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L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE

Inès Trépant

CRISP | « Dossiers du CRISP »

2005/1 N° 63 | pages 9 à 102


ISSN 2736-2280
ISBN 9782870750935
DOI 10.3917/dscrisp.063.0009
Article disponible en ligne à l'adresse :
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L'OMC
FONCTIONNEMENT DE
PARTIE
PREMIÈRE

ORIGINE ET
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L'ancêtre de l'Organisation mondiale du commerce
(OMC), à savoir l'Accord général sur les tarifs douaniers et
le commerce (GATT), est né en 1947 au terme de négocia-
tions entre plusieurs États dont l'objectif était de s'enten-
dre sur un ensemble de normes destinées à libéraliser leurs
échanges commerciaux. Créé à titre provisoire, le GATT fut
pendant 50 ans le seul instrument multilatéral chargé par les
principales puissances commerciales de réglementer le com-
merce international selon une vision libre-échangiste large-
ment partagée, qui s'inspire des théories de l'économie poli-
tique classique 1.
Tant le GATT que l'OMC qui lui a succédé reposent sur
le postulat que le libre-échange et la loi du marché stimulent
la croissance et augmentent le bien-être. Si les adeptes du
libre-échange rejettent le recours à des mesures protection-
nistes qui favorisent la production nationale, c'est parce
qu'ils estiment que ces mesures sont contraires aux intérêts
des consommateurs, qui doivent payer plus cher ce qui
aurait pu être acquis à meilleur prix et à meilleure qualité sur
les marchés internationaux.
En outre, ils soulignent que dans un contexte de libre-
échange, la concurrence conduit les entreprises à améliorer
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leur productivité pour diminuer les coûts de production et
donc le prix des biens et des services qu'elles vendent2, ce
qui les rend plus compétitives sur les marchés. De même,
pour accroître leurs profits, les entreprises ont intérêt à
accroître leurs parts de marché à l'échelle mondiale de façon
à tirer parti des économies d'échelle. Autrement dit, le libre-
échange est étroitement lié à la notion de productivité, de com-
pétitivité et de concurrence.
Reprenant à leur compte l'idée que le libre-échange
conduit à un accroissement du bien-être de toutes les
nations, les gouvernements des grands pays industrialisés
ont généralement défendu avec ardeur l'élimination des
entraves au commerce dans le cadre du GATT puis de
l'OMC, de façon à pouvoir bénéficier pleinement des béné-
fices économiques de la libre concurrence. Le retour en
force de cette politique du libre-échange dans les années
1980 n'aurait pas été possible sans le soutien actif de certains
gouvernements, dont ceux de Ronald Reagan aux États-Unis
et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni, puis de l'ensem-
ble des gouvernements qui ont accepté de les suivre.
À côté de ces considérations d'ordre économique, tant le
fonctionnement de l'OMC que le mode de prise de décision
en son sein ont pu renforcer l'attrait de cette organisation
auprès des gouvernements. L'autorité suprême de l'OMC
est en effet la conférence ministérielle, composée de repré-
sentants de tous les pays membres et où chaque pays possè-
de théoriquement le même poids ; quant au mode de prise
de décision, l'OMC s'en tient à la longue tradition du
GATT, qui est d'essayer d'adopter les décisions par consen-
sus plutôt qu'en les soumettant au vote. Enfin, parce que les
accords pris au sein de l'OMC sont le fruit de négociations
ardues entre États en principe souverains, accords ratifiés
par leurs parlements respectifs, l'OMC semblait offrir, aux
yeux de l'ensemble des gouvernements qui y ont souscrit, le
meilleur cadre pour bénéficier des retombées positives de
l'ouverture du commerce international tout en préservant
leur pouvoir d'édicter leurs priorités en matière de politique
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économique, sociale, environnementale, culturelle, ou enco-
re de santé publique.

Du GATT à l'OMC

Huit cycles (appelés rounds) de négociations commercia-


les ont eu lieu jusqu’à la création de l'OMC, le 1 janvier
er

1995. Les six premiers rounds se sont concentrés exclusive-


ment sur la réduction des tarifs douaniers qui frappent les
importations et qui rendent ainsi, à qualité égale, les pro-
duits nationaux plus attrayants que les produits venant de
l'étranger, ce qui freine les échanges internationaux. Le sep-
tième round — le Tokyo Round (1973-1979), qui a rassemblé
102 pays — est allé beaucoup plus loin, débouchant sur une
série d'accords sur les obstacles non tarifaires au commerce
international.
Au début des années 1980, le processus de libéralisation
des échanges s'est accéléré. Sous l'influence de puissantes
sociétés commerciales transnationales, les gouvernements
des grands pays industrialisés, situés surtout dans l'hé-
misphère Nord, ont estimé que les accords du GATT
devaient évoluer. La libéralisation des échanges commer-
ciaux au sein du GATT, acquise au moyen d'une baisse
considérable des droits de douane3, avait progressivement
atteint ses limites. En outre, les échanges commerciaux
étaient devenus plus complexes ; les services, non couverts
par les règles du GATT, étaient en plein essor à tel point que
leur expansion au sein des échanges internationaux devenait
nettement plus rapide que celle des marchandises 4. Il en
allait de même pour les investissements étrangers directs,
qui constituaient pour les entreprises transnationales une
manière d'écouler leurs produits dans de nombreux pays en
les produisant sur place. Par ailleurs, les règles du GATT
étaient jugées insatisfaisantes dans une série de secteurs,
dont l'agriculture par exemple, qui avait résisté aux efforts
de libéralisation. Plus généralement, les entraves au com-
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merce avaient changé de nature : elles ne se présentaient
plus tellement sous la forme de droits de douane, mais bien
de législations nationales très diverses 5. De même, la struc-
ture institutionnelle du GATT était remise en question : son
système de règlement des différends commerciaux n'était
pas jugé performant, les décisions prises par les « panels 6 »
du GATT, constitués pour examiner la plainte d'un État
membre et pour évaluer la question à la lumière des dispo-
sitions du GATT, n'étant pas nécessairement suivies d'ef-
fets.
Ces diverses considérations ont pesé en faveur du ren-
forcement et de l'élargissement du système commercial
international en vigueur. C'est ainsi que le cycle de
l'Uruguay fut lancé en 1986 à Punta del Este, avec comme
objectif d'étendre largement le champ des débats. À l'agen-
da se sont notamment retrouvés l'agriculture et les services
ainsi que la confection des statuts de la nouvelle organisa-
tion internationale du commerce, l'OMC.

Une organisation puissante et en mutation

L'Organisation mondiale du commerce est née des


Accords de Marrakech en 1994, qui ont programmé sa créa-
tion au 1er janvier 1995. Elle est l'aboutissement du cycle de
l'Uruguay ou Uruguay Round.
L'Organisation mondiale du commerce est le fondement
juridique et institutionnel d'un système commercial interna-
tional très largement basé sur le multilatéralisme. L'OMC
possède plusieurs facettes : c'est principalement une organi-
sation qui s'emploie à libéraliser le commerce ; c'est un
cadre dans lequel les gouvernements négocient des accords
commerciaux ; c'est un lieu où ils règlent leurs différends
commerciaux. Enfin, l'OMC administre un système com-
plexe de règles commerciales, édictées dans une série d'ac-
cords (qualifiés d'Accords de l'OMC) qui sont négociés et
signés par la majeure partie des puissances commerciales du
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monde et ratifiés par leurs parlements. En bref, ce que l'on
désigne communément par « OMC » recouvre à la fois l'ins-
titution en tant que telle et l'ensemble des accords multila-
téraux 7 passés en son sein et dont elle pilote la mise en
œuvre. À la différence du GATT dont le domaine de com-
pétence se limitait au commerce des marchandises, ses acti-
vités couvrent un nombre très étendu de domaines, dont les
services 8, la propriété intellectuelle, l'agriculture et l'investissement.
L'Accord sur les services se dénomme AGCS (Accord
général sur le commerce des services), ou GATS en anglais
(General Agreement on Trade of Services). Seuls les servi-
ces fournis « dans le cadre de l'exercice gouvernemental »,
à savoir l'armée et la police, sont explicitement exclus de son
champ de compétence. L'investissement figure dans l'accord
final du GATT sous l'appellation de « mesures sur l'investis-
sement liées au commerce », ou TRIMs en anglais (Trade-
Related Investment Measures). Les questions de propriété
intellectuelle sont traitées par l'Accord sur les aspects des
droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC), ou TRIPs en anglais (Trade Related Aspects of
Intellectual Property). L'alimentation et l'agriculture entrent
dans le giron de l'Accord sur l'Agriculture (AsA).
Plus généralement, l'OMC chapeaute une panoplie d'ac-
cords. En effet, si ces quatre accords sectoriels issus des
Accords de Marrakech en constituent les principaux, il en
existe bien d'autres 9 : accord multifibre, accord sur la vian-
de bovine, sur les aéronefs civils, etc. Des accords transver-
saux, dont les clauses s'appliquent à tous les domaines, se
superposent aux accords sectoriels : Accord sur les obsta-
cles techniques au commerce (OTC), Accord sur les mesu-
res sanitaires et phytosanitaires (SPS), accord sur les subven-
tions, etc. L'imbrication de ces différents instruments est
telle que, in fine, l'ensemble des domaines de notre vie quo-
tidienne sont plus ou moins couverts par les règles de
l'OMC. En outre, l'impact de l'OMC est d'autant plus
considérable que l'organisation exerce un formidable attrait
sur les États qui n'en sont pas encore membres (la Russie,
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l'Iran, le Vietnam...). Ainsi, s'ils étaient 76 pays à devenir
membres le jour même de sa création, l'OMC s'est entre-
temps considérablement élargie pour comporter, en décem-
bre 2005, 149 membres (dont la Chine, qui est membre
depuis 2001). En clair, le caractère dynamique de l'OMC est
à la fois d'ordre qualitatif et quantitatif.
De surcroît, les résultats du cycle de l'Uruguay forment
un ensemble unique. De même que l'on entre dans l'Union
européenne en devant se soumettre à tout « l'acquis com-
munautaire », il est impossible de souscrire à un accord de
l'OMC en refusant les autres 10. Autrement dit, il n'y a pas
d'opting out, c'est-à-dire de faculté pour un État de choisir les
accords auxquels il souhaite adhérer : tout pays candidat à
devenir membre de l'OMC doit souscrire à l'ensemble des
accords commerciaux.
L'OMC en bref

Les objectifs de l'OMC

À côté du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, l'OMC constitue le troisième
outil de la globalisation de l'économie. Théoriquement, les finalités poursuivies par l'OMC sont multi-
ples, comme l'atteste son préambule qui évoque les objectifs suivants : le relèvement des niveaux de vie ;
la réalisation du plein-emploi ; l'accroissement de la production et du commerce des marchandises et des
services ; le développement durable et les efforts à destination des pays en voie de développement (PVD)
et des pays moins avancés (PMA).
Dans les faits, l'objectif prioritaire de l'OMC est l'accroissement du commerce mondial qui, selon le pos-
tulat de la théorie classique du libre marché, conduit automatiquement à la croissance, au développement
et donc au bien-être de tous. Un autre aspect important du mandat de l'OMC est la coopération qu'elle
instaure avec le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les autres institutions multilatéra-
les pour parvenir à une plus grande cohérence dans l'élaboration des politiques au niveau mondial 11. En
résumé, l'OMC se concentre sur deux tâches essentielles : elle surveille les politiques commerciales natio-
nales de ses membres d'une part, et elle coopère avec le Fonds monétaire international et la Banque
mondiale dans l'élaboration des politiques économiques mondiales d'autre part.

En quoi l'OMC diffère-t-elle du GATT ?

1. Contrairement au GATT, qui a été créé à titre provisoire et qui est dépourvu de fondement institu-
tionnel, l'OMC est une institution à part entière, permanente et dotée de son propre secrétariat.
2. En sa qualité de traité international, l'OMC prédomine sur l'ordre juridique interne. Contrairement au
GATT, les engagements pris sous l'égide de l'OMC sont juridiquement contraignants.
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3. Tandis que les règles du GATT s'appliquaient au seul commerce des marchandises, l'OMC couvre les
secteurs des services, l'agriculture, les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce ainsi que les investissements.
4. Comparativement au GATT, le système de règlement des différends de l'OMC est contraignant et
donc plus efficace, mais aussi plus controversé en ce qu'il contraint le pouvoir politique sur les dos-
siers non strictement commerciaux.

La création de l'OMC signifie-t-elle la mort du GATT ?

Le « GATT de 1947 » a continué d'exister jusqu’à la fin 1994. Depuis, il survit sous sa version modifiée
ou « GATT de 1994 ». Il fait partie intégrante de l'Accord sur l'OMC et continue de définir les discipli-
nes essentielles applicables au commerce international des marchandises. Par ailleurs, il regroupe les
accords suivants : l'agriculture ; les textiles et les vêtements ; les mesures concernant les investissements
liés au commerce ; les obstacles techniques au commerce ; les subventions et les mesures compensatoi-
res ; les règles antidumping ; les règles d'origine ; l'inspection avant expédition ; les sauvegardes.
Comment fonctionne l'OMC ?

En théorie, les règles de fonctionnement de l'OMC sont le consensus et la transparence, chaque pays
disposant d'une voix qui lui donne, tant que la règle du consensus se maintient, un droit de veto. Mais
s'il n'y a pas de pondération des voix selon l'importance calculée des pays comme dans d'autres orga-
nisations telles que le FMI ou la Banque mondiale, les principaux protagonistes de l'OMC sont, dans
les faits, les plus grandes forces économiques du globe (la « Quadrilatérale »), à savoir l'UE, les États-
Unis, le Canada et le Japon. Cependant, les pays en voie de développement ont progressivement émer-
gé en tant qu'acteurs à part entière à l'OMC, tandis que les nouvelles puissances économiques (Inde,
Chine, Brésil) sont sans conteste devenus des acteurs dont les puissances occidentales doivent désor-
mais tenir compte. Si l'ensemble de ces pays forme un groupe hétéroclite, tant les situations écono-
miques varient entre eux, ils partagent des intérêts communs manifestes et une certaine analyse com-
mune des rapports commerciaux à l'échelle internationale. Ils pèsent davantage qu'auparavant dans les
négociations et ils ont acquis une capacité de blocage qui explique en partie l'échec de la conférence
ministérielle de Seattle fin 1999 et l'enlisement du cycle du Millénaire.
L'autorité suprême de l'OMC est la conférence ministérielle, constituée des ministres du commerce
extérieur des États membres. Elle s'est réunie la dernière fois à Cancún, en septembre 2003, et se
réunit à Hong Kong en décembre 2005. Mais cette instance n'ayant obligation de se réunir que tous
les deux ans, c'est le conseil général, composé des ambassadeurs des pays membres, qui traite des affai-
res quotidiennes de l'OMC.

L'Organe de règlement des différends et ses « panels »


Outre les fonctions qui lui sont assignées par la conférence ministérielle, le conseil général se réunit
sous deux formes spécifiques : en tant qu'Organe de règlement des différends (ORD), afin de super-
viser la mise en œuvre des procédures de règlement des différends, et en tant qu'Organe d'examen des
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politiques commerciales 12 (OEPC), afin de procéder à des examens périodiques des politiques com-
merciales des membres de l'OMC 13.
Les dossiers soumis à l'ORD sont examinés par des panels qui varient d'un cas à l'autre 14. Les
panels sont généralement constitués de trois à cinq personnes. C'est le secrétariat de l'OMC qui pro-
pose aux États membres qui sont en conflit le nom de trois personnes qui pourraient siéger au panel.
Ce sont de préférence des fonctionnaires d'État, qualifiés dans les domaines de relations commercia-
les, du développement économique ou d'autres questions visées par l'accord de l'OMC auquel se réfè-
rent les États en conflit. Si le choix des membres du panel suscite des difficultés, ils peuvent être dési-
gnés par le directeur général. Les memebres siègent à titre personnel et ne reçoivent pas d'instructions
des gouvernements. Si aucun ressortissant des pays dont le gouvernement est partie prenante au dif-
férend ne peut faire partie du panel, toute partie contractante ayant un intérêt substantiel dans une
question dont il est saisi a la possibilité de se faire entendre par celui-ci. Initialement, les noms des
membres des panels n'étaient pas connus à l'extérieur de l'enceinte de l'OMC, ce qui a alimenté des
accusations de non-transparence à l'encontre de l'Organisation. Depuis que les rapports des panels
sont diffusés sur le site internet de l'OMC, le nom des membres figure sur les documents.
Enfin, l'Organe de règlement des différends (ORD), qui
constitue en quelque sorte le tribunal de l'OMC, fait de
celle-ci l'organisation internationale la plus puissante du
monde, la seule à disposer d'une capacité de sanctionner les
États qui ne respectent pas les accords qu'elle gère. Aucune
autre institution mondiale, pas même les institutions des
Nations unies, ne dispose d'un tel pouvoir, dont on ne trou-
ve l'équivalent qu'au niveau des États-nations ou de l'Union
européenne (Cour de justice des communautés européen-
nes, dont le siège est à Luxembourg).

Les principes majeurs de l'OMC

Les deux principes majeurs qui régissent le système


commercial mondial sont d'une part la clause de la nation la
plus favorisée (NPF) et d'autre part le principe du traitement natio-
nal. Ils visent tous deux à garantir des conditions commer-
ciales loyales contre toute forme de discrimination 15.
La clause de la nation la plus favorisée (NPF) prévoit que
lorsqu'un État concède à un autre État des avantages com-
merciaux spéciaux, il doit également les concéder à tous les
autres membres de l'OMC. Ce principe est inscrit à l'arti-
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cle I de l'Accord GATT 16. En clair, le principe de la clause
NPF fait obligation aux États d'accorder à tout pays le trai-
tement le plus favorable accordé à certains partenaires com-
merciaux.
Le principe du traitement national prévoit pour sa part
que les biens importés doivent être traités de manière égale
aux produits de fabrication locale une fois qu'ils ont été
admis sur le marché (article III du GATT).
Si l'application des principes de l'OMC a pu apporter
des effets bénéfiques pour le commerce, nous aurons l'oc-
casion de voir que leur application peut aussi faire reculer
les droits sociaux, environnementaux ou encore les droits
liés à la santé ou à la protection des consommateurs.
L'ORD : le tribunal international
du commerce

En signant le mémorandum d'accord portant sur


l'Organe de règlement des différends aux Accords de
Marrakech, les États membres ont marqué leur engagement
à ne pas agir de façon unilatérale lorsqu'ils considèrent que
les règles commerciales ont été enfreintes, mais à avoir
recours au système multilatéral de règlement des différends
et à respecter ses règles et décisions.
Concrètement, lorsqu'un différend commercial surgit
entre États, le conseil général de l'OMC se réunit pour exer-
cer les fonctions de l'ORD, dont les tâches sont multiples. Il
est seul compétent pour établir des groupes spéciaux (appe-
lés panels — cf. encadré ci-dessus) pour examiner l'affaire.
C'est encore lui qui adopte les rapports des groupes spé-
ciaux et de l'organe d'appel, qui assure la surveillance de la
mise en œuvre des décisions prises, et enfin qui autorise
l'adoption de mesures de rétorsion si les recommandations
ne sont pas mises en œuvre.
À l'issue d'un différend, l'État membre a le choix entre
trois attitudes : soit il applique la décision du panel d'arbitra-
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ge, soit il ne l'applique pas et offre des compensations à la
partie plaignante, soit il accepte les mesures de rétorsion
frappant ses exportations qui sont proposées par la partie
plaignante.
En adoptant un cadre multilatéral pour régler leurs dif-
férends, les États membres ont créé le système le plus à
même d'assurer la sécurité et la prévisibilité du commerce
international. En outre, le recours aux règles multilatérales
confère une légitimité accrue aux décisions prises par les
panels, tout comme il présente de meilleures garanties pour
protéger les pays plus faibles. Pour ces diverses raisons, il est
vraisemblable que l'ORD ne sera jamais fondamentalement
remis en cause, même s'il est possible que les États procè-
dent, en temps voulu, à certains aménagements de ses règles
et procédures.
En effet, dans la pratique, le fonctionnement de l'ORD
fait l'objet de nombreuses critiques. Les États-Unis sont
rétifs à revoir leur législation commerciale actuelle qui les
autorise à prendre des mesures unilatérales, à l'inverse des
règles de l'ORD (cf. la section 301 du Trade Act américain,
ou les lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy de 1996) 17.
Les pays en voie de développement s'estiment lésés par les
procédures en vigueur, car ils estiment que seuls les pays
développés disposent des moyens financiers suffisants pour
pouvoir s'offrir les services de cabinets d'avocats efficaces
et prestigieux, spécialisés en droit commercial international.
En outre, si les États sont en principe tous égaux face aux
décisions de l'OMC, seuls ceux qui ont les moyens d'hono-
rer de lourdes pénalités financières peuvent maintenir une
législation nationale qui a fait l'objet d'une condamnation
par l'OMC.
Les décisions rendues par l'ORD sur de nombreux dif-
férends commerciaux ont nourri d'autres critiques, forte-
ment relayées par la mouvance altermondialiste. Au niveau
des procédures de décision, certains contestent la prédomi-
nance du modèle anglo-saxon, dans lequel les juges ont un
certain pouvoir de « créer » du droit : l'ORD est conduit à
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créer du droit en interprétant, à partir de cas précis, des nor-
mes formulées dans des termes généraux et auxquelles il
donne parfois, à partir de ces cas d'espèce, un impact non
prévu à l'origine 18. De même, les compétences exclusives
attribuées à l'ORD ont été fustigées, car elles sont perçues
parmi les altermondialistes comme contraires au principe
démocratique de séparation des pouvoirs 19. Enfin, les déci-
sions prises par l'ORD sur une série de dossiers (par exem-
ple les jurisprudences créées au sujet des dossiers « bana-
nes » et « bœuf aux hormones » que nous analyserons au
chapitre suivant) symbolisent, pour les détracteurs de
l'OMC, la prééminence des considérations commerciales
sur les considérations d'ordre social, environnemental ou de
santé publique.
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L'OMC
ENJEUX DES ACCORDS DE
PARTIE
DEUXIÈME

