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social « d’humanisation des hôpitaux ». Cette réforme, promul-
guée par ordonnance par le premier gouvernement de la cinquiè-
me République, avait suscité une violente opposition de la majo-
rité des médecins hospitaliers qui imposèrent la création à l’hôpital
d’un secteur privé à honoraires libres. Cette réforme progressiste
permit de rattraper le retard de la France en modernisant l’ensem-
ble des hôpitaux locaux ou régionaux où vinrent travailler à plein
temps les médecins qui avaient été formés dans les grands CHU.
Elle garda une force propulsive jusqu’au début des années 1980.
À partir de là, ses limites et ses manques se firent de plus en plus
sentir. Le plein temps hospitalier eut pour revers la coupure de la
médecine hospitalière avec la médecine de ville qui restait dominée
par la pratique ancienne de la médecine libérale solitaire en cabinet.
Les progrès scientifiques et techniques poussaient à l’hyperspéciali-
sation, marginalisant la médecine interne (s’intéressant aux mala-
dies dites systémiques, aux maladies rares et aux pluri-pathologies)
et la médecine générale. Pour être reconnue, celle-ci dut elle-même
devenir une spécialité. L’enseignement était délaissé. Il visait plus
à former les futurs spécialistes hospitaliers qu’à préparer les étu-
diants en médecine à leur prochain exercice professionnel en ville.
Les enseignants généralistes, non sans mal, franchirent la porte de
la faculté. La triple mission était devenu une fiction, les publica-
tions des travaux de recherche faisaient les professeurs (PUPH), si
bien que pour assurer les activités quotidiennes de soins on créa en
1980 le corps des praticiens hospitaliers non universitaires (PH non
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veaux managers occupèrent. Ainsi se mit progressivement en place
à l’hôpital à partir de la fin des années 90 un management entrepre-
neurial de marché.
L’hôpital-entreprise
La promotion de l’hôpital-entreprise se fit, en effet, à la fin
du siècle dernier sous la bannière conceptuelle moderniste de la
« médecine industrielle ». Des médecins ultraspécialisés, comme
le chirurgien Guy Vallancien, et des économistes libéraux, comme
Claude Le Pen, ont expliqué que la médecine devenait industrielle.
Le développement de la médecine scientifique permettait, disaient-
ils, d’édicter des recommandations que les médecins traitants réduits
au statut d’ingénieurs ou de techniciens supérieurs n’avaient qu’à
appliquer. Médecine industrielle, médecin-ingénieur et donc hôpi-
tal-entreprise. Les exemples mis en avant pour illustrer le concept
portaient sur les gestes techniques standardisés, programmés, tels
que la chirurgie ambulatoire, la pose de stents coronariens ou de
pace-makers, ou encore la dialyse rénale. Cette vision technico-
scientifique faisait l’impasse sur l’épidémie des maladies chroniques
touchant en France 21 millions de personnes, les maladies com-
plexes ou rares, la réanimation et les urgences, ainsi bien sûr que
sur les épidémies infectieuses. La COVID a montré les limites de la
technologie pour modifier les comportements humains et bloquer
la circulation du virus, en même temps qu’elle a révélé l’ineptie du
concept d’hôpital-entreprise et nos carences anciennes en matière
de santé publique. Point n’est besoin de rappeler ici nos ratés sur
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pouvant éventuellement faire faillite et être racheté par des chaînes
de cliniques commerciales. La règle n’était plus le « juste soin pour
le patient au moindre coût pour la collectivité (règle de la Sécurité
sociale) » mais la recherche des activités rentables pour l’établisse-
ment. Le malade devenait un client. On lui vendait les chambres
seules et l’on passait contrat avec la société Happytal pour lui pro-
poser des prestations de « conciergerie hospitalière ». On souhaitait
développer le « tourisme médical » international. Pour les profes-
sionnels, le contrat individualisé modulable avec prime d’intéresse-
ment devait remplacer le statut, par définition « trop rigide ». Il
fallait pouvoir s’adapter au mercato des professionnels ayant des
activités jugées rentables pour l’établissement (orthopédistes, uro-
logues, ophtalmologistes, anesthésistes, radiologues, manipulateurs
radio, néphrologues-dialyseurs, cardiologues-interventionnels…)
À hôpital-entreprise, gouvernance d’entreprise. C’est ce
qu’instaura la loi HPST de Roselyne Bachelot en 2009. Désormais,
il n’y aurait qu’un seul maître à bord, le directeur, pouvant venir
du secteur privé et sans compétence en santé publique. La loi sup-
primait le service, lieu d’exercice de l’équipe de soin, médicale et
paramédicale. Les services rebaptisés « structures » devaient laisser
la place et le pouvoir aux pôles de gestion. Le plus souvent hétéro-
gènes, sans réelle cohérence médicale, les pôles permirent la mutua-
lisation des personnels paramédicaux d’une « structure » à l’autre.
