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L'Art du discours des cabinets de conseil en stratégie Le cas

de la matrice BCG aux États-Unis entre 1969 et 1981


Olivier Mamavi, Romain Zerbib
Dans Question(s) de management 2014/2 (n° 6), pages 29 à 37
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.142.0029
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L’Art du discours des cabinets de conseil en stratégie
Le cas de la matrice BCG aux États-Unis entre 1969 et 1981
Discursive strategies of consulting firms.
The case of bcg matrix between 1969 and 1981

Olivier MAMAVI & Romain ZERBIB

Résumé n n Summary

La présente étude a pour objet de décrypter le discours The aim of this study is to understand the advertising
promotionnel des cabinets de conseil en stratégie en vue speech of strategy consulting firms to impose their offer on
d’imposer leur offre sur les marchés. La littérature souligne markets. Many studies demonstrate that managers adopt a
que les managers adoptent une pratique en fonction de management practice according on technical and economics
critères d’ordre « technico-économique », mais également factors but also psycho-social ones. Analysis is focused on a
« socio-psychologique ». Notre hypothèse de recherche speech advertising a widespread practice which discursive
suppose, par conséquent, que les cabinets ajustent leur elements are, materially and easily, accessible and cover the
discours en fonction de ces deux moteurs d’adoption, pour life cycle. The speech which answered most clearly these
renforcer la diffusion de leur dispositif sur le marché. Le three main factors was the one of Boston Consulting Group
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test se focalise sur un discours ayant fait la promotion d’une to broadcasting of its first Growth Share Matrix, in the United
pratique vastement diffusée, dont les éléments discursifs sont States between 1969 and 1981.
matériellement et facilement accessibles et couvrent le cycle
de vie complet du dispositif promu. Le discours qui a répondu n Keywords : influence, consulting firm, management
le plus distinctement à ces trois critères fut celui du Boston practice, diffusion.
Consulting Group en charge d’accompagner la diffusion de sa
première matrice de portefeuille, aux États-Unis entre 1969
et 1981.

n Mots-clefs : influence, cabinets de conseil, mode


managériale, diffusion.

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L’Art du discours des cabinets de conseil en stratégie

