Mardi 16 janvier 2024
80e année – no 24583
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fondateur : Hubert beuve-méry
directeur : Jérôme fenoglio
Dans l’Iowa,Trump repart à l’assaut du pouvoir
▶ Coup d’envoi de la cam-
pagne présidentielle amé-
ricaine, le caucus républi-
cain de l’Iowa devait avoir
lieu le 15janvier par une
température de – 29°C
À taïwan, l’élection de lai ching-te exaspère pékin
▶ Le candidat démocrate a remporté la présidentielle sur l’île que la Chine souhaite annexer
Au centre, Lai Ching-te et Hsiao Bi-khim, président et vice-présidente élus de Taïwan, à Taipei, le 13 janvier. louise delmotte / ap
Brésil
Le président Lula
dépassé par
l’explosion
du crime organisé
page 5
Vu par urbs (France)
Sortie par lecomte le 15/01/2024 10:31:16 Date de Publication 16/1/2024
▶ Donald Trumpest le ▶ Mobilisant ses partisans, ▶ L’amateurisme de 2016 ▶ Les deux autres princi-
grand favori. Le nom du l’ancien président des apparaît bien lointain. paux candidats à cette
candidat qui arrivera der- Etats-Unis a sommé: L’organisation de sa primaire tâtonnent,
rière lui, Nikki Haley ou même si «vous êtes campagne est rigoureuse, à la recherche d’une
Ron DeSantis, est la princi- malade comme un méthodique et même stratégie gagnante
pale inconnue du scrutin chien», il faut aller voter pédagogique page 4
Gaza cyclone
p. 3, éditorial p. 26
cent jours Belal menace
de guerre, un de dévaster l’île
bilan effroyable de la réunion
24000 morts: le bilan Lundi matin, le cyclone
de la réplique israélienne longeait la côte est. Les
aux massacres commis par 860000 habitants ont
le Hamas le 7octobre est reçu l’ordre de se confiner.
considérable. Les autorités L’alerte rouge a été déclen-
israéliennes laissent enten- chée, permettant aux
dre qu’elles sont passées secours d’intervenir. On
à une phase plus «ciblée». redoute de fortes précipi-
Sur le terrain, peu de signes tations aux conséquences
en attestent difficilement prévisibles
page 2 page 6
entre les enfants d’alain Delon,
le désamour en héritage
Depuis le Début De 2024, bruit et de malaise. Avec cette
le clan Delon n’en finit pas différence: pendant que ses
d’étaler ses dissensions au trois enfants s’entre-déchi-
grand jour, sous le regard tout rent, la star, bien que considé-
à la fois consterné et fasciné rablement affaiblie par les sui-
des Français. Jamais, depuis tes d’un AVC, vit toujours.
la bataille autour de l’héritage L’enquête du Monde révèle les
de Johnny Hallyday, en 2017, coulisses du crépuscule tragi-
les tourments d’une famille que de l’acteur du Samouraï.
n’avaient suscité autant de pages 16-17
Economie
Le Forum mondial
Paris 2024
La justice se met
politique Gallimard
un entretien
présente
de Davos à l’heure en ordre de
du capitalisme
fracturé
marche pour les
Jeux olympiques
avec raphaël ALAIN FINKIELKRAUT
de l’Académie française
page 11 page 10 Glucksmann PÊCHEUR
DE PERLES
Le candidat de Place
cartooning for peace publique aux élections
européennes affirme qu’il
ne «laissera pas le match
Attal-Bardella kidnapper» GALLIMARD
le scrutin. Il veut faire
de l’Europe une «véritable
puissance politique»
ALAIN
FINKIELKRAUT
page 7
exposition de l’Académie française
Lacan au centre Pêcheur de perles
pompidou-Metz « Par sa profondeur, son érudition classique
et son ironie fataliste, Alain Finkielkraut
«Quand l’art rencontre nous rappelle la fragilité d’un monde
la psychanalyse»: pari sujet à mille assauts. »
réussi pour les commis- Saïd Mahrane, Le Point
saires de «Lacan, l’exposi-
tion», qui proposent
un montage passionnant
page 21
algérie 220 da, allemagne 4,70 €, andorre 4,20 €, autriche 4,40 €, Belgique 3,90 €, espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
italie 4,10 €, Luxembourg 4 €, Maroc 30 dH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 f cfa, Suisse 4,80 cHf, Tunisie 6,50 dt
V1
 2|
international
Gaza: cent jours de guerre, un bilan effroyable
Le conflit se poursuit sans perspective de sortie de crise, en dépit des milliers de morts et blessés palestiniens
Jérusalem - envoyé spécial
A
près cent jours de
guerre à Gaza, où Israël
poursuivait lundi
15 janvier ses bombar-
dements massifs, l’heure n’est pas
aux hésitations, aux réflexions ou
au changement de cap pour l’ar-
mée israélienne. «Nous allons con-
tinuer la guerre jusqu’à la fin, jus-
qu’à la victoire complète, jusqu’à ce
que la totalité de nos objectifs
soient atteints: éliminer le Hamas,
obtenir le retour de tous les otages,
et faire en sorte que Gaza ne puisse
absolument jamais représenter
une menace pour Israël», a répété
le premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, samedi
13 janvier, veille du centième jour
du conflit ouvert le 7 octobre 2023.
A cette date, l’acte inaugural de
la guerre avait été marqué par l’as-
saut d’une violence inouïe mené
par les hommes du Hamas, ve-
nant de Gaza, ayant entraîné la
mort de 1200 personnes et la cap-
ture d’otages, dont 136 restent aux
mains du groupe islamiste. Cette
attaque sans précédent a entraîné
une campagne militaire israé-
lienne qui s’avère si meurtrière
pour les civils qu’elle suscite une
réaction d’ampleur mondiale, et
inquiète jusqu’aux alliés les plus
proches d’Israël, les responsables
de l’administration américaine,
dont les mises en garde face
à l’ampleur des destructions et
des morts infligées aux Gazaouis
restent lettre morte.
Rien, dans l’amplitude de ce
conflit, n’est pourtant le fruit du
hasard. En entrant dans Gaza, l’ar-
mée israélienne avait conscience
de s’exposer à une série de pièges.
D’un point de vue purement mili-
taire, le Hamas et sa vingtaine de
milliers de combattants pou-
vaient compter sur un réseau de
tunnels offrant mobilité et pro-
tection. Ils s’étaient préparés à
une guerre de harcèlement, me-
née dans un environnement ur-
bain favorable, grâce à la capacité
des combattants à dissimuler
leurs positions au sein de la popu-
lation et d’infrastructures civiles.
Les troupes israéliennes ris-
quaient de fortes pertes dans ce
contexte (188 soldats ont été tués
depuis le début de l’offensive),
mais risquaient d’en infliger de
plus lourdes encore aux civils.
C’était la seconde mâchoire du
même piège. La solution retenue
a consisté à minimiser les pertes
des soldats en se livrant, par le
biais d’une campagne de bombar-
dements, à la destruction de zo-
nes entières de Gaza, entraînant
un nombre de victimes civiles
d’une ampleur historique :
24000 morts, dont une majorité
de femmes et d’enfants.
Cent jours de guerre à Gaza : la perspective d’une guerre longue
Attaque du Hamas Offensive terrestre israélienne
et riposte d’Israël
7 octobre 2023 : assaut du
Hamas sur Israël
Accès réglementé par l'armée Trêve de courte durée
israélienne
13 octobre 2023 : évacuation
du nord de la bande de Gaza
ordonnée par l’armée
israélienne
Un tissu urbain détruit,
un champ de bataille complexe
Zones urbaines endommagées
ou détruites au 9 janvier
Zone d’opération militaire
israélienne au 15 janvier
r Mé
Clôture et mur M e
Blocus maritime
Point de passage fermé
Point de passage ouvert
pour l’aide humanitaire
depuis le 21 octobre 2023
Jamon Van Den Hoek, Corey Scher, Decentralized Damage Mapping Group ; OpenStreetMap
Sortie par folliot le 15/01/2024 10:32:04 Date de Publication 16/1/2024
Un soldat israélien lors d’une opération contre le Hamas, dans la bande de Gaza, le 8 janvier. RONEN ZVULUN/REUTERS
Au début de la guerre, une
source sécuritaire israélienne
comptant parmi les faucons di-
sait pourtant avec assurance :
«Nous pourrions tout écraser sous
les bombes sans nous soucier des
pertes en vies humaines. Mais nous
ne sommes pas la Russie, nous ne
procédons pas de la sorte.» Depuis
1 % de la population de Gaza a été
tuée. Selon l’organisation de dé-
fense des droits de l’homme basée
à Genève, Euro-Med Human Ri-
ghts Monitor, le chiffre des victi-
mes s’élève à 90000 personnes si
on y ajoute les blessés et les dispa-
rus, soit 4 % de la population.
« Champ de bataille complexe »
Sans parler d’un nombre de dé-
placés atteignant 1,9 million de
personnes, sachant que ceux qui
ont fui leurs maisons pour se ré-
fugier dans un tiers du territoire y
sont encore exposés à des frap-
pes. Dans le cadre d’une bataille
devenue emblématique en raison
de la violence de celle-ci, la prise,
en 1995, par l’armée russe de Gro-
zny, en Tchétchénie, avait fait en-
27 octobre 2023 : intensification
des bombardements
et début de l’offensive
4 décembre 2023 : zone
dans laquelle Israël appelle
les civils à se réfugier
après la fin de la trêve
du 24 novembre
BANDE DE GAZA
Camp d'Al-Mawasi Deir
Al-Balah
é ISRAËL
e
an
e rr
t
di Khan Younès
Rafah
Rafah
ÉGYPTE Kerem
Shalom
Sources : armée israélienne ; War Mapper ; Liveuamap ;
viron 30000 morts en trois mois.
Un responsable d’une organisa-
tion humanitaire internationale
présente à Gaza décrit ainsi l’enfer:
«Là où nous opérons, nous ne som-
mes pas touchés par des bombar-
dements, mais tous les environs le
sont, ce qui met constamment en
danger les blessés qui veulent ap-
procher.» La nature des interven-
tions de ses équipes dit aussi la fa-
çon dont est mené le conflit: «On
soigne des brûlures et des polytrau-
matisés, presque exclusivement.
Des gens touchés par les bombes ou
écrasés dans les effondrements de
bâtiments. Ce n’est que récemment
qu’on a vu arriver des blessés par
balle, mais cela reste marginal.» Il
ajoute: «Les zones dites sûres dans
lesquelles est supposée se réfugier
la population sont bombardées.»
Désormais, les comparaisons
sont établies avec les campagnes
de bombardements aériens les
plus intenses de l’histoire récente,
allant des villes allemandes, lors
de la seconde guerre mondiale
(Dresde, 25 000 morts en fé-
vrier 1945), à l’Ukraine, en passant
Erez
Jabaliya
Beit Hanoun
Sdérot
Gaza
Nahal Oz
Beit Hagadi
Réim
Ofakim
Magen
5 km
Infographie Le Monde
par les villes d’Irak ou de Syrie, lors
des offensives de la coalition inter-
nationale contre l’organisation
Etat islamique. Selon un docu-
ment des services de renseigne-
ment militaire américains, les for-
ces aériennes israéliennes ont lar-
gué 29000 bombes sur Gaza pen-
dant les six premières semaines
de la guerre. C’est autant que ce
que les Etats-Unis avaient déversé
durant leur offensive en Irak,
en 2003, sur un pays d’une superfi-
cie mille fois supérieure. Près de la
moitié des munitions employées
à Gaza sont dites dumb bombs,
c’est-à-dire non équipées de sys-
tème de guidage. Une pratique qui
tend à diminuer dans les grandes
opérations comparables du
XXIe siècle. La précision d’une
bombe Mk 82 de 227 kilogrammes
est de 5 mètres lorsqu’elle est gui-
dée par GPS, contre 94,5 mètres
lorsqu elle ne l’est pas.
Corey Scher, doctorant à la City
University of New York, qui tra-
vaille en collaboration avec Jamon
Van Den Hoek, de l’Oregon State
University, sur des images satelli-
tes, afin d’étudier les effets des
bombardements aériens dans le
cadre de guerres récentes, établit
des comparaisons entre Gaza et
les bombardements aériens rus-
ses sur l’Ukraine: «L’échelle très
large des destructions à Gaza ne
trouve de point de comparaison
qu’avec les villes les plus durement
frappées en Ukraine, telles que Ma-
rioupol et Bakhmout. Mais, bien
qu’elles aient subi des destructions
à une large échelle, ces villes ont des
densités de bâti bien moins impor-
tantes; Gaza demeure donc excep-
tionnel dans l’amplitude des des-
tructions. » Il note, également,
leurs vitesses inédites, atteignant
en quelques semaines des ni-
veaux comparables à ceux obte-
nus ailleurs en plusieurs années.
Malgré ces destructions massi-
ves, la victoire contre le Hamas
paraît encore lointaine, ouvrant
la perspective d’une guerre lon-
gue. Certes, des avancées sont en-
registrées. Le 6 janvier, le vice-
amiral Daniel Hagari a annoncé
que le «démantèlement des forces
du Hamas dans le nord de Gaza a
été réalisé». Plus de la moitié des
V1
Les principaux
responsables
du Hamas se
trouvent encore
dans les tunnels
avec des otages
israéliens
combattants y auraient été tués,
ne laissant que des groupes épars
dont la menace serait diminuée.
Cela ne signifie pas, pour autant,
qu’une victoire claire en découle
dans le futur immédiat. Selon
Christian Ingrao, historien spécia-
liste de la seconde guerre mon-
diale et analyste des mécanismes
de violence des conflits, le «choix»
qui a été fait de bombarder de fa-
çon lourde le tissu urbain avant
d’y déployer des troupes, engen-
dre une autre forme de menace:
«Quand on crée des ruines, on crée
des abris pour les combattants.» A
terme, cela rend la sécurisation de
Gaza plus difficile.
Depuis le début de la guerre, les
responsables militaires israéliens
défendent leur approche. A la mi-
décembre, le major Keren Hajioff
en avait résumé les principaux
points, rappelant que le Hamas,
ayant «passé les seize dernières an-
nées à l’intérieur et sous la surface
de zones civiles dans Gaza», portait
donc la responsabilité d’une «stra-
tégie inhumaine» dont tout décou-
lerait. Selon lui, les forces israélien-
nes se devaient d’éviter de tomber
dans le piège de ce «champ de ba-
taille complexe» et précisaient les
mesures mises en place pour épar-
gner la population civile. «Nous
encourageons les Gazaouis à s’éloi-
gner temporairement de la ligne de
feu, disait-il. Nos mises en garde
aux civils à Gaza signifient qu’au
bout du compte les forces armées
annoncent – à l’avance – leurs zo-
nes d’opération. C’est une chose qui
n’a pratiquement jamais été vue
dans l’histoire militaire.» Les auto-
rités israéliennes laissent enten-
dre, depuis début 2024, que la
guerre est passée à une nouvelle
phase, plus «ciblée». Peu de signes
0123
Mardi 16 janvier 2024
l’attestent encore sur le terrain, où
les bombardements n’ont pas
cessé, notamment pour des ap-
puis aériens aux troupes, même si
certaines unités de réservistes ont
été retirées de Gaza.
La nature des combats a égale-
ment un peu évolué, impliquant
désormais davantage d’affronte-
ments directs entre soldats israé-
liens et combattants du Hamas.
Ceux-ci ont lieu en surface, tant il
demeure dangereux pour les for-
ces israéliennes de s’aventurer
dans le réseau des tunnels. Il est
difficile d’établir si ce dernier est
déjà significativement détruit,
alors que les principaux responsa-
bles du Hamas s’y trouvent en-
core, vraisemblablement avec la
plupart des otages israéliens et de
nombreux combattants.
« Jour d’après »
Robert Pape, politologue à l’uni-
versité de Chicago, spécialiste des
attentats-suicide et des bombar-
dements aériens (auteur de Bom-
barder pour vaincre, puissance aé-
rienne et coercition dans la guerre,
La Documentation française,
2011), a fait la démonstration que
les bombardements qui n’épar-
gnent pas les civils, produisent
l’inverse des effets escomptés: ils
ne dressent pas la population con-
tre les dirigeants qui les ont expo-
sés à ces destructions, mais au
contraire renforcent leur soutien
face à l’ennemi. En d’autres ter-
mes, bombarder les civils avec
une telle intensité est une recette
sûre pour faire la promotion du
Hamas, pourtant peu populaire à
Gaza avant le 7 octobre 2023.
Autant de facteurs qui rendent
plus complexe l’élaboration d’un
scénario de sortie du conflit, en
mettant en place un ordre politi-
que et sécuritaire dans Gaza une
fois les opérations militaires ter-
minées. Ce «jour d’après» dans
les ruines demeure entouré d’un
flou que le gouvernement israé-
lien entretient, alors que chaque
jour de guerre augmente le nom-
bre des pertes en vies humaines et
menace un peu plus les chances
de voir les otages israéliens sortir
indemnes des décombres. p
Jean-PhiliPPe Rémy

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Mardi 16 janvier 2024
LaiChing-teélupourunmandathouleuxàTaïwan
Le candidat du Parti démocrate a remporté, samedi, la présidentielle sur l’île que la Chine souhaite annexer
Portrait
Taipei - envoyé spécial
C
ertaines phrases collent
pour toujours à leur
auteur. Pour Lai Ching-te,
ce sont les mots qu’il a
eus devant le Parlement taïwanais
alors qu’il était premier ministre,
en 2017: «Je suis un travailleur
pragmatique pour l’indépen-
dance.» Rien d’une gaffe, ils reflè-
tent sa pensée, il les a toujours
assumés: «Je ne dévierai jamais
de cette position, quel que soit le
poste que j’occupe.»
M.Lai a été élu à la présidence de
Taïwan, samedi 13 janvier, à l’issue
d’un scrutin à un seul tour, avec
40,1 % des voix. Sa formation, le
Parti démocrate progressiste,
perd toutefois sa majorité parle-
mentaire en n’obtenant que
51 sièges au yuan législatif, la
chambre basse, contre 52 pour le
Kouomintang favorable à un rap-
prochement avec la Chine et 8 siè-
ges pour une troisième force, le
Parti du Peuple de Taïwan. «Entre
la démocratie et l’autoritarisme,
nous choisissons d’être du côté de
la démocratie» a-t-il déclaré.
Lai Ching-te dirigera ces quatre
prochaines années l’île que le chef
de l’Etat chinois, Xi Jinping, entend
réunifier à la Chine continentale,
une «mission historique», par des
moyens pacifiques si possible, par
la voie militaire si nécessaire. Ven-
dredi, l’Armée populaire de libéra-
tion avait prévenu qu’elle écrase-
rait «toute forme de tentative de sé-
cession de Taïwan que ce soit».
L’arrivée au pouvoir de Lai
Ching-te, qui n’a cessé de défen-
dre l’affirmation plus forte d’une
identité taïwanaise, suscite l’exas-
pération de Pékin. «Taïwan n’a ja-
mais été un pays. Cela ne l’était pas
dans le passé, et cela ne le sera cer-
tainement pas dans le futur», a dé-
claré dimanche le ministre des af-
faires étrangères, Wang Yi, ajou-
tant que tout pas vers l’indépen-
dance sera «sévèrement puni».
Dans une menace non dissimu-
lée, la Chine a retiré en décembre
des droits de douane préféren-
tiels sur les produits pétrochimi-
ques accordés à Taïwan dans le ca-
dre d’un accord conclu en 2010.
Elle pourrait frapper les exporta-
tions taïwanaises, dont 35 % sont
absorbées par le continent. Les in-
cursions de chasseurs chinois au-
delà de la ligne médiane divisant
le détroit se multiplient.
Lastratégie d’intimidationde la Chine miseenéchec
Latroisièmeélectiond’affiléeàlaprésidenced’uncandidatpro-indépendanceconfirmelaméfiancedesTaïwanaispourlaChinecontinentale
Shanghaï (Chine), Taipei -
correspondance et envoyé spécial
D
ans l’après-midi du sa-
medi 13 janvier, Ou Ouling
et son mari sont revenus
faire un tour au bureau de vote de
la rue Linsen, dans le centre de
Taipei. Ils avaient déjà voté à
11 heures mais voulaient jeter un
œil au dépouillement. «C’est no-
tre système, tout le monde peut en-
trer, c’est ouvert, c’est transpa-
rent», expliquait la femme. Après
la fermeture du bureau de vote, à
16 heures, les citoyens assesseurs
ont vidé les urnes. Dans la salle,
où tout un chacun peut assister
au décompte des voix, l’un des as-
sesseurs a dit haut et fort le nom
porté sur chaque bulletin, rose
pour la présidentielle, jaune pour
les législatives, puis l’a montré à
l’assistance.
Dès les résultats confirmés, les
deux adversaires du vainqueur, le
vice-président Lai Ching-te, ont
concédé leur défaite et félicité le
nouvel élu, signe d’une démocra-
tie mûre, où près de 72 % des ci-
toyens de plus de 20 ans ont voté.
Ce processus électoral démocrati-
Sortie par folliot le 15/01/2024 09:19:56 Date de Publication 16/1/2024
Des partisans du président taïwanais élu, Lai Ching-te, à Taipei, samedi 13 janvier. louise Delmotte/AP
Pour Lai, 64 ans, cette victoire
est l’aboutissement d’une longue
carrière politique. Né en 1959
dans une bourgade côtière au
nord de Taipei, dix ans après le re-
pli sur l’île de Tchang Kaï-chek, dé-
fait sur le continent par les trou-
pes de Mao Zedong, Lai Ching-te
n’a pas l’héritage qui l’aurait pré-
destiné à la politique : il n’a que
quelques mois quand son père
meurt d’une intoxication au mo-
noxyde de carbone dans la mine
de charbon qui l’emploie. Sa mère
enchaîne les petits boulots pour
éduquer ses six enfants.
Le sort de Hongkong
Sa réussite scolaire lui permet
d’étudier la médecine dans la plus
prestigieuse université de Taïwan,
puis à Harvard. Il se voit offrir un
poste dans un hôpital de Tainan,
ville où il n’a jamais mis les pieds
auparavant. Le sentiment indé-
pendantiste y est vif, bien plus que
dans la capitale, Taipei. Au milieu
des années 1990, deux décennies
que constitue un casse-tête pour
la Chine, qui promet de réunifier
l’île au continent. «Nous sommes
très fiers de cela. Même si les candi-
dats sont déçus du résultat, ils ac-
ceptent le choix du peuple», décla-
rait Chen Yijing, une femme de
36 ans, venue célébrer la victoire
de M. Lai à Taipei.
Face au choix des Taïwanais, Pé-
kin paraît sans solution. Samedi
soir, le porte-parole du bureau chi-
nois des affaires de Taïwan, Chen
Binhua, a déclaré que ce vote
«n’entravera pas la tendance inévi-
table d’une réunification avec la
Chine». Mais force est de constater
que les menaces répétées de Pékin,
depuis l’arrivée au pouvoir de la
présidente Tsai Ing-Wen en 2016,
n’ont pas convaincu les Taïwanais
de choisir la voie du rapproche-
ment. Les survols aériens chinois à
proximité de l’île de Taïwan sont
devenus quasi quotidiens et Pékin
multiplie les exercices militaires.
Avec un peu plus de 40% des
voix, contre les 57% enregistrés
par Tsai Ing-wen quatre ans plus
tôt, le vote pour le parti présiden-
tiel, le Parti démocrate progres-
siste (DPP), est en recul, mais c’est
après la mort de Tchang Kaï-chek,
qui a tenu l’île d’une main de fer,
Taïwan avance dans sa transition
démocratique et organise ses pre-
mières élections libres. Le Parti dé-
mocrate progressiste (DPP), qui
s’est battu pour l’ouverture politi-
que, se tourne vers Lai dans la cir-
conscription de Tainan: il partage
les idées du parti et a de l’influence
comme président de l’association
locale des médecins. Il se lance en
politique, contre l’avis de sa mère.
La pression chinoise est déjà le
sujet central: en 1995, l’Armée po-
pulaire de libération tire des mis-
siles près de l’île juste avant la
première présidentielle ouverte.
«C’est ce qui lui a donné l’envie de
s’engager davantage », explique
Chao Yi-hsiang, le porte-parole de
la campagne de Lai. Il est élu dé-
puté en 1998, réélu trois fois, puis
gagne les municipales en 2010,
toujours à Tainan, mais avec déjà
une stature nationale : un son-
dage le donne dirigeant local le
plus populaire du pays.
Les menaces
répétées
de Pékin n’ont
pas convaincu
les Taïwanais de
choisir la voie du
rapprochement
la première fois depuis la démo-
cratisation de l’île, au milieu des
années 1990, qu’une formation
politique remporte trois présiden-
tielles successives. Un scénario
noir pour Pékin. Car si ses diri-
geants ne cessent de répéter qu’ils
maintiendront le statu quo – sans
déclaration formelle d’indépen-
dance, Taïwan exerçant déjà une
souveraineté de fait –, le DPP con-
serve dans sa charte la quête d’in-
dépendance, un casus belli pour la
Chine. Lai Ching-te a promis d’in-
tégrer davantage Taïwan, leader
des semi-conducteurs, aux échan-
ges avec les économies ouvertes et
les pays démocratiques, pour di-
minuer la dépendance à la Chine.
La démocrate progressiste Tsai
Ing-wen, élue en 2016, le nomme
premier ministre l’année sui-
vante. Il se présente à la primaire
du parti en amont de la présiden-
tielle de 2020 mais perd devant
Tsai Ing-wen qui, soucieuse de gar-
der un concurrent près d’elle, le
prend comme candidat à la vice-
présidence et se fait réélire aisé-
ment sur une île qui craint de subir
le même sort que Hongkong.
« Pression encore plus forte »
Dans l’entourage du nouveau pré-
sident, on n’ignore pas que son
arrivée au pouvoir pourrait signi-
fier une poussée de fièvre dans la
région. « La Chine va sans nul
doute exercer une pression encore
plus forte sur Taïwan, à la fois mili-
taire, diplomatique et économi-
que. Comment continuer à s’inté-
grer dans la communauté interna-
tionale, malgré la pression chi-
noise, ce sera le grand défi de Lai
Ching-te », constate Lin Chun-
hsien, un député proche de Lai.
Et si Pékin continue de commu-
niquer sur sa volonté de tendre la
main aux communautés d’affai-
res taïwanaises présentes en
Chine, les Taïwanais se sentent
moins bien accueillis sur le conti-
nent en raison du nationalisme
économique chinois et des embar-
gos sur des produits taïwanais im-
posés lors des deux mandats de
Tsai Ing-wen.
Polarisation parlementaire
L’exemple de Hongkong, où a été
imposée en 2020 une drastique loi
de sécurité nationale, a montré
aux Taïwanais que le principe «un
pays, deux systèmes» – que Pékin
propose également à Taïwan –
n’offre aucune garantie. «Avant, je
me disais que cette solution était
une bonne option pour nous, té-
moigne Allen Huang, un Taïwa-
nais de 33 ans qui travaille en
Chine depuis six ans. Mais après ce
qui s’est passé à Hongkong, j’ai
compris que c’était impossible.»
En Chine, le suivi des élections
taïwanaises a été censuré samedi.
Mais dimanche, les commentaires
autorisés sur les réseaux sociaux
se sont montrés va-t-en-guerre.
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InternatIonal | 3
Dans l’entourage
du nouveau
président, on
n’ignore pas que
son arrivée au
pouvoir pourrait
signifier une
poussée de fièvre
dans la région
Pour ses propos sur l’indépen-
dance, Pékin a un regard bien plus
dur sur lui que sur Tsai Ing-wen,
ancienne juriste, qui s’est montrée
mesurée durant ses huit années
au pouvoir malgré le rejet suscité
par la Chine dans la base du DPP.
Au fil de la campagne, les candi-
dats d’opposition ont tout fait
pour présenter le vote comme
« un choix entre la paix et la
guerre». «Pas nécessaire de décla-
Ainsi pour le politiste Hu Xijin, édi-
torialiste au quotidien nationa-
liste Global Times, peu importe le
résultat: «La réunification pacifi-
que peut-elle être réalisée unique-
ment en s’appuyant sur la volonté
des habitants de Taïwan de retour-
ner en Chine? La puissance et l’exis-
tence de l’option de la force sont des
conditions préalables à la réunifi-
cation pacifique.» Et le temps joue
en faveur de la Chine, dont la puis-
sance militaire ne fait que progres-
ser, ajoute-t-il.
A Taïwan cependant, le senti-
ment d’éloignement s’accentue. Si
plus de 90 % des habitants de l’île
sont des descendants de Chinois,
plus de 62 % s’identifient unique-
ment comme taïwanais, contre
17 % en 1992; et 30,5 % se voient
comme taïwanais et chinois, con-
tre 46 % il y a trois décennies, selon
le suivi de l’Université Chengchi.
Seul point positif pour Pékin: la
division du paysage politique
taïwanais pourrait bloquer les po-
litiques du DPP. Ce dernier a perdu
le Parlement, ne remportant que
cinquante et un sièges, contre cin-
quante-deux pour le Kuomintang,
avec lequel les autorités chinoises
rer l’indépendance, a rassuré Lai
Ching-te. La majorité de la popu-
lation taïwanaise et l’essentiel de
la communauté internationale,
dont les Etats-Unis, sont favora-
bles au maintien de ce statu quo
certes ambigu mais qui assure la
paix. Lai sait de longue date qu’il
faut se tenir à ce vocabulaire mais
son caractère affirmé et sa trajec-
toire, jusqu’alors plutôt tournée
vers une audience de politique in-
térieure, notamment la frange
plus militante du parti suscite
une forme de fébrilité.
Pas de dérapage à Taipei
Car s’il s’est bien tenu au long de la
campagne aux formules atten-
dues – «recherche du dialogue» et
de «l’amitié» avec la Chine –, il n’a
jamais cessé de dénoncer le ré-
gime chinois. « Accepter le prin-
cipe d’une seule Chine, ce ne serait
pas une paix réelle, on deviendrait
comme Hongkong », disait-il
mardi. «On ne peut pas dépendre
du bon vouloir d’un agresseur, si
on regarde le Tibet, le Xinjiang, il y
a des exemples.»
La nomination à ses côtés d’une
vice-présidente à l’expérience
diplomatique incontestable, l’ex-
députée Hsiao Bi-khim, représen-
tante de Taïwan aux Etats-Unis de
2020 à l’automne 2023, vise à as-
surer à Washington – accaparé par
les fronts ukrainien et moyen-
oriental – que le dérapage ne vien-
dra pas de Taipei. Mais Pékin con-
sidère le choix de cette femme,
qui avait la double nationalité
américaine avant que la politique
ne la contraigne à y renoncer,
comme un signe d’alignement
croissant sur les Etats-Unis.
Ces derniers ont annoncé l’envoi
dès dimanche d’une délégation
semi-officielle à Taipei juste après
l’élection. Il s’agira de féliciter le
nouveau président mais aussi, im-
plicitement, de lui rappeler la pru-
dence devant la gravité des enjeux.
Alors que Lai Ching-te promet
de poursuivre la modernisation
de l’armée taïwanaise dans l’es-
poir de dissuader la Chine, cha-
que commande d’armement à
l’étranger, chaque phrase de sa
part sera perçue comme un défi
par l’autre rive du détroit. En cam-
pagne, Lai Ching-te a fait sept fois
le tour de l’île, pour n’oublier
aucune ville, aucun électeur. La
victoire enfin acquise, il est désor-
mais mis à l’épreuve. p
HaroLd THibauLT
considèrent pouvoir dialoguer.
Derrière les deux partis histori-
ques, un troisième, le Parti du peu-
ple de Taïwan, a obtenu huit siè-
ges. Pendant la campagne, son
fondateur, Ko Wen-je, avait souli-
gné son expérience d’échanges
avec la ville de Shanghaï quand il
était maire de Taipei.
Et, même si les trois partis ont
souligné la nécessité de renforcer
les moyens militaires, ils pour-
raient être divisés sur les mesures
concrètes, notamment les achats
d’armement à l’étranger – aux
Etats-Unis en particulier –, qui irri-
tent Pékin. Sous le mandat du pré-
sident démocrate progressiste
Chen Shui-bian (2000 à 2008), le
Kouomintang, alors majoritaire
au Parlement, avait fait barrage à
l’acquisition d’équipements amé-
ricains. Cette polarisation parle-
mentaire n’a pas échappé à la
Chine. Elle « travaillera avec les
partis, les groupes et les personnes
concernées de différents secteurs à
Taïwan pour stimuler les échanges
et la coopération à travers le dé-
troit», a dit Chen Binhua. p
Simon LepLâTre
eT H. TH.
 4 | InternatIonal
Dans l’Iowa,
coupd’envoi de
la présidentielle
américaine
A dix mois du scrutin, l’ancien
président Donald Trump
domine le camp républicain,
dont les primaires débutent lundi
Des MoInes (Iowa) - envoyé spécial
A
ux Etats-Unis, lors-
qu’un cycle électoral
commence par un bul-
letin météo, on pres-
sent qu’il sortira de l’ordinaire.
Une température polaire de –
29°C accablera l’Iowa au cours de
la nuit du 15 au 16 janvier, qui est
aussi celle du caucus, première
étape des primaires républicai-
nes pour l’élection présidentielle
de novembre. Un épais duvet
blanc a recouvert cet Etat du Mid-
west, battu par un vent glacial.
Des voitures échouées bordent
certains grands axes.
Le froid est un visiteur hivernal
fréquent dans ces contrées. Mais,
cette fois, qui sera assez motivé
pour prendre sa voiture et se ren-
dre à l’une des réunions publi-
ques organisées dans des centai-
nes de gymnases, écoles et biblio-
thèques, où les militants républi-
cains débattront en début de
soirée, avant de voter?
Cette participation représente
la principale inconnue du scru-
tin, promis à Donald Trump par
tous les experts. « Elle sera ro-
buste », assure Jeff Kaufmann, le
président du Parti républicain
dans l’Etat. En 2016, près de
186 000 personnes s’étaient en-
registrées.
Les militants de l’Iowa appré-
cient leur rôle protocolaire dans
les primaires, cet honneur
d’ouvrir la compétition, même si
leur choix ne détermine pas for-
cément la suite. Le candidat devra
réunir 1 215 délégués lors de la
convention de Milwaukee, en
juillet, pour obtenir l’investiture
républicaine. L’Iowa n’en offre
que 40. Mais ce chiffre ne dit rien
de l’influence réelle de cet Etat. Il
est une épreuve de crédibilité et
d’endurance pour les candidats et
pour leurs capacités organisa-
tionnelles sur le terrain.
Dans l’ultime sondage de réfé-
rence publié le 13 janvier par le
média local Des Moines Register et
John Kerry, «M.Climat», rejoint
l’équipe de campagne de Joe Biden
L’émissaire américain pour le climat, John kerry, au rôle-clé
au sein de l’administration américaine en matière de lutte
contre le changement climatique, va démissionner
de cette fonction au printemps afin de contribuer à la campagne
pour la réélection du président Joe Biden sur ces questions.
L’ex-secrétaire d’etat américain de Barack obama, âgé de 80ans,
avait participé aux négociations sur l’accord de Paris en2015.
Proche-Orient : pourquoi pas…
www.l-etoile-du-levant.com
Sortie par folliot le 15/01/2024 09:55:03 Date de Publication 16/1/2024
la chaîne NBC News, Donald
Trump se situait à 48 %, Nikki Ha-
ley à 20 % et le gouverneur de Flo-
ride, Ron DeSantis, à 16 %. L’entre-
preneur Vivek Ramaswamy pa-
raissait distancé, à 8 %.
Pourtant, jusqu’au dernier mo-
ment, ces trois derniers candidats
ont multiplié les réunions. Nul ne
sait en faveur de qui jouera le
grand froid, lundi. Ceux (Donald
Trump et Ron DeSantis) qui ont la
meilleure organisation de terrain,
avec le plus de relais sur tout le
territoire ? Nikki Haley, dont
l’électorat se concentre surtout
dans les grandes villes et leurs pé-
riphéries, là où les routes sont
mieux dégagées? L’autre incerti-
tude concerne le nombre des
nouveaux votants.
Examen de proximité
L’Iowa réserve régulièrement des
surprises, à l’instar des sénateurs
Rick Santorum (2012) et Ted Cruz
(2016), tous deux vainqueurs
inattendus du caucus, grâce au
vote évangélique. Mais leur étoile
n’avait pas brillé longtemps. Les
primaires sont une course d’obs-
tacles par élimination.
Le 10 janvier, l’ex-gouverneur du
New Jersey Chris Christie s’est re-
tiré avant la première haie. L’in-
certitude dans l’Iowa concerne les
écarts entre les trois premiers et
l’ordre d’arrivée. Qui, de Ron De-
Santis ou de Nikki Haley, se ré-
jouira d’une deuxième place et
d’un semblant d’élan derrière Do-
nald Trump, avant l’étape du New
Hampshire le 23 janvier?
Ron DeSantis a abordé l’Iowa
avec un chiffre fétiche en tête, 99,
soit la totalité des comtés dans
l’Etat. Début décembre, il avait
déjà tenu au moins une réunion
publique dans chacun d’entre
eux. Dans l’Iowa, on appelle cela
le « full Grassley », un hommage
au travail de terrain du vétéran
Chuck Grassley, 90 ans, sénateur
depuis 1980. Les militants locaux
prennent leurs responsabilités
au sérieux. Ils veulent regarder
une « solution à 12 États » ?
L’ancien président et candidat à l’investiture républicaine, Donald Trump, dimanche, à Indianola (Iowa). aP Photo/andrew harnik
les prétendants dans les yeux,
écouter leurs arguments, compa-
rer. Ron DeSantis s’est donc plié à
cet examen de proximité, en
espérant être récompensé de
cette campagne peu visible au ni-
veau national.
Le gouverneur de Floride a tout
misé sur l’Iowa, tandis que sa
courbe dans les sondages s’éro-
dait semaine après semaine, pro-
voquant le retrait massif de ses
donateurs. Le trésor de guerre de
plus de 130 millions de dollars
dont il disposait au début de sa
campagne a fondu, le conflit avec
son groupe d’action publique (su-
per PAC), Never Back Down, a
éclaté au grand jour. Malgré ces
déconvenues, DeSantis a fait
comme si l’écosystème de l’Iowa
répondait à d’autres règles de la
physique politique.
Il a tenu le micro dans des gran-
ges, sur des parkings, dans des sal-
les municipales et aux comptoirs
de bars. Il a donné des interviews
à tous les médias locaux. Il a roulé
dans un bus à son nom, signé par
les militants, souvent accompa-
gné par sa femme Casey et leurs
enfants, dont il mentionne l’âge
mais jamais les prénoms. Il a serré
les mains du matin au soir, avec
cette grimace particulière qui lui
tient lieu de sourire. Enfin, Ron
DeSantis s’est démené pour obte-
nir des soutiens de poids: ceux de
la très populaire gouverneure
Kim Reynolds et de Bob Vander
Plaats, le directeur de Family Lea-
der, la plus grande organisation
chrétienne de l’Etat.
Mais cette campagne dans
l’Iowa n’a jamais porté sur l’Iowa.
Les enjeux locaux ont été recou-
verts par la politique nationale :
la crise migratoire à la frontière
avec le Mexique, l’inflation, l’Etat
fédéral jugé trop intrusif et dé-
pensier. Et puis, les scandales per-
manents qui escortent Donald
Trump n’offrent aucune bonne
alternative à ses rivaux.
Ron DeSantis comptait sur la
perte d’attractivité de l’ancien
www.the-star-of-the-levant.com
www.der-stern-der-levante.com
Même si
« vous êtes
malade comme
un chien », il
faut aller voter,
a lancé Donald
Trump devant
ses partisans
président, en raison de ses incul-
pations. Il pensait attirer vers lui
le peuple MAGA (Make America
Great Again) par une promesse de
continuité, plus professionnelle,
et non de rupture avec le trum-
pisme. Le scénario inverse a eu
lieu, compromettant son entre-
prise: les inculpations ont solidi-
fié cette base autour de l’ex-prési-
dent. Il n’est pas sûr que la tenue,
encore incertaine, des procès
contre lui, au printemps, boule-
verse cette emprise.
Très tardivement, Ron DeSantis
s’est voulu plus tranchant, en
insistant sur le côté velléitaire de
Trump, illustrée par le mur
inachevé à la frontière mexi-
caine. « Donald Trump fait cam-
pagne sur ses problèmes. Nikki
Haley fait campagne sur les pro-
blèmes de ses donateurs. Je suis ce-
lui qui fait vraiment campagne
sur vos problèmes », résume-t-il
depuis début janvier.
« Trump, c’est leur homme »
Ron DeSantis avertit les républi-
cains : désigner Trump comme
candidat garantirait de transfor-
mer la présidentielle de novembre
en référendum sur sa personne.
Mais l’essentiel de ses attaques a
visé l’ancienne gouverneure de
Caroline du Sud, qui a été la seule à
bénéficier d’une dynamique de-
puis l’été. Les deux prétendants se
livrent une bataille pour leur sur-
vie dans ces primaires.
Accaparé par ses rendez-vous
devant les juges, Donald Trump,
V1
lui, a délaissé le travail de terrain
jusqu’à ce week-end, tenant bien
moins de meetings que les
autres candidats.
Il s’est même offert le luxe
d’ignorer les débats télévisés,
sans dommages. L’ex-président
n’a pas besoin de se présenter
aux électeurs, son identité étant
bien établie. Trump a délégué des
fidèles, comme la représentante
Marjorie Taylor Greene (Géor-
gie), son collègue Matt Gaetz (Flo-
ride) ou la gouverneure du
Dakota du Sud, Kristi Noem, pour
mobiliser les militants dans les
petites villes de l’Iowa. Son
équipe n’a aucun doute sur sa
victoire lundi soir. Mais elle
aimerait assommer la concur-
rence, en dépassant les 50 %.
Même si « vous êtes malade
comme un chien», il faut aller vo-
ter, a lancé Donald Trump devant
plusieurs centaines de partisans,
réunis à Indianola dimanche.
« Même si vous votez et décédez
après, ça vaut le coup », a-t-il
ajouté en plaisantant. Donald
Trump n’est plus le même
qu’en 2020, encore moins
qu’en 2016, lors de sa victoire face
à Hillary Clinton. C’est un homme
vieilli, acide, revanchard.
Toutefois, son pouvoir d’en-
voûtement demeure. Il s’exerce
aussi bien auprès de primo-vo-
tants que de partisans de longue
date. « Ceux-là veulent retrouver
la même montée de plaisir qu’ils
avaient eu en 2016, cette idée de
terrasser le système, dit Alan Os-
tergren, avocat influent dans le
milieu conservateur à Des Moi-
nes. Trump, c’est leur homme. » A
cela s’ajoute un élément nou-
veau. Son organisation de cam-
pagne dans l’Iowa a été rigou-
reuse, méthodique, pédagogique
même, pour recruter des mili-
tants partout. Les propos outran-
ciers et extrémistes de Trump ne
doivent pas tromper : l’amateu-
risme de 2016 est bien loin.
Entrée en campagne très tôt, en
février 2023, Nikki Haley a aussi
0123
Mardi 16 janvier 2024
tâtonné dans sa stratégie face à
l’ancien président. Dimanche
après-midi, elle a donné rendez-
vous à ses partisans dans un res-
taurant barbecue d’Ames (comté
de Story). Dans la salle principale,
tandis qu’une dizaine d’écrans
diffusait des compétitions spor-
tives, des familles indifférentes
avalaient des assiettes de viandes
grillées. A l’arrière, une autre
salle avait été transformée pour
le meeting. Les journalistes
étaient presque aussi nombreux
que les militants.
Deux petits faux pas
Nikki Haley a déroulé son dis-
cours. «On ne répare pas le chaos
démocrate par un chaos républi-
cain», a-t-elle lancé, en référence
à Donald Trump. «Vous ne croyez
pas qu’il est temps d’avoir un
comptable à la Maison Blanche?»,
poursuivait-elle, au sujet de la
dette fédérale exorbitante. Pas sûr
que la formule soit entraînante.
Mais la candidate mise sur une
forme de sérieux et de crédibilité.
D’où son insistance, elle, l’an-
cienne ambassadrice auprès des
Nations unies, à parler de la
Chine, d’Israël ou de la Russie de-
vant tous les publics.
Début janvier, la candidate a
commis deux petits faux pas.
Lors d’une réunion publique
dans le New Hampshire, elle a ba-
fouillé une mauvaise réponse sur
les causes de la guerre civile amé-
ricaine, oubliant l’esclavage.
Nikki Haley s’est aussi autorisé
une plaisanterie mal comprise.
Elle a lancé aux militants du New
Hampshire, au sujet de leur rôle
dans les primaires : « L’Iowa com-
mence, puis vous corrigez. » Dire
aux électeurs de l’Iowa que leur
choix relève de l’erreur n’est pas
franchement incitatif. Mais la
candidate affiche sa confiance.
Son objectif : un duel face à Do-
nald Trump, au moment d’arri-
ver dans son Etat, en Caroline du
Sud, fin février. p
Piotr Smolar

