MAGAZINE

TODD HAYNES,
CINÉASTE DES TABOUS idées LA FRANCE CONFRONTÉE
À SON IMPENSÉ COLONIAL

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

SAMEDI 20 JANVIER 2024 - 80E ANNÉE - NO 24587 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Automobile : l’Europe face à la vague chinoise

▶ En 2023, le marché ▶ En 2027, une voiture sur ▶ Les Chinois, qui investis- ▶ BYD vient de décider ▶ Le géant chinois SAIC
automobile européen a quatre en Europe devrait sent plus massivement l’installation en Hongrie envisage d’installer une
rattrapé son retard dû au être « tout-électrique », que les constructeurs (et non en France) de sa usine de voitures MG à
Covid, avec 10,5 millions la part des véhicules ther- européens, seront des première usine de voitu- Hambach, en Moselle
de voitures immatriculées miques tombant à 31 % acteurs-clés du secteur res électriques en Europe PAGE S 1 4 - 1 5

ISRAËL Rachida Dati engage les batailles

« LA JOURNÉE de Paris et de la culture pour tous
DU 7 OCTOBRE jeudi, lors de sa visite à Clichy- Pour l’heure, Rachida Dati s’en est

NE S’EST JAMAIS
sous-Bois (Seine-Saint-Denis), tenue à son désir de « relancer »
Emmanuel Macron a rappelé la les MJC. En revanche, elle a été
feuille de route de sa ministre de plus diserte en ce qui concerne
VRAIMENT la culture : « Se battre pour que la
culture soit possible partout et
ses ambitions parisiennes : « Mon
objectif, c’est Paris ! », clame-t-elle.

TERMINÉE » que plus personne ne puisse se

dire “ce n’est pas fait pour moi”. »
PAGE 8 E T la chronique
de Michel Guerrin PAGE 2 8

▶ Plus de cent jours

après les massacres
perpétrés par le Police Proche-Orient
Comment l’Iran
Hamas, reportage
au sein de la société
Entretien avec réévalue sa
israélienne, la patronne stratégie régionale
de l’IGPN
PAGE 2
traumatisée et
toujours sourde
aux conséquences Taïwan
meurtrières de la Agnès Thibault-Lecuivre Tribunes de
se dit préoccupée
guerre à Gaza par les phénomènes
Valérie Niquet
PAGES 4 - 5 de corruption et d’Isabelle Feng
PAGE 1 1 PAGE 2 6

Ofer Gitai, le 16 janvier, dans le

kibboutz Ramat-Yohanan, dans
le nord d’Israël, où il a trouvé
refuge après le 7 octobre 2023.
LUCIEN LUNG/RIVA PRESS POUR « LE MONDE »

Politique Paris 2024 Visite à Châteauroux, 1

Le RN compte capitale du tir olympique ÉD ITO R IAL
sur l’exposition L’IMPÉRATIF D’UNE
médiatique AIDE MILITAIRE
À L’UKRAINE
Considérant acquise
sa « victoire idéologique », P A G E 28
le parti d’extrême droite
entend cultiver son image
PAGE 9
Culture
Une sélection Exposition
Environnement 17.01 – 29.09.24
Boues rouges de des expositions
Gardanne : Alteo Dans le Centre national de tir sportif, à Déols (Indre), lors d’un stage
du printemps DEMAIN EST ANNULÉ...
de l’art et des regards
mis en examen d’évaluations nationales, le 15 janvier. CYRIL CHIGOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Peinture, art contempo- sur la sobriété
la cité berrichonne se pré- bienvenu pour cette ville de rain, photographie : à Pa-
L’industriel a déversé en pare à accueillir les épreuves de 43 000 habitants, mais aussi une ris ou en région, de Robert Espace Fondation EDF fondation.edf.com
Méditerranée un effluent tir au lendemain de la cérémonie source de déception pour beau- Ryman à Jean Hélion en 6 rue Juliette Récamier 75007 Paris Entrée gratuite sur réservation
d’ouverture des Jeux olympi- coup, compte tenu des faiblesses
chargé en substances ques, qui aura lieu le 26 juillet à des infrastructures, en particu-
passant par Tina Modotti, Œuvre : © Rero & galerie Backslash, Paris. Courtesy : Climate scientist Ed Hawkins

potentiellement toxiques Paris. Ce sera la fête, mais mezza lier hôtelières. les choix du « Monde »
PAGE 7 voce. Un coup de projecteur PAGE 1 8 PAGE S 2 0 - 2 1
Algérie 220 DA, Allemagne 4,70 €, Andorre 4,20 €, Autriche 4,40 €, Belgique 5,50 €, Espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
Italie 4,10 €, Luxembourg 5,60 €, Maroc 30 DH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La Réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 6,50 DT,
2|
INTERNATIONAL
L’Iran contraint de réévaluer sa stratégie
Les frappes au Pakistan, en Syrie et en Irak traduisent les hésitations de Téhéran depuis le 7 octobre 2023
beyrouth, washington -
correspondants
U
n Etat agressif trahit,
parfois, sa propre ner-
vosité. En moins de
vingt-quatre heures,
l’Iran s’est affranchi d’une straté-
gie prudente observée depuis l’at-
taque du Hamas contre Israël, le
7 octobre 2023, et la guerre déclen-
chée dans la bande de Gaza. Les
15 et 16 janvier, le régime a lancé
une série de frappes en Syrie, en
Irak et au Pakistan. Les missiles
balistiques qu’il a tirés, en repré-
sailles à des attaques sur son sol et
contre ses alliés au Moyen-Orient,
se voulaient une démonstration
de force. Ils ont aussi représenté
un pari risqué, « une erreur de
calcul » aux yeux des experts, pro-
voquant une crise diplomatique
avec Islamabad et une riposte en
règle sur son territoire le 18 jan-
vier, ainsi que des protestations
appuyées de Bagdad.
Depuis le 7 octobre, Téhéran a
laissé ses affidés au sein de « l’axe
de la résistance » ouvrir des fronts
coordonnés au Liban, en Syrie, en
Irak et au Yémen, en soutien au
Hamas, tandis qu’il occupait le
terrain de la diplomatie. Ses émis-
saires ont plaidé la fin de la guerre
à Gaza et la désescalade régionale.
« Le premier objectif iranien après
le 7 octobre fut de ne pas tomber
dans ce qu’il estimait être un piège
israélien, celui d’une confronta-
tion directe avec eux et les Etats-
Unis, mais cela tout en dissuadant
Israël d’étendre le champ de la
guerre », analyse Ali Vaez, expert à
l’International Crisis Group (ICG).
La stratégie que l’Iran a dès lors
adoptée a été le fruit de tâtonne-
ments, davantage que de calculs
longuement mûris. « L’Iran a été
surpris par le 7 octobre, qui a mis à
terre ses calculs stratégiques préa-
lables », souligne le spécialiste de
l’Iran. Téhéran jouait la carte d’un
apaisement régional depuis la si-
gnature, en mars 2023, d’un accord
de détente avec son grand rival
sunnite, l’Arabie saoudite. Des né-
gociations indirectes étaient enga-
gées avec les Etats-Unis pour obte-
nir une levée partielle des sanc-
tions américaines. « Les deux pays
prévoyaient de revenir à la table des
négociations sur le nucléaire à la
mi-octobre », précise Ali Vaez.
Crise de légitimité
« A un niveau stratégique, l’Iran es-
sayait de parvenir à un nouveau ni-
veau de dissuasion avec Israël, en
mettant en place la possibilité
d’une attaque multifront, du pla-
teau du Golan, de Gaza, du Liban et
de la Cisjordanie. Mais un essai en
avril 2023 a montré que deux des
fronts [la Cisjordanie et le Golan]
n’étaient pas prêts », affirme en-
core l’expert de l’ICG. L’attaque
menée le 7 octobre par le Hamas
sur le territoire israélien, au prix
de 1 200 morts et de la capture de
240 otages, a bouleversé ce projet.
Le slogan volontariste sur l’« unité
des fronts » a rencontré la réalité
des rapports de force et des calculs
de risque. Au nom de représailles
pesées au trébuchet, des fronts ont
été allumés au Liban, en Irak et au
L’« axe de la résistance » : pays ou groupe affilié, allié de Téhéran
15 janvier
Frappe iranienne
contre des cibles
attribuées
à l’Etat islamique
Idlib
Mer SYRIE
Méditerranée LIBAN
Beyrouth
ISRAËL
2 et 8 janvier 25 décembre 2023
Elimination par Elimination par Israël
Israël d’un chef d’un général iranien
du Hamas et
d’un commandant
Me
du Hezbollah
rR
ou
ge
Infographie Le Monde
Sources : liveuamap ; AFP ; Le Monde
Yémen, tandis que ceux de Syrie et
de Cisjordanie restaient dormants.
La vague d’assassinats ciblés me-
nés par Israël et les Etats-Unis
contre des cadres de « l’axe de la ré-
sistance » depuis fin décembre,
ainsi que les frappes américano-
britanniques contre les houthistes
au Yémen en janvier ont exposé la
fragilité de la République islami-
que. L’illusion de sécurité qu’elle
entretient sur son propre terri-
toire a volé en éclats avec les atten-
tats terroristes qui ont visé, le 3 jan-
vier, à Kerman, les commémora-
tions de l’anniversaire de la mort
du général Ghassem Soleimani,
l’architecte de cet axe tué dans une
frappe américaine à Bagdad
en 2020, au prix de 89 morts.
« Depuis le début de la guerre à
Gaza, l’Iran ressent la pression de
ses soutiens dans la région et à
l’intérieur du pays, explique
Hamidreza Azizi, chercheur à
l’institut de recherche Stiftung
Wissenschaft und Politik à Berlin.
Les groupes de “l’axe de la résis-
tance” sont entrés en jeu, défiant
Israël chacun à leur manière, tan-
dis que l’Iran, qui se veut le leader
15 janvier
Frappe iranienne
contre des cibles
attribuées au Mossad
Erbil
Téhéran
Bagdad KURDISTAN
SISTAN-ET-
BALOUTCHISTAN
IRAK IRAN
Kerman
2 janvier
Attentat terroriste
revendiqué par
ARABIE
SAOUDITE l’Etat islamique
au Khorassan
ayant fait 91 victimes
500 km
de l’axe, est resté à l’écart. C’est une
chose lourde à porter pour elle en
matière de prestige. Elle avait be-
soin de réaffirmer son pouvoir et
d’envoyer à ses alliés régionaux le
message : “Nous sommes prêts. »
Confrontée à une crise de légiti-
mité depuis la vague de contesta-
tion provoquée par la mort de
Mahsa (Jina) Amini en septem-
bre 2022, la République islamique
a voulu donner des gages à ses
soutiens. Jusque parmi ses parti-
sans les plus zélés, des voix s’éle-
vaient pour critiquer le régime
après l’élimination par Israël du
général iranien Razi Moussavi le
25 décembre à Damas, puis de
Saleh Al-Arouri, figure majeure
du Hamas, et de Wissam Tawil, un
commandant du Hezbollah, au
Liban, début janvier. Des rassem-
blements ont été organisés par les
membres de l’aile dure pour récla-
mer « une réponse ferme » contre
les auteurs de ces « crimes ».
La revendication par l’organisa-
tion Etat islamique au Khorassan
des attentats de Kerman a mis
Téhéran dans une position diffi-
cile, quand bien même il affirme
16 janvier
Frappe iranienne près
de Panjur, selon Téhéran
contre des bases
du groupe terroriste Jaish
al-Adl, tuant deux enfants
AFGHANISTAN
Islamabad
PAKISTAN
BALOUTCHISTAN
18 janvier
Frappes pakistanaises ayant
causé la mort de neuf personnes
dont quatre enfants et trois
femmes, tous d’« une nationalité
non iranienne », selon Téhéran
Le pays a pris
le risque
de s’aliéner
des pays voisins
amis pour ne pas
viser directement
les Etats-Unis
et Israël
que le groupe djihadiste est une
création d’Israël et de l’Amérique.
« Les dirigeants iraniens n’avaient
aucun intérêt à riposter contre un
groupe terroriste dont le siège est
très probablement en Afghanistan,
un pays dirigé par les talibans que
l’Iran ne veut pas antagoniser, es-
time Ali Alfoneh, expert de l’Arab
Gulf States Institute à Washing-
ton. Afin de ne pas perdre la face,
ils ont décidé de frapper des cibles
choisies au hasard en Syrie, en Irak
et, plus surprenant, au Pakistan. »
« Erreur de calcul »
Les cibles sont très disparates : un
présumé nid d’espions israéliens
au Kurdistan irakien ; des mem-
bres de l’Etat islamique dans la
province rebelle d’Idlib, dans le
nord-ouest de la Syrie ; et le
groupe Jaish al-Adl dans la
province pakistanaise du Balout-
chistan. Rien n’indique que les ci-
bles désignées aient été touchées.
Au total, sept personnes ont été
tuées dans les trois pays – des ci-
vils selon les autorités locales. La
riposte menée par le Pakistan a
fait neuf victimes en Iran.
La logique qui a poussé à frapper
le Pakistan, au risque d’une esca-
lade avec cette puissance nu-
cléaire, n’est pas évidente. « Les
dirigeants iraniens ont pris cons-
cience de leur erreur de calcul et ten-
tent de contenir la crise », estime
Ali Alfoneh. Le message adressé à
Israël apparaît plus clairement
dans les frappes menées en Irak et
en Syrie. Il n’a pas échappé à l’Etat
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
Le président
iranien,
Ebrahim
Raïssi,
lors des
funérailles
des victimes
des explosions
du 3 janvier,
à Kerman
(Iran),
le 5 janvier.
PRÉSIDENCE IRANIENNE
VIA AFP
hébreu que les missiles balistiques
tirés sur le Nord-Ouest syrien pou-
vaient atteindre Tel-Aviv. En 2022,
en réponse à des assassinats ciblés
organisés par les services israé-
liens, l’Iran avait déjà frappé Erbil.
Motif invoqué : la capitale du
Kurdistan irakien abriterait une
antenne du Mossad et des hom-
mes d’affaires kurdes seraient en
lien avec Tel-Aviv.
L’Iran prend cependant le ris-
que de s’aliéner des pays voisins
amis pour ne pas viser directe-
ment les Etats-Unis et Israël. Té-
héran a provoqué l’ire de Bagdad,
résolu à achever le retrait des
troupes américaines d’Irak, ré-
clamé par les milices chiites pro-
Iran. Ce retrait serait un gain
concret pour l’Iran et ses alliés, de
même que la possible libération
des territoires encore occupés par
l’Etat hébreu au Liban du Sud et
des concessions saoudiennes
dans le cadre d’un potentiel ac-
cord de paix avec les houthistes.
L’ambition de Téhéran va au-
delà. Le régime aimerait partici-
per à l’esquisse du jour d’après la
guerre à Gaza, et plus largement à
une nouvelle architecture de sé-
curité régionale. « La réduction de
la crédibilité de la dissuasion régio-
nale iranienne, combinée avec l’ab-
sence de voie de sortie sur le nu-
cléaire entre l’Iran et l’Occident,
contribuent à un pessimisme crois-
sant, plaide Ali Vaez, de l’ICG. Si
vous êtes à Téhéran et que vous per-
cevez votre dissuasion régionale
comme diminuée, et que votre pro-
gramme nucléaire ne peut pas être
utilisé comme levier à la table diplo-
matique, la conclusion logique
consiste à s’avancer vers la dissua-
sion nucléaire. » Dans un entretien
à l’Agence France-Presse, le direc-
teur général de l’Agence interna-
tionale de l’énergie atomique,
Rafael Grossi, a expliqué jeudi que
les Iraniens « restreignent la coopé-
ration d’une manière sans précé-
dent » avec ses inspecteurs. p
ghazal golshiri (à paris),
hélène sallon et piotr smolar
4 | international 0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024

C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N

« La journée du
7 octobre ne s’est
jamais vraiment
terminée »
Traumatisée par les attaques du Hamas,
la société israélienne soutient la guerre menée
à Gaza depuis trois mois, occultant les morts
et les destructions dans l’enclave palestinienne

TÉMOIGNAGES au plus haut niveau de l’Etat, comme aux

machines à café de l’hôpital Shamir, près de
tel-aviv, sdérot, ramat-yohanan
(israël) - envoyé spécial
Lod (centre), où travaille Michal Feldon.

T
el-Aviv reprenait vie. La grande
cité du bord de mer paraissait
oublier la guerre qui se poursuit
à Gaza depuis trois mois, à 50 ki-
lomètres au sud. Début janvier,
Michal Feldon s’est résolue à dî-
ner en ville, avec son compagnon, après trois
mois passés à se morfondre. Cette pédiatre a
confié ses jumeaux à une baby-sitter, puis
elle a renoncé devant les terrasses illuminées.
Pas le cœur. Elle est rentrée chez elle, pour
échanger avec quelques amis sur Internet :
« J’ai trois personnes au monde avec qui parler
depuis le début de la guerre », soupire-t-elle.
Michal appartient à une minorité négligea-
ble en Israël : quelques centaines de person-
nes qui manifestent chaque semaine contre
la guerre, sous haute protection policière.
Lorsqu’elle quitte ces rassemblements, elle
cache ses banderoles appelant à « la paix », de
crainte d’être prise à partie. Ses concitoyens
l’effraient, qui vivent comme une nécessité
existentielle l’éradication de toute menace
posée par le Hamas. Unanimement, ils jugent
que cette guerre leur a été imposée par le mas-
sacre d’environ 1 140 civils et militaires le 7 oc-
tobre 2023. Cette guerre est juste, ils n’en dou-
tent pas et en assument les conséquences.
A l’étranger, des experts militaires compa-
rent cette campagne à la destruction de la
ville allemande de Dresde par les Alliés
en 1945 et à la prise de Grozny, en Tchétché-
nie, par l’armée russe en 1995. Au moins
24 000 Palestiniens ont été tués, selon les
autorités locales, soit 1 % de la population de
la bande de Gaza, pour la plupart des fem-
mes et des enfants. Israël met ces morts sur
le compte du Hamas, qui se terre parmi les ci-
vils. Le pays se perçoit comme un malade du
cancer acharné à détruire sa tumeur. Il fait
mine d’ignorer qu’il impose ce traitement à
un corps étranger, palestinien. Des discours
aux accents génocidaires se sont banalisés
La pédiatre a été épouvantée par un
confrère, homme libéral et modéré, qui assé-
nait dès le 10 octobre 2023 : « Nous devons
bombarder tous les hôpitaux de l’enclave. Le
Hamas s’y cache, il n’y a pas d’autre moyen. »
Sur un réseau social, début janvier, Michal a
publié cette statistique atroce : selon l’Unicef,
un millier d’enfants ont été amputés d’une
jambe ou des deux à Gaza depuis le début
des bombardements. « Des amis m’ont ré-
pondu qu’il n’y a pas d’innocents là-bas, qu’ils
ont torturé les nôtres le 7 octobre et qu’ils tor-
turent encore nos otages », regrette-t-elle.
Un souvenir lui est alors revenu en mé-
moire : « Il y a vingt ans, deux enfants palesti-
niens s’étaient électrocutés à Gaza. C’était un
accident. Ils avaient été transférés en Israël et
amputés dans mon hôpital. Un généreux ano-
nyme, israélien, avait promis de financer à vie
leurs prothèses. Face à deux enfants, nous
avions de l’empathie ; aujourd’hui, ils sont naise, soumis aux tirs réguliers du Hezbollah. ont pensé à Anne Frank, raconte Ofer Gitai.
mille et nous en sommes incapables. » « IL EST PLUS Lorsque Ofer Gitai allume sa télévision, l’ac- Nous nous sommes sentis abandonnés, faibles
« ABANDONNÉS ET VULNÉRABLES »
FACILE DE NE PAS tualité lui paraît arrêtée au premier jour de
cette tragédie : « C’est la même chose encore et
et vulnérables, sans police ni Etat. Certains ont
encore ce sentiment trois mois plus tard. » La
Le 7 octobre 2023 est un événement inouï DIFFÉRENCIER encore, chaque journal d’information s’ouvre promesse de protection de l’Etat hébreu, pro-
pour Israël et la guerre n’est que son onde de sur une famille d’otages ; puis il évoque tel épi- clamé en 1948, dans la foulée de la Shoah, s’est
choc. « Cette journée ne s’est jamais vraiment COMBATTANTS sode des attaques sur un village – il y en a tant. écroulée. Les Israéliens voudraient corriger,
terminée. Je ne sais pas quand ce sera le cas »,
s’interroge Ofer Gitai. Coordinateur de
DU HAMAS ET CIVILS Et montre des images des ruines de Gaza, mais
pas les vidéos que filment les Gazaouis. Je ne
oublier ou venger cela à Gaza.
Ofer Gitai en convient : « Il est plus facile de
sécurité du kibboutz de Beeri, il a échappé GAZAOUIS, CELA vois pas de civils palestiniens sur mon écran. » ne pas différencier combattants du Hamas et
avec son épouse et ses trois filles au Hamas, Cependant, jamais une nation n’a disposé civils gazaouis, cela évite de se faire des cica-
en se cachant. Durant quinze heures, il a as- ÉVITE DE SE FAIRE de tant d’informations sur un conflit, en trices à l’âme. » Cette confusion est ancienne.
suré à ses voisins, par textos, que l’armée temps réel. Des parents et des amis d’Ofer Gi- En isolant l’enclave palestinienne dans un
était sur le point d’arriver. Le 16 janvier, le DES CICATRICES tai, réservistes, sont déployés à Gaza, comme blocus strict depuis 2007, Israël a oublié ses
kibboutz a annoncé que deux otages, captu- À L’ÂME » des milliers d’autres. Il échange avec eux par habitants, dont il a pourtant la responsabi-
rés à Beeri et emportés à Gaza, étaient morts textos. Ces soldats rentrent pour des permis- lité en tant que puissance occupante. « La
en captivité. Cinq autres membres de la com- OFER GITAI sions de week-end et parlent à leurs proches. plupart des Israéliens ignoraient Gaza der-
munauté y demeurent prisonniers, parmi habitant du kibboutz Il regarde souvent les vidéos de Gaza en rière son mur. A Beeri, cela n’a jamais été pos-
une centaine d’Israéliens et d’étrangers. de Beeri ruine et du quotidien des positions militai- sible, rappelle-t-il. Avant 2007, des gens du
La famille Gitai s’est repliée dans un kib- res, qu’ils attachent à leurs profils en ligne. kibboutz allaient faire des courses à Gaza.
boutz du nord, à Ramat-Yohanan. Comme Ce conflit a beau se dérouler en territoire pa- Puis le Hamas a tiré régulièrement ses roquet-
eux, plus de 200 000 déplacés ignorent lestinien, c’est la mémoire d’Israël et ses trau- tes sur nous. Mais, même pendant la guerre,
quand ils pourront rentrer chez eux, au pour- matismes qu’il travaille. « Mes beaux-parents certains voisins sont restés en contact avec
tour de Gaza mais aussi à la frontière liba- se sont cachés dans leur grenier le 7 octobre. Ils des travailleurs gazaouis qui ont été renvoyés
dans l’enclave après le 7 octobre. »