Les cadres de santé devinrent des relais de l’administration et des
gestionnaires de plannings. Polyvalence, transversalité et mobi-
lité devinrent les valeurs cardinales. L’hôpital-entreprise dirigé par
un « manager » allait développer des « business plans » et mettre
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de gestion des complémentaires santé sont de 7,5 milliards, dépas-
sant ceux de la Sécu (7,3 milliards), alors que les complémentaires
ne remboursent que 13 % des soins contre 78 % pour la Sécurité
sociale. Les assurances dites complémentaires (AMC) sont à la fois
moins solidaires et moins égalitaires et, finalement, beaucoup plus
chères que l’assurance maladie obligatoire (AMO).
Cependant la réalisation du projet nécessitait d’avancer pas
à pas, sans réel débat et en quelque sorte « dans le dos de la démo-
cratie ». Compte tenu des rapports de force sociaux, il paraissait en
effet risqué d’aller plus vite et plus loin dans cette dérégulation com-
merciale de la Santé. À défaut d’un marché libre avec ses inégalités,
il fallait créer un marché administré avec un budget contraint et des
tarifs fixés par l’Etat. On transforma donc l’objectif national des
dépenses de santé (ONDAM), voté chaque année par le parlement
depuis 1995 (Loi Juppé) et qui n’était jusque-là qu’un objectif, en
un budget contraint et donc régulé. Alors que les dépenses de santé
augmentaient structurellement d’environ 4 % par an en raison des
progrès médicaux, du vieillissement de la population, de l’épidémie
des maladies chroniques, de l’évolution des revenus des profession-
nels et de l’accroissement des coûts de gestion, le budget de la santé
n’augmenta en moyenne que de 2,4 % (et celui de la psychiatrie de
seulement 1,2 %). Et après la crise économique de 2008, il fallut
limiter un peu plus l’évolution de la dotation. La rigueur cumulée se
transforma en austérité et l’austérité prolongée entraîna la pénurie.
Cependant la contrainte était beaucoup plus difficilement imposa-
ble à la médecine de ville qu’à l’hôpital. En effet, la régulation de la
médecine de ville relève d’un accord conventionnel entre la Sécurité
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l’activité hospitalière, Marisol Touraine baissa à nouveau les tarifs
de 0,9 % et Agnès Buzyn continua en 2018 en baissant encore les
tarifs de 0,5 %. On comprit alors que le véritable ministre de la
Santé n’était pas Avenue de Ségur mais à Bercy. En 2019 arriva ce
qui devait arriver : crise des urgences, crise de l’épidémie de bron-
chiolite où il fallut transférer des dizaines de nourrissons en ambu-
lance SMUR à plus de 200 kilomètres de Paris en raison des lits fer-
més faute de personnels, démission de plus de 1000 chefs de service
et responsables d’unité… L’hôpital-entreprise était à bout de souffle
quand survint la pandémie de COVID-19 qui balaya le dogme du
management entrepreneurial de marché qui prétendait « transfor-
mer l’hôpital de stock en hôpital de flux ». Pas de stock, du flux !
Pour les lits hospitaliers, comme pour les masques et comme pour
les médicaments.