0123
Mardi 16 janvier 2024
Au Guatemala, l’investiture
chaotiquedu présidentArevalo
Les députés sortants ont retardé la cérémonie pendant plusieurs heures,
déclenchant des échauffourées entre des manifestants et la police
Guatemala - envoyée spéciale
J
usqu’au dernier moment, le
Guatemala a retenu son
souffle et sa colère, devant
les manœuvres des élites po-
litiques et judiciaires pour
tenter d’empêcher le nouveau
président Bernardo Arevalo, élu le
20 août 2023 sous les couleurs du
Mouvement Semilla («graine»),
de prendre le pouvoir. La cérémo-
nie d’investiture du nouveau chef
de l’Etat a débuté dimanche
14 janvier à 23 h 50, alors qu’elle
aurait dû commencer à 15 heures.
Plusieurs délégations internatio-
nales, dont celles menées par le
président chilien, Gabriel Boric,
ou le roi d’Espagne, Felipe VI, ont
ainsi quitté le Guatemala sans
avoir vu le nouveau président
ceint de l’écharpe présidentielle.
Ce qui devait être une journée de
fête pour célébrer l’investiture du
premier président progressiste du
pays depuis soixante-dix ans s’est
transformé en une longue attente
ponctuée de moments de tension
entre manifestants et police. Dès
9 heures du matin, les députés
sortants ont retardé de plus de
sept heures la prise de fonctions
des nouveaux parlementaires
censés investir le président, allant
jusqu’à s’enfermer dans une pièce
du palais législatif, en prétextant
la vérification de documents.
Vers midi, et tandis que la vo-
lonté de faire obstruction à la pas-
sation de pouvoir semblait évi-
dente, plusieurs groupes de mani-
Bernardo
Arevalo,
qui a promis
d’en finir avec
la corruption,
est la cible des
élites politiques
et judiciaires
Au Brésil, Lula dépasséparl’ascension ducrimeorganisé
Les épisodes de violence se multiplient à Rio de Janeiro, tandis que l’inefficacité des opérations de police est dénoncée
Rio de JaneiRo - correspondance
A
Rio de Janeiro, la crimina-
lité ne connaît pas de ré-
pit. La veille de Noël, Luiz
Antonio da Silva Braga, le chef de
la principale milice (groupe para-
militaire criminel fondé le plus
souvent par d’ex-policiers) de
l’Etat de Rio de Janeiro, connu
comme «Zinho», s’est livré à la
police par crainte de se faire assas-
siner par une milice rivale. Quel-
ques jours plus tard, cinq person-
nes, probablement de potentiels
successeurs de «Zinho», ont été
tuées dans la zone ouest de Rio.
Le 5 octobre 2023, trois méde-
cins qui participaient à un con-
grès à Barra da Tijuca, l’un des
quartiers les plus chics de la ville,
ont été froidement assassinés par
des miliciens. Puis, le 31 octobre, à
la suite de la mort de Matheus Re-
zende, connu comme «Faustão»,
le neveu de « Zinho », lors d’une
opération policière, sa milice a, en
représailles, incendié trente-cinq
bus et un train.
Le lendemain, le président Luiz
Inacio Lula da Silva annonçait le
déploiement de 3 700 militaires
dans les principaux ports et aéro-
ports du pays – points d’entrée du
trafic de drogue et d’armes.
Sortie par ouzoulias le 15/01/2024 10:23:58 Date de Publication 16/1/2024
festants marchaient jusqu’aux
barrières installées par la police
dans les rues menant au Congrès.
Quelques échauffourées ont
éclaté avant que les représentants
des autorités indigènes calment
les contestataires. «Il fallait éviter
à tout prix que la violence soit un
prétexte pour ne pas permettre
l’investiture d’Arevalo. Ces élites
corrompues sont tout à fait capa-
bles d’utiliser le chaos pour ne pas
céder le pouvoir», expliquait, visi-
blement ému, Oscar Ralon, mem-
bre de la Plate-forme sociale pour
le changement, un regroupement
d’organisations de la société civile
qui défendent la démocratie.
« Longue résistance »
La foule a alors convergé devant le
palais présidentiel, où plusieurs
concerts tentaient de tromper
l’attente. Mais l’ambiance n’était
plus à la fête et l’inquiétude com-
mençait à se lire sur les visages.
Trois amies pianotaient fébrile-
ment sur leurs téléphones, en
cherchant sur les réseaux sociaux
des informations sur la situation
au Congrès. «Honnêtement on ne
s’attendait pas à ce que les députés
s’y mettent! Après le pouvoir judi-
ciaire, voilà que le législatif atta-
que aujourd’hui la démocratie!»,
s’énervait Mariajosé España, une
communicante de 34 ans.
Depuis qu’il a remporté le pre-
mier tour de l’élection présiden-
tielle en juin 2023, lors qu’il n’était
crédité que de 5 % des intentions
de vote à la veille du scrutin, le can-
didat Arevalo et son parti, Semilla,
ont fait face à une avalanche de re-
cours judiciaires, orchestrés par le
ministère public et appuyés par
l’ancien président Alejandro
Giammattei. Mais plus il était atta-
qué, plus sa cote de popularité
grimpait, au point que cet ancien
diplomate de 65 ans a finalement
remporté triomphalement la pré-
sidence lors du second tour, le
20 août, avec 58 % des suffrages.
Avec cette victoire, les attaques
contre son camp de la part des
«Nous allons définitivement reti-
rer le pouvoir au crime organisé»,
avait-il promis, reconnaissant
que la situation était «très grave».
Mais cette opération faite «sans
grande planification » « n’a eu
qu’un effet palliatif », estime
Bruno Longeani, avocat expert en
sécurité de l’institut Sou da Paz,
qui plaide pour «une stratégie de
sécurité publique plus organisée et
robuste» misant sur le «renforce-
ment du renseignement», la «pré-
vention» et la «coordination entre
police étatique et fédérale».
La multiplication des épisodes
de violence à Rio de Janeiro témoi-
gne de la progression du crime or-
ganisé, qui contrôle la moitié du
territoire de l’Etat. «Ces groupes
criminels se sentent libres de tuer à
tout moment de la journée, n’im-
porte où dans la ville, sans craindre
d’être pris ou arrêtés », poursuit
Bruno Langeani. En conséquence,
« le crime organisé continue de
s’étendre sur le territoire », s’in-
quiète le politiste Pablo Nunes,
coordinateur du Centre d’études
sur la sécurité et la citoyenneté.
Dans le nord et le nord-est du
pays, les deux principaux gangs
de narcotrafiquants, le Com-
mando rouge et le Premier Com-
mando de la capitale (PCC), pro-
« Certains
ont beaucoup
d’attentes,
notamment
les peuples
indigènes »
Luis Mack
politologue
élites refusant de céder le pou-
voir à un homme dont la princi-
pale promesse est d’en finir avec
la corruption ont cependant re-
doublé. Les organisations indigè-
nes sont alors entrées en action
pour défendre le choix des élec-
teurs. Dès le mois d’octobre 2023,
elles ont bloqué les routes du
pays pendant trois semaines,
avant d’installer un campement
permanent devant l’imposant
édifice du ministère public, dont
la dirigeance a été inscrite par les
Etats-Unis dans une liste de fonc-
tionnaires corrompus.
Tôt ce dimanche, les hommes
démontaient les bâches du cam-
pement, tandis que les femmes
rangeaient les cuisines. Marvin
Najera, l’un des représentants du
peuple chorti, ne cachait pas sa
joie de pouvoir enfin rentrer
chez lui, à Quezaltepeque (sud-
est), en pliant les couvertures qui
lui ont servi de lit pendant cent
cinq jours.
Cet homme de petite taille et au
large sourire n’a rien oublié de
cette « longue résistance », face au
froid, à la pluie et aux humilia-
tions de la police : « Mais nous
sommes restés unis et n’avons ja-
mais répondu aux provocations,
insiste-t-il. Nous avons décidé de
défendre la démocratie, car la
possibilité d’un coup d’Etat était
très sérieuse. L’union de nos peu-
ples pour cette cause ne s’était pas
produite depuis la révolution de
1944 [qui a fait accéder le pays à la
démocratie]. Soixante-dix-neuf
ans après, les peuples indigènes se
gressent. Dans l’Etat de Bahia, qui
affiche le deuxième taux d’homi-
cides le plus élevé du pays avec
47 morts pour 100000 habitants,
soit le double de la moyenne na-
tionale, selon le Forum brésilien
de la sécurité publique (FBSP),
leur arrivée a déclenché une
guerre avec des factions locales.
Déforestation et orpaillage
En réaction, le gouvernement lo-
cal, allié de Lula, multiplie les opé-
rations policières. Mais celles-ci
sont «inefficaces et d’une létalité
inacceptable», analyse Pablo Nu-
nes. Entre juillet et septem-
bre 2023, 195 personnes ont été
tuées par la police, une hausse de
80 % par rapport à la même pé-
riode en 2022, selon l’institut
Fogo Cruzado.
«La police militaire [qui répond
au gouvernement de chaque Etat]
a une autonomie excessive qui lui
permet de faire ce qu’elle veut sans
rendre de comptes», explique Ser-
gio Lima, sociologue et directeur
du FBSP, qui reproche à Lula «de
ne pas avoir voulu s’attaquer à ce
problème». Le 13 décembre2023,
le président a même promulgué
une loi votée sous le gouverne-
ment d’extrême droite de Jair Bol-
sonaro (2019-2022) qui élimine le
sont soulevés à nouveau pour dé-
fendre la démocratie. »
Le nouveau président avait pro-
mis de se rendre ce dimanche en
fin d’après midi au campement,
pour remercier en premier ceux
qui avaient mené cette résistance.
Mais les retards du Congrès l’ont
contraint à abandonner ce projet
et ont obligé Marvin Najera à res-
sortir ses couvertures. En met-
tant cependant fin à ce qu’ils ont
nommé la «première phase de la
résistance», les représentants des
autorités indigènes ont rappelé
qu’ils ne « donnaient pas un chè-
que en blanc à la nouvelle admi-
nistration et restaient vigilants».
Le nouveau gouvernement, pré-
senté le 8 janvier, ne compte
qu’une seule indigène, alors que
les organisations espéraient être
bien mieux représentées.
«Ce gouvernement est le mieux
préparé de l’histoire du pays, et
nous n’avons jamais eu autant d’in-
tellectuels au pouvoir. Sa capacité
n’est donc pas en cause, mais ce qui
est discutable, c’est sa représentati-
vité, justement parce qu’il est très
académique, et ne représente ni le
monde indigène ni la société guaté-
maltèque, reconnaît Luis Mack,
politologue à l’université de San
Carlos. Certains ont beaucoup d’at-
tentes, notamment les peuples in-
digènes qui voudraient qu’il agisse
contre les industries minières.»
A minuit, une foule compacte
et joyeuse était toujours devant
le palais présidentiel, à scruter
les écrans géants pour voir enfin
le président prêter serment. Le
coup d’Etat qui menaçait le plus
grand pays d’Amérique centrale
depuis cinq mois n’a finalement
pas eu lieu. Le président a suscité
un immense espoir en promet-
tant de lutter contre la corrup-
tion et la pauvreté. « Il ne peut y
avoir de démocratie sans justice
sociale, a affirmé Arevalo dans
son premier discours, et nous
avons une dette historique envers
les peuples premiers. » p
Anne VignA
contrôle des secrétariats de sécu-
rité des Etats sur la police.
Outre Bahia, les factions crimi-
nelles progressent aussi à un
«rythme effréné» en Amazonie.
Frontalière de plusieurs pays pro-
ducteurs de cocaïne, la région est
devenue «le principal carrefour du
trafic de drogue en Amérique la-
tine», constate le chercheur. Paral-
lèlement à leur extension, les or-
ganisations criminelles exploitent
de nouveaux marchés illicites. «Le
PCC est devenu un immense hol-
ding du crime» qui se consacre
aussi à «la traite d’animaux sauva-
ges, la déforestation et l’orpaillage
illégal», s’inquiète Sergio Lima.
Avec un pouvoir décuplé, « les
organisations criminelles ne sont
plus seulement un défi pour la po-
En octobre 2023,
après la mort
d’un mafieux lors
d’une opération
de police, sa
milice a incendié
trente-cinq bus
et un train
V1
InternatIonal | 5
Nicaragua:dix-neuf
religieux,dont deux
évêques,chassés du pays
Les clercs, critiques du régime de Daniel
Ortega, ont été envoyés à Rome, au terme
d’une négociation menée par le Vatican
I l s’agissait des rares voix d’op-
position encore présentes au
Nicaragua. Le gouvernement
de Daniel Ortega a banni et ex-
pulsé vers Rome, dimanche 14 jan-
vier, 19 religieux critiques du ré-
gime. Parmi eux, figurent Mgr Ro-
lando Alvarez, évêque de Mata-
galpa, arrêté le 19 août 2022 et qui a
passé cinq cent quatorze jours en
détention, Mgr Isodoro Mora, évê-
que du diocèse de Siuna, arrêté le
20 décembre 2023, et 17 autres reli-
gieux, dont la plupart avaient été
interpellés les 29 et 30 décembre.
«La dictature sandiniste crimi-
nelle de Daniel Ortega n’a rien pu
faire face au pouvoir de Dieu», a
annoncé dimanche, pendant son
homélie depuis Miami, un autre
évêque nicaraguayen, Mgr Silvio
Baez, contraint à l’exil en 2019. Ce-
lui-ci venait de recevoir la confir-
mation que les religieux étaient
arrivés à Rome. «Je veux vous invi-
ter tous à remercier le pape Fran-
çois (…) pour l’efficacité de la diplo-
matie vaticane», a-t-il dit pendant
l’office aux fidèles émus et applau-
dissant la nouvelle, avant de fon-
dre lui-même en larmes.
Le refus d’être banni
Le gouvernement a affirmé que
la décision avait été prise grâce
aux « très respectueuses et discrè-
tes » tractations réalisées par le
Saint-Siège pour « rendre possible
le voyage vers le Vatican de deux
évêques, quinze prêtres et deux sé-
minaristes ». En début d’année, le
pape avait redit sa préoccupation
face à la situation au Nicaragua,
et avait appelé à un « dialogue di-
plomatique respectueux ».
Le 9 février 2023, Mgr Alvarez
avait refusé de monter à bord d’un
avion avec 222 autres opposants li-
bérés par le régime, mais déchus
de leur nationalité et envoyés vers
les Etats-Unis. Le lendemain, il
avait été condamné à vingt-six ans
de prison. En juillet, des négocia-
tions avaient eu lieu avec le Vati-
can pour y expulser le prélat, mais
là encore, celui-ci avait refusé
lice, mais aussi pour le gouverne-
ment qui ne peut plus tenir son
agenda politique et réaliser ses ob-
jectifs sociaux et environnemen-
taux dans la région », ajoute-t-il.
En février 2023, Lula avait déployé
en urgence une opération mili-
taire pour expulser quelque
20 000 orpailleurs illégaux qui
avaient envahi le territoire
autochtone Yanomami, dans
l’Etat de Roraima, provoquant
une contamination au mercure
des terres. Mais 20 % des or-
pailleurs illégaux, « liés au trafic
de drogue et à la criminalité orga-
nisée », ont réussi à « résister », a
reconnu Sonia Guajajara, la mi-
nistre des peuples indigènes.
Faute de progrès notables, la
lutte contre le crime organisé est
devenue « le talon d’Achille du
gouvernement », analyse Andrei
Roman, directeur de l’institut de
sondage Atlas Intel. Selon une en-
quête réalisée par ce dernier en
octobre 2023, la politique sécuri-
taire reste le point noir du gou-
vernement de Lula: 47 % des per-
sonnes interrogées l’ont jugée
«très mauvaise». Or, pour la pre-
mière fois depuis six ans qu’est ef-
fectué ce sondage, 60 % des per-
sonnes interrogées considèrent
«la criminalité et le trafic de dro-
Deux cent
trois religieux
ont été expulsés,
bannis ou
interdits d’entrée
au Nicaragua
depuis 2018
d’être banni. Le 18 octobre, il
n’avait pas fait partie des 12 prêtres
expulsés vers Rome après un «ac-
cord» conclu entre le Saint-Siège
et Managua.
Le régime du président Ortega
et de son épouse et vice-prési-
dente, Rosario Murillo, a pris les
évêques pour cible depuis que
ceux-ci avaient appelé à des élec-
tions anticipées après la révolte
de 2018, qui s’était soldée par un
bain de sang (355 morts). Le gou-
vernement y avait vu une «tenta-
tive de coup d’Etat ». Il avait ex-
pulsé en 2022 le représentant du
Vatican, le nonce Waldemar Sta-
nislaw Sommertag.
Selon l’avocate Martha Molina,
203 prêtres et religieux ont été ex-
pulsés, bannis ou interdits d’en-
trée au Nicaragua depuis 2018.
« L’année 2023 a été la pire :
307 agressions, plus de 3600 pro-
cessions interdites, (…) enlève-
ments, harcèlement, surveillance
permanente», a-t-elle expliqué au
média en ligne Confidencial.
L’évêque Rolando Alvarez est
pourtant la personnalité la plus
appréciée par les Nicaraguayens,
selon un sondage CID Gallup da-
tant de novembre 2023 – Daniel
Ortega étant une des plus détes-
tées. 72 % des personnes interro-
gées ont dit être en désaccord avec
la condamnation de Mgr Alvarez:
seuls 9 % le considèrent «coupa-
ble». Après le bannissement des
religieux, il reste une centaine de
prisonniers politiques dans les
geôles nicaraguayennes. p
Angeline MontoyA
gue » comme « le principal pro-
blème du pays», devant la corrup-
tion et l’économie.
A la suite de la nomination de
Flavio Dino, actuel ministre de la
justice et de la sécurité publique,
en tant que juge de la Cour su-
prême, c’est à son successeur, Ri-
cardo Lewandowski, que revien-
dra la responsabilité de résoudre
le problème sécuritaire dans le
pays. Nommé officiellement
jeudi par Lula, cet ancien juge de
la Cour suprême (entre 2006 et
2023) devrait prendre ses nouvel-
les fonctions le 1er février.
A l’approche des élections mu-
nicipales d’octobre, il devra agir
vite. «La sécurité est un sujet très
politisé, souvent utilisé par l’oppo-
sition de droite pour s’attaquer au
bilan du gouvernement», analyse
Andrei Roman. Le 3 janvier, le pré-
sident Lula a lancé une campagne
publicitaire baptisée « Le Brésil
uni contre la criminalité » pour
donner plus de visibilité médiati-
que à l’action des forces de l’ordre.
«Cela pourrait rassurer l’opinion
publique», estime Andrei Roman,
qui prévient toutefois que l’effica-
cité de la campagne «dépendra en
grande partie de l’amélioration
des indicateurs objectifs». p
Anne-DoMinique CorreA
 6 | PLanète
L’île de
La Réunion
balayéepar
le cycloneBelal
Les habitants du département
français de l’océan Indien ont reçu
l’ordre de se confiner strictement
Saint-DeniS (La Réunion) -
correspondant
C
omme annoncé sur la
carte publiée la veille par
Météo-France, l’œil du
cyclone Belal a touché,
lundi 15 janvier, l’île de La Réunion.
Avec des trombes d’eau et de fortes
rafales de vent, le système dépres-
sionnaire est arrivé par le nord-
ouest du département français de
l’océan Indien. Quelques heures
plus tôt, l’île était placée en alerte
violette, le plus haut niveau, syno-
nyme de danger imminent, qui
implique un «confinement strict
de l’ensemble de la population, y
compris des services de secours et
de sécurité», selon la préfecture. Le
département devait repasser en
alerte rouge en milieu de journée,
selon une décision de la préfec-
ture, permettant aux services de
secours de circuler de nouveau.
«On est en deçà de la situation ca-
taclysmique que l’on pouvait pré-
voir, a déclaré le préfet Jérôme Fi-
Belal fait passer La Réunion
en alerte cyclonique
Rafales de vent maximales
et précipitations ,
BELAL
le lundi 15 janvier à 10 heures,
heure locale (7 heures,
heure de Paris)
100 km/h
150 km/h
LA RÉUNION
(FRANCE)
Plus de 400 mm
de pluie
180-200 km/h
150 km/h
50 km
Source : Météo-France, modèle Arome
UnecrueexceptionnelledufleuveCongoaprèsdespluiesdiluviennesenRDC
Depuis le 10décembre2023, les précipitations ont fait au moins 300 morts, alors que les deux tiers des provinces sont paralysées par les crues
Q uatorze des vingt-six
provinces de la Républi-
que démocratique du
Congo sont aujourd’hui
inondées, conséquence des pluies
diluviennes qui se sont abattues
sur le pays ces dernières semaines,
provoquant une crue du fleuve
Congo. Depuis le 10 décem-
bre 2023, les inondations ont fait
au moins trois cents morts sur
l’ensemble du territoire, selon le
ministère des affaires sociales.
A Kinshasa, la capitale, plu-
sieurs quartiers sont encore sous
l’eau. Mais c’est en province que
l’urgence est la plus grande. A
Mbandaka, capitale de la pro-
vince de l’Equateur, et dans les
villages de pêcheurs environ-
nants, la crue du fleuve Congo a
contraint nombre d’habitants à
quitter leur domicile.
«Il y a des familles qui ont démé-
nagé sur notre parcelle, nous ac-
Sortie par ouzoulias le 15/01/2024 10:32:00 Date de Publication 16/1/2024
lippini, lors d’un point presse,
lundi. C’est une bonne nouvelle
pour nous, mais le cyclone n’en a
pas fini encore avec La Réunion. Il
faut tenir jusqu’à mardi matin.»
Météo-France avait alerté de
vents «dévastateurs» et d’un cy-
clone «qui pourrait marquer l’his-
toire » de l’île, peuplée de
860000 habitants. Le premier mi-
nistre, Gabriel Attal, avait convo-
qué dimanche soir une cellule de
crise au centre opérationnel de
gestion interministérielle des cri-
ses au ministère de l’intérieur.
«Soyez prudents, restez chez vous.
L’Etat est mobilisé à vos côtés»,
écrivait le président Emmanuel
Macron dans un message sur X.
Le cyclone tropical s’était inten-
sifié dans la nuit de dimanche à
lundi, et les conditions sur l’île se
sont dégradées, avec des pluies
fortes et durables et une houle qui
s’est creusée. Après avoir touché
l’île, le phénomène a infléchi sa
trajectoire, longeant La Réunion
par la côte est.
ÎLE
15 janv.
10 heures* MAURICE
18 janv.
10 heures*
LA RÉUNION
Trajectoir e
(FRANCE)
p r év u e
ÎLE
MAURICE
Océan
Indien
* heure locale
Infographie Le Monde
cueillons au moins vingt-sept per-
sonnes ici », raconte Jean-Louis
Akpoa, 28 ans, un employé d’une
banque de la ville. Trois ans après
son installation, c’est la première
fois, témoigne-t-il, qu’il assiste à
une telle montée du niveau de
l’eau. Parmi les familles qu’il hé-
berge, certaines vivaient dans des
habitations construites en argile,
situées au bord du fleuve. A
Mbandaka, ce sont plusieurs cen-
taines de familles qui se trouvent
aujourd’hui sans abri, leurs mai-
sons détruites par les eaux. «Ces
familles souffrent. Nous attendons
que les autorités prennent en ur-
gence des mesures face à cette ca-
tastrophe naturelle », poursuit
Jean-Louis Akpoa.
Les inondations ont noyé les
quartiers d’Ekundé, de Bongodjo,
de Basoko, une situation qui,
d’après Reddy Djassa, assistant de
recherche à l’Institut supérieur
Lors du passage du cyclone Belal, lundi 15 janvier, à La Possession (nord-ouest de La Réunion). RICHARD BOUHET/AFP
Les autorités locales prévoyaient
des pointes de vent destructrices
pouvant atteindre 200 kilomètres
par heure sur le littoral et plus de
250 kilomètres par heure dans les
hauteurs de l’île, une très forte
houle avec des vagues de plus de 8
mètres attaquant le littoral et des
pluies torrentielles – entre 200 et
300 millimètres en quelques heu-
res – se traduisant par des inonda-
tions et des crues. Elles redou-
taient également des niveaux
dans les cours d’eau jamais vus de-
puis trente, voire cent ans. La Réu-
nion n’a pas été traversée par l’œil
d’un cyclone depuis janvier 1993
avec le cyclone Colina.
Se méfier de l’œil du cyclone
Lundi, des dizaines de milliers de
foyers étaient privés d’électricité,
d’eau et de réseau téléphonique, et
la préfecture confirmait le décès
d’une personne sans domicile fixe
à Saint-Gilles, dans l’ouest du dé-
partement.
Depuis dimanche soir, les autori-
tés et les prévisionnistes n’ont
cessé de rappeler aux habitants de
se méfier de l’«accalmie trom-
peuse» qui intervient lors du pas-
sage de l’œil. «Après le paroxysme,
il faut se méfier de ce calme rapide,
expliquait Sébastien Langlade,
responsable du centre météorolo-
gique régional de La Réunion, spé-
cialiste des cyclones. Ce n’est pas la
fin du cyclone. Les conditions vont
brutalement se déchaîner à nou-
veau avec des vents dans le sens in-
verse.» Météo-France indiquait
également qu’en entrant sur l’île
«l’œil va se déstructurer en raison
des interactions avec le relief». «Ce
pédagogique de Mbandaka,
« compromet les activités com-
merciales sur le port, les marchés
ainsi que le transport routier». Ce-
lui-ci raconte l’état des routes de-
venues impraticables, comme la
nationale 8, principale voie de
sortie de Mbandaka: «La route est
coupée à l’heure actuelle, ce qui
nous oblige à prendre des petites
pirogues pour traverser la ville. Le
centre-ville non plus n’est pas
épargné. Depuis plusieurs jours, la
circulation est coupée sur les prin-
cipales artères.»
La crainte du choléra
Cette catastrophe naturelle vient
encore compliquer le niveau de
vie précaire des habitants de la
province. Le 19 novembre 2023, le
président Félix Tshisekedi, de-
puis réélu, avait ouvert sa campa-
gne électorale à Mbandaka. Il pro-
mettait alors de donner du travail
Les Réunionnais
ont consacré
leur week-end
à constituer
des stocks de
nourriture, d’eau,
de bougies…
qui va entraîner des comporte-
ments imprévisibles, prévenait
François Bonnardot, ingénieur
météorologue, avec des sautes de
vent très violentes et des bascules
de direction.»
La dangerosité de Belal est com-
parable avec les passages à La Réu-
nion des cyclones Firinga de 1989
ou Jenny de 1962, souligne Céline
Jauffret, directrice de Météo-
France pour l’océan Indien. Encore
ancré dans la mémoire des plus
âgés, Jenny avait laissé derrière lui
trente-sept morts et cent cin-
quante blessés, disparus en mer,
retrouvés sous les décombres de
leurs maisons. «Si nous parlons de
Jenny, c’est vous dire à quel point
c’est grave», relevait le préfet de La
Réunion, lors d’un point de situa-
tion, dimanche. L’aéroport a été
fermé et tous les vols de la journée
de lundi étaient annulés.
Durant le week-end, les familles
réunionnaises avaient consacré
une partie de leur temps à consti-
tuer des stocks de nourriture,
d’eau, de bougies ou encore de pi-
les électriques pour rester confi-
nées. Samedi, certains supermar-
chés avaient été dévalisés en packs
à la jeunesse de la région, mais,
depuis les crues, aucun responsa-
ble politique n’a évoqué le sort
des sinistrés.
«Aujourd’hui, je ne sais pas si le
président continue de penser à
nous. Du côté du gouverneur, qui
est élu par les députés provinciaux,
c’est la même chose. Ils sont tous
plus préoccupés par leur avenir
politique que par l’état du terri-
toire», confie, un peu las, Reddy
Djassa, qui avait assisté au mee-
ting du président. Les résultats
des législatives nationales et pro-
vinciales devaient être publiés le
3 janvier, mais leur annonce a été
repoussée à une date ultérieure
par la Commission électorale na-
tionale indépendante (CENI), qui
dit avoir constaté des fraudes et
des irrégularités dans certains
bureaux de vote. Jeudi 11 janvier,
le vice-ministre de l’intérieur,
Jean-Claude Molipe, a demandé
V1
d’eau en bouteille. Et il était impos-
sible d’acheter des lampes de cam-
ping dans une grande surface spé-
cialisée en sport.
«J’ai pris de l’eau pour boire mais
aussi pour les besoins du quotidien,
soulignait Pierre, 55 ans, en sor-
tant d’un supermarché à Sainte-
Marie. Ne pas pouvoir se laver avec
cette chaleur, c’est très pénible.»
L’enseignant n’avait pas oublié
d’acheter un paquet de litière pour
ses deux chats.
Beaucoup de familles avaient
pris soin de ranger leur cour, leur
balcon ou leur terrasse en rentrant
le mobilier, les pots de fleurs et
tout autre accessoire risquant
d’être balayés par les rafales de
vent et transformés en projectiles.
M. Filippini avait rappelé les con-
signes élémentaires: «Consolider
et protéger les ouvertures des mai-
sons, définir une “safe room”
comme l’on dit en créole mondia-
lisé, l’endroit où l’on pense que,
même avec des vents susceptibles
d’arracher des toitures, on sera tou-
jours en sécurité.»
« Ça va totocher grave »
A la veille du passage du cyclone,
Hugo, 26 ans, s’inquiétait en con-
sultant les cartes de Météo-France
et les photos satellites. «Ça va être
compliqué, car ça va totocher [“ta-
per”] grave», lançait-il en utilisant
uneexpressioncréole.«Magrand-
mère, qui a 83 ans, ne semble pas
réaliser, s’inquiète Hugo. Elle me
dit qu’elle en a vu d’autres comme
en1948 et en1962. Ses paroles ne
me rassurent pas. C’est pourquoi
j’ai décidé d’aller me confiner chez
elle pour m’en occuper.»
au gouverneur de l’Equateur,
Dieudonné Boloko Bolumbu,
ainsi qu’aux gouverneurs de
Kinshasa et de la Mongala, une
province forestière du nord, de
laisser leur adjoint assurer l’inté-
rim, le temps que la CENI enquête
sur leur cas.
A Mbandaka, les inondations
suscitent des inquiétudes quant à
la situation sanitaire. Cédric, le
cogérant de l’auberge Emma, ra-
conte ainsi que, « malgré la clô-
ture, l’eau s’est infiltrée partout.
Aux abords de l’établissement, les
toilettes se déversent et les excré-
ments sont exposés aux yeux de
tous », faisant craindre le retour
du choléra. Contacté par Le
Monde, l’hydrologue Raphaël
Tshimanga qualifie cette crue
d’«exceptionnelle», celle-ci ayant
dépassé de près de 6,5 mètres le
niveau de la mer par endroits, se-
lon la régie des voies fluviales.
0123
Mardi 16 janvier 2024
Les vingt-quatre communes de
l’île ont ouvert près de cent cin-
quante centres d’hébergement
pour les personnes sans abri ou vi-
vant dans des habitats précaires,
des «cases en bois sous tôle» ou
encore celles qui résident en bord
de cours d’eau.
Le directeur de l’agence régio-
nale de santé, Gérard Cotellon, a
annoncé l’ouverture de six centres
de vie pour les patients dont l’état
de santé nécessite une perma-
nence de l’alimentation électrique
pour leur appareillage. Des équi-
pes d’urgentistes ont été mobili-
sées dans les cirques de Cilaos et
de Salazie, au centre de l’île, qui
peuvent être totalement isolés en
cas d’éboulis sur l’unique route
qui y mène.
Le président de la chambre
d’agriculture de La Réunion, Fré-
déric Vienne, a déclaré au Journal
de l’île de La Réunion «être très in-
quiet», craignant que Belal ne pro-
voque des dégâts supérieurs au cy-
clone Batsirai qui, en février 2022,
avait cumulé 47 millions d’euros
de pertes pour le monde agricole.
Les rafales de vent risquent de cou-
cher les bananiers et de raser les
serres, tandis que les fortes pluies
pourraient ravager les cultures
maraîchères. «Une rude épreuve se
présente à nous», a annoncé dans
un communiqué la présidente du
conseil régional, Huguette Bello
(divers gauche).
Des renforts, venus de métro-
pole et de Mayotte, de pompiers ci-
vils, de militaires et d’agents EDF
sont attendus mardi dans le dé-
partement. p
JérôMe Talpin
« Nous assistons depuis 2015 à
des événements hydrologiques ra-
res, qui nous font penser aux con-
séquences du changement climati-
que, aggravé par la déforestation»,
détaille Raphaël Tshimanga. En
plus des dégâts matériels, la mul-
tiplication des moustiques laisse
craindre au chercheur de l’univer-
sité de Kinshasa une prochaine
épidémie de paludisme.
Au-dela de la gestion de la crise
du moment, Raphaël Tshimanga
attend que les autorités congo-
laises mettent en place un outil
permettant d’anticiper les
futures crues du fleuve et appelle
à la création d’un fonds pour
aider à gérer les catastrophes
naturelles. p
OlOrin Maquindus
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0123
Mardi 16 janvier 2024
«nous ne laisserons
pas le match Attal-
Bardella kidnapper
l’élection européenne»
Pour Raphaël Glucksmann, le candidat de Place
publique, les enjeux de l’élection sont «trop grands
pour être occultés par un plan de com». Il veut faire
de l’Europe une «véritable puissance politique»
entretien
R
aphaël Glucksmann, le
président de Place pu-
blique, s’est déclaré can-
didat dès septem-
bre 2023 pour les élections euro-
péennes de juin 2024. Il devrait,
sauf surprise, être désigné en fé-
vrier tête de liste du Parti socia-
liste (PS), comme en 2019. Crédité
d’environ 10 % des voix dans les
sondages, il a récemment re-
cueilli le soutien de Daniel Cohn-
Bendit, ex-député écologiste, et de
l’économiste Jacques Attali, qui se
rangeaient auparavant derrière
Emmanuel Macron. La formation
d’un nouveau gouvernement
critiqué pour sa droitisation, le
11 janvier, suscite l’espoir à gauche
qu’un espace puisse s’ouvrir en
vue du scrutin du 9 juin.
Emmanuel Macron vient de
nommer Gabriel Attal comme
premier ministre et Stéphane
Séjourné, eurodéputé et chef
de file du groupe Renew, au
Quai d’Orsay. Ces nominations
sont faites pour contrer
à la fois le Rassemblement
national et vous-même.
Qu’en pensez-vous ?
Peu importe qui est ministre des
affaires étrangères au fond, car
Emmanuel Macron définit seul la
politique étrangère de la France.
Et oui, la campagne du parti ma-
croniste a commencé avec la no-
mination de Gabriel Attal. Ils vont
essayer d’installer le match Attal-
Bardella, mais nous ne les laisse-
rons pas kidnapper l’élection
européenne. Les enjeux de cette
élection sont trop grands pour
être occultés par un plan de com.
Le premier enjeu à l’échelle euro-
péenne, ce n’est pas Macron ou Le
Pen, c’est qui des sociaux-démo-
crates ou du Parti populaire euro-
péen sera en tête et fixera
l’agenda législatif des cinq pro-
chaines années. Et ce n’est pas la
même chose d’avoir Delors ou
Barroso au gouvernail!
Nous avons cinq mois pour dé-
battre de quelle Europe nous vou-
lons, dans un moment où, si l’Eu-
rope n’arrive pas à passer à l’âge
adulte, nous pouvons tout per-
dre. Je vous rappelle que le 5 no-
vembre, l’élection américaine
peut porter au pouvoir Donald
Trump, qui sabordera l’architec-
ture de sécurité européenne et
nous laissera seuls…
Quel bilan tirez-vous
de votre mandat ?
Il m’a complètement trans-
formé! J’ai vu qu’on pouvait faire
bouger les choses. Au premier
jour du mandat, j’ai demandé la
création d’une commission spé-
ciale sur les ingérences étrangè-
res que j’ai ensuite présidée. Nous
avons, avant même l’invasion de
l’Ukraine du 24 février 2022, dé-
cortiqué la guerre hybride menée
contre nos démocraties par le ré-
gime de Poutine et alerté sur les
risques immenses que l’indo-
lence et l’inconscience de nos di-
Sortie par lecomte le 15/01/2024 08:46:11 Date de Publication 16/1/2024
« Il faut autoriser
l’UE à lever de
l’impôt, mettre
en place une taxe
sur les plus hauts
patrimoines,
par exemple »
rigeants faisaient peser sur nos
nations. Ce mandat m’a permis
de passer de la défense des princi-
pes à l’élaboration de politiques
concrètes. Ces cinq années ont été
percutées par des crises majeures
et le Parlement européen s’est re-
trouvé au cœur de l’histoire. Entre
2019 et 2024, la catastrophe clima-
tique, la pandémie et la guerre
ont fait basculer l’Europe dans
une nouvelle ère. Nous sommes à
un moment où l’Union euro-
péenne doit choisir entre devenir
une véritable puissance politique
et sombrer dans le néant. C’est le
combat de ma vie et c’est mainte-
nant que ça se joue.
Le logiciel économique euro-
péen a évolué, avec la volonté
par exemple de construire
une Europe plus industrielle.
Mais la Chine et les Etats-Unis
restent de puissants
concurrents. Que faut-il faire ?
Le libre-échange généralisé, la
concurrence libre et non faussée
et l’austérité budgétaire, ces trois
dogmes qui dominaient les poli-
tiques européennes des années
1990-2000 ont été partiellement
remis en cause. Tout ce qui aupa-
ravant apparaissait comme idéo-
logique dans nos critiques de ces
dogmes est soudainement de-
venu très réaliste. Pas simple-
ment en raison des injustices ou
des inégalités que ces dogmes
génèrent, mais à cause de l’état
de dépendance, d’insécurité et
de perte de souveraineté qu’ils
provoquent.
Maintenant, soit nous considé-
rons que ces remises en cause
sont une parenthèse et nous
consentons à être des vassaux ou
des proies des grandes puissan-
ces, soit nous considérons
qu’une brèche s’est ouverte et
qu’il faut la creuser, en investis-
sant massivement dans les in-
dustries de la transition, en met-
tant en place un protectionnisme
écologique aux frontières euro-
péennes et en assumant un saut
fédéral de l’Union.
Comment intéresser
les citoyens à l’élection du
Parlement européen, une insti-
tution qui paraît lointaine ?
Ce sentiment d’éloignement est
un immense problème démocra-
tique: des décisions qui impactent
directement la vie de tous nos con-
citoyens sont prises sans que l’at-
tention du public soit à la mesure
des enjeux. J’ai essayé durant tout
mon mandat de combler cette dis-
tance, en marchant sur deux jam-
bes: d’un côté, en menant de gran-
des mobilisations sur les réseaux
sociaux, avec des centaines de mil-
liers de citoyens qui interpellent
les grandes marques, les diri-
geants et les groupes politiques,
sur – par exemple – la question du
devoir de vigilance des multina-
tionales ou de l’esclavage sur les
chaînes de production. De l’autre,
avec un travail législatif, sans
lequel il n’y a pas de conséquence
à ces mobilisations. J’ai voulu
montrer à ces citoyens – et aux
jeunes en particulier – que le dé-
bouché de leur indignation ou de
leurs espoirs pouvait être les insti-
tutions européennes. Ce sera no-
tre marque de fabrique pendant la
campagne: parler d’Europe!
Celui qui prétendait parler
davantage d’Europe que
les autres était Emmanuel
Macron. Quel bilan tirez-vous
de son action européenne ?
Emmanuel Macron s’est fait
élire largement sur l’idée qu’il al-
lait embrasser, assumer, dynami-
ser le projet européen. Mais il a
raté son rendez-vous avec l’his-
toire le 24 février 2022. Il aurait pu
et dû, malgré toutes ses errances
sur Moscou auparavant, prendre
le leadership du front de la résis-
tance européenne à Poutine.
C’était le moment où la France,
forte de sa tradition militaire, géo-
politique et de son industrie de
défense, devait être le fer de lance
du soutien à la résistance ukrai-
nienne. Or aujourd’hui la France
est avant-avant-dernière en Eu-
rope dans l’aide à l’Ukraine par
rapport à son PIB. Même le chan-
celier Olaf Scholz nous exhorte à
faire plus. En outre, Emmanuel
Macron se montre proeuropéen
jusqu’à ce que des intérêts privés
puissants soient heurtés. Son
gouvernement a bloqué la direc-
tive sur les travailleurs des plates-
formes qui donnerait des droits à
des millions de travailleurs ex-
ploités par Uber et les autres. Sur
le devoir de vigilance des entrepri-
ses, il s’est battu pour exempter le
secteur financier et des banques.
Il agitera le drapeau européen
contre le nationalisme, mais nous
montrerons que la cohérence
européenne est de notre côté.
L’Europe fait face à la montée
des populismes. La transition
écologique crée des tensions,
des peurs. Que faut-il faire ?
Le Pacte vert européen est un
enjeu vital – porté à la Commis-
sion et au Parlement par des so-
ciaux-démocrates – et il doit dé-
sormais dépasser le cadre des seu-
les normes et interdictions. Si on
en reste à la première étape, celle
de la norme, on fera face à une in-
surrection populiste. Notre projet
est de lancer une deuxième étape,
des investissements massifs et
une politique industrielle glo-
bale, à l’instar de celle menée par
Biden aux Etats-Unis avec son
Inflation Reduction Act. Il faut
montrer que la transition écologi-
que sera un cadre protecteur et
Raphaël
Glucksmann,
à Paris,
le 11 octobre 2023.
PALOMA LAUDET/HORS FORMAT/
ITEM POUR « LE MONDE »
débouchera sur plus d’usines en
Europe, et pas moins, plus de CDI,
une revitalisation des régions la-
minées par les délocalisations,
que c’est le véhicule pour repren-
dre en main notre destin face à la
globalisation dérégulée.
Mais il faut de l’argent
pour ça…
C’est pourquoi il faut passer à
une nouvelle étape de la construc-
tion européenne, avec une puis-
sance politique et budgétaire. Cela
suppose des ressources propres
pour l’Europe. Il faut autoriser
l’Union européenne à lever de
l’impôt, mettre en place une taxe
sur les plus hauts patrimoines par
exemple. Nous avons lancé avec
ma collègue députée de Place pu-
blique Aurore Lalucq et Paul Ma-
gnette, le président du PS belge,
une initiative citoyenne euro-
péenne pour cela, menant campa-
gne partout en Europe et mobili-
sant des dizaines de milliers de ci-
toyens dans différents pays.
L’immigration est
instrumentalisée par les
populistes. Or nous en avons
besoin, dans une Europe
vieillissante. Comment fait-on ?
Vous pouvez battre les estrades,
en scandant «immigration zéro»,
c’est un mensonge. Même Meloni
a dû ouvrir une voie légale, sous la
pression des acteurs économi-
ques. Il faut gérer les politiques
migratoires au niveau européen,
sinon ce sera l’implosion et le
conflit généralisé. Disons certai-
nes choses même si elles sem-
blent aujourd’hui impopulaires.
« Il faut montrer
que la transition
écologique
débouchera
sur plus d’usines
en Europe
et plus de CDI »
V1
France
La première, c’est que l’on ne peut
pas transformer nos mers en
charniers: la puissance publique
doit relancer les opérations de
sauvetage en Méditerranée. La
deuxième, c’est que nous avons
besoin de voies légales et contrô-
lées d’immigration. Nous avons
aussi besoin de nouveaux méca-
nismes de répartition. Ça ne veut
pas dire que vous allez ouvrir les
vannes à tout le monde comme le
prétendent les démagogues, cela
veut dire que vous avez le souci
du droit et du réel.
Certains « insoumis » vous
accusent de représenter
la « vieille gauche ». Faut-il,
comme ils le disent, désobéir
aux traités pour mettre
en place une politique sociale ?
J’ai structuré mon mandat en af-
frontant les intérêts privés puis-
sants qui s’enrichissent en affai-
blissant l’Europe, via des métho-
des innovantes loin de la «vieille»
politique. L’horizon, c’est de nou-
veaux traités – et l’on se battra
sans relâche pour – mais faire de
la question des traités l’alpha et
l’oméga des politiques européen-
nes, c’est une erreur. On peut faire
des politiques commerciales ou
industrielles différentes dans le
cadre de ces traités, en fonction
des rapports de force politiques,
donc des élections.
Tous les pays désobéissent, mais
faire de la désobéissance un objec-
tif politique en soi, cela veut dire
quoi ? Que l’on s’interdit toute
coalition politique pour transfor-
mer l’Europe? Notre objectif, c’est
plus de démocratie européenne et
plus de solidarité européenne. Ce
n’est pas celui de la gauche souve-
rainiste. Jean-Luc Mélenchon a le
mérite de la clarté sur ce sujet :
quand il s’attaque au drapeau
européen, il s’attaque au symbole
même de la construction euro-
péenne. Quand il critique à l’As-
semblée nationale la mutualisa-
tion des dettes au moment de la
pandémie – une mesure que toute
la gauche aurait dû saluer – il
montre que chaque bond en
|7
« Nous serons
ouverts à tous
ceux qui
partagent notre
attachement
viscéral
à l’Europe »
avant de la construction euro-
péenne le heurte profondément.
Vous êtes en discussion avec
le PS pour construire une liste.
Doit-elle être élargie à d’autres
partenaires à gauche,
comme à Bernard Cazeneuve
ou aux Verts ?
Nous avons déjà lancé notre
campagne avec Place publique,
mobilisant massivement autour
de combats européens concrets
comme les violences faites aux
femmes ou la justice fiscale. Avec
le PS, nous avons une histoire
commune et une vision proche.
Nous avons parcouru un chemin,
depuis l’accord passé avec Olivier
Faure en 2019, qui peut nous ren-
dre fiers. Nous discutons et j’es-
père bien que nous allons, ensem-
ble, être la grande surprise du
9 juin 2024. Il ne me semble pas
que Bernard Cazeneuve ait jamais
demandé à être sur la moindre
liste, mais à titre personnel
j’échange avec tous ceux qui peu-
vent se reconnaître dans notre
projet et notre dynamique. Les
Verts veulent aujourd’hui con-
duire une liste autonome, mais si
notre dynamique fonctionne,
peut-être changeront-ils d’avis?
Notre porte n’est pas fermée, nous
n’attendrons personne, mais
nous serons ouverts à tous ceux
qui partagent notre attachement
viscéral à l’Europe, à l’écologie, à la
solidarité et à la démocratie. L’en-
jeu est trop immense pour gâcher
la moindre opportunité de ren-
verser la table dans cinq mois! p
ProPoS reCueilliS Par
Sandrine CaSSini
 8 | France 0123
Mardi 16 janvier 2024

i m m i g r at i o n

L’allocation
personnalisée
d’autonomie,
anglemortdela
loi«immigration»
La limitation de l’APA, prévue par le texte, est
décriée par les départements de gauche et
guère défendue dans les collectivités de droite,
sa portée étant surtout symbolique

