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Après Bergson.
Portrait de groupe avec philosophe
Dossier : puf333634_3b2_V11 Document : PUF333634 - © PUF -
Date : 19/12/2014 17h22 Page 2/390
Giuseppe Bianco
Après Bergson.
Portrait de groupe
avec philosophe
ISBN 978-2-13-059001-9
ISSN2116-7656
Dépôt légal — 1re édition : 2015, février
© Presses Universitaires de France, 2015
6, avenue Reille, 75014 Paris
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Remerciements
Quentin Meillassoux, David Rabouin, Patrice Maniglier, Élie During, Camille Riquier, et
je désire aussi les remercier.
La recherche dans le domaine de l'histoire de la philosophie se déroule souvent dans
une solitude subie plutôt qu'intentionnelle. Le travail en équipe, fait de partage de
méthodes, d'élaboration de protocoles, de division des enquêtes comme de discussion
collective, est une dimension inconnue pour la plupart des historiens de la philosophie
contemporaine, moi inclus. Cette situation est le résultat d'une longue histoire discipli-
naire, qu'on ne peut, hélas, changer du jour au lendemain sans que cela ne provoque plus
de dommages que d'améliorations. J'ai néanmoins eu l'occasion d'assister ou de participer
à quelques timides tentatives collectives pour changer la donne, tant en France qu'ailleurs,
ce qui m'a ouvert un peu les yeux. Dans cette solitude, certains parmi mes amis et collègues
– souvent travaillant dans des disciplines et sur des objets différents des miens – ont été
particulièrement importants grâce à des discussions qui ont animé nos rapports, de façon
directe ou indirecte à différents moments de ma recherche. Ils reconnaîtront l'inflexion de
leur voix dans celle du narrateur. Je leur adresse mes remerciements les plus chaleureux :
Frédéric Fruteau de Laclos, Sophie Roux, Jean-Louis Fabiani, José Luis Moreno Pestaña,
Charles T. Wolfe, Thomas Bénatouïl et, bien évidemment, Tassia Nogueira Eid Mendes,
partner in crime.
Comme je lui ai promis il y a seize ans, avant qu'il sorte du portrait, ce livre est
dédié à la mémoire d'Alex.
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SOMMAIRE
PREMIÈRE PARTIE
La « dilatante synthèse » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Une église sans pape . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Les profondeurs du psychisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Aspirants philosophes au bachot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
L'atelier de la rue Clovis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Naissance de l'Homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Protagoras et Platon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Un manuel de radicalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Cracher la pilule Pink . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
Les gardiens de la Sorbonne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Sociologues et néokantiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Durée relative, espace-temps absolu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Les points contre la ligne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
La mort de l'Esprit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
La catastrophique retombée de l'élan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
L'engagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116
Surréalisme et symbolisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122
Les philosophes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
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DEUXIÈME PARTIE
La fin du carnaval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
Hypostases psychologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
L'animation de l'abstrait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Le réalisme de l'agent provocateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Immorale chosification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
De l'intuition à l'intentionnalité ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
À la sortie du cinéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Traverser le Rhin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Effrayante liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Irréaliser, néantiser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Phénomènes et choses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
À la Libération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Oublier B. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Les pouvoirs du langage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
Philosophie de la vie et morale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
Machines organiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Saints et résistants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244
TROISIÈME PARTIE
Un grand philosophe classique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
Du bachot à l'agrégation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
Vie et histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
Inhumaines négations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
Ultrapositivistes et ultranégativistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274
Un enfant monstrueux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Décentrer bien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Ontologie de la différence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Le Begriff de la durée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
Image virtuelle de la pensée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
Diachronie et synchronie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Code et étalement dans l'espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
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Sommaire IX
ANNEXES
Bergson dans le programme de l'agrégation . . . . . . . . . . . . . . . . 359
Tableau chronologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365
Graphique des relations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 366
Index nominum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371
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Introduction
Le cadre et le portrait
Le cadre et le portrait 3
1. Dans son doctorat (The Bergsonian Moment : Science and Spirit in France, 1974-
1907, Baltimore, Johns Hopkins University, 2014), Larry McGrath entreprend cette
tentative à partir de la perspective propre à l'histoire intellectuelle.
2. Cf. J. Schlanger, Penser la bouche pleine, Paris, Fayard, 1983. On retrouve cette
idée dans les analyses développées par Randall Collins au sujet des interactions rituelles
en philosophie : je me réfère en particulier au propos du sociologue pour qui la plupart
des réflexions faites dans la solitude par les philosophes ne sont qu'un écho des conversa-
tions passées et à venir (cf. R. Collins, The Sociology of Philosophies : A Global Theory
of Intellectual Change, Harvard, Belknap, 1998, p. 49 notamment).
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Le cadre et le portrait 5
1. Cf. B. Latour, Nous n'avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 1991.
2. Voir les études récentes de Jean-Louis Fabiani tentant de reconstruire la spécificité
des controverses en philosophie. Par exemple, J.-L. Fabiani, Qu'est-ce qu'un philosophe
français ?, Paris, Éd. de l'EHESS, 2011, notamment l'introduction.
3. C'est ce que propose Frédéric Fruteau de Laclos dans La Psychologie des philo-
sophes, Paris, Puf, 2012. Cette opération tente de garder une prudente distance de la
démarche propre à la recherche des « précurseurs » que Canguilhem stigmatisa en suivant
les conseils de C. T. Clark (cf. C. T. Clark, « The philosophy of science and history of
science », in Id., Critical Problems in the History of Science, Madison, Marshall Clafett,
1962, p. 103).
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Le cadre et le portrait 7
1. Pour ces aspects, au centre des analyses des historiens depuis l'article de Fernand
Braudel sur la longue durée, se reporter aux essais contenus in J. Revel (éd.), Jeux
d'échelles. La micro-analyse à l'expérience, Paris, Éd. de l'EHESS, 1996.
2. Voir les récentes discussions – du côté des historiens – au sujet de l'opportunité de
réintroduire en histoire cette catégorie (cf. C. Jouhaud, D. Ribard, « Événement, événe-
mentialité, traces », Recherches de science religieuse, t. 102, no 1, 2014, p. 63-77).
3. Cf. J. Schlanger, Penser la bouche pleine, op. cit., p. 31.
4. Quoique cet aspect ne soit pas directement traité dans le présent travail, il faut
souligner l'impact du succès sur la perception de soi de l'auteur ainsi que de sa propre
tâche intellectuelle. Se reporter aux travaux de Nathalie Heinich (notamment L'Épreuve
de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, Paris, La Découverte, 2003) et à ceux,
gravitant autour de la notion d'intellectual self-concept, de Neil Gross (Richard Rorty.
The Making of an American Philosopher, Chicago, Chicago University Press, 2008).
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Le cadre et le portrait 9
du XVIIIe siècle et le début du XIXe, preuve qu'ils avaient déjà été utilisés
pendant tout le siècle précédent.
C'est pendant le XIXe siècle qu'il devient habituel – avec pour complice
le processus de professionnalisation de la philosophie et la création d'un
canon à travers les manuels et les histoires de la philosophie – de forger
des « -ismes » avec les noms de philosophes considérés par la commu-
nauté philosophique comme « majeurs ». Ainsi, les « -ismes » deviennent
des idéal-types ou de véritables figures conceptuelles. Vers la fin du
XIXe siècle, accoler un « -isme » à un auteur signifie lui reconnaître une
consécration. Quand la consécration d'un auteur est rapide ou exclusive-
ment mondaine, elle provoque une stigmatisation institutionnelle. Stig-
matisation des auteurs Y, définis comme X-iens ou X-istes, traités comme
des répétiteurs dogmatiques dépourvus de l'impartialité et du sens cri-
tique propre aux clercs, mais aussi stigmatisation de l'auteur X, taxé de
manque de sérieux.
José Luis Moreno Pestaña 1 a récemment isolé trois facteurs qui
contribuent, à court et à long terme, à l'affirmation d'un auteur et de
ses ouvrages, dans ce cas d'un philosophe. Il a ainsi repris un problème
posé par Randall Collins 2, tout en s'opposant à ses conclusions légiti-
matrices. Afin d'expliquer le succès d'un intellectuel, Pestaña a
appliqué la méthode de l'espace des attributs élaborée par Paul Lazars-
feld et récemment formalisée par Howard S. Becker 3. Ce précieux
outil est ici repris afin de résumer, après coup, le contenu de ce livre.
Le premier facteur dans la table de vérité est la consécration insti-
tutionnelle que tout producteur nécessite pour pouvoir travailler.
Pour l'atteindre, l'acteur investit des énergies, ce qui peut être ou non
accompagné par la reconnaissance des collègues (deuxième facteur) et
par une durabilité dans le temps des créations conceptuelles (troisième
facteur).
Le cadre et le portrait 11
Tableau 1.
immédiat du philosophe dans les milieux savants, mais surtout chez les
profanes, avait provoqué une dévaluation de son capital dans le champ
philosophique : en 1912, avec Le Bergsonisme, une philosophie de la
mobilité, le renouviériste Julien Benda répand l'utilisation du néologisme
« bergsonisme », expression qui sera ensuite reprise dans les titres des
livres de Thibaudet (1922), de Politzer (1929) et de Deleuze (1966).
Pour comprendre ces phénomènes, il faut à tout prix éviter le recours
à des non-explications comme la mention aux « injustices » ou aux
« erreurs d'interprétation » – ce qui est monnaie courante dans l'apolo-
gétique propre à une certaine pseudo-histoire de la philosophie – et
s'interroger sur les modalités du succès de Bergson dans les milieux pro-
fanes, du processus d'exclusion institutionnelle et de sa redécouverte
posthume.
Tout laisse vraisemblablement penser que, pendant la Troisième
République, dans un moment où la philosophie se professionnalise et
trouve un fragile compromis avec l'appareil étatique, une doctrine
comme celle de Bergson pouvait apparaître, du moins aux yeux des
acteurs principaux du renouveau philosophique, comme une potentielle
menace de cet équilibre. Comme l'ont montré des études récentes 1, une
bonne partie de la philosophie française de la fin du XIXe siècle repose sur
une singulière réinterprétation de l'Analytique transcendantale de Kant
donnée par Jules Lachelier dans son mémoire Du fondement de l'induc-
tion, à son tour débiteur envers quelques cousiniens, comme Jules
Barni 2. Cette lecture identifie le cogito cartésien, interprété à la lumière
de la notion d'effort de Maine de Biran et de la « méthode psycholo-
gique » de Cousin, avec la définition kantienne de l'esprit comme « unité
originairement synthétique de l'aperception », aboutissant à une idée de
sujet comme activité volontaire de synthèse d'un divers qui lui résiste.
Cette idée, reprise par Émile Boutroux et par Alphonse Darlu, avait
constitué le cadre commun à partir duquel s'étaient développées, parmi
Le cadre et le portrait 13
d'autres, tant la doctrine esquissée par Bergson dans l'Essai sur les don-
nées immédiates de la conscience que celle élaborée par les plus jeunes
animateurs de la Revue de métaphysique et de morale (Brunschvicg,
Alain, Lalande, Halévy, Léon).
Lachelier avait donc fourni un cadre philosophique légitime, avec
des variantes possibles et des marges de jeu, mais dont les cas extrêmes
furent regardés avec méfiance par les protagonistes du renouveau de la
philosophie française de la fin du XIXe siècle. Un extrême était occupé
par l'idéalisme d'Octave Hamelin, considéré par une bonne partie des
membres de la Revue comme une tentative qui risquait de débou-
cher dans une construction apriorique et vide ; l'autre extrême coïn-
cidait avec la philosophie de l'intuition de Bergson qui, tant pour
Alain que pour Brunschvicg, risquait de frôler un irrationalisme empi-
riste du sentiment. Tout s'était donc passé comme s'il avait été question
de se placer à un juste milieu entre concept et intuition, suivant la
remarque de Kant dans la Critique de la raison pure (A51-52 B75-76) :
« La pensée sans contenu est vide, les intuitions sans concepts sont
aveugles. »
Ces éléments doivent néanmoins être interprétés à la lumière du pro-
cessus général de lutte pour la définition des disciplines (psychologie et
sociologie notamment). Il faut donc ajouter un indispensable cadre
social : les institutions scolaires et de recherche qui se développent à
partir de 1871 trouvent dans ce type de kantisme un style de pensée
capable de tenir ensemble les idéaux sociaux républicains et ceux d'une
philosophie progressive, rigoureuse et collective, compatible avec les
réformes universitaires promues à ce moment-là. Ces réformes considé-
raient, certes implicitement, l'Université allemande à la fois comme un
modèle et comme un adversaire 1, mais elles reposaient aussi sur un
double passé, à n'en pas douter refoulé, cousinien et positiviste 2. C'est à
1. Cf. C. Charle, La République des universitaires, Paris, Seuil, 1994 ; J.-L. Fabiani,
Les Philosophes de la République, Paris, Minuit, 1988.
2. D'une certaine manière, les différends entre les interprétations extrêmes de ce
cadre commun intègrent – ce qui ne signifie ni répliquer ni continuer – en leur sein des
échos de vieux débats entre éclectiques et idéologues, et, plus tard, entre spritualistes et
positivistes au cours du XIXe siècle. Pour les origines du débat sur le psychologisme en
France, voir J.-F. Braunstein, « The French Invention of “Psychologism” in 1828 », in
Revue d'histoire des sciences, t. 65, no 2, p. 197-212.
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Le cadre et le portrait 15
Tableau 2.
Transmission d'un
Dépendance
Groupe d'appui héritage (concepts,
Numéro de institutionnelle
formé savoir-faire,
combinaison et/ou interactions
par des pairs problèmes, styles,
en face‑à-face
etc.)
1 + + +
2 + + –
3 + – +
4 + – –
5 – + +
6 – + –
7 – – +
8 – – –
Le cadre et le portrait 17
Collège de France, mais aussi de deux individus nés après 1900 comme
Vladimir Jankélévitch et Emmanuel Mounier, qui garderont des liens
personnels avec Bergson sans que le groupe générationnel auquel ils
appartenaient ne le fréquente.
Les différents lecteurs de Bergson qui n'avaient entretenu avec lui
aucune relation mais qui avaient lu ses textes constituent les quatre der-
niers cas. Le cinquième cas, très rare, est celui des groupes de lecteurs
catholiques nés entre 1900 et 1910 ou celui du groupe des commenta-
teurs de Bergson rassemblés autour de Frédéric Worms pendant la pre-
mière décennie des années 2000. Le sixième cas est celui des individus
appartenant aux promotions normaliennes des années 1920 : ils liront
Bergson dans le cadre de leur classe de philosophie (Sartre, Beauvoir,
Merleau-Ponty, Prévost, Hyppolite), mais toute influence du philosophe
sera annulée à travers des rites d'initiation dans les classes préparatoires
comme celle d'Alain (Prévost), ou à la Sorbonne à travers les néokantiens
et les sociologues ou à travers un parricide nécessairement incomplet
(Sartre, Merleau-Ponty). Le sixième cas est aussi celui de ceux qui liront
Bergson dans le cadre des programmes de l'agrégation à partir de 1941,
sans choisir cette lecture librement et sans en rester impressionnés. Enfin,
le septième cas se rapporte à celui qui choisira d'utiliser les notions berg-
soniennes. C'est le cas de Deleuze, le seul de sa génération à intégrer
Bergson dans son appareil conceptuel.
Cette classification dépend, bien entendu, de l'usage d'un instrument,
et elle doit être affinée en en utilisant d'autres. Un aspect qui n'apparaît
pas dans la table de vérité est le schème de perception impliqué dans la
lecture d'un texte ou dans l'interaction en face‑à-face avec un auteur. Ce
schéma résulte de la combinaison entre, d'une part, le capital culturel de
départ du lecteur ou du disciple Y au moment de la lecture ou au moment
du rapport pédagogique avec X, et, d'autre part, la valeur et la position
de l'auteur X et de ses textes dans les mondes sociaux fréquentés par Y,
doué d'une certaine énergie émotionnelle dépendante des interactions
entreprises dans les mondes sociaux fréquentés.
Les traits – multiples, contradictoires et s'enrichissant dans le temps –
de Bergson entre 1918 et 1930 comprennent les images d'un auteur
raffiné (cf. le Nobel de littérature, influençant les poètes et les critiques
littéraires), original et prônant l'originalité (la « création de soi par
soi », l'invention des concepts et des problèmes), solitaire (professeur au
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Le cadre et le portrait 19
Le cadre et le portrait 21
1. Cf. T. Clarck, Prophets and Patrons. French University and the Emergence of
Social Science, Cambridge, Harvard University Press, 1973.
2. Cf. M. Foucault, « La vie : l'expérience et la science », in Id., Dits et écrits, t. II,
1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 764.
3. Cf. A. Badiou, Deleuze. La clameur de l'Être, Paris, Seuil, 1997, p. 143.
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Le cadre et le portrait 23
eux aussi, formulent des histoires sur le passé de leur groupe, des mythes
leur permettant d'agir dans le présent.
Au lecteur de juger du caractère mythologique comme de l'utilité
stratégique, critique et politique des classements et des histoires
déployés au cours des pages qui suivent.
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La « dilatante synthèse »
La « dilatante synthèse » 29
La « dilatante synthèse » 31
attirer l'attention sur des aspects du réel considérés comme des points
aveugles du bergsonisme, notamment les notions d'instant 1, de rupture
et de dialectique ainsi que le caractère spatial de l'expérience.
Le rôle de Jean Wahl est celui d'un fédérateur et d'un médiateur
plutôt que d'un créateur. Malgré un certain engouement de certains
parmi ses lecteurs pendant les années 1930, son importance peut être
condensée dans la formule utilisée par Sartre, selon qui le « vers » de Vers
le concret laissent lui et ses amis « déçus 2 » : ce que ces derniers souhai-
taient, c'était se placer d'emblée dans le concret. Ce sont notamment les
positions iréniques de Wahl, manifestes dès Vers le concret, mais encore
plus dans le prolixe Traité de métaphysique et dans le projet du Collège
philosophique qui ne peuvent que décevoir des jeunes en quête de rup-
tures nettes comme Sartre ou Politzer. Wahl fait en effet dialoguer Kier-
kegaard, Platon, Nietzsche, Hartmann et Bergson dans une prose
pâteuse, pleine d'interrogations et dépourvue de réponses 3. Si cette
expression n'est pas entachée d'une illusion rétrospective, Jean Wahl a
constitué une transition entre bergsonisme et « existentialisme », comme
d'autres appartenant à sa génération, par exemple deux élèves d'Octave
Hamelin, René Le Senne (né en 1882) et Louis Lavelle (né en 1883).
Différemment de son ami, Gabriel Marcel, agrégé et en train de
rédiger une thèse, quitte l'enseignement en 1921 pour entreprendre une
carrière de prosateur, dramaturge, romancier, critique littéraire et théâ-
tral. Il sera notamment un collaborateur de la Nouvelle Revue française.
Vers la fin des années 1920, il se convertit au catholicisme, ce qui
entraîne une prudente prise de distance par rapport à Bergson 4. Tout au
long des années 1940, lorsqu'il occupe une position minoritaire dans le
La « dilatante synthèse » 33
Cet argument est placé par Marcel en opposition directe avec le cogito
cartésien ou kantien qui, au contraire, « ouvre l'accès [à un monde qui
ne] coïncide pas avec celui de l'existence ».
Se défendant d'effectuer « un retour à un dogmatisme précritique »,
l'auteur traite donc l'entreprise kantienne comme un dogmatisme, comme
l'une des « modes les plus décidément périmées de la spéculation philoso-
phique ». Marcel tente d'aller, contre « le dualisme institué par Kant entre
l'objet et la chose en soi », en cherchant, « par-delà l'objectivité, […] un
domaine où la classique relation entre sujet et objet cesse d'être stricte-
ment applicable ». Avec Bergson, Marcel soutient que la cause de notre
incapacité à saisir l'existence est « le langage » et « la grossière image
spatiale dont nous ne pouvons pas libérer notre esprit » 1. C'est par cet
« empirisme supérieur » que Marcel prétend, de manière bergsonienne,
critiquer ce qu'il nomme explicitement des « pseudo-idées » 2.
Le sort de Bergson auprès des catholiques qui, autour de 1910, sont
attirés par le bergsonisme suit un itinéraire différent 3. Jusqu'à 1910,
pour certains intellectuels catholiques comme Henri Massis (né en
1886) 4 et Alfred de Tarde (né en 1880), Bergson constitue un allié
important contre « l'esprit de la nouvelle Sorbonne 5 », rationaliste, maté-
rialiste, antireligieuse et antifrançaise ; pour d'autres philosophes catho-
liques, comme Étienne Gilson (né en 1884), Jacques Maritain et Jacques
Chevalier (nés en 1882), il représente le retour de la philosophie à la
spiritualité et à la métaphysique. Juste quelques années plus tard – après
la querelle moderniste et la consécutive mise à l'index de l'œuvre bergso-
nienne en 1914, après les critiques de Jacques Maritain 6, et, enfin, après
les attaques d'intellectuels antisémites proches de l'Action française
comme Pierre Lasserre à la veille de son élection au Collège de France 7 –,
1. Ibid., p. 184.
2. Ibid., p. 188. Plusieurs autres passages témoignent de l'influence bergsonienne
comme lorsque Marcel écrit (ibid., p. 189) que l'utilisation des outils consiste « à prolon-
ger et à spécialiser une manière de faire qui appartient déjà à mon corps ».
3. Il s'agit de la direction chrétienne indiquée par Édouard Le Roy dans la préface à
Une philosophie nouvelle. Henri Bergson, Paris, Alcan, 1912, p. V.
4. Voir sa condamnation suivante dans « Le déclin du bergsonisme et le renouveau
philosophique », Revue générale, no 106, 1921, p. 577-589.
5. Cf. H. Massis, Évocations. Souvenirs 1905-1911, Paris, Plon, 1930.
6. Cf. J. Maritain, La Philosophie bergsonienne, Paris, Rivière, 1914.
7. Voir les articles de Pierre Lasserre de 1910 – « La philosophie de M. Bergson »,
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La « dilatante synthèse » 37
Pendant les années 1920, l'idée que Bergson a inspiré certains des
romanciers les plus en vogue, dont Proust, Gide et même Valéry, se
répand, même si elle est fondée sur une illusion rétrospective 1. Plus
généralement, le bergsonisme se voit reconnaître le statut de philoso-
phie la plus en phase avec les expressions littéraires du moment. L'un
des promoteurs de cette idée est sans doute le critique littéraire Albert
Thibaudet, grâce à sa position centrale au sein de la Nouvelle Revue
française, la revue qui dominait le champ des études littéraires mais qui
influençait aussi le champ philosophique des années 1920 et 1930,
dans un moment où des vecteurs tendent vers la déprofessionnalisation
de la discipline. Tant dans son Paul Valéry de 1923 2 que dans plusieurs
articles sur Proust de la même année, il avait souligné, sinon l'influence,
du moins la compatibilité parfaite entre le bergsonisme et l'esthétique
de ces auteurs 3. Un an après, il rassemble dans un recueil, Intérieurs 4,
des articles publiés juste après la guerre dans des revues belges. Là, il se
penche sur les analyses de la « vie intérieure » contenues dans les poé-
sies de Baudelaire, de Fromentin et dans les carnets intimes d'Amiel, à
qui il consacre plusieurs articles 5. L'ouvrage d'introduction à la philo-
sophie bergsonienne que Thibaudet signe en 1923 – d'une importance
déterminante après ceux d'Édouard Le Roy et Harald Høffding –
souligne les aspects formels des œuvres d'art contre ceux qui relèvent de la vie et du
psychisme du créateur.
1. Gide avait justement écrit qu'on avait eu tendance à voir l'influence de Bergson
« sur notre époque partout, simplement parce qu'il appartient lui-même à cette époque
et se tient constamment à ses tendances » (Journal 1899-1939, Paris, Gallimard, 1939,
p. 783).
2. Paris, Grasset, notamment p. 22-23. Valéry avoue dans une lettre au Père Gillet du
30 janvier 1927 n'avoir lu que très tardivement L'Évolution créatrice, et que la métaphy-
sique bergsonienne n'est absolument pas en syntonie avec sa poétique (cf. P. Valéry,
Lettres à quelques-uns, Paris, Gallimard, 1952, p. 163).
3. Bergson est victime de la même illusion. Dans une lettre écrite à Proust en 1920
(H. Bergson, Correspondances, Paris, Puf, 2002, p. 910-911), il écrit que la méthode
adoptée dans l'écriture de À l'ombre des jeunes filles en fleurs est l'« introspection », « une
vision directe et continue de la réalité intérieure ».
4. Cf. A. Thibaudet, Intérieurs, Paris, Plon, 1924.
5. Cf. A. Thibaudet, « Histoire d'Amiel », Revue de Paris, no 3, p. 886-918 ; no 4,
p. 78-119 ; no 5, p. 406-427 ; « Amis et ennemis d'Amiel » N.R.F., 1er juillet 1926
(republié in Réflexions sur la littérature, Paris, Gallimard, 2007), Amiel ou la part du
rêve (Paris, Hachette, 1929).
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renforce cette idée d'une parenté naturelle entre les lettres et la philoso-
phie de Bergson 1.
Peu après, Léon Pierre-Quint (né en 1895), ancien auditeur de Berg-
son au Collège de France 2, relance la thèse d'une « influence capitale »
de Bergson sur Proust. Fort d'une correspondance avec le romancier,
dans son volumineux Marcel Proust de 1925, il soutient par exemple
que le but fondamental, tant pour le philosophe que pour le romancier,
est d'« atteindre par l'intuition, exprimer par l'intelligence les plus
fugaces sentiments de la vie intérieure », « vie intérieure qui n'est pas
intelligence » 3. De même, les deux auteurs concevraient le psychisme de
manière semblable : tant pour Bergson que pour Proust, « notre incons-
cient est bien, somme toute, la grande réalité de notre vie intérieure 4 ».
Peu après, Pierre-Quint soutient même la thèse d'une homologie entre la
conception de la liberté chez Gide et chez Bergson dans plusieurs articles
qui conflueront dans son André Gide de 1927 5. Ainsi, Bergson sup-
plante peu à peu Schopenhauer et les psychologues associationnistes
dans la conceptualisation des procédés par lesquels la poésie et l'écriture
littéraire seraient en mesure de saisir les profondeurs du psychisme.
Cette puissante influence de Bergson sur les critiques et les roman-
ciers doit être aussi liée à la pénétration des philosophèmes bergsoniens
dans le champ psychologique 6. Tandis qu'avant la guerre la psycholo-
gie, encore dominée par l'associationnisme et le positivisme de Théodule
Ribot, reste imperméable aux argumentations de Bergson 7, à partir de
La « dilatante synthèse » 39
La « dilatante synthèse » 41
psychisme morbide n'est pas une pure débandade, une absence d'organi-
sation, mais il se caractérise plutôt par une autre organisation qui permet
ainsi une analyse. Ainsi, il tempère la coupure définitive entre le psy-
chisme morbide et celui du psychiatre, et il rend possible la pratique
« bergsonienne » de l'intuition par ce dernier. Les malades mentaux,
comme le schizophrène et le maniaco-dépressif, sont décrits comme des
individus affectés par des troubles temporels : tandis que le malade men-
tal de Blondel se perd dans la cénesthésie, dans le flux muet de son vécu,
celui de Minkowski n'arrive pas à coordonner sa temporalité avec celle
du monde ; le schizophrène fuit le devenir, s'immobilise, se replie sur des
relations d'ordre spatial qu'il ne sait que juxtaposer, le maniaco-dépressif
vit au contraire dans un présent éternel.
Minkowski sera un assidu collaborateur de la revue L'Évolution psy-
chiatrique, qu'il crée en 1935 avec le psychiatre Henri Ey (né en 1900).
Ce dernier, peu enclin à l'introspection et à la sympathie, s'était fait pro-
moteur de l'approche de Samuel Jackson, dont il n'avait pas manqué de
souligner, dès sa thèse, son ouvrage Hallucinations et délire 1, et plus tard
dans Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychia-
trie 2, la compatibilité avec celles de Bergson. Ey revendique même son
affinité avec L'Évolution créatrice qui, avant Morgue et Jackson, a inséré
le temps dans l'organisme 3.