LES
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I. Les services

Les services recouvrent un ensemble hétéroclite de sec-


teurs, tels que les transports, les voyages, les communications
(services postaux, télécommunications), la construction, les
services financiers (assurances, banques, etc.), les services
aux personnes, culturels et récréatifs... La raison fondamen-
tale pour laquelle le GATT d'abord et l'OMC ensuite ont
commencé à accorder une importance capitale aux services
est simple. Dans de nombreux pays, les services représentent
la part la plus importante de l'emploi et de la production
nationale (plus de 50 % du PIB) et le commerce des services,
particulièrement important dans le domaine des voyages et
des transports par exemple, présente des perspectives de
profit particulièrement attractives pour certains pays. Ainsi,
se classant dans la catégorie des principaux exportateurs
d'une série de services, la plupart des pays industrialisés
(notamment les USA, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon
et la France) appellent de leurs vœux la libéralisation des sec-
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teurs dans lesquels ils occupent la meilleure position concur-
rentielle sur le marché international.
L'Accord général sur le commerce des services (AGCS)
est le premier accord multilatéral ayant force exécutoire
dans le domaine du commerce international des services.
Négocié pendant le cycle de l'Uruguay, il vise à mettre fin
aux diverses réglementations arbitraires qui entravent le
commerce des services. Pour couvrir des secteurs d'activité
totalement hétéroclites, l'AGCS a édicté un ensemble de
définitions, de règles et de disciplines générales applicables
à toutes les activités, ainsi qu'un ensemble de règles secto-
rielles valables pour une catégorie de services (mouvements
des personnes physiques, services financiers, télécommuni-
cations, transport aérien) et, enfin, des listes nationales d'of-
fres d'ouverture du marché.
Les règles du jeu de l'AGCS

Obligations et disciplines générales


On retrouve dans l'AGCS les principes-clés qui régissent
le commerce international, tels que la clause de la nation la
plus favorisée et le principe de la transparence. Ensemble,
ils sont amenés à être un puissant moteur de libéralisation
du marché des services.
De fait, le principe de la clause NPF a été à l'origine
d'une libéralisation mondiale sans précédent du commerce
des marchandises. En l'appliquant à tout l'éventail des sec-
teurs de services (article II), l'AGCS entend promouvoir
une libéralisation aussi décisive que celle qui a prévalu pour
les marchandises quarante ans plus tôt.
Au titre de la transparence, chaque État membre doit
communiquer à l'OMC l'ensemble de ses lois et réglemen-
tations (au niveau national comme au niveau des pouvoirs
subordonnés) concernant les services, ainsi que les adapta-
tions qui leurs sont apportées pour se conformer aux déci-
sions de l'OMC (articles III et III bis). Plus spécifiquement,
les entreprises du secteur privé sont habilitées à informer les
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responsables de leur pays d'origine des mesures appliquées
par les pays d'accueil auxquels elles fournissent leurs servi-
ces et qui leur semblent incompatibles avec les obligations
de l'AGCS. De même, un État membre peut notifier à
l'OMC tout mesure prise par un autre membre qui, selon
lui, affecte le fonctionnement de l'AGCS. C'est la procédu-
re de la contre-notification.
La transparence constitue ainsi un puissant levier de
libéralisation puisqu'elle permet d'appréhender l'ensemble
des réglementations intérieures des États membres, qui ne
peuvent être plus rigoureuses qu'il est nécessaire pour assu-
rer la qualité du service, sans quoi elles peuvent constituer
des obstacles non nécessaires au commerce. Pour éviter
toute réglementation « arbitraire », il est prévu, à l'instar de
ce qui prévaut pour les autres accords de l'OMC, que les
États membres se conforment progressivement aux normes
fixées par des organismes internationaux agréés, tels que
l'International Organisation for Standardisation (ISO), acti-
ve dans la standardisation des produits et des services.
En ce qui concerne les normes de qualité, l'AGCS
encourage fortement le développement de normes du sec-
teur privé au niveau international. De façon plus générale, le
GATT et l'AGCS prévoient explicitement le recours à des
experts techniques du secteur privé pour l'ensemble des
normes et des procédures publiques et privées qui devront
être coordonnées pour assurer leur cohérence.

AGCS : une définition générale des formes


d'échange international de services

L'AGCS a une portée quasi universelle. Aucun secteur n'a été exclu du champ d'applica-
tion de l'AGCS dont les dispositions s'appliquent à tous les services, présents et à venir,
« à l'exception des services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental » (article I), ceux-ci étant
définis comme services qui ne sont ni fournis sur une base commerciale, ni en concurren-
ce avec d'autres fournisseurs. Pour parvenir à couvrir toutes les activités de service,
l'AGCS distingue quatre formes d'échange international de services appelées « modes de
fourniture ».
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— La prestation transfrontière (mode 1) : seul le service traverse la frontière, sans déplacement
du prestataire du service ni du client. Exemples : la fourniture en Belgique d'électricité
produite en France, la diffusion d'un programme de télévision par satellite, le transport
de fret, etc.
— La consommation à l'étranger (mode 2) : c'est le consommateur qui traverse la frontière.
Exemple : un touriste belge en Espagne, qui se rend à un hôtel, y loue un véhicule, fait
appel à une banque...
— L'établissement (mode 3) : c'est le fournisseur de services qui passe juridiquement la fron-
tière pour venir investir et s'implanter dans un pays étranger. Exemple : une compagnie
aérienne ou une banque qui ouvre une succursale à l'étranger, Total qui décide d'instal-
ler une raffinerie en Birmanie...
— Le mouvement temporaire des personnes physiques (mode 4) : c'est à nouveau le fournisseur de
services qui passe la frontière, mais cette fois sous forme d'un déplacement physique
des personnes, pour une période limitée. Exemple : un informaticien indien qui vient
travailler dans une firme à Bruxelles pour un contrat de deux ans.
Obligations spécifiques : accès au marché
et traitement national
Les dispositions relatives à l'accès aux marchés et au trai-
tement national ne constituent pas des obligations générales.
Il incombe aux États membres de définir explicitement les
secteurs et sous-secteurs qu'ils comptent ou non libéraliser 20.
Autrement dit, les « offres d'ouverture du marché » ne sont
pas automatiques dans le cadre de l'AGCS. Elles font l'objet
d'une « liste positive » reprise dans les listes nationales
annexées à l'AGCS, qui font partie intégrante de l'accord.
L'accès au marché peut être négocié par secteur et par
mode de fourniture, ce qui signifie que même lorsqu'un sec-
teur est « offert » par un pays, ce dernier peut limiter l'accès
en excluant certaines activités. Par exemple, un pays peut
accepter que des banques étrangères s'implantent chez lui
(mode 3), mais refuser que celles-ci puissent faire avec ses
ressortissants des opérations financières à distance (mode 1),
afin de protéger ses citoyens du risque de faillite d'un établis-
sement soumis à des règles financières insuffisantes à l'étran-
ger. Cependant, si la libéralisation d'un secteur de service
n'est pas automatique, un État qui a contracté un engage-
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ment spécifique peut plus tard difficilement faire marche
arrière. En effet, ces engagements ne peuvent être modifiés
ou retirés qu'après négociation d'une compensation avec le
pays affecté.
Une fois que le feu vert est donné par un pays pour
ouvrir son marché à un secteur de service ou à un mode de
fourniture, la règle du traitement national s'applique : le pays
doit accorder à tous les autres le même traitement qu’à ses
propres ressortissants.
Si la règle du traitement national (article XVII) n'est pas
neuve, l'obligation faite par l'AGCS de s'abstenir de toute dis-
crimination à l'encontre des services ou des fournisseurs de
services étrangers, et ce afin d'instaurer l'égalité des conditions
de la concurrence, a un impact sans précédent pour les États.
Dans le cadre du GATT, la portée du principe du traitement
national aux marchandises était nettement plus limitée car ce
principe visait essentiellement à réduire les droits de douane et
à interdire les restrictions quantitatives à l'importation. Par
contre, dans l'AGCS, il s'applique non seulement aux services
importés mais aussi aux fournisseurs de services sur le mar-
ché. C'est pour cette raison que l'ensemble des réglementa-
tions intérieures des États membres adoptées en matière des
services entre dans la sphère de surveillance de l'OMC.
Autrement dit, si l'AGCS reconnaît le droit souverain
des États membres de réglementer leurs services intérieurs,
cette liberté de réglementation est étroitement encadrée :
elle est conditionnée par les principes édictés par l'AGCS,
selon lesquels les réglementations prises par les États mem-
bres ne peuvent enfreindre la liberté du commerce une fois
qu'ils auront consenti à ouvrir leur marché national à un des
secteurs de services.

L'AGCS en débat

De tous les accords de l'OMC, l'AGCS est un des plus


connus du grand public. Défendu âprement par les uns, il
est vilipendé par une frange du monde politique, une majo-
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rité d'associations de la société civile et par la mouvance
altermondialiste. Ses adversaires ne manquent d'ailleurs pas
de faire le lien entre la proposition de directive européenne
sur les services (proposition « Bolkestein », à l'origine) et
l'AGCS : les opposants à la proposition de directive
Bolkestein craignent qu'une fois les services ouverts à la
concurrence au sein de l'Union, la Commission aura les
coudées franches pour les « offrir » à l'AGCS.

Les principaux arguments des partisans de


la libéralisation des services
Parmi les partisans de la libéralisation des marchés, on
retrouve pêle-mêle le milieu des grosses entreprises et des
investisseurs, une partie du monde politique et, enfin, un
certain nombre d'institutions dont les plus influentes sont,
au niveau mondial, les institutions financières internationa-
les (FMI, Banque mondiale) et l'OMC, qui se font le chan-
tre des bienfaits du libre-échange, de la concurrence et de la
mondialisation. Le discours des partisans de la libéralisation
des services puise dans la théorie économique classique,
selon laquelle l'expansion commerciale stimule la croissan-
ce, crée de l'emploi et permet une élévation du niveau de vie
de l'ensemble de la population. Ainsi, reprenant à leur
compte l'idée que le libre-échange conduit à un accroisse-
ment du bien-être de toutes les nations, l'OMC et la
Commission européenne plaident pour l'élimination des
entraves au commerce des services de façon à pouvoir
bénéficier pleinement des bénéfices économiques du libre-
échange. Plus concrètement, les bienfaits de la libéralisation
les plus souvent avancés sont les suivants 21.
Performance économique : les services occupent une
place grandissante dans l'économie ; aucun pays ne peut
prospérer aujourd'hui sans une infrastructure de services
efficiente. « Quel que soit le produit, les producteurs et exportateurs
ne seront pas compétitifs sans un accès à des systèmes bancaires et sys-
tèmes d'assurance, de comptabilité, de télécommunication et de
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transport efficaces (...). Les avantages de la libéralisation des services
vont bien au-delà du secteur des services lui-même : les effets se font sen-
tir sur toutes les autres activités économiques 22 »
Développement : pour les pays en voie de développe-
ment, la libéralisation des services fait partie de leur straté-
gie de développement car ils peuvent s'appuyer sur les mar-
chés internationaux des services, sur l'investissement et sur
l'expertise des pays étrangers, que ce soit dans les domaines
du tourisme, de la santé ou de la construction. En ouvrant
leur marché à des services de pointe, notamment dans l'im-
mense domaine des nouvelles technologies, les PVD et a for-
tiori les pays les moins avancés font un bond technologique
qu'ils auraient été incapables d'accomplir dans un marché
fermé et qui leur permet de rattraper des handicaps creusés
sur plusieurs décennies. Selon le Fonds monétaire interna-
tional, par exemple, l'explosion du téléphone mobile en
Afrique permet à de nombreux pays de s'épargner les très
lourds investissements requis par le développement d'un
réseau de téléphonie fixe 23.
Baisse de prix pour les consommateurs : la libéralisa-
tion des marchés des services est dans l'intérêt des consom-
mateurs, qui bénéficient grâce à elle de prix plus compétitifs,
de services de meilleure qualité et d'un élargissement du
choix offert aux consommateurs. Le très large domaine des
services bénéficie ainsi des bienfaits d'un cadre ouvert et
concurrentiel qui étaient observés de longue date dans le
domaine des marchandises.
Accélération de l'innovation : les pays dont les mar-
chés ont été libéralisés ont constaté une progression de l'in-
novation concernant les produits et les procédés, l'ouvertu-
re à la concurrence contraignant chaque prestataire de ser-
vices à tenter d'innover pour maintenir sa compétitivité.
Davantage de transparence et de prévisibilité dans
les investissements : les listes nationales d'offres d'ouver-
ture du marché, qui font partie intégrante de l'AGCS, of-
frent une sécurité juridique pour les entreprises étrangères,
ce qui encourage leurs investissements à long terme et donc
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le développement et l'emploi dans les zones qui bénéficient
de ces investissements.
Transfert de technologie : les engagements spécifiques
contractés par les États en matière d'ouverture des marchés
contribuent à encourager l'investissement étranger direct
(IED), qui provoque un transfert de technologie dont les
pays en voie de développement et les pays les moins avan-
cés ont cruellement besoin.
Par ailleurs, à côté des avantages qu'offre la libéralisation
des services, tant la Commission européenne que l'OMC
estiment que les craintes exprimées par la société civile à
propos des dérives de l'AGCS ne sont pas justifiées. Pour
elles, l'AGCS offre suffisamment de garde-fou. Les services
publics tels que la santé, l'éducation, l'audiovisuel, les servi-
ces sociaux, ne sont pas menacés : les gouvernements sont
libres de choisir les secteurs ou sous-secteurs de services
pour lesquels ils prendront des engagements spécifiques, et
les services rendus dans le cadre de l'exercice de l'autorité
gouvernementale sont de toute façon exclus du champ de
l'AGCS. En outre, les gouvernements sont libres de fixer
des limitations spécifiant le niveau d'accès aux marchés et le
degré de traitement national qu'ils sont disposés à garantir.
Dans un autre registre, l'OMC rappelle que l'objectif de
l'AGCS est de libéraliser (c'est-à-dire d'ouvrir aux acteurs
privés) de nouveaux secteurs de services et non pas de les
déréguler. Les acteurs privés se plieraient donc, selon
l'OMC, aux obligations du secteur public s'ils veulent le
concurrencer.

Les principaux arguments des adversaires


de la libéralisation des services
La partie IV de l'AGCS, intitulée « La libéralisation pro-
gressive des secteurs des services », suscite les plus vives
inquiétudes de la mouvance altermondialiste. L'argument
selon lequel ce sont les États qui ont la main pour négocier
l'accès de leur marché aux fournisseurs étrangers et pour
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fixer les limitations qu'ils jugent nécessaires ne convainc pas,
l'ambition affichée par les initiateurs de l'AGCS étant la
suppression progressive des obstacles au commerce mon-
dial des services. Dans les faits, les États membres de
l'OMC n'ont d'autre choix que de s'asseoir au moins à la
table de discussion lors de négociations successives, dont
l'objectif est de relever progressivement le niveau de libéra-
lisation. « Les membres conviennent d'engager des séries de négocia-
tions successives qui commenceront cinq ans au plus tard après la date
d'entrée en vigueur de l'accord sur l'OMC et qui auront lieu périodi-
quement par la suite24. » De même, les articles relatifs à la
« négociation des engagements spécifiques » stipulent que le
processus de libéralisation sera poursuivi à chacune de ces
séries de négociations par la voie de négociations bilatérales,
plurilatérales et multilatérales destinées à accroître le niveau
général des engagements spécifiques. Face au caractère
ininterrompu du processus de libéralisation, les adversaires
de l'AGCS doutent des garanties offertes par la
Commission européenne selon lesquelles les secteurs jugés
sensibles tels que la santé, l'éducation, l'audiovisuel et les
secteurs culturels sont exclus de toute offre de libéralisation
de l'UE. À leurs yeux, ce qui n'a pas été libéralisé aujour-
d'hui peut très bien l'être demain, d'autant plus que les
exceptions temporaires à la clause de la nation la plus favo-
risée (comme celle obtenue par l'UE dans le secteur audio-
visuel) seront périodiquement soumises à révision dans le
cadre des négociations quinquennales, au risque d'aller jus-
qu’à leur complète disparition.
Les adversaires de l'AGCS s'inquiètent des dispositions
de l'Accord en matière de monopoles de services publics et de
subventions, les engagements contractés par les États en
matière d'accès au marché comportant des conséquences
irréversibles pour l'avenir des services publics en Europe.
Quoiqu'il n'interdise pas formellement l'existence de mono-
poles et de fournisseurs exclusifs de services, l'AGCS impo-
se le respect de certaines disciplines très strictes si une situa-
tion de monopole existe ou est créée, de façon à ce que la
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concurrence ne soit pas faussée entre les fournisseurs sur un
territoire donné. À terme, les critiques estiment donc que
lorsqu'un pays prend un engagement d'accorder, sans res-
trictions, un accès au marché aux fournisseurs de services, il
doit renoncer au monopole des services publics dans les
secteurs concernés. De même, lorsqu'un pays prend un
engagement d'accorder sans restriction le traitement natio-
nal à un secteur de services (la santé par exemple), cela
signifierait que dans ce secteur, toute forme de distinction
entre le secteur marchand et le secteur non marchand doit
disparaître, la politique de subventions du pays concerné
étant susceptible d'être contestée sous prétexte qu'elle serait
discriminatoire et fausserait la concurrence 25. Plus globale-
ment, les adversaires de l'AGCS estiment que les risques
d’« apartheid social » sont inhérents au principe de libérali-
sation des services puisque, mises en concurrence dans des
secteurs comme l'enseignement ou les soins de santé, les
entreprises, dont le but est le profit, ne seront intéressées
qu’à desservir les segments lucratifs du marché 26.
Autre préoccupation majeure, l'idée que l'AGCS signe
l'arrêt de mort du libre choix démocratique. À l'instar du
GATT, l'AGCS comporte, par le jeu des engagements spé-
cifiques contractés par les États, un mécanisme de cliquet qui
empêche les membres de revenir au protectionnisme. Ainsi,
une fois un secteur offert à la règle du traitement national,
les réglementations prises par les États membres ne peuvent
pas être rendues plus restrictives. Dans ce contexte, il est
dans l'intérêt des entreprises qui s'estiment en bonne posi-
tion concurrentielle d'encourager leur gouvernement à
obtenir des autres États membres une libéralisation maxi-
male dans leur secteur. Face à l'accusation selon laquelle les
engagements contractés par les États dans l'AGCS sont
irréversibles, donc contraires au choix démocratique des
citoyens, la Commission européenne et l'OMC répondent
qu'un État membre de l'AGCS peut modifier, suspendre,
voire retirer un engagement s'il le juge nécessaire. Les pro-
cédures de révision sont cependant particulièrement dissua-
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sives, puisque les États membres qui se sentent lésés sont,
dans ce cas, en droit d'exiger des compensations financières.
« L'expérience acquise depuis 1947 dans l'application des dispositions
analogues du GATT pour le commerce des marchandises montre que
l'on a eu rarement recours aux dispositions prévoyant une possibilité de
renégociation et que leur portée a généralement été très limitée, les com-
pensations à octroyer aux parties lésées risquant d'être plus lourdes
encore que les avantages potentiels qu'ils gagneraient à “rectifier le
tir”27. »
Enfin, s'appuyant sur une série de jugements rendus par
l'ORD, les détracteurs de l'AGCS dénoncent la subordina-
tion d'objectifs légitimes, comme la santé publique ou la
protection des consommateurs, à la libre concurrence. En
effet, si les États sont libres de légiférer dans ces matières,
ces lois ne peuvent entraver le libre-échange. En cas de dif-
férend, l'État incriminé devra démontrer devant l'ORD qu'il
applique les mesures les moins restrictives pour le commer-
ce. Par ce biais, l'AGCS présente des risques de dérégulation
économique et de dumping social. Face aux demandes de
libéralisation, les opposants réclament donc l'exclusion des
services d'intérêt général des négociations de l'AGCS, la
réalisation d'une étude d'impact de la libéralisation sur les
droits fondamentaux et, enfin, la garantie de l'accès pour
tous aux biens fondamentaux.
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II. La protection des consommateurs

Depuis les Accords de Marrakech en 1994, des domai-


nes liés à la protection de la santé publique sont tombés
dans le champ de compétences de l'OMC. L'Accord sanitai-
re et phytosanitaire (SPS), qui concerne l'application des
règlements relatifs à la protection de la santé et de la vie des
personnes et des animaux et à la préservation des végétaux,
a retenu l'attention des médias dans la seconde moitié des
années 1990 avec l'affaire du bœuf aux hormones, premier
différend commercial portant sur l'application et l'interpré-
tation de l'Accord.