U
ne tempête dans un verre
d’eau », s’esclaffe Olivier
Richefou, vice-président de
l’Association des départe-
ments de France chargé du
grand âge et président
(UDI) de la Mayenne. Dans ce département
rural, une petite dizaine de citoyens britan-
niques âgés, installés depuis le Brexit,
en 2020, perçoivent l’allocation personnali-
sée d’autonomie (APA), qui leur permet de
financer une aide à domicile qui vient les
aider à se vêtir et à se nourrir. Si la loi «immi-
gration» votée le 19 décembre 2023 était pro-
mulguée, et s’ils demandaient à percevoir
cette prestation, ils se la verraient refuser.
Dans ce département rural, « nos vieux
amis anglais», sourit M. Richefou, seraient
les victimes collatérales de l’article 19 de la
loi. «Sans doute ne sont-ils pas la cible imagi-
née par ceux qui ont voté le texte», ironise-
t-il. La disposition en question, dans la loi
« immigration », prévoit que tout étranger
venu d’un pays extra-européen devra justi-
fier de cinq ans de résidence ou de deux ans
et demi d’activité professionnelle en France
pour bénéficier de l’APA.
En Gironde, seuls 378 allocataires de l’APA
seraient susceptibles d’être exclus du dispo-
sitif. Jean-Luc Gleyze, son président socia-
liste, prend toutefois l’affaire très au sérieux:
«Pour la première fois, la droite a défendu et
fait voter une mesure qui prétend faire d’une
prestation de solidarité pour les personnes
âgées vulnérables un outil de régulation mi-
gratoire», s’alarme le président du groupe
des départements de gauche à l’ADF. Réser-
vée aux 60 ans et plus, l’allocation est
aujourd’hui attribuée sans condition aux
étrangers en situation régulière. Elle est ver-
sée par les départements, en fonction du de-
gré de perte d’autonomie et de revenus des
demandeurs. La moyenne d’âge des bénéfi-
ciaires est de plus de 80 ans.
« une mesure de bon sens »
La loi «immigration» ne restreint pas seule-
ment l’accès à l’APA. Elle applique les mêmes
restrictions aux prestations familiales et aux
aides au logement, au terme d’un amende-
ment voté le 7 novembre 2023 au Sénat,
défendu en séance par Philippe Bonne-
carrère, sénateur (Union centriste) du Tarn,
et soutenu par l’ensemble des sénateurs Les
Républicains.
Interrogé par Le Monde, M. Bonnecarrère
se justifie: «Pourquoi la solidarité nationale
devrait-elle jouer à l’égard d’une personne
âgée étrangère en situation de perte d’auto-
nomie qui arrive en France après l’âge de
60 ans, qui n’aurait en rien participé à la
richesse nationale et qui viendrait dire : “Je
dois pouvoir bénéficier immédiatement de
l’APA” ? » Vice-président de la commission
des lois, il ajoute: «Je ne connais pas d’autre
pays européen qui accorde une telle aide dans
ces conditions à des étrangers.»
En séance, Gérald Darmanin avait pris une
« position de sagesse » sur l’amendement.
Le ministre de l’intérieur a souhaité que la
prestation de compensation du handicap
soit exclue des aides visées, sans évoquer
« Y aurait-il des
personnes de
80-85 ans qui ne
peuvent pas se
nourrir, se lever,
se coucher seules,
prêtes à traverser
la méditerranée
pour obtenir
abusivement l’apa ? »
véronique levieux
adjointe socialiste chargée
des seniors à Paris
l’APA. Lors de la commission mixte paritaire
qui a permis un accord sur le projet de loi,
les parlementaires de gauche se sont indi-
gnés de la « préférence nationale » appliquée
aux allocations familiales. Pas un mot sur
l’APA. La disposition est un angle mort de la
bataille autour du texte, jusqu’au communi-
qué des 32 départements de gauche, le
20 décembre 2023, qui l’érigent en mesure
emblématique d’une « loi inspirée par
l’extrême droite », et « refusent par principe »
de l’appliquer.
Aurore Bergé, alors ministre des solidari-
tés, ne peut que réagir, le 21 décembre: «Je
pense très sincèrement que cette mesure [sur
l’APA] n’avait pas sa place dans ce projet de
loi. » Depuis, la droite parlementaire et
départementale ne se précipite pas pour
défendre la disposition, consciente qu’elle
n’a guère de portée réelle.
Charles-Ange Ginésy, président (Les Répu-
blicains) des Alpes-Maritimes, estime que
3,46 % (soit 673) des bénéficiaires de l’APA
dans son département sont extra-euro-
péens. Mais il affirme ne pas savoir combien
sont en France depuis moins de cinq ans.
Successeur d’Eric Ciotti, actuel patron de son
parti, à la tête de la collectivité, M. Ginésy se
doit de saluer «une mesure de bon sens. Il est
important de ne pas attribuer des aides à
toutes celles et ceux qui viendraient en France
de manière opportune. C’est une mesure de
lutte contre l’appel d’air».
« préjugés complètement racistes »
Au conseil départemental du Nord, présidé
par Christian Poiret (divers droite), on se
contente de fournir des chiffres qui mon-
trent le caractère anecdotique de la mesure:
1,7 % des quelque 50 000 allocataires de l’APA
sont des étrangers non européens, résidents
depuis moins de cinq ans. Soit 854 person-
nes. Combien n’ont pas travaillé sur le sol
français pendant deux ans et demi? Impos-
sible à dire.
Outre la « discrimination » contre des
personnes fragiles, les départements de
gauche dénoncent «la vision trompeuse» sur

Desmilliers d’opposantsà la «loi Darmanin» ontdéfilé

Les manifestants se sont mobilisés, dimanche, à Paris et dans une trentaine de villes de France, pour demander le retrait du texte

reportage selon la préfecture, presque moyens de résister, dit-elle. Dans le Covid, les aides à domicile, dont la tains travailleurs évoluant dans contre la loi immigration ». Et

L
a loi sur l’immigration n’a
pas encore été promulguée.
Le Conseil constitutionnel,
saisi du texte, doit se prononcer
sur sa conformité le 25janvier.
Une décision attendue alors que,
de l’aveu même du gouverne-
ment, plusieurs dispositions
adoptées par le Parlement se-
raient anticonstitutionnelles.
Dans l’attente, les opposants à la
loi tentent de se faire entendre.
Dimanche 14janvier, une mani-
festation pour exiger le retrait du
texte dit «loi Darmanin» était or-
ganisée dans une trentaine de
communes à l’appel de « plus de
400 organisations » et en parti-
culier des collectifs de sans-pa-
piers, le syndicat Solidaires, l’as-
sociation Attac et des partis tels
que La France insoumise, Europe
Ecologie-Les Verts ou le Nouveau
Parti anticapitaliste.
Plus de 25 000 personnes ont
défilé à Paris, selon les organisa-
teurs, ainsi que 2 500 à Marseille,
autant à Lyon ou Bordeaux, et en-
core 1 600 manifestants à Rennes
ou 500 à Strasbourg. «La France
ne peut pas accueillir toutes les lois
racistes du monde»; «Attal OQTF
[obligation de quitter le territoire
français]»; «Expulser Darmanin»
ou encore «Nous sommes tous des
enfants d’immigrés», pouvait-on
lire sur les pancartes agitées dans
le cortège parisien dimanche.
«Cette loi nous criminalise tous
et toutes, dénonce Aboubacar
Dembele, présent à Paris et mem-
bre du Collectif des travailleurs
sans papiers de Vitry-sur-Seine
[Val-de-Marne]. Elle reprend les
idées de l’extrême droite.».
«Cette loi, je la trouve extrême-
ment grave et brutale», confie à
son tour Laure Feldmann, une
médecin de 49ans venue avec sa
fille Elora, 21ans. Membre de Ré-
seau Education sans frontières
dans le Jura, où elle vit, Laure Feld-
mann manifeste à Paris pour
«faire nombre». Même si «l’avenir
s’annonce très noir, il y a plein de
Jura, on héberge, on scolarise, on
fait ce que l’Etat ne fait pas.»
Responsable d’un lieu d’héber-
gement d’urgence à Paris,
William Dufourcq, 46ans, mani-
feste contre «une loi qui porte at-
teinte au droit d’asile et complique
l’accueil en France pour des motifs
très populistes».
«On dit sur les plateaux télé que
les immigrés viennent toucher les
aides sociales, mais pendant le
« au-delà de la loi,
il faut que
cette mobilisation
se prolonge
pour prôner
la solidarité »
Delphine rouilleault
directrice générale
de France terre d’asile
plupart sont des femmes sans pa-
piers, ont continué à travailler
auprès des personnes âgées et elles
ne touchent aucune aide», défend
Zahia Leroul, militante de l’asso-
ciation Femmes Egalité, qui
scande au mégaphone: «Loi im-
migration, loi raciste, on n’en veut
pas, on la combat!»
« préoccupation citoyenne »
Ainsi, de nombreux sans-papiers
s’étaient mobilisés sur le pavé pa-
risien, parmi lesquels Abou Ko-
rera, un Sénégalais d’une cinquan-
taine d’années qui milite au syndi-
cat CNT-SO pour sa régularisation
alors qu’il a travaillé dans la res-
tauration, le bâtiment, ou plus ré-
cemment comme préparateur de
commandes. Sans-papiers aussi,
Ousmane Deme, un Sénégalais de
31 ans, est installateur de gaines
dans le bâtiment, sans être dé-
claré. Pour eux, la «loi Darmanin»
ne changera rien, malgré une ti-
mide disposition qui pourrait fa-
voriser la régularisation de cer-
les métiers dits en tension, mais
trop restrictive pour les concerner.
«La manifestation du 14 janvier
est une étape», veut croire Denis
Godard, militant membre de la
Marche des solidarités, mouve-
ment créé en 2018 pour, à l’épo-
que, dénoncer la loi « immigra-
tion » de Gérard Collomb, alors
ministre de l’intérieur. Nom-
breux sont les manifestants pari-
siens qui disaient vouloir partici-
per aussi à la marche prévue
le 21janvier, à l’appel de plus de
200 personnalités, syndicats et
associations.
Cette marche a pour objectif de
«montrer qu’il y a une préoccupa-
tion citoyenne étant donné que
c’est une loi qui marque une rup-
ture avec nos principes républi-
cains », défend Sophie Binet, se-
crétaire générale de la CGT. «Nous
sommes face à un moment de bas-
cule historique, justifie Benoît
Hamon, directeur de l’ONG d’aide
aux réfugiés Singa et l’un des si-
gnataires de « L’appel des 201
nous pensons que nous ne som-
mes qu’au début des batailles.»
Delphine Rouilleault, directrice
générale de France terre d’asile,
appuie: «On est tous dans l’attente
de ce qui va sortir du Conseil consti-
tutionnel. Mais au-delà de la loi, il
faut que cette mobilisation se pro-
longe pour prôner la solidarité et
organiser un mouvement citoyen
de lutte contre l’extrême droite.»
«Il y a un risque de bascule dans
un climat extrêmement dange-
reux», reconnaît à son tour Pascal
Brice, le président de la Fédéra-
tion des acteurs de la solidarité
(FAS), qui agrège quelque 850 as-
sociations. La FAS a adressé, le
9 janvier, un courrier au nouveau
premier ministre, Gabriel Attal,
lui annonçant « se mettre en
retrait des cérémonies de vœux et
des réunions de travail» avec les
pouvoirs publics. Et lui deman-
dant de clarifier «les intentions du
gouvernement» en matière de
lutte contre la pauvreté. p
Julia Pascual

V1
Sortie par lecomte le 15/01/2024 10:27:06 Date de Publication 16/1/2024

0123
Mardi 16 janvier 2024
la population âgée d’origine étrangère véhi-
culée par la mesure votée. «C’est faire reposer
son analyse sur des préjugés complètement
racistes et xénophobes que d’imaginer que
quelqu’un qui serait depuis peu en France se
précipiterait pour demander l’APA», s’indigne
Stéphane Troussel, président socialiste de
Seine-Saint-Denis. Son département compte
26 000 bénéficiaires de l’APA, dont 12 % de na-
tionalité hors Union européenne. Sur une
cinquantaine de demandes d’APA récentes,
environ 14 % émanent d’étrangers extra-
européens. Mais l’intégralité de ces
demandeurs extra-européens a une carte de
résident de dix ans. «La réalité, poursuit
M. Troussel, c’est que dans les familles de
culture africaine, on s’occupe longtemps des
personnes âgées, elles vivent souvent chez
leurs enfants, qui veillent sur elles.»
Véronique Levieux, adjointe chargée des se-
niors à la Ville de Paris, feint de s’interroger:
«Y aurait-il des personnes de 80 -85 ans qui ne
peuvent pas se nourrir, se lever, se coucher seu-
les, prêtes à traverser la Méditerranée pour ob-
tenir abusivement l’APA?» Sur 26 500 bénéfi-
ciaires à Paris, 6,55 % (soit 1 736) sont extra-
européens. Mais à titre d’exemple, dans les
Ehpad gérés par la ville, «la très grande majo-
rité des résidents extra-européens sont en
France depuis vingt, trente ans ou qua-
rante ans», dit-elle.
Le Conseil constitutionnel doit statuer le
25 janvier sur la loi «immigration». Il pour-
rait censurer l’article sur les prestations socia-
les au motif qu’il constitue un cavalier législa-
tif. Certains observateurs estiment pourtant
que la disposition mériterait une discussion
sur le fond. «Ce que le Conseil constitutionnel
a à éclaircir, c’est jusqu’où on peut étendre
l’universalité des droits sociaux pour des non-
cotisants et non-contributeurs», soutient Di-
dier Leschi, directeur général de l’Office fran-
çais de l’immigration et de l’intégration. L’an-
cien préfet à l’égalité des chances en Seine-
Saint-Denis fait valoir «qu’une des difficultés
de l’Etat social, depuis la fin des années 1970,
c’est la diminution du nombre de contribu-
teurs par rapport aux bénéficiaires, difficulté
que l’immigration hors travail accentue.»
«Les services d’aide à domicile font appel
souvent à des femmes d’origine étrangère pour
des tâches insuffisamment rémunérées, que
peu de personnes veulent accomplir, rappelle
Jean-René Lecerf, président du conseil de la
Caisse nationale de solidarité pour l’autono-
mie, instance chargée par l’Etat d’orchestrer
et de financer les politiques du grand âge. Il
serait «particulièrement choquant et para-
doxal de leur dire que des étrangers venus
d’ailleurs n’auraient pas droit à leurs soins»,
affirme l’ancien président du département
du Nord, qui a quitté l’UMP (ancien nom des
Républicains) en 2016. p
Béatrice JérôMe
Sortie par lecomte le 15/01/2024 10:27:07 Date de Publication 16/1/2024
France | 9
Etudiantsétrangers:lerisquede
l’extensiondesdroitsdifférenciés
Cette mesure, qui prévoit des droits d’inscription plus élevés pour les
étudiants hors UE, pourrait être généralisée avec la loi «immigration»
C’ était l’une des mesures
les plus décriées du
plan « Bienvenue en
France», présenté par l’ancienne
ministre de l’enseignement supé-
du service statistique et analyse
de l’enseignement supérieur pa-
rue en mars 2023. Près de 17 % en
sont totalement exonérés, le reste
bénéficiant d’exonérations par-
d’inscription différenciés auprès
de nos équipes, reconnaît M. Bour-
dier. Je ne minimise pas le fait qu’il
s’agit de frais importants qui peu-
vent freiner certains candidats.»
diants étrangers puisque le seuil
d’exonération de 10 % devrait être
dépassé. Une règle a toutefois été
décidée: exonérer complètement
les étudiants en licence mais faire
rieur Frédérique Vidal. Depuis tielles, décidées par l’établisse- Ces droits différenciés avaient payer ceux arrivant en master.
2019, les étudiants étrangers doi- ment ou via des bourses du gou- été présentés par le ministère Certaines universités résistent
vent s’acquitter de droits d’ins- vernement et d’ambassade. comme une manne financière pourtant tant bien que mal. A Ren-
cription plus élevés que les candi- A l’université de Limoges, jus- devant permettre un meilleur ac- nes-II, les candidats étrangers re-
dats européens. Plusieurs univer- qu’en 2021, la présidence avait cueil de ces étudiants. présentent 15% de la population
sités s’étaient jusqu’ici engagées à refusé de faire payer davantage étudiante (23000) et 85% d’entre
ne pas mettre en place ce prin- aux étudiants étrangers. Mais la « Rupture d’égalité » eux sont des étudiants extra-
cipe, mais la récente loi « immi- nouvelle équipe, elle, a fait un «Nous avons un devoir d’exempla- communautaires. Vincent Gouë-
gration », en inscrivant celui-ci autre choix. « Nous avons simple- rité envers tous ceux qui s’acquit- set, le président de l’université,
dans le code de l’éducation, ren- ment décidé de respecter la loi », tent de ces frais», assure le respon- s’était opposé, dès 2019, à la mise
drait obligatoire son application. souligne le vice-président de sable. A Limoges, ce sont donc de cette mesure en pointant du
En déplacement au salon l’établissement, Laurent Bour- 90000 euros qui sont consacrés à doigt la «rupture d’égalité» pour
d’orientation postbac de Paris-La dier, qui réfute « toute considéra- l’accompagnement « individua- les étudiants étrangers issus de
Villette, vendredi 12janvier, Sylvie tion idéologique ». lisé» des étudiants étrangers. En- milieux défavorisés. «Le choix de
Retailleau, la ministre de l’ensei- « Nous avons essayé de faire tre 600 000 et 700 000 euros ne pas appliquer ces droits différen-
gnement supérieur et de la re- quelque chose d’équilibré en met- sont dévolus à l’agrandissement ciés nous conduit à dépasser le seuil
cherche, reconduite au sein du tant en place plusieurs garde-fous du campus international. En tout, des 10 % autorisé, c’est un choix as-
nouveau gouvernement, a assuré et surtout en jouant sur le jeu des les droits d’inscription différen- sumé qui répond aux valeurs d’in-
avoir obtenu des engagements exonérations par le biais d’attribu- ciés rapporteraient environ clusion et de justice sociale portées
«forts» auprès du président de la tion de bourses d’excellence», dé- 900000 euros à l’établissement. par l’établissement, le rectorat en
République, Emmanuel Macron. taille-t-il. Sur les 2000 étudiants D’autres universités arguent est informé et ne nous a rien dit»,
Une manière de rassurer la étrangers accueillis sur le campus qu’elles n’ont pas d’autre choix déclare le président, conscient que
communauté universitaire, qui de Limoges, seuls 420 se sont bien que d’appliquer ces droits. C’est le l’adoption de la loi sur l’immigra-
avait fermement condamné les acquittés des frais dans leur inté- cas à l’université de Strasbourg, tion pourrait pousser le rectorat à
dispositions de la loi « immigra- gralité. «Le système reste impar- où pour la première fois, en 2024, lui imposer une application plus
tion», dont la généralisation des fait, il y a eu quelques remous, ça a l’établissement appliquera les stricte des textes. p
Manifestation droits différenciés. été difficile d’introduire les droits droits différenciés pour les étu- Minh Dréan
contre la loi sur Ceux-ci ne sont pas une nou-
l’immigration, veauté. Depuis 2019, les étudiants
à Paris, extracommunautaires (hors
le 14 janvier. Union européenne) qui souhai-
CAMILLE MILLERAND/ tent s’inscrire à un diplôme natio-
DIVERGENCE POUR nal de licence, de master ou de cy-
« LE MONDE » cle d’ingénieur doivent débourser
2 270 euros pour une licence et
3770euros pour un master, contre
170 et 243euros pour les autres.
« Respecter la loi »
Le ministère avait cependant ac-
cordé, par décret, aux facultés la
possibilité d’exonérer de droits
d’inscription 10% de leurs étu-
diants. Un dispositif que les prési-
dents ont massivement choisi
d’utiliser en faveur des candidats
extracommunautaires. De cette
façon, en 2023, 57% des universi-
tés (soit 42 d’entre elles) ont exo-
néré l’intégralité des étudiants
étrangers, selon un décompte pu-
blié par l’agence de presse spéciali-
sée AEF. Elles sont 16 (22%) à en
exonérer une partie, selon des cri-
tères académiques, de nationali-
tés ou linguistiques. Seules 13 uni-
versités (18 %) appliquent
complètement les frais majorés.
Selon la vice-présidente de l’uni-
versité Paris-II Panthéon-Assas,
Emmanuelle Chevreau, à la ren-
trée 2023, ces frais majorés, mis
en place par l’administration pré-
cédente, ont concerné 900 étu-
diants – sur les 3 000 candidats
étrangers accueillis. Ces derniers
peuvent ensuite faire une de-
mande d’exonération partielle.
«Ensuite, 50 % des demandes sont
acceptées selon des critères écono-
miques et sociaux. Cette année,
seuls 10 % des étudiants en ont fait
la demande», indique-t-elle.
En pratique, rares sont les étu-
diants qui payent l’intégralité des
frais: sur les 96600 étudiants ins-
crits à la rentrée 2021, ils ne sont
même que 6 %, indique une note
en 2023, 57 %
des universités
(soit 42 d’entre
elles) ont exonéré
l’intégralité
des étudiants
étrangers
V1
 10 | France
Lajusticesemetenordre
demarchepourlesJOdeParis
Le garde des sceaux détaille, dans une circulaire publiée lundi, les moyens
humains supplémentaires affectés et les plans d’action jugés prioritaires
A
un peu plus de six mois
du début des Jeux
olympiques (JO), la jus-
tice s’organise. Dans
une circulaire publiée lundi 15jan-
vier, le garde des sceaux, Eric Du-
pond-Moretti, précise le dispositif
judiciaire mis en place en vue de ce
«moment historique pour notre
pays», comme il l’écrit dans ce do-
cument long de huit pages. «Cette
circulaire est notamment dans la li-
gnée de celles concernant les émeu-
tes de juin2023 et de la Coupe du
monde de rugby de cet automne:
elle est empreinte de fermeté. Et
dans ces deux cas, la justice a été au
rendez-vous, souligne-t-on à la
chancellerie, qui entend continuer
sur cette lancée. Cela fait des mois
que l’on se prépare. Nous tra-
vaillons en très bonne entente avec
la Préfecture de police, le ministère
de l’intérieur et celui des sports.»
L’ampleur du travail est considé-
rable: si les cours d’appel de Paris
et de Versailles sont particulière-
ment concernées, puisque c’est à
la capitale que se déroulera l’essen-
tiel de la compétition, sept autres
cours d’appel (Aix-en-Provence
dans les Bouches-du-Rhône, Bor-
deaux, Bourges, Douai dans le
Nord, Lyon, Papeete et Rennes) ac-
cueilleront sur leur ressort des
épreuves. En tout, dix-sept juridic-
tions sont impliquées. Le déploie-
ment des forces se fera donc sur
une grande partie du territoire. De
plus, le caractère international de
cette compétition amène logique-
ment un travail d’entraide inter-
nationale, mais également à pen-
Attentat deRomans-sur-Isère:le parquet
requiert unprocèscontrel’auteur des faits
Le mis en cause, qui avait tué deux personnes enavril2020, a fait l’objet de trois expertises
psychiatriques, dont deux concluent à l’altération, et une à l’abolition, de son discernement
L
e Parquet national antiter-
roriste (PNAT) a requis, dans
son réquisitoire définitif re-
mis mercredi 10 janvier, le renvoi
devant une cour d’assises pour
«assassinats et tentatives d’assas-
sinats en relation avec une entre-
prise terroriste» d’Abdallah Os-
man Ahmed, un réfugié souda-
nais qui avait tué deux hommes et
blessé cinq autres personnes dans
une attaque au couteau commise
le 4 avril 2020, à Romans-sur-Isère
(Drôme), en plein confinement dû
à la pandémie de Covid-19.
Le cas d’Abdallah Osman Ah-
med est emblématique de ces af-
faires à la lisière du terrorisme is-
lamiste et de la psychiatrie, que
l’attentat à Paris, le 2 décem-
bre 2023, a remis sur le devant de
la scène. Abdallah Osman Ahmed,
qui disait entendre des voix et
avait interrompu son traitement
médicamenteux, a fait l’objet de
trois expertises. Deux d’entre el-
les ont conclu à l’altération de son
discernement mais à sa responsa-
bilité pénale, une troisième esti-
mant que son discernement était
aboli au moment de la commis-
sion des faits, ce qui écartait la
possibilité d’un procès.
C’est en s’appuyant sur ces ex-
pertises, dont la majorité estime
qu’Abdallah Osman Ahmed est
pénalement responsable, malgré
l’altération de son discernement,
mais aussi sur un faisceau concor-
dant d’indices, que le PNAT a
fondé son réquisitoire définitif de
renvoi devant un tribunal.
Le 4 avril 2020, en plein confine-
ment, Abdallah Osman Ahmed
Sortie par lecomte le 15/01/2024 09:35:36 Date de Publication 16/1/2024
ser la question des interprètes, des
associations d’aides aux victimes.
Un vrai casse-tête.
Cet événement exceptionnel
passe d’abord par la question des
effectifs. Le ministère met en avant
l’affectation, entre janvier 2023 et
juin 2024, de «122 magistrats et
294 greffiers, dont 60 magistrats et
185 greffiers dans le seul ressort de
la cour d’appel de Paris ». Par
ailleurs, des magistrats et des gref-
fiers en surnombre ont été nom-
més pour faire face au surcroît
d’activité: il s’agit de 70 magistrats
(47 au siège et 23 au parquet) et de
37 greffiers au niveau national,
dont 23 magistrats et 30 greffiers à
la cour d’appel de Paris. Dernier
étage du dispositif de recrute-
ment: l’arrivée de nombreux con-
tractuels à la cour d’appel de Paris,
soit l’équivalent de 140 emplois
sur huit mois. «En tout, cela repré-
sente un effort de 663 personnels
dont 523 pérennes», se félicite-t-on
Place Vendôme.
« Eventuel surcroît d’activité »
Tout cela doit permettre le main-
tien d’un fonctionnement «opti-
mal des juridictions» lors des JO.
«Compte tenu des enjeux histori-
ques liés à ces Jeux, vous veillerez à
ce que l’organisation de vos juri-
dictions permette une présence
suffisante de magistrats et fonc-
tionnaires pour faire face à l’acti-
vité juridictionnelle susceptible
d’en résulter en période de vaca-
tions judiciaires, détaille ainsi le
ministre. Cette mobilisation doit
être anticipée au regard d’un éven-
avait quitté son domicile dans la
vieille ville de Romans-sur-Isère,
muni d’un couteau, attaquant au
gré de son parcours plusieurs
habitants, avant d’être arrêté.
Thierry N., client d’une boucherie
âgé de 54 ans, et Julien V., un
commerçant de 43 ans, ont suc-
combé à leurs blessures. Le se-
cond a été tué avec un acharne-
ment peu commun sous les yeux
de son fils de 12 ans. Cinq autres
personnes, dont un buraliste et sa
femme, une professeure de sport,
un retraité et un artisan, ont été
blessées et restent profondément
traumatisées à ce jour.
«Le mode opératoire, le choix des
victimes − à la fois agressées aléa-
toirement au gré du périple meur-
trier de l’auteur mais pour autant
discriminées en raison de leur reli-
gion −, ainsi que les propos tenus»
par l’assaillant, «renvoyant aux
standards de la revendication des
attentats djihadistes, constituent
autant d’éléments de nature à éta-
blir le caractère terroriste de son
passage à l’acte», estime le PNAT
dans son réquisitoire définitif.
Selon le parquet
antiterroriste,
l’attaque était
« manifestement
motivée par
une adhésion
aux thèses
djihadistes »
« Les Jeux
de 2024 sont
susceptibles
de constituer
une cible pour
des actions
terroristes »
Éric dupond- Moretti
garde des sceaux
tuel surcroît significatif d’activité
ou de la gestion d’une situation de
crise.» Le garde des sceaux insiste
sur une coordination renforcée
avec l’autorité préfectorale, no-
tamment pour la mise en place
du plan «zéro délinquance» déjà
mis en œuvre depuis plus d’un an
dans certains endroits, comme la
Seine-Saint-Denis.
Au-delà de l’aspect purement or-
ganisationnel, la crainte réside
dans ce que le ministre appelle les
«menaces protéiformes», notam-
ment la question terroriste. «Par
leur symbolique, leur ampleur et
leur exposition médiatique, les Jeux
olympiques et paralympiques 2024
sont susceptibles de constituer une
cible pour des actions terroristes,
dans le contexte d’une menace ac-
crue sur le sol national», rappelle
M. Dupond-Moretti qui appelle à
«la parfaite mise en œuvre, le cas
échéant, des dispositifs assurant
l’articulation de l’action des par-
quets territorialement compétents
avec celle du Parquet national anti-
Selon la dernière contre-exper-
tise signée le 20 juin 2023, Abdal-
lah Osman Ahmed avait agi sans
prononcer «la moindre parole»,
«le regard vide», il avait «l’air hyp-
notisé » et « possédé », restant
«très calme». Au moment de son
interpellation par la police, il
s’était prosterné à terre et avait
prononcé la chahada, la profes-
sion de foi musulmane.
« Un pays de mécréants »
Les investigations ont révélé, es-
time le PNAT, que l’attaque était
«manifestement motivée par une
adhésion aux thèses djihadistes».
Les enquêteurs avaient retrouvé, à
son domicile une feuille manus-
crite sur laquelle l’auteur pré-
sumé «se plaint de vivre dans un
pays de mécréants».
Trois collèges d’experts psychia-
tres l’ont examiné entre 2020 et
2023. «Si tous partageaient le cons-
tat que l’intéressé souffrait au mo-
ment des faits de troubles psychia-
triques, deux des trois collèges con-
sidéraient que ces troubles
n’étaient pas la cause exclusive du
passage à l’acte, ce dernier em-
pruntant également, et sans équi-
voque, à l’idéologie islamiste radi-
cale ainsi qu’à la haine la caractéri-
sant», selon le PNAT.
Seule la deuxième expertise,
datée du 7 novembre 2022, avait
conclu à « l’abolition » du dis-
cernement de l’assaillant, car il
« présentait, depuis des semaines
avant les faits, un tableau psy-
chiatrique associant des symptô-
mes délirants de persécutions
(hallucinations auditives), une
terroriste». L’attention des magis-
trats est aussi attirée sur le risque
de cyberattaques pouvant être
perpétrées à des «fins de déstabili-
sation institutionnelle».
Les infractions de droit commun
inquiètent également. Le garde
des sceaux appelle ainsi à «la mise
en place d’une politique pénale dé-
terminée prévoyant des réponses
rapides, fortes et systématiques à
l’ensemble des infractions pénales
ayant pour objet ou pour effet de
troubler le bon déroulement des
Jeux olympiques et paralympiques
2024 ». Sont particulièrement
visées les faits de menaces ou de
violences sexistes et sexuelles, les
infractions commises en raison
de l’orientation sexuelle, d’une re-
ligion ou de toute autre cause de
discrimination, l’utilisation de
drones à des fins détournées, le
survol d’un aéronef sur une zone
interdite, ou encore les fausses
alertes à la bombe.
Enfin, le ministre évoque aussi la
lutte contre le dopage, mais aussi
les risques de fraude à la billetterie
ou à l’hébergement. La lutte
contre la contrefaçon est égale-
ment décrite comme un «enjeu
majeur», notamment en ce qui
concerne les emblèmes olympi-
ques comme le drapeau, la devise,
le symbole, la mascotte, voire… les
termes «Jeux olympiques».
Le message que M. Dupond-Mo-
retti veut délivrer est clair : une
compétition sportive d’une telle
ampleur se prépare, que l’on soit
sportif ou ministre de la justice. p
ABel Mestre
anxiété massive, un sentiment
dépressif (tristesse, pessimisme,
idées suicidaires, repli à domicile,
amaigrissement) ».
Si l’altération du discernement
est retenue par les juges d’instruc-
tion antiterroristes, qui doivent
désormais ordonner ou non un
procès devant la cour d’assises
spéciale dans les semaines à venir,
le mis en cause ne risque plus la
perpétuité, mais trente ans de ré-
clusion criminelle.
Abdallah Osman Ahmed est ar-
rivé en France en2016, laissant sa
femme au Soudan. Il a obtenu le
statut de réfugié le 29 juin 2017 en
arguant de persécutions dans son
pays. Dans un interrogatoire de-
vant le juge, il fait remonter son
«déclin psychologique» aux mois
qui ont suivi son arrivée en
France, « sur fond de grande soli-
tude, d’angoisse et de consomma-
tion d’alcool ». Interné pendant
dix jours en psychiatrie à Greno-
ble en 2016, il s’était vu prescrire
un traitement médicamenteux,
qu’il avait interrompu de lui-
même après avoir trouvé une for-
mation professionnelle en me-
nuiserie à Romans-sur-Isère.
La pandémie de Covid et le confi-
nement avaient déclenché chez
lui «de grandes angoisses à comp-
ter de début mars 2020». Il a dit
avoir ressenti «une peur sans pou-
voir la décrire» ainsi qu’un «sen-
timent d’isolement complet». Le
jour des faits, «j’étais complète-
ment inconscient, j’étais en dehors
de moi-même», a affirmé Abdal-
lah Osman Ahmed. p
Christophe AyAd
V1
La nouvelle ministre
MarieLebec, «bonne
copinede la majorité»
La députée, promue ministre déléguée aux
relations avec le Parlement, est appréciée
C’ est en métro que Marie
Lebec est venue pren-
dre possession, ven-
dredi 12 janvier, de son porte-
feuille ministériel, avant de repar-
tir en voiture au conseil des
ministres. A chaque fois, BFM-TV
était là. C’est donc d’un couloir
souterrain, sur fond de carrelage
blanc, que la nouvelle ministre
déléguée aux relations avec le
Parlement donne sa première
interview en direct. Un bon coup
de communication?, interroge le
journaliste. «Non, non, c’est pas de
la communication, répond la
députée Renaissance des Yveli-
nes. C’était important de pouvoir
me rendre rapidement au minis-
tère. Tous les matins, je prends les
transports en commun pour me
rendre à l’Assemblée.»
« C’est forcément quelqu’un de
proche du peuple vu qu’elle prend
le métro!», ironise William Marti-
net, député La France insoumise
dans le même département que
Marie Lebec. Pourtant, adversai-
res comme alliés politiques
l’assurent: à 33 ans, cette mère de
deux enfants, habitant « en
grande couronne » parisienne
(comme elle le dit elle-même sur
BFM-TV), est « une fille assez
simple», «une nana très sympa»,
« authentique », qui a « toujours
les pieds sur terre».
Elle serait la «friend next door»,
comme on dit en anglais, c’est-à-
dire « celle qu’on aimerait avoir
comme amie ». Marie Lebec est
« la bonne copine de la majorité
présidentielle à l’Assemblée »,
confie son homologue des Yveli-
nes Karl Olive. Ce qui peut être
utile, souligne celui-ci, lorsqu’il
s’agit de s’assurer que tout le
monde est là pour se prononcer
sur un projet de loi ou passer une
consigne de vote.
« Taillée pour le poste »
Depuis septembre, Mme Lebec
était vice-présidente du groupe
Renaissance, chargée notamment
d’élaborer la réponse du groupe
aux textes portés par les opposi-
tions dans le cadre de leurs niches
parlementaires. Elue députée
en 2017 dans un bastion de droite,
réélue en 2022 face à une candi-
date de la Nouvelle Union popu-
laire écologique et sociale (Nu-
pes), la nouvelle ministre aura be-
soin de toute l’expérience acquise
dans l’Hémicycle pour défendre
les textes du gouvernement.
Aux premières loges des gran-
des batailles législatives, Marie
Lebec a appris. Au printemps
2023, lors de l’adoption du projet
de loi sur les retraites, elle confiait
au Monde: «L’utilisation du 49.3,
ça a été dur dans le groupe. Même
moi qui ai une confiance aveugle
en lui [Emmanuel Macron], je dois
dire que là, c’est la première fois
que je me suis dit: “En fait, on ne
sert à rien.” » Et elle sait la diffi-
culté de ce qui l’attend dans un
contexte de majorité relative face
à des oppositions intraitables.
Politique
Emmanuel Macron
va tenir une conférence
de presse ce mardi
Le président de la Républi-
que, Emmanuel Macron,
tiendra une conférence
de presse à l’Elysée,
ce mardi, à 20h15. Cette ini-
tiative s’inscrit dans le cadre
du «rendez-vous avec la
nation» annoncé par le chef
de l’Etat, a fait savoir l’Elysée,
dimanche soir. La conférence
de presse sera diffusée
sur TF1, France 2, ainsi que
sur les chaînes d’information
continue. – (AFP.)
0123
Mardi 16 janvier 2024
Peu avant les législatives de 2022,
elle déclarait encore : « On est
dans une démocratie où doit
dominer le fait majoritaire. Sinon,
cela devient ingouvernable.»
Julien Chambon, maire Renais-
sance de Houilles (Yvelines), est
persuadé qu’elle s’en sortira très
bien. Venu du Parti socialiste,
M. Chambon a milité avec Mme Le-
bec, venue de la droite, dès le dé-
but de l’aventure macroniste,
en 2016. « Elle est pugnace et n’a
pas froid aux yeux, prévient-il. Elle
travaille ses dossiers avec un
regard très politique. Elle est vrai-
ment taillée pour le poste.»
« Beaucoup de technicité »
Marie Lebec est « d’un rapport
facile, direct, agréable et elle est plu-
tôt appréciée dans sa circonscrip-
tion», note Sophie Primas, séna-
trice Les Républicains (Les Répu-
blicains, LR) des Yvelines, qui y
voit des atouts pour réussir à son
poste. Mais c’est un ministère qui
revêt «une importance capitale
dans la mise en œuvre de la politi-
que du gouvernement», rappelle
celle qui a vu travailler Henri Cuq
dans la même fonction entre 2004
et 2007, pendant la présidence de
Jacques Chirac. «Cela nécessite
beaucoup de technicité», dit-elle,
et «c’est probablement là-dessus
qu’elle aura à faire ses preuves».
Sénatrice LR dans le même
département, Marta de Cidrac
partage le point de vue. Mme Lebec
«arrivera, je pense, à remplir cor-
rectement sa mission avec le Parle-
ment», pronostique-t-elle. Cepen-
dant, elle s’interroge sur «le poids
qu’elle pourrait avoir au sein du
gouvernement » et donc sur le
relais qu’elle représentera pour le
Parlement. Mais « je reste
confiante», conclut Mme de Cidrac.
En tout cas, si le gouvernement
de Gabriel Attal apparaît comme
« une revanche de l’ancien
monde», la promotion de Marie
Lebec montre que le filon de la
Macronie n’est pas épuisé. De
droite, la benjamine du gouver-
nement a travaillé avec un député
socialiste entre 2014 et 2016,
lequel en garde le meilleur souve-
nir. « Je lui ai enseigné la rigueur
dans le travail et l’empathie,
raconte Christian Franqueville,
maire de Bulgnéville (Vosges). Elle
a dû en prendre une partie. Car,
pour faire de la politique comme
elle en fait, il faut avoir de l’em-
pathie pour les gens.»
Il se souvient que, pour traiter les
dossiers de sa circonscription, sa
collaboratrice fut alors en contact
avec un conseiller de la ministre
de la santé (2012-2017), Marisol
Touraine: un certain Gabriel Attal.
Les deux ne se sont plus perdus de
vue. Début 2021, devant le tempé-
rament de celui qui était alors
porte-parole du gouvernement,
elle avait confié au Figaro: «Ça fait
plaisir de voir un ministre qui
tape. Nous ne sommes pas nom-
breux à être capables de faire ça.» p
Benoît FloC’h
Justi c e
La maire de Canteleu
renvoyée en
correctionnelle
Deux juges d’instruction
de Bobigny ont ordonné,
le 12 janvier, le renvoi devant
le tribunal correctionnel
de la maire de Canteleu
(Seine-Maritime), Mélanie
Boulanger (Parti socialiste),
et de l’un de ses adjoints
pour complicité de trafic de
drogue. Les juges ont suivi
les réquisitions du parquet
de Bobigny. La date du procès
n’a pas encore été précisée.
– (AFP.)
 Économie & entreprise | 11
0123
Mardi 16 janvier 2024

Davos à l’heure du capitalisme fracturé

En Suisse, patrons et politiques débattront des risques géopolitiques, technologiques et climatiques

S
ur les hauteurs de Davos,
village cossu du canton
des Grisons, à l’extrême
est de la Suisse, un massif
hôtel 1900 domine la station.
C’est dans ces hauteurs alpines
que Thomas Mann a dessiné le
paysage de sa Montagne magique.
Un jeune ingénieur de Hambourg
y découvre la vie des « gens d’en
haut », ces grands bourgeois, re-
clus dans leur monde conforta-
ble, qui balancent constamment
entre le rêve des Lumières et la
conscience d’un déclin inélucta-
ble, à la veille de la première
guerre mondiale.
Davos n’a rien perdu du charme
vénéneux que décrit Thomas
Mann. Chaque année, les gens
d’en haut reviennent hanter les
lieux pour s’apitoyer sur les misè-
res du monde… et faire de bonnes
affaires. Depuis sa création,
en 1971, par Klaus Schwab et sa
transformation, en 1987, en Fo-
rum économique mondial, il réu-
nit, une semaine durant, le gotha
des affaires et de la politique.
Cette année encore, du lundi
15 janvier au vendredi 19 janvier,
près de 2800 hommes d’affaires,
intellectuels et politiques se re-
trouvent pour parler de la marche
du monde. Depuis son essor, du-
rant les décennies 1990 et 2000,
le forum a symbolisé l’ascension
d’un monde sans frontières, paci-
fié par le doux commerce, où poli-
tiques et marchands œuvraient
dans le même sens.