La première vague de l’épidémie de COVID-19 submergea
« l’hôpital-entreprise » : plus question de T2A, plus question « d’ef-
ficience », plus question de « gains de productivité », plus question
de « pôles de gestion » et plus question de parts de marché à dispu-
ter au privé, mais des équipes de soins solidaires et une administra-
tion au service du soin, bref un fonctionnement de service public au
service du public. Et en même temps une remotivation spectaculaire
des soignants. C’est alors que le président Macron déclara lors de
son discours devant l’hôpital militaire de campagne de Mulhouse
que la santé était un bien supérieur qui devait échapper aux lois
du marché et que l’État-Providence était une chance plus qu’un far-
deau. Le jour d’après ne sera pas le retour au jour d’avant, affir-
mait-il. Et pour convaincre de sa conversion, il ajoutait : « nous
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lité ». Le paiement non pas à la qualité mais aux indicateurs de la
qualité poursuit la même logique marchande, comme si la qualité
en médecine était un plus, aléatoire, et non le but du soin (« nos
prix s’entendent par la qualité »). On va donc créer des indicateurs
de qualité et les managers demanderont aux soignants de soigner
les indicateurs plutôt que les malades, comme l’ont bien montré les
exemples anglais et américain du pay for performance (P4P). En
réalité, la qualité ne relève pas de la politique comportementaliste
du bonus/malus, carotte et bâton, mais d’une vraie politique com-
prenant : un plan national pour améliorer la pertinence des soins,
des professionnels en nombre suffisant, formés et stables, travaillant
en équipe et pratiquant l’autoévaluation et le retour d’expériences.
Des professionnels ayant des liens structurés avec ceux travaillant
en amont et en aval. Des professionnels pratiquant une médecine de
la personne, biomédicale mais aussi psychologique et sociale et tra-
vaillant en partenariat avec des « patients ressources » (le « patient
ressource » aide les patients atteints de maladies chroniques en dif-
ficultés. Il prolonge le modèle ancien des alcooliques anonymes.
Il est aujourd’hui intégré à l’équipe de soins). La qualité doit être
évaluée notamment par les usagers. La motivation intrinsèque des
professionnels doit être encouragée par la publication des évalua-
tions qui fait la renommée mais pas par le malus financier des uns
qui fait le bonus des autres. Le Ségur n’a rien changé au millefeuille
bureaucratique, il va seulement replâtrer une nouvelle fois, c’est à
dire pour la troisième fois, ladite « gouvernance » pour la rendre
formellement plus participative et moins directive. Et le Président a
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professionnels. Il faut donc redéfinir les relations entre les services
publics de santé et les fournisseurs industriels privés de la santé en
commençant par leur imposer une transparence totale des coûts de
production et décider la fin des visites médicales promotionnelles.
Il convient également d’exiger la constitution de stocks stratégiques
de médicaments essentiels et de dispositifs médicaux indispensa-
bles pour assurer la continuité des traitements et la sécurité sani-
taire. Les prix des médicaments vitaux (comme les vaccins contre
la COVID-19) doivent permettre un accès universel. Il faut que
soit créé à l’échelle nationale (puis dans d’autres pays européens)
un établissement public organisant la production à prix coûtant des
médicaments et des dispositifs médicaux qui, passés dans le domai-
ne public et n’étant plus considérés comme suffisamment rentables
par l’industrie pharmaceutique, subissent des pénuries répétées.
Il faut rétablir la loi Veil de 1994, abrogée en 2018. Cette
loi oblige l’État à rembourser intégralement à la Sécurité sociale les
exonérations de cotisations sociales décidées par le gouvernement,
en général au nom de la « défense de l’emploi ». Les revenus de la
Sécurité sociale doivent être sanctuarisés et ses ressources étendues.
La contribution sociale généralisée (CSG) doit être progressive. La
cogestion de la Sécurité sociale doit se faire dans le respect de l’équi-
libre des comptes entre les recettes et les dépenses. Ce choix fonda-
mental de société ne peut pas continuer à échapper au débat démo-
cratique : faut-il dépenser plus ou moins (et mieux) pour la santé ?
En effet, si la régulation des dépenses de santé ne se fait pas par le
marché, elle doit se faire dans le cadre d’une démocratie rénovée
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les intercurrentes. Il devrait être soumis à la concertation citoyenne
lors des conférences de santé et donner lieu, avant le vote par le par-
lement, à une grande négociation unifiée entre la Sécurité sociale,
les représentants des professionnels de ville et de l’hôpital en pré-
sence des représentants des usagers.