L'Accord sur les mesures sanitaires


et phytosanitaires
L'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires
(Accord SPS) a vu le jour à l'issue du cycle de l'Uruguay, lors
des Accords de Marrakech en 1994. Il instaure un règlement
multilatéral encadrant les mesures destinées à la protection
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de la santé et de la vie des personnes et des animaux, ainsi
qu’à la préservation des végétaux. Ces mesures ne s'appli-
quent que sous la réserve expresse qu'elles ne constituent
pas un moyen de « discrimination arbitraire ou injustifiable »
entre les membres de l'OMC ou une « restriction déguisée » au
commerce international.
L'Accord SPS trouve à s'appliquer lorsque les États,
dans le cadre de leurs politiques de santé ou de protection
du vivant, prennent ou ont pris des mesures qui peuvent
directement ou indirectement affecter le commerce interna-
tional. Les dispositions de l'Accord SPS, entrées en vigueur
le 1 janvier 1995, s'appliquent aux mesures européennes
er

qui ont été adoptées avant l'entrée en vigueur de l'Accord :


l'ensemble des mesures de protection sanitaire et phytosani-
taire de l'UE doivent être conformes à l'Accord.
Pour être considérée comme légitime, l'Accord SPS
décrète que chaque mesure sanitaire doit remplir un certain
nombre de conditions :
— être établie sur la base d'une évaluation des risques (arti-
cle 5.1) ;
— ne pas être maintenue sans preuves scientifiques suffisan-
tes (article 2.2) ;
— être fondée sur des principes scientifiques (article 2.2) ;
— ne pas être plus restrictive pour le commerce que néces-
saire pour obtenir le niveau de protection sanitaire appro-
prié, compte tenu de la faisabilité technique et écono-
mique (article 5.6) ;
— ne pas être appliquée de façon à constituer une restriction
déguisée au commerce international (article 2.3) ;
— être établie sur la base de normes, directives ou recom-
mandations internationales, dans le cas où il en existe
(article 3.1).

Les mesures sanitaires établies sur la base


de normes internationales :
le Codex alimentarius
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Les normes internationales auxquelles l'Accord SPS fait
référence en son article 3.1 sont celles fixées par le Codex
alimentarius, mis en place en 1962. Il s'agit d'un organe
commun à l'Organisation des nations unies pour l'alimenta-
tion et l'agriculture (FAO) et à l'Organisation mondiale de
la santé (OMS). Le mandat du Codex est double : uniformi-
ser les normes alimentaires à l'échelle mondiale pour proté-
ger la santé des consommateurs partout dans le monde, tout
en facilitant le commerce alimentaire international.
Jusqu’à l'Uruguay round, le Codex alimentarius était
prescriptif (il donnait des recommandations) et non arbitral
(il ne servait pas de norme juridique permettant de trancher
des conflits). L'Accord SPS en a fait l'arbitre de la légalité
des normes en matière d'étiquetage des produits et de taux
de résidus chimiques acceptables dans les denrées alimentai-
res. C'est ainsi que les normes du Codex alimentarius sont
devenues, depuis l'instauration de l'OMC, la principale réfé-
rence internationale en matière de sécurité alimentaire.

L'Accord SPS à l'épreuve des faits :


le bœuf aux hormones

Le litige euro-américain sur le bœuf aux hormones a


constitué le premier cas d'examen de l'application des
dispositions de l'Accord SPS. Sur l'ensemble des questions
soulevées, l'ORD a donné gain de cause aux États-Unis,
c'est-à-dire au pays qui appliquait les normes sanitaires les
moins strictes 28.

Le conflit du bœuf aux hormones


Jusqu'au début des années 1980, l'utilisation d'hormones dans l'élevage était acceptée tant aux
États-Unis qu'en Europe. À cette époque, un incident déclenche la méfiance européenne vis-à-vis
des hormones : en Italie, des adolescents ont connu des modifications physiques réversibles (déve-
loppement des glandes mammaires) après avoir consommé de la viande de veau. La substance
incriminée, une hormone œstrogène de synthèse, fut immédiatement interdite à l'échelle mon-
diale. Dans la foulée, l'Europe établissait une réglementation interdisant toute utilisation d'hormo-
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nes anabolisantes naturelles ou artificielles en élevage.
Depuis le 1 janvier 1989, l'UE interdit l'utilisation d'une série d'hormones de croissance pour le
er

bétail. Cette interdiction porte aussi bien sur l'utilisation d'hormones dans la production nationale
que sur les importations, en provenance de l'extérieur de l'UE, de viande d'animaux traités aux acti-
vateurs de croissance. Il en a notamment résulté une interdiction des exportations canadiennes et
américaines de bœuf, puisque dans ces pays l'utilisation des hormones est toujours autorisée 29.
En janvier 1996, les États-Unis saisissent l'Organe de règlement des différends de l'OMC et dépo-
sent plainte contre l'UE. Le jugement sera clairement dévaforable à l'UE : l'embargo européen sur
les viandes aux hormones américaines est jugé contraire à l'Accord SPS. L'UE s'est pourvue en
appel, mais en vain. Le refus de l'UE d'appliquer la décision a entraîné des mesures de représailles.
C'est ainsi que les États-Unis appliquent depuis le 29 juillet 1999, avec l'aval de l'OMC, des mesu-
res de rétorsion douanière sur une série de produits, dont le roquefort, le foie gras, les jus de fruits,
la moutarde..., qui sont taxés à 100 % à leur entrée aux États-Unis, le montant total de ces mesures
se chiffrant à 116 millions de dollars par an.
Les conclusions du verdict de l'ORD sur le bœuf aux
hormones ont permis aux États, ainsi qu’à leurs citoyens, de
mesurer l'impact des dispositions de l'Accord SPS et du
Codex alimentarius sur leur faculté d'édicter des lois pour
protéger les droits des consommateurs.
La notion de preuves scientifiques, qui est utilisée mais pas
définie dans l'Accord SPS, s'est rapidement trouvée au cœur
de la controverse. Les preuves scientifiques avancées par
l'Union européenne pour refuser la viande aux hormones
ont été jugées insuffisantes. L'UE a également essayé de
faire valoir le principe de précaution, qui a motivé en premier
lieu sa démarche. À défaut de disposer d'informations
scientifiques totalement irréfutables, elle a préféré ne pas
autoriser la consommation de bœuf aux hormones, et ce au
nom des risques encourus en matière de santé publique 30.
Mais le principe de précaution, qui protège les intérêts des
consommateurs 31, n'est pas reconnu à l'OMC, si ce n'est
dans les marges étroites définies à l'article 5.7 de l'Accord
SPS, qui ouvre la possibilité de prendre des mesures tempo-
raires en cas de preuves scientifiques pertinentes insuffisan-
tes. Autrement dit, il ne peut prévaloir qu’à titre d'exception.
En outre, la question de l'évaluation des risques pour la
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santé (articles 5.1 et 5.2 de l'Accord SPS) a divisé les États-
Unis et l'Union européenne. Celle-ci réclamait le niveau de
« risque zéro » pour ses consommateurs, ce que les États-
Unis ont contesté. Selon l'Accord SPS, un gouvernement
doit démontrer scientifiquement l'existence d'un risque
identifié pour la santé et la vie des personnes et des animaux
ou pour la préservation des végétaux avant de pouvoir
imposer une mesure sanitaire. Dans cette logique, ce n'est
pas au secteur privé à prouver l'innocuité des nouveaux pro-
duits qu'il met sur le marché. La charge de la preuve incom-
be aux autorités publiques. Du reste, pour les États-Unis, le
risque zéro n'existe pas. Dans le cas de la viande aux hor-
mones, ils ont plaidé pour que les mesures sanitaires repo-
sent sur le principe de « niveau acceptable de risque ».
En second lieu, les États-Unis ont estimé que l'Union
européenne a enfreint l'article 3.1 de l'Accord SPS qui obli-
ge les membres à fonder leurs mesures sanitaires sur des
normes, directives ou recommandations internationales,
quand elles existent. Elles ont été définies par le Codex ali-
mentarius, qui a conclu à l'innocuité des hormones incrimi-
nées32.
L'Accord SPS a pour ambition d'instaurer un cadre mul-
tilatéral pour protéger les consommateurs tout en facilitant
le commerce. Toutefois, en imposant le Codex alimentarius
comme référence pour les additifs alimentaires, résidus de
médicaments vétérinaires, de pesticides et autres contami-
nants, force est de constater que l'Accord SPS revoit à la
baisse le droit des consommateurs par rapport aux normes
adaptées par différents pays ou par l'UE. Les normes de qua-
lité et d'innocuité alimentaire qui vont au-delà des planchers
fixés par le Codex alimentarius sont effectivement passibles
de sanctions commerciales, toute norme plus stricte que cel-
les du Codex étant susceptible d'être considérée comme une
entrave technique au commerce, alors qu'elle peut répondre
à des particularités alimentaires, sanitaires voire culturelles,
ou résulter de l'application du principe de précaution.
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Tenaillés par la crainte d'être sanctionnés par l'OMC, les
États sont dissuadés d'adopter des normes de sécurité supé-
rieures aux normes du Codex alimentarius. Autrement dit,
le processus d'harmonisation des normes sanitaires interna-
tionales nivelle par le bas les droits reconnus par les États
pour protéger les intérêts des consommateurs. Si l'Accord
SPS prévoit que les pays membres ont le droit de fixer leur
propre niveau de protection de la santé des consommateurs
et d'appliquer les mesures sanitaires correspondantes, ce
droit ne peut s'exercer que dans les marges établies par
l'Accord, et ce afin d'éviter que des États, au nom de la
santé des consommateurs, adoptent des normes sanitaires
dans le seul but d'empêcher l'importation de tel ou tel pro-
duit étranger (bière, fromage...) qui fait concurrence à leur
production nationale.
Les nouvelles propositions de la Commission européenne
sur l'Accord SPS

Depuis le cycle de l'Uruguay, la Commission européenne affiche la volonté d'améliorer


l'Accord SPS sous trois angles principaux :
— promouvoir l'introduction de normes internationales et renforcer leur crédibilité en se
basant sur les principes d'excellence, d'indépendance et de transparence pour leur éla-
boration ;
— assurer la participation équitable de toutes les parties intéressées, y compris les consom-
mateurs, au processus d'adoption de normes internationales ;
— clarifier et renforcer le cadre OMC existant pour le recours au principe de précaution
dans le domaine de la sécurité alimentaire.
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III. Les droits sociaux

Les questions sociales sont, au plan international, de la


compétence de l'OIT (Organisation internationale du tra-
vail) créée en 1919 en tant qu'institution autonome de la
Société des Nations. Un accord régissant ses relations avec
l'ONU a été approuvé en décembre 1946.
L'OIT a pour principale fonction d'adopter des conven-
tions et des recommandations qui déterminent des normes
de base en matière sociale : la liberté syndicale, la liberté de
mener des négociations collectives (patronat-syndicats), l'in-
terdiction du travail forcé, l'interdiction du travail des
enfants, l'interdiction de toute discrimination. Ces normes
ont été ratifiées par l'immense majorité des États. Du reste,
ces mêmes principes sont inscrits dans la Déclaration relati-
ve aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) et
doivent, à ce titre, être respectés par les 178 membres de
l'OIT.
Par ailleurs, il existe d'autres instruments légaux interna-
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tionaux pour protéger les droits sociaux, comme la
Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte de
l'ONU relative aux droits sociaux, économiques et culturels,
le traité de l'ONU relatif aux droits de l'enfant...
Cependant, ces instruments ne suffisent pas à imposer le
respect des normes sociales fondamentales à l'échelle inter-
nationale. Parmi les différentes raisons qui permettent d'ex-
pliquer cet état de fait, on retiendra trois causes primordia-
les : 1) la question du commerce et des normes du travail est
très controversée entre la plupart des pays développés et les
pays en voie de développement ; 2) l'OMC n'est pas tenue
de faire respecter les normes sociales, telles qu'elles sont
édictées par une institution comme l'OIT ; 3) l'OMC ne
reconnaît que les produits, et non pas les procédés.
Comment intégrer la dimension sociale
dans les relations commerciales ?

La mondialisation de l'économie s'est produite beau-


coup plus rapidement que la réglementation sociale des
marchés à l'échelle internationale. Si la logique voudrait que
l'OIT puisse imposer le respect des normes sociales fonda-
mentales à l'échelle internationale, on constate un manque
de coopération entre l'OIT et l'OMC. Ainsi, le fonctionne-
ment de l'OMC est indépendant de l'OIT et n'est pas tenu
à prendre en considération ses principes de base, ni dans les
différents accords de l'OMC ni dans les litiges commerciaux
jugés par l'ORD. En outre, en cas de conflit d'intérêts entre
un droit fondamental des travailleurs reconnu par l'OIT et
un intérêt commercial garanti par l'OMC, c'est de facto
l'OMC qui obtient gain de cause. En effet, tandis que l'OIT
n'est pas à même d'imposer des sanctions en cas de non-
respect des obligations contractées par un gouvernement,
les États peuvent, par le biais de l'OMC, imposer des sanc-
tions commerciales.
Ce déséquilibre de pouvoir entre institutions a d'autant
plus d'effet que dans les lois qui régissent le commerce
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international, seul un produit peut être mis en cause. En d'au-
tres termes, l'OMC ne s'intéresse pas aux conditions socia-
les ou environnementales dans lesquelles un produit est
fabriqué. Ce qui compte, c'est le produit même. Des pro-
duits similaires doivent être traités de façon similaire, indé-
pendamment de leur origine ou des conditions dans lesquel-
les ils ont été fabriqués. Ce principe-clé du commerce inter-
national met à mal le droit des États à prendre les mesures
appropriées pour protéger les droits des travailleurs. Le sort
réservé par l'OMC à la loi d'achat sélectif du Massachusetts,
qui pénalise les entreprises qui investissent en Birmanie,
constitue à cet égard un cas d'école. Par le biais de l'Accord
sur les obstacles techniques au commerce (Accord OTC),
les mesures prises pour protéger les droits de l'homme ont
été considérées comme des entraves à la libéralisation des
échanges, au lieu d'être reconnues comme légitimes.
Pourtant, selon les associations des droits de l'homme, l'ar-
ticle XX du GATT aurait pu être invoqué pour faire primer
les droits humains sur les intérêts économiques. L'arti-
cle XX du GATT prévoit en effet des exceptions à la liber-
té commerciale dans les cas suivants : la défense de la mora-
lité publique (aliéna a) ; la protection de la santé et de la vie
des personnes et des animaux (aliéna b). Par ailleurs, la plu-
part des dispositions de l'article XX sont reprises dans l'ar-
ticle XIV de l'AGCS, tandis que l'Accord sur les marchés
publics prévoit également, dans son article XXIII, des
exceptions fondées sur la protection de la moralité publique
ou de l'ordre public, ainsi que sur la protection de la santé
et de la vie des personnes et des animaux..

L'Accord sur les obstacles techniques au commerce

Au fur et à mesure des cycles du GATT, les droits de douanes ont été drastiquement dimi-
nués pour faciliter les échanges commerciaux. Les normes et les règlements techniques
(par exemple une loi qui stipule que tous les véhicules doivent être équipés d'un pot cata-
lytique) adoptés par les États ont été souvent identifiés comme des « barrières non tarifai-
res » insidieuses, qui constituent autant de freins à l'accroissement du commerce à l'échel-
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le mondiale.
L'Accord sur les obstacles techniques au commerce a pour but de garantir que les règle-
ments techniques et les normes, de même que les procédures d'essai et d'homologation,
ne créent pas d'obstacles non nécessaires au commerce. Toutefois, il reconnaît le droit des
pays d'adopter de telles mesures dans des cas bien précis : la protection de l'environne-
ment, la protection des intérêts des consommateurs, la protection de la santé et de la vie
des personnes et des animaux, la préservation des végétaux, etc. Mais dans ces cas de fi-
gure, les normes doivent être formulées de façon à restreindre le moins possible la liber-
té de commerce.
Si chaque État peut choisir son niveau de protection, il doit pouvoir expliquer pourquoi
le niveau de protection imposé par ses normes techniques est plus élevé que celui déve-
loppé par les normes internationales. Autrement dit, il aura la charge de prouver que son
exigence ne constitue pas une entrave déguisée au commerce, mais qu'il s'agit bien d'une
règle correspondant à des considérations techniques et scientifiques légitimes33.
Les réticences des pays
en voie de développement

Face à cette situation, et pour éviter que la mondialisa-


tion n'aggrave les problèmes sociaux et notamment les
infractions aux droits des travailleurs, les forces progressis-
tes des pays occidentaux proposent une batterie de mesures,
dont les principes-clés sont : 1) l'attribution à l'OIT du
même poids que l'OMC, le FMI ou la Banque mondiale ;
2) la réorientation de l'économie mondiale en faveur de
l'emploi et de la justice, en confiant à l'OIT la tâche d'éva-
luer les répercussions sociales des règles de l'OMC et des
recommandations du FMI et de la Banque mondiale.
Cependant, cet avis n'est pas partagé par la plupart des
pays en voie de développement, qui redoutent par-dessus
tout que les normes fondamentales du travail soient invo-
quées pour justifier des mesures protectionnistes. À leurs
yeux, tout progrès sur leur territoire en matière de normes
sociales ne peut résulter que du progrès de leur développe-
ment économique. Malgré ces divergences de vues, il a été
convenu, lors de la conférence ministérielle de Singapour
(1996), de renforcer le travail conjoint de l'OIT et de
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l'OMC. Cependant, les relations entre les deux institutions
restent très difficiles et de nombreux obstacles devront être
franchis pour que l'OMC intègre la dimension des normes
fondamentales du travail dans son fonctionnement.
Le cas de la Birmanie