« Rebâtir la confiance »
On croyait le principe de ce forum
dépassé par les trois évènements
qui ont ébranlé en cinq ans le capi-
talisme mondial: l’affrontement
sino-américain, la crise sanitaire
et la guerre en Ukraine. Le feu cou-
vait depuis longtemps. Il sort dé-
sormais ses flammes. «Nous fai-
sons face à un monde fracturé et à
des divisions sociales qui s’exacer-
bent, conduisant à répandre l’in-
certitude et le pessimisme. Nous de-
vons rebâtir la confiance», assure
Klaus Schwab en guise d’accueil.
Davos tente de maintenir les liens
d’un tissu sévèrement effiloché. Et
à ceux qui doutent de l’intérêt et
du succès d’une manifestation en
fin de course, le vieux professeur
de 85 ans énumère la liste impres-
sionnante des patrons et politi-
ques qui ont encore une fois pris le
chemin de la station. Une forme
de «Nations unies des affaires».
Avec moins de protocole.
Seule absente de marque, la
Russie, mise au ban par l’Europe
et les Etats-Unis. L’ennemi ukrai-
Des participants au Forum économique mondial, à Davos, en Suisse, dimanche 14 janvier. GiaN EHRENZEllER/Pool via REUTERS
nien sera, lui, bien présent en la
personne de son président, Volo-
dymyr Zelensky. Emmanuel Ma-
cron fera le voyage, flanqué des
présidents de quatre régions fran-
çaises et d’une vingtaine de pa-
trons de start-up pour vanter l’at-
tractivité du pays dans cette an-
née marquée par les Jeux de Paris.
Les milieux d’affaires intègrent
cette politisation. Ils ont compris,
comme le disait le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, le
8 janvier, en présentant ses vœux,
que « la mondialisation ne sera
plus jamais comme avant. Elle
était purement économique, elle
est devenue largement politique».
Cette année est marquée par la
multiplication des élections sur
tous les continents. «C’est le sujet-
clé pour 2024 dans notre métier,
reconnaît Catherine McGreggor,
directrice générale d’Engie. Nous
avons besoin de l’engagement des
dirigeants des pays dans la transi-
tion énergétique.»
Mais, à l’inverse, 2023 a montré
que pas plus les politiques que les
économistes les plus réputés ne
sont capables d’anticiper les évè-
nements. Les entreprises avaient
commencé l’année avec l’idée
d’une catastrophe annoncée et ont
accueilli comme une divine sur-
prise le tassement plus rapide que
prévu de l’inflation, la bonne santé
de l’économie américaine et la te-
nue de leurs marges et de l’emploi.
Résultat, elles sont plus confian-
tes en l’avenir qu’en 2023. C’est ce
que confirme l’enquête des ex-
perts de la société Capgemini, qui a
interrogé plus de 2000 dirigeants
d’entreprises dans quinze pays. Il
en ressort que 56 % des patrons in-
terrogés sont optimistes pour
2024, alors qu’ils n’étaient que 42 %
(32 % pour les Français) à voir la vie
en rose quand ils regardaient 2023.
Emmanuel
Macron fera
le voyage avec
des présidents
de région
et des patrons
de start-up
Et puis, il y a l’intelligence artifi-
cielle (IA), qui sera de tous les dé-
bats. Sam Altman, le fondateur
d’OpenAI et de ChatGPT, et Satya
Nadella, le patron de Microsoft,
multiplient les interventions. Le
sujet aimante tous les chefs d’en-
treprise. «Pour nous, c’est une op-
portunité formidable pour gérer les
sujets de tarification et de réseaux
dus à l’intermittence des énergies
renouvelables», abonde Catherine
McGregor. L’étude de Capgemini
assure que c’est une priorité d’in-
vestissement, notamment dans
des secteurs comme la pharmacie,
l’automobile ou la banque.
Reste à prendre le train à temps.
Patrice Morot, président de la so-
ciété de conseil et d’audit PwC
France et Maghreb, s’inquiète du
décalage du pays: «Notre dernière
enquête auprès de 4 000 patrons
mondiaux montre que les Français
sont plus lents dans l’adoption de
l’IA générative. Ils ne sont que 22 %
à l’avoir fait contre une moyenne
de 32 % dans le monde. Nous ris-
quons d’arriver en retard.»
Car tout bon patron doit être un
peu méfiant. Ross McInnes, le
président de Safran, voit trois ris-
ques pour 2024 : financier, avec
les taux d’intérêt ; économique,
avec l’anémie chinoise ; et géopo-
litique, avec les deux « grenades
dégoupillées » que constituent
les conflits en Israël et en
Ukraine. Ce qui devrait, selon lui,
pousser l’Europe à renforcer son
marché unique pour défendre sa
souveraineté.
Reste un quatrième risque, c’est
celui de l’usage du numérique au
service de la désinformation et des
attaques en tous genres. Il figure
en tête des dix menaces de court
terme identifiées par le baromètre
annuel des risques que publie le
Forum économique mondial.
Pour le long terme, à dix ans, le
climat s’installe dans les trois pre-
mières places de ce classement, y
compris dans sa dimension de
perte de biodiversité. Dans ce do-
maine au moins, les politiques
ont fixé le cap. Pour l’intelligence
artificielle, on est loin du compte.
Ce sera la nouvelle tâche des
« gens d’en haut », quand ils re-
descendront dans la plaine. p
PhiliPPE EsCandE

Lataxationdesmultinationalesprogressedanslemonde
L’impôt minimum mondial de 15% sur les sociétés défendu par l’OCDE est entré en vigueur le 1er janvier

C’ est une petite révolu-

tion. Depuis le 1er janvier,
un groupe d’Etats, dont
ceux de l’Union européenne, le
Royaume-Uni, le Japon, le Canada
et l’Australie, mais aussi des pays
longtemps considérés comme des
paradis fiscaux, comme le Luxem-
bourg ou la Suisse, appliquent un
taux d’imposition minimal
mondial de 15 % sur les sociétés.
«C’est une aube nouvelle pour l’im-
position des grandes multinationa-
les», a déclaré Paolo Gentiloni, le
commissaire européen à l’écono-
mie, le 1er janvier.
«Il s’agit d’un premier pas vers
une gouvernance mondiale fiscale,
et ce n’est pas rien à l’heure où les
tensions géopolitiques compli-
quent la coopération entre
Etats»,juge Alain Trannoy, direc-
teur d’études à l’Ecole des hautes
études en sciences sociales.
Cette mesure est le fruit de l’ac-
cord conclu, en 2021, entre près de
140 pays, dans le cadre de la vaste
réforme du système fiscal mon-
dial menée par l’Organisation de
coopération et de développement
économiques (OCDE). Son objec-
tif: mettre un terme à la concur-
rence déloyale menée sur ce ter-
rain par certains pays – en particu-
lier par les paradis fiscaux – et aux
pratiques d’optimisation fiscale
agressive de certains groupes.
Dans le détail, les entreprises
dont le chiffre d’affaires dépasse
les 750 millions d’euros y sont sou-
mises, soit 100000sociétés envi-
ron. Prenons l’exemple d’une mul-
tinationale tricolore ayant une fi-
liale logée dans un pays où l’impôt
sur les sociétés n’est que de 5 %:
«L’administration fiscale française
pourra lui réclamer la différence
entre les 15 % et ce taux, soit 10 %»,
explique François Ecalle, ancien
magistrat de la Cour des comptes
et spécialiste des finances publi-
ques. «Le pari de l’OCDE est que ce
système incitera les paradis fiscaux
à s’aligner sur les 15 % pour éviter
que ces nouvelles recettes fiscales
leur échappent», détaille Marc Pel-
letier, expert en droit fiscal chez
Racine Avocats. De leur côté, les
entreprises auront a priori moins
intérêt à s’enregistrer dans les pays
aux taux d’imposition légers.
« Niches et exonérations »
D’après l’organisation, le nouvel
impôt devrait rapporter de 155 mil-
liards à 192 milliards de dollars par
an aux Etats (141 milliards à 175 mil-
liards d’euros) – une manne bien-
venue, à l’heure où la transition
verte et le désordre climatique exi-
gent de nouvelles dépenses publi-
ques. La France et l’Allemagne peu-
vent espérer 1,5 milliard de plus par
an. «Selon nos estimations, 60 %
des nouvelles recettes iront aux sept
pays les plus riches, et 3 % aux pays
aux revenus les plus faibles: cela ris-
que de creuser un peu plus encore
les inégalités », regrette Layla
Yakoub, qui suit les questions de
justice fiscale chez Oxfam.
S’ils saluent le progrès que cette
réforme représente, nombre
d’économistes restent critiques à
l’égard des effets à en attendre,
d’autant que le Congrès américain
ne l’a toujours pas validée, et que la
que Chine ne l’applique pas non
plus. «Un taux de 15 % est bien trop
bas, il faudrait le remonter à 25 %»,
soutient Joseph Stiglitz, profes-
seur d’économie à l’université Co-
lumbia, à New York, et coprésident
de la Commission indépendante
pour la réforme de la fiscalité in-
ternationale des entreprises.
Surtout: «Depuis 2021, l’accord a
été considérablement vidé de sa
substance par une série de niches et
d’exonérations», déplore l’écono-
miste Gabriel Zucman, dans le rap-
port sur l’évasion fiscale mondiale,
publié, en octobre 2023, par l’Ob-
servatoire européen de la fiscalité.
En l’état actuel, le nouvel impôt de-
vrait augmenter de 4,8 % seule-
ment les recettes totales de l’im-
pôt sur les sociétés, au lieu de 9,5 %
initialement espérés.
«Au reste, la course au moins-di-
sant fiscal entre Etats pourrait se
déplacer, notamment vers la fisca-
lité liée à la transition écologique»,
analyse Jean-Pierre Lieb, avocat as-
socié chez EY et ex-numéro deux
du fisc à Bercy. Ou vers les crédits
d’impôt, subventions et aides aux
producteurs d’énergie verte, qui se
multiplient ces dernières années,
à l’exemple de l’Inflation Reduc-
tion Act, le grand plan d’aide au
verdissement de l’industrie lancé
par les Etats-Unis, en 2022. Selon
les estimations de l’Observatoire
européen de la fiscalité, ces crédits
d’impôt aux énergies renouvela-
bles pourraient coûter l’équivalent
de 15 % des recettes fiscales sur les
sociétés au cours de la prochaine
décennie aux Etats-Unis, et pres-
que autant en Europe.
Enfin, l’autre pilier de la réforme
soutenue par l’OCDE, dont l’objec-
tif est de réallouer une part de la
taxation dans les pays où se dé-
roule effectivement l’activité des
multinationales, se heurte tou-
jours aux résistances des Etats et
n’est pas encore effectif. « Si l’on
peut saluer les efforts de l’OCDE, les
résultats restent décevants et loin
de signer la fin des paradis fis-
caux», regrette Layla Yakoub. p
MariE CharrEl

V1
Sortie par lecomte le 15/01/2024 09:10:42 Date de Publication 16/1/2024
 12 | ÉconomiE & EntrEprisE
La criseen merRouge tend à pénaliser l’industrie
Les tensions entre Occidentaux et rebelles houthistes yéménites perturbent l’activité, notamment automobile
L
es premiers contrecoups
de l’escalade militaire en
mer Rouge entre Occi-
dentaux et houthistes du
Yémen se font sentir sur l’activité
industrielle en Europe, et d’abord
sur le secteur automobile. Ainsi,
Tesla a annoncé, jeudi 11 janvier, la
suspension de la production de
véhicules électriques dans son
usine allemande entre le 29 jan-
vier et le 11 février, en raison d’une
pénurie de composants fabriqués
en Asie. « L’allongement considé-
rable des temps de transport crée
un vide dans les chaînes d’approvi-
sionnement », explique le cons-
tructeur américain.
Le lendemain, le suédois Volvo,
détenu par le chinois Geely, évo-
quait un arrêt de trois jours, la se-
maine du 15 janvier, de son usine
belge de Gand par manque de boî-
tes de vitesses. Geely, comme le
fabricant de mobilier Ikea, a pré-
venu ses clients d’un retard des li-
vraisons. Les délais d’achemine-
ment plus longs et la congestion
possible des ports vont pénaliser
d’autres entreprises en aval de la
chaîne d’approvisionnement.
Depuis novembre 2023, le com-
mandement central américain au
Moyen-Orient a recensé vingt-
sept attaques de drones, de missi-
les, et même d’un missile balisti-
que. De moins en moins de navi-
res empruntent la mer Rouge et le
canal de Suez qui voit passer d’or-
dinaire 12 % du commerce interna-
tional et une bonne part des con-
teneurs à destination de l’Europe.
Les quatre grands armateurs
européens (MSC, Maersk, CMA
CGM et Hapag-Lloyd), qui assu-
rent 53 % du transport mondial
par « boîtes », évitent désormais
le périlleux détroit de Bab Al-
Mandab, à l’entrée de la mer
Rouge, et déroutent leurs porte-
conteneurs par le cap de Bonne-
Espérance. Deux fois plus de navi-
res que fin novembre croisent à la
pointe de l’Afrique, rallongeant le
trajet Asie-Europe de 13 000 kilo-
mètres et sa durée d’une bonne
dizaine de jours. De nombreuses
marchandises mettront plus de
temps avant d’être déchargées à
Rotterdam (Pays-Bas), Anvers
Atosserapprochedangereusement duprécipice
Surendetté, le groupe d’informatique doit rapidement trouver un accord avec ses banques
L
a situation inquiète à six
mois des Jeux olympiques.
Atos, le partenaire techno-
logique du Comité international
olympique et, à ce titre, presta-
taire informatique de Paris 2024,
doit rapidement trouver un ac-
cord avec ses banques s’il ne veut
pas que ses 5 milliards d’euros de
dette (2,3 milliards d’euros net,
après prise en compte de la tréso-
rerie) le conduisent à la faillite. En-
viron la moitié de ces 5 milliards
doit être remboursée en 2025.
Atos n’a pas cette somme. Il lui
faut donc renégocier cette dette
avec ses vingt-deux banques.
Engagées il y a plusieurs mois,
les négociations patinent. Pour se
faire aider, Jean-Pierre Mustier, le
président d’Atos, a donc pris con-
tact avec Hélène Bourbouloux,
l’administratrice judiciaire qui a
travaillé sur tous les dossiers fi-
nanciers chauds, comme Casino
et Orpea, a révélé Le Figaro, di-
manche 14 janvier. Selon nos in-
formations, Atos réfléchit à
l’ouverture d’un mandat ad hoc,
une procédure préventive desti-
née aux entreprises qui ne sont
pas en cessation de paiements.
Dans un communiqué publié
lundi 15 janvier, le groupe a assuré
«qu’il n’a pas déposé de demande
de désignation d’un mandataire
ad hoc ou d’ouverture d’une procé-
Sortie par folliot le 15/01/2024 10:06:12 Date de Publication 16/1/2024
L’usine allemande de Tesla à Grünheide (Brandebourg), dont la production va être suspendue. Le 12 janvier. Patrick Pleul/aP
Les grands
armateurs
européens
déroutent leurs
porte-conteneurs
par le cap de
Bonne-Espérance
(Belgique), Marseille (Bouches-
du-Rhône) ou Gênes (Italie).
Désormais, 90 % des porte-con-
teneurs évitent l’isthme égyptien,
selon Clarksons Research Servi-
ces, filiale du premier courtier
maritime au monde. Ce dérou-
tage a entraîné un recul de 40 %
des recettes de l’Egypte, proprié-
dure de conciliation », ce qui ne
l’empêche pas de le faire dans les
prochaines heures.
Signe de l’urgence: Atos a an-
noncé, lundi, le départ précipité de
son directeur général, Yves Ber-
naert, en poste depuis seulement
quatre mois et dont le profil ne
correspondait pas à la situation de
l’entreprise. Il est remplacé par son
directeur financier, Paul Saleh, ce
qui confirme bien la volonté du
groupe de se concentrer sur les
discussions avec ses banques. Une
réunion est prévue cette semaine.
« Dernière chance »
Il faut aller vite. Fin novem-
bre 2023, l’agence de notation
S&P a abaissé sa note (de «BB» à
«BB −»), menaçant d’aller un cran
plus bas dans les prochaines se-
maines. Son nouvel avis est at-
tendu fin janvier. Une dégrada-
tion supplémentaire enverrait
Atos dans la catégorie « haute-
ment spéculative », ce qui pour-
rait provoquer la perte de plu-
sieurs centaines de millions
d’euros de chiffre d’affaires. Cer-
tains clients bénéficient de clau-
ses qui permettent de transférer
leur contrat vers un autre sous-
traitant si le fournisseur officiel
est trop mal noté. Lundi, alors que
des rumeurs commençaient à cir-
culer sur la dégradation de ses ré-
taire du canal. La crise a provoqué
une baisse des flux commer-
ciaux, évaluée à – 1,3 % au niveau
mondial, entre novembre et dé-
cembre 2023, par l’Institut d’éco-
nomie mondiale de Kiel (Allema-
gne), et elle a atteint respective-
ment 2 % et 3,1 % pour les exporta-
tions et les importations entre
l’Asie et l’Europe.
« Pression inflationniste »
Les transporteurs restent discrets
sur leur réponse aux attaques
houthistes. «On ne veut pas com-
pliquer la situation et nourrir une
escalade », souligne-t-on chez le
français CMA CGM. Ont-ils tenté
de passer des accords avec les
houthistes pour les dissuader
d’attaquer leurs navires, comme
est-il noté sur le site Shipping-
sultats, Atos a assuré que « ses li-
gnes d’activité atteindront leurs
objectifs financiers 2023 pour l’an-
née en termes de chiffre d’affaires
et de marge opérationnelle». Mais
à quoi ressemblera 2024?
Initialement, Atos espérait un ac-
cord sur sa dette avant la fin 2023.
La vente programmée de Tech
Foundations, les services informa-
tiques classiques, à Daniel Kre-
tinsky, devait débloquer la situa-
tion. Mais les discussions avec le
milliardaire tchèque traînent en
longueur, et le fil entre les deux
parties est de plus en plus fragile.
Arrivé aux commandes en octo-
bre 2023, M.Mustier temporise.
Le retour d’Airbus dans le dos-
sier, de nouveau intéressé par les
activités cyber et supercalcula-
teurs d’Atos, rebat les cartes. Le pré-
sident d’Atos en a profité pour rele-
ver les prétentions de son groupe
auprès de Daniel Kretinsky, espé-
rant récupérer plusieurs centaines
de millions d’euros supplémentai-
res. Mais l’homme d’affaires tchè-
que n’est pas prêt à faire un tel ef-
fort. Seul candidat intéressé à la re-
prise de Tech Foundations, il sait
qu’il dispose d’un réel pouvoir de
négociation.
Une réunion, présentée comme
celle de la «dernière chance» par
un proche des discussions, doit se
tenir cette semaine entre Jean-
Watch? Maersk, deuxième arma-
teur mondial, a démenti de telles
tractations. Leur inquiétude n’en
est pas moins plus grande à me-
sure que la situation se crispe.
Dans un entretien au Financial
Times, vendredi 12 janvier, Vin-
cent Clerc, le patron du géant da-
nois, dit redouter qu’un blocage
durable exerce une «pression in-
flationniste sur [ses] coûts, [ses]
clients et, finalement, les consom-
mateurs en Europe et aux Etats-
Unis», avec des «conséquences si-
gnificatives sur la croissance glo-
bale». Il estime «difficile de savoir
si le rétablissement d’un passage
sûr en mer Rouge est une question
de jours, de semaines ou de mois».
Allianz Trade mentionne le ris-
que d’une hausse de 0,7 % des
prix en Europe et aux Etats-Unis.
Signe
de l’urgence :
Atos a annoncé
le départ précipité
d’Yves Bernaert,
directeur
général depuis
quatre mois
Pierre Mustier et Daniel Kretinsky.
Qu’adviendra-t-il en cas d’échec?
Les représentants du personnel de
Tech Foundations, qui comptent
environ cinquante mille salariés,
s’inquiètent: le groupe serait-il
prêt à faire les efforts financiers
pour relancer une activité dont il
souhaitait absolument se débar-
rasser car jugée sur le déclin?
Pour ne rien arranger, ces négo-
ciations se font sous la pression
de certains actionnaires. Opposé
à la vente de Tech Foundations, le
fonds Alix AM a assigné Atos, à
l’automne 2023, devant le tribu-
nal de commerce, pour demander
une expertise de gestion. En fonc-
tion du résultat, le fonds menace
de poursuivre les administra-
teurs en responsabilité indivi-
duelle. Il a chiffré le préjudice po-
tentiel à 1 milliard d’euros.
V1
M. Clerc réfute le fait d’être ac-
cusé de profiter de la crise au
Moyen-Orient. Si elle s’éternise,
relève néanmoins la banque bri-
tannique HSBC, elle gonflera les
bénéfices des armateurs, dont les
taux de fret étaient revenus, à
l’automne 2023, au niveau
d’avant la pandémie de Covid-19,
après des années 2021 et 2022 ex-
ceptionnelles. Les industriels et la
grande distribution ont bien des
contrats sur un ou deux ans pour
une partie de leurs cargaisons,
mais les prix spot, eux, s’envolent.
Le cabinet londonien Drewry
«anticipe une hausse des taux de
fret sur les lignes est-ouest dans les
prochaines semaines». Au 11 jan-
vier, son indice composite mon-
dial s’élevait à 3 072 dollars
(2 800 euros) par conteneur de
Une audience est prévue devant
le tribunal de commerce de Pon-
toise (Val-d’Oise), mercredi 17 jan-
vier. M.Mustier connaît ce risque:
ancien administrateur d’Alitalia, il
a été poursuivi durant de longs
mois, avec vingt autres dirigeants,
devant un tribunal italien à la suite
de la faillite de la compagnie aé-
rienne au milieu des années 2010.
La procédure s’est, depuis, éteinte.
Si le mandat ad hoc ne suffit pas,
Atos prévient qu’une procédure
collective en conciliation sera né-
cessaire pour pousser à un accord
avec les créanciers, comme cela
avait été le cas pour Casino. Pour
les actionnaires du groupe d’infor-
matique, les conséquences se-
raient alors probablement aussi
douloureuses que celles récem-
ment subies par ceux du distribu-
teur qui ont tout perdu dans l’af-
faire. Entré en force au capital
d’Atos en novembre 2023, avec
11,4 % du capital, ce qui en fait le
premier actionnaire, David Layani,
le fondateur de la société One-
point, risquerait alors de perdre sa
mise, estimée à environ 70mil-
lions d’euros. Lundi, en début de
matinée, l’action Atos plongeait de
15 %, après avoir chuté de 14,67 % le
12 janvier, alors que circulaient des
rumeurs de procédure collective
et de dégradation des résultats. p
Olivier Pinaud
0123
Mardi 16 janvier 2024
De nombreuses
marchandises
mettront plus
de temps avant
d’être déchargées
à Rotterdam,
Anvers, Marseille
ou Gênes
40 pieds, plus du double des
1382 dollars de fin novembre 2023.
Il grimpe même à 5213 dollars sur
la ligne Shanghaï-Gênes et à
4400 dollars entre le port chinois
et Rotterdam. CMA CGM a an-
noncé que le tarif pour un trans-
port Asie-Méditerranée passait de
3000 à 6200 dollars la «boîte» à
compter du lundi 15 janvier.
Les réassureurs, qui partagent
les risques avec les assureurs de
premier rang, se retirent d’Israël et
des pays voisins; ou ils introdui-
sent des clauses d’annulation
dans leurs polices, ce qui va gon-
fler les frais des entreprises fonc-
tionnant dans la région. L’assureur
Allianz calcule que chaque jour de
blocage coûte de 6 à 10 milliards de
dollars au commerce mondial. Ar-
mateurs et chargeurs l’ont déjà
subi, en 2021, avec la paralysie du
canal durant une semaine par le
porte-conteneurs Ever-Given.
La revue en ligne Lloyd’s List esti-
mait qu’environ 9,6 milliards de
dollars de marchandises étaient
«en rade», mais ne cède pas au ca-
tastrophisme. «Le déroutement
par le cap de Bonne-Espérance n’en-
traînera pas une réédition des rup-
tures constatées durant la pandé-
mie», est-il nuancé dans un article
du 12 janvier. On ne constate pas
de longues files d’attente de porte-
conteneurs à l’entrée des ports,
comme en 2021, même si des em-
bouteillages peuvent se former
dans quelques semaines en Eu-
rope. L’escalade militaire est limi-
tée, et seuls un embrasement du
conflit et une fermeture durable
du canal de Suez auraient de lour-
des retombées économiques. p
Jean-Michel Bezat
technologies
Le FMI évalue les effets
de l’IA sur l’emploi
Le développement de l’intelli-
gence artificielle aura des
conséquences pour 60 %
des emplois dans les écono-
mies avancées, a souligné,
dimanche 14 janvier, la direc-
trice générale du Fonds mo-
nétaire international, Krista-
lina Georgieva, à la faveur
d’un entretien accordé à
l’Agence France-Presse. Elle a
précisé que les impacts évo-
qués ne seraient pas forcé-
ment négatifs, car cela pou-
vait aussi se traduire par
«une hausse de (…) revenus».
sidérurgie
ArcelorMittal et l’Etat
vont investir à Grande-
Synthe, dans le Nord
ArcelorMittal et l’Etat français
vont investir au total 1,8 mil-
liard d’euros dans le but de
réduire les émissions de
dioxyde de carbone du site
du groupe sidérurgique à
Grande-Synthe (Nord), a
affirmé l’agence Reuters,
dimanche 14 janvier, citant
une porte-parole du minis-
tère de l’économie et des fi-
nances. Le ministre de l’éco-
nomie, Bruno Le Maire, et
son homologue à la transi-
tion énergétique, Christophe
Béchu, devaient se rendre sur
place, lundi 15 janvier. L’usine
d’ArcelorMittal figure parmi
les cinquante sites industriels
français les plus émetteurs de
gaz à effet de serre.
 ÉconomiE & EntrEprisE | 13
0123
Mardi 16 janvier 2024

Le constructeur automobile Togg, pertes & profits | conjoncture

Par PhiliPPE EscandE

vecteur du patriotisme turc L’orageindustriel

quivientdeChine
Au Consumer Electronics Show de Las Vegas, le groupe fondé en2018
a présenté son modèle T10F et annoncé son arrivée en Allemagne Il n’y a pas que Taïwan qui cause
des soucis au gouvernement
ses. Habituellement, c’est l’im-
mobilier et les infrastructures
chinois. L’atmosphère est plutôt qui jouent ce rôle. Mais plus per-
tendue au ministère de l’écono- sonne ne veut acheter d’apparte-
Las Vegas (NeVada) berline dite «fastback», à la ligne (Nord-Ouest), où se concentre la mie à Pékin en ce début d’année ment et les promoteurs font
« La Turquie

A
u Consumer Electro-
nics Show (CES) de Las
Vegas, qui s’est tenu du
9 au 12 janvier dans le
Nevada, le stand Togg n’avait rien
à envier à celui de Mercedes, tout
proche. Paré de turquoise, l’es-
pace occupé par le jeune cons-
tructeur se déployait sur une sur-
face largement supérieure à celle
de la marque allemande. Togg,
abréviation de «groupe automo-
bile de Turquie», participait pour
la troisième année de rang à cette
manifestation consacrée à la tech.
On ne risque pas d’apercevoir le
blason (deux flèches opposées
symbolisant la synthèse entre
Orient et Occident) lors des salons
de l’automobile de Paris, de Mu-
nich ou de Genève. Qu’on se le
dise, Togg ne produit pas des voi-
tures électriques, mais des smart
devices, autrement dit, des «appa-
reils intelligents». «Nous sommes
partis d’une feuille blanche, et nous
ne nous comparons pas au reste de
la production automobile», pré-
vient Gürcan Karakas, le directeur
général de Togg, créé en 2018.
Sur le stand, la vedette était le
T10F, deuxième modèle de la
gamme après le T10X, un SUV
lancé en 2023. Dessiné par l’italien
Pininfarina, le nouvel «appareil
intelligent» prend la forme d’une
de toit légèrement fuyante pour
dynamiser la poupe. A l’intérieur
des Togg, la planche de bord est en-
vahie par un écran panoramique
long de 50 centimètres. Lorsque
l’on prend place derrière le volant
s’affichent sur l’écran le pouls du
conducteur et l’évaluation de son
niveau de stress.
« Nous avançons pas à pas »
Les modèles de la gamme s’affi-
chent à des prix qui se situent en-
tre 47000 et 60000 euros selon la
version. L’autonomie du T10F peut
atteindre, selon le constructeur,
jusqu’à 600 kilomètres avec la
plus grosse batterie. Les options de
couleur de carrosserie du T10F
«s’inspirent et portent le nom de la
beauté naturelle de la Turquie».
Car Togg n’est pas seulement une
signature technologique. C’est
aussi un manifeste patriotique.
Malgré un prix qui la rend fort
peu abordable dans son propre
pays, par ailleurs largement dé-
pourvu d’un réseau de bornes de
recharge, la firme se présente
comme un porte-étendard. « La
Turquie a fabriqué des voitures
pour treize marques différentes,
dont Toyota, Renault, Fiat ou Ford.
Togg démontre qu’elle peut pro-
duire un modèle par ses propres
moyens et cela rend les gens fiers»,
insiste Gürcan Karakas, qui, aupa-
peut produire un
modèle par ses
propres moyens,
et cela rend
les gens fiers »
Gürcan karakas
directeur général de Togg
ravant, a été à la tête de la division
turque de l’équipementier Bosch.
L’antienne industrialo-patrioti-
que est souvent reprise par Recep
Tayyip Erdogan, qu’il s’agisse
d’automobiles, de drones ou de
navires militaires. Pour le prési-
dent, Togg apparaît comme la
«réalisation d’un rêve de soixante
ans» et le «symbole de l’avance-
ment technologique, du développe-
ment économique et de la réputa-
tion globale» de la Turquie.
A l’initiative de l’Etat, le capital
de Togg est réparti entre cinq
poids lourds de l’économie natio-
nale œuvrant dans la métallurgie,
la finance, les télécommunica-
tions, l’électronique, la grande dis-
tribution, l’énergie ou le textile.
Cette mobilisation a financé un
investissement de 5,6 milliards
d’euros sur un ancien terrain
militaire de la province de Bursa
production de nombreuses mar-
ques étrangères. Sont sorties de
terre une usine et une gigagactory
de batteries développée en coopé-
ration avec le chinois Farasis.
En 2023, pour sa première année
de production, le T10X s’en est
tenu au marché turc et a été dif-
fusé à un peu moins de
20000 unités, mais la marque est
condamnée à exporter pour ren-
tabiliser une usine calibrée pour
produire jusqu’à 175000 véhicules
par an. Togg, qui veut composer
un catalogue de cinq modèles et
réaliser une fabrication cumulée
de 1 million d’unités d’ici à 2032, a
annoncé au CES de Las Vegas son
arrivée, fin 2024, en Allemagne.
L’un des principaux marchés de
voitures électriques en Europe et
siège d’une importante diaspora
turque. La commercialisation s’ef-
fectuera en ligne. «Nous avançons
pas à pas. Selon les résultats obte-
nus, nous élargirons nos activités à
d’autres pays européens comme la
France», estime M. Karakas.
Dans l’immédiat, c’est vers la
concurrence chinoise que Togg
tourne ses regards. Pour tenter de
se faire une place sur le marché,
la marque turque compte fonder
sa stratégie en matière de prix sur
la politique tarifaire de MG, BYD,
Geely ou XPeng. p
JeaN-Michel NorMaNd
2024. Avec une question lanci-
nante: comment relancer la
croissance? La réponse pourrait
bien avoir des conséquences re-
doutables sur la planète entière.
Le chiffre officiel de la progres-
sion du produit intérieur brut
pour 2023 devrait être rendu pu-
blic la semaine du 15 janvier et
dépasser le plancher de 5 % dé-
crété par le pouvoir, mais de peu.
Car depuis trois mois, un nouvel
oiseau de mauvais augure a fait
son apparition: la déflation.
Les chiffres de décembre 2023,
annoncés vendredi 12 janvier, ont
montré que les prix à la consom-
mation avaient reculé de 0,3 %.
Une baisse modeste, mais qui in-
tervient après une chute de 0,5 %
en novembre. Depuis juillet 2023,
seul le mois d’août a été positif.
De plus, les prix sortis d’usine ac-
cusent un repli encore plus pro-
noncé, de 2,7 % en décembre.
La déflation est un poison tout
aussi toxique que l’inflation,
puisque en alimentant la baisse
des prix, il décourage la consom-
mation (ce sera moins cher
demain), rogne les marges et
conduit au chômage et à la réces-
sion. Le gouvernement cherche
les moyens de sortir du piège. Ne
croyant pas dans la relance par la
consommation, la Chine privilé-
gie l’investissement des entrepri-
faillite les uns après les autres.
Dernier en date, le conglomérat
financier géant Zhongzhi, qui a
déposé les armes le 5 janvier.
Déluge d’argent
Reste donc l’industrie pour main-
tenir la croissance autour de la ci-
ble de 5 %. L’hebdomadaire The
Economist raconte comment les
banques d’Etat chinoises ont bas-
culé massivement du finance-
ment de l’immobilier à celui de
l’industrie. En 2023, les dépenses
en capital ont bondi de 10 % dans
la métallurgie, de 18 % dans
l’automobile et de 34 % dans les
équipements électriques. Avec
une prédilection pour l’informa-
tique-électronique, la biophar-
macie et les énergies vertes.
Résultat de ce déluge d’argent,
la Chine pourrait, d’ici à 2030,
dépasser les 40 % de toute l’in-
dustrie manufacturière mondiale
avec des surcapacités qui feront
s’effondrer les prix, comme c’est
déjà le cas dans les panneaux so-
laires. Bonne chance, dans ces
conditions, à ceux qui, aux Etats-
Unis comme en Europe, rêvent de
revenir dans la course industrielle
par le biais de l’industrie «verte».
Sans un protectionnisme à l’im-
pact ravageur pour le pouvoir
d’achat et la transition climatique,
le pari semble perdu d’avance. p

LetaxivolantdeHyundaiprendforme
Dans le Nevada, l’entreprise sud-coréenne a dévoilé un appareil
à décollage vertical pouvant emporter quatre passagers
présentent

Las Vegas (NeVada) été dessinée en forme de V, peu- Jaiwon Shin, qui a passé onze an-

C
vent être remplacées afin que nées au service recherche et déve-
e n’est pas tout à fait un soient intégrées les améliorations loppement de la NASA, table sur la
avion, plus vraiment un technologiques les plus récentes. production de «plusieurs dizaines

hélicoptère, et pas encore
un drone. Le premier taxi volant
de Supernal, une division du
groupe sud-coréen Hyundai, est
pourvu de quatre paires d’hélices
qui lui permettent de décoller à la
verticale avant de pivoter pour
avancer à l’horizontale.
Appartenant à la catégorie des e-
VTOL − pour Electric Vertical Take-
off and Landing, à savoir des aéro-
L’habitacle au design délibéré-
ment minimaliste baigne dans
une lumière qui se modifie au gré
des phases de vol.
Alors que Stellantis s’est associé
avec la start-up californienne Ar-
cher Aviation pour construire ses
avions Midnight et que le chinois
XPeng a présenté au CES une
spectaculaire voiture volante ca-
pable de déployer ses ailes dotées
20
de milliers d’unités» du S-A2, dont
il évalue le coût de fabrication
« entre 2,5 millions et 4 millions
d’euros». Avant d’en arriver à ce
stade, il faudra également conce-
voir un écosystème particulier
autour des taxis volants électri- JAN.
2024
ques. En particulier des « verti-
ports» où ces appareils pourront
se poser – et se recharger –, ainsi
qu’un système de régulation du

nefs à décollage et atterrissage
verticaux, dotés d’une propulsion
électrique −, le S-A2 est sagement
resté cantonné au bâtiment du
Consumer Electronics Show (CES)
de Las Vegas (Etats-Unis), où il
était exposé pour la première fois,
du mardi 9 au vendredi 12 janvier.
Conçu par une société qui
compte 600 salariés et s’est éta-
blie à Washington, à proximité
du quartier général de la très
sourcilleuse Federal Aviation
Administration, le S-A2 va lancer
ses premiers essais fin 2024, dans
l’Etat de Californie. L’engin
pourrait obtenir une certifica-
d’hélices, les dirigeants de Super-
nal assurent ne pas chercher à
être les premiers à décrocher
l’autorisation de faire voler ce
genre d’appareil destiné à désen-
gorger les zones urbaines paraly-
sées par le trafic routier.
Obstacles
Ils affirment vouloir proposer
« le bon produit pour le bon mar-
ché » en concevant, assure Jaiwon
Shin, le président de la compa-
gnie, « le mode transport le plus
sûr au monde ». Dans cette opti-
que, Supernal a recruté l’ancien
numéro deux de la sécurité au
PARIS
trafic aérien à basse altitude, puis-
qu’ils devront suivre les couloirs
réservés aux hélicoptères.
Sur la route du VTOL électrique
se dressent d’autres obstacles,
comme est venue le rappeler la
levée de boucliers suscitée par
l’expérimentation d’une ligne
de taxis volants envisagée à l’oc-
casion des Jeux olympiques de
Paris (qui se tiendront du
26 juillet au 11 août). Porté par
Groupe ADP, avec la RATP et la ré- LES JOURNÉES
gion Ile-de-France autour du e-
VTOL biplace de l’allemand Volo- DE L’ORIENTATION
copter, ce projet a mis en évi-
dence la question de l’acceptabi-

tion des autorités pour une mise
en service commercial prévue
en 2028, un sésame qui non seu-
lement lui ouvrirait le vaste mar-
ché américain, mais lui permet-
trait aussi d’obtenir plus facile-
ment l’autorisation de voler sous
d’autres cieux.
Ce taxi aérien peut embarquer
quatre passagers et un pilote à
une vitesse de croisière proche de
200kilomètres par heure et à une
altitude de 1 500 pieds (457 mè-
tres), sur une distance comprise
entre 45 et 70kilomètres en fonc-
tion de la charge transportée.
Il peut évoluer par mauvais
temps et ses batteries – dont les
caractéristiques n’ont pas été
communiquées –, placées à l’ar-
rière du fuselage, dont la dérive a
BACHELOR :
sein de l’Association internatio- lité sociale de ces aéronefs.
nale du transport aérien. A Mi-novembre 2023, le Conseil
terme, il est envisagé de se passer de Paris a fustigé ce programme,
de pilote et de transformer l’ap-
pareil en un drone de transport,
que les élus de la capitale considè-
rent comme une «aberration éco-
COMMENT CHOISIR
mais aucune échéance n’est évo-
quée pour le moment.
logique». Pour leur part, les diri-
geants de Supernal soulignent SA FORMATION ?
que leur volonté est de «démocra-
tiser le transport aérien en milieu
urbain », avec un véhicule pré-
L’engin senté comme une alternative à la
pourrait obtenir mobilité terrestre et le premier
pas vers un service comparable à
une certification une sorte d’«Uber des airs». Ils in-
des autorités sistent aussi sur le fait que la si-
gnature sonore du S-A2 n’excède
pour une mise pas 65 décibels au décollage et
en service 45 décibels en vol. Ce qui, font-ils
commercial valoir, «ne le rend pas plus sonore INSCRIPTION GRATUITE SAGE.GROUPELEMONDE.FR
qu’un lave-vaisselle». p
prévue en 2028 J.-M. N.

