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CeX-'Z,

fKC
MEMOIRE
SUR LES
ETATS GÉNÉRAUX; -

LEURS DROITS,
ET LA MANIERE DE LES CONVOQUER.

Nous quivalons chacun autant que vous


, 8c
qui tous enfèmble fommes plus puiiîans que
vous
nous promettons d’obéir à votre
Gouvernement , fi
vous maint en e z nos droits 8c nos
privilèges ; fî
non, non. â

Nos que valemos tahto coma vos


, y que vodemoi
mas que vos , os &?emos nueftro Rey
talque guardies nuejlrosfueros ji no
y nnorco
, 'n

; , no.
Serment da Jufticier d'Arragon au Rq
au nem des Cortcs,
3

AVERTISSEMENT.
M
ik PV i . y

C'æt commencé fous un Mi -


.EcrzV ,

nifere ennemi de la Nation a été ter- ,

miné fous de plus heureux aufpices. J'efi


pere qu on reconnaîtra , e/z lifant cet
Ouvrage ?
Y infant où la chûte de nos
opprejfeurs a rendu à mon ame un fen -
tinrent die honneur & d’efpoir ,
que
P effrayante continuité de leur crédit avoïl
anéanti .

Notre Roi nous efi enfin rendu

Ctfi en ce moment qu'il faut unir à


jamais notre bonheur au fien 9 & la li-
berté publique à fa puïffance.

Je fuis loin de croire cette réunion


impoffible 9 & fai cherché à h prouver*
J’ai defliné cet écrit à mes Compatriotes „

S’il franchit les limites de la Province


où il fat compofé , me tiendra - - où
A
MÉMOIRE
SUR LES
ÉTATS-GÉNÉRAUX,
LEURS DROITS,
ET LA MANIERE DE LES CONVOQUER.

^E fut fans doute pour donner aux plus


héroïques vertus une patrie digne d’elies
que le ciel voulut qu’il exiflât des républi-
ques; & peut-être, pour punir l’ambition des
hommes ,
il permit qu’il s’élevât de grands
empires ,
des rois & des maîtres.
Mais toujours jufie , même dans fes châti-
mens , Dieu permit qu’au fort de leur op-
preüion , il exiftât pour les peuples aiïer vis,
un moyen de fe régénérer ,
&: de reprendre
l’éclat de la jeune fie en fortant des bras de
,

la mort.

a 3
(O
La liberté laîfîe à ceux qu’elle abandonne
?
de longs êc cruels fouvenirs ; ce font cesfa-
lutaires réminifcences qui garantifTent du dé~
fefpoir ,
quand tous les genres de fervitude
femblent s’accumuler fur les hommes infortu-
nés , fournis depuis long-tems au fceptre du
pouvoir abfolo.
Les defpotes enchaînent vainement les
corps ,
ils ne peuvent dominer les penfées ;

le Ciel les affranchit pour jamais de l'hu-


miliant empire d’un maître : vainement les
minières effayerent dans tous les rems d’en
effacer les traces: elles vivent encore quand
l’Etre qui les conçut ne il plus ; & dépofées
dans de faîutaires & immortels écrits 9
tôt
ou tard ,
elles portent les fruits que l’on doit

en attendre a quand par trait de tems ,


deve~
nues l’opinion de tous ,
elles oppofent au def-
potifme d’un feul^ le frein irréhflible de i’opi*
nion générale.
Inilruite par les écrits de quelques hommes
nés libres au fein de la fervitude publique ,

îa génération aéfuelle ,
malgré fes vices ,
s’eft

imbue de leurs maximes ; le génie eft venu


embellir les travaux de l’érudition pour la

rendre populaire ;
& fous les ruines éparfes
de notre antique gouvernement a
il a fu dé«
(7 )
de la nation s
mêler les droits imprefcriptibles
nous apprendre ce qu’elle fut , ce quelle &
doit être.
Nos malheurs toujours renaiffans, desfautes
la part des mi-
fans ceffe renouvellées de
conduifant
nous enfin au dernier
niftres ,

période de la calamité publique , ont fixé notre


d’un autre
attention fur la néçeffité ablolue
ordre de chofes.
regards alors fe font tournés
Tous les

jours heureux de notre premiers


vers les

exigence.
l’avilifïement le plus pro-
Tombés dans
écrafés de dettes énormes
dévorés
fond 5
,

par d’intolérables impôts ,


menacés dun
plus déplorable encore humiliés par
avenir ,

effrayés par l’avenir il nous a


le prélent ,
,

fallu rétrograder pour chercher dans le tom*


,

beau de nos peres 1 efpoir dune refuncébioix

nationale.
Nous avons trouvé dans les fades de

leur ficelé ce reffort puiffant qui les avoir


,

fi intimement unis, a la chofe publique ,


ce

reffort inaéHf depuis deux fiecles ,


mais

toujours fubfidaut qui de tous les Français


,

peut encore compofer un corps calleciir ^

imprimer à la France le titre honorable de


A 4

f
(S)
patrie, Et fubflituer enfin des citoyens à cette
foule d’individus malheureux Sc ifolés , ,
qui depuis deux fiecles rampent fans raifort
comme fans intérêt, fur la vafte furface de
Cet empire.
L’homme efl né libre • jamais l’Etre éter-
nel qui le créa , n’avilit lui -meme fon ou-
vrage 5
en fo nmet tant l’homme à fon fem-
blable. îl voulut que l’être heureux né
,
loin des fers des focietés au milieu des
, ,

pays deferts St fauvages ,


confervât toute
fon indépendance , n’obéît jamais qu’à lui—
iïieme ,
Sc fermât fes yeux fur le fol qui le vit
naître, fans les avoir jamais fouillés en fixant
un maître.
Pour ceux qu’il appelîoit à fe réunir en
fociété ,
fans doute il exigea St il fanclionna
lefacrifice de cette indépendance fans limite,
mais il la remplaça par une autre plus dif-
ficile peut-être à conferver, mais tout aufîî
facrée. Il fournit l’homme à la loi, & ne le
fournit jamais qu’à elle.
C’efl vainement que dans tous les fiecles,
s’accumulèrent fur les peuples affervis les longs
outrages du defpotifme. L’amour de la liberté,

Sc les vérités premières qui lui fervent de bafe,


fe conferverent dans k cœur Sc la mémoire des
hommes.
( 9 )
Elles reparurent toujours avec éclat te
,

entraînèrent la difTolution des empires, ou


néceiïiterent leur régénération. Depuis long-
tems, fournis aux tyrans de Rome ,
les lia-
birans de l’europe énervés par la fervitude,
mais aigris par le fentiment de leurs maux ^
n’ofant reconquérir leur liberté defiroient
,

la ruine d’un pouvoir odieux ,


ils appelloient
des libérateurs.
Ils parurent enfin. Les Romains habiles
à opprimer leurs fujets , mais incapables
de les défendre ,, virent leur empire fe dif-
foudre ,
te fur fes ruines s’établirent nos
peres*
Quel homme eut ofé préfenter des fers
à leurs mains vi&orieufes ? (x) Soumis, à la
guerre, au chef qu’ils avoient élu, mais fe
plaçant à fes côtés pour exercer avec lui
toutes les fondions légidarives ;
fouvent ar-
bitres de la paix ou de la guerre ,
leur
ame libre te fiere ,
leur infpira , malgré
leur ignorance ,
les nations précieufes qui'*

en ce fiecie de lumière forment encore la

(i) Voyez Tacit. de morib. germa, chap. viij. xij,

Jul. Cæfar. de bell. gall. 1. v, ch. xxvij.


Am. Marcel. 1. xxxj.

Grégoire de Tour».
( 10 )
bafe de la liberté publique. Ils marchèrent à
îa liberté plutôt par fentiment ,
qu’en rai-
donnant leurs principes ;
& les mâles vertus
qu’ils tenoient de leurs peres ,
les accom-
pagnèrent dans les pays qu’ils avoient con-
quis.
S’ils fournirent à l’efclavage civil les peu-
ples vaincus, ils conferverent toujours quant
,

à eux ,
le fentiment profond de leur dignité
personnelle ;
ils connurent parfaitement ce
que c’étoit qu’une loi.

Réunis dans les champs de Mars autour


d’un roi qu’ils avoient élu , ( i
)
le vœu gé-
néral diéla la loi ,
l’autorité légiflative réd-
doit toute entière dans ces auguftes aüem-
blées , cC leurs fuffrages feuîs formoient les

(i) Gaule fraoçaife d’Hotman ,


chapitre vj ,
page 47 ,

édition de 15734 Grégoire de Tours. Aimoin. Fredegain ,

ap. Ducange ,
glejf. 1 oc. campi Mardi.
Aveu remarquable de Clotaire II ,
dans Aimoin ,
de

gefi. franc. îiv. îv ,


ch. 1.

Clotaire dit: « On convoque les alTemblées, parce que

» tout ce qui regarde commune doit y erre exami


la fureté

» né &. réglé par une délibération commune , & je dois me


7
s? conformer à tout ce qu elles ont réfolu. >>.

Voyez encore à ce fujet Bouquet , grœf kg. fai. pag»


12.1 , 124, Idem j
tom. 1 1. pag, 6 47.
(îî)
loix devant lefquelles dévoient fe courber

leurs têtes invincibles.


Les rois fournis aux loix nationales s
,

furent punis pour les avoir enfreintes (i) »

quand l’époque fixée pour le retour de ces

ademblées préfentoit à la nation le fu-


,

prême législateur ,
& au roi fon fouverahi
juge.
Le même amour de la liberté animait a

la fois tous les vainqueurs de l’Europe. Dans


tous les pays qu’ils conquirent ^
ils impri-

mèrent à leurs inilitutions le fceau de leur


indépendance.
Altérés dans leurs formes par l’impoflibi-

lité de réunir tous les individus d’une nation

devenue trop nombreufe (2).


Quelquefois changées par Fadrefle des

rois qui abufant des prétextes les plus plau-^


, ,

fibles, égarerent les peuples ,


il réfulta ce-

(1) Dans Aimoin , gefl. franc, ch. 45 . & dans le con-

tinuateur de Fredegain ,
ch. 94-* Voyez les caufes de la

dépolition de Thyerry.

(l) La corapofition des parlemens de la fécondé race*

fut la première altération des formes antiques. Voyez


Hincn^ar de ordine palatii. Mais les capitulaires nous
a

prouvent que la nation jouillpit toujours du pouvoir


*
législatif,
( 12 )
pendant que cès premières formes de notre
antique indépendance laiflerent des germes
,

précieux qui, long-rems étouffés par le def-


potifme , n’attendoient pour éclore que le
ferrement de l’oppreffion & de l’adverfîté.
La main confervatrlce qui maintient l’or-
dre immuable de la nature, qui, à fon &
gré, éleve ou détruit les empires,
emploie
fouvent pour rendre aux hommes cette éner-
gie falutaire qui les ramene à la liberté, les
fléaux qui femblent devoir
à jamais l’anéan-
tir. Ainfî ces volcans
deftruâeurs qui éclai- ,
rent de leur lugubres feux les contrées
,
qu’ils dévorent , s’éteignent enfin
, ren- &
dent aux hommes un folque leurs flammes
ont épuré & fertilifé
,
quand elles fembloient
le confumer.
les agitations internes dans les républi-
ques font utiles à îa liberté elles éloignent la
,

tyrannie.
L’excès de l’oppreffion des minières eft
îa fauve-garde des peuples dans les empires
aflervis ; elle les ramene à une conllitution
nationale.
Combien donc s'égarent ces hommes pu-
fillamm.es, qui redoutent ce tems d’eiFervef-
cence publique, ces tems orageux qui don-
1
( 3 )

nent la vie aux âmes fortes , & les élevent


auiïi-tôt au niveau de leurs vertus!
Ces rems à la fois falutaires & périlleux,
font fur les citoyens l’effet que la loi pro-
duifoit à Sparte. Ils plongent les foibles dans
robfcurité ,
& rendent aux âmes cour a gol-
fe s l’empire qui leur eft dû.
Une mâle réliflance à J’opprefîion efl

l'aliment des grands courages. Tout alors

les éleve ,
êc foutient leur enthoufiafme •
les

regards de leurs concitoyens ,


l’efpoir du
fuccès ,
l’horreur de l’efclavage , l’appas
même des dangers ,
êc l’efpoir de ces puni-
tions honorables , quand des minières
odieux les infligent à ceux que la patrie
honore , oC que chaque citoyen voudroit
imiter.

C’efl fur les mers aflailîies par les tem-


pêtes ,
que l’intrépide matelot amie h fe con-
-
fier fans doute le but unique de tant de
travaux doit être le calme après l’orage.

Mais un repos plein de vie ,


un repos
fondé fur la liberté ,
& non cette effrayant©
ftupeur qui régné dans les empires de i’Aûe 9

où les cœurs font déchirés ,


les vifages abbat-
tus ,
où le filence efl: le feul figue de la

paix ,
filence de ntorc ,
produit par la ter-
( *4)
ireur 8c les menaces des tyrans où l’orî

n’ofe fe parler ,
moins encore s’écrire ,

Ton s’eftime heureux enfin , au déclin de la

vie, de defcendre tout entier au tombeau


8c de n’être plus acceûible dans fes enfans
au tourment d’une éternelle opprelïion.
Ces tems falutaires d’efFcrvefcence publi-
que font ceux où nous vivons; c’efl à nous
à les rendre falutaires à nos defcendans.
De grands maux ont amené pour nous
d’étonnantes révolutions. Il fembîe que les

minières ont réunis tous les motifs qui ren-^


dent h réfurredion de notre antique confii-
tution inévitable.
Des dettes énormes ,
8c un crédit public
anéanti.
Des impôts dévorans ,
& un Peuple aigri

par fes malheurs prêt à fe refufer à leur


exaction.
D’impuifTantes loix fiibflituées violemment
à nos loix antiques.

De nouveaux magiflrats, à la fois inveflîs


de l’opprobre & de leurs dignités.
Des Parlemens refpe&és , chéris ,
dont
k retour unanime aux vrais principes à ren-
du au peuple fes imprefcriptibles droits, de-
venus auffi-tôt des objets de terreur & de
(*$)
haine ,
menace d’une entière deftra&ioîi j

fe rallians autour des loix qu’ils ont fi bien


défendues ,
mais frappés par les minières
jufques dans ce fandluaire , & forcés de
l’abandonner à la force militaire qui les éloi-

gne & s’en empare.


Un militaire éperdu, indécis entre l’ordre
des minières & la voix de fa confcience ,

effrayé de la défobéiffance ,
mais plus effrayé
encore des afïaffinaîs qu’on lui commande^
li’ofant brifer les liens de la difcîpline ,
mais
les relâchant fans celle ,
en faifant affez

pour ne pas manquer au Prince ,


pas affez
pour faire triompher les miniftres de la na-
tion & des loix.

Des provinces entières, prêtes à repouffer


îa violence par la violence, unies encore à
la couronne par leur amour pour le Roi ,

mais confédérées par leur haine & le mépris


pour les miniflres.

De vertueux citoyens punis de leur pa-


triotifme ,
mais plus animés encore par leurs
îuàlh.urs, enorgueillis de leurs difgraces, &£
cherchant à en mériter de nouvelles par la

confiance oc la véhémence de leur zele.


Bientôt une feule voix s’efl fait entendre^
mais une voix unanime 3 8c auffi-tôt fe font
C i<s
)

réveillés les fouvenirs de nos aflemblées na-


tionales«

Déjà s’élèvent de toute part des queftions


fur les droits de ces fuprêmes aflemblées
, &
fur la maniéré de les convoquer.
C’eft le peuple aliarmé qui fait les premières
demandes. Dans l’étendue des droits des états-
généraux ,
il voit l’étendue de fes reffources.
L’adminiftration eft embarraffée fur la ma-
niéré de les convoquer , elle a borné fes de-
mandes à ce feul objet. Sans doute elle eft
bien éloignée de chercher à altérer la forme
antique des convocations ,
elle n’en a pas le
pouvoir ,
& fes efforts
,
pour y parvenir ,
fe-
roient impuiffans.
Enfin, en cette occurrence ,
il s’agit de
définir les droits des états-généraux , & la
maniéré de les convoquer.
Aufli-tôt qu’il s’eft agi de les affembler
la plupart des gens inftruits fe font occupés
a trouver dans les débris de nos antiques
inftituîions quelle fut l’étendue du droit des
,

affemblees nationales ; d’autres fans dé-


,

daigner ces utiles recherches ont porté leurs


,

vues fur des objets plus élevés ils ont


,

cherché à établir les droits de la nation fur


4es bafes imniuables en les fondant fur les
9

droits
( i7 )
droits naturels de toutes fociété humaine.
Ceux-là me paroiffent avoir vu l’objet
dans toute Ton étendue ; & en effet , les
droits effentiels des fociétés , écrits par la
main de Dieu, dans le cœur des hommes,
n’en fauroient être effacés par vingt liecles
de defpotifme. D’ailleurs quelle idée ab-
,

furde que de croire qu’il fuffiroit pour


anéantir nos droits ,
de détruire
les Chartres
où les rois furent forcés de les reconnoître.
Quelle idée bizarre que d’imaginer que les,
droits de vingt millions d’hommes à la li-
berté ,
repaient dans tel ou tel titre dans
,
celui de Louis X , par exemple ,
fï foi-
gneufement dérobé à nos regards. Peut-être
n’exifle-t-il plus, les vers l’ont dévoré; &
fi telle fût la bafe de nos droits nationaux,
il dépendit d’eux de nous rendre libres ou
efc laves.
S’il exifte des titres nationaux, s’ils vien-
nent appuyer de leur autorité nos droits
conftitutifs ,
on s’en prévaut ; s’ils fon anéan-
'

tis, on s’en paffe, en remontant fans leur fe-


cours aux vrais principes.
Ce font donc ces principes qu’il faut
d’abord connoître.
Sans doute il faut enfuite les environne!
¥
C *9 )

pire ,
de confier à autrui le foin de voter
fur leurs plus précieux intérêts ; mais dans
tous les états, cet inconvénient eft balancé
par des obflacles que la loi naturelle dide-
roit ,
au défaut de toute autre.
En Angleterre ,
l’infurrecHon efl permife ;

elle feroit fans doute légitime ,


fi- le Par-
lement détruifoit lui-même une conftitutioii

que fes îoix doivent conferver ( i ).

En Pologne ,
quand elle étoit libre ,
les

dietines limitoient le pouvoir des nonces


à ce dont ils étoient fpécialement chargés ;

Sc les dietes de relation ,


convoquées après
la diete fuprême ,
examinoient fi en effet

les nonces navoiem pas outre-paffé leurs

pouvoirs.
—" «

£i] Le lord Abington ,


l’un des meilleurs Sc des
plus éclairés citoyens de l’Angleterre, expofoit à ce ^

fujet les vrais principes quand, s’oppofant aux motions


d’un parti vendu à la cour , & qui entraînoit l’ Angle
terre dans des mefures qui lui ont feit perdre l’Amé-
rique, il propofa aux citoyens qui penfoient comme
lui ,
u de fortir à ~ l’inftant du parlement, mais après
w avoir protefté que le roi & le parlement avoient
» abufé de leur pouvoir dans la guerre de T Amérique
?» ôc que le peuple anglois fupreme légilîateur de la
,

»» Grande Bretagne, avoit le droit de retirer un pou-


î» voir li mal admiiiiftfé >»,
*
B 2
( 20 )
En France , dans les premiers âges de
la monarchie > la nation elle- même difcutoit
Tes intérêts.
Sons Charlemagnp ,
les parlemens con-
ferverent encore à la nation entière ,
le
pouvoir de fanâionner toutes les loix.

Enfin ,
quand la nation affemblée en états
généraux ,
ne put être réunie que par Tes
repréfentans ,
il s’établit aufli-tôt une loi qui
eft ,
j’ofe le dire , le palladium de nos li-

bertés.
C’eft que la nation elle-même eft reftée
maîtrefle de tous fes pouvoirs ; c’eft dans les
aftemblées où elle élit fes repréfentans ,

prononce fon vœu. Ses repréfentans


qu’elle
,
ne font que les porteurs des ordres de leurs
commettans &
ne peuvent jamais s'en écar-
,

ter (i). Dès-lors ,


les droits des états géné-
raux font les droits de la nation elle-même;
c’eft fous ce rapport qu’ilfaut en déterminer
l’étendue , & enfin ,
pour ramener cet ob-
jet à fon vrai principe , nous demanderons
quels font les droits de la nation énonçant
,

fa volonté par fes repréfentans.

D] Jc démontrerai ce principe jufqu’à l’évidence


,
put la conduire des états généraux &c l’aveu des rois.
( 2* )

On fera tenté, j’en fuis perfuadé, de ré-


pondre jauflî -tôt
,
que nul obftacle ne fauroît
métré un frein à fa volonté (uprême.
En effet ,
quel eff le lien qui réunit cette

foule d’individus en un corps collectif ,


c’efl

leur volonté ; 8c fans doute ce lien ferait

brifé à l’inftant par la même volonté pu-


blique qui lui donna l’exiftence ,
fi tous
s’accordoient à vouloir l’anéantir.

Mais l’expérience & la réflexion vien-


nent bientôt pofer des bornes à cette auto-
rité illimitée ; 8c de cela feul que la nation
veut exifter ,
il s’enfuit que fa puiffance a
des bornes.
Un peuple libre eft régi par des îoix; les
loix ne méritent ce nom augufle ,
que lorf-
qu’elles font la déclaration de la volonté
publique.
Mais les loix établies ,
il faut veiller à
leur obfervance ,
en faire l’application ,
8c
décider ,
foit dans les difcufiions de l’intérêt
particulier ,
foit dans la diüribution des
peines impofées aux délits ,
les cas ou s’ap-
pliquent les loix.
Les îoix, pour être exécutées ,
ont fou-
vent befoin de l’appui de la force publique ;
c’eft à elle auiïi qu’eff confiée la défenfe de
B 3
( 22 )

îa patrie au dehors, ainfi que le maintien de


la tranquillité intérieure.
Parmi ces pouvoirs divers ,
il en eft que
la nation elle-même ne fauroit exercer , 8c
dont par conféquent elle efl forcée de con-
fier l’exercice.

Mais tous les pouvoirs qu’elle peut exercer


elle-même ,
n’appartiennent qu’à elle.

Plus un empiré eil étendu, plus le pou-


voir qui difpofe de la force publique doit
avoir d’énergie ; 8c c’eft par cette raifon que
le pouvoir monarchique , ou la volonté d’un
feul homme meut à Finftant tous les ref-
forts de la force nationale , convient fpé-
cialement à de grands pays ,
entourés de
voifins jaloux Sc puiiïans , & par conféquent
toujours expofés à leurs invasions, fi les
moyens de les re pouffer n’avoient toute la

force qu’il efl poiïible de leur donner.


Mais fi la nation ne peut exercer le pou-
voir exécutif ,
elle eff au moins la maîtrèffe

de le confier à qui il lui plaît *


c’eff à elle
par conféquent à établir l’ordre qui lui con-
vient dans la fuccefîion de fes rois : elle a pu
rendre le trône héréditaire’, il dépen^oit
d’elle de le laiffei* éleélif.

La nation ne peut exercer le pouvoir judi-

/
cîaîre ,
non quelle n’aie le droit ,
étant af-
fembiée ,
de prononcer des jngemens ,
s’il

s’agiiToit fur-tout de flétrir qui chercha à lui


nuire ,
fi c’étoit enfin le crime de jcze-nanon
qu’elle voulût punir.
Mais, en général ,
elle ne peut s’appliquer
à la difcufiion des intérêts particuliers, faite
pour dominer fur tout ;
elle ne peut ,
par
cette raifon ,
flatuer fur des objets indivi-
duels.

L* autorité judiciaire ayant befoin de l’ap-


pui de la force publique pour faire, refped&i:
fes arrêts ,
elle s’efl trouvée naturellement
faire une partie efifentielle du gouvernement
à qui fut confiée la orce publique.'
Mais comme il importe a la nation que le

defpotifme foit à jamais éloigné du pouvoir


judiciaire ,
il n’eil pas douteux que c’til à
elle à établir de quelle maniéré doivent être
compofés les tribunaux chargés du depot
des loix.
La nation ayant confié le pouvoir exécu-
tif ,
ayant ftatué fur la formation des corps
judiciaires, fe trouve inveftie du pouvoir in-
communicable de créer les loix j c’eft dans
ce pouvoir imprefcriptifele que repofent fon
exiilence &: fa liberté.
( 24 )
Ce pouvoir fuprême ne
peut être exercé
que par elle
n'exige ni la célérité
: il
d’exé-
cution qui la força de
confier le pouvoir exé-
cutif aux mains d’un
feul , ni la permanence
d un corps toujours
alfemblé qui néceffita
,
1 etablifiement de la magiftrature.
Le pouvoir légiflatif eft le feul rempart
qui refte à un peuple
qui s’eft dépouillé" du
roit de mouvoir la force publique; c’eft le
eu moyen de réprimer le pouvoir exécutif.
en oppofant à fes invafions le frein
facré de’
la loi.

D ailleurs, la loi n’efi: autre chefe que la


re e générale
g établie pour le bonheur de
tous or qui peut
:
mieux connoître que la
nation elle-même les loix qui doivent la
rendre heureufe
;
Si cependant
il exiftoit au milieu d’un
Peuple un être d’une nature fupérieure
à la
8
notre , &
dont la fupériarité nous fut
aulïï-
bien démontrée que l’eft
l’éclat du foleil qui ;
connût les pallions qui nous
égarent , & qui
y fût inacceffible ; dont l’immuable fagelfe fut
toujours exempte d’erreurs , on concevroit
qu'un tel être prétendît

on pourroit
au droit légiflatif , &
le croire s’il
, afluroit que la
nation elle-menie le lui a confié*
Mais, que répondre à Ceux que l’habitude
de la fervitude a tellement dégradés qu’il
,

cherchent à fe faire accroire , &à nous per-


fuader ,
que c*eft entre les mains d’un homme
que fut remis le pouvoir légiflatif , fans li-
mite , comme fans partage , & qu’auffi-tôt
vingt millions d’êtres fe fournirent à un féal,
à fa poflérité , & reconnurent la voix facrée
des loix dans les decrets qu’il prononça ?

Mais, que refiera-t-il donc à un peuple


déjà privé par la néceflité du droit de diriger
la force publique & de juger fes concitoyens
s il perd encore le pouvoir légiflatif?
Ou feront fes moyens de fe défendre
d’une éternelle oppreffion ? Bientôt une vo-
lonté d’un moment fera transformée en une
loi tyrannique; & le même homme qui aura
parlé comme légiflateur , s’armant aufîi-tôt
de la force publique, punira, comme défo-
béiffance aux loix ,
la réliilance à fes fan-
taifies.

D ailleurs ce qui imprime aux loix ce


caraétere facré qui les rend vénérables c’efl
,

qu elles ne Ifâtuent jamais que fur l’intérêt


général ,
&: tendent uniquement au honheur
de tous. Quel eft donc le moyen de n’avoir
(26)
que de bonnes loix ? c’eil quelles foient tou-
jours faites par ceux qui doivent toute leur
vie en porter le joug.
Eux feuîs ,
éclairés par leur intérêt per-
forine!, peuvent établir de jufles loix : mais,
où eft l’intérêt d'on rpi de n’en promulguer
que de telles, & quels font les moyens de
lui donner ces connoifîances immenfes qui de-
vroîent lui tenir lieu de cet intérêt qu’il n’a
pas ,
à n’établir que de bonnes loix ?

Eh 1
grands dieux ! s’il efl fur la terre un
homme incapable 5
par fa pofition ,
d’exercer
le pouvoir légiflatif ,
c’efl un roi, & fur-
tout un roi héréditaire. Né dans le foyer de
Ja corruption ,
fes premiers regards fe fixent
fur les ennemis naturels de l’ordre public. Ce
font leurs maximes empoifonnées qui fe font
d’abord entendre à fon inexpérience. Il s’ac-

croît au milieu des courrifans ;


il ne voie
donc autour de lui que cette foule avilie d’ef»

claves ,
à la fois infolens & bas, dont l’é-
ducation mutila & l’efprit fk le coeur. Si fes

yeux s’élèvent au-defTus de cette foule d’adu-

lateurs ,
ils fe fixent fur un trône occupé par
celai qu’il doit remplacer. îl y voit trop iou-
vent l’exercice du plus abfolu pouvoir ,
uni

à la plus complette incapacité : il


y voit
( 27 )

toutes les pallions v‘îes 8c dangereufes ho-


norées refpecfées il voit 1 éclat Sc la
,
:
y
puifiance couvrir a la fois les vices 8c la foi—
ble {Te
;
il
y apprend fur-tout qu’il exifte trop
fouvent dans les empires deux fortes de mo-
rales deux fortes de vertus ,
deux religions
,

enfin, l’une à l’ufage de ceux qui obéiïïent 9

violemment prêchée par ceux qui comman-


dent , ce l’autre à i’ufage du maître qui les
opprime.
Que fi le hafard place quelquefois fur les
trône un homme d’un grand caracfere s il ,

réunit dans fa main tous les pouvoirs , fou


influence efi: encore dangereuie pour fon fuc-
ceffeur: car ceux que l’on nomme des rois

habiles ,
ont commis de bien grandes fautes
envers peuples, 8c leur fucceifeur apprend
les
fu-
à honorer , comme des loix , des erreurs
nelles qu’il fera de fon devoir de punir dans
le dernier ordre de fies fujets.

Et ce feroit au milieu de ces périls divers

8c inévitables, que naîtroit le fuprême légis-

lateur de vingt millions d hommes ,


revêtu

tout- à -coup de l’autorité royale i Ce fera à

fa confiante inexpérience ,
que fera confie le

pouvoir augufle de dicler ries loix I

Non; cela n’eft pas ,


cela ne peut pas être ;
(28)
8c une fociété ainfi établie ,
détruite auCi-tôt
par fa bafe, ne repréfenteroit plus qu’un af-
fembiage d’hommes avilis 8c malheureux ,

fans liens, fans patrie, fans courage, fournis


au plus abfurde des goüvernemens.
Les mêmes motifs qui éloignent d’un roi le

pouvoir légiflatif fans partage


,
perdent toutes
leurs forces, quand on les fait valoir pour le
priver de la puifTance exécutrice. Ce pou-
voir, pour s’exercer dans toute fon énergie ,

a befoin d’un reflbrt d’autant plus fort que


,

l’état efl: plus étendu; & fi fa pofition l’en-


clave au milieu des puifiances formidables ,
il

faudroit , s’il étoit pofiible renforcer fans


,

celle fon a&ion.


Mais, quand les loix ont formé uue en-
ceinte impénétrable autour du pouvoir légif-
latif ,
alors la puifTance exécutrice pour
,

déployer utilement fes forces , n’exige de


celui qui la dirige, que le courage 8c cette
forte de talent qui fait combiner des opé-
rations, & les fuivre avec rapidité & fagetfe.
Que s’il s’agit de maintenir la paix dans
l’intérieur de l'état, il elt aufli-tôt averti des
troubles qui menacent l’ordre public
,
par la
voix des magifirars 8c les cris des peuples :

Bc i! lui efl aulfi facile de déployer utilement


f 29 )

^autorité qui lui eft confiée que difficile


,

de s’égarer dans Tes mefures. Ce genre de


puifTance n’a point les inconvénîens du pou-
voir légiflatif confié à des mains mal habiles,
& il ne demande pas l’immenfité de connoif-
fances que ce pouvoir exige pour pouvoir
être exercé par un feul homme.
Car ,
qu’on ne s’y trompe pas quelque
,

divers que foient les intérêts de chaque mem-


bre de l’état ,
il ell un point où cette diffé-
rence ceffe ; il eft un point qui raillie tous les
interets a un feul ,
Sc c’eff ainfi que Te forme
l’intérêt public.

Mais ,
comment infpirer à un roi les fen~
ïimens d’un citoyen ? Et ,
s’il eff impoffible
qu’ils deviennent jamais les liens, comment
lui donner toutes les connoiffànces qui fe-
roient indifpenfables , à celui qui par état
,

étranger aux intérêts divers dont les élé-


mens compofent l’intérêt national mu feu-
lement par fon intérêt particulier auroit à
,

combattre à la fois contre fon inexpérience


& fes penchans ,
pour ne di&er que des
loix utiles à tous ?

Je ne fuis pas furpris que pîufieurs nations


aient voulu réunir le pouvoir judiciaire à
la
puiffance légiüative * mais je le fuis infini-

y
( 3 ° )

ment quand je les vois avoir la fagefte &


je courage d’y renoncer.
Ce pouvoir d’appliquer aux événemens
particuliers les difpofitions des Ioix générales

eft fi formidable ,
que foh exercice , tn des
mains perverfes ,
peut 3
malgré les meil-
leures loix ,
faire du gouvernement le fléau
de la nation.
Un roi ne peut ,
en aucun cas ,
exercer le

pouvoir judiciaire ,
& la raifon en eft évi-

dente: il ne peut s’inftruire des objets fournis

à la difcuffion : il eft homme ,


entouré d’e(-
claves j 8c fes pallions ,
animées par celles
de fes rniniftres ou courtifans ,
égareroient
fans cdfe fa j office ,
&c infpireroieht aux ci-

toyens la plus jufte défiance.


Il doit veiller aux maintien des Ioix ,
mais
non appliquer les décidons de la loi.

Et comme il n’eft perfonne à qui il importe


davantage d’être bien ou mal jugé , qu’à
ceux qui doivent fe foumettre aux jugemens
8c en fubir la rigueur ,
il eft évident que c’eft
à la nation à ftatuer fur la formation des
corps judiciaires ,
à Limiter ou étendre leur
puiiTance ,
à les charger du dépôt des loix
nationales; c’eft à elle à multiplier fes juges 9

à circonfcrire leur r effort ainfi qu’il lui


,

i
( 31 )
femble bon & utile à l'intérêt de tous.
Ainfi, tout tribunal dégradé dans l’opinion
publique, ce mépris fut-il injufte, par cela
feul qu’il eft univerfel il entraîne la deftruc-
tion de ce tribunal avili ; car fi les ioix
forme l’enceinte des corps judiciaires, c’eft
la confiance publique qui doit efTentiellement
en être la bafe.
que chaque citoyen
Il faut
y vienne , plein
d’une refpedueufe
déférence , dépofer en
des mains honorées le dépôt le plus cher
,
celui de fon honneur ,
de fa vie 8c de fa pro-
priété. C’eft aux pieds des juges qu’il vient
foumettre les pallions qui l’égarent ,
8c juf-
qu’aux plus précieux intérêts qui runifTent à
l’intérêt public de fi grands facrifkes ne
:

'peuvent être adoucis que par la plus entière


confiance.
Ce feroit donc le terme extrême de la dé-
gradation d’un gouvernement, comble & le
du malheur public , fi la nation oprimée fe
voyoit jamais forcée d’apporter aux pieds
de
ceux que fon opinion a flétris, les intérêts les
plus chers, & de confier fon honneur à ceux
qu elle a unanimement jugés avoir perdu le
leur.

Ce pareils excès néçeffiteroient le


retour du
(30
fuprême légiflateur
,
parce que c eit à la na-
tion feule qu’il appartient d établir fur la bafe
immuable de la confiance publique ,
les corps
refpeétés quelle inveflit du pouvoir terrible de
faire parler les loix.
La confervation de la propriété de chacun
étant le but & le prix de l’afTociation géné-
rale, devient, par cela même, le plus facré
de tous les droits ; mais la durée de cette pro-
priété étant aufii le vœu le plus cher de cha-
que individu , il s’enfuit que ,
pour l’obtenir
il faut faire, pour fon maintien, îe facrince
néceflaire à l’entretien de la force publique
deftinée à la protéger : de cette nécefîité abfo-
lue eft né l’impôt.
Mais nul ne pouvant attenter à la propriété

du peuple, à qui tout appartient, la plus légers


offenfe à cet égard eft une tyrannie.
D’ailleurs ,
l’acte qui prive un individu
d’une partie de fa propriété pour en former le
tréfor national ,
eft une loi générale ; c’eft
donc à la nation elle-même à fixer letendue
des facrifkes quelle croit néceiïaires, à en li-

miter la durée, à fuivte, ainfï qu’il lui plaît,

la main à qui elle confie le foin d’employer au


bien public les revenus publics.
Un état feroit donc "libre, quoique gou-
verne
f 33)
Verne par un roi ,
fi la nation étoit appelée S
l’exercice de l’autorité légiflative fi le prince
; ,
chargé de diriger la force publique, ne pouvoit
1 employer au dehors ,
que contre l’ennemi de
l’état ; au dedans ,
que pour appuyer les loix ;
fi les corps judiciaires protégés de toute la
,

force publique , recevoient de la nation elle-


même un pouvoir national ,
8c n’avoient ja-
mais à redouter un changement dans la confii-
îution , que lorfque la nation l’auroit ordonné.
Un état feroît libre ,
fi
,
à ces répartitions des
diffère ns pouvoirs la nation réunifiait celui
,

d’érablîr 8c d’anéantir les impôts, 8c fur -tout


fi elle ne regardoit cette branche de fa puif-
fance ,
que comme une dépendance du pou-
voir Iégifiatif.
Mais ces droits feroient encore infolfifans fi
,

elle ne pouvoit, au befoin fe régénérer elle- ,

même ,
en oppofant aux ufurpatio.us du pou-
voir abfoiu ,
le pouvoir de la loi.

Tous les gouvernemens ,


ouvrages fragiles
des hommes ,
fe refienrent de la foiblefle de
l’être qui leur donna l’exifience*
Ils ont ,
ainfi que l’homme ,
leur enfance ,

leur âge viril ,


leur vieiileflê ainfi que lui ils
3 ,

font fujets à la mortils éprouvent les longs :

tourmens qui l’annoncent 8c la précédent :


C
( 35 )
qu’ils élevent au minifèere , que fe trouveront
toujours ces hommes inconcevables qui, pour
,
goûter un moment de bonheur de porter ie
fceptre de la tyrannie ,
aident de tout leur
pouvoir à étendre l’autorité ahfolue sûrs qu ils
,

font d’en devenir un jour les victimes, & de


forger les chaînes de la fervirude pour leurs
enfans.
Les Rois font des hommes ; Sc quand la loi
les défi ne au trône dès leur naiiTance ce font
,

de tous les hommes les plus fujets à l’erreur.

Le foible du cœur humain eif de vouloir do-


miner , de maîrrifer a la fois les personnes Sc
les opinions.
On efpere trouver le fuprème bonheur dans
la fuprème puifîance ; fou exercice fenvble le
plus favorable a lapareOe, qui agit quelquefois,
mais ne rationne pas. La Foiie des homsues
attache d ailleurs un forte de gloire aux atten-
tats des Rois fur la liberté publique quand le
,

fucces a couronné leurs effort & N’ell-il donc


pas trop naturel qu’un Roi baillent les ioix
,
redoute le pouvoir de la nation Sc cherche a
,

y fubflituer uniquement le fien ?


Les moyens d’affermir îe defpotifme ne
,

font autres que d’avilir toutes les âmes.


Quand une fois on y eil parvenu tout efl fait;
,

C %
X 3 « )

l’homme moral eft mort y


Zc l’état eff

difîbut.

Mais avant d’arriver à ce dernier terme


il faut parcourir bien des époques.
La puiffance exécutive ,
toujours fubfiflante ,

doit par trait de tems ,


éloigner le pouvoir
,

iégîflatif ,
§c enfin s’en emparer.
La nation ne peut être continuellement
affemblée ;
d’ailleurs elle n’agit que par des
x
loix ,
& ceft au pouvoir du Roi à les faire

exécuter.
Plus l’intérêt national diminue 9
plus l’amour

de la patrie s’éteint ;
dès-lors les afTemblées

nationales deviennent plus rares , &: finifFent

par difparoître.
Les Rois les éloignent de tout leur pou-
voir ,
jufques à ce qu enfin les citoyens ,
deve-
nus des fujets ,
cefTent eux -mêmes de les dc-
firer.

C’efl quand il n’en relie plus que des fou-

venirs confus ,
que l’autorité devient chaque
jour plus abfolue. Elle ufurpe tous les pou-
voirs: les Rois naifïent enfin environnés d’une
autorité illimitée : ils la confervent avec
une fombre jaloufie ,
la regardent comme
un patrimoine ,
& leurs fujets comme un
héritage.

c
]

(37 )
Alors toutes les idée d’une nation s’aîterent
on n’a plu de patrie : où régné le defpotifme
,
s établit l’égoiTme ; ne pouvant être attaché à
aucun bien national on s’attache uniquement
,
à foi ; & le cœur étranger pour jamais à la
chofe publique, fe concentre uniquement
dans
ce qui a rapport à l’individu.
Telle eft la marche plus ou
moins ra-
,

pide ,
qui entraîne les monarchies les plus
libies des leur iiaiflance vers le
, plus abfolu
defpotifme.
S’il a frappé trop long- teins fur une nation*
elle contracte enfin tous les vices des
efcîaves ;
la terreur feule
y tient les hommes enchaînés
fur la glebe qu’ils arrofent de leurs fiieers
;
mais s ils la baignent suffi de leurs larmes
,
I état n eft pas perdu ,
leur cœur vit encore ,
& la liberté peut renaître.
Ainfi que dans ces maladies effrayantes
*
lorfqu une ftupeur léthargique, fmiftre avant-
coureur de la mon ,
fufpend tout mouvement,
que déjà fe fait fentir le froid glacial du trépas ,
alors font employés les remedes les plus vio-
lens, pour que l’excès de la douleur ranimant
,

les facultés de individu puiife


1
,
le rendre a
la vie par l’excès même de fes fouffrances ;
de meme quand un defpotifme de plaideurs
C i

i ;
C 5
8 >

fiecîes a prefle fur uiië riatïon ,


il n’eft plus

que l'énormité même de fes excès qui puilfe lui

rendre fon énergie. Alors, je le dis hautement


le vrai citoyen defire les a laques de l'autorité
;
;

il fouhaite que ,
dans fon déliré ,
elle accu-
mule dans un jour ,
dans un moment, tous

les genres d’opprelfion ;


il (ait que la patrie ,

confirmée par les vices que lit éclore & que


perpétue le defp.otifme ,
ne peut renaître que
lorfque l’excès de fes maux lui deviendra infup-
portable.
Et quand Thomme timide & foible ,
vi&ime
des attentats de l’autorité arbitraire ,
pleure 8>C

gémit de fes douleurs ,


l’homme prévoyant 8c

courageux ,
du fonds de fon cachot ,
éleve fes
efpérances : il voit dans la multiplicité même
de fes tourmens ,
l’inévitable terme où vient fe
brifer la tyrannie.

Le pouvoir legjflatif efl le rempart de la

liberté publique j
il doit être aulfi la derniere

reffource de la nation dans fa détreffe ,


au
moment où les forces du defpotifme lui de-

viennent inutiles ;
quand enfin ,
après avoir

tout dévoré ,
il ne lui relie que fes regrets 8c
fon impuïfTançe 8c qu’il fe voit contraint *
,

par rimxrîenfité. de fes befoins ,


de rendre a la
patrie fa liberté ,
pour obtenir des citoyens
C 39 )
les fecours que ne peuvent donner des en-
claves.

Audi -tôt qu’une nation celle de s’affembler


*
aumoment qu elle ceffe de coopérer à rétabli ffe~
ment des loix elle ceffe auiïi d’être libre,
,

C’efl à la conduire à ce terme que lepou-


voir exécutif emploie tous fes efforts quand
;

la loi a confié ce pouvoir x un Roi , & qu’elle


a rendu le trône héréditaire ?
le defïr d’affervir

îa nation fe tranfmet de race en race


,
& les
moyens d’y parvenir forment la politique 8c le
fecret du trône.
Les Rois ,
chargés du pouvoir exécutif,
voient dans l’abus de ce pouvoir toujours exif-
jtant ^ les moyens les plus adifs d’établir leur
puiffance ; mais il faut éloigner la préfence du
légiflateur. Ils craignent ,
avec raifon faction
,

d’un pouvoir fupérieur au leur ; d’un pouvoir


d’où émanent tous les antres ; d’un pouvoir ?

qui 11 étant autre que le pouvoir de tous par


?

cela même peut tout ce qu’il veut ,


8c rend
légitime tout ce qu’il ordonne.
La liberté efh précieufe 8c douce ,
mais ont

ne la conferve que par des facribces 8c des


vertus.
Les âmes faibles qui la défirent , feroient
peut-être effrayées, de ia rigueur des loix que
C iv
( 4° )

fon maintien exige ; c’eft pourquoi quand


,

un peuple libre s’amollit ,


les Rois profitent
de cette lâcheté : ils offrent, dans le delpo-
tifme ,
un repos qui flatte ,
des grâces qui
corrompent.
Qu’on juge donc de la pureté des principes
de ces deux pouvoirs ,
par ceux qui fervent à
les établir !

L’empire de la liberté ne fe foutient que pat


des vertus ; celui du defpotifme ,
né de nos
vices ,
ne fe perpétue qu’en les accroiffant en-

core ,
& les fomentant fans ceffe.

