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TRANSHUMANISME,

MARCHANDS DE SCIENCE
ET AVENIR DE L’HOMME
Collection / Eclairages philosophiques d’Afrique
ECLAIRAGES PHILOSOPHIQUES D’AFRIQUE
Collection dirigée par

Émile KENMOGNE
La recherche et la production philosophiques en Afrique
connaissent depuis le dernier quart du XXe siècle une évolution
considérable. Des recherches universitaires novatrices sur les
problématiques du terroir africain d’une part, l’étude, la discussion
et la remise en perspective des philosophies antiques, classiques et
modernes des traditions occidentales et asiatiques par les Africains
d’autre part, demeurent souvent ignorées. Cela s’explique soit par
les problèmes d’édition en contexte africain, soit par la très faible
mobilité de l’expertise africaine, soit encore par les difficultés
réelles à faire fonctionner des universités en Afrique. L’examen de
la diffusion de la philosophie africaine montre que si l’Europe
paraît encore, plus à tort qu’à raison, résolument repliée sur elle-
même, l’Amérique s’entrouvre aux philosophes d’Afrique. Quoi
qu’il en soit, la collection ECLAIRAGES PHILOSOPHIQUES
D’AFRIQUE de L’Harmattan Cameroun veut tirer les
conséquences de la prise de conscience du besoin d’un dialogue
sincère de l’écrit philosophique d’Afrique avec l’Occident et
l’Asie. Elle veut surmonter les obstacles qui bloquent des « éclairs
d’acier », pour emprunter cette image de J. Michelet dans La
sorcière : « Ce lieu, tout africain, a des éclairs d’acier ».

Déjà parus
Michel Ngueti, Critique du structuralisme à partir de Michel
Foucault. L’homme est-il mort ?, 2013.
Ebénézer Njoh Mouelle, Henri Bergson et l’idée de
dépassement de la condition humaine, 2013.
Ebénézer Njoh Mouelle, Emile Kenmogne, Vie et éthique, de
Bergson à nous, 2015.
Emile Kenmogne, Maladies paranormales et rationalités, 2016.
Ebénézer
NJOH MOUELLE

TRANSHUMANISME,
MARCHANDS DE SCIENCE
ET AVENIR DE L’HOMME

Préface de Monique Castillo


SOMMAIRE

PRÉFACE ............................................................................... 7

INTRODUCTION ................................................................ 11

CHAPITRE PREMIER : LE TRANSHUMANISME DE


L’ARGENT ET DES MARCHANDS ................................. 17

CHAPITRE II : TRANSHUMANISME ET VALEURS .... 53

CHAPITRE III : QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? .... 77

CONCLUSION .................................................................. 133

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE ....................................... 139


PRÉFACE

Le Professeur Njoh Mouellé est une figure connue de


l’humanisme africain, dont le rayonnement est assuré par son
statut de membre du Conseil Exécutif de l’UNESCO. Il
affronte ici, dans ce livre, une figure de l’utopie qui semble
identifier à tout jamais le progressisme et le technologisme.
L’utopie est pourtant un vecteur de l’imagination
créatrice ; le progrès est la réalisation historique de
l’humanisme et la technologie le moyen de l’intelligence
appliquée. Certes, quand l’utopie ouvre l’esprit vers des
horizons qui sollicitent l’effort, quand le progrès porte la
perfectibilité à dévoiler des potentiels inaccomplis, quand la
technique invente l’habitation humaine de l’homme, la
pensée et l’action contribuent à faire du monde, selon la
magistrale expression de Bergson, philosophe dont le
Pr. Njoh Mouellé est un spécialiste, « une machine à faire des
dieux ». Des dieux qui sont le but de l’effort, de l’énergie et
du génie ; des dieux qui unissent la raison, la sensibilité et la
spiritualité dans la même œuvre de dépassement de soi,
d’engendrement de soi, de recréation perpétuelle de soi de la
vie humaine. Mais quand l’utopie se croit parvenue à son
terme et qu’elle stoppe le progrès au stade de l’accumulation
de performances asservies à un même processus, qui consiste
à prolonger la vie en la rendant de plus en plus semblable à la
machine, alors les techno-prophètes sont d’étranges dieux qui
font du monde un vaste appareil à ne produire que des robots.
Il n’est plus de moteur inspirant quand l’utopie, le progrès
et la technique se confondent dans la même productivité de
résultats. Efficacité et productivité ne désignent plus un
progrès de l’esprit, mais un tournant de l’histoire
économique, un « affairisme » qui traduit en informations
numérisables le vaste chantier qu’est devenu le monde
humain. L’humain cessant d’être le but du progrès, il en
devient l’instrument, un terreau indéfiniment exploitable.
L’information absorbe les ressources de l’esprit, traitées
comme des aspirations à gérer par un vaste système de conso-
communication. La techno-bio-économie est parfaitement
décrite comme un système qui passe aujourd’hui pour l’état
normal d’une civilisation évoluée.
L’examen serré, toujours clair et documenté, fait de ce
phénomène de biopolitique mondiale gouvernée par
d’immenses pouvoirs qui échappent au contrôle des États, un
objet de réflexion publique et l’objet d’un appel à un
humanisme mondial. Mais, en outre, subtilement, de manière
discrète, déconcertante mais parfaitement juste, derrière la
cohérence logique et l’ordonnancement philosophique des
arguments, une tonalité se fait entendre à une oreille
attentive : l’étrange absence d’un réel intérêt humain pour le
transhumanisme. Vivre longtemps, voir et sentir au-delà de
nos sens, se connecter à des appareils qui nous testent quand
nous les sollicitons, robotiser les actes quotidiens,
déprogrammer la maladie qui guette… autant de
performances techniques qui affichent leur haute et étonnante
technicité, mais qui ne parlent que d’elles-mêmes et de leur
pouvoir de faire augmenter toujours plus leur pouvoir
propre ; ce n’est pas tant la vie qui se porte au-delà d’elle-
même que la technique qui porte la vie vers une nouvelle
manière de l’administrer ; et si le transhumain devait être
ennuyeux et servile, trop prévisible et jamais surprenant ?
L’ambiguïté du jeu des mots « trans » et « post » est
soulignée : il n’y pas une transcendance, mais une postérité
« transhumaniste » de la vie humaine ; autre jeu sur les mots
et les associations mentales avec la référence à la
« singularity », nom de l’université du futurisme techno-
numérique, mais qui évoque aussi la signification

8
existentielle de la singularité de la personnalité humaine, sa
vocation spirituelle.
La réflexion engagée n’est ni moraliste ni technophobe,
elle est celle d’un citoyen du monde qui envisage les enjeux
géopolitiques d’une nouvelle répartition des forces, des
richesses et des alliances dans un espace sans règles et dans
une temporalité aux urgences imprévisibles. Que sera une
géographie transhumaniste ? Que deviendra l’école sous
l’impulsion des avancées de l’intelligence artificielle ? Quel
type d’homme sera le produit d’un auto-eugénisme ? Il fallait
porter le regard vers cette mondialisation encore
insoupçonnée d’hommes-machines pour prendre la mesure
du besoin de responsabilité politique et éthique qu’elle
appelle. L’impuissance du politique dans cette nouvelle
configuration constituerait un danger mortel pour l’humanité.
Le risque sur lequel le Professeur Njoh Mouellé insiste est
celui de l’illusion de l’autorégulation, qu’elle soit
économique ou éthique, l’illusion de croire que la
raisonnabilité accompagne inévitablement la rationalité
instrumentale triomphante ; les ordinateurs sont intelligents,
les armes high-tech sont intelligentes, on sait que les robots
peuvent se rendre plus performants par apprentissage et que
la décision peut être confiée à des logiciels. Mais le risque
éthique d’abandonner la responsabilité à l’intelligence de la
machine parce qu’elle est moins faillible que l’homme est le
danger suprême ; non parce que la machine risque de
manquer à sa fonctionnalité, mais parce qu’elle n’est que
fonctionnalité… La responsabilité est œuvre humaine parce
qu’elle est action libre face à un partenaire libre.
La sagesse qui guide l’auteur du livre commande de
prendre toute la mesure de la responsabilité du futur : pour ne
pas renier la vocation de la science à l’humanisation, il
importe de ne pas tomber dans une démesure alimentée par le
seul goût du profit. Mais il faut encore la dimension

9
spirituelle de l’humain qui seule arrête la tentation de réduire
la science à un total contrôle technique du monde. Bergson
est présent dans l’ensemble de l’ouvrage. Remercions-le pour
l’inspiration qui guide cette contribution à l’avènement d’un
humanisme cosmopolitique : que l’homme devienne
machine, la machine peut le faire ; mais que la machine
devienne homme, qui le pourra ?

Monique Castillo
Professeur émérite de l’université Paris-Est

10
INTRODUCTION

Le présent ouvrage est conçu pour être une participation


de notre part au débat provoqué par les annonces que diffuse
le mouvement philosophico-scientifique dénommé
« transhumanisme », en matière de « réparation » et surtout
« d’amélioration » aussi bien des conditions de vie que de la
nature humaine. Tout en servant de noble prétexte aux
préoccupations commerciales évidentes du groupe qui
contrôle la très grande majorité des recherches scientifiques
menées dans le monde aujourd’hui, à savoir le groupe GAFA
(Google, Apple, Facebook et Amazon), la philosophie qui
transparaît derrière les élaborations et les programmes des
protagonistes de ce mouvement semble s’opposer au
dualisme classique entre le corps et l’âme, la matière et
l’esprit.
Pour avoir travaillé sur le thème de « l’humanité de
l’avenir selon le bergsonisme1 », la découverte du
« transhumanisme » ne pouvait pas nous laisser indifférents.
En effet voici comment Bergson a clôturé ses « Deux sources
de la morale et de la religion » : « L’humanité gémit, à demi
écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. Elle ne sait
pas assez que son avenir dépend d’elle. A elle de voir d’abord
si elle veut continuer à vivre. A elle de se demander ensuite si
elle veut vivre seulement, ou fournir en outre l’effort
nécessaire pour que s’accomplisse, jusque dans notre planète

1
C’est le titre de notre thèse pour l’obtention du grade de Docteur d’État
ès Lettres et Sciences Humaines soutenue le 8 mai 1981 à la Sorbonne,
sous la direction du Professeur Vladimir Jankélévitch. Elle a fait l’objet
d’une publication sous le titre Henri Bergson et l’idée de dépassement de
la condition humaine, Ed. L’Harmattan, Paris, Novembre 2013.
réfractaire, la fonction essentielle de l’univers, qui est une
machine à faire des dieux. »2. On pourrait se dire et penser
que les transhumanistes, même sans avoir peut-être lu
Bergson et encore moins cet ouvrage de 1932, s’inscrivent
dans cette vision des choses, eux qui sont préoccupés de faire
advenir un nouvel homme, le « posthumain » au sujet duquel
une vive discussion est engagée depuis quelque temps,
opposant des « bioconservateurs » aux « techno-progressis-
tes ». Ce que Bergson dit de l’humanité qui « gémit sous le
poids des progrès qu’elle a réalisés » s’applique à la situation
vécue par lui-même au début du XXe siècle et qui a conduit
au constat par le philosophe, selon lequel le corps de
l’homme démesurément grossi attendait un supplément
d’âme. Si les transhumanistes utilisent le concept
d’« augmentation » aujourd’hui, Henri Bergson avait déjà
parlé d’« agrandissement » du même corps de l’homme par le
biais de la fabrication des « organes artificiels » que sont les
machines et tous les autres outils prolongeant ce corps. Mais
alors, tandis qu’Henri Bergson voyait et plaçait le
« dépassement de la condition humaine »3 dans la dimension
de l’intériorité et de la spiritualité, les transhumanistes, même
les rares qui font état de leur souci pour la spiritualité,
orientent fortement ce « dépassement de la condition
humaine » dans la dimension de l’extériorité et de la
matérialité. Là où Bergson trace la perspective de
l’avènement et de la généralisation du «mystique », les
chercheurs et autres ingénieurs transhumanistes œuvrent en
vue de l’avènement de l’« homme augmenté », une
terminologie qui révèle l’orientation en quantification
matérielle et ustensile de l’homme. S’il revenait au monde

2
Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, Ed. C. p. 1245
3
Ce concept est de Bergson et nous a servi à donner comme titre à
l’ouvrage que nous avons consacré à ce sujet : Henri Bergson et le
dépassement de la condition humaine, 374 p., Ed. L’Harmattan, Paris
2013

12
aujourd’hui et découvrait les produits de la convergence des
nanotechnologies, des biotechnologies, de l’Intelligence
artificielle et des Sciences cognitives (NBIC), ce ne serait pas
un supplément d’âme qu’il continuerait de réclamer, mais la
restitution de l’âme entière !
En prenant appui sur la convergence des progrès réalisés
par les NBIC, les transhumanistes prolongent le processus
engagé par l’homme depuis l’âge de la pierre taillée et du
silex. Ils inscrivent leur action dans la logique de ce que
Bernard Stiegler4, de son côté, appelle « l’exosomatisation »,
c’est-à-dire la projection de soi en dehors du corps, par le
biais des outils et des instruments qui semblent prolonger et
agrandir le corps humain. C’est bel et bien ce que les
transhumanistes désignent par le concept d’« augmentation ».
« L’homme augmenté » n’est autre que l’homme
« exosomatisé » ; une « exosomatisation » qui se fait de
manière non-biologique, même si on y trouve aujourd’hui la
forte tentation de l’imitation du biologique par le bionique !
Non seulement il s’est agi jusqu’ici du « soma » et non du
« mens » dans toutes ces opérations d’extériorisation et
d’agrandissement, voici que le mouvement d’« augmenta-
tion » ou d’exosomatisation s’est emballé depuis quelque
temps en prétendant projeter aussi la conscience, l’esprit, la
spiritualité dans ces outils et ces instruments que sont et
demeurent les robots5. Ce mouvement d’emballement est en
train de tracer un parallèle qui ne devrait pas exister, entre la
partie et le tout, l’instrument et son producteur, son
« fabricant » comme aurait dit Bergson. Un producteur qui
est esprit, intelligence, imagination, sensibilité, bref toutes

4
Le philosophe Bernard Stiegler a participé les 13 et 14 décembre 2016 à
Paris aux « Entretiens du Nouveau monde Industriel », enmi-
conf.org/wp/enmi16.
5
Dans leur terminologie, ils parlent du « téléversement de la conscience
dans l’espace digital ».

13
ces facultés dont on veut aussi doter la machine aujourd’hui,
dans une logique, non pas de spiritualisation de la matière,
comme on serait porté à le penser, mais plutôt de la téméraire
matérialisation-mécanisation-automatisation de l’esprit. Il
faut mentionner ici les fameuses « machines spirituelles »6 de
Ray Kurzweil. Peut-être serons-nous démentis un jour par
d’authentiques faits parlants, mais il reste difficile
aujourd’hui d’imaginer des robots dotés d’une dimension
véritablement humaine à travers la capacité de ressentir le
contrecoup des événements, d’exprimer des sentiments sous
diverses nuances telles que la joie, la tristesse, la jalousie, la
rancune, etc. Non seulement les exprimer, mais encore le
faire par tous les moyens, tels par exemple des gestes et des
comportements qui engagent le corps, du genre des clins
d’œil, des froncements de sourcils, des mimiques, qui soient
chaque fois originaux et non la répétition des programmés,
etc. Si cela pourra se faire, ce sera de la raide imitation qui
n’aurait aucun caractère spontané ou intuitif. Car comment
programmer l’intuition par des algorithmes ? Ce ne serait
plus l’intuition ! Il faudrait avoir le courage de dire qu’il ne
s’agit plus d’homme ni d’humanité, ainsi que l’exprime aussi
Denis Jacquet quand il écrit que « Vu par les « génies » de la
« Singularity », l’homme perd chair et âme pour être une
ligne programmable, déprogrammable, reprogrammable »,
avec « peu de poésie, de lumière, de spiritualité dans tout
ça… Une sorte de négation de l’esprit de ‘’Ce’’ qui nous a
créés, une sorte de négation de l’intérêt même d’avoir des
hommes sur Terre. ».7

6
Ray Kurzweil est l’auteur d’un ouvrage intitulé L’ère des machines
spirituelles, en anglais The Age of Spiritual Machines (1999), Ed. Viking
Press, janvier 1999.
7
Denis Jacquet, article du 31 oct. 2016, in
www.atlantico.fr/decryptage/transhumanisme, plutôt abime que nouvelle
frontière.

