MAGAZINE

DU TEST ADN
À LA FRATRIE XXL idées A l’école, trente-cinq années
de controverses sur la laïcité

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

SAMEDI 9 MARS 2024 - 80E ANNÉE - NO 24629 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Profits, dividendes : le CAC 40 bat tous les records

▶ Vivendi a clôturé jeudi ▶ Avec 153,6 milliards ▶ Malgré les condamna- ▶ La croissance est portée ▶ Ces profits relancent
la saison des résultats d’euros, les bénéfices nets tions politiques, les par les secteurs de l’éner- le débat sur le partage de
des grandes entreprises, sont au plus haut, comme rachats d’actions, qui ont gie, du luxe, mais aussi la valeur, alors que l’infla-
confirmant la tendance : les dividendes versés pour seul but de gonfler par les constructeurs tion a entamé le pouvoir
le CAC 40 a connu une aux actionnaires les cours de Bourse, aug- automobiles, dont d’achat des salariés
année 2023 exceptionnelle (67,8 milliards d’euros) mentent (30,1 milliards) les marges ont explosé PAGE S 1 4 - 1 5

Ukraine La position martiale

BIDEN PASSE À L’OFFENSIVE CONTRE TRUMP de Macron irrite les oppositions
le chef de l’état a reçu les res-
ponsables des principaux partis
d’opposition, jeudi 7 mars, pour
les convaincre de la pertinence de
son positionnement sur le conflit
russo-ukrainien, avant le débat
suivi d’un vote au Parlement, qui
doit avoir lieu les 12 et 13 mars, sur
l’accord bilatéral de sécurité signé
avec Volodymyr Zelensky.
Si les intervenants se sont ac-
cordés sur l’appui que la France
doit apporter à l’Ukraine, ils n’ap-
prouvent pas le soutien « sans li-
mites » prôné par Emmanuel Ma-
cron, qui n’exclut pas un engage-
ment au sol. « Face à un ennemi
qui ne se fixe aucune limite, nous
ne pouvons pas nous permettre
d’en formuler », a-t-il justifié. Le
Kremlin l’a accusé en retour
d’augmenter « le niveau d’impli-
cation directe de la France ».
PAGE 8

Gaza International
Les négociations African Initiative,
sur la trêve entre le nouvel organe
Israël et le Hamas de désinformation
encalminées russe en Afrique
PAGE 4 PAGE 6
▶ Le président s’est posé en défenseur de la démocratie face
à son adversaire, lors de son discours sur l’état de l’Union
PAGE 3

Lors du discours sur l’état de l’Union, au Congrès, à Washington, le 7 mars. SHAWN THEW/AP

Migrants
Aux obsèques
Cinéma « Anatomie d’une chute » Société
de Rola Al Mayali, en campagne pour les Oscars Les femmes, CANAPÉ

7 ans, noyée dans oubliées des 3 PLACES

OTTO

le canal de l’Aa
PAGE 1 2 politiques rurales
Portugal Obstacles à l’emploi, à la
mobilité, à la santé… en
Le parti d’extrême milieu rural, les difficultés
droite Chega spécifiques des femmes
creuse son sillon sont peu prises en compte
dans les mesures étudiées
PAGE 2 par les pouvoirs publics
PAGE 1 0
Economie
L’Egypte ploie Assise double profondeur :
sous les dettes
et brade ses actifs
1
ÉD ITO R IAL
dossiers et accoudoirs ajustables

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vent paraître importants, mais
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2|
INTERNATIONAL
André Ventura, chef du parti Chega, à Braga, le 27 février. PHOTOS DIANA TINOCO POUR « LE MONDE »
A Lisbonne, dans un quartier comptant de nombreux migrants asiatiques.
Au Portugal, l’extrême droite en plein essor
Le parti Chega compte percer aux élections législatives de dimanche, porté par les difficultés sociales
braga (portugal), lisbonne -
envoyée spéciale
E
ntouré d’une pléthore de
gardes du corps et d’élus
de son parti, André Ven-
tura avance, ce mardi 27
février, en souriant dans la vieille
ville de Braga, dans le nord du
Portugal. Autour du dirigeant du
parti d’extrême droite Chega
(« Ça suffit »), une cinquantaine
de militants agitent des dra-
peaux et scandent comme un
mantra : « Por-tu-gal ». Margarita
Paulina ne cache pas son excita-
tion. Les larmes aux yeux, elle fait
signe à M. Ventura qui s’approche
d’elle et l’embrasse avec effusion.
« C’est le meilleur : le pays a besoin
d’une main de fer pour que l’ordre
revienne dans notre petit pays et
que nos jeunes ne partent plus cher-
cher ailleurs un meilleur avenir, ex-
plique cette retraitée de 62 ans,
dont un fils vit à Dubaï et une fille
en Suisse. Les autres responsables
politiques multiplient les promes-
ses, mais ils ne font rien… »
Dans les rues, les passants pren-
nent des photos et murmurent
sur son passage. « Il a des idées qui
me plaisent et il se bat contre le
statu quo. Ce pays a besoin de chan-
ger sa mentalité et les gens doivent
se réveiller », assure José Campos,
un ingénieur de 52 ans qui hésite
encore à lui donner sa voix, le
trouvant « parfois trop agressif ».
Deux employées d’une boutique
de chaussures chuchotent sur le
palier. « Il est trop extrême pour
moi, mais il a raison quand il parle
logement et inégalités », souligne
l’une d’elles, trentenaire.
Cinq ans après son irruption sur
la scène politique portugaise,
Chega est promis à une forte pous-
sée lors des élections législatives
anticipées qui auront lieu diman-
che 10 mars. En 2019, avec à peine
1,3 % des voix, le parti d’André Ven-
« Chega a surgi
dans un contexte
de dynamique
antisocialiste et
d’incapacité de la
droite à revenir
au pouvoir »
ANTONIO COSTA PINTO
historien
tura, ancien élu local du PSD (Parti
social-démocrate, centre droit) et
ex-commentateur sportif, avait
remporté un seul siège à l’Assem-
blée de la République, porté par un
discours antisystème et anti-
Roms. « Il avait alors pêché des voix
dans les zones rurales abandon-
nées, chez des gens qui ne se sen-
taient pas écoutés, rappelle l’ana-
lyste politique Patricia Lisa. A pré-
sent, il l’emporte chez les jeunes, sé-
duits par les partis situés aux
extrêmes… » Après être monté à
7,1 % des voix en 2022 (12 députés)
et avoir introduit un discours radi-
cal, sur la forme comme sur le
fond, dans l’espace jusqu’alors po-
licé de l’Assemblée, il est désor-
mais annoncé par les sondages les
plus prudents entre 16 % et 18 %
des intentions de vote.
La fin de l’exception portugaise,
pays qui a longtemps semblé aller-
gique à l’extrême droite, devrait
être entérinée dimanche. « En réa-
lité, dès la consolidation de la dé-
mocratie, après la “révolution des
œillets” de 1974, nous savions
qu’entre 18 % et 20 % de la société
portugaise exprimait des opinions
conservatrices autoritaires. Cepen-
dant, les deux partis de la droite, le
PSD et le CDS [Centre démocrate et
social], qui venaient de l’opposition
modérée au salazarisme, les conte-
naient, souligne l’historien Anto-
nio Costa Pinto, professeur à l’Ins-
titut des sciences sociales de l’uni-
versité de Lisbonne. Chega a finale-
ment surgi dans un contexte de dy-
namique antisocialiste – sous le
gouvernement de gauche alliant
Parti socialiste, gauche radicale et
Parti communiste [entre 2015 et
2019], surnommé la “geringonça”,
le “bidule” – et d’incapacité de la
droite à revenir alors au pouvoir. »
Dans le cortège de Chega, Mo-
nica, une cheffe d’entreprise de
53 ans, se définit comme « natio-
naliste » et plaide pour la défense
de « valeurs catholiques, comme la
famille traditionnelle, le travail ou
la communauté ». « Pour conduire
un pays, il faut un homme, fort, qui
en impose… », ajoute Martins Da-
vid, 71 ans, ancien votant du PSD,
qui insiste sur la « confiance » que
lui inspire André Ventura. « Dans
tous les partis, ce sont les mêmes
magouilles et pendant que ces vo-
leurs mettent leurs millions dans
des paradis fiscaux, les médecins,
les enseignants, les pompiers, les
policiers sont dans la rue pour ré-
clamer de meilleurs salaires », dit-il.
Moduler son discours
Organisées à la suite de scandales
de corruption touchant des pro-
ches collaborateurs du premier
ministre socialiste démission-
naire, Antonio Costa, au pouvoir
depuis 2015, et éclaboussant deux
ministres, les élections sont mar-
quées par le manque de confiance
des Portugais envers leurs institu-
tions. Le nom de l’ancien premier
ministre socialiste José Socrates,
inculpé depuis 2014 dans plu-
sieurs affaires de corruption mais
pas encore jugé, revient aussi ré-
gulièrement dans les conversa-
tions. Avec son slogan « le Portugal
a besoin d’un nettoyage », accom-
pagné de photos de dirigeants so-
cialistes, Chega a fait de la corrup-
tion le principal thème de sa cam-
Dans une rue de Braga, pendant un meeting d’André Ventura.
Une affiche endommagée de Chega, à Lisbonne.
pagne. Mais il exploite aussi les
autres malaises de la société.
Car, malgré des indicateurs éco-
nomiques au beau fixe – une
croissance de 2,3 % en 2023, très
supérieure à la moyenne euro-
péenne (0,5 %), un taux de chô-
mage de 6,5 % et une dette publi-
que descendue sous les 100 % du
produit intérieur brut –, le mécon-
tentement domine au Portugal. Le
pays est confronté à la crise du lo-
gement et à la flambée des prix
des loyers, la dégradation du sys-
tème public de santé et d’éduca-
tion, les pénuries d’enseignants et
de médecins, des salaires très bas
et plusieurs années d’inflation.
Sans se soucier de cohérence,
Chega module son discours pour
séduire tous les secteurs de la so-
ciété. Aux uns, il promet des bais-
ses d’impôts et la castration chi-
mique des délinquants sexuels,
aux autres des investissements
dans le système public de santé, la
hausse des retraites et des salaires.
« La situation du marché du travail
est mauvaise, avec une spécialisa-
tion économique sur des secteurs
peu productifs. Et la priorité a été
donnée, ces dernières années, à
l’augmentation du salaire mini-
mum [950 euros par mois], qui se
rapproche du salaire moyen, souli-
gne l’économiste José Reis, profes-
seur à l’université de Coimbra. La
question sociale va sans doute dé-
André Ventura
a mené l’essentiel
de sa campagne
dans des espaces
fermés.
Son image
est strictement
contrôlée
terminer le vote. Or l’extrême droite
représente la nouveauté et le libé-
ralisme séduit les jeunes. »
Mario, 23 ans, étudiant en
science politique à l’université de
Braga, qui préfère ne pas donner
son nom, vante sa « manière de
parler ». « Ce qu’il dit va droit au
cœur, il parle vrai, lui. Ce n’est pas
vrai que c’est l’extrême droite, c’est
la droite, libérale en économie, con-
servatrice », explique le jeune
homme, en queue du cortège.
Très présent sur les réseaux so-
ciaux, M. Ventura a mené l’essen-
tiel de sa campagne dans des espa-
ces fermés, organisant des ban-
quets dans des salles plus propres
à l’organisation de mariages que
de meetings, pour que rien ne
sorte du cadre de la communica-
tion prévue. Le peu de fois où il
sort dans la rue, ses gardes du
corps désignent ceux dont il peut
s’approcher, de façon à garantir un
contrôle strict de son image.
« Chega est le parti qui a le mieux su
utiliser les réseaux sociaux. Les
posts d’André Ventura sont ceux qui
ont le plus d’impact, et sa capacité
à utiliser TikTok est une des raisons
de sa force chez les jeunes », note
Carlos Jalali, professeur de science
politique à l’université d’Aveiro.
Conscients du mécontentement
ambiant, tous les partis promet-
tent un « changement ». Après
huit ans de gouvernement socia-
liste, la coalition conservatrice Al-
liance démocratique (AD), menée
par le chef de file du PSD, Luis Mon-
tenegro, avec le parti de droite Cen-
tre démocrate et social-Parti popu-
laire et un petit parti monarchiste,
est donnée favorite. Il y a deux ans,
la crainte suscitée par Chega avait
mobilisé les électeurs de gauche et
donné une majorité absolue au
Parti socialiste aux législatives de
2022. A présent, cette peur ne sem-
ble plus un moteur aussi puissant,
et l’extrême droite espère se ren-
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
dre indispensable à la droite pour
gouverner. Si M. Montenegro as-
sure qu’il ne s’alliera pas avec elle,
des tensions sont apparues au sein
de son parti et certains, comme
l’ancien premier ministre Pedro
Passos Coelho et son ex-ministre
Rui Gomes da Silva, ont exprimé
leur souhait de laisser la porte
ouverte à un accord avec Chega.
Diatribes anti-migrants
Pour l’aile modérée du PSD, celle
de M. Montenegro, André Ventura
n’est pas fréquentable. Personne
n’a oublié que cet ex-séminariste
de 41 ans – il assure que « Dieu [l’]a
placé où [il est] » pour redresser le
Portugal –, docteur en droit, s’est
d’abord fait connaître par ses dia-
tribes contre les « Gitans », captant
« un sentiment anti-Roms que per-
sonne n’avait verbalisé », souligne
Carlos Jalali. Depuis, l’élu a aussi
fait de l’immigration l’un de ses
principaux thèmes de campagne,
« bien qu’elle ne figure pas parmi les
principales préoccupations des
Portugais », souligne l’analyste.
L’arrivée, ces cinq dernières an-
nées, de milliers de travailleurs
immigrés, en particulier du Brésil,
du Pakistan, d’Inde et du Népal, ve-
nus couvrir les besoins dans l’agri-
culture et les services, n’a pas pro-
voqué de tensions sociales, « mais
Chega l’a associée à la criminalité et
aux bas salaires », ajoute M. Costa
Pinto. André Ventura a promis
d’exiger des étrangers cinq ans de
cotisations avant d’avoir accès aux
services sociaux. Et le centre droit
a commencé à parler de réguler
l’immigration durant la campa-
gne. « L’enjeu, il est à droite, où
Chega crée une dynamique de ten-
sion. C’est là que se jouera la me-
nace sur la démocratie portugaise,
pas à court terme, mais à moyen
terme, estime M. Costa Pinto. Vik-
tor Orban est le modèle… » p
sandrine morel
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Biden se pose en
défenseur « de
la liberté et de
la démocratie »
Le président américain a lancé
sa campagne contre Trump avec
son discours sur l’état de l’Union
washington - correspondant
I
l faudrait s’y habituer, à
force. A chaque fois que Joe
Biden est déclaré en per-
dition politique, il ressurgit,
sourire carnassier, armé de son
optimisme inépuisable. Avec son
discours sur l’état de l’Union
devant le Congrès, jeudi 7 mars, il
a infligé un supplice aux élus ré-
publicains, qui raillent sa sup-
posée déchéance physique et
mentale. Au fil d’un long exercice
qui a démontré son endurance à
81 ans, malgré une tendance ac-
crue à avaler les mots, le président
s’est évertué à établir un contraste
sur tous les plans avec Donald
Trump, jamais nommé, désigné
comme « mon prédécesseur ».
L’homme du passé, en somme. Le
candidat pugnace, jeudi, parlant
de l’avenir et de l’identité améri-
caine, était Joe Biden.
Après une séquence récente fa-
vorable à Donald Trump, conclue
par le retrait de Nikki Haley des
primaires républicaines, mercredi
6 mars, l’équipe de Joe Biden con-
sidère ce discours comme le vrai
lancement de sa campagne prési-
dentielle. Sa stratégie offensive
vise à souligner la menace exis-
tentielle que représente Donald
Trump pour la démocratie améri-
caine. Joe Biden a rappelé le fossé
qui sépare les deux hommes, tout
en évacuant les interrogations sur
sa propre santé.
« Mon existence m’a appris à em-
brasser la liberté et la démocratie,
a-t-il dit. Un futur reposant sur les
valeurs essentielles qui ont défini
l’Amérique : l’honnêteté, la décence,
la dignité, l’égalité (…). La question
à laquelle notre nation est confron-
tée n’est pas l’âge que nous avons,
mais l’âge qu’ont nos idées. La
haine, la colère, la revanche, la ven-
geance figurent parmi les idées les
plus vieilles. Mais on ne peut con-
duire l’Amérique avec des idées qui
Le président souhaite taxer davantage milliardaires et entreprises
Dans son discours devant le Congrès, jeudi, Joe Biden a voulu se différencier de Donald Trump, le campant en candidat des riches
new york - correspondant
F aute de parvenir à vendre
son bilan économique aux
électeurs américains, tou-
jours furieux de la hausse (passée)
des prix, Joe Biden a profité du
discours sur l’état de l’Union pour
lancer la bataille des impôts. Ac-
cusant, sans le nommer, Donald
Trump d’être le candidat des plus
riches et de vouloir baisser encore
les impôts, M. Biden a proposé au
contraire de taxer davantage les
milliardaires et les entreprises.
Comme en 2021, il a tenu le dis-
cours le plus à gauche depuis qua-
rante ans pour un démocrate,
espérant reprendre la main face à
ses troupes. « Il y a mille milliar-
daires aux Etats-Unis. Vous savez
quel est le taux d’imposition fédé-
ral moyen pour ces milliardaires ?
8,2 % ! C’est bien moins que ce que
paie la grande majorité des Améri-
cains. Aucun milliardaire ne de-
vrait payer un taux d’imposition
inférieur à celui d’un enseignant,
d’un éboueur ou d’une infirmière !
ne font que nous ramener en ar-
rière. » L’offensive Biden se veut
aussi un effort positif de pédago-
gie, une façon de lier les réalisa-
tions économiques du mandat ac-
tuel pour former un tableau : celui
d’une Amérique investissant dans
son avenir, ses infrastructures et
ses secteurs stratégiques. « Cela ne
fait pas la “une”, a dit Joe Biden,
mais, dans des milliers de villes et
de villages, le peuple américain est
en train d’écrire le plus grand come-
back de l’histoire jamais raconté. »
Une révolution idéologique
Une Amérique également préoc-
cupée par l’idée de justice. Cette
dernière s’illustre dans la lutte en
faveur de médicaments plus abor-
dables ou dans la défense de l’assu-
rance-maladie, qu’une partie des
républicains voudrait remettre en
question. « On vous a arrêté cin-
quante fois et l’on vous arrêtera en-
core ! », a lancé M. Biden à leur in-
tention, même si Donald Trump
n’a jamais endossé ce projet. Cette
idée de justice doit aussi se décli-
ner dans la politique fiscale. Le pré-
sident a proposé des mesures en
faveur des primo-acquéreurs sur
un marché immobilier où les prix
flambent. Il a aussi relancé l’idée
d’un impôt minimal de 25 % sur
les plus grandes fortunes.
Ce chapitre économique a per-
mis de mesurer la révolution idéo-
logique du Parti démocrate, qui
s’est accélérée sous la présidence
Biden. En 1996, alors qu’il abordait
sa campagne de réélection, Bill
Clinton avait annoncé au Congrès
que « l’ère du “big government”
[était] finie ». Or, depuis 2021, Joe
Biden a promu un Etat fédéral stra-
tège, investisseur, étendant la cou-
verture médicale, annulant une
partie de la dette étudiante.
Si Donald Trump a enterré cer-
tains fondamentaux républicains
de l’ère Reagan (1981-1989), Joe Bi-
den en a fait de même, en écono-
C’est pourquoi j’ai proposé un im-
pôt minimum de 25 % pour les mil-
liardaires », a déclaré M. Biden.
Le président candidat a aussi
proposé de relever le taux de l’im-
pôt sur les sociétés de 21 % à 28 %
et exigé un impôt minimal :
« En 2020, cinquante-cinq des plus
grandes entreprises américaines
ont réalisé 40 milliards de dollars
de bénéfices et n’ont payé aucun
impôt fédéral sur le revenu. C’est
fini ! Il est temps d’augmenter
l’impôt minimum sur les sociétés
à au moins 21 %, afin que chaque
grande entreprise commence en-
fin à payer sa juste part. »
Il veut aussi réduire les salaires
des PDG, qui atteignent désor-
mais trois cents fois celui de leurs
salariés. « Je veux mettre fin aux
allégements fiscaux accordés aux
grandes sociétés pharmaceuti-
ques et pétrolières, aux jets privés
et aux salaires massifs des diri-
geants ! Arrêtez maintenant ! » Et
de rêver à ce que ces sommes
pourraient financer : « Imagi-
nez ! », a répété plusieurs fois Joe
La première dame, Jill Biden, et, à sa gauche, Ulf Kristersson, le premier ministre suédois, à Washington, le 7 mars. CHIP SOMODEVILLA/AFP
mie, avec le centrisme libéral. La
justice sociale est un thème classi-
que à gauche. En revanche, la fa-
çon dont les démocrates se posent
en parti de la liberté constitue une
nouveauté, qui se veut une
réponse à la pente autoritaire et in-
tolérante du mouvement MAGA
(« Make America Great Again »).
Leur acception du mot diffère évi-
demment de celle des républi-
cains. Ces derniers pensent au
port d’armes, à la liberté d’expres-
sion et de culte, au fait de pouvoir
entreprendre sans entraves fédé-
rales. Les démocrates, eux, se font
les défenseurs de la liberté civique
grâce à des modalités de vote di-
versifiées ; de la liberté de vivre
sans craindre une fusillade de
masse, en particulier à l’école ; et,
enfin, de la liberté des femmes à
disposer de leur corps.
L’avortement sera un thème cen-
tral de la campagne, longuement
abordé par Joe Biden, sous les ap-
plaudissements de son camp. Le
déplacement sémantique sur
cette question est important : à
gauche, on se dit moins « pro-
choix » qu’avant, car on défend les
droits reproductifs, attaqués par la
Cour suprême. Celle-ci a renvoyé,
en juin 2022, l’avortement au bon
vouloir des Etats, fracturant da-
vantage le pays. « Clairement, ceux
qui se félicitent d’avoir renversé Roe
vs Wade [l’arrêt qui, depuis 1973,
accordait aux Américaines le droit
d’avorter sur tout le territoire]
n’ont aucune idée du pouvoir des
Biden, citant les aides possibles
aux familles, aux enfants ou aux
personnes âgées. La posture vaut
programme électoral, à huit mois
de l’élection. Comme l’écrit pudi-
quement le Financial Times : « Il
est peu probable que ces proposi-
tions soient adoptées par le
Congrès, mais elles visent à distin-
guer le programme progressiste
de Biden de celui de son rival répu-
blicain, Donald Trump. »
Problème des classes moyennes
La réalité est assez complexe. Bi-
den ne cesse de vilipender la ré-
forme fiscale de Donald Trump de
2017. « La dernière administration
a adopté une réduction d’impôt de
2 000 milliards de dollars, qui pro-
fite massivement aux très riches
et aux plus grandes entreprises, et
a fait exploser le déficit fédéral. »
Mais une grande partie de ces ré-
ductions, aussi à l’avantage des
classes moyennes, arrivent à
échéance en 2025, et le prochain
président devra décider avec le
Congrès s’il proroge tout ou partie
femmes en Amérique, a souligné
Joe Biden. Mais ils l’ont découvert
lorsque la liberté reproductive se
trouvait sur le bulletin de vote et a
gagné en 2022, en 2023, et ils le dé-
couvriront à nouveau en 2024. Si
vous, le peuple américain, désignez
un Congrès soutenant le droit de
choisir, je vous le promets : je res-
taurerai Roe vs Wade en tant que
loi de ce pays. »
Devant lui, dans les travées, des
dizaines d’élues démocrates
s’étaient vêtues de blanc au nom
des droits des femmes, un geste
déjà réalisé en 2020. Chacun sa
cause. Sur l’autre bord, des républi-
cains portaient un badge à l’effigie
de Laken Riley, une infirmière de
22 ans tuée en Géorgie en février.
Son meurtrier présumé est un
sans-papiers vénézuélien, une si-
tuation transformant la victime
en martyr du peuple trumpiste,
pour lequel la crise migratoire se-
rait une invasion barbare.
Galvaniser ses partisans
Après avoir longtemps minimisé
ce sujet, Joe Biden s’est rendu ré-
cemment à la frontière avec le
Mexique. Jeudi soir, il a habile-
ment brandi l’un des badges célé-
brant Laken Riley, qui lui avait été
remis un peu plus tôt par la repré-
sentante trumpiste Marjorie Tay-
lor Greene. Mais il a surtout appelé
la Chambre des représentants à lui
transmettre au plus vite le texte
bipartisan destiné à sécuriser la
frontière, adopté au Sénat. « On
de cette réforme. « Si le Congrès
n’agit pas, les impôts augmente-
ront pour la grande majorité des
ménages américains, affirme à la
chaîne CNBC Howard Gleckman,
chercheur à l’Urban-Brookings
Tax Policy Center. Aucun respon-
sable politique ne souhaite que cela
se produise. » Pas plus Joe Biden.
Le président sortant s’apprête
donc à reprendre partiellement à
son compte la réforme Trump. Le
président républicain avait fait
baisser définitivement le taux de
l’impôt sur les sociétés de 35 % à
21 % : M. Biden propose un com-
promis à 28 %. En ce qui concerne
les tranches de l’impôt sur le re-
venu qui avaient été abaissées
provisoirement, M. Biden va ma-
nifestement en proposer la proro-
gation d’une grande partie.
« Selon mon plan, personne ne
gagnant moins de 400 000 dollars
ne paiera un centime supplémen-
taire d’impôt fédéral. Personne. Pas
un centime », a-t-il ajouté. Ce chif-
fre situe, dans l’esprit démocrate
américain, à 33 000 dollars de re-
international | 3
« On ne peut
conduire
l’Amérique
avec des idées
qui ne font que
nous ramener
en arrière »
JOE BIDEN
président des Etats-Unis
me dit que mon prédécesseur a ap-
pelé les républicains au Congrès et
leur a demandé de bloquer le texte,
a noté Joe Biden. Il pense que ce se-
rait une victoire politique pour moi
et une défaite pour lui. » Derrière le
président, le speaker républicain
de la Chambre, Mike Johnson, se-
couait la tête devant cette vérité.
Dans son discours inaugural, le
20 janvier 2021, M. Biden avait pro-
mis d’engager son « âme » dans
une tâche : « rassembler l’Améri-
que ». Il avait répété le mot
« unité », car, sans elle, « pas de pro-
grès, seulement de l’indignation
épuisante. Pas de nation, seule-
ment un état de chaos ». Son ul-
time discours sur l’état de l’Union
a été très partisan, offensif, des-
tiné à galvaniser ses partisans et à
réveiller les dizaines de millions
d’Américains encore loin de se
passionner pour l’élection à venir.
La crise climatique a été vite
expédiée. Le volet sur la politique
venu brut par mois (30 500 euros
environ) le seuil de la richesse.
Depuis le début de son mandat,
Biden accuse les républicains de
l’empêcher de passer ses mesures
fiscales, mais il n’a rien fait lorsque
les démocrates contrôlaient les
deux chambres du Congrès, entre
2020 et 2022. « Depuis des années,
Biden a essayé, sans succès, d’aug-
menter les impôts des riches Améri-
cains et des entreprises », rappelle
le Wall Street Journal. Il s’était
heurté à l’opposition des séna-
teurs démocrates centristes Joe
Manchin (Virginie-Occidentale) et
Kyrsten Sinema (Arizona).
La seule chose obtenue fut la
taxation des profits des multina-
tionales à 15 %, mesure qui doit en-
trer en vigueur en 2024, mais dont
les décrets d’application n’ont pas
été publiés, selon le Wall Street
Journal. Un mouvement d’ailleurs
à l’initiative de Donald Trump,
ayant conduit Apple à payer
38 milliards de dollars, en 2018,
un impôt exceptionnel sur sa tré-
sorerie stockée à l’étranger.
étrangère fut sans surprise, cel-
le-ci étant dominée par deux cri-
ses majeures impliquant les Etats-
Unis : l’Ukraine et la bande de
Gaza. Elles nourrissent des inter-
rogations croissantes sur l’enga-
gement américain, mais de nature
différente. Dans le premier cas,
le soutien militaire à l’Ukraine
face à l’invasion russe est sus-
pendu depuis plusieurs mois en
raison de l’obstruction de la mino-
rité MAGA à la Chambre des repré-
sentants. « L’Ukraine peut arrêter
Poutine si nous nous tenons aux
côtés de l’Ukraine et que nous lui
fournissons les armes dont elle a
besoin pour se défendre, a affirmé
Joe Biden. C’est tout ce que
l’Ukraine demande. Ils n’exigent
pas de soldats américains. » Une
référence discrète au débat lancé
par Emmanuel Macron en Europe.
Dans la seconde crise, c’est le re-
fus de l’administration Biden de
se distancier du gouvernement is-
raélien qui provoque un malaise
grandissant dans les milieux pro-
gressistes, après cinq mois de
guerre, plus de 30 000 morts et
une bande de Gaza transformée
en champ de ruines. Peu avant le
départ de M. Biden de la Maison
Blanche, environ 200 manifes-
tants avaient bloqué Pennsylvania
Avenue, l’artère menant au Capi-
tole. Le président candidat a passé
une excellente soirée, mais tout
reste à faire. A commencer par ras-
sembler son propre camp. p
piotr smolar
Pour l’avenir, tout dépendra de
la majorité issue des élections au
Congrès, celui-ci étant seul déci-
deur en matière fiscale. Avant
le discours, la Maison Blanche
était bien en peine d’expliquer
comment elle procéderait pour
taxer les milliardaires. « Sur l’im-
pôt minimum des milliardaires,
je n’ai rien de spécifique à exposer
avant le discours », expliquait
à la presse un conseiller de la
Maison Blanche.
Toutefois, il y a urgence, et
Trump n’est pas le seul coupable.
Le déficit budgétaire est hors
de contrôle, Biden l’ayant fait pas-
ser, avec ses programmes de dé-
penses et la hausse des taux d’in-
térêt, et hors manipulation comp-
table sur les prêts étudiants, de
1 000 milliards de dollars à près de
2 000 milliards pour l’exercice
clos le 30 septembre 2023. A 7 %
du produit intérieur brut en pé-
riode de croissance et de plein-
emploi, le déficit est, effective-
ment, insoutenable. p
arnaud leparmentier
4 | international
Les Etats-Unis explorent
une voie maritime pour
acheminer l’aide à Gaza
Un « ponton temporaire », dont les contours
restent flous, pourrait être mis en place
washington - correspondant
T erre, air, et bientôt mer : les
Etats-Unis tentent, par tous
les moyens, de desserrer
l’étau israélien autour de l’aide hu-
manitaire vers la bande de Gaza.
Au cours de son discours devant le
Congrès, jeudi 7 mars, Joe Biden a
confirmé la mise en place d’une
mission humanitaire destinée à
acheminer une partie de cette aide
par voie maritime. Il s’agit de met-
tre en place, a-t-il dit, « un ponton
temporaire » qui « permettrait une
augmentation massive de la quan-
tité d’aide humanitaire entrant
chaque jour à Gaza ».
Au cours d’un échange avec la
presse dans la matinée, un haut
responsable américain avait an-
noncé que cette « mission humani-
taire » permettrait d’« accueillir de
grands navires transportant de la
nourriture, de l’eau, des médica-
ments et des abris provisoires ». Un
projet de port offshore au large de
l’enclave avait déjà été soutenu par
la Turquie et le Qatar, en 2015, mais
il ne s’est jamais concrétisé, faute
de validation israélienne. Cette
fois, l’usage du mot « port » est un
abus de langage. Il s’agirait d’un
ponton provisoire sans doute flot-
tant, sur la plage ou légèrement au
large. Les vaisseaux américains se
tiendraient à bonne distance de la
côte. Pas question de déployer des
soldats sur le sol palestinien, ni
pour installer la structure ni pour
se charger de l’aide.
Les premiers convois passe-
raient par Chypre et son port de
Larnaca, grâce à une coalition in-
ternationale en renfort des Etats-
Unis et une présence israélienne
pour vérifier le contenu. Selon le
responsable, la distribution de
l’aide à Gaza se ferait « avec les Na-
tions unies et les ONG humanitai-
res ». Personne ne sait comment à
ce stade. L’intention est claire, les
modalités sont floues, et le temps
nécessaire pour la réalisation se
compterait en longues semaines.
Côté israélien, la Cogat, l’organe
de coordination des activités gou-
vernementales dans les territoi-
res palestiniens, communique
comme si elle secourait de bon
cœur une population dans le be-
soin. « Il n’y a pas de limite à l’aide
humanitaire pouvant entrer dans
Gaza », affirmait, jeudi, la Cogat.
D’une même voix, les officiels
américains et israéliens mettent
en cause des pillages sur le ter-
rain, dans la bande, organisés par
des groupes criminels.
Or, ce sont d’abord les affamés
qui se jettent sur les rations. Ils
pillent parce que le chaos règne
depuis qu’Israël a détruit les in-
frastructures de Gaza (bateaux de
pêcheurs, entrepôts, écoles, etc.),
insécurisé les convois et mis en
cause l’UNRWA, la mission des Na-
tions unies qui sert de filet essen-
tiel d’assistance et de solidarité.
Refusant toute présence visible
d’hommes en uniforme, les forces
israéliennes ont frappé, il y a un
mois, des policiers locaux. Ceux-ci
refusent, depuis, d’escorter les ca-
mions d’aide.
Face à la détresse absolue de la
population palestinienne, con-
frontée par endroits à la famine,
Pas question,
pour les Etats-
Unis, de déployer
des soldats sur le
sol palestinien,
ni pour installer
la structure ni
pour se charger
de l’aide
L’administration
Biden rechigne
à placer
Nétanyahou
face à ses
responsabilités
l’administration Biden prétend
« inonder le marché ». Cette expres-
sion a été prononcée à plusieurs
reprises par des officiels améri-
cains. Leur idée : acheminer telle-
ment d’aide que les fameux grou-
pes criminels n’auraient plus d’in-
térêt à les détourner. Ce serait
aussi la condition indispensable
pour organiser le retour, au moins
partiel, de la population vers le
nord de la bande de Gaza.
« Aux dirigeants israéliens, je dis
ceci, a déclaré Joe Biden, jeudi.
L’aide humanitaire ne peut être une
considération secondaire ou un je-
ton de négociation. Protéger et sau-
ver des vies innocentes doit être une
priorité. » Le récit promu est celui
d’une administration focalisée de-
puis l’origine sur l’aide humani-
taire, au fil des épisodes : l’appel de
Joe Biden à son homologue égyp-
tien, Abdel Fattah Al-Sissi, à la mi-
octobre 2023, en conclusion de
son déplacement en Israël, pour
permettre l’entrée des premiers
camions ; puis la visite en décem-
bre de son conseiller à la sécurité
nationale, Jake Sullivan, afin d’ob-
tenir l’ouverture du point de pas-
sage israélien de Kerem Shalom.
Un troisième lieu d’entrée, cette
fois au nord de la bande de Gaza,
devrait apparaître dans les jours
prochains, annonce Washington.
« Mais nous n’attendons pas les Is-
raéliens », a expliqué un responsa-
ble américain, jeudi, en mention-
nant trois opérations de largage de
vivres, organisées en une semaine
par le Pentagone. Une goutte
d’eau par rapport aux besoins.
Entre fidélité et humiliation
L’administration Biden rechigne à
placer publiquement le gouverne-
ment Nétanyahou face à ses res-
ponsabilités ; à conditionner son
aide militaire ; à définir des lignes
rouges dans son soutien. Alors
qu’une partie de la gauche améri-
caine critique ardemment la posi-
tion de la Maison Blanche, celle-ci
s’entête à ne reconnaître que des
maladresses de communication.
Cela n’induit que deux possibili-
tés : soit l’administration Biden
est impuissante à influencer Israël
autrement qu’à la marge, soit elle
épouse sa stratégie militaire jus-
qu’au bout, se contentant d’amor-
tir ses effets dévastateurs.
Le bilan de ces cinq mois d’enga-
gement américain dessine à la fois
une fidélité entre alliés et une
forme d’humiliation, infligée par
le petit au grand. Après s’être tenu
aux côtés d’Israël depuis l’attaque
du Hamas, avoir déployé des for-
ces navales en Méditerranée
orientale pour empêcher une ex-
tension régionale du conflit, blo-
qué, à plusieurs reprises, des réso-
lutions au Conseil de sécurité de
l’ONU, validé plus de cent livrai-
sons d’armes à l’Etat hébreu, selon
le Washington Post, refusé d’appe-
ler à un cessez-le-feu immédiat et
de condamner des crimes de
guerre manifestes commis par
l’armée israélienne, l’administra-
tion Biden se retrouve isolée, fragi-
lisée. Avec un frêle espoir, celui
d’arracher une trêve de six semai-
nes entre les protagonistes, avec le
renfort du Qatar et de l’Egypte.
Une trêve pour obtenir la libéra-
tion des otages les plus vulnéra-
bles aux mains du Hamas, et retar-
der la suite de l’opération militaire
israélienne, autour de Rafah. p
piotr smolar
Aide humanitaire larguée sur le nord de Gaza, vue depuis la frontière sud d’Israël, le 7 mars. JACK GUEZ/AFP
Les négociations sur l’enclave
s’enlisent entre Israël et le Hamas
L’hypothèse qu’un arrêt des combats intervienne avant le début
du mois de ramadan devient de plus en plus incertaine
beyrouth, jérusalem -
correspondants
L
es négociations entre Is-
raël et le Hamas pour une
trêve dans la bande de
Gaza sont toujours dans
l’impasse à l’approche du mois du
ramadan. L’échéance, que s’étaient
fixée les médiateurs égyptiens et
qataris pour parvenir à un accord
sur l’échange d’otages israéliens
contre des Palestiniens détenus en
Israël et un afflux d’aide dans l’en-
clave palestinienne, pourrait ne
pas être tenue. Les deux parties
s’opposent encore sur la nature
même de cet accord.
Le mouvement islamiste exige
un cessez-le-feu permanent et le
retrait des forces israéliennes
pour clore cinq mois d’une guerre
qui a fait plus de 30 000 morts et
s’atteler à la reconstruction de
l’enclave dévastée. L’Etat hébreu
se refuse à évoquer le jour d’après
et toute transition politique à
Gaza. Il envisage l’arrêt des com-
bats comme une simple pause,
un moyen de libérer les otages,
avant la reprise de la destruction
des capacités militaires et de gou-
vernement du Hamas.
Jeudi 7 mars, le premier minis-
tre israélien, Benyamin Nétanya-
hou, a promis une nouvelle fois
que l’infanterie finirait par mener
l’assaut à Rafah, où sont réfugiés
plus de 1,3 million de Palestiniens,
en dépit de la pression des Etats-
Unis et de la communauté inter-
nationale pour l’en dissuader. Is-
raël se dit échaudé par un durcis-
sement des demandes du Hamas.
« Le Hamas a deux options : se ren-
dre ou mourir. Il n’y en a pas
d’autre », a martelé le ministre de
la défense, Yoav Gallant.
Optimisme teinté de doutes
Le matin, la délégation du Hamas
avait quitté Le Caire, après trois
jours de pourparlers, sur un cons-
tat d’échec. Israël « refuse de s’en-
gager et de donner des garanties
concernant le cessez-le-feu, le re-
tour des personnes déplacées et le
retrait des zones de son incur-
sion », a déploré le porte-parole du
mouvement, Jihad Taha. Le Ha-
mas a néanmoins assuré qu’il re-
prendrait ces pourparlers la se-
maine prochaine.
Au Caire, comme à Doha, les né-
gociateurs se disent déterminés à
poursuivre leur médiation le
temps qu’il faudra. Reconnais-
sant une « négociation difficile »,
l’administration américaine
pousse à un compromis. « Nous
continuons de croire que les obsta-
cles ne sont pas insurmontables et
qu’un accord peut être trouvé »,
avait estimé, mercredi, le porte-
parole du département d’Etat
américain, Matthew Miller.
L’optimisme affiché par les né-
gociateurs se teinte de doutes en
coulisses. « Les médiateurs sont
pessimistes sur la possibilité
d’une issue négociée à la guerre.
Aucune des parties n’a intérêt à lâ-
cher : ni le Hamas pour qui les ota-
ges sont une assurance-vie, ni
Benyamin Nétanyahou pour qui
une victoire militaire est la clé de
son sauvetage politique », ré-
sume une source en contact avec
les négociateurs.
« Le Hamas n’acceptera jamais
de relâcher tous les otages sans un
accord de cessez-le-feu. Ils préfè-
rent mourir à Gaza que de renon-
cer aux otages sans contrepartie »,
confirme une source proche des
négociations. La proposition de
départ, mise sur la table par les
médiateurs fin janvier, prévoyait
un plan en trois phases, créant les
conditions pour un arrêt des com-
bats s’étalant sur plusieurs mois et
le début de la reconstruction.
Faute de compromis, les média-
teurs ont recentré la négociation
sur la phase initiale – une trêve de
six semaines et l’échange de qua-
rante otages israéliens contre des
Palestiniens détenus en Israël.
Le Hamas accepte les princi-
paux termes de cet accord, mais il
exige la garantie qu’il conduise à
un cessez-le-feu permanent.
« L’autre problème tient au retrait
des forces israéliennes, que le Ha-
mas demande et auquel Israël
s’oppose. Enfin, le Hamas veut
avoir la garantie que l’aide huma-
nitaire parviendra dans le nord de
la bande de Gaza. Il est assez clair
que les Israéliens cherchent à
transformer cet endroit en zone
tampon », poursuit la source pro-
che des négociations.
Washington laisse entendre
qu’Israël serait prêt à permettre
l’arrivée de l’aide dans le Nord et
L’Etat hébreu
se refuse
à évoquer
toute transition
politique
dans la bande
le retour des habitants, dans le
cadre des négociations – une
posture qui fait craindre qu’Is-
raël n’use de la faim, qui tue dé-
sormais à Gaza, comme d’un le-
vier de pression. En début de se-
maine, le général Benny Gantz,
membre du cabinet de guerre is-
raélien, a cependant subi à
Washington un vif rappel de la
frustration de son grand allié, qui
échoue à le convaincre d’ouvrir
les frontières terrestres de Gaza à
l’aide internationale, afin d’atté-
nuer la catastrophe humanitaire,
et qui craint un assaut sur Rafah.
Joe Biden a néanmoins estimé
qu’un accord est « entre les mains
du Hamas ». « Israël a été coopéra-
tif. Il y a une offre rationnelle » sur
la table, a ajouté le président amé-
ricain, mardi. Dans son discours
sur l’état de l’Union, jeudi, Joe Bi-
den a appelé à un cessez-le-feu de
six semaines. Le soutien que
Washington continue d’apporter
à Israël lui vaut d’être accusé par le
mouvement islamiste d’être un
« partenaire du massacre, du gé-
nocide » contre les Gazaouis.
« Les Etats-Unis poussent fort
pour un accord, pas autant qu’ils
pourraient, mais ils poussent. Le
problème vient de Nétanyahou, qui
n’écoute pas », assure la source
proche des négociations. Cette
dernière dépeint également David
Barnea, le chef du Mossad qui a
participé aux négociations
au Caire et à Doha, comme un in-
terlocuteur « sérieux » et « coopé-
ratif ». « On a le sentiment qu’il veut
un accord, mais qu’il est isolé. Dès
que Barnea rentre dans son pays, le
son de cloche israélien se met à
changer », poursuit cette source.
Benyamin Nétanyahou, acca-
paré par sa survie politique et dé-
terminé à mener une guerre lon-
gue, est accusé par voie de presse
d’avoir retenu inutilement les né-
gociateurs israéliens hors
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
du Caire. On lui prête aussi d’avoir
cherché à saborder les négocia-
tions en posant, comme ultima-
tum, que le Hamas livre la liste
des otages encore vivants. La
mort de trente otages a été confir-
mée, sur les cent trente qui
étaient encore retenus dans la
bande de Gaza. Le Hamas a mis
cette requête au compte des « ter-
giversations et des manœuvres di-
latoires » dont il accuse Israël dans
les négociations. « Le Hamas ne
connaît pas le sort de tous les ota-
ges car certains sont entre les
mains d’autres groupes et la situa-
tion sur le terrain ne lui permet pas
de réunir ces informations sans
une trêve », précise l’observateur.
« Hard power »
Les négociations, menées par les
chefs politiques exilés au Qatar,
sont elles-mêmes entravées par
l’isolement que les combats impo-
sent au chef du Hamas dans la
bande de Gaza, Yahya Sinouar.
« Ceux de Doha finissent par obte-
nir un retour de leurs homologues
à Gaza, mais ça prend un ou deux
jours », indique la source proche
des négociations. Le dernier mot
revient au chef de Gaza, que l’on
dit moins disposé à des compro-
mis pour parvenir à un accord que
certains des cadres de Doha. « Si-
nouar réfléchit comme un militaire
et non comme un politique. Il croit
dans le hard power et ces temps-ci,
au sein du Hamas, c’est lui qui a le
pouvoir », poursuit cette source.
Le Hamas a des raisons de ne
pas précipiter un cessez-le-feu. Le
ramadan qui s’ouvre, et d’éven-
tuelles tensions sur l’esplanade
des Mosquées de Jérusalem, offre
au mouvement une occasion de
présenter la guerre qu’Israël est
parvenu jusqu’ici à contenir dans
les frontières de Gaza comme un
conflit mené par l’Etat hébreu
contre l’islam et les musulmans
dans leur ensemble et de s’affir-
mer comme leur défenseur dans
le monde arabe. Fin février, le chef
du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a ainsi
enjoint au « peuple à Jérusalem et
en Cisjordanie [de] marcher sur la
mosquée d’Al-Aqsa au premier
jour du ramadan ». p
benjamin barthe (à paris),
louis imbert
et hélène sallon
0123
SAMEDI 9 MARS 2024 international | 5

