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Stratégie et création de valeur

Maurice A. Saïas, Jean Greffeuille


Dans Revue française de gestion 2009/6 (n° 196), pages 113 à 130
Éditions Lavoisier
ISSN 0338-4551
ISBN 9782746225350
© Lavoisier | Téléchargé le 12/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.140.245.43)

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DOSSIER
MAURICE A. SAÏAS
JEAN GREFFEUILLE
IAE d’Aix-en-Provence, université Paul Cézanne

Stratégie et création
de valeur

Au moment où la crise économique frappe les entreprises,


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celles-ci doivent reconsidérer leurs modes de pensée et
d’action stratégiques. Plus que jamais la performance relative
sur les marchés financiers partagera gagnants et perdants. La
création de valeur pour l’actionnaire en ces périodes difficiles,
avec une extrême volatilité des cours, est un défi majeur qui
doit être au cœur de l’action stratégique. Il faut assainir et
renforcer les « fondamentaux » générateurs de cash-flow,
pivot de la survie, de la sortie de crise et moteur de la
consolidation ou des opportunités à saisir. Face à la crise la
meilleure assurance possible reste le montant de cash
disponible et son utilisation. Le dernier composant de la
création de valeur pour l’actionnaire, les « multiples », sera le
plus difficile à gérer. En effet, faire rêver les actionnaires au
moment où les marchés empêchent les investisseurs de
dormir n’est pas à la portée de tout le monde.

DOI :10.3166/RFG.196.113-130 © 2009 Lavoisier, Paris


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U
n grand nombre de responsables résistent que rarement à l’épreuve du temps
d’entreprise s’accorde pour dire (Peters, Waterman, 1997), au-delà même
que l’élaboration, formalisée ou des biais méthodologiques ou des effets de
non, d’une stratégie occupe une place très halo (Foster et Kaplan, 2001), dont ils peu-
importante sur leur agenda. Ils regrettent, vent souffrir. Ainsi, Foster et Kaplan (2001)
cependant, que les résultats ne soient pas à notent que seules 74 des 500 entreprises qui
la hauteur des efforts consentis et que la composaient le Standard & Poor Index
plupart des processus utilisés, trop souvent (S&P 500) en 1957 avaient survécu en
assujettis à des jeux politiques, engendrent 1997. De plus, entre 1957 et 1998, 12
peu d’idées nouvelles. Une enquête récente d’entre elles, seulement, avaient atteint des
(“Improving strategic planning : A McKin- performances supérieures au S&P 500.
sey Survey”, Web exclusive September Enfin, si en 2001 le S&P 500 avait été com-
2006) montre à quel point les démarches de posé des mêmes entreprises qu’en 1957,
planification stratégique mises en œuvre se son niveau aurait été de 20 % inférieur
révèlent peu adaptées aux exigences nou- chaque année. Jim Collins, dans un article
velles. Sur près de 800 dirigeants interro- accompagnant le plus récent classement des
gés, moins de la moitié (45 %) se déclarent Fortune 500, note que sur les 500 entre-
satisfaits et, moins du quart (23 %) consi- prises qui composaient la liste à l’origine en
dèrent que ces processus ont effectivement 1955, il n’en reste que 71 en 2008, alors que
servi de cadre aux décisions stratégiques les près de 2000 en ont fait partie, à un moment
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plus importantes. Comment s’en étonner, ou à un autre (Collins, 2008).
dès lors que la majorité de ces plans straté- Ainsi, parvenir au sommet des perfor-
giques ne sont, en réalité, que des budgets à mances économiques devient de plus en
3 ou 5 ans, plus ou moins détaillés ? Ils ne plus difficile et s’y maintenir, plus impro-
peuvent en rien être considérés comme une bable encore. Le cycle de vie des entre-
véritable stratégie, c’est-à-dire au tracé prises, lui-même, se raccourcit, les succès
d’une voie conduisant à un niveau fon- du passé ne garantissant en rien les résultats
damentalement plus élevé de performances. à venir.
Ces dernières, traditionnellement évaluées L’effet « Red Queen » (Carroll, 1994) selon
en termes économiques, financiers ou lequel : « il faut courir de plus en plus vite
concurrentiels, pour répondre aux attentes pour rester sur place » joue à plein. L’accé-
des actionnaires, des clients ou des concur- lération des changements et les turbulences
rents, doivent, de plus en plus souvent, inté- dans un environnement globalisé, leur
grer des métriques sociales, sociétales ou de amplitude, leur complexité et leur intrin-
comportement. sèque ambiguïté rendent obsolètes les
Le succès stratégique, face à des enjeux modèles et modes de pensée stratégiques
constamment renouvelés, s’avère de plus en traditionnels. Cependant, ces derniers
plus problématique, comme en attestent les continuent, encore trop fréquemment, à ser-
disparitions d’entreprises : fusions, acquisi- vir de guides pour l’action. Un véritable
tions, démembrements, faillites ou autres, hiatus se crée entre les modes d’analyse ou
etc. Les conclusions des recherches sur la d’action encore en place et les exigences
réussite des entreprises performantes ne d’un monde qui change en permanence.
Stratégie et création de valeur 115