14
Selon Julian Huxley pourtant, celui-là même qui a créé le
concept de transhumanisme, « par le transhumanisme
l’homme demeurera l’homme, mais se transcendera en
réalisant les possibilités de sa nature humaine et à son
avantage…l’espèce humaine se tiendra au seuil d’une
nouvelle existence, aussi dissemblable de la nôtre que la
nôtre l’est de l’homme de Pékin. Elle accomplira enfin
consciemment son véritable destin8 »
Ce concept va prendre un sens nouveau quand il se fait
récupérer par les transhumanistes de la Silicon Valley en
Californie, selon lesquels se transcender va consister à initier
une transition vers la posthumanté.9Mais l’objectif de Julian
Huxley demeure, à savoir celui de voir l’homme prendre en
main l’Evolution, avec les outils de la science et de la
technologie. Faut-il cependant pousser tous les hommes à
s’hybrider avec la machine, tel le cyborg, mi-organique, mi-
cybernétique, se doter d’un corps reprogrammé par les
nanotechniciens, les biotechniciens, l’Intelligence
artificielle ? Les promoteurs de cette orientation répondent
que le choix doit être laissé à chacun ; mais alors, cet
eugénisme de libre choix individuel serait-il différent de
l’eugénisme d’État, quand on pense à ses conséquences
sociales ? La question de la régulation nous semble
incontournable ; non seulement en ce qui concerne cet
eugénisme faussement bénin, mais également en ce qui
concerne tout autant la voie conduisant à l’hybridation

8
In New Bottles for New Wine, (Londres 1957) Traduit par Amin
Gouilleux, Ed. Chatto and Windus, London, 1957.
9
Ces transhumanistes, parmi lesquels les extropiens, les singularistes, les
immortalistes se nomment Eric Dresler, fondateur du Foresight Institute
et pionnier des nanotechnologies, Ray Kurzweil et Marvin Minsky,
spécialistes de l’intelligence artificielle et immortalistes, le roboticien
Hans Moravec. Pour eux, l’humain ne doit pas rester cet être imparfait,
fragile, faillible et surtout mortel. Il doit vaincre la maladie et la mort,
mais aussi s’améliorer.

15
homme-machine que la mise au chômage que l’intelligence
artificielle a déjà commencé à produire et qui s’annonce
comme devant s’aggraver avec le temps. /

E.N.M.

16
CHAPITRE PREMIER :

LE TRANSHUMANISME DE L’ARGENT
ET DES MARCHANDS

1- L’esprit d’invention et ses motivations


L’industrie née de la convergence des nanotechnologies,
des biotechnologies, de l’intelligence artificielle et des
sciences cognitives, les NBIC, oblige à réfléchir de nouveau
sur l’utilisation des résultats de la recherche scientifique,
surtout quand cette utilisation prétend modifier en mieux la
nature humaine. Ce qui s’exprime et qui se donne à constater
à travers tous les progrès qu’obtient la recherche scientifique
de nos jours, se trouve justifié dans cette affirmation
bergsonienne selon laquelle « plus la science avance, plus ses
découvertes suggèrent d’inventions » et que « souvent il n’y a
qu’un pas, de la théorie à l’application ; et comme la science
ne saurait s’arrêter, il semble bien en effet qu’il ne doive pas
y avoir de fin …à la création de besoins nouveaux »10. Oui,
« de la théorie à l’application il n’y a qu’un pas », a écrit
Bergson ; et que voit-on faire du côté de l’entreprise
Google que connaît bien le chirurgien et Expert français en
technologies du futur et non moins homme d’affaires lui-
même, Laurent Alexandre, auteur, entre autres titres de La
mort de la mort ? Dans une interview donnée à l’édition
‘’On-line’’ du Journal du Dimanche datée du 9 février 2014,
Laurent Alexandre révèle qu’« en deux ans elle (cette
entreprise (Google) a réussi à préempter trois marchés clés :
celui de la lutte contre la mort pour lequel Callico a été créée,

10
Henri Bergson, Op.cit. p. 1234.
une filiale qui a cet objectif fou d’augmenter l’espérance de
vie de vingt ans d’ici 2035. Elle a investi dans le séquençage
de l’ADN avec sa filiale « 23andME », mais aussi dans un
projet de lentilles intelligentes pour les diabétiques, qui
mesurent en temps réel votre glycémie ». Christine
Kerdellant confirme : « Il (Google) veut tuer la mort
(Callico), faire fonctionner l’intelligence artificielle (Google
DeepMind), trouver le secret du cancer et guérir le diabète
(Verily, 23andMe…), créer un maillage planétaire pour
l’accès à Internet grâce à des ballons et à des drones (Project
Loon et Projet Titan), faire rouler des voitures autonomes
(Google Car), vendre des robots (Replicant), investir du
capital dans de jeunes entreprises (Google Ventures), être le
roi de la domotique (Nest), assurer des livraisons par drones
(Project Wing), ou travailler sur la ville du futur (Sidewalk
Labs)…Bref, the sky is the limit – et encore ! le ciel peut-il
l’arrêter ? »11
Reprenons à notre compte ici une interrogation formulée
par Henri Bergson dans ses Deux Sources de la Morale et de
la religion : « L’esprit d’invention suscite-t-il nécessairement
des besoins artificiels ou, ce ne serait-il pas le besoin artificiel
qui aurait orienté ici l’esprit d’invention ? » Bergson répond
sans hésitation à cette question : « la seconde hypothèse est
de beaucoup la plus probable », à savoir que c’est le besoin
artificiel qui oriente l’esprit d’invention ! En matière de
« besoins artificiels », Henri Bergson aurait-il considéré
comme tels, les besoins identifiés aujourd’hui en termes
d’objectifs de recherche et qui sont, entre autres, le besoin de
prolonger indéfiniment la durée de vie humaine sur Terre, le
besoin de supprimer la maladie chez l’homme, le besoin de
supprimer le processus de vieillissement, le besoin
d’augmenter la puissance calculatrice du cerveau de l’homme

11
Christine Kerdellant, Dans la Google du Loup, Ed. Plon, Paris janvier
2017, p. 293.

18
au point de chercher à entrer en compétition avec
l’ordinateur, voire avec le robot symbolisant l’intelligence
artificielle ? Bergson aurait très certainement procédé à une
catégorisation en faisant la distinction entre les besoins
légitimes d’amélioration des conditions de vie de l’homme
d’une part et, d’autre part, les besoins de luxe traduisant
plutôt, selon lui, la vanité dont se gonfle souvent l’homme. Il
a eu en effet à écrire : « la vérité est que c’est le plus souvent
par amour du luxe qu’on désire le bien-être… Au
commencement était la vanité »12. Il affirme aussi que « sans
contester les services qu’il a rendus aux hommes en
développant largement les moyens de satisfaire des besoins
réels, nous lui (le machinisme) reprocherons d’en avoir trop
encouragé d’artificiels, d’avoir poussé au luxe »13. Entre les
besoins artificiels, les besoins réels et les besoins de luxe,
lesquels seraient à l’origine de tout ce qu’entreprennent les
chercheurs scientifiques qui exploitent les résultats du
séquençage du génome humain et de l’ADN des individus à
travers l’ingénierie génétique grâce à laquelle, à l’aide des
techniques mises au point par la nanotechnologie, on pourra
implanter des extensions de mémoire dans le cerveau de
l’homme, reprogrammer des cellules afin d’écarter
complètement certaines maladies, poser des implants
rétiniens permettant de zoomer tandis que d’autres donneront
à l’homme la capacité de vue d’un chat la nuit ?
Dans ses analyses et ses distinctions conceptuelles
concernant la nature des besoins qui poussent ou motivent
l’esprit d’invention de l’homme et du chercheur scientifique
en particulier, Bergson semble n’avoir pas donné une place à
ce besoin qu’il faut appeler par son nom vulgaire de besoin
d’argent et d’enrichissement illimité ; car en effet, quel
« besoin artificiel » pousse les patrons de Google et d’Apple

12
-Ibid.
13
-Id. pp. 1236-1237.

19
par exemple à mettre des équipes de recherche à pied
d’œuvre sur la base des contrats de recherches assortis
d’objectifs précis ? Dans l’interview déjà mentionnée,
Laurent Alexandre déclare que « Google cherche la puissance
à travers la maîtrise de l’intelligence artificielle » et qu’« il
est beaucoup plus qu’une société informatique qui a déjà
racheté les principaux acteurs dans le domaine de la
robotique. Il ajoute que « Google peut devenir plus puissant
que les États, en devenant le leader en matière de lutte contre
la mort, d’intelligence artificielle, de robotique, de domotique
et de voitures intelligentes ». Le lecteur apprend par la même
occasion que Apple de son côté ne sommeille pas ; parmi ses
projets déjà engagés se trouve la fabrication d’une montre-
bracelet iWatch qui sera un instrument de mesure en continu
des diverses variables de santé.
On peut voir par-là que ce que Bergson a appelé
pudiquement « besoins artificiels », peut-être parce que non
fondamentaux tout en étant naturels, correspondent à ce que
l’extrême déploiement du libéralisme capitaliste a permis à
l’esprit d’entreprise de faire découvrir comme étant l’amour
du profit et le goût plus ou moins effréné du gain.
Est-ce à dire qu’à l’époque de la rédaction des Deux
sources de la morale et de la religion le rapport existant entre
la recherche scientifique, le besoin d’enrichissement et de
puissance n’avait pas connu le moindre début d’expression et
de manifestation ?
Ce n’est pas un fait nouveau de voir des protagonistes de
la recherche scientifique s’enrichir dans la valorisation des
résultats de la recherche scientifique. La publicité
commerciale mensongère n’a-t-elle pas, elle aussi, voulu se
donner ces derniers temps une crédibilité prétendant
s’adosser sur de soi-disant travaux scientifiques ? Le fait
nouveau ici est qu’avec le célèbre quatuor qu’on regroupe
sous l’acronyme de GAFA et qui exerce une indiscutable

20
domination dans le monde du numérique, s’il est toujours
question de faire de l’argent en abondance, cela passe aussi
désormais par des astuces techniques permettant d’entrer
dans la vie privée des potentiels clients et acheteurs, à travers
une exploitation à peine cachée de l’intelligence artificielle
logée dans divers objets d’usage quotidien : aspirateurs
intelligents, lave-linge intelligents, micro-ondes intelligents.
Google s’assigne comme mission « l’organisation de
l’information mondiale afin de la rendre universellement
accessible et utile » certes, mais surtout afin de s’en servir
pour dominer le monde ! Ce faisant, Google s’inscrit
parfaitement dans la logique forgée par une oligarchie
occidentale depuis le XVIe siècle et résumée dans cet
aphorisme de l’un de ses promoteurs, Walter Raleigh
affirmant que « qui tient le commerce tient la richesse ; qui
tient la richesse du monde tient le monde lui-même ».14 Telle
semble bel et bien être la principale motivation du groupe
GAFA et en particulier des dirigeants de Google.
Sinon, à quoi d’autre lui servirait l’acquisition de Boston
Dynamics, une entreprise de robotique ayant déjà mis au
point un robot quadrupède appelé Big dog et destiné à
arpenter des champs de guerre, ainsi qu’un robot humanoïde
mesurant deux mètres, affecté à des opérations de recherche
et de sauvetage ? Google détient entre autres enterprises
“ Shoping Express”, “Play”, “Youtube”, “Wallet”, “Smart
Home”. Apple détient “Solar Power”, “Car Play”, “Apple
Play”, “Health Kit”. Quant à Facebook, ‘’WhattsApp’’,
‘’Move’’, ‘’Oculus’’ et ‘’Messenger’’ lui appartiennent,
comme appartiennent à Amazon ‘’Market Place’’, ‘’Cloud
Drive’’ et ‘’Twitch’’. Ce quatuor justifie d’une capacité
financière énorme et connaît une très forte croissance.

14
Rapporté par Emmanuel Roy dans son article Que penser contre le
système, publié sur le site lesakerfrancophone.fr en mars 2017.

21
Mais par rapport à la question du transhumanisme, c’est
Google qui affiche des visées et des prétentions
philosophiques portées par l’un de ses ingénieurs de génie qui
n’est autre que Raymond Kurzweil.

2- Parle-t-on philosophie chez Google ?


Chez Google on ne trouve que des ingénieurs, peut-être
philosophes sur les bords, mais d’abord et essentiellement
des ingénieurs, à l’instar de leur patron Raymond Kuzweil.
En nous posant la question de savoir si on parle philosophie
en parlant de transhumanisme chez Google, nous voulons
identifier les idées produites pour soutenir son projet qui, au
départ, semblait n’ambitionner que de détenir le moteur de
recherche le plus puissant sur Internet. Une première ligne
d’action aura consisté à procéder à la multiplication des
innovations numériques qui sont effectivement devenues très
nombreuses aujourd’hui. Selon Olivier Cimelière dans son
article du n° 1 de L’Info du Business Connecté, La Revue du
Digital On-Line, Google se serait fixé une nouvelle ligne
baptisée « Un Monde meilleur grâce à Google ». Pendant ce
temps, ce qui s’est donné à observer était et demeure, en fait,
que Google communique très peu sur le sujet et le concept du
transhumanisme. Si c’est en 2007 que cette entreprise a
commencé à s’intéresser aux marchés concernant
l’intelligence artificielle, la robotique et la biotechnologie,
avec pour objectif, en ce qui concerne la biotechnologie, de
repousser les maladies et la mort, il est significatif de rappeler
que la Singularity University a été créée en 2008 par Peter
Diamandis, Ray Kurzweil et Salim Ismail. Très peu de temps
après, soit en décembre 2012, Google s’associe les services
de Ray Kurzweil qui ne va pas tarder à animer les recherches
en matière d’Intelligence artificielle, entre autres. Il est
important de mentionner ce qu’écrit Cimelière, l’auteur de
l’article déjà cité, concernant les deux fondateurs de Google,
Larry Page et Sergeï Brin. Le premier aurait souffert de la

22
paralysie partielle des cordes vocales, tandis que le deuxième
fut génétiquement prédisposé à la maladie de Parkinson. Ces
données permettent peut-être de comprendre le fait que
Google se soit engagé à être le plus gros soutien financier de
la Singularity University dont on ne retient plus que le nom
de l’un de ses fondateurs, Ray Kurzweil, recruté par Google
pour animer la recherche nouvelle dans les domaines de
l’Intelligence artificielle, de la robotique et de la
biotechnologie. C’est Kurzweil qui se met donc à promouvoir
une vision futuriste d’un être humain, aux capacités
décuplées grâce à la technologie. Mais, malgré cela, dit
Cimelière, Google est demeuré très peu bavard sur le sujet du
transhumanisme et des projets transhumanistes en tant que
tels.
Pourquoi cela ? Il nous semble que les orientations prises
ne se sont pas désignées ici en termes de doctrine
philosophique cohérente, mais plutôt en termes d’innovations
palpables à produire et de performances concrètes à proposer
à des acheteurs en vue de l’amélioration de leurs conditions
de vie. S’il y a eu une direction principielle à laquelle ces
innovations devaient correspondre, elle se ramenait à la
volonté de vaincre la maladie et de faire en sorte que
l’homme ne soit plus un être imparfait, fragile, faible et
même mortel. Ce sont les idées qui font bouger ceux qui se
nomment « transhumanistes » en Californie et qui s’appellent
Eric Drexler, fondateur du Forsight Institute et pionnier des
nanotechnologies, Ray Kurzweil lui-même, et Marvin
Minsky, spécialistes de l’intelligence artificielle, le roboticien
Hans Moravec et Max More, auteur du titre Principes
extropiens 3.0, une sorte de manifeste de la tendance
extropienne du transhumanisme publié en 200315. Il s’agit de
l’énoncé d’idées directrices pour l’action, telles que la

15
Max More, Principes extropiens 3.0
editions-hache.com/essais/more/more1.html

23
volonté de « progrès perpétuel » en visant plus d’intelligence,
d’efficacité, une « durée de vie indéfinie », la
« transformation de soi » à travers une « augmentation
biologique et neurologique », le développement d’une
« technologie intelligente », la liberté d’action et
d’expérimentation, la promotion d’une « société ouverte » qui
se soustrait à tout « contrôle social et autoritaire » !
Ce sont manifestement des idées pour un programme
d’actions concrètes qui a commencé par la fabrication
d’objets et d’équipements susceptibles d’être vendus et de
contribuer à l’enrichissement des producteurs. Une activité de
recherche scientifique qui s’inscrit dans la logique du
capitalisme technologique, dans la mesure où la
commercialisation de ces produits destinés à améliorer la vie
des acheteurs auxquels on promet une augmentation très
importante de leurs capacités, permet de générer la croissance
après laquelle courent les pouvoirs économiques et
politiques.
De quoi se demander si le miroitement de la victoire sur la
mort auquel procèdent Kurzweil et ses amis n’est pas à
interpréter comme un simple slogan publicitaire ! Cette
vision des choses est partagée par beaucoup de personnes et
notamment par le philosophe et théologien Bertrand Vergeley
qui a déclaré dans une interview à News Letter, sur le site
d’informations Atlantico du 20 février 2015 : « La stratégie
de ces géants est maligne. Que font-ils ? Dans un premier
temps ils font de la com’ (ce que nous, nous venons d’appeler
slogan publicitaire) en faisant rêver les foules : Fin de la
mort, Conquête de mars…. » !
La philosophie dont il est question dans les énoncés
extropiens par exemple, manque parfois de rigueur logique,
quand par exemple elle veut faire tenir ensemble, des
principes tels ceux de « développement constant sur le plan
moral » et de «l’opposition au contrôle social et à l’autorité