La naissance difficile d’un organe éthique européen

Le président du Conseil, Charles Michel, refuse de se soumettre à la future instance

bruxelles - bureau européen Première poche de résistance : la mécanismes internes qui permet- tré encore moins coopératif que Quant aux Etats membres, ils ju-
Commission, dont la présidente, tront de les faire respecter. Elles
La structure Mme von der Leyen. Pour l’heure, gent impossible que les ministres

S
ans le « Qatargate »,
l’Union européenne (UE)
ne se serait jamais dotée
d’un organe éthique pour
chapeauter l’ensemble de ses ins-
titutions. Mais ce scandale de cor-
ruption présumé de parlementai-
res et de fonctionnaires euro-
péens par le Qatar et le Maroc,
entre autres, mis au jour en dé-
cembre 2022, a changé la donne.
Les résistances n’ont pas disparu
mais, mardi 12 mars, une étape
importante pourrait être franchie
à l’occasion d’une réunion entre
les représentants des institutions
concernées (Parlement, Conseil,
Conseil de l’UE, Commission, Cour
de justice, Banque centrale et Cour
des comptes). Ils espèrent en effet
acter la naissance de l’organe éthi-
que, en en définissant les missions
et le périmètre. L’accord devra
ensuite être ratifié par les parties
prenantes puis être adopté, sans
doute en mai.
Ursula von der Leyen, n’a jamais
été très allante sur le sujet, tant il
irrite Berlin et l’Union chrétienne-
démocrate (CDU) dont elle est is-
sue. Alors qu’elle avait promis, à
son arrivée en 2019, de travailler à
la mise en place d’un organe éthi-
que, il a fallu attendre le 8 juin 2023
pour qu’elle fasse une proposi-
tion. A ses yeux, l’organe éthique
devra définir dans les neuf mois
suivant son installation des stan-
dards minimaux auxquels les ins-
titutions devront se plier. Elles ont
aujourd’hui chacune leur propre
règlement et ne pourront pas pro-
fiter des nouvelles normes pour
en alléger les exigences.
« Ces règles changent la donne »
Ces règles porteront notamment
sur les déclarations d’intérêts, les
cadeaux, les voyages, les décora-
tions, les rencontres avec des lob-
byistes, le pantouflage, la possibi-
lité d’avoir un autre emploi et les
s’appliqueront aux responsables
politiques, élus ou nommé par les
gouvernements, comme les com-
missaires européens, les eurodé-
putés ou les juges de la Cour de
Luxembourg. « D’ici deux ans, on
se rendra compte que ces règles
changent la donne », assure un
conseiller de Vera Jourova, la com-
missaire aux valeurs et à la trans-
parence. Dénué du pouvoir d’en-
quête et de sanctions, l’organe
éthique imaginé par la Commis-
sion ressemble à un « bouledogue
sans dents », avait commenté Sté-
phane Séjourné lorsqu’il présidait
le groupe parlementaire Renew.
Sous pression du Parlement
européen et de certains gouverne-
ments, comme Paris, qui mili-
taient pour un dispositif plus pro-
che de la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique
française, le futur organe éthique
s’est finalement vu confier
une deuxième responsabilité : il
imaginée par
la Commission
sera dénuée
du pouvoir
d’enquête
et de sanctions
pourra être saisi pour avis par une
institution des cas que celle-ci ju-
gerait problématiques au regard
de son code de conduite actuel. Et
ce sans attendre que les normes
communes soient élaborées.
Les négociations ont été diffici-
les. Mais, « l’organe éthique devrait
être opérationnel juste après les
européennes » (du 6 au 9 juin),
pour pouvoir être saisi des risques
de conflits d’intérêts des nou-
veaux élus et commissaires, ex-
plique l’eurodéputé Vert Daniel
Freund. Charles Michel s’est mon-
le président du Conseil européen,
qui quittera ses fonctions en fin
d’année, refuse de se soumettre
au futur organe éthique. « C’est un
scandale, juge l’entourage de Vera
Jourova. S’il persiste dans cette
voie, il faudra qu’il se justifie de-
vant l’opinion publique. »
Charles Michel argue ne pas
avoir de mandat des chefs d’Etat et
de gouvernement et qu’il ne peut
donc s’engager. « C’est une explica-
tion pathétique. Toutes les autres
institutions ont eu un mandat de
négociation », rétorque le con-
seiller de Vera Jourova, qui espère
voir le président du Conseil chan-
ger d’avis d’ici à mardi. Selon plu-
sieurs sources, l’entourage de l’ex-
premier ministre belge a multi-
plié les contacts, auprès des diplo-
mates et dans les capitales, pour
plaider sa cause. « Il se bat pour ne
pas être concerné par l’organe éthi-
que, il ne veut rien avoir à faire avec
ses règles », insiste l’une d’elles.
du pays qui occupe la présidence
tournante du Conseil de l’UE – et,
à ce titre, organise les conseils des
ministres européens – soient sou-
mis aux futures normes commu-
nes. « Ce serait les soustraire pen-
dant six mois à leurs règles natio-
nales. Ce n’est pas possible », ana-
lyse un haut fonctionnaire.
Les Vingt-Sept se sont entendus,
le 6 mars, pour que le pays qui
occupe la présidence tournante
rende publiques les règles qui
s’appliquent à son gouverne-
ment. « Cela pose un problème
pour les pays dont les règles natio-
nales seront moins contraignantes
que les futurs standards com-
muns, s’insurge l’entourage de
Vera Jourova. Il serait logique que
seuls participent au vote sur la dé-
finition des normes communes de
l’organe éthique ceux qui s’enga-
gent à les respecter. » La réunion
du 12 mars s’annonce houleuse. p
virginie malingre

En Italie, une affaire

de fichage secoue
la scène politique
Des informations confidentielles ont été
réunies au sujet de centaines de personnalités

rome - correspondant quête du parquet de Pérouse

montre qu’en plus de M. Crosetto,

L e terme s’est imposé, omni-

présent, dans les médias
italiens : « dossieraggio », ou
fichage, soit l’utilisation d’infor-
mations confidentielles en vue de
constituer des dossiers compro-
mettants contre des individus.
D’après les informations relayées
par la presse italienne sur une en-
quête menée par le parquet de Pé-
rouse (Ombrie), des centaines de
personnalités, dont de nombreux
responsables politiques, ont fait
l’objet de telles manœuvres illéga-
les, menées par un officier de la
Guardia di finanza, la police finan-
cière, lorsqu’il était affecté à la
direction nationale antimafia et
antiterroriste.
Selon le procureur national anti-
mafia, Giovanni Melillo, et le pro-
cureur de Pérouse Raffaele Can-
tone, auditionnés au Parlement
mercredi 6 et jeudi 7 mars, l’af-
faire pourrait aller bien au-delà et
impliquer un réseau plus large
agissant dans le cadre d’un sys-
tème d’échanges d’informations
confidentielles à grande échelle.
Les origines de l’affaire remon-
tent à l’aube du mandat de Giorgia
Meloni, en octobre 2022, quand le
quotidien d’opposition Domani
publie une série d’articles sur des
relations d’affaires du futur minis-
tre de la défense Guido Crosetto,
constituant des conflits d’intérêts
selon les journalistes. Après une
plainte de M. Crosetto, une en-
quête est lancée sur les conditions
dans lesquelles les données confi-
dentielles servant de base aux ré-
vélations de Domani ont été obte-
nues. Les enquêteurs remontent
jusqu’à la source des journalistes,
l’officier de la Guardia di finanza
Pasquale Striano. Ce dernier aurait
extrait de bases de données utili-
sées dans la lutte contre le blanchi-
ment et le crime organisé des
informations sur les opérations
bancaires de M. Crosetto.
On apprend début mars que les
personnes visées par l’enquête
sont au nombre de quinze, dont
les trois journalistes de Domani
auteurs des articles, qui dénon-
cent dorénavant une atteinte à la
liberté de la presse. La portée des
investigations s’est par ailleurs
considérablement élargie. L’en-
près de 800 personnes ont fait
l’objet de recherches illégales,
sans que l’on sache si les informa-
tions obtenues ont été rémuné-
rées ou transmises à d’autres fins.
Réactions politiques nourries
Le président du Sénat, Ignazio La
Russa, en fait partie, de même que
le ministre des entreprises, Adolfo
Urso, le ministre de l’agriculture,
Francesco Lollobrigida, et le sous-
secrétaire d’Etat à la présidence du
conseil, Giovanbattista Fazzolari,
très proche de Giorgia Meloni,
parmi d’autres responsables le
plus souvent classés à droite mais
aussi deux anciens présidents du
conseil, Matteo Renzi, alors à la
tête du centre gauche, et Giuseppe
Conte, du Mouvement 5 étoiles.
La finalité de cette entreprise de
grande ampleur reste à détermi-
ner, mais l’affaire a déjà suscité des
réactions politiques nourries, no-
tamment au sein d’une droite sou-
vent en opposition avec les magis-
trats et où la tentation est forte de
crier au complot. « Des reconstruc-
tions honteuses voient le jour, dans
lesquelles des éléments de l’Etat tra-
vaillent contre d’autres éléments de
l’Etat, écoutent aux portes, espion-
nent, constituent des dossiers (…).
C’est une honte à la soviétique », a
déclaré le vice-président du con-
seil et secrétaire de la Ligue (ex-
trême droite), Matteo Salvini, visé
lui aussi par les requêtes illégales
effectuées au sein du parquet anti-
mafia. « Nous voulons savoir qui
sont les commanditaires car ce
sont des méthodes de régime dicta-
torial », a pour sa part dénoncé
Mme Meloni. A gauche, la secré-
taire générale du Parti démocrate,
Elly Schlein, parle d’un « scandale »
d’une gravité « inédite ».
Face aux polémiques, le procu-
reur antimafia Giovanni Melillo et
le procureur de Pérouse ont de-
mandé à être entendus au Parle-
ment. M. Melillo a affirmé que
M. Striano n’avait pas pu être le
seul commanditaire de l’utilisa-
tion illégale des bases de données,
avançant l’idée selon laquelle l’af-
faire ne serait qu’une partie d’un
« gigantesque marché clandestin
d’informations confidentielles ». p
allan kaval
6 | international
La propagande russe en Afrique se réorganise
Reprenant les recettes du Groupe Wagner, l’agence African Initiative multiplie les opérations de désinformation
S
ur sa chaîne Telegram
Smile & Wave, aux
9 500 abonnés, Viktor
Lukovenko fait davan-
tage mystère de ses intentions
que de ses destinations. Début
mars, cet Ouzbek de 39 ans, ex-
agent du réseau de propagande
tissé par Evgueni Prigojine, le pa-
tron du Groupe Wagner mort en
août 2023, s’affiche sur le réseau
social en tant que touriste et blo-
gueur, voguant d’un musée à
l’autre au Sénégal, après s’être
rendu au Burkina Faso et au Ni-
ger, fin février.
Depuis le décès du chef de Wa-
gner et le démantèlement de son
groupe, Viktor Lukovenko conti-
nue à voyager sur le continent,
avec une préférence pour les Etats
instables. Il le fait pour le compte
d’une nouvelle structure, créée en
septembre 2023 à Moscou : Afri-
can Initiative. Sur Internet, celle-ci
se revendique comme une
« agence de presse russe sur les évé-
nements du continent africain »,
avec un tropisme pour « l’héritage
néocolonial contre lequel les pays
africains luttent », ainsi que pour
« les activités » des « militaires,
hommes d’affaires, médecins et
journalistes » russes en Afrique.
Réminiscence soviétique
Avec son correspondant basé au
Niger et ses bureaux au Burkina
Faso et au Mali – trois pays du Sa-
hel gouvernés par des putschistes
et qui, après avoir chassé la France,
ont renforcé leur coopération avec
la Russie –, African Initiative
se pose en nouvelle tête de pont de
la propagande russe en Afrique.
Son objectif, érigé comme une
priorité de Moscou sur le conti-
nent après la mort d’Evgueni Pri-
gojine : permettre à l’Etat russe, à
travers ses services de renseigne-
ment et leurs agents d’influence,
de reprendre le contrôle de l’appa-
reil de propagande construit par le
chef de Wagner.
A l’instar de la myriade de struc-
tures qui étaient chargées de la dif-
fusion de l’influence russe au sein
du projet Lakhta de Wagner, Afri-
can Initiative est accusée par le
département d’Etat américain
d’avoir « répandu de la désinfor-
mation sur les Etats-Unis et les pays
européens » avec l’aide des services
de renseignement russes. Dans un
communiqué du 12 février, la di-
plomatie américaine souligne
« Il n’y a rien de plus important que d’aider l’Ukraine à gagner »
La présidente de la Moldavie, pays frontalier de l’Ukraine, a signé jeudi à Paris un accord de coopération de défense avec la France
ENTRETIEN
E n visite en France, la prési-
dente de la Moldavie, Maia
Sandu, a signé, jeudi
7 mars, avec Emmanuel Macron,
un accord de coopération de dé-
fense qui prévoit notamment
l’envoi d’un représentant mili-
taire français sur place.
Quelle est l’importance
de cet accord sur la défense ?
Cet accord remplace un autre, si-
gné en 1998. Celui-ci s’étend à la
politique de défense, à la forma-
tion et aux technologies de l’infor-
mation. C’est un cadre de travail
beaucoup plus large. Ce n’est pas
un accord de sécurité comme ce-
lui passé entre la France et
l’Ukraine. C’est une première
étape, pour aider à renforcer la sé-
curité de la Moldavie et de la ré-
gion. Aujourd’hui, nous nous sen-
tons en sécurité grâce à la résis-
tance des Ukrainiens, mais l’Eu-
rope, tous les pays qui tiennent au
respect de leurs frontières, de-
vraient comprendre qu’il faut ar-
rêter Vladimir Poutine. Si nous
Une photo extraite du compte Telegram d’African Initiative montre un avion-cargo russe sur le tarmac
de l’aéroport de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, le 24 janvier. AFRICAN INITIATIVE
qu’une des premières campagnes
d’African Initiative fut de « propa-
ger une théorie selon laquelle les so-
ciétés pharmaceutiques occidenta-
les utilisent l’Afrique pour des expé-
riences de guerre biologique et
pour des essais illicites de divers
médicaments ». Une réminiscence
de la propagande soviétique : au
début des années 1980, le KGB
avait voulu faire croire que le sida
était une invention américaine.
Selon une enquête publiée par le
média spécialisé sur la Russie The
Insider le 29 janvier, Artyom Ku-
reev, le rédacteur en chef d’African
Initiative, appartiendrait au cin-
quième service du FSB, chargé des
opérations internationales au
sein des services russes de sécu-
rité. « Je suis un personnage public
depuis longtemps (…) et directeur
d’African Initiative. Ça prend beau-
coup de temps et de force de l’être.
Comment pourrais-je travailler en
même temps pour un service de
renseignement ? », répond-il par
mail au Monde, avant de nier que
son site propage des « intox ».
voulons la paix, nous devons aider
l’Ukraine par tous les moyens.
Pensez-vous que les Européens
sont conscients de l’enjeu ?
Je crois que beaucoup compren-
nent que Vladimir Poutine ne
s’arrêtera pas. Nous devons avan-
cer plus vite, trouver le moyen
d’être plus efficaces dans le sou-
tien à l’Ukraine, mieux expliquer
la situation à nos concitoyens ;
parce que si nous ne le faisons pas
maintenant, le coût plus tard sera
plus élevé pour tout le monde.
Faut-il envoyer des troupes
européennes sur place ?
Cette décision ne m’appartient
pas. Nous savons qu’aujourd’hui
l’Ukraine a besoin d’armes, et de
de soutien financier, c’est là-des-
sus qu’il faut se concentrer. Il n’y a
rien de plus important pour notre
continent aujourd’hui que d’aider
l’Ukraine à résister et à gagner
cette guerre.
La Moldavie est-elle
confrontée à une agressivité
croissante de la Russie ?
Comme Viktor Lukovenko,
« certains membres d’African Ini-
tiative ont été recrutés dans les en-
treprises en désintégration de feu
Evgueni Prigojine », note le dépar-
tement d’Etat américain. Ainsi, la
rédactrice en chef adjointe du
site, Anna Zamaraeva, était une
attachée de presse de Wagner.
Le 24 janvier, African Initiative
fut ainsi le premier média à an-
noncer aux 22 000 abonnés de sa
chaîne Telegram l’arrivée de
« cent spécialistes militaires rus-
ses » d’Africa Corps à Ouagadou-
gou pour soutenir la junte burki-
nabée, photos de leur débarque-
ment à l’appui. Les deux organisa-
tions constituent, selon le
chercheur Maxime Audinet, le
« nouvel écosystème de l’influence
russe en Afrique, repris en main par
l’Etat russe après la mort d’Evgueni
Prigojine. African Initiative est
chargée de capter les entrepreneurs
et les initiatives de désinformation
qui étaient en place, tandis
qu’Africa Corps tente d’absorber les
mercenaires de Wagner ».
Tant que l’Ukraine résiste, il n’y a
pas de pression sur nous, mais
bien sûr la Russie continue d’es-
sayer de saper nos institutions, de
déstabiliser notre pays, et ceci
comprend le domaine de l’éner-
gie, les cyberattaques, les achats de
voix aux élections, la désinforma-
tion, la propagande. Cette ingé-
rence augmente à mesure que
nous progressons vers l’intégra-
tion dans l’Europe.
Le récent « appel » des autori-
tés de Transnistrie, enclave
séparatiste prorusse en Molda-
vie, demandant la « protection
de la Russie », relevait-il d’une
manœuvre de déstabilisation ?
Je vais être très claire : la situa-
tion en Transnistrie est stable et
cela a été notre priorité depuis le
début de la guerre. Cet « appel » est
arrivé dans une période où le ré-
gime de Tiraspol a demandé, à la
fois, à la Russie, à l’Union
européenne (UE), à l’Organisation
de coopération et de dévelop-
pement économiques et aux Na-
tions unies de l’argent, mais pas
un soutien militaire.
Les semaines ayant précédé l’an-
nonce de l’arrivée d’Africa Corps à
Ouagadougou, « African Initiative
avait préparé le terrain, au Burkina
Faso, pour favoriser l’acceptation
des nouveaux mercenaires russes »,
glisse une source sécuritaire tra-
vaillant dans le pays. En novem-
bre 2023, une nouvelle association
russo-burkinabée, portant le
même nom et un logo similaire à
celui d’African Initiative, a été lan-
cée à Ouagadougou. Son objectif
affiché : « Renforcer l’amitié et la
compréhension mutuelle, la paix et
l’harmonie entre les peuples du
Burkina Faso et de la Russie », à tra-
vers l’organisation d’activités tel-
les que le premier « tournoi de
sambo Vladimir Poutine », un art
martial russe, qui s’est tenu fin fé-
vrier dans la capitale.
A plusieurs reprises, Viktor
Lukovenko a été identifié sur des
photos d’événements organisés
par cette association, indiquant
ainsi les liens entre cette dernière
et African Initiative de M. Kureev.
Comme Wagner avait su le faire en
Des chaînes Telegram
tenteraient de convaincre
des jeunes Transnistriens
de rejoindre les troupes russes
en Ukraine. Est-ce exact ?
Depuis le début de la guerre,
nous avons vu un nombre consi-
dérable de personnes [de cette en-
clave] demander un passeport de
la République de Moldavie. 90 %
des Transnistriens possèdent ce
passeport. Cela signifie qu’ils com-
prennent l’importance de la paix
et veulent lier leur avenir à la Ré-
publique de Moldavie. Nous avons
aussi vu beaucoup de jeunes hom-
mes aller vers Chisinau, la capitale,
pour éviter d’être enrôlés dans
l’armée russe. Dans quelques cas,
certains sont allés se battre pour
gagner de l’argent.
Etes-vous satisfaite de la
progression des pourparlers
avec l’UE sur le processus
d’adhésion ?
D’abord, je voudrais dire ma gra-
titude à la France et au président
Macron, qui sont parmi nos sou-
tiens les plus proches dans ce pro-
cessus. Nous étions très heureux
Centrafrique et au Mali, African
Initiative continue à tisser sa toile
sur le continent en soutenant la
création de structures locales qui
servent à la fois de caisse de réso-
nance à la propagande russe à pe-
tite échelle et d’entités capables
d’identifier, par le biais des événe-
ments qu’elles organisent, les per-
sonnalités et organisations de la
société civile prêtes à diffuser la
propagande du Kremlin.
« Deuxième phase d’influence »
Selon le département d’Etat amé-
ricain, African Initiative recrute en
effet « dans la population afri-
caine, des journalistes, des blo-
gueurs et des membres du public
chargés de soutenir et d’amplifier le
travail de l’organisation, autre-
ment dit de renforcer l’image de la
Russie et de dénigrer celle d’autres
pays ». A Ouagadougou, Viktor
Lukovenko a ainsi été vu aux côtés
de la direction du groupe de presse
burkinabé Savane Medias le 19 fé-
vrier. Cet Ouzbek qui, selon le col-
lectif All Eyes on Wagner, cache en
de la décision du Conseil euro-
péen, en décembre, d’ouvrir les
négociations. Nous sommes
conscients que cela ne va pas se
faire du jour au lendemain, mais
le processus jusqu’ici a été assez
rapide. Nous sommes engagés
dans l’agenda des réformes, en
particulier dans le domaine judi-
ciaire et la lutte contre la corrup-
tion – c’est d’ailleurs sur ce pro-
gramme que j’ai été élue.
Ce n’est pas facile, nous nous
heurtons encore à de la résistance
au sein du système, mais nous
avançons. Le soutien politique est
total, celui de la majorité et de
l’opinion publique aussi – j’ai
d’ailleurs proposé au Parlement
d’organiser un référendum sur
l’adhésion. Nous serons au ren-
dez-vous. Nous espérons que
Bruxelles le sera aussi.
Je crois que les dirigeants euro-
péens comprennent que, pour la
sécurité du continent, il est im-
portant d’avoir une Moldavie et
une Ukraine démocratiques. No-
tre stabilité ne peut être préservée
que si nous continuons à avancer
vers l’intégration européenne.
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Artyom Kureev,
le rédacteur en
chef d’African
Initiative,
appartiendrait
au cinquième
service du FSB
réalité sa véritable identité – Vik-
tor Vasilev – derrière un pseudo,
sans doute pour faire oublier son
passé de criminel ayant passé cinq
ans derrière les barreaux pour
meurtre à caractère raciste entre
2010 et 2015, reproduit ainsi avec
African Initiative un savoir-faire
acquis sous Wagner.
D’abord à Madagascar, où il a été
aperçu lors d’une conférence orga-
nisée en septembre 2018 par Afric,
un groupe de réflexion lié à Wa-
gner et accusé d’avoir interféré
dans plusieurs processus électo-
raux. Puis en Centrafrique, où il est
parti travailler pendant neuf mois
pour un « projet humanitaire vi-
sant à promouvoir l’influence russe
à travers les écoles », a-t-il indiqué
lors d’une interview accordée le
27 février au média russe Ridus. Les
mercenaires de Wagner commen-
çaient alors à se déployer dans le
pays pour soutenir le pouvoir du
président Faustin-Archange Toua-
déra, menacé par une rébellion.
Viktor Vasilev lançait quant à lui sa
chaîne Smile & Wave sur Tele-
gram. Depuis, elle fait partie d’une
pléthore de comptes qui relaient
les posts d’African Initiative.
« La Russie semble entrer dans
une deuxième phase d’influence
sur le continent africain après la
mort de Prigogine, analysait le col-
lectif All Eyes on Wagner dans une
note publiée en décembre 2023.
Elle réplique [s]es bonnes recettes,
combinant projection des forces
[militaires] et techniques d’in-
fluence en ligne et hors ligne, tout
en rompant avec le concept de déni
plausible du groupe Wagner. » Une
nouvelle preuve que Moscou af-
firme de plus en plus ouvertement
ses ambitions africaines. p
thomas eydoux
et morgane le cam
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
Pour nous, c’est une question de
survie en tant que démocratie.
Quel est le poids aujourd’hui
des oligarques ?
Ils ont quitté le pays lorsque
nous sommes arrivés au pouvoir,
se sachant menacés par la justice.
Nous avons le soutien de l’appa-
reil judiciaire français, par exem-
ple sur les actifs volés au budget
moldave et transférés dans diffé-
rents pays, dont la France. Ces
groupes ont fait équipe avec le
Kremlin pour corrompre les insti-
tutions moldaves, fomenter des
protestations, essayer d’acheter
des électeurs – ils ont même tenté
un coup d’Etat en 2023. Notre
orientation pro-européenne ne
plaît pas à la Russie. C’est pour cela
qu’elle encourage la formation de
partis se disant pro-européens,
mais qui sont sous le contrôle du
Kremlin, parce que les Russes se
sont rendu compte que les seuls
partis prorusses n’arriveraient
pas au pouvoir à Chisinau. p
propos recueillis par
sylvie kauffmann
et isabelle mandraud
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Le cacao était
déjà utilisé
en Amérique
il y a 5 300 ans
Une étude montre un large usage,
de la plante, jusqu’ici méconnu,
et sa domestication hors de
son berceau d’origine, l’Amazonie
L
e chocolat, nourriture des
dieux. La formule a ins-
piré le nom savant du ca-
caoyer, Theobroma cacao
(du grec theos, « dieu » et broma,
« aliment »). Les Mayas, de fait,
ont associé ce divin nectar à leur
dieu de la fertilité et les Aztèques,
après eux, à leur déesse de la fé-
condité, Xochiquetzal.
Mais comment la culture du ca-
caoyer, ce petit arbre aux feuilles
brillantes et d’un vert vif, produi-
sant de gros fruits verts, jaunes ou
rouges, s’est-elle répandue à tra-
vers l’Amérique du Sud et centrale
depuis son berceau d’origine, la
haute Amazonie, où il a été do-
mestiqué, il y a plus de 5 000 ans ?
Une étude coordonnée par Claire
Lanaud, généticienne au Centre
de coopération internationale en
recherche agronomique pour le
développement, à Montpellier, et
publiée jeudi 7 mars dans la revue
Scientific Reports, montre la rapi-
dité de cette diffusion, en particu-
lier sur la côte Pacifique.
Brassage génétique
On sait que le cacaoyer est origi-
naire de la haute Amazonie car
cette région abrite la plus grande
diversité de cette plante. En 2018,
de précédents travaux menés no-
tamment avec l’Institut de re-
cherche pour le développement
(IRD) à Marseille avaient trouvé,
dans le sud-est de l’actuel Equa-
teur, les plus anciennes traces
d’utilisation de fèves de cacao, da-
tant d’il y a 5 300 ans.
Dans la nouvelle étude, archéo-
logues, anthropologues, généti-
ciens, biochimistes et bio-infor-
maticiens ont uni leurs forces
pour analyser les résidus alimen-
La douceur de l’hiver change les habitudes des ours
Dans les Pyrénées, en raison de l’abondance de nourriture, certains plantigrades n’ont pas eu besoin d’hiberner
toulouse - correspondant
C ertaines tanières sont res-
tées vides cet hiver dans
les Pyrénées. Après des
mois très doux dans le massif, les
ours présents sur ce territoire
semblent avoir modifié leur
comportement, notamment la
période d’hibernation dans la-
quelle ils se plongent habituelle-
ment pendant les mois les plus
froids. Des caméras automa-
tiques du réseau Ours brun, pi-
loté par l’Office français de la bio-
diversité, ont en tout cas révélé
des activités inhabituelles de
l’animal, entre novembre 2023 et
fin février 2024.
La femelle Sorita et ses deux pe-
tits nés en 2023 ont ainsi été repé-
rés à deux reprises dans la vallée
d’Ossau (Pyrénées-Atlantiques).
Ailleurs, en Haute-Garonne et en
Ariège, certains spécimens ont
été surpris plusieurs fois à déam-
buler sur des cols non enneigés.
« Chez cet animal, l’hibernation
répond à deux facteurs : la météo
et la nourriture », explique Julien
Steinmetz, chef de l’équipe Ours
taires de 352 objets archéologi-
ques en céramique, appartenant à
19 cultures précolombiennes da-
tant d’il y a 5 900 ans à 400 ans.
Provenant d’Amérique du Sud ou
centrale, ces céramiques sont dé-
tenues par des musées comme
ceux de Guayaquil et de Quito, en
Equateur, ou le Musée national de
Colombie, à Bogota. Des résidus
d’autres céramiques provenant
de fouilles ont été envoyés par des
archéologues.
Les chercheurs ont d’abord
gratté ces récipients pour récupé-
rer ces résidus dont ils ont analysé
le contenu chimique. Résultat :
sur les 312 échantillons issus
d’Amérique du Sud, 116 conte-
naient de la théobromine, le prin-
cipal alcaloïde du cacao et du cho-
colat. Parmi ces derniers, 73 rece-
laient des traces d’ADN de ca-
caoyer. Le reflet d’une large
utilisation du cacao, jusqu’ici mé-
connue, dans les cultures d’Amé-
rique du Sud qui se sont succédé.
Surtout, la datation des cérami-
ques où a été trouvé cet ADN
montre qu’il y a 5 300 ans déjà, le
cacaoyer était utilisé et domesti-
qué hors de son berceau d’origine,
l’Amazonie.
Les chercheurs
ont analysé
les résidus
alimentaires
de 352 objets
archéologiques
de 19 cultures
précolombiennes
de l’Office français de la bio-
diversité (OFB), et sa quinzaine
d’agents. « Il y a toujours eu des si-
gnes d’activités des ours en hiver. »
Mais cette année beaucoup plus
que d’habitude.
Le plantigrade fait habituelle-
ment le plein de nourriture à
l’automne, pour accumuler de la
graisse, et hiberne l’hiver, une pé-
riode de repos et de non-alimen-
tation. S’il ne trouve pas de quoi
se nourrir, il plonge dans son
sommeil hivernal, après avoir
connu une période d’hyperpha-
gie – sorte de boulimie – à
l’automne. « Avec un temps doux
et clément, ils ont pu trouver des
fruits secs, des plantes ou des
glands de chêne très tard, d’où les
activités observées », observe
M. Steinmetz.
Mouvements en altitude
Alain Reynes, président de l’asso-
ciation Pays de l’Ours-Adet instal-
lée à Arbas (Haute-Garonne), con-
firme ces activités « quasi conti-
nues ». Pour ce grand défenseur et
expert de l’animal, « personne
n’est capable de quantifier le
Un cacaoyer, en Equateur, en juillet 2014 ; un récipient en céramique ayant contenu du cacao, appartenant à la culture de l’époque
précolombienne Calima Ilama, localisée dans l’ouest de l’actuelle Colombie. C. LANAUD/CIRAD
Ces traces ont en effet été trou-
vées sur la côte Pacifique de l’ac-
tuel Equateur et correspondent à
la culture de Valdivia, notam-
ment connue pour ses statuettes
féminines, les « Vénus de Valdi-
via ». La plante semble donc avoir
été domestiquée, sur la côte Paci-
fique de l’Amérique du Sud, à peu
près à la même période que dans
un de ses foyers d’origine, dans le
sud de l’Equateur.
Autre surprise : « Nous avons
trouvé, dans pratiquement chaque
résidu issu de ces cultures humai-
nes, des mélanges de groupes gé-
nétiques de cacaoyer », résume
Claire Lanaud. Or les onze groupes
génétiques connus de cacaoyers
(Amelonado, Contamana, Criollo,
Curaray, Guiana, Iquitos, Mara-
ñon, Nacional, Nanay, Purus et Ca-
queta) sont chacun issus d’une ré-
gion amazonienne différente, ces
régions étant parfois éloignées les
unes des autres. Une telle diver-
sité, de fait, « témoigne des échan-
ges intensifs qui ont eu lieu, il y a
plusieurs millénaires, entre les po-
pulations de la côte Pacifique et
celles de l’Amazonie », souligne
phénomène, chaque animal pos-
sédant son propre rythme, mais la
tendance est bien là ». Si les femel-
les en gestation sont restées à
l’abri dans leur tanière – la mise
bas intervenant en février ou en
mars –, les mouvements les plus
importants ont été observés dans
les Pyrénées occidentales, mais
également à des altitudes élevées,
comme en Ariège ou dans les
Hautes-Pyrénées. « Il a abondam-
ment neigé la semaine dernière et
rien n’exclut que certains animaux
« On peut
imaginer
qu’un jour,
les animaux
n’hibernent plus,
tout dépendra
évidemment
du climat »
JEAN-JACQUES CAMARRA
créateur du réseau Ours brun
planète & science | 7
Francisco Valdez, archéologue à
l’IRD. Des échanges, il est vrai,
facilités par les réseaux fluviaux.
Le brassage génétique ainsi pro-
duit, notent les chercheurs, a favo-
risé l’adaptation des cacaoyers à
leur nouvel environnement.
Trois modes de consommation
En Amérique centrale, comme au
Mexique, au Belize et au Panama,
les preuves de la domestication
du cacaoyer apparaissent il y a en-
viron 3 500 ans – soit 1 500 ans
après celles trouvées sur la côte
Pacifique de l’Amérique du Sud.
D’après les récipients utilisés,
au moins trois modes de consom-
mation ancienne du cacao peu-
vent être envisagés. Les bouteilles
en céramique auraient contenu
des boissons à base de pulpe de
cacao, peut-être fermentées. Les
récipients plats auraient recueilli
des fèves de cacao broyées, pou-
vant être mélangées à d’autres
aliments. Et les très beaux vases
sculptés, figurant tantôt une
femme enceinte, tantôt un hibou,
un visage féminin ou un être my-
thique, auraient servi aux offran-
soient entrés en hibernation à ce
moment-là », nuance cependant
Alain Reynes.
« L’ours est une merveille d’adap-
tation qui connaît parfaitement
son territoire. Donc, s’il trouve à
manger en plein mois de décem-
bre, inutile pour lui d’aller dor-
mir », explique Jean-Jacques Ca-
marra, ancien de l’Office national
de la chasse et de la faune sau-
vage, désormais retraité, qui reste
à l’affût des mouvements des
ours en vallée d’Aspe dans les Py-
rénées-Atlantiques.
« Surtout les grands mâles »
« Je constate surtout que ce sont les
grands mâles, en quête de femel-
les, ou bien les jeunes adultes qui
découvrent leur montagne, qui
ont été actifs. On peut imaginer
qu’un jour, les animaux n’hiber-
nent plus, tout dépendra évidem-
ment du climat », estime le créa-
teur du réseau Ours brun.
En Espagne, dans les monts can-
tabriques, qui longent les côtes
du nord du pays sur plus
de 400 kilomètres du Pays bas-
que à la Galice, plus de 400 ours
« Il y a eu des
échanges
intensifs, voici
plusieurs
millénaires, entre
les populations
de la côte
Pacifique et
de l’Amazonie »
FRANCISCO VALDEZ
archéologue à l’IRD
des faites aux dieux.
On sait que les Mayas, au début
de la période classique (460-
480 de notre ère), fabriquaient
une boisson chaude, amère et
rougeâtre, le kakaw. Ils faisaient
griller les fèves de cacao, broyées
et mélangées à de l’eau et de la fa-
rine de maïs, pour leur usage quo-
tidien ou pour les cérémonies ri-
tuelles. Les fèves fermentées sé-
chées du cacao, par ailleurs, ser-
vaient de monnaie d’échange.
ont été recensés en 2023. « Avec les
températures qui augmentent,
certains d’entre eux n’ont pas du
tout hiberné », souligne égale-
ment Jean-Jacques Camarra.
Dans les Pyrénées, les mouve-
ments observés cet hiver ne re-
mettent pas en cause le suivi des
quatre-vingts individus recensés
sur l’ensemble du massif. A partir
de fin avril, période qui marque
en général la fin de l’hibernation,
spécialistes et bénévoles reparti-
ront sur une soixantaine de cir-
cuits, et autant de caméras et de
pièges photo posés sur des arbres,
permettant de repérer et de
comptabiliser la population.
Côté français, un bilan des
naissances devrait être publié à
la fin avril. Selon Alain Reynes,
« la population est en augmenta-
tion constante et linéaire, et on
espère entre quinze et vingt our-
sons cet hiver ». Ce qui porterait la
population plus de cent indi-
vidus, un record depuis les pre-
mières mesures de protection
en 1983 et les premières réintro-
ductions en 1996. p
philippe gagnebet
Jusqu’au XVIe siècle, le cacaoyer
restera ignoré en dehors de l’Amé-
rique du Sud et centrale. Les co-
lons espagnols qui débarqueront
en Amérique, à partir de 1492, tor-
dront le nez sur le breuvage à base
de cacao. En 1494, Christophe Co-
lomb aurait même jeté par-des-
sus bord les fèves qu’il avait re-
çues des Amérindiens.
La suite est connue. Importé en
Europe, le chocolat-boisson de-
vient, au XVIe siècle, très prisé à la
cour d’Espagne. Pour en neutrali-
ser l’amertume, les Européens lui
ajouteront progressivement du
sucre et du lait. D’abord réservé à
l’aristocratie et au clergé, il ne ces-
sera ensuite de gagner en popula-
rité. Le chocolat solide sera in-
venté, une industrie chocolatière
se développera.
En 2022, les Français en ont con-
sommé 8,8 kg par habitant – con-
tre 6,7 en 2014, un peu moins que
les Suisses (10 kilogrammes envi-
ron), mais un peu plus que les
Allemands et les Britanniques
(8 kg environ). Une nourriture en-
core jugée divine. p
florence rosier
OC ÉAN
Blanchissement massif
du corail en Australie
Des températures sous-mari-
nes record provoquent un dé-
périssement de la Grande Bar-
rière de corail d’Australie, ont
annoncé vendredi les autori-
tés. Ce phénomène se traduit
par une décoloration des
multiples récifs qui s’étendent
le long de la côte nord-est de
l’île, formant la plus grande
structure corallienne au
monde (2 300 kilomètres).
C’est le septième épisode de
blanchissement subi par cet
écosystème unique, héber-
geant plus de 1 500 espèces de
poissons, depuis 1998. – (AFP.)
AGR I CU LT U R E
Enquête dans un
élevage de porcs breton
Une enquête a été ouverte
après une plainte de l’associa-
tion L214 pour « mauvais trai-
tements » sur des porcs dans
une exploitation du Morbi-
han, a annoncé, mercredi,
le parquet de Vannes. Les
défenseurs des animaux ont
fourni des images à la justice.
Le 1er mars, l’un des plus gros
élevages porcins du Finistère
avait été condamné
pour maltraitance après
une plainte de cette même
association. – (AFP.)
8|
FRANCE
0123
SAMEDI 9 MARS 2024

Macron accusé d’« escalade guerrière »

Devant les chefs des partis d’opposition, le chef de l’Etat a prôné un soutien sans « aucune limite » à l’Ukraine

S
i cela était encore néces-
saire, Emmanuel Macron a
fait la démonstration,
jeudi 7 mars, de l’absence
d’unité nationale sur une éven-
tuelle intervention militaire en
Ukraine. Avant le débat suivi d’un
vote au Parlement, les 12 et 13 mars,
sur l’accord bilatéral de sécurité si-
gné avec Volodymyr Zelensky, le
président de la République avait
convié les chefs des partis politi-
ques à l’Elysée pour évoquer le
conflit russo-ukrainien. « Je pense
que ça clarifiera les positions »,
avait-il expliqué, mardi, en marge
d’un déplacement à Prague.
De fait, tous les partis d’opposi-
tion sont tombés d’accord, dans le
salon des Ambassadeurs, pour
dire qu’il faut « apporter un soutien
indéfectible à l’Ukraine ». Mais
aucun ne partage les propos du lo-
cataire de l’Elysée sur l’éventuel
envoi de troupes alliées sur le ter-
rain. Sur un bout de trottoir de
l’avenue de Marigny, où les médias
ont installé micros et caméras, les
chefs des partis défilent, après
deux heures trente de discussions,
pour dénoncer la posture « irres-
ponsable » d’Emmanuel Macron.
Le président du Rassemblement
national (RN), Jordan Bardella,
confirme l’existence d’un
« consensus autour de la table
pour apporter un soutien à
l’Ukraine ». Mais « il doit y avoir
des limites quand l’un des princi-
paux belligérants est une puis-
sance nucléaire et qu’elle regarde
la France face à face », estime-t-il.
« Le président de la République est
prêt à un soutien sans limite et, Fabien Roussel, chef du Parti communiste français, à Paris, le 7 mars. LIONEL PRÉAU/RIVA PRESS
semble-t-il, jusqu’au-boutiste à
l’Ukraine (…), il n’y a aucune limite
et aucune ligne rouge », dénonce possible, que l’envoi de troupes est ou les craintes autour du dévelop- sentent à la conférence de soutien yeux de l’opinion publique, l’un
la tête de liste RN aux élections possible, abonde le leader commu-
« Il doit y avoir pement par la Russie d’un projet à l’Ukraine du 26 février pour des des hommes politiques les plus as-
européennes du 9 juin. niste Fabien Roussel. Il envoie la des limites d’arme spatiale – possiblement questions d’élections. Tout le sociés au Kremlin, dont il réper-
Si M. Bardella assure soutenir le France dans l’escalade guerrière. » nucléaire – sont avancés pour jus- monde aujourd’hui en Europe a cute les éléments de langage. Il
principe d’un accord bilatéral en- Emmanuel Macron « n’a pas
quand l’un tifier les propos qui ont déclenché conscience qu’il faut faire plus si pourrait être une cible de choix
tre la France et l’Ukraine, le RN a bougé d’un centimètre », regrette des principaux un tollé le 26 février. on ne veut pas que la Russie l’em- pour les rivaux du RN durant le dé-
émis une liste de réserves particu- enfin le premier secrétaire du Parti Malgré cela, l’entourage du prési- porte. Et c’est le sens de l’accord bi- bat, lui qui trouve plus souvent
lièrement longue : l’adhésion de socialiste, Olivier Faure, il est resté
belligérants est dent de la République peine à défi- latéral qui sera soumis au vote de- matière à critiquer M. Zelensky
l’Ukraine à l’Union européenne « droit dans ses bottes ». une puissance nir le moment de bascule qui l’a vant le Parlement. » que M. Poutine. Ce choix, qui fait
est décrite comme « une ligne A l’unisson de ses homologues, conduit à évoquer une interven- tousser certains hauts responsa-
rouge », tout comme son adhésion Eric Ciotti, patron des Républi-
nucléaire » tion militaire. Il rappelle seule- Echanges « constructifs » bles du mouvement, aurait tout
à l’OTAN. Le parti rejette aussi la cains (LR), dénonce une posture JOrdan Bardella ment que, fin janvier déjà, lors De son côté, M. Bardella s’est plaint d’une bravade : une manière pour
mention de « dissuasion active » présidentielle « inopportune, inap- président du Rassemblement d’un voyage officiel en Suède, auprès du chef de l’Etat des propos le parti de signifier que le procès en
contre la Russie et s’interroge sur propriée, voire irresponsable ». national M. Macron appelait l’Europe à sou- du premier ministre, Gabriel Attal, russophilie ne l’atteint plus. Le RN
la source des 3 milliards d’euros Dans le huis clos élyséen, il a fait tenir l’Ukraine « coûte que coûte ». qui s’est demandé le 27 février à se tient d’ailleurs prêt à ne pas vo-
d’aide promis par M. Macron à observer que l’armée française Autour de la table, les chefs des l’Assemblée nationale si « les trou- ter « pour » à l’issue du débat de
Kiev en 2024, lors de la signature n’avait pas les moyens d’imposer rait dire à l’agresseur russe jus- trois partis de la majorité, Sté- pes de Poutine ne sont pas déjà mardi à l’Assemblée nationale, et
de l’accord de sécurité entre la un rapport de force militaire avec qu’où on n’ira pas dans le soutien à phane Séjourné, François Bayrou dans notre pays », évoquant Ma- balance entre l’abstention et le
France et l’Ukraine, le 16 février. la Russie. « C’est assez singulier Kiev, donc dévoiler son jeu. Or le et Edouard Philippe, partagent rine Le Pen et le RN. Comparer son vote « contre », en fonction de la to-
comme position, de la part d’un chef de l’Etat revendique au con- sans surprise les propos du chef de mouvement « à une armée d’occu- nalité du discours de Gabriel Attal.
« Ambiguïté stratégique » parti qui a voté des budgets militai- traire « l’ambiguïté stratégique ». l’Etat. Tout comme le président du pation étrangère est parfaitement Profitant de l’occasion, la gauche
Loin d’édulcorer ses positions, Em- res en baisse, là où la majorité les Jeudi, le Kremlin a accusé le pré- Sénat, Gérard Larcher (LR), qui évo- irresponsable », a-t-il déclaré. a mis sur la table la situation dans
manuel Macron « a dit à plusieurs aura doublés en dix ans », lui a ré- sident français « d’augmenter le ni- que une guerre « existentielle ». Le Marine Le Pen et Jordan Bardella, la bande de Gaza et demandé la
reprises qu’il ne fixait pas de limite, torqué le chef de l’Etat. veau d’implication directe de la patron des Républicains, Eric qui avaient soutenu les premiers mise en place de sanctions ou la re-
qu’il fallait soutenir l’Ukraine “quoi S’il n’a pas dévié de sa ligne, Em- France » dans le conflit. Mais l’en- Ciotti, lui, fait peser sur les propos mois la stratégie d’Emmanuel Ma- connaissance de l’Etat de Pales-
qu’il en coûte” », déplore égale- manuel Macron s’est toutefois ef- tourage de M. Macron défend une du chef de l’Etat « le soupçon d’une cron d’entretenir le dialogue avec tine, afin de ne pas donner le senti-
ment pour La France insoumise forcé de justifier sa position, qui a « réponse proportionnée au regard instrumentalisation » de la ques- Vladimir Poutine, se montrent ment d’un « deux poids, deux me-
Manuel Bompard, premier lieute- suscité l’émoi à l’intérieur comme du durcissement russe, sans tion ukrainienne, ce qu’il juge aujourd’hui très critiques sur le sures » de l’Occident. L’écologiste
nant de Jean-Luc Mélenchon. Ma- à l’extérieur de l’Hexagone. « Face aucune escalade ». La supériorité « inacceptable ». « On n’instrumen- positionnement de la diplomatie Marine Tondelier a trouvé cette
rine Tondelier, cheffe de file des à un ennemi qui ne se met aucune de la Russie sur le front, ainsi que talise pas un sujet aussi dramati- française. Le président du RN envi- rencontre « utile », construite sur
écologistes, a trouvé, elle aussi, limite, nous ne pouvons nous per- les attaques de plus en plus fortes que pour des questions de politique sage même d’envoyer à sa place, des échanges « nourris, construc-
« inquiétant » de voir le chef de mettre d’en formuler », a-t-il lancé à et caractérisées contre la France intérieure à la veille des élections lors du premier débat entre têtes tifs, respectueux », nécessaires
l’Etat se montrer « sans limite » ses interlocuteurs. « Indéfectible », (informationnelles ou cyber), les européennes », lance-t-il à la sortie. de liste pour les élections euro- dans une démocratie. p
face à « la folie de Vladimir Pou- étymologiquement, veut dire actes inamicaux contre les intérêts Une accusation balayée par péennes, organisé le 14 mars sur julie carriat, sandrine
tine », « qui détient l’arme nu- « qui ne saurait faire défaut », leur français en Afrique, au Moyen- l’Elysée : « Cela paraît improbable Public Sénat, le député européen cassini, clément guillou,
cléaire ». « C’était un exercice pour rappelle-t-il. Selon lui, poser des li- Orient ou en mer Noire, mais aussi que 21 chefs d’Etat et de gouver- Thierry Mariani. L’ex-ministre de alexandre pedro
affirmer et confirmer que tout est mites au soutien à l’Ukraine, ce se- la mort en prison d’Alexeï Navalny nement et 27 pays en tout se pré- Nicolas Sarkozy est pourtant, aux et nathalie segaunes