Ainsi, les outils utilisés avec succès au transformations, partielles ou totales, tous
cours des récentes décennies sont souvent les 3 ou 4 ans. Aujourd’hui, toutes ont inté-
inexploitables, voire dangereux pour des rêt à s’interroger. « Huit ou dix ans… de
choix stratégiques qui, par nature, sont des- nos jours, c’est le paradis » remarque
tinés à façonner l’avenir. L’action la plus Adrian Slywotzky, comme le confirment
pertinente aujourd’hui peut s’avérer catas- par ailleurs les diverses études du BCG sur
trophique demain, en raison de change- la création de valeur (BCG, 2006 ; 2008,
ments aussi radicaux que soudains. Il n’est 2003). La seule prévision fiable est que le
qu’à voir les turbulences auxquelles sont chaos va durer et qu’il est sage de s’y pré-
soumises les économies depuis juillet 2007 parer. Nous pouvons prétendre ignorer le
pour s’en convaincre, crise financière et chaos mais le chaos, lui, ne nous ignore pas.
crise économique aux évolutions et durée Parallèlement, et en premier lieu, malgré
imprévisibles. Combien de plans revus à l’abondance de publications, la pensée stra-
l’été 2008 à cause de la hausse du prix des tégique traverse une crise ; Gary Hamel
matières premières doivent l’être à nouveau parle de l’absence d’un réel corpus théo-
en fin d’année face à l’effondrement des rique (Hamel, 1997). Ensuite, une crise de
cours. Comme le faisaient remarquer, dés le leadership est incontestable, dans tous les
milieu des années 1990, Jack Welch et Herb domaines, publics et privés, et ce, à tous les
Keheller : « Dès que vous aurez mis le point niveaux. Plus il y a d’ouvrages écrits sur le
final à votre plan stratégique à 3 ou 5 ans, il sujet, plus il semble difficile de trouver de
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y a de fortes chances pour qu’il soit déjà véritables leaders. Le comportement dou-
obsolète. »1 teux de quelques-uns a entamé la crédibilité
Tout aussi préoccupant apparaît le désarroi de l’ensemble des dirigeants : origines
de certains dirigeants qui perdent pied face publiques et privées de la crise financière de
à ces changements : « Le modèle écono- 2007, parachutes dorés, rémunérations des
mique qui a fait notre succès pendant des dirigeants incontrôlées, fraudes, etc. Enfin,
décennies s’avère, aujourd’hui, incapable les exigences à court terme des actionnaires
d’assurer notre rentabilité. » reconnaît Bill réduisent les marges de liberté pour les
Ford en 2005 ; « notre manière de concevoir décisions stratégiques. Il devient, dès lors,
nos activités a cessé d’être rentable et nous légitime de s’interroger sur la nature des
n’avons aucune idée de ce qu’elle devrait pratiques stratégiques, sur leur possible
être » admet le P-DG de cette autre entre- évolution et sur leurs conséquences. C’est
prise qui figure parmi les cinq premières précisément l’objet de cet article, en limi-
dans le classement de Fortune Magazine, la tant l’analyse aux composantes écono-
même année… miques et concurrentielles de la stratégie, et
Quelle est, en ce début du XXIe siècle, la plus spécialement aux impératifs de la créa-
durée de vie d’un « modèle économique » ? tion de valeur pour l’actionnaire. Plusieurs
Récemment encore, rares étaient les entre- auteurs s’attachent, ailleurs, à discuter les
prises qui devaient envisager de radicales aspects sociaux, sociétaux et de comporte-

1. Interview de Jack Welch et Herb Kelleher dans Fortune Magazine.


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ment de la stratégie ; variables qui seront stratégie comme le BCG, McKinsey, AT


assurément amenées à devenir des éléments Kearney ou IBM.
déterminants de la réussite concurrentielle
et financière au cours des années à venir.
I – LA CRÉATION DE VALEUR
En théorie la stratégie d’une entreprise
POUR L’ACTIONNAIRE
doit mobiliser ses ressources financières,
ses capacités organisationnelles et les La création de valeur se mesure communé-
avantages concurrentiels de ses diverses ment par le TSR (Total Shareholder Return)
composantes afin d’accroître la valeur c’est-à-dire par la somme de la variation du
créée pour les investisseurs. Aucune entre- prix de l’action (capitalisation boursière) et
prise ne peut se permettre d’ignorer les du dividende reçu (politique de distribu-
marchés de capitaux et la manière dont les tion). La croissance rentable (profitable
investisseurs évaluent son capital. En pra- growth), est généralement considérée
tique, cependant, les stratégies ne sont que comme la clé de la création de valeur, à
rarement élaborées sur la base de la créa- long terme. Plus de vingt ans de recherches
tion de valeur. Même si cette dernière ne ont mis en évidence cette relation qui s’ap-
doit pas être la seule préoccupation des puie sur des observations statistiques
dirigeants, la symbiose entre stratégie et s’étendant sur des périodes plus ou moins
création de valeur reste indéniable. En longues et différentes (Mc Grath et al.,
effet, la création de valeur a un impact 2001 ; Smit et al., 2005 ; BCG, 2006 ; IBM,
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positif qui dépasse très largement le cercle 2004).
des actionnaires : pour les autorités L’étude d’A.T. Kearney (figure 1) révèle
publiques, elle signifie des prélèvements que la croissance du chiffre d’affaires
fiscaux plus importants et moins de trans- explique 78 % de la création de valeur (défi-
ferts sociaux liés au chômage ; pour les nie comme la croissance de la capitalisation
employés, une plus grande sécurité d’em- boursière corrigée des variations des capi-
ploi, de meilleurs salaires et des opportu- taux propres), et les résultats financiers
nités de carrière ; pour les consommateurs, (EBIT, Earnings Before Interest and Tax)
de meilleurs produits et des évolutions de 22 % (McGrath, 2001).
prix mieux contrôlées ; enfin, pour la McKinsey (Smit et al., 2005), de son côté,
société en général, des entreprises ayant à travers deux études, met en évidence une
une capacité accrue à intégrer les respon- forte corrélation entre croissance du chiffre
sabilités sociales et sociétales. d’affaires et TSR, d’une part, et une impor-
Notre contribution se borne à essayer de tante relation entre survie et croissance,
comprendre comment une stratégie d’entre- d’autre part. La première, sur la période
prise engendre de la valeur et comment le 1994-2003, porte sur les 75 entreprises les
marché des capitaux la monétise, en nous plus importantes en termes de chiffre d’af-
plaçant dans le cadre d’entreprises multi- faires et les 75 plus grosses capitalisations
activités, cas les plus fréquents aujourd’hui. boursières (après élimination des doublons
Pour ce faire, nous utilisons les travaux de il en reste 102). Dans la deuxième, les
quelques grands cabinets de consultation en auteurs cherchent à déterminer l’évolution
Stratégie et création de valeur 117