24
de l’État », le principe d’augmentation technologique et celui
du « raffinement émotionnel et psychologique » ! Une fois de
plus, nous l’affirmons, c’est le commerce et la vente d’objets
de toutes sortes qui semblent constituer la ligne d’action chez
Google. Car comment comprendre autrement, que pendant
qu’on miroite à l’homme des améliorations de rêve que la
science et la technologie sont capables de lui apporter, on
cherche en même temps à pénétrer malignement dans le foyer
et la vie privée de cet homme, en programmant de lui
proposer des objets domestiques numériques intelligents et
connectés, sous forme de véritables espions ? (micro-ondes
intelligentes, lave-linge intelligents, aspirateurs intelligents,
thermostats intelligents, portables équipés de multiples
applications, etc.). Pourquoi l’entreprise Google veut-elle
entrer dans la vie des gens, capter le maximum
d’informations sur tout le monde, si ce n’est pour mieux
préparer des produits à leur vendre dans la logique d’un
commerce et d’une publicité personnalisés ? En réalité ce qui
est appelé « vie privée » ici, concerne les envies de
consommation des uns et des autres. Autrement dit, ce qui
intéresse Google ce n’est pas de connaître Pierre ou Paul en
tant qu’individus, mais Pierre ou Paul en tant qu’ils sont
passionnés de jogging, par exemple, et qu’on peut leur
proposer une tenue sportive adaptée, tout à fait dans la
logique, non plus d’une publicité de mass media, mais d’une
publicité ciblée !
Une autre nature d’informations ne manquerait pas de se
voir proposer à des services de renseignements des
gouvernements des États dans le monde.
On pourra nous faire observer que ce qui est proposé aux
individus et qui peut englober les habitations elles-mêmes
pour en faire des « maisons intelligentes », ne devrait pas
faire oublier la plus grande pertinence qu’il y aurait à offrir
les mêmes services pour des « villes intelligentes » quand il
s’agit de la gestion dynamique et du contrôle du trafic ou de

25
la sécurité routière, par exemple. Nous répondons que cela est
exact et ne fait que confirmer la place prépondérante des
préoccupations mercantiles chez Google en particulier, le
groupe GAFA en général ; car il s’agit de services à vendre
aux municipalités et aux responsables, étatiques ou privés,
chargés de la sécurité routière ! Au demeurant, le plus
préoccupant ici concerne la violation de la loi « informatique
et libertés » qui aurait déjà fait subir deux condamnations de
Google par la Commission Nationale Informatique et
Libertés (CNIL) tant en Espagne qu’en France.
Parlant des informations sur la vie privée des gens, il y a
encore beaucoup à faire savoir en termes d’intentions
dévoilées par les membres de l’équipe dirigeante de Google.
Dans un récent livre édité chez Plon et publié en janvier
2017, à savoir Dans la Google du loup, la journaliste
Christine Kerdellant reproduit des déclarations stupéfiantes
de quelques responsables et dirigeants de cette entreprise. En
2004, rapporte-t-elle, Larry Page, co-fondateur de Google
aurait déclaré : « Google sera inclus dans le cerveau des gens.
Et quand vous penserez à quelque chose, il vous donnera
automatiquement la réponse ». En 2009, le PDG de Google,
Éric Schmidt, aurait conseillé : « Si vous faites des choses
que vous ne voulez pas que les autres sachent, peut-être
devriez-vous simplement ne pas les faire ». Le même Éric
Schmidt aurait fait savoir en 2010 : « Nous savons où vous
êtes, nous savons où vous étiez, nous savons plus ou moins
ce que vous pensez ». Et voici le summum de l’arrogance,
venant de l’autre co-fondateur de Google, Sergeï Brin, qui, en
2010 aurait aussi asséné : « Nous voulons que Google soit la
troisième moitié de votre cerveau ».16 Devrait-on se remonter
le moral dans le Tiers-Monde et en Afrique en particulier, en
se disant que ce sont les Américains d’abord, les Européens
16
Christine Kerdellant : Citations contenues dans son ouvrage Dans la
Google du loup, Ed. Plon janvier 2017, dès le début de l’introduction en
page 12.

26
ensuite qui seraient les premières victimes de cette violation
outrancière de la vie privée des gens ? Certainement pas, dans
ce contexte de mondialisation qui enrôle tous les coins de la
planète dans le même marché. Est-il possible que de telles
déclarations faites sous forme de menaces aident les victimes
potentielles que nous sommes tous, à organiser notre
protection ? Sous quelle forme si ce n’est par l’impossible
boycott des produits Google ? Dans son livre, Christine
Kerdellant rappelle cette phrase de l’écrivain visionnaire
George Orwell (1903-1950), dans son roman Nineteen
Eighty- Four, traduit en français 1984 : « Imaginez un État
qui vous demande de porter en permanence sur vous une
boîte qui dirait où vous êtes, avec qui vous parlez, quasiment
ce que vous pensez : vous direz que c’est un État totalitaire ».
Quand Georges Orwell écrit cela, Google n’existe pas encore.
Mais voici l’entreprise Google se comportant comme cet État
qu’elle veut être, au service de soi-même et des États qui
demanderaient ses services, sans doute ?

3- On fabrique des « objets- espions intelligents et


connectés »
Pour ne pas nous contenter des généralités sur cette
question, nous allons faire état de quelques objets intelligents
et connectés qui seraient des espions dans nos domiciles ou
entre nos mains. Si Samsung s’est montré relativement
honnête en prévenant les acheteurs de ses « Smart TV » de ce
que ces téléviseurs peuvent enregistrer toutes leurs
conversations et les partager avec d’autres sociétés, il n’en est
pas forcément de même avec d’autres fournisseurs d’objets
intelligents connectés. Les détecteurs de fumée proposés par
la compagnie Nest Lab rachetée par Google sont équipés en
vue de fournir des renseignements sur les aspects
préoccupants de l’état de la maison : des renseignements qui
intéressent les compagnies d’assurances auxquelles on les
vendrait.

27
Google s’est doté d’un système baptisé Brillo Weave
destiné à connecter les objets de la maison. Comme le
système fonctionne avec des terminaux qui ne nécessitent que
30 à 70 mégaoctets de mémoire vive, contre un minimum de
512 Mo pour d’anciennes versions, on va donc voir Brillo
connecter des ampoules, des fours, des serrures des portes et
un certain nombre d’autres objets domestiques dans lesquels
les fabricants vont introduire de l’intelligence artificielle et
qui se font même appeler des « intelligences artificielles » en
tant qu’objets ! Dans la présentation de ce nouveau système
sur leur site, il est dit que tous ces objets de la maison
peuvent être connectés à votre Smartphone de propriétaire de
la maison et que vous pouvez ainsi les piloter à partir de
simples clics sur le téléphone (ouvrir ou fermer des portes à
distance, allumer ou tamiser les lumières du salon,
préchauffer le four avant utilisation, etc. Et que fait donc le
système complémentaire appelé Weave ? Il produit une sorte
de langage universel grâce auquel on fait communiquer les
objets de la maison entre eux. Parmi les exemples donnés par
le vice-président de Google chargé d’Androïd, Sundar Pichaï,
lors de ses interviews pour illustrer cette communication
entre les objets, il y a celui d’une recette de gâteau affichée
sur le Smartphone ; le four connecté va choisir de manière
autonome et intelligente la température adéquate pour la
cuisson. Ou encore, autre exemple : c’est l’hiver, vous voulez
chauffer votre appartement avant de quitter votre lieu de
travail ; que faites-vous ? Votre horloge intelligente et
connectée reçoit l’ordre parti de votre Smartphone et que
reçoit également le thermostat qui se met à préparer le
chauffage de l’appartement. Le système Weave combiné avec
le système Brillo permet ainsi aux objets de la maison de
comprendre leur fonction pour collaborer de manière
autonome et intelligente au bon fonctionnement de la maison,
tel que vous le voulez et qu’il vous satisfait.

28
Un très grand intérêt pour ce qui se passe à l’intérieur des
domiciles anime les entreprises de la GAFA ; en engageant
une concurrence avec Amazon, Google a lancé sur le marché
un produit baptisé « Google Home » (encore appelé Google
Assistant) et qui joue le même rôle qu’« Alexa » d’Amazon.
Apple a suivi avec son Assistant baptisé « Siri », de même
que Microsoft avec « Cortana ». Sont annoncés pour 2017
des Assistants avec lesquels on pourra converser à partir des
Smartphones, chez Huawei, Samsung, avec « Bixby », voire
« Vicky » chez Nokia.
« Google home », « Alexa » et « Siri » se présentent sous
la forme d’un appareil aux dimensions modestes et qui se
place sur une table, voire n’importe où dans la maison. Il est
présenté comme une sorte d’« Assistant » des gens de la
maison qui peuvent se référer à lui vocalement et recevoir des
réponses tout aussi vocales à leurs demandes d’informations.
Toutes sortes d’informations sont données par ces assistants ;
qu’il s’agisse des horaires de vols des compagnies de
navigation aérienne, de l’état des embouteillages sur certains
axes routiers, ou qu’il s’agisse des dernières informations sur
la météo du jour, les cours à la bourse, l’adresse de la
pharmacie la plus proche, son heure de fermeture, voire
ordonner de jouer d’une musique ou d’une chanson
particulières ! L’échange est interactif et « Google Homme »,
tout comme «Alexa » d’Amazon, ou « Siri » d’Apple,
répondent instantanément aux demandes et aux questions qui
leur sont posées ! A partir des Smartphones, comme annoncé
chez Samsung, Huawei, Nokia et Apple, on pourra faire la
même chose. Le produit de Google se connecte avec les
appareils intelligents comme ceux de la série des produits
Nest, pour régler la température ou contrôler les lumières. Il
peut pénétrer dans le Smartphone appareillé en vue d’envoyer
des messages, ou de rappeler une course à faire.
On peut imaginer aisément qu’à partir du moment où ces
« assistants personnels » reçoivent vos demandes diverses,

29
soit de jeux, soit de musique à jouer, soit de programmation
des courses dans les magasins, vos habitudes diverses comme
vos goûts ne peuvent pas être connus pour être oubliés et
abandonnés, mais qu’au contraire ils sont bien enregistrés
dans une sorte de banque de données personnelles des gens
de la maison auxquelles toutes sortes de propositions d’achat
des biens et des équipements peuvent être faites de manière
ciblée, par des vendeurs les ayant eux-mêmes achetés auprès
de Google, Amazon, Apple, Samsung, Microsoft, ce qui se
fait appeler les Big Data !
Il faudrait que toutes ces entreprises du web fassent
comme l’a fait Samsung qui a prévenu ses consommateurs de
l’exploitation éventuelle des informations relatives à leurs
habitudes, bref à leurs vies privées. Et s’il faut faire une place
à part pour Google dans cette réflexion, c’est avec raison :
Google veut être considéré comme une entreprise qui nourrit
de grandes ambitions pour l’humanité, en bonne compagnie
des philosophes du mouvement transhumaniste ! Cette
entreprise ne saurait par conséquent pas se laisser aller à
donner de son action et de ses projets l’image d’un groupe
essentiellement mû par l’amour du gain et de la richesse,
caractéristique du capitalisme et de l’ultra libéralisme
américain. Un peu plus loin, dans ce travail, nous
considèrerons la place des philosophes tels que Nick Böstrom
le Suédois et David Pearce, le Britannique, ainsi que celle des
scientifiques et hommes de laboratoire qui alimentent et les
projets commerciaux des uns, et le rêve d’une vie
éternellement belle des autres, dans cette entreprise cherchant
à affirmer une certaine noblesse des ambitions affichées.
Mais auparavant, il importe que nous jetions un coup d’œil
attentif sur une autre catégorie d’objets intelligents connectés
dont le rôle est ambivalent ; il s’agit d’objets qualifiés comme
étant des objets-espions par leurs propres producteurs. Ici,
rien de caché à l’acheteur en matière d’exploitation aux
dépens des autres. Ce sont les « exploitables » éventuels qu’il

30
s’agit de prévenir. Nous pensons notamment aux objets
intelligents et connectés tels que les « stylos espions », les
« porte-clés-camera espion », la CLE USB4Go –Dictaphone
espion, le Traceur GPS espion de surveillance, des lunettes
cameras espions, etc. Au dernier Salon International de
l’électronique à Las Vegas, les objets-espions-intelligents et
connectés auront encore été les rois, comme c’est le cas
depuis plusieurs années déjà.17
Si on peut comprendre et admettre que les services
officiels dévoués à la cause de l’intérêt général quand il s’agit
par exemple de pister des malfaiteurs utilisent ces objets-
espions dans le cadre de leur travail, comment vous laisser
espionner par des vendeurs d’informations ou des personnes
mal intentionnées à votre égard, vous enregistrant
copieusement et plus ou moins à votre insu, pendant vos
échanges conversationnels ? De deux choses l’une, ou de
telles personnes sont des « indics » qui collaborent avec la
police ou avec des services de renseignements, ou alors il
s’agit de maîtres chanteurs potentiels, en tout état de cause de
faux amis dont nous ignorions les activités secrètes. Le climat
que créé la multiplication de tels objets connectés espions
dans la société moderne de l’information devrait rendre
chaque personne plus vigilante et plus éveillée devant cette
réalité.
Christine Kerdellant attire l’attention de tous sur
l’immixtion de Google dans cette autre dimension de la vie
privée des gens que représente le domaine de leur santé. Elle
résume bien cette situation quand elle écrit : « L’idée que
Google puisse connaître la structure de milliers de corps
17
Brosse à dent connectée pour mieux analyser les zones demandant plus
d’efforts de brossage, Bracelet permettant de mesurer de manière
automatique le taux de glucose pour les diabétiques, Chaussures
connectés permettant de connaître le nombre de pas effectués et le
nombre de calories brûlées ; appareils électroménagers répondant à des
commandes vocales (lave-linge, aspirateurs, réfrigérateurs, TV, etc.).

31
humains – jusqu’aux molécules dans leurs cellules – soulève
une nouvelle fois la question de la vie privée et des libertés
individuelles. Il n’y a pas que les assureurs qui s’intéressent
aux « data », et qui souhaitent opérer un tri entre les « bons »
et les « mauvais » risques : quid des recruteurs potentiels, des
banquiers, ou – même si c’est plus anecdotique – des
candidats au mariage qui estiment légitime d’en savoir plus
sur le futur père ou la future mère de leur enfant ? Ils ont
envie de savoir, c’est bien naturel, si leur bébé peut être
atteint de mucoviscidose ou de nanisme. Bien sûr, dans un
premier temps, Google ne sera pas autorisé à utiliser comme
bon lui semble les données recueillies. Mais dans un
second ? »18

4- Le bien-fondé de la recherche du progrès dans la


satisfaction des « besoins du nécessaire »
Notre propos concerne principalement les annonces du
mouvement transhumaniste dans leur rapport avec le motif
qui l’a fait naître, à savoir la convergence des progrès réalisés
par les chercheurs scientifiques dans les domaines clefs que
sont les Nanotechnologies, les Biotechnologies, l’Intelligence
artificielle et les Sciences cognitives (NBIC). Les résultats
des recherches obtenus dans ces disciplines ont déjà permis
de leur côté, de produire des objets, peut-être intelligents
parfois, mais pas nécessairement connectés à des sous-
réseaux d’Internet. La plupart de ces objets sont utilisés dans
le domaine de la médecine et selon la logique de ce que ce
mouvement philosophico-scientifique appelle la
« réparation ». Nous pensons à toutes ces greffes, ces
prothèses, ces électrodes et autres implants ; nous pensons
aux puces électroniques et à ces nano- robots qui sont parfois
introduits dans le corps des hommes pour pallier telle ou telle

18
Christine Kerdellant, Op.cit., p. 111.

32
insuffisance, voire pour renseigner sur le métabolisme en
cours.
Mais les progrès les plus significatifs découlent des
résultats du séquençage du génome humain qui ont fait naître
ce qui se fait appeler « ingénierie tissulaire », « ingénierie et
thérapie génique », voire « ingénierie génétique », par
lesquels peuvent se pratiquer aujourd’hui, et la
reprogrammation des cellules afin d’écarter certaines
maladies, et le blocage indéfini des processus de
vieillissement grâce à la stimulation des mécanismes de
régénération et de rajeunissement des tissus.
Le lecteur pourrait ici, nous poser la question suivante : La
mise en relief des intérêts financiers et commerciaux qui
seuls motiveraient en réalité les actions qu’entreprennent les
ingénieurs et les patrons de GAFA, et en particulier de
Google, sous-entendrait-elle de notre part qu’il existerait ou
qu’il devrait exister une autre perception de « l’esprit
d’invention » derrière la convergence des NBIC ? Nous
sommes revenu à la pensée d’Henri Bergson en faisant
référence de nouveau à « l’esprit d’invention ». A ce sujet,
Bergson a écrit : « la vérité est que la science a donné ce
qu’on lui demandait et qu’elle n’a pas pris l’initiative ; c’est
l’esprit d’invention qui ne s’est pas toujours exercé au mieux
des intérêts de l’humanité » ; et Bergson poursuit : « Il a créé
une foule de besoins nouveaux ; … Plus simplement : sans
négliger le nécessaire, il a trop pensé au superflu ».19 Dans
ce superflu, Bergson semble inclure ce qu’il a appelé
« besoins artificiels » et « besoins de luxe ». Et à nous de dire
en guise d’interprétation, que le nécessaire serait lié à ce qui
irait dans le sens du progrès concernant l’ensemble de
l’humanité, tandis que le superflu, le luxe et la vanité, iraient
dans le sens de la satisfaction des intérêts individuels et
personnels, tels qu’ils apparaissent dans la soif

