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MERCREDI 17 AVRIL 2019

75E ANNÉE– NO 23099


2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

ÉDITION SPÉCIALE 
1 4   PA G E S

Notre­Dame,
notre histoire

Paris, 15 avril 2019. MICHEL EULER/AP

▶ Drame La cathédrale ▶ Récit Toute la soirée, la ▶ Origine La justice a ▶ Histoire Au­delà du lieu ▶ Politique En raison du
Notre­Dame de Paris a été foule parisienne a assisté, ouvert une enquête pour de culte, ce monument est drame, le président de la
ravagée, lundi 15 avril, par impuissante, consternée « destruction involontaire devenu le décor des grands République a repoussé les
un incendie qui a provoqué mais unie, à la destruction par incendie ». Le feu a événements qu’a traversés annonces qu’il devait faire
une onde d’émotion en partielle de cet édifice démarré dans un chantier notre pays et une source ce même lundi
France et dans le monde emblématique de la ville de restauration d’inspiration artistique PAGES 2 À 15 ET ÉDITORIAL PAG E 30

LE REGARD DE PLANTU
Yémen Des armes françaises 
offensives pour l’Arabie saoudite
paris livre des armes, qui ne automoteurs français Caesar, des L’ALCOOL ET 
sont pas seulement « défensives », Mirage 2000, des systèmes de
à l’Arabie saoudite et aux Emirats guidage Damoclès et des chars LES JEUNES, 
arabes unis, dans la guerre me­
née au Yémen contre les rebelles
Leclerc dans l’arrière­pays.
Matignon répète que « les armes DANGEREUX 
houthistes. Une note de la direc­
tion du renseignement militaire
françaises sont placées pour l’es­
sentiel en position défensive » et
COCKTAIL
(DRM) d’octobre 2018, rendue pu­ assure ne pas « avoir connais­
blique par le collectif de journalis­ sance de victimes civiles » en rai­ A 17 ans, un garçon sur
tes Disclose, révèle que la coali­ son de leur utilisation au Yémen. deux avoue au moins
tion arabe utilise des canons PAG E 16
une soirée de beuverie
par mois (38 % pour
les filles), et 21,7 % des
Indonésie Entretien garçons en déclarent
trois : ces « alcoolisa­
La place de l’islam, Guillaume Faury tions ponctuelles
enjeu central et les défis importantes » ont
des élections du nouveau des conséquences
sur la santé
générales patron d’Airbus SUPPLÉMENT
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Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
L’INCENDIE DE NOTRE­DAME
0123
2| MERCREDI 17 AVRIL 2019

Quai d’Orléans,
sur l’île Saint­
Louis, près
de la cathédrale
Notre­Dame,

« Elle a résisté aux nazis, 
lundi 15 avril.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/
FRENCH POLITICS
POUR « LE MONDE »

elle ne va pas nous 
lâcher maintenant »
Parisiens, touristes, étrangers… Des milliers de personnes ont assisté
avec effroi à l’embrasement de la cathédrale. Dans les rues de Paris,
la foule s’est retrouvée « en communion » face à l’impensable

RÉCIT parleurs continuent de diffuser la voix enre­


gistrée qui présente les monuments de Paris.
réponse à la crise sociale des derniers mois.
Au moment où il en terminait l’enregistre­
Partout, des sirènes des pompiers. Mais que ment, les premières flammes s’échappaient

T
ous les yeux s’étaient levés vers font­ils ? Notre­Dame brûle ! de Notre­Dame. Il rejoint le parvis, en com­
le haut de l’église. Ce qu’ils A 20 heures, le parvis, fermé au public, est pagnie de son épouse, Brigitte Macron, et du
voyaient était extraordinaire ; envahi de camions de pompiers. Plusieurs premier ministre, Edouard Philippe. Ils
sur le sommet de la galerie la de leurs hommes se plaignent d’avoir eu du échangent quelques mots avec les pompiers
plus élevée, plus haut que la ro­ mal à parvenir jusque­là, la circulation n’a et repartent vers la Préfecture de police, juste
sace centrale, il y avait une été bouclée que tardivement aux alentours en face de la cathédrale. De Mayotte, où il est
grande flamme qui montait, qui montait en­ de la cathédrale. La maire de Paris, Anne Hi­ en déplacement, le ministre de l’intérieur,
tre les deux clochers avec des tourbillons dalgo, est déjà sur place, bouleversée. Elle Christophe Castaner, confie aux journalistes
d’étincelles, une grande flamme désordonnée était à son bureau de l’Hôtel de ville, juste de qui l’accompagnent qu’il « culpabilise de ne
et furieuse dont le vent emportait par mo­ l’autre côté de la Seine, quand elle a vu les pas être au côté des pompiers ».
ments un lambeau dans la fumée. (…) Il se fit premières flammes. « C’EST UN TRISTE  Autour, sur les ponts qui encerclent l’île de
un silence de terreur. » Les mots de Victor la Cité, les policiers ont tendu à la va­vite des
Hugo ont deux siècles, et ils disent ce lundi NUAGE DE FUMÉE NOIRE JOUR MAIS ÇA FAIT  rubans de protection orange et blanc pour
d’avril, vers 19 heures, où Paris n’est plus Le curé Olivier de Cagny a accouru depuis DU BIEN DE VOIR  contenir la foule qui afflue. Toutes les rues de
qu’un cri : Notre­Dame brûle ! Notre­Dame l’église voisine de Saint­Louis­en­l’Ile. Il était Paris semblent converger vers le « point
brûle ! Le ciel encore bleu se fend d’une co­ en train de célébrer la messe quand des pa­ LES PARISIENS  zéro ». Des grands boulevards, des ruelles
lonne de fumée jaune, que l’on regarde sans roissiens l’ont prévenu. Il a été ordonné prê­ étroites de la rive gauche, on vient voir l’im­
y croire. On ne voit d’abord qu’elle, qui enfle tre dans la cathédrale. « C’est horrible », répè­ RASSEMBLÉS,  pensable. Le photographier, le filmer. Un
et gonfle, toujours plus jaune, puis blanche, te­t­il, le regard rivé aux nacelles des pom­ quinquagénaire découvre la scène et hurle :
puis jaune à nouveau. Et en son cœur, ce bra­ piers, déployées au bout de longs bras méca­
COMME APRÈS  « Mais qui a fait ça, c’est pas possible ? ! » Une
sillement orange qui dit que oui, Notre­ niques qui ne parviennent que jusqu’au LES ATTENTATS  femme, la quarantaine, crie dans son télé­
Dame brûle. Et l’on reste là, figé, hébété par premier étage de la cathédrale. Les jets de phone : « Mais ça fait deux heures que ça
cette image médiévale. leurs lances arrosent les murs sans atteindre DU 13­NOVEMBRE » brûle, me dis pas qu’on ne sait pas éteindre un
La flèche s’empourpre, la fumée la voile et le second étage et le toit en feu. Un groupe de FLORIAN
feu en deux heures ? ! » Un couple de touristes
la dévoile. A chacune de ses réapparitions, pompiers parvenu au sommet de l’une des 26 ans fait défiler sur son téléphone les photos de la
elle semble plus fragile. De la fenêtre d’un deux tours doit battre en retraite quand la cathédrale prises dans l’après­midi, « à l’épo­
toit de Paris, on fixe avec un mélange de fas­ flèche s’abat dans un nuage de fumée noire. que » où l’édifice possédait encore un toit et
cination et d’effroi cette pointe de 93 mètres Tout le monde se demande : « Mais pour­ une flèche.
de haut qui se fait déchiqueter par les flam­ quoi n’envoie­t­on pas des avions Canadair ? » Un vieux Parisien confie à son voisin :
mes. D’autres images reviennent en mé­ Donald Trump se pose la question aussi. Il « J’arrive pas à partir.
moire. Les tours du World Trade Center, bien tweete : « Terrible de voir l’incendie de la ca­ – C’est vrai qu’on reste scotchés…
sûr, en septembre 2001. Et l’on pressent la thédrale de Notre­Dame à Paris. Peut­être que – On aimerait tellement que ça s’éteigne là,
suite, on la guette. On croit voir la flèche pen­ des Canadair pourraient être utilisés. Il faut sous nos yeux. »
cher. On se trompe sans doute. Elle n’est plus agir vite ! » La réponse de la sécurité civile ar­ Soudain, des cris. Des flammes sortent de
qu’une aiguille dont le chas, soudain, se rive, sur Twitter elle aussi, en français et en la tour Nord, où des structures en bois sou­ france ou dans son agonie. Et puis être en­
brise. Le feu la mord, toujours plus fort. Elle anglais : « #NotreDame : Le largage d’eau par tiennent les cloches. Vu de la rive gauche, les semble. C’est peut­être cela qui est le plus
se rompt. avion sur ce type d’édifice est impossible. Il jets des lances redoublent de vigueur. Sur les frappant, dans la foule toujours plus dense,
Plus bas, la charpente n’en finit pas de pourrait en effet entraîner l’effondrement de quais, on retient son souffle face à cette qui se presse sur la rive gauche, rue de la Bû­
flamber. Une forêt de chênes de plus de cent l’intégralité de la structure. » Sur le même ré­ guerre entre le feu et l’eau. Cette fois, c’est cherie ou de l’Hôtel­Colbert, face au quai de
mètres de longueur, treize de largeur dans la seau, des citoyens américains présentent elle qui l’emporte. Le feu vacille, les lueurs Montebello : ce désir de vivre l’événement
nef, quarante dans le transept. Un hélicop­ leurs excuses aux Français pour l’interven­ rouges de la tour s’éteignent les unes après en réunion, certains, beaucoup, disent « en
tère de la gendarmerie survole l’incendie. tion de leur président. les autres. Des drones, activés par la police, communion », dans un silence impression­
Sur la Seine, les derniers bateaux­mouches Le président de la République française, survolent la cathédrale pour repérer de nou­ nant qui ne s’interrompt que pour applaudir
sont escortés par la police fluviale. Absurdité Emmanuel Macron, a déjà fait savoir qu’il re­ veaux départs de feu et guider les lances des le passage des camions de pompiers.
de l’instant : alors qu’ils longent l’île de la nonçait à l’allocution qu’il devait prononcer pompiers. « C’est un triste jour mais ça fait du bien de
Cité au pied des flammes, leurs haut­ à 20 heures pour annoncer ses décisions en voir les Parisiens rassemblés, comme après les
« CHEZ NOUS, LA FRANCE, C’EST SACRÉ » attentats du 13­Novembre », confie Florian,
Sur la rive droite, place de l’Hôtel­de­Ville, 26 ans, originaire de Narbonne, qui récon­
Paris est devenue capitale du monde. Il y a forte Jocelyne, 67 ans, venue à pied de chez
« C’est une partie de moi qui s’effondre » Yoko, une Japonaise de 40 ans, en larmes,
Aidong, une Chinoise de 67 ans, qui a mal à
elle, rue Rambuteau, pour voir ce qu’elle
n’avait jamais osé imaginer : le cœur sacré de
« son cœur », elle qui a tant de fois visité No­ Paris en feu. « Je pense à tous ces compagnons
il est 6 h 30, Paris s’éveille avec un elle s’effondre en larmes. « Je n’ai pas murs extérieurs et les deux bef­ tre­Dame et la tour Eiffel, « les deux monu­ du Tour de France qui ont bâti notre cathé­
goût de cendres et une odeur de dormi de la nuit, c’est tellement dur. frois sont encore étonnamment ments qui plaisent tant à Shanghaï ». D’un drale. Je… » Les larmes l’interrompent. « Nous
suie. Depuis les quais de la Seine, les Je pense à tous ces artisans qui sont blancs. En revanche, les vitraux peu plus loin, parviennent des accents rus­ sommes en train d’assister à un meurtre et on
deux tours de Notre­Dame se déta­ morts sans voir leur œuvre achevée. sont noirs de suie, certains ont ex­ ses, italiens et anglais. Arrivée de Sao Paulo ne peut rien faire. » « Elle a résisté aux nazis,
chent dans le jour naissant. Il man­ Cette société va si mal, si seulement plosé. La grande rosace du parvis pour passer quelques jours de vacances avec elle ne va pas nous lâcher maintenant », veut
que la flèche. Des policiers interdi­ ça pouvait nous rassembler un peu. » semble intacte. Les portes, entrou­ sa fille installée en France, Christiane dé­ croire un jeune homme.
sent l’accès à l’île de la Cité. Iaonis, Elle pleure à gros bouillons. « Les lar­ vertes, laissent apparaître une apo­ roule sur son portable tous les messages de « Quand on habite dans le périmètre de No­
une travailleuse roumaine, ne com­ mes ça sert à rien, c’est la lessive aux calypse. Quand on parle de « mira­ soutien venus du Brésil : « Quand notre pays tre­Dame, on vit avec !, dit une femme d’une
prend pas pourquoi. Vendeuse de sentiments. Je l’aimais en toute sai­ cle » à Mgr Philippe Marsset, vicaire a été découvert, Notre­Dame était déjà de­ soixantaine d’années. On vit à son rythme, à
glaces dans un commerce sur le par­ son la pauvre Dame… », dit­elle en général du diocèse de Paris, il ré­ bout. Chez nous, la France, c’est sacré. » Un ses couleurs, à sa musique ! Il y a le bourdon,
vis de la cathédrale, elle appelle son rangeant son appareil. pond que ceux qui ont fait des mi­ journaliste sud­coréen de ChannelNews les autres cloches, et bien sûr les grandes or­
patron. Sans réponse, elle repart en racles sont les pompiers. filme les regards médusés et graves de la gues. Il y a les messes, et il y a les concerts. La
pestant. Chômage forcé. Sur le quai Vitraux noirs de suie Amy, une joggeuse canadienne foule. « Ce sera certainement le sujet numéro semaine avant Noël, on se glisse à l’intérieur
de l’Hôtel de ville, des ombres s’ac­ La Seine est immobile comme un qui habite le quartier, est là pour la un des journaux du matin », lance­t­il. pour les répétitions des chorales. On y passe,
coudent au muret de pierre, entre miroir, troublée seulement par le troisième fois depuis hier soir. « Elle D’autres reporters turcs, japonais, alle­ on y entre, on y fait une courte pause, une pe­
les stands de bouquinistes. Paul, passage d’une vedette rapide de la m’a donné tant de belles émotions. Je mands, anglais et américains font des di­ tite méditation. C’est comme une maison de
étudiant en communication, est brigade fluviale. Sur le pont de la viens lui rendre hommage. » Jeanne, rects devant la cathédrale en feu. quartier ! » Et puis, poursuit­elle, « c’est telle­
venu de Versailles : « Cet incendie, Tournelle et le quai de Montebello, qui passe devant tous les jours en Il y a surtout tous ces Parisiens venus pleu­ ment agréable le matin, avant l’afflux des tou­
c’est une partie de moi qui s’effondre. l’agitation est plus grande. Les chaî­ allant prendre le RER, confesse sa rer une vieille dame de 850 ans à laquelle ristes ! C’est un peu comme San Marco pour
On ne peut même pas être en colère, nes de télévision enchaînent les di­ « honte » : « Nos ancêtres ont mis beaucoup d’entre eux ne rendaient plus vi­ les Vénitiens. Ils y passent à leur basilique, ils y
comme après les attentats. Il ne reste rects devant les images des pom­ plus de cent ans à la construire. Et site depuis longtemps et qui semblent réali­ ont leurs habitudes. Et nous aussi ».
que l’accablement. » Il s’est converti piers qui continuent d’arroser le nous, au XXIe siècle, on n’est pas ca­ ser soudain combien ils lui sont attachés. Ils Les écrans des téléphones sont inondés de
au catholicisme il y a deux ans. transept sud dont s’échappe en­ pables de la préserver. » A 7 h 02 pré­ ont déserté bureaux, facs, cafés, domiciles, messages de parents, d’amis, qui ne vivent
Un peu plus loin, Brigitte, une core de la fumée. La cathédrale a cisément, un arc­en­ciel s’est élevé pour se précipiter vers elle, à pied, à vélo, à pas à Paris et regardent les images à la télévi­
femme aux cheveux blancs, déplie été comme décapitée, la toiture a de l’île de la Cité, juste derrière No­ scooter. Le photographe François­Marie Ba­ sion. Un jeune homme appelle son frère : « Je
un trépied d’appareil photo. Mais presque entièrement brûlé. L’écha­ tre­Dame martyrisée. Quelques mi­ nier passe en zigzaguant sur sa Mobylette. pense à Maman. Elle doit être en train de met­
elle a oublié la pièce permettant de faudage est resté debout, même si nutes plus tard, quelques gouttes de La nouvelle était folle, impensable. Il leur tre des branches de rameaux partout dans la
fixer son appareil. « C’est de l’argen­ une partie, tordue par la chaleur, pluie. Trop tard, trop peu.  fallait s’approcher au plus près, être là, maison ! » Un architecte a le regard rivé aux
tique », précise­t­elle. Puis soudain, forme un amas de ferraille. Les christophe ayad comme pour soutenir l’édifice dans sa souf­ rosaces, aux structures. « J’ai l’impression
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 l’incendie de notre­dame | 3

d’assister au martyre de Notre­Dame. Sa char­ une chrétienne très fervente mais je prie tous contribuent pratiquement autant que les C’est l’épicentre de notre vie, l’étalon d’où se
pente, c’est la forêt du Moyen Age partie en les anges et les archanges, et la Vierge Marie Français, déclare­t­il. A l’heure actuelle, le toit mesurent nos distances. Cette histoire, c’est la
quelques heures. » Un avocat se souvient que de venir éteindre le feu. Je préfère prier que me et la flèche effondrés, cela signifie beaucoup nôtre. Et elle brûle. Mais cette cathédrale, il y a
« le grand bourdon a sonné la Libération de mettre en colère », confie Monique, venue du de dégâts à l’intérieur. Le beffroi a été endom­ plus de huit cents ans, nous avons su l’édifier.
Paris, la mort de Charles de Gaulle. Et ce soir la 13e arrondissement. magé. A l’intérieur des tours, c’est une struc­ Alors, je vous le dis : cette cathédrale, nous la
cathédrale est muette. Si les cloches sont tou­ Aurélie, 21 ans, originaire d’Amiens, est al­ ture en bois qui soutient notamment les clo­ rebâtirons. Parce que c’est ce que les Français
chées, Paris perd sa voix pour toujours. » lée à Notre­Dame il y a deux semaines. « La ches et cette structure a brûlé sans que l’on sa­ attendent. parce que c’est ce que notre histoire
D’autres cloches sonnent dans la nuit de cathédrale, dans le noir, semble porter des ha­ che encore si des cloches sont tombées. Quel­ mérite ».
Paris. Des tintements tristes qui s’échappent bits de deuil », lâche­t­elle. Mais elle trouve ques œuvres ont pu être évacuées, mais il va
de l’église voisine de Saint­Séverin. Qui arri­ « formidablement réconfortant de voir tant falloir tout recommencer et c’est un crè­ ODEUR ÂCRE
vent du Sacré­Cœur. Qui résonnent depuis le de gens rassemblés dans la paix et une cer­ ve­cœur. On se bat pour restaurer cette mer­ Une souscription nationale, annonce­t­il, va
haut de la montagne Sainte­Geneviève, à taine harmonie. On est unis. Et c’est très fra­ veille et tous nos efforts viennent d’être être lancée dès mardi. Sans attendre la parole
Saint­Etienne­du­Mont. L’archevêque de Pa­ ternel. C’est même bouleversant car ça va de anéantis en quelques heures. » présidentielle, d’autres initiatives ont déjà
ris, Mgr Michel Aupetit, a appelé les responsa­ pair avec le déclin spirituel. » Une femme se De la cathédrale s’échappent encore des été lancées. Des quêtes, dans le public, des ca­
bles ecclésiastiques à faire sonner les cloches souvient de la grand­messe des Rameaux flammes, moins hautes, moins vives, mais gnottes, sur le site Leetchi, d’autres sur Face­
de leurs églises « pour inviter à la prière ». Cel­ qui a eu lieu dimanche, une semaine avant toujours présentes. La foule reste là, à veiller book, un appel de François Baroin, le prési­
les de Notre­Dame du Perpétuel Secours à Pâques. Comme elle lui paraît loin ! « Il y sur sa vieille dame. « Je ne peux pas m’empê­ dent de l’Association des maires de France, à
Asnières, dans les Hauts­de­Seine, ont sonné avait foule sur le parvis. Des dizaines de prê­ cher de penser qu’il y a ce soir un ouvrier qui toutes les municipalités pour concourir au
le glas juste avant 23 heures. Il a résonné tres et de servants. Une haie d’honneur pour songe avec effroi à la négligence ou la faute financement de la reconstruction de Notre­
aussi depuis les cathédrales de Reims et de la procession avec du buis et des palmes », ra­ qu’il a commise cet après­midi et qui est à Dame. Et celle de la famille du milliardaire
Chartres. conte­t­elle. « On pourrait célébrer Pâques sur l’origine de l’incendie », souffle un Parisien. François Pinault, qui annonce un don de
Sur les téléphones portables s’échange la le parvis ! On ne doit pas baisser les bras ! », Une image semble lui répondre : sur les 100 millions d’euros.
photo spectaculaire prise par un drone de la lance un homme, à côté d’elle. flancs de la cathédrale meurtrie, les échafau­ Il est près de minuit lorsque Emmanuel
nef dépouillée de sa charpente : une croix dages ont résisté au feu et dressent comme Macron, accompagné d’une petite déléga­
rouge sang au cœur de la capitale. Partout, VISAGE DÉFAIT un étau de fer autour de huit siècles de chêne tion, pénètre dans la cathédrale. Le spectacle
autour de la suppliciée, des gens prient, age­ Vers 23 heures, la nouvelle se répand : le rec­ calciné. est saisissant. La nef est encore envahie de
nouillés. « Que faire d’autre ? », demande une teur de Notre­Dame, Patrick Chauvet, vient Au milieu de la fumée noire qui obscurcit fumée dont l’odeur âcre se mêle à celle de la
femme. Des chants s’élèvent. Le « Je vous sa­ d’annoncer que « le trésor et la couronne le monument, on distingue sur la façade les pierre mouillée. La voûte semble intacte. Il
lue, Marie », « l’Ave Maria ». « Je ne suis pas d’épines, des reliques de la passion du Christ lampes frontales des pompiers. Du faut avancer encore pour voir distinctement,
constituées par un morceau de la Croix et un deuxième étage, ils continuent d’intervenir au beau milieu, la béance laissée par l’effon­
clou de la Passion » ont pu être sauvés. Une sur le foyer de la charpente. Les premiers drement de la flèche, dont les morceaux
autre suit : le parquet de Paris indique mots d’Emmanuel Macron, revenu sur le épars gisent sur le pavement. Elle s’est abat­
« J’AI L’IMPRESSION  « qu’une enquête a été ouverte du chef de des­ parvis vers 23 h 30, sont pour eux. Entouré tue juste devant l’autel et a écrasé la dou­
truction involontaire par incendie ». Puis une du premier ministre, de la maire de Paris, et zaine des premiers rangs de bancs. Des flam­
D’ASSISTER  troisième, qui émane du général Jean­Claude de l’évêque de Paris, le président de la Répu­ mèches tombent encore de l’orifice. L’autel
Gallet, commandant de la brigade de sa­ blique salue « leur courage, leur profession­ en bronze est intact, et dans l’obscurité, brille
AU MARTYRE  peurs­pompiers de Paris : « Les deux tiers de nalisme et leur détermination ». « Je veux ici la grande croix dorée. Victor Hugo, encore,
la charpente sont détruits. Mais on peut con­ leur dire les remerciements de la nation tout qui d’autre ? « Œuvre colossale d’un homme et
DE NOTRE­DAME.  sidérer que les deux tours de Notre­Dame sont entière. Grâce à leur engagement et à celui de d’un peuple (…) ; sorte de création humaine,
SA CHARPENTE, C’EST  sauvées. La structure globale est préservée. » l’ensemble des services de l’Etat, le pire a été en un mot, puissante et féconde comme la
Sur le parvis, un homme au visage défait évité. » Sa deuxième pensée, dit­il, va aux création divine dont elle semble avoir dérobé
LA FORÊT DU MOYEN  évalue les dégâts de l’incendie. Michel Pi­ « catholiques de France et de partout dans le le double caractère : variété, éternité. » 
caud préside l’association Friends of Notre­ monde, en particulier en cette Semaine sainte. dominique buffier,
ÂGE PARTIE EN  Dame de Paris, chargée du mécénat pour fi­ Notre­Dame de Paris, c’est notre histoire, no­ marie­béatrice baudet,
QUELQUES HEURES »,  nancer une partie des travaux de rénova­ tre littérature, notre imaginaire. Le lieu où jean­baptiste chastand,
tion. « Le monde entier donne pour Notre­ nous avons vécu tous nos grands moments, annick cojean, pascale robert­diard
DIT UN ARCHITECTE Dame et notamment les Américains, qui nos épidémies, nos guerres, nos Libérations. et henri seckel
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4 | l’incendie de notre­dame MERCREDI 17 AVRIL 2019

Lundi 15 avril,
18 h 50,
Notre­Dame
s’embrase
Le violent incendie qui a ravagé
la cathédrale aurait débuté
dans les charpentes de l’édifice,
en cours de restauration.
Puis, il s’est propagé à une grande
partie du toit, causant, vers 20 heures,
l’effondrement de la flèche
de Viollet­le­Duc. Les pompiers
ne sont parvenus à maîtriser
l’incendie que tôt mardi matin
PHOTOS : GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP ;
DENIS ALLARD POUR « LE MONDE » ;
PHILIPPE WOJAZER/REUTERS ;
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH POLITICS
POUR « LE MONDE »
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 l’incendie de notre­dame | 5
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6 | l’incendie de notre­dame MERCREDI 17 AVRIL 2019

L’incendie a ravagé le toit et la flèche de Notre-Dame


Cathédrale
Le feu a été maîtrisé dans la nuit vers 3 h 45, Notre-Dame de Paris
après des efforts considérables des pompiers, Ile de la Cité
notamment pour sauver les deux beffrois, ainsi
Ravagée par les flammes, la flèche de bois
que les œuvres à l’intérieur de la cathédrale.
recouverte de plomb culminant à 93 mètres
La structure est préservée dans sa globalité, PARIS
Beffroi nord s’est effondrée sur elle-même vers 20 h,
mais se pose maintenant la question
traversant dans sa chute la voûte du transept.
de l’impact de l’incendie sur sa stabilité.
Trois reliques étaient conservées dans le coq
surplombant la flèche.

3
4
L’installation de l’échafaudage commencée en juillet
Beffroi sud 2018 était sur le point d’être achevée.
La restauration de la flèche, puis du toit en plomb
devait constituer la première phase de l’opération
globale de rénovation de la cathédrale. Seize statues
en plomb avaient été démontées le 11 avril
pour restauration.

1 Lundi soir, 18 h 50 environ


Le feu a pris dans les combles. Il serait
parti d’un échafaudage, dans la partie
supérieure de l’édifice.
Entrée principale
2 L’incendie s’est propagé rapidement dans
la charpente, qui date en partie du XIIIe siècle,
avec des éléments du VIIIe siècle. Longue de
plus de 110 mètres, large de 13 mètres et haute
de 10 mètres, elle a été complètement
Parvis Notre-Dame détruite.

Ru e d
u Clo
î t re - N
o t re - D
ame

La rosace sud aurait été préservée. D’autres vitraux


centenaires ont été détruits par les flammes. Les reliques conservées au sein de l’édifice,
la couronne d'épines et la tunique de Saint Louis
ont toutefois pu être sauvées, selon le recteur
Sacristie de la cathédrale, Patrick Chauvet, ainsi que quelques
petits tableaux. Ce n’est certainement pas le cas de
Square Jean-XXIII grandes peintures, dont des œuvres de premier plan
SOURCES : LE MONDE ET AFP 20 m datant du XVIIe siècle.
INFOGRAPHIE : LE MONDE - ILLUSTRATION : AUDREY LAGADEC

L’enquête s’annonce
compliquée
O
n sait encore peu de tes du plomb en fusion qui recouvrait la Ce n’est qu’à 3 h 45, après quelque neuf
choses, à ce stade, sur Les combles, d’où le feu est parti, toiture. « Nous devons lutter pied à pied, heures de lutte acharnée avec les flammes
l’origine du gigantes­ mètre après mètre », a précisé le général que l’incendie a finalement été « maî­
que incendie qui a ra­ étaient au cœur d’un vaste chantier Gallet. Alors que l’hôpital de l’Hôtel­Dieu trisé » par les sapeurs­pompiers. « Il est
vagé la cathédrale No­ voisin s’est activé pour proposer un es­ partiellement éteint, il reste des foyers rési­
tre­Dame de Paris, de rénovation. Ils ont été largement pace de repos et de rafraîchissement aux duels à éteindre », a précisé le lieutenant­
lundi 15 avril. Après avoir hésité pendant pompiers, un blessé grave a été recensé colonel Gabriel Plus, porte­parole de la
plusieurs heures, le parquet de Paris a détruits, ce qui laisse peu d’espoir parmi eux, peu avant 23 heures. BSPP. L’ossature globale de l’édifice sem­
ouvert, lundi soir, une enquête pour ble à ce stade avoir tenu le choc, malgré
« destruction involontaire par incendie », d’y retrouver des preuves matérielles Multiples difficultés l’effondrement de la croisée du transept
excluant a priori le motif criminel. Les Finalement, vers la même heure, l’opti­ et d’une grande partie du transept nord.
investigations confiées à la direction ré­ misme est revenu du côté des autorités. « La structure est sauvée mais il y a des ex­
gionale de la police judiciaire pourraient nées », explique une source policière, qui Les conditions se sont toutefois révélées « Le feu a baissé en intensité (…) nous som­ pertises à faire, a précisé Laurent Nuñez,
néanmoins se révéler extrêmement lon­ parle déjà d’une affaire « hors norme », particulièrement délicates, selon le géné­ mes entrés dans une phase de refroidisse­ mardi matin, sur BFMTV. Un incendie de
gues et délicates avant que ne soient même si aucune victime n’est pour l’ins­ ral Jean­Claude Gallet, commandant de la ment de l’édifice, on peut penser que la cette ampleur­là, ça a un impact important
éclaircies avec précisions les circonstan­ tant à déplorer. Les riverains ont en effet BSPP, qui s’est exprimé à plusieurs repri­ structure est sauvée, notamment le beffroi sur les structures donc il faut pouvoir s’as­
ces de départ du feu. pu être évacués, ainsi que toutes les per­ ses durant la soirée du 15 avril, pour dé­ nord. Le travail se poursuivra toute la surer qu’elles sont toujours stables. »
Selon les premiers éléments de l’en­ sonnes se trouvant à l’intérieur de la ca­ crire la progression de ses troupes. Dix­ nuit », a détaillé le secrétaire d’Etat auprès L’autre enjeu de la soirée, outre de sau­
quête, c’est dans les combles de Notre­ thédrale lors du drame. huit lances d’incendie ont ainsi été mobi­ du ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez. ver l’architecture extérieure de Notre­
Dame de Paris que l’incendie aurait dé­ D’après les premiers témoignages, le lisées pour l’occasion, mais leur action a « Les deux tours sont sauvées, mais l’écha­ Dame, a été aussi de protéger les œuvres
marré, peu avant 19 heures. Un endroit feu s’est propagé très rapidement, sous vite été limitée à l’extérieur de l’édifice re­ faudage central va nécessiter plusieurs d’art se trouvant à l’intérieur. Or, les plus
très difficile d’accès, cerné d’échafauda­ l’effet du vent notamment. « La char­ ligieux. Malgré leur hauteur, elles ont heures [d’intervention] car il y a des ris­ précieuses se situaient à l’arrière de la ca­
ges, au cœur d’un vaste chantier de réno­ pente, qui date du XIIIe siècle, s’est embra­ peiné à atteindre le sommet des combles ques d’effondrement », a précisé le général thédrale, justement là où le feu était le
vation lancé depuis l’été 2018. A cette sée tout de suite », a notamment déclaré et surtout la flèche de la cathédrale, située Gallet. C’est l’intervention de pompiers à plus spectaculaire. Une noria a été organi­
heure, il n’y avait, semble­t­il, plus Mgr Patrick Chauvet, recteur de Notre­ à plus de 90 mètres, qui a fini par s’effon­ l’intérieur même des beffrois en flamme sée par les sapeurs­pompiers et les agents
d’ouvriers sur place. Mais le feu a large­ Dame et témoin de la scène, lors d’un drer, vers 20 heures. La toiture a pour sa qui a permis de sauver cette partie du bâti­ municipaux, selon Anne Hidalgo, la
ment détruit cette partie de la cathé­ point presse improvisé sur le parvis de la part brûlé aux deux tiers. ment et d’éviter que les immenses cloches maire de Paris, pour sauver les œuvres et
drale. Il ne sera donc pas simple d’y re­ cathédrale. Ce dédale de poutres en bois Les lances ont été plus efficaces à l’inté­ s’effondrent. les placer en sécurité. Selon Mgr Chauvet,
trouver des preuves matérielles pour de 110 mètres de long a servi de combus­ rieur de la cathédrale, selon le général. la couronne d’épines, la tunique de saint
tenter d’expliquer l’origine de l’incendie. tible à l’incendie. Mais elles n’ont pas pu empêcher d’im­ Louis – deux objets extrêmement impor­
Les enquêteurs étaient en tout cas déjà portantes dégradations. Au point qu’en tants pour les catholiques – ainsi que
à pied d’œuvre, lundi soir, pour identi­ Conditions d’intervention délicates milieu de soirée, vers 21 h 30, le comman­ « CE SERA  « quelques calices et tableaux » ont pu être
fier les personnes qui travaillaient sur le Dès le début de la catastrophe, les pom­ dant de la BSPP s’est un temps montré sauvés, « mais pour enlever les grands ta­
chantier et pour recueillir les premiers piers sont intervenus en nombre, conver­ alarmiste sur les chances de sauver le mo­ UNE ENQUÊTE LONGUE,  bleaux, [c’était] impossible ».
témoignages sur les origines de l’incen­ geant rapidement de toute part vers le nument historique. « L’heure et demie qui L’état des vitraux est également incer­
die, selon le parquet de Paris. Plusieurs centre de la capitale, où se trouve Notre­ vient est déterminante (…) à ce stade, on COMPLEXE, QUI VA  tain. Certains ont explosé sous l’effet de la
ouvriers ont été entendus par la police Dame. Plus de 400 sapeurs­pompiers ont n’est pas sûrs de pouvoir enrayer la propa­ chaleur, mais la grande Rose du midi don­
judiciaire au cours de la nuit. La brigade ainsi été mobilisés dès le début de la soi­ gation de l’incendie au beffroi nord de la
MARIER DES ÉLÉMENTS  nant sur la Seine, chef­d’œuvre du
criminelle, chargée des investigations, rée, avant d’être relayés en milieu de nuit cathédrale », a­t­il déclaré sur le parvis de POLICIERS MAIS AUSSI  XIIIe siècle, aurait été préservée, selon plu­
n’avait pas encore pu procéder aux pre­ par des effectifs équivalents. Des moyens Notre­Dame. sieurs témoignages. Selon le vicaire géné­
mières constatations sur place mardi humains considérables qui ont nécessité Selon lui, les difficultés ont été multi­ DES ÉLÉMENTS  ral de l’archidiocèse de Paris, Mgr Philippe
matin, la solidité de l’édifice n’étant pas la mobilisation à la fois de membres de la ples. Avec la tombée de la nuit, la visibilité Marsset, des représentants des monu­
assurée. « Ce sera une enquête longue, brigade des sapeurs­pompiers de Paris a été plus limitée. Les pompiers ont ba­ TECHNIQUES »,  ments historiques se sont rendus sur
complexe, qui va marier des éléments po­ (BSPP) et de pompiers venus du reste de taillé dans un contexte d’affaiblissement EXPLIQUE UNE SOURCE  place dans la nuit pour établir la liste des
liciers mais aussi des éléments techniques l’Ile­de­France. Des drones ont aussi été général des structures de la cathédrale. Ils œuvres à sauver en priorité. 
avec des expertises qui vont être mission­ utilisés pour mieux piloter l’intervention. ont notamment été confrontés à des chu­ POLICIÈRE nicolas chapuis et élise vincent
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 l’incendie de notre­dame | 7

Charpente, toiture, flèche… Des Une « souscription


nationale » pour
dégâts pour l’instant inestimables la reconstruction
L’état de la structure va maintenant devoir être évalué L’incendie de la cathédrale suscite une vague
de solidarité, en France et dans le monde

E E
lle était joliment surnommée la « fo­ teintes portées à l’édifice par l’effet conjugué t maintenant, les dons pour Une autre, appelée « Finance­
rêt ». L’immense charpente en chêne
LES APPAREILS EN PIERRE,  de l’eau et du feu », indique le président du la reconstruction. « Dès de­ ment des réparations de Notre
de Notre­Dame, de 110 mètres de RENFORCÉS PAR DES  Centre des monuments nationaux, Philippe main une souscription na­ Dame », hébergée par la plate­
long de Notre­Dame, 13 mètres de Bélaval. Commencera alors véritablement un tionale sera lancée », a annoncé forme Leetchi, avait reçu plus de
large et 10 mètres de haut, achevée au début ARMATURES EN ACIER  nouveau et immense chantier. Emmanuel Macron, lundi 15 avril 11 000 euros au lendemain de l’in­
du XIIIe siècle, et dont certains éléments da­ S’il se confirme que l’incendie est parti en peu avant minuit, lors d’une allo­ cendie. Elle a été lancée depuis un
taient du VIIIe siècle, est intégralement partie « SOUDÉES » AU PLOMB, ONT  marge des travaux de rénovation, sera alors cution aux abords de Notre­Dame compte intitulé « Anonyme pari­
en fumée, de même que la quasi­totalité de CERTAINEMENT SOUFFERT  très vite posée la question des mesures de encore ravagée par les flammes. sien ». Deux amis, Charles Gosse et
l’immense toiture en plomb. La flèche, sécurité qui les entouraient. Les travaux « Cette cathédrale, nous la rebâti­ Laurent Segnis, en revendiquent la
comme un symbole, s’est effondrée peu DE L’INTENSITÉ DU BRASIER sont en effet, traditionnellement, des cau­ rons tous ensemble et c’est sans paternité. Contacté par Le Monde,
avant 20 heures sous la morsure des flammes ses de sinistres. doute une part du destin français et M. Segnis affirme que l’argent sera
attisées par un vent puissant. Perchée à le projet que nous aurons pour les reversé au recteur de Notre­Dame
93 mètres de haut, elle n’a pas pu être atteinte ministre de l’intérieur, Eric Nunez, s’est « Principale hantise » années à venir », a déclaré le chef de de Paris. « Nous, citoyens, avec nos
facilement par les lances à eau des pompiers. montré un peu moins optimiste, expliquant Selon l’assureur MMA, dans la seule région l’Etat. D’autres initiatives ont été petits moyens, il faut qu’on arrive à
Longtemps menacé, le beffroi nord en qu’il y a « des doutes sur comment la struc­ Ile­de­France, on dénombre un incendie sur lancées. Mardi matin, la maire de se réunir autour d’une cause », ex­
surplomb du parvis, dont la chute aurait en­ ture va résister ». un chantier tous les trois jours. Certains ont Paris Anne Hidalgo a proposé d’or­ plique M. Segnis, juriste et l’un des
traîné celle de sa tour jumelle, au sud, et la Cet incendie est intervenu alors qu’un vaste déjà touché des bijoux du patrimoine. Ainsi, ganiser « une conférence interna­ fondateurs des « gilets bleus », col­
destruction irréversible de la grande rosace, programme de rénovation de l’édifice était en juillet 2013, à l’hôtel Lambert, joyau du tionale des donateurs » tandis que lectif créé en réaction au mouve­
a échappé au pire, grâce à l’engagement, au en cours. Débutée en juillet 2018, l’installa­ XVIIe siècle de l’île Saint­Louis à Paris, un feu la présidente de la région Ile­de­ ment des « gilets jaunes ». Sur le
plus près, des soldats du feu parisiens. En tion de l’immense échafaudage de 500 ton­ s’était déclaré sous la toiture, alors en chan­ France, Valérie Pécresse, a déblo­ site Lepotcommun, une collecte,
revanche, on ne sait pas encore à quel nes, soit quelque 500 000 tubes d’acier galva­ tier, causant d’importantes pertes patrimo­ qué 10 millions d’euros d’aide certifiée, a été organisée par l’Ob­
point les grandes orgues de la cathédrale nisés appuyés sur les quatre piliers du tran­ niales. Au mois d’octobre de l’année suivante, d’urgence « pour aider l’archevêché servatoire du patrimoine reli­
ont souffert du sinistre. sept de Notre­Dame, était sur le point d’être à la Maison de la radio, tandis que le secteur à faire les premiers travaux ». gieux : « Souscription nationale
Tel est, pour l’heure, le triste bilan de cet in­ achevée. Le 11 avril, après avoir été décapitées était déserté, c’est le moteur du système de La Fondation du patrimoine a pour Notre­Dame de Paris ».
cendie. Pour l’instant. Car il était bien sûr en­ pour éviter de les détériorer pendant leur ventilation utilisé pour le désamiantage qui a expliqué qu’elle ouvrirait, mardi, Côté mécènes, la société d’inves­
core trop tôt, mardi matin, pour mesurer transport, seize statues de cuivre de 250 kg été à l’origine d’un sinistre. Durant l’été 2015, son propre outil de collecte de tissement de la famille Pinault, Ar­
complètement l’ampleur des dégâts. Les ap­ chacune avaient été soustraites des lieux à enfin, le bâtiment n’étant pas sous alarme et dons. Cette fondation privée con­ temis, va débloquer 100 millions
pareils en pierre, renforcés par des armatures l’aide d’une grue de 100 mètres de haut. Elles le système de sécurité incendie désarmé la sacrée à la préservation du patri­ d’euros, a annoncé dans un com­
en acier « soudées » au plomb, ont certaine­ devaient retrouver leur socle en 2020. Fi­ nuit en raison de travaux, une partie de la Cité moine avait notamment perçu muniqué son président, François­
ment souffert de l’intensité du brasier dont la nancé par l’Etat à hauteur de 11 millions des sciences et de l’industrie de la Villette des fonds du Loto du patrimoine. Henri Pinault. Le groupe LVMH et
température serait montée jusqu’à plus de d’euros, le chantier de restauration de la flè­ avait été très sérieusement endommagée. Des internautes ont cherché à ap­ la famille Arnault ont, eux, promis
800 degrés. Sans parler des effets néfastes des che et de l’intégralité de la toiture en plomb « Les points chauds sont la principale hantise porter leur pierre en créant des ca­ un don de 200 millions d’euros au
grandes, mais nécessaires, quantités d’eau de la cathédrale de Paris devait constituer la dans un chantier de restauration de cette am­ gnottes en ligne. En la matière, la fonds dédié à la reconstruction.
qui peuvent dégrader de manière irrémédia­ première phase d’une opération globale de pleur », souligne à propos de Notre­Dame l’ar­ méfiance s’impose tant la créa­ L’incendie a également suscité un
ble les nombreux trésors contenus dans l’en­ quelque 150 millions d’euros. chitecte en chef des monuments historiques, tion de tels outils est à la portée de élan de solidarité dans le monde,
ceinte de la cathédrale. Aujourd’hui, la question des travaux ini­ François Chatillon. Une simple soudure sur chacun sans garantir la destina­ que l’Unesco s’est proposé de coor­
tiaux n’est bien sûr plus d’actualité. A du plomb peut réchauffer le bois qui se tion de l’argent. donner. La French Heritage So­
La voûte en pierre a tenu Champs­sur­Marne (Seine­et­Marne), au trouve en dessous. Pour l’architecte en chef ciety, organisation américaine
A l’inverse d’un bâtiment « ordinaire », la dif­ sein du laboratoire de recherche des monu­ des monuments historiques responsable de Cagnottes certifiées pour la préservation des trésors ar­
ficulté pour les pompiers a consisté à devoir ments historiques, la question prioritaire la restauration de la flèche de Notre­Dame, Mardi soir, deux collectes de chitecturaux et culturels français,
circonscrire les flammes, en même temps n’est plus de savoir si les statues doivent re­ Philippe Villeneuve, « les travaux n’avaient fonds ont connu un succès immé­ a lancé une page Web pour collec­
que de doser l’impact de leur intervention trouver leur couleur marron d’origine ou, au pas encore débuté, seuls les échafaudages diat. La première, « Notre­Dame ter des fonds. « Notre­Dame est évi­
afin de ne pas mettre en péril l’exception­ contraire, conserver le vert­de­grisé dû à la étaient en cours de montage ». De son point de Paris Je t’aime », lancée par le demment une merveille architectu­
nelle qualité patrimoniale du site. patine du temps. Les sculptures représen­ de vue, « l’hypothèse du point chaud n’est site Dartagnans, spécialisé dans rale et un monument qu’il faudrait
La voûte en pierre a été fragilisée, ainsi que tant les douze apôtres et les quatre évangé­ donc pas la bonne ». les campagnes de financement certainement restaurer », a déclaré
l’ont rapporté les pompiers, mais elle a tenu. listes – l’architecte Eugène Viollet­le­Duc Il n’est pas exclu toutefois que du matériel participatif pour le patrimoine et Jennifer Herlein, la directrice géné­
Sa fonction originelle est précisément d’em­ (1814­1879), constructeur de la flèche entre électroportatif ait pu être utilisé pour assu­ la culture, avait récolté plus de rale de l’organisation. 
pêcher la propagation du feu. « Tandis que le 1844 à 1864, s’était lui­même représenté en rer la bonne tenue de l’échafaudage. Pour Al­ 22 000 euros mardi matin. manon rescan
feu tend à monter, son rôle est de faire écran saint Thomas – ont désormais le statut de bert Bacqueville, expert sinistres à la MMA, il
entre la charpente et le volume des nefs en con­ rescapées d’un désastre. faut redoubler de vigilance en fin de chan­
trebas », souligne l’architecte en chef des mo­ Le chantier de reconstruction de Notre­ tier. En cas de points chauds, les services de
numents historiques François Châtillon. Au Dame à l’identique durera des décennies et prévention des risques (SPR) préconisent
Moyen Age, les constructions étant toutes en nécessitera d’engager des sommes considé­ même qu’une personne puisse rester sur
bois, un sinistre de cette ampleur aurait inté­ rables. En attendant, les pompiers resteront place une à deux heures après la fin de la Connaître les religions pour comprendre le monde
DES RELIGIONS

gralement embrasé le quartier. longtemps à pied d’œuvre. Pendant plusieurs journée de travail. A Notre­Dame, où la sécu­
En dépit de l’ampleur inédite du sinistre, jours, ils vont devoir assurer la surveillance rité générale est placée sous l’autorité de la
« la structure de Notre­Dame de Paris est sau­ du feu et celle de la structure, pour être cer­ Direction régionale des affaires culturelles,
vée et préservée dans sa globalité », ont expli­ tains que celle­là n’est pas fragilisée avant de l’incendie, justement, a commencé à se dé­
qué, dans la soirée, les sapeurs­pompiers. pouvoir l’étayer. Puis suivront « d’autres étu­ clarer en fin de journée. 
Mardi matin, le secrétaire d’Etat auprès du des de structure, des études précises sur les at­ jean­jacques larrochelle

Des œuvres d’art affectées par les soubresauts de l’histoire


la cathédrale renfermait plusieurs cinquantaine de mays, répartis entre Lou­ le plus important de sculptures sur bois du Expériences
de mort imminente
tableaux et des sculptures, et des objets sa­ vre, musées de province et la cathédrale début du XVIIIe siècle encore en place
Transes mystiques
crés dont on ignore encore précisément qui n’en conserve que treize. C’est peu, aujourd’hui. Autres sculptures, religieuses Plantes hallucinogènes
combien ont pu être sauvés. Notre­Dame mais ce sont, pour plusieurs, des œuvres ou funéraires : des restes des sculptures de Éveil du mental…
contenait surtout des œuvres relative­ remarquables de peintres de premier la clôture du chœur abattue lors des tra­
ment récentes : de régimes en révolutions, plan : deux de Laurent de La Hyre, deux de vaux préparatoires aux stalles, un Saint AUX FRONTIÈRES
de pillages en restaurations, il ne reste à Charles Le Brun dont Le Crucifiement de Denis de Nicolas Coustou de 1721­1722, le DE LA CONSCIENCE
peu près rien, à l’intérieur de la cathédrale, saint André de 1647, un de Sébastien Bour­ Mausolée du comte d’Harcourt, de Jean­
de ce qui l’ornait au Moyen Age. Du XVIIe don, Le Crucifiement de saint Pierre de 1643. Baptiste Pigalle, de 1775.
CHRONIQUE GRAND ENTRETIEN CONVICTIONS
au XIXe siècle des transformations radica­ En dehors des mays, d’autres peintures Le trésor, qui conserve les objets consa­ KAMEL ALEXANDRE CHRISTINE
les ont été opérées. La Révolution détruisit importantes sont conservées : un Martyre crés à la liturgie catholique, a connu, lui DAOUD JOLLIEN PEDOTTI
ou dispersa l’essentiel du mobilier et des de saint Barthélemy de Lubin Baugin, une aussi, bien des vicissitudes, ayant servi de
sculptures. Les campagnes de restauration Nativité de la Vierge des frères Le Nain, Le réserve de métal précieux à la monarchie : La conscience est un mystère. Elle continue à
de Viollet­le­Duc ont autant affecté l’inté­ Martyre de sainte Catherine, peinture de fontes et ventes de châsses, reliquaires et échapper largement aux investigations scien-
rieur que l’extérieur du monument. Jospeh­Marie Vien, et encore une Visita­ ciboires en or et pierres précieuses avaient tifiques les plus poussées. Depuis la nuit des
Le principal ensemble de peintures est tion de Jean Jouvenet, seule survivante déjà marqué son histoire avant que la Ré­ temps, les traditions spirituelles se penchent
celui des mays : chaque année, au début du d’un ensemble de huit œuvres monumen­ volution le confisque en 1791. Recréé après sur cette énigme et proposent des voies
mois de mai, la corporation des orfèvres tales commandé en 1715 et qui connut les le Concordat, il fut à nouveau pillé durant d’accès atypiques à la conscience. Expériences
parisiens offrait un nouveau tableau à su­ mêmes aventures que les mays. La pein­ les journées révolutionnaires de de mort imminente, méditation, prises de
jet religieux de grande taille, commandé à ture à Notre­Dame est donc du XVIIe siècle juillet 1830 et février 1831. Dans les années substances psychédéliques.. Comment accé-
l’un des artistes en vue du moment. La et, en moindre quantité du XVIIIe siècle. 1850, Viollet­le­Duc y consacra une partie der à notre conscience ? Quels sont les dangers
coutume a duré de 1630 à 1705, à l’excep­ de ses travaux, le recréant en style néogo­ potentiels de ces explorations ? Qu’en disent
tion des années 1683 et 1694. Les toiles Vicissitudes du trésor thique et dessinant dans ce même style un les médecins ? Voyage au cœur du soi.
étaient accrochées sur les piliers. Quand, En matière de sculpture, l’ensemble princi­ nouveau reliquaire pour la Couronne
faute de fonds, la corporation interrompit pal est celui des stalles du chœur, sièges en d’épines acquise par Saint Louis et conser­
ce rite, il y avait 76 mays. Ceux des artistes bois alignés en deux rangées. Elles ont été vée à la Sainte­Chapelle jusqu’à la Révolu­
les plus renommés furent saisis à la Révo­ exécutées entre 1710 et 1714 par Jean Nel et tion. A l’exception de celle­ci et de la tuni­
lution et placés au Louvre. D’autres dispa­ Louis Marteau, sur des dessins de Jules que dite de Saint Louis, les objets précieux
rurent. Plusieurs de ceux qui revinrent Dugoulon, sous la direction de l’architecte que conserve le trésor datent du Second AUX FRONTIÈRES DE LA CONSCIENCE
Un magazine de 84 pages - 6,90 €
dans la nef sous l’Empire en furent retirés Robert de Cotte. Leurs dossiers portent des Empire ou sont plus récents, dons de pon­ Chez votre marchand de journaux
durant les restaurations et n’y revinrent scènes de la vie de la Vierge et des allégo­ tifes et de souverains en visite à Paris.  et sur Lemondedesreligions.fr
plus. Au total, on connaît aujourd’hui une ries. Deux chaires complètent l’ensemble, philippe dagen
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8 | l’incendie de notre­dame MERCREDI 17 AVRIL 2019

« C’est comme
si notre maison
de famille partait
en fumée »
Le violent incendie, qui a ravagé la cathédrale
Notre­Dame de Paris, a particulièrement
ému la communauté catholique de France