Figure 1 – Analyse statistique des variables liées à la création de valeur

Source : A. T. Kearney Value-Building Growth Database.

des performances sur une période plus très proche, toutes les matrices proposées
longue, utilisant les mêmes critères (75 et pour « classer » les performances prennent
75 en 1984) en comparant les performances en compte la croissance du chiffre d’af-
sur deux cycles : 1984-1993 et 1994-2003. faires (top line growth), d’une part et celle
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Les conclusions sont édifiantes. D’une part, de la valeur créée pour l’actionnaire,
la croissance explique un peu plus de 60 % d’autre part. Seule la terminologie varie
du TSR. D’autre part, les entreprises dont la (figures 2 et 3).
croissance est inférieure à celle du PIB sur La relation indiscutable, au moins pour le
toute la durée d’un cycle ont 5 fois plus de premier quartile des entreprises les plus
chances de disparaître que les entreprises performantes, reste soumise à quelques
ayant un taux de croissance supérieur au conditions. Tout d’abord le rendement des
PIB. capitaux investis, doit être supérieur au coût
Le BCG et IBM (BCG, 2006 ; IBM, 2004), moyen pondéré du capital. Ensuite, la crois-
sur d’autres périodes et à partir d’échan- sance ne doit entraîner aucune érosion des
tillons différents en arrivent à des conclu- marges ou de la rentabilité des capitaux
sions identiques en ce qui concerne le rôle investis. Ce n’est pas seulement l’absence
de la croissance du chiffre d’affaires pour de rentabilité de la croissance qui fait réagir
expliquer les différences de création de les investisseurs mais également la crois-
valeur, même si les résultats chiffrés varient sance « insuffisamment » rentable. Enfin, la
quelque peu. Une étude portant sur des croissance, élément moteur de la création
entreprises françaises aboutit aux mêmes de valeur à long terme, est loin d’en consti-
conclusions (Challenge, 2008). tuer le principal déterminant à court terme.
À partir de ces observations, une typologie Il est parfois indispensable de créer de la
des performances des entreprises ou de valeur à court terme, en augmentant la ren-
leurs activités a été élaborée. D’inspiration tabilité par exemple, pour obtenir le droit
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Figure 2 – La matrice de croissance de A. T. Kearney


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Figure 3 – La matrice de croissance de McKinsey
Stratégie et création de valeur 119

d’engendrer de la croissance et, en consé- citement le coût du capital. Cependant, ils


quence de la valeur, à long terme. Loin de ignorent l’impact que peuvent avoir les dif-
s’opposer, court et long termes se complè- férentes initiatives liées à la croissance sur
tent. L’ensemble de ces conditions contri- les attentes des investisseurs. Cet impact
bue à expliquer pourquoi il est possible de doit être pris en compte au risque de pour-
voir le TSR augmenter sans avoir engendré suivre des pistes de croissance qui, certes,
de la croissance ou d’engendrer de la crois- engendrent un gain par action (EPS) plus
sance sans être récompensé par les marchés élevé ou éventuellement des valeurs
financiers. actuelles nettes (NPV) positives mais qui
Il convient également de s’attacher aux pro- n’optimisent pas ou, même, détruisent de la
grès que pourraient réaliser les entreprises valeur pour l’actionnaire. En effet, diffé-
qui, bien que ne faisant pas partie du quar- rents types d’actionnaires ont des priorités
tile supérieur, placeraient le TSR au cœur différentes en ce qui concerne le TSR, dif-
de leur processus de décision stratégique. férentes attitudes par rapport aux risques, et
Pour cela il est nécessaire de bien com- donc, différentes attentes face à la crois-
prendre les déterminants du TSR. sance. La croissance peut détruire de la
valeur tout aussi facilement qu’elle peut en
créer.
II – LES DÉTERMINANTS DU TSR
Les dirigeants avisés savent que l’utili-
Les deux éléments constitutifs du TSR, sation du TSR comme mesure de la perfor-
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évolution du prix de l’action et dividende mance est optimale quand elle repose sur
perçu par l’actionnaire, fondent sa supé- une bonne compréhension de ses consti-
riorité par rapport à d’autres critères de per- tuants. Ignorer ou sous estimer les
formance tels le EPS (earning per share) ou variables déterminantes pour l’évolution
ceux qui s’appuient exclusivement sur le du prix de l’action ou les réactions liées à
« cash », CFROI (cash-flow return on la répartition du cash-flow peut engendrer
investment), CROCI (cash return on capital des attentes irréalistes dans l’entreprise et
invested) ou CVA (cash value added). Le chez ses investisseurs.
TSR intègre toutes les dimensions du sys- Une analyse plus fine des deux éléments
tème de création de valeur. constitutifs du TSR s’impose donc. Pour ce
L’EPS, construction comptable sujette à faire nous retenons la méthodologie élabo-
manipulations, permet de justifier tout rée par le BCG (BCG, 2006). McKinsey a
investissement ayant un taux de rendement également construit un modèle qui, bien
supérieur au coût de la dette, quand bien que reposant sur une argumentation assez
même ce taux serait inférieur au coût différente, aboutit à des résultats compa-
moyen pondéré du capital. rables (Deelder et al., 2008).
Les indicateurs reposant sur le cash-flow
reflètent beaucoup mieux la réalité écono- 1. L’évolution du prix de l’action
mique. Au-delà des profits comptables, ils Il dépend de deux types de variables : celles
mesurent le cash réellement engendré par qui touchent aux « fondamentaux » c’est-à-
l’entreprise et de plus ils incorporent expli- dire à la valeur intrinsèque de l’entreprise,
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valeur actuelle et future de ses différentes tion boursière et de la dette, au résultat i.e.
activités, et celles qui se rapportent à la à l’EBITDA.
manière dont les marchés monétisent ces Tôt ou tard toute entreprise qui a connu une
« fondamentaux » c’est-à-dire aux attentes période de croissance rapide est condamnée
des actionnaires appréciées à travers les à voir son « multiple » se réduire et tendre
« multiples de valorisation ». vers la moyenne du marché, avec une prime
boursière qui, elle-même, tend vers zéro.
Les « fondamentaux » Par ailleurs, une partie de la prime échappe
Ils recouvrent l’ensemble des variables qui au contrôle de l’entreprise car elle est liée à
se trouvent au cœur de la gestion de valeur des facteurs tels que la croissance du PIB,
(value management) et constituent la valeur l’attrait du secteur, etc. En fait, la valeur
sous-jacente des activités de l’entreprise absolue du « multiple » a moins de perti-
c’est-à-dire la valeur actualisée des futurs nence que sa valeur relative, c’est-à-dire sa
cash-flows estimés à partir des marges, de comparaison avec celle des concurrents. La
l’efficacité dans l’utilisation du total des valeur relative dépend d’éléments tels que :
actifs (fixes et circulants), de la croissance atteindre systématiquement les objectifs
et du coût du capital. Pour évaluer les « fon- annoncés, être leader sur ses marchés, déve-
damentaux », le BCG (2006) a recours à lopper des marques reconnues et fortes,
des variables de substitution, combinant la construire et maintenir un capital intellec-
croissance du CA et l’évolution des marges tuel reconnu, etc., qui restent sous le
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pour obtenir la croissance de l’EBITDA contrôle de l’entreprise. En fait, les
(Earnings Before Interest, Tax, Amortiza- variables qui déterminent les « multiples »
tion and Depreciation). Parmi ces « fonda- peuvent être regroupées en quatre catégo-
mentaux » la croissance du chiffre d’af- ries : variables de croissance comme par
faires, si les conditions mentionnées exemple la croissance du chiffre d’affaires ;
précédemment sont respectées, représente variables de rentabilité comme la marge
l’élément déterminant du TSR à long terme. brute ; variables de durée (« fade factor »)
qui captent la confiance que les investis-
Les attentes des actionnaires seurs ont de voir la croissance et la rentabi-
ou « multiples de valorisation » lité actuelles se poursuivent dans le futur ;
Elles se reflètent dans la prime boursière enfin des variables de risque, comme le
mesurée par la différence entre le cours de risque relatif qui pèse sur les futurs cash-
l’action sur le marché et celui qui ressorti- flows de l’entreprise. Le niveau du « mul-
rait de l’analyse de la valeur des seuls « fon- tiple » d’une entreprise peut faciliter ou
damentaux » de l’entreprise. Elle se mesure handicaper sa stratégie. Un « multiple »
par des « multiples », dont les métriques élevé peut servir de monnaie d’échange
peuvent varier selon les industries ou la commode pour une politique d’acquisi-
situation particulière d’une entreprise. Le tions, alors qu’un faible « multiple » rendra
BCG (2006) retient comme « multiple » le l’entreprise vulnérable face à une attaque
ratio de la valeur de l’entreprise sur le mar- conçue pour en prendre le contrôle. Enfin
ché, c’est-à-dire la somme de la capitalisa- les attentes des actionnaires influencent for-
Stratégie et création de valeur 121