19
Henri Bergson, Op.cit p. 1235.

33
d’enrichissement et du pouvoir de domination et de contrôle
du monde.
Mais précisément, pourrait-on encore nous demander : si
la science et la recherche scientifique mettent l’accent sur ‘’le
nécessaire’’ comportant en soi un minimum de progrès dans
l’amélioration des conditions de vie de l’homme dans la
société d’aujourd’hui, tout comme dans celle d’hier, ce
nécessaire qui devrait profiter à tout le monde le serait-il
gratuitement ? Autrement dit, ne retrouve-t-on pas la
préoccupation d’argent au commencement, comme à la fin ?
Autrement dit encore, s’il faut bien investir dans la recherche
des montants d’argent qui sortent de quelque part n’est- il pas
aussi tout à fait naturel que ces investissements soient
rentabilisés à travers la valorisation industrielle des résultats
de la recherche ? Deux autres questions se posent à ce niveau
de notre raisonnement : la première est celle-ci : Le progrès
ne devrait-il concerner que les besoins du nécessaire à
l’exclusion des besoins dits artificiels, de luxe et donnant
satisfaction à la vanité des hommes ? La seconde question
serait celle-ci : Les recherches, telles que celles menées
depuis un certain temps par les NBIC auraient-elles dû
être non seulement financées par des fonds privés, mais
aussi décidées et programmées par des entreprises
privées ?
Nous allons examiner ces deux questions, l’une après
l’autre ? Et d’abord la première : Le progrès que la science
promeut ne devrait-il s’occuper que de la satisfaction des
besoins de ce qui est nécessaire, voire essentiel ? Pour
répondre à cette question, nous allons procéder de manière
empirique en passant en revue quelques performances des
NBIC pour décider si elles répondent ou non à la satisfaction
des besoins du nécessaire ou plutôt à la satisfaction des
besoins du superflu.

34
Il va sans dire que le « transhumanisme thérapeutique »
s’attaque à du nécessaire et non à du superflu. La maladie est
faite pour être remédiée ; et les avancées déjà enregistrées
dans le domaine de la techno- médecine sont profitables à
tous les hommes. Les innovations en techno- médecine qui
viennent à l’appui du renforcement des capacités des
médecins à guérir et à soulager les souffrances physiques des
hommes n’ont même pas besoin de revêtir l’étiquette
« transhumaniste » pour être considérées comme répondant à
des besoins de ce qui est nécessaire et suffisant pour soutenir
l’esprit d’invention. Lorsque les membres d’une équipe
italienne, au début des années 2000 réussissent le « traitement
extracorporel du cancer du foie », ils contribuent à redonner
un grand espoir, non uniquement aux malades existants, mais
à tous les malades potentiels, bref à l’humanité. En quoi a
consisté cette méthode baptisée TAORMINA ? Il s’est agi de
retirer l’organe malade du corps du patient pour le soumettre
à des irradiations de radiothérapie pour ensuite le ré-
implanter dans le corps du malade. Le traitement
extracorporel du foie a présenté l’avantage de pouvoir
administrer de fortes doses de radiations aux différentes
tumeurs disséminées sur le foie malade, sans aucun risque
d’affecter d’autres organes environnants. Le malade à qui on
ne donnait plus que quatre mois à vivre avant ce traitement,
s’est trouvé en train de vivre bien au-delà de ce pronostic. Un
grand espoir était né de voir s’étendre ce traitement
extracorporel à d’autres organes atteints du cancer tels que les
reins, le pancréas, les poumons.
Contre la maladie de Parkinson le grand espoir est venu de
la mise au point des techniques de stimulation cérébrale
profonde qui permet d’agir sur les tremblements, la raideur et
la difficulté de contrôler les mouvements. La technique
consiste en l’implantation d’électrodes au niveau d’une
région du cerveau située sous le thalamus, à savoir le noyau
sub-thalamique. Ces électrodes sont reliées par un câble sous-

35
cutané à un petit boîtier de stimulation placé sous la
clavicule.
De même, pour sauver un cœur victime d’insuffisance
après une crise d’infarctus, par exemple, une nouvelle
méthode permettant de meilleurs résultats que les traitements
médicamenteux qui aidaient à limiter les troubles et à
prévenir les complications a été mise au point : elle consiste à
prélever des cellules souches musculaires de la cuisse du
malade, les mettre en culture pour obtenir de nombreuses
autres cellules en quelques semaines, bonnes à être greffées
dans le cœur du malade. Les résultats auraient été surprenants
d’efficacité la première fois que l’expérience a été tentée : la
partie du cœur qui était endommagée se serait remise à
fonctionner.
Nous nous limitons à ces trois illustrations qui permettent
d’affirmer que le transhumanisme n’est pas concerné quand il
s’agit des perfectionnements dans la pratique thérapeutique
qui est celle de la guérison des maladies et autres
dysfonctionnements des organes de notre corps. Nous en
sommes encore à chercher des réponses à la satisfaction des
besoins du nécessaire, en l’occurrence ici, le besoin de bonne
santé, le besoin d’harmonie dans le fonctionnement du corps
et de l’esprit. La terminologie mise à jour par les théoriciens
du transhumanisme a privilégié le concept de « réparation »
qui renvoie à celui de guérison et qui suppose qu’on traite
d’une réalité bien définie et scientifiquement descriptible, à
savoir la réalité humaine. On ne traite et ne parle ici que du
biologique, l’homme biologique, l’homme naturel.
Considérons à présent la deuxième partie de la première
question soulevée plus haut et qui a consisté à nous demander
si le progrès dans les affaires des hommes que nous sommes,
ne devrait concerner ou ne se situer que sur la seule ligne de
satisfaction des besoins du nécessaire, à l’exclusion des
besoins de luxe, voire du superflu ?

36
La première chose à dire ici est que le superflu et le luxe
ne peuvent pas être appréciés de manière objective et
universelle. Ce qui peut sembler relever du luxe à Pierre
pourrait être considéré comme nécessaire par Paul. Mais,
s’agissant des valeurs, des idéaux et des objectifs proposés
par le mouvement transhumaniste, nous allons, une fois de
plus procéder de manière empirique en examinant quelques
annonces et propositions des adeptes du transhumanisme.
1- Redonner la vue à des aveugles par des implants
rétiniens qui envoient des signaux visuels dans le nerf
optique ou dans le cortex visuel ou tout autre procédé
consiste à satisfaire un besoin de ce qui est nécessaire. Mais
quand on met au point des implants qui permettent à l’être
humain de se donner la vue d’un chat la nuit, a-t-on affaire à
la satisfaction d’un besoin de ce qui est nécessaire ? Il est
bien connu de tous que la nuit, le chat a une vision cinq fois
supérieure à celle de l’homme. Mais l’homme a-t-il
réellement besoin de se doter d’une capacité de chasser les
ténèbres de la nuit en simplement ouvrant ses yeux ? Lui qui
a inventé plusieurs moyens d’éclairage dont l’éclairage
électrique notamment ? Ceux qui font le métier de « gardiens
de nuit » et qui se servent des torches et des lampes-torches
dont on peut choisir à volonté la puissance, ont-ils besoin
d’une vue perçante qui n’irait pas sans ses contre-parties
d’une vision ne distinguant pas toutes les couleurs chez le
chat, notamment, dit-on, le vert et le rouge ? Même si la
technoscience peut permettre à l’homme de cumuler les
avantages de la vision humaine et ceux de la vision de chat la
nuit, pense-t-on aux conséquences qui pourraient en découler
quant au rythme circadien ?
2- De même, fabriquer des lentilles de contact, voire une
prothèse rétinienne qui permettent à l’homme d’éloigner ou
de rapprocher des images d’objets regardés, autrement dit de
« zoomer », relève-t-il de la satisfaction d’un besoin de ce qui
est nécessaire ou plutôt d’un besoin du superflu ? Les gadgets

37
sont faits pour être exploités à loisir, en tant qu’objets séparés
de nous, donc pas tout le temps. Mais que ne provoquerait-il
pas comme changement dans le comportement de l’homme,
le fait d’incorporer un gadget dans le corps de l’homme ? On
n’a pas besoin dans l’activité quotidienne de s’amuser à
éloigner ou à rapprocher les scènes, les personnes, les
spectacles qu’on regarde ; encore que des lunettes spéciales
appelées « jumelles » existent et ont permis de regarder de
loin un match de boxe, de football ou autres scènes dans
lesquelles le spectateur veut isoler un élément pour le voir
plus grand ou plus rapproché. Mais on n’éprouve pas le
besoin de se munir de ses « jumelles en permanence » comme
le serait l’implantation d’un équipement permanent dans les
yeux et qui conditionnerait en conséquence le comportement
de l’utilisateur !
3- Nous dirons la même chose de l’équipement en
implants ou électrodes permettant à l’être humain qui n’est
pas un sourd, de s’offrir la possibilité d’entendre
distinctement ce qui se dit à plusieurs kilomètres du lieu où il
se trouve. S’agirait-il d’un équipement pour des agents
secrets et pour toutes personnes exerçant la profession de
détective privé ? Voilà une invention qui permettrait encore à
ses fabricants de faire de bonnes affaires auprès des services
et des personnalités dont la sécurité nécessite un budget
conséquent et une préoccupation constante. Encore que,
comme pour les yeux et la vision nocturne qui est résolue par
l’existence des torches et des lampes-torches, ici aussi, pour
l’ouïe et sa suppléance, l’homme a déjà inventé des
dispositifs de sécurité adéquats, des écoutes ultra-sensibles
qui permettent de détecter autour d’une personnalité très
sensible comme le sont les chefs d’État, des murmures ou des
conversations de personnes dans la foule, nourrissant de
mauvaises intentions.
Car en dehors de ces situations exceptionnelles, dans sa
vie de tous les jours, l’homme social ne peut pas se mettre à

38
espionner à la ronde et à développer une curiosité inutile et
mal placée. Voilà une invention qui serait susceptible de
créer des comportements anti-sociaux et qui, lorsque
découverts, isoleraient ceux qui les pratiquent et se rendent
suspects aux yeux de tous dans leurs milieux.
La seule existence d’une telle possibilité d’écoute
lointaine serait susceptible d’encourager et de créer des
mentalités et des attitudes entretenant le goût indécent pour le
voyeurisme chez les gens !
Nous venons de l’écrire, l’appréciation de ce qui est
superflu et de ce qui relève du luxe doit être laissée à la
liberté de chacun ; et ce qui doit servir de critère
indiscutablement objectif et universellement humain dans les
considérations qui vont nous occuper tout au long de ces
réflexions sur le transhumanisme, c’est le souci de
sauvegarder ce qui constitue l’humanité des êtres humains.
Autrement dit, ce qui concerne la commune appartenance à
l’espèce humaine qui doit être telle que l’esprit d’invention et
les avancées à enregistrer dans la recherche scientifique et
technique n’aboutissent pas à créer deux, voire plusieurs
sortes d’espèces humaines, entraînant qu’un jour sur Terre,
les hommes se structurent, non même pas en classes sociales,
parce que les classes sociales sont faites d’hommes
appartenant tous à la même espèce humaine et justifiant de la
même qualité d’êtres humains, mais en différentes espèces
d’hommes ! En espèces humaines différentes, si on peut
encore parler d’êtres humains !

5- L’illusion du progrès dans la recherche de


satisfaction des besoins de « luxe du superflu »
Considérons à présent, sous la même préoccupation, la
satisfaction des besoins de luxe qu’Henri Bergson appelle
aussi besoins artificiels ; le progrès qui est recherché à travers
l’invention scientifique, devrait-il, oui ou non se chercher

39
également dans la direction de la satisfaction des besoins de
luxe ?
Dans notre Essai sur la signification humaine du
développement intitulé De la médiocrité à l’excellence, nous
écrivions ceci : « Le luxe véritablement humain est celui de la
qualité ; car le problème du bien-être et du bonheur concerne,
non pas le simple fait mais la manière, bonne ou mauvaise,
humaine ou bestiale, libre ou soumise, d’exister »20 ; et nous
poursuivions plus loin dans la même page : « Par conséquent,
la recherche de la qualité ne serait un luxe que pour un point
de vue de sous-homme pour qui la victoire quotidienne sur la
mort, la sécurité élémentaire sont les seuls et vrais soucis »21.
Nous nous situons au niveau du destin commun de
l’humanité pour envisager cette question du besoin de luxe. Il
est bien vrai que le luxe ne profite pas à une abstraction qui
s’appelle l’humanité, mais à des hommes de chair et d’os. Le
luxe habite ou n’habite pas l’esprit de l’homme, le sujet
individuel Pierre ou Paul. Le chercheur scientifique n’attend
pas nécessairement recevoir la commande d’un sponsor ou
d’un industriel, d’un État ou d’une entreprise comme Google
pour engager une recherche sur le sentier du désir de luxe. Il
pense aussi à lui-même en tant qu’éventuel bénéficiaire des
résultats de sa recherche. A son niveau personnel et
individuel, il sait que la satisfaction des besoins
fondamentaux qui sont ceux que Bergson appelle « besoins
nécessaires » a connu plusieurs degrés à diverses étapes de sa
carrière et de son parcours vital. Les satisfactions successives
du même « besoin nécessaire » ou fondamental se font par
degrés, jusqu’au seuil critique du luxe. Si l’appréciation d’un
luxe peut être relative, le souci ou la recherche du luxe en lui-
même est ce qui nous a fait écrire que « le luxe véritablement

20
Njoh Mouelle, De la médiocrité à l’excellence, Essai sur la
signification humaine du développement, Ed. CLE, Yaoundé, 3è édition,
1998, p. 80.
21
Ibid.

40
humain est celui de la qualité » et nous précisons de la bonne
qualité.
Il va sans dire que le « luxe de la qualité » est recherché
dans les limites et le cadre du « vivre homme » et non du
« vivre simplement biologique ». Un « vivre homme » que
nous avons aussi considéré comme étant le « luxe
nécessaire », voire le « luxe essentiel »22, objet d’une quête
de la « sécurité-accomplissement et conservation de
l’humain », à distinguer de la simple « sécurité-conservation
de la vie », biologiquement parlant !23
Le besoin de luxe s’inscrit donc parfaitement dans la
logique de la réalisation du progrès concernant la « sécurité –
accomplissement-et-conservation de l’humain ». Ce concept
nous guide dans l’appréciation des innovations scientifiques
que le transhumanisme propose à l’adoption des hommes. En
considérant certaines de ces innovations, il va nous être
possible de dire lesquelles contribuent à la consolidation de la
« sécurité-accomplissement-et-conservation de l’humain » et
lesquelles apparaissent plutôt comme l’expression des
« besoins de luxe » au sens de besoins superflus et par
conséquent inutiles, voire contraires à cet objectif de la
construction d’une « sécurité-accomplissement-et-
conservation de l’humain ».
Depuis la réalisation du séquençage du génome humain,
les biotechnologies ont pris un fantastique essor que
récupèrent les doctrinaires du transhumanisme empressés de
vanter les performances obtenues dans l’ingénierie génique,
l’ingénierie tissulaire et l’ingénierie génétique. Il n’y a pas
que les biotechnologies qui se soient développées, il y a eu
aussi et fondamentalement les nanotechnologies, très utiles
dans la réalisation des performances des biotechniciens ; elles