Les premières interprétations de la psychanalyse s'alignent également
sur cette « bergsonisation » générale des discours psychologiques : dans
La Psycho-analyse des névroses et des psychoses, ses applications médi-
cales et extra-médicales 4, les psychiatres Emmanuel Régis (né en 1855)
et Angelo Hesnard (né en 1886) présentent les découvertes de Freud en
les plaçant en continuité avec la tradition psychopathologique française
tout comme ils soulignent les convergences entre Freud et Bergson au
sujet de la théorie du passé et de l'inconscient, de leur conception prag-
matique du système nerveux et d'une commune méfiance à l'égard des
théories des localisations cérébrales. Les psychiatres en arrivent même à
La « dilatante synthèse » 43
1. « Freud et l'inconscient ».
2. J. Romains, « Aperçu de la psychanalyse », N.R.F., janvier 1922, p. 8-20.
3. Ibid., p. 12. Élisabeth Roudinesco souligne à juste titre, dans La Bataille de cent
ans. Histoire de la psychanalyse en France (vol. 1, Paris, Ramsay, 1982, p. 498), que la
première réception de l'œuvre de Freud était passée à travers Janet et Bergson.
4. Jean Piaget (né en 1896) avait déjà raconté, quoique sous forme romanesque, son
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premier refus de Bergson (cf. son roman Recherche, Lausanne, La Concorde, 1918). Il
avait certes mentionné rapidement Matière et mémoire dans ses premiers essais sur le
développement de l'enfant, mais il avait aussi souligné qu'il s'agissait d'une étude
« introspective » d'un philosophe. Beaucoup plus tard, dans Sagesse et illusions de
philosophie (Paris, Puf, 1965), il dira s'être formé dans le refus de Bergson et de la
psychologie non expérimentale des philosophes.
1. Cf. F. Challaye, Psychologie et métaphysique, Paris, Nathan, 1925, p. 23.
2. Cf. D. Roustan, Leçons de philosophie : psychologie du bergsonien, Paris, Pal-
grave, 1911.
3. Cf. V. Jankélévitch, « Henri Bergson » (1951), in Id., Premières et dernières pages,
Paris, Seuil, 1994, p. 79.
4. Cf. G. Friedmann, « La prudence de M. Bergson », Commune, no 30, 1934,
p. 722.
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La « dilatante synthèse » 47
Sartre sur le cinéma datant de 1924. Sartre croit que le cinéma est « un art
bergsonien » de la « durée » et du changement qui « inaugure la mobilité
en esthétique » 1. Le film est une conscience, il est « une organisation
d'états, une fuite, un écoulement indivisible, insaisissable comme notre
Moi 2 ». Ainsi, il permet d'entrer dans une conscience « comme dans un
moulin 3 ». Le cinéma, qui crée des « vies unanimes 4 » à travers des « tech-
niques simultanéistes 5 », est décrit comme un « ensemble », une « tota-
lité », une « mélodie » 6. Le vocabulaire est celui utilisé par le bergsonien
Thibaudet et par le maître lors des conférences tenues à Oxford les 10 et
11 mai 1911, ayant pour thème « La perception du changement », dont
Sartre emprunte la transcription à la bibliothèque de l'École normale 7.
Les Cahiers de jeunesse de Simone de Beauvoir (née en 1908) témoi-
gnent aussi d'un intérêt tant pour les romans d'introspection que pour la
philosophie de l'auteur de l'Essai 8. Dans Mémoires d'une jeune fille ran-
gée, le « Castor » nous livre justement que, jusqu'à sa rencontre avec
Sartre, elle était attachée aux « beautés de la vie intérieure 9 » et que seule-
ment par la suite elle parvient à se séparer du culte de l'intériorité, de
l'esprit d'analyse, de la psychologie et des romans autobiographiques,
des « fièvres » introspectives, de Gide et de Barrès 10 . Si, dans les
Mémoires d'une jeune fille rangée 11, Beauvoir déclare qu'en 1926 elle
préférait la littérature à la philosophie et qu'elle n'aurait pas aimé savoir
qu'elle deviendrait « une espèce de Bergson », ses mémoires dévoilent
qu'en 1927 elle voulait écrire des « essais sur la vie », une philosophie
en forme de littérature n'engageant pas uniquement l'« intelligence
1. Ibid., p. 389.
2. Ibid., p. 391.
3. Ibid., p. 397.
4. Cf. J.-P. Sartre, « Apologie pour le cinéma. Défense et illustration d'un art inter-
national », in Id., Écrits de jeunesse, Paris, Gallimard, 1990, p. 404.
5. Ibid., p. 396.
6. Ibid., p. 389.
7. Archives de la Bibliothèque de l'École normale supérieure, registre des emprunts,
notice sur J.-P. Sartre, année 1924.
8. Cf. S. de Beauvoir, Cahiers de jeunesse, 1926-1930, Paris, Gallimard, 2008.
9. Cf. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, 1958,
p. 223.
10. « Je jugeais non sans raisons artificielles les fièvres que j'avais naguère complai-
samment entretenues. J'abandonnais Gide et Barrès » (ibid., p. 228).
11. Ibid., p. 288.
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La « dilatante synthèse » 49
NAISSANCE DE L'HOMME
Bergson 1. Les conséquences sur les élèves sont similaires aux effets
engendrés par les cours de Bergson : ils concevront les symboles de cette
relation sociale passée comme des objets sacrés et intérioriseront normes
de comportement, conduites et traits théoriques dont la transgression
sera pour tous très difficile à accepter.
Ces facteurs caractérisent Alain comme figure déterminante pour la
génération des philosophes et écrivains nés au cours de la première décen-
nie du XXe siècle. Il se place en figure reine, en particulier pour le cercle
clos d'élèves qui participent au rite sacré constitué par les leçons de
« l'Homme » et continueront à collaborer avec lui, comme Georges Can-
guilhem, Jean Prévost, Georges Friedmann ou Simone Weil, mais aussi
pour ceux qui assistent à ses cours en tant qu'auditeurs, comme Ray-
mond Aron et Jean Hyppolite. Dans une moindre mesure, Alain est une
référence capitale pour qui ne compte ni parmi ses élèves ni parmi ses
disciples : ainsi Merleau-Ponty ou Sartre, pour qui Alain représente un
« éveilleur 2 ». L'influence d'Alain comportera, notamment chez les alai-
nistes, l'intériorisation d'un certain nombre de dispositions, mais aussi
d'un cadre théorique. Dans ce cadre, le refus de la philosophie bergso-
nienne – considérée comme une psychologie incohérente, comme une
sophistique, comme un pragmatisme, comme une doctrine amorale et
comme un opportunisme politique – est une pièce si fondamentale
qu'Alain n'hésite pas à marquer l'écart entre le groupe qu'il a formé avec
ses élèves et les bergsoniens : il y avait « rivalité d'atelier 3 ».
À première vue, les critiques adressées à Bergson par Alain sont ana-
logues à celles des autres philosophes ayant participé à la création de la
Revue de métaphysique et de morale et contribué à la structuration du
champ philosophique en poursuivant le travail de réforme néokantienne
amorcée par Jules Lachelier et promue par leurs maîtres Alphonse Darlu,
Émile Boutroux et Jules Lagneau. C'est en effet de l'intérieur de ce réseau
de sociabilité 4 qu'au long de la décennie 1893-1903 Alain élabore le
1. Ibid., p. 9.
2. Ibid., p. 10.
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1. Cf. Alain, Souvenirs concernant Jules Lagneau (1925), Paris, Gallimard, 1996.
2. Cf. Alain, Portraits de famille (1946), Paris, Mercure de France, 1961, p. 77-78.
3. Cf. Alain, Souvenirs concernant Jules Lagneau, op. cit., p. 728.
4. Au sujet de cette convergence, se reporter à R. Ragghianti, in Alain, op. cit., p. 124.
5. Cf. Alain, « Souvenirs concernant Jules Lagneau », in Les Passions et la Sagesse,
op. cit., p. 727-728.
6. Cf. Alain, Portraits, op. cit., p. 78.
7. Cf. Alain, Histoire de mes pensées, Paris, Gallimard, 1936, p. 146.
8. Bulletin de l'Association des amis d'Alain, no 63, 1986, p. 6. « J'ai connu Berg-
son ; j'ai fort apprécié de lui, au Congrès de Genève de 1904, une communication sur le
parallélisme psychophysiologique […]. À partir de cet épisode, la querelle n'a plus cours
entre Alain et Bergson, mais bien entre Alain et les bergsoniens qui sont tous des esprits
faibles et des flatteurs du pouvoir » (Alain, Portraits, op. cit., p. 77-78).
9. Dédicace à Marie-Monique Morre-Lambelin d'octobre 1933, citée par Patrice
Henriot, in « Alain devant Bergson », Cahiers philosophiques, dossier « Bergson », no 103,
octobre 2005, p. 34, n. 10.
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PROTAGORAS ET PLATON
p. 1012. Or, dans une page du Journal (26 août 1938, Bulletin de l'Association des amis
d'Alain, no 98, décembre 2004), Alain relate qu'au début des années 1900, pendant les
déjeuners des philosophes animant la Revue de métaphysique et de morale, Bergson avait
toujours engagé « quelque discussion aigre » avec lui, lui « prêtant des opinions qu'il
nommait intellectualistes ».
1. Gustave Bélot, dans son compte rendu de 1889 sur la Revue philosophique (« Une
théorie nouvelle de la liberté », p. 369), avait été le premier à remarquer que Bergson
prétendait que « notre liberté […] [n'est] rien d'autre que le sentiment que nous en
avons », et à observer que cette conception reposait finalement sur un « sophisme ».
2. Cf. É. Le Roy, « La science positive et les philosophies de la liberté », in Premier
Congrès international de philosophie, Paris, Armand Colin, 1900, t. 1, p. 313-341.
3. Bulletin de la Société française de philosophie, 1903, p. 95-124.
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1. « Deux ou trois fois, Bergson prit ma défense. Nous eûmes toujours des relations
convenables. Ma faiblesse, c'est que je ne l'aimais point. Cela se voyait ; il se forma une
opposition de secte qui empêcha de le juger librement. Je suppose qu'il aimait mieux cette
situation que la discussion ouverte » (Souvenirs sans égards, in Premier journalisme
d'Alain, Le Vésinet, Institut Alain, 2001, p. 445-446).
2. Cf. H. Bergson, « Note sur les origines psychologiques de notre croyance à la loi
de causalité », Revue de métaphysique et de morale, 1900, p. 656.
3. Ibid., p. 657.
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1. Ibid.
2. Ibid., p. 658.
3. Ibid.
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UN MANUEL DE RADICALISME
1. Cf. H. Bergson, « Note sur les origines psychologiques de notre croyance à la loi
de causalité », op. cit., p. 657.
2. Cf. É. Chartier, « L'éducation du moi », Revue de métaphysique et de morale,
1900, p. 626.
3. « L'éducation du moi », op. cit., p. 627.
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1. Cf. Alain, Quatre-vingt-un chapitres, op. cit., p. 141. Alain semble se référer aux
antinomies de la raison pure.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 142.
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1. Ibid., p. 19.
2. Ibid., p. 21.
3. Ibid.
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l'explique dans le chapitre qu'il lui consacre, ne peut que rester muette si
elle n'est pas accompagnée par l'acte de jugement de l'esprit. Reprenant
sans la nommer l'Esthétique transcendantale et faisant un clin d'œil à
l'Essai, Alain distingue les grandeurs intensives de celles extensives afin
de séparer la sensation de la perception. La sensation pure est simple
« changement et nouveauté », « chose inexprimable », mais, au contraire
de ce qui a été tenté par Bergson, il « est vain » de « décrire les impres-
sions originaires ou données immédiates » avant l'espace, « avant toute
géométrie 1. » Pourquoi ? Alain nous donne une réponse dans le chapitre
consacré à la mémoire. Il n'est pas possible de séparer « le temps, qui
serait l'ordre de nos pensées, de l'espace, qui serait l'ordre des choses »
car espace et temps, comme Kant avait essayé de montrer dans la Cri-
tique de la raison pure (à laquelle Alain renvoie), sont deux formes étroi-
tement liées qu'il est impossible de séparer dans notre expérience. En
effet, d'après Alain, « la pensée et les choses sont ensemble 2 ».
Alain tranche une fois pour toutes dans l'avant-dernier chapitre du
premier livre, explicitement intitulé « Le sentiment de la durée ». Il se
demande s'il est possible d'avoir une expérience différente du temps,
« une expérience plus intime » par rapport à celle du quotidien et de la
science. Autrement dit : est-il possible de saisir les « données immédiates
de la conscience » à travers « le recueillement avec moi-même », dans le
« pur subjectif » ? Alain s'adonne donc à une expérience analogue au
« moment bergsonien » de son maître Lagneau au temps du lycée Laka-
nal. Le développement et le dépassement de cette expérience seraient,
encore une fois, susceptibles de trancher le débat entre Protagoras et
Platon, ou entre ceux qu'il nomme « psychologues » et les dits « intellec-
tualistes ». Or le résultat est que la « chaîne de moments […] tombe bien-
tôt dans une espèce de nuit 3 ». Cette « vie de pur sentiment […] tend au
sommeil, c'est‑à-dire à l'inconscience ». Comme Kant a montré que
« l'unité du sujet n'apparaît jamais sans aucune perception d'objet » 4, vie
« intérieure » et vie « extérieure » sont inséparables ; à proprement parler,
il n'y a pas de vie intérieure comme celle « dont beaucoup de philosophes
1. Ibid., p. 42.
2. Ibid., p. 52.
3. Ibid., p. 60-61.
4. Ibid., p. 61-62.
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1. Ibid.
2. Ibid., p. 67. On retrouve ces réflexions dans le Système des beaux-arts (chap. VII,
« Des états d'âme », Paris, Gallimard, 1963, p. 323).
3. Cité par R. Ragghianti (Dalla fisiologia, op. cit., p. 125, n. 198).
4. Cf. Alain, Quatre-vingt-un chapitres, op. cit., p. 67.
5. Alain fait, bien sûr, ici allusion à Le Roy et aux bergsoniens.
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1. Cahiers de Lorient, op. cit., p. 134. C'est au même moment que Xavier Léon
définit, dans une lettre à Élie Halévy, les philosophes de la Revue des « antibergsoniens
résolus » (in H. Bergson, Lettere a X. Léon e ad altri, Naples, Bibliopolis, 1992, p. 34).
2. Alain ajoute : « Chacun se plaisait à reconnaître mes anciens élèves en les interro-
geant. »
3. Cf. Alain, Souvenirs sans égards, op. cit., p. 445.
4. « Il y a cent ans. Discours prononcé par M. Chartier, professeur de philosophie, à
la distribution des prix du lycée Corneille, le 31 juillet 1902 », Bulletin de l'Association
des amis d'Alain, no 94, déc. 2002, p. 9.
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1. Ce livre sera précédé par l'article « Note sur le temps » (Revue philosophique de la
France et de l'étranger, t. 102, 1926, p. 451-459).
2. Cf. G. Bénézé, Allures du transcendantal, Paris, Vrin, 1936, p. 14.
3. Ibid.
4. Bénézé reviendra sur la condamnation beaucoup plus tard (« Bergson et la mémoire-
image », in Bergson et nous, Bulletin de la Société française de philosophie, Paris, Armand
Colin, t. 1, 1959, p. 27-29).
5. C'est sous sa pression qu'Alain prépare en 1926 les quatre-vingts propos rassem-
blés sous le titre Le citoyen contre les pouvoirs.
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du jeune homme est Alain, celui même dont Prévost se méfie au lende-
main de la guerre, car son professeur « mépris[e] la psychologie », qu'il a
appris à aimer en classe terminale 1. Prévost oppose l'« étude du compor-
tement » à l'introspection dans l'étude de l'homme : la première, libérée
de la philosophie, doit être rattachée à la physiologie, donc à la biologie
et aux sciences naturelles ; la seconde, comme l'annonce clairement le
titre du deuxième chapitre, « n'est pas une connaissance positive » :
« Nulle science, nulle connaissance positive n'est sortie, ne peut sortir, de
l'introspection pure ou d'une étude objective adultérée d'introspec-
tion 2. » L'introspection, « appuyée entièrement sur un sens qui n'est sus-
ceptible ni de mesure ni de contrôle, est analogue à une chimie qui tirerait
toutes ses données des sensations de l'odorat 3 ». Si l'objet de la psycholo-
gie consiste dans les sensations, et si « la sensation est un rapport d'une
chose à nous », alors le contact d'un sujet avec l'objet, l'introspection, est
incapable de nous informer sur quoi que ce soit, car elle « devrait obser-
ver en se détournant et de nous et de la chose » 4.
Les « introspecteurs » sont des hommes de mauvaise foi : « Un peu de
sincérité envers eux-mêmes montrerait […] – déclare Prévost – que leur
pensée intérieure, bornée à ses ressources, échoue presque toujours dans
ses entreprises : nulle méditation muette n'atteint le but qu'elle s'était
proposé 5. » Comme le protagoniste du roman Tentative de solitude,
publié par Prévost la même année, s'isole et, renonçant même à la com-
munication afin de mieux connaître les profondeurs de son esprit, risque
de sombrer dans l'abîme de la folie, ainsi les psychologues intro-
spectifs se sont tous « détruits, ils se sont noyés dans les mots 6 ». L'intro-
spection ne peut qu'amener folie, puisque, « à mesure que l'introspection
se prolonge, le jugement va en se dégradant ; l'oubli progressif des cou-
tumes de l'expérience l'achemine progressivement vers le rêve ».
L'« introspection muette prolongée » se rapproche des « états de faiblesse
mentale » ; ainsi, « l'extase est un abrutissement » 7.
1. Ibid., p. 123.
2. Ibid., p. 118.
3. Ibid., p. 119.
4. Ibid., p. 130.
5. Ibid., p. 124.
6. Ibid., p. 131.
7. Ibid., p. 174. Dans un compte rendu écrit pour la revue Europe (« D'une nouvelle
orientation de la psychologie », Europe, no 66, juin 1928, p. 281-290), Prévost partage
pleinement les thèses exprimées par Politzer dans la Critique des fondements de la psycho-
logie, notamment dans leurs aspects critiques.
8. Cf. J. Prévost, « Schelling et la liberté humaine », Europe, no 51, 1926, p. 431-432.
9. « L'inquiétude de Marcel Arland. À propos d'une nouvelle mystique » et « Une
direction dans la nouvelle génération », Europe, avril et mai 1925 respectivement ; « Ils
ont perdu la partie éternelle d'eux-mêmes », Esprit, 1926.
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1. « Bergson a pris le sens vulgaire [de la notion] et lui a donné un sens métaphy-
sique » (ibid., p. 214).
2. Ibid., p. 17.
3. Ibid., p. 205.
4. Cf. S. Weil, L'Enracinement (1943), in Id., Œuvres, Paris, Gallimard, 1999,
p. 1182.
5. Ibid., p. 1188.
6. Ibid., p. 1184-1185. Les « Pilules Pink pour personnes pâles » (Pink Pills for Pale
People) ont été brevetées par le docteur étatsunien William Frederick Jackson, médecin de
Brockville, en 1886. Elles sont vendues en France à partir de 1893. À base de fer, elles
étaient censées combattre l'anémie et la fatigue.
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SOCIOLOGUES ET NÉOKANTIENS
surtout chez les psychologues. Sartre écrit son mémoire pour le diplôme
d'études supérieures sous la direction d'Henri Delacroix, le travail de
Pierre Morhange est dirigé par Georges Dumas, tandis que Merleau-
Ponty et Jankélévitch choisissent un auteur, Plotin, ainsi qu'un directeur,
Émile Bréhier 1, « bergsonien ». Lévinas étudie dans une université de
province, celle de Strasbourg, en tous points antikantienne et abritant
trois auteurs plus ou moins influencés par Bergson : le psychologue
Charles Blondel, le philosophe Maurice Pradines et le sociologue Mau-
rice Halbwachs.
Malgré certains problèmes et adversaires communs, Bergson
– comme Gabriel Tarde et René Worms – sert à Durkheim de repoussoir
au cours du processus d'institutionnalisation de la sociologie en tant que
discipline positive et antipsychologique 2. Dès 1895, dans Les Règles de
la méthode sociologique, Durkheim fait allusion à Bergson en critiquant
ce qu'il nomme le « néomysticisme » psychologiste. Plus tard, en traitant
de la sociologie de la connaissance dans Les Formes élémentaires de la
vie religieuse, il oppose sa théorie du temps social « objectivement pensé
par tous les hommes d'une même civilisation » à un supposé temps per-
sonnel saisissable par intuition 3. À la fin de l'ouvrage, Durkheim met
hors jeu la possibilité d'une science du qualitatif, car le seul savoir possi-
ble ne peut que s'instituer en ordonnant « le variable sous le permanent,
l'individuel sous le social » : la société se place au-dessus de la « puissance
créatrice » de l'individu, seule la sociologie est donc capable d'« expli-
quer l'homme » 4. Enfin, dans son cours consacré au pragmatisme, il
considère le changement comme « la forme la plus rudimentaire 5 » de la
réalité qui doit être saisie par les sciences sociales. Durkheim s'oppose
ainsi à toute application du bergsonisme dans les sciences sociales
comme celle faite par Joseph Wilbois, et, de leur côté, tous les bergso-
niens, auxquels le sociologue s'est opposé dans sa politique acadé-
mique 1, le considèrent, suivant leur maître, comme un « adversaire de la
liberté 2 ».
Émile Durkheim meurt en 1917 et n'a donc pas la possibilité de
former les jeunes nés au début du XXe siècle. Cependant, le refus de toute
psychologie et du bergsonisme est un dogme partagé implicitement par
tous les élèves et tous les proches de Durkheim. C'est Paul Fauconnet (né
en 1874) qui reprend sa chaire en 1921, après avoir été, depuis 1907, le
remplaçant de Célestin Bouglé à Bordeaux. Célestin Bouglé (né en 1870)
enseigne à la Sorbonne depuis 1901 où, en 1919, il succède à Alfred
Espinas à la chaire d'économie sociale. Il édite non seulement, en 1924,
un important recueil de textes de Durkheim – Sociologie et philosophie –,
mais il occupe également une place stratégique dans la formation des
normaliens des années 1920 et 1930, grâce au Centre de documentation
en sciences sociales, qu'il crée à l'École normale en 1920. Bouglé sera
aussi directeur adjoint de cette institution entre 1927 et 1935 et direc-
teur entre 1935 et 1940. En outre, la réforme universitaire de 1920 crée
notamment un certificat de sociologie et de morale interne à la licence de
philosophie et facilite ainsi l'enseignement de la sociologie et la forma-
tion des esprits des jeunes aspirants philosophes.
Bouglé n'a jamais fait preuve, comme par exemple Paul Fauconnet,
d'une attitude agressivement antipsychologique et antiphilosophique,
bien au contraire : dans sa thèse de 1898, Les Sciences sociales en Alle-
magne, il prend ses distances d'avec l'objectivisme de Durkheim, souli-
gnant l'importance du lien entre sociologie et psychologie et la
discontinuité entre sciences de la vie et sciences sociales. Néanmoins, cet
intérêt pour le caractère subjectif des phénomènes humains est davan-
tage lié à leur propriété d'ordre « téléologique », non à leur nature « en
1. Au Collège de France, Durkheim a soutenu Mauss contre Loisy, défendu par Berg-
son, pour la chaire d'histoire des religions. Plus tard, en 1924, Bergson tente de réduire
l'influence des durkheimiens sur l'enseignement de la sociologie aux Écoles normales
primaires.
2. Cf. I. Benrubi, Souvenirs sur Henri Bergson, Neuchâtel, Delachaux, 1942, p. 63.
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1. Ibid., p. 14.
2. Ibid., p. 10.
3. Cf. « Spiritualisme et sens commun », op. cit., p. 34.
4. Cf. L. Brunschvicg, « Vie intérieure et vie spirituelle » (1925), in Id., Écrits, t. II,
Paris, Alcan, 1958.
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thèse complémentaire Le Devoir (Paris, Alcan, 1925), et leur synthèse originale, Descrip-
tion de la conscience. L'obstacle et la valeur (Paris, Alcan, 1934). Dans Le Devoir, Le Senne
intitule l'un des premiers chapitres « Insuffisance de l'intuitionnisme ». Le Senne reviendra
sur Bergson en 1941 (« L'intuition morale d'après Bergson », Revue philosophique de la
France et de l'étranger, t. 131, no 3-8, 1941, p. 218-224). Voir aussi A.-A. Devaux, « René
Le Senne face à Henri Bergson », Études bergsoniennes, t. 10, 1973.
1. Cf. A. Dandieu (éd.), Anthologie des philosophes français contemporains, Paris,
Le Sagittaire, 1931, p. 19-20.
2. Cf. M. Boll, « Sur la durée, la liberté, et autres “intuitions” », in Mercure de
France, t. CXXV, no 471, 1er février 1918, p. 385-410. Voir son Attardés et précurseurs.
Propos objectifs sur la métaphysique et la philosophie de ce temps et de ce pays, Paris,
Chiron, 1921.
3. Il suffit de rappeler les réactions d'Émile Borel, « L'évolution de l'intelligence
géométrique », Revue de métaphysique et de morale, t. 15, no 6, 1907, p. 747-754, et de
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durée : l'irrationnel a peu à voir avec la durée et, bien que le modèle
cartésien et laplacien ait montré ses limites, la science continue à s'appro-
cher des phénomènes, en les expliquant. Selon le Polonais, il n'y a donc
aucune autre alternative à l'identification, et l'intuition n'en constitue
surtout pas une. Ce refus est répété en 1922, dans De l'explication dans
les sciences : aucune étude psychologique de la perception et de la
manière dont le sujet construit l'idée de chose à partir des « données
immédiates de la conscience » n'est possible, car, comme l'indique le titre
lapidaire du premier chapitre du livre, toute « science exige le concept
de chose 1 ».
Cela est définitivement mis noir sur blanc dans Du cheminement dans
la pensée, commencé en 1924-1925 et publié en 1931. Le livre s'ouvre
par une citation de Bergson, mais se clôt par la déclaration que « l'unifi-
cation tentée par M. Bergson se révèle impossible, l'examen de la science
montrant que l'esprit n'a pas pour but unique l'action 2 ». Après avoir
montré comme la théorie bergsonienne du dénombrement n'était pas à la
hauteur de celle d'un mathématicien comme Dedekind 3, au long de dix
pages où il traite de la « théorie de M. Bergson » Meyerson montre la
« divergence fondamentale 4 » entre ses positions et celles de Bergson. Les
« diverses tentatives de déduction de l'intelligence ont toutes échoué 5 »,
et même celle de Bergson ne peut « qu'aboutir à un échec 6 ». La motiva-
tion principale est que la science n'est pas ce qu'entend Bergson : elle est
identification et non pas solidification, et son but n'est pas l'utile, mais
la vérité.
Ces jugements beaucoup plus tranchés ne sont pas uniquement liés
au succès relatif de Meyerson qui, à partir des années 1910, fait partie,
à plein titre, du réseau de sociabilité de la Société française de philoso-
phie, mais ils se rattachent aussi à la querelle autour de la relativité, au
Bachelard et Bergson. Continuité et discontinuité, Paris, Puf, 2008, p. 116. Voir aussi, du
même auteur, « Entre Bergson et Meyerson : le devenir schizophrénique de Bereksohn »,
Annales bergsoniennes III, Paris, Puf, 2007, p. 417-426.
1. Cf. É. Meyerson, L'Explication dans les sciences (1921), Paris, Fayard, 1995,
p. 19.
2. Cf. É. Meyerson, Du cheminement dans la pensée (1931), Paris, Vrin, 2011, p. 28.
3. Ibid., p. 340.
4. Ibid., p. 71.
5. Ibid., p. 578.
6. Ibid., p. 580.
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sensible aux chants des sirènes des avant-gardes, des cercles littéraires et
de la « philosophie pathétique », tant et si bien qu'il déclarera trente ans
plus tard, au beau milieu de la querelle sur la structure, avoir été
« choqué » par l'existentialisme, ajoutant aussi que Kierkegaard lui a
toujours « inspiré une vive répulsion 1 ». On peut donc imaginer le peu
de patience que Ruyer pouvait avoir face aux « bergsonismes » religieux,
littéraires et psychologiques de certains parmi ses professeurs de lycée 2
et ses camarades parisiens.
