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Le régime juridique du droit

de la concurrence au Maroc

2. JURIDIQUE
SALIMA BAKOUCHI
Partner chez Bakouchi&Habachi-HB Law Firm
Avocat au barreau de Casablanca

« L’Etat garantit la liberté d’entreprendre et de la libre concurrence1 » il s’agit d’un principe constitutionnel qui suppose,
la libre compétition et le principe de l’égalité d’accès aux marchés des entreprises.
Les entreprises opérant dans tout secteur ont toute latitude d’organiser comme elles l’entendent leur réseau, leur stratégie,
leurs contrats, pour autant qu’elles ne portent ce faisant atteinte à la concurrence, cette liberté devra être exercée
en respectant un certain nombre de règles du marché, qui ont été mises en place par le droit de la concurrence.

La complexité du système économique, les grandes dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière,
mutations de la technologie et la mondialisation imposent la ayant pour vocation d’organiser une concurrence libre et
mise en place d’instances capables de fixer certaines règles loyale et de garantir la transparence et l’équité en matière
du jeu, de faire valoir certaines disciplines, de protéger des relations économiques.
certains intérêts, les autorités publiques ont ainsi été
Une autre réforme de cet arsenal juridique a été récemment
astreintes à organiser la liberté de la concurrence, afin de
initiée, elle a été provoquée par le dossier des hydrocarbures,
protéger l’intérêt public en maintenant les règles de marché qui a révélé des insuffisances/lacunes du cadre juridique
mais aussi de commerçants entre eux. actuel, deux projets de lois ont été adoptés fin mars 2022
Au Maroc, la réglementation du libre jeu de la concurrence par le conseil du gouvernement.
a connu une évolution, la loi n°06-99 relative à la liberté des Le Conseil de la Concurrence a, depuis qu’il a été mis en
prix et de la concurrence a été promulguée par le dahir du place par le décret n° 2.18.963 du 12 décembre 20187
5 Juin 2000 telle que modifiée et complétée (« Loi n° 06- portant nomination des membres du Conseil de la
99 »)2, son décret d’application n° 2-00-854 du 17 septembre Concurrence et plus précisément, depuis la nomination de
2001 a été promulgué le 4 Octobre 20013, le premier Conseil son président par le Dahir n° 1-18-96 du 23 novembre
de la concurrence prévu par la Loi n° 06-99 avait des 20188, mis en œuvre les prérogatives dont il dispose à
attributions purement consultatives. travers sa fonction consultative et son pouvoir décisionnel.
L’arsenal juridique marocain a connu en 2014 une refonte Il y a lieu de souligner que depuis mars 2021, M. Ahmed
profonde afin de s’aligner (i) aux nouveaux principes RAHOU est le nouveau président du Conseil de la
consacrés par la Constitution4, (ii) et aux standards Concurrence. Aujourd’hui, ce Conseil est une autorité qui
internationaux et notamment le renforcement du rôle du joue pleinement son rôle et qui a établi les grands principes,
conseil de la concurrence, qui s’est traduit par la qui permettront d’avoir une pratique Marocaine du droit de
promulgation du Dahir n° 1.14.116 du 30 juin 2014 portant la concurrence. A cet effet, il convient de rappeler que les
loi n° 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence projets de concentration occupent quasiment les trois
(« Loi n°104-12 »)5, le Décret n°2-14-652 du 1er décembre quarts de l’activité du Conseil.
2014 pris pour l’application de ladite loi, la loi n° 20-13
Dans une perspective de prévention et de gestion des
relative au Conseil de la concurrence (« Loi n° 20-13 »)6 et le
risques concurrentiels, le conseil a procédé à la publication
décret n° 2-15-109 du 4 Juin 2015 pris pour son application.
d’un guide relatif à la mise en place de programmes de
Ce nouveau dispositif législatif a érigé le conseil de la conformité au droit de la concurrence au sein des
concurrence, en une autorité décisionnelle indépendante entreprises et des organisations professionnelles9

1
L ’article 35 du Dahir n°1-11-91 du 27 chaabane 1432 portant le contrôle des pratiques commerciales déloyales et des opérations de
promulgation du texte de la Constitution (B.O. n° 5964 bis du concentration économique et de monopole. »
30 juillet 2011) 5
Bulletin Officiel n° 6276 du 24 juillet 2014
2
Bulletin Officiel n° 4810 du 6 juillet 2000 6
Bulletin Officiel n° 6369 du 15 juin 2015
3
Bulletin Officiel n° 4940 du Jeudi 4 Octobre 2000 7
Bulletin officiel n° 6734 du 13 décembre 2018
4
Article 166 de la Constitution dispose que : Le Conseil de la
concurrence est une institution indépendante chargée, dans le cadre
8
Bulletin Officiel n° 6729 du 26 novembre 2018
de l’organisation d’une concurrence libre et loyale, d’assurer la 9
Guide publié sur le site du conseil de la concurrence et pourra être
transparence et l’équité dans les relations économiques, notamment consulté via le lien suivant : Programme-conformite-version-1.0-
à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur les marchés, au-10-01-22.pdf (conseil-concurrence.ma)

17
(le « Guide »), dans le but se conformer aux règles en vigueur, prérogatives de puissance publique ou de missions de
par le biais d’un certain nombre d’outils mis en place dont service public ;
l’inobservation en matière de pratiques anticoncurrentielles
• Aux accords à l’exportation dans la mesure où leur
est bien entendu passible de sanctions. Tel est le cas, une
application a une incidence sur la concurrence sur le
première au Maroc et en matière de « Gun Jumping », de la
marché intérieur marocain.
société Sika AG qui a omis de procéder à la notification d’une
concentration au Conseil de la concurrence. La notion d’entreprise en droit de la concurrence a été
définie par le Conseil Concurrence dans son Guide.11
Par ailleurs, et dans un souci d’élargir son spectre
réglementaire, le Conseil de la concurrence a procédé, avec
le concours de l’Autorité Marocaine des Marchés de 1. L’appréciation des pratiques anticoncurrentielles
Capitaux (l’ « AMMC »), à la signature d’une convention de au regard de la Loi n° 104-12
coopération portant sur l’instauration d’un cadre de
concertation autour des aspects liés à la régulation Une pratique anticoncurrentielle peut être définie comme
concurrentielle dans le marché des capitaux. étant, un comportement émanant d’une entreprise, d’un
groupe d’entreprises ou d’un
Compte tenu de la refonte en commerçant, qui tend à fausser ou
profondeur de l’arsenal juridique à entraver la concurrence entre
régissant le libre jeu de la entreprises ou entre commerçants.
concurrence au Maroc, la nouvelle Considérés comme des pratiques
position du Conseil de la
concurrence en tant qu’institution
Sociétés anticoncurrentielles, les ententes,
l’abus de position dominante et les
indépendante de régulation, dont la
position vers l’exercice pleinement
appartenant prix abusivement bas sont prohibés
par la Loi n°104-12.
de ses pouvoirs de décisions, le cas
Sika AG qui a été condamnée à une
au même groupe L’appréciation des pratiques

