébergement : il
y a urgence. Une urgence sociale. Une urgence
de solidarité. Carrefours de toutes les migra-
tions, nos villes sont, sur ce sujet comme sur
CARTE BLANCHE – AQUINDO | Aide au départ
nement des migrants. Chaque mois, plusieurs
milliers de personnes arrivent dans nos villes.
Intégrer celles et ceux reconnus réfugiés et ve-
nir en aide aux déboutés du droit d’asile qui
malgré tout restent sur notre territoire est un
enjeu majeur.
VISION EUROPÉENNE
Nous sommes au pied du mur. L’Etat, qui – rap-
pelons-le – est en responsabilité pleine et en-
tière sur la mise en œuvre de la politique mi-
gratoire et de l’accueil des migrants, mais aussi
de celles de l’hébergement et du traitement des
dossiers de demande d’asile, doit faire plus que
reconnaître la gravité de la situation actuelle. Il
doit, sur tous ces fronts, engager de nouvelles
mesures, aussi fortes qu’innovantes, pour se
hisser enfin à la hauteur de la crise que nous
traversons. Or, pendant ce temps, nos villes
agissent et franchissent de nouvelles étapes.
Car ce sont bien nous, les maires, à la tête de
tenter de places supplémentaires d’héberge-
ment, ouvertes quelques semaines en période
de froid puis fermées aux beaux jours.
Nos actions doivent aussi s’inscrire dans
une vision européenne. Chez nombre de nos
voisins, des villes aussi s’organisent pour ré-
pondre à la crise migratoire. L’échange d’ex-
périence doit être encouragé à travers les
grands réseaux européens comme Euroci-
ties. Les villes sont ainsi en capacité de faire
entendre leur voix dans le débat autour d’une
politique européenne d’immigration plus
forte et plus cohérente et de peser au niveau
multilatéral, notamment avec l’organisation
Cités et gouvernements locaux unis (CGLU),
dans l’élaboration du futur pacte mondial de
l’ONU sur les migrations.
Dans ce contexte tendu, nous devons désor-
mais réfléchir sans délai à la mise en place d’un
réseau solidaire entre les villes de France et qui,
en lien avec les réseaux existants, se consacre à
cette question. Nous souhaitons rapidement
une rencontre élargie avec l’Etat au plus haut
niveau. Il appartient à ce dernier d’agir vite
pour proposer les conditions d’accueil et d’in-
clusion sociale les meilleures aux demandeurs
d’asile, réfugiés et nouveaux arrivants issus de
l’immigration sur notre territoire. Notre ré-
seau a vocation à être un interlocuteur majeur
de l’Etat. Ce dernier doit, en ce domaine parti-
culièrement, assumer ses pouvoirs régaliens,
financer ces actions développées et proposer
un cadre de travail clarifié avec les collectivités
en vue d’un véritable plan d’accueil des mi-
grants, qui réponde à leurs droits fondamen-
taux (nourriture, accès aux soins…).
Accueillir dignement les nouveaux habi-
tants relève de nos responsabilités à tous.
Pour nos villes et nos territoires, et pour nous
les maires qui y sommes en responsabilité, cet
accueil est une véritable obligation éthique et
un défi que notre humanité doit relever. p
¶ dures ont paralysé huit années durant l’édification des lo-
Nathalie Appéré, maire de Rennes (PS) ; Martine
Aubry, maire de Lille (PS) ; Alain Juppé, maire de
Bordeaux (LR) ; Jean-Luc Moudenc, maire de
Toulouse (LR) ; Eric Piolle, maire de Grenoble
(EELV) ; Roland Ries, maire de Strasbourg (PS, à
l’initiative de l’appel) ; Johanna Rolland, maire de
Nantes (PS)
L
e célèbre couple de sociologues spécialistes des ri-
ches, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon,
livre une « enquête sociologique et dessinée », avec
la complicité du dessinateur Etienne Lécroart.
Leur thème : la résistance farouche des riches à protéger
leur entre-soi et à tenir les pauvres à l’écart de leur terri-
toire, ici, le 16e arrondissement de Paris.
L’enquête débute par l’affaire du centre d’hébergement
pour sans-abri, édifié en bordure du bois de Boulogne et
inauguré le 5 novembre 2016. Les auteurs reviennent sur la
réunion de concertation du 14 mars 2016, dans les locaux
de l’université Paris-Dauphine. Sous le regard des caméras
de télévision, les riverains ont couvert d’injures les repré-
sentants de la Préfecture et de la Mairie.
Pour les auteurs, cette « émeute des beaux quartiers »,
avec ses réactions caricaturales, violentes, irrationnelles,
constituent « un bijou sociologique ». Les Pinçon-Charlot
déroulent le CV des meneurs, tel Christophe Blanchard-Di-
gnac, président de la Coordination pour la sauvegarde du
bois de Boulogne, ex-PDG de la Française des jeux, dénon-
çant « la privatisation du bois de Boulogne », alors que sa
femme est l’une des membres triés sur le volet du Lagar-
dère Racing Club, enclave privée de 7 ha pris sur le bois.
TIR AUX PIGEONS ET POLO
« Le bois de Boulogne, c’est leur bois, leur pré carré », écri-
vent les sociologues, qui rappellent que ces personnes ont
créé six clubs privés sur 26 ha, avec tir aux pigeons et
polo… Mais lorsqu’il s’agit de construire la Fondation
Louis Vuitton d’art contemporain sur une parcelle incons-
tructible, personne ne s’y oppose ! Le projet devient légal
grâce à un cavalier législatif glissé en pleine nuit, le 15 fé-
vrier 2011, dans une loi sur le prix du livre numérique.
Cette lutte pour conserver « leur » territoire est ancienne,
soulignent les auteurs. Déjà en 1930, un projet de construc-
tion de logements sociaux avait levé de vives oppositions.
Les riverains issus de riches familles avaient réussi à trans-
former en résidences de luxe les immeubles Walter,
aujourd’hui classés pour leur style Art déco. Leurs descen-
dants aux noms célèbres (Guerlain, Lacoste, Dassault) y
sont d’ailleurs toujours. Le combat anti-pauvres s’est aussi
étendu – en vain – au cirque tzigane Romanès, installé de-
puis juin 2015. Tout comme de multiples recours et procé-
gements sociaux de la porte d’Auteuil – inaugurés fin 2016.
Etienne Lécroart et ses crayons croquent en détail les te-
nues, accessoires, attitudes et expressions de cette tribu de
riches observée dans son milieu par le couple Pinçon-
Charlot. Panique dans le 16e ! est une balade sociologique
pertinente, inquiétante, mais marrante. p
isabelle rey-lefebvre
28 | 0123
PLANÈTE |
par sté p hane fo ucart
Payez pour les cyclistes !
P PÉDALER FAIT
ressé par un chef de ser-
vice inquiet de ne pas
voir ses troupes sur le
pied de guerre un matin
de forte actualité, j’ai, tôt dans la
journée du 21 novembre, sur le
boulevard de l’Hôpital, à Paris,
ignoré un feu rouge. Je le confesse.
Il serait commode de prétexter,
comme d’usage, un orange un
peu mûr, mais l’exigence de vérité
impose de le dire : l’orange n’était
pas mûr mais pleinement con-
sommé. Il n’était pas possible que
le feu fût plus rouge. Aucune vie,
cependant, ne fut mise en danger.
J’étais à bicyclette, ahanant sur
une pente hostile, et je me traî-
nais à misérable allure. Eussé-je
heurté un piéton qu’il n’en eût été
autrement affecté que par la pitié
de voir un cycliste choir sous le
faible choc de la collision provo-
quée par lui. Nul dommage, donc,
ni pour moi ni pour d’autres.
Hélas ! La maréchaussée n’était
pas loin, tapie dans un véhicule
banalisé. On m’arrêta donc. Avec
une amabilité contenue, on me
tança. On fit taire mes protesta-
tions haletantes en agitant une va-
riété d’autres entorses au code de
la route pour lesquelles il eût été
possible de me verbaliser. C’était le
silence consentant ou la banque-
route. En définitive, je fus affligé
d’un retard et allégé de la somme
de 90 euros au profit du Trésor pu-
blic – mais c’est après tout la
meilleure destination possible à
ce dont vous vous trouvez délesté.
On dira, avec raison, que l’indi-
gnation ressentie par tout cycliste
confronté à pareille situation re-
lève d’une triviale subjectivité.
C’est indéniable. Il y a pourtant
moyen d’objectiver ce sentiment
d’injustice. Voire d’y mettre quel-
ques chiffres. En 2012, l’équipe du
professeur Udo Becker (univer-
sité technique de Dresde) a publié
une estimation intégrée des
« coûts externes » du transport
automobile en Europe. Les cher-
cheurs allemands ont évalué les
dégâts produits par la circulation
automobile et dont la réparation
financière incombe à la collecti-
vité ou bien à d’autres agents éco-
nomiques que l’automobiliste.
Indemnités kilométriques
Pays par pays, ils ont pris en
compte plusieurs types d’« exter-
nalités » : les dommages provo-
qués par le bruit, par la pollution
atmosphérique (source de mala-
dies, de dégâts sur le bâti, de réduc-
tion des rendements agricoles…),
par les accidents de la route, par le
changement climatique, etc. Pour
la France, leur résultat est saisis-
sant : chaque kilomètre parcouru
par un véhicule à moteur thermi-
que pèserait 12 centimes d’euro
d’externalités négatives. Et encore
ne s’agit-il là que d’une moyenne :
pour les trajets urbains, le poids
du kilomètre parcouru est bien su-
périeur à cette valeur.
Or un aller-retour quotidien
d’environ 20 kilomètres entre do-
micile et lieu de travail (comme
accompli par votre serviteur), et
ce sont chaque année quelque
4 000 kilomètres parcourus en
pédalant. Le calcul est simple : ce
choix, plutôt que de se caler con-
fortablement dans un véhicule à
moteur, fait économiser la
somme d’au moins 480 euros par
an à la collectivité au sens large.
Il serait trompeur de prétendre
que les pouvoirs publics ignorent
complètement tout cela. La Mairie
de Paris vient d’annoncer plu-
sieurs subventions pour l’achat
d’une variété de véhicules deux-
roues sans moteur thermique. La
ministre chargée des transports,
Elisabeth Borne, a pour sa part an-
noncé, le 13 décembre en clôture
des Assises de la mobilité, un plan
Tirage du Monde daté samedi 16 décembre :
223 476 exemplaires
CHRONIQUE
ÉCONOMISER AU
MOINS 480 EUROS
PAR AN À LA
COLLECTIVITÉ
AU SENS LARGE
vélo sur le quinquennat. Ce der-
nier comprendra un effort finan-
cier qui devrait porter non seule-
ment sur la construction d’infras-
tructures, mais aussi sur de possi-
bles indemnités kilométriques.
Le risque est grand que cet effort
soit insuffisant. Car la question du
financement se posera crûment et
le gouvernement se heurtera à la
difficulté de faire appliquer le prin-
cipe pollueur-payeur. On se sou-
vient de l’abandon en rase campa-
gne de l’écotaxe — l’un des fiascos
les plus désastreux du quinquen-
nat précédent (un milliard d’euros
annuel de manque à gagner pour
l’Etat et les collectivités et des cen-
taines de millions supplémentai-
res pour le remboursement des
portiques déployés).
Magie de la planche à billets
Une autre possibilité pour in-
demniser les cyclistes (et pour-
quoi pas tous les agents écono-
miques qui choisissent les com-
portements de moindre impact
environnemental ou sanitaire)
pourrait être d’utiliser la magie
de la planche à billets (quantita-
tive easing pour les intimes). Mais
c’est encore plus compliqué : le
clergé monétaire réserve aux
Marchés les bénéfices de cette
sorcellerie et il n’est pas prévu
que les cyclistes puissent le
moins du monde en profiter
– sauf à ce que l’appel lancé par
Pierre Larrouturou et Jean Jouzel,
endossé par de nombreuses per-
sonnalités et publié le 9 décem-
bre par Le Monde, ne soit en-
tendu. Les signataires n’évoquent
pas explicitement le vélo, mais
demandent que les liquidités
créées par la Banque centrale
européenne soient consacrées à
financer tout ce qui peut nous
sortir de l’addiction aux fossiles.
Le lecteur étant dûment in-
formé du conflit d’intérêts qui
mine la neutralité de cette chroni-
que, osons une suggestion : ne se-
rait-il pas judicieux de commen-
cer par le plus simple, c’est-à-dire
établir un régime d’amende pé-
cuniaire propre à la bicyclette ?
Avant de songer à indemniser les
cyclistes, ne serait-il d’abord pas
plus simple de les plumer avec
moins d’entrain ? Ou dans de plus
justes proportions ? Car, après
tout, est-il vraiment aussi grave
de brûler un feu rouge au volant
d’un Hummer qu’au guidon
d’une petite reine ? p
foucart@lemonde.fr
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
MIGRANTS :
L’HONNEUR
DE LA FRANCE
EN JEU
L undi 18 décembre aura lieu
la Journée internationale
des migrants. En France,
elle sera l’occasion pour
470 mouvements locaux ou na-
tionaux, comme le réclame Am-
nesty International, de « remettre
au cœur des choix du gouverne-
ment le respect des droits des mi-
grants et des réfugiés, quel que
soit leur statut, comme l’exigent
les textes internationaux de pro-
tection des droits humains ». Pen-
dant sa campagne électorale, Em-
manuel Macron avait développé
un discours à la fois humaniste et
pragmatique. Se référant à ce
qu’avait fait Angela Merkel, dans
0123
un premier temps, en Allema-
gne, il mettait en avant l’« hon-
neur de la France à accueillir les
réfugiés ». Une fois élu, le prési-
dent de la République s’était en-
gagé à ce que, à la fin de l’an-
née, plus personne ne dorme
« dans les rues, dans les bois ». Les
paroles s’envolent. Restent les
actes qui disent chaque jour le
contraire.
Sur le terrain, c’est une politi-
que migratoire très dure qui est
en application. Dans une circu-
laire en date du 20 novembre,
Gérard Collomb, le ministre de
l’intérieur, affiche une volonté
d’expulser massivement les dé-
boutés du droit d’asile. A Calais
(Pas-de-Calais), la police n’hésite
pas, dans la froidure de l’hiver, à
jeter les couvertures des 700 exi-
lés et à détruire les abris de for-
tune. A Paris, les toiles de tentes
des 800 migrants vivant dans les
rues ont été lacérées. Le but est
d’empêcher la reconstitution de
campements. Chaque soir, de
nouvelles familles se retrouvent
enfermées dans des centres de
rétention administrative. L’hé-
bergement d’urgence, jusqu’ici
géré par le ministère des affai-
res sociales, n’est plus à l’abri de
ces assauts de fermeté. La créa-
tion de « brigades mobiles » est
instaurée, pour contrôler les per-
sonnes hébergées dans les hô-
tels sociaux, et donc « faire le
tri ». Avec une telle politique, des
personnes sorties de la rue ris-
quent d’y être renvoyées.
« Petite révolution »
L’expulsion prend le pas sur l’ac-
cueil, quitte à ternir l’image de la
France. Le 1er novembre, devant
la Cour européenne des droits de
l’homme, à Strasbourg, Emma-
nuel Macron avait justifié cette
politique en parlant d’une « pe-
tite révolution ». Son principe
était de donner le statut de réfu-
gié « dès le pays d’origine » – ce
qui conduit à des opérations de
portée symbolique comme la
réinstallation de réfugiés venus
d’Afrique ou de Turquie – et en
même temps d’« être intraitable
avec celles et ceux qui ne relèvent
pas du droit d’asile ». Il avait ainsi
donné le feu vert à l’action de
son ministre de l’intérieur pour
qu’il accélère ses opérations afin
de « pouvoir efficacement recon-
duire dans leur pays celles et ceux
qui n’ont pas ces titres à l’issue de
la procédure ».
A plusieurs reprises, M. Ma-
cron s’est référé à la fameuse
phrase de Michel Rocard – « La
France ne peut pas accueillir
toute la misère du monde » – sou-
vent mise en avant, à droite
comme à gauche. Le 6 juin 1989,
l’ancien premier ministre avait
déclaré devant l’Assemblée na-
tionale : « Il y a, en effet, dans le
monde trop de drames, de pau-
vreté, de famine pour que l’Eu-
rope et la France puissent ac-
cueillir tous ceux que la misère
pousse vers elles ». Quelques se-
maines plus tard, il avait répété
ces propos : « La France doit res-
ter ce qu’elle est, une terre d’asile
politique (…) mais pas plus ». Mi-
chel Rocard se situait donc sur
le même registre de fermeté,
mais il avait ajouté un codicille,
en indiquant que la France de-
vait « prendre sa part » en assu-
mant « la responsabilité de la
traiter le mieux possible ». Ce
n’est pas l’image qu’elle donne
aujourd’hui. Quand la brutalité
semble l’emporter sur l’huma-
nité, c’est aussi l’honneur de la
France qui est en jeu. p
Hommage à Johnny Hallyday à La Madeleine, à Paris, le 9 décembre 2017. POOL/REUTERS/DOUT’S

2 B UR EAU-TI CS Devenus un
Sans tourner moment de
communion
autour du pot nationale,

La
Les fêtes d’entreprise, permettant
de resserrer les liens entre salariés,
les décès de
sont aussi l’occasion d’un quickie célébrités
sur la photocopieuse E N QUÊ TE comme
ES PR I T ES -TU L À ?
d’anonymes
3
4

RIP
donnent
Mentalistes, lieu à une
forts en tête déraison
Idoles des jeunes, ces nouveaux funèbre sur
illusionnistes remplissent
les salles comme par magie
le Web
8 UN APÉRO AVEC …

Anaïs
Demoustier
Tout sourit à l’actrice qui enchaîne
attitude
les tournages, les cours de
chant lyrique et de philosophie

DIMAN C H E 1 7 - LU N DI 1 8 DÉ C E MBRE 201 7 C AHI ER DU « M O N DE » N O 226 84 - N E PEUT ÊT RE V EN DU SÉPARÉM EN T

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B U R EA U - T I CS

#potquidérape
Par Nicolas Santolaria

La célèbre expression « No zob in job »

semble souffrir certaines exceptions. S’il Andrée Vaity-Gruwez, 70 ans, et Justin Vaity-Gruwez, 82 ans,
est de notoriété publique que coucher retraités, anciens propriétaires d’un commerce d’articles de pêche
avec un(e) collègue peut se transformer à Dunkerque (Nord). Retrouvez la série sur Instagram : @stefaniarousselle

AMOUR
en véritable sac de nœuds une fois les
premières étreintes passées, on oublie
très vite ce type de prévention lorsqu’on
a vidé quelques verres de Kir tiède et
que la température de l’open space
monte en flèche. Même s’il faut toujours

« On a voulu nous séparer.

prendre les sondages avec des pincet-
tes – et plus encore lorsqu’ils sont réali-
sés par une boîte spécialisée dans les
sextoys – celui qu’a récemment publié

Ça a renforcé notre couple »

la société Lelo, mené dans 22 pays,
contient des enseignements intéres-
sants quant à la thématique qui nous
occupe aujourd’hui. Dans le cadre de
cette étude, 40 % des personnes interro-
gées ont admis avoir eu des relations
sexuelles au bureau à l’occasion d’une
fête d’entreprise et 83 % ont révélé que
cette expérience avait été très exci-
tante, au point qu’ils recommence-
raient volontiers (les coquins).
Notons au passage qu’il existe un
frein psychologique à la gaudriole inter-
échelons, puisque seuls 18 % des person-
nes interrogées avouent avoir eu une
relation avec une personne hiérarchique-
ment supérieure. On pourrait alors,
pour résumer la situation, formuler
l’équation suivante : blanc mousseux pre-
mier prix + Pringles
Hot & Spicy + play-
list Deezer avec du
40 % des Marvin Gaye
dedans = remake
sondés ont de 50 nuances de
Grey contre la pho-
admis avoir eu tocopieuse. En ef-
fet, comme le mon-
des relations tre également ce
sondage, l’alcool
sexuelles serait impliqué
dans 78 % des rela-
au bureau tions sexuelles lors
des soirées corpo-
lors d’une fête rate, conduisant à
faire sauter les bar-
d’entreprise rières mentales qui
vous invitent habi-
et 83 % sont tuellement à la rete-
nue. Le sexe au bu-
prêts à reau se vivrait alors
sur le mode du quic-
recommencer kie, ce type de rap-
port bref et intense
qui advient comme
une tornade hormonale inattendue.
Ainsi, dans 52 % des cas, c’est
juste après avoir embrassé un(e) collè-
gue que les choses sont soudainement
allées beaucoup plus loin, 31 % des
sondés déclarant même « ne pas savoir
la manière dont cela a commencé ».
C’est juste « arrivé », ajoutent les décla-
rants. Pour le meilleur (cet orgasme
inoubliable à côté d’une pile de dos-
siers) et pour le pire (cet herpès génital
dont vous avez hérité dans le feu de
l’action). En effet, si l’alcool peut être
envisagé comme un accélérateur de
rencontres, il est également un formi-
dable vecteur d’amnésie, 63 % des per-
sonnes interrogées ayant oublié d’utili-
ser un préservatif lors de ces ébats
avec un(e) collègue.
Néanmoins, seule une personne
sur cinq a ressenti une gêne lors de son
retour au bureau. Notons que ces chiffres
aussi alarmants qu’encourageants doi-
vent être nuancés à la lumière du récent
climat #metoo, qui a conduit à réorien-
ter sensiblement la physionomie des pots
de bureau. Pour éviter que la boîte soit
associée à un hashtag #potquidérape,
il arrive que des alcootests soient désor-
mais disponibles à l’entrée des festivités.
Quant aux quantités d’alcool, elles sont
MATHIEU FREAKCITY
La journaliste et réalisatrice Stefania Rousselle
a passé l’été sur les routes de France pour entendre
des histoires de cœur. Elle a rencontré Andrée
Il n’y avait pas de gens de couleur Finalement, les autres prêtres de la paroisse ont su convaincre
chez nous, à Rosendaël, dans le le curé. Il était fou de rage de nous marier, mais il ne voulait pas délé-
Nord. C’était les années 1960 et la guer aux autres la cérémonie. Sauf que nous, on ne voulait plus que ce
société voyait d’un mauvais œil les soit lui ! On a demandé une dérogation pour changer d’église, que l’on
couples mixtes. Les gens du village n’a pas obtenue. C’est donc cet imbécile de curé qui a fait la messe ! On
se cachaient derrière leur rideau a bien rigolé parce qu’il nous avait demandé une enveloppe : ben nous,
pour nous regarder. Alors quand on a mis une enveloppe vide ! Pas un centime.
Justin et moi, on s’est mis ensem- Justin travaillait à l’usine. Il était aciériste. Là-bas, ils donnaient
ble, ça n’a pas plu. Les flics d’abord. le salaire chaque mois en deux fois. On s’est donc mariés le jour de la
Ils n’aimaient pas les Noirs. Lors- paie, le 21 août 1965, pour avoir des sous ! C’est ma grand-mère qui a
qu’ils nous ont vus ensemble dans payé pour les repas. On a fait poulet-frites, on s’est tellement amusés !
la rue, on s’est fait embarquer. On a Après, on a cherché un nouvel appartement, et quand je men-
passé deux nuits au gnouf. J’avais tionnais que j’étais avec un homme de couleur, d’un coup, le logement
18 ans, lui 30. A l’époque, l’âge de la n’était plus libre. C’est une amie, Paule, qui nous a hébergés. J’ai eu
majorité, c’était 21 ans. La police voulait attaquer Justin pour détourne- mon premier fils, Thierry. Les gens regardaient dans la poussette pour
ment de mineur, alors que j’étais consentante ! Du coup, les flics m’ont voir quelle couleur il avait. On me demandait s’il mangeait du serpent !
menacée de me mettre en maison de correction. Finalement, mon père On a fait notre vie. Ça fait cinquante-trois ans qu’on est ensem-
est venu me chercher pour me ramener à la maison. ble. Justin adore la musique et danser. Moi, je ne savais pas du tout dan-
Quand je suis revenue, ma mère ne voulait pas me laisser ren- ser au début ! On aime faire des
trer. Elle ne voulait même pas me regarder. Mon père, lui, ne disait fêtes et on a lancé la première
rien. Je suis partie, juste avec mon sac à main. Pas un vêtement. Rien. Et association d’Antillais ici, à
je suis allée m’installer chez ma grand-mère. Dunkerque. Aujourd’hui, les
En Martinique, Justin avait gagné un concours d’Etat qui lui gens se battent pour venir à
avait payé le voyage jusqu’à Rosendaël. Il est arrivé en 1964. On est tous nos soirées !
les deux très croyants et on était dans la même paroisse. Beaucoup On a essayé de nous
d’Antillais venaient en France à cette époque, et le prêtre qui s’occupait séparer mais ça a renforcé notre
des ouvriers leur trouvait du boulot, les logeait. Il avait organisé une couple. Seul mon père venait
excursion à Bruges et on s’est rencontrés comme ça. nous rendre visite. Ma mère a
Un an après, on a voulu se marier. C’était pas mal non plus. On va refusé de nous voir pendant
à la mairie, impeccable. Puis on va demander au curé du village, un an- des années. Mais la vie est com-
cien militaire. Et il refuse. Raciste au possible. Pour lui, les Noirs c’étaient pliquée. Finalement, c’est moi
des cafards. Il venait d’unir deux personnes de couleur. Mais les couples qui ai soigné ma mère jusqu’à
mixtes, alors ça, non. sa mort. Elle avait Alzheimer.
LES MO T S DU SEXE pour hommes seuls ? Eh bien, pour argumentées de certains
incitation à la haine. Les incels, de nos plus révérés célibataires
Incel au départ modérés, avaient
transformé leur célibat
involontaire en misogynie
volontaires – à savoir les membres
du clergé catholique (mettons,
saint Paul). Nous noterons au
consommée, selon un modèle qui passage que l’inverse d’un incel
Par Maïa Mazaurette ne manque pas de précédents : n’est pas un inpoivre mais un
« C’est pas toi qui me rejettes, c’est volcel (pour « voluntarily celibate »,
moi qui ne veux pas de toi. » lequel a choisi une vie dénuée des
Au royaume des frustrés, on ignore Parmi les sous-forums effacés, plaisirs de la chair, au contraire
qui est le roi – mais à coup sûr, nous avions donc « Preuve que de l’asexuel qui n’en ressent aucun
l’incel en est le vassal. Incel, les femmes sont des ordures qui besoin). Enfin, on aimerait que
pour « célibataire involontaire » manipulent les hommes » ou ce soit une plaisanterie mais les
(involuntarily celibate). Le terme encore « Raisons pour lesquelles masculinistes ont réinventé le
rassemblait jusqu’à tout les femmes sont l’incarnation du marcel : il s’agit d’un célibataire
récemment un forum Internet fort diable ». Vous trouvez ces opinions involontaire marié. Le marcel
de 40 000 membres – lequel excessives ? On remarquera (de married celibate) implique

souvent revues à la baisse. Si la vie d’en- vient d’être fermé par la plate- pourtant que les envolées lyriques donc un mariage sans sexe.
treprise est une source inépuisable de
fantasmes, un pot de bureau n’est pas forme Reddit. Pourquoi s’en des célibataires involontaires Ce dont on vous laissera seuls
une feria à Pampelune. prendre à un groupe d’entraide rejoignent les envolées très juges devant votre penderie.
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L ES FI CEL L ES