DIMANCHE10MARS
12H-13H OUESTIONS CARINE
Clément Beaune,
député de Paris, secrétaire général délégué
POLITIOUES. BÉCARD avec
Nathalie Saint-Cricq
TV canal 27

de Renaissance pour l’Europe et Françoise Fressoz

0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Chômage : les
syndicats contre
une gestion
par l’Etat
La volonté du gouvernement
de « reprendre la main »
est perçue comme une volonté de
« récupérer l’argent de l’Unédic »
D
écidément, le gouver-
nement a plein
d’idées sur l’assuran-
ce-chômage. Depuis
son arrivée à Matignon, Gabriel
Attal ne cesse de répéter qu’il faut,
à nouveau, revoir l’indemnisa-
tion des demandeurs d’emploi –
sans doute pour réduire sa durée.
Bruno Le Maire, lui, vient d’émet-
tre une autre proposition. « L’Etat
devrait reprendre la main sur [le ré-
gime] de manière définitive », a ex-
pliqué le ministre de l’économie,
dans un entretien au Monde, daté
du jeudi 7 mars. Sa déclaration,
validée par l’Elysée, a heurté les
syndicats et le patronat, puisque
ce sont eux, théoriquement, qui
gèrent le dispositif, à travers l’asso-
ciation Unédic. La position du lo-
cataire de Bercy s’inscrit dans une
épreuve de force, engagée dès le
premier quinquennat d’Emma-
nuel Macron, au cours de laquelle
l’exécutif n’a cessé de resserrer son
emprise sur le système de protec-
tion des chômeurs.
Sur le papier, la gouvernance de
l’Unédic est paritaire, c’est-à-dire
exercée conjointement par les or-
ganisations d’employeurs et de
salariés. Mais, dans la réalité, l’Etat
est omniprésent, depuis des dé-
cennies : son agrément est indis-
pensable pour l’entrée en vigueur
des « conventions » négociées par
les partenaires sociaux sur les rè-
gles d’indemnisation. C’est lui,
également, qui se porte garant de
la dette du régime en cas de dé-
faut de paiement.
Depuis la loi « avenir profes-
sionnel » de septembre 2018,
l’étreinte des pouvoirs publics
s’est accentuée. Désormais, le
gouvernement fixe les objectifs
des négociations entre le patro-
Paris-Lyon-Marseille : la réforme du mode de scrutin s’enlise
La proposition de loi des élus macronistes pour modifier le mode de désignation des maires dans les premières villes de France est retardée
E lle était annoncée pour fin
2023, puis pour début
2024. La proposition de loi
des députés Renaissance visant à
modifier le mode de scrutin muni-
cipal à Paris, Lyon et Marseille (dite
loi « PLM ») ne cesse pourtant de
prendre du retard. Certes, il n’y a
pas (encore) urgence. L’objectif des
élus macronistes est de fixer les
nouvelles règles devant réformer
le statut électoral dérogatoire des
trois plus grandes villes de France
au moins un an avant les élections
municipales de 2026. Sachant que
l’actuel mandat des élus munici-
paux s’achève en juin 2026, la ma-
jorité présidentielle se donne « fé-
vrier 2025 » comme date butoir.
Officiellement, les travaux
avancent bien. Lors de sa confé-
rence de presse du 16 janvier, Em-
manuel Macron n’avait-il pas,
pour la première fois, endossé le
projet des élus de son camp ? « La
seule chose que je veux pour Paris,
c’est qu’un électeur puisse avoir les
mêmes droits et compter autant à
Paris qu’à Amiens, à Besançon, ou
ailleurs », avait déclaré le chef de
nat et les syndicats dans un « do-
cument de cadrage ». En 2019, un
nouveau seuil a été franchi après
l’échec des discussions entre or-
ganisations d’employeurs et de
salariés. L’exécutif s’est installé
aux commandes, et a imposé des
changements de la mi-2019 au dé-
but de 2023, à travers une cascade
de textes législatifs et réglemen-
taires, qui ont durci les conditions
dans lesquelles un chômeur est
couvert. Les partenaires sociaux
n’ont retrouvé leurs prérogatives
que très récemment. Le 10 no-
vembre 2023, ils sont parvenus à
un accord. La « convention » résul-
tant de ce compromis doit main-
tenant être agréée par le minis-
tère du travail, qui a repoussé sa
décision en attendant le résultat
de la négociation en cours sur
l’emploi des seniors.
« Situation bancale »
L’hypothèse d’une nationalisation
à 100 % de l’Unédic ne jaillit pas de
nulle part. Elle affleurait déjà dans
un livre-programme publié par
M. Macron quelques mois avant
son entrée en fonction à l’Elysée :
Révolution (XO éditions, 2016).
En 2018, Muriel Pénicaud, alors
ministre du travail, et son équipe
avaient plaidé pour que le pilotage
de l’Unédic soit confié à l’Etat.
Mais le projet a été abandonné.
Il resurgit aujourd’hui à Bercy.
Pour étayer son discours, M. Le
Maire soutient que « la responsa-
bilité de l’Etat » est de se préoccu-
per du sort des chômeurs, tandis
que les « partenaires sociaux »,
eux, doivent veiller aux « sala-
riés ». « Comme le gouvernement
est comptable des résultats de la si-
tuation du marché du travail, il est
légitime qu’il ait la main sur les dé-
l’Etat, en formulant le souhait que
« le gouvernement et le Parlement
puissent décider d’une réforme en
profondeur de la loi “Paris-Lyon-
Marseille” pour revenir au droit
commun ».
En réalité, la proposition de loi
promise tarde à voir le jour car le
petit groupe de députés parisiens
qui y travaille (Sylvain Maillard,
président du groupe à l’Assem-
blée nationale, David Amiel et
Benjamin Haddad) pense finale-
ment qu’on ne peut pas changer
le mode de scrutin sans l’« articu-
ler avec la question des compéten-
ces ». Et donc qu’il convient d’at-
tendre les conclusions de la mis-
sion sur la décentralisation que
mène actuellement le député Re-
naissance de l’Oise, Eric Woerth, à
la demande M. Macron.
Même poids électoral
Jusqu’à présent, les tâches étaient
bien réparties : les trois élus pari-
siens devaient se charger de pré-
parer le texte réformant le mode
de scrutin des trois plus grandes
villes de France. Et de son côté,
Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, dans son bureau, à Paris, le 5 mars. AGNES DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »
cisions, et que le Parlement joue
également un rôle », défend Marc
Ferracci, député Renaissance des
Français de l’étranger. Le parle-
mentaire, proche de M. Macron,
préconise de cantonner les parte-
naires sociaux à une fonction con-
sultative. Si le vœu de M. Le Maire
était exaucé, « cela aurait pour
vertu de clarifier les responsabili-
tés, et de sortir le régime de la situa-
tion bancale dans laquelle il se
trouve actuellement », complète
Antoine Foucher, directeur du ca-
binet de Muriel Pénicaud lorsque
celle-ci était ministre du travail
(mai 2017-juillet 2020). Et d’ajou-
ter : « L’alternative consistant à
donner les clés aux syndicats et au
patronat – donc la garantie de la
dette de l’Unédic – n’est pas crédi-
ble. Du reste, ils n’en veulent pas. »
La piste recommandée par le
ministre de l’économie scanda-
lise les représentants des tra-
vailleurs. Elle « peut potentielle-
ment détruire [l’assurance-chô-
mage] », selon la formule d’Olivier
Guivarch, secrétaire national de la
CFDT, dans un entretien à Libéra-
tion, jeudi. « Elle fait fi du parita-
risme, alors même que nous avons
su, en tant que gestionnaires de
l’Unédic, mener une politique so-
ciale sur le long terme, enchaîne
Michel Beaugas, secrétaire confé-
déral de FO. L’exécutif, lui, en est in-
capable, car son action obéit à des
Eric Woerth était chargé de se
pencher sur la question cruciale
des institutions, des pouvoirs, et
notamment du rôle des maires
d’arrondissement.
Finalement, à l’Elysée comme
chez M. Woerth, on considère
plus logique de traiter tous ces su-
jets en même temps. Ces derniè-
res semaines, lors des consulta-
tions qu’ils ont menées pour ral-
lier des soutiens, Sylvain Maillard,
David Amiel et Benjamin Haddad
se sont rendu compte que la plu-
part des élus locaux étaient du
même avis. C’est une condition
sine qua non pour beaucoup de
maires d’arrondissement pari-
siens, notamment chez Les Répu-
blicains (LR). Mais c’est aussi le cas
d’élus Renaissance : « Je ne vote
pas un texte s’il n’y a pas d’engage-
ments sur les compétences », pré-
vient Lionel Royer-Perreaut, dé-
puté des Bouches-du-Rhône, an-
cien maire des 9e et 10e arrondis-
sements de Marseille.
En effet, le territoire qu’il admi-
nistrait avait beau compter
140 000 habitants, et être aussi
considérations de court terme. »
Au nom de la CGT, Denis Gravouil
dénonce un désir de mainmise
des pouvoirs publics qui va se tra-
duire par une énième « dégrada-
tion des droits des chômeurs ».
Exigence accrue
Le mécontentement est égale-
ment palpable du côté du patro-
nat. Avant tout, pour des raisons
de forme. « Ces pressions perma-
nentes, alors que nous sommes en
pleine négociation [sur l’emploi
des seniors], sont insupportables,
tempête Michel Picon, président
de l’Union des entreprises de
proximité. « C’est un peu lourd », a
renchéri, jeudi, Eric Chevée, vice-
président de la Confédération des
petites et moyennes entreprises.
Les frottements entre l’exécutif
et les partenaires sociaux ren-
voient à des divergences de vues
sur la mission du système d’in-
demnisation des chômeurs, ana-
lyse l’économiste Michaël Zem-
mour. Pour l’Etat, c’est « un outil
d’incitation à l’emploi, notam-
ment à l’aide de sanctions », tandis
que patronat et syndicats défen-
dent le principe d’« une assurance
pour accompagner des salariés
privés d’activité ».
Les tensions se nourrissent éga-
lement de la piètre opinion du
chef de l’Etat à l’égard des repré-
sentants des travailleurs et des
grand que les trois quarts de la ca-
pitale, il estime qu’il « ne dé-
cid[ait] de rien ».
Associer la question du mode
de scrutin et celle des compéten-
ces des maires d’arrondissement
est donc de nature à satisfaire les
élus locaux. Mais cela fait aussi
peser un risque sur la réforme
électorale. D’abord parce que cela
ralentit le projet, puisque les con-
clusions d’Eric Woerth ne sont
pas attendues avant mai. Surtout
parce qu’ouvrir tous les chapitres,
c’est ouvrir la boîte de Pandore.
Certes, à l’exception de la maire
socialiste de Paris, Anne Hidalgo,
qui dénonce « un bidouillage »,
l’objectif de la réforme a des parti-
sans à droite comme à gauche :
organiser le scrutin à l’échelle de
toute la ville, comme partout en
France, et donner ainsi le même
poids électoral à chaque voix.
Aujourd’hui, le vote est organisé
par secteur (comptant un ou plu-
sieurs arrondissements) et à deux
étages : on désigne en même
temps les conseillers locaux et les
conseillers municipaux. Avec ce
La piste
recommandée
par le ministre
de l’économie
scandalise les
représentants
des travailleurs
chefs d’entreprise : ils seraient, à
ses yeux, de piètres gestionnai-
res. « Cet argument n’est pas en-
tendable, objecte l’économiste
Bruno Coquet. L’Etat a pris le con-
trôle de l’assurance-maladie dans
les années 1990 puis celui des re-
traites dans les années 2000.
Est-ce que la situation va mieux
pour autant ? Non ! »
Autre source de frictions : la logi-
que budgétaire du gouvernement
dans ce dossier. Grâce au durcisse-
ment des règles d’indemnisation
et à la baisse du chômage jusqu’au
début de 2023, l’Unédic a renoué
avec les excédents. Du coup, l’Etat
en profite pour faire les poches du
régime. De 2023 à 2026, il a prévu
de lui soustraire 12,05 milliards
d’euros pour financer deux opéra-
teurs dédiés à l’emploi et à la for-
mation (France Travail et France
Compétences). « C’est le seul but de
la nationalisation voulue par le
système, il est possible d’obtenir
la majorité des sièges et d’être élu
maire de la ville sans avoir obtenu
la majorité des voix. Et le premier
magistrat, dit-on, est naturelle-
ment conduit à ne s’intéresser
qu’aux arrondissements décisifs.
Moins consensuel
Mais le sujet, plus large, des com-
pétences et des institutions est
moins consensuel. Il ouvre des
questions en cascade : faut-il sup-
primer ou renforcer les arrondis-
sements ? Si on instaure deux ur-
nes (un vote pour le secteur, un
pour la ville), quel lien les maires
de secteur auront-ils avec le
conseil municipal ?
A Marseille, la présidente divers
droite de la métropole et du dé-
partement des Bouches-du-
Rhône, Martine Vassal, sceptique
sur la réforme, n’est pas en phase
avec le maire socialiste, Benoît
Payan, qui est pour. Même si ce-
lui-ci considère qu’inclure le sujet
des secteurs dans la discussion
n’est pas une bonne idée : « A Mar-
seille, à Lyon et à Paris, les maires
france | 9
gouvernement : récupérer l’argent
de l’Unédic », estime Bruno Co-
quet. Dans le contexte actuel
d’économies réclamées – entre
autres – au ministère du travail,
l’assurance-chômage représente
un levier « pour jouer sur la réduc-
tion de la dépense publique, aux
dépens des chômeurs », regrette
Michaël Zemmour.
Une autre préoccupation guide
la réflexion de l’exécutif : pour at-
teindre le plein-emploi, il fau-
drait, selon lui, être plus sévère
sur les conditions dans lesquelles
une allocation est versée aux
chômeurs. Cette exigence accrue
se justifie d’autant plus, pour
M. Macron et le gouvernement,
que des entreprises peinent à
trouver la main-d’œuvre dont el-
les ont besoin.
Mais l’argument ne fait pas
l’unanimité au sein de la majo-
rité. « Les tensions de recrutement
existent aussi dans d’autres pays
dont les règles sont plus strictes
que les nôtres », observe la dépu-
tée Renaissance de Paris Astrid
Panosyan-Bouvet. Quant à l’idée
de laisser l’Etat s’emparer de
l’Unédic, elle est jugée inoppor-
tune par la députée Renaissance
Charlotte Parmentier-Lecocq,
soulignant la nécessité de renfor-
cer le « dialogue social » p
bertrand bissuel
et thibaud métais
d’arrondissement n’ont pas la
même vision, constatait-il dans
nos colonnes en décembre. Il y
aura des difficultés à trouver des
convergences. » A Lyon, les élus
s’opposent aussi, notamment sur
la question de la métropole.
A Paris, Rachida Dati, devenue
ministre de la culture du gouver-
nement Attal et qui entend tou-
jours se présenter aux municipa-
les en 2026, est favorable au projet
de réforme du mode de scrutin,
tout comme la direction nationale
de LR. En revanche, les maires de
droite de la capitale (sans compter
l’opposition des socialistes) disent
avoir des doutes sur le fond. Ca-
therine Dumas, qui a succédé à Ra-
chida Dati à la tête du groupe LR au
Conseil de Paris, rappelle que le
système actuel « ne fonctionne pas
si mal » et qu’il n’est pas question
d’affaiblir les maires d’arrondisse-
ment. « Si on nous propose quelque
chose de mieux, sans perdre la
proximité, pourquoi pas ? Mais at-
tention de ne pas faire pire que
l’existant », prévient-elle. p
benoît floc'h
10 | france
Les femmes, angle mort des politiques rurales
Freins à l’emploi, à la mobilité, aux soins… les pouvoirs publics peinent à répondre à leurs besoins spécifiques
C
e sont elles qui « tien-
nent la campagne »,
pour reprendre le titre
de l’enquête de Sophie
Orange et Fanny Renard (La Dis-
pute, 2022). Les sociologues y
montrent à quel point l’organisa-
tion des territoires ruraux repose
en grande partie sur « une bande
de femmes » qui, face au retrait de
l’Etat social, tiennent tous les ser-
vices essentiels : de l’enfance
(Atsem, AVS…) au grand âge (aides
à domicile…), en passant par les
collectivités. Pourtant, force est
de constater que les 11 millions de
femmes vivant en milieu rural
(soit une sur trois, selon l’Insee)
demeurent non seulement invi-
sibilisées, mais bien souvent
oubliées des pouvoirs publics,
lents à prendre la mesure de leurs
besoins spécifiques.
Leurs obstacles sont pourtant
nombreux, et cumulatifs : un ac-
cès plus compliqué à l’emploi, à la
formation, aux services publics,
aux modes de garde ; du renonce-
ment aux soins face à des déserts
gynécologiques et médicaux, de
l’isolement face aux violences
conjugales, des emplois souvent
précaires… Difficultés pouvant
être accentuées par des moyens
de mobilité réduits : alors que la
voiture représente 80 % des dé-
placements en zone rurale et y
constitue souvent un critère
d’embauche, seules 80 % d’entre
elles sont détentrices du permis
de conduire, contre 90 % des
Dans le Jura, un dispositif itinérant pour briser l’isolement
Depuis 2022, un van du centre d’information sur les droits des femmes et des familles sillonne la région pour « offrir une écoute de proximité »
REPORTAGE
V ous connaissez les CIDFF
[centres d’information
sur les droits des femmes
et des familles] ? On est une asso-
ciation qui propose une infor-
mation juridique gratuite en cas
de divorce, de séparation… et on
accompagne aussi les femmes vic-
times de violences. Vous voulez un
prospectus avec les adresses et les
lieux de nos permanences ? » L’air
engageant, Aurélie L. (elle veut
conserver l’anonymat) aborde les
badauds venus faire leur marché
à Arinthod, une commune du
Jura de moins de 1 200 habitants,
ce mardi 5 mars. Difficile de
passer sur la place sans remar-
quer la travailleuse sociale de
38 ans, à la parka assortie à son
van jaune vif, stationné à quel-
ques mètres des étals.
Les thématiques s’affichent en
lettres noires sur le véhicule :
« Accès aux droits, égalité, violen-
ces, genre, santé, vie affective et
amoureuse. » Le van a été baptisé
Nina & Simon.e.s, « en écriture in-
clusive, pour s’adresser aussi aux
hommes, et en hommage à la
chanteuse Nina Simone, qui était
très engagée et qui a subi des vio-
lences, mais aussi à Simone Veil et
Simone de Beauvoir, ainsi qu’à la
première femme qui a obtenu son
permis, et qui s’appelait Simone »,
explique Aurélie.
Double isolement
Depuis trente ans, sur tout le ter-
ritoire national, les CIDFF propo-
sent des permanences juridiques
et une prise en charge globale des
femmes. Ce « dispositif itinérant »
a été lancé en septembre 2022 par
la Fédération régionale des CIDFF
Bourgogne-Franche-Comté pour
« aller à la rencontre des femmes
isolées du Jura et leur offrir une
écoute de proximité », résume
Maryvonne Faillenet-Elvezi, pré-
sidente du CIDFF du Jura et de la
fédération.
La publication, en juin 2021,
d’un rapport du Conseil écono-
mique, social et environnemen-
hommes, alors que les transports
publics manquent et sont peu
adaptés à leurs besoins (enchaîne-
ments de trajets, sièges enfants…).
Un « cumul des inégalités de
genre et des inégalités territoria-
les » sur lequel alertait, fin 2021,
un rapport de la délégation aux
droits des femmes (DDF) du Sénat
(Femmes et ruralités : en finir avec
les zones blanches de l’égalité) for-
mulant 70 recommandations al-
lant des transports à l’orientation
scolaire. Au départ, un constat :
aucune des 181 mesures de
l’Agenda rural présenté par le gou-
vernement au sortir de la crise
des « gilets jaunes » ne s’adressait
aux femmes. Une lacune qu’avait
reconnue le secrétaire d’Etat à la
ruralité de l’époque, Joël Giraud.
« Manque de vision globale »
Trois ans plus tard, où en est-on ?
« Loin du compte », répond la vice-
présidente (Union centriste) de la
DDF du Sénat, Annick Billon, qui,
si elle salue des avancées parcel-
laires, regrette « un manque de vi-
sion globale ». Au rang des avan-
cées, elle cite le travail gouverne-
mental pour lutter contre les vio-
lences intrafamiliales, le manque
de transport « mieux pris en
compte par les collectivités » alors
que la mobilité conditionne l’ac-
cès à tous les droits, ou l’élargisse-
ment des compétences des sages-
femmes (pouvant désormais pra-
tiquer l’IVG instrumentale, sous
condition).
Le van Nina & Simon.e.s, au marché d’Arinthod (Jura), le 4 mars. CLAIRE JACHYMIAK/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
tal régional sur l’isolement des
femmes en Bourgogne-Franche-
Comté a été le détonateur. Le van
Nina & Simon.e.s est une des ré-
ponses imaginées pour répondre
à « l’invisible détresse » des fem-
mes habitant ce territoire très
rural, marqué par des problèmes
de mobilité et d’accès aux ser-
vices. « Le van est financé jusqu’à
la fin 2024. Après, il faut qu’on
trouve des subventions », précise
Mme Faillenet-Elvezi.
A Arinthod, une dame, les che-
veux blancs coupés court, s’ap-
proche. Le divorce ? « Ah oui ça je
connais, moi ça m’est arrivé il y a
vingt-huit ans. Il m’a fichu dehors
sans rien », confie-t-elle à Aurélie
avec un petit rire. Les violences ?
Elle « a connu aussi ». Mais « c’était
Elles tiennent
tous les services
essentiels :
de l’enfance
au grand âge,
en passant par
les collectivités
La sénatrice de Vendée évoque
une loi visant à revaloriser les se-
crétaires de mairie et une proposi-
tion de loi sur le statut de l’élu pour
faciliter l’engagement des fem-
mes. Côté emploi : la volonté de
mieux soutenir l’entrepreneuriat
féminin, de revaloriser les plus pe-
tites pensions agricoles ou le tra-
vail des aides à domicile, « bien que
les efforts soient encore timides ».
Elle déplore aussi des « reculs »
indirects, comme la réforme du
bac, ayant eu pour effet de dimi-
nuer la part des filles dans les
parcours scientifiques, alors que
« les jeunes filles rurales ont déjà
une orientation plus contrainte
que les autres ».
Surtout, la sénatrice regrette
que le nouveau plan gouverne-
mental France Ruralité, présenté
en juin 2023, fasse à nouveau l’im-
passe sur les problématiques des
femmes. Un plan interministériel
consacré à l’égalité de genre (dé-
crétée « grande cause nationale »)
a été présenté en mars 2023,
il y a longtemps, et il est mort
maintenant ». Nouveau petit rire.
Elle a 70 ans. N’empêche, ça « a été
dur après », notamment sur le
plan financier, glisse-t-elle.
Depuis un an et demi qu’elle
sillonne le Jura à bord de son van,
des échanges comme celui-là,
Aurélie en a vécu des centaines.
Deux fois par semaine, elle s’ins-
talle sur le parking d’un super-
marché, près d’un centre de dis-
tribution des Restos du cœur, sur
les festivals et les foires… Sous son
auvent, elle déplie une petite ta-
ble avec les plaquettes du CIDFF et
de ses partenaires, comme France
Victimes ou la mission locale. Des
produits d’hygiène, notamment
des protections périodiques, sont
en libre-service.
« mais, là encore, on trouve peu
d’actions spécifiques à la ruralité ».
« Plutôt qu’une superposition de
plans interministériels et de grands
appels à projets », la sénatrice pré-
conise de donner plus de moyens
et de souplesse aux collectivités et
aux associations de proximité,
qui jouent un rôle majeur : « C’est
au plus près et non dans les minis-
tères que sont apportées les répon-
ses adaptées. On le voit avec le tra-
vail des Centres d’information sur
les droits des femmes [et des fa-
milles, CIDFF], des plannings
familiaux, les initiatives locales en
matière de santé, de mobilité. »
Activités peu rétribuées
Un constat que ne contredit pas la
ministre déléguée chargée des
collectivités territoriales et de la
ruralité, Dominique Faure, qui, si
elle met en avant le 1,5 million
d’euros d’appels à projets pour
soutenir les structures qui por-
tent des actions ou la campagne
d’information « Femmes-Rurali-
tés » lancée avec les CIDFF, recon-
naît « un manque de lisibilité » et
« un objectif d’égalité non atteint,
surtout en ruralité » : « Il nous faut
poursuivre l’effort, mieux soutenir
les associations de proximité. »
Avec le soutien de l’Etat, l’Asso-
ciation des maires ruraux de
France développe depuis deux ans
un réseau des « élus ruraux relais
de l’égalité » : un maillage d’élus
formés à repérer et à accompagner
des victimes de violences (en lien
Souvent, la discussion se pour-
suit en confidences à l’intérieur
du van, aménagé pour les rece-
voir. « J’ai reçu beaucoup de témoi-
gnages de violences conjugales et
d’inceste, dit Aurélie. Je ne pensais
pas que le van provoquerait une
telle libération de la parole, s’éton-
ne-t-elle. Parfois, c’est la première
fois que les personnes parlent, no-
tamment des femmes âgées qui
ont vécu cela il y a des années. »
« Comme une famille »
Ce premier contact est indispen-
sable pour briser le double isole-
ment, géographique et mental,
des femmes victimes de violen-
ces en milieu rural. « L’intérêt du
van, c’est qu’il circule, et qu’il aille
dans des lieux où on ne se rend
avec les CIDFF et les forces de l’or-
dre), à mieux informer les femmes
sur leurs droits et à sensibiliser
divers publics (la démarche ren-
contre un succès croissant avec
soixante-quatre départements
impliqués et plus de 1 000 élus ré-
férents communaux mobilisés).
Pour Emilie Agnoux, cofonda-
trice du centre de réflexion Le
sens du service public, les princi-
paux leviers se trouvent dans les
services publics. Dans une étude
de juin 2023 coécrite pour la Fon-
dation Jean Jaurès, la fonction-
naire montre à quel point leur re-
cul dans les campagnes aggrave
les inégalités, puisque ce sont les
femmes, « davantage préposées
aux tâches domestiques et admi-
nistratives », qui compensent ces
dysfonctionnements.
« Quand il faut faire des kilomè-
tres pour trouver un guichet, qu’on
réduit les horaires d’ouverture,
qu’on dématérialise, qu’on ferme
une école, qu’il faut garder un en-
fant malade, s’occuper d’un parent
âgé… ça pèse d’abord sur le temps
et le budget des femmes, qui recou-
rent davantage au temps partiel »,
souligne Mme Agnoux.
Si les pouvoirs publics font
montre d’efforts, depuis les « gi-
lets jaunes », pour réimplanter
des services (comme les maisons
France services) et rapprocher des
lieux de formation (comme les
campus connectés), les premières
ne « répondent qu’imparfaitement
aux besoins, estime Mme Agnoux,
pas, et rencontre des femmes
qu’on n’atteint pas autrement »,
abonde Claire Robelin, la direc-
trice du CIDFF du Jura.
L’action menée par Aurélie est
ainsi « complémentaire » de l’ac-
compagnement proposé par les
onze salariées de l’association
(psychologue, juristes, éduca-
trices spécialisées, conseillère en
insertion…) dans les locaux de
Lons-le-Saunier, la préfecture.
« Compte tenu des besoins », l’an-
tenne a développé, depuis sa créa-
tion en 1992, un suivi spécifique
lié aux violences conjugales.
Recréer du lien en fait partie. Ce
qui se fait avec le van, l’« aller
vers », est donc décliné, de bien
d’autres manières, dans les lo-
caux de l’association. Il peut s’agir
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
d’autant que ce sont à nouveau des
femmes qui les assurent ». Elle pro-
pose des pistes pour « refonder les
services publics en tenant compte
de l’impact genré » : mieux adap-
ter leurs horaires ou compenser
les frais de transport, par exemple.
Autre urgence, selon la sociolo-
gue Fanny Renard, « reconnaître à
leur juste valeur l’engagement et
les compétences de ces femmes qui
tiennent les campagnes en occu-
pant des emplois précaires et péni-
bles, temps partiels contraints,
journées morcelées ». Une absence
de reconnaissance salariale qui
tient au fait que leurs activités de-
meurent invisibilisées, « considé-
rées comme la simple prolonga-
tion d’un engagement domesti-
que », dans des territoires encore
associés à un imaginaire masculin
(artisanat, chasse, agriculture…).
L’enquête montre comment les
jeunes femmes sont à la fois rete-
nues par les institutions locales
(école, organismes de formation,
entreprises, collectivités) et orien-
tées vers les métiers du « care »
(soins et services à la personne),
« qui valorisent leurs “dispositions”
aux soins des autres acquises dans
l’enfance ». Si les jeunes femmes y
trouvent une forte rétribution
symbolique, les chercheuses s’in-
quiètent néanmoins des consé-
quences que peut avoir l’absence
de rétribution économique, en
matière de défiance vis-à-vis de
l’Etat et des services publics. p
camille bordenet
« J’ai reçu
beaucoup
de témoignages
de violences
conjugales
et d’inceste »
AURÉLIE L.
travailleuse sociale
de sorties au cinéma, de pratiques
sportives ou d’activités de créa-
tion diverses. Ce jour-là, plusieurs
des usagères se retrouvent autour
d’un « café des femmes ». Il y a là
Nicole, 64 ans. Originaire du Ca-
meroun, elle occupe l’un des qua-
torze appartements de l’associa-
tion, destinés à accueillir des vic-
times après les violences.
Quand elle est arrivée, démolie
après plusieurs années de mariage
auprès d’un homme alcoolique, sa
vie tenait dans deux valises. « Vous
m’auriez vu, je ne ressemblais plus
à rien », soupire-t-elle. Elle s’inves-
tit depuis dans toutes les activités
proposées par le centre. Son avenir
est suspendu à sa demande de ti-
tre de séjour. Tout le monde, au
CIDFF, connaît Nicole et son en-
thousiasme. « Ici, je suis bien, c’est
comme une famille », sourit-elle.
A ses côtés, Véronique, 57 ans,
parle aussi du soutien trouvé là,
qu’elle n’avait jamais reçu ailleurs.
Très peu, dans son entourage, sa-
vent qu’elle a subi « trente ans de
violences conjugales ». Désormais
séparée du père de ses deux gar-
çons, en recherche d’emploi, elle
fréquente souvent la permanence.
Dans l’équipe, toutes savent que le
parcours de sortie des violences
est un long chemin. L’emprunter
seule est particulièrement diffi-
cile. A Arinthod, ce mardi de mars,
la dame aux cheveux blancs finit
par s’éloigner avec un prospectus
du CIDFF. « A mon époque, ça
n’existait pas, tout ça. Je le prends,
ça peut peut-être servir à des fem-
mes que je connais. » p
solène cordier
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Le projet d’Attal
sur les groupes
de niveau au
collège révisé
Le ministère de l’éducation
a introduit de la « souplesse »
dans l’application de la mesure
A
u ministère de l’éduca-
tion nationale, on se
veut ferme sur le fait
que le « choc des
savoirs », décidé par le premier
ministre, Gabriel Attal, lors de son
passage Rue de Grenelle, est « la
stratégie la plus adaptée pour faire
progresser l’ensemble des élèves »
et qu’« aucune mesure ne sera
abandonnée ». Mais c’est bien une
version différente de la disposi-
tion emblématique de cette poli-
tique, celle des « groupes de
niveau » en mathématiques et en
français au collège, que le minis-
tère a présentée, jeudi 7 mars.
Après trois semaines de concer-
tation avec les représentants des
enseignants, chefs d’établisse-
ment, inspecteurs et parents
d’élèves, quasi unanimement
opposés à cette politique, l’orga-
nisation retenue par la ministre
de l’éducation nationale, Nicole
Belloubet, s’éloigne de celle dessi-
née par Gabriel Attal le 5 décem-
bre 2023. « Dans chaque collège,
les élèves de chaque classe seront
répartis en trois groupes : groupe 1,
groupe 2 et groupe 3, en fonction
de leur niveau » durant toutes les
heures de français et mathémati-
ques, avait-il développé en expli-
quant cette transformation, qui
doit s’appliquer aux classes de
6e et de 5e dès 2024, avant d’être
étendue aux 4e et 3e en 2025.
Deux mois plus tard, le principe
d’une organisation en « groupes »
reste de mise pour ces deux disci-
plines, mais il n’est désormais
officiellement plus question de
Logement insalubre : le « décret habitat » de plus en plus contesté
Le Haut Comité pour le droit au logement demande la révision du texte qui autorise à louer des logements de 1,80 mètre sous plafond
L’ avis a été adopté à l’unani-
mité des membres du
Haut Comité pour le droit
au logement, et devait être en-
voyé vendredi 8 mars au ministre
délégué au logement, Guillaume
Kasbarian. Il appelle à réviser le
décret du 29 juillet 2023 portant
sur les « règles sanitaires d’hy-
giène et de salubrité des locaux
d’habitation et assimilés ».
« Le Haut Comité a été alerté par
plusieurs associations, indique
René Dutrey, secrétaire général
de cette instance gouvernemen-
tale créée en 1992 à la demande de
l’abbé Pierre. Ce décret ne respecte
pas l’objectif fixé, qui était d’har-
moniser par le haut, ou a minima
à droit constant, les critères de sa-
lubrité des logements, auparavant
fixés dans chaque département
par les préfets. Il marque au con-
traire une régression. »
Abaissement des règles
Alors qu’aucun règlement sani-
taire départemental n’autorisait à
louer un logement d’une hauteur
sous plafond inférieure à 2,2 mè-
tres, le décret permet de déroger
aux règles de hauteur et de sur-
face si le volume habitable est su-
périeur à 20 m2, avec un plafond
d’au moins 1,80 mètre de haut.
Bien que la loi considère que tous
les sous-sols sont impropres à
« groupes de niveau » Rue de
Grenelle. L’expression devrait
d’ailleurs être retirée des textes à
paraître sur la nouvelle organisa-
tion du collège. Aux équipes de
décider des regroupements d’élè-
ves les plus pertinents, « en fonc-
tion de leurs besoins ». « Les grou-
pes de besoins seront constitués en
fonction des compétences à attein-
dre. Il n’y aura donc pas d’assigna-
tion à un groupe faible ou fort »,
affirme-t-on au ministère.
Effets délétères sur les élèves
Il devient surtout possible pour
les chefs d’établissement et leurs
équipes de préserver, à certains
moments de l’année et « à titre
dérogatoire », des « temps d’ensei-
gnement en classe entière » en ma-
thématiques et en français, là où
la mesure initiale faisait totale-
ment disparaître les classes dans
ces disciplines, qui pèsent pour
un tiers du volume horaire
hebdomadaire des collégiens.
Loin de l’idée initiale de groupes
permanents, le ministère ne
prévoit pas de limiter le nombre
de semaines durant lesquelles les
équipes des collèges pourront
conserver des classes hétérogè-
nes, même s’il insiste sur le fait
que les groupes doivent rester la
règle. « C’est aux équipes de trouver
l’organisation la plus fine à partir
de la règle que l’on a fixée », fait-on
valoir, insistant sur la « confiance »
accordée aux équipes et à leur
« autonomie ». Cette « souplesse »
d’organisation doit, selon le
ministère, « favoriser les brassa-
l’habitation, le décret crée une ex-
ception dès lors qu’ils ne présen-
tent pas un risque pour la santé
des habitants. Le décret lève aussi
l’obligation que les pièces princi-
pales (chambres, salon) aient une
largeur minimale de 2 mètres.
Le Haut Comité reproche au dé-
cret d’autres abaissements des rè-
gles. La présence d’une salle d’eau
dans le logement n’est pas re-
quise, non plus qu’une distance
maximale avec les toilettes. Une
ventilation permanente des loge-
ments n’est pas non plus exigée,
alors que « la majorité des procé-
dures d’insalubrité (…) sont fondées
sur des problèmes d’humidité liés à
des défauts de ventilation continue
ou permanente ». Il souligne aussi
des dispositions « floues », ne per-
mettant pas de savoir si une
ouverture sur l’extérieur est de-
mandée dans une seule pièce de
vie, ou dans chacune d’elles.
« Le texte est assez mal écrit, et
pose des conditions parfois subjec-
tives », critique également Théo-
phile Delly, salarié de l’Action
pour l’insertion par le logement
(Alpil), une association qui lutte
contre le logement indigne pour
le compte de la métropole de
Lyon. Ainsi, parmi les critères ren-
dant un sous-sol habitable, il faut
que l’éclairement naturel au cen-
tre d’une pièce de vie « permette
Lors d’une manifestation, à Paris, le 7 mars. GUILLAUME BAPTISTE/AFP
ges » et éviter la « stigmatisation »
d’élèves cantonnés « toute l’année
dans un même groupe ».
Par ces décisions, Nicole Bellou-
bet, qui assure « assumer l’ambi-
tion de la réforme », entend « s’as-
surer qu’elle soit applicable sur le
terrain ». Et répondre à la fronde
massive provoquée par le projet
de Gabriel Attal, qui n’a cessé de
prendre de l’ampleur depuis dé-
but janvier. Outre leur opposition
philosophique à une mesure dont
la recherche a montré les effets
délétères sur les élèves les plus
fragiles et les inégalités, les per-
sonnels multiplient les alertes sur
le manque de moyens pour met-
tre en œuvre cette politique et ses
conséquences sur la vie des collè-
ges. Malgré les créations de postes
annoncées, Nicole Belloubet ne
nie pas les « tensions » sur le sujet.
Depuis sa nomination, la minis-
tre étudiait les voies pour sortir
de l’ornière, cherchant l’équilibre
entre les attentes de la commu-
nauté éducative et l’enjeu politi-
que de ne pas désavouer les an-
nonces de celui qui est désormais
premier ministre. Devant quel-
d’y lire par temps clair et en pleine
journée sans recourir à un éclai-
rage artificiel ».
Le Haut Comité formule des pro-
positions alternatives pour cha-
cun des reculs constatés. « Or, la
plupart de ces propositions figu-
raient dans le projet de décret ini-
tial, soumis au Conseil national de
l’habitat et au Haut Conseil de la
santé publique fin 2021. Elles ont
ensuite été supprimées », relève
René Dutrey.
« Louer des sous-sols »
« Sous prétexte de simplifier les
normes et de développer l’offre de
logements, le décret final affaiblit
les exigences de salubrité et les pos-
sibilités de recours, au détriment de
la santé physique et mentale des
habitants », critique Camille Régis,
déléguée générale de la Fédéra-
tion des associations et des ac-
teurs pour la promotion et l’inser-
tion par le logement.
Celle-ci s’emploie, avec d’autres
associations, à rencontrer les ser-
vices de l’Etat concernés et à for-
muler des contre-propositions dé-
taillées. De son côté, l’association
Droit au logement (DAL) a déposé
dès septembre 2023 un recours en
annulation devant le Conseil
d’Etat. La Fondation Abbé Pierre et
le Secours catholique s’y sont as-
sociés, et ATD Quart Monde et le
ques journalistes, ce dernier a nié,
jeudi, tout recul ou même « chan-
gement ». « La souplesse a toujours
été possible, notamment car on
prévoit depuis le début que les
élèves puissent changer de grou-
pes de façon fluide au cours de
l’année », a fait valoir Gabriel Attal.
L’enjeu des moyens reste entier
Les organisations syndicales,
auxquelles Nicole Belloubet a
détaillé ses arbitrages jeudi matin,
ont bien relevé les inflexions de
discours et ont presque toutes ex-
primé leur soulagement de voir
disparaître le principe des « grou-
pes de niveau » des textes. Force
ouvrière a dénoncé des décisions
qui « changent la forme en pen-
sant que cela suffira à faire passer
le fond ». « La ministre a entendu le
fait que les groupes de niveau et le
tri social des élèves qu’ils engen-
draient étaient en contradiction
avec le projet d’école que nous por-
tons, salue Sophie Vénétitay, du
SNES-FSU, premier syndicat du se-
condaire, tout en rappelant son
opposition au “choc des savoirs”.
Ils n’existeront pas et cette avancée
syndicat Solidaires s’apprêtent à
le faire. « Ce décret facilite la tâche
des marchands de sommeil, qui
peuvent plus facilement diviser des
pavillons en petits studios, louer
des sous-sols et des logements-cou-
loirs », dénonce le porte-parole du
DAL, Jean-Baptiste Eyraud.
« Seuls les pouvoirs publics peu-
vent déclarer un logement insalu-
bre, avec la possibilité d’obliger le
propriétaire à faire des travaux et
parfois à reloger le locataire. En
assouplissant les règles, l’Etat se dé-
sinvestit de son rôle de protection
des plus fragiles », regrette l’avocat
de l’association, Paul Mathonnet.
A l’Alpil lyonnaise, Ludovic de
Solère confirme : « Nous avons déjà
identifié 15 logements d’un réseau
de marchands de sommeil qui, avec
le nouveau texte, ne pourraient
plus être déclarés insalubres en rai-
son de leur taille insuffisante. »
Le ministre du logement n’a pas
respecté le délai fixé pour répon-
dre aux arguments déposés par
les requérants devant le Conseil
d’Etat. Il a désormais jusqu’au
15 mars pour le faire. Mais il a eu
l’occasion de s’exprimer sur le su-
jet, fin février au Sénat, lors de
l’examen du projet de loi sur les
copropriétés dégradées, qui ren-
force les sanctions contre les mar-
chands de sommeil. Des députés
et sénateurs de gauche ont tenté
Par ces décisions,
la ministre Nicole
Belloubet entend
répondre à la
fronde massive
provoquée
par le projet
est une victoire à mettre au crédit
de la mobilisation intersyndicale. »
« Permettre l’alternance entre
groupes et classe entière et laisser
de l’autonomie aux équipes
change vraiment la donne », es-
time Elisabeth Allain-Moreno, du
SE-UNSA, qui, comme les autres,
attend cependant la publication
des textes. Le SNDPEN-UNSA, ma-
joritaire chez les chefs d’établisse-
ment, voit également dans les an-
nonces de jeudi un « progrès con-
sidérable sur le fond » et loue la
« souplesse » laissée aux équipes.
Chacun s’accorde à dire que ces
arbitrages ne résolvent pas tout et
posent « de redoutables questions
de faire voter des amendements
prévoyant que la surface habita-
ble ne peut être inférieure à 9 m2,
avec au moins 2,2 mètres de hau-
teur sous plafond. Guillaume
Kasbarian a fait valoir que « dans
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Régent, 1000 BRUXELLES - BELGIQUE,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
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depuis le 20/11/2014 pour ses activités de
: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE, depuis le
20/11/2014 pour ses activités de : GESTION
IMMOBILIERE cessera de porter effet trois
jours francs après publication du présent avis.
Les créances éventuelles se rapportant à ces
opérations devront être produites dans les trois
mois de cette insertion à l’adresse de l’Établis-
sement garant sis Tour CBX - 1 Passerelle des
Reflets - 92913 Paris La Défense Cedex. Il est
précisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du paie-
ment ou du non-paiement des sommes dues
et ne peut en aucune façon mettre en cause la
solvabilité ou l’honorabilité de la SARL NS
GESTION.
france | 11
d’organisation » du temps
scolaire. « Une telle organisation
suppose une ingénierie pédagogi-
que complexe et donc du temps de
concertation toute l’année qui,
pour l’instant, n’existe pas »,
avance Catherine Nave-Bekhti, du
SGEN-CFDT. Tous rappellent que
l’enjeu des moyens reste entier.
La ligne de crête empruntée par
le ministère de l’éducation natio-
nale interroge aussi quant à
l’effectivité finale d’une politique
dont la physionomie dépend dé-
sormais de chaque établissement.
« Pour l’instant, c’est compliqué de
savoir à quoi ça va ressembler, et ça
risque de devenir un système à géo-
métrie variable, voire de ne pas être
appliqué du tout », observe Jean-
Rémi Girard, dont le syndicat, le
Snalc, avait été le seul à approuver
initialement les groupes de ni-
veau avant de demander un mora-
toire face aux contraintes de mise
en œuvre. « L’essentiel est que cela
soit mis en place et que les moyens
soient au rendez-vous », assure le
premier ministre, qui n’exclut pas
d’en « rajouter un peu ». p
éléa pommiers
le contexte d’effondrement total
de l’offre locative que nous con-
naissons, nous ne pouvons pas
prendre le risque de réduire celle-ci
encore davantage ». p
claire ané
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Tour CBX -
1 Passerelle des Reflets - 92913 Paris La
Défense Cedex (RCS NANTERRE 842
689 556), succursale de QBE EUROPE
SA/NV, dont le siège social est à 37,
Boulevard du Régent, 1000 BRUXELLES
- BELGIQUE, fait savoir que, la garantie
financière dont bénéficiait la :
2 RC CONSULT SARL
Avenue des Cinquante Trois 22 Résidence
Saint Martin 13250 SAINT-CHAMAS
RCS: 452 925 407
depuis le 01/12/2005 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Établissement garant
sis Tour CBX - 1 Passerelle des Reflets -
92913 Paris La Défense Cedex. Il est pré-
cisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SARL 2 RC CONSULT.
12 | france
Aux obsèques de Rola Al Mayali, 7 ans, morte noyée
La barque qui devait emmener la fillette et sa famille vers l’Angleterre a chaviré, le 3 mars, dans le canal de l’Aa
REPORTAGE
grande-synthe (nord) -
envoyée spéciale
U
ne peluche Kiki bleue
a été posée au sol.
Et, à côté d’elle, des
bouquets de roses, de
jonquilles et de tulipes ont été
disposés. C’est ici, à l’extrémité
sud du nouveau cimetière de
Grande-Synthe, dans le Nord, en
bordure d’une route départe-
mentale et sous une ligne à haute
tension, que repose désormais le
corps de la petite Rola Al Mayali.
Née en 2016 en Irak, morte noyée
le dimanche 3 mars dans le canal
de l’Aa, à hauteur de la commune
de Watten, alors que ses parents
voulaient rejoindre l’Angleterre.
Le petit bateau de pêche de
rivière sur lequel ils venaient de
monter dans la nuit a immédiate-
ment chaviré avant même de
s’engager vers la mer du Nord.
Sous le poids de la vingtaine de
personnes à son bord, il s’est
retourné et la petite fille s’est
retrouvée coincée dans la cabine.
Une photo de Rola Al Mayali a
été déposée sur sa sépulture, dans
le carré musulman du cimetière.
Elle porte un tee-shirt rose sur
lequel a été imprimé un dessin de
licorne. Et elle sourit. « Elle n’avait
rien demandé, elle suivait ses pa-
rents », souffle un jeune homme
venu assister aux funérailles,
l’après-midi du jeudi 7 mars.
« La meilleure à l’école »
Ils sont un peu moins d’une
centaine à s’être déplacés pour
rendre hommage à la jeune
Irakienne. Des militants associa-
tifs surtout, de ceux qui marau-
dent sur le littoral, hébergent ou
soignent les plus fragiles et distri-
buent des repas dans les camps
de Calais (Pas-de-Calais) et Loon-
Plage (Nord). Ils sont présents au
côté des parents de la petite fille,
Mohamed et Nour, et de leurs
trois fils, Muhaimen, 14 ans,
Hassan, 10 ans, et Moamel, 8 ans.
Les deux plus jeunes pleurent
leur sœur aux côtés de leur mère,
enceinte de plus de huit mois,
tandis que le père glisse dans un
petit sac plastique une poignée de
la terre qui recouvre sa fille. Une
terre qu’il n’avait jamais imaginé
Un procès requis dans l’attaque au hachoir visant « Charlie Hebdo »
L’homme qui avait blessé deux personnes, en 2020, devant les anciens locaux du journal, pourrait comparaître avec cinq autres personnes
L e procès de l’attentat du
7 janvier 2015 contre Charlie
Hebdo s’était ouvert depuis
trois semaines, ce 25 septem-
bre 2020, quand un jeune Pakista-
nais a violemment attaqué à
coups de hachoir un jeune
homme et une jeune femme qui
fumaient une cigarette sur un
trottoir de Paris. L’adresse – le 6,
rue Nicolas-Appert, dans le 11e ar-
rondissement – laissait peu de
place au doute : il s’agissait des
anciens locaux de l’hebdoma-
daire satirique. Après avoir griè-
vement blessé les deux victimes
au visage et à la tête, l’assaillant
avait été interpellé une heure plus
tard, couvert de sang.
Au terme de l’instruction, le
Parquet national antiterroriste a
demandé, mercredi 6 mars, un
procès pour « tentatives d’assassi-
nat terroriste » contre ce dernier,
Zaheer Mahmoud, un Pakistanais
de 29 ans. Dans les réquisitions,
dont Le Monde a pris connais-
sance, le ministère public de-
mande également que cinq de ses
amis, âgés de 17 à 21 ans au
moment des faits, tous nés au
Pakistan et arrivés en France entre
2018 et 2019, soient jugés à ses
côtés devant la cour d’assises des
fouler alors qu’il a quitté Bagdad
en 2017, où il travaillait comme
chauffeur de bus.
« Nous avons vécu trois ans et
cinq mois en Grèce et deux ans en
Allemagne, à Oldenbourg [Basse-
Saxe], confie-t-il. A chaque fois,
nos demandes d’asile ont été reje-
tées et nous avions peur d’être
expulsés en Irak. Si l’Allemagne
nous avait donné des papiers, ma
fille ne serait pas morte. » « Notre
sœur était la meilleure à l’école »,
rapporte le fils aîné, Muhaimen,
dans un anglais rudimentaire.
« C’est à cause de Dublin que nous
ne pouvons pas rester en Europe »,
poursuit-il, en mimant avec ses
mains une prise d’empreintes,
comme celle qui permet aux
autorités d’un pays européen de
savoir si un étranger a déjà été
enregistré dans un autre Etat
membre. En vertu du règlement
européen de Dublin, elles
peuvent alors refuser d’instruire
sa demande d’asile et l’y transfé-
rer. « Nous sommes obligés d’aller
en Angleterre, reprend le père, âgé
de 42 ans. Si nous demandons
l’asile en France, nous serons “du-
blinés” et renvoyés. »
En payant 6 000 euros, Moha-
med et Nour Al Mayali pensaient
s’acquitter d’une somme suffi-
sante pour rejoindre le Royaume-
Uni en famille. Ils n’avaient pas
imaginé que les passeurs essaie-
raient de les entasser à une ving-
taine, dont dix enfants, sur une
barque de pêche de moins de
5 mètres de long.
Après le naufrage, Nour
Al Mayali et ses fils ont été héber-
gés une nuit par le 115 avant d’être
pris en charge par le réseau asso-
ciatif, tandis que le père a été
placé en garde à vue, puis libéré
sans poursuites, tout comme les
deux autres pères de famille
présents à bord de la barque cette
nuit-là. Une enquête en flagrance
a été ouverte par le parquet de
Dunkerque (Nord), notamment
pour « homicide involontaire » et
« aide à l’entrée et au séjour irré-
gulier en bande organisée avec
mise en danger d’autrui ».
Depuis le début de l’année, les
autorités observent une suroccu-
pation croissante des « small
boats », du nom de ces embarca-
tions de fortune qui tentent les
mineurs spéciale pour « associa-
tion de malfaiteurs terroriste ».
Ce dossier terroriste se singula-
rise, dans la longue liste des atten-
tats ayant frappé la France. Zaheer
Mahmoud refuse d’être consi-
déré comme un terroriste, et il n’a
répondu à aucun appel émanant
d’un groupe djihadiste. Sa moti-
vation, dit-il, était purement reli-
gieuse. Imprégné par les prêches
d’un responsable politique pakis-
tanais, il dit avoir voulu venger les
caricatures du Prophète, comme
on l’aurait fait dans son pays, où
le blasphème est un « très grand
crime », précise-t-il. Une sorte de
terrorisme culturel importé.
Campagne de haine
Cet attentat trouve sa genèse un
mois plus tôt, le 1er septem-
bre 2020, à la veille de l’ouverture
du procès de l’attentat contre
Charlie Hebdo. L’hebdomadaire
décide pour l’occasion de repu-
blier les caricatures de Mahomet,
accompagnées d’un édito : « La
haine qui nous a frappés est tou-
jours là, et depuis 2015 elle a pris
le temps de muer (…) pour passer
inaperçue et poursuivre sans bruit
sa croisade impitoyable. Nous ne
nous coucherons jamais. »
Lors des obsèques de Rola Al Mayali, à Grande-Synthe (Nord), le 7 mars. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »
traversées de la Manche et de la
mer du Nord vers les côtes anglai-
ses. « Il y a en moyenne cinquante
personnes par bateau, contre
quarante l’an dernier, explique-
t-on à la préfecture des Hauts-de-
France. Et leur qualité se dégrade. »
En dépit des risques pris, quelque
3 200 personnes ont déjà rejoint
le Royaume-Uni en 2024, dont
près d’un millier sur la seule
semaine écoulée. A côté de ça,
au moins neuf personnes sont
mortes noyées depuis janvier,
contre douze sur l’ensemble de
l’année 2023 et cinq en 2022. « La
mortalité augmente plus vite que
les traversées », observe Nikolaï
Posner, de l’association d’aide
aux migrants Utopia 56.
Depuis Watten, la famille de
Rola Al Mayali avait encore une
trentaine de kilomètres à navi-
guer et des écluses à passer avant
d’arriver dans la mer du Nord par
le port de Gravelines. « C’est un
Cette republication déclenche
une campagne de haine sur les ré-
seaux sociaux, qui dépasse le ca-
dre francophone pour s’étendre
au Pakistan, au Maghreb, à l’Inde
ou au Royaume-Uni. En Turquie
et au Pakistan, les condamna-
tions proviennent du plus haut
niveau de l’Etat. Le ministre des
affaires étrangères pakistanais
appelle, à la télévision, à traduire
les « responsables de cet acte
méprisable » devant un tribunal.
Dans les jours qui suivent, les
manifestations se multiplient au
Pakistan, en particulier à l’appel
du Tehrik-e-Labbaik Pakistan,
un parti radical appelant à la
mort des « blasphémateurs ».
Cette formation est dirigée par
Zaheer Mahmoud
refuse d’être
considéré
comme un
terroriste : sa
motivation, dit-il,
était purement
religieuse
sacré périple, c’est fou », s’étonne
encore le maire socialiste de
Gravelines, Bertrand Ringot, qui
dit avoir demandé à l’Etat de
disposer une ligne de bouées
pour empêcher le passage de
bateaux qui arriveraient par le
canal de l’Aa en amont du port de
plaisance de sa commune.
Tout le long de la côte
Un dispositif que les pouvoirs
publics ont déjà mis en place
ailleurs, en travers du canal des
Dunes, des fleuves de la Canche et
de l’Authie. Un plaisancier du port
d’Etaples-sur-Mer (Pas-de-Calais)
se souvient de l’époque, révolue
depuis l’installation d’un barrage
flottant en août 2023, où les
passeurs faisaient du « cabotage »
le long de la Canche en ramassant
des personnes en divers points,
pour ensuite rejoindre la Manche.
Une façon d’éviter les mises à
l’eau sur les plages du littoral,
l’imam Khadim Hussain Rizvi,
dont le terroriste écoutait assidû-
ment les prêches. Les images des
manifestations se répandent sur
les réseaux sociaux, tandis que
des responsables politiques et re-
ligieux soufflent sur les braises.
La rédaction de Charlie hebdo est
visée par une campagne de tweets
haineux, venant de toute la pla-
nète, au point que la directrice des
ressources humaines de la publi-
cation sera exfiltrée de son domi-
cile, le 22 septembre 2020, après
avoir reçu des menaces. Trois
jours plus tard, Zaheer Mahmoud
attaque au hachoir deux em-
ployés qui profitaient d’une pau-
se-café au pied des anciens locaux
du journal.
Originaire de la province du
Pendjab, le jeune homme, arrivé
en France en 2018, sous une
fausse identité afin d’être pris en
charge en tant que mineur non
accompagné, reconnaît les faits :
« Dans notre islam, on dit que si
quelqu’un insulte ou se moque de
notre Prophète, il faut tuer ceux
qui l’ont insulté », explique-t-il en
garde à vue. « Ce que j’ai fait, c’est
bien. Je me sens mieux. Je considère
qu’ils sont bien punis. On ne se mo-
que pas de la religion. »
Le père de Rola
Al Mayali a dit sa
gratitude : « Je ne
me suis pas senti
étranger ici, en
votre présence »
plus visibles et plus facilement
entravées par les forces de l’ordre.
« Les réseaux s’adaptent sans
cesse », insiste-t-on à la préfec-
ture des Hauts-de-France. Depuis
le début de l’année, quatorze
traversées ou tentatives de
traversée ont été détectées à
partir du canal de l’Aa, où la jeune
Rola Al Mayali s’est noyée. Mé-
lissa (elle n’a pas souhaité donner
son nom), une travailleuse
sociale présente à ses obsèques et
originaire de Watten, raconte que
son père s’est fait voler sa barque
A ses yeux, son acte n’est pas un
attentat – qui consisterait selon
lui à attaquer une personne « in-
nocente » –, mais un acte de foi
contre ceux qui ont « manqué de
respect à sa religion ». En appre-
nant que les deux victimes ne
travaillaient pas pour Charlie
Hebdo, qui avait déménagé de-
puis quelques années, il esquisse
un regret : « C’est pas bien pour
eux alors, ils étaient innocents. »
« Entourage amical »
Zaheer Mahmoud explique avoir
conçu son projet vengeur quel-
ques jours avant les faits en pre-
nant connaissance de la republi-
cation des caricatures à travers
des vidéos venues d’Inde et du Pa-
kistan, mais aussi en voyant des
images de manifestations dans
son pays d’origine. Les enquêteurs
ont trouvé dans son téléphone
des vidéos de l’imam Rizvi appe-
lant à tuer les « blasphémateurs ».
Selon un rapport réalisé en 2021,
lors de sa détention dans un quar-
tier d’évaluation de la radicalisa-
tion, Zaheer Mahmoud « ne
comprenait pas réellement le ca-
ractère terroriste de son acte ». Le
jeune homme se dit d’obédience
barelvi, un mouvement sunnite
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
de pêche début février. « Elle a été
retrouvée en Angleterre », dit-elle.
Les départs en mer restent
cependant majoritaires et s’égrai-
nent désormais tout le long de la
côte, depuis la Belgique jusque,
parfois, en baie de Somme.
A ceux qui étaient venus le
soutenir lors des funérailles,
Mohamed Al Mayali, le père de
Rola, a dit sa gratitude : « Je ne me
suis pas senti étranger ici, en votre
présence. » Le soir, la famille est
retournée à la maison Sésame, à
Herzeele (Nord), un lieu d’hospi-
talité citoyenne, qui permet
d’offrir quelques jours de répit
aux personnes en transit vers le
Royaume-Uni. Un grand repas
convivial y était organisé. Sylvie
Desjonquères, une ancienne
d’Emmaüs à l’origine de ce lieu
de vie, voulait croire, jeudi soir,
qu’« ici, il y a autre chose que des
jungles et la frontière ». p
julia pascual
né au début du XXe siècle, en Inde,
qui « se distingue par une dévotion
marquée pour le personnage du
Prophète », précise le rapport. Ce
courant possède aujourd’hui une
certaine influence dans la vie
politique pakistanaise.
Les cinq autres personnes pour
lesquelles le Parquet national an-
titerroriste demande un procès,
amis pakistanais de Zaheer Mah-
moud ayant émigré en Europe,
échangeaient des vidéos de
l’imam Rizvi et discutaient de la
nécessité de venger le Prophète.
« Zaheer Mahmoud a bénéficié
d’un entourage amical l’ayant mo-
tivé et soutenu dans son processus
idéologique devenu un engrenage
violent », fait valoir le parquet.
Trois des concernés étant
mineurs au moment des faits,
le parquet demande un procès
unique devant la cour d’assises
des mineurs spécialement com-
posée « dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice ». Les
investigations vont se poursuivre
en ce qui concerne un septième
suspect, un Pakistanais vivant en
Grèce soupçonné d’avoir été au
courant du projet d’attentat, qui
n’a pas encore pu être identifié. p
soren seelow

