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La transformation digitale : quel rôle pour la fonction RH ?

Cas de l’entreprise publique sotu.com


Afef Chouaib
Dans Recherche et Cas en Sciences de Gestion 2020/2 (N° 18), pages 47 à 69
Éditions EMS Editions
ISSN 2646-6546
DOI 10.3917/rcsg.018.0047
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LA TRANSFORMATION DIGITALE :

n°18
QUEL RÔLE POUR
LA FONCTION RH ?

RCSG
CAS DE L’ENTREPRISE PUBLIQUE SOTU.COM

Afef CHOUAIB
Université de Sfax
Laboratoire LARIME (Laboratoire
de Recherche Interdisciplinaire sur
les Mutations des Economies et des
Entreprises, ESSEC de Tunis)
afef.chouaib@escs.usf.tn

RÉSUMÉ ABSTRACT
Avec l’amplification des technologies de l’informa- With the amplification of information and communi-
tion et de la communication (TIC) et le dévelop- cation technologies (ICT) and the exponential deve-
pement exponentiel de leurs usages (applications, lopment of their uses (applications, platforms, etc.),
plateformes, …), le monde s’est engagé depuis une the world has been engaged for a decade in a third
décennie dans une troisième révolution : « une ré- revolution: “a revolution technological”. Tipped
volution technologique ». Basculées dans une « ère into a “digital era”, companies face unprecedented
digitale », les entreprises affrontent des transforma- transformations that are accelerating and disrupting
tions inédites qui s’accélèrent et bouleversent leur their functioning and their managerial systems. The-
fonctionnement et leurs systèmes managériaux. Dès refore, the company must transform itself, promote
lors, l’entreprise doit se transformer, promouvoir les new uses and encourage new practices. To support
nouveaux usages et encourager les nouvelles pra- it in these transformations, it is essential that the HR
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tiques. Pour l’accompagner dans ces transforma- function assume a driving role to support this digital
tions, il est essentiel que la fonction RH endosse change and this at two levels: at the level of the HR
un rôle moteur d’accompagnement de ce change- function itself for the transformation of its processes
ment digital et ce à deux niveaux : au niveau de la and at the level of the whole company to support
fonction RH elle-même pour la transformation de the transformation of habits, organization, values,
ses processus et au niveau de toute l’entreprise pour skills, trades and uses,… By analyzing the case of
accompagner la transformation des habitudes, de the company Sotu.com, we underline the limits of
l’organisation, des valeurs, des compétences, des a “purist technological determinism” of digital and
métiers et des usages,…Le cas SOTU.com propo- propose to reflect on the driving role of the HR func-
sera de souligner les limites d’un « déterminisme tion in driving the potential transformations that can
technologique puriste » du digital et de réfléchir sur result from it.
le rôle moteur de la fonction RH dans la conduite Keywords: digital transformation, organizational
de la transformation digitale. change, HR function, public company.
Mots-clés : transformation digitale, changement
organisationnel, fonction RH, entreprise publique.

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Articles académiques
n°18

INTRODUCTION
Avec l’engouement du numérique, la digitalisation des entreprises devient
RCSG

un enjeu vital de compétitivité, pour répondre aux nouveaux défis d’innova-


tion, d’agilité, de collaboration et d’expérience-utilisateur. Automatisation
des processus, intelligence artificielle, Big Data, réalité virtuelle, sont autant
de technologies qui font progressivement leur apparition dans l’entreprise
et vont transformer de manière spectaculaire sa façon de travailler, d’inte-
ragir et de décider.
Dans ce contexte de mouvance et de course à l’innovation, la transforma-
tion digitale (TD) concerne toutes les organisations. Celles-ci sont désor-
mais confrontées au besoin de promouvoir les nouveaux usages et de se
transformer pour demeurer performantes. Les technologies numériques leur
permettent de s’adapter rapidement aux changements de l’environnement,
d’être en coopétition (Fitzgerald 2016 ; Günther et al., 2017 ; Hong et Lee
2017; Huang et al., 2017) tout en étant agiles (Sambamurthy et al., 2003).
Pourtant, il n’est pas rare d’observer que certaines entreprises ont plutôt
tendance à adopter des outils digitaux par imitation, voire par effet de
mode, sans réellement comprendre les enjeux réels du digital. En effet, près
de 75 % des projets de transformation échouent, non pas pour des raisons
techniques mais liées au facteur humain (Gartner, IDC, Towers Watson)1 ;
« la technologie n’est qu’une partie du puzzle qui doit être résolu pour que
les organisations restent compétitives dans un monde numérique » (Vial,
2019 : 2).
Sur ce point, la fonction RH a un rôle stratégique à jouer pour créer les nou-
velles conditions de réussite de l’organisation. Elle va devoir soulever les
nouveaux enjeux, anticiper les nouveaux besoins et accompagner les trans-
formations induites par l’impact du digital. Le digital entraîne, en effet, une
modification des outils de travail utilisés, l’apparition de nouveaux modes
plus collaboratifs abolissant les contraintes de temps et de distance, l’évo-
lution rapide des compétences recherchées et plus globalement une révo-
lution des pratiques managériales et de la culture interne. Autant de défis
que la fonction RH va pouvoir relever en tant qu’acteur clé de la conduite
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du changement (Autissier et Moutot, 2013 ; Ulrich, et al., 1996) et auprès
de l’ensemble des collaborateurs, mais aussi en tant que direction dont les
missions et les processus se trouvent eux-mêmes profondément transformés
par les nouveaux outils numériques.
Le cas pédagogique proposé porte sur l’expérience d’une entreprise pu-
blique SOTU.com, ayant entamé la démarche de TD. Il traite des enjeux de
cette transformation pour la fonction RH et du rôle de celle-ci pour réussir
w w w. r ev u e c a s g e s t i o n . f r

ce projet à l’échelle de l’entreprise. Dans cette première partie de l’article,


nous proposons de passer en revue les principales définitions et approches
conceptuelles portant sur la TD, ainsi que du rôle de la fonction RH dans
cette transformation. Ces approches permettront d’offrir un cadre d’analyse
propice à la compréhension du cas.
1. Baudoin et al., (2019), Transformation digitale de la fonction RH, Dunod, p. 47.