La France et le Qatar livrent des médicaments au Hamas pour les otages
un chargement particulier est entré dans
Gaza mercredi soir 17 janvier, avec cinq camions
d’aide humanitaire : des médicaments pour 45 des
132 otages encore prisonniers du Hamas. Le chemin
des négociations qui l’ont permis a été long. Il a
commencé en Israël, puis est passé par la France et
le Qatar, pour aboutir à l’enclave ravagée par la
guerre entre Israël et l’organisation islamiste.
Tout a débuté avec David Sprecher, un avocat spé-
cialisé en droit aérien inscrit aux barreaux de
Bruxelles et d’Israël. Il est membre du Forum des fa-
milles de disparus et otages, une organisation israé-
lienne non gouvernementale qui coordonne la mo-
bilisation autour des quelque 250 personnes kidnap-
pées lors de l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023.
Après le massacre qui a causé la mort d’environ
1 140 personnes, ce francophone est nommé respon-
sable des activités du forum en France, en Belgique,
au Luxembourg et auprès de l’Union européenne. Il
emmène en Europe, au mois d’octobre 2023, trois fa-
milles de disparus, dont le neveu d’une otage israé-
lienne qui souffrait d’une pathologie au cerveau. « Je
m’impose alors une mission : fournir des médica-
ments aux otages », confie David Sprecher.
L’avocat explique avoir été mis en relation avec
Emmanuel Macron, qui l’oriente vers le centre de
crise et de soutien du ministère des affaires étran-
gères, piloté par Philippe Lalliot. Une première liste
de médicaments établie par le docteur Hagai Le-
vine, du Forum des otages, est reprise par le centre
de crise. Quatre-vingt-cinq captifs sont sélection-
nés avant la première trêve – du 23 novembre au
1er décembre 2023 –, qui permet la libération de
105 otages ; la liste est ensuite ramenée à 45 person-
nes. Les médicaments sont achetés, rassemblés et
conditionnés en France. Pour David Sprecher, il fal-
lait que les traitements soient fournis par les Fran-
çais, et non les Israéliens, pour ne pas éveiller la mé-
fiance du Hamas. Puis le colis est envoyé au Qatar
samedi par la valise diplomatique.
Le convoi inspecté par Israël
Car, parallèlement, Doha est entré en contact avec
l’organisation islamiste. Celle-ci monnaie l’achemi-
nement de l’aide aux otages contre une assistance
plus importante pour les Palestiniens de l’enclave,
qui sont tués par les bombardements israéliens à un
rythme inédit au XXIe siècle – près 25 000 victimes,
dont une majorité de femmes et d’enfants, en à
peine plus de cent jours. Moussa Abou Marzouk, le
représentant des affaires étrangères du Hamas, a dé-
claré sur le réseau X que pour une boîte de médica-
ments aux otages, mille iraient aux Palestiniens.
Mardi soir, le ministère qatari des affaires étran-
gères annonce que « des médicaments, avec de l’aide
humanitaire, seront délivrés aux civils de la bande de
Gaza, dans les zones les plus touchées et les plus vul-
nérables, en échange de la livraison de traitements
dont ont besoin les captifs israéliens à Gaza ».
Le lendemain matin, deux avions en provenance
du Qatar atterrissent à l’aéroport d’El-Arich, en
Egypte, à 40 kilomètres de Gaza. Moussa Abou
Marzouk affirme qu’il a été convenu que le contenu
de la livraison ne serait pas inspecté par les autori-
tés israéliennes comme toutes les denrées qui en-
trent dans l’enclave. Peine perdue : les camions,
chargés de onze tonnes d’aide humanitaire, pas-
sent par le poste israélien de Kerem Shalom pour
être examinés, avant d’enfin pénétrer dans l’en-
clave, où ils sont pris en charge par le ministère pa-
lestinien de la santé.
L’opération a déclenché une brève polémique en
Israël. Benyamin Nétanyahou a pris ses distances
avec l’accord, disant qu’il relevait de la responsabi-
lité de l’armée, ce que celle-ci a nié. Le Comité in-
ternational de la Croix-Rouge, qui devait remettre
les traitements aux otages selon Philippe Lalliot,
du centre de crise et de soutien, n’a pas effectué
cette démarche, affirmant s’être contenté d’avoir
« initié la conversation dans son rôle d’intermé-
diaire neutre », a déclaré l’organisation dans un
communiqué. C’est donc bien le Hamas qui de-
vrait livrer les traitements aux otages. Pour David
Sprecher, qui insiste pour adresser ses remercie-
ments à Emmanuel Macron et au Qatar, l’accord a
aussi le mérite de montrer aux otages qu’ils ne
sont pas oubliés, et d’ouvrir un canal de communi-
cation avec le mouvement palestinien. p
samuel forey (jérusalem, correspondant)
GOUFFRE D’INCOMPRÉHENSION
L’armée a commencé, en décembre 2023, à
raser une part des quartiers orientaux de
Gaza pour y ménager une profonde « zone
tampon ». Ce n’est pas assez pour le maire de
Sdérot, Alon Davidi, dont la ville jouxte le
nord de l’enclave palestinienne. Cet édile,
issu de la droite religieuse, exige que la moi-
tié nord de Gaza demeure vide, tant que ses
administrés ne seront pas rentrés chez eux.
« Je sais ce qu’il s’est passé le 7 octobre.
Beaucoup de Gazaouis ne soutiennent pas
seulement le Hamas, ils en font partie »,
estime l’infatigable promoteur de sa ville,
qui croit pouvoir ranimer les vastes chan-
tiers immobiliers désertés de Sdérot. De
l’hôtel où il réside à Jérusalem, le maire
ferraille contre l’Etat, qui menace de couper
les subsides de ses électeurs, afin de les
contraindre à rentrer chez eux. Il imagine à
l’avenir un maillage du territoire de Gaza
par l’armée, un tri puis un contrôle serré de
ses habitants, aussi longtemps que néces-
saire. Il souhaite que la citadelle Israël
rebâtisse ses contreforts.
« Israël est une île livrée à elle-même », cons-
tate, en soupirant, Yifat Bitton. Cette juriste,
spécialiste des violences sexuelles, s’alarme
du gouffre d’incompréhension que la guerre
creuse entre son pays et le reste du monde.
En décembre, elle a tenté d’y jeter un pont.
Elle s’est rendue au siège des Nations unies, à
New York, pour évoquer les victimes de sévi-
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
ces sexuels du Hamas le 7 octobre 2023. Elle
ne comprenait pas qu’ONU Femmes, organe
voué à sensibiliser à ces violences, ait at-
tendu deux mois pour les mentionner dans
un communiqué. « Leur silence offrait du car-
burant à ceux qui niaient les crimes du Ha-
mas. Il légitimait la non-reconnaissance du
mal qui avait été fait », cingle cette activiste.
Le 4 décembre 2023, Mme Bitton s’exprime
dans un hall bondé, dans le cube de verre des
Nations unies. La femme d’affaires améri-
caine Sheryl Sandberg et l’ancienne secré-
taire d’Etat Hillary Clinton disent leur sou-
tien en tribune. L’événement est coorganisé
par le représentant d’Israël aux Nations
unies, Gilad Erdan, qui a suscité la consterna-
tion en Israël, peu avant, en arborant une
étoile jaune, marquée des mots « Plus jamais
ça », durant un conseil de sécurité.
« Je ne suis pas aveugle, précise Mme Bitton,
je sais que mon discours est utilisé par le gou-
vernement israélien », qui s’efforce de légiti-
mer sa conduite de la guerre, alors que 2 mil-
lions de Gazaouis errent dans l’enclave, me-
nacés par la faim et les maladies. « Mais cela
ne m’empêche pas, en tant que défenseuse des
droits humains, de présenter les faits dans
leur complexité, avec nuance », estime-t-elle.
Depuis trois mois, cette experte collabore
avec les enquêteurs de la police, de l’armée et
du renseignement, qui avaient tardé égale-
ment à prendre ces drames en compte.
A New York, Mme Bitton souhaite aussi
répondre aux progressistes qui, sur les
campus, dénoncent la guerre menée par
Israël. « Ils ont effacé le 7 octobre et sont vite
passés au 8 octobre. Il était pour moi inimagi-
nable que certains perçoivent de telles
horreurs comme un acte de libération. C’est
pour cela qu’il fallait amener les violences
sexuelles [dans le débat public] : même pour
les woke, un viol devrait être un viol et ne
saurait être toléré en aucune circonstance. »
Le 2 janvier, Mme Bitton s’est réjouie de la
démission de Claudine Gay, la première pré-
sidente noire de Harvard, contestée pour sa
défense empêtrée de la liberté d’expression
face à des débordements antisémites. Mais
l’Israélienne redoute que ce psychodrame
n’aggrave la longue rupture des progressis-
tes américains avec son pays.
Centriste, fille d’une Marocaine et d’un Yé-
ménite, engagée pour les droits des juifs origi-
naires du monde arabe en Israël, Yifat Bitton
craint que son pays se découvre bien seul
après-guerre, en proie à ses démons. « Nos di-
visions sont si profondes, incompréhensibles à
l’extérieur, et aujourd’hui personne ne veut
prêter l’oreille à ces complexités. Même le trau-
Des « conditions de vie
inhumaines » à Gaza
Alors que d’intenses bombardements
israéliens se poursuivaient, vendredi
19 janvier, dans le sud de la bande de
Gaza, où est réfugiée la majorité de la
population, le directeur de l’Organisa-
tion mondiale de la santé, Tedros
Adhanom Ghebreyesus, a de nouveau
dénoncé des « conditions de vie inhu-
maines » pour les Gazaouis. Dans ce
contexte, le premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, a répété,
jeudi, son intention de mener une
guerre longue et confirmé son refus
d’envisager la création d’un Etat pa-
lestinien. Cette position souligne les
divergences entre Israël et son allié
américain sur l’après-guerre, qui voit
dans la solution à deux Etats la garan-
tie de sécurité d’Israël à long terme.
« Un premier ministre israélien devrait
être capable de dire non, même à nos
meilleurs amis, quand c’est nécessaire,
et de dire oui si c’est possible »,
a insisté M. Nétanyahou, jeudi.
matisme du 7 octobre n’est pas un dénomina-
teur commun. J’ai peur que nous nous déchi-
rions tout à fait après-guerre », avance-t-elle.
Pour l’heure, le conflit impose encore une
union nationale de façade. « Le public ne veut
pas de lutte politique. Il ne veut pas que le gou-
vernement tombe », estime Nimrod Dweck.
Durant huit mois, jusqu’au 6 octobre 2023,
cet ancien directeur d’un incubateur de
start-up à Tel-Aviv a manifesté dans les rues.
Son mouvement, Darkenu, participait aux
protestations contre la réforme de la justice
voulue par le gouvernement de Benyamin
Nétanyahou. Le conflit a signé le coup d’arrêt
de ce projet dénoncé comme liberticide.
Mais nombre d’Israéliens considèrent en-
core le premier ministre et ses alliés ultra-
nationalistes et religieux comme la princi-
pale menace à la sécurité de l’Etat.
Darkenu prétend influencer « la droite
modérée », afin de ralentir la longue dérive
identitaire du pays. Dès le 7 octobre 2023, il
s’est investi dans l’effort de guerre, avec les
principales organisations de manifestants.
M. Dweck garde « de la colère contre l’impré-
paration de l’Etat », que la société civile a
palliée en aidant à évacuer les habitants de
la périphérie de Gaza, puis à distribuer des
repas et de l’aide dans les centres d’accueil.
Son mouvement a exigé la fermeture de
En haut :
Michal Feldon,
pédiatre, et son
compagnon,
Yigal Rambam,
professeur
et activiste, chez
eux, à Tel-Aviv,
le 10 janvier.
En bas :
Yifat Bitton,
professeure
de droit, chez
elle, à Herzliya,
le 18 décembre
2023.
Ci-contre :
Ofer Gitai,
le 16 janvier.
Habitant du
kibboutz Beeri,
il a trouvé
refuge dans
celui de Ramat-
Yohanan, dans
le nord d’Israël.
PHOTOS LUCIEN LUNG/
RIVA PRESS
POUR « LE MONDE »
ministères pléthoriques et a accusé
Benyamin Nétanyahou d’avoir affaibli l’ad-
ministration, en distribuant des prébendes
à ses alliés fondamentalistes.
Plus de cent jours après le début de la
guerre, Israël s’enlise dans un conflit long et
coûteux. Le Hamas n’a pas été détruit, les
otages demeurent à Gaza et le gouverne-
ment se divise : des élections législatives
sont de plus en plus probables. Mais seuls
M. Nétanyahou et l’extrême droite osent
déjà faire campagne. Le premier ministre
blâme les généraux pour l’écroulement du
7 octobre 2023. Ses alliés exigent un net-
toyage ethnique à Gaza et la recolonisation
de l’enclave. Ils refusent tout accord partiel
avec le Hamas pour libérer les otages. Ils
promettent une guerre perpétuelle à Gaza et
en Cisjordanie. Face à eux, les partis du cen-
tre et de gauche sont aphones, et les me-
neurs des manifestations de 2023 se veulent
consensuels et non partisans.
« UNE BULLE D’ILLUSIONS A ÉCLATÉ »
Adolescent, Nimrod Dweck buvait des biè-
res avec ses copains de Modiin (centre), au-
dessus d’une vallée qui donne sur la Cisjor-
danie toute proche. « Mon cauchemar à
l’époque, c’était que les Arabes brisent le mur
et envahissent le quartier », se rappelle-t-il.
Aujourd’hui, ses deux enfants dorment
dans son lit, à Tel-Aviv : il peut les emmener
rapidement à l’abri quand les sirènes du
Dôme de fer, le système de défense antiaé-
rienne israélien, retentissent.
Allumer son téléphone le matin reste « le
pire moment de la journée » : il craint d’ap-
prendre la mort d’un sixième camarade de
lycée engagé à Gaza, où près de 200 soldats
ont été tués. « Cette guerre a fait éclater une
bulle d’illusions. Tu pouvais peut-être voyager
trois fois par an en Europe, mais plein de gens
pensaient à émigrer, surtout dans la bulle des
élites tech. La vie en Israël avait l’air conforta-
ble mais elle ne l’était pas, notamment à
cause du coût de la sécurité. »
M. Dweck imagine sans mal des années
d’opérations militaires, de plus faible inten-
sité, « avant qu’une nouvelle réalité n’émerge
à Gaza ». Cela lui semble acceptable. Il sait
que ses concitoyens parleront longtemps de
« sécurité » avant tout. « Mais, si Gaza est invi-
vable, les murs n’empêcheront pas le chaos de
nous atteindre. Plus de 70 % des Israéliens
veulent une solution politique là-bas, tout en
y maintenant la liberté d’action de l’armée »,
croit-il, sans s’appesantir sur la contradic-
tion insondable de ces deux exigences. p
louis imbert
international | 5
Les réactions
mesurées de la Chine
après l’élection
de Lai Ching-te à Taïwan
Cinq jours après la victoire du camp hostile
à Pékin, la Chine n’a pas engagé
de démonstration de force majeure
shanghaï - correspondance
L e coup était préparé, mais
Pékin a choisi le moment
pour frapper : deux jours
après la victoire de Lai Ching-te,
farouche défenseur de la souve-
raineté taïwanaise, à l’élection
présidentielle, la petite île de
Nauru a annoncé qu’elle mettait
fin à ses relations diplomatiques
avec Taipei pour reconnaître Pé-
kin. Si l’importance de l’île de
12 500 habitants est limitée, Tai-
pei perd le soutien de l’un des der-
niers Etats qui le reconnaissent.
Un coup diplomatique pour la
Chine, qui montre ainsi qu’elle
peut punir les Taïwanais quand ils
ne choisissent pas le camp du rap-
prochement. Jusqu’ici, pourtant,
cette annonce est le point le plus
saillant d’une réaction chinoise
modérée, destinée à préserver la
détente des relations avec les
Etats-Unis depuis la rencontre de
Xi Jinping avec Joe Biden à San
Francisco, en novembre 2023.
Au lendemain de l’élection,
Pékin a balayé le résultat comme
nul et non avenu, puisqu’il consi-
dère Taïwan comme une province
rebelle et ne reconnaît pas les ins-
titutions taïwanaises. « Quels que
soient les résultats de l’élection, ils
ne peuvent pas changer le fait fon-
damental qu’il n’y a qu’une seule
Chine et que Taïwan en fait par-
tie », a déclaré le ministre des af-
faires étrangères, Wang Yi, di-
manche 14 janvier. « Taïwan n’a ja-
mais été un pays et ne le sera cer-
tainement pas dans le futur », a
continué le chef de la diplomatie
chinoise, ajoutant que tout effort
en direction de l’indépendance
serait « sévèrement puni ».
Seule consolation pour la Chine,
le score relativement faible de
M. Lai, qui a remporté la présiden-
tielle à un tour avec 40 % des voix,
tandis que le Kouomintang (KMT),
parti plus favorable à un rappro-
chement avec la Chine, a obtenu la
majorité relative au Parlement.
Avec 52 sièges pour le KMT contre
51 pour le Parti démocrate progres-
siste (DPP), les huit sièges rempor-
tés par le Parti populaire taïwanais
donnent à cette troisième force,
plus discrète sur la question des re-
lations avec la Chine, une position
d’arbitre. Une répartition souli-
gnée par Pékin dans le communi-
qué du bureau des affaires de
Taïwan, juste après l’annonce des
résultats : « Les résultats des deux
élections (…) ont montré que le DPP
ne représente pas le courant domi-
nant de l’opinion publique sur l’île. »
Pour Mathieu Duchâtel, direc-
teur des études internationales à
l’Institut Montaigne, plusieurs
facteurs expliquent la prudence
des dirigeants chinois. « Ils atten-
dent deux choses : une compréhen-
sion du rapport de force au Parle-
ment et une clarification de la poli-
tique américaine vis-à-vis de
Taïwan après l’élection [présiden-
tielle de novembre]. Pour l’ins-
tant, leur réaction consiste à
délégitimer M. Lai en soulignant
Seule consolation
pour Pékin,
le score
relativement
faible de M. Lai,
qui a remporté
la présidentielle
avec 40 %
des voix
Les dirigeants
chinois
pourraient
profiter d’une
majorité qui leur
est favorable
au Parlement
que le DPP ne représente pas la
majorité absolue. » Pékin pourrait
profiter d’une majorité « bleue »
(couleur du KMT) au Parlement,
qui pourrait par exemple bloquer
l’acquisition d’équipements mili-
taires américains, comme ce fut le
cas sous la présidence du DPP
entre 2000 et 2008.
Militairement, depuis l’élection,
la Chine maintient la pression sur
Taïwan, avec des incursions quo-
tidiennes d’avions de chasse au-
delà de la ligne médiane entre les
côtes chinoises et taïwanaises.
Mais ces exercices militaires sont
devenus courants depuis 2019. A
ce stade, rien de comparable aux
exercices maritimes et aériens
lancés en représailles à la visite de
Nancy Pelosi, alors présidente de
la Chambre des représentants, en
août 2022. Les Etats-Unis n’ex-
cluent pas une nouvelle « dé-
monstration de force ».
Signaux d’ouverture
Pour Pékin, ces exercices militai-
res sont une manière d’entraîner
les troupes à un éventuel assaut et
de montrer à Taïwan que la Chine
ne laissera rien passer. Avec un
certain succès : après les exercices
déployés à la suite du passage de
Mme Pelosi, Taipei et Washington
se sont opposés à une visite de
son successeur, Kevin McCarthy,
qui a finalement choisi de ren-
contrer Tsai Ing-wen lors d’une
escale de la présidente sur le sol
américain, en avril 2023.
Pour Mathieu Duchâtel, la répé-
tition d’exercices de grande am-
pleur paraît peu probable. « Xi
Jinping a vraiment fait baisser la
température à San Francisco. Le si-
gnal envoyé n’est pas celui de quel-
qu’un qui réagirait par la force aux
résultats des élections. Je m’at-
tends à une intensification de la
coercition, mais pas sur le très
court terme », précise le sinolo-
gue, installé à Taipei. Ces derniers
mois, la Chine a multiplié les si-
gnaux d’ouverture au monde, en-
voyant une importante déléga-
tion, menée par le premier minis-
tre, Li Qiang, pour une opération
séduction au Forum de Davos
cette semaine. Des efforts guidés
par la situation économique diffi-
cile que traverse le pays.
Mais la Chine dispose d’autres
options pour réagir plus discrète-
ment. Priver Taïwan de ses sou-
tiens internationaux, qui ne sont
plus que douze, en fait partie, de
même qu’une possible intensifi-
cation des mesures dites « de zone
grise », comme la désinformation
et les attaques informatiques. Pé-
kin peut aussi tenter de renforcer
la pression économique. « La
Chine a “puni” divers secteurs de
l’économie taïwanaise au cours des
dernières années, la dernière fois en
décembre en imposant des droits
de douane sur certaines importa-
tions de produits chimiques », écrit
le spécialiste Jeremy Mark dans
une note pour l’Atlantic Council.
Des représailles économiques qui
ne touchent surtout pas les semi-
conducteurs, domaine dans le-
quel la Chine dépend largement
de Taïwan, le leader mondial. p
simon leplâtre
6 | international
Des journalistes victimes d’actes
d’intimidation en Ukraine
Une enquête a été ouverte par le service de sécurité du pays après que
des reporters enquêtant sur des affaires de corruption ont été ciblés
kiev - correspondant
D
e récents actes d’inti-
midation sur des re-
présentants de médias
spécialisés dans les af-
faires de corruption entachent les
efforts affichés par le gouverne-
ment du président ukrainien, Vo-
lodymyr Zelensky, de réaliser les
réformes pour plus de transpa-
rence attendues par l’Union euro-
péenne. Le domicile du journaliste
Yurii Nikolov, réputé pour ses en-
quêtes sur le ministère de la dé-
fense ukrainien, a été « visité » par
des hommes en tenues militaires
qui l’ont insulté et menacé, di-
manche 14 janvier. Deux jours
plus tard, c’était le média d’investi-
gation Bihus.Info qui était visé,
avec la diffusion, sur une chaîne
Telegram anonyme, d’une vidéo
compromettante visant à discré-
diter le travail de ses journalistes.
La société civile ukrainienne s’est
immédiatement emparée de ces
affaires en appelant les autorités
du pays à condamner fermement
les attaques subies par les enquê-
teurs. « Nous demandons instam-
ment aux forces de l’ordre de pren-
dre en compte la gravité de la situa-
tion et d’identifier rapidement les
personnes impliquées dans l’orga-
nisation de ces persécutions et atta-
ques contre les journalistes, et de
leur demander des comptes », a
ainsi déclaré Mediarukh, une asso-
ciation regroupant les grands mé-
dias ukrainiens.
Mercredi, le service de sécurité
du pays (SBU) a ouvert une en-
quête criminelle sur les écoutes
Des parlementaires azerbaïdjanais veulent
couper les liens économiques avec la France
La condamnation de l’offensive dans le Haut-Karabakh par le Sénat français irrite Bakou
L’ irritation de l’Azerbaïdjan
envers la France croît de
jour en jour. Jeudi 18 jan-
vier, une commission parlemen-
taire azerbaïdjanaise a demandé
au gouvernement de rompre tous
les liens économiques pour pro-
tester contre ce qu’elle décrit
comme un vote « anti-azerbaïdja-
nais » du Sénat français. La me-
nace vise nommément TotalEner-
gies, le principal investisseur fran-
çais dans le pays. Les parlementai-
res exigent que les entreprises
françaises soient toutes exclues
des appels d’offres étatiques et de-
mandent la reconnaissance de
l’indépendance de la Nouvelle-Ca-
lédonie, de la Polynésie française
et de la Corse.
Cette démarche répond à l’adop-
tion, la veille, par le Sénat français,
d’une résolution condamnant l’of-
fensive militaire menée par l’Azer-
baïdjan en septembre 2023 sur le
Haut-Karabakh, qui a conduit à la
chute de cette enclave séparatiste
et à l’exode d’environ 100 000 Ar-
méniens. Le texte, voté à l’unani-
mité moins une voix, appelle à
« des sanctions envers l’Azerbaïd-
jan », « demande la garantie du
droit au retour des populations ar-
méniennes au Haut-Karabakh » et
vise à « prévenir toute autre tenta-
tive d’agression et de violation de
l’intégrité territoriale de la Républi-
que d’Arménie ».
« Les sanctions réclamées par les
parlementaires [azerbaïdjanais] ne
sont, pour l’instant, que des décla-
rations politiques sans effet sur
la réalité économique, tempère Ni-
jat Hajiyev, politologue et rédac-
téléphoniques et les enregistre-
ments vidéo, par le biais d’une ca-
méra dissimulée, du site Bi-
hus.Info, tout en assurant que « le
travail transparent et sans entrave
des médias indépendants et pro-
fessionnels est une condition im-
portante pour le développement
de l’Ukraine en tant qu’Etat démo-
cratique ». Dans la même soirée,
au terme de sa journée consacrée
au Forum économique mondial
de Davos, le président ukrainien a
affirmé que « toute pression sur les
journalistes [était] inacceptable ».
« Pute du Kremlin »
Cette double affaire, qui a déclen-
ché un important scandale dans le
pays, a débuté dimanche lorsque
des hommes habillés en soldats se
sont présentés au domicile du
journaliste Yurii Nikolov. Ce der-
nier, auteur d’une enquête qui
avait provoqué un séisme au sein
du ministère de la défense, n’était
pas chez lui lorsque ces individus
ont tenté d’entrer par effraction.
C’est sa mère, âgée, qui l’a appelé
pour lui dire qu’ils tentaient
d’ouvrir la porte tout en criant son
nom. A son retour, le journaliste a
trouvé des feuilles sur lesquelles
étaient inscrits les mots « provo-
cateur », « pute du Kremlin ».
Deux jours plus tard, une vidéo
diffusée sur une chaîne Telegram
anonyme montrait des employés
du média Bihus.Info en train de
consommer de la drogue dans un
complexe hôtelier de la banlieue
de Kiev, à l’occasion du Nouvel An.
Des bribes de conversations au té-
léphone ont aussi été diffusées. Ce
teur en chef du site Vesti.az. Bakou
fait comprendre à Paris qu’il vaut
mieux trouver un terrain d’entente
et faire preuve de realpolitik. » L’ex-
pert cite les investissements de To-
talEnergies dans le gisement ga-
zier d’Absheron et l’approvision-
nement en uranium de la France
en Asie Centrale. « Il ne faut pas
oublier que l’Azerbaïdjan est l’un
des principaux pays de transit pour
l’uranium acheté par la France
dans cette région », ajoute-t-il.
Crainte d’agression en Arménie
La liste des querelles s’allonge en-
tre la France et l’Azerbaïdjan. En
novembre, le chef de l’Etat azer-
baïdjanais, Ilham Aliev, au pouvoir
depuis vingt et un ans et qui pré-
pare sa quatrième réélection le
7 février, a accusé la France d’inci-
ter à « de nouvelles guerres » dans le
Caucase en armant l’Arménie. Dé-
but décembre 2023, un homme
d’affaires français, Martin Ryan, a
été incarcéré pour espionnage au
profit de la France. A la suite de
cette affaire, Bakou a demandé, le
26 décembre, à deux diplomates
français (en fait des agents de la
DGSE, selon le site Intelligence On-
line) de faire leurs bagages. Paris a
alors expulsé deux diplomates
La France
est isolée
dans sa volonté
de sanctionner
l’Azerbaïdjan
Des hommes
habillés
en soldats ont
tenté d’entrer par
effraction chez
un journaliste
serait la preuve, selon le rédacteur
en chef du site spécialisé dans les
affaires de corruption, que ses sa-
lariés étaient sur écoute depuis au
moins un an. « Il s’agit d’une sur-
veillance et d’un harcèlement sys-
tématique et à long terme visant à
discréditer le travail de l’équipe », a
affirmé Maksym Opanasenko
dans un entretien au média nv.ua.
Dans un communiqué publié
mercredi, l’organisation Media-
rukh s’est aussi plainte de l’exis-
tence de plusieurs chaînes Tele-
gram anonymes et de sites Web
« ouvertement » alignés « sur les
autorités » qui seraient chargés de
discréditer les médias indépen-
dants en les présentant comme
des « ennemis du peuple, des
agents russes ». Plusieurs autres
médias auraient ainsi subi des
pressions. Dans une chronique,
lundi, Natalia Ligachova, rédac-
trice en chef de l’organisme ukrai-
nien de surveillance des médias,
Detector Media, établissait même
un parallèle avec le projet
« Ukraïnska Kryvda ». Ce site Web,
une copie de celui du grand média
Ukraïnska Pravda, avait servi aux
proches du président prorusse
d’alors, Viktor Ianoukovitch, pour
azerbaïdjanais et exigé, début jan-
vier, la libération de Martin Ryan.
Les médias azerbaïdjanais, con-
trôlés par le gouvernement, ont
donné un large écho à la dégrada-
tion par des inconnus, le 30 dé-
cembre, d’une statue de la poé-
tesse azerbaïdjanaise du XIXe siè-
cle Khourchidbanou Natavan, à
Evian (Haute-Savoie). « Brûler les
ponts culturels entre nos deux pays,
c’est la dernière chose à faire », dé-
plore Elchin Amirbayov, représen-
tant du président Aliev chargé de
la normalisation des relations en-
tre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Pour
cet ancien ambassadeur à Paris, les
parlementaires azerbaïdjanais
« ont juste pris une mesure de réci-
procité. C’est la première fois dans
l’histoire qu’un pays [la France]
adopte tant de résolutions contre
nous sur la base de facteurs non bi-
latéraux, sous l’emprise de la dias-
pora arménienne ».
Mais à Erevan, on redoute une
agression sur le territoire armé-
nien pour obtenir par la force le
« corridor de Zanguezour », censé
relier l’Azerbaïdjan à son exclave
occidentale du Nakhitchevan, qui
possède une frontière terrestre
avec son allié turc.
Bruno Retailleau, président du
groupe d’information internatio-
nale sur le Haut-Karabakh et pré-
sident du groupe Les Républi-
cains du Sénat, a appelé le gou-
vernement français à « une fer-
meté totale et durable vis-à-vis de
toute nouvelle tentative d’agres-
sion (…). Le régime de Bakou n’a
pas de parole, mais il a un projet :
le négationnisme ».
lancer des campagnes de dénigre-
ment contre des opposants politi-
ques et des journalistes critiques
du pouvoir, en 2013.
Les affaires de violences et d’in-
timidation contre des journalistes
et des activistes ukrainiens
avaient disparu de l’actualité de-
puis le début de l’invasion, en fé-
vrier 2022. Interrogé par Le
Monde, Yurii Nikolov s’inquiète
de ces événements qui « créent
l’image d’une répression de la li-
berté d’expression » et de l’aug-
mentation du « nombre d’indices
indiquant qu’une forme d’autori-
tarisme est en train d’émerger ».
« Mais nous n’avons pas atteint un
niveau critique où nous devrons
nous lever et crier “stop ! ” », ajoute-
t-il. Au téléphone, l’enquêteur dit
avoir eu vent de plusieurs affaires
dans lesquelles des « activistes ou
des personnes liées aux médias »
ont été « harcelés » depuis 2023,
sans que cela ne soit rendu public.
« Cela pourrait être une tentative
de discréditer le principe du mou-
vement anticorruption en Ukraine
en raison du fait que trop d’histoi-
res ont commencé à paraître, y
compris [aux yeux du] public occi-
dental », considère le rédacteur en
chef de Bihus.Info dans une inter-
view au média nv.ua. « Nous som-
mes également bien conscients
qu’il est très mauvais de sortir de la
maison certains conflits de corrup-
tion internes, mais, d’un autre côté,
se livrer à la corruption pendant
une grande guerre… Je suis désolé,
mais garder le silence à ce sujet
c’est le même crime. » p
thomas d’istria
Le ministre français de l’Europe
et des affaires étrangères, Sté-
phane Séjourné, a conclu le débat
au Sénat en soulignant qu’une
paix durable dans le Caucase était
« un enjeu vital ». Il a rappelé les
quatre grandes lignes de l’action
politique de la France : soutien hu-
manitaire, porté à 29 millions
d’euros en 2023, soutien politique
avec trois réunions du conseil de
sécurité de l’ONU tenues à l’initia-
tive de la France, renforcement de
la relation bilatérale avec des con-
trats de livraison de matériel mili-
taire et renforcement de la mis-
sion d’observation européenne le
long de la frontière entre l’Armé-
nie et l’Azerbaïdjan.
La France, où la diaspora armé-
nienne (estimée à 600 000 per-
sonnes) est l’une des plus impor-
tantes au monde, est l’un des prin-
cipaux soutiens de l’Arménie. En
octobre, Paris a annoncé le renfor-
cement de son aide militaire à Ere-
van en signant plusieurs contrats
d’armements à usage « défensif »
et en décidant d’envoyer des mili-
taires français pour la formation
de troupes en Arménie.
La France est isolée dans sa vo-
lonté de sanctionner l’Azerbaïdjan.
L’Union européenne, qui a conclu
un accord avec Bakou sur le gaz à
l’été 2022, y est défavorable. Au
conseil européen de Grenade, en
octobre 2023, Emmanuel Macron
avait ainsi reconnu que le temps
n’était « pas aux sanctions » et qu’il
fallait continuer de discuter pour
« protéger au mieux » l’Arménie. p
emmanuel grynszpan
et faustine vincent
Royaume-Uni : Rishi
Sunak défend toujours le
transfert de demandeurs
d’asile vers le Rwanda
Le premier ministre voudrait au moins mener
des expulsions avant les élections générales
londres - correspondante
S a victoire est maigre mais
Rishi Sunak a quand même
tenu à la souligner. Jeudi
18 janvier, le premier ministre bri-
tannique a convoqué les journalis-
tes à Downing Street pour se félici-
ter de ce que son projet de loi « sû-
reté du Rwanda » ait finalement
été adopté en troisième lecture à la
Chambre des communes, la veille
au soir. Une soixantaine de dépu-
tés de son propre camp conserva-
teur ont bien tenté de l’amender
pour l’affermir, estimant qu’en
l’état il n’était pas assez dur, mais
ces rebelles, appartenant tous à la
droite des tories, n’ont pas eu le
cran d’aller jusqu’à voter contre.
Débitant un bref discours der-
rière un étroit pupitre barré du
slogan « Stop the boats » (« arrê-
tons les bateaux »), Rishi Sunak a
assuré « avoir un plan », grâce à ce
texte législatif, pour limiter les ar-
rivées de migrants depuis les cô-
tes belge et française – environ
30 000 personnes ont fait la tra-
versée en 2023. Le projet de loi
doit enfin rendre opérationnel
l’accord signé avec Kigali il y a
près de deux ans, pour transférer
vers le Rwanda les demandeurs
d’asile arrivés au Royaume-Uni
dans des « small boats » (« ba-
teaux pneumatiques »), afin que
leur demande soit traitée sur
place et acceptée, ou pas, par ce
pays d’Afrique de l’Est. Cet accord
constitue « l’instrument de dissua-
sion indispensable » pour limiter
l’immigration illégale et « repren-
dre le contrôle de nos frontières », a
insisté le premier ministre.
Rhétorique souverainiste
Mais son point de presse avait
surtout pour but de mettre la
pression sur la Chambre des
lords, qui doit examiner, amen-
der puis valider le projet de loi.
« La question est de savoir si l’op-
position [travailliste] et la Cham-
bre des lords vont tenter de faire
obstruction à la volonté des ci-
toyens exprimée par les députés.
Ou s’ils vont faire ce qui est juste et
soutenir le texte », a interrogé tout
haut Rishi Sunak. Les tories
n’ayant pas de majorité à la
Chambre haute de Westminster
et cette dernière étant composée
d’un grand nombre de juristes, la
partie s’annonce compliquée.
Car ce texte de loi flirte encore
plus que les précédentes lois mi-
gratoires conservatrices avec les
dispositions constitutionnelles
britanniques et les obligations in-
ternationales du Royaume-Uni,
signataire de la Convention euro-
péenne des droits de l’homme et
de la Convention de Genève sur
les réfugiés. Le projet de loi a été
rédigé en urgence par Downing
Street, fin 2023, dans le but, con-
testé, de contourner une décision
de novembre 2023 de la Cour su-
prême du Royaume-Uni déclarant
illégales les déportations de de-
mandeurs d’asile vers le Rwanda.
La plus haute instance juridique
du pays n’a pas rejeté le principe
du traitement des demandes
d’asile par un Etat tiers mais elle a
estimé que le Rwanda n’est pas un
pays « sûr », insistant sur le risque
élevé de refoulement par Kigali
COMOR ES
Heurts après
la présidentielle
La crise s’accentue aux
Comores, où l’opposition
a appelé la population à ma-
nifester, vendredi 19 janvier,
pour dénoncer la victoire
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
des demandeurs d’asile vers leur
pays d’origine.
Or, faisant comme si la décision
de la Cour suprême n’avait pas été
prise, qui plus est à l’unanimité
des juges, le projet de loi prévoit
que « tout décideur » (avocat, juge,
ministre) doit considérer le
Rwanda comme un « pays sûr ».
L’article 5 du texte précise en outre
que « c’est aux ministres de la cou-
ronne britannique » de décider si
Londres obéit à une mesure intéri-
maire d’urgence émise par les ju-
ges de la Cour européenne des
droits de l’homme de Strasbourg,
pour bloquer en dernier recours
(quand les autres recours ont été
épuisés) des déportations indivi-
duelles. « Je ne permettrai pas
qu’une cour étrangère bloque le dé-
collage d’avions vers le Rwanda », a
assuré Rishi Sunak jeudi, repre-
nant la rhétorique classique et
souverainiste des brexiters. Le di-
rigeant s’est dit « prêt » à utiliser
l’article 5 de son projet de loi, qui
revient à refuser la supériorité du
droit international sur le droit na-
tional britannique.
Que diront les Lords face à un
texte bloquant de nombreuses
voies de recours juridiques à des
personnes a priori vulnérables, à
la recherche de protection inter-
nationale ? Les discussions à la
Chambre haute risquent de se pro-
longer et de faire dérailler les plans
de M. Sunak, qui aimerait pouvoir
se targuer d’au moins quelques
transferts de migrants vers Kigali
avant de déclencher les élections
générales – qui doivent se tenir
avant fin janvier 2025. Il pourrait
enfin contrer les attaques du La-
bour moquant un gouvernement,
qui pour l’instant, « a envoyé plus
de ministres de l’intérieur britanni-
ques à Kigali que de migrants ».
M. Sunak a l’air convaincu que
les prochaines élections générales
se joueront sur la migration. « Le
Labour n’a pas de plan » pour stop-
per les bateaux, insiste-t-il. Pour
les stratèges de Downing Street, il
s’agit d’un des rares thèmes de dif-
férenciation avec les travaillistes,
ces derniers ayant emprunté aux
conservateurs la discipline budgé-
taire et l’ambition de limiter les
impôts mais ayant promis de se
débarrasser du « plan Rwanda »
s’ils arrivent au pouvoir. Tous les
sondages, depuis dix-huit mois,
les donnent gagnants, avec une
marge d’avance oscillant entre
15 et 20 points.
La stratégie électorale de M. Su-
nak est risquée, sans assurance
que les expulsions, si elles ont
lieu, décourageront les arrivées
en « small boats ». Et quelle perte
de temps et d’argent ! s’est excla-
mée la députée du Labour Jess
Pillips, jeudi, à la Chambre des
communes. Connue pour son
combat contre les violences con-
jugales, l’élue de Birmingham a
explosé de colère après avoir
constaté que le Home Office n’al-
loue que « 42 livres sterling
[49 euros] par an au suivi des en-
fants britanniques victimes de vio-
lences sexuelles alors que ce gou-
vernement est prêt à débourser
169 000 livres par demandeur
d’asile déporté au Rwanda [selon
une évaluation du Parlement]! » p
cécile ducourtieux
contestée du sortant, Azali
Assoumani, à l’élection prési-
dentielle, après deux jours
de heurts qui ont fait un
mort et six blessés dans la
capitale, Moroni. L’opposition
a réclamé l’annulation du
scrutin du 14 janvier. – (AFP.)
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
Boues rouges à Gardanne : Alteo mis en examen
L’industriel est accusé d’avoir déversé dans la Méditerranée un effluent potentiellement toxique
C’
est un nouvel épi-
sode du long feuille-
ton des boues rou-
ges. Selon les infor-
mations du Monde, Alteo, dont
l’usine de Gardanne, dans les Bou-
ches-du-Rhône, est le leader mon-
dial de la production d’alumines
(utilisées dans la fabrication des
écrans de smartphone ou les bat-
teries de véhicules électriques),
s’est vu notifier sa mise en exa-
men en octobre 2023, soit plus de
cinq ans après l’ouverture d’une
information judiciaire par le par-
quet de Marseille, en juillet 2018.
Il est reproché à Alteo d’avoir dé-
versé dans la Méditerranée, en
plein cœur du parc national des
Calanques, un effluent industriel
chargé en substances potentielle-
ment toxiques ayant entraîné des
effets nuisibles pour la santé ou
des dommages à la faune et à la
flore en raison des dépassements
répétés des limites autorisées, et
de ne pas avoir respecté la mise en
demeure adressée par la préfec-
ture des Bouches-du-Rhône pour
mettre un terme à cette situation.
La période concernée par ces in-
fractions s’étale du 1er jan-
vier 2016 au 31 décembre 2021.
L’affaire des boues rouges illus-
tre depuis plus d’un demi-siècle la
difficile conciliation des intérêts
économiques et écologiques. En-
tre 1966 et 2016, avec l’indulgence
de l’Etat et malgré les dénoncia-
tions des défenseurs de l’environ-
nement et les alertes des scientifi-
ques, l’usine de Gardanne – pro-
priété à l’origine de Pechiney – a
rejeté en mer près de 30 millions
de tonnes de boues de coloration
rouge (en raison de leur teneur en
fer) constituées des résidus soli-
des de l’extraction de l’alumine
contenue dans la bauxite. Depuis
2016, Alteo stocke ces boues sur
un terrain de la commune voisine
de Bouc-Bel-Air – au grand dam
des riverains exposés aux pous-
sières –, mais continue de déver-
ser la partie effluent liquide dans
la mer. Ce sont ces rejets qui inté-
ressent aujourd’hui la justice.
Dans un arrêté signé le 28 dé-
cembre 2015, en pleine trêve des
confiseurs, le préfet des Bouches-
du-Rhône avait accordé une
énième dérogation à l’industriel,
pour une durée de six ans et avec
des niveaux à ne pas dépasser
pour ces rejets liquides. Alors mi-
nistre de l’environnement, Ségo-
lène Royal avait accusé le premier
ministre, Manuel Valls, d’être in-
tervenu directement auprès du
préfet et d’avoir cédé au « chantage
à l’emploi ». Le site, aujourd’hui en
Nouvelle-Calédonie : des mesures anti-requins retoquées
La justice a ordonné la réinscription des requins-tigres et des requins-bouledogues sur la liste des espèces protégées de la province Sud
nouméa - correspondante
C’ est une série de revers
judiciaires pour les
autorités néo-calédo-
niennes dans leur plan de lutte
contre les attaques de requin.
Mercredi 17 janvier, la cour admi-
nistrative d’appel de Paris a or-
donné la réinscription des re-
quins-tigres et des requins-boule-
dogues sur la liste des espèces pro-
tégées de la province Sud. Cette
collectivité, qui dispose, comme
les deux autres provinces de Nou-
velle-Calédonie, de son propre
code de l’environnement, les en
avait retirés en 2021. Dans son ar-
rêt, la cour relève que cette me-
sure a fait l’objet d’« avis négatifs
du comité pour la protection de
l’environnement et du conseil
scientifique de la province Sud ».
Elle note également que la collec-
tivité n’a « fait procéder à aucun re-
censement ni étude scientifique
Des tuyaux acheminent les effluents d’Alteo vers la mer, à Gardanne (Bouches-du Rhône), le 23 août 2020. GUILLAUME ORIGONI/HANS LUCAS/AFP
grande difficulté financière, em-
ploie 390 salariés (contre 1 500 au
plus fort de son activité).
Contesté également par la Com-
mission européenne pour contre-
venir notamment à la loi-cadre sur
l’eau, l’arrêté a été modifié en 2016,
2018 et 2020. L’enquête, confiée au
pôle de santé publique du tribunal
judiciaire de Marseille, a mis au
jour de nombreux non-respects
des valeurs limites d’émissions
fixées par ces arrêtés successifs. Ils
concernent des métaux lourds (ar-
senic, mercure, zinc, cuivre, sélé-
nium), des hydrocarbures aroma-
tiques polycycliques (anthracène,
benzoanthracène, chrysène, fluo-
rène, phénanthrène) ou encore la
demande biologique en oxygène
sur cinq jours (DBO5).
Manque de transparence
Le cas de la DBO5, paramètre uti-
lisé pour le suivi de la qualité des
cours d’eau, est symptomatique
d’un dossier révélant les limites
du système de contrôle des instal-
lations classées, qui repose essen-
tiellement sur l’autocontrôle et où
c’est l’industriel qui détermine lui-
même les valeurs limites d’émis-
sions à respecter. L’analyse des
des populations de requins-tigres
et bouledogues existantes, ni d’éva-
luation de l’impact de la mesure ».
A la fin de décembre 2023, c’est
le tribunal administratif de Nou-
velle-Calédonie qui avait annulé
la mesure phare de la gestion du
« risque requin » : l’abattage des
squales au cours de campagnes
de pêche systématisées. Rien que
pour l’année 2023, 127 requins-ti-
gres et bouledogues ont été tués.
Le juge administratif a estimé la
mesure « disproportionnée au re-
gard du but de protection de la vie
humaine poursuivi, d’autant plus
qu’aucune étude scientifique pré-
cise n’a été menée pour connaître
l’état des populations des espèces
ciblées, ni les effets sur l’environne-
ment de tels prélèvements ».
Les collectivités incriminées – la
ville de Nouméa pour l’abattage
et la province Sud pour le déclas-
sement des requins – ont an-
noncé faire appel, mais pour l’as-
autocontrôles fait apparaître des
dépassements en mars et
mai 2016, février et avril 2019,
avril 2020 et octobre 2021 ; celle
des contrôles inopinés menés par
les inspecteurs de la direction ré-
gionale de l’environnement, de
l’aménagement et du logement
(Dreal), en septembre et décem-
bre 2016. Et les documents saisis
sur les serveurs d’Alteo mention-
nent des niveaux « largement su-
périeurs » au seuil en 2016, avec
notamment 16 dépassements en
mars, 22 en avril, 22 en mai et 23 en
juillet, ou encore en 2017, avec dix-
sept jours en février ou dix-
neuf en décembre comptabilisés
comme « hors arrêté ».
Une expertise menée en
juin 2019 par le laboratoire public
Labocéa concluait que la macro-
faune était « très pauvre » dans la
zone de rejet avec des poissons,
crabes et crevettes en nombre
« très limité ». Le laboratoire rap-
pelle que le système d’évaluation
de la qualité des cours d’eau con-
sidère une pollution comme
« très forte », c’est-à-dire un milieu
« inapte à la vie biologique », à par-
tir d’un taux de DBO5 supérieur à
25 mg/l. Or, même si la Méditerra-
sociation néo-calédonienne de
défense de l’environnement En-
semble pour la planète, à l’origine
des recours, les décisions « dé-
montrent ce que nous crions dans
le vide depuis des mois, à savoir
que c’est toute la gouvernance qui
est à revoir. Comment peut-on
prendre de telles décisions sans
lancer d’études d’impact et sans te-
nir compte de l’avis des scientifi-
ques ou du Conseil de protection
de l’environnement ? », interroge
Martine Cornaille, présidente de
l’association.
Ambiguïté juridique
Si la justice vient de donner rai-
son aux défenseurs de l’environ-
nement, ceux-ci ont, en effet, bien
du mal à se faire entendre.
D’abord parce que la question des
requins est extrêmement sensi-
ble. En janvier et février 2023, plu-
sieurs attaques se sont produites
au milieu d’autres baigneurs, à
née est relativement bien oxygé-
née, la valeur limite d’émissions
retenue dans l’arrêté de 2015 était
de 80 mg/l, et elle a été très régu-
lièrement dépassée.
Même constat pour le mercure,
où la valeur limite d’émissions n’a
pas été respectée à diverses repri-
ses, alors même qu’elle a été fixée à
un niveau plus de dix fois plus
élevé que la concentration maxi-
male autorisée par la directive
européenne sur l’eau : 0,0005 mg/
l, contre 0,00007 mg/l. Interrogé
lors de son audition sur les dépas-
sements concernant l’arsenic,
substance cancérogène et très
toxique pour les organismes aqua-
tiques, à l’instar du mercure, Jean-
Paul Leredde, directeur de l’usine
de Gardanne jusqu’en 2022, ré-
pond : « C’est une affaire de dose. Je
crois que dans l’homéopathie il y a
un médicament à base d’arsenic
avec des doses infinitésimales. »
Au total, les enquêteurs ont
comptabilisé 64 non-respects des
valeurs limites d’émissions entre
2016 et 2021. Alteo justifie cer-
tains dépassements par la fixa-
tion de seuils « fictifs » trop bas
lors de l’élaboration de l’arrêté
initial, faute de pouvoir quanti-
Rien que
pour l’année
2023,
127 squales
ont été tués
moins de 100 mètres du bord
d’une des plages les plus fréquen-
tées de Nouméa. Elles ont dura-
blement choqué l’opinion publi-
que et ébranlé les consciences jus-
que dans les rangs d’écologistes
convaincus. Réagissant mercredi
à la décision de la cour adminis-
trative d’appel, la province Sud a
assuré dans un communiqué être
engagée dans une démarche « vi-
sant à continuer de privilégier
l’homme aux requins ».
En fait, rien n’oblige aujourd’hui
les collectivités calédoniennes à
tenir compte de l’avis de la société
planète | 7
fier les rejets réels à venir.
D’autres éléments rassemblés par
les enquêteurs suggèrent qu’Alteo
a pu manquer de transparence,
voire manipuler certains résul-
tats. Ainsi, lors d’une inspection
menée en mars 2016, les agents
de la Dreal remarquent que le
point de prélèvement est situé
après un ajout d’eau qui a pour ef-
fet de diluer la concentration des
substances rejetées. Alteo déclare
l’avoir déplacé après l’inspection.
« Une étape essentielle »
Les enquêteurs ont également
mis la main sur une note de ser-
vice de 2018 qui détaille la procé-
dure à suivre en cas de contrôle
inopiné. Elle prévoit que le poste
de garde appelle le pôle environ-
nement pour qu’un membre de
son équipe accompagne le préle-
veur et l’inspecteur de la Dreal
éventuellement présent. Doivent
également être informés par télé-
phone ou SMS que le contrôle dé-
marrera dans la demi-heure : le
responsable du contrôle environ-
nemental, l’ingénieur maîtrise
procédé Bayer, le directeur de pro-
duction, le directeur maîtrise
qualité et procédé et R&D (recher-
civile sur les questions environ-
nementales. L’article 7 de la
Charte de l’environnement, texte
à valeur constitutionnelle pro-
mulgué en 2005 qui prévoit que
toute personne à le droit « de
participer à l’élaboration des
décisions publiques ayant une in-
cidence sur l’environnement »,
s’applique pourtant en Nouvelle-
Calédonie, comme en France mé-
tropolitaine. Sauf que, dans l’ar-
chipel, « la compétence environne-
mentale relève des provinces et
donc du domaine réglementaire,
alors que la Charte de l’environne-
ment prévoit que ce droit de regard
s’exerce dans les limites fixées par
loi », explique Sylvine Aupetit,
docteure en droit de l’environne-
ment. Dès lors, rien n’oblige les
provinces à entendre les associa-
tions. Et si la province Sud s’est
dotée d’un comité de protection
de l’environnement, son avis
n’est que consultatif.
Les enquêteurs
ont comptabilisé
64 non-respects
des valeurs
limites
d’émissions entre
2016 et 2021
che et développement), ou encore
le responsable du service qualité-
procédé usine et projets stratégi-
ques environnement. L’objectif
n’était pas de « retarder » la mise
en œuvre du contrôle mais d’« in-
former que quelqu’un entre dans
l’usine », a expliqué M. Leredde
lors de son audition, assurant
qu’Alteo avait toujours été
« très transparente » avec la Dreal.
Contacté par Le Monde, Alteo in-
dique « prendre acte de la mise en
examen » et ajoute que « depuis
son rachat en 2021 [par le groupe
guinéen United Mining Supply], le
site a opéré une transformation in-
dustrielle majeure avec l’arrêt ef-
fectif du raffinage des bauxites
[en 2022] » et « poursuit active-
ment ses efforts pour réduire son
empreinte environnementale ».
Depuis avril 2022, Alteo achète de
l’hydrate d’alumine et le trans-
forme sur place.
« Cette mise en examen est une
étape essentielle. Elle n’a été possi-
ble qu’en raison des investigations
longues et complexes des enquê-
teurs et des contributions des par-
ties civiles, réagit William Bour-
don, avocat d’une association de
pêcheurs de La Ciotat (Bouches-
du-Rhône) et de l’ONG Wild Legal.
Elle démontre l’urgence, face aux
infractions invisibles les plus gra-
ves à l’environnement, de doter la
justice de moyens adaptés pour y
apporter une réponse judiciaire
plus rapide. Compte tenu de ses
atermoiements pendant des an-
nées, la question de la responsabi-
lité de l’administration est égale-
ment posée. »
La justice s’interroge en effet sur
la « mansuétude » de l’administra-
tion à l’égard des obligations envi-
ronnementales d’Alteo. Un ins-
pecteur chargé de la surveillance
de l’usine de Gardanne a notam-
ment confié aux enquêteurs l’ab-
sence de suivi permanent de
l’autocontrôle de l’exploitant
faute de temps. Contactées, la
Dreal et la préfecture des Bou-
ches-du-Rhône n’ont pas ré-
pondu à nos sollicitations. p
stéphane mandard
Certains dossiers ont pourtant
avancé. « On sait que les rejets
d’eaux usées rapprochent les re-
quins des côtes. Or, il y a eu beau-
coup de progrès de faits sur l’assai-
nissement, par exemple, et de gros
investissements à Nouméa, recon-
naît Mme Cornaille. Le problème,
c’est qu’il n’y a pas de concertation.
Les décisions en matière d’environ-
nement sont laissées à la seule ap-
préciation des collectivités, sans
contre-pouvoir. » A Nouméa, un
vaste filet anti-requin a ainsi été
installé en décembre 2023 dans la
baie des Citrons, lieu très touristi-
que où jamais aucune attaque de
requin n’a été enregistrée. La
commissaire chargée de l’enquête
publique avait émis un avis défa-
vorable au projet, en raison des in-
certitudes sur l’impact environ-
nemental sur cette baie riche d’un
récif en très bonne santé. Sans
qu’il en soit tenu compte. p
charlotte mannevy
8|
FRANCE
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024

A Clichy-sous-Bois, Macron met Dati en piste

Le chef de l’Etat assure qu’il n’a « rien » promis à la ministre de la culture, qui brigue la Mairie de Paris pour 2026

E
ffrontée, elle ? Ce jeudi
18 janvier, pour son pre-
mier déplacement en
tant que ministre de la
culture à Clichy-sous-Bois (Seine-
Saint-Denis), aux côtés d’Emma-
nuel Macron, Rachida Dati joue
les bons soldats de la Macronie.
Un rôle de composition pour l’an-
cienne figure des Républicains
(LR), réputée pour sa gouaille. Et
une performance que la maire du
7e arrondissement de Paris, qui a
rejoint le gouvernement de Ga-
briel Attal une semaine plus tôt,
joue à sa façon, sans dire un mot
plus haut que l’autre.
Depuis les Ateliers Médicis, ini-
tiative culturelle lancée au lende-
main des émeutes de 2005, le chef
de l’Etat veut rappeler la mission
qu’il a confiée à sa ministre : « Se
battre pour que la culture soit pos-
sible partout et que plus personne
ne puisse se dire “ce n’est pas fait
pour moi”. »
Assise entre le président de la
République et la présidente de la
région Ile-de-France, Valérie Pé-
cresse (LR), qui ne s’éternisera
pas, Rachida Dati assiste en sou-
riant au spectacle de danse hip-
hop et au concert de musique de
jeunes et très jeunes, venus de Cli-
chy et de Montfermeil. Puis se
faufile derrière le chef de l’Etat
pour écouter les artistes et parfois
leurs parents, éconduisant poli-
ment les micros qui se pressent
vers elle d’un « j’accompagne le
président ». Lorsqu’une femme
l’interpelle, la jugeant « iconi-
que », elle répond adroitement en
lui assurant : « Le programme du
président est pour vous. » Lors
d’un déplacement avec le chef de Rachida Dati et Emmanuel Macron, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 18 janvier. CHRISTIAN HARTMANN/REUTERS
l’Etat, on ne prend pas la parole,
acquiesce le maire de Clichy, Oli-
vier Klein, ancien ministre délé- « Mon objectif c’est Paris ! », in- nière accepte de remplacer Rima modestes de Châlon-sur-Saône « change la donne » pour le scru-
gué à la ville, présent lui aussi.
« Quand Rachida sistait-elle, sans se préoccuper Abdul Malak, alors que cette pro- (Saône-et-Loire). Lorsqu’elle avait tin parisien, mais « il n’y a pas eu
Dati voit des des éventuels desiderata de che de Nicolas Sarkozy convoi- rejoint en 2002 le cabinet de Nico- de deal », insiste-t-on au Palais,
« Mon objectif, c’est Paris ! » membres du camp présidentiel tait un ministère régalien. « Les las Sarkozy, alors ministre de l’in- alors que la maire du 7e arrondis-
La veille, la maire du 7e arrondis-
jeunes de Clichy, visant eux aussi la capitale. Inu- ministres, il y a en qui ont des am- térieur, Rachida Dati avait salué sement avait affirmé le contraire
sement de Paris avait été plus pro- ils se disent : tile de la faire taire, « dire “je ne bitions pour 2026 et 2027. Mais l’attitude du locataire de la Place quelques heures avant sa nomi-
lixe, assurant sur RTL que son en- suis pas libre”, ça dure deux secon- tout le monde est au boulot, et elle Beauvau : « Pour lui, je ne suis pas nation officielle devant des élus
trée au gouvernement ne remet-
“Je [l’]aime des et demie », rappelait-elle. est au boulot pour la culture », l’Arabe de service. J’ai une vraie LR de Paris.
tait nullement en cause ses ambi- beaucoup, « C’est Rachida Dati… Personne ne martèle le président, assurant place de conseillère. » Voilà donc Rachida Dati rentrée
tions personnelles et son souhait peut attendre d’elle qu’elle se taise qu’il n’y a pas de « campagne mu- Le déplacement du chef de dans le rang ? Difficile à imaginer.
de déloger la gauche de la mairie
car [elle] me gentiment », observe Marlène nicipale lancée ». l’Etat et de la ministre de la cul- Au micro de RTL, la locataire de la
de Paris. « Je n’ai pas de pudeur de ressemble” » Schiappa, ancienne ministre dé- ture, décidé à la dernière minute, Rue de Valois a prévenu que, avec
gazelle », soulignait-elle, affir- léguée à la citoyenneté qui plaide « Bombe à retardement » aura donc pris les allures d’une elle, « chassez le naturel, il revient
EMMANUEL MACRON
mant que « bien sûr » elle serait depuis des mois pour une al- Et le chef de l’Etat de s’enflam- mise au point où le premier mi- au galop ». « Rachida Dati n’est pas
chef de l’Etat
candidate en 2026, tout rappelant liance entre l’ancienne con- mer : « Vous avez vu comme moi la nistre, Gabriel Attal, n’a pas eu un une bombe à fragmentation
que le président avait pris un « en- seillère de Nicolas Sarkozy et les ministre de la culture ! Quand elle son mot à dire. « On va faire les comme certains macronistes ont
gagement », lors de sa conférence macronistes, seul espoir, à ses voit des jeunes de Clichy, ils se di- choses dans l’ordre », insiste-t-on pu le dire, c’est une bombe à retar-
de presse du mardi 16 janvier : yeux, de rafler la mairie de Paris. sent : “Je [l’]aime beaucoup à l’Elysée, où l’on rappelle, évo- dement pour Emmanuel Ma-
« mettre fin à une anomalie anti- Depuis Clichy-sous-Bois, Em- car [elle] me ressemble” », sans quant l’échéance des municipa- cron », avertit le chef des séna-
démocratique », l’élection du manuel Macron rectifie. Il n’a, craindre de ramener la ministre, les, que « deux ans et demi, c’est teurs LR au Palais du Luxem-
maire au suffrage indirect à Paris, dit-il, « rien, rien, rien » promis à fille d’un père marocain et d’une long ». Certes, l’arrivée de Ra- bourg, Bruno Retailleau. p
Lyon et Marseille. Rachida Dati pour que cette der- mère algérienne, à ses origines chida Dati au gouvernement claire gatinois

Réforme de l’AME : la droite maintient la pression sur Attal

Lors d’un rendez-vous à Matignon, jeudi, le premier ministre a confirmé aux chefs LR qu’il retoucherait le dispositif, mais sans donner de date