L
e bourdon de la cathédrale de nues et sont restées jusqu’à 9 heures. Puis
Sens (Yonne) a sonné, le glas a toutes les cloches ont sonné. »
retenti aux clochers des cathé­ Comme chaque année, tous les prêtres du
drales Saint­Louis de Versailles, diocèse de Paris s’apprêtaient à se retrouver
Sainte­Croix d’Orléans, Notre­ à Notre­Dame de Paris pour la messe chris­
Dame de Chartres, Notre­Dame male du mercredi saint. Lors de cette céré­
de Rouen et de bien d’autres. Partout en monie, l’archevêque bénit les huiles et le
France, l’incendie de Notre­Dame de Paris, saint chrême utilisés pour divers sacre­
lundi 15 avril, a frappé de stupeur et d’afflic­ ments. Et chaque prêtre et diacre renouvelle
tion des catholiques au moral déjà en berne devant lui les promesses faites lors de son
à la suite des révélations sur des violences ordination. « On fait corps », résume le père Emmanuel Macron s’est rendu sur les lieux, le soir du 15 avril. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
et des scandales sexuels dans l’Eglise. Esclef. Cette année, la messe chrismale de­
« Fallait­il cela aussi ? », a tweeté l’essayiste vra se tenir ailleurs que dans la cathédrale.
et blogueur influent Erwan Le Morhedec, à varès. « Oui, nous sommes touchés émotion­ die de Notre­Dame a une portée qui dé­
peine la nouvelle de l’incendie commen­ « POUR NOUS, C’EST L’ÉGLISE-MÈRE » « C’EST LE LIEU OÙ  nellement et spirituellement, confirme Sté­ passe la seule communauté des fidèles. « Ce
çait­elle à se répandre. « La France pleure et Pour tout prêtre parisien, Notre­Dame est J’AI ÉTÉ ORDONNÉ  phane Esclef, mais nous reposons sur autre n’est pas seulement une réalité chrétienne
le monde entier aussi. (…) Nous sommes liée intimement à son parcours ecclésial, ne chose que des bâtiments. » que nous avons perdue ce soir, c’est une réa­
nous­mêmes complètement K.O. », a résumé serait­ce que parce que c’est là que sont or­ PRÊTRE, OÙ JE ME  lité française », indique Pierre Vivarès. « No­
l’archevêque de Paris, Michel Aupetit, visi­ donnés les séminaristes, au mois de juin. « UNE RÉALITÉ FRANÇAISE » tre­Dame est au cœur de la France. Elle
blement bouleversé, lors d’un point de « C’est le lieu où j’ai été ordonné prêtre, où je SUIS PROSTERNÉ  Il n’empêche : pour les catholiques, le lan­ rayonne en Europe et au­delà. (…) Notre­
presse aux côtés du président Emmanuel me suis prosterné face contre terre pour of­ gage des pierres véhiculé par les cathédrales Dame de Paris, sur son île, parle à tout le
Macron, non loin de l’édifice en flammes, frir ma vie au Seigneur. J’y suis entré comme
FACE CONTRE TERRE  peut amener à Dieu, et c’est la perte de ce si­ monde. Elle est une des plus significatives ex­
peu avant minuit. baptisé, et j’en suis ressorti comme prêtre. A POUR OFFRIR MA VIE  gne qu’a déploré Eric de Moulins­Beaufort, pressions de l’âme française », a écrit Pierre
A Paris aussi, les cloches des églises ont re­ ce moment­là, toute ma vie a défilé devant prochain président de la Conférence des d’Ornellas, archevêque de Rennes.
tenti lundi soir, premier jour de la semaine moi. Voire cela s’écrouler aujourd’hui, cela AU SEIGNEUR. VOIR  évêques de France (CEF) et archevêque de La CEF a émis un communiqué indiquant
sainte des chrétiens, qui s’achève par la me déchire le cœur », explique Stéphane Es­ Reims (Marne) – dont la cathédrale a été que les évêques sont « bien conscients » que
commémoration de la crucifixion de Jésus clef. « Pour nous, c’est l’église­mère, abonde CELA S’ÉCROULER,  presque entièrement détruite par un incen­ la cathédrale de Paris « restera un symbole
le vendredi et de sa résurrection le diman­ Pierre Vivarès, curé de Saint­Paul, dans le CELA ME DÉCHIRE die déclenché par des bombardements pen­ majeur de la foi catholique et un lieu où tous,
che. Le père Stéphane Esclef, curé de Saint­ Marais. On perd une mère. C’est comme si dant la première guerre mondiale, avant croyants et incroyants, peuvent se retrouver
Jean­Baptiste de Belleville (19e arrondisse­ notre maison de famille partait en fumée. » LE COEUR » d’être reconstruite. « La cathédrale Notre­ aux moments importants de l’histoire de no­
ment), a été prévenu du sinistre par son vi­ Tous deux se consolent en relativisant Dame de Paris fait partie de ces efforts de tre pays ». De fait, des catholiques du monde
STÉPHANE ESCLEF
caire à l’issue de sa messe de 19 heures, et l’importance des murs à celle de la foi. paix, de beauté, d’espérance, de foi et même entier ont réagi à l’incendie, à commencer
curé de Saint-Jean-Baptiste
alors qu’il s’apprêtait à engager un moment « Nous sommes effondrés, sidérés, mais ce au­delà de la foi chrétienne », a­t­il indiqué par le Saint­Siège, qui a fait part de sa « tris­
de Belleville
d’adoration du Saint Sacrement. « Du coup, sont des pierres, et ce qui fait l’Eglise, c’est la sur Twitter. tesse » devant l’incendie de ce « symbole de
raconte­t­il, le temps d’adoration a été très personne du Christ et ce sont les chrétiens, ce Les membres de l’Eglise catholique ont ce­ la chrétienté, en France et dans le monde ». 
intense. De nombreuses personnes sont ve­ ne sont pas les pierres », fait valoir le père Vi­ pendant tout à fait conscience que l’incen­ cécile chambraud

De Macron à Mélenchon, la communion politique dans l’émotion


L’ensemble des responsables français ont exprimé leur tristesse face au drame et appelé à une pause dans la campagne des européennes

L a cathédrale brûle et sou­


dain la République se fige.
Sur le parvis de Notre­
Dame de Paris se trouvent le point
zéro des routes de France et le
Gérard Larcher : « Cela va vous
faire drôle, à votre âge, mais vous
êtes le père de la nation. » Quand
l’histoire frappe à la porte, il n’y a
qu’à lui ouvrir.
et plus encore ». Pour « l’ensemble
de nos compatriotes », enfin. « No­
tre­Dame c’est notre histoire, notre
littérature, notre imaginaire, le lieu
où nous avons vécu tous nos
Français. (…) Ce bâtiment est un
membre de notre famille à tous et,
pour l’instant, nous sommes en
deuil », a­t­il déclaré, lundi soir,
devant la presse, initialement
droite a annulé le meeting de lan­
cement de sa campagne euro­
péenne qu’il devait tenir à Nî­
mes, mardi 16 avril, autour de sa
tête de liste François­Xavier Bel­
dans la reconstruction de l’édi­
fice. « Dans une France plus divisée
que jamais, nous avons la preuve
ce soir que nous constituons un
seul peuple réuni dans ce drame, se
point d’arrêt de la politique. Em­ Vers 20 h 30, Emmanuel Macron grands moments, nos épidémies, réunie pour écouter sa réaction à lamy et de son président, Laurent félicite Bruno Retailleau, prési­
manuel Macron devait pronon­ se rend une première fois sur le nos guerres, nos libérations, dé­ l’allocution du chef de l’Etat. Wauquiez. dent du groupe LR au Sénat. C’est
cer, lundi 15 avril, à 20 heures, l’al­ parvis, silencieux, en compagnie clare M. Macron. Cette histoire, Dans un texte mis en ligne quel­ « Désolation en voyant partir en la même souffrance que nous
locution télévisée post­grand dé­ notamment du premier ministre, c’est la nôtre, et elle brûle. » ques heures plus tard sur son fumée ce symbole de nos racines éprouvons. Je suis étonné de l’unis­
bat censée relancer son quin­ Edouard Philippe. Les deux hom­ Pour surmonter l’épreuve, le lo­ blog, intitulé « Notre cathédrale chrétiennes, de la littérature de son des voix de tous les responsa­
quennat et lui permettre de mes reviennent au même en­ cataire de l’Elysée emprunte un commune », le chef de file de La Victor Hugo. C’est tout une part de bles politiques nationaux quelles
renouer le lien avec les Français. droit, trois heures plus tard, une mot aux catholiques : « espé­ France insoumise (LFI) a exalté notre histoire, de nous­mêmes, que soient leurs attaches partisa­
Dès 18 h 50, quand les premières fois que l’incendie est en passe rance ». « Cette cathédrale, nous la Notre­Dame, « le vaisseau, la nef qui brûle ce soir », a déploré ce nes par ailleurs. »
flammes sont apparues sur le toit d’être maîtrisé. Ils s’inscrivent rebâtirons tous ensemble et c’est qui nous porte tous sur le flot du dernier. « Les dégâts sont terri­ « Je crains que cela ne dure pas »,
de l’édifice quasi millénaire, le dans le sillage de Mgr Michel Aupe­ sans doute une part du destin temps (…) athées ou croyants ». « Je fiants. Tous les Français ce soir soupire néanmoins un ministre,
fétu de l’actualité s’est trouvé ba­ tit, l’archevêque de Paris. français », déclare­t­il en annon­ crois que nous l’aimons de la ressentent un chagrin infini et un alors que les annonces d’Emma­
layé. Allocution reportée sine die. çant le lancement d’une sous­ même façon. Il y a ceux pour qui la vertigineux sentiment de perte », nuel Macron en réponse à la crise
« Notre­Dame de Paris en proie aux « Remerciements de la nation » cription nationale, et « bien au­ main de Dieu est à l’œuvre dans a tweeté, de son côté, la prési­ des « gilets jaunes » restent atten­
flammes. Emotion de toute une na­ Devant les caméras, le chef de delà de nos frontières ». C’est cet l’édification de ce bâtiment. Mais dente du Rassemblement natio­ dues dans les prochains jours.
tion, a tweeté le président de la Ré­ l’Etat déroule le fil de ses « pen­ esprit de communion qui réunit ils savent que si elle y paraît si puis­ nal, Marine Le Pen. « Cela va placer son discours sur
publique. Pensée pour tous les ca­ sées ». Pour les sapeurs­pompiers aujourd’hui la plupart des res­ sante, c’est sans doute parce que les une tonalité différente, note un
tholiques et pour tous les Français. de Paris, d’abord, qui ont droit aux ponsables politiques. êtres humains se sont surpassés en « Un seul peuple réuni » autre membre du gouvernement.
Comme tous nos compatriotes, je « remerciements de la nation ». Visiblement très ému, Jean­Luc mettant au monde Notre­Dame », De François Hollande à Nicolas Il faut se laisser guider par l’émo­
suis triste ce soir de voir brûler cette Pour « les catholiques de France et Mélenchon, lui, le laïc, le franc­ souligne le député des Bouches­ Sarkozy, en passant par François tion juste. » Et ne pas oublier que,
part de nous. » partout à travers le monde », en­ maçon, de formation marxiste, du­Rhône, qui a demandé « vingt­ Fillon ou Jean­Marc Ayrault, la si l’histoire est figée, ce n’est pas le
Au lendemain de son élection, suite : « Je sais ce qu’ils ressentent et n’a pas semblé oublier son éduca­ quatre heures de pause politique ». plupart des anciens dirigeants cas de l’actualité. 
en 2017, le jeune chef de l’Etat de nous sommes avec eux », assure­ tion et son enfance catholiques. Cette requête, le parti Les Répu­ français sont sortis de leur re­ sarah belouezzane,
39 ans avait entendu cette alerte t­il. Pour « les Parisiennes et les Pa­ « Notre­Dame est depuis plus d’un blicains (LR) entend s’y confor­ traite pour dire leur émotion et olivier faye, abel mestre
de la part du président du Sénat, risiens », car « c’est leur cathédrale millier d’années le métronome des mer puisque la formation de appeler à l’implication de chacun et sylvia zappi
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 l’incendie de notre­dame | 9

« Nous la rebâtirons tous ensemble »,


promet le président de la République
L’incendie de Notre­Dame contraint le chef de l’Etat à revoir le programme
des annonces qu’il comptait faire à l’issue du grand débat national

S ouvent, Emmanuel Macron


a revendiqué le « sens du tra­
gique » qui l’habite. « Je ne
suis pas fait pour diriger par temps
calme, (…) je suis fait pour les tem­
comme le redoutaient plusieurs
membres du gouvernement, et
c’est l’impuissance qui le guette.
Face aux images et après avoir
fait le point avec le secrétaire d’Etat
tours de 23 h 30. Après que l’arche­
vêque de Paris, Michel Aupetit, a
prononcé quelques mots, le chef
de l’Etat a, à son tour, pris la parole
sur le parvis de la cathédrale dé­
De manière générale, c’est l’en­
semble de la séquence de commu­
nication, telle qu’elle avait été con­
çue pour la sortie du grand débat,
qui est aujourd’hui compromise.
pêtes », avait­il confié à l’automne auprès du ministre de l’intérieur, vastée. « Nous la rebâtirons tous Après son allocution télévisée,
2017 à l’écrivain Emmanuel Car­ Laurent Nuñez, sur les lieux – en ensemble », a promis Emmanuel Emmanuel Macron devait se li­
rère, qui l’avait suivi durant une se­ déplacement à Mayotte, le minis­ Macron, visiblement ému, avant vrer à une séance de questions­ré­
maine, de son déplacement sur tre de l’intérieur, Christophe Cas­ d’annoncer le lancement d’une ponses avec les journalistes, lors
l’île de Saint­Martin dévastée par taner, a pris un avion dans la nuit – souscription nationale dès le d’une conférence de presse mer­
l’ouragan Irma à son voyage en le chef de l’Etat n’a pas hésité. « En mardi. « Nous ferons appel aux credi, la première en l’occurrence
Grèce au cours duquel il avait pro­ raison du terrible incendie qui ra­ plus grands talents, a­t­il pour­ depuis son élection. La première
noncé un discours sur l’Europe de­ vage Notre­Dame de Paris, le prési­ suivi, parce que c’est ce que les étape devait lui permettre de don­
vant l’Acropole. Lundi 15 avril, au dent de la République a décidé de Français attendent, parce que c’est ner le sens de son action, la se­
soir, le « tragique » a de nouveau reporter son allocution », faisait sa­ ce que notre histoire mérite, parce conde de rentrer dans le détail de
traversé la route du chef de l’Etat, voir l’Elysée à 19 h 40. La flèche de que c’est notre destin profond. » ses projets. « Tout est aujourd’hui
avec ces flammes qui ont ravagé la cathédrale n’était alors pas tom­ Mardi matin, l’Elysée n’avait pas remis en cause », admet­on dans
Notre­Dame­de­Paris. Un événe­ bée, mais sa chute paraissait inévi­ encore décidé quand et comment son entourage. « Il faut réinventer
ment imprévisible qui est venu table. A 19 h 53, elle s’effondrait. Emmanuel Macron ferait les an­ un schéma », juge un proche.
chambouler une des semaines les nonces décalées lundi soir. « Une Tout le week­end, Emmanuel
plus cruciales du quinquennat. « Ce que notre histoire mérite » chose est sûre, fait­on savoir à Macron a consulté et mis la tou­
Il était 19 heures quand M. Ma­ Vingt minutes plus tard, Emma­ l’Elysée, l’allocution que le prési­ che finale à son plan de sortie de
cron a été informé de l’incendie de nuel Macron et son épouse Bri­ dent a mise en boîte hier soir ne crise. Ces dernières semaines, plu­
la cathédrale. Il venait de terminer gitte s’engouffraient dans une voi­ sera pas diffusée. » De fait, on ima­ sieurs pistes ont été évoquées,
l’enregistrement de l’allocution ture pour se rendre à la Préfecture gine mal le chef de l’Etat s’adres­ comme la réindexation des retrai­
solennelle qui devait être diffusée de police de Paris et y faire le point ser aux Français sans faire la tes sur l’inflation ou la baisse de
une heure plus tard à la télévision. avec les responsables des sapeurs­ moindre allusion au drame qui l’impôt sur le revenu, destinées à
« Serein », selon son entourage, le pompiers de la capitale. La maire n’avait pas encore eu lieu quand soutenir le pouvoir d’achat des
président y livrait ses réponses de Paris, Anne Hidalgo, et le pre­ l’enregistrement a été réalisé. Français, l’une des principales re­
aux « gilets jaunes » après le grand mier ministre, Edouard Philippe, vendications des « gilets jaunes ».
débat lancé le 15 janvier. Cette s’étaient également rendus sur les Le chef de l’Etat a aussi évoqué, au
prise de parole avait été préparée lieux, comme plusieurs ministres, cours de ses déplacements dans
minutieusement. Confronté à une dont Bruno Le Maire (économie), EMMANUEL MACRON  les régions, un nouvel acte de dé­
contestation sociale inédite de­ Franck Riester (culture) ou Flo­ centralisation, l’aménagement du
puis l’automne dernier, Emma­ rence Parly (défense), ainsi que le
VENAIT DE TERMINER  référendum d’initiative partagée,

Chez les élus parisiens, nuel Macron sait qu’il n’a pas le
droit à l’erreur. Pour le chef de
l’Etat, cette « adresse aux Français »
président de l’Assemblée natio­
nale, Richard Ferrand.
Le président est ensuite reparti
L’ENREGISTREMENT
DE SON ALLOCUTION 
la réforme de l’administration ou
encore des mesures pour favori­
ser une démocratie plus participa­
effroi et impuissance devait être la première étape de
l’acte II du quinquennat. Un nou­
vers l’Elysée, où il a tenu une réu­
nion avec sa garde rapprochée, QUAND IL A tive. Dimanche soir, les derniers
arbitrages avaient été rendus et le

« De notre devise, nous tirerons la force de


veau départ censé lui permettre dont Alexis Kohler, le secrétaire ÉTÉ INFORMÉ DU  chef de l’Etat a réuni plusieurs mi­
de repartir à l’offensive après des général de l’Elysée, avant de reve­ nistres pour leur en faire part. 
nous relever », a assuré la maire de la capitale mois de crise. Qu’il soit « déceptif », nir sur l’île de la Cité aux alen­ SINISTRE EN COURS virginie malingre

Au Sacré­Cœur, on prie pour éteindre la tristesse


F luctuat nec mergitur. « Il est
battu par les flots, mais ne
sombre pas. » En novem­
bre 2015, au lendemain des atten­
tats qui avaient ensanglanté Paris,
a, dit­on, entendues jusqu’à Bue­
nos Aires », a­t­elle raconté.
Parmi les élus, l’incendie a pro­
voqué la stupeur, l’effroi, un sen­
timent d’impuissance, et la
Pendant que les flammes dévoraient la toiture de Notre­Dame, des fidèles
ont rallié la basilique de Montmartre, où une messe est célébrée chaque soir
Anne Hidalgo avait brandi la de­ crainte de voir la façade s’écrou­
vise de la ville comme symbole de ler à son tour, après la flèche.
la résistance au terrorisme. Lundi
15 avril, ce sont à nouveau ces trois
mots en latin que la maire de la ca­
pitale a invoqués. « De notre devise,
nous tirerons la force de nous rele­
Mais, comme en 2015, il a aussi
entraîné un afflux de messages
du monde entier, et provoqué
une relative union sacrée entre
responsables politiques. Alors
D u haut de la butte Mont­
martre, depuis les mar­
ches qui mènent au Sa­
cré­Cœur, la petite foule regarde
avec effroi les flammes orange qui
clite Mgr Jean Laverton, le recteur
de la basilique, chanoine titulaire
de Notre­Dame. L’archevêque de
Paris a fait passer le message ce
soir à ses prêtres : « Les pompiers
Le prêtre retrouve pied en par­
lant technique. Il explique com­
ment, le jeudi précédent, à cause
des travaux, les statues des apô­
tres sur la flèche ont été retirées.
oblige – comme elle avait une va­
lise, on ne l’a pas laissé entrer.
« Notre­Dame, c’est un sanc­
tuaire marial. Il y a quelque chose
qui se passe là », dit­elle avec pas­
ver », a­t­elle assuré sur Twitter tan­ que la précampagne pour les continuent de trouer en son cen­ se battent encore pour sauver les Celles­là sont sauvées. Le reste est sion, quand on s’étonne qu’elle
dis que les flammes dévoraient en­ élections municipales de 2020 tre le dédale des immeubles et des tours. La charpente, la toiture et la détruit : « Le toit tout en plomb qui ait voulu y revenir le lendemain.
core Notre­Dame. Comme si l’in­ est bien entamée, les candidats rues que l’on observe d’ici : Paris. flèche, elles, sont consumées. Si datait du Moyen Age, la “forêt”, Elle désirait se confesser : « J’ai be­
cendie ravageur constituait une ont mis leurs critiques en sour­ Il est bientôt 22 heures. Et à cette vous le souhaitez, vous pouvez cette immense charpente dont la soin de faire ça souvent, parce que
réplique des attaques meurtrières, dine pour dire leur émotion heure­là, comme chaque jour, faire sonner les cloches pour invi­ plus grande partie datait du c’est comme les vitres, si on fait ça
une terrible épreuve dont la capi­ commune. sous les quatre coupoles de la ba­ ter à la prière. » XIIIe siècle… » De nouveau, ce goût tous les trois ans, il faut gratter
tale pourrait ressortir plus solide – « Tous solidaires face à ce silique, on donne la messe. Cel­ de fumée qui envahit l’assemblée. drôlement. » Sauf que la cathé­
et sa maire aussi, peut­être. drame », a réagi l’eurodéputée et le­ci, forcément, est particulière. « Quelque chose se passe là » Sœur Geneviève n’a pas de drale avait brûlé. Alors on la re­
Anne Hidalgo le dit souvent : maire du VIIe arrondissement Ra­ Béatrice est née à Yaoundé, au Ils sont venus d’un peu partout chance : pour la messe des Ra­ trouve ici, sous la nef en lourde
dans son mandat entamé en chida Dati (Les Républicains). Cameroun : « J’ai reçu un SMS, dit­ dans Paris, bobos du 15e, femmes meaux, dimanche, cette domini­ pierre blanche – qui, pour le
avril 2014, les attentats menés no­ « Meurtrissure pour nous tous. elle. On m’a dit : “Notre­Dame de Belleville, cheveux gris et che­ caine a pris le train de Villeneuve­ coup, semble indestructible –,
tamment contre Charlie Hebdo et Nous reconstruirons Notre­ brûle, rentre chez toi.” J’ai dit : veux longs, une dame à genoux Saint­Georges (Val­de­Marne) écouter le prêtre déclamer : « Il
le Bataclan ont marqué un tour­ Dame », a promis le député Cédric “Non, je vais au Sacré­Cœur.” » dans l’allée centrale, un homme pour venir à Notre­Dame : est grand le mystère de la foi… »
nant. Ces violences au cœur de Pa­ Villani (La République en mar­ Comme Béatrice à la belle voix extatique mains ouvertes devant « J’étais contente, j’avais passé un Derrière nous, derrière les por­
ris ont suscité un moment d’in­ che). « Demain nous reconstrui­ entonnant la prière liturgique du lui, on lit dans leurs yeux mélan­ très bon week­end. Je voulais ren­ tes épaisses de l’église, au­delà des
tense unité nationale durant le­ rons tout, pierre par pierre, poutre Kyrie, ils sont quelque deux cents coliques des océans de tristesse. dre grâce. » Sœur Geneviève a de volées de marches qui descendent
quel la maire est apparue comme par poutre, ardoise par ardoise », a à avoir rallié l’église. On les sent désemparés. Ils vou­ l’humour – « J’ai 77 ans, je peux en­ vers Paris, dans le manteau noc­
une figure solide et digne aux cô­ aussi assuré son rival, l’ancien Et pas moins de huit prêtres draient aider, mais comment ? « Je core lire Tintin » – mais elle ne ba­ turne, les flammes au loin conti­
tés du président d’alors, François porte­parole du gouvernement pour donner la messe à cette suis blessée jusqu’au fond de moi­ dine pas avec la foi : à Notre­ nuent de défier « les siècles des siè­
Hollande, et de tous les chefs Benjamin Griveaux (LRM). « Don­ heure tardive. « Tous les chape­ même », dit une de ces fidèles. Dame, elle a patienté longtemps cles » d’une lumière absurde. 
d’Etat venus à Paris manifester nons­nous tous la main » pour re­ lains ont tenu à être là ce soir », Lecture du Livre du prophète dans la queue, et puis – sécurité laurent carpentier
leur soutien. Les attaques ont bâtir, a proposé l’adjoint (PCF) à la explique à l’assemblée hétéro­ Isaïe, Evangile selon saint Jean…
aussi amené la municipalité à re­ mairie de Paris Ian Brossat. Au moment du sermon, Mgr La­
voir sa politique sur certains Seul le candidat soutenu par le verton, dans sa longue chasuble
points, en particulier la sécurité. Rassemblement national, Serge LE PRÊTRE EXPLIQUE  violette, se met à raconter : il était
Federbusch, a fait entendre une là. Il était là, à 18 h 30, devant No­
VOUS VOUS INTÉRESSEZ
Union sacrée voix dissonante : « Pourquoi les se­ COMMENT, LE JEUDI  tre­Dame. Il avait rendez­vous à la communication,
Peut­il en aller de même cette cours ont­ils mis tant de temps à ar­ avec le directeur de la communi­ aux médias, au numérique ?
fois­ci ? Lundi soir, l’élue socialiste river ? Le chaos dans la circulation PRÉCÉDENT, À CAUSE  cation de la cathédrale. « Et puis
était en réunion dans son im­ et les travaux sur la rue de Rivoli y on l’a appelé en urgence. Une VOUS ÊTES ÉTUDIANT
mense bureau, au premier étage sont­ils pour quelque chose ? » Au
DES TRAVAUX, LES  alerte incendie. Une fausse alerte.
en IEP, écoles de design,
d’arts appliqués, d’architecture,
de l’Hôtel de ville, lorsqu’elle a même moment, Anne Hidalgo, le STATUES DES APÔTRES  Il est revenu. Un quart d’heure plus de commerce et autres formations
universitaires de sciences humaines Ouverture des candidatures
aperçu la fumée au­dessus de No­ visage sombre des mauvais jours, tard, nous avons vu la fumée puis en 1re et 2nde année de master
tre­Dame, à quelques centaines se trouvait aux côtés d’Emmanuel SUR LA FLÈCHE ONT  les flammes s’élever au­dessus de
et sociales de niveau L3 ou M1 ?
du 29 avril au 20 mai 2019
de mètres de là. Elle a alerté les Macron devant la cathédrale rou­ la nef… » Emotion cachée sous un Les 5 spécialités du MASTER
pompiers. « J’ai immédiatement geoyante. Une fois son allocution ÉTÉ RETIRÉES. CELLES­ vernis de sagesse : après tout, il a INFORMATION COMMUNICATION, Intégrez
ouvertes à l’alternance en M2, les formations de l’IFP !
pensé à ces images de la Libéra­ achevée, le président a serré en si­ LÀ SONT SAUVÉES. un troupeau à mener. Aux sont reconnues par tous les
professionnels du domaine. www.paris2.fr
tion de Paris, quand les cloches de lence la maire dans ses bras.  ouailles désemparées il faut re­
Notre­Dame ont sonné et qu’on les denis cosnard LE RESTE EST DÉTRUIT donner foi en demain.
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10 | l’incendie de notre­dame MERCREDI 17 AVRIL 2019

« Une perte énorme


VERBATIM pour l’humanité »
De Washington au Caire, de Brasilia à Berlin,

Cela a pris un peu plus
d’une heure. Le temps pour
la flèche de s’effondrer, la plus
grande partie du toit de céder, et
de nombreuses personnalités politiques ont exprimé,
c’était tout. Notre-Dame – le
cœur au sens littéral et figuré de
souvent en français, leur consternation
Paris, le point à partir duquel
toutes les distances sont mesu-
rées et la toile de fond apparem-

A
ment éternelle de la vie quoti- lors qu’un violent incendie a ra­ vue des flammes de la cathédrale Notre­
dienne de la capitale française – vagé la cathédrale Notre­Dame de
Royaume­Uni : « L’esprit Dame. Un incendie qui nous brise le cœur. Nos
n’était plus. (…) Paris, lundi 15 avril, des chefs de l’Europe » pensées à nos amis français et à ceux qui es­
d’Etat et responsables politiques « Mes pensées sont ce soir avec les Français et saient d’empêcher le pire », a écrit, sur Twitter,
Avoir vécu à Paris ces dernières de tous pays ont exprimé leur « tristesse » et avec les services d’urgence qui combattent le celle qui passe pour la plus probable succes­
années, c’est être habitué à la leur « solidarité » envers la France. terrible incendie de la cathédrale Notre­ seure de Mme Merkel à la chancellerie.
perte, voire aux tragédies indes- Dame », a tweeté la première ministre britan­
criptibles. Le meurtre de 12 per- nique, Theresa May, tandis que le maire de
sonnes lors de l’attaque contre Etats­Unis : « Il faut agir vite » Londres, Sadiq Khan, déclarait par le même Espagne : « Difficile à oublier »
le journal satirique Charlie Le président des Etats­Unis, Donald Trump, a canal : « Londres est dans la tristesse avec Pa­ « L’incendie de Notre­Dame est une catastro­
Hebdo en janvier 2015. Les atten- été l’un des premiers à réagir aux images dif­ ris aujourd’hui, et dans l’amitié toujours. » phe pour la France et pour l’Europe. Les flam­
tats qui ont coûté la vie à fusées en direct par toutes les chaînes d’in­ « IL EST NATUREL  Le message de Becky Clark, directrice des mes ravagent 850 ans d’histoire, d’architec­
130 personnes au Stade de formation continue. « C’est tellement terrible DE PORTER LE DEUIL  bâtiments de l’Eglise d’Angleterre, se voulait ture, de peinture et de sculpture. Cela va être
France, au Bataclan et sur des d’assister à ce gigantesque incendie à Notre­ empreint d’espoir : « La cathédrale Saint­Paul difficile à oublier. La France peut compter sur
terrasses de café près du Canal Dame de Paris. Peut­être faudrait­il utiliser DE L’HISTOIRE QUI  a été détruite dans le grand incendie de Lon­ nous pour récupérer la grandeur de son patri­
Saint-Martin. Le meurtre de deux des bombardiers d’eau pour l’éteindre. Il faut dres et celle de Coventry détruite par les bom­ moine », a tweeté en français le premier mi­
femmes juives âgées (…). L’om- agir vite », a­t­il commenté sur son compte DISPARAÎT, MAIS  bes. Elles ont toutes été reconstruites, parfois nistre espagnol, Pedro Sanchez.
niprésence de gardes armés sur Twitter alors qu’il se rendait à une réunion différemment, pour rappeler l’éternité et la ré­ « Notre solidarité pour le peuple de Paris et
tous les sites où les foules peu- sur l’économie dans le Minnesota. « Le lar­
C’EST AUSSI DANS  surrection qui fondent la foi chrétienne. » Re­ tout le soutien de la capitale espagnole à Anne
vent se rassembler. gage d’eau par avion sur ce type d’édifice NOTRE NATURE DE  plaçant l’événement dans le contexte du Hidalgo », a tweeté en français la maire de
pourrait entraîner l’effondrement de l’inté­ Brexit, le Guardian écrit dans son éditorial : Madrid, Manuela Carmena. A Barcelone, la
Mais à travers toutes ces hor- gralité de la structure », lui a répondu la direc­ RECONSTRUIRE POUR  « On a le sentiment que le cœur de la France et maire Ada Colau a exprimé tout son « sou­
reurs, il y avait un refrain collec- tion générale de la sécurité civile sur Twitter. l’esprit de l’Europe ont été soudain cruelle­ tien aux Parisiens et Parisiennes et à tout le
tif immuable : la réalité réconfor- Une fois dans le Minnesota, le président DEMAIN, AVEC TOUTE  ment arrachés. (…) A un tel moment, quelle fo­ peuple français en ce jour si triste. (…) Nous se­
tante – ou du moins la croyance américain s’est à nouveau exprimé sur l’in­ LA FORCE DONT NOUS  lie de prétendre que nous ne sommes pas tous rons à vos côtés pour reconstruire la cathé­
en ce réconfort – que Paris était cendie. « C’est une très belle cathédrale. Et j’y européens. » drale ». Le conservateur Pablo Casado, leader
indestructible. L’idée que Paris suis allé, je l’ai vue, et il n’y a probablement pas SOMMES CAPABLES » de l’opposition, a exprimé sa « solidarité avec
sera toujours Paris n’a jamais été de cathédrale au monde comme celle­là », a­ les Parisiens ». De même pour Pablo Iglesias,
BARACK OBAMA
aussi vraie que devant Notre- t­il assuré. Son vice­président, Mike Pence, Allemagne : « Triste et muet » le chef de file de Podemos, la formation de la
Dame. Dans son allocution de- chrétien évangélique revendiqué, a assuré La chancelière Angela Merkel a vite réagi gauche radicale, qui a aussi montré sa « tris­
vant une nation endeuillée, que Notre­Dame était « un symbole emblé­ après le début de l’incendie. « C’est avec tris­ tesse » face à la destruction « de ce lieu si beau
Emmanuel Macron a qualifié matique de foi dans le monde entier ». « Il est tesse que je vois ces atroces images de Notre­ qui a vu tant d’histoire ».
la cathédrale de métaphore de déchirant de voir une maison de Dieu en flam­ Dame en feu. Notre­Dame est un symbole de
la France. « Notre-Dame est mes », a­t­il ajouté. la France et de notre culture européenne. Tou­ Brésil : « L’Occident
notre histoire, notre littérature, L’ex­président démocrate Barack Obama a tes nos pensées à nos amis français. Nous
notre imagination, a-t-il déclaré. exprimé sa « douleur » face à la catastrophe sommes à leurs côtés », a écrit son porte­pa­ en cours de destruction »
La place de tous nos grands en ajoutant un message d’encouragement role, Steffen Seibert, sur Twitter. Les princi­ Au Brésil, pays meurtri en septembre 2018
événements, nos épidémies, sur son compte Twitter, accompagné d’une paux membres du gouvernement allemand par l’incendie tragique du Musée national à
nos guerres, nos libérations, photo le montrant dans l’édifice en famille, ont également réagi, certains directement Rio de Janeiro, le président Jair Bolsonaro a
l’épicentre de nos vies. » C’est à l’occasion d’une visite effectuée en 2009. en français, comme le très francophile mi­ fait part sur Twitter de son « profond regret »
indéniablement le cas. (...)” « Il est naturel de porter le deuil de l’histoire nistre de l’économie, Peter Altmaier (CDU), face au « terrible incendie qui sévit dans l’un
qui disparaît, mais c’est aussi dans notre qui s’est dit « désespéré, triste et muet (…) de­ des plus grands symboles de la spiritualité et
James McAuley, correspondant nature de reconstruire pour demain, avec vant l’incommensurable tragédie de l’incen­ de la culture chrétiennes et occidentales ».
à Paris du Washington toute la force dont nous sommes capables », die ». Un peu plus tard dans la soirée, Anne­ « En ce moment sombre, nos prières vont aux
Post, dans une chronique a­t­il assuré. Une volonté de se tourner vers gret Kramp­Karrenbauer, la nouvelle prési­ Français », a­t­il ajouté. Après avoir vu dispa­
publiée le 15 avril le futur également partagée par l’ancienne dente de la CDU, s’est elle aussi exprimée : raître le musée de Rio sous les flammes, le
candidate démocrate à la présidentielle « “Percé jusques au fond du cœur”… Ces mots chef d’Etat, dont le nom complet est Jair Mes­
Hillary Clinton. de Corneille disent ce que nous ressentons à la sias (« messie ») Bolsonaro, avait montré
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 l’incendie de notre­dame | 11

Le secteur du
tourisme craint
une baisse de
la fréquentation
Avec 14 millions de visiteurs
en 2018, Notre­Dame était le
monument le plus visité d’Europe

U
n lieu de mémoire et, unanime : « On n’avait pas besoin
plus prosaïquement, de ça ! » Les violences de décem­
un haut lieu touristi­ bre 2018 et de mars au cours des
que. La cathédrale No­ manifestations des « gilets jau­
tre­Dame de Paris, en partie dé­ nes » ont fait chuter la fréquenta­
truite par un incendie, lundi tion touristique en début d’année
15 avril, est le monument histori­ dans la capitale et entraîné une
que le plus visité de France, et perte de 250 millions d’euros sur
même d’Europe, avec près de l’Ile­de­France, selon le Groupe­
« Unes » du 14 millions de visiteurs et de pèle­ ment national des indépendants
16 avril du « New rins en 2018. Les voyageurs venus de l’hôtellerie et de la restauration.
York Times », de du monde entier venaient admi­ Les professionnels se désolent de
« La Repubblica », rer ses vitraux et ses trois rosaces, voir ce chef­d’œuvre gothique,
d’« El Pais », de la ses tours, sa flèche de Viollet­le­ inscrit en 1991, par l’Unesco, au Pa­
« Süddeutsche Duc, ses gargouilles, son grand or­ trimoine mondial de l’humanité,
Zeitung », gue et son trésor, comme la Cou­ en partie dévoré par les flammes.
du « Sun », ronne d’épines du Christ et la tu­ « Combien de temps va­t­il falloir
du « Diario nique de Saint Louis. Quand les pour remettre sur pied un monu­
de Noticias », plus courageux ne montaient pas ment historique comme Notre­
du « Soir » et de dans ses tours pour jouir d’une Dame ?, s’interrogeait, lundi soir,
« La Tribune de vue panoramique sur Paris. Didier Arino, directeur du cabinet
Genève ». Verra­t­on moins de touristes spécialisé Protourisme, dans un
dans la capitale, déjà pénalisée au entretien à l’Agence France­
premier trimestre par les mani­ Presse. Pour l’image de Paris, après
festations parfois violentes des l’Arc de triomphe saccagé par des
« gilets jaunes » ? Les profession­ casseurs pendant les manifesta­
nels le redoutent. Qu’on y accède tions des “gilets jaunes”, ce n’est pas
à pied, par le parvis, ou qu’on la une bonne nouvelle. Cela ne donne
contemple depuis un Bateau­ pas une image d’un pays qui maî­
Mouche, la cathédrale est un pas­ trise : comment peut­on, en 2019,
sage quasi obligé des visiteurs, avoir un monument qui brûle aussi
dont certains viennent de très facilement ? » La profession juge
loin pour découvrir un des sym­ que cet événement aura « forcé­
boles de la chrétienté ou retrou­ ment une incidence négative sur
ver leurs souvenirs de lecture de l’hébergement hôtelier ».
Notre­Dame de Paris (1831), le ro­
man de Victor Hugo. La région débloque 10 millions
Mais la première réaction du sec­ M. Lemoyne se veut néanmoins
teur est à la sidération et à une optimiste. « Les acteurs du tou­
moins de commisérations, déclarant : « Il a ven Rivlin, qui s’était rendu en visite offi­ forme de recueillement. « C’est un risme parisien ont toujours mon­
déjà pris feu, que voulez­vous que je fasse. J’ai cielle en France les 23 et 24 janvier, a réagi en choc immense qui résonne au plus tré, dans les difficultés, une rési­
beau m’appeler “messie”, je ne peux pas faire français sur Twitter lundi soir. « Notre­Dame profond de chacun de nous, chez les lience qui les honore et nous serons
de miracle. » Plus tôt dans la soirée, son con­ est un des plus beaux symboles de Paris et de Français et dans le monde entier, à leurs côtés pour faire face, pré­
seiller Felipe Martins avait mentionné sur le la France, écrivait­il. En janvier, j’ai jeté un résume Jean­Baptiste Lemoyne, le vient­il. [Emmanuel Macron] a
réseau social un extrait de l’Evangile selon coup d’œil sur les toits de Paris et les flèches secrétaire d’Etat au tourisme. No­ annoncé la reconstruction des par­
saint Luc : « Et il répondit : Je vous le dis, s’ils se de la cathédrale l’ont rendue encore plus tre­Dame de Paris était un monu­ ties démolies, et il faut réfléchir à la
taisent, les pierres crieront ! », expliquant au belle. » Le chef de l’Etat a également souhaité ment éminent, une expérience de la façon de montrer au public fran­
quotidien O Globo avoir voulu, par cette que les « légendes de Notre­Dame, réelles ou destination France, qui touchait au çais comme international ce chan­
phrase énigmatique, signifier que « l’Occi­ fictives », durent pour l’éternité. Quant au cœur des millions de touristes inter­ tier et tous les métiers d’art qui fe­
dent était en cours de destruction ». porte­parole du ministère des affaires étran­ nationaux chaque année. » ront renaître Notre­Dame. » Des
L’ex­candidat à la présidence pour le Parti « LES FLAMMES  gères, Emmanuel Nahshon, francophone et Le directeur général d’Atout métiers d’art qui font aussi la re­
des travailleurs (PT, gauche), Fernando Had­ RAVAGENT 850 ANS  francophile, il a estimé que « les mots man­ France, l’agence nationale chargée nommée de la France et de Paris.
dad, a, pour sa part, commenté : « Les monu­ quent pour décrire le sentiment de choc et de de promouvoir le tourisme, confie « J’espère, dit­il, que nous serons
ments historiques sont comme le corps de D’HISTOIRE,  consternation ». qu’il n’a « pas l’âme à parler d’éco­ nombreux de par le monde à parti­
l’humanité. Ils sont une partie de nous­même. Saad Hariri, le premier ministre du Liban, nomie ». « Notre­Dame, qui avait ciper à la souscription nationale,
Ils nous donnent de la joie lorsqu’on les voit ou D’ARCHITECTURE,  qui entretient des relations étroites avec la résisté à tout !, s’exclame Christian afin de reconstruire ce joyau. »
qu’on les touche, nous font souffrir quand ils France, a évoqué « un désastre pour le patri­ Mantei en regardant l’incendie de­ La cathédrale est d’autant plus
brûlent ou s’effondrent. »
DE PEINTURE  moine et l’humanité ». puis les quais. J’étais sur la Seine visitée que l’entrée y est gratuite
ET DE SCULPTURE.  Anouar Gargash, le ministre d’Etat pour les avec des agents de voyage, nous (sauf l’ascension des tours), con­
affaires étrangères des Emirats arabes unis, somme passés devant la cathédrale trairement à d’autres hauts lieux
Egypte : « Un moment terrible » (…) LA FRANCE PEUT  monarchie du Golfe très investie dans la en feu. Certains avaient les larmes touristiques de la capitale, comme
Depuis Le Caire, le président d’Egypte, pays coexistence confessionnelle, s’est dit « pro­ aux yeux. Ils ne pensaient pas à leur la tour Eiffel, le Musée du Louvre et
qui compte environ 10 % de chrétiens, a dé­ COMPTER SUR NOUS  fondément attristé ». Au Qatar, la porte­pa­ portefeuille, car c’est notre histoire ses 10 millions de visiteurs an­
ploré « une perte énorme pour l’humanité ». POUR RÉCUPÉRER LA  role du ministère des affaires étrangères, Lo­ qui est touchée au cœur. » nuels ou la Sainte­Chapelle, toute
Abdel Fatth Al­Sissi, qui avait inauguré en lwah Alkhater, a tweeté en français : « Je me Il reste que le souci des affaires proche de Notre­Dame. Autant de
janvier une immense cathédrale bâtie sur le GRANDEUR DE SON  souviens toujours de ma première visite à No­ va rapidement reprendre. Le sen­ monuments avec des « phares »,
chantier de la nouvelle capitale administra­ tre­Dame, j’étais complètement fasciné par la timent est partagé, le cri du cœur comme le château de Versailles,
tive du pays, à l’est du Caire, a formé le vœu PATRIMOINE » beauté de ce joyau architectural. Au Qatar, qui attirent 50 millions de touris­
que « les conséquences de ce moment terrible PEDRO SANCHEZ nous avons reçu cette catastrophe avec une tes en Ile­de­France et fait vivre
soient rapidement surmontées ». Ahmed Al­ premier ministre espagnol profonde tristesse. » plus de 400 000 personnes, selon
Tayeb, l’imam de l’université Al­Azhar, basée « IL FAUT RÉFLÉCHIR  la présidente (LR) de la région, Va­
aussi au Caire, qui est la plus importante ins­ Chine : « Ne pas se réjouir À LA FAÇON DE  lérie Pécresse, qui a annoncé le dé­
titution de l’islam sunnite, a exprimé, dans blocage d’une aide d’urgence de
un Tweet en français, sa « profonde tristesse » du malheur » MONTRER AU PUBLIC  10 millions « pour aider l’archevê­
et son « soutien [aux] frères français ». Une L’incendie de Notre­Dame est l’un des sujets ché à faire les premiers travaux » de
réaction logique pour ce dignitaire musul­ les plus discutés sur Weibo, le principal ré­ LE CHANTIER [DE  reconstruction.
man, très impliqué dans le dialogue interre­ seau social chinois. Si une majorité des inter­ Cette catastrophe doit inciter les
ligieux, qui a rencontré le pape François à nautes affichent leur tristesse, l’incendie
RECONSTRUCTION]  pouvoirs publics à soutenir plus
plusieurs reprises, notamment en février, provoque des débats importants entre ces ET TOUS LES MÉTIERS  que jamais l’industrie du tou­
lors de la visite du souverain pontife aux derniers et des nationalistes, qui rappellent risme et à déployer une stratégie
Emirats arabes unis. que les Français ont humilié la Chine au D’ART QUI FERONT  résolument offensive, soulignent
XIXe siècle, notamment en brûlant l’ancien les dirigeants du secteur. Notam­
Palais d’été de Pékin en 1860. Pour le site d’in­ RENAÎTRE  ment dans la région capitale, le
Moyen­Orient : « Une perte
pour l’humanité »
formation CCTV, il ne faut « pas oublier l’hu­ NOTRE­DAME » véritable « hub » d’entrée dans
miliation, mais ne pas se réjouir du malheur l’Hexagone et la vitrine du patri­
En Israël, Benyamin Nétanyahou a exprimé d’autrui ».  JEAN-BAPTISTE LEMOYNE moine français. 
sa « profonde tristesse ». Le président Réou­ service international secrétaire d’Etat au tourisme jean­michel bezat
0123
12 | l’incendie de notre­dame MERCREDI 17 AVRIL 2019

Une cathédrale dans l’histoire


Construit il y a plus de 850 ans, l’édifice a été témoin des grands événements qui ont marqué le pays

rome ­ correspondant

S
ur cette toile gigantesque – dix
mètres par six –, conservée au
Louvre, la cathédrale est mécon­
naissable. De toute façon, on la
regarde à peine, tant la composi­
tion générale du Sacre de Napo­
léon par le peintre Jacques­Louis David
(1748­1825) est tendue vers l’exaltation de
l’empereur, ceignant d’une couronne sa
femme Joséphine sous la bénédiction du
pape Pie VII. Mais que viennent donc faire
dans le décor ces faux marbres et ces tentu­
res, rajoutées pour les besoins de la cérémo­
nie de couronnement de l’empereur des
Français à Notre­Dame de Paris, le 2 décem­
bre 1804 ? C’est que pour fêter dignement
son accession au trône de France, le vain­
queur d’Arcole et de Marengo a tenu à ce
qu’elle soit toilettée à son goût. Même la vé­
nérable voûte du XIIIe siècle, élevée 33 mè­
tres au­dessus du vide, avait été recouverte
d’un voile pour l’occasion.
Dans son tableau, l’artiste chargé par l’Em­
pereur d’immortaliser ce moment a rajouté
des personnages et inventé certains détails,
mais, pour le reste, il a à peine enjolivé la
scène. Jugée lugubre, démodée et dans un
état de conservation déplorable, Notre­Dame
de Paris n’était tout simplement pas présen­
table pour un Parisien du début du XIXe siè­
cle. Les maîtres de cérémonie avaient utilisé
la cathédrale comme décor, certes, mais ils
l’avaient « maquillée » le plus possible.
En choisissant cette cathédrale pour lieu
de son sacre, plutôt que celle de Reims, où
étaient traditionnellement intronisés les
Capétiens, en souvenir du baptême de Clo­
vis, le nouveau monarque a fait un choix
clair, indiquant qu’il n’était pas question de
revenir à l’ancien régime. Il a adopté en re­ Le « Sacre de Napoléon » (1807), à Notre­Dame, du peintre Jacques­Louis David. RLD HISTORY ARCHIVE/ABACA
vanche un lieu traditionnel, intimement lié
à l’histoire d’une ville, Paris, qu’il rêve en
centre d’un empire universel. l’autorité du roi de France, le Capétien Louis l’histoire de l’Etat ne l’a pas empêchée de su­ faisant, il achève de la sauver. C’est le dé­
VII, était loin d’être assurée. De nombreux EN CHOISISSANT  bir les outrages du temps : au XVIIIe siècle, but d’une préoccupation pour le patrimoine
EPARGNÉE PAR LES DESTRUCTIONS grands féodaux contestaient ouvertement alors qu’il est de bon ton de rejeter dans les té­ dont les chevilles ouvrières seront Prosper
Moins importante politiquement que la ba­ son pouvoir, et Paris, qui comptait moins de
CETTE CATHÉDRALE  nèbres le Moyen Age et son architecture « go­ Mérimée, nommé inspecteur général des
silique de Saint­Denis et plus disparate que 50 000 habitants, n’avait rien d’une capitale. POUR LIEU DE SON  thique » (autrement dit : « barbare »), plu­ monuments historiques, et l’architecte
Notre­Dame de Chartres, qui figure le style La croissance de la cathédrale, sur près de sieurs vitraux sont détruits, à la demande du Eugène Viollet­le­Duc, dont les travaux de res­
gothique dans sa perfection, Notre­Dame a deux siècles, accompagnera le spectaculaire SACRE, PLUTÔT QUE  clergé, pour faire entrer un peu de lumière tauration de la cathédrale, commencés
pour elle son harmonie et son équilibre, qui développement de la ville. dans l’église, et des éléments de l’architecture en 1843, dureront vingt ans et auront de pro­
la font considérer depuis toujours comme Considérée comme achevée au milieu du
CELLE DE REIMS, intérieure remplacés. Dans le même temps, à fondes conséquences.
« la » cathédrale gothique par excellence. De XIVe siècle, Notre­Dame de Paris a été épar­ LE NOUVEAU  la fin des années 1780, le clocher, bâti au mi­ Multiplication des sculptures de gar­
plus, cette église est construite au beau mi­ gnée par les destructions, contrairement à la lieu du XIIIe siècle à la hauteur de la croisée du gouilles, adjonction d’une flèche de métal…
lieu de l’île de la Cité, considérée comme le plupart des cathédrales médiévales – l’incen­ MONARQUE INDIQUE  transept, est démonté. l’architecte bouleverse le profil de Notre­
cœur historique de Paris, et donc de la die du 15 avril 2019 constitue le premier sinis­ La révolution causera, elle aussi, des blessu­ Dame en vertu d’une vision du Moyen Age
France entière. Au fond, cette représenta­ tre d’ampleur pour Notre­Dame en plus de QU’IL N’EST PAS  res profondes. En 1793, les vingt­huit statues mythifiée, fortement influencée par l’imagi­
tion symbolique n’a pas tout à fait disparu : huit siècles d’histoire. Cette capacité à résis­ QUESTION  des rois de Juda qui ornaient la façade sont dé­ naire de Victor Hugo. Dans le même temps,
le parvis de la cathédrale ne figure­t­il pas ter lui a permis de jouer à plusieurs reprises capitées. Vingt et une têtes seront retrouvées ; c’est tout l’environnement entourant l’église
encore aujourd’hui le « point zéro » à partir un rôle important dans l’histoire du DE REVENIR  elles sont exposées non loin de l’île de la Cité, qui est bouleversé. Dans les années 1860­
duquel est calculé le kilométrage de toutes royaume, en accueillant la première réunion au Musée de Cluny. Consacrée comme « tem­ 1870, alors que le baron Haussmann révolu­
les routes nationales ? des Etats généraux, en 1302, ou bien des ma­ À L’ANCIEN RÉGIME ple de la Raison » durant la Convention, la ca­ tionne le centre­ville de Paris, et singulière­
Avant d’être tout cela, Notre­Dame de Paris riages princiers comme celui de Marie Stuart thédrale retrouvera son usage religieux tradi­ ment l’île de la Cité, dont disparaissent des
a été une église, dont la construction a com­ et du futur François II, en 1558, ou encore de tionnel sous le Consulat, après la signature du quartiers entiers, le bâtiment de l’Hôtel­Dieu
mencé en 1163, sur le site d’une cathédrale ro­ Marguerite de Valois et du futur Henri IV, Concordat avec le pape (1801). Malgré la pers­ qui faisait face à la cathédrale est détruit, ainsi
mane, qui elle­même avait succédé à une en 1572 – des noces qui seront l’élément dé­ pective d’accueillir le sacre de l’Empereur, le que plusieurs ruelles populeuses voisines de
église paléochrétienne, sans doute précédée clencheur des massacres de la Saint­Barthé­ bâtiment ne recevra que des soins d’impor­ l’édifice. L’église, qui pendant des siècles avait
par un temple gallo­romain. A l’époque, lémy. Le rôle éminent de Notre­Dame dans tance mineure, si bien qu’après la chute de été inscrite au cœur d’un quartier populaire,
l’Empire, pendant la Restauration, la question trône désormais, solitaire, devant un im­
de sa démolition n’est plus taboue. mense parvis. Et sa façade, pour les observa­
teurs disposant enfin d’un peu de recul, appa­
PLAIDOYER DE VICTOR HUGO raît telle qu’on la connaît aujourd’hui.
C’est alors qu’entre en scène un jeune homme Si Notre­Dame a retrouvé tout son lustre en
- CESSATIONS DE GARANTIE de lettres nommé Victor Hugo. En 1825, alors l’espace de deux décennies, le rôle d’encadre­
qu’il n’est âgé que de 23 ans, mais possède déjà ment de l’église comme institution est de plus
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 un début de gloire littéraire, il publie un pam­ en plus contesté. Et si l’empereur Napoléon III
JUILLET 1972 - ARTICLES 44 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 JUILLET 1972 - ARTICLES 44 phlet, « Sur la destruction des monuments en multiplie les égards envers l’Eglise romaine –
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de – Tour A – 110 esplanade du Général de France », dans lequel il s’élève contre la des­ il se marie à Notre­Dame, en 1853 –, la IIIe Ré­
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX truction, par appât du gain ou par abandon publique, volontiers anticléricale et résolu­
(RCS NANTERRE 842 689 556), suc- (RCS NANTERRE 842 689 556), suc- (RCS NANTERRE 842 689 556), suc- pur et simple, du patrimoine historique mé­ ment laïque, noue d’emblée une relation am­
cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont le cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont le
siège social est à 37, Boulevard du Régent, cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont le diéval. « Il faut arrêter le marteau qui mutile la bivalente avec la cathédrale, « ignorant ce
siège social est à 37, Boulevard du Régent, siège social est à 37, Boulevard du Régent,
1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait 1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait face du pays, assène­t­il. Une loi suffit, qu’on la grand corps qu’elle admire et redoute à la fois »,
savoir que, la garantie financière dont béné- 1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait
savoir que, la garantie financière dont béné- savoir que, la garantie financière dont béné-
ficiait la : ficiait la : fasse. » Il poursuit : « Il y a deux choses dans un selon la jolie formule de l’historien Alain Er­
SAS PIEGUT IMMOBILIER ficiait la :
SARL ALP’ARLY IMMOBILIER édifice, son usage et sa beauté ; son usage ap­ lande­Brandenburg. En réalité, le lien ne sera
95 Route du Val d’Arly 12 Rue de la Résistance SAS VS PRO GESTION
74120 PRAZ SUR ARLY Place du Minage 1 rue du 20 novembre partient au propriétaire, sa beauté à tout le jamais rompu, et la République continuera à
RCS: 477 678 239 24360 PIEGUT-PLUVIERS 68220 HESINGUE monde, à vous, à moi, à nous. » Ce texte aura « trouver [en Notre­Dame] un recours dans
depuis le 01/07/2004 pour ses activités de : RCS: 439 495 649 RCS: 805 376 423
depuis le 02/06/2017 pour ses activités de : depuis le 01/01/2015 pour ses activités de : un retentissement considérable. chacun de ses moments de désespoir, tentant
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET
FONDS DE COMMERCE cessera de por- GESTION IMMOBILIEREcessera de por- Sept ans après, Victor Hugo poursuit son de fléchir un Dieu qu’elle feint par ailleurs
FONDS DE COMMERCE cessera de por- ter effet trois jours francs après publication
ter effet trois jours francs après publication ter effet trois jours francs après publication plaidoyer dans un autre texte publié par La d’ignorer », explique l’auteur de l’article con­
du présent avis. Les créances éventuelles du présent avis.
du présent avis. Les créances éventuelles Les créances éventuelles se rapportant à Revue des deux mondes : « Guerre aux démo­ sacré à Notre­Dame de Paris dans Les Lieux de
se rapportant à ces opérations devront se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette être produites dans les trois mois de cette ces opérations devront être produites dans lisseurs ». Le romantisme triomphant redé­ mémoire (sous la direction de Pierre Nora,
insertion à l’adresse de l’Établissement insertion à l’adresse de l’Établissement les trois mois de cette insertion à l’adresse couvre et réhabilite le Moyen Age, en même Gallimard, 1986­1992).
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 de l’Établissement garant sis Cœur Défense
esplanade du Général de Gaulle – 92931 esplanade du Général de Gaulle – 92931 – Tour A – 110 esplanade du Général de temps qu’il le réinvente. En France, un roman Ce lien maintenu, envers et contre tous, en­
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX sera le parfait exemple de ce processus : c’est tre la République et Notre­Dame de Paris, nul
s’agit de créances éventuelles et que le pré- s’agit de créances éventuelles et que le pré- Il est précisé qu’il s’agit de créances éven-
sent avis ne préjuge en rien du paiement sent avis ne préjuge en rien du paiement tuelles et que le présent avis ne préjuge en le Notre­Dame de Paris du même Victor Hugo ne l’incarnera mieux que le général de Gaulle
ou du non-paiement des sommes dues et ou du non-paiement des sommes dues et rien du paiement ou du non-paiement des (1831), promis à un immense succès. En trans­ lors de la fameuse journée du 26 août 1944.
ne peut en aucune façon mettre en cause ne peut en aucune façon mettre en cause sommes dues et ne peut en aucune façon
la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL la solvabilité ou l’honorabilité de la SAS
formant la cathédrale en personnage à part Ce jour­là, une cérémonie religieuse, précé­
mettre en cause la solvabilité ou l’honora-
ALP’ ARLY IMMOBILIER. PIEGUT IMMOBILIER. bilité de la SAS VS PRO GESTION. entière de son roman, l’écrivain ancre celle­ci dée d’un Te Deum, est prévue à Notre­Dame
dans le patrimoine commun des Parisiens. Ce afin de célébrer la libération de la capitale. De
0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019 l’incendie de notre­dame | 13