Quand Fautorité nationale n’eft plus rien


Fantôme exécutive s’empare de fes droits ,

d’abord avec crainte & mefure ; mais quand


efl née une race entiers d’efclaves ,
que la

tombe a couvert tous ceux qui virent les beaux


jours de la république ,
alors paroît le defpo-

tifme. Pour fe foutenir avec queîqu’écîat ,


i|

exigeroit d’être toujours dirigé par des mains


habiles ;
que s’il tombe en des mains inexpé-
rimentées «. il devient alors le defpotifme mî-
nîftériel ,
& c’efl dans le pouvoir abfolu le

terme extrême , c’eil la corruption du defpo-


tifme même.
Alors les haines particulières auxquelles les
Rois fout inacccffibles , s allient avec le pouvoir,
( )

Alors l’ambition ,
la bafTelle ,
îa cupidité ,

diète nt des décrets ,


8c ces décrets deviennent
des loix.
Alors les plus effroyables abus ,
deviennent
des prérogatives du trône.
Alors s’élèvent devantes cachots ,
ils repofent

fur la liberté publique 8c menacent celle des


,

citoyens.
Alors on ruine les propriétés par des im-
pôts ,
on confume la poftérité par des em-
prunts.
Les loix de la veille font annullées par les loix

du lendemain.
Il s’élève bientôt une claffe d'hommes af-
freux ardens fauteurs de la tyrannie" attirés
,
7

autour d’elle par Fefpoir décevant de partager


fon autorité.
Alors fe forme contre La nation la plus ter-

rible de toutes les confédérations ,


c’eft où non-
feulement trouve des fateihtes prêts al en-
il fe

chaîner ,
mais des imposteurs ardens a abufer
que le ciel briffe a l’infortune la
du fenl bien ,

piété 8c la religion.
Auffi-tôt fe promulguent ces maximes ern-
poifonnées qui confacrent le defpotifme. Ne de

la corruption de la nation ,
mais honteux de
fon principe n’ayant nul appui folide fur
,
( 42 )
la terre, de facriléges mains lui en apprêtent su
dans le ciel. Voilà le plus épouvantable crime de
la tyrannie.

C'eft quand l’homme perfécuté fur la terre ,


,

jette un douloureux regard vers fon dernier


afyle ; c’efl quand, privé de tous les biens qui
rendent la vie agréableaux pieds ,
il fe réfugie
de la Divinité pour trouver au moins
, y l’efpé-
rance , &
qu’il n’y rencontre que l’appui de

celui qui caufe fes maux ; c’eil alors que le


plus horrible défefpoir doit dévorer fon cœur.
Exifte-t-il ,
en effet , un être plus infortuné
que celui qui ,
égaré par fa religion , trahi par
fes loix, opprimé par la force publique, fe voit
à la fois écrafé fous fes dieux fes rois 8c fes
,

loix ?

Un état fi violent ne fauroit être de longue


durée. L’état efl difTous ,
il eff-envahi ou il fe
,

régénéré. La moindre faute .néceffite alors un


changement que n avoient pas amené les plus
violentes ufurpations. Quand on a à-peu-près
tout perdu ,
on s’attache uniquement à ce qui
nous refie ; on y tient avec des affections d’au-
tant plus vives, que cette denaiere privation,
qui doit être le complément de toutes les au-
tres, femble auilî combler nos malheurs. Mais,
malgré les invafions du pouvoir abfolu les
,
,( 43 )
jempires fondés jadis par une nation libre , &
qui ont joui de la liberté ,
ont un avantage in-
deilrudlible fur ces vafles états ,
ou la religion

cimenta, dès ieu-r naiiiance ,


la plus durable

des tyrannies.
empires de l’Orient le pouvoir
Dans les ,

le plus abfolu , moins redoutable fous quel-

ques rapports que le defpotifme euiopeen , eft


cependant plus cruel ,
en ce qui femble ne
pouvoir être détruit. Les mecontentcmens
du peuple rempliîTent de fang 8c d effroi
les

mais un autre tyran lui fuc-


palais du tyran ;

revêtu aufli-tôt des pouvoirs les plus


cede ,

illimités.

Pour une nation éclairée , fondée par des


hommes libres ou exülerënt des inilitutions
,

nationales la réfurrecHon eil aifée ; elle ne


,

demande, pour s’opérer ,


que la vertu du prince

8c la volonté des individus.


On éloigné des bons principes pendant
s ’eft
tenir
bien des üecles il faut y revenir , 8c y
;

avec d’autant plus de confiance , que leur ex-


cellence eft démontrée par nos malheuis.
Pour y revenir y il faut les connoitre. Mais
en cherchant dans nos fades les relies pré-
cieux de nos premières inilitutions ,
portons-y

3e cœur des hommes libres. Nos droits à la


( 44 )
liberté tont inattaquables
, imprescriptibles '
ils exirtent par cela feul
,
qu'il nous plaie d’être
libres.

Cefl donc pour retrouver


les moyens dont
le lerv.rent nos peres
pour conferver leur indé-
pendance, qu'il faut relire leur hiftoire,
afin de
ramener parmi nous ces inftitutions nationales
qui entourèrent notre
berceau , & q U j en ces
jours de honte &
de décrépitude
, nous ren-
dront encore les jours brilians
de notre ado.
Ielcence.

; ^ exifte
celt celle des
une étude
premiers
fe che rebutante ,
âges de notre mo-
&
îiarchie.

les préjugés des hiftoriens


,
la confufion des
régnés dont ils nous parlent
, tout s’y réunit
pour éloigner d’eux le cœur
& l’efprit.
Ce font ces premiers ennuis
quil faut fur -
moncer ,
pour trouver dans ces
contemporains
des premiers âges de notre
monarchie, les pré-
cieux élément du pouvoir
fupreme de nos peres;
cefl: dans ce cahos
que repofent les vertiges
\

depuis fi Iong-tems effacés
par le defpotifme
de nos libertés nationales.

Amfi que la cupide avarice brife les ro-


chers, & fe plonge dans les entrailles delà
terre pour y découvrir fous
, fes ruines fe
,
( 45 )
tïche métal qu’elle convoite, de même le Fran-
çais ,
efclaves aujourd’hui ,
mais né pour la
liberté ,
s’aguerrit avec nos premiers hifto-
riens ,
& fe croit payé de Tes peines , quand
il retrouve à travers la nuit des fie clés un
,

témoignage éclatant de la liberté de nos


peres. i

Ce fut un préfent du ciel que la confer-


vation de ces antiques hifloires *
mais ce fut
un prodige que l’exiftence de nos premiers
hiftoriens.
Au milieu du tumulte des armes ,
8c des
crimes des Rois ,
quand une nation féroce 8c
libre ,
n’imaginoit pas qu’il fut poflible d’ofer
jamais attenter à fes droits , 8c que toute li-

vrée à fes agitations intérieures, elle ne çon-


noiffoit d’autre étude que celle des armes
s’élevoient des afyles de paix, où, fous le bou-
clier de la religion ,
vécurent des hommes rem-
plis de préjugés ,
il eft vrai ,
mais fimples 8c
finceres ,
qui dans le profond filence de la foli-

tude ,
reeueilloient les faits 8c ufages de la
nation.
Ils confignoient ,
dans leurs écrits ,
nos im-<
prefcriptiples droits ;
le flambeau de nos liber-
tés devoit s’éteindre ,
mais leurs ouvrages dé-
voient lui furvivre ,
8c conferver dans leur

i
fein ,
les- étincelles de ce feu facré qu’il efl tem$
enfin de rallumer.
Trois hilloriens ,
tous trois eccléfiafiiques ,

ont confacré leur plume à notre hifloire ,


Sc
font devenus les fources uniques où puiferent
leurs fucçefleurs. Mais fi ceux-ci eurent des ta-
lens fupérieurs aceuxde leurs devanciers ,
rare-
ment ils eurent la meme indépendance ; & leur
confiant dévouement au defpotilme, n’a fiervi

qu’à égarer les peuples ,


& à cimenter le pou-
voir arbitraire.
Grégoire de Tours ,
le pere de notre hifloire,
en à écrit les annales en dix livres ,
j'ufques a

l’année 595
Son ftyie ,
dur 8c fans agrément ,
attache
cependant par fa implicite même ;
on upper-
çoit l’ame naïve de cet hiflorien à chaque page
de Ton hifloire. îi dit ce qu’il a vu ,
ce qu’il a
appris, fans art, fans grâce ; mais je me trompé
fort ,
ou l’on apperçoit dans cette hifloire ,

que fort auteur avolt une belle arae , & que


fa plume fut tou jours fincere.

Frédégaire ,
qui ,
dans le huitième fi ecle ,

continua fon hifloire jufiqu’au régné de Pépin-


le-Bref, lui efit bien inférieur •
fon livre tombe
'des mains. Mais il nous offre de fi éclatsns té-
moignages de nos libertés ,
que ce fettl mérité
force 3 le parcourir.
(47 )

Le moine Aimoin ,
dans les quatre livres qui
font de lui ,
& dans cinquième que l’on
le
y a
ajouté après fa mort nous conduit jufques à
,

l’année 119^. Son flyle , fouvent lâche 5e <

diffus , & quelquefois trop concis ,


fait éprou-
ver le tourment de le trouver difert fur ce qui
nous importe peu ,
& flérile fur des détails
que le fait annonce nous rendrait pré-
qu’il

cieux ; cependant , bien au-deflus de Frédé-


gaire ,
ils’approche fouvent de Grégoire de
Tours. Leurs nombreux commentateurs ont
trouvé dans leurs écrits > le texte de ieurs vo-
lumineufes produéHons. Mais eux feuls fuffifent
à notre but nous y verrons clairement démon-
;

tré que nos affemblées nationales jouiflbient


,

du pouvoir iégiflatif judiciaire que nous ré- &


clamons.
Quoique les états généraux aient élabîi pour
jamais la fuccëiîion héréditaire du trône il elfc
?

effentiel de prouver par leurs témoignages


, }

que fous les deux premières races de nos Rois


le trône fut élecHf.
Cette preuve nous efc utile par fes confé-
quences ,
elle confirme celle de nos libertés ;
car le defpoufme eft l’apanage de l’hérédité du
trône ; mais un roi élu efl toujours un roî dé-
pendant ,
car il peut être dépofé ,
& les nôtres
(48 )
Ov. 2. ch. Grégoire de Tours nous apprend que les Fran*
*2.
çais ayant rejeté Chilpéric , élurent Eudes pour
leur roi.
î-iv. 4. ch.
Plus loin :
que les Français ayant jetés les
yeux fur le vieux Chiidebert ,
envoyèrent une
ambafîade a Sigibert ,
pour qu’il vînt chez eux,
afin d’y être établi roi ,
à la place de Chilpéric

qu’ils depofoient. Toute l’armée s’afTembiadonc


auprès de JSigibert ,
& l’ayant élu roi ,
il fut
élevé fur le bouclier.
Il dit ailleurs : les Bourguignons & les Auf-
trafiens ,
ayant Tait la paix avec le refie des

Français ,
ils élurent Clotaire pour roi des trois
royaumes.
11.. ch.
Li v.
£ 01 .
Nous trouvons dans l’appendix du même
hiflorien : après la mort de Théodoric ,
les

Français élurent pour roi fon fils Clovis ,


en-
core enfant.
Chap. 106 Et ailleurs : les Français élurent pour roi
É07.
Chilpéric ,
& Chilpéric étant mort ,
ils élurent
Théodoric.
Si, à ces textes fi clairs ,
fi précis, on veut
joindre Fautorité d’Aioioin ,

Il nous apprend ,

|.iv. 2 j ch. 4 Que les Francs , voulant imiter les autres


nations ,
élurent un roi ,
& le mirent fur le trône.

A ces autorités irrécufables ,


il ferait pof-
iible
(49 )
d'en ajouter une multitude d'aütres'j
prifes des mêmes auteurs : à cet égard ils font
unanimes & pofîtifs c’eft fur - tout
pour
n avoir laiffe échapper aucune de ces preuves,
cc avoii rendu ainiî fon opinion invincible,
<jue Hotman devint fi odieux aux partifans du
pouvoir abfolu.
Il écrivoit en des tems d’orage, & il éteii-
doit le pouvoir d’élire les Rois, au fiecle
même
ou il ne reconnoifîbit point
vivoit. Il comme
loi fondamentale , l’ordre établi par les états-
généraux. Dès -lors fon livre faifant triom-
pher le parti de la ligue devoit être abhorré
,

des français attachés à leur roi.

Mais s il n eut outré les conféquences de


ces principes ,
3*11 fe fût borné à prouver que
la nation a élu les rois de la première race,
il eut ete inattaquable
^ & le judicieux de Liv. qy an,

Ihou 1575 -
n’auroit pas été entraîné par fa haine
,
pour les factions , à outrager un homme
libre ,
dent fon coeur généreux refpedoit les
principes.
Vainement s appuieroit-on du partage deCio-
visentre fes quatre enfans, pour prouver qu'un
royaume , partagé comme une héritage n’était
,

pasun royaume dont couronne fut élecHve.


la
Grégoire de Tours nous défigne allez clai-

D
( 50 )
rement comment s’opéroient ces partages en
préfence & fous l’autorité de la nation.
Mais fi les preuves de cette vérité nous man-
quoientfous la première race ,
elles font triom-

phantes dans les monumens de la fécondé.


Henri Ca- Nous voyons dans les capitulaires recueillis
J
ninus le&io- /
ncs antiquæ
,
par Baluze, que Pépin étant malade, les

tulairesdeBa- ducs &. les comtes des français ,


les évê-
3

pagViV/^^ que s 8c les prêtres s’affemblerent dans l’E-


glife de S. Denis , & que ce fut là qu’avec
le confentement des français & des grands du
royaume ,
il partagea le royaume des francs à
Charles & à Carloman.
Aimoin,i. Charlemagne nous apprend
L’biftoire de
4> 6
vitæ o. que Pépin étant mort, Charles k Carloman l

11

Boüquet^ ^. furent en effet créés rois ,


du confentement des
S>P-?°- français.

A ce droit d’élire leur rois, nos peres réu-


nirent le droit terrible de les dépoter.
6
Chilpéric pere de Clovis , livré à la plus
Tours**i ii ,

chapü. honteufe débauche, fe permit aufli- tôt qu’il


,

fut roi ,
de féduire les femmes de fes fujets ;

il ofa déshonorer leurs fdles : ces outrages

parurent intolérables, & il fut dépofé : il s’en-

fuit en 1 huringe. Gilles le romain fut élu


pour régner fur les français, & il régna eu
effet huit ans.
( 5 >)
Si l’honneur des familles parût
à nos magna-
nimes ayeux faire partie de l’honneur national
& mériter, des qu il fut outrage, une vengean-
ce auffi fevere, croiroit-on que leurs fiers
cou-
rages favoient endurer l’autorité abfolue.
Théodoric douzième roi, s’érigea en maître
,
a™
des propriétés , de la liberté & de la vie de
1 ’
4’ ^u,

'

fes fujets : auffi-tôt ils s’élèvent contre


lui , le
font rafer & enfermer dans un cloître •
&
Chilpéric fon frère fut élu pour
, lui fuc -
céder.
Vainement on chercheroit à établir la
fuc-
ceffion au trône par les difpofitions de
la loi
falique.

Cette loi ne fut jamais une loi politique ; ce


une loi civile, établie pour régler ies’in-
térêts des individus, cités par Phili ppe -de-
Valois aux états-généraux afTemblés
, pour
prononcerfur la validité de fes droits au trône
;
elle étoit fans doute inutile à fa caufe
; mais
cette loi qui ne ftatuoit rien
fur l’objet en
question , donna lieu à la création
d’une loi
depuis lors fondamentale qui établit l’héré-
,
dité delà couronne, la fucceffion des
mâles
& laperpétuelle exclufion des filles au trône’
national.
Anni que 1 homme né indépendant
, ,
fe réu-

D 2
(

“’ ?
f ( 5’

nît en foeïété & facrifie une partie^ de fa li-

berté à fa fureté ,
de même les fociétés ,
inf-

imités par leurs malheurs, facriSerent fou-


à la tranquillité
vent leurs plus beaux droits
publique.
devenu lieredîtaiie ainfi ls.
Le trône eft ^

nation 8c cette loi fondamentale des


voulu la :

états de 132.8, eft un monument de leur


fageffe.
étoit elfentiel de prouver quel ulage
Mais il

toute-puiffance , avant
firent nos peres de leur
eufl'ent eux-mêmes marqué
des limi-
qu’ils y
tes, parce que l’immenfité de leurs pouvoirs ,

pouvoir légiflatif qu’ils


aifure maintenant le
ils ne pouvoient dont
nous ont tranfmis ,
devint notre fauve-
jamais nous priver, 8c qui
trône devint héré-
garde , au moment où le
ditaire. alors le feul moyen de défendre
Ce fut
terrible, des projets
nos libertés d’un pouvoir
Sc d’empêcher que cette
les plus redoutables,
que la tran-
même loi qui n’eut pour objet
quillité publique, ne nous plongeât dans les
horreurs du defpotifme.
L’hérédité du trône ,
dans une famille , s’éta-

par une loi : elle eft fouvent néçeffaire;


blit
la mine du pouvoir
mais bien loin d’entraîner
légiflatif, elle le confirme ,
puifque ceci? même

loi n’en eft qu’une émanation.


( 53 )
L’adte d’établir tel ou tel ordre de gou-
vernement eft une loi : la volonté de la nation
qui établit la fuccefiion héréditaire eil fouvent
une loi fage ,
& toujours une loi légitime.

Il n’en ferait pas ainii de l’adte infenfé qui


porteroit une nation à cet excès de démence y
de confier à autrui le pouvoir légilîauf.
Ce pouvoir eil incommunicable ,
parce que
îa loi n’étant obligatoire que lorfquelle eil

l’expreffion du vœu générai, il n’exifte aucun


moyen de s’aiïurer que îa volonté d’un roi

fera toujours conforme à la volonté publique.


D’ailleurs la privation de ce droit ,
conftituant
effemiellement le defpotiftne, & le defpotif-
me étant la ruine de l’ordre facial, il s’enfuit
que tant que la fociété fubfiile , îa volonté
générale dicle feule les loix.
Ces principes furent conüaniment ceux de
nos magnanimes ayeux. A in fi penfoient nos
rois eux-mêmes, chefs de la plus libre des
nations ; c’eil d’eux qu’il faut apprendre l'éten-
due des pouvoirs des Aiïemblées nationales de
lapremiere race.
Clotaire II, qui cependant étoit un mauvais Mardn
L <piet
-D • , . . 0 s ‘Bené*
Koi , écrivait , ce cet aveu eit bien precieux : aicnn, co î.

« Onconvoque l’AfTemblée de îa nation ,


anciens

parce que tout ce qui regarde la fûreté com-


D 3
(5 4 )

/imoîn ,
de
99 mune doit y erre examiné & réglé par l’af-

ch^î
Fr ' 1 4 femblée générale, & je dois me conformer à
Greg de M tovt ce quelle aura réfolu
Tours 1
,
1. i , ,
ch. i r Childebert, dans un édit de <$33, s exprime
q et
«wm°p ag j!ainfi: « Nous avons traité quelques affaires en
„ l’affemblée de Mars ,
&. nous en publions le

» réfultat pour qu’il Toit connu de tous ».

Le fceau du pouvoir légiflatif de la nation

ell imprimé meme dans les grâces particu-


lières qu’accordoit le prince ; il femble que
pour devenir des privilèges réels ,
elles dé-
voient être fancHonnés par la volonté fuprême
&: îégiflative de la nation.
Deux Chartres, Lune de Childebert, l’autre
de
rionff«mf-de Clotaire III, s’expriment
ainfi ;
celle
toire de moi Childebert roi, du
childebert en <<8
J >
:

France de .

Mabü. confentement & volonté des français.


Celle de Clotaire de 622.
Clotaire III, affilié des évêques ,
des grands

des officiers de notre palais ,


& du confente-
ment des français.
Qu’il ell beau d’apprendre, en ces jours de
fervitude, de la bouche de nos premiers peres
quels furent les droits du peuple.
Si nous voulons encore un témoignage plus
augufte nous le trouvons dans le préambule de
,

la plus ancienne de nos loix„


( 55 )
Les chefs de la nation rpublient la loi fa-
’Î 0 ,IT'"

i* , . . < ,
præ leg.
iiqufc : quatre des principaux font élus pour lafeiicæ.
rédiger ,
apres le nom de ces quatre chefs élus,
fuit Iedifpofirif de la loi.

Elle fe termine ainfîCette loi a été faite :

” P ar r °i> les princes, 8c par le peuple


» chrétien qui habite le royaume
des Mérovin-
» gie ns ».
On s imagine alfement que ce peuple légis-
lateur 8c guerrier accoutumé à rédiger fes
,

loix, ne l’étoit pas à fupporter le joug de


l’impôt (i).

Il fervit l’état fans être ftipendié par le


prince. Il n’etoit tenu que de le fuivre à là
guerre au milieu du tumulte des armes
,
8c :

il favoit conferver fa liberté celle de la &


nation.

Ce n’eft que fous la troifieme race que le


fléau de l’impôt nous a atteint.
Sous les deux premières, le roi recevoir des
préfens de fes fujers; il leur en faifoit : 8c les
témoignages réels d’une bienveillance récipro-

(i) On ne peut donner ce nom an droit de gîte & de


chevauchée dû aux rois, tel fur-tout qu'il fut exercé
par les rois de la première race.

D 4
( 57 )
fans le témoignage de l’hilloire ,
qu elles furent

dictées par un peuple libre.

Montefquieu ,
qui les avoient bien méditées 9
puifqu’il les a commentées avec tant de faga-
cité, les honore de cet éloge.
« Il y a dans les loix faliques & ripuaires,

î> dans celle des Allemands &£ des Thurin-


» giens ,
des Bavarois 8c des Frifons, une
» fimplické admirable; on y trouve une ru-
» deffe originale, 8c un efprit qui n avoir point
5? été affoibli par un antre efprit 55 .

Plufeurs peuples habitoient notre monar-


chie; plufîeurs loix les dirigeaient ,
c'efl-à-

dire ,
chaque peuple fut gouverné par la loi

qu’il avoit faite.

Les loix faliques ,


ripuaires ,
bourguignones
furent deltinées à difFérens peuples; mais
en général ,
leur empire étoit fi doux ,
qu’il fut
libre à chaque individu de choifr la loi fous
laquelle il vouloir vivre & mourir. Ce choix
fait, il ne pouvoir être jugé que par la loi qu’il

avoit choifie ( 1 ). Ces loix fi. fimpîes étaient


clairement interprétées ,
8c il était naturel
qu’un peuple tout guerrier reconnût lés magiftrats
dans fes chefs.

(1) Voyez Baluze, capitulaire, tom, I, 8e les fçr-


«iules de Marculfe, tom, 1,

/
( 53 )

Gr?g «te
nation réunie au champ de Mars, élifoît
Tours , l v. Tes ducs Sc fes comtes : c’étoit des gouver-
neurs dediftriâ: ,
plus ou moins étendus j Sc ce
choix national les inveflilToit atiffi-iôt du pou-
voir judiciaire.
Ces charges étoient amovibles; elles devin-
rent le berceau de nos fiefs héréditaires.

Ces chefs élus par la nation ,


conduifoient les
peuples a la guerre , Sc les jugeoient pendant la
paix.
Ces ducs Sc ces comtes avoient fous leur
dépendance, des vicaires Sc des centeniers. Ces
emplois étoient à la fois civils 6c militaires.

Grég de Lescaufes réelles étoient réfervés au tribunal


Tojæs, l <
?(j u comte : j es cau fes mobiliaires étoient dévo-
iués au tribunal du vicaire.
c5:Sr
Mais les comtes étoient obligés de fe faire
ailifter fur leur Tribunal par fept hommes li-

bres, 8c c’étoient eux qui jugeoient avec lui.

Ces vicaires étoient obligés d’avoir trois


afMeurs de cette maniéré nos peres furent
;

conilamment jugés par leur pairs.

Mais ce qui afluroit a jamais îa liberté indi-

viduelle ,
c’efl que tous pouvoient appeller de
ces fentences à la nation elle-même ,
réunie
au champ de Mars. On pouvait alors acculer
le juge lui-même ,
Sc on recevoit de la nation,
& des Ioix Sc des jugemens.
s
'

(59)
En ces premiers tems, la nation exerçoit
fouverainement le pouvoir judiciaire dans toute
fa plénitude : elle prononçoit des fentences ,
&C

le procès fait à Brunehaut fufHt pour établi*


ce fait.

Clotaire II rapporte à la nation les preu- Aimom, 1.4»

ves des crimes de Brunehaut. S’adreiïant en-


fuite aux français : « Mes chers compagnons
>» d'armes ,
ordonnez à quelle peine
leur dit-il ,

» doit être condamnée une femme coupable


9> de tant de crimes 35.

Telles furent les loix 8c les inflitutions de


nos peres. Elles nourrirent dans leurs âmes de
grandes vertus.
Leurs mœurs, jadis décrites par le pre-
m^geriu!*
mier hifiorien de tous les {iécles & de tous les

pays n’avoient pu encore s’altérer, puifque


même, à préfent, nous retrouvons dans cet
immortel écrit, l’origine de quelques-unes de
nos habitudes.
Vainement des plumes efclaves ont voulu ,

pour flarer un maître ,


nous éloigner de ces
premiers iîécîes.
En nous en traçant d’hîdeufes peintures, ils

ont accumulé fur cet âge d’égalité & d indépen-


dance, les opprobres nés du régné féodal.;
mais le régné féodal fut le premier âge de

l
<*>)
notre fervitude, 8c celui dont nous allons
bientôt cefTer de nous occuper ,
eft le dernier

âge de notre liberté.

ils s’égarent auffi ceux qui, dans une lec-


ture rapide de nos modernes hiftoriens ,
plus

occupés d’écrire la vie des rois que de nous


peindre nos antiques mœurs ,
8c de nous inf-
îruire de nos premières loix, fe perfuadent
que les crimes de Clovis, 8c de fes fucceffeurs
doivent être une preuve de la cruauté de la na-
tion. .Fn ces fiécies les crimes du trône étoient

étrangers aux peuples ;


mais ils étoient pro-
duits par un vice fçcret ,
qui, germant dans
le fein d’une nation libre ,
a fini par y dévelop-
per tous les germes de la fervitude.

Les français étoient un peuple libre, mats


ils n’ avaient pas élevé a la liberté les gaulois
qu’ils av oient vaincus : leurs loix portent l’ em-
preinte d’un, peuple dominateur; mais la por-
tion de la nation qui étoit aficrvie , étrangère ,
ou plutôt ennemie de la chofe publique , de-
voir être la fource d’où devoit (ortir un joue
des corrupteurs du trône, 8c les fatellites du
tyran.
A cette grande faute, nos ayeux en joigni-

rent une autre qifh amena l'anarchie féodale,

Çc néçdlita rétabliiïetnent du defpotifme»


C èi )
En ces premiers fiecles de gloire & de li-

berté ,
les français élifoieiit leurs rois ,
leurs
ducs &: leurs comtes : tous les bénéfices mili-
taires amovibles à leur choix , étoient le pri^t
du courage; & la crainte de les perdre, le frein

des lâches qui eulfent ofé confpirer contre la


liberté publique.
Les français ,
nés égaux ,
n’accordoieiît
de diftin£Hons qu’à ceux qui occupoient les
dignités de l’état. Mais déjà, fous cette pre-
mière dynallie ,
nous voyons fe développer le
projet de rendre les fiefs héréditaires. De ce
changement funefte devoir éclore la noblefîe

héréditaire ,
le plus épouvantable fléau dont le
ciel dans fa colere put frapper une nation
libre.

Il paroît ,
par le traité d’Andeli , ( i ) que
les fiefs y furent accordés à vie : c’étoit le

premier pas pour les rendre un jour héréditai-


res. Mais le mal ne confommé que lorfqu à
fut

la fin de la fécondé race & au commen- ,

cement de la troifième ,
fut établie à jamais l’hé-
rédité de nobieffe & de fief. Quand nos ancê-*

( i ) Baluze ,
tom. i ,
convenais apud Andelauna *

587.
Feudorum ,
1. 1 , tic. 1.

Ducange ,
glolh voc. bensficiutfiu
(«*)
très eurent fait cette plaie incurable à l’ordre

public ,
tout fut perdu.
Ainfi ,
dès la naiffance de notre république ,

la fervitude des gaulois, l’ambition de ceux qui


jouifioient des bénéfices militaires ,
menaçoient
de loin la liberté publique.
Mais ainfi que ,
dans la jeunette ,
les mala-»

dies qui doivent un jour nous conduire au


tombeau, ne font pas reflfentir leurs atteintes;

&: domptées par la vigueur de l’âge ,


laifienc

à l’individu la jouifTance de ces jours fi fortunés

qui luifent fur l’aurore de la vie ; de même


nos peres ne fe reiïentirent pas des malheurs
que nous préparoit leur imprudence.
“ l’amour de la guerre eft leur premier
Voy. fol.
appoi. pa»eg. fy fen timent ; les combats leur premier exer-
iul. vul. maj. _ , r •

aug.dia.s,p. >, cice : fi quelquefois ils font vaincus par le


m défavan-
” nombre de leurs ennemis ,
ou le

„ tage de leurs polirions ,


la mort peut les

>* atteindre ,
mais jamais la terreur. Ils fuc-
» combent 1 mais ,
frappé par la mort ,
leur

» afped inanimé ,
annonce encore leur invin-
* cible courage ».

Ainfi louoit nos peres un auteur célébré qui


fut leur contemporain.
Certes, il n étoit pas aifé d’aflervir de pa-
hommes n’étoit pas facile d’unir à
reils ; il
<«i) .

leur religion le vil précepte


de l’obéiflànce
paffive. Ou, peut deviner quel eût été le fort
de
celui qui leur auroic dit, que
leur roi ne tenait
fa couronne que de Dieu
,
qu'à Dieu feulîî &
devoir compte de i’ufags qu’il vouloit «a
faire,

régné de la liberté nationale efi le ré-


gné des grandes vertus. Le noble
fentlmenc
de l’indépendance la feule foumiffion
, aux
loix que Ton a faites , aggrandifTent Famé :
tous les fentimens du cœur humain s’élèvent
au niveau de fes hautes penfées
, 8c s’emprei-
gnent d’un grand caractère
La bonté fut toujours le partage de îa force»
aulli nos ayeux étoient-ils terribles à la guerre
doux & hofpitaliers dans leurs malfons.
leurs
tables , couvertes de mets
, étoient
placées en des lieux acceflibles à tous
leurs
concitoyens : ils s’h on or oient du nombre de;
leurs convives. La liberté quelquefois ame~
noit îa licence. On y jugeoit les- chefs ;

les critiquoit fans crainte : des propos animés



quelquefois injufles éioient impunis : en ce
,

fîecîe fortuné les penfées 8c


, les paroles fe
manifefloient fans péril les actions feules
,

étaient foumifes à la loi.

Violens ? impétueux, les français ne pou-


m)
voient endurer Toutrage ; mais, fenfibles à h
priere leur ame flechifibit a 1 afpedt de la
,

foumiffion. Leurs loix font la preuve que les


plus furieufes haines s’éteignoient par des

fatisfa&ions qui étoient le gage du repentir.


Les plus indépendants de tous les hommes
étoient cependant maîtrifés par leur foi : leur

parole les enlaçoit d’infolubies liens. L’hor-


reur de la faufler , les traînoit à l’efclavage;
& ce même homme qui ,
favoit préférer fa

liberté à fa vie ,
facrifioit fai liberté à fa

promefle.
Il fe donnoit lui-même un maître quand
il ne pouvoit autrement acquitter fes dettes ;

& cet empire de la probité fur la plus


libre

encore nos foibles courages.


des nations, étonne
fervi-
Qui de nous offriroit le relie de notre
tude pour dernier gage de fa foi /
Invincibles à la guerre ,
libres au fein de

leur patrie quels font les élémens qui man-


,

Leurs loix domes-


quoient a leur bonheur ?

la fidélité
tiques établiflbientla paix, l’amour ,

^jamais
dans leurs foyers ; l’égalité. y regnoît;
homme libre ne fut i efclave de
la mere d’un ,

fon époux.
bien
Tacite nous apprend d’eux, un ufage
fait pour toucher les âmes tendres,
( ^ )
« Jamais ,
dit-il ,
chez les germains lesfem- ,

sues ne Te marient qn une Fois i leurs coeurs


généreux av-oient donc fenti que la valeur cft
la vertu de tous les momens ; mais que le
véritable amour ne brille qu’une fois fur îe
cours de la vie , & s’eteint pour jamais.
L«e cîieF de la nation 9 entouré de Fes prin-
cipaux officiers ,
Fe rendoit aux
affemblées
nationales, vêtu en iîmpje particulier Fans
>
pompe, Fans garde. Cette augufte fimplicité
netoit pas Fans motif, car auffi-tôt qu’il
appro-
choit du champ de Mars il étoit revêtu
,

de Fes habits royaux. Afhs fur un trône


d’or
la magnificence de la couronne ne brilloic
qu’au milieu de la nation c’étoit là
;
feule-
ment que réfïdoit la majeflé du monarque.
Dans cet appareil impofant, entouré d’in-
vincibles Foldats il promulguoit les lofe
, de
fon peuple , & auiïî-tôt reprenoit la vie fru-
gale .modeile, convenable
& au chef dune
nation libre.
Croira- t-on aujourd’hui que ces
monarques
paroifToient moins redoutables aux
étrangers*
etoient moins chéris de leurs
peuples que
ne le furent enfuite ces rois abfolus
, venant
au milieu d’un peuple concerné
& avili * for-
cer lafyîe des loix,
& porter dans leur fanc^
E
(
66 )

ttsaire ces édits affreux qui dévoient arracher

à l’infortune fon dernier afyle ?


Mais n’anticipons pas fur les jours de notre
opprobre 8c de nos malheurs.
Il eft doux , en ces fiecles d’infortune
quand le cœur humilié accablé cherche &
quelques confolations , de revoir ,
par la pen-

fée, ces fiedes de gloire,


de venu 8c de

{implicite.
Ainfi ce courtifan ,
élevé dans l’antique châ^

te au de fes peres ,
au fond de quelque pro-
vince pauvre mais au moins éloigné du
,

trône, quand les prefliges de l’ambition le

féduifent, quitte fon gothique manoir, ap-


proche du palais d’un maître, 8c vient y
chercher une lucrative fervitude. S’il conferve
peres,
encore quelques-unes des vertus de fes
il fent bientôt à
quel prix on obtient les fa-

veurs des rois. Il foupire alors après fes anti-

que foyers, il defire fa tranquille demeure;


l’enchaîne fon cœur fe dé-
l’habitude ,

meurt efclave mais fon dernier


chire, il :

foupir fon dernier regard ,


s’adreffent au
,
de fon heu-
lieu paifible qui Fut le berceau
reufe enfance 3
de même en ce jour opprimé,
affervi mais cependant né pour la liberté ,
,

le français de ce fiecle , dans l’attente de


11
jours plus profperes, s’attache
à ces fouvenîrs
de tems fi courts mais li chers, où
Tes ayeux
furent libres.

Les régnés de Pépin 5c de Charlemagne furent


notre âge viril.

Ces jours de puiHance Sc de gloire


, réunis
a la liberté nationale n’ont plus reparu pour
,

nous , & fi

depuis ces grands hommes ,
les rois
méritèrent le titre de vi&orieux ce fut aux
,

dépens de leurs peuples : leurs lauriers furent


baignés de nos pleurs
, & iis ne voulurent être
puiffans audehors, que pour mieux nous afîervir.
îl étoit ioiîl ^e fe dégrader par
.
le defpo-
tifme cet illiiftre Charlemagne
,
,
le plus grand
des hommes depuis les romains; lui dont la
place dans l’hifioire eft encore ifolée, qui ne
voit que lui depuis mille ans qui ait pu at-
teindre a cette hauteur de fentiment, de
grandeur & de gloire.
Que les miniftres
pervers qui cherchèrent
à
éloigner les rois du fouvenir des
afFembïées
nationales , en leur en exagérant
les dangers ,
lifent donc la vie de ce grand homme l qu’ils
y apprennent qu’il ne fe pafTa pas a années
qu’il nafïemblât la nation, &
qu’ils fâchent
que cette nation n’étoit pas circonfcrite
dans
les limites de la France , mais qu’il régnoit fur
Ez
( 68 )

P Allemagne & l’Italie !


qn’ils y apprennent que
ce héros gagna plus de batailles qu’ils n’onc

commis de crimes ,
qu’ils n’ont ourdi d’in^

fâmes & odieufes intrigues ; 6c que cette même


main qui préfentoit la loi au peuple & fe fou-

mettoit à fa voix, étoit la meme que fes en-


nemis ne pou voient fixer tans effroi, 6c qui

femhloit avoir enchaîné la victoire !

Tous nos droits furent reconnus 6c refpedfes


par ce grand homme.
Ce font fès loix confervatrices ,
toujours

exiffantes quoique inexécutées, qui nous ont


tran finis les preuves invincibles de notre pou-
voir légiflatif.
Il paroît que dès lors, la nation devenue
trop nombreufe pour pouvoir délibérer fur les
loix, il s’établit un autre ordre de choies.

Mais le confentement de la nation fut tou-


Hincmar jours le feul moyen de fanàionner les loix.
de ordine pa
latii. Les chefs de la nation, préfidés par le roi
délibéroient fur la loi que propofoit le prince.
Le clergé délibéroic à part , 6c fe réunif-
Hincmar foit enfuite à la no’bleffe pour rédiger la loi.
,

de ord. pal.
£q ors \ Q vo [ j a p 0 rtoit à l’affembU'e du peu-
ple ,
6c demandoît fon confentement (i).

(ij Ces alTemblées ne s’appellent plus les champs de

Mars ou de Mai ,
on les nomme Pariemens-
( «9 )
Louis ,
fils de Charlemagne , nous apprend
en quelle forme Ann. 8*2 ,
le confentement de la nation cap. Tribu-
lui étoit demandé. rienfis.

« Si ces objets plaifent à tous difoit le roi


,

5» à la nation ,
annoncez-le ,
& aufii-tôt tous
.*» s’écrièrent : plaça. Ils le répétèrent trois
« fois : les grands lignèrent, & l’afiTemblée fe
?» fépara ».

C efi* en cette forme qu’étoit fanclionnée


la loi ; mais à ce témoignage fi précis joi-
,

gnez laveu de Charlemagne lui-même.


“ La lot, dit-il, fe fait par le confente- Ann. 864,
xxx v;
» ment du peuple & la conflitution du roi
tiü.
?>. ait., vj.

C’eft-'a-dire ,
que le peuple confentoit la
loi
,
que l’empereur ia promuîguoit & i’in-
titijloit de fon nom ; c’étoit à cela & au droit
de la propofer, que fe bornoient fes fonc-
tions.

Les capitulaires font les loix écrites qui


furent ainfi promulguées fous les premiers
rois de la fécondé raee ,
mais principalement
fous Pépin , Charlemagne y Louis tk Charles-
e -Chauve.
C’eft-là que repofe Farfenal de nos armes
nationales contre l'autorité abfoîue long-
;

tems oubliées ,
il falloit que le malheur nous
apprît enfin leur ufage. On feroit un volumo

E 3
( 7° )
iî on recueillait toutes les preuves de la puif»

lance legifiative de la nation, mais le tems


s'écoule 6c me preffie d’arriver à mon but.
Cnp. arn. Les loix promulguées éroient remifes au
Kj J.- '-t.XXlV,, .
r
.
&
ann. 8 53 . chancelier ,
qui gârdoit l’original de la loi.

Des copies en étoient données aux ducs ,

aux cormes ,
& enfin aux mijjl dominici .

Cap. ann. Les mijfi dominici étoient des officiers du


chap
xxvj.'
*

pr ince
,
envoyés de fa part pour infpeèf er la

7 Poait’ixxi;
conduite des ducs & des comres : cet établif-
femenr ,
tombé auffi-tôt en défnétude ,
nous
rappelle cependant le changement qui s’opéra
dès-lors dans l’ordre judiciaire. Deux chofes
contribuèrent à altérer l’ordre primitif des
jugemens rendus d’abord par des officiers

élus, qui étoient affiliés par des hommes


libres. Les nefs étant devenus des poffieffions

à vie ,
le foin de rendre bonne juftice ne fut
plus un objet d’ambition pour les ducs & les

comtes.
La nation, devenue nombreufe ,
ne pou-
voir s’occuper de la difeuffion des affaires par-
ticulières •
les loix civiles fe multipliant fans

celle ,
il fallut confier à une autre puiffance
le pouvoir judiciaire.
Il paroît que dès le fiecle de Charlemagne 9

le roi faifort furvtiller la conduite des ducs


( 71 )
8c des comtes par Tes délégués 9
appelles
mijji domînici ; & que la partie lezée dans les

jugemens ,
par une fente nce injufte ,
ou qu elle
croyoit telle, en appelloit à lui-méme.
Eghinafd ,
le fuetone de Charlemagne
nous a confervé ,
avec une foule de détails
intéreflans fur ce grand homme ,
le fouvenir
fi touchant de la maniéré dont il adminiftroit
la juflice. Le premier des maux que produifit

la permanence des fiefs ,


fut de nous priver
du bonheur d’être jugés par nos pairs ; mais
devenus bientôt héréditaires ,
ils dévoient
entraîner la ruine de nos libertés & de nos
conflitutions.
Charlemagne mourut , fes vertus feules le
rendirent immortel.
Mais avant de defcendre au tombeau ,
il

nous laifïa encore dans fon teftament la preuve


de notre droit d’élire nos rois.

Il fembloit que ce prince voulait ,


jnfques
dans ce dernier ade de la vie humaine ,
con-
figner fon refped pour les droits de fou

peuple.
Le partage de fes empires ?
fait entre fes
enfans ,
à l’afTemblée de 806 ,
nous prouve que
l’aveu de la nation pouvoit feule le fandion»
ner 3 & ion teftament ,
fait d’après ce quiLjf
E 4
( 72 )
avoît été refoîii , le confirme encore.
11 eft vrai qu’il paroît que dès-lors
couronne devint héréditaire dans la famille
de Charles-le-Grand. Le droit d’éieclion ne
s’exerçoît que fur les individus qui la corn-t
pofoient.
La plus jufte admiration lui mérita ce
tribut de la reconnoifiançe publique ; mais ,

hélas ! ce grand homme devoir ne nous


laitier que d’indignes fiiccefleurs.

Les régnés ignominieux de fes enfans ne


nous montrent que l’excès d’avilififement où
rinfolence du clergé pouvoir plonger des
princes fuperfütieux.
La foibleffe fut toujours avide du defpo-
tifme. Un pouvoir que Charlemagne avoir
dédaigné ,
devint Tunique objet de Tambi-
tion de fes fuccefFeurs. Ces affemblécs na-
tionales qu’il aimoit furent ,
pour ces lâches,
un objet d’effroi 5 c’efl que le grand Charles
n’y avoir trouvé que des coopérateurs de fes,

travaux ,
& fes coupables enfans craignirent
de n’y rencontrer que des juges.
ceUent^ouvra* Pour ravir au peuple fon influence oji ,

iéMahi-f' ob-
augmenta le pouvoir des grands ; il faut des
fur
Nervation com p[i ces aux tyrans : les fiefs devinrent hé-
France, pag. reditaires ; déjà la noblefTe Tétort devenue ^
( 73 )
auffi-tôt nos affemblées changent de forme.
Le dernier capitulaire efl de 921 ; mais déjà
la liberté n’exiftoit plus.
L’hérédité des fiefs amena une autre Conf-
titution , 8c il efl à pré fumer que l’avüifTe-
ment de nos ancêtres à cette époque la nécef-
fita encore davantage. Les ducs, les comtes,
faifirent le prétexte de la guerre continuelle
qu’il falloir faire aux normands ,
pour s’en-
tourer des châteaux inacceflibîes. Dès-lors la
tyrannie féodale parut ,
8c les leix ceiîerenc
de fe faire entendre.
Quand Hugues Capet fut élu roi par fes
pairs, il n’exiftoit plus de liberté nationale
que parmi les feigneurs, 8c leur liberté était
l’excès de la licence.
Ils Croient étrangement égarés ces mo-
s

narques coupables de la fécondé dynaftie qui


,

favoriferent les ufurpations des feigneurs pour


ruiner le pouvoir du peuple. Bientôt ils fe
trouvèrent a Servis par ces hommes puiffans
qui leur ravirent enfin la couronne.
Hugues Capet, l’un des grands polie fleur s
de fief, reçut le fceptre de la main de fes
pairs. On verra bientôt que Tunique occupa*-
tion des rois de la troifieme racé fut
de rele^
yer le peuple pour anéantir le pouvoir des
( 74 )
grands ; non pour rendre à la nation fa li-

berté , mais toujours afin de détruire l’un par


l’autre , tous les pouvoirs qui pouvoient ré-
fifter au pouvoir abfolu.
Quand on voit les princes de tous les pays
Sc de tous les fiecles ,
afpirer de toutes leurs
forces après le pouvoir arbitraire, n’épar-
gner aucun crime pour l’obtenir ,
le defiter

le plus fouvent en raifon de leur incapacité


pour l’exercer ,
l’efprit s’épuife à chercher
quels charmes offre donc la tyrannie ,
quels
font donc les appas décevans qui attachent à
fa pourfuite ,
malgré les forfaits de tout
genre qui en défendent l’avenue ,
& dont il

faut néceiïairement fe fouiller pour y par-


venir.
Hélas ! c’efl fouvent Terreur d’un moment
qui devient l’illufion de toute la vie ; & peut-

être n’eût-il jamais exiilé de defpote ,


fi avant
de le devenir ,
il eût apperçu dans toute fa
févérité, le fort qu’il méritoit & qui lui

étoit réfervé.

En effet ,
quel mortel, ayant reçu un cœur
d’homme, peut fonger , fans le plus affreux
défefpoir, qu’auffi-tôt que les loix fe taifènt
aufli-tôt qu’il devient le maître abfolu , tous

aufîi deviennent fes ennemis naturels! enne*


mis implacables, dont la haine a&ive, ou con-
centrée ,
doit empoifonner fa vie , & preffer
encore fur fes cendres pour flétrir à jamais
, t

fa mémoire !
que fes plus cuifans chagrins
deviennent la confoîation de fesfujets! que
lorfque la mort lui ravit fa femme fes en-
,

fans ,
fa maitrefle chérie le peuple rend
,

grâces au ciel qui le venge ,


en abreuvant
fon maître de toutes les amertumes de la vie !