Introduction expressions ou significations similaires) révèle la


volonté des auteurs (Allard-Poesi et al., 2007). La
La présente étude a pour objet de décrypter le finalité étant d’appréhender au mieux les straté-
discours promotionnel des cabinets de conseil en gies discursives mises en œuvre par les cabinets
stratégie en vue d’imposer leur offre sur les mar- de conseil en stratégie en vue d’imposer leur
chés. La littérature souligne que les managers offre sur un marché.
adoptent une pratique en fonction de critères
d’ordre « technico-économique », mais égale- 1. Fondements théoriques
ment « socio-psychologique » (Midler, 1986 ; Nombre d’auteurs ont observé que, depuis un
Abrahamson, 1996 ; Abrahamson et Fairchild, siècle environ, de multiples pratiques de gestion
1999 ; Kieser, 2001 ; Giroux, 2008). Notre hypo- (management des connaissances, etc.) se sont
thèse de recherche suppose, par conséquent, succédé à intervalles plus ou moins régulier, pour
que les cabinets ajustent leur discours en fonc- orienter, de façon significative, les méthodes de
tion de ces deux moteurs d’adoption, en vue gestion des firmes du monde entier (Thévenet,
de renforcer la diffusion de leur dispositif sur le 1985 ; Abrahamson, 1996 ; Midler, 1986 ; Eps-
marché. Nous supposons plus particulièrement tein et Staw, 2000 ; Pascale, 1990, Kieser, 2001,
qu’ils démontrent que la pratique est simple et Zerbib, 2011). Une première explication suggère
efficace pour répondre aux besoins « technico- que les managers adoptent une pratique qu’ils
économiques » des managers, mais également estiment la mieux appropriée pour répondre, sim-
moderne et rationnelle pour répondre à leurs at- plement et efficacement, aux contraintes tech-
tentes d’ordre « socio psychologique » (Zerbib, niques auxquels ils sont confrontés. Greenwood
2011). Le test se focalise sur un discours répon- et Hinnings (1996) observent toutefois que cette
dant aux critères habituels des recherches acadé- explication n’est pas entièrement satisfaisante.
miques sur le discours des modes managériales, Notamment, parce qu’elle ne permet pas de com-
à savoir, un discours ayant fait la promotion d’une prendre pourquoi un grand nombre de managers
pratique vastement diffusée, dont les éléments
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adoptent, de façon quasi-simultanée, la même
discursifs sont matériellement et facilement pratique de gestion alors qu’ils appartiennent à
accessibles et couvrent le cycle de vie complet des secteurs d’activités différents, et sont sou-
du dispositif promu (Abrahamson, 1996 ; Kieser, mis à des logiques distinctes (Zerbib, 2011). Dans
2001 ; Giroux, 2008). Le discours qui a répondu ce cadre, Tolbert et Zucker (1983) estiment qu’il
le plus distinctement à ces trois critères fut celui convient de dépasser la vision selon laquelle
du Boston Consulting Group, en charge de favo- seule la valeur intrinsèque d’une pratique de ges-
riser la diffusion de sa première matrice de porte- tion déterminerait sa demande (Tolbert et Zucker,
feuille aux États-Unis entre 1969 et 1981. Il s’agit 1983 ; Bardon, 2007). Il conviendrait, autrement
d’un outil d’allocation des ressources fondé sur dit, de prendre à la fois en considération les élé-
le positionnement des domaines d’activités stra- ments d’ordre technico-économique (c’est-à-dire
tégiques en fonction de deux axes, que sont, la liés à la gestion de l’entreprise en tant que telle) et
part de marché relative, et le taux de croissance les éléments d’ordre socio-psychologique (liés au
du marché (Johnson et al., 2005). L’étude se
décideur en tant qu’individu) pour élucider ce phé-
focalise plus particulièrement sur une analyse
nomène (Tolbert et Zucker, 1983 ; Zerbib, 2011).
de contenu, autrement dit, un examen objectif,
Deux théories étudient, à l’aune de cette double
exhaustif, méthodique et quantitatif du discours
prise en compte, le mécanisme de diffusion
promotionnel, en vue d’en tirer ce qu’il contient
d’une pratique de gestion. Il s’agit de l’approche
de significatif (Bardin, 2001). Il s’agit d’une mé-
sociologique de la théorie néo-institutionnelle et
thode de classification, dans diverses catégories,
de la théorie des modes managériales (tableau).
des éléments du document analysé pour en faire
ressortir différentes caractéristiques, en vue d’en
1.1. Apports des théories néo-
mieux comprendre le sens exact et précis. Cette
institutionnalistes et des modes
méthode se propose, sans s’attarder sur le ma-
managériales
tériau textuel proprement dit, d’accéder directe-
ment aux significations des différents segments La théorie néo-institutionnelle est un cadre d’ana-
qui le composent (Lebart, 1998). Elle postule lyse né en 1977 avec les publications de Meyer
que la répétition d’éléments du discours (mots, et Rowan. Elle s’appuie sur des productions ins-

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titutionnalistes plus anciennes, élaborées par leur discours en fonction de ces deux moteurs
Selznick (1949), Parsons (1937) ou encore Com- d’adoption, autrement dit, qu’ils démontrent que
mons (1931). La théorie néo-institutionnelle par- la pratique est simple et efficace pour répondre
tage, avec la théorie des modes managériales, aux besoins « technico-économiques » des ma-
un doute quant à l’efficience économique des nagers, mais également moderne et rationnelle
comportements managériaux et la conviction pour satisfaire leurs attentes d’ordre « socio psy-
que les mouvements de masse finissent par chologique ».
se convertir en normes collectives (Bourgeois,
2006). La théorie des modes managériales est, 2. Méthodologie
pour sa part, née au milieu des années 1980
Pour mener à bien le test de validité, il a été
avec les travaux de Midler (1986) et d’Abraham-
jugé nécessaire de le centrer sur un discours
son (1986). La théorie des modes managériales
répondant aux critères habituels des recherches
analyse les phénomènes de diffusion à l’aune
académiques sur le discours des modes mana-
de la sociologie des modes, c’est-à-dire qu’elle
gériales. A savoir, un discours ayant fait la pro-
envisage l’adoption d’une pratique comme une
motion d’une pratique vastement diffusée, dont
marque de subordination aux normes sociales
les éléments discursifs sont matériellement et
(tableau).
facilement accessibles et qui couvre le cycle de
vie complet du dispositif promu. Le discours qui
1.2. Hypothèse de recherche
a répondu le plus distinctement à ces trois cri-
La littérature souligne que les managers adoptent tères fut celui du Boston Consulting Group, en
une pratique en fonction de critères d’ordre charge d’accompagner la diffusion de sa pre-
« technico-économique » mais également mière matrice de portefeuille aux États-Unis,
« socio-psychologique ». Notre hypothèse sup- entre 1960 et 1981. Le test s’est, plus particu-
pose, à cet égard, que les consultants ajustent lièrement, focalisé sur la revue Perspectives, car
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Tableau : Apports des théories néo-institutionnalistes et des modes managériales