CE LIEN MAINTENU, 
ENVERS ET CONTRE TOUS,  Au cinéma, le joyau gothique piégé
ENTRE LA RÉPUBLIQUE ET 
NOTRE­DAME DE PARIS, 
NUL NE L’INCARNERA 
dans le rôle que lui a écrit Hugo
MIEUX QUE DE GAULLE La cathédrale parisienne doit l’essentiel de sa carrière – essentiellement
Gaulle, après sa descente triomphale des
hollywoodienne – au roman de l’écrivain
Champs­Elysées, entend y assister. Mais à
une condition : que la cérémonie ne soit pas

S
présidée par l’archevêque de Paris, le cardi­ ortie le 3 avril, la comédie (1956), ou René Clément, dans Pa­ Laughton, 40 ans, est le Quasi­
nal Emmanuel Suhard, qui, le 1er juillet précé­ romantique Mon Incon­ ris brûle­t­il ? (1966). VICTOR HUGO AVAIT modo de Maureen O’Hara, alors
dent, a célébré à Notre­Dame les obsèques de nue, d’Hugo Gélin, est L’essentiel de sa carrière ciné­ À LA FOIS PRESSENTI âgée de 19 ans, qui trouve en Es­
Philippe Henriot, le secrétaire d’Etat à l’infor­ parsemée de séquences matographique, la cathédrale de meralda son premier grand rôle.
mation et à la propagande du gouvernement d’anticipation situées dans un Pa­ Paris la doit donc à Victor Hugo. Il LA MÉTAMORPHOSE Suivront une version française
de Pierre Laval, l’une des voix les plus célè­ ris pris par les glaces. La ville se­ ne reste rien du court­métrage de Jean Delannoy, en 1956, inter­
bres de Radio Paris, abattu par un groupe de rait méconnaissable si un panora­ d’Alice Guy. Dès 1911, son confrère DE PARIS prétée par Gina Lollobrigida et An­
résistants, le 28 juin 1944. Des obsèques na­ mique numérique ne montrait Albert Capellani (1874­1931) met­ thony Quinn (dans Le Monde, le
tionales, en présence de tout le gratin de la pas Notre­Dame, immuable. De­ tait en chantier une production
ET LA RÉSISTANCE critique Jean de Baroncelli regret­
collaboration, de Darquier de Pellepoix à Jac­ puis la naissance du cinéma, cette plus ambitieuse pour Pathé. Les QUE LUI OPPOSERAIT tait que l’auteur de La Symphonie
ques Doriot, en passant par l’ambassadeur permanence de la cathédrale, dé­ figurants se meuvent devant des pastorale n’ait pas réalisé « l’œuvre
allemand, Otto Abetz. vastée lundi 15 avril par un incen­ toiles de peintres et des décors de LA CATHÉDRALE tumultueuse, grandiloquente et
die, est un axiome de la fiction, en théâtre qui, au mieux, n’évoquent absurde qui eut sans doute, bon gré
LES OBSÈQUES DE FRANÇOIS MITTERRAND vertu des pouvoirs visionnaires que des fragments de l’édifice. mal gré, emporté notre adhésion »)
En décidant d’écarter le très pétainiste arche­ de Victor Hugo, qui avait à la fois Long de trente­six minutes, le teur du studio Universal, et le et le film d’animation des studios
vêque de Paris de sa propre cathédrale, le gé­ pressenti la métamorphose de film est distribué aux Etats­Unis, producteur Irving Thalberg. Disney, sorti en 1996, comble de
néral de Gaulle réinscrit symboliquement Paris et la résistance que lui oppo­ où il fait rapidement des émules. La performance physique de l’édulcoration des paroxysmes ro­
Notre­Dame dans la République. Tel est le serait la cathédrale. En 1917, le public américain dé­ Chaney dans ce Hunchback signé mantiques hugoliens.
sens éminemment politique de la cérémo­ De la première adaptation du couvre The Darling of Paris, adap­ Wallace Worstley enchante et Entre­temps, qu’elle soit une sil­
nie du 26 août 1944, restée dans les mémoi­ roman recensée en 1905, court­ tation plus que libre (on y voit des horrifie les foules. Le film reste houette sur une toile peinte, un
res autant à cause du vibrant magnificat métrage intitulé La Esmeralda, soldats en uniforme napoléo­ comme l’un des précurseurs des décor de film d’animation où un
chanté par les Parisiens à l’arrivée de œuvre d’Alice Guy­Blaché (1873­ nien) faite pour sa star, la vamp films d’horreur qui deviendront édifice de pierre, de bois et de
l’homme de l’appel du 18­Juin que par les tirs 1968), au projet annoncé, par Net­ Theda Bara (1885­1955). la spécialité d’Universal. Mais le plomb en plein dans le champ, la
de mitraillettes qui s’abattirent sur sa voi­ flix, en 2018, de confier à la fois la physique de Lon Chaney, dé­ cathédrale a accueilli une succes­
ture devant la cathédrale. Vingt­six ans plus réalisation d’une nouvelle ver­ Le domicile de Quasimodo formé par le maquillage et les sion de cœurs exaltés ou brisés.
tard, le général de Gaulle fera de nouveau de sion de Notre­Dame de Paris et le C’est en 1923 que Notre­Dame de prothèses, ne suffit pas. Il faut C’est à son ombre que Leslie Ca­
Notre­Dame « le cœur de la France », selon personnage de Quasimodo à Idris Paris devient avant tout le domi­ aussi croire à ce Paris médiéval ron et Gene Kelly chantent et dan­
l’expression de Victor Hugo, mais cette fois à Elba, la cathédrale a été confinée cile de Quasimodo, le sonneur. dans lequel se meuvent sonneur, sent lentement dans Un Améri­
l’occasion de sa mort. dans le rôle que lui a assigné le ro­ Certes, le roman est, depuis sa bohémienne, clerc et gueux. Sous cain à Paris (1951), de Vincente
Sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, des mes­ mancier. Reste qu’elle en est par­ première édition, connu dans le le soleil californien, le studio fait Minnelli, que Cary Grant et
ses solennelles y avaient été déjà célébrées fois sortie, le plus souvent pour monde anglo­saxon sous le titre construire des décors imposants Audrey Hepburn se taquinent
pour plusieurs grandes gloires militaires, servir d’arrière­plan aux amours de The Hunchback of Notre­Dame censés reproduire les niveaux in­ dans Charade (1963), de Stanley
comme les maréchaux Foch, Joffre, Leclerc, ou aux rêveries d’expatriés venus (« le bossu de Notre­Dame »), férieurs de Notre­Dame et les Donen, et que Rémy et Linguini
de Lattre de Tassigny et Juin. Depuis la loi de d’outre­Atlantique, Gene Kelly, mais, dans l’imaginaire euro­ rues du Paris de Louis XI. concluent leur alliance dans Rata­
1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, Cary Grant ou Owen Wilson… Car péen, comme le prouve le titre du En 1939, lorsque le réalisateur touille (2007), de Brad Bird.
jamais les funérailles d’un président de la il faut bien convenir que le film d’Alice Guy, Esmeralda fait d’origine allemande William Die­ C’est encore à son chevet
République n’y avaient, en revanche, été cé­ chef­d’œuvre gothique a plus ins­ au moins jeu égal avec Quasi­ terle est chargé par RKO de diriger qu’Owen Wilson et Marion Co­
lébrées. piré les cinéastes hollywoodiens modo. Cette fois, c’est une star une nouvelle version de Notre­ tillard badinent, devant la caméra
En présence de chefs d’Etats et de gouverne­ que leurs confrères français, qui masculine, Lon Chaney (1883­ Dame de Paris, le studio surpasse de Woody Allen, dans Midnight In
ments du monde entier, la cérémonie organi­ ne l’ont mis à l’écran que par né­ 1930), acteur transformiste, qui Universal en créant sur son ter­ Paris. C’était il y a huit ans, et le dé­
sée pour les obsèques du général de Gaulle, le cessité, que ce soit Sacha Guitry, est à l’origine du projet, que fi­ rain d’Encino, à Los Angeles, un cor semblait éternel. 
12 novembre 1970, est un événement autant dans Si Paris nous était conté nancent Carl Laemmle, le fonda­ Paris encore plus colossal. Charles thomas sotinel
politique que médiatique. Des dizaines de ca­
méras ont été installées à l’extérieur et à l’in­
térieur de la cathédrale. Dans ses comptes
rendus, Le Monde affirme que l’événement,
retransmis en « mondovision », est suivi par
plus de 300 millions de téléspectateurs. Ja­
Une « cathédrale de poésie » devenue source
mais, jusque­là, Notre­Dame n’a été vue au
même moment par autant de monde. En re­ d’inspiration pour la littérature
vanche, le cercueil du général, lui, est absent :
conformément à ses dernières volontés, des D’innombrables écrivains, à la fois français et étrangers, ont chanté dans leurs écrits
obsèques se sont déroulées le même jour à
Colombey­les­deux­Eglises (Haute­Marne),
les louanges du majestueux édifice, à l’image de Victor Hugo
loin des grands de ce monde et en présence
de compagnons de la Libération et d’environ
40 000 fidèles, amassés en dehors de l’église.
Vingt­quatre ans plus tard, les obsèques
d’un autre ex­président, François Mitterrand,
témoignent à nouveau de la place singulière
T ous les yeux s’étaient levés
vers le haut de l’église. Ce
qu’ils voyaient était extra­
ordinaire. Sur le sommet de la ga­
« Si belle qu’elle se soit conservée
en vieillissant, il est difficile de ne
pas soupirer, de ne pas s’indigner
devant des dégradations, des mu­
toire de France, en 1840 : « Je vou­
lais du moins parler de Notre­
Dame de Paris, mais quelqu’un a
marqué ce monument d’une telle
PAUL CLAUDEL 
RELATE QU’IL Y FUT, 
qu’occupe Notre­Dame de Paris dans l’imagi­ lerie la plus élevée, plus haut que la tilations sans nombre que simul­ griffe de lion, que personne désor­ LE 25 DÉCEMBRE 1886, 
naire national et républicain. Cette fois, con­ rosace centrale, il y avait une tanément le temps et les hommes mais ne se hasardera d’y toucher.
trairement à ce qui s’était passé pour Charles grande flamme qui montait entre ont fait subir au vénérable monu­ C’est sa chose désormais, c’est son ÂGÉ DE 18 ANS, 
de Gaulle, les deux cérémonies ont lieu en les deux clochers avec des tour­ ment, sans respect pour Charle­ fief, c’est le majorat de Quasi­
même temps. Tandis qu’à Jarnac (Charente) billons d’étincelles, une grande magne qui avait posé la première modo. Il a bâti, à côté de la vieille
FRAPPÉ PAR UNE 
se déroulent des obsèques privées, en pré­ flamme désordonnée et furieuse pierre, pour Philippe Auguste qui cathédrale, une cathédrale de poé­ « RÉVÉLATION 
sence des « deux » familles de François Mit­ dont le vent emportait par mo­ en avait posé la dernière », relève sie, aussi ferme que les fonde­
terrand, une messe est célébrée, à Notre­ ments un lambeau dans la fu­ Victor Hugo dans le livre III de ments de l’autre, aussi haute que INEFFABLE »
Dame, par le cardinal Jean­Marie Lustiger, en mée. » Notre­Dame de Paris, incontour­ ses tours. »
présence du président de la République, Jac­ Cette description d’un incendie nable chef­d’œuvre publié Ainsi, lorsque Gérard de Nerval
ques Chirac, et de soixante et un chefs d’Etat. de la cathédrale, on la doit à Victor en 1831 (en 1832 pour sa version consacre l’une de ses Odelettes 25 décembre 1886, âgé de 18 ans,
La concomitance de ces deux cérémonies Hugo, qui l’insère dans le livre X définitive), et situé dans le Paris écrite dans les années 1830 à No­ frappé par une « révélation ineffa­
religieuses marque, symboliquement, une de Notre­Dame de Paris. De ce ro­ de 1482 où gravitent Esmeralda, tre­Dame (« Notre­Dame est bien ble ». Ainsi, aussi, de Charles Pé­
nouvelle forme de séparation, non pas entre man, il a entrepris l’écriture avant Quasimodo, Frollo, Phœbus… Le vieille : on la verra peut­être/En­ guy, qui célèbre l’église dans Le
l’Eglise et l’Etat, mais entre le privé et le pu­ d’avoir 30 ans, inspiré par la veine succès considérable du livre par­ terrer cependant Paris qu’elle a vu Porche du mystère de la deuxième
blic, faisant de Notre­Dame de Paris l’un des médiévaliste de l’Ecossais Walter ticipe à la prise de conscience du naître (…) »), il imagine « bien des vertu, en 1911, et énumère les
symboles les plus éminents d’une nation Scott, mais surtout porté par péril qui la guette, laquelle en­ hommes » venant, « dans quelque saints patrons de Paris sculptés à
qui, tout en ayant fait de la laïcité l’un des l’idée de mener la « guerre aux dé­ traîne bientôt sa restauration par mille ans », « contempler cette ses portails.
fondements de son identité, continue de res­ molisseurs », en défendant le pa­ Viollet­le­Duc. ruine austère,/Rêveurs, et relisant Il serait impossible de citer tous
ter culturellement catholique. Ce que Fran­ trimoine architectural qu’incarne le livre de Victor ». C’est au même les écrivains, français et étran­
çoise Giroud résuma de ces quelques mots Notre­Dame de Paris, personnage Un lieu pour se « rélargir l’âme » « Victor » que s’adresse, en le tu­ gers, qui ont chanté les louanges
dans Le Nouvel Observateur du 18 jan­ à part entière du roman. Dès lors, l’édifice devient insépa­ toyant, Théophile Gautier du splendide édifice. Mais il se­
vier 1996, évoquant les deux images des ob­ rable de l’écrivain et de son roman en 1838 au début de son long rait tout aussi impossible
sèques de François Mitterrand : « D’abord dans l’imaginaire collectif – jus­ poème Notre­Dame (dans La Co­ d’omettre, dans la liste même
celle, furtive mais saisissante, de Danielle Mit­ que­là, son lien le plus étroit à la médie de la mort), à la gloire de ce succincte de ses admirateurs,
terrand suivie de Mazarine et de la mère de la JACQUES­BÉNIGNE  littérature tenait au fait que Jac­ lieu qui permet de se « rélargir Louis Aragon, qui l’a notamment
jeune fille, scrutées par des millions de regards BOSSUET Y AVAIT  ques­Bénigne Bossuet y avait pro­ l’âme ». décrite dans Paris 42 et dans le ro­
curieux. Ensuite, à Notre­Dame, les larmes du noncé, le 2 mars 1687, l’oraison fu­ Si l’un des rares reproches man Aurélien. Il figurait en
chancelier [Helmut] Kohl. Là il y eut quelque PRONONCÉ,  nèbre du Grand Condé. Tout se adressés à Hugo a pu être de bonne place parmi ceux dont les
chose d’extraordinaire dans le fait que le seul passe comme si les écrivains ne « déspiritualiser » la cathédrale en citations s’échangeaient sur les
discours prononcé tout au long de ces jours de LE 2 MARS 1687,  pouvaient désormais évoquer en faisant le décor d’un roman réseaux sociaux avec ferveur,
deuil eût été l’homélie du cardinal Lustiger. l’église sans saluer Hugo dans le empli de très humaines passions, dans la soirée du 15 avril, aux cô­
Comme si la République n’avait pas d’autres
L’ORAISON  même mouvement (à l’exception de grands écrivains catholiques tés de superbes photos de Notre­
moyens d’honorer ses grands morts que de les FUNÈBRE DU  de Balzac, l’un des rares contemp­ lui rendent sa sacralité. Ainsi de Dame. La « cathédrale de poésie »
confier à l’Eglise. »  teurs du roman). Jules Michelet Paul Claudel qui, dans Ma conver­ tient bon. 
jérôme gautheret GRAND CONDÉ écrit ainsi dans son tome IV d’His­ sion (1913), relate qu’il y fut, le raphaëlle leyris
0123
14 | l’incendie de notre­dame MERCREDI 17 AVRIL 2019

UNE PART DE L’IMAGINAIRE COLLECTIF


Notre-Dame de Paris a traversé plus de 850 ans d’histoire,
une révolution et des guerres, au point de devenir l’un des plus
éminents symboles du pays, ainsi qu’un personnage de roman

Anne-Marie Thiesse « Avec Hugo, Notre-Dame


est devenue la cathédrale de la nation »
Grâce au roman « Notre­Dame de Paris », les Français chitecture gothique, des ajouts au les détruisent, considérés comme des drale. Une souscription est lancée dans
XIXe siècle. Dans un article de La Revue pillards, doivent être exclus de la nation. une Allemagne divisée entre protestants
redécouvrent, au XIXe siècle, cet édifice gothique, des deux mondes en 1832, Victor Hugo Se pose cependant la question de savoir et catholiques : elle devient le symbole
symbole de l’unité du pays, explique l’historienne, s’inquiète : « Le vandalisme a son idée à lesquels on décide de conserver. Tout un de l’unité nationale à faire. Les travaux
lui. Il veut faire tout à travers Paris une travail est mené par ceux qu’on appelle vont durer pendant tout le XIXe siècle.
directrice de recherche au CNRS grande, grande, grande rue. Une rue alors les « antiquaires », les historiens de
d’une lieue ! Que de magnifiques dévasta­ l’époque, qui à partir des années 1820­ On mesure la place de ces cathédrales
tions chemin faisant ! » Cette rue dont il 1830 parcourent toute la France pour dans la construction nationale de
parle, c’est la rue de Rivoli, qui menace dresser l’inventaire du patrimoine des part et d’autre du Rhin. Quel est le
ENTRETIEN Age est également interprété comme Notre­Dame de Paris. Français. A partir de 1830, la monarchie rôle de Notre­Dame de Paris pour la

S
l’anti­monarchie absolue, l’âge d’une constitutionnelle prend cela en charge. France ?
pécialiste d’histoire culturelle, communauté unie. Victor Hugo se bat pour sa préserva­ Ensuite, le ministre de l’intérieur Fran­ L’histoire de France est d’abord mar­
Anne­Marie Thiesse est directrice Dans Notre­Dame de Paris, publié tion ? çois Guizot (1787­1874) crée, en novem­ quée par la cathédrale de Reims et par la
de recherche au CNRS. Elle a no­ en 1831, Victor Hugo constitue un peuple Il se bat contre le vandalisme, une idée bre 1830, le poste d’inspecteur général basilique Saint­Denis. Mais Notre­Dame
tamment signé, en 1999, La Créa­ de Paris qui comprend des gens de toutes qui date de la Révolution. C’est l’abbé des monuments historiques qui sera oc­ de Paris est investie par Napoléon, qui s’y
tion des identités nationales. Europe, sortes de milieux sociaux, étudiants, Grégoire (1750­1831) qui invente le terme cupé par Prosper Mérimée (1803­1870) à fait sacrer en 1804. Elle devient la cathé­
XVIIIe­XXe siècle (Seuil). Elément récur­ bourgeois, marginaux comme Esme­ pour protester contre la destruction des partir de 1834. C’est dans ce cadre drale de la nation. Le Panthéon, au mo­
rent de la culture populaire au XIXe siè­ ralda ou Quasimodo, réprouvés qu’on monuments et des édifices religieux. qu’en 1843, les premiers travaux de réno­ ment de l’enterrement de Victor Hugo,
cle, Notre­Dame de Paris est aussi un lieu réintègre. Il dit à son public : je vais vous L’abbé Grégoire, qui est républicain, sou­ vation de Notre­Dame de Paris sont lan­ devient un édifice laïc, la nécropole des
important pour la construction de plonger dans une communauté natio­ tient que ces biens des émigrés ou du cés par Eugène Viollet­le­Duc. grands hommes de la patrie. Notre­Dame
l’identité française, soutient­elle. nale, nous allons retrouver ce passé vi­ clergé sont la propriété de tous. Ceux qui reste un édifice religieux – il existe toute
vant qui est un passé passionnant, qui Victor Hugo contribue donc une mystique de la cathédrale, pensons à
Notre­Dame de Paris est un édifice du est notre passé. C’est notre miroir, c’est à la redécouverte du gothique ? Paul Claudel , mais c’est aussi la cathé­
Moyen Age. Pourtant serait­elle aussi nous. C’est la grande idée qui arrive avec En emmenant son lecteur dans Notre­ drale des grands événements nationaux,
précieuse à nos yeux si le XIXe siècle le romantisme, il existe une commu­ Dame de Paris, Hugo le familiarise de le lieu où l’on enterre les présidents de la
ne l’avait pas redécouverte ? nauté nationale. Chaque composant à manière plaisante avec l’architecture go­ Ve République, de Gaulle, Pompidou, Mit­
Victor Hugo joue un rôle central. Son son intérêt et rien ne tient sans le reste. thique. Il en fait un savoir collectif : « Ins­ terrand… Elle a donc ceci de différent
éditeur lui avait commandé un ouvrage C’est très différent de la pensée d’une HUGO CONSTITUE pirons, s’il est possible, à la nation l’amour qu’elle est associée à la nation et pas à la
inspiré par l’écrivain écossais Walter monarchie qui domine tout avec des fi­ de l’architecture nationale. C’est là, royauté. Westminster est restée associée
Scott (1771­1832), dont les romans con­ gurants anonymes. Tous les personna­
UN PEUPLE DE PARIS l’auteur le déclare, un des buts principaux aux mariages royaux, Notre­Dame l’est à
naissaient un immense succès dans ges ont un sens, l’intrigue les rassemble. QUI COMPREND de ce livre ; c’est là un des buts principaux la nation depuis la fin du XIXe siècle.
toute l’Europe. Depuis Ivanhoé (1819), C’est le modèle Walter Scott, que Victor de sa vie. Notre­Dame de Paris a peut­être Les cathédrales sont ainsi devenues
l’engouement pour le Moyen Age était Hugo a découvert, admiré et beaucoup DES GENS DE TOUS ouvert quelques perspectives vraies sur en Europe des métonymies concrètes
extrême. Dans tous les pays, on se mit à commenté. C’est un nouveau mode nar­ l’art du Moyen Age, sur cet art merveilleux de la nation. Dans les guerres, on va se
l’imiter. On redécouvre à cette occasion ratif et de perception du monde social. MILIEUX SOCIAUX. jusqu’à présent inconnu des uns, ou, ce qui mettre à bombarder les cathédrales
cette période historique. En France, la re­ Ce qui est fabuleux dans ce roman, IL DIT À SON PUBLIC : est pire encore, méconnu des autres », comme symboles de l’ennemi, comme
découverte va dans un sens esthétique c’est que l’héroïne éponyme, c’est la ca­ écrit­il dans l’article de La Revue des deux à Reims. Si Notre­Dame a été préservée,
mais aussi politique. Jusqu’à la fin du thédrale. Elle est vivante. C’est une splen­ JE VAIS VOUS mondes. on a cependant beaucoup craint pour
XVIIIe siècle, on avait considéré le deur, mais elle a été méprisée, souillée En Allemagne, le pendant de Notre­ elle lors des deux guerres mondiales. Fi­
Moyen Age comme un âge de ténèbres, de crachats. Le crachat, c’est le vanda­ PLONGER DANS Dame de Paris est la cathédrale de Colo­ nalement la pollution et un incendie de
celui de la superstition. A partir du ro­
mantisme, dans les années 1820, on as­
lisme et les mauvais rénovateurs. Ces
derniers sont ceux qui vont coller sur
UNE COMMUNAUTÉ gne. Les plans anciens sont redécouverts
au début du XIXe siècle et des patriotes
chantier auront fait plus de dégâts que
les bombes. 
siste à une réhabilitation, car le Moyen Notre­Dame, qui est une merveille d’ar­ NATIONALE érudits lancent l’idée d’achever la cathé­ propos recueillis par julie clarini

Xavier Kawa-Topor aussi par les transformations, destruc­


tions, restaurations qu’ils ont subies
pour parvenir jusqu’à nous.
les siècles, témoignent d’une perma­
nence, voire d’un renforcement de sa
symbolique nationale. Un temps trans­
C’est sa chose désormais, c’est son fief ;
c’est le majorat de Quasimodo. Il a bâti, à
côté de la vieille cathédrale, une cathé­

Le mythe est plus grand


Notre­Dame de Paris n’échappe pas à formée en temple de la Raison au lende­ drale de poésie, aussi ferme que les fon­
la règle. Débutée en 1163, sous l’évêque main de la Révolution française, la cathé­ dements de l’autre, aussi haute que ses
Maurice de Sully, son édification qui drale est, tout au long des XIXe et XXe siè­ tours. » Une mystique se développe dans
s’échelonne sur plus de deux siècles, cles le lieu de grandes cérémonies : sacre le sillage d’Hugo qui associe le monu­

que la catastrophe
s’inscrit initialement dans la grande pé­ de Napoléon Ier en 1804, célébration de la ment au génie du peuple français et à la­
riode des cathédrales gothiques, que Libération de Paris en 1944, funérailles quelle Eugène Viollet­le­Duc – grand
Georges Duby situait entre 1130 et 1280, des présidents Adolphe Thiers, Sadi Car­ restaurateur de Notre­Dame et cons­
au moment où, selon ses propres ter­ not, Charles de Gaulle, Georges Pompi­ tructeur de la flèche détruite par l’incen­
mes, « les horizons de la civilisation euro­ dou, François Mitterrand… éclipsant fi­ die – répond dans son Dictionnaire rai­
Les grands événements qui jalonnent l’histoire péenne se sont profondément modifiés ». nalement les lieux de la sacralisation du sonné de l’architecture française (1854) :
Comme ses sœurs de Chartres, de pouvoir royal qu’étaient les cathédrales « Les cathédrales des XIIe et XIIIe siècles
de Notre­Dame à travers les siècles témoignent Reims, d’Amiens ou de Troyes, la cathé­ de Reims et de Saint­Denis. sont, à mon point de vue, le symbole de la
d’une permanence, voire d’un renforcement, drale de Paris n’est pas seulement le nationalité française et la plus puissante
produit de l’essor économique et urbain Un des lieux de l’imaginaire romantique tentative vers l’unité. »
de sa symbolique nationale, rappelle l’historien de la France médiévale, elle témoigne Ce mouvement coïncide avec le Roman­ Que reste­t­il aujourd’hui de Notre­
aussi de la revalorisation de la fonction tisme, grande période de résurgence du Dame de Paris ? Au regard de tous les tré­
épiscopale au moment de la réforme Moyen Age et de son imaginaire. Si la ca­ sors réduits en cendres, la catastrophe

C
grégorienne. Porté par un élan à la fois thédrale devint l’un des lieux de l’imagi­ matérielle est majeure, irréversible. Mais
e n’est pas seulement un monu­ Celle que l’incendie a soulevée dans la ca­ spirituel, économique et architectural, naire romantique, elle le doit essentiel­ le mythe est plus grand, à la mesure de
ment qui brûle, c’est Notre­Dame pitale, en France et dans le monde lui on construit au cœur des villes des édi­ lement au roman de Victor Hugo Notre­ l’émotion internationale. Oui, Notre­
de Paris. Grand lieu de culte, donne raison. fices toujours plus grands et plus hauts, Dame de Paris (1831), dans lequel Dame de Paris, haut lieu de spiritualité,
chef­d’œuvre de l’art gothique, té­ « La cathédrale semble éternelle et impressionnant par leurs dimensions. l’écrivain sensibilise l’opinion à l’état dé­ d’histoire et d’imaginaire appartient à
moin majeur de l’histoire de France, pourtant peu de bâtiments ont été La force symbolique de la cathédrale gradé du monument et crée un mythe : tous. Elle traversera encore les siècles,
l’édifice en partie détruit par les flam­ autant qu’elle soumis aux changements tient ainsi à son inscription dans le désormais, l’image de Notre­Dame ne dût­elle être reconstruite pièce par pièce,
mes, lundi 15 avril, représente la cathé­ de l’évolution historique », écrit ainsi temps et dans l’espace. pourra plus être dissociée de celles d’Es­ comme le bateau de Thésée. 
drale par excellence. L’une des mer­ M. Le Goff dans Héros et merveilles du Mais l’affermissement du pouvoir meralda et de Quasimodo. « “Comment
veilles du Moyen Age dont l’historien Moyen Age (Seuil, 2005). De fait, l’his­ royal explique également ce « temps des compter nos belles églises du XIIIe siè­
Jacques Le Goff disait qu’elle avait tra­ toire de ces édifices est souvent plus an­ cathédrales » : celles­ci, explique Jacques cle ?”, feint de s’offusquer Jules Michelet
versé la longue durée de l’histoire, avait cienne que leurs pierres, non seulement Le Goff, « se lièrent aux Etats et aux na­ dans son Histoire de France : je voulais
été soumise à bien des transformations, parce que des lieux de cultes païens, des tions en gestation. Monument d’une ville, du moins parler de Notre­Dame de Paris.
tout en conservant sa grande caractéris­ édifices paléochrétiens, des églises ro­ la cathédrale devint monument d’un Mais quelqu’un a marqué ce monument Xavier Kawa-Topor est ancien
tique sociale et symbolique : être un lieu manes les ont fréquemment précédés Etat ». Les grands événements qui jalon­ d’une telle griffe de lion, que personne dé­ directeur de l’Abbaye
de dévotion et d’émotion pour tous. sur leur emplacement même, mais nent l’histoire de Notre­Dame à travers sormais ne se hasardera d’y toucher. de Fontevraud (Maine-et-Loire)
« aRchImèdE a été Le PrEmiER
à ProUvEr Qu’uNe BaIgnOiRe PeUt FlOttEr. »
Camille, 17 ans, future bachelière

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INTERNATIONAL
0123
16 | MERCREDI 17 AVRIL 2019

Yémen : l’usage contesté des armes françaises
Un collectif de journalistes nuance la version selon laquelle les matériels n’ont que des fonctions « défensives »

L
a position française est­
elle encore tenable dans
la guerre au Yémen ? Pour
avoir décidé de continuer
de livrer depuis 2015 des armes à
l’Arabie saoudite et aux Emirats
arabes unis (EAU), les deux princi­
paux acteurs de la coalition arabe
engagée contre les rebelles hou­
thistes dans le sanglant conflit
yéménite, Paris se trouve soup­
çonné de participer à une guerre
sale. Un collectif de journalistes
français, Disclose, accuse ainsi la
France de « mensonge d’Etat »,
lundi 15 avril. Le collectif conteste
l’affirmation du gouvernement
selon laquelle les matériels fran­
çais n’auraient que des fonctions
« défensives ». Il se fonde sur une
note de la direction du rensei­
gnement militaire (DRM) d’octo­
bre 2018 évaluant l’action de la
coalition et détaillant le rôle
des armements acquis par les
protagonistes.
La note, frappée du « confiden­
tiel­défense spécial France »,
un des plus hauts niveaux de
classification, a été établie par la
DRM pour le conseil restreint du
3 octobre 2018 à l’Elysée. A l’épo­
que, la coalition arabe relance
l’assaut contre Hodeïda, sur la
mer Rouge, sans guère de résul­
tat. Le renseignement militaire
français estime que, malgré
ses déclarations volontaristes,
elle n’est pas en mesure de re­
prendre le premier port du pays,
attaqué dès juin.

150 000 missions aériennes Vue de Sanaa, après un bombardement aérien de la coalition menée par les Saoudiens, le 10 avril. KHALED ABDULLAH/REUTERS
A Paris, la situation est scrutée,
car frappes et blocus impliquent
des matériels français. Fran­ nes de tous types ont été menées tres d’opération les plus reculés exemple, le cas du village de Bani la coalition arabe » avec 1 000
çois Hollande puis Emmanuel par la coalition arabe dont du conflit, demeurés inaccessi­ Faid dans le district de Midi, à
35 civils sont hommes, 400 forces spéciales et
Macron ont décidé de continuer 24 000 frappes – 6 000 en 2018. bles à la presse étrangère, côté yé­ l’ouest, où deux enfants sont morts lors de des contractuels. Les forces émi­
d’honorer les livraisons d’armes La note renforce la position de ménite, depuis 2015. Disclose pré­ morts. Ou le cas de la ville de raties coordonnent les opéra­
scellées avant le déclenchement l’exécutif en affirmant qu’« aucun cise que, en croisant ces données Hard dans laquelle trois habi­
52 bombardements tions terrestres sur la côte ouest
du conflit pour ses deux « parte­ élément ne permet de conclure à avec celles de l’ONG américaine tants d’une maison touchée ont entre mars 2016 en direction du port d’Hodeïda.
naires stratégiques » que sont la présence de matériel français Acled (The Armed Conflict Loca­ perdu la vie. L’engagement Port assiégé : une corvette émi­
l’Arabie saoudite et les Emirats. sur les fronts actifs ». Mais, dans le tion & Event Data Project), on militaire saoudien, « principale­
et décembre 2018 rienne Bayunah d’origine fran­
Les livraisons se poursuivent, détail, la DRM dépeint une réalité peut établir que 35 civils sont ment aérien », consiste depuis dans le champ çaise participe au blocus, tout
officiellement avec « une vigi­ beaucoup moins nette. morts au cours de 52 bombarde­ mars 2015 en une « campagne de comme une frégate saoudienne
lance renforcée », sous le filtre Ses cartes estiment à près de ments entre mars 2016 et dé­ frappes massives et continues
d’action des de classe Makkah vendue par Pa­
néanmoins opaque de la com­ 437 000 personnes la « popula­ cembre 2018 dans le champ d’ac­ contre les territoires tenus par la Caesar français ris et des hélicoptères de la ma­
mission interministérielle d’ex­ tion potentiellement concernée tion des Caesar français, où rébellion houthiste ». Soit en rine saoudienne Panther et Dau­
portation des matériels de par de possibles frappes » de l’ar­ opère également, en théorie, moyenne 120 sorties par jour, de­ phin. Ils contribuent à gêner les li­
guerre, qui dépend de Matignon. tillerie de la coalition, dont font l’aviation saoudienne. Plusieurs puis les bases de Kamis Mushait des opérations saoudiennes et vraisons de nourriture dans un
Le seul bilan des frappes aérien­ notamment partie les canons localités, dans lesquelles des et Taïf, avec des avions améri­ loyalistes en territoire yéménite. » pays sujet à la famine.
nes depuis 2015 témoigne de français Caesar, sur trois zones sources yéménites ont directe­ cains (F15S) et européens (Torna­ Quant aux unités blindées, un
l’ampleur de l’enjeu : selon la frontalières entre l’Arabie saou­ ment constaté des victimes, sont dos et Typhoon). Ils n’utilisent lourd dispositif est en place, avec Intérêt limité en zone urbaine
DRM, 150 000 missions aérien­ dite et le Yémen. Ce sont les théâ­ concernées en 2018. C’est, par pas de munitions françaises cinq brigades de l’armée de terre Paris relève que les chars Leclerc
mais les bombes « pourraient » et deux de la garde nationale le émiratis « ne sont pas observés en

Les armes françaises utilisées au Yémen selon « Disclose » selon la DRM être guidées par des
nacelles françaises Damoclès.
long de la frontière. Soit de 11 à 16
escadrons déployés en perma­
première ligne ». Ils sont néan­
moins déployés sur la base d’Al­
TYPE ET POSITION DE L’ARMEMENT DE FABRICATION FRANÇAISE ZONE CONTRÔLÉE, L’aviation saoudienne bénéficie nence du côté saoudien, avec 300 Khawkhah à 115 km d’Hodeïda. Et,
UTILISÉ PAR LA COALITION SAOUDO-ÉMIRATIE EN SEPTEMBRE 2018 EN SEPTEMBRE 2018, PAR : d’une aide américaine au ciblage, chars. Auxquels s’ajoutent 28 bat­ en octobre 2018, Paris surveille
Avions (chasseurs Hélicoptères Navires rappelle la DRM, mais l’appui aé­ teries d’artillerie d’une portée de leur positionnement à Assab en
la rébellion houthiste
Mirage 2000-9 de transport (frégates F3000 et rien rapproché est « mal maî­ 18 à 42 km déployées d’est en Erythrée, en attente d’un déploie­
à Assab, ravitailleurs (AS-532 Cougar) corvettes Baynunah) les forces gouvernementales trisé », autrement dit susceptible ouest, des canons américains et ment au Yémen, où Le Monde a pu
A330 MRTT à Djedda)
soutenues par la coalition de causer des dégâts collatéraux. français. « Un bataillon supplé­ les observer à cette période, ainsi
saoudo-émiratie mentaire de canons automoteurs que dix Mirage 2000. La DRM dit
« Objectif inédit » Caesar avait été déployé à la fron­ constater « un engagement princi­
Blindés Artillerie Radars Zone d’action d’Al-Qaida
(Leclerc (Caesar, (Cobra) A terre, Riyad sécurise sa frontière, tière saoudo­yéménite, côté saou­ palement défensif des chars Le­
155 mm G-6) portée de 42 km) luttant mal contre des incursions dien, portant à 48 le nombre de clerc : à la date du 25 septem­
houthistes régulières et durables Caesar dans cette zone. (…) La bre 2018, une quarantaine sont ob­
dans les villages de montagnes, et DRM n’est cependant pas en me­ servés en défense fixe de camps et
contre leurs tirs de missiles sur les sure d’évaluer de manière précise de positions avancées dans l’ouest,
provinces voisines. Mais – et cela le dispositif saoudien actuel à la sur les quelque 70 chars déployés
Khamis Mushait ARABIE SAOUDITE est qualifié « d’objectif inédit » par frontière du fait d’un manque de par les EAU dans le cadre de l’opé­
Djedda la DRM en octobre 2018 –, le capteurs dans la zone. » ration ». Les forces émiraties con­
Baqim
royaume souhaite aussi « progres­ Ces batteries effectuent des tirs firmaient alors au Monde avoir
Al Wudayah
ser en territoire houthiste » au Yé­ de barrage contre les assauts re­ usé de ces chars pour progresser
Jizan men. Depuis trois mois, les Saou­ belles, mais « elles appuient égale­ dans la plaine côtière qui mène à
Saada diens tentent d’avancer « en direc­ ment les troupes loyalistes, épau­ Hodeïda, mais elles les considé­
Périmètre dans lequel des civils tion de Baqim, Munabbeh, Razeh et lées par les forces armées saou­ raient d’un intérêt limité en
peuvent potentiellement être impactés Haradh afin d’ouvrir la voie à une diennes, dans leur progression en zone urbaine.
Midi
par les tirs de l’artillerie Caesar hypothétique prise de Saada ». territoire yéménite ». Et la DRM in­ Lundi, les services du premier
Mer Rouge Seyoun Ces districts occidentaux, traver­ dique ne pas être « en mesure de ministre ont répondu dans un
Marib YÉMEN sés de montagnes escarpées, localiser précisément les pièces communiqué que Paris agis­
Sanaa comptent deux importants points d’artillerie saoudienne à la fron­ sait de façon « responsable et fia­
de passage frontaliers, qui mènent tière en septembre 2018 ». ble » auprès de ses partenaires,
vers le berceau des houthistes, La note dresse aussi une liste de avec qui la France a des « intérêts
Vers Hodeïda Saada, considéré par la plupart matériels vendus « non employés de sécurité communs : la lutte
la Méditerranée
Moukalla des observateurs comme hors de au Yémen » : blindés AMX10 et 30, contre le terrorisme et la préserva­
portée de la coalition. Au sud, radars Cobra, obus et missiles. tion de la sécurité au Moyen­
ÉRYTHRÉE
dans la plaine côtière qui butte sur Côté émirati, l’aviation est beau­ Orient ». Matignon répète que les
Al-Khawkhah Al-Baïda
les montagnes après Haradh, la coup plus compétente – au stan­ « armes françaises sont placées
Taëz coalition s’était rendue maîtresse dard de l’OTAN, selon la DRM. Elle pour l’essentiel en position défen­
Moka de la ville de Midi à l’été 2018, à utilise des Mirage 2000 avec des sive » et assure ne pas avoir « con­
Aden
grand­peine. nacelles françaises de désigna­ naissance de victimes civiles ré­
Assab La note précise : « A ce jour, tion (Damoclès). Et opère des tan­ sultant de leur utilisation sur le
Golfe d’Aden
200 km
aucun matériel d’origine française kers multirôle A330. L’engage­ théâtre yéménite ». 
appartenant aux forces saoudien­ ment terrestre fait des EAU « le nathalie guibert
DJIBOUTI SOURCES : DISCLOSE ; RISK INTELLIGENCE nes n’a été observé dans le cadre premier contributeur terrestre de et louis imbert
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 international | 17

Les médias russes


se passionnent pour la
présidentielle en Ukraine
Moscou, en conflit avec Kiev, se réjouit
des déboires de Petro Porochenko

moscou ­ correspondance Porochenko, accusé de jouer l’af­


frontement. C’est d’ailleurs pour

D ubitatifs mais fascinés,


les Russes se passionnent
pour la présidentielle
ukrainienne. Depuis qu’au pre­
mier tour, le 31 mars, le comédien
cette raison que, sur la fin de la
campagne, la Russie a évité l’inten­
sification des combats sur le ter­
rain, qui aurait pu servir à Poro­
chenko, décode un autre diplo­
Volodymyr Zelensky a largement mate européen à Moscou. Ici, ils
devancé le sortant Petro Poro­ veulent absolument sa défaite…
chenko (30,24 %, contre 15,95 %), la Pour montrer au monde que toute
presse moscovite affiche en révolution et tout discours anti­
« une » l’affrontement qui se dé­ russe mènent à la chute. Poutine,
roule en prélude du second tour, le lui, reste toujours là ! »
21 avril. A la télévision, les talk­
shows s’enflamment pour ce duel, Zelensky fait figure d’ovni
présenté comme un cirque à la lé­ Sur les 39 candidats en lice au pre­
gitimité douteuse et un nouvel mier tour, deux défendaient une
exemple du chaos qui est censé ré­ politique prorusse. Traditionnel­
gner chez le voisin ukrainien de­ lement puissant en Ukraine, où,
puis que celui­ci a osé renverser élection après élection, il repré­
son président en février 2014, le sentait environ la moitié de la po­
prorusse Viktor Ianoukovitch. pulation, ce courant s’est effon­
« Porochenko ne peut pas l’em­ dré, rassemblant moins de 15 %
porter sans fraudes », ont déjà des suffrages. Ce revers s’explique Manifestation de partisans du candidat à la présidentielle, Prabowo Subianto, à Surabaya (Indonésie), le 12 avril. JUNI KRISWANTO/AFP
prévenu Izvestia, Nezavissimaïa en partie par le fait que l’an­
Gazeta et Rossiyskaïa Gazeta, nexion de la Crimée et la guerre
trois quotidiens proches des auto­ dans le Donbass ont amputé le
rités. Ils soupçonnent, sans preu­
ves, le président de « sortir l’artille­
rie lourde » avec « les méthodes les
plus sales ». A la télévision, large­
corps électoral de quelque 3 mil­
lions d’électeurs, mais il est sur­
tout le signe d’un renversement
plus profond de l’opinion ukrai­
L’islam, enjeu central
des élections en Indonésie
ment contrôlée par le Kremlin, de nienne, qui tourne désormais
vrais­faux débats très animés jet­ massivement le dos à Moscou.
tent aussi le discrédit sur cette pré­ Si Petro Porochenko est vu en
sidentielle que des députés ont ennemi, Volodymyr Zelensky fait
déjà qualifiée d’illégitime, le diri­ quant à lui figure d’ovni. Mais les
geant nationaliste Vladimir Jiri­ médias russes se sont montrés Les thèmes islamo­conservateurs se sont imposés à tous les candidats,
novski appelant même à ne pas en plutôt favorables au comédien,
reconnaître les résultats. dont les spectacles sont connus y compris au président sortant, Joko Widodo, tenant de la modération
Autre message martelé à la télé­ jusqu’en Russie. Tout en se disant
vision : le dénouement final sera ferme sur la Crimée et le Donbass,
de toute façon décidé par les Amé­ il apparaît aux yeux de Moscou
ricains. En guise de preuves, cer­ plus disposé au dialogue que le djakarta ­ envoyé spécial karta, est soutenu par les libéraux sorte de police religieuse parallèle
tains experts sur les plateaux ont président sortant. Il semble aussi et les minorités ethniques ou reli­
« Les deux devenue mouvement de masse,

L’
assuré qu’un navire de l’OTAN est prêt à freiner la politique d’« ukrai­ islam indonésien de la gieuses. Prabowo, ancien officier candidats jouent surtout à Djakarta, mais aussi
en rade d’Odessa et que la CIA in­ nisation » de l’espace public pro­ tolérance est­il menacé des forces spéciales au passé sul­ dans de nombreuses villes de pro­
filtre la campagne. D’autres ne mue par M. Porochenko, et s’ex­ par les poussées de l’in­ fureux en matière de droits de
à celui qui sera vince où ils font un double travail
s’arrêtent pas à ces détails, préfé­ prime lui­même plus volontiers tégrisme qui secouent l’homme, est le héraut des inté­ plus musulman de propagande et d’aide sociale.
rant considérer que la notion en russe qu’en ukrainien. le plus grand pays musulman de la gristes et des conservateurs. S’il Pour cette figure connue d’un
même d’Ukraine indépendante « Le Kremlin ne peut plus avancer planète ? Cette perspective fait fré­ semble plus instrumentaliser la
que l’autre » mouvement qui a débouché
n’existe pas, et associant toute avec Porochenko après trop de mir les modérés, alors que 193 mil­ vague religieuse que partager les AKHMAD SALAL en 2017 sur l’incarcération du suc­
voix contraire au nazisme. conflits sur tous les fronts, y com­ lions d’électeurs sont convoqués convictions des islamistes, son chercheur cesseur de Jokowi au gouvernorat
Alors que, dès le premier tour se­ pris culturels et religieux. Une nou­ aux urnes, mercredi 17 avril. discours a une tonalité populo­ de Djakarta, le chrétien Basuki
lon l’institut public VTsIOM, près velle dynamique peut être lancée si, Une certitude s’impose : la voix nationaliste : « Les étrangers nous Purnama, condamné à deux ans
de 80 % des Russes se tenaient « in­ avec le départ de Porochenko, des partisans de l’islam intégriste volent nos richesses », clame­t­il « Ce qui est inquiétant, redoute de prison pour blasphème, « il y a,
formés » sur la campagne électo­ son système s’effondre à Kiev et que est de plus en plus forte, à l’image durant ses discours. M. Salal, c’est que l’agenda des isla­ d’un côté, les partisans de l’islam
rale chez leur voisin, la présiden­ la page de la confrontation se du niveau sonore des haut­ Jokowi, lui, ne cesse de jouer la mistes s’est imposé à tout le et, de l’autre, ceux qui soutiennent
tielle est désormais suivie comme tourne », espère Andreï Kortou­ parleurs des mosquées, qui ne modération et de prôner la solida­ monde. Les deux candidats jouent les blasphémateurs ». Jokowi, allié
aucune autre dans l’ex­espace so­ nov, directeur du think tank cessent de gagner en intensité. rité. « L’Indonésie est un énorme à celui qui sera plus musulman et l’ami du gouverneur déchu, se
viétique. « La couverture médiati­ Russian Council à Moscou. « Voir La condamnation, en 2018 à Su­ pays et une grande nation compre­ que l’autre. » La preuve en est, es­ retrouve ainsi accusé de collusion.
que russe tranche avec le silence du Porochenko en difficulté est source matra, d’une Sino­Indonésienne nant des gens de race, de religion et time le chercheur, la stratégie du
Kremlin qui ne dit rien ou presque, de satisfaction pour le pouvoir bouddhiste de 44 ans à deux ans de culture différents. Ensemble, « séculaire­libéral » Jokowi, qui a Appropriation du punk
mais orchestre ces bruits pour faire russe, estime Fiodor Loukianov, ré­ de prison parce qu’elle avait osé nous devons continuer à sauvegar­ choisi comme candidat à la Au cours des vingt ans qui ont
passer le message », analyse un di­ dacteur en chef de Russia in Global protester contre le volume de der notre diversité », s’est­il écrié vice­présidence l’ouléma Ma’ruf suivi la chute du dictateur Suharto
plomate européen à Moscou. Affairs, réputé proche du Kremlin. l’appel à la prière en atteste. Et samedi 13 avril, durant un mee­ Amin, un religieux conservateur. (au pouvoir entre 1967 et 1998) et
Publiquement, le président Vla­ Mais si Zelensky l’emporte, on sait cela n’est que l’un des exemples ting de masse à Djakarta. La situation est en réalité plus après les premières années de la
dimir Poutine n’a en effet pas fait qu’il sera manipulé par l’oligarchie d’une évolution vers la bigoterie paradoxale que cela : si Jokowi période de « reformasi » démocra­
un seul commentaire. Quant à son ukrainienne. Tout dépendra en­ d’une société indonésienne res­ « Polarisation croissante » s’est allié à un ouléma pour espé­ tique, le processus de réislamisa­
porte­parole, Dmitri Peskov, il s’est suite des législatives à l’automne. tée par ailleurs, dans son ensem­ La campagne électorale aura cette rer convaincre les pieux musul­ tion n’a cessé de s’affirmer dans
contenté d’assurer que la Russie Pour le moment, Moscou n’attend ble, un archipel de la modération. fois­ci défini les contours d’une mans qu’il en est un aussi, Pra­ des couches sociales toujours plus
est « contre le parti de la guerre » donc pas grand­chose. » Et se con­ La place de l’islam et son rôle Indonésie coupée en deux, bowo, lui, a choisi comme vice­ nombreuses. Dans une société his­
– une allusion au conflit dans le tente de profiter du spectacle.  dans la société va être, avec les comme l’explique Gus Yahya Sta­ président putatif un homme d’af­ toriquement marquée par le syn­
Donbass. « Cela visait clairement nicolas ruisseau questions de développement et quf, secrétaire général de la grande faires au discours résolument crétisme, les groupes islamistes
de lutte contre la pauvreté, l’enjeu organisation islamique modérée moderne : Sandiaga Uno, 49 ans, ont réussi à s’approprier le mouve­
principal d’un pays­continent à Nahdlatul Ulama – ou « renais­ figure charismatique jouissant ment musical et culturel punk :
l’importance globale toujours sance des oulémas », les théo­ d’un physique avantageux, s’atta­ alors que se développe la mode
plus forte : l’Indonésie pourrait logiens –, qui regrouperait envi­ che à donner de lui l’image d’un de l’hijrah, (« exil «, en arabe), qui
devenir la quatrième économie ron 90 millions de membres (sur musulman très pieux mais aussi symbolise ici le « voyage inté­
mondiale d’ici un quart de siècle. les 266 millions d’Indonésiens, celui d’un spécialiste avisé des rieur » consistant pour le croyant
Mercredi, il s’agit pour les votants dont 87 % sont musulmans). questions économiques. égaré à revenir sur les chemins
de choisir non seulement l’un « Désormais, la situation est Pour l’instant, les sondages don­ de la droiture, le groupe musical
des deux candidats au scrutin claire, explique ce théologien si nent Jokowi gagnant, avec au Punk Muslim est né.
présidentiel, mais aussi de se farouchement opposé aux inté­ moins dix points d’avance. Sa vic­ « Le punk, au Royaume­Uni, était
prononcer pour certains des gristes qu’il a accepté récemment toire marquerait le nouveau suc­ un mouvement de solidarité et de
245 000 prétendants aux quelque d’aller à Jérusalem à l’invitation cès d’un homme qui, même s’il rébellion, explique le fondateur
20 000 mandats de députés, de du Comité des juifs américains. La fait des concessions aux religieux, du groupe, Ahmad Zaki, qui avoue
sénateurs, de gouverneurs et de ligne de partage sépare le camp reste tout de même le symbole être proche des Frères musul­
maires, disséminés dans un ar­ des conservateurs et des islamistes d’une Indonésie multiethnique et mans. Nous en utilisons l’esprit
chipel gigantesque de 17 000 îles – de celui des partisans de la tolé­ pluriconfessionnelle (10 % de pour ramener les jeunes sur la
dont 8 000 sont habitées. rance et de l’inclusivité. On assiste chrétiens, 2 % d’hindous, 1 % de bonne voie et faciliter leur hijrah.
Au niveau suprême, le scrutin à un phénomène de polarisation bouddhistes, 1 % de confucéens…). Mais notre but ultime est de les
met en lice deux candidats, le pré­ croissante entre ces deux camps. » Le président sortant a cepen­ convaincre de renoncer aux signes
sident sortant, Joko Widodo, Le chercheur Akhmad Salal, dant fort à faire avec la montée en punk, comme les tatouages, et
57 ans, alias « Jokowi », et son con­ qui poursuit un doctorat consa­ puissance des mouvements inté­ d’arrêter de jouer : la musique, ce
current, Prabowo Subianto, 67 ans. cré aux questions juridiques dans gristes : « Jokowi laisse se dévelop­ n’est pas conforme à l’islam… »
Une élection qui a des airs de dé­ l’islam et le judaïsme, partage per autour de lui un discours isla­ Dans une vidéo du groupe vi­
jà­vu après celle de 2014, quand les cette inquiétude. Lui aussi, mophobe », accuse Slamat Marif, sionné sur YouTube, que nous
deux hommes s’étaient déjà af­ comme M. Staquf, défend les va­ chef d’un mouvement islamiste montre en souriant M. Zaki, on
frontés, l’actuel chef de l’Etat l’em­ leurs d’un « islam nusantara », ou qui a organisé d’importantes voit des guitaristes s’égosiller
portant avec 53 % des voix. « islam de l’archipel », adapté à la manifestations anti­Jokowi à devant un public d’adolescents
Jokowi, un passionné de heavy culture et à l’histoire de l’Indoné­ Djakarta en 2017. Sanglé dans aux crânes rasés à l’iroquoise.
metal à la réputation d’« homme sie et en opposition à l’influence une longue jubah immaculée, En fin de morceau, ils hurlent :
du peuple » acquise quand il était rigoriste du wahhabisme et du sa­ l’homme est aussi membre du « Allahou akbar ! » 
gouverneur de la capitale Dja­ lafisme venus d’Arabie saoudite : Front des défenseurs de l’islam, bruno philip
18 | france 0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019