La Birmanie (Myanmar), gouvernée par une junte militaire, est tristement célèbre pour les
exactions commises à l'égard de sa population : travail forcé des femmes et des enfants,
mesures d'oppression à l'encontre des minorités ethniques et religieuses, usage de la tor-
ture, exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, etc.
L'Organisation internationale du travail s'est inquiétée des conditions de travail dans ce
pays. En juin 2000, l'OIT lança un appel aux gouvernements en leur demandant de limi-
ter le plus possible les relations économiques et commerciales avec la Birmanie, de façon
à mettre fin au système de travail forcé ou obligatoire qui y prévaut.
En réaction aux violations systématiques des droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels perpétrées au Myanmar, l'État du Massachusetts a pour sa part adop-
té une loi visant à dissuader les sociétés américaines et étrangères de tirer profit de la poli-
tique de travail forcé en Birmanie. Cette loi sélective, calquée sur celle adoptée dans les
années 1980 pour lutter contre l'apartheid en Afrique du Sud, impose une majoration de
10 % sur les contrats conclus entre le gouvernement du Massachusetts et les sociétés ayant
des relations d'affaires avec la Birmanie.
Alors que le Parlement européen votait en septembre 1998 une résolution condamnant les
investissements en Birmanie, la Commission européenne avait entre-temps saisi l'Organe
de règlement des différends de l'OMC pour contester, de concert avec le Japon, cette loi
qui favorise le respect des droits de l'homme. La Commission arguait que la loi était
incompatible avec l'Accord sur les marchés publics de l'OMC, qui vise à ouvrir aussi lar-
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gement que possible ces marchés à la concurrence internationale. In fine, après constitu-
tion d'un panel d'experts par l'OMC, et pour éviter une condamnation, le gouvernement
américain a saisi la Cour fédérale américaine qui, en novembre 1998, a jugé la loi du
Massachusetts anticonstitutionnelle. La loi étant révoquée, le conflit n'avait plus d'objet.
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IV. L'environnement

Le développement du droit international de l'environne-


ment est un phénomène relativement récent, dont les deux
piliers sont le Programme des Nations unies pour l'environ-
nement (PNUE), créé en 1972, et les accords multilatéraux
environnementaux (AME). On dénombre à ce jour pas
moins de 900 instruments internationaux, dont quelque 200
accords traitant de questions environnementales (conven-
tions sur le climat, sur la biodiversité, sur les déchets dange-
reux, sur les espèces de faune et flore sauvages menacées
d'extinction, sur la couche d'ozone, etc.).
Un flou juridique persiste sur les relations entre l'OMC
et les accords multilatéraux environnementaux. La question
est de taille car il s'agit de définir à l'échelle internationale
une hiérarchie de priorités : faut-il soumettre la protection
de l'environnement aux lois du commerce, conçues pour
maximaliser les échanges, ou faut-il au contraire reconnaî-
tre la prééminence des enjeux liés à l'environnement, ce qui
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induirait une modification fondamentale des termes de
l'échange ? Selon la réponse donnée, les instances compé-
tentes pour arbitrer les conflits pourront être clairement
identifiées : l'Organe de règlement des différends de
l'OMC dans le premier cas de figure, ou bien les dispositifs
de règlements de conflits propres à chaque convention
internationale dans le second. Actuellement, c'est l'ORD
qui s'impose en l'absence, à l'échelle mondiale, d'une orga-
nisation dotée de pouvoirs contraignants qui ferait le pen-
dant de l'OMC afin d'assurer la mise en œuvre intégrée des
accords multilatéraux de protection de l'environnement.
Quand l'environnement entre
dans le giron de l'OMC

Pendant longtemps, les politiques d'environnement et


les règles de la concurrence et du commerce international se
sont développées de façon indépendante. L'émergence des
problèmes environnementaux planétaires d'une part, la libé-
ralisation progressive du commerce mondial d'autre part,
ont propulsé la question de l'environnement à l'agenda du
cycle de l'Uruguay. Dans plusieurs accords de l'OMC, il est
question d'environnement.
Le Préambule de l'OMC fait référence à l'objectif du
développement durable et à la protection de l'environne-
ment. Les Accords sur les obstacles techniques au commer-
ce (OTC) et sur l'application des mesures sanitaires et phy-
tosanitaires (SPS) permettent de prendre un ensemble de
mesures en faveur de la protection de la santé et de l'envi-
ronnement. De même, l'Accord sur l'agriculture permet,
sous certaines conditions, que des mesures de soutien inter-
ne soient prises dans le cadre de programmes environne-
mentaux. L'Accord sur les subventions et les mesures com-
pensatoires autorise qu'une aide publique soit octroyée aux
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industries pour qu'elles se conforment aux nouvelles pres-
criptions environnementales (à hauteur de 20 % maximum
du coût). L'ADPIC et l'AGCS contiennent également des
dispositions environnementales.
L'OMC a l'ambition de poursuivre l'objectif de promo-
tion du commerce tout en contribuant au développement
durable. Dans cet esprit, les ministres du Commerce réunis
à Marrakech ont convenu d'installer au sein de l'OMC un
Comité du commerce et de l'environnement (CCE), doté
d'un large mandat 34 couvrant tous les domaines du système
commercial multilatéral : marchandises, services et droits de
propriété intellectuelle.
La marge de manœuvre des États membres de l'OMC
est toutefois étroite. S'ils ont le droit de prendre des mesu-
res pour protéger l'environnement, leurs actions doivent
s'inscrire dans le cadre défini par le système juridique de
l'OMC, notamment l'article XX du GATT, qui porte sur les
« exceptions générales » au libre commerce. Les mesures
environnementales sont acceptées tant qu'elles ne consti-
tuent pas des entraves au commerce, et qu'elles n'enfrei-
gnent pas le principe majeur de l'OMC : la non-discrimina-
tion entre les produits d'origine nationale et les importa-
tions, ainsi qu'entre partenaires commerciaux.

L'Accord OTC et les législations


environnementales

Nous avons vu que l'Accord sur les obstacles techniques


au commerce autorise les États à édicter des normes en
matière de protection environnementale pour autant qu'el-
les ne créent pas d'obstacles non nécessaires au commerce.
Cependant, en ne reconnaissant que les produits, les nor-
mes de l'OMC hypothèquent le droit des États à prendre les
mesures politiques pour protéger l'environnement, la biodi-
versité ou la santé publique. Dans les limites imparties par
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l'OMC, les États adhérents ont effectivement le droit d'ap-
précier souverainement les exigences à imposer aux pro-
duits qu'ils importent, mais ils n'ont pas le droit de faire
obstacle à l'importation de produits en mettant en avant les
atteintes à l'environnement résultant des procédés de pro-
duction de ces mêmes produits.
Le sort réservé à la loi américaine sur les espèces mena-
cées (voir encadré ci-dessous) illustre, à lui seul, les enjeux
sous-jacents de l'OTC, à savoir la possibilité que des normes
environnementales soient considérées comme une distor-
sion commerciale protectionniste et fassent l'objet de sanc-
tions. Par exemple, des mesures visant à imposer une teneur
minimale de matières recyclées ou encore des éco-labels, qui
sont des instruments importants de la politique environne-
mentale, sont susceptibles d'être pénalisés pour discrimina-
tion, puisque selon les normes de l'OMC, on ne peut discri-
miner des produits similaires sur la base de leur méthode de
production ou de leur procédé. Dans ce contexte, ces nor-
mes environnementales pourraient se voir assimilées à des
barrières techniques au commerce.

Logique commerciale contre logique environnementale

L'article XX du GATT explicite les conditions de recevabilité des mesures environnemen-


tales : elles ne peuvent constituer un moyen de « discrimination arbitraire » ou « injustifiable »
ou constituer une « restriction déguisée » au commerce international. Une fois appliquées, ces
conditions peuvent empêcher l'adoption de mesures essentielles pour l'environnement.
L'article XX du GATT n'autorisant pas un pays à prendre des mesures à des fins environ-
nementales en dehors de son territoire, l'OMC a par exemple condamné en 1998 les États-
Unis pour leur loi sur les espèces menacées, par laquelle ils exigeaient que les crevettes
importées aux États-Unis aient été élevées selon des méthodes qui réduisaient la mortali-
té des tortues de mer. L'OMC a décrété que cette loi représentait une discrimination injus-
tifiée contre le libre-échange. Les États-Unis ont modifié leur loi en conséquence.
Dans un autre registre, le Venezuela, défendant ses raffineries de pétrole, a contesté la loi
dite US Clean Air Act portant sur la qualité de l'air. Il a obtenu gain de cause. Ce faisant,
les États-Unis ont été contraints d'abandonner l'ensemble des lois interdisant l'essence
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polluante.
En 2001 par contre, l'ORD a tranché en faveur de la protection de la santé humaine dans
le cas de l'amiante, qui a opposé la France et le Canada. Pour contester la décision du gou-
vernement français d'interdire l'amiante, le Canada a argué de la violation d'une série de
dispositions de l'OMC, dont l'Accord OTC. Mais l'ORD a donné raison à la France en
admettant ses mesures de protection contre les dangers dus à l'amiante.

Les conflits de principes

Les règles fondatrices de l'OMC vont à contre-courant


des préoccupations grandissantes de la population pour la
protection de l'environnement, de la biodiversité et de la
santé publique. La qualité des produits est de plus en plus
appréhendée de façon globale, en tenant compte notam-
ment des méthodes de production (conditions de travail des
producteurs, mode d'exploitation des ressources, impact sur
la biodiversité, etc.). Plus généralement, la prise en compte
du développement durable remet en question la dichotomie
classique entre produits et procédés qui est à la base des
règles en vigueur dans le commerce international.
Les règles de l'OMC sont aussi en décalage avec le prin-
cipe de précaution, qui est pourtant explicitement affirmé dans
la déclaration de Rio, et qui constitue la base de la politique
européenne en matière de protection de l'environnement
(article 174 du Traité CE). La prise en compte de ce princi-
pe bouleverse la logique actuelle du commerce international
car le principe de précaution repose sur une autre évaluation
des risques : les risques pris en compte ne sont plus seule-
ment les risques avérés par des preuves scientifiques irréfu-
tables. Il s'agit également d'appréhender les risques poten-
tiels, qu'on ne peut prouver avec certitude en l'état actuel
des connaissances scientifiques et techniques.
Cette nouvelle approche du risque et de la qualité des
produits a des répercussions sur le commerce international,
puisqu'elle suppose la mise sur pied de nouveaux dispositifs
pour faire le lien entre la qualité des produits mis en vente
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et les conditions sanitaires et environnementales de toute la
filière de production en amont 35. Dans ce contexte, des
mesures en matière de traçabilité ou d'étiquetage des pro-
duits se sont progressivement imposées, qui heurtent la
logique sous-jacente des politiques de libre-échange dont
l'objectif est de démanteler ou d'abaisser les barrières tari-
faires et non tarifaires aux échanges.
La déclaration ministérielle de Doha, en novembre 2001,
a ouvert des négociations sur la relation entre les règles de
l'OMC et les accords multilatéraux environnementaux. Il
reste à voir comment les États signataires de tels accords
vont régler les conflits que cela peut susciter avec leurs obli-
gations contractées au sein de l'OMC.
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V. Le développement

Un large accord s'est forgé au niveau international sur


les bienfaits du libre-échange et de l'expansion des échanges
commerciaux comme stratégie de développement. Par l'ou-
verture au commerce international, la mondialisation a per-
mis l'enrichissement de certains pays et de certaines parties
de la population mondiale, dont le niveau de vie s'est forte-
ment amélioré. C'est le cas, entre autres, de la plupart des
pays d'Asie de l'Est et du Sud, qui ont notamment connu
leur essor grâce au meilleur accès aux marchés et aux tech-
nologies. L'expansion des échanges commerciaux s'est tra-
duite par des retombées positives en termes d'emploi et de
salaires.
Cependant, les fruits de la libéralisation des échanges à
l'échelle mondiale n'ont pas été équitablement répartis, et
certains pays n'ont pu bénéficier des bienfaits du libre-
échange. Les rapports successifs de la Banque mondiale
montrent la persistance de la pauvreté partout dans le
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monde, ainsi qu'une augmentation considérable du nombre
de pauvres dans des régions comme l'Afrique subsaharien-
ne. En outre, ils font état de l'accroissement des inégalités
de revenus entre pays industrialisés et pays en voie de déve-
loppement.

Des évolutions en sens divers

Face à ces constats, certains pays en voie de développe-


ment (PVD) étaient opposés à la tenue d'un nouveau cycle
de négociations commerciales après le cycle de l'Uruguay. À
leurs yeux, la priorité consistait avant tout à évaluer les
accords de l'OMC existants, conformément aux engage-
ments pris lors des Accords de Marrakech, notamment en
procédant à l'évaluation de l'impact économique, social et
environnemental des Accords de l'OMC, qu'il fallait réviser
en conséquence. Or, cette promesse n'a toujours pas été
honorée. Ensuite, ils réclamèrent des délais supplémentaires
pour appliquer intégralement les accords conclus dans le
cadre du cycle de l'Uruguay.
À la conférence ministérielle de Doha en novembre
2001, les États ont convenu de prendre en considération les
difficultés spécifiques des pays du Sud. L'agriculture, les
mécanismes du traitement spécial et différencié, l'accès aux
médicaments à travers la question des droits de propriété
intellectuelle..., formaient autant de questions qui auraient
dû faire l'objet d'avancées à la conférence ministérielle de
Cancún de septembre 2003. Mais elle s'est soldée par un
échec.
Par ailleurs, l'OMC a infléchi considérablement la façon
dont les États membres de l'Union européenne conçoivent
leur politique de développement. Le litige commercial qui a
opposé les États-Unis et l'Union européenne sur les bana-
nes est illustratif à cet égard. Pour se conformer aux règles
de l'OMC, l'Union européenne s'est engagée à abandonner
son régime commercial préférentiel en faveur des pays ACP
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(Afrique, Caraïbes, Pacifique). Plus précisément, elle a com-
plètement réformé le cadre de ses relations avec l'ensemble
de ces pays avec la conclusion de l'Accord de Cotonou en
l'an 2000.

Le régime préférentiel des pays ACP et


son adaptation aux normes de l'OMC

Depuis 1975, la Communauté européenne accorde, par


le biais de la Convention de Lomé, un régime commercial
préférentiel aux pays ACP. Offrant des préférences com-
merciales pour presque tous les produits primaires, indus-
triels et transformés exportés vers l'Europe, ce régime a
longtemps été considéré comme le plus généreux envers les
pays tiers. Il visait à promouvoir et à diversifier les exporta-
tions des pays ACP et, ainsi, à favoriser leur croissance et
leur développement. Ces préférences n'étaient pas réci-
proques : les pays ACP n'étaient pas tenus d'offrir en retour
un accès spécial aux produits européens sur leurs propres
marchés.
Cependant, le régime commercial préférentiel a déçu car
il n'a pas enrayé la marginalisation des pays ACP dans le
commerce international. En 25 ans de préférences non réci-
proques, la part des pays ACP dans le commerce est passée
de 3 % des échanges mondiaux en 1975 à 1,5 % en l'an
2000, et de 8 % des échanges entre l'Europe et des pays tiers
à 3 % au terme de la période. De même, ce régime n'a pas
permis la diversification des exportations des pays ACP, qui
restent cantonnées à quelques produits de base. En outre, il
n'est pas conforme aux règles de l'OMC. Les préférences
non réciproques sont en effet contraires au principe de non-
discrimination, inscrit à l'article premier du GATT : toute
préférence accordée à un membre doit l'être automatique-
ment aux autres.
Ces constats ont motivé la réforme des Conventions de
Lomé. Le 23 juin 2000, l'Union européenne et les 77 pays
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ACP ont signé l'Accord de Cotonou, qui succède aux
Conventions de Lomé. Il fixe le cadre de la coopération
entre les États signataires pour une durée de 20 ans. Le
protocole financier qui l'accompagne est renégocié tous les
cinq ans.
L'Accord de Cotonou s'articule autour de trois dimen-
sions : l'aide au développement, le commerce (pour répon-
dre aux défis de la mondialisation et aux exigences de
l'OMC) et le dialogue politique 36 (auquel la société civile de
ces pays est associée à part entière).
Sur le plan commercial, l'Accord de Cotonou engage
une réforme radicale par rapport aux Conventions de
Lomé. Le régime commercial préférentiel basé sur le princi-
pe de non-réciprocité est remplacé, à partir du 1er janvier
2008, par des accords de libre-échange entre l'Union euro-
péenne et des pays ACP regroupés au sein de blocs régio-
naux, sous la forme d'accords de partenariat économique 37
(APE). L'objectif principal est de permettre l'intégration
des pays ACP dans l'économie mondiale et, par ce biais,
d'éradiquer la pauvreté.
Les APE doivent être compatibles avec les règles de
l'OMC, ce qui signifie qu'ils doivent couvrir tous les pro-
duits et être réciproques. La réciprocité dans le cadre d'ac-
cords de libre-échange signifie non seulement l'ouverture
des marchés européens aux produits ACP (ce qui existe déjà
en partie), mais aussi l'ouverture des marchés ACP aux pro-
duits européens.
Le démantèlement progressif de régimes commerciaux
préférentiels au nom du principe de non-discrimination sus-
cite de nombreuses inquiétudes dans les pays du Sud, ainsi
que parmi la mouvance altermondialiste et les forces pro-
gressistes des pays du Nord, car il hypothèque le droit des
États membres de l'Union européenne de poursuivre leur
propre stratégie de développement. Dans « l'affaire des
bananes » (voir encadré), la décision rendue par l'Organe de
règlement des différends crée un précédent dangereux pour
les pays ACP, car leur accès privilégié au marché européen
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est vital pour leur stratégie de développement économique.
Le commerce des bananes : un instrument du développement
En Amérique latine, trois grandes sociétés multinationales américaines contrôlent la quasi-tota-
lité de la production bananière : Chiquita Brand International, Dole et Del Monte. Les « bana-
nes dollars » produites par ces multinationales sont massivement présentes sur le marché euro-
péen. À elle seule, la banane Chiquita occupe 50 % du marché de l'Union européenne.
À travers la Convention de Lomé, l'UE a choisi de réserver une part de son marché (7 %) aux
bananes en provenance de ses anciennes colonies et des pays les plus pauvres de la planète :
les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).
Pour ces pays, tributaires pour la plupart d'une économie d'exportation limitée à quelques pro-
duits, le fait d'avoir un accès garanti au marché européen à un tarif douanier plus bas que pour
les autres producteurs est vital. Aux Caraïbes par exemple, les producteurs de bananes sont
essentiellement des petits fermiers qui possèdent et exploitent des petits lopins de terre mon-
tagneux, ce qui engendre des coûts de production plus élevés. Les bananes sont d'autant plus
centrales pour la stabilité économique et politique de ces petites îles (Sainte Lucie,
Dominique, Saint Vincent, les Grenadines...) que les terrains montagneux et les terres arables
limitées rendent les autres cultures de rente 38 impossibles.
Ces mesures d'exception, qui octroient à ces pays des tarifs douaniers préférentiels pour leurs
exportations vers l'Union, avaient été dûment enregistrées lors de la signature des Accords de
l'OMC, de sorte que la Convention de Lomé ne puisse être considérée comme enfreignant la
clause de la nation la plus favorisée qui interdit les traitements de faveur envers un ou plusieurs
pays dans les relations commerciales. Pourtant, en 1995, quatre pays (les États-Unis, qui ne
sont pas eux-mêmes producteurs de bananes, ainsi que le Honduras, le Guatemala et le
Mexique), rejoints plus tard par l'Équateur, ont déposé plainte contre l'UE, dont le système
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d'importation de bananes était jugé discriminatoire.
Rapidement, le différend entre les États-Unis et l'UE a pris la tournure d'une véritable crise
commerciale. D'un côté, l'UE a constamment défendu le droit de privilégier sur son marché
les bananes produites dans ses anciennes colonies ACP. D'un autre côté, les États-Unis, sous
la pression de leurs multinationales qui s'estiment lésées par ce régime préférentiel, ainsi que
les autres parties plaignantes, ont défendu le principe de la non-discrimination selon l'origine
des produits, qui constitue la pierre angulaire des Accords de l'OMC.
L'Organe de règlement des différends a donné raison aux États-Unis et aux autres parties plai-
gnantes. Ils ont obtenu le droit d'infliger des sanctions commerciales à l'Union européenne.
Pour les pays ACP, la fin du régime commercial préférentiel implique une baisse des recettes
d'exportation et menace leur stabilité socio-économique. En outre, on doit bien constater que
ce jugement est en totale contradiction avec le Préambule de l'OMC, qui assigne à
l'Organisation, parmi d'autres objectifs, le relèvement des niveaux de vie, le développement
durable et les efforts à fournir à destination des pays en voie de développement et des pays
moins avancés.
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VI. L'agriculture

Au temps où le commerce international était régi par les


règles du GATT, chaque pays était libre de mener la poli-
tique agricole qui lui convenait. Ainsi, les États-Unis et
l'Union européenne, qui sont les deux premières puissances
agricoles exportatrices du monde, ont opté pour une agri-
culture largement subsidiée. Développant une agriculture
productiviste, celle-ci est rapidement devenue excédentaire.
Devant écouler leurs surplus agricoles, l'UE et les États-
Unis sont en concurrence pour conquérir des parts de mar-
ché à l'exportation.
Pour éviter que leurs marchés soient inondés de produits
agricoles à prix bradés, les pays du Sud ont recouru aux
mesures de protection les moins chères à mettre en place :
les tarifs douaniers et les quotas. Or, ceux-ci ont été consi-
dérablement rabotés avec la première vague de libéralisation
des marchés agricoles au sein de l'OMC. D'autre part, s'ap-
puyant cette fois sur les règles de l'OMC, les pays du Sud
fustigent le recours de l'UE et des États-Unis aux subven-
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tions aux exportations pour une série de produits agricoles,
en ce qu'elles faussent la concurrence.