V1
Sortie par lecomte le 15/01/2024 09:13:04 Date de Publication 16/1/2024
 14 | ÉconomiE & EntrEprisE
Une patiente durant un examen médical, à Lunas (Hérault), le 29 novembre 2023. fabrice HÉbert/collectif Dr
La téléconsultation
médicale s’enracine
Dossier
C’
est une mésaventure ba-
nale: se sentir fébrile, un
matin, et avoir besoin de
consulter rapidement.
En quelques clics, ren-
dez-vous est pris sur un
site de téléconsultation. Un professionnel
apparaît sur un écran dix minutes plus tard.
Une ordonnance et une feuille de soins sont
transmises par courriel à l’issue d’un court
interrogatoire. Simple et rapide, la formule
étonne. Comment peut-on accéder si vite à
un médecin, quand il est parfois si difficile
de se faire examiner près de chez soi?
« Parce que les médecins sont de plus en
plus sur ces plates-formes et de moins en
moins en cabinet ! », répond la docteure
Agnès Giannotti, présidente du syndicat de
médecins généralistes MG France, qui ob-
serve avec méfiance ces mises en relation
quasi immédiates par vidéo interposée. Elles
font craindre à certains médecins libé-
raux une «ubérisation» de la santé, associée
à toutes sortes de dérives mercantiles.
L’abonnement proposé par le groupe privé
Ramsay – 11,90 euros par mois pour pouvoir
«téléconsulter» à la demande en dehors de
tout parcours de soins coordonné – a
d’ailleurs fait polémique, en juin 2023, au
point de mobiliser une mission flash sur le
sujet à l’Assemblée nationale.
Jeunes et urbains
Pour encadrer la pratique, les pouvoirs pu-
blics ont posé des garde-fous: en 2024, seu-
les les plates-formes qui respecteront un ca-
hier des charges précis pourront continuer
de facturer des soins à l’Assurance-maladie,
et les arrêts prescrits seront limités à trois
jours. La multiplication de ces offres, favori-
sée par la difficulté d’accès aux soins dans de
nombreuses régions françaises, interroge
néanmoins sur la place que la téléconsulta-
tion occupera à terme, et selon quel modèle,
dans le paysage médical.
Remboursée depuis 2018, la téléconsulta-
tion, d’abord marginale, a pris son envol avec
la pandémie de Covid-19. Pour que les Fran-
çais continuent de se soigner malgré le confi-
nement, l’Assurance-maladie a pris en charge
à 100 % les consultations à distance pendant
toute la durée de la crise sanitaire.
Leur nombre est ainsi passé d’environ
80 000 en 2019 à près de 18 millions
en 2020, dont 4,5 millions pour le seul mois
d’avril 2020. Il est retombé depuis, et se
Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:41:28 Date de Publication 16/1/2024
Plébiscitée pendant la pandémie de Covid-19, la médecine
à distance est entrée dans les usages avec de multiples
acteurs privés. Pour éviter les abus, des obligations
s’imposent peu à peu. Mais des questions demeurent
sur la place du numérique dans l’écosystème de soins
maintient de façon assez stable autour de 1 à
1,2 million de rendez-vous mensuels rem-
boursés, ce qui représente à peu près 4 % de
l’ensemble des consultations médicales. La
plupart des rendez-vous sont réalisés par
des médecins généralistes et les patients
concernés restent majoritairement jeunes
et urbains. Le marché de la téléconsultation
a été estimé à environ 100 millions d’euros
en 2022 par le cabinet d’études Xerfi, un chif-
fre qui tient compte des ventes d’équipe-
ment, et qui pourrait atteindre 130 millions
d’euros en 2025. Plus de la moitié des actes
remboursés concernent des médecins, gé-
néralistes ou spécialistes, déjà connus du pa-
tient. Ils permettent de gérer à distance, sans
déplacement ni perte de temps, un pro-
blème ponctuel, comme le renouvellement
d’une ordonnance basique. La pratique est
déjà limitée depuis 2021: les médecins n’ont
« Le numérique dans la médecine génère des économies substantielles »
Pierre Bentata est économiste,
maître de conférences à Aix-Marseille
Université, auteur de l’étude «Le re-
cours à la téléconsultation et à la télé-
expertise: quel impact économique
attendre en France?» pour l’Institut
économique Molinari, parue en jan-
vier 2022.
En 2022, vous avez chiffré à
1 milliard d’euros l’économie que
pourrait générer chaque année
en France le fait de pratiquer
plus largement téléconsultations
et télé-expertises…
Oui, et ce chiffre est plutôt une
fourchette basse, car nous avons
voulu rester réalistes et respectueux
d’un parcours de soins de qualité.
Nos calculs ont été faits à partir de
l’hypothèse que seuls les actes les
pas le droit de consacrer plus de 20 % de leur
activité à l’exercice à distance, et ils utilisent
dans ce cas le logiciel vidéo que mettent à
leur disposition, sur abonnement – pour en-
viron 80 euros par mois –, les plates-formes
de prise de rendez-vous que sont Doctolib
ou Maiia, par exemple.
Doctolib a indiqué au Monde que la télé-
consultation concernait un peu moins de
20 % des professionnels et des patients ins-
crits en moyenne, lesquels ne dépassaient
généralement pas un ou deux rendez-vous à
distance. L’hôpital se met également au dia-
pason. A l’Assistance publique-Hôpitaux de
Paris, elle représentait 3,5 % de l’ensemble
des rendez-vous en 2023. Ses établissements
utilisent pour la vidéotransmission la plate-
forme Ortif, dispositif public de téléméde-
cine d’Ile-de-France. Ce cadre théorique pré-
voit toutefois des exceptions: si le patient
plus simples et seuls les actes ponc-
tuels pouvaient faire l’objet d’une té-
léconsultation. Il est évident que
tous les actes médicaux ne s’y prê-
tent pas, mais en France,
aujourd’hui, l’exercice est limité : les
médecins ne peuvent pas consacrer
plus de 20 % de leur activité à dis-
tance. Ce plafond nous paraît arbi-
traire. Une méta-analyse d’expérien-
ces menées à l’étranger et transposa-
bles en France nous a montré qu’à
qualité de soins constante, la prati-
que génère des économies substan-
tielles. Alors que la dépense actuelle
de santé représente en France 11,3 %
du produit intérieur brut, contre
9,9 % en moyenne dans les pays de
l’Union européenne, un plus grand
recours à la téléconsultation pour-
rait constituer une solution parmi
V1
0123
Mardi 16 janvier 2024
n’a pas de médecin traitant, ou si celui-ci
n’est pas disponible, il peut solliciter en vi-
déo un médecin qu’il n’a jamais vu. C’est sur
la base de ces exceptions que s’est position-
née, depuis cinq ans, une offre hétérogène
qui propose des consultations immédiates à
la demande. Les leaders de ce marché en
France s’appellent Qare, Livi, ou Medadom,
et occupent le terrain avec une quinzaine
d’autres acteurs de taille plus modeste.
Start-up indépendantes tricolores (Meda-
dom, Medaviz, Toktokdoc, H4D…) associées
à de gros investisseurs (Vivalto Santé, Ram-
say Santé, CNP Assurances…) ou filiales de
groupes étrangers de télémédecine (Qare,
Livi, MédecinDirect), ces plates-formes pré-
sentent des modèles économiques et des
approches variés.
Les médecins qui y travaillent sont le plus
souvent salariés, et la consultation propo-
sée peut consister en un simple face-à-face
par écran interposé ou bien se dérouler au
moyen d’une borne ou d’une cabine, instal-
lée dans une pharmacie, un cabinet infir-
mier, un Ehpad ou même une gare ou un
supermarché, et dotée d’outils connectés
(otoscope, tensiomètre ou stéthoscope) fa-
cilitant l’examen. Le patient peut bénéficier
de l’aide d’un tiers, un infirmier ou un
pharmacien, pour s’en servir : la consulta-
tion, dans ce cas, est dite « assistée ».
Depuis cinq ans, l’essor de ces solutions a
été facilité, au-delà du Covid-19 et du rem-
boursement à 100 % par l’Assurance-mala-
die, par les compagnies d’assurances et les
mutuelles, dont beaucoup ont inclus dans
leurs contrats l’accès gratuit à des télécon-
sultations rapides, vingt-quatre heures sur
vingt-quatre et sept jours sur sept, par le
biais de ces plates-formes. Les pharmacies,
qui bénéficient d’une aide à l’installation fi-
nancée par l’Assurance-maladie, sont nom-
breuses à se lancer.
Medadom, qui leur loue des bornes con-
nectées, se félicite d’en avoir déjà installé
près de 4000 en France, où l’on compte un
peu plus de 20000 officines. Le déploiement
de 150 bornes de téléconsultation d’ophtal-
mologie dans les magasins d’optique Alain
Afflelou en 2023 ou encore l’annonce, en no-
vembre 2023, de la SNCF, qui compte ouvrir
avec l’entreprise Loxamed des box de télé-
médecine assistée dans 300 gares d’ici à
2028, confirment la tendance au déploie-
ment de ces dispositifs présentés comme un
remède aux déserts médicaux.
Contexte tendu
« On traite des patients qui ont besoin d’être
rassurés rapidement, explique Nicolas Le-
blanc, le directeur médical de Livi. D’après
nos retours, sans la solution que l’on pro-
pose, 22 % des patients seraient allés aux ur-
gences ou auraient composé le 15, et 16 %
auraient renoncé aux soins. Près de la moi-
tié, aussi, n’a pas de médecin traitant et vit
dans un désert médical. »
Filiale française du groupe privé de télémé-
decine Kry, fondé en Suède en 2015, Livi pro-
met, pour le prix d’une consultation classi-
que majorée de quelques euros de «frais de
service», l’accès rapide à un professionnel,
en général en moins d’une heure. Elle salarie
pour attirer à temps partiel plus de 500 médecins en
les praticiens, France, généralistes, mais aussi psychiatres,
pédiatres ou dermatologues, inscrits à l’or-
les plates-formes dre des médecins, et « localisés principale-
ment dans des grandes villes, comme Paris,
abondent les Lyon ou Marseille».
boîtes e-mail Pour les attirer, les plates-formes abondent
les boîtes e-mail de la profession de proposi-
de la profession tions d’embauche vantant un travail «de son
domicile», avec «moins de contraintes admi-
de propositions nistratives», des primes de bienvenue, des
d’embauche bonus pour le week-end, ou encore des salai-
res à « 2 700 euros brut par mois pour
huit heures de téléconsultations hebdoma-
daires». De quoi convaincre des médecins
retraités ou jeunes remplaçants, mais aussi
des praticiens hospitaliers ou des libéraux
d’officier quelques heures par semaine en
échange d’un complément de revenus. Dans
d’autres pour rapprocher la France un spécialiste. Enfin, au-delà de l’as-
de la moyenne européenne. pect financier, il y a une réduction de
certains coûts psychologiques: quand
En quoi consistent les économies la consultation en face-à-face risque
que vous avez chiffrées ? d’être éprouvante, en psychiatrie no-
Il y a d’abord des économies de dé- tamment, passer par l’écran peut ren-
placements. Consulter à distance, c’est dre les choses plus confortables.
s’éviter des kilomètres, des frais d’es-
sence, de transport, du temps perdu Comment voyez-vous l’avenir de
aussi. En constituant un premier re- la téléconsultation ?
cours, la téléconsultation permet éga- Le numérique va jouer un rôle de
lement d’éviter un aller-retour aux ur- plus en plus important dans nos vies,
gences, ce qui désengorge des services et nous-mêmes, quel que soit notre
déjà saturés. Cela permet, aussi, de âge, allons être de plus en plus à l’aise
consulter plus vite, et une prise en avec cet outil. Il est évident que la télé-
charge précoce peut éviter l’aggrava- consultation ne sera pas l’alpha et
tion de certaines pathologies. La télé- l’oméga de l’exercice médical, mais
expertise, qui permet à un médecin elle représentera un moyen supplé-
de demander l’expertise d’un con- mentaire de soigner. p
frère à distance pour un patient, peut ProPos recueillis Par
limiter aussi des visites inutiles chez Véronique Julia

0123
Mardi 16 janvier 2024
La téléconsultation représente 5 % des rendez-vous médicaux en France
Evolution mensuelle du nombre de téléconsultations en France,
en millions
17 mars - 11 mai 2020
Premier confinement
lié à la pandémie
de Covid-19
5
Avril 2020
4,5
Poids des téléconsultations
sur l’ensemble des consultations
4
des médecins libéraux
3,5
3
2,5 29 octobre - 15 décembre 2020
Deuxième confinement
2
1,5
1 2%
0,5
0 11 %
Janvier Avril 2020
2020
Part des utilisateurs dans 66 %
les téléconsultations et dans
les consultations classiques,
au premier semestre 2023
sont en zone urbaine
Les principaux accès à la téléconsultation
Les plates-formes de prise de rendez-vous
Elles permettent généralement un suivi entre
un médecin et un patient qui se connaissent déjà
500 000 79 000
Doctolib Maiia
un contexte tendu, comment font ces pla-
tes-formes pour trouver des médecins dis-
ponibles et remplir les créneaux de rendez-
vous? «On optimise un temps médical qui est
souvent perdu, explique Nathaniel Bern, co-
fondateur de Medadom. Ça peut être une soi-
rée libre, une matinée peu chargée… On met à
profit ces moments creux.»
Si l’efficacité de l’examen à distance laisse
encore perplexe une partie de la profession –
«Comment vérifier une raideur de la nuque
potentiellement grave à travers un écran?»,
questionne Philippe Apelt, médecin généra-
liste à Chambéry – et si chacun s’accorde à
dire que «le présentiel doit rester la norme»,
comme le rappelle Paul Frappé, président du
Collège de la médecine générale, ce sont sur-
tout les conditions de déploiement de ces
plates-formes «à la demande» qui inquiè-
tent la profession.
deux médecines
Une première crainte est de voir émerger
deux médecines, «avec d’un côté les prises
en charge compliquées, pour nous, en cabi-
net, et de l’autre un service “one shot” en visio,
avec des médecins qui ne connaissent pas les
patients et ouvrent les parapluies en faisant
flamber les ordonnances d’antibiotiques», re-
grette Agnès Giannotti. La présidente du
syndicat MG France plaide d’ailleurs pour
que soit mis en place un tarif différencié en-
tre l’exercice traditionnel et ces offres à la de-
mande. Autre critique formulée par les mé-
decins libéraux: la téléconsultation se déve-
lopperait sans concertation avec les
praticiens locaux. «Dans les pharmacies, des
cabines sont installées sans qu’ils en soient
avisés, et parfois dans des zones où l’offre de
soins ne manque pas, il n’y a pas de logique»,
observe Raphaël Dachicourt, porte-parole
du syndicat de généralistes ReAGJIR.
Dans la réglementation, la téléconsulta-
tion est par ailleurs soumise au principe de
territorialité: les médecins sollicités sont
censés pratiquer à proximité du patient,
pour pouvoir coordonner une prise en
charge locale si son état le nécessite. La seule
exception est d’habiter un désert médical,
sans solution immédiate. Dans les faits, les
mises en relation font peu de cas de ce prin-
cipe, et le médecin sollicité, quel que soit le
lieu d’appel du patient, peut exercer à des
centaines de kilomètres. «Il est bien évident
que certaines régions sont mieux dotées que
Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:41:30 Date de Publication 16/1/2024
Les trois quarts des médecins
généralistes libéraux ont affirmé avoir
déjà effectué une téléconsultation
début 2022, contre 5 % en 2019
3 avril - 2 mai 2021
Troisième
confinement
2021 2022
53 % 54 %
ont de 20 à 49 ans
Nombre de téléconsultations mensuelles
Infographie : Le Monde, Audrey Lagadec, Benjamin Martinez
d’autres», justifie Olivier Thierry, président-
directeur général de Qare. Et puis, il y a des
initiatives qui interrogent. Le Syndicat natio-
nal des ophtalmologistes de France s’étonne
ainsi que des bornes puissent être installées
dans des magasins d’optique. «Au prétexte
de pallier un manque de médecins, n’est-ce
pas surtout le moyen de faire grimper le chif-
fre d’affaires de ces boutiques, puisqu’une fois
son ordonnance de lunettes obtenue on sera
tenté d’acheter sur place?», questionne son
ancien président, Thierry Bour.
Des abus ont été constatés également avec
des sites spécialisés dans l’octroi d’arrêts ma-
ladie ou qui salarient des médecins inscrits à
des ordres des médecins étrangers, et n’indi-
quent pas clairement que les actes, dans ce
cadre, ne sont pas remboursés. «Ce sont des
offres marginales, on en poursuit certaines en
justice, mais elles confirment que le secteur
avait besoin qu’on y mette de l’ordre», admet
la directrice déléguée de l’Assurance-maladie,
Marguerite Cazeneuve.
«Notre incapacité à résoudre le problème
des déserts médicaux a favorisé tous ces déra-
pages», regrette Gérard Raymond, président
de la fédération de patients France Assos
Santé. L’économiste de la santé Frédéric Bi-
Le distanciel pour sortir du statut de médecin classique
Médecin généraliste depuis
dix ans, Marie (les prénoms ont été
modifiés), 36 ans, n’a jamais eu envie
d’ouvrir un cabinet. Elle assure des
remplacements dans la région lyon-
naise, et consacre quelques heures
par semaine à la téléconsultation.
Salariée d’une plate-forme, elle y
gagne entre 300 et 700 euros par
mois. « C’est un complément de sa-
laire », reconnaît-elle. Marie décide
de ses horaires : « Je m’organise selon
mes disponibilités : quand je fais un
remplacement et qu’il n’y a pas grand
monde en cabinet, ou que des pa-
tients n’honorent pas un rendez-vous,
je me connecte à la plate-forme. Par-
fois aussi, j’assure quelques heures le
soir en semaine ou le samedi matin
depuis chez moi. » De l’autre côté de
l’Atlantique, Richard, 44 ans, est ur-
gentiste salarié dans un hôpital situé
ÉconomiE & EntrEprisE | 15
Dans un contexte
de désertification
médicale en France
Actes de téléconsultations Nombre d’habitants pour un médecin
selon la spécialité généraliste, en France
des médecins libéraux,
au premier semestre 2023 1003 1030
879 871 924 955
Médecins généralistes
71 %
Psychiatres 2000 05 10 15 20 2021
13 %
Evolution de la densité de médecins,
Gynécologues par spécialité entre 2012 et 2022, en %, en France
3%
– 19 Dermatologues
Pédiatres
Juin 2023
– 18 Rhumatologues
Autres
– 17 Gynécologues
Juin 2023 ORL et chirurgiens
– 12 cervico-faciaux
Médecins
–9
généralistes
Une téléconsultation
dure en moyenne
Ophtalmologistes
–8
33 % 10,5 minutes contre
18 minutes dans un cabinet
–6 Psychiatres
Evolution
2012-2022
pour les Gastro-entérolo-
–4
12 spécialités gues-hépatologues
retenues
Pédiatres + 0,5
Les plates-formes à la demande Cardiologues +7
Elles permettent généralement une mise
en relation entre un médecin et un patient
qui ne se connaissent pas Radiologues +8
Anesthésistes +8
200 000
141 600
78 000
Sources : Caisse nationale de l’Assurance-maladie ;
ministère de la santé ; Institut économique
Molinari ; Télémédecine 360 ; Doctolib, Maiia,
Qare Medadom (près Livi (suédois Qare, Medadom ; Livi ; Répertoire partagé
de 4 000 bornes de télé- et leader des professionnels de santé ; Calculs : Emmanuel
consultation en pharmacie) européen) Vigneron, professeur émérite des universités
zard déplore de son côté «qu’on ait laissé des même à y consacrer des ateliers en fac de mé-
les pouvoirs plates-formes financiarisées s’emparer du decine! Mais il faut un cadre.» De ce point de
publics jouent marché faute d’avoir anticipé, dans les territoi-
res, le formidable outil que pouvaient consti-
vue, lui et son collègue Arnaud Devillard pro-
posent un concept qui pourrait bien mettre
une partition tuer ces prises en charge à distance». tout le monde d’accord. A Troyes, où ils rési-
Les pouvoirs publics jouent une partition dent, dans un département où les médecins
d’équilibriste : d’équilibriste: comment réguler sans l’étouf- sont rares, ils ont ouvert en 2018 un cabinet
fer une offre qui peut néanmoins se révéler de téléconsultation qui agrège les temps rési-
comment réguler bien utile, a fortiori quand 6 millions de Fran- duels des médecins de l’Aube. Les volontaires
sans étouffer une çais n’ont pas de médecin traitant? «L’agré- y consacrent quelques heures par semaine, et
ment obligatoire en 2024, et qui contraint les soignent à distance des patients qui n’ont pas
offre qui peut acteurs de la téléconsultation à respecter une de solution et, souvent, pas de médecin trai-
série de critères techniques et de bonnes prati- tant. Des outils connectés installés à diffé-
néanmoins se ques médicales pour prétendre aux rembour- rents endroits du département permettent
révéler bien utile sements de l’Assurance-maladie, nous permet- également des téléconsultations assistées
tra de contrôler beaucoup mieux le secteur», avec un infirmier ou un pharmacien en pré-
précise Marguerite Cazeneuve. sentiel. Le concept remplit les conditions de
Parallèlement, l’Assurance-maladie réflé- territorialité prévues par la réglementation,
chit à relever le plafond d’activité autorisée et le partage des tâches est assumé entre des
en téléconsultation pour la porter de 20 % à professionnels de santé qui exercent de façon
50 % dans certaines spécialités. La psychia- indépendante. Jérémie Goudour et Arnaud
trie, notamment, qui manque de personnel Devillard ont décidé, depuis, de répliquer le
et dont l’exercice se prête bien, selon la pro- modèle dans d’autres départements en
fession, aux rendez-vous à distance, est con- créant l’entreprise Omedys. Fort de son an-
cernée. «Après la méfiance des débuts, la télé- crage rural, le Crédit agricole a acquis en dé-
consultation sera bientôt considérée comme cembre 2023 une participation majoritaire
indispensable, prédit Jérémie Goudour, mé- dans la société. p
decin généraliste et urgentiste. On commence Véronique Julia
dans une petite île des Antilles fran- « Renouvellement de pilule, rhino- je ne vois les patients qu’une seule fois,
çaises, et dégage de « 800 euros à pharyngite… C’est de la médecine de je n’ai pas à les suivre et leurs problè-
1 000 euros » presque tous les mois base, renchérit Richard. Mais je me mes ne me poursuivent pas quand je
en profitant également de moments vois comme un premier recours : pour suis en congés. » Pour les deux profes-
creux : « J’ai des astreintes deux jours une otite, par exemple, je vais donner sionnels, cette prise de distance vis-à-
par mois au cours desquelles il ne se un antalgique pour soulager la dou- vis de l’exercice traditionnel résulte
passe pas forcément grand-chose. J’en leur en attendant que le patient aussi d’un regard très sombre porté
profite pour assurer quelques rendez- puisse aller voir son médecin. » sur le statut de médecin en France.
vous sur la plate-forme. » Richard a passé plus de dix ans à l’hô-
Tous les deux connaissent les limi- « charge mentale » allégée pital en métropole et dit avoir souffert
tes de l’exercice. « On dépanne des pa- Si Marie a adopté cette formule, c’est de conditions de travail difficiles et
tients qui n’ont pas de médecin trai- aussi pour la sécurité qu’offre la con- d’un manque de reconnaissance fi-
tant ou qui ne veulent – ou ne peuvent sultation à distance, car elle s’est par- nancière. Marie juge aussi que «le mé-
– pas attendre un rendez-vous. Avec fois sentie menacée dans des cabi- decin traitant n’est pas respecté» par les
un bon interrogatoire, on peut faire nets par des patients à qui elle refu- pouvoirs publics, qui, dit-elle, paient
un bon diagnostic, et c’est toujours sait un arrêt ou une prescription : mal. «26,50 euros la consultation, c’est
mieux qu’une automédication, expli- « Derrière l’écran au moins, je ne re- une insulte à la fonction et à mes com-
que Marie. Mais, dans la plupart des doute pas l’agression. » Un autre pétences», dit-elle. Par les patients,
cas, je dis au patient d’aller consulter avantage, selon elle, réside dans le aussi, qui «viennent parfois chez nous
si ça ne va pas mieux le lendemain, fait de ne pas trop s’investir vis-à-vis faire leurs courses de médicaments,
car l’examen clinique reste quand des patients : « Ne pas gérer mon pro- comme ils iraient au supermarché». p
même prioritaire. » pre cabinet allège ma charge mentale, V. J.
V1
 16 | Horizons
Anouchka etsesfrères
Les trois enfants d’Alain Delon, très affaibli par un AVC et une grave maladie,
se déchirent publiquement depuis le début de l’année. Ils multiplient injures,
accusations sordides, enregistrements clandestins et dépôts de plainte
L
es oiseaux se cachent pour mou-
rir, les grands fauves, eux, s’étei-
gnent en pleine lumière, sous le
feu brûlant des projecteurs. De-
puis les premiers jours de 2024, le
clan Delon n’en finit pas de se dé-
chiqueter au grand jour, sous le regard tout à
la fois consterné et fasciné des Français. Ja-
mais, depuis la terrible bataille autour de
l’héritage de Johnny Hallyday, en 2017, les
tourments d’une famille n’avaient provoqué
autant de bruit, créé autant de curiosité et
suscité autant de malaise. A une différence
près, et elle est de taille: Johnny était mort et
enterré lorsque la guerre fut déclarée entre
son épouse, Laeticia, et ses enfants David et
Laura. Alain Delon, lui, bien que considéra-
blement affaibli à la suite d’un AVC en 2019,
est toujours en vie et assiste, affligé et im-
puissant, au pugilat entre ses trois enfants.
Car si l’immense comédien des films de
Luchino Visconti Rocco et ses frères (1960) et
Le Guépard (1963) se mure souvent dans le si-
lence, parvient difficilement à s’exprimer,
n’entend plus guère, est comme emmuré
dans un corps et un cerveau qui ne s’éveillent
que par intermittence, ses trois enfants, An-
thony, Anouchka et Alain-Fabien, s’accordent
au moins sur un point: leur père comprend
ce qui se passe autour de lui.
Chaque midi, ou en début d’après-midi,
lorsqu’il émerge de nuits hachées et souvent
difficiles dans sa propriété de Douchy (Loi-
ret), qu’il n’a pas quittée depuis l’été, le vieux
lion feuillette l’exemplaire de son quotidien
préféré, Le Parisien, qui l’attend sur la table de
la cuisine. Alain Delon, 88 ans, y lit la chroni-
que d’une famille en lambeaux : la sienne.
Car depuis dix jours, tous les coups sont per-
mis dans un crescendo mortifère au sein de
cette fratrie à feu et à sang: injures, accusa-
tions les plus sordides, diffusion d’enregis-
trements clandestins, mains courantes et dé-
pôts de plainte tous azimuts. « Au nom du
père», toujours, comme l’a titré le 4 janvier
Paris Match, qui, depuis plus d’un demi-siè-
cle, chronique les moindres faits et gestes du
Samouraï et des siens, chacun revendiquant
sa place de «meilleur» enfant. «Il faut que ça
s’arrête, que tout le monde se calme, ça suffit,
maintenant», déclare au Monde Me Christo-
phe Aleya, l’avocat d’Alain Delon depuis 2019.
Un appel qui arrive un peu tard, tant la ma-
chine à détruire s’est emballée.
« un tremblement de terre »
Le premier coup de tonnerre éclate il y a quel-
ques mois. Le 5 juillet, les enfants du patriar-
che, unis pour l’occasion, se débarrassent
manu militari de la «dame de compagnie» ja-
ponaise de leur père, Hiromi Rollin, 66 ans, et
portent plainte contre elle pour « harcèle-
ment moral», «détournement de correspon-
dance », «maltraitance animale». Selon Me
Aleya, qui a rédigé la plainte, «madame Rollin
était devenue de plus en plus agressive et ca-
ractérielle. Elle n’arrêtait pas de dire du mal
des enfants. Elle harcelait monsieur Delon du
matin au soir pour qu’il l’épouse. Il ne la sup-
portait plus, il en avait ras le bol d’être en con-
flit permanent avec elle».
Une version fermement contestée par l’in-
téressée, qui a, elle aussi, fait le tour des mé-
dias pour jurer vivre une histoire d’amour de-
puis trente ans avec l’acteur: «C’est un coup
monté des enfants pour me faire sortir de la vie
de leur père.» A peine expulsée de Douchy, Hi-
romi Rollin porte plainte à son tour. Après en-
quête, Jean-Cédric Gaux, le procureur de
Sortie par lecomte le 15/01/2024 08:43:59 Date de Publication 16/1/2024
Montargis (Loiret), a, depuis lors, renvoyé
tout le monde dos à dos en classant les deux
plaintes sans suite. Interrogé par Le Monde,
Me Yassine Bouzrou, avocat de Hiromi Rollin,
n’entend pas en rester là: «L’expulsion illégale
dont ma cliente a fait l’objet, les accusations
mensongères dont elle est victime, l’humilia-
tion et les préjudices énormes qu’elle a subis
devront être l’objet de procédures judiciaires»,
estime-t-il. Mais entre-temps, un nouvel épi-
sode a embrasé la tribu Delon, faisant passer
l’affaire Rollin pour un apéritif.
Le 4 janvier, alors que les Français se re-
mettent à peine de leur réveillon, nouvelle
bombe. Anthony, 59 ans, fils unique d’Alain
et de Nathalie Delon, donne une interview
à la mitraillette en couverture de Paris
Match. La veille, la chaîne Arte rediffusait
Plein soleil (1960), le film culte de René Clé-
ment, où Romy Schneider (qui joue l’amie de
Freddy)et Alain Delon irradient la pellicule de
leur folle beauté. Se posant en protecteur de
son père, Anthony reproche à sa sœur,
Anouchka, 33 ans, d’avoir «menti» et «mani-
pulé [leur] famille».
En cause : cinq tests cognitifs effectués sur
leur père qui auraient été réalisés en Suisse
entre 2019 et 2022, aux résultats très préoc-
cupants, qu’Anouchka aurait cachés à ses frè-
res. « En gardant le silence, elle l’a mis en dan-
ger » et « s’est rendue complice des abus et vio-
lences dont il a été victime », assure l’aîné. Il
annonce avoir déposé une main courante à
ce sujet. Pour lui, la confiance est rompue :
« A un moment, je me suis dit : “Ça suffit.” Une
personne capable de ça est capable de tout.
Elle était inarrêtable, je n’avais pas le choix,
elle se croit toute-puissante », confie Anthony
Delon au Monde. Lucide, il ajoute : « Je suis
confronté aux médias depuis trente-cinq ans,
je savais que ça allait provoquer un tremble-
ment de terre. »
La riposte de celle qu’il appelle encore
« Anouch » ne s’est pas fait attendre. Un
communiqué, rédigé par Me Aleya, explique
que « le comédien dit ne plus supporter
l’agressivité de son fils, qui n’arrête pas de lui
dire qu’il est sénile». Le même texte attribue à
Alain Delon les propos suivants sur son fils
Anthony: «Qu’il me foute la paix et qu’il foute
la paix à ma fille. » Au Monde, l’avocat
reconnaît n’avoir pas directement entendu
cette phrase de la bouche de l’acteur, mais
avoir reçu son approbation au téléphone
quand il lui a lu le communiqué depuis ses
vacances au Brésil.
Le ton monte et l’affaire hystérise les pla-
teaux des chaînes d’info en continu. De
BFM-TV à CNews, Anthony Delon se lâche,
brutal, langage fleuri à la Michel Audiard. Les
précautions ne sont plus de mise : il traite
l’avocat de sa sœur de «baltringue», accuse
Anouchka de vouloir transporter leur père en
Suisse «pour des raisons fiscales», afin de ne
pas payer d’impôts au moment de l’héritage,
lui reproche d’avoir manipulé l’ancienne
gloire du cinéma en le sortant du lit «pour lui
foutre Paris Match sous le nez». «Ça me fait
gerber», conclut-il à l’antenne de BFM-TV.
Dimanche 7 janvier, Anouchka Delon tente,
à son tour, de mettre l’opinion de son côté en
direct au journal de 20 heures de TF1. Tout de
noir vêtue, elle assure avoir eu «envie de [se]
tuer» à la lecture de l’hebdomadaire, ne pas
dormir depuis trois jours et fait part de sa
« honte de voir [leur] vie de famille étalée
comme ça». Elle annonce porter plainte en
diffamation contre Anthony. «C’est une hor-
reur de porter plainte contre son propre frère,
précise-t-elle. Je ne pensais jamais arriver à
cela dans ma vie.» Elle nie ensuite avoir caché
quoi que ce soit: «Je n’ai pas menti, je n’étais
pas au courant des résultats [des tests cogni-
tifs].» Elle explique vouloir transporter son
père en Suisse dans le seul but « qu’il soit
traité » par des spécialistes et non pour un
quelconque intérêt financier: «Je suis la fille
de mon père, pas la fille d’un portefeuille.»
A peine avait-elle quitté le plateau de
TF1 qu’une nouvelle grenade était lancée, par
son frère cadet cette fois, Alain-Fabien,
29 ans, acteur lui aussi, dont on apprendra
quelques jours plus tard qu’il a porté plainte
contre sa sœur fin décembre. Sur le réseau
social Instagram, le petit dernier, qui vit de-
puis quelques mois avec son père à Douchy,
se déchaîne : « Tu as ouvert la boîte de Pan-
dore», écrit-il à l’attention d’Anouchka, en di-
vulguant un enregistrement sonore réalisé à
l’insu de la jeune femme, le vendredi 5 dé-
cembre à 21h30. On l’entend, tendue et éner-
vée, répéter à son père: «Le piège va se refer-
mer sur toi. J’en prends plein la gueule à la télé
toute la journée, on me défonce sur BFM-TV,
[on dit] que je te manipule, que tu es gâteux,
qu’Anthony veut te mettre sous tutelle.»
Alain Delon ne bronche pas. Et Alain-Fabien
de commenter en écrivant: «Papa est sugges-
tible dans son état. C’est un fait. Nous le savons
tous. Papa ne sait pas quand c’est le matin ou
le soir. C’est un fait. Nous le savons tous.
Pourquoi lui balancer ces mots et ce venin
avant de dormir, lui mettre toute cette négati-
vité en tête ? » « Merci d’avoir fait tomber le
masque de la perfidie, applaudit en écho
Anthony sur le même réseau social. Non, on
ne parle pas comme ça à un père, non, on ne le
culpabilise pas de la sorte, non, on ne l’ins-
trumentalise pas comme elle l’a fait. (…) C’est
sur elle que le piège vient de se refermer main-
tenant.» Ambiance.
Héritage symbolique
Sur sa lancée, Alain-Fabien, visiblement à vif
et très agité, continue de vitupérer sa sœur
en duplex sur BFM-TV : « Mais t’es folle ou
quoi? T’es tellement inquiète pour ton papa
alors pourquoi tu es repartie en Suisse?» Du
« Ma sœur côté des avocats des deux parties, qui s’invec-
était inarrêtable, tivent par antennes interposées, ce n’est
guère mieux. Selon nos informations, ils ont
je n’avais pas tous deux été rappelés à l’ordre par le bâton-
nier: Me Aleya pour être en conflit d’intérêts
le choix, en défendant à la fois le père, les enfants, puis
la sœur contre les frères, Me Laurence Be-
elle se croit dossa pour avoir été trop loin dans la défense
toute-puissante » d’Anthony, en assurant qu’Alain Delon, dont
elle est également le conseil, n’a «plus toutes
Anthony Delon ses facultés». Christophe Aleya a, depuis lors,
fils aîné d’Alain Delon décidé de ne représenter désormais que le
seul Alain Delon, Anouchka confiant sa dé-
fense au pénaliste Frank Berton.
Tous les éléments du drame shakespearien
sont en place. Famille disloquée, unité de
temps et de lieu. C’est à Douchy, la propriété
de plus de 120 hectares, entourée de murs
donnant sur la forêt, dont Alain Delon avait
confié la restauration à sa compagne d’alors,
l’actrice Mireille Darc, que la tragédie se joue.
« Une maison de fous », comme la qualifie
Alain-Fabien, qui partage le quotidien de son
père désormais reclus au milieu de ce parc
immense où il a fait construire une chapelle à
côté du cimetière où reposent ses chiens.
Cette demeure, maintes fois photographiée
du temps de sa splendeur, a vieilli à l’image
de son propriétaire: «Tout est cassé, l’électri-
cité ne marche pas», raconte Alain-Fabien à
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Paris Match. Après avoir chassé Hiromi
Rollin des lieux, les deux frères se sont unis
pour renvoyer les gardes du corps de leur
père, qu’ils soupçonnent de les espionner
pour le compte de leur sœur, et les ont rem-
placés par des hommes de confiance. Un vé-
ritable scénario de film de mafia.
Après un court aller-retour en France, Anou-
chka a regagné Genève, où elle réside, et c’est
désormais sur le terrain médical que les deux
blocs s’affrontent. Atteint, en plus des séquel-
les de son AVC, d’une maladie très grave, Alain
Delon n’est plus soigné depuis l’été, ses en-
fants ayant jugé que les traitements suivis
l’affaiblissaient trop. Depuis, Anouchka
plaide pour que leur père fasse au moins un
check-up et des examens poussés en Suisse
afin de s’appuyer sur un avis éclairé. Me Aleya,
qui continue à la soutenir, a adressé le 9 jan-
vier un signalement « très urgent » pour
«mise en danger de monsieur Delon». Il fait
état d’un avis du médecin traitant suisse de la
star, le docteur Philippe Glasson, qui ne l’a pas
vu depuis le mois de juin, mais estime dans
une lettre dont Le Monde a pu prendre
connaissance que «les conséquences d’un ar-
rêt de ce traitement sont potentiellement délé-
tères pour son état de santé». Deux jours plus
tard, le procureur de Montargis a préféré an-
noncer qu’un médecin mandaté par la justice
française allait évaluer l’état de santé d’Alain
Delon, en vue d’une éventuelle mesure de
protection judiciaire, pouvant conduire à un
placement sous tutelle ou curatelle. Une
solution prônée par les fils pour protéger le
vieux fauve, qui reste l’objet de toutes les con-
voitises. Dernier rebondissement samedi
13 janvier : Me Yassine Bouzrou, l’avocat
d’Hiromi Rollin, a dénoncé une «tentative
d’homicide volontaire» des enfants Delon sur
l’acteur, mettant en cause leur décision d’ar-
rêter son traitement.
Dans ce déballage effarant, chacun jure
qu’il ne s’agit pas d’une affaire d’argent. Alain
Delon parle depuis des années de sa mort et il
a scrupuleusement préparé son testament:
50 % de sa fortune ira à sa préférée, Anou-
chka, l’autre moitié sera divisée entre An-
thony et Alain-Fabien. Un patrimoine estimé