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La transformation digitale

1. LA TRANSFORMATION DIGITALE : PRINCIPALES APPROCHES


CONCEPTUELLES
La notion de TD est apparue dans les discours des entreprises dès 2012,
l’année charnière du digital (Métais-Wiersch et Autissier, 2016 : 9). Elle est
le plus souvent rapprochée à d’autres concepts comme numérisation, digi-
talisation, e-transformation et ubérisation,… pour décrire enfin une même
réalité, l’entrée des entreprises dans une nouvelle révolution industrielle.
Basé sur une revue de la littérature en systèmes d’informations (282 tra-
vaux), Vial (2019 : 2) décrit la TD comme « un processus qui vise à amélio-
rer une entité en déclencher des modifications significatives de ses proprié-
tés par des combinaisons d’informations, technologies informatiques, de
communication et de connectivité ». Selon Dudézert, c’est une démarche
volontaire qui consiste en « l’exploration et l’exploitation des nouveaux pos-
sibles engendrés par ces technologies de l’information, en particulier au
niveau organisationnel ». Elle implique « une transformation des pratiques
de travail internes […] vers une organisation plus collaborative plate, moins
centralisée et laissant une large autonomie d’action à l’acteur » (Dudézert,
2018 : 14). Pour cet auteur, le développement des technologies numé-
riques ouvre de nouvelles opportunités de travail collaboratif basées sur la
créativité, l’ajustement mutuel et la co-construction. Pour Autissier (2017),
la transformation digitale s’apparente à « une vague de dématérialisation
des processus internes de l’entreprise au service du client qui passe par un
changement des métiers, des business models et des compétences ». Cet
auteur place l’expérience-client au cœur du succès de la transformation
digitale. Pour ceci, le digital doit être envisagé par les organisations non
plus comme une forme d’équipement technologique mais « une stratégie
différenciante » (Métais-Wiersch et Autissier, 2016 : 13).
Bien que certains écrits fassent une utilisation indifférenciée des concepts
« numérisation » et « digital »2, bien d’autres les font s’opposer (Métais-
Wiersch et Autissier, 2016 ; Storhaye, 2016 ; Dudézert, 2018). La numéri-
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sation renvoie plus à la notion d’informatisation de la donnée et l’automa-
tisation de son traitement grâce au développement de logiciels, progiciels
et des plateformes web, ayant permis la prise de décision individuelle et
collective (Dudézert, 2018). Le digital, par contre, dépasse largement le
cadre réducteur des systèmes d’informatisation. Il désigne « la technologie
portable en termes d’usage3 » et modifie profondément l’accès à l’infor-
mation, la communication, la culture, la consommation (Corniou, 2013).
La TD ne se résume donc pas à une transformation d’ordre technique. Elle
repose sur les usages qui en sont faits et sur l’adoption de nouvelles façons
de travailler que ces outils les favorisent. L’enjeu est donc double : réussir
les projets digitaux et leur transformation digitale.
2. Comme par exemple Colin et Verdier (2015) et aussi Vivier et Ducrez (2016).
3. L’usage est « une expérience qui a réussi et qui est portée par le corps social » (Autissier,
2014).

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Articles académiques
n°18

Passant en revue les principales approches théoriques ayant abordé la


question de la TD, les premières approches se sont penchées sur l’étude
du changement technologique en termes d’assimilation et d’appropriation
RCSG

de la technologie par les usagers. Ces approches étant limitatives, des ap-
proches ultérieures ont focalisé sur la conduite du changement organisa-
tionnel puisque la réussite de toute TD implique des changements organi-
sationnels profonds en créant un environnement de travail digitalisé, plus
collaboratif.

1.1. La transformation digitale : un changement technologique


Différentes approches théoriques se sont intéressées à l’étude de l’appro-
priation des changements technologiques. Dans ce qui suit, nous présen-
terons l’essentiel de ces approches, en l’occurrence les théories d’assimi-
lation de la technologie, le modèle de la capacité d’absorption et enfin les
travaux sur la maturité digitale.
L’adoption de la technologie au niveau organisationnel et l’acceptation de
son usage par les salariés est un problème qui a longtemps été étudié par les
premières approches en management des systèmes d’informations par les
théories d’assimilation de la technologie telles que la théorie de la diffusion
de Rogers (1962) et le modèle de l’acceptation de la technologie (TAM)
(Technological Acceptance Model) (Davis, 1989).
Le modèle de la diffusion des innovations de Rogers (1983, 1995) est pro-
mu comme l’un des modèles les plus répandus dans le domaine de l’adop-
tion des technologies. Il suppose que la rapidité de l’adoption et de l’usage
d’une nouvelle technologie par les destinataires repose exclusivement sur
ses caractéristiques intrinsèques et sur les perceptions individuelles quant à
son usage relatif à savoir la perception des avantages reliés à l’adoption, à
la compatibilité, à la faible complexité, à la facilité d’essai et l’observabilité
d’une innovation. La deuxième approche mobilisée dans les travaux en sys-
tèmes d’informations en tant que changement technologique, est le modèle
de l’acceptation de la technologie (TAM) de Davis et al. (1989). Ce modèle
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considère que l’acceptation et le refus de l’utilisation d’une technologie
est tributaire de deux facteurs : la perception de l’utilité et la perception de
la facilité d’utilisation. Ces deux critères déterminent l’attitude d’une per-
sonne à l’égard d’un système et son intention à l’utiliser (Davis, 1989). De
plus la perception de l’utilité est considérée comme directement influencée
par la facilité d’utilisation perçue. Ainsi, ce modèle explique le succès de la
technologie par des critères exclusivement liés à la technologie elle-même
(facilité d’utilisation) et aux individus (utilité d’adoption).
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Ces approches d’assimilation de la technologie s’inscrivent bel et bien dans


un courant de « déterminisme technologique » (Rhchim et Bentaleb, 2019 :
720) qui risque d’éclairer peu sur les logiques sous-jacentes à l’acceptation
et à la mise en usage d’une technologie par un groupe d’acteurs. En effet,
si une technologie collaborative est adoptée par l’entreprise et assimilée
par les individus (notamment dans leur vie personnelle) elle n’entraîne pas

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La transformation digitale

forcément une acceptation et une appropriation par les salariés pour faire
évoluer leurs pratiques de travail dans la lignée de la stratégie digitale de
leur entreprise (Karoui et Dudézert, 2016). Ainsi des approches théoriques
plaçant l’usage et l’appropriation par l’usager au cœur de la conception des
Technologies de l’Information (TI), comme celui de la capacité d’absorp-
tion des TI et le modèle de la maturité digitale, furent développées.
Le modèle d’absorption (Cohen et Levinthal, 1990 ; Boynton et al., 1994)
permet de prendre en compte certaines dimensions organisationnelles qui
interviennent dans l’appropriation et l’usage de la technologie comme le
climat social, la gestion des SI, la culture partagée SI, les processus internes
de collaboration et le rôle des managers. Le concept d’absorption repose
sur « une mosaïque de connaissances » nécessaires à l’assimilation de la
technologie : les connaissances relatives à la gestion des TI et l’efficacité
des processus de gestion des TI. Ces connaissances favorisant le lien entre
managers spécialistes TI et managers métiers, permettent de promouvoir
un climat d’échange, le développement d’une planification solide, d’une
vision TI claire et partagée, d’un soutien managérial, d’un contrôle des
structures. Ainsi ce modèle suppose que les TI ne sont assimilées, adoptées
et utilisées efficacement qu’en présence d’un climat organisationnel favo-
rable, des savoir-faire autour des TI partagés et des processus de gestion des
TI efficaces (Cohen et Levinthal, 1990).
Longtemps appréhendée comme un simple empilement de technologies
(Autissier et al., 2014), la TD des organisations a connu l’essor de travaux
ayant remis en cause cette logique d’empilement au profit d’une analyse en
termes de maturité digitale. Fayon et Tartar (2019), par exemple, proposent
un outil de mesure de la maturité numérique d’une organisation articulé
autour de six leviers pertinents pour parer aux disruptions : stratégie, orga-
nisation, personnel, offre, technologie/innovation et environnement. Basé
sur un processus d’amélioration continue, le modèle de maturité internet
et digital et numérique baptisée DIMM (Digital Internet Maturity Model) de
Fayon et Tartar, permet de mesurer à l’aide d’indicateurs, la maturité numé-
rique de l’entreprise et repérer à quel stade de transformation numérique
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elle se situe et quels sont les efforts à poursuivre. En 2014, les travaux réali-
sés par le MIT et le cabinet de conseil Capgemini Consulting4 sur l’avantage
digital ouvrent un champ d’investigation sur le concept d’intensité digitale
ou maturité digitale endogène selon Autissier (2016). L’étude réalisée auprès
de 400 dirigeants d’entreprises mondiales révèle que les entreprises qui ont
fait preuve d’une plus grande maturité digitale, acquièrent un « avantage
digital » et sont plus performantes que leurs concurrentes.
L’intensité digitale est appréciée selon deux axes fondamentaux. Le premier
axe est celui de la digitalisation des processus de l’entreprise (« le quoi »).
Il apprécie le niveau de digitalisation en termes d’efforts digitaux consentis.
Le deuxième axe est celui de l’intensité de portage du digital par la ligne
4. The digital advantage: How digital leader outperform thier peers in every industry, 2nd report
of capgemini consulting’s joint research program with mit cdb, 2012 mit center For digital bu-
sines and capgemini consulting - www.fr.capgemini-consulting.com/digitaltransformation