sont exclus et
amende de 11.670.215 dirhams anticoncurrentielles n’est pas aisée
pour défaut de notification d’une d’autant que, tous les accords,
contrats ou même accords entre
opération de concentration en est
la parfaite illustration (« Cas Sika »)10, ne sont pas en concurrents ne sont pas
nécessairement anticoncurrentiels
les opérateurs économiques tant
marocain s qu’étrangers devraient principe constitutif ou interdits, il n’y a pas de normes
précises permettant d’évaluer les
désormais être vigilents.
Un certain nombre de risques est à
d’une entente risques en matière de concurrence,
un certain nombre de critères
appréhender et à évaluer par les
opérateurs économiques, il sera
anticoncurrentielle peuvent être relevés de certains
avis ou décisions du Conseil de la
principalement mis l’accent sur (I) Concurrence, de la pratique
certaines pratiques internationale en matière de
anticoncurrentielles (ententes et concurrence et notamment les
abus de position dominante) (II) les critères qui ont été communément
concentrations économiques et (III) le contrôle exercé par le admis par les jurisprudences de l’Union européenne et
régulateur et les risques encourus à travers les sanctions française, auxquelles on se réfère en général.
prévues par la Loi n°104-12.
Le Conseil de Concurrence a, dans le cadre de son Guide,
A titre liminaire, il convient de préciser les champs précisé que : « Bien qu’il n’existe pas de méthodologie
d’application de la Loi n°104-12 qui selon l’article clairement établie ou d’approche unique pour évaluer les risques
1er s’applique : en matière de concurrence, les risques de concurrence typiques
qu’il est prudent de prendre en considération en droit de la
• A toutes les personnes physiques ou morales qu’elles
concurrence incluent :
aient ou non leur siège ou des établissements au Maroc,
dès lors que leurs opérations ou comportements ont • Les risques potentiels liés à des pratiques anticoncurrentielles,
pour objet ou peuvent avoir un effet sur la concurrence à savoir : Les ententes illicites ; l’abus de position dominante ;
sur le marché marocain ou une partie substantielle l’abus de dépendance économique ; la pratique de prix de
de celui-ci ; vente abusivement bas ; etc. ».
• A toutes les activités de production, de distribution et de Le Conseil de la Concurrence a, à travers ce Guide, donné
service, y compris celles qui sont le fait de personnes des orientations aux acteurs économiques sur les règles à
morales de droit public lorsqu’elles agissent comme respecter et les zones de risques concurrentiels à
opérateurs économiques et non dans l’exercice de appréhender et à gérer.

10
Décision n°134/D/2021 du 06 décembre 2021
11
« En droit de la concurrence, la notion d’entreprise englobe toute entité, dotée ou non de la personnalité juridique, à condition que celle-ci exerce
une activité économique. En effet, le statut juridique de l’entité importe peu. Elle peut être aussi bien une personne physique ou une personne
morale qu’une entité dépourvue de la personnalité juridique, comme un groupe de sociétés ou une succursale. Par ailleurs, le critère déterminant
reste l’exercice par l’entité d’une activité économique. Celle-ci se définit comme toute activité portant sur des produits, des biens ou services réalisée
au sein d’un marché quelles que soient les modalités d’exercice, y compris pour les personnes morales de droit public dès lors qu’elles agissent
comme opérateurs économiques. »

18 LETTRE D’ARTEMIS 2ème TRIMESTRE 2022


1.1. Des ententes anticoncurrentielles encore, un accord qui aurait pour conséquence de ralentir
la diffusion d’un produit nouveau car, par exemple, ce
Au sens de l’article 6 de la Loi n° 104-12, on entend par
ententes illicites toutes actions concertées, conventions, produit serait nuisible à l’écoulement du stock d’un produit
ententes ou coalitions tacites ou expresses, sous quelque ancien et moins performant, ou enfin, les entreprises
forme ou pour quelque cause que ce soit, lorsqu’elles ont qui vont se mettre d’accord pour désigner celle qui
pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de remportera le marché, les autres feront des offres

2. JURIDIQUE
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un inférieures volontairement.
marché notamment en :
L’accord exprès ou tacite peut résulter d’une pratique
• Limitant l’accès au marché ou le libre exercice de la concertée entre les membres d’un groupement
concurrence par d’autres entreprises ; professionnel par une entente sur les prix, la collecte,
échange ou diffusion d’informations sensibles entre les
• Faisant obstacle à la formation des prix par le libre jeu du
marché et en favorisant artificiellement leur hausse ou membres d’un même groupement …etc.
leur baisse ; A cet égard, il convient de signaler qu’il s’agit là de types de
• Limitant ou contrôlant la production, les débouchés, les griefs qui ont été articulés par le Conseil de la Concurrence
investissements ou le progrès technique ; dans le cadre du dossier des Hydrocarbures.