En Seine­Saint­Denis, Alain Soral condamné


à un an de prison ferme
des enseignants sous pression La peine de l’essayiste pour négationnisme
est assortie d’un mandat d’arrêt
L’agression d’une professeure, jeudi, repose la question de la sécurité

L e parquet avait réclamé six


mois de prison ferme. La
et illustrée par le visage de Charlie
Chaplin posant une question,

L
es cours ont repris, lundi collège La Courtille, et l’irruption région, a communiqué sur le dé­ quinzième en deux décennies, se­ 13e chambre du tribunal de dans une bulle, « Shoah où t’es ? »,
15 avril, au collège Elsa­ d’élèves armés de battes et de ploiement d’une « brigade régio­ lon les calculs des proviseurs. Trois grande instance de Paris a doublé en référence à la « une » polémi­
Triolet de Saint­Denis marteaux au lycée Paul­Eluard nale de sécurité » de quinze mem­ ministères sont impliqués : l’édu­ la peine. Lundi 15 avril, Alain Soral, que de Charlie Hebdo après les at­
(Seine­Saint­Denis), trois qui ont ébranlé les équipes ; bres mobilisables dans les lycées cation, la justice et la santé. Trois figure du complotisme d’extrême tentats de Bruxelles, « Papa où
jours après l’agression d’une en­ à Aubervilliers, une assistante franciliens. Un dispositif qui axes ont été esquissés : renforce­ droite antisémite, a été condamné t’es ? » En toile de fond, une étoile
seignante. « L’ordinaire reprend d’éducation et un enseignant du s’inspire de l’existant : les équipes ment de la sécurité aux abords des à un an d’incarcération assorti de David, une chaussure, une per­
ses droits, témoigne Inaki Echa­ collège Diderot ont été agressés. mobiles de sécurité – « EMS » dans établissements, prise en charge d’un mandat d’arrêt pour contes­ ruque, une lampe et un savon.
niz, conseiller principal d’éduca­ Au rectorat de l’académie de Cré­ le jargon de l’école – ont soufflé des élèves « polyexclus », mesures tation de l’existence de la Shoah.
tion syndiqué au SNES­FSU. Pour teil, on reconnaît une « recrudes­ leurs dix bougies, rappelle de responsabilisation des familles Après de multiples amendes et « Décision très rare »
assurer la continuité du service pu­ cence » des incidents, « concen­ M. Auverlot, qui comptabilise une n’excluant pas des sanctions fi­ peines de prison avec sursis, Pour cette publication jugée néga­
blic d’éducation, nous sommes de trée » à Saint­Denis. « Mon senti­ soixantaine de personnels de ce nancières. L’annonce officielle de l’homme de 60 ans avait déjà été tionniste, Alain Soral a été définiti­
nouveau sur le pont, sans peur… » ment est que l’école n’est pas visée type rien que dans son académie. ce plan a été retardée notamment condamné à une peine d’un an de vement condamné le 26 mars,
Ou presque : car l’agression d’une en tant qu’institution : elle fait les « La région s’engouffre là où en raison de dissensions autour de prison ferme en janvier dernier, à après le rejet de son pourvoi en
professeure de français de 26 ans, frais d’une situation très dégradée l’Etat se désengage », souffle­t­on ce dernier volet. Bobigny, mais sans mandat d’ar­ cassation, à payer une amende de
survenue dans ce collège jeudi et de tensions entre jeunes deve­ dans les rangs du SNES­FSU­93, Sur le terrain, le gouvernement rêt. La cour d’appel de Paris de­ 10 000 euros avec possibilité d’em­
11 avril, suivie d’une journée du­ nues très vives dans les cités », fait syndicat d’enseignants majori­ est attendu au tournant. « Nous vrait, par ailleurs, rendre quatre prisonnement en cas de non­paie­
rant laquelle les personnels ont valoir le recteur Daniel Auverlot. taire dans le second degré, où l’on sommes les mieux placés pour autres décisions en mai. ment. « Chaussure et cheveux font
exercé leur « droit de retrait », a déplore que « la réponse, pour identifier ce dont nous avons be­ « Cette condamnation met fin au référence aux lieux de mémoire
éprouvé l’équipe. Elle a aussi re­ « Brigade régionale de sécurité » l’heure, se résume à l’aspect sécuri­ soin, reprend Inaki Echaniz. Cela sentiment d’impunité dont béné­ organisés comme des lieux de pèle­
mis sur le devant de la scène la Pour certains, le problème est ce­ taire et vienne des collectivités ». ne peut se résumer à une réponse ficie Alain Soral qui n’est jamais rinage. On y met en scène des
question de la sécurité dans les pendant plus large. « La situation « Il pourrait y avoir un effort plus ponctuelle, centrée sur l’envoi de allé en prison malgré ses multiples amoncellements de ces objets, afin
établissements scolaires, alors s’aggrave, pas seulement en Seine­ important de l’Etat », glisse­t­on à brigades ou de policiers : il faut un condamnations », s’est félicitée de frapper les imaginations », avait
que le gouvernement a plusieurs Saint­Denis, avec des événements la présidence de région. investissement massif pour mieux l’Union des étudiants juifs de plaidé Me Viguier en 2017. « La
fois reporté l’annonce du « plan de plus en plus violents et de plus en L’Etat a annoncé il y a cinq mois, accompagner les élèves dans nos France, l’une des parties civiles, coupe des cheveux se pratique dans
violences » promis cet automne. plus fréquents », estime ainsi Ma­ dans le sillage de l’agression d’une territoires. » « Il faut faire baisser la dans un communiqué. Son prési­ tous les lieux de concentration et
Le scénario de l’intrusion au rie­Carole Ciuntu, vice­présidente enseignante à Créteil, braquée température dans les établisse­ dent, Sacha Ghozlan, évoque une s’explique par l’hygiène », avait­il
collège Elsa­Triolet, rapidement de la région Ile­de­France chargée avec une arme factice par un élève, ments, renchérit Stéphane Cro­ « victoire importante ». La Ligue ajouté avant de citer le négation­
partagé sur les réseaux sociaux, a des lycées. Lundi, Valérie Pécresse, qu’il comptait s’atteler à ce chan­ chet du SE­UNSA. Et pour ça, il n’y a internationale contre le racisme niste Robert Faurisson. L’avocat
créé une forte émotion. Jeudi, en présidente Les Républicains de la tier avec un « plan violences » – le pas de solution magique : cela et l’antisémitisme qui s’était, elle avait par ailleurs soutenu que les
milieu d’après­midi, un groupe passe par un travail dans la durée aussi, portée partie civile, parle savons faits à partir de graisse hu­
d’adolescents interpelle une sur le climat scolaire. » d’une « décision historique ». Son maine par les nazis ou les abat­
classe depuis la rue, lance un pavé
dans la vitre, puis l’un d’eux esca­
Des « internats tremplins » Dans un rapport présenté à l’As­
semblée il y a bientôt un an, les dé­
président, Mario Stasi, ajoute :
« La contestation de la Shoah n’est
jour en peau humaine n’étaient
que « propagande de guerre ».
lade la grille pour s’introduire pour les élèves polyexclus putés François Cornut­Gentille pas une opinion. C’est un acte anti­ « La décision prise par le TGI de
dans la salle. Il insulte l’ensei­ Quatre personnalités (une rectrice, un inspecteur, une édile, (LR) et Rodrigue Kokouendo (LRM) sémite qui doit appeler des sanc­ Paris est exceptionnelle car très
gnante, la braque avec un pistolet un député) chargées par le ministre de l’éducation, Jean-Michel dénonçaient, en Seine­Saint­De­ tions à la hauteur de ce fléau. » rare, souligne le politiste Jean­
factice en tirant des billes en di­ Blanquer, d’émettre des préconisations pouvant servir d’ossature nis, la faillite d’un Etat « inégali­ A l’origine de cette décision de Yves Camus. Même Robert Fauris­
rection de son visage. La profes­ au « plan violence » se sont saisies de la question des collégiens taire et inadapté », particulière­ justice, la publication sur Egalité son, le chef de file des négationnis­
seure n’a pas été blessée. L’agres­ et des lycéens plusieurs fois exclus de leur établissement. Leur ment sur le terrain de l’école. « Cela et réconciliation, le site d’Alain tes, n’a jamais passé un seul jour
seur, un adolescent de 15 ans exclu rapport, remis le 14 février et dont Le Monde a pu consulter des fait des années que les familles font Soral, en novembre 2017, de la de sa vie en prison. Il n’y a, à ma
du collège quand il était en 5e, a extraits, propose, entre autres, la création d’« internats tremplins » ce constat », s’énerve Rodrigo Are­ plaidoirie de son avocat, Damien connaissance, que deux précé­
été mis en examen et placé sous qui pourraient accueillir des « élèves ayant fait l’objet d’une double nas de la Fédération de parents Viguier – également condamné, dents : Vincent Reynouard et Alain
contrôle judiciaire. exclusion définitive ». Ces adolescents, âgés de 12 à 18 ans, seraient d’élèves FCPE, qui redoute déjà que ce lundi, à 5 000 euros d’amende Guionnet. Mais la condamnation
Dans les cercles d’enseignants, « volontaires », et leur accueil dans ces structures se ferait sur ce « plan se résume à un message pour complicité –, dans une autre de Soral ne sera un vrai signal que
on n’hésite plus à parler d’une la base d’un contrat formalisé avec eux et leur famille. Seraient politique en direction de l’opinion affaire datant d’avril 2016. L’es­ si sa peine est exécutée. » Sur le
« liste noire » mettant à l’épreuve, aussi concernés des jeunes faisant l’objet d’une mesure judiciaire publique », mais passe à côté des sayiste d’extrême droite avait site Egalité et réconciliation, il est
depuis plusieurs semaines, le dé­ d’éloignement. Les membres de la mission n’ont pas réussi à besoins des premiers concernés.  alors mis en ligne sur son site un indiqué que les deux hommes
partement. A Saint­Denis, c’est s’entendre, semble-t-il, sur les mesures de responsabilisation des mattea battaglia dessin représentant une fausse « ont fait appel ». 
l’agression d’un enseignant au familles, en particulier la suspension des allocations familiales. et camille stromboni « une » titrée « Chutzpah Hebdo » louise couvelaire

Un procès devant la Cour de justice Les bien chers chats de la SPA


de la République pour Jean­Jacques Urvoas
L’ancien ministre de la justice est soupçonné d’avoir transmis des informations
confidentielles au député des Hauts­de­Seine Thierry Solère
C’ était un grand projet de la Société protectrice des ani­
maux (SPA). Une belle initiative en faveur des chats,
doublée en principe d’une bonne affaire. Raté. Le re­
fuge « entièrement consacré au bien­être des chats » que l’asso­
ciation pensait inaugurer cette année à Evecquemont (Yvelines)
ne verra a priori jamais le jour. Un site a bien été acheté en 2017.
Mais il est inutilisable, si bien que la SPA envisage de le revendre.

C inq mois après la fin de


l’enquête et quatre mois
après les réquisitions du
parquet général près la Cour
de cassation, la commission
décidé d’ouvrir une information
judiciaire pour « fraude fiscale »,
« manquement aux obligations
déclaratives à la Haute Autorité
pour la transparence de la vie
mission a, par ailleurs, retenu que
« le garde des sceaux est destina­
taire d’informations couvertes par
le secret et en l’espèce, l’analyse
des fiches d’action publique trans­
Selon ce dernier, si la question du
secret se pose en des termes diffé­
rents pour le ministre par rapport
aux magistrats, « la nature même
de l’information qui lui est trans­
Tout débute au printemps 2017. A l’époque, la SPA a un pro­
blème dans les Yvelines. Son refuge d’Orgeval devient vétuste, et
les voisins sont gênés par les aboiements. Il faut trouver un autre
point de chute. Les responsables parisiens dénichent près d’Or­
geval une jolie ferme du XVIIIe siècle, comprenant une longère,
d’instruction de la Cour de justice publique », « détournements de mises par ce dernier à M. Solère mise lui impose des devoirs parti­ un pigeonnier, un garage et d’anciennes serres. Natacha Harry,
de la République (CJR) a décidé de fonds publics et recel », « recel démontre que les informations culiers quant à l’exploitation qu’il alors présidente de la SPA, se voit y accueillir 300 à 400 chats.
renvoyer l’ancien ministre de la de violation du secret profes­ détaillées qu’elles contenaient por­ peut en faire ». La transmission « Ce nouveau refuge très proche de Paris permettra aux Franci­
justice Jean­Jacques Urvoas de­ sionnel », « trafic d’influence et taient sur une enquête en cours et d’informations à la personne liens de venir adopter des chats », imaginent les dirigeants. Dans
vant la CJR. L’ancien garde des recel », « abus de biens sociaux et ses perspectives ». concernée, poursuit­il, « constitue leur esprit, il constituera la « base arrière » de la Maison des
sceaux sera donc jugé devant le recel », « financement illicite de une rupture du lien de confiance chats, dont l’ouverture est prévue simultanément rue Beau­
tribunal – dont Emmanuel Ma­ dépenses électorales », « détour­ « Rupture du lien de confiance » qui doit exister entre le ministre bourg, à Paris. Les propriétaires d’Evecquemont en demandent
cron a promis la suppression – ré­ nement de la finalité de fichiers La commission d’instruction de et la DACG ». 350 000 euros, un prix jugé « très raisonnable ». Bien sûr, les bâ­
servé aux ministres. nominatifs ». Outre M. Solère, la CJR a suivi les réquisitions du Selon un communiqué diffusé timents nécessitent une grosse réhabilitation. « Mais avec
M. Urvoas est soupçonné six autres personnes et six ministère public qui avait ré­ par l’avocat de M. Urvoas, Emma­ l’achat nous serons en dessous du budget de 1,5 million », promet
d’avoir transmis entre les deux personnes morales sont visées clamé en décembre un tel procès. nuel Marsigny, « cette décision, at­ le directeur immobilier, qui presse Natacha Harry de signer
tours de la présidentielle de 2017, par l’enquête. Dans ses réquisitions, le parquet tendue, repose sur une interpréta­ sans tarder : « Le bien est assez convoité. »
et à son initiative, des infor­ Selon le communiqué du procu­ général avait souligné que « le tion aussi inexacte qu’extensive
mations confidentielles au dé­ reur général près la Cour de cassa­ garde des sceaux est détenteur de du droit que Jean­Jacques Urvoas « Zone rouge » inconstructible
puté des Hauts­de­Seine Thierry tion, la commission d’instruction ce secret du fait de ses fonctions et et ses conseils contestent totale­ Deux ans plus tard, rien ne va plus. Les travaux prévus pour fé­
Solère (alors Les Républicains, a considéré que « le garde des en tant qu’ultime supérieur hiérar­ ment ». Selon le conseil de M. Ur­ vrier 2018 n’ont toujours pas débuté. « Le dossier se révèle plus
aujourd’hui rallié à La Républi­ sceaux, qui ne concourt pas à la chique du parquet ». En consé­ voas, les « fiches d’actions publi­ compliqué que prévu, nous l’avons mis en attente », résume Jac­
que en marche) concernant une procédure, n’est pas la personne quence, avait­il ajouté dans son ques sont des documents adminis­ ques­Charles Fombonne, nouveau président de la SPA. La ferme
enquête pénale visant ce dernier. désignée pour communiquer sur communiqué, la remontée d’in­ tratifs » ne pouvant donc « conte­ se trouve en effet au­dessus d’anciennes carrières souterraines
Un délit passible d’un an de pri­ une procédure en cours ». La com­ formations confidentielles « ne nir aucune information protégée de gypse qui risquent de s’effondrer. Toute cette « zone rouge »
son et de 15 000 euros d’amende. pouvait en aucun cas l’autoriser à au titre d’un secret prévu par la loi est inconstructible. Interdit d’y recevoir du public, même après
C’est à l’occasion d’une perquisi­ renseigner directement et à titre et partant, être elles­mêmes proté­ d’éventuels énormes travaux de consolidation. Aucun refuge
tion chez M. Solère que les poli­ privé et confidentiel le principal gées par un secret légal ». Me Mar­ ne peut donc y être installé. « Comment la SPA a­t­elle pu payer
ciers ont découvert dans son télé­ Outre M. Solère, mis en cause des évolutions d’une signy ajoute que « le garde des sans vérifier qu’elle pourrait mener son projet ? C’est atterrant ! »,
phone des messages envoyés par enquête en cours le concernant ». sceaux n’est pas tenu à un quelcon­ s’étouffe Alain Lambert, un adhérent très critique. « Dommage
M. Urvoas par le biais de l’applica­
six personnes Au cours de l’instruction, de que secret quant aux informations qu’ils ne soient pas venus me voir avant de signer… », commente
tion cryptée Telegram. et six autres nombreux hauts magistrats ont élaborées par les services du minis­ Ghislaine Senée, maire d’Evecquemont.
Ouverte en septembre 2016, sur été entendus sur le statut des fi­ tère remontées par les parquets gé­ Quant à la Maison des chats de Paris, ce projet est lui aussi blo­
des soupçons de fraude fiscale,
personnes ches d’actions publiques à l’instar néraux et qu’aucune norme ne pré­ qué. Un local a certes été légué à la SPA. Mais il reste vide depuis
l’enquête sur Thierry Solère avait morales de l’ancien chef de la direction des voit de secret professionnel inhé­ plus de deux ans, à la suite d’un autre imbroglio juridique. Là
ensuite été élargie à de nombreu­ affaires criminelles et des grâces rent aux fonctions de garde des non plus, les travaux n’ont pas commencé. Comme dit le pro­
ses infractions. Le 1er février, le
sont visées (DACG) et actuel procureur de la sceaux, ministre de la justice ».  verbe, le chat est bon ami, hormis qu’il égratigne… 
parquet de Nanterre a finalement par l’enquête République de Paris, Rémy Heitz. simon piel denis cosnard
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019 | 19

« Il ne faut jamais gâcher une bonne crise »
Guillaume Faury, le nouveau président exécutif d’Airbus, revient sur les défis qui attendent l’avionneur européen

ENTRETIEN teur d’avions. Mais, à ce mo­


ment­là, nous voulons être un ac­
« Les révolutions

L
e 10 avril, Guillaume teur incontournable en Chine. Le du numérique et
Faury a succédé à Tom En­ jour où l’aéronautique chinoise
ders à la tête d’Airbus. Agé aura un constructeur d’avions qui
de la connectivité
de 51 ans, cet ingénieur commencera à devenir perfor­ arrivent. Une
diplômé de l’Ecole polytechnique mant et compétitif, Airbus sera
et de l’Ecole nationale supérieure suffisamment implanté en Chine
autre sera celle
de l’aéronautique et de l’espace va et aura créé un autre écosystème des nouvelles
devoir piloter l’avionneur euro­ dont ce pays aura besoin.
péen en respectant une feuille de
énergies »
route semée d’embûches. Airbus est dominateur sur le
segment du moyen­courrier,
L’Europe a été condamnée mais semble à la peine sur le ques, car le modèle de transport
par l’OMC pour avoir subven­ long­courrier. Qu’en est­il ? aérien dans le monde n’a pas évo­
tionné Airbus. En réaction, Quand vous regardez notre car­ lué comme on l’imaginait.
Donald Trump a menacé net de commandes de long­cour­ L’A380 est un succès, car Airbus
d’augmenter les droits riers et celui de Boeing, on voit ne serait pas ce qu’il est
de douane, notamment sur qu’il est beaucoup moins profond aujourd’hui s’il n’y avait pas eu
Airbus. Cela vous inquiète­t­il ? chez les deux constructeurs. cet appareil. Il nous a permis de
Cette affaire dure depuis 2004. L’A350 est le meilleur long­cour­ réussir l’A350 et de devenir un ac­
Nous nous sommes mis en con­ rier aujourd’hui. Il sera à l’équili­ teur particulièrement crédible
formité avec ce que l’Organisation bre cette année. Mais il est beau­ sur le long­courrier. Il y a une ex­
mondiale du commerce nous de­ coup plus récent que le 787 de pression que j’aime bien : il ne
mandait de faire. Ce n’est pas le cas Boeing, donc nous courons der­ faut jamais gâcher une bonne
pour les Etats­Unis. Il est difficile rière en termes de commandes. crise. Il y a eu des difficultés avec
d’imaginer une escalade sans fin. La priorité n’est pas de vendre le programme A380, et Airbus a
Airbus est un acteur économique plus d’A350 que les dix par mois appris de ces difficultés.
et industriel très important outre­ que nous avons décidé de pro­
Atlantique. Nous employons duire, mais de réduire les coûts de Autre épine dans le pied
3 000 collaborateurs et le volume production pour bien les vendre. d’Airbus : l’A400M et ses
de nos achats de 17 milliards de L’enjeu avec Boeing, c’est cette dérapages financiers considé­
dollars [15 milliards d’euros] y as­ baisse des coûts. Ma principale rables. Cela condamne­t­il
sure 275 000 emplois. Le secteur préoccupation, avec l’A330 et définitivement les grands pro­
aérien ne serait pas ce qu’il est l’A350, n’est pas d’avoir des avions grammes internationaux ?
sans Airbus et nos clients en ont meilleurs, car ils le sont déjà, mais Nous avons des clients et nous
conscience. Aux Etats­Unis, ils d’arriver à en réduire très rapide­ sommes à la moitié de notre pro­
nous défendent, car ils savent l’in­ ment les coûts pour pouvoir me gramme de livraison. C’est un ap­
térêt qu’il y a à travailler avec nous. battre à armes égales avec Boeing. pareil unique au monde et aucun
autre programme européen n’a
Les menaces de M. Trump Airbus est l’entreprise atteint ce niveau de complexité. Il
ont­elles pour but de soutenir la plus puissante de la région a coûté beaucoup d’argent. Aussi
Boeing, dans une mauvaise toulousaine, où le mouvement notre préoccupation est­elle,
passe avec son 737 MAX des « gilets jaunes » a été très pour l’instant, de le sécuriser.
immobilisé au sol ? violent. Que cela vous Nous comptons sur nos clients,
On pourrait se poser ce genre de inspire­t­il sur la responsabi­ qui apprécient les capacités extra­
question, mais je ne dispose pas lité de votre entreprise ? ordinaires de cet avion pour que
d’éléments pour y répondre. Cette expression violente est cela déclenche ensuite une phase
celle de gens qui se sentent victi­ d’exportations.
La fin du mandat de Tom mes de la mondialisation, d’une Cependant, l’A400M n’est pas le
Enders a été marquée par des fracture territoriale et de la con­ seul à souffrir. Regardez l’avion
affaires de corruption. Avez­ naissance. Cela nous a posé de de combat américain F35, dont les
vous bon espoir de les solder ? vraies questions sur l’attitude à coûts ont considérablement dé­
Mes prédécesseurs ont pris des adopter. Nous nous sommes de­ rapé. Il ne faut pas condamner les
décisions très difficiles et coura­ mandé si des membres de nos programmes internationaux ; il
geuses qui permettront à l’entre­ équipes étaient sur les ronds­ faut que les pays s’accordent sur
prise de mettre en place l’un des points. Nous n’avons pas de rai­ un tronc commun le plus large
meilleurs systèmes de confor­ son de penser que c’est le cas, car possible et que l’on dispose de
mité [aux règles anticorruption]. notre prospérité est un élément garde­fous pour éviter les dérives.
Cette crise est visible et difficile. de confiance dans l’avenir.
Elle a des conséquences humai­ Nos réponses passent par la for­ Tom Enders a privilégié la ren­
nes et opérationnelles. mation, notre propre lycée, l’ap­ tabilité d’Airbus au détriment
Nous coopérons avec les justi­ A Paris, vendredi 12 avril. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE » prentissage et notre fondation du lancement de nouveaux
ces britannique, française et, à qui amènent des jeunes de tous programmes. Allez­vous
présent, américaine en toute horizons à travailler dans l’aéro­ continuer dans cette voie ?
transparence. La sûreté, la qualité, La montée en cadence demeure A moyen terme, les déboires de nautique. Ce problème difficile L’A350, entré en service en 2015,
l’intégrité et la conformité sont
« La sûreté, ma principale priorité. Boeing peuvent­ils permettre n’est pas que français. Ce qui se est au début de sa vie. L’A320,
les piliers qui feront d’Airbus une la qualité et l’émergence d’un concurrent passe en Grande­Bretagne est cer­ l’avion qui rencontre le plus
entreprise crédible et responsa­ Pensez­vous pouvoir produire comme la Chine ? tainement encore plus grave, pro­ grand succès, a commencé la
ble au XXIe siècle, quelles que
l’intégrité sont 70 A320 par mois pour Nous n’en sommes pas là. fond et durable que ce que nous sienne il y a trente ans, mais il est
soient les crises que nous traver­ les piliers qui satisfaire la demande ? D’abord, parce que nous livrons vivons en France en termes de encore très, très loin de sa fin.
serons. L’enjeu de confiance est En 2018, nous avons mené une entre 20 % et 25 % de nos avions en fragmentation de la société. Nous avons plein d’idées pour
essentiel pour nous.
feront d’Airbus enquête auprès de notre chaîne Chine. Ensuite, parce qu’ils n’ont continuer à le faire évoluer avec
une entreprise de fournisseurs et leur réponse a pas encore d’appareils face à l’A320 A ce propos, comment vous les nouvelles technologies. Ce
N’est­ce pas passer sous les été négative. Les motoristes Pratt Neo ou au 737 MAX. Mais ils y arri­ préparez­vous au Brexit ? n’est pas le moment de lancer un
fourches caudines américaines
responsable & Whitney et CFM, qui ont lancé veront. Sur le long terme, il y aura Pour nous, le risque le plus pré­ nouveau programme. De nou­
comme, avant vous, BNP au XXIe siècle » de nouveaux moteurs, n’étaient très probablement un acteur amé­ occupant était celui d’une sortie veaux produits ne signifient pas
Paribas ou Alstom, avec, pas prêts. Ils souffrent dans cette ricain, un européen et un chinois. sans accord avec un ralentisse­ forcément le lancement d’un
in fine, une amende géante ? montée en cadence et ont eu jus­ Les Chinois ne seront pas com­ ment des mouvements de pro­ nouveau programme.
Pour une entreprise comme qu’à 100 avions. Tout se liguait qu’à un an et demi de retard. mercialement représentatifs sur duits à la frontière. Par consé­ Les révolutions du numérique
Airbus, la complexité des règles et contre nous pour nous empêcher Cette année, nous allons refaire le marché avant une dizaine d’an­ quent, nous nous sommes orga­ et de la connectivité arrivent. El­
des lois vient de notre présence d’atteindre nos objectifs. Malgré une analyse de la chaîne de four­ nées. Mais, à l’échelle de l’aéro­ nisés avec nos fournisseurs pour les permettront de rendre les avi­
mondiale. Il faut s’adapter, car el­ tout, nous avons réussi à livrer le nisseurs pour voir où ils en sont. nautique, c’est très court et ils pro­ parvenir à stocker l’équivalent ons plus autonomes, d’amener
les évoluent sans cesse. Mais il est nombre d’avions prévus. L’objectif, c’est 60 par mois cette gressent vite. Ils l’ont déjà montré d’un mois de production pour la de l’information à bord, de l’Inter­
vrai que l’extraterritorialité amé­ Au premier trimestre 2019, nous année et 63 en 2021. Je ne prends dans d’autres domaines technolo­ plupart de nos pièces. net, mais aussi de récupérer des
ricaine est unique et n’a pas avons livré 162 avions, contre 121 il pas d’objectif que je ne puisse pas giques. On ne peut pas ignorer le Nous avions aussi prévu de met­ flux en temps réel. Une autre ré­
d’équivalent européen. Cela crée y a un an. C’est donc beaucoup atteindre raisonnablement si ma fait que la Chine est déterminée à tre en œuvre un pont aérien. Ce volution sera celle des nouvelles
un déséquilibre qui n’est pas dans plus qu’en 2018, même en comp­ chaîne de fournisseurs n’est pas avoir un constructeur d’avions. plan de secours a été mis en place énergies. L’aviation commerciale
l’intérêt à long terme des Etats­ tant l’apport de notre partenariat capable de suivre. dans la perspective d’une sortie ne représente que 2 % des émis­
Unis ni dans celui de l’Europe. Il avec Bombardier. Nous avons in­ Comment comptez­vous [de l’Union européenne] le 29 mars. sions de CO2, moins qu’Internet.
faudra rééquilibrer les choses. diqué que nous voulions livrer en­ Boeing, dont le 737 MAX est conserver vos parts de marché Le report à octobre repose toutes Mais notre engagement est de ré­
tre 880 et 890 avions cette année. immobilisé, vient d’annoncer dans ce pays ? les questions, car, pendant six duire ce pourcentage.
Le plus grand défi d’Airbus une baisse de sa production. Nous partons du principe qu’ils mois, l’incertitude s’ouvre à nou­ Par conséquent, notre plus gros
sera de tenir les cadences Pensez­vous pouvoir tenir Pouvez­vous en profiter ? vont réussir à créer un construc­ veau et ce n’est pas bon. défi, au cours des quinze à vingt
de production de l’A320. vos objectifs ? Après des accidents aériens, on années à venir, sera de parvenir à
Quelles sont vos ambitions Nous allons poursuivre notre ne se réjouit jamais. La sécurité Vous avez subi un grave décarboner l’aviation commer­
pour les années à venir ? montée en cadence pour livrer le des vols est notre plus grande échec avec l’arrêt de l’A380. ciale. La batterie électrique n’est
L’an dernier, pour la première nombre d’avions prévus. La de­ priorité. A court terme, cela a plu­ « L’A380 est Quelles seront les pas la meilleure solution, car la
fois dans l’histoire de l’aviation mande d’A320 reste très forte. No­ tôt des effets négatifs auprès des conséquences pour Airbus ? quantité d’énergie pour faire vo­
commerciale, nous avons livré tre carnet de commandes est rem­ autorités comme des passagers.
un succès, car Je ne pense pas que l’A380 soit ler un avion est considérable. Il
plus de 600 avions de la famille pli jusqu’à 2023. Nous avons des Les problèmes de Boeing inter­ Airbus ne serait un échec. Nous n’avons pas at­ faut donc arriver à stocker une
A320, soit plus de 50 par mois. clients qui ont acheté des avions, viennent sur le segment du mar­ teint les 600 ventes prévues, quantité importante d’énergie li­
Nous l’avons fait avant notre con­ mais aussi d’autres qui veulent ché – les moyen­courriers – où la
pas ce qu’il est mais l’avion est une très belle quide. L’hydrogène pourrait être
current préféré. Pourtant, en 2018, continuer à commander des avi­ demande est très forte et où la aujourd’hui s’il réussite technique. Il est le pré­ une solution très intéressante. 
pendant trois mois, Pratt & Whi­ ons à l’avenir et qui, aujourd’hui, production est saturée. Je ne sais féré des passagers et j’en suis un. propos recueillis par
tney ne nous a pas fourni de mo­ ne trouvent de créneaux disponi­ pas ce qui va se passer à long
n’y avait pas Il arrive en fin de vie de produc­ guy dutheil
teurs et nous avons dû stocker jus­ bles que trop loin dans le temps. terme. eu cet appareil » tion pour des raisons économi­ et philippe escande
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20 | économie & entreprise MERCREDI 17 AVRIL 2019

« Dieselgate » : acte d’accusation L’industrie du gaz de


schiste pourrait péricliter
sévère contre l’ex­PDG de VW au Royaume­Uni
Martin Winterkorn est mis en cause personnellement par la justice Ineos menace de jeter l’éponge, jugeant les
normes antisismiques trop contraignantes
pour sa responsabilité dans l’affaire des moteurs diesel truqués
londres ­ correspondance ont sensiblement ralenti l’action
berlin ­ correspondance pollution continuent d’être inté­ tifs étaient en effet présentés de l’industrie, malgré le soutien
L’ancien patron,

P
our la première fois,
Martin Winterkorn, l’an­
cien PDG de Volkswagen
(VW), est mis en cause
forcé à la
démission en
septembre 2015,
grés aux véhicules construits, ni
mis fin à leur commercialisation,
accuse le procureur.
Pis, le groupe Volkswagen a ef­
fectué, en novembre 2014, une
comme « les diesels les plus pro­
pres de leur catégorie ».
Le procureur relève aussi qu’« il
est particulièrement reproché aux
suspects d’avoir usé de toute la su­
U n clou de plus vient
d’être enfoncé dans le
cercueil de l’industrie du
gaz de schiste au Royaume­Uni.
Ineos, l’une des entreprises les
ferme du gouvernement. Actuel­
lement, il n’existe aucune produc­
tion utilisant la fracturation hy­
draulique outre­Manche.
Cuadrilla a cependant réussi à
par la justice allemande pour sa mise à jour des logiciels des véhi­ périorité de leur expertise » pour plus actives du secteur, menace obtenir un nouveau permis d’ex­
responsabilité personnelle dans
a toujours cules d’un montant total de tromper sciemment et en de jeter l’éponge. Dirigée par Jim ploration, toujours près de Black­
l’affaire des moteurs diesel tru­ affirmé n’avoir 23 millions d’euros, avec l’appro­ connaissance de cause les Ratcliffe, l’homme le plus riche du pool. En octobre 2018, elle a com­
qués, dite « dieselgate », qui a bation de M. Winterkorn. Or, cel­ consommateurs de la conformité Royaume­Uni, la société estime mencé une opération de fractura­
éclaté en septembre 2015. Le par­
rien su de ces le­ci était « inutile et devait servir à du véhicule qu’ils achetaient, que les normes antisismiques ac­ tion hydraulique, une première
quet de Brunswick (Basse­Saxe, manipulations dissimuler la vraie raison de la bien qu’il ait en réalité été de tuelles sont trop draconiennes, depuis sept ans. Pour le secteur, la
nord de l’Allemagne) a publié, hausse des émissions polluantes moindre valeur et de moindre rendant la fracturation hydrauli­ réussite de ce projet est essentielle.
lundi 15 avril, le détail des faits qui pendant la conduite normale des performance qu’annoncé. « Les que presque impossible.
lui sont reprochés. avait assuré n’avoir pas entendu véhicules, » juge le procureur. suspects ont agi ainsi pour garan­ Lors d’une réunion le 23 novem­ Pression sur les autorités
Les accusations sont particuliè­ parler de ce type de logiciel Au moment du déclenchement tir à l’entreprise les chiffres de bre 2018 avec l’Oil and Gas Autho­ Mais la société n’arrive pas à me­
rement lourdes : l’ex­dirigeant est « avant septembre 2015. » Il avait de l’affaire, M. Winterkorn savait vente les plus élevés possible, avec rity – le régulateur britannique –, ner à bien ces travaux d’explora­
soupçonné de fraude aggravée, en alors déclaré : « Il est incompré­ donc depuis plus d’un an que des un bénéfice maximal. Du succès dont le Financial Times a dévoilé tion, butant sur les normes anti­
même temps que quatre autres hensible que je n’aie pas été in­ logiciels illégaux étaient montés économique dépendait aussi leur le compte rendu lundi 15 avril, sismiques. A chaque secousse de
cadres du groupe. La justice sus­ formé tôt et de façon claire des sur les véhicules, sans lesquels ils revenu, en particulier sa partie va­ Ineos a estimé que les normes plus de 0,5 sur l’échelle de Richter,
pecte également les cinq hom­ problèmes aux Etats­Unis. » auraient été incapables de respec­ riable (bonus), prévue dans le étaient « artificiellement basses ». elle est obligée de marquer une
mes d’abus de confiance, de Cette ligne de défense a été ter les limites d’émissions en vi­ contrat. » Pour ces raisons, ils en­ « Ineos affirme que des limites [an­ pause de dix­huit heures. Or, ce ni­
fraude fiscale ainsi que d’usage de anéantie par l’avocat général dans gueur en Europe et aux Etats­ courent de six mois à dix ans de tisismiques] sensées, réalistes et veau a déjà été atteint une dizaine
faux, pour des faits qui courent son communiqué, lundi. Le par­ Unis. Il a même tout fait pour que prison, ainsi que la confiscation soutenues par la science sont né­ de fois depuis le début des travaux.
du 15 novembre 2006 au 22 sep­ quet de Brunswick accuse la fraude se prolonge. de leur bonus acquis illégale­ cessaires, faute de quoi il a été clai­ Bloquée dans son travail, Cua­
tembre 2015. M. Winterkorn de s’être rendu ment. « Il s’agit de montants entre rement laissé entendre que l’entre­ drilla a tenté de mettre la pression
Cette accusation représente un coupable d’« un cas particulière­ Augmenter les parts de marché 300 000 et 11 millions d’euros. » prise arrêterait de demander des sur les autorités publiques pour
grave revers pour Martin ment grave de fraude, de violation Les autres accusés ont permis le L’inculpation publiée lundi, autorisations [de forage]. » desserrer l’étau des normes, mais
Winterkorn. L’ancien patron, de la loi contre la concurrence dé­ maintien dans le temps de ce sys­ longue de 692 pages, doit main­ L’avertissement d’Ineos inter­ le gouvernement a émis une fin
forcé à la démission en septem­ loyale ainsi que d’abus de con­ tème de fraude à grande échelle. tenant être examinée par le tri­ vient à un moment critique pour de non­recevoir. Ineos, qui a les
bre 2015, a toujours affirmé fiance. » En tant que « garant », Le procureur estime ainsi que bunal régional de Brunswick, le gaz de schiste au Royaume­Uni. poches beaucoup plus profondes,
n’avoir rien su des manipulations souligne­t­il, « il a omis d’informer « l’existence de ce logiciel illégal de qui décidera de la suite de la En 2011, la petite entreprise Cua­ a renchéri dans le lobbying.
de millions de véhicules diesel de les autorités compétentes en Eu­ désactivation a été consciemment procédure. Aux Etats­Unis, plu­ drilla, qui explorait un puits près Cette entreprise pétrochimique,
son groupe jusqu’à ce qu’elles rope et aux Etats­Unis ainsi que les dissimulée par les inculpés, de dif­ sieurs cadres du groupe ont déjà de Blackpool, dans le nord­ouest qui possède des raffineries, rêve
soient dénoncées par les autori­ clients » des manipulations des férentes manières, sur le fond et au été inculpés ou condamnés pour de l’Angleterre, avait provoqué d’utiliser le gaz de schiste britan­
tés américaines chargées de la diesels « dont il était informé de­ cours du temps ». leur rôle dans cette affaire. Volk­ quelques tremblements de terre nique comme matière première
protection de l’environnement. puis le 25 mai 2014 ». Le but était de rendre les véhicu­ swagen n’a pas réagi, lundi, à lors d’opérations de fracturation bon marché pour ses usines. Elle a
Celles­ci avaient révélé, le Cette date fait référence à un les diesel du groupe conforme en l’annonce de l’inculpation de hydraulique. Le gouvernement donc acheté d’importants permis
18 septembre 2015, que le groupe courrier qui lui avait été transmis apparence aux évolutions de la son ancien PDG. britannique avait immédiate­ d’exploration dans plusieurs ré­
allemand avait trompé les contrô­ le week­end, l’informant des réglementation et de conserver Cependant, l’acte d’accusation ment instauré un moratoire, puis gions anglaises et lancé un pro­
les pendant des années, grâce à émissions inexplicablement éle­ ou d’augmenter les parts de mar­ pourrait avoir des conséquences autorisé de nouveau les forages, gramme de consultation des po­
un logiciel capable de reconnaître vées du diesel VW aux Etats­Unis, ché de VW. « A cet effet, les véhicu­ sur les procès en cours contre le mais en renforçant les normes. pulations locales. Mais elle ne ca­
le moment où le véhicule est en ainsi que de la possibilité que les les diesel manipulés ont été pro­ groupe en Europe, où il continue Cet épisode a échaudé la popula­ che pas son exaspération face aux
phase de test, qui désactivait le autorités recherchent ce fameux mus de façon offensive et trom­ de se défendre de manipulations tion britannique, qui se bat désor­ retards, elle qui espérait forer dès
système antipollution une fois système de désactivation. Malgré peuse comme particulièrement illégales. L’affaire du « diesel­ mais de façon systématique con­ 2017. Si elle abandonnait la partie,
sur route. Devant la commission cette alerte, M. Winterkorn n’a ni faibles en émissions et écologi­ gate » a déjà coûté à VW au moins tre tous les projets de gaz de le secteur du gaz de schiste britan­
d’enquête parlementaire sur le interdit que les systèmes de dé­ ques », précise l’acte d’accusation. 28 milliards d’euros.  schiste. Manifestations locales et nique serait mort­né. 
diesel, début 2017, M. Winterkorn sactivation des dispositifs anti­ Les modèles équipés des disposi­ cécile boutelet lutte contre les permis de forer éric albert

PERTES & PROFITS | FOXCONN
Lancement imminent des négociations p a r p h i l ip p e es c a n de

commerciales entre l’Europe et les Etats­Unis La Chine à l’épreuve


Bruxelles a reçu l’autorisation d’entamer des tractations avec Washington, au nom
des Etats membres. La France a mis en avant son engagement climatique pour voter contre
des délocalisations
Terry Gou va prendre sa retraite. Aujourd’hui, la paye indienne
Pour ceux qui ne le connaissent est trois fois plus faible que celle
bruxelles ­ bureau européen nald Trump qui visera un second tains produits spécifiques). Enfin, (Ecipe), la raison de cette absence pas, il est l’un des plus grands in­ en vigueur à Shenzhen. Alors
mandat à l’automne 2020, sou­ la Commission européenne pro­ d’unanimité, très rare sur les dustriels au monde et le symbole Terry Gou déménage. Pas uni­

L’ Union européenne est


prête à ouvrir des tracta­
tions commerciales « li­
mitées » avec les Etats­Unis. Les
mandats de négociation tout
haitaient ne pas tarder – le loca­
taire de la Maison Blanche devant
décider, à la mi­mai, s’il impose
des droits de douane supplémen­
taires sur les importations de voi­
met de mener rapidement une
étude d’impact sur le développe­
ment durable, afin de vérifier que
les Etats­Unis ne tirent pas un
avantage concurrentiel de leur
questions commerciales, est à
chercher ailleurs : « On a déjà vu
par le passé la France s’opposer à
des choses qu’elle voulait dans l’es­
poir d’en obtenir davantage. Dans
d’une certaine Chine que l’on a
appelée « l’atelier du monde ».
A 68 ans, Terry Gou veut prendre
du champ. Pour faire comprendre
que les temps changent, ce pa­
quement pour les coûts, mais
aussi pour se rapprocher des
marchés. Apple veut se renforcer
en Inde, un marché qui croît de
près de 20 % par an, alors que la
juste obtenus, la commissaire au tures européennes. sortie de l’accord de Paris sur le ce cas­ci, l’idée n’est pas tant d’ob­ tron d’une discrétion absolue, à la Chine est déjà saturée de smart­
commerce, Cecilia Malmström, a D’autant plus que la poursuite climat scellé en 2015. tenir plus, mais bien de s’attaquer tête d’une fortune de plus de phones. Et puis la fabrication sur
fait part, lundi 15 avril, de son in­ des négociations leur assure une Toutes ces assurances n’auront au fait qu’Emmanuel Macron a 5 milliards de dollars (4,4 mil­ place permet d’économiser les
tention de conclure un accord certaine protection puisque pas suffi. Lors d’un vote des am­ une cote de popularité extrême­ liards d’euros), a annoncé que sa droits de douane indiens de 20 %
« gagnant­gagnant » d’ici au l’agenda positif sur lequel se sont bassadeurs la semaine dernière, ment basse », affirme­t­il. Et d’in­ société, Foxconn, le premier sous­ et d’espérer pouvoir y implanter
1er novembre. Un optimisme en­ engagées les deux parties à l’été puis d’une réunion ministérielle sister sur le fait que Paris avait traitant électronique mondial, des magasins Apple Store.
taché par l’opposition de la France 2018 leur interdit implicitement lundi, la France a clairement ex­ parfaitement conscience, au mo­ allait produire des iPhone d’Apple
et par l’écart abyssal entre les po­ d’imposer de nouvelles taxes primé son opposition et la Belgi­ ment du vote, que son opposition dans son usine de Madras (ou Fuite des usines
sitions des deux blocs. pendant qu’elles négocient. que s’est abstenue, faute d’accord n’empêcherait pas les mandats Chennai, sud de l’Inde). Comme tous les Taïwanais,
Alors que Washington prévoit au niveau interne. Emmanuel Ma­ d’être adoptés. Et pas des vieux modèles, mais M. Gou n’est pas un fervent natio­
de négocier un accord large, Abstention de la Belgique cron a expliqué sur Twitter que « la Si les partenaires européens ont les derniers­nés de la firme à la naliste chinois. Il va où ses inté­
Bruxelles souhaite en effet se li­ Contrairement à une première France [s’opposait] au lancement pris la décision d’avancer en ordre pomme. L’événement est d’im­ rêts le guident. Il a compris que le
miter à deux volets, à savoir l’éli­ version publiée en janvier, les di­ d’une négociation commerciale dispersé, le plus dur reste à faire. portance, car les iPhone X étaient temps de « l’atelier du monde »
mination des droits de douane rectives de négociation telles avec les Etats­Unis, qui se placent Comme l’a reconnu Mme Malms­ jusqu’à présent fabriqués presque était fini. Il place donc ses usines
sur les biens industriels (hors pro­ qu’adoptées intègrent toute une en dehors de l’accord de Paris ». tröm, « le Congrès américain a un exclusivement dans les usines en Inde, mais aussi dans le reste
duits agricoles) et de nouvelles série de sauvegardes pour répon­ Pour Hosuk Lee­Makiyama, di­ schéma de négociation qui diffère géantes du groupe en Chine. Celle de l’Asie, en Europe, au Brésil et
dispositions sur l’évaluation de la dre aux préoccupations de la recteur du Centre européen d’éco­ de celui des Européens », en récla­ de Shenzhen fait 22 kilomètres aux Etats­Unis. Il en possède une
conformité afin de faciliter l’ho­ France. Ainsi, les documents, nomie politique internationale mant l’inclusion de l’agriculture. carrés de superficie. Une « cité in­ trentaine dans le monde.
mologation des produits. d’une quinzaine de pages au total, Côté européen, le processus de terdite » de plus de 300 000 âmes, Comme avant ses voisins du Ja­
Les Américains sont disposés à précisent que le TTIP est « obso­ ratification sera aussi délicat : l’ac­ avec ses logements, ses magasins pon, de Corée, de Taïwan ou de
négocier depuis la mi­février, lète » et n’est « plus approprié ». Ils cord provisoire, une fois négocié, et ses sites de production. Singapour, la Chine voit fuir ses
mais, du côté européen, il a fallu enjoignent aux Etats­Unis de reti­ Si les partenaires nécessitera le soutien de 55 % des Foxconn est le premier em­ usines vers des pays moins coû­
plus de temps. La France, crai­ rer leurs taxes sur l’acier et l’alu­ Etats membres (représentant 65 % ployeur privé de Chine (plus de teux ou plus proches des lieux de
gnant le spectre d’un « TTIP bis » minium, et de ne pas en imposer
européens ont de la population) et d’une majorité 1 million d’employés), et le prin­ consommation. La guerre com­
(partenariat transatlantique de de nouvelles. pris la décision absolue des eurodéputés. Ce qui cipal sous­traitant d’Apple. Taïwa­ merciale avec les Etats­Unis accé­
commerce et d’investissement), Ils réaffirment, en outre, que les n’est pas acquis quand on sait que nais d’origine, Terry Gou avait lère la bascule. Un mouvement
aurait d’ailleurs préféré attendre produits agricoles sont exclus des
d’avancer en l’actuel Parlement, qui sera renou­ quitté son île et s’était installé naturel donc, que Terry Gou
jusqu’au lendemain des élections discussions, tandis que la pêche ordre dispersé, velé après le scrutin de la fin mai, dans le delta de la rivière des Per­ amorce discrètement, comme il
européennes du 26 mai. est incluse en tant que secteur avait échoué en mars à s’accorder les au tout début de l’ouverture l’a toujours fait, lui qui, à l’âge de
Cependant, d’autres Etats mem­ sensible (ce qui, in fine, pourrait
le plus dur sur une résolution commune.  chinoise, en 1989, pour profiter la retraite, est persuadé d’avoir
bres, très inquiets face à un Do­ donner lieu à l’exclusion de cer­ reste à faire sophie petitjean des salaires imbattables. encore tout l’avenir devant lui. 
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 campus | 21

Le malaise des jeunes ingénieurs face au climat


Sensibilisés à l’urgence climatique, plusieurs diplômés renoncent à une carrière traditionnelle