E n 2023, les dirigeants du

parti Les Républicains (LR)
avaient pris l’habitude
d’enchaîner les rendez-vous avec
Elisabeth Borne, sur la réforme
des retraites ou la loi « immigra-
tion ». Jeudi matin, Eric Ciotti
(le président du parti), Bruno
Retailleau et Olivier Marleix
(chefs des sénateurs et députés
LR) ont repris le chemin de la rue
de Varenne pour échanger avec le
nouveau premier ministre,
Gabriel Attal, dans le cadre des
consultations menées par ce
dernier avec l’ensemble des
formations politiques. Sur la
forme, le rendez-vous a été cor-
dial et le trio surpris par le côté
juvénile de l’hôte de Matignon.
Sur le fond, Les Républicains ont
rappelé M. Attal aux promesses
d’Elisabeth Borne de réformer
l’aide médicale d’Etat (AME), des-
tinée aux étrangers en situation
irrégulière sur le territoire fran-
çais, qu’ils jugent trop généreuse
et dispendieuse. A défaut de la
supprimer, la droite souhaite la
transformer en « aide médicale
d’urgence », bien plus restrictive.
Cette modification de l’AME avait
été exfiltrée, le 18 décembre 2023,
du texte de loi sur l’immigration,
contre la promesse d’un projet de
loi spécifique pour début 2024.
Une façon, pour Mme Borne,
d’aboutir alors à un accord avec
LR, sans perdre l’essentiel de sa
majorité relative.
« Ma prédécesseure a effective-
ment adressé un courrier [au pré-
sident LR du Sénat, Gérard Lar-
cher, le 18 décembre] en prenant
un engagement, cet engagement
sera tenu », indiquait mardi Ga-
briel Attal, pendant les questions
au gouvernement (QAG) à l’As-
semblée nationale, en réponse à
Olivier Marleix.
Le député LR d’Eure-et-Loir se di-
sait méfiant. « Il m’a donné le senti-
ment de vouloir jouer franc-jeu sur
ce dossier », rapporte-t-il, jeudi, en
sortant de Matignon. Gabriel Attal
s’est pourtant bien gardé de don-
ner une date, dans un agenda par-
lementaire encore à construire.
« Une catastrophe sanitaire »
« Il n’y a rien de plus qu’aux QAG »,
soupire Bruno Retailleau. « M. At-
tal n’a pas été précis sur le calen-
drier, mais il ne l’a été sur rien. Il
veut se laisser le temps de bien re-
peindre tous les textes prévus
cette année, avant de faire sa dé-
claration de politique générale
fin janvier », explique un Olivier
Marleix peu connu pour sa man-
suétude avec les représentants de
la Macronie.
L’élu donne une information
importante sur ce rendez-vous.
Cette réforme de l’AME – qui,
pour la gauche, ressemble à une
suppression – devrait avoir une
dimension législative et une
autre réglementaire. « C’est diffi-
cile de tout mettre dans la loi. De
ce que j’ai compris par exemple, le
panier de soins serait plutôt dans
le réglementaire, l’assiette des
bénéficiaires plutôt dans le légis-
latif, mais tout cela reste encore à
cadrer », indique M. Marleix. Ce
plan à la découpe serait-il une fa-
« Monsieur Attal
n’a pas été précis
sur le calendrier
[de réforme de
l’AME], mais il ne
l’a été sur rien »
OLIVIER MARLEIX
chef de file des députés LR
çon de présenter un projet de loi
plus acceptable à des députés de
la majorité très clivés sur le sujet ?
Avant le départ d’Elisabeth
Borne, certains élus de l’aile gau-
che de la Macronie voyaient l’ex-
première ministre passer seule-
ment par des ajustements régle-
mentaires, fondés sur les conclu-
sions de la mission de Claude Evin
et Patrick Stefanini, rendues dé-
but décembre 2023.
L’ancien ministre socialiste et
l’homme de droite préconisent
des restrictions d’accès à l’AME,
mais en aucun cas sa suppres-
sion, jugée inefficace. « LR est
dans la posture idéologique, court
derrière l’extrême droite et nous
fait perdre du temps », déplore le
député MoDem du Finistère
Erwan Balanant. L’élu (qui a voté
contre la loi « immigration ») rap-
pelle que Patrick Stefanini était
favorable à la suppression de
l’AME avant de commencer ses
travaux. « Mais il a travaillé sur le
sujet depuis et entendu le person-
nel médical répéter que ça serait
une folie de la supprimer. Les soi-
gnants parlent d’une catastrophe
sanitaire », poursuit M. Balanant.
En mai, Gabriel Attal évoquait,
lui aussi, l’avis des profession-
nels de santé pour défendre le
dispositif sous sa formelle
actuelle. « En plus de conserver les
valeurs humanistes de la France,
ils disent que pour des enjeux de
sécurité sanitaire pour les Fran-
çais, il faut garder un système qui
soigne ces personnes présentes
sur notre sol », plaidait Gabriel
Attal, alors ministre des comptes
publics, dans un entretien au
Parisien. Les Républicains se
feront un malin plaisir d’exhu-
mer cette archive s’il ne tient pas
son engagement. p
alexandre pedro
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
Au RN, le goût
d’une « victoire
idéologique »
sans effort
Le parti d’extrême droite mise sur
l’image et l’occupation de l’espace
médiatique pour gagner en écho,
sans produire d’idées nouvelles
U
n petit bureau de l’As-
semblée nationale est
resté éclairé, dans la
nuit du 18 au 19 décem-
bre 2023. Loin du calme retrouvé
au Palais-Bourbon, après les ten-
sions de la première journée de
commission mixte paritaire sur la
loi « immigration », Yoann Gillet et
Edwige Diaz sont euphoriques. Les
deux députés – du Gard et de la Gi-
ronde –, référents du Rassemble-
ment national (RN) sur ce projet de
loi, appellent leur président, Jor-
dan Bardella.
Devant eux, un tableau figurant
les propositions du parti d’ex-
trême droite : fin de l’automaticité
du droit du sol, extension de la dé-
chéance de nationalité, rétablisse-
ment du délit de séjour irrégulier
et, surtout, « préférence natio-
nale » appliquée aux aides socia-
les. Toutes ou presque accompa-
gnées d’une croix verte. « On n’arri-
vait pas à y croire, ce sont des pro-
positions qu’ils qualifiaient
quasiment d’antirépublicaines… »,
s’étonne encore Edwige Diaz.
Jamais le RN ne s’est autant tar-
gué de la popularité de ses idées,
accusant ainsi ses adversaires de
braconner des promesses et fan-
tasmes que Jean-Marie Le Pen,
l’ancien leader du mouvement,
et les siens ont longtemps été
seuls à agiter. Un paradoxe, tant
le parti ne produit toujours
aucune matière idéologique ni
programmatique.
Lors de ses premiers vœux à la
presse dans le costume de prési-
dent du RN, en janvier 2023, Jor-
dan Bardella avait promis une
« année studieuse » : « Le Rassem-
blement national entend être in-
contournable (…) sur le terrain des
idées et celui des territoires. »
Deux mois plus tard, l’eurodé-
puté lançait son « école des ca-
Jordan Bardella associé à un compte Twitter aux relents racistes
Mis en cause par « Complément d’enquête », le patron du RN nie avoir publié sous pseudonyme des insultes visant adversaires et journalistes
P eut-on être président du
Rassemblement national
(RN) sans avoir eu un
compte Twitter anonyme ? Après
« Anne Lalanne », compte secret
de Marine Le Pen éventé dans la
presse en 2015, voici « RepNatdu-
Gaito » : ce compte, actif entre 2015
et 2017, aurait été tenu par Jordan
Bardella, selon le magazine « Com-
plément d’enquête » diffusé jeudi
18 janvier sur France 2. L’actuel pré-
sident du RN était alors âgé de 19 à
22 ans et élu du Front national (FN,
l’ancien nom du RN) au conseil
régional d’Ile-de-France, son pre-
mier mandat politique, et secré-
taire départemental du parti d’ex-
trême droite en Seine-Saint-Denis.
Dans le documentaire, comme
par le biais de son attaché de
presse, le patron du RN a catégo-
riquement démenti avoir tenu ce
compte, condamnant des « atta-
ques d’adversaires politiques re-
vanchards ». Une lettre de mise
en demeure a été envoyée à
France Télévisions afin de retirer
la séquence du film. La chaîne
dres » et un site Internet de for-
mation interne, pour « occuper
plus que jamais l’espace de la ba-
taille culturelle, de la bataille mé-
tapolitique ».
Preuve de son « obsession de
faire encore monter en gamme » le
parti « sur le terrain des idées »,
Jordan Bardella annonçait six
« grands colloques » d’ici à la fin de
l’année – sur le « wokisme », l’in-
telligence artificielle, l’immigra-
tion, la souveraineté alimentaire,
la santé et l’écologie. Seuls les
deux premiers ont été organisés,
puis déclinés dans des brochures
publiées par la Fondation identité
et démocratie, associée au groupe
du même nom dominé par le RN
au Parlement européen.
« On est un parti d’action »
La réflexion n’est pas plus fertile à
l’Assemblée nationale, où le
groupe de 88 députés devait
incarner la montée en compé-
tence du mouvement. Le temps
et les ressources sont davantage
occupés à l’élaboration de coups
tactiques ou à la transcription lé-
gislative du programme de 2022
qu’à l’élaboration de la doctrine.
Plusieurs groupes de travail ont
été mis sur pied, mais aucun n’a
donné lieu à la présentation de
mesures, ni à l’ébauche de la
moindre vision.
Promise à l’été 2023, la présen-
tation d’un programme sur l’en-
vironnement, aux accents agra-
riens et technosolutionnistes,
est systématiquement reportée.
Même sort pour le recueil de pro-
positions sur le logement, sujet
sur lequel planche le député RN
de l’Aude Frédéric Falcon aux cô-
tés des Horaces, ce groupe de
hauts fonctionnaires ou chefs
d’entreprise gravitant autour du
parti d’extrême droite.
confirme cette mise en demeure
mais maintient ses informa-
tions, appuyées par trois témoi-
gnages anonymes.
Les propos tenus par « RepNat-
duGaito » sont, en effet, loin de
l’image lisse entretenue par Jor-
dan Bardella qui a servi sa popula-
rité : blagues racistes – il relaie un
message ironisant sur « la mer
noire » pour décrire la piscine de
Créteil où nagent de nombreuses
personnes noires –, culte humo-
ristique de Jean-Marie Le Pen, in-
sultes ou propos dégradants ci-
blant des journalistes et adversai-
res politiques – le sénateur com-
muniste de Paris Ian Brossat,
alors adjoint à la Mairie de Paris,
est rebaptisé « Brossachiotte ».
Un ami proche confirme
Publiant une photo d’une com-
mémoration de Valérie Pécresse
avec l’imam de la Grande Mos-
quée de Paris, Khaled Larbi, « Rep-
NatduGaito » commente : « Valérie
et son camarade Barbah-a-Pa-
pah. » Les deux derniers messages,
La présidente du groupe RN, Marine Le Pen (au centre), à l’Assemblée, à Paris, le 12 décembre 2023. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
Le parti dit s’accommoder de
cette absence de concrétisation
idéologique et programmatique.
« La production intellectuelle
est toujours enrichissante, mais on
est un parti d’action », défend Fré-
déric Falcon, opposant la « culture
du chef » à la « culture du débat »
de la gauche, la « vision » d’ensem-
ble à des « mesures techniques que
ne vont pas forcément compren-
dre les gens ». « Les partis les plus
intellos comme le Parti socialiste,
on a vu comment ça a fini, moque-
t-il. Les groupes de travail ou ob-
servatoires sont très productifs de
ce point de vue, mais pas sûr qu’ils
soient en phase avec le pays. »
Coordinateur des Horaces, le
député européen André Rougé
explique s’atteler en priorité à la
rédaction de lois-programmes.
« C’est prêcher dans le désert que
de vendre des idées hors campa-
gne électorale, tranche-t-il. Nos
concurrents politiques ont ten-
dance à nous plagier. Pas la peine
d’aller leur donner des éléments. »
Renvoyés à l’absence de ré-
flexion de fond, les dirigeants du
RN opposent inlassablement la
« popularité » de leurs thèmes de
prédilection (lutte contre l’immi-
gration, islamisme, insécurité) et
de leurs têtes d’affiche, Marine
Le Pen et Jordan Bardella. Comme
si la quête de crédibilité engagée
par la triple candidate à l’élection
présidentielle risquait de souffrir
de nouvelles propositions fortes
Sur le compte de
« RepNatduGaito »,
de 2015 à 2017 :
culte humoristique
de Jean-Marie
Le Pen, blagues
racistes et propos
dégradants
publiés en février 2017, moquent
crûment le jeune « Théo », Théo-
dore Luhaka, victime d’un coup de
matraque dans l’anus qui le handi-
capera à vie, lors de son interpella-
tion le 2 février 2017 – le verdict du
procès des policiers accusés
d’avoir commis des gestes bru-
taux devait être rendu vendredi.
A l’époque, les jeunes collabora-
teurs du numéro deux du Front
national, Florian Philippot, ont
tous des comptes anonymes dé-
clinant l’expression « NatRep » ou
« RepNat », pour « national-répu-
« Le bon
responsable
politique
est celui qui sait
guider
les événements,
pas les créer »
JÉRÔME SAINTE-MARIE
sondeur et conseiller du RN
ou de publications susceptibles
d’en dévoiler les fondamentaux
autoritaires et discriminatoires.
« Le Front national [FN] de Jean-
Marie Le Pen portait un combat
d’idées, le Rassemblement natio-
nal de sa fille est dans la stratégie
de communication et le calcul
électoral, distingue la sémiologue
Cécile Alduy, professeure à Stan-
ford (Californie) et chercheuse as-
sociée au Centre de recherches
politiques de Sciences Po. C’est de-
venu un parti qui mise sur l’image,
la façade : un parti “concours de
beauté” où il suffit de filer sur des
vieux tubes – l’immigration, l’insé-
curité – sans rien dire de nouveau,
et surtout sans choquer. »
Un temps, le FN s’est voulu le fer
de lance de la « bataille cultu-
relle » de la droite et de son ex-
trême. Un espace de réflexion
doctrinal, chargé de damer le
pion au « monopole médiatique »
blicanisme », le courant qu’ils in-
carnent au FN. Jordan Bardella,
alors jeune espoir du parti d’ex-
trême droite, est-il derrière « Rep-
NatduGaito », allusion au
« ghetto », pour la cité de Saint-
Denis où il réside encore à l’épo-
que ? Ou s’agit-il d’un collabora-
teur de Florian Philippot, comme
l’affirme le RN ?
Un ami proche de Jordan Bar-
della à cette époque a confirmé au
Monde que le président du RN te-
nait bien ce compte Twitter. Eric
Richermoz, collaborateur de Flo-
rian Philippot au sein de son parti
Les Patriotes, filmé dans « Com-
plément d’enquête » et joint par
Le Monde, confirme que Jordan
Bardella tenait un compte Twitter
anonyme, mais ne se dit pas en
mesure de prouver qu’il s’agit
bien de celui-ci. Un autre collabo-
rateur de Florian Philippot, Joffrey
Bollée, qui côtoyait Jordan Bar-
della à l’époque au Front national,
n’en a « pas la certitude », mais
juge l’association « probable et co-
hérente ». Plusieurs éléments ma-
de la gauche, et mené par Bruno
Mégret, alors numéro deux du
FN, jusqu’à la scission du parti
en 1998. Des colloques et sémi-
naires alimentaient alors des re-
vues puis inspiraient des campa-
gnes et des slogans. Une émula-
tion dont naîtra le concept de
« préférence nationale », clé de
voûte programmatique des ac-
tuels héritiers, amené au Front
national dans les années 1980 de-
puis le Club de l’Horloge, un club
de réflexion où se côtoyaient les
droites radicales.
« Marine Le Pen pousse le désir
de respectabilité jusqu’à éviter de
lancer un concept fort car suscep-
tible de choquer, regrette Bruno
Mégret. Le succès de notre famille
politique est pourtant né de
concepts clivants, voire radicaux
pour l’époque, mais qui ont en-
suite suscité l’adhésion d’une part
croissante de la population. » Le
candidat du Mouvement natio-
nal républicain à l’élection prési-
dentielle de 2002 résume :
« Autrefois, dans le camp national,
il ne se passait rien intellectuelle-
ment en dehors du FN.
Aujourd’hui, la réflexion est à l’ex-
térieur du RN. »
Avant que le RN ne lance, en
mars 2023, Campus Héméra, sa
plate-forme de formation in-
terne, Bruno Mégret avait ren-
contré le responsable du projet,
Jérôme Sainte-Marie, sondeur
passé au service du RN. L’entre-
tériels tendent à accréditer l’idée
que « RepnatduGaito » et Jordan
Bardella ne font qu’un. Parmi eux,
les personnes à qui il s’adresse, no-
tamment l’avocat Pierre Gentillet,
alors étudiant, ou la militante
Kelly Betesh, alors petite amie de
Jordan Bardella, ou son obsession
de la campagne du Front national
en Ile-de-France de 2015, dont Jor-
dan Bardella est tête de liste pour
la Seine-Saint-Denis, et sa défense
d’élus du FN, Wallerand de Saint-
Just ou Gaëtan Dussausaye, à
l’époque collègues de Jordan Bar-
della au conseil régional.
Suivi par Marine Le Pen
Le 1er mars 2016, jour où Jordan
Bardella accompagne Marine
Le Pen au Salon de l’agriculture,
« RepnatduGaito » publie une
photo de moutons dans le même
lieu, avec cette légende : « A la ren-
contre des électeurs de l’UMP [l’an-
cien nom du parti Les Républi-
cains] et du PS [Parti socialiste]. »
Le 14 juillet 2016, « RepNatdu-
Gaito » répond à un autre compte
france | 9
vue n’avait fait que conforter
leurs divergences : l’un déplorait
une réflexion au point mort,
l’autre se concentrait sur les
parts sondagières conquises par
le RN sans révolution doctri-
naire. L’ancien patron de l’insti-
tut PollingVox réduit le rôle des
« intellectuels » à de simples « ac-
compagnateurs », pas d’« initia-
teurs ». « Les élus se convertissent
à ce que souhaite leur électorat,
dans un rapport organique entre
le peuple et ses représentants, dé-
veloppe Jérôme Sainte-Marie. Le
bon responsable politique est ce-
lui qui sait guider les événements,
pas les créer. »
Ex-« mégrétiste », aujourd’hui
conseiller spécial de Marine
Le Pen, Philippe Olivier juge ac-
quise la « victoire idéologique »
en brandissant lui aussi les étu-
des d’opinion. Il souligne que
l’atout de l’extrême droite ne
réside plus dans ses idées nou-
velles, mais dans sa capacité à les
propager dans l’espace médiati-
que : « On dispose maintenant de
CNews, du Journal du dimanche
et d’Europe 1 pour donner la voix
aux gens de chez nous, liste
l’eurodéputé. Et pas besoin que de
nouveaux intellectuels ou écri-
vains s’affichent à nos côtés : les
plus célèbres, comme Michel On-
fray, basculent sur nos idées et les
défendent. » p
clément guillou
et corentin lesueur
anonyme, qui moque une photo
de Jordan Bardella dans la maison
natale de Victor Hugo : « Décline
ton identité, jeune Portugais du
rez-de-chaussée. »
Jusqu’à sa révélation par « Com-
plément d’enquête », dans un
tweet mercredi 17 janvier, le
compte n’était suivi que par une
cinquantaine de personnes.
Dont… Sébastien Chenu, actuel
vice-président RN de l’Assemblée
nationale, et Marine Le Pen. La
leader du parti d’extrême droite
s’est, depuis, désabonnée du
compte. Lors de la révélation de
l’existence de son compte ano-
nyme « Anne Lalanne », en 2015,
Marine Le Pen avait démenti, jus-
qu’à ce que l’envoi malencon-
treux d’un e-mail à un journaliste
de Franceinfo depuis son adresse
personnelle ne fragilise sa dé-
fense. Elle a fini par reconnaître
l’existence de ce compte en
mars 2022. A l’époque, « RepNat-
duGaito » relayait lui aussi les
messages d’« Anne Lalanne ». p
cl. gu.
10 | france
Retards, plagiats : l’école
du RN au point mort
Le grand œuvre de Bardella plagie des sites
du gouvernement, sans citation ni référence
S on nom, emprunté à la
déesse grecque de la
lumière, portait toute la
prétention du Rassemblement
national (RN) : offrir une « école
théorique, culturelle » à un parti
qui depuis vingt ans échouait à
former intellectuellement ses ca-
dres. Le grand œuvre du président,
Jordan Bardella. Dix mois après
son lancement, en mars 2023, le
Campus Héméra peine à décoller.
Loin de l’ambitieux « média
d’idées et de formation » annoncé,
la plate-forme numérique du
parti n’a guère évolué. Le respon-
sable du projet, l’ancien sondeur
Jérôme Sainte-Marie, reconnaît
qu’un « flottement au printemps »
a accompagné la naissance d’un
outil censé « démontrer sans cesse
le sérieux et la solidité du militant
du RN ». La suite n’a pas été plus fé-
conde. Deux tribunes ont été
relayées depuis mai 2023, loin du
« rythme hebdomadaire » promis.
Le « podcast », analyse en dix
minutes d’un ouvrage par Jérôme
Sainte-Marie, peine à soutenir
une publication mensuelle. « Cha-
que semaine un billet de culture
politique », annonce le site.
La plate-forme promet des en-
seignements « exclusifs » ? Leur ac-
cès est effectivement conditionné
à une adhésion au parti. Mais leur
contenu est pour partie disponi-
ble gratuitement sur Internet.
Plusieurs cours consistent en une
reprise partielle – sans citation ni
référence – de textes diffusés par
des organisations ou institutions
LES INCONTOURNABLES
À PRIX RÉDUITS
EN VENTE SUR BOUTIQUE.LEMONDE.FR
publiques. Le module sur « la
gestion de l’eau », composé par un
« haut fonctionnaire » anonyme,
reprend des passages entiers du
site du service d’information sur
l’eau ; l’analyse du « modèle israé-
lien » copiant une note publiée
par l’Organisation de coopération
et de développement économi-
ques. Des paragraphes du cours
« La finance simplement », assuré
par un « ancien élève de Sciences
Po et d’HEC », ressemblent étran-
gement à ceux du site « La finance
pour tous » repris par celui du
ministère de l’économie.
Aux côtés de contributeurs à
l’identité partiellement dissimu-
lée apparaissent des élus et cadres
du RN, ou des auteurs proches du
parti. Audrey Lopez, conseillère
en Bourgogne-Franche-Comté,
est chargée du cours « L’étranger
en situation irrégulière ». L’élue
avait relayé, le 28 novembre sur X,
une brochure du gouvernement
et ajouté elle-même les images
d’une mosquée, d’une femme
voilée et d’un homme noir.
La première année du Campus
Héméra n’a pas été plus enrichis-
sante en « présentiel ». Un seul
séminaire de trois jours a été or-
ganisé. Vingt-cinq cadres RN y
ont creusé la notion de « nation »,
sans omettre la conception de
l’écrivain antisémite et antirépu-
blicain Charles Maurras. Aucune
autre réunion n’est prévue avant
longtemps. « On peut mieux
faire », euphémise Bardella. p
corentin lesueur
A la prison de Roanne, un quartier
réservé aux femmes radicalisées
A partir de la fin de janvier, quatorze cellules, isolées du reste du centre
de détention, accueilleront notamment des « revenantes » de Syrie
REPORTAGE
roanne (loire) - envoyé spécial
C’
était l’ancienne nur-
serie de la prison de
Roanne (Loire). Et
c’est désormais un
quartier de prise en charge de la
radicalisation (QPR) destiné à l’ac-
cueil des femmes djihadistes, no-
tamment la cinquantaine de « re-
venantes » rapatriées depuis la Sy-
rie entre juillet 2022 et
juillet 2023 par les autorités fran-
çaises. Quatorze cellules flambant
neuves complètement isolées du
reste du centre de détention de la
sous-préfecture de la Loire. Ce QPR
est le deuxième de France réservé
aux femmes après l’ouverture, en
septembre 2021, d’un quartier si-
milaire de seize places à Rennes. Il
existe déjà six centres de ce type
pour les hommes en France, dont
un spécialisé dans la préparation à
la sortie de détention.
Celui de Roanne accueillera ses
premières détenues la dernière
semaine de janvier. « Nous en ac-
cueillerons quatre dans un premier
temps », indique Sylvie Marion,
ancienne responsable de la cellule
interrégionale Auvergne-Rhône-
Alpes de lutte contre la radicalisa-
tion violente, qui vient de prendre
la direction de la prison de
Roanne. Pour y accéder, il faut pas-
ser un sas octogonal, qui débou-
che sur un couloir où s’alignent les
cellules aux portes repeintes en
bleu, réparties de part et d’autre de
l’allée au sol gris. L’une d’entre el-
les est spécialement équipée pour
accueillir des détenues en situa-
tion de handicap.
Au fond du QPR, deux salles ré-
servées aux activités, dont une
équipée d’un écran pour les entre-
tiens familiaux ou judiciaires en
visioconférence et, à côté, une pe-
tite bibliothèque. Un recueil des
hadiths (dires du Prophète) du Co-
ran côtoie la biographie de l’astro-
naute français Thomas Pesquet,
un Scrabble, un ouvrage de cui-
sine algérienne, La Laïcité pour les
nuls (Nicolas Cadène, First Edition,
2016) ou encore Femme, Vie, Li-
berté, un roman graphique de
Marjane Satrapi (L’Iconoclaste,
2023). Une cour de promenade sé-
parée et des salles d’entretien
sont aussi disponibles.
Vigilance accrue
En comparaison des conditions
de détention ordinaires en France,
le quartier de prise en charge de la
radicalisation de Roanne repose
sur des standards élevés. Mais ces
femmes seront soumises à une vi-
gilance accrue, avec pas moins de
douze surveillantes et trois enca-
drantes, ainsi qu’une officière ré-
férente, toutes volontaires, pour
quatorze détenues.
Tous les personnels ont reçu une
formation de base aux concepts-
clés de l’islam. Une équipe pluri-
disciplinaire – une éducatrice spé-
cialisée, une psychologue, une as-
sistante sociale, deux conseillers
et un médiateur du fait religieux –
du service pénitentiaire d’inser-
tion et de probation de la Loire et
des intervenants extérieurs inter-
Collège Stanislas : Amélie Oudéa-
Castéra se « déporte » du dossier
La Mairie de Paris annonce, par ailleurs, suspendre son financement
L a ministre de l’éducation ne
sera pas juge et partie : jeudi
18 janvier, Amélie Oudéa-
Castéra a demandé au premier mi-
nistre, Gabriel Attal, à pouvoir « se
déporter des actes relatifs » au « col-
lège Stanislas », a confirmé son en-
tourage au Monde. Une demande
formulée sur les recommanda-
tions de la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique, et
acceptée par le premier ministre.
L’établissement huppé de la capi-
tale, qui accueille 3 500 élèves de la
maternelle à la classe prépa-
ratoire, et où sont scolarisés les
trois enfants de la ministre, est
visé par un rapport préoccupant
de l’inspection générale de l’édu-
cation nationale.
Cette mission d’inspection, re-
mise à l’ex-ministre de l’éducation
Gabriel Attal à la fin du mois
d’août 2023, et dont Mediapart a
publié les conclusions le 16 jan-
vier, a révélé des manquements,
notamment à travers le caractère
obligatoire du catéchisme, inter-
dit par le code de l’éducation. Les
inspecteurs font également état
de propos homophobes et d’une
atmosphère « sexiste ».
Mercredi matin, Amélie Oudéa-
Castéra avait assuré que les re-
commandations formulées par
l’inspection étaient en cours d’ap-
plication, sous la houlette du rec-
torat de Paris. Mais le contenu du
rapport a alarmé plusieurs élus.
La Mairie de Paris, qui finance à
hauteur de 1,3 million d’euros la
Le séjour donne
lieu à un travail
individuel et en
ateliers collectifs :
gestion des
émotions, aide
à la parentalité…
viendront. « Le croisement des re-
gards et des compétences est le
meilleur rempart contre la dissi-
mulation », estime Naoufel Gaied,
directeur de la mission de lutte
contre la radicalisation violente,
au sein de la direction de l’admi-
nistration pénitentiaire.
Le séjour en QPR donne lieu à
un travail individuel et en ateliers
collectifs indispensable à la réha-
bilitation et au désengagement
de l’idéologie violente. « Nous dé-
veloppons des actions adaptées,
ciblées sur un public féminin », ex-
plique Naoufel Gaied. Il s’agit
d’ateliers d’aide à la parentalité,
de sensibilisation aux rapports
hommes-femmes, de gestion des
émotions et du trauma, de séan-
ces de théâtre ou de cinéma ou
d’exposés géopolitiques pour dé-
tecter les dynamiques de groupe,
mais aussi de séances individuel-
les avec une psychologue ou un
médiateur du fait religieux.
M. Gaied dresse un « bilan encou-
rageant » de l’activité menée jus-
qu’à présent à Rennes, notam-
ment à travers le « fort taux de par-
ticipation aux ateliers proposés ».
La durée des séjours dans ces uni-
tés spécifiques est de six mois re-
nouvelables sans limite. Chez les
hommes, la moyenne est de dix-
partie école et collège de Stanis-
las, a annoncé mercredi la sus-
pension du versement de ce for-
fait obligatoire, en l’attente de
« clarifications ».
Les sénateurs communistes
Pierre Ouzoulias (Hauts-de-Seine)
et Ian Brossat (Paris) ont par
ailleurs annoncé, le 17 janvier,
avoir écrit au préfet d’Ile-de-
France pour demander la suspen-
sion du contrat avec l’Etat. « Cet
établissement ne se cache pas du
fait qu’il ne respecte pas le contrat,
s’indigne-t-il. Mais ce que les gens
ne supportent pas, c’est qu’il s’agit
d’argent public. » Les établisse-
ments privés sous contrat sont fi-
nancés à 73 % par l’Etat, qui rému-
nère les enseignants, et par les col-
lectivités territoriales.
« Deux poids, deux mesures »
Le sénateur dénonce par ailleurs
un « deux poids, deux mesures »
entre Stanislas et un autre établis-
sement, le lycée musulman Aver-
roès à Lille, qui s’est vu retirer son
contrat à la fin de l’année
2023 pour des manquements (que
l’établissement conteste) aux va-
leurs de la République.
Le sénateur Ian Brossat et l’asso-
ciation SOS Homophobie ont de
leur côté annoncé avoir réalisé un
signalement auprès du parquet
de Paris pour les faits d’homopho-
bie qui remontent au printemps
2023. Il s’agit du second signale-
ment, après celui des inspecteurs
eux-mêmes. Le syndicat ensei-
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
huit mois, pour les femmes, elle
est plus proche de douze, précise
la direction de l’administration
pénitentiaire.
« Il n’y a pas de parcours type.
Nous faisons du sur-mesure adapté
à chaque détenu, précise Laurent
Ridel, directeur de l’administra-
tion pénitentiaire. Généralement,
le passage par un QPR, qui offre des
conditions de détention très favo-
rables en termes d’activités propo-
sées et de prise en charge, est bien
ressenti. Sur 353 propositions
d’orientation, nous avons essuyé
6 % de refus de la prise en charge
proposée. » En attendant l’ouver-
ture à pleine capacité du QPR de
Roanne et le doublement de la ca-
pacité de celui de Rennes pour at-
teindre 29 places d’ici à la fin 2024,
nombre de femmes radicalisées
rapatriées de Syrie, toutes ou pres-
que placées en détention dès leur
descente de l’avion et mises en
« observation » à Paris pendant les
huit premières semaines, sont dé-
sormais à l’isolement, un régime
dur destiné à éviter les risques de
prosélytisme et de passage à l’acte
violent au sein de la prison.
« Nous avons géré l’urgence pen-
dant la première année suivant
l’arrivée des “revenantes”, désor-
mais nous nous inscrivons dans la
durée, estime M. Ridel. Toutes ces
femmes vont pouvoir passer dans
un délai relativement rapide par
un QPR. » Ce n’est qu’une fois que
le passage par cette unité sera jugé
suffisamment probant que ces
femmes seront placées dans des
centres de détention ordinaires
proches de leur famille et de leurs
enfants, qui ont été placés dans
l’attente de leur procès et de la fin
de leur peine. p
christophe ayad
gnant SE-UNSA a aussi fait savoir
qu’il demandait à la ministre la
suspension du contrat. « Le rap-
port a beau se conclure sur l’ab-
sence de sanctions disciplinaires, il
pointe des manquements aux va-
leurs de la République, s’alarme
Elisabeth Allain-Moreno, secré-
taire générale du SE-UNSA. On
passe notre temps à dire que les
contrôles n’ont pas suffisamment
lieu, et quand c’est le cas et qu’ils
démontrent qu’un établissement
sort des clous, on ne prend pas de
décision ? »
La région Ile-de-France, quant à
elle, s’est expliquée sur les dépen-
ses d’investissements accordées
au collège Stanislas. En plus du
forfait d’externat, qui s’élève à
1,3 million d’euros, la région lui a
en effet versé 487 000 euros
en 2023, pour des « opérations
d’accessibilité et de rénovation »,
explique l’entourage de la prési-
dente de région, Valérie Pécresse.
La région a accepté, sans y être
contrainte par la loi, de financer la
moitié d’un chantier qui prévoyait
l’installation d’ascenseurs et la ré-
novation de chambres et de salles
de douches de l’internat.
« En juillet 2023, nous avons
demandé à l’éducation nationale
où en était la mission d’inspection,
précise-t-on dans l’entourage de
Valérie Pécresse. On nous a dit que
ce travail était toujours en cours,
et nous n’avons plus eu de nouvel-
les depuis. » p
violaine morin
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
«L’IGPN agit avec sang-froid, sans trembler»
Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de la police des polices, revendique l’indépendance et la légitimité de son action
ENTRETIEN
L
orsqu’elle a pris ses
fonctions de direc-
trice de l’inspection
générale de la police
nationale (IGPN), en
juillet 2022, les pro-
ches d’Agnès Thibault-Lecuivre
lui ont offert un DVD du film Les
Ripoux, de Claude Zidi. Dix-huit
mois après une nomination peu
appréciée par les syndicats de
policiers, avec lesquels elle as-
sure avoir désormais bâti une re-
lation « non seulement apaisée
mais constructive », cette magis-
trate de 42 ans, ancienne mem-
bre du cabinet du ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin, se
dit préoccupée par le phéno-
mène de la corruption et assure
voir dans l’IGPN, souvent criti-
quée pour sa prétendue partia-
lité, « un outil de rapprochement
entre la police et la population ».
C’est la première fois qu’une
magistrate dirige l’inspection
générale de la police nationale.
Vous avez vous-même indiqué
que votre nomination avait
pu être « différemment
accueillie » et « commentée ».
Qu’entendiez-vous par là
et qu’en est-il aujourd’hui ?
Ce choix a été fait par le minis-
tre de l’intérieur en juillet 2022 et
ma nomination a eu une portée
symbolique forte. J’ai reçu un ac-
cueil remarquable au sein de
l’inspection, de la direction géné-
rale de la police nationale et de la
préfecture de police, mais j’ai
aussi relevé à l’époque des réac-
tions traduisant de prime abord
une certaine défiance, voire une
hostilité. Ma volonté a été d’aller
au-delà de la portée symbolique
de ma nomination pour lui don-
ner du sens afin qu’elle n’appa-
raisse pas comme une simple me-
sure d’affichage.
De quelle manière ?
Je suis convaincue qu’avoir une
magistrate à la tête de l’IGPN est
un signe d’ouverture de l’institu-
tion police nationale et, plus large-
ment, du ministère de l’intérieur.
Par ailleurs, de par ma formation
et ma culture différentes, je peux
avoir une approche spécifique sur
des sujets de stratégie d’enquête
par exemple, et les échanges avec
mes équipes sont toujours riches
en la matière. Par ailleurs, si avoir
un magistrat à la tête de l’IGPN
renforce la légitimité de son ac-
tion, il faut s’en féliciter.
Quitte à introduire un change-
ment, pourquoi ne pas avoir
privilégié la création d’une
autorité de contrôle indépen-
dante, comme c’est le cas
dans d’autres pays, au Royau-
me-Uni, par exemple ?
Certains commentateurs, sou-
vent en réaction à tel ou tel évène-
ment, évoquent la nécessité de
transformer l’IGPN en autorité ad-
ministrative indépendante. Pour-
quoi ? Parce que, justement, nous
ne serions pas suffisamment in-
dépendants. Cela traduit une cer-
taine méconnaissance de nos
missions. En matière d’enquêtes
judiciaires, nous pouvons être sai-
sis par des procureurs ou par des
juges d’instruction avec une véri-
table direction d’enquête de leur
part. Quant aux enquêtes admi-
nistratives, je peux vous garantir
que, depuis ma prise de fonctions,
on ne m’a jamais demandé
d’orienter l’une d’elles de telle ou
telle manière.
Vous avez cependant été
la conseillère justice du minis-
tre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, avant de devenir
sa directrice du cabinet
adjointe. Cela ne remet-il
pas fondamentalement en
cause votre capacité à diriger
l’inspection en toute indépen-
dance, selon vous ?
A Paris, le 17 janvier. FLORENCE BROCHOIRE POUR « LE MONDE »
« Avoir une
magistrate
à la tête de l’IGPN
est un signe
d’ouverture
de l’institution
police nationale »
Au contraire, ces deux années
passées au cabinet du ministre
ont été un atout. D’abord j’ai ren-
forcé ma connaissance du monde
de la police, en appréhendant de
l’intérieur son fonctionnement et
ses enjeux. Ensuite, j’ai pu obser-
ver le fonctionnement du politi-
que, ce qui me permet aujourd’hui
d’agir en toute connaissance de
cause. Plus généralement, j’ai un
sens aigu de la séparation entre les
pouvoirs judiciaire et exécutif, un
principe auquel je suis profondé-
ment attachée.
Après un pic du nombre
de saisines judiciaires constaté
en 2019 au plus fort de l’épi-
sode des « gilets jaunes »,
ce chiffre décroît légèrement
depuis 2020 (1 063 en 2022,
soit près de 50 de moins
qu’en 2020) : comment l’expli-
quez-vous ?
En réalité, c’est un chiffre assez
étale. Il faut bien comprendre que
l’IGPN est un service spécialisé
qui traite non pas toutes les affai-
res impliquant des policiers mais
uniquement celles qui revêtent
un caractère particulier en ma-
tière de gravité, de complexité, de
retentissement médiatique.
En revanche, le nombre d’en-
quêtes pour corruption a prati-
france | 11
Comment pensez-vous
« Lutter contre
qu’il faille lutter contre
ce phénomène ? la corruption
Il faut d’abord assurer la détec-
tion des vulnérabilités et des fac-
au sein de
teurs de passage à l’acte en inves- la police est
tissant encore davantage les do-
maines de la prévention et en ti-
clairement l’une
rant tous les enseignements de mes priorités »
d’enquêtes passées, en mettant
en œuvre une stratégie de maî-
trise des risques. Il s’agit très clai- vement global d’une certaine li-
rement d’une priorité de mon ac- bération de la parole facilitée par
tion. Nous entretenons aussi des la mise en place d’outils numéri-
liens très étroits avec l’Agence ques. C’est aussi le signe que des
française anticorruption et les choses autrefois acceptables ne le
autres administrations régalien- sont plus aujourd’hui.
nes comme la justice ou Bercy,
qui connaissent eux aussi des L’actualité des trois dernières
problématiques similaires. années a été marquée par de
nombreux tirs mortels après
Mais plus concrètement ? des refus d’obtempérer.
Nous ne sommes pas aveugles Les pratiques policières ne
mais nous devons redoubler d’ef- doivent-elles pas être intégra-
forts en matière de détection. lement révisées en la matière ?
C’est la raison pour laquelle nous L’année 2022 a été marquée par
avons engagé une réflexion pour le chiffre considérable de treize
parvenir à identifier des consul- morts à la suite de tirs sur des vé-
tations massives de fichiers, hicules en mouvement. Cela in-
peut-être grâce à un algorithme. terroge. Mais, pour autant, les
Cela peut aussi avoir lieu à tra- données de 2022 ne peuvent en
vers des procédures ouvertes aucun cas servir de référence :
pour d’autres faits, grâce aux en 2020, ce chiffre était d’un, il
écoutes, notamment. Nous dis- était de deux en 2021 et de trois
posons enfin d’outils de contrôle en 2023. Chaque décès à la suite
interne et externe, comme les d’un tir sur un véhicule en mou-
plates-formes de signalements vement est une tragédie pour la
d’usagers, qui nous ont permis victime décédée et ses proches,
d’ouvrir des dossiers. un drame pour le policier, qui
n’est pas entré dans la police pour
Percevez-vous une évolution cela. Nous sommes extrême-
du type de faits sur lesquels ment transparents en la matière :
l’IGPN est amenée à enquêter ? tous ces éléments figurent dans
L’usage de la force reste majori- notre rapport annuel.
taire, de l’ordre de 50 % de notre
contentieux. Je dois souligner La mort du jeune Nahel M. due
que l’IGPN est bien trop souvent à un tir policier après un refus
réduite, dans l’opinion, au traite- d’obtempérer, le 27 juin 2023,
ment de cette problématique a entraîné des émeutes au
mais nous sommes également là cours desquelles d’autres cas
pour sécuriser les policiers de ter- de violences policières illégiti-
rain dans leurs pratiques, parce mes – comme le tabassage
qu’il est normal, notamment, d’Hedi R. ou la mort de Moha-
qu’ils sachent précisément dans med B., à Marseille – ont été
quel cadre ils peuvent ou non dénoncés. Pouvez-vous nous
faire usage de leur arme. Dans ce dire où en sont les enquêtes
domaine et d’autres, comme aujourd’hui ?
ceux de la formation et du mana- Je ne peux évidemment pas
gement, nous devons être force évoquer des affaires en cours
quement doublé entre 2021 et parfois, des faits de corruption se de proposition. d’instruction. L’inspection a été
2022, passant de 30 à 56. Pour cachent derrière d’autres qualifi- saisie de 39 procédures judiciai-
quelles raisons, selon vous ? cations pénales comme le trafic Justement, le harcèlement res ouvertes après des interven-
Sans doute grâce à une de stupéfiants. A cela vient s’ajou- moral est le motif le plus tions dans un contexte extrême-
meilleure détection mais, aussi, il ter la problématique de fonction- souvent invoqué lors de signa- ment dégradé de violences urbai-
ne faut pas le nier, une augmenta- naires ancrés de très longue date lements sur la plate-forme nes et de scènes de pillage d’une
tion objective des faits. dans un secteur géographique interne de la police. N’est-ce intensité inédite.
précis avec parfois, dans leur pas le signe d’un management Quel que soit ce contexte, nous
Quels sont les profils des champ de compétences, la déli- chroniquement défaillant ? menons la même recherche : le
fonctionnaires mis en cause ? vrance d’autorisations pour des Nous observons effectivement geste était-il strictement néces-
Ils sont variés mais le dénomi- professions réglementées qu’ils une nette augmentation : entre saire, proportionnel ? C’est uni-
nateur commun est très clair, sont tentés de monnayer. Et puis 2019 et 2023, nous sommes pas- quement à travers cette grille de
c’est l’appât du gain. Il peut se ma- nous assistons à l’émergence d’un sés de 218 à 301 signalements sur lecture que nous traitons ces pro-
nifester à travers un besoin d’ar- nouveau phénomène : la consul- la plate-forme, et le nombre d’ap- cédures. Dans tous ces dossiers,
gent urgent ou au regard d’une tation illégale de fichiers, avec pels téléphoniques a quasiment l’IGPN agit avec sang-froid et ri-
addiction mais aussi, parfois, par une grande facilité pour certains quintuplé, de 292 à 688. Cette pla- gueur, sans trembler, à charge et à
pure cupidité. Il peut s’agir de cor- policiers qui, depuis chez eux, te-forme est hébergée à l’IGPN, décharge et sans aucune volonté
ruption, de favoritisme, de viola- sans jamais avoir une rencontre c’est un dispositif d’alerte et de régler des comptes avec qui
tion du secret de l’enquête ou de physique avec le corrupteur, pro- d’écoute totalement confidentiel, que ce soit. p
consultation de fichiers. Cette ty- posent la vente de fichiers sur des qui ne passe pas par la hiérarchie. propos recueillis par
pologie n’est pas exhaustive car, messageries de type Telegram. La police n’échappe pas au mou- antoine albertini
La police des polices à Sciences Po, un timide signe d’ouverture
il avait été prévu le 29 juin 2023, soit rence. Pas au point, toutefois, d’en ouvrir l’universitaire a pu dégager les approches
deux jours après la mort du jeune Nahel M., les portes à un large public : dans l’assis- distinguant ces deux pays de la France. Au
tué par un policier à Nanterre – une affaire tance se comptaient surtout hiérarques Royaume-Uni, les policiers n’hésitent pas à
dont est saisie l’inspection générale de la policiers, responsables syndicaux et quel- négocier avec l’autorité judiciaire des inter-
police nationale (IGPN). Reporté, le premier ques journalistes spécialisés. dictions préventives de manifester, une
colloque organisé par la « police des poli- La technicité des échanges plaçait, du pratique impossible en France, tandis que,
ces » s’est finalement déroulé, jeudi 18 jan- reste, l’événement hors de portée des pro- en Allemagne, la police est habilitée à me-
vier, à Sciences Po, à Paris. Nouveau hasard fanes. Du moins a-t-elle permis d’aborder ner des « visites domiciliaires préventives ».
malencontreux du calendrier : pendant chaque thématique – « le poids de l’image » Ce constat posé, M. Cahn n’en a pas
qu’échangeaient les intervenants, la justice ou « la corruption et les atteintes à la moins souligné d’autres spécificités,
requérait des peines de trois mois à trois probité », par exemple – sous l’angle d’une comme la méfiance quasi instinctive des
ans de prison avec sursis contre les trois po- expertise dépassionnée, à l’image des forces de police britanniques et alleman-
liciers accusés d’avoir grièvement blessé prises de parole sur la question de « l’usage des à l’endroit de l’utilisation d’armes à
Théodore Luhaka à Aulnay-sous-Bois (Sei- de la force », qui représente toujours une feu, les lourdes condamnations pénales de
ne-Saint-Denis), en 2017. Dans cet autre dos- bonne moitié des saisines de l’IGPN. policiers jugés coupables de violences illé-
sier emblématique confié à l’IGPN, les en- gitimes ou la prohibition du lanceur de
quêteurs s’étaient montrés pour le moins Lourdes condamnations pénales balles de défense (LBD) – une arme « intolé-
confus à la barre au cours des débats. L’approche comparative menée par Olivier rable dans une démocratie », selon le repré-
Pour une institution soumise par voca- Cahn, maître de conférences en droit à l’uni- sentant du principal syndicat de policiers
tion à une puissante culture du secret, versité Cergy-Paris et chercheur au CNRS, a en Allemagne. « Tout cela prend des formes
volontiers soupçonnée de partialité dans apporté un éclairage bienvenu sur la diver- un peu surprenantes pour nous », a admis
les enquêtes qu’elle diligente, cette initia- sité des cultures policières en matière de l’universitaire. Dans l’assistance, personne
tive inédite était présentée comme le maintien de l’ordre en Europe. S’appuyant ne l’a démenti. p
témoignage d’une volonté de transpa- sur les exemples britannique et allemand, a. al.
12 | france
Affaire Théo :
trois ans
de prison avec
sursis requis
Les avocats de l’auteur du coup
de matraque ont plaidé, jeudi
18 janvier, l’acquittement
L
e procès de l’affaire Théo
s’achève. Les trois magis-
trats et les six jurés de la
cour d’assises de Seine-
Saint-Denis vont devoir dire, ven-
dredi 19 janvier, si c’est une infrac-
tion ou la malchance qui a fait
basculer la vie de Théodore Lu-
haka le 2 février 2017. Si la rupture
du sphincter anal qu’il a subie lors
d’un contrôle d’identité ayant
dégénéré est la conséquence
d’un coup de matraque contraire
à la loi, ou celle d’un geste auto-
risé qui, selon les statistiques des
avocats du policier accusé, « abou-
tit à un bleu dans 999 999 999 cas
sur un milliard ».
Sept ans après les faits, l’avocat
général Loïc Pageot a requis, jeudi,
contre l’auteur du coup de matra-
que, Marc-Antoine Castelain,
« une peine qui pourra paraître dé-
risoire, mais une condamnation
qui soit équitable » : trois ans de
prison avec sursis, et cinq ans d’in-
terdiction de porter une arme et
d’exercer sur la voie publique, ce
qui vaudrait sans doute radiation
de la police nationale à l’intéressé.
« S’agit-il d’un regrettable acci-
dent ? Non, c’est un geste volon-
taire, a estimé le représentant de
l’accusation. Il n’est pas reproché à
Marc-Antoine Castelain d’avoir
voulu les dégâts qu’il a causés.
Mais il les a provoqués et doit en as-
sumer les conséquences. »
Les policiers réclament des « mesures exceptionnelles » avant les JO
A Paris, les syndicats de police ont notamment exigé des primes pour accompagner leur mobilisation « à 100 % » pour les Jeux olympiques
REPORTAGE
D ans le lexique de l’artille-
rie, on parlerait sans
doute d’un coup de se-
monce. Soit un tir en vue d’inti-
mider l’adversaire sans lui causer
trop de dégâts. Comme souvent
avec les syndicats de policiers, les
actions prévues tout au long de la
journée du jeudi 18 janvier ont
répondu à cet objectif et tenaient
moins de la « journée noire »
annoncée que d’une démonstra-
tion de force savamment dosée,
avec des rassemblements devant
des commissariats et un service
minimum qui a occasionné
DIMANCHE21JANVIER
12H-13H
Aurore Bergé,
ministre déléguée chargée de l’Egalité
entre les Femmes et les Hommes
et de la Lutte contre les discriminations
« Ce n’est pas le procès de la po-
lice, c’est celui de la violence illégi-
time, d’autant plus inacceptable
qu’elle est commise par des gens
qui portent le titre de gardien de la
paix », a plaidé Antoine Vey, avocat
de Théo Luhaka. « Aujourd’hui, la
défense vient vous dire : oui, j’ai
commis cet acte, oui, il a broyé la
partie civile, mais j’avais le droit de
le faire », lui a répondu Thibault de
Montbrial, avocat de Marc-An-
toine Castelain. Tel est le débat
que la cour devra trancher dans le
secret de la salle des délibérés : où
commence et où s’arrête la vio-
lence légitime qu’exerce la police ?
De quel côté de la frontière se si-
tue le coup de matraque litigieux ?
« Coup d’estoc »
La cour devra ainsi dire si ce coup
était volontaire – ce que la dé-
fense reconnaît, donc – et s’il a
entraîné une infirmité perma-
nente – ce que la défense conteste
en jouant sur les mots, qualifiant
l’incontinence aux gaz dont Théo
Luhaka souffrira toute sa vie de
« séquelles ».
Mais elle devra également, sur
demande des avocats de la dé-
fense, se prononcer sur deux cau-
ses d’irresponsabilité pénale pré-
vues par la loi : « n’est pas pénale-
ment responsable la personne qui
agit en état de légitime défense
d’autrui » ; « n’est pas pénalement
jusqu’à deux heures de retard
dans certains aéroports, dont ce-
lui de Roissy-Charles-de-Gaulle
(Val-d’Oise), où la police aux fron-
tières a débrayé.
A Paris, à l’appel du « Bloc »,
treize organisations profession-
nelles menées par le syndicat Al-
liance, de 200 à 300 fonctionnai-
res se sont réunis devant le parvis
de l’Hôtel-de-Ville (4e arrondisse-
ment), la maire (Parti socialiste)
de Paris, Anne Hidalgo, offrant
une cible moins risquée et plus
immédiatement disponible que
le ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, à peine rentré d’un dé-
placement éclair à La Réunion.
Théodore Luhaka (à droite) et son avocat, Antoine Vey (au premier plan), au palais de justice de Bobigny, le 9 janvier. BENOIT TESSIER/REUTERS
responsable la personne qui ac-
complit un acte prescrit ou auto-
risé par des dispositions législati-
ves ou réglementaires, en l’es-
pèce le fait d’employer la force de
manière strictement nécessaire et
proportionnée pour permettre l’in-
terpellation d’une personne en ré-
bellion ». Si la cour estime que
Marc-Antoine Castelain peut bé-
néficier de l’une ou de l’autre,
alors il faudra l’acquitter.
Le policier de 34 ans affirme
avoir donné son fameux « coup
d’estoc » pour venir en aide à son
collègue Jérémie Dulin, alors au
sol et agrippé à une jambe de
Théo Luhaka. « Aucun élément
objectif ne permet d’affirmer
qu’il s’agit d’un cas de légitime
défense d’autrui, a estimé l’avocat
général Loïc Pageot. Théo ne pié-
tine pas Jérémie Dulin. » « A ce
moment-là, son pote se fait piéti-
ner, il est en train de manger »,
pense au contraire Me de Mont-
Quel qu’en ait été le destinataire,
le message délivré par de puissan-
tes enceintes n’en était pas moins
clair, scandé entre deux titres de
techno et les huées d’une assis-
tance hérissée de fanions bleus
frappés du logo d’Alliance. « Sans
congés d’été, les Jeux olympiques,
ce sera… ? », haranguait ainsi Fa-
bien Vanhemelryck, secrétaire gé-
néral du syndicat. « Sans nous ! »,
répondait la foule. – « Sans primes
à hauteur de notre investissement,
les Jeux olympiques ce sera… ? » –
« Sans nous ! »
Massés le long de l’avenue Victo-
ria, interdite à la circulation et sur-
veillée de loin par de discrets effec-
OUESTIONS
POLITIOUES.
« Ce n’est pas
le procès de la
police, c’est celui
de la violence
illégitime »
ANTOINE VEY
avocat de Théodore Luhaka
brial. La cour appréciera, comme
disent les avocats.
La seconde cause d’irresponsa-
bilité pénale ne peut être retenue
non plus, affirme Loïc Pageot, car,
au moment du coup, Théodore
Luhaka « tournait le dos aux poli-
ciers qui le maintenaient par le
pied et par l’épaule, il ne représen-
tait plus un danger ». « Quand le
coup est porté, M. Luhaka ne bouge
pas », a également plaidé Me Vey.
« L’interpellation se passe mal, il ne
s’est pas du tout arrêté ! selon
tifs de gendarmerie mobile, les
fonctionnaires revêtus de l’uni-
forme des policiers en civil ont ac-
clamé chaque envolée, tandis
qu’étaient lâchés des ballons de
baudruche aux cinq couleurs des
anneaux olympiques. « Nous
aussi, on souhaite que les Jeux
olympiques se passent bien et que
ce soit vraiment une fête, concluait
M. Vanhemelryck. Mais, à événe-
ment exceptionnel, mesures excep-
tionnelles. » Grégory Goupil, secré-
taire zonal Alliance 93, approuve le
discours : « Pendant le gros rush, du
23 juillet au 11 août, le ministère
exige 100 % de présents. Le ministre
est à l’écoute, mais on ne sait rien
Me de Montbrial. Le fait de vouloir
que ça se termine vite par un me-
nottage, c’est légitime. » Là encore,
la cour appréciera. La vidéo de l’ar-
restation, déjà visionnée une di-
zaine de fois à l’audience, risque
d’être encore longuement dissé-
quée en salle des délibérés.
Mais l’essentiel est ailleurs pour
Me Vey : « On s’en fout du coup d’es-
toc, c’est pas ça le propos, a-t-il
plaidé. Ça n’est pas le procès du
coup de matraque, mais le procès
de toute l’interpellation, et de
l’absence de secours d’une per-
sonne en garde à vue. » La photo
du visage boursouflé et sanguino-
lent de Théo Luhaka à son arrivée
au commissariat a marqué
l’audience. « C’est le procès de
comportements qui ne devraient
pas exister, ceux de policiers qui né-
gligent, minimisent, dissimulent. »
Deux autres agents étaient ju-
gés aux côtés de Marc-Antoine
Castelain : Tony Hochart – auteur
sur les congés, les cycles de travail,
les “heures sup”. » Son collègue
Yann, 46 ans, dont « vingt ans de
police », en poste dans une brigade
anticriminalité des Yvelines ren-
chérit : « On ne sait pas comment
on va être déployés. Les collègues
avec enfants ne savent pas com-
ment ils vont les faire garder… »
Inquiétudes et revendications se
concentrent autour du montant
et du périmètre de la prime en
cours de discussion avec le minis-
tère de l’intérieur. « On entend par-
ler de la prime habituelle de
500 euros. Si c’est ça, je la renvoie à
Darmanin, ça ne paie même pas les
“heures sup” de la nounou », me-
CARINE
BÉCARD avec
Nathalie Saint-Cricq
et Claire Gatinois
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
d’un coup de poing sur Théo Lu-
haka alors qu’il était immobilisé
au sol – et Jérémie Dulin – auteur
d’un coup de genou alors qu’il
était menotté. L’avocat général a
requis respectivement trois et six
mois de prison avec sursis contre
eux : « Qu’est-ce qui justifie ces
gestes ? Rien. Nous avons besoin
d’une police qui nous protège, pas
d’une police qui exerce des violen-
ces gratuites. »
« Vous avez manqué de discerne-
ment, vous avez manqué d’huma-
nité, et vous avez manqué de pro-
bité », a grondé Me Vey à l’attention
des trois accusés, avant d’appeler
les jurés à « transformer cette injus-
tice en justice », à faire en sorte que
Théo Luhaka passe « du statut de
mort-vivant [tel qu’il s’était décrit]
à complètement vivant », et que
son histoire reste dans les mémoi-
res comme « une affaire de justice,
et pas une affaire de violence ». p
henri seckel
nace Laura, 35 ans. Chrystèle, poli-
cière depuis vingt-sept ans, qui of-
ficie dans un service de plaintes et
de préplaintes en ligne en région
parisienne, va plus loin et souhai-
terait que « les primes soient pour
tout le monde, pas uniquement
pour ceux qui sont mobilisés ».
Yann tranche : « On réclame
2 000 euros pour tous. » Place
Beauvau, où les syndicats repré-
sentatifs ont été reçus lundi 15 jan-
vier, la fin du mois est évoquée
pour « être au clair » sur les mesu-
res d’accompagnement social à
l’occasion des Jeux olympiques. p
antoine albertini
et pierre bouvier
TV canal 27
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 13
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024

