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Ricœur
Alexandre Escudier
Dans Archives de Philosophie 2011/4 (Tome 74), pages 581 à 597
Éditions Centre Sèvres
ISSN 0003-9632
DOI 10.3917/aphi.744.0581
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ALEXANDRE ESCUDIER
CEVIPOF – FNSP, Paris
1. Les abréviations utilisées ci-après sont les suivantes: TR III pour Temps et récit vol. 3,
Paris, Seuil, 1985, rééd. poche 1991; DTA pour Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II,
Paris, Seuil, 1986, rééd. 1998; SMCA pour Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990; CC
pour La critique et la conviction: entretien avec François Azouvi et Marc de Launay, Paris,
Calmann-Lévy, 1995, rééd. Hachette (Pluriel), 2005; MHO pour La mémoire, l’histoire, l’oubli,
Paris, Seuil, 2000 et PR pour Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004.
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4. Johann Gustav DROYSEN, Historik, texte établi par Peter Leyh, Stuttgart-Bad Cannstatt,
Frommann-Holzboog, 1977. Voir en français ma traduction du Grundriß de 1882 in J. G.
DROYSEN, Précis de théorie de l’histoire, Paris, Le Cerf (Humanités), 2002 ainsi que ma mise
en perspective générale de cette tradition en « De Chladenius à Droysen. Théorie et méthodo-
logie de l’histoire de langue allemande (1750-1860) », Annales H.S.S., 58e année, 4, juillet-août
2003, p. 743-777.
5. Sur ce point précis, voir ma critique in « ‘Représentation-objet’ – ‘représentation-opéra-
tion’ – ‘représentance’. La mémoire, l’histoire, l’oubli entre épistémologie et ontologie de l’his-
toire », in Andris BREITLING et Stefan ORTH éds, Erinnerungsarbeit. Zu Paul Ricœurs
Philosophie von Gedächtnis, Geschichte und Vergessen, Berlin, Berlin Verlag, 2004, p. 173-204;
version très abrégée in Le Débat, n° 122, novembre-décembre 2002, p. 12-23 (dans sa réponse
p. 45-51, P. Ricœur élude à mon sens le débat en disqualifiant frontalement, sans autre, ma criti-
que au motif d’une confusion naïve entre méthodologie et épistémologie).
6. Alors qu’il traduit encore le concept heideggérien de « Geschichtlichkeit » par « histo-
rialité » dans TR III, Ricœur le traduit et s’en explique (MHO 481) par « historicité » en 2000.
7. Cf. Sein und Zeit, 17e édition, Tübingen, Niemeyer, 1993, § 65, p. 327 : « Die
Seinsganzheit des Daseins als Sorge besagt : Sich-vorweg-schon-sein-in (einer Welt) als Sein-bei
(innverweltlich begegnendem Seienden) ».
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10. SMCA 403-406 et CC p. 141-142. On comparera ces liens tissés par Ricœur entre her-
méneutique et éthique, sous la tutelle d’Aristote, à la relecture de ce dernier par Hans Georg
Gadamer, Wahrheit und Methode, Tübingen, Mohr, 1960, IIe partie, chap. II, § 2b, p. 295 sq.
et ID., « Le problème herméneutique et l’éthique d’Aristote », in ID., Le problème de la
conscience historique [conférences de Louvain en 1958], Paris, Seuil, 1996, p. 59-71, ici p. 68.
11. Cf. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, § 133-139 (en particulier le § 139 sur
la question du mal en écho à la critique de la Terreur révolutionnaire dans la Phénoménologie
de l’Esprit, trad. Hyppolite, Paris, Aubier, rééd. 1983, vol. 2, p. 133 sq.) et la discussion par
Ricœur des thèses hégéliennes, en marge d’Heidegger, en SMCA 396 sq.
12. Les prises de position les plus nettes de Ricœur par rapport à la Sittlichkeit hégélienne
se trouvent en SMCA 290, 295-298 et 337.
13. PR 187 sq.
14. H. ARENDT, Condition de l’homme moderne, trad. fr., rééd. Paris, Presses Pocket, 1992,
p. 314, avec le commentaire de Ricœur, ibidem, p. 31 sq. Koselleck introduira quant à lui, de
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22. Les principaux textes de Koselleck disponibles en français sont réunis dans Le futur
passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, MSH, 1990 et L’expérience
de l’histoire, Paris, Seuil/Gallimard, 1997.
23. Reinhart KOSELLECK, « Historik und Hermeneutik » [16 février 1985], in ID.,
Zeitschichten. Studien zur Historik, Francfort/Main, Suhrkamp, 2000, p. 97-118 [Réplique de
Gadamer : ibid., p. 119-127]. Traduction française: « Théorie de l’histoire et herméneutique »
in ID., L’expérience de l’histoire, op. cit., p. 181-199.
24. KOSELLECK, Zeitschichten, p. 101 (trad. fr., p. 185).
25. KOSELLECK, Zeitschichten, p. 102 (trad. fr., p. 186).
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point de vue des catégories, il s’agit là d’une opposition formelle qui demeure
ouverte à tous les contenus possibles, il s’agit donc d’une sorte de catégorie
transcendantale pour toute histoire possible 26 ». « Ami et ennemi contien-
nent des déterminations temporelles à venir dans lesquelles das Sein zum
Tode peut à tout moment être dépassé par das Sein zum Totschlagen 27 ».