SPECTACLE
DU MÉTI ER

Lire à livre ouvert La discipline a bénéficié de la notoriété de la sé-

Les micro-expressions, les
variations physiologiques
(pouls), les changements
d’intonations vocales
ou de regard sont autant
d’indices pour le mentaliste.
rie Mentalist, diffusée en France depuis 2010. Suivie en
moyenne par 8,5 millions de téléspectateurs sur TF1,
aujourd’hui visible sur TMC, elle met en scène Patrick
Jane, ex-prestidigitateur et mentaliste, qui collabore
avec la police pour coincer des criminels. « Avant la sé-
rie, quand je disais que j’étais mentaliste, on me deman-

Juste une illusion

Orienter les choix
La pensée s’accroche
à la dernière image en tête.
Si vous avez évoqué le mot
dait si ça se soignait, s’amuse Frank Truong, 45 ans.
Maintenant, tout le monde voit à peu près de quoi il re-
tourne, même si je ne connais aucun mentaliste qui tra-
vaille avec la police. » Dans la réalité, aucun profession-
nel sérieux ne revendique une légitimité pour sortir

Ce sont les nouvelles idoles des jeunes. voiture, il est quasiment

certain que la personne
du cadre du divertissement, ne serait-ce que par pré-
caution. « Nous sommes faillibles, poursuit cet ancien

Les mentalistes lisent dans les pensées et épatent la interrogée restera dans
le registre des moyens de
judoka de haut niveau qui, après un BTS commercial,
des études de sport et de psycho, s’est autoformé, car

galerie sans chapeau ni lapin. Leur truc ? Le cerveau transport et choisira vélo.
De même, pour la majorité
des gens, le choix d’une cou-
Catherine Rollot leur se fait entre le bleu et le
rouge. Dans la spontanéité,
les réactions stéréotypées
prennent le pas.
aucune école n’existe. En spectacle, nous assurons nos
arrières, le risque d’erreur est minime, d’autant que nous
connaissons les techniques pour nous rattraper et dé-
tourner, le cas échéant, l’attention des spectateurs. Dans
d’autres usages, la responsabilité serait trop lourde. »
Une éthique nécessaire pour éviter de basculer
du côté obscur du métier, en étant considérés comme
des gourous. « J’ai l’habitude de dire : quelle est la diffé-

C
es chiffres vous disent quelque chose ? » en supprimant les objets des magiciens, notre cortex, Parler vite rence entre un mentaliste et un voyant ? Cent euros ! Le
Viktor Vincent déploie les cartes tirées cette matière grise qui demeure la dernière frontière », Avec un débit rapide, prix de la consultation », plaisante Frank Truong, qui
par le jeune homme monté sur scène. décrypte Rémi Larrousse, actuellement sur scène au l’interlocuteur est obligé met en garde contre le risque de charlatanisme. « C’est
« 24 avril 1991. C’est ma date de nais- Lucernaire avec sa dernière création Songes d’un illu- de se concentrer sur ce que terrible, mais le fait de nous voir sur scène renforce
sance », répond interloqué le specta- sionniste. A 32 ans, ce diplômé de Sciences Po a long- l’on dit. Le mentaliste utilise chez certains la conviction que nous avons des pouvoirs
teur, cobaye d’un soir. « Il n’y a pas de temps jonglé entre un emploi de consultant le jour et alors les failles cognitives surnaturels », poursuit Viktor Vincent. Comme ses
hasard », assène l’artiste à la grande moustache Belle une vie de saltimbanque la nuit. Désormais artiste à du cerveau, qui a tendance collègues, il est régulièrement contacté par des per-
Epoque, crâne chauve et yeux bleus transparents plein temps, il intervient aussi dans les grandes à aller à l’essentiel. sonnes qui lui demandent de guérir un proche, de
devant une audience bluffée. A la sortie du spectacle, entreprises où il se sert de ses connaissances pour faire revenir le mari infidèle ou de retrouver l’alliance
c’est à qui trouvera comment, à l’aide de simples dés, pointer les biais cognitifs qui pèsent sur la prise de de mariage perdue. A charge pour lui d’imaginer le
de jetons ou de quelques questions, l’illusionniste a décision, le changement ou encore l’innovation. truc pour faire comprendre que tout n’est qu’illusion.
pu donner l’impression de s’être immiscé dans les
cerveaux pour en deviner les pensées.
Viktor Vincent n’a pourtant pas de pouvoirs
surnaturels. Ni même de dons particuliers. Lui-même
le dit au cours de son show Les Liens invisibles, actuel-
lement joué à la Comédie des Champs-Elysées, à Paris.
Il est mentaliste. Depuis dix ans, l’artiste de 37 ans
excelle dans cette discipline qui mêle astuce, illusion,
suggestions et psychologie pour créer des démonstra-
tions déroutantes. Une branche de la magie qui car-
tonne sur scène – en ce mois de décembre à Paris, une
quarantaine de spectacles se réclamant du menta-
lisme sont à l’affiche –, sur Internet et en librairie. La VA R I AT I O N S
télévision n’est pas en reste. En 2018, plusieurs émis-
sions produites et animées par Arthur autour de cet ÉDITION LIMITÉE 2017
art du spectacle devraient être diffusées sur TF1.
« Avec des objets basiques et un peu d’entraîne-
ment, tout le monde peut épater ses amis », assure
Viktor Vincent, qui minimise sa mémoire phénomé-
nale, sa virtuosité avec les chiffres et son pouvoir de
concentration et d’observation hors du commun.
*Quoi d’autre ? NESPRESSO France SAS - SIREN 382 597 821 - RCS PARIS - Cafés avec aromates présents sous forme d’arômes naturels. Suggestion de présentation.

Dans son Carnet du mentaliste, paru en novembre

(Larousse, 192 p., 16,95 €), ce Sherlock Holmes d’un
nouveau genre explique comment faire apparaître un
message sur une ardoise ou faire croire qu’on peut
retenir les 1 000 premières décimales du nombre pi.
Proposer du rêve tout en donnant les clés, du
moins en partie, de ses tours de mentalisme…
Comme Viktor Vincent, toute une génération d’illu- VARIATIONS CONFETTO
sionnistes, trentenaires ou à peine plus, à l’humour et LICORICE
au look plus proche du grand frère cool que du vieil Saveur réglisse
oncle inquiétant qui roule des yeux, fascine un public
jeune, biberonné aux séries télé et au Web. Intensité 6
Sourire éclatant, barbe de rigueur, jean et bas-
kets, Fabien Olicard est ainsi devenu en deux ans
l’idole des 15-25 ans qui se délectent de ses vidéos pos-
tées sur sa chaîne YouTube. L’enfant de La Rochelle
doté d’une mémoire eidétique (permettant de se sou-
venir dans les moindres détails d’une photo, d’un
texte, d’un paysage… après l’avoir observé quelques se-
condes) remplit déjà les salles quand il décide, en 2016,
« par défi et pour être plus à l’aise devant une caméra » VARIATIONS CONFETTO
de produire une vidéo par jour pendant un an. ORANGETTE
Dans un décor de studio d’étudiant, le you- Saveur orange
tubeur de 35 ans donne des astuces mentales pour
multiplier n’importe quel nombre en deux secondes, Intensité 6
pour lire dans la pensée de quelqu’un en trois minu-
tes, mais aussi pour réviser à la dernière minute.
L’ambition : « Parler de trucs cool en rapport avec
notre cerveau. » Ses tutos pédagos et rigolos, mis en
ligne désormais au rythme de deux par semaine, font
un carton : près de 700 000 abonnés aujourd’hui et
une moyenne de 6 millions de vues par mois.
Parmi les aficionados, beaucoup d’ados.
« C’est plus ouf que la magie traditionnelle, affirme VARIATIONS CONFETTO
Lili, 14 ans, lycéenne dans les Hauts-de-Seine. Tout SNOWBALL
repose sur les ressources immenses du cerveau. » Une Saveur noix de coco et vanille
Terra incognita fascinante pour la fan du mentaliste.
« Il explique ses tours de façon ludique et pédagogi- Intensité 6
que, et le mec a l’air sympa », complète Maxime,
16 ans, en classe de première à Paris, tout heureux
de savoir comment désormais « gagner presque à
tous les coups au shifumi [le jeu pierre, feuille ou
ciseaux] » mais aussi « se motiver dès le réveil. En fait La gamme Variations Confetto en Édition Limitée mêle la douceur
c’est assez simple quand on sait ». et la finesse de 3 saveurs inoubliables inspirées des gourmandises
Le succès des mentalistes entre en résonance de notre enfance.
avec une autre nouvelle passion française : le cerveau.
Sur les réseaux sociaux, on se partage à l’envi les der-
nières découvertes des neurosciences ; sur les smart- *
phones, on télécharge les applis d’entraînement céré-
bral comme Peak ou Fit Brains Trainer. Dans les librai-
ries, la prise de tête fait recette. Trois ouvrages
consacrés à l’organe star ont figuré dans le top 20 des
ventes : Votre cerveau, de Michel Cymes et Patrice Ro-
medenne (Stock, 282 p., 18,50 €), Libérez votre cerveau !,
d’Idriss Aberkane (Robert Laffont, 288 p., 22,50 €), et
Votre cerveau est extraordinaire, de Fabien Olicard
(First, 160 p., 14,95 €). Ce dernier, qui travaille sur un
second ouvrage, en a déjà écoulé 70 000 exemplaires.
« Le mentalisme, cet art du spectacle ancien,
correspond à notre époque dématérialisée. Il explore,
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Avec pleurs et émoticônes

A chaque décès d’une célébrité, la sphère
numérique se transforme en funérarium
où « #RIP Jojo » côtoie « #RIP mon
iPhone ». Ce qui se joue dans cette mise
en scène du deuil ? Une exhibition de soi

Par Nicolas Santolaria Prince, Mireille Darc, Jeanne Moreau, Jean

Rochefort, chacun a eu droit à son acro-

L
e 6 décembre, sur Twitter,
après voir appris le décès de
l’interprète de « Noir c’est
noir », Alys tente de résumer
avec quelques hashtags et
émoticônes l’émotion qui
l’étreint : « #RIP #JohnnyHallyday
nous tire sa dernière révérence… après
avoir allumé le feu durant toute son ex-
traordinaire carrière, les dernières braises
se sont éteintes cette nuit . Adieu l’ar-
tiste. » A chaque fois qu’un personnage
plus ou moins célèbre disparaît, le même
rituel se répète immanquablement : sur
les réseaux sociaux, tels des milliers de
chrysanthèmes numériques, les #RIP
fleurissent de manière aussi spontanée
qu’endémique. Cette mention signifiant
requiescat in pace (« repose en paix »,
pour ceux qui n’ont pas fait latin
première langue) est devenue le nouvel
étendard d’une communion nationale
qui – à l’exception notable des événe-
ments sportifs – ne trouve à s’exprimer
qu’autour des dépouilles.
« Les morts ont un avantage : du
fait de leur silence, on peut plus facilement
négocier avec eux. Ces moments permet-
tent aux gens de se rassembler autour
d’une émotion commune, mais leurs effets
sociaux et leur exhibition sont assez brefs
dans le temps. C’est différent du chagrin
durable que l’on peut éprouver lorsque l’on
perd un proche », note la philosophe
Vinciane Despret, auteure de l’ouvrage Au
bonheur des morts. Récits de ceux qui res-
tent (La Découverte, 2015).
De nos jours, les larmes semblent
effectivement sécher aussi vite qu’elles ap-
paraissent : David Bowie, George Michael,
A MI S PO U R L’ ÉT ER N I T É
nyme nécrologique et à sa cohorte de
fans passagèrement inconsolables. Le
rapport à la mort, ce grand tabou de la
société postmoderne, serait finalement
bien plus vivace et complexe que ne l’ont
laissé entendre certains fossoyeurs.
Alors que, selon une étude Opi-
nionWay d’octobre 2017, deux tiers des
Français pensent régulièrement à leur
mort ou à celle de leurs proches, cette pré-
occupation intime se transforme de plus
en plus souvent en célébrations publi-
ques tous azimuts. « Ces hommages ne
concernent pas uniquement les stars, sou-
ligne Vinciane Despret. Les victimes d’at-
tentats, ou alors récemment Alexia Daval,
la joggeuse assassinée, ont suscité le même
type de mouvement populaire. On peut y
voir une forme de réponse à la tentative de
normalisation des affects qui, du rationa-
lisme ambiant à la psychiatrie, a contribué
à faire peser un interdit sur le chagrin. »
Le décès, à quelques jours d’inter-
valle, de Jean d’Ormesson et de Johnny
Hallyday aura poussé la culture émer-
gente du RIP à un point d’incandescence
jusque-là jamais atteint. Alors que les
émoticônes de visages en pleurs enva-
hissent la Toile, certains vont jusqu’à
exhiber religieusement leurs reliques, tel
l’écrivain Mehdi Masud, qui poste sur
son compte Facebook la photo d’un
autographe signé de la main de feu
l’idole des jeunes. « En général, je ne fais
pas de RIP, je trouve ça indécent, affirme- La mort de David Bowie, le 10 janvier 2016, a engendré l’apparition d’autels spontanés,
t-il. Mais cette fois, j’ai dérogé à ma règle comme ici au pied de la fresque à son effigie, à Brixton (Londres). STEFAN WERMUTH/REUTERS
de conduite, parce qu’il m’est arrivé quel-
que chose d’extraordinaire. J’étais parti en
Bretagne pour me reposer et, alors que je suis tombé sur une boîte qui contenait des en diffusant leurs photos, leurs vidéos, étrange mélange de proximité (émotion-
me baladais un soir sur le bord de mer, je bouquins mis à disposition des passants. dans certains cas leurs chansons, ce qui nelle) et de distance (réelle) porte un
Au milieu des ouvrages de SF sans intérêt, leur permet de rester au centre des conver- nom : les « relations parasociales ». Forgé
il y avait un livre de Jean d’Ormesson, sur sations, et ce durant plusieurs jours », initialement en 1956, ce concept popula-
qui j’avais un gros a priori. Je l’ai pris, je l’ai explique la sociologue Julie Alev Dilmac, risé par Donald Horton et Richard Wohl
lu et j’ai finalement trouvé ça cool. Le len- spécialiste des nouvelles formes de se caractérise par un investissement
demain, j’allume la radio et j’entends qu’il représentation de la mort. Là où jadis un affectif démesuré envers quelqu’un que
est mort. Deux jours plus tard, en cher- communiqué souvent un peu convenu l’on ne connaît pas. « C’est qui pour vous,

2098 chant une enveloppe dans un tiroir, je

tombe sur un vieil autographe de Johnny
que m’avait offert un client pour s’excuser
d’un impayé, quand je travaillais dans le
démarchage téléphonique. Le rockeur
était décédé le matin même. C’était telle-
Selon le statisticien américain ment énorme que je l’ai posté sur les
réseaux sociaux. J’avais l’impression
Hachem Saddiki, c’est à partir de cette d’être en connexion avec les esprits. »
Aujourd’hui, à chaque mort célè-
date que Facebook devrait compter bre, l’écosystème médiatique se trans-
forme en un funérarium géant. Des
plus de morts que de vivants et, cameramen à moto aux travellings
pédestres de Claude Lelouch en passant
en conséquence, se transformer par les armées d’envoyés spéciaux, c’est
un dispositif digne des plus grands évé-
en grand cimetière virtuel nements qui permet d’accompagner le
cadavre jusqu’à sa dernière demeure.
« On tente de faire “survivre” les défunts
émanait de l’Elysée pour saluer la
mémoire du disparu, le développement
d’Internet nous a fait passer du centra-
lisme jacobin à une prise en charge ato-
misée des hommages, donnant à chaque
anonyme le loisir de se transformer en
cyber croque-mort.
Au moment de produire son RIP,
chacun s’attellera alors à rédiger un com-
mentaire d’apparence si intime qu’il lais-
sera à penser que son auteur faisait partie
du cercle d’amitié du défunt. « Il y a des
gens dont on se sent effectivement proche,
parce qu’ils font partie de notre vie cultu-
relle, et qu’on les admire, comme Lou Reed,
pour qui j’avais posté un hommage, confie
le plasticien Léo Dorfner. On peut non seu-
lement regretter la disparition d’un artiste,
mais même ressentir de la peine. » Cet
Johnny ? », demande un reporter de TF1 à
un anonyme, alors que le corbillard trans-
parent amène le cercueil de la star vers la
Madeleine, samedi 9 décembre. « C’est un
parent », lui répond le fan éploré, au
milieu d’une foule de blousons noirs aux
yeux rougis. « Ce que je trouve dérangeant
avec la culture du RIP, c’est quand on
découvre soudain qu’untel de ses amis
écoutait telle musique ou qu’il appréciait
tel acteur, mais sans jamais l’exprimer
avant. Il y a un côté opportuniste, comme
s’il s’agissait de dire “je le connaissais” »,
poursuit le plasticien Léo Dorfner.
Mixé aux exigences de visibilité
de la vie moderne, l’hommage rendu
aux morts débouche bien souvent sur
une forme ambiguë de funeral branding,
soit une manière de se faire mousser en
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L’hommage des bikers à Johnny

Hallyday, sur les Champs-Elysées
à Paris, le 9 décembre 2017.
GONZALO FUENTES/REUTERS

L’hommage débouche
bien souvent sur une
forme ambiguë de
« funeral branding »,
soit une manière de
se faire mousser
en s’adossant
à la popularité
d’un futur squelette
moyen, non pas de célébrer à tout prix les
morts, mais au contraire de montrer aux
autres que nous existons. Ainsi, refuser de
participer à ces engouements funéraires
pourrait être perçu comme choisir de s’iso-
ler. Or, dans la société d’aujourd’hui, l’invi-
sibilité est suspecte », analyse la sociolo-
gue Julie Alev Dilmac. Devenu une
injonction sociale pour les anonymes, le
RIP s’est aujourd’hui transformé en véri-
table obligation lorsque l’on occupe une
position publique, au point qu’il a été re-
proché à Jacques Dutronc de ne pas saluer
assez rapidement la mémoire de Johnny.
Conseiller municipal divers
droite à Saint-Mitre-les-Remparts (Bou-
ches-du-Rhône), Vincent Goyet, 38 ans,
témoigne lui aussi, à son échelle, de la
pression aujourd’hui inhérente au fait de
devoir rendre sa peine publique : « Peut-
être parce que j’étais un des premiers à
relayer l’information, mon RIP à Jean
d’Ormesson a été partagé quasiment
500 fois ! En revanche, lorsqu’on omet de
rendre un hommage, ça peut être très mal
vu. Quand les deux jeunes touristes se
sont fait égorger sur les marches de la
gare de Marseille, je n’ai pas posté de RIP
sur ma page Facebook et ça m’a ensuite
été reproché par l’extrême droite locale. »
Marqués par des enjeux comple-
xes qui excèdent la simple dimension
mémorielle, ces nouveaux rituels à forte
dominante numérique se caractérisent
par une érosion de la solennité, alors
même que l’usage du RIP s’est étendu
aux animaux domestiques (#RIP Médor)
et aux appareils électroniques (#RIP mon
iPhone 4). Dans cette ambiance barnum
où les messages publiquement adressés
aux défunts côtoient les photos d’orteils
et de verres de spritz, il n’est pas rare que
le quinzième degré s’invite lui aussi à la
fête. Pour célébrer la mémoire de Johnny,
le restaurant RDV, à Arras, a ainsi réin-
venté sa carte, en détournant les titres de
chansons du rockeur. « Après avoir appris
la mort de Johnny, on a refait la carte en
une matinée. On perdait un grand artiste,
alors on a vite compris qu’il fallait mar-
quer le coup, raconte Raphaël Wesolek,
assistant de direction. Comme on a une
entrée avec du jambon ibérique, on s’est
dit pourquoi ne pas l’appeler “Les Porcs du
pénitencier” ? Quant au plateau de froma-
ges, on a opté pour “Qu’est-ce qu’elle a ma
meule ?”. Les clients adorent, ils n’arrêtent
pas de prendre le menu en photo. »
Ayant des causes multiples,
En grandes
pompes funèbres
Si il y a quelques décennies,
Léon Zitrone était préposé aux
hommages funèbres télédiffusés,
c’est aujourd’hui une myriade
de présentateurs et de pseudo-
experts qui, sur toutes les
chaînes, expédient leur pelletée
de commentaires sur le cercueil
des disparus célèbres, aboutis-
sant à l’émergence d’un véritable
« nécro-entertainement ».
Jacques Dutronc, passablement
agacé par ces professionnels
de la larme à l’œil, les a même
affublés du sobriquet de « pleu-
reuses ». « Il existe aujourd’hui une
massification de ce type
MÉMO I R ES D’ O U T R E- T O MB E
de pratique médiatique qui pose
question. On peut se demander
pourquoi un pays pense n’avoir
rien de mieux à faire que
de regarder des funérailles »,
s’interroge Yves Citton, cher-
cheur à Paris-VIII et auteur
de l’ouvrage somme Médiarchie
(Seuil, 416 p., 23 €).
Du reportage chez un conces-
sionnaire de motos à un duplex
chez un fleuriste de Saint-Barth
(on s’étonne presque que per-
sonne n’ait songé à équiper
le cercueil d’une caméra GoPro),
la mort de Johnny aura été
cet événement total auquel il fut
si difficile d’échapper. Au point
que le mouvement d’empathie
suscité par la diffusion en boucle
de Je te promets aura fini, au bout
de quarante-huit heures,
par se transformer en véritable
« Jojoverdose ». La soirée
hommage diffusée sur M6 n’a
ainsi réuni que 720 000 téléspec-
tateurs, largement battue par
« Des racines et des ailes » sur
France 3, et même par une
bonne vieille redif de Joséphine,
ange gardien sur NT1.
Maintenant que la tempête
funéraire est passée, l’heure est
aux interrogations : comment
en est-on arrivé là ? Pour Yves
Citton, la mort ne se résume
pas à un simple effet d’aubaine
pour directeur d’antenne avide
d’audience, mais constitue
un imaginaire inhérent aux
médias eux-mêmes. Très tôt,
parce qu’ils modifient le régime
de présence/absence, les médias
ont d’ailleurs été envisagés
comme des instruments possi-
bles de connexion avec l’au-delà,
l’inventeur du phonographe
Thomas Edison ayant même
consacré des recherches à la
mise au point d’un « nécro-
phone » pour tenter de commu-
niquer avec les morts (on
imagine d’ici les duplex d’outre-
tombe). De plus, au travers de
nos existences numériques, nous
partageons aujourd’hui avec
ces trépassés célèbres un même
mode d’apparition impression-
niste et éthéré. « Il y a aujourd’hui
un véritable mouvement
de zombification dans le sens
où c’est au travers du regard des
autres que j’existe. Dans un
univers où tout un chacun est
de plus en plus médiatisé, mon
double, mon spectre a plus
d’importance que mon corps réel »,
conclut Yves Citton.