• Répartissant les marchés, les sources d’approvisionnement La prise de participation dans le capital d’une entreprise
ou les marchés publics. concurrente peut également constituer dans certaines
conditions un comportement restrictif de concurrence, dès
Les éléments constitutifs d’une entente sont ainsi (1.1.1) une
lors qu’il a pour objet d’influer sur le comportement
concertation entre deux ou plusieurs entreprises (1.1.2)
ayant pour objet ou des effets restrictifs sur la concurrence. commercial des entreprises en cause, de manière à
restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur
1.1.1. Typologie de comportement pouvant être le marché.
qualifiées d’ententes illicites
Une typologie d’actes restrictifs de concurrence pouvant
« La caractérisation d’une entente suppose en premier lieu qu’il être considérés comme des ententes illicites a été listée
y ait « accord de volontés entre deux ou plusieurs entreprises, ce
dans le Guide du Conseil de Concurrence.13
qui suppose de démontrer que « les parties ont abouti à un
consensus sur un projet qui limite ou est de nature à limiter leur Le Conseil de Concurrence a un large pouvoir d’appréciation
liberté commerciale en déterminant leur ligne d’action ou pour établir sur la base de l’existence d’indices sérieux et
d’abstention d’action mutuelle sur le marché »12. concordants l’existence d’une entente anticoncurrentielle
Les actes résultant d’une entente concurrentielle doivent lors de l’instruction menée suite à une enquête de
émaner d’un accord de volonté entre entreprises, des concurrence.
décisions d’associations entreprises, peu importe qu’ils Compte tenu de la difficulté d’établir la preuve en matière
soient express ou tacites, accords non signés, qu’ils aient d’entente, les juridictions communautaires ont admis la
une force obligatoire, que l’accord ait été conclu ou pas, des
preuve des ententes par regroupement d’indices d’origine
pratiques concertées telles que des actions de coordination
et de nature variées, cela n’empêche que la preuve doit
sciemment conduites par des entreprises, tant que ces
respecter le standard de preuve communément admis en
actes aboutissent à des conditions visant à se substituer aux
matière de concurrence.
incertitudes liées au marché et qui ne correspondent pas
aux conditions normales des marchés. A titre d’exemple, la preuve d’une entente verticale de prix
Il convient de souligner que, les accords intragroupes entre peut être apportée en l’absence de clauses claires et
sociétés appartenant au même groupe sont exclus et ne précises imposant le respect d’un prix de revente
sont pas en principe constitutifs d’une entente déterminée, acceptés par les parties par un faisceau
anticoncurrentielle, les personnes faisant partie du même d’indices précis graves et concordants tels que : l’évocation
groupe étant en principe considérées comme étant une entre le fournisseur et ses distributeurs des prix de revente
seule et même entreprise. aux consommateurs, des mesures visant à faire respecter
ces prix par les distributeurs, l’application significative de ces
L’entente illicite peut résulter aussi bien d’accords et
ententes horizontales, les parties sont au même stade de mêmes prix par ces derniers.14
processus économiques, ou accords et ententes verticales La section chargée des ententes au niveau du Conseil de la
portant sur des stades différents du processus économiques. Concurrence a d’ailleurs déjà publié des avis sur les
Les ententes illicites peuvent être illustrées dans le cadre de potentielles pratiques anticoncurrentielles dans les secteurs
la distribution sélective (quand un fournisseur choisit ses stratégiques et continue d’ailleurs à le faire, comme cela a
distributeurs en fonction d’une image qualitative pour faire été le cas dans le marché de médicament au Maroc15 ou en
la promotion de son produit selon des critères objectifs), ou matière de l’enseignement scolaire privé.16

15
 vis n°A/4/20 relatif à la situation de la concurrence dans le marché
A
12
 Mémento Pratique : Concurrence Consommation 20 édition Francis du médicament au Maroc, à consulter via le lien : Avis-du-Conseil-de-
Lefebvre 19600 (pages 661 et 662) la-Concurrence-Num-A.4.20-FR-du-15-01-21.pdf
13
Voir Page 36 à 47 du Guide 16
 vis n° A/1/2 relatif à l’état de la concurrence dans le secteur de
A
14
 émento Pratique : Concurrence Consommation 20 édition Francis
M l’enseignement scolaire privé au Maroc, à consulter via le lien :Avis-du-
Lefebvre 19615 page 665 CC-Avis-A.1.21-FR-WEB.pdf (conseil-concurrence.ma)

19
1.1.2. Un objet ou des effets restrictifs sur L’existence d’une action concertée doit être établie de
la concurrence manière directe.
La Loi n°104-12 prohibe les ententes illicites qui ont pour En effet, la preuve de l’existence d’une concertation entre les
objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la différentes entreprises parties à la pratique concertée (la
concurrence, il convient de noter le caractère alternatif et participation des entreprises à des réunions, l’échange de
non cumulatif de cette condition, en ce sens que si l’objet de télex et d’autres notes ou minutes de réunions pour prouver
la pratique révélé à un degré suffisant de nocivité, il n’y a pas leur participation à l’infraction, …).
lieu de chercher ses effets, par contre si l’objet ne présente
A titre d’illustration « un plan stratégique par lequel deux
pas ce degré de nocivité, il faut procéder à l’examen des
sociétés s’entendent pour mettre en œuvre des pratiques
effets de la pratique sur le marché et le libre jeu de
de dénigrement et de remises fidélisantes destinées à
la concurrence.
empêcher le rétablissement d’une concurrence jusqu’alors
- L’objet anticoncurrentiel inexistante sur un marché, constitue une pratique d’une
particulière nocivité économique.
S’agissant du droit de la concurrence et selon une
jurisprudence établie par la Cour de Justice de l’Union Il importe peu, à cet égard, que l’une des deux sociétés n’ait
Européenne (« CJCE »), la notion de restriction de pas pris part aux pratiques de dénigrement ».18
concurrence « par objet » doit être interprétée de manière
- L’effet anticoncurrentiel
stricte, d’ailleurs c’est ce qui ressort également de l’esprit de
l’article 6 de la Loi n°104.12, qui suppose de démontrer un Lorsque l’existence d’un objet anti-concurrence n’est pas
accord de volonté manifeste et une pratique concertée démontrée, l’effet restrictif de la pratique sur la concurrence
tendant à restreindre le libre jeu de la concurrence. devra être examiné, l’appréciation des effets d’un accord sur
le jeu de la concurrence devra être effectué en prenant en
Dans un arrêt du 9 janvier 2001 (SEEE), la cour d’appel de
considération, le contexte économique et juridique dans
Paris rappelait que « Pour que la pratique puisse être
lequel cet accord et où il peut concourir avec d’autres, à un
sanctionnée sur le fondement des articles L. 420-1, L. 462-6 et L.
effet cumulatif sur le jeu de la concurrence.19
464-2 du Code de commerce, il faut que les entreprises aient
librement et volontairement participé à une action concertée, en Il est communément admis par la jurisprudence
sachant qu’elle avait pour objet ou pouvait avoir pour effet communautaire que, l’effet anticoncurrentiel est en général
d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence apprécié sur la base d’une analyse approfondie du contexte
sur le marché ». économique et juridique et les spécificités du marché de
référence concerné pouvant contribuer de manière
Cet attendu de principe, souligne que les entreprises doivent
significative au cloisonnement du marché, ce cloisonnement
avoir librement et volontairement participé à une action
pourrait être apprécié sur la base de la position des parties
concertée, en connaissance de cause.
sur le marché.
Cette définition jurisprudentielle précise les deux principales
En matière de distribution à titre d’illustration, l’effet de la
composantes de l’accord de volontés, qui se noue entre
clause ou de la convention sur le marché doit se mesurer
plusieurs volontés autonomes et indépendantes,
par rapport à son impact négatif sur le marché.
économiquement et juridiquement, l’une de l’autre, et qui se
caractérise par un objet commun (contrat ou pratique La Cour de Justice a ainsi rappelé que l’analyse de l’accord
concertée) et par la participation de chaque volonté anti-concurrentiel doit « s’attacher notamment à la teneur
particulière à cet objet commun. »17 de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre, ainsi