L’intersyndicale d’EDF court après l’inflation

Les salariés veulent des hausses de salaire plus importantes afin de compenser leur perte de pouvoir d’achat

P
arce que les salariés ont
œuvré au « redresse-
ment industriel » d’EDF,
l’intersyndicale de l’élec-
tricien revendique, pour 2024, des
augmentations salariales « à la
hauteur du travail fourni » ces der-
niers mois. Dans un communi-
qué publié jeudi 18 janvier, ses
quatre syndicats représentatifs
(CFE-CGC, CGT, CFDT, FO) appel-
lent à une journée de grève, mardi
30 janvier.
Une manière de « rappeler à la
direction que, sans des salariés au
travail, il n’y a pas de production
de richesse ». L’idée ne sera alors
pas de priver de courant les
foyers français, mais plutôt de
frapper les finances du groupe
public, par exemple par la mise à
l’arrêt de sites nucléaires. Ces der-
niers jours, des salariés ont déjà
bloqué le redémarrage de deux
unités, l’une à la centrale de
Cruas-Meysse (Ardèche) et l’autre
à celle du Bugey (Ain).
Ce nouveau conflit social rap-
pelle aussi que, dans ce secteur
comme ailleurs, l’inflation fait
toujours partie du paysage. Voilà
déjà plusieurs années que l’in-
dice des prix à la consommation
progresse davantage que le sa-
laire national de base dans la
branche des industries électri-
ques et gazières, sorte de point
d’indice dont dépendent les ré-
munérations des quelque
64 000 salariés d’EDF SA dans le
pays. D’où une « régression histo-
rique de leur pouvoir d’achat »,
est-il évoqué dans le communi-
qué, surtout depuis 2021.
Pour 2024, dans toute la bran-
che, l’augmentation générale sera
de 2 % pour le salaire national de que l’inflation reflue. D’après les ler, ce qui a été partiellement com- le ministère de l’économie et des laires de 2024], Luc Rémont envoie
base. A cela, la direction de l’entre- projections formulées par la Ban- pensé par l’attribution de mesures finances n’a pas voulu apporter
Mi-2023, la dette un message méprisant aux agents,
prise prévoit d’ajouter une hausse que de France, la progression des individuelles plus ou moins for- de commentaire sur la situation financière nette alors même qu’il dit compter sur
de 0,64 % liée à l’ancienneté, et de prix à la consommation se situera tes », constate Amélie Henri, délé- salariale chez EDF, dont l’Etat est les salariés pour assurer la perfor-
1,5 % à titre individuel, au cas par autour de 2,5 % pour 2024 – contre guée syndicale centrale de la CFE- pourtant redevenu l’actionnaire
de l’électricien mance du parc nucléaire », estime
cas. C’est trop peu, selon l’inter- 5,2 % en moyenne en 2022, et CGC chez EDF. Statutairement, ils unique en juin 2023. s’est stabilisée Thomas Plancot, secrétaire syndi-
syndicale, qui a refusé, le 8 janvier, 4,9 % en 2023. disposent par ailleurs de tarifs Luc Rémont, patron de l’électri- cal central CGT chez EDF.
de signer un accord en ces termes. préférentiels pour l’électricité et cien, a déjà eu l’occasion de louer
aux alentours Après une lutte intense contre la
Le communiqué du 18 janvier « Besoins d’investissement » le gaz, soumis à l’impôt. « la mobilisation extrêmement de 65 milliards réforme des retraites, qui est fina-
s’abstient de préciser le pourcen- Du côté de l’intersyndicale, au vu La direction, elle, souligne que le forte » de l’ensemble de l’entre- lement entrée en vigueur en sep-
tage souhaité par les organisa- des bénéfices escomptés pour groupe public fait toujours face à prise. Le PDG l’a encore redit, le
d’euros tembre 2023, le conflit salarial
tions de salariés. Contactée, la 2023, les organisations veulent à un « endettement élevé », pour ne 8 novembre 2023, à l’occasion de s’inscrit dans un contexte inédit.
CFE-CGC indique avoir com- la fois couvrir l’inflation envisa- pas dire colossal. Mi-2023, sa dette son audition par la commission En novembre, la CFE-CGC a pris la
mencé la négociation annuelle gée et rattraper une petite partie financière nette s’est stabilisée des affaires économiques du Sé- Ainsi, autant l’électricien a es- place de première organisation
obligatoire par un objectif de 4 % de celle des années précédentes. aux alentours de 65 milliards nat. Après un millésime suyé une perte record en 2022 syndicale de l’entreprise. Un fait
de hausses individuelles, en dé- Au cumul, l’indice des prix a bondi d’euros. Et ce, alors que de « forts 2022 grevé par un problème de (17,9 milliards d’euros), autant ses inédit en soixante-dix-sept ans
cembre 2023. Outre celle déjà ob- de plus de 23 % depuis 2010, selon besoins d’investissement » se pro- corrosion sur certaines tuyaute- résultats de 2023, dont la publica- pour le syndicat des cadres, avec
tenue au niveau de la branche, la l’Institut national de la statistique filent. Outre le solaire et l’éolien, le ries de réacteurs, et par ailleurs af- tion est attendue pour le 16 fé- un peu plus de 33 % des voix, soit
CGT pousse pour une augmenta- et des études économiques. gouvernement projette de cons- fecté par le bouclier tarifaire du vrier, s’annoncent fortement po- presque trois points devant la
tion collective en plus, de l’ordre Dans le même temps, le salaire truire jusqu’à quatorze nouveaux gouvernement, le groupe public a sitifs. A mi-parcours, il affichait CGT, laquelle reste néanmoins
de 4,6 %. Ainsi que pour des haus- national de base des électriciens réacteurs nucléaires, comme le redressé sa production nucléaire déjà 5,8 milliards d’euros de béné- encore majoritaire sur l’ensemble
ses individuelles de 2,3 %. et gaziers a bien moins grimpé, chef de l’Etat, Emmanuel Macron, au cours de l’année 2023. Celle-ci fices pour les six premiers mois de de la branche des industries élec-
Afin de justifier sa position, la autour de 10 %. « Les salariés ont l’a rappelé lors de sa conférence de est passée de 279 à 320 térawat- l’exercice écoulé. « Avec une aug- triques et gazières. p
direction d’EDF dit s’attendre à ce donc vu leur pouvoir d’achat recu- presse, mardi 16 janvier. Contacté, theures en France. mentation aussi basse [pour les sa- adrien pécout

Habillement : Pimkie durcit son plan de restructuration

Entre juin 2023 et la fin de 2024, l’enseigne de textile féminin aura fermé plus de 40 % de ses magasins et réduit ses effectifs d’environ 30 %

P imkie taille dans ses effec-

tifs plus rapidement que
prévu. L’enseigne d’ha-
billement féminin a annoncé la
fermeture de 74 de ses 196 bouti-
ques dès 2024, lors d’une réunion
d’information auprès du comité
social et économique, jeudi 18 jan-
vier. En juin 2023, la direction
avait mis en place un plan d’éco-
nomies qui prévoyait la fin de
l’exploitation de 63 boutiques.
Déjà 23 ont cessé leur activité au
31 décembre, les 38 autres – pro-
mises à la fermeture d’ici à 2027 –
vont finalement baisser le rideau
dès cette année. En plus de l’accé-
lération du calendrier, la direc-
tion a rajouté à sa liste 36 autres
succursales qui disparaîtront éga-
lement en 2024.
Le plan de restructuration de
l’enseigne, qui emploie actuelle-
ment 1 375 salariés, implique un
nouveau plan de sauvegarde de
l’emploi (PSE) portant sur la sup-
pression de 239 postes de travail.
Il concerne les magasins (197 pos-
tes) et le siège social de l’entre-
prise, situé à Villeneuve-d’Ascq,
dans le Nord (42 de ses 143 pos-
tes). Au total, entre 2023 et 2024,
l’enseigne aura réduit ses effec-
tifs de 496 postes, précise au
Monde Salih Halassi, PDG de l’en-
seigne depuis septembre 2023.
Soit 30 % de personnel en moins
sur deux ans.
L’accélération de cette restruc-
turation intervient onze mois
L’accélération
intervient
onze mois
après la cession
de l’entreprise
après la cession de l’entreprise,
qui, depuis sa création, en 1971, re-
levait des actifs de l’Association
familiale Mulliez. L’actionnaire
d’Auchan et Leroy-Merlin s’était
résolu à vendre cette chaîne après
avoir échoué à la redresser, mal-
gré la suppression de 200 postes
en 2010 et de 300 en 2018.
Collections à prix modique
Les nouveaux actionnaires, Lee
Cooper, à hauteur de 70 %, Ibisler
Tekstil, l’un de ses fournisseurs, à
hauteur de 15 % du capital, et la
holding de M. Halassi, à hauteur
de 15 %, ont obtenu une enve-
loppe de « 154 millions d’euros »
de l’Association familiale Mulliez
pour éponger ses futures pertes
d’exploitation et financer cette
restructuration et le PSE, précise
au Monde Salih Halassi, le PDG.
« Environ deux tiers des 196 suc-
cursales Pimkie sont déficitaires »,
explique ce dernier. La fermeture
des 74 points de vente dès
2024 doit permettre de « réduire
les pertes d’exploitation de l’entre-
prise à 6 millions d’euros à l’hori-
zon 2025, contre 40 millions
d’euros en 2023 », estime M. Ha-
lassi. A cette date, toujours en ci-
blant les 18-25 ans grâce à des col-
lections à prix modique, l’ensei-
gne table sur 150 millions d’euros
de chiffre d’affaires, contre envi-
ron 200 millions d’euros en 2023,
selon le dirigeant.
Malgré ces difficultés actuelles,
la société espère « un rebond ».
Quitte à rallier de nouveaux affi-
liés à son réseau ; 80 boutiques
opèrent actuellement sous cette
forme proche de la franchise.
« Toutes sont bénéficiaires », note
M. Halassi, qui, à moyen terme,
projette de basculer « 15 à 20 suc-
cursales » sous ce mode opéra-
toire moins coûteux.
A Villeneuve-d’Ascq, l’annonce
de ce PSE n’a pas été une surprise.
Les difficultés de l’entreprise, fi-
gure des centres commerciaux
des années 1990, et la crise que tra-
verse la distribution française de
mode féminine sont connues. Le
secteur a déjà perdu des milliers
d’emplois depuis la liquidation ju-
diciaire de Camaïeu, prononcée en
septembre 2022, et celle de San
Marina, en février 2023. Toutefois,
l’ampleur de ce plan a « aba-
sourdi » Emmanuelle Merzeaud,
déléguée syndicale CGT, première
organisation représentative des
salariés au sein de Pimkie. « C’est
un tsunami », juge-t-elle. Car le pro-
gramme de fermetures de maga-
sins annoncé risque de se solder
par la disparition de l’enseigne
dans plusieurs grosses aggloméra-
tions, « dont Bordeaux, Lille, Tou-
louse et, pour une bonne partie,
dans Paris », déplore cette élue.
Les représentants du personnel
s’inquiètent aussi du contrat d’af-
filiation que Pimkie a signé avec la
chaîne commerciale chinoise Mi-
niso. Car, « afin de renouer avec la
croissance », selon Pimkie, l’entre-
prise s’est engagée dans un parte-
nariat avec cette enseigne de
5 000 points de vente exploités
dans 100 pays dans le monde, qui,
depuis 2021, vend ses gadgets et
jouets en France. Selon ce contrat,
14 magasins Pimkie, dont deux
promis à la fermeture, passeront
sous enseigne Miniso ; 96 salariés
sont concernés par ce change-
ment. « Mais vendre des peluches,
ce n’est pas du tout le même métier
que celui du prêt-à-porter ! », souli-
gne Mme Merzeaud, en jurant que
les représentants du personnel
« ne lâcheront rien » lors de la né-
gociation des modalités financiè-
res de ce PSE. p
juliette garnier
14 | économie & entreprise
INDUSTRIE
Au Salon Auto Moto
& Mobilités, à Toulouse,
le 10 novembre 2023.
PATRICIA HUCHOT-BOISSIER/ABACA
U
ne année en fanfare et puis
un trou d’air… En 2023, le
marché automobile a re-
monté la pente, rattrapant
une partie des ventes per-
dues du fait de la pandémie
de Covid-19 et des arrêts de production liés à
la pénurie de semi-conducteurs, mais il a ter-
miné sur un mois de décembre dans le
rouge. Selon l’Association des constructeurs
européens d’automobiles, les immatricula-
tions ont progressé de 13,9 % en Europe sur
l’ensemble de l’année par rapport à 2022,
passant la barre des 10 millions. Cela intègre
15 % de véhicules électriques, contre 9,1 %
en 2021 et 1,9 % en 2019. Tous les pays sont en
progression, à l’exception de la Hongrie.
L’Italie (+ 18,9 %), l’Espagne (+ 16,7 %) et la
France (+ 16,1 %) se distinguent avec des
hausses à deux chiffres. Mais l’Allemagne
s’essouffle, avec une croissance de 7,3 %.
« Le rattrapage est clair, mais encore trop
modeste pour combler le creux du Covid », es-
time Jamel Taganza, associé du cabinet Ino-
vev, spécialisé dans l’analyse du marché auto-
mobile. A 10,5 millions d’immatriculations
dans l’Union européenne, on est encore loin
des 15,3 millions de 2019. D’autant que le mar-
ché s’est retourné après seize mois de hausse,
reculant de 3,3 % en décembre 2023 par rap-
port à décembre 2022. L’inversion – qui n’a
pas eu lieu en France ou en Italie – a été spec-
taculaire en Allemagne (– 23 %) après l’arrêt
des subventions aux véhicules électriques,
sous contrainte budgétaire : les ventes de
« wattures » ont plongé. Quelles leçons en ti-
rer pour 2024 ? Le marché sera stable, pronos-
tique le cabinet de conseil Alix Partners, qui
table sur une croissance de l’ordre de 1 % l’an
jusqu’en 2027. La proportion du tout-électri-
que passerait alors de 15 à 25 %, celle des mo-
teurs thermiques régressant de 60 % à 31 %,
les motorisations hybrides tirant les ventes.
Quelle part de ce marché atone prendront
les constructeurs chinois ? C’est la question
du moment. « Si BYD parvient à ouvrir une
usine en Europe à la même vitesse que Tesla, il
faudra trois ans pour le voir arriver massive-
ment », pronostique Alexandre Marian, di-
recteur général d’Alix Partners. « Au CES de
Las Vegas [le salon de l’électronique où les
groupes automobiles dévoilent leurs nou-
veautés], ce sont les voitures chinoises qui ser-
vaient de démonstrateur aux innovations des
grands équipementiers », a-t-il noté, signe
qu’ils continuent à investir massivement. Le
français Valeo ou l’américain Beyond, deux
spécialistes des Lidars, ces radars intelligents
qui facilitent la conduite, avaient respective-
ment sur leur stand une Zeekr, la marque
haut de gamme de Geely, et une Nio.
DES USINES PLUS ROBOTISÉES
« L’objectif des constructeurs chinois, c’est de
dominer le marché mondial », assure An-
thony Morlet-Lavidalie, économiste chez
Rexecode, un institut de conjoncture éco-
nomique financé par les entreprises. Après
avoir disséqué la montée en puissance de
l’industrie automobile chinoise, dans une
étude parue en novembre, cet expert a en-
trepris de sonder les industriels français sur
leur riposte face à cette déferlante : en 2019,
la Chine exportait cinq fois moins de voitu-
res que l’Allemagne ; en 2023, elle en a
vendu 50 % de plus. « Cela va très vite », in-
siste-t-il. En valeur, l’Allemagne garde une
Les Européens s’entendent pour réduire les émissions de CO2 des camions
après les voitures et les véhicules
utilitaires légers, qui ne pourront plus
sortir des usines équipés d’un moteur
thermique après 2035, les Européens
se sont entendus sur le sort des ca-
mions et des bus. Jeudi 18 janvier, les
Vingt-Sept et le Parlement européen
sont parvenus à un accord pour ré-
duire quasiment à néant les émis-
sions de CO2 des poids lourds qui se-
ront mis sur le marché en 2040.
« C’est un enjeu majeur, car le trans-
port routier est responsable de 20 %
des émissions de CO2 de l’Union euro-
péenne (UE) », explique Pascal Canfin,
président de la commission de l’envi-
ronnement du Parlement européen,
qui se félicite qu’avec ce texte « on con-
tinue la décarbonation de la route ».
Les émissions de CO2 des poids
lourds neufs de plus de 7,5 tonnes
L’Europe face à la vague
automobile chinoise
Le marché européen a rattrapé une partie de son retard
post-Covid, mais il marque déjà le pas. La hausse du prix
des voitures se heurte au pouvoir d’achat, et la puissance
des constructeurs chinois écrase les perspectives
longueur d’avance, mais elle pourrait la
perdre dès cette année. Sur le marché de
l’électrique, le chinois BYD a doublé l’améri-
cain Tesla.
« L’investissement qui est fait par les entre-
prises automobiles chinoises s’apparente à un
effort de guerre : massif et rapide, constate
Anthony Morlet-Lavidalie. Depuis 2022, il
augmente de près de 20 % l’an, alors qu’il pro-
gresse très légèrement en Europe. La produc-
tion, elle, est en hausse de 9 % l’an depuis dix
ans. » Les usines sont plus robotisées qu’en
Europe. Le secteur est massivement aidé, à
tous les niveaux de la chaîne de production :
matières premières, prix de l’énergie, fabrica-
tion de batteries, assemblage des véhicules,
mais aussi avec un soutien de la demande. Et
ce soutien au secteur automobile fait partie
de la stratégie de Pékin face au ralentisse-
ment de la croissance. Il s’agit de « réarmer
l’industrie et l’export plutôt que la demande
intérieure », note M. Morlet-Lavidalie.
ainsi que des bus qui circulent entre
plusieurs villes devront être réduites
de 45 %, d’ici à 2030 (par rapport à
2019), de 65 %, d’ici à 2035, et de 90 %,
d’ici à 2040. Contrairement à ce qui a
été décidé pour les voitures, il était
très difficile d’imposer à ce secteur la
neutralité carbone. En effet,
aujourd’hui seulement 1 % des ca-
mions fonctionnent à l’hydrogène ou
à l’électrique, alors que plus de 10 %
du parc automobile, avant la législa-
tion européenne, roulait déjà sans
émettre de CO2. La marche à franchir
est donc nettement plus haute.
« Travailler l’aérodynamisme »
A compter de 2035, ces objectifs s’im-
poseront également aux véhicules
professionnels, comme les camions-
poubelles ou de construction. Quant
« L’INVESTISSEMENT
QUI EST FAIT PAR
LES ENTREPRISES
AUTOMOBILES
CHINOISES
S’APPARENTE À UN
EFFORT DE GUERRE »
ANTHONY
MORLET-LAVIDALIE
économiste
aux remorques et aux semi-remor-
ques, ils devront réduire leurs émis-
sions de respectivement 7,5 % et 10 %,
d’ici à 2030, « ce qui peut se faire en tra-
vaillant l’aérodynamisme de leur con-
ception », confie une source. Seuls les
petits camions, entre les utilitaires et
les poids lourds, ne sont pas concer-
nés par cette nouvelle législation. Les
tracteurs y échappent aussi. « Au to-
tal, le texte couvre 98 % du marché du
camion », poursuit cette source.
Pour l’ONG Transport & Environ-
ment (T & E), la feuille de route euro-
péenne signifie qu’« environ 30 % des
camions vendus en 2030 et au moins
75 % de ceux qui le seront en 2040 se-
ront à zéro émission ». L’Italie, qui a
tenté d’obtenir une dérogation pour
les camions roulant avec des carbu-
rants alternatifs (synthétiques ou bio-
Dans son dernier rapport annuel, BYD re-
cense douze postes de subventions publi-
ques. Sans attendre les conclusions de l’en-
quête lancée en octobre 2023 par la Commis-
sion européenne sur ces subventions, l’éco-
nomiste libéral conclut donc : « Le
protectionnisme n’est pas souhaitable en soi,
mais à un certain moment c’est le seul moyen
de ne pas se faire siphonner tout son marché. »
Au plus près du terrain, c’est la question du
pouvoir d’achat qui préoccupe les acteurs.
« La vague chinoise ne sera un risque que si
elle est terrassante en termes de prix et si le
marché du véhicule électrique se développe
vite. Or, c’est encore loin d’être le cas », cons-
tate Jamel Taganza. A ses yeux, le modèle
haut de gamme de BYD, la Seal, une berline
élégante, a moins d’atouts que la Tesla mo-
dèle Y, et son Atto 3 est moins attractive que
la Megane E-Tech de Renault. A ce stade,
seule la marque MG a un positionnement
prix agressif, qui lui permet de faire 60 % des
carburants), n’a pas obtenu gain de
cause, mais la commission s’est enga-
gée à étudier le dossier plus tard. A
part le constructeur Iveco, aucun in-
dustriel du secteur n’en voulait. « Les
négociateurs ont résisté au lobbying
de l’industrie du carburant fossile », se
réjouit T & E.
Pour les autobus urbains neufs, le
Parlement européen et les Etats
membres ont convenu que leurs
émissions de CO2 devraient être ré-
duites de 90 %, d’ici à 2030, et de
100 %, d’ici à 2035. La France, qui, avec
le soutien de la Suède et de la Rouma-
nie, tenait à donner un peu plus de
temps aux collectivités locales pour
remplacer leur flotte que ne le pré-
voyait initialement la commission, a
été entendue. p
virginie malingre (à bruxelles)
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
ventes de voitures chinoises en Europe. Pour
Philippe Houchois, analyste financier chez
Jefferies, « deux conditions sont nécessaires
pour que le marché du véhicule électrique ac-
célère en Europe : il faut développer une offre
plus abordable et rassurer les clients sur l’évo-
lution de la technologie et de la valeur rési-
duelle de leur véhicule », c’est-à-dire sa valeur
à la revente. La première semble en passe
d’être tenue avec l’arrivée de modèles
comme l’ë-C3 chez Stellantis, et la R5 de Re-
nault, autour de 25 000 euros. La seconde est
plus complexe. Le loueur de voitures Hertz,
qui a décidé de revendre plus vite que prévu
sa flotte de véhicules électriques aux Etats-
Unis, n’envoie pas un signal positif, même
s’il s’agit pour l’instant d’un exemple isolé.
GRISE MINE
Alors que, depuis deux ans, Stellantis et Re-
nault ont redressé leurs résultats de manière
spectaculaire en ne transigeant pas sur le prix
des véhicules, cette position sera plus dure à
tenir. Avec une pression supplémentaire, rap-
pelle le cabinet Alix Partners : au rythme ac-
tuel de passage à l’électrique, les construc-
teurs auront le plus grand mal à atteindre les
objectifs européens de réduction d’émissions
de CO2, s’exposant à des sanctions. Face à cette
incertitude, les conséquences sociales sont
visibles. Le ralentissement des ventes de Fiat
500 électriques sur le marché européen – sauf
en France – conduit Stellantis à mettre
2 250 salariés en chômage partiel à Mirafiori,
près de Turin, du 12 février au 3 mars. L’équi-
pementier Valeo envisage de supprimer
1 150 postes dans le monde (sur 109 900),
dont 235 en France. Quant à l’introduction en
Bourse d’Ampere, la filiale de Renault dédiée à
la voiture électrique, prévue au premier se-
mestre 2024, elle s’annonce incertaine.
Sur les immatriculations en 2023 en Europe,
outre Tesla avec son envolée spectaculaire de
89 %, Dacia (filiale de Renault) et Skoda (Volk-
swagen), qui pratiquent des prix serrés, font
figure de grands gagnants, passant la barre
des 500 000 voitures vendues, avec des pro-
gressions respectives de 18 % et 26 %. Même si
les ventes de la Megane électrique ont déçu
dans le Groupe Renault, les chiffres sont en
hausse de 16 %. A côté, Stellantis fait grise
mine avec moins de 3 % de croissance en Eu-
rope : un peu plus de 2 % chez Peugeot, un
bond en avant chez Jeep et Alfa Romeo, mais
un recul chez Fiat et Citroën. Volkswagen
creuse l’écart avec 2,7 millions de véhicules
vendus en Europe (+ 18,8 %), contre 1,88 mil-
lion pour le groupe dirigé par Carlos Tavares.
Pour Anthony Morlet-Lavidalie, avec sa tré-
sorerie et ses volumes, Volkswagen reste l’un
des mieux placés pour affronter la vague chi-
noise. Les analystes, eux, saluent la perfor-
mance boursière de Stellantis. Le groupe,
bien implanté aux Etats-Unis, a aussi signé
un accord avec la société chinoise Leapmo-
tor, pour assurer ses arrières. p
sophie fay
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024 économie & entreprise | 15

La Hongrie, championne des batteries en Europe

Le pays s’apprête à devenir le deuxième producteur de batteries électriques sur le continent

budapest - envoyé spécial reaux tout neufs sur les bords du La première usine de batteries Mais la clé du succès semble rési- Shenzhen pour visiter la « Silicon
Danube. Selon les projections de hongroise a été ouverte sur place BUDAPEST PROFITE der dans la capacité de Viktor Or- Valley chinoise » et rencontrer des

D es chantiers à perte de
vue, des usines qui sur-
gissent de terre en un
temps record, des milliers de tra-
vailleurs amenés du monde entier
pour travailler 24 heures sur
24 pour en faire avancer la cons-
truction… Aucune ville en Europe
ne change actuellement aussi ra-
pidement grâce au virage de la
mobilité électrique que Debrecen,
en Hongrie. Deuxième ville de ce
pays d’Europe centrale, la cité si-
tuée à deux heures et demie de
route à l’est de Budapest prévoit de
créer d’ici quelques années plus de
15 000 emplois, pour produire sur
des centaines d’hectares des voi-
tures électriques dans une usine
dernier cri de BMW et des batte-
ries pour le géant chinois CATL.
Ce boom spectaculaire d’une
ville jusqu’ici un peu endormie
est devenu le meilleur symbole
du rêve de Viktor Orban de faire
de son pays « une superpuis-
sance » de la mobilité électrique
en profitant de la décision euro-
péenne d’arrêter en 2035 la vente
de voitures thermiques neuves.
« Nous étions déjà en 2022 le
quatrième producteur mondial de
batteries », célèbre avec un grand
sourire Peter Kaderjak, président
de l’Association hongroise des
batteries, une structure en pleine
croissance installée dans des bu-
la Cour des comptes européenne,
la Hongrie devrait être d’ici à
2030 le deuxième principal pro-
ducteur de batteries en Europe,
avec une capacité de production
annuelle comprise entre 178 et
188 gigawattheures, soit autour
de 3,5 millions de batteries de
50 kilowattheures. C’est certes
derrière l’Allemagne, mais loin
devant ses concurrents régio-
naux habituels, comme la Tché-
quie, ou même d’un grand pays
comme la France. « On aura peut-
être un quart de la capacité de pro-
duction européenne alors qu’on
est un tout petit pays », célèbre cet
ancien secrétaire d’Etat de Viktor
Orban : « La Hongrie accueille déjà
les trois principaux producteurs
automobiles allemands, on a de
bonnes infrastructures et une
main-d’œuvre assez peu chère. »
Avec déjà environ 5 % de son PIB
dépendant de l’automobile et
150 000 employés dans le secteur,
la Hongrie profite en effet de son
expertise accumulée depuis son
adhésion à l’Union européenne,
en 2004, un élargissement qui a
fait de toute l’Europe centrale la
base arrière de l’industrie auto-
mobile allemande. Mais, désor-
mais, Budapest compte surtout
sur les capitaux asiatiques et no-
tamment chinois pour gagner la
bataille de l’électrique.
en 2017 par le coréen Samsung et
affiche déjà une capacité de près
de 40 gigawattheures. A Debre-
cen, le chinois CATL a promis de
construire à terme la plus grande
usine de batteries d’Europe, avec
une capacité annoncée de 100 gi-
gawattheures. Et en décem-
bre 2023, BYD, principal concur-
rent de Tesla, a annoncé à son tour
qu’il avait choisi Szeged, dans le
sud de la Hongrie, pour ouvrir sa
première usine de voitures élec-
triques sur le Vieux Continent,
aux dépens des espoirs français.
Coût du travail
Dans son communiqué, BYD jus-
tifie son choix de la Hongrie,
qu’elle présente comme « une pla-
que tournante essentielle pour la
logistique » automobile, « dotée
d’une infrastructure mature et
d’une base industrielle bien éta-
blie ». « La raison principale est que
BYD y a déjà une usine [qui fabri-
que des bus électriques, depuis
2017, dans la ville de Komarom,
dans le nord], explique Jean-Briac
Dalibard, représentant du cons-
tructeur chinois en France. BYD a
déjà du personnel en Hongrie, des
liens avec des fournisseurs locaux,
de bonnes relations avec les auto-
rités publiques hongroises, bref
tout un écosystème productif, in-
dustriel et politique favorable. »
DE L’EXPERTISE
ACCUMULÉE
DEPUIS SON
ADHÉSION À L’UNION
EUROPÉENNE,
EN 2004
La Hongrie est certes en situa-
tion de plein-emploi, mais le coût
du travail y reste plus faible qu’en
Pologne ou en Tchéquie et M. Or-
ban a de plus opéré un virage poli-
tique spectaculaire, en permet-
tant ces derniers mois aux indus-
triels de pouvoir faire venir des
milliers de travailleurs depuis
toute l’Asie. Pour Andrea Elteto,
spécialiste de politique indus-
trielle à l’Institut d’économie
mondiale de Budapest, les inves-
tisseurs apprécient « des sanctions
minimales lorsqu’ils commettent
des atteintes environnementales »,
alors que l’arrivée des usines de
batteries a déclenché des mouve-
ments de protestation écologistes
ces derniers mois. « Les standards
environnementaux sont les mê-
mes dans toute l’Europe », conteste
M. Kaderjak, en reconnaissant que
« les autorités sont en phase d’ap-
prentissage » sur ce sujet.
ban à cultiver ses liens de proxi-
mité avec Pékin. En octobre, il était
le seul dirigeant de l’Union euro-
péenne à avoir assisté au sommet
« ceinture et route » (le nouveau
nom du projet géopolitique des
« nouvelles routes de la soie »
voulu par le dirigeant chinois, Xi
Jinping). Connue pour ses dérives
autoritaires, « la Hongrie n’a ja-
mais critiqué Pékin et peut mainte-
nant lui vendre l’accès au marché
européen », dénonce Mme Elteto.
Le chaud et le froid
Au sein du gouvernement fran-
çais, on affirme ainsi ne pas avoir
été étonné par le choix de la Hon-
grie par BYD. Le ministre de l’éco-
nomie et des finances, Bruno Le
Maire, en avait même été informé
par le PDG du groupe lors de la vi-
site du premier ministre chinois,
Li Qiang, en France, en juin. « Il
avait fait comprendre que l’est de
l’Europe serait privilégié. Il n’y a
donc pas eu de surprise », indique
une source au sein de l’exécutif.
Deux mois plus tard, en août 2023,
M. Le Maire a soufflé le chaud et le
froid lors d’une visite en Chine.
Côté chaud, il a lancé un appel aux
investisseurs chinois, « bienvenue
en France, en particulier dans le do-
maine des véhicules électriques,
des batteries et de la transition
énergétique ». Il s’était rendu à
patrons de grands groupes, dont
celui de BYD. Côté froid, il avait
précisé que la France veut « diver-
sifier ses chaînes d’approvisionne-
ment ». La position de Paris de ré-
duction des risques (« de-risking »)
vis-à-vis de la Chine agace Pékin.
BYD a par ailleurs un passif avec
la France. En 2021, elle avait dû fer-
mer son unique usine en France,
installée trois ans plus tôt à Beau-
vais (Oise) pour construire des
bus électriques. Le constructeur
avait investi 10 millions d’euros,
sans soutien public, et promettait
un millier d’emplois. En réalité, à
peine une trentaine de bus ont été
produits et autant de salariés re-
crutés, faute de débouchés, en rai-
son du scepticisme des collectivi-
tés à commander des bus chinois.
La décision française d’exclure les
voitures électriques produites en
Chine du bonus écologique a en-
core accru l’acrimonie.
Paris ne perd toutefois pas es-
poir. Selon nos informations, une
équipe de BYD s’est déplacée en
France fin 2023 pour visiter des si-
tes potentiels. Mais aucun accord
n’a été scellé. Rien n’indique que le
groupe chinois décide d’une nou-
velle implantation en Europe, et a
fortiori en France, mais le gouver-
nement maintient le contact. p
bastien bonnefous (à paris)
et jean-baptiste chastand

En Moselle, l’automobile
a pris le relais de la sidérurgie
Dans la Lorraine industrielle, Stellantis, Ineos ou Continental
entament l’évolution vers l’électrique et transforment le territoire

metz - correspondant quante ans dans la fabrication de voiture aux antipodes de la petite
boîtes de vitesses, le site de Metz citadine : le 4 × 4 Grenadier, dont la

L orsqu’une implantation en
lien avec l’automobile est
envisagée en Europe, le
nom d’Hambach (Moselle) appa-
raît souvent. En septembre 2023,
le magazine Challenges a cité dans
sa rubrique confidentielle sa mé-
gazone industrielle parmi les can-
didats à l’accueil du géant chinois
SAIC qui fabrique et commercia-
lise la marque MG. Le construc-
teur veut fabriquer sur le Vieux
Continent une voiture particu-
lière, probablement électrique. Il
est aussi question d’une petite hy-
investit en ce moment 60 mil-
lions d’euros dans une nouvelle li-
gne de production de compo-
sants pour boîtes hybrides. Cette
nouvelle génération y est assem-
blée depuis 2023 par le biais d’e-
Transmissions, une coentreprise
avec le belge Punch Powertrain,
qui veut atteindre, en 2024, les
600 000 boîtes produites.
« Bilinguisme »
Vieux de quarante ans, le site de
Trémery, plus grande usine de
moteurs diesel au monde du
version pick-up a été lancée fin
2023. Ce dynamisme se traduit
aussi par la présence de nombreux
équipementiers. Dont beaucoup
d’allemands. « Ils trouvent ici de la
surface, une main-d’œuvre accou-
tumée à l’industrie et les aides de la
région et du département. Et un
état d’esprit similaire, avec beau-
coup de bilinguisme », décrit Mo-
selle Attractivité.
Continental possède à Sarregue-
mines sa plus grosse usine fran-
çaise (1 400 salariés) avec 8,5 mil-
lions de pneus et 2 millions de kits

bride, doublée d’un modèle es-
sence, à moins de 15 000 euros. A
côté d’autres lieux en compéti-
tion, en Allemagne ou en Espagne,
groupe, est lui aussi en pleine mu-
tation. S’il produit toujours
5 800 moteurs thermiques par
jour, il en réalise aussi 1 500 élec-
IMMERSION DANS
de réparation réalisés par an. Elle
vient d’investir 7,5 millions d’euros
dans un bâtiment de stockage et se
lance dans des modèles innovants

Hambach et la Moselle se font une
place sur la carte industrielle. Sa
position centrale en Europe, sa
proximité avec l’Allemagne, pre-
mier producteur et équipemen-
tier européen, et les aides régiona-
les et départementales la rendent
particulièrement attrayante.
Sur place, aucun élu ne souhaite
commenter. « Trop prématuré » :
ce coin de Lorraine a trop souffert
par le passé de l’annonce de pro-
jets mirobolants qui n’ont jamais
vu le jour. Cela ne l’a pas empêché
de s’imposer comme une place
forte de la filière. « C’est le fruit
d’une volonté politique de réindus-
trialisation, consécutive aux dé-
clins des mines et de la sidérurgie »,
commente Moselle Attractivité,
l’agence de développement du
conseil départemental.
S’il s’y installait, MG viendrait
chasser sur les terres de Stellantis.
Avec ses deux usines, le construc-
teur y a longtemps constitué le
premier employeur privé
(3 300 salariés) jusqu’à l’arrivée
d’Amazon. Spécialisé depuis cin-
triques depuis 2022. Cent millions
d’euros y ont été injectés pour me-
ner à bien cette transformation
progressive, par le biais d’Emo-
tors, coentreprise créée en 2018
avec le japonais Nidec Leroy-So-
mer. Objectif : 1,4 million de mo-
teurs par an à l’horizon 2025.
A Hambach, Ineos a racheté,
en 2021, à l’allemand Daimler
(Mercedes-Benz Group) l’usine
Smart. Alors que la production de
la Fortwo électrique y sera stoppée
au printemps, le britannique y fa-
brique, depuis octobre 2022, une
CE DYNAMISME
SE TRADUIT AUSSI
PAR LA PRÉSENCE
DE NOMBREUX
ÉQUIPEMENTIERS,
DONT BEAUCOUP
D’ALLEMANDS
L’ÉCONOMIE DU CRIME
à haute valeur ajoutée. A Florange,
Thyssenkrupp possède sa plus im-
portante usine d’assemblage au
monde de colonnes de direction et
de crémaillères. En 2021, le site Cours du soir avec Bertrand Monnet
s’est offert une nouvelle ligne à
haute cadence. Il travaille aussi sur
des produits innovants visant à
équiper les voitures autonomes.
Le fabricant de pompes pour Chaque année, l’économie criminelle générerait plus de 2 000 milliards de dollars. A travers
automobiles Pierburg, à Basse- ce nouveau cycle de cours du soir, nous vous proposons une plongée dans les mécanismes de
Ham, va se diversifier dans la fa- cette économie. Comment elle se nourrit, qui sont les parties prenantes, ce qu’elle rapporte
brication de bornes de recharge et comment il serait possible de la contrôler. Vous pourrez assister aux cinq conférences dans
électrique connectées innovantes. l’auditorium du Monde, mais aussi en direct à distance et en replay à partir du 6 mars.
Le groupe Kroely a annoncé la fu-
ture implantation d’un atelier de Spécialiste de l’économie du crime, Bertrand Monnet est professeur titulaire de la chaire
remotorisation électrique à Hen- Edhec Management des risques criminels et contributeur régulier du journal Le Monde. Il est
riville. Le site Cedilor d’Amnéville notamment l’auteur de « Narco Business », la série d’enquêtes vidéo sur les cartels de la drogue.
mène un projet pilote de recyclage
des batteries au lithium des voitu-
res électriques avec une technolo-
gie avancée d’hydrométallurgie.
Et ArcelorMittal produit à Uc-
kange des éléments de carrosserie
pour l’usine Tesla de Berlin. « Tous
sont à un virage. C’est pour eux une
question de vie ou de mort », ré-
sume Moselle Attractivité. p
philippe marque
16 | économie & entreprise 0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024

PERTES & PROFITS |

Les Chinois moins nombreux p a r p h il ip p e e s c a nde
DAVOS

à voyager en France La délicate alchimie

de la chimie européenne
Les délais d’obtention de visa, les liaisons aériennes moins fréquentes,
les prix de séjour élevés et la concurrence expliquent cette tendance Habituée du Forum économique
mondial de Davos (Suisse), Ilham
croissance, comme la fabrication
du carbonate de soude des dé-
Kadri n’a pourtant guère le temps buts de Solvay, et la chimie de
de profiter des conférences. Ses spécialité (des shampoings aux