Objet de la haine la plus ùnivçrfelle ,

comme la plus juïle ,


vainement cherche-
roit - il un ami : pour des rois abfolus , il

n’exifle que des complices. S’il refient les at-


teintes d’un fentiment plus tendre ,
il trou-
vera des infâmes qui fe vendent , mais fa
feule approche les avilit encore; il jouit de
la perfonne ,
mais le cœur qui l’ànimoit .

meurt â fon afpect.


L’amitié 8c l’amour font les confoîateurs
de toutes les misères de la vie ; & le ciel 9

dans la juftice ,
les chafla des cœurs des
tyrans.
Abhorré de tous, redouté de tous, il fini

dans fa vieillefle par fe haïr lui- même : fa-


rouche ,
folitaire , timide 8c cruel , il vit
dans fes palais ,
d’ennuis & de foupçons.
La réfîilance l’irrite ,
fans que la foumif-
( 76 )
lion le flatte : il fe plaint du mal même qui!
a fait ,
il s’afflige de ne trouver par-tout que
des âmes de boue , il voudroit opprimer des
hommes d,e courage : dans fon défefpoir in-
fenfé ,
il voudroit reunir les avantages de la li-

berté aux charmes odieux de la puifflance abfo-


îue. Indécis ,
fans efpoir, fans principe ,
la

mort le faifit enfin ,


&: il voit en fermant fa
paupière ,
le fourire de la rage fur la bouche
meme de fes fatellites ; déjà il préfage la joie

publique qui doit précéder & fuivre fa pompe


funèbre.'
Tel fut ,
tel fera ,
& tel doit être le fort

des {lefpotes. L’hiltoire a prouvé ces vérités


terribles : eh ! il s’en trouve encore ! Le def-
potifme, ainfî que la pefte, eft donc un fléau
inhérent à i’efpece humaine.
La race de Charlemagne étoit éteinte ,
8c
avant qu’elle cefsât d’exifter ,
Hugues Capet
avoit reçu la couronne.
commence un autre
Ici ordre de chofes ,

ou plutôt ici commence la deflruèdion de tout


ordre public ,
la violation de tous les droits ,
la

ceflànon de toute juflice ;


ici commence un
rems déplorable ,
ou la Nation devint la

proie d’une troupe de brigands ,


où la France
fe couvrit d’impénétrables afylcs }
dont ces

•\
( 77 )
tyrans firent leur repaire. Le peuple ,
devenu
le patrimoine des feigneurs, fe vit réduit à
n'être pins que la propriété d’un maître 6c
,

fournis à être vendu & partagé à fon gré,


comme un troupeau de bétail. Il envia fou-
vent la fhipidité des animaux ,
qui ,
au moins ,
leur ôte la connoiïïance de leurs mifc-res.
L’hérédité des fiefs 6c l’hérédité de no-
blefle depuis long-tems établie ,
prirent , fous
Hugues Capet 5
la plus ferme confiflance. Elu
roi par fes pairs, il n’en reçut qu’un titre, un
pouvoir nominatif, une vaine & Itérile préé-
minence : dès-lors ils établirent dans royau-
me autant de pouvoirs qu’il
y eut de fei-
gneurs.
La foiblefTe relative des petits tyrans, les
attachoit à un tyran plus puifiTant; de-là na-
quirent les arriérés- fiefs & le vaiïelage. Pour
régir cette immenfe multitude de fiefs ,
il

faiioit de nouvelles réglés le caprice les


;

établit ; mais pour le peuple ,


il fut gouverné
par la feule volonté de chaque feigneur : les
loîx de la nation, les capitulaires, tombè-
rent en défuétude : elles étoient fans appli-

cation ; par-tout où régné la force ,


les loix
font muetes. Ainfi,
l’illuftre Montef-
dit

quieu . « Tant de loix perdirent leur auto-


» rité fans qu’on pui/Te citer le moment
» où elles Font perdues ; elles furent ou-
»» bliées fans qu’on en trouve d’autres qui
>> ayent pris leur place w.
Au milieu de cette épouvantable anarchie
fe formèrent ces loix dont il eft impoflihle
aujourd’hui de deviner 1’efprit ,
parce quelles
ne furent que l'expreflion. des fantaifies d’un
tyran ; 8c ces coutumes plus bilarres encore ,

qui paroifîent le dernier excès de la tyrannie


en délire.

Chaque grand pofTeïïeur de fief ,


établit
chez lui de nouvelles loix ,
de nouveaux ufagcs
tk il jugeoit fes fujecs fans forme >
comme
fans appel.
Qu’étoit devenue l’autorité royale au milieu
de ces pouvoirs illimités ,
exercés par des
hommes fans principes f
mais encore animés
par un certain honneur ,
8>C d’ailleurs remplis

de courage ?

Elle n’exiftoit plus ;


les rois avoîent perdu
jufques au pouvoir exécutif. Il falloir l’aveu
de leurs vailaux pour qu’ils pufTent faire la
guerre ; ils ne pouvaient la foutenir fans
leurs fecours ,
& c’étoit fouvent en la dé-
clarant à un de leurs vaflaux ,
qu’ils en ob-
tenaient les lervices impofés par la vafTalité,
( 79 )
tes guerres de feïgneur a
particulières
feigneur, fuites d’abord nécefTaires dune pa-
reille anarchie, furent enfin autorifées par
la loi du roi.

Les peuples verfoient leur fang pour


l’intérêt des tyrans qui le dévoroient , &
pendant la paix ils pouvoient à peine raflaf-
fier leur âpre cupidité.
Sous ces honteux liens * ils perdirent
jufques au fouvenir de leur liberté; dès que
le peuple eft malheureux, il devient fu-
perfïitieux , & fes fuperfïitions font cruel-
les & fombres.
A cette époque naquirent aufiî les plus
effrayantes croyances : des âmes énervées
par le malheur s’en imburent fans réfif-
rance.
L’autorité des papes en profita : elle vint
combler les maux qui couvroient la terre
par l’exiftence d’une puifTance à la fois reli~
gieufe & temporelle ,
qui ,
fans bafe, fans
aucun autre appui que l’opinion , alarma
toutes les confciences ,
les remplit de ter-
reur ,
d’iilufions & d’incertitudes.

En ces mêmes fiecîes, où les calamités de


tous les genres rendoient la terre inhabitable
parmi ces débris d’un gouvernement mutilé de
(8o )
toutes part ,
les rois perdirent les peuples &&
vue : ils étoient dans les fers ,
& les rois ne
fongerent d’abord qu’à capter fes oppreffeurs.
Ils devinrent fes confeillers ,
quand il ne leur
étoit pas plus utile d’être fes ennemis.
On convoquoit alors des efpeces de parle-
mens. Ce furent les affembiées ou fe trou-
voient les grands poffeffeurs des fiefs ,
feuda-
taires immédiats de la couronne. Les évêques

y fiégeoient comme feudataires ,


mais jamais le

peuple n y eût de répréfentans & il ne pou-


s

voir y en avoir puifqu’il étoit affervi.


Ces affembiées ,
deflituées de tout pouvoir
national ,
ne pouvoient réellement établir au-
cune loi, ni confentir à aucun aéte légiilatif rf

Côtoient des tyrans réunis fpus un roi, qui

fHpuloient enfemble fur leurs intérêts ,


& éta^
bliffoient des loix pour le partage des dépouil-
les. Ces affembiées décidoient de la paix &: de
la guerre. On y jugeoit les procès civils &
criminels des grands feudataires ,
mais les

conventions de ces affembiées ,


n’oblîgeoient
que ceux qui les fouferivoient ; & chaque
acte qui y étoit rédigé , étoit en effet fîgné par
ceux qui s’y trouvoient.
Ces affembiées ,
qui avoient ufurpé le nom
de parlement ,
étoient donc bien éloignées
d’être
tPêtre ce que furent les parlement nationaux
de la fécondé race. Ceux du dix, onze & douziè-
me fiecles furent des alfemblées de tyrans féo-
daux, fans aucun autre pouvoir que la force,
fans autre autorité que la violence (r).
La nation avoir perdu fa liberté Sc fes
droits. Mais avec eux s’étoit anéanti la ma-
jefté du trône ; & les rois n eurent aucun pou-
voir dès que la nation ne put fe raffembler,
& foutenir, par la force nationale, les îoix
qu elle avoit établies.

Entourés de mille tyrans, les rois conçu-


rent le delir de les détruire, de fe refaifr &
d’une puiffance abfolue. Ils prirent des moyens Voyez Paf- *

pour s’aiïurer de l’hérédité du trône, en fai- c u le!: l » Ee*


fant, de leur vivant, facrer & élire leurs enfans : kRianTe/

'
(i) Parlement j en 1204, à Villeneuve-le-Roi, pou1
la police des fiefs.

Parlement à Paris, en 1113 ,


pour établir une police au
fujet des juifs i il
y eft exprefiément dit que cette loi ne
,

peut obliger ceux cjui ne font pas foufcrite.

Parlement de Melun, en ïziô ,


pour la fucceffion de
Champagne. En 1130, contre le duc de Bretagne. En 113
y ,
où. l’on ftipule fur les plaintes des barons & du clergé. On
voit dans les verbaux que toutes ces afiemblées furent uni-

quement compofées des grands poffefieurs des fiefs immé-


diats, qu’ils ftipulerent fur leurs intérêts, mais jamais il n’y
fut queftion du peuple.

F
(82)
dès-îors ils eurent la facilité de fuivre des pro-
jets qui , formés fous un régné ,
ne pouvoient
réufîîr que fous un autre. Alors il fe trouva
des rois qui ,
content de préfager la grandeur
future de leurs defcendans ,
oublièrent leur
propre foiblefle , <k ne vécurent que pour
l’ave?iir.

Il fuffifoit d’avoir formé un plan pour en


affiirer le fuccès ,
avec des hommes grofîî'ers ;

avides, il du pouvoir, mais inhabiles à


eft vrai,

fe défendre des mefures éloignées qu*on pou-


voit employer pour les en priver un jour. Leurs
propres excès dévoient fournir des armes pour
les anéantir.

La 'réunion de placeurs grands fiefs à la


couronne accrut la force réelle des rois ,
en
leur donnant plus de moyens de dompter leurs
fiers vafTaux ; mais ce qui devoit les faire

triompher de ces ennemis de l’ordre public,


c’étoit fur-tout la haine de ce peuple né libre,
& que ces brigands ofoient enchaîner.
Louis-le-Gros affranchit le premier les fiefs

dans fes domaines : cet exemple devint funefle


aux feigneurs ,
en rappeilànt à leurs efclaves
les douceurs de la liberté.

Un événement imprévu fer vit encore les

projets des rois. Les croifades ayant épuifé les


(h)
if é for s des feïgneurs ils fe prêtèrent à âffraii^
,

thir leurs domaines 8c la liberté des peuples


,

Fut à l’encan, (j)

Bientôt il exilta en France un peuple libre :

les rois qui fongeoient à s'én appuyer pour


détruire la féodalité le trouvèrent difpofé à
,

Féconder leurs vues .*


Inorreur de la tyrannie
des feigneurs ne permëttoit pas de craindre
, le
defpotifme des rois.

Bientôt les rois fe faifirent de deux pou-


voirs importons. Ils promulguèrent quelques
îoix générales 8c autoriferent les
, appels des
jufttces des feigneurs à leurs pàriemens,
, Ce
Fut avec la plus timide
circonfpeôtidn qu’ils Voyez
firent ces premiers pas. Un moment
de réflexion
de la part des Feigneurs
^ eût fufH pour renver- oi3 ^erva ^ OIÏS
dc Uahli
fer leurs projets. \

Louis IX chercha à ajouter l’empire de la mZTt^


fa g elle aux moyens de la politique. Il donna

(i)
Elles occafionnérent aufïi la vente des
biens ebMe s
aux roturiers. C’eft de Cette innovation
qu’eft né le droit
dc franc-fief.Ce droit fut le prix du pouvoir que don»
noient les rois aux roturiers d'aequém
des fiefs. Ce fut unë
fni;e de leur politique qui
engagea Phllippé-le-HardU coa-
firmer ce qtte Louis IX avoir établi à ce fujet. Ordonnance
de PhUippe-le-Hatdi de tt 7U Impafelon de France
tom m, pag. tfoj,
,

F 2
(
8 4)

des loix à fes domaines , & y créa quatre


grands bailliages pour rendre la juftice à fes

vafTaux (i).
En ces fiecles d’iniquité ,
l’impartialité de

Saint Louis lui fournit tous les cœurs. Les


fiers barons furent contraints ,
par l’opinion de
leurs vaffa-ux , à adopter fes établiiïemens : 6c

ces témoignages de l’équité des rois ,


rendi-
rent leurs projets chers à tous les français

Le pouvoir de la couronne s’étoit infini-


ment accru fous Louis IX. Déjà s’étoient
établis des commiffaires royaux qui infpcc-
toîent les jullices feigneuriales. Bientôt le roi

érigea des grands baillifs. Il leur attribua la

connoiffance exclufive de certaines affaires ,


ce
qui forma l’attribution connue fous le nom
des cas royaux. Enfin les appels furent bientôt
permis de tous les juges feigneuriaux , aux
juges du roi.

La haine du peuple pour la tyrannique


anarchie qui venoit de l’opprimer pendant trois
fiecles, luifaifoit envifager avec joie l’accroif-
fement de la puiffande royale. Nul fouvenir
n’exiftoit alors des tems où nos peres joui-

(i) Sens ,
Mâcon ,
S’aint-Picrre-k-Mouftiej: ,
Ver-
a^ndoii.
rent de la liberté ;
m& nos imprefcriptibles
droits nétoient pas encore devenus. l’objet de
l’ambition de leurs enfans , à peine échappés à
la plus honteufe fervitude.

Je fuis convaincu que les rois feroient par-


venus ,
dès le quatorzième fiecle la puiffance
la plus defpotique ,
ft leurs effroyables excès les

réduifant à i’impuiflànce ,
ils n’euffent été con-
traints de rendre à la nation fes droits pri-
mitifs ,
afin que fous l'influence d’une exigence-
nationale ,
libre ,
les peuples puffent faire de
nouveaux efforts pour foutenirun trône ébranlé
par la tyrannie.

Je me hâterais de franchir ces trois fiecles


d’oppreiïion & d’injuftice ,
mais ils ont laiffé

des traces profondes qui influent encore fin--

guliérement fur notre exiftence.


Le régime féodal n’exiffe plus , au moins,
cë qu’il eut de plus dangereux eft anéanti : les
droits odieux font abolis ; & les droits utiles
qui fe font confervés ,
faifant partie du droit
de propriété ,
doivent être refpeclés tant qu’ils,

ne nuifent pas à l’ordre facial.

Mais les fauffes idées qu’enfanta la féodalité,,

fub liftant encore quand leur caufe eft détruite


9
ont produit ces nobles aulîî vains que foibles ,
cette nobleffe ennemie de la popularité quiaflieg« ?

FS
le trône ?
qui s’empare de tout par droit ds
naiiïance , & qui femble former autour des
rois une nation nouvelle, ennemie des peuples.
Le nombre de ces nobles ,
envahilfeurs de
toutes les places ,
de toutes les dignités de
l’état ,
fe multiplie à la cour ,
tandis que la

vraie nobleiïe fe rapproche du peuple dans les


provinces ,
8c que frappée par le defpotifme „

elle a enfin compris qu’il ne régné que fu r


des fujets défunis de principes 8c d’intérêt ; 8c
que le plus prelîànt befoin devoit l’attacher à
jamais au peuple ,
pour y trouver en toute
occurrence ,
un folide & véritable appui. C’elt
aufli à la cour que s’efl élevé en ce liecle une
nouvelle paillon ,
relie bizarre d’un fiecle ou
l’on S’honoroit d’une noblefl’e romanefque.
Audi- tôt des noms oubliés ,
oC depuis dix
iiecles enfevehs avec leurs vrais poffefTeurs
ont reparu : cette manie n’eût été que ridi-
cule ,
mais le régné féodal a imprimé dans
Famé des rois qu’il a afïervi ,
un refpeâiindef-
îrucHble pour ces fortes de chimères ,
qui s

feules, ont fait la fortune de pîufïeurs grands


noms ,
tout-à-coup refFufcités.

C ?
eit un grand mal que ce relie de vénéra-
tion que nous ont tranfmis ces liecles de honte ;

il nuit peut-être plus à l’état que les fautes.


,
<* 7 )
des tniniftres, ou plutôt il a fouvent occa-
fionné leurs fautes
,
& les calamités de la
nation.
A ccs refies déplorables d un fiecle fi digne
de haine , fe joignent cependant de touchatis
Convenir®, qui fidoû cillent la rigueur de ces
tem.s defailreux
, & rendent la leclnre des
hiitoires de ces fiecles attachantes,
quand les
crimes quelles nous racontent devroient nous
en éloigner avec horreur.
Jamais 1

le parfait fentiment de famine, la


vehemente pafîion de l’amour n’exiflerent
avec plus d’énergie ,
quen ces tems où les
citoyens éloignés par des tyrans de la chofe
publique devenus étrangers à leur patrie
,
,
cherchaient à fe confolcr, à oublier leurs mi-
feres, en s’enlaçant des plus nobles liens que le
cœur humain puijfTe former.
Le fentiment du véritable amour éleve lame.
En ces fiecles où il exifloit de grands courages,
il créa la chevalerie. La tyrannie frappait fans
pitié fur le fexe le
l’amour 8c plus foible :

l’honneur créèrent aufïi-tdt une forte de reli-


gion pour fa défenfe, 8c cette religion devint
cœurs généreux , quand ils ne purent
l’idole des

adorer leur patrie. L’amitié vint encore ajouter


aux charmes d’une inditution, dont tous ies

F 4
( 88 )
motifs étoient enchanteurs. Ce qui n’ et oit ja-
mais arrivé dans aucun fïecie ,
parut alors. Oi^
vit rhéroïfme des anciennes républiques ger-
mer , & s’accroître à côté de la plus horrible
fervîtude ,
tous les fentimens du cœur hu-
main s’empreindre d’un grand caradtere ,
fous la
chaîne même des tyrans.
Le cœur libre en fes afFedtîons ,
n’ayant plus
de patrie à fervir ,
fe dévoua tout entier au
fer vice de l’amour ùC de î’amitié ; &: en ces
îems de violence ,
c’étoit par des aéles d’un
courage inconcevable ,
par des périls fansceffe
renaiffans qu’il falloir fervir ce qu’on aimoit.
Alors une paillon unique fut le fentiment de
toute la vie ,
les fouvenirs de la vieilleife n’eu-
rent qu’un feul objet de réminifcçnce -* par
cette confiance inaltérable ,
ils conferverent
cette pureté ,
ce charme célefle ,
qui embei-
lifToit encore les dernieres lueurs de l’exif-
tence.
Alors on comprit cette vérité ,
aujourd’hui
fi loin de nos cœurs.
« Qu’adorer les femmes ou les pofféder x
« font deux chofes bien différentes » ; que
les délices les plus parfaites de l’amour font
dans l’illufion réunie à l’ëfpoir ,
& que c’eü
eu voulant le bonheur fuprême 5
que l’on cefFe

fouvent d’être heureux.


II exiffa cependant en ce fiecle des payions
que le bonheur même ne put éteindre ,
qui Te
rallumèrent dans l'infortune ,
qui vécurent de
pleurs &c de fouvenirs ;
qui, perfécutées par
le fort, ne connurent d’autre afyle que lefein
de la Divinité même. A ces traits on reconnoît
Héloïfe : oui ,
elle vécut en ces liecles d’op-

prefïion, de cruauté & de fervitude ; & fa

mémoire honorée les a cependant rendu chers


à la fenfibilité.

L'hiftoire de ces liecles 3 fi obfcure ,


fi di£«

fufe , fi affligeante , feroit impoflîble à lire


fans ces diverfes épifodes qui viennent tour-à-
tour l’embellir. La naiffaoce de la chevalerie ,

fes principes ,
fon héroïfme avant qu’elle dé-
générât ,
offrent une leéftire aufli fatisfaifante
qu’utile. C’efl un bofquet de fleurs au milieu
des fables de la Lybie.

De tous ces divers élémens ,


naquirent dans
tous les cœurs une forte de grandeur ,
un genre
d’honneur qui les préferva de l’entiere abjec-
tion où devoir les plonger l'efclavage ; Sc qui

rendirent enfin la réfurrecfion nationale poffi-


ble ,
quand les excès de Philippe-le-Bel la lui
rendit néceffaire.

Déjà la finance écoit le nerf de l’état, $C le


( 90 )
manque d’argent la caufe immédiate des révo-
lutions.Déjà les rois dans la détretfe forcés
,
par l’impérieufe néceïfité de parier aux peuples
de leurs befoins , confentoient qu’ils leur par-
la/lent de leurs droits. Les prédécefleurs de
Philippe -le— JBel avoient mis tous les moyens
en ufage pour le rendre abfolu il ne rétoit
,

pas encore , mais la route étoit tracée en la


;

fuivant ,
il arrivoit au defpotifmè. Son impé-
tuofité ne lui permit pas de parcourir l’efpace
qui 1 en éloignoit, il le franchit; fans avoir
encore autour de lui les fatellites qui aflRir.ent

la tyrannie, il commença à en déployer toutes


les rigueurs,

Pt.oi à dix-fept ans ,


tous les hifloriens s’ac-
cordent à reconnoître Philippe— le— Bel pour
un prince vaillant ,
libéral ayant le cœur
,

élevé ,
l’efprit vif > aimant fa famille mais
;
égaré par le plus perfide minière, (i) ce fléau
de la nation l’entraîna à des actes de tyrannie
qui caùferent fes malheurs 6c ceux du
peuple.
D’immenfes dépenfes nécefïîterent de cruel-

(i) Pierre Flotte ,


Ton Chancelier ,
homme ambi-
tieux , violent ,
dur, avide & avare > il fut Punique
çaufe de la révolte des Flamands, & il ne dépendit pas.

de lui que la France entière ne fc révoltât contre le rai,,


(s> 0
les exaélions. Philippe vola Sc friponna foi*

peuple ;
il le vola par des çoncuflions, & le
friponna en altérant les monnôies.
En 12 96 ,
il établit ,
de fa feule autorité ,
le
centième denier fur les immeubles, &Üe cin-r

quantieme fur la valeur des meubles.


Auffi-tôt le peuple fe fouîeve ,
tue les com-
plices des minières employés à exiger l’impor.

La guerre retenoit le roi en Flandre: a. fon


retour il établit des droits fur les confomma-
tions : l’étendart de la guerre civile fe déploie.
En cette extrémité ,
les minières altérèrent
encore les monnoies ; 8c par une tyrannie
inouïe ,
ils exigèrent que tous les particuliers
qui a voient dans leur maifon de l’or ou de far- En IZ94J
gent de bon aîoi ,
le portaient à la monnoie.
Tant d’excès criminels ne purent refier im-
punis. Les provinces fe raffemblerent ,
fe con-
fédérèrent entre elles ,
8c tout-à-coup le roi fë

trouva entouré d’ennemis 7


fans aucun moyen
de leur réfifler.

La confcience déchirée par Les remords s

dénué de toutfecours ?
le malheureux Philippe
appella la nation à fe réunir ,
pour obtenir de
fa générofité ?
ce qu’il ne pouvoir plus efpérer
de lui ravir. Voilà les feuls motifs qui nous
fendirent nos états-généraux»
( 91 )
Voyez p a f- C’efl de ces jours d’infortunes que devoit
quier, liv.u, \
A (

pag.s 7 . renaître pour la patrie une conflitution natio-


nale. En 1303 ,
la nation s’étoit déjàafîem-
blée pour réfifler aux prétentions de Boniface
VIII.
Mais en 1314, les états généraux du royau-
me furent convoqués, & régulièrement afTem-
blés.

Ils accordèrent à Philippe un fubfide ; la

perfidie de fes minières fe fignala ,


en en fai-
faut la levée. Le roi ofa augmenter la faille
qui lui avoir été accordée ,
les peuples auflî-tôt
fe liguèrent pour lui réfifter.
La terreur ,
la honte ,
les remords le traî-

nèrent au cercueil ,
& repofent encore fur fa
tombe.
Ce régne défaftreux eft bien intéreflant à
connoître : c’efl: à cette époque que la nation
.reparut , & bientôt nous verrons nos afTem-
Hées nationales fe refaifîr de nos impreferip-
tibles droits.
Mais la nobleffe héréditaire réunie à l’héré-
dité des fiefs, ayant formé au milieu de la nation
un corps nombreux, dont la terrible puifTaoce

avoir enchaîné le peuple pendant trois fiecles, il

s’enfuivit qu’il exifla dans la nation une efpece


de nation particulière qui avoit de hautes préten-
( 93 )
dons à foutenir ,
de grands intérêts à défen-
dre ; 8c quand la politique des rois 8c l’épuifé-
ment des tyrans féodaux eurent rendu au peu-
ple fa liberté
, la noblefle ceflant d’être fou-
veraine trouva encore R puifTante qu’elle
,
fe
forma un ordre féparé dans l’éta. (i)t
Dès-lors les intérêts du peuple furent dif-
tinéls des liens elle tint fes délibérations
, à
part.
Le clergé ,
par le même motif, délibéroit fur
fes intérêts *
8c le tiers état
, ce corps le plus
refpeébable de tous ce corps où réfïde réelle-
,

ment la toute pui (Tance ce corps qui feu!


,
foutient état
qui eft réellement la nation
l
,
,
tandis que les autres n’en font que
des dépen-
dances étonné de fa nouvelle exiftençe en-
,
,
core effrayé par le fouvenir de fes
maux, parut
aux états de 1314 , timide fournis mais n’im-
, ;
porte ,
il
y parut enfin : fa feule exiflence de-
voir faire toute fa force
3 8c il n’eft pas dans
la nature que peuple dans fes fouveraines
le

affemblees , y foit long-tems aflervi.

(ï) Ce changement s’étoit


déjà préparé fous la fécondé
race 5 mais le
peuple avoit encore confervé une
énergie qui
le rendit peu fcnfible,
jufqu’à ce que l’hérédité des
fiefs
& la féodalité l’ayant
aflervi la noblefie acquit une pré-
a '

pondérance indcftruftible.
Qu’il nous foit encore permis de nous ari*ê»
ter à ce régné déplorable ,
mais fi intérefiTant

pour nous ,
puifque c’efl à cette époque que
la nation fe refaifit de Tes droits-
En commençant cet écrit ,
nous avons éta-
bli les vrais principes indépendans de toute
autorité hiftorique ,
qui affurent nos libertés
nationales; &: qui nous donneroient le droit
de les revendiquer, eufîions-nous été pendant
deux mille ans ,
le plus alfervi de tous les
peuples- Nous avons enfuise approché notre
hiftoire de ces principes immuables , & nous
y avons trouvé que nos magnanimes ayeux ,
fous la première de fécondé races , avoient joui
de ces droits dans toute leur plénitude. Nous
fommes enfin arrivés à des teins qui feroient
les plus malheureux de notre hiftoire ,
û les

calamités que l’on endure foi-même ,


ne pa-.
roilToit toujours plus cuifaiites que celles

dont il ne refte que le fouvenir. Nous avons


obfervé que des mfiirutions fingulieres confer-
verent cependant à la nation dansles fers, un
caraéfere & des vertus qui doivent rendre un
jour fa régénération poffibîe.
Nous voici enfin parvenus à l’inftant où nos
droits nationaux dévoient nous être rendus
par ce Phiiippe-le-Bel ,
defeendans de ces roié
qui -mêmes opprimés par la féodalité',
eux
s’appuyèrent des forces du peuple pour la dé-
truire.

ha nation fortant de cette longue fervitude


de trois fîecles,
y avoit au moins acquis un
avantage.
Nos premiers ayeux avoient établi des
diftinctions cruelles entre eux 8c le peuple
gaulois qu’ils avoient vaincus
; mais le mal-
heur , comme la tombe , égalife tout : 8c en
1300, ce que l’on appeloit le peuple, avoit
perdu le fon venir de ces diftinâions
fatales ;
tous avoient portés des chaînes, tous afpi-
roient à la liberté il n’exiftoit plus enfin
:

dans toute la république que des François.


A 1 inflant que nos afTemblées nationales
reparurent il exifta en France un corps
, de
nation.
Par les embarras que nous éprouvons au-
jourd’hui pour rétablir ces fouveraines
afTem-
blées, on doit juger que dans les
premiers tems
ou elles reparurent, furent mal pondérées;
elles
mais ii fuffit qu’elles exigent, pour être fur que
bientôt elles parvindront à s’afîurer l’exiftence
qui leur convient.
Arrivé à cette époque où nos afTemblées
nationales reparoiflent il eft efTentiel,
} 8c c’eft
( 96 )

le but de mon ouvrage ,


de prouver que le
même efprit de liberté qui avoit animé nos
ayeux, fe réveiilaaufli~tôt , & que nos peres,
pénétrés des grands principes qui affûtent la
liberté nationale ,
fe refaifirent de la pui (Tan-

ce légiflative ,
de celle d'accorder l’impôt ,
8c

que ce furent leurs fages délibérations qui

rendirent les corps judiciaires des corps na-


tionaux.
S’ils procédèrent d’abord avec moins d'a-
vantage 8c d’autorité que ne Tavoient fait les

français de la première race ,


c’eft qu’ils trou-

vèrent par-tout des relies de l’antique féoda-


lité que ces relies de prétentions infenfées,
;

devinrent les femences d’éternelles difcordes,


attifées avec foin par les rois & leur minif*

très, qui ne fongeoient qu’à rendre ces fuprê-

mes alTemblées impuifTantes.

Mais malgré tant de preltiges, de féduc-


tions 8c d’erreurs ,
ce corps légillateur établit
tous les principes de la liberté publique. îl

les établit fi bien ,


que bientôt devenu un
objet de terreur ,
tous les rois délirant d’éta-
blir l’autorité abfolue ,
cherchèrent à l’éloi-

gner. L’imprévoyance de en la nation leur

facilita toujours les moyens. Les états ceffe-

rent enfla d’être convoqués ;


tous leurs droit
furent
( 97 )
turent envahis par le defpotifme,
jufqu’au mo-
menr où détruit encore par fes propres
excès,
les malheurs l’ont
ramené au terme fatal où
une deftruflion inévitable le
force à chercher
dans une contention
nationale & libre, les
reffources que refufera
conftamment la fervi-
tude au defpotifme.
V° lla !e terme de ,a carrière
,
qui nous relie
a parcourir.
Les moyens d’y atteindre
font peu nom-
breux; ce n’elî guere
que fous les
Valois que
Ion a confervé les verbaux des affemblées
nationales , encore ces verbaux font - iis
peu
r
fatisfaifans.

Nous ne connoiffons ce
qui s’eft fait dans
nos affemblées depuis
1300 à 1400, que par
les ordonnances que les
rois promulguèrent
en vertu des décrets de l’aifemblée,
témoignage des hifloriens.
par le &
11 eft aifë
cependant avec ces feuîs
. matée
riaux, d’élever l’édifice facré de
la liberté
publique; en prouvant que
ces fuprêmes af-
femblées , ainfi que les
les parlemens de la
champs de Mars &
fécondé race, ont
toujours
connu &fuivi les vrais principes
qu’elles fe
font toujours crues
des corps légiflateurs,
feu-
les competentes pour accorder l’impôt,
feules
G
( 98 >
habiles à établir , d’une maniéré nationale *

les corps judiciaires , & à les unir ainfi à la


«onftitution.
Avant d'entrer en matière ,
je ne dois pas
oublier que ce même Philippe le Bel, qui nous
rendit nos états généraux ,
rendit fédentaire

à Paris le premier parlement de France.


Ce nom de Parlement confervéà ce corps,
a entretenu de tingulieres erreurs..
Sous la troifieme race de nos rois, la na-
tion, enchaînée par mille tyrans, n’exidoit

plus; dès-lors aufii il n’exifta aucun pouvoir


légitime, la force feule, en aucun cas, ne
pouvant devenir loi.

Les parlemens de ces trois premiers fiecles


de la troifieme dyoadie ,
n’étoient , comme je

l’ai déjà dit, que l’affemblée des barons rele-


vans immédiatement de la couronne. Ils fe

réunilîbient autour du roi ,


pour décider de la

paix ou de la guerre , & juger leurs pairs.


Le droit d’être jugé par fes pairs avoit été

celui de tous les François; mais quand ils fu-

rent affervis , ils


furent jugés par leurs tyrans,

il n’exida de pairie que pour leurs maîtres.


Mais ces maîtres eux-mêmes , différens en
puiffance & en dignité , connurent aulîi di«

yers genres de pairie.


. 99 )
Les grands fiefs relevant nuement du roi ,*

compoferent cour des pairs de France.


la

Dans les provinces , leurs vaffaux arrié- &


rés- vafiaux , etoient pairs les uns des autres
,
& ils fe jugeoient entr’eux ; c’eft pourquoi
les hiftoriens de ce tems nous parlent des qulT^
pairs de la province de Guienne, Champagne
& autres provinces.
Les pairs de France réunis
compofoient le
parlement du roi.
Bientôt
le roi leur propofa des
loix géné- Voy.B*™-
raies, mais qui ne pcuvoient
devenir te!le« manoir éta- ,
'

que Ioriqu elles feraient confenties St‘ par tous


les pairs; & ce fut ainfi que Louis IX pro-
mulga fes éiabiiffemens. Leur fageffe porta un
coup terrible â la féodalité.

Dès-lors s’établit l’appel à la


juftice du roi. .
Etabllffs
Ce premier pas fait, on vit bientôt 06 " 1 d St*
s’établir J
f
divers degres de jurifdidion
qui, fuivant , tou- cha P* x^
jours l’efprit de la loi des fiefs, ramenoient
tous les appels à la cour du rai, comme fei-
gneur dominant. Ces falutaires
innovations
dévoient détruire la tyrannie
détruifirent en
féodaie , & ! a
effet. Mais dès-lors
parlement le
du roi fe trouva nanti
du jugement d’une
foule de procès; ne
pouvant y fub venir dans
les momens où il fe raffembîoit
, il autorifa
G x
U
r01 à cboifir ,
parmi les pairs de France ,*

iakvuiiers i
à compofoient
la
4
°a
l

e
^p certain nombre de pairs, qui
yoi* u- alors un parlement ambulatoire quifuivoit le

roi, le confeilloit ,
tk jugeoit les appels por*

tés à fa cour.
Ces appels fe multipliant à l’infini ,
Philippe

le Bel rendit le parlement fédentaire à Paris ;

y 0 y. Par- mais il fut toujours compofé de pairs élus


0juier,p. ji#
^
liftes
le roi, pour tenir le parlement,
de ces pairs choiûs fubfiftent encore.
ôc les

Déjà les cruelles loix de la féodalité étoient

changées ; à leur groffiere barbarie , avoit

fuccédé un ordre de procédure établi par

Louis IX : il admettoit la preuve par témoins,


& la libre difcuftion des droits. Des pairs ,

qui, jufqu’alors, n’avoient fu ordonne)- que


le combat judiciaire, fe trouvèrent étrange-

ment embarras en leur nouvelle qualité


de juges ; on leur adjoignit des clercs qui
inftruits de la loi, préparoient les caufes, &
les leur rapportoient.

Nous verrons bientôt les grands feiidataires


s’éloigner du palais de la juftice ,
& iaifïer les’

magiftrats feuls en poffeflion de l’adminiftier.


Lesparlemens afhiels ont donc fuccédé aux
parlemens des pairs de la troilieme race, Sc

cesparlemens eux-mêmes n’ayant aucun pou-


( 101 )
voir national, n’ont pu revêtir leurs feccelTeiir&
d’un pouvoir qu’ils n’avoient pas.
Mais bientôt la nation leur donnera une
exiflence politique, & les décrets des états-
généraux établiront fes pouvoirs d’une telle

maniéré, qu’ils deviendront des corps natio-


naux, inhérens à la conflitution même.
Par le laps des iiecles ,
ces pairs de France^

jadis fi puifïans, qui ne tenaient leur qualité


de pairs que de leur force &Z de leur naiflance,
s’éteignirent : les plus grands fiefs furent réunis
à la couronne , & alors pour conferver au
moins le nom d’une dignité dépouillée de fa
puifTance ,
les rois créèrent des pairs. Il efl aifé

de Te convaincre, en voyant comment l’auto-


rité les conduit ,
qu’ils n’ont hérité que du
nom de leurs fiers précéceffeurs. Cette digref-
fion m’a paru néceffaire. Avant de m’occuper
des états-généraux ,
j’ai cru devoir expofer
mes idées fur nos parlemens, afin que lorfque
nous verrons nos états-généraux fan&ionner fes
pouvoirs j
les augmenter, les honorer du plus
honorable mandat, celui de maintenir les loix

& la liberté, nous fâchions ce que ces corps


avoient été dès leur origine..
Les faftes de notre hiûoire nous préfentent
dans les fiecles qui fe font écoulés depuis
G i
C 101 )
Philippe IV jufqu’à nous, trois époques bien
diftin&es. ,

Depuis ce roi jufqu’à Charles VII , nos


affemblées nationales , fouvent rafîemblées ,

fouvent trompées parles rois, mais toujours


aidées par les circonflances, qui ramenoient
les rois accablés par le malheur & le beioin,
à la néceflité de fe foumettre aux voeux de la
nation, établirent fur des bafes inébranlables
la liberté publique ; & fi le defpotifme cher-
choit à les ébranler ,
il ne tardoit guere à être
puni de fes excès. Charles VII jetta les pre-

miers fondemens de la puiffance arbitraire.


Nous verrons nos états généraux la repouffer
de tout leur pouvoir ; mais impuiffans à l’éloi-

gner de nous, nous les verrons enfin fuccom-


feer fous le defpotifme.
A l’inflant qu’ils cefferent d’exercer leurs
droits, il n’y eut plus de gouvernement légal
& l’on ne fut tenu d’obéir que tant que l’on

y étoit contraint.

Dès -lors, l’abandon de tous les principes


devoit accumuler fur nous tous les fléaux du
pouvoir ablolu, jufqu’à ce qu’il fe fût de nou-
veau confirmé par les propres fureurs. Ces
îriftes époques nous conduifeut enfin à l’âge

où nous vivons ft
(

( I0 3 )
Voy. Me-
À la mort de Philippe IV, fon fucceffeur, zeraî & Bou-
Iainvilllers.
dénué d’argent , mais très-emprefîé de s’en
procurer ,
fe permit quelques conciliions ,

qui furent énergiquement réprimées. Il afîem-


bla les états , ou plutôt il fe contenta de
faire confulter la nation dans chaque baillia-
ge &. fénéchauifée : fes refus le réduilirent
à l’impuifïance. Alors il donna cette fameufe
déclaration de nos droits qu’il a plu aux
,

hifloriens d’appeller une chartre , une con-


ceflion. Elle n’efl pas imprimée dans le re- /
cueil des ordonnances du louvre mais elle
,

a été réclamée par pîufîeurs états-généraux :

elle efl devenue la bafe de leurs décrets , tk


Nicole Gilles , fecretaire de Louis Xll 9

qui a écrit nos chroniques , en a çonfervé


le fouvenir. Il promettoit eiatr’autres cho-
fes, par cette chartre, de ne jamais lever un
denier fur les citoyens ,
fans le consentement
des états.
Mais la fourberie, Ta cupidité, Te vil delir de
corrompre pour arriver à fon but font des*
,

vices de tous les ficelés.


En même tems que fe roi iîgnoit ces aveux
exiges par un peuple irrité, il envoyoit fes
comimflaires dans les provinces, avec des
G4
( î0 4 )
" mfîrttéhons fecrctes (i) & infidîeufes ,
pour
obtenir ,
enlever , voler , s’il fe pouvoit les
,

peuples.

îiets, î. h ,
Malheur, s’écrie un homme, dont l’ame
» étcit auffi énergique que fon amour pour
» l’honneür éroit vrai; malheur aux peuples
» fournis à de tels rois, mais plus malheureux
» les princes qui gouvernent par de tels prin-

» cipes; car jamais l’argent qu’ils volent ne


» faurcit payer les tourmens que leur caufe
v la crainte de manquer leur coup >k

Voici enfin un de nos rois foufcrivant dans


un a&e public l’aveu de nos libertés ; cette
époque efi: efientielle : il a convenu à nos
hifioriens d’appel! er ces a&es des chartres ,

des concevions. Je ne peux concevoir fur quel


étrange principe iis fe fondent pour imaginer
que vingt millions d’hommes, voulant établir

tel ou tel ordre de chofes ,


ont befoin de la
grâce d’un feul pour y parvenir.
On comprend très - bien que l’abfoîue

(i) Sécrétés ! Dieu eftjufte : il n’eft point de fecreîr

pour la ppftérké ; le tems à venir le prouvera. Ces


inilruâions de Louis X à fes commiflaires ont franchi,

h nuit des fiecîes. Voyez-en l’extrait dans Boulain*


villiersj tome il, page ijz*
( «05 )

nécefïité où fe trouve une nation d’établir un


roi ,
entraîne celle de lui faire reconnoître
les droits des peuples qu’il doit gouverner ;

mais ces ades font funplement des aveux


exigés au nom de la loi ,
par la volonté des
peuples.
L’abus des noms , les étranges idées qu’ils

ont fait naître ,


ont fou vent égaré les citoyens
qui , dans l’étude de nos hi&oires ,
cherchoient
les témoignages de nos droits.
C’eft par fuite de ces abus ,
de noms
& d’idées ,
qu après avoir regardé les Chartres

comme des grâces, on en eil venu à vouloir


nous faire envifager les décrets nationaux
comme de {impies plaintes que les rois pou-
voient dédaigner : le nom de doléance donné
aux cahiers contenant les décrets des états
généraux ,
a fait naître & perpétué cette
erreur.
On a cru que les ordonnances rendues
enfuite de ces cahiers, étoient une nouvelle
faveur royale , comme fi ce n’eût pas tou-
jours été un aüe {impie du gouvernement,
que de conftituer en loix les décrets natio-
naux : c’ed ainfi que, dès la fécondé race,
s’opéroit ce que Charlemagne nommoit lu
conjlitution du roi ,
nécefîaire à la fanélion des
loix,
( toS )
Ï1 eft de devoir , fans doute
, de parler
avec refptft au chef de état
, à celui dans I

les mains de qui la nation a remis toute la


force publique mais ces égards ne rendent
,

pas la volonté d’un peuple entier de fimples


invocations.
I! faut parler vrat le peuple par qui tout
;

eft, & pour qui tout exifte , n’adrefle d’hum-


bles prières qu’à Dieu. D eu feu! a une force
fuperieure a la tienne fa toute
; - pu'ffante
main verfe à fon gré les grâces ou les fléaux;
elle éleve ou flétrit les
, : millions d’êtres qui
l’implorent peuvent à fa volonté
rentrer dans
le néant. Ceft à une telle puiflance que le
peuple profterne adrefte d’humbles fuppüca-
lions ; mais hors des temples du
Seigneur Tes ,

pneres font des ordres


, & fes doléances des
loix.

Il lui importe que le chef de l’état foit ref-


pe&é. Eh ! quel moyen plus puiïTant de l’en-
vironner d’hommages que d’abaiffer devant
Ton
trône la voix même de la
nation d’offrir , &
fes repréfentans parlant au roi comme à la
Divinité meme à laquelle il fuffit d’adrefïer des
voeux finceres pour qu r
iis foient exaucés \ Mais
de quoi n’abufent pas les minières pour cor-
rompre l’ame des rois !
( I0 7 )
Ï1 efi tems enfin de revenir aux vrais prin-
cipes ; aufli-bien nous a-t-on rafîafiés juf-
qu’au dégoût , & a - t-on avili peut-être pour
jamais ces mots fi doux de régné paternel,
d’enfans chéris gouvernés par unrpere tendre.
,

Les minifires en ont abufé jufqu’à la niaiferie ,

jufqu’à la cruauté : car eft-il rien déplus vil


& de plus odieux ,
que d’employer ces mots ,
gages & exprefiions du fentiment le plus tendre,
pour nous tromper ,
nous ruiner, nous désho-
norer.
Caîigula penfoit jufte quand voyant l’ob-
,

jeêfion du peuple romain ,


il croyoit qu’il
étoit un Dieu ,
ou que les romains étoient des
bêtes.

L’efprit de Caliguîa femble quelquefois avoir


animé les minifires ; mais ils s’abufoient , &
leur malheur fut de ne jamais connoître Fef-
prit public.

Dans le fond reculé de la plus pauvre


des provinces fous la plus abjeêle des
,

chaumières , on a tems cefié depuis long -

d etre dupe de ces édits fi niais dans leur


la

préambule , fi &
cruels dans leurs difpofi-
tions.