tement les évolutions à court et moyen création de valeur. La modification de l’une


termes du TSR. des trois composantes peut avoir un impact
sur les autres. Pour le choix d’une stratégie,
2. Le cash-flow libre (Free cash-flow) il est donc impératif de comprendre leurs
Améliorer les « fondamentaux » se traduit interactions ainsi que les liens entre les
par un accroissement du cash. Comment dès variables qu’elles recouvrent, afin de s’as-
lors utiliser ce cash ? Faut-il le réinvestir surer que les actions entreprises se renfor-
pour nourrir la croissance (organique ou cent mutuellement au lieu de se contre-
externe) ou le distribuer au profit des créan- carrer. L’intelligence des interactions
ciers et/ou des actionnaires sous forme de constitue la première étape d’un processus
remboursement de la dette, de dividende ou qui doit aboutir à l’élaboration d’une straté-
de rachat d’actions ? Ces décisions de gie centrée sur la création de valeur. Une
répartition du cash-flow ont des consé- création de valeur supérieure à la moyenne
quences directes et indirectes sur le TSR. Le favorise l’accès à des capitaux moins coû-
dividende, par exemple, a un impact direct teux, encourageant ainsi stratégies de crois-
puisqu’il est l’un des éléments constitutifs sance ou de consolidation. Elle favorise
du TSR. Il a aussi un effet indirect car déci- également l’obtention des ressources néces-
der une augmentation du dividende peut saires pour améliorer le service aux clients
être perçu par les actionnaires comme un et attirer les meilleurs talents séduits par la
signal de réduction du risque et par consé- notoriété ou les conditions offertes. La
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quent peut contribuer à l’accroissement du création de valeur participe ainsi à la
« multiple ». Mais il faut aussi s’attacher à construction d’avantages concurrentiels
l’origine du financement du dividende qui essentiels pour les résultats à venir. Encore
n’est pas neutre. Un financement par la faut-il qu’au-delà des stratégies d’activités
dette peut avoir un effet négatif car il remet et de portefeuille, de véritables politiques
éventuellement en cause les dividendes financières soient élaborées et que les
futurs. De même une distribution qui se objectifs et priorités des investisseurs soient
ferait aux dépens d’investissements promet- réellement pris en compte.
teurs peut contribuer à réduire les divi- La stratégie de l’entreprise repose, en pre-
dendes ultérieurs. Le plus souvent, cepen- mier lieu, sur les choix au sein de chaque
dant, une politique de distribution du activité. Chaque activité a sa propre straté-
cash-flow a un impact positif, car elle force gie qui repose sur des avantages concurren-
l’entreprise à améliorer ses « fondamen- tiels existants ou à construire. Le rôle de la
taux », en incitant les dirigeants à accroître stratégie d’entreprise est, ensuite, de com-
les profits et à choisir les projets les plus biner ces stratégies d’activités de manière à
rentables. ce que la valeur de l’ensemble soit supé-
Ainsi, les « fondamentaux », les attentes rieure à la simple addition des valeurs
des actionnaires (les « multiples ») et la créées par chacune d’entre elles. Quel est le
répartition du cash-flow font partie inté- rôle que remplit une activité dans la créa-
grante de la dynamique d’un système de tion de valeur de l’entreprise et quelle est la
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logique qui lie l’ensemble des activités fai- capitaux évalueront correctement le porte-
sant de l’entreprise leur « propriétaire natu- feuille d’activités ?
rel » ? Ces deux questions doivent trouver
une réponse dans la stratégie de l’entre-
III – VERS DE NOUVEAUX MODES
prise. Toute réponse ambiguë ou obscure
DE CHOIX STRATÉGIQUES
est pénalisée par les marchés, les investis-
seurs s’interrogeant sur la contribution de Traiter en parallèle stratégie d’activité et
chacune des activités à la création de valeur. d’entreprise, stratégie financière et stratégie
De plus la stratégie de l’entreprise doit faire d’investisseurs au lieu de les considérer
évoluer la composition du portefeuille car séparément forme la base de nouveaux
les activités arrivées à maturité ne créent modes de choix stratégiques conduisant à
plus assez de valeur pour les actionnaires. de nouvelles pratiques. Les politiques
L’entreprise doit donc réduire le poids de financières ainsi que les objectifs et priori-
ces activités dans son portefeuille et en tés des investisseurs ont des implications
développer ou acquérir d’autres dont le importantes pour les stratégies et récipro-
potentiel de création de valeur soit plus quement. Ainsi prenons l’exemple d’un
élevé du fait des capacités opérationnelles, investissement dans une nouvelle activité
financières ou de « parenting » existantes. prometteuse de croissance et dont le rende-
Ce dilemme entre, d’un côté, la défense du ment est supérieur au coût du capital. La
cœur historique des activités et de l’autre, le question est de savoir si, malgré tout, il