E
n ce lundi de janvier, der-
rière les présentoirs du
« Shopping & Welcome
Center » des Galeries La-
fayette, à Paris, les vendeuses dis-
cutent entre elles et s’attardent
sur leurs téléphones portables.
Crèmes Dior, galettes de La Mère
Poulard et parfums L’Occitane
ont du mal à trouver preneurs
dans ce magasin dévolu à la clien-
tèle asiatique. « Il y a beaucoup
moins de monde qu’avant », con-
fie une vendeuse.
Cet espace de 3 800 mètres car-
rés, situé boulevard Haussmann,
accueillait, avant la pandémie de
Covid-19, entre 100 et 120 groupes
de touristes asiatiques par jour,
cornaqués par des guides rému-
nérés à la commission sur les
achats, comme le raconte une
étude de 2020 de l’université Pa-
ris-I Panthéon-Sorbonne. Le ma-
gasin, qui assure la détaxe en di-
rect, a fermé au début de la crise
sanitaire. Il a rouvert en mai 2023.
Manque à gagner
Dans les espaces de repos du
sous-sol, où se rejoignent les tou-
ristes chinois après leurs achats,
on croise Fang Wang, 30 ans. Elle
vit à Nankin et termine un séjour
de quatre jours dans la capitale,
avec un groupe de trente person-
nes : le Louvre, le château de Ver-
sailles, le Panthéon, les Bateaux-
Mouches… « On adore tous Paris,
ses monuments, l’architecture.
C’est magnifique. Et puis, les gens
sont beaux, ils ont l’air de faire
beaucoup de sport », lâche-t-elle
en riant, ravie de son séjour,
même s’il y a eu, à deux reprises
depuis leur arrivée, « des problè-
mes de vol » à proximité du bus.
En France, le nombre de visi-
teurs chinois a sensiblement
baissé depuis la pandémie, et la
reprise est plus lente que prévu.
En 2019, ils étaient 2 millions à ve-
nir découvrir le pays, ce qui repré-
sentait plus de 3,5 milliards
d’euros de recettes. En 2023, cel-
les-ci devraient atteindre un mil-
liard d’euros. En moyenne, les
flux des agences de voyages ont
repris à hauteur de 40 % par rap-
port à l’avant-Covid, note Atout
France. Un manque à gagner pour
la balance commerciale, d’autant
que les Chinois dépensent beau-
coup. S’ils représentaient,
en 2019, 3 % des arrivées dans
l’Hexagone, ils comptaient pour
7 % des recettes touristiques.
La France fait-elle moins rêver ?
La réponse est plus nuancée.
D’abord, la reprise est récente :
les frontières de Chine n’ont rou-
vert qu’en janvier 2023, et sa po-
pulation a privilégié les séjours
de proximité. Ensuite, les servi-
ces consulaires français ont eu
du mal à satisfaire les demandes
de visa, dans le cadre d’une nou-
velle procédure.
« La situation s’est améliorée », a
assuré l’ancienne ministre du
tourisme, Olivia Grégoire, lors
d’une conférence de presse en
Chine, où elle s’est rendue les 4 et
5 janvier, afin de faire « la promo-
tion de la destination France », se-
lon le langage employé par les
professionnels du secteur. Il faut
désormais trois ou quatre semai-
nes pour avoir un visa, et pas
trois mois, comme à l’été 2023.
L’année franco-chinoise du tou-
risme culturel, lancée début
2024 avec une programmation
artistique en Chine et en France,
En 2023,
l’Espagne a
devancé la France
en matière
de recettes
touristiques
internationales,
et la reprise
y a été plus forte
devrait aussi faire office de vi-
trine. En outre, Air France a re-
pris ses liaisons quotidiennes
vers Pékin et Shanghaï à l’été
2023, mais avec un vol par jour,
contre deux avant la pandémie.
« La situation a beaucoup
changé. On doit contourner la
Russie, ce qui augmente les temps
de vol, les coûts de personnel et de
carburant », observe un porte-
parole. Un nouvel équilibre con-
currentiel est à trouver, car les
compagnies chinoises ne sont
pas soumises à cette contrainte,
et ont donc des coûts inférieurs.
Craintes quant à la sécurité
Si les touristes chinois sont
moins nombreux en France, c’est
aussi parce que les prix des sé-
jours se sont envolés, ce qui dé-
courage une partie de la clientèle.
A Paris, le prix moyen d’une nuit
d’hôtel atteint 183 euros en 2023,
soit une hausse de 13 % comparée
à 2022 et de 38 % par rapport à
2019. « La clientèle de groupe avec
un budget serré va avoir du mal à
revenir. Et ce sera difficile pour les
tour-opérateurs de négocier de
bons prix, car d’autres clientèles
ont pris le relais », prédit Frédéric
de Coral, cofondateur de l’agence
de voyages Eluxfrance.
Enfin, des craintes quant à la sé-
curité se sont ravivées, alimen-
tées par la médiatisation, en
Chine, des émeutes urbaines à la
suite de la mort de Nahel M.,
jeune homme de 17 ans tué par un
policier lors d’un contrôle, à Nan-
terre, le 27 juin. « L’imaginaire
autour de la France, ses monu-
ments, son romantisme, reste très
enraciné chez les Chinois. Mais
l’Espagne, qui communique beau-
coup autour de son patrimoine
pour cette clientèle, devient un
gros concurrent », relève Marine
L’Hostis, enseignante-chercheuse
à Excelia, autrice d’une thèse sur
les touristes chinois en France,
soutenue en 2020. En 2023, l’Espa-
gne a d’ailleurs devancé la France
en matière de recettes touristi-
ques internationales, et la reprise
y a été plus forte que dans l’Hexa-
gone, selon la dernière note de
conjoncture d’Atout France, datée
de décembre 2023.
Pour le début de l’année 2024, à
Paris, les prévisions d’arrivées aé-
riennes en provenance de Chine
sont largement supérieures à cel-
les de l’année précédente. « Le re-
tour des touristes chinois va se
faire, mais lentement », anticipe
Carol Pouget, directrice du
Monde de Bo, une agence spécia-
lisée dans les échanges entre la
France et la Chine. « L’enjeu sera
de voir comment les sites les plus
iconiques pourront absorber ce
flux supplémentaire, alors que
beaucoup sont déjà saturés », con-
clut Frédéric de Coral. p
jessica gourdon
journées se bornent à rencontrer
partenaires et clients. Jeudi
18 janvier au matin, elle se trou-
vait dans le centre des congrès
pour évoquer son aventure.
La patronne du groupe chimi-
que belge Solvay n’est plus la pa-
tronne de Solvay, même si elle
n’a pas quitté son entreprise. Le
11 décembre 2023, le groupe s’est
scindé en deux, avec la mise en
Bourse de sa chimie de spécialité,
qui représente 60 % de l’activité
de la société. Les actions nouvel-
les ont été distribuées aux ac-
tionnaires existants.
La chimie européenne n’en est
pas à sa première réorganisation,
mais celle-ci intéresse l’histoire
industrielle française puisque
Solvay avait acheté, en 2015, ce
qui restait de la chimie de Rhô-
ne-Poulenc, autrefois champion
hexagonal du domaine, rebap-
tisé Rhodia. C’est ce morceau qui
constitue une bonne partie des
activités du nouveau Syensqo.
Appelée en 2019 pour « réveiller
la belle endormie », la Franco-Ma-
rocaine Ilham Kadri a fait le mé-
nage dans les activités et le bilan
de l’entreprise qui, avec l’acquisi-
tion de Rhodia, avait récupéré le
mistigri de la dette de Rhône-
Poulenc. La dette réduite de 50 %,
restait à décider du sort d’une
entreprise comportant des acti-
vités très rentables mais sans
En Suède, la fin de la « fika »,
la pause-café gratuite
puces et batteries), en plein essor.
Plutôt que de profiter des béné-
fices de l’une pour financer le
développement de l’autre, le
conseil d’administration a opté
pour la scission. Les cures de
minceur sont à la mode dans ce
métier mal aimé des marchés,
car déclinant en Europe.
Réglementation pointilleuse
C’est le drame de la chimie. L’Alle-
magne, ancien champion mon-
dial, avait déjà encaissé la mon-
tée en puissance de l’Amérique,
de la Chine et des pays du Golfe.
Mais la fin du gaz russe bon mar-
ché a porté un coup très dur aux
fleurons industriels rhénans.
Pour s’en sortir, les Allemands
sont partis en Chine, et Solvay en
Amérique. Désormais, 41 % des
activités de Syensqo sont implan-
tées aux Etats-Unis, 35 % en Asie
et moins d’un quart en Europe.
« Nous allons là où sont nos
clients et où l’énergie est bon mar-
ché », reconnaît Ilham Kadri. A
cela s’ajoutent une réglementa-
tion plus pointilleuse sur le
Vieux Continent et des incita-
tions financières très fortes
outre-Atlantique. A présent, la
Chine contrôle 50 % de la chimie
mondiale, indispensable, entre
autres, pour la transition énergé-
tique. Une autre histoire du dé-
clin industriel européen. p

La « cryptocriminalité » en baisse en 2023, P artout en Suède, au bureau comme dans les usines, la
pause fika est sacro-sainte. En général, on s’arrête de tra-
vailler autour de 9 h 30, puis de 14 h 30, pour une pause-
café entre collègues. Dans certaines entreprises, ces rendez-
vous sont plus spontanés. Mais tout le monde finit par se re-
trouver devant la machine à café, avec en acmé le fredagsfika : la

mais ses formes et ses canaux évoluent pause-café du vendredi, plus longue, où l’on déguste des vien-
noiseries. Mais voilà : depuis le début d’année, le fika se re-
trouve dans la tourmente, après la publication d’un article dans
le journal des travailleurs communaux Kommunal arbetaren,
La valeur des cryptoactifs volés ou détournés a reculé de 39 % sur un an, selon la première le 3 janvier, qui révèle que, dans certaines collectivités locales, le
estimation du cabinet Chainalysis, mais elle a plus que quintuplé depuis 2018 café est désormais payant. Pis, certaines communes et régions
feraient des différences entre les catégories socioprofession-
nelles. Ainsi, dans les régions, 94 % des fonctionnaires ont droit
à du café gratuit, contre 75 % seulement des aides-soignantes.

L e rebond du marché des

cryptomonnaies en 2023,
parachevé le 11 jan-
vier 2024 par la cotation de
onze premiers fonds indiciels co-
tés en bitcoins, semble bien s’être
accompagné d’une baisse de la
criminalité impliquant ces actifs
financiers. La valeur globale des
cryptoactifs ayant fait l’objet de
transactions illicites a en effet for-
tement diminué en 2023 à
24,2 milliards de dollars (22,3 mil-
liards d’euros), soit 39 % de moins
qu’en 2022, selon la première esti-
mation du fournisseur de don-
nées spécialisé dans l’analyse de la
blockchain Chainalysis publiée
jeudi 18 janvier. Elle représente
0,34 % de l’ensemble des volumes
de transactions sur ces marchés
contre 0,42 % un an plus tôt, un re-
cul dans lequel la société voit le re-
flet « de la maturité croissante de
cette classe d’actifs numériques ».
Mais pas question de se réjouir
trop vite, reconnaît-elle dans
cette étude sur les tendances an-
nuelles du « cryptocrime », appel-
lation qui regroupe entre autres
le vol d’actifs, les fraudes en ligne
et les détournements de fonds,
les attaques au rançongiciel (logi-
ciel pirate qui bloque l’accès au fi-
chier du réseau informatique at-
taqué jusqu’au paiement d’une
rançon) ou encore le finance-
ment du terrorisme. Son estima-
tion, explique Chainalysis, cons-
titue en effet très probablement
le bas d’une fourchette appelée à
évoluer. Le chiffre de 2022, estimé
dans un premier temps à
20,6 milliards de dollars, a ainsi
été révisé depuis à 39,6 milliards.
Dans l’intervalle, une partie des
destinataires non identifiés ini-
tialement ont pu être formelle-
ment reliés à des sites ou des or-
ganisations faisant l’objet de
sanctions.
Le montant révisé pour 2022 in-
tègre en outre 8,7 milliards de dol-
lars réclamés par des investis-
seurs à FTX, la plate-forme
d’échanges de cryptoactifs qui a
fait faillite cette année-là. Chaina-
lysis tire ainsi les conclusions de
la condamnation pour fraude de
l’ex-patron de FTX, Sam Bank-
man-Fried, en novembre 2023.
La baisse marquée des détour-
nements de cryptoactifs en 2023
ne remet par ailleurs pas en cause
la tendance de fond à l’augmenta-
L’analyse
des transactions
illicites dégage la
prééminence des
opérations visant
à contourner
des sanctions
tion de la délinquance sur ce mar-
ché : entre 2018 et 2023, les reve-
nus de la cryptocriminalité ont
bondi de 426 %.
Chainalysis note parallèlement
une évolution marquée des for-
mes de la cybercriminalité : d’une
part une diminution nette des es-
croqueries (− 29,2 %) et des détour-
nements de fonds (− 54,3 %),
d’autre part une hausse des reve-
nus tirés des rançongiciels,
d’autant plus préoccupante qu’elle
marque une inversion de ten-
dance après la baisse de 2022, et de
ceux des marchés du dark Net,
cette part « sombre » d’Internet
qui n’est accessible que par le biais
de logiciels spécialisés.
Changement de stratégie
L’analyse détaillée des transac-
tions illicites dégage une autre
tendance claire, souligne Chain-
alysis : la prééminence des opéra-
tions visant à contourner des
sanctions économiques et finan-
cières. Parmi les principales enti-
tés concernées figure la plate-
forme de transactions russe Ga-
rantex, sanctionnée à la fois par
les Etats-Unis et le Royaume-Uni
pour avoir facilité le blanchiment
d’argent issu d’attaques au ran-
çongiciel et d’autres activités cy-
bercriminelles.
Au total, 61,5 % des montants im-
pliqués en 2023, soit 14,9 milliards
de dollars, avaient trait au con-
tournement des sanctions écono-
miques. Si le bitcoin a longtemps
été la cryptomonnaie préférée des
cybercriminels, sans doute en rai-
son de sa liquidité élevée, la situa-
tion a changé ces deux dernières
années : sa part dans l’ensemble
des transactions illégales est tom-
bée sous 25 % en 2023, contre près
de 75 % en 2018 et encore plus de
50 % en 2021. La majorité de ces
transactions sont désormais réali-
sées en « stablecoins », ces crypto-
actifs dont l’émetteur garantit une
certaine stabilité par rapport à un
actif « classique » de référence, le
plus souvent le dollar américain.
Ce changement de stratégie des
cybercriminels peut s’expliquer
par la volonté de ceux-ci de se pré-
munir contre d’éventuelles fluc-
tuations des cryptoactifs contre le
dollar, dans un contexte de diffi-
cultés croissantes d’accès à la
monnaie américaine par des voies
légales depuis des pays visés par
des sanctions, explique l’étude.
Mais ce souci de protection a
son revers, car les émetteurs de
stablecoins peuvent d’eux-mê-
mes geler les fonds une fois infor-
més de leur utilisation illicite,
comme cela a été le cas ces der-
niers mois pour Tether, premier
émetteur mondial de stablecoins,
pour des actifs liés au finance-
ment du terrorisme en Israël ou à
la guerre en Ukraine. p
marc angrand
Dans certaines municipalités, les employés doivent remplir
un questionnaire à leur embauche : s’ils déclarent aimer le café,
leur salaire est automatiquement amputé de quelques dizaines
de couronnes (quelques euros) chaque mois. La région de Stoc-
kholm est allée plus loin : avant Noël,
les employés du secteur de la santé
SI LES EMPLOYÉS ont appris qu’ils n’auraient plus le
droit au tout aussi traditionnel pa-
DÉCLARENT AIMER LE nier de fruits, qui trône en général
CAFÉ, LEUR SALAIRE près de la machine à café.
Selon le journal Dagens Nyheter qui
EST AMPUTÉ DE révélait l’information le 11 janvier, le
mémo interne envoyé par la direc-
QUELQUES DIZAINES tion de la santé recense une liste de
DE COURONNES produits qui ne sont pas jugés « indis-
pensables pour la production de
soins » et ne seront donc plus pris en
charge. Aux côtés du panier de fruits figure le fikabröd (littéra-
lement « le pain à fika », qui désigne les viennoiseries). Ces éco-
nomies de bouts de chandelle témoignent d’une situation éco-
nomique calamiteuse pour les collectivités locales : en 2023, les
vingt et une régions et un tiers des 290 communes suédoises
ont terminé l’année avec des finances dans le rouge, selon l’as-
sociation des collectivités locales SKL. Or, 2024 devrait être pire,
le déficit passant de 6 milliards de couronnes à 31 milliards (de
525 millions à 2,71 milliards d’euros). En cause : l’inflation et la
hausse des taux d’intérêt, mais aussi une augmentation des be-
soins, dans le secteur de la santé notamment.
En septembre 2023, le gouvernement libéral conservateur,
soutenu par l’extrême droite, a annoncé une rallonge de
10 milliards de couronnes aux collectivités locales. Mais elle ne
suffira pas à éviter les douloureuses restructurations annon-
cées dans les services publics. Partout en Suède, les écoles
voient leur budget resserré, tandis que le grand hôpital de Sahl-
grenska, à Göteborg, qui s’attend à faire un déficit de 1,7 mil-
liard de couronnes entre 2023 et 2024, estime qu’il devra licen-
cier 2 000 de ses 17 000 employés pour espérer retrouver un
budget à l’équilibre. p
anne-françoise hivert (à malmö, suède)
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
Qui peut bénéficier de MaPrimeAdapt’ ?
Le gouvernement a lancé une aide pour adapter son logement à la perte d’autonomie
C’
est, avec la rénova-
tion énergétique des
bâtiments, l’autre
défi du parc immo-
bilier français : l’adaptation des
biens au vieillissement de la po-
pulation. Le nombre de person-
nes âgées de 75 ans devrait attein-
dre, en 2060, les 11,9 millions, se-
lon les projections de l’Institut
national de la statistique et des
études économiques (Insee), con-
tre 7,1 millions aujourd’hui.
Des seniors qui souhaitent à
90 % « vieillir chez eux, dans leur
domicile historique ou, au mini-
mum, dans un endroit où ils se sen-
tent chez eux », comme l’a rappelé
le Haut-Commissariat au plan
dans un rapport sur le vieillisse-
ment de la société française pu-
blié en février 2023. Pour ce faire,
« un effort important d’adaptation
des logements à la hauteur de la
transition démographique à ve-
nir doit donc encore être consenti »,
concluait ce rapport.
Pour inciter les locataires et les
propriétaires à adapter leur habi-
tat, le gouvernement a mis en
place, le 1er janvier, une nouvelle
aide financière appelée MaPri-
meAdapt’. Le dispositif permet de
financer des travaux à l’intérieur
du bien, comme la pose d’un
monte-escalier ou d’un W-C suré-
levés avec barre d’appui, mais
aussi à l’extérieur – par exemple
l’installation d’une rampe d’accès
menant à l’entrée d’un pavillon.
10 000
C’est le nombre de personnes âgées qui meurent chaque année
à cause d’une chute dans leur logement ; ces chutes sont par
ailleurs responsables de près de 100 000 hospitalisations, selon le
gouvernement. Ces accidents ont pour conséquences des troubles
physiques et psychologiques, et peuvent générer une perte d’auto-
nomie. En février 2022, un plan de prévention des chutes
a été mis en place. Il a pour objectif une diminution de 20 % des
chutes mortelles ou entraînant une hospitalisation pour les seniors
de 65 ans et plus, en trois ans.
IMMOBILIER
A Tours, le marché connaît un fort ralentissement
L a douceur du Val de Loire, le
charme des maisons à co-
lombages, le dynamisme
d’une ville étudiante à une heure
de TGV de Paris, comptent parmi
les atouts de la ville. Avec ses quel-
que 140 000 habitants, Tours a
d’ailleurs connu un franc succès
dans la foulée de la pandémie.
« Nous avons vu arriver des Franci-
liens qui venaient chercher des
maisons avec jardin ou des appar-
tements avec un extérieur et de l’es-
pace en plus », témoigne Vincent
Briand, gérant associé chez
ERA Tours. Les prix ont alors beau-
coup augmenté, dépassant parfois
même les 4 000 euros le mètre
carré, un niveau élevé pour une
ville de cette taille.
Mais cette phase est terminée. Le
marché immobilier est très ralenti
depuis quelques mois, à l’instar de
ce qui se passe dans de nombreux
territoires. « Nous vendons surtout
de belles maisons de campagne, es-
sentiellement des résidences secon-
daires, à une clientèle qui n’a pas
besoin de crédit », indique Hugues
Simon, directeur Val de Loire Solo-
gne pour Sotheby’s International
Realty. Pour autant, les profession-
nels du secteur constatent un re-
démarrage des demandes d’avis
de valeur venant de clients inté-
ressés par une mise en vente. Les
prix se sont ajustés ces douze der-
niers mois, accusant une baisse de
7,1 % selon MeilleursAgents. L’un
des quartiers les plus chers est ce-
lui situé au centre-ville, à proxi-
mité du Musée des beaux-arts et
de la cathédrale Saint-Gatien. Les
Issue de la fusion d’anciennes
aides, MaPrimeAdapt’est ouverte
aux propriétaires occupants
comme aux locataires du parc
privé, s’ils en informent leur
loueur. La subvention peut finan-
cer entre 50 % et 70 % des travaux
d’adaptation dans la limite de
22 000 euros hors taxes, en fonc-
tion des revenus du demandeur.
Sont éligibles les personnes en
situation de handicap et pouvant
justifier d’un taux d’incapacité
supérieur ou égal à 50 %, celles
qui reçoivent une prestation de
compensation du handicap, et les
seniors âgés de 60 à 69 ans ayant
un justificatif de perte d’autono-
mie précoce reconnue par un ni-
veau appelé groupe iso-ressour-
ces (la grille va de 1 à 6 en fonc-
tion du niveau de dépendance).
« A partir de 70 ans, l’aide peut
être versée, toujours sous condi-
tions de ressources, même si on
est valide », précise Luc Broussy,
président de France Silver Eco,
une association qui fédère les ac-
teurs économiques liés au
vieillissement, à l’origine du dis-
positif. « L’objectif est de créer un
appel d’air, car aujourd’hui l’adap-
tation d’un bien se fait en
moyenne à 84 ans – beaucoup
trop tard. C’est dès l’âge de 70 ans
que les premières questions liées à
l’adaptation du bien doivent se
poser », souligne-t-il. Les proprié-
taires bailleurs aux revenus mo-
destes ou très modestes et qui
Ajustement des prix
Prix moyen
d’un appartement
Tours
(Indre-
et-Loire)
2 965 €/m 3 300 €/m
Loyer moyen Rentabilité brute
mensuel moyenne
(appartements) (appartements)
13 €/m 2 5,2 %
Infographie Le Monde
immeubles des XVIIe et XVIIIe siè-
cles et les espaces verts en font le
succès, contrebalançant l’absence
de maisons avec jardin et les diffi-
cultés de stationnement.
Proximité de l’université
Il faut compter ici 400 000 euros
pour un quatre-pièces de 90 mè-
tres carrés, mais une maison peut
atteindre 700 000 euros. Le
Vieux-Tours, autour de la place
Plumereau et de ses maisons à co-
lombages, est également très de-
mandé. Commerçant et très vi-
vant, le quartier est prisé des étu-
diants – l’université de Tours est
proche. Une maison avec un es-
pace vert, bien rare, peut se ven-
dre 900 000 euros. Budget à pré-
voir : 360 000 euros pour un ap-
partement familial de 100 mètres
AFIN D’OBTENIR
LA SUBVENTION,
LE DEMANDEUR
DOIT FAIRE APPEL À UN
ASSISTANT DE MAÎTRISE
D’OUVRAGE POUR
RÉALISER LE DIAGNOSTIC
possèdent un logement d’au
moins quinze ans sont eux aussi
concernés par MaPrimeAdapt’.
Mais le dispositif souffre de plu-
sieurs écueils. D’abord, seules les
personnes ayant des revenus clas-
sés modestes ou très modestes
peuvent demander MaPrime-
Adapt’. Ce qui signifie qu’il faut
avoir un revenu fiscal inférieur ou
égal à 21 805 euros par an en pro-
vince et à 28 657 euros en Ile-de-
France, pour une personne seule.
Pour un couple, c’est respective-
ment 31 889 euros et 42 058 euros.
« On peut néanmoins espérer
qu’au fil des années les collectivités
locales prennent en charge le décile
supérieur. Le centre communal
d’action sociale d’Antibes le fait
déjà », indique M. Broussy.
45 000 biens en 2024
De plus, pour obtenir la subven-
tion, le demandeur doit obligatoi-
rement faire appel à un assistant
de maîtrise d’ouvrage pour réali-
ser le diagnostic logement auto-
nomie, et non à un ergothéra-
peute, pourtant spécialisé dans
ces questions. « On privilégie de
cette façon une approche concen-
trée sur le bâtiment, non sur l’envi-
ronnement de la personne âgée.
Or, il ne faut pas s’intéresser qu’au
logement, mais aussi aux activités
de l’occupant, à son état de santé, à
l’aide humaine qu’il reçoit dans son
quotidien », estime Caroline Gi-
raux, ergothérapeute à Rennes,
spécialisée dans la réinsertion et
l’adaptation des logements.
Prix moyen
d’une maison
2 2
Variation des prix
(appartements)
sur un an
– 7,1 %
sur cinq ans
+ 18,6 %
Source : MeilleursAgents
carrés, 130 000 euros pour un
deux-pièces de 30 mètres carrés.
Plus au sud, le quartier des Pré-
bendes, entre le boulevard Béran-
ger et le quartier Jean-Royer, est
aussi recherché, avec ses petites
maisons de ville à un étage. Outre
son charme, il offre la possibilité
de rejoindre la gare TGV en une di-
zaine de minutes à pied. Il faut
compter 700 000 euros pour une
maison et 300 000 euros pour un
appartement neuf de 60 mètres
carrés. Plus proche de la gare et
prisé par les jeunes couples bour-
geois bohèmes : le quartier Vel-
peau. Les prix avoisinent les
250 000 euros pour un trois-piè-
ces de 80 mètres carrés. Les ama-
teurs de vues pourront s’intéres-
ser aux immeubles des années
1970 du bord de Cher. « Ils sont de
Les héritiers et la demi-
sœur adultérine
Le risque : facturer de lourds tra-
vaux là où de simples aménage-
ments seraient suffisants, comme
la réorganisation des placards
d’une cuisine ou la pose d’un tapis
de bain approprié.
Les coûts d’un chantier d’adap-
tation d’un logement sont parfois
très élevés. Comptez près de
10 000 euros pour refaire de A à Z
une salle de bains, nous précise-
t-on chez Silverbat, groupement
d’artisans spécialisés dans les tra-
vaux d’aménagement pour per-
sonnes âgées. « Parfois, il est néces-
saire d’élargir les portes, de casser
des cloisons pour faire une cuisine
américaine, d’abattre un mur por-
teur ou d’électrifier des volets. Là, la
facture est encore plus chère »,
poursuit-on chez Silverbat. Soit
plusieurs dizaines de milliers
d’euros, selon les logements. Le
dispositif n’étant éligible qu’aux
ménages modestes et très modes-
tes, le reste à charge pour eux
pourrait s’avérer dissuasif.
Le gouvernement espère toute-
fois équiper 45 000 logements
en 2024, 680 000 en dix ans. Pour
atteindre cet objectif, il laisse les
particuliers choisir les profession-
nels. « Trop peu d’artisans possè-
dent les bonnes certifications, nous
voulions éviter ce qui se passe avec
la rénovation énergétique et l’obli-
gation de recourir à un profession-
nel reconnu garant de l’environne-
ment pour obtenir les aides », con-
fie M. Broussy. Gare, donc, aux
malfaçons. On peut se tourner
vers les artisans détenant les certi-
fications Silverbat, ProAdapt ou
Handibat, spécialisés dans l’exé-
cution de ces travaux.
Enfin, pour adapter leur loge-
ment à la perte d’autonomie, les
personnes aux revenus « intermé-
diaires », donc non éligibles à Ma-
PrimeAdapt’, peuvent bénéficier
d’un crédit d’impôt couvrant 25 %
des dépenses, dans la limite de
5 000 euros pour une personne
seule (10 000 euros pour un cou-
ple), à certaines conditions. p
ludovic clerima
CLIGNOTANT
qualité, mais attention aux tra-
vaux de mise aux normes à prévoir
et aux charges de copropriété »,
note M. Briand. Le mètre carré
coûte environ 2 000 euros, un peu
moins en cas de travaux.
Pour des logements neufs, il faut
se rendre dans le nouveau quar-
tier des casernes Beaumont-Chau-
veau. Cet ancien terrain militaire
de 10 hectares, au sud de la ville, va
devenir un secteur d’habitat éco-
logique avec une forte implication
des habitants, appelés à participer
QUESTION À UN EXPERT
à l’élaboration du projet. « C’est un
secteur où le vélo, la marche, les
transports en commun seront prio-
ritaires. Les voitures sont garées
dans des parkings en silo en bor-
dure du quartier et tout y est fait
pour la transition écologique », dé-
taille Cathy Savourey, adjointe au
maire de Tours, chargée de l’urba-
nisme. Sont prévus 700 loge-
ments, dont une partie déjà en
cours de livraison. Comptez
250 000 euros pour un deux-piè-
ces de 45 mètres carrés.
D’autres quartiers en devenir
peuvent intéresser les investis-
seurs, notamment Coty et Sainte-
Radegonde, au nord de la ville.
« La pénurie de biens à louer rend
l’investissement locatif pertinent,
d’autant que le dispositif Pinel
s’applique encore un an et que
Tours y est éligible », relève
Alexandre Veronneau, directeur
d’agence chez Bouygues Immobi-
lier. Dans ces quartiers, le mètre
carré s’affiche entre 4 500 euros
et 5 000 euros. p
nathalie coulaud
argent | 17
SOS CONSO
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
U
ne enfant adultérine peut-elle revendiquer une
part de l’héritage de son défunt père ? Telle est la
question que pose l’affaire suivante. Lorsque
M. X meurt, en 2016, son épouse et ses deux en-
fants signalent au notaire qu’« il n’existe aucun autre ayant
droit » qu’eux. Or, en 1982, M. X a eu une fille adultérine,
Melle Y, qu’il a reconnue, et avec laquelle il a entretenu des
relations, jusqu’en 2009. Elle a droit à la succession, au
même titre que ses demi-frère et demi-sœur : une loi du
3 décembre 2001 a en effet supprimé la discrimination qui
existait précédemment entre enfants adultérins et enfants
légitimes, et qui avait valu à la France d’être condamnée par
la Cour européenne des droits de l’homme.
En 2019, Melle Y saisit la justice, afin de faire reconnaître sa
qualité d’héritière et d’obtenir la condamnation des X pour
recel successoral. Elle invoque l’article 778 du code civil qui,
depuis une loi du 23 juin 2006, permet de sanctionner les
héritiers ayant frauduleusement dissimulé l’existence d’un
homologue (et pas seulement détourné des biens).
Elle produit des pièces prouvant que son existence était
connue de la famille de son père : courriels de la demi-sœur
l’appelant « sœurette », photos d’elles en-
semble, lettre du père aux trois enfants
LA PART RECELÉE qu’il dit « aimer strictement à l’identique »,
DOIT ÊTRE EXCLUE et dont il réclame le rapprochement,
auquel son fils s’oppose. Les X, pour leur
DE LA MASSE défense, expliquent qu’ils connaissaient
son existence, mais qu’ils n’étaient pas in-
À PARTAGER formés de sa reconnaissance.
Le tribunal judiciaire de Grenoble re-
connaît à Melle Y la qualité d’héritière réservataire, mais il la
déboute de sa demande de sanction du recel successoral. De
ce fait, il ordonne que la masse successorale, au lieu d’être
partagée en trois, le soit simplement en quatre.
Melle Y fait appel, et obtient gain de cause, le 26 septem-
bre 2023 : les X « se devaient » de signaler son existence au
notaire, qui aurait alors procédé à une « recherche généalogi-
que ». En s’en abstenant, ils se sont rendus coupables de recel
successoral. La cour d’appel de Grenoble juge que les X de-
vront recevoir une part d’héritage inférieure à la sienne.
En effet, comme l’explique Me Gaëlle Carfantan, avocate de
la plaignante, en prenant l’exemple d’une armoire, dont le
prix de vente, de 100 euros, aurait dû être partagé en quatre
parts de 25 euros : « A titre de sanction, la part recelée, de
25 euros, serait exclue de la masse à partager (de 75 euros), la-
quelle serait redivisée en quatre héritiers. Les trois receleurs
recevraient donc chacun 18,75 euros et la victime 18,75
+ 25 euros. » La sanction peut paraître sévère. Mais elle l’est
moins que pour le recel de biens : si c’était une armoire qui
avait été dissimulée, les trois receleurs n’auraient eu aucun
droit sur son partage. p
C R ÉD I T
Des changements d’assurance plus fréquents
La loi Lemoine de février 2022 permet aux emprun-
teurs, depuis septembre 2022, de changer l’assurance
de leur crédit immobilier à tout moment. Dans un rap-
port daté du 15 janvier, le Comité consultatif du secteur
financier dresse un « bilan très positif » de cette loi et
note, entre 2021 et le premier semestre 2023, un « dou-
blement des souscriptions de contrats alternatifs en
substitution » – quand l’emprunteur remplace le con-
trat souscrit à la banque à la signature du prêt par une
assurance externe. Toutefois, « la substitution profite
majoritairement aux populations les plus aisées ».
Assurance-habitation : comment
bien évaluer mon capital mobilier ?
olivier moustacakis, directeur général d’Assurland
Le capital mobilier est la valeur de l’ensemble des biens rattachés au
logement assuré : les meubles, l’électroménager, les appareils électro-
niques, les vêtements… Il constitue un élément-clé dans le calcul du
prix de l’assurance-habitation (la « prime »). Mais il détermine aussi le
montant maximal qui peut être versé pour un sinistre total.
« L’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le mon-
tant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre », prévoit le
code des assurances. Pour évaluer ce capital, on doit procéder à l’in-
ventaire de l’ensemble de ses biens, et conserver les factures, preuves
d’achat ou photos. Une fois le montant total estimé, il faudra sous-
traire un coefficient de vétusté. Dans le calcul des indemnités, les as-
sureurs peuvent en effet appliquer une dépréciation d’environ 30 %
pour les appareils informatiques, 20 % pour la hi-fi et 10 % pour les
meubles et objets courants. Certains contrats proposent un rééquipe-
ment à neuf, moyennant une prime plus élevée.
Cette garantie peut être limitée dans le temps. Les objets pouvant
acquérir de la valeur au fil du temps, tels les bijoux et les œuvres d’art,
doivent être déclarés et garantis à part. Faire appel à un commissaire-
priseur permettra de les estimer au plus juste. Il est conseillé de rééva-
luer son capital mobilier tous les deux à trois ans.
18 | horizons
châteauroux - envoyé spécial
L
a première médaille des Jeux
olympiques de Paris 2024 ne sera
pas décernée à Paris. Ni en Seine-
Saint-Denis, un département
central de la manifestation, ni
même en Ile-de-France, mais à
Déols, dans l’Indre. Ce sera le 27 juillet, au len-
demain de la cérémonie d’ouverture. Une ex-
position médiatique inhabituelle attend
cette commune de 7 500 habitants collée à
Châteauroux. Le stand de tir situé sur son ter-
ritoire devrait être copieusement rempli ce
matin-là de photographes et de cameramen
du monde entier dépêchés pour immortali-
ser la finale du tir à la carabine mixte 10 mè-
tres. Un événement auquel très peu d’habi-
tants du cru devraient assister.
Châteauroux, 43 000 habitants – le nom de
Déols n’apparaît jamais –, n’est pas la seule
ville en dehors de Paris à figurer sur la carte
des Jeux. Lille accueillera le basket-ball et le
handball, Marseille la voile mais aussi le foot-
ball, tout comme Nantes, Lyon, Saint-Etienne,
Nice et Bordeaux. C’est parce qu’elle possède
un équipement sportif de standing interna-
tional que la préfecture de l’Indre a été rete-
nue pour accueillir les épreuves de tir, du
27 juillet au 5 août : le Centre national de tir
sportif (CNTS), un énorme vaisseau de
140 000 mètres carrés propriété de la Fédéra-
tion française de tir (FFTir). Pour financer sa
construction – 38 millions d’euros –, les prati-
quants avaient dû accepter pendant plusieurs
années une augmentation de leur licence de
15 euros, le prix d’une boîte de cartouches.
Inauguré en 2018, le bâtiment n’était pas le
premier choix de Paris 2024. La création d’un
stand de tir temporaire à La Courneuve (Sei-
ne-Saint-Denis) avait longtemps tenu la
corde avant d’être retoqué à l’été 2022 : la dé-
pollution du terrain, gorgé d’hydrocarbures,
aurait lourdement augmenté la facture de
l’installation, qui plus est vouée à être dé-
montée après les Jeux. Plan B situé à environ
270 kilomètres au sud de la capitale, Châ-
teauroux s’est finalement imposée, pour
une ardoise au moins dix fois inférieure :
3 millions d’euros, soit le montant de l’in-
demnisation versée par Paris 2024 à la FFTir
pour l’utilisation du CNTS.
Le coup est joli pour le maire et président de
la communauté d’agglomération, Gil Avé-
rous (divers droite), qui a su mener un lob-
bying discret pendant plusieurs années.
« Personne ne voulait de Châteauroux au dé-
part, se souvient-il. On n’osait pas nous le dire,
mais c’était : “Allez voir ailleurs.” » Egalement
président de l’association Villes de France, ex-
Fédération des maires des villes moyennes,
l’élu savoure davantage qu’un succès person-
nel : l’avènement d’une forme de décentrali-
sation en faveur des agglomérations de taille
modeste, un mouvement dont bénéficie éga-
lement Bourges (63 000 habitants), située à
65 kilomètres et récemment désignée capi-
tale européenne de la culture 2028. Jamais le
Berry n’avait été à pareille fête.
UNE BASE DE L’OTAN
Pour inattendu qu’il paraisse, le label olympi-
que peut aussi être vu comme l’ultime épi-
sode d’une saga singulière, mêlant ruralité et
mondialisation, réindustrialisation et géo-
politique. Si les hangars voisins du CNTS
avaient la parole, ils raconteraient l’étonnant
destin de ce périmètre de 360 hectares ap-
pelé la Martinerie, passé aux mains de l’ar-
mée française, puis américaine, avant de bat-
tre pavillon chinois, puis saoudien. Château-
roux n’a pas attendu les Jeux pour se trouver
à la croisée des enjeux du monde.
La période la plus faste du site fut celle au
cours de laquelle l’Organisation du traité de
l’Atlantique Nord (OTAN) y installa sa princi-
pale base en France. Entre 1951 et 1967, huit
mille GI occupèrent la zone, transformée en
véritable ville avec son hôpital, son cinéma, sa
piscine, son terrain de base-ball, sa nurserie…
Rendue à l’armée française après le départ des
Américains, la Martinerie accueillera plus tard
le 517e régiment du train avant d’être cédée à
Châteauroux Métropole, qui la revendra en-
suite à la découpe. Un lot reviendra à la FFTir,
un autre à un groupe scolaire intégriste, un
dernier à un consortium d’entreprises chinoi-
ses ayant pour projet de créer un vaste hub
sino-européen, avec 4 000 emplois à la clé.
Les promesses resteront en l’état. Les Chi-
nois ne viendront jamais, à l’exception de
trois promotions de 60 à 110 étudiants en-
voyés en vigie pour suivre les cours d’une
succursale universitaire de Pékin. La pandé-
mie liée au Covid-19 mettra fin au projet,
abandonnant l’endroit au chiendent. Seuls
trois anciens dortoirs de 62 chambres dou-
bles ont maintenu une activité sur place. L’un
d’eux est loué par le groupe United World du
Au Centre national de tir sportif, dans l’ancienne base de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, à Déols (Indre), le 15 janvier. CYRIL CHIGOT POUR « LE MONDE »
Châteauroux,
flammèche
olympique
La cité berrichonne se prépare à accueillir les épreuves
de tir de Paris 2024. Un coup de projecteur bienvenu
pour cette ville moyenne, mais la déception pointe chez
certains, compte tenu des faiblesses des infrastructures
prince saoudien Abdullah bin Mosaad Al
Saoud, propriétaire du club de foot de la Ber-
richonne de Châteauroux. Une « académie »
pour footballeurs africains issus de milieux
aisés y recevait encore en 2023 des stagiaires.
C’est dans ses murs que seront hébergés des
athlètes olympiques. Du moins ceux qui vou-
dront bien y loger.
Plusieurs délégations ont préféré réserver
des hôtels, des maisons ou des villages vacan-
SI LES HANGARS
ces : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse, VOISINS DU CENTRE
le Danemark, le Qatar… mais aussi la France.
« Nous avons expérimenté l’endroit à plusieurs DE TIR AVAIENT
reprises pour des compétitions, affirme le di-
recteur technique national de la FFTir, Gilles
LA PAROLE, ILS
Muller. Il y fait froid l’hiver et chaud l’été. L’ab- RACONTERAIENT
sence de climatisation est rédhibitoire. »
Les tireurs tricolores iront dormir à une L’ÉTONNANT DESTIN
heure de route, au bord du lac d’Eguzon, à
cheval sur les départements de l’Indre et de la DE CET ANCIEN SITE
Creuse, dans une base de loisirs flambant DE L’OTAN
neuve et plus « glamour » que les anciens ca-
sernements de la Martinerie. Entièrement fi-
nancée par l’agglomération et la région Cen-
tre-Val de Loire, la facture du chantier s’élève
à 3,8 millions d’euros. Une dépense considé-
rable pour un minivillage olympique boudé
par les Bleus. Les élus « l’ont mauvaise ».
Cette contrariété s’ajoute à d’autres,
comme si Châteauroux n’échappait pas, à
échelle réduite, aux vicissitudes habituelles
des villes olympiques. Ainsi de l’hôtellerie.
En mal chronique de chambres, la petite cité
berrichonne aux dix-sept hôtels croyait
pourtant avoir fait l’essentiel en aidant les
établissements les moins bien cotés à mon-
ter en gamme et à se mettre aux normes d’ac-
cès pour les personnes à mobilité réduite.
La polémique sur l’hébergement est finale-
ment venue, à la mi-décembre 2023, du Co-
mité d’organisation des Jeux olympiques,
qui, après réajustement de ses besoins, a
brusquement décommandé 39 % des nuitées
réservées pour ses personnalités et ses offi-
ciels, soit 492 chambres, en comptant celles
qui ont également été annulées pour avant et
après l’événement. « Ce n’est pas la fin de l’his-
toire. Nous allons maintenant aider les hôte-
liers en orientant vers eux d’autres popula-
tions qui ont besoin d’être hébergées : des visi-
teurs, des prestataires… », promet Edouard
Donnelly, le directeur exécutif des opéra-
tions auprès de Paris 2024.
Les professionnels de l’hôtellerie sont
d’autant plus sceptiques qu’ils doivent aussi
composer avec une concurrence stimulée
par l’effet Jeux : la location de courte durée.
En un an, plus de 150 nouvelles offres ont re-
joint l’offre existante de 250 logements ins-
crits sur la plate-forme de location Airbnb.
Conséquence : additionné à d’autres fac-
teurs (démolition d’immeubles collectifs
dans le cadre de la rénovation urbaine, obli-
gation de diagnostics de performance éner-
gétique, etc.), le phénomène a amplifié la ra-
reté et fait flamber les prix. « Nous sommes
passés de zone détendue à zone tendue sur le
marché locatif, s’étonne Gil Avérous. Les prix
ont augmenté de 7 % en un an, du jamais-vu ! »
A la mi-décembre 2023, l’édile a demandé
une dérogation au préfet de l’Indre pour que
soient mises en place, après les Jeux, des me-
sures fiscales restrictives sur la location de
meublés, comme il en existe dans certaines
grandes villes et aires touristiques.
En attendant, les passionnés de tir sportif –
ils sont généralement issus des catégories so-
cioprofessionnelles les plus favorisées − ne
devraient pas « trop » se ruiner durant les
Jeux. Même multipliée par trois ou quatre, la
location d’un deux-pièces sur Airbnb, de 50 à
70 euros par jour en temps normal, n’aura
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
rien à voir avec les tarifs pratiqués à Paris.
« Les JO à Châteauroux ne seront pas les jeux
de l’arnaque », promet Jacky Thoonsen, le
président de la chambre de commerce et
d’industrie de l’Indre. Seul hic pour la popu-
lation et les visiteurs : la fan-zone, un temps
envisagée, avec écran géant et « ambiance
guinguette », a été supprimée sur décision du
maire, début janvier. Le site prévu, un parc lé-
gèrement excentré, était jugé trop éloigné
par les commerçants du centre-ville. Cette
annulation réduira de 820 000 euros une ar-
doise olympique globale d’environ 10 mil-
lions d’euros pour la ville et l’agglomération.
La moitié provient de la transformation
d’une ancienne chapelle en apparthôtel, le
principal « héritage » que laisseront les Jeux.
Point de « fête » donc, sauf à la faire deux
mois avant, le 27 mai, un lundi. Le conseil dé-
partemental de l’Indre s’est fendu d’un billet
de 180 000 euros pour accueillir le passage de
la flamme olympique. « Les événements fédé-
rateurs sont trop rares dans un territoire rural
comme le nôtre pour ne pas s’en emparer »,
explique son président, Marc Fleuret (Union
des démocrates et indépendants).
UN PROBLÈME D’IMAGE
Le feu athénien traversera ce jour-là un dé-
partement vieillissant, symbolique de la
crise démographique que connaît la France.
L’Indre (217 000 habitants) est promise à per-
dre 700 habitants par an à l’horizon 2070, se-
lon l’Institut national de la statistique et des
études économiques (Insee), pour qui la tran-
che des 20-64 ans, en âge de travailler, baisse-
rait d’un cinquième dans l’intervalle. Un seul
remède pour les collectivités : gagner en no-
toriété et doper l’attractivité. L’équation n’est
pas simple. « Le problème n’est pas que l’Indre
ait ou non une image négative. C’est qu’elle n’a
“pas” d’image », déplore Marc Fleuret. « Beau-
coup de gens confondent encore Châteauroux
avec Châtellerault [Vienne] ou Châteaudun
[Eure-et-Loir] », abonde Gil Avérous, passé
maître en éclairages médiatiques, comme
l’accueil à deux reprises de l’élection de Miss
France (2017 et 2022) ou la mise en ligne
d’une vidéo, en 2016, demandant à l’homme
d’affaires américain Elon Musk d’implanter
une usine Tesla à Châteauroux, une proposi-
tion restée sans réponse.
Et les Castelroussins dans tout ça ? D’après
le Comité d’organisation, la proportion des
« spectateurs régionaux » devrait représenter
un sixième du public, comme sur les autres
sites olympiques français. Avec une nuance
importante : les détenteurs de billets auront
libre accès aux épreuves qualificatives – face
à un stand gigantesque d’une capacité de 80
cibles –, mais pas nécessairement aux finales,
disputées sur un stand plus restreint. Une pe-
tite tribune, de 700 places, sera réservée aux
personnes accréditées. Paris 2024 envisage
d’installer un écran géant à l’extérieur du bâ-
timent pour les spectateurs frustrés qui ne
trouveraient pas de place. Les Jeux comme à
la télévision. Les hangars de la Martinerie
n’ont pas fini d’en raconter. p
frédéric potet
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024 carnet | 19
Saint-Germain-en-Laye. Nicolas, Véronique, Bertrand, Paris.
François (†) et Vincent,
Limdara, Kimrani et Limvirak Chéa, ses enfants et leurs conjoints, Herbert,
ses enfants, Ses quinze petits-enfants son mari,
en vente Le Carnet Aurélien, Jeanne, Timothy et et leurs conjoints,
Ses vingt-et-un arrière-petits-enfants, Carla, Joaquim, Normann, Lester,
actuellement Madeleine,
Bernard Jasson, Samuel et Niklas,
ses petits-enfants,
son frère ses enfants et beaux-enfants,
Vous pouvez nous faire parvenir
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Et toute sa famille,
La Chaire Grands enjeux
stratégiques contemporains,
de Nous, dirigée par Louis Gautier,
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0123
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2024 (en précisant impérativement M. Limsoan CHÉA, ont la tristesse de faire part du décès Ses amis, Panthéon-Sorbonne
LE BILAN ▶ GÉOPOLITIQUE
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Les obsèques auront lieu le lundi
29 janvier, à 10 h 30, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Paris.
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. part du décès de
et à la Leçon inaugurale prononcée
La famille rappelle le souvenir de par le général d’armée
Carine ROBERT, Thierry Burkhard,
son épouse
chef d’état-major des Armées
Andrée, survenu le 16 janvier 2024, à Paris, à

pour vous confirmer la parution. le lundi 22 janvier 2024

3’3’::HHIKLPE=ZVZUU\:
IKLPE=ZVZUU\:??c@c@ee@@aa@@ll@@pp";"; l’âge de cinquante et un ans.
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Portugal cont. 17,50 €, Royaume-Uni 16 £, Suisse 22 CHF, TOM 2 500 XPF, Tunisie 40 DT