On y fait que les rois font les chefs


, non
les peres des peuples : fous un rapport
*

( io8 5
plus. vrai \ les rois font les enfans des peu-
ples , car c’eft leur volonté qui les créa ,

& ce font leurs dpns & leurs travaux qui


les maintiennent : voilà les idées oîi l’on efl

revenu. Il
y a loin de ce progrès de la rai-

fon à croire que les Chartres font des fa-


veurs ,
& les décrets des états de fimpîes
doléances.
Il eft curieux & inflruftif d’obferver que ,

dans tous les fiècles ,


la marche des mauvais
minières fut la même ; leurs vues furent les
mêmes : jufqu’aux vils moyens de tromper
font femblables.
Philippe - le - long avoir befoin d’argent ;

il defiroiî obtenir un fublide ; il propofa


d’éîabilr par -tout même poids, même me-
fure ,
même monnoie ,
mais à la charge de
lui payer le cinquième de tous les biens im-
meubles.
C’eft avec plaiflr 'qu’on apperçoit déjà
le bien que les affemblées nationales avoient
produit. Les peuples éclairés rejettent éga-
lement l’impôt & le bienfait , comme ac-
cordé fans pouvoir, & exigé fans autorité,
êc en appellent aux états généraux ,
qui
alfemblés refuferent tout fubiide. Malgré ce
refus, il fut exigé, Audi - tôt les provinces
( I0 9 )
fe conféderent ; Philippe, accablé de chagrins*
mourut.
Les afïemblées nationales fous Philippe -de-
Valois font bien mémorables.
couronne en 1328 (1),
Elles difpoferent de la

conftaîerent tous nos droits en prefence du roi


en 1338 (2) ; elles délibérèrent , le roi

(1) Le trône étoit député par Edouard : il


y avoit
droit , fi les filles eufient pu y prétendre ; il fit valoir
fes raifons. Philippe expofa les Tiennes , s’appuya de la

loi falique qui ne les appuyoit pas , mais dont on fiiivie

Tefprit pour faire de la fuccefîion héréditaire de mâle


en mâle une loi fondamentale.
DéjaThabitude de faire facrer les fils des rois du
vivant de leur pere , avoit rendu le trône héréditaire
dans la famille d’Hugues - Capet : cet ufage fit perdre
les élevions , dit Pafquier ; mais la loi établie par les
états de 1328 devint une loi fondamentale.
Paul Emile , auteur élégant , nous a confervé le
détail de toute cette alïembîée. On a cherché à atta-
quer fa fincérité ;
mais un auteur loué par Erafme ,

dont Jufie Lîpfe dit qu’il étoit 9


rerum ipfarum fedulüs
fcrutaior , feverus ,
judex ,
eft un auteur hors d’atteinte.
(2) Nicole Gilles , feuillet fix du fécond volume
dit : u Environ ce tems , en fuivant le privilège de
LoysHutin, fut conclu par les états de France, pré—
fent Philippe - de - Valois, qui s’y accorda que le
,
roi ne pourroit impofer ni lever taille en France fur
le peuple, fx urgente néceffité ou évidente utilité ne
( ÏIO )
reconnut que nu! impôt ne pouvoït être exigé
fans le confe^tem? rit des états généraux.
En 1345, les états accordèrent un impôt fur
îe fel ; mais fans exiger que l’emploi des de-
niers fût connu ; & ce fut -là une bien grande
faute.

S’il
y eut jamais une perte regrettable, c’eft
celle qu’a fait la nation des verbaux des états
aflemblés fous le roi Jean ; mais trop de mains
avoient intérêt d’anéantir ces monumens pré-
cieux ,
&: la nation avoit trop peu de moyens
de les conferver.
La foule des hifloriens , ardente à flatter
l’autorité qui les paie , & à flétrir le ç ourage
qui a fuccombé , a accumulé fur la mémoire
du fameux Marcel ,
qui fut le mobile & i ’ame
de ces états généraux ,
tous les outrages que
l’on ne doit qu’aux plus vils des humains.

Il étoit loin de mériter ces opprobres ; &


les ordonnances du roi , rendues d’après les
décrets de ces états ,
qu’il maîtrifa par l’em-
pire de l’éloquence , font des témoins irrécu-
fables qu’il n’y fut rien décidé que de jufle.

le requerroit, &de Todroi des gens des états». Nicole


Gilles , fecrétaire de Louis XII , écrivoit un fiècle &
demi après ces états.
( «»» )
Les fautes i! faut auffi en convenir
,
, les crimes
de Marcel ont été jugés avec
la plus exceffive
fé vérité.

Si ivre (Te du pouvoir


1
defpotique * d’un
pouvoir abhorré de tous
, uniquement dû à
la violence , égare
quelquefois les rois
quelquefois excufe leurs fautes
, &
, à plus forte
raifon feroit excufable
l'homme du peuple
l’idole du peuple , jouiffant â ce titre d’ua
pouvoir qui par conféquent eft fans bornes
,
parce qu’tl eft fondé fur l’admiration
thoufiafme.
& l’en-
En ce même fiècle le roi Jean fe
,
fouilla
de quatre affaff.nats Marcel
; fe rendit coupable
du même crime : l’un fut égaré par
l’ardeur
de fervir le peuple l’autre
, par le défir de
l’opprimer , & de fe venger de fes ennemis
aux yeux de la nation. Quel eft celui qu i
inerite fa clémence ?

Les états furent aiïemblés en


135^,
*3 57 » «35$, 1359 : il n’exifte
aucun verbal
d aucune de ces affemblées
; mais les édits d«

«•oi Jean du z 3 oûobre 1


3 55 , ceux de Char-
,

es V, regent, nous
apprennent quels forent
les decrets de ces
affemblées (1). N’oublions

(0 h exifte un très. bon abrégé des verbaux de ce*


( 111 }
pas que fi ces édits conftituerent ces decrets
en loi ,
ces décrets nationaux étoient la bafe
de ces édits ; ainfi le roi ordonnoit fimplement
l’exécution des volontés nationales.
L’ordonnance de 1355 établit que le vœu
de deux ordres ne liera pas la trojfieme ,
ÔC

qu’il faut l’unanimité ,


ou plutôt le concours des
trois ordres , pour former un décret national.

Jufqu’au fixieme article , l’ordonnance n a


d’autre objet que de ratifier les decrets de

l’afTemblée ,
qui avoit fiatué fur la quantité des
troupes qu’il falloit lever ,
établi leur foide,

en contentant à une augmentation fur la ga-

belle , & aux droits d’aide ; mais ils établirent

suffi -tôt les généraux des aides, pour veiller


à la perception de l’impôt ,
& en fuivre

l’emploi.
Le quatrième article eft mémorable , en
ce qu’il prouve que déjà aux yeux des états
généraux le parlement étoit un corps na-
tional ,
recevant fur tels ou tels objets les

mandats de la nation. Cet article ordonne


que s’il furvient des différèns entre les gé-

néraux des aides ,


ils feront décidés par

états ,
dans la préface du troifleme volupae des ordon-

nances du Louvre ,
par SeceuiFe.
l’autorité
( ”3 )
I’aütoHté du parlement ; & dans un autre!
article du même édit, il eft ordonné par
les états ,
que toute juftice foit laifïée aux
parlemens , juges ordinaires.
Il eft à préfumer que déjà les états généraux
avoient fanâionne uni à la conftitution &
lexiftence des parlemens; mais enfin voici
la
preuve regardés comme des
qu’ils etoient déjà

corps judiciaires nationaux par les décrets


des
états généraux.

Le roi promit par le dix-neuvieme article de


ne jamais lever d’impôt fans le confentement
des états généraux.
Ceux de 1 356 dévoient être plus orageux •

& jamais en nation n’eut plus de fujet


effet là

d etre irritée contre fon roi. Jean


avant ia
,

détention , s'étoit fouillé du crime d’affalfinat:


En préfence, au château de Rouen,
fa
il fit
égorger le comte d’Harcourt Graville , Men-
,

nemare & Doublet ( t ). Il avoit altéré les


monnoies ,
volé fes peuples; enfin il étoit
vaincu & prifonnier.
En cette occurence on convoque les états;
auffi-tot ils fe reflaiûrent de tous
pouvoirs les
de la nation , 6c commencèrent par en faire

ç ( t
) C’étoiem-ià les lettres de cachet de ce fiecla,

H
(
n4 )
Tnfege que doivent en faire en tout te ms ces
fuprêmes aifemblées ,
en requérant que les

coin miliaires du roi qui verdoient en gêner


les délibérations fortifient de railtmblée. Ce
préliminaire indifpenfable rempli, ils accufent

les minières, & demandent que leur procès


leur foit fait.

Déjà les états avoient fenti cette grande ve-


ïité politique ,
que le roi eft impeccable ,
qu’il

était l’être , & que fes minières font toujours


les feuls coupables.

Ainfi raifonnoit cette affemblée guidée par


ce Marcel li décrié.

L’ordonnance de Charles ,
régent ,
du mois
<demars 13 56 , enregiftrée au parlement le 5 du
même mois, compofée de 47 articles, fane-

tienne tous les décrets des états.

Les minières pervers furent éloignés , le

brigandage des monnoies réprimé , par & le

trente - huitième article il fût encore établi de

nouveau ,
que nulle levée de deniers ne feroit
légale fans le confentement préalable des états
généraux.

Ils jouirent donc dans toute leur plénitude

<de tous les droits de la nation.

Ils furent légifiateurs , ils accordèrent l’impôt j


( ”5 )
en Suivirent l’emploi âfccuferent les minlfîres
, ,'
x6yn M
les firent punir conftituerent
, l’ordre judï-
i a
ciaire, & donnèrent la régence.
°
difcours de
Philipepot ,
En 1357, & 9, U tats de

h\és ils
8
prirent de iages délibérations
ils furent encore affem-
4 ^
,
; mais en
1 3 58 ils furent agités par des troubles , nés de
la diverlité des opinions ; le même homme ne
les rallioit plus.

A ce roi fi méprifé , fuccéda ce roi fi fage


M qui , düdit-il ,
ne trou Voit les rois heureux
» que par le pouvoir de faire le bien.

Elève au fein des orages , témoin des ef-


fets de la haine nationale , il conferva dans
fon ame une grande terreur des états. Mais
en les redoutant ,
il refpe&a toujours leurs
pouvoirs.

convoqua en 1369 pour en obtenir des


Il les

fublides & il y éprouva que ce même peuple


,

indomptable quand il hait , ne fait pas refufer


au roi qu’il aime ; toutes fes demandes furent
à l’inftant accordées.

Mais l’effroi imprimé dans fon cœur par les


états de 1356 & 1 3 duroit encore : il fut
fi puiffant qu’il n’ofa les afl'embler pour établir
fon edit de 1375 * fur la majorité des rois ;&
par-la il imprima une tâche fur cette loi. Auffi

H a
( ii6 )
la validité en fut-elle difputée avec raifon fous
François II ,
fous ce prétexte très«valable ,
que
cet édit n’étant pas revêtu de l’aveu de la nation
n’étoit pas une loi fondamentale.

Ce fut une faute, mais elle s’oublie au milieu


de tant de vertus.
Combien le fort des François qui avoient vu
luire les beaux jours de ce régné devint affreux
fous fon fucceffeur ! Charles VI étoit bon &
jufle , mais foible ; & fa démence fit de fon
régné une longue minorité.

Les difcufîions auxquelles elle donna lieu ,

firent éclore la plupart des abus qui maintenant


encore nous oppriment , & ont failli naguère
à nous anéantir.

Avant de nous occuper des états généraux


affemblés fous ce prince, il faut obferverque
ce fut fous ce régné déplorable ,
pendant la

longue démence du roi, & à l’appui des


traîtres qui abufoient de fon nom pour l'avi-

lir, que s’établit cette forme bifarre autant


que cruelle ,
de promulguer des loix en lit de
juflice.

Il faut être né & avoir vieilli avec de pareils


abus pour ne pas s’indigner en y fongeant. Mais

enfin en recherchant l’origine d’un ufage fi


( iï7 )
defaftreux le cœur éprouve une
, forte de
confolation , en voyant qu’il fut le fruit de la
trahifon des plus infâmes minières
,
fous un roi
privé de raifon.

ïl faut fuivre cet abus dès fa naiffance


,
afin Etats de
que lorfque nous verrons les IjS8 '
états généraux îôît‘
réclamer contre fon exiflence & la profcrire,
nous fâchions quels furent les motifs de ces
fouveraines affemblées.

Les parlemens de la troilieme race pref-


,
que égaux aux rois en puiflance délibéroient
,

les loix, leur confentement


fan&ionnoit ; les
& avoient retenu des parlemens natio-
ils

naux de la fécondé race, l’ufage dont


Hinc- Wncmsr #
mar nous offre les détails
, de faire tranfcrire ®£ rdinepa
*

?a
& enregiftrer la loi confentie par eux, par
le chancelier qui en confervoit l’original.

Le parlement rendu fédentaire par Philippe-


le-Beî , mais encore compofé d’hommes
puif-
fans , n’auroit pas permisque les loix fuffent
promulguées fans fon aveu , on peut croire &
qu il ne fut pas expofé à la ffétriffure des
ordres
abfolus.

Mais bientôt le parlement compofé de


magiflrats , devint plus acceflible aux coups du

H 3
C I«8 )

defpotifme. Bientôt s’établit 1 ufage des lettres

clofes.
C’étoient des ordres obtenus par la faveur*
pour éluder la rigueur des îojx^. prelentes au &
parlement par ceux qui avoient eu la baffefTe de

les folliciter.

De ces funeftes innovations dévoient naître

«n jour les lits de juftice & les lettres de

ces deux fléaux de toute juflice &£ de


cachet ,
,

tout gouvernement. Mais en ce tems


il exifloit

encore de l’eoergie dans toutes les âmes °


les
l’abus excitoit des clameurs redoutables :

foibleffe des rois 9


lettres clofes arrachées a la

furent folemnellement profcrites par leur jul-


tice.
fe plaint de leur
Déjà Philippe de Valois
ufage les abolit en 1341 >
défend d’y obéir
, il

en 1370 ,
& le fage Charles V enjoignit de n’y

avoir jamais aucun égard.


L’infortuné Charles V 1 , continuellement
furprifes redoubla
viaime des plus criminelles ,

fentoit que fes ordres abfurdes


fes défenfes. 11

des poignards dans la main aes mi-


Ordonnance étoient
bientôt
^r^niûres.En 1413 iï défend d’y obéir;
il fe
chancelier de les fcellér
3
^Tom.
om

io
il défend au
Enfin „
:

9 , plaint de l’obéiffance de fon parlement.


pa 5
îriem 2®

enjoint aux magiflrats fous


en l40
^ i
'
il 5
a\i£it 1400»
C "9 )
la foi du ferment ,
de ne pas lui obéir S
jamais quelqu’un de fes officiers fe préfente 9

de fa part, pour interrompre le cours de la


juflice.

Tant de fages précautions dévoient encore


être fuperrlues : c’étoit ,
en effet , fous un prince
imbécille que de voit s’établir le plus abfurde
des ufages.
Les lits de juftice jufques en 1413 éîoient
des féances royales, non pas femblables à
celle du 1
9 novembre 1787 , 011 les miniifres,
enchérira nt fur tous leurs prédécefTeurs , cher-
chèrent à naturaiifer en France les formes
if lipides du divan. Les lits de j
office éîoient

des confeiis ou la. liberté des opinions étoit


entière ; c’étoient des aiîemblées 011 la fageffe
des rois venoit confulter l’expérience. Charles
V fe plaifoit à ces afiembiées , & il étoit fait

pour s’y plaire. Mais de quelle forte d’inffi-

tution n’abufe pas le defpotifrne miniffëriel t


Les perfides confeillers de Charles VI ,
vendus Laboure»^
Pa§ 9P£ "

à la fa dion de Bourgogne .
établirent des
îoix défaffreufes pour le monarque , & pro-
fitant du tems où il étoit en démence ,
ils le

traînèrent, en 1413 ,
au parlement ; <k là-, en-
fa préfence , ils firent promulguer leurs loix>„

du très- exprès commandement du roi; car toutes,

H 4 ,
( no )
las formes defpotiques reçurent dès - lors la'

naiiTance.

Ce roi infortuné, revenu à lui -même, &:


aide par de plus heureufes circonflances ac-
,

courut cette même année désavouer ces loix ,

& les fît arracher, en fa préfence ,


des regiftres
du parlement (i).

Mais le mal étoit opéré , & fes fuccefïeurs


n’éprouverent pas fes remords.

Telle fut donc l'origine de fes formes defpo-


tiques, deftruftives de toute légiflation, &
incompatibles avec tout gouvernement.

( i
) Lorfque Charles VI alla au parlement annuller
ces odieufes loix mêmes perfon- fut fuivi des
, il
y
nages du confeii qui avoient été d’avis de les établir.
L’un d’eux , interrogé fur les caufes de fa différence de
conduite & d’opinion , répondit : « c’eft notre coutume
» de vouloir tout ce que veulent les princes nous nous :

» réglons fur le tems & nous ne trouvons point de


;

« meilleur expédient pour demeurer fur nos pieds parmi


» toutes les révolutions de la cour , que d’être toujours
s> du côté du plus fort. »>

Voyez le Laboureur, pag. 901 , ligne 46 , édition


chez Billaine , 1663.

Je fens qu’il faut ces précautions pour prouver qus


cette réponfe fut faite en 1413,
C 1*1 )
Mais les réclamations contre ces facrilegeS
furent continuelles. Les parlemens devenus
f
inherens a la conditution par les divers man-
dats des états generaux furent foutenus par
,

ces fuprêmes ademblées. Nous les verrons en


toute occurence établir les enregidremens li-
bres , réclamer contre la violation de cette loi

confervatrice, &
ne ceder enfin de s’en occuper
qu’en cedant d’exider.
Les parlemens protederent en
1413 , ont &
toujours protedé depuis contre ces innovations
illégales.

Mais le defpotifme lui-même ed d abfurde


en fes maniérés , que fes outrages confer-
vent la réglé en meme - tems qu’ils la vio-
ient c’ed que le propre du defpotifme
; ed
à la fois l’amour de la tyrannie & la pufil-
îanimité : en confervant le dehors de la li-
berté ,
il fomente la fervitude. Dans ces jours
de fcandale où les rois offenfent avec appa-
reil la judice ,
les peuples & les loix , le par-
lement , forcé d’adider à cette lugubre céré-
monie , voit le chancelier le&ure
, après la
de la loi
,
paffer devant chaque magidrat il :

femble leur demander leur avis en ce même


,

moment où la force les contraint de fe taire :

rede précieux qui rend hommage aux ao-

\
( Iîî )
cîennes loix ,, en cet inüant 012 on les viole

toutes.
Ces ufages que n’ofe profcrire le pouvoir
abfolu ,
ne font rien moins qu’indifférens aux
yeux de l’homme qui réfléchit.

C’efl ainfi que les proteflations des magiflraîs

confervent les droits des peuples.


On a vu fouvent des hommes frivoles blâmer
ces précautions dédaignées dans les cours ,
&C
quelquefois fiiperfuies pendant pluheurs fiecles *
mais ce ne font pas les clameurs de ces hommes*
efclaves qui doivent guider les mâgiflrats ::

c’efï à eux à ne jamais défefpérer du faluî de

la république ; & l’amour de la patrie , éteint

dans tous les cœurs ,,


doit fe réfugier dans le

leur.

An milieu des attentats des minières, quand


leurs crimes couvrent l’étendue du royaume 9
eue les loix méprifées font devenues impuif-
fantes ;
en ces raomens de trouble & d’hor-

reur ,
entovirés de délations & de craintes ,,

chaque particulier s’éloigne avec effroi de la


choie publique , mais un effroi plus grand
encore doit un jour les en rapprocher. C’efl
pendant ces premiers momens de terreur ,
que
la voix des magiflrats fait encore parler les,

loix en proteûant contre les criminels qui les

1
( m )

outragent , & en rappellant aux peuples les


vrais principes les imprescriptibles droits de
la nation.

Leurs intrépides protections font les flam-


beaux qui éclairent les citoyens en ces tems
de ténèbres; elles font vivre la loi quand le

defpotifme femble en triompher.


Leurs réclamations rallient tous les or-

dres de Fétat ; ce font des fanaux placés fur


le temple de la jiiftice ;
ils délignent au mi-

lieu de ces tempêtes ,


l’afyle où il faut fe

réunir.
Auffi nos cours les ont -elles multipliées

dans tous les tems : Souvent elles ont fervi à


nos affemblées nationales pour conflater nos
plaintes & réclamer nos droits.
Elles feront dans tous les tems les preuves

toujours vivantes des crimes des miniilres,êc


de la fidélité des cours envers la nation.

Pendant que des innovations deflrudives

de tout ordre public s’établiifoient fous ce

régné dêfaftreiix , nos états généraux veil-


loient à la confervation de nos droits ; leurs

fuprênies décrets non - feulement rétablirent


nos privilèges ,
mais ils Sanctionnèrent par
leurs exemples une loi déjà exiftante ,
fans

doute, inais que leur conduite rendit à jamais


( 1*4 )
mémorable fur la limite des droits des états
généraux.
6 En 1
o^onn. d!r » les états généraux jetterent les
t
Tréfordes
chartes,
yeUxfur
19, t ration
Ce
depuis
^la

s étoit
P affé
derniere affembiée
dans l’adminif-
1
; ils for-
cerent le roi à fupprimer tous les impôts dont
la durée limitée par les précédées états étoit
,

parvenue depuis long-tems à fon terme. Le roi


reconnut à cet égard tous les pouvoirs des états
par les édits publiés à la fuite des décrets de
PafTemblée.
C’eft aux états de 1382 que s’établit enfin
,

par la conduite des députés , un principe auquel


la nation doit s’attacher, fans jamais s’en écarter
un moment.
Ce principe confervateur garantira l’état de
fa perte , le fera renaître de fes cendres il
;

rend la perfidie des minières inutile les


,

tentatives du pouvoir abfoîu infru&ueufes ;

il rend enfin les états généraux tellement les


organes du peuple
,
qu’il n’eft pasmême en
leur pouvoir de tromper fon vœu & fon
attente.

Les états généraux affemblés en 1382 ,


per-
fécutés par les princes & les minières, de
confentir au rétabliffement des impôts, ré»
pondirent :
( )
u Qu’ils n’ont commîflîon
de leurs conv Le Labou-
» mettans que pour entendre les reur, vie de
proposions Charles VI.
» du roi , &
leur en faire le rapport
;
qu’ils
» n’en ont pas reçu le pouvoir de
confentir à
» l’impôt. »

Et , en effet
, ils fe retirèrent pour recevoir

de nouveaux? pouvoirs qui leur furent


refufés.
Les députés du bailliage de Sens ayant
feuls
confenti à l’impôt , furent défavoués par leurs
commettans , & l’impôt n’eut pas lieu
(
i ).
Quand tous mes efforts quand ceux de tous
,

les bons citoyens , n’auroient d’autre but &c


d’autre effet que de bien graver dans tous
les
efprits ce principeconfervateur , que nos dé-
putés aux états généraux ne font point
éta-
blis pour décider du fort de la
république,
qu’ils n’y font que de fimples mandataires
?
fondés de procuration de la part de leurs
commettans ;
qu’en aucun cas , fous aucun
prétexte ,
ils ne peuvent s’écarter des inf-
truéhons qu’ils ont reçues dans leur cahier
;
que s’ils s’en écartent ils deviennent prévari-
cateurs & traîtres , & que leurs commettans
ont le droit de les défavouer quand dis-je,
; ,

( i ) Cette ville n’eft pas heureufe dans les époques


qu’elle fournit à l’hiüoire,
( lié )

tous les bons efprits de ce fiecîe ,


n’établiroient

que ce principe ,
iis auroient faitvé la répu-

blique. Elle ne périra jamais tant qu’il vivra

dans tous les cœurs ,


& les états de 1 3
8 2. qui

y rendirent hommage ,
méritent à çe feul

titre ,
tous ceux de la poûérité. Je reviendrai
fans ceffe à ce principe faiutaire ,
nous le ver-

Sur-toutcn rons fanétionné par nos états généraux dans


57<5
'
toutes les occurrences.
En effet ,
auffi - tôt qu’un peuple ne peut

ftatuer fur fes intérêts, il choifit des repréfen-

tans : mais il feroit poffible qu’il voulût conf-

tiîuer fes repréfentans fes maîtres abfolus ,


&
qu’il confiât à leur volonté , les deftinées de

l’état ? non cela n’eft pas ,


cela ne peut pas
,

être.

En Angleterre ou maigre la corruption


,

chambre des communes on n’a jamais


de la ,

paffé une loi attenîoire à la liberté ,


il eft de
na-
principe qu’un parlement qui trahiroit la
tion , auîorife auffi~tôt la reûffance & 1 infur-

reclion : nous avons déjà cité l’opinion de lord

Abington à ce fujet (1).

Voilà la dourine reçue ,


voila le rempart

(' 1 Voyez chap. xxj de l’excellent ouvrage


)

M. Deiolme, fur la conftitution angloii'e.


( i*7 5
qu’oppofe la nation à îa corruption prévue de
fes repréfentans.

En Pologne, quand elle étoit libre, les uni-

verfaux publiés pour îa convocation des diéîi-

nes ,
conîenoient tous les objets de délibération
qui dévoient être propofés à la diete ; c’eft

avant de choifir les nonces que l’on délibérok


fur ces univerfaux; les réfultats de la délibéra-

tion formoient les infiruâions , & îimitoient

le pouvoir des nonces : non conîens de cette


précaution ,
après la tenue des dietes, on con-
voquoiî des diétines de relation , où Ton exa-
ïninoit fi les nonces n’avoient pas outre -paJlé
leurs pouvoirs (i).
En France , fous la première race , îa nation
âipulant elle - même fur fes intérêts , n’avoit
aucune précaution à prendre pour s’affurer que
fes décrets feroienî toujours l’expreiïion de la

volonté générale.
Sous la fécondé race , confuîtée immédiate-
ment après la réda&ion des loix, (a volonté
feule leur imprimoit le caraâere facré d’une loi.

Sous la troifieme ,
quand nos états généraux
reparurent , s’établit aufîi - tôt cette maxime

(i ) Voyez effai politique fur la Pologne, imprimé à


y&iCoviQ ,
chez Pfombka.
( )
faîutaire ,
qui fuppléoit à tout ;
que nos députés
aux étais généraux n’y étoient que nos manda-
taires ,
ôc ne pou voient fiat uer que d’après
l’ordre pofitif de leurs commettans.

C’efl par ces fages moyens que chaque na»


tion, forcée de fe faire repréfenter ,
a diminué
les inconvénicns de ce malheur ,
en s’afTurant
que ceux qu’elle honore de fon choix pour la

défendre , ne pourroit en aucun cas trahir fa

confiance.
i 57 6 * Bodin eut l’honneur de fortifier cette dotlrine

nationale par fes exemples.


1560. £t avant lui ,
les états d’Orléans ne voulureut
jamais s’en écarter : il efl peu de point de droit
aufïi-bien établi ,
mais il n’en efl aucun dont on
doive parler davantage.
Si les rois, comme je n’en doute pas, veulent
de bonne foi ,
l’aveu & le concours de la na-
tion ,
cette grande vérité doit leur plaire.

Mais, s’il avoit jamais exiflé des minières


pervers ,
qui euflent defiré des états généraux
pour en faire une arme contre le peuple
pour y acheter d’iniques décrets , s’il y en a
jamais eu qui aient compté qu’il fufïïfoit de
former , s’il fe pouvoit, une affemblée de traî-
tres ,
pour enchaînera jamais la nation ,
ils

auroient été déçus de leurs efpérances. Nos


peres
( ll 9 )
peres connurent auffi les projets defii-mSeurs

des ennemis de la liberté, (les mauvais minis-


tres furent de tous les fiecles) & ils éleverent
un rempart inaccefiible à leurs attentats,
Que ne puis-je armer ma plume des traits
de la plus Sublime éloquence pour graver
,

dans le cœur de tous mes concitoyens, en ca*


ra&eres ineffaçables, la beauté, Futilité de cet
ordre fi Sage , établi par nos peres qui garantit
,

a jamais la nation de toute furprife, qui donne


aux décrets des états, la majefté de la volonté
Souveraine du peuple ;
qui fait enfin qu’en
écoutant chacun de Ses membres on doit fe
,

dire ce n’eff point tel ou tel homme


:
,
qui
parle, c’eft le peuple qui s’exprime par fon
organe ,
qui éteint jufques au defir de corrom*
pre, en montrant l’inutilité de la corruption |

Que ne puis- je faire Sentir à tous, comme je


le Sens moi-même, l’excellence de ce prin-
çipe, digne de l’éternelle fageffe, qui confer.
vera la patrie dans tous les îems , & qu’au
péril de notre exiffence, le falloit, nous s’il

devons défendre jufques au tombeau Il


ya !

peu de jours que je prévoyois combien d’ef-


forts on feroit pour nous en éloigner, je n ai
plus cette crainte ; mais alors même j’efpérois
que, maigre tous Les efforts, nous nous y atta*
( 130 )

confiance qui unit le matelot


cherions avec la

éperdu ,
à la planche falutaire qui le foutient

fur les abîmes.


On auroit voulu nous en eloignef , « • . • mais

permis pour le fôutenir il s’agit de


tout eft ;

nos biens de nos vies ,


de nos libertés ; il
,

ce
faudroit mourir plutôt que d’abandonner
principe ,
car il eft impoflible de vivre libre

fans le conferver. Ah î fi jamais il etoit attaque

que tous, nobles, clergé, peuple,


c’eft alors

tous doivent fe réunir , protefter , réclamer


nos

droits & ne jamais fe féparer que ce falutaire


,

principe n’ait triomphé des traîtres qui vou-


droient le détruire.

En ce même fie de où s’établifloient les for-

mes despotiques des lits de juftice , ce principe

confervateur recevoit la fanftion des états


généraux. 11 eft donc une providence fâchons !

nous prévaloir de fes bienfaits.

Les états généraux de 1412 n’ont laifTe que

de légères traces de leur exiftence.


Le ciel mit un terme aux maux de Charles
VI. Il defcendit au tombeau , plaint
de tous

fes fujets : il avoit été trop malheureux pour

pouvoir être haï ;


& le peuple ,
quoique

miférable , fait toujours être jufte envers

rois.
( T 3i )
îî cft une vérité dans l’ordre politique £
'dont les plus terribles
conféquenccs ont tou-
jours démontré l’importance,
& que les peu-
ples ont toujours été enclins
à oublier.
La défiance des changemens
dans l’ordre
établi , & la rigueur à repouffer les innova-
tions propofées par celui
qui defire le pou-
voir abfolu , telles doivent être les fauves-
gardes de la liberté
publique ; elle s’eft tou-
jours perdue parce que la
confiance, l’eljiece
d’idolâtrie du peuple pour les rois dont il croit
etre aimé , l’ont toujours entraîné
bien au-delà
des bornes de la prudence.
Ces défauts tiennent à de grandes
vertus
Le peuple le plus libre le
, plus fier , e ft
aifément féduit par
dis que fouyent fes
la bienveillance ; & tan-
oppreffeurs font guidés
par une politique froide,
impitoyable, il fi»
laiffeegarer par les charmes
décevans des
lentimens d’attachement qu’on
lui témoigne.
Telles furent les erreurs qui
abuferent nos
aïeux fous Charles Vil relies
furent d’autant
plus îrréhltibles que
ce roi avoit
réellement
e grandes qualités;
cependant leurs fuites
furent horribles,
â ce fiecîe que
c’eft
nous
devons reprocher d’avoir
forgé les premiers
anneaux ae la longue
&
lourde chaîne oui
M
nous accable.
j ^
( H1 )

De longues guerres avoientnécefiité la levée


d’une milice nombreufe ;
cette milice etoit in-

& peut-être parce qu on


diiciplinée par goût,

deliroit qu’elle le fut ,


afin que ces exces laf*

Quand effeêlivement il en
: fa lient les peuples.

fut excédé ,
on lui propofa d établir des com-
foumifes à une difcipline févere ,
pagnies ,
6c dont
toujours prêtes à repoufier l’ennemi,
la permanencelaifieroit au citoyen la linre 6c

perpétuelle jouiffance de fes foyers.


Il falloit une paye affurée
à des troupes
la con-
toujours exifianîes ,*les états de 1439
fentirent ( 1 ).

C’efi: de cet établifiement que fortirent bien-


tyrannie.
tôt tous les foutiens de la

chronique de St.
(1 )
Jean Chartier, auteur de la

Denys eft je crois le feul qui nous laide quelques


,

détails fur ces états.


peut-être d’après lui qu’ils
Boulainvilliers croit , ,

l’impôt iséceffaire au paiement des


confentirent à
troupes.
Le judicieux le favant Coquille adure que Louis
,

taille fans le con-


fut le premier qui augmenta
la
XI
sentement des états.

Ces autorités m’ont entraîné à me ranger à cette


opinion : il me femble que le crime national d’avoir
nation fans fon aveu convient à Louis XI :
impofé la ,

on peut le lui imputer il n’en eft aucun qu’il n’ait


,

«ommiiu
( *33 )
Les hifloriens ,
en déplorant cette fatale

erreur, chargent la mémoire de Charles VII


du crime d’avoir aggravé à jamais le fort des
peuples.

« Il chargea fon ame , & celle de fes fuc- Comm. hv


6 cha P* 7-
» cefleurs ,
dit un auteur contemporain, Si »

» mit une terrible plaie fur ce royaume qui


» lcng-tems faignera ! auffi ne faut fesbahir
» s’il penfoit n’être point bien voulu , Sc s’il

» avoir grand peur en cette cliofe ».

Sans doute Famé tendre & doûce de


Charles Vil ,
prévit avant fa mort quel hor-
rible ufage le pouvoir abfolu devoit faire un
jour de cette milice, étrangère aux citoyens,
qui ,
foudoyée par des impôts , feroit toujours

difpofée à foutenir le pouvoir qui voudroit


les augmenter.

En ce fiecle même il n’eft aucune forte


d’opprefhon qui n’ait fa bafe dans cet établif-
fement déplorable, qui produifit pour nous
tous les maux à la fois.

Mais aulîi il falloit, n’en doutons pas, qu’à


cette époque les François euflent perdu tout
fentiment généreux ,
il falloit que l’amour de
la liberté fût éteint dans toutes les âmes, &c
que les malheurs des guerres les plus déiaf-

I
3
>
( 34 )
treufes, eufïent flétri tous les courages & éteint
toute prévoyance.
Quoi nos peres ne
! fentirent pas que des bras
qui renoncent à défendre eux-mêmes la répu-
blique ,
font faits pour porter des chaînes ;
que
ces chaînes forgées par le defpotifme, font tou-
jours rivées par les foldats qui, étrangers au
peuple dont ils boivent le fang, femblables à
ces animaux farouches & féroces, ne connoif-
fent que la maimqui les nourrit, & à fan gefle,
dévorent , attaquent, déchirent leurs vi&imes.
Charles VII fut le plus malheureux des hom-
mes ; il mefura fes jours par les tourmens.
Dans fon enfance ,
il ne trouva que des en-
nemis cruels dans les auteurs de fa vie ;
fur

fon déclin il reconnut un afîaflin dans fon fils ;

il nourriffoxt des regrets & des remords dans


fon ame. Il n abufa cependant jamais du pou-
voir abfolu dont il jetoit les fondemens ; mais
le ciel dans fa juflice , ne voulut pas îaifTer

un tel crime impuni, il ne voulut pas embellir


Fexifience de celui dont les projets dévoient
un jour faire répandre tant de pleurs.
Charles VII fut regretté : le peuple verfa
pour lui des larmes finceres ,
tant il efi vrai
que la clémence eû la vertu de ce peup’e
t^nt calomnié ?
tant perféçuté ; & aujouid'd
( jjî )

même que tous nos fléaux datent de ce régné ;

ils nont pu flétrir la mémoire de ce prince ,

premier fauteur du, defpoîifme mais qui n’en


abufa jamais.
Ses torts envers îa nation furent réels ,
mais
ce furent ceux des Trajans & des Titus : ils

laifferent à leurs fucceflfeurs ,


un pouvoir
qu’ils n’avoient pas borné , & fe crurent quit-
tes envers la poflérité par l’ufage qu’ils en
avoient fait. Ils fe font trompés ,
le defpo-
tifme elifemblable à ces poifons aéfifs & ter-

ribles ,
qui amènent auflbtot la mort fur leurs

viÛimes ;
en d’habiles mains, ils perdent de
leur funefte véhémence ,
ils ne donnent qu’une
mort lente, & douce, mais ils ne changent
pas de principe , tk leurs élémens recèlent
toujours» la douleur & îe trépas.

Combien nos,ancêtres éprouvèrent cette vé-


rité cruelle ,
quand à îa mort de Charles VII *

l’effroyable Louis XI ,
les mains teintes de
fang , s’empara du fceptre que bientôt i£

changea en poignard !

Un Taoite a manqué à ce nouveau Néron ;


le ciel dans fa. colere. voulut que Néron reffuf-
citât pour nous; mais Tacite, îè génie de:
Tac ne n’exifla que pour les romains.
Ainfl qu’il eli dans la nature d effroyables-
(
J 3<S )

impaires ,
011 la corruption de tous lés été*»

mens n’enfante que des poifons, de même le

cœur de Louis XI engendroit & ne nourrif*


foit que des vices*
Non il n’efl point étranger à notre objet

de nous arrêter fur le régné de cet homme


affreux il fembîe que tous les forfaits furent
:

couronnés en fa perfonne i
&C fi fon régné
épouvantable ne s’eft plus renouvelle , fes

maximes vivent encore ; c’eft fon cœur qui


n’a plus reparu*
C’eft de fon régné que font nés ces prim
cipes tyranniques d’une puiftance paftive; c’eft
de fon régné qu’eft née cette foif du pouvoir
qui ne demande que des efclaves; c’eft à cette

époque que s’efl établie cette différence entre

l’intérêt du roi & l’intérêt des peuples, qui


rendit ft long-tems , l’un opprefleur, & l’autre
idélime ; alors aulîi naquit cette perpétuelle

défiance de la part d’un peuple toujours


trahi envers ce qui émane du trône , défiance

que les régnés de Louis XII & de Henri IV


fembîoient avoir éteinte ,
mais qui n’a jamais
été que calmée, Sz que l’on a vu reparoïtre

€n plufieurs occurrences.
îl fimble que tant de maux n’ont pu être
C *37 )
produits par un régné de quelques années; mais
qu’on réfléchiffeque ce régné étoit enfin l’époque
où l’imprévoyance politique de Louis le Gros
étoit couronnée d’un plein fuccès. Sous la

fécondé race on avoit rendu les feigneurs


puifîans pour afiervir les peuples , fous la troi-
fieme on délivra les peuples pour établir le pou-
voir abiolu.
Pour développer le defpotifme avec toute
fon énergie, il falloit réunir au cara&ere d’un
tyran , le cœur d’un fcélérat ,
& le ciel anima
Louis Xî ,
pour réunir tous les vices en un feul

individu.
Déjà fur les débris de nos libertés, s’élevoit
la Baftilîe. Louis Xï en fit l’afyîe de fes viérimes*
En fixant ce fombre vafte cachot du defpo-
tifme, chaque françoispeut fe dire quand nos
peres furent afiervis , voilà la prifon qu’éleva
leur tyran.

Ce murs que les enfans du duc


fut fous ces
de Nemours, après avoir vu couler fur leur tête
le fang de leurpere, attendirent leur fuppiice
dans des cachots dont la demeure étoit un
tourment.
G’etoit de ces cachots que conduits devant
Lhuillier, gouverneur de la Bafiille, on leur
C «38 )
faifoit fubir périodiquement un châtiment hon-
teux. (1)
Louis XI enfermoit à la Baftille ceux qu’il

vouloit égorger un jour avec le glaive desloix;


car, par un crime inexpiable, ce monfrre avoit
armé la juftice d’un poignard.
Mais au Pleffis- les- tours ou il avoit établi fa
demeure ,
il enchaînoit ceux qu’il réfervoit à des
tourmens plus obfcurs : c’efblà que fon bourreau
étoit fon meilleur ami , celui qu’il nommoit fon
compere ; il étoit à la fois le juge des prifonniers*
& leur exécuteur.
Les cachots étoient fous fa chambre : ainfi cet

abominable mortel, dans les jours de fa vieil-

leffe , ou la terreur des vengeances de Dieu


avoit amolli fon ame de bronze , voyoit fous fes
pieds le défefpoir & les douleurs, autour de lui
latrahifon, la terreur, la haine, fur fa tête

l’implacable coîere du ciel.


C’efl au milieu de ces divers fapplices, qu’il

termina fon exécrable vie.


Ses forfaits font devenus le domaine de l’hif-

toire , mais fes frayeurs ,


mais fes angoiffes ,,

(1) On leur arrachoit tous les mois une dent devant


le gouverneur de la prifon, après les avoir fouettés *

fans doute pour obéir aux lettres de cachet de Louis XL.


( *39 )
mais fes malheitrs font notre bien , notre confo-
lation : li ce tyran n’eût été malheureux, il feroit

excufable d’être athée; mais le juûe ciel accu-


mula dans fon ame plus de fupplices qu’il n’eut
jamais de bourreaux.
Ce qui imprima fur les hommes de ce fiecle
une flétriffure inéfaçable, c’efl que ce monilre
trouva des françois qui fe tinrent honorés de de-
venir les miniûres de fes cruautés. Lhuillier fut
gouverneur de la Baflille.

Quel efl donc î’afcendant du defpolifme,


fi fous un pareil prince * il s’efl trouvéun homme
qui ait accepté la place de gouverneur de la
Baûilie ? Une place dont îa juûice n’eût pu con-
traindre le bourreau à fe fouiller, devint le par-
tage d’un citoyen: oui, je le répété, le bourreau
eût pu 5 & il eût dû la refufer ,
car il n’efl que le

bras néceÛaire des loix ; il ne frappe que lcrf<

qu’elles l’ordonnent, jamais la jufrice n’eût pu


avilir & déshonorer le bourreau plus qu’il ne
l’eû, en le forçant de devenir l’inÛrument des
volontés de Louis XL
Ce roi affembla les états généraux en 1468,
ils foutinrent les vrais principes en s’oppofant
au démembrement de îa monarchie , mais ce
fut -là tout le bien qu’ils opérèrent, ils étoient
( «40 )
un objet d’effroi pour le tyran qui fe hâta de les
diffoudre. (i)

Sous ce régné pervers , les impôts furent arbi-


trairement établis, les citoyens enfermés, égor-
gés, toutes tçs propriétés violées; mais le ciel
qui fe plaît à forcer quelquefois le vice à rendre
hommage à la jufiice , & qui fait même de cet
hommage arraché par la nécefïité ,
un de fes

tourmens, voulut que ce fléau des françois re*


connût & établît l’inamovibilité des magiffrats
& cet édit (2) réclamé &: fan&ionné par les
états généraux de Tours ,
eft devenu un des
remparts de la juflice & de la liberté.
Tout fut bifarre en Louis XL Cet homme
affreux, qui fur la fin de fa vie, fe nourriffoit

de fang humain , (3) &


qui n’avoit pas prévu

que le fang de l’innocence devoit être le poifon


du crime, fut une fois accefïible aux prières,

Du Tiîlet nous a confervé un détail fort exaéi du


(1)
cérémonial de cette affemblée.

(2) Édit du 21 O&obre 1467.


général de l’ordre des trinî-
(3) Robert Gaguin,
talres ,
qui parle de ce roi , &. qui vivoit fous fon fuc-
ceffeur, dit, chap. 33 : « humano fanguine quem ex
» aliquot infantibus fumptum haufit falutetn comparare

n yehementer optabat. »
/

r *4* )

& fon ame cadavéreufe fut touchée à îa voix


fuppliante ,
mais fiere de îa juftice. Il avoit pro-
mulgué d’injuftes édits, ils furent rejetés par le

parlement ; il menaça les juges de la mort ,


s’ils

n’obéifïoient ; ils eurent la gloire de préférer îa


mort, & vinrent la demander au tyran : leur in-
trépidité l’étonna ,
il retira fes édits....... A fa

mort, qui n’eût cru nos libertés anéanties?


Les états furent aufîi-tôt affemblés.

Il efl des âmes qui fe roidiffent contre les re-


vers, & qui pour ainli dire fe trempent dans
l’adverfité : il Te trouva quelques âmes de cette
force, en 1483 ,
fous fon fucceffeur. Au/îi les
états de Tours font-ils les plus mémorables de
notre hidoire.

L’excellente conftitution que nous tenons


de nos peres, triompha du régné de Louis XI,
& nous rendit tous nos droits fous fon fuc-
ceffeur.
j

Il s’agifloit ,
en 1484^6 conférer îa régence^
de confolider les impôts illégalement établis par
le tyran Louis XI ,
d’en ajouter de nouveaux
encore, pour fubvenir aux dépenfes publiques.
Ce fut pour ftatuer fur tous ces objets effentiels,
que la nation fut convoquée.

Sous la verge du defpote avoient ,


ainfi que
Ç I4i )
vécu de mâles courages \ qui n’attend
je lVi dît,

doient que le bienfait de fa mort pour reparoître


avec énergie.
Quand la tombe eut reçu ce roi d’exécrable

mémoire , les états furent affemblés ,


& fîdeles

aux principes delà conftitution, ilsfe reffaifirent


auffi-tôt de tous les pouvoirs. Le verbal de ces

états fi intéreffans, a été rédigé par un homme


qui eut l’honneur d’y défendre avec le courage

de la liberté, les droits de fa patrie.

L’illuiïre Mcffelin nous a laiffé l’hiftoire de


ces états ,
c’étoient des trophées qu’il élevoit à

fa gloire.

Nous voyons dans ce verbal fi précieux, que


la nation demande à fon roi, avec inftance, de
fe faire facrer au plutôt; c’efl qu’alors le facre

n’étoiî pas regardé comme une vaine cérémonie,

comme une pantomime inutile. Ce n’efl qu’en

i «joo, que s’établit la maxime que ,


le facre des

rois étoit inutile pour afïiirer leur puiffance.