C’
est un discours de re­ agir, et la dernière à pouvoir faire
mise de diplôme in­ quelque chose”. » Pour autant, « on
habituel que Clé­ ne peut pas avoir une posture mo­
ment Choisne, jeune ralisatrice de l’extérieur. Pour inflé­
ingénieur de Centrale Nantes, a li­ chir ces grands groupes industriels
vré devant ses camarades, le vers des trajectoires écoresponsa­
30 novembre 2018. A contre­cou­ bles, il faut être à l’intérieur ».
rant des propos louangeurs de ce Amaury Gatelais, étudiant de Mi­
type d’événement, il a évoqué son nes ParisTech, estime que le boy­
dilemme : « Comme bon nombre cottage des entreprises n’est pas
de mes camarades, alors que la si­ une bonne idée. « Si tous les plus
tuation climatique et les inégalités convaincus et les plus écolos fuient
ne cessent de s’aggraver, que le des entreprises comme Total, il ne
GIEC [Groupe d’experts intergou­ restera plus que ceux intéressés par
vernemental sur l’évolution du cli­ l’argent et donc qui ne feront rien
mat] pleure et que les êtres se meu­ pour le réchauffement climatique. »
rent, je suis perdu, incapable de me Promis à un brillant avenir, que
reconnaître dans la promesse d’une feront, demain, ces bons élèves des
vie de cadre supérieur, en rouage es­ grandes écoles ? Paul dit qu’il a re­
sentiel d’un système capitaliste de noué avec une certaine créativité,
surconsommation. » absente de ses longues études :
Devant les futurs diplômés, pa­ « C’est une clé pour tenter de s’adap­
rents, anciens élèves, professeurs, ter aux prochains changements cli­
direction et industriels, l’ingé­ matiques et sociétaux qui boulever­
nieur de 24 ans s’est fait le porte­ seront notre confort et pour penser
parole d’un malaise que vivent de la civilisation suivante. Comment
plus en plus de jeunes diplômés rendre cool et séductrice une so­
face au réchauffement climatique : ciété plus sobre énergétiquement ?
« Quand sobriété et décroissance Comment montrer que faire du
sont des termes qui peinent à s’im­ vélo, c’est bon pour la santé ? Que
miscer dans les programmes cen­ prendre l’avion, ce sera un truc rare
traliens, mais que de grands grou­ LÉA TAILLEFERT dans une planète où vivent 7 mil­
pes industriels à fort impact car­ liards d’êtres humains ? » Clément
bone sont partenaires de mon Choisne aimerait créer au Mans
école, je m’interroge sur le système un « espace de solidarité ». Un lieu
que nous soutenons. Je doute, et je temps et me déclarer au chômage rêt le message surprise de Clément A Polytechnique, ils sont 611 à où l’on pourrait parler de système
m’écarte. » La vidéo de son inter­
Le boycottage volontaire pour comprendre la Choisne. « Un acte de courage », es­ avoir signé le manifeste (25 % des d’épuration, de jardin potager, de
vention, vue plus de 270 000 fois des entreprises complexité du réchauffement cli­ time­t­il. Il reçoit depuis plusieurs effectifs). Un signal, dans cette réseaux de transports et de dé­
sur YouTube, est l’un des échos de matique et réfléchir à ce que je pou­ mois des sollicitations de ses élè­ école très proche des milieux in­ croissance. Dans son discours à
ce désarroi éprouvé par les jeunes
polluantes vais faire », raconte­t­elle. ves pour identifier les entreprises dustriels et des postes de pouvoir. Centrale, il a cité l’anthropologue
diplômés face à un monde écono­ comme arme Depuis quelques mois, elle est polluantes. « C’est une demande à Philippe Drobinski, directeur d’un américaine Margaret Mead :
mique qu’ils jugent en décalage partie à la rencontre d’ingénieurs, laquelle je ne peux souscrire. Je ne laboratoire à l’école et climatolo­ « N’oubliez jamais qu’un petit
avec l’urgence climatique.
de chantage en France, qui ressentent « le peux pas leur dire quelles sont les gue, s’en réjouit : « Je dis toujours : groupe d’individus conscients et en­
Deux mois plus tôt, un groupe à l’embauche ? même malaise ». La réalité se rap­ bonnes et les mauvaises entrepri­ “Vous êtes la première génération à gagés peut changer le monde. » 
d’étudiants issus de grandes écoles pelle parfois à elle, un peu abrupte. ses », admet­il. prendre conscience de l’urgence à marine miller
prestigieuses – Polytechnique,
Une idée qui fait Alors que ses camarades de promo
Ensta, HEC, ENS – lançait un mani­ son chemin touchent des salaires, Maiana est
feste en ligne pour appeler les fu­ retournée vivre chez ses parents, à
turs diplômés à soutenir un chan­ Salies­de­Béarn, dans les Pyré­
gement radical de trajectoire. « Au chissent à prolonger leur engage­ nées­Atlantiques. Elle donne des
fur et à mesure que nous nous ap­ ment dans la recherche. cours de physique­chimie en at­
prochons de notre premier emploi, Clément Choisne a joint le geste tendant de choisir un métier qui
nous nous apercevons que le sys­ à la parole. Il est, depuis peu, pro­ lui convienne, « en étant honnête
tème dont nous faisons partie nous fesseur contractuel de physique­ et consciente de ses effets sur la so­
oriente vers des postes souvent in­ chimie dans un lycée nantais. « J’ai ciété, la nature, le monde ».
compatibles avec le fruit de nos ré­ grandi au Mans, je viens d’un mi­ « Je constate, au fil de mes recher­
flexions et nous enferme dans des lieu ouvrier et je suis celui qui a ob­ ches sur la colère des jeunes depuis
contradictions quotidiennes », écri­ tenu le plus haut niveau d’études 2012, que ce sentiment d’urgence
vaient les auteurs. dans ma famille. Etre admis dans face à la catastrophe écologique est
une grande école d’ingénieurs, de plus en plus prégnant », con­
« Faire un pas de côté » c’était la promesse de faire car­ firme Cécile Van de Velde, profes­
Le texte, signé par plus de 30 000 rière », dit­il. Après trois ans d’étu­ seure de sociologie à l’université
étudiants, incite les jeunes diplô­ des et plusieurs stages dans des de Montréal et maître de conféren­
més à travailler pour des « em­ entreprises de la « transition éco­ ces à l’Ecole des hautes études en
ployeurs en accord » avec les re­ logique », il a pris conscience que sciences sociales (EHESS). « Cette
commandations du manifeste. le développement durable était génération a un rapport particulier
Depuis, les auteurs du texte ont une notion « dépassée ». « Cela au temps : ils ressentent la finitude
rencontré les cabinets des ministè­ donne l’illusion qu’on peut conti­ du monde. En 2008, c’était la crise
res chargés de la transition écolo­ nuer à vivre avec le même modèle économique et sociale qui structu­
gique, et lancé des groupes de tra­ économique en y ajoutant une tou­ rait la colère. Aujourd’hui, ce ma­
vail sur la refonte des programmes che verte. » La stratégie des « petits laise est plus profond, plus intime. »
de l’enseignement supérieur, où pas » et les contradictions du La chercheuse reconnaît dans
l’enjeu climatique est encore trop monde économique le découra­ cette posture le refus d’un héritage
confiné aux cursus spécialisés. gent. « La décision de Nicolas Hulot trop lourd à porter. C’est aussi
A Centrale Nantes, 330 élèves in­ m’a bouleversé, dans la mesure où « l’autre versant » de la colère des
génieurs ont signé ce manifeste, elle faisait écho aux tergiversations classes populaires : « Chez cette jeu­
« près de 25 % des étudiants de qui furent les miennes. » nesse bien informée, bien formée et
l’école », précise Romain Olla, étu­ Paul (le prénom a été changé), di­ qui a des ressources, il y a un refus
diant en deuxième année, qui a plômé de Centrale Lyon, a vécu de transmission du système. »
participé à une étude pour mesu­ une « dissonance cognitive », le fait Les grandes écoles observent de­
rer le niveau de connaissance et d’être en contradiction avec soi­ puis plusieurs années cette quête
d’intérêt suscité par la question cli­ même. En CDD dans un grand de sens dans l’orientation de leurs
matique dans la communauté groupe industriel, il est recruté diplômés. Néanmoins, « le pas de
centralienne. Une question por­ pour développer un secteur qu’il côté en dehors du monde du tra­
tait sur le comportement en ma­ pense vertueux : l’éolien. Mais les vail » est « ultraminoritaire », as­
tière de bilan carbone des entrepri­ objectifs de rentabilité priment sure Frank Debouck, directeur de
ses lors de la recherche d’un stage sur l’enjeu écologique : « Il fallait Centrale Lyon, « 99 % de nos diplô­
ou d’un premier emploi. « 89 % des gagner des appels d’offres, et in fine més sont en emploi ». Au niveau na­
répondants estiment que ce com­ mon boulot consistait à vendre du tional, les taux d’insertion à la sor­
portement est important et 38 % di­ béton. » Lorsqu’on lui propose un tie des grandes écoles battent des
sent qu’ils pourraient refuser un CDI au bout de dix mois, il préfère records pour les ingénieurs : 71,9 %
emploi, voire même ne pas postuler décliner. « Je sentais déjà mon ma­ des jeunes diplômés travaillent,
à une offre, si l’entreprise a un mau­ laise dans cette fonction d’ingé­ selon l’enquête insertion 2018 de
vais bilan en matière de réchauffe­
ment climatique », souligne Ro­
nieur commercial. J’avais besoin de
prendre de la hauteur, sur moi et sur
la Conférence des grandes écoles
(CGE). Seulement 2,1 % des sondés WWW.EBS-PARIS.FR
main Olla. le système dans lequel je m’inscri­ se déclarent « sans activité volon­
Le boycottage des entreprises vais », explique­t­il. tairement ». « De plus en plus de
polluantes comme arme de Maiana Houssaye, 23 ans, diplô­ centraliens choisissent des petites
chantage à l’embauche ? L’idée mée de Centrale Lyon, évoque elle structures, où ils comprennent ce DIPLÔME VISÉ BAC +5
fait son chemin chez les jeunes aussi une « perte de sens totale » et qu’ils font et pourquoi ils sont là. Il y GRADE DE MASTER
ingénieurs. Nous en avons ren­ la même dissonance cognitive lors a quinze ans, 50 % d’une promotion ÉTABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR TECHNIQUE PRIVÉ
contré plusieurs, qui préfèrent d’un stage en Nouvelle­Zélande, s’orientait directement dans les Association loi de 1901
« prendre le temps de réfléchir à dans une entreprise de biotechno­ grands groupes », précise le direc­
leurs responsabilités », ou « faire logies. Lors d’une escapade en teur. « Maiana est une lanceuse
un pas de côté » en évitant de tra­ Asie, elle éprouve un sentiment d’alerte. Mais tout le monde ne peut
vailler pour des entreprises qu’ils d’écœurement en nageant dans pas être lanceur d’alerte. C’est bien
estiment « coupables ». D’autres une mer de plastique à Bali. « Je de crier, mais qu’est­ce qu’on fait
négocient des temps partiels, crois que j’ai fait un burn­out. Mon après ? », interroge­t­il.
s’engagent dans des associations, envie d’agir s’est déclenchée à ce A Centrale Nantes, le directeur,
des services civiques ou réflé­ moment­là. J’ai préféré prendre du Arnaud Poitou, a écouté avec inté­
CULTURE
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22 | MERCREDI 17 AVRIL 2019

 CHEF­D'ŒUVRE           À  NE  PAS  MANQUER           À  VOIR           POURQUOI  PAS           ON  PEUT  ÉVITER

Le testament allemand de Fritz Lang
Symbole éternel de la terreur et de la corruption des âmes, le Dr Mabuse revient hanter les écrans

REPRISES

F
ritz Lang, immense
cinéaste allemand, est
doublement à l’honneur
ce mois­ci, avec, consé­
cutivement, une reprise et un iné­
dit illustrant chacun un pan de sa
carrière écartelée entre l’Europe
et les Etats­Unis : Le Testament du
Dr. Mabuse (1933), chef­d’œuvre
inépuisable et immortel, en salle
le 17 avril, et House by the River
(1949), somptueux récit criminel
et gothique distribué pour la pre­
mière fois en France, le 24 avril.
Chaque retour en salle du
Dr. Mabuse marque à quel point
ce personnage, né au début des
années 1920 sous la plume de
l’écrivain luxembourgeois Nor­
bert Jacques, porté à l’écran par
Lang et sa scénariste Thea von
Harbou, n’a jamais cessé de nous
concerner, en dépit de ses déter­
minations historiques. Indisso­ Le professeur
ciable de la République de Wei­ Baum (incarné
mar, ce génie du mal et de l’hyp­ par Oscar Beregi),
nose, capable de s’infiltrer dans directeur de
les esprits humains pour étendre l’hôpital
son empire du crime, refléta mé­ psychiatrique
taphoriquement la montée du na­ où est interné
zisme et l’imminence de son avè­ le Dr. Mabuse.
nement (Lang affirma avoir placé TAMASA DISTRIBUTION
des discours et slogans d’Hitler
dans les répliques du docteur).
Mais la maîtrise technique et l’in­
vincibilité du personnage ont fini
par figurer quelque chose de plus
large : la part irrationnelle des so­
ciétés modernes qui se laissent
déstabiliser et peu à peu gouver­
ner par la terreur et l’oppression.
Sous bien des masques démago­
giques et autoritaires, l’ombre tament délirant. Bien qu’enfermé, catastrophes sur lesquelles plane Stephen Byrne (Louis Hayward), tutives de son élévation sociale.
mabusienne n’a, en définitive, ja­ son esprit semble pourtant tou­ son ombre, suggérée par un mon­
Interdit par écrivain en mal de succès, tente Lang pose la conjugalité bour­
mais vraiment quitté l’actualité. jours régner sur l’organisation tage d’une vivacité et d’une Joseph Goebbels, de violer sa servante en l’absence geoise, avec ses frustrations et ses
Interdit par Joseph Goebbels, Le mafieuse qui agit en son nom, rigueur impressionnantes. Une de sa femme, et l’étrangle en non­dits, comme cadre de cette
Testament du Dr. Mabuse est le pour fabriquer de la fausse mon­ fois volatilisé, Mabuse ne survit
« Le Testament étouffant ses cris. Avec l’aide de propension au despotisme, dans
dernier film allemand de Lang naie et faire disjoncter le système plus qu’en tant que doctrine (son du Dr. Mabuse » son frère John (Lee Bowman), il se le décor d’une grande demeure
avant que celui­ci ne s’envole vers bancaire. testament, mais aussi ses recom­ débarrasse du corps dans le fleuve filmée comme un inquiétant pa­
la France, puis les Etats­Unis, mandations susurrées à l’oreille
est le dernier profond qui borde sa demeure. lais d’ombres, de recoins interdits
après s’être vu offrir les clés du ci­ Le médium et le message de Baum) : « L’âme des hommes film allemand Sans le moindre scrupule, et de dédoublements psychoti­
néma nazi par le même ministre L’idée de génie du film est d’ados­ doit être effrayée jusqu’au plus pro­ Stephen profite de cette dispari­ ques (Stephen confond la domes­
de la propagande. C’est un film de ser à la progression trépidante du fond d’elle­même par des crimes
du cinéaste tion pour se faire de la publicité tique avec sa propre femme, ainsi
pure terreur, semé de visions gla­ polar la disparition corporelle du inexcusables et apparemment ab­ gratuitement dans les journaux. désirée à distance). Le scepticisme
çantes, mais aussi feuilletones­ malfaiteur : laissé très vite pour surdes. » Dans un passage éclai­ notre monde de désinformation Mais le cadavre, comme le refoulé de Lang trouve ici une expression
que, car mettant aux prises deux mort, Mabuse s’évapore sans que rant, l’un de ses sbires, se virtuelle ou de traçage numérique criminel, ne tarde pas à refluer aussi implacable que mélancoli­
personnages issus de précédentes ne se relâche son emprise souter­ retournant contre lui, tire sur sa ne serait, évidemment, pas si for­ hors des eaux du fleuve. que, la violence advenant dans un
œuvres à succès du cinéaste : le raine. Filmé en surimpression, le silhouette, derrière un rideau qui tuite que cela… souffle d’inadvertance, les
criminel en chef (joué par le ma­ personnage apparaît comme un ne cachait en fait qu’un gramo­ House by the River, tourné en Une violence prédatrice personnages contenant en eux­
gnétique Rudolf Klein­Rogge), ap­ fantôme aux yeux exorbités, phone et un haut­parleur. Mabuse pleine période américaine du Sur cette base de film noir en cos­ mêmes, au plus profond de leur
paru aux temps du muet dans forme spectrale prenant posses­ n’existe pas en tant que tel : il est à cinéaste, semble ne plus avoir tumes, Fritz Lang mène une étude condition, les germes de leur
Docteur Mabuse le joueur (1922), sion des autres – dont le profes­ la fois le médium et le message, té­ grand­chose en commun avec Le psychologique confondante sur propre destruction. 
auquel Lang oppose le commis­ seur Baum (Oscar Beregi), un psy­ lécommunication et propagande, Testament du Dr. Mabuse. Dans ce ce que le théoricien Theodor mathieu macheret
saire Lohman (Otto Wernicke), chiatre qui poursuit ses œuvres transmettant ses ordres et son drame de chambre victorien à pe­ Adorno nommera, au même
qui avait déjà mené l’enquête maléfiques. Dépersonnalisé, image plus vite que la pensée. Son tit budget, réalisé pour la Republic moment, la « personnalité autori­ Le Testament du Dr. Mabuse
dans M le Maudit (1931). Une va­ Mabuse n’est plus un homme, empire n’est autre que celui de la Pictures – studio hollywoodien taire ». Stephen, homme de lettres (1933). Film allemand de Fritz
gue d’assassinats et d’attentats mais un principe agissant, une es­ diffusion : mirage d’ubiquité et dit de la Poverty Row (« allée de la et bourgeois rangé, laisse affleu­ Lang. Avec Rudolf Klein­Rogge,
lance l’inspecteur sur la piste d’un sence corruptrice susceptible de d’omniscience par quoi les pauvreté ») –, il n’est pourtant pas rer sous un comportement Oscar Beregi (2 h 01).
Mabuse interné en hôpital psy­ contaminer tout un chacun. techno­pouvoirs « instrumentali­ moins question de crime, cette conforme des pulsions de domi­ House by the River (1949). Film
chiatrique, visiblement inoffen­ Assassinats, krach boursier, sent », au sens propre, tout le corps fois dans une perspective moins nation et une violence prédatrice américain du cinéaste. Avec Louis
sif, car consignant par écrit un tes­ pollution, terrorisme : autant de social. Toute ressemblance avec sociale qu’individuelle. insoupçonnée, pourtant consti­ Hayward, Jane Wyatt (1 h 28).

Le souvenir indélébile d’un Oradour biélorusse


Le chef­d’œuvre douloureux et poétique d’Elem Klimov, porté par un jeune interprète bouleversant, est à revoir en salle

E n 1985, l’Union soviétique


célèbre le 40e anniversaire
de la victoire sur l’Allema­
gne nazie, au terme de la grande
guerre patriotique. Sept ans plus
film s’appellera Viens et regarde,
selon la formule proférée à
l’ouverture des sept sceaux dans
l’Apocalypse. C’est sous ce titre
que le film est sorti en URSS et
« Tant pis, il faut quand même le
faire. »
Requiem pour un massacre
commence par un jeu d’enfants.
Sur une étendue sableuse, deux
censeurs soviétiques : la troupe
est disparate, ils se prennent au
sérieux sans donner le sentiment
d’être tout à fait prêts pour la
guerre. Il n’y a pas vraiment d’iro­
village que traversera une forma­
tion SS. Pour mettre en scène la
barbarie nazie (à la fin du film, un
carton rappelle que 628 villages
biélorusses ont été brûlés par les
lage de bois devient un bûcher :
ces visions sont presque impossi­
bles à assimiler, exacerbées par
une bande­son dissonante qui
colle, elle aussi, à l’expérience du
tôt, le cinéaste russe Elem Klimov dans le monde anglo­saxon, en­ garçons jouent à déterrer les ves­ nie dans ces images un peu gro­ forces allemandes), Elem Klimov protagoniste, assourdi par le pre­
et le scénariste biélorusse Alexeï tre la fin 1985 et 1986. tiges d’une bataille, malgré les tesques, plutôt la reconnaissance puise dans l’histoire du cinéma mier bombardement.
Adamovitch ont soumis à la cen­ avertissements d’un vieillard qui de l’humanité et l’imperfection soviétique, de l’expressionnisme Requiem pour un massacre ne se
sure un scénario racontant le L’imperfection des combattants craint le retour de la guerre. Flo­ de ces combattants que l’icono­ bolchevique au mysticisme de réduit pour autant pas aux tenta­
martyre d’un village à l’été 1943, Répondre à cette invitation, c’est rya (Aleksei Kravchenko), le plus graphie soviétique avait depuis Tarkovski. tives d’expériences « immersi­
alors que les troupes nazies com­ se résoudre à l’expérience de grand des deux, finit par exhu­ longtemps canonisés. Il obtient de son jeune inter­ ves » de Spielberg dans Il faut sau­
mencent à refluer en Biélorussie. l’horreur. Non que Requiem pour mer un fusil, l’arme sera son oc­ prète un engagement terrifiant. ver le soldat Ryan (1998) ou Laszlo
Destiné à la commémoration de un massacre (titre français du troi pour entrer chez les partisans Le mysticisme de Tarkovski Cette force d’interprétation est Nemes dans Le Fils de Saul (2015).
la victoire, le projet, intitulé Tuer film) dégouline d’hémoglobine. Il qui combattent derrière les lignes Lorsque la colonne fait mouve­ d’autant plus indispensable que Son respect de l’histoire se double
Hitler, est refusé par le Goskino, ne s’agit pas de révulser les mas­ allemandes. Avec la naïveté de ment, Florya est laissé à l’arrière tout le film est vu à travers les d’une exigence poétique qui fait
l’administration du cinéma. ses, mais de leur faire passer des son âge, il repasse par la ferme fa­ avec Glasha (Olga Mironova), une yeux de cet enfant, qui finit le de l’ultime film de Klimov un
En 1984, alors que Mikhaïl Gor­ fragments de la catastrophe. miliale, le temps de briser le cœur adolescente qui fait l’infirmière. film comme un vieillard abruti chef­d’œuvre aussi douloureux
batchev s’approche du pouvoir, Dans un très bel entretien, Kli­ de sa mère. Le lendemain matin, Pris sous les bombes allemandes, de souffrance. qu’inoubliable. 
Tuer Hitler se voit en même mov raconte avoir dit, dans un deux partisans l’emmènent vers les deux enfants cherchent re­ Les arbres de la forêt s’abattent thomas sotinel
temps autorisé et financé, à con­ moment de doute, à son scéna­ la forêt. fuge dans le village du garçon, sous les coups de bombes dont on
dition de changer de titre. Autre riste « personne ne viendra voir ce Klimov filme les partisans à re­ première station d’un calvaire qui ne sait d’où elles viennent, les bal­ Film soviétique d’Elem Klimov
signe des temps, Klimov em­ film », tant il lui semblait éprou­ bours du style hagiographique le mènera d’un camp de réfugiés les traçantes illuminent la nuit, (1985). Avec Aleksei Kravchenko,
prunte au Nouveau Testament : le vant. Adamovitch lui répondit : qu’avaient longtemps exigé les improvisé dans un marécage à un juste au­dessus de sa tête, un vil­ Ologa Mironova (2 h 22).
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MERCREDI 17 AVRIL 2019 culture | 23

« Un moment où les journalistes Après les attentats de


« Charlie Hebdo », à quoi
relaient le théâtre politique » les jeunes rêvent­ils ?
La réalisatrice Audrey Gordon raconte la manière dont elle a filmé Matthieu Bareyre les observe et
une reporter de France 2 qui suivait la course à la présidentielle de 2017 leur donne la parole au gré de ses flâneries
dans la capitale et en banlieue

ENTRETIEN « Il y a un sur le terrain. En termes de


temps, il n’y avait pas vraiment
Cela fait beaucoup de travail
pour un sujet finalement très
L’ÉPOQUE Aventureux,

C
e temps­là n’est guère décalage entre d’autre solution. Pourtant Astrid court au journal de 20 heures…
éloigné, mais il paraît me semblait tout le temps prête à Oui, il y a un décalage entre le  poétique,
le travail colossal
déjà loin : il y a deux
ans, le candidat Emma­
nuel Macron était la coqueluche
de la vie politique française et
sa cote grimpait en flèche à l’ap­
fourni par Astrid
pendant
une journée
affronter l’imprévu. De mon
côté, avec l’ingénieur son du
film, on restait toute la journée à
ses côtés, comme des petites sou­
ris. J’avais tout le temps la ca­
travail colossal fourni par As­
trid pendant une journée et le
sujet diffusé, où il faut faire très
court, aller à l’essentiel. C’est ce
que résume son collègue de
C’ est quoi l’époque ? »,
« Quels sont vos rê­
ves ? », ont demandé
Matthieu Bareyre et l’ingénieur
du son Thibaut Dufait, un peu à
chorégraphique
dans son
montage,
proche du premier tour de la
et le sujet diffusé, méra sur les genoux. Astrid met­ France 2, qui dit ceci : « Le long la façon de Chris Marker et de « L’Epoque » met
présidentielle. En mars 2017, la tait le haut­parleur quand elle terme, ici, c’est du court terme Pierre Lhomme qui se mettaient
réalisatrice Audrey Gordon a où il faut faire était au téléphone avec France 2, sans cesse renouvelé. De quoi on a à l’écoute des Parisiens dans Le
toutes les paroles
suivi une jeune journaliste de
très court » pour éviter d’avoir l’oreille qui besoin aujourd’hui ? De quoi on a Joli Mai, au printemps 1962, à égalité
France 2 couvrant la campagne, chauffe, donc j’entendais tout et besoin demain ? » après les accords d’Evian signant
qui est aussi une proche, Astrid je pouvais réagir. la fin de la guerre d’Algérie. Les
Mezmorian. La réalisatrice ra­ Vous filmez la journaliste deux flâneurs de L’Epoque, pre­
conte ce road­movie, qui res­ chant, elle ne faisait quasiment Dans votre film, on ne voit qui elle­même suit Macron. mier long­métrage de Matthieu texte, est­il préférable d’étudier
semblait à un rodéo. rien à part suivre Macron. De son jamais la journaliste Du point de vue de l’image, Bareyre, déambulent la nuit, ce ou d’aller dans la rue ? Qui sont
côté, Astrid devait également de France 2 poser comment avez­vous opéré ? moment où l’on se sent plus li­ les sages et les irresponsables ?
Votre film montre la fabrique trouver la juste distance avec le une question de fond C’est une mise en abyme. bre de s’exprimer. Solenne, Alesk, Tamalou, Jordi,
de l’information par une candidat. Elle se faisait un point à M. Macron, alors qu’elle J’aimais observer Astrid et sa ma­ Le projet du film remonte au etc., livrent une parole rare, tan­
chaîne du service public, d’honneur à ne pas tutoyer s’est beaucoup documentée nière, disons féline, de rôder lendemain de l’attentat contre dis que le film capte des frag­
pendant la campagne l’équipe de campagne – et elle sur le candidat… Comment autour de la meute des journalis­ Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Le ments, les murs de la capitale et
présidentielle de 2017. gronde gentiment le cameraman expliquez­vous cela ? tes. A un moment, on ne sait pas cinéaste a senti que plus rien ne ses jeux de mots, les affiches pu­
Quel dispositif avez­vous quand il s’autorise le tutoiement. Il faut resituer le contexte : on pourquoi, elle décidait d’y aller et serait pareil, et la petite aiguille blicitaires et leurs slogans. Une
choisi d’adopter ? est plutôt sur la fin de la campa­ de poser sa question. J’ai guetté des libertés individuelles n’a pas autre carte postale de Paris, la
J’ai choisi de ne pas être trop Alors qu’elle est sur le terrain, gne, dans le jeu entre les candi­ ces moments­là, je cherchais à ar­ tardé à s’affoler. En témoigne ville la plus visitée au monde.
proche, en utilisant une caméra Astrid Mezmorian dats. Les journalistes relaient le rêter le temps. Sur la fin, j’ai fait un l’interdiction, après les nouveaux
sans zoom, c’est­à­dire avec une ne semble pas proposer théâtre politique. Avant, elle pou­ rêve : Macron sortait de l’Elysée, attentats intervenus à Paris le De l’autre côté du périphérique
focale fixe. Le spectateur est à la de sujet à sa rédaction. La vait poser des questions de fond. c’était une petite maison de cam­ 13 novembre, de la Marche mon­ La force du film est de ne pas
même distance que moi. Je de­ chefferie lui passe commande, Dans la dernière ligne droite, pen­ pagne. En face, il y avait une expo­ diale pour le climat, fin novem­ prendre position. Il y a cette
vais laisser un espace à Astrid : je elle part en reportage dant qu’elle est sur le terrain, sition avec des toiles immenses : bre 2015, à la veille de la Confé­ brillante étudiante en philo, dont
la connais, et je ne voulais pas en sachant à l’avance d’autres journalistes de la rédac­ sur chacune d’elles, il y avait une rence des Nations unies sur le on devine qu’elle a intégré une
profiter de cette proximité. Sans ce qu’elle doit trouver… tion passent des coups de fil – femme qui regardait une femme, climat (COP21) – « L’urgence, c’est grande école. Elle raconte com­
doute, si elle n’avait pas été une Oui, il y avait le sujet du jour. comme Astrid le leur demande laquelle regardait ailleurs, vers le climat », lit­on sur une bande­ ment les violences policières, au
amie, je l’aurais davantage fil­ J’imagine qu’Astrid avait des lorsqu’il faut préparer un sujet Macron. Le film est plutôt là.  role dans le film. printemps 2016, pendant les ma­
mée en dehors du travail. Mais, échanges avec la rédaction en sur le service militaire annoncé propos recueillis par Le fond de l’air est rouge, et bleu, nifestations contre la loi Travail
de toute façon, l’échéance appro­ chef, et elle pouvait aussi affiner par Macron. clarisse fabre comme un clin d’œil au film du ci­ de l’ancienne ministre Myriam El
néaste expérimental Chris Mar­ Khomri, l’ont ébranlée et catapul­
ker, Le fond de l’air est rouge (1977). tée dans la rue : « Avoir un bon tra­
Car, en plus d’être un documen­ vail est quelque chose qui a perdu

Au cœur de la campagne d’Emmanuel Macron taire sur la jeunesse, tourné entre


novembre 2015 et juin 2017, à Paris
et en banlieue, L’Epoque a une
de l’importance », dit la jeune
femme, dont on n’entend que la
voix – les autres personnages
Trouver des personnes à interviewer, répondre aux consignes des chefs, scènes de stress... image libre et une palette aux cou­ parlent à visage découvert. Car
leurs du temps. Le rouge fumigène elle a rejoint les black blocs et
Le documentaire raconte la fabrication de l’information sur le terrain et le bleu gyrophare éclairent la parle de son addiction aux af­
nuit et se mêlent aux projecteurs frontements.
tricolores de la place de la Républi­ De l’autre côté du périphérique,
journée de travail aboutit à un gne sur la chaîne publique. Un que. Soudain, le reflet de la statue dans le « 9­3 », deux Françaises
PREMIÈRE CAMPAGNE sujet d’une minute et trente se­
En montrant peu routinier – alternance de scè­ se brouille dans une flaque d’eau. originaires d’Afrique estiment
 condes à l’antenne. Astrid Mez­ les coulisses, nes dans la voiture, de meetings C’est dans ce nuancier qu’apparaît que rien ne sert de casser : mieux

D ans Première campagne,


documentaire d’Audrey
Gordon, le personnage
principal n’est pas Emmanuel
Macron, mais la journaliste de
morian sait ce qu’elle va cher­
cher : au siège de France 2, la di­
rectrice du service politique, Na­
thalie Saint­Cricq, et d’autres
membres de la rédaction en chef
le film
raconte aussi
le formatage
et séquences à la rédaction de
France 2 –, le film propose peu
d’échappées. Mais il y en a tout
de même quelques­unes. On voit
ainsi Astrid Mezmorian discuter
Rose, dès les premiers plans.
Dans son écharpe fuchsia, la
jeune femme noire est la
Marianne en colère, l’interprète
érudite de l’époque qui reviendra
vaut aller à la bibliothèque,
apprendre notre histoire, disent­
elles. « On sera moins frustrées
quand on sera confrontées à un
facho. » Rose réapparaît pour dire
France 2 Astrid Mezmorian, qui élaborent, et bien souvent, dic­ du suivi avec son père, chez lui, dans son hanter l’image. Dans un conte, son ras­le­bol des contrôles à ré­
suivait le candidat d’En marche ! tent « le sujet du jour ». bureau. Où ce dernier finit par on écrirait que Rose a passé telle­ pétition : on lui demande ses pa­
lors de l’élection présidentielle
de la campagne lui dire que Macron est une cons­ ment de temps place de la Répu­ piers ? « Je vais sortir tous mes di­
de 2017. Peu d’échapées sur la chaîne truction médiatique. blique qu’elle en a pris les cou­ plômes… » Parfois, un policier
Audrey Gordon et Astrid Mez­ Le film débute comme un Un soir, Astrid avoue devant leurs. De là viendrait son pré­ sourit et elle le remercie. Un autre
morian se connaissent bien, elles feuilleton de Mission impossi­
publique ses collègues : « C’est déséquili­ nom, savant mélange de rouge et a fait le singe en la croisant, un
ont fait leurs études ensemble à ble. Astrid Mezmorian et le ca­ brant, émotionnellement, d’être de bleu. Dans la vraie vie, le réali­ soir, à République…
l’Institut d’études politiques, à meraman de France 2 sont dans tout le temps dans une sur­ sateur a mis du temps à trouver Tout est dit dans ce plan saisis­
Paris. Lorsque la jeune journa­ un TGV, en route pour assister à Prochaine étape, la « cristallisa­ chauffe. » Il y a cette scène de ce personnage qui incarne « un sant tourné en mai 2016 : Mat­
liste prend son poste sur la un meeting du candidat. La jour­ tion » du vote autour de Macron. stress, avant le « 20 heures », où idéal de liberté ». thieu Bareyre filme au plus près
chaîne publique, le 1er septem­ naliste a une demi­heure pour Tous les médias en parlent. Dans deux responsables de France 2 Aventureux, poétique, choré­ les visages de CRS barrant l’en­
bre 2016, Emmanuel Macron, an­ dénicher un électeur du candi­ la voiture de France 2, le télé­ viennent dans son dos, lui graphique dans son montage, trée de la Cinémathèque fran­
cien ministre de François Hol­ dat socialiste, Benoît Hamon, phone d’Astrid sonne. C’est Na­ donnant des consignes : il faut L’Epoque met toutes les paroles à çaise, occupée par ses employés
lande, vient juste d’annoncer sa qui serait susceptible de bascu­ thalie Saint­Cricq : il faut interro­ écrire comme ci, ou comme ça. égalité : la jeune DJ Soall est prête précaires. Un policier pointe
candidature. Le film suit les deux ler pour Macron au vu de la con­ ger Macron sur ce phénomène Mais la journaliste a aimé tra­ à aller au bout de la Terre pour le alors sa caméra sur le réalisateur,
derniers mois de la campagne, joncture. Astrid Mezmorian fi­ d’emballement proche du senti­ vailler à percer le mystère Ma­ « son » ; l’étudiant en école de une miniature et son signal
alors que les ralliements à Ma­ nit par trouver un participant ment amoureux. Par ailleurs, cron. « Et lui, il te connaît bien ? », commerce, Arthur, a renoncé à rouge clignotant. Ce bref instant
cron se multiplient et que l’hypo­ qui entre dans cette catégorie et Macron propose l’instauration lui demande le cameraman. ses « rêves » d’études dans « le so­ du filmeur filmé dure une éter­
thèse que le candidat affronte fait son interview, soulagée. Le d’un service militaire. Il faut ex­ « Je pense qu’il connaît mon pré­ cial et la philo », sur les conseils de nité. L’Epoque regarde la jeu­
Marine Le Pen au second tour de spectateur, lui, est un peu aba­ pliquer « à quoi ça sert, c’est quoi le nom… » Puis, se ravisant : « J’en ses parents. Car, plus tard, il es­ nesse, mais aussi les forces de
l’élection devient plausible. sourdi : la chaîne publique n’est­ contenu, combien ça coûte », indi­ sais rien, en fait. »  père offrir « une belle éducation » l’ordre, au fond des yeux. 
Classique dans sa forme, le elle pas en train d’amplifier les que encore la chef… cl. f. à ses enfants. Ce « plus tard » cl. f.
film d’Audrey Gordon raconte la difficultés, certes réelles, du En montrant les coulisses, Pre­ vient télescoper le « ici et mainte­
fabrique de l’information sur candidat PS ? Le film n’aborde mière campagne raconte aussi le Documentaire français nant ». Beaucoup de jeunes ex­ Documentaire français
le terrain. Ou comment une pas la question. formatage du suivi de la campa­ d’Audrey Gordon (1 h 12). plorent cette question : vu le con­ de Matthieu Bareyre (1 h 34).

APRÈS EX LIBRIS, LE NOUVEAU FILM DU PLUS GRAND CINÉASTE DE L’HISTOIRE DE L’AMÉRIQUE CONTEMPORAINE

AU CINÉMA LE 24 AVRIL
MONROVIA ‚ INDIANA
UN FILM DE FREDERICK WISEMAN
0123
24 | culture MERCREDI 17 AVRIL 2019

Le petit vélo enchanté de Sempé La course­poursuite


d’un escroc politicien
Une adaptation tendre, poétique et drôle de l’album « Raoul Taburin »
Le film suit la spirale catastrophique d’un élu
espagnol qui tente d’échapper à la justice
RAOUL TABURIN
 héros de ce récit n’hésitera pas
EL REINO non plus à adopter.

S
empé a enfin trouvé au  El Reino décrit un engrenage fa­
cinéma ses admirateurs
respectueux et inspirés.
Pour les nommer, le réa­
lisateur Philippe Godeau et le
scénariste Guillaume Laurant,
S i El Reino convainc davan­
tage le spectateur que le
précédent film de son
auteur, Que Dios nos perdone, c’est
sans doute parce qu’il parvient à
tal fait de paranoïa et de choix
absurdes, et le film hésite entre le
thriller terrifiant (le « héros »
est­il menacé ?) et la satire parfois
burlesque d’un univers où ne ré­
qui signent la première adapta­ dépasser les contraintes un peu gneraient que le rapport de force
tion cinématographique réussie codées du cinéma policier pour et la fuite. La forme même du par­
de l’univers du dessinateur. proposer un type particulier de cours de Lopez Vidal est celle
Raoul Taburin, le film, porte le suspense, une manière d’embar­ d’une spirale catastrophique dont
même nom que le livre ; il en res­ quer le spectateur dans un « trip » chaque volute descendante est le
titue la tendresse, la poésie et à la fois burlesque et terrifiant. résultat d’un mauvais choix.
l’humour ; il en respecte la sim­ En collant, durant plus de deux Tenter d’enregistrer ses compa­
plicité (apparente) et le sens du heures de projection, aux faits et gnons du parti pour les compro­
détail sur les petites situations de gestes de son personnage princi­ mettre et peut­être sauver sa
la vie quotidienne, les petites pal, animal affolé lancé dans une peau, récupérer des documents
gens perdues dans la foule et course sans raison apparente si­ compromettants en forçant la
l’étendue du monde. non celle de la survie sociale, le porte d’une résidence dans la­
Sempé n’a jamais caché ne pas film de Rodrigo Sorogoyen con­ quelle les enfants de son adver­
avoir aimé les deux opus tirés des fronte une des figures contempo­ saire font la fête se révèlent, à cha­
aventures du personnage qu’il a raines les plus détestées et les que fois, de désastreuses options.
créé il y a soixante ans avec plus familières aujourd’hui, le po­ En collant systématiquement au
Goscinny, Le Petit Nicolas (2009) liticien corrompu, à un écheveau personnage, la caméra de Rodrigo
et Les Vacances du Petit Nicolas de sentiments contradictoires. Sorogoyen écrit la partition d’une
(2014), de Laurent Tirard. Manuel Lopez Vidal est un chorégraphie rythmée par la pul­
Aujourd’hui, il se dit au contraire homme politique, un élu régio­ sation de la musique répétitive et
fier et touché de ce Raoul Taburin nal, semble­t­on comprendre, qui entêtante d’Olivier Arson.
qui sort en salle et dont l’écriture se trouve être visé par des accusa­ Maîtrisant une assez réussie lo­
du récit paru en 1995 (Denoël) lui tions de corruption et, devine­ gique comportementaliste (on
fut inspirée par son amour du t­on, de concussion. Tout com­ ignore tout, après tout, du degré
vélo. On ne saurait lui donner Hervé Figougne (Edouard Baer), à gauche, et Raoul Taburin (Benoît Poelvoorde). PATHÉ FILMS mence par l’arrestation et la de culpabilité du personnage
tort. Le charme du film opère dès garde à vue de l’un de ses camara­ central), El Reino plonge le specta­
les premières minutes par la des de parti et associé en affaires. teur au cœur d’une machine en­
grâce d’une mise en place rigou­ lequel il s’est enfermé avant que Puis il s’est fondu dans une mise A partir de ce moment, la menace tropique. Il est sans doute un peu
reuse de tous les éléments qui les autres ne prennent le relais.
Le mensonge en scène que Philippe Godeau a d’une mise en cause judiciaire de dommage que le film cherche
composent une image et qui, sans Un long flash­back nous envoie se fond dans une brodée en délicatesse, comme l’homme ne fait que croître. une manière de conclure en ima­
maniérisme, parviennent à en à l’époque où tout a com­ une politesse rendue à l’auteur ginant une séquence de confes­
révéler la beauté. mencé. Quand le petit Taburin,
mise en scène dont s’inspire le film. Engrenage fatal sion sur un plateau de télévision,
C’est une voix off qui donne le comme le fils du boucher ou la que Philippe Effets spéciaux utilisés pour éle­ Tout le film va consister en un ac­ manière de ramener le specta­
ton, impose le silence, et retient fille de l’opticien, avait son avenir ver le vélo à hauteur d’un person­ compagnement du personnage teur sur les rives plus balisées
l’attention. Une histoire va nous tout tracé. Son père était facteur.
Godeau a brodée nage qui ainsi chemine seul à dans sa recherche d’une échappa­ d’un cinéma de dénonciation.
être racontée. Une fable sur fond Il le serait aussi. en délicatesse côté de Taburin, bruitages conçus toire. Chaque possibilité d’issue L’essentiel aura été ailleurs, dans
de réel, qui se passe quelque part comme une partition (un son favorable se trouve irrémédiable­ le mécanisme quasi ludique en­
dans le sud de la France, à une Nouveaux personnages pour chaque bécane), douceurs ment détruite par la trahison sup­ gendré par les déboires du louche
époque surannée, on ne saurait Le projet avait été cependant qu’à l’arrivée au village d’un pho­ pastel en arrière­plan et teintes plémentaire d’un membre de son protagoniste principal de cette
précisément dire laquelle. La voix contrarié par cette prise de tographe, Hervé Figougne légèrement saturées sur les cos­ entourage politique, conformé­ comédie de la traîtrise et de la
est celle de Raoul Taburin (Benoît conscience qu’il ne parviendrait (Edouard Baer), venu à Saint­Cé­ tumes et les acteurs, clins d’œil à ment aux règles d’un système qui manipulation. 
Poelvoorde), l’illustre marchand jamais à rester plus que quelques ron pour immortaliser « en situa­ Tati dans Jour de fête, à E. T., de n’hésite pas à se débarrasser d’un jean­françois rauger
de cycles de Saint­Céron, qui n’a secondes sur une selle. Il avait tion » ses habitants. Pour Raoul Spielberg… introduisent par tou­ élément devenu encombrant.
pas son pareil pour détecter et ré­ alors fallu ruser, traverser le Taburin, ce serait un cliché de lui ches un raffinement qui, loin de Mensonges et volte­face, démen­ Film espagnol de Rodrigo
parer les dérèglements des béca­ village, le corps amoché, et le vélo en train de dévaler une des pen­ la charger, travaille à l’épure de tis de la parole donnée décrivent Sorogoyen. Avec Antonio
nes. Au point que, dans les envi­ à la main, en faisant croire à des tes abruptes de la montagne. l’image. Dans ce cadre aux dès lors un mode de comporte­ de la Torre, Monica Lopez,
rons, on ne dit désormais plus un exploits réalisés à l’abri des Laissons là, au récit, sa part de contours naïfs parfois, les acteurs ment généralisé, que le douteux Josep Maria Pou (2 h 11).
« vélo » mais un « taburin ». regards. Le subterfuge avait fonc­ mystère que ne cultive d’ailleurs n’ont pas d’âge. Enfant et adulte
Le génie du deux­roues tionné et lui avait taillé une pas le film. Le propos se situant dans le même corps, ils jouent
qu’auréole la gloire paraît pour­ image de héros. Adolescent, il ailleurs, sur le thème du men­ tous la drôlerie, la fragilité, la mé­
tant bien sombre. La raison en est avait souhaité avouer son secret songe et de la façon dont on s’en lancolie, la roublardise. En
un secret qu’il cache depuis l’en­
fance. Sa réputation ? Une vaste
imposture. Car Raoul Taburin
aux femmes dont il était tombé
amoureux. La première ne l’avait
pas cru. La seconde, devenue sa
arrange, de la perception que l’on
a de soi et de la représentation
que les autres s’en font. Le sujet,
somme, les personnages de
Sempé. 
véronique cauhapé
L’aventurier et la bête
n’est jamais parvenu à tenir en
équilibre sur un vélo. Assis à la
terrasse du café de la place, il
femme (Suzanne Clément),
l’avait devancé, lui demandant
d’arrêter le vélo qu’elle jugeait
esquissé sur cent pages dans le li­
vre de Sempé, s’est étoffé dans le
scénario par l’apport de nou­
Film français de Philippe
Godeau. Avec Benoît Poelvoorde,
dans un même bateau
voit les souvenirs lui revenir, de­ trop dangereux. Une aubaine. La veaux personnages et l’approfon­ Edouard Baer, Suzanne Clément Le film d’animation des studios Laïka déçoit
puis l’origine du mensonge dans vie avait donc continué ainsi jus­ dissement de certains épisodes. (1 h 30).
par son scénario, mais se montre assez riche

d’un monstre qui serait le dernier


MONSIEUR LINK
Brillante Mendoza, auxiliaire de la police philippine 
vestige de l’évolution humaine.
Après un long périple, la rencon­

Le metteur en scène montre une société dont le déterminant suprême est le trafic de drogue
trées par des escadrons de la mort Comme dans Ma’Rosa, tourné la fin du film (vous n’êtes pas forcé
A près L’Etrange Pouvoir de
Norman (sorti en 2012),
qu’il coréalisa avec Sam
Fell, Chris Butler signe, seul, son
deuxième long­métrage, Mon­
tre est loin de prendre les allures
que le fat avait imaginées. La chose
à poils qui se dresse devant lui, les
bras ballants et le regard implo­
rant, n’est en effet ni féroce ni de­
ALPHA issus des forces de l’ordre ont fait avant l’élection de Rodrigo Du­ de lire ce qui suit), on verra surgir sieur Link. Il s’est associé, comme meurée, mais bouleversante. La
THE RIGHT TO KILL des milliers de victimes, 7 000 se­ terte, présenté à Cannes en 2016, des tueurs à moto, le visage dissi­ pour le premier, au studio améri­ pauvre bête souffre depuis trop
lon le gouvernement, plus du dou­ Mendoza montre une société mulé, ils auront pour cible un cain Laïka, résolument tourné, de­ longtemps de solitude pour que
 /  ble selon les organisations de dé­ dont le déterminant suprême homme puissant et corrompu. Ce puis sa création en 2002, vers la Lionel Frost refuse de l’aider à re­
fense des droits de l’homme. est le trafic : on en profite, on modus operandi est celui des esca­ technique artisanale de l’anima­ joindre sa famille éloignée, dans

S i l’on s’en tient à ce que l’on


voit, Alpha. The Right to Kill
est un honnête film noir,
qui met aux prises un policier
corrompu et son indicateur, im­
De cette vague de terreur, Men­
doza fait une guerre dans laquelle
on ne peut plus distinguer les
bons des méchants. Comme dans
sa série Amo, disponible sur Net­
consomme, on en est la victime
collatérale. Impossible de faire un
pas sans tomber sur un barrage
de police, les jeunes gens sont ra­
flés et publiquement humiliés.
drons de la mort, encouragés,
voire organisés, par l’actuel prési­
dent. Il vise avant tout des jeunes
gens issus de familles pauvres.
Brillante Mendoza en fait le bras
tion image par image. A ce dernier,
on doit, entre autres, quelques pe­
tites merveilles telles que Coraline,
de Henry Selick. Moins audacieux
dans le scénario, moins inventif
l’Himalaya. Le voyage fera d’eux
des amis, l’un apprendra l’al­
truisme, tandis que l’autre trou­
vera sa place auprès des hommes
et non auprès de ses semblables.
pliqués dans un trafic de stupé­ flix depuis l’été 2018, le cinéaste armé d’une justice qui s’en prend sur la forme, Monsieur Link pos­ Différentes sources d’inspira­
fiants. Brillante Mendoza met au escamote un pan de la réalité, Du côté de la force aux puissants. sède cependant suffisamment de tion ont guidé le réalisateur et les
service du genre sa manière sin­ tout en dévoilant assez de turpi­ Alors que Ma’Rosa s’en tenait au Il ne reste qu’à décider si cette qualités – beauté désuète que re­ producteurs : Les Aventuriers de
gulière de filmer sa ville, Manille. tudes pour espérer qu’on le croie point de vue d’une famille prise prise de position implicite consti­ haussent des couleurs saturées, al­ l’Arche perdue, de Steven Spielberg,
La caméra instable suit pas à pas lucide. Moises Espino (Allen Di­ au piège de la pauvreté, Alpha. The tue un obstacle insurmontable à la ternance de scènes cocasses et les Sherlock Holmes d’Arthur Co­
policiers et dealeurs dans la lu­ zon) est responsable de la lutte Right to Kill passe du côté de la vision du film. Si l’on répond par la spectaculaires, humour pince­ nan Doyle, les récits de Jules Verne
mière orangée de la nuit. Dans ce contre le trafic de méthamphéta­ force : le film s’ouvre par un raid négative, Alpha… n’est pas dé­ sans­rire – pour nous embarquer et les photographies du magazine
dédale d’habitations précaires, mine dans un quartier populaire. dans le repaire d’un dealeur. Les pourvu d’intérêt, que ce soit à tra­ dans son histoire. National Geographic. Elles se re­
d’églises et de bâtiments adminis­ Il a recruté Elijah (Elijah Filamor), trafiquants sont armés comme vers son attention au détail dans la trouvent dans Monsieur Link, judi­
tratifs, les acteurs professionnels petit dealeur qui balaie désor­ pour la guerre, les policiers aussi. description du commerce des stu­ Différentes inspirations cieusement traduites, et mises en
ne se distinguent plus de la foule. mais le commissariat quand il Une fois l’opération terminée, on péfiants ou à travers sa peinture Celle­ci a pour personnages princi­ concordance, par les diverses tech­
Brillante Mendoza a filmé Alpha n’infiltre pas les gangs locaux. relève dix cadavres, ceux d’hom­ de la relation quasiment sadoma­ paux un explorateur égocentrique niques d’animation utilisées.
alors que les Philippines entraient Moises mène une vie rangée, as­ mes pris les armes à la main. sochiste qui unit le policier cor­ ambitieux, Sir Lionel Frost, et une Créant une richesse qui fait
dans la deuxième année de la sistant aux réunions de parents S’adressant à la presse qui lui de­ rompu à son indicateur.  créature, mi­homme mi­singe, oublier le manque de complexité
campagne d’extermination me­ d’élèves et à la messe dominicale mande si les droits de l’homme thomas sotinel Monsieur Link. Le premier, ne rê­ de l’intrigue et des personnages. 
née contre les « trafiquants avec son épouse et ses deux fillet­ ont été respectés, le supérieur hié­ vant que d’entrer dans le cercle v. cau.
de drogue » par le président Ro­ tes. Elijah vit dans un taudis, sans rarchique de Moises Espino ré­ Film philippin de Brillante très restreint des plus grands aven­
drigo Duterte, élu en 2016. Les avoir toujours les moyens de pond que les forces de l’ordre ont Mendoza. Avec Allen Dizon, turiers britanniques, décide de Film américain, canadien
exécutions extrajudiciaires perpé­ nourrir sa compagne et son bébé. tiré pour se défendre. Et lorsque, à Elijah Filamor (1 h 34). partir en Amérique à la recherche de Chris Butler (1 h 34).
0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019 culture | 25

 Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

L E S   A U T R E S   F I L M S   D E   L A   S E M A I N E
   À VO IR
La Camarista
Film mexicain de Lila Avilés (1 h 41).
La Camarista (« la femme de chambre ») s’inspire de l’œuvre de
Sophie Calle, Suite vénitienne (1980) : l’artiste s’était fait embau­
cher comme femme de chambre dans un hôtel vénitien et, don­
nant libre cours à sa curiosité teintée de voyeurisme, elle a pho­
tographié les effets personnels des clients de l’hôtel. Mais le
film, lui, se balade le long d’une série de rencontres, observant
son métier précaire sans pathos et avec poésie. La mise en scène
(à la fixité un peu systématique) exalte un univers clos et asep­
tisé, mais aussi réconfortant. On pourra toutefois reprocher à
La Camarista, bout­à­bout de microfictions, de ne pas tout à fait
savoir comment retomber sur ses pieds, mais on lui sait gré de
ne pas faire appel à un retournement scénaristique qui mettrait
brutalement fin à ses allures de rêve éveillé.  m. j.

Seule à mon mariage


Film belge de Marta Bergman (2 h 01).
La cinéaste belge Marta Bergman suit Pamela, une jeune femme
rom qui vit dans une bicoque près de Bucarest avec sa fille et sa
grand­mère. Vive, surexcitée et insolente, elle rêve de s’extraire
de la misère et s’inscrit dans une agence matrimoniale. Pamela
se retrouve en Belgique chez Bruno, un célibataire bien rangé
qui l’accueille et prend soin d’elle. Seule à mon mariage doit
beaucoup de son charme à la pertinence de son casting, qui fait
se rencontrer deux corps d’acteurs contrastés : celui, sensuel
et rayonnant, de l’actrice et écrivaine roumaine Alina Serban, et
celui de l’acteur belge Tom Vermeir, bouleversant. Cet étrange et
magnétique amour doit vite s’éclipser au bénéfice d’exigences
Mizore et Nozomi, deux lycéennes musiciennes, doivent préparer un duo pour le concours de fin d’année. NAOKO YAMADA/TAKARA JIMASHA/EUROZOOM narratives qui remettent le film dans les clous du « portrait de
femme libre » : l’ultime fuite de Pamela a davantage le goût d’un
ressort scénaristique que d’un élan intime.  m. j.

Deux ados désaccordées    P O URQ UO I PA S


Le Cercle des petits philosophes
Documentaire français de Cécile Denjean (1 h 24).
Les enfants ne sont pas étrangers aux questions existentielles.
Tourné durant plus de six mois dans deux écoles élémentaires
Un dessin animé japonais subtil et inventif d’une réalisatrice virtuose de la région parisienne, lors des ateliers de philosophie­médita­
tion, le documentaire réalisé par Cécile Denjean montre des ré­
flexions sur la mort, la religion, les émotions et les sentiments.
Ces personnalités en devenir intriguent.  v. cau.
classe Nozomi, volubile et affable, où la tentation de la réclusion et
LIZ ET L’OISEAU BLEU en somme tout son contraire.
Le film explore l’isolement guettent une part si­    O N P EUT ÉVI TER
 Toutes deux appartiennent à l’or­ sur plusieurs gnificative de la jeunesse. Liz et Menocchio
chestre scolaire (un lycée non l’Oiseau bleu frappe par sa mise en Film italien d’Alberto Fasulo (1 h 43).
niveaux

L’
animation japonaise si­ mixte), qui répète la partition de scène fragmentée, son invention A la fin du XVIe siècle, un menuisier libre­penseur du Frioul,
dère parfois par le soin Liz et l’Oiseau bleu, inspirée d’un la relation de points de vue insolites, creu­ surnommé Menocchio, est traîné pour hérésie devant le tribu­
minutieux qu’elle peut conte de Maurice Maeterlinck sant un rapport au monde fragile nal du Saint­Office et se voit contraint d’abjurer des propos
consacrer à examiner (L’Oiseau bleu, 1908), pour le con­
trouble qui unit et incertain, typique de l’âge ado­ panthéistes, offusquant l’orthodoxie catholique. Pour retracer
d’infimes et très secrets mouve­ cours de fin d’année. L’une et les deux lescent. A l’aide de cadres souvent cet épisode historique, le réalisateur Alberto Fasulo fond une re­
ments de l’âme. C’est le cas de Liz l’autre doivent interpréter un duo décentrés et parcellaires, Yamada cherche louable d’authenticité dans une forme d’art sévère, pré­
et l’Oiseau bleu, le dernier long­ entre hautbois et flûte traversière,
lycéennes aborde ses scènes par une profu­ tentieuse et sans imagination. Tourné en clairs­obscurs natu­
métrage de Naoko Yamada, réali­ qu’elles ne parviennent pas à faire sion de détails périphériques, rels, le film gâche ses visées esthétiques par des prises de vues
satrice virtuose de 34 ans (un cas à sonner juste. C’est que, le cursus considérant les choses par leurs à­ informes, imitant le « tremblé » documentaire. La caméra inqui­
part dans le milieu très masculin du lycée touchant à son terme, trouble qui unit les deux lycéen­ côtés. La précision du trait, la flui­ sitrice longuement braquée sur le visage du protagoniste, tra­
de l’animation), révélée en 2018 Mizore est dévorée par l’angoisse nes : non seulement au lycée, où dité des gestes, les irisations de la versant son calvaire en silence, commet un impair flagrant en
par Silent Voice, qui abordait le su­ à l’idée d’être séparée de son l’une se contente d’admirer lumière (jusque dans les pupilles), redoublant le point de vue de ses juges.  ma. mt
jet du harcèlement scolaire avec amie, dont elle fait dépendre l’autre de loin, mais aussi dans les expressions nuancées des re­
une grande finesse psychologi­ toute sa vie intérieure. Prostrée ses versants imaginaires, qui peu­ gards, le modelé maniaque des À L’A FFI C HE ÉGA L EM ENT
que. L’extrême ténuité de ce film, dans le non­dit, elle enveloppe vent prendre plusieurs formes. matières, tout contribue à créer After - Chapitre 1
inspiré d’une série de romans celle­ci d’un sentiment ambigu, D’abord celle merveilleuse du un univers ultrasensible, où le Film américain de Jenny Cage (1 h 45).
(Sound ! Euphonium), déclinés en­ dont on ne parvient pas à démê­ conte de Liz et l’Oiseau bleu, dans plus petit objet compte et vibre Fanon hier, aujourd’hui
suite en série télévisée (Hibike ! ler la part d’amitié, d’identifica­ le registre duquel (décors crayon­ d’une émotion particulière. Documentaire d’Hassane Mezine (1 h 27).
Euphonium), risque de désarçon­ tion, de désir, voire, à terme, de ri­ nés et couleurs vives) le film bas­ En privilégiant ces petits riens et Just a Gigolo
ner le spectateur en mal de péri­ valité – leur duo musical finissant cule régulièrement : récit fabu­ ces mouvements infimes, ces sou­ Film français d’Olivier Baroux (1 h 40).
péties, tant il progresse par peti­ par révéler une profonde diffé­ leux d’une femme tombant pirs esquissés et ces impressions La Malédiction de la Dame blanche
tes touches, refusant le drame ou rence de maîtrise instrumentale. amoureuse d’un oiseau, mais de­ fugaces, Yamada dessine une fic­ Film américain de Michael Chaves (1 h 33).
les coups d’éclat. Mais ce minima­ vant à terme s’en séparer, qui re­ tion flottante, brassant par un La Princesse des glaces. Le monde des miroirs
lisme en trompe­l’œil ouvre sur Des gouffres émotionnels flète par allégorie les sentiments montage très inventif toute une magiques
un monde plus foisonnant, celui Naoko Yamada livre sa propre va­ des adolescentes. Ensuite, celle de collection d’émois adolescents. Film d’animation russe de Robert Lence et Aleksey Tsitsilin
des affects contenus, des impres­ riation sur l’adolescente japo­ la musique symphonique qu’el­ De cette infinie variété du monde (1 h 26).
sions partagées, des motifs ima­ naise, figure typique de la culture les jouent lors des répétitions, qui miroite autour d’elle, Mizore
ginaires, qui constituent la trame populaire du pays – uniforme langage sonore des émotions ve­ fait le champ d’une conquête tout
véritable du film, plus « musi­ marin, chaussettes montantes et nant seconder une parole défi­ à fait personnelle : la consolida­
cale » que narrative. extraversion –, qu’elle vide ici de ciente et combler un défaut de tion de son propre regard, qui la
Le récit ausculte les états d’âme toute fantasmatique, pour son­ communication. rend enfin libre de ne plus dépen­ LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
discordants de deux lycéennes der ses gouffres émotionnels, ses Après Silent Voice, Naoko Ya­ dre de celui des autres.  Evolution
instrumentistes à la croisée des complexes adolescents, dans une mada poursuit ses portraits mathieu macheret Nombre par rapport Total
chemins. Mizore, distante et ren­ démarche d’hyperréalisme psy­ d’adolescents prisonniers d’eux­ de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis
fermée, éprouve une admiration chologique. Le film explore sur mêmes, qui peinent à communi­ Film d’animation japonais d’exploitation d’entrées * d’écrans précédente la sortie
secrète pour sa camarade de plusieurs niveaux la relation quer leurs émotions, dans un pays de Naoko Yamada (1 h 30).
Tanguy, le retour 1 378 338 622 378 338
Dumbo 3 319 505 601 ↓ – 21 % 1 399 376
Simetierre 1 306 586 320 306 586
Shazam ! 2 225 121 540 ↓ – 38 % 667 960
Prédation sournoise en milieu professionnel Le Parc des merveilles 2 220 582 699 ↓ – 33 % 643 106
Royal Corgi 1 198 256 511 198 256
L’Israélienne Michal Aviad filme la mainmise progressive d’un patron sur son employée Chamboultout 2 143 746 545 ↓ – 44 % 468 134
Captain Marvel 6 113 905 425 ↓ – 23 % 3 017 145
lière spécialisée dans les produits dans sa carrière naissante… Autant force des choses, les autres person­
WORKING WOMAN de luxe. Une aubaine, alors que d’éléments qui, tant en vertu de la nages, comme le mari ou la mère Mon inconnue 2 102 776 373 ↓ – 39 % 312 340
 son mari, Ofer, qui se lance au reconnaissance que du témoi­ d’Orna, qui ignorent de quoi il re­ La Lutte des classes 2 70 885 234 ↓ – 40 % 221 833
même moment dans la restaura­ gnage de loyauté professionnelle tourne. Encore que l’aveuglement

F ilmant dans la vague #me­


too, l’Israélienne Michal
Aviad réalise un film d’une
sécheresse et d’une trivialité
bienvenues, qui montre, au quo­
tion à son propre compte, peine à
trouver ses marques et que la fa­
mille tire le diable par la queue.
Face à Orna parade Benny, le pa­
tron de la société immobilière qui
qu’ils engagent, œuvrent à un rap­
prochement insidieux entre le pa­
tron et son employée.