0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Des avocats manifestent, au Caire, le 13 juin 2017, contre l’accord visant à céder à l’Arabie saoudite le contrôle de deux îles stratégiques de la mer Rouge, Tiran et Sanafir. AMR NABIL/AP
L’Egypte brade ses actifs aux pays du Golfe
Très endetté, le pays cède terres et infrastructures aux Emirats arabes unis et à l’Arabie saoudite
khartoum - correspondance
C’
est une immense
bouée de sauvetage,
lâchée au prix fort,
sur un bout de la
côte méditerranéenne égyp-
tienne. Alors que l’Egypte est con-
frontée à un manque criant de de-
vises étrangères, les Emirats ara-
bes unis s’apprêtent à injecter
35 milliards de dollars (32,1 mil-
liards d’euros) en deux mois dans
le pays. La majeure partie des
fonds est destinée au développe-
ment de Ras El-Hikma, une pénin-
sule de 170 millions de mètres car-
rés (la superficie du bassin d’Arca-
chon), s’étirant sur près de 50 kilo-
mètres de plages de sable blanc.
Derrière cette acquisition se
trouve le fonds souverain émirati
Abu Dhabi Developmental
Holding Company (ADQ), dirigé
par le cheikh Tahnoun Ben Zayed,
le frère du dirigeant des Emirats,
Mohammed Ben Zayed Al Na-
hyane. ADQ , qui assurera la
gestion du projet, souhaite faire de
Ras El-Hikma « l’une des plus gran-
des villes nouvelles développées par
un consortium privé » en la conver-
tissant en destination touristique
de luxe, couplée d’un centre finan-
Mer CHYPRE
Méditerranée
LIBAN SYRIE
Canal
de Suez
Ras JORDANIE
ISRAËL
El-Hikma
Le Caire Al-Masa
ARABIE
ÉGYPTE SAOUDITE
Mer
Nil
Le
Rou
ge
250 km
cier et d’une zone franche. Cet ac-
cord, sans précédent dans l’his-
toire de l’Egypte, selon son pre-
mier ministre, Moustafa Kemal
Madbouli, a été annoncé, le 23 fé-
vrier, en grande pompe depuis la
nouvelle capitale administrative,
appelée Wedian ou Al-Masa, autre
projet faramineux dans lequel
l’émirat a largement investi.
Un « sauvetage inespéré »
Au moment où Le Caire croule
sous des dettes estimées à plus de
160 milliards de dollars et est
confronté à sa pire crise de liqui-
dités depuis des décennies – ag-
gravée par les troubles en mer
Rouge et la diminution des reve-
nus du canal de Suez –, ces inves-
tissements massifs constituent
une bouffée d’oxygène pour le
pouvoir égyptien.
« C’est un sauvetage inespéré. A
court terme, ces capitaux vont per-
mettre d’endiguer la dégradation
vertigineuse de l’économie. L’infla-
tion va se réduire. Mais pour com-
bien de temps ? Il ne faut pas sous-
estimer la capacité du gouverne-
ment à dilapider ces fonds sans les
investir dans des projets péren-
nes », s’inquiète Timothy E. Kal-
das, codirecteur du Tahrir Insti-
tute for Middle East Policy, une
ONG consacrée à la transition dé-
mocratique au Moyen-Orient.
« Rien ne changera si le pouvoir
persiste dans la même politique
suivie depuis dix ans : la multiplica-
tion de mégaprojets extrêmement
coûteux et peu rémunérateurs
pour l’économie du pays, bénéfi-
ciant principalement à une nébu-
leuse de soutiens et de proches du
régime », poursuit le chercheur.
La perfusion de billets verts en
provenance d’Abou Dhabi sera
échelonnée en plusieurs fois :
10 milliards de dollars ont déjà été
transférés, auxquels s’ajouteront
14 milliards supplémentaires
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
dans un délai de deux mois ; les
11 milliards restants consisteront
en un décaissement de dépôts
émiratis déjà existants dans la
Banque centrale d’Egypte, qui se-
ront utilisés pour financer divers
projets à travers le pays.
A court terme, cette injection re-
cord de liquidités a déjà eu pour
effet de réévaluer le cours non of-
ficiel de la livre égyptienne, en
chute libre depuis plusieurs mois
sur le marché noir. Alors que le
taux de la banque était fixé à 30 li-
vres égyptiennes pour 1 dollar, la
monnaie locale atteignait 70 li-
vres, en février, sur le marché in-
formel, avant de retomber à 44 li-
vres, début mars, après l’annonce
du deal émirati.
Manque de transparence
En s’attaquant au marché paral-
lèle, les autorités égyptiennes pré-
parent le terrain à une dévaluation
imminente de la devise, alors que
les négociations avec le Fonds mo-
nétaire international (FMI) – qui
ont abouti, mercredi 6 mars, à l’oc-
troi d’un nouveau prêt de 5 mil-
liards de dollars, après un premier
accord pour 3 milliards, à la fin de
2022 – auront pour condition prin-
cipale que la monnaie égyptienne
flotte librement, comme le récla-
ment depuis des années les
bailleurs internationaux. Mer-
credi, la Banque centrale d’Egypte
a relevé son taux directeur de 6
points, au niveau record de 27,25 %.
L’accord de Ras El-Hikma s’ins-
crit dans la lignée d’une série d’in-
vestissements des pays de la pé-
ninsule Arabique depuis dix ans,
venus à la rescousse de l’économie
égyptienne. « Entre 2013 et 2023, les
dépôts cumulés des pays du Golfe
dans la banque centrale égyptienne
se sont élevés à environ 28 milliards
de dollars. Abou Dhabi et Riyad en
tête ont immédiatement soutenu le
président du pays, Abdel Fattah Al-
Le gouvernement
prépare
également
la cession
de la gestion
des aéroports
à des opérateurs
privés
Sissi, en 2013, dès le renversement
de Mohamed Morsi, issu des Frères
musulmans », rappelle Rabab Az-
zam, journaliste pour le média in-
dépendant égyptien Zawia3.
En échange, les argentiers du
Golfe s’attendent à ce que les
autorités égyptiennes leur facili-
tent l’acquisition de propriétés et
d’actifs dans de nombreux sec-
teurs allant du tourisme à l’agri-
culture, en passant par les ban-
ques, les ports et l’industrie
pharmaceutique. En ligne avec le
FMI, ils exigent, depuis 2016, des
réformes structurelles, appelant à
davantage de privatisations, à la
réduction de l’emprise de l’armée
sur l’économie ou à la mise en
place d’un taux de change flottant
pour faciliter les investissements.
Si le gouvernement égyptien a
annoncé retenir une part de 35 %
des bénéfices espérés du projet de
Ras El-Hikma, l’accord manque
de transparence. « On ne sait pas
vraiment par quels canaux ces
milliards vont être injectés et pour
quels projets l’argent restant va
être dépensé. L’Egypte a-t-elle cédé
la propriété de ces terres ? Tout
cela est très obscur. En vendant ces
actifs, le pays perd le contrôle de
ses ressources tout en continuant
à s’endetter. Nous perdons nos
meilleures entreprises, nos res-
sources stratégiques, nous hypo-
théquons nos ports et nos aéro-
ports. Tout cela pour des accords
signés à l’insu des citoyens »,
considère l’économiste Ilhami
Al-Mirghani. Il souligne égale-
ment le coût humain de ces pro-
jets qui se traduisent par de nom-
breuses expropriations d’habi-
tants en échange de maigres
compensations.
Vente de terres désertiques
En parallèle de l’accord avec ADQ ,
les autorités mènent depuis plu-
sieurs mois des discussions
autour d’un autre mégaprojet
d’investissement, qui pourrait
voir le jour dans le sud du Sinaï,
sur la mer Rouge. La péninsule de
Ras Gamila pourrait attirer des
fonds saoudiens estimés à 15 mil-
liards de dollars pour développer
un projet touristique d’immense
station balnéaire.
Outre la vente, en février, de plu-
sieurs hôtels historiques et presti-
gieux à ADQ pour 800 millions de
dollars, le gouvernement prépare
également la cession de la gestion
de ses aéroports à des opérateurs
privés, annonçant le lancement
d’un appel d’offres international.
De plus, le président Al-Sissi a rati-
fié une loi permettant la vente de
terres désertiques à des investis-
seurs étrangers.
Comme en 2017, lors de la ces-
sion des îles de Tiran et Sanafir en
mer Rouge à l’Arabie saoudite qui
avait provoqué l’indignation de
nombreux Egyptiens, le projet de
Ras El-Hikma a suscité une levée
de boucliers sur les réseaux so-
ciaux d’une partie de la popula-
tion, qui voit d’un très mauvais
œil la vente des terres, des infras-
tructures et du patrimoine histo-
rique du pays à la découpe. p
eliott brachet
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LES CHIFFRES
5 MILLIARDS
C’est le montant, en dollars
(soit près de 4,6 milliards
d’euros) du prêt accordé au pays
par le Fonds monétaire interna-
tional, mercredi 6 mars. Il fait
suite au prêt de 3 milliards de
dollars déjà convenu fin 2022.
DEUX TIERS
C’est la proportion des 106 mil-
lions d’Egyptiens qui vivent,
aujourd’hui, au-dessous ou juste
au-dessus du seuil de pauvreté.
27,75 %
C’est le niveau auquel la Banque
centrale a relevé son taux direc-
teur, mercredi 6 mars, soit
6 points de hausse, dans
l’espoir de juguler l’inflation,
qui dépasse les 30 %.
35 MILLIARDS
C’est le montant, en dollars,
que les Emirats arabes unis vont
injecter en Egypte dans les deux
prochains mois, principalement
pour développer un complexe
touristique sur la péninsule de
Ras El-Hikma.
14 | économie & entreprise 0123
SAMEDI 9 MARS 2024

FINANCE

CAC 40 : 2023, l’année de tous les records

Profits, dividendes et rachats d’actions des principaux groupes français atteignent des montants inégalés

A
chacun son trophée. Vivendi Evolution des résultats nets des entreprises Evolution des dividendes des entreprises Evolution des rachats d’actions des entreprises
a clôturé jeudi 7 mars la pu- du CAC 40*, en milliards d’euros du CAC 40*, en milliards d’euros du CAC 40*, en milliards d’euros
blication des résultats pour
l’année 2023 des multina- 67,5 67,8 30,1
tionales composant l’indice 153,6 26,2 24,6
142
CAC 40, un millésime 128 49,2
42,7 45,6
auréolé d’une nuée de records : profits pour 88,5 94,7
TotalEnergies, Veolia, Renault, Schneider ou 28,6 10,7 10,9
Stellantis ; carnet de commandes plein pour 7,4
34
Schneider ou Thales ; marges pour Hermès,
Renault ou L’Oréal. Même si Kering déplore
une « année difficile pour le groupe », globale- 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2018 2019 2020 2021 2022 2023 2018 2019 2020 2021 2022 2023
ment, les champions français ont brillé. En
cumul, les 38 entreprises du CAC 40 qui ont
publié leurs comptes ces dernières semaines Cours du CAC 40, en points Le top 5 des profits 2023,
– Alstom et Pernod Ricard ayant un exercice 8 016,2 en milliards d’euros
décalé – ont dégagé un bénéfice net record : Variation par rapport
153,6 milliards d’euros contre 142 milliards aux résultats 2022
en 2022, somme qui avait elle-même mar- 5 288,6
qué un plus haut historique, selon les don- TotalEnergies Stellantis

19,3 +4 %
nées compilées par la fintech Scalens.
« Il aura fallu aux entreprises du CAC 40 plus Stellantis TotalEnergies

18,6 + 11 %
de dix ans après la crise financière de 2008
LVMH LVMH

15,2 +7,7 %
pour franchir la barre des 100 milliards
d’euros par an. La crise due au Covid leur a 3 754,8 BNP Paribas BNP Paribas

11 +11,4 %
permis de crever ce plafond de verre. Et
depuis, elles parviennent à maintenir des Axa Axa

niveaux de profits élevés », souligne Arnaud
Girod, responsable de la recherche éco-
nomique et de la stratégie chez Kepler
Cheuvreux. Pas étonnant dès lors si, jeudi,
dans un contexte d’envolée des Bourses
mondiales, l’indice CAC 40 a clôturé au-des-
sus de 8 000 points, pour la première fois de
son histoire.
« CYNISME À L’ŒUVRE »
Les actionnaires peuvent se frotter les mains.
Les dividendes alloués au titre de 2023 – qui
seront distribués en 2024 – représentent en
cumulé 67,8 milliards d’euros (contre
67,5 milliards en 2022). Surtout, ces coupons
sont complétés par 30,1 milliards d’euros
(24,6 milliards en 2022) de rachats d’actions
qui se popularisent en France malgré les
condamnations politiques. A l’automne, lors
des discussions sur le projet de loi de finances
2024, des députés allant de Renaissance à
La France insoumise, en passant par le
MoDem et le Parti socialiste, avaient déposé
des amendements pour taxer dividendes ou
rachats d’actions. Le 22 mars 2023, lors d’une
interview télévisée en plein débat sur la ré-
forme des retraites, le président Emmanuel
Macron avait lui-même dénoncé le « cynisme
à l’œuvre » de ces groupes « qui font des reve-
nus tellement exceptionnels qu’ils en arrivent
à utiliser cet argent pour racheter leurs pro-
pres actions », promettant la mise en œuvre
d’une taxe pour que les « travailleurs puissent
profiter » de cet argent.
Cette ponction n’ayant jamais vu le jour,
les records de 2023 ne devraient pas man-
quer de raviver, en pleine campagne des
élections européennes, le débat sur un par-
tage équitable de la valeur. D’autant que le
numéro un des profits, totem habitué aux
controverses, TotalEnergies (19,3 milliards
d’euros), est talonné par un Stellantis en
mode turbo (18,6 milliards), piloté par le
2 janvier 2019 18 mars
2018 2020
* hors Alstom et Pernod Ricard, qui ont des exercices décalés
chantre de la délocalisation, Carlos Tavares,
patron le mieux payé du CAC 40 qui s’est vu
alloué au titre de 2023 une rémunération de
36,5 millions d’euros.
Rappel important qui relativise l’envolée
des profits, chaque année, la composition de
l’indice phare à Paris évolue pour ne conser-
ver que les champions en forme. Atos,
aujourd’hui au bord du précipice, a figuré
dans l’indice vedette jusqu’en septem-
bre 2021. En décembre 2023, le géant des
paiements Worldline (en perte de 817 mil-
lions d’euros en 2023) a été remplacé par
QUI SERONT ALLOUÉS
Vivendi (405 millions d’euros de bénéfice).
« L’inflation encore élevée en 2023 a soutenu
les niveaux de profits, ainsi les résultats ont
été globalement bons mais pas excellents »,
tempère Stanislas de Bailliencourt, respon-
sable de la gestion obligataire et de l’alloca-
tion d’actifs chez Sycomore AM. « Les gran-
des entreprises françaises ont fait preuve de
résilience dans un contexte économique en
demi-teinte », poursuit M. Girod, « l’activité
est restée soutenue aux Etats-Unis, mais elle a
ralenti en Europe et en Chine ».
Si les Veolia ou Schneider, tirés par la transi-
tion écologique, et Thales, qui bénéficie du
réarmement mondial, affichent des croissan-
ces soutenues du chiffre d’affaires, nombre
d’acteurs sont confrontés à une baisse des vo-
lumes, après deux années de forte inflation
qui pèsent sur la demande. Dans la grande
consommation, « un des rares secteurs qui n’a
pas bénéficié d’une amélioration de ses
marges après la crise due au Covid », précise
M. Girod, Carrefour et Danone déplorent
ainsi un environnement « difficile ».
2021 2022 2023 7 mars
2024
Chez Saint-Gobain, le recul des volumes
(de – 5,5 %) a été compensé par des augmen-
tations de prix (+ 4,6 %), ce qui permet au
groupe d’inscrire une marge opérationnelle
record de 11 %, en dépit d’un contexte négatif
dans la construction en Europe. « Les très
grandes entreprises sont parvenues à amélio-
rer leur productivité, grâce à la montée en
gamme de leurs produits et services ou encore
grâce au déploiement de l’intelligence artifi-
LES DIVIDENDES cielle », souligne Bénédicte Hautefort, cofon-
datrice de Scalens. Selon elle, « les plans so-
ciaux sont restés limités : 3 % des entreprises
AUX ACTIONNAIRES du CAC 40 ont annoncé des réductions d’effec-
tifs, en ligne avec la tendance mondiale, soit la
EN 2024 proportion la plus basse depuis 2019 ».
REPRÉSENTENT « PRÉPARER L’AVENIR »
EN CUMULÉ Qu’en sera-t-il pour la suite ? « Cela fait deux
ans que l’on attend une récession en Europe qui
67,8 MILLIARDS n’arrive pas. L’environnement économique
reste très incertain pour 2024 et les entreprises
D’EUROS devraient continuer à communiquer sur la
maîtrise de leurs coûts », souligne Catherine
Garrigues, responsable de la gestion actions
conviction Europe chez AllianzGI. Le 5 mars,
Thales, au plus haut en Bourse, a dévoilé un
« plan d’adaptation » au sein de sa filiale
spatiale Thales Alenia Space, « concernant
1 300 postes, dont 1 000 en France ». Quant à la
Société générale, elle a engagé, en février, une
réorganisation de ses sièges centraux, devant
se traduire par environ 900 suppressions de
postes. De son côté, même s’il ne figure pas
dans le CAC 40, l’équipementier automobile
Forvia a marqué les esprits en révélant, mi-fé-
vrier, son intention de tailler dans ses effectifs
7,2 + 42,1 %
Infographie Le Monde
Source : Scalens ; Boursorama
en Europe pour cause de « surcapacités » dans
son outil de production. Face à la menace chi-
noise, le groupe souhaite supprimer 10 000
postes, soit 13 % de son contingent en Europe.
Les restructurations chez les sous-traitants
automobiles contrastent avec la santé inso-
lente des constructeurs Renault et Stellantis,
pourtant confrontés eux aussi aux défis de
l’électrification. « Après un exercice confor-
tant les marges des constructeurs, le secteur
automobile se prépare à un ralentissement de
la demande », prévient, toutefois, M. de
Bailliencourt. Sous la houlette de Lucas de
Meo, Renault a quasi triplé sa marge opéra-
tionnelle en deux ans. Stellantis, qui vient
d’établir un nouveau record en Bourse, a,
elle, lancé un plan de rachat d’actions d’au
maximum 3 milliards d’euros en 2024, après
1,5 milliard d’euros en 2023. « Pour les entre-
prises évoluant sur des secteurs en perte de vi-
tesse sur le plan boursier, c’est une façon de
rendre de l’argent aux actionnaires tout en
soutenant le cours », explique M. Girod.
Mais les caisses bien pleines des multinatio-
nales tricolores ont surtout vocation à « pré-
parer l’avenir », selon l’expression de Patrice
Caine, le PDG de Thales. Alors qu’en 2023
Veolia a tiré les fruits de sa fusion réussie avec
Suez et qu’Axa a démontré tout l’intérêt du ra-
chat du réassureur bermudien XL, les grou-
pes français pourraient relancer leurs acqui-
sitions. A l’image de Saint-Gobain et de
Bouygues, qui viennent d’annoncer deux
transactions, le premier dans les matériaux
de construction en Australie, le second dans
la téléphonie mobile en France. p
isabelle chaperon

La Bourse au plus haut, l’indice phare franchit les 8 000 points

La hausse du marché parisien, qui profite des perspectives de baisse des taux d’intérêt, se concentre sur un petit nombre de valeurs