La théorie néo-institutionnelle La théorie des modes managériales


L’institution : le comportement d’une organi- Le pouvoir d’attraction de la pratique : les
sation est soumis à un ensemble de normes, managers sont plus attirés par l’aspect nova-
de valeurs, de croyances et de définitions teur d’une pratique que par son contenu réel
(Suchman, 1985) qualifié de système de (Midler, 1986). Ce phénomène résulterait de
règles institutionnelles. Une pratique de ges- la pression exercée par les parties prenantes,
tion est dite institutionnalisée dès lors qu’elle afin que les managers usent de méthodes
est collectivement reconnue comme étant récentes, mécaniquement associées à des
en adéquation avec ce système (Tolbert et pratiques efficientes (Abrahamson, 1996;
Zucker, 1996). Abrahamson et Fairchild, 1999 ; Kieser ;
L’imitation : le comportement d’une organi- 2001).
sation est soumis à un phénomène de mimé- L’imitation : suivre une mode permettrait de
Principes tisme (Di Maggio et Powell, 1983). satisfaire deux types de pressions concur-
La légitimité : les organisations sont en rentes avec, d’un côté, le besoin de faire
quête de légitimité, c’est-à-dire, qu’elles preuve d’individualité, d’originalité et de mo-
recherchent une certaine forme de reconnais- dernité et, de l’autre, celui de se conformer
sance vis-à-vis de leur environnement (Tolbert aux normes, valeurs et croyances en vigueur
& Zucker, 1983; Suchman, 1995). Alvarez (Giroux, 2008).
et Mazza (2000) soulignent que la légitimité La persuasion : une communauté d’acteur
constitue une position d’acceptation sociale composé d’académiques, médias, gourous,
qui permet de ne pas être remis en cause et managers et consultants, participent au pro-
facilite l’accès aux ressources. tocole de production, diffusion et légitima-
tion d’une pratique de gestion à travers une
logique dite de mode managériale (Abraham-
son, 1991, 1996).

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L’Art du discours des cabinets de conseil en stratégie