Annie, de 18 heures à 20 heures,

Hors-série son épouse, décédée le 22 mai 2012.
carnet@mpublicite.fr Aurélie et Clément, Femme libre, elle était passionnée Centre Sorbonne,
ses enfants, La cérémonie religieuse sera célébrée par la fabrique de la Ville.
HORS-SÉRIE
https://carnet.lemonde.fr le mercredi 24 janvier, à 14 h 30, en
17, rue de la Sorbonne,
Marius, Lila, Élise, Antoine, à Paris 5e,
l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, amphithéâtre Richelieu.
ses chers petits-enfants, Urbaniste, géographe, aménageur,
AU CARNET DU «MONDE» 88, rue de l’Assomption, Paris 16e, Accueil du public à 17 heures.
Toute sa grande famille,
L’HISTOIRE DU
Ses amis,
suivie de l’inhumation au cimetière du
Montparnasse, Paris 14e, dans le caveau
professeur, mère et épouse, sa
disparition laisse un vide
Programme consultable
et inscription obligatoire
PROCHE ORIENT 10 000 ans de civilisation
Naissance ont la douleur de faire part du décès
de
de famille. incommensurable. sur le site de la Chaire :
https://chairestrategique.
Henri DESOBRY njasson@free.fr La crémation aura lieu le 31 janvier, pantheonsorbonne.fr
et Aurore LAMBERT, à 15 h 30, en la salle de la Coupole Les conférences seront aussi
ses parents, Bruno DUCOL, difusées en direct
ÉDIT ION
20 23 compositeur, Stéphane, Annick, Eric, du crématorium du cimetière du Père- via le site de la Chaire.
ont l’immense bonheur d’annoncer ses enfants,
Comprendre le présent à la lumière du passé
Lachaise, Paris 20e. Inscription obligatoire
la naissance de leurs conjoints, Christine et Jean-Pierre,
survenu à son domicile, paisiblement pour recevoir
Hors-série et musicalement, le 11 janvier 2024, Alicia et Anna, « Ce qui compte, le courriel de connexion.
Alix, Odette, Gisèle, Samia ses petites-illes
DESOBRY LAMBERT, dans sa soixante-quinzième année. ce ne sont pas les années
Et Dorian,
son arrière-petit-ils, qu’il y a eu dans la vie. Colloques
HORS-SÉRIE le 5 décembre 2023, à Paris. Ses obsèques seront célébrées en C’est la vie
la salle de la Coupole du cimetière Le vendredi 26 janvier 2024 se
ont la tristesse de faire part du décès qu’il y a eu dans les années ».
desobry.lambert@gmail.com du Père-Lachaise, Paris 20e, le lundi tiendra à Vichy au Palais des Congrès
22 janvier, à 10 h 30. de
le troisième Colloque historique
Bordeaux. consacré au sort des Juifs de France
Décès Ginette MARTY, entre 1942 et 1944.
40
Paris. Rennes. née GREGORI,
Mme Nicole Rouchier-Combrouze,
« La vie simple d’un homme génial. » Les deux premiers Colloques se
CARTES
POUR COMPRENDRE Adami. Katell, Annaïk et François, survenu le 15 janvier 2024, son épouse, sont tenus le 26 août 2022 et le 26 avril
UN MONDE FRACTURÉ ses enfants, à l’âge de cent ans. Ses enfants, 2023 à l’initiative de Fréderic Aguilera,
Yves BAUDELOT leurs conjoints, Olivier et Eve, Ses petits-enfants, maire de Vichy, et de l’association
Manon, Pierre, Hugo, Solenn, Une cérémonie aura lieu le « Les Fils et Filles des Déportés Juifs
Hors-série est mort le vendredi 12 janvier 2024, Alessio, Lorenzo et Elisa, lundi 29 janvier, à 10 heures, au de France » et ont porté le premier
ont la tristesse de faire part du décès sur la grande rale par la police
à l’âge de quatre-vingt-un ans. ses petits-enfants, crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e. de française de 10.000 Juifs étrangers
Alain,
Longtemps avocat du Monde, qu’il son frère le 26 août 1942 en zone libre et le
HORS-SÉRIE

a pris un plaisir inini à défendre, M. André ROUCHIER, second sur les temps forts de l’année
et Chantal, Marylise Léon 1943 pour les Juifs de France.
ancien secrétaire de la Conférence Bertrand, Marie-Françoise, Monique, professeur émérite des Universités,
du stage et membre du Conseil de Et la Commission exécutive de la
Marguerite et Daniel, Denis et CFDT, chercheur en didactique Le Colloque du 26 janvier 2024
l’Ordre du barreau de Paris, il avait Frédérique, Didier et Christine, Gérard
UN LONG CHEMIN
VERS L'INFINI souhaité une cérémonie intime, des mathématiques, portera sur les épreuves des Juifs en
et Noura, ont la tristesse de faire part du décès France en 1944 : qui arrêtait les Juifs
entouré de sa famille, de ses amis et
ses beaux-frères et belles-sœurs, de en 1944 et où (Tal Bruttmann) ; le sort
de ses proches. survenu à Bordeaux, le 11 janvier 2024. des Juifs déportés en 1944 par rapport
ont la tristesse de faire part du décès M. Jean-René MASSON, à ceux de 1942 et 1943 (Alexandre
Nous, Tu fus curieux, humble, artiste à Doulut) ; les enfants d’Izieu dans
Agathe Logeart-Baudelot, de
survenu le 14 janvier 2024, à l’âge de tes heures, radical dans ton humanité la mémoire collective (Dominique
sa femme, Vidaud) ; la rale des enfants des
Thomas et Katia, Jean GUILLAUMEL, soixante-quinze ans. et ton amour des autres. enfants des Centres de l’UGIF (Katty
Hors-série Flore et Reza, né le 26 juin 1941, Hazan) ; les Juifs du Groupe
Valentin et Margot, Ils saluent la mémoire d’un
militant qui a marqué durablement Philippe et Sylvie Wahl, Manouchian (Stéphane Courtois) ;
Fanny et Guillaume, survenu le 13 janvier 2024, à Paris 13e, le sort des criminels allemands et
Musée d'Histoire de Nantes
les enfants, le syndicalisme de transformation Veronique et Dominique Lannes,
HORS-SÉRIE
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24
dans sa quatre-vingt-troisième année. sociale porté par la CFDT. de leurs complices français (Serge
Emile, Malko, Marius, Sabine Wahl, Klarsfeld).
Comment les petits-enfants, Une cérémonie religieuse a été ses enfants et leurs conjoints,
les Mongols Christian Baudelot, Membre du Bureau national de
célébrée le jeudi 18 janvier, à 16 h 30, la CFDT à partir de 1985, Jean-René Emmanuel, Juliette, Adrien, Une exposition d’une vingtaine de
ont changé
le monde son frère, en l’église de Saint-Merri, Paris 4e. panneaux consacrés au sort des Juifs
Odile Penet, Masson a fait partie de la Commission Stanislas, Guillaume, Clotilde et en France en 1944 et préparée par
exécutive confédérale de la CFDT
GENGIS sa sœur
et leurs enfants,
Une autre cérémonie religieuse
a eu lieu en l’église de Saint-Martin,
de 1988 à 1998. Il y a d’abord été
responsable du développement et de
Lauraine, Christian, Caroline, Florence
et Adrien,
les FFDJF sera présentée au Palais
des Congrès de Vichy puis à la

KHAN En partenariat
avec
vous convions à une cérémonie de
l’amitié, le 26 janvier, à la grande
à Rennes, ce vendredi 19 janvier, à
11 heures.
la syndicalisation, avant de devenir
responsable de l’action revendicative.
ses petits-enfants et leurs conjoints,
Alexandre, Apolline, Pia, Maeva,
Médiathèque de Vichy.

Les Actes des Colloques de Vichy

Coupole du cimetière du Père-Lachaise, Joseph, Mazarine et Julia, de 1942 et 1943 ont été édités et
Ni leurs ni couronnes. Auparavant, il avait été le premier publiés par les FFDJF.
Paris 20e, à 10 h 30. ses arrière-petits-enfants,
permanent interprofessionnel de
Hors-série l’Union locale de la CFDT à Morlaix. Il
Un pot sans façon suivra la Des dons peuvent être faits au Renseignements :
sera ensuite secrétaire national puis ont la tristesse de faire part du décès Mairie de Vichy
cérémonie. proit de La Cimade ou du Secours
secrétaire général de la fédération de Tél. : 04 70 30 17 17.
Catholique ou des ofrandes pour Santé-Sociaux.
Cet avis tient lieu de faire-part. www.ville-vichy.fr
100 GRILLES célébrer des messes.
Ses obsèques auront lieu à Quimper, Georgette WAHL, FFDJF,
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 8 (Le Monde du 18 janvier.)
Mme Jessica Azoulai Hazan, le samedi 20 janvier. née MEYER, 32, rue la Boétie.
son épouse, 75008 Paris.
Pierre-Etienne et Béatrice Gaujard, Michaël et Maud Hazan, La famille ne souhaite pas de Tél. : 01 45 61 18 78.
Philippe Gaujard, leurs. survenu à Paris, le 13 janvier 2024, à Klarsfeld.fdjf@wanado.fr
ses enfants, l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
ses neveux, www.klarsfeld-fdjf.org
Adeline Hazan
Sophie Gaujard, (Le Monde du 18 janvier.)
et Fréderic Compain,
sa petite-nièce Une messe est célébrée dans
et son ils, Louis Dalon sa sœur et son beau-frère, Société de psychanalyse
Ainsi que Françoise Jollant
Robert Ouzilou, l’intimité familiale, en l’église Notre- freudienne
ont la tristesse de faire part du décès son frère, Dame-de-Grâce de Passy.
Magazine n° 8 Kneebone, Hélène Darche, Colloque
son amie, de
sa ille, 20 janvier 2024,
Cynthia Lucero et Concepción Silva, Théo et Sandra Besançon, Une cérémonie en sa mémoire se 9 h 30 - 17 h 30,
Collection ses idèles accompagnatrices,

ont la tristesse de faire part du décès

M. Jacques-Hervé HAZAN,
survenu à Paris,
ses petits-enfants, tiendra en l’église de Sarralbe (Moselle),
le samedi 3 février, à 11 heures. Marie Bonaparte et Sigmund Freud
une rencontre destinale,
ont la tristesse d’annoncer la mort de
CHEFS -D’OEUVRE du le dimanche 14 janvier 2024,
à l’âge de soixante-huit ans. Colette OUZILOU, Anniversaire de décès à partir de
EN M I N I AT U R E docteur orthophoniste, Marie Bonaparte/Sigmund Freud.
COLLECTION DES ESSENTIELS DE LA LITTÉRATURE EN VERSION INTÉGRALE
Nicole BRACONIER, La cérémonie religieuse sera Correspondance intégrale.
célébrée le mardi 23 janvier, à 14 h 30, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Édition et préface par
veuve de Marie BOTTIN de BROUCKER Rémy Amouroux.
en l’église Saint-Jacques-du-Haut-
Pas, 252, rue Saint-Jacques, Paris 5e, Les obsèques auront lieu le mardi Traduction par Olivier Mannoni.
Roger TALLON, 23 janvier 2024, à 11 h 30, au cimetière nous a quittés, il y a cinq ans, à l’âge
suivie de l’inhumation, à 16 h 15, Avec la participation de :
au cimetière du Montparnasse, des Longs Réages de Meudon. de trente-six ans.
survenu le 13 janvier 2024,
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. 3, boulevard Edgar-Quinet, Paris 14e. Rémy Amouroux,
Cet avis tient lieu de faire-part. Martine Bacherich,
Ton absence marque nos jours. Tu
Ses obsèques seront célébrées le 71, rue Froidevaux, nous manques tant. Monique David-Ménard,
vendredi 26 janvier, à 14 h 30, au 75014 Paris. Jocelyne, Maryse et Jean-Louis, Laura Dethiville,
crématorium du cimetière du Père- ses enfants, Patrick Guyomard,
Actuellement en vente, Lachaise, Paris 20e. Mlle Christine Hazard, Ses petits-enfants Conférences Olivier Mannoni,
Et ses arrière-petits-enfants, Cécile Marcoux,
le numéro 2 sa ille, Catherine Muller.
Les familles Malouet, Provost, Le Foyer de l’Âme présente
Deux volumes HAMLET Mme François Bouteloup, Junius-Tatum
Société éditrice du « Monde » SA son cycle de cultes-conférences 2024 :
& NOTRE-DAME DE PARIS VOL.1 Président du directoire, directeur de la publication
Mme Rémy Bouteloup, Et ses nombreux amis d’ici et À l’Association du quartier
Louis Dreyfus ses belles-sœurs, « Exils, Arrachement et Renouveau » Notre-Dame-des-Champs,
d’ailleurs,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la Ses nombreux neveux et nièces, • Dimanche 21 janvier, à 10 h 30, 92 bis, boulevard du Montparnasse,
Nos services publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction ont la tristesse de faire part du décès
ont la tristesse d’annoncer la mort de Caroline Saglio-Yatzimirsky,
anthropologue,
Paris 14e.

Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard,
Lecteurs Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis
Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
Harold Thibault
K Abonnements Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
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Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
présidente, Gilles Paris, vice-président
de
Mme Dominique HAZARD,
née Odile BOUTELOUP,
survenu le 17 janvier 2024, dans sa
quatre-vingt-douzième année.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mercredi 24 janvier, à 10 h 30,
en l’église Saint-Pierre de Neuilly-
sur-Seine.
L’inhumation aura lieu le
vendredi 26 janvier, à 10 h 30, dans le
caveau familial de Lacoste (Hérault).
Marcelle PROVOST,
née COEFFARD,
le 13 janvier 2024, à Pontchâteau.
Fawzia Zouari, écrivaine, journaliste,
On se recueillera le 23 janvier, à
Saint-Nazaire.
Ni dieu ni discours, ni leurs ni
couronnes.
Ses cendres seront dispersées à
la belle saison dans l’Atlantique, au
large de La Baule.
Temple protestant du Foyer de l’Âme,
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Renseignements et inscriptions :
psychologue clinicienne,
« La voix de ceux qui crient »,
23, rue Campagne-Première, Paris 14e.
Tél. : 01 43 22 12 13.
• Dimanche 28 janvier, à 10 h 30, www.spf.asso.fr
et sur : spf.asso.fr/journees2024
« Itinéraire entre
l’Orient et l’Occident », Festival
• Dimanche 4 février, à 10 h 30,
Festival Dia(s)porama,
Corinne Lanoir, théologienne, regards
« Arrachement, intégration, sur le cinéma juif international,
assimilation ? Lectures croisées du 22 janvier au 5 février 2024,
17 ictions et documentaires inédits
du livre de Ruth »,
à voir à Paris et en régions,
en salles ou en ligne.
7 bis, rue du pasteur Wagner, Tél. : 01 42 17 10 36.
Paris 11e (M° Bréguet-Sabin). www.diasporama.net
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CULTURE
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024

SÉLECTION

C
e début d’année
donne l’occasion de
voir des tableaux cé-
lèbres signés Ma-
tisse ou Van Eyck,
de visiter des rétros-
pectives consacrées à Ellsworth
Kelly ou à Jean Hélion, d’en ap-
prendre plus sur la civilisation
Mexica ou sur les rapports de Tin-
tin avec son ami Tchang.
« Claude Viallat.
Et pourtant si… »
Carré d’art, Nîmes
Né en 1936, à Nîmes, Claude Vial-
lat a été l’un des piliers du groupe
Supports/Surfaces, dont il fut l’un
des membres fondateurs et sans
doute l’un des plus inventifs.
A 87 ans, il le prouve encore avec
les œuvres récentes (des dix der-
nières années) qu’expose le Carré
d’art de Nîmes. Des peintures qui
portent la marque d’un très
grand coloriste, des sculptures ou
assemblages qui semblent tenir
du jeu, bricolages de presque
rien, des simples bouts de ficelle
parfois, mais qui se révèlent
d’une complexité redoutable et
d’une élégance absolue : le criti-
que et philosophe Yves Michaud
les comparait aux réalisations
d’un sorcier navajo, on peut pen-
ser aussi aux « jeux de ficelle » des
Indiens de l’Arctique canadien…
Un art préhistorique et follement
de notre temps. p harry bellet
Jusqu’au 3 mars.
« Marc Desgrandchamps.
Silhouettes »
Musée d’art contemporain
de Marseille
C’est, après la version qu’en a pré-
sentée le Musée des beaux-arts
de Dijon, à l’été 2023, la deuxième
étape d’une exposition qui se
concentre sur les deux dernières
décennies du travail de Marc
Desgrandchamps, né en 1960. Au
« Hergé et l’art »
et « Tintin et Tchang »
Lympia et Musée départe-
mental des arts asiatiques,
Nice
Le personnage de Tchang, qui ap-
paraît dans deux des albums de
Tintin, a réellement existé et beau-
coup compté dans la vie d’Hergé.
Le jeune Chinois, rencontré
à Bruxelles, transmettra à l’auteur
de bande dessinée des éléments
de sa culture et de son histoire,
qui nourriront Le Lotus bleu et
Tintin au Tibet. Le Musée départe-
mental des arts asiatiques de Nice
consacre une exposition aux liens
entre Tintin et Tchang, illustrés
par une centaine d’œuvres et ob-
jets. Parallèlement, l’Espace cultu-
rel départemental Lympia s’atta-
che à l’auteur bédéaste, dont la vie
se confond avec l’œuvre. Un ar-
tiste autodidacte, admirateur
d’Albrecht Dürer, Hans Holbein,
Ingres, mais aussi du pop art,
du minimalisme, et dont l’univers
artistique est éclairé à l’aide d’une
soixantaine d’œuvres, réunies
grâce à une collaboration avec le
Musée Hergé de Louvain-la-Neuve
(Belgique). p sylvie kerviel
Du 27 janvier au 30 juin.
« Théodore Rousseau.
La voix de la forêt »
Petit Palais, Paris
Théodore Rousseau (1812-1867)
fut un précurseur, à plus d’un ti-
tre. Les écologistes d’aujourd’hui
doivent rendre hommage à celui
qui, inquiet de l’industrialisation
naissante, batailla pour obtenir le
classement d’une partie de la fo-
rêt de Fontainebleau en « réserves
artistiques » : la première réserve
naturelle au monde. Chose faite
en 1853 et officialisée en 1861.
Après avoir tâté de l’Auvergne, de « La Vierge du chancelier Rolin » (vers 1435), de Jan Van Eyck, avant restauration. MUSÉE DU LOUVRE, RMN-GRAND PALAIS/ANGÈLE DEQUIER
la Normandie et du Jura, il avait
choisi Barbizon (Seine-et-Marne),
en 1848, comme un havre où lui

Les grandes expositions

Musée d’art contemporain de
Marseille, on voit autrement les
toiles, accrochées plus bas et avec
le souci de générer un rythme,
avec ses moments d’harmonie et
ses ruptures. Celles-ci sont créées
rendaient visite ses amis Camille
Corot et Narcisse Diaz de la Peña
ou, moins assidus, Jean-François
Millet et Honoré Daumier. Les
impressionnistes voient en lui un
précurseur : outre le fait que, des