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développement organique ou externe, d’ac- n’aurait pas été plus judicieux de distribuer
tivités nouvelles, demeure, aujourd’hui, le cash réinvesti aux actionnaires. Les
l’un des plus importants défis stratégiques entreprises surendettées ou sous-évaluées,
auxquels sont confrontées les entreprises ou celles qui souffrent d’un « multiple »
occidentales face à la montée en puissance plus faible que leurs concurrents ont sou-
de la concurrence en provenance des pays vent intérêt à accroître leur « multiple » et
émergents. donc leur TSR en distribuant le cash aux
La stratégie d’entreprise, c’est aussi, le pro- investisseurs ou en remboursant leurs
cessus par lequel les dirigeants élaborent dettes. Tout choix d’investissement doit être
leur politique financière et communiquent comparé aux autres utilisations possibles du
avec leurs investisseurs de manière à opti- capital. Ceci ne peut être fait qu’en inté-
miser la valeur réalisée sur la base de ses grant politique financière et stratégie d’acti-
activités. vité et d’entreprise. De même tenir compte
Quelle est la structure du capital idéale pour des priorités des investisseurs fait intégrale-
la société ? Quelle part du cash-flow engen- ment partie de la stratégie.
dré doit être réinvestie et quelle part distri- Ainsi, les nouveaux modes de choix straté-
buée aux actionnaires sous forme de divi- giques s’articulent autour des stratégies
dendes ou de rachat d’actions ? Comment la liées aux « fondamentaux », des stratégies
part du cash-flow réinvestie doit-elle être liées aux « multiples », des stratégies liées
répartie entre les différentes activités ? au cash-flow, et des stratégies liées au choix
Comment s’assurer que les marchés de des investisseurs.
Stratégie et création de valeur 123

1. Les stratégies liées plusieurs formes avec des effets différents.


aux « fondamentaux » Le développement de nouveaux produits ou
Le choix entre croissance et rentabilité est marchés a le plus fort rendement en matière
le premier écueil sur la route des décideurs. de création de valeur, de l’ordre de 1,75 à 2
Bien évidemment engendrer une croissance (McKinsey 2007, 2004)2. L’expansion vers
rentable reste le principal objectif à long des marchés adjacents a également un effet
terme. Mais la route pour l’atteindre peut positif bien qu’inférieur au précédent, de
s’avérer chaotique. McKinsey (McKinsey l’ordre de 0,30 à 0,75. La recherche du
2007, 2004) a tenté d’apporter quelques maintien ou de l’augmentation de la part de
éléments de réponse. Pour les entreprises marché, dans un marché en croissance, a un
dont la rentabilité des capitaux employés rendement qui se situe entre 0,10 et 0,50.
est élevée, mettre l’accent sur une crois- Enfin, la recherche de parts de marché dans
sance supérieure à celle du marché plutôt un marché stable obtient des rendements
que sur un accroissement de rentabilité a un très faibles, voire devient destructrice de
effet positif sur le TSR. Dans les matrices valeur.
des figures 2 et 3 il s’agit de faire passer les Bien que répondant aux exigences de ren-
activités ou entreprises des positions de dement par rapport au coût du capital ou à
« TSR performers » ou « Profit seekers » à la rentabilité actuelle, certaines initiatives
celles de « Growth giants » ou « Value gro- de croissance peuvent représenter aux yeux
wers ». Si la rentabilité est moyenne, les des investisseurs un risque qui ne corres-
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entreprises ne peuvent pas se permettre de pond pas à leurs attentes, et se traduire par
voir s’effriter leurs performances en un impact négatif sur le « multiple ». Par
matière de croissance de chiffre d’affaires exemple l’introduction d’une activité nou-
ou de rentabilité. Celles, enfin, dont la ren- velle dans un portefeuille dont les compo-
tabilité est faible doivent, avant toute ini- santes sont en phase de maturité peut, à la
tiative de croissance, améliorer le rende- fois cesser de satisfaire les investisseurs
ment des capitaux investis. Par ailleurs, les actuels et ne pas encore satisfaire des
entreprises dont la stratégie repose essen- actionnaires intéressés par une croissance
tiellement sur la croissance, doivent réaliser jugée toujours insuffisante.
qu’elle ne peut être obtenue à n’importe
quelle condition. En effet, les voies de la 2. Les stratégies liées aux « multiples »
croissance ne sont pas toutes équivalentes Les « multiples » représentent la part de
par rapport à la création de valeur. Il est rêve que les dirigeants font naître, à court
admis que la croissance externe (M&A) a terme, chez les investisseurs. Mais, il faut
souvent un effet négatif sur la création de éviter de voir le rêve à court terme se trans-
valeur et que les problèmes rencontrés lors former en cauchemar à long terme. Rêve
des phases d’intégration détruisent de la car un TSR élevé reflète les ambitions que
valeur. La croissance organique, souvent partagent les dirigeants avec les action-
mieux perçue, se présente, elle-même, sous naires chaque fois qu’ils présentent leurs