L'Accord sur l'agriculture

L'Accord sur l'agriculture (AsA), entré en vigueur le


1er janvier 1995, poursuit l'objectif d'instaurer une concur-
rence loyale dans ce secteur du commerce mondial où les
distorsions sont innombrables, et de mettre fin au protec-
tionnisme agricole, jugé préjudiciable pour le consomma-
teur. Concrètement, il vise la libéralisation des échanges
agricoles au moyen de trois leviers : 1) l'ouverture des mar-
chés par la réduction des tarifs douaniers et des quotas ;
2) la modification et la réduction des subventions internes ;
3) la réduction des subventions à l'exportation.
L'Accord sur l'agriculture

L'Accord sur l'agriculture (AsA) est entré en vigueur le 1er janvier 1995. Il impose un ensemble de
nouvelles règles concernant l'accès au marché, le soutien interne et la concurrence à l'exportation.

L'accès aux marchés


L'accès au marché des produits agricoles est désormais soumis à un régime reposant uniquement
sur des droits de douane. Les mesures non tarifaires à la frontière sont converties en droits de doua-
ne qui assurent un degré de protection équivalent. Ces droits de douane doivent ensuite être abais-
sés de 36 % en moyenne dans le cas des pays développés et de 24 % dans le cas des pays en déve-
loppement, un pourcentage minimum de réduction étant fixé pour chaque catégorie de produits.
Les réductions doivent être opérées sur une période de six ans dans le cas des pays développés et
de dix ans dans le cas des PVD. Les pays moins avancés (PMA) ne sont pas tenus d'abaisser leurs
droits de douane.

Les mesures de soutien interne (boîtes jaune, verte et bleue)


L'AsA classifie les différents types de subventions internes en catégories qui gênent plus ou moins
le fonctionnement du marché.
Selon la règle de minimis, l'AsA autorise les pays développés à subventionner chaque produit agri-
cole à hauteur de 5 % de son coût de production. Les pays en voie de développement ont, pour
leur part, droit à 10 %. Dans les faits, rares sont ceux qui ont les moyens de verser de telles sub-
ventions.
Les mesures de soutien interne qui doivent être réduites dans le cadre de l'OMC sont appelées
mesures de la boîte jaune. Ce sont les mesures qui encouragent le plus la surproduction et qui recou-
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vrent un ensemble de dépenses publiques : prix minimums garantis, primes à l'hectare versées pour
certaines cultures, etc. Les pays développés se sont engagés à réduire ces soutiens de 20 % en six
ans (jusqu'en 2000). Dans le cas des PVD, cette réduction doit être de 13 % sur une période de dix
ans, mais aucune réduction n'est requise dans le cas des pays moins avancés.
Les engagements de réduction de soutien interne ne s'appliquent pas aux mesures ayant un effet
minime sur le commerce. Aucune contrainte ne leur est donc imposée. Il s'agit des mesures de la
boîte verte. Dans celle-ci, on retrouve les paiements en faveur de l'agriculture biologique, le gel des
terres, l'aide régionale, les versements directs aux producteurs pour soutenir leur revenu, etc.
La boîte bleue contient les aides agricoles qui sont actuellement tolérées dans le cadre de l'AsA. Elle
regroupe les versements accordés pour limiter la production.

Les subventions directes à l'exportation


Les membres de l'OMC sont tenus de réduire le niveau des subventions à l'exportation de 36 %,
sur une période de six ans. Le volume des exportations subventionnées doit être réduit de 21 %
pendant la même période (jusqu'en 2000). Dans le cas des PVD, les réductions sont échelonnées
sur dix ans et représentent les deux tiers de celles qui sont opérées par les pays développés. Aucune
réduction n'est requise des pays moins avancés.
Selon l'article 20 de l'Accord sur l'agriculture, la libérali-
sation agricole s'inscrit dans un processus continu dont
l'objectif à longue échéance est d'obtenir une réduction
progressive et substantielle du soutien et de la protection
dans l'agriculture.

Les subventions à l'exportation :


une concurrence Nord/Sud déloyale
L'agriculture constitue depuis longtemps une pomme de
discorde au sein de l'OMC, notamment entre les pays des
hémisphères Nord et Sud. Les pays du Sud estiment que le
libre-échange en agriculture est un leurre puisque les agri-
cultures occidentales sont largement subventionnées.
En outre, ils s'émeuvent des effets pervers de la mondia-
lisation des échanges agricoles, qui s'apparente à une guerre
économique particulièrement meurtrière : elle met en
concurrence des centaines de millions de petits paysans pra-
tiquant une agriculture traditionnelle et faiblement outillée
(qui constituent plus de 50 % de la population mondiale)
avec les agriculteurs des pays riches fortement mécanisés et
subventionnés (qui constituent 5 % de la population de
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l'UE et 3 % de la population des États-Unis).
La surproduction agricole dans les pays industrialisés pro-
voque une baisse généralisée des prix agricoles internationaux.
La vente de denrées alimentaires à des prix bradés a pour effet
de disloquer les agricultures des pays en développement et
d'appauvrir les petits paysans partout dans le monde. Faute de
pouvoir faire face à des prix qui défient les leurs, ils sont
contraints d'abandonner leur terre et alimentent l'exode rural.

Les enjeux agricoles pour les pays ACP


Sur le dossier agricole, les conflits d'intérêts entre les
pays de l'OMC vont toutefois au-delà de purs clivages
Nord-Sud. De façon schématique, on distingue trois grands
groupes de pays dans le cadre des négociations agricoles. Le
premier est celui des grands pays exportateurs, comprenant
notamment les États-Unis et l'Union européenne. Ces pays,
qui se sont affrontés pour la conquête de marchés mon-
diaux, ont pour caractéristique de soutenir très largement
leur agriculture. Le deuxième groupe est celui des pays
exportateurs qui soutiennent peu leur agriculture. De ce fait,
ils sont intéressés par la libéralisation des marchés, et parti-
culièrement ceux de l'UE et des USA. Réunis au sein du
groupe de Cairns, ces pays considèrent que les politiques de
soutien agricole conduisent à une concurrence déloyale sur
les marchés mondiaux et les empêchent de profiter pleine-
ment de leurs avantages comparatifs. Le troisième groupe
de pays comprend une bonne partie des pays en développe-
ment. Ces pays, dont l'économie dépend fortement de l'ac-
tivité agricole, comportent une population rurale très
importante. Généralement tributaires de la production
vivrière pour leur survie, ils sont plus enclins à préserver
une protection douanière élevée pour leur propre agricultu-
re, tout en réclamant un meilleur accès au marché agricole
des pays développés.
Par-delà ces caractéristiques générales, les trois grands
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groupes de pays sont loin de constituer des blocs homogè-
nes. Si dans l'hémisphère Nord, l'Union européenne et les
États-Unis sont souvent à couteaux tirés sur ce dossier, la
difficulté de dégager une position commune sur le volet
agricole existe au sein même de l'Union (notamment entre
la France et les pays nordiques). Le groupe de Cairns est
quant à lui très hétérogène. Il comprend en effet trois pays
développés (l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande),
des pays du Mercosur (le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le
Paraguay), d'autres pays d'Amérique latine (la Bolivie, le
Chili, la Colombie, le Costa Rica et le Guatemala), des pays
asiatiques (l'Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande et les
Philippines) ainsi qu'un pays africain (l'Afrique du Sud).
Enfin, les pays en voie de développement forment égale-
ment un ensemble très hétérogène : certains figurent dans le
groupe de Cairns, tandis que d'autres font partie de la caté-
gorie des pays moins avancés, etc.
En dépit de la difficulté de concilier leurs intérêts agrico-
les respectifs, chaque pays ou groupe de pays s'est inscrit
dans une logique de construction d'alliances à l'échelle inter-
nationale pour faire prévaloir sa vision de l'agriculture. Ainsi,
les pays ACP font chorus sur un certain nombre de revendi-
cations :
— éliminer les subventions à l'exportation et réduire les sou-
tiens internes qui sont de nature à fausser les échanges ;
— mettre en place un mécanisme de compensation financiè-
re pour faire face aux méfaits des subventions à l'expor-
tation des pays développés sur leurs marchés et leur pro-
pre production agricole ;
— fournir une assistance technique en vue d'aider les pays
ACP à surmonter les conséquences, pour leurs produits
agricoles, de l'application des mesures SPS et de celles
relatives aux obstacles techniques au commerce.

La stratégie des pays industrialisés pour


se conformer aux règles de l'OMC
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Parce qu'elle crée une concurrence déloyale préjudiciable
à leur économie, les pays en voie de développement ont
contesté la politique de subventions à l'exportation des pays
industrialisés. Leurs griefs ont été partiellement entendus
dans l'enceinte de l'OMC.
En effet, l'Accord sur l'agriculture comporte un certain
nombre de dispositions encourageant le recours à des poli-
tiques de soutien interne qui faussent moins le commerce tout
en maintenant l'économie rurale (il s'agit par exemple de
mesures de soutien des prix, ou de subventions directement
liées aux quantités produites). Il affiche également l'objectif
de tenir compte des préoccupations spécifiques des pays en
voie de développement, y compris des PVD importateurs
nets de produits alimentaires et des pays moins avancés.
Dans le même esprit, la déclaration ministérielle qui a
lancé le cycle de Doha en novembre 2001 stipule que l'ob-
jectif des négociations sur l'agriculture est d'obtenir « des
améliorations substantielles de l'accès au marché ; des réductions de
toutes les formes de subventions à l'exportation, en vue de leur retrait
progressif ; et des réductions substantielles du soutien interne ayant des
effets de distorsion des échanges ».
Enfin, lors de l'Accord-cadre de l'OMC de juillet 2004
(voir infra), les pays du Sud ont arraché aux pays industriali-
sés un accord de principe sur la suppression à terme des
subventions à l'exportation. Mais à ce stade, ces subventions
ne sont toujours pas interdites. En outre, leur interdiction
n'est pas une garantie suffisante pour apporter une réponse
aux problèmes des pays du Sud.
De fait, refusant de remettre en question la légitimité des
subventions à l'exportation et pour éviter de réduire leur
soutien aux agriculteurs, les pays industrialisés ont reconver-
ti leurs aides agricoles vers l'instrument le plus complexe et
le plus flexible de l'AsA : les subventions internes, que les
pays pauvres sont incapables de financer pour soutenir leur
agriculture.
En conclusion, malgré les réformes entreprises par les
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États-Unis et l'Union européenne en matière de subven-
tions agricoles pour se conformer aux règles de l'OMC, la
libéralisation des échanges commerciaux entre les pays du
Nord et du Sud reste faussée. Et les conséquences néfastes
de la politique de subventions agricoles des pays du Nord
sur la population des pays pauvres persistent, comme l'at-
teste le différend commercial au sujet du coton.
Le cas du coton
Dans les dernières décennies du XXe siècle, la culture du coton s'est rapidement développée au
Sahel et en particulier dans l'Afrique de l'Ouest et du Centre (AOC), qui s'est hissée au rang de
deuxième exportateur mondial.
La progression de la culture du coton a eu des effets bénéfiques pour l'AOC. Elle a permis d'amé-
liorer considérablement le niveau de vie de dix millions d'habitants dont le revenu individuel est
inférieur à un dollar par jour. Mais les progrès réalisés ces trois dernières décennies ont été bruta-
lement remis en cause par la chute des cours mondiaux qui, en dollars courants, sont tombés en
2001-2002 à leur niveau le plus bas depuis trente ans.
Les subventions massives accordées par les États-Unis, la Chine, la Grèce et l'Espagne à leurs pro-
ducteurs de coton sont en partie responsables de cette chute des prix. Par ricochet, elles ont eu
pour effet de réduire les recettes d'exportation des pays africains dont certains exportent jusqu’à
95 % de leur production cotonnière. Les derniers chiffres connus, relatifs à l'année 2002, font état
de subventions pour un montant de 3,9 milliards de dollars au profit de 25 000 agriculteurs des
État-Unis, et d'un montant de 700 millions de dollars pour l'Union européenne 39.
Contrairement au différend commercial sur les bananes (pour lequel les pays ACP producteurs de
bananes demandaient un traitement préférentiel à leur égard), les pays les moins avancés d'Afrique
demandent, dans le cas du coton, le respect des lois du marché et de la libre concurrence confor-
mément aux principes fondamentaux de l'OMC.
En effet, les producteurs africains sont capables d'affronter la concurrence des pays développés car
leur culture du coton est rentable et compétitive. Mais les subventions massives accordées par les
pays développés faussent la concurrence et menacent la production africaine de coton. En outre,
elles ont des répercussions socio-économiques graves pour les pays de l'Afrique du Centre et de
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l'Ouest. Car si le coton ne constitue qu'une part minime de l'activité économique des USA et de
l'UE, son importance est vitale pour des pays tels que le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, le Tchad
et le Togo, qui éprouvent de réelles difficultés à diversifier leurs cultures.
Le 30 avril 2003, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad (qui sont considérés comme rele-
vant de la catégorie des pays les moins avancés, ou PMA) ont alerté l'OMC sur leurs difficultés. Ils
ont plaidé pour la réduction accélérée des subventions aux producteurs de coton dont le préjudice
direct a été estimé à 250 millions de dollars pour 2001-2002. En attendant la suppression définiti-
ve des subventions, ces quatre pays ont également demandé qu'une compensation financière leur
soit versée, pour un montant évalué à un milliard de dollars.
En guise de réponse, les membres de l'OMC ont établi, le 19 novembre 2004, un organe chargé
spécifiquement de la question du coton dans le cadre des négociations sur l'agriculture. Il est char-
gé de faire porter ses travaux sur « toutes les politiques ayant des effets de distorsion des échanges affectant le
secteur », dans les trois domaines-clés des négociations sur l'agriculture : l'accès aux marchés, le sou-
tien interne et la concurrence à l'exportation. La compensation financière demandée par les pays
producteurs cités a été acceptée dans son principe, mais il ne s'agit, à ce stade, que d'une déclara-
tion d'intention, aucune mesure concrète n'ayant encore été prise.
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VII. La propriété intellectuelle

Considérée comme source de créativité et d'innovation,


la propriété intellectuelle est devenue un instrument de
développement considérable. Très rapidement, les États ont
compris la nécessité d'instaurer un cadre minimal de protec-
tion internationale de la propriété intellectuelle. En l'absen-
ce d'harmonisation des législations nationales, lorsqu'une
personne envisageait d'obtenir la protection de sa création
dans différents pays, elle se heurtait dans chacun d'eux à des
procédures dont le coût et la durée étaient variables. Pour
pallier ces lacunes, des règlements internationaux ont pro-
gressivement été élaborés, dont les principaux sont
l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(OMPI), créée en 1970, et l'Accord sur les aspects des droits
de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(ADPIC ou TRIPs), qui a vu le jour à l'issue du cycle de
l'Uruguay.
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L'Accord sur les aspects des droits de
propriété intellectuelle qui touchent au
commerce (ADPIC)

L'ADPIC vise à renforcer le respect et la protection de


la propriété intellectuelle à travers le monde ainsi que la
coopération entre les différents États membres dans ce
domaine. Il part du constat que la diversité extrême des nor-
mes en la matière et l'absence de disciplines multilatérales
visant à lutter contre le trafic international de marchandises
de contrefaçon sont une source de tension croissante dans
les relations économiques internationales.
Cet Accord qui traite principalement des droits d'auteur,
des marques de commerce, des copyrights et des brevets, lie
tous les membres de l'OMC. Les principes fondamentaux
de l'OMC, à savoir le traitement national et la clause de la
nation la plus favorisée, s'appliquent à l'ADPIC. Les litiges
afférents à son application sont réglés par l'ORD.

L'ADPIC : la règle générale sur les brevets

L'article 27.1 de l'ADPIC dispose qu'un brevet pourra être obtenu pour toute invention,
qu'il s'agisse d'un produit (un médicament par exemple) ou d'un procédé (par exemple la
méthode de production des ingrédients chimiques entrant dans la composition d'un médi-
cament), dans tous les domaines technologiques, tout en autorisant certaines exceptions.
À partir de la date du dépôt de la demande de brevet, la protection qu'il confère dure vingt
ans (article 33 de l'ADPIC).
Trois critères doivent être respectés pour qu'une invention soit brevetée :
— elle doit avoir un caractère de « nouveauté » ;
— elle doit correspondre à une « activité inventive » (elle ne doit pas être « évidente ») ;
— elle doit avoir une « applicabilité industrielle ».
Étant donné que l'ADPIC ne définit pas les termes « nouveauté », « activité inventive » et « non
évident », l'interprétation de ces termes varie pour chaque loi nationale lors de l'examen des
demandes de brevet.
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La délivrance d'un brevet confère à son titulaire le droit d'empêcher autrui de fabriquer,
d'utiliser ou de vendre l'invention pendant la période couverte par le brevet. Il existe
cependant plusieurs exceptions.

Les enjeux majeurs de la protection


intellectuelle

La fonction d'un droit de propriété intellectuelle est de


garantir à son titulaire, temporairement, l'exclusivité de cer-
tains actes d'utilisation, de reproduction ou d'exploitation
de la création ou du signe distinctif protégé 40. Ainsi, le titu-
laire du droit de propriété intellectuelle jouit temporaire-
ment d'un monopole institué par la loi.
L'ADPIC a apporté des changements considérables
dans le domaine des brevets, en particulier en étendant leur
durée à 20 ans 41. Ces garanties offertes aux créateurs s'ex-
pliquent par les dangers dus à l'expansion de la contrefaçon
à l'échelle internationale. Lorsqu'une entreprise ou un parti-
culier copie illégalement une marchandise ou un service,
cela entraîne des conséquences préjudiciables tant pour l'ar-
tiste, le créateur ou l'inventeur que pour l'État, l'entreprise,
le consommateur ou le public en général. « La production et
l'exploitation de marchandises de contrefaçon constituent également des
infractions à la législation du travail (travail clandestin, voire exploi-
tation d'enfants) et à la législation fiscale (perte de recettes pour
l'État)42 » En outre, la contrefaçon peut comporter des
dangers pour la santé et la sécurité publiques en raison du
non-respect des normes garantissant la qualité des produits
et la sécurité des consommateurs (contrefaçon de médica-
ments, de jouets, etc.).
Pour ces diverses raisons, les États ont développé un
arsenal législatif pour lutter contre la contrefaçon, tant
à l'échelle européenne qu'internationale. Toutefois, le droit
de propriété intellectuelle est au cœur de nombreuses polé-
miques, qui opposent principalement les pays en voie de
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développement aux puissances commerciales occidentales.
Au travers de deux études de cas, nous allons voir dans quel-
le mesure le droit à la protection de la propriété intellectuel-
le, tel qu'il est régi par l'ADPIC, peut entraver la faculté des
États à poursuivre leurs objectifs de sécurité alimentaire et
de santé publique.