C'est à Augustin Cournot, savant franc-comtois profondément
attaché à la campagne, auteur très peu connu, mais déjà objet de l'atten-
tion de Bouglé dans un essai de 1905 3, que Ruyer consacre la première
des deux thèses. De la pensée de cet auteur, il retient notamment la
volonté d'appliquer des schèmes d'analyse précis à tous les faits, y com-
pris aux phénomènes humains. Comme Ruyer le rappelle, selon Cour-
not, « ce que nous connaissons le mieux en toutes choses, c'est l'ordre et
la forme 4 ». C'est donc autour des notions de forme et de structure qu'il
concentre ses efforts dans sa thèse principale. Ce travail est élaboré entre
1924 et 1930, à savoir au moment où les discussions sur la relativité sont
au centre du champ philosophique. Celles-ci fournissent alors une confir-
mation de ses intuitions de jeunesse, intuitions qui entraînaient un anti-
bergsonisme résolu. Ruyer se souvient qu'au cours des années 1920 les
théories d'Einstein imposaient aux savants et aux philosophes une vérité
simple et révolutionnaire – autrement dit, que « tout s'explique géomé-
triquement, par la structure même de l'espace-temps 5 ».
C'est suivant cette piste que Ruyer élabore sa thèse principale, sous la
direction de Brunschvicg, par rapport auquel il gardera une distance res-
pectueuse 6. Selon le jeune philosophe, la réalité, comme étant composée
de mécanismes, tous dotés d'une forme, est constituée de relations spatio-
temporelles. « La thèse “tout est forme” – écrit-il – signifie exactement
1. Cf. R. Ruyer, « Raymond Ruyer par lui-même » (1963), Les Études philoso-
phiques, t. 80, no 1, 2007.
2. Cf. F. Louis - J.-P. Louis, La Philosophie de Raymond Ruyer, Paris, Vrin, 2014.
3. Cf. C. Bouglé, « Les rapports de l'histoire et de la science sociale d'après Cournot »
(1905), in Id., Qu'est-ce que la sociologie ?, Paris, Alcan, 1931.
4. Cf. R. Ruyer, « Raymond Ruyer par lui-même », op. cit.
5. Ibid.
6. Voir le chapitre « Criticisme mécaniste » in R. Ruyer, Essai d'une philosophie de la
structure, Paris, Alcan, 1930, p. 270.
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“tout est forme dans l'espace-temps”. » 1 Voilà qui est bien une thèse
en tous points antibergsonienne : « Par un réflexe bergsonien – écrit
Ruyer –, on croit que ce qui s'oppose à l'artificiel des mots, des abstrac-
tions, c'est l'intuitif, le “flou”. Non pas, c'est la structure bien définie des
êtres 2. » La philosophie de la forme proposée par Ruyer a des consé-
quences notables tant dans la théorie de la connaissance qu'en sciences de
la vie. Dans chacun de ces domaines, l'auteur vise à se démarquer nette-
ment de Bergson. Ce n'est par exemple pas à cause de son caractère de
« durée » que l'on n'arrive pas à « mesurer une qualité sensible », mais
bien parce qu'« elle est la forme comme forme, et que la mesure d'une
forme est autre chose que cette forme même » 3. Il en va de même pour les
phénomènes vitaux : si les formes vitales sont « infiniment complexes »,
« les formes-organismes ne sont qu'un cas particulier, et il n'est pas pos-
sible de donner à la vie la place que lui donne Bergson » 4.
La philosophie de la structure de Ruyer le conduit vers un réalisme
difficilement compatible avec l'idéalisme de Brunschvicg, mais il
s'oppose aussi et surtout « à un réalisme tel que celui de Bergson dans
Matière et mémoire ». En effet, Bergson fait, « de l'image elle-même, une
réalité objective, indépendante même, en principe, de l'organisme ». Au
contraire, selon Ruyer, « l'image n'implique pas un sujet métaphysique,
mais elle implique bien un organisme 5 ». Plus en général, pour un ratio-
naliste comme Ruyer, c'est la méthode bergsonienne qui est four-
voyante. L'intuition « n'est qu'une vague image subconsciente, qui est,
en effet, le moteur caché de toutes les constructions philosophiques des
métaphysiciens. Cette image agit un peu à la façon des désirs refoulés
dont parle la psychanalyse : elle apparaît sous toutes sortes de déguise-
ments pseudo-logiques ou pseudo-scientifiques 6 ». Ainsi, elle mène à la
production de concepts qui « ne répondent à rien », comme l'« Élan
vital ». « En quoi le comportement des organismes et la formation des
espèces vivantes ressemblent-ils à un élan ? », se demande Ruyer, et il
conclut : « C'est une impression que l'on a peut-être quand on feuillette
1. Ibid., p. 57.
2. Ibid., p. 11.
3. Ibid., p. 175.
4. Ibid., p. 99.
5. Ibid., p. 145.
6. Ibid., p. 304.
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1. Ibid., p. 305.
2. Cf. R. Ruyer, « Le sens du temps. Réflexions sur des films renverses », Recherches
philosophiques, no 5, 1935-1936, p. 52-64.
3. Les thèses saillantes de ce livre seront présentées en 1938 devant la Société fran-
çaise de philosophie (cf. R. Ruyer, « Le psychologique et le vital », Bulletin de la Société
française de philosophie, novembre 1938).
4. Cf. R. Ruyer, La Conscience et le Corps, Paris, Puf, 1937.
5. Cf. R. Ruyer, « Les sensations sont-elles dans notre tête ? », Journal de psycholo-
gie, no 31, 1934, p. 555-580.
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1. Cf. R. Ruyer, « Sur une illusion dans les théories philosophiques de l'étendue »,
Revue de métaphysique et de morale, t. 39, no 4, 1932, p. 525.
2. Cf. G. Bachelard, Essai sur la connaissance approchée (1927), Paris, Vrin, 1986,
p. 13.
3. Ibid., p. 14.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 15.
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1. Ibid., p. 34.
2. Ibid., p. 141.
3. Cf. G. Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Paris, Vrin, 1929, p. 110.
4. Ibid., p. 5.
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Trois ans après, Bachelard tire tout le profit des conséquences philo-
sophiques de la relativité dans un petit livre, L'Intuition de l'instant,
publié chez un éditeur de littérature, Stock. L'essai n'est apparemment
rien d'autre que la discussion philosophique de La Siloë, de Gaston
Roupnel, un historien collègue de Bachelard à la faculté de Dijon, où il
enseigne depuis 1930 ; en réalité, il s'agit d'un règlement de comptes avec
Bergson. Contre ce dernier, Bachelard soutient que la réalité primitive du
temps n'est pas celle de la durée continue, mais celle de l'instant dis-
continu. Cette idée entraîne une conception « dramatique » et « solitaire »
du temps largement incompatible, au niveau métaphysique, avec celle
proposée par la philosophie de la durée. Le titre même du livre, comme sa
« suite » antibergsonienne de 1936, La Dialectique de la durée, est
presque une moquerie envers Bergson. « L'idée métaphysique décisive du
livre de M. Roupnel – résume Bachelard dans la première phrase du livre
– est celle-ci : Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'Instant 1. »
Après avoir dessiné dans ses larges traits la conception bergsonienne,
Bachelard en rappelle les défauts, manifestes lorsqu'elle est confrontée à
une analyse de la vie psychologique. En effet, l'« épopée de l'évolution »
ne parvient à expliquer ni le commencement ni la fin d'un acte, ni les
« accidents » 2. Au contraire, Roupnel prend l'« accident comme prin-
cipe 3 », selon lui « la durée est faite d'instants sans durée, comme la
droite est faite de points sans dimension 4 ». Cette « intuition tempo-
relle » est donc « exactement contraire à l'intuition bergsonienne 5 ».
Mais ce ne sont pas les études « psychologiques » qui sont les plus pro-
bantes. Tout comme la révolution copernicienne avait réveillé Kant du
sommeil dogmatique, c'est la révolution de la physique d'Einstein qui
réveille le philosophe de ses « songes dogmatiques 6 » et bergsoniens. Les
faits de la relativité prouvent qu'aucun compromis avec le bergsonisme
n'est plus possible : après Einstein, il est désormais impossible de for-
muler une doctrine « éclectique 7 » consistant en un « bergsonisme
1. Ibid., p. 27.
2. Ibid., p. 28.
3. Ibid., p. 31.
4. Ibid., p. 33.
5. Ibid., p. 37.
6. Ibid., p. 40.
7. Ibid., p. 41.
8. Ibid., p. 38.
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1. Ibid., p. 44.
2. Cf. G. Bachelard, La Dialectique de la durée (1936), Paris, Puf, 2003, p. VII.
3. Ibid., p. VI.
4. Ibid., p. VIII.
5. Ibid., p. 8.
6. Ibid., p. 12.
7. Cf. G. Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, op. cit., p. 43.
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1. Ibid., p. 9.
2. Ibid., p. 12.
3. Ibid., p. 6.
4. Cf. G. Bachelard, La Philosophie du non (1940), Paris, Puf, 2012, p. 8.
5. Ibid., p. 10.
6. Ibid., p. 9.
7. Ibid., p. 17.
8. Ibid., p. 144.
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Bergson revient dans le cas d'images fluides, mais il est critiqué pour la
mauvaise utilisation des images matérielles. Déjà dans Les Intuitions
atomistiques, de 1932, Bachelard souligne que des phénomènes comme
la poussière ou la fumée sont déjà présents dans l'imaginaire du savant
et l'aident à penser les atomes. Par conséquent, il est impossible de
limiter, comme Bergson le souhaite, la connaissance scientifique à une
opération de « solidification ». Le bergsonisme « ne peut rendre compte
de l'évolution complète de la pensée objective 1 ».
Ainsi, aucun compromis n'est plus possible avec Bergson, qui d'autre
part est trop âgé pour réagir. En avril 1937, lorsque Bachelard expose
les thèses de La Dialectique de la durée devant ses maîtres et ses collègues
antibergsoniens (Brunschvicg, Meyerson, Bénézé) à la Société française
de philosophie, Bergson se défile silencieusement, quittant la salle et
suscitant la déception de Brunschvicg 2. Les critiques de Meyerson et de
Bachelard envers Bergson, nées d'une polémique « locale », introduisent
au niveau « global », dans le champ philosophique, l'importance de
notions comme celles d'instant, de rupture, de dialectique, de négativité,
de néant, apparemment incompatibles avec le bergsonisme.
Ces trois barrages antibergsoniens constitués par Alain à Henri-IV,
par l'enseignement des néokantiens et des sociologues à la Sorbonne, par
les discussions autour de la théorie de la relativité, se dessinent sur fond
de changement des discursivités littéraires et politiques en tous points
incompatibles avec la philosophie de Bergson, mais davantage encore
avec le « bergsonisme » des bergsoniens. Ces « discursivités » se com-
binent et influencent l'élaboration de textes à la frontière entre philoso-
phie et proses d'idées dans un moment où la philosophie universitaire
n'offre pas de perspective de carrière aux nouveaux entrants.
1. Ibid., p. 25.
2. « Je regrette seulement que celui que vous avez nommé sans savoir qu'il était là ait
dû partir et que nous ne l'ayons pas entendu » (in G. Bachelard, « La continuité et la
multiplicité temporelle », Bulletin de la Société française de philosophie, t. 37, no 2,
1937). Quatre ans plus tôt, dans la troisième édition de son rapport La Philosophie
française (in Mélanges, op. cit., p. 1178), Bergson avait rapidement mentionné, avec les
travaux de Nicad sur la géométrie de l'espace sensible et ceux de Poirier sur les notions
d'espace et temps, La Connaissance approchée.
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La mort de l'Esprit
clercs (1927 ; Paris, Pauvert, 1965, p. 167) – où Benda insiste sur le caractère pragma-
tique, animal et « profane » de la philosophie bergsonienne –, on trouve une parodie à
peine voilée de cette image triomphale.
1. Cf. « Vie et existence d'après Bergson », in Id., Figures de la pensée philosophique,
t. I, Paris, Puf, 1971, p. 490.
2. Voir le témoignage de Georges Canguilhem dans « Raymond Aron et la philoso-
phie critique de l'histoire » (in AA.VV, Raymond Aron, la philosophie de l'histoire et les
sciences sociales, Paris, Rue d'Ulm Éd., 1999, p. 17) : « Dans un ordre d'événements
différent mais non étranger, 1924 est l'année où Paul Valéry publie Variétés, recueil de
textes, dont le premier, daté de 1919, commence par la phrase célèbre : “Nous autres,
civilisations…” »
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créateur de la vie, elle serait marquée par des cycles de destructions. C'est
à la même époque que cette idée cyclique du temps historique entre dans
l'imaginaire culturel grâce à Nietzsche et à Spengler et par la philosophie
allemande de l'histoire. Elle fait son apparition, de manière quelque peu
surprenante et trop tardive, chez le Bergson des Deux Sources, dans son
dernier chapitre, à travers la « loi de double frénésie » et l'idée de la non-
coïncidence entre évolution scientifique et évolution morale 1.
Comme plusieurs des essais parus dans les revues qui recommen-
çaient à être publiées au lendemain de la signature du traité de Versailles,
tout l'essai de Valéry est tendu dans une confrontation entre la situation
de l'Europe en 1919 avec celle de 1914, « arrivée à la limite de ce moder-
nisme ». En faisant un clin d'œil à un entretien de Bergson de 1914, « La
guerre et la littérature de demain 2 », Valéry déclare que si, d'une part,
« personne ne peut dire ce qui demain sera mort ou vivant en littérature,
en philosophie », d'autre part ce qui est indubitable est l'aspect tragique
de l'irruption de la contingence historique, à savoir que « des milliers de
jeunes écrivains et de jeunes artistes […] [sont] morts ». Davantage que
sur la crise matérielle, la « crise militaire » et la « crise économique »,
crises toujours susceptibles d'être dialectisées et donc expliquées, l'écri-
vain insiste sur la « crise intellectuelle » causée par la guerre. Il ne s'agit
pas de la crise d'un ou plusieurs États européens, mais de l'« Europe
mentale », de l'« esprit européen », des principes propres au siècle des
Lumières et de toute la « modernité ». Valéry met ainsi l'accent sur une
série de thèmes – la décadence de la civilisation et de l'esprit européen, la
discordance entre progrès scientifique et progrès moral, les conséquences
néfastes de la technique et du machinisme – sur lesquels insiste la prose
d'essai (Georges Duhamel, Pierre Drieu la Rochelle, Paul Morand 3) et
qui structurent l'imaginaire de toute une génération.
Pour comprendre le changement de mentalité dans l'entre-deux-
guerres, il faut encore suivre le fil doxique de la « crise » dans laquelle
1. Seul Albert Thibaudet avait tenté de convaincre ses lecteurs que, bien avant les
philosophies allemandes, la philosophie de la durée était une philosophie de l'histoire.
Cf. A. Thibaudet, « Une philosophie de l'histoire », N.R.F., août 1921, et « Les figures
bergsoniennes de l'histoire », Revue de Genève, août 1923.
2. In Mélanges, op. cit.
3. Dans l'ordre : Civilisation (1919), Mesure de la France (1922), Chronique du
vingtième siècle (1924-1927).
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1. Cf. « La philosophie française », op. cit., N.R.F., 1er octobre, p. 641- 669.
2. Ibid., p. 651.
3. Ibid., p. 653.
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1. Ibid., p. 1089.
2. Cf. J. Benda, Le Bergsonisme ou une philosophie de la mobilité, Paris, Mercure de
France, 1912 (le livre est le développement d'une polémique commencée peu avant entre
l'auteur et Édouard Le Roy sur les pages de la Revue du mois). Voir aussi L. Dauriac, « Le
mouvement bergsonien », in Revue philosophique, janvier 1913.
3. Cf. J. Benda, Une philosophie pathétique, paru d'abord dans le deuxième cahier
de la XVe série des Cahiers de la Quinzaine.
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L'ENGAGEMENT
1. Ibid., p. 27.
2. Cf. G. Canguilhem, « Raymond Aron et la philosophie critique de l'histoire »,
op. cit., p. 17.
3. Pour cette question de croisement générationnel, nous ne pouvons que renvoyer à
l'étude de J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle, op. cit.
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1. La prose de cet essai, publié dans la N.R.F., n'est pas celle d'un essai universitaire
ou savant. Il suffit de rappeler l'utilisation répétitive des mots d'ordre (« toute conscience
est conscience de quelque chose »), du langage cru et péjoratif (« la saumure malodorante
de l'Esprit ») et les conclusions expéditives (« Nous voilà délivrés de Proust. Délivrés en
même temps de la vie intérieure »).
2. Dans sa dédicace à Bergson, Politzer écrit : « Il vous suffira, maître, de parcourir le
chapitre IV » (voir au Fonds Henri Bergson, bibliothèque littéraire Jacques Doucet, sous la
cote Bon II-992 Bon IV-6).
3. Cf. A. Breton, « L'affaire Barrès acte d'accusation », in Id., Œuvres complètes,
Paris, Puf, 1989, t. III, p. 433.
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SURRÉALISME ET SYMBOLISME
1. Dans la composition des Champs magnétiques, c'est Soupault qui se penche sur
Janet, tandis que Breton connaît surtout Freud et Ribot.
2. Cf. A. Breton, « Projet pour la bibliothèque de Jacques Doucet », in Id., Œuvres
complètes, op. cit., t. I, p. 631-636.
3. Ibid., p. 631.
4. Il s'agit de « l'homme qui pour Mallarmé, Villiers de l'Isle-Adam, Jarry et surtout
Dada, fut le véritable Messie : Hegel, dont l'“idéalisme absolu” exerce aujourd'hui une
influence énorme » (ibid., p. 632). Ces formules ressemblent vaguement à une page de la
préface à L'Explication dans les sciences qu'Émile Meyerson écrit tout juste un an plus
tôt : « Les théories mises en avant par cet homme dont la réputation philosophique – c'est
le moins, semble-t‑il, qu'on en puisse dire – est une des plus retentissantes qui soient :
Hegel » (L'Explication dans les sciences, Paris, Alcan, 1921, p. X).
5. Les deux poètes tiennent à ajouter les noms « de Poincaré et de Bergson dont, bien
entendu, nous pensons utile que vous ayez les œuvres complètes » (« Projet pour la
bibliothèque », op. cit., p. 631).
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poétique qui ne peut être considérée que comme « action » engagée qui
s'ignore.
C'est pour cette raison que les surréalistes, avant Politzer, critiquent
toute substantialisation des instances psychiques, des pulsions et des uni-
vers intérieurs et, donc, la version vulgarisée du bergsonisme véhiculée
pendant les années 1920. Ainsi, un chiasme particulier se détermine entre
littérature et analyse, à travers la pratique de l'écriture automatique, puis
à travers l'analyse des textes littéraires. Ce chiasme infléchit dans une
certaine direction tant le travail de Politzer que, après lui, celui de Lacan.
Ceux-ci mettent l'accent sur l'analyse du roman individuel plus que sur
celui de la théorie de l'inconscient et des pulsions.
Le cadre se dessine donc clairement : d'une part, les savants et les
hommes de lettres nés avant 1900 reportent le neuf à l'ancien, lisant la
psychanalyse en continuité avec la tradition de la psychologie française
d'avant la guerre, essayant d'adoucir les aspérités théoriques et d'amoin-
drir les aspects les plus scabreux ; de l'autre, la nouvelle génération litté-
raire (puis scientifique et philosophique) souligne et accentue tout ce qui,
dans la psychanalyse, constitue un scandale et une rupture avec la tradi-
tion.
D'autres contemporains, plus jeunes, s'aperçoivent de cette opéra-
tion. Daniel-Rops, auteur du roman L'Âme obscure en 1929, décrivait
trois ans plus tôt, dans le recueil d'essais Notre inquiétude, les préoccupa-
tions de sa génération, citant d'ailleurs les activités intellectuelles de
quelques-uns de ses jeunes contemporains, parmi lesquels le groupe de
« philosophes » gravitant autour de Politzer. Il oppose dans ce livre le
succès de Freud à celui, désormais épuisé, de Bergson. « Freud a été
acclamé surtout par les plus jeunes générations », tandis que « le bergso-
nisme a été salué par les générations d'avant-guerre, celle de Péguy et de
M. Albert Thibaudet » 1. Au moment même où il écrit ces lignes, Daniel-
Rops publie un petit essai consacré à Henri-René Lenormand 2. Louant
Lenormand pour son « théâtre d'inquiétude », capable de sonder les
aspects les plus sombres de l'âme humaine, il consacre deux longs cha-
pitres aux rapports entre l'écriture dramatique de Lenormand et l'apport
1. Cf. Daniel-Rops, Notre inquiétude (1927), Paris, Perrin et Cie, 1953, p. 109.
2. Cf. Daniel-Rops, Sur le théâtre de H.-R. Lenormand, Paris, Éd. des Cahiers libres,
1926.
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1. Ibid., p. 133-134.
2. Ibid.
3. Cf. E. Berl, Les Derniers Jours, octobre 1927, p. 7. Voir aussi « Bergson », in Id.,
Essais, Paris, Julliard, 1985, p. 325-335.
4. Azouvi cite avec pertinence la conférence tenue par Breton à Yale en 1942, « Situa-
tion du surréalisme entre les deux guerres » (in Œuvres complètes, op. cit. t. III, p. 715),
où Breton parle de l'éloquence belliqueuse de certains intellectuels, parmi lesquels Berg-
son, durant la Grande Guerre.
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LES PHILOSOPHES
1. Ibid., p. 208.
2. « Enquête auprès des étudiants d'aujourd'hui à l'École normale supérieure »,
publiée pour Les Nouvelles littéraires, le 8 décembre 1928, maintenant in P. Nizan,
Articles politiques et littéraires, op. cit., p. 529.
3. Cf. P. Nizan, Aden Arabie, Paris, Maspero, 1968, p. 65.
4. Cf. H. Lefebvre, La Somme et le Reste, op. cit., p. 392.
5. Ce mémoire fournit aussi la base pour son interprétation du marxisme, centrée sur
le concept d'aliénation et élaborée avec Gutermann dans La Conscience mystifiée, de
1936 (Paris, Syllepse, 1999), et dans La Critique de la vie quotidienne, de 1947 (Paris,
L'Arche, 1977).
6. Cf. H. Lefebvre, « 1925 », Europe, t. 15, no 172, avril 1967, p. 714.
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1. Ibid.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 488.
4. Ibid., p. 490.
5. Ibid., p. 483.
6. Ibid.
7. Ibid.
8. Ibid., p. 505.
9. Cf. P. Nizan, Les Chiens de garde (1932), Paris, Maspero, 1966, p. 35 et 57.
10. Cf. H. Lefebvre, « Positions d'attaque et de défense d'un nouveau mysticisme »,
op. cit., p. 483.
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1. Ibid., p. 489.
2. Ibid., p. 489-490.
3. Cf. H. Lefebvre, L'Existentialisme, Paris, Le Sagittaire, 1946, p. 22.
4. Cf. H. Lefebvre, La Somme et le Reste, op. cit., p. 483.
5. Ce concept est à la fois inspiré par Blondel et par Lavelle, dont Lefebvre recense la
thèse Dialectique du monde sensible dans le troisième numéro de Philosophie (« Une
tentative métaphysique de Louis Lavelle », p. 241-248) en rapprochant Lavelle de Schel-
ling.
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Deuxième partie
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La fin du carnaval
HYPOSTASES PSYCHOLOGIQUES
1. Cf. M. Politzer, Les Trois Morts de Georges Politzer, Paris, Flammarion, 2013,
p. 161.
2. L'absence de références à des cas « concrets » a souvent été reprochée à Politzer.
C'est le cas des critiques injustes et expéditives de Philippe Soulez dans son Bergson
politique (Paris, Puf, 1988).
3. Cf. G. Politzer, « Un pas vers la vraie figure de Kant » (in Philosophies, no 4, 1924,
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1. Cf. G. Politzer, « Introduction », op. cit., p. 44. Dans ces thèses, Politzer reprend
l'interprétation fichtéenne du kantisme adoptée par Brunschvicg depuis La Modalité du
jugement et introduite en France par Xavier Léon.
2. Ibid.
3. Cf. H. Lefebvre, L'Existentialisme, op. cit., p. 34.
4. Cf. G. Politzer, Critique des fondements de la psychologie, op. cit., p. 19.
5. Ibid., p. 38.
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1. Ibid., p. 44.
2. Ibid., p. 11.
3. Ibid., p. 245.
4. Ibid., p. 51.
5. Ibid., p. 53.
6. Ibid., p. 233-234.
7. Ibid., p. 247.
8. Ibid., p. 22.
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1. Ibid., p. 83. Politzer écrit, critiquant Bergson, que, « de même que le physicien n'a
pas besoin de se transformer en bobine pour étudier l'induction, de même le psychana-
lyste n'a pas besoin d'avoir des “complexes” pour retrouver les complexes des autres ».
2. Ibid., p. 81.
3. Ibid., p. 109.
4. Cf. G. Politzer, Critique des fondements de la psychologie, op. cit., p. 103-104.
5. Ibid., p. 233.
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1. Ibid., p. 36.
2. Ibid., p. 182.
3. Ibid., p. 39.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 108.
6. Ibid., p. 126.
7. Ibid., p. 220.
8. Ibid., p. 147.
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L'ANIMATION DE L'ABSTRAIT
1. Ibid., p. 151.
2. Ibid., p. 199.
3. Cf. G. Politzer, Critique des fondements de la psychologie, op. cit., p. 17.
4. Se reporter au premier article publié dans la Revue de psychologie concrète, « Psy-
chologie mythologique et psychologie scientifique » (in Écrits I, op. cit., p. 67).
5. Cf. G. Politzer, Critique des fondements de la psychologie, op. cit., p. 75.
6. Cf. « Psychologie mythologique et psychologie scientifique », op. cit., p. 64.
7. Cf. G. Politzer, Critique, op. cit., p. 51 ; Politzer tient en particulier à démarquer sa
tentative de celle de Bergson ; le caractère concret et singulier ne vient pas de sa qualité,
mais de sa forme et « l'individu est singulier, parce que sa vie est singulière, et cette vie, à
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son tour, n'est singulière que par son contenu : sa singularité n'est donc pas qualitative,
mais dramatique ».
1. Politzer souligne : « Après avoir dit une fois aussi clairement que possible en quel
sens nous reprochions aux psychologues classiques d'avoir pris les faits psychologiques
pour des “choses”, nous avons omis de comparer tout au long la signification que ce
reproche a pour nous, à celle qu'il a chez Bergson » (Critique des fondements de la
psychologie, op. cit., p. VI).
2. Le numéro du 15 décembre 1928 des Nouvelles littéraires, revue à large diffusion,
joue un rôle important. On y retrouve des articles de Brunschvicg, Chevalier, J. Delteil,
K. Ferlov, Lévy-Bruhl, G. Marcel, É. Meyerson, R. Morgue, de la comtesse de Noailles,
Papini, E. Rignano, du père de Sertillage, de Thibaudet, de Shūzō Kuki, et des témoignages
de Le Roy et J. Wahl. C'est aussi en 1928 que Jankélévitch publie les « Prolégomènes au
bergsonisme » dans la Revue de métaphysique et de morale, que Challaye publie son Henri
Bergson et Le Roy sa Pensée intuitive (Paris, Boivin, 1929). En 1928 également, Henri
Gouhier écrit à Husserl, lui demandant un article pour un volume d'essais à publier pour les
70 ans de Bergson (E. Husserl, « Briefe zu Henri Gouhier », 15 novembre 1928, in Id.,
Briefwechsel, Band VI. Philosophenbriefe, Dordrecht, Kluwer, 1993, p. 155).
3. Cf. G. Friedmann, « La prudence de M. Bergson », op. cit., p. 722.
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1. Ibid.