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Mardi 16 janvier 2024
à plusieurs dizaines de millions d’euros en
biens immobiliers, œuvres d’art, royalties
sur ses films et sur ses franchises (marques
de vêtement, de lunettes, parfums, sacs…
vendus dans le monde entier). Cette inégale
et forcément cruelle répartition entre les
trois enfants, la vedette ne l’a pas cachée. «Il
m’a dit ce qu’il avait prévu de faire sans me
donner de raison. Je ne lui en ai pas demandé
non plus», raconte Anthony Delon au Monde.
Mais, comme souvent dans les histoires de
succession, au-delà de l’argent, c’est d’héri-
tage symbolique qu’il s’agit. Les choix d’un
père révèlent ses préférences, charrient leur
lot d’injustices, de jalousies, de haines recui-
tes et de douleurs plus ou moins enfouies. Ce
qui se joue à travers les batailles patrimonia-
les n’est rien d’autre qu’une quête inextin-
guible d’amour et de reconnaissance.
Qu’a-t-il pu se passer au sein de cette fa-
mille pour qu’elle explose aussi violem-
ment ? Quel père Alain Delon a-t-il été pour
qu’une telle fin, digne des pires tragédies
grecques, se joue à ciel ouvert ? Pour com-
prendre la guerre de tranchées qui oppose
Anouchka à ses frères, il faut revisiter les en-
fances des uns et des autres. Un retour dans
le passé d’autant plus facile que cette famille
n’a jamais rien masqué. Depuis des décen-
nies, leurs disputes, leurs ruptures, leurs ré-
conciliations sont jetées en pâture, comme
si, dans ce clan-là, on ne savait pas se parler
autrement que par interviews, photos ou
livres interposés, comme si les déclarations
de haine ou d’amour ne pouvaient se faire
qu’en public.
revisiter les enfances
Anthony, né en 1964, a 4 ans quand son père
se sépare de sa mère, Nathalie, mettant fin à
un couple aussi sublime qu’explosif. Il racon-
tera plus tard dans deux livres autobiogra-
phiques une enfance cabossée entre un père
à l’apogée de sa carrière – «Je le voyais comme
un héros, un dieu» –, rarement disponible, sé-
vère à l’extrême, distribuant coups de fouet
et punitions dégradantes, et une mère qui
s’enfonce dans la drogue. « Mes parents ne
s’occupaient pas de moi.» Il arrête l’école, sort
Sortie par lecomte le 15/01/2024 08:44:01 Date de Publication 16/1/2024
en boîte, développe un goût pour l’alcool et
les armes à feu. A 17 ans, premières voitures
volées; à 18, il se fait arrêter au volant de l’une
d’elles: à l’intérieur, un pistolet 9 mm et neuf
cartouches dérobés à un gendarme lors de
l’évasion du braqueur Bruno Sulak. Anthony
passe trois semaines en prison et écope fina-
lement d’une peine de neuf mois, dont huit
avec sursis.
Dès lors, il ne cessera plus de faire la «une»
des journaux, fascinés par sa beauté magné-
tique, son côté voyou, ses conquêtes fémini-
nes (l’actrice Valérie Kaprisky, la princesse
Stéphanie de Monaco), ses embrouilles avec
son père. Il monte une marque de vêtements
de cuir avec son copain Alexandre Djouhri,
connu aujourd’hui pour être un sulfureux in-
termédiaire dans des ventes d’armes.
Son père ne supporte pas son succès, lui in-
terdit d’abord un contrat publicitaire au Ja-
pon, «son» pays, celui où il est adulé et où il
écoule des dizaines de produits qui portent
son nom, puis il lui intente un procès en
contrefaçon, en 1984, pour l’empêcher d’uti-
liser leurs initiales communes. Comment
mieux signifier à un fils qu’il n’a pas sa place?
L’aventure entrepreneuriale d’Anthony
prendra fin lorsque son deuxième associé,
David Tordjman, sera victime d’une tentative
d’assassinat, en 1986. Le jeune homme se
lance dans les tournages, mais il ne parvient
pas à rivaliser avec ce père qui règne en maî-
tre sur le cinéma français.
Il a 30 ans lorsque naît son demi-frère, Alain-
Fabien, le cadet de l’union entre Alain Delon
et la mannequin néerlandaise Rosalie Van
Breemen. Anthony ne voit plus guère son
père à cette période, mais loin de lui, à Dou-
chy, le terrible schéma du conflit père-fils se
répète, fait d’attraction-répulsion, d’admira-
tion-détestation. Comme son père, puis son
frère, Alain-Fabien grandit dans un sentiment
d’abandon et de violence. Il a 8 ans quand son
père lui interdit d’aller au remariage de sa
mère avec Alain Afflelou: «Sois un homme»,
lui balance-t-il. Comme si, chez les Delon, on
ne pouvait devenir un homme que dans la du-
reté, l’affrontement, les mauvaises fréquenta-
tions, la virilité exacerbée, le culte des armes.
A peine adolescent, Alain-Fabien fugue,
fume du cannabis, se fait renvoyer de pen-
sion et déjà, dès l’âge de 16 ans, règle ses
comptes avec son père dans la presse, racon-
tant les colères noires d’Alain Delon, les
coups, les assiettes qui volent, les vitres bri-
sées, les remarques humiliantes sur ses
« chaussures de pédé». Quelques mois plus
tard, il fait reparler de lui pour un terrible fait
divers. Alors qu’il a organisé une fête au do-
micile de son père à Genève, il brandit une
arme à feu et blesse accidentellement une
jeune fille de 17 ans à l’abdomen. Il sera
condamné à cinq mois de prison avec sursis
au terme d’un procès pour « détention illé-
gale d’arme» et «non-assistance à personne
en danger». A 18 ans, son père lui coupe les vi-
vres. S’ensuivent disputes et réconciliations,
étalées dans la presse: «Pendant des années,
les choix d’un j’ai attendu qu’il claque», lâche-t-il au maga-
père révèlent zine Elle, en 2019. « J’étais le vilain petit
canard, (…) j’ai découvert des anniversaires
ses préférences, familiaux dans la presse comme un paria »,
dira-t-il dans Paris Match, en 2021, sous le ti-
charrient leur tre «Confidences d’un mal-aimé».
lot d’injustices, Des rivaux potentiels
de jalousies, Il peine à trouver sa place comme acteur, et
dans la vie aussi. Dans le dernier numéro de
de haines Paris Match, du 10 janvier, il se décrit comme
«un mec de 29 ans foutu dehors, renié, méprisé
recuites toute sa jeunesse», pendant que sa sœur «a la
belle vie». Que de souffrances affleurent dans
chaque geste et chaque propos du cadet, qui
ne supporte plus la différence de traitement
avec son aînée, Anouchka, la favorite, fille
comme lui de Rosalie Van Breemen. Anou-
chka, dont le père déclara en 2008: «Je n’ai ja-
mais autant dit “je t’aime” à aucune femme.»
Elle a à peine 12 ans quand Alain Delon l’in-
tronise en tant qu’actrice en la faisant tour-
ner en 2003 dans Le Lion, l’adaptation du li-
vre de Joseph Kessel pour la télévision, 19 ans
quand il monte à ses côtés sur les planches du
théâtre des Bouffes parisiens, dans la pièce
Une journée ordinaire, d’Eric Assous, mise en
scène par Anne Bourgeois. Il l’emmène dans
les festivals, clame partout qu’elle est « la
nouvelle Romy Schneider ». En 2019, juste
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Horizons | 17
Portrait
d’Alain Delon
avec ses enfants,
Anthony, l’aîné,
Anouchka,
la cadette,
et Alain-Fabien,
le benjamin,
en janvier 2003,
à Douchy (Loiret),
dans la propriété
de l’acteur.
MICHEL MARIZY/PARISMATCH/
SCOOP
avant son grave AVC, c’est à elle seule qu’il de-
mande de l’accompagner pour la cérémonie
du Festival de Cannes organisée en son hon-
neur. C’est encore elle qu’il a décidé de nom-
mer, en 2018, à la vice-présidence de sa so-
ciété Alain Delon International Diffusion SA,
à Genève, avec appartement, salaire et con-
fortable voiture de fonction. Bref, elle bénéfi-
cie de privilèges qu’aucun de ses frères n’aura
eus. « Bien sûr que je paye cette préférence,
analysait-elle avec lucidité sur le plateau de
TF1, le 9 janvier. C’est mon fardeau. Mais j’ai de
la chance d’avoir mon père dans ma vie.»
Cette «chance», Ari Boulogne ne l’aura pas
eue. Le fils de la chanteuse Nico, du groupe de
rock Velvet Underground, qui ressemblait à
Delon comme deux gouttes d’eau, a été re-
cueilli et adopté par la mère de l’acteur, dont
il portait le nom, mais jamais l’immense co-
médien n’a voulu le reconnaître. Il est mort le
20 mai 2023 dans le dénuement le plus total,
après des années d’addiction à l’héroïne.
Alain Delon semble à avoir eu du mal à être
père de garçons. Peut-être parce que lui-
même a été abandonné par son père, puis
par sa mère, remariée avec un charcutier
portant le patronyme de Boulogne. « Je
n’étais pas celui qui dérange, mais celui dont
on ne savait pas quoi faire. J’avais souvent le
sentiment d’être de trop », a, un jour, dévoilé
le pudique et fier acteur au journaliste Franz-
Olivier Giesbert.
Il a lui-même connu la rage, la rébellion, les
fugues, les conduites à risque et les fréquen-
tations douteuses, avant de rencontrer le
succès qui le hissera au firmament du ci-
néma. Sans doute son ego, probablement
aussi immense qu’incertain, lui fit considé-
rer ses fils comme des rivaux potentiels qu’il
fallait écraser dans l’œuf. Celui qui a tou-
jours prôné les valeurs familiales, revendi-
quant haut et fort son « clan » en donnant à
chacun de ses enfants ses propres initiales,
celui qui a déclaré à maintes reprises vouloir
créer une « dynastie » d’acteurs, celui qui ré-
pétait à ses rejetons qu’ils appartenaient à la
« la race des seigneurs » aura été incapable de
vivre une paternité apaisée avec ses fils. p
VaneSSa Schneider
 18 | Carnet
Jean-Luc
Laurent
Maire du
Kremlin-Bicêtre
En 2014, au Kremlin-Bicêtre
(Val-de-Marne).
Vincent isore / iP3 Press/MAXPPP
M
aire du Kremlin-Bi-
cêtre (Val-de-Marne),
président du Mou-
vement républicain
et citoyen (MRC, gauche), Jean-Luc
Laurent est mort à l’hôpital Marie-
Lannelongue, au Plessis-Robinson
(Hauts-de-Seine), le jeudi 11 jan-
vier, en début d’après-midi, d’un
arrêt cardiaque survenu alors qu’il
semblait se remettre d’une pre-
mière attaque, le 21 décem-
bre 2023. Il avait 66 ans.
Cet homme affable, dont la
courtoisie se mariait avec une
forte détermination, était un hu-
maniste, comme l’ont souligné
tous ceux qui, de gauche à droite,
lui ont rendu hommage. Né le
23 juin 1957 à Paris, il est entré au
Parti socialiste à 20 ans et est de-
venu membre du bureau national
en 1992. Elu pour la première fois
en 1983 dans les rangs de l’opposi-
tion au conseil municipal du
Kremlin-Bicêtre, il lui faudra at-
tendre douze ans pour siéger à la
tête de la mairie. Il sera réélu
en 2001, 2008, 2014 et 2020.
Elu député de la dixième cir-
conscription du Val-de-Marne,
en 2012, il cède son poste de maire
à son premier adjoint, Jean-Marc
Nicolle, en janvier 2016, pour res-
pecter la loi sur le non-cumul des
mandats. Mais son successeur,
rattrapé par diverses affaires, est
mis en examen en 2018, pour
«abus de confiance, favoritisme,
trafic d’influence et corruption
active », mais n’en conserve pas
moins son poste. Aux municipa-
les suivantes, en 2020, il se pré-
sente contre son ancien compa-
gnon de route. Il gagne difficile-
ment avec 34,2 % des voix au se-
cond tour, dans le cadre d’une
triangulaire.
Un fidèle de Chevènement
Proche d’Arnaud Montebourg (il
avait participé à sa précampagne
en vue de l’élection présidentielle
de 2022), Jean-Luc Laurent était
aussi un fidèle de Jean-Pierre Che-
vènement. En 1993, il participe à
ses côtés à la création du Mouve-
ment des citoyens, devenu Mou-
vement républicain et citoyen. Il
assure le secrétariat général du
premier, puis devient secrétaire
national du second.
Au congrès du Kremlin-Bicêtre,
en juin 2008, il est nommé secré-
taire national chargé de l’organi-
sation et de la coordination du
parti. Deux ans plus tard, il accède
à la présidence avec 91,7 % des
voix, succédant à son mentor qui
ne se représentait pas.
Conseiller régional d’Ile-de-
France en 1986, il est élu vice-pré-
sident chargé du logement, du re-
nouvellement urbain et de l’ac-
Sortie par folliot le 15/01/2024 10:16:40 Date de Publication 16/1/2024
23juin1957 naissance
à Paris
1995 Première élection à
la mairie du Kremlin-Bicêtre
(Val-de-Marne)
2012 Devient député
de la 10e circonscription
du Val-de-Marne. il le sera
jusqu’en2017
11janvier2024 Mort
au Plessis-robinson
(Hauts-de-seine)
tion foncière, après la victoire de
la gauche en 1998. Il est ensuite
délégué spécial du Grand Paris et
préside parallèlement l’Etablisse-
ment foncier d’Ile-de-France. Le
soir de son élection au Palais-
Bourbon, en 2012, il annonce sa
démission de ces deux mandats
pour se mettre en accord avec la
législation. Son dernier combat, il
l’a livré le 14 décembre 2023 lors-
qu’il a accueilli les maires du dé-
partement afin de demander en-
semble à l’Etat «de ne plus aban-
donner les communes de France et
particulièrement du Val-de-
Marne».
Depuis l’annonce de son décès,
les hommages affluent de toutes
parts. Beaucoup saluent le répu-
blicain et l’homme de dialogue.
Jean-Pierre Chevènement, qui ne
cache pas sa « grande peine »,
évoque « un homme de convic-
tions, un militant au long cours,
un responsable de premier plan
qui fut longtemps pour [lui] le
plus précieux des collabora-
teurs ». Patrick Ollier (Les Répu-
blicains), président de la Métro-
pole du Grand Paris, se souvient
de son « sens du dialogue et de
l’écoute » alors qu’ils n’étaient
pas du « même bord politique ».
Christian Favier, ancien prési-
dent communiste du Val-de-
Marne, a eu « plaisir à travailler
avec lui », ajoutant : « Je peux té-
moigner de sa pugnacité dans la
défense des intérêts de sa com-
mune. » Ce que confirme la séna-
trice socialiste Laurence Rossi-
gnol, qui souligne « sa gentillesse
et sa rigueur ».
Tous saluent un grand républi-
cain, à l’image de Mathilde Panot,
présidente du groupe La France
insoumise à l’Assemblée natio-
nale, qui l’avait battu aux élec-
tions législatives en 2017, du se-
crétaire national du Parti com-
muniste français, Fabien Roussel,
et du député socialiste de l’Es-
sonne, Jérôme Guedj.
Un hommage doit lui a été
rendu, samedi 13 janvier, au gym-
nase Ducasse, au Kremlin-Bicêtre,
en présence de nombreux élus et
anciens élus de la région. p
Francis GouGe
M. Jean-Jacques Delpy,
son époux,
Laurence,
sa fille,
Le Carnet François,
son gendre,
Marie-Alix, Capucine et Alexandre,
ses petits-enfants,
Vous pouvez nous faire parvenir
ont la tristesse d’annoncer le décès
vos textes soit par e-mail :
de
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement Mme Anne-Marie DELPY,
votre numéro de téléphone et née MAISONNADE,
votre éventuel numéro d’abonné
survenu à Bayonne, le 8 janvier 2024.
ou de membre de la SDL)
soit sur le site :
Les nymphes et cocottes
https://carnet.lemonde.fr
ont la grande tristesse de faire part
L’équipe du Carnet reviendra vers du voyage éternel de
vous dans les meilleurs délais
Paul Armand GETTE,
pour vous confirmer la parution.
au pays de Vénus, Artémis et autres
déesses.
carnet@mpublicite.fr
https://carnet.lemonde.fr Qu’il soit remercié pour les
innombrables joies qu’il leur a
données.
AU CARNET DU «MONDE» Le musée Gassendi à Digne-les-
Bains a été honoré de recevoir la
donation des archives et d’œuvres de
Décès cet artiste.
Tours. Paris.
Paris.
Montbrison (Loire).
Odette Barbier,
son épouse
Et ses enfants. Anne Griot-Fohr,
son épouse,
Un an déjà. Marine Griot,
sa fille
et son compagnon, Julien Mercier,
Le
Félix,
docteur Michel BARBIER, son petit-fils,
né le 8 septembre 1927, Sa famille
médecin-chef Et ses amis,
du Service de pathologie exotique,
parasitaire et Maladies infectieuses ont la tristesse de faire part du décès
de l’hôpital international de
de l’Université de Paris,
Christian GRIOT,
est décédé le 15 décembre 2023,
chez lui à Paris, survenu le 30 décembre 2023, à Paris.
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
Les obsèques auront lieu ce mardi
Il était membre de la Société de 16 janvier 2024, à 11 h 30, au
crématorium du cimetière du Père-
pathologie exotique et de la Royal
Society of Tropical Medecine Lachaise, Paris 20e.
(découverte en 1966 de la Bilharziose
à Schistosoma Mékongi).
Grégoire, Gaspard, Gautier,
Timothée et Tom,
ses fils,
Murs. Aix-en-Provence. Marseille.
Robin, Madeleine, Arthur,
Apollinaire, Marguerite, Nathan, Félicie,
Marie-Claude Bonniol,
née Lereclus, ses petits-enfants,
son épouse,
ont la tristesse de faire part du décès
Le docteur Vincent Bonniol,
son fils, de
Léonard, Eva-Marie et Raphaël,
ses petits-enfants, M. Henri KAUFMAN,
ECP 63, éditeur et auteur,
leur sœur, Chiara,
leurs mères, Bernadette Cardelli et ancien président
Carole Crisanti, du comité des fêtes
Ses sœurs, son frère de Saint-Nom-la-Bretèche,
Et ses neveux, ancien président, fondateur
de l’agence Communider,
ont l’immense chagrin de faire part fondateur du Miss.Tic fan club,
de la mort de président
du Cercle des artistes de la vallée
M. le professeur des Baux-de-Provence,
Jean-Jacques BONNIOL,
fondateur du département survenu le 2 janvier 2024, à Paris.
des Sciences de l’éducation
à l’université d’Aix-en-Provence, Ses obsèques auront lieu le vendredi
19 janvier, à 14 heures, au crématorium
le 4 janvier 2024, chez lui, à Murs, du Parc, à Clamart.
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
loskaufmanos@gmail.com
La crémation a eu lieu ce lundi
15 janvier, au cimetière Saint-Pierre, Mellac (Finistère).
à Marseille.
v.bonniol@free.fr
Nous avons l’immense chagrin de
faire part du décès de
M Danielle Céa,
me M. Louis LE PENSEC,
née Darmon, ancien ministre,
son épouse, sénateur, député,
Ses enfants, conseiller général du Finistère,
Ses petits-enfants, maire de Mellac,
Ses arrière-petits-enfants,
Amis et élèves, survenu à l’âge de quatre-vingt-sept
ans.
ont l’immense tristesse de faire part
De la part de
du décès de
Colette (†),
Jean CÉA, son épouse,
mathématicien et écrivain, Olivier (†),
son fils,
ancien élève
de l’Ecole normale supérieure, Pascale,
professeur émérite sa belle-fille,
de l’université Côte d’Azur, Alix, Brieuc, Goulven,
fondateur de Polytech Nice, ses petits-enfants,
Ninon,
lauréat du Prix Poncelet,
membre son arrière-petite-fille,
de l’Academia Europaea, Adrienne,
sa sœur,
survenu le 9 janvier 2024, à Nice, Jean-François,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. son neveu
Ainsi que les familles
Ses obsèques seront célébrées le Et amis.
vendredi 19 janvier, à 12 heures, au
crématorium de Nice. Un dernier hommage lui sera
rendu ce mardi 16 janvier 2024, à
15 heures, au crématorium de Kerlétu,
Société éditrice du « Monde » SA à Lorient.
Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus Selon ses volontés, les visites
Directeur du « Monde », directeur délégué de la au funérarium sont réservées à la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
famille.
Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard, La famille remercie sincèrement
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis toutes les personnes qui s’associeront
Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, à leur peine, et tout particulièrement
Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
l’ADMR de Mellac, le cabinet infirmier
Directrice déléguée au développement des services Ty Bodel, ainsi que plus récemment
abonnés Françoise Tovo le personnel de l’EHPAD d’Arzano et
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs l’hôpital de Quimperlé lors de ces
Gilles van Kote dernières semaines.
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
Cet avis tient lieu de faire-part et
Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
(cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées) de remerciements.
Direction artistique Emmanuel Laparra
Infographie Delphine Papin Pompes funèbres Pierregui,
Directrice des ressources humaines du groupe
29300 Mellac.
Emilie Conte
Tél. : 02 98 35 05 28.
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
présidente, Gilles Paris, vice-président (Le Monde du 13 janvier.)
V1
Nouzonville (Ardennes). Neuilly-
Plaisance (Seine-Saint-Denis).
Pierre-Paul,
son fils,
Joëlle,
sa belle-fille,
Ses petits-enfants,
Aurore,
sa sœur
Et ses proches,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Mme Anne-Marie LHEUR,
survenu le 23 décembre 2023,
à Neuilly-Plaisance,
à l’âge de soixante-quatorze ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le 17 janvier 2024, à 14 h 30,
en l’église Saint-Pierre-Saint-Paul
d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), suivie
à 16 heures, par l’inhumation au
cimetière nouveau d’Ivry.
annemarie.lheur@gmail.com
Bordeaux. Yaoundé.
Mme Woya Owona Guindo,
son épouse,
Ses enfants
Et toute la famille éplorée,
ont la douleur de faire part du décès
de
M. le professeur
Joseph OWONA,
professeur émérite
de droit public,
membre
du Conseil constitutionnel,
ancien directeur
de l’Institut des relations
internationales du Cameroun (Iric),
ancien secrétaire général
de la Présidence de la République
du Cameroun,
plusieurs fois ministre,
survenu le 6 janvier 2024,
à Bordeaux (France).
Des hommages auront lieu à
Bordeaux et au Cameroun.
Pompes funèbres de France,
134, avenue de l’Yser,
33700 Mérignac.
Matthieu et Clémence Pluvinage
ont la grande tristesse d’annoncer le
décès de leurs parents,
Nicole et Philippe
PLUVINAGE,
survenu le 6 janvier 2024.
Le recueillement aura lieu le
mercredi 24 janvier, de 11 heures à
11 h 30, en la chambre mortuaire de
l’hôpital Bégin, à Saint-Mandé.
Une cérémonie suivra en la salle
de la Coupole du crématorium du
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
de 13 h 30 à 14 h 30.
clvalvasori@gmail.com
Remerciements
Très touchée par les marques de
sympathie et d’amitié qui lui ont été
témoignées lors du décès de
M. Daniel BIDEAU,
physicien,
professeur des Universités
et finistérien,
survenu le 22 janvier 2023,
à l’âge de soixante-dix-neuf ans
et dans l’impossibilité d’y répondre
individuellement, toute la famille
vous remercie chaleureusement pour
votre présence et vos dons.
Pour toute information :
carnet@mpublicite.fr
Prix à la ligne : 33,60 ¤ TTC.
0123
Mardi 16 janvier 2024
Conférences
Le Foyer de l’Âme présente
son cycle de cultes-conférences 2024 :
« Histoire des exils »,
• Dimanche 21 janvier 2024, à 10 h 30,
Caroline Saglio-Yatzimirsky,
anthropologue,
psychologue clinicienne,
« La voix de ceux qui crient »,
• Dimanche 28 janvier, à 10 h 30,
Fawzia Zouari, écrivaine, journaliste,
« Itinéraire entre
l’Orient et l’Occident »,
• Dimanche 4 février, à 10 h 30,
Corinne Lanoir, théologienne,
« Arrachement, intégration,
assimilation ? Lectures croisées
du livre de Ruth »,
Temple protestant du Foyer de l’Âme,
7 bis, rue du pasteur Wagner,
Paris 11e (M° Bréguet-Sabin).
La Chaire Grands enjeux
stratégiques contemporains,
dirigée par Louis Gautier,
professeur à Paris 1
Panthéon-Sorbonne
vous invite à son cycle
de conférences 2024
sur le thème :
« Confrontations
et recompositions stratégiques »
et à la Leçon inaugurale prononcée
par le général d’armée
Thierry Burkhard,
chef d’état-major des Armées
le lundi 22 janvier 2024
de 18 heures à 20 heures,
Centre Sorbonne,
17, rue de la Sorbonne,
à Paris 5e,
amphithéâtre Richelieu.
Accueil du public à 17 heures.
Programme consultable
et inscription obligatoire
sur le site de la Chaire :
https://chairestrategique.
pantheonsorbonne.fr
Les conférences seront aussi
diffusées en direct
via le site de la Chaire.
Inscription obligatoire
pour recevoir
le courriel de connexion.
Concert
Erella
vous invite à un voyage musical
(musique française,
musique world et Jazz),
le jeudi 18 janvier 2024,
à 20 heures,
Centre d’Art et de Culture
Espace Rachi,
39, rue Broca, Paris 5e.
www.culture-juive.fr
Communication diverse
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Les bénévoles de SOS Amitié
écoutent
par téléphone et/ou par internet
ceux qui souffrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
des pensées suicidaires.
Nous recherchons des écoutants
bénévoles
sur toute la France.
L’écoute peut sauver des vies
et enrichir la vôtre !
Choix des heures d’écoute,
formation assurée.
En IdF RDV sur
www.sosamitieidf.asso.fr
En région RDV sur
www.sos-amitie.com
 Culture | 19
0123
Mardi 16 janvier 2024

«Les emigrants» échappent à Krystian Lupa

A l’Odéon, à Paris, le metteur en scène présente une adaptation du livre de W. G.Sebald au goût d’inachevé

théâtre

I
ls ont enfin pu arriver à quai,
ces Emigrants, après bien des
tempêtes. La première de la
dernière création du metteur
en scène polonais Krystian Lupa a
bien eu lieu, samedi 13 janvier, au
Théâtre de l’Odéon, à Paris, devant
un public principalement com-
posé de professionnels. C’est peu
de dire que le spectacle était
attendu: Lupa est un des derniers
maîtres européens en activité, et
ces Emigrants sont d’ores et déjà
entrés dans la légende noire du
théâtre, en raison d’un processus
de création chaotique et conflic-
tuel, qui a débouché sur l’annu-
lation du spectacle à la Comédie de
Genève, où il devait être créé en
juin, puis au Festival d’Avignon et,
enfin, au Théâtre du Maillon à
Strasbourg.
Les Emigrants ne sera visible qu’à
l’Odéon, pour vingt et une repré-
sentations, jusqu’au 4 février. De
quoi émoustiller les amateurs, qui
pourront dire: «J’y étais.» Mais
quid du spectacle lui-même? Lupa
allait-il retrouver les sommets
atteints ces dernières années, no-
tamment en compagnie de son
auteur de prédilection, Thomas
Bernhard? Force fut de constater
que non, à l’issue d’une représen-
tation de quatre heures qui,
malgré de belles fulgurances, s’est
souvent effilochée dans l’ennui.

Nébuleuses de sentiments
Krystian Lupa semblait pourtant
avoir trouvé une matière à sa me-
sure, avec ces Emigrants publiés
en 1992 par l’écrivain allemand
W. G. Sebald. Le livre, à la croisée
du document, de l’enquête et de la
fiction, est une pure merveille,
qui met en regard quatre destins
d’hommes marqués par la Shoah,
la guerre, l’exil, le déracinement.
A l’époque de sa sortie, l’essayiste
Susan Sontag («On W. G. Sebald»)
écrivait : « Un monde a disparu.
Tout le monde le sait, même si
nous ne nous soucions guère de re-
garder en face toutes les consé-
quences de cette disparition, de la
destruction de tant de mondes, à
commencer par la maison Europe.
Le livre de Sebald sur ceux qui ont
perdu leur monde – serein, élégant,
déchirant, exaltant par la sensua-
lité de ses descriptions – constitue
le récit définitif et métaphorique
de notre condition de sans-abri.»
C’est une «recherche du temps
perdu » des sans-grade, une
convocation des spectres – ceux
d’hommes hantés par la perte, la
solitude, la folie, et celui de l’Eu-
Lors d’une répétition des « Emigrants », de Krystian Lupa, au printemps 2023, à la Comédie de Genève, en Suisse. MAGALI DOUGADOS/COMÉDIE DE GENÈVE
rope. Sur ces quatre destins, Lupa
en a choisi deux. Paul Bereyter
d’abord, qui, dans les années
1950, fut l’instituteur de Sebald,
dans sa petite ville de Bavière.
En 1984, il a appris que cet
homme avait mis fin à ses jours.
L’écrivain remonte le fil de cette
vie en apparence normale voire
heureuse, mais finalement dis-
loquée sous les ondes de choc de
l’histoire.
Le deuxième homme, Ambros
Adelwarth, était le grand-oncle
de l’auteur. Parti en 1910 de son
Allemagne natale pour émigrer
aux Etats-Unis, il devint le secré-
taire particulier, l’ami et sans
doute l’amant du rejeton d’une
riche famille de banquiers juifs,
les Solomon. Tous deux, Ambros
et Cosmo, sombreront dans une
forme de folie, après une vie de
nomades de luxe menée de
Deauville à Jérusalem, en passant
par Constantinople.
Le metteur en scène polonais
semblait le mieux à même de faire
vibrer le mystère de ces êtres et de
ces destins brisés, lui qui n’a pas
son pareil pour faire vivre les
psychés individuelles et collecti-
ves. Pourquoi alors peine-t-il
autant à nous toucher, à nous em-
barquer dans cette odyssée d’une
Europe défunte? Cela tient à l’art si
particulier de Sebald. «Il est des né-
buleuses qu’aucun œil ne distin-
gue», écrit-il dans son livre, et son
écriture procède ainsi: par nébu-
leuses de sentiments et de sensa-
tions. «Sebald dessine les person-
nages à la manière des peintres
chinois qui laissent le centre vide»,
observe Lupa dans le dossier du
spectacle. Il n’y a pas de dialogues,
dans Les Emigrants: le récit de ces
vies nous parvient par le filtre de
narrateurs successifs, qui s’en-
châssent les uns dans les autres. Or
le dialogue est le nerf de la guerre,
au théâtre. Krystian Lupa est pour-
La pièce a connu
un processus
de création
chaotique, avec
des annulations à
Genève, Avignon
et Strasbourg
tant le champion toutes catégories
du monologue intérieur, mais il
s’est senti ici obligé d’écrire des
scènes dialoguées de manière clas-
sique, sans doute en laissant les co-
médiens improviser largement,
comme il le fait toujours. Et ces
dialogues ne sont pas, hélas, de la
même eau limpide que celle de
Sebald, et sonnent même parfois
comme ceux d’une sitcom.
Les Emigrants sont, par ailleurs,
pour le metteur en scène polonais,
une base à partir de laquelle lais-
ser fleurir des développements
très personnels, qu’il s’agisse de
son enfance en Pologne ou de la
question de l’homosexualité – au-
tre forme d’exil. Il n’y a rien à re-
dire à cette manière de s’appro-
prier une œuvre en toute liberté,
devenue courante, sauf que l’écri-
ture, là encore, reste engluée dans
une forme de banalité. Là où l’on
retrouve le grand Krystian Lupa,
c’est dans toutes les parties
filmées du spectacle, oniriques et
envoûtantes. Le cinéma, d’essence
lui-même fantomatique, l’utilisa-
tion de photographies, aussi, dont
l’écrivain est coutumier dans ses
livres, laissent enfin aux nébuleu-
ses sensibles et insaisissables de
Sebald l’occasion de se déployer.
Les acteurs ne sont pas tous à la
hauteur. Manuel Vallade parvient
à habiter Paul Bereyter avec une
intensité douloureuse. Mélodie
Richard et Pierre-François Garel,
pourtant des enfants de Krystian
Lupa – découverts par ce dernier
dans Salle d’attente, en 2012 –,
semblent avoir été laissés en roue
libre, privés de vraie direction.
Qu’est-ce qu’habiter le monde,
habiter le temps ? Dans Les Emi-
grants, Ithaque, le foyer où revient
Ulysse, dans L’Odyssée d’Homère,
est devenu le nom d’un asile psy-
chiatrique. De notre Europe
malade, Sebald a fait un tombeau
magnifique, empreint d’un ly-
risme mélancolique et d’un sens
de la fraternité bouleversant. C’est
cela que l’on aurait aimé retrouver
dans le spectacle de Krystian
Lupa. Mais le retour à Ithaque, ici,
a un goût d’inachevé. p
FAbienne DARge
Les Emigrants, d’après
W. G. Sebald. Mise en scène :
Krystian Lupa. Odéon-Théâtre
de l’Europe, Paris 6e.
Jusqu’au 4 février. De 6 € à 40 €.

Riccardo Muti, un chef ambassadeurde la quintessenceitalienne

A la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago, le maestro napolitain, en tournée européenne, a galvanisé la Philharmonie de Paris

Musique castel del Monte, château médié- du songe. Esquissée par goureux semble évoquer quelque tant pas à emprunter au folklore aux fluides textures quasi impres-

Q
u’on se le dise: à 82 ans,
Riccardo Muti, que l’on
n’avait pas vu diriger à
Paris depuis trois ans, a
galvanisé le public de la Philhar-
monie de Paris à la tête du presti-
gieux Orchestre symphonique de
Chicago (Chicago Symphony
Orchestra; CSO) dont il fut le direc-
teur musical de 2010 à 2023. Après
avoir débuté à Bruxelles, la tour-
née européenne de la phalange
américaine, annoncée comme la
dernière sous la baguette du maes-
tro italien désormais chef émérite,
se poursuivra au Luxembourg,
puis en Allemagne, en Autriche et
en Hongrie, avant de s’achever par
l’Italie, pays fantasmé où
s’abreuve le programme de ce
concert du samedi 13 janvier. C’est
à partir d’une photographie du
val érigé dans les Pouilles par
Frédéric II, laquelle trônait dans le
bureau du maestro napolitain,
que Philip Glass a composé The
Triumph of the Octagon, com-
mande du CSO créée en septem-
bre 2023, donnée ici en première
française. La stature de l’édifice du
XIIIe siècle, découverte de nuit,
avait frappé l’imaginaire du jeune
Riccardo, épris du lieu.
A rebours du monumental que
l’on aurait pu attendre, le compo-
siteur a écrit une musique inti-
miste, confiée aux textures
soyeuses des cordes et au souffle
léger des bois, arc-en-ciel de
consonances arpégées, à l’instar
d’un paysage doux et immuable
dont les couleurs changeraient
selon l’angle du regard – la mise
en vibration d’une permanence,
qui s’achève dans l’irrésolution
Mendelssohn lors d’un long
séjour en Italie (de l’automne
1830 à l’été 1831), la Quatrième
Symphonie dite « Italienne », file
elle aussi la métaphore.
Expressivité et spontanéité
Comme à son habitude, Riccardo
Muti déploie un classicisme orga-
nique, privilégiant une clarté et
une élégance soucieuses d’élan et
de dynamique. L’élasticité bondis-
sante des archets en notes
piquées, dont la perfection et l’ho-
mogénéité semblent quasi irréel-
les, se fond dans le souple legato
du chant et le délicat fondu en-
chaîné entre les pupitres. Le
deuxième mouvement, «Andante
con moto», et son rythme de mar-
che, se voile d’ombre tragique, dé-
ployant la psalmodie d’un choral
«sacré», dont le contrepoint ri-
passion de Bach. La baguette fluide
du maestro sculpte ensuite un me-
nuet aux tournures expressives,
de martiales sonneries de cor ré-
pondant au trille gracieux, pres-
que galant, qui parcourt l’orches-
tre comme un frisson. Unique
concession à l’inspiration autoch-
tone, la tourbillonnante saltarelle
qui anime le «Presto» final, entre
fête populaire et danse des elfes,
dont les musiciens ne font qu’une
bouchée dans un savant alliage
d’expressivité et de spontanéité.
Comme Mendelssohn, Richard
Strauss a écrit la fantaisie sympho-
nique Aus Italien après un voyage
de plusieurs mois dans le Latium
et la Campanie, en1886. A l’inverse
de son compatriote, c’est en obser-
vateur qu’il témoigne des paysa-
ges traversés et des sensations
éprouvées à leur contact, n’hési-
napolitain le rythme d’une taren-
telle, mais aussi le thème du Funi-
culi funicula (composé en 1880 par
Luigi Denza pour commémorer
l’inauguration du funiculaire du
Vésuve) dans un finale endiablé in-
titulé «Vie napolitaine».
Auparavant, la «Vaste campagne
romaine baignée de lumière» a
inspiré au jeune Strauss de 22 ans
les longs accords planants qui
ouvrent un premier mouvement
nimbé de rêve et de lyrisme, dont
le chef d’orchestre peaufine et ci-
sèle chaque détail. Une trompette
allègre a sonné l’évocation des
«Ruines de Rome», dont les puis-
sants tutti rappellent la gloire dis-
parue, narration entre triomphe et
mélancolie que Muti accompagne
avec des bonds de fauve. Mais c’est
dans l’ondoyant troisième mouve-
ment, «Sur la plage de Sorrente»,
sionnistes, que Strauss se révèle le
plus novateur et séduisant.
Longuement ovationné, le
maestro prend le micro pour rap-
peler, en italien, qu’il y a cent ans
mourrait Giacomo Puccini (1858-
1924). Dans ce monde contempo-
rain «grevé par la haine et les guer-
res», il a décidé d’interpréter le
plaidoyer d’espoir et d’amour
qu’est le poignant «Intermezzo»,
tiré de l’opéra Manon Lescaut
(1893). Le public écoute, recueilli et
les larmes aux yeux, la quintes-
sence de l’Italiana en musique. p
MARie-AuDe Roux
Tournée européenne
de l’Orchestre symphonique
de Chicago, Riccardo Muti
(direction). Prochains concerts,
les 15 et 16 janvier, à la
Philharmonie du Luxembourg.

V1
Sortie par lecomte le 15/01/2024 09:51:43 Date de Publication 16/1/2024
 20 | Culture
Le R’n’B
décapant de Jäde
Promesses de 2024 7|12 Douze artistes
à suivre. Aujourd’hui, la chanteuse
au flow aussi cru que celui de Damso
et aussi drôle que celui d’Orelsan
rencontre
E
n cette fin de matinée hi-
vernale, Jäde, 28 ans, a des
petits yeux. Comme elle
le raconte dans une de ses
chansons Diabolo grenadine, la jo-
lie métisse «a fait le tour», la nuit
passée, du 18e arrondissement de
Paris: «Pas des bars, précise-t-elle
dans un large sourire qui montre
ses dents du bonheur, juste en
marchant, en me perdant dans les
rues. Je ne fais pas un job physique,
alors il faut bien que je fasse un
minimum d’activité.» Son «job»,
c’est d’écrire des chansons sur des
beats hip-hop qu’elle compose el-
le-même sur son ordinateur, ou
en allant chercher des « prods »
sur Internet ou lors de longues se-
maines passées à Londres.
En 2023, elle y a trouvé la tona-
lité de son premier album, Les
Malheurs de Jäde, qui sortira en
mars, entre pop acidulée et break
beat jungle, entre néo R’n’B teinté
d’électro et punchlines rap. Elle
dit « job » car, pour elle, c’est un
vrai métier avec sa routine, son
jargon, ses surprises et ses
contraintes. Le week-end, au lieu
de sortir en club comme tous les
jeunes de son âge, elle s’enferme
avec son ordinateur, comme elle
le chante dans un refrain : « Sa-
medi soir, il y a pas de sexe, y a pas
de drogue moi/seule dans le noir,
j’écris le texte, je fais la prod.»
Jäde, de son vrai prénom Adèle
(un nom d’artiste qu’elle ne pou-
vait pas utiliser puisqu’il « existe
déjà une grande chanteuse
pop-R’n’B du même nom »), y
raconte ses troubles du sommeil,
ses séances avec sa psy, les injonc-
tions de ses amis à « dormir plus »,
AToulouse, une nouvelleéquipe
pourrelancer le Théâtre Garonne
Le départ de son fondateur et ancien directeur, Jacky Ohayon,
ouvre la voie à une sortie de crise pour l’institution
Toulouse - correspondant
L
e 29 février, une nouvelle
tête sera élue à la direction
du Théâtre Garonne, cette
institution toulousaine qui, de-
puis 1988, propose créations con-
temporaines, découvertes et ex-
périences scéniques dans les do-
maines du théâtre, de la danse et
de la musique. Fondé en 1988 par
Jacky Ohayon et Michel Mathieu,
avec sa salle de 250 places posée en
bord de fleuve, dans une ancienne
station d’épuration, «le Garonne»
s’est taillé une belle réputation de
lieu d’avant-garde, à la dimension
internationale.
Une petite équipe de quinze per-
sonnes y monte des projets théâ-
traux ou accueille compagnies et
créations, avec un budget annuel
de 3 millions d’euros environ.
Mais, fin 2022, la belle histoire
écrite par Jacky Ohayon, resté di-
recteur artistique du lieu, s’achève
sur un mélodrame. Tout débute à
l’automne, lorsqu’un audit finan-
cier lancé par la mairie fait appa-
raître une clause, modifiée
en 2008, qui permet à M. Ohayon
de multiplier par dix ses droits à la
retraite en cas de départ.
Informée, l’équipe s’en offusque,
et les tensions apparaissent.
«Jacky a décidé en janvier [2023] de
faire valoir ses droits à la retraite,
Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:41:40 Date de Publication 16/1/2024
« à choisir entre rap et R’n’B »… Et
elle y énumère évidemment ses
déceptions sentimentales, mais
comme aucune autre chanteuse
française du genre n’avait osé le
faire jusqu’à maintenant. Sur un
ton enfantin et rigolard, elle
vanne gentiment un amant sur le
titre Rivalise : « Comme les TLC, je
ne veux pas d’un branleur. Avec
toi, je me sens si vide même quand
t’es à l’intérieur. » Jäde est, en
effet, de la trempe de nanas
d’Atlanta, TLC soit T-Boz, Lisa et
Chilli, qui déjà tenaient la dragée
haute aux lascars du hip-hop
avec leur morceau No Scrubs
(« pas de crevards »).
Chipie
A un rappeur macho qui croit
pouvoir l’emmener facilement en
coulisses lors d’un concert, la
jeune femme décoche, dans Dia-
bolo grenadine, «Juste parce que
t’as deux trois follows [abonnés
sur les réseaux sociaux], tu crois
que je vais te follow [suivre] dans
la loge?» Elle peut aussi se mon-
trer, dans le morceau Certified
Lover Girl, aussi vacharde et expli-
cite que ses collègues rappeurs
(«Au lit, je ne les regarde même pas
dans les yeux/Ils font un cunni et
rentrent chez eux »), mais argu-
mente en entretien: «Je peux dis-
« Je m’ennuyais.
Alors il fallait
que je fasse
des trucs un peu
créatifs »
Jäde
mais il voulait conserver une sorte
de poste de collaborateur», précise
Fabien Jannelle, membre du con-
seil d’administration, élu à sa tête
en mai 2023. M. Ohayon touche
donc un chèque de 300000 euros
brut, mais veut rester aux com-
mandes: «Je ne pars pas à la re-
traite, j’ai fait valoir mes droits. Je
suis aujourd’hui, de mon point de
vue, toujours le directeur du Théâ-
tre Garonne », affirme-t-il le
28 mai 2023 dans La Dépêche du
Midi. Dans le même temps, des sa-
lariés pointent son «comporte-
ment malveillant et manipula-
teur» dans un courrier envoyé à
l’inspection du travail, et évoquent
des «violences verbales», des «pro-
pos sexistes et insultants».
Perte substantielle
Face à ces tensions, Gilbert
Casamatta, président historique
du conseil d’administration, est
poussé à la démission. Comme
son trésorier, Christian Thorel,
fondateur et ancien patron de la li-
brairie indépendante Ombres
blanches, autre haut lieu culturel
de la ville. Dans la foulée, les col-
lectivités (région, département,
ville et Etat) annoncent qu’elles ré-
duisent leur dotation de
750000 euros pour l’année 2023,
une perte substantielle pour le
Garonne, qui voit ainsi son bud-
La chanteuse Jäde, en 2023. louise Chevallet
socier l’acte sexuel et une relation
amoureuse. Je l’entends tout le
temps dans les textes d’Hamza, de
Laylow, Damso: “Je lui fais ci, je lui
fais ça”. Parfois, ils le disent même
de façon gratuite.»
Ce qui la déprime encore plus
que ses états d’âme dont elle a
décidé de se moquer, c’est
d’avoir écrit ses trois premiers
disques sur un amour sans re-
tour, « un mec qui s’en branle »,
comme elle le dit dans le morceau
Le Train du sommeil. Dans Fuck
ma psy, elle convoque sa mère :
« Elle ne croit pas à mes trucs de
dépressive, elle croit tout pouvoir
régler avec une tisane, c’est peut-
être elle qui a raison.»
Sa vie d’artiste, elle l’imaginait,
en tout cas, certainement plus
« fun », mais il faut ce qu’il faut
pour réaliser son rêve. Enfant, son
dessin animé préféré était l’adap-
tation des Malheurs de Sophie, de
get reculer de 38 %. «Face à un tel
parachute doré touché par Jacky,
les collectivités ont voulu envoyer
un signal fort», estime Fabien Jan-
nelle. Cet ancien directeur de
théâtres, et président de l’Office
national de diffusion artistique
jusqu’en 2014, dit avoir réussi à
«réunir tout le monde autour de la
table, après une crise terrible à la
dimension affective énorme».
En mai 2023, Alexa Fallou, an-
cienne administratrice du lieu, est
nommée directrice par intérim.
En septembre, une assemblée gé-
nérale entérine le départ définitif
de Jacky Ohayon. Sollicité, celui-ci
n’a pas donné suite aux deman-
des du Monde. Le recrutement
d’un nouveau directeur ou d’une
nouvelle directrice sera donc ef-
fectif au printemps. L’équipe de sa-
lariés n’a pas explosé, et le projet
artistique pour 2024 comporte
quatorze créations et l’accueil de
compagnies en résidence, pour
une dizaine de coproductions.
Quant à la participation des col-
lectivités, elle sera revue après la
mise en place du projet artistique.
«L’Etat a promis de revenir à hau-
teur de sa contribution d’avant la
crise, j’espère que les autres sui-
vront», lance M. Jannelle, pour qui
le Garonne est «le plus petit des
grands théâtres européens». p
PhiliPPe GaGneBet
la comtesse de Ségur. Espiègle,
chipie comme son héroïne, la
chanteuse aux punchlines aussi
caustiques qu’Orelsan, a décidé
de baptiser son premier album
Les Malheurs de Jäde. L’univers de
Sophie ne la fascinait pas que
pour les bêtises de l’enfant mal-
traitée, mais parce qu’elle pensait
y déceler un esthétisme très pari-
sien, elle qui, originaire de Lyon,
fantasmait sur la capitale. Ses pa-
Judith Rosmair
9 – 21 janvier
Séverine Chavrier
16 janvier – 10 février
Danai Epithymiadi
30 janvier – 11 février
V1
rents quant à eux étaient « bien-
veillants, incroyables », et écou-
taient beaucoup celles qui l’in-
fluenceront plus tard: Lauryn Hill
et Barbara, ou bien encore Fran-
çoise Hardy.
Son père, d’origine italienne, est
restaurateur, et sa mère, de pa-
rents camerounais, créatrice de
bijoux. « Avec eux, ma grande
sœur, mon chien, ma petite mai-
son en plein de cœur de Lyon, mon
spectacle en allemand
surtitré en français
0123
Mardi 16 janvier 2024
jardin, j’ai eu une enfance très
tranquille », dit-elle. Tandis
qu’elle découvre au collège le rap
de Nekfeu ou d’ASAP Rocky, le néo
R’n’B avec Frank Ocean et les An-
glaises FKA Twigs et Banks, elle
accompagne aux chœurs sa sœur
qui reprend à la guitare les tubes
de Katy Perry et d’Avril Lavigne.
« Une fille de l’ordinateur »
Puis, bientôt, elle réalise des vi-
déos : « Je m’ennuyais, dit-elle.
Alors il fallait que je fasse des trucs
un peu créatifs. J’ai toujours été
une fille de l’ordinateur. Je me suis
dit qu’il fallait que je fasse des étu-
des là-dedans.»
Juste après son bac, elle em-
brouille ses parents pour aller à
Paris. Elle choisit un cursus uni-
versitaire qui n’existe pas à Lyon.
Les cours de son DUT Métiers du
multimédia et de l’Internet sont
à Sarcelles (Val-d’Oise), alors
qu’elle loge à l’autre bout de la
banlieue parisienne, en Seine-et-
Marne, chez des amis dont les fils
sont aussi beatmakers, l’un dans
l’électro, l’autre dans la K-pop.
Jäde ne se désespère pas, elle se
rapproche de son objectif : Paris,
sa scène musicale, ses lumières,
ses rues. Elle va y rencontrer
d’autres artistes, et, très vite, elle
affine son style dans deux EP et
une mixtape, Météo, où sa ma-
nière si particulière de raconter
ses mésaventures amoureuses
fait des émules. Et il est à parier
que ses petits malheurs feront
bientôt notre bonheur. p
StéPhanie Binet
Les Malheurs de Jäde, de Jäde,
Entreprise Records/Sony Music,
à paraître en mars.
En concert le 18 avril
à la Gaîté Lyrique, 3 bis, rue
Papin, Paris 3e.
Prochain article L’actrice
Carolina Pavone
spectacle en grec
surtitré en français
www.colline.fr
15, rue Malte-Brun Paris 20e
métro Gambetta