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Articles académiques
n°18

managériale. Il recouvre entre autres les efforts et moyens, les méthodes


déployées par l’entreprise en vue de piloter sa transformation (« le com-
ment »). La considération de ce deuxième axe dans l’évaluation des pro-
RCSG

jets digitaux est primordiale, car elle dépasse la vision réductionniste de la


transformation digitale comme un simple empilement des technologies et
reconnaît le rôle de relais et de co-constructeur de la ligne managériale et
des processus organisationnels pour l’accompagnement des changements
organisationnels induits par les projets digitaux. Selon George Westerman
(2012)5 Professeur au MIT : « il faut plus que des investissements financiers
pour réussir la transformation digitale d’une entreprise. Cela requiert lea-
dership et vision de la direction générale. La transformation digitale requiert
une réelle organisation managériale et la mise en place d’une stratégie de
conduite du changement tout autant que le bon usage des nouvelles tech-
nologies ».
Le croisement des deux axes (intensité digitale et intensité de portage) per-
met de produire la matrice de l’intensité digitale permettant de distinguer
entre quatre types d’organisations. Les débutants qui se caractérisent par
peu de processus digitaux et un faible portage par la ligne managériale et
des initiatives digitales isolées. Les conservateurs sont des entreprises mar-
quées par une ligne managériale fortement mobilisée et compétente pour la
conduite d’un changement digital mais qui souffre d’une carence dans les
processus digitaux en place. Les imitateurs technologiques correspondent
à la catégorie des entreprises qui sont habitées par le déterminisme tech-
nologique en pensant que le changement se fait uniquement par l’outil.
Ils ont donc tendance à suivre « l’effet mode », à entasser toutes sortes
de technologies sans s’assurer de leur utilité en interne, ni de leur por-
tage par la ligne managériale. Enfin, les digitaliseurs ou « Digital Masters »
sont celles les plus performantes car elles savent mobiliser les technolo-
gies adéquates à leur besoin tout en veillant à impliquer la ligne managé-
riale dans un changement organisationnel. Autissier et al. (2014) évoquent
même le développement d’un ADN digital chez ces entreprises qualifiées
de « Digirati », grâce à une forte vision sur le digital, portée par la direction
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digitale et diffusée dans l’ensemble de l’entreprise, des programmes de for-
mation massifs sur le digital et un rapprochement entre les managers TI et
les managers métiers. Ceci dit, les travaux sur la maturité ont constitué une
avancée dans la reconceptualisation des projets digitaux non pas comme
un simple changement technique qui s’impose aux usagers, mais comme
des « opportunités de changements » (Barley, 1986) qui suppriment les
anciens processus et changent le fonctionnement d’une organisation vers
« une logique plus constructiviste, une dynamique sociale constitutive de
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sens et des résultats opérationnels » (Autissier et al., 2014) et en stimulant


le portage et l’appropriation du digital par les acteurs.
Au-delà de l’intégration de la technologie, la réussite des projets digitaux
est liée à la capacité de l’organisation à porter les changements organisa-
5. https://www.capgemini.com/news/une-tude-mondiale-ralise-par-capgemini-consulting-et-le-
mit-center-for-digital-business/

52
La transformation digitale

tionnels nécessaires et transformer les processus et les modes de fonction-


nement internes pour que cette technologie se déploie.

1.2. La Transformation digitale : un changement organisationnel aussi


Les bouleversements induits par les projets techniques ou organisationnels
ont longtemps négligé la dimension humaine. Entraînant une remise en
cause très souvent dérangeante des méthodes traditionnelles de travail, ces
projets conduisaient, très souvent, à des comportements de résistance re-
mettant en cause tout l’effort de transformation entrepris. Il a fallu quelques
échecs retentissants pour que les entreprises prennent conscience du risque
humain et développent la pratique de conduite de changement vers les
années 1990, comme pratique située « à la jonction du déploiement d’un
projet et de sa mise en œuvre » (Autissier, 2014 : 97).
A partir de là, plusieurs auteurs se sont penchés sur l’étude des processus de
conduite de changement et d’accompagnement du changement technolo-
gique pour la réussite d’une transformation digitale. Comme toute initiative
modifiant profondément l’organisation, la TD s’associe à un certain nombre
de changements stratégiques, structurels et culturels importants. L’enjeu est
donc double pour les entreprises : réussir leurs projets digitaux et leur trans-
formation digitale.
Une des premières approches théoriques ayant abordé le processus d’adap-
tation au changement et les risques de résistance au changement est l’ap-
proche socio-technique en Grande-Bretagne, au Tavistock Institute dans les
années 1950. Le mérite de cette approche est d’insister sur la nécessité
de gérer (diagnostiquer, prévenir et agir) simultanément les changements
techniques et les aspects humains et sociaux, car tout changement dans un
système ouvert nécessite les connaissances et l’engagement des membres
de ce système. Cette approche est particulièrement pertinente de nos jours
notamment dans le contexte de la TD, où la plupart des problèmes qui se
posent proviennent surtout de la négligence des aspects humains. Ces idées
creusent également dans les premières approches du changement planifié
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(Lewin ,1951 ; Pettigrew, 1987 ; Kotter, 1996 ; …).
Datant de plus de 50 ans, le modèle des champs et des forces de Lewin
est considéré comme un outil conceptuel et pratique pour aborder le
changement (Mschane et al., 2013). Il se base sur l’identification de deux
champs de forces : des forces motrices poussent les organisations au chan-
gement, pour promouvoir de nouveaux comportements et de nouvelles
valeurs dans le sens du changement ; des forces antagonistes de résistance
tendent à maintenir le statuquo dans l’entreprise. Lorsque ces deux forces
sont d’égales intensités et opposées, le système organisationnel maintient
son équilibre et le changement se produit en acheminant d’une phase de
dégel (ou décristallisation), à une phase de transition vers une phase de
regel (ou recristallisation). Tout d’abord, la situation à modifier connaît un
« dégel » par la mise en place d’un ensemble d’actions visant la prise de
conscience du besoin de changer et une remise en cause des pratiques en