22
Id. p. 81
23
Ibid.

41
qui travaillent sur des molécules et leurs composés, les
séparant, les recomposant en d’autres molécules, nanties
d’instruments de précision tels que le microscope à effet
tunnel.
Par l’ingénierie tissulaire, les biotechniciens peuvent
réussir trois types d’opérations : 1- Reprogrammer des
cellules des individus en vue d’empêcher certaines maladies
de se produire ; 2- A partir des cellules embryonnaires,
réparer des cellules endommagées, par exemple chez les
accidentés de la route, les malades de cancer ou d’autres
malades encore, tels les diabétiques ; 3- Bloquer les
processus de vieillissement tout en stimulant les mécanismes
de régénération des tissus.
Ne voilà-t-il pas des annonces enchanteresses pour
l’homme demeuré homme, c’est-à-dire l’homme préoccupé
de sa « sécurité-accomplissement-et-conservation de
l’humain » ? Oui, pour l’élimination des cellules porteuses de
maladies. Vouloir demeurer l’humain très humain n’est pas
contrarié par toute action visant à réduire la fréquence des
dysfonctionnements physiologiques et métaboliques ; au
contraire la sécurité ainsi acquise permet à chacun de
s’occuper de son esprit en développant l’étendue de ses
connaissances sans oublier de profiter des meilleurs échanges
avec ses semblables.
Que dire de l’action qui consisterait à bloquer les
processus de vieillissement tout en stimulant les mécanismes
de régénération des tissus ? Voici une opération qu’il faut
placer dans le cadre des actions visant à prolonger
l’espérance de vie qui a déjà connu une très significative
amélioration, y compris dans les pays en voie de
développement et pauvres tels que les pays africains. En
Europe, elle est passée de 25 ans au milieu du XVIIIe siècle à
80 ans de nos jours. En Afrique sub-saharienne l’espérance
de vie au début des années 1950 se situait à 36,2 ans ; elle est

42
passée à 52,9 en 2010, soit une amélioration de plus de 16
ans en 60 ans. Cette performance aura été réalisée dans le
monde entier grâce au progrès de la médecine, d’une manière
générale. Si les biotechnologies et les nanotechnologies
doivent entrer dans la danse pour améliorer encore de
manière significative cette espérance de vie qui demeure dans
le cadre de l’organisation de la « sécurité-accomplissement-
et-conservation de l’humain », autrement dit, dans le cadre du
déploiement de la perfectibilité de l’homme telle que cette
idée avait été développée par J. J. Rousseau, qui ne s’en
réjouirait pas ?
Par contre, lorsque les biotechnologues et les
nanotechniciens envisagent la fusion de l’homme et de la
machine par le procédé de « téléversement de la conscience
dans la réalité virtuelle », ils se donnent comme objectif et
visée plus ou moins lointaine, l’allongement indéfini et
interminable de la durée de vie humaine, ce qui a inspiré à
l’urologue et chirurgien français Laurent Alexandre le titre de
son ouvrage « La mort de la mort ». Comment entendent-ils
procéder pour ce téléversement de la conscience dans
l’espace virtuel » ? Il s’agirait d’opération individu par
individu : on scanne la matrice synaptique du cerveau de
l’homme, Pierre ou Paul ; on simule cette matrice sur un
ordinateur. Par cette méthode, il s’agirait de faire migrer
l’homme de son enveloppe biologique vers un univers
totalement digital.
Notre propos ici ne consiste pas à entrer dans les détails de
ce procédé extrême, encore qu’il en existe un autre qui passe
par la mise au point d’une technologie qui permettrait de
construire des neuro-prothèses grâce auxquelles l’homme
ainsi équipé pourrait littéralement se brancher à loisir sur un
cyber-espace, sans qu’il soit encore nécessaire de disposer
d’un clavier, le cyborg parfait !

43
Dans cette mouvance, ce n’est plus la notion
d’ ‘‘espérance de vie’’ qui guide les chercheurs, mais
l’objectif de permettre à l’homme de vivre une vie éternelle !
Mais précisément, selon le critère que nous avons posé, à
savoir l’idéal d’une « sécurité-accomplissement-et-
conservation de l’humain », face à une réalité d’homme qui
s’appelle l’hybride homme-machine, nous tirons la sonnette
d’alarme pour dire que l’objectif de sauvegarder l’humain
dans tout programme d’accomplissement de soi semble
clairement abandonné. Le fait est clair en lui-même puisque
les termes utilisés parlent de « l’immortalité du transhumain
ou du posthumain » et non plus de l’humain.
Il apparaît de manière claire que nous avons affaire ici à
l’expression d’un besoin de luxe du superflu et dont on peut
dire que le philosophe français Henri Bergson avait perçu le
danger par anticipation, quand il réclamait un supplément
d’âme pour un corps immensément grossi ! Nous allons y
revenir de manière plus attentive plus loin.
Considérons à présent la seconde préoccupation dans
l’orientation de nos réflexions, telle que nous l’avons
exprimée ci-dessus, à savoir : les recherches menées en
nanotechnologies, biotechnologie, intelligence artificielle
et sciences cognitives (NBIC) auraient-elles dû être
décidées par des entreprises privées et financées par
elles ?

6- L’initiative et le financement des recherches en


NBIC
On devine aisément la considération qui nous pousse à
formuler cette préoccupation. En effet, étant donné que les
entreprises privées ne se soucient en premier lieu que de la
rentabilité de leurs investissements et que le client peut être à
leur merci, ne faudrait-il pas que les gouvernements des Etats
auxquels incombe la mission officielle de veiller sur les

44
intérêts des populations, aient un droit de regard sur les
recherches qui engagent l’avenir de l’humanité ? En ne
pensant qu’aux seuls gouvernements des États, ne resterions-
nous pas en-deçà du niveau auquel il faudrait situer le
règlement de cette question, à savoir le niveau mondial
représenté par l’Organisation des Nations Unies et ses
démembrements ? S’il n’a pas été possible à la société privée
Celera Genomics24 de stocker les résultats de son travail afin
d’en soumettre la consultation à un paiement des plus forts,
ce fut parce qu’elle a été prise de court par les équipes du
consortium public qui a vite fait de mettre la séquence en
libre accès sur Internet, avant même qu’elle ne soit complète.
Il ne pouvait pas être question pour le consortium public dont
les travaux ont été financés par des fonds publics d’envisager
un quelconque paiement par les populations, de l’exploitation
des résultats.
Il n’empêche que c’est à partir des résultats de ce
séquençage qu’on a vu s’ouvrir la voie de toutes les
manipulations génétiques donnant lieu aujourd’hui au
séquençage individualisé et à toutes les ingénieries mises au
point par des biotechnologues et en dehors de toute régulation
qui fasse autorité.
Les géants de l’Internet que sont les entreprises GAFA ne
savent plus limiter leur voracité financière, eux qui vont
jusqu’à exercer une menace sur les banques commerciales et
les compagnies d’assurances, en faisant mine de pénétrer
bientôt dans leurs secteurs respectifs par l’effectuation des
paiements et même des transferts d’argent. A ce sujet,
Philippe Mutrici a déclaré dans le Journal On Line Les
Echos.fr du 22 juin 2016 que « les GAFA qui ont déjà pris
cinq à dix ans d’avance sur le reste de l’économie en matière

24
Celera Genomics est une entreprise privée créée en 1998 par PE
Corporation et Craig Venter dans le but de générer et de commercialiser
des informations génétiques

45
de collecte de données… pourraient en effet arriver demain
dans les services bancaires ou dans tout autre secteur
d’activités ». Dans la même édition du 22 juin 2016, Thomas
Buberl déclare que « demain, Apple pourrait tout-à-fait
vendre l’assurance-santé ».
Nous évoquons ces informations et cette réalité pour
continuer de justifier l’inquiétude éprouvée devant
l’exploitation sans vergogne du marché ouvert à toutes les
nouvelles ingénieries (tissulaire, génique, génétique et de
fabrication des prothèses de toutes sortes). Il est vrai que la
baisse du coût du séquençage de l’ADN est régulièrement
annoncée. C’est ainsi que le 7 décembre 2015, on apprenait
que le prix du séquençage avait baissé d’un tiers en valeur
relative. Mais quid de la valeur absolue qui elle, se doit d’être
rapportée aux divers environnements économiques ?
En suivant cette logique, il y a lieu de se réjouir de la
décision de couper le financement d’une recherche de
« super-virus » prise par le gouvernement fédéral des États-
Unis en octobre 201425. Les chercheurs devaient-ils se livrer
à des études visant à créer des « virus mutants mortels » ?
Evidemment, le « contingent de scientifiques » concernés a
prétendu qu’il n’avait jamais été question de mettre à jour un
virus destiné à décimer l’humanité mais, ont-ils expliqué,
d’anticiper sur de futures et hypothétiques mutations ! Ces
recherches présentaient d’énormes risques de voir des virus
dangereux échapper à la sécurité des laboratoires. Le
gouvernement américain serait allé plus loin en prescrivant
l’arrêt de toutes ces recherches, quels que furent les
organismes qui les finançaient. Cette mesure a eu à affecter
trois études : celles menées sur la grippe, sur le SRAS
(Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) dont l’épidémie partit
de Chine en 2002 avant d’éclater au niveau mondial en

25
Référence fr.ubergizmo.com, Lire aussi l’interview de Francis Boyle :
www.wikistrike.com/2014/10/francis-boyle-les-laboratoires-us

46
2003.), le MERS (Syndrome Respiratoire du Moyen Orient,
une maladie respiratoire virale également détectée pour la
première fois en 2012 en Arabie Saoudite). L’article qui a
donné cette information sur Internet se termine par cette
réflexion qui va dans le sens souhaité ici : « C’est
effectivement une solution pour éviter les scénarios
catastrophes, si tant est que le monde entier stoppe ces
recherches, ce qui n’est évidemment pas le cas. Dans une
interview commune donnée à News Letter dans le site
d’information Atlantico » le 20 février 2016, Bertrand
Vergeley et Laurent Alexandre26 reconnaissent et affirment la
menace que des entreprises comme Google et Apple font
peser sur le pouvoir des États. Certaines activités stratégiques
qui, jusqu’à présent étaient contrôlées par les États sont en
train de leur échapper sans qu’on y fasse grande attention.
Selon Laurent Alexandre, si Elon Musk (de Tesla) s’apprête à
s’élancer dans l’exploitation spatiale en visant la colonisation
de Mars, certaines autres sociétés de la Silicon Valley
s’intéressent, de leur côté, à la fusion nucléaire. Et il conclut :
« Les entreprises du numérique sont allées plus vite que les
États pour comprendre l’évolution technologique. Les États
doivent tenter maintenant de les réguler ». Laurent Alexandre
reconnaît toutefois que « la régulation des GAFA va être
compliquée. Ils sont puissants et disposent de nombreux
lobbyistes. Par ailleurs, leur puissance est un atout essentiel
pour l’Amérique dans la future rivalité technologique et
stratégique avec la Chine. Les USA préfèrent les réguler peu,
plutôt que de les affaiblir au risque que les géants chinois du
numérique ne deviennent leader, par exemple, dans le
domaine de l’intelligence artificielle ». De son côté, Bertrand

26
Bertrand Vergeley : Philosophe et théologien, Auteur entre autres titres
de La mort interdite, J.C. Lattès 2001, et La tentation de l’Homme Dieu,
Ed. Le Passeur, 2015. Laurent Alexandre : Chirurgien, Urologue,
Fondateur de Doctissimo, Auteur, entre autres, de La mort de la mort,
Ed., J.C. Lattès, Paris, 2011.

47
Vergeley fournit de très intéressantes analyses que nous ne
résistons pas à citer un peu longuement. Il déclare en effet
ceci : « Il faut être clair : il n’y aura jamais de relation d’égal
à égal entre des géants mondiaux de l’entreprise et les
États… Il n’y aura jamais de liberté totale des grandes
entreprises à l’égard des États. Cette liberté totale n’est pas
dans leur intérêt. Les géants de l’entreprise ont besoin d’une
adresse et de ce fait, d’une nationalité. Ils ont besoin
d’apparaître comme fréquentables en ayant une image leur
donnant une visibilité sociale acceptable » ; et Bertrand
Vergeley de poursuivre : « Ils seront de ce fait d’autant plus
puissants qu’ils se garderont de jouer la carte de la toute-
puissance en effrayant le monde. En conséquence de quoi,
dans la mise en place de leur hyper pouvoir, il n’y aura
aucune bonne nouvelle pour les individus qui seront et
resteront avant tout des consommateurs dont les géants de
l’entreprise attendront qu’ils consomment en dépensant un
maximum d’argent afin d’augmenter encore leur trésorerie ».
Ce que dit Bertrand Vergeley dans cette interview nous paraît
mériter d’être pris très au sérieux parce que préoccupant en
même temps ; c’est pourquoi nous continuons de le citer dans
le passage qui suit : « Grâce à cela, en prêtant de l’argent aux
États afin qu’ils financent l’aide sociale, ces géants feront ce
qu’ils veulent, sans que cela se sache. Ils feront croire aux
individus qu’ils sont libres en leur permettant de jouer à la
démocratie à travers une démocratie digitale mondialisée qui
donnera à ces mêmes individus l’impression qu’ils ont du
pouvoir ainsi qu’un impact sur le monde. Ils n’en auront en
réalité aucun, sauf pour des choses qui ne coûtent pas cher
comme créer toutes sortes de buzz. ».
Comment intégrer ces analyses dont certains aspects
ressemblent à des informations -renseignements. Et tout
d’abord, en parlant des États dans leurs rapports avec les
géants de l’entreprise, nous nous rendons compte qu’il s’agit
plus exactement des États-Unis d’Amérique, étant donné que

48
le développement de la recherche NBIC est cantonné
principalement sur la côte Pacifique des États-Unis, la Silicon
Valley qui regarde le côté asiatique où se trouvent ses seuls
véritables concurrents, la Chine, La Corée du Sud, le Japon.
L’Europe commence seulement d’entrer dans ce mouvement
popularisé par sa doctrine transhumaniste, instrument
idéologique servant de publicité par le côté souligné par
Bertrand Vergeley, à savoir faire rêver les foules et que nous-
même considérons comme de la grosse publicité commerciale
se cachant derrière l’étiquette philosophique du
transhumanisme.
D’une manière évidente, la régulation à laquelle nous
pensons ne peut pas se faire et ne pourrait s’exprimer que de
manière conjoncturelle, comme dans cette décision de 2014
par laquelle la Maison Blanche a arrêté le financement d’un
programme de recherches indiscutablement dangereux !
De tout ce qui précède, deux constats vont nous permettre
de poursuivre notre préoccupation concernant le financement
de la lourde recherche stratégique engageant le destin de
l’humanité ; il s’agit du rapport de forces au plan financier,
entre les gouvernements des États d’une part et, d’autre part,
le sort des populations qui risquent d’être abandonnées à
l’exploitation par ces géants de l’entreprise dans un contexte
d’aggravation des inégalités du pouvoir économique face aux
offres mirobolantes sur le marché de l’amélioration indéfinie
de leurs conditions de vie ; et nous ne parlons même pas
encore de l’offre annoncée de ce qu’ils appellent
l’augmentation de « l’homme augmenté » !
S’agissant donc de la question de savoir qui devrait
financer les recherches conduites dans le cadre des NBIC, les
États ou les entreprises privées, nous nous rendons compte
nous-même que se poser cette question c’est sortir du
système du libéralisme capitaliste fondé sur la primauté de
l’entreprise privée et oublier que le souci du social dans le

49
monde libéral et en particulier aux États-Unis d’Amérique
rappelle le dirigisme socialo-communiste considéré
aujourd’hui comme mort. Dans le système socialiste, l’État
jouant le rôle de moteur de l’économie s’engageait lui-même
à créer ses entreprises appelées justement entreprises
étatiques ou « para-étatiques ».C’est dans ce cadre qu’il
pouvait revenir à l’État de commander des études et des
recherches du genre de celles conduites par les entreprises du
groupe GAFA par exemple. La logique socialiste préoccupée
d’égalité et de justice dans la répartition des produits de la
croissance était la seule à considérer que les investissements
consentis à la recherche scientifique, qu’elle soit médicale ou
autre, ne sont pas destinés à produire des profits et des
bénéfices autres que le fait de faire bénéficier de manière
égale de la jouissance des résultats valorisés de la recherche,
par tous les citoyens.
Nous allons examiner un peu plus loin, dans le cadre des
présentes réflexions, la question de la régulation qui devrait
intervenir dans ce qui semble être aujourd’hui abandonné à la
multitude des centres de décisions et d’initiatives dans le
monde et pour le plus grand bien des plus forts de la jungle
internationale. Si nous avons évoqué le régime socialiste,
c’est pour rappeler ce qu’il comportait d’essentiel et qu’il
nous semble nécessaire de retrouver aujourd’hui, même si on
ne fait pas restaurer le socialisme en tant que tel : nous
voulons parler du besoin d’autorité. En attendant de revenir
sur ce sujet plus loin, il nous plaît d’ores et déjà de faire état
de la perception de cette question par le philosophe Luc Ferry
de France et Laurent Alexandre auquel nous avons déjà fait
référence plusieurs fois dans ce travail. Dans La Révolution
transhumaniste27, Luc Ferry écrit : « Il faut donc, que cela
nous enchante ou non, réguler, éviter à l’humanité de tomber
dans ce que les Grecs anciens appelaient l’hybris, l’arrogance

27
Luc Ferry, La révolution transhumaniste, Plon, Paris 2016, page 201

50
et la démesure, c’est-à-dire fixer des limites à l’homme
prométhéen. Mais ne nous voilons pas la face. Pour imposer
des règles à la société civile, pour y mettre de l’ordre et
placer des bornes à la logique de l’individualisme, il faut non
seulement disposer d’un État éclairé, d’une classe politique
qui comprenne les évolutions de la société, les mouvements
de fond qui la bouleversent, ses aspirations nouvelles, parfois
radicalement inédites, mais aussi un État fort, capable de se
faire respecter par cette sphère privée dont il se prétend
responsable ». Laurent Alexandre déclare de son côté : « En
bonne logique, l’impuissance politique conduit à une
demande croissante d’autoritarisme ». Et il donne des
indications statistiques suivantes concernant la France :
« Selon un sondage réalisé pour le site d’information
Atlantico, 67% des Français souhaitent que la direction du
pays soit confiée à des experts non élus, et 40% seraient
favorables à un pouvoir politique autoritaire »28. Il est vrai
que la localisation des GAFA ne soulève cette question qu’au
niveau de l’autorité politique des États-Unis. Une autorité
politique qui ne peut pas ne pas se faire championne de la
défense de la démocratie et de la liberté d’entreprendre. Ce
qui n’empêche pas que ce pouvoir politique subisse la loi
souterraine des multiples lobbys. Mais à vrai dire, l’influence
et la puissance de Google et de tous les autres dans la GAFA
s’étendent sur la planète entière ; ce qui justifierait que la
question de la régulation soit portée devant l’instance
mondiale qu’est l’ Organisation des Nations Unies (ONU).
Le fait est par ailleurs que s’agissant des capacités
financières comparées entre l’État et les GAFA aujourd’hui,
celles-ci sont encore les mieux placées pour investir
d’immenses dotations dans les recherches scientifiques des
NBIC. Qu’est-ce qui empêche que le choix des orientations

28
Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier, Les robots font-ils l’amour,
ou Le transhumanisme en 12 questions, Dunod, septembre 2016, p. 112.