17
 tude thématique Autorité de la concurrence française : Etudes
E Lefebvre 19607 page 675
thématiques 19
 JCE 28-2-1991 AFF : 234/89, Delimitis, pt 14 ; RJDA 5/91 n°416
C
18
Mémento Pratique : Concurrence Consommation 20 édition Francis (Memento Francis Lefebvre Op.Cit 19820 (page 677)

20 LETTRE D’ARTEMIS 2ème TRIMESTRE 2022


qu’au contexte économique et juridique dans lequel il 1.2. Abus de domination économique
s’insère … ».20
L’article 7 de la Loi n°104-12 prévoit la prohibition de l’abus
Ces effets, peuvent être mesurés par certains critères de domination économique lorsqu’elle a pour objet ou pour
comme le critère de proportionnalité, en ce sens qu’une effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence,
clause ou un accord doit être objectivement proportionné, sous ses deux formes : l’exploitation abusive par une
ainsi que les effets qu’ils peuvent avoir sur les concurrents, entreprise ou un groupe d’entreprise (2.1) d’une position

2. JURIDIQUE
par exemple l’effet d’éviction d’une clause sur le marché… dominante sur le marché ou une partie substantielle de
etc. celui-ci, ainsi que (2.2) d’une situation de dépendance
économique dans laquelle se trouve un client ou un
De même que, le caractère isolé ou l’effet cumulatif d’un
fournisseur ne disposant d’aucune autre
accord peut également être un critère à prendre en
alternative équivalente.
considération dans l’appréciation du caractère
anticoncurrentiel d’une pratique. L’abus de domination peut notamment consister en un
L‘Autorité de la concurrence en refus de vente, en ventes liées ou
France a admis dans son rapport en conditions de vente
annuel pour l’année 2005 que : « le discriminatoires (le refus de vente
principe selon lequel des contrats ou de prestations), ainsi que dans la
d’exclusivité identiques passés entre rupture de relations commerciales
des fournisseurs et leurs distributeurs
qui, considérés individuellement, ne
Le Conseil de la établies, imposer directement ou
indirectement un caractère minimal
poseraient pas de problèmes de
concurrence, peuvent, par leur effet
Concurrence rappelle au prix de revente d’un produit ou
d’un bien, etc.
cumulatif, devenir anticoncurrentiels
lorsque l’accès au marché s’en trouve
à cet effet que, la 1.2.1. L’abus de la position
de dominance
limité ou les parts de marché figées ».
position dominante La détention d’une position
Dans le cadre des échanges de
données, l’appréciation de l’effet n’est pas fonction dominante n’est pas en soit illicite
ou critiquable, mais ce qui est
anticoncurrentiel de ces échanges
pourra être effectué en prenant en de la taille de prohibé est l’exploitation abusive de
cette position sur le marché
considération, la nature des
l’entreprise, mais
intérieur ou partie de celui-ci, le
données échangées et leurs effets Conseil de la Concurrence a dans
anticoncurrentiels sur le marché, s’il son Guide estimé que « la position
y a un lien de causalité entre les
données échangées et les faits
de la taille et de la dominante est une situation de
puissance économique qui donne la
reprochés, si les échanges ont
artificiellement augmenté la
structure du marché possibilité pour une entreprise de se
comporter de manière essentiellement
transparence du marché et réduit indépendante par rapport aux autres
l’incertitude des acteurs sur ce participants au marché (concurrents,
marché ce qui peut être démontré fournisseurs ou acheteurs) ».
par des études économiques …etc.
La Cour de Justice européenne a considéré qu’une position
Un système d’échanges de données et d’information peut dominante désigne plus généralement ; « une position de
se révéler en revanche, pro concurrentiel en ce sens que, les puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne
données échangées peuvent avoir des conséquences le pouvoir de faire obstacle à l’apparition et au maintien d’une
positives sur le marché, en ce qu’elles améliorent la concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant
compétitivité puisqu’il s’agit d’une incitation à plus la possibilité des comportements indépendants dans une
d’agressivité sur les prix, l’amélioration de la qualité mesure appréciable vis à vis des concurrents, de ses clients et
des produits. finalement, des consommateurs. »22
Incidence de l’importance de l’effet restrictif : Il est
Les trois éléments qui apparaissent nécessaires pour
important de souligner que, les ententes répréhensibles
constituer la position dominante : une entreprise, voire un
doivent avoir un effet sensible sur le marché (notion de seuil
groupe d’entreprises capable d’occuper une telle position, un
de sensibilité), en ce sens qu’elles doivent restreindre la
marché susceptible d’être dominé et la domination de ce
concurrence dans le marché, ce caractère sensible peut se
marché, condition nécessaire et préalable à l’analyse d’une
déduire, de la part du marché concerné par l’entente, la
position dominante contrairement à l’appréciation d’une
gravité de la pratique, l’importance des entreprises
pratique d’entente,
concernées par l’entente, le nombre des entreprises
concernées, la nature particulière des produits, la teneur de La détention de la position dominante s’apprécie par
l’accord, les objectifs qu’il vise à atteindre, ainsi que le rapport au marché sur lequel s’exerce la puissance
contexte économique dans lequel il s’insère.21 économique de l’entreprise en cause (la détermination du

20
CJCE, 6 octobre 2009, Eudes thématiques de l’Autorité de la Concurrence française année 2009 page 67.
21
?????????????????
22
CJSE 14-2- 1978 Aff 27/76 « United Brands » Mémento Lefebvre Op.cit 21500 page 720.