0123
Mardi 16 janvier 2024
Jacques Lacan et sesconsultations artistiques
Au Centre Pompidou-Metz, une foisonnante exposition fait dialoguer concepts psychanalytiques et œuvres
Arts
Metz
F
aire du psychiatre et psy-
chanalyste Jacques Lacan
(1901-1981) le sujet d’une
exposition: étrange idée,
se dit-on. Lacan, ça se lit – les
écrits, les séminaires – et, grâce à
de rares enregistrements, ça peut
se regarder et s’écouter. Mais
comment le montrer? Il y a, bien
sûr, de nombreuses raisons pour
s’y essayer. L’étendue internatio-
nale et la constance de sa célébrité
au-delà des milieux psychanalyti-
ques sont deux d’entre elles. Une
raison plus historique est son rôle
central dans les développements
théoriques et pratiques de la psy-
chanalyse dans la seconde moitié
du XXe siècle, les querelles qu’il fit
naître et soutint publiquement
plusieurs fois, jusque dans les
pages du Monde.
Aussi a-t-il toujours ses détrac-
teurs et ses zélateurs, aussi
convaincus les uns que les autres.
Une autre raison encore est la
place qu’il a tenue dans la philoso-
phie de son temps, ce dont témoi-
gnent la visite que lui fit Martin
Heidegger en 1955, ses relations
longtemps amicales avec Claude
Lévi-Strauss ou Michel Foucault et
bien d’autres faits, trop nombreux
pour être cités. Tout cela s’écrit,
s’analyse, s’étudie: livres, articles,
colloques. Mais que faire dans les
salles d’un musée sans tomber
dans l’accumulation d’archives et
de documents, vite rébarbative?
Les commissaires de « Lacan,
l’exposition » au Centre Pompi-
dou-Metz, Marie-Laure Bernadac
et Bernard Marcadé, ont trouvé la
solution: introduire d’autres pro-
tagonistes, les artistes. Ils le font
de deux manières. L’une est prévi-
sible: portraiturer Lacan en ama-
teur de peinture, en ami de
quelques créateurs et en collec-
tionneur. L’autre l’est moins :
prendre dans sa pensée des
notions et des thèmes, et orches-
trer chacun d’eux en réunissant
des œuvres qui s’y réfèrent claire-
ment ou ont, du moins, quelque
rapport sensible avec lui. Dans
leur très grande majorité, elles
sont récentes et Lacan n’a pu en
avoir connaissance, mais le prin-
cipal est la force de la résonance.
L’exposition est donc, dans
plusieurs de ses parties, une expo-
sition d’art contemporain qui rap-
pelle celle qui eut lieu en 1995 au
Centre Pompidou, à Paris, «Fémi-
nin-masculin, le sexe de l’art ».
Rien d’étonnant : elle avait été
conçue par les mêmes commis-
JodieFoster etKaliReismènent l’enquêtedanslanuitpolaire
Après trois saisons inégales, «True Detective» retrouve son souffle, sous la houlette d’Issa Lopez et d’un convaincant duo d’actrices
série
E
tre flic rend fou. De ce cons-
tat, Nic Pizzolatto tirait,
en 2014, une grande série
noire sur deux « vrais inspec-
teurs » (True Detective) en butte
à la laideur du monde, rendue
inoubliable par ses interprètes,
Matthew McConaughey et Woody
Harrelson, et la réalisation specta-
culaire de Cary Joji Fukunaga.
Dix ans plus tard, et deux autres
saisons très en deçà de la pre-
mière, l’anthologie produite par
HBO retrouve son souffle sous
la houlette d’une scénariste et
showrunneuse mexicaine aguer-
rie, Issa Lopez. En installant le ré-
cit de True Detective. Night
Country à Ennis, une ville fictive
du nord de l’Alaska, elle donne
à cette quatrième saison une at-
mosphère qui la rapproche de la
première, tout en y développant
un récit radicalement différent,
Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:41:46 Date de Publication 16/1/2024
Quelques
grandes figures
reviennent,
principalement
Louise Bourgeois
et Annette
Messager
saires. Mais, cette fois, ils devaient
éviter que Lacan ne disparaisse
sous les œuvres comme un
cercueil enfoui sous trop de cou-
ronnes. Ils ont donc emboîté, litté-
ralement, deux expositions l’une
dans l’autre: une petite, au centre,
et, tout autour d’elle, une grande.
La petite est chronologique, an-
née après année, et abondam-
ment documentaire : la vie et
l’œuvre de Jacques Lacan de sa
naissance à sa mort, des bulletins
de notes d’enfance aux homma-
ges posthumes. La parcourir
permet de se mettre, ou se remet-
tre, en mémoire un peu de ce que
Lacan a introduit, après Freud,
dans les théories psychanalyti-
ques, ses hypothèses, leurs déve-
loppements. Ils sont résumés
autant qu’il est possible de le faire
pour des constructions concep-
tuelles complexes qui furent
énoncées de façon elliptique ou
ironique. Les détails de la carrière
professionnelle de Lacan y sont
décrits, et il en est de révélateurs.
Rire et malaise
En voici deux, dans des genres dif-
férents. En 1945, c’est à Lacan que
Picasso demande de prendre en
charge les troubles psychiques qui
affectent son ex-compagne Dora
Maar depuis qu’il lui préfère Fran-
çoise Gilot. En 1969, Lacan se voit
interdire de tenir son séminaire à
l’Ecole normale supérieure (ENS),
rue d’Ulm, où il avait été invité par
Louis Althusser en 1964, qui était
devenu une cérémonie rituelle.
Quoique sa veste en tweed n’ait
été vue sur aucune barricade, le di-
recteur de l’ENS de l’époque le
tient pour l’un des coupables de
Mai 68 et lui retire sa salle. Lacan
est aussitôt accueilli par la faculté
de droit au Panthéon et son sémi-
naire gagne encore en retentisse-
ment pour avoir été persécuté.
La grande exposition se
compose de douze cellules. Elles
sont placées sous le signe de
notions lacaniennes – stade du
miroir, nœud borroméen, nom-
du-père – ou d’aphorismes tel le
provocant «Il n’y a pas de rapport
ne serait-ce que parce qu’il place
les femmes en son centre.
A commencer par son duo d’en-
quêtrices. Liz Danvers (Jodie Fos-
ter), cheffe de la police locale, et
Evangeline Navarro (Kali Reis), ap-
partenant à la police d’Etat, s’évi-
tent depuis qu’une intervention
commune sur une scène de crime
a mal tourné. La disparition sou-
daine de huit hommes, tous em-
ployés de la base scientifique Tsa-
lal, qui sonde le permafrost de ce
coin reculé de l’Arctique, les remet
sur la piste d’un cold case qu’Evan-
geline n’a jamais pardonné à Liz de
ne pas avoir élucidé.
Un vent de surnaturel souffle
sur Ennis. Des caribous se sont je-
tés dans le vide, terrorisés.
Un bruit court dans la ville – « elle
est réveillée… » –, et le soleil se
couche pour la dernière fois de
l’année. On est le 17 décembre et,
sous ces latitudes, la nuit polaire
dure plusieurs semaines. Quelle
« Le Faux Miroir » (1928), de René Magritte. SCALA/DIG. IMAGE MUSEUM OF MODERN ART (MOMA), NEW YORK
sexuel ». La relation avec les
œuvres est le plus souvent di-
recte : Narcisse (1597-1599), du
Caravage, pour le stade du miroir
et le narcissisme, Portrait de l’in-
fante Marguerite Thérèse (1654),
de Velazquez, parce que Lacan
avança une interprétation des
Ménines (1656). A ses yeux, la robe
de l’infante n’était si brillante que
parce qu’elle cachait et révélait si-
multanément ce qui était der-
rière, ne pouvait être montré et
qu’il appelait donc «la fente».
Logiquement est accrochée, à
peu de distance du Velazquez,
L’Origine du monde, de Courbet,
acheté par Lacan et son épouse
Sylvia en 1955, et pour laquelle
André Masson, leur beau-frère,
exécute alors un panneau coulis-
sant. Celui-ci dissimule le sexe
féminin peint par Courbet
en 1866, que Lacan révèle à ses in-
vités en le retirant. Sans doute en
étaient-ils émus, mais force est de
constater que la toile est
aujourd’hui trop connue pour
émouvoir encore: c’est l’histoire
de La Joconde qui se répète.
De cellule en cellule, quelques
grandes artistes reviennent, prin-
La showrunneuse
mexicaine tient
ce récit avec une
grande maîtrise,
jusqu’à
un épisode 5
époustouflant
force mystérieuse cette nuit
vient-elle de déchaîner ?
Pour élucider le sort des scienti-
fiques disparus, les deux enquêtri-
ces diffèrent sur la méthode. Liz
raisonne, en posant des questions
et en sadisant son junior (Finn
Bennett, parfait), dans lequel elle
entrevoit le fils qu’elle a perdu.
Evangeline suit son intuition. Issa
Lopez fait de ces deux caractères
opposés l’expression des fractures
qui traversent la ville. Liz croit aux
cipalement Louise Bourgeois
(1911-2010) et Annette Messager.
Les sculptures en divers maté-
riaux et les grandes peintures
écarlates et roses de la première
imposent la présence du corps, fé-
minin, masculin, ou les deux à la
fois, avec une intensité extrême,
tantôt jusqu’au malaise, tantôt
jusqu’au rire. Les montages de
photographies, les proverbes
brodés et les dessins à même la
peau de la seconde tournent en
dérision les fantasmes de l’un et
l’autre sexes, les stéréotypes éro-
tiques et sentimentaux, le culte
du corps et ses commerces.
Citations cinématographiques
Ces deux reines impitoyables
sont accompagnées de Claude
Cahun, de Maria Martins, de Carol
Rama, de Carolee Schneemann,
de Niki de Saint Phalle, de Nan
Goldin, de Cindy Sherman, de
Ghada Amer, de Sarah Lucas, de
Tracey Emin et d’Agnès
Thurnauer. Que ce soit par la pho-
tographie, la broderie, le bronze,
la peinture, le dessin ou le mot,
elles débusquent les lieux
communs, mettent à nu les
faits, couche et boit beaucoup. Elle
élève une adolescente qui n’est
pas sa fille, mais lui interdit de s’in-
téresser à ses origines esquimau-
des. Evangeline, elle aussi métisse,
entend la colère des indigènes qui
se battent contre la contamina-
tion des eaux par une mine, res-
ponsable, selon eux, du grand
nombre d’enfants mort-nés dans
la ville. Sujette aux hallucinations,
elle ne sait pas si les morts lui par-
lent ou si c’est la maladie mentale
dont sa mère puis sa sœur ont été
frappées qui a fini par la rattraper.
Paysage chargé de mysticisme
La profondeur des fêlures des
deux femmes se dévoile peu
à peu, au fur et à mesure que leur
relation se resserre à nouveau,
exhibant un passé traumatique
pour l’une comme pour l’autre.
Au fil des épisodes, les signes et
les indices s’accumulent sur leur
chemin. Un ours polaire borgne
V1
rapports de force et de séduction,
et renversent gaiement le patriar-
che. Leur vigueur assassine est
l’une des vertus majeures de l’ex-
position. Ainsi faut-il voir cette
dernière comme un manifeste de
critique féministe, quoique
celle-ci ne semble pas avoir été
très présente à l’esprit de Lacan.
Le parcours est aussi ponctué de
citations cinématographiques: la
scène de la caméra meurtrière
dans Le Voyeur (1960), de Michael
Powell ; Jean-Paul Belmondo
lisant Elie Faure dans Pierrot le
Fou (1965), de Jean-Luc Godard ;
Robert De Niro devant sa glace
dans Taxi Driver (1976), de Martin
Scorsese. Les extraits tombent
juste et la présence du cinéma se
justifie, ne serait-ce que parce que
Sylvia Lacan, quand elle s’appelait
encore Sylvia Bataille, avait joué
dans Partie de campagne (1946),
de Jean Renoir.
Ce montage virtuose autour des
concepts lacaniens laisse peu de
place à ceux qui furent les
contemporains et, parfois, les in-
terlocuteurs de Lacan dans l’entre-
deux-guerres, les surréalistes. Si
Marcel Duchamp apparaît à inter-
hante leurs nuits; une veuve illu-
minée (Fiona Shaw) leur prête une
aide inattendue; un motif en spi-
rale (une référence à la saison 1 – il
y en aura d’autres) pointe la direc-
tion de la vérité… Liz a beau croire
qu’il n’y a « rien ni personne là-
bas», Night Country s’inscrit dans
un paysage chargé de mysticisme.
Tournée en Islande, faute d’in-
frastructures suffisantes en
Alaska, la série renoue avec l’esprit
des débuts de True Detective en in-
tégrant le territoire comme un élé-
ment à part entière de l’intrigue. Il
se dégage la même terreur de ces
plaines gelées que des bayous de
Louisiane, et quand Evangeline
tente de convaincre Liz que la dis-
parition des scientifiques est liée
à la mort restée impunie d’une sa-
ge-femme, six ans plus tôt, Liz lui
répond que c’est Ennis qui l’a tuée.
La petite ville américaine, au
moins depuis Twin Peaks, ren-
ferme en elle la source du mal.
Culture | 21
valles réguliers – mais toujours
discrètement –, l’amitié fraternelle
de Lacan et de Masson n’est, cu-
rieusement, qu’à peine évoquée,
en dehors de l’affaire de L’Origine
du monde. Les relations avec
Salvador Dali et l’intérêt du psy-
chanalyste pour les peintures à jeu
de mots et de concepts de René
Magritte que commenta Michel
Foucault le sont à peine plus.
Pierre Molinier et Hans Bellmer
n’ont pas été oubliés, ce qui est
heureux, mais l’absence de
Balthus s’explique mal, alors que
tant de ses toiles ont le voyeurisme
pour sujet. On pourrait en dire
autant, évidemment, de Picasso,
de Matisse ou de Bonnard. C’est le
risque de ce type d’exposition:
comme elle multiplie les angles de
vue, elle donne envie d’en voir plus
que ce qu’elle peut montrer. p
PhiliPPe DAgen
Lacan, l’exposition. Quand l’art
rencontre la psychanalyse,
Centre Pompidou-Metz, 1, parvis
des Droits-de-l’Homme, Metz.
Jusqu’au 27 mai, du mercredi
au lundi, de 10 heures à 18 heures.
De 12 € à 14 €.
Complexe, parfois tirée par
les cheveux, l’enquête de Night
Country pâtit d’un découpage dé-
cousu dans ses premiers épisodes.
Arrimée à ses actrices – face à Jodie
Foster, remarquable, l’ex-boxeuse
Kali Reis compense sa courte ex-
périence du jeu par une présence
physique intimidante –, Issa Lo-
pez, qui a réalisé tous les épisodes,
tient pourtant ce récit avec une
grande maîtrise, jusqu’à un épi-
sode 5 époustouflant. Cette maî-
trise se délite un peu à l’approche
du dénouement. Si fragile soit-il,
celui-ci conclut la série sur une lu-
mière que l’on n’espérait plus,
celle du soleil qui se lève enfin. p
AuDrey Fournier
True Detective. Night Country,
série créée par Issa Lopez (EU,
2024, 6 × 50-75 min). Avec Jodie
Foster, Kali Reis. A la demande
sur Prime Video, avec le Pass
Warner. Un épisode chaque lundi.
 22 | Télévision
Lekrump,un étatdetranseau-delà de ladanse
Un documentaire décrit cette danse offensive, audacieuse, apparue au début des années 2000 à Los Angeles
explore
À la demande
documentaire
S
i quelqu’un qui n’a jamais
vu de krump voit une per-
sonne qui danse le krump
intensément, c’est quitte ou
double. Soit il va dire direct: “C’est
quoi ce fou? Pourquoi il a la rage
comme ça?” Soit il va kiffer et dire:
“Ouah, c’est beau, là, il exprime
quelque chose de vrai.”» C’est ainsi
que Lady Madskillz (Emilie Oue-
draogo), l’une des quatre person-
nalités distinguées par le réalisa-
teur Romain Cieutat dans ce film,
décrit cette danse offensive, auda-
cieuse, qui voit rouge en se décar-
cassant jusqu’au bout des doigts.
Apparu au début des années
2000, dans le ghetto de South
Central, à Los Angeles (Californie),
le krump, acronyme de Kingdom
Radically Uplifted Mighty Praise
(« élévation du royaume par le
puissant éloge»), a débordé du ca-
dre grâce au film Rize, réalisé
en 2005 par David LaChapelle,
que nombre de krumpers ont vu
jusqu’à plus soif.
C’est le cas de Wrecker (Stael
Isaya Wa), dont le nom de scène
jongle entre deux sens: «la dépan-
neuse» et «la destruction». «Ce
sont deux traits de ma personna-
lité, explique-t-il. D’un côté, je suis
là pour les autres, de l’autre, c’est
mon aspect sanguin. » Comme
AndréMarkowicz, portraitd’untraducteurpassionné
Invité de l’émission de Richard Gaitet sur Arte Radio, cet expert en langue russe revient sur son métier et ses écrits personnels
arte radio
À la demande
Podcast
I
l commence par taper très
vite, sans trop réfléchir. Dit
que « quand on lit, les yeux
glissent, [alors que] quand on tra-
duit, les yeux plongent». Celui qui
se confie ainsi, c’est André
Markowicz, dernier invité en date
de Richard Gaitet et de son pod-
cast «Bookmakers».
Dans le premier épisode, il est
question d’enfance – et donc
beaucoup de sa mère, sa grand-
GRILLE N° 24 - 013
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V dans l’histoire. Coup martial sur
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 012
HORIZONTALEMENT I. Désespérants. II. Emasculés. Ru. III. Routine. Ibis.
IV. Olt. Aïeule. V. Glas. Berne. VI. Aï. Caïeu. CAC. VII. Télamon. Tant.
VIII. Inopinées. Té. IX. Ot. In. Emacié. X. Neuneu. Urges.
VERTICALEMENT 1. Dérogation. 2. Emolliente. 3. Sauta. Lô. 4. Est. Scapin.
5. Scia. Aminé. 6. Punition. 7. Elée. Enée. 8. Rê. Ubu. Emu. 9. Asile. Tsar.
10. Berça. Cg. 11. Tri. Nantie. 12. Suspectées.
Sortie par lecomte le 15/01/2024 08:14:52 Date de Publication 16/1/2024
Image extraite du documentaire « Krump. Get off », de Romain Cieutat. mediawan
dans le hip-hop, le krump sublime
et formalise la violence vécue par
les jeunes à Los Angeles. Son écri-
ture très mixée contient, le rap-
pelle Wrecker, des éléments hip-
hop tels le popping, qui fait explo-
ser les muscles comme du pop-
corn, le break, mais également des
pas de danse classique et de boxe.
Sa spécificité réside dans les
stomps, frappes de pieds massi-
ves, relayées par les chest pops qui
mère et sa grand-tante. De sa ren-
contre avec le linguiste et dissi-
dent russe Efim Etkind, qui invite
l’adolescent à rejoindre son cercle
de traducteurs : « La traduction,
c’est une passion, une raison de vi-
vre, dit André Markowicz. Le geste
premier du traducteur est celui du
partage. Il aime et il a les moyens
de faire aimer les autres. Ensuite
viennent les questions techniques,
les impossibles, les affres.»
Les questions techniques, il y
viendra à l’invite de Richard Gai-
tet, et aussi sur ce qui est l’un des
chefs-d’œuvre de la littérature :
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
font palpiter fort de la poitrine, et
les jeux de bras larges de type
arm swings et jabs. Le tout est
rythmé par les buck faces, grima-
ces qui soulignent combien l’élan
krump transperce le corps de
fond en comble.
Compétition pacifique
A travers les portraits de Cyborg
(Alexandre Moreau), JR Sniper
(Germain Zambi), Wrecker et Lady
Eugène Onéguine, d’Alexandre
Pouchkine, dont André
Markowicz s’est attaché à resti-
tuer le son. Pour le reste, dans une
traduction, il faut que «tout soit
là, ajoute-t-il, mais que veut dire
“tout”? La traduction, c’est l’art de
la perte. D’où cette question :
qu’est-ce que tu ne peux perdre en
aucun cas?»
plonger au cœur des œuvres
A l’épisode 2, il sera beaucoup
question de Fiodor Dostoïevski,
qu’André Markowicz commence
à traduire après sa rencontre,
HORIZONTALEMENT
I. Frappe durement mais ne fait pas
toujours du mal. II. Que l’on pourra
préparer pour faciliter le fonctionne-
ment. III. Eviter la distribution auprès
des plus jeunes. A base d’antimoine
au labo. IV. Gai participe. A démarré
à l’écran en distribuant le courrier.
Dans une valse. V. Pense vraiment
que l’être humain peut s’améliorer.
VI. Prendra et perdra son temps en
tournant autour du pot. VII. Poison
à évacuer. Conviendra. Passent avant
les autres. VIII. Sa dépêche est entrée
le tatami. Entrent en piste. IX. Mesure
chinoise. Possessif. Démonstratif.
X. Retiendras contre son gré.
VERTICALEMENT
1. Vifs et piquants, ils ne manquent
pas d’à propos. 2. Beau travail pour
garder les apparences. 3. Vieux rumi-
nant. Peuvent faire un éon.
4. Découpage dans les règles. Person-
nel. 5. Pointe d’Emmental. Cognait
dur. Lâché en se faisant cogner.
6. Réjouissances organisées.
7. Excitèrent et poussèrent les feux.
8. Fait appel. A retrouvé sa voie en
ville. 9. Supports de travail et de jeux.
Laisse de glace à London. 10. Sacré
sur le Nil. Piégé. Dans l’erreur.
11. Encouragement au cirque. Fait
du bien après coup. 12. Son monstre
garde ses mystères. Evitera la fatigue.
Madskillz, qui nous entraînent au
plus intime de leur engagement
quotidien, on pénètre dans les
subtilités de l’histoire du krump.
Sa structuration en « fam » (fa-
mille), piloté par un «Big Homie»,
figure paternelle qui rassemble
son cercle de danseurs dans un es-
prit positif de travail, de dépasse-
ment, de solidarité, le cimente.
«A part la culture des gangs, on a
aussi un peu ce côté militaire qui a
en 1990, avec Hubert Nyssen, le
fondateur des éditions Actes Sud.
De Dostoïevski et notamment
des trois principaux motifs (le
poids, la puanteur et la marche)
qui constituent et structurent
Crime et châtiment – et c’est pas-
sionnant, comme à chaque fois
qu’il parlera cuisine, c’est-à-dire
qu’il fera entendre les vers et
nous fera plonger au cœur des
œuvres.
Au dernier épisode, Richard Gai-
tet invite André Markowicz à par-
ler des quatre recueils de poèmes
et du récit autobiographique en
sudoku
n°24-013
8 2
1 5
8 1
5 2 6 7 grille avec des chiffres
1 5
2 4 6
4 6 7 3 5 8 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
HORS -SÉRIE
40
CARTES
POUR COMPR
ENDR
TURÉ
UN MONDE FRAC
V1
beaucoup influencé les “fam”, pré-
cise Cyborg. Chaque Big Homie a
un style et le transmet à ses Lil’Ho-
mies [petits potes]… » L’entrée
dans une « fam » passe par une
initiation: la «cage» au cours de
laquelle un danseur s’affronte en
mouvement à tous les membres
du groupe.
Le battle, compétition pacifique
rameutant des personnalités du
monde entier, accélère le cardio
des krumpers. Créé en2013, L’In-
ternational Illest Battle, qui fêtait
son dixième anniversaire en 2023
à La Villette, à Paris, est un
bouillon de sensations survoltées
que la caméra immersive de Ro-
main Cieutat capte au plus près
des corps. Soutenus par les hurle-
ments du public, les danseurs se
jettent dans la bataille avec une
fougue ravageuse.
«C’est un état de transe qui nous
permet d’aller au-delà de la
danse », glisse JR Snyper. Quant
à Lady Madskillz, qui a de nou-
veau gagné l’International Illest
Battle en 2023, elle résume ma-
gnifiquement le battle : « C’est le
volcan de la vie.» p
Rosita Boisseau
Krump. Get off, de Romain
Cieutat (Fr., 2022, 52 min).
Disponible sur la chaîne Explore,
accessible sur les plates-formes
Apple TV+ , Amazon Prime, Free
et Orange en replay gratuit.
vers et sans point (L’Appartement,
Inculte, 2018) qu’il a écrits. Et
aussi du journal qu’il tient depuis
dix ans sur Facebook, et qui cons-
titue la matière première des
épais volumes de sa série Parta-
ges, parue chez Mesures, maison
d’édition indépendante qu’il a
créée avec Françoise Morvan, l’in-
dispensable compagne avec qui il
a notamment traduit le théâtre
d’Anton Tchekhov et celui de
Nikolaï Gogol.
Soulignons alors que celui qui
essaie de ne pas avoir de certitu-
des, préférant ponctuer ses phra-
5 3 2 9 6 8
6 9 7 5 4 1
8 4 1 2 7 3
3 9 7 8 4 3 2 6
1 6 3 8 5 7
4 7 2 5 4 6 1 9
4 1 9 7 8 5
9 7
3
2
8
5
6
3
1
9
2
6
4
Très facile
Complétez toute la
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
colonne et par
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UN MONDE FRACTURÉ
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0123
Mardi 16 janvier 2024
notre
sélection
mardi 16 janvier
paramount Channel
My Fair lady
20.40 avant que ce film ne soit
proscrit pour mépris de classe et
misogynie, on recommandera
de voir et de revoir ce grand classique
de 1964 signé George cukor, avec
audrey Hepburn.
rMC Story
la Vie secrète des chats
21.10 Que font les quadrupèdes
quand leurs «humains» ont le dos
tourné? Grâce à des caméras et à
des systèmes GPs, on en apprend de
bien belles sur les escapades
territoriales de nos félins préférés…
France 4
orchestre de l’opéra de paris
et Gustavo dudamel:
concert inaugural
22.18 L’aventure entre l’orchestre
parisien et le chef vénézuélien
promettait des merveilles. Hélas!
dudamel décidait de quitter ses
fonctions en 2023, quatre ans avant la
fin de son contrat. Voici leur concert
de noces, filmé le 22 septembre 2021.
Canal+
emmy awards 2024
22.57 La 76e cérémonie des emmy
awards récompensait, le 15 janvier,
les meilleurs programmes télévisés
de l’année passée et leurs
animateurs. canal+ en propose, dès
le lendemain, des moments choisis.
ses de «j’ai l’impression» ou en-
core de «si je comprends bien»,
participe à la mise en scène de ses
traductions, remaniant souvent le
texte à l’épreuve du plateau. Ajou-
tons in fine que ces trois épisodes
donnent largement à entendre les
textes (en version originale et en
français). Qu’il y est aussi – et c’est
heureux – surtout question de
poésie, et de silence aussi. p
Émilie GRanGeRay
«Bookmakers», podcast de
Richard Gaitet, réalisé par Charlie
Marcelet (Fr., 2023, 3 x 45min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
7 1 4
2 8 3 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
5 9 6 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
5 1 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
4 2 9
abojournalpapier@lemonde.fr.
8 3 7
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
3 6 2
1
9
4
7
8
5
Courrier des lecteurs
Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
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sans l’accord de l’administration. Commission
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Pierre-Mendès-France
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Elisabeth Cialdella Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
 Idées | 23
0123
Mardi 16 janvier 2024

Mathieu Souquière La stratégie visant à endosser

les préconisations du RN n’a fait que le renforcer
Les tactiques visant à endiguer la vague montante de l’extrême droite ont démontré leur inefficacité, estime l’essayiste.
Il presse le président Macron de déjouer un scénario dont il est en partie responsable

D
epuis le «coup de tonnerre» du
21 avril 2002 [qualification de Jean-
Marie Le Pen pour le second tour
de l’élection présidentielle], notre
vie politique semble se structurer autour
d’une réalité qui absorbe tout: la menace,
chaque jour plus consistante, de voir l’ex-
trême droite accéder au pouvoir. Au
point qu’à la question lancinante, depuis
2017 au moins – «Marine Le Pen peut-
elle gagner?» –, s’en substitue progressi-
vement une autre pour 2027: «Peut-elle
encore perdre?»
Les dîners en ville ou les repas de fa-
mille ne bruissent plus que de cela, y
ajoutant même une interrogation coupa-
blement résignée: «Une telle victoire se-
rait-elle si terrible?» Pour se rassurer, les
cas de Trump ou Meloni sont parfois con-
voqués: après tout, les Etats-Unis et l’Ita-
lie se sont accommodés d’eux avec des
dégâts limités – argumentaire douteux,
oubliant que le président français dis-
pose de pouvoirs bien plus vastes que ses
homologues étrangers et que la France,
contrairement à son voisin transalpin,
siège au Conseil de sécurité de l’ONU.
Comment en est-on arrivé là? Pour ten-
ter de contenir la vague montante du
Front national (FN) – devenu Rassemble-
ment national (RN) en 2018 – depuis
maintenant plus de trente ans, nos gou-
vernants ont usé de deux stratégies, l’une
politique, l’autre électorale, dont l’effica-
cité n’aura pas sauté aux yeux.
Pour répondre politiquement à l’ex-
trême droite, une logique de résultats a
d’abord été privilégiée: puisque le FN a
prospéré sur un terreau de crise écono-
mique et sociale, la conviction s’est ré-
pandue qu’il suffisait de faire reculer le
chômage pour voir, dans le même temps,
refluer l’extrême droite. Malheureuse-
ment, nous savons depuis Lionel Jospin
et nous avons la confirmation avec Em-
manuel Macron qu’il n’en est rien.
Une posture illusoire
Malgré les fortes embellies sur le front de
l’emploi entre 1997 et 2002, puis entre
2016 et 2023, ces périodes ont été mar-
quées par la poursuite de la progression
du FN/RN. La posture d’impatience en-
core adoptée lors de ses vœux par le pré-
sident de la République, avide de résul-
tats plus marqués et plus rapides, a, par
conséquent, quelque chose d’illusoire:
ce qui est absolument nécessaire ne sau-
rait être tenu ici pour suffisant.
En complément de cette logique de ré-
sultats, une logique de triangulation s’est
largement imposée, conduisant à
préempter les thèmes de l’extrême
droite pour, prétendument, ne pas lui en
laisser le monopole. D’abord créditée
d’avoir su «poser les bonnes questions»,
cette dernière a finalement vu adopter
des réponses de plus en plus proches des
siennes. Illustration chimiquement pure
avec la question migratoire – dangereu-
sement confondue avec la question iden-
titaire et la question sécuritaire – satu-
rant le débat public, au rythme d’une loi
votée en moyenne tous les dix-huit mois
depuis quarante ans, toujours dans le
sens d’un durcissement.
Ultime glissement avec l’actuelle loi
sur l’immigration: alors qu’Emmanuel
Macron prétendait incarner un système
de valeurs incompatible avec celui de
le président a
délaissé son talent
créatif au profit
d’un diagnostic
aussi paresseux que
dangereux autour
d’une prétendue
« décivilisation »
l’extrême droite, une convergence de
fond s’opère aujourd’hui autour de l’idée
de préférence nationale. Quoi que pré-
tende l’exécutif, son texte, aux relents in-
déniablement xénophobes, rompt avec
la philosophie universaliste qui fait de-
puis toujours l’exception française et le
socle de notre modèle social, ainsi résu-
mée: la solidarité n’est pas affaire de na-
tionalité, elle est affaire d’humanité. Un
principe fondamental passé en quelques
jours par pertes et profits au nom d’un
arrangement politique à courte vue en-
tre ceux qui prétendent défendre nos
traditions et nos valeurs, mais, en l’es-
pèce, les bafouent.
La stratégie visant à endosser les préoc-
cupations et les préconisations du RN n’a
fait que le renforcer dans la durée. Le
contre-exemple souvent évoqué de la
présidentielle de 2007, avec le siphon-
nage des voix de Jean-Marie Le Pen par
Nicolas Sarkozy grâce aux dégagements
tactiques de ce dernier sur l’«identité na-
tionale», ne saurait tromper, s’agissant
d’un scrutin encore marqué par le trau-
matisme de 2002 et d’un candidat ne bri-
guant pas vraiment la magistrature su-
prême, contrairement à sa fille.
Pour la période présente, le résultat est
en revanche sans appel: en quatre mois
de débats «décomplexés» sur l’immigra-
tion, l’écart entre les intentions de vote
pour les listes Renaissance (le parti prési-
dentiel) et RN aux élections européennes
est passé de 4 à 12 points. L’original plutôt
que la copie, en somme.
Des victoires inopérantes
Cette double stratégie politique – entre
recherche de résultats et tentative de
triangulation – se soldant par un échec,
une tactique électorale a eu vocation à
pallier ce dernier: celui du vote utile, qui,
malgré un effritement constant, a joué à
chaque présidentielle, y compris la der-
nière, pour «faire barrage à».
Avec néanmoins, à chaque fois, le
même effet paradoxal : des victoires
arithmétiquement écrasantes – surtout
en 2002, moins en 2022 – mais politique-
ment inopérantes, la présidentielle
se transformant en un plébiscite artifi-
ciel et débouchant sur une élection «au
rabais». A la clé, un manque de légitimité
et d’adhésion populaire pour le vain-
queur – un tiers de soutiens au mieux –
alimentant une sorte d’impuissance po-
litique, nettement aggravée en cas de
majorité relative comme aujourd’hui.
Emmanuel Macron a usé de cette dou-
ble tactique politique et bénéficié à deux
reprises de cette stratégie électorale à la-
quelle la majorité du corps civique a ac-
cepté de se rallier. Avec quels résultats et
en en tirant quelles leçons? A l’instar du
chômage hier, il est tentant d’affirmer
que, contre l’extrême droite, «on a tout
essayé», de la quête d’efficacité à l’exer-
cice de triangulation. Depuis 2017 – et ce,
malgré la carte Attal fraîchement dégai-
née –, Emmanuel Macron a progressive-
ment délaissé le talent créatif et l’intui-
tion narrative qui avaient fait son succès
au profit d’un diagnostic aussi paresseux
que dangereux autour d’une prétendue
«décivilisation», dont on voit bien quel
moteur il alimente.
Si Marine Le Pen n’est assurément
pas Philippe Pétain – Eric Zemmour, sou-
tien de celle-là au second tour de 2022, se
revendique toutefois de celui-ci –, l’ex-
trême droite n’a plus occupé le pouvoir
en France depuis la chute du régime de
Vichy, il y a quatre-vingts ans. Il reste
donc trois années à Emmanuel Macron
pour déjouer le scénario qu’il est lui-
même, aujourd’hui, en train de contri-
buer à écrire: c’est dire si sa responsabi-
lité, face à l’histoire, est immense. p
Mathieu Souquière est consultant,
essayiste, expert associé auprès de la
Fondation Jean Jaurès, coauteur avec
Damien Fleurot de «2022, la flambée
populiste» (Plon, 2021)

Eric de Chassey Les arts

en aurait eu besoin, au moment que Kidjo, qui ont fait du refus de
de la seconde guerre mondiale. l’assignement à identité à la fois
Parce qu’ils visent à inventer des l’un de leurs sujets et l’une de

et la culture rendent
possibles et de l’inattendu, la cul- leurs méthodes ?
ture et les arts sont par nature
contraires à la clôture sur l’iden-
parce qu’ils visent Comme Marie José Mondzain
l’a récemment écrit dans Ac-
tité. Toute politique identitaire, à inventer des cueillir (Les Liens qui libèrent,

insupportable toute xénophobie

quelle que soit l’identité que l’on
prétend valoriser, est une régres-
sion. Même lorsque, dans l’his-
toire, on a tenté d’encadrer et de
diriger les artistes pour qu’ils il-
lustrent, défendent ou propagent
Le directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art rappelle, des idées toutes faites et des
grands récits, notamment natio-
au moment où l’hostilité à l’encontre de ceux que l’on juge étrangers naux, ceux qui ont suscité un in-
croît en France et en Europe, que les arts et la culture offrent térêt durable, qui sont devenus ce
que l’on appelle des classiques,
un modèle d’ouverture aux autres valable pour toute la société sont précisément ceux qui ont
échappé, même discrètement, à
2023), «l’art de recevoir est à pro-
possibles et de prement parler l’objet de l’art (…).
Une civilisation qui ne porte pas en
l’inattendu, la elle les énergies de la liberté, de la
culture et les arts dignité et de l’hospitalité ne peut
prétendre être une culture». La xé-
sont contraires nophilie des arts et de la culture
vaut comme signe et comme fer-
par nature ment pour la société tout entière.
à la clôture Il faut la maintenir et l’affir-
mer, non pas comme une excep-
sur l’identité tion ou un sanctuaire, mais
comme un modèle. Faire le con-

A
l’heure où la xénophobie
monte en France et en Eu-
rope, les arts et la culture, à
travers leur histoire et leur
actualité, ne cessent de nous rap-
peler combien elle est nocive pour
le développement de toute société
humaine et que, si on la favorise
ou qu’on la laisse croître, on finit
toujours par en payer le prix. Il ne
s’agit pas seulement de convic-
tions, personnelles ou collectives,
mais bien d’une incompatibilité
de principe, car les arts et la cul-
ture sont intrinsèquement xéno-
philes, c’est-à-dire qu’ils reposent
sur l’accueil de l’étranger et s’op-
posent au rejet de celui-ci ou à la
limitation de ses droits.
Se laisser toucher par les œuvres
de la culture et des arts, c’est tou-
jours accepter de s’ouvrir au point
de vue d’autrui, de voir avec des
yeux qui ne sont pas les miens,
d’entendre ou de lire des mots qui
ne sont pas les miens, d’écouter
une musique qui n’est pas la
mienne, de vivre des actions, des
gestes et des récits qui ne sont pas
les miens, d’appréhender des mo-
des de pensée qui ne sont pas les
miens – mais qui, si je les accepte,
peuvent rejoindre, enrichir, éclai-
rer mes habitudes de regard, de
parole, d’écoute, de comporte-
ment, de pensée. C’est pour cette
raison que la France, plus explici-
tement que bien d’autres pays, n’a
que très rarement, sauf en des pé-
riodes malheureuses de son his-
toire, eu une conception nationa-
liste de la culture et des arts.
Ce n’est pas contre l’Etat, mais
avec l’aide de celui-ci, voire à son
initiative, que tant d’artistes, de
Léonard de Vinci au cinéaste Ab-
bas Kiarostami, la romancière
Nancy Huston ou l’écrivain Gao
Xingjian, sont venus en France
ou ont pu continuer à travailler
grâce à la France, sans pour
autant que leurs œuvres aient à
changer de langue, à s’assimiler
ou à s’intégrer à une supposée
«identité française».
Echapper aux limitations
Même quand la bureaucratie a
été bien moins accueillante,
comme dans le cas de Pablo Pi-
casso, soumis durant la plus
grande partie de sa vie d’immigré
aux tracasseries administratives
et aux surveillances policières,
l’Etat, par l’entremise d’André Ma-
lraux, l’a rétrospectivement re-
gretté, proposant à l’artiste, à
contretemps, une naturalisation
qui lui avait été refusée lorsqu’il
ces limitations.
Il suffit pour s’en convaincre de
considérer les œuvres des pein-
tres du roi du Grand Siècle. Celles
de Charles Le Brun (1619-1690),
telle sa représentation des Na-
tions des quatre parties du monde
qui admirent les beautés de Ver-
sailles et des exploits héroïques de
notre grand monarque, ne sont
que le témoignage d’une époque
particulière et ont, pour cette rai-
son, un rayonnement restreint.
Celles de Nicolas Poussin (1594-
1665), qui a, par exemple, montré
avec acuité, dans sa Fuite en
Egypte, l’état psychologique et
spirituel traversé par ce que l’on
appellerait aujourd’hui une «fa-
mille de migrants» − que ce soit
la Sainte Famille n’y change
rien −, ont gardé leur actualité. El-
les ont même fait de ce peintre
l’inspirateur de plusieurs siècles
d’art en France et dans le monde,
alors même qu’il vécut la plus
grande partie de sa vie en Italie.
Se condamner à l’étiolement
Les ébénistes qui ont fait la gloire
du mobilier français du
XVIIIe siècle étaient pour la plu-
part des émigrés allemands. Le
Salon a très tôt consacré des ar-
tistes étrangers, ce qui a permis à
Paris de devenir la capitale artis-
tique du XIXe siècle. La mode
française s’est développée grâce
aux tailleurs et aux couturiers
immigrés, des juifs polonais du
début du XXe siècle jusqu’à Azze-
dine Alaïa. Et comment ne pas
voir que la vitalité des musiques
actuelles est due en grande par-
tie à une génération apparue
dans les années 1980, avec Ra-
chid Taha, Manu Chao ou Angéli-
traire, c’est se condamner à
l’étiolement. C’est aussi installer
une situation dangereuse. Si l’on
prive des individus de la protec-
tion et de l’accueil qui sont vi-
taux pour leur développement,
si on les exclut en les désignant
comme « barbares », comme le
faisaient déjà les Grecs de l’Anti-
quité à propos de ceux qui ne
parlaient pas leur langue, ils
n’auront, à terme, pas d’autre is-
sue que de devenir ce que l’on a
fait d’eux. p
Eric de Chassey est directeur
de l’Institut national d’histoire
de l’art et il a également
dirigé la Villa Médicis, à Rome,
entre 2009 et 2015

