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- Jacques Bouveresse distingue ce qu’il appelle le postmodernisme « gauchiste » de Lyotard du postmodernisme
« bourgeois » de Rorty. Cf. son ouvrage intitulé : Rationalité et cynisme, Editions de Minuit, Collection Critique,
1984, p. 167.
2
- Lyotard (J.-F.), La Condition postmoderne, Editions de Minuit, Collection Critique, 1979, p. 64.
3
- Ibid., p. 89.
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- La « paralogie », c’est le fait de « déranger l’ordre de la raison. » Cf. Ibid., p. 99. Au sujet de la
« paralogie », Jean-François Lyotard précise sa pensée en ces termes : « Il faut supposer une puissance qui
déstabilise les capacités d’expliquer et qui se manifeste par l’édiction de nouvelles règles de jeu de langage
scientifique qui circonscrivent un nouveau champ de recherche. » (Ibid.)
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- Feyerabend (P.), Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance (1975), traduit de
l’anglais par Baudouin Jurdant et Agnès Schlumberger, Editions du Seuil, 1979, p. 17.
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Mais que sont devenus ces rêves séduisants dont la réalisation devait
coïncider avec la restitution à l’homme de l’initiative historique que la tradition
rationaliste ne reconnaissait qu’aux hypostases fantastiques ? Quelle a été la
fortune de ces « métarécits » (grands récits) de légitimation du savoir (récits de
libération ou d’émancipation) ? (12)
Les espoirs dont ces rêves étaient gros donnèrent sur le désespoir. Ainsi, à
l’espoir de réaliser « une heureuse union de l’entendement humain avec la
nature des choses » se substitua « son accouplement avec les concepts creux et
des expériences incohérentes »(13). L’Aufklärung qui soutenait que « le
développement du savoir et l’accroissement du pouvoir sur les choses (…)
devaient nécessairement rendre l’homme meilleur »(14), substitua aux mythes
archaïques de la tradition, les catégories scientifiques et philosophiques creuses
(15). Le progrès que les lumières de la raison étaient censées réaliser, en dissipant
les mythes obscurantistes n’eut pas lieu. La souveraineté de l’homme qui devait
résulter du triomphe de la Raison fit place à une nouvelle servitude, celle dans
laquelle la raison incarnait désormais la domination du tyran. Ce qui a fait dire à
Max Horkheimer et à Theodor Wiesengrund Adorno que « la Raison se
comporte à l’égard des choses comme un dictateur à l’égard des hommes »(16).
Devenue la forme sublimée du tyran, plus précisément de Hitler, de Mussolini
ou de Staline, la raison sur laquelle se sont fondé les espoirs de libération de
l’humanité d’une tradition obscurantiste et inhumaine, est paradoxalement
devenue un facteur de domination. Lyotard explique cette dialectique perverse
de l’Aufklärung par des causes endogènes. Si les grands récits de légitimation du
11
- Hottois (G.), « Droits de l’homme et technoscience : L’universel moderne en discussion », Conférence faite à
Göreme en octobre 1997, texte polycopié, p. 4.
12
- Lyotard (J.-F.), op. cit., p. 54.
13
- Horkheimer (M.) et Adorno (T. W.), op. cit., p. 21.
14
- Bouveresse (J.), Rationalisme et cynisme, P. 9.
15
- Horkheimer (M.) et Adorno (T. W.), op. cit., p. 26.
16
- Ibid., p. 27.
5
17
- Lyotard (J.-F.), op. cit., p. 63.
18
- Ibid., p. 66.
19
- Hottois (G.), op. cit., p. 4.
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20
- Bouveresse (J.), Rationalité et cynisme, pp. 185-186.
21
- Lyotard (J.-F.), op. cit., pp. 94-95. Le rejet des systèmes stables, tout comme la critique du déterminisme
laplacien, est motivé par l’adhésion de Lyotard à la théorie des catastrophes de René Thom et à celle des
fractales de Bernard Mandelbrot.
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- Par ce néologisme nous voulons désigner le culte de la raison.
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volonté responsable, Hume l’impute à la raison. Son cynisme affectée est en fait
la preuve d’une incompétence pratique qu’elle masque subtilement à travers une
altière indifférence et une transcendance de façade. Comme le dit Lucien Jaume,
dans son commentaire de Hume,
En soi, la raison est une « passion calme » qui serait condamnée à languir si elle
n’était pas tonifiée par les passions violentes.
Cette caractérisation de la raison a pour objectif la banalisation d’une
faculté que le rationalisme a eu tort d’absolutiser et d’idolâtrer. Chez Hume, la
banalisation ou la profanation de la raison est l’expression d’un sentiment de
révolte contre le logocentrisme des philosophes modernes. Ceux qui, comme
Horkheimer, Adorno, Feyerabend, Lakatos, Lyotard, etc., ont embouché les
trompettes pour dénoncer la dérive identitariste et totalitariste d’une raison qui
se prend pour le centre du monde, marchent sur les traces de Hume qui soutenait
déjà qu’elle ne peut aliéner la diversité ou la pluralité des perceptions atomiques
qu’au moyen d’un nominalisme problématique. Sa volonté d’identariser
l’hétérogène en le subsumant sous des catégories abstraites est vaine, car les
abstractions que la raison construit à cet effet sont de simples fictions
fantastiques. Chez Hume, cette approche différentialiste est déductible du
« principe de différence » ou du « principe des diversités des discernables ».
Cette conception fragmentaire du réel a dû inspirer le postmodernisme dans sa
critique de l’universalisme despotique de la Raison.
- Jaume (L.), La Liberté et la loi. Les origines philosophiques du libéralisme, Fayard, 2000, p. 215.
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