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Articles académiques
n°18

vigueur. Le terrain est ainsi mûr pour opérer le changement et passer à une
phase de « transition » caractérisée par l’abandon d’anciennes pratiques et
l’adoption de celles qui sont souhaitées. Enfin, le processus se clôt par un
RCSG

« regel », où un nouvel équilibre se renforce par l’appropriation de nou-


veaux comportements et le développement de compétences (Lewin, 1951).
Être conscient de l’existence de ces trois phases et des forces sur lesquelles
il faut agir est important pour le pilotage d’un changement comme la trans-
formation digitale.
Dans la même lignée, les travaux fondamentaux de Pettigrew (1987) re-
posent sur une approche contextualiste du changement, articulée autour de
trois dimensions centrales à savoir le contexte, le contenu et les processus.
Dans cette perspective, la TD considérée comme un processus de change-
ment organisationnel à gérer, prendrait en compte non seulement le (quoi),
mais aussi le « comment » et le « pourquoi » du changement. Le contenu fait
référence au domaine spécifique concerné par les changements étudiés. Le
contexte interne renvoie à la structure, la culture, le système politique et de
management propre à l’entreprise et à travers lesquels les idées associées
au changement vont être véhiculées. Le contexte externe couvre les envi-
ronnements socioéconomique, politique, technologique et concurrentiel.
Les processus renvoient aux actions, réactions, interactions des différents
acteurs impliqués dans le changement pour évoluer d›un état présent à un
état futur. Le maintien d’une cohérence relative entre les trois pôles favorise
une meilleure intégration du changement organisationnel (Pettigrew, 1987).

Figure 1 : Les déterminants de l’approche contextualiste du changement


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Adapté de Pettigrew (1987, p 655)


w w w. r ev u e c a s g e s t i o n . f r

La difficulté vient souvent du fait que, lors d’un changement organisation-


nel, l’apprentissage de nouvelles pratiques se fait à l’intérieur de l’ancienne
organisation. C’est par exemple le cas lorsque la TD s’opère dans une bu-
reaucratie qui renforce les silos fonctionnels au lieu de favoriser la collabo-
ration entre les unités organisationnelles.

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La transformation digitale

Un changement de culture est aussi un point primordial lors d’un change-


ment organisationnel, notamment que l’évolution de la culture est rarement
radicale, mais progressive. Elle évolue moins rapidement et plus difficile-
ment que les autres sphères de l’organisation car elle touche les fonda-
mentaux partagés par les acteurs (valeurs, habitudes, normes, …). Töytäri
et al. (2017) ont constaté que la culture et l’identité organisationnelles for-
ment de solides barrières institutionnelles qui entravent le développement
de services intelligents. Ainsi, selon Schmid et al. (2017), la résistance au
changement est enracinée dans le travail quotidien et ne peut être résolue
en modifiant simplement le comportement des employés.
Les changements d’organisation, de la structure, des processus et de la
culture (Selander et Jarvenpaa, 2016) sont nécessaires pour permettre une
certaine flexibilité face au changement. Dans un tel contexte de TD, les
leaders organisationnels joueraient un rôle levier pour mobiliser les em-
ployés (dialogue, proximité, formations, reconnaissance, …), développer
une mentalité numérique, cultiver une volonté de prise de risque et d’expé-
rimentation (Fehér et Varga 2017) tout en apaisant leurs perturbations asso-
ciées à l’utilisation des technologies numériques (Hansen et al., 2011).
Autissier et Moutot (2013) ont modélisé le dispositif de conduite de chan-
gement des projets digitaux avec un noyau central de diagnostic et des ate-
liers participatifs alimentant un cycle d’actions d’accompagnement (études
d’impacts, communication et formation) et un cycle de pilotage (pilotage
du changement, gestion des hommes et des résistances) et ce dans une
logique continue.

Figure 2 : Un modèle de conduite du changement


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Source : Autissier et Moutot (2013 : 85)

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Articles académiques
n°18

2. LA TRANSFORMATION DIGITALE ET LA FONCTION RH : QUELS


ENJEUX POUR L’ENTREPRISE PUBLIQUE
RCSG

Avant de s’attarder sur le rôle de la fonction RH dans la transformation digi-


tale (2.2), nous soulignerons dans ce qui suit (1.1) les caractéristiques d’une
entreprise publique et les contraintes qu’elle affronte dans la conduite d’une
telle transformation. L’étude du contexte particulier de l’entreprise publique
nous servira de trame de fond pour l’analyse du cas proposé.

2.1. L’entreprise publique face à l’impératif digital : spécificités et


contraintes
L’entreprise publique est définie comme « une unité de personnes et de
biens matériels et immatériels, constituée pour une réalisation économique
sous forme de services ou de produits, dans l’intérêt général de la collectivité
et dont la direction dépend directement des pouvoirs publics » (Neuhaus,
1976 : 55). Affrontée à une concurrence de plus en plus intense, à l’accé-
lération des cycles des technologies et des produits, à des consommateurs
portés par l’innovation, l’organisation publique n’est pas épargnée par la
vague de changements pour répondre aux attentes accrues des citoyens.
Elle se doit d’être de plus en plus flexible, laissant place à des modes d’or-
ganisation plus agiles (Thompson et Davisdson, 1995), lui permettant de
répondre au mieux aux exigences actuelles de l’environnement. Cette tur-
bulence est à l’origine de « Transformations organisationnelles » au sens de
Hafsi et Fab (1997). De telles transformations requièrent une rupture avec
les « anciennes » formes de gestion des entreprises bureaucratiques, consi-
dérées obsolètes et appellent une « restructuration » au sens de Thompson
et Davisdson (1995).
Fondée sur un pouvoir « légal-rationnel », l’entreprise publique repose sur
les caractéristiques du modèle bureaucratique, véritable « idéal-type » de
Weber (1971), comme condition même de son efficacité. Ce modèle est
caractérisé par :
• le respect d’un système de règles impersonnelles, stables et explicites qui
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prend le dessus sur l’accomplissement des missions envers les usagers ;
• la centralisation du pouvoir avec une hiérarchie clairement définie et une
structure pyramidale ;
• une division de travail fixée et officialisée prônant une forte spécialisation
et un déficit d’autonomie ;
• un avancement de carrière du personnel basé sur l’ancienneté et le favo-
w w w. r ev u e c a s g e s t i o n . f r

ritisme ;
• une budgétisation axée sur les moyens et non sur les objectifs.
Ces mêmes vertus qui apparaissaient comme garantes de l’efficacité or-
ganisationnelle, sont perçues aujourd’hui comme les principaux dysfonc-
tionnements pour répondre aux exigences de la société post-industrielle
caractérisée par la globalisation, ainsi que pour s’allier aux exigences de