I ndifférente en apparence au
ralentissement de la crois-
sance et aux incertitudes géo-
politiques, la Bourse de Paris a
franchi jeudi 7 mars le seuil sym-
d’année porteur : la Bourse de
Francfort évolue elle aussi à des
niveaux sans précédent, celle de
Tokyo a dépassé ses pics de 1989
et à Wall Street, les indices Dow Jo-
la décrue de l’inflation des deux
côtés de l’Atlantique, qui permet
d’espérer, d’ici à l’été, un reflux des
taux d’intérêt, vu comme favora-
ble aux actions. Un espoir qui
Plus généralement, les résultats
publiés depuis la mi-janvier par
les grandes sociétés cotées ont
dépassé les attentes (de 7 % pour
le S&P 500, selon les calculs des
bondir de 16 % le 22 février, au len-
demain de la publication de ses
comptes trimestriels. La valeur
du groupe s’est ainsi envolée en
une journée de 280 milliards de
sing out », littéralement la peur de
rater quelque chose, qui pousse
certains investisseurs à acheter
des titres qui ont déjà beaucoup
progressé, amplifiant ainsi la pro-
bolique des 8 000 points pour la nes, Standard & Poor’s 500 et Nas- prend le pas, dans l’esprit des in- analystes de Barclays), ce que le dollars (256 millards d’euros), gression des indices et créant un
première fois de son histoire. L’in- daq ont tous récemment inscrit vestisseurs, sur des perspectives marché a parfois généreusement pour frôler les 2 000 milliards. phénomène auto-entretenu.
dice CAC 40 porte ainsi à près de des plus hauts historiques. économiques mitigées. « Le mar- récompensé. Ces deux exemples illustrent Cette phase ne devrait toutefois
6 % sa progression depuis le 1er jan- A l’origine de cette ascension si- ché regarde le verre à moitié plein : aussi une évolution qui com- pas se prolonger, car « le marché
vier. Le marché parisien est loin multanée se trouve une conjonc- les baisses de taux arrivent et il n’y a « Sept magnifiques » mence à préoccuper certains in- va avoir besoin de souffler, prévoit
d’être le seul à vivre un début tion de facteurs, à commencer par pas de récession en Europe, même A Paris, le cours du groupe de luxe vestisseurs : la concentration Christopher Dembik, conseiller
si les prévisions de croissance sont Hermès a ainsi atteint des records croissante de la hausse des mar- en stratégie d’investissement
abaissées », explique Alexandre après l’annonce d’une progres- chés boursiers sur un petit chez Pictet Asset Management.
Accor réintègre le CAC 40 Baradez, responsable des analyses sion de 28 % de son bénéfice net groupe de valeurs. A Paris, avec Les grands indices pourraient
de marché chez IG France. Cette annuel, lui permettant de dépas- les groupes de luxe LVMH, Her- donc redescendre des sommets.
Le géant de l’hôtellerie Accor signe son retour dans le CAC 40, déconnexion avec la conjoncture ser L’Oréal par la capitalisation mès, Kering et L’Oréal, mais sur- Sans forcément chuter lourde-
plus de trois ans et demi après son retrait pendant la pandémie économique s’explique aussi par boursière, à plus de 240 milliards tout à Wall Street, avec les « sept ment. « Quand on regarde les sé-
liée au Covid-19, tandis qu’Alstom, constructeur ferroviaire, est le caractère très international des d’euros. Mais la performance la magnifiques » que sont Nvidia, ries de long terme, on est censé
poussé vers la sortie, a annoncé Euronext, jeudi 7 mars. La com- poids lourds de la cote. « Les titres plus spectaculaire reste celle de Apple, Microsoft, Amazon, Alpha- connaître une consolidation de
position du CAC 40, révisée tous les trimestres par le conseil qui composent les grands indices l’américain Nvidia : le concepteur bet, Meta et Tesla. 10 % tous les douze à dix-huit mois,
scientifique des indices d’Euronext, prend en compte la taille sont ceux d’entreprises très interna- de processeurs informatiques, A cette concentration s’ajoute, ce qui ne remet pas en cause la ten-
du capital flottant (capital négociable en Bourse) et le nombre tionales, souligne Bertrand La- devenu incontournable sur le comme souvent, ce que les bour- dance de long terme. Et il y a long-
d’échanges enregistrés sur les titres. Les modifications de la mielle, directeur général de Port- marché en plein essor de l’intelli- siers nomment l’effet « FOMO », temps qu’il n’y en a pas eu. » p
composition de cet indice prendront effet lundi 18 mars. − (AFP.) zamparc Gestion. gence artificielle, a vu son cours acronyme de l’anglais « fear of mis- marc angrand
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Chez les salariés, de vrais
avantages qui n’effacent
pas un manque d’équité
Le ruissellement ne concerne pas tous les employés
de certains grands groupes, comme Stellantis, Airbus
ou TotalEnergies, ce qui provoque de l’amertume
Q
uand elle est appro-
chée par un chasseur
de têtes pour une of-
fre de travail dans un
« plus petit groupe »,
Lucie (les prénoms ont été modi-
fiés) n’oublie jamais le « package
de rémunération global » dont elle
bénéficie chez Renault. En 2024,
l’intéressement et la participation,
« ce sera environ deux fois mon sa-
laire net après impôts », explique la
jeune femme. Qui n’a pas manqué
aussi de participer à un plan d’ac-
tionnariat salarié avec des actions
à prix décoté. « J’ai sauté sur cette
occasion de me faire un peu d’épar-
gne : mes actions Renault achetées
en 2022 à 22,02 euros en valent
38 aujourd’hui. »
En annonçant leurs résultats re-
cord, les entreprises du CAC 40 ont
insisté sur ce « partage de la va-
leur ». Carrefour a souligné que
son 1,66 milliard d’euros de résul-
tat net (+ 23,1 % par rapport à 2022),
« fruit du travail et de l’engagement
exceptionnel des équipes et des
partenaires franchisés », allait lui
Les superprofits relancent l’éternel débat
sur le partage de la valeur
L’inflation rognant le pouvoir d’achat, la question d’une juste répartition entre
la rémunération du travail et celle du capital se pose avec d’autant plus d’acuité
L es entreprises engrangent-
elles trop de profits, au dé-
triment de salariés insuffi-
samment payés ? La publication
annuelle des résultats des grandes
entreprises qui forment le
CAC 40 ramène inévitablement le
débat sur le partage de la valeur
ajoutée. A savoir, la répartition en-
tre masse salariale − la rémunéra-
tion du travail − et bénéfices − la
rémunération du capital et des ac-
tionnaires. Le retour de l’inflation,
qui a obéré le pouvoir d’achat,
donne une acuité supplémentaire
à la question. D’autant que la
hausse des profits a contribué à
alimenter l’inflation dans plu-
sieurs secteurs, tels l’agroalimen-
taire, le transport ou l’énergie.
La répartition de la valeur créée
par les entreprises, sous forme de
produits ou de services, est plutôt
stable en France depuis les an-
nées 1980. Si l’on retire la part qui
est reversée à l’Etat sous forme
d’impôts et de taxes, les deux
tiers (66 %) de la richesse produite
va aux salariés, sous forme de ré-
munération, et un tiers aux pro-
fits − ceux-ci étant pour partie re-
versés aux actionnaires avec les
dividendes, et pour partie réin-
vestis dans l’entreprise, selon les
données publiées par l’Insee.
La part dévolue au capital − le
profit − a connu une petite baisse
après la crise financière de 2008,
en tombant à moins de 30 % de la
valeur ajoutée, avant de revenir à
son niveau antérieur, à l’exception
de 2020, l’année du Covid-19 et des
confinements. Cette répartition
est plus favorable aux salariés
qu’aux Etats-Unis, par exemple,
où la part des profits est plus im-
portante (aux alentours de 40 %),
ou que chez nos principaux voi-
sins de la zone euro (36 % à 40 %).
permettre « de relever significati-
vement son dividende, d’annoncer
un nouveau rachat d’actions et
d’augmenter une nouvelle fois la
participation et l’intéressement des
collaborateurs en France ».
Stellantis a communiqué sur le
fait que ses salariés étaient « ré-
compensés à hauteur de 1,9 mil-
liard d’euros au niveau mondial »,
vantant ses programmes de « ré-
munération variable et de redistri-
bution », et son nouveau « plan
d’actionnariat salarié ». TotalEner-
gies, de son côté, a rappelé ses
« mesures en faveur de [ses] colla-
borateurs », dont « une enveloppe
d’augmentation de salaire de 5 % »,
« une nouvelle prime de partage de
la valeur entre 2 000 et 4 000 euros,
et un intéressement-participation
versé en 2023 de plus de 9 100 euros
en moyenne par salarié ».
Quand, après plusieurs années
chez l’un des sous-traitants d’Air-
bus, Etienne a pu rentrer chez
l’avionneur européen, il n’a pas
hésité. D’autant qu’il était mieux
payé pour moins de responsabili-
« Il n’est pas vrai de dire que les en-
treprises françaises couvrent d’ar-
gent leurs actionnaires, s’agace Pa-
trick Artus, économiste chez Na-
tixis. Elles font même plutôt bon
usage de leurs profits : sur la pé-
riode récente, la France a bénéficié
d’une forte hausse des investisse-
ments des entreprises. » Autant de
pris pour la transition énergéti-
que ou la renaissance de l’indus-
trie. La rémunération des action-
naires − soit la somme des divi-
dendes versés et des rachats d’ac-
tions − représente environ 4 % du
produit intérieur brut en France,
contre 6 % en moyenne en Europe
et aux Etats-Unis, précise M. Artus.
Perception tronquée
Pourtant, nombre de Français ne
voient pas les choses du même œil
que l’économiste. L’attention se
focalise sur les profits substantiels
réalisés par les firmes du CAC 40,
même s’ils ne sont pas représenta-
tifs de l’ensemble des sociétés.
« Ces entreprises de taille mondiale
ont leurs sièges sociaux en France
et y paient une partie de leurs im-
pôts, mais la valeur est produite à
l’échelle de la planète, rappelle Oli-
vier Redoulès, économiste chez
Rexecode. Les actionnaires sont
disséminés dans le monde entier. »
Une partie des dividendes repart
donc vers le reste du monde.
Autre élément qui peut tron-
quer la perception, l’évolution du
nombre d’emplois dans l’écono-
mie, qui fait que chacun se par-
tage une plus petite part du gâ-
teau. « Depuis la crise du Covid, ex-
plique Olivier Garnier, chef éco-
nomiste à la Banque de France, la
masse salariale a augmenté plus
rapidement que les bénéfices des
entreprises. C’est le contraire de ce
qui s’était passé lors du choc infla-
tés, avait dix semaines de vacan-
ces, soit trois de plus qu’aupara-
vant, et jouissait de « tous les
avantages liés au CSE [comité so-
cial et économique] » et au res-
taurant d’entreprise, avec une
prime d’intéressement-participa-
tion « sans commune mesure ».
« Une année, un calcul des rému-
nérations “all inclusive” fait par
l’entreprise passait mon salaire de
2 700 euros à 3 600 euros net men-
suels », raconte-t-il.
« Casse sociale choquante »
« Rien qu’en remboursement du
CSE sur nos vacances, en aides pour
les tickets de cinéma et de spectacle
et en chèques-cadeaux à Noël, j’ai
touché de 1 500 à 2 000 euros », a
calculé Lucie. Analyste de données
chez Michelin, à Clermont-
Ferrand, Sarah, elle, se réjouit de
bénéficier « d’un salaire parisien en
province » et d’une prime variable
qui, en 2024, équivaut au triple de
son salaire mensuel, mais aussi du
« pack mutation » : « Si j’en ai assez
de vivre en Auvergne, je peux, sans
tionniste des années 1970, lorsque
les salaires réels avaient continué
d’augmenter, puisqu’ils étaient à
l’époque indexés sur l’inflation ; la
masse salariale avait alors pro-
gressé davantage que les profits,
en dépit du recul de l’emploi. »
Difficile aussi de poser la ques-
tion de manière univoque, quand
le tissu productif est composé
d’entreprises de toutes tailles et de
secteurs très variés. « Dans l’indus-
trie, par exemple, le taux de marge
est en général plus élevé que dans
les services, explique M. Plane, car
il faut rémunérer le capital produc-
tif et financer les immobilisations
(machines, bâtiments…). Ce qui ne
veut pas dire, d’ailleurs, que les sa-
lariés y soient plus mal payés. » La
pertinence, ou l’équité, du partage
doit donc être jugée en fonction
des secteurs et des types d’activité,
et non à l’échelle d’un pays. Pour
l’économiste, « le problème est plu-
tôt que, depuis 1985, la part des divi-
dendes dans les profits est histori-
quement élevée : elle représentait
plus de 50 % en 2023, mais elle est
montée à plus de 80 % en 2022 ». En
moyenne, sur la période 1980-
2023, ce chiffre était d’environ
30 %. Ces dividendes vont enrichir
les actionnaires, mais ne profitent
pas aux salariés ou à l’entreprise
sous forme d’investissement.
Depuis plusieurs décennies, les
gouvernements successifs ont
bien tenté d’orienter vers les sala-
riés une part croissante de ces pro-
fits, en mettant en place des dispo-
sitifs justement dits « de partage
de la valeur », à savoir la participa-
tion, l’intéressement, l’abonde-
ment et, plus récemment, la
prime de partage de la valeur. Des
initiatives vertueuses, mais qui
rapportent finalement peu aux sa-
lariés : en 2021, selon les chiffres de
économie & entreprise | 15
risque financier ou professionnel,
partir pour Paris ou l’étranger. »
Ces constats n’empêchent pas
certaines réserves. Car les bénéfi-
ces historiques ne posent pas seu-
lement la question du partage
mais aussi de son équité. « Airbus
se taille la part du lion, mais ces
avantages-là ne ruissellent pas
jusqu’aux sous-traitants et presta-
taires », estime Etienne. Les mesu-
res présentées par TotalEnergies
ne concernent pas les salariés des
filiales, notamment ceux qui tra-
vaillent dans les stations-service,
aux petits salaires.
L’amertume est aussi vive chez
les salariés de Carrefour, dont le
magasin vient de passer à la loca-
tion-gérance dans le cadre du
plan de transformation de l’entre-
prise. « Il va falloir renégocier tous
les accords. Nous risquons de per-
dre les acquis sociaux que les orga-
nisations syndicales du groupe ont
mis des années à obtenir. Quant à
l’intéressement-participation, si le
groupe se portait bien, nous en avi-
ons jusqu’ici, même si le magasin
était déficitaire. Ce ne sera plus le
cas », craint Frédéric Rehber, se-
crétaire FO du CSE de l’hypermar-
ché de Flers-en-Escrebieux (Nord),
en location-gérance depuis le
vendredi 1er mars. Il dénonce une
« casse sociale choquante ».
D’autres soulignent la diffé-
rence entre les « à-côtés » et le sa-
laire. « Si je tiens compte de l’infla-
tion, mon salaire a peu évolué de-
puis vingt-cinq ans, se désole Phi-
lippe, chef de projet chez
Capgemini. On a beau se défoncer,
la reconnaissance, on ne l’a pas ! »
Ces dernières années, dans le con-
texte de l’inflation, les négocia-
tions annuelles obligatoires
(NAO) ont souvent donné lieu à
des tensions dans les entreprises
la direction de l’animation de la re-
cherche, des études et des statisti-
ques (Dares), les montants ainsi
distribués n’ont pas dépassé les
35 milliards d’euros au total.
Effets d’aubaine
Des sommes qui « restent modes-
tes et ne semblent pas à même d’af-
fecter structurellement » la réparti-
tion, concluent Maria Guadalupe,
Camille Landais et David Sraer, les
trois auteurs d’une note du Con-
seil d’analyse économique pu-
bliée en juillet 2023.
Ces outils génèrent même des
effets d’aubaine pour les em-
ployeurs, qui optent pour des pri-
mes plutôt que des hausses sala-
riales, et ont un coût non négligea-
ble pour les finances publiques,
puisqu’ils sont assortis d’exonéra-
tions sociales et fiscales. Enfin, ils
sont inégalitaires : un peu plus de
la moitié seulement des salariés
du privé en bénéficient, et pas les
moins bien lotis.
« Le mécanisme le plus naturel se-
rait de recourir à la taxation, qui
permet en outre de redistribuer de
manière plus équitable » la ri-
chesse produite, observe Camille
Landais, professeur à la London
School of Economics. Cette hypo-
thèse se heurte néanmoins à deux
difficultés : les entreprises peu-
vent réagir en limitant délibéré-
ment leurs profits, ou en recou-
rant à l’optimisation fiscale. Ces
comportements pourraient fina-
lement coûter à la collectivité
deux fois les montants redistri-
bués, selon les hypothèses les plus
élevées. D’où la nécessité de lutter
contre ces pratiques, souligne
l’économiste, pour mettre en
place une politique efficace de
partage de la valeur. p
béatrice madeline
CES DERNIÈRES ANNÉES,
DANS LE CONTEXTE
DE L’INFLATION,
LES NÉGOCIATIONS
ANNUELLES OBLIGATOIRES
ONT SOUVENT DONNÉ
LIEU À DES TENSIONS
du CAC 40, la plus emblématique
étant la grève des raffineurs de
TotalEnergies, qui avaient para-
lysé la France en 2022.
Compliquées au Crédit agricole
et à la Société générale, les NAO
2024 se sont même conclues sur
une absence d’accord à BNP Pari-
bas ou à Renault. Syndicats et di-
rection bataillent encore chez
Orange. « Malgré une hausse de
13 % du bénéfice net, Orange veut
réduire l’enveloppe à distribuer
aux salariés tout en augmentant
les dividendes. C’est une honte ! »,
tempête Mounya Mostefa, coor-
dinatrice CFDT chez Orange dans
le périmètre Nord-Grand-Est.
Alors que LVMH a salué, dans
ses résultats, la « performance ex-
ceptionnelle de Sephora », qui a
réalisé « une année record », le dis-
tributeur de parfums et de cos-
métiques n’a proposé que 1,8 %
d’augmentation générale et 2,2 %
pour des augmentations indivi-
duelles lors de la dernière réu-
nion NAO, le 1er mars. « Ça laisse
sans voix une proposition pareille.
C’est pas juste, réagit Jenny Ur-
bina, déléguée CGT, qui a refusé
de signer. On va quand même tou-
cher de l’intéressement, mais ce
que l’on voudrait, c’est une hausse
importante du salaire de base, qui
PERTES & PROFITS | BOURSE
p a r p h il ip p e e s c a nde
Euphorie privée,
précarisation publique
C’est ce que l’on appelle un téles-
copage malvenu. Au moment
même où le ministre de l’écono-
mie, Bruno Le Maire, se trans-
forme dans les colonnes du
Monde en père Fouettard pour
défendre des coupes budgétaires
face à la dégradation des comp-
tes, les grandes entreprises fran-
çaises annoncent des profits
spectaculaires.
Plus cruel encore : dans ce con-
texte d’une Bourse qui bat tous
ses records, Bercy parle d’un dur-
cissement de l’assurance-chô-
mage et évoque la possibilité de
toucher à l’indexation des retrai-
tes sur l’inflation. Comme si à
l’euphorie boursière répondait
une précarisation supplémen-
taire de la puissance publique.
La réalité est moins caricatu-
rale. Le CAC 40 n’est pas l’écono-
mie française, et sa performance
actuelle s’est construite hors de
nos frontières. TotalEnergies,
LVMH et Stellantis réalisent l’es-
sentiel de leur chiffre d’affaires et
de leurs profits à l’étranger. La
plupart des gagnants de la cote
française ont profité de la bonne
tenue du marché américain. Une
fête de la place financière pari-
sienne qui se télescope égale-
ment avec le naufrage de deux
de ses anciens locataires, Casino
et Atos. Ils sont, en ce moment
même, en train de négocier leur
démantèlement pour sauver ce
qui peut l’être encore de leur
gloire passée.
Lors de leur audition à l’Assem-
blée nationale, mercredi 6 mars,
Bruno Le Maire et son ministre
délégué aux comptes publics,
Thomas Cazenave, ont essuyé
une pluie de critiques de la part
des oppositions. Celles-ci se con-
centraient sur deux aspects.
rentre dans le calcul de la retraite,
alors que nos vendeurs et vendeu-
ses sont rémunérés juste au-dessus
du smic. »
Chez Stellantis aussi, les NAO
ont déçu, mais surtout le fait que
la prime d’intéressement-partici-
pation, bien que généreuse
(4 100 euros au minimum), soit de
200 euros inférieure à celle de
2023, malgré des bénéfices plus
élevés. « C’est difficile à compren-
dre, d’autant que ces résultats ne
sont pas obtenus sans effort : la
charge de travail reste la même,
alors que les effectifs réduisent. No-
tre fonctionnement n’épargne pas
les salariés », souligne Benoît Ver-
nier, délégué central CFDT.
Il note que l’écart se creuse entre
la part redistribuée aux actionnai-
res et celle reversée aux salariés,
sans parler de l’évolution de la ré-
munération du PDG, Carlos Tava-
res, « tellement démesurée que cela
met encore de l’huile sur le feu ». Se-
lon les calculs de Stellantis, M. Ta-
vares a gagné 36 millions d’euros
en 2023 (+ 19 millions en deux
ans), soit 518 fois le salaire moyen
(70 000 euros ; + 12 000 sur cette
période) dans l’entreprise.
Dans deux rapports publiés
en 2023, Oxfam a démontré cet
accroissement des inégalités
dans les grandes entreprises fran-
çaises cotées en Bourse. « Le par-
tage des bénéfices y est très désé-
quilibré et de plus en plus en défa-
veur des salariés », résume Léa
Guérin, chargée de plaidoyer au
sein de l’ONG. Parmi les recom-
mandations d’Oxfam, figure celle
de conditionner la part variable,
croissante dans la rémunération
des PDG, à la réalisation d’objec-
tifs sociaux et environnemen-
taux plutôt que financiers. p
aline leclerc
D’une part, l’imprévoyance de
l’Etat dans son anticipation de la
conjoncture – la prévision de
croissance sur laquelle il a cons-
truit son budget, en septem-
bre 2023, était manifestement
trop optimiste – et, d’autre part,
sa trop grande générosité vis-à-
vis des grandes entreprises, que
la puissance publique devrait
aider moins et taxer plus.
Double défi
Les deux attaques évitent soi-
gneusement la vraie raison de la
dégradation budgétaire fran-
çaise : sa trop grande générosité
lors des crises sanitaire, puis
énergétique et inflationniste qui
se sont abattues sur le pays en
l’espace de quatre ans. Une res-
ponsabilité collective puisque le
personnel politique est plus
prompt à proposer des dépenses
que des économies.
Face à cette situation contrastée
de champions en forme dans une
arène qui se délabre, la tentation
est grande de fustiger leur pro-
pension à favoriser leurs action-
naires au détriment de la collecti-
vité. Jamais ils n’ont autant versé
en dividendes et rachat d’actions
aux premiers, alors que la se-
conde est confrontée au double
défi d’une transition énergétique
urgente et d’un contexte géopoli-
tique plus dangereux que jamais.
Une Bourse au plus haut dans
un environnement aussi incer-
tain, et avec une telle accumula-
tion de dettes souveraines, cons-
titue un cocktail détonant. Il ne
serait pas bon que les entreprises
oublient la société dans laquelle
elles vivent et que l’Etat perde de
vue qu’il tire une bonne partie de
sa richesse et de sa puissance des
princes du CAC 40. p
16 | économie & entreprise
Ariane-6 s’approche de
son premier lancement
La fusée européenne devrait faire un vol
inaugural entre la mi-juin et le 31 juillet
S i tout se passe bien d’ici à
l’été, les quatre années de
retard du programme Aria-
ne-6 ne seront bientôt plus qu’un
mauvais souvenir. La fusée euro-
péenne, qui a accumulé les déboi-
res depuis le lancement du projet,
en 2014, devrait, comme annoncé
en décembre 2023, faire son pre-
mier vol entre la mi-juin et le
31 juillet. « La fenêtre de tir n’a pas
changé », a confirmé, jeudi
7 mars, Martin Sion, président
exécutif d’ArianeGroup devant
l’Association des journalistes pro-
fessionnels de l’aéronautique et
de l’espace.
« Depuis six mois, avec les équipes
de l’Agence spatiale européenne et
du Centre national d’études spatia-
les, nous avons peu à peu repris la
maîtrise du planning », a-t-il pré-
cisé. Les déboires sont nés d’un
manque d’avant-projet technique
détaillé lors de la conception de la
fusée, lié à l’absence de transmis-
sion de savoirs. « Entre le lance-
ment du projet d’Ariane-5, en 1988,
et celui d’Ariane-6, vingt-six ans se
sont écoulés », a rappelé M. Sion. Il
a fallu reformer des compétences.
Se sont ajoutés les deux ans de Co-
vid-19, le tout sur fond de tensions
entre Français et Allemands, les
deux principaux contributeurs
du projet, à hauteurs respectives
de 55,3 % et de 22 %.
Voilà trois semaines, les deux
étages du lanceur ont été transfé-
rés par bateau au centre spatial
guyanais de Kourou et sont en
cours d’assemblage. La fusée sera
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ensuite emmenée sur son pas de
tir. Débutera alors une revue de
qualification pour vérifier chaque
élément. De son issue dépendra la
date de son envol.
Neuf lancements annuels
Les lancements commerciaux
commenceront six mois après le
vol inaugural. L’Europe retrouvera
alors l’accès à l’espace dont elle
s’est privée depuis octobre 2023.
La montée en puissance sera pro-
gressive, pour atteindre le rythme
de neuf lancements par an, dont
quatre seront réservés aux Etats
européens pour leurs besoins ins-
titutionnels, militaires ou scienti-
fiques. Avec cet engagement et en
contrepartie d’une aide financière
de 340 millions d’euros, les Etats
ont exigé une réduction des coûts.
ArianeGroup s’est engagé sur une
baisse de 11 %.
Avec cet objectif de neuf lance-
ments annuels, Ariane-6 sera loin
derrière la centaine de Falcon-9
lancées par SpaceX. « Ce n’est pas
comparable », souligne M. Sion.
La fusée d’Elon Musk sert essen-
tiellement à mettre en orbite les
milliers de satellites de sa constel-
lation Starlink, alors que le lan-
ceur européen est avant tout
adapté aux besoins des Etats, pour
ensuite « capter une partie du mar-
ché commercial », explique-t-il.
Vingt-huit commandes ont déjà
été engrangées, signe que ce mar-
ché a besoin de lanceurs et n’en
veut pas qu’un seul. p
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Médias : l’Arcom prône l’« équité »
en vue des élections européennes
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle veillera à
une juste représentation des forces politiques en lice à partir du 15 avril
C
ette fois, Philippe de Vil-
liers va peser lourd dans
la balance. Désormais,
les prises de parole de
l’ancien président du Mouve-
ment pour la France (MPF), no-
tamment dans l’émission « Face
à Philippe de Villiers » diffusée le
samedi matin sur CNews et re-
transmise par Europe 1, devront
être mises sur la note du camp
« divers droite ». Ainsi en a décidé
l’Autorité de régulation de la com-
munication audiovisuelle et nu-
mérique (Arcom), qui dévoilait,
jeudi 7 mars, ses recommanda-
tions en vue des élections euro-
péennes début juin.
Alors que le soutien d’Eric Zem-
mour à la présidentielle de 2022
bénéficie d’une exposition mé-
diatique substantielle depuis la
rentrée, le régulateur ne pouvait
plus ignorer le retour du Vendéen
« dans le champ politique » à l’ap-
proche du scrutin. A partir du
15 avril, en vertu des règles du plu-
ralisme politique édictées en 2011,
et complétées à chaque nouvelle
échéance électorale, la chaîne du
groupe Canal+ devra respecter un
principe d’équité entre les forces
politiques en présence dans le
scrutin européen. Ni plus ni
moins que l’ensemble des radios
et télés, puisque les règles sont les
mêmes pour tous – une liste
d’autres personnalités à compta-
10H30-17H
biliser, telles que Roselyne Bache-
lot, chroniqueuse sur BFM-TV, est
en cours d’élaboration.
« Nous avons souhaité allonger
la période [d’observation de ce
principe d’équité] de six semaines
avant le scrutin à huit semaines,
la campagne électorale ayant déjà,
de fait, commencé », a en outre ex-
pliqué Roch-Olivier Maistre, le
président de l’Arcom. Contraire-
ment aux règles qui s’appliquent
pendant les campagnes électora-
les de la présidentielle et des légis-
latives, les éditeurs n’auront pas
besoin de compter à la seconde
près les temps de parole de cha-
cun des candidats en lice et de
leurs « soutiens explicites », ni dans
des créneaux horaires particu-
liers, ni même de changer de
mode de calcul en cours de route.
« Petite marge de manœuvre »
Pour ces européennes, il n’y a
qu’une période observée, et l’éga-
lité des temps de parole n’y est pas
attendue : c’est « l’équité » qui pré-
vaut. Celle-ci est laissée à l’appré-
ciation des éditeurs, qui devront
s’appuyer sur trois critères pour
l’évaluer : « Les résultats aux précé-
dentes élections européennes, les
sondages d’opinion, et les contri-
butions aux débats, lors de réu-
nions publiques ou sur les réseaux
sociaux », a détaillé Anne Grand
d’Esnon, la conseillère chargée
La BCE juge probable une baisse
des taux d’intérêt en juin
Selon Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale
européenne, le « processus de désinflation » est en cours
londres - correspondance
A près la plus forte hausse
des taux d’intérêt de son
histoire entre 2022 et
2023, la Banque centrale euro-
péenne (BCE) se prépare à inver-
ser la tendance. Lors de sa confé-
rence de presse, jeudi 7 mars,
Christine Lagarde, sa présidente, a
clairement laissé entendre
qu’une première baisse des taux
d’intérêt était probable en juin.
Certes, elle se veut prudente,
soulignant que tout dépendra des
données économiques publiées
d’ici là. Mais la tendance va désor-
mais dans le bon sens. « Nous som-
mes dans un processus de désinfla-
tion, précise Mme Lagarde. Nous
étions [en zone euro] à 2,9 % d’in-
flation en décembre, 2,8 % en jan-
vier, 2,6 % en février. Il y a claire-
ment un déclin et nous faisons de
bons progrès [vers un retour à l’ob-
jectif officiel de 2 %]. Nous sommes
confiants, mais pas encore suffi-
samment confiants. » Le Conseil
des gouverneurs, réuni à Francfort
ce jeudi, a donc décidé de ne pas
baisser dès maintenant son taux
d’intérêt, qui est actuellement à
4 %, mais a officiellement ouvert
les discussions sur le sujet.
La question qui intéresse le plus
la BCE est celle de l’évolution des
salaires. En 2023, ceux-ci ont pro-
gressé d’environ 5 %, rattrapant
une petite partie du pouvoir
d’achat perdu en 2022. Mme La-
garde souligne que cette évolu-
tion demeure trop élevée, parce
qu’elle a tendance à alimenter l’in-
flation des services. Celle-ci de-
meurait de 3,9 % en février (sur
douze mois), et elle stagne à ce ni-
veau depuis novembre 2023.
Avant de baisser ses taux d’intérêt,
l’institution monétaire veut s’as-
surer que la tendance désinfla-
L’ex-CSA a aussi
adopté des
préconisations
afin de lutter
contre la
manipulation de
l’information sur
les plates-formes
des questions de pluralisme à
l’Arcom. De quoi laisser aux édi-
teurs « une petite marge de
manœuvre », sans laquelle « Em-
manuel Macron n’aurait pas béné-
ficié de beaucoup de temps [sur les
antennes] en 2017 », a-t-elle fait re-
marquer. Et si des personnalités
refusent de se rendre sur une an-
tenne, celle-ci n’aura qu’à « appor-
ter la preuve d’un refus explicite »,
pour être « déchargée de son obli-
gation » − rien ne l’empêche ce-
pendant de rendre compte de leur
actualité de campagne par des re-
portages, par exemple.
La décision mi-février du Con-
seil d’Etat enjoignant à l’Autorité
de réexaminer le respect du plu-
ralisme par CNews n’a été
d’aucune influence sur ces re-
commandations, circonscrites au
contexte électoral. En revanche,
elle s’applique déjà à tous les mé-
tionniste touche aussi ce secteur.
Cela dépendra notamment du ré-
sultat des nombreuses négocia-
tions salariales qui se sont ouver-
tes à travers l’Europe début 2024,
comme à chaque début d’année.
Mais étant donné que les statisti-
ques sur les salaires ne sont dispo-
nibles qu’avec beaucoup de retard,
il faudra attendre plusieurs mois
pour connaître la tendance pré-
cise. « Nous en saurons un peu plus
en avril, et beaucoup plus en juin
[les deux prochaines réunions de
la BCE] », annonce Mme Lagarde.
Indicateurs en berne
Dans le langage codé des ban-
quiers centraux, il s’agit d’une in-
dication presque transparente.
« Tout pointe vers une baisse des
taux en juin », estime Frederik
Ducrozet, directeur de la recher-
che économique à Pictet Wealth
Management, une société de ges-
tion. « Les colombes de la BCE
préparent leur envol », ajoute Ann-
Katrin Petersen, du BlackRock
Investment Institute.
Un autre motif poussant à un
desserrement de la politique mo-
nétaire est la stagnation dans la-
quelle est entrée l’économie euro-
péenne. La BCE a encore revu à la
baisse sa prévision de croissance,
tablant sur 0,6 % en 2024. En dé-
cembre 2023, elle espérait 0,8 %,
et en septembre, 1 %. Tous les indi-
cateurs sont en berne, indique
Mme Lagarde : « Les consomma-
teurs continuent à restreindre
leurs dépenses, les investissements
se sont réduits, et les entreprises
ont moins exporté, reflétant un
ralentissement de la demande ex-
térieure et des pertes de compéti-
tivité. » La croissance devrait être
légèrement meilleure dans la
deuxième partie de l’année et re-
venir à 1,5 % en 2025, selon la BCE.
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
dias audiovisuels, s’est évertué à
rappeler M. Maistre, quand bien
même les nouvelles règles qui de-
vront permettre de débusquer les
« déséquilibres durables et mani-
festes » en matière de pluralisme
sont encore en cours d’élabora-
tion. L’Arcom a six mois, à comp-
ter du 13 février, pour établir un
texte à valeur réglementaire, où il
ne s’agira « en aucune façon » d’in-
tervenir dans le « choix des théma-
tiques traitées » ou dans celui des
« intervenants de plateau ».
Pour la première fois depuis que
le Conseil supérieur de l’audiovi-
suel est devenu l’Arcom, début
2022, le régulateur a également
adopté des préconisations afin de
lutter contre la manipulation de
l’information sur les plates-for-
mes en ligne (loi de 2018). Transpa-
rence renforcée sur les décisions
de modération, respect par les in-
fluenceurs de la période de réserve
qui interdit toute publication de
sondage. Le but est de « prévenir
toute perte de confiance dans l’es-
pace informationnel », alors que
les risques d’ingérences étrangè-
res sont élevés, a souligné Bruno
Loutrel, chargé de ces questions
au sein de l’instance. Une atten-
tion à « la rigueur et à l’honnêteté
de l’information » à laquelle les
chaînes et antennes n’échappe-
ront pas davantage. p
aude dassonville
Dans ces conditions, et alors
que le choc des prix de l’énergie
est largement résorbé, l’inflation
devrait logiquement atterrir, at-
teignant 2,4 % cette année et 2 %
en 2025, selon les prévisions de
l’institution monétaire.
Sur la compétitivité euro-
péenne, Mme Lagarde tire la son-
nette d’alarme, soulignant une
« perte durable depuis environ
deux décennies » par rapport au
reste du monde, notamment aux
Etats-Unis. Elle s’agace de la len-
teur de l’Union européenne à
mettre en place des réformes en
discussions depuis des années. Le
programme d’emprunts com-
muns de plus de 800 milliards
d’euros, intitulé « NextGenera-
tion EU », décidé pendant la pan-
démie, traîne. « Une mise en place
plus rapide » est nécessaire, es-
time Mme Lagarde.
Autre exemple : le serpent de
mer du marché européen des capi-
taux n’en finit pas d’être négocié.
L’Europe est un continent qui dis-
pose d’un excès d’épargne, mais
peine à l’utiliser pour financer ses
investissements. Les banques,
parce qu’elles sont extrêmement
régulées, sont souvent frileuses.
Quant aux marchés des capitaux,
contrairement aux Etats-Unis, ils
demeurent morcelés entre les
vingt-sept pays membres. Le pro-
blème est identifié de longue date,
mais les négociations s’enlisent.
Publiant un communiqué in-
habituel en marge de sa réunion,
la BCE appelle « à aller au-delà des
grandes déclarations » sur le su-
jet. « Utiliser pleinement les mar-
chés des capitaux en Europe est
une clé pour mobiliser l’investisse-
ment privé nécessaire pour mener
à bien les transformations vertes
et numériques. » p
éric albert
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Livrets, comptes à terme : la fin des affaires ?
Il reste quelques mois pour profiter de rendements élevés avant une probable baisse des taux
R
ecord battu. L’encours
du Livret A atteint
417,6 milliards d’euros
fin janvier. Le rende-
ment de ce produit réglementé
n’a pourtant pas profité de la
hausse des taux d’intérêt à court
terme l’an dernier – son rende-
ment (3 %) est inchangé depuis le
1er février 2023. Mais les épar-
gnants ont de bonnes raisons
d’alimenter ce produit garanti par
l’Etat, liquide et exonéré d’impôt
sur le revenu comme de prélève-
ments sociaux : des placements
accessibles et sans risque, c’est le
plus rémunérateur sur un an, au
côté du Livret de développement
durable et solidaire (LDDS), dont
la rémunération est similaire.
La prochaine révision du rende-
ment interviendra le 1er fé-
vrier 2025, le ministre de l’écono-
mie, Bruno Le Maire, ayant gelé le
taux jusque-là. « Le rendement du
Livret A pourrait alors baisser aux
environs de 2,50 % compte tenu du
reflux de l’inflation », indique Phi-
lippe Crevel, directeur du Cercle
de l’épargne.
Les épargnants auraient donc
tort de se priver de la rémunéra-
tion actuelle du Livret A et du
LDDS, même gelée. D’autant
qu’une bonne nouvelle se profile.
« Le rendement réel du Livret A,
c’est-à-dire après inflation, devrait
redevenir positif dans les pro-
chains mois, car la hausse des prix
va progressivement ralentir pour
atteindre 2,5 % en moyenne sur
30 %
C’est le taux d’imposition des intérêts touchés sur les livrets bancai-
res et les comptes à terme : 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 %
de prélèvements sociaux. Il est cependant possible d’opter pour
l’application du barème progressif de l’impôt sur le revenu plutôt
que pour ce prélèvement forfaitaire unique de 30 %. Dans ce cas,
les prélèvements sociaux s’appliquent toujours (17,2 %), à côté de
l’impôt sur le revenu, au taux marginal du contribuable. Cette
option est donc intéressante pour les foyers peu ou pas imposés.
IMMOBILIER
Evreux, des prix doux aux portes de l’Ile-de-France
N ormande toute proche
de la région parisienne,
Evreux n’a pas attendu la
pandémie de Covid-19 pour atti-
rer les Parisiens en quête de dé-
connexion, avec ses 200 hectares
d’espaces verts publics et ses com-
merces. Et ces mois-ci, malgré le
contexte immobilier morose, les
agences interrogées indiquent
réaliser environ autant de ventes
que les années précédentes.
Les prix reculent légèrement
(− 2,5 % sur un an, selon
MeilleursAgents). Ils restent assez
accessibles, avec un mètre carré
moyen à 1 762 euros pour les ap-
partements, 1 889 euros pour les
maisons. Mais ils peuvent être su-
périeurs si l’on recherche un bien
du côté du quartier Saint-Michel, à
2 300 euros. « Le secteur est très
vert et juste à côté du centre-ville »,
relève Julien Ibarz, de l’agence
L’Adresse, à Evreux.
De quoi s’offrir une maison indi-
viduelle à un peu plus d’une
heure de Paris, en TER, de la gare
Saint-Lazare. « Cette proximité
avec Paris plaît aux acquéreurs »,
note Mickaël Benoist, directeur de
l’agence Laforêt d’Evreux, préci-
sant que les maisons individuel-
les représentent 70 % des ventes
de son agence. Des maisons an-
ciennes car les constructions neu-
ves souffrent de la désertion des
primo-accédants : « Ce sont sur-
tout eux qui achètent pour cons-
truire, or, la hausse des taux les a
obligés à remettre leur projet à
plus tard », observe Laura Dubuis-
son, déléguée régionale de la Fé-
l’année », souligne M. Crevel. A
noter, les épargnants aux reve-
nus modestes, éligibles au Livret
d’épargne populaire (LEP), ont in-
térêt à l’alimenter en priorité
puisque sa rémunération, 5 %, est
largement supérieure à celle du
Livret A. Il n’est pas non plus fis-
calisé et peut désormais recueillir
jusqu’à 10 000 euros, contre
22 950 euros pour le Livret A et
12 000 euros pour le LDDS.
Au-delà des plafonds de l’épar-
gne réglementée, on peut se tour-
ner vers les livrets proposés par
les banques et par certains ac-
teurs de l’épargne en ligne. Les
ménages ayant une somme im-
portante à placer, par exemple is-
sue d’une donation ou de la vente
d’un bien immobilier, ont tout
intérêt à faire le tour du marché
pour trouver la meilleure offre,
généralement réservée aux nou-
veaux clients ouvrant un compte.
Taux promotionnels
Il est difficile de comparer les of-
fres dans l’absolu, les établisse-
ments jouant sur le taux promo-
tionnel (de 3 % à 5,5 % brut), le
montant maximum pouvant en
bénéficier (de 20 000 euros à
150 000 euros), la durée sur la-
quelle il s’applique (de trois mois
à douze mois), et le taux standard
par la suite (de 0,75 % à 3 %).
Les meilleures offres rappor-
tent actuellement 5,50 % chez
Fortuneo (100 000 euros sur qua-
tre mois) et 5 % chez Monabanq
Evreux
Bonne rentabilité locative
Prix moyen
d’un appartement
1 762 €/m
Loyer moyen Rentabilité
mensuel moyenne d’un T2
(appartements)
11,9 €/m 2 8,1 %
Infographie Le Monde
dération des promoteurs immo-
biliers (FPI)-Normandie.
Pour les appartements, les
acheteurs sont souvent par
ailleurs des investisseurs, avec
d’une part ceux qui misent sur le
centre-ville et cherchent à placer
leur argent à long terme dans la
pierre, d’autre part ceux en quête
de rentabilité immédiate, prêts à
s’offrir des immeubles.
Des étudiants plus nombreux
Cette seconde option « intéresse
les personnes souhaitant une
bonne rentabilité. Un immeuble de
trois étages avec quatre ou cinq ap-
partements et un local commercial
en rez-de-chaussée peut se vendre
autour de 550 000 euros et offrir
une rentabilité qui dépasse les 7 %
brut », détaille Béatrice Goueffon,
CERTAINES BANQUES
DE RÉSEAU FONT
DES OFFRES ATTRACTIVES
À LEURS CLIENTS,
MAIS NE LES METTENT
PAS EN AVANT SUR LEURS
SITES INTERNET
(trois mois, 150 000 euros). « La
seule contrainte pour en bénéfi-
cier est de laisser le livret ouvert
jusqu’au 31 décembre, il n’y a pas
d’obligation de laisser la somme
sur le compte au-delà de la pé-
riode à taux boosté », précise Gré-
gory Guermonprez, le directeur
de Fortuneo.
Autre offre attractive, Hello
Bank !, la banque en ligne de BNP
Paribas, propose un taux de
3,50 % sur douze mois jusqu’à
50 000 euros. Une offre conçue
notamment pour les clients
d’Orange Bank, qui ferme ses por-
tes, et pour lesquels Hello Bank ! a
mis en place un parcours spécia-
lisé d’ouverture de compte dans
le cadre d’un partenariat entre les
deux établissements.
Bien choisir son produit
Les banques des constructeurs
automobiles Stellantis (livret Dis-
tingo) et Renault (livret Zesto)
sont elles aussi dans le haut du
panier, à 3 % mais sans promo-
tion spécifique : une bonne nou-
velle pour les clients ayant ouvert
un livret il y a quelques mois, par-
fois en profitant d’un bonus, ils
continuent à bénéficier d’un taux
standard appréciable. Ces taux
élevés devraient perdurer quel-
ques mois, tant que la Banque
centrale européenne (BCE) ne
baisse pas ses taux directeurs.
Les épargnants acceptant de
bloquer leur argent peuvent
souscrire un compte à terme plu-
tôt qu’un livret. Ces produits bé-
Prix moyen
d’une maison
2
1 889 €/m 2
Variation des prix
des appartements
sur un an
– 2,5 %
sur cinq ans
+ 21,5 %
Source : MeilleursAgents
directrice de l’agence Orpi Select
Immo. Ces achats se concentrent
dans le quartier Navarre ou dans
le centre, prisé des plus jeunes.
Car Evreux se meut peu à peu en
ville étudiante. Entre 2015 et 2023,
le nombre d’étudiants dans l’ag-
glomération est passé de 2 200 à
4 500, dans vingt établissements,
selon les données d’Intercommu-
nalité de France, association re-
groupant des collectivités locales.
Démarrés en septembre 2023, les
travaux du futur Institut de for-
mation paramédicale (école d’en-
seignement de soins infirmiers)
permettraient d’accueillir près de
600 étudiants supplémentaires.
Il n’empêche, les agences ont en
stock de nombreux petits appar-
tements qui peinent à trouver
preneur. Car, avant d’investir à
Prestations sociales
néficient d’un rendement légère-
ment supérieur à celui des livrets.
Là encore, il faut bien choisir son
et condition de célibat
produit. Les comptes à terme de
courte durée (inférieurs à un an)
rapportent aujourd’hui plus que
ceux à deux ans ou cinq ans.
« Nous avons recentré notre of-
fre sur dix mois et douze mois, en
supprimant temporairement les
comptes à terme sur deux ans et
trois ans, car les taux d’intérêt de
marché sont inférieurs sur ces du-
rées », précise Sarah Zamoun, di-
rectrice de Distingo Bank. La ban-
que du groupe automobile Stel-
lantis affiche aujourd’hui un taux
de 3,20 % sur dix mois et 3,50 %
sur un an. A l’inverse, Placement-
direct.fr continue de proposer
des comptes à terme sur toutes
les durées allant d’un an à cinq
ans. Ils rapportent 3,30 % sur un
an, 3 % sur deux et trois ans,
2,80 % sur quatre ans et 2,70 %
pour celui à cinq ans.
Quel intérêt à bloquer son ar-
gent longtemps alors que le
compte à terme d’un an est mieux
rémunéré ? « Contrairement au li-
vret, dont le rendement varie, le
compte à terme permet à l’épar-
gnant de figer son taux, quelle que
soit l’évolution du marché dans les
prochaines années », répond Gilles
Belloir, directeur général de Place-
ment-direct.fr. Certaines banques
de réseau font des offres attracti-
ves à leurs clients, mais ne les
mettent pas en avant sur leurs si-
tes Internet. La Caisse d’épargne
Ile-de-France propose ainsi un
compte à terme de six mois à
3,70 %, pour un montant mini-
mum de 50 000 euros.
Chez BNP Paribas, l’offre s’éta-
blit à 3,80 % sur trois mois ou en-
core 4 % sur six mois et 3,35 % sur
un an pour 50 000 euros. « Le ni-
veau actuel des taux des comptes
à terme constitue un plafond, les
banques devraient bientôt les ré-
duire pour anticiper la baisse des
taux directeurs de la BCE », pré-
vient M. Crevel. p
agnès lambert
CLIGNOTANT
Evreux, il faut prendre en compte
la fiscalité locale, élevée : « Les ac-
quéreurs sont toujours surpris.
Pour une maison standard d’une
centaine de mètres carrés dans le
quartier de Saint-Michel, vous se-
rez facilement aux alentours de
1 600 euros à 1 800 euros de taxe
foncière », confie M. Ibarz.
Nouveauté pour le marché de
l’immobilier neuf : le reclasse-
ment d’Evreux en zone B1 en octo-
bre 2023. Ce nouveau zonage
« rend éligibles certaines commu-
QUESTION À UN EXPERT
nes aux dispositifs d’aide à l’inves-
tissement locatif, comme le Pinel. Il
permet aussi aux acquéreurs ache-
tant dans le neuf pour habiter d’ac-
céder au prêt à taux zéro et aux dis-
positifs d’aides à l’achat d’un loge-
ment neuf », comme le prêt d’ac-
cession social, un prêt immobilier
public dont le taux dépend des re-
venus, explique Mme Dubuisson.
Le stock de biens à vendre neufs
est estimé par la FPI à une soixan-
taine d’appartements, principale-
ment des petites surfaces. « Le Pi-
nel devrait faire bouger les lignes. Il
reste presque une année pour in-
vestir, avant la fin du dispositif, le
31 décembre 2024 », ajoute Laura
Dubuisson. Des biens situés dans
la nouvelle ZAC Saint-Louis, au
cœur de la ville, au pied du futur
Institut de formation paramédi-
cale. Ce projet, dont la livraison
doit s’achever en 2026, comprend
un parc d’un hectare, 210 loge-
ments en accession libre, une rési-
dence seniors ainsi que des surfa-
ces tertiaires et commerciales. p
ludovic clerima
argent | 17
SOS CONSO
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
L
e parent qui élève et assume seul ses enfants – une
femme dans 82 % des cas, selon l’Insee – a droit à l’al-
location de soutien familial (ASF), de 187,24 euros par
mois et par enfant, depuis le 1er avril 2023. Il ne peut
toutefois plus en bénéficier s’il se marie, conclut un pacs ou
vit en concubinage, dit l’article L523-2 du code de la Sécurité
sociale. L’affaire suivante montre qu’il peut aussi en être
privé s’il a une « communauté d’intérêts » avec quelqu’un.
En 2012, Mme X, mère célibataire, demande l’ASF. Elle dé-
clare être hébergée gratuitement par M. Y, qu’elle présente
comme son « oncle ». En 2015, elle sollicite une aide au loge-
ment, pour financer l’achat, en indivision avec M. Y, d’une
maison. Elle déclare qu’il n’est « ni son conjoint, ni son
concubin, ni son partenaire civil », mais un « ami ».
En 2016, un contrôleur de la caisse d’allocations familiales
(CAF) se présente chez elle à l’improviste. Avant d’être mis
dehors, il constate que les indivisaires disposent d’un
compte joint et que les aides sociales sont versées sur celui
de M. Y. La CAF conclut que Mme X vit « maritalement » avec
M. Y, et lui demande de rembourser 10 393 euros d’indus.
Mme X saisit le tribunal des affaires de
sécurité sociale, devant lequel elle nie vi-
L’ÉTAT vre « sous le même toit » que M. Y, dont
D’ISOLEMENT elle conteste qu’il soit son « compa-
gnon », compte tenu notamment de son
INTERDIT LA « orientation sexuelle ».
Le tribunal donne néanmoins raison à
COMMUNAUTÉ DE la CAF. Il interprète en effet l’article
VIE ET D’INTÉRÊTS Lment 523-2 comme imposant « un état d’isole-
». Cette notion recouvre, selon le
code de l’action sociale et des familles
(article L 262-9), le fait de ne pas « mettre en commun ses res-
sources et ses charges » avec un concubin. Le tribunal consi-
dère que Mme X met les siennes en commun avec M. Y. Il
conclut à une « communauté de vie et d’intérêts », qui justi-
fiait la suspension des aides.
Le 5 octobre 2023, la Cour de cassation valide la condamna-
tion de Mme X, en jugeant que depuis 2012, c’était « le mé-
nage » qui avait « la charge des enfants ». Ce que l’avocat de
l’intéressée avait contesté : en effet, ce n’est pas parce qu’une
femme se met en couple que son compagnon contribue à
l’entretien de ses enfants, comme l’a expliqué la sénatrice so-
cialiste Laurence Rossignol, dans une proposition de loi de
« maintien de l’ASF, en cas de nouvelle relation amoureuse ».
Ce compagnon n’en a pas nécessairement les moyens, s’il est
déjà père et qu’il doit s’acquitter d’une pension alimentaire.
L’élue, déplorant que la suspension de l’ASF repose sur un
« postulat » inexact, en a réclamé le maintien. Sans succès : le
Sénat ne l’a pas suivie, le 22 février 2022. Il a manifestement
estimé que ce maintien n’était pas justifié, le fait de se remet-
tre en couple produisant déjà des économies d’échelle. p
ASS U RAN C E
Des contrats obsèques mal commercialisés
Début 2021, l’Autorité de contrôle prudentiel et de réso-
lution (ACPR) a émis une recommandation relative
aux pratiques de commercialisation des assurances-
obsèques, pour que le client soit mieux informé et bé-
néficie d’une offre collant à ses besoins. A-t-elle été sui-
vie d’effet ? Après une campagne de visites mystères
(faux clients) dans les réseaux vendant ces contrats,
l’ACPR déplore des « résultats très en deçà des attentes ».
Exemple, seul un visiteur sur dix a été informé de la
possibilité de prélever une somme sur le compte du
défunt pour les obsèques (alternative à l’assurance).
Quelle fiscalité si vous retirez les
fonds du PER de votre enfant ?
valérie bentz, responsable des études patrimoniales à l’UFF
Depuis le 1er janvier 2024, les mineurs ne peuvent ni souscrire de plan
d’épargne-retraite individuelle (PERin) ni effectuer de versements sur
un PERin existant. Le législateur a estimé que cette enveloppe, qui
permettait aux parents de déduire de leurs revenus les sommes
versées sur le plan de leurs enfants mineurs, était un cadeau pour les
parents, mais que celui-ci était confiscatoire pour les enfants. En effet,
ces derniers se retrouvent à la sortie, sauf en cas d’accident de la vie, à
devoir payer la fiscalité sur les sommes versées et alors déduites par
leurs parents. Comment peut-on récupérer les fonds qui ont été ver-
sés jusqu’à la fin de 2023 sur les plans d’épargne-retraite des enfants ?
La loi a créé un nouveau cas de sortie anticipée : le mineur pourra tou-
cher ses fonds avant ses 18 ans. L’impôt sur le revenu sera dû sur les
sommes placées et le prélèvement forfaitaire libératoire de 30 % − ou,
sur option, le barème classique de l’impôt sur le revenu − s’appliquera
sur les plus-values. Le mineur étant rattaché au foyer fiscal de ses
parents, ce sont ces derniers qui seront redevables de l’impôt.
Attention, si le rachat n’est pas effectué avant les 18 ans du titulaire
du plan, les fonds seront à nouveau bloqués jusqu’à son âge légal de
départ à la retraite − en dehors, toujours, des cas de déblocage
anticipé classiques. p
18 | horizons
S
ur la photo d’identité de son pas-
seport, Margret Kainer sourit timi-
dement au photographe. Page de
gauche, on lit : « Kainer, née Lévy,
Marguerite, née le 26 janvier 1894, à
Berlin (Allemagne), 157 cm, cheveux
châtains, yeux marron. » La jeune femme est
allemande, mais le document, daté de 1946,
est suisse et rédigé dans les trois langues de la
Confédération helvétique. Une autre image
d’époque la montre prenant la pose, le men-
ton appuyé au creux de la main droite. Sa
coupe à la Louise Brooks et sa fourrure sur les
épaules lui donnent des airs de star hollywoo-
dienne. De fait, elle est riche, très riche : à sa
mort, en 1928, son père, Norbert Lévy, un
homme d’affaires et collectionneur d’art ber-
linois, lui a légué sa fortune.
Menacée, parce que juive, par l’accession des
nazis au pouvoir, la jeune femme quitte l’Alle-
magne avec son mari, Ludwig, en 1933. Ils se
réfugient d’abord en France, puis, à partir de
1942, en Suisse, à Pully, près de Lausanne.
Quatre ans plus tard, ils obtiennent un passe-
port Nansen, du nom du haut-commissaire à
l’origine du document délivré en Europe aux
réfugiés victimes de persécutions.
La guerre terminée, les voici de retour à
Paris. Ludwig Kainer (1885-1967), peintre et
dessinateur de mode, travaille pour le cinéma,
créant des décors, des costumes. Le couple
habite Neuilly-sur-Seine et fréquente Jean
Cocteau et Joséphine Baker. Régulièrement, ils
prolongent leur titre de séjour, mais promet-
tent aux autorités suisses qu’ils vont s’instal-
ler de façon permanente dans la Confédéra-
tion, pour conserver le passeport Nansen. Ce
qu’ils ne feront jamais. Tout juste Margret
déclare-t-elle sur le tard une adresse pour s’as-
surer du renouvellement du document.
Arrive 1968, l’année de sa mort, à l’âge de
74 ans, veuve, sans enfants ni héritiers iden-
tifiés. Par décision de justice, sa fortune,
estimée autour de 17 millions de francs suis-
ses, sera partagée en trois : 6,3 millions de
francs pour la commune de Pully, où elle
était domiciliée au moment de sa mort, bien
que n’y vivant plus ; 6,3 millions pour le can-
ton de Vaud, dont dépend cette commune
chic, proche de Lausanne ; 5 millions pour la
Norbert Stiftung, fondation censée préser-
ver la mémoire du père de la défunte. Selon
un document officiel de la commune de
Pully, daté du 30 mars 2005, retrouvé par Le
Monde, la fondation en question avait préa-
lablement « produit une créance portant sur
la totalité de la succession de feu Margret Kai-
ner », mais un accord a finalement été passé
entre les trois entités. Personne ne trouve
alors rien à redire.
« LA PARTIE ÉMERGÉE DE L’ICEBERG »
Cinquante-six ans après sa mort, l’affaire
n’est pourtant pas réglée, et pourrait même
trouver une surprenante issue dans les mois
à venir, devant un tribunal, à Lausanne. Voilà
en effet dix ans qu’une société spécialisée
dans la récupération d’actifs en déshérence,
Mondex Corporation, s’est emparée du dos-
sier. Celle-ci, rémunérée par ses clients sous
forme d’honoraires, a été fondée par un
Canadien, James Palmer, qui estime que la
répartition de l’héritage en trois parties
relève d’une « spoliation » au détriment des
descendants de Margret Kainer.
Officiellement, on l’a vu, celle-ci n’avait pas
d’héritiers. Mais, en 2014, coup de théâtre :
Palmer et son équipe d’historiens, d’avocats
et de chercheurs assurent en avoir retrouvé
une dizaine en Europe, au Canada, aux Etats-
Unis, en Australie… Des petits-enfants de
cousins de la millionnaire. Ils se font fort de
défendre leurs intérêts. « Mon père et mes
grands-parents sont des survivants de la
Shoah, écrit l’un d’eux dans un courrier
transmis au Monde par Mondex. Toute la lu-
Tableau d’Edgar Degas volé aux
Kainer par les nazis. COLLECTION PARTICULIÈRE
Les ombres de
l’héritage Kainer
En Suisse, la succession de la millionnaire Margret Kainer,
morte en France en 1968, est au cœur d’un conflit
opposant ses très lointains héritiers aux collectivités
locales, accusées d’avoir indûment capté sa fortune
mière doit être faite sur les banques, les institu-
tions, les autorités, qui ont profité de personnes
comme la grand-mère de mon cousin. Leur
apathie, leur silence et leur avarice relèvent
d’une forme de complicité avec le régime nazi,
comme s’ils avaient voulu effacer toute trace de
Margret et de sa famille. » Deux frère et sœur,
installés aux Pays-Bas, ajoutent : « Nous aime-
rions que les autorités suisses se mettent à
notre place. Qu’elles imaginent ce que cela si-
gnifie pour des familles d’être privées de leur LE DOSSIER DE
histoire, de leur culture et de leurs biens. »
Certes, par le passé, la Suisse a lancé quel-
LA SUCCESSION
ques recherches, mais, à en croire les conseils KAINER NE
des héritiers, celles-ci n’auraient pas été très
poussées. « On peut s’interroger sur le sérieux CONCERNE PAS
des diligences accomplies à l’époque pour
retrouver les héritiers, dès lors qu’une société
QUE LE PARTAGE
privée y est parvenue en se fondant sur des in- DE L’ARGENT.
formations disponibles en source ouverte »,
ironise Me François Zimeray. Cet avocat pari- IL TOUCHE AUSSI
sien représente certains membres de la fa-
mille de Margret Kainer. « Il demeure indiscu- À LA SPOLIATION
table que ces collectivités n’auraient jamais D’ŒUVRES D’ART
été dépositaires de ce patrimoine sans la per-
sécution des juifs d’Europe et singulièrement PAR LES NAZIS
celle d’une famille décimée et dispersée par les
nazis », ajoute-t-il au sujet de deux des béné-
ficiaires, la commune et le canton.
Selon Me Zimeray et Mondex, la Fondation
Norbert, qui se présente comme la conti-
nuité de la Norberstiftung créée par Norbert
Lévy en 1927, pour subvenir aux besoins de sa
famille, est un établissement « factice ». « Le
testament de Norbert Lévy spécifiait que si sa
fille venait à décéder après son mari et sans
Margret Kainer,
en 1930. GETTY IMAGES
descendants, la fondation familiale devait ces-
ser d’exister, affirment-ils. Une nouvelle devait
être créée, destinée à aider les membres de la
famille dans le besoin. Elle devait porter le
nom “Norbert Levy Stiftung”, être basée à
Berlin, être dirigée par la communauté juive et
recevoir les trois quarts de la succession. »
A la mort de Margret Kainer, en 1968, rien
ne se passe comme prévu, du moins d’après
Mondex. « A l’époque, précise celle-ci dans un
document écrit, la fondation familiale a pour
seul membre de son conseil le Dr Albert
Genner, directeur de la banque UBS. Loin d’ac-
ter la disparition de la fondation, celui-ci rédige
un mémo interne préconisant la création
d’une fondation d’utilité publique. » Celle-ci est
installée à Coire, en Suisse, et non à Berlin ;
elle n’est pas dirigée par la communauté juive
et n’a pas pour bénéficiaire la famille Lévy-
Kainer. « Néanmoins, poursuit Mondex, elle
adopte le nom Norbert Levy Stiftung et se fait
délivrer un certificat d’héritier de la succession.
Le nom de la fondation factice a ensuite été
changé de nouveau, effaçant toute référence
au nom de famille de Norbert Lévy, ainsi qu’au
nom de jeune fille de Margret Kainer. »
Sollicité par Le Monde, la Norbert Stiftung
réplique par l’intermédiaire de son avocat,
Me Christian Girod : « La fondation, qui sou-
tient la scolarisation en Suisse d’enfants juifs,
a été valablement constituée selon la volonté
de Norbert Lévy et inscrite au registre du com-
merce. Nous contestons l’intégralité des pro-
pos nous mettant en cause et réservons nos
déclarations au tribunal. Nous n’allons pas
argumenter avec eux par voie de presse. »
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
Le dossier Kainer ne concerne pas que le
partage de l’argent. Il touche aussi à la récu-
pération d’œuvres d’art volées par les nazis.
Le canton de Vaud et la commune de Pully
ont accordé, en 2005, à la seule Fondation
Norbert le droit de poursuivre les actions en
réparation pour se réapproprier les biens
dont Margret Kainer avait été spoliée. Cette
fois, les experts parlent d’une fortune appro-
chant les 50 millions de francs suisses. Ils
prennent en compte un tableau d’Edgar
Degas, volé aux Lévy et adjugé, à New York,
lors d’une vente aux enchères chez Christie’s,
en 2009, pour 10 millions de dollars (9,2 mil-
lions d’euros). « Sans doute la partie émergée
de l’iceberg », dit-on chez Mondex. Il y a deux
ans, toujours à New York, un Pissarro, lui
aussi volé par les nazis, avait été proposé à la
vente pour 1,8 million de dollars. La famille
Kainer avait alors attaqué le propriétaire,
finalement autorisé à le vendre après un
accord à l’amiable.
DU DROIT À LA MORALE
De leur côté, Pully et le canton de Vaud se
défendent d’une même voix. « Tout au plus
peut-on rappeler que l’Etat et la commune ne se
sont pas “posés” en tant qu’héritiers, ce qu’ils
n’ont d’ailleurs pas vocation à faire, mais qu’ils
ont été reconnus comme tels par la justice vau-
doise », écrit au Monde Jean-Luc Schwaar,
directeur général du département des institu-
tions du canton. Les deux collectivités rappel-
lent que le droit suisse prévoit qu’à défaut
d’héritiers légaux la succession est dévolue au
canton ou à la commune du dernier domicile
du défunt. Réplique de la partie adverse :
certes, Margret Kainer avait conservé sa domi-
ciliation helvétique pour des raisons adminis-
tratives, mais, en réalité, elle vivait à Paris et
plus rien ne la liait à la Suisse.
Les avocats des ayants droit le savent : leur
victoire devant un tribunal n’a rien d’évident.
La justice vaudoise a statué en 2002 sur le
domicile de Margret Kainer au moment de sa
mort. On la voit mal se déjuger aujourd’hui.
C’est plutôt sur un plan moral qu’ils enten-
dent placer le débat. « Lorsqu’un musée ou un
Etat décide de restituer une œuvre, c’est
d’abord une question de principe, reprend
Me Zimeray. Quand bien même Vaud et Pully
auraient acquis ce patrimoine de bonne foi,
dès lors que l’existence d’héritiers leur est
désormais connue, ces collectivités peuvent-
elles, en toute bonne foi, en refuser la restitu-
tion ? Cet héritage devrait leur être douloureux
au regard de son origine tragique. »
De son côté, M. Palmer, le fondateur de
Mondex, a écrit à la présidente du Conseil
d’Etat du canton de Vaud et au maire de Pully.
La lettre, en date du 4 décembre 2023, a été
envoyée en copie à une dizaine de personna-
lités, dont Alain Berset, alors président de la
Confédération helvétique, en rappelant le par-
cours de Margret Kainer : « La Shoah décima
sa famille et le peu de survivants furent disper-
sés à travers le monde. Ce sont ces circonstan-
ces qui permirent à Pully et à Vaud d’acquérir
l’héritage. (…) La poursuite de la détention du
patrimoine de Margret Kainer en présence
d’héritiers connus paraît désormais difficile-
ment soutenable. » Les juristes canadiens et
français rappellent aussi que, le 22 novem-
bre 2023, le Parlement suisse a décidé d’insti-
tuer une commission indépendante chargée
de traiter les cas de biens culturels confisqués
durant l’ère du national-socialisme. Ils aime-
raient que celle-ci se saisisse du dossier si un
arrangement à l’amiable se révèle impossible
ou si la justice vaudoise les déboute.
Ces arguments ne semblent pas ébranler le
canton et la commune. Pour l’emporter, ils
entendent invoquer la question de la pres-
cription de l’action ouverte par les héritiers
présomptifs et rappeler que Margret Kainer
est morte il y a cinquante-six ans. Le maire de
Pully, Gil Reichen, a prévenu dans le journal Le
Temps : « Nous n’allons pas lâcher des millions
sans même être certains que les héritiers le sont
véritablement. » Quant à l’avocat de la Fonda-
tion Norbert, il compte obtenir le rejet de l’en-
semble des prétentions des demandeurs.
De leur côté, les héritiers de Margret Kainer
n’excluent pas d’aboutir à un compromis,
quitte à ce que ne leur soit pas restituée la
totalité de la fortune. Ils le savent, ils ne sont
pas à l’abri d’un refus : les deux collectivités
peuvent toujours arguer que, même avec de
la bonne volonté, rendre chacune 6,3 mil-
lions de francs suisses leur est impossible. Un
argument qui fait sourire l’un des conseils
des héritiers : « Pully est l’une des communes
les plus aisées de la région. Et le canton compte
parmi ses contribuables des entreprises
comme Nestlé, le plus grand groupe agroali-
mentaire au monde. On doit pouvoir trouver
de l’argent dans ce coin de Suisse, s’il le faut. » p
alexandre duyck
0123
SAMEDI 9 MARS 2024 carnet | 19
Rome. Paris.
Bernard JUVILLE, Elizabeth MORZIÈRE, Nominations
ancien secrétaire général Mariama, Claude, Chiara, Pascale
8 mars 1994 - 8 mars 2024.
de la Ligue de l’enseignement et Jean-Yves, Lorraine, Philippe
en vente de Moselle, et Françoise, Giuliana, Viviane,
actuellement Le Carnet chevalier dans l’ordre Pierrette, Vincent, Françoise, Claire Cela fait trente années sans Toi.
des Palmes académiques, et les autres, Une disparition brutale, et point
ses amies et amis,
s’en est allé le 24 février 2024, de retour !
En kiosque Vous pouvez nous faire à l’âge de quatre-vingt-six ans. ont appris avec tristesse le décès de
L’Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, dans sa séance du
parvenir vos textes Tous ceux qui l’aimaient sont
Elizabeth, les causes de tes maux vendredi 1 er mars 2024, a élu huit
Noëlle POINÇON Nous pouvons y poser des mots, nouveaux correspondants français.
ininiment tristes. de LA BLANCHARDIÈRE,
soit par e-mail : Fillette, muette tu es restée,
M. Osmund Bopearachchi,
HORS-SÉRIE