21
marché en cause, produits et service, la zone géographique de la victime du comportement dénoncé.
de l’offre et la demande…etc) et les indices de l’existence
A titre d’illustration un état de dépendance économique
d’une position dominante sur le marché (la part du marché,
d’un distributeur à l’égard de son fournisseur « s’apprécie en
l’effet potentiel de l’expansion ou l’entrée des concurrents …
tenant compte de l’importance de la part du fournisseur dans le
etc).
chiffre d’affaires du revendeur, de la notoriété de la marque du
Le Conseil de la Concurrence rappelle à cet effet que, la fournisseur, de l’importance de la part de marché du fournisseur
position dominante n’est pas fonction de la taille de et de l’impossibilité pour le distributeur d’obtenir d’autres
l’entreprise, mais de la taille et de la structure du marché. fournisseurs de produits équivalents », ces critères devant être
L’abus de la position de dominance peut être illustré par le simultanément présents pour entraîner cette qualification.25
domaine de la distribution notamment, la discrimination
1.3 La pratique de prix abusivement bas
entre partenaires commerciaux,
l’octroi de rabais de fidélité en La pratique des prix abusivement
contrepartie d’une exclusivité bas est prévue par l’article 8 de la
totale ou partielle, l’application Loi 104-12, cette pratique était déjà
de conditions abusives pour interdite par la loi 06-99, qui la
restreindre l’accès au réseau, Le Conseil de la considérait comme une forme
l’application de prix d’éviction (prix d’abus de position dominante.
abusivement bas ou prix excessifs),
refus de vente ou de prestations de
Concurrence, outre La nouvelle loi, quant à elle, traite
service …etc. le fait qu’il puisse des prix abusivement bas comme
pratique anticoncurrentielle à part
L’Autorité de Concurrence française
pour constater la position d’une être saisi par entière.
Elle se trouve, de ce fait, interdite
société productrice sur le marché
du roquefort, a considéré que certaines entreprises sans qu’il soit nécessaire de prouver
la position dominante de
et organismes,
constituait une barrière à l’entrée
de type réglementaire, l’obligation son auteur.
faite aux producteurs de ces
fromages de n’utiliser pour leur dispose d’un pouvoir Le Conseil de la Concurrence a
dans son Guide considère que « Il
fabrication que du lait de brebis
de provenance exclusivement d’auto-saisine qui s’agit d’offres de prix ou pratique de
prix aux consommateurs abusivement
limitrophes, et de procéder à
l’affinage dans les caves du village lui a été conféré par bas par rapport aux coûts de
production, transformation et de
de Roquefort, caves dont cette
société était la principale
propriétaire, d’autant que cette
la Loi n° 104-12 commercialisation (y compris les frais
résultant des obligations légales et
réglementaires liées à la sécurité des
position dominante se trouvait produits), dès lors que ces offres ou
encore renforcée par la place
pratiques ont pour objet ou peuvent
de fournisseur incontournable
avoir pour effet d’éliminer à terme
occupée par cette société pour
d’un marché, ou d’empêcher d’accéder à un marché, une
l’approvisionnement en libre-service.23
entreprise ou l’un de ses produits ».
1.2.2. L’abus de dépendance économique
L’existence d’un abus de dépendance économique suppose 2. Les Concentrations économiques
la réunion de trois principales conditions, l’existence d’une
dépendance économique d’une entreprise à l’égard d’une La concentration est une opération juridique qui vise à créer
autre, une exploitation abusive de cette situation et une une unité de décision entre deux ou plusieurs entreprises,
affectation réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la dans le but d’accroître leur puissance économique.
structure sur le ou les marchés considérés.24 Cette unité de décision peut découler soit de liens structurels
Le Conseil de la Concurrence a dans son guide considéré qui modifient l’identité des entreprises concernées (fusion-
que plusieurs critères cumulatifs doivent être réunis pour scission), soit des liens financiers qui laissent subsister
qu’une entreprise puisse prétendre se trouver dans une l’autonomie juridique des entreprises, c’est le cas des
situation de dépendance économique vis-à-vis d’un groupes de sociétés et l’acquisition d’un bloc de contrôle.
partenaire : la part de l’entreprise dans le chiffre
Le contrôle des concentrations a été institué pour la
d’affaires de son ou ses partenaires, la notoriété
première fois au Maroc par la Loi n° 6-99 qui a été
de la marque (ou de l’enseigne), l’importance de
promulguée en 2000.
la part de marché de ce ou ces partenaires, l’existence
ou non de solutions alternatives, les facteurs ayant conduit La Loi n° 104-12 a apporté trois modifications substantielles
à la situation de dépendance (choix stratégique ou « obligé » par (i) la définition de l’opération de concentration, (ii)

23
Cons. Conc, 8-4-2004 n°04-D-13, aff. « Fromages à pâte persillée » : RJDA 8-9/04 n° 1052) 21660 Memento Lefevre : Op.cit page 725.
24
Autorité de la Concurrence française 9-8-2012 n°17-D-15 aff. « Bateaux de plaisance »
25
Cons. conc, déc. no 89-D-16, 2 mai 1989, Société Chaptal SA, BOCCRF 30 mai, Recueil Lamy, no 361.

22 LETTRE D’ARTEMIS 2ème TRIMESTRE 2022


l’introduction du critère du chiffre d’affaires pour déterminer mesure de présenter un projet suffisamment abouti pour
le seuil de contrôle et, finalement, (iii) l’institution d’un permettre l’instruction du dossier, notamment lorsqu’elles
contrôle unique dévolu au Conseil de la Concurrence. ont conclu un accord de principe, une lettre d’intention ou
dès l’annonce d’une offre publique et ce, dans les conditions
(i) Les opérations de concentration
prévues par l’article 13 de La Loi n°104-12.
Au sens de l’article 11 de la Loi n° 104-12 et du Guide du
L’annexe du décret n° 2-14-652 du 1er décembre 2014 pris