2. Cf. J. Chevalier, Henri Bergson, Paris, Plon, 1926, p. 12. Ces éléments seront
repris dans un petit ouvrage composé pour la distribution des prix et dont le titre était
simplement Henri Bergson (Éd. de la Lampe d'argent, 1927). Le livre, qui ne se dispense
pas de citer en bibliographie le corpus cité par Maire, comporte aussi une étude sur
l'histoire de la chaire de Bergson à l'Académie de France où sont cités de longs extraits de
son discours lors de son élection en 1918 (par exemple, la France « sera toujours le droit.
Elle est devenue aussi la force », ibid., p. 77).
3. Cf. G. Maire, Henri Bergson. Document pour l'histoire de la littérature française
Paris, Éd. de la Nouvelle Revue critique, 1927.
4. Ibid., p. 33-34, notamment.
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1. Cette modalité critique est adoptée par les contemporains de Politzer suite au
pamphlet. Berl, dans son pamphlet Mort de la morale bourgeoise, réprouve les écrits de
propagande de Brunschvicg, notamment l'essai « La culture allemande et la guerre de
1914 » (in Id., Nature et culture, Paris, Alcan, 1921, p. 126-127).
2. Cf. G. Politzer, La Fin d'une parade philosophique : le bergsonisme, Paris,
Pauvert, 1967, p. 132. Sans doute, à côté de Bergson, Politzer pense-t‑il à d'autres
philosophes : à Le Senne intitulant le dernier chapitre de son manuel Introduction à la
philosophie de 1925 « L'idéalisme concret », à Albert Spaier (né en 1883) qui, en 1927,
publie un ouvrage de psychologie intitulé La Pensée concrète (cf. G. Politzer, La Fin d'une
parade philosophique : le bergsonisme, op. cit., p. 15 : « Le concret est aujourd'hui la tarte
à la crème. Tout le monde en parle. Des gens dont non seulement la pensée, mais l'être
tout entier et même physique est une savante organisation de tout ce qu'il y a d'haïssable,
simulent l'émotion devant le concret et la vie »).
3. Cf. G. Politzer, La Fin d'une parade philosophique : le bergsonisme, op. cit., p. 17.
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L'angle d'attaque adopté par Politzer, qui suit ainsi les critiques de
Jean Nabert, est la psychologie bergsonienne. Dans le compte rendu de
1924 publié dans Philosophies, Politzer juge L'Expérience interne chez
Kant comme la « plus pénétrante [étude] qui ait été écrite jusqu'ici sur
1.Ibid.
2.Ibid., p. 14.
3.Ibid., p. 12.
4.Ibid., p. 15. Il s'agit d'une évidente parodie de l'intuition qui selon Bergson est
sous-jacente aux systèmes.
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1. Cf. G. Politzer, « Un pas vers la vraie figure de Kant », in Id., Écrits I, op. cit.,
p. 17.
2. Politzer conclut ainsi : « La théorie kantienne se pose en antithèse irréductible
contre toute théorie qui voudrait atteindre la donnée psychologique en dégageant la
conscience de l'intrusion de l'espace. […]. Chez Kant, l'expérience interne et l'expérience
externe sont solidaires non pas seulement en fait, mais encore en droit. […] [Ainsi,
mettant en relief la théorie du sens interne] Nabert apporte […] une contribution
importante à la précision de nos idées sur les rapports entre Kant et Bergson » (« Un pas
vers la vraie figure de Kant », ibid., p. 18).
3. Cf. G. Politzer, La Fin d'une parade philosophique : le bergsonisme, op. cit.,
p. 176.
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1. Ibid., p. 152.
2. Cf. G. Politzer, Critique des fondements de la psychologie, op. cit., p. 23.
3. Ibid., p. 137.
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1. Ibid., p. 78.
2. Ibid., p. 79.
3. Ibid., p. 57.
4. Ibid., p. 132.
5. Ibid., p. 13 : « On sait que la théorie de la connaissance en est venue aujourd'hui à
interdire à la psychologie toute incursion dans le domaine de la théorie de la connaissance
et de la métaphysique. Bref, on pourrait faire une confrontation systématique entre
Husserl et Bergson : et, bien que Husserl ne soit pas un Dieu, la comparaison ne tournerait
pas à l'avantage de M. Bergson. »
6. Ibid., p. 132.
7. Ibid., p. 134.
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1. Ibid., p. 101.
2. Ibid., p. 102.
3. Ibid., p. 133.
4. Ibid., p. 48.
5. Ibid., p. 49.
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1. Ibid., p. 95.
2. Ibid., p. 94.
3. Ibid., p. 96.
4. Ibid., p. 98.
5. Ibid., p. 94.
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1. Ibid., p. 49.
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de chaque individu les généralités sur la durée et sur les qualités, tout en
déplorant l'insuffisance du langage ; et l'argument péremptoire contre
toute critique restera toujours le vécu. En fin de compte, on ne pourra
jamais rien dire de concret et on sera toujours forcé de parler du concret
en général 1.
Bergson – qui invoque un « empirisme supérieur » –, pour ne pas
avoir eu le courage de dénoncer le réalisme de la psychologie classique,
reste otage de son abstraction, « c'est parce qu'il a conservé le réalisme
que Bergson n'a pu aller plus loin que le concret en général, c'est‑à-dire
l'individualité, et qu'il n'est pas parvenu à l'individu 2 ». La psychologie
« concrète » proposée par Bergson n'est donc rien d'autre que le résultat
d'une simple « transformation de langage », d'un « rituel », d'une « simu-
lation » qui a créé un « trompe-l'œil », une véritable mythologie, à savoir
une série d'illusions visant à donner l'impression du concret mais qui, en
réalité, ne sont qu'« une fuite devant le concret » 3. Politzer rejoint ainsi,
sur un autre plan, les rhétoriques d'avant-guerre (Benda et Alain surtout)
brossant le portrait d'un Bergson sophiste et trompeur. Les effets du
bergsonisme dans le champ philosophique et surtout psychologique
sont, selon Politzer, néfastes : ses disciples n'ont fait que « répéter les
métaphores de Bergson, au point qu'elles sont devenues des lieux com-
muns […], ils parlent toujours du concret en général, de la vie en général
et, d'autre part, aucun de ceux qui ont aperçu le vrai chemin de la psy-
chologie concrète ne doit rien, mais absolument rien à Bergson 4 ».
Politzer semble parodier les recommandations méthodologiques de
Bergson dans l'« Introduction à la métaphysique », lui reprochant exac-
tement l'abstraction que celui-ci reproche aux autres psychologues et
philosophes : « Retourner à l'individu ne signifie pas [comme préten-
drait Bergson] prendre les données de la psychologie classique et les
fondre en une individualité, mais inventer, ou plutôt construire des
notions nouvelles par l'étude des individus singuliers, des notions
[comme le complexe d'Œdipe] qui, impliquant la totalité de l'individu,
rendent manifeste, dans leur forme et dans leur structure, leur apparte-
1. Ibid., p. 41.
2. Ibid., p. 48.
3. Ibid., p. 41.
4. Ibid., p. 45.
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nance au je concret 1. » Ainsi, ce qui a été oublié par la science n'est pas
la durée, la « multiplicité de pénétration », réduite et appauvrie par un
processus de spatialisation instrumental, mais ce que Politzer appelle
non sans ironie la « multiplicité dramatique » 2, altérée par les schémas
en « troisième personne ». Il en va de même pour la question de la
continuité : si « Bergson a compris qu'il fallait mettre à la base de la vie
psychologique une continuité », à cause de son réalisme « il n'a pas vu
que rétablir la continuité des faits psychologiques signifie le rétablisse-
ment de leur inséparabilité de l'individu singulier » 3. Enfin, le morcelle-
ment pratiqué par le psychologue classique n'est pas lié à la
spatialisation de la durée, mais à sa réalisation effectuée en séparant les
données des actes humains du « Je » dont ils tirent leurs signification :
« C'est cela et rien d'autre le vrai morcellement : arracher une significa-
tion à son contexte 4. »
Il est donc aisé de comprendre pourquoi il a été si facile pour Berg-
son d'appliquer les procédés de sa psychologie à la métaphysique : étant
déjà réalistes, en troisième personne, donc dogmatiques, ils sont en
eux-mêmes métaphysiques. L'impression qu'il part de l'empirie est une
illusion : Bergson ne se limite qu'à « paraphraser les données scienti-
fiques 5 » en maintenant les problèmes sur un plan abstrait.
IMMORALE CHOSIFICATION
1. Ibid., p. 60-61.
2. Ibid., p. 54-55.
3. Ibid., p. 59-60.
4. Ibid., p. 72.
5. Ibid., p. 103.
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Bergson ne remarque pas que « les faits psychologiques ne sont pas des
“phénomènes” », que « le “psychisme” n'est pas un monde » et qu'il faut
donc commencer « par l'homme concret » 1, à savoir par le « Je » et ses
actes. Bergson se contente d'ajouter, à côté des phénomènes « exté-
rieurs », d'autres phénomènes, à côté du monde physique, un autre
monde, celui du psychisme ou de la « vie intérieure ».
Ce faisant, Bergson retombe dans le réalisme : « Que l'homme soit
assimilé non pas à une chose qui est, mais à une chose qui dure – écrit
Politzer dans une étonnante formule –, cela ne change rien au fait qu'il
est assimilé à une chose 2. » Quand Bergson parle de la vie humaine, il la
compare à la vie biologique et, même s'il précise que l'organisme n'est
pas un objet mais une « chose qui dure », il ne sort pas d'une probléma-
tique dogmatique. Bergson continue à « raisonner sur une chose », il est
donc « par rapport à l'homme, dans l'abstraction, puisqu'on ne doit pas
réfléchir sur l'homme qu'en première personne et sur la vie humaine
qu'en se plaçant au point de vue du je concret, c'est‑à-dire de l'individu
singulier » 3. Si le problème de liberté est traité sous un angle réaliste « sur
le plan cosmologique 4 », on ne peut que retomber dans le déterminisme :
une chose, même une chose qui dure, doit être soumise aux catégories
qui règlent l'expérience, donc la catégorie de causalité. Le problème de la
liberté, posé à la manière de Bergson, devient « insurmontable, car cher-
chant la liberté d'une chose, on veut établir la liberté sur le plan de la
réalité ; or la position d'une réalité implique toujours le passage de chose
à chose, donc le déterminisme ».
La problématique bergsonienne, qui détermine sa solution au pro-
blème de la liberté, ne peut donc qu'impliquer des conséquences « immo-
rales ». Si le schéma explicatif de la durée appliqué à la liberté implique
l'indifférence à l'égard du résultat d'une action, de l'« acte qu'elle accom-
plit 5 », alors Bergson ne fournit aucun critère pour juger ni le degré de
liberté d'un acte ni sa moralité. Considérée sous cet angle, la doctrine
bergsonienne est non seulement profondément immorale, mais conserva-
trice sur un plan politique. Le conseil du « sage » bergsonien est de
1. Ibid., p. 110.
2. Ibid., p. 112.
3. Ibid., p. 129.
4. Ibid., p. 107.
5. Ibid., p. 115.
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1. Ibid., p. 143.
2. Ibid., p. 147.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 120.
5. Ibid., p. 115-116.
6. Ibid.
7. Ibid., p. 135.
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1. Ibid., p. 121.
2. Ibid., p. 138.
3. Cf. G. Politzer, « Introduction », op. cit., p. 45.
4. Ibid., p. 47. Schelling s'est trompé car il est inutile de spiritualiser la matière sur le
plan des idées ; il faut le faire sur celui, concret, de l'histoire : « L'idée idéaliste doit
s'incarner en une dialectique qui, dépassant le plan théorique, se transforme en une
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dialectique réelle dont les étapes doivent devenir historiques au sens plein du mot » (ibid.,
p. 41).
1. Ibid., p. 44.
2. Ibid., p. 39-40. La philosophie de l'idéalisme « a été absorbée dans un mouvement
qui menace même toute la civilisation actuelle. Je veux dire que Hegel a produit Marx et
que le marxisme est la doctrine officielle du communisme ».
3. Le matérialisme, dont le marxisme se revendique, peut paraître contradictoire
avec l'esprit de l'idéalisme en raison de son caractère métaphysique et de sa conception
mécaniste du déroulement de l'histoire. En réalité, selon Politzer, il ne constitue qu'un
instrument utile afin d'obtenir une plus grande liberté. Le langage de la métaphysique
matérialiste propre au marxisme est, selon le Politzer de 1926, « un langage qu'il ne faut
tenir que sur le plan de l'action » (G. Politzer, « Introduction », op. cit., p. 51).
4. Cf. G. Politzer, La Fin d'une parade philosophique : le bergsonisme, op. cit., p. 48 :
« Tout le monde sait que Marx part de Hegel pour arriver au Capital, qu'il part de la
dialectique hégélienne pour arriver à la révolution prolétarienne. Marx avait bien vu que
l'idéalisme inaugurait une nouvelle philosophie de l'homme. »
5. Ibid., p. 56.
6. Ibid.
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être une ruse, mais elle est aussi un anachronisme par rapport au mou-
vement qui aurait mené de Kant à Marx : le philosophe partage donc la
réaction idéologique à la lignée postkantienne 1. Si les idéologues du
« retour à Kant » ont constitué une « première ligne de défense », Berg-
son, grâce à qui font leur retour les spéculations métaphysiques, la phi-
losophie spiritualiste et la religion, en est la seconde. Le bergsonisme est
inséré par Politzer dans « ce mouvement du XIXe siècle qui représente, en
face du perfectionnement définitif du matérialisme, le retour offen-
sif de l'idéalisme 2 ». Si Bergson a certes eu raison de déconstruire « la
conception de la liberté comme concept » renvoyant « dos à dos les deux
adversaires en présence », d'autre part il n'a tenté que de détourner le
regard de la véritable solution – révolutionnaire – revenant à un
« niveau purement verbal ». La liberté bergsonienne reste « une liberté
de luxe, une liberté de droit, une liberté de haute fantaisie ; sa solution
est d'une extrême profondeur et c'est par là qu'elle est une solution
parfaitement bourgeoise, car, malgré l'“émouvante mobilité”, malgré
l'“inexhaustible et imprévisible richesse” de la conscience, elle reste une
solution stérile, parce que de droit : or le problème de la liberté est
humain, universel, et la solution de ce problème doit être concrète, réelle
et matérielle » 3.
La révolution est pour Politzer « un moyen métaphysique, à savoir,
le seul » pour résoudre le problème de la liberté et de la vie. Bergson n'a
donc pas été un complice de la propagande de « va-t'en guerre » du fait
d'une simple « pression collective » 4. Sa participation n'est pas casuelle,
mais volontaire et nécessaire en même temps. Les conséquences réac-
tionnaires du bergsonisme ne sont donc pas contingentes : Bergson a
obéi « à un ordre », il s'est « prostitué par goût et par nécessité », comme
un « chien dressé et pomponné » par la bourgeoisie, promouvant, pour
le compte de celle-ci, « un chantage au nom du concret et de la vie 5 »,
un « concret d'état 6 » dont l'objectif était de détourner les masses de la
réalité vraiment concrète.
1. Ibid., p. 153-154.
2. Ibid., p. 153.
3. Cf. G. Politzer, « Introduction », op. cit., p. 58.
4. Ibid., p. 178.
5. Ibid., p. 159.
6. Ibid., p. 159.
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De l'intuition à l'intentionnalité ?
À LA SORTIE DU CINÉMA
(ceux qui étaient nés entre 1860 et 1890) les interprète en continuité avec
les problèmes déjà esquissés pendant les années 1900, alors que les jeunes
challengers nés au début du siècle les utilisent comme des machines de
guerre contre leurs maîtres et contre le paradigme philosophique pré-
cédent.
Les étudiants n'ayant pas étudié dans la classe d'Alain gardent la
trace des lectures bergsoniennes faites pour le baccalauréat et pendant
les khâgnes et intériorisent une certaine image de la philosophie à la
lisière avec la psychologie et l'art. Un dispositif gnoséo-encyclopédique
divise en deux les savoirs et les facultés du sujet : d'une part, l'intelli-
gence, la connaissance relative, purement pragmatique, propre à la
science, qui ne saisit que des produits, des ensembles de choses, des actes
de conscience « hypostasiés » ; d'autre part, l'intuition, la connaissance
absolue de la philosophie ou de l'art, qui opère par introspection ou par
réduction, capable de saisir le rapport originaire de la conscience avec le
monde et d'expliquer la science. C'est dans ce cadre « bergsonien » semi-
inconscient – impliquant schèmes de perception, valeurs, dispositions
théoriques – que s'insère la réception de la phénoménologie allemande
par Lévinas, Sartre et Merleau-Ponty. Pour ces penseurs, et à la diffé-
rence de Jean Cavaillès, Albert Lautman et plus tard de leurs élèves Jules
Vuillemin et Gilles-Gaston Granger, le problème majeur de la phénomé-
nologie n'est pas la constitution, mais bien plutôt, comme pour Lefebvre
et Morhange, la description « concrète » et « pathétique » du commerce
quotidien de l'homme avec le monde.
Ces traits philosophiques, loin d'être les fruits d'un libre choix théo-
rique, dépendent de la structuration du champ philosophique dans lequel
s'inscrivent les trajectoires de ces individus, ainsi que de leur capital de
départ. Il est d'autre part évident qu'entre les « existentialistes » et Berg-
son une rupture est en acte concernant d'importants points théoriques.
Cette rupture s'opère de manière paradoxale, à savoir par emprunt de
certains des arguments qui avaient été utilisés par Brunschvicg et par les
philosophes de l'intellect. Elle concerne donc le « réalisme » et l'« irratio-
nalisme » des descriptions de Bergson, et elle implique aussi une condam-
nation politique et morale.
Pendant les années 1920, le jeune Sartre est fasciné par la poésie
unanimiste, par les romans de Gide et de Proust, par l'introspection et,
plus en général, par l'univers psychologique et esthétisant dont le
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1. Cf. J.-P. Sartre, « L'art cinématographique » (1931), in Id., Écrits de Sartre, Paris,
Gallimard, 1970, p. 546.
2. Ibid., p. 551. Notons l'allusion littéraire aux correspondances baudelairiennes,
propres au cinéma, dont Sartre s'inspirera beaucoup plus tard pour renouveler son écri-
ture romanesque.
3. Ibid., p. 548-549.
4. Cf. J.-P. Sartre, La Nausée, in Œuvres romanesques, Paris, Gallimard, 1981,
p. 157.
5. Ce « concept » semblerait être le fruit d'un héritage meyersonien inavoué et se
rapprocher du concept d'irrationnel déjà utilisé par Lefebvre et dont Georges Bataille (né
en 1897) s'inspire pour inventer son propre concept d'« hétérogène » qu'il expose dans ses
écrits au début des années 1930 (cf. G. Bataille, Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard,
1970). Bataille dira avoir lu Le Rire et que ce livre « le déçut » (ibid., p. 562).
6. Cf. S. de Beauvoir, La Cérémonie des adieux, Paris, Gallimard, 1981, p. 181.
7. Cf. J. Simont (éd.), Écrits posthumes de Sartre, vol. 1, Paris, Vrin, 2001, p. 159.
Tant Sartre, dans Les Mots (p. 102), que Simone de Beauvoir, dans La Force de l'âge
(op. cit., p. 53), confirment que la contingence est apparue par confrontation avec le
« cinéma sartrien ».
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1. Aron, qui s'en inspire pour justifier son relativisme historique, et Canguilhem, qui
l'utilise pour expliquer la différence entre état normal et état pathologique.
2. Sartre n'a pas lu cet essai, publié seulement en 1934, mais le compte rendu de la
conférence à l'origine de l'essai – « Prévision et nouveauté », tenue à Oxford en 1920 –
rédigé par Raymond Lenoir pour la Revue de métaphysique et de morale de la même
année. De plus – comme Aron, Friedmann et Canguilhem –, il a lu le Henri Bergson de
Vladimir Jankélévitch, son camarade à l'École normale : Jankélévitch consacre tout le
chapitre IV de son livre aux idées de néant et de possible en tant qu'illusions rétrospectives.
3. Cf. J.-P. Sartre, « Carnet Dupuis », in Cahiers RITM, no 24, 2001, p. 19-20, et
J.-P. Sartre, « Carnet Dupuis », Œuvres romanesques, op. cit., p. 1685. Sartre annote,
dans le « Carnet Dupuis » : « Ce monde existe parce qu'il n'y a pas d'autres possibles
et il n'y a pas d'autres possibles parce qu'il existe » (« Carnet Dupuis », in Cahiers RITM,
no 24, 2001, p. 20). En outre, il écrit, peu après : « Le monde en lui-même est et ne peut
pas ne pas être. Son caractère de fait ne permet pas de le déduire, ni de lui supposer un
avant » (Carnets de la drôle de guerre, op. cit., p. 344).
4. « Cette racine – affirme Roquentin – existait […] dans la mesure où je ne pouvais
pas l'expliquer » (J.-P. Sartre, La Nausée, op. cit., p. 153). L'existence n'est pas quelque
chose qui se laisse penser de loin : il faut que ça vous envahisse brusquement […] – ou
alors il n'y a plus rien du tout » (ibid., p. 156).
5. Cf. J.-P. Sartre, L'Image dans la vie psychologique : rôle et nature, inédit. À la
page 62, Sartre écrit que le « nominalisme pragmatique » de la théorie du concept de
Bergson n'a pas pu transcender « le cercle vicieux où s'enfermaient nominalistes et
conceptualistes ». Quelques pages plus loin (p. 74), Sartre souligne l'« erreur fondamen-
tale » consistant à soutenir l'incommensurabilité entre langage et vie psychologique, et,
citant Langage et pensée de Delacroix, il conclut : « Nous ne pensons que par des mots. »
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TRAVERSER LE RHIN
1. Cf. J.-P. Sartre, « Merleau-Ponty vivant » (1960), in Id., Situations IV, Paris, Galli-
mard, 1964, p. 189-287.
2. Ibid.
3. « Il n'est de connaissance qu'intuitive. […] Et si l'on demande ce qu'est l'intuition,
Husserl répondra, d'accord avec la plupart des philosophes, que c'est par la présence de la
“chose” (Sache) en personne à la conscience » (J.-P. Sartre, L'Être et le Néant, op. cit.,
p. 220-221).
4. Cf. J.-P. Sartre, La Transcendance de l'Ego, op. cit., p. 17.
5. Cf. S. de Beauvoir, La Force de l'âge , t. I, op. cit., p. 156-157.
6. E. Lévinas, Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl (1930),
Paris, Vrin, 1994, p. 5.
7. Cf. E. Lévinas, « Sur les Ideen de Husserl », op. cit., p. 92, no 17, p. 93, n. 21. Voir
aussi, du même auteur, Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl, op. cit.,
p. 12, 14, 170-174, 201-203 et la conclusion.
8. Cette confrontation a rapidement été mentionnée par Politzer dans son pamphlet,
et reproposée par Georges Gurvitch tout au long de ses leçons à la Sorbonne sur les
courants contemporains de la philosophie allemande. Cf. M. Dufrenne, P. Ricœur, Karl
Jaspers et la philosophie de l'existence, Paris, Puf, 1947. Dans ce livre, les auteurs
reprennent souvent la confrontation entre Jaspers et Bergson, et les points de rupture
entre les deux concernent toujours le concept de liberté et le refus de la connaissance
conceptuelle (voir notamment p. 46 et 64) ainsi que la conception de la temporalité.
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1. En 1922, il publie des « Remarques sur les paradoxes de Zénon » (ensuite publiées
dans Études d'histoire de la pensée philosophique, Paris, Armand Colin, 1961).
2. Cf. J. Héring, « La phénoménologie il y a trente ans », Revue internationale de
philosophie, t. I, 1939, p. 368.
3. Cf. R. Ingarden, « Intuition und Intellekt bei Henri Bergson. Darstellung und
Versuch einer Kritik », Jahrbuch für Philosophie und phenomenologische Forschung, t. 5,
1921, p. 285-461.
4. Heidegger effectue, en 1921, la révision du mémoire d'Ingarden. Un an plus tôt, en
1920, il avait écrit à sa femme (M. Heidegger, « Ma chère petite âme ». Lettres à sa femme
Elfride, 1915-1970, Paris, Seuil, 2007, p. 147-148) qu'il était en train de « travailler
systématiquement Bergson ». Ce dernier lui « apprend beaucoup », notamment que les
prétendues nouveautés de Husserl ont été résolues par Bergson « il y a déjà 20 ans ».
Cf. C. Riquier. « Heidegger, lecteur de Bergson », in S. Jollivet - C. Romano, Heidegger
en dialogue (1912-1930), Paris, Vrin, 2008, p. 33-67. Cf. aussi C. Zanfi, Bergson et la
philosophie allemande, 1907-1932 (Paris, Armand Colin, 2013, notamment p. 186-187).
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1. Ibid., p. 470.
2. Cf. J.-P. Sartre, La Nausée, op. cit., p. 15.
3. Cf. V. de Coorebyter, Sartre avant la phénoménologie. Autour de « La Nausée » et
de la « Légende de la vérité », Bruxelles, Ousia, 2005.
4. Cf. J.-P. Sartre, « Une idée fondamentale de la phénoménologie », op. cit., p. 111.
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EFFRAYANTE LIBERTÉ
1. Ibid., p. 54.
2. Ibid., p. 38.
3. Ibid., p. 30.
4. Ibid., p. 3.
5. Ibid., p. 41.
6. Ibid., p. 78.
7. Voir par exemple L'Idéalisme contemporain (op. cit., p. 79) où Brunschvicg parle
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1. Ibid., p. 81-82.
2. Ibid., p. 82.
3. Ibid., p. 63.
4. Ibid., p. 65.
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1. Ibid., p. 67.
2. Ibid., p. 123.
3. Ibid., p. 81-82.
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IRRÉALISER, NÉANTISER
1. Ibid., p. 86.
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fait que paraphraser Politzer qui a déjà dénoncé les psychologues insis-
tant sur le fait que la « personnalité est une synthèse 1 », persuadés
qu'« un certain nombre de moyens d'expression » ou des détails cherchés
« aveuglément » suffisent « pour attirer le Messie synthétique » 2.
Quand au terme de sa courte « histoire des conceptions de l'image »,
Sartre en vient au cas de la supposée « révolution philosophique » de
Bergson 3, son attitude rejoint celle de Politzer, auquel il emprunte tant
certains arguments que le ton sulfureux. Comme Politzer a reconnu à
Bergson d'avoir vu que l'homme était « vivant », Sartre lui concède ainsi
qu'aux psychologues « bergsoniens », comme Albert Spaier, le mérite
d'avoir élevé l'image du « règne minéral » au « royaume des vivants ».
Toutefois d'après Sartre, Bergson ne fait qu'utiliser une « terminologie
nouvelle 4 » pour continuer à concevoir l'image comme un « contenu
inerte » dans la conscience : nous voici simplement face à « l'antique
erreur » propre à l'associationnisme 5, mais dans une version nouvelle. La
théorie « psychologique » des images chez Bergson ne contient pas
d'erreurs de détail, mais elle réfléchit, et Politzer est du même avis, « toute
sa métaphysique 6 », alignée sur celle des psychologues associationnistes
qu'il prétend critiquer.
Certes, dans le premier chapitre de Matière et mémoire, à travers une
espèce d'épochè, Bergson rompt avec la théorie représentative de la
conscience propre à l'associationnisme, en mettant les images en dehors :
le mérite de l'auteur relève de sa critique envers l'associationnisme et
l'idéalisme intellectualiste, car le rapport du sujet avec le monde consiste
dans une action. Mais Bergson propose une solution radicale seulement
en apparence, puisque dans son univers d'images la « conscience psycho-
logique » semble être réduite à une sorte d'« épiphénomène » et le philo-
sophe ne parvient pas à expliquer comment « on passe de l'image non
consciente à l'image consciente 7 ». L'intervention de la mémoire devrait
résoudre cette question, mais elle emporte avec elle d'autres problèmes :
Bergson trace une distinction de nature entre le passé (et le souvenir pur)
et le présent (et l'activité motrice du corps), montrant comment le souve-
nir complète l'action et comment la perception est dépendante de la
mémoire. Cependant, si l'image-chose correspondant à la perception
présente est immédiatement souvenir, alors le souvenir ne peut qu'être
« l'exact décalque de la chose », et s'il est un décalque il ne peut qu'être
« opaque et impénétrable comme la chose ».