51
de ces recherches se fasse en concertation avec le pouvoir
d’État ? Les États vont-ils baisser les bras devant la puissance
financière des géants de l’entreprise mondiale ? Souvenons-
nous de ce qu’a dit Bertarnd Vergeley au sujet des prêts
d’argent que les GAFA pourraient consentir aux Etats
(lesquels ?) pour qu’ils financent l’aide sociale. Serait-ce
vraiment la solution ? Encore faudra-t-il qu’aux États-Unis
où le système se méfie plutôt de toutes les attentions envers
ce qui touche au social, il arrive de nouveaux Obama ! Nous
allons revenir de manière plus attentive sur cette question de
la régulation ainsi que sur celle plus générale de l’éthique.
Mais avant d’aller plus loin, nous voulons saluer
l’initiative prise en Suisse, d’organiser une Exposition au
Musée Romain de Lausanne prévue pour se tenir de mars
2017 à janvier 2018 et se donnant pour titre : « Trop c’est
trop ! Mythes et limites ». Elle est conçue pour questionner
les limites des avancées scientifiques. C’est ainsi que dans sa
section réservée à la promesse transhumaniste de vivre une
vie éternelle, l’exposition présente une sélection de différents
spermes soi-disant de « haute qualité », « permettant de faire
venir au monde un « enfant sage » grâce à un cocktail de
gènes issus de bonzes tibétains, de vieux sages sioux,
complété de gènes de loir et de labrador »29

29
Lire l’article de Rebecca Mosimann intitulé « Le grand magasin des
dérives », Site Internet d’Information « 24 heures » Viaud & Régions.
www.24heures.ch/culture/grand-magasin/derives/story29858400

52
CHAPITRE II :

TRANSHUMANISME ET VALEURS

Arrêtons-nous, pour commencer, sur l’étymologie du


terme « transhumanisme » ; un petit exercice susceptible de
guider et d’éclairer tant soit peu nos réflexions. Le préfixe
« trans » vient du latin et signifie « à travers », « passer
outre » comme dans transgresser, « être au-delà » comme les
trans-alpins qui se situent au-delà des Alpes. Le « trans » du
transhumanisme peut donc être pris dans deux sens : c’est-à-
dire « à travers » et « au-delà ». Parler du transhumanisme
suggère en premier lieu l’idée d’une sorte de traversée qui
nous situe à l’intérieur de la réalité ou de l’espace traversés.
C’est de cela qu’il s’agit quand on parle du « trans-sibérien »
qui est un train qui relie Moscou à Vladivostok, vers la
frontière avec la Chine. Les trains qui ne vont pas jusqu’à la
frontière sont des trains sibériens tout court. On peut dire que
si tous les trains sibériens permettent de découvrir des
villages, des villes, des paysages et des cours d’eau de la
Sibérie, le trans-sibérien fait bien davantage dans cette
appréciation quantitative des choses. Nous nous dépêchons
de rappeler que transhumanisme se dit et s’écrit de la même
manière en anglais, « tranhumanism » ; le préfixe latin est
aussi déterminant en anglais qu’en français.
Moscou-Beijing est-il aussi un trans-sibérien ? Oui ! Et
cela s’explique par le « au-delà ». Moscou-Beijing va au-delà
de la Sibérie. Le transhumanisme peut donc ressembler au
trans-sibérien ou aux réalités trans-alpines, peu importe le
côté où l’observateur se trouve, le côté français ou le côté
suisse, ou italien.
Car, quand on parle de transhumanisme, on parle d’une
sorte de traversée de l’humanité qui peut nous maintenir à
l’intérieur de l’humanité telle qu’elle est toujours, ou alors
nous faire sortir de l’humanité pour nous faire découvrir autre
chose et pas nécessairement une humanité nouvelle. !
Pour en avoir l’esprit net, nous allons devoir rappeler les
valeurs qui sont celles de l’humanité de toujours, pour ensuite
les comparer aux valeurs que promeut le transhumanisme
aujourd’hui. Conservent-elles les valeurs telles qu’issues de
l’époque de la Renaissance et du siècle des Lumières en
Europe, ou alors s’en séparent-elles plus ou moins
radicalement ?

1- Les valeurs de l’humanisme


Comme l’indiquent tous les vocables qui se terminent par
le suffixe « isme », l’humanisme désigne, au-delà d’une
opinion ou d’une conviction, une attitude, mentalement et
concrètement militante en faveur de l’opinion ou de la
conviction partagées. L’humanisme qui a commencé au XIVe
siècle sous la forme d’un mouvement visant à renouer avec
certaines valeurs de l’Antiquité fait partie de la Renaissance.
Le Moyen-âge dominé par le pouvoir du Clergé catholique
avait réussi à étouffer la tendance manifestée déjà pendant
l’Antiquité grecque et notamment au IVe siècle avant J.C,
quand l’un des philosophes de cette époque nommé
Protagoras avait eu à affirmer que « L’homme est la mesure
de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de
celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas ». Il
donnait ainsi à l’homme une place centrale dans l’univers et
surtout dans une société qui réservait majoritairement aux
dieux cette place prépondérante. Au sujet des dieux eux-
mêmes il disait : « pour ce qui est des dieux, je ne peux savoir
ce qu’ils sont, ni ce qu’ils ne sont pas, ni quel est leur
aspect ». Quand on se souvient que plus tard, Socrate a été
condamné à mort, accusé de nier l’existence des dieux et de

54
détourner la jeunesse dans cette voie, on comprend aisément
le prudent scepticisme exprimé par le pré-socratique
Protagoras. Même comme Platon l’avait classé parmi les
sophistes prônant un relativisme contraire à l’essentialisme
soutenu par lui-même, cette pensée de Protagoras a marqué
les esprits en ce sens qu’elle disait clairement qu’il n’existe
pas de vérité absolue.
Par un apparent paradoxe, ce sont des religieux qui auront
été les premiers instigateurs de l’humanisme de la
Renaissance, avec cette différence que c’était des chrétiens et
non plus des païens, ainsi nommés par les chrétiens, en raison
de la multitude des dieux qu’ils adoraient. Ce fut d’abord
Pétrarque à Florence, en Italie, chrétien fervent aux accents
mystiques, a-t-on dit. Il est allé à travers toute l’Europe à la
recherche des manuscrits des auteurs Grecs et Latins anciens,
fouinant dans les bibliothèques des universités et les greniers
des monastères.
Ce fut ensuite un autre prêtre humaniste du nom d’Erasme
qui, reprenant une thématique de Pic de la Mirandole
soutenant que « les hommes ne naissent pas hommes, ils le
deviennent », plaidait en faveur d’une éducation des enfants
qui respecte leur singularité et leur sensibilité, tout en
encourageant leur libre –arbitre et la forme particulière de
leur intelligence. La synthèse de la philosophie antique et du
christianisme fit émerger deux grands thèmes : la liberté de
l’homme et la raison qui aspire au savoir universel.
Pic de la Mirandole est celui qui a entrepris de résumer
cette ambition en étudiant la bible, les écoles de sagesse
grecque, les mystères orphiques, la religion zoroastrienne, la
kabbale juive et la mystique néoplatonicienne. Trois siècles
avant J.J. Rousseau, Pic de la Mirandole aura montré que la
dignité de l’homme vient du fait qu’il est le seul être vivant
non-déterminé, non lié à tel ou tel comportement, puisqu’il
est à la fois libre et perfectible. Il peut choisir le bien comme

55
le mal, vivre comme un ange ou comme une bête. L’homme
est créateur de sa propre vie. Il peut devenir ce qu’il veut.
C’est cette indétermination radicale qui fonde la dignité de
l’homme. La nuance avec Rousseau est que pour Pic de la
Mirandole, cette indétermination ou cette liberté est un don
de Dieu.
Le mouvement humaniste, mouvement d’émancipation de
l’homme, se poursuivra avec l’époque dite des Lumières :
« Le monde moderne se pense comme un univers en rupture
avec le monde traditionnel ». C’est par la raison critique que
l’individu, le sujet, va s’émanciper et se réapproprier ce qu’il
avait si longtemps remis entre les mains de Dieu ou de
l’Eglise. Pour les philosophes de l’époque des Lumières, la
raison est véritablement le bien commun de l’humanité ; elle
est universelle, elle s’exprime à travers la connaissance
scientifique ; elle postule l’égalité de tous les hommes,
justifie le libre arbitre et l’autonomie de chaque homme
considéré comme sujet dans un État de droit. Emmanuel Kant
a défini « les Lumières » comme étant « la sortie de l’homme
de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité,
c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la
direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable,
puisque la cause en réside, non dans un défaut de
l’entendement, mais dans un manque de décision et de
courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Aie le
courage de te servir de ton propre entendement, voilà la
devise des lumières ».30
On ne peut pas dire que l’homme de cette époque en
Europe n’ait pas reçu 5 sur 5 le message des humanistes
parmi lesquels René Descartes et Francis Bacon qui ont prôné
une philosophie rationaliste qui, non seulement doit libérer
l’homme, mais encore faire de lui le maître et le possesseur

30
E. Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, 1784, Réédition de 1991,
Flammarion, pp.43-44.

56
de l’univers. Ce fut le siècle de la première révolution
industrielle (1780-1850).
Au plan scientifique, c’est l’époque pendant laquelle le
Français Denis Papin (1647-1714) a pu imaginer sa machine
à vapeur (1680) parce qu’avant lui, des bases scientifiques en
ont été posées par les travaux de différents physiciens comme
l’Allemand Otto Von Guerricke et le Hollandais Christiaan
Huygens qui, tous deux, avaient étudié les conditions et les
possibilités de créer le vide. Thomas Savery (1650-1715) et
Thomas Newcomen (1663-1729), deux Anglais, ont mis à
profit leur association pour améliorer le dispositif par un
système de moteur atmosphérique ou « pompe à feu » (1712).
La dernière amélioration a été produite par l’Ecossais James
Watt (1736-1819) qui eut l’idée d’ajouter dans le dispositif
une chambre séparée destinée à la condensation de la vapeur
conservée. Il déposa un brevet pour les perfectionnements
qu’il a apportés à la machine de Savery et Newcomen (1769).
Il s’était produit une évolution comparable en termes
d’amélioration constante dans le secteur du textile, par des
mises au point successives des systèmes de tissage et de
filage. Ce sont les premiers entrepreneurs britanniques du
coton qui avaient mené la danse. On a eu affaire ici à la
manifestation concrète et palpable du courant humaniste qui a
également été porteur de l’idéologie du progrès.
En évoquant rapidement et à titre symbolique l’activité de
recherche scientifique initiée par le mouvement humaniste,
nous pensons, bien entendu, aux recherches scientifiques
s’inscrivant de nos jours dans le cadre du transhumanisme.
Quelles sont donc les valeurs prônées de tout temps par
l’humanisme ? Nous l’avons noté au passage, il s’agit en
premier lieu de la raison par laquelle l’homme peut aspirer au
savoir universel ; une raison critique qui émancipe l’homme
de toute sujétion caractérisée par Kant comme le règne de la
« minorité » dont il aura fallu s’émanciper. Il s’agit ensuite de

57
la liberté, encore présentée comme le trait d’indétermination
qui fait de l’homme un être qui n’est lié de manière
indétachable à aucune détermination, ce sur quoi se fonde
justement sa dignité d’homme ; et, bien entendu, ces
aptitudes se développent, se cultivent comme la fonction crée
l’organe et sur la base du fait que l’homme ne naît pas
homme, mais il le devient, grâce à ce principe fort qui
s’appelle la perfectibilité. Et, pour finir, l’être social qu’il est,
sait distinguer entre le bien et le mal et jouit d’une autonomie
par laquelle il peut adhérer à la loi universelle. Il sait
développer et entretenir la relation sociale avec autrui, la
solidarité, la fraternité et l’amour. Des valeurs positives qui
peuvent en tout temps cohabiter avec leurs contraires que
sont l’égoïsme, la méchanceté, la haine, etc. qui ne sont pas
moins les caractéristiques de l’humanité au plan moral, par
lesquelles s’expliquent les manifestations de conflits et de
luttes parmi les hommes. Ce que les transhumanistes
considèrent comme « limitations », « faiblesses »,
« insuffisances et « incapacités » surtout au plan physique,
négligeant le plan moral ne fait-il pas partie de l’humanité de
l’homme ? Mathieu Terence répond à cette question :
« L’aveu tacite contenu dans l’aspiration à quitter toutes31 les
formes de notre animalité originelle pour rejoindre un état
divin – ou plutôt un état angélique, car ce sont les anges qui
n’ont ni âge, ni sexe, ni race, ni classe, mais tous les pouvoirs
-, cet aveu révèle paradoxalement le désir d’être achevé et
non en perpétuel devenir »

2- Valeurs et idéaux du transhumanisme


De toutes les valeurs de l’humanisme historique que nous
venons de rappeler, la valeur « RAISON » est celle sur
laquelle le transhumanisme appuie le plus. Il est en effet

31
Mathieu Terence, Le transhumanisme est un intégrisme, Ed. du Cerf,
Paris, octobre 2016, p. 54

58
heureux de constater que l’une des manifestations des
aptitudes de l’homme en tant qu’être doué de raison et
responsable de son émancipation à travers la science demeure
celle-là même sur laquelle se fonde aujourd’hui le
transhumanisme. Les fondateurs en 1998 du mouvement
culturel et international dénommé transhumanisme, à savoir
le Suédois Nick Böstrom et l’Anglais David Pearce
présentent leur mouvement comme prônant l’usage des
sciences et des techniques, ainsi que les croyances
spirituelles, afin d’améliorer les caractéristiques physiques et
mentales des êtres humains. Voici les déclarations de
quelques-uns des protagonistes de ce mouvement : l’Anglais
Max More, philosophe futuriste né à Bristol en 1964, auteur
de On becoming posthuman dit : « Nous allons au-delà de
beaucoup d’humanistes en ce que nous proposons des
modifications fondamentales de la nature humaine en vue de
son amélioration ». Nick Boström, qui enseigne à Oxford où
il dirige également l’Institut pour le futur de l’humanité,
spécialiste des questions d’intelligence artificielle, auteur
entre autres de Human reproductive cloning from the
perspective of the future » a écrit : « Un jour nous aurons
l’option d’étendre nos capacités intellectuelles, physiques et
spirituelles très au-delà des niveaux qui sont possibles
aujourd’hui. Ce sera la fin de l’enfance de l’humanité et le
début d’une ère post-humaine ». Boström est partisan du
clonage humain quand il écrit : « Un clone humain serait une
personne unique méritant autant de respect et de dignité que
n’importe quel autre être humain ». Selon le chirurgien et
urologue Français Laurent Alexandre, président de la Société
de séquençage de l’ADN DNA Vision, auteur de La mort de
la mort : comment la technomédecine va bouleverser
l’humanité, publié en 2011 chez Lattès et plus récemment
auteur de La défaite du cancer, « La convergence des
nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), de
l’intelligence artificielle (I), et des sciences cognitives (C)