le BCG communique activement par le biais de répondant à une signification commune. Une
cette publication depuis 1964. Le test de validité U.A. correspond à l’élément à partir duquel le
a ainsi eu pour objet d’évaluer si le BCG présen- découpage du contenu documentaire a été
tait ou non sa première matrice comme étant réalisé (Allard Poesi et al., 2007). Il s’agit d’une
simple, moderne, efficace et rationnelle dans le échelle de codage défini en termes d’articles, de
cadre de la revue Perspectives, aux États-Unis, paragraphes, de phrases entières ou de mots.
entre 1969 et 1981. Une analyse de contenu La phrase entière a été considérée comme
documentaire, fondée sur la méthodologie d’Al- étant l’unité d’analyse la plus précise et la mieux
lard Poesi et al., (2007), a permis de répondre appropriée au contexte de la présente étude.
à cette question. Elle suppose que la répétition L’U.A. paragraphe était, en effet, trop imprécise
d’éléments du discours (mots, expressions ou et l’U.A. mot recouvrait des significations diver-
significations similaires) révèle la volonté des gentes selon la nature et la position des phrases
auteurs (Allard-Poesi et al., 2007). Le protocole dans le texte. Les U.A. mot ou paragraphe
méthodologique repose sur une procédure com- auraient à ce titre réduit la reproductibilité des
posée de 6 étapes. résultats. Notre analyse de contenu documen-
La première étape a pour objet de sélection- taire prend également en compte les éléments
ner les articles de la revue Perspectives, édités de nature visuelle, à l’instar des schémas et
entre 1969 et 1981 sur le thème de la première des graphiques qui jalonnent le corpus. Les élé-
matrice BCG. Les archives disponibles sur le site ments visuels ont par conséquent été convertis
du Boston Consulting Group, ainsi que le soutien en U.A. phrase entière, afin d’établir une unité
des responsables Marketing & Communication de numérotation homogène nécessaire à l’ana-
de BCG Paris, ont permis d’obtenir la liste com- lyse quantitative des résultats (Bardin, 2001).
plète des articles parus dans la version améri- La troisième étape a pour objet de classer les
caine de la revue Perspectives entre 1969 et unités d’analyses, par l’intermédiaire de deux
1981 (soit 84 articles). La totalité de ces articles codeurs indépendants, au sein de catégories
a été intégrée au sein d’une base informatisée conceptuelles déterminées à priori en fonction
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en vue d’extraire les documents sur le thème de des éléments constitutifs de l’hypothèse de
la première matrice BCG. Autrement dit, seuls recherche. Les catégories conceptuelles (sim-
les articles comprenant au moins un des mots- plicité, modernité, efficacité et rationalité) ont
clefs ci-dessous ont été conservés. Il s’agit des ainsi fait l’objet d’intitulés, de définitions, de
mots et des expressions qui qualifient le plus références, de composantes et d’exemples,
couramment la première matrice BCG au sein précisément définis pour limiter les biais d’enco-
des articles de Perspectives. dages (encadré).
Liste des mots-clefs retenus : 3. Résultats
• Growth Share Matrix
• Matrix Les résultats (figure) témoignent que chaque
• Portfolio Planning catégorie conceptuelle comprend au moins
• Cash cow 35 U.A., soit 11 % du corpus documentaire.
• Dog La catégorie conceptuelle la plus importante
• Star fait référence à la simplicité avec 108 U.A., soit
34 % du corpus documentaire. Les autres caté-
Ce tri a permis de resserrer la masse documen- gories conceptuelles sont (en ordre fréquentiel
taire à 18 articles. Ces derniers ont ensuite été décroissant) : la modernité avec 25 % du cor-
analysés, un par un, en vue d’évaluer l’adéqua- pus documentaire (80 U.A.), la rationalité avec
tion de leur contenu avec le thème de l’étude. 16 % du corpus documentaire (49 U.A.), les
Un article a été jugé pertinent, dès lors qu’il autres thèmes avec 13 % du corpus documen-
contenait au moins dix phrases sur le thème de taire (42 U.A.) et l’efficacité enfin avec 11 % du
ladite matrice, soit un quart environ (24 %) du corpus documentaire (35 U.A.). Le poids cumulé
document. La nouvelle sélection a ainsi permis des quatre catégories conceptuelles représente
de retenir 5 articles qui constitueront le corpus 87 % du corpus documentaire, soit 272 U.A. La
documentaire de notre étude. fréquence d’apparition est, de fait, nettement
La deuxième étape a pour objet de coder ces supérieure aux 34 % requis pour assurer la vali-
5 articles en fonction d’unités d’analyses (U.A.) dation de l’hypothèse de recherche.

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Olivier MAMAVI & Romain ZERBIB

Encadré : Les 4 catégories conceptuelles. Source : Zerbib (2011)