Par conséquent, le souvenir, « exactement adhérent à la percep-
tion 1 », ne peut être qu'un contenu de pensée analogue à celui des empi-
ristes, puisqu'il se trouve dans la mémoire. Au niveau de la constitution
objective des « présentifications », le souvenir, représentation d'une per-
ception passée, doit être distingué avec soin de l'image ; le concept
d'image-souvenir est, d'un point de vue phénoménologique, une
construction instable, une notion insensée. Même dans le cas où l'on
accorde à Bergson l'idée que l'image est ce qui se donne dans la percep-
tion, il est impossible d'admettre ensuite que le présent de la perception se
« dédouble » sur un même plan en souvenir. Sartre, qui néglige la distinc-
tion entre souvenir pur et souvenir-image, considère Bergson bien
conscient qu'un temps subjectif, la durée, fonde le temps objectif, mais il
les confond sans cesse : la théorie des images fait glisser la représentation
au cœur de la durée-mémoire, s'exposant aux critiques husserliennes.
L'image, utilisée pour rendre compte tant de la perception que du
souvenir, est donc une réalité « syncrétique », et Bergson joue « sur le
double sens ambigu du mot “image” 2 », par « une ambiguïté perpétuelle,
[par] un glissement perpétuel et sans bonne foi d'un domaine à l'autre 3 ».
Bergson est donc encore un philosophe de mauvaise foi, ce que Politzer
définirait plus simplement comme un traître. Comme la notion d'image
est ambiguë, il en est de même pour la notion de conscience, définie de
manière contradictoire, puisqu'elle est liée à deux théories : « L'une a sa
racine dans la psychologie, dans le biologisme bergsonien, l'autre répond
aux tendances métaphysiques, au spiritualisme bergsonien 4. » D'une
part, le souvenir est inconscient et n'agit pas ; d'autre part, le présent et
1. Ibid., p. 49.
2. Ibid., p. 48.
3. Ibid., p. 51.
4. Ibid., p. 52.
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1. Ibid., p. 56.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 59.
4. Ibid.
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1. Ibid., p. 60.
2. Ibid., p. 63.
3. Ibid., p. 62.
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1. Ibid., p. 120.
2. Ibid., p. 63.
3. Ibid., p. 162.
4. Cf. J.-P. Sartre, L'Imaginaire, op. cit., p. 358.
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l'échec » 1. Dans L'Être et le Néant, Sartre revient sur ce sujet. Par des
formules empruntées à la critique de l'idée de néant contenue dans L'Évo-
lution créatrice, il souligne la relation entre l'idée même de destruction et
l'activité, activité ne pouvant être que positive : dans une destruction il
n'y a pas « moins » mais « autre chose 2 ». L'être est entièrement positif, il
ne comporte aucun manque : aucun phénomène ne peut être défini en
tant que « néant », l'expérience ordinaire ne peut nous dévoiler aucun
non-être. Si donc l'être est une « pleine positivité 3 », cela ne signifie pour-
tant pas qu'il y a seulement de l'être. La solution bergsonienne, selon
laquelle le néant serait le produit d'une négation, est insuffisante, car,
« s'il y a de l'être partout, ce n'est pas seulement le Néant, qui, comme le
veut Bergson, est inconcevable, de l'être on ne dérivera jamais la néga-
tion 4 ». Il faut donc comprendre comment se peut-il que ce que nous
désignons comme néant « soit donné de quelque façon 5 », et dépasser
l'explication du néant en tant que simple illusion, le néant tel que Bergson
le représente. Le procédé sartrien renverse la perspective bergsonienne :
c'est pour avoir fait dépendre le néant de la négation que Bergson n'a pas
réussi à le comprendre ; au contraire, c'est bien par lui qu'il faut expliquer
la négation : « Le néant ne vient pas aux choses par le jugement de néga-
tion : c'est le jugement de négation au contraire qui est conditionné et
soutenu par le non-être 6. »
Sartre accorde, par une formule dont l'accent est forcément bergso-
nien, que « le non-être apparaît toujours dans les limites d'une attente
humaine 7 », comme lorsque l'on s'attend à trouver quelqu'un au café.
Cependant, Bergson n'explique pas la production du non-être à partir de
l'attente, la production du « non » dans le jugement négatif. Cela est au
contraire efficacement expliqué par la « conscience du non », par l'acte
intentionnel de négation propre à la conscience, qui, comme Sartre le
souligne dès « Une idée fondamentale », ne se laisse pas assimiler à la
chose. Plaçant le problème du néant dans le cadre du jugement, Bergson
1. Ibid., p. 359.
2. Cf. J.-P. Sartre, L'Être et le Néant, op. cit., p. 43.
3. Ibid., p. 33 et 57.
4. Ibid., p. 46.
5. Ibid., p. 57.
6. Ibid., p. 45.
7. Ibid., p. 41.
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a bien cerné son origine subjective, mais il n'a pas expliqué le lien entre
néantisation, négation et conscience, ce que Sartre est au contraire capa-
ble de faire par le biais de la notion d'intentionnalité en tant que conduite
face à l'être. La destruction, la négation, dit Sartre, bien qu'arrivant à
l'être par l'homme, « est un fait objectif et non une pensée 1 », le non-être
est donc « transphénoménal », il hante l'être sans lui appartenir. Le néant
est donc précisément le sujet, le vide représenté par la conscience, qui
rend possible le jugement négatif, mais, plus en général, toutes les néga-
tions, toutes les « négativités » propres à l'expérience humaine. L'homme
est un néant qui s'isole de l'être massif et se maintient en son cœur 2.
Sartre se sert du néant tiré de l'être pour configurer la temporalité de
la conscience. Husserl l'avait décrite à travers les deux concepts d'inten-
tionnalité transversale et d'intentionnalité longitudinale ; ainsi, d'après
Sartre, le pour-soi, d'une part, s'autonéantise, d'autre part il néantise
l'en-soi, ses objets. L'intentionnalité est donc absence de médiation entre
la conscience et la chose elle-même. Être présent à soi signifie absence
d'être dans ces deux sens : impossible coïncidence avec soi, impossible
coïncidence avec le monde, avec les objets intentionnés. La néantisation
est la traduction de cette présence qui ronge et corrode l'en-soi.
Cette interprétation affecte aussi l'interprétation de la temporalité :
l'intentionnalité longitudinale ne peut se fonder sur un assemblage de
« choses », d'instants, de représentations, d'images censées reconstruire
le passé ou le futur. Les trois dimensions du temps « ne doivent pas être
envisagées comme une collection de “data”, dont il faudrait faire la
somme, […] la temporalité est une totalité qui domine et précède ses
structures secondaires 3 ». Même le présent, apparemment égal à soi, est
troué de néant, il est la condition de tout rapport du néant à l'être et à
soi, du rapport du présent au passé et au futur. Présent, passé et futur
sont enfin des dimensions de la néantisation propre au pour-soi, consti-
tuées par la néantisation. Le passé est le mode du « j'étais », l'en-soi celui
du « pour-soi » en tant que « dépassé 4 », la transformation de la facticité
du pour-soi en en-soi. Le présent n'est rien d'autre que la présence propre
1. Ibid., p. 43.
2. Ibid., p. 59.
3. Ibid., p. 142.
4. Ibid., p. 177.
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1. Ibid., p. 161.
2. Ibid., p. 147.
3. Ibid., p. 173.
4. Ibid., p. 155.
5. Ibid., p. 174.
6. Ibid., p. 147-148.
7. Ibid., p. 174.
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PHÉNOMÈNES ET CHOSES
1. Ibid., p. 206.
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1. On pourrait penser aussi que le choix du diplôme d'études supérieures, abouti par
La Notion du multiple intelligible chez Plotin, en 1929, est motivé par Bergson, dont la
philosophie a souvent été comparée à celle de l'auteur des Ennéades. Émile Bréhier,
directeur du mémoire, a non seulement publié une Philosophie de Plotin l'année précédant
la soutenance, mais il a aussi traduit les Ennéades et suivi les cours de Bergson sur cet auteur.
2. Cf. M. Merleau-Ponty, « La philosophie de l'existence » (1959), in Id., Parcours
deux, 1951-1961, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 253.
3. Cf. M. Merleau-Ponty, « Être et avoir » (1936), in Parcours, op. cit., p. 36.
4. Ibid., p. 38.
5. Cf. M. Merleau-Ponty, « Projet de travail sur la nature de la perception » (1933),
in Id., Le Primat de la perception et ses conséquences philosophiques, Lagrasse, Verdier,
1996, p. 13.
6. Cf. M. Merleau-Ponty, « Christianisme et ressentiment », in Parcours, op. cit.,
p. 32, n. 50.
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1.Ibid., p. 168.
2.Ibid., p. 171.
3.Ibid., p. 175.
4.Ibid.
5.Cf. M. Merleau-Ponty, , « Le primat de la perception », in Le Primat de la per-
ception et ses conséquences philosophiques, op. cit., p. 64-65.
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réduit tantôt à la vie, par la vague notion d'« action vitale », qui perd de
vue la singularité du comportement humain, tantôt au psychique,
entendu comme une durée comme une chose, comme une autre réalité
sui generis susceptible d'être perçue à travers l'intuition. Tous les
reproches à l'égard de Bergson présents dans La Structure du comporte-
ment peuvent tenir en un seul mot : réalisme. Réalisme dans l'Essai sur
les données immédiates de la conscience, pour avoir traité la durée
comme un écoulement intérieur ; réalisme dans Matière et mémoire,
pour avoir conçu le rapport entre l'homme et le monde en terme
d'« actions » et de « réactions » entre des « choses » ; enfin, réalisme
dans L'Évolution créatrice exprimé par des notions « magiques »
comme celle d'« élan vital ».
À la fin de l'ouvrage, la relation de l'esprit avec le corps se trouve
déplacée et elle fait place à la formulation d'une théorie de la connais-
sance : pour cette seule raison que celui qui observe le comportement
possède un corps qui perçoit, corps placé dans une perspective toujours
positionnée et jamais capable d'un regard en surplomb, une signification,
une Gestalt, peut apparaître : « La conscience pour laquelle la Gestalt
existe […] n'est pas la conscience intellectuelle, mais l'expérience percep-
tive 1. » Le comportement s'offre à celui qui observe comme une significa-
tion qui est perçue et qui engage donc l'observateur dans une circularité
qui est celle d'une conscience. Ainsi, à la fin de La Structure du comporte-
ment, Merleau-Ponty gagne une perspective sur le sujet. Il passe donc
d'une recherche sur le comportement fondée sur l'observation externe à
une position gnoséologique cherchant dans le corps de l'observateur un
champ d'enquête sur les conditions de la perception et de la connaissance.
Le comportement, entendu en termes de Gestalt, avait mis en cause
tant la vision mécaniciste que la vision intellectualiste des rapports entre
âme et corps : le corps reste inséparable du milieu sur lequel la conscience
humaine irradie ses significations. Il s'agit de remonter à la conscience
et au corps de l'observateur, centraux dès les observations des pre-
miers chapitres. Le corps est un mode d'existence « ambigu », ne pouvant
être décrit à travers l'objectivisme des sciences naturelles : il n'est pas
une idée, il n'est pas un simple objet, il est déjà sujet 2. À travers la
1. Ibid., p. 71.
2. Ibid., p. 72.
3. Ibid., p. 93, n. 1.
4. Ibid., p. 93-94.
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entre conscience et temporalité est d'un autre type : Bergson ne voit pas
que la conscience elle-même déploie le temps, il se limite à mettre immé-
diatement le temps dans la conscience comme son « objet immanent 1 »,
sans prendre la peine d'expliquer. Bergson prend en considération une
continuité réelle, donnée, et il ne fournit aucun éclairage sur la nature de
cette interpénétration, ni sur la relation précise entre présent, passé et
futur 2. Merleau-Ponty aboutit donc à cette conclusion paradoxale : Berg-
son nie le temps. Comme l'avait soutenu Politzer, selon Merleau-Ponty,
Bergson produit du temps avec du présent, de l'évolution avec de l'évolué,
du temps avec de l'espace. Bergson, comme l'a énoncé Politzer, dénonce
la spatialisation, tandis qu'il aurait dû dénoncer le réalisme de l'attitude
naturelle qui conçoit la conscience comme une chose (une chose, certes,
spirituelle, mais toujours une chose) à côté de la matière. Il faut au
contraire voir la durée et le temps comme une synthèse produite par un
acte de la conscience. Il manque à Bergson l'intuition de l'être ex-statique
de la conscience, une « subjectivité qui vient briser la plénitude de l'être en
soi [pour] y désigner une perspective, y introduire le non-être 3 ».
Merleau-Ponty oppose à ce réalisme la perspective phénoménologique,
qui engagerait réellement « la conscience dans le monde ». À travers la
Gestalt, il explore les rapports de conscience et de nature, rapports qui
dépassent la perspective réaliste concevant la conscience, d'une part, et le
monde objectif, de l'autre. Là où il y a quelque chose qui possède un sens,
une forme, il faut déceler un rapport actif, intentionnel, entre le sujet et un
objet qui le transcende. Il faut donc deviner le rapport perceptif d'un sujet
incarné et d'un corps propre. Ce rapport, pour le dire avec Husserl, est un
rapport par perspectives, où chaque perspective, chaque Abschattung est
une manifestation de la chose elle-même. Si la série des perspectives de la
chose est par nature inépuisable, le rapport entre la conscience et l'objet
transcendant ne peut être que temporel. L'intentionnalité opérante de
rétentions et de protensions constitue les dimensions du flux des vécus, qui,
dans leur unité « naturelle et primordiale 4 », ancrent le sujet dans le monde.
Comme dans La Structure du comportement, Merleau-Ponty refuse à
1. Ibid., p. 474.
2. Ibid., p. 481.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 476.
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1. Cf. T. Geraets, Vers une nouvelle philosophie transcendantale, The Hague, Marti-
nus Nijhoff, 1971, p. 6.
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À la Libération
OUBLIER B.
1. Selon Régis Jolivet, auteur en 1921 d'un Essai sur le bergsonisme (Lyon, Éd.
E. Vitte), à partir des années 1940 et 1950 Bergson est considéré par l'« avant-garde »
philosophique française comme un « chien crevé » (cf. R. Jolivet, « Réflexion sur le déclin
du bergsonisme dans les années d'après-guerre », in AA.VV, Bergson et nous, Paris,
Armand Colin, 1959, vol. I, p. 171).
2. Cf. M. Merleau-Ponty, « Les sciences de l'homme et la phénoménologie », résumé
du cours de 1950-1952, in « Maurice Merleau-Ponty à la Sorbonne », Bulletin de
psychologie, t. XVIII, 1964, p. 153-154.
3. Cf. A. Boschetti, Sartre et Les Temps modernes : une entreprise intellectuelle,
Paris, Minuit, 1985.
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critiques envers Bergson dans les écrits de la génération des années 1920 :
dans La Phénoménologie de Jean-François Lyotard (né en 1924) 1, dans
L'Être et le Travail de Jules Vuillemin (né en 1920) 2, dans La Significa-
tion humaine du rire de Francis Jeanson (né en 1922) 3, dans les cours de
Gilbert Simondon (né en 1924), dans Philosophie et phénoménologie du
corps de Michel Henry (né en 1922) 4, mais aussi dans la thèse de Paul
Ricœur (né en 1911), Le Volontaire et l'Involontaire 5.
Si, en 1946, le « premier phénoménologue » français, Emmanuel
Lévinas, rédige un article en hommage à Bergson, qui restera inédit 6, en
revanche, et contrairement à ses déclarations postérieures, il conserve la
prudente distance qu'il a commencé à manifester dès son déménagement
à Paris. Non agrégé et encore dépourvu du titre de docteur d'État, sans
lien avec aucune institution universitaire, il occupe, entre 1931 et la fin
des années 1950, une position marginale. En 1947, dans De l'existence à
l'existant, il établit le parallèle suivant : de même qu'on aboutit à la
notion d'« il y a », à travers un exercice équivalent à la réduction, de
même obtient-on un résultat semblable par l'exercice répété de négation
tel que Bergson le décrit dans le dernier chapitre de L'Évolution créatrice.
Cependant, l'être positif de la durée reste encore, selon Lévinas, « un
À la Libération 213
À la Libération 215
souvent accompagnées de prises de positions critiques. Dans Totalité et Infini (op. cit.,
p. 316), la conception de l'avenir fondée sur la durée, déjà critiquée en 1936, est à
nouveau contestée : le temps n'est pas une succession, mais il n'est pas non plus une durée
continue, il est une tension entre l'Autre et Moi, ajoutant du nouveau à l'être. Enfin, en
1973, avec Autrement qu'être ou au-delà de l'essence (Paris, Le Livre de poche, 1993,
p. 114 et 160), Lévinas s'oppose à la critique bergsonienne de l'idée de désordre et affirme
qu'il y a un désordre qui n'est pas un ordre. Cela revient dans « La philosophie de Franz
Rosenzweig » (repris sous forme de texte dans E. Lévinas, À l'heure des nations, Paris,
Minuit, 1988) et, en 1992, dans De Dieu qui vient à l'idée (Paris, Vrin, 1982, p. 115).
1. Cf. J. Wahl, « Essai sur le néant d'un problème (sur les p. 37-84 de L'Être et le
Néant de J.-P. Sartre) », Deucalion, Paris, Éd. de la Revue Fontaine, 1, 1947, p. 41-72.
Une section de cet essai s'intitule explicitement « Sartre contre Bergson ».
2. Cf. É. Gilson, Existentialisme chrétien : Gabriel Marcel, Paris, Plon, 1947.
3. Cf. E. Mounier, Introduction aux existentialismes, Paris, Gallimard, 1946.
4. Cf. J. Wahl. Petite histoire de l'existentialisme, Paris, Éd. Club Maintenant, 1947,
et La Pensée de l'existence, Paris, Flammarion, 1951.
5. Cf. J. Delhomme, Vie et conscience de la vie : essai sur Bergson, Paris, Puf, 1954,
et La Pensée interrogative, Paris, Puf, 1954.
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À la Libération 217
1. Cf. G. Bachelard, L'Eau et les Rêves. Essai sur l'imagination de la matière, Paris,
José Corti, 1941 ; L'Air et les Songes. Essai sur l'imagination du mouvement, Paris, José
Corti, 1943 ; La Terre et les Rêveries du repos, Paris, José Corti, 1946 ; La Terre et les
Rêveries de la volonté, Paris, José Corti, 1948.
2. Cf. G. Bachelard, Le Matérialisme rationnel (1953), Paris, Puf, 2010, p. 73.
L'irréductibilité de l'homo metallurgicus à l'homo faber revient dans La Terre et les
Rêveries de la volonté (op. cit., p. 51 et 44) où Bachelard souligne que le moulage du
métal « bouleverse toutes les perspectives bergsoniennes » : « Il faut n'avoir jamais tenu
une lime en main pour caractériser la psychologie de l'homo faber par la seule finalité
d'un modèle géométrique. » La psychologie de l'homo faber, toute concentrée à décrire les
mouvements dans l'espace, oublie « la partie temporelle, celle qui organise le temps du
travail ».
3. Cf. G. Bachelard, Le Matérialisme rationnel, op. cit., p. 13.
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1. Ibid., p. 113.
2. Ibid., p. 172.
3. Cf. G. Bachelard, Le Rationalisme appliqué (1949), Paris, Puf, 1986, p. 162.
4. Ibid., p. 26.
5. Ibid., p. 113.
6. Ibid.
7. Ibid., p. 19.
8. Ibid., p. 33.
9. Ibid., p. 32.
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À la Libération 219
1. Ibid., p. 43.
2. Ibid., p. 55.
3. Ibid., p. 56.
4. Ibid.
5. Cf. G. Bachelard, L'Activité rationaliste de la physique contemporaine (1951),
Paris, Puf, 1965, p. 56-57.
6. Cf. G. Bachelard, Poétique de la rêverie (1960), Paris, Puf, 2010, p. 99.
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1. Ibid., p. 181.
2. Cf. G. Bachelard, La Poétique de l'espace (1957), Paris, Puf, 2009, p. 16.
3. Pendant les années 1930, le critique littéraire et philosophe d'origine roumaine
Benjamin Fondane (né en 1898) a déjà, à plusieurs reprises, malmené Bergson sur les
pages de la N.R.F. Pour une critique des Deux Sources, se reporter à son « La Conciencia
Desventurada, Bergson, Freud y los dioses », Sur (Buenos Aires), no 15, décembre 1935,
republié l'année suivante en français dans La Conscience malheureuse (Lagrasse, Verdier,
2013). Fondane, élève de Léon Chestov, ne partage pas avec lui l'admiration pour
l'auteur des Deux Sources (cf. N. Baranoff-Chestov, Vie de Léon Chestov : les dernières
années 1928-1938, Paris, La Différence, 1993).
4. Cf. J.-C. Zylberstein, « Paulhan, cinquante ans après », in J. Paulhan, Les Fleurs
de Tarbes ou la terreur dans les lettres (1941), Paris, Gallimard, 1990.
5. Ce n'est pas un hasard si Bachelard en fait une recension en 1942 (« Une
psychologie du langage littéraire », in G. Bachelard, Le Droit de rêver, Paris, Puf, 1970).
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À la Libération 221
sicien qui […] démontre [la terreur], mais en même temps l'aggrave, et la
précipite 1 ». Le bergsonisme, avec son idée que le langage, social et spa-
tialisant, est incapable de saisir la vie intérieure, est la doctrine la « plus
étrangère ou plus hostile aux Lettres, mieux propre à les réduire à
quelques amas de lâchetés, d'abandons », et c'est par un paradoxe que
les écrivains ont été « les premiers à l'adopter » 2.
Cette idée est reprise plus tard par un théoricien de la littérature qui
jouera un rôle déterminant à partir des années 1940, Maurice Blanchot.
Né en 1908, ami de Lévinas à partir des années 1920, il emprunte à
Paulhan l'idée d'une opacité essentielle propre au langage dont les pou-
voirs sont absolutisés 3. Dans un article au titre paradigmatique, « Berg-
son et le symbolisme 4 », Blanchot met en lumière l'importance, pour la
littérature contemporaine, de la conception mallarméenne, valéryenne et
surréaliste de la poésie, une conception faisant confiance dans le langage,
dans « les propriétés spéciales d'une forme dans ses propres effets ».
Selon Blanchot, cette conception est l'exacte « antithèse de la philosophie
bergsonienne » et, d'après elle, « si jamais le langage coïncide avec la
pensée originaire, c'est au point de départ, quand l'esprit se rend à
l'immédiat ». Mais le métier de l'écrivain consiste précisément à « repla-
cer cette spontanéité » dans le cadre d'un « travail 5 ».
Pendant les années 1950 et 1960, le refus de l'introspection et de la
psychologie, la centralité du pouvoir des ressources formelles et logi-
ques du langage, des symboles dans leur disposition spatiale constitue-
ront les bases du Nouveau Roman et des expériences littéraires d'avant-
garde comme celles de la revue Tel Quel ou l'Oulipo. Si les œuvres de
Mallarmé et Valéry resteront les fondements de ces expériences, le sym-
bolisme bergsonien sera, en revanche, considéré comme la relique d'un
temps révolu.
À la Libération 223
1. Ibid., p. 9.
2. Cf. J. Lacan, La Psychose paranoïaque et ses rapports avec la personnalité (1932),
Paris, Seuil, 1998, p. 315.
3. Cf. J. Lacan, « Le problème du style et la conception psychiatrique des formes
paranoïaques de l'expérience » (1933), in La Psychose paranoïaque, op. cit., p. 69.
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1. Publié en 1936 dans L'Évolution psychiatrique, il a été republié dans les Écrits,
op. cit.
2. Ibid., p. 82.
3. Ibid., p. 88.
4. Cf. J. Lacan, « Psychologie et esthétique », Recherches philosophiques, no 4, 1935,
p. 424-443. Minkowski a publié un article dans le numéro précédent de la revue (voir
aussi « Esquisses phénoménologiques », in Recherches philosophiques, no 4, 1934-1935).
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1. Ibid., p. 426.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 429.
5. Cf. E. Minkowski, « La psychopathologie, son orientation, ses tendances », L'Évo-
lution psychiatrique, fasc. IV, 1937.
6. Ibid., p. 66.
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À la Libération 227
1. Ibid.
2. Ibid., p. 118.
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 120.
6. Ibid.
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produite tant sur la folie que sur le langage – et pour buter sur le problème
de l'ineffable, comme si le langage ne le posait pas sans la folie 1 ».
Jusqu'aux années 1950, Lacan insiste sur ceci : tant pour sa méthode,
l'interprétation du récit, et pour son objet, le sens et l'intention du récit, la
psychanalyse se trouve aux antipodes d'une psychologie introspection-
niste, dont la méthode serait la sympathie ou l'empathie et dont l'objet
serait la vie intérieure ineffable 2. Ces courants « bergsonisants », au lieu
de donner une nouvelle impulsion à la psychiatrie et à la psychologie,
provoquent l'effet contraire : contaminant la psychanalyse avec leur réa-
lisme, ils détournent la direction « scientifique » que la psychologie pour-
rait prendre grâce à elle : « Introspection et intuition […] – écrit Lacan –
ne constituent […] que les viciations de principe qu'une psychologie, à ses
premiers pas dans la voie de la science, a considérées comme irréduc-
tibles 3. »
À la Libération 229
ans plus tard, dans sa « Préface » à un volume censé donner une description
de l'état de la recherche en France au lendemain de la guerre, Jean Wahl
conclut que l'influence de son maître « semble subir une éclipse ». Selon
Wahl, l'influence de la philosophie bergsonienne serait repérable – « plus
ou moins reconnue » – dans « la philosophie existentialiste sous ses deux
formes opposées chez Gabriel Marcel d'une part, chez Sartre et Merleau-
Ponty d'autre part », chez Vladimir Jankélévitch et chez « quelques philo-
sophes partis de l'intellectualisme comme Ruyer et Canguilhem, quand ils
arrivent à affirmer l'irréductibilité des phénomènes vitaux » 1.
Vladimir Jankélévitch (né en 1903), appartenant à la promotion de
1922, est très vite entré en contact avec la philosophie allemande grâce
d'abord à son père, traducteur de Freud, puis à Bouglé, l'un des premiers
introducteurs de Simmel, et à Bréhier, auteur d'un livre sur Schelling 2 et
d'une Histoire de la philosophie allemande 3. Ainsi, comme Aron, Janké-
lévitch s'intéresse à des philosophes tels que Scheler, Simmel ou Rickert,
mais son attention est dirigée vers les caractères vitalistes, romantiques et
anti-intellectualistes de leurs doctrines. À la différence de Sartre et de
Nizan, se réclamer de ces philosophes ne constitue pas pour Jankélévitch
une manière de marquer une rupture avec des maîtres comme Brunsch-
vicg ou Dominique Parodi, par rapport auxquels le jeune philosophe
emploie un ton toujours accommodant et admiratif. Dans les lettres
envoyées à son ami Louis Beauduc et dans les articles des années 1920,
publiés dans la Revue philosophique grâce à l'intercession de son père,
Jankélévitch fait profession de foi « vitaliste » tant sur le plan ontologique
que sur le plan gnoséologique : la vie est irréductible aux mécanismes, et
seulement une réalité spirituelle comme le vivant peut connaître d'autres
réalités spirituelles. Jankélévitch oppose le vivant, dont la finalité est
immanente, aux choses matérielles et aux mécanismes, dont la finalité est
transcendante, il oppose la connaissance « de l'intérieur » du vivant par le
vivant à la connaissance partes extra partes des choses. Jankélévitch est
initialement convaincu de la supériorité de Georg Simmel 4 sur les
À la Libération 231
logique qu'on applique aux machines, sous peine de tomber dans des
illusions de rétrospection. Ces illusions ou faux problèmes sont produits
quand on prend le « se faisant » comme quelque chose de fabriqué, de
tout fait. Jankélévitch considère alors que la réfutation des pseudo-idées,
et notamment « la critique des idées de désordre et de néant est la clef du
bergsonisme 1 ». Au contraire, « la connaissance de la vie doit être une
imitation de la vie 2 ».