56
La transformation digitale

l’ère digitale. La bureaucratie wébérienne se présente comme organisation


« monocratique » (Bartoli et Blatrix, 2015), inflexible, a-réactive (Thompson
et O’Connel, 1995), inefficace et rigide avec une hiérarchie lourde qui en-
trave et alourdit la marche de l’entreprise. Les effets négatifs de la discipline
et des comportements standardisés entraînent, selon Merton (1957), « un
déplacement des buts » ; les règlements ne sont plus considérés par les
agents comme un moyen de fonctionnement mais une fin en soi, provo-
quant une rigidité croissante. Les méthodes de travail obsolètes et les règles
bureaucratiques contraignantes, conçus pour impersonnaliser le fonction-
nement du système et réduire les conflits entraînent, à contrario, une ampli-
fication des dysfonctionnements (Gouldner, 1954) et étouffent toute prise
d’initiative ou d’innovation.
Les bouleversements observés dans différentes entreprises publiques té-
moignent des pressions exercées pour la réalisation des réformes. Toutefois,
ces réformes et les discours prônant le changement dans l’entreprise pu-
blique ne devraient pas se limiter à une simple application des outils et
des pratiques, mais il s’agit de réaliser des changements à la fois structu-
rels et culturels dans les valeurs mêmes de l’entreprise publique (Gangloff,
2010). C’est ainsi que l’adaptation du modèle bureaucratique à l’impéra-
tif de la transformation digitale vise avant tout de mettre l’organisation en
phase avec un environnement socio-économique changeant et dévelop-
per l’innovation la créativité, l’agilité et la collaboration, maîtres mots de
cette ère digitale. En se référant à l’approche contextualiste de Pettigrew
(1987) développé précédemment, le changement technologique induit par
la digitalisation requiert alors des changements stratégiques, structurels et
culturels dans la même portée au niveau des entreprises publiques. Puisant
dans les apports de la théorie de la contingence par Lawrence et Lorsh
(1967), l’environnement joue un rôle important dans la détermination de la
structure de l’organisation. Pour Thompson (1967), le design organisation-
nel est influencé par l’environnement et la technologie utilisée. Le passage
de l’organisation d’un archétype à l’autre implique ainsi une nécessaire
coordination entre la culture, la structure organisationnelle et le processus
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organisationnel (Hining et Greenwood, 1988).
Les organisations publiques se doivent alors aujourd’hui de changer, d’être
efficaces, efficientes prônant une « culture de performance » (Gangloff,
2010). Pour certains auteurs, nous assistons à une nouvelle organisa-
tion « post-bureaucratique » et d’un courant de réflexion sur le Nouveau
Management public (NMP) qui rend compte d’une crise dans la validité
perçue des systèmes de gestion en vigueur pour instaurer un changement
et une transformation dans l’entreprise publique. (Christensen et Lægreid,
1999 ; Moon et Leon, 2001 ; Noblet et al., 2005).

2.2. Rôle clé de la fonction RH dans la transformation digitale


Les développements présentés jusque-là soutiennent que le succès de la
digitalisation dans les entreprises ne repose pas uniquement sur une simple

57
Articles académiques
n°18

transformation d’ordre technologique mais bien aussi sur une transforma-


tion de ses modes de travail, de son organisation et de ses processus mana-
gériaux. Selon Storhaye (2016), « les entreprises actuelles sont confrontées
RCSG

à des bouleversements multiples qui rendent caduques les recettes habi-


tuelles […] se réinventer passe par une transformation vers des organisations
« agiles », capables de s’adapter en permanence à la réalité des affaires ».
En parallèle, les RH vivent une transformation digitale, impliquant une
conduite de changement forte où culture et communication sont bouscu-
lées. Il n’est pas rare que des projets importants au sein de grandes en-
treprises, travaillant en relatif isolement par rapport à la fonction RH se
trouvent autant troublés que le domaine des RH se situe au cœur même
de ces projets. La réussite de tels projets est étroitement liée à la stratégie
de conduite et d’accompagnement de ce changement, visant à assurer une
bonne appropriation par les futurs utilisateurs. Sous-estimée, l’entreprise
pourrait subir des conséquences dramatiques.
Selon Baudoin et al. (2019), la transformation digitale de la fonction RH re-
couvre deux dimensions principales et concomitantes. La première dimen-
sion est relative à l’accompagnement de la transformation digitale globale
de l’entreprise pour conduire le changement et « embarquer » les indivi-
dus dans une nouvelle dynamique collaborative. La deuxième dimension
consiste en la transformation de la fonction RH elle-même par l’automati-
sation de ses processus RH et la mise en place de solutions numériques.
Ces solutions revêtent elles-mêmes une vraie dimension transformation-
nelle pour leurs utilisateurs : transformation des habitudes, transformation
de l’organisation du travail, transformation des compétences et des métiers,
transformation des usages

2.2.1. RH et accompagnement du changement digital


Le digital est un vecteur catalyseur du changement. Il transforme inéluc-
tablement le travail, les organisations et les processus de GRH par l’in-
tégration du potentiel offert par le numérique. Ce concept a totalement
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aboli les barrières temporelles et les modes de gestion traditionnels et a
graduellement impacté le monde culturel, structurel et organisationnel des
entreprises : nouveaux métiers, temps accélérés, travail à distance, trans-
formation des modes de management, entreprise libérée,… Face à ces en-
jeux, plusieurs auteurs ont souligné le rôle capital que joue la fonction RH
dans ce processus de changement (Coron et al., 2019 ; Dudézert, 2018 ;
Baudoin et al., 2019 ; Storhaye, 2016). Elle se place en première ligne dans
son rôle d’acteur de changement pour mettre en place les actions néces-
w w w. r ev u e c a s g e s t i o n . f r

saires, convaincre et accompagner les différents utilisateurs à une meil-


leure appropriation par le plus grand nombre. Selon Ulrich (1996) « L’agent
de changement doit accompagner les employés en facilitant leur adhésion
et en réduisant les irritants inhérents. Il doit également aider les cadres à
prendre le virage du nouveau management en identifiant les problèmes
potentiels » (Ulrich, Guérin et Wils, 1996 : 50).

58
La transformation digitale

Selon Coron et al. (2019), la fonction RH doit répondre à quatre défis ma-
jeurs : d’abord, la disruption qui consiste à booster la capacité d’adaptation
et d’innovation de l’entreprise face à la concurrence accrue et les évolu-
tions technologiques rapides et ce par le développement et l’adaptation
permanente des effectifs et des compétences. La marchandisation de la
relation sociale est un second phénomène qui amène à gérer des popula-
tions aux statuts divers sur le marché du travail. La collaboration se place
comme un troisième défi RH à l’ère du digital en remettant en cause les
schémas d’organisation classiques et les modes de fonctionnement tradi-
tionnels en faveur des formes plus agiles, plus collaboratives nécessaires à
la survie des entreprises. Enfin, la robotisation consiste à penser les colla-
boration humain-machine et aux risques d’un asservissement de l’homme
à la machine.
Pour leur part, Baudoin et al. (2019) attribuent à la fonction RH le rôle
« d’architecte social » en assurant l’accompagnement de l’organisation
dans sa transformation digitale sur quatre plans :
• l’accompagnement de la transformation des métiers, des compétences,
des rôles, des postures, des carrières : L’automatisation des processus
impacte quantitativement et qualitativement les emplois de l’entreprise
dans une logique de destruction créatrice (Schumpeter, 1942). Dans une
logique proactive, la GRH doit miser sur la GPEC pour repérer, recruter
et développer des profils « agiles » capables de s’adapter aux turbulences
d’une époque incertaine ;
• l’accompagnement de la transformation des modes d’organisation du tra-
vail : L’organisation taylorienne, les modes de fonctionnement classiques,
les relations hiérarchiques et de subordination sont totalement abolis avec
la « dématérialisation » et la déspécialisation générée par le numérique.
La contribution de la fonction RH est indispensable pour la réorganisa-
tion de l’espace de travail, la flexibilisation du temps de travail, le déve-
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loppement de nouveaux modes de travail favorisant la transversalité, la
communication, la collaboration portés par l’usage des outils digitaux. A
ce niveau, Dudézert (2016) ne manque pas de soulever, dans l’autonomie
favorisée par le digital, une nouvelle forme d’aliénation à la machine et
des problèmes d’isolement du travailleur ;
• l’accompagnement à l’évolution des modes de management et à la re-
mise en cause des systèmes hiérarchiques classiques : La virtualisation
des relations managériales, la transversalité de la communication et la di-
gitalisation des pratiques et des méthodes de travail appellent une culture
et des principes de management radicalement différents, encourageant
l’initiative, l’autonomie, l’apprentissage par essais/erreurs ;
• l’accompagnement d’actions de conduite de changement pour assurer
une bonne appropriation par les futurs utilisateurs.