s’adossant à la popularité d’un futur

squelette. Le 23 novembre 2017, sur le
plateau de l’émission « La France a un
incroyable talent », le candidat Dany
l’étrange tropisme nécrophile qui s’est
emparé de la société conduit aujourd’hui
à des excès divers : là où certains appel-
Quand le mort bouge encore
lent à la « panthéonisation » à tout va,
d’autres, trop pressés de saluer la

Machado interprétait un rap écrit en
hommage à un de ses amis, « décédé il y a
deux ans au Bataclan ». « Je le fais aussi
pour faire mon deuil », précisait l’inté-
ressé sur scène. Largement partagé, cet
émouvant RIP a viré en eau de boudin
quelques jours plus tard, lorsqu’il a été
établi que la victime n’avait jamais
existé. Et que dire de Philippe, ce témoin
prétendument fan de Johnny, interviewé
par toutes les chaînes de télé françaises
devant le domicile de la star défunte à
Marnes-la-Coquette, que des images
d’archives exhumées par l’émission
« Quotidien » de Yann Barthès mon-
traient tout aussi éploré pour la mort de
Lady Di ? « Je suis à la limite de pleurer,
parce que c’est vraiment très dur », assu-
rait déjà le « serial-RIPer » en 1997, face
caméra, aux abords du pont de l’Alma où
la princesse avait trouvé la mort.
« Plus qu’un engouement funé-
raire, il me semble qu’il s’agit ici d’un
mémoire de types qui ne sont même pas
encore morts, préfèrent les enterrer
vivants, s’amusant régulièrement à pos-
ter des annonces de faux trépas.
Un exercice d’anticipation maca-
bre dans lequel excelle également le site
Nécropédia, frénésie de la mise en bière
qui exige de s’adapter. Face au cortège
d’hommages qu’a déclenché l’annonce
de sa disparition sur Twitter en
juillet 2012, le comédien Elie Semoun
s’était fendu, à l’époque, sur son compte
officiel, d’une mise au point à mourir de
rire : « Je confirme mon décès », avait
alors fait savoir le comédien, inaugu-
rant l’art paradoxal de l’auto-RIP.
L
a collecte Leetchi pour financer les obsèques n’est
pas la seule nouveauté apportée par le numérique à
la culture funéraire. « De nouvelles pratiques et
façons de vivre son deuil sont observables sur le Web : on
constate notamment l’édification de tombes digitales, la
commémoration des disparus à travers le partage d’ima-
ges. Comme dans la vie réelle, certaines tombes virtuelles
sont aussi victimes de profanations ou, selon le vocabulaire
d’Internet, de trolling, et se retrouvent noyées sous des mes-
sages moqueurs », note la sociologue Julie Alev Dilmac.
Parmi ces nouveaux dispositifs, le site DeadSocial
permet de continuer à tweeter gratuitement post-mor-
tem, en faisant publier des messages que l’on aura pris
soin de rédiger de son vivant. Avec un peu de sens de
l’anticipation, vous pourrez donc poster un commentaire
polémique sur « Touche pas à mon poste ! » semblant
provenir de l’au-delà.
S’il n’est pas encore possible de se retweeter dans
sa tombe, un site comme ForeverMissed, fondé par
l’Américain Oleg Andelman pour rendre hommage à
son grand-père disparu, permet de se tailler sur mesure
un site Web mémoriel avant trépas. Ces « extensions
digitales », comme les nomme la psychologue américaine
Pamela Rutledge, connaissent aujourd’hui une nouvelle
phase avec la génération automatique de contenu.
Le chatbot Replika, conçu par l’entrepreneuse
russe Eugenia Kuyda après le décès de son meilleur ami,
aide à créer un double mimétique d’une personne en pui-
sant dans ses sources numériques. Cet agent conversa-
tionnel, que vous pouvez également entraîner vous-
même de votre vivant, prendra le relais une fois que vous
aurez rendu votre dernier soupir, reproduisant par écrit
jusqu’à vos tics de langage.
Cette volonté aux résonances spectrales de ne pas
passer totalement de l’autre côté est à ce point en vogue
qu’elle sert même de ressort scénaristique au film R.I.P.D.,
Brigade fantôme (pour « Rest in Peace Departement »), où
deux agents morts sont chargés d’expédier les trépassés
récalcitrants dans les limbes, avant que des armées de
zombies n’envahissent la Terre.
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DIM A N C HE 1 7 - L UN DI 1 8 DÉC EM BR E 20 1 7
Sites choisis
Fuir le monde
Que cet Atlas des paradis perdus est
beau et comme il fait rêver ! Grand
voyageur, Gilles Lapouge dresse un
inventaire subjectif, à travers le monde,
des « olympes provisoires capables de luire
quelques jours ou quelques siècles
Iran
à l’horizon de nos mélancolies ». Du désert
de Retz non loin de Paris, à l’île Pitcairn
dans le Pacifique où les révoltés de la
Bounty (Lapouge tient au féminin pour
ce navire anglais) trouvèrent refuge,
en passant par l’Atlantide, ce continent
mythique qui se confond avec les îles
Canaries, il mélange sans les distinguer
des destinations réelles et irréelles,
vivantes ou disparues, entre légendes
anciennes et grande histoire. Ses
invitations aux voyages sont pleines
de mélancolie. L’idée de fuir le monde
domine, vers l’enfance du roi Louis II
en son château de Hohenschwangau,
vers l’utopie de Charles Fourier au
familistère de Guise ou « à la poursuite
des immortels » en Chine, au mont Pen-
glai. D’une érudition parfaite et légère,
ces pages sont un voyage à elles seules.
Atlas des paradis perdus,
de Gilles Lapouge, illustrations
de Karin Doering-Froger
(Arthaud, 128 p., 25 €).
Monde
Partir en exploration
Pour fêter le cap des 50 millions
de guides vendus, Philippe Gloaguen
et l’équipe du Routard ont décidé
de changer de format. Ce grand beau
livre est une source de 1 000 idées
pour partir à la découverte du vaste
monde. Ici les merveilles de la nature,
là le « monde en fête » ou les villes
pour le temps d’un week-end…
Les voyages ne sont pas classés
par continents ou par pays, mais par
envies et passions. Que vous vouliez
faire le tour du monde des ports
mythiques, des « phénomènes natu-
rels les plus extraordinaires », des
lagons de rêve ou des plus beaux
marchés du monde. Des dossiers
pratiques sur le woofing (qui consiste
à payer son gîte par son travail) ou
le cargo permettent aussi d’aborder
la question de comment voyager,
en plus du simple « où partir ? ».
On a bien du mal à refermer ce livre
encyclopédique si richement illustré.
Voyages, tout un monde
à explorer, Le Routard
(Hachette Tourisme, 368 p., 35 €).
Marcher dans les pas d’un « couchsurfer »
Journaliste au Spiegel online et adepte du couchsurfing,
Stephan Orth est parti en Iran comme on part à l’aven-
ture. En dormant chez l’habitant, il a pris des risques
(le livre commence par un interrogatoire au poste),
mais il a gagné la confiance des Iraniens croisés au fil des
9 000 kilomètres qu’il a parcourus. Derrière les portes
closes, comme le dit le titre, c’est-à-dire dans la sphère
privée, le jeune Allemand découvre une population plus
libre que ce qu’il imaginait. L’alcool s’invite dans les fêtes,
les femmes contestent leur statut dans la société.
Dans le parc Goftegoo, à Téhéran, il a une discussion
hallucinante avec des amateurs de SM particulièrement
doctes. De Bam à Shiraz, de Meched à Ispahan, on suit
Abyssinie
ses aventures avec l’envie de marcher dans ses pas.
Derrière les portes closes, Mes aventures en Iran, Buller en solitaire
de Stephan Orth, traduit de l’allemand
par Hélène Boisson (Petite Bibliothèque Payot Jolie traversée que ces carnets
Voyageurs, 352 p., 9,20 €). de voyage entre dessins et photo-
graphies qui nous conduisent
de Djibouti à l’église Sainte-Marie-de-
Sion, à Axoum, où reposerait l’Arche
d’Alliance, en passant par Lalibela (« la
Jérusalem noire ») et Harar où vécut
LIVRES
Arthur Rimbaud. Ce lent « pèlerinage
abyssin » d’un homme qui quitte
la France en pleine crise conjugale en
espérant « que peut-être ce sera différent
à [son] retour » a quelque chose de
L’invitation
touchant. Dans une Ethiopie bien
réelle à laquelle se heurtent les rêves
et le spleen du voyageur solitaire, les
rencontres et les émerveillements
ne manquent pas. BD épistolaire jetée
au voyage
comme une bouteille à la mer à une
absente qui s’appelle tantôt « Claire »,
tantôt « Ma Claire » et parfois
« Mon amour », ce joli livre est aussi
l’autoportrait d’un homme qui doute.
Ces ouvrages sont la promesse C’est là tout son charme.
d’aventures hors des sentiers battus Abyssinie, une traversée
dessinée, de Joël Alessandra
Thomas Doustaly (Paulsen, 192 p., 24,90 €).
Boire et pédaler
Livre singulier d’un cycliste amateur… amateur
de chianti, ce récit s’ouvre par ces mots : « Ma
maison donne sur une route et cela, déjà, apparaît
De l’Europe à l’Asie
comme une chance. » On sait donc qu’on a affaire
à un demi-fou, mais il est tellement
sympathique, cet Emiliano, qu’on veut bien
le suivre pour faire peloton entre deux verres
de rouge. Assez énervé contre les clichés,
il tente de les combattre en décrivant une
Toscane viticole sans emphase. « Le roi du Prendre le train en marche
chianti, c’est le sangiovese, affirme-t-il, étrusque,
donc toscan, complexe et austère. » On veut bien Rien n’incarne mieux le désir d’ailleurs
le croire. Gucci passe de l’histoire du vin à celle que ce train de légende dont le nom seul
du cyclisme en un coup de pédale. Son coureur donne envie de faire ses bagages. Publié
préféré, c’est Fiorenzo Magni, originaire à l’occasion de la sortie au cinéma de la
du Prato, mort en 2012 à 91 ans. Comme le petit nouvelle adaptation du roman d’Agatha
Emiliano est né en 1975, il n’a jamais vu rouler Christie par Kenneth Branagh, cet Orient
Magni mais il l’admire pour son Tour d’Italie de Express, de l’histoire à la légende est
1956, devenu légendaire. Un livre de printemps à la fois un livre de voyage – qui recense
et d’été qu’il faut prendre avec soi sur les routes les villes et les paysages traversés par le
qui entourent Sienne, Florence ou Empoli. célèbre train –, une encyclopédie du style
A vélo, dans les vignes de Toscane, – de la décoration aux menus, les images
sont éblouissantes – et une galerie
d’Emiliano Gucci, traduit de l’italien
de portraits. On file donc de page
par Patrick Vighetti (Elytis, 144 p., 18 €).
Toscane
en page de Londres à Istanbul et, au-delà,
jusqu’au Caire, à Téhéran ou à Bombay
en compagnie du roi des Belges Léopold
II, du génial Calouste Gulbenkian
ou de la princesse Bibesco. Inauguré
en 1883, l’Orient Express devient
immédiatement un sujet de romans.
« Rien ne commence par la littérature,
écrivait Paul Morand, mais tout finit par
elle, y compris l’Orient Express. »
Orient Express, de l’histoire
à la légende, de Guillaume Picon,
photographies de Benjamin Chelly
(Albin Michel, 260 p., 49 €).
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D IM A N C HE 1 7 - L UN D I 1 8 D ÉC EM BR E 20 1 7 7

Iode au naturel CUISINE

Dégustée depuis l’Antiquité,

l’huître séduit toujours, même
dans son plus simple appareil
Stéphanie Noblet

L’
huître n’est pas du genre à laisser de glace. Elle intrigue, interroge,
déconcerte de prime abord, puis charme ou dégoûte, séduit ou
révulse, suscite l’adhésion voire la passion chez certains, un rejet
catégorique chez d’autres.
Ce qui joue en sa défaveur ? Son aspect opiniâtrement
fermé et sa résistance parfois sévère au couteau intrusif ; sa chair
prude et cachottière, qui ne se dévoile qu’au dernier moment ; sa consistance si
particulière, fluide, molle, dense ou charnue, toujours surprenante ; son état
vivant au moment de la dégustation ; de très rares expériences malheureuses,
faisant jurer qu’on n’y toucherait plus. Autant de traits qui refroidissent le man-
geur timoré, trop attaché aux chemins nourriciers balisés pour s’aventurer sur
la vague impétueuse, tempétueuse et toujours prometteuse offerte par une,
six ou douze spécimens de Crassostrea gigas, l’huître creuse (dite aussi japo-
naise), la plus communément élevée sur nos côtes.
« Celui-là a eu du courage, qui a été le premier à manger une huître »,
aurait dit l’écrivain Jonathan Swift. Il y a en effet une forme de bravoure, de défi,
la première fois qu’on se lance. On empoigne la coquille avec curiosité, on titille
l’animal du bout de la fourchette pour constater sa vitalité, on aperçoit le liseré
noir de son manteau qui se rétracte, comme un signal de départ, et hop ! on le
glisse tout entier en bouche. L’aventure gustative commence : doit-on le cro-
quer, le mâcher, l’avaler d’un trait, prolonger le plaisir des saveurs iodées au
contact des papilles ? Libre à chacun de choisir la façon de s’y initier et de
l’apprécier. Pour ma part, j’ai franchi le pas à l’âge de 20 ans – après avoir honni
les huîtres sur un stupide a priori – et leur voue depuis une passion grandis-

REIN JANSSEN POUR « LE MONDE »

sante. Dieu merci, elles ne m’ont jamais rendu malade, bien au contraire : cha-
que dégustation d’huîtres me donne un surcroît de vitalité, d’énergie, de bien-
être que nul autre aliment ne me procure.
Pour cela, pas besoin d’un décorum de fêtes, ni d’apprêts excessifs. Des
huîtres bien fraîches tout juste ouvertes, froides mais, par pitié, jamais sur un
lit de glace qui tétanise leurs saveurs ; du bon pain au levain à croûte épaisse ;
du bon beurre demi-sel ; un vin blanc de qualité (sancerre, menetou-salon,
muscadet, chablis, saint-véran…). Rien d’autre. Le filet de citron et le vinaigre à
l’échalote, très peu pour moi. Tout juste parfois un tour de moulin à poivre noir
(kampot, voatsiperifery), bienvenu sur les huîtres à la salinité très affirmée. l’étang de Thau (Occitanie) à celui de Diane (Corse). Il y en a pour tous les goûts :
Alors, certes, les huîtres peuvent être cuisinées : crues, en tartare, mélan- des grands et des petits calibres (de 0 à 5 par ordre décroissant, les numéros 2 et 3
gées à des herbes, des aromates, parfois des fruits (mangue, pomme…) ou en étant les plus consommés) ; des naturelles qui résistent à l’offensive des triploï-
accord terre-mer (avec du veau, du bœuf…) ; cuites, chaudes, gratinées, poêlées des (huîtres rendues stériles, sans laitance, pour être consommées toute l’an-
ou en beignets… Certes donc, mais, pour les amateurs, c’est dans le plus simple née) ; des fines ou spéciales affinées en claires (bassins naturels), qui dévelop-
appareil qu’elles expriment le mieux leur complexité. Et c’est pent un goût plus doux et une jolie teinte verte ; des petites
ainsi qu’on apprend à les distinguer, les comparer, pour affiner À LIRE grasses d’été et des maigrichonnes d’automne ; des snobinar-
la connaissance et l’appréciation de ce mollusque bivalve aux des vendues à prix d’or, name dropping à l’appui, dans les bars à
saveurs raffinées dégusté depuis l’Antiquité. > L’HUÎTRE EN QUESTIONS, huîtres citadins ; d’humbles anonymes bien faites et à prix
Par chance, ce goût du naturel ne condamne pas à la de Catherine Flohic, accessible, surtout hors période de fêtes.
monotonie, loin s’en faut. Car il existe une diversité de saveurs, photographies de François Dans la mesure du possible, je les goûte toutes, au fil de
de tailles, de textures parmi les huîtres françaises qui est à met- Flohic (Les Ateliers d’Argol, l’année, avec curiosité et discernement. Sauf quand il s’agit
tre au compte à la fois de la variété des « meroirs » littoraux et 352 p., 29,90 €) d’expérimentations saugrenues, à l’image de ces huîtres
du dynamisme du secteur ostréicole. Si l’huître plate (Ostrea aromatisées en bassin (à la framboise, au gingembre…) par un
edulis), indigène des côtes françaises, subsiste encore (dont les fameuses belons ostréiculteur charentais. Je préfère partager avec vous la découverte récente
de Bretagne), elle est aujourd’hui très marginale face à l’océan d’huîtres creuses d’une perle venue du bassin ostréicole de Gouville-sur-Mer (Manche), élevée
élevées de la Normandie à la Bretagne, de Marennes-Oléron à Arcachon, de par la famille K’dual en poches suspendues (et non posées), selon une techni-
que importée d’Australie. La Krystale, c’est son nom, ainsi bercée par les marées
parmi les plus fortes d’Europe, développe une chair dense, charnue et légère-
ment sucrée qui remplit tout l’espace de son splendide écrin nacré. Une expé-
rience gustative inoubliable. N’était la réputation de son QI raplapla (mais qu’en
est-il pour le bulot et l’escargot ?), il y a des jours où l’on rêverait d’une commu-
nauté de destin avec cette huître gentiment bercée par les flots.

LES EN F A N T S D’ A B O R D
« Dis, je peux sortir de table ? »
Marlène Duretz
Jade n’y tient plus. Elle a déjà demandé par
trois fois si elle pouvait sortir de table. En vain.
La fillette de 7 ans gesticule en tous sens, sou-
pire, boude ce qui se trouve dans son assiette,
et son ennui grandissant exaspère ses
parents enchantés par ce repas de fêtes en
famille. « Encore un effort, Jade ! Reste tran-
quille ! Et redresse-toi un peu… ! », lui intime son
père. Autour de la tablée, aucun autre enfant
qu’elle. Ou, au contraire, d’autres compa-
gnons d’infortune (eux aussi « coincés » entre
deux adultes cerbères), dont l’un focalise
l’attention à coups de hurlements et de pro-
jectiles alimentaires. « Il n’y a aucun intérêt
à cette situation. C’est perdant-perdant »,
estime le psychopédagogue Alain Sotto.
Jusqu’à environ 10 ans, rester à table
et savourer ces moments de convivialité et
de partage à leur juste valeur, et bien
au-delà d’un temps raisonnable pour s’ali-
menter, est de l’ordre de l’exploit. Exiger de
son enfant qu’il reste des heures attablé n’est
pas réaliste, lui qui ne pense qu’à bouger,
jouer, explorer son environnement et aller à
la rencontre de l’autre. Pourquoi s’acharner à
le vouloir vissé sur sa chaise et transformer
ces repas de fêtes en supplice pour tous ?
Parce qu’il est bon qu’il respecte rituels et
conventions sociales dès son plus jeune âge ?
Parce qu’il est ce trophée parental dont on se
plaît à exhiber les bonnes manières ? Et que,
oui, même à 4 ans, il montre un intérêt certain
pour les conversations des adultes ?
« Quand on connaît un tant soit peu
sa famille ou ses hôtes, on ne va pas exiger
de son enfant qu’il reste indéfiniment assis »,
JUSQU’À ENVIRON
10 ANS, RESTER À
TABLE ET SAVOURER
CES MOMENTS
DE CONVIVIALITÉ ET
DE PARTAGE À LEUR
notamment en fonction de son âge », sug-
JUSTE VALEUR,
gère l’auteur du Beau Métier de parent
ET BIEN AU-DELÀ (Hugo Doc, 2016). L’enfant trouvera d’autant
D’UN TEMPS plus son plaisir dans le repas familial, dans
ce rituel où il a toute sa place, si l’on tient
RAISONNABLE compte de ses goûts, de son appétit et de
POUR S’ALIMENTER, son rythme, distincts de ceux de l’adulte.
Pour donner à l’enfant l’idée et le
EST DE L’ORDRE
vécu de moments exceptionnels, ce repas
DE L’EXPLOIT de fêtes doit aussi être le sien. Trois options
possibles : faire dîner les enfants avant les
adultes pour leur éviter le calvaire d’un
repas fleuve ; les convier à la table des adul-
tes mais les laisser s’échapper ; les réunir, s’ils
sont plusieurs, autour d’une même table qui
estime Alain Sotto, qui préconise de conve- sera bien vite animée par des joutes de bla-
nir d’un « protocole » avec son enfant : il se gues, des jeux et des récits autrement capti-
met à table, mais peut raisonnablement vants que ceux des grands. Mais si les
s’éclipser, par exemple entre deux plats, ou conversations des adultes semblent a priori
après le plat principal pour ne revenir qu’au ne pas les intéresser, ils ne perdront pas une
dessert. « Qu’il y ait des règles, oui, bien sûr, miette, bien qu’à l’écart, des échanges stra-
mais qu’elles soient assouplies et adaptées, tégiques et croustillants de leurs aînés !
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DIM A N C HE 1 7 - L UN DI 1 8 DÉC EM BR E 20 1 7