Les Agences régionales de santé (ARS) doivent être gérées par
des professionnels de santé publique. Les plans régionaux de santé
doivent être élaborés en concertation avec les élus territoriaux et
soumis au vote des collectivités territoriales, dont il faut étendre les
pouvoirs en matière de santé en déterminant les financements cor-
respondants. Un objectif partagé entre les collectivités territoriales
et les ARS doit être la lutte contre les déserts médicaux territoriaux
ruraux ou périurbains, auxquels il faut ajouter les « déserts finan-
ciers » provoqués par le manque de médecins installés en secteur 1,
c’est-à-dire sans dépassements d’honoraires. Les Agences régiona-
les de santé doivent remplacer la concurrence entre établissements
publics et privés par une planification assurant la possibilité pour
chacun d’accéder à une prise en charge au tarif remboursé par la
Sécurité sociale. Les salaires des professionnels des hôpitaux publics
doivent être similaires à ceux pratiqués dans les ESPIC (établisse-
ments privés à but non lucratif) pour éviter la poursuite du mer-
cato actuel introduisant une concurrence contraire aux principes de
service public. L’émulation/compétition entre hôpitaux publics et
établissements privés à but non lucratif doit être basée sur les condi-
tions de travail conditionnant la qualité des soins.
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Le paiement à l’acte et la T2A poussent à la multiplication
des actes, des prescriptions et des hospitalisations pas toujours
nécessaires. Vingt à trente pour cent des actes seraient injustifiés,
aboutissant à une médicalisation de la vie, tout symptôme entraî-
nant la prescription d’examens complémentaires et de médicaments.
De nombreux actes invasifs chirurgicaux ou médicaux varient de 1
à 3 d’un département à l’autre, sans explication autre que le nom-
bre variable de spécialistes qui y exercent. La pertinence des soins
nécessite une mobilisation générale de l’ensemble des acteurs – les
professionnels de santé, leurs syndicats et leurs sociétés savantes, les
associations de patients, les médecins conseils de la Sécurité sociale,
la Haute autorité de santé, les enseignants en médecine, les profes-
sionnels paramédicaux, les Académies – pour mettre en place des
études comparatives (entre pays, entre départements et entre éta-
blissements), développer un plan de communication et décider d’ac-
tions concertées et évaluées.
2) Il faut construire un véritable service public de la médecine
de proximité où les professionnels du soin (médecins généralistes,
infirmières, kinés, sages-femmes, pharmaciens et médecins spécialis-
tes) travaillent en équipe, en lien avec les travailleurs sociaux. C’est
la condition pour que les patients ne soient pas obligés d’utiliser les
urgences hospitalières comme substitut au médecin traitant et pour
éviter des hospitalisations inutiles pour le suivi de patients atteints
de maladies chroniques. À cela deux conditions : (i) un convention-
nement spécifique avec la Sécurité sociale pour les professionnels
travaillant en équipe pluri-professionnelle dans les centres de santé,
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jet médical et à son évaluation. Ainsi ne verra-t-on plus de patients
passer des heures, voire des jours, allongés sur des brancards dans
les services d’urgence dans l’attente d’un lit dans un service adapté
à la prise en charge de leur pathologie. Il faut créer des services de
médecine polyvalente en aval des urgences, ayant en permanence
des lits vides. On ne paie pas les pompiers seulement quand il y a
le feu ! La base de l’hôpital doit redevenir le service dont l’équipe
médicale et paramédicale doit retrouver un pouvoir de décision
dans le respect du principe de subsidiarité, sans bien sûr en reve-
nir au pouvoir monarchique d’un chef de service à vie. De même,
la perspective de carrière offerte aux infirmières ne peut plus être
seulement celle de cadre de santé gestionnaire. Il faut développer
le statut d’infirmiers cliniciens (dits de « pratique avancée ») dans
toutes les spécialités, à l’exemple des infirmiers anesthésistes, avec
une valorisation des acquis d’expérience, un statut et une revalori-
sation salariale significative. Le projet de service doit être validé par
l’équipe médicale et paramédicale du service ainsi que par la com-
munauté soignante de l’établissement. Tout pouvoir de gestion doit
être limité dans le temps et comprendre des contre-pouvoirs. Les
grands centres hospitaliers, en particulier les CHU mais pas exclusi-
vement, doivent aujourd’hui assurer une quintuple mission, de soin,
d’enseignement, de recherche, de gestion et de santé publique. La
recherche doit être urgemment revalorisée étant entendu que cette
quintuple mission ne peut pas être assurée par une seule personne,
mais peut l’être par des équipes. Les missions de chaque profession-
nel doivent pouvoir évoluer avec le temps avec des valences d’ensei-
gnement, de recherche, de gestion et de santé publique. Il faut donc
sur ce point revoir la réforme Debré pour lui rester fidèle. C’est son
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