59
contribue à faire reculer la mort. La combinaison des NBIC
doit conduire, selon les théoriciens scientifiques du
transhumanisme, à la « modification des limites de l’humain
et de ses caractères »
Ces trois citations expriment des valeurs qui sont
présentées en même temps comme des objectifs à atteindre au
travers des actions et des programmations diverses. C’est
pourquoi nous les appellerons du mot composé de « valeurs-
objectifs ». Quand Max More annonce des modifications
fondamentales de la nature humaine en vue de son
amélioration, Nick Boström parle de l’extension de nos
capacités intellectuelles, physiques et spirituelles et Laurent
Alexandre rapporte ce qu’annoncent des théoriciens
scientifiques du transhumanisme à travers une « modification
des limites de l’humain et de ses caractères ».
Concernant « l’espérance de vie », une expression qui, en
elle-même semble aujourd’hui trop timide par rapport aux
possibilités annoncées, Nick Boström déclare :
« L’intelligence artificielle nous aidera peut-être, avec ses
capacités hors norme, à trouver des méthodes pour réparer
indéfiniment le corps humain, jusqu’au niveau cellulaire, et
nous faire vivre des millions d’années ». Mais il nous faut
faire également parler l’autre fondateur du mouvement
transhumaniste, l’Anglais David Pearce selon lequel la
convergence des NBIC devrait contribuer à faire abolir la
souffrance chez l’être humain du futur ; il déclare : « Abolir
la souffrance, exalter le bonheur et l’humanisme impose que
les substrats biologiques de notre esprit soient remodelés afin
de permettre à l’homme du futur proche d’être sublimement
heureux et animé d’une soif de vivre invincible et pétri d’une
humanité profonde ». S’agissant de l’intelligence artificielle
et de la superintelligence, Ray Kurzweil, informaticien et
futurologue chez Google laisse entendre qu’« en 2045 l’être
humain pourra fusionner son cerveau avec une intelligence

60
artificielle et augmenter ses capacités intellectuelles jusqu’à
un milliard de fois ».
Nous avons fait état ci-dessus des Principes extropiens 3.0
de Max More qui tiennent lieu de doctrine philosophique du
transhumanisme.
Nous terminons l’évocation de quelques-unes des valeurs-
objectifs du transhumanisme par les étapes majeures de
l’évolution de l’humanité, telles que décrites par Joël De
Rosnay, futurologue français, spécialiste de biologie
moléculaire ayant enseigné à l’Institut de Technologie de
Massachusetts. Il y aurait trois étapes par lesquelles
l’humanité aurait à passer, sous l’impulsion de la
convergence des NBIC :
Première étape : L’Homme réparé
Deuxième étape : L’Homme transformé
Troisième étape : L’Homme augmenté
Selon Joël De Rosnay en effet, « L’homme du futur sera le
résultat d’une complémentarité, et il faut l’espérer, d’une
symbiose entre un homme vivant biologique et ce micro-
organisme hybride (électronique, mécanique, biologique) qui
se développe à une vitesse extraordinaire sur Terre et qui va
déterminer, en partie, son avenir ». Il préfère d’ailleurs parler
d’« hyper-humanisme » que de « transhumanisme ».
Comment se présentera l’homme de la première étape,
celle de l’Homme réparé ? C’est l’étape pendant laquelle de
plus en plus de personnes seront bénéficiaires de greffes et de
prothèses.
Dans la seconde étape, celle de l’Homme transformé, on
aura affaire à des hommes remplis de puces électroniques
diverses qui évalueront leurs mesures métaboliques.
L’homme transformé aura un cerveau couplé avec des
disques durs et ne sera plus dès lors qu’un seul neurone

61
intégré dans un système plus vaste que son seul système
nerveux.
Dans la troisième et ultime étape, celle de l’Homme
augmenté, on verra un homme fait de pièces détachées afin
de perfectionner ses capacités naturelles, à l’instar de la
mémoire que des disques durs insérés dans le cerveau vont
augmenter. C’est, en principe, l’homme qui n’aura plus de
défauts génétiques, qui sera plus intelligent, voire
superintelligent, plus mémorant et plus percevant.
Selon le roboticien autrichien Hans Moravec, membre de
l’Institut de Robotique de la Carnégie Mellon University,
auteur de nombreux écrits notamment de l’ouvrage Robot :
Mere Machine to Transcend Mind, 1998, « nos sens se sont
développés quand le monde était sauvage ; ils permettaient à
nos ancêtres de détecter les opportunités et les dangers. Les
sens sont moins utiles dans le monde domestiqué où nos
interactions deviennent des échanges d’informations de plus
en plus simples ».
La valeur, l’objectif ou l’ambition ici demeure
d’optimiser, d’augmenter les capacités de nos sens naturels
par des nano-robots-détecteurs-de-stimuli. Ces informations
sensorielles sont un enjeu majeur chez le « posthumain. », ou
le « cyborg », puisque c’est de lui qu’il s’agit ; le cyborg,
pourra contourner les processus naturels et même en créer de
nouveaux : sentir une couleur (au lieu de simplement la voir),
goûter un son (au lieu de simplement l’entendre), sentir une
image distante. Ces nouveaux sens, tout en étant virtuels, sont
dits pouvoir être bel et bien opératifs dans les délais
annoncés.
Mais le noyau dur du transhumanisme va plus loin,
comme le prophétise Jean Michel Truong32, expert en

32
Jean Michel Truong, Totalement inhumaine, les empêcheurs de penser
en rond, Ed. du Seuil, Paris, 2001.

62
intelligence artificielle à l’Université Louis Pasteur de
Strasbourg, auteur, entre autres titres, de Totalement
inhumaine, les empêcheurs de penser en rond ; en effet selon
cet auteur, « nos corps seront radicalement transformés en
version 2.0 : des nano-robots détruiront des agents
pathogènes, corrigeront les erreurs de notre ADN,
élimineront les toxines et effectueront toutes sortes d’autres
tâches pour améliorer notre bien-être physique ». Il nous est
dit que la nanotechnologie pourra faire naître des robots plus
petits que les globules rouges.
Cette nouvelle humanité des cyborgs est annoncée pour
2030-2050. Truong prend l’exemple de l’évolution des
ordinateurs « qui étaient des machines très grossières et
distantes, dans des pièces climatisées où travaillaient des
techniciens en blouses blanches. Ils sont ensuite arrivés sur
nos bureaux, puis sur nos bras et maintenant dans nos poches.
Bientôt nous n’hésiterons pas à les mettre dans notre corps ou
dans notre cerveau ».
Les « mettre dans notre cerveau » ou alors simuler la
matrice synaptique de notre cerveau dans la machine, ce
qu’ils désignent en termes de « téléversement de la
conscience dans l’espace digital » ! Ils veulent nous faire
croire que la conscience émerge du système nerveux, donc de
la matière ! Mais de quelle conscience peut-il s’agir ? Du
niveau de conscience élémentaire qui s’exprime par les
mêmes réactions spontanées du réflexe d’autoconservation,
de la conscience d’autrui ou de la conscience raisonnante et
jugeante ? Des attitudes de conscience qui sont
nécessairement caractérisées par une distanciation du sujet
par rapport à l’objet ? En attendant ce que l’expérience et les
productions des ingénieurs transhumanistes nous permettront
de voir, nous disons que le « téléversement de la conscience
dans l’espace numérique » ne saurait produire que de la
conscience artificielle, à la manière de l’intelligence
artificielle et comme pourraient être également artificiels les

63
sentiments prêtés aux robots et sur lesquels viendraient se
fonder ou s’établir une morale elle-même artificielle !

3- Quelle clientèle pour l’achat des équipements de


« l’homme augmenté » ?
Dans leur manifeste, les fondateurs du mouvement
transhumaniste ont eu raison de proclamer qu’il appartiendra
à chaque homme individuellement, de manière autonome et
libre, de désirer se servir des avancées de la technologie pour
accroître ses capacités physiques, mentales et reproductives
et d’être davantage maître de sa propre vie. Il ne pouvait pas
en être autrement pour des défenseurs de la raison et de la
valeur de liberté dans le monde des hommes. Il est évident
que c’est sur la base de ce libre choix que les hommes « qui
le désirent » chercheront à « se faire augmenter », d’ici 2030-
2050, puisque telle est la période au cours de laquelle on
commencera à identifier non pas de simples porteurs de
prothèses ou de greffes (jambes artificielles, cœurs artificiels,
lentilles), qui existent déjà en grand nombre dans le monde
aujourd’hui, sans qu’on les considère comme des hommes
réparés de la première étape décrite par Joël De Rosnay, mais
des « hommes augmentés ». Le grand saut proposé aux
hommes dans le programme transhumaniste concerne des
opérations du genre de celles consistant à se faire placer un
disque dur dans le cerveau, à se faire lancer des nanorobots
plus petits que les globules rouges dans les artères sans
aucune crainte d’embolie, ou encore, comme le mentionne
Hans Moravec, se soumettre au traitement qui consiste à
modifier nos perceptions et nos sens en nous faisant « goûter
des sons », « sentir des couleurs », etc. Dans ce registre des
augmentations fortes, nous ne pouvons pas ne pas mentionner
les opérations du genre du téléversement de la conscience
dans l’espace digital. Ce ne sont pas, a priori, des
expériences qu’on va tenter comme des « expériences pour
voir » et ayant pour but de permettre de se faire une idée...

64
Les premiers « hommes augmentés » ne seront pas nés de
parents eux-mêmes augmentés. Combien d’hommes, parmi
les sept milliards qui peuplent la planète aujourd’hui, iront
solliciter leur « augmentation » avant la fin du siècle et même
le milieu du siècle suivant ?
Avant de revenir à nouveau sur le thème financier du coût
des « augmentations », il y a au préalable la question de
l’intérêt réel que les hommes qui vivent de nos jours et qui
vivront aux environs de 2030-2050 pourront trouver à
s’engager dans ces aventures, eux qui ne se sentiront pas
malades ni tenaillés par d’intenses désirs de superpuissance,
de superintelligence, de force herculéenne ! Ce sont là des
désirs que veut faire naître la propagande transhumaniste
dans l’esprit des hommes ! Il ne devrait pas être question,
selon nous, d’engager une quelconque publicité d’incitation à
« l’augmentation » ; aucune action cachant une arrière-pensée
de « business » ne serait à entreprendre, là où les hommes
devraient être laissés libres. Hélas, en 2011, à l’occasion de la
sortie du jeu vidéo « Deus EX : Human Revolution », une
publicité virale présentant la société virtuelle « Sarif
Industries » est diffusée sur Internet. La vidéo publicitaire
invitait les internautes à se rendre sur le site Sarif et leur
laissait entendre le message suivant : « Avec nos
augmentations nous vous aiderons, vous et votre famille, à
vivre la vie dont vous avez toujours rêvée ». De quoi donner
entièrement raison à Bertrand Vergeley qui dénonçait la
vente des rêves ! En outre tous ceux qui ne souffrent d’aucun
mal et qui restent des hommes biologiques mus dans la
plupart de leurs actions et de leurs comportements par
l’instinct d’autoconservation, ne vivront-ils pas le sentiment
de se trouver devant le même risque que celui que prend tout
candidat à un vol spatial ! Tout le monde ne se porte pas
spontanément candidat pour un voyage vers Mars ou vers la
lune ; ou même pour aller passer plusieurs mois dans une
station spatiale effectuant de nombreuses rotations autour de

65
la Terre, en vivant plusieurs nuits et plusieurs retours à la
lumière du soleil en vingt-quatre heures ! Une minorité
d’hommes et de femmes ont le tempérament pour le faire ;
c’est grâce à cela que des expériences périlleuses nécessaires
ont pu se réaliser afin que progresse la science ou que
certaines maladies soient vaincues. S’agissant de la voie qui
conduit à l’étape de « l’homme augmenté », elle aussi ne peut
intéresser qu’une minorité de personnes prêtes à se sacrifier,
pour quelle cause ? Celle de l’humanité ? C’est à voir…plus
loin !
On ne s’oppose pas à l’idée qu’il faille diffuser largement
des informations et des explications utiles et mettant l’accent
sur ce que le candidat à « l’augmentation » gagne en
branchant son cerveau sur un ordinateur pour ne plus faire
qu’un avec la machine. Quand on leur aura vanté
« l’augmentation » de la capacité physique ou de la capacité
intellectuelle appuyée par l’intelligence artificielle, les
éventuels candidats à telle ou telle « augmentation » ne
manqueront pas de se demander dans quelles circonstances
ils en auront besoin et comment s’exploiteront les
performances améliorées qu’ils pourront réaliser, si cela
devra se faire en l’absence de toute compétition et de toute
concurrence s’exerçant à la loyale. Car en effet, les premiers
« hommes augmentés » des années 2030-2050 n’auront pas
oublié la vie en société qui les a toujours placés dans la
relation avec les autres, soit de comparaison ou de
compétition et de concurrence. Avec qui entrer en
compétition pour se mesurer si on est des « hommes
augmentés » peu nombreux et dispersés dans l’espace ?
Autrement dit, quelle nature de vie sociale sera celle des
« hommes augmentés » ?
On va peut-être nous objecter que « l’homme augmenté »
change automatiquement de psychologie et de façon de voir
ses rapports avec les gens. Il semblerait que l’une des
conséquences de l’éventuelle généralisation des

66
biotechnologies serait que les nanotechnologies par exemple,
à partir des manipulations qu’elles opèrent dans des
conditions différentes de l’échelle humaine, finiraient par
habituer progressivement les esprits à argumenter en dehors
de l’humain habituel et normal. Cela concernerait-il
uniquement les hommes des laboratoires et non tous ceux qui
auront acquis leurs produits ? Non seulement on nous dit que
l’homme est appelé à changer mentalement et
spirituellement, mais encore il risquerait de changer
également sa perception du monde et de la société.
Notre préoccupation demeure ; s’ils ne sont pas nombreux
à avoir choisi « l’augmentation » dans le même milieu, les
premiers « hommes augmentés » ne vivraient-ils pas un réel
isolement rendant tout à fait sans intérêt la transformation
subie ?
En attendant de revenir sur l’aspect rentabilité et
commercialisation de ce projet de « fabrication » « d’hommes
augmentés », nous nous demandons si nous ne retrouvons pas
ici la problématique du besoin de luxe, voire du luxe du
superflu au cœur d’une recherche scientifique qui laisse
l’impression de n’avoir plus de chantier prioritaire ou
urgent ? Or il en existe, et bien nombreux, pour la condition
de l’homme biologique !
Nous nous répondons nous-même que cette impression
nous vient peut-être du fait que nous raisonnons d’emblée en
prenant en compte la dernière étape de l’évolution de
l’humanité telle que décrite par Joël De Rosnay, à savoir
l’étape de « l’homme augmenté », voire du post-humain ; et
que l’étape de « l’homme réparé » peut correspondre à des
demandes marquées par un réel besoin nécessaire de
réparation-traitement-guérison du ressort de la
technomédecine. A ce niveau de la « réparation », les
hommes restent les hommes, tandis que l’étape de « l’homme
transformé » qui vient après celle de la « réparation », est une

67
étape où l’homme est déjà réputé « rempli de puces
électroniques diverses, où il pourra avoir un cerveau couplé
avec les disques durs et ne sera plus qu’un seul neurone
intégré dans un système plus vaste que son seul système
nerveux ». Cela est exact !L’étape de « l’homme réparé » est
celle que nous vivons déjà et qui durera encore longtemps,
parce qu’elle sera celle correspondant peut-être à une plus
grande demande populaire ; nous voulons dire qu’ici la prise
en charge sociale du coût des greffes, prothèses et implants
pour des infirmités courantes pourra être organisée de sorte à
réduire la marge des inégalités d’origine économique et
financière. En 2002 à Montréal, Justice de Thézier, porte-
parole de l’Association Mondiale Transhumaniste au Québec
déclarait que 70000 personnes sourdes ont eu leur ouïe
restaurée à travers des électrodes implantées dans leurs
cerveaux pour contrôler la maladie de Parkinson et que plus
d’une douzaine de groupes de recherches avaient testé des
implants qui pouvaient restaurer la vue à des aveugles. Nous
sommes ici dans le registre de la recherche ordonnée sur la
satisfaction et la résolution des difficultés de l’ordre du
nécessaire et non du superflu. Et ce nécessaire est perçu et
ressenti comme tel au Québec comme en Europe, en Asie et
en Afrique. Avec ce que les différences dans les politiques
sociales pratiquées ici et là laissent observer comme
persistance ou réduction des inégalités économiques et
financières. Le fait est que tout le monde trouve de l’intérêt
dans ces différents contextes sociaux et économiques, à
bénéficier de l’offre de la « réparation » proposée par les
NBIC. Est-ce pour cela qu’il ne faudrait voir l’intérêt de
l’Afrique pour le transhumanisme que pour le sport, en
premier lieu, comme le fait Jacques Essosso dans son article à
Slate Afrique sur Internet quand il écrit, s’agissant de l’athlète
sud-africain Oscar Pictorius : « Il est probablement le premier
qui ait été autant médiatisé. Le point important, poursuit-il,
c’est la question de la prothèse et le sens qu’on lui donne, la

68
manière avec laquelle on la regarde. On a l’impression que,
tout d’un coup, il y a comme une barrière qui a été franchie
parce qu’on voit sa prothèse comme si elle faisait
intégralement partie de son corps ».33
Tout le monde trouverait-il le même intérêt à bénéficier
des offres de « transformation » proposables dans l’étape de
« l’homme transformé » qui est un homme « rempli de puces
électroniques diverses, sans oublier le couplement du cerveau
avec des disques durs ? Ce n’est pas évident ! Tout comme ce
ne le serait pas dans l’étape de « l’homme augmenté » à partir
de laquelle nous avons le plus raisonné, non sans raison. Le
besoin de luxe ou le luxe du superflu ne commencent-ils pas
par là ?
Indiscutablement le critère de l’intérêt semble le plus
indiqué quand il s’agit de voir, par anticipation, quel genre de
personnes se porteraient spontanément candidats pour
« l’augmentation » et même pour la « transformation ». Si
tous les hommes trouvent un intérêt à la « réparation » qui est
tout simplement de la techno-médecine, il semblerait que les
équipements plus ou moins sophistiqués seraient susceptibles
d’intéresser, soit des catégories professionnelles particulières
comme nous allons en évoquer trois ou quatre cas, soit des
personnes à tournure d’esprit de collectionneur et capables de
racheter à prix d’or, par exemple, un très vieux modèle
d’automobile, une vieille Citroën 2CV bien « retapée » avec
son moteur d’origine, pour le seul plaisir d’être le seul à le
posséder dans la localité. C’est très important cette idée
d’être le seul à circuler et à se faire distinguer, non dans la
possession des derniers modèles sortis chez Citroën, mais
d’un très vieux modèle !