Mutisme stoïque
auquel est cantonné le mari, et sa
réaction de machiste obtus sur le
tard, puissent être perçus comme
une sorte de connivence incons­
ciente, et donc être mis au débit du
AP : avant­première
Source : « Ecran total »

Les trois premières places de ce classement sont occupées par des


* Estimation
Période du 10 au 14 avril inclus

tidien, comment la vie d’une vient de l’embaucher. Père de fa­ Bientôt nommée directrice des genre masculin dans son ensem­ enfants qui ne sont pas les bienvenus chez eux. Tanguy, d’abord qui
jeune femme peut être affectée mille, mais homme de pouvoir et ventes pour la clientèle française, ble, qui sort du film en très piteux réussit son retour au domicile parental, dix­huit ans après sa
par un comportement de préda­ séducteur incoercible, le quinqua­ Orna, seul pôle de stabilité finan­ état. Working Woman établit en re­ laborieuse expulsion de l’éden où règnent André Dussollier et Sabine
tion sexuelle montant sournoise­ génaire utilise une gamme de cière du foyer, résiste en silence. vanche une liaison plus subtile en­ Azéma. Reste que la modeste moyenne de spectateurs par salle (618)
ment en puissance sous les de­ comportements assez subtile Le mutisme stoïque dans lequel tre le libéralisme prédateur qui n’augure pas d’une carrière triomphante pour l’éternel adolescent.
hors d’une demande d’efficience pour parvenir à ses fins. Autori­ elle s’emmure, tour à tour flattée vend à l’encan le littoral du pays à Les grandes oreilles de Dumbo lui ont valu bien des avanies au cirque
et de complicité professionnelles. taire et serviable. Amical et préda­ et choquée, va l’empêcher de pré­ de riches étrangers et l’outrage à la Medici, mais le succès de la vieille recette Disney, mise au goût
Interprété par Liron Ben­Shlush teur. Il ne recule que pour mieux voir et de désamorcer la montée libre disposition de leur corps du jour par Tim Burton, ne se dément pas, et l’éléphanteau proscrit
– qu’on avait déjà trouvée très revenir à la charge. Et fait feu de en puissance du désir de son pa­ dont sont victimes les femmes.  peut envisager de terminer sa carrière dans les salles françaises
convaincante dans Chelli (2014), tout bois. Promotion rapide, pro­ tron, qui le conduira à transgres­ jacques mandelbaum autour de 2 millions d’entrées. La grande gagnante de cette
d’Asaf Corman – le personnage longement des journées de travail, ser toutes les règles. compétition entre enfants mal­aimés reste la morte­vivante
d’Orna trouve, au début du film, voyages à l’étranger, tête­à­tête de Centré sur le couple, filmé en Film israélien de Michal Aviad. de Simetierre, Ellie, qui revient hanter sa petite famille. Simetierre ta­
un travail inespéré comme assis­ plus en plus fréquents, coup de longs plans­séquences, le long­ Avec Liron Ben­Shlush, Menashe lonne les deux premiers du classement avec quasiment moitié moins
tante dans une agence immobi­ main donné à l’occasion au mari métrage laisse en jachère, par la Noy, Oshri Cohen (1 h 33). de salles, s’arrogeant la meilleure moyenne d’entrées par écran : 958.
26 | télévision 0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019

Récit cruel d’une VOTRE


SOIRÉE
TÉLÉ
adoption forcée
En six épisodes d’une dureté étonnante,
le cheminement difficile d’un jeune MERCREDI  17 AVRIL
homosexuel israélien vers la paternité TF1
21.00 Grey’s Anatomy
Série. Avec Ellen Pompeo,
CANAL+ SÉRIES l’attend dans un orphelinat, Tom Debbie Allen, Caterina Scorsone,
À LA DEMANDE est accompagné de sa grande Justin Chambers (EU, 2018).
SÉRIE amie Amira, qui se fait passer 22.50 Chicago Med
pour son épouse. Mais l’enfant, Série. Avec Nick Gehlfuss,

C
ertains ont cru bon de qui s’est attaché à une nounou Torrey DeVitto, Yaya Dacosta
résumer le propos de la aimante, repousse avec violence (EU, 2018).
série israélienne Mi­ les cadeaux qu’on lui fait et l’ave­
guel en ces termes : nir qu’on lui promet dans une lan­ France 2
« Comment peut­on être le père gue qu’il ne comprend pas. 21.00 Quand sort la recluse
d’un enfant qui refuse d’être votre Tom va bientôt sentir naître en Téléfilm de Josée Dayan.
fils ? » Mais c’est de l’inverse qu’il lui une détestation de l’enfant, Avec Sylvie Testud, Jean-Hughes
s’agit : cette exceptionnelle mini­ qui, de surcroît, est victime d’une Aviv Karmi, Miguelito Sojuel et Ran Danker dans « Miguel ». RAN MENDELSON/MOVIE PLUS PRODUCTIONS Anglade, Jérôme Kircher
série, entièrement sise au Guate­ malformation des orteils qui (Fr., 2019, 95 min).
mala, narre le déni paternel que n’avait pas été signalée. Dans une 22.35 Ça ne sortira pas d’ici
va faire un jeune adoptant ho­ scène d’une rare violence psy­ constamment détestable et tèque et qui, alors qu’une gigan­ On n’en dira évidemment pas Magazine présenté par
mosexuel israélien à propos d’un chologique, Tom accuse un re­ agressif, tandis qu’Aviv Karmi in­ tesque bourrasque chasse mar­ davantage sur cette fin stupé­ Michel Cymes et Nicole Ferroni.
enfant qui, en effet, se refuse au présentant officiel, lui­même carne très joliment, mais sans chands et badauds, se poursuit à fiante qu’on avouera n’avoir pas
père qu’on lui impose. handicapé, de lui avoir fourni mièvrerie, son contrepoint l’intérieur de l’église. L’espace du tout vue venir. Elle conclut France 3
Le sujet est délicat. Pourtant, en « un infirme » ; à quoi il lui est ré­ aimable et pacificateur. sanctuarisé incite deux person­ sur une note très amère et boule­ 21.00 La Carte aux trésors
racontant sa propre histoire, torqué qu’adopter un enfant On aura été frappé par l’expres­ nages centraux à confesser l’un versante une minisérie (récom­ La Charente-Maritime
Tom Salama, cocréateur, avec Da­ n’est pas choisir un article dans sivité butée de l’interprète de Mi­ à l’autre les faux­semblants de pensée au festival CanneSéries Jeu présenté par Cyril Féraud.
phna Levin, de Miguel, le traite un magasin de jouets. guel adulte (Omer Ben David), leur relation. en 2018) qui, décidément, ne fait 23.40 Enquêtes de régions
avec une brutalité et une lucidité mais aussi par de petits rôles qui Et puis, au moment où les deux pas de cadeau au traitement d’un Décrochages régionaux.
courageuses. Car d’aucuns pour­ Quête des origines savent occuper l’espace et l’atten­ lignes temporelles du récit se re­ sujet sensible et aujourd’hui en­
raient juger qu’il offre des ca­ Les deux acteurs principaux – le tion du spectateur. Ainsi cette joignent, à la fin du sixième et core controversé.  Canal+
deaux inespérés aux ultras, « couple » formé par Tom et juge qui, après un examen méti­ dernier épisode, la quête des ori­ renaud machart 21.00 French Loving
adeptes de l’antienne « un­papa­ Amira – parviennent, avec un mi­ culeux de la situation, dit de ma­ gines que poursuit obsession­ Documentaire d’Audrey Valtille
et­une­maman », qui y verront nimum d’aide prothétique, à nière glaciale et dépassionnée au nellement Miguel va achopper Miguel, série créée par Tom et Olivier de Bannes (Fr., 2019).
un argument contre l’adoption jouer leurs personnages jeu­ jeune garçon ce qui va lui arriver sur une terrible et choquante ré­ Salama et Daphna Levin. 22.30 Profession : ministre
par des personnes célibataires nes et seize ans plus tard, au fil s’il ne coopère pas. vélation, que son père adoptif Avec Ran Danker, Magazine présenté par
homosexuelles. d’une double temporalité narra­ Il y a aussi cette très belle scène avait toujours tenté de masquer Aviv Karmi, Omer Ben David Michel Denisot.
D’ailleurs, quand il débarque tive. Ran Danker réussit avec ta­ qui commence sur le marché de pour des raisons qui deviennent et Miguelito Sojuel
dans le village où Miguel, 5 ans, lent à composer un rôle presque la place du village guatémal­ soudainement limpides. (Isr., 2018, 6 × 29­41 min). France 5
20.50 La Grande Librairie
Magazine présenté par
François Busnel.
23.30 C à vous

Josée Dayan, la recluse et ses blaps Talk-show présenté par


Anne-Elisabeth Lemoine.

La réalisatrice signe une adaptation fidèle du roman de Fred Vargas, servie par une distribution maligne Arte
20.55 Peau d’âne
Comédie musicale de Jacques
Demy. Avec Catherine Deneuve,
FRANCE 2 conde partie est diffusée mercredi mots de l’écrivaine par la richesse hors, les pigeons côtoient une chè­ dieu (Irène), Thierry Hancisse, « de Jacques Perrin, Jean Marais,
MERCREDI 17 - 21 H 00 17 avril sur France 2, tisse plus de vocabulaire peu usuelle dans ce vre. Héros récurrent, Jean­Baptiste la Comédie­Française », en capi­ Delphine Seyrig, Fernand Ledoux
TÉLÉFILM qu’une enquête policière : une his­ genre télévisuel – « infatueux », Adamsberg (Jean­Hugues An­ taine Voisenet poète, et Pierre Ar­ (Fr., 1970, 90 min).
toire croisée d’hommes, de fem­ « diverticule »… Une érudition qui glade) mène l’enquête, soutenu diti (en professeur). 22.25 Delphine et Carole,

I l y a des blaps dans cette his­


toire de recluse, comprenez
des traîtres, des pourris, des
cafards dans cette histoire d’arai­
gnées qui ne se promènent pas au
mes et d’animaux qui ont besoin
de temps pour s’apprivoiser et se
comprendre.
Ce rythme, contenu, et les pay­
sages embrumés ou nocturnes
convoque André Gide (1869­1951),
auteur fasciné par les contradic­
tions, l’histoire médiévale, Al­
phonse Daudet (Lettres de mon
moulin, 1887) ou Edmund Burke,
par ses fidèles lieutenantes Froissy
et Retancourt (respectivement
Sylvie Testud et Corinne Masiero,
qui doit faire oublier la capitaine
Marleau). Le commissaire est sys­
Ensemble, hommes et bêtes se
jouent des mots, les pigeons ten­
tent de ne pas se faire pigeonner et
les amoureux roucoulent. Et de
s’interroger : les recluses sont­elles
insoumuses
Documentaire de Callisto McNulty
(Fr./Sui., 2018).

M6
plafond, mais mordent trois recréent l’atmosphère si particu­ politique et philosophe irlandais tématiquement contré par son anachorètes ou arachnides ?  21.00 Top Chef
vieux, et les tuent. Seul problème, lière de Fred Vargas, auteure de qui dénonçait « l’inaction des commandant, Danglard (Jacques catherine pacary Emission de télé-réalité présentée
une morsure de recluse n’est pas Quand sort la recluse (2017, Flam­ hommes de bien ». Spiesser) – dont on appréciera le par Stéphane Rotenberg.
mortelle. Pourtant ils sont bien marion), roman adapté par Le bestiaire cher à Fred Vargas est clin d’œil lorsqu’il se lance sur la Quand sort la recluse, de Josée 23.25 Top Chef : cuisinez
morts. De cette impossibilité ap­ Emmanuel Carrère avec fidélité et à l’honneur. Outre l’araignée­titre trace de Magellan (le navigateur). Dayan, adapté par Emmanuel comme un grand chef
parente, Quand sort la recluse, télé­ subtilité pour notre plus grand et ses blaps, un gros chat blanc La distribution soigne aussi ses se­ Carrère d’après Fred Vargas Le chocolat
film de Josée Dayan, dont la se­ plaisir. On retrouve l’amour des dort sur une photocopieuse. De­ conds rôles, avec Elisabeth Depar­ (Fr., 2019, 2 × 90 min). Magazine.

0123 est édité par la Société éditrice


HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à

I. Se penche sur ce qui bloque et s’ar-


SUDOKU compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
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0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019
styles | 27

la voiture
autonome
lève le pied
Cette technologie prometteuse impose­t­elle
trop de prises de risque, notamment
juridiques et financières ? En tout cas, après
l’emballement du début, de nombreuses firmes
ralentissent le rythme de leurs essais

AUTOMOBILE Un autre événement dramatique


semble avoir particulièrement

C
ela s’appelle lever le pied. donné à réfléchir aux dirigeants de
Peut­être même donner l’automobile : le dysfonctionne­
un sérieux coup de frein. ment du pilote automatique du
Plusieurs constructeurs, Boeing 737 MAX, qui a provoqué
dont certains figurent parmi les deux crashs aériens. Dieter Zetsche,
plus engagés dans la course à la voi­ le président de Daimler, a mis en
ture autonome, ont simultanément garde contre le risque de voir les
appelé à modérer l’enthousiasme constructeurs confrontés à une dé­
suscité par cette technologie. Hakan fiance comparable à l’égard de systè­
Samuelsson, le patron de Volvo, a es­ mes de conduite qu’ils tentent pa­
timé qu’il serait « irresponsable » de tiemment de mettre au point de­ – J’aurais horreur de dépendre d’une voiture autonome !
faire circuler de façon prématurée puis des années. « Même si la voiture
des véhicules sans conducteur. autonome est dix fois plus sûre que
« Dans le cas contraire, nous pren­ celle conduite par des êtres humains,
drions le risque de tuer dans l’œuf a­t­il insisté, il suffit d’un accident teurs du véhicule autonome sont en­ plutôt sur la banquette arrière », utilisent, impose une transforma­
une technologie qui pourrait être la spectaculaire » pour s’aliéner le SELON trés dans le dur de la recherche­ grinçait récemment Carlos Tavares, tion en profondeur du modèle éco­
plus efficace pour sauver des vies », a­ grand public… qui, dans les sonda­ DIETER ZETSCHE,  développement. Aujourd’hui, ils sont le président de PSA, dans Les Echos. nomique de l’industrie automo­
t­il souligné. Le dirigeant de la firme ges, ne considère pas l’avènement confrontés au saut technologique Déjà confrontées aux lourds inves­ bile, qui traverse une période d’in­
suédoise redoute les conséquences de la voiture autonome avec une ap­ LE PRÉSIDENT considérable qui sépare le niveau 3, tissements imposés par l’électrifica­ tenses bouleversements et a pris
d’un « excès de confiance » à l’égard pétence particulière. Désormais, qui est une assistance à la conduite tion à marche forcée de leur conscience de sa fragilité. D’où la
des systèmes de pilotage semi­auto­ l’heure est à se concentrer sur les na­ DE DAIMLER, améliorée, et le niveau 4, qui corres­ gamme, seul moyen de satisfaire conviction grandissante selon la­
matiques, qui commencent à être vettes autonomes évoluant en mi­ pond à une conduite presque entière­ aux objectifs de réduction des émis­ quelle chi va piano va sano.
installés en série à bord des modèles lieu sécurisé, à l’écart du trafic. Ou
« IL SUFFIT ment autonome », poursuit­il. sions de CO2 édictés par l’Union Les grands groupes n’ont cepen­
de dernière génération. aux systèmes sophistiqués capables D’UN ACCIDENT  Les doutes exprimés par les pa­ européenne d’ici à 2030, les firmes dant pas intérêt à baisser la garde.
Alors que de nombreuses firmes d’interdire à un conducteur de pren­ trons de l’automobile tiennent automobiles cherchent désormais à Se désengager trop rapidement de
ont ralenti les essais routiers de dre le volant en état d’ébriété, voire SPECTACULAIRE »  aussi, et peut­être surtout, aux bud­ hiérarchiser les priorités. leurs efforts de recherche les con­
leurs prototypes depuis l’accident de commettre un excès de vitesse à gets considérables qu’impose la Si la voiture autonome dessine damnerait à s’en remettre à Google
mortel survenu en mars 2018 lors­ proximité d’une école. POUR S’ALIÉNER  mise en œuvre d’une mutation que un horizon prometteur, elle im­ et plus précisément à sa spin­off
qu’une Volvo autonome opérée en LE GRAND  chacun juge inéluctable, sans pour pose aussi de très nombreuses pri­ Waymo. Celle­ci fait quotidienne­
test par Uber avait renversé un pié­ « Chi va piano va sano » autant savoir à quelle échéance elle ses de risques. Outre l’ampleur des ment circuler 600 voitures sans
ton en Arizona, cette volonté de réé­ « Il s’est produit un effet d’emballe­ PUBLIC… fera l’objet d’une commercialisa­ moyens financiers à mobiliser, ce chauffeur afin de parfaire ses algo­
valuer les risques semble largement ment et de surenchère engendré par tion ni qui sera en mesure de se l’of­ saut dans l’inconnu soulève la rithmes et, de l’avis général, a ac­
partagée. PSA a annoncé au Salon de la Google Car. Piquées au vif, les frir. Selon les évaluations, un mo­ question de la responsabilité juridi­ quis une sérieuse longueur
Genève ne plus avoir l’intention de grandes marques ont multiplié les ef­ dèle entièrement autonome impo­ que en cas d’accident – d’autant d’avance sur le reste de la troupe. Le
développer la conduite sans chauf­ fets d’annonce ; aujourd’hui, elles serait une dépense supplémentaire qu’il faudra longtemps cohabiter risque est connu : devenir de sim­
feur au­delà du niveau 3, seuil qui sont rattrapées par le principe de réa­ comprise entre 20 000 et 100 000 sur la route avec des véhicules con­ ples fournisseurs de véhicules
permet à l’utilisateur de ne plus su­ lité », considère Michael Fernandez, euros. « Compte tenu du coût addi­ duits par des humains –, qui recou­ auprès de Google qui se chargerait
perviser la conduite sur autoroute président de France AutoTech, orga­ tionnel de la technologie, le coût de vre des débats complexes. De de les doter d’un « cerveau » auto­
ou dans les bouchons mais lui im­ nisme qui fédère les start­up du sec­ la voiture devient tel que celui qui même, la perspective de voir se nome. Et s’approprierait dès lors la
pose de se tenir prêt à reprendre la teur. « Après avoir réalisé des avan­ peut se la payer n’est de toutes les multiplier les robots­taxis, loués et plus grosse part du gâteau. 
main à tout moment. cées souvent spectaculaires, les ac­ façons pas derrière le volant mais non plus achetés par ceux qui les jean­michel normand

Silence, on roule : les autos se perfectionnent dans l’insonorisation


Vibrations, bruits parasites, de roulement… Les techniques se multiplient pour mieux isoler l’intérieur des véhicules

C réer une bulle, bien à


l’écart des bruits exté­
rieurs. Voilà la recette qui
fait le succès des casques à réduc­
tion de bruit active. L’américain
ment sur les différents revête­
ments. Ces données sont analy­
sées afin que le fond sonore soit
contrebalancé par un signal d’an­
nulation acoustique diffusé par
mobiles travaillent de leur côté à
perfectionner ce type de solu­
tion, comme l’allemand Bosch
ou Harman, récemment racheté
par Samsung. Tous ont en ligne
des sons engendrés par le roule­
ment ou ceux générés, entre
autres, par les systèmes de
refroidissement.
Efficaces mais coûteuses, ces
parades présentent un autre dé­
faut, elles contribuent à alourdir
les véhicules. Or, ce qui peut être
acceptable à bord d’une opulente
cun dans sa musique ou sa con­
versation téléphonique, ou per­
mettent de communiquer d’une
place à l’autre distinctement,
sans gêner les autres passagers.
Bose, grand spécialiste du genre, les haut­parleurs de bord. de mire le marché, encore limité Mousse et algorithme Rolls­Royce ne l’est pas pour le De quoi recréer dans l’habitacle
peaufine cette technologie pour Bose, qui prévoit une mise sur mais en forte croissance, des Les techniques traditionnelles commun des modèles. Le poids une bulle isolante – ou plusieurs –
l’adapter aux habitacles automo­ le marché à l’horizon 2021, n’est voitures électriques. Il leur faut, d’isolation phonique des habita­ étant l’ennemi de la consomma­ semblable à celle d’un casque.
biles, qu’il équipe déjà de puis­ pas seul à mener cette quête du en l’occurrence, s’attaquer à un cles automobiles impliquent tion d’énergie électrique et, en Quant au monde extérieur, le
sants systèmes audio. Pour isoler confort sonore. Les construc­ paradoxe. Parce qu’ils sont bien l’usage de matériaux d’isolation conséquence, de l’autonomie, la prochain défi est, au contraire, d’y
et rendre silencieux l’intérieur teurs Infiniti, Honda ou Ford ont plus silencieux que les modèles acoustique. Rien que du classi­ maîtrise de l’environnement so­ faire du bruit : afin de prévenir les
d’une voiture, avec le nouveau déjà commercialisé les premiè­ thermiques, ces véhicules doi­ que : doubles vitrages et matières nore des voitures électriques pas­ piétons, une norme européenne
système nommé Road Noise res voitures de série équipées vent faire l’objet d’une inso­ de remplissage de corps creux. sera donc par la case algorithme. imposera bientôt une sonorité
Control, les ingénieurs de la mar­ d’un système de réduction de norisation encore plus poussée. Les fabricants de pneumatiques Cette maîtrise fine offrira aussi artificielle pour les véhicules élec­
que ont prévu de mesurer de ma­ bruit active utilisant des micros Leur moindre niveau, en effet, ont eux aussi apporté leur contri­ l’occasion de développer d’autres triques lorsqu’ils circulent eau­
nière ultraprécise les vibrations et intégré au système hi­fi de laisse plus facilement percevoir bution, comme Pirelli avec sa applications, avec des haut­ dessous de 30 km/h. 
générées par les bruits de roule­ bord. Les équipementiers auto­ les bruits parasites, qu’il s’agisse mousse absorbant les vibrations. parleurs directifs qui isolent cha­ nicolas valeano
28 | idées 0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019

Ci-gît la gauche israélienne (1948-2019)


ANALYSE voyés à l’âge de pierre » pendant la dernière
guerre de 2014. M. Gantz : pas de droite peut­
En Israël, le contexte est spécifique. C’est
un Etat aux racines socialistes, bâti sur les
travailliste. Dès l’émergence du mouvement
des colons en Cisjordanie, qui au départ était

O
n ne sait ce qui est le plus specta­ être, mais certainement pas de gauche. kibboutz et les communautés agricoles, à la constitué d’une poignée d’illuminés, la gau­
culaire dans la déchéance du La seconde explication tient à une faible in­ bureaucratie pesante. Mais Israël est en che ne s’est pas franchement opposée à eux.
Parti travailliste en Israël : son carnation. Avi Gabbay avait créé la surprise même temps marqué par un élan entrepre­ Trop de goût pour les pionniers. Elle a facilité
score désastreux aux élections en étant désigné chef des travaillistes en neurial (dans les nouvelles technologies) et autant que la droite l’enracinement de la pré­
législatives du 9 avril, ou bien l’indifférence juillet 2017. Il avait rejoint le parti depuis peu, par l’absence d’un Etat­providence géné­ sence juive dans les territoires occupés. Les
qui l’accompagne. Comme si ce pilier de la venu de la droite, lui l’ancien ministre de reux comme en France. La croissance y est élections de 1977 marquèrent un bascule­
démocratie israélienne, qui a présidé à la la protection environnementale de M. Néta­ forte, et les inégalités spectaculaires. ment historique, avec la victoire inédite du
naissance de l’Etat et à ses premières décen­ nyahou. Il avait fait l’essentiel de sa carrière Un boulevard pour la gauche ? Non, car les Likoud. Depuis, la gauche n’a été au pouvoir
nies, était devenu une relique. Une sorte dans le privé, au sein du groupe de télécoms élections ne se jouent pas sur les questions que sept années sur 42. Yitzhak Rabin, qui fut
LES ÉLECTIONS  d’objet politique familier mais encombrant, Bezeq. Promettant de renouveler les métho­ sociales ou économiques. La sécurité et la un vrai faucon, incarna l’espoir de la paix.
NE SE JOUENT PAS  à la forme inaboutie et à la finalité perdue. En des du Parti travailliste, de l’ouvrir aux élec­ personnalité des candidats constituent les Son assassinat par un extrémiste juif en 1995
n’obtenant que six sièges sur 120 au sein de la teurs de la périphérie défavorisée, il a accé­ priorités des électeurs. fut, aussi, le deuil du volontarisme pacifique.
SUR LES QUESTIONS  21e Knesset (4,44 % des voix), le Parti tra­ léré sa perdition. La rupture avec Tzipi Livni Dès lors, les travaillistes s’obstinent à singer L’ère des accords d’Oslo (1993), qui devaient
vailliste réalise la plus mauvaise perfor­ et la fin de l’Union sioniste (24 députés en­ la droite, à emprunter ses mimiques mar­ conduire à un Etat palestinien, s’est achevée
SOCIALES  mance de son histoire, deux sièges devant le semble en 2015) sont venues couronner, en tiales, en espérant en vain que les Israéliens sans proclamation officielle. Décès par
petit Meretz, la seule formation clairement début d’année, une stratégie erratique. préféreront une copie édulcorée à l’original. impuissance et épuisement général, depuis
OU ÉCONOMIQUES.  de gauche, niche survivant à grand­peine. Qui s’est levé, au centre­gauche, pour la seconde Intifada si meurtrière. Ses parti­
LA SÉCURITÉ ET  Cet échec n’est pas surprenant, les sondages Racines socialistes s’émouvoir de l’érosion démocratique, des sans en sont restés muets. Ils n’arrivent pas à
l’avaient anticipé depuis des mois. En revan­ Dès le lendemain des élections, une pluie de attaques contre la Cour suprême, de la stig­ renouveler leur langage, tandis que la droite
LA PERSONNALITÉ  che, ses explications sont diverses. critiques s’est abattue sur M. Gabbay. La pres­ matisation de la minorité arabe ? Qui s’est nationaliste et messianique pousse ses
La première saute aux yeux à la lecture des sion est forte, mais le dirigeant compte bien levé pour dire que l’occupation, outre sa di­ pions dans le sens d’une annexion des colo­
DES CANDIDATS  résultats. Les travaillistes ont été victimes siéger à la Knesset et avancer les prochaines mension immorale, était le pire des hérita­ nies, où vivent 400 000 Juifs. On l’a vu lors
CONSTITUENT  d’un vote utile en faveur de Bleu Blanc, primaires. Il n’est pas le père de tous les ges à transmettre, qu’elle altérait la nature de de la reconnaissance de Jérusalem comme
l’agrégat de trois partis centristes conduit maux qui accablent le parti. Il faut inscrire l’Etat et les valeurs originelles que celui­ci capitale par les Etats­Unis : cette droite se
LES PRIORITÉS  par l’ancien chef d’état­major Benny Gantz. cette déchéance dans la crise existentielle prétendait incarner ? drape dans un faux bon sens. Elle évoque la
Celui­ci a réussi à incarner, trois mois mondiale que traverse la gauche, dans ses C’est le sionisme de gauche, dont la vision « réalité du terrain » pour justifier des actions
DES ÉLECTEURS après son entrée en politique, une alterna­ multiples déclinaisons nationales. Incapable est intimement liée à l’établissement unilatérales. Devant ce rouleau compres­
tive à M. Nétanyahou. Sans forcément être de dessiner un projet consistant face au d’Israël, qui est en crise. Les travaillistes seur, de plus en plus de responsables, à gau­
convaincus par le général, plus de 1,1 million capitalisme financier, qui se soustrait aux sont responsables de leurs errances. Quatre che, aimeraient une fusion entre les tra­
d’électeurs ont choisi Bleu Blanc pour mettre instruments de régulation et de taxation premiers ministres – le père de l’Etat israé­ vaillistes et le Meretz, voire l’une des listes
un terme à l’ère « Bibi ». L’un de ses premiers traditionnels, la gauche ne sait comment lien David Ben Gourion, Moshe Sharett, Levi arabes. La condition d’une résurrection ? 
clips de campagne se réjouissait du fait que contrer la montée en puissance des mouve­ Eshkol et Golda Meir – furent issus des rangs piotr smolar
des pans entiers de Gaza avaient été « ren­ ments identitaires, xénophobes, populistes. du Mapaï, qui se fondit en 1968 dans le Parti (jérusalem, correspondant)

CHRONIQUE  | PAR MARIE CHARREL « GAME OF THRONES » : RETOUR AUX SOURCES


Inégalités : les leçons LE LIVRE l’essai de la médiéviste Carolyne
Larrington. Captivant sur le fond
Au fil de son périple, qui nous
conduit des étendues glacées au

de la Rome antique L’ hiver est enfin arrivé. Et,


avec lui, le temps des
adieux à un monde peu­
autant que par la forme, Winter Is
Coming s’apparente à une sorte
de retour aux sources historico­
nord, fief des Stark, à la ville d’As­
shai à l’est, de Port­Réal, capitale
des Sept Royaumes tenue d’une
plé de chimères, de corbeaux, de littéraires de la saga. poigne de fer par les Lannister, à
gnomes, de reines, de seigneurs et l’Etat marchand de Braavos, aux

L es inégalités économiques et
sociales sont un poison. Lors­
qu’elles se creusent et ne sont
pas traitées, elles font vaciller les régi­
mes politiques. Et parfois elles mè­
fait grimper le chômage et la pauvreté.
Les inégalités économiques se creu­
sent. En 133 av. J.­C., les frères Gracchus
tentent d’imposer une réforme
agraire pour redistribuer les terres
de chevaliers. Un monde menacé
par les Marcheurs blancs et leurs
cohortes de zombies, mais aussi
par les guerres sanglantes et fratri­
cides auxquelles se livrent les sei­
Population, us et coutumes
Embrassant d’une même geste
les quatre livres de George R.
R. Martin et les cinq premières
saisons de la série – que l’on con­
faux airs vénitiens, Carolyne Lar­
rington avance par jeu de confron­
tations et de rapprochements sug­
gérant une cosmogonie plurielle,
à l’image de ce Moyen Age dans le­
nent à leur chute. Telle est, en subs­ aux pauvres. Ils sont assassinés. WINTER IS COMING.  gneurs des Sept Royaumes pour la seillera au préalable d’avoir lus quel nous plonge la saga. Ainsi
tance, l’une des conclusions offertes La violence se banalise dans LES RACINES  conquête du Trône de fer. et/ou vues –, cette spécialiste des qu’elle le résume : « Cet univers
par les travaux d’Edward Watts, histo­ l’arène politique. La colère populaire MÉDIÉVALES DE  A ce simple énoncé, les fans de contes et légendes arthuriens et s’appuie en premier lieu sur l’his­
rien à l’université de Californie. Dans gronde. Rome sombre dans le chaos GAME OF THRONES Game of Thrones (GOT) auront des sagas nordiques analyse dans toire de l’Europe médiévale – la
son dernier ouvrage, Mortal Republic : et les guerres civiles, tandis qu’émer­ de Carolyne reconnu la cultissime série de Da­ les moindres détails l’univers de guerre civile qui ensanglante l’An­
How Rome Fell Into Tyranny (« répu­ gent des figures populistes. Après Larrington vid Benioff et Daniel Brett Weiss, GOT. Populations, us et coutu­ gleterre au XVe siècle, connue sous
blique mortelle : comment Rome est Jules César, Auguste met fin à la répu­ Passés composés, adaptée des romans de George R. mes, normes et structures socia­ le nom de guerre des Deux­Roses –,
tombée dans la tyrannie », Basic blique et devient le premier empe­ 288 pages, 21 euros R. Martin (Le Trône de fer), dont la les, religions, vision du monde… mais il reprend aussi des éléments
Books, non traduit), paru en novem­ reur romain, en 27 av. J.­C. Il défend huitième et dernière saison a dé­ tout ici est passé au tamis de de cultures guerrières plus ancien­
bre 2018, il raconte comment, après alors l’instauration de l’empire buté le 14 avril, simultanément l’histoire et de la culture médié­ nes – celles des Celtes, des Anglo­
des siècles de succès et de prospérité, comme le retour à la liberté, explique aux Etats­Unis sur HBO et en vale. Rien d’aride cependant Saxons et des Vikings –, et de l’his­
la puissante République romaine a M. Watts : Rome est enfin délivrée France sur OCS. Cultissime, oui, dans cette étude comparée, bien toire des Mongols. »
sombré dans l’autocratie. « Elle est des mains de l’élite sénatoriale cor­ car jusqu’au bout cette œuvre, au contraire. Tel Jean de Mande­ Escortée du poète Geoffrey
bien sûr très différente de l’Etat rompue, incapable d’enrayer les par la richesse de son univers et la ville (vers 1300­1372) qui com­ Chaucer (1340­1400) ou de figures
moderne, mais la distribution des pou­ conflits et l’explosion des inégalités. diversité des thématiques, a posa au XIVe siècle un récit de légendaires (Beowulf), la médié­
voirs et les procédures de décision poli­ La plupart des Romains approuvent. nourri une abondante littérature. voyage en Orient sans bouger de viste offre une relecture riche et
tique de l’ancienne république romaine Sur l’édifice livresque, où se cô­ sa bibliothèque, l’auteure pro­ éclairante de GOT. Mieux, un heu­
ont profondément influencé ses héri­ Un autocrate qui rassure toient analyses philosophiques, pose en quelque sorte son « Livre reux prolongement à l’heure où
tiers d’aujourd’hui », écrit­il, pensant Dit autrement : lorsque, après une lon­ essais de (géo)politique, étude du des merveilles du monde de l’hiver s’apprête à tout recouvrir. 
en particulier aux Etats­Unis. gue déliquescence, la République dys­ droit, vient désormais s’ajouter Game of Thrones ». christine rousseau
Son récit démarre trois siècles avant fonctionnelle a échoué à fournir la
Jésus­Christ. A l’époque, la République sécurité économique et physique à
romaine est solide. Elle repose sur laquelle aspirait le peuple, celui­ci a
trois piliers : les magistrats, le Sénat et préféré se tourner vers un autocrate à
les assemblées du peuple, qui mutuel­
lement se contrôlent, tout en produi­
même de lui fournir la stabilité. « Le
succès et l’échec de la république
Neptune et les plastiques | par sergueï
sant consensus et compromis. Ce sys­ romaine montrent comment des répu­
tème permet à la République de s’élar­ bliques bâties sur le même modèle peu­
gir avec souplesse en intégrant de vent répondre à des stress particuliers,
nouvelles populations. Elle résiste aux écrit l’historien. Ils révèlent également
invasions. Pendant des décennies, elle quels comportements politiques sont
génère une croissance économique particulièrement destructeurs. » A
suffisante, tout en assurant l’équilibre savoir, ceux de dirigeants « brisant les
entre le peuple et une élite aristocrati­ normes » et tolérés trop longtemps par
que soucieuse du bien­être collectif. les citoyens, parce qu’ils ne font plus
Peu à peu, pourtant, la mécanique se confiance aux institutions – ou parce
dérègle. Au fil des guerres et conquê­ qu’au fil des décennies ils se sont
tes, un cercle de nobles accumulent accoutumés à ces comportements.
des richesses et se détournent de l’in­ Difficile, à la lecture de ces mots, de
térêt général. Ils pervertissent le sys­ ne pas penser à Donald Trump. Il y a
tème pour bloquer les réformes sus­ cinq ans encore, voir le président de la
ceptibles de leur nuire. Une nouvelle première puissance mondiale s’expri­
classe d’hommes d’affaires prospère mer à coups de messages tonitruants
grâce au commerce et au crédit. Clien­ et caricaturaux sur les réseaux sociaux
télisme et corruption se développent. était inimaginable. Assister à la propa­
A Rome, l’afflux d’esclaves étrangers gation d’infox, de clichés misogynes et
racistes par le supposé leader du
monde libre dépassait la fiction. Mais
aujourd’hui les Tweet outranciers du
milliardaire ne choquent guère plus.
EN 133 AV. J.­C., LES FRÈRES  Nous nous sommes habitués.
GRACCHUS TENTENT  Bien sûr, Washington n’est pas
Rome, et il faut se méfier des parallé­
D’IMPOSER UNE RÉFORME  lismes historiques. Les anachronis­
mes ne sont jamais loin. Les conclu­
AGRAIRE POUR REDISTRIBUER  sions hâtives non plus. Il n’empê­
LES TERRES AUX PAUVRES.  che : cet ouvrage a au moins valeur
d’avertissement. Et pas seulement
ILS SONT ASSASSINÉS pour les Etats­Unis. 
0123
MERCREDI 17 AVRIL 2019 carnet | 29
Joëlle Coquillaud et Claude, M. Jean Lefèvre, Anne, Alexis, Max,

Mirjana Markovic Le Carnet


ses filles,
Paul-Tugdual Cabioc’h,
Ugo Cabioc’h, Madeline et Sylouan,
ses petits-enfants,
son époux,
Mme Anne Ferreira Lefèvre,
M. Paul Lefèvre,
ses enfants,
Viviane, Danielle, Georges, Annette,
Charles,
leurs enfants
et petits-enfants
Et Michel,

Epouse et conseillère Vos grands événements


Naissances, baptêmes,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Adrien, Anaïs, Ewan, Alice, Robin,
ses petits-enfants,
Et toute sa famille,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de

de Slobodan Milosevic fiançailles, mariages,


anniversaires de naissance
Paulette COQUILLAUD,
née DALET,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Mme Nicole POSSOMPÈS,
née BENSOUSSAN,

Avis de décès, remerciements, survenu le 13 avril 2019, survenu à Paris, le 13 avril 2019,
messes, condoléances, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Mme Margaret LEFÈVRE, à l’âge de soixante-quinze ans.
hommages, anniversaires de décès, née BUCHANAN,
Les obsèques auront lieu le
souvenirs Femme exceptionnelle attachée 17 avril, au cimetière parisien de
à son « Monde » jusqu’au bout... survenu à Paris, le 11 avril 2019, Pantin, à 10 h 30, (entrée principale,
Colloques, conférences, à l’âge de soixante et onze ans. avenue Jean Jaurès).
séminaires, tables-rondes, La crémation aura lieu ce mardi
portes-ouvertes, forums, 16 avril, à 17 heures, au crématorium La cérémonie aura lieu le vendredi anne.possompes@gmail.com
journées d’études de Saint-Pierre, à Marseille. 19 avril, à 15 h 30, en la salle de la
Coupole, au crématorium du Mme Michèle Bensahel,
Soutenances de mémoire, thèses,
Cet avis tient lieu de faire-part. cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. sa fille,
HDR. M. Jean-Jacques Bensahel,
Expositions, vernissages, Ni fleurs ni couronnes, les Mme Sophie Bensahel-Ben Kiran,
Sa famille
personnes souhaitant exprimer leur Mme Stéphanie Bensahel-Maumy,
signatures, lectures, ses petits-enfants
communications diverses a la tristesse de faire part du retour sympathie peuvent faire un don au
ainsi que leurs époux,
à Dieu, le dimanche 14 avril 2019, Service d’Oncologie de l’Hôpital de la Benjamin, Margaux, Martin, Cécile,
Pour toute information Carnet : dans sa centième année, de Pitié Salpêtrière Aurélien et Emil,
01 57 28 28 28 https://pitiesalpetriere.iraiser.eu/b/ ses arrière-petits-enfants,
Françoise de MENTHON, mon-don M. Georges Seban,
01 57 28 21 36 chevalier de la Légion d’honneur, son frère
carnet@mpublicite.fr commandeur ainsi que son épouse,
de l’ordre de Bernardo O’Higgins. Philippe et Marie-Hélène, M. Paul Seban,
AU CARNET DU «MONDE» son fils et sa belle-fille, son frère
Elle rejoint dans la Paix, Catherine, ainsi que son épouse,
sa fille,
Décès Jean FAUCHIER DELAVIGNE, Benjamin, Caroline, Élise, Julie, ont la tristesse de faire part du décès
mort pour la France en 1940, Nicolas et Quentin, de
Mme Elise Bonin ses petits-enfants,
et M. Alban Terrien, Pierre de MENTHON, Mme Yolande SEBAN TOBELEM,
Mme Alice Dessaix, ministre plénipotentiaire,
ancien ambassadeur († 1980). ont le très grand chagrin de faire part survenu le 6 avril 2019,
Mme Brigitte Bonin,
du décès de à l’âge de cent ans.
ont la douleur de faire part du décès La cérémonie religieuse sera
En 2000. de leur père, beau-père et mari, célébrée le mercredi 17 avril, Jacques NASCIET, Les funérailles auront lieu le jeudi
à 15 h 30, en l’église Saint-Thomas- ancien résistant et maquisard 18 avril, à 10 heures, au cimetière
DARKO VOJINOVIC/AP parisien de Pantin, 164, avenue Jean-
d’Aquin, Paris 7e. dit « Corsaire »,
M. Jean-Pierre BONIN, Jaurès.
ancien magistrat chevalier de la Légion d’honneur,
20, rue de Grenelle,
à la Cour des comptes, 75007 Paris. survenu le 11 avril 2019, Alain Laurenceau,

S
lobo » et « Mira » signi­ 10 JUILLET 1942 Naissance à l’âge de quatre-vingt-seize ans. son mari,
survenu le 10 avril 2019, Pierre et André Solomiac,
fient, en serbe, « liberté » à Pozarevac (Serbie) dans sa soixante-treizième année. Benoît, Gautier et Quentin Dreyfus,
ses frères,
et « paix ». Le couple qui a 1965 Se marie avec Les funérailles ont été célébrées Sa famille,
dirigé la Serbie de 1989 à Slobodan Milosevic Un recueillement aura lieu le ont la tristesse de faire part du décès ce lundi 15 avril, à 14 h 30, en l’église Ses amies,
mercredi 17 avril, à 14 h 30, à la de de Villefranche-sur-Cher.
2000, Slobodan Milosevic et Mir­ 1989-2000 Milosevic dirige
maison médicale Jeanne Garnier, ont l’immense tristesse d’annoncer
jana Markovic, n’aurait pas pu la Serbie Bernard DREYFUS, la disparition de
Paris 15e, suivi de l’inhumation, Le président
avoir de prénoms plus mal choi­ 2003 S’exile en Russie professeur au CNAM,
à 16 h 30, au cimetière de Fleury-en Et les administrateurs Jacqueline SOLOMIAC,
sis. Mirjana « Mira » Markovic est 2006 Mort de Slobodan adjoint du Défenseur des Droits,
Bière, dans l’intimité. des AAA-APHP, conservateur en chef honoraire,
décédée à Sotchi, le 14 avril, à l’âge Milosevic ancien directeur de la DATAR,
comédienne,
de 76 ans. Elle avait fui la Serbie 14 AVRIL 2019 Mort à Sotchi Que tous ceux qui l’ont connu
survenu le 8 avril 2019, ont la tristesse de faire part du décès
pour Moscou en 2003, deux ans (Russie) et aimé aient une douce pensée pour survenue le 11 mars 2019.
des suites d’une trop longue maladie. de leur ami et vice-président, le
après que son mari eut été trans­ lui.
La cérémonie aura lieu le mercredi
féré par Belgrade au Tribunal La cérémonie se déroulera le professeur 17 avril, à 14 heures, au crématorium
La famille remercie tous ceux mercredi 17 avril, à 15 h 30, en l’église du cimetière du Père-Lachaise,
pénal international pour l’ex­You­ de Yougoslavie. Milosevic, encou­ qui s’associent à sa peine.
Georges OFFENSTADT,
goslavie (TPIY) afin d’y être jugé ragé par sa fidèle Mirjana, devient de la Rédemption, 16, rue Chauchat, Paris 20e.
Paris 9e. survenu le 9 avril 2019,
pour « crimes contre l’huma­ chef du Comité central de la Ligue
Antoinette Bouillon,
nité ». Il est décédé d’une crise car­ des communistes de Serbie son épouse, Ni fleurs ni couronnes, vos dons
à l’âge de soixante-quinze ans. Communications diverses
diaque dans sa cellule en 2006, en 1986, puis président de Ser­ Christine et Vincent Van Reeth, sont à adresser à l’Institut Gustave
Association des Alumni et Amis de Le Consistoire
peu avant le verdict. Menacée bie en 1989. Le couple qui va ré­ Jean-Jacques et Monique Bouillon, Roussy ou bien à l’Hôpital souhaite de bonnes fêtes
d’Instruction des Armées Percy. l’Assistance Publique-Hôpitaux de
par diverses procédures judiciai­ gner onze ans sur la Serbie veut ses enfants, de Pessah 5779
Paris (AAA-APHP)
res en Serbie, elle est pour sa part alors couvrir le spectre politique Cédric, Céline, Julie, Marion, à toute la Communauté.
Une collation alsacienne sera Bureau AAA, FSM 316,
restée en Russie. d’un pays chamboulé par le Carole et Marie,
ses petits-enfants, proposée en sa mémoire à la Siège de l’AP-HP, Les informations et la liste
Il y a deux façons de raconter chaos des idéologies. Tandis que brasserie chez Jenny, 39, boulevard 3, avenue Victoria, des produits cacher pour Pessah
la vie de Mira Markovic. Il y a la « Slobo » embrasse le nationa­ du Temple, Paris 3e, à l’issue de la 75184 Paris Cedex 04. sont sur www.consistoire.org
ont la tristesse de faire part du décès ou sur l’application Consistoire
biographie factuelle, la naissance, lisme serbe et déclenche des de cérémonie.
(Iphone ou Androïd).
le mariage, l’ascension politique guerres avec les autres ex­républi­ Claire,
et la chute de son époux. Et il y a ques yougoslaves, « Mira » crée la Jacques BOUILLON, Jacqueline Dupuis, sa fille,
l’irrationnel, que seul peut­être Gauche yougoslave (JUL), un parti professeur agrégé d’histoire née Martin-Sané, Marie-Christine, Danielle, Yvan,
en classes préparatoires sa femme, Thérèse, Jean-Pierre,
un poète serbe génial et lui­ néocommuniste qui permet au Charlotte Dupuis,
à l’Ecole des Chartes ses sœurs, frère, belle-sœur, beau-
même un peu perché pourrait pouvoir de conserver le sou­ au lycée Henri IV, Pauline et Olivier Dobelle, frère,
évoquer avec justesse. Car de tien de l’extrême gauche. Milose­ maître de conférences à Sciences Po, Pierre-André et Christelle Dupuis,
Frédérique, Anne, Rémi, Nicole,
l’avis général, y compris de pro­ vic s’allie aussi à l’extrême droite ses enfants,
Héloïse, Laetitia, Émile, Léopold, Philippe,
ches des Milosevic, l’esprit de la et aux paramilitaires. La Serbie est survenu le 15 avril 2019, ses nièces et neveux
à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Hortense, Éloi, Adèle et Hippolyte,
dame à la marguerite en plastique verrouillée. ses petits-enfants, et leurs enfants, SOS AMITIE
plantée dans les cheveux avait Le rôle de Mirjana Markovic dans Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
L’inhumation aura lieu le jeudi ont la tristesse d’annoncer la
depuis longtemps quitté les rives ce règne est mal documenté, tant ont la tristesse d’annoncer la
18 avril, à 15 heures, au cimetière disparition de Les bénévoles de SOS Amitié
du sens commun. il se déroule dans l’intimité du disparition de
du Lonzac (Corrèze). écoutent
couple et dans les affaires les plus André-Yves DUPUIS, par téléphone et par internet
Crée la Gauche yougoslave secrètes du régime. On sait simple­ Gilette OZILOU DIDIER, ceux qui souffrent de solitude,
Raphaèle Büchsenschütz, architecte DPLG, ancienne responsable mal-être et pensées suicidaires.
Mirjana Markovic est née le ment qu’elle est la principale con­ son épouse, du service Orientation-Carrières
10 juillet 1942 à Pozarevac, en Ser­ seillère de son mari. Il semble Ethel et Ysé, survenue aux Godeaux, Nous ne répondons
entouré de ses proches. de l’ESSEC.
bie occupée par les Allemands. De qu’elle s’intéresse davantage à la ses filles, qu’à 1 appel sur 3
et recherchons des écoutants
même que l’enfance de « Slobo » a vie interne de la Serbie qu’aux Les obsèques auront lieu au La cérémonie a lieu ce mardi bénévoles.
Isabel et Yves Büchsenschütz,
été marquée par les suicides d’un guerres en Bosnie et au Kosovo. ses parents, crématorium d’Auxerre, le jeudi 16 avril 2019, à 15 heures, au L’écoute peut sauver des vies
oncle dont il était proche puis de On lui prête d’avoir commandité 18 avril 2019, à 15 heures. cimetière parisien de Pantin, et enrichir la vôtre.
Mme Françoise Branson,
164, avenue Jean-Jaurès. Horaires flexibles, formation
ses deux parents – son père s’est des assassinats d’opposants, no­ sa grand-mère, assurée.
Philiberte et François Cet avis tient lieu de faire-part.
tiré une balle de fusil dans la tête, tamment celui du journaliste Sla­
sa mère s’est pendue –, celle de vko Curuvija, et de multiples affai­ Der Garabédian, Nicole Battefort Perrin, En IdF RDV sur
ses beaux-parents, Sa famille, sa mère,
« Mira » a été forgée par un drame. res de détournements de fonds. www.sosamitieidf.asso.fr
Sabine et Ludovic Houplain, Ses amis, Eviana Hartman,
Ses parents étaient communis­ Après sa chute, lorsqu’il est ar­ En région RDV sur
Benoît Büchsenschütz sa compagne,
tes et résistants. Sa mère, Vera rêté chez lui en 2001, « Slobo » ont la douleur d’annoncer le décès www.sos-amitie.comw
et Céline Georjon, Clarisse Perrin,
Miletic, « Mira » de son nom de pose comme condition à sa reddi­ David et Marion Büchsenschütz, de
sa fille,
guerre, a été arrêtée en 1943 par tion que « Mira » ait un droit de vi­ Laurence et Benjamin Batard,
Michel GUYON, Anne Perrin,
la Gestapo et aurait parlé sous la site quotidien en prison. Entre Jean et Christelle Der Garabédian
sa sœur, Société éditrice du « Monde » SA
ainsi que leurs enfants,
torture. Officiellement fusillée La Haye et Sotchi, les amoureux Toute sa famille survenu le 10 avril 2019, à Paris, Lucie et Paul Alexandre, Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
par l’occupant, elle aurait en fait de Pozarevac sont morts loin l’un Et ses amis, à l’âge de soixante-dix-sept ans. ses neveux, Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
été exécutée sur ordre de son de l’autre et loin de la Serbie. Ce Directeur de la rédaction Luc Bronner
ont l’immense tristesse de faire part Ses obsèques auront lieu le ont la très grande tristesse de faire
propre père, résistant commu­ n’est pas le destin que ces insépa­ mercredi 17 avril, à 15 h 30, en la salle Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
du décès de part du décès de Françoise Tovo
niste lui aussi, pour trahison. rables s’étaient imaginé. de la Coupole, au crématorium du Direction adjointe de la rédaction
La vie de la jeune Mirjana On ignore tout de la vie de Mir­ cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. François Eloi PERRIN,
Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Franck Johannes, Marie-Pierre Lannelongue,
Markovic prend un nouvel élan jana en Russie, à part que son Matthieu BÜCHSENSCHÜTZ, né le 23 octobre 1968, Caroline Monnot, Cécile Prieur
un jour de 1958 à l’école de Poza­ fils Marko l’y avait suivie. Sa fille Pas de fleurs, mais vos dons sur Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon,
une cagnotte seront reversés à architecte, Sylvie Kauffmann
revac, lorsqu’elle rencontre Slobo­ en revanche avait rompu avec sa chevalier Rédaction en chef numérique
France Parkinson : Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
dan Milosevic. Les deux adoles­ mère après l’arrestation de survenu dans sa quarante-troisième https://www.leetchi.com/c/france- dans l’ordre des Arts et des Lettres, Rédaction en chef quotidien
cents deviennent inséparables. Ils « Slobo » et vit au Monténégro. Le année. parkinson-pour-michel-guyon Michel Guerrin, Christian Massol
Directeur délégué au développement du groupe
se donnent la main dans la cour jour où la police s’était présentée survenu le 1er avril 2019, Gilles van Kote
La cérémonie religieuse sera « Si la charité vient à manquer, à Oxnard (Californie). Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
de récréation. Ils marchent en­ chez eux, Marija, que l’entourage célébrée le mercredi 17 avril 2019, à quoi sert tout le reste. » Rédacteur en chef chargé des diversifications
semble dans la rue. Ils ont peu décrivait comme aussi fragile à 10 h 30, en l’Église réformée de Saint Augustin. éditoriales Emmanuel Davidenkoff
Une messe en sa mémoire a été Chef d’édition Sabine Ledoux
d’amis. Ils sont fusionnels. Ils se psychologiquement que sa mère, Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Directrice du design Mélina Zerbib
18, boulevard d’Inkermann. célébrée ce mardi 16 avril, à
marient en 1965. Ils auront deux avait hurlé : « Papa, ne te rends « Continuez à rire Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
10 heures, en l’église Saint-Germain Photographie Nicolas Jimenez
enfants, Marko et Marija. pas ! Tue­nous, maman et moi, et de ce qui nous faisait rire. Infographie Delphine Papin
Pas de fleurs, mais un don si vous Je ne suis pas loin. de Charonne, 4, place Saint Blaise,
Médiateur Franck Nouchi
Une fois diplômé, lui en droit et suicide­toi ! » Rien, dans la fin de la le souhaitez pour la recherche sur Juste de l’autre côté du chemin. » Paris 20e. Directrice des ressources humaines du groupe
elle en sociologie, le jeune couple famille Milosevic, ne s’est passé les tumeurs cérébrales. Charles Péguy. Emilie Conte
37, rue de l’Abbé Groult, Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
s’engage dans la vie politique au comme prévu.  Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
sein de la Ligue des communistes rémy ourdan Cet avis tient lieu de faire-part. michelguyon11@yahoo.fr 75015 Paris. Sébastien Carganico, vice-président
0123
30 | 0123 MERCREDI 17 AVRIL 2019