Ecole Saint-Adrien à Villeneuve-d’Ascq (Nord). La messe le dimanche. Un père

cadre dans la grande distribution, une mère qui a rangé ses désirs artistiques pour éle-
ver ses enfants. Une famille qui déploie l’amour en étendard et elle, en petite dernière,
que son frère appelle « soleil » et dont le sourire semble un paratonnerre indestructible.
UN APÉRO AVEC… Ce sourire, on le connaît. C’est même peut-être à ça qu’on la reconnaît. Tantôt
sage, tantôt narquois, le même à la ville qu’à l’écran. Il ne semble jamais la quitter,
ANAÏS DEMOUSTIER même quand elle est au plus mal, comme lorsqu’elle est Charlotte, l’étudiante prosti-
tuée d’Elles, de Malgorzata Szumowska. C’était il y a sept ans. « Ma seule expérience
désagréable sur un plateau. Alors que pourtant je n’ai pas de problème avec mon corps.
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Mais ce genre de scènes nécessitent d’être chorégraphiées ; les acteurs, protégés ; dès lors
qu’il y a de l’impro, on ne sait plus où on est. J’ai travaillé avec un grand nombre de réali-
On a rencontré l’actrice au sourire solaire un jour de pluie sateurs, tous respectueux, mais là, j’étais pas bien. Et c’était avec une réalisatrice… » Elle
sourit encore. Nous aussi. On ne peut pas s’en empêcher.
Anaïs Demoustier, on l’a vue grandir sur l’écran. Dans Le Temps du loup, de

« Une mousse Michael Haneke, son premier grand rôle (2003), elle a la bouille ronde de ses 15 ans.
Dans Les Grandes Personnes, d’Anna Novion (2008), elle est la fille de Jean-Pierre
Darroussin ; dix ans plus tard, dans La Villa, elle est sa maîtresse. En 2014, elle est à l’af-
fiche de cinq films, dont Bird People, de Pascale Ferran, et Une nouvelle amie, de

pour la Demous’» François Ozon. « Trop bien, cette année-là ! Ces deux films sont tellement à l’opposé…
D’un côté, un rôle très intérieur, dans la retenue, un des plus intéressants que j’ai eus. De
l’autre, Ozon. Lui, le truc merveilleux, c’est sa virtuosité, une espèce d’aisance à mettre
en scène. C’est un joueur. Plein de malice et de sensualité. En France, les gens ont du mal
avec le plaisir, alors ils le condamnent quand ils devraient se réjouir. »
2014, c’est aussi l’année de l’imbroglio des élans. Sur le tournage de Marguerite
et Julien, de Valérie Donzelli, elle tombe amoureuse de Jérémie Elkaïm, acteur et compa-
gnon de la réalisatrice. Aujourd’hui, ils
font la route ensemble et ont une petite
fille qui va avoir 2 ans, Rosalie. Elle
n’élude pas, va droit au but et accorde
facilement sa confiance pour peu qu’on > 1987
comprenne qu’il y a des jardins qui Naissance à Lille (Nord)
n’appartiennent qu’à soi.
Une matière rêvée pour un met- > 2003
teur en scène. Le cinéma ne s’y est pas Premier grand rôle
trompé qui a pris sous son aile la petite dans Le Temps du loup,
fille dont l’école avait autrefois convo- de Michael Haneke
qué les parents pour excès d’empathie :
« Chaque fois que quelqu’un se faisait > 2011
gronder dans la classe, je pleurais. » Le Prix Romy-Schneider
souvenir la fait rire, un rire franc qui se
moque de la présence du monde qui > 2015
nous entoure. Elle se penche : « Parfois, A trois on y va,
j’ai l’impression d’être une contradiction de Jérôme Bonnell
sur pattes. J’adore boire des panachés
avec des gens drôles en écoutant le > 2017
dernier disque d’Orelsan et, sans transi- Paris etc., de
tion, j’aime plonger dans la mélancolie Zabou Breitman (Canal+)
sur du Barbara. »
L’alcool aidant, on lui dit qu’elle
paraît plus vieille qu’elle n’est. Contre
toute attente, cela lui plaît : « Trop bien !
D’habitude on me dit que j’ai l’air d’avoir 20 ans. » Grandir, mûrir… Depuis deux ans, elle
AUDOIN DESFORGES voit une psy (« Une lacanienne. Pas bavarde… ») parce qu’« il y a des choses que j’ai voulu
POUR « LE MONDE » comprendre. On ne peut pas vivre sa vie en avançant le nez collé à la vitre ». Et dévore les
livres d’Anne Dufourmantelle : En cas d’amour (Psychopathologie de la vie amoureuse),
Eloge du risque, La Sauvagerie maternelle. « Je viens d’une famille très pudique où on
Par Laurent Carpentier parle peu de ses émotions. Je pense que mon besoin de parler, d’analyser, vient de là. »
Comme la nécessité de jouer ?
Dans les interstices du 7e art, il y a sa réinscription en philo à La Sorbonne, le
Quand elle a ouvert son sac après avoir commandé un panaché, je me suis précipité pour payer. Elle m’a arrêté : « On paiera plus désir de cet autre rêve qu’elle pratiquait, enfant, l’écriture, et puis ce coup de main à
tard. Il va y avoir plusieurs verres, non ? » Et elle a ri. « Une mousse pour la Demous’», a-t-elle lancé en moustachant ses lèvres. une association d’aide aux demandeurs d’asile. « Politiquement je suis un peu perdue.
Anaïs Demoustier. 30 ans et 34 films. A l’affiche de Jalouse, des frères Foenkinos, de La Villa, de Robert Guédiguian, de la série Je sais simplement que je ne suis pas de droite : je n’ai aucune réticence à payer des
sur Canal+ Paris etc., de Zabou Breitman. Et puis, à l’horizon de l’année prochaine, une impôts, à accueillir le plus d’immigrés possible, je pense que la culture et l’environne-
palanquée de films au montage (avec Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste…) et de tour- ment sont des questions essentielles… Je crois que je vais devenir une putain d’écolo. »
nages (avec Fabrice Luchini…). Pour les verres, la suite de la soirée lui a donné raison. En attendant, elle prend des cours de chant lyrique : « C’est comme la psychana-
« J’adore les cafés, glisse-t-elle en s’enfonçant dans la banquette en Skaï. J’y lyse, tout le monde devrait le faire. J’ai commencé pour des raisons thérapeutiques, un
reste souvent des heures. Parce que je fais un métier qui vous laisse des journées entiè- nodule sur mes cordes vocales, et puis j’ai découvert une part de moi, de mon autorité,
res de liberté. Le cinéma a été pour moi un apprentissage accéléré de la vie. Des que je ne connaissais pas. J’ai la voix très large d’une femme puissante. » Elle joint le
moments pleins qui créent aussi de grands vides. Quand j’étais petite, avant de démar- geste à la parole, gonfle le torse, écarte les bras en Castafiore, et on est surpris de décou-
rer un jeu avec mes Polly Pocket, avec mes Barbie, je demandais toujours conseil à ma vrir la frêle jeune femme aux joues roses expliquer : « Quand j’ai accouché, j’ai chanté.
sœur Jeanne : “C’est quoi l’histoire ?” Elle me donnait une indication. Cela suffisait, Quand on accouche, on est un animal. C’était des sons de caverne. La sage-femme m’a
après j’étais partie. J’interprétais. » dit : “On vous entend du bout du couloir, c’est très bien, continuez !” »
Voix gouailleuse, élocution rapide (« Parce que j’ai peur d’être chiante. Ma mère La vie au dehors a fini par la rappeler. J’ai payé. Elle a enfoncé son bonnet sur
aussi, elle parle très rapidement, c’est comme une impatience. »). Café Le Carreau, 5, rue son crâne et a filé sous la pluie noire. Une demi-heure plus tard je recevais un SMS : un
de la Corderie, derrière la République à Paris. Elle qui a choisi. On a laissé dehors la extrait d’une lettre de Maria Casarès à Albert Camus dont elle m’avait parlé (Correspon-
pluie et le froid et c’est comme une première fois : on se demande de quoi on va parler. dance (1944-1959), Gallimard, 1 312 p., 32,50 €) : « Il ne me paraît pas inutile de jeter des
Deux inconnus que personne ne remarque. « C’est très rare qu’on m’aborde. Les gens coups d’œil sur la vilaine confusion de mon paysage intérieur. Ce qui me navre, c’est que
croient qu’ils me connaissent mais ils ne savent pas d’où. Ils pensent que je suis la cou- je ne trouverai jamais le loisir, l’intelligence, la force de caractère nécessaires à mettre un
sine de Didier, que je travaille à la bibliothèque avec Sandrine. » peu d’ordre là-dedans et je me désole à l’idée que je mourrai irrémédiablement comme je
Une beauté spontanée, une grammaire générationnelle. « Trop bien ! Trop suis née, informe. » Comme on n’est pas Albert Camus, on n’a pas su quoi répondre.
marrant ! » Un côté assumé girl next door. « J’adore être comme tout le monde. J’ai un
côté bon élève, carré, ma chambre était toujours bien rangée, concède-t-elle. J’apprends
à l’être moins, et ce métier m’y aide. Le cinéma, c’est jouer sur la part de secret entre ce qui
est toi et ce qui appartient au personnage. » Se le tenir pour dit ?

PEN DA N T CE T EMPS- LÀ … À A LLO N N ES Ouvert gratuitement au public

Les chalets du Père Lionel
Par Frédéric Potet
La maison du Père Noël existe, elle est
située au 2, rue du Taillandier, à Allonnes,
dans la Sarthe. Retraité de l’usine Renault
du Mans, Lionel Guillot a converti son petit
pavillon en jardin enchanté. Vingt-six mini-
chalets en contreplaqué de 80 cm de haut
composent un village de poupées et de
santons automatisés. Des Playmobil jouent
à la balançoire, des Pères Noël en chiffon
grimpent aux arbres et des manèges tour-
noient au milieu d’une débauche de guir-
landes lumineuses. Chaque fin d’année,
l’endroit est l’attraction numéro un des envi-
rons : une heure trente d’attente est néces-
saire, certains soirs, pour accéder à cet
assemblage d’ampoules LED et de bric-à-
brac chiné dans des vide-greniers.
MATHIEU FREAKCITY
mourait. Il a alors récupéré la cage de l’ani-
mal et l’a transformée en chalet, décorant
sa façade, ajoutant une clôture, un porti-
que, un pêcheur à la ligne. « La passion est
née comme ça », raconte-t-il. L’année sui-
vante, il a construit un deuxième chalet. Puis
un troisième, l’année d’après. Le concours
municipal (qu’il a gagné deux fois) a fini par
s’arrêter. Pas Lionel Guillot.
Dans le sous-sol de sa maison, l’esthète va
faire dans la dentelle, élaborant à la ma-
nière d’un Facteur Cheval un hameau de lilli-
putiens qu’il dotera d’une école, d’une mai-
rie, d’une église, d’une boulangerie, d’un bis-
trot… D’un magasin d’horlogerie aussi
– « celui qui m’a donné le plus de misère car
il a fallu que je trouve quarante horloges
miniatures pour garnir la boutique ». L’instal-
depuis 2006 – « tous les jours, pendant
un mois et demi, Noël et jour de l’An com-
pris » –, le jardin accueille également le
Père Noël en personne. Le costume est
porté alternativement par Yves et Jacky,
deux retraités aux pensions modestes
avec qui le maître des lieux partage le
petit butin récolté chaque soir dans une
urne mise à disposition du public. Le
reste est réinvesti dans l’achat de guirlan-
des et de figurines.
Cette année sera la dernière. Les
visites s’arrêteront définitivement début jan-
vier. Les contraintes liées au montage du vil-
lage et à l’accueil du public sont devenues
trop pesantes. Lionel Guillot, qui s’est fait
poser cette année une deuxième prothèse
du genou, doit « surveiller [sa] santé ». Des
travaux de peinture et de tapisserie l’atten-
dent dans la maison. Sans oublier le petit
appartement de bord de mer acheté en
Vendée, où le couple aimerait passer plus
de temps. Sa décision est « irrévocable » :
en 2018, il ira fêter Noël chez sa fille, au

Tout a commencé en 2001. La muni- « Etant “tombé” en retraite à l’âge de lation fonctionne à l’électricité. Afin d’éviter Havre, avant d’entreprendre un voyage en
cipalité d’Allonnes lançait, cette année-là, 56 ans, il fallait que je m’occupe », dit-il. Chez tout risque de surchauffe, Lionel Guillot et Alsace, où l’art de l’illumination fait réfé-
un concours d’illuminations. Concomitam- Renault, l’homme était affecté à la fonderie, son épouse Martine éteignent deux ou trois rence. Les chalets, à une ou deux exceptions
ment, le lapin du beau-frère de Lionel Guillot d’où sortaient disques et tambours de freins. radiateurs chez eux pendant les visites. près, seront mis en vente sur Leboncoin.
 Beate Uhse,
le pionnier
des sex-shops,
en faillite

INÉGALITÉS 3/3 berlin - correspondance

C ela faisait des années que

les boutiques se vidaient
et que les clients vieillis-
saient. Célèbre pour ses sex-shops
et ses catalogues de produits éro-
tiques, le groupe allemand Beate
Uhse a annoncé, vendredi 15 dé-
cembre, avoir déposé son bilan.

BRÉSIL-RUSSIE LES ÉMERGENTS

« La fin d’une légende », a com-
menté le Spiegel. Une légende à
l’édification de laquelle l’hebdo-
madaire avait lui-même contri-
bué, en baptisant Beate Uhse, il y a

AU RISQUE DE L’EXTRÊME DÉNUEMENT

▶ Dans la Russie de
Vladimir Poutine,
21 millions de personnes
vivent avec des ressour-
ces inférieures au mini-
mum vital
▶ Revenu du commu-
nisme et du libéralisme,
le pays, placé sous le con-
trôle étroit du Kremlin,
est l’un des plus inégali-
taires au monde
▶ Au Brésil où, au temps
de Lula, des dizaines de
millions de personnes
sont sorties de l’indi-
gence, les inégalités se
creusent à nouveau
près d’un demi-siècle, « la First
Lady du sexe allemand ».
C’était en 1970. A l’époque,
Beate Uhse avait 51 ans. Ancienne
championne d’aviation, pilote
dans la Luftwaffe pendant la se-
conde guerre mondiale, elle
s’était lancée dans le commerce
▶Le 0,1 % des super-ri- des choses du sexe en 1946. Jeune
ches y touche, par an, veuve et mère d’un petit garçon,
plus de 40 fois le revenu elle avait commencé par éditer
une petite brochure donnant des
moyen estimé pour l’en- conseils pratiques sur la sexua-
semble des Brésiliens lité, en particulier sur la méthode
de contraception naturelle
PAGES 2-3 Ogino, basée sur le calcul des cy-
cles de fécondité et qu’elle avait
apprise de sa mère, l’une des pre-
mières femmes médecins en Al-
lemagne.
Le succès fut immédiat : lors de
l’année 1947, 32 000 exemplaires

L’endettement des entreprises françaises inquiète étaient déjà écoulés. p

thomas wieder
LIR E PAGE 5
▶ Le Haut Comité de stabilisation financière veut limiter l’exposition des banques aux groupes les plus endettés

L
a croissance est de retour, mais
gare à l’emballement et surtout à
l’endettement. Voici en substance
le message que le Haut Conseil de stabilité
financière (HCSF), qui réunit le gouverne-
ment et les principaux régulateurs finan-
ciers de surveillance du système finan-
cier, a adressé vendredi 15 décembre aux
banques et aux grandes entreprises.
Un coup de semonce qui intervient
quelques semaines après la violente cor-
rection boursière subie par l’opérateur
télécoms Altice, dont l’endettement s’est
envolé ces dernières années après une
frénésie de rachats.
Pour la première fois, les autorités fran-
çaises demandent aux principales ban-
ques françaises de serrer le robinet du
crédit pour les grandes entreprises trico-
lores déjà trop chargées de dettes. A l’is-
sue de sa réunion trimestrielle, le HCSF a
en effet indiqué dans un communiqué
qu’il envisageait « l’adoption d’une me-
sure permettant de limiter les expositions
des banques systémiques sur les grandes
entreprises résidentes les plus endettées, à
un niveau de 5 % de leurs fonds propres
dans un premier temps ».
Sur les quelque 300 grandes entrepri-
ses que compte la France, une dizaine de-
vraient ainsi être « rattrapées » par cette
étiquette, selon une source proche de
Bercy. « Cela signifie que ces grandes so-
100
ciétés susciteront des questions de la part
des banques lorsqu’elles viendront les voir
pour se financer », précise-t-elle. Des ra-
tios précis devraient être établis pour
identifier les multinationales qui ont
abusé de prêts ainsi que le montant
maximal qu’une banque pourrait leur MILLIONS D’EUROS, C’ÉTAIT,
prêter, quoi qu’il arrive.
véronique chocron EN 2016, LE CHIFFRE D’AFFAIRES
et isabelle chaperon DU GROUPE BEATE UHSE, QUI A
LIR E L A S U IT E PAGE 4 DIMINUÉ DE DEUX TIERS EN DIX ANS

DISTRIBUTION
INTENSES TRACTATIONS
VU DE MADRID
AUTOUR DE LA LOI Des sens uniques pour les piétons HORS-SÉRIE

SUR LES NÉGOCIATIONS

COMMERCIALES madrid - correspondance fêtes de Noël, rue Preciados, est un sentiment UN AMOUR
somme toute assez commun.
DE STYLO

P
aternaliste, la dernière mesure de la
PAGE 4
maire de Madrid, l’ancienne juge pro-
che de Podemos, Manuela Carmena ?
Les critiques ont fusé de toutes parts
TRANSPORT après la décision de la ville de rendre le trafic
Mais de là à régenter le sens de la marche, il y a
un pas. Et, pour ajouter à la polémique, une De Léonard de Vinci au 21e siècle,
en passant par Albert Einstein,
femme âgée, présentant des difficultés de mo- la fabuleuse histoire de la douceur d’écrire.
bilité, s’est fait filmer alors qu’elle essayait de
convaincre un policier de passer en sens in-

UN ANCIEN EMPLOYÉ dans la principale rue commerçante de Madrid

à sens unique… pour les piétons !
D’UBER DÉVOILE UNE Les week-ends et jours fériés, à partir de
17 h 30, depuis le 1er décembre et jusqu’au 7 jan-
CELLULE D’ESPIONNAGE vier, impossible de prendre la rue Preciados,
qui unit la Puerta del Sol à la place Callao, dans
INDUSTRIEL le sens de la descente. Des policiers munici-
paux, derrière des barrières, demandent aux
PAGE 5 passants de faire le tour et de prendre la rue del
Carmen, parallèle. Même dispositif en contre-
bas et dans les trois rues perpendiculaires. Le
12 décembre, la mairie a même ajouté des pan-
neaux rouges indiquant le sens correct de la
marche. « Entrée » s’affiche en gros en espa-
gnol et en anglais devant des visiteurs mal in-
formés et des touristes incrédules.
Troupeau de moutons
Les passants se divisent entre ceux qui trou-
j OR | 1 256,44 $ L'ONCE vent qu’à marcher tous dans le même sens, la
verse. En vain. Elle a dû faire le tour. Pour Ma-
nuela Carmena, interpellée sur cet épisode, il ne
s’agit pas de « faire en sorte que les gens aillent
dans un seul sens, mais de faciliter l’accès, par sé-
curité et pour garantir des voies d’évacuation ».
El Corte Ingles, Fnac, Mango, Zara et compa-
gnie : toutes les grandes enseignes sont réunies
dans la rue Preciados, où se pressent des flots de
passants. Dans la rue del Carmen aussi, il y a
toujours foule avant les fêtes. Et pour cause :
c’est là que se trouve la célèbre Doña Manolita,
le bureau de vente de billets de la loterie de Noël
le plus recherché d’Espagne. Parce qu’elle vend
énormément de billets, Doña Manolita est
aussi celle qui distribue le plus de bulletins pri- Les grands inventeurs
més, d’où l’habitude qu’ont prise les Espagnols La saga des marques
de rester des heures dans une immense file Les stylos de légende
d’attente pour y acheter leur ticket. La magie des encres
Quant aux commerçants, ils sont eux aussi
partagés, attendant de mesurer l’impact possi- L’enfant et le stylo

J PÉTROLE | 63,23 $ LE BARIL
J EURO-DOLLAR | 1,1749
j TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 2,35%
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,63 %
VALEURS AU 16 DÉCEMBRE À 7 HEURES
circulation est effectivement plus fluide – c’est
l’objectif de la mesure – et les autres, qui se
plaignent d’avoir l’air de participer à une ma-
nifestation, s’insurgent face à ce qu’ils perçoi-
vent comme une atteinte à la liberté de mou-
vement ou regrettent de rassembler à un
troupeau de moutons… Ce qui, en période de
ble de la décision des autorités madrilènes sur
leurs ventes. Certains craignent que le mouve-
ment de la foule n’accélère le rythme de la pro- DÉCOUVREZ LE MONDE
menade et ne décourage les passants de s’arrê-
ÉTONNANT DES STYLOS
ter – trop souvent au goût de la municipalité –
pour faire leurs achats. Verdict après les fêtes. p - EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX -
sandrine morel