L’arrêt du parlement de 14989 qui auîorife


Louis XII à intituler les a fies de fon nom de
roi quoique {ignés avant fon iacre , nous prouve
,

que le facre des rois étoit réellement une céré-


monie nationale. En effet, elle ne feroit qu’un
aéle de piété ,
fi l’on&ion facrée en faifoit
(Mî)
'Peffence
; maïs ferment prêté par le roj
c’eft le

de refpe&er nos loix &; nos privilèges qui fait


,

du couronnement une cérémonie nationale;


c’efl l’aveu du peuple, requis expreflement avant
de pofer la couronne fur la tête du roi, qui en
ce jour ,
pour la première & derniere fois, lui
rappelle fon devoir êc nos droits.

Les états généraux de 1484, envifagerent


le facre des rois fous cet afpeft quand
,
ils ordon-
nerent que le roi fût inceflamment facré.
Ils diviferent leurs cahiers en cahier de judice
finance, commerce, légiflation : leur pouvoir
& leur prévoyance s’étendirent à tout.
Ilsordonnèrent le rétabliffement de la prag-
matique, ouvrage de Charles VII, détruite
par Louis XI , qui fans doute auroit été fâché
qu’il lui refiât ce feul crime à commettre envers
la nation.

Nous pouvons juger de l’utilité de cette loi


par les regrets & les confiantes réclamations des
états généraux & de nos parleinens; mais fur-
tout par les mauvais choix que fouvent ont
fait
les miniflres des rois.

En voyant ceux qui les condamnent, je ne


me diilimule pas ceux qui les juflifîent.

Mais pour un archevêque d’Arles, un évêque


( M4 )

un evêque de l’Efcar, quelle foule


«le Blois,
«l’indignes fujetsont déshonoré l’églife & juftifié
des états pour le rétablit
les vives réclamations

fement de la pragmatique !

des gens de guerre ,


devenu la
Déjà l’état
néceffita l’ammad-
profeflion des ftipendiaires ,

n’exiftoient que
verfion des états généraux. Ils

depuis Charles VII, & les états de Tours

difeient : « Et fait à noter & à piteufement

» confidérer la rigueur & iniquité en quoi eft

peuple car les gens de guerre font


» traité le :

de l’oppreffion
» foudoyés pour le défendre
il faut que
» &
ce font eux qui l’oppriment ;
foudoyent ceux
„ les laboureurs payent Si
frappent Si qui lui ôtent fa fubfiftance
» qui le
baillés aux gens
» 8i cependant les gages font
Si garder les
» de guerre pour le préferver
loix-»P
C’elt en ces termes que les états de 1484, fe

ils fe plai->
plaignoient des violences militaires ;

pas vu le
gnoient Si cependant ils n’avoient
!

temple des loix.... Mais il eft des fouvenirs qu’il


flétriroient l’efpoir qui cherche
faut étouffer , ils

renaître, Si que l’éloignement de nos


ennemis
jt

& le caradere du prince doivent fans ceffe


fortifier,
fur l’ordre
£,es décrets des états ffatuerent
judiciaire *
t*4ïJ
Judiciaire ; ils entrèrent à cet égafd dans tOtiS
les details , & crurent couronner leur ouvragé
en établiflant une fondamentale que de
loi
facrileges mains dévoient un jour eflayer de
renverfen
« femble aux états, dirent-ils, raifon-
II

» nable chofe , qu’en fuivant les ordon-


» nances (i) fur ce faites qu’un magiftrat
, en
» exerçant fon office foit aflïiré de fon
état
» &de fa vje être continué , & en icelui ;
» & s’il ne fait faute , il ne doit être débouté
» &c défappointé fans fur ce être ouï
, en juf-
» tice ; car , autrementfi hardi à il ne feroit
,

» garder &
défendre les droits du roi. »
Après avoir fait de l’inamovibilité des
ma-'
giftrats une loi fondamentale ,
& avoir donné
ainfi à ce corps la derniere fanâion
qui en
faifoit un corps national , ils requirent ex~
prefifement la publication des ordonnances
ôc
« la vérification libre des
parlemens en chaque
» contrée, fuivant les us & coutumes des
» pays ».

(i) Avant 1 édit de 1467 plufieurs autres avoient or-


donne 1 inamovibilité des charges de
rnagiftrature.
Voyez Fôntanon , tome 1
1 , page 555 il rapporte :

deux ordonnances femblables,


l’une de Philippe de
Valois, en 134? l’autre
, de Charles VII, en 1433,

K
( MS )
ils firentdes régie mens pour le commerce,

& enfin ils terminèrent leurs travaux en ac-

cordant un fubfide ; mais avec cette claufe re-


marquable :

« Lefdits états n’entendent que dorénavant


deniers fans
» on mette fus aucune fournie de
» les appeller , que ce foit à &
leur vouloir &
„ confentement , en gardant les
privilèges &
» libertés de ce royaume , que les nou- &
» velletés, griefs, &
mauvaifes introduftions
foient réparées ».
» qui ont été faites ,

Quelle gloire pour le nom françois ,


que de
Louis Xi ,
retrouver , après la tyrannie de
autant de vertus &
de courage dans les re-

préfentans de la nation Qui ne doit croire !

que fon génie eft immor-


après ce cruel eflai ,

defpotifme a pu
tel , & que frappé par le ,
il

fe courber, mais non s’anéantir?


On vit à cette mémorable affemblee des par-
fesimprefcriptibles
ticuliers rappeller à la nation

droits recourant à elle comme à la fource


,
en
de toute juftice & de toute autorité.
frappes long tems
On y vit des particuliers,
la jufttce de la
par le tyran Louis Xî, réclamer
les infortunés d Ai-
nation. Le comte de Crqui,
magnac & Nemours ,
le duc de Lorraine de-
mandèrent juftice , & l’obtinrent.
C H7 ) <

Les- états de 1484 exercèrent donc


tous les
droits de la nation
: &
auraient- ils pu les mé-
connaître, quand, au milieu
de cette auguite
affembiee, s’élevoit la
voix de ce généreux ci-
toyen qui aifoit aux
fauteurs du defpctifme
:

Loifque les hommes


commencèrent à tM'pepot»
» former des
tbiociwies, ils durent
*1 A
député de >

pour maître états de Bouc


» ceux de leurs
égaux, qu’ils regardèrent*®”*
» comme les plus éclairés & les plus inte-
« gtes, en un mot ceux
qui, par leurs qua-
» rtes perfonnelles,
pou voient procurer de
plus
» grands avantages à la fociété
nattante. Ceux
» qui, apres leur éleâion,
ne fongerent qu’à
» s enrichir aux
dépens de leurs fujets,
ne
nient point
regardés comme de
véritables
Fadeurs, mais comme
*'
des loups ràviffans
* &
CeUX <pI1 ’ fans attendre ;

l’éleflion, s’em-
» Parèrent de l’autorité
fuprême, ne furent
» point réputés des rais,
mais des tyrans. Il
porte trêmsmer,t au peup,e
i cTi
celui qui le r gouverne, (

puifque du caraâere
î
uei

^ 16
" feul h ™ me dd P^d le bonheur ou
ma!heUr de t0l5te
Société. Appliquons
« maintenant ces
principes généraux
S’il s’é-
Ve ue 'q ue
” conteftation par rapport
/ ^ à la

appartient-il de la décider , linon à ce même


K z
( M8)
9> peuple qui a d abord élu fes rois, qui leur
» a conféré toute l’autorité dont ils fe trou-

« vent revêtus , &: en qui réfide foncière-


» ment la fouveraine puifîance? Car un état,
» ou un gouvernement quelconque , eft la
n chofe publique , la chofe publique eft &
» la chofe du peuple :
quand je dis le peuple,

» j’entends parler de la colîe&ion ou de la

» totalité des citoyens ; & dans cette totalité

» font compris les princes du fang eux-


» mêmes ,
comme chefs de l’ordre de la no«

» blefTe. Vous donc qui êtes les repréfentans

» du peuple, & obligés par ferment de dé-

» fendre fes droits ,


pourriez - vous encore
» douter que ce ne foit à vous de régler
» l’adminiftration & la forme du confeil?- • <

» Lorfqu’après la mort de Phihppe-le-Bel, il

» s’éleva une difpute entre Philippe de Valois


» & Edouard, roi d’Angleterre, par rapport

» à la fucceflion à la couronne , les deux corn


» tendans fe fournirent ,
comme 'ils le de-
» voient ,
à la décifion des états généraux ,

» qui prononcèrent en faveur de Philippe.


» Or, fi dans cette occafion les états ont pu
» légitimement difpofer de la couronne, corn-
>> ment leur contefteroit-on le droit de pour-

» \oir à l’adminiftfation & à la régence?*"’


( r
49 )
y> Et vous ,
qui confervez encore des coeurs
» françois, ne fouffrez pas qu : a nation vous
w accufe d’avoir trahi fa confiance, & qu’un
» jour la poftérité vous reproche de ne lui
» avoir pas tranfmis le dépôt de la liberté pu-

» blique, tel que vous l’aviez reçu de vos


» peres. Sauvez vos noms de cet opprobre»...»
MafTelin qui nous a confervé dans le pro-
,

cès-verbal de cette affemblée, ce difcours qu’on


croiroit di&é par le génie de Démofthenes
ajouta lui-même à la gloire de cette affemblée,
en apprenant au roi que les états lui avoient
accordé un fubfide ; il lui difoit :

« Continuez ,
prince augufte , à marcher
de

» dans la voie du confeil ; mais défiez-vous Hilloice<1<f

t 9 r .
France,
» dune eîpece meurtnere de confeillers qui
» afiiégent l’oreille des princes, & qui creu-
» fent un précipice fous leurs pas. Ils vous
» diront qu’un Roi peut tout qu’il ne fe ,

» trompe jamais que fa volonté eff la réglé


,

» fuprême de la jufiice ; monftres dévoués


» à l’exécration publique , ce font eux qui
» & mettent les offices de la
» judicature à l’encan , & qui font un odieux
» trafic de l’auguffe emploi de rendre la juf-
» tice. Exterminez promptement ces hommes
n contagieux , fans quoi ils gâteront non-feu-
K 3
( 1 5o )
» le ment votre cœur ; mais ils inféreront votre
» cour & le corps entier de la nation ».
Si cet orateur refTufcitoit aujourd’hui for-
,

meroiî-il d’autres vœux ?


L’etude de l’hiftoire & l’adverfité dévoient
former pour notre patrie le meilleur roi qui ait
jamais régné fur la France.
Le cœur de Louis Xll s’éprit à la leélure ,

de la vie du divin Trajan, de l’amour de ces

grandes & douces vertus qui , nourries dans


le cœur des rois, ramènent fur la terre ces

jours de félicité & de paix ;


que fans eux on
croirait n’avoir jamais exiflé que dans les cœurs
trop fenfibles qui nous en tracèrent des pein-
tures fi décevantes.
Quel roi que Louis XI ï ! Trois fiecîes

écoulés n’ont pu tarir les pleurs que fa mé-


moire honorée fait répandre. Dans les jours

fanglans devinés au defpotifme ,


le citoyen

défolé ,
charme fes douleurs en lifant la vie

de cet homme jufle & bon. La félicité dont


jouirent fes peres lui fait oublier fa mifere j

& telle eA l’influence d’urt bon roi qui aima


véritablement fon peuple. Qu’il régné encore
fur les générations qui lui fuccedenî. Par trait
de tems ,
il devient le roi de tous les pays

& de tous les fiecles. L’amour fç change en


1 1
( 5 )
culte. En adorant fes vertus, on oublie les
vices de fes fucceffeurs ; & ces courts inflans
d’une îllufion célefle répandent fur la vie des
charmes qu’il n’appartient pas à tous les cœurs
de connoûre , mais qui font goûter à ceux qui
favent fe nourrir de ces douces pce fée s , le

bonheur le plus pur ,


parce qu’il ne dépend
pas des tyrans de, nous le ravir.
Celui-là voulut le bonheur du peuple , celui-

là le chérit jufqu’à fon dernier fcupir, celui-


là n’éprouva jamais de plus confiante paillon
que celle qui efl l’attribut de la Divinité même,
celle de répandre le contentement , & la féli-

cité dans tous les cœurs.


Quel moment aufïi que celui dont le ciel

voulut embellir la vie de ce bon roi , lorfqtui


parut au milieu de? états généraux convoqués
par fon ordre en 1^06 !

Ceux-là ne nous fournifTent aucune preuve


de l’exercice du pouvoir légiflatif de la nation.
Eh ,
grands dieux !
qui eût ofé impofer à ce
noble cœur d’autres loix que fes penchans.
Nos fortunés aïeux ,
réunis autour du trône
de leur roi ,
ne furent que le bénir & l’ado-
rer; le lieu qui les réunifïbit devint un tem-
ple au moment que le Dieu des français y
parut..

K 4
( »
5
4 )
C’efi alors que l’orateur des états, profterné
devant fon trône , lui dit : « Sire ,
les états gé-

» néraux qui, jufqu’à ce moment, n’ont pré .

» fenté à vos prédéceffeurs que des griefs à


» redreffer , & les jufics plaintes du peuple ,

» m’ordonnent de dire à Votre Majefié qu'ils


*> n’ont à lui offrir que des adions de grâce.
» Le bonheur de tous efi devenu l’ouvrage
» d’un feul ; c’efi à vous ,
Sire ,
que tous vos
» fujets doivent celui dont ils jouiffent ; cha^
» cune de vos adions fut pour eux un bienfait.
» Profiernés aux pieds de l’Etre fuprême, ils

s> n’ont qu’un feul vœu à former ,


en lui de-
mandant la confervation de vos jours : telle efi

» la faveur qu’ils vont implorer dans les temples


b du Seigneur ,
qui ne fervent plus déformais
» d’afyle à l’infortune, parce que fous votre
» empire il n’efi plus d’infortunés.

» Le vœu unanime des états généraux , or-


ganes immédiats de la volonté du peuple,
» vous offre un titre quL, depuis Iong-tems ,

b vous efi donné fous le toit même de i’indi-

» gence foyez le pere de ce peuple dont vous


:

b êtes le roi , de ce peuple que vous rendez


b fi heureux; les états généraux vous défèrent
b par ma voix le titre de pere du peuple ; il

leur refie un vœu à former ?


ç’eft de voir-
( M3 )

» naître de vous un fils qui vous refFembîe ;

» & fi -ce bonheur doit leur être refiifé, ils

» demandent que la fille unique de leur roi, foit

fuceedei, »
» accordée au prince qui doit lui

Les pleurs interrompirent plus d’une fois


les
l’orateur ; les cris de joie de l’afiembîée ,
îranfports Fempêchoient de pourfuivre ;
le bon
jouiiToit
roi attendri ne pouvoir répondre ,
il

du bonheur le plus pur qui e xi fia jamais lur

la terre.

11 fentoit bien que la flatterie n avoir pas

diclé de pareils difcours ; il fentoit qu il lui

étoit dû qu’il l’a voit mérité ,


ce titre aimable,
,

dont les états i’honoroient.


Son chancelier l’accepta pour lui ,
remercia

îepeuple * & les états fe féparerent.

Voilà l’unique fois que nos états ont eu à


récompenser par un titre plus beau fans doute
,

que celui de roi ,


les vertus du prince ,
Henri

IV ne les ayant pas convoqués.


Cet excellent prince mourut ; le bonheur
fans terme efi le partage d’une autre patrie;
celui des François finit avec Louis XII.
Jamais prince ne fit répandre à fa mort des
larmes fi finceres. Tous fes fujets perdoientun
pere un ami : quand en lifant cette précieufe
,

fiiftpire ^ ça arrive à l’iqftant ou Louis ççfîe 4?


( *Ï4 )
vivre, quels déchire mens on éprouve en voyant
les témoignages fi touchans d'une douleur
que
le tems ne put adoucir Ceux qui
apprenoient !

fa mort au peuple , s’ecnoient en parcourant


les rues de Paris bon
: le roi Louis ,
le pere du
peuple ejl mort ; & cette ville iinmenfe ,
ani-
mée d’un même fenriment , frappée d’une meme
douleur, ne repo^doit à ces lugubres accens ,
que par des cris de dé/efjpoir.
Il fut impofïible de prononcer fon oraifon
funebre ; les fangiots éto uffoient
l’orateur ;

le peuple, convaincu de l’excellence


de celui
qu’il pleuroit par la véhémence même de fes
regrets , ne pouvait encore fouffrir de l’enten-
dre nommer.
Danthon . Ses hifioriens fans art fans talent
Saint Gelais,
,
, fans fen-
Seifleî , édi=

fibiiiîé , n’ont pu cependant écrire une fi belle
tionde Gode-
froi, 1622. vie , fans éprouver l’influence de fon ame : elle
échauffe la leur ils s’animent malgré eux
:
: on
fent que leurs pleurs ont baigné les
pages de
leur hifloire le tems n’a pu
:
les fécher ; &c
chaque français en lifant la vie de ce grand
, y
roi ,
le cœur ému ,
preffe le livre contre fon
fein , & croit y recevoir fon dernier foupir.
Ses cendres repofent fans la vaine décora-
tion d’un maufolée mais il efl dans
; l’hifloire
§£ dans le cœur des françois : dans les tems
( ') ’>
)
d’opprefîion de defpotifme ,
de calamité pu-
,

blique ,
quelques citoyens vont arrofer de leurs
la pierre qui le couvre; voilà
fon mau-
pleurs
tombe des defpotes qu’il
fblée ! C’efl fur la

élever des farcopbages c eft la que le


faut
faut faire pleurer des mar-
cifeau à la main ,
il

bres, afin que la flatterie & le menfonge pref-

fent encore fur leurs cendres.

Je feos cjiie je me fuis bien et en du fur ce

régné fortuné ,
mais je n’ai pu m’arreter : il eft

unique dans notre hiftoire ,


& déformais nous

n’aurons que des regrets a lui donner. Si mon


plan n’avoit uniquement pour objet que la fuite
des états généraux , je devrois nfoccuper main-
tenant des états d’Orléans en 1560. En effet

François I, ne convoqua à Cognac qu’une affem-


blée de notables , & les états généraux de Henri
II fe font prévalus de tous les pouvoirs de la

nation ,
mais ils n’ont rien ftatué de nouveau»

Un motif plus étendu m’anime ,


les états gé-

néraux furent les confervateurs de la répu-

blique mais il eft effentiel de prouver que,


,

pendant les longs intervalles qui maiheureufe-

inent ont féparé ces aftemblées ,


fous le defpo-

tifme • du pouvoir arbitraire ,


fe font établies

ces maximes funeftes qui, par trait de tems g

femblent être devenues des loix.


( 15 6 )
On fent le cœur s’indigner en les écoutant,’
mais leur antiquité femble
les confacrer : on
craint quelquefois que nos
aïeux n’aient eu la
lâcheré de les établir, il
faut les juftifier.
C’eft dans le feizieme fiecle
fe font pro- que
pagées des maximes fans fondement
, qui &
nous, couvriraient de fers &
de honte , fi &
jamais elles avoient été des
principes natio-
naux.
En
ce fiecle vivoit un jurifconfulte
nommé
Loyfel : qui croiroit que c ’eû
lui , lui feul
qui a établi cette opinion
inconfidérée autant
que tyrannique que :
, fi veut U roi , fi veut h
Nul ne l’avoit penfé s
nul n avoit eu l’au-
,

dace de l’écrire avant lui mais


; le defpotifme
habile a anéantir les droits des peuples
, ne
1 efi: pas moins à tirer de la poufiiere des prin-
cipes pervers quand ils fervent à le foutenir.
,

.<
4tes, M. le préfident Menant, placé à la cour du feu
J?*!?
paît, in-
roi ,
protégé par cour , a induit la nation
la

en erreur , en oppofant ce fennmsnt particulier


d’un homme fans million , à nos droits natio-
naux. S’il commit ce crime par ignorance, il

eft à plaindre ; fi c’eft avec connoiffance de


caufe ,
il méritoit la mort.
Mais pour détruire ces bizarres appuis du
{ *57 )
defpotifme , il faut en découvrir les fonde-
mens , & en montrer les conséquences.
Ce principe mis en évidence par le feul

Loyfel ,
fort du cloaque affreux de la plus baffe

flatterie & du plus effroyable defpotifme.


Les inflituts de Juflinien, trouvés dans le

onzième fiecle ,
exercèrent bientôt la fagacité

des jurifconfultes. Loyfel les commenta ,


mais
chacun les commenta avec fon ame, & Loyfel
avoit Lame d’un efclave. Il trouva dans le onziè-
me titre du livre premier des inflituts ,
que la

volonté du prince conflituoit la loi : cette dé-

cifion incroyable par fon abfurdité , émanoit


du flatteur Ulpien qui , commenfal & ami de
l’empereur Alexandre Sévere , avoit dit: (i)
« Ce qui plaît au prince, a la force d’une loi.

îl ajoutoit :

« Puifque par la loi royale ,


le peuple la
» revêtu du pouvoir fuprême. »
Mais il faut obferver que cette loi royale n’a
jamais exiflé ; on donnoit ce nom à l’outrage
fait aux loix par le fénat le plus vil ,
car on
appeiloit loi royale ,
le décret du fénat qui dif-
penfoit le prince d’obéir aux loix. (2)

'
0) Digeft. liv. 1 , tit. iv, de conftitutionibus prin-*

dpum.
(2} Il faut abfolunaent. fi l’on yeut être bien inflruiî
(i 5 8)
C eft donc de cette f'ource empoîfonnée
qu’eft fortie la maxime de Loyfel
,/ veut U
roi, fl veut La loi; il a la baffe/Te, il eft vrai , de
l’établir en principe, mais où l’a-t-il trouvé?
Quelle eÛ celle de nos loix
nationales qui
l’étabht ? qu’on nous la
montre fi elle exifte

car s i[ étoit VI‘ai que nos aïeux euffent été
a'îez vils pour la confentir, les états généraux
doivent l’anéantir
Elle n exiila jamais que dans les écrits de
Loyfel c efr-là que le pouvoir abfolu
,
l’a trou-
vée & qu auffi-tot il s’en efl: armé. Mais en
fuivant même le texte de la loi romaine il fal-
ioit que ce pouvoir de changer les fantaifies
d’un homme en loix , fût accordé par le peti-
P^ e 9 (0 ^ peut-on croire que jamais les
français aient ete allez avilis
pour inveftir les
rois d’un pareil droit ?

Si telle avoit jamais été


notre loi fondamen-
tale ,
elle nous auroit rendu auffi-tôt
notre in-

a cet egard lire les excellentes differtations de


,
Grono
vius & de Noodt , traduites en françois par Barbeyrac
,
& publiées par
avec des notes meilleures
lui
encore &
plus inflru&ives que le texte.
Edition 1731.
(1) Voila îes mots de la loi ut pote
cum lege regiâ :

pop u[us ei & in eum onjWfuum imperium


& poteftatem
conférât.

'"u"

( M9 )

dépendance. J

Car elle auroit difîous le pa&e


focial, en établiffant en France un defpotifme
plus cruel mille fois que le defpotifme Ottoman*
On s’effraie beaucoup en France de ce pou-
voir terrible; mais en Turquie, il exifle des

loix immuables ; mais en Turquie ,


il exifle

un corps de magiflrature , dont la decifion


établit fi telle ou telle loi que veut promul-

guer le grand feigneur eff juile , ou injufle ; mais


en Turquie, la fiabilité des inflitutions ,
tou-

jours les mêmes depuis 1400 ,


prouve qu’il
y
exifleun pouvoir quelconque qui arrête le pou-

voir abfolu ,
&: empêche que tous les caprices

des fultans n’y deviennent des loix.

Notre condition feroit pire mille fois ,


que
celle des turcs ,
fi la volonté feule des rois

pouvoit former le code des loix: non , non ,


cela

ne fut jamais ,
& les commentateurs de Loyfel
lui-même, ont donné un autre fens à fa fu-

nefle do&rine. (1). Qui croiroit en apprenant

en d’après Ulpien fa dan-


(1) Loyfel ,
établiflant , ,

gereufe doétrine ,
eût bien dû nous apprendre quel fut
l’efprit du fiecle où elle fut publiée ,
quel fut le fort du
prince fous qui elle fut connue ,
& du coupable qui fe

déshonora en la promulguant.
En ce fiecle où le lâche Ulpien établiffoit les maxi-

mes du pouvoir abfolu , les militaires feuls foutenoient


( >&> )
cjue Loyfel étoit dévoué par état à l’étude des
îoix ,
qu’il eût ainfi trahi fa noble profefhon.
S’il efl un corps refpe&able en France, c’eft

celui des avocats ,


Loyfel fut un traître au
iïïîîieu d’eux.
Bientôt ,
à côté de ce principe pervers de
Loyfel ,
s’éleva cette prétention incroyable,-

fhtitenue toujours par les minifirés ,


que les

rois élus de Dieu pour régner, ne dévoient


leur couronne qu’à lui : on en fent aifément

les conféquences ,
mais on n’apperçoil pas aulFi
facilement quels font les appuis d’une telle
opinion : il falloir anéantir les hifloires pour
la faire à jamais prévaloir ; il falloir faire mieux
il fallait priver les hommes de toute efpece
d’entendement.
La qualité de roi par la grâce de Dieu , fut

commune dans les fiecles précédens , aux évê-

une puilikncè qui ,


renversant toutes lesloix * ne pouvoit

y trouver l’appui du trône.


Mais les troupes, dans un mécontentement fans mo-
tif, poignardèrent Ulpien aux pieds de l’empefeur* 6c
Temperetir dans les bras de' fa mere.
Voyez Dion ,
liv. Ixxx ,
pag. 1371 : vôus y appren-
drez les détails ce, rafTaflinat d’Ulpien
'
, & dans (Elitis

Lampridius ;
£c au vj liv. d’Hérodien, celui d’Alexan-
dre ,
prince aimable, qui n’eut d’autre tort que d’é-
cc^iter un minlflre pervers qui vouloit lé rendre abfoîif.

que s
C i6i)
ques & aux princes ; tout en ce monde fe fait

par la grâce de Dieu. Ce mot prouve trop , ou


il ne prouve rien : & l’efclave de l’infortuné
Thamas ,
(i) qui lui ravit, & le fceptre , ôc
la vie , difoit auiïi dans fes firmans ,
qu’il étoit

roi de Perfe par la grâce de Dieu.

Ces abfurdes menfonges nulient au trône,


£c ne fervent que les miniftres ; eux feuls font

intéreffés à ne laiffer pas difcuter d’où émane


une autorité dont ils abufent , mais le véritable
intérêt des rois , e£t d’établir leur autorité fur

des bafes indeiirudibles , & il n’en efl de telles,

que celles qui repofent fur la Volonté fuprême


des peuples.
Telles furent les erreurs qui germçrent en ce
iiecle pour produire , fous le fuivant , les maux
qui ont comblé notre mifere , & peut-être
confommé notre ruine. (2)

( 1 ) Voyez les révolutions de Perfe.

( ü) Il eft encore un fait que je ne puis taire : les

ordonnances de nos rois fe terminent toujours par


ces mots : cartel eft notre plaijîr. Qui croiroit que cette
formule fi humiliante pour un peuple émane de ces
mots taie noftrum placitum , qui jadis annonçoient
,

que l’alfemblée nationale avoit approuvé telle ou telle


loi , de telle forte que ces mots cruels , tel eft notre

glaifir ,
qui annoncent aujourd’hui la volonté abfoluo

h
( 1 ( 52 )

Les états généraux de if6o étoient loin de


s’affervir à ces humilians principes ; mais ils

avoient à lutter contre fous les genres de cor-


ruption 8c de perverfité réunis dans le cœur 8c

l’efprit de Catherine de Médicis. Forcée par


les plus impérieufes circonftances d’affembler
les états , elle les convoqua , avec le projet de
les féduire 8c d’en obtenir la régence , des fub-
lîdes , & un pouvoir illimité. Un orage formi-
dable grondoit fur le royaume. L’intolérance des
rois ,
la duplicité de Catherine , amenèrent fur
cet empire d’effroyables fléaux. Déjà la religion

réformée étoit devenue celle d’une partie des


François ; la politique voilée du nom de religion,
cherchoit à la détruire ; & le peuple, viââme
de ces haines qu’on nourriffoit dans fon fein ,

vit couler à torrent le fang des citoyens dans

l’enceinte de nos cités.

Les états généraux de 1660 s’affemblerent

fous d’effrayans aufpices ; mais la conduite


cauteleufe de la reine ne put ni les féduire ni
les égarer.

A la première affemblée des états , fe fit

d’un maître ,
font la corruption de ces mots qui
en autre idiome , étoient les témoignages de la puif-
fance légiüative du peuple.
( 1 $3 )

entendre le génie tutélaire de la patrie ; le ciel

voulut qu’au milieu de la plus perverfe des cours


s’élevât le plus vertueux des hommes, (i) afin
qu’en ce tems , où la perfidie violoit toutes nos
loix , le dépôt de notre antique légiflation re-
pofât dans les mains de celui dont le coeur fut
toujours leur fanéhiaire.
« Il ne faut point écouter difoit-il aux
, de Lhôpklï!
33 états en i$ 6 o , ceux qui prétendent ,
qu’il

>» n’eft pas de la dignité du roi , ü’afiembler


33 les états généraux. Y a-t-il quelque chofe
33 de plus digne d’un roi que de renare juftice
33 au peuple ? Et quand peut-il mieux la rendre
33 que lorfqu’ii donne la facilité d’expofer
33 publiquement les plaintes en un lieu où
33 l’impofture & l’artifice ne peuvent le gliffer ? ...

f
I )
Le chancelier de Lhôpital , pourquoi le dégui-
ferions-nous ? ce grand homme , commit une faute il :

ofa violer la loi facrée des enregiftremens libres : il

l’expia par fes regrets : au moment d’expirer ,


prêt
à rendre compte à Dieu de fa vie entière ,
il n’y ap~
perçut que cette tache , & il eut le courage de l’a-
vouer : aveu magnanime ,
digne de fa grande ame :
f

aveu précieux qui réparoit tellement fon tort qu’il à


,

fervi à l’éloquent d’Eprémefnil pour établir cette loi


qu’on vouloir enfreindre.
Voyez d’Argentré ,
tom.i ,
pag. 452.
'
Maximes du droit francois.

L z
C i6i )

>3 C’efl dans ces affemblées que Ton inftruit


w les rois de leurs devoirs , . , . . devoirs qui
» par un abus effroyable font aujourd’hui né-
» gligés ,
parce que les rois ne voient 8c
” n’entendent que par les yeux 8c les oreille»
33 des minières ; ne fe conduifent que par le
33 confeil des miniftres ; 8c qu’entourés de
33 piégés qu’on leur tend de toute part les
,

33 rois , deftinés à conduire les autres font


,

3> eux-mêmes conduits 8c égarés par ceux qui


33 les environnent. 33

Ce grand homme finifToit fon difcours en


rendant cet hommage à nos droits nationaux.
« L’intention du roi , eft que chacun , fans
33 exception , expofe ce qu’il croit être utile au
33 bien de l’état, 8c que ce qui fera réglé de
33 l’avis de tous les ordres , foit la loi de l’état. 33

Il faut encore ajouter cet éloge à la gloire


du chancelier de Lhôpital. La plupart des loix
qu’il publia furent rédigées d’après les décrets

nationaux ; auffi fous les régnés les plus hon-


teux furent promulguées ces loix auguftes qui
ne périront jamais , 8£ auront la même durée
que celle que le ciel a fixé à l’exiftence de
l’empire.

Les états de iyéo rendirent plufieurs hom-


mages à la loi facrée ,
qui établit que nos re,«*
< iSs )

prëfentans aux états généraux ne peuvent s’é-


carter un moment de leurs inftruétions , & qu’ils
n’y font que les mandataires des bailliages Ôc
fénéchaulfées qui les députent.
Dès la première féance , ils repréfenterent
que leurs pouvoirs étoient annullés par la mort
de François II, parce quils avoient été donnés
fous Ton règne, & qu’il n’exiftoit plus.

Cette difficulté étoit fondée en un fens ,


parce
qu’il devoir être queffion de difpofer de la ré-

gence ; & que les bailliages n’ayant pu prévoir


cet événement; n’ avoient donné à cefujet aucun
ordre à leurs repréfentans.
On fit valoir alors cette maxime que le mort
faifit le vif ; c’eft-à-dire ,
que le roi ne meurt
point ,
parce que fon fuccefieur , en vertu de la

loi de l’hérédité du trône, lui fuccede immé-


diatement.
Cette application d’une loi coutumière Dotna
,
loix civiles,
établie en France fur le fait des héritages , & liv. iv.

p. z6i
adoptée par les pays régis par le droit romain
ne devoit ni ne pouvoit s’appliquer à la fuc~

cefiion héréditaire du trône ; elle n’y avoit


pas plus de rapport que la fameufe loi fali-

que. Mais ce fut toujours une forte de fureur ,

de la part des miniftres , de préférer d’établir


les droits des rois , fur des loix obfcures ; de
L 5
( 1 66)
les faire dériver de maximes inconnues ,
plu-
tôt que de remonter aux principes nationaux.
Les loix des états généraux qui avoient établi

l’ordre de fucceflion au trône, en le rendant


héréditaire , établiffoient conféquemment que
le fucceflfeur héréditaire étoit reconnu roi , à
l’infiant où la mort avoit frappé fon prédé-
cefieur.

Ain(î les états de ij6o fuivirent les vrais


principes ,
quand ils continuèrent à traiter avec
Charles IX , des objets fur lefquels ils avoient
reçu les inPmiélions de leurs commettans. Mais
ils demandèrent , avec raifon , à être envoyés
dans leurs bailliages ,
pour y recevoir le pou-
voir de ftatuer fur la régence.
Ces principes ,
qui étoient les conféquences
de nos loix nationales , n’étoient pas ceux de

Catherine de Médicis elle fe hâta de s’emparer


de la régence , en publiant un réglement à ce fujet.

Audi- tôt les états réclament nos droits : la

nobleiTe exige que les états foient dilïous , afin

que les députés puifient confulter leurs com-


mettans j & elle menaça les deux autres ordres
de les dénoncer à la nation , s’ils outre pafîbient
leurs pouvoirs. La reine ,
preffée par l’évidence

de leurs raifons , & l’énergie de leur conduite ,

reconnut la vérité du principe : elle dit aux


C 161 )

états « que députés par leurs bailliages, ils de-


,

53 voient Cuivre leurs inftru&ions ,


rédiger les

cahiers des plaintes de leurs commettans ;

33 quils Ceroient enfuite les maîtres de deman-


33 der une autre affemblée, pour ftatuer fur les
33 objets étrangers à leur pouvoir >3 .

Auflî-tôt elle employa toutes les rufes d’un

efprit fécond dans l’art de Cerner des embûches

de diviCer les intérêts , de fomenter des motifs

de haine ;
enfin elle chercha en cette occu-
rence , & pendant tout fon régné , à confom-
mer le malheur des peuples ,
afin de regner au

moins fur des infortunés.


Les états de iyéo ne trahirent jamais les in-

térêts de la république.

Prefies d’accorder des fubfides , les trois

ordres répondirent : « qu’ils n’ont reçu des

33 procurations que pour délibérer fur le fait

33 de la religion , & non pour odroyer des


33 impôts ; qu’ils font fans qualité pour con-
33 trader à cet égard aucune obligation que ;

33 tout ce qu’ils peuvent faire , fera de com-


33 muniquer à leurs bailliages les demandes du
33 roi. 33 Après avoir rendu cet hommage à la

plus falutaire de nos loix, ils furent congédiés

& ajournés à Melun.


Mais il efi: dit dans le verbal ,
qu’il fut établi

L 1
par la reme , que pour
i m 5

cette fois , les baillîa^


ges ne ferolent point d’éle&ion ; que les gou-
vernemens feuls enverroient des députés ; trois
par gouvernement. Cette feule ufurpation du
pouvoir exécutif 5 fur le pouvoir national
rendoit l’alfemblée projetée nulle , illégale in-
5

compétente.
Il étoit aifé de prévoir qu’une reine avide
d obtenir la régence & des fubfides , ayant déjà
ufurpé le pouvoir , mais dénuée des moyens
de le foutenir , diminuoit le nombre des repré
fentans ,
pour pouvoir plus aifément les féduire,
à moindres frais s’il falloit les acheter ? avec
moins de tems 5 s’il ne s’agilfoit que de les cor-

rompre par des promeffes.


L’hiftoire nous offre peu de détails fur cet

objet fi intérelfant pour nous , mais les dé-


putés convoqués à Pontoife s’y rendirent en
iy<5i.

Leur conduite les rendoit dignes de l’hon-


neur de repréfenter réellement la nation. Rien
ne démentit en eux le caractère de vrais ci-
toyens.
Ils accordèrent la régence à la reine 5 & ils

délibérèrent fur tous les objets de juftice , de lé-

giflation & d’impôts. Ils accordèrent des fe-

cours au roi, & flatuerent un décret qui rendit


lin témoignage nouveau à l’antique forme de

convocation enfreinte en cette occurrence.


« Ils décidèrent , que lorfqu un roi feroit
incapable de régner par lui-meme ,
le pre-

33 mier prince du fang convoqueroit la nation ,


33 fous peine d’être réputé traître envers l’état.
3» Et qu’ au bout de trois mois , s’il n’y avoit

y> pas eu de convocation ,


chaque, bailliage &
îj fénechaujje'e procédéroient aux choix des dé-
33 putés ,
qui s’alfembleroient le î y du quatrième
33 mois à Paris. 3> Telle fut la conduite de l’af-

femblée de Pontoife.
Il eft fatisfaifant pour nous de voir que ,

malgré la corruption Sc l’art funefle de divifer

toupies ordres de l’état, conftamment employés


par Catherine de Médicis ,
nos états généraux ,

remplis de troubles ,
déchirés par des haines

diverfes ,
fe rallioient toujours autour de la

conftitution , & qu’ils n’eurent jamais qu’un

vœu & un cœur quand il s’agit de l’affermir par

leur décrets.

Les états de Blois vont nous occuper, ils mé-


ritent bien toute notre attention.

Les malheurs effroyables occafionnés par les

guerres de religion ,
avoient ébranlé le trône ,

& inondé de fang les demeures des citoyens.


Ce furent de grandes calamités fans doute 3
( 170 )

^ue l’exiflence de ces haines inextinguibles


,

^jue fomentoit la diverfité des opinions ; mais


quand on réfléchit que la liberté efl le premier
des biens ; que le facriflce de l’exiftence de
quelques citoyens , efl: un mal dont il faut fe
confoler , fi cette perte a fervi à conferver dans
tous les cœurs les fentimens d’énergie qui n’é-
chauffent que les âmes libres je ne fais fi on
,

doit abhorer les guerres que la différence des


religions a fufcitées en France.

Sans ces troubles falutaires qui vivifioient


toutes les âmes , élevaient les courages, le régné
de Catherine de Médicis , nous auroit plongé
dans une léthargie mortelle ; les poifons de cette
ame corrompue euffent peut-être détruit en nous
jufques au defir de la liberté.
Mais les funeftes effets de fa politique cor-
ruptrice , furent balancés par la véhémence du
fanatifme. Sans doute il produifit de grands
maux, mais le mal qui lutte contre le pouvoir
abfoiu, quel qu’il foit , devient un bien pour
la nation ; & telle efl: l’horreur qu’infpire le
pouvoir arbitraire ,
qu’il nous force à regarder
avec moins d’effroi , ces tems de défolation qui
fervirent au moins à le repouffer , & à fomen-
ter, dans toutes les âmes , le noble fentiment
du courage & l’amour de la liberté!
( I?I )

La religion proteftante relevoit ,


par fon
principe de liberté , les âmes courbées fous une
longue obéilfance : le pouvoir de foumettre au
tribunal de la raifon ,
jufques au motif de la

foi religieufe , néceilita bientôt l’examen des

principes de l’obéilfance padive, & par confé-


quent établit ceux de la liberté.

Je remarque , avec un fentiment de recon-


noiffance ,
pour l’Etre Suprême ,
qu’en vain le
pouvoir abfolu a menacé la France. Le ciel

voulut qu’il s’élevât toujours , à côté de lui , des


moyens de l’anéantir , de l’effervefcence pro-

duite par les guerres de religion du feizieme


fiecle , a confervé en France l’énergie de la

liberté, fous le régné des princes les plus pro-

pres à les détruire.


Après les état de 1484, il n’en exifie pas
de plus mémorables, de dont le fouvenir doive
nous être plus cher, que celui des états de
- Blois de 1676.
Jamais alfemblée nationale ne mérite , à plus
jufte titre , les refpe&s de l’amour de la nation
quelle répréfentoit.
Il faut cependant en convenir , la gloire de
cette affemhlée fut fouvent due au courage d’un
feul homme.
Mais audi ,
quelle puilfance que celle d’un
( * 72 )
homme plein de courage & de vertu , appelle
par le choix libre de fes concitoyens à la dé-
,

fenfe des droit^ de la patrie , & les faifant


valoir avec cette éloquence qui ne s’apprend
pas ? qui naît dans notre ame , s’y alimente
de propre ardeur , & qui doit fe déployer
fa

avec toute fon énergie, devant une affemblée


chargée de maintenir & de défendre la liberté
de la nation !

Illuftre Jean Bodin , tes ingrats contempo-


rains ne furent pas honorer ton génie & tes
vertus.

On éleve des flatues de bronze à des hom-


mes de boue a & on laiffe s’éteindre la mé-
moire du plus vertueux des françois.
Mais aufli quels tributs d’éloges le malheur
nous force à lui rendre , en ces tems où la ré-
publique penche vers fa ruine , fon nom feul
rappelle les vrais principes , & fes difcours
les revivifient : il eft de la deftinée de ces ver-
tueux citoyens de fervir la poftérité par leurs
exemples , comme ils fervirent leurs fiecles par
leurs adions. (i)

(i) Je n’ignore pas que Jean Bodin , dans fon ou-


vrage intitulé de la république , ch. 7 du liv. premier
de la fouveraineté ,
a avancé quelques principes erro-
( 173 )
Les états généraux convoqués en 15*76 ,
ftatuerent fur tous les objets ; ils s’occupèrent
de tout ce qui peut intéreiTer une nation : on
doit lire le verbal de ces états ; je dis plus ,
on ne peut s’en difpenfer en ces momens d’o-
rage où la liberté va renaître.

Je ne veux établir par les décrets de cette


afïemblée que trois vérités ; la première qu’ils
,

fe reconnurent les maîtres abfolus d’accorder


ou refufer l’impôt , & qu’ils fe crurent telle**,

ment affervis aux inflrudions contenues dans


leurs cahiers ,
que jamais nul artifice ne put les
éloigner de ce principe obfervateur.
La fécondé ,
qu’ils donnèrent, ainfi que les

précédens états , aux parlemens , des mandats


qui les rendoient des corps nationaux , & de-
vans compte à la nation de l’ufage qu’ils fe-
roient du pouvoir quelle leur confioit.
La troifieme, qu’ils fe garantirent d’un pé-
ril ,
prêt ,
peut-être, à fe renouveller , celui
de confentir à créer des commiflions interné-

nés fur l’autorité des états généraux : cet ouvrage fut


compofé avant 1576 puifque fuivant Baile ,
la pre-
mière édition de cet écrit fut faite cette année. Ap-
pellé à défendre la nation , il prouva par fes aéfions
,

qu’il s’étoit égaré dans fes premiers principes. Une


erreur aufli utilement réparée n’efl: plus une faute.
i
( ?4 )
dîaires revêtues d’une autorité
, quelconque.
Ils prévirent aifément que ces fortes de com-
misions ne feroient bientôt qu’une afTemblée
defclaves 8c de traîtres, 8c une arme cruelle
du defpotifme.
Je n’ai que ces objets en vue mais je le
,

répété , tout citoyen doit lire ce verbal 8c ne


jamais l’oublier.
Le roi Henri III étoit comme tous les rois ;

plus empreiïë de recevoir des dons que des


,

confeils.

Il propofa plufieurs formes d’impôts aux


états généraux ; voici quelle fut la réponfe du
tiers état, qui devint auffi celle des deux autres
ordres.

(i) ce Mercredi matin 1 6 janvier


1777 5

M comte de Suze fut envoyé par le roi en


33 l’alfemblée du tiers état, difant qu’il fa-
33 voit qu’il y en avoit quelques-uns qui pré-
33 tendoient que leurs charges 8c procura-
33 tions , ne portoient aucun moyen pour fe-
33 courir fa majefté aux affaires urgentes qui
33 fe préfentoient , que le roi les exhortoit à
33 examiner mieux leur procuration pour
,
33 connaître fi elle n’aidoit à la néceflité des

(1) Etats de Blois au recueil des états de France.


