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Constance de Théis, « Epitre aux femmes » 1797 Rien ne peut ramener cette foule en délire ;

L'honnête homme se tait, nous regarde et soupire.


Ô femmes, c'est pour vous que j'accorde ma lyre ; Mais, ô dieux, qu'il soupire et qu'il gémit bien plus
Ô femmes, c'est pour vous qu'en mon brûlant délire, Quand il voit les effets de ce cruel abus ;
D'un usage orgueilleux, bravant les vains efforts, Quand il voit le besoin de distraire nos âmes
Je laisse enfin ma voix exprimer mes transports. Se porter, malgré nous, sur de coupables flammes !
Assez et trop longtemps la honteuse ignorance Quand il voit ces transports que réclamaient les arts
A jusqu'en vos vieux jours prolongé votre enfance ; Dans un monde pervers offenser ses regards,
Assez et trop longtemps les hommes, égarés, Et sur un front terni la licence funeste
Ont craint de voir en vous des censeurs éclairés ; Remplacer les lauriers du mérite modeste !
Les temps sont arrivés, la raison vous appelle : Ah ! détournons les yeux de cet affreux tableau !
Femmes éveillez-vous et soyez dignes d'elle. Ô femmes, reprenez la plume et le pinceau.
Si la nature a fait deux sexes différents, Laissez le moraliste, employant le sophisme,
Elle a changé la forme, et non les éléments. Autoriser en vain l'effort du despotisme ;
Même loi, même erreur, même ivresse les guide ; Laissez-le, tourmentant des mots insidieux,
L'un et l'autre propose, exécute ou décide ; Dégrader notre sexe et vanter nos beaux yeux ;
Les charges, les pouvoirs entre eux deux divisés, Laissons l'anatomiste, aveugle en sa science,
Par un ordre immuable y restent balancés. [...] D'une fibre avec art calculer la puissance,
Mais déjà mille voix ont blâmé notre audace ; Et du plus et du moins inférer sans appel
On s'étonne, on murmure, on s'agite, on menace ; Que sa femme lui doit un respect éternel.
On veut nous arracher la plume et le pinceau ; La nature a des droits qu'il ignore lui-même :
Chacun a contre nous sa chanson, ses bons mots ; On ne la courbe pas sous le poids d'un système ;
L'un, ignorant et sot, vient, avec ironie, Aux mains de la faiblesse elle met la valeur ;
Nous citer de Molière un vers qu'il estropie ; Sur le front du superbe, elle écrit la terreur ;
L'autre, vain par système et jaloux par métier, Et, dédaignant les mots de sexe et d'apparence,
Dit d'un air dédaigneux : Elle a son teinturier.
De jeunes gens à peine échappés au collège
Constance de Théis est une femme de lettres engagée (fin du XVIII, début XIXe).
Discutent hardiment nos droits, leur privilège ;
Et les arrêts dictés par la fatuité,
La mode, l'ignorance, et la futilité, Dans son « épître », c’est-à-dire sa lettre, elle s’adresse aux femmes, en alexandrins. Elle condamne
Répétés en écho par ces juges imberbes, l’ignorance dans laquelle on les maintient, le grand nombre d’hommes qui s’opposent à leur volonté de
Après deux ou trois jours sont passés en proverbes. s’exprimer par les lettres et les arts. Ceux - très rares - qui les soutiennent, rencontrent des difficultés.
En vain l'homme de bien (car il en est toujours) Elle invite les femmes à écrire, à peindre, sans écouter les critiques ou les moqueries des hommes, tournés
En vain l'homme de bien vient à notre secours, par moment en ridicule. Sa thèse est que les femmes ont autant de talent que les hommes et ont le droit,
Leur prouve de nos cœurs la force, le courage, elles aussi, de s’exprimer.
Leur montre nos lauriers conservés d'âge en âge, Elle met en avant la nature et la raison, utilise des anaphores, des apostrophes et des antithèses.
Leur dit qu'on peut unir grâces, talents, vertus ;
Que Minerve était femme aussi bien que Vénus ; Elle porte les mêmes revendications qu’Olympe de Gouges, mais son féminisme est moins agressif.

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