59
Articles académiques
n°18

Baudoin et al. (2019) conçoivent le processus de gestion du changement


digital en quatre étapes : diagnostic, mobilisation des acteurs, déploiement
du changement et pilotage.
RCSG

Le diagnostic vise à établir un état des lieux de la maturité digitale RH, le


degré d’utilisation des solutions proposées, le niveau de maîtrise en termes
de compétences d’utilisateurs et de conséquences subies sur les tâches, les
relations de pouvoir…
La mobilisation consiste à impliquer un réseau étendu d’acteurs qui « per-
met de suivre au plus près de leurs mises en œuvre les actions de conduite
du changement. Les acteurs du réseau du changement peuvent ainsi avoir
une bonne perception analytique des différents freins et autres blocages
que peuvent ressentir leurs collègues. Cette capacité analytique est natu-
rellement supérieure à celle que peut avoir une équipe projet centralisée »
(Autissier et Moutot, 2003 : 45). Le réseau du changement est généralement
constitué de deux types de populations de par leur proximité des unités
opérationnelles concernées directement par le changement et permettent
de s’assurer que les messages et actions menées sont correctement et com-
plètement mis en œuvre sur le terrain : le premier est la ligne managériale
de 1er niveau ; le second est constitué des personnes opérationnelles repar-
ties dans les différentes équipes concernées par le changement. Les mana-
gers constituent une « aide naturelle au changement » (Autissier et Moutot,
2003) pour encourager et stimuler les collaborateurs à l’adoption d’une
technologie ou d’une innovation (Leonard Barton et Deschamps, 1988). Ils
sont une source importante du pouvoir ; leurs messages et leur influence
affectent généralement la décision et la vitesse d’adoption du changement
par les collaborateurs. Ils permettent de légitimer l’importance du projet et
ont un rôle exemplaire par rapport à leurs équipes pour défendre le projet,
accompagner les changements décidés et marquer l’implication de tous.
Le réseau des opérationnels, grâce à sa proximité des équipes et à ses qua-
lités relationnelles, sert de relais dans les actions de communication, pour
embarquer le maximum d’acteurs tout au long du projet.
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Le déploiement du changement consiste à mettre en place des actions de
communication et de formation ciblées, cohérentes et répétitives en fonc-
tion des utilisateurs, en vue d’accompagner le changement dans ses dif-
férentes phases d’avancement. Ces actions de communication (par la dé-
monstration, mailing, intranet, réunions, réseaux sociaux de l’entreprise,
capsules vidéo, …), visent à informer, montrer les apports des différentes
w w w. r ev u e c a s g e s t i o n . f r

solutions, répondre aux inquiétudes des utilisateurs, à leurs attentes et be-


soins de développement de leurs compétences. Elles permettent de capter
l’attention des salariés utilisateurs à différents moments et de différentes
manières pour renforcer l’adhésion au projet digital et asseoir sa légitimité.
Les actions de formation sont aussi essentielles pour initier les salariés à
l’utilisation des nouvelles solutions (des webinars, des classes virtuelles,
des modules d’auto-formation e-learning,…).

60
La transformation digitale

L’évaluation et le pilotage consiste à assurer un suivi de l’utilisation des so-


lutions numériques par la mise en place de mesures adaptées (indicateurs,
tableaux de bords, enquêtes avec les utilisateurs,…)
Lors de ces différentes étapes, des actions de formation et des pratiques de
communications sont intensivement mobilisées auprès des acteurs.
Partant du fait que la transition numérique est un défi à la fois humain
et technologique, la collaboration entre les deux départements RH et
Direction Systèmes d’informations (DSI) est indispensable. Dans ce sens,
Serge Dautrif, CEO de SynapsCore6 affirme : « la DRH est bien placée pour
décloisonner les silos et attaquer les freins culturels », tandis que la DSI est
à même d’anticiper les opportunités et les conséquences possibles de la
transformation digitale. Elle doit, avec le soutien de la DRH, mieux commu-
niquer sur l’innovation technologique […], identifier et proposer les solu-
tions qui permettront les transitions les plus fluides possibles ».
Les résultats de l’enquête menée par SynapsCore (2016) reportent que les
DRH et les DSI sont en demande d’une collaboration accrue. 49 % des
DRH et 44 % des DSI estiment qu’il est indispensable de travailler conjoin-
tement sur des priorités RH de gestion du changement. Sur ces priorités, les
DRH attendent des DSI le partage d’information, la collaboration, l’organi-
sation du travail et les nouveaux usages, ainsi que la formation. Du côté de
la DSI, des attentes liées à une meilleure compréhension des enjeux de la
digitalisation et de ses apports à l’entreprise, la mise en place de dispositifs
de recrutement et de rétention des talents sont exprimées. Cette synergie
DRH-DSI est donc essentielle pour une réussite de la TD.

2.2.2. La transformation digitale de la fonction RH


Dans la démarche de TD, la fonction RH doit aussi se digitaliser et devenir
un modèle du changement pour le reste de l’entreprise (Cianni & Steckler,
2017). La digitalisation de la fonction RH favorise l’automatisation de dif-
férentes activités RH (recrutement, formation, paie, évaluation, développe-
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ment audit…) en proposant davantage de self-service RH (Cianni & Steckler,
2017) permettant de réduire les coûts, d’améliorer la rapidité et la qualité
des processus RH (Strohmeier & Parry, 2014) ainsi que de libérer plus de
temps aux professionnels RH pour se pencher sur des actions à forte valeur
ajoutée. Ce faisant, elle permet également de développer la mesure de la
performance de la fonction RH, de repérer ses dysfonctionnements et orien-
ter la prise de décision RH et ce grâce à l’analyse des données (Analytics
RH), rendue aisée par le digital (Stone et al., 2015 ; Holland & Bardoel,
2016). La transformation digitale de la fonction RH renvoie selon Baudoin
et al., (2019) à six dimensions principales :
6. SynapsCore est un cabinet de conseil qui a réalisé une étude en 2016 sur « les enjeux de
l’interface entre la DRH et la DSI dans le cadre de la transformation digitale », conjointement
avec Télécom Ecole de Management. Près de 40 représentants, DRH et DSI, de 33 entreprises
(essentiellement grands comptes) ont été questionnés en face à face. http://www.wkrh.fr/actua-
lites/actualites_imprimer.php?action=imprimer&actualite_id=95885

61
Articles académiques
n°18

La dimension technologique qui comporte l’ensemble des composantes


matérielles et logicielles du système technologique de l’entreprise et so-
lutions numériques RH. Cette composante est bien évidemment la pierre
RCSG

angulaire de toute transformation numérique RH.