( I? ))
affaires du roi ; non content de cette ten-
« tative ,
le mercredi 23 dudit mois , le roi
manda en fon cabinet aucuns des députés
33 du tiers état ,
à favoir à un de chacun des
» gouvernemens , & leur fit entendre la né-
>î cefîité de fes affaires , & leur propofa de
33 fupprimer tout fubfide ,
aides & gabelles ,

3? moyennant un odroi de ly millions , qui fe


33 paieroit par feu 5 le plus haut ne payant que
33 yo livres , & le plus petit que 12 deniers;
3» le lundi 28 du même mois , il fut délibéré
33 fur ces proportions , & réfolu par toute
33 Faffemblée qu’il feroit remontré au roi que
33 les députés n’avoient aucune charge de leurs
>3 commetans , de faire aucune offre. Le 30
33 janvier 3 le roi renouvella fes tentatives ;

33 Monfieur , frere du roi vint , il demanda


» 2 millions de fubfide , & iy millions d’oc-
33 troi ; il lui fut répondu fur le fujet de iy mil-
33 lions les mêmes chofes qui avoient été dites
33 . le 28 , & au fujet des 2 millions , on lui
33 dit que les commifîions que le roi avoit en-
33 voyées par les provinces pour affembler les
33 états généraux , étoient à deux fins , Fune
33 pour lui faire les plaintes & doléances quelles
33 aviferoient , & Fautre pour regarder les
( i î '6 )

a? moyens d’acquitter le roi ,


fans qu’il fût
33 rien parlé des 2 millions , tellement que lef-

dites provinces n’avoient donné charge à


33 leurs députés de faire aucune offre. Le 2 fë-
33 vrier ,
la matière fut mife en délibération ,
33 & les réponfes furent les mêmes. 35 Hen-
ri III , convaincu quil ne viendroit jamais
à bout de féduire les états & d’en obtenir
des fecours qu’il ne dépendoit pas d’eux de
lui accorder , vint lui-même , le mercredi
20 février ,
propofer infidieufement aux états
de confentir à l’aliénation de fes domaines ,

jufqu’à la concurrence de trois cens mille


livres de revenu ; & il lui fut répondu, le 21
du même mois ,
cc que l’on ne pouvoit con-
33 fentir l’aliénation du domaine à perpétuité

33 pour le tout ,
ni en partie , faute de puif-
33 fance. 33 On voit que le 22 , des hommes
vendus à la cour , cherchèrent à corrompre
la fidélité de Bodin ; fa grande ame étoit

à l’abri de pareils artifices, ce Pour le faire

33 déloger , eft-il dit , de cette affemblée


33 qu’éclairoit fon génie , on engagea le roi
33 à lui donner des marques de difgrace. 33

Mais Bodin penfoit comme tous les grands


hommes ,
qui ne trouvent de faveur hono^
Table que la bienveillance du peuple. Le
( *77 )

23 février on revint à la charge pour l’alié-


nation des domaines le roi pria le tiers état
;

de voir s’il étoit pofîible qu’il


y confentît.
cc Hemar qui a voit eu la main levée de fe$
99 & 1 200 livres de penfion , employa
*> tous fes efforts pour prouver qu’ils dévoient
M auto ri fer le roi; mais tous éprouvèrent Fin-
39 flence des vertus de Bodin , 3c ils décidèrent
w n>en avoient pas reçu le pouvoir »,
Eft-il poffible demande
,
je le à tout hom-
me impartial , de conftater d’une maniéré plus

éclatante , & par des décrets plus folemnels


,
que les députés des bailliages & fénéchauf-
fées aux états généraux, ne
peuvent, en au-
cune circonftance , s’écarter des pouvoirs
con-
tenus dans leurs cahiers ? Ce principe national
fut reconnu par Catherine de Médîcis elle-
même , dans le difeours qu’elle prononça de-
vant le roi au fujet de cette affembîée
,
, &
que les mémoires du duc de Nevers nous ont
confervé. ( i ) Le roi même reconnut ce
principe national dans fon difeours
, à l’ouver-
ture de l’affemblée des états de Blois. « Jq
(3)

) Difeours d’état de M. de Nevers.


<1
<a) Difeours du roi Henri III à l’ouverture des
état*
k Ufois eu 1 576 f Reç. des états 4 ? France p. 2.3, y,
,

H
C Ï7 8 )

55 crois ,
dit-il ,
qu'il n’y a perfonne qui ne foit

55 venu ici bien inftruit, & préparé pour fatisfaire


55 à tout ce que j’ai demandé par mes commilïions
j3 publiées en chacune de mes provinces ».
Je ne me laffe pas d’ajouter fans ceffe de nou-

veaux appuis à ce falutaire principe ;


mainte-

nant je crois qu’il ne nous refte plus rien à

faire qu’à nous en prévaloir. Dans cette célé-

les plus excellens


bré affemblée furent expofés
principes de notre conftitution. Les états géné-

raux du royaume ,
en députant vers le roi dé

Navarre , développèrent dans les inftru&ions de

teürs députés nos principes nationaux au


fujet

des loix du royaume. Ils établirent leur diffé-


rence avec les loix du roi. Ils honorèrent nos

parlemens d’un mandat qui les rendoient à l’a-


venir refponfables à la Nation de l’ufage qu’ils
feroient de leur autorité. Il a (i), difént les
y
états cc cette différence entre les loix du roi 8c
>

„ les loix du royaumes , que celles-ci ne peuvent

55 être faites qu’en générale aflemblée


de tout

55 le royaume, avec le commun accord des


aufïi ne peuvent elles
» gens des trois états ,
53 être changées , ni
innovées , qu’avec l’accord
états ».
53 & confentement des trois

partie pag. 448.


(i) Mémoires de Nevers , première ,
( *79 )

Après avoir expliqué avec autant de clarté


que d’énergie , ce qui caradérife les
loix fon-
damentales, ils ajoutoient au fujet des parle-
mens (i) cC H faut que tous les édits foient
33 vérifiés & contrôlés ès cours des parlemens
,
« devant quiîs obligent d’y obéir,
lefquelles
50 combien qu’elles ne foient qu’une forme
« des trois états raccourcis aux petit pied ,
35 ont Pouvoir de fufpendre & modifier lefdits
” édits. « Tel fut l’honorable mandat qui, lé-
guant à la magiftrature le dépôt inviolable des
loix , la fournit aux orages que devoir foulever
& exciter le pouvoir arbitraire telle fut aulli
:

depuis cet inftant , fon honorable deflinée ^


qu elle devoit ceffer d’exifter au moment que la
loi ceHeroit de fe faire entendre , & renaître
aufîi-tôt qu’elle reprendroit fon empire.
C eft donc avec autant de
fidélité que de
courage, qu’en ces jours malheureux
(2) le
fécond parlement du royaunle juroît
à la na-
tion de garder invioiablement
le dépôt qu’il
avoit reçu d’elle, « jufqu’à ce que les états gé-
33 n &'a ux aient
jugé à propos de le retirer pour

(1) Mémoires de Ncvers ,


pag. 449,
(2) Arrêté du parlement de Touloufe du 1 2 ma i
tyn.
( 180 )

leur
le remettre en des mains qui pourroient

» paraître plus fures mais qui ne feroient pas


,

de
» plus fideles ». Quand on a eu l’honneur
fan&ionner cette fainte do&rine , en bravant
le pouvoir des minières les plus odieux; quand

on a mérité ,
en la confignant dans d’immortels

décrets ,
d’honorables exils, pourroit-on crain-

dre de perdre la confiance d’une nation qu on

fervit aux dépens de Ton exiftence ? Il faut


lire le verbal de ces états pour connoître

toutes les embûches dont on cherchoit a les


environner. Le roi n’ayant pu triompher
des

vertus de Bodin ,
fit aux états cette propofi-
peut-être à re~
tion traîtreufe, qu’on cherchera
corps des états *
nouveller , de choifir dans le
des députés qui formeroient
une efpece de
Déjà aux états de
commiflion intermédiaire.
Blois la noblefie & le clergé avoient accédé
,

encore fé-
aux propofitions du roi. Il falloit

le préfidoit le jour
duire le tiers état; Bodin
l’archevêque d’Embrun vint demander
que
confentement à cette funefte innovation.
fon
même jour, « que le tiers état
Il fut délibéré le

* ne choifiroit point des députés, & que fi

choififfoient, le tiers
« les autres ordres en

w état s’y oppoferoit ». Appelé le 13 du même


mois à foutenir la yérité de fqn principe
,
C 181 ) ,

dans la chambre du clergé & de la noblefle ,

il leur dit : ce que premièrement ,


ils n’étaient

33 pas autorifés à opérer une pareille réduc-


33 tion. Secondement ,
que quand même ils le

» pourroient , ils fe garderoient bien de le

33 faire : que la nation étant réduite à n’avoir


33 que quatre cens députés pour la repré-
33 Tenter, réduire ces députés au nombre de
33 i 8 ou 26 , ce feroit anéantir les états;

J3 que c’étoit ainfi que Louis XI difpofoit à


33 Ton plaifir tout ce qu’il vouloir : que davan-
33 tage ce feroit un moyen de perpétuer les

33 états , de les rendre ambulatoires , en les

33 privant de leur forme légitime. Troifiémc-


33 ment ,
qu’il leur étoit d’autant plus impof-
33 fible de fuppléer au pouvoir qu’ils n’avoient
33 pas reçu de leurs commettans ,
que les

33 états généraux eux - mêmes n’avoient pas


33 l’autorité de le leur donner , & que c’étoit-

33 là un point péremptoire auquel il n’y avoir

33 pas de réplique >3. Ce brave citoyen reçut


la récompenfe de Ton courage ; Tes viétorieufes

raifons rallièrent tous les ordres , & l’unanimité


des états rejeta les propofitlons du roi.
Quand ils furent féparés , Bodin redevint
{impie citoyen, après avoir été le défenfeur

de la patrie ; il acheva fa carrière dans la

M3
( 18a )

retraite , sûr de l’eftime de la poftérité , &c

honoré de fon vivant du refped de fes contem-


porains & de la haine du roi (i).

Que n’efl - il pofïible d’arracher des faftes


de notre hiftoire & du fouvenir des hommes
la mémoire des états de iy88? La nation n’eut
point à reprocher à fes repréfentans la viola-
tion d’aucun de fes droits : les difcours de
l’évêque de Bourges , celui de l’orateur de la

nobleffe , nous prouvent qu’ils exercèrent dans


toute leur intégrité leurs fondions natio-
nales ; & le verbal authentique de ces états ,
dé-
pofé dans la bibliothèque du roi , ne nous
laille rien ignorer de ce qui fe pafla à cette

affemblée.
De Thou » Mais ce fut à cette même affemblée que l’on
liv. lx C. I X#

vit un roi de France , entraîné par les fautes


de fes miniftres & fa négligence perfonnelle
à maintenir fon autorité , à la honteufe ex-
trémité d’être forcé de devenir un vil affaf-

fin ,
pour continuer à être encore un mauvais
roi.

De Ti
iiiou,
II arma lui - même les affadi ns du duc de
liv. lv. c. ni. Guife de poignards acérés par fes foins, &
C il leur ordonna de l’égorger. Grand Dieu !
quel

(l) Voyez de Thou, liv. lxiij.


( )

prince I & quels lâches entoure lent fon trône :î


Déjà la mort planoit fur cette tête coupable

& déshonorée.
Mais avant de defeendre au tombeau, il reçut

les plaintes de la nation ,


fur les criminels abus

dont il fe rendoit coupable envers elle ; les états

en ordonnèrent le redreffement.

Dès-lors s’élevèrent des plaintes qui jamais


ne furent interrompues depuis ,
contre l’ufage

de forcer les parlemens à enregiftrer ,


con-
traints par la violence des loix ,
qui par cet

odieux moyen ,
frappées dès leur naUTance

d’un vice radical perdent à l’inftant le carac-


,

tère requis de tout tems pour établir les loix

du roi.

l’orateur du Verba âe?


cc Plusieurs édits ,
J difoit aufïi ,
[,
états de 1 ran-
33 peuple , ont été vérifiés & enregiftrés avec ce.

33 cette claufe ,
du très-exprès commandement
33 du roi 33. Sire ,
ajouta cet homme véridique,

33 aux édits juftes les commandemens ne font

^3 jamais néceifaires 33. Déjà s’élevoit cette foule

de tyrans du peuple , nourris de fa fubftance

pour l’opprimer 8c le dévorer.


Les états fe plaignent « de ces inventeurs
d es

33 de fubfides oc nouveaux édits, exécuteurs , & états dt


ce.
Fran-

« commiffions extraordinaires.
33 Macquignons de nouveaux offices , ver-
M4
C 184 5

s* mines d’homme , couvées d’afpîc 5 qui ont


33 fouillé jufques aux cendres de nos mai-
« fons.

Verbal des
33 Ces gensdà évoquent les procès à votre
étatsde Fran-^
conk'û, où ils
y font juges & parties.
3* Us violentent la religion des magiftrats 8c
33 l’autorité des parlemens par interdirions
33 d’entrées & féances-?*.

Elle eft donc immortelle la race de ces


fléaux de l’ordre public ! Déjà l’on voit les
états de iy 88 ftatuer fur tous ces abus infup-
portabîes , & réclamer pour nos parlemens
chargés par la nation de vérifier & Contrôler
les édits du roi , la liberté néceffaire pour qu’ils

puiflent s’acquitter de cet honorable & périlleux


mandat*
Les cahiers des états , leurs plaintes furent dé-
daignées par un roi inacceflible atout fentiment:
fur la fin de fa vie > les remords & la honte fem*-
bloient l’avoir anéanti.
A ce prince dont le régné fut un fléau , fuc-
cède ce prince aimable ? fi conftamment chéri ,

& dont le nom feuî fuffiroit pour nous attacher


à la monarchie , tant que fes defcendans régne-
ront fur nous.
Oui , je le répété , tant que les defcendans
de ce bon & grand roi régneront fur la Fran-

\
( i8* )

eft vrai mais


Ce > on le regrettera fans ceffe ; il ,

on efpérera la réfurreétion de ce cceur aimant


qui fans doute ne fut pas exempt
& généreux ,

de foibleffes ,
mais dont on aime meme les

erreurs ,
parce que la loyauté & lextreme

bonté formoient l’elfence de fon ame; qui dut

régner fur nos peres avec d’autant plus d em-


pire , que même en ce jour , ou tant de maux
accumulés fur nos têtes par fes defcendans
auraient dû éteindre notre enthoufiafme pour
un roi qui nous laiffa de tels fucceffeurs ,
on
vie (i) fans fe fentir tranf-
ne peut lire fa ,

porté à fes pieds ,


par les élans de 1 amour & du
refpeét : on reconnoît fes fautes , & on fcnt

en même-tems qu’il n’en devoit rien coûter

de lui tout facrifier, & de mourir pour lui.

Sous fon régné le chef de la ligue aifembîa


,

à Paris les états généraux , & ici s’élève une

des plus importantes quelfions.


Ces états furent-ils réellement de vrais états

généraux? Et la nation peut-elle s’affembler

fans la convocation royale ? Cette derniers

queftion qui paraît une dépendance de la pre-

(i) Ecrite par Perefîxe le feul hiftorien qui nous le


,

fa(Te bien connoître aufli exad pour les détails que


,

Suétone ;
il avoit une ame ,
& Suétone n’en avoit pas.
c i8tf )

miere, doit cependant en être féparée : car il

eft certain que les états de 15*93 ne furent pas


de vrais états généraux ; & il ne l’eft pas
môins, quil eft des tems où la république en
péril ,
au moment où toutes les loix feroient
violées 3 où la liberté nationale feroit attaquée
par le defpotifme ,
pourroit & devroit s’aL
fembler pour oppofer un frein au pouvoir ar-
bitraire.

Les états de 15*93 ne peuvent être regardés


comme des états généraux ,
parce qu’ils fta^-

tuerent fans pouvoir , fur le fort des provinces


qui n’y avoient pas de députés.
A cette époque, les deux tiers du royaume
avoient eu le bonheur de fe foumettre au
grand Henri ; leurs députés par conféquent
ne parurent pas à ces prétendus états : &
cependant ils ofoient délibérer des loix géné-
rales ; ils ofoient propofer l’éleétion d’un roi ;

cela feul rendoit l’affemblée illégale : c’étoient

des particuliers fans miffion qui flatuoient fur

ce qui ne les regardent pas; car, nantis des pou-


voirs de leurs provinces ,
ils n avoient pu en
recevoir une autorité qu’elles n’avoient pas; &
jamais une province n’eut le droit de ftatuer

fur le fort d’une autre. C’eft cependant ce que


faifoient les états de la ligue , en établifiant
( ï8 7 )

des lois générales pour tout le royaume, tan-

dis que les deux tiers du royaume n’y avoient


pas de députés.
En iy <?4 le parlement en ufant de fes droits,

& pour le maintien des vrais principes , déclara


par un arrêt du 30 mai :

«Qu’il révoque, cafîe, déclare nulles toutes

33 les réfolutions des députés des provinces


33 affemblées à Paris, fous le faux nom d’états;

3? comme faits par des particuliers fans au-


33 torité 33.

Sans doute il ^appartiendrait pas aux par-


lemens d’infirmer les fuprêmes décrets des
états généraux. «La nation affemblée, ainfi que
33 le difoit le duc de Sulii à Henri IV , ne re- Mémoires
Suih ’ hv#
33 connoit pas de fupérieur qui ait le droit de yfij

33 la réformer, pas même h roi. ^


Mais s’il arrivoit jamais qu’une affemblée
fans pouvoir fe revêtit du nom d’états géné-
raux ,
s’il arrivoit que l’autorité des miniffres

ofât altérer les formes antiques des éleétions


par bailliages & fénéchauilees ,
diminuât le

nombre des repréfentans , & changeât la

conftitution du corps national, fans doute les


parlemens , chargés du dépôt des loix par la

nation elle -même, auraient le droit , & fe-

raient obligés, fous peine de trahifon envers la


( lit )

nation , de déclarer ces états illégaux , & par


conféquent nuis. Ils devroient rétablir les vrais
principes , & les confrontant avec les inno-
vations du pouvoir , réclamer l’obfervance des
ufages antiques ,
jufques à ce que la nation
régulièrement convoquée , en eût autrement
ordonné.
Ce devoir, ils font obligés de le remplir,
dût-il leur coûter, je ne dis pas leur exiftence
politique ,
mais même la vie. C’efi: alors où
jamais qu’il faut la facrifier à la république (i).
Ainfi les états, de 1^3 étoient radicalement
nuis , & rentroient dans la claffe de ces affem-
bîées illicites que les loix doivent détruire.
Mais à cette même époque fut fouvent agitée
la queflion ,
fi les états généraux , dans le péril

extrême de la patrie
,
peuvent s’affembler fans
la convocation du roi.

On n’a jamais nié qu’ils n’en euffent le

(1) On ne peut douter que ce ne foit la vraie doc-*

trine de la magiftrature.

Audi , en lifant ce mémorable arreté du parlement


de Paris, du 3 mai , qui , dans fes difpolîtions, prévoit
tout , remédie à tout , on y lit , en parlant des états
régulièrement convoqués : ce feul mot dit tout , 8: con-
firme mes principes.
( i8p )

droit falloir la famille royale étant éteinte


, s’il ,

élire un nouveau roi.

Mais il eft plus eflentiel de préferver la

nation de fa ruine ?
que de lui donner un roi;

& il n’eft pas douteux que fl jamais l’entier


,

bouleverfement des loix, brifoit tous les liens


du contrat focial ce feroit alors la derniere
,

& l’unique reffource de la nation ,


que l’af-

femblée des états généraux ,


de cette ref-

fource feroit légitime ,


par cela feul qu elle

feroit néceffaire.

Sidney, Loke , de fur -tout Grotius étèn-

dent plus loin leur prévoyance; de le dernier

s’appuyant même de notre hiftoire ,


trouve

que ce n’eft que depuis le régné du tyran


Louis XI que la nation flétrie par le def-
,

potifme a pu douter de fes droits à cet


,

égard.
Mais je dis plus ,
il feroit dangereux à

l’autorité des rois de renverfer ce principe,

car en des tems effroyables , de troubles de

d’attentats tous les cœurs font aigris , tous


,

les courages s’échauffent ,


les efprits s en-

flamment mort ne paroît plus un malheur;


,
la

en ces momens terribles , il efl: heureux que


la loi offre encore au peuple dans fa fureur ,

un dernier afyle , de tourne fon attention êc


( ipo )

fes regards vers ce dernier rempart de la li-


berté nationale.
S’il étoit renverfé l’infurredion paroîtroit
,

la derniere reffource ; la tentation de repouffer


la violence par la force , deviendroit irré-
fiftible ; cet affreux malheur eft prévenu par
la faculté de s’affembler , & de ftatuer fur le
fort de l’état.

Il faut convenir que ces fortes d’affemblées,


privées alors d’un centre commun , ne fe for-
meroient qu’avec peine ; & il faut efpérer
de l’arbitre fuprême de nos deftinées que
,

ces queftions délicates , dont la fclution n’im-


porte que lorfque tout eft perdu ne de-
,

viendront jamais pour nous d’une abfolue


néceflité : le ciel & la fageffe de nos rois
nous préferveront de ce fléau , le plus terrible
de tous, celui où la nation ne voit plus que
fon ennemi dans fon prinde , & dans fon
affreux défefpoir ,
eft forcée de s’agiter pour
,

diffoudre l’état politique , ou le rétablir par la


violence.
Pourquoi fâut-il que Henri IV n’ait jamais

préfidé une affemblée nationale ! Il manque


ce fleuron à fon immortelle couronne , &
nos coeurs s’affligent en lifant fon hiftoire, de
Voir que la nation n’a pu renouveller pouf
(
ipl )

lui les hommages dont elle honora Louis


XII. S’il falloit juger Henri avec févérité , en
lui reconnoilfant des talens fupérieurs à ceux
du pere du peuple , il lui feroit inférieur par

fes vertus.

Mais les vertus de Henri nous font plus

contemporaines , & fon caraétere valeureux


chevalerefque ,
aimable , fe rapproche plus de
nos mœurs.
Il n’eil pas douteux qu’il n’eût joui de

tous les hommages ,


dans une affemblée na-
tionale : & s’il fe priva de cette gloire * c’efi

que fon refpeét pour la loi ,


lui commanda ce

facrifice.

cc Perehxe nous apprend que ,


forcé d’établir Hiftoire
r r „ ; , de Henri le
.
de nouveaux
.

fublides, & le
.

peuple étant aux Grand , année


1

55 abois ,
il eut recours au grand remede qu’on
55 a accoutumé de pratiquer quand la France
55 eft en danger ;
c’eft la convocation des états

55 généraux.
35 Mais parce que la nécelhté ne lui donnoit

35 pas le tems de les convoquer en corps , il

î> convoqua feulement les notables » .


*

Cependant on voit qu’il y eut des députés Voyez de

des villes ,
ainfi cette alfemblée différoit en- cx i™ Vsnée
même nom, où ^ 6
1 '

core de celles qui portent le

les notables choilis par le roi , font fans mif-


( I5>2 )

{ïon , comme fans pouvoir , & ne forment que


le confeil du prince.
Suîli Uv. Mais , dit Sulli ,
« on n'appella cette aflfem-
8 , an.
33 blée quune affemblée de notables , au lieu

33 d'états généraux ,
parce que la forme ufitée

»> pour la convocation des trois états , & la

33 diftin&ion des ordres n'avoit pas lieu 33.


En lifant les réflexions du grand Sulli , fur

nos états généraux , on s'afflige que ce bon


citoyen * encore irrité des excès de la ligue
calomnie nos aflemblées nationales , & leur
impute un défaut de fagefle ; tandis que tous
les cahiers des états généraux qui nous font
connus , prouvent que leur prévoyance s'étendit

à tout , 8c que l’autorité des rois a tout détruit

en méprilant nos décrets nationaux.


Mais Sulli ,
en traçant le devoir des rois,,

avec la vérité 8c la rigueur d’un citoyen , s'efl:

rappelle trop tôt qu'il étoit miniftre, quand il

dit :

« Au malheur d'avoir un roi injufte , vio-


33 lent, ambitieux, les peuples n'ont qu'un feuî

remede à oppofer , celui de l’appaifer par


33 leurs foumiflions , 8c de fléchir Dieu par leurs
3) prières ».

Voilà un fingulier remede! Non, jamais je


ne croirai que cette maxime déshonorante
foit
foitdu grand Sully ; elle contrafte trop biza-
c m y

lement avec ce qu il établit quelques pages


avant. Ses rédacteurs Font interpolée
dans fes
mémoires.
QuoiSulli auroit pu croire que vingt mil-
!

lionsd’hommes doivent tendre refpe&ueufe-


ment le col au couteau du defpotifme &
;

fe borner a prier Dieu d’en fufpendre les


coups.
Quoi ! Sulli auroit ignoré que les dons de
Dieu font tous dans la main & le cœur des
hommes de courage; que le ciel dédaigne les
prières des lâches ; que l’amour de la liberté
, &
la confiance à la défendre, font les plus précieux
de tous les dons de Dieu; & qu’a ceux à qui
il les accorde , il n’en accorde aucun autre ;

que ceux-là fuffifent en effet. Non non je


, ,

de répété , cette indigne phrafe n’eft pas de


Sulli; le grand Henri en eût rougi fi elle lui
>
,

fût échappée en fa préfence.


Qu’il s’exprime bien différemment quand Mémoire de
cette affemblée de notables Sulli, 1. 8 ,

,
qui après tout ne au. 15-96.
pouvoir donner que des confeils parodiant
,

avoir à fes yeux un caraélere national prou-


, il

vé au roi qu’il devoit fe foumettre à leurs


demandes memes injuftes !

‘ D lui difoit : «< les états affemblés ne coft-


N
C IP4 )

P noiffent point de fupérieur qui ait droit de les


« réformer , pas même le roi. Une des plus
33 importantes maximes pour les gouvernemens

»? monarchiques , eft que le prince doit fe don-


>> ner garde fur toutes chofes , de réduire fes
?? fujets au point de lui défobéir d’effets , ou
33 fimplement de paroles JJ.

Henri ,
malgré l’opinion unanime de fon con-
feil ,
fuivit cet avis. C’eft que le principe en

étoit dans fon cœur. Cette noble déférence étoit


digne d’un roi triomphant ,
qui difoit à cette

même affemblée : « mon amour pour mon peu -


« pie me rend tout pojfible , & je viens me
33 mettre en tutelle entre vos mains ».
A peine revêtu du pouvoir , le grand Henri
rendit aux miniftres des loix , à leurs vertus

courageufes , un hommage bien fublime ,


quand
on fonge que ce roi qui fléchiffoit ainfi devant

la juftice ,
portoit dans fon teirtple une tête
couverte de lauriers.

En ip<po , il ordonna que fon domaine ,

comme roi de Navarre & prince de Béarn,

ne feroit pas partie des domaines de la cou-

ronne de France : cet édit répugnoit aux prin-


cipes ,
il fut rejeté par le parlement ; Henri
donna des lettres de juflion ,
pour qu’il fût en-
regiftré. Alors le vertueux la Guefle ,
proçu-
teur général, cet intrépide
( W )

précurfeur des d’Efi


prémefnil , des Caftigllon &
des Catelan, pré-
fente cet édit; &
après avoir démontré
qu’il
choquoit les loix du royaitme , il s’écria : « je
” ne vois donc nen qui
doive m’empêcher de
« hauffer ma voix & de dire; j’empêche pour
« le roi l’entérinement des lettres
patentes du
« 13 avril , & les lettres de juffion fubfé»
w quentes =3 (î).
H ne fut ni exilé ni emprifonné.
Il fut aimé
& honoré par le roi qu’il fervoit
fi bien , &
il reçut la récompenfe qu’il méritoit. Henri, ie
grand, l’immortel Henri en
1607, maître d’un
royaume qu il âvoit conquis par
fes armes
& par
fes,vertus, retira fon édit, & confirma l’arrêt
du parlement.
Avec un prince imbu de pareils
principes
avec un miniftre tel que Sulli, que feroit de-
venue la Franee? Quel vafte champ odvert à
nos efpsrances eût
, s’il vécu ; & quels fi ec j e $
de douleur, de honte, de
mifere , fa mort à
fait éclorre !

Les talens militaires du grand Henri


, les
talens politiques & éco nomiques du grand

Qj Remontrances de Jacques de la
cureur général
, édition de Paris, dé Chevalier ’i
^
/, , .

page aiz. i.

Na
1

( 196 )

Sulli ont pu quelquefois reparoître }


mais leur
,

cœur qui gui doit toujours l’ufage de leurs talens,

mais leur amour fincere pour le pauvre peuple ,

mais leurs modeftes & fublimes vertus * & elles

entourent encore leurs cercueils ; elles ne font

pas forties de leur tombeau. Avec ces deux


mortels finit la gloire & le bonheur de la

France.
Marie de Médicis afiembla les états généraux
en 1614; leur convocation régulière par baillia-
5

ges & fénéchauffées ,


l étroite obfervance des

formes antiques ?
les revêtirent de tous les

pouvoirs de la nation.

Pendant la vie du grand Roi ,


l’économe

Sulli avoit amafle, dans les caves de la Baf-


pour l’état bientôt le
tille ,
un tréfor ( 1 ) >

d’autres
cruel defpotifme devoit les deftiner à
ufages.
facrilege main des courtifans
Déjà la *

autorifée par une reine revêtue d’un pouvoir

Voyez à ce fujet les excellentes recherches de


(1)
M. de Forbonnois ,
fur les finances. A de vues faines ,

réuniffoit une belle ame. Ses écrits ,


fur-tout celui
il
finances , doi-
'
qui a pour objet les recherches fur les
veut connoître la fource
vent être lus par quiconque
de nos malheurs ,
&
découvrir celle ou ceux qui fe
des vrais principes ont fouvent
puife'.
font refaifis
C 197 )

au-defTus de fes forces , avoir difiipé ces millions


entaffés par le bon roi. Il faudroit être inflruit

de fes projèts pour blâmer cette prévoyance ,


qui répugne à la faine do&rine , qui veut que
le tréfor du prince repofe dans la bourfe de
fes fujets.

En 1614. les refîources de l’état étoient ëpul-


fées : on n’ofoit demander aux peuples de nou-
veaux impôts y & on ne pouvoit s’en paffer.
XJn bon citoyen ÿ en parlant de l’auteür des ca-
lamités de ce fiecle dit (1) :

« Un homme qui n’aimoit , ni le roi 3 ni


» l’état , ni la reine même dont il maîtrifort
,

53 les volontés , difpofa des finances , & di&a


” des Ioix aux françois ,
fans égard à leurs
** mœurs , a leur génie , & à la confiitutîon
*> de la monarchie.
33 II parut convenable , dit le même auteur y
99 au confeil de la régente de juftifier fes

” profufîons aux yeux de la nation 5 . d’in-


35 téreffer les peuples au foutien du gouver-
35 nement ,
par une marque de confiance,
7> afin d’bppofer aux mécontens une efpece

(1) Recherches de M. de Forbonnois fur les finan-


ces, fécondé époque , année 1610, ligne 1 5 de la page
, édition deLiege , 175 S.

N 1
C )

de vceu général ,
puifque Ton n’avoit plus
?? d’argent à leur donner ».
Les états furent donc affemblés,
Mais que) fruit po.uvoit-on en attendre ?

Le menfonge , la perfidie ,
la bafiefie , étoient
Je partage des minières & les refiburçes de la
reine,

Ou trompa la nation fur l’emploi des de^


niers qu’avoit accumulé le feu roi , avec une
telle impudence que l’impofiure frappa égale-
ment tous les yeux,
« Qn n’ofoit, dit M, de Forbonnois, on
» n’ofoit découvrir l’immenfité des riçheffes

n laiffées par le feu toi * & Fon avoit recours


?> au menfonge ?
artifice toujours vil 9 mai?
» puniffabîe
9 Jorfqu’on l’emploie enyers un
m maître ou une nation »,
Il eft dans tous les états un corps que Fon
pe peut égarçr fur fes vrais intérêts , ç’eft le

peuple. Le peuple par qui tout exifte a & pour


qui tout doit exifter 9 ne peut avoir qu’up
bpt & qu’un vœii, L’ambition pénétré moins
dans le bers état l’honneur y parle davan-*
9

tage ; la terreur du blâme de fes concitoyens


garantit la vertu des députés des fur-
y 9

erlf&s du pouvoir ?
& de F illufion de fes pro^
meffes,
( '99 )

Bientôt le tiers état fe ralliant aux vrais


principes , devint la terreur d’une reine qui
n’exiftoit que pour les outrager.
Alors reparut cet art funeile de Catherine
de Médicis y celui de corrompre , de divifer
,
d exciter des haines 5 de fomenter des rivalités ,
de jeter dans tous les ordres de Tétât des fe-
?

mences empoifonnées qui n’enfantent que la


deftruéHon & la mort.
Au milieu de tant d’embûches
5 le tiers état
qui repréfente le peuple , & qui par confé-
quent eft Taine des états fe garantit des fur-
,

prifes qui égarerent les autres ordres.


Il réclama fortement les loix & les prin-
cipes. Sa fagacité dans les demandes qui
ont pour objet le bien du commerce , éton-
nent par leur fageffe , & ce font celles aux-
quelles après bien des erreurs il faudra re-
venir.

Il établit indépendance de
1 la couronne de
toute puiflance étrangère
5 & déclara que le
trône de nos rois ne reievoit que de Dieu.
On a, étrangement abufé de cette décifion
pour établir le defpotlfme ; mais jamais le
tiers état en la promuîgant , n’a prétendu
.affranchit les rois du joug des îoix natio^
nales. Il déclara fimpîement > que la cou-
N 4
( 200 )

rotin e de France n’étoit foumife , quant au


temporel , à aucune puiffance étrangère ;

cétoit-là le feul objet qui occupoit les états


généraux (i)

On réclama vivement aufli contre la véna-


lité des charges de magiftrature , & le droit
établi pour leur tranfmiflion dans les fa-

milles.

La vénalité établie par François I er •


a

excité de tout tems de fortes réclamations 5

& je fens combien l’éloquence a dû trouver


de reffources pour foudroyer un pareil éta-

bîiifement : c’eft au defpotifme feul qu’il

appartenoit de rendre problématique ,


fi l’e-

xiftence de la vénalité des charges -, & fur*»

tout leur tranfmilïion dans les familles , font


vicîeufes.

J’avoue que je ne peux plus douter à cet


égard , & que je fuis fortement perfuadé
qu’en France elle eft non-feuîement utile ,

mais néceffaire ; de que les choix des mi-


nières , font mille fois plus redoutables ,
que

(1) Yoyez maximes du droit François, tom. iv ,

le verbal des états de 1614 ,


par Rapine ,
& le

mercure de France, tom. 111.


( 3©î )

les inconvéniens de la vénalité : leur' feute


influence dans les élections deviendront un
fléau , & jamais^ la vénalité ne peut nous
caufer tant de maux ,
que le choix de nos
magiflrats dirigé par le miniftere, Qu’on juge
de ce qui arriveroit bientôt ,
par ce qui eft

arrivé de nos jours ? & qu’on prononce en-,

fuite , s’il efl expédient que. la vénalité foit

abolie , & que le choix des magiflrats dé-


pende absolument du prince & de fes mi-
niflres.

Les états généraux de 1617 ne furent frap-


pés que des abus de la vénalité ; le defpo-
tifme des régnés fuivans nous a triftement

convaincu de fon utilité.

Ces états déchirés par les cruelles divifions


qu’une reine coupable y avoit fait naître , îa

pénétroient cependant d’une telle terreur ,

qu’elle fe hâta de les congédier. Mais avant


la diffolution de l’affemblée , lorfque l’on pré-
fenta les cahiers , l’orateur du peuple dit à
la reine : « les loix du royaume ne tiennent V-rbaî
Racine.
pour parfait aucun établiffement public &
33 qui a trait à l’avenir , finon après avoir été
33 autorifé par la vérification des parîemens 33.

Il fembloit que le tiers état prévoyoit les

malheurs qui alloient nous accabler 9 & que


( 202 )

fa prévoyance alarmée ufoit du feul moyen


d éloigner la ruine de Tétât , en foumettant
1 autorité à des formes qui dévoient enfin
ramener le régné de nos loix fondamentales ,
& rendre à la nation fes pouvoirs & fa
liberté.

Ce furent nos derniers états généraux.


Depuis près de deux fiecles la nation n’a
plus été entenckîé : elle a parcouru pendant
ce tems de mort , tout le cercle des ca-
lamités dont le pouvoir arbitraire menace
les peuples. Trois régnés abfolus ont enfin
confommé notre ruine mais l’excès de nos ;

maux en efl: aufii devenu le terme & quand ;

le defpotifme des prédéceffeurs de Louis XVI


ne lui a laiffé pour héritage que des dettes
énormes & un peuple accablé , il a bien
fallu chercher s’il n’exilloit pas un moyen
de régénérer la nation , & de lui rendre
fon exiftence. Mais avant de nous occuper
de nos malheurs & des caufes qui les ont
produits, jettons un coup d’œil fur les fou -

venirs que nous ont laiffé nos états généraux.

Les miniftres fauteurs du defpotifme , enhar-


dis par l’ignorance de la nation , fur ce qui
concerne fes fuprêmes affemblées , ont ofé
leur reprocher jufques aux maux dont iis
I

( 203 3

font les caufes , & leur imputer de n’avoir


pas opéré un bien que leurs audacieufes dé-
marches ont feules détruit.

Il eft aifé de juftifier les états généraux


de ces criminelles inculpations ; leurs cahiers
fubfiftent en partie : les ordonnances ren-
dues en vertu de leurs décrets fuppléent aux
cahiers qui nous manquent ;
quon les life

donc , & on verra que ces auguftes aflem-


blées , toujours entourées de piégés & de
fédu&ion ,
obfédées de gens empreffés à les

égarer ? autant qu’à les corrompre , n’ont pas


établi une feule loi attentatoire à nos liber-
tés ,
je dis plus : ils n’ont pas fait une motion
unanime ,
qui ne foit maintenant l’objet de
nos réclamations.
S’ils n’ont pas opéré tout le bien que l’on
devoit en attendre ,
c’eft que jamais les rois

& leurs miniftres , ne les ont convoqués


qu’en ces momens d’orage où l’excès des
malheurs rendoient leurs efforts impuiffans.

C’eft quand tout eft perdu ,


qu’on appelle les

états généraux ; & fouvent ils n’ont d’autre


choix à faire pour nous 5 que celui du moindre
des malheurs.
Ou les a vus cependant au moment où la

tyrannie de Philippe le Bel nécefftta la réfur-,


C 204 )

te&ion de nos aflemblées , fe refaifir de tous


les droits nationaux , forcer fon fucceffeur à
les reconnoître , fuivre pendant 300 ans les
mêmes principes , les développer fuivant les

occurences , réunir le refpeél pour le roi , à


l’amour de la liberté , & dévouer à la haine *
à l’opprobre , les minifires pervers qui , abu-
Tant de la confiance des rois , commettent
le crime inexpiable de défunir , dans leur
cœur , l’intérêt du monarque ÿ de l’intérêt

des peuples.
Jamais en aucune occurrence ils ne fe
deffaifirent du pouvoir d’accorder ou refufer
l’impôt , de veiller à l’emploi des deniers pu-
blics , 6c ils ont toujours exigé que ce droit
fût clairement reconnu 6c développé.
Aucun moyen ne put les éloigner de ce
principe çonfervateur de nos libertés ,
qu’ils

n’étoient que les mandataires de la nation *

affervis à fuivre les ordres de leurs commet-


tans , 6c ne pouvant ftatuer fur aucun objet*
fur lequel ils n’auroient pas reçu l’infiruétion
de leurs bailliages.

Ils établirent la fuccelîion héréditaire , don-


nèrent la régence , s’occupèrent de la ma-
niéré dont la juftice devoir ^etre rendue au
peuple.
C 20; )

Ils diftinguerent foigneufement les loîx du


royaume ,
qui font immuables , ne peu-
vent être détruites que par les états géné-
raux , des loix du roi qui! peut révoquer ,
par
le même moyen qui fert à les établir , en
les faifant librement vérifier & contrôler dans
les cours nationales.

Ils chargèrent ces cours d’honorables man-


dats qui , en les rendant inhérentes à la

conftitution , les ont foumifes à la nécefiité


de facrifier leur exiftence ,
pour s’acquiter
envers la nation de la confiance dont elle les
honora.

Sans doute ils pouvoient faire davantage ;

mais qui a rendu impuifilnte une de leurs


plus fages loix ,
celle qui , en 1484 , de
Fautorité des états affemblés à Tours , né-
ceilitoit leur retour dans deux ans ?

N’efi>ce ptas la funefte autorité des imnif-


très, efclaves ,
complices, & fauteurs du
defpotifme ,
qui a rendu vaine cette faîutaire
infiitution qui nous eût à la fois préfervé de
leur tyrannie , & de tous les maux qui nous
accablent ?

S’ils n’ont pas étendu leur prévoyance fut


tous les objets , fi d’importans détails ont
( 20 6)
échappé à leur fagacité , n’eft-ce pas encoré
a la perfide politique du defpotifme que nous
devons nous en prendre ? c’eft lui qui fer-
,

mant d éternelles difcordes entre tous les


ordres de l’état , éloigna la nôblefle & lé
clergé , du peuple* Ces funeftes erreurs *

ces vains & odieux privilèges qui abufe^


rent nos peres ^ & auxquels de perfides con-
fiais les attachoient encore , ont toujours
nourri dans ces aflemblées , des principes
ûe haine , dont le funefte développement ,

dirige par la politique habile du pouvoir


abfolu , opéra fouvent l’impuififance de ces
affemblées , en empêchant une réunion plus
redoutable âuX nüniftres * que la ruine de
l’état.

Enfin le defpotifme a détruit lui- même la


caufe de nos longues infortunes ; fa vafee
oppreflion n’a heureufement épargné aucune
clafle de citoyens. Il nous a tous rendus
égaux par l’uniformité de nos maux , & fa.
longue imprévoyance , nous a douioureüfe-
ment conduits par tous les fentiers du mal-
heur , à l’univerfalité de principes , au même
vœu , à la même opinion.
Ces privilèges qui ifolent , & qui nous
ont coûté fi cher 3 nous font devenus odieux*
(20J)
hes fiecles nous ont appris que les charges
impofées par généraux , doivent être
les états

Apportées par tous les ordres de l’état ils ;

nous ont appris que les privilèges contraires


à l’intérêt de tous font des embûches
, qui-
empêchent des coalitions falutaires , & qu’il
faut n’avoir avec le peuple qu’un feul &
meme intérêt , pour faire toujours triom-
plier Ja liberté , les loix , & fauver la ré-
publique.
Si en ces occurrences les deux premiers
ordres de 1 état ont refufé au defpotifme mi-
ni (le rie 1 , 1 abandon de leurs privilèges
, c’eft
que c eft a la nation feule qu’ils en doivent
le -facrifice c eft qu’il feroit
; mille fois plus
doux de mourir, en les défendant, que
de
Céder un moment à l’autorité abhorrée
d’un
minière odieux ; c’eft que la tentative illégale,
qui prive un citoyen d’un privilège
devenu fon
patrimoine, eft un crime tandis que
; l’ordre
de s en dépouiller, émané des états
généraux,
eft une loi falutaire qui ne trouvera par-tout
,
que des cœurs fournis. G’eft que enfin , la
liberté nationale doit être le prix de ces
privations , & nous en confoler , tandis que
accordées aux deux miniftres qui nagueres
,
les avoient exigées , elles n’ayroient été
(208)
qu’un nouveau moyen d’affurer riotre fèrvî-^

tude.
Oui , oui , nous le répéterons fans celle ,

nous mettrons tout ce que nous poffédons ,

aux pieds de la nation ; mais il faut tout re-

fufer aux fauteurs du defpotifme.


Mais comment s’efl enfin opérée cette révo-

lution qui nous ramenant aux vrais prin-


,

cipes ,
fait déjà luire fur notre patrie défolée

par des fiecles d’efclavage * des jours de bon-


heur & de liberté.

Le régné affreux de Louis XI & de fes


bourreaux , avoit tellement avili & flétri
toutes les âmes ,
que dès lors fe feroit établi

le defpotifme ,
fans le concours heureux des
circonftances qui féloignerent. A la mort
de ce tyran ,
la régence de fon fucceffeur
permit aux états de Tours de rétablir nos
libertés.

Bientôt la plus terrible des paffions em-


brafa famé des françois : le flambeau du
fanatifme s’allüma. Au pilieu des guerres

quil excita ,
les âmes fe fortifièrent ; & du
fein du plus terrible des fléaux ,
naquit cepen-

dant l’amour de la liberté , & le courage de


la défendre.

Ces mouvemens vioîens donnèrent à tous

les
y ( 209
:

)
^
:
;

les cara&eres une énergie incompatible avec


te defpotifme.

Le grand Henri triompha de tous fes en-


nemis ; il les fournit autant par fes maniérés
enchantereffes que par fes vi&oires : lui feul
avoit famé élevée , le caradere affez fort pour
régner fur un peuple libre, & rendre utile à
la patrie ces relies d’effervefcence de cou-
,

rage , d’indépendance qui animoient alors les


François*

Jufte ciel ! que n’eût pas fait ce grand


homme d’un peuple auffi nerveux que i’étoient
les François de ce fiecle ! Mais à fa mort ,
une main mal habile & perfide , fit fubir à la
nation , la honte de la plus humiliante des ré^
gences. Marie de Médicis ne régna que pour
avilir & corrompre. A
ce régné d’un moment
fuccéda celui d’un prince incapable faible de
*

timide. G’eft le vice de la foibleûe que l’amour

effréné du pouvoir illimité ; c’eft un de fes


penchans que la cruauté ; elle fe nourrit dé
terreurs toujours renouveilées ; & jamais un
prince foible ne fut un prince bon & clément.
Aux âmes de cette trempe , il faut un appui ,
un guide ; il faut un maître enfin à ces
rois foibies & abfolus, Richelieu régna fut
Jbouis XIII.

O
1
( 210 >
Un miniffre roi eff un être abhorré SC
odieux; la nation, que fon empire humilie,
ne peut s'affervir fous lui qu'en s'aviliffant.

Richelieu le favoit , auffi il réfolut d'enchaîner


la nation , & de la flétrir, pour jamais, des
fers du defpotifme ; comme l'on voit ces fau-

vages , lâches 8t cruels , effrayés des forces


des prifonniers qu'ils ont vaincus, les mutiler
pour fe les àffervir.