Cahier du « Monde » No 22684 daté Dimanche 17 - Lundi 18 décembre 2017 - Ne peut être vendu séparément
2 | économie & entreprise
RICHESSES, LE GRAND ÉCART
Au Brésil, un air de société de castes
Les inégalités se creusent à nouveau, et l’espoir « Lula » fait place à l’amertume au pays dit du « racisme cordial »
sao paulo - correspondante
E
n poussant le grand por-
tail blanc surmonté de
caméras de surveillance,
Ana Braga (le prénom a
été modifié) a senti ses jambes
se dérober sous ses pieds. « La
piscine, le jardin… Tout était tel-
lement beau, tellement chic »,
raconte la femme. Embauchée
comme empregada domestica
(« domestique »), celle qui était à
l’époque une jeune mère effleu-
rait la vie des nantis de Sao Paulo,
la capitale économique du Brésil.
Une parenthèse dorée avant de
retourner chaque week-end dans
sa favela de Santo André, ville
de la périphérie, à deux heures
d’autobus de là.
CE QU’IL FAUT SAVOIR
Le rapport
Une centaine d’économistes
rassemblés au sein de la World
Wealth & Income Database pu-
blient le premier rapport sur
les inégalités mondiales entre
1980 et 2016. Il s’agit de l’en-
quête la plus fouillée sur une
longue période. Pendant trois
jours, Le Monde publie enquê-
tes, reportages et tribunes sur
ce débat essentiel.
Les résultats
Partout, les écarts de richesse
se creusent. Les 1 % les plus
riches de la planète ont capté
27 % de la croissance totale,
contre 12 % pour la moitié
des plus pauvres du monde.
De fortes disparités existent,
comme entre les Etats-Unis,
où les inégalités ont explosé,
et l’Europe.
La méthode
Les auteurs ont combiné les
enquêtes sur les revenus des
ménages, menées par la Ban-
que mondiale ou par l’ONU,
avec les données fiscales de
70 pays et les comptabilités na-
tionales, ainsi que les données
sur le patrimoine dans 30 pays.
A la soupe populaire de Moscou : « J’ai tout dépensé pour m’habiller »
Plus de 14 % de Russes vivent avec moins de 146 euros par mois. La répartition des richesses dans le pays est l’une des plus inégalitaires au monde
moscou - correspondante
L a moustache grisonnante
étirée par un sourire bien-
veillant, Boris Boïnov distri-
bue des vitamines. C’est sa façon à
lui d’entrer en contact avec les dé-
munis qui, en cette froide journée
de décembre, piétinent devant
une tente installée dans le quar-
tier des « trois gares », à Moscou,
dans l’attente d’un repas chaud.
« Je commence comme ça, avec des
vitamines. Ensuite, je réponds aux
demandes, j’évalue la situation et,
si elle est préoccupante, j’oriente les
personnes vers une polyclinique
qui les accepte, ce qui n’est pas le
cas partout », glisse-t-il, un bonnet
enfoncé sur ses yeux bleus.
Psychiatre de formation, Boris
Boïnov fait partie de l’équipe du
SAMU social, l’association fran-
çaise qui opère dans les centres
d’accueil d’urgence de la capitale
russe, en partenariat avec la mai-
rie. Après plus de dix années
passées sur le terrain, ce médecin
mesure aujourd’hui l’évolution :
Peau noire et regard déterminé,
Ana Braga avait 18 ans quand elle
a quitté son village de l’Etat de
Goias, dans le centre du pays, pour
chercher du travail dans la méga-
lopole brésilienne. Après des pos-
tes de femme de ménage et de cui-
sinière, payés une misère, sa vie
prenait une autre allure grâce à
cette place de nourrice dans le
quartier huppé de Jardim Paulista.
Les vexations de ses « patrons »,
la fatigue liée à leurs festivités ou
les requêtes de dernière minute
liées à un départ inopiné à la plage
étaient compensées par un salaire
confortable de plus de 2 000 reais
(450 euros). Employée aux côtés
d’un chauffeur, d’une cuisinière et
d’une femme de ménage, Ana
Braga aimait son travail. Ses yeux
brillent encore quand elle raconte
sa virée en hélicoptère avec la fa-
mille. Elle n’est pourtant restée
que quelques mois dans ce cocon
douillet. « Mon fils, qui avait 5 ans
à l’époque, venait souvent me voir.
Il jouait avec les enfants des pa-
trons. J’ai eu peur qu’il s’habitue »,
explique-t-elle. « Les pauvres sont
les pauvres », dit-elle.
Comme la France de Zola
Bien des années plus tard, dans
sa baraque minuscule de Santo
André, Ana Braga, 50 ans aujour-
d’hui, confirme la fatalité de ce
Brésil aux inégalités révoltantes
et pérennes. Dans une pièce de
quelques mètres carrés où la lu-
mière du jour perce à peine, elle
décrit son quotidien : les coups de
feu, le trafic de drogue, les odeurs
d’égouts, d’urine et d’excréments
qui remontent de sa ruelle. « J’ai
tellement travaillé et pourtant rien
n’a changé. »
Pays où l’extrême richesse cô-
toie l’extrême pauvreté, le Brésil
avait laissé croire à un miracle
lors des « années Lula ». Sous la
présidence de l’ancien gamin
pauvre du Nordeste Luiz Inacio
Lula da Silva, de 2003 à 2010, des
dizaines de millions de Brésiliens
sont sortis de l’indigence, aidés
par une politique sociale consa-
crée aux plus défavorisés et une
croissance dopée par l’envolée
du prix des matières premières.
« Les enfants des rues ont dis-
paru. » A la place, d’autres caté-
gories sont apparues : des hom-
mes seuls, quinquagénaires, et,
de plus en plus, des travailleurs
pauvres et jeunes.
En moins d’un quart de siècle, la
Russie est passée du commu-
nisme planifié au libéralisme le
plus sauvage, avant de revenir à
un étatisme étroitement contrôlé
par le Kremlin. Aucun autre pays
n’a connu de telles ruptures en
si peu de temps. Il y a vingt-cinq
ans, sur cette place des « trois ga-
res », qui réunit celles de Kazan,
de Leningrad et de Iaroslav, des
dizaines d’hommes, de femmes
et d’enfants dormaient à même
le sol, sur des cartons. Des Russes
revenus ou chassés des ancien-
nes Républiques soviétiques,
des retraités dont les économies
avaient été réduites à néant en
quelques semaines, des gamins
livrés à eux-mêmes.
Au même endroit, aujourd’hui,
des bureaux rutilants jouxtent
ce qui apparaissait hier encore
Le Brésil, un pays où richesse et pauvreté extrême se côtoient très souvent . VIVIANE MOOS / CORBIS VIA GETTY IMAGES
Las, la crise de 2015 a rouvert les
vieilles plaies. Les inégalités se
creusent à nouveau et l’espoir a
fait place à l’amertume.
En septembre, Marc Morgan,
élève de l’économiste star Thomas
Piketty, a donné une réalité statis-
tique à ces écarts de revenus gi-
gantesques. Auteur d’une recher-
che fouillée sur le sujet, il affirme
que le 1 % des Brésiliens les plus
fortunés, soit environ 1,4 million
de personnes, perçoit plus de
287 000 reais par an, quand le
0,1 % de super-riches (140 000 per-
sonnes) touche 1,4 million de reais
et davantage. Soit plus de qua-
rante fois le revenu moyen estimé
pour l’ensemble de la population.
Les inégalités au Brésil seraient
ainsi comparables à celles de la
LA SITUATION EST BIEN
PIRE DANS LES RÉGIONS
QU’À MOSCOU,
VITRINE ULTRAMODERNE
D’UN PAYS OÙ L’EAU
COURANTE N’EST PAS
DISTRIBUÉE PARTOUT
comme une cour des miracles.
Derrière des voies ferrées, à l’abri
des regards, une tente, gérée par
des employés de la municipalité,
accueille tous les jours des dému-
nis. A charge pour les ONG d’orga-
niser la distribution d’une soupe
– à base de viande et de kacha
(bouillie de sarrasin) – et d’une
boisson chaude. Au cours des
neuf premiers mois de l’année,
116 992 repas ont été délivrés par
23 organisations, selon la mairie,
qui a recensé, sur la même pério-
de, 13 315 sans-abri dans la ville.
France du XIXe siècle. Celles des
Misérables de Victor Hugo.
« L’histoire récente du Brésil nous
conduit à penser qu’il y a eu un
choix politique pour l’inégalité »,
insistait le chercheur dans le quo-
tidien Folha de Sao Paulo publié le
24 septembre. L’un des piliers de la
permanence des écarts de revenus
est lié à une politique fiscale anti-
redistributrice où les plus pauvres
paient proportionnellement plus
d’impôts que les plus riches, lors-
que ces derniers les paient – la
fraude fiscale, pratique usuelle,
s’ajoute aux exemptions offertes
aux rentiers. Les dividendes versés
par les sociétés à leurs actionnaires
ne sont, par exemple, pas taxés.
La manie de la classe politique à
maintenir les privilèges dévolus à
C’est peu, rapporté aux 12 mil-
lions d’habitants de Moscou. Les
efforts entrepris depuis des an-
nées pour réduire la pauvreté et
la croissance du début des années
2000 ont porté leurs fruits. Mais
ce chiffre recouvre des disparités
importantes. « Près de 70 % des
sans-abri viennent des régions »,
relève Eva Bertrand, directrice du
SAMU social implanté en Russie
depuis 2003.
Chute rapide
Sortant de la tente des « trois ga-
res », Natalia se presse vers la sor-
tie. Dans la foule transie aux man-
teaux défraîchis, l’apparence bien
mise de cette jeune Sibérienne
de 34 ans, détonne. « Jusqu’à cet
été, je travaillais à l’organisation
d’événements pour des compa-
gnies pharmaceutiques », expli-
que-t-elle dans un pâle sourire. Li-
cenciée pour « faute, avec retenue
sur salaire », sa chute a été rapide.
Les dettes se sont accumulées.
Comme elle ne pouvait plus payer
l’hôtel où elle avait trouvé refuge,
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
LES NOIRS ET
LES MÉTIS
REPRÉSENTENT
66 % DES DOMESTIQUES
ET 67 %
DES VENDEURS
AMBULANTS
une élite fortunée donne au Brésil
des airs de société de castes. Celle
que décrivait déjà en 1933 le socio-
logue Gilberto Freyre dans Casa-
grande e senzala (Maîtres et es-
claves. La formation de la société
brésilienne, éd. Gallimard). « Après
le gérant lui a confisqué ses pa-
piers. Natalia dort aujourd’hui
dans la gare, sans ressources.
Non loin de là, Rouslan, 47 ans,
partage le même sort. Originaire
d’Oufa, au Bachkortostan, une ré-
gion située à 1 500 kilomètres de
Moscou, entre la Volga et les
monts de l’Oural, il a perdu son
emploi dans le bâtiment moins
d’une semaine auparavant. Com-
me beaucoup dans ce secteur, il
travaillait sans contrat et était
payé à la tâche. « Je pouvais gagner
jusqu’à 4 000-5 000 roubles par
jour [entre 60 et 70 euros], mais je
n’ai pas réussi à économiser. J’ai dé-
pensé ce que j’avais pour m’acheter
des vêtements », dit-il en se dandi-
nant d’un pied sur l’autre. « Là, je
cherche un travail et je vais trouver,
mais c’est de plus en plus difficile. »
Depuis 2014, du fait de la chute
des cours du pétrole et des sanc-
tions infligées à la Russie en réac-
tion au conflit ukrainien, la situa-
tion économique s’est de nou-
veau dégradée. Au premier se-
mestre 2017, selon les données de
0123
l’abolition de l’esclavage, en 1888,
on a fossilisé les inégalités de ri-
chesses, qui sont aussi des inégali-
tés de genre et de race », abondait,
dans un entretien au Monde,
en 2016, André Calixtre, directeur
d’études à l’Institut de recherche
économique appliquée, à Brasilia.
Au pays dit du « racisme cordial »,
être noir signifie souvent être
condamné à la misère. Les Noirs et
les métis, qui représentent plus de
la moitié de la population brési-
lienne, gagnent près de moitié
moins que les Blancs (1 531 reais en
moyenne contre 2 757), selon les
données de l’institut de recherche
national PNAD, et représentent
66 % des domestiques et 67 % des
vendeurs ambulants. p
claire gatinois
Rostat, l’organisme officiel de sta-
tistiques, 21,1 millions de Russes
avaient un revenu inférieur au mi-
nimum vital, évalué à 9 909 rou-
bles (146 euros), soit 14,4 % de la
population, contre 13 % en 2016.
La situation est bien pire dans les
régions qu’à Moscou, vitrine ultra-
moderne d’un pays où l’eau cou-
rante n’est pas distribuée partout.
« Ici, c’est mieux, assure Rouslan, il y
a plus de libertés et plus d’opportu-
nités. » « Aujourd’hui, les migrants
de Russie ou d’Asie centrale qui vi-
vent de petits boulots forment la
moitié des personnes en difficulté »,
note le docteur Boïnov.
Les inégalités se creusent plus
vite en Russie qu’ailleurs. Le ni-
veau de la richesse des ménages
est à peine supérieur à celui d’il y a
dix ans tandis que, d’après une
étude du Credit Suisse publiée fin
2016, 1 % de la population concen-
tre près de 75 % des richesses. Et
selon les économistes du WID, ces
derniers captent chaque année
20 % du revenu national. p
isabelle mandraud