2. JURIDIQUE
Conseil de la Concurrence la concentration résulte soit.26 :
pour l’application de la Loi 104-12 présente le contenu du
• de la fusion (fusion par création d’une entité nouvelle, dossier de notification d’une opération de concentration.
fusion absorption, création d’une unité économique
Dans la pratique, il est préférable de saisir le Conseil de la
nouvelle ou fusion de fait) ;
Concurrence et de le notifier de l’opération de concentration
• la prise de contrôle sur une ou plusieurs entreprises dès lors que, l’on est en présence de l’une des opérations
(acquisition d’actions ou d’éléments d’actifs, contrôle sur visées à l’article 11 de la Loi n°104-12 et qui présente un
une base contractuelle) ; risque d’atteindre l’un des seuils prévus par l’article 12 de la
Loi n°104-12.
• de la création d’une filiale commune (« Joint-venture).
Il y a lieu de préciser que, jusqu’à novembre 2021 le Conseil
(ii) Les conditions d’exercice du contrôle de la Concurrence a traité 104 opérations de concentrations.
Le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens
qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des
circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une 3. Le Contrôle exercé par le Conseil de la Concurrence
influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, L’article 2 de la Loi n° 20-13 dispose que : « le conseil a un
et notamment : pouvoir décisionnel en matière de la lutte contre les pratiques
anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de
• Des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou
concentration économique telles que définies dans la loi relative
partie des biens d’une entreprise ; des droits ou des
à la liberté des prix et de la concurrence ».
contrats qui confèrent une influence déterminante sur
la composition, Le Conseil de la Concurrence exerce son pouvoir décisionnel
dans l’intérêt général à travers l’examen (3.1) des divers
• Les délibérations ou les décisions des organes
dossiers des pratiques anticoncurrentielles (3.2) et des
d’une entreprise.
concentrations économiques et qui peut se traduire par
Le contrôle du Conseil de la concurrence ne peut ainsi l’application de sanctions.
s’exercer que lorsque deux conditions sont remplies :
3.1 En matière de Pratiques anticoncurrentielle
> Être en présence de l’une des opérations de
concentration visées par l’article 11 précité ; 3.1.1 La Saisine ou l’auto-saisine du Conseil de
la Concurrence
> Cette opération doit être de nature à porter atteinte à la
concurrence notamment par la création ou le Le Conseil de la Concurrence, outre le fait qu’il puisse être saisi
renforcement d’une position dominante sur le marché. par certaines entreprises et organismes, dispose d’un pouvoir
d’auto-saisine qui lui a été conféré par la Loi n° 104-12.
Au sens de l’article 12 de La Loi n° 104.12 cette dimension
est considérée comme étant atteinte lorsque l’opération Le Conseil de la concurrence peut se saisir d’office sur
dépasse l’un des seuils suivants : proposition de son rapporteur général concernant les
pratiques anticoncurrentielles, les opérations de
• Le chiffre d’affaires total mondial hors taxe de l’ensemble concentrations économique et pour tout manquement aux
des entreprises parties à la concentration est supérieur à dispositions de loi sur la concurrence, ou peut être saisi par
750 millions MAD. les organismes qui suivent des pratiques anticoncurrentielles,
• Le chiffre d’affaires total hors taxe réalisé au Maroc par dont notamment :
deux au moins des entreprises concernées est supérieur • Des entreprises ;
à 250 millions MAD.
• Des conseils des collectivités territoriales, des chambres
• Les entreprises parties à l’opération, ont réalisé ensemble de commerce, d’industrie et de services, des chambres
durant l’année civile précédente plus de 40 % des ventes, d’agriculture, des chambres d’artisanat, des chambres
achats ou autres transactions sur un marché national de des pêches maritimes, des organisations syndicales et
biens produits ou services de même nature ou professionnelles, des instances de régulation sectorielle,
substituable, ou sur une partie substantielle du marché. des associations de consommateurs reconnues d’utilité
publique, dans la limite des intérêts dont elles ont
(iii) Notification du Conseil de la Concurrence
la charge.
Dès lors que l’un de ces seuils est atteint, l’opération de
Le Conseil de la Concurrence a été saisi récemment d’une
concentration ne peut se réaliser effectivement qu’avec
plainte déposée à l’encontre de l’Ordre National des
l’accord du conseil de la concurrence.
Architectes, auprès de ses services d’instructions pour de
La notification de l’opération de concentration au Conseil présumées pratiques anticoncurrentielles révélées dans le
peut intervenir dès que la ou les parties concernées sont en marché des prestations de services d’architectes, qui a ont

26
Voir le Guide qui détaille ces opérations pages 52 à 54

23
fait l’objet en date du 18 mai 2022 d’une notification de d’une juridiction et que les saisines doivent être
griefs conformément aux dispositions de l’article 29 de la loi juridiquement travaillées en s’appuyant au minima sur les
104-12 sur la liberté des prix et de la concurrence.27 lois et que les requêtes doivent caractériser une infraction
au droit de la concurrence, préciser les griefs …etc.28
Dans le cadre de l’instruction d’une plainte ou d’auto-saisine,
le rapport du rapporteur général est notifié aux parties et au La qualité et l’intérêt d’agir est l’une des conditions de
commissaire du gouvernement. recevabilité de toute plainte déposée devant le Conseil de la
Concurrence, à cet effet l’article 5 de la Loi n°20.13 prévoit
Ce rapport doit contenir l’exposé des faits et, le cas échéant,
les entités habilitées à saisir le Conseil de la Concurrence.
les infractions relevées, ainsi que les
éléments d’information et les Le contenu de la plainte doit
documents ou leurs extraits, sur être étayé par des éléments
lesquels se fonde le rapporteur et concrets ou pièces de nature à
des observations faites, le cas prouver les prétendus pratiques
échéant, par les intéressés. Dans tous les cas, anticoncurrentiels.
Les parties et le commissaire du
gouvernement doivent produire la prescription est A titre comparatif, l’Autorité de la
Concurrence Française a estimé

acquise lorsqu’un
leurs observations en réponse à la dans une étude thématique que :
communication du rapport dans un « En cas de saisine directe, il appartient
délai de 20 jours, le Conseil de la à la partie saisissante, non de
concurrence communique ensuite délai de dix (10) supporter l’intégralité de la charge
les dates de séances par voie de la preuve, mais du moins
d’affichage à son siège ou sur son ans à compter d’apporter au Conseil tout document
site électronique. utile venant à l’appui de ses
Les parties sont convoquées et de la cessation prétentions et pouvant être utilisé à
titre de preuve, de commencement de
notifiées par huissier de justice ou
par lettre recommandée avec de la pratique preuve ou de présomptions.
accusé de réception.
Il est à noter que le Conseil de la
anticoncurrentielle À défaut, la partie saisissante s’expose
à un rejet de sa plainte pour défaut

s’est écoulé sans


d’éléments suffisamment probants. »29
concurrence est habilité à entendre
toute personne dont l’audition lui Les griefs articulés par le Conseil
paraît utile, les parties en cause
peuvent se faire assister ou
que le Conseil de de la Concurrence sont soumis
aux règles des droits de la
représenter par des conseillers
juridiques de leur choix.
la Concurrence ait défense et notamment principe
du contradictoire, soit le droit
Il est à signaler que les séances du statué sur celle-ci pour les parties à un procès
équitable en leur garantissant le
Conseil de la Concurrence ne sont
droit de prendre connaissance
pas publiques. Seules les parties en
des preuves et des moyens
cause et le commissaire du
de droit et de fait, sur lesquels
gouvernement peuvent y assister.
le Conseil entend fonder sa décision
1. Les règles de procédure applicables devant et les discuter.
le Conseil de Concurrence
Le principe du contradictoire a d’ailleurs été repris par
Les règles de procédure applicables devant le Conseil de l’article 29 de la Loi n°104-12 qui dispose que : « L’instruction
Concurrence sont assimilables à celles qui sont et la procédure devant le conseil sont contradictoires sous
communément admises devant les juridictions d’Etat ainsi réserve des dispositions de l’article 31 ci-dessous.
que, dans le cadre de la pratique internationale applicable
Sans préjudice des mesures prévues à l’article 35 ci-dessous, le
en la matière, tels que la qualité et l’intérêt pour agir, la
rapporteur général notifie les griefs aux intéressés ainsi qu’au
précision du contenu de la plainte ainsi que des griefs, la
commissaire du gouvernement, qui peuvent consulter le dossier
précision des griefs et pratiques en cause, le principe du
sous réserve des dispositions de l’article 31 ci-dessous ».
contradictoire, les droits de la défense, un standard de
preuves précis …etc. De même que la procédure en général est soumise à un
standard de preuves particulier, la preuve en matière de
Le Président actuel du Conseil de la Concurrence a souligné
droit de la concurrence doit être apportée et reposer sur
lors de son interview au journal l’économiste, sur une
des éléments de preuve suffisamment précis ou résulter
question quant aux motifs d’irrecevabilité des 19 saisines
d’un « faisceaux d’indices graves, précis et concordants »30,
contentieuses de 2020 pour défaut de qualités d’agir ou
d’autant que les amendes applicables sont substantielles.
d’incompétence, que les plaintes soumises au Conseil de
Concurrence obéissent à une procédure assimilable à celle En tout état de cause, un manuel de procédure d’instruction