A. Rationalité : La première catégorie conceptuelle fait référence à la rationalité. Abrahamson (1996), Abrahamson
et Fairchild (1999) ainsi que Kieser (2001) estiment que les managers adoptent des dispositifs appuyés sur des fon-
dements scientifiquement reconnus. C’est-à-dire qu’ils vont chercher à sécuriser leurs mouvements en utilisant, ou
en promouvant, des dispositifs de gestion répondant à des lois consensuelles, en accord avec les normes de ges-
tion collectivement admises. A ce titre, l’hypothèse de recherche postule que les cabinets de conseil démontrent,
dans le cadre de leur discours, que la pratique est rationnelle. C’est-à-dire, qu’elle est conforme à la raison et qu’elle
repose sur de bonnes méthodes. Concrètement, cela signifie que les cabinets font référence aux sciences, aux
théories, aux modèles, aux chiffres et aux mesures, pour justifier la rationalité du dispositif promu (Midler, 1986 ;
Kieser, 2001 ; Abrahamson, 1996 ; Giroux, 2007).
B. Simplicité : La deuxième catégorie conceptuelle fait référence à la simplicité. Midler et al. (1984), Midler (1986),
Pascale (1990), Abrahamson (1991, 1996) ainsi que Kieser (2001) estiment que les managers, en raison d’un impor-
tant manque de temps et d’une vaste offre en matière de produits de gestion, adoptent des dispositifs prêts à
l’emploi, présentant le minimum de contraintes pratiques. A ce titre, l’hypothèse de recherche postule que les
cabinets de conseil démontrent, dans le cadre de leur discours, que la pratique est simple. C’est-à-dire qu’elle
est facile à comprendre et à utiliser. Concrètement, cela signifie que les cabinets font référence aux certitudes et
logiques tranchantes, aux notices d’utilisation formalisées, aux vocables imagés et aux schémas pédagogiques, afin
de justifier la simplicité du dispositif promu (Midler et al., 1984 ; Midler, 1986 ; Pascale, 1990 ; Abrahamson, 1991,
1996 ; Kieser, 2001).
C. Efficacité : La troisième catégorie conceptuelle fait référence à l’efficacité. Abrahamson (1996) et Kieser (2001)
estiment que les managers, en raison de l’intensification de la concurrence et de la complexité croissante de l’envi-
ronnement, sont en quête de dispositifs performants, pour ne pas dire miraculeux. A ce titre, l’hypothèse postule
que les cabinets, conscients de ce phénomène, démontrent, dans le cadre de leur discours, que la pratique est effi-
cace. C’est-à-dire qu’elle produit l’effet qu’en attendent les managers. Concrètement, cela signifie que les cabinets
formulent des promesses de résultats, associent le dispositif au succès de firmes leaders et font référence à des
experts ayant validé l’intérêt de ladite pratique, pour démontrer l’efficacité du dispositif promu (Abrahamson, 1996 ;
Kieser, 2001).
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D. Modernité : La quatrième catégorie conceptuelle fait référence à la modernité. Abrahamson (1996), Abrahamson
et Fairchild (1999), ainsi que Kieser (2001) estiment que les managers adoptent des dispositifs nouveaux. C’est-à-
dire qu’ils vont chercher à sécuriser leurs mouvements en utilisant, ou en promouvant, des dispositifs de gestion
appuyés sur ce qui existe de plus récent pour améliorer la compétitivité des firmes. L’hypothèse postule que les
cabinets répondent à ce phénomène en démontrant, dans le cadre de leur discours, que la pratique est moderne.
C’est-à-dire qu’elle est en phase avec les problématiques actuelles et qu’elle bénéficie des progrès les plus récents.
Concrètement, cela signifie que les cabinets font référence à une nouvelle façon de penser et d’agir par le biais
d’un nouveau langage, de nouvelles règles, de nouveaux objectifs et de nouvelles problématiques pour démontrer
la modernité du dispositif promu (Abrahamson, 1996 ; Abrahamson et Fairchild, 1999 ; Kieser, 2001).
E. Autres thèmes : La dernière catégorie conceptuelle, intitulée « autres thèmes », fait référence aux unités d’ana-
lyses qui ne répondent pas directement aux catégories conceptuelles « simplicité », « modernité », « efficacité »
ou « rationalité ».
La quatrième étape a pour objet de mener un pré-test de fiabilité de codage. Il a été réalisé par le biais de deux
codeurs indépendants, sur un échantillon aléatoire représentant 9,55 % du corpus documentaire (soit 30 U.A.). Le
taux de fiabilité inter-codeurs a été établi à la fois sur la définition des règles de codage et sur la catégorisation des
unités d’analyses (Drucker Godar et al., 2007). Il a été mesuré sur la base du coefficient d’agrément Kappa défini
par Cohen en 1960. Ce coefficient permet d’évaluer l’accord entre codeurs, en y intégrant la probabilité d’un codage
similaire lié au hasard (Drucker Godar et al., 2007). Le test a donné lieu à un bon niveau d’accord (K = 0,91 %)
(Cohen, 1960). Allard Poesi et al., (2007) soulignent que Weber (1990) considère le taux relativement bon lorsqu’il
se rapproche de 0,80.
La cinquième étape a pour objet de réaliser un post-test de fiabilité de codage inter-codeurs sur l’ensemble du corpus
documentaire (314 U.A.). La catégorisation des unités a présenté un coefficient d’agrément Kappa de Cohen (1960),
variant de 72 % à 82 % selon les catégories conceptuelles. Ces coefficients, tous supérieurs à 0,70, témoignent de
la fiabilité du codage. Les éventuels biais de subjectivité, lié à l’encodage des données, ont toutefois été limités via
un coefficient de correction fondé sur la moyenne des résultats des codeurs A et B qui a été établi par Bardin (2001).
La dernière étape enfin, a pour objet d’opérer le traitement statistique à même de déterminer si le BCG a présenté,
ou non, sa première matrice comme étant simple, moderne, efficace et rationnelle au travers de sa revue Pers-
pectives. Les unités d’analyses ont donc été dénombrées pour déterminer le poids et la fréquence d’apparition de
chaque catégorie conceptuelle au sein du corpus documentaire. L’hypothèse, en dépit d’éléments comparables au
sein de la littérature, a été considérée valide à condition que la fréquence d’apparition de chaque catégorie concep-
tuelle (simplicité, modernité, rationalité et efficacité) soit supérieure ou égale à 8,5 % du corpus, soit un tiers (34 %)
du corpus total lorsqu’elles sont réunies.