0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
« Les plus riches font progresser
l’intérêt général »
Pour l’universitaire Gregory Mankiw, les revenus
les plus élevés se justifient économiquement
et contribuent au financement des biens communs
par gregory mankiw
E
n 2012, l’acteur Robert Downey Jr.
interpréta le rôle de Tony Stark,
alias Iron Man, dans Avengers.
Pour sa prestation, Downey a
reçu le cachet faramineux de 50 millions
de dollars (42,3 millions d’euros).
Une telle somme classe Downey parmi
les Américains les mieux payés. Dès que
vous dépassez les 400 000 dollars de reve-
nus annuels, vous entrez dans la fameuse
catégorie des 1 %. Et quand vous gagnez
plus de 10 millions de dollars par an, vous
faites partie des 1 % les plus aisés des 1 %.
C’est le cas de Downey. Pourtant, rares
sont ceux qui se disent scandalisés par ses
revenus. Pourquoi ?
L’une des raisons semble être qu’ils com-
prennent comment il a gagné cet argent.
Les recettes mondiales d’Avengers ont dé-
passé 1,5 milliard de dollars. Environ 3 %
sont allés dans la poche de Downey. En
d’autres termes, chaque fois qu’un specta-
teur achetait un ticket de cinéma à 8 dol-
lars, environ 25 cents revenaient à l’acteur.
Si vous avez vu Avengers, vous serez sans
doute tenté de dire que Downey y est ex-
cellent, et vous serez heureux de lui avoir
versé un quart de dollar. Mais les acteurs et
les sportifs ne forment pas la totalité des
rangs des riches. La plupart de ceux qui ga-
gnent énormément d’argent amassent
leur fortune d’une façon beaucoup moins
transparente aux yeux de l’opinion.
Prenons l’exemple des grands patrons.
Les chefs de grandes entreprises sont, sans
aucun doute, extrêmement bien payés
et, au fil des années, leur rémunération
a énormément augmenté relativement à
« Les monopoles nuisent à la croissance »
L’économiste Emmanuel Fahri rappelle que
les inégalités de revenus aux Etats-Unis découlent
surtout de la concentration de secteurs de l’économie
par emmanuel farhi
S
elon l’économiste britannique
David Ricardo, la rente se défi-
nit comme un revenu excessif
tiré d’une ressource économique
par rapport aux coûts nécessaires à la
production de cette ressource. Ricardo
prend l’exemple de la terre, une ressour-
ce donnée gratuitement par la nature,
mais dont le revenu de sa simple pro-
priété n’est pas nul : c’est ce que l’on
appelle la rente foncière. De même, on
parle d’une rente de monopole ou d’une
rente de situation.
Or, les Etats-Unis ont connu au cours des
vingt dernières années une augmenta-
tion de la concentration dans la majorité
des industries. L’exemple le plus frappant
est celui des technologies de l’informa-
tion, avec l’émergence de géants planétai-
res (Google, Apple, Facebook, Amazon,
Microsoft). Mais le phénomène est géné-
ral. Dans la grande distribution, la part
des 50 plus grosses entreprises a aug-
menté de 10 % ; dans la finance, celle des
10 plus grandes banques de prêts aux par-
ticuliers et aux entreprises a augmenté
de 30 % à 50 %, etc.
L’hypothèse optimiste serait d’y voir la
manifestation d’une compétition accrue
et d’une augmentation des rendements
d’échelle. L’hypothèse pessimiste serait
d’y voir un accroissement des barrières à
l’entrée de certains marchés, du pouvoir
de monopoles et des rentes qui en décou-
lent. C’est malheureusement la seconde
hypothèse qui semble être la bonne.
celle du travailleur moyen. En 2012, la ré-
munération médiane des patrons des en-
treprises de l’indice Standard & Poor’s 500
frisait les dix millions de dollars. Les
méritaient-ils ?
L’explication la plus naturelle de ces
rémunérations importantes est que la
valeur d’un bon dirigeant d’entreprise est
extraordinairement élevée.
Cela n’est pas surprenant. Un chef de
grande entreprise gère des milliards de
dollars appartenant aux actionnaires et
dirige un personnel de plusieurs milliers
d’employés. Savoir prendre les bonnes
décisions acquiert donc une énorme va-
leur. Il suffit de penser au rôle de Steve
Jobs dans l’émergence d’Apple et de ses
produits novateurs.
S’enrichir aux dépens d’autrui
La même chose se constate dans l’indus-
trie de la finance, où les compensations fi-
nancières importantes sont fréquentes. Il
ne fait aucun doute que ce secteur joue un
rôle économique essentiel. Ceux qui tra-
vaillent dans les banques, les sociétés de
capital-risque et les autres établissements
financiers ont la responsabilité d’allouer
les ressources en investissement de l’éco-
nomie. Ils décident, de façon décentrali-
sée et concurrentielle, quelles entreprises
et industries vont décliner, et lesquelles
vont croître. Il paraît logique qu’un pays
confie cette tâche à ses éléments les plus
talentueux, et donc les mieux rémunérés.
Bien entendu, certains trouvent les
moyens de s’enrichir aux dépens d’autrui.
Le célèbre exemple de Bernard Madoff
vient aussitôt à l’esprit. La solution, en
l’occurrence, ne consiste pas à se focaliser
sur la question de la redistribution des
Tout d’abord, la part du travail dans la
valeur ajoutée est passée en vingt ans
de 65 % à 58 %, au profit du capital. L’ac-
croissement de la rente foncière (le
secteur immobilier est très intensif en
capital) n’explique qu’une partie du phé-
nomène. De nombreux indices laissent
penser que le reste s’explique par une
augmentation du pouvoir de marché
des entreprises et des rentes de mono-
poles associées, ces effets se concentrant
sur les entreprises « superstar » qui as-
socient taux de profits élevés, forte in-
tensité capitalistique et rendements
d’échelles importants.
Processus schumpétérien
Par ailleurs, le taux moyen de rendement
sur le capital est resté stable, autour de
8 %, alors que les taux d’intérêt réels sont
passés de 5 % à – 2 %. L’excès de rende-
ment du capital par rapport au taux d’in-
térêt ajusté du risque reflète l’augmen-
tation des profits de monopoles. La fai-
blesse chronique de l’investissement de-
puis le début de la reprise malgré des
taux de rendement élevés du capital s’ex-
plique en partie par une incitation à pré-
server ces rentes en limitant le rythme
d’expansion des capacités productives.
Un phénomène confirmé par la disper-
sion des taux de rendement du capital
entre entreprises : le ratio du rendement
du premier décile par rapport au médian
est passé de 2 à 5, ce qui suggère une aug-
mentation des rentes des entreprises les
plus profitables.
De même, l’accroissement des inéga-
lités de salaires entre entreprises ne
« Favoriser les travailleurs
et les consommateurs »
Les inégalités sont dues à la capture des rentes par les
plus riches, estime le Nobel d’économie Angus Deaton
revenus, mais sur la mise au point
d’une meilleure réglementation et
d’un meilleur contrôle.
Un système fiscal fiable est égale-
ment important pour faire en sorte
que les plus aisés contribuent équi-
L
tablement à la richesse publique.
C’est généralement le cas. Le sys-
tème fiscal américain est loin d’être
parfait et a sans doute grand besoin
d’être réformé, mais les cas de gens
aisés cherchant à échapper à l’impôt
ne sont pas du tout la norme.
Le think tank Tax Policy Center
estime qu’en 2013, les 10 % supé-
rieurs du 1 % les plus riches, c’est-à-
dire les gens qui gagnent plus de
2,7 millions de dollars par an, ont
versé 33,8 % de leurs revenus en im-
pôts fédéraux. En revanche les
membres de la classe moyenne, à
savoir les 20 % intermédiaires sur
l’échelle de distribution des reve-
nus, n’en ont payé que 12,4 %.
Les 1 % les plus riches ne sont pas
motivés par un désir altruiste de
faire progresser l’intérêt général. Et
pourtant, dans la plupart des cas,
c’est précisément ce qu’ils font. p
(Traduit par Gilles Berton)
Ce texte est traduit et adapté
d’un article publié par le « New York
Times » le 15 février 2014
© 2017 New York Times News Service
¶ bénéficiant de rentes ou monopoles
Gregory Mankiw est
professeur à Harvard
s’explique pas par des caractéristi-
ques différentes de leurs salariés,
mais par le partage des rentes
des entreprises les plus profitables
entre actionnaires et salariés.
Au final, le dynamisme économi-
que a pâti de cet essor de la rente. Le
processus schumpétérien de créa-
tion destructrice a ralenti : la part
des emplois dans les entreprises de
moins de 5 ans a décliné de 20 % à
10 %, et le taux d’entrée de nouvelles
entreprises a décliné de 14 % à 8 %.
Le taux de création de nouveaux
emplois a décliné de 20 % à 14 %, ce-
lui des destructions d’emploi de 16 %
à 12 % ; la mobilité professionnelle et
géographique a diminué.
Il est tentant de conclure qu’il
faut agir pour dissiper ces rentes :
par la taxe foncière pour contrer
la rente foncière, par l’impôt
pour compenser les inégalités,
par une politique de concurrence
pour contrer les profits de mono-
poles, etc. Mais il ne faut pas aller
trop vite en besogne car la grande
question, à laquelle personne n’a
pour l’instant apporté de réponse
décisive, est de savoir si ces ren-
tes sont réellement des rentes pu-
res, ou si elles sont la compensa-
tion imparfaite mais nécessaire
d’investissements passés. p
¶ Unis, où il n’a pas bougé depuis
Emmanuel Farhi est
professeur à l’université
Harvard (Etats-Unis)
économie & entreprise | 3
par angus deaton
es inégalités freinent-elles la
croissance, ou au contraire la
stimulent-elles ? Dans quelle
mesure affaiblissent-elles la
démocratie ? Est-ce qu’elles tuent en
poussant au suicide ou au désespoir ?
Ou bien sont-elles, dans une certaine
mesure, un mal nécessaire ?
Ces questions sont sans réponse, car
mal posées et pas véritablement per-
tinentes. Les inégalités sont la consé-
quence, plutôt que la cause, de proces-
sus économiques, politiques et sociaux.
Or, certains de ces processus sont sou-
haitables, d’autres non. C’est seulement
en en faisant le tri que nous pourrons
faire face au problème.
Il est difficile de reprocher aux in-
novateurs de s’enrichir en créant des
produits ou des services qui bénéfi-
cient à l’humanité. Certaines des plus
grandes inégalités d’aujourd’hui sont la
conséquence de progrès gigantesques
en matière de santé et des révolutions
industrielles qui ont débuté vers 1750.
A l’origine, ces progrès n’ont bénéficié
qu’à quelques pays d’Europe occiden-
tale mais, peu à peu, ils ont permis
d’améliorer les conditions de vie et la
santé de milliards de personnes sur la
planète. Les inégalités dues à ces pro-
grès (à l’intérieur d’un pays ou entre les
pays) sont bénéfiques et légitimes, elles
constituent une caractéristique essen-
tielle du progrès en général. A l’opposé,
s’enrichir en soudoyant l’Etat ou en
est manifestement inéquitable.
Les revenus les plus élevés s’envolent
Il existe deux explications du fossé qui
se creuse entre le revenu médian, qui
stagne, et les revenus les plus élevés, qui
s’envolent. La première est que ce fossé
est dû à des facteurs sur lesquels nous
n’avons pas prise, comme la mondialisa-
tion et l’innovation technique – l’une et
l’autre conduisant à une diminution de
la valeur du travail non qualifié au profit
des emplois hautement qualifiés.
La deuxième est plus inquiétante : la
stagnation du salaire médian serait la
conséquence directe de l’augmenta-
tion des revenus et du patrimoine des
plus riches. Autrement dit, les plus
fortunés s’enrichissent aux dépens de
tous les autres.
Or, des études récentes montrent que
cette deuxième explication est la plus
plausible. La mondialisation et le pro-
grès technique modifient la manière de
travailler, mais ils pourraient bénéfi-
cier à tous. Comme ce n’est pas le cas,
on peut supposer que les plus riches en
canalisent le bénéfice à leur seul profit.
Il faudra encore un travail approfondi
pour déterminer quels processus frei-
nent la hausse des salaires des classes
moyenne et laborieuse ; mais il est pos-
sible d’en dresser une première liste :
– Le coût des soins médicaux a des
conséquences désastreuses sur les salai-
res. Comme, dans la plupart des cas,
c’est l’employeur qui finance l’assuran-
ce-maladie de ses employés, le salaire
des travailleurs sert à payer les revenus
et les profits élevés du secteur médical.
– Un autre facteur est la concentra-
tion croissante du marché dans de
nombreux secteurs. Cela nuit à la
croissance de la productivité, car il est
plus facile de réaliser des bénéfices en
profitant de rentes de situation ou de
positions de monopole, plutôt que par
l’innovation et l’investissement.
– Le blocage du salaire minimum ag-
grave les inégalités (il est de 7,25 dollars/
heure, soit 6,14 euros/heure, aux Etats-
juillet 2009).
– Pire encore, les clauses de non-con-
currence et les limitations apportées à la
syndicalisation empêchent les salariés
de changer facilement d’employeur et
limitent leur marge de négociation et,
en conséquence, leur salaire. Aux Etats-
Unis, plus de 20 % des salariés sont liés
par de telles clauses, et 28 Etats ont
adopté des lois interdisant l’affiliation
ou la cotisation obligatoire à un syndicat.
– L’externalisation de nombreuses tâ-
ches, à l’étranger ou sur place, permet
aux entreprises de remplacer des sala-
riés à temps plein par des travailleurs in-
dépendants. Les serveurs de restaurants,
les concierges, les techniciens de main-
tenance, les chauffeurs travaillent main-
tenant pour des entités très concurren-
tielles où les salaires, les avantages en
nature et les possibilités de carrière sont
faibles, voire inexistants.
– Le crédit d’impôt en faveur des
foyers à faibles revenus a, certes, permis
d’améliorer le niveau de vie de beau-
coup de travailleurs mal payés. Mais
n’étant accordé qu’aux personnes qui
ont un emploi, il exerce une pression à
la baisse sur les salaires, contrairement
à d’autres dispositifs sans condition
d’emploi, tel le revenu de base garanti.
– Les travailleurs immigrés non quali-
fiés pèsent aussi sur les salaires, mais la
question est controversée. On dit sou-
vent que les immigrés prennent les em-
plois dont les nationaux ne veulent pas.
Mais il est difficile de croire que le salaire
des travailleurs peu qualifiés serait resté
aussi faible sans l’afflux de travailleurs
immigrés non qualifiés.
– Autre facteur structurel : la Bourse
ne récompense pas seulement l’inno-
vation, mais également la redistribu-
tion des bénéfices du travail vers le ca-
pital. On le voit dans le rapport bénéfi-
ces/produit intérieur brut (PIB) qui a
fait un bond de 20 % à 25 % aux Etats-
Unis, tandis que le salaire médian sta-
gnait. Cette augmentation serait encore
plus forte si l’on y intégrait le salaire des
cadres dirigeants.
– Il faut aussi prendre en compte les
facteurs politiques. Toutes les dérégle-
mentations envisagées par le président
américain, Donald Trump, sont au bé-
néfice du capital et au détriment des
travailleurs et des consommateurs. On
peut en dire autant des décisions de la
Cour suprême américaine depuis quel-
ques années. Ainsi sa décision dans l’af-
faire Citizens United v. Federal Electoral
Commission autorise les riches Améri-
cains et même les entreprises à finan-
cer sans limite la campagne des candi-
dats qu’ils soutiennent, facilitant ainsi
l’adoption de lois et réglementations
en leur faveur.
Si ces explications de l’écart croissant
entre salaire médian et revenus élevés
sont correctes, il existe alors une lueur
d’espoir, car les dysfonctionnements
du marché du travail ne sont pas la
conséquence de processus inévitables,
comme la mondialisation et le progrès
technique.
Pour que les bénéfices du progrès
soient largement partagés, il faut une
politique en faveur des consomma-
teurs et des travailleurs. Cela ne passe
pas nécessairement par une fiscalité
redistributive, mais suppose de décou-
rager la recherche de rentes de situa-
tion et de redonner toute sa place à la
concurrence au service des classes
moyenne et laborieuse. p
(Traduit par Patrice Horovitz)
© Project Syndicate 2017,
Project-syndicate.org
¶
Angus Deaton, Prix Nobel d’économie
2015, est professeur à l’université de
Californie du Sud et à la faculté Woodrow
Wilson d’affaires publiques et internationa-
les de l’université de Princeton
4 | économie & entreprise
Alerte sur les grandes
entreprises
« accros »à la dette
Les autorités françaises limitent l’exposition
des banques aux groupes les plus endettés
suite de la première page
Les banques disposent déjà de gar-
de-fous, mais beaucoup moins
contraignants. Le code monétaire
et financier limite l’exposition des
banques sur une entreprise à 25 %
de leurs fonds propres. Dans les
faits, les institutions font preuve
de davantage de prudence, s’im-
posant à elles-mêmes de ne pas
miser plus de 10 % de leurs fonds
propres sur une seule contrepar-
tie. A l’avenir, la vigilance sera
donc deux fois plus forte, du
moins pour les banques « systémi-
ques », c’est-à-dire celles dont la
taille représente un risque pour
l’économie en cas de faillite.
Ces mesures ne devraient toute-
fois pas être adoptées avant la fin
du premier semestre 2018, à l’is-
sue d’un processus de consulta-
tion auprès des principales autori-
tés européennes concernées.
Eviter l’euphorie
Que redoutent exactement les
pouvoirs publics ? Le Haut Conseil
se déclare « particulièrement vigi-
lant sur la soutenabilité de [la] tra-
jectoire des dettes » des entreprises
et sur « la sensibilité de leur santé fi-
nancière à une remontée des
taux ». Autrement dit, l’économie
repart, l’endettement des sociétés
croît rapidement, mais il faut « évi-
ter l’euphorie et les prises de risques,
alors que l’atmosphère est propice
à l’exubérance, indique-t-on à
Bercy. Ce signal est préventif, il ne
veut pas dire que les banques fran-
çaises sont très exposées ni qu’il y a
un risque particulier de crédit à
brève échéance ».
Mais cela pourrait changer. Les
entreprises françaises sont enga-
gées à fond dans la course mon-
diale à la consolidation. A la fin no-
vembre, le marché français des fu-
sions-acquisitions affichait une
hausse de près de 40 % par rapport
à la même période en 2016. Or,
malgré les valorisations élevées,
les dirigeants se montrent
d’autant plus allants à casser leur
tirelire que les financements res-
tent abondants et bon marché.
Lundi 11 décembre, le spécialiste
des services informatiques Atos a
révélé qu’il avait sécurisé un finan-
6,8
C’est, en milliards d’euros, le prix de vente de la division margarines
du géant anglo-néerlandais de l’agroalimentaire et des cosmétiques
Unilever. Le fonds d’investissement KKR a emporté la mise. La
transaction a été officialisée le 15 décembre. Après avoir repoussé
les avances de son rival américain Kraft Heinz, en avril, Unilever avait
annoncé son intention de se délester de cette activité qui possède
les marques Flora, Rama et Blue Band… mais souffre du regain d’intérêt
pour le beurre et voit ses ventes s’éroder.
AU TOMOBI LE
Brésil : VW avoue avoir
collaboré avec la junte
Volkswagen, a reconnu, jeudi
14 décembre, avoir collaboré
avec la dictature brésilienne
(1964 à 1985), livrant au ré-
gime militaire ses propres
salariés. Ce mea culpa est lié
aux conclusions d’un rapport
réalisé par l’historien Christo-
pher Kopper à demande du
groupe automobile lui-même
AI R BUS
Paris et Berlin prendront
« les meilleurs »
pour la direction
La France et l’Allemagne
choisiront « les meilleurs »
pour diriger Airbus après
l’annonce de changements à
la tête du groupe aéronauti-
que dont ces deux pays sont
Prudence sur
les marchés actions
Le Haut Conseil de stabilité finan-
cière (HCSF) met en garde contre
l’envolée des marchés actions.
L’indice MSCI ACWI, qui regroupe
47 marchés développés et émer-
gents, a bondi de 19,7 % en 2017.
Sa plus forte performance an-
nuelle depuis 2013. La progres-
sion quasi linéaire des indices,
cette année, est allée de pair avec
une volatilité à ses plus bas ni-
veaux depuis vingt-cinq ans. Le
HCSF « encourage les investisseurs
à la prudence dans un environne-
ment de marché caractérisé par
une très faible volatilité, une liqui-
dité abondante et une compres-
sion des primes de risque, rendant
les marchés sensibles à un ajuste-
ment brutal des prix ».
cement à un taux très réduit pour
acquérir Gemalto, au prix proposé
de 4,3 milliards d’euros. Quelques
heures plus tard, le gestionnaire de
centres commerciaux Unibail an-
nonçait le rachat pour 21 milliards
d’euros de son concurrent austra-
lien Westfield, une opération
payée en partie en numéraire.
« Les banques ne craignent pas
d’engager leur bilan pour des som-
mes élevées car elles ont confiance
dans leur capacité à se refinancer
sur les marchés », témoigne un
banquier d’affaires.
En restreignant l’appétit des ban-
ques françaises, le Haut Conseil
veut éviter que cette effervescence
ne tourne à l’euphorie. Sachant,
toutefois, que si BNP Paribas ou
Société générale se retrouvent frei-
nées sur une opération, les em-
prunteurs pourront toujours se re-
tourner auprès des HSBC, JPMor-
gan et autres Bank of America
Merrill Lynch. Les régulateurs, en
revanche, ont déjà pris des mesu-
res de part et d’autre de l’Atlanti-
que pour imposer aux banques
de restreindre les prêts consentis
dans le cadre d’opérations de LBO
(Leveraged Buy-Out) ou rachats
par effet de levier, menés par les
fonds d’investissement. p
véronique chocron
et isabelle chaperon
actionnaires, a déclaré ven-
dredi 15 décembre Emmanuel
Macron, qui s’exprimait aux
côtés d’Angela Merkel à
Bruxelles. « J’attends du board
les clarifications nécessaires
et indispensables et les évolu-
tions sur le plan à la fois du
management comme des rè-
gles de fonctionnement dans
les prochaines semaines », a-
t-il ajouté. – (Reuters.)
AÉR I EN
Ryanair reconnaît
les syndicats de pilotes
Ryanair a annoncé, vendredi
15 décembre, son intention de
reconnaître les syndicats de
pilotes, une première dans
l’histoire de la compagnie aé-
rienne à bas coûts. Cette déci-
sion a été prise pour éviter
une grève en Italie. – (Reuters.)
Tensions autour de la loi sur
les négociations commerciales
Les industriels doutent du respect des engagements par les distributeurs
L LES CHIFFRES
e gouvernement met la
touche ultime à la loi cen-
sée mieux rééquilibrer
les relations commercia-
les entre agriculteurs, industriels
et distributeurs. Un texte très at-
tendu par les agriculteurs fran-
çais, dont les revenus ont souffert
de la guerre des prix. Dans la der-
nière ligne droite, il fait encore
l’objet de vives tractations.
Ce projet de loi a été promis par
Emmanuel Macron lors d’un
discours prononcé à Rungis (Val-
de-Marne) le 11 octobre, à mi-par-
cours des Etats généraux de
l’alimentation. Le président en a
lui-même fixé le calendrier, affir-
mant que la loi devait être pré-
sentée au Parlement et adoptée
au premier semestre 2018. Elle
pourra même prendre la forme
d’ordonnances pour aller plus
vite, s’est-il engagé.
La vente à perte fait débat
Le texte fait aujourd’hui la na-
vette entre Bercy et le ministère
de l’agriculture. Les différents ac-
teurs sont consultés sous le sceau
de la confidentialité. Un sujet fait
particulièrement débat : le seuil
de revente à perte, c’est-à-dire le
prix en dessous duquel un distri-
buteur a l’interdiction de com-
mercialiser un produit. Actuelle-
ment, il est établi à partir du prix
de revient majoré de son coût de
transport. L’idée serait d’intégrer
les coûts du distributeur. Michel-
Edouard Leclerc s’était déclaré
très opposé à cette mesure de re-
lèvement du seuil de revente à
perte, dénoncée également par
l’association de consommateurs
UFC-Que choisir. Tous deux esti-
maient qu’elle se traduirait par
une hausse des prix en France.
Bercy bataille pour que le taux
de revalorisation soit a minima
et que le périmètre soit restreint
à l’alimentaire et ne concerne
H&M désemparé face à des clients
préférant les achats en ligne
Les ventes du numéro deux mondial du prêt-à-porter ont baissé, son titre a chuté en bourse
malmö (suède) -
correspondante régionale
C omme chaque année à
l’approche de Noël, les té-
lés suédoises passent en
boucle les publicités pleines de
paillettes et de glamour de l’ensei-
gne, qui fête cette année son
70e anniversaire. Mais l’ambiance
était loin d’être la fête, vendredi
15 décembre dans la matinée,
quand H&M a annoncé, contre
toute attente, une baisse de ses
ventes sur le dernier trimestre,
entraînant dans son sillage une
chute de son action, qui a perdu
15 % de sa valeur en quelques heu-
res à peine à la Bourse de Stoc-
kholm. Le titre est alors tombé à
son plus bas niveau depuis
avril 2009 et l’arrivée de Karl-Jo-
han Persson à la tête du groupe.
Depuis le début de l’année, les
ventes de la marque montraient
des signes d’essoufflement, mais
les analystes continuaient de ta-
bler sur 2 % de progression au qua-
trième trimestre. D’où la surprise,
quand H&M a annoncé une baisse
de 4 %, à 50,4 milliards de couron-
nes (5,07 milliards d’euros). Un bi-
lan que Karl-Johan Persson expli-
que par les mauvais résultats des
« boutiques physiques » de la mar-
que, « qui subissent les contre-
coups d’un marché toujours diffi-
cile, avec une affluence des clients
pas la droguerie. Bercy n’est pas
convaincu par l’argument des in-
dustriels et de certains distribu-
teurs qui consiste à dire que la
hausse des prix de quelques mil-
liers de produits sur 22 000 réfé-
rences sera lissée et équilibrée
par le reste du panier de la
ménagère. Bercy pense que cela
va faire monter les prix – repre-
nant l’argument de Leclerc –,
avec le risque d’alimenter encore
l’idée d’un gouvernement des ri-
ches. Pour l’instant, le taux est
entre crochets, mais serait plutôt
proche de 10 %.
La loi va aussi définir la limita-
tion des promotions. Instaurer la
clause de renégociation des prix
lorsqu’il y a une forte variation
du prix de la matière première.
Trancher sur la question des prix
abusivement bas. Et mettre en
place la contractualisation en in-
versant la formation du prix à
partir du coût de production agri-
cole. D’autres sujets sont en dis-
cussion et pourront être intégrés
dans la loi ou faire l’objet d’ordon-
nance. Comme la question de la
transparence au sein des coopé-
ratives agricoles et la sortie des
agriculteurs des coopératives. Ou
la séparation du conseil et de la
vente des produits phytosanitai-
res. Une mesure destinée à don-
ner plus d’indépendance aux
agriculteurs face aux fabricants
La concurrence
entre enseignes
pousse
certains
distributeurs
à rejeter
en bloc les
hausses de tarifs
Cours de l’action H&M
EN COURONNES SUÉDOISES
365,4
209,9
19 DÉCEMBRE 2011
réduite, en raison des change-
ments subis par l’industrie ».
Depuis plusieurs mois déjà, les
analystes s’interrogeaient sur les
capacités du Suédois à gérer le vi-
rage de la numérisation, avec un
marché du prêt-à-porter qui se re-
dessine. « H&M a longtemps voulu
croire à la loyauté de ses clients,
explique Jonas Olavi, analyste
auprès de la société Adolf Berg. Le
problème, c’est que, sur Internet, le
site du groupe est en concurrence
avec des plates-formes comme Za-
lando, où vous avez, au bout de vos
dix doigts, les offres du monde en-
tier, que vous pouvez comparer. »
Afin de faire face à la concur-
rence, H&M a annoncé, vendredi,
avoir passé un accord avec le
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
de pesticides. M. Macron a égale-
ment fixé deux engagements :
faire que tous les œufs vendus
aux consommateurs soient issus
d’élevages en plein air d’ici 2022
et atteindre à cette même date
50 % de produits bio ou locaux
dans la restauration collective.
Mais le texte de loi ne sera donc
pas appliqué pour les négocia-
tions commerciales entre indus-
triels et distributeurs qui ont dé-
buté en novembre et s’achève-
ront fin février 2018. Dans l’inter-
valle, tous les acteurs ont été
incités à signer une charte d’enga-
gement mi-novembre.
Le régime de la charte était
d’amener les acteurs à un
meilleur esprit, mais les chartes
n’ont pas valeur de réglementa-
tion. Dans les faits, les négocia-
tions commerciales ont l’air un
peu compliquées, raides, n’appli-
quent pas vraiment l’esprit qui
avait prévalu pendant les ateliers
des Etats généraux.
Donnant-donnant
Chez certains distributeurs, les
hausses de tarifs sont rejetées en
bloc. Selon l’Ilec, qui regroupe les
groupes de grande consomma-
tion, 80 % des adhérents ont
même subi des demandes de
baisse de tarifs de 3,4 %, voire 5 %.
Guère surprenant, vu la concur-
rence entre les enseignes et les
pertes de part de marché de cer-
tains acteurs dernièrement. Car
même si certains sont sensibles à
la qualité et à la proximité, c’est
encore le prix qui fait la diffé-
rence entre les enseignes. Et qui
gagne des parts de marché en
France de façon répétée ? C’est
encore Leclerc et Lidl. Leclerc et
Carrefour seraient tout particu-
lièrement à l’offensive en ce dé-
but de négociations. COOP de
France, qui regroupe les coopéra-
tives agricoles, s’inquiète aussi
174,3
15 DÉCEMBRE 2017
SOURCE : BLOOMBERG
géant chinois du commerce élec-
tronique Alibaba, afin de mettre
en vente ses produits sur sa plate-
forme Tmall, à partir du prin-
temps 2018. L’enseigne dispose
déjà de plus de 500 boutiques en
Chine, où les ventes du groupe
ont atteint cette année 11 mil-
liards de couronnes.
« Catastrophe pour les Suédois »
Karl-Johan Persson a également
précisé que « le processus de trans-
formation en cours de la compa-
gnie allait être accéléré », ce qui in-
clue « une intégration continue des
magasins physiques et numériques
et l’optimisation intensifiée du
portfolio des boutiques de la mar-
que ». Cela va donner lieu à la fer-
0123
60 %
C’est la part des exploitations
agricoles françaises dont
les revenus auraient été
négatifs sans les aides PAC
en 2016. Avec les aides,
ce chiffre est encore de 25 %.
18 300
C’est, en euros, le revenu moyen
agricole des exploitants français
en 2016, en chute de 29 %.
Les prévisions tablent sur un
rebond du revenu agricole
moyen de près de 22 % en 2017.
de la façon dont elles commen-
cent et son délégué général, Pas-
cal Viné, dénonce « la situation
plus intrusive de la distribution
qui se place en arbitre de la répar-
tition de la valeur dans la chaîne
agroalimentaire ».
M. Macron avait conditionné
la décision du gouvernement de
légiférer à une restructuration
des filières agroalimentaires. Un
donnant-donnant. Avec, en pri-
me, la volonté de cofinancer un
plan d’investissement agricole
de 5 milliards d’euros. Les filiè-
res avaient jusqu’au vendredi
15 décembre pour rendre leur co-
pie. Elles se sont exécutées. La fi-
lière laitière estime, pour elle
seule, ses besoins à 1,3 milliard
d’euros. Tous ces sujets seront au
cœur des débats de la réunion
organisée à Bercy le 21 décembre
pour clôturer les Etats généraux
de l’alimentation et en tirer un
premier bilan. p
laurence girard
et cécile prudhomme
meture de magasins existants et
au ralentissement des ouvertures.
En Suède, les résultats du groupe
ont été accueillis avec effroi. « C’est
une journée noire pour les proprié-
taires de H&M », constatait, ven-
dredi, Anders Hägerstand, journa-
liste au quotidien économique Da-
gens Industri, estimant qu’il s’agis-
sait d’une « catastrophe pour les
Suédois ». Le journal Svenska Dag-
bladet évoque, lui, un cadeau de
Noël en forme de « gifle ».
Une question dominait le débat
le 15 décembre : fallait-il vendre ou
garder ses actions ? Les experts
sont partagés. « En quelques heu-
res, constate Dagens Industri,
50 milliards de couronnes sont par-
ties en fumée », soit, calcule le quo-
tidien, l’équivalent du budget sué-
dois annuel de la défense.
Autre interrogation : l’avenir du
PDG Karl-Johan Persson, petit-fils
du fondateur de la marque, Erling
Persson, à la tête du groupe. Un
faux débat, pour l’analyste Jonas
Olavi, qui estime que la marque a
plus besoin d’une stratégie claire
que d’un nouveau PDG. D’autant,
rappelle-t-il, que l’enseigne affiche
des ventes en hausse de 4 % sur
l’ensemble de l’année. « On est
donc encore loin de la crise finan-
cière », dit-il, rappelant qu’un ajus-
tement du modèle économique
« prend du temps ». p
anne-françoise hivert
 économie & entreprise | 5
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

Le retrait financier américain coûte cher à l’Afrique

Les initiatives du Partenariat de Ouagadougou sur le planning familial et la contraception sont fragilisées

A
peine installé dans le
bureau ovale, le prési-
dent américain Do-
nald Trump a rétabli la
« Global Gag Rule », cette « règle
du bâillon » qui interdit le finan-
cement par les Etats-Unis des or-
ganisations internationales pro-
posant des services d’avortement
ou délivrant des informations à
ce sujet. La loi prévoit déjà que
l’argent des contribuables améri-
cains ne peut être utilisé pour fi-
nancer ce type d’activité, la Gag
Rule interdit en outre aux organi-
sations non gouvernementales
(ONG) de les financer avec des
fonds étrangers. Si elles refusent,
elles doivent faire une croix sur
l’argent de l’Oncle Sam.
Instaurée par le Républicain Ro-
nald Reagan en 1984, cette règle a
été, depuis, enterrée et ressuscitée
au gré de l’alternance entre Démo-
crates et Républicains. Trump en a
étendu la portée : jusque-là, elle
conditionnait l’accès aux fonds
américains consacrés au planning
familial, soit 575 millions de dol-
lars (490 millions d’euros). Désor-
mais, elle conditionne l’accès à la
totalité de l’enveloppe destinée à
la santé, soit 9,4 milliards de
dollars. Elle menace de nom-
breux programmes et initiatives,
comme le Partenariat de Ouaga-
dougou, qui a tenu sa réunion an-
nuelle du 12 au 14 décembre à Co-
nakry, en Guinée.
« She decides »
Lancé en 2011 avec comme objec-
tif d’accroître l’accès à la contra-
ception dans l’Afrique franco-
phone, le Partenariat fédère neuf
pays (Bénin, Burkina Faso, Côte
d’Ivoire, Guinée, Mali, Maurita-
nie, Niger, Sénégal et Togo) et de
grands bailleurs de fonds. USAID,
l’agence américaine pour le déve-
loppement, est de loin le premier
d’entre eux, avec plus de 46 mil-
lions de dollars dépensés en 2016
dans ces pays pour des program-
mes de planning familial. Cela re-
présente près de 50 % des som-
mes investies dans la région sur
ce sujet ; « Nous anticipons la perte
de certains financements et discu-
Les Etats-Unis
privent de tout
financement
les organisations
qui délivrent
des informations
sur l’avortement
tons avec d’autres bailleurs poten-
tiels », reconnaît la Sénégalaise Fa-
timata Sy, 65 ans, qui coordonne
le Partenariat de Ouagadougou.
et a déjà convaincu le Canada et
les Pays-Bas de le rallier.
Le 8 mars, le premier ministre
canadien, Justin Trudeau, a dé-
bloqué une enveloppe de
650 millions de dollars cana-
diens (430 millions d’euros) pour
compenser en partie les effets de
la Gag Rule au cours des trois pro-
chaines années. Peu avant, plu-
sieurs Etats européens avaient
lancé l’initiative « She decides »
(« elle décide ») et promis d’aug-
menter leurs dépenses de
181 millions.
Dans les pays du Partenariat de
Ouagadougou, qui rassemblent
110 millions d’habitants, Paris a A Pikine (Sénégal), en mars 2016, dans une clinique qui informe sur la contraception et le planning familial. JANE HAHN POUR « LE MONDE »
consacré 12 millions de dollars au
financement du planning fami-
lial en 2016. Dans son discours du grossesses indésirées et de préve- lence de 60 % de la contraception, santé des femmes, avec un argu-
29 novembre au Burkina Faso, le nir 295 000 avortements clandes- on estime qu’il faudrait doubler les
« Les jeunes mentaire qui s’appuie sur les textes
président Emmanuel Macron a tins. « Les organisations interna- financements », indique Didier non éduqués religieux », précise-t-elle.
indiqué qu’il s’agissait d’une tionales font face à un dilemme : Mbayi Kangudie, médecin et con- Cette évolution des mentalités
priorité. « Je veux partout en Afri- soit elles cherchent de l’argent seiller du bureau régional
sont une bombe conditionne aussi les investisse-
que qu’une jeune fille puisse avoir ailleurs, soit elles cessent de parler d’USAID au Ghana. Il y a urgence : pour l’Afrique » ments réalisés par les pays eux-
le choix de ne pas être mariée à d’avortement », commente Rima selon les derniers chiffres de l’Ins- mêmes pour l’achat et la promo-
FATIMATA SY
13 ans ou à 14 ans et de pouvoir Jolivet, spécialiste de la santé ma- titut national d’études démogra- tion des contraceptifs. « Ce n’est
coordinatrice du Partenariat
commencer à faire des enfants », ternelle à Harvard. « Les complica- phiques (INED), la population pas facile, car il y a d’autres priori-
de Ouagadougou
a-t-il martelé. tions liées aux avortements sont la africaine devrait doubler d’ici à tés en Afrique de l’Ouest, mais
Dès avril, le département d’Etat cause de 8 % des décès maternels. 2050 et quadrupler d’ici à 2100, c’est à nous de leur montrer que le
a annoncé que les Etats-Unis ne Plus généralement, 29 % des décès pour atteindre 3,6 milliards d’ha- planning familial est l’un des in-
participeraient plus au finance- maternels pourraient être évités bitants. « Les jeunes non éduqués, famille, il est très important d’im- vestissements les plus impor-
ment du Fonds des Nations unies grâce à un meilleur accès à la con- au chômage, sont une bombe pour pliquer les hommes dans le dialo- tants, insiste Modibo Maiga, qui
pour la population (UNFPA). Le traception », souligne-t-elle. l’Afrique », prévient Fatimata Sy. gue », souligne-t-elle, en citant travaille depuis vingt-six ans
pays est le troisième contributeur En 2015, les neuf pays du Parte- Née sur les rives du fleuve Séné- l’exemple du Niger, où une initia- pour l’USAID. Nous essayons de
au budget de cette institution, nariat de Ouagadougou comp- gal, avec la double nationalité sé- tive baptisée « l’école des maris » a diversifier les ressources pour que
avec 63 millions de dollars inves- taient 4,35 millions de femmes négalaise et mauritanienne, elle pour objectif de lever certains les pays ne soient plus autant dé-
tis en 2016 et 75 millions en 2015. sous contraception contre 3 mil- mesure bien les obstacles cultu- obstacles. Le Partenariat travaille pendants et se préparent à survi-
Selon l’agence onusienne, cet ar- lions en 2012. L’objectif est d’at- rels qui s’ajoutent aux difficultés aussi avec des leaders religieux vre tous seuls. »
gent a permis de sauver la vie de teindre 2,2 millions de plus d’ici à de financement. « Du fait du sta- chrétiens et musulmans. « Nous ghalia kadiri
2 340 femmes, d’éviter 947 000 2020. « Pour obtenir une préva- tut peu élevé de la femme dans la abordons le sujet sous l’angle de la et chloé hecketsweiler