27
 ommuniqué de Presse du Conseil de la Concurrence : Communique-
C 29
 tude thématique Autorité de la Concurrence Française page sur la
E
de-presse-ordre-des-architectes-francais.pdf preuve des accords de volonté constitutifs d’entente page 111
28
Interview de M. Rahou avec M. Fayçal Faquihi, l’économiste n° 6145 30
 ontribution de la France, OCDE, Policy roundtables, « Prosecuting
C
du 30 Novembre 2021 cartels without direct evidence », 2006.

24 LETTRE D’ARTEMIS 2ème TRIMESTRE 2022


est en cours d’élaboration par le Conseil de Concurrence pécuniaire sans réduction sera prononcée.
qui pourra apporter des clarifications sur la procédure
> En cas de récidive dans un délai de 5 ans, le montant
devant le Conseil de la Concurrence.
maximum de la sanction pécuniaire applicable peut être
3.1.1. Les mesures conservatoires et sanctions porté au double.
applicables
• Infliger aux entités mises en cause des astreintes dans la

2. JURIDIQUE
Saisi des pratiques anticoncurrentielles, le Conseil de la limite de 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors
concurrence peut soit décider que les pratiques auxquelles taxe, par jour de retard à compter de la date qu’il fixe,
il est reproché d’être anticoncurrentielles ne le sont pas ou pour contraindre les contrevenants auteurs de pratiques
le sont, mais sont prescrites, ou encore, décider de leur anticoncurrentielles à :
caractère anticoncurrentiel et les sanctionner.
> Exécuter une décision les obligeant à mettre fin aux
Les Mesures conservatoires pratiques anticoncurrentielles, à observer une décision
imposant des conditions particulières ou à respecter
Le Conseil de la Concurrence peut ordonner des mesures
une décision rendant obligatoire un engagement
conservatoires selon les conditions prévues par les articles
accepté par le Conseil de la concurrence en vue de
35 et suivants de la Loi 104-12 et peut à cet effet :
mettre un terme à ses pratiques anticoncurentielles
• Ordonner les mesures conservatoires demandées par les
> Respecter les mesures conservatoires prononcées par
entités ayant qualité et intérêt pour le saisir ou celles lui
le Conseil de la concurrence.
paraissant nécessaires. Si les mesures conservatoires ne
sont pas respectées, la sanction pécuniaire selon les cas • Ordonner que soient publiées la décision prononçant
spécifiés ci-dessous est prononcée par le Conseil de une sanction pécuniaire ou d’un extrait de celle-ci selon
la concurrence. les modalités qu’il précise ou encore ordonner l’insertion
de la décision ou de l’extrait de celle-ci dans le rapport
• Ordonner qu’il soit mis fin aux pratiques incriminées dans
établi sur les opérations de l’exercice par les gérants, le
un délai déterminé ou imposer des conditions
conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise.
particulières. Si cette injonction n’est pas observée, la
sanction pécuniaire selon les cas spécifiés ci-dessous est 3.1.4 Les règles de prescription
prononcée par le Conseil de la concurrence ;
Aux termes de l’article 23 de la Loi n°104-12, le Conseil de la
Les Sanctions concurrence ne peut être saisi ou se saisir d’office de faits
qui remontent à plus de cinq (5) ans s’il n’a été fait au cours
Il convient tout d’abord de signaler que, le montant de
de cette période aucun acte tendant à leur recherche, leur
l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction
constatation ou leur sanction.
en matière de concurrence doit être proportionné à
l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte La prescription est toutefois interrompue par les actes
d’un certain nombre d’éléments notamment, de la gravité interruptifs de l’action publique qui sont prévus par le Code
de celle-ci, de l’importance du dommage causé à l’économie, de Procédure Pénale.
à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée …
Dans tous les cas, la prescription est acquise lorsqu’un délai
etc.
de dix (10) ans à compter de la cessation de la pratique
Le Conseil de la Concurrence peut prononcer les sanctions anticoncurrentielle s’est écoulé sans que le Conseil de la
ci-après en se basant sur le principe de proportionnalité : Concurrence ait statué sur celle-ci.
• Prononcer une sanction pécuniaire dont le montant
maximum varie en fonction de la qualité 3.2. Le Contrôle des Opération de Concentration
du contrevenant :
3.2.1 Déroulement de la procédure d’examen de la
> Si le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant notification de l’opération de concentration
maximum de la sanction est de 4.000.000 de dirhams.
Aux termes de l’article 14 de la Loi n° 104-12 et comme cela
> Si le contrevenant est une entreprise, le montant a été précisé dans le point 2 (iii) une opération de
maximum de la sanction est égal à 10 % du chiffre concentration ne peut se réaliser effectivement qu’avec
d’affaires mondial ou national, pour l’entreprise n’ayant l’accord du Conseil de la Concurrence.
pas une activité à l’international, hors taxe le plus élevé
La décision du conseil peut intervenir soit à l’issue de la
réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice
première phase soit à l’issue de la deuxième.
précédent celui au cours duquel les pratiques ont été
mises en application. Première phase
> Lorsqu’il n’y a pas contestation de la réalité des griefs par Durant cette phase, le conseil doit se prononcer sur
le contrevenant notifié, le rapporteur général peut l’opération de concentration dans un délai de 60 jours à
proposer au Conseil de la concurrence de prononcer la compter de la date de notification. Le conseil peut adopter
sanction pécuniaire en réduisant son maximum de trois attitudes.
moitié tout en tenant compte de l’absence de
• En premier lieu, il peut considérer que l’opération qui lui a
contestation. Lorsque le contrevenant s’engage, en
été notifiée n’entre pas dans le champ de son contrôle (se
outre, à modifier son comportement pour l’avenir, le
déclare en quelque sorte incompétent).
rapporteur général peut proposer au Conseil d’en tenir
compte également dans la fixation du montant de la • Deuxième possibilité, le conseil autorise l’opération.
sanction.
• Troisième possibilité, il décide d’engager un examen
En cas de violation de cet engagement, la sanction