L'ADPIC et la brevetabilité du vivant

Une des conséquences de la mondialisation de l'écono-


mie, et de la transformation progressive de la structure éco-
nomique vers une économie de la connaissance, a été que le
champ d'intervention des brevets s'est considérablement
élargi. Dans cette économie dite de l'immatériel, on est
passé de l'attribution de brevets portant exclusivement sur
des biens matériels à des brevets portant sur des matières
qui n'étaient pas protégeables selon les critères classiques de
la brevetabilité : nouveauté, activité inventive, application
industrielle (voir infra). L'illustration la plus éclatante de
cette évolution est son application dans le domaine des logi-
ciels et du vivant. L'évolution en cours dans ces domaines
montre à quel point il est difficile de déterminer ce qui est
brevetable ou non lorsque l'on quitte le domaine de la tech-
nique, du « tangible », et que l'on aborde ceux où les inno-
vations concernent principalement les idées 43.
La croissance du nombre de demandes de brevets dans
le domaine du vivant est considérable depuis la seconde
moitié des années 1990. L'Office européen des brevets
(OEB) a ainsi reçu, de 1998 à 2002, 30 000 demandes por-
tant sur des inventions biologiques, dont environ 10 000
concernent des mutations ou des manipulations génétiques.
Environ 40 % de ces dernières demandes portent sur des
micro-organismes, des plantes ou des animaux et environ
60 % sur des séquences d'ADN d'origine humaine ou ani-
male 44.
Avant la conclusion des Accords de Marrakech en 1994,
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l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(OMPI) constituait l'enceinte juridique des négociations sur
les brevets. Progressivement, l'OMC a supplanté l'OMPI
comme lieu de discussion sur la propriété intellectuelle. Si
l'ADPIC intègre les principales dispositions des conven-
tions de l'OMPI 45, son champ d'application s'est considé-
rablement élargi. Il constitue le cadre obligatoire de l'har-
monisation des droits de propriété en général et sur le vivant
en particulier. Par le biais de l'ADPIC, la question des orga-
nismes génétiquement modifiés (OGM) a fait son entrée
dans le champ de compétence de l'OMC.
La biotechnologie : un marché contrôlé par quelques multinationales

La question des organismes génétiquement modifiés (OGM) a propulsé la biotechnologie


à la une des journaux. Elle est considérée comme un secteur d'avenir très lucratif. Ses
applications concernent principalement le domaine agricole et pharmaceutique.
Les cultures d'OGM sont principalement concentrées dans les pays industrialisés (plus de
80 % des surfaces). Elles concernent essentiellement le soja, le maïs, le coton et le colza.
Dans les pays en voie de développement, les cultures commerciales sont concentrées
essentiellement en Argentine, au Mexique et en Chine.
Les multinationales les plus puissantes impliquées dans la biotechnologie sont Monsanto,
Du Pont, Pioneer, Delta et Pipeline ainsi que les entreprises Novartis, Zeneca et Agravo.
L'objectif des géants de l'agrochimie américaine tels que Pioneer et Monsanto est double :
conquérir le marché agricole (semences, produits phytosanitaires) qui représenterait envi-
ron 35 milliards de dollars, et pénétrer le marché pharmaceutique qui représenterait envi-
ron 250 milliards de dollars 46.
La question des OGM divise les États-Unis et l'Union européenne. Aux États-Unis, 25 %
du maïs, 30 % du soja et 50 % du coton sont déjà génétiquement modifiés. Pour eux, le
marché européen pour les produits et semences génétiquement modifiés représente un
potentiel de plusieurs milliards de dollars par an.

L'ADPIC confère au brevet une dimension stratégique


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spectaculaire. Cependant, il s'agit d'une lame à double tran-
chant. Outil de protection de l'innovation, le brevet consti-
tue également un moyen de dominer temporairement les
marchés. Plus particulièrement, l'extension des droits de
propriété intellectuelle aux micro-organismes végétaux et
animaux suscite de grandes inquiétudes. De nombreux pays,
notamment la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Indonésie et l'Afrique
du Sud, caractérisés par une diversité biologique très riche
(dont leur nom de « groupe des pays de mégadiversité »),
ainsi que les mouvements altermondialistes, s'émeuvent des
conséquences que cela entraîne : le brevetage des plantes et
des animaux transgéniques signifie que les firmes agrochi-
miques et pharmaceutiques ainsi que les entreprises en bio-
technologie sont dans leur droit d'exiger des royalties sur
chaque génération du vivant génétiquement modifié. Dans le
domaine agricole, l'introduction de plantes brevetées modi-
fie de manière substantielle les pratiques agricoles et enfer-
me les paysans dans une logique de dépendance 47. Au-delà
de la perte de biodiversité, la majorité des pays du Sud ainsi
que la mouvance altermondialiste estiment que la sécurité
alimentaire est menacée, car elle repose sur une culture diver-
sifiée des espèces végétales et sur l'agriculture vivrière.
De façon générale, les pays en voie de développement
estiment que l'ADPIC ouvre la porte au pillage du Sud 48. Il
fait en effet obligation aux États membres de l'OMC d'inté-
grer dans leur législation nationale la protection par brevet
des inventions dans tous les domaines de la technologie,
mais également des découvertes ayant trait aux variétés
végétales (article 27.3b), en induisant une confusion entre
invention (apport du génie humain) et découverte (prise de
connaissance de ce qui existe). Ils estiment que cet article a
ouvert la voie à ce qu'on appelle la biopiraterie, qui consis-
te à prélever des ressources biologiques, des connaissances
ou des pratiques traditionnelles des pays du Sud et à les bre-
veter au profit exclusif des entreprises des pays du Nord. Le
litige au sujet du margousier de l'Inde suffit, à lui seul, à
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illustrer leurs appréhensions (voir encadré).
Face aux dangers que recèle l'ADPIC pour leur dévelop-
pement, le groupe des pays de mégadiversité, appuyé par les
altermondialistes, avance deux revendications majeures.
Premièrement, il réclame la révision de l'article 27.3 b de
l'ADPIC. Deuxièmement, il demande que les brevets sur les
ressources traditionnelles ne soient autorisés qu'avec le
consentement du pays concerné, et que les bénéfices soient
partagés entre celui qui puise ces ressources et les indigènes.
À ce stade, aucune décision concrète n'a été prise sur ces
points litigieux.
Biopiraterie : le cas du margousier (neem tree) en Inde

Tandis que les propriétés agronomiques de l'arbre neem, ou margousier, sont largement
connues et utilisées en Inde depuis des milliers d'années, l'Office européen des brevets
(OEB) a délivré, en septembre 1994, un brevet sur les propriétés fongicides d'extraits de
graines du margousier à la compagnie américaine d'agrochimie W. R. Grace, soutenue par
le secrétariat d'État à l'agriculture des États-Unis.
Le monde associatif s'est mobilisé à l'échelle internationale pour contester cette décision,
arguant que ce type de brevet ne respecte pas la Convention sur la délivrance des brevets
européens et la Convention sur la diversité biologique qui reconnaissent que les États ont
droit de souveraineté sur leurs ressources naturelles. En outre, ils ont qualifié la délivran-
ce de ce brevet d'inacceptable car il ne présente aucune nouveauté ou inventivité particu-
lière.
En mars 2005, l'Office européen des brevets, basé à Munich, leur a finalement donné rai-
son, en annulant le brevet qu'il avait accordé dix ans plus tôt à la compagnie américaine
W. R. Grace. Entre-temps, ce brevet a occasionné des effets dévastateurs sur l'économie
indienne : en achetant de manière massive les graines de margousier, Grace a créé une
pénurie et fait exploser les prix, si bien que les fermiers n'ont plus les moyens de s'en pro-
curer.
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L'ADPIC et la santé

Nous avons vu que l'ADPIC impose une amélioration


des normes minimales de protection intellectuelle. La ques-
tion la plus âprement discutée est celle de savoir si une pro-
tection renforcée des brevets peut empêcher les pays pau-
vres d'avoir accès à des médicaments à un prix abordable.
À cet égard, le procès intenté par les entreprises multina-
tionales pharmaceutiques au gouvernement de l'Afrique du
Sud en 2001 a apporté un nouvel éclairage sur la portée de
l'ADPIC. Plus précisément, il a mis au premier plan le droit
de fabriquer et de commercialiser des médicaments géné-
riques (il s'agit en l'occurrence de médicaments copiés, ven-
dus à des prix nettement inférieurs à ceux pratiqués par les
compagnies détentrices de brevets) comme moyen de lutter
contre les pandémies qui sévissent dans les pays pauvres,
dont les plus connues sont le sida, le paludisme et la tuber-
culose.

Droit des brevets contre droit à la santé

La santé publique est un réel défi pour le développement. Plus encore, il en va de l'exis-
tence même de certains pays africains. Les chiffres alarmants de la pandémie du sida suf-
fisent à le rappeler : 36 millions de personnes sont contaminées par le VIH dans le monde,
dont 90 % vivent dans les pays en voie de développement. Plus de 18 millions sont déjà
mortes du sida.
Face aux prix prohibitifs pratiqués par les laboratoires pharmaceutiques occidentaux, cer-
tains gouvernements du Sud ont favorisé la production de médicaments génériques afin
que leur population puisse avoir accès aux médicaments essentiels à leur survie à un prix
abordable.
En 1997, l'Afrique du Sud a voté une loi (Medicine Act) qui autorise l'importation de
médicaments moins chers, voire leur fabrication. Près de quarante firmes pharmaceu-
tiques intentèrent un procès au gouvernement sud-africain, car cette loi dérogeait aux nor-
mes de propriété intellectuelle fixées par l'OMC. En voulant faire prévaloir le droit des
brevets sur le droit à la santé, les firmes pharmaceutiques ont suscité une forte opposition
sur la scène internationale, ce qui les a contraintes à retirer leur plainte. Pour l'opinion
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publique, l'accès aux médicaments génériques devenait désormais un axe prioritaire des
relations Nord/Sud.

L'accès aux médicaments : les conflits d'intérêts


La question de l'accès aux médicaments a opposé l'in-
dustrie pharmaceutique des pays industrialisés (USA, UE,
Suisse et Japon) et les fabricants de médicaments génériques
de certains PVD (Inde, Brésil) qui ont défendu le droit de
développer ces médicaments au nom de la santé publique.
Les firmes pharmaceutiques se sentent menacées par les
médicaments génériques, qui concurrencent leurs produits
originaux brevetés 49. D'après elles, les prix compétitifs des
génériques déstabilisent leurs activités, compte tenu du coût
élevé de la recherche dans le secteur. De même, elles affir-
ment que la recherche sur les maladies mortelles s'arrêterait
si la durée des brevets était réduite, la rentabilité de telles
recherches n'étant plus assurée.
Les pays du Sud, eux, s'émeuvent des conséquences de
l'ADPIC pour l'accès aux médicaments, compte tenu du
prix des médicaments brevetés. Ils considèrent qu'en éten-
dant la durée du brevet à 20 ans, l'ADPIC conforte les inté-
rêts des firmes pharmaceutiques et la protection de leur
monopole. D'abord, cela rapporte des droits d'exclusivité
aux entreprises multinationales du Nord qui totalisent plus
de 90 % des brevets mondiaux sur les produits pharmaceu-
tiques. Ensuite, cela permet aux entreprises pharmaceu-
tiques, en l'absence de concurrence, de vendre leurs médi-
caments à des prix plus élevés. Enfin, ils soulignent que les
brevets ralentissent le transfert de technologie vers les pays
en développement.

Les exceptions à la protection de


la propriété intellectuelle
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Pour tenir compte des préoccupations de santé publique,
l'ADPIC a instauré des garde-fou au monopole des firmes
pharmaceutiques. Il autorise, moyennant le respect d'un cer-
tain nombre de conditions, le recours à deux mécanismes
essentiels 50 : les importations parallèles et les licences obli-
gatoires.
Le mécanisme d'importation parallèle permet que des pro-
duits fabriqués et commercialisés par le titulaire du brevet
(ou de la marque ou du droit d'auteur) dans un pays soient
importés dans un autre pays sans son autorisation. Étant
donné les écarts de prix importants des médicaments breve-
tés d'un pays à l'autre, un gouvernement peut acquérir des
médicaments à meilleur prix par ce mécanisme.
Quant à la licence obligatoire, elle est concédée lorsque les
pouvoirs publics autorisent une tierce personne à fabriquer
un produit breveté ou à utiliser un procédé breveté sans le
consentement du titulaire du brevet. La plupart des pays
développés et des PVD prévoient la concession de licences
obligatoires dans leur législation. Par ce mécanisme, un gou-
vernement peut octroyer le droit à une entreprise de produi-
re des médicaments génériques sur son territoire.
De même, l'ADPIC autorise l'octroi d'une licence obli-
gatoire « sans condition » dans des cas bien précis, dont les
situations « d'urgence nationale » et dans les « circonstances d'ex-
trême urgence ».
En pratique, ces dispositions n'ont pas protégé les pays
du Sud. Les menaces de procès ou de rétorsions écono-
miques ont eu raison des tentatives des pays pauvres d'utili-
ser ces mécanismes pour poursuivre leurs objectifs fonda-
mentaux de santé publique 51. En 2001, aucun pays n'avait
encore eu recours à une licence obligatoire, et seul le Brésil
avait menacé d'y avoir recours pour forcer les firmes phar-
maceutiques à baisser le prix de leurs antirétroviraux (ARV)
pour lutter contre le sida 52.
En outre, étant donné qu'une licence obligatoire ne
représente aucune utilité pour les pays n'ayant pas de capa-
cité industrielle dans le domaine pharmaceutique, l'ADPIC
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laisse en suspens de nombreuses questions, dont le droit des
pays d'importer des médicaments génériques en provenan-
ce de pays qui en fabriquent (Inde, Thaïlande, Brésil).

La déclaration de Doha
L'OMC étant saisie de la question sous diverses pres-
sions, la déclaration ministérielle de Doha a fixé des excep-
tions à la protection de la propriété intellectuelle, notamment
lorsqu'un pays est confronté à de graves problèmes de santé
publique (le sida, la tuberculose, le paludisme par exemple).
Le compromis scellé à Doha en novembre 2001 au sein de
l'OMC comporte deux volets 53. À la satisfaction des indus-
tries pharmaceutiques, le principe de la protection de la pro-
priété intellectuelle comme instrument précieux de dévelop-
pement de nouveaux médicaments est confirmé. Ce princi-
pe est toutefois pondéré par la reconnaissance du droit des
États à protéger la santé publique et l'accès de tous aux
médicaments. Plus spécifiquement, chaque État est libre
d'apprécier par lui-même ce que constitue une situation de
crise sanitaire. Dans les cas d'urgence, la déclaration de Doha
reconnaît le droit de tous les États membres de l'OMC d'ac-
corder des licences obligatoires sur les médicaments breve-
tés au profit des fabricants de génériques. En clair, les pays
producteurs de médicaments génériques ont, depuis Doha,
le droit de les vendre sur leur marché national.
Cependant, le texte de Doha ne se présente pas, dans sa
forme juridique, comme un engagement contraignant. De

Alignement des législations nationales sur les règles de l'OMC :


le cas de l'Inde

Malgré les mesures d'exception et de flexibilité du régime de protection de la propriété


intellectuelle accordées pour répondre aux objectifs de santé publique des pays du Sud, le
sort des populations où sévissent diverses maladies endémiques ne sera pas nécessaire-
ment amélioré pour autant. Le cas de l'Inde illustre les conséquences que peut entraîner
l'ADPIC sur l'accessibilité aux soins de santé.
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Malgré ses engagements à l'égard de l'ADPIC, l'Inde a depuis longtemps manifesté une
certaine réticence à accepter la brevetabilité des produits relevant du domaine pharmaceu-
tique, chimique ou agroalimentaire. Soucieuse de défendre la santé publique, la loi indien-
ne (Patent Act) de 1970 avait prévu des dispositions spécifiques visant à restreindre le
domaine couvert par les brevets : aucun brevet ne pouvait être accordé pour les produits
relevant du domaine pharmaceutique, chimique ou agroalimentaire. Seules les méthodes
ou les procédés de fabrication étaient brevetables.
Soumise à une forte pression internationale, tout particulièrement de la part des États-
Unis, l'Inde a finalement amendé sa législation pour la rendre compatible avec l'ADPIC.
Aujourd'hui, il est ainsi possible de réclamer un brevet pour les produits pharmaceutiques
ou les substances chimiques qui les composent. À présent, la très grande majorité des
demandes de brevets en Inde provient des entreprises étrangères, principalement des
États-Unis. Étant donné que les médicaments brevetés sont généralement plus coûteux,
les soins de santé seront dans l'ensemble moins accessibles pour la population indienne.
plus, il n'y a aucun engagement ferme qu'un pays en déve-
loppement ne soit pas pénalisé s'il a recours à une licence
obligatoire ou à une importation parallèle, car il n'y a pas de
moratoire sur les contentieux.
Par ailleurs, la question de l'exportation des médicaments
génériques vers les pays pauvres qui n'ont pas les capacités
de production pour satisfaire les demandes locales n'était
toujours pas résolue à Doha. Les négociations ont échoué en
décembre 2002 car les États-Unis souhaitaient limiter la pro-
duction de génériques sous brevet aux trois pandémies que
sont le sida, le paludisme et la tuberculose. En août 2003, un
accord final a pu être conclu, par lequel le marché des médi-
caments génériques est strictement encadré.
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DES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES
PRINCIPAUX ACTEURS
PARTIE
TROISIÈME

LES
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Depuis la naissance du GATT en 1947, huit cycles de
négociations commerciales ont eu lieu jusqu’à la création de
l'OMC en 1994. Comme nous l'avons vu dans la première
partie, le cycle de l'Uruguay a considérablement élargi le
spectre des discussions commerciales pour l'étendre notam-
ment aux services, à la propriété intellectuelle, à l'agriculture
et à l'investissement. Depuis lors, l'OMC a connu quelques
revers : l'échec des conférences ministérielles de Seattle (en
1999) et de Cancún (en 2003) a marqué tous les négociateurs.
Mais l'OMC a retrouvé une nouvelle dynamique avec le lan-
cement du cycle de Doha (qualifié de « cycle du développe-
ment ») en novembre 2001, et la relance de ce processus
en 2004.
En théorie, les chantiers ouverts à Doha et qui devaient,
notamment, abaisser les barrières douanières dans le monde
auraient dû trouver une issue avant la conférence ministé-
rielle de Hong Kong (mi-décembre 2005), censée boucler ce
dernier cycle de négociations multilatérales sur le commer-
ce. En réalité, des dossiers importants ont été reportés au-
delà de 2005, témoignant ainsi d'une volonté persistante
d'aboutir, mais aussi de difficultés réitérées à trouver les ter-
mes d'un accord global. En effet, au fur et à mesure que
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l'OMC comporte de nouveaux membres et élargit les dis-
cussions commerciales à de nouvelles matières, les négocia-
tions multilatérales se complexifient. Nous allons voir à pré-
sent quelles sont les stratégies développées par les princi-
paux protagonistes des négociations commerciales pour
défendre leurs intérêts.