FRANCE | CHRONIQUE LA FRANCE 


par f r ançoi se f r e s s o z
TOUCHÉE
sainte, en cette veille de Pâques, Notre­ dant des siècles la monarchie est venue
AU CŒUR
Un président Dame était depuis plus de huit siècles – de­
puis quinze siècles même dans sa forme
mérovingienne antérieure – un des hauts
s’agenouiller à Notre­Dame, y célébrer ma­
riages et Te Deum de victoires. Une décen­
nie après la Révolution qui ne l’épargna pas
ne peut pas tout lieux d’une foi qui a façonné l’Europe à tra­
vers les âges. Contrairement à bien
d’autres, si elle n’avait pas toujours résisté
complètement, Napoléon s’y fit couronner
empereur en 1804.
La République, elle­même, en a fait bien
à l’usure du temps, la cathédrale avait souvent le lieu de ses triomphes et de ses
échappé aux flammes qui en avaient dé­ peines. C’est le bourdon de Notre­Dame qui

E
trange démocratie où EXIT L’HOMME  truit bien d’autres. Sa charpente médié­ sonna le premier la victoire, le 11 novem­
tout semble reposer sur vale, cette « forêt » mystérieuse, est bre 1918. C’est dans cette cathédrale, prise
le bon vouloir d’un PROVIDENTIEL,  aujourd’hui en cendres. sous les tirs des desperados de la Collabora­
homme, le président de Pour les Parisiens, trônant au cœur de l’île tion, que le général de Gaulle vint célébrer
la République, et où le sort s’in­ PLACE  de la Cité où Lutèce était née, sa longue et la libération de la capitale le 26 août 1944. Là
génie à démontrer le contraire. haute nef, ses deux tours massives et cette encore que se rassemblèrent tous les
AU PRÉSIDENT 
Les flammes qui ont ravagé Notre­
Dame de Paris, lundi 15 avril au
soir, ont déjoué le plan de commu­
nication d’Emmanuel Macron qui
avait prévu d’engager son va­tout,
COMPASSIONNEL

Le grand débat national n’a pas


T el un vaisseau de pierre majestueux
enserré par les deux bras de la Seine,
Notre­Dame semblait, depuis tou­
jours, entretenir un dialogue singulier avec
l’histoire des hommes et l’éternité des
flèche (rajoutée au XIXe siècle par Viollet­le
­Duc) qui s’est effondrée, hier, dans une
gerbe de feu, dessinaient immanquable­
ment la silhouette de la ville, comme son
pôle magnétique. Pour tous les amoureux
grands de la planète en 1970, 1974 et 1996
pour saluer, lors de messes solennelles, la
mort de trois présidents de la République,
de Gaulle, Pompidou et Mitterrand.
« Sur la face de cette vieille reine de nos ca­
à 20 heures, lors d’une interven­ fondamentalement changé la dieux. Les flammes terribles, voraces, long­ d’art et de civilisation, elle était ce joyau go­ thédrales, à côté d’une ride, on trouve tou­
tion télévisée devant les Français. donne. Il a au contraire dévoilé temps insatiables qui ont ravagé la cathé­ thique somptueux, miracle d’architecture jours une cicatrice », avait écrit Victor
Tout, à l’Elysée, avait été orga­ l’étendue du champ de ruines drale de Paris, lundi 15 avril, n’auront pas et musée inestimable qu’il faudra des an­ Hugo, chantre de Notre­Dame de Paris. La
nisé pour faire monter le désir qu’est devenue la politique. Hor­ mis un terme à ce dialogue. Mais elles y nées, des décennies sans doute pour répa­ cicatrice, cette fois­ci, sera ineffaçable.
autour d’annonces fortes, suppo­ mis les maires, relativement auront ajouté la sidération de la catastro­ rer et restaurer. « Nous rebâtirons cette cathédrale », a as­
sées solder la crise des « gilets jau­ épargnés parce qu’ils incarnent la phe, le drame des Parisiens, le deuil de la La géographie, l’histoire, la littérature en suré Emmanuel Macron au soir de la ca­
nes » et relancer le quinquennat. proximité, les représentants du France touchée au cœur et cette immense ont fait l’épicentre du pays. Sur son parvis tastrophe. Mais aussi fort soit­il, cet enga­
Au lieu de quoi, le pays s’est peuple sont tous déconsidérés, onde de tristesse qui a parcouru la planète à se situe le « point zéro » à partir duquel est gement ne pourra effacer avant long­
trouvé plongé dans la sidération quelle que soit leur étiquette poli­ la vue du désastre en direct par ces millions calculée la distance à la capitale du moin­ temps les images terribles de cet immense
et l’affliction en voyant partir en tique. Les Français ne les voient de voyageurs qui la visitaient chaque année. dre bourg de France. Sa nef a accueilli quel­ brasier qui n’aura épargné de Notre­Dame
fumée une partie de son trésor plus comme des relais efficaces Tout se mêlait dans l’émotion de tous et ques­uns des plus riches chapitres du ro­ que son squelette de pierre et la mémoire
national. Et, comme si le drame mais comme des privilégiés fonc­ les sanglots étouffés de beaucoup. Pour les man national. Les rois étaient sacrés à d’une poignante soirée de deuil, national
ne suffisait pas, tomba ce Tweet tionnant en vase clos. Sus aux chrétiens, d’abord, en ce début de semaine Reims et inhumés à Saint­Denis, mais pen­ et planétaire. 
douteux du président américain, élus ! Sus aux hauts fonctionnai­
Donald Trump : « Terrible de re­ res ! Le moment que vit le pays est
garder les images de l’impression­ profondément populiste, renfor­
nant incendie de Notre­Dame de çant le face­à­face périlleux entre
Paris. Peut­être devrait­on utiliser un homme et son peuple.
des avions bombardiers d’eau On a souvent incriminé l’évolu­
pour éteindre le feu. Il faut agir tion de la Ve République dans

La science
vite ! » Comme si les pouvoirs pu­ cette dérive, pointé du doigt le
blics français lambinaient ! quinquennat et l’inversion du ca­
Le chef de l’Etat aura tout loisir lendrier électoral qui ont fait que
de se rattraper dans les heures à désormais tout découle d’un seul
venir mais la dramaturgie qu’il homme, reléguant le premier mi­
avait imaginée pour sortir du nistre au rang d’exécutant et le

du bien-être
trou d’air a d’ores et déjà changé : Parlement à celui de chambre
même s’il s’est nourri pendant d’enregistrement. On a en revan­
trois mois des attentes de son che moins souligné les raisons
peuple, même s’il s’est enrichi
d’une dizaine de débats au cours
qui ont conduit au discrédit des
élus, qu’ils soient ou non parle­
NOUVELLE
desquels il a démontré sa parfaite
connaissance des dossiers et sa
mentaires. Là encore les résultats
du grand débat national sont élo­ FORMULE
capacité de résistance à l’adver­ quents : les participants ont ré­
sité, Emmanuel Macron ne peut clamé d’être entendus et compris
pas incarner le roi thaumaturge, pour que leurs problèmes quoti­
capable de faire des miracles. diens soient résolus. Autrement
Il est le président de la Répu­ dit, ils ont demandé à la puis­
blique qui tente de guider ses sance publique d’être à la fois
concitoyens sur un terrain acci­ transparente et efficace, deux at­
denté. Cela requiert de l’humilité tributs qu’elle a largement perdus
et de l’émotion lorsque les dra­ ces dernières décennies.
mes se nouent. Exit l’homme L’historien et philosophe Mar­
LA SCIENCE DU BIEN-ÊTRE # 11 - PRINTEMPS 2019
providentiel, place au président cel Gauchet résume parfaite­
compassionnel qui, dans la nuit ment le sujet lorsqu’il souligne
de lundi à mardi, a su montrer que, depuis trente ans, « le pou­

Et maintenant,
qu’il avait un cœur en masquant voir s’est dilué dans une décentra­
à peine ses larmes devant la ca­ lisation mal conduite, des privati­ CAHIER NEUROSCIENCES

on mange
thédrale à demi détruite. sations qui ont privé l’Etat de com­ DANS LE CERVEAU
pétences essentielles pour maîtri­ DES COUPLES AMOUREUX
Mauvais signes ser l’appareil administratif, et AV EC NOTRE PROGR A MME
L’annonce d’une souscription dans la prolifération d’autorités GRE ATER GOOD SCIENCE

quoi ?
nationale et internationale pour administratives indépendantes ». D E L’ U N I V E R S I T É
reconstruire « tous ensemble » le Au bout du compte, le système BERKELE Y EN CALIFORNIE
monument va également à l’en­ est devenu si complexe que
contre de l’image de très « seuls les initiés le comprennent » ART CULINAIRE
grande solitude que renvoyait ces et, lorsque les Français ont des
jours­ci le Château : un président comptes à demander, « c’est au ANNE-SOPHIE PIC
claquemuré, dix­sept collabora­ président de la République qu’ils LES ÉMOTIONS
D’UNE CHEFFE ÉTOILÉE
teurs en partance, avant même le s’adressent », parce qu’il est le
mitan du quinquennat, essorés seul qui soit réellement identifié. BON POUR MON CORPS
par la tâche ou déçus de n’avoir Si l’analyse est juste, l’urgence ET POUR LA PLANÈTE
pas su mieux répondre aux atten­ pour Emmanuel Macron est de
tes du chef. Mauvais signes. conjurer l’impuissance publique.
Que s’obstine à prouver Emma­ Le président l’a d’ailleurs pro­ MOINS DE VIANDE
nuel Macron ? Qu’il assume le lea­ mis pendant son tour de France, ET PLUS DE VITALITÉ
dership, tout le leadership, com­ en assurant qu’il allait bouscu­
me Nicolas Sarkozy avant lui. Ces ler les administrations, mettre
deux présidents ont la particu­ la pression sur ses ministres, re­ MOINS DE SUCRES
larité d’être des conquérants : ils déployer les fonctionnaires sur ET PLUS DE PLAISIR
ne se sont reconnus dans aucun le terrain, encourager l’accès aux
mentor, ont accédé à l’Elysée avec services publics, etc. Mais nom­
l’aide d’une toute petite troupe de bre de ses prédécesseurs s’y sont + 50 ASTUCES
hussards et se sont fait élire pour engagés avant lui sans obtenir ET RECETTES
changer le pays. Cela leur donne de résultats probants. Le doute
forcément la foi mais ne les met est immense.
pas à l’abri de grosses chutes. Pour L’autre direction envisagée est
repartir de l’avant, ils ont besoin de se décharger d’une partie du
de relais, mais où les trouver ? fardeau sur les collectivités terri­
toriales, très demandeuses d’une

L’URGENCE POUR 
nouvelle étape de décentralisa­
tion, mais, outre que l’opération
Hélène De Vestele
ne simplifiera en rien « le mil­ « Zéro déchet, c’est possible et je l’ai fait »
EMMANUEL MACRON  le­feuille », sa réussite reste sus­
EST DE CONJURER  pendue à la qualité des relations
entre le président de la Républi­
L’IMPUISSANCE  que et les élus. Or qui, parmi eux,
a vraiment envie d’aider Em­
PUBLIQUE.  manuel Macron, l’homme qui,
MAIS LE DOUTE  en 2017, les a tous bousculés en
osant se faire élire sur le dos du
EST IMMENSE vieux monde ?  EN V ENTE CHEZ VOTRE M A RCH A ND DE JOURN AU X
Tirage du Monde daté mardi 16 avril : 164 494 exemplaires
L’alcool et les jeunes
Cocktail à risques

Série « Si l’on nous voyait ». Bretagne, 2015. MARTIN BERTRAND/HANS LUCAS

sandrine cabut et pascale santi du cannabis. La nuit, elle se relève pour boire. Pro­ sourit Dany, qui dit commencer à retrouver « une
gressivement, sa consommation quotidienne vie normale ». Un cas sévère, mais pas exception­

J’
Les « bitures express » ai arrêté mes études car il n’était plus pos­
sible d’emmagasiner des connaissances
atteint des niveaux impressionnants (4 litres de
bière, plus de la vodka, et des dizaines de joints),
nel dans un centre de référence comme celui de
Paul­Brousse. « Ces dernières années, je vois de plus
se banalisent chez les jeunes, alors que mon cerveau baignait dans elle ne s’alimente presque plus. « Mon père ne dor­ en plus de jeunes polyconsommateurs, avec d’im­
l’alcool », analyse Dany. C’était il y a qua­ mait pas pour me ramasser par terre, moi j’étais portantes consommations d’alcool, souligne Gene­
qui n’ont pas toujours conscience tre ans, et elle venait d’intégrer une école dans le déni », raconte Dany. viève Lafaye, responsable de l’unité d’addictologie
de mettre ainsi en jeu leur santé de commerce. Désormais abstinente de­ Un jour, invitée à un mariage, elle décide de res­ adolescents et jeunes adultes. On découvre toute
puis cinq mois pour l’alcool, deux pour le cannabis, ter sobre vingt­quatre heures pour mieux profiter une variété de profils, comme ces jeunes filles qui
physique et mentale. Face à cette jeune femme de 23 ans témoigne pour en de la fête. Elle fait une crise d’épilepsie, une com­ ont des troubles du comportement alimentaire
l’offensive des alcooliers pour aider d’autres. « L’alcool est trop accessible pour les
jeunes, il faut tomber dedans et s’en sortir pour
plication connue en début de sevrage, mais rare à
son âge. « Ça a été un signal, j’ai réalisé que je ne
associés aux problèmes d’alcool. »
Equivalent du binge drinking des Anglo­Saxons,
séduire les générations Y et Z, prendre conscience des pièges », résume­t­elle. m’en sortirai pas sans hospitalisation », poursuit­ les alcoolisations ponctuelles importantes (ou
A l’adolescence, dans les soirées entre amis, elle. A son arrivée dans le service d’addictologie de API), définies par au moins 5 verres en une occa­
la prévention est un enjeu essentiel, Dany était toujours celle qui buvait plus, et plus l’hôpital Paul­Brousse (AP­HP, Villejuif), il y a sion, sont devenues complètement banales à
soulignent les addictologues vite que les autres. Mais c’est après une opération un an, son état physique est préoccupant, avec des l’adolescence. A 17 ans, près d’un garçon sur deux
du genou qu’elle va « plonger ». Immobilisée au déficits en vitamines, un foie stéatosique (gras) à en déclare au moins une dans le mois (38 % pour
domicile parental, un peu isolée, avec des dou­ l’échographie, des tests cognitifs (mémoire…) per­ les filles), selon l’enquête Escapad 2017, publiée
leurs contre lesquelles les médecins ne l’avaient turbés. « Les grosses consommations, ça rend con. Il dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire
pas mises en garde, elle passe de l’alcool festif à faut environ un an pour que le cerveau refonc­ (BEH) du 19 février.
l’alcool médicament. La journée, elle « tient » avec tionne normalement, ce qui me donne un objectif », → L I R E L A S UI T E PAGES 4- 5

Un NenuFAR pour  La kétamine, Portrait


la radioastronomie remède de cheval  Chercheuse et élue, 
A Nançay, dans le Cher, contre la dépression vocation double
un radiotélescope doté de près
de 2 000 antennes est en train de Une nouvelle étude décrit les Sabine Girard, experte en
voir le jour. L’objectif ? Ouvrir une effets sur les neurones de cette gestion de l’eau, est aussi depuis
fenêtre d’observation du ciel pour molécule utilisée en anesthésie 2014 élue municipale à Saillans,
détecter de nouvelles exoplanètes vétérinaire, qui peut aussi agir une commune de la Drôme
ou scruter l’« aube cosmique » rapidement chez des patients qui est un laboratoire
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gravement dépressifs de démocratie participative
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Cahier du « Monde » No 23099 daté Mercredi 17 avril 2019 ­ Ne peut être vendu séparément
ACTUALITÉ
2| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019

NenuFAR, un radiotélescope dernière génération
ASTRONOMIE - Le nouvel instrument de la station de radioastronomie de Nançay, dans le Cher, ouvre une fenêtre d’observation du ciel

nançay (cher) ­ envoyée spéciale

D
ans un coin perdu de la forêt solo­
gnote, une vaste clairière accueille
une étrange installation. Imaginez,
agencés sur 400 mètres de diamè­
tre, plus de 1 000 objets métalliques
ressemblant à des parapluies dénués de toile
dressés vers le ciel. Des objets terrestres non iden­
tifiés ? Pas du tout. Ce réseau d’antennes hyper­
sensibles aux signaux radio, appelé NenuFAR, est
le nouvel instrument de la station de radioastro­
nomie de Nançay (Observatoire de Paris ­ CNRS ­
PSL ­ université d’Orléans), dans le Cher. « A son
achèvement, ce sera le radiotélescope basses fré­
quences le plus sensible au monde sur sa fenêtre
d’observation, située entre 10 et 85 MHz », présente
le directeur de la station, Stéphane Corbel.
A en croire les futurs utilisateurs de NenuFAR
(pour New Extension in Nançay Upgrading Lo­
FAR), son achèvement, attendu pour 2020, laisse­
rait présager de belles découvertes. Fin mars, ils
se réunissaient pour la première fois à Nançay.
L’objectif des 25 scientifiques participants ? Met­
tre en place des programmes d’observation, qui
consisteront, entre autres, à détecter des exopla­
nètes : « En observer dans le domaine radio nous
permettrait de connaître leur champ magnétique,
une information qui aiderait les planétologues à
mieux cerner leurs origines et leurs évolutions »,
indique Jean­Mathias Griessmeier, astronome
adjoint au Laboratoire de physique et de chimie
de l’environnement et de l’espace à Orléans.

Emissions radio des exoplanètes NenuFAR, réseau d’antennes hypersensibles aux signaux radio de la station de radioastronomie de Nançay, dans le Cher. STATION DE RADIOASTRONOMIE/OBSERVATOIRE DE PARIS/CNRS
Le Graal ? « Ce serait de détecter des signaux venant
de la fin de l’aube cosmique, au moment où les pre­
mières étoiles se sont formées, quand l’Univers signaux émis par l’hydrogène lors de l’aube cosmi­ là encore, s’avère plus complexe à basses fréquen­ 240 MHz), il s’avère mieux optimisé pour la se­
n’avait que 180 millions d’années. Ou de découvrir que, il y a plus de 13 milliards d’années. En cause : ces, car les collecteurs habituels ne sont efficaces conde. Reste à trouver des financements pour
les émissions radio des exoplanètes, de certaines l’ionosphère, couche supérieure de l’atmosphère, qu’aux petites longueurs d’onde. « La solution achever la construction de l’instrument. Près de
étoiles… », espère l’astronome Philippe Zarka, qui brouille les ondes radio, et la pollution électro­ passe par la construction de grands réseaux d’an­ 1,5 million d’euros manque sur un total de 12 mil­
responsable scientifique du projet NenuFAR. Le magnétique (radar, bande FM, moteurs…). Sur les tennes synchronisées entre elles », explique Phi­ lions (salaires inclus), principalement financés
compte à rebours est lancé : l’exploitation scienti­ 150 hectares du site de Nançay, il n’y a ni Wi­Fi ni lippe Zarka. Une fois achevé, NenuFAR comptera par l’Etat, l’Observatoire de Paris, le CNRS, l’ANR et
fique de l’instrument démarrera le 1er juillet en ro­ réseau mobile, peu d’industries alentour et des 1 824 antennes regroupées en 96 mini­réseaux en les régions Centre­Val de Loire et Ile­de­France.
dage, puis en utilisation standard à partir de 2022. arbres en guise de remparts. Des grillages métalli­ son cœur, complété de 114 antennes organisées
« Nous vivons un nouvel âge d’or de la radioas­ ques recouvrent les bâtiments les plus proches en 6 mini­réseaux distants qui conféreront au Instruments « éclaireurs »
tronomie », s’enthousiasment Philippe Zarka et des télescopes, afin de stopper les rayonnements télescope un diamètre de 3 kilomètres, donc une Ce qui n’empêche pas NenuFAR de fonctionner :
Stéphane Corbel. Après un premier essor à l’issue des ordinateurs. Reste quelques interférences de meilleure résolution. Mais avec ces deux milliers aujourd’hui, une équipe d’une dizaine de person­
de la seconde guerre mondiale, l’observation du radars autoroutiers et d’éoliennes, qui complexi­ d’antennes omnidirectionnelles, captant interfé­ nes assure les tests, l’étalonnage et la mainte­
ciel dans le domaine des ondes radio, lumineuses fient l’exploitation des données. rences et signaux brouillés par l’ionosphère, les nance, les antennes les plus anciennes ayant déjà
mais invisibles, avait souffert des perturbations Autre difficulté : la qualité et la dimension des données obtenues sont « d’une complexité sept ans. « Toutes les minutes, un dispositif auto­
humaines et de limitations techniques, plus parti­ antennes, qui doivent combiner une sensibilité inouïe », poursuit le spécialiste. D’où la nécessité matisé mesure divers paramètres sur chaque an­
culièrement dans les basses fréquences. Or ces élevée pour détecter de faibles signaux et une de puissants calculateurs. Une avancée permise tenne et les enregistre dans une base de données.
dernières permettent de traquer, entre autres, les résolution assez fine pour les distinguer. Ce qui, grâce aux progrès de l’informatique et de l’élec­ Cela nous permet, par exemple, de détecter une
tronique à partir des années 2000. panne, comme un composant électronique défec­
Ainsi, en 2012, le lancement de l’interféromètre tueux », indique le chef de projet, Laurent Denis.
Une nouvelle carte de l’Univers lointain basses fréquences LoFAR (low frequency array),
des dizaines de milliers d’antennes réparties
Au niveau international, NenuFAR fait partie de
la quinzaine d’instruments « éclaireurs » qui pré­
En février, la revue Astronomy & Astrophysics publiait une série de 26 articles présentant les premières dans 51 stations européennes reliées à un super­ parent la communauté scientifique à mettre au
observations issues de près de 60 000 antennes du radiotélescope basses fréquences LoFAR dans la bande calculateur aux Pays­Bas, constituait une innova­ point et à utiliser SKA (Square Kilometre Array) à
120 à 240 MHz. « Dans ce domaine, nous observons des particules très énergétiques, dont la vitesse approche tion de rupture. A Nançay, seule station LoFAR l’horizon 2025 : cet observatoire constitué de
celle de la lumière. Elles sont générées par des phénomènes violents, comme l’aspiration de matière par les française, le radiotélescope NenuFAR pourra, deux télescopes géants, un moyennes fréquen­
trous noirs supermassifs présents dans chaque galaxie, ou les collisions d’amas de galaxies », détaille l’astro- selon les programmes d’observation, s’intégrer à ces (350 MHz ­ 15 GHz) avec près de 200 paraboles
nome Cyril Tasse (Observatoire de Paris), membre de l’équipe internationale à l’origine des travaux qui ce super­réseau européen ou fonctionner de en Afrique du Sud et un basses fréquences (50 à
a développé une méthode de calcul pour résoudre les milliards d’équations nécessaires à la synthèse manière autonome. Son atout : « Percevoir les 350 MHz) doté de 130 000 antennes en Australie,
des images. A ce jour, les scientifiques ont publié 2,5 % des données de l’hémisphère Nord. Pour autant, sources radio sur une bande de fréquences plus sera « le plus grand instrument au monde dans ces
pas moins de 300 000 objets ont déjà été détectés, dont 90 % inconnus dans le domaine radio. « La lumière basses que LoFAR, avec une sensibilité jusqu’à huit domaines d’observation », souligne l’astronome
des plus lointains a voyagé dans l’espace environ 12 milliards d’années avant d’être détectée par LoFAR, fois plus élevée », souligne Stéphane Corbel. En Chiara Ferrari, directrice de SKA­France. En pers­
révèle l’astronome. Et certains objets diffus, invisibles dans tous les autres domaines d’énergie, restent énig- effet, si LoFAR fonctionne sur deux bandes de pective, la découverte d’horizons inexplorés. 
matiques. » Les scientifiques comptent achever l’image complète du ciel de l’hémisphère Nord d’ici à 2024. basses fréquences (30 à 80 MHz, puis 120 à nathalie picard

Jeu des différences biologiques chez les jumeaux astronautes
PHYSIOLOGIE - La NASA a comparé Scott Kelly, qui a séjourné 340 jours à bord de la station spatiale, à son frère, Mark, resté sur Terre

U n homme sur Terre, et


son frère jumeau dans la
Station spatiale interna­
tionale (ISS) : deux cobayes, un pro­
tocole expérimental idéal pour
cher des vaches. Les scientifiques
ont récolté, avant, pendant, et
après la mission, des échantillons
auprès des deux frères afin de dé­
terminer le devenir d’une foule de
l’espace. Or les chercheurs ont
remarqué chez Scott Kelly l’appa­
rition, à une fréquence plus élevée
que chez son frère, d’aberrations
chromosomiques (des réarrange­
Sans conteste, le plus curieux
reste que les télomères de Scott
Kelly, des régions non codantes
de l’ADN qui forment des « capu­
chons » protecteurs aux extrémi­
Outre ces bizarreries, certaines
de ses cellules sanguines ont subi
des modifications épigénétiques,
les « interrupteurs », qui dictent si
les gènes sont allumés ou éteints.
consistant à évaluer la vaccination
de Scott Kelly contre la grippe. Le
corps garde donc ses capacités
défensives face à un pathogène tel
qu’un virus. Tant mieux : on ima­
étudier les conséquences sur l’or­ paramètres génétiques, biologi­ ments ou des destructions de tés des chromosomes, se sont al­ Dans l’ensemble, il y en a eu à peu gine sans peine les effets d’une
ganisme d’un séjour de près d’un ques, physiologiques et cognitifs, tronçons de chromosomes, po­ longés durant son séjour. Or leur près autant chez les deux frères. grippe foudroyante lors d’un
an dans l’espace. L’expérience, et de les comparer entre les deux tentiellement cancérigènes), typi­ raccourcissement est habituelle­ Celles­ci n’ont néanmoins pas eu voyage spatial d’un an…
baptisée « Twins Study », a débuté cobayes. Ils ont observé une mul­ quement associées aux irradia­ ment associé à des stress cellulai­ lieu dans les mêmes régions. Ce Les Terriens sont­ils aptes à
en 2015 sous l’égide de la NASA. Les titude de modifications – la plu­ tions. Celles­ci se sont maintenues res et à des risques plus élevés de sont les gènes impliqués dans les s’élancer vers l’infini de l’espace ?
résultats ont fait l’objet, jeudi part réversibles – survenues chez à son retour sur Terre. maladies liées à l’âge. « On pen­ réponses immunitaires qui ont « Cette étude montre bien que le
11 avril, d’une publication cosignée Scott Kelly, qu’ils ont classées sait que l’ISS serait propice au rac­ été activés chez Scott. Une obser­ corps humain s’adapte à son envi­
par dix équipes et plus de 80 cher­ selon les risques associés. Effets des radiations courcissement des télomères, c’est vation qui en corrobore une ronnement, mais n’oublions pas
cheurs dans la revue Science. Les plus inoffensives (perte de « Dans l’optique d’une mission une vraie surprise », a commenté, autre : l’astronaute avait dans son qu’elle n’a examiné qu’un seul sujet
Elle constitue une occasion uni­ densité osseuse, de masse muscu­ vers Mars, il faudra équiper les as­ lors d’un point presse, Susan sang beaucoup plus de mar­ non représentatif de la popula­
que d’étudier deux personnes qui laire, etc.) sont bien connues. Les tronautes de protections supplé­ Bailey, de l’université d’Etat du queurs biologiques de l’inflam­ tion », commente Volker Gass. La
ont les mêmes gènes, mais dans plus inquiétantes concernent les mentaires, les radiations dans Colorado. De retour sur Terre, la mation que son jumeau. « Twins Study » constitue un socle
des environnements différents. risques associés aux radiations l’espace profond étant encore plus plupart sont revenus à leur taille Autre enseignement, « les réac­ qui permettra de mieux évaluer
Scott Kelly, alors âgé de 50 ans, a ionisantes des rayonnements dangereuses que celles au niveau initiale. Scott Kelly possède ce­ tions immunitaires spécifiques res­ les risques les plus importants qui
vécu trois cent quarante jours à cosmiques. Si sur Terre les hu­ de l’ISS, à seulement 400 kilomè­ pendant désormais plus de télo­ tent fonctionnelles », glisse Emma­ pèseront sur les astronautes avant
bord de l’ISS, tandis que son frère, mains en sont en partie protégés tres d’altitude », prévient Volker mères courts qu’avant la mis­ nuel Mignot, un des signataires un hypothétique voyage vers
Mark, qui fait office de « patient (l’atmosphère jouant le rôle de Gass, directeur du Swiss Space sion. Sur ce volet, les scientifi­ rattaché à l’université Stanford, Mars. La route est encore longue. 
contrôle », est resté sur le plan­ bouclier), ce n’est pas le cas dans Center à Lausanne. ques n’ont aucune explication. qui a participé à une expérience fabien goubet (« le temps »)
ACTUALITÉ
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019 |3

Kétamine : son action contre la dépression TÉLESCOPE
b
I NF ERTI L I TÉ
Naissance en Grèce d’un bébé
NEUROPSYCHIATRIE - Cette molécule, efficace dans les formes rebelles aux traitements issu de « trois parents »
classiques de la maladie, vient d’être autorisée comme antidépresseur aux Etats-Unis C’est une première médicale dans le cas
d’une infertilité. Un bébé conçu avec l’ADN
de trois personnes différentes est né en

L a kétamine est une molé­


cule à surprises. Et pas seule­
ment pour ceux qui recher­
chent ses effets hallucinogènes en
la détournant de ses applications
Grèce, a annoncé, jeudi 11 avril, l’équipe
médicale gréco­espagnole qui a procédé à
cette conception assistée. Le bébé de sexe
masculin, qui pèse 2,960 kg, est né
le 9 avril d’une mère grecque de 32 ans
médicales. Depuis les années 1970, qui avait tenté sans succès plusieurs
elle est largement utilisée comme fécondations in vitro, a précisé le centre
anesthésique à usage humain ou grec Institute of Life (IVF), dans un com­
vétérinaire. Mais elle est aussi muniqué. En avril 2016, un bébé né de
dotée de puissants effets antidé­ cette technique au Mexique avait été
presseurs, découverts voici plus de conçu ainsi car sa mère souffrait du syn­
vingt ans. Or, ceux­ci viennent drome de Leigh, un trouble métabolique
d’être doublement reconnus : au mitochondrial héréditaire rare, et avait
plan réglementaire, par la toute­ déjà transmis ses gènes malades à deux
puissante agence du médicament enfants, tous deux morts de cette patholo­
américaine (FDA) ; et au plan scien­ gie. Mais utiliser cette méthode pour
tifique, par un article qui en dé­ traiter l’infertilité soulève des questions
montre les rouages, dans la revue éthiques. Tim Child, professeur et direc­
Science du 12 avril. teur médical à l’université d’Oxford,
Le 5 mars, pour la première fois, s’est dit « préoccupé » : « Les risques de la
la FDA a autorisé l’utilisation de technique ne sont pas entièrement connus,
l’eskétamine (l’une des deux repré­ bien que considérés comme acceptables
sentations spatiales de la kéta­ s’ils sont utilisés pour traiter la maladie
mine, développée par le labora­ mitochondriale, mais pas dans cette
toire Janssen), en spray nasal, pour situation. » (AFP).
traiter les dépressions rebelles aux
antidépresseurs classiques. Le dé­ M ÉD ECI NE
nouement d’un chemin où le ha­ Ebola en RDC : l’épidémie continue
sard a joué son rôle, qui a démarré mais un vaccin est efficace
à la fin des années 1990. « Chez des L’épidémie d’Ebola déclarée le
patients ayant dû subir une inter­ 1er août 2018 continue de se propager en
vention chirurgicale, on a observé République démocratique du Congo, avec
les bénéfices inattendus, sur une dé­ un total cumulé de 1 251 cas au
pression, de la kétamine utilisée 13 avril 2019, dont 1 185 confirmés et
comme anesthésique », rapporte le vation de la fréquence cardiaque…) chez la femme enceinte. L’allaite­ neurones du cortex préfrontal 66 probables. Au total, il y a eu 803 décès.
psychiatre Pierre de Maricourt, de ou dissociatifs (sensation de rup­ ment est aussi interdit. – coordination que le stress alté­ L’Organisation mondiale de la santé
l’hôpital Sainte­Anne (Paris). ture entre le corps et l’esprit, de Mais comment l’eskétamine rait. La souris retrouve son goût (OMS) a dévoilé, vendredi 12 avril, les
perte du réel…). agit­elle, dans les dépressions re­ pour une boisson sucrée ; et elle se résultats préliminaires de la vaccination
Action rapide De fait, la kétamine est classée belles ? La plupart des antidépres­ bat de nouveau face à un défi. des personnes en contact avec un malade,
Depuis lors, les essais cliniques se parmi les stupéfiants : à dose mo­ seurs interfèrent avec la voie des Dans un second temps, la kéta­ ainsi que des autres personnes avec les­
sont multipliés. « L’enthousiasme dérée, elle entraîne des effets monoamines, comme la séroto­ mine agit sur les épines dendriti­
des psychiatres tient à deux atouts euphorisants et une ébriété « co­ nine ou la noradrénaline. La kéta­ ques, ces petites zones où le neu­
de la kétamine, poursuit Pierre de tonneuse ». A dose plus forte, elle mine, elle, inhibe l’action du glu­ rone, en aval d’une synapse, entre
Maricourt. Tout d’abord, elle agit provoque des hallucinations et cet tamate, un autre neurotransmet­ en contact avec le neurone en
très vite – en moins de vingt­quatre effet de dissociation. « Elle peut teur, au niveau des récepteurs amont. Elle restaure en partie les
heures après l’administration. Or, être à l’origine de pertes de connais­ de type NMDA. épines éliminées par le stress. Et
les antidépresseurs conventionnels sance voire de coma », note l’Ob­ elle en crée de nouvelles, à des
mettent de quatre à huit semaines servatoire français des drogues et Restauration des synapses endroits différents. « Fait notable,
pour être efficaces : un délai très des toxicomanies. D’où, peut­être, L’étude, publiée dans Science le commente Anna Beyeler, cette
long, en particulier chez les patients la prudence de l’Agence euro­ 12 avril, livre de précieuses infor­ plasticité se produit douze à vingt­
suicidaires. Second atout : elle est péenne du médicament, qui n’a mations sur son mode d’action quatre heures après l’administra­
efficace même chez ceux qui ne pas encore donné son feu vert. « Il chez la souris, dans un modèle de tion de kétamine. »
répondent pas aux antidépresseurs y a une inquiétude évidente, qui dépression liée au stress. « Cer­ Enfin, dans une expérience
classiques. » Près du tiers des pa­ tient à cet usage détourné. Mais il tains antidépresseurs restaurent­ « très élégante », les chercheurs
tients dépressifs sont dans ce cas. faut mettre en balance ce risque ils les synapses perdues ? », s’inter­ sont parvenus à supprimer sélec­
Mais cette molécule a ses limites. avec le bénéfice important pour roge Anna Beyeler, de l’Inserm à tivement la création de ces nou­ quelles elles­mêmes entraient en contact.
En premier lieu, ses effets dispa­ des patients très malades », estime l’université de Bordeaux, dans un velles épines. Qu’ont­ils observé ? Le vaccin expérimental rVSV­ZEBOV­GP
raissent au bout de sept à dix Pierre de Maricourt. éditorial associé. Oui, ont ré­ La kétamine parvenait toujours à (Merck) a présenté une efficacité estimée à
jours. D’où la nécessité d’une Prudence aussi, car la kétamine, pondu les chercheurs, conduits restaurer les comportements des 97,5 % par l’OMS. Sur plus de 93 000 per­
administration répétée. Quid des qui passe la barrière placentaire, par une équipe de l’université animaux, peu après son adminis­ sonnes vaccinées du 1er août 2018 au
effets indésirables ? Dans les essais est très toxique sur le cerveau en Cornell (New York). tration. En revanche, ses effets 25 mars 2019, 71 ont développé la maladie
cliniques, « ils apparaissent modé­ développement. « Les femmes en La kétamine agit en deux temps. n’étaient pas maintenus. « Comme à virus Ebola. Dans le même temps,
rés et transitoires », dit le psychia­ âge de procréer doivent envisager D’abord, elle rétablit très rapide­ si la plasticité des épines était indis­ 880 individus non vaccinés ont contracté
tre. Ce sont des effets cardio­vascu­ une contraception », avertit la ment (en trois à six heures) une pensable à ce maintien. »  l’infection. De plus, les 9 sujets vaccinés
laires (hypertension modérée, élé­ FDA, qui interdit l’eskétamine coordination normale entre les florence rosier qui sont décédés avaient tous présenté des
symptômes apparus moins de dix jours
après la vaccination, le délai estimé néces­
saire à une protection complète. (PHOTO : AFP)

Echec de la sonde lunaire Bereshit
N EURO GÉN ÉTIQ U E
Des macaques avec un gène
humain du développement
cérébral créés en Chine
Une équipe dirigée par Bing Su, de l’Insti­
ESPACE - L’engin devait faire d’Israël la quatrième nation à se poser sur la Lune. Il s’y est écrasé tut de zoologie de Kunming (Chine), a pro­
duit onze macaques transgéniques, dont
cinq ont survécu, dotés de la version

E n sport, la quatrième place


est souvent vue comme la
pire de toutes. Il n’en va pas
de même en matière d’explora­
tion spatiale où le quatrième est
de renvoyer des images ainsi que
des données. Le premier récoltait
un prix de 20 millions de dollars.
Malheureusement, sur la tren­
taine de compétiteurs engagés,
depuis la Terre pour mesurer avec
précision la distance qui nous
sépare de la Lune] –, mais l’objectif
scientifique restait secondaire. »
Ce qui, en revanche, devait se
tellite en 2024 et sur la Planète
rouge en 2033, la NASA a besoin de
multiplier les recherches appli­
quées sur la Lune. Elle veut notam­
ment savoir quelle quantité d’eau
humaine du gène de la microcéphaline,
impliqué dans le développement cérébral :
sa mutation chez l’homme entraîne des
microcéphalies. L’analyse des tissus céré­
braux des macaques a montré un retard
encore considéré comme un aucun ne parvint à lancer un concrétiser avec l’alunissage de se trouve dans le sol et comment il dans le gainage des fibres nerveuses. Ce
pionnier. Israël devait s’enor­ engin avant la date limite, fixée Bereshit, c’était la capacité de sera possible de l’exploiter. L’idée délai dans la maturation (néoténie), aussi
gueillir d’ajouter son nom à la au 31 mars 2018, et le prix ne fut l’acteur israélien à répondre aux est en effet d’installer en orbite observé chez le fœtus humain, s’est
très courte liste (Russie, Etats­ jamais attribué. appels d’offres que lance la NASA lunaire une station spatiale qui se­ accompagné de meilleures performances
Unis, Chine) des pays qui ont fait dans le cadre de son programme rait plutôt une station­service : des singes lors d’épreuves de mémorisa­
se poser un engin sur la Lune Une affaire de prestige Commercial Lunar Payload Ser­ l’eau lunaire fournirait l’oxygène tion et de temps de réaction réduits par
grâce à sa sonde Bereshit, censée Malgré cela, certaines équipes ont vices (CLPS). L’agence spatiale et l’hydrogène liquides qui ali­ rapport à leurs pairs non transgéniques.
atterrir jeudi 11 avril dans la mer poursuivi leur projet. C’est le cas américaine a en effet décidé, menteraient les moteurs d’un Des souris transgéniques exprimant des
de la Sérénité. Mais décrocher la de la société israélienne SpaceIL en 2018, qu’elle était « prête à vaisseau martien. Pour les acteurs gènes impliqués dans le développement
Lune reste une prouesse et le vais­ avec Bereshit qui a décollé, le 22 fé­ déléguer à des sociétés privées la privés du spatial, l’eldorado de de­ cérébral humain ont déjà été produites,
seau s’est écrasé en raison d’une vrier, de Cap Canaveral (Floride). partie “petits atterrisseurs” de son main sera donc sur la Lune. mais l’humanisation du cerveau de prima­
panne de moteur. Ainsi que l’explique Francis Ro­ programme lunaire, avec beau­ Pour l’heure, seules des sociétés tes non humain, soulève des questions
En hébreu, bereshit signifie « au card, responsable des program­ coup d’argent sur la table, dé­ américaines se sont portées can­ éthiques plus aiguës, notent nombre
commencement ». C’est le pre­ mes d’exploration du Système crypte Francis Rocard. CLPS est didates. Avec l’échec de Bereshit, d’observateurs. La Chine a été la première
mier mot de la Bible. Au com­ solaire au Centre national d’études doté d’un budget de 2,6 milliards Israël devra attendre. Depuis la à produire des macaques transgéniques
mencement, donc, il y avait un spatiales, « c’est surtout une affaire de dollars répartis sur dix ans. » salle de contrôle où il se trouvait, grâce à l’outil d’édition du génome Crispr­
concours spatial organisé par de prestige et de fierté pour Israël. Alors que l’administration le premier ministre, Benyamin Cas9. En janvier, une équipe chinoise avait
Google, le Google Lunar X Prize. La sonde avait trois petites “ma­ Trump la presse de mettre les bou­ Nétanyahou, a déclaré : « Si vous ne produit des clones de singes dont l’horloge
Les participants devaient expé­ nips” – un magnétomètre, une chées doubles sur ses program­ réussissez pas la première fois, circadienne avait été altérée.
dier sur la Lune un robot capable caméra et un rétroréflecteur [des­ mes lunaire et martien, afin d’en­ vous réessayez. »  > Shi et al., « National Science Review »,
de s’y déplacer sur 500 mètres et tiné à renvoyer un rayon laser tiré voyer des Américains sur notre sa­ pierre barthélémy du 27 mars.
ÉVÉNEMENT
4| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019

Alcool La prévention
peut réduire les dégâts
de définition consensuelle du binge drinking. De
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE plus, il ne s’agit pas seulement d’une question de
quantité d’alcool bue dans un temps donné, il
faudrait prendre en compte d’autres facteurs de
Les API répétées (au moins trois épisodes men­ susceptibilité : génétiques, psychologiques… » Par
suels) concernent, elles, 21,7 % des garçons et ailleurs, soulignent plusieurs spécialistes, il est
10,9 % des filles. Les jeunes adultes aussi ont un peu artificiel d’étudier les effets de l’alcool
tendance à consommer des doses importantes seul, puisqu’il est en réalité souvent associé à
de façon occasionnelle, quand leurs aînés boi­ d’autres toxiques, cannabis le plus souvent.
vent moins mais plus régulièrement, confirme Les effets les mieux documentés du binge drin­
le dernier BEH du 26 mars. Les nouveaux repè­ king sont ceux sur le cerveau, un organe d’autant
res de consommation – qui ne font pas de dis­ plus vulnérable qu’il ne finit sa maturation que
tinction selon l’âge – sont de ne pas dépasser vers 20­25 ans. L’alcool est neurotoxique, en parti­
2 verres par jour, 10 par semaine, et de ne pas culier pour l’hippocampe, qui joue un rôle majeur
boire tous les jours. dans la mémorisation. « Des études chez des étu­
Accidents, violences, rapports sexuels non diants binge drinkers montrent aussi une atteinte
consentis ou non protégés, suicides, comas éthy­ du corps calleux, la substance blanche qui relie les
liques… Les complications aiguës des alcoolisa­ deux hémisphères. Les lésions sont surtout dans sa
tions massives sont des plus frappantes et partie frontale, impliquée dans les fonctions exécu­
marquent l’opinion publique, encore plus lors­ tives : planification, prise de décision, flexibilité
qu’elles sont fatales. Certaines sont favorisées mentale… », ajoute Mickaël Naassila. Les cher­
par les « black­out », épisodes d’amnésies, fré­ cheurs découvrent aussi un impact négatif sur la
quents lors d’une consommation importante. régulation des émotions, les habiletés visuo­spa­
tiales… « Des mécanismes inflammatoires sont à
Pas de conscience des risques l’œuvre, il a d’ailleurs été montré chez le rongeur que
Mais les conséquences à long terme sur l’orga­ des anti­inflammatoires peuvent prévenir les trou­
nisme, plus insidieuses, sont moins connues. bles mnésiques du binge drinking, précise le cher­
« La plupart du temps, les jeunes n’ont pas cheur. Il y a aussi des processus épigénétiques. »
conscience des risques qu’ils prennent (…). Cette Pour les addictologues, l’évaluation des fonc­
fragilité des adolescents en fait une cible vulnéra­ tions cognitives est un examen utile, à la fois pour servé que la pratique du binge drinking était asso­
ble », et une proie idéale pour les lobbys, s’inquiè­ mesurer le retentissement des alcoolisations, et
« L’ALCOOL EST ciée à la survenue de cirrhose du foie. « Des argu­
tent dans Comment l’alcool détruit la jeunesse pour motiver les patients. « Ces jeunes ont souvent LA PREMIÈRE CAUSE ments épidémiologiques et expérimentaux suggè­
(Albin Michel, 2017) Amine Benyamina, chef du une estime d’eux­mêmes catastrophique. Leur rent donc un lien entre ce mode d’alcoolisation et
service d’addictologie de Paul­Brousse, et la jour­ montrer que leurs troubles de mémoire, d’atten­
DE MORTALITÉ des maladies du foie, mais ce n’est pas encore
naliste Marie­Pierre Samitier. tion… sont en partie liés à l’abus d’alcool, et qu’ils CHEZ LES 15-49 ANS » prouvé formellement », tempère le Pr Louvet, en
« Au total, 60 maladies sont liées à la consom­ peuvent voir une amélioration lorsqu’ils s’arrêtent PR MICKAËL NAASSILA précisant qu’il n’y a pas de données épidémiologi­
mation d’alcool, mais on ne sait pas ce qu’il en est de boire est valorisant », explique le docteur Lafaye. ques en France dans ce domaine.
concernant spécifiquement les jeunes. Ce toxique Quid de l’impact sur le foie d’alcoolisations mas­ INSERM, AMIENS Jean­Pierre Couteron, psychologue et porte­
est en tout cas la première cause de mortalité chez sives, dès l’adolescence ? Pour le professeur parole de la Fédération addiction, insiste sur une
les 15­49 ans », dit le Pr Mickaël Naassila, directeur Alexandre Louvet, hépatologue au CHU de Lille, prise en charge précoce de ces jeunes. « Après une
du groupe de recherche sur l’alcool et les pharma­ on manque encore de données. « Contrairement première alcoolisation importante, une consulta­
codépendances (Inserm, Amiens). Pour ce spécia­ au cerveau, on ne sait pas à quel âge le foie atteint tion devrait être automatique, mais beaucoup de
liste, « l’un des freins majeurs pour la recherche, sa maturité vis­à­vis de la consommation d’al­ parents n’ont pas le réflexe, se contentent d’engueu­
l’épidémiologie et même le diagnostic est l’absence cool », souligne­t­il. Une étude finlandaise a ob­ ler leur ado, et pensent que ça s’autotraite. Ils mini­
misent souvent, même si leur ado est passé aux ur­
gences, regrette­t­il. On voit parfois en consultation
des jeunes amenés pour un ou deux joints, alors
qu’ils ont déjà fait cinq ou six épisodes d’ivresse. » Il
poursuit : « Les parents doivent aussi fixer des rè­

LE LOBBY DU VIN À LA CONQUÊTE DES JEUNES


gles pour les sorties, ne pas les laisser s’autoréguler,
mais accompagner la prise d’autonomie. »
La prévention est l’un des enjeux essentiels. Et
son efficacité n’est plus à prouver. Ainsi du
programme Unplugged. Ce jour de février, il se

D ans mon imaginaire, le vin, ça


représente de l’alcool bu par
les vieux. » Cette réplique fuse
dans un documentaire projeté à la Cité
du vin de Bordeaux fin mars, lauréat
vin » (BABV), mais des couleurs acidu­
lées et des polices de caractère ron­
des. Leur prix, adapté au budget des
cibles, invite à l’ébriété low cost : la bou­
teille coûte autour de 3,50 euros. Les
situé entre 100 000 et 200 000 euros.
Parmi elles : « Informer sur les risques
de dommages collatéraux du projet de
taxation. » Son lobbying a consisté à
« organiser des discussions informelles
la génération Y ». Sur son blog, on parle
de « démocratisation ». On veut « ren­
dre le vin moins snob, plus accessible ».
On est « à la recherche du “Next Cool”
avec les millennials ». Sur la photo
tient dans l’une des classes de 6e du collège Pierre­
Mendès­France de Chécy (Loiret). A la question :
« Pouvez­vous me citer des noms de drogues ? », les
réponses fusent. Cannabis, chicha, alcool, tabac,
cocaïne, médicaments… « Qu’est­ce qu’une addic­
d’un Prix génération Y – Vin & société cubis de 5 litres sont accessibles à ou des réunions en tête­à­tête », « trans­ d’illustration, une bonne bouteille et tion ? Comment définissez­vous une drogue ? »
que décerne la filière vitivinicole. Elle moins de 15 euros. Après un pic à plus mettre aux décideurs publics des infor­ une paire de chaussures en cuir d’un Nathan, Salomé, Anaïs, Mathilde… répondent à
synthétise le tourment de tout le de 88 millions d’euros de chiffre d’affai­ mations, expertises dans un objectif de côté. De l’autre, une bouteille taille en­ leur enseignante, Sophie Guénot, et Marion Fal,
secteur : comment, au pays des grands res en 2015, les vins aromatisés repré­ conviction » et « transmettre des sug­ fant avec baskets en toile avachies juste coordinatrice du secteur jeunesse à l’Association
crus et de la verbosité œnologique, sentaient un marché de 60,5 millions gestions afin d’influencer la rédaction ce qu’il faut. « Plus les jeunes auront été pour l’écoute et l’accueil en addictologie et toxico­
transformer le vin, cet alcool de en 2018, selon le cabinet de conseil IRI d’une décision publique ». Responsa­ sensibilisés par leurs aînés, plus ils se­ manies (Apleat), qui interviennent en duo. C’est la
« daron », en un produit cool ? France. A la même période, environ bles ciblés : « Député ; sénateur ; colla­ ront enclins à reproduire un rapport neuvième séance du programme destiné aux
Pour le lobby du vin, harponner la 35 % des adolescents consommaient borateur parlementaire ou agents des traditionnel et classique vis­à­vis de ce 12­14 ans, qui en compte douze. Il existe depuis
jeunesse est devenu une priorité. Sou­ du vin, indique l’Observatoire français services des assemblées parlementai­ produit », se réjouit l’organisation. quatre ans dans les sept classes de 6e de ce collège.
mis à une concurrence internationale des drogues et des toxicomanies. res. » L’amendement n’est pas passé. Déjà colonisés par les alcooliers, les « Une drogue est quelque chose dont on ne peut pas
moins engoncée dans la culture terroir Certains élus s’inquiètent de ces ten­ réseaux sociaux sont un passage se passer et qui a des effets physiques et psychiques,
qu’en France, le secteur est contraint dances. En octobre 2018, lors de la dis­ Rendre le vin moins snob obligé. Ainsi le « laboratoire » de Vin et on peut parfois perdre le contrôle de ses consom­
de s’intéresser de près à la généra­ cussion du projet de loi de finance­ « Le produit dont on parle, ce n’est pas du & société scrute « la façon dont les mations », résume Marion Fal.
tion Y, ou millenials. Ces noms de code ment de la Sécurité sociale, la députée vin, mais un produit aromatisé à base jeunes parlent du vin » sur Instagram,
marketing désignent les jeunes qui, Audrey Dufeu­Schubert (LRM, Loire­ d’alcool », se défausse Valérie Fuchs, « désacralisé, partagé et mis en scène ». Les effets de la prévention
nés entre 1980 et l’an 2000, ont grandi Atlantique) présentait un amende­ porte­parole de Vin & société, qui parle « Depuis longtemps, les directeurs du Assis en îlot, les 22 élèves participent activement.
smartphone entre les mains et ne re­ ment visant à aligner la taxation des d’un « enjeu de transmission d’un patri­ marketing se préoccupent de la façon Un jeu de cartes leur est proposé, avec des phrases
crachent pas le vin après l’avoir goûté. vins aromatisés sur celle des prémix. moine, d’une culture, d’une histoire et à la plus efficace d’atteindre les jeunes comme : « Il n’est jamais trop tard pour arrêter de
Les vins aromatisés sont arrivés sur Une mesure connue pour son effica­ travers cela : d’un art de vivre ». Pour consommateurs », écrivent dans un fumer ». A eux de dire si c’est vrai ou faux. Et ça
le marché en 2010. Ils titrent en géné­ cité en termes de santé publique. Karine Gallopel­Morvan, professeure à article diffusé en 2018 des chercheurs fonctionne. « C’est mieux de proposer ces program­
ral 7 ° à 8 ° et le sucre masque le goût de En 1997, la taxe prémix appliquée aux l’Ecole des hautes études en santé rattachés à la Chaire vin et tourisme mes avant qu’ils aient touché à l’alcool », souligne
l’alcool. Premier du genre, le rosé mélanges d’alcools forts avec des sodas publique, ce discours fait partie de « la de l’Ecole de management de Stras­ Céline Galisson, infirmière scolaire.
« pamplemousse » reste très popu­ ou des jus de fruit avait entraîné un ef­ palette d’outils lobbying déployés par bourg, financée par la filière viticole. « C’est une nouvelle démarche d’apprentissage, on
laire. On trouve aujourd’hui le rosé fondrement des ventes, de 950 000 li­ ces compagnies pour influencer les « Pour répondre aux attentes de la gé­ part de ce qu’ils savent, sans jamais les rabaisser »,
« bubble gum » ou « caramel en barre », tres à moins de 10 000 litres en un an, politiques et les citoyens ». Car ce vin nération Z et attirer ces consomma­ relève Sophie Guénot. « Le prétexte de ces pro­
le blanc « poire pomme d’amour » ou d’après l’agence Santé publique France. « de qualité médiocre », rappelle cette teurs, de nouveaux produits doivent grammes est la prévention de la consommation
« mojito », ou encore le « rouge su­ « Hostile à toute taxe », selon ses pro­ spécialiste des stratégies des indus­ être développés comme le vin à faible de drogues et des addictions, mais notre intérêt est
cette » au cola. Leader du marché, la pres mots, la filière a œuvré contre triels de l’alcool et du tabac, est vendu teneur en alcool, le rosé de pample­ de développer les compétences psychosociales de
marque Fruits and Wine (groupe l’amendement. A la Haute Autorité par des multinationales qui « dévelop­ mousse, etc. » Plus jeunes encore que nos élèves, transposables dans des situations d’ap­
Marie Brizard) décline ses blancs pour la transparence de la vie publique pent un marketing très ciblé, dont un la génération Y, les 18­21 ans de la prentissage et de la vie quotidienne », complète
« pomme » et « pêche » en « bio ». (HATVP), l’organisation qui défend les des objectifs est de toucher les consom­ génération Z constituent en effet un Mme Hendrix, principale du collège. Autre effet,
Pas de châteaux austères aux appella­ intérêts du secteur, Vin & société, a dé­ mateurs de demain : les jeunes. » cheptel de plus de trois millions de « ces séances renforcent l’estime de soi, améliorent
tions intimidantes sur les bouteilles de claré pas moins d’une vingtaine d’acti­ Fin 2017, Vin & société a ainsi créé un futurs consommateurs.  le climat scolaire, apprennent à gérer les conflits »,
ces « boissons aromatisées à base de vités de lobbying en 2018 pour un coût « laboratoire d’idées autour du vin et de stéphane horel selon Myriam Serisier, principale adjointe.
ÉVÉNEMENT
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019 |5