25
approfondi dans le cadre d’une deuxième phase. être notifiée auprès du Conseil de la Concurrence.
Cette dernière décision intervient lorsque le conseil Dans le cas où, une opération de concentration a été
considère qu’il existe un risque sérieux d’atteinte à la réalisée sans être notifiée conformément à l’article 19 de la
concurrence. Loi n°104-12 :
Une copie de la décision du conseil est transmise à • Le Conseil de la Concurrence enjoint sous astreinte dans
l’administration. Si à l’expiration du délai de 60 jours, aucune la limite prévue à l’article 40 de la Loi 104.12, soit 5 % du
de ces trois décisions n’est prise, l’opération est censée avoir chiffre d’affaires journalier moyen hors taxe par jour de
été autorisée. retard à compter de la date qu’il fixe, aux parties de
notifier l’opération, à moins de revenir à l’état antérieur à
Deuxième phase
la concentration ;
C’est la phase de l’examen approfondi. Cette deuxième
• En outre, le conseil de la concurrence peut infliger aux
phase intervient lorsque le conseil considère que l’opération
personnes auxquelles incombait la charge de la
notifié comporte un risque sérieux d’atteinte à la
notification une sanction pécuniaire dont le montant
concurrence.
maximum s’élève, pour les personnes morales, à 5 % de
A cet effet, le conseil dispose d’un délai de 90 jours pour leur chiffre d’affaires hors taxes réalisé au Maroc lors du
rendre sa décision. Cet examen approfondi se déroule dans dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui
le cadre d’une procédure contradictoire qui protège les qu’a réalisé au Maroc durant la même période la partie
droits de la défense. acquise, et, pour les personnes
physiques, à cinq millions
Dans la première phase le conseil
(5.000.000) de dirhams.
reçoit la notification et statue sur la
base du dossier qui lui a été notifié. Le Conseil de la Concurrence s’est
• En premier lieu, le rapport du La prise de saisi d’office et a, dans le cas SIKA,
ouvert une instruction concernant
rapporteur est notifié aux parties.
• Deuxième élément, les parties participation la réalisation par ladite société en
2019, d’une opération de
disposent d’un délai de 20 jours
pour présenter leurs observations dans le capital concentration économique sans
notification préalable au Conseil de

d’une entreprise
sur le rapport du rapporteur. la Concurrence et accord de ce
dernier, en infraction des articles 12
• En troisième lieu, les parties
et 14 de la loi 104-12.
peuvent demander à être
entendues par le conseil de la
concurrente Cette opération concerne
concurrence lors de l’audience
qu’il doit tenir pour statuer sur le
peut également l’acquisition par la société « SIKA
AG » de 100 % du capital et des
dossier. Les parties peuvent être
assistées par tout conseil de constituer dans droits de vote de la société
« Financière Dry Mix Solutions
leur choix.
Le conseil a la possibilité d’entendre
certaines conditions SAS ».
Les sociétés sont actives sur le
toute personne dont l’audition lui
parait utile à son information, en
un comportement marché de la fabrication et de la
commercialisation de produits
particulier les tiers à l’opération. restrictif de chimiques de construction et de
mortiers via leurs filiales Sika Maroc
Dans l’examen du dossier, le conseil
peut avoir entre les mains des concurrence SA et Sodap SA, le Conseil de la
concurrence par sa décision
pièces qui mettent en jeu le secret
n°134/D/2021 du 06 décembre
des affaires.
2021, a infligé à la société Sika AG
Si la partie qui a fourni ces pièces une sanction pécuniaire d’un
mentionne qu’elles sont montant de 11.670.215 dirhams
confidentielles, le conseil peut refuser de les communiquer conformément à l’article 19 de la loi 104-12, la société Sika
à l’autre partie. Le conseil doit pouvoir établir un équilibre AG a d’ailleurs accepté le paiement de cette sanction
entre le secret des affaires et le droit de la défense. pécuniaire qui sera versée au budget de l’Etat et constitue le
premier cas d’un Gun Jumping.
Le conseil peut soit refuser l’autorisation soit autoriser
l’opération de manière pure est simple, soit autoriser Ainsi, par cette décision, le Conseil de la concurrence semble
l’opération sous réserve pour les entreprises concernées avoir l’intention de transmettre un signal fort à l’ensemble
d’exécuter des engagements bien précis. des opérateurs économiques, nationaux ou étrangers et
confirme sa volonté de veiller au respect scrupuleux de
Les décisions relatives aux opérations de concentration l’ensemble des dispositions de l’arsenal juridique prévu en
sont publiées au Bulletin Officiel et diffusées sur le site du matière de droit de la concurrence .
conseil et du ministère de l’économie et de la gouvernance.
1. Sanctions du défaut de notification d’une opération
de concentration
Dès qu’une opération de concentration est contrôlable au
sens de articles 11 et 12 au sens de la Loi 104.12 elle doit

26 LETTRE D’ARTEMIS 2ème TRIMESTRE 2022


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N° 23 - 2 EME Trimestre 2022 BULLETIN TRIMESTRIEL D’INFORMATION JURIDIQUE ET FISCALE

1. Fiscal et comptable
OPTIMISATION FISCALE
ET ABUS DE DROIT :
Rôle de l’expert-comptable
et limites de son devoir
RÉDUCTION DU CAPITAL SOCIAL
DANS LA S.A ET LA SARL
2. Juridique
LE RÉGIME JURIDIQUE DU DROIT DE
LA CONCURRENCE AU MAROC
LA LOI 95-17 RELATIVE
À L’ARBITRAGE :
Avancées et lacunes

REGARDS SUR LE RAPPORT ANNUEL


DE LA COUR DES COMPTES
DIRIGEANT D’ENTREPRISE
ET CAUTION PERSONNELLE :
Une liaison dangereuse

Le défi premier de notre


système médiatique :
Se développer dans un marché
des contenus médiatiques
globalisé et digitalisé
MME LATIFA AKHARBACH
Présidente de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA)

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