Jankélévitch s'est également employé à souligner, dans le chapitre
« Liberté » du livre de 1931, le caractère moral du bergsonisme qui
n'est pas une « philosophie de l'indifférence 3 », comme l'a soutenu
Politzer, mais une philosophie de l'action demandant des sacrifices :
« Rien n'est plus pénible, inquiétant et douloureux – écrit alors Janké-
lévitch – que d'admettre la priorité essentielle d'un vouloir », comme
chez Bergson 4. La décision est certes immanente à une vie, mais elle
constitue toujours un « saut périlleux à accomplir », un « vrai com-
mencement », un « coup de théâtre » 5, dont il faut se rendre respon-
sable. Le bergsonisme exhorte donc chacun à prendre en charge des
actions, il faut bien prendre garde de « ne nous enfuir ni dans le passé
des causes efficientes, ni dans le futur des justifications rétrospec-
tives 6 ». La liberté bergsonienne est ainsi une « liberté militante 7 ».
Enfin, Jankélévitch tente de dialectiser Bergson : d'après lui, la durée,
qui est « contradiction vaincue et perpétuellement résolue 8 », possède
des traits véritablement « dramatiques », car dans l'irréversibilité
d'une vie « on ne renverse pas à volonté les épisodes 9 ». Ainsi, l'« uni-
vers d'immanence où se résorbe l'extériorité mutuelle des choses » se
découvre au seul prix d'une longue traversée du « feu des antithèses
purifiantes et des conflits aigus » 10. L'action chez Bergson apparaît
donc comme une « rupture cruelle avec la mémoire », un « sacrifice
1. Ibid., p. 255.
2. Ibid., p. 98.
3. Ibid., p. 86.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 101.
6. Ibid., p. 86.
7. Ibid., p. 103.
8. Ibid., p. 50.
9. Ibid., p. 67.
10. Ibid., p. 140.
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1. Ibid., p. 177.
2. Ibid., p. 194.
3. Ibid., p. 172.
4. Cf. V. Jankélévitch, « Les Deux sources de la morale et de la religion d'après
M. Bergson », Revue de métaphysique et de morale, t. 40, no 1, 1933, p. 101-117.
5. Ibid., p. 105.
6. Ibid., p. 111.
7. Il s'agit d'une flèche lancée à son camarade Friedmann qui, l'année précédente, a
écrit une recension de son Henri Bergson (op. cit.).
8. Cf. V. Jankélévitch, « Henri Bergson », Revue de métaphysique et de morale, t. 56,
no 1, 1951, p. 3.
9. Cf. V. Jankélévitch, « N'écoutez pas ce qu'ils disent, regardez ce qu'ils font »,
Revue de métaphysique et de morale, t. 64, no 2, 1959, p. 161-162 ; « Hommage solennel
à Henri Bergson », Bulletin de la Société française de philosophie, Paris, Armand Colin,
1960, p. 89.
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À la Libération 235
« sérieuse et solide » étude Henri Bergson était celle qui allait « le plus
loin dans la compréhension des thèmes et de leurs implications pro-
fondes », mais le jugement sévère sur Bergson demeure : d'après Fried-
mann, les démarches de l'auteur de L'Évolution créatrice « n'apportent
rien à l'homme », et le bergsonisme, « philosophie du concret et de la
vie », est en réalité une philosophie « abstraite et gratuite ». Le socialiste
Raymond Lenoir 1 exprime les mêmes avis. Il s'étonne que, après une
guerre ayant mis « en déroute le mode pacifique et insouciant de vivre et
les systèmes d'idées trop éloignés de la réalité quotidienne », « les cou-
rants d'idées écartées avec violence pendant quatre ans » se soient
reformés « dans le cours de cinq années ». Il est surprenant – écrit
Lenoir – que les vieux systèmes d'avant-guerre, comme le bergsonisme,
« ont repris leur place dans la formation des jeunes gens d'aujourd'hui
qui n'ont pas le souvenir d'avoir vu mourir des hommes comme eux et
perdu des amis 2 ».
Paradoxalement, le livre et la réfléxion de Jankélévitch opérera une
mutation « bergsonienne » dans l'évolution théorique de deux pacifistes
formés par Alain : Raymond Aron et Georges Canguilhem.
MACHINES ORGANIQUES
1. Cf. R. Lenoir, « À propos d'un ouvrage récent », Revue de synthèse, juin 1931,
p. 257-263.
2. Ibid., p. 262.
3. Cf. G. Canguilhem, « La machine et l'organisme », in La Connaissance de la vie,
op. cit.
4. Ibid., p. 161, no 3.
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À la Libération 237
À la Libération 239
1. « On ne peut pas traiter avec Hitler » (cf. J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle,
op. cit., p. 597-598).
2. Pour ces aspects, cf. G. Bianco, « Pacifisme et théorie des passions », in A. Murat -
F. Worms (éd.), Alain entre philosophie et littérature, Paris, Éd. Rue d'Ulm, 2011.
3. Cf. G. Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, op. cit., p. 8.
4. Ibid., p. 11.
5. Ibid., p. 8.
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À la Libération 241
1. Ibid., p. 141.
2. Cf. G. Canguilhem, « Activité technique et création », op. cit, p. 500.
3. Ibid., p. 506.
4. Cf. J.-F. Braunstein, F. Bing, « Entretien avec Georges Canguilhem », in Actualité
de Georges Canguilhem. Le normal et le pathologique, op. cit., p. 129.
5. Cf. J. Piquemal, « G. Canguilhem professeur de Terminale (1937-1938). Un essai
de témoignage », in Revue de métaphysique et de morale, t. 90, no 1, 1985, p. 64.
6. Cf. Traité de logique et de morale, in Œuvres complètes, p. 657 et 743.
7. Scheler est longuement cité par Aron dans sa Sociologie allemande et dans
l'Introduction à la philosophie de l'histoire ; en outre, Georges Gurvitch lui a consacré
un chapitre entier dans son célèbre recueil Les Tendances actuelles de la philosophie
allemande (1930).
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À la Libération 243
SAINTS ET RÉSISTANTS
t. 57, no 2, 1952, p. 171-186), comme si l'enjeu consistait dans la confrontation entre ces
deux figures marquantes pour l'élaboration de sa philosophie biologique.
1. Voir la Revue philosophique de la France et de l'étranger, no 3-8, 1941. On
remarquera, dans ce numéro, l'absence de philosophes appartenant à la génération née
après 1900. On retrouve en revanche Valéry, Delattre, Lavelle, Masson-Oursel, Pradines,
Le Senne, Bayer et Millot.
2. Cf. A. Béguin - P. Thévenaz, Henri Bergson. Essais et témoignages, op. cit.
3. Cf. G. Canguilhem, « Commentaire au troisième chapitre de L'Évolution créa-
trice » (1943), in F. Worms, Annales bergsoniennes III, Paris, Puf, 2007, p. 99-160.
4. Cf. G. Canguilhem, « La société humaine selon Bergson », Fonds Georges Can-
guilhem du CAPHES, GC. 24.9 - GC. 27, p. 2.
5. Ibid., p. 1.
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À la Libération 245
1. Ibid., p. 2.
2. Ibid.
3. Ibid.
4. Ibid., p. 4.
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principe d'un possible désordre, mais ils sont en réalité créateurs d'un
nouveau type d'ordre, qualitativement différent. Cet ordre consiste en de
nouvelles formes sociales qui sont de véritables « inventions spirituelles »,
rompant avec le passé de la société et donc exposées au risque d'une
faillite. À l'instar de l'organisme qui ne peut se perpétuer dans la repro-
duction mécanique des mêmes habitudes, la société ne peut perdurer
dans un état statique, mais doit muter son ordre, ordre qui reste nécessai-
rement temporaire, nécessairement risqué. Ainsi, comme le succès de
l'« acte libre » n'est pas « réductible au calcul qui le prépare », l'« avenir
de l'humanité » ne peut être garanti par « une connaissance supposée
parfaite de son passé » 1. De cette philosophie de la vie, Canguilhem tire
une morale du « choix et de l'engagement » qui s'oppose à la tradition,
« actualité de dissonance », une morale « utopique comme l'est toujours
le devoir moral, car il exige toujours de nous un effort dont aucune
science ne suffit à garantir l'accomplissement » 2.
Grâce à Bergson, afin de résoudre le problème du rapport entre tech-
nique et science, Canguilhem déplace le sujet de la volonté et de la créa-
tion des normes de l'homme à la vie elle-même. La nature, réduite par
Descartes à une série de « théorèmes solidifiés 3 », c'est‑à-dire à des
« jugements de fait solidifiés », devient chez Canguilhem, à travers
l'apport croisé des philosophies allemandes de la vie et du bergsonisme,
qui conçoit la vie comme pouvoir créateur capable donc de choisir, une
série de « jugements de valeur solidifiés ». Tout se passe comme si, subor-
donnant la technique à la vie dans la formulation de son « organologie »,
Bergson avait aussi subordonné la connaissance à la volonté, la science à
la morale, la théorie à l'action. Si l'organisme n'est plus un mécanisme
dont les actions sont prédéterminées, et si néanmoins il garde une cohé-
rence et une individualité, il ne peut donc qu'être considéré comme
quelque chose qui veut et choisit.
Cette idée n'est pas le renversement des positions alainiennes mais
une mutation qui tente d'être cohérente avec les positions de départ tout
en essayant de résoudre les nouveaux problèmes qui avaient mis en doute
le cartésianisme d'Alain. Si, entre 1927 et 1934, les critiques adressées
1. Ibid., p. 5.
2. Ibid., p. 6.
3. Cf. G. Canguilhem, « Machine et organisme », op. cit., p. 130.
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À la Libération 247
À la Libération 249
à savoir une organisation sociale précédente qui a fait faillite, qui pro-
voque une réflexion, mais dans le passage de la réflexion à l'application il
y a toujours un véritable saut qualitatif. À l'image de tous les instruments,
la société n'a aucune signification, hormis celle qui lui est donnée par les
vivants qui la créent. C'est cette finalité qui la fait fonctionner comme un
organisme de régulation : sa téléologie, sa sagesse, ne lui est pas imma-
nente, mais elle provient de l'extérieur, elle est « surajoutée, et toujours
précaire 1 ». Par conséquent, l'idéal suprême dirigeant la société et l'action
sociale – la justice – ne peut être immanent à l'« appareil social ». La
justice doit venir d'ailleurs, d'une invention qui rompt avec les précé-
dentes organisations.
Canguilhem souligne la pertinence de l'idée bergsonienne, « beau-
coup plus profonde encore qu'elle ne le paraît […], même à une lecture
sérieuse et attentive 2 ». L'opposition entre sagesse et héroïsme proposée
par Bergson est liée à l'idée que la justice n'est pas une institution, ni une
régulation, mais « tout à fait autre chose », la création d'un « héros » 3.
Ce que Bergson nomme l'« appel du héros » dans Les Deux Sources est le
signe d'un manque de justice à l'intérieur d'une société dont l'état nor-
mal, écrit Canguilhem, est un « état de crise et de désordre ». Le héros – et
sans doute Canguilhem est-il en train de penser au résistant et spéciale-
ment à son ami Cavaillès – « invente une solution ». Mais cette solution
ne préexiste pas, elle n'est pas fruit d'une déduction rationnelle comme
aurait voulu le cartésianisme rigide de Descartes. Le héros invente une
solution et « ne peut l'inventer que dans l'extrême, il ne peut l'inventer
que dans le péril », dans un moment de crise sociale.
C'est pour cela qu'« aucune société n'a pu se survivre qu'à travers des
crises et grâce à ces êtres exceptionnels qui s'appellent des héros 4 ». Le
héros prend certes du recul par rapport à l'obstacle et à la négativité
expérimentée sur le plan vital tout comme il réfléchit sur la base des
idéaux rationnels de justice. Mais ensuite, ce n'est que par un acte « tech-
nique » et politique hasardeux, exposé au risque de la faillite, qu'il crée
de nouveaux moyens de régulation, une nouvelle sagesse. Voilà pourquoi
1. Ibid., p. 121.
2. Ibid., p. 122.
3. Ibid., p. 123.
4. Ibid.
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À la Libération 251
1. À partir de la seconde moitié des années 1930, les philosophes marxistes reven-
diquent la valeur d'une tradition cartésienne afin de faire barrage à tous les courants
philosophiques qui, avec l'excuse d'assouplir et d'élargir la raison, ont, en réalité, secondé
l'idéologie nazie. Dans « La philosophie et les mythes », publié dans La Pensée d'avril-
juin 1939, Politzer dénonce notamment l'ouvrage de propagande Der Mythus des
Zwanzigsten Jahrhunderts de Rosenberg, et sa prétention de « créer un nouveau type
d'homme à partir d'un nouveau mythe de la vie » et d'une pensée intuitive et mythique,
l'« Urwissen ».
2. Cf. G. Canguilhem, « Note sur la situation faite en France à la philosophie
biologique », op. cit., p. 324. Tout au long de La Connaissance de la vie, Canguilhem
s'emploie à défendre les modèles vitalistes et dénonce leur utilisation par l'idéologie nazie.
Selon Canguilhem, il ne s'agit pas d'une connivence entre idéologie et modèles scienti-
fiques, mais d'un simple « parasitisme de la biologie » : l'utilisation à des fins idéologiques
de ces modèles ne porte pas atteinte à leur validité intrinsèque.
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Troisième partie
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DU BACHOT À L'AGRÉGATION
1. Le choix de Bergson comme auteur à insérer dans le programme ainsi que les
conférences sur l'auteur de l'Essai que Chevalier donnera en 1940 et 1941 attireront sur
lui l'attention des milieux collaborationnistes parisiens, ce qui lui coûtera son poste. Passé
au ministère de la Famille, Chevalier ne cesse néanmoins de professer un anticommunisme
farouche et une stricte obédience aux ordres de Vichy.
2. Pour ce motif, Rose-Marie Mossé-Bastide élabore un article d'introduction au
livre de Bergson (« Pour faciliter aux élèves la lecture de Matière et mémoire », Revue de
l'enseignement philosophique, t. 1, no 4, 1951).
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part, l'ensemble des œuvres proposées aux candidats est à cette période
le reflet d'une double tentative : on veut à la fois maintenir une certaine
continuité avec les programmes précédents, et faire dialoguer la tradition
philosophique française avec les auteurs outre-rhénans. Bergson et deux
classiques du « spiritualisme » français – les Méditations de Malebran-
che, l'Essai sur les fondements de la psychologie de Maine de Biran –
auraient pour fonction de venir à l'encontre des étudiants « existentia-
listes », alors que Les Règles de la méthode sociologique durkheimiennes
sont choisies en fonction des intérêts des étudiants marxistes.
La présence de Bergson au programme 1 se concrétise dans une série
de publications et par l'attention nouvelle prêtée à l'œuvre du philo-
sophe. En 1947, Maritain republie son De Bergson à saint Thomas
d'Aquin et, l'année suivante, La Philosophie bergsonienne. En 1947,
dans le cadre de la « lutte de classe dans la théorie » contre l'existentia-
lisme, Jean Kanapa rend à nouveau disponible le pamphlet de Politzer,
quoique sous une forme amputée et sous le titre Le Bergsonisme : une
mystification philosophique. En 1947 aussi, Léon Husson publie L'Intel-
lectualisme de Bergson, qui contribue à changer l'image d'un Bergson
philosophe irrationaliste en tentant de donner un statut rigoureux à
l'intuition conçue comme une « méthode ». En 1947-1948, Merleau-
Ponty dispense un cours sur Malebranche, Biran et Bergson à l'Université
de Lyon et à l'École normale de Paris 2. Ce n'est pas un hasard si Sartre
qui, à la différence de Merleau-Ponty et Hyppolite, n'enseigne pas dans
une université, ne revient pas sur ses pas quant à sa vision du bergso-
nisme.
En 1947, à l'initiative d'anciens auditeurs des cours de Bergson,
l'Association des amis de Bergson est fondée 3 : les conférences qu'elle
organise dans les locaux de l'hôtel Nevers de la rue de Colbert sont
publiées dans des brochures annuelles, Les Études bergsoniennes. Le pre-
mier numéro de la revue, paru en 1948, rend disponible une partie des
1. Ces articles sont à présent réunis in Figures, op. cit., t. II. Ils ont profondément
influencé l'interprétation deleuzienne du bergsonisme, comme en témoigne une note in Le
Bergsonisme, Paris, Puf, 1966, n. 1, p. 51.
2. Cf. « Vie et existence d'après Bergson », p. 489.
3. Ibid., p. 491.
4. Ibid., p. 452-453.
5. Ibid., p. 448.
6. « Vie et philosophie de l'histoire chez Bergson », op. cit., p. 460.
7. Ibid., p. 467.
8. Ibid.
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1. Ibid.
2. Ibid., p. 468.
3. Ibid.
4. Cf. J. Hyppolite, « Aspects divers de la mémoire chez Bergson », op. cit., p. 472.
5. Cf. J. Hyppolite, « Vie et philosophie de l'histoire chez Bergson », op. cit., p. 467.
6. Ibid., p. 474.
7. Ibid., p. 476.
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VIE ET HISTOIRE
1. Ibid., p. 478.
2. Cf. J. Hyppolite, « Aspects divers de la mémoire chez Bergson », op. cit., p. 477.
3. Ibid., p. 483-484.
4. Ibid., p. 482.
5. Ibid., p. 480.
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nale de philosophie (1949), in Id., L'Histoire et sa philosophie, Paris, Vrin, 1952, p. 67-
90. Et « Vision rétrospective et invention historique » (1954), in Id., La Philosophie de
l'histoire de la philosophie, Paris, Vrin, 1956.
1. Ibid., p. 75.
2. Ibid., p. 83.
3. Ibid., p. 107.
4. Ibid., p. 147.
5. Ibid., p. 434.
6. Ibid., p. 435.
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1. Ibid., p. 437.
2. Ibid., p. 18.
3. Cf. M. Merleau-Ponty, Les Aventures de la dialectique, Paris, Gallimard, 1955,
p. 17.
4. Ibid., p. 46.
5. Ibid., p. 45.
6. Merleau-Ponty reprend purement et simplement le propos d'Aron : l'illusion du
progrès n'est qu'un « cas particulier de l'illusion rétrospective : nous voyons dans un
événement du passé la préparation de notre présent, alors que ce passé a été “un acte
complet” en son temps et que c'est la réussite présente qui le transforme en esquisse »
(M. Merleau-Ponty, Éloge de la philosophie, Paris, Flammarion, 1989, p. 33).
7. M. Merleau-Ponty, « Bergson se faisant », in Id., Signes, Paris, Gallimard, 2001,
p. 306.
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1. Ibid.
2. Cf. A. Beguin - P. Thévenaz, Henri Bergson. Essais et témoignages, op. cit.,
p. 213-221.
3. Cet essai est critiqué en 1945 par H. Lévy-Bruhl dans « Histoire et bergsonisme »,
Revue de synthèse historique, vol. LX, 1945, p. 141-159, qui veut montrer qu'en réalité
l'influence de Bergson sur les historiens n'est que rétrospective.
4. Cf. H.-I. Marrou, De la connaissance historique, Paris, Seuil, 1954.
5. Cf. H. Gouhier, « Bergson et l'actualité de l'histoire », L'Actualité de l'histoire,
no 8, 1954, p. 3-4.
6. Cf. E. Castelli-Gattinara, Les Inquiétudes de la raison : épistémologie et histoire en
France dans l'entre-deux-guerres, Paris, Vrin-EHESS, 1998.
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1. Cf. M. Bloch, Apologie pour l'histoire, Paris, Armand Colin, 1993, p. 22.
2. Ibid., p. 83-84.
3. Cf. F. Braudel, « L'Histoire, mesure du monde », in Id., Les Écrits de Fernand
Braudel, t. II, Les Ambitions de l'histoire, Paris, de Fallois, 1997, p. 11-83.
4. Cf. F. Braudel, Écrits sur l'histoire, Paris, Flammarion, 1969, p. 61.
5. Cf. F. Braudel, « Georges Gurvitch ou la discontinuité du social » (Annales ESC,
VIII, 1953, p. 347-361), compte rendu de la La Vocation actuelle de la sociologie, de
1950 (Paris, Puf, 1963).
6. Cf. G. Gurvitch, « La multiplicité des temps », in Id., La Vocation actuelle de la
sociologie, op. cit., p. 325-430.
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jeu est précisément la multiplicité des temps considérés par les sciences
humaines. Cependant la conclusion de l'article de 1958 parle clair, une
entente souhaitable entre historiens, sociologues et anthropologues est
possible, mais elle doit suivre des lignes précises, nommées par Braudel :
« mathématisation, réduction à l'espace, longue durée ». On est donc
bien loin de Bergson et de la critique du morcellement 1.
Mis à part les débats entre historiens de profession, qui se placent
dans un champ ayant désormais acquis son indépendance de la philoso-
phie, le problème de l'histoire et de la dialectique en tant que son mouve-
ment est au centre des préoccupations des philosophes entre la fin des
années 1940 et le début des années 1950. Ce problème est certes en
relation avec des enjeux philosophiques – « Quelle est la situation de
l'homme dans l'histoire ? », « Quel est le rapport qu'il entretient avec son
propre passé ? », « L'histoire est-elle connaissable objectivement ? » – et
historiographiques – « Quelle est la différence entre la dialectique hégé-
lienne et marxienne ? », « Y a-t‑il une coupure dans l'œuvre de Marx
concernant ces thèmes ? » –, mais aussi politiques. On cherche non seule-
ment à comprendre la place de l'homme dans son histoire pour agir, mais
on essaie aussi de proposer des modèles d'intellection de l'histoire afin de
justifier ou critiquer certaines actions.
Cela est vrai à plus forte raison au lendemain de la Libération,
après la mise en place du plan Marshall et la réponse soviétique
illustrée par la doctrine Jdanov. Une longue période de stabilisation
débute avec la partition de Berlin et implique les guerres d'Indo-
chine et de Corée, durant une décennie, du moins jusqu'aux événe-
ments de Budapest, mais même au-delà, jusqu'à la fin de la guerre
d'Algérie. Ce n'est donc pas un hasard si l'interrogation merleau-
pontienne dans Les Aventures de la dialectique et sa reprise de Berg-
son suivent la rupture d'avec Sartre qui, partisan d'une conception
complètement négative de la dialectique, se rapproche du Parti com-
muniste au début des années 1950. Il n'est pas non plus étonnant
qu'Aron, gaulliste et anti-communiste (c'est en 1955 que L'Opium
des intellectuels paraît), plaide pour un relativisme historique. Enfin,
INHUMAINES NÉGATIONS
1. Ibid., p. 3. Cette application de l'épochè sera reprise maintes fois par Hyppolite,
notamment au cours du colloque sur Husserl de 1957, où il reformule l'hypothèse d'un
« champ transcendantal sans sujet » ; cf. AA.VV, Husserl, Paris, Minuit 1959, p. 319.
L'idée sera reprise par Derrida, qui en parlera à propos de l'écriture dans son « Introduc-
tion à L'Origine de la géométrie de Husserl » (cf. Husserl, L'Origine de la géométrie,
Paris, Puf, 1962) et par V. Goldschmidt, qui a lu le premier chapitre de Matière et
mémoire comme la mise en œuvre d'un « champ transcendantal » d'images à partir
duquel la conscience était déduite (cf. V. Goldschmidt, « Introduction », in F. Worms
(éd.), Annales bergsoniennes I, Paris, Puf, 2002, p. 73-128).
2. Hyppolite a déjà eu l'occasion d'opposer Hegel à Bergson dans sa thèse Genèse et
structure de La Phénoménologie de l'Esprit d'Hegel (Paris, Aubier, 1947, p. 128 et 246).
Comme Hegel, Bergson a tenté d'introduire « la vie et le devenir dans la pensée elle-
même », mais il a renoncé au concept. Hegel critique déjà la possibilité d'une « philoso-
phie de la vie comme sera plus tard celle de Bergson dans L'Évolution créatrice […], [lui
opposant] une philosophie de la conscience et de l'esprit ».
3. À partir de ces réflexions (et dans une confrontation avec Le Visible et l'Invisible)
se développe la thèse de Bento Prado Jr., élaborée pendant les années 1960, Présence et
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ULTRAPOSITIVISTES ET ULTRANÉGATIVISTES
1. Ibid., p. 148.
2. Ibid., p. 149.
3. Ibid., p. 159.
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1. Des mentions élogieuses à Bergson sont déjà présentes dans l'article de 1955,
« Einstein et la crise de la raison », et dans celui de l'année suivante, intitulé « Partout et
nulle part » (in M. Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960).
2. Hyppolite est cité à la page 29 de l'Éloge de la philosophie (op. cit.).
3. Les développements des paragraphes suivants sont partiellement redevables des
analyses de R. Barbaras, Le Tournant de l'expérience. Recherches sur la philosophie de
Merleau-Ponty, Paris, Vrin, 1998.
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mais dire qu'il n'y a pas de mémoire pure, que l'esprit s'insère dans la
matière avec son corps revient à dire que la distance implique l'horizon
d'une possible coïncidence. La coïncidence, écrit Merleau-Ponty, reste
« toujours passée et toujours future 1 ». La durée, ce qui détermine la
coïncidence toujours et seulement partielle, n'est donc plus conçue en
termes psychologiques et positivistes, mais en termes pleinement ontolo-
giques. Cela fait d'ailleurs écho à la démarche d'Hyppolite. La durée est
l'absolu, elle est ce qui ouvre à l'Absolu. Elle est « l'être au sens vif du
mot. Le temps n'est pas mis à la place de l'être, il est compris comme être
naissant, et c'est maintenant l'être entier qu'il faut aborder du côté du
temps 2 ». Le temps, la durée, n'est cependant pas une essence intempo-
relle déterminant les êtres, un Absolu séparé et positif, un devenir mis à
la place de l'Essence ; la durée renverse, d'une manière presque nietz-
schéenne, le sens et la séparation entre empirique et transcendantal, entre
être et essence ; elle est le sens de l'Être qui se présente, si ce n'est grâce à
ses manifestations sensibles, en tout cas toujours à distance. La durée est
en nous et nous sommes dans le temps, elle est interne et externe (« en un
sens tout nous est intérieur, en un sens nous sommes dans l'Absolu 3 ») ;
par conséquent, la coïncidence est impossible de droit, elle est toujours
partielle puisque telle est l'essence de la durée, de l'absolu dans lequel
nous évoluons et dans lequel nous vivons.
La réalité ontologique de la durée, en tant que condition de possibilité
de l'expérience, précède donc la division entre conscience, même incar-
née, et objet. Ce dont Merleau-Ponty était à la recherche était un champ
transcendantal impersonnel, un « milieu ontologique, un champ qui
réunisse l'objet et la conscience 4 ». Ce milieu, que le philosophe entend
par « invisible » dans ses derniers écrits et qui est l'écart constitutif propre
au perçu, semble pouvoir être rapproché de la durée et de son état de
virtualité. Renaud Barbaras conclut ainsi que « l'identité différenciée du
1.Ibid., p. 164-165.
2.Cf. M. Merleau-Ponty, « Bergson se faisant », op. cit., p. 300.
3.Cf. M. Merleau-Ponty, La Nature, op. cit., p. 74.
4.Cité in R. Barbaras, Le Désir et la Distance, Paris, Vrin, 1999, p. 106. La même
entreprise a été mise en œuvre par Victor Goldschmidt dans un cours universitaire de
1960 où il commente précisément le premier chapitre de Matière et mémoire (cf. « Cours
de Victor Goldschmidt sur le premier chapitre de Matière et mémoire », in Annales
bergsoniennes I, op. cit., p. 17-67).
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1. Ibid., p. 205.
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Un enfant monstrueux
DÉCENTRER BIEN
1. Cf. G. Deleuze, « Il a été mon maître » (1964), in Id., L'Île déserte et autres textes :
textes et entretiens, 1953-1974, Paris, Minuit, 2002, p. 109-113. À propos de Sartre, voir
le témoignage de Deleuze in G. Deleuze - C. Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1996,
p. 19.
2. Cf. M. Tournier, Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1977, p. 153.
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1. Cf. F. Châtelet, Chroniques des idées perdues, Paris, Stock, 1979, p. 101.