particulièrement par des œuvres
que l’on ne peut définir que
comme des paysages profondé-
ment perturbés. Il y a bien un ciel,
un sol et, souvent, un peu de pers-
pective. Mais l’espace est traversé
par des lignes colorées inexplica-
bles, la surface tatouée de taches
non moins incongrues et ces
lieux oniriques habités par des
êtres incomplets. Les allusions
aux arts anciens sont traitées avec
autant de liberté et d’irrespect que
le réel. p philippe dagen
Jusqu’au 31 mars.
« Robert Ryman.
Le regard en acte »
Musée de l’Orangerie, Paris
Le moins que l’on puisse dire est
que le Musée de l’Orangerie ne
craint pas les paradoxes. Dans ce
temple de l’effusion colorée dont
Claude Monet est le grand prêtre
et ses « Nymphéas » la célébration
enchantée, voici accueilli le New-
Yorkais Robert Ryman (1930-
2019). Or, Ryman est connu
comme l’artiste qui, à partir du
début des années 1960, a consa-
cré toutes ses expériences au
blanc. Il en a décliné toutes les
nuances de densité, de matité et
de lumière. Il l’a traité en touches
appuyées et en aplats impecca-
blement lisses. Aussi est-il très gé-
néralement tenu pour l’archétype
du peintre minimaliste, qui ne
donne à observer que le proces-
sus créatif lui-même, dépouillé de
toute référence visuelle et de
toute émotion. Est-ce si certain ?
N’y aurait-il pas d’autres façons
de regarder un blanc de Ryman,
en allant du côté de l’éblouisse-
ment qui aveugle ou de l’illumi-
nation qui transporte ? Quoi qu’il
en soit, ce sera la première fois
depuis sa mort que l’on pourra se
mesurer à un ensemble impor-
tant de cet artiste devenu légen-
daire à force d’ascèse. p ph. d.
Du 6 mars au 1er juillet.
décennies avant eux, il fut lui
aussi systématiquement refusé
au Salon, il avait, comme ce fut le
cas de son ami Gustave Courbet,
un attachement viscéral à la na-
ture. Les arbres, il ne se contentait
pas de les peindre, il en faisait lit-
téralement le portrait. p ha. b.
Du 5 mars au 7 juillet.
« Revoir Van Eyck.
“La Vierge du chancelier
Rolin” »
Musée du Louvre, Paris
Depuis 1800, date de son entrée
au Louvre, La Vierge du chancelier
Rolin (1435) a subi les outrages du
temps. Ce remarquable tableau de
Jan van Eyck vient d’être restauré
par les laboratoires des musées de
France, le C2RMF. Le résultat est
présenté au Louvre dans un ac-
crochage qui lui fait avoisiner
d’autres ouvrages de Van Eyck,
mais aussi de Rogier van der Wey-
den ou de Robert Campin, mis en
regard de grands enlumineurs de
l’époque. Une soixantaine de pan-
neaux peints, manuscrits, des-
sins, bas-reliefs et objets d’orfè-
vrerie seront exceptionnellement
réunis, venus de musées d’Europe
et des Etats-Unis. L’occasion de
tenter de percer les mystères qui
entourent encore cette œuvre en-
voûtante : quelle était sa fonction
exacte, hormis de permettre à son
commanditaire, Nicolas Rolin,
chancelier du duc de Bourgogne,
d’espérer le paradis ? Comment
était-elle comprise à l’époque de
sa réalisation ? p ha. b.
Du 20 mars au 17 juin.
« Paris 1874. Inventer
l’impressionnisme »
Musée d’Orsay, Paris
En avril 1874, une bande de galo-
pins exposaient leurs œuvres
dans l’atelier du photographe
Nadar, boulevard des Capucines,
à Paris. Réunis en « Société ano-
nyme des artistes », ils étaient une
du printemps
Des rétrospectives, des dialogues entre artistes et des accrochages
thématiques : les critiques du « Monde » vous proposent
un florilège des principaux événements très attendus en peinture,
art contemporain ou photographie, à Paris et en région
trentaine, dont Monet, Renoir, De-
gas, Morisot, Pissarro, Sisley, Cé-
zanne, qui n’avaient trouvé que ce
moyen pour montrer des travaux
systématiquement rejetés par le
Salon officiel. Les critiques furent
féroces envers ces barbouilleurs, et
particulièrement Louis Leroy – le
bougre, grâce à cela, passa à la pos-
térité –, qui profita du titre du ta-
bleau de Monet Impression, soleil
levant, pour baptiser le mouve-
ment, qu’il entendait ainsi tour-
ner en dérision. On a, depuis, eu
un siècle et demi pour l’assimiler,
parfois avec difficultés (jusque
dans les années 1950, les « Nym-
phéas » de Monet restaient diffici-
les à vendre), mais sans forcément
analyser en profondeur ce qui en
faisait la nouveauté. C’est ce à
quoi s’attelle le Musée d’Orsay en
reconstituant, autant que faire se
peut, la genèse de cette exposition
fondatrice. p ha. b.
Du 26 mars au 14 juillet.
« Jean Hélion.
La prose du monde »
Musée d’art moderne
de Paris
Jean Hélion (1904-1987) est l’un
des artistes les plus paradoxaux
du XXe siècle, ce qui lui valut l’ami-
tié de quelques-uns, Marcel Du-
champ et Raymond Queneau par
exemple, et l’incompréhension de
la grande majorité des marchands,
collectionneurs et conservateurs.
En 1929, il est l’un des fondateurs
du groupe Art concret. Avec Arp,
Mondrian et van Doesburg, il ex-
plore les possibilités de l’abstrac-
tion géométrique. Installé aux
Etats-Unis, il y jouit d’un début de
reconnaissance. Mais, alors que
l’abstraction commence à s’établir
aux Etats-Unis, il s’en écarte et,
à partir de 1939, introduit les pre-
miers éléments d’une figuration
contemporaine. Après la guerre,
il persévère. Réprobation quasi gé-
nérale. De retour en France, il
s’obstine : nus, natures mortes, va-
nités, allégories fantasques. Jus-
qu’au début des années 1980, il
poursuit sa chronique du quoti-
dien, y incluant Mai 68, dont il fait
quelques grandes toiles d’un dy-
namisme entraînant. On peut es-
pérer que, avec cette rétrospective,
son œuvre soit reconnue pour
ce qu’elle est : un exercice illimité
de la liberté en peinture. p ph. d.
Du 22 mars au 18 août.
« Désordres.
Extraits de la collection
Antoine de Galbert »
MAC, Lyon
On n’a que des bons souvenirs
d’Antoine de Galbert, galeriste
à Grenoble, puis collectionneur
compulsif. Il voyait tout avant
tout le monde, avec un goût qui
n’appartient qu’à lui et à certains
de ses amis aux collections des-
quels il consacrait les expositions
de la regrettée Maison rouge,
à Paris. S’il a longtemps hésité
à proposer ses propres choix
dans ses locaux proches de la Bas-
tille, il les montre désormais un
peu partout. C’est ainsi que le
Musée de Grenoble a bénéficié
d’une donation de 270 photogra-
phies, exposées jusqu’au 3 mars
sous le titre « Une histoire d’ima-
ges », dont 250 vont être présen-
tées au Musée d’art contempo-
rain de Lyon (MAC), sous le titre
« Désordres ». Elles témoignent
de l’éclectisme d’Antoine de Gal-
bert dans ses acquisitions : elles
vont d’artistes connus, comme
Miriam Cahn et Mika Rottenberg,
à d’autres plus discrets, ou en
marge, comme Paul Rebeyrolle,
Bernard Réquichot, Arnaud
Labelle-Rojoux, Olivier Blanckart
ou Jean-Michel Alberola… Cer-
tains des noms évoquent la dona-
tion de Daniel Cordier au Centre
Pompidou : des collectionneurs
comme eux, avec une telle liberté
d’esprit, il y en a deux ou trois par
siècle. p ha. b.
Du 8 mars au 7 juillet.
« Mondes souterrains.
20 000 lieues sous
la Terre »
Louvre-Lens (Pas-de-Calais)
Il fallait bien que le musée nor-
diste, érigé sur l’ancien bassin mi-
nier du Nord-Pas-de-Calais, se
penche un jour sur ce qui se
trame sous terre. Ce sera chose
faite au printemps avec « Mondes
souterrains », une exploration
des tréfonds propice aux peurs
comme aux fantasmes. De la fan-
taisie de Jules Verne à la plongée
âpre d’Emile Zola dans les mines
de charbon, des gouffres, grottes
et cratères sublimés par Rubens
et Mucha ou façonnés dans du
carton par Eva Jospin, jusqu’aux
enfers peuplés de condamnés et
tourmentés, de diables en divini-
tés fertiles, le parcours illustre en
quelque 200 œuvres notre rap-
port, curieux, fasciné ou rebuté,
aux sous-sols. p roxana azimi
Du 27 mars au 22 juillet.
« Mexica. Des dons et des
dieux au Templo Mayor »
Musée du quai Branly, Paris
Disques solaires, pierres grima-
çantes, serpent à plume taillé
dans une pierre volcanique et
aigle prédateur sculpté dans le
basalte… Tout l’imaginaire d’une
civilisation Mexica cruelle, hiérar-
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SAMEDI 20 JANVIER 2024
« Gardien.ne n° 2 » (2020-2021), de Jeanne Vicerial. ADRIEN MILLOT/GALERIE TEMPLON
« L’Escalier » (1944), de Jean Hélion. GALERIE APPLICAT-PRAZAN, PARIS
chisée et incroyablement puis-
sante, qui rayonna du XIVe siècle
jusqu’à l’arrivée, au début du
XVIe siècle, des conquistadors es-
pagnols menés par Hernan Cor-
tés, est ravivé au Quai Branly.
Grande première, le Mexique
prête quelque 379 pièces exhu-
mées lors des fouilles menées en-
tre 1978 et 2022 dans le Templo
Mayor et l’ancienne cité de Te-
nochtitlan, en plein cœur de
Mexico. Derrière l’exposition
combinant près de 500 objets
aux désormais incontournables
dispositifs numériques, se profile
aussi une grosse opération de
charme diplomatique : le gouver-
nement mexicain, qui mène une
croisade pour récupérer son pa-
trimoine partout dans le monde,
estime que la France n’en fait pas
assez en la matière. p r. a.
Du 3 avril au 8 septembre.
La Contemporaine
Nîmes
La proposition se veut aussi ambi-
tieuse que généreuse et popu-
laire. Intitulée « La Contempo-
raine », la toute première
Triennale d’art contemporain
de Nîmes sera portée par le duo
de commissaires Anna Labouze et
Keimis Henni, codirecteurs du
centre de création Magasins géné-
raux, à Pantin (Seine-Saint-Denis).
Elle s’articulera autour d’une
douzaine de projets à travers la
ville − dans des musées, des sites
patrimoniaux ou dans l’espace
public −, autour du thème « Une
nouvelle jeunesse », et explorera
les notions d’héritage et de trans-
mission en associant artistes
émergents et confirmés ou histo-
riques. On découvrira ainsi des bi-
nômes inédits tels que Jeanne Vi-
cerial et Pierre Soulages, Aïda
Bruyère et Judy Chicago, Caroline
Mesquita et Laure Prouvost, Va-
lentin Noujaïm et Ali Cherri,
Prune Phi et Smith, ou encore
Alassan Diawara et Zineb Sedira.
Ce nouveau rendez-vous sera
rythmé des temps forts qui revisi-
teront des souvenirs de jeunesse :
une boum (avec le chorégraphe
Olivier Dubois), une kermesse
(avec l’artiste Mohamed Bou-
rouissa), une fugue (avec la cheffe
d’orchestre et compositrice Uèle
Lamore) et une sortie au théâtre
(avec le performeur Ndayé Koua-
gou). p emmanuelle jardonnet
Du 5 avril au 23 juin.
Biennale d’art
contemporain De Renava
Bonifacio (Corse-du-Sud)
La citadelle de Bonifacio (Corse-
du-Sud), ancienne forteresse mili-
taire qui coiffe la ville, s’anime de-
puis deux ans sous la houlette
d’un jeune duo, Prisca Meslier et
Dumè Marcellesi, qui positionne
la Corse sur la carte de l’art con-
temporain. Les deux trentenaires
ont lancé en 2022 la première édi-
tion de la biennale De Renava,
du nom de leur structure. Cette
deuxième biennale promet
à nouveau « d’offrir des visions al-
ternatives de la Méditerranée et
du monde de demain », cette fois
en regardant du côté de la Rome
antique. Entre décadence et
émancipation, vandalisme et hé-
roïsme, ruines et fondations, l’ex-
position tentera ainsi « de saisir la
mystérieuse prophétie à l’œuvre
dans le mécanisme de la chute des
empires », en observant « le carac-
tère cyclique de la construction
d’un idéal qui porte déjà en lui les
graines de sa destruction ». Parmi
la vingtaine d’artistes contempo-
rains, internationaux et insulai-
res invités pour cette traversée du
temps, trois premiers noms sont
dévoilés : Laurent Grasso, qui vit
entre Paris et la Corse, le photo-
graphe égyptien Youssef Nabil et
l’artiste, vidéaste et écrivaine
américaine d’origine qatarie So-
phia Al Maria. Annonce de la pro-
grammation début février. p e. j.
Du 10 mai au 2 novembre.
« La Naissance des grands
magasins. Mode, design,
jouet, publicité. 1852-1925 »
Musée des arts décoratifs,
Paris
Le Bazar de l’Hôtel de Ville, le
Printemps, les Galeries Lafayette,
la Samaritaine… Ces temples du
shopping ne sont pas que des piè-
ges à touristes. Les grands maga-
sins jouissent d’une riche histoire
que le Musée des arts décoratifs,
à Paris, s’applique à retracer en
quelque 700 objets et vêtements,
du portrait par Bouguereau
d’Aristide Boucicaut, fondateur
en 1853 du Bon Marché, aux affi-
ches des Années folles déclinant
le mythe de la Parisienne sophis-
tiquée. Profitant de l’ascension de
la bourgeoisie, ces grands bazars
nés sous le Second Empire, au mi-
lieu du XIXe siècle, ont révolu-
tionné le commerce de détail, in-
venté les soldes et jeté les bases
de la consommation de masse.
Une aventure commerciale, ar-
chitecturale, mais aussi esthéti-
que, qui connaît son âge d’or
dans l’entre-deux-guerres, avec
des ateliers de création maison,
comme Primavera ou Pomone,
qui propulsent une nouvelle gé-
nération de créateurs. Un volet
traitant de l’étourdissante archi-
tecture de ces cathédrales du
commerce complétera ce pano-
rama dès le 16 octobre à la Cité de
l’architecture. p r. a.
Du 10 avril au 13 octobre.
Peintures germaniques
des collections françaises
Musée des beaux-arts de
Dijon, Musée Unterlinden,
Colmar, Musée des beaux-
arts et d’archéologie
de Besançon
Non pas une, mais trois institu-
tions, toutes en province, explo-
rent, en collaboration avec l’Insti-
tut national d’histoire de l’art
(INHA), la richesse de nos collec-
tions en matière d’art germani-
que, de la fin du XIVe au milieu du
XVIe siècle. Dans l’ordre chronolo-
gique, le Musée des beaux-arts
de Dijon démarre en 1370, suivi
par le Musée Unterlinden de Col-
mar (1420) et le Musée des beaux-
arts et d’archéologie de Besançon
(1500-1550) : Cranach, Dürer,
Schongauer et bien d’autres, dont
beaucoup d’anonymes, font par-
tie de ces expositions, fruit des re-
cherches dirigées à l’INHA par
Isabelle Dubois-Brinkmann, con-
servatrice en chef du patrimoine,
et Aude Briau, doctorante. Elles
ont dressé un répertoire d’envi-
ron 500 œuvres produites entre
l’Allemagne et l’Autriche actuelles,
la Suisse du Nord et l’Alsace, à la
fin du Moyen Age et à la Renais-
sance. Les trois musées partenai-
res présenteront une sélection
de ces redécouvertes : à Dijon se-
ront exposées les peintures des
XIVe et XVe siècles, à Besançon, les
œuvres de la Renaissance et leurs
copies ultérieures, et à Colmar les
peintures exécutées dans le Rhin
supérieur. p ha. b.
Du 4 mai au 23 septembre.
« Tina Modotti.
L’œil de la révolution »
Jeu de paume, Paris
Starlette à Hollywood, modèle,
élève et compagne du photogra-
phe américain Edward Weston
(1886-1958), amie des muralistes
mexicains et photographe sociale
au Mexique, révolutionnaire anti-
fasciste et communiste stali-
nienne, la photographe italienne
Tina Modotti (1896-1942) a eu une
vie si extraordinaire et mysté-
rieuse qu’elle a souffert de nom-
breux malentendus. Caricaturée
dans des biographies très roman-
cées, elle a vu sa vie et sa beauté
frappante éclipser son œuvre,
réalisée durant moins de dix ans,
et dont on a surtout retenu les
fleurs romantiques et très formel-
les faites avec Edward Weston.
L’exposition au Jeu de paume
veut faire le point sur son travail,
qui s’est émancipé des recherches
abstraites de ses débuts pour em-
brasser un point de vue social
avec son art, documentant la cul-
ture mexicaine, les diverses cou-
ches de la population et les inéga-
lités, et mettant la photographie
au service de ses convictions poli-
tiques. p claire guillot
Du 13 février au 12 mai.
« Artistes et paysans.
Battre la campagne »
Les Abattoirs, Toulouse
S’enraciner pour mieux s’élancer
vers l’avenir… De jeunes créateurs
retournent à la terre pour cons-
truire des communautés proches
du monde paysan. Les paysages
mutent et, avec eux, les écosystè-
mes et les artistes. C’est cette ten-
dance que propose l’exposition
orchestrée par la commissaire
Julie Crenn, aux Abattoirs de
Toulouse. Pour débarrasser les
campagnes de leur imagerie
d’Epinal, elle a rassemblé près de
150 œuvres, du XIXe siècle à nos
jours. Icônes agricoles de Jean-
François Millet, invention du
portrait animal par Rosa Bon-
heur, classification des traditions
populaires par les musées d’eth-
nologie… Cette saga tellurique est
portée par de nombreux prêts
d’Orsay ou du MuCEM, et
s’achève sur le contemporain,
avec les pionniers d’un art écolo-
gique comme Agnes Dénes ou
Lois Weinberger, et l’évocation de
projets de paysages utopiques,
activés par Gianfranco Baru-
chello, Fabrice Hyber ou Suzanne
Husky, plasticienne militant
pour le retour des castors sur nos
terres. p emmanuelle lequeux
Du 1er mars au 25 août.
« Vera Molnar.
Parler à l’œil »
Centre Pompidou, Paris
Le Centre Pompidou voulait célé-
brer ses 100 ans… Vera Molnar
(1924-2023) est morte juste avant
cet hommage du musée parisien.
Nul doute que cette exposition
attirera l’attention : toute une gé-
nération de jeunes créateurs in-
vestis dans les intelligences artifi-
cielles reconnaît aujourd’hui Vera
Molnar comme la plus inventive
de ses « ancêtres » ! Pionnière du
codage informatique dans l’art,
Vera Molnar avait fait voler un
vent de liberté dans l’art abstrait,
à l’instar de son complice Fran-
çois Morellet. Déléguant aux al-
gorithmes et au hasard certaines
de ses compositions, elle jouait
en virtuose de la géométrie et des
effets optiques, se nourrissant de
Mondrian et de Malevitch autant
que de Dürer ou de Cézanne.
Le Musée national d’art moderne
a réuni quelques-unes de ses sé-
ries-clés, de ses premières tentati-
ves abstraites, à la fin des années
1940, alors qu’elle vient de quitter
la Hongrie pour Paris, à son tout
récent NFT. Décodage de sept dé-
cennies d’invention. p e. le.
Du 28 février au 26 août.
« Signal.
Mohamed Bourouissa »
Palais de Tokyo, Paris
Une exposition qui se compose
comme un « jardin-monde » : voilà
comment Mohamed Bourouissa
envisage son projet pour le Palais
de Tokyo. « Un jardin de sculptures,
de sons, de vidéos, qui démarrent
à tour de rôle » et lui permettent
d’entrelacer les leitmotive qui tra-
versent son œuvre depuis une
vingtaine d’années : l’évocation du
passé colonial de la France, la mise
à bas des clichés sur les banlieues,
les contraintes faites aux esprits
et aux corps dans notre société de
contrôle. Mais aussi, préoccupa-
tions arrivées plus récemment
dans son travail, « la question de la
terre, du rapport au vivant ». Autre
nouveauté dans l’univers de l’ar-
tiste franco-algérien : la musique
y fait son apparition, si bien qu’il
conçoit aussi ce parcours à la fa-
çon d’un concept-album, hypnoti-
que comme de l’électro, déraison-
nable façon free-jazz. L’artiste y
fera également la part belle au col-
lectif Hawaf, qu’il a monté avec
culture | 21
des artistes de Gaza, et notam-
ment à leur projet de musée vir-
tuel consacré à la création ga-
zaouie, intitulé Sahab, « nuage »
en arabe. Une nébuleuse d’imagi-
naires, en pied de nez au cloud
omniprésent. p e. le.
Du 16 février au 30 juin.
« Le Monde comme il va »
Bourse du commerce, Paris
Marcher dans le vide, le ciel nous
nos pieds… Telle est l’expérience
dans laquelle Kimsooja nous pro-
pulse : sous l’œil de la rotonde de
la Bourse de commerce, l’artiste
coréenne va poser un immense
sol de miroir, vertige assuré. Cette
carte blanche qui lui est offerte
sera le point d’orgue d’un nouvel
accrochage des collections de
François Pinault, fort, promet
l’institution, d’œuvres jamais ex-
posées, pour la moitié d’entre el-
les. Intitulé « Le Monde comme il
va », d’après un conte philosophi-
que de Voltaire, le parcours valo-
rise, selon son commissaire, Jean-
Marie Gallais, « la conscience aiguë
du présent chez les artistes, qui
nous renvoie aux turbulences de
l’actualité ». Une thématique assez
large pour englober les catastro-
phes mises en scène par Bertrand
Lavier ou Anne Imhof, les comé-
dies humaines de Sigmar Polke
ou de Pol Taburet, ou encore les
questionnements identitaires des
peintres Peter Doig, Marlene
Dumas ou Martin Kippenberger.
Parmi les surprises, des œuvres
très peu montrées de Maurizio
Cattelan. Avec des sculptures ani-
malières qui pourraient sembler
familières, si elles n’étaient consti-
tuées… de squelettes. p e. le.
Du 20 mars au 2 septembre.
« Matisse, L’Atelier rouge »
et « Ellsworth Kelly.
Formes et couleurs »
Fondation Louis Vuitton,
Paris
Mark Rothko vénérait L’Atelier
rouge, de Matisse, une toile qu’il
allait contempler au MoMA de
New York. Une fois la superbe ré-
trospective du maître de l’abstrac-
tion américaine fermée, la Fonda-
tion Vuitton creusera le sillon, en
consacrant toute une exposition à
ce chef-d’œuvre peint par Matisse
en 1911. Avec son espace saturé de
vermillon, cette toile marque une
rupture dans l’œuvre du peintre
français. Elle est ici analysée sous
toutes les coutures. Mais surtout,
nouveau tour de force de la Fon-
dation, sont pour la première fois
réunies toutes les peintures que
Matisse évoque dans cette scène
d’atelier, en une hypnotique mise
en abyme. Le Jeune Marin (II),
mais aussi des œuvres identifiées
récemment, comme Les Baigneu-
ses ou Le Luxe (II), sont à nouveau
déployés dans un même espace,
comme si l’on pouvait pénétrer
dans la toile même. Vertigineux !
L’Américain Ellsworth Kelly (1923-
2015) était lui aussi fasciné par
Matisse : le lien se fait donc tout
naturellement avec l’exposition
orchestrée en parallèle par l’insti-
tution. Un lumineux hommage
à celui qui, juste avant sa dispari-
tion, en 2015, avait disséminé ses
couleurs vives dans l’auditorium
de la Fondation, pour sa dernière
commande. Bref, une exposition
où les traits d’union s’écrivent en
arc-en-ciel. p e. le.
Du 7 mai au 9 septembre.
L’ÉCRITURE PREND VIE
Éditions Persée
127 avenue Jean-Baptiste Clément
92100 Boulogne-Billancourt
22 | culture
Marica Marinoni, dompteuse de cercles
PROMESSES DE 2024 11|12 Douze personnalités à suivre cette année. Aujourd’hui, la circassienne experte en roue Cyr
RENCONTRE
rennes
E
lle a découpé ses gants de
boxe pour les transfor-
mer en mitaines de choc.
Pantalon de sport et
brassière, elle semble rivée à sa
roue Cyr, un immense cerceau de
métal de près de 2 mètres de dia-
mètre et pesant 15 kilos qu’elle ac-
tive dans tous les sens avec une
telle évidence qu’on dirait qu’il
fait partie d’elle-même.
Sur le plateau du Triangle, à
Rennes, Marica Marinoni se jette
en vol plané dans le solo Lon-
tano, cosigné avec Juan Ignacio
Tula, et dompte sa roue comme
une bête sauvage. « C’est une rela-
tion très crue, conflictuelle même
que j’ai avec elle, s’exclame-t-elle.
A mes débuts, il y a une dizaine
d’années, j’avais peur de me ba-
lancer dedans, de chuter avec elle.
Cette violence est le point de dé-
part de mon travail, ainsi que l’ur-
gence de montrer une féminité
brute et engagée telle que je la vis
chaque jour. »
« Lutte politique et féministe »
Marica Marinoni, 28 ans, est l’une
des rares femmes artistes de cir-
que experte en roue Cyr, cet agrès
imaginé au début des années 1990
par l’acrobate canadien Daniel
Cyr. « C’est une discipline majori-
tairement masculine lorsqu’on at-
teint un haut niveau professionnel,
explique-t-elle. Lorsque, en 2014, je
l’ai choisie, un mois seulement
après mon entrée à l’école de cirque
FLIC, à Turin, j’ai su immédiate-
ment que c’était pour moi. J’ai senti
un truc dans le ventre et j’ai suivi
mon instinct. Sans compter que je
ne voulais pas être dépendante
d’un partenaire. »
Quel pas de deux palpitant avec
ce cercle si encombrant, si vivant
aussi, qui occupe l’espace sans
qu’on ait besoin de lui demander
quoi que ce soit, en faisant un bou-
can incroyable. « Il faut trouver
l’équilibre avec lui, entre osmose et
détachement », résume-t-elle.
Voix claire, mélodie italienne en
fond de gorge, Marica Marinoni,
« Magnifique » Positif
« Le film gronde d’amour » « D’une puissance indéniable »
Troiscouleurs
Marica Marinoni, dans le solo « Lontano », en 2022. ALAIN JULIEN
née à Milan, parle sur un ton
ferme et tranquille de sa pratique
et de sa recherche. Deux ans seule-
ment après avoir été repérée
en 2022, dans le cadre de Spring,
manifestation à la pointe des arts
de la piste, elle a été sélectionnée
pour la prestigieuse compétition
du Festival mondial du cirque de
demain, les 26 et 27 janvier, au Cir-
que Phénix, à Paris (12e), et sera à
l’affiche du 27 février au 3 mars au
Théâtre du Rond-Point, à Paris (8e).
« Au-delà de sa technique, son
rapport à cet agrès incroyable
qu’est la roue Cyr est celui d’un
combat, où je retrouve l’engage-
Cahiers du Cinéma
ment physique de la lutte politique
et féministe des années 1970,
qu’elle réincarne aujourd’hui et
qu’il faut continuer à mener,s’en-
thousiasme Yveline Rapeau, di-
rectrice de Spring. Au centre de sa
roue, elle rappelle que les femmes
ne veulent pas être assignées, con-
finées dans un périmètre et son
solo raconte métaphoriquement
cette émancipation. »
« Un saut dans le vide »
Née dans une famille située aux
antipodes des arts de la piste, Ma-
rica Marinoni a vécu le choix du
cirque à 19 ans comme « un cri, un
C I N ÉMA
Sept nominations
pour « Anatomie
d’une chute » aux Bafta
Le film français Anatomie
d’une chute a été nommé
sept fois aux Bafta, les récom-
penses britanniques du
cinéma décernées jeudi 18 fé-
vrier et dominées par le bio-
pic de Christopher Nolan sur
le père de la bombe atomi-
que, Oppenheimer. Anatomie
d’une chute est en lice pour
les prix du meilleur film, du
meilleur film en langue
étrangère, de la meilleure réa-
lisatrice pour Justine Triet,
du meilleur scénario ou de la
meilleure actrice pour Sandra
Hüller. Oppenheimer caracole
en tête avec treize nomina-
tions, dont celles du meilleur
film, du meilleur réalisateur
pour Christopher Nolan et du
meilleur acteur pour l’Irlan-
dais Cillian Murphy. – (AFP.)
LI T T ÉRAT U R E
Le prix François Sommer
décerné à la romancière
Fanny Wallendorf
L’autrice Fanny Wallendorf a
reçu, jeudi 18 janvier, le prix
François Sommer, qui récom-
pense un ouvrage guidé
par une écologie humaniste,
pour une fiction qui se passe
dans les Alpes pendant la
seconde guerre mondiale.
Jusqu’au prodige (Finitude,
2023) raconte l’échappée à
travers les forêts du Vercors,
en 1944, d’une jeune fille,
Thérèse, retenue par un
homme inquiétant. – (AFP.)
saut dans le vide, une façon de dé-
clarer [s]a révolution, [s]on éman-
cipation ». Le père est architecte ;
la mère tient une boutique d’ob-
jets artisanaux en papier Gip-
poni. La voie est quasiment tra-
cée : les beaux-arts et l’architec-
ture. Sauf qu’elle cherche autre
chose que son reflet dans les vi-
trines de la capitale de la mode.
« J’ai pas mal souffert de grandir
dans ce contexte milanais où la
culture de l’apparence, notam-
ment pour les filles, imposait des
stéréotypes machistes, déclare-t-
elle. Mes copines étaient telle-
ment stressées par leur allure que
Pendant la canicule, la mer et l’utopie
de la jeunesse s’invitent dans les HLM
Clémence Attar met en scène à Paris dans « Les Enchantements »
un formidable groupe d’adolescents à la langue inventive
THÉÂTRE
P rojeté sur la scène de Théâ-
tre ouvert avec l’ardeur qui
sied à la jeunesse, le specta-
cle Les Enchantements est qualifié
de moment « feel good » par son
autrice, Clémence Attar, et sa co-
metteuse en scène, Louna Billa.
On ne saurait mieux résumer l’es-
prit et la lettre d’une représenta-
tion formidable, qui commence
dans l’inertie d’un été caniculaire,
dans une banlieue populaire,
pour s’achever au cœur d’apparte-
ments HLM reconvertis en sta-
tions balnéaires par des jeunes
désœuvrés mais très créatifs.
Les premiers installent, dans
leur squat, en étage, une piscine
gonflable qu’ils remplissent d’eau
du robinet avant de vendre, pas
cher, des tickets d’entrée aux habi-
tants du quartier. Les secondes
monnayent l’accès à la plage qu’el-
les ont improvisée dans une salle
à manger : au sol une bâche ache-
tée au rabais est recouverte d’un
sable sur lequel elles plantent des
parasols et déplient des transats.
Le décor (économe) se divise en-
tre ces aménagements parallèles.
Les accessoires (bouées, ballons,
matelas) sont balancés depuis les
coulisses par des mains invisibles.
je me sentais à l’écart de ce mouve-
ment. » Elle opte résolument
pour les cheveux courts, très
« garçon manqué ». « J’ai eu besoin
de m’éloigner de tout ça et de trou-
ver une réalité qui m’appartenait
et me correspondait, un langage
dans lequel je puisse m’exprimer
totalement. »
Ce qui la propulse ? Le sport. Dès
l’âge de 3 ans, elle s’initie à la
danse classique, au tennis, au ski,
à la natation… Le trampoline la
mobilise passionnément en
compétition jusqu’à l’adoles-
cence. « Cela m’a aidée ensuite
pour la roue Cyr à comprendre le
Si cette tranche de vie estivale
enthousiasme le public, c’est
parce que, une fois n’est pas cou-
tume, la jeunesse des banlieues
populaires y échappe à la fatalité.
Ici, pas de drogue, de vol, de vio-
lence pour détrôner l’utopie. La
raison d’être de ces adolescents
n’est pas de finir sous la matraque
en alimentant un récit dramati-
que. Loin des dramaturgies an-
xiogènes fourbies par les docu-
mentaires d’actualité, cette fic-
tion positive postule qu’au théâ-
tre existe un espace-temps où le
rêve peut prendre forme sans se
briser sur la réalité.
Six comédiens épatants
Née en 1995, formée au départe-
ment d’écriture de l’Ecole natio-
nale supérieure des arts et techni-
ques du théâtre à Lyon, Clémence
Attar signe son troisième texte
pour la scène. Une pièce qui ne
passe pas inaperçue. Et pour
cause : l’autrice a puisé sa matière
dans les périphéries sensibles en
s’imprégnant d’une langue qu’el-
le-même ne pratique pas. Ce
qu’on entend sur le plateau, porté
par six comédiens épatants d’en-
train, de fraîcheur et de justesse,
est donc le français hybride et sa-
voureux des jeunes, tel qu’il s’ex-
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
« Lorsque
j’accompagne
la roue en
mouvement, elle
laisse des traces
à la manière
d’un crayon
dans l’espace »
MARICA MARINONI
corps dans l’espace, et à trouver
l’équilibre et la justesse dans le
toucher de l’objet. » Elle a 17 ans
lorsqu’elle s’inscrit à un cours
d’acrobatie dans une troupe de
cirque amateur. Deux ans plus
tard, en 2014, elle intègre la FLIC, à
Turin, tout en suivant une forma-
tion à l’académie de dessin.
« Lorsque j’accompagne la roue en
mouvement, elle laisse des traces
à la manière d’un crayon dans l’es-
pace », souligne-t-elle.
Rapidement, elle atterrit au Cen-
tre national des arts du cirque, à
Châlons-en-Champagne. Elle y
étudie avec Juan Ignacio Tula, ex-
pert en roue Cyr, et intègre sa
compagnie 7bis en 2022, tout en
collaborant avec d’autres troupes
dont celle des Filles du renard
pâle, actuellement en tournée.
Auprès de Tula, qui a radicale-
ment fait évoluer la technique
verticale de l’agrès en allant au-
delà de la figure emblématique
baptisée « la valse », avec son
corps intégré en croix dans la
roue tournant sur elle-même,
Marica Marinoni écrit le premier
chapitre de son récit personnel.
« C’est lui qui a eu l’idée des gants
de boxe, précise-t-elle. On cherche
beaucoup ensemble à trouver de
nouveaux possibles, un nouveau
vocabulaire. » Pour galvaniser
cette merveilleuse épreuve de
force qu’elle a intitulée Lontano,
« lointain » en italien. p
rosita boisseau
Prochain article
Tarmo Peltokoski
prime de rue en rue dans les terri-
toires excentrés et bien souvent
défavorisés. Un langage dont la
verdeur, l’éloquence, la poésie et
l’humour sautent aux oreilles du
public en franchissant l’épaisseur
de ses préjugés.
Ce parler-là n’est pas le marqueur
d’une marge sociale à problème,
sous-éduquée et décérébrée, mais
le signal d’une métamorphose en
cours. Sons percutants, syntaxes
bouleversées, anglicismes, abré-
viations, acronymes, lexique mis
sens dessus dessous : quelque
chose bouge au pays de Racine et
de Molière. Sous la plume de Clé-
mence Attar, les phrases s’écrivent
phonétiquement. « Si j’vous ai fait
v’nir ce soir c’est par’cque mainnant
c’est l’bordel dans l’quartier… Mais
wesh non c’est pas d’ça qu’on
parle », lit-on par exemple au dé-
tour d’un dialogue. Entre l’écrit et
l’oral, le théâtre élève le spectateur
vers un plaisir quasi sensuel. Déci-
dément cette langue sonne bien.
Brassens, s’il vivait, en aurait sûre-
ment fait une chanson. p
joëlle gayot
Les Enchantements, de Clémence
Attar. Mise en scène de Louna
Billa. Au Théâtre ouvert, Paris 20e.
Jusqu’au 27 janvier.
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
Etre gay en Amérique, de McCarthy aux années sida
Le scénariste de « Philadelphia » filme la romance entre deux hommes sur trois décennies, d’après Thomas Mallon
CANAL+
À LA DEMANDE
SÉRIE
H
awkins Fuller (Matt
Bomer) et Timothy
Laughlin (Jonathan
Bailey) se rencon-
trent à Washington un soir d’élec-
tion, en 1952. « Hawk » est un am-
bitieux fonctionnaire, « Tim » est
catholique et surtout un fervent
militant anticommuniste. Malgré
leurs tempéraments contraires,
leur rencontre va dépasser le
simple coup d’un soir pour s’ins-
crire, le temps de huit épisodes,
dans l’histoire américaine et la
lutte des homosexuels pour la re-
connaissance de leurs droits.
Homosexuel et catholique très
pratiquant dans sa jeunesse, Ron
Nyswaner a injecté une grande
part de lui-même dans son adap-
tation pour la télévision du livre
du même nom de Thomas Mallon
(2007, non traduit). Le scénariste
de Philadelphia (1993), premier
grand film sur le sida, a repoussé
les limites temporelles de Fellow
Travelers au-delà des années 1950
pour étirer la relation entre Hawk
et Tim sur trois décennies, jusqu’à
ce que le sida les sépare, en 1986.
La série débute en pleine
Lavender Scare (« peur violette »),
volet antigay des persécutions
orchestrées par le sénateur
Joseph McCarthy. Au même titre
Marc Trévidic, l’ancien juge antiterroriste qui se rêvait rockeur
Dans « A voix nue », l’actuel président de chambre à la cour d’appel de Versailles se raconte, se dévoile, s’insurge, de façon très directe
FRANCE CULTURE
À LA DEMANDE
PODCAST
M arc Trévidic, ancien
juge antiterroriste et
actuel président de
chambre à la cour d’appel de
Versailles, se raconte au micro de
Caroline Broué. Habitué aux
médias, dont il a su largement se
servir pour que soient entendus
certains dossiers – ce qui lui a valu
nombre d’inimitiés –, il est parti-
culièrement cash dans ses répon-
ses. Mais ne brûlons pas les étapes.
GRILLE N° 24 - 017
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V Scrupuleusement honnête.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 016
HORIZONTALEMENT I. Orthopédiste. II. Roue. Atelier. III. Pub. Plèbe. Rg.
IV. Asana. Is. Pro. V. Ici. Tan. Prêt. VI. Lattent. Pipe. VII. Li. Ana. Alu.
VIII. Electricités. IX. Ulule. Roc. Ie. X. Réservations.
VERTICALEMENT 1. Orpailleur. 2. Rouscaille. 3. Tubait. Eus. 4. Hé. Tacle.
5. Patenter. 6. Pal. Anar. 7. Eteint. Ira. 8. Debs. Ecot. 9. Ile. Pp. Ici. 10. Si.
Priât. 11. Terre-plein. 12. Ergoteuses.
que les communistes présumés,
les homosexuels sont, entre
autres, priés de quitter la
fonction publique. L’humour et
le flegme de Hawk, qui font de lui
un jeune loup apprécié dans la
capitale, lui permettent de dissi-
muler soigneusement une ho-
mosexualité qu’il assume parfai-
tement la nuit tombée, dans les
bars gays de la ville. Plus naïf,
Tim navigue entre des tâches
Naissance à Bordeaux (1965, épi-
sode 1) et enfance à Versailles ; un
père à droite, une mère à gauche.
Les premiers rêves : être écrivain
(il l’est devenu), rockeur (à la fin de
cette série en cinq épisodes, il
osera reprendre Gaby oh ! Gaby, de
Bashung) ou pilote de formule 1.
Adolescent, Marc Trévidic lit
beaucoup de poésie anglaise,
apprend l’arabe, voyage très tôt en
Arabie saoudite, en Syrie, en Irak
aussi. Et puis, alors qu’il prépare le
concours d’entrée à l’Ecole natio-
nale de la magistrature, l’actualité
de l’année 1986 le rattrape avec la
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
ingrates pour le compte de
McCarthy et le confessionnal.
Reconstitution documentée
Aux questions que se posent
Hawk et Tim – peut-on être ho-
mosexuel et chrétien ? Homo-
sexuel et patriote ? –, l’Amérique,
qui vient d’élire le républicain Ike
Eisenhower, dit non. Et le fait que
les persécuteurs, en l’occurrence
McCarthy et surtout son bras
vague d’attentats particulière-
ment sanglants revendiqués par
le Hezbollah pro-iranien, l’enlève-
ment de journalistes de la chaîne
Antenne 2 par le Jihad islamique à
Beyrouth ou encore l’assassinat
de Georges Besse, PDG de Renault,
par Action directe.
Un manque de moyens
En 2000, il rejoint la section anti-
terroriste du tribunal de grande
instance de Paris auprès de Jean-
Louis Bruguière, qui la dirige à
l’époque. Il a vu à la fois comment
les visages des terroristes ont
HORIZONTALEMENT
I. Terriblement troublé et éloigné
de la réalité. II. Blanche et mousseuse.
Dieu du tonnerre. III. Garnit et
honore son porteur. Ouverture sous
le pont. IV. Dans un ensemble. Sacri-
ias à une divinité. V. Grande partie
du globe. Ouvre le livre. VI. Venues
de Lomé et d’Atakpamé. VII. Poussait
comme un épi. Divin marquis.
VIII. Ne servent vraiment à rien.
Populaire en juillet. IX. Bien plein,
bien court. Sur une laque batave.
X. Pourraient remplacer le chef
en cas de nécessité.
VERTICALEMENT
1. Suit au plus près le déroulement et
le tournage. 2. Goba facilement. Mis
au beauté. 3. Saura vous accueillir.
4. Dignitaire religieux. D’un auxi-
liaire. 5. Courant du bouddhisme.
Fait preuve de compassion. 6. Ouvre
des possibilités. Relevé et goûteux.
7. Grès riche en mica. 8. Dieu des
marchands et des voleurs. Pour les
amateurs de bains à bulles. 9. Belles
et jeunes grecques. Grande voie.
10. Pour une bonne présentation.
Equipe la monture, mais plus le pay-
san. 11. Comme le point essentiel
du sujet. Daron. 12. Infections
douloureuses, rouges et chaudes.
Hawkins Fuller (Matt
Bomer) et Tim Laughlin
(Jonathan Bailey).
BEN MARK HOLZBERG/CBS SHOWTIME
droit, Roy Cohn, aient eux-mê-
mes des relations homosexuelles
ne fait qu’ajouter à l’hypocrisie
consubstantielle au puritanisme
américain de ces années-là.
Au-delà de sa reconstitution do-
cumentée d’un contexte histori-
que parfois mal connu, surtout de
ce côté de l’Atlantique, Fellow Tra-
velers pose avec une acuité inté-
ressante la question, existentielle
pour les protagonistes, de choisir
évolué et comment la politique
en matière de lutte contre le
terrorisme est passée des Corses
et des Basques aux islamistes
après les attentats du 11 septem-
bre 2001 à New York.
Aujourd’hui, il reconnaît : « En
matière de résultats sur l’islam ra-
dical, on a échoué, la situation est
pire. » Contraint de partir avant
les attentats du 13 novembre 2015
(la nomination d’un juge d’ins-
truction est soumise à la limite
d’exercice de dix ans), on entend
sa colère quand il dit : « Il était évi-
dent qu’on allait prendre des
SUDOKU
N°24-017
2 6
9 3
7 6
8 3
3 1 7 2
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
GABRIEL ATTAL SESSOCIALISTES
JEAN-BAPTISTE FRESSOZ
“LE CLIMAT EST
LA VRAIE URGENCE
POLITIQUE”
FANNY DE GOUVILLE
télévision | 23
de vivre ouvertement, ou non,
leur homosexualité. Au fur et à
mesure qu’ils se quittent et se re-
trouvent, Hawk et Tim évoluent
différemment. Le premier a cyni-
quement choisi la double vie en
épousant Lucy (Allison Williams),
la fille d’un sénateur dont il s’est
fait le protégé, sans renoncer ni à
Tim ni aux autres. Quand Tim dé-
cide d’arrêter de se cacher, Hawk
le prévient : « Tu ne survivras pas. »
Ce fil rouge permet à la série,
malgré son académisme et ses
techniques de rajeunissement-
vieillissement assez grossières, de
maintenir une intensité dramati-
que et de faire exister des person-
nages secondaires qui sont autant
de faces d’une même histoire
(l’épouse qui n’est pas dupe, les pa-
rents qui ne veulent pas voir, le ca-
marade noir tiraillé entre deux
identités…) Mais, pour passion-
nant que soit le versant politique,
il restera surtout la justesse avec
laquelle est filmé le désir incan-
descent que nourrissent Hawk et
Tim l’un pour l’autre. Impudique
et sensuelle, leur romance confère
à Fellow Travelers une dimension
tragique, et des accents mélodra-
matiques d’une grande beauté. p
audrey fournier
Fellow Travelers, de Ron
Nyswaner (EU, 2023, 8 x 55 min).
Avec Matt Bomer, Jonathan
Bailey, Allison Williams.
attentats massifs. » Et constate :
« Il a fallu ces tueries pour que
l’argent coule à flots, qu’on aug-
mente les effectifs de la DGSI [di-
rection générale de la sécurité in-
térieure] et que soit créé le Parquet
national antiterroriste. »
A l’épisode 3, il revient sur ce
qui fait le cœur du métier : « Eta-
blir la vérité en respectant les
règles du droit. » Se dit certain que
le système actuel est trop per-
méable aux erreurs judiciaires.
Que certaines affaires largement
médiatisées – notamment en
matière de viols – ne doivent pas
7 4 8 9 2 3
1 6 9 8 4 5
2 3 5 6 1 7
7 1 4 5 2 3 6 8
8 7 6 1 5 9
6 5 9 9 1 3 2 7 4 8
3 9 7 5 8 1
5 2 1 4 3 6
8 4 7 9 2 1
6 5 4 Très difficile
5 6 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
3 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
4 seule fois par ligne,
9 par colonne et par
carré de neuf cases.
Cahier numéro un de l’édition n° 3094 du 18 au 24 janvier 2024
ANNÉES
GAZA UNESACRIFIÉEJEUNESSE CINÉMA AGNÈS JAOUI
SANS FILTRE
EN VENTE
CHEZ VOTRE
JEAN-MARC JANCOVICI
MARCHAND
DE JOURNAUX
Le grand débat entre
l’ingénieur et l’historien
des sciences
NOTRE
SÉLECTION
S AM ED I 20 JAN V IER
Ciné+ Premier
Master and Commander :
de l’autre côté du monde
20.50 En 1805, un capitaine de la
Royal Navy (Russell Crowe) traque un
navire corsaire français. En adaptant
la saga de Patrick O’Brian, Peter Weir
réunit, en 2003, film d’aventures
à grand spectacle et film d’auteur.
Public Sénat
Alerte en orbite : la menace
des débris spatiaux
21.00 Plus d’une centaine de
millions de débris gravitent en orbite,
menaçant d’entrer en collision avec
un satellite, une station spatiale ou
de retomber sur Terre. Un nouveau
défi pour scientifiques et ingénieurs :
comment nettoyer l’espace ?
NRJ 12
The Big Bang Theory
21.10 La sitcom américaine qui, la
première, a mis en scène la « culture
geek », est devenue, en douze saisons,
l’une des séries les plus populaires.
Avec Sheldon et Leonard, deux
colocataires ringards, universitaires
à la prestigieuse Caltech.
France 3
Soirée Maurice Béjart
00.20 Trois œuvres du chorégraphe
mort en 2007 après quarante ans à
l’Opéra de Paris : L’Oiseau de feu, de
Stravinsky ; Le Chant du compagnon
errant, de Mahler ; le Boléro, de Ravel.
faire oublier un manque criant
de moyens.
Il y reviendra encore dans le
cinquième et dernier épisode, où
il évoque largement (et, on le
sent, avec beaucoup de passion)
son travail de romancier : Marc
Trévidic est l’auteur d’Ahlam et
du Magasin jaune (JC Lattès, 2016
et 2018). p
émilie grangeray
Marc Trévidic, l’indépendance
et la lumière, par Caroline Broué,
réalisé par Guillaume Baldy
(Fr., 2023, 5 × 30 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5 1 6
2 3 7 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
4 9 8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
9 7 1 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
3 4 2 Par courrier électronique :
abojournalpapier@lemonde.fr.
6 5
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
6 2 4
7 8 9 Courrier des lecteurs
5 3 Par courrier électronique :
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Emploi : www.talents.fr/
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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IDÉES
La France face
à son impensé colonial
C’
est une histoire qui travaille les
mémoires. Un passé qui pèse
sur le présent. La question colo-
niale ne cesse de hanter la politi-
que nationale. A croire que cha-
que fracture française réveille ce
passé qui a encore du mal à passer. Dans
certaines de ses anciennes colonies, notam-
ment africaines, où la France est conspuée
et même chassée de pays longtemps consi-
dérés comme des prés carrés. Dans ses ban-
lieues paupérisées au sein desquelles les
émeutes contre les violences policières ravi-
vent le sentiment du maintien d’une ségré-
gation sociale, spatiale et raciale héritée de
la période coloniale. Dans des stades où La
Marseillaise est parfois sifflée.
Une histoire qui s’invite jusque dans les
rangs de l’Assemblée nationale, où l’usage
du terme « métropole » pour désigner la
France continentale sans les territoires
d’outre-mer est désormais rejeté, car consi-
déré comme colonialiste. Et jusqu’à l’Ely-
sée : après avoir affirmé, lors de la campa-
gne présidentielle de 2017, que la colonisa-
tion était un « crime contre l’humanité » qui
appartient à un « passé que nous devons re-
garder en face, en présentant nos excuses à
l’égard de celles et ceux envers lesquels nous
avons commis ces gestes », Emmanuel Ma-
cron a finalement estimé, en 2023, qu’il
n’avait « pas à demander pardon ». Un ravi-
sement contemporain d’un ressassement
idéologique et médiatique permanent con-
tre la « repentance », la « haine de soi » et
l’« autoflagellation ».
Cependant, il semble difficile pour une so-
ciété d’éviter les sujets qui finissent inexora-
blement par s’imposer. Il en va de la coloni-
sation comme de la collaboration. La géné-
ration Mitterrand et les années Chirac ont
été ponctuées par des révélations, débats et
discours marquants liés à la période du gou-
vernement de Vichy. La France d’Emmanuel
Macron n’échappe pas à l’actualité de l’his-
toire de ses anciennes colonies. Car « le
passé colonial est partout », résume l’histo-
rien Guillaume Blanc, l’un des quatre coor-
dinateurs de Colonisations. Notre histoire,
ouvrage collectif dirigé par Pierre Singara-
vélou (Seuil, 2023).
Au Sahel, la présence de la France est deve-
nue indésirable. Bien sûr, la stratégie afri-
caine de la Chine comme l’emprise de la
Russie, à travers les milices privées du
Groupe Wagner, n’y sont pas étrangères.
Mais « il faut souligner l’épaisseur historique
de ce sentiment », insiste Guillaume Blanc.
L’histoire de cette réprobation est « à la fois
récente et ancienne », ajoute-t-il, en réfé-
rence aux analyses d’Ousmane Aly Diallo,
chercheur à Amnesty International, selon
qui les interventions militaires de la France
dans ses anciennes colonies en Afrique –
près de cinquante depuis 1960 – ont péren-
nisé « l’hégémonie française dans ces espa-
ces ». Ainsi, à partir de 2022, lorsque l’armée
française quitte le Mali et le Burkina Faso et
se replie au Niger, « elle a beau dire y lutter
contre le djihadisme, les populations y voient
une ingérence française de plus », constate
Guillaume Blanc.
Cette histoire est également plus ancienne
et « nous ramène notamment aux années
1950 », explique-t-il, à la lumière des apports
de l’historienne Gabrielle Hecht : c’est à
Si l’histoire des colonisations se renouvelle en France, ces approches
théoriques restent déconsidérées par une frange de l’opinion qui en refuse
les conclusions et les réduit à leurs aspects les plus controversés
cette époque, selon elle, que la France a
construit sa prétendue « indépendance
énergétique » en exploitant l’uranium du
Gabon et du Niger. En échange de prix
avantageux, la France soutenait les diri-
geants gabonais et nigériens au pouvoir.
C’est pourquoi « les sociétés africaines
sont des sociétés postcoloniales, tout sim-
plement au sens où le passé colonial pèse
encore sur le présent », observe Guillaume
Blanc, qui estime que « la France est, elle
aussi, une société postcoloniale ». En effet,
rappelle le philosophe Souleymane Bachir
Diagne, l’Organisation des Nations unies
(ONU) considère toujours que la Polynésie
et la Nouvelle-Calédonie sont des territoi-
res « non autonomes », ce qui signifie que
leurs populations « ne s’administrent pas
encore complètement elles-mêmes ». Pour le
professeur d’études francophones à l’uni-
versité Columbia (New York), « cela veut
dire que la majorité des nations qui compo-
sent l’ONU, et qui pour la plupart ont con-
quis leur souveraineté contre le colonia-
lisme, estime que le mouvement des décolo-
nisations, qui a défini l’histoire du XXe siècle,
n’est pas achevé ».
LA POPULARITÉ DU COUSCOUS
Souleymane Bachir Diagne rappelle une si-
tuation encore assez méconnue. Car si les
recherches sur les colonisations et décoloni-
sations sont nombreuses, novatrices et fé-
condes, la diffusion de ces savoirs reste par-
cellaire. Afin d’enseigner l’histoire de la co-
lonisation et aussi « combattre les clichés »,
Guillaume Blanc, maître de conférences à
l’université Rennes-II, trouve « assez utile »
de partir des chansons, des bandes dessi-
nées ou des films lors de ses cours sur les so-
ciétés africaines et asiatiques du XIXe au
XXIe siècle. Dans les amphithéâtres, l’auteur
de Décolonisations (Seuil, 2022) n’hésite pas
à diffuser le tube de Michel Sardou Le Temps
des colonies (1976), où l’on entend : « Y a pas
d’café, pas de coton, pas d’essence en France,
mais des idées, ça on en a. Nous on pense »,
ou à évoquer certains albums d’Astérix « qui
parlent de “nègres” aux lèvres protubérantes
et ne sachant ni lire ni écrire ».
D’autres contributeurs de Colonisations,
comme la linguiste et sémiologue Marie
Treps, s’attachent à l’actualité des « mots de
l’insulte », comme « bougnoul », emprunté à
la langue wolof où il signifie « noir », apparu
au Sénégal à la fin du XIXe siècle, terme ver-
naculaire transformé en sobriquet « lourde-
ment chargé de mépris » qui désigne désor-
mais « un étranger de l’intérieur ». Les ex-
perts du fait colonial mobilisent l’analyse
des objets ou de la cuisine – avec la popula-
rité du couscous ou du banh mi – mais
aussi du paysage urbain, comme le géogra-
phe Stéphane Valognes, qui montre la fa-
çon dont les rues de Cherbourg (Manche)
portent encore les traces de la conquête co-
loniale, avec ses maisons de style néomau-
resque et ses rues estampillées du nom
d’anciens généraux coloniaux. Sans oublier
le palais de l’Elysée, à Paris, ancien hôtel
particulier financé pour la monarchie par
Antoine Crozat (1655-1738), qui bâtit sa for-
tune, dans les années 1720, grâce à la traite
transatlantique, après avoir obtenu le mo-
nopole de la fourniture en esclaves de tou-
tes les colonies espagnoles.
« Si l’histoire de la colonisation est bien
connue des spécialistes, en revanche, en
France, il y a encore un refus de voir ce que fut
la colonisation », estime Guillaume Blanc,
qui trouve « aberrant » d’entendre encore
des hommes politiques et certains médias
évoquer les routes et les écoles que la France
aurait « amenées » dans ses colonies : « Sans
le travail forcé, la mort et la sueur des Congo-
lais, des Malgaches ou des Vietnamiens, il n’y
aurait jamais eu de routes. Quant à l’école, les
petits garçons et les petites filles colonisés n’y
allaient tout simplement pas : l’enseignement
était réservé à une élite restreinte, et la France
n’a jamais eu l’intention de scolariser les mil-
IL SEMBLE DIFFICILE lions d’enfants qu’elle colonisait. »
POUR UNE SOCIÉTÉ Nous vivons un moment postcolonial
parce que notre époque est postérieure à
D’ÉVITER l’ère des grandes colonisations – d’où le pré-
fixe « post » – mais aussi, selon certains
LES SUJETS chercheurs, parce qu’il convient d’analyser
QUI FINISSENT ce passé qui pèse sur le présent en dépas-
sant les anciennes dichotomies forgées aux
INEXORABLEMENT temps des colonies. Notamment celles en-
tre Orient et Occident, centre et périphérie
PAR S’IMPOSER ou civilisation et barbarie. « Postcolonial »
est ainsi à la fois le marqueur d’une période
historique et la désignation d’un mouve-
ment théorique : après la critique du « néo-
colonialisme » des années 1960-1970, à sa-
voir de l’emprise occidentale encore mani-
feste au cœur des nouvelles nations
indépendantes, les études postcoloniales –
postcolonial studies – émergent à la fin des
années 1970. Elles prennent leur essor dans
les années 1980 sur les campus américains
et s’attachent à montrer comment les repré-
sentations et les discours coloniaux, en par-
ticulier ceux de la culture, ont établi une dif-
férence radicale entre les colonisés et le
monde occidental, notamment forgé sur le
préjugé racial.
Publié en 1978, L’Orientalisme, ouvrage de
l’écrivain palestino-américain Edward Said
(1935-2003) consacré à la façon dont un
Orient fantasmé a été « créé » par l’Occident
(Seuil, 1980), est considéré comme l’un des
premiers jalons du courant postcolonial,
même s’il n’en revendique pas le terme. Au
cours d’une déconstruction des représenta-
tions et clichés véhiculés sur l’Orient depuis
le siècle des Lumières, ce défenseur lettré de
la cause palestinienne assure que « le trait
essentiel de la culture européenne est précisé-
ment ce qui l’a rendue hégémonique en Eu-
rope et hors de l’Europe : l’idée d’une identité
européenne supérieure à tous les peuples et à
toutes les cultures qui ne sont pas euro-
péens ». Se réclamant d’un « humanisme »
qui ne se tient pas « à l’écart du monde », cet
ancien professeur de littérature comparée à
l’université Columbia estimait dans une
nouvelle préface publiée en 2003, en pleine
guerre en Irak à laquelle il était opposé, que
« nos leaders et leurs valets intellectuels sem-
blent incapables de comprendre que l’histoire
ne peut être effacée comme un tableau noir,
afin que “nous” puissions y écrire notre pro-
pre avenir et imposer notre mode de vie aux
peuples “inférieurs” ».
La pensée postcoloniale fut largement ins-
pirée par les subaltern studies, courant né en
Inde dans les années 1970, autour de l’histo-
rien Ranajit Guha (1923-2023), études consa-
crées aux populations à la fois minorées par
la recherche et infériorisées dans les socié-
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tés récemment décolonisées. Une volonté
de faire « l’histoire par le bas », selon les ter-
mes de l’universitaire britannique Edward
Palmer Thompson (1924-1993), une façon de
rompre avec l’idée d’un progrès historique
linéaire qui culminerait dans l’Etat-nation,
une manière de réhabiliter des pratiques et
des savoirs populaires mais aussi d’exercer
une critique des élites indiennes souvent
constituées en mimétisme avec l’ancienne
bourgeoisie coloniale.
L’ambition des intellectuels postcoloniaux
est assez bien résumée par l’Indien Dipesh
Chakrabarty, professeur d’histoire, de civili-
sations et de langues sud-asiatiques à l’uni-
versité de Chicago : il s’agit de désoccidenta-
liser le regard et de Provincialiser l’Europe
(Amsterdam, 2009). L’Europe n’est ni le cen-
tre du monde ni le berceau de l’universel. In-
carnée par des intellectuels comme la théo-
ricienne de la littérature Gayatri Chakra-
vorty Spivak ou l’historien camerounais
Achille Mbembe, cette approche intellec-
tuelle « vise non seulement à penser les effets
de la colonisation dans les colonies, mais
aussi à évaluer leur répercussion sur les socié-
tés colonisatrices », résume l’historien Nico-
las Bancel (Le Postcolonialisme, PUF, 2019).
L’empreinte de l’époque coloniale n’est pas
seulement encore présente à travers des
monuments ou les noms des rues, elle l’est
aussi dans les rapports sociaux, les échan-
ges économiques, les arts ou les relations de
pouvoir. Car une partie de ses structures
mentales se serait maintenue. « La fin du co-
lonialisme n’est pas la fin de ce que l’on ap-
pelle la “colonialité” », explique Souleymane
Bachir Diagne. Forgé au début des années
1990 par le sociologue péruvien Anibal Qui-
jano (1928-2018), ce terme désigne un ré-
gime de pouvoir économique, culturel et
épistémologique apparu à l’époque mo-
derne avec la colonisation et l’essor du capi-
talisme mercantile mais qui ne s’achève pas
avec la décolonisation.
UNIVERSALISME EUROCENTRÉ
La colonialité, c’est « la continuation du rap-
port de domination auquel les décolonisa-
tions sont censées mettre fin », poursuit
Souleymane Bachir Diagne. « Et les jeunes
ont une sensibilité à fleur de peau à ces as-
pects », relève-t-il, en pensant notamment
aux altercations entre policiers et adoles-
cents des « quartiers ». Pour le philosophe,
une définition « assez éclairante de cette co-
lonialité structurelle » a été donnée par le
poète et homme d’Etat sénégalais Léopold
Sédar Senghor (1906-2001), selon qui « l’or-
dre de l’injustice qui régit les rapports entre
le Nord et le Sud » est un ordre fondé sur « le
mépris culturel ». Ainsi, poursuit l’auteur du
Fagot de ma mémoire (Philippe Rey, 2021),
« on peut se demander si les populations “is-
sues de l’immigration” dans les pays du
“Nord” ne constituent pas une sorte de “Sud”
dans ces pays ».
« Le concept de colonialité ouvre des ré-
flexions fécondes », renchérit la philosophe
Nadia Yala Kisukidi, maîtresse de conféren-
ces à l’université Paris-VIII. Loin du terme
« néocolonialisme » qui réduit la domina-
tion à une cause unique, la colonialité per-
met « d’articuler les formes de la domination
politico-économique, ethnoraciale, de genre,
culturelle et psychosociale, issues du monde
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SERGIO AQUINDO
colonial et de déceler leur continuation dans
un monde qu’on prétend décolonisé. Ce qui
permet de dire que, dans un grand nombre de
cas, les décolonisations apparaissent comme
des processus inachevés », poursuit l’autrice
de La Dissociation (Seuil, 2022).
Souleymane Bachir Diagne insiste sur le
fait que Léopold Sédar Senghor, en « grand
lecteur de Jean Jaurès », croyait comme le
fondateur du journal L’Humanité en un
monde où « chaque nation enfin réconciliée
avec elle-même » se verrait comme « une par-
celle » de cette humanité solidaire qu’il faut
continûment travailler à réaliser. « Mais
pour cela il faut combattre la colonialité, le
mépris culturel, l’ordre de l’injustice. D’un
mot : il faut décoloniser. L’impensé colonial
existe : il consiste à ignorer la colonialité. »
C’est ainsi que l’approche décoloniale,
nouveau paradigme apparu dans les années
1990, est venue s’ajouter aux études postco-
loniales autour de cette invitation à « déco-
loniser ». Née en Amérique du Sud au sein
d’un groupe de recherche intitulé Moder-
nité/Colonialité, la pensée décoloniale se
donne notamment comme ambition de dé-
coloniser les savoirs. Et de revisiter l’histoire.
C’est pourquoi, selon ce courant théorique,
la date capitale de la domination occidentale
est 1492, le moment où Christophe Colomb
ne « découvre » pas l’Amérique, mais l’« en-
vahit ». C’est la période lors de laquelle naît
la modernité par « l’occultation de l’autre »,
explique le philosophe et théologien argen-
tino-mexicain Enrique Dussel (1934-2023).
Un moment où la « reconquête » menée par
la chrétienté expulsa les musulmans de la
péninsule Ibérique et les juifs d’Espagne.
Ainsi, une « désobéissance épistémique »
s’impose, enjoint le sémiologue argentin
Walter Mignolo, afin de faire éclore des sa-
voirs alternatifs à une conception de l’uni-
versalisme jugée eurocentrée.
Tous les domaines politiques, sociaux,
économiques et artistiques peuvent être
analysés, réinvestis et repolitisés à l’aide de
cette approche décoloniale, à la fois savante
et militante. L’écologie est notamment l’un
des nombreux thèmes investis, car « la dou-
ble fracture coloniale et environnementale de
la modernité » permet de comprendre « l’ab-
sence criante de Noirs et de personnes raci-
sées » dans les discours sur la crise écologi- L’EMPREINTE
que, assure l’ingénieur en environnement
caribéen Malcom Ferdinand dans Une écolo- DE L’ÉPOQUE
gie décoloniale (Seuil, 2019). « Faire face à la
tempête écologique, retrouver un rapport
COLONIALE EST
matriciel à la Terre requiert de restaurer les ENCORE PRÉSENTE
dignités des asservis du navire négrier tout
autant que celles du continent africain », écrit À TRAVERS LES
Malcom Ferdinand.
RAPPORTS SOCIAUX,
PENSÉES « VICTIMAIRES » LES ÉCHANGES
Partis d’Amérique latine, « ces travaux ont
essaimé dans le monde entier », explique Phi- ÉCONOMIQUES,
lippe Colin, coauteur avec Lissell Quiroz de
Pensées décoloniales. Une introduction aux LES ARTS
théories critiques d’Amérique latine (Zones, OU LES RELATIONS
2023). Dans les années 1990, les lectures par-
tisanes des théories postcoloniales ont sus- DE POUVOIR
cité des controverses dans l’espace public,
notamment autour de la notion de « discri-
mination positive » et du « politiquement
correct ». Une discorde qui se rejoue
aujourd’hui, notamment avec les attaques
menées par les néoconservateurs améri-
cains contre ce qu’ils appellent, de manière
péjorative, la « cancel culture », cette culture
dite « de l’annulation » censée être portée
par un « maccarthysme de gauche » et
même un « fascisme d’extrême gauche », ré-
sume d’un trait Donald Trump.
Aux Etats-Unis, les études postcoloniales
et décoloniales, « forgées dans une matrice
marxiste au sein d’une diaspora d’intellec-
tuels indiens, africains ou sud-américains en-
seignant dans les campus américains, se sont
déployées d’abord dans le champ académi-
que », précise Philippe Colin. Alors qu’en
France, la réception de ces travaux s’est faite
immédiatement de façon polémique. « Le
concept a été revendiqué par le Parti des indi-
gènes de la République à partir de 2015 de
manière explicite, et cela a changé beaucoup
les choses en France », analyse l’historien
Pascal Blanchard. « Il est alors devenu une ci-
ble idéale pour ceux qui cherchaient un
terme global pour vouer aux gémonies les
chercheurs travaillant sur la colonisation »,
poursuit-il dans le livre collectif Les Mots
qui fâchent. Contre le maccarthysme intellec-
tuel (L’Aube, 2022).
Dans L’Imposture décoloniale (L’Observa-
toire, 2020), l’historien des idées Pierre-An-
dré Taguieff se livre à une critique radicale
de « l’idéologie postcoloniale et décoloniale,
centrée sur la dénonciation criminalisante
de la civilisation occidentale ». Une position
que l’on retrouve également au sein de L’Ob-
servatoire du décolonialisme et des idéolo-
gies identitaires, un site Web dont les con-
tributeurs alimentent régulièrement les
dossiers à charge des médias en guerre con-
tre le « wokisme ».
Les critiques ne viennent toutefois pas
uniquement de la galaxie conservatrice,
des sites de veille idéologique ou des sphè-
res réactionnaires. Auteur d’un ouvrage cri-
tique sur Les Etudes postcoloniales. Un car-
naval académique (Karthala, 2010), le poli-
idées | 25
tologue Jean-François Bayart leur reproche
de « réifier le colonialisme » car, affirme-t-il,
aujourd’hui, « le colonial n’est pas une es-
sence mais un événement ». Par ailleurs, rap-
pelle-t-il, « le colonialisme n’a pas été l’apa-
nage des seuls Etats occidentaux ». Des cher-
cheurs insistent également sur le fait que la
colonisation est un fait historique pluriel et
qu’il convient de tenir compte de la diver-
sité des sociétés où elle s’est exercée. Or, la
prise en compte des formes de pouvoir pro-
pres à chaque société anciennement colo-
nisée serait parfois omise par les approches
décoloniales.
Auteur de L’Occident décroché (Fayard,
2008), l’anthropologue Jean-Loup Amselle
estime que ce courant de pensée a « détrôné
l’Occident de sa position de surplomb, ce qui
est une bonne chose, mais a entraîné des ef-
fets pervers », puisque, selon lui, elle re-
prend parfois à son compte « les stigmates
coloniaux en tentant d’en inverser le sens ».
Sur le site Lundimatin, l’essayiste Pierre Ma-
delin critique, lui, les travers du « campisme
décolonial » notamment apparu après le dé-
clenchement de la guerre en Ukraine, à l’oc-
casion de laquelle, dit-il, « plusieurs figures
de proue des études décoloniales » ont con-
vergé vers la rhétorique anti-occidentale de
Vladimir Poutine.
LE PROCÈS EN RELATIVISME
Comme toute théorie, ces approches postco-
loniales et décoloniales sont critiquables, es-
time Nicolas Bancel, « mais à partir de textes,
de positions théoriques et épistémologiques,
et non à partir de tribunes maniant l’invec-
tive, la désinformation, la dénonciation ad
hominem, sans que leurs auteurs sachent
rien de la réalité et de l’importance de ce
champ intellectuel », juge-t-il. D’ailleurs, pro-
longe Nadia Yala Kisukidi, au-delà de l’uni-
versité, les termes « décolonial » ou « postco-
lonial », dans le débat public français, « fonc-
tionnent comme des stigmates sociaux, pour
ne pas dire des marqueurs raciaux. Loin de
renvoyer à des contenus de connaissance ou,
parfois, à des formes de pratiques politiques
spécifiques, ils sont mobilisés pour cibler un
type d’intellectuel critique, souvent non
blanc, dont les positionnements théoriques
et/ou politiques contribueraient à briser la
cohésion nationale et à achever le déclasse-
ment de l’université française. Comme si le
mythe de la “cinquième colonne” avait inté-
gré le champ du savoir ».
Un reproche résume tous les autres : celui
du procès en relativisme. Une critique qui
est le point de discorde de tous les débats
qui opposent de façon binaire l’universa-
lisme au communautarisme. Or, cette
querelle a presque déjà été dépassée par
deux inspirateurs historiques de ces mou-
vements postcoloniaux et décoloniaux :
Aimé Césaire (1913-2008) et Frantz Fanon
(1925-1961). Dans sa Lettre à Maurice Thorez,
publiée en 1956, dans laquelle il explique
les raisons de sa démission du Parti com-
muniste français, à qui il reproche le « chau-
vinisme inconscient » et l’« assimilation-
nisme invétéré », le poète martiniquais
Aimé Césaire expliquait qu’« il y a deux ma-
nières de se perdre : par la ségrégation mu-
rée dans le particulier ou par la dilution dans
l’“universel” ».
Aimé Césaire a dénoncé « un universalisme
impérial », commente Souleymane Bachir
Diagne, auteur de De langue à langue (Albin
Michel, 2022). Mais, dans le même temps, « il
a refusé avec force de s’enfermer dans le parti-
cularisme ». Au contraire, poursuit le philo-
sophe, Césaire « a indiqué que s’il a revendi-
qué la “négritude”, c’était pour “contribuer à
l’édification d’un véritable humanisme”,
l’“humanisme universel”, précise-t-il, “car en-
fin il n’y a pas d’humanisme s’il n’est pas uni-
versel” ». Des propos que le Frantz Fanon des
dernières pages de Peau noire, masques
blancs (Seuil, 1952) « pourrait s’approprier »,
estime Souleymane Bachir Diagne.
Ces exemples remettent en cause l’idée se-
lon laquelle les études, réflexions et théo-
ries actuelles sur le fait colonial, postcolo-
nial ou décolonial seraient des importa-
tions venues des campus américains et
issues du seul frottement des études subal-
ternes avec la French Theory, du tiers-
monde et de la déconstruction. « Il n’est
donc tout simplement pas vrai que les pen-
seurs du décolonial soient unanimement
contre l’universel », déclare Souleymane Ba-
chir Diagne, qui, loin de tous les impérialis-
mes et réductionnismes, appelle à « univer-
saliser l’universel ». p
nicolas truong
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SAMEDI 20 JANVIER 2024