La politique commerciale
de l'Union européenne

Dès la naissance de la Communauté économique euro-


péenne en 1957, la politique commerciale a été élevée au
rang de politique commune, au même titre que la politique
agricole, de concurrence et de transport. Ceci reflète l'im-
portance fondamentale que revêt le commerce, considéré
comme moteur de la compétitivité et de la croissance, dans
le processus de construction européenne. Dès ses débuts, la
politique commerciale commune repose sur la conviction
que l'ouverture des marchés et l'élimination progressive des
obstacles aux échanges engendrent la paix, la prospérité
économique, le bien-être de la population et l'élimination de
la pauvreté. Par ailleurs, l'Union européenne demeure tribu-
taire du commerce international, que ce soit pour les impor-
tations d'énergie, de produits de base, etc.
Pour ces diverses raisons, l'Union européenne est deve-
nue un fer de lance de la libéralisation des échanges dans le
monde. Actuellement, sa politique commerciale s'articule
autour de trois axes principaux. D'abord, l'UE affiche l'ob-
jectif de mener une politique commerciale au service du
développement durable. Ensuite, plaidant pour l'approfon-
dissement de la coopération commerciale multilatérale, l'UE
défend sans relâche la poursuite de l'ouverture des marchés
dans l'enceinte de l'OMC. Enfin, tout en revendiquant l'éla-
boration de règles commerciales multilatérales, elle accorde
une importance majeure au réseau d'accords commerciaux
bilatéraux qu'elle a tissé au fil du temps avec différents pays
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et différentes régions à travers le monde, accords qui visent
à éliminer les entraves aux échanges tout en poursuivant des
objectifs variés (promouvoir le développement, encourager
l'intégration régionale, rechercher la sécurité politique, etc.).
Pour atteindre ces objectifs, la Commission européenne
s'est vu attribuer un rôle clé, puisque c'est elle qui négocie
directement, au nom de l'UE, dans les forums internatio-
naux. Plus concrètement, c'est elle qui fait des propositions
d'accords commerciaux au Conseil européen, qui l'autorise
à ouvrir les négociations nécessaires. Une fois mandatée par
le Conseil, la Commission conduit les négociations com-
merciales en consultation avec un comité spécial (comité
133) désigné par le Conseil pour l'assister dans cette tâche.
Si elle dispose d'une marge de manœuvre pour négocier,
sa tâche s'en trouve compliquée lorsqu'elle négocie sur des
questions sensibles, comme c'est le cas du dossier agricole,
sur lequel les 25 États membres peinent à accorder leurs
points de vue. Pour éviter de se voir reprocher par un État
membre d'avoir outrepassé son mandat (par exemple en
offrant trop de concessions sur l'ouverture des marchés
européens), la Commission se doit de respecter le mandat
général qui lui a été confié, et qui résulte d'un compromis
entre les intérêts nationaux des États membres de l'UE.
Pour sa part, le Parlement européen ne joue presque aucun
rôle en ce qui concerne la formulation du mandat de négo-
ciation, si ce n'est par le biais de résolutions qu'il adopte,
mais qui n'ont aucune valeur contraignante.

La politique commerciale des États-Unis

En tant que première puissance commerciale mondiale,


les États-Unis ont toujours âprement défendu la libéralisa-
tion des échanges, ce qui en fait l'allié naturel de l'Union
européenne au sein de l'OMC. En outre, les relations com-
merciales transatlantiques sont intenses : elles représentent
le plus gros volume d'échanges commerciaux et d'investis-
sements bilatéraux du commerce mondial et sont estimées à
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600 milliards d'euros.
À l'occasion de chaque sommet entre l'UE et les États-
Unis, le projet d'instaurer un « marché transatlantique » pro-
gresse. L'objectif est de multiplier les coopérations dans des
domaines divers (innovation, recherche et développement,
services, investissement, concurrence, nouvelles technolo-
gies, adoption de normes communes et harmonisation
réglementaire) afin de créer une forme de marché unique.
Pourtant, les querelles commerciales transatlantiques sont
nombreuses et concernent un ensemble de secteurs sensi-
bles et stratégiques tels que la sidérurgie, l'aéronautique,
l'agriculture, etc. Avec le temps, ces contentieux, qui sont
largement médiatisés, ont tendance à se multiplier, et ce
pour plusieurs raisons.
Premièrement, parce que le champ des négociations com-
merciales s'est considérablement élargi par rapport au GATT,
ce qui multiplie les risques de conflit. Deuxièmement, parce
que l'UE développe sa propre approche sur des thématiques
comme l'environnement, la santé publique, le social, et de
manière plus générale, sur la régulation de l'économie54.
Troisièmement, parce que les États-Unis ont tendance à
adopter des décisions protectionnistes à caractère unilatéral
pendant les périodes de crise économique, malgré leur dis-
cours en faveur du libre-échange 55. Quatrièmement, parce
que la question de la liberté d'action et de la souveraineté
nationale, deux principes auxquels les États-Unis sont viscé-
ralement attachés, sépare Washington de l'Union européenne.
En tant qu'unique superpuissance, les États-Unis en appel-
lent de plus en plus à leur liberté d'action et à leur souverai-
neté depuis l'arrivée des néoconservateurs au pouvoir sous la
seconde administration Bush fin 2000, tandis que les
Européens s'engagent dans la voie inverse par le biais de l'in-
tégration européenne accrue. Prompts à jouer la carte de
l'unilatéralisme dans la poursuite des intérêts nationaux, les
États-Unis acceptent de jouer la carte du multilatéralisme
pour autant que cela serve leurs intérêts. Par contre, si les
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organisations internationales se trouvent sur la route de la
puissance américaine, celle-ci tente de les contourner car son
ambition n'est pas d'établir un ordre international régi par le
droit, où le respect du multilatéralisme serait la norme. Dans
cette logique, l'impact des règles de l'OMC sur les États-Unis,
qui ont été condamnés à plusieurs reprises par l'ORD ces
dernières années dans des dossiers importants (acier, coton,
foreign sales corporations 56, loi anti-dumping de 1916 57...),
risque de les détourner à terme de ce système commercial
mondial, basé sur le multilatéralisme. C'est la raison pour
laquelle, depuis l'enlisement des négociations multilatérales
au sommet de Cancún, la tactique américaine passe davantage
par des négociations commerciales bilatérales, qui leur per-
mettent d'obtenir plus de concessions que dans le cadre de
l'OMC, notamment lorsqu'ils négocient de manière bilatéra-
le avec des pays peu développés.
La montée en puissance des pays
du Sud et des pays émergents

Progressivement, les pays en voie de développement


(PVD) ont émergé en tant qu'acteurs à part entière à l'OMC
et ont fait preuve d'une grande fermeté lors des dernières
négociations commerciales pour faire entendre leurs reven-
dications. Ils forment certes un groupe hétéroclite, tant les
situations économiques varient entre eux : dans ce groupe,
des puissances telles que l'Inde, la Chine et le Brésil côtoient
des pays qui entrent dans la catégorie des pays les moins
avancés, les PMA. Mais ils partagent des intérêts manifestes
et une certaine analyse commune des rapports commer-
ciaux à l'échelle internationale. Ainsi, ils estiment générale-
ment que la mondialisation apporte actuellement des béné-
fices disproportionnés aux pays occidentaux, aux dépens du
monde en développement. Les plus faibles d'entre eux dres-
sent un bilan négatif de l'ouverture des marchés, qui n'a ni
réduit la pauvreté, ni promu leur développement. Ils dénon-
cent aussi la politique des « deux poids, deux mesures » des
pays riches à leur égard. S'ils insistent pour que les PVD
ouvrent leurs marchés à leurs produits, les pays industriali-
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sés continuent d'entraver l'accès de leurs marchés aux pro-
duits pour lesquels les pays en développement sont compé-
titifs, comme c'est le cas dans les secteurs du textile, de l'ha-
billement et de l'agriculture. En outre, les PVD protestent
contre le fait que les pays industrialisés les privent du temps
d'adaptation nécessaire pour mettre en place les accords
existants au sein de l'OMC, et leur interdisent de protéger
leurs secteurs industriels naissants. De même, les pays en
voie de développement dénoncent le recours abusif aux
mesures d'anti-dumping (destinées à contrer le dumping
social ou environnemental en provenance des pays du Sud),
dans lequel ils voient un protectionnisme déguisé de la part
des pays industrialisés.
Au-delà de ces intérêts communs, les PVD forment un
ensemble tellement hétérogène qu'ils poursuivent aussi des
objectifs contradictoires. Par exemple, ceux d'entre eux qui
ont rejoint le groupe de Cairns 58, groupe de pays exporta-
teurs de produits agricoles, ont des intérêts diamétralement
opposés à ceux d'une série de pays ACP (Afrique-Caraïbes-
Pacifique), qui sont des importateurs nets de biens alimen-
taires. Ainsi, tandis que les premiers préconisent l'ouverture
des marchés pour les produits agricoles, les seconds défen-
dent leur droit de protéger leur propre production agricole
au nom du principe de souveraineté alimentaire, selon
lequel il doit être possible de produire et de consommer
localement sa nourriture. Ces spécificités se sont d'ailleurs
traduites par l'émergence de groupes distincts à Cancún. À
côté du G20 (mené par le Brésil, la Chine, l'Inde et l'Afrique
du Sud), qui exige notamment la fin des subventions agrico-
les des pays riches (USA et UE en tête), s'est constitué le
G90 (90 États du groupe ACP, de l'Union africaine et des
pays les moins avancés), qui s'oppose à l'ouverture de négo-
ciations sur les « matières de Singapour » (voir encadré).
Cependant, tout en ayant des intérêts différents sur certains
dossiers, ces groupes ont fait front commun à Cancún et
ont résisté aux multiples pressions des États-Unis et de
l'Union européenne pour ouvrir leurs marchés, estimant
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que leurs intérêts étaient insuffisamment pris en compte.
Les pays industrialisés ont tenu compte de l'émergence
du G20, qui crée un rapport de force nouveau au sein de
l'OMC : mené par des pays comme l'Inde, la Chine et le
Brésil, le G20 représente plus de la moitié de la population
mondiale. Plutôt que s'attaquer directement à l'alliance
nouée entre les pays du G20, dans laquelle certains voient
un moyen de redonner vie au concept de nouvel ordre éco-
nomique international 59, tant l'Union européenne que les
États-Unis cherchent à jouer à la fois la carte de la coopéra-
tion et la carte des relations privilégiées avec certains pays,
de manière à les détacher du G20 dans des dossiers cru-
ciaux.
Ainsi, l'agriculture constituant le principal contentieux
entre le G20 et l'UE, celle-ci a bien compris qu'elle devait
Les « matières de Singapour » : les enjeux pour les pays industrialisés

À l'exception de certaines matières ouvertes à négociation permanente (l'agriculture, les droits de


propriété intellectuelle et les services), la création de l'OMC devait théoriquement mettre fin à des
cycles périodiques débouchant sur de nouveaux accords. Pourtant, lors de la conférence ministé-
rielle de Singapour (décembre 1996), les pays industrialisés proposèrent d'entamer des négociations
sur l'investissement60, les marchés publics, la concurrence et la facilitation des échanges. Il s'agit
des fameuses « matières de Singapour », sur lesquelles les États ont buté lors de la conférence
ministérielle de Cancún en septembre 2003.

L'investissement
Il existe un Accord sur les mesures concernant les investissements liées au commerce (MIC), mais
il s'applique uniquement au commerce des marchandises. L'application des règles de l'OMC (la
clause de la nation la plus favorisée et le traitement national) restreint déjà considérablement la sou-
veraineté nationale. Sont considérées comme contraires au traitement national les législations ou
réglementations nationales suivantes : a) l'obligation faite à un investisseur d'acheter ou d'utiliser
des produits locaux (il s'agit des « prescriptions liées à l'apport local ») ; b) la limitation du droit d'un
investisseur à importer des produits étrangers au niveau de la valeur ou du montant des produits
qu'il exporte (il s'agit des « prescriptions relatives à l'équilibre des échanges »).
En proposant d'inclure dans les règles de l'OMC un accord général sur l'investissement, les pays
industrialisés poursuivent l'objectif de garantir et de renforcer les droits des investisseurs étrangers
dans le pays d'accueil et de limiter la capacité de ce pays à imposer des conditions à l'entrée des
investisseurs étrangers et à leurs activités.

La concurrence
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Pour l'UE, l'enjeu est d'imposer à chaque État membre de l'OMC le traitement national et la clau-
se de la nation la plus favorisée pour les lois sur la concurrence. Établir des règles de concurrence
identiques entre des économies de niveau différent ne peut cependant que desservir les intérêts des
pays en voie de développement.

Les marchés publics


À ce stade, les négociations portent uniquement sur la transparence des législations, des réglemen-
tations et des procédures nationales. À terme, l'enjeu est de restreindre la possibilité d'accorder des
préférences aux fournitures et aux fournisseurs nationaux.

La facilitation des échanges


La facilitation des échanges prévoit la simplification des douanes et la suppression des lourdeurs
administratives. L'enjeu pour les pays industrialisés est d'accélérer le dédouanement.
faire des concessions sur ce dossier, en échange de quoi les
pays du G20 seraient disposés à faire de réelles concessions
pour ouvrir leurs secteurs des services aux multinationales
européennes et américaines. Les États-Unis et l'Union euro-
péenne ont dès lors fait de l'Inde et du Brésil leurs interlo-
cuteurs principaux, pour constituer avec l'Australie le G5
(UE, USA, Australie, Brésil, Inde) sur les questions agrico-
les à l'OMC.
Il reste que face aux fortunes diverses des négociations à
l'OMC, tant l'Union européenne que les États-Unis sont
prêts à avoir de plus en plus recours aux accords bilatéraux
pour obtenir les concessions recherchées en matière d'ou-
verture des marchés. Les pays en voie de développement ris-
quent d'être les premiers perdants de cette nouvelle stratégie,
car leurs intérêts sont d'autant mieux pris en compte qu'ils
forment un bloc uni. Pour cela, la préservation des négocia-
tions commerciales dans un cadre multilatéral s'impose, ce
qui fait de ces pays, à cet égard, des défenseurs de l'OMC.

L'opposition des altermondialistes


Les motifs de mécontentement des mouvements alter-
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mondialistes à l'égard de l'OMC sont nombreux. Face au
discours dominant selon lequel l'ouverture des marchés au
commerce international est le seul moyen dont dispose-
raient les pays en voie de développement pour se dévelop-
per et pour combattre efficacement la pauvreté, les alter-
mondialistes se font l'écho des défaillances du libre marché.
La croissance économique ne conduit pas automatique-
ment à l'amélioration générale des conditions de vie et à
l'élimination de la pauvreté. Au cours de la période dite de
mondialisation, l'écart entre les riches et les pauvres s'est
élargi. Durant la décennie 1990, le nombre de pauvres s'est
accru de près de cent millions, alors que le revenu mondial
augmentait en moyenne de 2,5 % par an 61. Le continent
africain s'enfonce dans la misère : la plupart des pays
d'Afrique noire n'arrivent pas à attirer les investisseurs pri-
vés, et sont marginalisés dans l'économie mondiale. Plus
d'un milliard d'êtres humains doivent, pour survivre, com-
battre jour après jour contre la faim et la maladie. En 2001,
le revenu moyen des 20 pays les plus riches est 37 fois plus
élevé que celui des 20 pays les plus pauvres (cet écart a dou-
blé au cours des 40 dernières années) 62. Insistant sur ces
chiffres plutôt que sur ceux avancés par les pays plus riches
en matière de croissance, les altermondialistes soutiennent
aussi que la mondialisation de l'économie a globalement
détérioré les conditions de travail.
Pour la mouvance altermondialiste, l'OMC incarne et
accentue les dérives de la mondialisation de l'économie. Ce
sont d'ailleurs les manifestations de Seattle en 1999 contre
l'OMC qui ont en quelque sorte lancé le mouvement des
manifestations altermondialistes massives. Depuis, pratique-
ment toutes les réunions importantes du FMI, de la Banque
mondiale, de l'OMC ou encore du G8 donnent lieu à des
manifestations des altermondialistes. Parmi leurs proposi-
tions pour réformer l'OMC, figurent notamment la deman-
de d'exclure des accords commerciaux les politiques
publiques en matière de santé, d'éducation et de culture, ou
encore l'exigence de procéder à une évaluation approfondie
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des impacts économiques, sociaux et écologiques de la libé-
ralisation du commerce.
En outre, ils appellent à l'instauration d'une hiérarchie
claire entre les différents objectifs poursuivis par les autori-
tés publiques. Pour eux, le libre échange ne peut primer sur
les considérations d'ordre social, environnemental ou de
santé publique et ne peut empêcher les autorités publiques
de légiférer en ce sens. Or, en cas de conflit d'intérêts entre
ces objectifs, le tribunal de l'OMC donne souvent gain de
cause aux préoccupations économiques, considérant que les
mesures protectrices prises par les États sont commerciale-
ment discriminatoires et donc contraires aux accords
contractés au sein de l'OMC. Pour cette raison, les alter-
mondialistes préconisent que l'Organe de règlement des dif-
férends passe sous la houlette des Nations unies.
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CONCLUSION

Dix ans après son entrée en vigueur, poussés dans le dos par leur opinion publique,
l'Organisation mondiale du commerce se trou- veillent à se réapproprier le débat, notamment
ve à la croisée des chemins. Les accords de pour évoquer les problèmes éthiques et
l'OMC recouvrent un très grand nombre de sociaux que les accords de l'OMC soulèvent.
matières touchant à la plupart des activités Les interrogations sont multiples. Elles
humaines, et l'Organisation qui les chapeaute a concernent principalement les questions
acquis au fil du temps une dynamique qui lui est d'inégalité (les pays en voie de développement
propre. Le commerce mondial est en expan- tirent un bilan négatif de l'ouverture des mar-
sion continue, et l'OMC, qui reste l'enceinte chés qui n'a ni réduit la pauvreté, ni promu
privilégiée dans laquelle les puissances écono- leur développement), de démocratie (les parle-
miques défendent leurs intérêts, n'a jamais mentaires se voient dépossédés de leurs préro-
compté autant de membres ni concerné une gatives dès lors que les lois touchent au com-
part aussi écrasante de la population mondiale, merce international) et de priorité politique
surtout depuis l'arrivée de la Chine parmi les (lorsque l'on s'inquiète de voir la libéralisation
États membres. Pourtant, l'OMC est soumise des échanges compromettre les objectifs en
depuis plusieurs années à de fortes critiques matière de développement ou de droits
externes et à des grippages internes répétés. sociaux, environnementaux, culturels ou de
Progressivement, les États ont pris santé publique). Plus largement, la question
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conscience des enjeux et des risques que est posée des limites des compétences de
représentait l'abandon de larges pans de leur l'OMC, ainsi que des relations entre l'OMC et
souveraineté nationale à l'OMC au nom d'une d'autres institutions internationales. Faut-il par
libéralisation accrue du commerce internatio- exemple soumettre les conventions de
nal. La jurisprudence créée par l'Organe de l'Organisation internationale du travail ou les
règlement des différends dans certains dos- accords multilatéraux environnementaux aux
siers (par exemple le bœuf aux hormones ou règles de l'OMC, ou au contraire reconnaître
les bananes ACP) a attiré l'attention sur les leur prééminence ?
possibles conflits entre règles commerciales et Face aux fortunes diverses des négocia-
considérations d'ordre social, environnemen- tions à l'OMC, c'est aussi le multilatéralisme
tal ou de santé publique. Depuis, à la différen- en matière commerciale qui se trouve à la croi-
ce de ce qui a eu lieu lors des négociations du sée des chemins. Le recours croissant des
cycle de l'Uruguay, la majorité des États déve- États-Unis et de l'Union européenne au mode
loppés, émergents ou moins avancés, souvent de négociation bilatérale aux dépens de la voie
multilatérale représente un nouveau défi pour l'OMC : les mêmes pays qui se plaignent de
les pays pauvres et leurs populations. En effet, ses effets dérégulateurs en appellent au main-
pour les petits pays qui disposent d'une capa- tien d'un cadre multilatéral de négociation. Le
cité de négociation limitée, c'est souvent au monde économique, les gouvernements et
sein des instances multilatérales que leurs inté- une large part des opinions publiques restent
rêts sont les mieux pris en compte, surtout favorables à un accroissement et à une ouver-
lorsqu'ils forment un bloc uni. Le surcroît de ture des échanges commerciaux, dont ils
vigilance des pays en voie de développement, escomptent un surcroît de richesses, mais les
ces dernières années, pour mieux défendre termes et les conditions de l'échange font
leurs intérêts au sein de l'OMC a changé la débat, sans que l'on puisse prédire si ces mises
donne des négociations commerciales interna- en question atteindront les principes de base
tionales, tout en complexifiant l'image de de l'OMC.
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NOTES