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L’Art du discours des cabinets de conseil en stratégie

Figure : Poids (en U.A.) et fréquence d’apparition (en %)


des catégories conceptuelles au sein du corpus documentaire.

Source : Auteurs

Les résultats de l’étude indiquent que le BCG lisées » qui, à elles seules, représentent 30 %
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a bien démontré, dans le cadre de sa revue, du corpus documentaire. Le langage associé à
que sa matrice était simple, moderne, efficace la matrice BCG apparaît de fait caractérisé par
et rationnelle au regard de la théorie néo-insti- un simplisme et une imagerie symptomatique.
tutionnelle et de la théorie des modes mana- Le discours du cabinet s’efforce en effet de dé-
gériales. Le cabinet a, en effet, semblé agir en montrer que les firmes sont « Stars », « Cash
fin connaisseur des moteurs « technico-écono- Cows », « Question Marks » ou « Dogs » et,
miques » et « socio-psychologiques » qui, selon à chacune de ces dénominations, répond une
les néo-institutionnalistes et les théoriciens des modalité d’action formalisée en charge de main-
modes managériales, gouvernent la diffusion tenir ou encore d’améliorer la situation énon-
d’une pratique de gestion. 45 % des U.A. du cor- cée. Hapespelagh (1983) parle à ce propos de
pus répondent, en effet, à une logique d’ordre « sténographie managériale ». La finalité étant
« technico-économique » (simplicité et effica- d’incorporer le référentiel cognitif des managers
cité) et 41 % des U.A. répondent aux attentes et d’imposer son vocabulaire sur le marché.
d’ordres « socio-psychologiques » (modernité Le BCG utilise, en outre, une rhétorique axée
et rationalité) des managers. 87 % des U.A. du sur la « modernité », via les composantes « nou-
corpus documentaire répondent, à ce titre, à une velles règles » et « nouveau langage » qui, à
des catégories conceptuelles constitutives de elles seules, représentent 23 % du corpus docu-
l’hypothèse de recherche. mentaire. La littérature souligne que le discours
promotionnel a pour objet d’inciter les mana-
4. Discussion gers à abandonner leurs routines managériales
Les résultats de l’étude soulignent que le Bos- au profit de logiques nouvelles. Les cabinets
ton Consulting Group a plus particulièrement établissent, pour ce faire, de nouvelles défini-
orienté son discours autour de la notion dite de tions de la performance et du modernisme qui
simplicité, via une utilisation active de deux com- tendent à ringardiser les pratiques concurrentes
posantes spécifiques. Le discours use, en effet, (Abrahamson, 1991; Kieser, 2001, Johnson et
abondamment des « certitudes et logiques tran- al., 2005). L’élaboration d’un cadre conceptuel
chantes » et des « démarches à suivre forma- et d’une grammaire spécifique contribue à cette

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Olivier MAMAVI & Romain ZERBIB