2. Dans une lettre de 1948 à Ferdinand Alquié (pièce no 28, Fonds Ferdinand
Alquié), Deleuze déclare que les derniers livres de Sartre et de Beauvoir l'ont « dégouté »
car la philosophie doit être un « monologue » et « pas un dialogue », une « discipline
abstraite et systématique ».
3. Cf. F. Châtelet, Chroniques des idées perdues, op. cit., p. 95.
4. Entretien inédit avec Olivier Revault d'Allonnes transcrit par François Dosse.
5. Voir les notes prises par Althusser pendant ce cours et conservées au Fonds Louis
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1. Cf. M. Gueroult, Leçon inaugurale faite le mardi 4 décembre 1951, Paris, Collège
de France, 1952.
2. Voir le témoignage de Michel Tournier dans Le Vent Paraclet, op. cit., p. 153).
Dans Chronique des idées perdues (Paris, Stock, 1978, p. 43), Châtelet évoque un exposé
de Deleuze à propos de la déduction du système de Malebranche, exposé présenté lors du
cours de Gueroult à la Sorbonne, en 1947. Revaut d'Allonnes, au cours de l'entretien
inédit déjà cité, relate que Deleuze, son ami de l'époque des études universitaires, a été un
« grand élève » de Gueroult, dont il suivait tous les cours. Bien avant d'écrire un compte
rendu élogieux du Spinoza de Gueroult en 1969 (maintenant dans L'Île déserte, op. cit.,
p. 28-42), Deleuze manifeste, dans Empirisme et subjectivité, l'influence de la conception
gueroultienne de la philosophie, qu'il définit comme un « problème » ou une « question
développée jusqu'au bout ». Voir G. Deleuze, Empirisme et subjectivité, op. cit., p. 120.
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ONTOLOGIE DE LA DIFFÉRENCE
1. Cf. G. Deleuze, « Jean Hyppolite, Logique et existence », in L'Île déserte, op. cit.,
p. 18-23.
2. Cf. G. Deleuze, « Jean Hyppolite », Logique et existence, op. cit., p. 21. L'impor-
tance de l'idée de philosophie en tant qu'ontologie du sens perdurera au moins jusqu'à la
fin des années 1960. « La philosophie se confond avec l'ontologie, mais l'ontologie se
confond avec l'univocité de l'être » (G. Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969,
p. 210) ou « c'est l'être qui est Différence, dans le sens où il se dit de la différence » (cf.
G. Deleuze, Différence et répétition, op. cit., p. 57).
3. Cf. G. Deleuze, « Jean Hyppolite », Logique et existence, op. cit., p. 23.
4. Ibid., p. 24.
5. Ibid., p. 25.
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lecture a déjà été esquissée en 1965 par un auteur très proche de Gue-
roult, Victor Goldschmidt (né en 1914), dans une communication à
l'Association des amis de Bergson le 21 février 1953 1.
D'autre part, la lecture deleuzienne de Bergson est replacée dans son
contexte d'émergence et elle révèle toute sa signification stratégique,
puisqu'elle répond à des problèmes bien précis. Deleuze ne s'adresse pas
à Bergson dans le but de mettre en évidence – à la manière d'Hyppolite
pendant les années 1940 – une pensée de l'incarnation liée au thème de
la négativité anthropologique. Deleuze ne cherche pas chez Bergson ce
« quelque chose de nouveau 2 » souligné par Merleau-Ponty dans son
Éloge de la philosophie, à savoir une philosophie en mesure de décrire la
situation ambiguë de l'homme engagé dans le monde. Deleuze ignore
toute réflexion « anthropologique » et, en même temps, il refuse de
reconnaître les pouvoirs du négatif et de la dialectique. Il souligne exac-
tement les aspects du bergsonisme qui ont été soumis à la critique par la
génération de Sartre – autrement dit, le fait que Bergson livre une pensée
« inhumaine » qui sous-estime la valeur de la négation et ne s'arrête pas
suffisamment longtemps sur l'analyse de la condition de l'homme, de
l'« existence humaine ». Il s'agit d'une ontologie du sens, d'un système
qui rend le sens immanent au réel lui-même.
Cette lecture de Bergson n'aurait assurément jamais été possible sans
Logique et existence, sans l'interprétation « antihumaniste » de l'hégélia-
nisme donnée par Hyppolite, et, en fin de compte, sans la deuxième récep-
tion de la philosophie de Heidegger. Elle n'aurait jamais été possible non
plus sans la particulière conjoncture politico-sociale de la France de
l'après-guerre, sans le démenti historique et quasi empirique de l'eschato-
logie hégélienne de Kojève au cours des années d'après-guerre.
LE BEGRIFF DE LA DURÉE
1.Ibid., p. 51.
2.Ibid.
3.Ibid., p. 53.
4.Cf. G. Deleuze, « Henri Bergson », op. cit., p. 29.
5.Ibid., p. 32.
6.Ibid., p. 29
7.Ibid., p. 30.
8.Ibid., p. 30. Ce refrain hyppolitien de l'« indistinction des deux mondes » est repris
maintes fois par Deleuze, notamment à propos de la mort de Dieu, qui, impliquant la
mort de l'homme, provoque la fin de la distinction entre modèle et copie. Ce lien entre la
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mort de Dieu et la mort de l'homme comme fin de la séparation de deux mondes, bien que
présent déjà dans L'Être et le Néant, fait son entrée officielle dans les discursivités
philosophiques dominantes de langue française autour de 1950, grâce à l'entrée de la
deuxième philosophie de Heidegger : non seulement la Lettre sur l'humanisme, le Kant-
buch, mais aussi les essais contenus dans Holzwege, dont le célèbre « Le mot de Nietzsche
“Dieu est mort” ».
1. Ibid., p. 33.
2. Cf. G. Deleuze, « La conception de la différence chez Bergson », op. cit., p. 58.
3. Ibid., p. 53.
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mesure que le temps passe et que tous les souvenirs – ne pouvant qu'être
différents les uns par rapport aux autres et donnant sens au présent –
coexistent dans une seule et même mémoire, dans une seule et même
multiplicité qui diffère en nature de la multiplicité actuelle des percep-
tions, des actions et de la matière. Il suggère enfin que, si la mémoire
virtuelle – tout en différant en nature du présent – est contemporaine au
présent actuel, alors tout le passé coexiste avec le présent qui passe.
Deleuze ne cessera de souligner l'importance de l'ouvrage qu'il a étudié
de manière approfondie en 1948, à l'occasion de l'agrégation : Matière et
mémoire est le livre « le plus difficile 1 » et l'un des rares livres, comme
écrira Deleuze dans Qu'est-ce que la philosophie ?, où l'on atteint le
« vertige de l'immanence 2 ».
À la lumière des indications hyppolitiennes, le concept de passé vir-
tuel donne donc à Deleuze la possibilité d'envisager un sens – l'ensemble
coexistant de tous les souvenirs, les souvenirs purs, le passé virtuel – qui
ne transcende pas les êtres dont il rend compte – le présent psycholo-
gique, les êtres actuels ou encore les vivants créés par l'élan vital – mais
qui leur est contemporain, immanent, tout en différant en nature. En
même temps, conformément au souhait d'Hyppolite, le virtuel permet la
formulation d'une logique du sens ouverte, tout comme ouverte est notre
expérience. Le concept de mémoire virtuelle fournit la condition imma-
nente du conditionné, même si celui-ci diffère radicalement de ce qui le
conditionne. La mémoire est essence, elle est sens ou concept, elle diffère
en nature de l'être du présent, mais à la fois elle lui est immanente. « La
coexistence du passé avec le présent qu'il a été – écrit Deleuze – est un
thème essentiel du bergsonisme 3. »
Hyppolite a justement attiré l'attention sur la différence de nature
entre le souvenir pur qui est « sans objet », non étendu, « inutile et impuis-
sant » – « nous ne pouvons que [le] contempler et non [le] faire » –, et le
présent, utile et moteur. De manière similaire, dans Le Bergsonisme 4,
Deleuze souligne la « différence de nature » entre « la matière et la
mémoire, entre la perception pure et le souvenir pur, entre le présent et le
passé ». Cette distinction justifie une « survivance en soi du passé » qui est
« Être », qui est donc de l'ordre de l'onto-logie et non de la psycho-logie.
Cet être-virtuel du passé, coexistant avec la totalité des autres souvenirs,
cette mémoire qui n'est autre que la raison des différences empiriques et
actuelles, le concept même de la différence – la différence en soi ou interne
– ne doit pas être confondu avec l'« être-présent », justement d'ordre
psycho-logique, donc humain. Le passé virtuel constitue donc pour
Deleuze ce « concept » qu'Hyppolite a voulu séparer des prédicats anthro-
pologiques, soulignant son irréductibilité à toute psycho-logie 1, à toute
anthropo-logie. Dans un paragraphe étonnant du Bergsonisme, Deleuze
souligne qu'à travers sa conception du passé virtuel Bergson parvient à
« nous ouvrir à l'inhumain et au surhumain 2 ». En effet, Bergson, selon
Deleuze, n'est pas un philosophe humaniste, un « de ces philosophes qui
assignent à la philosophie une sagesse et un équilibre proprement
humains ». Le passé diffère du présent, qui passe. Le présent est « actif » et
« utile », tandis que le passé est « inutile et inactif, impassible, il EST, au
sens plein du mot : il se confond avec l'être en soi », il « se conserve en
soi » et est « éternellement », il est « virtuel, inactif et inconscient » 3.
Ces caractéristiques de la mémoire inconsciente et virtuelle comme
véritable concept de la différence se résument dans une série de para-
doxes que Deleuze met seulement en ordre dans Le Bergsonisme 4 et
dans Différence et répétition, mais qui transparaissent déjà dans les
essais des années 1950 : 1) le « paradoxe du saut » : si le passé est l'Être
en soi, on ne peut pas y accéder par degrés, comme dans le cas du
présent, mais on s'y place « d'emblée, d'un saut » ; 2) le « paradoxe de
l'Être », le passé diffère en nature du présent ; 3) le « paradoxe de la
contemporanéité » : si le souvenir est lié au présent, alors tout le passé
coexiste avec le présent ; 4) le « paradoxe de la répétition psychique » : le
passé coexiste avec soi-même à des degrés plus ou moins contractés. Ces
paradoxes structurent la critique bergsonienne de la conception dogma-
tique du temps ; cette conception, déterminée par les nécessités humaines
de l'action, oublie les différences de nature au profit des différences de
degrés et s'arrête donc sur une conception anthropologique, sur des dif-
férences indifférentes.
Un autre trait distinctif de l'interprétation deleuzienne consiste dans
le fait que Bergson est présenté comme un philosophe postkantien,
c'est‑à-dire mettant en œuvre la critique de manière plus conséquente que
Kant : ce n'est pas un hasard si dans le recueil d'écrits bergsoniens édité
en 1957 pour les Presses Universitaires de France, Henri Bergson.
Mémoire et vie, Deleuze isole un groupe de textes qu'il intitule « Critique
de la critique ». D'une part, traiter Bergson comme un philosophe post-
kantien signifiait pouvoir le confronter avec Hegel en le mettant sur le
même plan. D'autre part, les années 1950 sont celles d'une certaine redé-
couverte de la postérité de l'idéalisme postkantien et de la critique envers
l'anthropocentrisme contradictoire propre à la démarche critique de
Kant. La traduction en français du Kantbuch de Heidegger 1 et le livre
L'Héritage kantien et la révolution copernicienne de Jules Vuillemin 2,
professeur à Clermont-Ferrand, sont les deux premiers signes d'un
renouveau dans la considération des textes kantiens. On trouve des traces
de cette nouvelle interprétation de Kant tant chez Deleuze que chez Fou-
cault (notamment le cours Problèmes de l'anthropologie de 1954-1955 3
et la thèse secondaire sur l'anthropologie kantienne 4) qui, tous les deux,
se réfèrent implicitement ou explicitement à Heidegger et au texte de
Vuillemin.
Hyppolite, également inspiré par le Kantbuch heideggérien, avait cri-
tiqué Kant pour avoir dépassé « le psychologique et l'empirique, mais en
restant dans l'anthropologique », pour être resté à une conception
externe de la différence : à travers le concept de transcendantal, « la pen-
sée et la chose sont identiques », mais en réalité « ce qui est identique à la
pensée n'est qu'une chose relative, non la chose en tant qu'être, en elle-
1. Ibid., p. 87.
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1. Ibid., p. 74.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 72.
4. Ibid., p. 73.
5. Ibid.
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1. Ibid., p. 75.
2. Ibid., p. 76.
3. Ibid., p. 63.
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même, qui est soumis au temps et donc passe. La philosophie doit plutôt
fabriquer des systèmes de signes en mesure, comme le roman proustien,
de sauver le virtuel « pour nous ». La formulation d'une ontologie ne
peut donc être qu'un apprentissage, comme la Recherche proustienne
est une éducation à la saisie des Essences. Mais ces Essences ne peuvent
être « décrites », car toute description dépend d'un effort volontaire,
d'une présentification des souvenirs. Ces traits se combinent avec l'entre-
prise critique nietzschéenne et avec son idée que nous ne « pensons pas
encore », que la pensée s'exerce seulement si elle est exposée à des forces
qui la poussent à penser.
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Diachronie et synchronie
1. Cf. C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage (1962), Paris, Presses Pocket, 1992, p. 605.
2. Cf. J.-P. Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, p. 143.
3. Ibid., p. 161.
4. Ibid., p. 81.
5. Par exemple : « La dialectique comme logique vivante de l'action ne peut appa-
raître à une raison contemplative ; elle se découvre en cours de praxis et comme un
moment nécessaire de celle-ci ou, si l'on préfère, elle se crée à neuf dans chaque action »
(ibid., p. 133).
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1. « C'est un marxiste, Henri Lefebvre, qui a donné une méthode à mon avis simple
et irréprochable pour intégrer la sociologie et l'histoire dans la perspective de la dialec-
tique matérialiste. » Cf. J.-P. Sartre, Critique de raison dialectique, op. cit., p. 41-42. Et
aussi H. Lefebvre, « Perspectives de la sociologie rurale », Cahiers internationaux de
sociologie (1953), repris in Id., Du rural à l'urbain, 1970, p. 63-78.
2. Cf. C. Lévi-Strauss, Tristes tropiques (1959), Paris, Pocket, 2001, p. 56.
3. Cf. C. Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd'hui (1962), Paris, Puf, 2002,
p. 139-142.
4. Il faut remarquer que Georges Davy, directeur de la thèse principale de Lévi-
Strauss, avait exprimé des jugements assez prudents au sujet de Bergson et de ses Deux
Sources.
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mémoire. Même si la notion d'« espèce » joue un rôle important dans les
critiques adressées à la conception du totémisme de Lévy-Bruhl, Bergson
conçoit encore la classification des espèces comme une opération subjec-
tive, tandis que le structuralisme voit dans le codage une opération dont
la portée est objective. Bergson se limite à « l'aspect subjectif et pratique
du rapport entre l'homme et le monde naturel 1 ». Lévi-Strauss introduit
donc une continuité entre Sartre et Bergson : si le premier revendique le
primat de l'histoire, reléguant donc l'ethnologie à un plan secondaire,
c'est bien en raison de son héritage bergsonien inconscient. Par son objet,
le temps, la raison dialectique de l'historien serait pour Sartre supérieure
à la raison analytique de l'anthropologue. Le temps historique est suscep-
tible d'être saisi de manière dialectique, puisqu'il possède – écrit Lévi-
Strauss, faisant encore un clin d'œil à Bergson – la structure « que nous
pensons saisir dans notre devenir personnel comme changement person-
nel 2 », devenir que les structures de l'anthropologue sont destinées à lais-
ser de côté. Comme Bergson, Sartre a une conception pragmatique de
l'opération de codage que le structuralisme s'est chargé de démonter.
L'espèce n'est pas un genre créé par l'« agent pratique » « pour des raisons
biologiques et utilitaires », la diversité des espèces « est l'expression sensi-
ble d'un codage objectif 3 » inscrit dans la réalité.
Les clins d'œil à Bergson de Lévi-Strauss, liés aux attaques dirigées
contre Sartre, ont des précédents. En 1951, Claude Lefort (né en 1924),
proche de Merleau-Ponty, publie dans Les Temps modernes un essai en
réaction à la lévi-straussienne Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss,
publiée l'année précédente. Dans « L'échange et la lutte des hommes 4 »,
Lefort critique l'appropriation de Mauss par Lévi-Strauss : réduire les
phénomènes sociaux à des systèmes symboliques est étranger à l'inspira-
tion de Mauss, dont, en revanche, le but était de chercher l'intention
immanente au comportement des hommes sans abandonner l'expérience.
Il ne s'agit donc pas d'établir, comme Lévi-Strauss, un ordre logique dans
lequel la réalité concrète et qualitative est réduite à une simple apparence.
D'une certaine manière, Lefort est l'exécuteur des critiques que les phéno-
ménologues existentialistes et Georges Gurvitch – dont il est l'assistant à
la Sorbonne – n'ont pas osé lui adresser. Si ni Sartre ni Merleau-Ponty ne
sont intervenus dans le débat, Gurvitch a, en revanche, rapidement
liquidé l'interprétation de Mauss par Lévi-Strauss, la qualifiant de « très
personnelle ». Plus tard, en 1955, il ne manque pas de critiquer la
méthode de l'anthropologue 1, qu'il juge abstraite et injustifiée, et il se
réclame d'une sociologie qui se voudrait « concrète » et hyperempirique.
En 1957, Gilles-Gaston Granger, élève de Cavaillès et de Bachelard,
intervient dans ce débat avec un article qui met en perspective les
méthodes de l'anthropologue et du sociologue. Formé à la phénoméno-
logie des mathématiques par Cavaillès, auteur d'un DES et d'une thèse
dirigés par Bachelard, Granger est gagné par une méfiance croissante
envers l'empirisme et l'obsession du concret, tant dans les sciences dures
que dans les sciences sociales et humaines pour lesquelles il se spécia-
lise 2. Dans « Événement et structure dans les sciences de l'homme 3 », il
se range donc du côté de Lévi-Strauss en soulignant que la structure est
chez celui-ci un modèle et non pas une réalité, comme Gurvitch semble
lui reprocher.
Trois ans plus tard, dans le livre Pensée formelle et sciences humaines,
où il relance le débat entre Lévi-Strauss et Gurvitch, Granger tire toutes
les conséquences de l'épistémologie non cartésienne, anti-empiriste, anti-
phénoménologique et antibergsonienne de son maître Bachelard pour
mettre hors jeu toute critique de la formalisation en sciences humaines.
Dans le chapitre V, intitulé « Qualité et quantité », il s'oppose à l'objec-
tion qui se cache « derrière la plupart des critiques opposées aux tenants
d'une science rigoureuse de l'homme », une objection pour laquelle la
« connaissance scientifique laisse échapper ce qui, dans l'être humain et
dans ses œuvres, paraît être le plus significatif, le plus spécifique, le plus
irréductible aux schématisations », la « qualité ». Granger retrouve la
racine de ces critiques dans la philosophie de Bergson, qu'il avait déjà
1. Ibid., p. 363.
2. Cf. G. Canguilhem, « Le concept et la vie », op. cit., p. 339.
3. Ibid., p. 341.
4. Ibid., p. 348.
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1. Ibid., p. 354.
2. Ibid., p. 360.
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EXPÉRIENCE OU CONCEPT ?
1. Ibid., p. 362.
2. « Biologie et pensée bergsonienne », conférence du 20 mai 1950, École de méde-
cine, Paris, Fonds Georges Canguilhem, archives du CAPHES, GC. 13.1.3.
3. Cf. M. Foucault - C. Bonnefoy, « L'homme est-il mort ? » (1966), in Dits et écrits,
t. I, op. cit., p. 541.
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nique plaqué sur le vital » est fondée sur une « stéréotypie lamenta-
ble » et est contredite par les faits 1 ; il raille le supposé démontage du
concept de néant opéré par Bergson dans L'Évolution créatrice, fondé
dans un « réalisme naïf 2 » ; il montre la superficialité de la condamna-
tion bergsonienne de l'espace, qui « n'est pas cette étendue ouverte et
méprisable comme le pensait Bergson », mais « recèle bien des mys-
tères » 3.
Il en va de même pour Althusser, qui – ayant également été fidèle à
l'antibergsonisme de Politzer dès la Libération – sépare au début des
années 1960, et en utilisant le concept bachelardien de « coupure épisté-
mologique » entre science et sens commun, la partie « scientifique » de
l'œuvre de Marx d'une première partie non scientifique, empiriste et
humaniste. D'après cette séparation, tant le jeune Marx feuerbachien des
Grundrisse que Politzer, « le Feuerbach de notre temps », que le Sartre de
la Critique de la raison dialectique et Bergson baignent dans cette même
idéologie préscientifique du « concret » critiquée par Bachelard. Bergson,
Politzer et Sartre sont des empiristes dans leur prétention idéologique de
partir du concret, du donné, de l'homme, qu'ils opposent aux abstrac-
tions de la science. Ainsi, dans les « Notes pour la philosophie » tirées du
Cours de philosophie pour les scientifiques 4, Althusser élève en exemple
paradigmatique des théories empiristes de la connaissance reposant sur
la formule sujet = objet = vérité la théorie de Bergson « qui parle bien lui
aussi de Vérité, appelle le Sujet “moi profond”, durée pure, etc., et
l'Objet espace et temps spatialisé, etc. ». Sur un mode analogue, Althus-
ser condamne l'empirisme de Lévi-Strauss 5, qui admire la « pensée sau-
vage » pour le concret : « C'est quasiment du Bergson ! – s'exclame
Althusser – et c'est proprement un mythe idéologique 6. » En 1964, Alain
Badiou (né en 1937), ancien étudiant du caïman marxiste, avait fait
1. Ibid., p. 88.
2. Ibid., p. 201.
3. Ibid., p. 189.
4. Cf. G. Simondon, L'Individuation à la lumière des notions de forme et d'informa-
tion, Grenoble, J. Millon, 2005, p. 276.
5. Ibid., p. 228.
6. Ibid., p. 296.
7. Ibid., p. 564.
8. Les conséquences de cette attitude sont présentes dans la vision bergsonienne de la
société, notamment au niveau de la distinction entre société ouverte et société close (ibid.,
p. 509 et 294).
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UN STRUCTURALISME VIRTUEL
1. Ibid., p. 41.
2. En 1975, M. Barthélemy-Madaule revient sur Althusser dans l'article « Althusser
et ses critiques » (Esprit, t. 449, no 9, p. 215-219) où elle le défendait des critiques émises
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par les personnalistes. En effet, elle soutient que l'inhumanisme théorique du philosophe
n'implique pas d'antihumanisme pratique et que le rôle des hommes concrets dans
l'histoire en tant que processus sans sujet décrit par Althusser est comparable « au rôle
joué par les créatures de Dieu dans le plan de la providence » (ibid., p. 218).
1. Cf. M. Barthélemy-Madaule, « Lire Bergson », Les Études bergsoniennes, no 8,
1968, p. 201.
2. Albert Lautman discute ce concept dans Essai sur les notions de structure et
d'existence en mathématiques (1938), in Id., Les Mathématiques, les idées et le réel
physique, Paris, Vrin, 2006. En 1962, c'est au tour de Jules Vuillemin, élève de Cavaillès
et directeur du département de philosophie à l'Université de Clermont, qui rediscute la
notion de « multiplicité » dans La Philosophie de l'algèbre (Paris, Puf).
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1. Ibid., p. 97.
2. Ibid.
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les mots de Kant : elles génèrent alors des faux problèmes, les antinomies
de la raison. Pour le philosophe de la Critique, ces faux problèmes
dérivent donc d'un usage illégitime de la raison, tandis que, selon
Deleuze, c'est seulement quand l'usage des idées est transcendant que la
pensée pense vraiment, brisant les cadres de la représentation.
Étant donné les caractéristiques des idées, Deleuze conclut que leur
type d'existence est comparable à celui du passé virtuel : quoiqu'elles ne
soient pas actuelles, elles sont pourtant réelles ; bien que non individuées,
elles sont intérieurement différenciées. Afin de désigner l'Idée, après avoir
utilisé le concept de « problème », d'origine kantienne, Deleuze reprend
aussi le concept bergsonien de multiplicité d'interprétation, le croisant
avec celui, riemannien, de multiplicité non métrique. La multiplicité est
définie par trois conditions : 1) l'absence de signification conceptuelle et
de forme sensible de ses composantes, à savoir leur non-actualité et leur
non-identité avec elles-mêmes ; 2) leur détermination réciproque, donc
leur identité relative les unes par rapport aux autres ; 3) leur actualisabi-
lité dans des relations spatio-temporelles individuées. La multiplicité,
l'Idée, est donc une véritable structure semblable à celle que les sciences
sociales et humaines utilisent de manière de plus en plus diffuse, inspirées
par la linguistique. De ce fait, Deleuze rapproche d'abord la structure du
transcendantal kantien, ce qui a déjà été fait par plusieurs interprètes du
structuralisme 1, mais surtout, et de manière étonnante, de la durée berg-
sonienne, puisque les structures « découvertes » par Lévi-Strauss ont
pour Deleuze une existence ni actuelle ni possible mais virtuelle, analogue
à celle de la mémoire.
Deleuze brouille donc la distinction entre philosophie du concept et
philosophie de l'expérience d'après laquelle Jean Hyppolite interprète la
philosophie française dans sa leçon au Collège de France de 1963, et qui
sera reprise plus tard par Michel Foucault. Attribuant aux Idées, raisons
des différences actuelles et individuées, un statut analogue à la fois à
celui des structures différentielles linguistiques et aux souvenirs virtuels,
Deleuze opère donc un croisement inédit. Ce structuralisme paradoxal
revient dans un essai qui est une reprise de Différence et répétition et une
anticipation de Logique du sens : « À quoi reconnaît-on le structura-
lisme ? » Dans cet essai, écrit en 1968, mais publié quatre ans plus tard,
Deleuze souligne le pouvoir critique de la catégorie lacanienne de sym-
bolique, qui s'oppose à celle d'imaginaire de même que la catégorie de
virtuel s'oppose à celle de possible. Comme le possible, l'imaginaire est
une copie du réel sans l'être ; au contraire, comme le virtuel, le symbo-
lique est réel sans être actuel. Dans ces distinctions, ce qui est en jeu est
aussi la détermination d'une condition génétique du réel qui ne lui res-
semble pas, bien que lui étant immanent.
Ce structuralisme « bergsonien » sera davantage développé dans
Logique du sens, quoique Bergson n'y soit cité qu'une fois 1. Le but du
livre, reprenant plusieurs notions élaborées dans Différence et répéti-
tion 2, est celui de montrer l'existence, au-delà des trois dimensions de la
proposition normalement analysées par les linguistes, d'une quatrième,
liée aussi à une autre dimension de la réalité, les événements. Les trois
dimensions sont la manifestation (celui qui énonce la proposition ; par
exemple, « Je »), la démonstration ou désignation (l'état de choses que la
proposition indique ; par exemple, « cet arbre-ci ») et la signification
(l'ensemble d'universaux et d'idées générales que la proposition présup-
pose ; par exemple, l'idée générale d'arbre). Suivant la distinction établie
en 1892 par Gottlob Frege dans l'article « Sens et dénotation 3 » et discu-
tée par les contributeurs des Cahiers pour l'analyse, Deleuze ajoute une
quatrième dimension, le sens, présupposée dans toute proposition. Mais
en quoi le sens est-il spécifique ? À la différence du désigné, du manifes-
tant et de la signification, le sens est indifférent aux catégories d'être et de
non-être, de possible et d'impossible, motif pour lequel Deleuze le quali-
fie de « neutre ». En outre, le sens ne peut être désigné sans être pris dans
une nouvelle proposition. Le sens de la phrase « L'arbre est vert » est « le
1. Ibid., p. 135.
2. Notamment à partir du cours « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache “Psy-
chanalyse et structure de la personnalité” » (1961), Écrits, op. cit., p. 647-684.
3. Cf. G. Deleuze, Différence et répétition, op. cit., p. 139.
4. Voir notamment p. 134 (ibid.).
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1. Ibid., p. 290-294.