2. McKinsey appelle ce rendement « l’intensité de création de valeur » définie comme la création de valeur pour
l’actionnaire par unité monétaire (dollar, euro, etc.)
124 Revue française de gestion – N° 196/2009

résultats passés et annoncent les résultats à ment du taux de croissance est lié au cycle
venir. Le prix de l’action sur le marché de vie de l’activité et s’accompagne, du fait
intègre les taux de croissance et de rentabi- de pressions concurrentielles plus fortes,
lité passés et attendus. Pour que le « mul- d’un affaiblissement des marges. Le cash-
tiple » augmente ainsi que le cours de l’ac- flow va souffrir. L’effet combiné de la dété-
tion et donc le TSR, l’entreprise doit rioration des « fondamentaux » et des
« surprendre », positivement, les action- attentes joue sur le « multiple », le prix de
naires en réalisant des performances supé- l’action et le TSR. Tôt ou tard, toute entre-
rieures à celles qui sont déjà incorporées au prise qui a connu une phase de croissance
prix actuel. Ces nouvelles performances rapide devra faire face à une compression
seront à leur tour intégrées au prix de l’ac- de son « multiple ». Ce phénomène naturel
tion qui pour continuer à progresser exigera peut-il être évité ou enrayé ?
des performances encore supérieures. Le Les dirigeants sont enclins à penser que les
moulin tourne de plus en plus vite. Quand « multiples » échappent en grande partie à
une entreprise surpasse les attentes des leur contrôle, car ils dépendent de facteurs
investisseurs, non seulement le marché exogènes à l’entreprise tels que les condi-
réagit en faisant monter le prix de l’action tions économiques générales, l’état et l’at-
mais encore il fait tourner le moulin plus trait des secteurs d’activité, les secousses
vite. Une entreprise avec un taux de crois- géopolitiques, les tendances démogra-
sance et de rentabilité élevés peut ainsi se phiques et socio-économiques, les poli-
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voir pénalisée sur le marché par rapport à tiques fiscales, l’environnement réglemen-
un concurrent qui a obtenu des résultats taire, etc. S’ils ont raison en ce qui
inférieurs. Le moulin de la première est en concerne la valeur absolue des « multiples
phase de décélération alors que celui de la », leur valeur relative, quant à elle, reste for-
seconde accélère. Le ralentissement, toute- tement influencée par les actions des diri-
fois, est difficile à éviter, les « multiples » geants. Le coût du capital, le caractère plus
tendant à long terme vers la moyenne du ou moins risqué des activités, l’origine et
marché, le « fade factor ». Le BCG a ana- l’utilisation du cash-flow, les perspectives
lysé sur une période de 10 ans l’évolution de croissance, les politiques financières, la
des « multiples » de près de 2 400 sociétés vision des dirigeants et leur crédibilité, la
mondiales ayant une capitalisation bour- stratégie de portefeuille, la force des
sière supérieure à 1 milliard de dollars. marques, etc. sont autant de variables qui
Seules 6 % d’entre elles ont réussi à obtenir agissent sur les « multiples » et restent sous
un « multiple » plus élevé que la moyenne le contrôle de l’entreprise. Il y en a bien
de leur marché local pendant 8 ans et une d’autres. Leur nombre et la complexité de
seule pendant toute la période de 10 ans leurs interrelations rendent plus difficiles
(BCG, 2008). Les raisons en sont simples. les choix stratégiques et leur mise en
Quand une entreprise grandit et que son œuvre. Le BCG a suggéré une typologie de
chiffre d’affaires augmente, à partir d’une stratégies possibles en fonction d’une part,
certaine taille le taux de croissance diminue de la valeur des « fondamentaux » et
ce qui entraîne quasi automatiquement une d’autre part, de l’importance de la prime
réduction du « multiple ». Le ralentisse- boursière (figure 4).
Stratégie et création de valeur 125

D’un côté il faut trouver des activités à fort une priorité pour développer le potentiel de
taux de croissance, en surpassant les croissance.
attentes des actionnaires ou au moins en en Les « Underperformers » n’ont pas d’autre
limitant le déclin, de façon à prolonger la choix que de se concentrer sur les « fonda-
croissance du « multiple » et du prix de mentaux » : rentabilité d’abord, croissance,
l’action. ensuite, en essayant de convaincre les
D’un autre coté il est possible d’opter pour actionnaires de la possibilité d’un redresse-
une stratégie sacrifiant une partie de la ment radical. Les « Optimistes » ont déjà
croissance au profit d’autres priorités fait une partie du chemin en améliorant la
comme, par exemple, l’accroissement des rentabilité grâce à des efforts de producti-
marges de manière à faire évoluer les résul- vité et à une restructuration de leur porte-
tats plus fortement que le chiffre d’affaires. feuille. Ils peuvent alors se concentrer sur la
C’est au moment où les « multiples » sont croissance afin de ne pas décevoir les
au plus haut qu’il faut agir en pensant à l’in- attentes des investisseurs, éventuellement
évitable ralentissement, en utilisant un prix par le rachat d’une entreprise parmi les
d’action élevé pour prendre le contrôle « Champions ignorés ». Ces derniers n’ont
d’entreprises dont l’action est plus faible- pas la confiance des investisseurs ; ils ne les
ment appréciée, ses potentiels de croissance font plus rêver. Soit le moulin tourne trop
et de rentabilité incomplètement exploités vite et les « fondamentaux » bien que
et où l’avantage « parental » du repreneur solides laissent planer un doute sur la capa-
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s’affirme clairement. C’est aussi le moment cité de l’entreprise à les améliorer substan-
favorable pour modifier la structure du por- tiellement, et donc sur la crédibilité des
tefeuille en y incluant des activités émer- dirigeants, soit la politique de communica-
gentes ou de construire un portefeuille tion avec les actionnaires est déficiente,
d’initiatives (18) destiné à contrecarrer les signe d’une transparence insuffisante. Une
baisses de « multiple » ultérieure. L’ampli- autre solution consisterait à sortir du mar-
fication des capacités d’innovation devient ché. Les « Consolidateurs » doivent,