Un ancien employé accuse Le groupe allemand Beate Uhse,

Uber d’espionnage industriel
pionnier des sex-shops, en faillite
L es révélations sont explosives. Ven-
dredi 15 décembre, la justice américaine
a rendu publique une lettre rédigée par
Richard Jacobs, un ancien employé d’Uber,
dans laquelle il explique que la plate-forme de
tallé des micros lors d’une conférence organi-
sée par un concurrent.
La cellule payait des firmes de surveillance
à l’étranger pour obtenir des informations
sur des hommes politiques. Elle avait aussi
« La fin d’une légende », selon l’hebdomadaire « Der Spiegel »

voitures avec chauffeur a mis en place une
cellule consacrée à l’espionnage industriel.
Sur trente-sept pages, il décrit les méthodes
de la société pour collecter des informations
sur ses concurrents et sur des élus.
M. Jacobs assure aussi que l’entreprise a en-
freint la loi, en menant des écoutes illéga-
les et en versant des pots-de-vin à l’étranger.
Et qu’elle a volé des technologies à Waymo,
la filiale de Google spécialisée dans les véhi-
cules autonomes. « Nous n’avons pas
trouvé d’éléments confirmant l’ensemble des
affirmations de cette lettre », affirme Uber,
promettant « d’agir dorénavant de manière
honnête et juste ».
Ce courrier a été envoyé en mai par M. Ja-
cobs aux avocats d’Uber après son licencie-
ment. Il a été dévoilé dans le cadre du procès
opposant l’entreprise à Waymo, qui l’accuse
de lui avoir dérobé des secrets industriels
par l’intermédiaire du rachat d’Otto, une
start-up fondée par un ancien du projet Goo-
gle Car. Elle réclame 1,8 milliard de dollars
(1,5 milliard d’euros). L’existence de cette
lettre compromettante avait été dissimulée
jusqu’en novembre, suscitant la colère du
juge chargé de l’instruction.
Selon M. Jacobs, son ancienne équipe dispo-
sait d’agents sous couverture chargés d’es-
pionner les sociétés de taxis, les élus locaux
défavorables à Uber ou les autres plates-for-
mes de VTC. Ils se seraient fait passer pour des
chauffeurs de taxi afin d’infiltrer les groupes
de protestation. Ils auraient également ins-
suite de la première page noire, et avaient saisi maintes fois pas su se réinventer. Dans le
pour mission d’infiltrer les réseaux informa- la justice dans l’espoir de la voir re- même temps, de nouvelles ensei-
tiques de ses rivaux pour collecter des don- Rapidement, Beate Uhse diversi- noncer, avait été décorée de la gnes, destinées à une clientèle
nées sur leur activité. Et de recruter leurs sa- fia ses activités et se mit à vendre croix fédérale du Mérite. plus branchée, comme Fun Fac-
lariés afin d’obtenir des documents confi- par correspondance, en plus de la Morte d’une pneumonie tory, ont donné un sérieux coup
dentiels. Pour cacher ses activités, elle utili- brochure, des préservatifs et des en 2001, à l’âge de 81 ans, Beate de vieux à la marque, que les ef-
sait des serveurs secrets et lubrifiants. Sa première boutique Uhse, qui se vantait d’avoir forts entrepris ces dernières an-
des ordinateurs portables
achetés par des sociétés
LA CELLULE ouvrit en 1962, à Flensburg, dans
le Schleswig-Holstein. A l’époque,
« sauvé la vie de millions de cou-
ples en déconfiture », n’a pas as-
nées n’ont pas pu enrayer.
« La renaissance des sex-shops a
extérieures, ne pouvant PAYAIT on ne parlait pas encore de sex- sisté à la chute de son empire. Ce- fragilisé Beate Uhse plus qu’elle ne
ainsi pas être reliés à Uber. shop. « Articles pour l’hygiène du lui-ci suivit de quelques années la l’a aidée. Même avec des boutiques
Ses employés se ser- DES FIRMES couple », était-il pudiquement mort de sa fondatrice. plus propres, au design modernisé,
vaient d’une application écrit sur la devanture… En 2007, pour la première fois
de messagerie chiffrée et
POUR SURVEILLER Une entrepreneuse de choc, un de son histoire, le groupe était dé-
la mère de tous les sex-shops n’a
pas réussi à faire face à la concur-
éphémère pour ne pas DES HOMMES contexte culturel propice (la libé- ficitaire. Il l’est resté. Au cours de rence des nouveaux venus, à la
laisser de traces qui ration sexuelle des années 1960- la dernière décennie, le chiffre déco sexuellement plus neutre et
auraient pu être utilisées POLITIQUES 1970) et des conditions économi- d’affaires a diminué de près des quasi stérilisée, un peu à la façon
en cas de procédure judi- ques idéales (la société de con- deux tiers : en 2016, il dépassait à des Apple Store », commentait,
ciaire. Ils étaient entraînés pour apprendre à sommation des « trente glorieu- peine les 100 millions d’euros. vendredi, le quotidien allemand
ne pas révéler des informations compromet- ses ») : tout était réuni pour Aujourd’hui, il n’emploie plus que Tageszeitung dans un article inti-
tantes en cas d’interrogatoire. une success story. Les boutiques 345 salariés : ils étaient cinq fois tulé « La révolution dévore ses
Entendu fin novembre, M. Jacobs est revenu ouvraient les unes après les plus il y a dix ans. Quant aux bou- propres vibromasseurs »… Une
sur une partie de ses accusations, expliquant autres. L’argent coulait à flots. tiques, elles ne sont plus qu’une façon de résumer l’histoire de
qu’il n’avait pas bien relu ce courrier rédigé par quarantaine. A la grande époque, cette enseigne qui appartient au
son avocat. Depuis, il a conclu avec Uber un ac- Cotée en Bourse elles étaient plus du double. patrimoine de l’Allemagne de
cord à l’amiable, considéré comme suspect par En 1972, Beate Uhse réalisait un La raison principale de ce déclin l’après-guerre mais dont le destin
le juge, d’un montant de 4,5 millions de dol- vieux rêve en s’achetant son pro- a un nom : Internet. Beate Uhse, est emblématique de ces réussi-
lars. De son côté, la société assure que ce cour- pre petit avion, un Cessna 172. c’était des boutiques, des catalo- tes entrepreneuriales qui, parce
rier n’est qu’une tentative d’extorsion d’un an- En 1999, son entreprise, qui s’était gues sur papier et des films ven- qu’elles ont été pionnières dans
cien salarié mécontent. Des explications qui également mise à la production de dus sous forme de cassettes VHS leur secteur, ne sont pas forcé-
n’ont pas convaincu le juge. « On a l’impression films érotiques, était enfin cotée puis de DVD. Face à la révolution ment les mieux armées pour af-
que tout cela fait partie d’une vaste entreprise en Bourse. Entre-temps était aussi du porno gratuit et à la multipli- fronter les transformations qui
de dissimulation », a-t-il répondu. p venue la respectabilité : en 1989, cation des sites de vente de pro- les bouleversent. p
jérôme marin celle dont les professeurs de vertu duits érotiques en ligne, comme thomas wieder
(san francisco, correspondance) en tout genre avaient fait une bête Eis ou Amorelie, l’entreprise n’a (berlin, correspondance)
6 | bourses & monnaies 0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017

PARIS FRANCFORT LONDRES EURO STOXX 50 NEW YORK NASDAQ TOKYO

– 0,92 % – 0,38 % – 0,86 % – 1,13 %

+ 1,31 % + 1,33 %
CAC 40 DA X 3 0 FTS E 10 0 DOW JONES + 1,41 % NIKKE I
5 349,30 POINTS 13 103,56 POINTS 7 490,57 POINTS 3 560,53 POINTS 24 651,74 POINTS 6 936,58 POINTS 22 553,22 POINTS

Les fusions-acquisitions animent les marchés boursiers

Les opérations annoncées en Europe depuis janvier totalisent, selon Bloomberg, 1 270 milliards d’euros, soit une hausse de 44 % sur un an

L’ année 2017 avait tout pour

être propice aux opérations
de fusions-acquisitions… et
elle le fut ! C’est surtout vrai en Eu-
rope, où les opérations de rappro-
d’être annoncées ces derniers jours :
l’offre de la société de services infor-
matiques Atos sur le spécialiste des
paiements Gemalto pour 4,3 mil-
liards d’euros ou le rachat par TF1 de
marché nécessite une conjonction de
facteurs. D’abord, il faut une néces-
sité stratégique et opérationnelle à
faire des acquisitions, qui vient par-
fois d’une panne de croissance – ce
« La tendance plus
forte en Europe
traduit surtout un
seurs de « jouer » les OPA en sélec-
tionnant les titres les plus suscepti-
bles d’être ciblés. Dans le contexte
actuel, d’ailleurs, les actions des ac-
quéreurs n’ont pas nécessairement
chement annoncées depuis le début la participation majoritaire de l’alle- qu’on peut observer chez des acteurs rattrapage, et à pâtir du lancement d’une opéra-
de l’année totalisent, selon Bloom- mand Axel Springer dans Aufemi- importants de l’industrie pharma- tion de rachat, et le cours d’Atos a ac-
berg, 1 500 milliards de dollars nin.com, valorisant le site Internet à ceutique, comme Sanofi – ou de
nous sommes ici cueilli favorablement la nouvelle.
(1 270 milliards d’euros), soit une 365 millions d’euros, soit plus de changements rapides touchant un encore loin des En 2018, le marché devrait rester
hausse de 44 % par rapport à 2016. trois fois le chiffre d’affaires 2016, secteur, comme dans la grande dis- soutenu, notamment du fait des in-
En France, la progression des mon- sans parler des 66,1 milliards de dol- tribution. Ensuite, il faut que les mar-
records d’avant la vestisseurs dits activistes, comme
tants est même plus forte encore lars (56 milliards d’euros) déboursés chés boursiers soient plutôt calmes crise financière » TCI, Third Point ou Elliott, qui s’invi-
(+ 53 %), grâce à un solide deuxième par le géant Disney pour acquérir et haussiers et que le niveau de con- tent au capital des sociétés pour ten-
ARNAUD D’ALIGNY
trimestre où l’on a pu percevoir un l’essentiel des actifs du groupe de di- fiance des managements soit élevé. » ter d’influencer la stratégie des diri-
Sycomore AM
« effet Macron », nombre d’opéra- vertissement 21st Century Fox. geants. « Ils sont de plus en plus actifs
tions se déclenchant « miraculeuse- Frénésie ? Arnaud d’Aligny, gérant « Fenêtre de tir » en Europe, indique Philippe Lecocq.
ment » dans les jours suivant l’élec- actions chez Sycomore AM, tient à Sur ces deux derniers points, le Et on les a déjà vus, comme chez
tion du nouveau président. relativiser les choses. « La tendance contexte est effectivement idéal. Dans certains cas, les opérations de AkzoNobel, pousser à des opérations
Après un troisième trimestre plus plus forte en Europe traduit surtout En 2017, les marchés actions ont fusion-acquisition revêtent aussi un de rapprochement. »
calme, la fin de l’exercice semble un rattrapage, et nous sommes ici grimpé dans le calme, cette année, côté opportuniste », dit Philippe Le- Faut-il déjà s’alarmer d’une sur-
marquer un rebond. Plusieurs opé- encore loin des records d’avant la la volatilité – souvent considérée cocq, coresponsable de la gestion chauffe des fusions-acquisitions,
rations emblématiques viennent crise financière. La dynamique du comme « l’indice de la peur » – flir- actions européennes chez Edmond comme on l’avait constaté en 2007-
tant avec ses plus bas historiques, de Rothschild Asset Management. 2008 avant que la crise n’éclate ?
2017, un bon millésime même si elle a un peu frémi lors des C’est bien le cas de l’offre d’Atos sur Une chose rassurante actuellement
échéances politiques majeures de Gemalto, ciblant une proie fragili- est que les acquéreurs sont souvent
pour les introductions en Bourse l’année. Et la confiance des entrepri- sée en Bourse. Après le sévère aver- des industriels et non des fonds aux
Le dernier rapport d’EY dénombre 1 624 opérations sur les Bour- ses est au plus haut. tissement sur les résultats lancé en vues plus court-termistes. Surtout,
ses mondiales cette année : une hausse de 49 % par rapport à Les OPA sont dopées par les crain- juillet, le titre a connu une véritable les prix payés ne semblent pas as-
2016. La progression des montants levés est similaire : + 40 %, à tes que la « fenêtre de tir » puisse se descente aux enfers, le faisant chu- tronomiques, même s’ils sont par-
188,8 milliards de dollars (160 milliards d’euros). La croissance refermer. « L’accélération des fu- ter jusqu’à 32 euros. Voilà qui relati- fois chers. Danone a ainsi payé le
est surtout forte sur le continent américain, où le ticket moyen sions-acquisitions est facilitée par la vise la générosité apparente d’offre prix fort pour acquérir le cham-
progresse : les 220 IPO (Initial Public Offerings) de l’année y re- mise en place de politiques pro-en- d’Atos, libellée à 46 euros par action : pion américain du lait bio White-
présentent 51,6 milliards de dollars levés (+ 122 %). On notera treprises en Europe et aux Etats-Unis, d’ailleurs, la « prime » de 42 % offerte Wave, mais vise tout de même un
que le Brésil revient dans la course en 2017 (6,7 milliards levés), avec des baisses d’impôt qui vont sur le dernier cours coté n’a pas été impact positif sur ses bénéfices
après trois ans de vaches maigres. Moins dynamique, l’Europe améliorer mécaniquement les flux du goût du management, qui a im- dans les trois ou quatre ans. Parfois,
enregistre tout de même 250 introductions (+ 30 %) et des de trésorerie, tandis que les condi- médiatement rejeté l’offre, tout l’impératif stratégique l’emporte.
levées de fonds en hausse de 44 %. Mais c’est l’Asie qui reste le tions de financement, notamment comme la famille Quandt, action- Ne dit-on pas que le prix s’oublie et
premier contributeur mondial, malgré la stabilité des montants en Europe, restent très favorables, naire de référence de Gemalto. Cela que la qualité reste ? p
levés (73,2 milliards d’euros, dont les deux tiers pour la Chine). mais peut-être pas pour longtemps. illustre la difficulté pour les investis- emmanuel schafroth

MATIÈRES PREMIÈRES TAUX & CHANGES

Le big bang de la mangue Le départ de Janet Yellen, un symbole

A mour-en-cage, fruit de la
passion ou du dragon…
L’exotisme s’invite sur la
table des fêtes. La nature engour-
die par l’hiver reprend vie quand
la corbeille de fruits chatoie de
couleurs saturées. Le rose vif de la
pitaya tranche sur l’orange du
physalis ou le vert de la mangue.
Plaisir des yeux autant que des
papilles. Dans l’excitation des
sens, le consommateur oublie
soudain ses bonnes résolutions
sur les circuits courts. Quitte à se
donner bonne conscience en op-
tant pour le label bio.
Et souvent, une fois goûté le fruit
défendu, difficile de s’en passer.
Ainsi, la mangue n’est plus un
mets festif, au destin éphémère. Sa
consommation a progressé de
25 % ces cinq dernières années, se-
lon Interfel, interprofession des
fruits et légumes. Elle estime que
Fluctuations
COURS MOYEN DE LA MANGUE SAUVAGE, EN EUROS LE KILO, À RUNGIS
chaque Français en déguste désor-
mais 600 g par an. Alors qu’elle
était quasi absente de nos assiettes
il y a à peine dix ans.
Des sociétés comme Kissao ont
réglé les horloges pour écouler à
flux continu la mangue tout au
long de l’année. D’octobre à dé-
cembre, le fruit tropical vient du
Brésil. Puis le Pérou prend la relève
jusqu’en avril. Suivent la Côte
d’Ivoire et le Sénégal. Israël assure
les livraisons d’été et l’Espagne
ferme la boucle. Un vrai tour du
monde. Car comme l’explique Cy-
ril Rouvière, directeur commercial
de Kissao, « la mangue est climac-
térique ». Comprendre qu’elle peut
mûrir après cueillette. Comme la
banane ou le kiwi. Trois semaines
de navigation dans un conteneur
ne lui font pas prendre une ride.
Banco pour les importateurs !
Mais acclimater un fruit exotique
7,29
sous nos latitudes n’est pas chose
aisée. Il faut vaincre a priori et mé-
connaissance du produit.
« Les Français ont tendance à
croire qu’un fruit est mûr quand il
M ercredi 13 décembre, Janet Yel-
prend une couleur orangée », dit
M. Rouvière. Gare à la déception.
Une belle robe peut cacher une
chair fibreuse et acide. « On
achète avec les yeux, mais on ra-
chète avec le ventre », se plaît à ré-
péter M. Rouvière.
Le pénétromètre en juge de paix
Pour satisfaire les attentes de la
grande distribution, des variétés
ont été sélectionnées comme la
Kent au goût suave ou la Keitt,
plus acidulée. Des fruits qui vont
mûrir artificiellement sous éthy-
lène et à température contrôlée à
leur arrivée en France. Comme
dans la mûrisserie de Kissao, sur
le marché des Arnavaux à Mar-
seille. Le pénétromètre est le juge
de paix. Le degré de fermeté déter-
mine si le fruit est à point. Même
s’il est vert. Les mangues « avion »,
gagnantes du concours de beauté
avec leur belle robe rouge oran-
gée, ont, elles, mûri au soleil. Des
len, la présidente de la Réserve
fédérale (Fed) des Etats-Unis, a
tenu sa dernière conférence de presse. En
février, elle sera remplacée par Jerome
Powell, nommé par Donald Trump. La pos-
térité retiendra deux choses du mandat de
cette économiste émérite, nommée
en 2013 par Barack Obama.
La première est que Mme Yellen a fait du
retrait des soutiens monétaires exception-
nels un non-événement. Depuis son arri-
vée, les taux directeurs ont remonté cinq
fois et la Fed a commencé à se délester des
titres achetés pendant la crise, sans déclen-
cher ni apocalypse ni récession. Ça n’a l’air
de rien, mais il y a quatre ans, d’aucuns pré-
disaient que l’institution en serait incapa-
ble. La seconde est que « la petite dame au
grand QI », comme on la surnomme par-
fois, a affiné la réflexion de la Fed sur l’em-
ploi. Désormais, la Réserve fédérale ne se
contente plus de regarder le taux de chô-
mage. Elle consulte d’autres indicateurs
pour mesurer l’état de santé réel du marché
du travail.
Misogynie
M. Trump, qui avait critiqué sans relâche
Mme Yellen pendant sa campagne, a changé
d’avis une fois élu. Il n’a dès lors eu de
être un peu des deux. La misogynie de l’im-
prévisible républicain ne fait guère de
doute. Mais sur ce point, le mépris dont il
témoigne à l’égard de son prédécesseur et
de son bilan l’emporte probablement. « La
présidence de la Fed par Mme Yellen a été
l’une des plus réussies et elle méritait d’être
renommée, comme tous les présidents de la
Fed depuis 1979, regrette la sénatrice démo-
crate Elizabeth Warren dans un communi-
qué. En le refusant, Trump prouve que sa
priorité n’est pas de créer des emplois ou de
prévenir les crises, mais de casser toutes les
décisions prises par Obama. »
Reste que le symbole est fort : la pre-
mière femme à prendre la tête d’une
grande banque centrale sera aussi la pre-
mière personne, depuis 40 ans, à ne pas
conserver le poste. Hasard du calendrier, la
décision de M. Trump est tombée alors
qu’un débat sur le sexisme parmi les éco-
nomistes fait rage aux Etats-Unis. Certai-
nes féministes américaines s’interrogent :
si la nomination de Janet Yellen en 2013
avait soulevé l’espoir d’un changement,
son éviction découragera-t-elle celles aspi-
rant aux responsabilités élevées ?
Le chef économiste de la Banque mon-
diale, Paul Romer, préfère, lui, poser les
termes du débat autrement. « Primo, Janet
Yellen a fait un travail extraordinaire dans

4,01
3,75 fruits « première classe » mais
cinq fois plus cher.
cesse de vanter son « excellent travail ».
Mais plutôt que de la confirmer pour un
un contexte politique très difficile. Deuxio,
c’est une femme, a-t-il écrit, le 10 décembre,
Résultat, l’Europe a importé second mandat, comme le veut la tradi- sur Twitter. Le premier point n’est-il pas suf-
300 000 tonnes de mangues tion, il a opté pour un homme qui, selon fisamment important pour l’emporter ? » p
en 2016. Loin encore des 900 000 toute vraisemblance, mènera à peu près la marie charrel
tonnes de l’ananas, banalisé au même politique. Membre du conseil des
point de perdre son statut de fruit gouverneurs de la Fed depuis 2012, LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE »
exotique. La mangue réussira-t- M. Powell a toujours témoigné un soutien
elle à détrôner le fruit couronné ?
A moins que le mangoustan, plé-
biscité cette année pour le ré-
sans faille à présidente de l’institution…
Voilà qui soulève une question délicate : 1,79€ COURS DE L'ACTION
VENDREDI 15 DÉCEMBRE
Trump a-t-il refusé de renouveler le mandat Société des lecteurs du « Monde »
veillon, ne joue les trouble-fête… p de Janet Yellen parce que c’est une femme, 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13
13 NOVEMBRE 2016 3 DÉCEMBRE 2017
laurence girard ou pour défaire l’héritage d’Obama ? Peut- Tél. : 01 57 28 25 01 - sdl@lemonde.fr
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017 argent & placements | 7
CLIGNOTANT
Location Airbnb : le défi de la légalité
Il est possible de maintenir une bonne rentabilité en respectant les nouvelles obligations BOU RS E
Priorité aux actions européennes
Pour 2018, BNP Paribas AM préfère les actions
européennes et émergentes aux actions américaines,