2. Ibid., p. 291.
3. Ibid., p. 293.
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Actualité et virtualités
d'une « œuvre »
1. Voir aussi son Bergson dans l'histoire de la pensée occidentale, Paris, Vrin, 1989.
2. Cf. K. Axelos, « L'univers bergsonien de Lydie Adolphe », Revue philosophique
de la France et de l'étranger, t. 149, 1959, p. 411.
3. Cf. P. Trotignon, L'Idée de vie chez Bergson et la critique de la métaphysique,
Paris, Puf, 1968.
4. Cf. D. Janicaud, Une généalogie du spiritualisme français (1969), Paris, Vrin,
1996.
5. Pour l'histoire de ces recueils, ainsi que de la plus récente Correspondance (Paris,
Puf, 2002), se reporter à A. Robinet, « L'œuvre de Bergson. Et maintenant ? », Annales
bergsoniennes I, Paris, Puf, 2002, p. 267-278.
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Metz est l'un des sémiologues les plus respectés par les Cahiers. En
1974, critiqué par Jean-François Tarnowski dans un article publié dans
la revue Positif, Narboni n'hésite pas à promouvoir une pétition visant à
faire expulser le critique de la revue 1. Positivement, dans la seconde
partie de l'entretien de 1976, Deleuze évoque rapidement une possible
convergence entre le traitement des images fourni par Godard et celui de
Bergson dans le premier chapitre de Matière et mémoire.
Deux ans plus tard 2, Guy Fihman et Claudine Eizykman, collègues
de Narboni au département de cinéma de Vincennes et proches de Lyo-
tard 3, commencent à utiliser la philosophie bergsonienne dans leurs
cours et leurs études : la critique du mécanisme cinématographique de
la pensée du Bergson du quatrième chapitre de L'Évolution créatrice
semble avoir inspiré l'idée même de cinéma 4. Au début des années 1980,
la proximité géographique entre les locaux du département de cinéma et
ceux assignés aux inscrits en philosophie, due au déplacement de l'Uni-
versité de Vincennes à Saint-Denis, accroît la collaboration entre philo-
sophes et professeurs en cinéma : celle-ci se concrétise dans la circulation
des étudiants d'un département à l'autre, mais aussi dans les quatre
cours sur philosophie et cinéma tenus par Deleuze entre 1981 et 1985.
Le philosophe y retrace l'histoire du septième art, qu'il coupe en deux,
suivant les deux articulations entre les dimensions actuelles et virtuelles
de l'image décrites par Bergson 5. Les livres de Deleuze, qui montrent
réponse toute claire et simple à la question “Qu'est-ce que la philosophie ?”. » Lettre de
Gilles Deleuze à Félix Guattari, Fonds Félix Guattari, GTR 2 C-02.35.01, Institut de la
mémoire de l'édition contemporaine, Caen.
1. Cf. G. Deleuze, « Postface pour l'édition américaine : un retour à Bergson », in
Deux régimes de fous, op. cit., p. 313-315.
2. Pour les dénonciations de l'idéologie révisionniste de « saint Gilles (Deleuze), saint
Félix (Guattari), saint Jean-François (Lyotard) », se reporter aux essais publiés dans les
Cahiers de Yenan, De l'idéologie (écrits avec F. Balmès, Paris, Maspero, 1976) et le livre
Théorie de la contradiction, Paris, Maspero, 1975.
3. Dérives à partir de Marx et de Freud (1973), Paris, Galilée, 1994 ; Des dispositifs
pulsionnels (1973), Paris, Galilée, 1994 ; Économie libidinale, Paris, Minuit, 1974.
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fin des idéaux et, de manière consécutive, de la fin d'une politique radica-
lement émancipatoire.
Les livres de Lyotard, densément théoriques, ont été précédés et
suivis par des attaques contre les grandes entreprises théoriques des
années 1960 : à la fin des années 1970, les « nouveaux philosophes »
s'érigent en promoteurs d'une attaque contre l'idée de la philosophie
comme pensée systématique, cause potentielle d'une politique totali-
taire et antidémocratique. Un peu plus tard, au milieu des années 1980,
Luc Ferry, Alain Renaut et les auteurs de La Pensée 68 1 critiquent
les « thèses » de la génération philosophique des années 1960, taxées
de relativisme. Ce mouvement s'accompagne par ailleurs de la lente
décomposition du front communiste, par les années du soi-disant
« dégel ». Dans ce cadre précis intervient Badiou, après L'Être et l'Évé-
nement, avec le Manifeste pour la philosophie. Dans ce livre, il
s'oppose d'une part au relativisme démocratique, à la rhétorique des
« fins », à la notion de « droits de l'homme » et au retour au rôle
central de la conscience et de l'homme ; d'autre part, il y revendique la
possibilité de la philosophie, la possibilité des « vérités » et d'une poli-
tique radicalement émancipatoire. Cette entreprise est accompagnée,
d'un côté, par l'axiome antiheideggérien et antilyotardien que les
mathématiques sont l'ontologie et, de l'autre, par une série de discus-
sions sur les conséquences des résultats des mathématiques sur la philo-
sophie.
Après Mille plateaux et les livres bergsoniens sur le cinéma, Deleuze
est en pleine préparation d'un « livre sur la philosophie », où les cibles
polémiques sont les mêmes que celles de Badiou, et le voici se confrontant
à son entreprise théorique 2. D'une tout autre perspective par rapport à
celle de Badiou, l'idée deleuzienne de la philosophie comme création de
concepts vise à s'opposer aux mêmes ennemis. C'est ainsi que, dans une
note de Qu'est-ce que la philosophie ?, Deleuze mentionne Badiou et son
Être et l'Événement 3 : le point crucial à partir duquel il aborde le livre est
celui du rapport entre la « théorie des multiplicités virtuelles » empruntée
nien. Le bilan d'Alliez, celui de Badiou, les polémiques et les débats qui
s'irradient rapidement dans tout le champ philosophique ont une série de
conséquences : celle d'isoler une identité « double » propre à la philoso-
phie française, irréductible aux courants allemand, essentiellement phé-
noménologique et herméneutique, et anglo-américain, essentiellement
analytique ; celle de polariser le champ philosophique entre « deleuziens »
et « antideleuziens » ; celle de relancer le clivage entre concept et intuition
établi par Michel Foucault quinze ans auparavant, celle d'identifier Berg-
son comme la clé de l'intelligibilité de la philosophie de Deleuze (vrai
« maître », « matrice », « racine », etc. 1).
L'effet majeur de ces réflexions est d'assigner à Bergson la clé de
l'intelligibilité d'une partie de la philosophie française, et d'effectuer une
sorte de dépoussiérage intégral permettant ainsi de le reconnaître en tant
que penseur actuel. Vingt ans après la fabrication du tableau foucaldien,
Badiou, dans son volumineux Logiques des mondes 2, place Canguilhem
du côté de la ligne philosophique initiée par le « mysticisme vitaliste » de
Bergson et poursuivie par Deleuze, Simondon et Foucault. L'identité
Deleuze-Bergson devient désormais un lieu commun, les études se multi-
plient, études qui, pour la plupart, effacent et ne rendent pas compte de la
différence entre les problèmes auxquels les concepts bergsoniens répon-
daient et ceux qui occupaient Deleuze.
Ces polémiques ont une importance déterminante pour le renouveau
des études sur et à partir de Bergson, car elles replacent l'auteur non
plus en simple objet d'études historiques et des discussions internes aux
œuvres singulières, mais en détenteur d'une pensée d'extrême actualité.
Néanmoins, pour comprendre pleinement la position de Bergson dans le
champ intellectuel contemporain, il faut suivre aussi trois autres pistes,
moins évidentes.
La première est d'ordre historiographique : lorsque la séquence domi-
née par le « structuralisme » semble s'épuiser, des études historiques
voient progressivement le jour sur les séquences qui l'ont précédée, études
pendant les années 1990, de leurs jeunes élèves fraîchement agrégés, des
phénoménologues, des savants et des historiens de la philosophie. L'édi-
teur du dossier, mentionnant Péguy, Jankélévitch, Deleuze, Canguil-
hem, Merleau-Ponty et Sartre, précise qu'il serait difficile d'imaginer un
XXe siècle sans Bergson. Quant à ce dernier, il aurait trois destinées
pendant le siècle : les célébrations publiques qui l'ont monumentalisé ;
la disparition de ses concepts des débats philosophiques ; la persistance,
même cachée, de la discussion de ses concepts dans la pensée philoso-
phique des cinquante dernières années. Comme les pages précédentes
ont tenté de le montrer, il est impossible de séparer ces trois postérités
si l'on veut comprendre l'héritage de ce qui est désormais devenu une
« œuvre ».
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ANNEXES
1942
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice, chap. III.
Rousseau, Contrat social, chap. I, II, III.
1943
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice, chap. III.
Malebranche, Entretiens sur la métaphysique, chap. I-VII.
Berkeley, Principes de la connaissance humaine.
1947
Oral :
Bergson, Matière et mémoire, chap. II, III, IV.
Malebranche, Méditations chrétiennes, chap. I-XII.
Rousseau, Contrat social.
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1948
Oral :
Bergson, Matière et mémoire, chap. II, III, IV.
Hume, Enquête sur l'entendement humain, sections I-VIII.
Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie, « Intro-
duction générale », 1re partie, sections I et II, chap. 1-2.
Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, chap. III, V, VI.
1949
Oral :
Bergson, Matière et mémoire, chap. II, III, IV.
Hume, Enquête sur l'entendement humain, sections I-VIII.
Maine de Biran, Essai sur les fondements de la Psychologie, « Intro-
duction générale », 1re partie, sections I et II (chap. 1-2).
Comte, Discours sur l'esprit positif.
Lachelier, Psychologie et métaphysique.
1951
Écrit :
Bergson, les Stoïciens, Plotin, Spinoza, Hume, Comte.
1952
Écrit :
Bergson, les Stoïciens, Plotin, Descartes, Kant.
1954
Oral :
Bergson, La Pensée et le Mouvant.
Français : Malebranche, Entretiens sur la Métaphysique, I-VIII.
Berkeley, Traité de la connaissance humaine.
Maine de Biran, Influence de l'habitude sur la faculté de penser.
1955
Oral :
Bergson, La Pensée et le Mouvant.
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1956
Écrit :
Bergson, les Stoïciens, Plotin, Descartes, Malebranche, Berkeley.
1957
Écrit :
Bergson, Platon, les Stoïciens, Berkeley, Kant.
1963
Oral :
Bergson, La Pensée et le Mouvant, Introduction, 1re et 2me parties,
VI. « Introduction à la métaphysique ».
Descartes, Les Passions de l'âme.
Hegel, Principes de la philosophie du droit.
Kant, Critique de la raison pure, « Dialectique transcendantale »,
livre II, chap. II, « Antinomie de la raison pure ».
1964 :
Oral :
Bergson, La Pensée et le Mouvant, Introduction, 1re et 2e parties,
VI. « Introduction à la métaphysique ».
Malebranche, De la Recherche de la Vérité, livre III.
Diderot, Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient.
Kant, Critique de la raison pure, « Dialectique transcendantale »,
livre II, chap. II, « Antinomie de la raison pure ».
1967
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice, chap. III et IV.
Descartes, Les Principes de la philosophie, livre II.
Hume, Dialogue sur la religion naturelle.
Marx et Engels, L'Idéologie allemande, 1re partie : « Feuerbach ».
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1968
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice, chap. III et IV.
Arnauld et Nicole : La Logique ou l'art de penser, 1er et 2e discours,
1 et 2e parties.
re
1973
Oral :
Bergson, Matière et mémoire, chap. I et II.
Pascal, De l'esprit géométrique et De l'art de persuader, p. 348-359 ;
Préface sur le traité du vide, p. 230-232.
Montesquieu, De l'Esprit des lois, livres I-XII.
Marx, Contributions à la critique de l'économie politique, « Pré-
face », chap. I « La marchandise », « Introduction à la critique de l'écono-
mie politique ».
1974
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice, chap. III et IV.
Pascal, De l'esprit géométrique et De l'art de persuader, p. 348-
359 ; Préface sur le traité du vide, p. 230-232.
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit
humain.
Marx, Contributions à la critique de l'économie politique : « Pré-
face », chap. I : « La marchandise », « Introduction à la critique de l'éco-
nomie politique ».
1975
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice, chap. III et IV.
Leibniz, Discours de métaphysique.
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit
humain.
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1980
Oral :
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience.
Descartes, Principes de la philosophie, I et III.
Mauss, Essai sur le don.
Montesquieu, De l'Esprit des lois, livres I-XII.
1981
Oral :
Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience.
Malebranche, Entretien sur la métaphysique et la religion (I à VII).
Montesquieu, De l'esprit des lois, livres I-XII.
Sartre, L'Être et le Néant, « Introduction », 1re et 2e partie.
1984
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice.
Descartes, Les Passions de l'âme.
Diderot, Lettre aux aveugles à l'usage de ceux qui voient.
Comte, Discours sur l'esprit positif.
1985
Oral :
Bergson, L'Évolution créatrice.
Leibniz, Discours de métaphysique.
Diderot, Lettre aux aveugles à l'usage de ceux qui voient.
Ravaisson, De l'habitude.
1986
Oral :
Bergson, La Pensée et le Mouvant.
Leibniz, Discours de métaphysique.
Rousseau, Discours sur l'origine et fondements de l'inégalité parmi
les hommes.
Ravaisson, De l'habitude.
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1987
Oral :
Bergson, La pensée et le mouvant.
Descartes, Règles pour la direction de l'esprit.
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité
parmi les hommes.
Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme, sections III et IV.
1990
Écrit :
Bergson, les Stoïciens, Kant.
1991
Écrit :
Bergson, Plotin, Kant.
1997
Oral :
Bergson, Matière et mémoire.
Leibniz, Discours de métaphysique.
Rousseau, Émile, Quatrième livre.
Maine de Biran, Mémoires sur la décomposition de la pensée.
1998
Oral :
Bergson, Matière et mémoire.
Leibniz, Discours de métaphysique.
D'Alembert, Essai sur les éléments de philosophie (sans les « Éclair-
cissements »), p. 7-190.
Ravaisson, De l'habitude.
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Tableau chronologique
Tableau 3.
Acteurs
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compte. Il n'a pas pu être rendu compte du moment précis où, au cours
de la trajectoire de l'acteur, se déroule l'interaction avec un texte ou avec
un autre acteur (par exemple, au cours du baccalauréat ou des classes
préparatoires, ou encore au cours de la préparation d'un mémoire, d'une
thèse, d'un livre ou d'un cours universitaire). Les mondes sociaux fré-
quentés par l'acteur (comité éditorial d'une revue, parti, cercle politique
ou religieux) ne sont presque pas représentés. Les limites graphiques ont
également empêché de spécifier le capital de départ des acteurs (quelle
était la profession des parents, s'ils étaient parisiens ou provinciaux, fran-
çais ou étrangers) et son évolution ainsi que d'autres propriétés (famille
de gauche ou de droite, religieuse ou non, etc.). Celles-ci sont les condi-
tions qui informent la rencontre avec un autre acteur ou un texte. Néan-
moins ces informations sont fournies dans le texte et elles sont, en tout
cas, susceptibles d'être utilisées pour construire d'autres représentations.
Ces graphiques pourraient sembler restituer une image d'une vie
intellectuelle quelque peu figée, constituée seulement par des interactions
académiques de type pédagogique ou entre pairs, interactions se dérou-
lant dans un champ philosophique national fermé. Cette image est bien
différente de celle donnée par les analyses déployées dans ce livre. Ce qui
manque dans la représentation graphique est la prise en considération de
l'interaction, d'une part, avec d'autres auteurs ou des textes provenant de
l'étranger et, de l'autre, avec des acteurs appartenant à d'autres mondes
sociaux (artistique, scientifique ou politique). Il faut emboîter le pas aux
analyses propres à la théorie des transferts culturels : sauf dans des cas
assez rares (celui, par exemple, de la relation entre Beaufret et Heidegger
ou entre Lévi-Strauss et Jakobson), les « idées » provenant de l'étranger
ne sont pas véhiculées au cours d'un rapport en face‑à-face et encore
moins au cours d'une interaction rituelle. Le contact avec des textes est
toujours médiatisé et s'inscrit dans un champ polarisé qui est la « source »
de la demande de ces idées. Ces idées prennent sens seulement à partir
d'interactions se déroulant à l'intérieur d'un champ national en question.
C'est le cas des lectures françaises de la phénoménologie, de l'« ontologie
fondamentale », du structuralisme linguistique, de la philosophie analy-
tique et ainsi de suite. Ces remarques sont aussi valables pour les relations
entre champs différents – entre, d'une part, champ philosophique et,
d'autre part, champs littéraire et scientifique – comme celles décrites dans
la première partie de cette étude. Il ne faut donc pas exagérer la division
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entre « champs » et éviter de les traiter comme s'il s'agissait de vases clos
sans histoire ni devenir.
On a, tout de même, isolé dans les graphiques certaines zones (en
gris) dans lesquelles les interactions concernent certains objets (la théorie
de la relativité) ou engagent certaines disciplines (psychologie et histoire
de la philosophie), ou des clusters (groupe de la Revue de métaphysique
et de morale, philosophes chrétiens, philosophes formés dans la classe
d'Alain, philosophes ayant travaillé dans le Centre de documentation
sociale de l'ENS, dirigé par Bouglé).
À partir de ce schéma, l'impression pourrait également être celle de
pouvoir distinguer nettement les filiations mentionnées par Michel Fou-
cault dans son essai « La vie, l'expérience et la science » et le clivage
entre « pôle mondain » et « pôle savant » du champ philosophique pro-
posé par certains sociologues. Si on laisse de côté le Cercle de Göttin-
gen, dans la partie supérieure du graphique, à gauche, on retrouve les
philosophes « du sujet » proches de la psychologie et des univers de l'art
ou de la religion, à droite des philosophes « du concept » intéressés par
les sciences sociales et les sciences dures. En réalité, comme cela est
souligné au cours de cette étude, cette division reflète seulement une
partie de la vérité : des acteurs situés dans la partie droite du gra-
phique circulent dans les mondes sociaux fréquentés par certains des
philosophes situés dans la partie gauche. C'est le cas de Politzer et de
Bachelard, fascinés, comme Sartre, par le surréalisme, de Nabert, Borne
ou Weil, proches des cercles catholiques au sein desquels Mounier a
pensé Esprit. L'inverse est aussi valable : Sartre et Wahl publient dans la
revue Recherches philosophiques, animée par Koyré et Bachelard,
Merleau-Ponty dialogue avec Lévi-Strauss, etc. De la même manière
dans la partie basse du graphique, selon la période considérée, un philo-
sophe comme Vuillemin peut être placé tant sur la gauche (plus proche
de Merleau-Ponty et des Temps modernes entre 1944 et 1950) que sur
la droite (proche de Gueroult et d'Althusser à partir de 1951). Cela
vaut aussi pour Foucault (qui s'intéresse tant à la psychologie existen-
tialiste qu'au marxisme « scientifique » entre 1948 et 1953), Derrida
(qui fréquente à la fois Suzanne Bachelard et Jean Beaufret entre 1951
et 1956) et Deleuze (qui, entre 1945 et 1966, élabore une position
irénique d'historien de la philosophie proche à la fois de Gueroult et
d'Alquié).
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INDEX NOMINUM
A B
Abbott, Andrew, 22 Bachelard, Gaston, 15, 21, 94-95, 101-
Alain (É. Chartier), 13, 15, 21-22, 51- 108, 184, 216-220, 268, 270, 319,
58, 60-71, 73-74, 76-77, 79, 81, 327, 329, 331, 365, 369
101, 108, 131-132, 143, 151, 162- Bachelard, Suzanne, 328, 335, 369
163, 171, 173, 180, 200, 210, 235- Badiou, Alain, V, 3, 21, 327-328, 351-
238, 240-243, 245-246, 248, 263, 355, 365
369 Barbaras, Renaud, 275, 277, 279, 365
Alliez, Éric, 353-355 Barbusse, Henri, 73, 118-120, 131
Alquié, Ferdinand, 228, 285-289, 321, Barni, Jules, 12
369-370 Barreau, Hervé, 92
Althusser, Louis, 20-22, 216, 258, 270, Barrès, Charles, 47, 74, 120-121, 153
285, 287, 327-328, 332-333, 335, Barthélemy (-Madaule), Madeleine, 333-
342, 351, 369 335
Alunni, Charles, V, 349 Barthes, Roland, 4
Anheim, Étienne, 6 Baruzi, Jean, 28, 227
Apollinaire, Guillaume, 112, 120, 126 Bataille, Georges, 29, 174
Aragon, Louis, 120-123, 127 Baugh, Bruce, 8
Arland, Marcel, 73 Bayet, Albert, 84
Aron, Raymond, 45, 52, 71, 77, 81, Beaufret, Jean, 274, 348, 368-369
88-89, 110, 117, 131, 176, 229, Beauvoir, Simone de, 18-19, 46-48,
235, 241, 262-267, 269, 316, 367, 131, 174-175, 177-178, 184, 285,
370 315
Aron, Robert, 121
Becker, Howard S., 10, 16
Arouet, François, 151
Becquerel, Jean, 96-97
Artaud, Antonin, 328
Béguin, Jean, 32, 38, 244, 262
Atlan, Henri, 357
Bellantone, Andrea, 8
Axelos, Kostas, 348
Bélot, Gustave, 58
Azouvi, François, 2, 8, 22, 27, 38, 124,
Benda, Julien, 12, 30, 46, 76, 91-93,
129
110, 114-115, 127, 152-153, 155,
162
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Lavelle, Louis, 31, 41, 92, 113, 138, Margaraiz, Sarah, 329
244, 275 Maritain, Jacques, 17, 33, 35, 77, 131,
Lazarsfeld, Paul, 10 152, 182, 201-202, 256
le Blanc, Guillaume, V Martin, Jean-Clet, 345
Le Goff, Jacques, 268 Marx, Karl, 116-117, 132, 166-168,
Le Rider, Jacques, 8 269-270, 327, 333, 348, 351, 361-
Le Roy, Édouard, 17, 27, 29, 33, 37, 362
54, 56-59, 67, 87, 114, 151, 157, Massis, Henri, 33, 54, 131
195, 275, 365 Masson-Oursel, Paul, 244
Le Senne, René, 31, 44, 85, 92-93, 113, Maurras, Charles, 34
154, 234, 241, 244 Mauss, Marcel, 83-85, 318, 363
Lefebvre, Henri, 19, 21, 32, 48, 112, Merleau-Ponty, Maurice, 18, 20, 31-32,
119-122, 130-131, 133-140, 143, 40, 49, 52, 82, 131, 139, 173, 178,
146, 173-174, 184, 187, 191, 200, 200-212, 229, 256, 258, 261-262,
202, 216, 233, 317, 365 266-267, 270, 274-279, 285, 289,
Lefebvre, Raymond, 117-118 295, 315, 318, 323, 329, 331-332,
Lefort, Claude, 318 347, 354, 358, 365, 367, 369-370
Lenoir, Raymond, 113-115, 176, 235 Metz, André, 96-97
Léon, Xavier, 69, 146 Meyerson, Ignace, 94-95, 97, 101-102,
Leuba, James H., 227 107-108, 123, 132, 151, 175, 286,
Lévinas, Emmanuel, 82, 171, 173, 178- 365
180, 182-186, 201, 210, 212-214, Minkowski, Eugène, 35, 41-42, 148,
221, 234, 275, 328, 370 185, 222, 225-227
Lévi-Strauss, Claude, 6, 48-49, 268, Morand, Paul, 74, 111
315-322, 325, 327-328, 332, 339, Morange, Michel, 321
365, 368-370 Moreno Pestaña, José Luis, VI, 10
Lévy-Bruhl, Lucien, 39, 49, 85, 151, Morre-Lambelin, Marie-Monique, 55
172, 238, 267, 317-318 Mossé-Bastide, Rose-Marie, 255, 257
Loisy, Alfred, 17, 83, 227 Mounier, Emmanuel, 18-19, 35, 77,
Luquet, Georges-Henri, 38 112, 201, 215, 367, 369
Lyotard, Jean-François, 212, 284-286, Muglioni, Jacques, 285
350-352 Muslow, Martin, 6, 20
M N
Madinier, Gabriel, 257-258 Nabert, Jean, 89-91, 143, 156, 163,
Maine de Biran, Pierre, 12, 21-22, 86, 186-187, 190, 206, 212, 369
256-257, 360-361, 364 Narboni, Jean, 349-350
Maire, Gilbert, 54, 68, 152, 185 Nietzsche, Friedrich, 8, 11, 31, 45, 92,
Malebranche, Nicolas, 256, 258, 285, 111, 300, 305-308, 310, 312, 315,
288, 359-361, 363 328, 338, 342, 348, 353
Mannheim, Karl, 6, 16, 172 Nizan, Paul, 48, 120, 122, 131-133,
Marcel, Gabriel, 17, 29, 31-33, 36, 151, 137-138, 172, 184, 229
182, 201-202, 215, 229 Nogué, Jean, 41, 101
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P Revel, Jacques, 7
Papini, Giuseppe, 27, 151 Reverdy, Pierre, 120, 125
Parain, Brice, 222 Ribard, Dina, 7
Pariente, Jean-Claude, 356 Ricœur, Paul, 178, 212, 234, 270, 339,
Paulhan, Jean, 220-222 342, 357
Peden, Knox, V, 8 Riemann, Bernhard, 334-335
Péguy, Charles, 27, 34-35, 128, 262, Riquier, Camille, VI, 181
358, 365 Rivière, Jacques, 33, 74, 131
Pétain, Philippe, 75, 255 Rolland, Romain, 112, 117-118, 131,
Piaget, Jean, 43 153
Pierre-Quint, Léon, 38 Romains, Jules, 43, 46, 126, 131
Pinto, Louis, V, 8, 19, 306 Rosenberg, Alfred, 251
Pirandello, Luigi, 74 Roth, Michel, 8
Platon, 31, 56, 61-62, 66, 68-69, 300, Roth, Xavier, 12, 53
344, 353, 361 Roudinesco, Élisabeth, 43
Poincaré, Henri, 21, 123, 365 Roupnel, Gaston, 103
Polin, Raymond, 262, 267 Rousseau, Jean-Jacques, 86, 92, 328,
Politzer, Georges, 12, 22, 27, 31, 45, 73, 359, 363-364
75, 112, 117, 120-121, 127-133, Rousset, Jean, 309
138, 143-151, 153-158, 162-169, Roustan, Désiré, 44
171, 178, 184, 188-189, 191-193, Roux, Sophie, VI, 9, 321
202-204, 206, 208, 210, 216, 223- Roy, Claude, 184
226, 231, 233, 244, 251, 256, 327, Royère, Jean, 126
342, 365, 367, 369-370 Ruyer, Raymond, 97-101, 229, 236-
Ponge, Francis, 220, 283 237, 240, 335-336, 370
Pradines, Maurice, 40-41, 82, 101, 180,
244 S
Prado, [ITAL]Bento [FIN_ITAL]Jr., 272 Salomon, Marie, 70
Prévost, Jean, 18, 45, 49, 51-52, 71-73, Sartre, Jean-Paul, 8, 18-19, 21-22, 31-
81 32, 40, 46-47, 52, 82, 117, 122, 131,
Prigogine, Ilya, 356, 365 139-140, 172-178, 184-200, 204,
Protagoras, 22, 56, 61-62, 66-69 210-216, 229, 233, 256, 260, 268-
Proust, Marcel, 37-38, 46, 74, 121, 270, 272, 274, 277, 281-285, 287,
131, 133, 173, 220, 309-312, 315, 290, 295, 301, 305, 315-318, 323,
337 325-327, 331-332, 337, 341, 344,
358, 363, 365, 367, 369-370
R Scheler Max, 171, 180, 201, 229, 241-
Racine, Nicole, 116, 119-120 242, 263
Rauh, Frédéric, 56, 58 Schelling, Friedrich W. J. von, 73, 133-
Régis, Emmanuel, 42, 226 134, 138, 145, 166-167, 229, 233,
Reinach, Alfred, 180 357
Renaut, Alain, 352, 354 Schlanger, Judith, 4, 7
Revault d'Allonnes, Olivier, 285-286 Schmaus, Warren, 12
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