Figure 4 – Matrice de l’espérance de prime

Source : BCG.
126 Revue française de gestion – N° 196/2009

comme nous l’avons vu précédemment, uti- marchés servis, est une base solide pour
liser leur prime boursière stratégiquement élaborer une stratégie d’entreprise. Être à
puisqu’ils disposent d’une monnaie court de cash pour financer la croissance
d’échange, le prix de l’action, qui leur per- induira une augmentation de l’endettement
met d’accroître leur périmètre et de prépa- ou un appel à l’actionnariat, toujours pro-
rer un éventuel atterrissage en douceur de blématique quand les ressources mobili-
leur « multiple ». Croissance externe et sables par l’entreprise apparaissent insuf-
croissance interne sont recommandées dans fisantes. Avoir un taux de croissance
ce cas ; il faut en profiter pour construire soutenable largement supérieur au taux de
une position dominante. croissance possible sera tout aussi pénali-
En bref une stratégie de « multiple » ne fait sant car trop de liquidités vont se lancer à
que renforcer un certain nombre de mes- la poursuite d’un nombre réduit d’occa-
sages familiers. À court et à long terme sions d’investissement. L’intensité de la
bien gérer le portefeuille d’activités, créer concurrence rend alors plus aléatoire toute
des initiatives de croissance pour chaque création de valeur s’appuyant sur la crois-
activité, atteindre l’excellence opération- sance interne. La croissance externe n’est
nelle, utiliser les services du siège de pas plus aisée, un plus grand nombre de
manière optimale et avoir une stratégie qui prédateurs pourchassant un nombre limité
permette de choisir ses investisseurs. de proies. Pour faire face à cette situation
les entreprises ont recours à la distribution
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3. Les stratégies liées au cash-flow de dividendes ou au rachat d’actions, mais
Elles doivent être abordées sous trois le problème n’est pas résolu pour autant,
angles : le premier est le montant du cash, le bien que le TSR puisse augmenter. En
deuxième tient à la structure du capital, effet, la concurrence est devenue plus
endettement par rapport aux capitaux aiguë avec l’arrivée de nouveaux entrants
propres, le troisième enfin, a trait à l’utili- tels que les sociétés de capital investisse-
sation du cash, soit le garder au bilan, soit ment (private equity firms) dont la part sur
le réinvestir, soit encore le distribuer ? En le marché des acquisitions s’est considéra-
cas de distribution, faut-il rembourser les blement accrue jusqu’en 2007. En réalité,
dettes, augmenter les dividendes ou rache- d’importantes réserves de liquidité, un
ter ses actions ? cash-flow disponible trop élevé ou une
Elles impliquent l’imbrication étroite des capacité d’endettement sous-utilisée ont
stratégies financières, d’entreprise et un impact négatif sur le TSR et exposent
d’activités. Assurer l’équilibre entre le l’entreprise à d’éventuels prédateurs dont
cash engendré à travers les « fondamen- font partie les « private equity ».
taux » et le cash requis pour financer la Le dilemme pour les dirigeants est de déci-
croissance future est le premier défi. La der soit d’investir dans toute opportunité de
comparaison entre le taux de croissance croissance dont la rentabilité est supérieure
soutenable, le taux qui correspond aux au coût du capital même au prix d’une
ambitions des dirigeants et celui qui réduction de la rentabilité actuelle, en étant
résulte de la croissance organique sur les pénalisés à court terme par les investis-
Stratégie et création de valeur 127