carnet@mpublicite.fr Selon sa volonté, il a été incinéré, survenu le 4 mars 2024, à Adolescente, tu t’es blessée. numismate spécialiste de l’Asie
entouré de ses proches, le 1er mars, son domicile à Paris, entourée centrale et de l’Inde antique, directeur
(en précisant impérativement à Vernouillet (Eure-et-Loir). d’affection. de recherche émérite au CNRS,
numéro
spécial
Au plus profond de toi meurtrie,
votre numéro de téléphone
e
700
anniversaire

Trahie par celui que tu pensais ami, M. François Bougard,

1254—1324

et votre éventuel numéro Nous avons la tristesse de faire part « Que la nature est belle historien de l’Italie du haut Moyen
du décès de et que le cœur me fend. » Il a souillé ta coniance
Âge, directeur de l’Institut de Recherche
le fabuleux voyage de
d’abonné ou de membre Quand dans sa famille tu partais en
MARCO de la SDL) Christian LE LAMER,
Louis Aragon.
vacances.
et d’Histoire des Textes (IRHT),

POL
PO LO né le 4 mars 1946,
à Lorient,
Rennes. Paris. Saint-Brieuc.
M me Véronique Chankowski,
helléniste et archéologue, directrice
soit sur le site :
sur la route de la soie
En partenariat avec

Dans ton recueil « A perte de l’École française d’Athènes,

Anne-Marie,
Hors-série https://carnet.lemonde.fr docteur en sciences de gestion,
son épouse,
d’équilibre»,
Mme Muriel Debbié,
ancien élève de l’ENA Tu décris l’impensable, l’indicible,
(André Malraux 1975-1977), Antoine et Thomas, historienne du monde syriaque,
L’équipe du Carnet membre des Sociétés des amis ses enfants Nous n’avions pas compris cette directeur d’études à l’École pratique
et leurs conjointes, envie d’être libre, des hautes études,
reviendra vers vous d’Émile Zola, de Louis Guilloux
Arthur, Mila et Anouk,
et de Jean Guéhenno. Libérer tes tourments, et ton esprit M. Jean-Charles Moretti,
dans les meilleurs délais ses petits-enfants,
faillible. archéologue spécialiste de l’archi-
Famille Le Lamer. Ses frères,
pour vous confirmer Ses beaux-frères et belles-sœurs
tecture antique, directeur de recherche
au CNRS,
la parution. Mme Karen Levy-Heidmann,
Ainsi que toute la famille, Tous les soirs, nous regardons le ciel,
Quand une étoile scintille, peut-être M. Dominique Poirel,
sa ille, ont la tristesse de faire part du décès médiéviste et philologue, directeur
HORS-SÉRIE

de est-ce elle ? de recherche au CNRS,

carnet@mpublicite.fr a la douleur de faire part du décès du Elizabeth, pardonne notre aveuglement,
https://carnet.lemonde.fr Bernard Emile TIREL, Tu resteras dans nos cœurs tout au M. Claude Rilly,
RÉSISTANTS docteur linguiste et historien du Soudan
directeur d’hôpital en retraite, il du temps.
Errol LEIGHTON, antique, directeur de recherche au
professeur honoraire
MISSAK MANOUCHIAN

AU CARNET DU «MONDE»
ET SA COMPAGNE MÉLINÉE

médecin militaire CNRS,

ENTRENT AU PANTHÉON

à l’Ecole des hautes études

HISTORIENS ET DESCENDANTS
RACONTENT L’ENGAGEMENT
DES COMBATTANTS ÉTRANGERS

en retraite,
en santé publique, Exposition M me Valentina Vapnarsky,
Décès survenu le 28 février 2024, américaniste, directeur de recherche
à Montivilliers, survenu le 3 mars 2024, au CNRS.
Caroline Benzekri-Méchin, à l’âge de soixante-seize ans.
son épouse, à l’âge de soixante-dix-sept ans.
Hors-série Zoé et Simon, La cérémonie religieuse a été Communications diverses
ses enfants, Une cérémonie religieuse sera
célébrée le 12 mars, à 14 heures, à célébrée le jeudi 7 mars, à 15 heures, en
Monique Méchin, l’église Notre-Dame-en-Saint-Melaine
sa belle-mère, Alvimare (Seine-Maritime).
de Rennes.
Michèle et Didier Resche-Rigon,
Jean-Louis et Marie Benzekri Cet avis tient lieu de faire-part. Exposition Arts plastiques
Dons en faveur de la Ligue contre
ainsi que leurs enfants et leur petit- Inspirés !
le cancer bienvenus.
ils, Jean-François et Muriel Mansart, Thématique : « Mouvement ».
Toute sa famille Olivier et Isabelle Mansart,
rivesdelaseiche@gmail.com Cours municipaux des adultes,
0123 É DITION
Et ses amis, ses enfants,
2024
Nicolas, Clara, Thibaut, Maxime,
H

saison culturelle 2024.

O R S - S É R I E

LE BILAN ▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE
ont l’immense tristesse de faire part ses petits-enfants, Saint-Clar (Gers).
Vernissage
Grande Loge de France
DU MONDE du décès de Bernard et Josette Chantereau,
Conférence publique
Micheline Tourisseau, le samedi 16 mars, à 19 heures.
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B AT S : M É L A N I E A L B A R E T, É L I E B A R N A V I , PA S C A L B R I C E ,

Suzanne Boucault,
de Besma Nacer,
LU C I L E M A E R T E N S , X A V I E R R A G O T, LU C R O U B A N , M A R TA S P R A N Z I , PAT R I C K W E I L . . .

Francis BENZEKRI, son beau-frère et ses belles-sœurs, sa mère Exposition du 18 mars au 5 avril, le mercredi 27 mars 2024, à 20 heures.
Cyrielle Tourisseau,
survenu le 28 février 2024. du lundi au vendredi
ont la tristesse de faire part du décès sa ille « Rencontre avec la franc-maçonnerie,
de et son compagnon, Erick, de 9 heures à 12 heures à travers la littérature ».
L’inhumation a eu lieu ce vendredi Lénaëlle et Hadrien, et de 13 h 30 à 17 heures,
8 mars, à 14 heures, au cimetière d’Issy- Pierre MANSART, ses petits-enfants Du profane au sacré dans les œuvres
les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). le mardi de 10 h 30 à 12 heures de George Sand et Gérard de Nerval.
Frédéric et Isabelle Tourisseau,
survenu le 5 mars 2024. son frère et sa belle-sœur, et de 13 h 30 à 19 heures.
Hors-série 8, rue Louis-Puteaux, 75017 Paris.
Catherine Chaillet, Mathieu, L’entrée de l’exposition : Inscription obligatoire sur
sa mère, La cérémonie religieuse aura lieu son neveu,
Square 19 mars 1962 à Bondy. www.gldf.org
Julien, Etienne, Bertille, le lundi 11 mars, à 14 h 30, en l’église Les familles Kunzli, Monchaux, Petit
Constance, Guillaume Notre-Dame-de-la-Salette, Paris 15e, et Tourisseau,
Et Corentine Chaillet, suivie de l’inhumation au cimetière
Renseignements
ses frères et sœurs, de Vaugirard, Paris 15e. ont la tristesse de faire part du décès
et réservations groupes
Alban, Paul, de
Elliot, Dominique Moaty et Yves Müller, au service Arts et Cultures.
Max, Oscar, ses parents, Richard TOURISSEAU, Tél. : 01 48 50 54 68/53 28.
Hubert, Gaspard, Louise et Raphaël, Mathilde et ancien directeur des EHPAD
Pierre, ville-bondy.fr
Vinicius, Elena et Rémy, Annabelle et du Val-de-Marne,
HORS-SÉRIE

LES SECRETS DU PHARAON

Oliver, Joséphine Andreas, Juliette, président du conseil
Et Nicolas, ses sœurs et beaux-frères, d’administration de la CNRACL, Prix
ses neveux et nièce Hydra, Leonor, Cuauhtemoc, maire adjoint de Saint-Clar,
Et tous ses amis, ses nièces et neveu, Prix de la Découverte poétique
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Francis Moaty, survenu le 5 mars 2024, à Saint-Clar, Simone de Carfort
ont la tristesse de faire part du décès Frédérique Rouxel, à l’âge de soixante-neuf ans.
de Toute sa famille, Fondation
Tou.te.s ses ami.e.s, Frédéric et Simone de Carfort Les bénévoles de SOS Amitié
Les obsèques civiles auront lieu
Noémie le 11 mars, à 15 heures, au cimetière sous l’égide écoutent
CHAILLET-PIQUAND,
En partenariat avec

édition spéciale
Hors-série survenu à l’âge de quarante-neuf ans,
le mardi 20 février 2024.
Un culte d’action de grâce aura lieu
le mardi 12 mars, à 10 h 30, au Temple
ont l’immense tristesse d’annoncer
la mort de
Sarah MÜLLER-MOATY,
helléniste, danseuse, pianiste,
à l’âge de vingt-huit ans, le 19 février
de Saint-Clar. de la Fondation de France. par téléphone et/ou par internet
Ce prix adossé
Cet avis tient lieu de faire-part. La ceux qui soufrent de solitude,
famille remercie toutes les personnes à la Maison de Poésie
de mal-être et peuvent avoir
qui s’associeront à sa peine. a pour objet de découvrir
des pensées suicidaires.
un poète d’expression française
Vos messages peuvent être envoyés

Collection
de l’Oratoire du Louvre, 145, rue Saint- 2024, dans un accident à Palo Alto inconnu ou méconnu.
à c.tourisseau@gmail.com
Honoré, Paris 1er. (États-Unis). Il est doté de 5 000 €. Nous recherchons des écoutants
Règlement complet sur bénévoles
CHEFS -D’OEUVRE
La cérémonie sera suivie de Son enterrement a lieu ce jeudi Remerciements
l’inhumation dans la plus stricte 7 mars, à 14 h 30, au cimetière parisien https://www.lamaisondepoesie.
sur toute la France.
EN M I N I AT U R E intimité. de Bagneux. Théo Casciani, fr/2297-2/
COLLECTION DES ESSENTIELS DE LA LITTÉRATURE EN VERSION INTÉGRALE
son ils, L’écoute peut sauver des vies
29, rue de Sèvres, « πόλυ πάκτιδος ἀδυμελεστέρα... Valérie Decaux,
75006 Paris. χρύσω χρυσοτέρα... » son épouse, Prix de thèse et enrichir la vôtre !
« Au chant bien plus doux que la lyre. Choix des heures d’écoute,
Prix Pierre Bouvier
Claire, Jean-François, David et Plus brillante que l’or. » tiennent à remercier chaleureusement
pour la Socio-Anthropologie. formation assurée.
Marianne Julliard, Sappho, Fragment 156. toutes celles et tous ceux qui ont
ses enfants participé, par leur présence ou leurs
et leurs conjoints, Mme Jean de La Blanchardière, pensées, à la cérémonie d’hommage L’association Socio-Anthropologie En IdF RDV sur
Anne-Claire, Pierre, Lucie, sa belle-sœur, en la mémoire de en perspective et la revue
Mlle Isabelle de La Blanchardière, www.sosamitieidf.asso.fr
Emmanuelle, François-René, Camille, Socio-Anthropologie décernent
Gabrielle, Béatrice, Héloïse et Juliette, M. Philippe de Raucourt, Michel CASCIANI, En région RDV sur
ses petits-enfants, Pierre Loup, Alexandra, Laetitia, un prix destiné à distinguer
Charles, Erwan, Olivia, au cimetière du Père-Lachaise, une thèse soutenue en 2023 www.sos-amitie.com
Albin,
Dès mercredi 6 mars, son arrière-petit-ils, ses neveux et nièces, Paris 20e, où il repose désormais. qui apporte une contribution
le volume n° 6
à cette approche en sciences sociales.
FABLES ont la douleur de faire part du décès ont la grande tristesse d’annoncer la Comme il aurait aimé.
mort de Le montant du prix est ixé à 1 500 €. Société éditrice du « Monde » SA
de Président du directoire, directeur de la publication
Souvenirs Louis Dreyfus

Nos services Suzanne JULLIARD, Noëlle POINÇON Les candidatures doivent être reçues Directeur du « Monde », directeur délégué de la