La dimension humaine considérée comme clé de succès de la transforma-
tion digitale de la fonction RH et apparaît dans différentes composantes. La
composante « ressources » recouvre l’ensemble des compétences internes
et externes à une entreprise, permettant de mettre en œuvre de manière
effective cette transformation numérique RH. La composante « appropria-
tion » correspond aux actions de formation, communication et de mobi-
lisation. La composante « conception » correspond aux éléments ergono-
miques et psychologiques à prendre en compte dans la conception des
solutions RH pour faciliter leur appropriation et manipulation par les futurs
utilisateurs.
La dimension organisation recouvre l’organisation des services, des proces-
sus RH, des modes organisationnels du travail dans un projet de transfor-
mation digitale RH. La dimension financière renvoie au budget requis pour
l’implantation d’un projet de transformation. La dimension « juridique » re-
couvre l’ensemble des contrats matériels, logiciels nécessaires pour mettre
en œuvre et utiliser les solutions numériques RH. La dimension concep-
tuelle correspond à la définition et au sens des thèmes sur lesquels portent
les solutions numériques RH mises en place.
Les enjeux de cette transformation digitale sont multiples pour la fonction
RH. Ils se résument selon Baudoin et al. (2019) en cinq points :
• le développement de nouveaux services RH tels l’analyse de performance
RH, l’analytique RH permettant d’orienter et de piloter la prise de déci-
sions ;
• le développement de nouveaux modes de fonctionnement pour répondre
aux attentes évolutives des collaborateurs et/ou des candidats potentiels
ultra-connectés (e-learning, télétravail, e-recrutement,….) ;
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• l’harmonisation des pratiques RH ;
• l’optimisation des processus RH par l’automatisation et la décentralisa-
tion (système de workflow, chatbot,…) ;
• la maîtrise des données RH et de la mesure de performance.
Outre ces enjeux précités, Samama (2017) souligne l’importance de l’amé-
lioration de « l’expérience collaborateur 7» grâce à la transformation digitale
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de la fonction RH. Pour cet auteur, « l’expérience collaborateur » est indis-


sociable de la transformation digitale de l’entreprise. Plus les collaborateurs
disposeront de nouveaux outils pour donner leur avis sur leur entreprise via
les réseaux sociaux d’entreprises ou encore, les plateformes collaboratives,
7. Le concept d’expérience collaborateur a été formalisé en 2017 par Corinne Samama dans le
premier ouvrage sur le sujet en France, L’expérience collaborateur : Faites de vos employés les
premiers fans de l’entreprise ! (Ed. Diateino).

62
La transformation digitale

les workflow, site internet d’évaluation anonyme,… plus les entreprises


seront à mesure de connaitre les besoins et modes de fonctionnement des
collaborateurs pour y répondre au bon moment, par des actions adaptées,
ce qui permet d’améliorer l’expérience collaborateur.

3. LE CAS SOTU.COM : UNE TRANSFORMATION DIGITALE


INACHEVÉE
Sotu.com est une entreprise publique prestataire de services dans le secteur
des technologies de l’information et de la communication. L’intérêt de choi-
sir une entreprise publique est d’apporter une meilleure compréhension
des enjeux et des difficultés affrontées, dans une telle structure peu étudiée,
dans sa démarche de transformation digitale. Le cas permettra une illustra-
tion intéressante des challenges à soulever, apportant de nouveaux éclai-
rages sur le rôle de la fonction RH dans cette démarche et les domaines
d’intervention à prioriser. Nous présenterons successivement, dans ce qui
suit une présentation du cas ainsi qu’un un retour d’expérience de son ani-
mation.

3.1. Présentation du cas de l’entreprise SOTU.com


Le cas de SOTU.com contribue à comprendre les challenges à relever par la
fonction RH dans l’entreprise publique étudiée, en tant que fer de lance du
changement digital, ainsi que les précautions à prendre pour assurer la réus-
site de cette transformation. SOTU.com est une entreprise publique du sec-
teur des technologies de l’information et de la communication. Consciente
de l’impératif digital et de son potentiel de croissance, cette entreprise a
entamé son chemin de mouvance digitale depuis plusieurs années à travers
le développement d’une infrastructure technologique solide et la mise en
place de nouvelles applications et de services numériques au profit de ses
clients, ses partenaires et ses collaborateurs. Pour son PDG, « une mutation
n’épargnera aucun secteur ; le quotidien de tous les citoyens est transformé
de manière radicale. Notre mission doit avoir comme objectifs de dévelop-
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per l’usage et de simplifier la vie de nos clients au quotidien ; il s’agit de
notre priorité absolue. Et pour ce faire, le digital constitue un levier évident
et naturel pour pouvoir proposer des services à portée de main ».
Pour asseoir cette digitalisation, dès le début, SOTU.com s’est mis à tis-
ser des partenariats agiles et évolutifs lui permettant de livrer des services
innovants. L’accompagnement technologique de Microsoft, datant de près
de 15 ans, a permis à SOTU.com d’accélérer le déploiement des fonde-
ments technologiques et des bases de son infrastructure informatique.
L’extension triennale récente de ce partenariat vise à supporter massivement
SOTU.com dans l’accompagnement de sa mouvance digitale en matière de
cloud et de cyber-sécurité. L’objectif ces années est de se focaliser davan-
tage sur l’expérience-collaborateur et la mise à niveau de différentes solu-
tions collaboratives au profit des 6 000 employés de SOTU.com répartis
entre le siège et les directions régionales.

63
Articles académiques
n°18

Dans ce contexte, la directrice RH de SOTU.com a œuvré grâce à la coo-


pération avec la DSI pour automatiser les processus y compris les processus
RH. Toutefois, ses efforts consentis pour accompagner le processus de digi-
RCSG