seurs, soit de maintenir le niveau de renta- Reste à choisir le mode de distribution des
bilité actuelle en renonçant en partie à des liquidités : dividende ou rachat d’actions.
investissements préparant la croissance à La plupart des entreprises font appel aux
long terme mais dont la rentabilité à court deux, simultanément ou séquentiellement.
terme est inférieure. De nos jours, une L’impact d’une distribution sur le TSR sera
entreprise a souvent intérêt à utiliser son différent selon qu’il s’agisse d’un fait épi-
capital pour créer de la valeur à court terme sodique ou d’une pratique plus systéma-
afin de se garantir le droit de créer de la tique. Dans le premier cas le TSR ne sera
valeur à long terme. Maximiser la flexibi- pas profondément modifié et le choix sera
lité en conservant des liquidités pour de essentiellement lié au traitement fiscal de
futures occasions de croissance n’est pas chaque mode. Dans le second, en revanche,
toujours prudent. En effet, longtemps l’impact est important et dépend du mode
considérée comme le signe d’un bilan de distribution retenu.
solide, ce type de flexibilité est aujourd’hui Le rachat d’actions présente deux avantages
perçu comme un signe de paresse. Les incontestables. Il est flexible car ne s’inscri-
liquidités constituent de plus en plus sou- vant pas dans la durée et a un effet arithmé-
vent un piège. En comparant le taux de ren- tique immédiat sur le gain par action (EPS).
dement des liquidités au coût du capital ou Mais comme nous l’avons vu précédem-
au TSR moyen, il est facile de comprendre ment, le gain par action n’a que peu d’in-
la réaction des investisseurs : un taux de fluence sur les « multiples ». Quand il en a,
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rendement des liquidités de 3 %, comparé à encore faut-il savoir comment il a été
un coût du capital autour de 10 % ne peut obtenu ; il peut augmenter alors que la
satisfaire les actionnaires. Dans ce cas, valeur intrinsèque, les « fondamentaux »,
mobiliser des capacités d’endettement reste stable. Les signaux émis en ce qui
sous-utilisées pour leur rendre une partie concerne la rentabilité à long terme ou les
des liquidités oisives (« leverage payout ») objectifs de création de valeur pourront
contribuera à un abaissement du coût du avoir sur le prix de l’action un tel effet
capital, à un meilleur « multiple » et à un négatif, qu’il efface l’effet positif de l’ac-
TSR supérieur. Dans d’autres cas, toute- croissement du gain par action. Paradoxale-
fois, disposer d’une réserve de liquidité ment, les investisseurs qui vendent leurs
peut être bénéfique : en période de réces- actions sont mieux récompensés que ceux
sion économique ou quand se présente une qui les conservent.
opération de rachat, par exemple, les liqui- Les dividendes, comme l’ont montré des
dités permettent de mieux absorber les études récentes, ont un impact très large-
chocs ou d’agir plus rapidement. Décider ment supérieur au rachat d’actions sur les
du montant approprié de liquidités, ni trop « multiples » et le TSR (BCG, 2007 ;
ni pas assez, trouver une répartition équili- Hansell et Olsen, 2003 ; Dobbs et Rehm,
brée entre réinvestissement et distribution, 2005). Ils sont moins aléatoires que les
optimiser la structure du capital sont au rachats d’actions car il est rare qu’une entre-
centre des stratégies conduisant à des TSR prise se permette de réduire considérable-
plus élevés. ment les dividendes distribués d’une année
128 Revue française de gestion – N° 196/2009

sur l’autre. Leur caractère plus sûr fidélise investors), de ceux qui décident en fonc-
les investisseurs actuels, notamment les tion de critères et règles « mécaniques »
fonds d’investissement qui intègrent les strictes, déléguant leur pouvoir à l’ordina-
dividendes dans leurs stratégies de porte- teur (mechanical investors) et enfin des
feuille, et en attirent de nouveaux qui privi- « traders » qui s’intéressent essentielle-
légient le long terme. ment aux gains à court terme (Palter et al.,
Les stratégies financières devraient donc 2008 ; Jiang et Koller, 2007).
aider l’équipe de direction à choisir la Étant donné que c’est le TSR relatif qui
structure du capital qui optimise le coût du importe le plus et que, en fin de compte, les
capital, la part des liquidités qui doit être actionnaires sont les juges de paix qui déci-
distribuée et la manière de le faire, la flexi- dent si les décisions et les actions des diri-
bilité financière optimale pour assurer la geants créent de la valeur, il est recom-
croissance dans le futur. mandé de comparer la composition de son
actionnariat face à celui des concurrents.
4. Les stratégies liées Quels sont nos principaux investisseurs par
au choix des investisseurs rapport aux leurs ? Nos actionnaires sont-ils
Les investisseurs n’ont pas tous les mêmes en accord avec notre stratégie ? Quelles
attentes. Leurs attitudes et comportements politiques mettre en place pour faire migrer
face au risque, à la croissance, à la rentabi- notre actionnariat afin d’obtenir une
lité varient très sensiblement. La plupart meilleure adéquation entre nos ambitions et
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des entreprises se retrouvent face à des nos investisseurs ? Ignorées pendant très
actionnaires de profils différents avec des longtemps ces questions doivent aujour-
priorités divergentes voire conflictuelles. d’hui trouver des réponses sous peine de ne
Pour faciliter l’élaboration d’une stratégie pas obtenir les moyens nécessaires pour
d’investisseurs les praticiens et les réaliser les ambitions des dirigeants et de
chercheurs s’accordent pour penser qu’il l’entreprise.
convient de les segmenter, comme on le fait Stratégie et création de valeur se rencon-
pour les consommateurs. trent aux croisements des objectifs de crois-
Plusieurs segmentations ont été suggé- sance, des routes choisies pour les
rées. La plus traditionnelle distingue les atteindre, de l’horizon temps envisagé, de la
investisseurs qui recherchent la valeur flexibilité et de la politique financières, de
(value investors), les opposant à ceux qui la composition et de la gestion du porte-
sont plus enclins à privilégier la crois- feuille, de l’attitude face au risque et de la
sance (growth investors) et enfin, au capacité à « choisir » ses investisseurs.
milieu, ceux qui sont attirés par la crois- Ainsi, conception, choix et coordination
sance à un prix raisonnable (growth at dans la mise en œuvre des stratégies liées
reasonable price/GARP investors). Cette aux « fondamentaux », aux « multiples » et
segmentation traditionnelle a été critiquée au cash-flow constituent, aujourd’hui les
et une autre typologie a été proposée. Elle impératifs du succès stratégique. Il n’est
différencie les investisseurs qui recher- nullement besoin d’insister sur le caractère
chent la valeur intrinsèque (intrinsic éminemment complexe de ces choix de
Stratégie et création de valeur 129

même qu’il n’est pas difficile de com- met le mieux de répondre aux espoirs des
prendre les conséquences de mauvais choix. différents acteurs.
Mettre au cœur de la stratégie d’entreprise Elle permet de gagner quand tout va bien et
(activités et portefeuille) la création de de moins souffrir quand l’environnement
valeur à court et à long terme est probable- est moins porteur. Pour y arriver il faut
ment, de nos jours, la source la plus solide d’abord faire l’effort de comprendre ce
et la plus durable d’avantages concurren- qu’ont été les composants historiques du
tiels, celle qui permet de transformer les TSR et de construire les moteurs de la
ambitions et rêves en réalités, celle qui per- croissance future.

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