née AGIÉ,
professeur, auteur,
Lecteurs
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 5 mars 2024,
Abonnements à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Sur abo.lemonde.fr
Par tél. au 03 28 25 71 71 Elle a rejoint son époux,
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local)
Jacques JULLIARD,
Le Carnet du Monde
carnet@mpublicite.fr décédé le 8 septembre 2023.
La cérémonie religieuse sera célébrée
en l’église Saint-Gilles de Bourg-la-
Reine (Hauts-de-Seine), le mercredi
13 mars, à 10 h 30.
de LA BLANCHARDIÈRE,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
le lundi 4 mars 2024,
à l’âge de quatre-vingt-seize ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le mercredi 13 mars, à 14 h 30,
en l’église Notre-Dame-des-Champs,
Paris 6e.
Une messe sera également
célébrée le jeudi 14 mars, à
10 h 30, en l’église Notre-Dame-de-
l’Assomption, à Livré-sur-Changeon
(Ille-et-Vilaine), suivie de l’inhumation
au cimetière.
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Il y a trois ans, notre ami avant le 30 mars 2024. Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard,
Hervé CASSAN Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis
Pour information concernant toutes Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
aux prises avec un cancer irrémédiable les modalités, consulter Harold Thibault
et foudroyant, a pu choisir sereinement https://journals.openedition.org/
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services
la date, l’heure et les modalités de
socio-anthropologie/12929 abonnés Françoise Tovo
son départ, grâce à la formidable Aide Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
à mourir qui existe au Québec. Gilles van Kote
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
Atelier d’écriture Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
Face à cet enjeu proprement Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
existentiel, souhaitons qu’en France, Envie d’écrire ? (cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
Direction artistique Emmanuel Laparra
on cesse enin de procrastiner. Participez à un atelier d’écriture Infographie Delphine Papin
pour jouer avec les mots, inventer Directrice des ressources humaines du groupe
Il nous manque. Emilie Conte
des personnages, des histoires… Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
Anne Rigaux et Denys Simon. Tél. : 06 60 68 54 50. présidente, Gilles Paris, vice-président
20 |
CULTURE
A Orsay, un dialogue féminin autour de l’art
Avec le collectif Puissance de femmes, le musée a réalisé quatre vidéos à partir d’œuvres de ses collections
ARTS
F
élicie Chainon, qui pré-
side Imani, une associa-
tion de défense des droits
des femmes et des en-
fants, est atterrée. Décidément, ce
tableau peint en 1879 par Gabriel
Ferrier ne passe pas. Le sujet, une
scène de l’Inquisition en Espagne,
est, il est vrai, brutal : une jeune
femme dénudée, les poignets liés,
va être livrée au feu du bûcher.
« Quand on est une femme, et qu’on
n’est pas dans le rang, on est mon-
trée du doigt », extrapole Félicie
Chainon. « A chaque fois qu’on veut
humilier une femme, on la repré-
sente nue dans une scène de vio-
lence inouïe », rebondit Aminata
Dango, cofondatrice de l’associa-
tion Djamma-Djigui, qui lutte con-
tre les violences intrafamiliales.
De fil en aiguille, les voilà qui devi-
sent charge mentale et sororité
avec deux autres femmes assises à
leurs côtés, Ramata Kapo et Awa
Ba, impliquées dans le combat
contre l’excision et la polygamie.
Diffusé le 8 mars sur le site Inter-
net du Musée d’Orsay, à l’occasion
de la Journée internationale des
droits des femmes, cet échange de
huit minutes est le fruit d’un par-
tenariat noué entre l’établisse-
ment parisien et le collectif Puis-
sance de femmes dont les mem-
bres abordent, par le truchement
des œuvres, quatre thèmes qui les
occupent, qui donnent lieu à qua-
tre vidéos : les violences faites aux
femmes, le racisme, l’émancipa-
tion financière et la prostitution.
Débats passionnés
L’histoire démarre en juillet 2022.
A l’occasion d’un événement de
l’Institut de l’engagement, Virgi-
nie Donzeaud, administratrice gé-
nérale adjointe du musée, fait la
connaissance de Mariam Sissoko.
La trentaine volubile, cette consul-
tante en communication a créé un
an plus tôt Puissance de femmes
pour fédérer celles qui, avec les
moyens du bord, luttent sur le ter-
rain contre les abus et les discrimi-
nations. Sans oublier l’insidieux
plafond de verre – ou plancher col-
lant – qui en conduit plus d’une à
renoncer à ses rêves. « Pourquoi
ces femmes peinent-elles à se faire
connaître et reconnaître alors qu’el-
les répondent à des besoins réels ? »,
argumente Mariam Sissoko, bien
décidée à forcer les portes du pou-
voir, notamment culturel, pour
leur donner de la visibilité.
Un fort sentiment d’unité
émane de la dizaine de membres
du collectif – elles sont cinquante
Egalité femmes-hommes : de légères avancées dans la culture
Une étude publiée mercredi 6 mars par le ministère de la culture montre qu’un rééquilibrage est en cours, mais que des efforts restent à faire
E n progression, mais peut
mieux faire. En 2024, les
structures subventionnées
de la création artistique comp-
tent, en moyenne, 38 % de fem-
mes aux postes de direction, soit
la plus forte proportion depuis
2021, selon le dernier rapport de
l’Observatoire de l’égalité entre
femmes et hommes dans la cul-
ture et la communication, publié
mercredi 6 mars par le ministère
de la culture.
Ce chiffre cache de fortes dispa-
rités. Si 71 % des Centres natio-
naux de la marionnette, 62 % des
Centres de développement choré-
graphiques nationaux et 42 % des
Centres dramatiques nationaux
sont dirigés par des femmes,
aucun Centre national de créa-
tion musicale et seulement 23 %
des Scènes de musiques actuelles
en ont une à leur tête.
Ne boudons toutefois pas les
bonnes nouvelles : 65 % des mu-
« Maintenant,
je peux m’arrêter
devant un tableau
et me dire : “Il y
a une histoire
derrière cela” »
COUMBA DIAWARA
fondatrice de l’Association
des familles et amis de
l’Afrique, à Massy (Essonne)
au total – réunies à Orsay un lundi
de fermeture. Ces femmes respec-
tent leur tour de parole, échan-
gent des regards complices, se
font la courte échelle. Quand
l’une d’elles cherche ses mots, les
plus loquaces l’encouragent d’un
« mais c’est incroyable ce que tu
fais ». « Les femmes sauvent des
vies », insiste, avec passion, l’avo-
cate Emmanuelle Andrez, à la tête
de l’association Ré-Enchante-
ment, qui encourage les person-
nes vulnérables sur le terrain des
métiers d’art.
L’art fait rarement partie du
quotidien de ces bénévoles. Lors
de leurs premières visites à Orsay,
les débats furent d’ailleurs pas-
sionnés. En découvrant Cornélie,
mère des Gracques, un groupe
sculpté en marbre de Jules Cave-
lier, Aminata Dango est d’abord
partagée. Avec ses plis impecca-
bles et son port de reine, cette re-
présentation maternelle l’im-
sées nationaux sont pilotés par
des femmes. Ainsi de Yannick
Lintz au Musée Guimet, de Cécile
Debray au Musée Picasso ou de
Claire Bernardi au Musée de
l’Orangerie. « Ce n’est plus une in-
congruité », reconnaît Laurence
des Cars, dont l’arrivée, en 2021, à
la tête du Louvre a fait l’effet d’une
révolution. Et parce que la fémini-
sation du recrutement lui tient à
cœur, la patronne du plus grand
musée au monde a nommé une
femme, Dominique Buffin, à la
tête du département hautement
stratégique accueil et sur-
veillance. Une première.
Evolution très lente
Trois des cinq postes de prési-
dence des entreprises de l’audio-
visuel public sont aussi occupés
par des femmes. Mais seules 15 %
des cent premières entreprises
des secteurs culturels ont une
femme à leur tête, un chiffre en
pressionne. « Mais c’est en même
temps une injonction à la mater-
nité parfaite », s’agace cette mère
de cinq enfants. Présidente de
l’association En finir avec la poly-
gamie, à Chilly-Mazarin (Es-
sonne), Awa Ba s’est d’abord of-
fusquée de la taille minuscule
d’une sculpture d’Emmanuel Fré-
miet représentant Jeanne d’Arc.
« Je me suis dit : “voilà encore une
façon de réduire sa portée en la
présentant toute petite” », raconte
cette grande timide, qui a depuis
nuancé son interprétation.
« Sentiment de confiance »
Après huit rendez-vous de travail,
livres à la main, Lionel Britten,
chef de la documentation du mu-
sée, et les membres du collectif fi-
nissent par s’entendre sur un
choix d’œuvres qu’elles décident
de commenter devant la caméra.
Notamment le célèbre Berceau,
une scène de maternité que Ber-
the Morisot a peinte en 1872. « Ce
regard de mère, c’est celui que j’ai
eu sur ma fille quand elle est née, je
lui ai dit dès le berceau qu’elle se-
rait puissante », confie en sou-
riant Danielle Girondin, prési-
dente de Génération 2 citoyen-
neté intégration. Cette ancienne
conseillère municipale de Ballan-
court (Essonne), qui arbore fière-
ment l’insigne de l’ordre du Mé-
rite au revers de sa veste, le répète
à l’écran comme à la ville : « Le pre-
mier mari d’une femme, ce sont les
diplômes, parce qu’ils ne deman-
deront jamais le divorce ! »
stagnation depuis trois ans. Les
avancées elles-mêmes sont à
nuancer. « La question qu’on de-
vrait se poser, c’est : quel format de
lieu dirige-t-on quand on est une
femme, de quel budget et de quel-
les aides dispose-t-on quand on est
une femme ?, fait remarquer An-
nabelle Ténèze, promue en 2023 à
la tête du Louvre-Lens. On peut
être dans l’égalité, mais pas dans
l’équité. »
La preuve en chiffres : les com-
pagnies chorégraphiques ont
beau être dirigées à 45 % par des
femmes, elles ne perçoivent que
38 % des aides du ministère.
En 2022, dans le domaine du ci-
néma, seulement 28 % des projets
ayant bénéficié de l’avance sur re-
cettes du Centre national du ci-
néma concernent des réalisatri-
ces, « soit l’inégalité la plus forte
depuis quatre ans », souligne l’ob-
servatoire. En revanche, la diffé-
rence de budget pour un film, en-
« Séverine » (vers 1895), de Louis Welden Hawkins.
PATRICE SCHMIDT
Diogou Dramé, qui a participé à
la vidéo traitant de l’émancipa-
tion, est séduite par Séverine, un
beau portrait de femme moderne
réalisé vers 1895 par l’artiste sym-
boliste Louis Welden Hawkins.
Fondatrice de La Fabrique 621, un
incubateur accompagnant de jeu-
nes entrepreneurs dans les mé-
tiers de la cosmétique, la mili-
tre hommes et femmes, tend à se
resserrer. En moyenne, une réali-
satrice dispose de 3,71 millions
d’euros, contre 4,72 millions pour
un réalisateur. Soit un écart de
21 %, contre 48 % en 2021.
Côté programmation, les fem-
mes demeurent moins visibles
que les hommes. Ainsi, dans le
secteur du spectacle vivant et de la
danse, elles réalisent en moyenne
40 % des représentations, une
proportion en légère baisse par
Seules
15 % des cent
premières
entreprises
des secteurs
culturels ont une
femme à leur tête
tante y retrouve le « sentiment de
confiance » qu’elle veut insuffler
aux femmes dont elle accompa-
gne les premières initiatives.
Séverine et Le Berceau forment
les deux faces d’un sujet qui pré-
occupe Coumba Diawara : la
transmission. « C’est l’éducation
qu’il faut mettre en avant », ex-
horte cette sexagénaire au doux
rapport à 2023. Parmi les specta-
cles programmés pour la saison
2023-2024, 34 % sont écrits et 36 %
sont mis en scène par des fem-
mes. On retrouve une tendance si-
milaire, mais encore plus mar-
quée dans le secteur du cinéma.
En 2022, un petit tiers des longs-
métrages ont été réalisés par des
femmes, contre 21 % en 2012, soit
une évolution très lente.
Un « travail sur les collections »
Les arts visuels semblent mieux
lotis. Plus de la moitié des œuvres
achetées en 2022 par les fonds ré-
gionaux d’art contemporain ont
été produites par des femmes.
« Mais il faut s’interroger sur le
prix des œuvres, or, le hiatus est en-
core grand entre les femmes et les
hommes », prévient Sandra Pa-
tron, directrice du CAPC Musée
d’art contemporain de Bordeaux.
La part des femmes exposées a
aussi légèrement chuté à 41 %
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
De gauche à droite :
Danielle Girondin,
présidente
de l’association
Génération 2
citoyenneté
intégration ;
Koudiéji
Maguiraga,
fondatrice
de l’association
Afrique Lémou ;
Diogou Dramé,
présidente de
l’incubateur
La Fabrique 621 ;
Coumba Diawara,
cofondatrice et
directrice de
l’association des
familles et amis de
l’Afrique, au Musée
d’Orsay, à Paris,
en novembre 2023.
MUSÉE D’ORSAY/YOUBLIVE
sourire, qui a fondé l’Association
des familles et amis de l’Afrique, à
Massy (Essonne). Et de répéter un
proverbe africain : « Quand on
éduque un homme, on éduque un
individu, quand on éduque une
femme, on éduque une nation. »
Coumba Diawara dit porter dé-
sormais un autre regard sur les
œuvres. « Maintenant, je peux
m’arrêter devant un tableau et me
dire : “il y a une histoire derrière
cela”, alors qu’avant je ne voyais
que des images », se réjouit-elle. Sa
cadette Aminata Dango abonde :
« Les jeunes qui verront leurs ma-
mans et tatas pousser les portes du
musée, y prendre la parole, vou-
dront faire la même chose. »
Emna Khaldi, présidente de
Halte à la N !, une association pari-
sienne de prévention des idéolo-
gies extrémistes, s’était déjà ren-
due à deux reprises à Orsay.
« Mais j’avais un regard naïf, je ne
percevais pas de lien entre ce que je
voyais au mur et moi, confie-t-
elle. Grâce aux équipes du musée,
je me suis dit que quelque chose,
ici, me ressemblait. » L’échange est
tout sauf univoque. « Le regard du
collectif nous a servies dans le tra-
vail de contextualisation des
œuvres que nous menons et l’écho
que nous voulons donner
aujourd’hui de la société de la fin
du XIXe siècle », appuie Virginie
Donzeaud, qui compte renouve-
ler le partenariat avec Puissance
de femmes. « Parce qu’on ne peut
pas en rester là. » p
roxana azimi
dans les fonds régionaux d’art
contemporain en 2022, en baisse
de deux points par rapport à 2021,
et à 44 % pour les centres d’art
contre 47 % un an plus tôt. « Le tra-
vail sur les collections reste aussi à
faire, quitte à assumer le fait qu’il y
a peu de femmes mais à mieux les
montrer », insiste Camille Mori-
neau, directrice déléguée d’Aware.
Depuis 2014, cette association pu-
blie en ligne des notices sur les
œuvres des artistes femmes. Si la
Rue de Valois a signé, en 2023,
pour un partenariat de trois ans,
lui donnant la possibilité d’élargir
les recherches aux femmes archi-
tectes, les subventions qui lui
sont octroyées ne représentent
que 20 % de son budget. Pas assez
pour pérenniser l’action de l’asso-
ciation, ni lui permettre d’étendre
son action dans le champ du ci-
néma ou de la musique. p
r. a.
et sandrine blanchard
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
« Anatomie
d’une chute » dans
la course aux Oscars
Le distributeur indépendant américain
Neon épaule la cinéaste Justine Triet, en lice
notamment pour le prix du meilleur film
F
ranchir un mur. Dans la
course aux 96es Oscars,
qui doivent être décernés
dimanche 10 mars à Los
Angeles, le film de Justine Triet
Anatomie d’une chute fait partie,
tout comme American Fiction, de
Cord Jefferson, Winter Break,
d’Alexander Payne, et La Zone
d’intérêt, de Jonathan Glazer, des
longs-métrages nommés cinq
fois, notamment dans la catégorie
du meilleur film. Mais l’espoir
français sera confronté à des poids
lourds d’une autre trempe,
comme Oppenheimer, de Christo-
pher Nolan, produit et distribué
par Universal et nommé treize
fois ; Pauvres créatures, de Yorgos
Lanthimos (Fox Searchlight, filiale
de Disney), onze fois ; Killers of the
Flower Moon, de Martin Scorsese
(Apple), dix fois ; Barbie, de Greta
Gerwig (Warner Bros), huit fois, ou
encore Maestro, de Bradley
Cooper (Netflix), nommé sept fois.
Adossés à des groupes richissi-
mes, ces compétiteurs bénéfi-
cient d’une débauche de moyens
dans cette course aux Oscars pour
ravir le maximum de suffrages
parmi les 9 797 votants. Dès le
Festival de Cannes, en mai 2023,
l’équipe du film hexagonal a
signé avec le distributeur améri-
cain indépendant Neon pour
défendre ses couleurs. Tout sauf
un choix hasardeux puisque son
PDG, Tom Quinn, a réussi la
prouesse d’amener le film sud-co-
réen Parasite, de Bong Joon-ho, au
firmament hollywoodien, avec
quatre statuettes lors des 92es Os-
cars, en 2020. Amateur de films
français, Tom Quinn a aussi dopé,
outre-Atlantique, les carrières de
Titane, de Julia Ducournau, ou
encore de Portrait de la jeune fille
en feu, de Céline Sciamma. « Qua-
siment tous les distributeurs amé-
Le duo Air ressort son buggy lunaire
Pour marquer les 25 ans de leur album « Moon Safari », les Versaillais
se produisaient en concert jeudi 7 mars, à l’Olympia, à Paris
MUSIQUE
V ingt-cinq ans après, on re-
prend les mêmes. Enfin
presque. Les jeunes gens
qui avaient acclamé en 1998 la pa-
rution de Moon Safari, premier al-
bum du duo versaillais Air, ont
forcément changé. Jeudi 7 mars, à
l’Olympia parisien, l’assemblée se
distingue par une profusion de
casquettes et de barbes attestant
de la permanence du hipster du
XXIe siècle. Présenté à ses débuts
comme une entité rétrofuturiste,
le binôme formé par le claviériste
Jean-Benoît Dunckel et le bassiste
et guitariste Nicolas Godin a bas-
culé dans la seule nostalgie.
La dernière fois que ces deux-là
avaient été réunis, c’était pour cé-
lébrer autour d’une compilation
leurs vingt ans d’activité com-
mune. Cette fois, c’est pour mar-
quer l’anniversaire de leur album
emblématique, champion à l’ex-
portation de la French touch. L’ac-
tuelle tournée, qui comprend
près de vingt dates en Amérique
du Nord, s’accompagnait, ven-
dredi 8 mars, d’une réédition aug-
mentée de Moon Safari (Parlo-
phone/Warner). En trois volumes
(le deuxième audio avec des iné-
dits, des démos et des versions
ricains nous avaient fait une offre
à Cannes. On a choisi Neon avant
d’obtenir la Palme », explique
David Thion, coproducteur asso-
cié des Films Pelléas.
Préparer les Oscars, « c’est six
mois de serrages de pognes, de
dîners, de projections, d’articles de
journaux, de campagne média-
tique. Exactement la vie d’un
homme politique en campagne
électorale », se souvient Manuel
Chiche, le distributeur français de
Parasite. L’enjeu est énorme, rap-
pelle-t-il. « Grâce aux Oscars, le
film de Bong Joon-ho est passé de
5 millions de dollars [4,6 millions
d’euros] de recettes au box-office
aux Etats-Unis à plus de 53 millions
de dollars et a atteint 209 millions
de dollars dans les autres terri-
toires. » Un petit miracle pour ce
film qui avait coûté 11,4 millions
de dollars.
C’est le destin que Justine Triet
espère dans ses rêves les plus
fous. Toute l’équipe est sur le
front depuis octobre 2023 pour la
course aux Oscars. La réalisatrice
s’est pliée ad nauseam à l’exer-
cice de promotion de son film
auprès des votants, en répondant
pendant une heure à leurs
questions après la projection.
Souvent plusieurs fois par jour.
Mais le travail de fond avait
démarré avant, précise la copro-
ductrice Marie-Ange Luciani, à la
tête des Films de Pierre.
Messi, le chien
qui a tourné dans
le long-métrage,
est devenu
la coqueluche
d’Hollywood
live), dont un Blu-ray comprenant
le film documentaire Eating, Slee-
ping, Waiting and Playing, de
Mike Mills, réalisé sur la route
en 1998, et des vidéos.
Entre-temps, les deux amis de
lycée se sont fâchés, ont fait car-
rière solo et se sont réconciliés.
Mais en arrivant (sur un extrait de
Music for 18 Musicians, de Steve
Reich) et en repartant sur scène
chacun de son côté.
Moog, Wurlitzer et vocodeur
Le décor est stylisé selon l’image-
rie spatiale de cette partie de
buggy lunaire qu’était Moon Sa-
fari : une pièce rectangulaire, du
métal, des reflets, des fumigènes,
des lumières blanches comme le
sont les habits de Dunckel, Godin
et du batteur Louis Delorme qui
pose le beat de La Femme d’argent.
Suit le tube Sexy Boy, compromis
franco-français entre Gainsbourg
et Jacno, puis, toujours dans l’or-
dre, les huit autres titres de l’al-
bum, jusqu’au trip psychédélique
du Voyage de Pénélope.
Parce qu’il a été beaucoup imité,
et notamment en France, par la
suite, Moon Safari a plutôt bien
vieilli alors qu’il semblait surgir
d’une faille spatio-temporelle
avec son obsession pour le pro-
culture | 21
Justine Triet,
le 13 février,
lors d’un
cocktail
au consulat
de France, à
Beverly Hills
(Californie).
VALERIE MACON/AFP
Dès la fin de l’été, elle a écumé idées pour marquer les esprits. éblouie par la capacité du chien à internationales, comptabilise
l’Europe avec la réalisatrice. Une Puisque les Américains raffolent jouer le mort. Et l’animal fait le soixante-quinze territoires dans
campagne d’Italie, d’Espagne, des animaux domestiques, le buzz comme jamais en « une » du lesquels le film est sorti. Restent
d’Allemagne, de Suisse, de Belgi- chien qui a tourné dans le film, New York Times. « Chaque semaine, encore la Corée du Sud et la Chine
que, etc., avant d’attaquer le cœur Messi, a été recruté comme joker. il fallait trouver un nouvel angle à venir. « Toutes les conditions ont
du sujet fin août 2023, le 50e Festi- Avec Laura Martin Contini, la d’attaque pour parler du film », ex- été réunies pour que les distribu-
val du film de Telluride, dans le « coach animalière » de cinéma, il plique David Thion. Les acteurs teurs soient à bloc pour défendre le
Colorado, surnommé « l’anti- a voyagé en classe affaires jusqu’à Sandra Hüller et Swann Arlaud film et créent un effet boule de
chambre des Oscars », puis le Fes- Los Angeles et logé au Four n’ont pas compté leur temps. neige », dit-elle. Selon le site Box
tival international du film de Seasons avant d’être exhibé, lundi Justine Triet a pris des cours pour Office Mojo, Anatomie d’une
Toronto en septembre 2023, avant 12 février, au traditionnel déjeuner améliorer son anglais et effectuer chute approche les 32 millions de
de tenter d’« évangéliser » les des Oscars à l’hôtel Beverly Hilton. une relecture du film avec des dollars de recettes mondiales.
votants anglo-saxons à New York, Le border collie aux yeux bleus acteurs américains, Sandra Hüller Rien qu’en France, où il a fédéré
Londres et Los Angeles. est instantanément devenu la co- a rejoué ses scènes pour grappiller 1,7 million d’entrées depuis le
queluche d’Hollywood : il a sage- encore des voix… Depuis sa sortie, 23 août 2023, il a fait l’objet d’une
Quatre-vingt-dix prix ment posé pour des photogra- le film a obtenu quatre-vingt-dix nouvelle sortie depuis les Césars.
« Neon a investi 3 millions de phies avec l’acteur star de Barbie, prix dans le monde entier. Ce qui Toute l’équipe du film, à Los Ange-
dollars dans la course aux Oscars. Ryan Gosling, puis avec la chan- contribue à le rendre désirable. les, se plaît à rêver. Comme ses
On reste à hauteur d’homme », as- teuse Billie Eilish. Sans rire, l’ac- Fionnuala Jamison, directrice grands rivaux. p
sure Marie-Ange Luciani. A cette trice Emma Stone s’est déclarée de MK2 Films, chargée des ventes nicole vulser
somme s’ajoutent les frais de
sortie du film aux Etats-Unis
(0,6 million de dollars). Parti de
trois salles mi-octobre 2023 (une à
New York et deux à Los Angeles),
LE FILM QUI A SECOUÉ L’ALLEMAGNE
Anatomie d’une chute a culminé à
583 salles aux Etats-Unis mi-no-
vembre 2023, souligne David
Thion, et a engrangé aujourd’hui
4,8 millions de dollars de recettes
« Un thriller haletant »
au box-office américain.
Faute de moyens financiers stra-
tosphériques comparables à ceux L’OBS
« Une mécanique
des studios américains, de Netflix
ou d’Apple – qui, selon le New York
Times, peuvent dépenser 25 mil-
lions de dollars pour une course imparable »
aux Oscars –, il a fallu trouver des TECHNIKART
« Un engrenage sous
haute tension »
ALLOCINÉ
gramme Apollo. Mais les synthé-
tiseurs analogiques (Moog, ARP
et consorts) et les pianos électri-
ques (Wurlitzer et Fender Rhodes)
sont revenus à la mode, comme
les lignes de basses cinglées au
médiator par Godin, qui rejoint
parfois son compère pour que
quatre claviers soient joués par
quatre mains. Quant aux voco-
La salle
deurs maquillant les voix, on sait
avec quel succès Daft Punk en a
desprofs
fait également usage.
La deuxième partie, en forme de
best of, confirme malheureuse-
ment qu’Air n’aura su surpasser
Moon Safari, ou alors qu’épisodi-
quement (la beauté arpégée de
Cherry Blossom Girl). A une excep-
tion près : son vrai chef-d’œuvre,
la bande originale enregistrée
pour le film Virgin Suicides
(2000), de Sofia Coppola, dont est
Un film de Ilker Çatak
repris le thème principal au piano
(Highschool Lover). Plongé
jusqu’ici dans l’éther et une éva- ACTUELLEMENT AU CINÉMA
nescence flirtant régulièrement
avec le easy listening, le spectateur
est alors saisi d’un pur vertige mé-
CRÉATION : JEFF MAUNOURY
lancolique. p
bruno lesprit
En concert le 24 juin
à la Philharmonie de Paris
( festival Days Off, complet).
22 | télévision
Tôt ou tard, label français de référence
Un documentaire en trois volets, diffusé sur YouTube, raconte cette maison de disques « indé », fondée en 1996
YOUTUBE
À LA DEMANDE
SÉRIE DOCUMENTAIRE
F
ondée en 1996 sous la
forme d’une structure
globalement consacrée à
la chanson au sein de la
major du disque Warner Music, la
compagnie phonographique Tôt
ou tard, devenue indépendante au
milieu des années 2000, avait
prévu de fêter ses vingt-cinq ans
d’existence en 2021, par un film et
une compilation. Si le disque, qui
regroupe des reprises inédites de
chansons d’artistes du catalogue
par d’autres de la maison, a été pu-
blié début novembre 2021, le film
a été finalisé plus tard.
« On a tourné en sortie de la crise
sanitaire du Covid-19. Il a fallu ras-
sembler des équipes, ça a pris du
temps, le montage aussi… », nous a
expliqué Vincent Frèrebeau, fon-
dateur et « patron » de Tôt ou tard.
Voici donc, en décalage avec son
envie d’anniversaire, Tôt ou Tard,
la belle histoire, de Benoit Toule-
monde et Didier Varrod, découpé
en trois épisodes d’une trentaine
de minutes chacun, et diffusé sur
le compte YouTube de la maison
de disques.
Enthousiasme intact
Parmi les intervenantes et inter-
venants : Yael Naim, Clou, Dick
Annegarn, Vincent Delerm, Vian-
La force et la joie de vivre de Ginette Kolinka aux « Rencontres du Papotin »
Rescapée des camps, la mère du batteur de Téléphone, Richard Kolinka, insuffle, à 99 ans, une énergie positive rare à l’émission de France 2
FRANCE 2
SAMEDI 9 MARS - 20 H 30
MAGAZINE
O n ne présente plus « Les
Rencontres du Papotin »,
lancées par les cinéastes
Eric Toledano et Olivier Nakache.
Depuis 2022, elles invitent des
personnalités à répondre aux
questions drôles, parfois abrup-
tes, toujours malignes de ces jour-
nalistes qui ont pour particularité
d’être non professionnels et at-
teints de troubles du spectre
autistique. Le succès aidant, la for-
GRILLE N° 24 - 059
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V Histoire de famille. Division
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 058
HORIZONTALEMENT I. Stilligoutte. II. Croyable. Ras. III. Rassoie. Bi. IV. Un.
Dniepr. V. Tsars. Enroué. VI. Epieur. Vider. VII. Ri. Nia. Ebène. VIII. Eroto-
mane. TB. IX. Net. Naîtra. X. Transitaires.
VERTICALEMENT 1. Scrutèrent. 2. Transpirer. 3. Ios. Aï. Ota. 4. Lysèrent.
5. Lao. Suions. 6. Ibid. Ramai. 7. Glène. Ait. 8. OE. Inventa. 9. Béribéri.
10. Tripode. Ar. 11. Ta. Ruent. 12. Est. Erébus.
Le chanteur Dick Annegarn est l’un des premiers à rejoindre la maison, en 1997. CAPTURE D’ÉCRAN YOUTUBE
ney, Mathieu Boogaerts, le duo
Cats on Trees, le groupe Shaka
Ponk, Thomas Fersen…
Pour des entretiens avec Vincent
Frèrebeau, on est dans les bureaux
parisiens de Tôt ou Tard. Didier
Varrod, journaliste et directeur
musical des antennes de Radio
France, le questionne, non pas en
un habituel face-à-face – comme il
le fait lors d’autres d’échanges
mule s’est installée, le slogan
consacré : « Tout peut arriver ».
Ce soir, tout est pareil. Mais tout
va être différent, par la grâce
d’une femme de 99 ans, Ginette
Kolinka, libérée par les Russes du
camp de concentration de Birke-
nau, à 19 ans, en 1944. Elle s’est tue
durant cinq décennies, y compris
avec son fils, Richard Kolinka,
le batteur du groupe de rock Télé-
phone. Avant de devenir « pas-
seuse de mémoire ». Depuis, elle
écrit, donne des conférences, par-
court les établissements scolaires
et les plateaux de télévision.
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11
avec des artistes du label –, là, cha-
cun est sur une chaise en dos-à-
dos. Effet visuel original pour ces
conversations avec, par moments,
des gros plans sur Frèrebeau, dont
le regard pétillant est le signe d’un
enthousiasme intact, même après
des années et des années d’acti-
vité, à parler de musique, de la « fa-
mille » Tôt ou Tard. Il y a là comme
l’idée d’une maison commune.
Cheveux courts et gris, panta-
lon noir, boucles d’oreilles et col-
lier de perles, Ginette Kolinka
prend place. La coutume veut
qu’elle se présente. « Je suis une
jeune fille de 99 ans, j’ai eu une
jeunesse heureuse (…) et une
vieillesse heureuse. Entre les deux,
il y a eu la déportation, que je ne
souhaite à personne. »
Séquences légères et historiques
Jamais, toutefois, l’émission ne
tombe dans la compassion ou
la tristesse. Bien au contraire :
souriante, douce, la vieille dame
HORIZONTALEMENT
I. Travail sur les plantes à la ville et à
la campagne. II. Accroché en profon-
deur. Descend des Carpates pour re-
joindre le Danube. III. Grife italienne.
Défend le monde du travail. Dans
12
l’erreur. IV. Plein de cailloux dans les
sables. Petites manifestations d’intel-
ligence. V. Dessous, pour être proté-
gés. Au centre. VI. Garni de poils.
Points opposés. Tas de sable dans
les sables. VII. Un maître pour
Démosthène. Chantier et réserve
militaires. VIII. Un peu de stress.
éditoriale. IX. Sortie hasardeuse, et
singulière ici. Plaisir d’âne. X. Amer
souvenir, impossible à efacer.
VERTICALEMENT
1. Renfoncer le clou pour ceux qui
n’ont pas encore compris. 2. Bien
compris. 3. A manipuler avec précau-
tion. Fin mars. 4. Homme de paille.
Font grimper les notes. 5. Nettoyée
comme une noix. Source mysté-
rieuse. 6. Grecque. Dans nos habitu-
des. Chef-lieu sur la Garonne.
7. Précieuse mesure. En prière pour
l’éternité. 8. Les grosses semblent
avoir du pouvoir. Le titane. 9. Entre
levée et distribution. Conjonction.
10. Stratégie asiatique. Rétrécisse-
ment dans les conduits. 11. Mysté-
rieuse chez Verne. Cépage du Midi.
12. Font leur sale coup sur le cou.
Pour les séquences avec les artis-
tes, les sous-sols de la compagnie
phonographique servent de dé-
cor. Avec le même choix que pour
l’album de reprises de chansons
des autres. La caméra se déplace
lentement en travelling avant ou
arrière, panoramique, prend le
temps de s’arrêter sur les mains
des instrumentistes ou un regard.
Tout le contraire de l’hystérie de
a une force et une joie de vivre
communicatives. Jean se lève
pour lui demander comment
sont morts son père et son frère.
« Assassinés par les nazis ; à
12 ans », précise Mme Kolinka pour
son frère. « Je suis désolé », ajoute
Jean avec sincérité. A-t-elle souf-
fert ? « Jamais tu ne réaliseras ce
que j’ai vécu », dit-elle à Matthias
sobrement. Mais lorsque Thomas
embraie sur Ah ! le petit vin blanc,
la chanson de Tino Rossi, elle
n’est pas la dernière à chanter.
A la différence de ce qui se passe
d’habitude, lorsque vient le tour
SUDOKU
N°24-059
6 7
7 4 1 3
3 1
7 1 3 6 8
6 5 4 9
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Cahier numéro un de l’édition n° 3101 du 7 au 13 mars 2024
IRAN LADESLONGUE
FEMMES
MARCHE
IMPÔTS LED’ACRILAIND’MINC
IMMOBILIER
TRAVERSER
LA CRISE
Tous les prix
La baisse,
jusqu’où ?
successions de plans de quelques
secondes dans la plupart des
émissions musicales. Un respect
pour la musique et ses interprètes.
Si les trois films peuvent être re-
gardés indépendamment les uns
des autres, se dessine toutefois
une manière de chronologie. Les
débuts, avec Dick Annegarn, l’un
des premiers à rejoindre la mai-
son, en 1997, toujours fidèle, Jac-
ques Higelin (1940-2018), qui sera
à l’origine du nom du label, les ap-
proches vers d’autres musiques
que la chanson, à laquelle Tôt ou
Tard est souvent ramené (pop,
rap, rock…), les moments de doute
et les succès de Vincent Delerm,
de Yael Naim ou de Vianney qui
tombent au bon moment, quand
les finances sont au plus bas.
Et puis, il y a l’émotion du souve-
nir de la chanteuse Lhasa (1972-
2010), dans la voix de Vincent Frè-
rebeau. Et celle des images et des
chants de Yael Naim, de Camélia
Jordana et de Nolwenn Leroy in-
terprétant Quand on n’a que
l’amour, de Jacques Brel, le 27 no-
vembre 2015, lors de l’hommage
national aux victimes des atten-
tats terroristes à Paris et à
Saint-Denis. p
sylvain siclier
« Tôt ou tard, la belle histoire »,
réalisé par Benoit Toulemonde
et Didier Varrod
(Fr., 2024, 3 × 32-36 min).
de Claire, celle-ci se rétracte, dés-
tabilisée par l’émotion. Avant de
se ressaisir : « Qu’est-ce que cela
vous fait, d’avoir vécu un siècle ? »
« Ce n’est pas bête comme ques-
tion, l’encourage Ginette Kolinka.
Je n’y pensais pas. » Séquences lé-
gères et historiques alternent.
Quand Stanislas s’empare du
micro et déclame de sa voix puis-
sante un poème, Ginette Kolinka
identifie tout de suite Si c’est un
homme, de Primo Levi. A-t-elle
pardonné ? « Je ne pardonnerai
jamais aux nazis. » Est-elle fière
de son fils ? « Pour moi, il était le
3 7 9 5 1 6
4 1 8 7 3 2
2 6 5 8 4 9
4 6 9 6 4 7 1 5 8 3
9 2 1 6 7 3
1 2 8 5 3 9 2 4
7 8 4 3 9 1
5 9 6 2 8 7
1 3 2 4 6 5
9 8 Très difficile
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
5 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
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CULTURE LESDE SYLVAIN
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TESSON
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MARCHAND
Crédits
Comment les
décrocher
Négociations
Les stratégies
gagnantes
DE JOURNAUX
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
NOTRE
SÉLECTION
S AM ED I 9 M ARS
Canal+ Cinéma
The Fabelmans
21.00 Ce film (2022) de Steven
Spielberg, le plus personnel de son
auteur, revient de manière douce-
amère sur l’histoire de sa famille.
LCP
Moissons sanglantes
1933. La famine en Ukraine
21.00 Guillaume Ribot revient, dans
ce documentaire sur le joug qu’exerça
Staline sur les Ukrainiens, en faisant
périr des millions d’entre eux, et sur
le journaliste Gareth Jones, qui tenta
de dénoncer le mensonge d’Etat.
TCM Cinéma
Courts-métrages français
d’Alice Guy
22.30 Alice Guy (1873-1968) est la
première réalisatrice à avoir livré,
pour Gaumont, de nombreux courts-
métrages, à partir de 1896, qui sont
considérés, avec ceux de Louis
Lumière, comme les premières
fictions cinématographiques.
Amazon Prime Video
American Fiction
A la demande Un écrivain
universitaire afro-américain sans
succès décide de faire siennes les
techniques de certains confrères qui
n’hésitent pas à sortir la « carte noire »
et à en jouer de manière outrée. Une
charge réjouissante et acide, réalisée
par Cord Jefferson.
plus beau bébé du monde. »
Aujourd’hui, le bébé – de 70 ans –
lui a réservé une surprise.
Elle sourit, les yeux mi-clos,
comme à chaque fois qu’elle re-
pense à la déportation. Elle a sur-
vécu. Aussi, rien ne peut plus la
déstabiliser. Aucune différence ;
pas même une invitation à dan-
ser sur la musique d’Elle rêvait
d’un autre monde. « Je revien-
drai », dit-elle. La vie est belle. p
catherine pacary
Les Rencontres du Papotin, par
Henri Poulain (Fr., 2024, 32 min).
est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
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9 6 5
(prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
1 3 7
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9 2
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4 1 3
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Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0,0083 kg/tonne de papier
 | 23
IDÉES
0123
SAMEDI 9 MARS 2024

Jorge Gomes da Costa et Jean Mercereau retour de la démocratie. A l’aide d’un

discours qu’il veut providentiel, Ven-
tura s’efforce ainsi de lier son parcours
personnel au destin collectif, en
promettant de guider le peuple vers des

Au Portugal, le parti populiste jours meilleurs.

Si l’ensemble des partis de gauche (Li-
vre, Bloco de Esquerda et communistes)
semble disposés à renouveler l’accord
historique trouvé avec les socialistes

Chega pourrait devenir incontournable en 2015 (la fameuse « geringonça », que

l’on pourrait traduire par « truc » ou
« bidule »), l’équation semble plus diffi-
cile à droite puisque le cordon sanitaire

dans le paysage politique

annoncé par l’Aliança Democratica
vis-à-vis du Chega oblige cette dernière
à remporter seule une majorité absolue.
Or, rien ne semble la prévoir, même
avec le renfort des voix du parti libéral
Iniciativa Liberal, fondé en 2017, et
Alors que les Portugais sont appelés aux urnes le 10 mars pour élire leur nouveau crédité d’environ 5 % des suffrages dans
les sondages.
gouvernement, les chercheurs analysent comment le parti d’extrême droite Ainsi, à la veille des célébrations du
d’André Ventura est en train de devenir la troisième force du pays cinquantenaire de la « révolution des
œillets » ayant mis fin à plus de
quarante ans de dictature de l’Estado
Novo d’Antonio Salazar, en avril 1974,

A
l’instar de l’Irlande, du Luxem-
bourg ou de Malte, le Portugal a
longtemps constitué l’une des
rares exceptions au phénomène
qui a vu l’entrée d’élus de partis populis-
tes d’extrême droite aux Parlements na-
tionaux de la plupart des pays de
l’Union européenne. Les élections légis-
latives d’octobre 2019 ont mis fin à cette
singularité en permettant au parti
Chega (« Ça suffit »), créé au printemps
de la même année, d’accéder au palais
de Sao Bento, siège du Parlement portu-
gais, à Lisbonne, avec un total de 1,29 %
du total des suffrages exprimés sur la
scène nationale.
L’unique représentant en est alors le
président fondateur, André Ventura,
docteur en droit, jusqu’alors habitué des
plateaux télévisés en tant que commen-
tateur de football et récent transfuge du
Parti social-démocrate (PSD, centre
droit). Plus de deux ans plus tard, en jan-
vier 2022, à la suite d’une dissolution
causée par le rejet du budget en octo-
bre 2021, ce même parti parviendra à
faire élire douze députés lors d’élections
dont sortira une majorité absolue pour
le Parti socialiste du premier ministre
sortant, Antonio Costa.
En novembre 2023, Antonio Costa a
démissionné soudainement à la suite de
la révélation de son implication dans
une affaire de corruption demeurée
obscure à ce jour. Cette dernière s’inscrit
dans une longue série d’affaires impli-
quant les deux principaux partis du
pays, tant sur le continent que sur l’île
de Madère, et ayant entraîné une ten-
sion croissante entre les pouvoirs politi-
que et judiciaire.
« Nettoyer le Portugal »
C‘est ainsi que les Portugais se voient de
nouveau appelés à se rendre aux urnes
le 10 mars. Cette fois, à quelques jours
du scrutin, les sondages semblent s’ac-
corder à prévoir une courte victoire de
l’Aliança Democratica – coalition com-
posée du PSD de Luis Montenegro, le
parti de centre droit éloigné du pouvoir
depuis 2015, et de ses alliés historiques
que sont le Centre démocrate et social -
Parti populaire (démocrate-chrétien) et
le Parti populaire monarchiste –, suivie
du Parti socialiste, désormais dirigé par
l’ancien ministre démissionnaire d’An-
tonio Costa, Pedro Nuno Santos. Sur-
tout, le parti Chega, dont la promesse de
« nettoyer le Portugal » et d’en finir avec
« les planques et la corruption » en dit
long sur sa nature essentiellement po-
puliste, est crédité d’un total de voix al-
lant de 12 % à 20 % en fonction des diffé-
rents sondages.
Tout au long d’une campagne électo-
rale marquée essentiellement par les
thèmes de la santé, de l’éducation, du
logement et du pouvoir d’achat, le parti
Chega et son leader, André Ventura, ont
confirmé leur caractère populiste en
reproduisant les recettes qui ont fait le
succès des mouvements populistes
CHEGA A REPRODUIT
LES RECETTES QUI
ONT FAIT LE SUCCÈS
DES MOUVEMENTS
D’EXTRÊME DROITE
DANS BON NOMBRE
DE PAYS EUROPÉENS
d’extrême droite dans bon nombre de
pays européens : antiélitisme, antiplu-
ralisme, revendication d’une participa-
tion plus directe du peuple et positions
diverses fondées sur une idéologie va-
riable en fonction des circonstances.
Le fondateur, président et principale
figure du parti, André Ventura, qui a
récemment désigné comme son
modèle politique l’actuel vice-premier
ministre italien, Matteo Salvini, diri-
geant de la Ligue du Nord, joue sur la
carte du leader haut en couleur, au
verbe facile et recourant volontiers aux
expressions imagées pour s’imposer
comme l’unique représentant du « véri-
table peuple portugais ».
Guider le peuple
Il s’en prend avec la même véhémence
non seulement aux socialistes et à leurs
alliés de gauche pour leur gestion pré-
tendument désastreuse du pays au
cours des huit dernières années, mais
également à la coalition de centre droit,
l’Aliança Democratica, qu’il a qualifiée
de « prostituée du Parti socialiste ». Il
s’agit pour lui de dénoncer comme un
tout ce qu’il considère comme le sys-
tème ayant gouverné le pays depuis le
Chega pourrait se retrouver en position
d’arbitre dans un scénario postélectoral
où beaucoup d’observateurs anticipent
une solution de gouvernement difficile,
voire impossible.
A en croire un rapport du Conseil de
l’Europe publié en janvier, la même ten-
dance devrait se répéter lors des élec-
tions européennes de juin, lors desquel-
les le parti d’André Ventura, en lice pour
la première fois, pourrait confirmer son
statut de troisième parti du pays et ainsi
s’imposer, sur le long terme, comme un
protagoniste incontournable dans le
paysage politique portugais. p
Jorge Gomes da Costa est
enseignant en linguistique à l’Institut
polytechnique de Leiria, Portugal ;
Jean Mercereau est enseignant
en linguistique à l’Institut
polytechnique de Bragance, Portugal.
Tous deux sont chercheurs au Centre
interdisciplinaire de sciences sociales
à l’université Nova de Lisbonne-Leiria

Laurent Cohen-Tanugi Sur l’inéligibilité de Trump, la Cour suprême

a tenté de déjouer le piège d’une intervention partisane
Le 4 mars, le plus haut tribunal des Etats-Unis a rejeté à l’unanimité une décision du Colorado, qui déclarait l’ancien président
inéligible. Une bonne nouvelle pour le candidat républicain, moins pour la démocratie, estime l’avocat