Série
« Si l’on
nous voyait ».
Bretagne,
2015.
MARTIN BERTRAND/
HANS LUCAS

Validé dans sept pays européens depuis 2002, ou encore Tabado au lycée, etc. Des initiatives qui « APRÈS UNE PREMIÈRE leur fils de 12 ans ont ainsi participé au pro­
Unplugged a été évalué par Santé publique France restent trop rares, portées par des professionnels gramme de soutien aux familles et à la parentalité
(SPF) avec un financement de la Mission intermi­ motivés. Globalement l’éducation à la santé, pour­ ALCOOLISATION (PSFP), une fois par semaine, pendant une dizaine
nistérielle de lutte contre les drogues et les tant inscrite dans la loi, n’occupe aujourd’hui IMPORTANTE, UNE de semaines. « Le but est de développer des facteurs
conduites addictives (Mildeca) auprès de 1 091 col­ qu’une trop petite place dans les établissements de protection et d’instaurer un climat familial posi­
légiens du Loiret de la 6e à la 4e en 2016­2017. Ces scolaires, souvent faute de moyens. CONSULTATION DEVRAIT tif », explique Ulrich Vandoorne qui pilote ces pro­
résultats, qui seront rendus publics en mai, mon­ Il est primordial d’avoir des programmes perti­ ÊTRE AUTOMATIQUE, MAIS grammes. « Galaad aime prendre des risques
trent que, huit mois après le début de la forma­ nents et évalués : les messages basés sur la peur ne depuis tout petit », dit sa mère. S’il n’a aucun pro­
tion, les enfants qui en ont bénéficié ont moins de fonctionnent pas et peuvent même avoir des ef­ BEAUCOUP DE PARENTS blème de consommation de substances, sa mère
risques d’avoir été ivres, de fumer une cigarette ou fets négatifs. « Majoritairement, les jeunes gèrent N’ONT PAS LE RÉFLEXE » préfère agir en amont. « Plusieurs personnes de la
de consommer du cannabis que le groupe non bien l’alcool, et sont réceptifs aux messages de pré­ famille ont eu des problèmes d’alcool, dit cette
JEAN-PIERRE COUTERON
formé. Et ils résistent mieux aux pressions de vention », estime Nicolas Baujard responsable du PSYCHOLOGUE enseignante à Saint­Gengoux­le­National (Saône­
leurs pairs, explique Jean­Michel Lecrique, de SPF. secteur jeunesse de l’Apleat, qui coordonne le pro­ et­Loire). Dans notre région, on propose souvent de
Les habiletés sociales sont aussi renforcées, et le gramme Unplugged. Mais « des difficultés peuvent goûter le vin, c’est comme un rite d’initiation, il faut
climat scolaire amélioré. De plus, « ces effets posi­ se poser en contexte festif, et il est utile de rappeler savoir s’y opposer. » « Il y a quatre piliers sur lesquels
tifs semblent encore plus grands pour les collégiens les notions de prises de risques, comme ne plus se reprendre la main dans la lutte contre l’alcool, il faut agir en matière de prévention, insiste Natha­
de niveau socio­économique défavorisé ou avec souvenir de ce qu’on a fait, rentrer en ayant trop notamment chez les jeunes, la précédente campa­ lie Latour, déléguée générale de la Fédération
plus de permissivité parentale », indique l’étude. bu… », poursuit Nicolas Baujard, dont l’association gne datant de 2013. « La prochaine aura lieu à addiction. Primo, avoir davantage d’information
« La littérature scientifique montre que l’utilisa­ intervient également sur les lieux festifs. Elle orga­ l’automne, visant à valoriser l’attention portée aux sur les produits. Deuxio, limiter leur accessibilité, en
tion précoce de substances psychoactives favorise nise aussi des ateliers tels que « Comment organi­ autres en contexte de soirée, avec pour message : agissant sur les prix, la publicité, car, rappelons­le,
le risque d’abus de substances et de dépendance ser la soirée idéale », « Comment gérer quelqu’un “Si je vais trop loin, la fête sera gâchée” », explique ce ne sont pas des produits comme les autres. Tertio,
plus tard », ajoute Jean­Michel Lecrique. Déployé qui a trop bu », « Quand appeler le SAMU », etc. Viêt Nguyen­Thanh, de SPF. Venu d’Angleterre, le agir sur les compétences psychosociales. Enfin, ren­
dans le Loiret depuis 2013, aujourd’hui dans Pour s’adresser aux jeunes, à ceux qui ne con­ défi « Dry January », qui incite à ne pas boire d’al­ contrer plus vite, plus tôt, les jeunes et les familles, y
dix collèges, et bientôt en Ile­de­France, Bourgo­ somment pas encore et à ceux qui consomment cool pendant tout le mois de janvier, pourrait être compris en milieu festif, mais aussi dans les consul­
gne­Franche­Comté et Nouvelle Aquitaine, le pro­ déjà, SPF utilise le marketing social. Intitulée envisagé sous une formule « Janvier sobre ». Une tations jeunes consommateurs (CJC), lors d’épisodes
gramme pourrait être élargi. Bourré simulator, la vidéo commandée aux you­ initiative qui pourrait amorcer une démarche de de crise. » Annoncé fin 2018 par la ministre de la
D’autres programmes de prévention sont pro­ tubeurs Mcfly & Carlito a été vue plus de 8 mil­ réduction de la consommation d’alcool. Cette santé Agnès Buzyn, le suivi psychologique obliga­
posés par cette association tout au long du par­ lions de fois. « Le but est la réduction des risques, on action vise entre autres les soirées étudiantes. toire pour les jeunes hospitalisés en coma éthyli­
cours scolaire, dès la maternelle avec Tina et Toni, n’est pas dans l’abstinence », rappelle François Autre axe de prévention, aider les familles, sou­ que devrait être généralisé sur tout le territoire. 
en classe primaire avec le Good Behavior Game, Bourdillon, directeur général de SPF, qui veut vent démunies. Rachel Champanay, son mari, et sandrine cabut et pascale santi

AU ROYAUME-UNI, LA NOUVELLE GÉNÉRATION BOIT BEAUCOUP MOINS

I l est temps d’oublier le cliché


des jeunes Britanniques ivres
morts le samedi soir. S’il reste
de nombreux excès le week­end
au Royaume­Uni, la grande ten­
viron la moitié à moins du tiers
des deux tranches d’âge. Autrefois
consommant bien plus d’alcool
que les Français, les jeunes Britan­
niques sont désormais passés sous
Au début des années 2000, les
excès de la génération précédente
ont fini par provoquer les gros
titres des tabloïds. Reportages alar­
mistes et rapports publics inquié­
lants annoncent qu’une pièce
d’identité sera demandée à ceux
« qui paraissent moins de 25 ans ».
Les supermarchés vérifient systé­
matiquement l’âge des acheteurs.
Aujourd’hui, on sait qu’un futur
employeur peut facilement retrou­
ver une photo de vous dans un état
lamentable », estime John Larsen.
Cette explication fait pourtant
encore, l’explication est insuffi­
sante. Comment expliquer alors
que la baisse soit particulièrement
prononcée chez les 11­15 ans ? », s’in­
terroge Victoria Whitaker.
dance de ces quinze dernières an­ la moyenne hexagonale. tants se sont succédé. D’importan­ L’émergence de tendances de débat. « Les médias sociaux sont En revanche, la consommation
nées a été la chute de la consom­ « On n’est pas certain de savoir ce tes campagnes de sensibilisation fond sur le bien­être et la santé partout et les jeunes en ont l’habi­ d’alcool chez les plus de 45 ans ne
mation d’alcool chez les jeunes. qu’il s’est passé, explique Victoria ont été menées, provoquant une joue aussi un rôle­clé. La multipli­ tude, réplique Victoria Whitaker. baisse absolument pas. « Depuis
Une génération de (presque) « pu­ Whitaker, chercheuse associée de prise de conscience progressive. Si cation du nombre de végétariens D’ailleurs, ils filment et font des 2016, nous avons décidé de concen­
ritains » est née, tandis que les plus l’université de Sheffield, qui mène l’alcool reste associé à la fête, l’abus et l’explosion des salles de gym re­ photos de leurs soirées. » trer nos efforts de communication
de 45 ans continuent de boire une étude pour tenter de com­ est peu à peu considéré comme lèvent du même phénomène. « Les sur les adultes », témoigne John
beaucoup, posant un sérieux pro­ prendre le phénomène. Une multi­ indésirable. Désormais, quelques jeunes ont une conscience bien plus Moins dépenser pour les fêtes Larsen. Ceux­là mêmes qui ont
blème de santé publique. tude de facteurs sont en jeu. » discothèques organisent même aiguë des risques de l’alcool sur la S’ajoute aussi une importante pris l’habitude des fêtes arrosées, il
Un pic semble avoir été atteint Le phénomène est mondial, des soirées sans alcool. santé », estime John Larsen, de question financière. Dix ans après y a vingt ans, continuent à boire
autour de 2005. A l’époque, 64 % avec un recul dans la plupart des l’association de lutte contre l’al­ la crise des subprimes, alors que régulièrement. Souvent sans vrai­
des 16­24 ans et 74 % des 25­44 ans pays occidentaux, mais il est par­ Vente mieux contrôlée coolisme Drinkaware. La consom­ les frais universitaires ont triplé au ment s’en apercevoir, ils dépas­
buvaient au moins une fois dans la ticulièrement marqué au Royau­ La loi s’est durcie également. De­ mation de drogue baisse de la Royaume­Uni depuis 2010 (désor­ sent régulièrement les niveaux
semaine. Ce taux est aujourd’hui me­Uni. « Comme avec le tabac puis 2005, les publicités pour les al­ même façon au Royaume­Uni. mais autour de 12 000 euros par recommandés, quelques pintes de
de 48 % et 60 % respectivement. Et auparavant, il y a eu un change­ cools sont mieux encadrées, inter­ Une des explications est peut­ an), les jeunes Britanniques sont bière par­ci, quelques verres de vin
ceux qui buvaient au­delà du ment d’attitude à l’égard de l’al­ disant la promotion de situations être à chercher dans les médias beaucoup plus endettés que les par­là. Le changement d’attitude
maximum conseillé (4 unités cool », estime Kimberley Hill, d’ivresse. La vente aux mineurs, sociaux. « Les jeunes veulent paraî­ générations précédentes. Cela envers l’alcool au Royaume­Uni
d’alcool pour les hommes, 3 pour professeure de psychologie spé­ interdite de longue date, est mieux tre sains et musclés, notamment pousse à moins dépenser pour les est générationnel. 
les femmes) au moins une fois cialisée en santé publique à l’uni­ contrôlée. Dans les magasins qui sur Internet. Il y a vingt ans, c’était fêtes et à une attitude plus respon­ éric albert
dans la semaine sont passés d’en­ versité de Northampton. procurent de l’alcool, des autocol­ cool d’être ivre mort un soir. sable envers ses études. « Mais là (londres, correspondance)
RENDEZ-VOUS
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019

L’EXPOSITION
LES NEURONES EN 3D

Un récit pompéien  Circuler dans le cerveau en trois dimensions,


suivre les liaisons entre neurones, retracer
leur généalogie en identifiant les descendantes

sort de l’oubli des cellules souches : ces dernières années,


diverses techniques d’imagerie ont permis aux
chercheurs d’explorer toujours plus en détail
les tissus cérébraux et leur développement.
Deux équipes françaises décrivent, dans Nature
Le Musée de la romanité, Communications du 10 avril, une nouvelle
approche. Baptisée microscopie sérielle multi-
à Nîmes, retrace l’opération photon chromatique (ChroMS), elle combine
plusieurs outils pour fournir des données de
de sauvetage des habitants haute résolution sur un volume cérébral de plu-
de Pompéi par la flotte sieurs millimètres cubes, où les neurones (ci-
contre de souris) se distinguent par une grande
romaine de Pline l’Ancien variété de teintes. Celles-ci sont obtenues
par l’expression de marqueurs fluorescents par
des approches transgéniques développées
à l’Institut de la vision (Paris). L’étendue de la
nîmes ­ envoyé spécial palette est captée par le microscope grâce
à une stimulation dite « par mélange d’ondes »,

L e Musée de la romanité, à Nîmes


(Gard), accueille, jusqu’au 6 octobre,
une exposition consacrée à un épi­
sode oublié de la destruction de Pompéi,
d’Herculanum et de plusieurs autres cités de
une technique mise au point à l’Ecole polytech-
nique. Les images du tissu sont prises séquen-
tiellement, par tranches d’une centaine de mi-
cromètres d’épaisseur. Un traitement informa-
tique permet ensuite de reconstituer le volume
la baie de Naples : la tentative de sauvetage cérébral et de s’y déplacer virtuellement.
des habitants par la flotte romaine, à l’ini­ (PHOTO : L. ABDELADIM/S. CLAVREUL/LABORATOIRE D’OPTIQUE

tiative de son amiral, Pline l’Ancien. Il s’agit ET BIOSCIENCES/ECOLE POLYTECHNIQUE/CNRS/INSERM/

de la première opération avérée de sauve­ INSTITUT DE LA VISION/SORBONNE UNIVERSITÉ)

tage de civils par une force militaire lors


d’une catastrophe naturelle.
Sous le règne de Titus, le Vésuve, après
avoir grondé plusieurs jours, entre en érup­
tion, laissant échapper une impression­
nante colonne de fumée, dans la matinée du
24 août 79 – le musée a privilégié cette date
plutôt que celle du 24 octobre, pourtant
désormais attestée par un graffiti, par les
fouilles archéologiques et par une relecture
des textes anciens. Pline le Jeune, alors âgé
de 17 ans, neveu de l’amiral, la compare, dans DIX MILLE PAS ET PLUS
deux lettres adressées trente ans plus tard
au sénateur et historien Tacite, à un pin au
« tronc gigantesque, s’élargissant dans les
airs en rameau ». Il parle aussi d’un « nuage
LE PARCOURS DU CŒUR CONTRE LA SÉDENTARITÉ
d’une taille et d’un aspect inhabituels ».
Rien de tout cela n’a échappé à son oncle
qui commande la principale flotte de l’em­
pire, basée à Misène, à l’entrée nord de la baie Par PASCALE SANTI parents d’élèves. Ça crée de l’enthousiasme », confirme C’est un cri d’alarme que lance régulièrement
de Naples, à 35 kilomètres de Pompéi. Ce mili­ sa collègue Dominique Caby, elle aussi enseignante François Carré, cardiologue du sport au CHU de
taire est aussi et surtout un savant curieux de
tout, auteur notamment d’une monumen­
tale encyclopédie en 37 volumes, Histoire
naturelle, qui réunit une bonne part du savoir
scientifique et technique de son temps.
P ar équipe de six, les élèves de seconde du
lycée Beaupré d’Haubourdin (Nord) partent
à la recherche de dix­huit balises lors d’une
course d’orientation. Différents stands sont propo­
sés : un quiz de SVT pour sensibiliser à l’activité
en EPS. En tout cas, la demande est forte, à l’école,
mais aussi dans les communes et les entreprises.
« Le nombre d’enfants y participant est passé de
40 000 en 2013 à 250 000 en 2019 dans les Hauts­de­
France, soit 156 collèges et 57 lycées. En Picardie, c’est
Rennes et membre de la FFC. « Les enfants qui
naissent aujourd’hui risquent d’avoir une moindre
espérance de vie que leurs parents. » Les collégiens
auraient perdu environ un quart de leurs capaci­
tés cardio­vasculaires. En 1971, ils couraient en
Pour examiner le phénomène au plus près, physique, un stand consacré à la prévention, aux aussi 1 160 classes. Sur tout le territoire, c’est 2 800 éta­ moyenne 600 mètres en trois minutes. En 2013, il
il fait préparer un navire liburnien. Alors qu’il gestes qui sauvent, un autre atelier pour faire son blissements, 750 000 personnes, dont 500 000 en­ leur en fallait une de plus pour parcourir cette dis­
s’apprête à appareiller, il reçoit un billet d’une smoothie en pédalant… Le slogan de l’épreuve ? 0, 5, fants, 1 150 communes », selon la FFC. Les Parcours du tance. Une baisse de performance qui est liée à la sé­
Pompéienne qui lui apprend qu’elle ne peut 60, pour 0 cigarette, 5 fruits et légumes par jour, cœur fêtent cette année leur 44e édition. Ils ont été dentarité, à l’obésité, au surpoids, etc. « Aujourd’hui,
fuir que par la mer. Ce qui n’était qu’une expé­ 60 minutes d’activité physique par jour. créés en 1975 par deux cardiologues lillois, à Lille et à les Anglo­Saxons disent : “Sitting is the new smoking”,
dition mue par la seule curiosité scientifique Depuis six ans, ce lycée participe aux Parcours du Cambrai, à l’époque où on disait aux personnes at­ la sédentarité, c’est le nouveau tabac. »
se change en opération de secours et pour cœur, organisés par la Fédération française de car­ teintes de maladies cardio­vasculaires de se repo­ « L’objectif est donc d’inverser la tendance, de faire
cela il fait préparer douze quadrirèmes, de diologie (FFC). Ils se déroulent dans toute la France ser… Ce temps­là est révolu. Car tous sont d’accord. plus bouger les enfants, de faire de la prévention à
grosses galères à quatre rangs de rameurs. jusqu’au 26 mai. « Au­delà de l’aspect ludique et S’il n’y avait qu’un seul message à faire passer, ce propos des écrans », explique Muriel Dehay, infir­
Alors que la flotte se dirige vers Pompéi, les ponctuel, ces parcours peuvent être un projet péda­ serait : « Il faut bouger. » Il y a même urgence. mière conseillère technique auprès du recteur de
fumées et les cendres empêchent toute visi­ gogique et entrer dans le parcours éducatif de « Dans les Hauts­de­France, où la mortalité cardio­ l’académie de Lille.
bilité. Se refusant à rebrousser chemin, il met santé », indique Luc­Michel Gorre, coordinateur des vasculaire prématurée, avant 65 ans, est de 45 % supé­ Le temps passé sur les écrans ne cesse d’augmen­
le cap sur Stabies, une autre cité menacée. Les Parcours du cœur. « On suscite l’envie de faire, on rieure à la moyenne nationale, il est nécessaire de faire ter. Et, à 15 ans, 14 % des garçons et 6 % des filles
vents qui lui permettent de débarquer l’em­ fournit un guide, à chacun de l’adapter », poursuit­il. de la prévention », insiste Claire Mounier­Vehier, seulement exercent une activité physique quoti­
pêchent de repartir. Il se rend chez son ami Ainsi au lycée Beaupré d’Haubourdin. Guy Ternel, cardiologue au CHU de Lille et présidente de la FFC. dienne, selon un rapport de l’OCDE. De plus, con­
Pomponianus pour la nuit du 25 au 26. Au enseignant en EPS, qui y a créé le Parcours du cœur, Elle­même a couru le cross du cœur lorsqu’elle était trairement à ce que l’on pensait, le niveau d’activité
matin, l’épaisseur des cendres et « tout ce qui était parmi les pionniers. « C’est très mobilisateur adolescente, l’ancêtre des parcours. « Marcher physique commencerait à diminuer aux alentours
tombe d’en haut », comme l’écrit son neveu, le pour une équipe, enseignants, infirmières scolaires, trente minutes par jour diminue de 20 % le risque de de 7 ans : c’est ce que montre une étude récente de
forcent, avec les habitants, à se rendre sur la personnels de cantine, tout comme les fédérations de faire un infarctus », poursuit­elle. chercheurs finlandais. 
plage en espérant un vent favorable. Asthma­
tique, il y meurt étouffé par les fumées.
Si on considère le nombre de corps retrou­
vés par rapport aux populations estimées,
il apparaît que la plupart des habitants ont AFFAIRE DE LOGIQUE – N° 1096
réussi à s’échapper. Mais quel fut l’impact
de cette flotte ? Pline le Jeune ne donne
aucune réponse à cette question. Alea jacta est N° 1096
Solution du problème 1095
Le Musée de la romanité sort cet acte héroï­
que de l’oubli en présentant 250 pièces qui Un archéologue a découvert au fond du Rubicon deux dés en forme d’icosaèdre régulier*. 1. Le deuxième nombre affiché était 1792.
nous font revivre ce drame à travers l’action Ont-ils appartenu à Jules César ? Toujours est-il que sur chacune de leurs vingt faces est écrit, Si un nombre s’écrit 2a × X, où X est impair, on appellera a
de Pline l’Ancien. Présentée pour la première en chiffres romains, un entier naturel non nul. Sur le premier dé, jaune, l’archéologue « sa puissance ». On suppose que les nombres affichés, N
fois en Europe, cette exposition se clôt par remarque que deux faces ayant un sommet commun ne portent jamais le même nombre. et M, sont de puissances a et b et que le joueur clique sur N.
l’impressionnante présentation de moules de 1. Quelle est, avec cette règle, la plus petite somme possible des vingt nombres inscrits sur le dé jaune ? Si a = b, N = 2a × X devient 2a–1 × X et M = 2a × Y devient
victimes figées dans leur tentative de fuite.  Sur le second dé, bleu, l’archéologue remarque que deux faces ayant un côté commun ne portent jamais le même 2a × Y + 2a–1 × X = 2a–1 × (X + 2Y). Les deux nombres ont
francis gouge nombre. donc leurs puissances qui diminuent de 1, de tour en tour,
2. Quelle est, avec cette règle, la plus petite somme possible des faces du dé bleu ? jusqu’à devenir nulles, ce qui entraîne la défaite du pre-
« Pompéi, un récit oublié », jusqu’au mier à jouer si a = b est pair. Or, 2304 = 28 × 9. Le seul autre
6 octobre, à Nîmes. Museedelaromanite.fr * Un icosaèdre régulier est un polyèdre à 20 faces identiques en forme de triangle équilatéral. Il compte donc 30 arêtes (chacune d’elles est nombre de puissance 8 compris entre 1500 et 2500 est
commune à deux faces) et douze sommets (chacun d’eux est commun à cinq faces). 1792 = 28 × 7, qui entraînera donc la défaite d’Alice.
Reste à montrer qu’elle ne perdra pas dans les autres cas.
LIVRAISON LÉONARD DE VINCI ET LES
POLYÈDRES À AMBOISE LE 20/04
SPECTACLE « PARA DOXA »
À NANTES LES 25 ET 26/04
EXPOSITION VASARELY À PARIS
JUSQU’AU 06/05
2.1. Si le deuxième nombre affiché est 2432, Alice gagne.
Si a < b, N = 2a × X devient 2a–1 × X et M = 2b × Y devient
En marge de la Nuit des maths, Jean-Jacques Au Théâtre TU-Nantes, sera jouée à 20 h 30 Le Centre Pompidou présente la première 2b × Y + 2a–1 × X = 2a–1 × (X + 2b – a + 1 Y). Les deux nombres
Dupas, chercheur, passionné de vulgarisa- « Para-Doxa », une pièce chorégraphique rétrospective française consacrée à Victor
O BS ERVAT I ON D E S L IBE LLU LE S voient leurs puissances égales à a – 1, et l’on se retrouve
tion scientifique, rendra hommage à Léo- pour cinq interprètes, féerie mathématique Vasarely (1906-1997). En trois cents pièces,
« Cahier d’identification » nard de Vinci, dont on célèbre cette année où temps dansés et exposés scientifiques « Vasarely, le partage des couleurs » retrace dans le cas précédent. Le premier joueur choisira donc a
le 5e centenaire de la mort. Lors d’une confé- se répondent pour faire vivre au public les le parcours du fondateur de l’op art, dont s’il est impair, et sera sûr de gagner. Si N = 2432 = 27 × 19
Les beaux jours reviennent, l’heure d’aller
rence « Léonard, le patron des polyèdres », choix que doivent faire les artistes, et le côté l’œuvre n’utilise quasiment que des formes et M = 2304 = 28 × 9, Alice choisira N et l’emportera.
découvrir ce qu’il reste d’insectes autour des il montrera combien l’étude de ces objets paradoxal de leurs décisions. Ce spectacle, géométriques (cercles, carrés, hexagones, 2.2. Si le deuxième nombre est 2240, la partie est nulle.
cours d’eau. Ce Cahier d’identification offre tient une grande place dans l’œuvre de l’ar- créé par la compagnie David Rolland Cho- losanges), leur donnant par un jeu de cou-
Si a > b + 1, N = 2a × X devient 2a–1 × X et M = 2b × Y devient
un gros plan sur l’un des plus beaux d’entre tiste-ingénieur toscan, qui a passé une régraphies avec François Sauvageot, ensei- leurs un effet d’optique. Les figures planes
grande partie de sa vie au Clos Lucé à gnant-chercheur en mathématiques, et apparaissent en relief, les sphères sortent 2b × Y + 2a–1 × X = 2b × (Y + 2a – b – 1 X). La puissance de N
eux, la libellule. Pour s’y retrouver parmi les diminue donc d’une unité, celle de M reste constante.
Amboise, où a lieu l’exposé (à 15 h). Denis Renault, ingénieur et comédien, sur du plan sur un damier « gonflé », l’anima-
quelque 106 espèces et sous­espèces vivant La conférence sera suivie d’un atelier où les une chorégraphie de Maï Pham-Sauvageot, tion se crée via des symétries ou rotations Si a = b + 1, N = 2a × X devient 2b × X et M = 2b × Y devient
dans nos contrées, il propose des photos, scolaires pourront « construire un polyèdre constitue un défi : celui d’articuler avec donnant l’illusion du mouvement. On 2b × (Y + X). La puissance de N devient b, celle de M devient
des dessins, des cartes, et même des textes. à la manière de Léonard de Vinci ». humour danse et mathématiques. découvre ainsi la logique de l’art cinétique.
supérieure à b. La partie se prolongera à l’infini si b est pair,
> « Cahier d’identification des libellules Informations sur www.nuitdesmaths.org Informations sur Tunantes.fr Informations sur www.centrepompidou.fr
personne n’ayant intérêt à choisir le nombre asssocié.
de France, Belgique, Luxembourg & Suisse », E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2019 affairedelogique@poleditions.com C’est le cas avec 2304 = 28 × 9 et 2240 = 26 × 19.
collectif (Biotope éditions, 152 p., 29,90 €)
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019 |7
CARTE
BLANCHE L’éducation à la santé peut donner 
Une certaine idée  aux familles des compétences de soins
des leçons 
TRIBUNE - Pour désengorger les services d’urgence, il est possible de faire passer les familles
de mathématiques de consommatrices à productrices de soins, proposent des spécialistes de l’éducation à la santé
Par ÉTIENNE GHYS

L a saison 2018­2019 de l’association


MATh.en.JEANS se termine. Depuis le
mois de mars, dix congrès mathéma­
M arqué par l’existence de dé­
serts médicaux, par la satu­
ration des urgences hospi­
talières, le contexte sanitaire actuel
rend nécessaire la réappropriation par
situations d’urgence et d’exception.
Elle a pour but de conférer aux familles
les connaissances et les compétences
de base leur permettant de résoudre
par elles­mêmes des problèmes de
LE PROGRAMME
S’APPLIQUE
AUX PROBLÈMES DE
suite de la formation qu’ils avaient re­
çue, se sentaient en mesure de s’occu­
per de la santé quotidienne de leurs
proches et augmentaient leur senti­
ment de compétence vis­à­vis de la ges­
tiques ont eu lieu un peu partout en France, la famille de la santé de ses membres. santé courants et de gérer des situa­ SANTÉ DE TOUS LES tion de situations d’urgence. Chez les
et deux autres se tiendront en mai, à l’étran­ De consommatrice de soins, elle peut tions d’urgence à domicile, sans avoir à JOURS, MAIS PERMET jeunes, l’éducation à la santé familiale a
ger. Ces congrès sont très inhabituels : les devenir productrice de soins. Il s’agit s’adresser systématiquement à un sys­ été très bien perçue, en cela qu’elle leur
participants et les conférenciers sont des de la rendre consciente de ses potenti­ tème de soins de premier recours. AUSSI DE FAIRE FACE conférait des capacités et des responsa­
élèves de tous les niveaux scolaires, du alités, compétente et actrice vis­à­vis Elle a été conçue pour s’adresser à AUX SITUATIONS bilités réelles, plutôt que le rabâchage
primaire au lycée. En 2018, 4 500 élèves ont de sa santé. La formation apparaît être toutes les familles, notamment celles des mises en garde, comme ils le perçoi­
participé (dont près de la moitié de filles) et le meilleur moyen pour accompagner avec des jeunes enfants et des person­ D’URGENCE vent souvent avec les programmes tra­
680 sujets mathématiques ont été discutés ce mouvement. nes âgées, mais elle privilégie divers ET D’EXCEPTION ditionnels d’éducation pour la santé.
dans 300 « ateliers ». C’est le sens des recommandations publics : les populations éloignées de Au­delà des compétences de soins,
Le principe est le suivant : des enseignants adressées en octobre 2018 à la ministre l’offre de soins primaires, habitant à l’éducation à la santé familiale contri­
proposent à des élèves (volontaires) de de la santé par les délégués nationaux à plus d’une demi­heure d’un service bue à s’appuyer sur les familles pour
réfléchir sur un thème qui a été suggéré par l’accès aux soins. Il faut, selon eux, d’urgences ; les assistants maternels et enfin, un module « agir en tant que trouver des solutions à l’amélioration
un chercheur référent. De petits groupes se « éduquer et former aux bons usages du de crèche ; les populations fragiles ou jeune » spécifiquement consacré aux de l’accès aux soins. Mais miser sur la
forment, souvent à cheval sur plusieurs système de santé ». Ils mentionnent ex­ en situation de précarité ; les jeunes. adolescents, pour leur permettre de se compétence des familles nécessite
établissements scolaires, et les élèves se plicitement l’éducation à la santé fami­ Concrètement, elle consiste en une positionner comme un acteur santé au qu’en retour le système de santé re­
réunissent une fois par semaine pour réflé­ liale comme moyen d’y parvenir. formation de trois à quatre séances, sein de leur famille et de leurs amis. connaisse cette capacité d’agir des
chir ensemble sur leur problème. Le grand Cette nouvelle forme d’éducation en totalisant neuf à douze heures, propo­ Les formateurs sont des profession­ gens et en favorise l’expression.
moment est celui du congrès au cours santé existe depuis plusieurs années. sée à des familles et/ou des adolescents nels de santé (médecins, infirmières, A cette condition, elle crée dans les
duquel les élèves présentent leurs résultats Conçue par le Laboratoire éducations volontaires. Elle comporte un tronc puéricultrices) experts du contenu des politiques de santé une articulation en­
devant leurs camarades, mais aussi devant et pratiques de santé (LEPS, université commun de quatre modules abordant modules dans lesquels ils intervien­ tre les secteurs sanitaire et éducatif, en
les professeurs présents dans l’amphithéâ­ Paris­XIII) en collaboration avec les petits maux fréquents et leur réso­ nent. Ils doivent acquérir la méthodo­ optimisant le travail des personnels
tre. Ces moments d’échange sont magi­ l’Union nationale des associations fa­ lution. Les traumatismes (piqûres, brû­ logie pédagogique de l’éducation à la soignants des urgences et des soins de
ques ; il est tellement rare de voir un élève miliales (UNAF), la Mutualité sociale lures, coupures, foulures) ; la pratique santé familiale au moyen d’une forma­ premier recours. Mais surtout, elle re­
au tableau expliquer à un professeur ce qu’il agricole (MSA) et les Maisons familia­ des pansements et des bandages ; les tion spécifique de trois jours, car elle a donne aux familles tout leur rôle dans
a découvert ! Certains de ces exposés sont les et rurales (MFR), l’éducation à la conduites à tenir face aux crises dans le recours à une pédagogie active et parti­ la gestion quotidienne de leur santé. 
rédigés et publiés par l’association. santé familiale a été expérimentée cadre du lieu de vie (convulsions, crise cipative. Il ne s’agit pas de « cours »
Les thèmes abordés sont étonnamment avec succès dans plusieurs territoires : d’asthme, arrêt cardio­respiratoire…) ; mais d’un accompagnement pédagogi­
divers. Parfois, il s’agit de théorie des nom­ le Jura, la Dordogne, la Picardie, la les situations d’exception (grand froid, que vers l’acquisition ou le renforce­ Jean-François d’Ivernois, Laboratoire
bres. Par exemple : si je multiplie tous les Lorraine. D’autres implantations sont canicule, accident nucléaire…). ment de compétences. Les séances éducations et pratiques de santé (LEPS,
nombres entiers de 1 à 1 000, combien y envisagées par la MSA avec des agences A cette formation de base viennent s‘appuient donc sur les savoirs et les ex­ université Paris-XIII) ; Rémi Gagnayre,
aura­t­il de 0 à la fin du résultat de mon régionales de santé. s’ajouter des modules au choix concer­ périences des familles. Elles font appel Laboratoire éducations et pratiques
calcul ? D’autres fois, c’est la combinatoire L’éducation à la santé familiale nant la santé et les soins du nouveau­né à des tables rondes, des échanges, des de santé (LEPS, université Paris-XIII) ;
qui est à l’honneur : comment peut­on pla­ concerne la prévention, les soins et le et du jeune enfant (cet enseignement ateliers pratiques de mise en situation. François Frété, Caisse centrale de
cer un certain nombre de points dans le plan secourisme élargi. Elle s’applique aux peut être dispensé dans le cadre des crè­ Les évaluations successives de ces ex­ la Mutualité sociale agricole, Bobigny ;
de telle sorte que la droite qui joint deux problèmes de santé de tous les jours, ches), la gérontologie, lorsque les fa­ périences ont permis de vérifier que Nicolas Brun, Union nationale
quelconques d’entre eux en contienne au mais permet aussi de faire face aux milles ont un parent senior à charge et des familles et des adolescents, à la des associations familiales (UNAF, Paris).
moins un autre ? Ou encore : si je place un
nombre pair de points dans le plan, peut­on
les joindre deux par deux par des segments Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
qui ne se rencontrent pas ?
D’autres thèmes sont beaucoup plus
« utiles ». Je me souviens par exemple d’un
groupe d’élèves qui ne supportaient plus
les longues files d’attente à la cantine à
midi. Ils ont cherché à optimiser les horai­ DE L’INTÉRÊT DE METTRE LA CHIMIE CUL PAR-DESSUS TÊTE
res en proposant au proviseur de modifier
légèrement les heures de cours pour que les
élèves ne sortent pas tous à la même heure. ATTIRER LE REGARD
Actinides Les chercheurs ont eu la curiosité
L’optimisation n’est pas si simple qu’on
pourrait croire. Il y a aussi des groupes qui de tester deux présentations
travaillent sur des tours de magie ou sur Lanthanides du tableau périodique, vide
des stratégies gagnantes dans une version de symboles, pour voir ce qui attirait
(très) simplifiée du poker. l’œil d’étudiants non chimistes.
Le milieu concentre les regards,
Beau comportement exponentiel aussi attirés par l’endroit
L’association a été fondée en 1989 et sa crois­
où figureraient les éléments les plus
sance montre un beau comportement expo­
nentiel, un triplement tous les dix ans envi­
légers. Le sens de lecture occidental
ron : on devrait dépasser le million d’élèves (de gauche à droite et de haut
impliqués dans… cinquante ans ! Toutes les en bas) semble légèrement
enquêtes montrent une baisse de niveau en défavoriser leur proposition...
mathématiques des élèves français. Faut­il Durée d’exploration visuelle
augmenter le nombre d’heures de cours ?
+ –
Que penser de la future disparition des
mathématiques dans le tronc commun en
classe de première ? Ne faut­il pas soutenir
Présentation classique
plus fermement des initiatives comme
MATh.en.JEANS en passant à des ordres de
grandeur bien supérieurs ? Pour cela, il Numéro atomique
(nombre de protons)
faudrait le soutien financier massif de
l’éducation nationale, qui est largement in­
suffisant. Aujourd’hui, 600 enseignants et 23
200 chercheurs sont impliqués dans l’asso­
ciation, tous volontaires et bénévoles. Il fau­ Période : désigne 4 V Symbole chimique
le remplissage (ici, le vanadium)
drait considérer que ce genre d’activité fait
des sous-couches
partie intégrante de la formation mathéma­ d’électrons orbitant Groupe : constitue un ensemble
tique des élèves. Le volontariat et le bénévo­ 5 Présentation inversée
autour du noyau d’éléments aux propriétés chimiques
INFOGRAPHIE : PHILIPPE DA SILVA

lat ont leurs limites… atomique distinctes des groupes voisins


C’est l’occasion de faire un peu de publicité.
« Le prix André Parent a pour but de valoriser RENVERSER LE TABLEAU
un travail de recherche, encadré ou non, effec­
tué par un groupe de jeunes (primaire, collège Martyn Poliakoff (université de Nottingham) et ses collègues proposent de retourner le tableau
ou lycée) pendant cette année scolaire, sur un de Mendeleïev selon l’axe horizontal. L’hydrogène, élément le plus léger, se retrouverait en bas
sujet scientifique dans lequel les mathémati­ à gauche. Ils estiment cette présentation plus didactique pour saisir l’ordre de remplissage
ques tiennent une place primordiale. » Le prix des couches d’électrons qui entourent le noyau atomique. Parmi les chimistes sondés, certains
sera remis lors du 20e Salon culture et jeux ont été séduits, d’autres sont restés dubitatifs.
mathématiques, qui se tiendra les 23, 24, 25 SOURCES : SAMANTHA TANG & MARTYN POLIAKOFF, UNIVERSITÉ DE NOTTINGHAM ET ELLEN POLIAKOFF & ALEXIS MAKIN, UNIVERSITÉS DE MANCHESTER & LIVERPOOL
et 26 mai 2019, place Saint­Sulpice, à Paris. 

C’est un tableau qui hante les écoliers leurs similitudes chimiques. Son ta­ qu’à l’oganesson (118 protons), intégré 8 avril de renverser le tableau, pour met­
Etienne Ghys depuis des générations, imaginé il y a bleau périodique s’ouvrait en haut à en 2016 dans la dernière mouture du ta­ tre les éléments les plus légers et fonda­
Mathématicien, secrétaire perpétuel cent cinquante ans par le Russe Dmitri gauche par l’hydrogène (H), qui ne bleau approuvée par l’Union internatio­ mentaux en bas afin de le rendre « plus
de l’Académie des sciences, directeur Mendeleïev : il eut l’intuition géniale compte qu’un proton, et s’achevait par nale de chimie pure et appliquée. Mais facile à comprendre et donner à tous une
de recherche (CNRS) à l’ENS Lyon. qu’on pourrait ranger les éléments chi­ l’europium (63 protons). Les places lais­ voici que des chimistes britanniques nouvelle perspective sur la chimie ». 
etienne.ghys@ens-lyon.fr miques selon leur masse atomique et sées vides ont depuis été remplies, jus­ proposent dans Nature Chemistry du hervé morin
RENDEZ-VOUS
8| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 17 AVRIL 2019

Sabine Girard, chercheuse et élue  ZOOLOGIE
Les envahisseurs 
engagée dans l’action participative et la biodiversité
PORTRAIT - Conseillère municipale à Saillans, dans la Drôme, cette experte dans la gestion
de l’eau croit en une recherche autant qu’en une action publique qui implique les citoyens
N on, ce n’est pas une obsession. Juste
la volonté de donner aux invasions
biologiques la place qu’elles méri­
tent parmi les fléaux qui menacent la biodi­

S
abine Girard a donné rendez­vous à versité. La semaine dernière, cette même
la mairie de Saillans, ce bourg de la chronique décrivait les conséquences de
vallée de la Drôme qui s’est imposé l’arrivée de la truite grise dans le lac Yellow­
depuis les élections municipales de stone, aux Etats­Unis : la disparition de la
2014 comme un modèle de démo­ truite fardée, mais aussi le bouleversement
cratie participative. Elle attend au premier de tout l’écosystème local, du plancton aux
étage, dans la salle de réunion qui a volé au grizzlis… Or une étude, publiée le 4 avril
maire sa fonction symbolique. dans la revue Science, livre sur les espèces
Ici se réunissent les commissions participa­ invasives un autre regard, plus complexe.
tives et les « groupes action projet », deux Conduite par les chercheurs de plusieurs
instances spécialement conçues pour ce nou­ universités américaines, elle constate que,
veau fonctionnement, afin qu’élus et ci­ dans certains cas, les nouvelles venues peu­
toyens puissent échanger et décider ensem­ vent reconstituer des réseaux stables et
ble. Et face à l’affiche de la vue aérienne du pallier la disparition des espèces natives. Les
village, griffonnée d’annotations, elle entre envahisseurs, secouristes en puissance.
dans le vif du sujet. « C’est un outil essentiel du Cette fois, le terrain choisi est Hawaï. Situé à
plan local d’urbanisme. Les habitants ont pu 3 800 km de la Californie, au cœur du Pacifi­
se l’approprier et en discuter avec les interve­ que, « l’archipel présente une longue histoire
nants du bureau d’études », raconte­t­elle avec d’extinctions et d’invasions d’espèces biologi­
un enthousiasme qui précipite ses mots. « Le ques », rappelle l’écologue brésilien Jeferson
travail participatif a permis à chacun de déve­ Vizentin­Bugoni, premier signataire de
lopper sa capacité à s’impliquer dans la vie l’article, chercheur à l’université de l’Illinois
publique et à élaborer une vision partagée de à Urbana­Champaign (UIUC). Les premiers
l’avenir du village », poursuit­elle. Polynésiens débarqués sur l’île d’Oahu, il y a
Car cette chercheuse de l’Institut national 1 500 à 2 000 ans, s’en sont immédiatement
de recherche en sciences et technologies pris aux gros oiseaux coureurs, qu’ils ont lar­
pour l’environnement et l’agriculture (Irstea, gement éliminés. Le mouvement s’est ampli­
ex­Cemagref) est également conseillère mu­ fié avec l’arrivée des populations européen­
nicipale de Saillans. La chercheuse et l’élue se nes, dans le sillage de James Cook (1778). Les
confondent, et la posture de l’une questionne chats et les rats ont fait un carnage chez les
celle de l’autre. Elle défend une recherche oiseaux tandis que cochons et chèvres s’atta­
impliquée. « La science impliquée se différencie quaient aux plantes. Le développement du
d’une science qui serait très descendante par le tourisme de masse et son lot de pathogènes
transfert de quelqu’un qui sait vers l’autre, de ce ont achevé le travail. Au total, 77 espèces ou
caractère de “sachant”. Elle n’est donc pas une sous­espèces d’oiseaux auraient disparu à
recherche expliquée, ni une recherche appli­ Hawaï (15 % des extinctions mondiales), dont
quée. Ce n’est pas non plus une science compli­ la totalité des espèces frugivores, et plus
quée selon laquelle il n’y a que les chercheurs d’une centaine d’espèces de plantes.
qui peuvent savoir et comprendre », explique­t­ Qui alors pour disperser les graines et assu­
elle en soupesant ses mots. « Ce qui m’inté­ rer la survie des dernières plantes natives ?
resse dans ces façons de faire de la science Depuis cent ans, les autorités du 50e Etat
autrement, c’est qu’on recherche la vérité par la américain ont fait le pari d’introduire des
confrontation au réel. Cela exige d’abandonner oiseaux venus du continent. Zostérops du
la neutralité », poursuit­elle. Japon, léiothrix jaunes, roselins familiers et
Et assumant cette confrontation, elle n’hé­ autres bulbuls orphée ont fait leur apparition,
site plus à endosser l’un ou l’autre de ses rôles sans que ce principe soit réellement évalué.
au sein de la commission du Syndicat mixte « Il s’agit de la première étude complète des
de la rivière Drôme, chargée de la révision du interactions entre espèces dans un nouvel éco­
SAGE, le plan de gestion de l’eau et d’aména­ système », explique Jeferson Vizentin­Bugoni.
gement. Tout en siégeant en tant qu’élue, il Les chercheurs ont collecté, pendant trois
lui arrive aussi de présenter les résultats du ans, 3 278 échantillons de déjections prove­
projet européen Spare, qui vise à évaluer nant de 21 espèces d’oiseaux. Ils y ont re­
l’implication des citoyens dans la gestion de trouvé 109 424 graines viables. Et une batterie
l’eau à l’échelle de cinq rivières alpines et de surprises qui offre un paysage contrasté.
auquel elle a contribué en tant que cher­ Sabine Girard, le 14 mars à Grenoble. D’abord, les rares oiseaux natifs n’assurent
cheuse, pour la rivière Drôme. SYLVAIN FRAPPAT POUR « LE MONDE »

Changement de casquette
« Elle est suffisamment intelligente et profes­
sionnelle pour faire la part des choses. Elle fait
l’effort de se mettre à la bonne distance, si bien Et le parcours de Sabine Girard s’inscrit saisit. « Il y avait deux symboles très forts de
que les autres membres de la réunion accep­ dans les pas de cette figure tutélaire. Au sein mon enfance : les trois becs, ces sommets
tent qu’elle puisse changer de casquette », té­ de la fonction publique, forcément, car il emblématiques de la vallée de la Drôme, et la
moigne Chrystel Ferrand, du Syndicat mixte s’agit pour elle d’être « au service de ». D’où rivière où j’allais me baigner enfant. Ça m’a
de la rivière Drôme. « Elle est étonnante par sa son orientation vers la fonction d’ingénieur ramenée au territoire qui me relie à mon
vivacité, sa rigueur et sa capacité à faire plu­ d’Etat en fin d’études d’agronomie à l’école grand­père », confie­t­elle.
sieurs choses en même temps, à s’impliquer à SupAgro de Montpellier. Mais alors que ce Elle se lance dans une nouvelle thèse, par­
la mairie de Saillans tout en étant mère de statut la destine à occuper une fonction hié­ tageant son temps entre Bordeaux et la Zostérops du Japon. JEF VIZENTIN-BUGONI
famille et chercheuse. On peut la qualifier d’en­ rarchique au sein d’une administration, elle Drôme. Mais le pays natal les appelle, elle et
gagée dans la mesure où, pour elle, la recher­ bifurque pour se lancer dans un diplôme son compagnon, originaire de Saillans. plus le travail. Dans leurs fèces, les scientifi­
che sur le développement et l’aménagement d’études universitaires sur la gestion de l’eau Agronome spécialisé dans la viticulture, il ques n’ont retrouvé aucune graine provenant
des territoires n’est pas le monopole des cher­ au Burkina Faso, où elle travaille sur des délaisse les grands domaines bordelais et se de plantes autochtones. Autrement dit, l’an­
cheurs. Elle implique de façon active les acteurs modélisations à l’échelle de l’Afrique. Une lance dans la production de vin biologique. cien écosystème n’existe plus, « et n’existera
et les habitants », renchérit le sociologue activité bien trop éloignée du terrain, qui En 2011, ils s’installent avec leurs trois plus jamais », soulignent les chercheurs.
Pierre­Antoine Landel, de l’université de Gre­ confirme néanmoins son intérêt pour les enfants à Saillans, et Sabine Girard réduit C’est donc bien sur les espèces introduites
noble, également impliqué dans le projet sciences sociales. son temps de travail. qu’il faut dorénavant compter. Or – et c’est la
Spare. « Elle fait très bien la part des choses Mais elle se sent rapidement en manque bonne nouvelle –, celles­ci sont parvenues à
entre son rôle d’élue et celui de chercheuse », Le territoire familial d’action, et les élections municipales de 2014 reconstruire, dans cet univers dégradé, « un
complète Emeline Hassenforder, de l’Irstea. Elle s’intéresse ensuite au partage de l’eau ve­ lui procurent une nouvelle occasion de rebon­ écosystème dont la structure et la stabilité sont
Sabine Girard est une fille de la Drôme, et de nue d’un glacier andin, entre les différentes dir. Les habitants contestent un projet de similaires à ceux édifiés avec des espèces
sa famille ancrée dans le territoire elle a hé­ populations occupant les pentes du Chimbo­ supermarché défendu par le maire en place. autochtones », assurent les chercheurs, après
rité de valeurs qui ont façonné sa vision. Un razo, un volcan situé en Equateur. Chassées En assistant aux débats, elle réalise que son comparaison avec différents réseaux à tra­
goût affirmé pour le partage et pour l’autono­ du bas des pentes par les premiers colons, les expertise dans la gestion de l’eau peut leur vers le monde. Un résultat inattendu : la
mie, combiné à une posture critique envers populations indiennes n’avaient en effet être utile. Elle s’inscrit sur la liste citoyenne théorie voulait en effet qu’un écosystème
toute forme d’autorité. Née en 1977 d’un père cessé d’être refoulées vers le haut du volcan. qui fait tomber le maire en place et devient complexe ne puisse se mettre en place qu’en­
enseignant et d’une mère infirmière, elle a Jusqu’à atteindre le paramo, un biotope situé élue référente, en binôme, sur les questions de tre des espèces ayant longtemps coévolué.
grandi entre le domicile familial à Valence et entre la forêt et les glaciers jouant le rôle de ré­ mobilité, d’environnement et d’énergie. Mais il y a une moins bonne nouvelle : ces
la maison de ses grands­parents maternels à gulateur dans l’écoulement de l’eau. Le sujet la Le plan local d’urbanisme est le projet le envahisseurs privilégient les plantes nouvel­
Suze, un village des contreforts du Vercors passionne, et elle s’embarque pour l’Equateur, plus marquant de son expérience d’élue. lement introduites. Question de morpholo­
dont ils avaient fait leur point de ralliement. où elle commence une thèse au début des « C’est à la fois très enrichissant et très éprou­ gie, ou simplement de goût. Ainsi, 94 % des
Son grand­père, Marcel Alloix, qu’elle évo­ années 2000. Mais les financements se taris­ vant. Très enrichissant car on apprend énor­ graines retrouvées proviennent de plantes
que avec ferveur, est une figure locale. Résis­ sent, ce qui l’oblige à délaisser, à contrecœur, mément, en essayant de faire ensemble avec arrivées au fil des ans dans les bagages des
tant dans les Forces françaises de l’intérieur son sujet. Un poste vient de s’ouvrir à l’Irstea à des gens très différents. Très éprouvant car on jardiniers ou sous les semelles des touristes.
(FFI) durant la seconde guerre mondiale, il Bordeaux, qu’elle intègre en 2005. est sur des sujets sensibles, qui créent inévita­ « Pour sauver nos espèces natives, nous allons
était fonctionnaire dans la direction départe­ C’est alors qu’un nouveau projet se pré­ blement des tensions. C’est la confrontation devoir attirer vers elles des oiseaux dont c’est le
mentale de l’agriculture et de la forêt. Tout en sente, faisant converger ses aspirations. Il permanente des valeurs, et cela questionne second choix », résume Jinelle Sperry, profes­
accompagnant à la fin du XXe siècle les muta­ s’agit d’étudier la politique de l’eau de la beaucoup sur soi, sur ses propres valeurs et sur seure à l’université de l’Illinois et coordina­
tions de l’après­guerre vers une agriculture rivière Drôme, où le SAGE, alors pionnier en ses principes », conclut l’« élue­chercheuse ». trice de l’étude. Séduire ou laisser mourir :
productiviste, il n’a cessé de défendre les matière d’implication des acteurs de terrain, Impliquée, à n’en plus douter.  l’ultime défi des naturalistes d’Hawaï. 
droits des petits paysans. est expérimenté. L’occasion est rêvée. Elle la catherine mary nathaniel herzberg

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