En ce fiecle il exifloit encore quelques


grands earaâreres , mais aufîi-tôt parurent,
à côté du trône , les poignards qui dévoient
en triompher.-
Le fan g inonda les échaffauds, les prifons

fe remplirent ; les délations , les lettres de


cachet établirent dès-lors leur puifïance.
Ces caves de la Baftille , que le bon roi
n'avoit fu employer qu'à renfermer le tréfor
de l'état, fe changèrent en cachots ; elles re-

çurent , il eft vrai , des tréfors plus précieux


encore , elles recelèrent , dans leurs murs , les

plus vertueux citoyens mais aufli elles re-


,
y
çurent leurs derniers foupirs.
Tout ce qui peut effrayer un peuple & le
pénétrer de terreur,, fut employé par l'impla-
cable Richelieu. Alors parurent ces commifïions
fanguinaires , dont la feule exigence eft un
( 211 )

Crime , un facrllege envers les îoix : c’étoit


une troupe de tigres, réunis par la cruauté,
& attendant des victimes.
L’innocence y trouva toujours la mort, &
Richelieu des complices. Celui qui poignardoit
la vidime , étoit le feul innocent au milieu
de cet odieux tribunal ; les vrais bourreaux
étoient les commiflaires.
Alors s’écroula l’édifice de nos libertés
fous un roi fi étranger aux loix , qu’il fe

croyoit outragé ,
quand les provinces récla^
moient leurs privilèges , &c qu’on vit alors fs

bouchant les oreilles , demander comme un


furieux, s’il avoit jamais exifté d’autre privi-
lège que fa volonté ( i ).

Haïr le miniflre , devint un crime d’état


la nation entière en étoit coupable : mais
les bourreaux en punirent le vertueux de
Thou.
La mort de ce tyran des François , fut bientôt
fuivie de celle de fon efclave.
La nation , encore étonnée du fléau qu’elle
venoit d’effuyer , ne put ,
malgré les agitations
d’une longue régence, obtenir i’affemblée des

( I ) Boulainvilliers , hifb du gouvernement tom.


m ,
pag. 198.
,
( 212 )

états généraux ,
qui feule pouvoient lui rendra
fa liberté.

Ils furent promis en 1 64.9 : les bailliages

de fénéchauflées furent convoqués ; mais la


mauvaife foi , tous les vices de la baffeffe
avoient remplacé les vices cruels & fanglans
de Richelieu ; il avoit enchaîné la nation , fon
fucceffeur l’avilit. Richelieu avoit dédaigné
ces moyens honteux partage de la lâcheté ;

il avoit eu l’affreux courage d’être un tyran


audacieux.
Mazarin ne fut qu’un fripon ; & fon minif-
tere fit plus de mal aux françois ,
que la ty-

rannie de Richelieu.
Richelieu avoit courbé tous les courages ;

Mazarin les détruifit ; & le long régné de


Louis XIV acheva de gangréner toutes les

âmes : fous ce régné , les citoyens s’honorè-


rent de leurs chaînes. Ils s’énorgueillirent des

outrages & des regards d’un maître. La baffe

flatterie ,
la cupide ambition , le defîr d’oppri-
mer, & la volonté d’endurer des mépris pour
jouir du pouvoir d’opprimer à fon tour; l’in-

quiète ardeur répandue dans les provinces d’aller


chercher des chaînes à la cour ; les folies d’un

luxe ruineux, qui dévorant le patrimoine des


citoyens, les foumettoient aux çrimes quérir
( 2Ï3 )

fante la néceffité ; l'infoîence des minières,


qui s'accrut en raifon de l’aviîhTement na-
tional , leur fureur d'établir le defpotifme ,

tels furent , fous ce roi fi vanté , les vices

quil fomenta toujours ,


après les avoir fait

naître.

En ce temps , on vit des hommes trembler


devant un roi , frémir d'une difgrace quel-
,

ques-uns mourir de regret pour l'avoir encourue.


Jufte dieu ! Des hommes mourir pour avoir
mérité la défaveur d'un roi; fhiftbire l’afîufe;
mais elle n'a pu me perfuader : cet excès de
baffeffe efi: impofiible.
Ce régné, difent les partifans, eut un grand
jéclat.

Oui, hommes infenfés, il brilla de la fu-


nefie lueur qui luit aux incendies, & qui ne
s'alimente qu’en dévorant vos tréfors. Que nous
a-t-il laiffé ce régné fi éclatant ? Une multitude
d'impôts ,
des dettes énormes , des îetrres de
cachet ,
l'oubli de nos libertés ; que dis-je \

l’ouWi ,
la terreur même du retour à nos li-

bertés nationales , dont la hauteur accabloit


naguère nos foibîes courages.
Chaque viéioire de ce roi fut une cala-
mité pour le peuple. Il nous a ruiné par fes
guerres, aifervi par fes troupes. C*eft fous lui

O 3
( 2î4 )

fur-tout quelles ceflerent d’ètre citoyennes, &


que 5 femblables aux gardes prétoriennes ,
elles ne connurent qu’un maître , & n’eurent
plus de patrie. Les îoix furent réduites au
Jilence. Les magiftrats étonnés n’avoient pas
encore aguerri leurs âmes à de courageufes
réfiftances.

Non content d’avoir fait le malheur de foir

iiecle , il dévora les reffources de la pofïérité


par fes emprunts. Voilà quel fut ce roi, &
voilà quels font fes bienfaits.

Si jamais le retour des états généraux parut

néceffaire , ce fut fous la minorité de Louis


XV, quand des opérations inconfidérées nous
eurent conduit au moment de notre ruine.
Mais à peine en confervoit - on le fouvenir.

Les François du fiecîe de Louis XIV regar-


doient ces aifemblées de meme oeil que nos
foibies foldats regardent la pefante armure de
nos pertes , dont leurs corps débiles ne peuvent
fou tenir le fardeau.
Louis XV, élevé fur le trône , au milieu
de la cour la plus corrompue , fe trouva le

maître d’un peuple fi façonné au joug ,


que
la liberté lui auroit été à charge.
O
îl fallait que le defpotifme fe détruisît par
fes propres excès, & ce long rogne fut co'nf»
f 2If )

Raniment employé à nous conduire à ce terme*


Mais fous ce régné abfolu naiflfoit un nou-
veau genre d’efprit , de nouvelles idées ,
une
indépendance de principe 3c d’opinion qui
dévoient nous préparer à la liberté, & nous
la rendre defirable.
Quelques écrivains, éclairés par leur génie,
prévoyant le terme ou devoit fe brifer le co-
loffe de la puiflance abfolue , relevoient les
vrais principes , les ornoient des charmes de
la plus fublime éloquence; dédaignés par des
minières vieillis dans les. chaînes , & par des
vieillards qui dévoient les traîner au tombeau ,
ils éle voient famé de quelques citoyens dans
fâge heureux de fadolefcence, ou l’on n afpire
qu’après la liberté.
Tel eft le pouvoir 3c futilité des bons livres,
que ,
dédaignés par une génération imbue de
préjugés ,, ils font les délices de celle qui s’é-
lève ; 3c quand le bienfait du temps a plongé
dans le tombeau la génération précédente , il

fe trouve que les préjugés qui fégarerent y


font defcendus avec elle, 3c que le régné des
bons principes efh arrivé»

Le fiecle littéraire de Louis XIV ne fut


épris que des attraits du bel efprit. Les lettres

ne. furent que louer le defpote ; mais fous


( 2l6 )
Louis XV elles s'affranchirent
du joug, & 1®
véritable efprit de la liberté
& de la philofo-
phie honororent les produdions des
écrivains
les plus célébrés. Ils
méditoient en lîlence la
chute du defpotifme &
, la régénération de la
nation.

L’entreprife étoit difficile. Le defpotifme brife


tous les^ liens éteint tous les fentimens
,
géné-
reux , réduit à craindre fans ceffe
pour ce qu’on
siïîw , Ls outrages de la tyrannie on finit par
;

ne s’attacher qu’à foi - même.


L’égoïfme & le
pouvoir abfolu, font deux fléaux
toujours con-
îemporains.
D ailleurs fi quelques écrivains courageux
;

forts de leurs vertus, & fournis à leur feul génie,


éclairèrent leurs concitoyens combien en
, eft-il
qui, affervis par les plus légères faveurs, étouf-
fèrent les cris de leur confcience
, & change-
rent en poifons les taler.s que le ciel leur avoit
accordés,
La noblefle plus afiervie qu’aucun autre
ordre
de l’état, fembloit oppofer au retour de la IL
berté une invincible barrière mais que
; dis-je !

le peuple voyoit fortir de fon fein fes plus


cruels ennemis.

Le defpotifme avoit tellement égaré tous


ks cœurs ,
quun homme né plébéien écrafé
,
( 217 )
par la noblefle étoit
, à peine parvenu à la
plus médiocre aifance, qu’auflîtôt
il fe tournoit

vers le defpotifme adoroit les illufîons des


,

nobles , &
frappoit avec dédain fur les droits
& pouvoir des peuples.
le

Semblables aux defcendans de Cadmus,


notre
patrie vit fes enfans déchirer
fon fein , auffi-tot
qu ils en eurent la force. Tels étoientlesobftacies,
telles étoient les
relfources quand enfin le feu
,
roi mourut. Il laiffa fa nation affervie, mais
portant dans fon fein une
génération nouvelle
encore foumife à des préjugés
, mais ayant auffi
quelques bons principes qui
, pour devenir fa-
lutaires , avoient befoin
d’être fomentés par
l’adverfité.

En lifant les mémoires du (îecle de Louis XIV,


& les annales de Louis XV ; en voyant quelle
fut l’infolente fierté
du premier, & le confiant
mépris du fécond pour fon
peuple, & avec quelle
balfelfe la nation admira l’un de ces régnés, &
fupporta autre
doit-on s’étonner qu’il fe foit
1
,

trouvé un écraivain célébré,


qui, pénétré de
refped pour l’Etre fuprême
, & n’oânt infulter à
fa juftice ait cru que ce furent
, les pallions des
hommes, qui, pour leur malheur commun for-
mèrent les locîétés
; & que l’être éternel avoit
crée l’homme pour vivre & mourir dans les dé-
f 218 )

ferts 3 ifolé, libre , fans affe&ions fans chagrin,


,

fans prévoyance privé il eft vrai, des douceurs


, ,

de l’amitié, inacceflible aux flammes les plus


pures de l’amour ; mais aufli méritant à ce prix
une éternelle indépendance, & affranchi dès fa
naiffance , & jufqu’à la mort, de l’humiliant
empire d’un maître ;
qui n’eût penfé comme
ce grand homme ? Sa belle ame , indignée de
nos vices, ne pouvant en fupporter les excès,
dans fa jufte indignation , fapoit les bafes d’une
inflitution dont les effroyables abusengendroient
à la fois toutes les calamités.

Si tel , en effet, devoit être le fort des mortels ;

s’il n’exiftoit pas un moyen de rajeunir , par la li-

berté , des fociétés vieillies fous le defpotifme;


fi l’avenir ne devoit nourrir que les mêmes vices,
& affermir la même fervitude , feroit - ce àih
crime à l’homme , dont le coeur vivroit encore ,

de fe plaindre à Dieu même de l’excès de fes

tourmens? feroit-ceun crime au citoyen, accablé


de fes fers , de maudire fon intelligence même ;

de defîrer la ftupidité des bêtes, puifqu’il eft def-

tiné à en fubir le fort; de préférer à une raifort


funefle qui aigrit fes douleurs , le noble inftinéfc

de ce fier animal ( 1 ) ,
né libre , dompté par la

main de l’homme, mais perdant auili - tôt la vo-

{ 1 ) Bufrcn ,
hiftoire naturelle de l'éléphant*
( 2ïp )

Ion té de propager Ton efpece , fe vouant tout


entier à la mort plutôt que de laiffer à fon
tyran une race d’efclaves , réfillant au plus im-
périeux ches befoins , en triomphant par la conf-
iance d’un courage -indomptable , & forçant
ainfi l’homme barbare qui l’enchaîne, à laiffer
l’efpece en liberté , crainte de la voir s’anéantir
dans l’efclavage(i).
Oui, tels feraient les dernier vœux de l’homme
de courage, fi la providence l’avoit dévoué à
l’opprobre d’une éternelle fervitude. Mais le ciel

voulut que la fervitude fût la punition des vices


d’une nation : Ôc que la liberté publique pût
renaître ,
quand de longs malheurs nous en au-
raient fait fentir le prix.

Le defpotifme qui égare les peuples en les


aviliffant
,
produit le même effet fur les rois.
Il les rend indifférens au bonheur de leurs fuc-
ceffeurs , & leur régné n’a plus pour objet que
leurs jouiflances perfonnelles.

Si l’amour de leurs defcendanséchauffoit leurs

( i
) Dans un des ouvrages de mon ami M. de Champ-
fort fe trouvent ces deux vers, aufujet de l’inftinci
généreux de l’éléphant.
Dans une race efclave il ne veut point renaître
, ;
Il meurt, mais fans ligner un efclave à fon maître.
Je n’ai pu les oublier, ai alfez préfumé de ion &
am tiépour croire qu’il agréerait que j’introduifilfe fes
beaux vers en profe.
C 220 )

ames.ne prévoiroient-ils pas quel fort


leurs fautes
multipliées préparent à leurs '

fuccelfeurs ?

Les régnés de Louis XIII, de Louis


XIV, &
de LouisXV dévoient invertir celui
de Louis XVI
de maux incurables. C’étoit fur lui que dévoient
preifer les erreurs de deux cens années. Il devoit
en porter tout le poids. Mais il faut l'avouer, ces
malheurs dévoient le conduire à la gloire de ré-
générer fa nation de la rendre litre
, , s'il ne peut
à lmftant la rendre riche
& puiffante.
Si 1 amour de la fimplicité, l'horreur du fafte ,
l'attachement inaltérable aux plus aufteres
vertus,
le refped pour mœurs ,
les la bonté d'ame & de
Caraéteie eufîent fuüî a notre bonheur,
notre roi
méritoit que, par fes feuls exemples, notre
félicité
put renaître. Mais le mal avoit fait de trop rapides
progrès. Nous devions
, & nous , fubir lui
d autres adveriités, pour arriver au terme où
le
retour de la conftitution nationale devoit nous
rendre la vie.

C'eft un grand malheur pour


les rois, que de
le devenir fans être formés par l’expérience
; &
je m
egaie fort, ou Louis "V I en a fouvent X
gémi.
Qui eut ofé, a fon avènement au trône pro-
,

noncer devant lui le nom des états généraux? On


a voulu pallier des maux invétérés, & pendant
( 221 )

Ce tems on a vu le monarque, commandant à fes


inclinations , approcher de lui des hommes qui!
n’aimoit pas , en éloigner qu’il agréoit dans
,

fefpoir d’opérer notre falut , mais tous ces pal-


liatifs ont comblé nos maux, & égaré fes opinions.
Quand la vérité elle-même s’offriroit tout-à-
coup à fes regards, qu’on me dife à quel ligne
frappant il pourroitla reconnoître? A quel ligne
la reconnoîtrions- nous nous -mêmes , fi mille
projets oppofés , mille fyftêmes différens nous
,

avoient tour-à-tour déçus?


Mais je me trompe , au milieu de ce laby-
rinte inextricable; notre roi a faifi l’unique moyen
de connoître la vérité. C’eft à la nation à la
lui apprendre; c’eft à elle à triompher pour jamais
de tous les preRiges. Dès que le roi aura en-
tendu les vœux du peuple ,
pourroit-il les ou-
blier? Non, il confacrera à les exaucer les
reftes d’une vie que le cours de la nature nous
promet devoir être de longue durée.
Les
moyens d’arriver au terme où nous
fommes ont été pénibles ; la derniere crife
fur-tout a failli nous anéantir ; peut-être étoit-
elle encore néceflaire ; il falloit nous traîner
ignominieufement fur le bord del’abyme, pous
nous garantir d’y tomber.
Il eR vrai que jamais la nation ne fut opprimés
C 222 )

par un miniftere plus odieux. Il fembloit réunir

tout ce qu’il falloit pour aigrir notre défefpoir :

chez lui le ridicule dans les projets 0 joignoit

perfidie la vengeance à la calomnie ,


à la ;

l’infolence à la fauffeté. Mais enfin ,


en voyant

fureurs nous ont conduit


qui oferoit
où fes ,

qui croiroit avoit trop payé


par
fe plaindre î
,

des infortunes patfageres , le


bonheur de voir

reparoître nos états généraux.


te plaindrais?
Seroit-ce toi, d’Eprémefnil, qui
viétime la plus cruel-
Tu fus , il eft vrai , la

lement outragée, par le defpotifme miniftériel;


où fa haine facrilege te
mais en ces inftans ,

pourfuivoit dans le temple de la juftice &


t’immoloit fur fes autels ,
au milieu de fes

dis -nous quel dédommagement


miniftres ;

dont tu ne celfas d etre


t’offroit alors la patrie ,

en devenant le martyr? Les


le défenfeur qu’en
tes ennemis. Enchaînés l’un
remords dévoroient
complots, ils préfageoient
à l’autre, par leurs
deftinée qui
leur fupplice ta glorieufe , ,
pour
loix rendoit leur ré*
t’unilfant à l’exiftence des ,

furre&ion & ta captivité incompatibles.


de tes facrifices , fi
Si maintenant tu jouis
les avantages que
ton intrépide éloquence pro-
confolerent de ta cap-
curait à ta patrie , te
oferoit murmurer de ces
ad-
tivité, qui donc
C 223 )

verfités pafifageres, dont il ne reliera bientôt


que le fo avenir?

Je le dis avec vérité je crois que les états


,

généraux trouveront qu’il efl de leur dignité


de ne pas pourfuivre , auprès du roi, la ven-
geance des délits d’un miniftere dont fa juftice
nous a délivré. Mais il eft cependant un crime
Inexpiable ; & fi les preuves de ce forfait pou-
voient être acquifes , je crois que les états
généraux trahiraient la nation en n’en deman-
,

dant pas au roi le châtiment.


étoit vrai que le dernier miniftre,
S’il
en nous
abufant par d’infidieufes promelles,
nourrifloit
à force de perfidies dans lame de notre
roi, la terreur des affemblées
nationales; &
que , calomniant ce peuple, qui le refpeéle
& qui l’aime ; il
1
’éloignoit de fon
cœur, par
de facrileges impoftures; fi ce forfait
foupçonné
dans toutes les provinces étoit
prouvé , quel
fupplice mériterait le coupable?

Notre roi craindre les états


généraux ! mais
qu il fe rende juftice qu’il defcende dans la
,

confcience , &
qu’il fe juge. Il verra
que le
plus terrible des malheurs pour
la nation ferait
fa perte ; que formé
par nos adverfités qui
,
font les fiennes c’eft à préfent que
, nous.
C 224 )

devons recueillir le fruit de fes vertus perfon-

nelles ;
que déformais font terminées les crifes

cruelles ,
néceflaires peut être - à fon expé-
rience. Qu il fonge que fi le trône étoit encore

électif, ce feroit lui que nos vœux y appel-

leroient ;
que de tous les rois de l’europe ,
il

efc le feul qui convienne à notre pofition.

Je n’en dirai pas les raifons ,


je ne veux cri-

tiquer aucun fouverain ;


mais enfin , le goût
des conquêtes ,
l’ardeur des changemens ,

l’amour des innovations ,


qui peuvent être
fort utiles en d’autres contrées , nous feroient
Funefles. Il nous faut un roi fournis aux loix,
épris de l’amour févere de la jufiice ,
defireux

de nous procurer des jours de tranquillité &:

de paix. Et e efi quand nous le poffédons ,


que

les états généraux fongeroient à troubler fon

régné Le malheur des rois efi: de juger des


!

hommes par les efcîaves qui les entourent

& de leur empire ,


par leur capitale. Sans

doute il efi naturel à un roh de France, qui

voit le peuple de Paris fournis & tremblant

devant fes foldats ,


de croire qu’il ne régné

que par la terreur.

Que n’eft - il poflible que , s’arrachant à fa

cour notre roi vienne dans les provinces


a

apprendre
'( 2i 5 )

Apprendre à connoître, à refpedter, & d chérit


fon peuple î

Il eft dans notre patrie des pays où la


nature fit tout pour la liberté où d’indef-
,

trudibles ramparts afliirent une éternelle in-


dépendance , & où les âmes font encore
douées de cette .indomptable énergie qui
fait chercher & braver la mort. En ces pays
on n’a jamais craint les foldats du prince,
mais en ces dernieres occurrences on y a
tremblé de la frayeur de lui déplaire. Ceft
en ces lieux inaccefiibles à la force, que la
renommée a donné aux
peuples une idée
fùre de fon çaradere. Jamais la perverfité
de
fes derniers minières, leurs excès, leurs ou-
trages n ont pu altérer un moment le refped
le fentiment profond de fa probité
perfonnelle ,

enfin il leur a été impoffible de le


faire haïr;
& quand leurs attentats multipliés contre
la
liberté publique & particulière , arrachoient
a ces peuples des pleurs de
, rage , leur
unique penfée leur unique vœu
, fut qu’il
falloir inftruire le roi, que le roi étoit trompé
Ce feulmotif guidoit toutes leurs démarches ,
Sc 1 événement a prouvé la juftefle de leurs
opinions»
Et ce feroit la réunion de ce peuple jiifie^

P
(
né )

& aimant, qui feroit à craindre! Non, non J


le roi ne la jamais penfé.
Mais fi les alfemblées nationales font Tunique

relfource de la nation ,
la maniéré de les con-

voquer eft elfentielle à connoître.

Les miniftres auroient-ils pu altérer nos

formes antiques ? N auroient-ils pas frappé de

nullité par cette innovation , les décrets


,

d’une alïemblée qui celferoit d’être nationale ,

fi le pouvoir feul influoit dans la maniéré de la

former ?

Les formes antiques font -elles tellement

inhérentes à la conftitution de l’alfemblée na-


tionale qu’il foit împolïible de s en ecarter ?
,

Et fi elles font de rigueur ,


ont- elles laiffé des

traces alTez vilibles ,


pour qu il foit pofîible

y fuppléer ,
les fuivre ? S’il falloir feroit-il
de
poffible de le faire en confervant ce qui nous

relie de nos anciens ufages ?

Tels font les derniers objets qui méritent

notre attention.
Aulïi-tôt que l’étendue d’un empire 8c fou
immenfe population mettent un obllacle in-

vincible a la réunion du peuple ,


il devient

nécelfaire qu’il élife des repréfentans ,


pour

flatuer en fon nom ,


8c d’après fon voeu ,
fur

{put ce qui intérelfe la république.


( )

C eR un malheur fans Route que l’exiflence


des grands empires. Ils deviennent les fléaux
de leurs voifins les fubjuguent ou
, les co
rompent. Ils en font un aufîi pour les peu-
ples , & le premier de leurs maux c’eR detre
forces de confier a autrui leurs plus précieux
intérêts. Mais ceft un mal néceffaire. Il ne
s’agit que d’en prévenir par de fages inftitiï*
cions les incbnveinéns les plus dangereux , 8c
de former avec foin une affemblée
vraiment
nationale. Mais qu efhce qui conftitue une af-
femblée, nationale ?

C eft le libre choix de tous ceux qui la


compofent; de telle forte que nul n’y aie
voix délibérative en vertu d’un titre quel
,
qu il puiffe être 8c ne puiffe
;
y voter , qu’en
vertu de la libre eleélion 8c de la procuration
,

de fes commettans.
faut enfuite, pour qu’une afîemblée
Il
foit
nationale que le nombre des
, repréfentans de
la nation foit proportionné à la grandeur & à
la population de l’empire.
Vainement voudroit-on perfuader au
peu-
ple qu une afîemblée peu
nombreufe peut
reprefenter un peuple immenfe. Il ne le croira
pas j parce que, en effet,
cela ne peut pas
eue. Pour que le peuple croie
qu’une affeni-
P 2
(

blée le repréfente ,
il faut que chaque citoyen
puifle croire avoir influé au moins fur le

choix de fon repréfentant , 8c que ce choix 5

qu’il a fait librement , le détermine un jour a


fe foumettre aux loix de l’aflemblée ,
quelques
féveres qu’elles puiflent être.

Mais pour que les citoyens puiflent croire

avoir influé fur le choix de leurs repréfen-


tans ,
il faut que l’empire foit tellement di-
vifé ,
que chaque diftrid dÿant le droit d’élire

des députés, foit à la fois aflez étendu pour


que chaque député repréfente une quantité
confidérabie de citoyens , 8c aflez circonfcrit

pour que fes habitans ne foient pas forcés de

s’unir avec des diftri&s dont les habitans leur

feraient inconnus , les intérêts oppofés aux


leurs , 8c où tout au moins ,
celui qui ferait

élu ,
ferait étranger aux trois quarts des vo-

tans. Car ,
de cette maniéré , le peuple ayant a
jjaire un choix ,
fans pouvoir connoître les can-

didats ,
fe croira fort mal repréfenté, 8c fort

aifément trahi.

Mais ces réglés générales dictées par la

juftice , le font auflî par la prudence, fl cette

aflèmblée convoquée dans un tems de détrefle


8c de calamité, n’a d’autre choix a faire pour
nous, que celui du facriflce le moins doulou--
( “9 )

teux : fi fes décrets doivent nécefTairement aug-


'

menter le fardeau de l’impôt ,


& nous priver
encore d’une partie de notre propriété , ces

cruels facrifices exigés d’un peuple déjà ac-


cablé par fes befoins , ne lui paroîtront pas fup-

portables ,
il ne confentira à les faire ,

qu’autant que ,
convaincu de fa fagefie de fes

repréfentans ,
il croira leur devoir ce dernier
hommage, de fléchir devant leurs décrets j

qu’autant qu’il fe perfuadera que c’eft à ce

feul prix qu’ils 011& pu fauver la république :

quenfin s’ils ont été forcés d’appauvrir encore


une nation déjà pauvre ,
ils lui ont au moins
acquis les droits d’un peuple libre, & afiiiré

à jamais le peu de propriété qui lui refie.

Mais s’il exiftoit dans un empire des formes


confacrées par l’ufage de trois fiecles , fi ces

formes refpectées du peuple-, par cela feul

qu'elles lui font franfmifes par fes peres , méri-


foient aufli leur attachement par leur fagefie
8c leur prévoyance ,
ferok-ii prudent de les

altérer , d’infirmer par cet a été d’autorité ! 9


validité de l’aflemblée ,
de l’expofer à des •

proteftations ,
qui , fi elles étoient générales , la

frapperoient d’une nullité indélébile ?

Car, enfin ces formes fufient-elles vicieufes 3

qui auroit le droit de les changer? Ne fau^


P 3
(
2 3 ° )

droit- il pas les fuivre pour <onvoquer une


afiemblée qui les altérât ? Ces formes confti-

tutives font-elles au choix du pouvoir royal ?

ôç une forme de convocation ,


qui s’en écar-
tçroit entièrement , émanée de la feule va-*

lonté du prince ,
pourroit - elle fuppléer nos
formes nationales ,
qui peut-être deviendront
cheres à la nation 5 au moment où Ton voudra
les lui ravir ?

Voilà ce que diroit avec raifon un peuple


qui voudroit améliorer uqe conftitution vi-
'cieufe , avec les précautions indifpenfabies pour

lui en fuppléer une meilleure.


Mais ces formes antiques doivent-elles être

proferites? Sont^elies vicieufes ? C’eft ce qu’il

faut examiner.
Dans tous les empires ,
dans ceux, mêmes
où le peuple eft afiervi ,
il exifie un befoin
de tous les momens ,
qui force le peuple àfe
circonfcrire , ôc l’autorité à fe prêter â ces

divifions.

**C’eft le befoin de la juftice diftributive , Sc

l \ nécefiité d’une furveillance quelconque ,


qui
maintiennent l’obfervance des loix dans les pays
qu’elles gouvernent ,
ouïes volontés du maître â
quand le peuple obéit à un tyran.
Ce befoin fe fit fentir en France 3 audi-U>Ç
( 1JI )

que le régné de la féodalité pencha vers fa

ruine , & que l’empire des loix vint remplacer


Pabfurde tyrannie fous laquelle avoient gémi
les François pendant trois fecles.
Saint Louis établit quatre bailliages dans fes
domaines. Bientôt cet utile établiffement fe

propageant , tous les François le defirerent

de à mefure que le peuple brifoit fes chaînes , il

réclama des tribunaux locaux à fa portée. Les


bailliages furent établis dans les pays cou-
tumiers, de les fénéchaux dans les pays d©
droit écrit.

Cette divifion fut à la fois civile èe mili-


taire , fuivant l’efprit des François de ce f ecle.
Dès-lors naquit au fein de la grande fociété
un fentiment qui unilfoit encore plus parti-
culiérement chaque citoyen à fon bailliage
ou a fa fénéchaulfée. Des hommes qui font
jugés au même lieu ,
qui combattent fous la
même bannière , fe rallient au centre com-
mun. C’eft pour ainli dire une nouvelle patrie.

Les intérêts plus rapprochés font mieux con-


nus. On acquiert par foi- même , ou par la

renommée , la connoilfance de tous les indi-


vidus qui habitent ce même diftriét ;
de ce
befoin continuel de recourir à un même tri—

P4
( )

banal pour y obtenir juftice, fufïitoit pour rap^.

procher tous les citoyens.

Lorfque Philippe le Bel 8c fes fucceffeurs

furent contraints par leurs befoins de nous


rendre nos libertés , le royaume déjà divifé

par l’établifTement des bailliages & fénéchauf-.

fées , offrit au peuple un moyen de fe faire re-

préfenterj & ce moyen, qui étoit alors le plus

naturel , devint par trait de teins le plus juftç

8c le plus utile,

Car , dès que l’adjonétion de plufieurs terri-


toires à un même fénéchal , ou à un mêmç
bailliage , eut trop étendu fon reffort ;
dès

que les citoyens affranchis eurent acquis des


propriétés ,
8c que le choc des intérêts par-
ticuliers ,
élevant un plus grand nombre de
procès , néceflita des jugemens multipliés j dès
que , enfin , la formation de quelques commu-
nautés ,
qui n’exiftoient pas jadis , eut fait

éclore des intérêts plus compliqués , on mul-


tiplia ces établiffemens. Le reffort des an-
ciennes fénéchau fiées fut diminué par la créa-

tion d’autres tribunaux de même genre. Ces


nouveaux tribunaux acquirent , comme les

anciens, le droijt de fe faire repréfenter aux


états généraux , de telle forte qu’à mefure
que la naçion s ’augtnèntoit , à mefure que les
( *3 5 )

interets divers fe muldplioient , le nombre


de ceux qui devcienc repréfenter la nation
s’accroiffoit auffî, Il eft vrai que le prince
établit prefque toujours les bailliages ou féné-
chau/Iees , d après les demandes des pays qui
les défirent mais les
:
lettres patentes qui éri-
gent un pared tribunal doivent
, être enré-
giftrées ;
& d ailleurs l’intérêt d’un roi qui
,
veut être abfolu eft de diminuer
, le nombre
des repréfentans de la nation.
Ainfi, pourvu
qu’il ne puiiTe détruire les fénéchauflees &
bailliages qui exiftent, il eft peu dangereux qu’à
la follicitation des
provinces, il ait le droit de les
augmenter.
Quand ces tribunaux furent devenus de
(impies
cours de juftice forme. antique de convoca-
la
,

tion des états généraux
par bailliages féné- &
chauffées , fubfifta encore, Sans doute elle pa-
rut la meilleure, celle qui
facilitoit le plus au
peuple le moyen de connoître celui à qui il con-
fioit la défenfe de fes intérêts.
ces rations
s’en joignoit une,
qui dut
paroître péremptoire à nôs peres. C’eft
eue,
pour fuppléer à certe diyifioi, du royaume
par bailliage
fénécliaufféè , il eût fallu
absolument la remplacer par une antre qui
mit les trois ordres de l’état à même de faire
(
2 34 )

immédiatement le choix de leurs repréfen-


tans , &: qui mît ceux-ci à portée de rece-
voir direétement , de la totalité de leurs com-
mettans ,
les pouvoirs & les ordres qui dévoient
former leurs inftruétions à l’alfemblée natio-

nale.

C’eft une vérité démontrée par la con-

duite de nos états , par l’aveu des rois y &:

fur -tout par fon extrême utilité pour nous


que nos repréfentans aux états généraux n’y

font que nos mandataires ,


aftreints rigoureu-

fement à fuivre les ordres de leurs commet-


tans y inhabiles à ftatuer fur quelque objet

que ce puiflfe être , fans leurs ordres , ôc

obligés d’y recourir ,


fi des demandes qui

jfauroient pas été prévues ,


exigeoient une
nouvelle décidon. Or, le choix des repréfen-

tans ainli affujettis , ne fe peut faire que par


ceux mêmes qu’ils repréfentent. Le peuple ne

peut même à cet égard fe faire fuppléer ,


ni

.revêtir une affemblée quelconque , du pouvoir


de faire ce choix pour lui. Car , comme

ceft la réunion de la volonté générale qui

candi me edentiellement le pouvoir des repré-

fentans aux états généraux ,


comment le peuple

pourroit-il s’aifurer que la volonté d’une alfemblée

ferait toujours conforme à la volonté publique?


( *35 )

Ces opinions guidèrent nos


peres. Les let-
tres de convocation de l’aifemblée
des états de
1305 ne fnbfiilent plus. Il ne nous
refte que
la du clergé à Bonifiée VIII
lettre
, celle des
nobles aux cardinaux
, elles ne &
i n f- nous
truifent pas de
maniéré dont l’alTemblée
la
fut
convoquée. Mais on trouve
dans Tbiftoire géné-
rale de la province
de Languedoc, de°dom
Vaiflete que le roi
, Philippe-le-Bel par fes
,
lettres (1) du jeudi de Chandeleur
1 302 enjoint
au fenechal deBeaucaire
d'avertir tous les Con-
luis des villes de Ion relTort
, ,
qu’il lui nomme
d envoyer des députés
avec pouvoir de conclure
ce qui feroit nécejfaire
(2).
La même année, dit le même
auteur,
i liiIippe-le-Bel
ordonnent au fénéchal de
Car-
caiïonne , de ne pas le dertàirtr des biens
qu’il
avoit pris auxcommunautés du comté de Foix,
pour les punir de 11’avoir
pas comparu avec les
autres communautés à
l’artêmblée de la l’éné-
c'nauflee pour y délibérer fur
, les affaires du
royaume.

U) On trouve la lettre à la
bibliothèque du Roi,
«1 •
Ms des manuferits; elle
y exifte encore.
<*) Hift. deLaugusdoc de dont YailTette, 1. xxviii
pag. 107.
(
* 3 ^ )

On peut conclure de ces faits que la premier^


afïemblée de nos états généraux, fut convoquée
par bailliages & féné chauffée s.
On doit obferver qu’à cette époque , les

peuples' des campagnes étoient encore en


grande partie affervis fous la tyrannie .des fei-
gneurs féodaux. Ce n’étoit gueres que dans les

villes que fe trouvoient des hommes libres.

Audi Nicole Gilles , nous dit-il , en nous par-


lant de l’affemblée des états convoquée fous le

même roi en 1 3 ï 4 :

u Le roi affembla plu heurs princes, fei-

>5 gneurs , barons ,


8c populaire des villes de

fort royaume (1)».


Mais une preuve que l’aiîemblée de cette po-

pulaire fe faifoit par bailliage 8c fénéchauffée

c’eft que le fucceileur de Phiiippe-le-Bel ,


Louis
Hutin 11’ofa, dit l’hiftoire (2) ,
convoquer les états

généraux j il fe contenta de confulter le peuple »

par bailliages & fénéckau (fées.


Cette maniéré de le confulter , annonce que

la maniéré de le convoquer n’étoit pas différente.

(r) Annales de Nicole Gilles, en 1314, feuillet


£XX V.
(i) Boulainvilliers ,
tom. II de l’hiftoiredu gouver-

nement, pag. 136. Mezerai , ann. i}i 6 .


( 2 17 )'

En 1 } 1 > Ies états ayant refufé un fubiîde


,
,
ie roi envoya confulter la nation dans les bail-
liages & fénéchaulïees.
En 13 fécond article de
5 5, le
l’ordonnance
du roi rendue enfuite des décrets
,
des états, éta-
blit des généraux des aides
pour l’adminiftrâtion
du produit de cet impôt, pour en
rendre compte
aux futintendans nommés par les états
, & elle
enjoint que lors de la reddition des comptes la
,
convocation des trois ordres fe fera
par bailliage
& fenechauflee , ce qui proiive que cetce diviiion
de la fiance, étoit la feule légale
& reconnue
par le peuple 8c les états.

En 1356,Charles V, régent,
n’ayant pu
obtenir aucun fecours
des états, les congédia
& envoya des commilTaires
demander de° fe-
cours dans toutes les
fénéchaulïees & bailliages
0
du royaume.
Le témoignage de l’auteur
anorfyme, con-
temporain de Charles VI
, d’après lequel le La-
boureur a écrit l'hiftoire
de ce prince, nous
apprend qu’en 1411, Ton
étoit fiprelTé d’alfem-
ler les états que
,
l’on envoya des couriers aux
villes & aux chefs lieux des bailliages, pour élire
des députés mais quelque diligence que
;
l’on
pût faire , les états ne s’alfemblerent que le
3
janvier 141a.
( *38 )

Ainfi, dans le plus prelfant befoin de l’état,"

des miniftres qui ofoient tout , fous un roi inca-

pable de les réprimer , n oferétit cependant alté-


rer les formes conftitutives de la convocation

nos affemblées.
On peut aifémeht conclure de ce que nous dit

Jean Chartier, auteur de la grande chronique,


que les états de 1440 furent convoqués par bail-
liages 8c fénéchauffées.
Nous arrivons enfin au tems où les procès ver-

baux nous offrent la lifle de tous les députés , 8c

nous prouyent qu’ils furent toujours envoyés par


les bailliages 8c fénéchaulTées.

Les feuls états de 1561 , convoqués à Pon-


toife, à la fin des états d’Orléans de 1560, le

furent par gouvernement ;


afin , dit l’adminiftra-

tion de ce tems ,
d’épargner les frais qu’on
feroit obligé de faire , en les convoquant par
bailliages.

Cette exception , ainfi motivée ,


confirmoit

la réglé; mais ces formes d’états la reconnu-

rent eux -mêmes, 8c la rétablirent par leurs

décrets.

Ils flatuerent que ,


dans le cas où le roi

feroit incapable de régner , le premier prince

du fang convoqueroit les états; mais que s il

ne les convoquoit au bout de trois mois ,


cha -
( )

que bailliage ou fénéckauffée procéderoir


au
choix des députés.
Ainfi ces états de ijffi
, les feuls
q ue Voa
puilTe prouver s’être
affemblés fous des formes
miolites , en reconnurent eux-mêmes
le vice
& réclamèrent les anciennes formes,
pour
convoquer, en des cas
prévus, nos alfemblées
nationales.

Il eft effentiel de lire dans le verbal des


états de France, la lifte des députés aux
états
e lours en
1484, & aux états de Blois en
1
57 <>- 1

On
remarque aux états de Blois
une augmen-
tai de députés, qui nous
prouve clairement
que chaque nouvelle fénéchaulfée
jouilfoir, auffi-
tôr après fon éreéHon,
du droit d’envoyer des dé-
putes aux états généraux;
& comme il eft prefque
împoftîble d’être auffi bien
inftruit de ce qui re-
garde une province étrangère
,
qu’on l’eft de tout
ce qui importe a la
fienne , on me permettra
, en
cette occurrence, de citer le Languedoc rpour
exemple.
Lors des états de Tours en 1484, le Lan-
guedoc étoit divifé en trois fénéchauflees
qu on y nomme encore les anciennes fénéchauf-
fées , de Touloufe, Carcaildnne,
celles
Beau-
caire de Nifmes.
( MO )

Ces trois fénéchauflees députèrent en 1 48 3 aux


états de Tours, & la province du Languedoc nÿ
eut pas d’autres députés.
Mais en 1 525 le Yelay ,
malgré les injuftes

oppofttions des états de Languedoc obtint une ,

fénéchaufTée. Et en 1 5 5 4 , le roi donna des lettres

de jufïion au parlement de Touloufe ,


pour
que ,
nonobstant les oppolitions des mêmes
érats ,
il enregiftrât les lettres patentes ,
qui
éripeoient
O
une fénécliaulTée dans le comté de
Laur agirai s.
Nous voyons en conséquence , dans la lirte

des députés de cette province aux états de


Blois en 15 76, que les deux nouvelles féné-
chauffées jouirent, comme les anciennes, du
droit d’envoyer leurs députés aux états géné-

raux.

Elles jouirent du même droit en 1588 & en

1614; ainft chaque fénéchauflee royale créée


depuis cette époque, eft fondée a réclamer le

droit d’envoyer fes députés aux états du royau-


me. Elle doit même le réclamer ,
& ce droit ne

peut être méconnu de la juftice du prince 3

mais s’il Fétoit par fon confeil , ce feroit avec

radon quelles le réclameroient auprès des états


généraux.
En lifant ces liftes des députés aux aftem-
blées
( i4 I )

btées nationales on demandera fans


, douce Ci

les états particuliers d’une province ont le


droit de nommer les députés de la province
aux états generaux Ôc pour prouver
j cju’ils ont
ce droit, ôn sautorifera de quelques
nomina-
tions d’états provinciaux qui font relatées fur
,

les liftes*

Pour réfoudre cette difficulté à 1 egard de


toutes les provinces * il faudroit en connoîcre
parfaitement i’hiftoire & la conftitution
; & je
n’ai pas affiez de cdnnoiftaiice de leurs droits
refpeétifs ,
pour efpérer d’y parvenir.
Mais on peut obferver que dans la plupart
de ces provinces , il eft des ordres entiers de
l’état
,
qui ont le droit d’y affifter telles font
;

les provinces de Bretagne & Bourgogne pour


l’ordre de la nobleiîe. Il paroît aifez fimpîe
alors que cet ordre , convoqué en entier aux
états de la province , nomme dans cette même
ailemblée fes députés aux états du royaume.
Mais ce qui prouve l’abfoiue néceffité de
rapprocher les votans de ce Ux dont
, ils font
choix , & par conféquent de donner aux aftern-
blees préliminaires une forme nationale , c’eft
re s ^ toujours pafte à cet égard en
Languedoc.
Cette province eft régie par une forme de-*

-)
(
242 }

tars ;
mais ces états ne repréfentent en aucun©
maniéré les trois ordres dont eft compofee la

province (i).

(1) Cette vérité ,


quoique évidente, a befoin d’un
grand développement. I a province a le droit d’attendre

de la juftice du roi une conftitiuion vraiment iepréfen-


tative j & la terreur que les provinces voifines ont eu

d’une conftitution fernbîable à la notre, dès qu il s eft agji

pour elle de fe conftiruer des états provinciaux ,


fuffiroit

pour nous avertir des vices de notre adminiliration. Elle


a fait fans doute ce qui dépendoit d’elle pour le bien de
la province ;
mais enfin la province n’eft pas reprélen-

tée & il nous faut des reprélentans. Il ell à préfumer


,

que pendant la tenue des états généraux du royaume »

pluficurs citoyens de tous les ordres préfenteront à

mais cahiers
cette fuorêrae afiembîéc leurs doléances ;
les

chargés»
des députés des fénéchaufféesen feront furement
Il faudra feulement prouver au roi, t°. qu’il eilinté-

ce que fa province de Languedoc joqifie de la


refie à
aux états de cette
faculté d’être réellement repréfentée

province i°. que cette province eft abîmée fous le


;

fardeau des dépenfes nécdïitées par la forme actuelle de


fon admintftration , & que c’eft par cette feule radon

que payant moins à proportion que les autres autrefor

royal ,
il lui efi: cependant impolfible de payer davan-

tage 3°. il faudra développer dans le plus grand dé-


>

tail les défauts inhérens à une pareille adminiftration :

cette tâche quoique longue, eft ai fée ;


mais il faut
,

que les trois ordres de la province fâchent que i’objecliou


quand quelques citoyens leur
que font les miniftres ,
( *43 )

Les évêques
y encrent en vertu de leurs di-
gnités 8c le fécond ordre de
Féglife n’y envois
pas de députés.
Les barons entrent en vertu
y des terres
rju ds achètent
, & auxquelles le roi attribue
le droit d’entrée mais
-,
ils ne font élus par per-
fonne , & par conféquent ne repréfentenr
perfonne.

Levers ne peutérat
y être repréfenté pat
lesomciers municipaux de
quelques villes *

quelques - uns d’ailleurs font


nommés par le
feigneur de ces villes plufieurs avoient
; acheté
les mairies quand le roi les aliéna. Ils
, obtinrent
le droit d’entrer
aux états, ainiï le peuple
n’y eft
€u aucune maniéré repréfenté*
Audi ces fortes d'états n’ont
jamais nommé
«fofentl, défaut de cette adminiftration,
c'eft que
la province ne feplaint pas.
Cette tépônfteftabfurdeic
cruelle abfurde
:
en ce que les citoyens
,
ne pouvant
légalement s affembler fans
lordre du roi, ils
ne peu-
vent fe plaindre ; cruelle,
en ce quelle eft
faite par
cens: qu, nous feroient
un crime auprès de
notre roi fl
nous nous étions alfcmblés
pour rédiger nos plai„tl
s.
Ma.sen cette occurrence
, chaque fénéchaulTée
éaami-
nera fes griefs a cet
égard , &
les configura
dans le
cauerde fes députés, avec
Ion vœu pour obtenir
de
notre rc. une adminiftration
réellement compofée
pat
les élus & reptefentans
des trois ordres.
( *44 )

les députés de la province aux états généraux*


Ils furent élus dans les fénéchaulrées ,
parce
que les états de Languedoc ,
ne repréfentant
réellement aucun des ordres ,
ils ne pouvoient
revêtir nos députés aux états généraux , d’un
pouvoir national qu’ils n’avoient pas , & qu’ils

n’ont jamais eu.