Malgré l’élection
d’un président
indépendantiste
à Taïwan, la Chine
Valérie Niquet
n’osera pas se
lancer dans une
aventure militaire
L’impuissance chinoise face
dans laquelle
elle risque gros,
estime la politiste à la démocratie taïwanaise
P
our la troisième fois de suite, le mintang – reconnaissant le principe
parti indépendantiste est sorti « d’une seule Chine » –, ont démontré leur
vainqueur de l’élection présiden- inefficacité.
tielle à Taïwan. En dépit de ses li- Le régime chinois lui-même a considé-
mites, notamment l’absence de majorité rablement nui à ses capacités d’in-
au sein de l’Assemblée nationale de la Ré- fluence, y compris auprès de ceux qui, à
publique de Chine [le nom officiel du
pays], cette victoire constitue, pour Pé-
Taïwan, se sentent encore des attaches
avec le continent. Depuis son arrivée au
kin, un camouflet. Un de plus. L’élection, pouvoir, en 2013, Xi Jinping a multiplié
bien organisée, calme, parfaitement les provocations, les actions agressives et
transparente, constitue un défi idéologi- les déclarations sans concession pour sa-
que direct pour le régime chinois. border le principe « un pays, deux systè-
Alors que le Parti communiste chinois, mes » et convaincre les Taïwanais d’ac-
dans son discours à usage interne mais cepter une « unification » avec le conti-
aussi en direction du « Sud global », in- nent. En imposant brutalement la loi de
siste sur le caractère « occidental » et non sécurité nationale à Hongkong et en
universel des valeurs démocratiques qui poursuivant ses opposants, Pékin a ré-
président à la vie politique à Taïwan de- duit le peu de chance qu’il avait de sé-
puis les années 1990, l’organisation régu- duire une société ouverte et libre comme
lière des élections dans l’île, et la possibi- celle de Taïwan.
lité d’alternances politiques, démontre
que les principes démocratiques n’ont Deux économies très liées
rien d’étranger au « monde chinois ». Pour Pékin, le danger vient du caractère
Pour les plus de 60 % de Taïwanais qui se potentiellement contagieux du fonc-
reconnaissent comme « taïwanais » et les tionnement démocratique à Taïwan. Sur
plus de 30 % qui se reconnaissent le continent, la censure et le contrôle
comme « chinois et taïwanais », la nature d’Internet limitent l’accès aux informa-
profondément démocratique du sys- tions, mais les Chinois de la RPC savent
tème politique de l’île constitue une part ce qu’il se passe sur l’île. Le défi que re-
importante de leur identité. présente l’élection d’un président indé-
Autre camouflet pour la République po- pendantiste, la transparence du fonc-
pulaire de Chine (RPC) : les manœuvres tionnement démocratique ainsi que le
de propagande et les tentatives d’in- respect de la population et des électeurs
fluence faisant partie de la guerre de l’in- constituent autant de coups portés au
formation, au cœur de la pensée stratégi- discours de toute-puissance du Parti
que chinoise et des fondements léninis- communiste chinois.
tes du régime, qui est censée pousser les Face à cet échec, la marge de manœuvre
Taïwanais à voter pour un parti, le Kouo- de la RPC est très limitée. Sa seule option
LE PRINCIPAL
OBSTACLE
À UN ÉVENTUEL
RAPPROCHEMENT
ENTRE PÉKIN ET TAIPEI
EST LE RÉGIME
CHINOIS LUI-MÊME
est de multiplier les provocations, les in-
cursions et les exercices militaires afin de
maintenir la pression sur les autorités de
Taipei et leurs alliés américains. Alors
que l’économie chinoise va mal, que les
exportations reculent et que la priorité
du Parti communiste chinois demeure sa
survie à l’horizon 2049, l’aventurisme
militaire paraît très peu probable : il
pourrait signer la fin du régime de Pékin.
La Chine a longtemps espéré que
Taïwan, séduit par les perspectives de re-
lations économiques très étroites avec
elle et peu porté à la résistance, tombe
comme un fruit mûr. Chaque élection
perdue par les alliés de Pékin éloigne ce-
pendant un peu plus cette perspective
sans que les dirigeants chinois puissent
s’y opposer par la force. Même tentés par
l’aventure militaire, les stratèges de Pé-
kin savent que l’on ne franchit pas le dé-
troit de Taïwan, d’une largeur de plus de
180 kilomètres, comme la Russie a fran-
chi la frontière ukrainienne.
Un blocus du détroit nuirait en effet
aux intérêts économiques de Pékin, dont
les grands ports et les exportations se-
raient fortement pénalisés. En dépit des
efforts de diversification encouragés par
la présidence de Tsai Ing-wen, l’écono-
mie taïwanaise demeure très liée à celle
du continent, qui absorbe 35 % de ses ex-
portations. Plus de 100 000 entreprises
taïwanaises ont investi en Chine, dont
Foxconn, qui y emploie plus d’un million
de personnes. Et l’économie du conti-
nent est très dépendante des investisse-
ments et des exportations de Taïwan
dans les secteurs de la haute technologie,
y compris les microprocesseurs les
moins performants que Taïwan conti-
nue de fournir à la RPC.
Une forme d’apaisement
Devant ces difficultés et la nécessité,
pour le régime chinois, de privilégier le
développement économique, source de
stabilité sociale, c’est donc le statu quo
qui devrait prévaloir. Même si celui-ci
est régulièrement menacé par des gesti-
culations chinoises destinées à mainte-
nir la pression sur l’île et sur ses alliés
tout en donnant l’impression à la popu-
lation chinoise que le pouvoir à Pékin
maîtrise la situation.
Devant l’impossibilité, pour la RPC, de
l’emporter « sans combattre » – et en-
core moins en combattant en raison de
la trop grande asymétrie de puissance
avec les Etats-Unis, de la vulnérabilité de
l’économie chinoise aux sanctions éco-
nomiques et du coût politique potentiel
d’un conflit –, on pourrait constater une
forme d’apaisement. Particulièrement
si le pouvoir de Xi Jinping, dont la straté-
gie agressive démontre un peu plus cha-
que jour son inefficacité, venait à être
contesté en interne, comme semble le
démontrer la multiplication des cas de
corruption au sein de l’Armée populaire
de libération.
Le triomphe de la démocratie à Taïwan
démontre une fois de plus que le princi-
pal obstacle à un éventuel rapproche-
ment entre Pékin et Taipei est le régime
chinois lui-même ; et ce, même si
l’importance du facteur de l’identité
taïwanaise ne peut être négligée. A l’in-
verse, c’est bien la convergence démo-
cratique des deux côtés du détroit qui
pourrait à long terme déboucher non
pas sur une « réunification », mais sur
une forme de coopération renforcée en-
tre l’île et le continent, dont les peuples
seraient enfin autorisés à partager les
mêmes idéaux. p
Valérie Niquet est spécialiste de l’Asie
à la Fondation pour la recherche stra-
tégique. Elle est l’autrice de « Taïwan
face à la Chine. Vers la guerre ? Les clés
pour comprendre » (Tallandier, 2022)

Isabelle Feng Contrairement à ce que prétend Pékin,

Taïwan est un Etat souverain, de facto comme de jure
La juriste propose une lecture juridique critique de la revendication de Pékin sur Taïwan,
à la lumière du droit international et de l’histoire de la République de Chine, depuis 1912

S
ans surprise, Lai Ching-te
(connu également sous le
nom de William Lai) a rem-
porté, samedi 13 janvier,
l’élection présidentielle à Taïwan,
et il devient le 16e président de la
République de Chine. Fait
sans précédent, le Parti démo-
crate progressiste (DPP) décroche
ainsi un troisième mandat d’affi-
lée, tirant bénéfice, auprès des
électeurs taïwanais, de son oppo-
sition ferme à la volonté de Pékin
de réunifier la « province » de
Taïwan à « la mère patrie », « par la
force, si nécessaire ». Ce résul-
tat pourrait accroître la tension
dans la zone Indo-Pacifique, car le
bon fonctionnement de la démo-
cratie taïwanaise discrédite la lé-
gitimité proclamée par Pékin à re-
vendiquer la possession de l’île.
Il est très éclairant d’observer
comment cette élection est trai-
tée, dans la même langue, par les
médias de part et d’autre du dé-
troit de Formose. Pour ceux de
l’île, il s’agit de l’élection d’un
nouveau président de la Républi-
que de Chine, fondée en 1912 par
Sun Yat-sen (1866-1925), devant le
dans l’espace public depuis la pro-
clamation de la République popu-
laire de Chine (RPC) par Mao Ze-
dong, en 1949. Si les termes
Taïwan et République de Chine
sont interchangeables pour les
médias occidentaux, l’affichage
même de ce deuxième nom
sur chaque passeport taïwanais
mine la légitimité du pouvoir
communiste à représenter la
Chine sur la scène internationale.
Un cas unique
Le 12 février 1912, par un édit im-
périal d’abdication, le der-
nier empereur de la dynastie
Qing, Puyi, a renoncé à régner au
profit de « la République de
Chine », née à peine un mois plus
tôt de la révolution menée par
Sun Yat-sen. C’est bien elle qui,
vainqueure de la deuxième
guerre mondiale et signataire de
la Charte de l’Organisation des
Nations unies (ONU) en 1945, ré-
cupère l’île de Taïwan que l’em-
pire de Qing avait concédée au Ja-
pon en 1895. Même si Mao gagne
la guerre civile contre Tchang Kaï-
chek, qui dirige alors cette Répu-
représentants de Taïwan pour y
installer les délégués communis-
tes de la RPC.
La République de Chine reste
depuis lors un cas unique dans le
droit international. Car, contrai-
rement à l’Allemagne et à la Co-
rée, où les deux gouvernements
opposés ont été simultanément
admis à l’ONU, bien qu’ils préten-
dent chacun être le seul représen-
tant légitime de leur pays, Pékin
et Taipei refusent de reconnaître
la souveraineté de l’autre.
Isolé sur l’échiquier mondial,
Taïwan a pourtant réussi la
double mue – politique et écono-
mique – de la société. En l’espace
LES ÉLECTIONS
TAÏWANAISES
INVALIDENT LE
NARRATIF DE PÉKIN
de cinquante ans, le régime du
parti unique dictatorial de
Tchang Kaï-chek s’est transformé
en une démocratie dynamique
et prospère.
Aujourd’hui, le pays est classé
au 21 rang mondial du PIB et les
libertés dont jouissent les Taïwa-
nais n’ont rien à envier aux gran-
des démocraties du monde. Les
élections taïwanaises produisent
des effets corrosifs sur les Chi-
nois du continent, car elles inva-
lident le narratif élaboré par Pé-
kin selon lequel la démocratie,
pur « produit » occidental, n’est
pas compatible avec les cultures
et traditions chinoises, tels le
confucianisme, le respect de la
hiérarchie, la prévalence du col-
lectif sur l’individu, etc.
Depuis des années, Pékin bran-
dit la menace d’une guerre en cas
de déclaration d’indépendance de
Taïwan. Or, même aux yeux du
DPP, qui s’est longtemps pro-
clamé indépendantiste, une telle
déclaration n’a pas lieu d’être :
M. Lai a déclaré pendant la cam-
pagne que, s’il était élu, « le
drapeau de la République de
défini, être doté d’un gouverne-
ment, et être apte à entrer en rela-
tion avec les autres Etats. »
Certes, la pression de Pékin sur
les pays tiers a réduit à onze,
plus le Vatican, le nombre d’Etats
reconnaissant l’existence de
Taïwan. Mais en droit internatio-
nal, ni l’adhésion à l’ONU ni la re-
connaissance par des pays tiers
ne sont constitutifs de la souve-
raineté. Quand, en 1964, le
général de Gaulle a décidé d’éta-
blir des liens diplomatiques
avec Pékin, la RPC n’était pas en-
core entrée à l’ONU !
Défaillance juridique
Conscient de la défaillance
juridique de sa revendication,
Pékin use de la résolution 2758,
« dont l’autorité juridique ne to-
lère aucune interprétation », se-
lon son Livre blanc sur Taïwan
publié en août 2022. Mais, en réa-
lité, le doute persiste.
Le 26 juillet 2023, le Sénat amé-
ricain a validé le projet du
Taiwan International Solidarity
Act, qui met les points sur les
« i » : « La résolution 2758 (…) a
et ne prend pas non plus position
sur les relations entre la RPC et
Taïwan ni n’inclut aucune
déclaration relative à la souverai-
neté de Taïwan. » Le 13 décem-
bre 2023, le Parlement européen
a également adopté une résolu-
tion qui s’oppose aux « tentatives
répétées » de Pékin de « contour-
ner la résolution 2758 ».
Taïwan n’est plus aujourd’hui
cet « orphelin d’Asie » – titre d’un
tube que Lo Ta-yu, star de la chan-
son taïwanaise, avait com-
posé après la rupture des relations
diplomatiques par Washington
avec la République de Chine
en 1979 – mais un membre bien-
venu dans la communauté
mondiale de la démocratie. Et la
RPC n’est plus le partenaire dont
l’Amérique pragmatique avait be-
soin pendant la guerre froide
contre l’URSS, mais son rival sys-
témique. On comprend que cha-
que président taïwanais, peu
importe sa couleur politique,
agrémente ses discours d’un vi-
brant : « Vive Taïwan ! Vive la Répu-
blique de Chine ! » p

portrait duquel William Lai de-
vrait prêter serment. Ceux de
Chine continentale évoquent à
peine une « élection locale pour
élire le leader de la région de
Taïwan ». Toute mention de l’exis-
tence actuelle de cette République
de Chine y est en effet proscrite
blique, et contraint ce dernier à se
réfugier sur l’île, elle ne s’est ja-
mais avouée vaincue et continue
à siéger au Conseil de sécurité de
l’ONU jusqu’en 1971.
Cette année-là, l’Assemblée gé-
nérale des Nations unies adopte
la résolution 2758, qui déloge les
SELON LEQUEL LA Chine flottera[it] toujours ». Car,
contrairement à ce que prétend
DÉMOCRATIE N’EST Pékin, elle reste un Etat souverain,
de facto comme de jure, en rem-
PAS COMPATIBLE plissant les quatre critères énon-
AVEC LA CULTURE cés par la convention de Montevi-
deo de 1933 : « Etre peuplé en per-
CHINOISE manence, contrôler un territoire
établi les représentants du gou-
vernement de la RPC comme
seuls représentants légitimes de
la Chine auprès de l’ONU. La réso-
lution n’aborde pas la question de Isabelle Feng est juriste au
la représentation de Taïwan et de Centre Perelman de philosophie
son peuple aux Nations unies ou du droit de l’Université libre
dans toute organisation associée, de Bruxelles et à Asia Centre
0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024
Au Royaume-Uni, LA GAUCHE ET LA VALEUR DU TRAVAIL
le journalisme et le LIVRE
réveil des consciences
ANALYSE
E « MR BATES
trange début d’année
médiatique au Royau-
me-Uni. Grâce à Mr Bates
vs The Post Office, une
minisérie en quatre épisodes dif-
fusée sur ITV dans les premiers
jours de 2024, les Britanniques se
sont enfin émus du sort terrible
d’au moins 800 gérants de bu-
reau de poste injustement accu-
sés de fraude entre 1999 et 2015 à
cause d’un logiciel de comptabi-
lité défectueux baptisé Horizon.
Ce dernier faisait apparaître
sans raison des déficits dans les
caisses des postmasters (les gé-
rants de bureau de poste), don-
nant l’impression fausse qu’ils
n’avaient pas déclaré tous leurs
gains. Leur contractant, la poste
britannique (Post Office), entre-
prise publique, les a traînés en
justice, exigeant qu’ils rembour-
sent les découverts. La plupart
ont été ruinés, leurs réputations
détruites, plus de 200 ont même
fait de la prison alors qu’ils
étaient innocents. Avec plus de
9 millions de téléspectateurs en
une semaine et un déluge de
protestations sur les réseaux
sociaux, les Britanniques ont
exprimé leur compassion et un
très fort sentiment d’injustice.
Les premiers témoignages
de postmasters aux abois ont
pourtant été publiés dès la fin des
années 2000, et un jugement cru-
cial de la Haute Cour de justice,
en 2019, a définitivement statué
qu’Horizon était « défectueux »,
contrairement aux affirmations
du Post Office et du groupe japo-
nais Fujitsu, l’éditeur du logiciel.
Mais, après des années d’indiffé-
rence politique, la pression est
soudain devenue si intense, que
le premier ministre, Rishi Sunak,
a dénoncé, mercredi 10 janvier,
« la pire erreur judiciaire du
Royaume-Uni » et promis « dans
les prochaines semaines » une loi
pour blanchir les postmasters et
les indemniser au plus vite.
Pouvoir de l’image
Cette célérité, dans un pays où
les victimes d’erreurs judiciaires
mettent des années à rentrer
dans leurs droits, dit beaucoup
du pouvoir de l’image et d’une
histoire bien scénarisée pour
réveiller les consciences. Patrick
Spence, le producteur de la série,
est allé chercher des comédiens
connus du petit écran britanni-
que, Toby Jones et Monica Dolan,
pour incarner de vrais postmas-
ters – en l’occurrence Alan Bates,
responsable d’une association
de victimes, et Jo Hamilton, ex-
gérante d’un bureau de poste
dans le Hampshire.
Les premières scènes sont par-
faitement plantées : sans expli-
cations trop techniques, elles
provoquent immédiatement
l’empathie. Maître de lui, Toby
Jones résiste aux abus de pou-
voir des enquêteurs du Post
Office. Déboussolée par les chif-
fres qui s’affolent sur son termi-
nal Horizon, Monica Dolan ne
comprend rien à ce que lui expli-
que la hotline de l’éditeur du
logiciel. Les commentateurs
comparent la série à Cathy Come
Home, un téléfilm de Ken Loach
diffusé en 1966, qui a changé la
perception des Britanniques sur
les sans-logis. D’autres citent
LES MILLIERS
DE VICTIMES
DU SCANDALE DU
SANG CONTAMINÉ
RÉCLAMENT
DÉSORMAIS
LEUR FILM
LA MINISÉRIE
VS THE POST
OFFICE » A SUSCITÉ
L’EMPATHIE DES
TÉLÉSPECTATEURS
Hillsborough, de Jimmy McGo-
vern, diffusé en 1996, qui a sensi-
bilisé les téléspectateurs au
drame des 97 supporteurs de
football tués en 1989 lors d’une
rencontre entre les équipes de Li-
verpool et de Nottingham Forest.
Le public et les salles de rédac-
tion redécouvrent aussi l’impor-
tance de l’expertise et du journa-
lisme d’investigation dans la dé-
nonciation des injustices. Au
côté des nouveaux héros Alan
Bates et Jo Hamilton, on célèbre
désormais les publications spé-
cialisées Computer Weekly ou
Private Eye, les premières à avoir
recueilli et publié les témoigna-
ges de postmasters, à partir de
2009. Malgré leurs petits
moyens et leur audience limitée,
ces hebdomadaires ont refusé de
lâcher l’affaire. La BBC souligne,
quant à elle, les mérites d’un de
ses collaborateurs, Nick Wallis,
un journaliste indépendant me-
nant ses enquêtes grâce à du fi-
nancement participatif, qui a
commencé à raconter le scan-
dale du Post Office pour une an-
tenne locale du radiodiffuseur
public (BBC Surrey).
Au Royaume-Uni comme
ailleurs, ce journalisme récla-
mant de la patience et des
moyens est menacé. Par la dispa-
rition des journaux de proximité,
par les choix financiers et édito-
riaux des médias nationaux, qui
passent d’un sujet à l’autre à une
vitesse affolante et accordent une
place prééminente aux gossips
(« ragots »), notamment royaux.
Le tabloïd Daily Mail a bien consa-
cré des articles au Post Office,
mais pas au point d’y consacrer
une vraie campagne de presse,
avec un feu roulant de « unes »
prenant à partie les responsables.
« Aucun compte n’a été demandé
aux patrons du Post Office ou de
Fujitsu, qui refusaient systémati-
quement les demandes d’inter-
view. Les patrons des grands orga-
nes de presse auraient dû insister
auprès d’eux ou du gouverne-
ment », regrette Nick Wallis.
Le scandale du Post Office est
loin d’être le seul au Royaume-
Uni à avoir jusqu’à présent buté
sur l’indifférence des politiques
et du public. Les milliers de victi-
mes du scandale du sang conta-
miné ou du cladding (ces immeu-
bles non conformes aux normes
incendie) réclament désormais
leur film ITV. Mais un bon film et
des journalistes d’investigation
tenaces ne suffisent pas toujours.
Ainsi du scandale Windrush : à
partir des années 2000, des mil-
liers de Britanniques d’origine ca-
ribéenne se sont vu dénier leur
nationalité sans raison valable. Ils
ont perdu leur liberté de mouve-
ment, leur travail, l’accès à une
couverture santé, et des dizaines
ont été injustement expulsés.
La plupart des victimes atten-
dent toujours réparation, malgré
le travail remarquable d’Amelia
Gentleman pour le Guardian et la
qualité de Sitting in Limbo, un
film diffusé par la BBC racontant
l’histoire d’Anthony Bryan, un
Britannique d’origine jamaïcaine
longtemps menacé d’expulsion
par le Home Office. Quand nous
l’avons rencontré chez lui, dans le
nord de Londres, au printemps
2023, il attendait toujours d’être
indemnisé pour des années de
purgatoire. p
cécile ducourtieux
(londres, correspondante)
L
e Belge francophone Paul Magnette
cultive décidément sa double image
d’acteur politique et de penseur.
Dans son pays, certains évoqueront
plutôt son ambiguïté, tant y est rare
cette capacité à assumer de front un rôle poli-
tique de premier plan − il est maire de Charle-
roi, dirige le Parti socialiste et ne cache plus
son ambition d’être premier ministre − et un
autre de réflexion − il est professeur à l’Uni-
versité libre de Bruxelles (ULB).
Du cinéaste italien marxiste Pier Paolo Paso-
lini à la citoyenneté européenne en passant
par l’accord de libre-échange entre le Canada et
l’Union européenne CETA, de l’analyse des ré-
gimes politiques à un manifeste « écosocia-
liste » en 2022 : en une vingtaine d’années, l’an-
cien directeur de l’Institut d’études européen-
nes de l’ULB a accumulé une douzaine d’ouvra-
ges, auxquels on peut ajouter le récit, plus
modeste, d’une découverte à vélo de sa région
ou un traité sur l’une de ses passions, le pain…
Cette fois, c’est sur le sens et la valeur du tra-
vail que se penche le Wallon. L’Autre Moitié du
monde, c’est, selon lui, celle qui souffre et su-
bit les conséquences de la financiarisation de
l’économie, de la mondialisation, des restruc-
turations et de la dégradation des conditions
de travail. Celle qui pourrait être tentée de cé-
der aux sirènes des mouvements autoritaires
qui instrumentalisent la peur du déclasse-
ment pour renforcer leur poids. Celle qui est,
en tout cas, persuadée que la critique de l’« as-
sistanat » dont bénéficieraient un bon nom-
bre de ses congénères est justifiée.
En 2007, se souvient l’auteur, Nicolas Sarkozy
flattait « le salarié qui voit l’assisté s’en tirer
mieux que lui pour boucler ses fins de mois sans
rien faire ». En 2022, Fabien Roussel, le secré-
taire national du Parti communiste français,
enchaînait, affirmant que « la gauche doit dé-
fendre le travail, et ne pas être la gauche des allo-
Météo | par sergueï
CES PAYS QUI SE DÉCHIRENT
LA REVUE DES REVUES
C’ est peu de dire que l’année débute
sous des auspices belliqueux. En
Ukraine, l’offensive russe se poursuit
et le conflit armé entre Israël et le Hamas pour-
rait entraîner un embrasement régional. Le
danger serait même plus grand qu’on ne le
croit, la guerre n’étant pas pensée dans toute sa
diversité : elle est souvent considérée d’abord
comme un affrontement entre des puissances
étrangères, en oubliant les guerres civiles. C’est
ce que rappelle le spécialiste des relations in-
ternationales Julian Fernandez dans son intro-
duction au dossier que consacre Pouvoirs, la re-
vue française d’études constitutionnelles et
politiques, à ce type de conflit.
Le nombre de guerres civiles ne cesse pour-
tant d’augmenter – il y en avait deux fois plus
en 2020 qu’en 1989, selon différents décomp-
tes –, et si environ cinquante guerres éclatent
annuellement dans le monde, moins de cinq
d’entre elles opposent deux pays. La littérature
scientifique a enfin démontré que les guerres
L’AUTRE MOITIÉ
DU MONDE. ESSAI
SUR LE SENS
ET LA VALEUR
DU TRAVAIL
de Paul Magnette,
La Découverte,
176 p. 16 €
cations et des minima sociaux ». Voilà donc con-
sacrée « l’hégémonie culturelle de la droite, qui
n’en espérait pas tant », déplore Paul Magnette.
A quelques mois d’élections générales en
Belgique, au cours desquelles il combattra à la
fois la droite libérale et la gauche radicale – le
Parti du travail de Belgique –, le dirigeant de ce
qui fut naguère le Parti ouvrier belge soutient
que « l’enjeu de notre temps consiste à réaffir-
mer le sens et la valeur du travail ».
Convaincre les jeunes générations
Un but ambitieux à l’issue d’une pandémie qui
a introduit une rupture dans le rapport au tra-
vail et modifié, durablement peut-être, les at-
tentes des jeunes générations. A priori, il ne
sera pas évident de les convaincre que le labeur
n’est pas qu’un fardeau, et qu’il est aussi possi-
ble d’abolir les rapports de domination qui le
structurent encore souvent.
C’est toutefois le pari de l’auteur, grand lec-
teur de Simone Weil et de ses Réflexions sur les
causes de la liberté et de l’oppression sociale. Il
prône, comme la philosophe humaniste, une
organisation sociale radicalement nouvelle
qui influerait ensuite sur l’exercice de la politi-
que : dans une société où le travail procurerait
surtout du plaisir et de la liberté, la politique
deviendrait, elle aussi, une activité « nor-
male » et non plus « soit un jeu, soit une bran-
che de la magie », écrivait Simone Weil.
civiles sont plus longues, plus meurtrières, et
ont davantage tendance à se propager à
d’autres nations. Et pourtant, aucune défini-
tion ne fait consensus. L’historien Jean-Clé-
ment Martin, spécialiste de la Révolution, sou-
ligne que, en dépit de cette difficulté, divers élé-
ments permettent de caractériser une guerre
civile. Il s’appuie sur la guerre de Vendée (1793-
1796) pour le démontrer.
De la dissension à la trahison
Le soulèvement n’est, au départ, pas différent
de ce qu’a pu connaître la France à plusieurs re-
prises : un épisode de contestation locale. Mais,
dans le contexte d’une chaude lutte entre révo-
lutionnaires rivaux pour contrôler l’Etat, les
troubles en Vendée attisent le conflit politique
à Paris. Toute dissension a tôt fait d’être assimi-
lée à une trahison. L’intensité des débats con-
duit le pays à se mobiliser contre une région,
où des massacres ont bientôt lieu. « La lutte fra-
tricide a transformé une révolte “ordinaire” de
ruraux hostiles à l’Etat en une véritable guerre »,
relève le chercheur.
idées | 27
A la tête d’un parti réformiste, Paul Magnette
assume un discours à contre-courant des pra-
tiques essentiellement gestionnaires de ce-
lui-ci et d’un mouvement syndical qui, souli-
gne-t-il, a centré ses combats sur la défense de
l’emploi et des acquis sans percevoir les trans-
formations que subissait la société : la tertiari-
sation de l’économie au détriment de l’indus-
trie, l’arrivée massive des femmes sur le mar-
ché du travail, les nouvelles aspirations des gé-
nérations plus mobiles et mieux formées, etc.
Misant sur un nouveau management, le ca-
pitalisme s’est, lui, mieux adapté : il s’est con-
solidé en développant un discours plus « hu-
maniste » sur l’épanouissement personnel
dans l’entreprise, l’engagement et le mérite,
récompensés de manière individuelle. Avec, à
la clé, un autre type de pression, qui a débou-
ché sur la multiplication des souffrances psy-
chiques, comme ce burn-out qui frappe
d’abord les plus motivés.
Paul Magnette prône des réponses politi-
ques aux nouveaux problèmes liés au travail.
Aux critiques récurrentes – elles sont nom-
breuses dans son pays – sur l’inefficacité de la
puissance publique, il oppose la nécessité de
la renforcer. La transition climatique, notam-
ment, exigera, dit-il, la formation par les pou-
voirs publics des salariés des nouvelles filiè-
res. Il suggère également de transformer la Sé-
curité sociale en acteur de l’emploi, à côté de
l’Etat et du marché : chargée de définir, de-
main, ce que serait le travail socialement utile,
elle garantirait un emploi stable à ceux qui se
débattent aujourd’hui avec un travail précaire.
« L’autre moitié du monde », précise Paul
Magnette, devrait se voir offrir la semaine de
quatre jours, qui aurait réduit de deux tiers les
congés maladie au Royaume-Uni, des rap-
ports de travail « démocratisés » et le droit de
définir la finalité réelle de son emploi. Il res-
tera à transformer cet essai (littéraire) en ac-
tes, et ce ne sera manifestement pas simple. p
jean-pierre stroobants
Cet exemple illustre comment le renforce-
ment de l’autorité de l’Etat, les batailles idéolo-
giques que ce processus suscite, le recours à la
violence et les rancœurs transformées en mo-
tivations politiques sont des éléments consti-
tutifs de la guerre civile. Au XIXe siècle, les pays
européens parviennent cependant à se paci-
fier, mais la guerre civile ne tarde pas à se dé-
placer dans leurs anciennes colonies, note
Jean-Clément Martin.
Spécialiste de l’Afrique, Roland Marchal re-
marque, à ce sujet, qu’une idée répandue fait
trop souvent de ces conflits l’héritage de l’im-
périalisme, responsable d’avoir dessiné au
sud des pays aux frontières ne respectant pas
les groupes humains. S’il s’agit, selon l’auteur,
d’un facteur à ne pas négliger, il ne faudrait
pas pour autant ignorer le rôle des élites loca-
les, autant celles du pays en proie aux violen-
ces que celles d’Etats voisins. p
marc-olivier bherer
« La Guerre civile », « Pouvoirs » n° 188,
184 pages, 18,30 euros
28 | 0123 0123
SAMEDI 20 JANVIER 2024

CULTURE | CHRONIQUE L’IMPÉRATIF

p a r m iche l gue r r in
D’UNE AIDE
Dati et le mantra MILITAIRE défense, Rustem Umerov, intervenant par
visioconférence. M. Lecornu a aussi an-
de l’Ukraine d’adresser un message de fer-
meté à la Russie sur la durée.
À L’UKRAINE noncé la production de 78 canons Caesar A Paris, ces annonces cherchent aussi à
de la « culture pour tous » pour l’Ukraine et d’une cinquantaine de
bombes modifiées pour en faire des quasi-
missiles air-sol par mois en 2024.
contrer l’image de retardataire qui colle à la
France dans l’aide militaire à l’Ukraine. El-
les interviennent une semaine après un
Au cours de sa conférence de presse à l’Ely- rappel à l’ordre lancé par le chancelier alle-
sée, mardi, le président français, Emmanuel mand, Olaf Scholz, qui a regretté que la ma-

D ELLE VA PENSER PLUS

ès que le nom de Ra-
chida Dati est sorti du
chapeau, le 11 janvier,
la galaxie créative a
fait crépiter son téléphone en un
réflexe pavlovien : « Tu l’as croisée
dans ton théâtre, ton musée, ta
salle de concerts ? » Non. Et
comme elle aurait pu être nom-
mée ailleurs, que sa cible est Paris,
qu’elle a Brigitte Macron et Nico-
las Sarkozy en soutien, vous obte-
nez une franche hostilité de la
maison culture.
Pourquoi plus hostile que pour
d’autres avant elle, au profil aussi
droitier ? Sans doute Rachida Dati
n’est-elle pas familière des méca-
nismes de l’exception culturelle et
des ressorts de ses tribus. Mais la
plupart des vingt-sept ministres
qui l’ont précédée, depuis 1959,
non plus. On ne rappellera pas,
par charité, le calvaire de certains.
Seuls André Malraux et Jack Lang
ont réussi. Ils étaient bien prépa-
rés et ont duré dix ans, contre
deux en moyenne. Ils étaient con-
nus autant du public que du mi-
lieu culturel. Ce qui est atypique
avec Dati, c’est le fossé profond
entre les deux, même si l’on sous-
estime ses réseaux dans l’art.
Non, si elle inquiète autant le
monde culturel, c’est pour une
autre raison : la plupart des mi-
nistres, surtout ceux qui ne sont
pas du bâtiment mais pas seule-
ment, avaient peur des artistes.
Dati n’y connaît pas grand-chose,
mais elle n’a pas peur. Elle n’aura
pas peur du bizutage consistant à
lui faire commenter le dernier li-
vre qu’elle a lu ou la dernière
AU PUBLIC QU’AUX
ARTISTES ET, COMME
L’ARGENT NE COULERA
PAS À FLOTS, ÇA PEUT
TANGUER
les Ateliers Médicis, à Clichy-sous-
Bois, en Seine-Saint-Denis, et c’est
un signe, tout comme le fait que
le président de la République fera
entrer le théâtre et l’histoire de
l’art au collège.
Dans un entretien au Parisien
Dimanche du 14 janvier, Dati en-
tend « relancer » les Maisons des
jeunes et de la culture (MJC), qui
constituent souvent, pour les mi-
lieux modestes, le premier con-
tact avec la création – elle en fré-
quentait une dans sa cité de Cha-
lon-sur-Saône (Saône-et-Loire).
Les MJC ayant une image « so-
ciocu », le ministère de la culture
et les créateurs de haut vol les
ignorent et les méprisent depuis
des décennies, les abandonnant
aux municipalités. Si Rachida
Dati vient en soutien du millier de
MJC de France, ce sera un big
bang. « Oui, parlons des MJC ! », a
immédiatement réagi leur fédéra-
tion. Il n’est pas sûr, paradoxale-
ment, que cela suscite la joie des
milieux culturels. Pour eux, la
« culture pour tous », en un bascu-
lement vertigineux, est devenue
un slogan de droite fumeux et
aux résultats incertains, qui ca-
M ieux vaut tard que jamais. A l’ap-
proche du deuxième anniver-
saire de l’invasion de l’Ukraine
par la Russie, le 24 février 2022, et alors
qu’aucune issue à cette guerre dévastatrice
sur notre continent n’est en vue, la France
et plusieurs de ses partenaires européens
paraissent décidés à consolider leur sou-
tien militaire à l’Ukraine et à monter en
puissance dans les livraisons d’armes.
Jeudi 18 janvier, le ministre des armées,
Sébastien Lecornu, a lancé une « coalition
d’artillerie » qui vise à fédérer les efforts des
pays alliés pour aider l’Ukraine. Pilotée par
la France et les Etats-Unis, elle devrait con-
tribuer à répondre à la grave pénurie de
munitions, qualifiée de « problème très
pressant » par le ministre ukrainien de la
Macron, a identifié la guerre en Ukraine et
la menace que fait peser Moscou sur la sé-
curité de l’Europe comme un sujet priori-
taire et affirmé sa détermination à « ne pas
laisser la Russie gagner ». Le chef de l’Etat a
annoncé, pour sa part, la livraison à venir de
40 missiles Scalp et la signature d’un accord
bilatéral de sécurité avec l’Ukraine, du
même type que celui signé le 12 janvier à
Kiev par le premier ministre britannique,
Rishi Sunak. M. Macron se rendra lui-même
à Kiev en février pour finaliser l’accord fran-
co-ukrainien.
L’assurance de cet engagement est utile,
au moment où le conflit est entré dans une
phase particulièrement difficile pour
l’Ukraine, avec un front qui ne progresse
plus, une Russie passée en économie de
guerre pour poursuivre son offensive et un
allié américain perturbé par ses enjeux
électoraux. Parallèlement à l’annonce par
l’OTAN, jeudi, de manœuvres de grande
ampleur auxquelles vont participer
90 000 soldats pendant plusieurs mois, ces
initiatives traduisent une volonté des alliés
présentent
jorité des pays européens ne contribuent
pas suffisamment à l’aide militaire à
l’Ukraine. Ces remarques ont largement été
interprétées comme visant, sans les nom-
mer, la France et l’Italie. Lui-même critiqué
pour son refus de fournir les missiles à lon-
gue portée Taurus, M. Scholz a cependant
doublé l’aide militaire de l’Allemagne à
Kiev, portée à 8 milliards d’euros en 2024.
La France justifie sa mauvaise place dans
le classement – contesté – opéré par un ins-
titut indépendant, l’Institut Kiel, par sa po-
litique de ne pas publier les chiffres de ses
livraisons d’armes. Le type d’équipements
livrés traduirait également une priorité ac-
cordée à la qualité sur la quantité. La florai-
son subite de chiffres annoncés cette se-
maine montre néanmoins que Paris a jugé
utile de rectifier cette image.
Il est temps, en effet, de réagir et de mobi-
liser l’industrie européenne de la défense,
en particulier la très performante industrie
française. La perspective du retour possible
de Donald Trump à la Maison Blanche ne
rend cette priorité que plus urgente. p

pièce qu’elle a vue. Alors que
Christine Albanel fut plombée
dès sa nomination en 2007 pour
avoir écorché le nom de l’artiste
20
cherait une attaque contre la créa-
tion, surtout au moment où les
équipements prestigieux de l’Etat
disent manquer d’argent.

conceptuel Daniel Buren, Dati
pourra citer une pochade de bou-
levard avec gourmandise.
Relancer les MJC
JAN.
Il se trouve aussi que tous les
ministres ou presque depuis Jack
Lang, souvent pour se démarquer
de cet « ami des artistes », ont
parlé de « culture pour tous » et ils

Personnage de roman, elle a déjà
fait l’objet de quatre livres qui van-
tent son culot ou son cynisme,
son courage ou son arrivisme. De-
puis toujours, elle grandit en dé-
2024
ont échoué. Philippe Douste-
Blazy, nommé en 1995, fut l’ar-
chétype de ce fiasco, répété après
lui, par manque de volonté réelle.
Rachida Dati aura-t-elle cette

nonçant le procès en illégitimité
et le mépris de classe des élites.
Appliquée à la culture, la posture
peut faire des dégâts. Que dit-elle
depuis huit jours ? « Vous ne me
reconnaissez pas car je ne suis pas
du sérail, pas des vôtres, pas de
gauche ; mais je suis fille d’un ma-
çon marocain et si vous me cher-
chez, vous me trouverez. »
Dans son livre d’entretien avec
Claude Askolovitch, Je vous fais
juges (Grasset, 2007), l’ancienne
PARIS
volonté ? Son double visage est
une donnée à prendre en
compte : en public, elle pourfend
l’élite ; en privé, elle courtise les
puissants, devenant une cham-
pionne du réseautage mondain
plus que du travail de fond, au
point que certains se sont de-
mandé si cette fan de mode, qui
fut portemanteau pour Dior ou
Saint Laurent, était mannequin
ou ministre de la justice. Rachida
Dati saura manier à son profit le

garde des sceaux s’identifie à la
jeunesse des quartiers, qui n’a pas
les codes, « pas la même culture »,
a l’impression que des pierres
pleuvent sur elle comme dans le
film Raining Stones (1993), de Ken
Loach, un cinéaste social et en-
ragé qu’elle admire.
Alors quand on lui ferme la
porte, elle la force. A l’adoles-
cence, elle écrit au chanteur Alain
Souchon, avec qui elle entretient
une correspondance de vingt ans,
ou au chef d’orchestre Jean-
Claude Casadesus (Rachida Dati.
Une ambition française, de Lionel
Cottu, First, 2007).
La voilà ministre et, en toute lo-
gique, elle fera de la « culture pour
tous » son mantra. Elle va penser
plus au public qu’aux artistes et,
comme l’argent ne coulera pas à
flots, ça peut tanguer. Le premier
lieu culturel visité par le couple
Macron-Dati, jeudi 18 janvier, fut
EN PUBLIC, RACHIDA
DATI POURFEND
L’ÉLITE ; EN PRIVÉ,
ELLE COURTISE
LES PUISSANTS
LES JOURNÉES
concept de « culture pour tous »,
mais saura-t-elle en faire profiter
le peuple ? Son enjeu est là, sinon
elle rejoindra le bataillon des mi-
nistres distribuant la subvention DE L’ORIENTATION
sans vérifier si les bénéficiaires
gèrent bien leur salle de spectacle.
Que Dati fasse de la culture un
tremplin pour la Mairie de Paris
indigne aussi les milieux cultu-
rels. Qui, paradoxalement, pour-
BACHELOR :
raient en profiter. Pour prendre
une ville de bobos, il faut défen-
dre un art pour bobos. Défendre
COMMENT CHOISIR
les lieux culturels d’élite, si con-
centrés dans la capitale – le minis-
tère dépense neuf fois plus d’ar-
SA FORMATION ?
gent en Ile-de-France que dans
toute autre région.
Voyant le danger, Anne Hidalgo
n’a pas donné dans la nuance, es-
timant que Dati représente « la
trumpisation » de la culture (La
Tribune Dimanche du 14 janvier).
Sauf que la ministre a trouvé une
alliée de circonstance, la fémi-
niste Alice Coffin, élue écologiste
à Paris : « Dati fait partie de ces ex-
trêmement rares femmes politi-
ques qui n’ont pas peur des hom-
mes » et doit continuer à « les dé-
zinguer quand c’est nécessaire »
(Franceinfo, le 11 janvier). Autant INSCRIPTION GRATUITE SAGE.GROUPELEMONDE.FR
dire que l’on va naviguer dans
une mer imprévisible. p