L’état de nature hobbesien est ici le modèle anthropologique sous-jacent
au sens où la potentialité originaire de la guerre de tous contre tous consti-
tuerait la temporalité fondamentale de l’homme. Le chapitre XIII du
Léviathan l’indique en 1651 :
« Par cela, il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans
qu’une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi,
leur condition est ce qu’on appelle la guerre: et celle-ci est telle qu’elle est une
guerre de chacun contre chacun. En effet, la Guerre ne consiste pas seulement
dans la bataille ou dans l’acte de combattre, mais dans cet espace de temps
pendant lequel la volonté d’en découdre par un combat est suffisamment
connue ; et donc, la notion de temps [time] doit être prise en compte dans la
nature de la guerre, comme c’est le cas dans la nature du temps qu’il fait [wea-
ther]. Car, de même que la nature du mauvais temps ne consiste pas en une
ou deux averses, mais en une tendance au mauvais temps, qui s’étale sur plu-
sieurs jours, de même, en ce qui concerne la nature de la guerre, celle-ci ne
consiste pas en une bataille effective, mais en la disposition reconnue au com-
bat, pendant tout le temps qu’il n’y a pas d’assurance du contraire. Tout autre
temps est la Paix 28 ».
La critique porte à certains égards, mais elle ne doit cependant pas mas-
quer le fait que Ricœur procède à un tel détour pour des motifs systémati-
ques et en raison de son souci ultime de réancrer l’ontologie dans une éthi-
que de type aristotélicien. C’est là ce que l’on pourrait appeler sa visée
normative ultime ; elle se décline à mon sens sur deux registres différents,
qui sont en fait « les deux faces d’une même tâche 31 ».
Au niveau politique tout d’abord, dès Temps et récit III, il s’agit pour
Ricœur d’éviter toute disjonction radicale entre champ d’expérience et hori-
zon d’attente ; on peut lire là sa critique des utopies politiques à laquelle fait
écho la recherche prudentielle du juste et du bien, en situation critique, que
Ricœur thématise dans la « petite éthique » de Soi-même comme un autre :
Il faut résister à la séduction d’attentes purement utopiques; elles ne peuvent
que désespérer l’action; car, faute d’ancrage dans l’expérience en cours, elles
sont incapables de formuler un chemin praticable dirigé vers les idéaux qu’el-
les situent ‘ailleurs’. Des attentes doivent être déterminées, donc finies et rela-
tivement modestes, si elles doivent pouvoir susciter un engagement responsa-
ble. Oui, il faut empêcher l’horizon d’attente de fuir ; il faut le rapprocher du
présent par un échelonnement de projets intermédiaires à portée d’action. Ce
premier impératif nous reconduit en fait de Hegel à Kant, selon le style kan-
tien post-hégélien que je préconise. Comme Kant, je tiens que toute attente
doit être un espoir pour l’humanité entière; que l’humanité n’est une espèce
que dans la mesure où elle est une histoire; réciproquement que, pour qu’il
y ait histoire, l’humanité entière doit en être le sujet au titre de singulier col-
lectif 32.
34. TR III 410 ; voir également p. 397 sq. Comparer à SMCA 333 note 2.
35. TR III 414 sq.
36. TR III 423.
37. Gadamer a lui-même proposé, en français, l’expression de « conscience de la producti-
vité historique », en ID., Le problème de la conscience historique, op. cit., p. 91.
38. Cette réconciliation-dépassement est discutée en TR III 402-411 et DTA 367 sq. Les
textes du débat allemand en question sont rassemblés en Karl-Otto APEL et alii, Hermeneutik
und Ideologiekritik, Francfort/Main, Suhrkamp, 1971.
39. R. KOSELLECK, Le futur passé, op. cit., p. 328 note 4.
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avant des agents capables d’initiative, d’orientation, dans des situations d’in-
certitude, en réplique à des contraintes, des normes, des institutions 44 » –
l’analyse des « jeux d’échelle 45 » permettant ensuite de redéployer l’argu-
ment au plan individuel (comportements) et collectif (représentations-
objets).
On peut certes critiquer – il m’est arrivé de le faire ailleurs du strict point
de vue épistémologique 46 – une telle prise de position au motif que le
domaine d’objets de l’histoire ne serait nullement restrictible en droit à une
classe d’événements particulière; il nous faut néanmoins comprendre que –
au niveau où Ricœur décide de se placer avec son « herméneutique de la
condition historique » – c’est la capacité d’initiative historiquement condi-
tionnée des sujets qui demeure l’enjeu cognitif et pratique ultime : à ce
stade, l’anthropologie ricœurienne de l’homme capable (déplaçant radicale-
ment les philosophies de la réflexion et du sujet) ne se satisfait plus du nihi-
lisme axiologique sous-jacent au « tout est intéressant » de l’historien 47.
5) Conclusion
44. MHO 501, avec d’autres occurrences similaires p. 232, 278, 284, 289, 450-451, 462 et 494.
45. Cf. la référence répétée aux livres respectivement dirigés par Bernard L EPETIT (dir.),
Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel (Évolution de l’hu-
manité), 1995 et Jacques REVEL dir., Jeux d’échelles. La microanalyse à l’expérience, Paris,
Seuil/Gallimard (Hautes Études), 1996.
46. A. ESCUDIER, « Épistémologie et ontologie de l’histoire », in Le Débat, 122, novembre-
décembre 2002, ici p. 19-20.
47. Le contre-modèle est ici implicitement Paul VEYNE, Le quotidien et l’intéressant, entre-
tiens avec Catherine Darbo-Peschanski, Paris, Belles-Lettres, 1995.
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50. Ricœur est explicite sur ce point en SMCA 31 ainsi que dans le texte récapitulatif inti-
tulé « De l’interprétation », in DTA 13-39.