Cette confirmation du principe général pourra
peut-être fervir aux autres provinces qui ont

des' états provinciaux ,


pour faire triompher la

réglé & les leix*

Il efl d’autant plus efientiel de faire préva-

loir les anciennes formes ,


que l’on avoit cher-

ché à fuggérer , fur-tout à Paris ,


qu’il feroit

plus commode 8c plus utile de former Fafiem-


bîée nationale des députés des afiembiées pro-
vinciales.

Cela feroit plus commode mais pour qui ? ;

plus utile ,
mais a qui ? Ce ne feroit pas au
peuple , à qui il importe fur-tout que fes dé-

putés reçoivent immédiatement de lui fes ordres


& leurs pouvoirs.

Les afiemblées provinciales font d’ailleurs fi

utiles, qu’il efi: à préfumer qu’elles recevront

des états généraux une exiftence nationale >


mais
en l’état a&uel ,
elles ne l’ont pas. Le roi feul

ne peur pas la leur donner.


(
2 45
)

Mais auffi-tôt qu’elles auront reçu une exis-


tence nationale , leur réunion ,
non par dépu-
tés , mais en totalité , formera les états géné-
raux : ce n’eft peut-être pas ce que veut l’ad-
miniftration. Mais quand il feroit vrai que les
affemblées provinciales, fanétionnées par les
états , doivent un jour former les états géné-
raux , elles ne pouvent y prétendre en ce mo-
ment ;
il faudroit toujours ppur les en rendre
,

fufceptibles , afïembler la nation fuivant l’an-


,

cien (tfage.

Mais , dit-on , ces formes antiques n’ont pas

laifïe de traces fur tous les détails. J’en con-

viens. Mais elles en ontaffez laide, pour qu’un


miniftre habile puifle , à laide de ce que nous
polTédons , fuppléer à ce qui nous manque en ,

fuivant toujours l’efprit de nos anciennes inf-


titutions.

Nous favons que tout eccléfiaftique pofTé-


,

dant un bénéfice, a le droit d’entrer dans laf-


femblée de fon ordre , où fe rédige le cahier
du clergé , & où il choifit fon député aux états
du royame.
Chaque noble pofïedant fief, a le même
,

droit dans 1 ordre de la noblefie.


Le tiers état , après bien des recherches
m’a toujours paru offrir le plus de difficultés

Q 5
(
2 4 <> )

pour conftater la maniéré de le convoquer ;


je

crois cependant qu’on peut établir que chaque


communauté rédigeoit un cahier , & envoybit
fes députés à la fénéchauffée \ que ces députés

formoient un cahier général de toutes les de-


mandes des communautés , & choififïoient les

députés aux états généraux , dont ce cahier


établiftoit Sc limitoit les pouvoirs.

Mais quel nombre de députés le tiers état

doit-il élire ? Les verbaux imprimés , ceux de


la bibliothèque du roi, ceux que j’ai vus dans
quelques fénéchauifées où on les a confervés
varient à cet égard.
Mais quand les moyens pofttifs fur un auftl

grand objet manquent, c’eft à la loi immuable


de la nature qu’il faut recourir pour y fup™
pléer.

Le tiers état eft le peuple ,


Sc le peuple eft

la bàfe de l’état
}
il eft l’état lui-même : les au^.

très ordres ne font que des divilions politiques,


tandis que le peuple eft tout par la loi im-
muable de la nature ,
qui veut que tout lui fok
fubordonné ,
Sc que fon falut foit la premier^
loi de l’état Sc le motif qui les autorife toutes,

C’eft dans le peuple que réfide la toute puif-

fance nationale ;
c’eft par lui que tout l’état

txifte y $c pour lui feul qu’il doit exifter*


/
( *47 )

11 faut donc que le nombre de ces députés


éeale au rntfms celui des deux autres ordres
réunis, afin que l’intérêt public prédomine tou»

jours dans une affemblée ,


qui cefTeroit d’être
nationale , fi jamais l’intérêt de quelque ordre
que ce foit ,
infirmoit ou annulloit la volonté
du peuple.
Il refiera encore a ftatuer fur le fort des
provinces annexées à la couronne depuis 1614 ;

mais les mêmes loixqui , dans les autres provin-


ces ,
établirent le mode de convocation peu-
vent leur être appliquées.
De tout cela il réfultera une grande 8c nom-
bre ufe affemblée j
fans doute. Mais en Angle-
terre , le parlement eft compofé de 700 per-
fonnes , & l’Angleterre 8c l’Ecoffe n’ont pas ,
<

à beaucoup près , l’étendue de la France.

En général , une grande affemblée eft plus


populaire ,
qu’une affemblée plus circonfcrite ;

8c toutes les formes populaires qui n’altérent


pas la conftitution de la monarchie , font celles
qu’il faut préférer.

Mais enfin quels font donc les inconvéniens


d’une grande affemblée ? Pourquoi les minif-
tres en avoient-ils conçu tant de terreur ? On
devine bien les motifs fecrets , mais quels font
ceux qu’ils expofent ?

Q4
( >4* )

ïî faut quils les aient crus d’une haute im-


portance car enfin ils dévoient penfer que le
peuple ,
qui voit méprifer Se violer les anti-
ques loix , n’ efpere pas que l’on ait un plus
grand refpeét pour les nouvelles jamais elles
, fi

devenoient gênantes.
I>ne objection que j’ai entendu développer
fivec allez de force , c’eft qu’aux états de i6"i4,
le tiers état n étoit pas repréfenté parce que
,

ceux qui le repréfentoient , étoient la plupart


des officiers de juftice. Mais cette raifon ne
feroit valable qu’autant que le peuple auroit
,

ete contraint dans chaque bailliage


,
, de choifir
pourfes députés des officiers de juftice car s’il
;

voulut les honorer de fon choix je ne vois pas


5

qu’il foit poftible de l’empêcher d’accorder fon


fuftrage a qui il lui plaît Se on n’a pas pré-
,

tendu fans doute qu’il fût poftible que l’autorité


du gouvernement dirigeât en aucune maniéré le
choix des peuples.
Mais je dis mieux : en 1^14 il étoit poftible
que le choix des officiers de juftice fût le meil-
leur que. l’on pût faire. Il faut au peuple
, en
des occurrences où l’on cherche à l’opprimer Se
â l’égarer 3 non feulement des repréfentans
vertueux Se courageux s dont l’ame élevée
préféré la difgrace du prince Se la mort
,
( M9 )

à îa honte de s’écarter un moment de la miD


(ion dont ils font revêtus ;
mais il faut encore

deshommes exercés à parler en public , des

hommes que la timidité ne retienne jamais ;

& qui ne foient pas effrayés des difcullions Tab-


ules ou malhonnêtes de ces hommes corrompus,
qui ne cherchent qu’à égarer ,
ou à jeter du ri-

dicule fur celui dont ils ne peuvent renverfer les


principes.

Dans la forme de notre gouvernement ,


Fart

de la parole ne peut être le partage que d’un


petit nombre de citoyens ;
& il étoit allez na-
turel qu’en 1 614, où il étoit peut-être plus rare,

où les lumières étoient moins généralement ré-


pandues, le peuple honorât du pouvoir de dé-
fendre fes droits , des hommes habitués à dé-

fendre ceux des citoyens , & chez qui cette


honorable fonction avoir développé le talent de
Féloquence. (1)

Aujourd’hui il aura un champ plus vafte.

Il pourra choifir dans toutes les ciaffes de cï-

(1) Il eft à obferver qu’à ces mêmes états ce fut le

tiers qui foutint les vrais principes fur l’indépendante

de la couronne, & que ce furent les deux premiers


ordres qui empêchèrent que la faine doctrine du peuple

ne fût établie par des décrets unaniqaes., {


Voyez le

procès-verbal de Rapine.
}
(
250 )

toycns , mais s’il lui plaifoit encore d’honorer


de fou fuffrage des officiers de juftice ,
je vou-
drais qu on me démontrât clairement, qu’il
n en eft pas le maître , & qu’il eft expédient
d établir une réglé pour gêner fon vœu à cet
égard.

Mais, s’écrioient les miniftres, une affiemblée


nombreufe eft tumultueufe ;
il
y régné un dé-
tordre qui arrête le cours des délibérations ;

ardeur d
y parler empêche chacun d’y déve-
1

lopper fon avis


;
il faut
,
&
pour rendre l’af-
femblee nationale utile , établir des réglés pour
fa police intérieure.

Mais , premièrement , c’eft à l’aftemblée â


établir les réglés qui lui conviennent pour fa
police intérieure: elle peut former, dans chaque

ordre , les divifions qui lui plaifent opiner par


,

fenéchauffiée par gouvernement mais il eft


, ;

digne de fa fageffie d’obferver que la forme,,


qui conferve à chaque voix toute fa valeur,
efl: la plus populaire Sc conféquemment la
, ,

meilleure.
Mais , feroit-il vrai que la confufion eft le

partage des grandes aiïemblées ? & n’aurpit-on


pas pris pour confufion la libre difcuffion des
,

opinions ?

I<es miniftres des états monarchiques ne


(
* 5 * )

redoutent rien tant que les ademblées nom-*


breufes , où régné la liberté. Pour la diminuer,

autant qu’ils le peuvent, ils s’appuient toujours

de la nécedité d’y établir des réglés qui main-?

tiennent l’ordre S la police ,


& le refultat ordi-

naire de leurs travaux en ce genre, eft de lin-?

vefhr tellement de réglés, de de formules ,


que
k plus eiTentielle de toutes les loix fe trouve

détruite , celle de pouvoir s’expliquer fans crainte

de p.ropofer avec liberté ce que 1 on croit utile a

la république.
Il n’eft aucune forte de défendre qui ne foit

préférable à la tranquillité fu nette que procure


le pouvoir abfoîu. C’ed pour s’en garantir que
ces aCemblées font nécelîaires ,
de c’eft audî

pour les rendre impuiffanres ,


qu’on cherche
à les accabler de réglés gênantes ,
qui piaffent

au befoin fervir d’entraves au courage & a la


y
liberté.

L’affemblée d’une nation immenfe n’eft pas un


divan. Les formes filencieufes ne fauroient lui
convenir. A la tranquillité que l’on en exige, on
eroiroit qu’elle doit tenir fes féances près de la

chambre d’un roi mourant.


Mais j’ai toujours remarqué que ce goût
du filence , cet amour des formes féveres ,
qui
Je maintiennent ,
de qui , fous le prétexte de
(
2 5
1 )

1 ordre répriment le zele


, des citoyens , e ft le
goût des états abfolus , 8c augmente toujours
d étîer
§ le à mefure que 1 autorité devient plus
despotique jufquà ce que, parvenu à fon
,

dernier période comme en Turquie a on en


,

vient a redouter jufques


aux accens d’une voix
humaine, &
on y entoure le fouverain, de l’iin-
perturbable filence des tombeaux.
Eh qu on laide agir
! à leur gré ces fbuveraines
affemblées *
ces formes font des chaînes
, 8c on
ne fauroit les entourer. Qu’on ne s’effraie pas de
ces orages paffagers
qu’y élevera la différence des
opinions. C eft au feu de ces difçufïîons que
s’éclairent les citoyens; & il n’eft peut-être pas
d’inftrudion plus profitable
,
que celle qu’ils re-
çoivent de la libre & ardente difcufîîon de deux
hommes éloquens qui foutiçnnënt des opinions
contraires.

C’eft du choc perpétuel des éîémens que naît


l’ordre immuable de la nature; c’eft auiïidu
conflit des fentimens oppofés, que naît la liberté
publique, & fur -tout cette force d’opinion qui
la maintient.
E ailleurs
, nulle part on ne rend au génie
un hommage plus pur que dans çes aflèmblées,
quon voudroit nous faire regarder comme dé-
fordonneei. On verra , fi lorfqu’un homme élçfi?
( 2 53 )

plient, qui a déjà fait fes preuves , fe lèvera pour


développer les principes de la fcience politique,

qui fut l'objet de fes études ;


on verra dis-je ,
fl

d’importunes clameurs viendront l’interrompre,


à moins que ce ne foient celles des gens payés
pour le troubler.

Qu’on foit donc tranquille fur la police qui


doit régner dans cette grande aiTemblée : elle s’y

établira d’elle -même


}
& ce peuple que ridicu-
lement on croit devoir toujours entourer des
maillots ,
faura d’éployer toutes fes facultés
avec mefure ,
quand il pourra les déployer avec
liberté.

Ain (i que la modération des délits eft la

bafe du bonheur des individus , de même


l’amour de la liberté, pour être utile à
la patrie , doit être guidé par la réflexion
ne pas s’égarer au-delà des limites que
femble prefcrne la nature même des cho-
,
fes. Du tourment que nous caufent des mal-
heurs continuels , & de la douloureufe ccm-
paraifon que nous fommes forcés de faire ,

des vices de notre conftitution avec l’admi-


niftration politique la plus parfaite qui ait ja-
mais paru fur la terre, s’eft: accru dans tous
les cœurs le defir de fe rapprocher des loix
angloifes.
O
( i 54 )

Ce défir ,
qui ne peut-être exaucé , efi un
nouveau fupplice. Si le ciel nous eût deftinés
au même bonheur , fa bienfaifante main eut
creufé des gouffres profonds fur nos frontières

elle
y eût conduit les eaux de la mer. Cette
défenfe naturelle eft le palladium de la liberté

angloife.

Mais nous , entourés de voifins jaloux ,


in-
quiets , armés , accelfibles de toute part à leurs

invaflôns , nous ne pouvons défarmer la force


publique; & de cette néceflité de lui donner
tout le relîbrt dont elle efl fufceptible , naît un
inconvénient terrible ,
qui fait que la liberté

nationale y fera toujours menacée. Je crois cet

inconvénient inévitable, il faut en diminuer les

dangers. C’efï tout ce qui eft permis â la pru-


dence.
Si renonçant enfin à ce funefte orgueil *

qui nous coûte fi cher , d’être mêlés dans


toutes les guerres de l’Europe > nous nous
bornions à défendre notre territoire , alors
une armée défenfive nous fuffiroit. Mais ce
feroit plutôt une économie ,
qu’un moyen
d’aflurer notre liberté. Car une armée fuf-
ffante pour noiis défendre , iera toujours allez
forte pour nous opprimer pendant quelques
iaftans ,
fi le ciel dans fa colere nous rame-
( *5 5 )

noie les mêmes fléaux. Cependant ce moyen


d’alléger le fardeau des troupes réglées , ne fera

pas dédaigné des états généraux , d’autant qu’il

faudroit alors ,
pour procurer a l’état toute la

sûreté qu’il doit delirer ,


donner à nos milices
une confticution vraiment nationale qui 3 au be-
foin , fournit à la patrie * non une armée de
vagabonds 3 mais une armée de citoyens. Auflx-

tôt que les François auront une patrie (


car on
n’en a pas fans liberté ) , on verra s’ils fe re-

fufent a défendre leurs foyers , leurs loix

leur pays. Alors on aura une véritable ar-


mée ,
telles que furent jadis les légions ro-

maines.
Il exifte en France un homme (i) plein
de cette forte de courage ,
qui lutte fans
relâche contre les difficultés. Cet homme
épris de l’amour du bien public , a parcouru

le royaume , en a obfervé les campagnes


défolées }
& révolté contre le lyflême aéluel

de nos milices ,
il l’a remplacé par un éra-
bliflement ,
dont les développements préfen-
tent l’enfemble le plus lumineux , comme le

plus utile. Ce bon citoyen qui fait fervir

(i) Le Chevalier des Pomelles , lieutenant-colonel


du cinquième régiment d’etat major.
( )

fon roi 8c fa patrie , n’a pas fu vieillir patiem-

ment dans l’antichambre d’un commis ou d’un


mimftre.
Des obftacles multipliés ont arrêté fon zele,

mais peut-être formeront-ils des éiémens de


fon bonheur ,
fi , comme je l’efpere ,
il pré-
fente fori travail à la nation elle - même.
Honoré de fes éloges ,
je doute qu’il fe

plaigne alors des retards qui lui auront


procuré la feule récompenfe digue d’un
citoyen.

Mais ce moyen de diminuer le nombre des


troupes., n’eft pas fuffifant pour affurer la liberté

publique.
Il en eft un cependant ,
qui peut les feippléèï

tous. C’ell de rendre nos armées citoyennes,


de les pénétrer du refpeét dû aux loix, de les

convaincre qu’autant
1
il eft beau de mourir
i
_

pour la patrie ,
autant il eft cruel 8c lâche de

déchirer fon fein ,


de répandre le fan g de
fes freres , 8c de ruiner la patrie qui les

nourrit.

Voilà l’unique moyen de rendre nos trou-*

pes utiles fans qu’elles menacent la liberté*

Mais je le répété , le pouvoir exécutif ne

peut recevoir en France les étroites limites ,

qui l'entourent en Angleterre : ces limites

confervatrices
( *57 )

confervatric.es chez nos voiiïns nous condui-


,

roiem à une ruine inévitable.


Ce feroit auffi s’abufer d’un efpoir décevant,
& fe nourrir de dangereufes iilufions m
, q
d’attendre de nos états généraux , aiïemblés
en cette cruelle occurrence qu’ils remédieront
,

à tous nos maux.


Il feroit peu digne de leur fageïTe d’y pré-
tendre. Nous devons en attendre le red'refle-
ment des griefs les plus elTentiels & h pré-
,

paration au meilleur ordre de chofes pof-


r
fible.

On peut prévoir que le premier objet dont


l’adminiftration voudra les occuper
, fera de re-
connoître la dette du roi , & de la conftituer en
dette nationale.

Si jamais une grande nation eut à fta-


tuer fur fon objet effentiel ce fut en cette
,

occurrence.
Le droit d’impofer le peuple efl un droit
qu’on n’a pu exercer qu’en l’ufurpant. Le
pouvoir fuprême des états généraux à cet
égard
n’a jamais été révoqué en doute.
Les rois
l’ont reconnu en toute occafion , & les états
généraux l’ont établi de nouveau à chaque
alfemblée.

Depuis les derniers états de 161G deux


,

R
( M8 )

Beaux nous ont confumés. Sous Louis XIV,


fes faftueufes & puériles vanités firent éclorre

enfemble tous les impôts que la fifcalité peut

inventer. Bientôt après fut imaginée la ref-

fource mortelle des emprunts.


Mais l’emprunt ne pouvant s’acquitter que
par l’impôt , il s’enfuit qu emprunter , c eft
.

impofer •
c’eft renoncer fimplement à arra-

cher d’un peuple épuifé les fecours qu il

ne peut plus fournir ,


& confumer en un
de poftérité
moment les refiources la :

ainfi tout impôt, pour nette pas une con-

cuffion doit être confenti par les états gé-


,

néraux. De même tout emprunt pour être

valide ,
doit être ordonné &: fanétionné par la

nation.

Telles font fans doute les premières idées

a inf-
qui fe préfenteront à tous les efprits
1
,

dette
tant qu’il s’agira de prononcer fur
la

royale.

Mais a ces principes vrais ,


qui doivent

à l’avenir être la bafe de nos libertés

n’en doutons pas des idées


fa joindront ,
,

grandes & nobles ,


dignes de la majefté

répréfentans vont dé-


du peuple, dont les

partie de la nation,
cider du fort d’une
conduite en cette occurrence
de dont la
( *59 )

pourroit flétrir honneur de


1
la couronne , &
celui des François.

Non ! la nation ne refliifcitera pas pour fe


couvrir d’un opprobre
. ineffaçable
;
& fa voix
étouffée pendant années
1 7 5 , ne fe fera pas
entendre pour ordonner la ruine
des ci-
toyens. Jamais fes décrets
ne feront pour des
François une calamité
, ce ne font pas des &
pleurs de défefpoir qu’ils
doivent faire ré-
pandre. (i)
A ces fentimens qui toucheront tous les
coeurs fe joindront de grandes vues poli-
tiques.

Il paraîtra je l’efpere,
, dans cette foIemneUe
affemblée quelques-uns de ces
, hommes faits
pour commander aux <jpji,ions , dont la vido-
rieufe éloquence,
allumfepar le génie, enchaî-
nera tous les fentimens bas
& perfonnels qui
pourraient égarer les cœurs.
Us nous apprendront que ce
que l’on nom-
me le déficit du
gouvernement , eft le tréfor
de la nation
; q ue fans ce déficit , la fervitude

(O Je crois devoir jurer, fur


mon honneur, que
toute ma fortune , ainfi que celle de la plupart de
mes
compatriotes, en propriétés territoriales.
eft
Ainfi , ce
fera fur nous que frappera
l'impôt nécelTaire pour
meme
le roi
à portée de tenir fes engagemens.

R a
(
i6o )

feroit notre partage , & que c eft en forçant le

gouvernement a tenir à nous par fes befoins,

que les états forceront le gouvernement à ref-

peder la liberté publique.

Ils nous diront qu’en cet inftant ,


il ne faut

pas être alfervi par la cupidité ,


fi nous ne vou-

lons l’être aufti par le defpotifme ;


que jamais
les peuples libres ne furent les efclaves de leur

bourfe ;
que la liberté doit fe payer , & qu’il

faut l’acheter par des facrihces :

Que ce feroit l’œuvre d’un traître ,


d’un en-

nemi de la nation ,
que de combler par quelque
moyen que ce fût ,
ce déficit qui nous alarme,

& d’empêcher qu’il ne le fut uniquement par

notre concours :

w
Qu’il nous faut un ti; mais qu’il faut aufti

que le chef de la nation fôit honoré des étran-

gers comme il l’eft de fes fujets. Eh que !


pour-

rions nous attendre d’un prince que nos


décrets

nationaux auroient flétri , en le forçant a man-

quer à fa parole ?

Sa vie ,
confumée par les regrets & le fouve-

nir des malheureux qui expirent ,


pour n’avoir

pas douté de fa foi ,


feroit abforbée par ces

fentimens tandis que cette vie eft


cruels ;
'

notre bien ,
quelle doit être employée toute

entière au bonheur de la patrie , & qu’il n eft


( )

aucune forte de profpérité que nous ne devions


attendre d’un prince vertueux & jeune r fous le-

squel s’opère une pareille révolution.


Telles feront je l’attends de la clémence du
,

ciel , les grandes idées que développeront , au


milieu de l’affemblée nationale , des hommes
éloquens , épris des attraits de la liberté.

Les moyens de fatisfaire aux engagemens du


prince , fans épuifer la nation fe préfente-
,

ront en foule. Tout eft poffible à une nation


libre ,
qui agit fur elle -même. Elle aura tout
fait elle anéantit pour jamais
, fi le crédit du
gouvernement, fi elle le réduit à l’heureufe im-
puiffance de trouver un écu à emprunter ,

offrît -il pour gage tous les moyens qui font


en fon pouvoir. Sur les ruines de ce crédit
défaftreux doivent s’élever les inébranlables
fondemens du crédit national; tellement établi,
qua la voix des états , le dernier écu du citoyen
foit porté dans le tréfor public.

En conftituant la dette du roi, ils reconfti-


tueront aufïi tous les impôts
, & leur donneront
une exiftence légale. Mais fur -tout une exif-
tence tellement limitée.,
que la difette des
moyens de fubvenir aux dépenfes de l’état,,
foit le gage affiiré du retour prochain de l’af-
femblée nationale.

H 5
(
Mi )

Mais quelque prenante que foit la nécefiite

d’établir la dette publique ,


pourroient-ils s’eii

occuper fans 0
, trahir nos intérêts ,
s’ils n’ortt

avant tout obtenu le redreffement des abus qui


nous oppriment le plus, de ceux qui rendent
nos propriétés précaires , Ôc notre exiftence in-
fupportable ?

C’eft fur-tout pour que l’impatience du peuple


ne hâte pas l’ordre des délibérations ,
que je me
fuis étendu à prouver le pouvoir légiflâtif des
états généraux. On imagine aifément que je
n’avois pas i’efpoir d’en convaincre les minif-

tres ;
mais il eft eifentiel d’en convaincre les
peuples ,
afin que les états généraux ,
qui ne
voudront pas perdre un tems précieux en vaines
difputes , ne foient pas inquiétés par l’opinion
publique ,
quand leurs fages délais ,
â ftatuef

fur la dette nationale , n’auront pour but que


de faire valoir nos droits ,
8c d’obtenir qu’on
faflfe ceflfer nos juftes plaintes.
Il faut en convenir, il feroit trop cruel d’être

encore appauvris , 8c de refter toujours èfcla-

ves. Mais nous pouvons facrifier une partie

même du nécefiaire
,
pour obtenir une conflit

tution 8c la liberté.
Nous devons donc efpérer de nos repréfen-
tans, qu’ils éléveront autour des propriétés une
( )

enceinte que nulle autorité ne pourra renver-

fer , & qu’enfin ,


fi tel doit être le fort du
peuple ,
qu’il ne lui refte plus que des cabanes
ôc du chaume , il
puiffe y vivre à l’abri des ou-

trages du pouvoir abfolu ,


qui différé étrange-

ment du pouvoir du roi , 8c qui n’eft autre que


l’abus que font , à fon infçu , fes minières &
leurs complices dans les provinces , de 1 autorité

qu’il leur a confiée.

Pour conferver nos propriétés ,


ils continue-

ront de confier aux parlemens le pouvoir natio-

nal dont nos aïeux les ont revêtus }


8c difh li-

guant foigneufement les loix du royaume ,


que
les états généraux feuls peuvent changer , des

édits du prince , ils réclameront pour ceux-ci

l’enrégiltrement libre, feul 8c unique moyen que


puiflent avoir les provinces , de faire parvenir la

vérité au trône : il eft à croire que jamais ils ne

donneront à aucun corps le pouvoir de les fup-

pléer ,
la .nation entière ne pouvant établir une
telle puiffance mais ils chargeront les cours
;

de veiller à ce que jamais le pouvoir minifié-

riel n’ufurpe celui de la nation.


Vainement auroit-on voulu engager les états

à établir une commifîion permanente ,


qui les

fuppléât dans l’intervalle des afïemblées..

Les états généraux de i 576 nous ont prouvé


R4
( 1*4 )

qu’un tel pouvoir n’efl pas donné aux états gé-


néraux j
8c a leur defaut la raifon nous appren-
droit qu un pareil établifïèment feroit bien-
tôt un repaire de tyrans , ou une afTemblée de
traîtres.

Après avoir affiné la dette publique fondé


,

le crédit national fur les ruines du crédit minif-


teriel, accordé , s il le faut , des fubfides 8c fur-
,

tout établi en même tems des réglés invariables,


qui étendant 1 impôt fur toutes les propriétés,
en éloignent 1 arbitraire après avoir confié aux
}

parlemens le depot de nos îoix les avoir chargés


,

de reclamer en toute occafion les droits de la


nation , & d empêcher , au prix de leur état
& s’il le faut , au péril de leur vie ,
que jamais
le pouvoir miniftériel n’ufurpe les pouvoirs
nationaux , il femble qu’il feroit tems de
montrer a la nation le terme des travaux de fes
repréfentans.

P ourquoi faut-il qu’un fupplice de tous les


inflans , un opprobre de tous les jours , force
le peuple à exiger deux une loi fans laquelle
toutes les autres font vaines ? Pourquoi faut-il
que dans nos malheurs , nous ayons encore la
honte d’être forcés de réclamer notre liberté in-
dividuelle ?

JVMs le dernier miniflere nous a trop appris


( )

à quels effroyables excès la perverfité pou-


voir atteindre , à quel point l’audace pouvoir
afeufer de l’autorité royale ,
malgré elle ,
à fon

infçu ,
pour peupler tous les cachots du
royaume.
Il eft tems de mettre un terme à cette vexa-
tion honteufe. Cet opprobre ne doit plus flétrir

la nation.

Si jamais l’autorité , le crédit des états géné-


raux furent néceffaires, c’eft en cette occurrence.
Car il n’eft forte de prétexte odieux ,
dont les

fauteurs du defpotifme ne fe fervent pour en-


gager un roi bon ôc vertueux ,
à ufurper

l’autorité de difpofer de la liberté des citoyens


par des ordres fecrets , autorité que nul moyen
humain ne peut légitimer (i).
Il fera aifé de prouver au roi que l’exer-

cice de ce pouvoir affreux eft un tourment


pour lui. Il eft trop élevé ,
pour que jamais il

(i) Ainfi que les parrifans du defpotifme ,


pour en
prouver Lexcellence, s’étayent des reines de Titus &
deTrajan. Les fauteurs des ordres arbitraires cirent autli

l’ufage qu’on en a fait fous le rainiftere de M. de


Malesherbes. Mais à Titus fuccéda Domitien. Les
prifons que le vertueux Malesherbes avoir rendu dé-
ferces, femblables à des bêtes féroces, attendoient des

viftiraes : elles ne les attendirent pas long-teras.


(
x66. )

ait une infuîte perfonnelle à venger; 8c s’il

avoir jamais un crime de cette nature à puni-rs.

le bras des loix eft toujours armé; 8c certes ce

ne ieroit pas en cette occurence qu’il feroit

ina&if.
Mais les lettres de cachet font les jouiffances

de fes miniftres.

S’ils en confervent Fufage , à quoi fervent


nos loix? Qu’importe à l’homme qui marche
au combat , d’être revêtu d’armes brillantes s

h elles ne font pas à l’épreuve du poignard.


On répété dans les cours que la fureté de
fempire exige ces précautions effroyables y

mais fî tel devoir être le rempart de la fûreté

publique > ce feroit un crime que de cimenter


la durée des fociétés.
Cela n’eft pas ;
cela ne peut pas être ;
8c fi

en des tems d’orage il étoit nécefTaire de re-


vêtir le gouvernement du pouvoir d’attenter à
fon gré à la liberté des citoyens > au moins
devroit - il être prouvé que la nécefïité exige
cette précaution momentanée ;
par conféquent

elle auroit un terme très-court ;


8c celui qui

auroit été arrêté fur un foupçon , feroit remis


aafîi - tôt en liberté 3 ou dans les mains de la

juftice, fi l’examen changeoit le foupçon en


certitude.
( 1^7 )

Sil eft un peuple amoureux de fon pays 3

dévoué à fon roi , c’eft le peuple François ;


8c

aux épouvantables précautions que les minif-


tres prétendent devoir prendre , on croirait

la France peuplée de confpirateurs.


Après avoir épuifé les raifons politiques j

les miniftres s’arment de je ne fais quel motif


bizarre, produit par un préjugé cruel 8c ridi-

cule ,
qui veut que dans une famille . le crime
d’un individu foit une flétrifture pour tous.

S’il eft un moyen de perpétuer cette opinion

infenfée , c’eft de fouftraire au glaive des


loix tous les coupables d’un certain rang $

pour ne les frapper que du poignard du def~ ;

potifme.
Mais quand le préjugé ferait auiïi fondé en
raifon ,
qu’il eft abfurde ,
quoi î ce fera pour

conferver l’honneur d’une famille , où s’eft

trouvé un fcélérat ,
que vous vous refervez
l’ufage d’un pouvoir habituellement employé
à humilier les courages , a venger des haines

de miniftre ,
ou des colères de maîtreftes !

Les rois ,
je le répété , font trop élevés

pour que les lettres de cachet leur foient pet-


ionnellement utiles , même en leur fuppo-
fant une ame vicieufe. D’ailleurs l’opinion

publique a changé ces fortes de châtimens


( )

en titres de gloire , en honorant de fon eftime


ceux qui les ont fubies en fervant leur pays.
,

Qu’en efperent donc les miniftres ? Si elles


frappent un homme de cœur , il les dédaigne,
L enthoufiafme public change fes fers en
guirlandes fi c eft un homme foible
}
, il baigne
de fes pleurs murs de fon
les cachot. C eft
donc une jouiffance de miniftre ce n’en fera

,

jamais une pour un roi. L’exécrable


cœur de
Louis X
I eft mort avec lui.

La raifon , l’humanité , l’intérêt des rois ,


les loix de ï état , réclament donc la def-
truélion de ce pouvoir odieux
, qui environne
chaque citoyen d’efpions 8c d’effroi,
8c qui.
remis aux commandans en chef
dans les pro-
vinces , en ce moment fur-tout où ils ufenc
de tous les moyens poftiblés pour ufurper
tous les pouvoirs 8c rendre ainfi leurs
, gou-
vernemens de vrais pachalics les auroit
, ren-
dues inhabitables , fans la confiante protec-
tion que le citoyen opprimé trouve dans les
parlemens. Cefont fur -tout ces appuis jour-
naliers , accordes par les cours aux citoyens,
contre l’autorité des commandans de pro-
vince ,
qui les ont rendues fi cheres aux peu-
ples. La preuve qu’ils abufent de l’autorité
.

du roi, c eft la terreur que leur infpirent les ré-


{ 16 ? '
)

cîamations de ces corps, toujours en droit de


Faire parvenir la vérité au trône.
Mais il eft encore un moyen d’éclairer les

rois , 8c de faire de l’opinion publique le bour-


reau des ces defpotes fubalternes ;
c’eft de pouvoir
librement publier leurs fautes. La liberté d’é-

crire doit marcher de front avec la deftruétion

des ordres arbitraires. Il n’y a que le defpo-


tifme qui redoute la liberté de la prefïè.

Elle fut défendue par Charles IX; il fournie

les écrits à la cenfure. Par fon origine on peur


juger du but de fon inftitution (
i ). Il ell

piufieurs vérités importantes que Louis XYÏ


ne peut apprendre que de fon peuple, 8c il lui

importe auffi que la voix d’un homme cou-


rageux 8c opprimé , lui foit portée par la
voix publique. La liberté de la preffe fera

aufli-tôt difparoître ces tyrannies de provinces


aulîi cruelles qu’elles font honteufes ;
cruelles

par leurs effets ;


honteufes ,
quand c’efl un
lubalterne qui ofe s’en rendre coupable en-
vers un citoyen. Sans doute nos états généraux

(i) Les décemvirs, tyrans de Rome, prononcèrent


des peines contre la liberté d’écrire : « c’cftque, dit

» Montefquieu, des gens qui vouloient reuverfer la


sa liberté, craignoient des écrits qui pouvoienc rappdlet
« l’amour de la liberté, L» vj , chap, xv,
( *70 )

loueront fur ces


grands objets. Leurs
récla-
mations & leur zele convaincront
delà
le roi , &
juftlce
des plaintes du peuple,
& de'fon
attachement pour lui.
Mais puifle le ciel exaucer
le dernier de
mes vœux, fï, au milieu de cette
fuprême
aflemblée il s élevoit des
,
hommes ardents à
legarer, habiles à fafciner les yeux, qui
pour perpétuer nos maux
créeroient des dan-
gers chimériques dont le pouvoir
, abfolu
peut feul nous garantir
! puiiTe le ciel infpirer
à chacun de nos repréfentans puiiTe
; une in-
vilîble main, tracer fur les murs
de l’enceinte
qui les réunira, cette maxime, jadis pro-
noncée au milieu d’un peuple libre par
,
1aïeul (i) maternel d’un
de nos rois, & qui e ft
le vœu unanime
de la nation :

MALUMÜS PERICULOSAM LIBERTA-


TEM QUAM QUIETUM SERVITIUM.
ma>
— n. i
-
t --„h i— , «
(i) Jean-Charles Opalinski
, caftelan de Pofname
beau-pere de Staniflas, roi
de Pologne, duc de Lor-
raine â pere de la feue
reine.
( 171 )

Note 9 iz Octobre.

On achevoit d’imprimer cec écrit, quand


l’arrêt du confeil du 5 oétobre nous eft par-
venu. La réfol ution d’augmenter le confeil du
roi ,
d une affemblée de notables pour cons-
,

tater les formes antiques , 8c fuivre rigdu-


reufement leur efprit, s’il étoit quelques ob-
jets ou il fallut fuppléer à des détails qu’elles

ri expliqueroient pas fuffifamment , eft digne


de la fagefïè dun roi ami des loix, 8c qui
ne veut que connoître ce quelles prefcrivent
pour s’y foumettre.
Les faits contenus dans le préambule de
l’arrêt, font fujets à la difcuffion; 8c la di-
verfité des opinions femble une fuite né-
cefïaire de l’ignorance où la plupart des François
doivent être des formes conftitutives de notre
antique monarchie.
Heureux qu’en cette occurrence la contre-
verfe fur les faits ne puifle nous conduire
qu’aux mêmes réfultats î II eft en effet prouvé
que l’étroite obfervance des formes antiques,
dont en aucun cas il n’eft permis de s’écarter,
néceftite un confeil préliminaire pour expli-
quer ce qu’elles nous offrent d’obfcur 8c
,
(
27* )

fuppléer, en fuivant leur efprit, à quelques dé-

tails qui nous manquent.


Certes , la difcuffion des faits eft trop im-
portante pour être omife. Sans doute le gou-
vernement a une multitude de moyens pour
conftater ceux qu’il expofe puifque les titres
,

nationaux font confiés au roi. Sans doute auffi


que les notables qui ont à
chacune juftifier
,

de leurs démarches au fuprême tribunal de la


nation , demanderont que tous les documens
qui auront formé leur opinion foient connus
,

du public. En attendant , on efpere prouver,


avec les feuls fecours que peut fe procurer
lin particulier , & par le témoignage des an-
ciens hiftoriens que la convocation par bail-
,

liages , 8c fénéchaulfées a toujours été re-


,

connue pour la feule nationale 8c régulière j

& fi la perte des verbaux ne permet pas de


donner des preuves aufii diredtes que celles
que l’on peut offrir depuis 1484, l’on croit
auiïï impofîible de prouver que la nation
ait jamais confenti , a ce que 1 on abandonnât
1 ancien ufage national 8c cependant
} c’éroit-
lâ le feul moyen de lui en fubftituer légale-
ment un autre. Au contraire, depuis 1484
les verbaux confervés dans la bibliothèque du
roi nous prouvent que
, la nomination des
députés
( *75 )

députés aux états généraux s’eft toujours falté


dans les bailliages &
fénéchauffées du royau*
me; excepte en 156'!. Ainfi en réclamant
les
formes de 1614. on réclame
, les formes
conftitutives & nationales. Il
r
eft poffible que
dans la totalité du royaume il ait
, y eiix
des bailliages où le peuple n’ait pas ton-
eourü à l’éledion des dépurés. Il faudroit
avoir tous les moyens du gouvernement
pour prononcer à cet égard. Mais on peut
citer, de on citera un tiers des fenécfcllges
ou bailliages du royaume , ou le peuple a
exetcé fes droits , dans toute leur plénitude
;
de il n’eft pas douteux que c’eft par un abus
épouvantable ,
qu’il n’eii a pâs ufé dans tous.
Il eft vrai que depuis 1614 les fénéchauffées
de bailliages fe font multipliés
;
mais ils
avoient aulîi été augmentés depuis
1484 juf-
qu en 157 ù; de la lifte de ces états généraux,
nous prouve qu ils jouirent de tous leurs droits
fans obftacles. En effet , ce qui rend la con-
vocation par bailliages de fénéchauffées atiffi

nationale ,
qu elle eft utile , c’eft précifément
parce que les mêmes motifs
,
qui obligent à
multiplier les tribunaux de juftice inférieure,

annonçant que les habitans d’une ancienne


fênéchauftee font devenus trop nombreux ÿ

S
(
z 74 )

que plufieurs communautés ,


qui jadis n’exif-

toicnt pas dans leur refTort ,


ont pris de la

confiftance ,
font précifément les mêmes' qui

néceflitent l’augmentation des députés aux


'états généraux du royaume. Il fera facile peut-

être de prouver, que les nombreux bailliages

de la Lorraine ,
n’ont pas tous le droit d’en-

voyer des députés aux états généraux ,


'
mais
. reuiTent - ils , il ferait encore aifé de les en
laifier jouir ,
en augmentant le nombre des
députés des bailliages de l’intérieur du royaume
dont le reflort eft le plus étendu.

Enfin cette controverse eft utile , elle eft

nécelTaire ,
elle eft donc permife.
La nation ,
en admirant la fagefte de fon
fouverain ,
verra fans aucune crainte les no-
tables appelés à fon confeil. Pourrait -elle en

prendre le moindre ombrage ? Sans aucun pou-


voir national, ils ne portent au pied du trône
que le titre de citoyen, lis favent tous ,
qu’a

ce titre ils ne peuvent que réclamer l’exécu-


tion rigoureufe des anciennes loix , le refped
pour les formes conftitutives ôc nationales , &
préfenter à un roi ufte ,
les calamités de tout
j

genre qui, accableraient la nation ,


fi cette au-

gufte aftemblée ,
qui doit la régénérer, ne pa-
ra iffoit pas a toutes les provinces une aftemblée
léeale, réeuliere ôc nationale.
( *75 )

Noms des députés de la province

de Languedoc aux états généraux


C
de 1484, de 1576 & 1614.

Aux états de Tours 1484.

Il n’y avoir aiors en Languedoc que les trois

anciennes fénéchauflees.

Députés de la fénéchaujfée de Touloufe .

Monfeigneur de Lavatir , meflire Oudet


Balchier, chevalier Oudinet le Mercier.
j

Sénéchaujfée de Beaucaire .

L’évêque de Nifnies , M. de Poligriac ;

meflire Guillaume de Cauviflon , chevalier.

Sénéchaujfée de Carcajfonne.

L abbe de St. Froide , l’évêque de Carcaf-


fonne , meflire Jean cle Levis , chevalier ,

mehire «Pierre St. André, chevalier.

En 1576 aux états de Blois.


Comte de Touloufe & fénéchaujfée de Touloufe .
M e
. Pierre Dafhs
,
prévôt de Fégiife Saint
Etienne.
( *76 )

HobiefTe. Parifot Cornufïbn,


f^ets état.
]Vl
e
. Bernard de Superfan&is , & M e
Satn-j
fon de la Croix.

Sen échauffée de Beaucaire.

Raimond Cavalezi , évêque de Nifmes,


Antoine Nicolas ,
précenteur de l’églife de
Nifmes.
J^obleffe, Le clergé & tiers état ne voulurent pas
Tiers, députer, dit dom VailTette, liv. xl ,

page 352,
Sénéckauffée du Buy.

Clergé, Antoine de Sennetere*


l^oblefle. M. de Poligriac.
Tiers état. Gui Bourdet dit Irail, 8c Gui de Ligues»

Sénéckauffée de Carcaffonne.

Clergé. Claude Doraifon , évêque de Caftres.


Nobîefle. Le baron de Rouairoux.
Tiers état. Maître Raimond le Roux , maître Jeaa
Gibron,
Montpellier .

Don VailTette nous dit, page 35-2, 1 . xl.

que Montpellier ne députa pas, mais


fur le verbal imprimé 8c fur celui

du roi le gouvernement de Moutpeb


Ijer eit nommé cqmme ayant droit d§

uter,
(
1 77 )

Sénéchauffée de Lauragais. Fglife.

L’évêque de St. Papoul.


Le S gi >
de Narbonne ,
baron de Campadu. Noblefîe.

Antoine de Lourde. Tiers état»

Députés du Languedoc aux états

de 1 6 1 4.

Comte, de Touloufe & Gouvernement du


Pays de Languedoc.

Jean , cardinal de Bonzi, évêque de Bé-


ziers & Louis de la Valette a archevêque de
Touloufe.
Fille & Sènéchanjfee de Touloufe & Albi-
geois. Jean Berthier , évêque de Rieux 8c
Alphonfe d’EIbene, évêque d’Albi E. Jean
,

de la Valette , lieur de CornulTon féné-


,

chai de Touloufe , N. Jean de Loupes ,


juge criminel en ladite fénechaufïee Pierre
;

MarmielTe , avocat & capiüoul de ladite ville


de François de Bonez, aulli avocat 8c capi-
toul 5 T,
S. de Carcajfonne Beziers. CüriftoHe de FEf-
çaxng eveque de Carcailonne E.
5
a François
de la Jugerie , comte de Rieux, N. Phi-
lippe le Roux 5 préfident 8c juge- mage en
C
2 7S
)

ladite fénechauffée , 8c David Lefpinafïe ,


premier conful d e Cadres T.
,

S. de Beaucaire & Nïfme. Charles de Rouf-


feau evêque de Mende
,
, comte du Gévau-
dan, 8c Antoine Deperrault,
évêque de Léo-
nopoli , coadjuteur de l’évêché d’Ufez
, E*
Antoine Hercules de Budos marquis de
Portes , &
René de la Tour de Gouverner
baron de Chambault,, N. François de Roche-
niore, lieutenant général en ladite fénéchauf-
iee , 8c Louis Degondm , conful d’Ufez ,
T.
Sénéchaujjee du Puy y & Bailliage de J^elay.
Gafpard Armand , vicomte de Polio-nac , N.
Hugues de Filere, lieutenant principal en la-
dite fénéchatiffée 8c Jean Yitalis premier
, ,

conful , T.

Ville j Gouvernement & Sénéchaujfée de


Montpellier.

Pierre de Fenouillet, évêque de Montpel-

lier, 8c François de Monlore , heur de Meur-


îes , fénéchal de Montpellier, 8c Jçan de
Gardie heur de Saint-André , N. Daniel de
Galliere , tréforier général de France à Mont-
pellier 8c premier conful &c viguier, T.
S. de Lauragais. François de Roger, baron
de Fairal , fénéchal de Lauragais , 8c Marc-
(
2 79
)

Antoine fieur de Saint- Rome, N. Rémond


de Cup, juge-mage de Caftelnaudary , T. /

S. Pays & comté de Foix. Jofeph des Par-


bès, évêque de Pamier, E. Jacques de Lor-
dat, fieur de Caftagnac, N. Bernard Meric,
procureur du roi en ladite fénéchauflee.

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