talisation semblent être dominés par le « déterminisme technologique »,


priorisant la consolidation de l’infrastructure technologique et des plate-
formes collaboratives au détriment d’un réel accompagnement des chan-
gements organisationnels qui découlent de la transformation digitale. Bien
qu’elle se soit penchée, avec son équipe RH, sur le volet communication
et mobilisation des collaborateurs dans l’appropriation des nouveaux outils
digitaux, des formes de résistance et des attitudes d’insatisfaction persistent.
Pourtant, deux perspectives de changements sont concomitantes et de-
vraient s’intégrer pour la réussite d’une transformation digitale : le change-
ment technologique en termes d’assimilation, d’adoption et d’appropria-
tion de la technologie par les utilisateurs ; et la conduite de changements
organisationnels en termes de démarche d’accompagnement de l’Humain
par la mise en place de processus adaptés et d’un contexte culturel et struc-
turel favorable au déploiement du changement.
Pour l’élaboration du cas pédagogique SOTU.com, nous nous sommes ba-
sés sur des données exploratoires, collectées en mobilisant deux principales
méthodes à savoir l’entretien semi-directif et la recherche documentaire.
L’entretien semi-directif a été mobilisé, compte tenu de sa grande flexibilité
et de la richesse des informations qu’il peut générer (Miles & Huberman,
2003). Nous avons conduit des entretiens auprès du DRH de l’entreprise et
trois de ses collaborateurs. Nous ne visons pas la représentativité des per-
sonnes interrogées mais plutôt la compréhension du rôle joué par la fonc-
tion RH dans la transformation digitale, ses interactions et la mise au point
des avancées pour la conduite de ce changement au sein de l’organisa-
tion. Notre objectif est aussi d’identifier les perceptions des collaborateurs
à l’égard de ce changement et à l’égard de leur nouveau vécu au travail.
Deux guides d’entretien ont été préparés à cet effet (voir annexes 1 et 2). La
durée des entretiens a varié selon la richesse des informations qui nous ont
été confiées. C’est ainsi que notre entretien avec la DRH a duré 1h30 ; ceux
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conduits avec des collaborateurs sont d’une moyenne de 40 mn.
La recherche documentaire s’est basée sur des ressources informationnelles
en ligne portant sur l’entreprise étudiée (son histoire, son activité, ses réali-
sations, sa stratégie, …), ainsi que sur le podcast d’une intervention média-
tique du DRH et du DSI, au sujet de la transformation digitale au sein de
leur entreprise. Ces ressources nous ont permis d’enrichir la scénarisation
du cas. Nous formulerons, dans ce qui suit, une proposition d’animation de
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ce cas avec les étudiants.

3.2. Retour d’expérience sur l’animation du cas


Le présent cas pourra faire l’objet d’utilisations variées auprès de différents
publics d’étudiants. Il pourra être utilisé dans un cours de gestion des res-
sources humaines auprès d’étudiants de licence 3. Il pourra également être

64
La transformation digitale

étudié de manière plus approfondie dans un cours de Changement orga-


nisationnel ou encore Innovation et systèmes d’informations. La lecture
peut être envisagée en début d’apprentissage pour faire, ensuite réfléchir
les étudiants à la problématique posée par le cas. Partant du fait que « la
méthode des cas est l’approche interactive par excellence » (Bédard et al.,
2005 : 60), le rôle du formateur se rapproche de celui d’un « metteur en
scène ». Il pourra recueillir les réactions à chaud des apprenants et déve-
lopper la discussion sous forme de débat autour des différentes questions
posées par le cas. L’animateur pourra aussi répartir les étudiants en petits
groupes et demander à chaque groupe de répondre d’une manière plus
approfondie à l’une des questions du cas. Il s’en suivra ensuite une présen-
tation, un partage et une discussion entre les différents groupes. Lorsque
tous les groupes seront entendus, l’enseignant procèdera à la correction
du cas. Pour les besoins d’analyse et de compréhension du cas proposé de
SOTU.com, les apprenants seront tentés de mobiliser certains thèmes et
approches théoriques. D’abord, il s’agit de comprendre ce qu’est une trans-
formation digitale des entreprises, de citer ses outils (SI, plateformes, chat-
bot, e-learning….) et d’expliciter les impératifs de ce virage digital dans nos
sociétés actuelles. A ce premier niveau d’initiation, les apprenants pour-
raient confondre entre digitalisation et transformation digitale. A travers le
cas, ils comprendront la différence et assimileront la portée transformation-
nelle d’une digitalisation réussie.
En second lieu, on ne peut aborder la transformation digitale sans mobi-
liser les principales approches du changement technologique. L’évolution
de ces approches dans le temps d’une vision purement déterministe à une
vision plus systémique qui reconnaît l’importance de l’appropriation de la
technologie par les utilisateurs au-delà de la simple assimilation est crucial.
Associer à la démarche de changement technologique ou de « change digi-
tal » au sens d’Autissier (2014) à un processus de conduite de changements
organisationnels (managérial, culturel, organisationnel) est une idée clé à
laquelle les apprenants gagneraient à comprendre et déduire du cas. Ainsi,
un des thèmes qui serait important de mobiliser dans l’étude de ce cas,
est celui du changement organisationnel et du rôle de la fonction RH en
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tant qu’acteur de conduite de ce changement. « Le digital est une affaire
d’humain et de culture ».
La digitalisation de la fonction RH se met en œuvre de manière très diverse
dans les entreprises. Elle recouvre deux dimensions principales : la trans-
formation de la fonction elle-même par l’automatisation des processus RH,
mais également par l’accompagnement de la transformation digitale globale
de l’entreprise (transformation des habitudes, transformation de l’organisa-
tion de travail, transformation des compétences et des métiers) (Baudoin et
al., 2019). Ces projets digitaux ne visent donc pas seulement l’empilement
des technologies dans l’organisation dans une logique de modernisation,
mais ils impliquent un projet de transformation social et culturel.
Le cas traité est l’exemple spécifique d’une entreprise du secteur public.
Les entreprises de ce secteur sont également impactées par le tournant

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Articles académiques
n°18

numérique et sont semble-t-il les plus confrontées à des difficultés dans


la conduite de leur transformation digitale à cause des ancrages structu-
rels, culturels et managériaux qui persistent dans ce type d’organisations.
RCSG

Paradoxalement, et malgré les discours, la contribution active et éclairée


de la fonction RH au chantier digital reste aujourd’hui rarement voire pas
abordée dans les travaux et les cas pratiques. Pourtant, les transformations
humaines radicales qui s’annoncent aujourd’hui dans les organisations qui
se digitalisent, sont multiples. Nous avons essayé, à travers ce cas pédago-
gique, de pointer les principaux enjeux de la transformation digitale comme
étant un changement organisationnel qui requiert un réel accompagnement
pour son aboutissement. L’accompagnement et la conduite de ce change-
ment majeur est une partie inéluctable dans la réussite des projets digitaux ;
une partie parfois oubliée ou sous-estimée au profit de l’empilement des
outils digitaux.

CONCLUSION
Bien plus qu’une affaire de technologies et d’équipements, la transforma-
tion digitale se veut un profond changement requérant une vraie réflexion
stratégique et une transformation des modes de management, de collabo-
ration, d’apprentissage traditionnels qui dominent la structure bureaucra-
tique d’une entreprise publique… Une réelle transformation culturelle,
managériale et organisationnelle s’impose et devrait asseoir ce changement
organisationnel. La fonction RH ne doit pas céder à un déterminisme tech-
nologique ; plus que jamais, la révolution digitale lui offre l’opportunité de
devenir une source de pratiques innovantes et de se positionner en parte-
naire stratégique pour répondre aux enjeux de la digitalisation et accompa-
gner les transformations requises au sein de l’organisation, en impliquant
les collaborateurs dans un rôle capital d’adaptabilité et d’acculturation à un
nouvel univers digital.
Le cas proposé permet d’illustrer comment une entreprise publique cédant
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à un certain déterminisme technologique dans son effort de digitalisation,
affrontera des problèmes majeurs entravant une vraie transformation pro-
fonde et durable de son fonctionnement et de son business. Le cas invite
à réfléchir aux challenges à soulever par la fonction RH dans l’entreprise
publique étudiée, en tant que fer de lance du changement digital.

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