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Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:41:59 Date de Publication 16/1/2024
 24 | Idées 0123
Mardi 16 janvier 2024

Thomas Gomart
L’Europe doit se doter
d’une stratégie militaire
L’historien souligne dite. Elle soutient le terrorisme militarisé
du Hamas et, ce faisant, apparaît comme le
l’interdépendance héraut de la cause palestinienne. Grâce aux
houthistes et en dépit des sanctions, elle
des conflits actuels pèse, à sa manière, sur le commerce inter-
et l’urgence pour les national. Quant à la Russie, elle s’est rap-
prochée du Hamas au détriment d’Israël,
dirigeants européens pour mettre en lumière le «double stan-
dard» qu’elle ne cesse de reprocher aux Oc-
de se réarmer, cidentaux. Pour Vladimir Poutine, le Sud
global est un théâtre diplomatique à tra-
au risque sinon de se vailler afin de marginaliser les Européens.

retrouver spectateurs Comment caractérisez-vous ce retour

du nucléaire auquel nous assistons ?
des bouleversements La transgression majeure est celle de la
Russie de Poutine, qui s’est lancée dans une
géopolitiques en cours guerre coloniale sous protection nucléaire.
Puissance dotée, membre permanent du
Conseil de sécurité, elle était censée faire
respecter la Charte de l’ONU, et non la violer.
entretien Cette attitude de la Russie postsoviétique

D
irecteur de l’Institut français des
relations internationales, l’histo-
rien Thomas Gomart poursuit,
après Guerres invisibles. Nos pro-
chains défis géopolitiques (Tallan-
dier, 2021) et Les Ambitions ina-
vouées. Ce que préparent les grandes puis-
sances (Tallandier, 2023), sa réflexion dans
L’Accélération de l’histoire. Les nœuds géos-
tratégiques d’un monde hors de contrôle
(Tallandier, 176 pages, 18,50 euros), mettant
en évidence l’interconnexion des conflits
et le risque d’isolement de l’Europe, faute
d’une réelle vision stratégique.
L’année 2023 fut celle de deux guerres,
avec la poursuite de l’agression russe
contre l’Ukraine et le conflit entre Israël
et le Hamas. L’année 2024 pourrait-elle
être celle de trois guerres ?
En 2023, les dirigeants européens ont été
pris de vitesse, de manière très paradoxale,
par deux fortes continuités: l’aggravation
de la guerre d’Ukraine, alors qu’ils mi-
saient sur sa fin, et la résurgence de la
question palestinienne, qu’ils avaient éva-
cuée. En 2024, ils pourraient l’être à nou-
veau, avec les effets de bord entre trois
théâtres: la mer Noire, le golfe Arabo-Persi-
que et la mer de Chine. Les élections améri-
caines et la succession de scrutins préala-
ble mettent l’année en suspens. Dans les
régimes démocratiques, les élections for-
cent les décisions. Si Donald Trump était
élu, il y aurait des répercussions immédia-
tes sur ces trois théâtres. Les Européens
ont une année pour s’y préparer, en accélé-
rant très sérieusement leurs efforts mili-
taires. Ce qui se joue en 2024, c’est aussi la
nature de la relation transatlantique.
La relation, sérieusement ébranlée
lors de la présidence Trump, n’a-t-elle
pas, depuis, été restaurée ?
La guerre d’Ukraine, en provoquant un
resserrement transatlantique sur le plan
militaire, financier, politique et énergéti-
que, a accentué la dépendance des Euro-
péens, dans un contexte, de surcroît, de dé-
crochage économique et technologique de
l’Europe par rapport aux Etats-Unis.
En 2025, il est possible que les Européens se
inquiète même les pays qui ne la sanction-
nent pas, en particulier en Asie. Pour la Co-
rée du Nord et l’Iran, le nucléaire est vu
comme la condition de survie des régimes
et un facteur de prestige international puis-
sant. Les deux pays veulent enfin toucher
les bénéfices diplomatiques d’armes acqui-
ses à marche forcée. A ce tableau s’ajoute la
République populaire de Chine, qui est en
train de produire un véritable effort d’arme-
ment nucléaire et balistique.
Comment définir ce groupe, qui n’est
pas vraiment un bloc ni une alliance ?
Il faut distinguer la Chine, d’une part, et la
Russie, l’Iran et la Corée du Nord, de l’autre.
Ces trois derniers sont engagés dans une
confrontation ouverte avec «l’Occident col-
lectif», pour reprendre le vocabulaire de Vla-
dimir Poutine. Ce sont les pays les plus sanc-
tionnés au monde par les Occidentaux qui
utilisent leurs appareils d’Etat, leurs services
de renseignement et les réseaux criminels
pour contourner les sanctions. En outre,
l’Iran et la Corée du Nord fournissent la Rus-
sie en drones et en obus. Cela dit, ils ne for-
ment pas un bloc, mais une sorte de syndi-
cat antioccidental. Décisives, leurs relations
avec Pékin sont de plus en plus déséquili-
brées. La Chine soutient politiquement la
Russie et favorise le rapprochement entre
Téhéran et Riyad. Elle reste le seul pays à
pouvoir influencer Pyongyang. Dans le
même temps, elle valorise l’Union euro-
péenne, car elle y voit un marché-clé et un
contrepoids face aux Etats-Unis. Autrement
dit, Pékin est désormais en mesure de lais-
ser les basses œuvres de la désoccidentalisa-
tion à d’autres.
La Russie, la Chine et l’Iran se retrou-
vent au sein des BRICS. N’a-t-on pas ten-
dance à sous-estimer ce que représente
ce regroupement ?
Ce qui relie les BRICS, c’est l’idée que les
Européens – pas les Américains – ont désor-
mais un rôle diplomatique surévalué par
rapport à leur poids économique, démogra-
phique et surtout stratégique. C’est l’un des
succès de la diplomatie russe, qui a réussi le
tour de force de créer un miroir déformant
du G7 dont elle a été exclue. L’élargissement
des BRICS est un succès de la diplomatie chi-
noise, qui valorise cinq pays – Arabie saou-
Russie en 2014 avec l’annexion de la Crimée,
est au moins l’affaire d’une génération.
Sommes-nous au mitan? Je ne vois pas de
compromis en 2024, mais un probable dé-
placement du centre de gravité des opéra-
tions vers la Crimée. La Russie est en écono-
mie de guerre depuis 2012, date du retour au
Kremlin de Vladimir Poutine, qui n’est pas
inquiet pour sa réélection. A l’étranger, tout
comme Benyamin Nétanyahou, il vote
Trump. Cette guerre est la justification et
l’aboutissement de son règne. L’asymétrie
des moyens est désormais défavorable aux
Ukrainiens, qui savent en revanche pour-
quoi ils se battent. La jeunesse russe ne se
précipite pas pour recoloniser le Donbass;
elle préfère Dubaï. Quant aux Ukrainiens, ils
n’ont pas le loisir d’être fatigués, car ils com-
battent pour leur intégrité. L’échec de leur
contre-offensive terrestre masque leurs suc-
cès navals et leur esprit de résistance.
l’accélération Les Européens sont-ils prêts à assumer
de l’histoire. seuls la défense de l’Ukraine, en cas de
les nœuds victoire de Trump ?
géostratégiques Ce serait le moment de vérité de leurs as-
d’un monde pirations à l’autonomie stratégique. On
hors de contrôle pourrait se retrouver dans une situation à
de Thomas Gomart, front renversé, avec un alignement sur
Tallandier, 176 pages, Trump des forces politiques favorables à la
18,50 euros Russie au nom de leur antiaméricanisme
traditionnel. Et un soutien à l’Ukraine au
nom de la poursuite du projet européen.
Compte tenu de leurs positions antérieures,
de leur poids économique et militaire, ce se-
rait un moment particulièrement délicat
pour Paris et Berlin, deux capitales où cer-
tains milieux ne comprennent toujours pas
pourquoi l’Ukraine n’a pas capitulé. Avec le
discours de Bratislava, en juin 2023, Emma-
nuel Macron s’est engagé non seulement
vis-à-vis de l’Ukraine, mais surtout des an-
ciens membres du pacte de Varsovie
aujourd’hui alliés. Les Européens paient
cher leurs erreurs de jugement sur la Russie
de Poutine, et risquent d’être déstabilisés
Yann Legendre
par les décisions de Trump sur d’autres dos-
siers comme la Chine ou le Moyen-Orient.
Qu’en est-il pour la France ?
Rétrospectivement, le contexte géopoliti-
que dans lequel la loi de programmation
militaire 2024-2030 a été votée en
juillet 2023 apparaît bien optimiste. En
six mois: sortie forcée du Sahel, échec de la
contre-offensive ukrainienne, guerre de
haute intensité à Gaza, susceptible de
s’étendre au Liban. La dégradation de la si-
tuation internationale se fait toujours plus
rapidement que la préparation des forces
armées. C’est ce que nous redécouvrons
avec les limites de notre appareil productif.
On a parfois l’impression d’un dialogue de
sourds entre le gouvernement et les indus-
triels de la défense sur l’« économie de
guerre» évoquée par Emmanuel Macron
en juin 2022. Cette remarque n’est pas uni-
quement liée à la situation en Ukraine,
mais concerne la dégradation globale de
notre environnement.
La situation est-elle encore plus
dangereuse en mer de Chine ?
C’est déjà une zone d’opérations où toute
action militaire provoque une réaction mili-
taire. On a dépassé le stade de l’observation.
Et c’est aussi le centre de gravité géoécono-
mique. Quand on voit les conséquences des
attaques de navires en mer Rouge sur le
commerce international, on imagine les
conséquences d’une crise aiguë dans le dé-
troit de Taïwan. Les pays riverains comme
les Philippines, le Vietnam et le Japon n’ont
guère de doute sur les intentions de Pékin.
Quant aux Etats-Unis, ils y jouent, à terme,
leur prédominance face à une Chine qui re-
met en cause le statu quo et annonce la
«réunification». A tort, cela semble loin aux
Européens, dont l’appareil productif dé-
pend pourtant de la liberté de navigation. p
ProPoS recUeilliS PAr
AlAin SAlleS et MArc SeMo

les européens dans le brouillard de la guerre

retrouvent à la fois contraints de gérer par
eux-mêmes ces crises sur leurs flancs et,
dans une situation économique très dégra-
dée, de basculer ainsi du côté de ceux qui su-
bissent plus qu’ils ne conduisent le cours
des choses. On ne peut pas penser la guerre
d’Ukraine en silos, ni le conflit entre Israël et
le Hamas, ni la montée des tensions en mer
de Chine, ni la fragmentation du Sahel. Tou-
tes ces crises sont liées par des effets de bord
et une redistribution de la puissance au dé-
triment des Européens. La géostratégie est
le lien entre la géographie et la stratégie mi-
litaire, mais encore faut-il en avoir une.
A qui profitent les attaques du 7 octobre?
Très certainement à l’Iran et à la Russie,
qui ont resserré leurs liens. La République
islamique d’Iran veut l’arme nucléaire,
quoi qu’il en coûte, et interrompre le rap-
prochement entre Israël et l’Arabie saou-
dite, Emirats arabes unis, Iran, Ethiopie et
Egypte – lui permettant, incidemment, de
favoriser sa présence dans le golfe Arabo-
Persique, en mer Rouge et en Méditerranée
orientale. Les Européens ne peuvent pas
l’ignorer: ils sont non seulement dépen-
dants des relations sino-américaines, mais
aussi, de plus en plus, de l’autonomisation
stratégique des pays du Golfe, exportateurs
d’hydrocarbures, financeurs de leur transi-
tion énergétique et acheteurs de technolo-
gies militaires. Cela étant, un autre pays
joue déjà un rôle décisif entre le G7 et les
BRICS: c’est l’Inde, qui préconise un «multi-
alignement». La sourde rivalité qui l’oppose
à la Chine est la grande question géopoliti-
que de la période qui s’ouvre.
L’Ukraine pourrait-elle perdre ?
On doit comprendre, notamment en
France, que cette guerre, commencée par la
De l’UkrAine AU Proche et au Moyen-
Orient, les crises s’intensifient et s’éten-
dent à l’Extrême-Orient avec la montée
des tensions autour de Taïwan et dans la
péninsule coréenne. Surtout, elles s’in-
terpénètrent. «Il est impossible de les
penser en silo, car toutes sont liées par des
effets de bord», souligne Thomas Go-
mart, directeur de l’Institut français des
relations internationales, dans son der-
nier ouvrage, L’Accélération de l’histoire
(Tallandier, 176 pages, 18,50 euros), dans
lequel il relève le sentiment croissant
d’une perte de contrôle des événements.
«L’histoire n’est ni linéaire ni téléologi-
que, et son accélération se caractérise
par une multiplication d’actions délibé-
rées de nature stratégique qui modifient
les équilibres de puissance et transfor-
ment les théâtres régionaux », relève
l’historien. Thomas Gomart regrette
l’absence de vision des Européens, dont
la seule ambition stratégique semble
être le maintien de leur manière de vi-
vre. Vif et clair, ce nouveau livre pour-
suit la réflexion amorcée dans Guerres
invisibles et Les Ambitions inavouées
(2021 et 2023, Tallandier).
« Enchevêtrement inédit de conflits »
Ici, il se focalise sur les nœuds géostraté-
giques où se concentre l’interdépen-
dance des principaux foyers de crise.
Ces points névralgiques sont notam-
ment le détroit de Taïwan, avec la mon-
tée en puissance d’une Chine toujours
plus agressive; le détroit d’Ormuz, où se
regroupent toutes les crises de la ré-
gion; et le Bosphore, verrou de la mer
Noire, devenue l’un des enjeux cen-
traux de la guerre en Ukraine et le ter-
rain d’affrontement où Kiev enregistre
ses plus notables succès.
«Confrontés à un enchevêtrement iné-
dit de conflits, explique Thomas Go-
mart, les Européens doivent améliorer
leur intelligence du monde, s’ils enten-
dent défendre leurs intérêts face à des
Etats ou à des organisations bien décidés
à exploiter au maximum leur désarroi et
à imposer leurs propres valeurs. » Ce li-
vre contribue à cette urgente et néces-
saire prise de conscience. p
M. Se.

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Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:42:04 Date de Publication 16/1/2024

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Mardi 16 janvier 2024
Petit bréviaire (sarcastique)
à l’usage des empoisonneurs L
Les chercheurs Marc Billaud, Julie Noirot et Pierre Sujobert, inquiets de la diffusion
de substances toxiques dans l’environnement, détournent la rhétorique employée
par certaines entreprises pour défendre leurs activités dangereuses pour la santé
G
agner sa vie en vendant du poi-
son n’est pas chose facile. Cela
peut même devenir périlleux
quand des activistes, associa-
tions, et même juges de tout poil se
mêlent de vos petites affaires lucrati-
ves, car il reste dans la loi quelques
qualifications fâcheuses qui peuvent
parfois compliquer votre tâche. Amis
producteurs de pesticides dangereux,
de produits chimiques toxiques, de
médicaments inutiles et nocifs, de pol-
luants éternels, d’aliments obésogè-
nes, d’additifs et d’édulcorants cancéri-
gènes, ne tremblez plus : des années
d’expertise ont permis de développer
une panoplie de discours et d’actions
simples à l’efficacité éprouvée.
Afin de démocratiser l’accès à ces re-
cettes habituellement vendues leur pe-
sant d’or par des agences de communi-
cation, les voici en « open source ». A
vous ensuite de les adapter au poison
qui vous concerne et de les faire porter
par des experts dans les arènes média-
tiques à fort audimat et les cénacles qui
légiféreront sur le maintien de vos pro-
duits sur le marché.
Prônerz la complexité Pouvez-vous
imaginer une situation, un objet, un
concept dont on ne pourrait dire qu’il
est complexe ? La complexité a l’avan-
tage de placer un seuil distinguant les
choses simples des choses complexes.
La bonne nouvelle, c’est qu’on ne sait
pas mesurer la complexité et qu’il n’y a
pas de consensus sur la valeur du seuil.
Vous pourrez donc affirmer sans
risque que la situation qui vous est
reprochée est complexe, et que ne pas
le reconnaître, c’est être simpliste,
voire manichéen. Ça n’a l’air de rien,
mais c’est une excellente manière de
semer le doute dans l’esprit de vos op-
posants, ce qui nous amène au
deuxième argument.
Semez le doute De quoi peut-on être
absolument certain ? Popularisée par la
présidence Trump, la post-vérité ouvre
des perspectives fantastiques pour dé-
fendre vos activités. Certes, la science
élabore des connaissances. Mais elle re-
vendique aussi les limites et les imper-
fections de ses savoirs, et même, tenez-
vous bien, qu’ils seront un jour dépas-
sés. Faites valoir que la preuve
définitive démontrant la dangerosité
de votre produit n’a pas été obtenue.
Plus de recherches sont nécessaires.
Les scientifiques se sentent toujours
concernés par la causalité et la preuve
et vous sèmerez le doute dans leurs
rangs. Soyez relativistes, évoquez sans
réserve l’équivoque, le controversé, le
débattu. La science devenant une opi-
nion comme une autre, les études épi-
démiologiques et toxicologiques prou-
vant la nocivité de votre juteux busi-
ness ne seront qu’une assertion parmi
d’autres tout aussi fondées. Et voici ve-
nir le troisième argument.
n’ayez aucun
scrupule à ternir
la réputation
scientifique de
vos adversaires.
visez bas,
calomniez tous
azimuts
Sortie par lecomte le 15/01/2024 07:42:08 Date de Publication 16/1/2024
Soulignez l’intentionnalité cachée S’il
n’y a plus de faits mais des opinions,
alors soulignez à grands traits les inten-
tions politiques de vos adversaires.
N’hésitez pas à les accuser d’être morali-
sateurs: par un merveilleux renverse-
ment des valeurs, c’est un moyen in-
faillible de jeter le discrédit sur les en-
quiquineurs. Ils justifient leurs attaques
par la science, vous soulignerez qu’ils
agissent en militants, en idéologues li-
berticides, voire en terroristes si vous
êtes d’humeur outrancière. Ça fait tou-
jours son petit effet. Le débat sera op-
portunément déplacé : il ne sera plus
question de preuve mais de conviction,
et il vous sera facile de saturer l’espace
médiatique pour l’emporter sur ce ter-
rain. Pour cela, vous mobiliserez avan-
tageusement les quatrième et cin-
quième arguments.
Exposez la finalité Bien entendu, la fin
réelle de votre activité, votre enrichisse-
ment, ne justifiera pas grand-chose aux
yeux de vos détracteurs. Vous serez tou-
tefois assez habiles pour présenter une
autre finalité: lutter contre la faim dans
le monde (si vous vendez des pesticides
ou des aliments malsains peu chers), lut-
ter contre un fléau sanitaire (si vous ven-
dez de la nourriture «light» ou des addi-
tifs alimentaires), connecter les peuples
du monde (si vous vendez des jets pri-
vés), etc. Au-delà de ces fins spécifiques,
ne dédaignez jamais l’argument massue
auquel sont toujours sensibles les élus:
il faut sauvegarder l’emploi de ceux qui
produisent vos poisons pour soutenir la
croissance du territoire dont ils ont reçu
les suffrages. Et hop, vous voici patriote
soucieux de la question sociale!
Plaidez la responsabilité individuelle
En même temps que vous inventerez
des finalités indiscutables qui vous fe-
ront passer pour une belle âme, vous
rappellerez que le problème n’est pas le
poison, mais la manière dont il est
consommé. Si vous vendez de la mal-
bouffe, faites la promotion de l’activité
physique et des légumes, et blâmez les
consommateurs qui n’auraient pas
suivi vos recommandations. Si vous
vendez des pesticides ou des produits
chimiques toxiques, vous insisterez sur
le non-respect coupable du port des
équipements personnels de protection.
Dans cette même veine, promouvez
la résilience : pourquoi les victimes de
vos poisons ne saisiraient-elles pas
cette chance que vous leur offrez de re-
bondir ? Vous serez surpris de la facilité
avec laquelle ce retournement de la re-
lation causale sera accepté, encouragé
et même financé par les pouvoirs pu-
blics. Que cela ne vous empêche pas de
transformer l’essai en affirmant à tout
bout de champ votre attachement à la
responsabilité individuelle, vous serez
bientôt intronisé défenseur de la li-
berté. Et vous devrez faire connaître cet
engagement, c’est là que le sixième
point devient essentiel.
Recourez au mécénat N’hésitez pas à fi-
nancer des recherches sur vos propres
poisons. Créez des associations spéciali-
sées et des comités ad hoc où vous recru-
terez pêle-mêle, industriels, représen-
tants de l’Etat et scientifiques qui établi-
ront des priorités sur les sujets à étudier,
multiplieront réunions et colloques,
orienteront des programmes de recher-
che. Plutôt que de fastidieuses études
toxicologiques, proposez de creuser la
piste de la susceptibilité génétique des
individus exposés. Publiez dans des re-
vues à comité de lecture, faites signer
par des auteurs renommés des articles
scientifiques que vous aurez écrits et
éditez des fascicules élégants sur votre
utilité sociale. Sensibilisez les enfants,
soutenez les collectivités locales, en res-
popularisée
par la présidence
trump, la post-
vérité ouvre
des perspectives
fantastiques
pour défendre
vos activités
tant discrets pour plus d’efficacité en-
core. Ne soyez jamais sur la défensive,
mais ouverts, sincères et prêts au dialo-
gue. Soyez le chantre roublard de la
transparence. Jusqu’à ce qu’il soit néces-
saire d’utiliser la septième arme.
Utilisez l’intimidation Faites-vous
craindre. Entourez-vous d’une ribam-
belle d’avocats qui menaceront de plain-
tes pour diffamation tous les empê-
cheurs d’empoisonner en rond. Que ce
soit clair: aucun paratonnerre de don-
nées scientifiques ne les protégera des
foudres judiciaires. Et puisque le rapport
de force économique est en votre faveur,
utilisez-le en justice pour réclamer de
lourdes sanctions financières. Agitez
aussi une bardée de trolls pour saturer
les réseaux sociaux. N’ayez aucun scru-
pule à ternir la réputation scientifique de
vos adversaires. Visez bas, calomniez
tous azimuts.
Dénoncez le tribunal médiatique Pré-
parons-nous tout de même au pire: si
votre activité est particulièrement no-
cive, il est possible que les sept premiers
points soient insuffisants. Pas de pani-
que, cependant, nous avons une solu-
tion même pour ces cas extrêmes! Con-
voquez la présomption d’innocence,
dénoncez le tribunal médiatique, les of-
ficines (si si!), laissez l’incendie s’étein-
dre dans la lenteur judiciaire en pro-
mettant que vous contribuerez active-
ment à l’investigation pour mettre fin à
d’insupportables insinuations.
Vous pourrez compter sur la prescrip-
tion, l’absence de preuve de votre inten-
tionnalité ou de vos connaissances des
effets toxiques de vos poisons. Quand
bien même vous seriez condamné, les
procédures d’appel, lorsqu’elles sont
suspensives, vous permettront de ga-
gner de précieuses années. Et si le juge-
ment s’avère définitif, vous laverez votre
honneur en prétextant qu’on ne peut
évaluer avec les critères actuels ce qui a
été fait dans le passé, et réutiliserez alors
en boucle les arguments précédents.
Voici donc la boîte à outils que nous
vous offrons. Des armes simples et
complémentaires que vous adapterez fa-
cilement au poison que vous voulez con-
tinuer à vendre. Le poison doit apparaître
pour ce qu’il est, une marchandise
comme une autre avec ses circuits de
production, de distribution et de marke-
ting. Il n’y a rien de déshonorant à faire
du commerce et à protéger avant tout ses
intérêts. Au royaume du libre-échange, le
poison est une valeur sûre, la santé publi-
que, une utopie contre-productive. p
Marc billaud, directeur de recherche
au CNRS; Julie noirot, enseignante-
chercheuse à l’université Lyon-II;
Pierre sujobert, professeur
d’hématologie à l’université Lyon-I
et aux Hospices civils de Lyon
V1
En Argentine,
le péronisme
déboussolé
analyse
ors d’un scrutin présiden-
tiel historique, le 19 no-
vembre 2023 en Argen-
tine, Sergio Massa, le can-
didat du péronisme, mouvement
politique né dans les années 1940,
a été largement battu par une coa-
lition créée en juillet2021 et em-
menée par un outsider, Javier Mi-
lei (55,65 % des voix). La haine
contre le péronisme a nourri
toute la campagne de cet ultrali-
béral qui a siphonné des voix à
son adversaire dans les bastions
historiques du mouvement, les
quartiers populaires. Déboussolé,
sans vision et sans leader, le péro-
nisme traverse une de ses plus
profondes crises.
Aussi incontournable qu’inclas-
sable politiquement, le péro-
nisme (il se situe aujourd’hui de la
gauche jusqu’au centre gauche)
porte le nom de son fondateur,
Juan Domingo Peron (président
entre 1946 et 1955, puis de 1973 à
1974), défenseur de la justice so-
ciale et d’une industrie nationale
forte. Un mouvement caméléon
qui a effectué une grande embar-
dée libérale, pendant les années
de la présidence Carlos Menem
(1989-1999). Mais, depuis vingt
ans, le péronisme se réduit au kir-
chnérisme, du nom des époux
Nestor Kirchner (président de
2003 à 2007, mort en 2010) et Cris-
tina Fernandez de Kirchner
(cheffe d’Etat de 2007 à 2015, puis
vice-présidente de 2019 à 2023).
La vision qu’ils ont imposée au
mouvement est celle d’une Ar-
gentine industrielle, solidaire
(avec l’instauration de minima so-
ciaux), souveraine (la dette auprès
du Fonds monétaire international
– FMI – a été soldée en 2006) et
juste (réouverture des procès des
responsables de la dictature mili-
taire). Pour le pays qui souhaite se
reconstruire après la crise sociale
et économique de 2001, le kirch-
nérisme a été, pendant douze ans,
l’architecte d’un rebond.
Mais son projet s’est essoufflé.
«Dès 2011, la politique sociale, ex-
pansive, n’a plus été accompagnée
par un cours avantageux des ma-
tières premières. Le kirchnérisme
n’a pas su trouver un modèle de dé-
veloppement économique lui per-
mettant d’assurer son projet so-
cial», observe Pablo Touzon, poli-
tologue. Conséquence économi-
que de ce hiatus : émission
monétaire, déséquilibre budgé-
taire et inflation. Celle-ci, chroni-
que, n’est pas seulement le fait de
gouvernements péronistes.
En parallèle, le mouvement, qui
fait de la représentation popu-
laire son pilier, «s’embourgeoise
et se bureaucratise». «Certains de-
viennent des professionnels de la
politique, déconnectés de la réa-
lité, au beau train de vie. Et les
aides sociales commencent à res-
sembler à des pots-de-vin distri-
bués aux plus pauvres», déplore
M. Touzon. Des aides nécessaires,
afin d’éviter l’explosion sociale et
la pauvreté extrême.
Aujourd’hui, certains bénéficiai-
res repoussent la main péroniste
qui leur est tendue. Dans les quar-
tiers populaires, nombre d’entre
eux ont fini par applaudir le re-
« il y a une caste
au sein
du péronisme
et je doute
qu’elle ait envie
de faire preuve
d’humilité »
Juan Grabois
représentant de l’aile
gauche du mouvement
Idées | 25
faute de vrai
projet,
le mouvement
s’enferme dans un
narratif passéiste
trait de l’Etat, souhaité par Javier
Milei. Ils ne veulent pas d’une sub-
vention, mais d’un travail et d’un
projet de vie. Etat, justice sociale:
avec Javier Milei, les grands
idéaux des péronistes deviennent
des épouvantails.
En parallèle, le péronisme, habi-
tué aux leaders charismatiques,
n’organise pas la succession. Le
capital politique de Cristina Fer-
nandez de Kirchner s’étiole. Mise
en cause dans plusieurs affaires
de corruption et de blanchiment,
elle est condamnée par la justice,
en décembre 2022, pour «admi-
nistration frauduleuse» au préju-
dice de l’Etat. L’ex-cheffe d’Etat crie
à la persécution et fait appel. Si-
gne du clivage qu’elle suscite et de
sa perte de crédibilité: l’attentat
dont elle avait été victime en sep-
tembre de la même année ne sus-
cite guère l’indignation.
« Capacité à la résurrection »
Le dernier mandat péroniste, sous
Alberto Fernandez (2019-2023),
avec Cristina Fernandez de Kirch-
ner comme vice-présidente, con-
sacre la crise du mouvement. Le
duo doit gérer le bilan médiocre
laissé par la parenthèse Mauricio
Macri (gouvernement de centre
droit, 2015-2019) : une dette
énorme auprès du FMI, davantage
de pauvreté et d’inflation. La pan-
démie de Covid-19, une sécheresse
historique et les conséquences de
la guerre en Ukraine achèvent de
plomber leurs années au pouvoir.
Mais la fissure la plus profonde
de cette période est interne. Les
courants incarnés par le président
(centre gauche) et la vice-prési-
dente (gauche) ne s’accordent ni
sur l’interventionnisme de l’Etat
ni sur la politique d’austérité exi-
gée par le FMI. Alberto Fernandez
n’a pas l’épaisseur d’un leader. La
vice-présidente est suffisamment
puissante pour gêner, pas assez
pour dominer. Ils offrent aux Ar-
gentins, confrontés à une infla-
tion galopante, le triste spectacle
d’élites qui se déchirent.
Faute de vrai projet, le mouve-
ment s’enferme dans un narratif
passéiste. L’ex-présidente ne cesse
d’évoquer l’époque dorée de son
mari défunt ou de Juan Domingo
Peron. Les Argentins, eux, souhai-
tent regarder vers l’avenir.
Au scrutin présidentiel de 2023,
un étrange candidat aux convic-
tions fluctuantes représente le pé-
ronisme: Sergio Massa, libéral
dans sa jeunesse et ministre d’une
économie malade. «Le péronisme
n’a plus de projet», n’a pas hésité à
déclarer, à la mi-décembre2023,
Juan Grabois, candidat malheu-
reux lors des primaires internes
du mouvement. Ce représentant
de l’aile gauche insiste: «Il y a une
caste au sein du péronisme, et je
doute qu’elle ait envie de faire
preuve d’humilité.» «Il va falloir
composer une nouvelle chanson»,
lançait de son côté Axel Kicillof, en
septembre, avant sa réélection
comme gouverneur péroniste de
la province de Buenos Aires.
Bousculé, le mouvement est loin
d’être enterré. Cette crise «ne si-
gnifie pas la fin du péronisme, qui
se caractérise par sa capacité à la
résurrection. Il entre dans une
étape de reconfiguration», remar-
que l’historienne Camila Pero-
chena. Une renaissance qui pour-
rait être suscitée par Javier Milei, si
le péronisme parvient à incarner
l’opposition à ses réformes. p
FlorA Genoux (Buenos Aires,
correspondAnte)
 26 | 0123 0123
Mardi 16 janvier 2024

économie | chronique taïwan :

par J ean-Mic hel Bezat
les mérites statu quo, il est clair que l’électorat taïwa- félicitations « au Dr Lai Ching-te pour sa vic-

du statu quo nais refuse obstinément la réunification toire à l’élection présidentielle », ainsi qu’au

2024, année revendiquée par la Chine.

Selon les études d’opinion, près des deux
« peuple taïwanais pour la vigueur de son
système démocratique », mais Washington

atomique
tiers des habitants de l’île s’identifient
aujourd’hui comme « Taïwanais » plutôt
que comme « Chinois » ou « Chinois et
Taïwanais», contre 17 % il y a trente ans. La
répression à Hongkong depuis que le terri-
a souligné que deux anciens hauts respon-
sables américains arrivés sur l’île diman-
che, Stephen Hadley et James Steinberg,
pour rencontrer les nouveaux élus agis-
saient en « capacité privée ». On est loin du

C
ela fait plus de dix ans
que le nom de Flaman-
ville, petit village de la
Manche, est associé aux
déboires de la filière nucléaire.
toire a été rétrocédé à la Chine a par ailleurs
le projet de loi sur ôté tout attrait au concept «un pays, deux
systèmes» pour les électeurs à Taïwan.
la souveraineté M. Lai exprime cette obstination taïwa-
naise de manière plus radicale que Mme Tsai,
énergétique relègue ce qui ajoute à l’irritation du pouvoir chi-
coup d’éclat de Nancy Pelosi, la présidente
de la Chambre des représentants alors
en fonctions, dont la visite sur l’île
en 2022 avait fait brutalement monter la
tension avec Pékin.
Pour leur part, les Européens ont fait

Plus d’une décennie qu’EDF y re-
porte d’année en année le lance-
ment du premier EPR français,
qui a pris douze ans de retard sur
le calendrier initial (intenable) et
coûté 19 milliards d’euros, six fois
le «devis» initial. Le réacteur doit
enfin produire ses premiers mé-
gawattheures cet été, et l’on ima-
gine que le gouvernement cher-
chera, au prix d’une subtile alchi-
mie médiatique, à transformer le
plomb en or, cet échec industriel
en promesse de renaissance.
N’en déplaise aux écologistes,
2024 sera une «année atomique».
Avec un pilote unique, Bruno Le
Maire, avocat sans faille du nu-
cléaire dans la grande tradition
gaulliste. Déjà nanti d’un vaste
portefeuille, le ministre de l’écono-
mie et des finances a aussi récu-
péré l’énergie, rattachée depuis
2007 au ministère de l’environne-
ment. Quoi de plus évident, confie-
t-il dans Le Figaro du 12 janvier,
puisque « c’est se donner les
meilleures chances d’accélérer la
réindustrialisation du pays et la
réalisation du programme nu-
cléaire». Son premier déplace-
ment, lundi 15 janvier, doit illustrer
la cohérence des deux ambitions:
la centrale de Gravelines (Nord),
qui accueillera deux EPR, et l’acié-
rie d’ArcelorMittal voisine, qui va
substituer l’électricité au charbon.
Le pilote a une feuille de route:
le projet de loi sur la souveraineté
énergétique, présenté dans quel-
ques semaines au conseil des mi-
nistres. Il fait la part belle au nu-
cléaire et relègue l’éolien et le so-
laire au rang de sources d’ap-
point, sans objectifs chiffrés.
Comme si le gouvernement en
avait «honte», déplore le Syndicat
des énergies renouvelables.
« Ce programme est une nou-
velle épopée industrielle pour no-
tre pays, qui renoue avec l’esprit
de la France des bâtisseurs», celle
du gaullo-pompidolisme triom-
phant, indique l’exposé des mo-
tifs de la loi dans le style emphati-
que si courant en Macronie.
« C’est un énorme recul », un re-
tour « au logiciel tout nucléaire
D
nois. Tout pas vers l’indépendance sera «sé- preuve d’une grande retenue. Le communi-
éolien et solaire écidément, les Taïwanais sont des vèrement puni par l’histoire et la loi », a qué du Quai d’Orsay, comme celui du ser-
au rang de sources gens têtus. C’est l’amère conclu- averti dimanche le ministre chinois des af- vice diplomatique de l’Union européenne,
sion que tire peut-être Pékin de faires étrangères, Wang Yi. En retour, Pékin félicite « les électeurs » et « les élus », sans
d’appoint l’élection, samedi 13 janvier, de Lai a été prié par la diplomatie de Taipei de spécifier le nom du vainqueur du scrutin,
Ching-te à la présidence de l’île, remportée «respecter le résultat de l’élection, faire face et salue leur attachement au processus dé-
pour la troisième fois d’affilée depuis à la réalité et renoncer à réprimer Taïwan». mocratique. Il rappelle aussi l’importance
Rhin). En plus des six EPR pro- 2016 par un candidat du Parti démocrate Face à cette tension quasi structurelle de «la paix, de la stabilité et du statu quo»
grammés, huit autres sont inscrits progressiste (DPP), dont la charte pro- mais susceptible de dégénérer à tout mo- dans le détroit de Taïwan.
en filigrane dans la nouvelle loi clame l’ambition indépendantiste. ment dans une région fortement militari- Ce rappel est opportun. C’est précisé-
sur l’énergie. Et, si l’on veut rem- Le score réalisé par le président élu (40 %, sée, que peuvent faire les Occidentaux ? ment celui qui manquait aux déclarations
placer le parc mis en service entre face à deux adversaires) est certes en net Calmer le jeu apparaît comme la meilleure d’Emmanuel Macron, à l’issue de sa visite
1980 et 2000, il en faudra plus d’ici recul par rapport à celui de la présidente solution à ce stade, dans un monde soumis à Pékin en avril 2023. Son invitation à ne
à 2060 pour répondre à une de- sortante, Tsai Ing-wen, qui avait obtenu à une multiplicité de crises. Le président pas suivre le « rythme américain » dans la
mande d’électricité en forte crois- 57 % en 2020 pour son deuxième mandat, Joe Biden a pris soin dès samedi de rappe- relation avec la Chine avait suscité une
sance. «C’est un bon objet de dis- et le DPP a perdu la majorité au Parlement. ler que les Etats-Unis ne soutenaient pas vive polémique. Il serait aussi opportun
cussion avec les parlementaires», Mais, même si ce parti et le président élu, l’indépendance de Taïwan. que Pékin observe la même retenue, cesse
se félicitait Agnès Pannier-Runa- dans la pratique, s’abstiennent de recher- Son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, a de menacer Taipei et évite toute escalade
cher avant de perdre le ministère cher l’indépendance et privilégient le posté sur le réseau social X un message de dans le détroit. p
de la transition énergétique.
Le nucléaire est une industrie du
temps long. Elle implique la mobi-
lisation d’énormes capitaux lors
de la construction (au moins
52 milliards d’euros pour les
six premiers EPR) et un retour sur
investissement progressif, une or-
ganisation industrielle sans faille
et un fort consensus transpartisan
garantissant que le programme
survive aux changements de ma-
jorité. Cet alignement des planètes
s’était produit en 1981, quand la
gauche arrivée au pouvoir avait
décidé de poursuivre le plan Pom-
pidou-Messmer.
Car le nucléaire est aussi un do-
maine à haute teneur en politi-
que, soumis depuis 2012 à des
fluctuations partisanes qui ont
déstabilisé une filière majeure
pour la France. Le gouvernement
peut s’appuyer sur l’opinion: une
majorité de Français se dit favora-
ble à de nouvelles centrales. Mais
l’absence de majorité parlemen-
taire ne fait qu’exacerber la politi-
sation des débats, et il va en jouer
pour séduire à droite et diviser à
gauche lors de l’examen du projet
sur la souveraineté énergétique.
Sa rédaction n’est pas sans arriè-
re-pensées politiques, dénoncent
ONG et professionnels des renou-
velables. En maintenant l’atome ci-
vil comme socle de la production
d’électricité en France, M. Macron
s’assure un vote sans difficulté au

des années 1970», souligne juste-
ment sur le site du magazine
Reporterre Yves Marignac, de l’as-
sociation négaWatt.
Mobiliser d’énormes capitaux
LE7/10
Parlement. Majorité, Républicains
et Rassemblement national affi-
chent d’inoxydables convictions
nucléaires. Des élus LR braconnent
même sur les terres de l’extrême
droite en fustigeant l’éolien à

Le projet rompt avec la loi de pro-
grammation précédente, plus
équilibrée entre nucléaire et re-
nouvelables. Il traduit une ambi-
tion qui ne cesse de s’affirmer de-
puis le discours de Belfort, en fé-
vrier 2022, quand le président de
la République avait mis fin aux
1 MATINALE
re
tout-va. Au point d’inquiéter Ca-
therine MacGregor, directrice gé-
nérale d’Engie, poids lourd du sec-
teur, qui dénonce un «populisme»
menaçant son développement. A
gauche, le texte va rouvrir une des
principales fractures au sein de la
Nouvelle Union populaire écologi-

atermoiements de son premier
quinquennat. En Europe, où Em-
manuel Macron cherche à fédérer
les pays pro-atome ; et dans
l’Hexagone, où il a enterré le pla-
fonnement à 50 % du nucléaire
dans le «mix» électrique fixé par
François Hollande en 2015.
Les 56 réacteurs d’EDF fonction-
neront donc aussi longtemps que
la rigoureuse Autorité de sûreté
nucléaire autorisera leur exploita-
tion – une mesure qui ne fera pas
oublier le fiasco politico-financier
de la fermeture prématurée de la
centrale de Fessenheim (Haut-
la relance de l’atome
civil se justifie
si l’on se projette
à long terme.
il ne répond pas à
l’urgence climatique
DEFRANCE
que et sociale (Nupes): les commu-
nistes et une partie des socialistes
sont favorables au nucléaire; La
France insoumise et les écologis-
tes s’y opposent.
Ce sont là des épiphénomènes
politiques au regard des lourdes
décisions que le gouvernement
prendra en 2024. La relance de
l’atome civil se justifie si l’on se
projette à long terme. Il ne ré-
pond pas à l’urgence climatique.
Les énergies renouvelables − sur-
tout le solaire − ont fait un bond
«historique» en 2023, note Fatih
Birol, directeur de l’Agence inter-
nationale de l’énergie. Surtout en
Chine et dans des pays industria-
lisés comme l’Allemagne, où elles
ont assuré la moitié de la con-
sommation électrique en 2023.
M. Birol réclame toujours plus de
production sans CO2, dont le dou-
blement des capacités nucléaires
pour atteindre la neutralité car-
bone au milieu du siècle. Comme Médiamétrie – EAR National – AC - ND2023 – 7h/10h – LV – 13+
s’il voulait organiser le rendez-
vous du soleil avec l’atome. p

V1
Sortie par folliot le 15/01/2024 09:46:24 Date de Publication 16/1/2024