L
a Mairie de Paris se fâche contre
les locations illégales de meublés
touristiques. La ville a annoncé,
le 11 décembre, avoir mis en
demeure cinq plates-formes de location
(Airbnb, Homeaway, ParisAttitude,
Sejourning, Wimdu) afin que chacune
d’elles retire de son site les annonces
hors la loi, c’est-à-dire non immatricu-
lées. Il y aurait actuellement plus de
1 000 locations en ligne sans numéro
d’enregistrement. A défaut de réaction de
ces plates-formes, Ian Brossat, adjoint au
logement à la Mairie de Paris, a menacé
d’engager des poursuites judiciaires.
Mais comment en est-on arrivé là ? Il y
a encore trois ans, la location meublée
touristique de courte durée était un véri-
table eldorado pour des propriétaires.
Aujourd’hui, cette forme de location est
moins lucrative, car plus encadrée. Avant
de publier une annonce sur les plates-
formes de locations, le propriétaire d’un
bien a, depuis le 1er décembre, l’obliga-
tion de déclarer en ligne son apparte-
ment sur le site de la Mairie de Paris
pour obtenir un numéro d’enregistre-
ment. Ce dernier doit figurer dans l’an-
nonce. A Bordeaux, une mesure simi-
laire entrera en vigueur le 1er mars pro-
chain. D’autres pourraient suivre. La loi
du 7 octobre 2016 pour une République
numérique, et notamment son décret
Airbnb daté 28 avril 2017, prévoit que les
villes de plus de 200 000 habitants peu-
vent imposer un système d’enregistre-
ment des locations saisonnières.
Ces nouvelles obligations sont un
moyen de contrôle des propriétaires qui
abusent de la location type Airbnb. Les
hôteliers dénoncent une concurrence dé-
loyale, tandis que certaines copropriétés
sont indisposées par les nuisances inces-
santes dues au va-et-vient des touristes.
Quant aux édiles, ils constatent une ra-
reté de l’offre des locations traditionnel-
les disponibles pour les « locaux ».
A Paris, il est possible de louer sa rési-
dence principale dans la limite de
120 jours par an. Attention, lorsqu’on est
soi-même locataire, il faut avoir eu l’ac-
cord de son bailleur. Dans le cas d’une
résidence secondaire ou d’un bien loca-
tif, l’horizon est plus bouché. Avant de
mettre son bien dans le circuit, ce dernier
doit obtenir de la municipalité une auto-
risation de changement d’usage. « Cette
procédure est en pratique longue, com-
plexe et surtout coûteuse », commente
Maud Velter, directrice associée de
Lodgis.com, un site spécialisé dans la
location de meublés.
Optimiser le taux d’occupation
Il est plus difficile de maintenir une
bonne rentabilité des locations saison-
nières. Une solution consiste à optimi-
ser le taux d’occupation sur une durée li-
mitée. Certaines sociétés de conciergerie
Les taxes et amendes
Taxe de séjour. Les plates-formes de location
de courte durée récoltent déjà la taxe de séjour
dans une cinquantaine de villes en France. Cet
impôt pourrait se généraliser. C’est en tout cas
ce que prévoit un amendement voté, fin novem-
bre, en commission des finances de l’Assemblée
nationale. Le texte prévoit que les communes
puissent fixer le tarif de cette taxe, susceptible
de varier de 1 à 5 % du tarif de la nuitée.
Amendes. Un propriétaire n’effectuant pas
la déclaration d’enregistrement s’expose,
en cas de contrôle, à une amende de 450 euros.
En cas de location illégale à Paris, la contraven-
tion maximale peut atteindre 50 000 euros.
Les dossiers déjà jugés dans la capitale (128 sai-
sines à la mi-2017) ont donné lieu à une amende
moyenne de 20 000 euros.
nées dans l’écosystème Airbnb surfent
déjà sur ce créneau. En plus de s’occuper
de la location de A à Z, c’est-à-dire de la
publication de l’annonce aux photos en
passant par l’accueil personnalisé des
hôtes et le nettoyage, elles déclarent
gérer finement chaque bien confié.
« Nous avons développé un algorithme
permettant de donner le maximum de
visibilité à une annonce sur le site Air-
bnb », soutient Bertrand Désies, cofon-
dateur de GuestReady.com. « Sur la base
de nos données statistiques, nous définis-
sons une stratégie de prix pour chaque
appartement. Les tarifs changent selon
l’état de l’offre et de la demande, des pé-
QUESTION À UN EXPERT
riodes de vacances ou de la tenue d’événe-
ments culturels ou sportifs organisés
dans la ville », renchérit Mélanie Lyon
Lynch, directrice générale de Hostmaker
France. « Cette adaptation permanente
du tarif des nuitées est souvent impossi-
ble à réaliser pour un propriétaire, à
moins d’y consacrer beaucoup de
temps », ajoute-t-elle.
Il faut aussi équiper correctement l’ap-
partement et penser à tout décrire dans
l’annonce, même la marque de machine à
café ! Si, aujourd’hui, l’absence de télévi-
sion n’est plus rédhibitoire, le Wi-Fi est
quasiment obligatoire, tout comme le
lave-linge ou le lave-vaisselle. « La pré-
sence d’un sèche-cheveux peut majorer la
location de 5 à 10 euros », affirme Bertrand
Désies. Les conciergeries privées, dont
certaines revendiquent un service à
domicile haut de gamme digne d’« un hô-
tel 5 étoiles », peuvent fournir un cadeau
de bienvenue, du linge de maison et des
kits de toilette… Reste que ces services ont
un coût pour le bailleur, autour de 20 %
du prix de la location. Cela grignote la ren-
tabilité déjà amoindrie par la commission
facturée par la plate-forme de location. p
laurence boccara
qu’elle juge trop chères. Ses experts estiment que la
reprise devrait s’accélérer en zone euro, tandis que la
croissance américaine pourrait s’essouffler. Ils pensent
que la banque centrale américaine devrait remonter
ses taux directeurs à trois reprises. Un contexte défavo-
rable aux obligations, et notamment aux titres d’Etat,
en particulier aux emprunts allemands. « Le principal
danger serait une résurgence de l’inflation, mais ce n’est
pas notre scénario central », dit Daniel Morris, straté-
giste chez BNP Paribas AM. Autre facteur d’incertitude :
l’issue des élections générales italiennes, en mars.
Compte-titres ou PFU : quelle
option est la plus avantageuse ?
paul younès, directeur général de l’UFF
Le prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus
de capitaux mobiliers, présenté dans le projet de loi de finances pour
2018, renforce l’attrait des investissements en compte-titres. Pour les
revenus comme pour les plus-values de cession, les foyers imposa-
bles sur le revenu seront très souvent moins fiscalisés à compter du
1er janvier 2018. Pour un revenu obligataire, tous les contribuables
imposables seront avantagés. Par exemple, pour une tranche margi-
nale d’imposition (TMI) de 30 %, les revenus avec l’option impôt sur
le revenu (IR) seraient taxés à 45,16 % (contribution sociale générali-
sée de 6,8 % déduite) contre 30 % avec le PFU, soit un gain de
15,16 %. Pour un revenu d’action (dividende), le constat est identi-
que, sauf dans un cas : pour ceux dont la TMI est inférieure ou égale à
14 %, l’option IR sera plus avantageuse, en ramenant l’imposition à
24,65 % au lieu de 30 %. Concernant les cessions d’actions acquises
à compter du 1er janvier 2018, ou encore les cessions d’obligations,
tous les foyers fiscaux seront avantagés par le PFU. En revanche,
pour les cessions d’actions acquises avant le 1er janvier 2018 et déte-
nues pendant plus de huit ans, tous les contribuables auront intérêt
à envisager l’option qui leur est offerte d’assujettir leurs plus-values
au barème de l’IR plutôt qu’au PFU, afin de bénéficier de l’abatte-
ment pour durée de détention. p

VILLES EN MUE
A Bordeaux, Brazza bientôt en chantier

UN VOYAGE AU CŒUR DE LA LÉGENDE

100 pages d’histoires, de cartes, d’archives et de récits exceptionnels

L e début des travaux d’aménagement

du quartier Brazza est enfin en vue,
prévu pour courant 2018. Les pre-
miers permis de construire sont en train
d’être paraphés… Localisé sur la rive droite
de Bordeaux, face à la Cité du vin, le projet,
qui entre désormais en phase opération-
nelle, maintient ses promesses futuristes :
logements sur pilotis, appartements avec
terrasses, pôle sportif innovant, etc. La
conception du chantier a été confiée par la
ville et la métropole à l’architecte Youssef
Tohmé et au paysagiste Michel Desvigne.
Sur ce vaste espace de 53 hectares, actuelle-
ment principalement constitué de friches
industrielles, 4 900 logements doivent sor-
tir de terre : 45 % de logements libres com-
mercialisés autour de 4 000 euros le mètre
carré, 20 % de logements en accession à la
propriété (entre 2 500 et 3 000 euros le
mètre carré) et 30 % de logements sociaux.
Une grande variété d’habitats est propo-
sée : des petits logements sur pilotis (pour
faire face au risque d’inondation dans ce
quartier pour partie construit en zone inon-
dable), des appartements avec terrasses sur
le toit de parkings silos, des grands loge-
ments avec vue sur la Garonne et 500 loge-
ments « capables ». Ces derniers consistent
en de grands volumes, de 5 à 5,50 mètres de
hauteur sous plafond, de type loft, à aména-
ger soi-même. Leur prix se situe autour de
2 400 euros le mètre carré. « La première ci-
ble ici, ce sont les primo-accédants, qui ont
beaucoup de difficultés à se loger dans le sec-
Le futur
quartier
Brazza,
à Bordeaux,
dont
teur libre », indique Elizabeth Touton, maire l’aménage-
adjointe en charge de l’urbanisme. ment doit
D’autres bâtisses prendront la forme commencer
« d’échoppes du XXIe siècle », maisons bor- en 2018.
delaises traditionnelles en pierre sur rez-de- THOMÉ/DESVIGNE
chaussée et jardin. « On veut répondre à des
envies et à des besoins différents », souligne
Elizabeth Touton. Une « cathédrale des
sports » de 14 000 mètres carrés sur quatre
étages (escalade, squash et golf sur le toit),
ainsi que deux écoles, une médiathèque, un
gymnase, une maison de quartier et un
marché aux puces permanent sont aussi au
programme. L’ensemble doit s’insérer dans
une trame verte dense. Le quartier Brazza
sera bordé par le Parc aux angéliques et Le Monde vous propose de revivre l’aventure fabuleuse de l’Orient-
sillonné de « lanières » vertes. « L’existence Express au travers de récits, de documents d’archives et de photo-
de nombreux espaces et percées paysagers graphies. Découvrez également un cahier spécial sur le film Le Crime
doit contribuer à faire de ce lieu un quartier de l’Orient- Express, enrichi d’une interview exclusive du réalisateur
avec une âme », insiste Hervé Lapastoure, Kenneth Branagh. En voiture !
directeur chez Eiffage Immobilier Atlanti-
que, chargé, avec le comité ouvrier du loge-
ment, de la construction de 120 logements, EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET EN LIBRAIRIE
dont une partie en habitat participatif. p
alain piffaretti
8 | MÉDIAS&PIXELS
La France présente sa stratégie numérique
Le document aborde aussi bien la cybersécurité et la fiscalité que les données personnelles
L
a France veut défendre
« une certaine idée du
monde numérique », a af-
firmé le ministre des af-
faires étrangères, Jean-Yves Le
Drian, en présentant, vendredi
15 décembre à Aix-en-Provence,
la stratégie internationale de la
France en la matière. Avec ce do-
cument, l’Hexagone rejoint des
pays comme les Etats-Unis, la
Chine, l’Allemagne ou encore le
Royaume-Uni.
Le texte présenté balaie des su-
jets aussi divers que la cybersécu-
rité, la fiscalité ou les données
personnelles, mais c’est contre
les « fake news » que le ministre a
été le plus virulent. Ces dernières
représentent, selon lui, « une me-
nace disruptive pour notre démo-
cratie dont nous n’avons pas en-
core pris toute la mesure ». Selon
lui, certains acteurs, « y compris
des grandes puissances », mena-
cent de « retourner contre nos dé-
mocraties les principes mêmes
qui les fondent – l’ouverture, la li-
berté d’information et de commu-
nication – pour en faire des instru-
La neutralité du Net, « principe cardinal »
La France continuera à défendre la neutralité d’Internet, « prin-
cipe cardinal » d’ouverture et d’innovation, a estimé, vendredi
15 décembre, Jean-Yves Le Drian, alors que les Etats-Unis se sont
prononcés pour la fin de l’égalité d’accès aux services du Net. La
Commission fédérale des communications américaine a décidé
jeudi d’abroger ce principe édicté en 2015 pour garantir un trai-
tement égal des flux de données par les opérateurs. « La France
continuera à défendre le principe de la neutralité de l’Internet,
quelles que soient les décisions que peuvent prendre d’autres
pays », a ajouté le ministre des affaires étrangères.
« Vraiment », un nouvel hebdo
dans les kiosques en mars 2018
Ce magazine papier entend faire la part belle à « l’approfondissement »
L a génération Macron part à
l’assaut de la presse. Tout
comme l’actuel président,
né en 1977, a bousculé l’ordre poli-
tique établi, un trio âgé de 34 à
40 ans ambitionne de renouveler
le paysage des hebdomadaires en
lançant le leur, en mars 2018. Son
titre ? Vraiment, un hebdo qui, à
l’image de Society, le magazine bi-
mensuel fondé en 2015, se veut
générationnel. « Les lecteurs nés
dans les années 1970 et 1980 n’ont
pas eu une nouvelle offre. Ils ont
grandi avec l’hebdo de leurs pa-
rents. Il y a la place pour un autre
destiné aux 25-55 ans », juge Julie
Morel, 34 ans, membre du trio.
« Pour nos parents, c’était L’Obs.
Je me suis abonné au 1, mais je ne
peux pas dire que c’est “notre”
hebdo », remarque Julien Mendez,
36 ans. « On a envie d’avoir notre
hebdo papier », ajoute-t-il. Il s’ap-
pellera donc Vraiment. « Comme
informer vraiment », explique
Julie Morel. Ce sera un magazine
de 84 pages, avec une moitié
information (France, économie,
monde) et un magazine (bien-être,
culture). La maquette accorde une
grande place à la photographie et a
été réalisée par l’agence Funny Bo-
nes (M Le magazine du Monde,
L’Equipe Magazine, So Film).
Julie et Julien se sont connus à
Bercy. Ils étaient conseillers au mi-
nistère de l’économie à l’époque
d’Emmanuel Macron, puis de
Michel Sapin. Ils se sont associés à
Jules Lavie, 40 ans, qui travaillait à
Franceinfo, où il a notamment
animé la matinale du week-end :
« Les attentats [de Paris, en jan-
vier 2015] m’ont marqué. Je me suis
dit qu’on avait une seule vie et j’ai
eu envie de me lancer. »
« L’ADN du projet, c’est de propo-
ser autre chose que l’information
ments d’ingérence et de déstabili-
sation ». Une allusion à peine
voilée à la Russie, qui est accusée
par plusieurs pays, notamment
les Etats-Unis, d’avoir répandu
de fausses informations en pé-
riode électorale.
Aucune mesure concrète à ce
sujet, sensible puisqu’il touche à
la liberté d’expression, n’a été pré-
sentée, mais le ministre a an-
noncé l’organisation prochaine
d’un événement consacré à ces
questions. M. Le Drian a égale-
ment dénoncé des « attaques in-
formatiques dont le but était de
troubler l’ordre public, de compro-
mettre la sincérité du scrutin élec-
toral, et ainsi de semer la confu-
sion, le doute et la discorde ».
Il en a également profité pour
tacler les grands réseaux sociaux,
dont la « passivité » en la matière
« confine parfois à l’irresponsabi-
lité ». « La capacité à désinformer à
grande échelle ne serait pas attei-
gnable sans les géants de l’Inter-
net », a-t-il affirmé.
Le chef de la diplomatie fran-
çaise a plus largement critiqué les
« Nous voulons
proposer
des sujets
qui prennent
du recul
et nous dégager
de l’actualité
chaude »
JULES LAVIE
cofondateur du magazine
urgente », souligne M. Mendez.
Leur journal ne sera ni « macro-
nien » ni un journal d’opinion :
« Ce n’est pas parce que j’ai tra-
vaillé avec Macron ou Sapin que
notre projet est lié à cette his-
toire », dit-il. « Nous serons fonda-
mentalement libres », lance M. La-
vie, responsable de la partie ré-
dactionnelle et qui veut « éviter la
démagogie et le populisme ».
Deux millions d’euros à lever
Vraiment souhaiterait être un
« média de complément, d’appro-
fondissement », avec des formats
longs et le désir de « proposer des
sujets qui prennent du recul ou
prospectifs, qui nous touchent :
santé, éducation, économie, envi-
ronnement, etc. », détaille Jules
Lavie, ajoutant au passage :
« Nous voulons nous dégager de
l’actualité chaude. »
Une dizaine de journalistes,
dont des anciens du Parisien, tra-
vaillent actuellement sur le nu-
méro zéro dans des bureaux sis
dans le 10e arrondissement de Pa-
ris. A terme, l’équipe pourrait
comprendre une quarantaine de
personnes. Désireux de conser-
ver la maîtrise et l’indépendance
grandes entreprises du Net. Il n’a
cependant pas réservé ses piques
aux habituels géants de la Silicon
Valley, évoquant aussi la puis-
sance des grands groupes chinois,
ces derniers disposant depuis peu
de leur propre acronyme, les
« BATX » (Baidu, Alibaba, Tencent
et Xiamoi). Ces grandes sociétés, a
jugé M. Le Drian, ont construit
leur position dominante sur les
effets de réseau et les données
personnelles, constituant « de
nouveaux empires [qui] tentent
aujourd’hui de s’imposer par le
contrôle des flux numériques ».
Mutation des attaques
La France aimerait également en
savoir plus sur les algorithmes,
ces programmes informatiques
présents au cœur de ces grandes
plates-formes. « Il y a là une exi-
gence de transparence démocrati-
que et de loyauté, un impératif
éthique s’agissant des choix so-
ciaux et de la liberté individuelle.
Les citoyens ont le droit de com-
prendre à quoi servent leurs don-
nées et les mécanismes de recom-
mandation qui encadrent de fait
leur utilisation des outils numéri-
ques », a lancé le ministre.
Ce dernier a enfin taclé ces gran-
des plates-formes au sujet de leur
rapport à l’impôt. Il a dénoncé
« l’optimisation fiscale agressive à
laquelle [elles] se livrent », expli-
quant que la France travaillait à de
nouvelles taxes « prenant en
compte le caractère immatériel de
l’activité numérique ».
La question de la cybersécurité
occupe aussi une large place dans
du projet, le trio cherche malgré
tout des investisseurs pour lever
les deux millions d’euros néces-
saires. Bernard Mourad, l’ancien
responsable du pôle médias du
groupe SFR et fondateur du nou-
veau média vidéo Loopsider, a
déjà pris part au tour de table. Par
ailleurs, une campagne de préa-
bonnement a été lancée, ven-
dredi 15 décembre, sur leur site In-
ternet (Vrmt.fr). La stratégie nu-
mérique, elle, n’est pas encore dé-
finie, car sera un projet « print
first », mais cela pourrait passer
également par le développement
d’une application.
Le tirage initial du magazine
sera de 100 000 exemplaires pour
un prix de 4,50 euros avec un ob-
jectif de 40 000 exemplaires ven-
dus afin d’atteindre l’équilibre fi-
nancier. Si les fondateurs n’ex-
cluent pas de faire appel à la publi-
cité, ils veulent la limiter à moins
de dix pages, soit 20 % du chiffre
d’affaires, pour ne pas dépendre
des annonceurs. « On pense que
c’est important d’être un journal
financé par les lecteurs », explique
Julien Mendez.
Vraiment, dont le lancement in-
terviendra deux mois après celui
d’Ebdo – prévu le 12 janvier avec
une rédaction plus imposante :
35 journalistes au début et 50 à
terme –, devra trouver sa place et
ses lecteurs dans un marché peu
reluisant, marqué par les difficul-
tés des titres historiques de la
presse magazine nés pendant la
période des « trente glorieuses »
et celles du réseau de distribu-
tion. « Il y a un modèle économi-
que sur le papier », assure Jules La-
vie. L’époque est à l’audace. Géné-
ration Macron ? Non, « génération
entrepreneurs », répondent-ils. p
françois bougon
0123
DIMANCHE 17 - LUNDI 18 DÉCEMBRE 2017
I N T ER N ET
Amazon va payer
100 millions d’euros
au fisc italien
Amazon a signé, vendredi
15 décembre, un accord avec
le fisc italien prévoyant le
versement de 100 millions
d’euros pour solde de tout
la paralysie ou la destruction d’in- compte, après une enquête
« De nouveaux frastructures vitales ». Il a aussi pour fraude fiscale. Les faits
empires tentent rappelé la nécessité, selon lui, de concernés remontaient à une
mieux encadrer l’exportation période allant de 2011 et 2015.
de s’imposer par d’outils d’espionnage numérique. Le fisc va pouvoir reprendre
le contrôle des Le terrorisme en ligne a égale- les négociations avec Ama-
ment été abordé. « Les entreprises zon afin d’établir la façon
flux numériques » du secteur numérique doivent as- dont le géant de la distribu-
JEAN-YVES LE DRIAN sumer leurs responsabilités dans tion en ligne devra s’acquitter
ministre des affaires étrangères la lutte contre le terrorisme et la de ses impôts en Italie pour
criminalité en ligne », en retirant les prochaines années.
plus rapidement les contenus ter-
la stratégie française. Jean-Yves roristes et en luttant contre « l’en- E-commerce : le
Le Drian a rappelé la position de fermement algorithmique », a de- Luxembourg fait appel
la France depuis plusieurs an- mandé le ministre. Depuis plu- d’une sanction de l’UE
nées en la matière, à savoir l’ap- sieurs mois, les gouvernements, Le Luxembourg a déposé un
plication du droit international notamment français et britanni- recours auprès du Tribunal de
au cyberespace, permettant à un que, ont accentué la pression sur l’Union européenne contre la
Etat de saisir par exemple le Con- les réseaux sociaux à ce sujet. décision de la Commission
seil de sécurité de l’ONU en cas C’est David Martinon – dont le européenne d’ordonner au
d’attaque menaçant « la paix et poste de représentant spécial a Grand-Duché de récupérer
la sécurité internationales » ou été transformé il y a peu en am- auprès d’Amazon.com
« d’invoquer le droit de légitime bassadeur de la France pour le nu- 250 millions d’euros d’arriérés
défense ». Une position qui fait mérique – qui est désormais d’impôt. Bruxelles jugeait que
face notamment à Moscou et à chargé de dialoguer avec les le Luxembourg avait octroyé
Pékin, partisans de textes spécifi- géants du Net sur la question des un avantage fiscal illégal.
ques, et qui a été fragilisée peu contenus terroristes.
avant l’été par l’échec des négo- En creux, cette stratégie fran- Les géants du Web prêts
ciations à l’ONU sur la question. çaise témoigne d’une vision très à monter au créneau
Jean-Yves Le Drian a aussi répété sombre d’un monde numérique pour la neutralité du Net
l’opposition des autorités françai- « manipulé contre les vertus Google, Netflix ou Twitter
ses au « hack back », cette pratique d’ouverture dont il devait être le veulent se battre pour renver-
qui voudrait que les entreprises garant », parasité par de multiples ser la décision de la Federal
puissent répliquer elles-mêmes cyberattaques, perturbé par des Communications Communi-
en cas d’attaque informatique. grandes plates-formes hégémo- cation (FCC), le régulateur
Les autorités françaises craignent niques et miné par l’exploitation américain des communica-
que ce type de technique, loin de des données personnelles. Jean- tions, qui a mis fin à la neutra-
désamorcer les conflits, ne contri- Yves Le Drian a cependant voulu lité du Net jeudi 14 décembre.
bue à l’instabilité du cyberespace. être optimiste, en rapprochant le « Netflix est prêt avec tous les
M. Le Drian a aussi alerté sur une numérique de la conquête spa- innovateurs, petits ou grands,
mutation des attaques informati- tiale, passée d’un lieu de compéti- à s’opposer à la décision mala-
ques, « passées d’une logique de tion intense à une collaboration visée de la FCC », a par exem-
captation d’information à une plus pacifique entre Etats. p ple dit dans un tweet le ser-
autre nature [ayant] pour finalité martin untersinger vice de vidéo en ligne.
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