1 6
Nous décrirons cette technique des panels au
L'idéologie de la liberté du marché repose sur un
modèle, souvent attribué à Adam Smith, qui terme du premier encadré, « L'OMC en bref ».
affirme que les forces du marché - et notamment 7 Par accord multilatéral, il faut entendre un
la recherche du profit - guident l'économie vers accord passé entre plusieurs États et qui s'ap-
l'efficacité comme une main invisible. plique à tous les signataires.
2 8
De façon générale, la productivité est définie Les services regroupent un ensemble hétéro-
comme le rapport entre la production d'un bien clite de secteurs : les assurances, le tourisme,
ou d'un service et l'ensemble des éléments l'information, les télécommunications, les trans-
nécessaires pour le produire. La productivité ports, la poste, la construction, l'ingénierie, la
constitue généralement une mesure de l'effica- recherche, la publicité, la santé, l'éducation, etc.
cité avec laquelle une économie met à profit les En tout, 160 sous-secteurs rassemblés en onze
ressources dont elle dispose pour fabriquer des secteurs vont rentrer dans l'orbite de l'OMC.
biens ou offrir des services. Plusieurs indicateurs 9
Lors de la conclusion du cycle de l'Uruguay, un
peuvent être développés afin de rendre compte certain nombre de dossiers n'avaient pu être
de l'évolution de la productivité. Le capital et le finalisés et ont été reportés sans néanmoins
travail sont ceux les plus souvent retenus. faire obstacle à la conclusion finale des Accords.
3 Suite aux différents cycles de négociation Depuis, certains d'entre eux ont pu être approu-
GATT/OMC, les droits de douane ont été vés. Il s'agit des accords suivants :
réduits considérablement. Avec le Tokyo — Accord sur les télécommunications de base
Round, les droits de douane ont été réduits d'un conclu en février 1997 ;
tiers environ sur les neuf principaux marchés — Accord sur les services financiers (libéralisa-
industriels du monde, ce qui a ramené à 4,7 % la tion à partir de 1999) conclu en décembre
moyenne des droits appliqués aux produits 1997 ;
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manufacturés, contre 40 % environ lors de la — Accord sur les technologies de l'information
création du GATT. Cf. J.-M. WARÊGNE, (ATI) conclu à l'issue de la première
L'Organisation mondiale du commerce. Règles de fonc- conférence ministérielle de l'OMC tenue à
tionnement et enjeux économiques, CRISP, Bruxelles, Singapour en novembre 1996.
2000, p. 31. Pour de plus amples informations, cf.
4
La part prise par le secteur tertiaire dans les éco- J.-M. WARÊGNE, L'Organisation mondiale du com-
nomies développées est devenue prépondérante merce. Règles de fonctionnement et enjeux économiques,
et représente le plus souvent entre 50 et 60 % du op. cit.
10
PIB. Il subsiste néanmoins quatre accords connus
5
Pour éliminer ces entraves, le GATT avait prévu sous le nom d'accords plurilatéraux, initialement
divers instruments. Le principe de base était négociés lors du Tokyo Round, qui s'appliquent
celui de la tarification : les diverses mesures lé- à un groupe plus restreint de signataires. Il s'agit
gislatives étaient transcrites en équivalents tari- des accords suivants : l'Accord sur le commerce
faires, c'est-à-dire en « équivalents droits de des aéronefs civils, qui est entré en vigueur le
douane », lesquels devaient progressivement 1er janvier 1980 ; l'Accord sur les marchés
être abaissés. publics, entré en vigueur le 1 janvier 1981 ;
er
l'Accord international sur le secteur laitier et excluait la libéralisation du secteur audiovisuel,
l'Accord international sur la viande bovine, tous tandis que les États-Unis faisaient de même
deux entrés en vigueur le 1 janvier 1980, et
er
pour le secteur des transports maritimes.
21
abandonnés à la fin de l'année 1997. Cf. la brochure de l'OMC intitulée AGCS : faits
11 Une déclaration ministérielle distincte a été et fictions, disponible, sur le site <www.wto.org>,
adoptée à la réunion ministérielle de Marrakech, ainsi que le site de la Commission européenne
pour souligner l'importance de cet objectif. sous la rubrique « commerce des services », qui
12
Pour évaluer les politiques commerciales, une synthétise sous forme de questions-réponses les
étroite collaboration s'est instaurée entre l'OMC argumentations défendues par l'OMC.
22 Organisation mondiale du commerce, AGCS :
d'une part et la Banque mondiale ainsi que le
Fonds monétaire international d'autre part. faits et fictions, op. cit.
13 23
J.-M. Warêgne, L'Organisation mondiale du com- Selon une étude publiée dans le bulletin du FMI
merce. Règles de fonctionnement et enjeux économiques, en septembre 2005 et synthétisée par Le Monde,
op.cit. 26 octobre 2005.
24
14 Ibidem. J.-M. WARÊGNE, L'Organisation mondiale du com-
15
L'application de ces règles fondamentales merce. Règles de fonctionnement et enjeux économiques,
concerne l'ensemble des accords de l'OMC, op. cit., pp. 104-109 et 134-138.
25
dont l'Accord sur les aspects des droits de pro- R. M. JENNAR, Les enjeux de Cancùn, Oxfam
priété intellectuelle qui touchent au commerce Solidarité, Bruxelles, 2003, p. 9.
26
(ADPIC), sous réserve de quelques exceptions, « Les trois dangers majeurs de l'AGCS »,
ainsi que l'Accord général sur le commerce des Syndicaliste, n° 578, 6 janvier 2003, pp. 12-13.
services (AGCS ou GATS). En ce qui concerne 27 J.-M. WARÊGNE, L'Organisation mondiale du com-

la clause NPF, les dérogations acceptées sont merce. Règles de fonctionnement et enjeux économiques,
très restrictives. Elles sont en effet accordées de op. cit., p. 137.
28
façon transitoire : elles doivent être revues après Pour une analyse approfondie de ce différend
l'expiration d'un délai de cinq ans et ne peuvent cf. J.-M. WARÊGNE, « L'Organisation mondiale
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pas être maintenues en vigueur plus de dix ans. du commerce et le différend du boeuf aux hor-
16
Il y a plusieurs exceptions à cet article premier, mones », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 1658-
en particulier celles qui concernent les unions 1659, 1999.
29
douanières et les zones de libre-échange. Les substances incriminées sont également
17
Cf., en troisième partie, le positionnement de autorisées dans d'autres pays, dont l'Australie,
l'UE et des États-Unis face à l'OMC. l'Argentine et la Nouvelle-Zélande.
18
Ce droit de type jurisprudentiel (common law) 30 C'est
d'ailleurs cette logique qui a prévalu pour
s'oppose au droit civiliste ou codifié, en vigueur l'ESB (encéphalite spongiforme bovine), ou
dans un certain nombre de pays dont la « maladie de la vache folle », pour laquelle il n'y
Belgique, où les lois votées par le Parlement pré- avait, au moment de l'interdiction des farines
valent sur les décisions judiciaires. carnées pour l'alimentation du bétail, pas de
19
Cf. A. BERTRAND et L. KALAFATIDES, OMC, le preuves scientifiques irréfutables de la transmis-
pouvoir invisible, Fayard, Paris, 2002, p. 123. sibilité à l'homme.
20
Par exemple, lors du cycle de l'Uruguay, la 31
Selon ce principe, le moindre doute scientifique
Communauté européenne a fait savoir qu'elle doit bénéficier aux consommateurs.
32 La décision de la commission du Codex se 39 Le Monde, 21 octobre 2005.
fonde sur un rapport conjoint du JECFA (Joint 40 M. GUERREIRO, A. VINCENT, M. WUNDERLE,
FAO/WHO expert committee on food addi- « La propriété intellectuelle », Dossier du CRISP,
tives), de la division de l'alimentation et de la n° 61, 2004.
41
nutrition de la FAO et de l'OMS, rapport qui La durée maximale des brevets n'était au préa-
date de 1988. On peut donc estimer que ces lable pas harmonisée : elle pouvait varier d'un
normes sont actuellement dépassées, car elles pays à l'autre.
ont été adoptées des décennies avant la mise au 42
M. GUERREIRO, A. VINCENT, M. WUNDERLE,
point de méthodes d'analyse sophistiquées. En « La propriété intellectuelle », op. cit., p. 39.
43
outre, le vote de la commission aux hormones a Rapport sur les conséquences des modes d'appropriation
été serré : 33 voix pour, 29 voix contre et 7 du vivant sur les plans économique, juridique et éthique,
abstentions. Assemblée nationale française, n° 1497, 4 mars
33
M.-C. PIATTI, « Vers un droit mondial de la pro- 2004.
priété intellectuelle ? », in F. OSMAN (dir.), 44 Ibidem.
L'Organisation mondiale du commerce : vers un droit 45
Il s'agit principalement de la Convention de
mondial du commerce ?, Bruylant, Bruxelles, 2001, Paris pour la protection de la propriété indus-
pp. 99-117. trielle et de la Convention de Berne pour la pro-
34
Il s'est vu confier des tâches aussi bien analy- tection des œuvres littéraires et artistiques.
46
tiques que normatives. Cf. J.-M. WARÊGNE, L'Organisation mondiale du
35
O. GODART, « Environnement et commerce commerce. Règles de fonctionnement et enjeux
international. Le principe de précaution sur la économiques, op. cit. p. 275. L'actualisation de ces
ligne de fracture », Futuribles, n° 262, 2001. chiffres les donnerait sans doute à la hausse.
47
36
L'Accord de Cotonou comporte un ensemble de À titre illustratif, nous retiendrons le gène dit
dispositions sur le rôle des droits de l'homme, de Terminator développé par la société Monsanto,
la démocratie et de la bonne gestion des affaires qui rend les semences stériles au bout d'une
publiques dans la coopération au développement récolte. Vendre des semences porteuses de ce
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ACP — UE. En cas de violation grave de ces gène, comme Monsanto entendait le faire, aurait
principes, l'UE peut suspendre le versement de eu pour conséquence de rendre les agriculteurs
l'aide. Malheureusement, de nombreux obstacles dépendants vis-à-vis de Monsanto en les
continuent d'entraver la mise en œuvre du volet forçant à racheter chaque année de nouvelles
« droits de l'homme » de l'accord. À l'épreuve des graines. La commercialisation de ce gène a sus-
faits, force est de constater que l'on ne va guère cité un tel émoi au niveau international que
au-delà d'un catalogue de bonnes intentions. Monsanto a fini par renoncer à commercialiser
37
Les APE se fondent sur trois principes : la des semences porteuses du gène incriminé.
48
réciprocité, les régions comme cadre de négo- Selon Vandana Shiva, philosophe indienne et
ciation et le traitement particulier des PMA activiste écologiste, on assiste désormais à une
(pays moins avancés). forme d'impérialisme génétique : si le Nord pos-
38
La culture de rente (cacao, arachide, riz...) est sède la richesse financière, c'est le Sud qui est
une culture qui peut générer d'importants sur- biologiquement riche. 90 % de la diversité
plus et donc des liquidités, par opposition à la biologique du globe sont situés dans l'hémis-
culture vivrière (fruits et légumes), destinée phère Sud. À travers les accords sur la propriété
habituellement à la consommation familiale des intellectuelle (les TRIPs), ce sont les ressources
agriculteurs. du Sud, qui font partie du patrimoine de l'hu-
manité, qui sont considérées comme simple 55
La taxe d'importation sur l'acier imposée uni-
marchandise. Cf. V. SHIVA, Éthique et agro-indus- latéralement par les États-Unis en mars 2002, et
trie. Main basse sur la vie, L'Harmattan, Paris, 1996. condamnée par l'ORD, en constitue un exemple
49 Par médicament breveté, il faut entendre un éloquent.
médicament fabriqué et vendu exclusivement 56 La loi fiscale américaine autorise les entreprises
par le laboratoire qui en détient le brevet, com- qui exportent des marchandises à exclure de leur
mercialisé sous le nom de marque. base imposable une partie de leurs revenus en
50
La disposition Bolar (ou d'utilisation précoce) faisant passer leurs marchandises par des foreign
constitue également une règle d'exception sales corporations, c'est-à-dire des sociétés de vente
reconnue par l'ADPIC. En matière de médica- à l'étranger. Cette mesure fiscale a été considérée
ments, elle autorise les fabriquants de médica- par l'ORD comme assimilable à une subvention
ments génériques à utiliser l'invention brevetée à l'exportation et a été condamnée à ce titre en
pour obtenir l'autorisation de commercialisa- mars 2000, puis en appel en janvier 2002. Plus
tion sans l'autorisation du titulaire du brevet et d'un an après l'expiration du délai de mise en
avant l'expiration de la période de protection conformité fixé par l'ORD, l'Union européenne
conférée par le brevet. a obtenu le droit, en mai 2003, de mettre en
51
Actes du premier sommet international pour l'accès aux œuvre des mesures de rétorsion commerciale
médicaments génériques anti-VIH, organisé par pour un montant de 4 milliards de dollars.
l'Association internationale pour l'accès aux 57
Le contentieux relatif à la loi anti-dumping de
médicaments génériques anti-VIH, 2001. 1916 concerne la mise en œuvre de sanctions
52
L'article « Spécial 301 » de la loi américaine sur le civiles et pénales par les juridictions américaines
commerce, introduit en 1988, a été utilisé contre lorsqu'il est prouvé que l'importateur a pratiqué
une série de pays afin de protéger les intérêts des le dumping dans l'intention de porter préjudice
compagnies américaines et de pouvoir exercer à une branche de production aux États-Unis.
des sanctions commerciales sur les pays dont les L'Union européenne et le Japon ont obtenu la
lois sur la propriété intellectuelle desservent ces condamnation de cette disposition par l'ORD le
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intérêts. L'Inde, le Brésil, l'Argentine et l'Égypte 26 septembre 2000. Les États-Unis ne s'étant
en ont été les premières cibles. pas mis en conformité avec les recommanda-
53
Pour une analyse détaillée des enjeux tions de l'ORD avant l'expiration du délai fixé
économiques et de la déclaration de Doha, (31 décembre 2001), l'Union européenne a été
cf. J.-M. WARÊGNE, « L'OMC et la santé autorisée à suspendre des concessions.
publique. L'après-Doha », Courrier hebdomadaire, 58
Le groupe de Cairns se compose de 17 pays
CRISP, n° 1810, 2003. (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Bolivie,
54
À titre d'exemple, tout en poursuivant l'objectif Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica,
de libéralisation des échanges, l'UE accorde une Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-
plus grande importance au principe de précau- Zélande, Paraguay, Philippines, Thaïlande,
tion sur le plan de la sécurité alimentaire et de la Uruguay) qui n'accordent pas d'aide interne ni
santé publique (cf. les contentieux transatlan- de subventions à l'exportation en matière agri-
tiques à propos du bœuf aux hormones et des cole, et qui demandent dès lors que les USA et
OGM) ; sur le plan socio-économique, la volon- l'UE démantèlent leur politique de soutien aux
té de préserver un « modèle social européen » agriculteurs (cf. partie précédente, section
contraste avec les aspects les plus inégalitaires consacrée à l'agriculture).
du modèle américain, etc.
59
C'est à la Conférence d'Alger, en 1973, que les seurs : l'Accord sur les aspects des droits de
75 pays non alignés revendiquent un « nouvel propriété intellectuelle qui touchent au com-
ordre économique international ». Véritable merce (ADPIC), l'Accord sur les mesures con-
programme destiné à inverser les rapports de cernant les investissements liées au commerce
force mondiaux, il vise à réduire les inégalités (MIC) et l'Accord général sur le commerce des
qui pénalisent les pays sous-développés lors des services (AGCS).
61
échanges commerciaux internationaux. Chiffres de la Banque mondiale cités par
60
Trois des accords signés à Marrakech compor- J. E. STIGLITZ, La grande désillusion, Fayard, Paris,
tent pourtant des mesures relatives aux 2002.
62 Ibidem.
investissements très favorables aux investis-
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ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

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GLOSSAIRE

Accord sur l'agriculture (AsA) : entré en vigueur le 1er janvier 1995, cet accord poursuit l'ob-
jectif d'instaurer une concurrence loyale et de mettre fin au protectionnisme agricole au moyen
de trois leviers : l'ouverture des marchés par la réduction des tarifs douaniers et des quotas ; la
modification et la réduction des subventions internes ; la réduction des subventions à l'expor-
tation.
Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) : règlement multilatéral
encadrant les mesures destinées à la protection de la santé et de la vie des personnes et des ani-
maux, ainsi qu’à la préservation des végétaux. L'Accord SPS trouve à s'appliquer lorsque les
États, dans le cadre de leurs politiques de santé ou de protection du vivant, prennent des
mesures qui peuvent directement ou indirectement affecter le commerce international.
Accord sur les obstacles techniques au commerce (Accord OTC) : accord ayant pour but
de garantir que les règlements techniques et les normes, de même que les procédures d'essai et
d'homologation, ne créent pas d'obstacles non nécessaires au commerce.
ADPIC : Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(TRIPs en anglais). Entré en vigueur le 1er janvier 1995, il impose aux États membres de l'OMC
des normes minimales de protection intellectuelle.
AGCS : Accord général sur le commerce des services (GATS en anglais). Entré en vigueur le
1er janvier 1995, il vise à mettre fin aux réglementations arbitraires qui entravent le commerce
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des services. Seuls les services fournis « dans le cadre de l'exercice gouvernemental », à savoir
« l'armée et la police », sont explicitement exclus de son champ de compétence.
Boîte bleue : mesures d'aide agricoles tolérées au sein de l'OMC, notamment au titre des pro-
grammes de limitation de la production.
Boîte jaune : mesures de soutien interne à l'agriculture qui doivent être diminuées au sein de
l'OMC.
Boîte verte : mesures de soutien autorisées dans le domaine agricole au sein de l'OMC.
Clause de la nation la plus favorisée (clause NPF) : cette clause prévoit que lorsqu'un État
concède à un autre État des avantages commerciaux spéciaux, il doit également les concéder à
tous les autres États membres de l'OMC.
Cycle de l'Uruguay : depuis sa création en 1947, le GATT a connu huit cycles de négociations
commerciales multilatérales dont le dernier a été l'Uruguay Round ou cycle de l'Uruguay. Son
acte final (15 avril 1994) intègre une panoplie d'accords concernant l'ensemble des domaines
liés au commerce dont les principaux sont : l'Accord général sur les tarifs douaniers et le com-
merce (GATT en anglais) ; l'AGCS ; l'Accord sur l'agriculture ; l'ADPIC ; l'Accord sur les
mesures concernant l'investissement liées au commerce ; l'Accord sur les obstacles techniques
au commerce ; l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires. C'est à la fin de ce cycle
que fut créé l'OMC.
GATT : General Agreement on Tariffs and Trade, ou Accord général sur les tarifs douaniers et
le commerce. Créé en 1947 à titre provisoire, il a été remplacé par l'OMC aux lendemains de la
conférence de Marrakech qui a achevé le cycle de l'Uruguay en avril 1994. Le GATT survit sous
sa version modifiée ou « GATT de 1994 », et continue de définir les disciplines essentielles
applicables au commerce international des marchandises.
Groupe de Cairns : alliance entre pays exportateurs agricoles, constituée en août 1986 à Cairns
(Australie) afin d'inscrire en priorité les marchés agricoles dans les négociations commerciales
internationales. Ce groupe se compose de 17 pays favorables au démantèlement des subven-
tions à l'exportation et aux mesures de soutien interne à l'agriculture.
Importations parallèles : mécanisme permettant que des produits fabriqués et commercia-
lisés par le titulaire du brevet (ou de la marque ou du droit d'auteur) dans un pays soient
importés dans un autre pays sans son autorisation.
Licences obligatoires : autorisation donnée par un pouvoir public de fabriquer un produit
breveté ou d'utiliser un procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet. Par ce
mécanisme, un gouvernement peut octroyer le droit à une entreprise de produire des médica-
ments génériques sur son territoire.
Organe de règlement des différends (ORD) : organe de type judiciaire, auprès duquel les
pays membres de l'OMC qui s'estiment lésés peuvent porter plainte pour non-respect d'un ou
de plusieurs accords contractés au sein de l'OMC. L'ORD, qui fonctionne selon la technique
des panels, fait de l'OMC la seule organisation internationale, avec l'Union européenne, dis-
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posant d'une capacité à sanctionner les États qui ne respectent pas les accords qu'elle gère.
Panel : groupe spécial créé au sein de l'Organe de règlement des différends lorsqu'un conflit
commercial entre États membres n'a pu être réglé par des consultations bilatérales. Les panels
sont créés à la demande de la partie plaignante dans le conflit et rassemblent des experts vari-
ant d'un dossier à l'autre.
Traitement national : le principe du traitement national veut qu'une fois que des produits ont
pénétré sur le marché, ils ne doivent pas être soumis à un traitement moins favorable que celui
qui est accordé aux produits d'origine nationale.

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