S
ans surprise, à la veille des
primaires du 5 mars, la
Cour suprême des Etats-
Unis a invalidé la décision
de son homologue du Colorado
qui avait déclaré Donald Trump
inéligible dans cet Etat, en raison
de son rôle dans l’assaut du
Capitole, le 6 janvier 2021.
Cette décision a été prise sur la
base de la section 3 du 14 amen-
dement à la Constitution fédé-
rale qui interdit la détention
d’un mandat public à quiconque
ayant participé à des actes de
« rébellion » ou une insurrection
après avoir prêté serment de
défendre la Constitution.
Les neuf juges de la haute juri-
diction ont tenté de déjouer le
piège d’une intervention parti-
L’ARGUMENTATION sane en pleine campagne électo-
JURIDIQUE ET rale : décision collective, una-
nime, et reposant sur un fonde-
POLITIQUE DE LA ment juridique solide, relevant
des principes du fédéralisme,
HAUTE JURIDICTION c’est-à-dire des rapports entre les
Etats fédérés et l’Union. Comme
A LE MÉRITE DE le laissait présager l’audience du
CLARIFIER LE DÉBAT 8 février, la qualification juri-
dique des événements du 6 jan-
ÉLECTORAL vier 2021 et le degré d’implica-
tion de l’ancien président n’ont
de ce fait pas été abordés.
La Cour a ainsi jugé que, si un
Etat de l’Union pouvait mettre
en œuvre la disqualification
prévue par la section 3 à l’encon-
tre d’un détenteur ou d’un can-
didat à une fonction de cet Etat,
il en allait autrement s’agissant
d’une fonction fédérale. Adopté
en 1868, dans la foulée de la
guerre de Sécession (1861-1865),
le 14e amendement s’inscrivait
en effet dans un mouvement de
renforcement du pouvoir fédéral
sur les Etats fédérés. Permettre à
chaque Etat de déterminer, selon
ses critères propres, si un candi-
dat à une fonction nationale est
ou non éligible conduirait, selon
la Cour, à un « patchwork » élec-
toral, voire au chaos.
La préoccupation est réelle, et
l’on peut créditer la haute
juridiction d’une argumentation
juridico-politique solide, qui a le
mérite de clarifier le débat élec-
toral. On pourrait néanmoins lui
objecter que les Etats sont maî-
tres du processus électoral natio-
nal au sein de leurs juridictions
respectives. En vertu de la déci-
sion rendue, un candidat pour-
rait désormais être disqualifié
pour insuffisance des parraina-
ges requis, mais non en raison
de sa participation à une insur-
rection, ce qui est pour le moins
paradoxal.
De plus, si elle avait été confir-
mée, la décision du Colorado
aurait rapidement fait des ému-
les dans un grand nombre
d’Etats et le chaos annoncé
aurait ainsi été évité. Enfin, la
Cour suprême aurait conservé
en tout état de cause la faculté de
censurer d’improbables déci-
sions d’inéligibilité qu’elle juge-
rait injustifiées à l’avenir.
Deux opinions séparées
Mais l’essentiel n’est pas là, car,
au-delà du cas Trump, l’unani-
mité affichée se fissure rapi-
dement à y regarder de plus près.
La décision de la Cour est accom-
pagnée de deux opinions sépa-
rées, émanant, respectivement,
de la juge conservatrice Amy Co-
ney Barrett, nommée par Donald
Trump, mais aussi et surtout des
trois juges démocrates Elena Ka-
gan, Sonia Sotomayor et Ketanji
Brown Jackson. L’une comme
l’autre se dissocient de l’opinion
majoritaire de leurs cinq collè-
gues conservateurs masculins,
qui exige l’adoption d’une loi
particulière du Congrès pour la
mise en œuvre de la section 3
dans la sphère fédérale. Si l’objec-
tion de Barrett s’en tient à regret-
ter que la Cour se soit aventurée
à trancher une question non in-
dispensable, l’opinion des trois
juges « libérales » dénonce, à
juste titre avec force, l’exigence
injustifiée d’une intervention
législative préalable du Congrès
pour mettre en œuvre une dis-
qualification au niveau fédéral.
Cette exigence revient en prati-
que à verrouiller définitivement
un garde-fou constitutionnel
essentiel contre les agissements
de nature insurrectionnelle.
Or, l’opinion majoritaire dé-
clare expressément s’appuyer
notamment sur la nécessité
contestée d’une telle interven-
tion législative du Congrès pour
censurer la décision du Colo-
rado. Cette contradiction et l’im-
portance de l’enjeu démocrati-
que auraient mérité que l’opi-
nion des trois juges démocrates
s’affiche comme au moins par-
tiellement dissidente, pratique
fréquente aux Etats-Unis. Ont-el-
les craint d’apparaître partisa-
nes, ou espéré en retour une dé-
cision unanime sur l’absence
d’immunité pénale des anciens
présidents ?
L’échange est toutefois forte-
ment inégal, puisque la décision
– totalement discrétionnaire – de
la Cour suprême de se saisir de
cette question, déjà tranchée
deux fois, a déjà eu pour effet de
retarder le procès fédéral sur
l’implication de l’ancien prési-
dent dans les événements du
6 janvier 2021. Deux bonnes nou-
velles pour Donald Trump, donc,
qui le sont beaucoup moins pour
la démocratie américaine. p
Laurent Cohen-Tanugi
est notamment l’auteur
de « Résistances, la démocratie
à l’épreuve » (Editions
de l’Observatoire, 2018)
24 | idées
Trente-cinq ans
de controverses sur
la laïcité scolaire
E
cole et laïcité. Un sujet qui ne quitte
jamais totalement l’actualité, par-
fois en bruit de fond, parfois au plus
haut de l’émotion collective. Un su-
jet qui met en jeu des passions ren-
voyant à ce que chacun considère
comme essentiel dans son idée de l’école, et
plus largement de la vie en société.
Ce sujet suscite de fortes paroles politi-
ques. « Notre école est testée » et « nous allons
faire bloc », assurait, le 24 août 2023, Gabriel
Attal en amont de son unique rentrée de
ministre de l’éducation. Il annonçait ce
jour-là l’interdiction pour les collégiennes et
lycéennes de porter des abayas, ces tuniques
longues traditionnelles du Moyen-Orient
considérées par les autorités scolaires
comme des signes religieux.
Un an plus tôt, le ministre précédent, Pap
Ndiaye, avait déjà abordé ce thème qui, se-
lon les chiffres officiels, concerne chaque
mois quelques centaines de jeunes filles, sur
4,6 millions d’élèves du second degré public.
Mais là où il s’inscrivait encore dans la re-
cherche de solutions au cas par cas, son suc-
cesseur tranchait en faveur d’une interdic-
tion réaffirmée « d’en haut » permettant aux
chefs d’établissements de ne pas être surex-
posés sur ces questions. Le niveau affiché de
fermeté et surtout l’ampleur de la stratégie
de communication mise en œuvre ont fait
la différence pour Gabriel Attal.
La notion d’« atteinte à la laïcité », dans le
cadre scolaire public, ne vise en elle-même
aucune religion en particulier, toutes étant
susceptibles, à un moment ou un autre,
d’entrer en conflit avec les normes de
l’école. Dans les faits, la majorité des cas
ayant un écho médiatique sont liés à des re-
vendications avancées au nom de la reli-
gion musulmane.
POLÉMIQUE NATIONALE
Cette histoire a connu son moment inaugu-
ral à la rentrée 1989. En septembre, au col-
lège Gabriel-Havez de Creil (Oise), trois collé-
giennes – deux sœurs, Fatima, Leila, et leur
amie Samira – refusent d’enlever leur « fou-
lard » en invoquant des motifs religieux.
L’affaire, révélée le 3 octobre par Le Courrier
picard, est vite reprise dans la presse natio-
nale. « Rarement un conflit scolaire local
avait obtenu, dans l’histoire française con-
temporaine, une telle ampleur médiatique,
politique et sociale », rappelle le chercheur
Ismail Ferhat, professeur à l’université Paris-
Nanterre, qui a coordonné le livre collectif
Les Foulards de la discorde (L’Aube, 2019).
En quelques jours, l’affaire devient une po-
lémique nationale qui, des mois durant, va
résonner dans l’opinion et fracturer le
monde politique et intellectuel. L’événe-
ment met au jour une évolution qui couvait
depuis plusieurs années dans une société
française très sécularisée : l’émergence
d’une revendication de visibilité de la part
de musulmans pratiquants. Auparavant,
même si la dénonciation de « l’intégrisme
islamique » était déjà un lieu commun des
débats publics, le thème de la laïcité scolaire
renvoyait surtout à l’opposition tradition-
nelle entre la gauche laïque militante, hos-
tile à l’école privée, et la droite, alliée au
monde catholique. En 1984, cette dernière
s’était massivement mobilisée avec succès
pour la défense de « l’école libre ».
L’affaire de Creil va changer la donne, en
consacrant dans la conscience collective un
lien quasi automatique – qu’on le déplore ou
non – entre les sujets « laïcité » et « islam ».
Elle éclate, du point de vue de l’opinion pu-
blique, sur un terrain rendu sensible par le
souvenir encore vif d’une série d’épisodes
terroristes ayant frappé la France depuis le
début de la décennie 1980. Une sensibilité
renforcée par l’onde de choc mondiale de la
L’interdiction des signes religieux ostensibles au sein
de l’école publique, disposée par la loi du 15 mars 2004,
a déchiré le monde politique et intellectuel
dès les premières affaires de « foulards islamiques ».
Son principe et ses modalités continuent
de susciter de profondes divisions
fatwa lancée quelques mois auparavant, en
février 1989, par l’ayatollah Khomeyni,
appelant au meurtre de l’écrivain américa-
no-britannique Salman Rushdie. A l’appel
d’associations musulmanes intégristes, un
rassemblement place de la République, à Pa-
ris, de quelques centaines de manifestants
pro-fatwa avait alors choqué.
Le 22 octobre, cette fois en soutien aux
trois collégiennes, une manifestation ras-
semble un millier de personnes dont, aux
premiers rangs, beaucoup de jeunes fem-
mes voilées. Malgré l’absence de lien direct
avec la fatwa contre l’auteur des Versets sata-
niques, cela déclenche dans les médias de
toutes tendances une explosion éditoriale
sur le « foulard islamique », le « voile corani-
que » ou le « tchador ». A l’orée de la décennie
1990, le voile musulman, particulièrement
chez les jeunes femmes françaises d’origine
maghrébine, n’est pas encore banalisé ni di-
versifié, voire absorbé par la mode comme il
peut l’être aujourd’hui. Son port en public
par une frange de jeunes filles, minoritaires
dans leur propre milieu, fait forte impres-
sion et nourrit le soupçon appuyé de mili-
tantisme islamiste téléguidé par des adultes.
« Il faudra attendre quelques années pour
qu’émerge une connaissance plus solide de
la complexité et surtout de la diversité du
sens que revêt le port du voile pour les jeunes
filles qui l’arborent », remarque aujourd’hui
le sociologue Michel Wieviorka, qui fait
référence à l’enquête de ses collègues Fran-
çoise Gaspard et Farhad Khosrokhavar
dans leur ouvrage Le Foulard et la Républi-
que (La Découverte, 1995).
Partis, gouvernants, élus, responsables
associatifs représentants de tous les cou-
rants de pensée… chacun, par l’ampleur
que revêt l’affaire, est tenu de prendre posi-
tion. Très vite, dans l’univers politique et
intellectuel, l’affaire provoque une déchi-
rure entre des conceptions radicalement
opposées : d’un côté, schématiquement, les
défenseurs d’une laïcité se voulant tolé-
rante, acceptant certains accommode-
ments avec les affirmations religieuses ; de
l’autre, les tenants d’une laïcité intransi-
geante, décrivant tout compromis, même
de détail, comme un abandon.
Bien entendu, un nuancier de positions
intermédiaires existe entre les deux, mais
c’est la polarisation qui l’emporte. « L’affaire
de Creil, analyse Ismail Ferhat, fonctionne
comme une coupe géologique instantanée,
révélant des fissures et une sédimentation
de tendances jusqu’alors peu visibles au sein
de la nation. Et les partis politiques, plutôt
que d’être des modérateurs du débat, ont été
eux-mêmes traversés de contradictions et
d’ambivalences. » C’est le cas pour la gauche
mais également, bien que de façon moin-
dre, pour le centre, la droite et l’extrême
droite. « Il s’est dessiné un clivage inédit, s’in-
sinuant parfois même au sein des familles »,
note Michel Wieviorka. Quant aux milieux
religieux catholiques, protestants et juifs,
ils balancent entre la crainte de l’islamisme
et la défense du respect envers toute reli-
gion, non sans avoir à l’esprit qu’un regain
d’intransigeance laïque pourrait aussi
s’exercer à leur détriment.
A l’automne 1989, le pouvoir politique est
socialiste. Le président François Mitterrand
a entamé son second septennat, le premier
ministre est Michel Rocard et le ministre de
l’éducation, Lionel Jospin. Confronté à l’af-
faire, ce dernier se prononce contre l’exclu-
sion des jeunes filles concernées – celles de
Creil ou d’autres – tout en maintenant le dia-
logue pour tenter de les faire renoncer à leur
voile. « L’école ne peut exclure car elle est faite
pour accueillir », explique-t-il à l’Assemblée
nationale lors des questions d’actualité.
Validé par l’Elysée et Matignon, ce choix,
qui se traduit sur le terrain par un flou iné-
vitable, divise profondément les socialistes
entre « tolérants » et « intransigeants », les
deux s’accordant néanmoins pour considé-
rer le voile comme un symbole d’oppres-
sion des femmes.
UN RAIDISSEMENT S’INSTALLE
Début novembre, Le Nouvel Observateur pu-
blie une tribune mémorable où cinq figures
de la vie intellectuelle (Elisabeth Badinter,
Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de
Fontenay et Catherine Kintzler) s’insurgent
contre ce « Munich de l’école républicaine ». A
l’opposé, dans Le Monde du 10 novembre, le
président de SOS Racisme, Harlem Désir, ré-
cuse la tentation de « chasser les jeunes filles
au foulard de l’école publique » et préfère pla-
cer la « frontière de la laïcité » sur les pro-
grammes scolaires « dont l’Etat est seul maî-
tre, sans discussion ni concession possible ».
Pris dans ces feux croisés, Lionel Jospin
saisit le Conseil d’Etat. Dans un avis du
27 novembre, celui-ci estime que le port de
signes religieux par les élèves « n’est pas par
lui-même incompatible avec le principe de
« L’AFFAIRE laïcité »… sous réserve qu’il n’ait pas un « ca-
DU FOULARD ractère ostentatoire ou revendicatif », qu’il ne
constitue pas « un acte de pression, de provo-
DE CREIL RÉVÈLE cation, de prosélytisme » et qu’il ne trouble
pas le fonctionnement de l’établissement.
UNE SÉDIMENTATION L’avis souligne qu’il « appartient aux autori-
tés détentrices du pouvoir disciplinaire »
DE TENDANCES (donc aux chefs d’établissement) d’appré-
POLITIQUES cier si de telles conditions sont réunies.
Ces principes seront repris par une circu-
JUSQU’ALORS PEU laire ministérielle du 12 décembre qui laisse
les chefs d’établissement et les équipes pé-
VISIBLES AU SEIN dagogiques en manque de repères fermes.
DE LA NATION » Auparavant, le 28 novembre, un meeting
« Pour la défense de la laïcité. Pour la dignité
ISMAIL FERHAT des femmes » se tient à Paris à l’appel de
professeur à l’université l’avocate et militante féministe Gisèle Ha-
Paris-Nanterre limi, qui vient de claquer la porte de SOS Ra-
cisme. La metteuse en scène Ariane Mnou-
chkine, l’historien Pierre Vidal-Naquet et le
philosophe Alain Finkielkraut, dont l’image
est alors celle d’une personnalité de gauche,
sont parmi les participants.
A la polémique succède, les années suivan-
tes, une période intermédiaire pendant la-
quelle le voile, sans dépasser le stade d’un
phénomène quantitativement marginal, est
ou non toléré dans les lycées ou collèges, se-
lon les contextes locaux et les choix des
équipes éducatives. Une partie de l’opinion
s’en accommode, une autre juge cela insup-
portable. L’hebdomadaire Le Point titre,
en 1994, « L’intégrisme à l’assaut de l’école »,
et rivalise d’alarmisme avec L’Express et
L’Evénement du jeudi, qui font état de
10 000 à 15 000 jeunes filles voilées, alors
que le ministère de l’éducation en recense
entre 2 000 et 3 000.
Au même moment, les échos de la terreur
islamiste en Algérie contribuent à échauffer
les esprits. « En France, les lycéennes zélées
savent que leur voile est taché de sang », dé-
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
clare ainsi André Glucksmann à L’Express du
17 novembre 1994.
Au retour de la droite et du centre au gou-
vernement, en 1993, François Bayrou est
nommé à l’éducation. Alors qu’en 1989 il se
prononçait contre l’exclusion des élèves voi-
lées, c’est pourtant lui qui, par une circulaire
du 20 septembre 1994, va pour la première
fois édicter l’interdiction des signes « osten-
tatoires » d’appartenance religieuse, tout en
autorisant les « signes plus discrets ». Globa-
lement appliquée, malgré certains conflits
médiatisés, la circulaire Bayrou ne provoque
pas, de la part des élèves de culture musul-
mane, la désertion de l’école publique que
redoutaient les tenants du compromis.
Cependant, la crainte d’une montée de l’is-
lamisme continue d’infuser dans le corps
social. Un raidissement s’installe, ou plutôt
s’accentue, envers toute expression revendi-
cative associée à la religion musulmane. De
ce point de vue, le climat se détériore encore
après le choc planétaire du 11 septem-
bre 2001 : il arrive en France que des élèves,
le plus souvent par provocation, se récla-
ment d’Oussama Ben Laden devant des
adultes horrifiés. La seconde Intifada (2000-
2005) et l’invasion de l’Irak (2003) contri-
buent également à alourdir l’atmosphère.
Celle-ci se révèle particulièrement pesante
pour les familles juives qui, devant la multi-
plication d’actes ou de propos antisémites,
amorcent un mouvement de retrait des éta-
blissements scolaires les plus difficiles. Un
phénomène qui s’est renforcé depuis.
Signe de l’importance politique prise par
ces questions, le président Jacques Chirac
crée le 3 juillet 2003 une commission de ré-
flexion sur l’application du principe de laï-
cité. Elle est présidée par le médiateur de la
République, le centriste Bernard Stasi,
ancien ministre et auteur de L’Immigration :
une chance pour la France (Robert Laffont,
1984) – ouvrage dont le titre est la risée de
l’extrême droite.
Composée de vingt membres représen-
tant une diversité de courants de pensée, la
commission Stasi rend ses conclusions en
décembre. Elle propose notamment une
mesure symbolique forte – non retenue –
consistant à faire de la fête juive de Kippour
et de la fête musulmane de l’Aïd el-Kébir des
jours fériés. Sur l’école, elle se prononce en
faveur de l’interdiction des « tenues et signes
manifestant une appartenance religieuse ou
politique » et estime que cela devrait relever
de la loi. Le gouvernement de Jean-Pierre
Raffarin, dans lequel Luc Ferry est ministre
de l’éducation, retient cette proposition, sur
laquelle un seul membre de la commission
Stasi, l’historien et sociologue Jean Baubé-
rot, s’est abstenu afin d’éviter que son poten-
tiel vote contre soit politiquement exploité,
notamment, par les islamistes.
Il en résulte, dix ans après la circulaire de
1994, la loi du 15 mars 2004. Adoptée à une
très large majorité, elle dispose que « dans
les écoles, les collèges et les lycées publics, le
port de signes ou tenues par lesquels les élè-
ves manifestent ostensiblement une apparte-
nance religieuse est interdit ». La phrase sui-
vante, évoquant les règlements intérieurs
des établissements, précise que « la mise en
œuvre d’une procédure disciplinaire est pré-
cédée d’un dialogue avec l’élève ».
Dans sa période de gestation, le texte avait
suscité certaines oppositions. Les organisa-
tions musulmanes avaient exprimé, bien
qu’en termes généralement modérés, leur
désaccord et quelques milliers de personnes
avaient manifesté à Paris et à Marseille. Mais
une grande part du monde enseignant, mo-
tivée par le souci d’éviter toute « stigmatisa-
tion » et de préserver la « liberté de cons-
cience », n’était pas non plus en phase avec
l’interdiction du voile. Autour de la Ligue de
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
LAURENT CORVAISIER
l’enseignement s’était agrégée une coalition
réunissant la majorité des syndicats ensei-
gnants – sauf l’Union nationale des syndi-
cats autonomes (UNSA), héritière sour-
cilleuse du combat laïque – ainsi que la Fé-
dération des conseils de parents d’élèves
(FCPE), la Ligue des droits de l’homme et le
Mouvement contre le racisme et pour l’ami-
tié entre les peuples (MRAP).
« OBJET CULTUREL »
Néanmoins, l’examen du projet de loi au
Conseil supérieur de l’éducation le 15 jan-
vier 2004 dénote un certain flottement,
puisque même des organisations opposées
au texte s’abstiennent ou ne prennent pas
part au vote afin d’éviter des débats internes
houleux. Et une fois la loi en vigueur, la
plupart des oppositions internes au monde
éducatif vont s’estomper, notamment du
fait qu’une déscolarisation massive des
jeunes musulmanes ne se produit toujours
pas et que la loi paraît s’appliquer sans obs-
tacle majeur.
En juillet 2005, Hanifa Cherifi, inspectrice
générale de l’éducation nationale hostile au
port du voile – il n’est, selon elle, « en rien lié
à la manière de vivre l’islam chez la majorité
des musulmans » –, remet au ministre un
rapport dressant un bilan positif de la pre-
mière année d’application de la loi, dont elle
dit que « nombre de jeunes filles et de pa-
rents » l’ont vécue « comme une libération ».
Le nombre de cas de signes religieux recen-
sés au cours de l’année scolaire 2004-2005
est, selon le rapport, de 639 (dont deux gran-
des croix et onze turbans sikhs). Sur cette
question s’installe alors un certain apaise-
ment, apprécié par l’encadrement des collè-
ges et lycées. Alors que, dans la société, le
port du voile progresse parmi les femmes de
milieux musulmans, une scène devient fa-
milière dans l’univers scolaire : les jeunes
filles voilées ont pris l’habitude de retirer
leur voile en arrivant à l’entrée de leur éta-
blissement et de le remettre à leur départ.
En se banalisant, le voile perd aussi de sa
signification. « Des filles qui portent le fou-
lard avec un pantalon serré, ou des vêtements
moulants ou transparents, laissent à penser
que le sens initial du foulard se perd peu à
peu. Il est devenu une tendance, un “objet cul-
turel” », constate, dans une tribune au
Monde, le 3 octobre 2013, le recteur de la
mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou.
La loi de 2004 est confortée par la Cour
européenne des droits de l’homme qui, le
30 juin 2009, déclare irrecevables six re-
quêtes contestant l’exclusion définitive
d’élèves. « En 2012-2013, se félicite le direc-
teur général de l’enseignement scolaire
d’alors, Jean-Paul Delahaye, il n’y a eu aucun
conseil de discipline pour port de voile. » En
mars 2014, le quotidien La Croix qualifie les
contestations de « résiduelles » et Le Monde
estime que « le principe défendu par ce texte
fait l’objet d’un quasi-consensus, à l’excep-
tion de quelques cercles militants qui en
demandent l’abrogation ».
Sur le plan politique, cette accalmie ne dé-
sarme pourtant ni les laïques intraitables
qui, au risque d’apparaître en phase avec
l’extrême droite, voient en chaque femme
voilée une menace « islamiste » ni les adver-
saires de la loi. Ces derniers forment un
ensemble hétérogène, comprenant les cou-
rants islamistes ou sympathisants, à l’exem-
ple du Collectif contre l’islamophobie en
France (CCIF), mais aussi – bien au-delà de
cette association qui sera dissoute par le
gouvernement en 2020 – la plupart des or-
ganisations de la gauche radicale, qui dé-
noncent une « islamophobie d’Etat ». Les op-
posants sont également des universitaires,
pas forcément liés à cette gauche, mais qui
la rejoignent dans la dénonciation d’une
« conception intégriste de la laïcité » ou, selon
LES ABAYAS N’ONT la formule du sociologue Raphaël Liogier, du
« mythe dévastateur de l’islamisation ».
JAMAIS ATTEINT Le politiste Yves Sintomer, professeur à
UNE PROPORTION Paris VIII-Saint-Denis, rappelle que l’inter-
diction des signes religieux à l’école est
STATISTIQUEMENT aujourd’hui une exception française incom-
prise en Europe, alors même que la loi de
SIGNIFICATIVE, 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat
AU REGARD était un texte de compromis. « La laïcité, af-
firme-t-il, ne peut pas être un instrument de
DE L’IMMENSITÉ combat contre une religion. Le rôle de l’Etat
n’est pas de défier les élèves mais au contraire
DU TERRAIN de leur garantir la liberté d’exprimer publi-
SCOLAIRE quement leur religion dès lors qu’ils n’ont pas
de comportement perturbant. »
Cependant, le consensus établi par l’accep-
tation quasi générale de la loi de 2004 a dé-
placé la principale ligne de partage qui tra-
verse désormais les soutiens à cette loi, et
sépare deux sensibilités antagoniques. D’un
côté les alarmistes, hantés par ce qu’ils ap-
pellent la montée de l’influence islamiste,
de l’autre les modérés, qui relativisent ces
inquiétudes et récusent la thèse d’un échec
de l’intégration, dont les études sociologi-
ques et démographiques montrent qu’elle
se poursuit à bas bruit. Ces deux camps s’in-
supportent mutuellement, chacun voulant
faire pencher de son côté la balance des arbi-
trages politiques. Les premiers, en perma-
nence à l’offensive, tentent de faire élargir
l’interdiction du voile aux mères d’élèves ac-
compagnant les sorties scolaires et se heur-
tent à un tir de barrage. La parution en 2018
d’un vademecum de la laïcité dans l’éduca-
tion a jusqu’à ce jour déçu leur attente.
Le respect de la loi de 2004 étant suffisam-
ment établi pour condamner à l’échec toute
tentative de réintroduction du voile dans
l’enceinte scolaire, certaines élèves réfractai-
res ont trouvé un moyen de signifier leur dé-
saccord en jouant sur les limites. A partir des
idées | 25
Les dates
3 OCTOBRE 1989
Affaire des « foulards »
de trois collégiennes de Creil.
20 SEPTEMBRE 1994
Circulaire Bayrou interdisant
les signes religieux ostentatoires
à l’école publique.
3 JUILLET 2003
Lancement par Jacques Chirac
de la « commission Stasi ».
15 MARS 2004
Loi interdisant aux élèves
le port de signes ou de tenues
manifestant ostensiblement
une appartenance religieuse.
24 AOÛT 2023
Annonce par Gabriel Attal
de l’interdiction des abayas.
années 2010, vont apparaître des « jupes lon-
gues », « robes longues » ou abayas : autant
de vêtements parfois portés comme substi-
tuts au voile mais permettant, en cas de
réaction hostile des autorités scolaires, de
nier leur caractère de signes religieux. La
première affaire fortement médiatisée de ce
genre intervient en mars 2011 au lycée
Auguste-Blanqui de Saint-Ouen (Seine-
Saint-Denis) où six jeunes filles, soutenues
par le CCIF et par un militant intégriste,
s’engagent dans un bras de fer, qu’elles per-
dront, avec la proviseure.
Au fil des années suivantes, de manière
épisodique, les « jupes longues » ressurgis-
sent çà et là, notamment à Marseille et à
Montpellier, sans jamais prendre l’allure
d’un phénomène massif. En avril 2015, le cas
de Sarah, 15 ans, à qui on refuse d’entrer
dans son collège de Charleville-Mézières en
raison de sa tenue, fait le succès du hashtag
#JePorteMaJupeCommeJeVeux, soulignant
le nouveau rôle amplificateur des réseaux
sociaux sur ces sujets.
SURENCHÈRE DU MONDE POLITIQUE
Le New York Times y consacre un article
s’étonnant de la rigueur de la laïcité en
France. Jean Baubérot, figure de la « laïcité
d’inclusion », constate que « l’école publique
use beaucoup d’énergie à s’engouffrer dans
l’engrenage de définir ce qu’est un vêtement
religieux, alors même qu’elle augmente les
inégalités sociales et que l’état de certains bâ-
timents scolaires en Seine-Saint-Denis est
scandaleux ». Et de rappeler le propos de Jau-
rès : « La laïcité est sociale ou elle n’est pas. »
Le philosophe et inspecteur général de
l’éducation nationale Abdennour Bidar es-
time pour sa part que « si des élèves se saisis-
sent collectivement d’un signe pour manifes-
ter leur appartenance religieuse dans un but
prosélyte, alors la loi doit s’appliquer ferme-
ment. Cela demande, toutefois, du discerne-
ment, notamment pour distinguer entre si-
gnes discrets et signes ostensibles, dans le
souci de veiller à la liberté de conscience et
d’expression des élèves ».
Après une période de creux, les abayas ont
connu en 2022 et 2023 un regain d’actualité,
encouragé par des influenceuses TikTok de
mode adolescente dont le lien avec des « ré-
seaux » a été soupçonné mais non établi. De
même que les affaires de voile, les affaires
d’abaya – même avec l’effet de loupe apporté
par la surmédiatisation et le choix de cer-
tains politiques de s’en emparer – n’ont ja-
mais atteint une proportion statistique-
ment significative au regard de l’immensité
du terrain scolaire.
En revanche, les effets délétères du djiha-
disme viennent régulièrement accentuer la
polarisation sur les questions de laïcité.
Chaque attentat, depuis 2015, pousse une
partie du monde politique à la surenchère
et relance la figure de l’« ennemi intérieur »,
avec une répercussion sur le terrain sco-
laire. L’assassinat de Samuel Paty, le 16 octo-
bre 2020, impliquant indirectement cer-
tains élèves, et celui de Dominique Ber-
nard, le 13 octobre 2023, commis par un
ancien élève, ont semé une angoisse dura-
ble, même chez les plus chauds partisans
d’une laïcité « ouverte ». Désolidariser
l’agenda terroriste et les enjeux de l’école
est devenu impossible. p
luc cédelle
26 | idées
SNCF : la bataille L’ILLUSOIRE TRANSPARENCE EN DÉMOCRATIE
du financement LIVRE
des investissements
ANALYSE
N SUR L’APPÉTIT
ous avons gagné la
bataille des idées. » En
présentant les résul-
tats de la SNCF, Jean-
Pierre Farandou, son PDG, s’est
autorisé un moment d’autosatis-
faction. Il s’est félicité d’avoir im-
posé dans le débat public un chif-
fre : celui des 100 milliards d’euros
d’investissements nécessaires sur
quinze ans pour doubler la part du
train dans les déplacements de
personnes et de marchandises
en 2030. Tout est parti d’une note
pour la Fondation Jean Jaurès,
qu’il avait publiée en 2022, juste
avant la présidentielle. Elle s’inti-
tulait « Le fer contre le carbone »et
présentait ce « fois 2 » comme
l’acte II de la réforme ferroviaire
engagée par Emmanuel Macron
au cours de son premier quin-
quennat, avec la transformation
de l’ancien établissement public
SNCF en société anonyme.
« Un an après ma note (…), en fé-
vrier 2023, la première ministre Eli-
sabeth Borne a annoncé un plan de
100 milliards d’euros d’ici à 2040, et
son successeur, Gabriel Attal, a re-
pris dans son discours de politique
générale qu’il voulait investir mas-
sivement dans le ferroviaire », con-
sidère le PDG. Pour lui, les lignes
bougent : « Il y a un vrai engoue-
ment autour des SERM, les services
express régionaux métropolitains
[les RER métropolitains de Ma-
cron], qui vont permettre aux gens
de laisser leur voiture au garage. »
Les villes candidates se multi-
plient. D’autres projets sont lan-
cés, comme la rénovation de la
gare de triage de Woippy (Mo-
selle) ou la mise en œuvre du
Grand Projet du Sud-Ouest
(GPSO), qui prolongera la ligne à
grande vitesse entre Bordeaux et
Toulouse et Bordeaux et Dax, po-
tentiellement jusqu’à la frontière
espagnole. « Le train est bien
perçu comme un moteur de la
transition écologique », conclut-il.
Après la bataille des idées, a-t-il
gagné la bataille financière ? C’est
une autre histoire. En France,
aujourd’hui, autour de 10 % des
voyages de personnes comme de
marchandises se font en train
(contre 20 % et 35 % en Suisse).
Pour surfer sur l’appétit des Fran-
çais pour le rail depuis la fin du Co-
vid-19 et atteindre les objectifs de
doublement de la part modale, il
faut encore beaucoup d’argent.
Rajeunir le réseau ferroviaire
Jean-Pierre Farandou refait les
comptes. Les 100 milliards d’euros
qu’il réclame se divisent en deux
paquets. Le premier, 67 milliards,
c’est le financement des nou-
veaux projets : de 2 milliards à
5 milliards pour chacun des RER
métropolitains, soit 37 milliards
d’euros, auxquels s’ajoutent les
14 milliards de GPSO, les accès du
tunnel Lyon-Turin ou encore le
contournement de l’aggloméra-
tion lyonnaise pour les marchan-
dises. Le second paquet, ce sont les
investissements pour rajeunir le
réseau ferroviaire français : 35 mil-
liards d’euros environ, soit 1,5 mil-
liard d’euros de plus par an. Il faut
remplacer les rails et les équipe-
ments vieillissants, créer de
grands postes d’aiguillage centra-
lisés et, surtout, adopter l’ERTMS,
le nouveau système de signalisa-
tion européen. La France est l’un
LES CLIENTS DE TGV
RISQUENT AUSSI
DE RESSENTIR
LA PRESSION
FINANCIÈRE SUR
LE PRIX DES BILLETS
OU DES À-CÔTÉS
POUR SURFER
DES FRANÇAIS
POUR LE RAIL,
IL FAUT ENCORE
BEAUCOUP
D’ARGENT
des pays les plus en retard dans la
bascule, alors qu’elle permettrait
d’augmenter de 30 % à 40 % le dé-
bit sans construire de nouvelles li-
gnes sur les liaisons les plus fré-
quentées, comme le Paris-Lyon.
Ces besoins font l’objet d’un
consensus, écrit noir sur blanc
dans le dernier rapport du Conseil
d’orientation des infrastructures,
instance transpartisane présidée
par le député (Renaissance) David
Valence. Leur financement est loin
d’être acquis. Après le coup de ra-
bot budgétaire du début de l’an-
née, plus personne n’ose croire à
une loi de programmation budgé-
taire pour les transports. Les con-
trats de plan Etat-région ont sanc-
tuarisé une partie des dépenses
pour les projets nouveaux. Mais,
pour la régénération du réseau, la
modernisation des aiguillages,
c’est pour l’instant la SNCF qui doit
financer les investissements en
dégageant des bénéfices.
Gains de productivité
Le mécanisme est simple et a été
prévu par la loi de 2018 réformant
la SNCF : l’Etat a repris 35 milliards
d’euros de dette à la SNCF et s’en-
gage à ne pas lui demander de
verser de dividendes, mais, en
contrepartie, elle doit dégager
des bénéfices et affecter 60 % de
ces gains au fonds de concours
qui finance la régénération du ré-
seau. Or, alors qu’elle a fait 1,3 mil-
liard d’euros de bénéfices en 2023,
la SNCF versera cette année
1,7 milliard d’euros au fonds de
concours. Plus que le ratio prévu.
Le patron de la SNCF demande à
toute la structure des gains de pro-
ductivité. Il les estime en 2022 à
700 millions d’euros. Le remplis-
sage des TGV, qui permet de ven-
dre les billets plus cher, est un
atout. Le nombre de voyageurs a
augmenté de 4 %, le chiffre d’affai-
res des TGV de 10 %. Mais que se
passera-t-il après ? L’entreprise va
continuer à chercher de l’efficacité
dans son fonctionnement.
Mais, pour les salariés, les consé-
quences sont concrètes : plus de
polyvalence, de tâches à remplir,
qui, à force de s’accumuler, font
parfois déborder la colère. On l’a
vu avec la grève des contrôleurs en
décembre 2022 et en février 2023.
Elle n’est toujours pas apaisée.
Pour les conducteurs, les roule-
ments, c’est-à-dire leur planning,
autrefois établis des mois à
l’avance, changent sans cesse. Les
retards d’investissement sur le
matériel créent également des
tensions. L’ouverture à la concur-
rence, qui amène les cheminots à
devenir salariés d’une filiale de la
SNCF, est, elle, vécue comme une
balkanisation de l’entreprise, avec
des inquiétudes sur les conditions
de travail. En plein changement,
avec toujours plus de pression fi-
nancière, la SNCF peut devenir
une bombe à retardement sociale.
Ou un autre France Télécom.
Les clients de TGV risquent aussi
de ressentir la pression sur le prix
des billets ou des à-côtés (bagages
payants). A moins que ce ne soit
sur la remise en question de lignes
ou d’arrêts trop peu rentables.
Comme le rappelle M. Farandou,
ce que le client ne paie pas, c’est le
contribuable qui le fait. La bataille
des idées est parfois plus facile à
gagner que celle de l’argent. p
sophie fay
(service économie)
M
algré son nom, l’« Etat se-
cret » n’est ni un pouvoir to-
talitaire ni une bande de
comploteurs. C’est une
émanation de l’Etat dont
l’histoire épouse l’essor du pouvoir politique
et administratif. Cette part occulte de l’Etat,
ignorée du monde académique, l’universi-
taire Sébastien-Yves Laurent tente de la dé-
crire dans son ouvrage Etat secret, Etat clandes-
tin : essai sur la transparence démocratique
(Gallimard, 360 pages, 22,50 euros). Selon lui,
elle perdure même si elle est de plus en plus
contestée, à l’heure de la « transparence » et de
l’avancée des principes démocratiques.
Historien de profession, l’auteur centre son
propos sur la France en s’appuyant sur les cas
britannique et américain pour mieux en sou-
ligner les spécificités. La notion d’Etat secret
naît, dit-il, dans le domaine du renseignement
diplomatique. Puis le sceau du secret s’est
étendu à l’ensemble des fonctions régalien-
nes, de même que sur les délibérations gou-
vernementales et la statistique. L’Etat médié-
val organisait déjà le secret, notamment sur
ses finances, un dogme que les révolutionnai-
res, dès 1791, ont voulu contester.
Selon l’auteur, le premier tournant histori-
que sur la place du secret au sein des machines
étatiques remonte au siècle des Lumières. La
révolution des idées remet en question l’orga-
nisation sociale, institutionnelle et politique
et le secret qui y est attaché. L’idéologie libé-
rale change la donne en matière de publica-
tion des jugements, de débats parlementaires.
C’est aussi l’heure de la liberté de la presse et
de la formation de l’opinion publique.
Mais plus l’Etat se renforce, plus sa part de se-
cret grandit. La cour de Charles VI compte, en-
tre 1380 et 1420, de six cents à sept cents per-
sonnes, alors que celle de Louis XIV en recense
dix mille. Aux XIXe et XXe siècles, l’explosion
Critères principaux du vote américain | par serguei
AVORTER, UNE LUTTE ENCORE INACHEVÉE
LA REVUE DES REVUES
L’ inscription de l’interruption volon-
taire de grossesse (IVG) dans la
Constitution, votée par les parle-
mentaires réunis en Congrès, le 4 mars, est
historique à plus d’un titre. Outre qu’il fait
de la France le premier pays au monde à
graver dans le marbre du texte fondamen-
tal la liberté pour les femmes à disposer de
leur corps, ce vote, près de cinquante ans
après la loi Veil, en décembre 1974, marque
le couronnement d’un combat. Mais non
son aboutissement, comme le titre le dos-
sier « Avorter. Une lutte sans fin » de La Dé-
ferlante (144 pages, 19 euros).
Il n’est pour s’en convaincre qu’à se pen-
cher sur les données collectées par la « data
journaliste » Julie Desrousseaux. Celles-ci
offrent un panorama assez complet des
inégalités dans le monde où 40 % des fem-
mes ne peuvent avoir recours à l’IVG. Tan-
dis que les autres font face à des contraintes
de délai ou de condition, comme en Italie
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
ques encore à conquérir. Le lecteur peut
d’autant plus regretter que le cœur du sujet soit
finalement esquivé. Outre un style ampoulé
ÉTAT SECRET, qui dessert la science du propos, cette tentative
ÉTAT CLANDESTIN : de théorisation de l’Etat secret s’attarde sur
ESSAI SUR LA l’histoire ancienne et achoppe sur le refus de se
TRANSPARENCE
DÉMOCRATIQUE
confronter à la société d’aujourd’hui, comme si
l’auteur se soumettait à l’obligation de secret
de Sébastien-Yves qu’il se propose pourtant de penser.
Laurent, Gallimard, Car en réduisant la démocratie à la transpa-
360 p., 22,50 € rence, il s’interdit de traiter le secret en tant
qu’objet de rapport de force entre Etat et sphère
démocratique. Ce n’est pas que la soif de trans-
démographique et industrielle ainsi que les
troubles en Europe conduisent les gouverne-
parence qui s’oppose au secret, mais aussi une
volonté de responsabilisation des citoyens sur
ments à se doter de véritables appareils de ren- le partage de décision. En France, cette « culture
seignement qui deviennent l’incarnation de de la dissimulation et du secret » ne vise pas qu’à
l’« Etat secret ». Les Etats veulent prévenir les protéger des activités sensibles de l’Etat. Elle est
risques et entraver les menaces. Les démocra- aussi un moyen de tenir à distance ce qui fait
ties font vivre, en leur sein, une part d’ombre une démocratie : le débat public. Le « secret-dé-
assumée par les pouvoirs exécutif et législatif. fense » demeure un moyen d’échapper aux re-
gards des élus, des juges et de l’opinion.
Tenir le débat public à distance L’auteur aurait pu mener un travail critique
Pour préserver ses secrets, l’Etat suit, voire anti- sur le chemin chaotique de l’encadrement du
cipe, les évolutions technologiques. L’entrée renseignement en France, et ainsi illustrer la
dans l’ère nucléaire le conduit à hausser le ni- tension constante existant entre secret et so-
veau de secret dans le domaine scientifique. Le ciété ouverte. Mais il paraît refuser la question
terrorisme est un autre tournant, qui convainc qui fâche, celle de l’abus de secret. Il ne dit mot
les gouvernements de modifier la nature du de la plate-forme multimodale (PTM) qui hé-
droit au profit du secret. L’Etat se protège avec berge, à la DGSE, les moyens de surveillance de
le droit avant de protéger le droit. masse en France, et dont la construction, à par-
Le secret protégeait l’Etat. Désormais, il dé- tir de 2008, s’est faite à l’insu du Parlement, jus-
fend « les intérêts fondamentaux de la nation », qu’à la loi sur le renseignement de 2015.
concept flou qui conforte le pouvoir exécutif. Le retard de la France en matière de contrôle
Marc Guillaume, alors directeur des affaires ju- démocratique du renseignement est, en effet,
ridiques au ministère de la défense, écrivait, criant. De plus, notre pays n’est pas qu’un can-
en 1996 : « Le secret de la défense nationale ne cre dans ce domaine, il assume l’illégalité de
met pas en danger l’Etat de droit. » Un jugement son système en attendant d’y être contraint,
relatif selon les pays. Si les Etats-Unis légifèrent alors que les juridictions européennes ont déjà
dès 1947, la France, elle, attend 2015 pour ins- tracé les limites du droit en la matière. Pour
crire dans la loi l’existence des services secrets mieux saisir les raisons d’une telle arrogance,
et les moyens qui lui sont alloués. peut-être aurait-il fallu davantage creuser les
L’objet d’étude de cet ouvrage est vertueux, spécificités de la religion d’Etat à la française. p
car il constitue l’un des rares champs académi- jacques follorou
où 65 % des médecins s’y opposent en fai- satisfaisantes, qui s’est traduite en droit avec
sant jouer leur clause de conscience. le remboursement de l’acte (1982), la créa-
L’état des lieux des inégalités posé, la re-
vue met en évidence les combats actuels.
Tel celui des militantes en Pologne pour
contourner un droit d’accès à l’IVG mis à
mal par le parti ultra-conservateur au pou-
tion du délit d’entrave à l’IVG (1983) et l’allon-
gement des délais d’avortement… » Revisi-
tant l’histoire du mouvement, elle rappelle
aussi l’inventivité de son mode d’action –
notamment le « self help » – et surtout la vo-
voir pendant près de dix ans. Bien que réa- lonté d’agir contre l’emprise médicale.
lisé avant l’arrivée au pouvoir du gouver- La question des difficultés d’accès, qui
nement de Donald Tusk, le reportage n’épargne pas la France où « une femme sur
d’Elodie Hervé permet de prendre la me- quatre » est contrainte de changer de dépar-
sure des violences subies par les Polonai- tement pour mettre fin à une grossesse
ses, rendues possibles notamment par non désirée, est abordée avec l’anthropolo-
l’inaction des autorités médicales. gue Mounia El Kotni au travers du concept
« Justice reproductive »
de « justice reproductive ». Lancé par des
militantes afro-américaines dans les an-
L’activisme de ces femmes n’est pas sans nées 1990, ce concept, qui dépasse la ques-
rappeler celui des militantes du Mouve- tion du choix, combine le principe de jus-
ment pour la liberté de l’avortement et de la tice et celui du droit d’avoir ou non des en-
contraception (MLAC) qui contribua à fants et de les élever dans la dignité et un
l’adoption de la loi Veil, en 1975. Et plus en- environnement sain. Ce faisant, il ouvre
core, comme l’analyse ici l’historienne Lu- large le champ d’une lutte qui est loin d’être
cile Ruault : « Un legs premier du MLAC est achevée. p
la défense de conditions d’avortement plus christine rousseau
0123
SAMEDI 9 MARS 2024
CULTURE | CHRONIQUE
p a r tho m a s s o tine l
Les Oscars et
l’illusion « Barbenheimer »
L LES CRÉATIONS
a 96e cérémonie des Os-
cars, qui sera célébrée di-
manche 10 mars, tentera
de faire croire à la résur-
rection du cinéma hollywoodien
après l’annonce de son décès dans
le sillage de la pandémie de Co-
vid-19. Au long de l’été 2023, l’in-
dustrie américaine du cinéma a
fait provision d’optimisme avec le
double succès de Barbie (1,44 mil-
liard de dollars de recettes en
salle, soit 1,32 milliard d’euros,
dont 636 millions aux Etats-Unis)
et d’Oppenheimer (957 millions de
dollars, dont 329 millions aux
Etats-Unis), longs-métrages pro-
duits par des studios de cinéma
(par opposition aux plates-for-
mes de streaming), Warner et Uni-
versal, aussi bien accueillis par le
public que par la critique. Ce stock
de bonne humeur n’est pas tout à
fait épuisé et l’on prolongera l’illu-
sion de cette renaissance le temps
d’une soirée.
A eux deux, les films de Greta
Gerwig et de Christopher Nolan,
réunis sous le sobriquet de « Bar-
benheimer », cumulent vingt et
une nominations. Le premier a
démontré qu’un divertissement
commercial pouvait être élevé au
statut d’œuvre d’art, le second
qu’un sujet abscons fait d’atomes
et d’histoire désormais ancienne
était capable de déplacer les fou-
les. Pendant quelques semaines,
on a voulu croire qu’il était en-
core possible d’asseoir l’écono-
mie américaine du cinéma sur
l’exploitation en salle.
Le sort d’autres nommés ra-
conte une autre histoire. Financé
par Apple, Killers of the Flower
Moon (dix nominations) a rap-
porté 157 millions de dollars, dont
68 millions aux Etats-Unis, alors
que le film de Martin Scorsese a
coûté plus de 200 millions de dol-
lars. Pour un studio classique, ce
serait une catastrophe. Pour Ap-
ple, c’est un investissement des-
tiné à recruter des abonnés pour
sa plate-forme.
La salle n’est qu’une vitrine
Les spectateurs américains ont eu
trois semaines pour voir sur
grand écran Insubmersible, qui a
valu à Jodie Foster une cinquième
nomination (actrice dans un se-
cond rôle), avant que Netflix ne le
mette en ligne. La plate-forme aux
260 millions d’abonnés ne dévie
pas de la ligne fixée par son diri-
geant, Ted Sarandos : la salle n’est
qu’une vitrine, qui suscite une at-
tention médiatique et permet aux
titres ainsi exposés d’acquérir une
notoriété qui échappe encore à
ceux qui sortent directement en
streaming, opération qui doit s’ef-
fectuer en un minimum de temps.
Pour Netflix, un spectateur à l’en-
trée d’un multiplexe, c’est un
abonné qui a déserté son canapé.
Si Prime Video – la plate-forme
d’Amazon – et AppleTV + permet-
tent à leurs productions de vivre
leur vie de films outre-Atlantique,
souvent en partenariat avec des
« legacy studios » (studios de patri-
moine, le terme par lequel on dé-
signe désormais ce qu’il reste du
système qui organisait jadis Hol-
lywood) et des distributeurs éta-
blis, leur carrière internationale
se fait presque exclusivement en
ligne. American Fiction, de Cord
Jefferson, comédie acerbe, a été
nommé dans cinq catégories
(dont meilleur acteur pour Jeffrey
Wright), ce qui lui aurait naguère
valu de voir ce succès placardé à
l’entrée des salles du monde en-
tier, le film est arrivé en France sur
LE BOX-OFFICE
A RETROUVÉ
LA GRISAILLE DES MOIS
QUI ONT SUIVI LA FIN
DES CONFINEMENTS
0123 | 27
L’ÉCOLE
A BESOIN DE
PRAGMATISME, sultats de la France tout juste publiés par le
Programme international de l’OCDE pour
Cette volonté de désamorcer une querelle
paralysante ne peut qu’être saluée, de
DE MOYENS le suivi des acquis des élèves (PISA). même que la latitude laissée aux équipes
ET DE STABILITÉ
Tri social, risque de stigmatisation, frein à
la dynamique des classes et à l’émulation,
casse-tête d’emploi du temps et de gestion
éducatives pour choisir l’organisation la
plus adaptée à leur public. Présentées
comme des garanties d’égalité, l’uniformité
des salles de classe : l’annonce du ministre, et l’extrême centralisation du système sco-
devenu en janvier chef du gouvernement, laire masquent d’énormes disparités, dont
s’est heurtée à de solides objections et a la résorption suppose de la flexibilité.
D’HOLLYWOOD SONT suscité l’hostilité de syndicats d’ensei- Mais ce pragmatisme de bon aloi ne sau-
gnants et de chercheurs en sciences de rait masquer que le nécessaire « choc des
DÉSORMAIS REÇUES l’éducation. Si la nocivité de groupes de ni- savoirs » mis en avant par le gouvernement
DANS L’INTIMITÉ veau permanents et figés semble établie,
leur effet peut être positif « si le regroupe-
se heurte à deux obstacles structurels : le
manque d’enseignants et les insuffisances
DES SALONS ment est limité à quelques matières », a noté de leur formation, trop peu tournée vers la
la plate-forme d’Amazon dans la
plus extrême discrétion.
A Hollywood, les créateurs sont
P armi les nombreux défis posés à
tout enseignant face à ses classes,
l’hétérogénéité des élèves est proba-
blement à la fois le plus ardu et le plus cru-
cial. Alors que la France est l’un des pays dé-
en 2022 l’enquête PISA. Un tel dispositif
suppose aussi une grande souplesse, un
nombre d’enseignants adéquat et une so-
lide formation de ces derniers.
Héritière des annonces impopulaires de
relation avec les élèves et la gestion de l’hé-
térogénéité. Sans politique volontariste vi-
sant à inciter, y compris matériellement,
des étudiants à embrasser le métier d’en-
seignant, sans effort sur les rémunérations
résignés à l’idée que les histoires veloppés où les performances scolaires son éphémère prédécesseur, Nicole Bellou- et les carrières, tous les discours, pourtant
exigeantes, qu’elles soient mises sont le plus liées à l’origine sociale, la ges- bet a enclenché la marche arrière dans un nécessaires, prônant un renouveau péda-
en scène d’un trait ou épisode par tion de la diversité n’est pas seulement une entretien au Monde du 7 mars. Tout en gogique risquent de rester vains.
épisode, soient désormais reçues question posée à chaque professeur, c’est maintenant l’idée d’adapter l’enseigne- Surtout s’ils sont délivrés par des minis-
dans l’intimité des salons ou des un sujet social et politique majeur. ment à la situation de chaque élève et de tres de passage − l’éducation nationale a
chambres à coucher, partagées en L’une des mesures visant un « choc des sa- constituer des groupes, la ministre n’em- connu pas moins de quatre responsables
petit comité à la lueur d’une voirs » annoncées en décembre 2023 par ploie plus l’expression polémique de en moins d’un an −, dont le remplacement
lampe de chevet plutôt qu’en Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation « groupes de niveau » et prône une école incessant envoie un signal désastreux aux
compagnie d’inconnus rassem- nationale, consistait à répartir, dès la ren- « de plus en plus inclusive ». Elle admet que enseignants déjà déstabilisés par d’innom-
blés dans l’obscurité. trée prochaine, les élèves de 6e et de 5e dans les élèves devront être rassemblés en classe brables changements de discours. Au ris-
Certes, Hollywood n’a jamais des groupes de niveau en mathématiques entière à certains moments, et renvoie aux que de contredire les déclarations solennel-
compté uniquement sur les et en français, en fonction de leurs besoins. principaux de collège l’introduction les qui présentent l’éducation comme une
« films à Oscars » pour assurer des M. Attal entendait réagir aux mauvais ré- d’« une certaine souplesse ». priorité du quinquennat. p
résultats trimestriels propres à sa-
tisfaire les investisseurs. Dans les
dernières décennies du XXe siècle,
la doctrine prônait l’osmose entre
les superproductions (capables de
générer des profits ou des pertes
gigantesques) et les productions
de moyenne importance, généra-
lement déficitaires, mais très ren-
tables en cas de succès.
Puis est venu le temps des fran-
chises (séries de films qui exploi-
tent une marque – personnage,
jouet, série littéraire…), qui ont fait
croire aux dirigeants des studios
que l’antienne qui voulait que le
cinéma fût une industrie de proto-
types était désormais obsolète. Or
depuis la divine surprise de « Bar-
benheimer », les superhéros ont
démontré les uns après les autres
(Miss Marvel, The Flash, et plus ré-
cemment Madame Web) que leurs
superpouvoirs n’étaient qu’un
souvenir, et le box-office a re-
trouvé la grisaille des mois qui ont
suivi la fin des confinements.
Malgré le succès des films de Ge-
rwig et de Nolan, les recettes nord-
américaines de l’exploitation en
salle étaient en 2023 inférieures de
3 milliards de dollars à celles de
2018. Et si l’un des plus importants
circuits de salles des Etats-Unis,
AMC, a affiché des résultats flam-
boyants au dernier trimestre, c’est
grâce aux captations des concerts
de Taylor Swift et de Beyoncé, qui,
quelle que soit l’estime que l’on
peut avoir pour ces artistes, n’ont
que peu de rapport avec le cinéma.
L’affluence de leurs fans dans les
multiplexes américains est riche
d’enseignements. Pour qu’une
sortie en salle soit une réussite, il
faut que les spectateurs trouvent
une raison de sortir de chez eux,
malgré l’offre pléthorique dont ils
disposent au bout de leur télé-
commande. Hors de quelques zo-
nes de cinéphilie (métropoles, et
encore, pas toutes, villes universi-
taires), la pratique américaine du
cinéma ressemble à la pratique
religieuse du plus grand nombre :
le rite hebdomadaire est négligé,
mais les fêtes cardinales peuvent
encore faire le plein.
Producteurs, studios, exploi-
tants, qui ont encore un intérêt,
par culture ou par intérêt, à voir se
perpétuer la cérémonie de la pro-
jection, sont privés des vieilles re-
cettes. La course à la martingale
inédite bat son plein. Les ama-
teurs de verres à moitié pleins se
réjouiront d’apprendre que Sony a
AU BORD
décidé de prendre le risque d’égre- Guerres en Europe et au Proche-Orient, crises permanentes en France, catastrophes
ner quatre films de fiction sur les écologiques à répétition sur la planète, l’inquiétude générale monte en 2023 au sein
Beatles, un pour chaque garçon des populations, témoins d’un monde de plus en plus au bord du précipice.
dans le vent, au cours de l’année
2027. Cette saturation du marché DU PRÉCIPICE ? Pour mieux mesurer l’état de cette peur collective, le Bilan du Monde dresse l’état des lieux
des 198 pays du globe après une année d’épreuves et d’événements locaux et globaux.
va à l’encontre de toutes les prati-
ques existantes. Les amateurs de
Une publication indispensable pour comprendre le monde d’aujourd’hui et revisiter
verres à moitié vides remarque- l’année 2023.
ront que cette nouvelle est plus
propre à réjouir les septuagénai- Vient de paraître chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
res que les milléniaux et la généra-
tion alpha, dont l’absence devant
les grands écrans augure mal de
l’avenir du cinéma en salle. p