manœuvre, en induisant un référentiel d’ana- Les firmes confrontées à une situation inter-
lyse qui se révèle, in fine, incompatible avec les médiaire, et conséquemment nécessiteuses en
méthodes établies (Zerbib, 2012). Morrison et termes d’ajustement organisationnel, devaient
Wensley (1991) parleront à cet égard de « mana- s’en remettre aux compétences du BCG, ou
gement rééducation ». assister à la déchéance de leurs acquis dans les
Les arguments d’inspiration scientifique, tels remous de la crise (Gouillart, 1993).
que les démonstrations statistiques ou encore “To be succesful, a company should
l’utilisation de modèles à consonance mathé- have a portfolio of products with different
matiques, permettent quant à eux d’ancrer le growth rates and different market share”.
discours dans une rationalité propice à une plus [Henderson, 1970].
grande légitimité [Berry, 1996 ; Pellegrin-Bou-
cher, 2004]. Berry (1996) affirme à cet égard “Only a diversified company with a ba-
que l’usage d’un vocable à tonalité rationnelle lanced portfolio can use its strenths to tru-
renforce le poids du discours du fait de la vive ly capitalise on its growth opportunities”.
autorité des chiffres et des mesures en mana- [Henderson, 1970].
gement. Le BCG a ainsi abondamment profité d’une
conjoncture (rupture tacite des règles du jeu,
“(…) is the cost of the mth item, m being choc pétrolier, inflation, etc.) et d’une concur-
the cumulative production at some earlier rence (amplification et intensification des per-
date; x is the ratio of experience at one cées dans les secteurs du jouet, du textile et
point in time to that at another, given de l’acier en particulier) en inadéquation avec la
in this case by njm; the exponent 6 is a situation d’une multinationale largement diversi-
parameter representing the learning rate, fiée, démunie de découpages conceptuels cohé-
which for a 95% experience curve has a rents et de modèles rationnels d’allocations des
vaiue of 0.074, and for a 60% experience ressources (Hedley 1977 ; Zerbib, 2012). Ce qui,
curve 0.738”. à la fin des années 60, constituait un quasi-stan-
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dard, en termes de modèle organisationnel, pour
les multinationales américaines.
Conclusion
Cette période, caractérisée par une remise en
cause des paradigmes établis et un affaiblisse-
Le langage utilisé, au-delà du simple fait de com- ment des consensus, a généré une demande de
muniquer des faits et des informations, joue un solutions nouvelles et efficaces (Zucker, 1987 ;
rôle essentiel, car il présente un caractère émi- Greenwood et al., 2002 ; Mignerat et Rivard,
nemment symbolique. Le BCG a ainsi dilué un 2006). La dimension temporelle a donc joué un
jargon ostensiblement technique, synonyme rôle déterminant dans l’efficacité du système
de rationalité, dans une rhétorique en appa- rhétorique élaboré par le Boston Consulting
rence claire et simpliste. Le fait, par exemple, Group (Carrance, 1988 ; Allouche et Schmidt,
de mettre en évidence les fondements théo- 1995). Le BCG via, une exagération des turbu-
riques et conceptuels du dispositif et de l’inti- lences conjoncturelles et une dramatisation des
tuler « Growth Share Matrix », relève d’une dé- risques qui leur étaient associés, a obscurci une
marche d’adhésion explicite, et par conséquent visibilité déjà marquée par l’imperfection inhé-
tactique, au système de règles institutionnelles rente au marché de la prestation de service. Le
en vigueur. Le BCG, dans le même temps, s’est but étant de générer un sentiment de perte de
efforcé d’accompagner les pratiques existantes contrôle favorable à une remise en cause des
en dehors du système, en établissant de nou- routines managériales (Villette, 2003 ; Zerbib,
velles définitions de la performance et du mo- 2012).
dernisme (Zerbib, 2012). La littérature néo-institutionnelle observe en
Le BCG a, en effet, généralisé l’idée selon effet que l’encouragement de dissonances est
laquelle la réussite émanait d’un ajustement un levier favorable à l’orientation des routines
entre le volume de production et le taux de managériales (Barthes, 1967 ; Warnier et Lecoq,
croissance du marché. Les positions découlant 2007). Plus le mouvement nécessaire à l’implan-
de segments non-compétitifs et non-attractifs tation d’un dispositif nouveau est d’une ampli-
devaient, à ce titre, conduire à d’imminentes et tude importante, plus les cabinets ont tendance
salutaires manœuvres de désinvestissements. à s’appuyer sur une crise réelle ou supposée par

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L’Art du discours des cabinets de conseil en stratégie

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Nous soulignerons, en guise de conclusion, que in THIETART, R.A., Méthodes de recherche en ma-
la rhétorique du BCG, en démontrant que sa nagement, 3e ed., Dunod.
matrice était capable de répondre aux besoins EPSTEIN, L., STAW, B. (2000), What band wa-
« technico-économiques », mais également gons bring : effects of popular management tech-
« socio-psychologiques », a probablement pré- niques on corporate performance, reputation, and
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mais surtout renforcé la légitimité du dispositif FRANÇOIS et al. (2004), Business sous in-
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