33
Jacques Essosso « Le transhumanisme, une aubaine pour l’Afrique »,
article du 30/01/2013 dans SLATEAFRIQUE

69
Et d’abord l’intérêt professionnel. En nous interrogeant sur
l’usage promis de la vue de chat la nuit par des êtres humains,
nous avons pensé à ceux qui travaillent la nuit pendant que
d’autres dorment ; les veilleurs et gardiens de nuit
précisément. Il est vrai que nous avons invoqué le fait que
des équipements sous forme d’instruments extérieurs existent
déjà : ce sont les lampes-torches de divers calibres et qui
peuvent dispenser les veilleurs de nuit d’engager des frais
personnels pour se donner des yeux de chat ! Et quand les
transhumanistes annoncent, parmi les augmentations de
capacités physiques la possibilité de rester plus longtemps
sous l’eau en apnée, à qui cette capacité physique serait-elle
plus utile si ce n’est aux plongeurs secouristes professionnels
et aux maîtres-nageurs ? Il n’empêche que, comme pour la
vue de chat la nuit, on peut invoquer pour les plongeurs
marins et professionnels l’existence des équipements sous
forme de masques à oxygène donnant déjà des résultats qui
ne font pas particulièrement envier d’avance les capacités
physiques en endurance personnelle que les transhumanistes
annoncent. Il en serait peut-être de même avec les capacités
physiques permettant de passer plusieurs nuits et plusieurs
jours sans avoir envie de dormir ! En supposant que le
renforcement des capacités physiques en cette matière
s’accompagne de la fourniture des ressources pour le repos
que seul le sommeil naturel sait procurer, peut-on dire a
priori qu’une catégorie professionnelle comme celle des
équipages de diverses marines (marchande, militaire, de
tourisme) pourrait trouver de l’intérêt à profiter d’un tel
renforcement des capacités physiques ? Sur des bateaux long-
courriers, tout le personnel ne se repose pas en même temps ;
certains dorment, et se reposent donc, pendant que d’autres
veillent et travaillent, à tour de rôle. C’est dire que ce genre
de renforcement de capacité physique devrait faire coup
double en s’assortissant en même temps d’un renforcement
de capacité mentale. La potentielle clientèle professionnelle

70
conduira à poser la question de la prise en charge d’éventuels
frais qu’occasionnerait l’adoption de ces équipements et de
ces renforcements des capacités. Seront-ils à la charge des
compagnies et des entreprises, ou alors à la charge des
employés eux-mêmes ?
En tout état de cause, les moyens matériels en termes
d’outils, d’instruments d’un côté et, de l’autre côté, en termes
d’organisation rationnelle du travail, semblent plutôt exclure
un recours éventuel aux cas de renforcement des capacités
physiques examinés. Seule, peut-être, la capacité d’entendre
distinctement ce qui se dit au loin et d’identifier avec
précision la cause ou l’origine des bruits qui proviennent
d’une grande distance grâce au renforcement de la capacité
auditive pourrait intéresser des professionnels du genre des
agents de renseignements et des détectives privés, ainsi que
les brigades de police spéciales ?
Comme il s’agit de simples annonces dont il nous faut
encore attendre connaître les contours d’effectivité et
d’effectuation, aucune conclusion ne saurait être tirée par
rapport à l’identification des clients potentiels, susceptibles
d’être intéressés par les diverses offres des NBIC aux étapes
de « l’homme transformé », tout comme de « l’homme
augmenté ». Toujours est-il que c’est l’intérêt des uns et des
autres qui les poussera ou ne les poussera pas à chercher à
acquérir les renforcements de capacités que proposeront les
NBIC et Google.
Est-il nécessaire de continuer sur ce terrain en évoquant le
cas des offres de renforcement des capacités intellectuelles en
matière notamment de super-intelligence combinant l’apport
de l’intelligence artificielle essentiellement combinatoire,
calculatrice avec la pré-existante intelligence de « l’homme
biologique » ou naturel ? Autrement dit l’hybridation
homme-machine ? L’inter-façage direct entre l’homme et la
machine passera peut-être par les ordinateurs que sont déjà

71
les téléphones portables faciles à prendre avec soi dans tous
les mouvements et les déplacements ? Comment éviter, avec
cela, de se voir pris dans une sorte de filature intellectuelle
permanente par Google, pour qui ce serait un jeu d’enfant,
non seulement de faire semblant de deviner les idées et les
projets des gens, mais encore d’orienter et d’influencer leurs
choix ? Si tout le monde est ainsi prévenu, qui ira se laisser
lier les pieds et les mains ou s’aliéner corps et âme à la toute-
puissante entreprise Google, voire à la GAFA entière ? Mais
qui donc ? Même l’homme à la tournure d’esprit de
collectionneur qui aime se sentir seul en possession des
exclusivités réfléchirait par deux fois avant de se faire doter
des capacités d’« homme transformé » ne faisant plus qu’un
neurone intégré dans un système plus vaste que son seul
système nerveux !
Nous revenons plus loin sur ce sujet de la super-
intelligence présentée comme l’une des caractéristiques
déterminantes du nouvel homme du transhumanisme.34 Mais
auparavant, concluons ce mouvement de réflexions par la
reprise de l’une des questions posées au départ et par laquelle
nous nous demandions si, avec les propositions venant des
résultats de la recherche en vue de l’édification de « l’homme
augmenté », le posthumain ou le cyborg, nous ne serions pas
en face d’une recherche déterminée et animée par le désir de
satisfaction des besoins de luxe, voire du luxe du superflu !
Il s’agit manifestement des acquisitions et des
équipements qui ne pourraient être convoités que par une
minorité de personnes agissant à partir d’une psychologie de
l’homme qu’ils veulent cesser d’être mais qui continue
néanmoins de déterminer leurs choix et leurs motivations. Ici,
il s’agit de la motivation du genre de celle qui pousse certains

34
Nous pensons ici à Kurzweil, Nick Boström dont nous examinerons de
manière plus attentive les postulations dans la troisième partie que nous
consacrons à l’humanité de l’avenir telle qu’ils la projettent.

72
hommes riches à cultiver l’exclusivité et finalement une sorte
d’égoïsme du solitaire qui rachète à prix d’or une belle
vieillerie des temps anciens à celui qui ne voit que sa valeur
ustensile et non sa valeur de relique. C’est la mentalité ou la
psychologie des antiquaires qui seuls connaissent le prix des
antiquités. Pendant que de nombreuses autres personnes se
moquent ou se passent des antiquités et les considèrent même
comme relevant du luxe du superflu. Des lecteurs vont
s’étonner de nous voir comparer les équipements en
hybridisme homme-machine et la recherche de la super-
intelligence destinés à augmenter les capacités de l’homme
avec les antiquités qui sont du ressort des musées ! Nous
comprenons cette surprise. Mais voici : il se rencontre ici
deux sortes d’inutilité : l’inutilité de ce qui a servi et qui est
dépassé par le progrès et la marche de l’Histoire ; c’est celle
des vieilles choses, celle de la Vieille Citröen 2 CV dépassée
par de nombreux autres modèles sortis depuis et qui sont en
cours d’utilisation ; et l’inutilité de la production qui est une
curiosité qui s’enferme dans sa particularité de curiosité
qu’on regarde de loin, sans avoir à envier quoi que ce soit en
elle ni en ses possesseurs. Ce me semble être l’inutilité ou la
superfluité de l’hybride homme-machine dont le concept en
lui-même comporte quelque chose de répulsif et d’effrayant.
Comment pourrait se produire, aux environs des délais
qu’avancent les transhumanistes, à savoir la période de 2030-
2050, la multiplication des premiers « hommes augmentés » ?

4- Eugénisme de libre choix individuel, mais eugénisme


porteur de menace !
Tout se passera sur la base de la libre décision découlant
du libre choix de chaque personne, d’engager une démarche
en « augmentation ». Il faut relever qu’il s’agira de personnes
ne souffrant pas de maladies particulièrement handicapantes
caractéristiques des limitations originelles de l’homme
biologique issu des processus évolutifs naturels ! Les

73
demandeurs d’« augmentation » s’inscrivent dans la logique
d’une amélioration-perfectionnement des capacités et des
performances de l’homme biologique : accéder à la
jouissance d’une incomparable capacité physique sous divers
rapports, d’une mémoire prodigieuse, d’une intelligence non
moins prodigieuse grâce à l’association avec l’intelligence
artificielle ou grâce à la consommation des produits
psychotropes, d’une durée de vie ilimitée des cellules et des
organes, bref d’une éternité de vie ! Qu’est-ce d’autre sinon
de l’eugénisme.
Les premiers « hommes augmentés » ne seront
évidemment pas des descendants héréditaires de parents eux-
mêmes « augmentés » ! La question reste à éclairer
concernant l’hérédité des « augmentations » acquises par les
ascendants. Quel degré d’affluence des candidats à
« l’augmentation » pourrait être enregistré à partir de 2030 ?
Combien d’hommes qui, sans avoir éprouvé des difficultés de
santé particulières pourraient se lancer dans l’aventure
d’augmentation de leur mémoire par placement d’un disque
dur dans leur cerveau, ou tenter l’expérience d’hybridation
homme-machine, l’ingénierie de leur ADN pour en éliminer
les mauvais gènes et tous autres aspects indésirables,
l’introduction des nanorobots dans leurs artères sans crainte
d’embolie, afin de se voir évaluer leur métabolisme ? Oui
combien d’hommes ?
Et le cas particulier de l’avenir de la maternité alors ?
Combien de femmes choisiront de séparer sexualité et
procréation en ayant recours à l’ectogenèse (fécondation en
dehors du ventre de la mère) commencée un jour par la
procréation in vitro, mais aujourd’hui volontairement
programmée dans la création de l’utérus artificiel sous
l’inspiration du transhumanisme ? Des femmes dont leur libre
choix individuel aura été d’éviter les risques de toutes sortes,
les déformations du corps et tous les désagréments associés à
l’enfantement ? Quand nous disons que l’eugénisme, même

74
de libre choix individuel ne va pas sans menace sur la nature
humaine, nous voyons ici la menace sur le changement de la
fonction maternelle, si ce n’est sur sa disparition !
Compte tenu de la plus ou moins grande influence que
pourra représenter l’impact financier de la réalisation de ces
différents programmes, il faut s’attendre évidemment à ce
que ce soit une minorité constituée des économiquement
capables qui se fassent transformer en « hommes
augmentés » encore appelés « cyborgs » ! Ceux-là seulement,
peut-être, qui soient des amoureux du luxe du superflu ou des
sortes de coureurs d’idéal ! Car le fait d’être économiquement
et financièrement capable ne fait pas de tous les hommes des
candidats assurés pour l’augmentation et encore moins des
coureurs d’idéal.
Un autre fait qui sera inévitablement constaté révèlera un
état de dispersion des « hommes augmentés » à travers
l’espace autant national que mondial ! On ne peut pas espérer
voir évoluer l’augmentation de la population constituée par
les « hommes augmentés » au même rythme que celui
exprimé par la loi de Moore concernant la capacité des
ordinateurs. Le spectacle ou l’image que donneront les
premiers « hommes augmentés » dans leurs environnements
respectifs encourageront ou décourageront autour d’eux. Le
facteur financier intervenant par ailleurs, il est difficile de
prévoir un quelconque renversement de la proportion
comparée entre les « hommes augmentés » et les hommes
biologiques qui continueront sûrement d’être largement
majoritaires parmi les 10 ou 11 milliards d’habitants qui
peupleront la planète vers la fin du 21e siècle.
Il ressort de ce qui précède que deux catégories d’hommes
co-existeront à l’intérieur des sociétés et des pays, tout
comme dans l’espace mondial ; des catégories qui ne
pourront plus évoluer ensemble sur la base des mêmes
normes, lois et règlements gouvernant les cités et les nations.

75
Ceux qui seront devenus super forts à divers égards, ne
tenteront-ils pas d’en imposer aux autres, demeurés faibles et
limités par des insuffisances multiples ?
On va peut-être assister à une nouvelle répartition à la fois
géographique et sociale, entraînant des mouvements croisés
d’émigration et d’immigration par lesquels va fonctionner
une loi bien connue et qui veut que « qui se ressemble
s’assemble » ? Un apartheid en perspective refoulant dans des
sortes de « bantoustans » d’une autre époque, le plus gros de
la population humaine sur Terre, à savoir ceux qui ne se
seront pas engagés sur la voie du cyborg et de
l’« augmentation », soit librement, soit par manque de
moyens financiers ! L’idée d’une guerre d’extermination que
les robots pourraient engager contre les hommes qui les
auront pourtant fabriqués se rencontre dans une certaine
littérature transhumaniste ! Si elle va à l’encontre de
l’hypothèse de constitution des communautés séparées et
laisserait plutôt entrevoir une sorte d’intolérance de leur
existence que pourraient manifester les nouveaux « hommes
augmentés », elle n’exprime pas moins l’esprit malthusianiste
de certains leaders de ce mouvement ! Mais justement,
s’agirait-il encore d’hommes relevant de la même humanité ?

76
CHAPITRE III :

QUEL AVENIR POUR L’HOMME ?

A travers la prise en compte des résultats des recherches


scientifiques menées ou à mener dans le cadre de la
convergence des NBIC pour leur exploitation, la vision
transhumaniste semble au premier abord se soucier du
devenir de l’humanité. Lorsque Nick Boström, l’un des pères
fondateurs de ce mouvement et auteur de Human
reproductive cloning from the perspective of the future 35
déclare qu’« un jour, nous aurons l’option d’étendre nos
capacités intellectuelles, physiques et spirituelles très au-delà
des niveaux qui sont possibles aujourd’hui » et que « ce sera
la fin de l’enfance de l’humanité et le début d’une ère post-
humaine », et que de son côté Ronald Bailey, auteur de
Liberation biology 36 déclare que « le transhumanisme
incarne les aspirations les plus audacieuses, courageuses,
imaginatives et idéalistes de l’humanité », il est fortement
suggéré et clairement indiqué dans ces affirmations que c’est
bel et bien de l’humanité qu’on se préoccupe, y compris dans
le post-humain. Même si Francis Fukuyama, auteur de La fin
de l’homme, les conséquences de la révolution biotechnique
affirme que « le transhumanisme est l’idée la plus dangereuse
du monde 37 » et que « tandis que la science avance, la

35
Nick Boström, Human reproductive cloning from the perspective of the
future, Ed., Home page: www.nickbostrom.com, 2003. Journal of value
inquiry, vol. 37, n°4, pp. 493-506.
36
Ronald Bailey, Liberation Biology : The moral and scientific case for
the Biotech revolution, Ed. Prometheus, 2005.
37
Francis Fukuyama, La fin de l’homme. Les conséquences de la
révolution biotechnique, Ed. Gallimard, Paris, 2002.
morale doit défendre l’intégrité de la nature humaine et la
dignité de l’homme ».Voilà la discussion qui va occuper cette
troisième partie.
La science et la technoscience se maintiennent dans leur
ambivalence de tous les temps. Autant elles sont apparues
comme salutaires par leur contribution au progrès de
l’humanité et plus précisément à l’amélioration des
conditions de vie de l’homme sur terre, autant elles ont été
perçues à travers certaines de leurs exploitations comme une
menace pour l’homme : fabrication des bombes de toutes
sortes, guerres météorologiques voilées, armes
bactériologiques et chimiques, etc. Déjà en 1947 Georges
Bernanos élevait une violente critique contre le machinisme
dans la production industrielle qui, selon lui, limitait la liberté
des hommes et perturbait jusqu’à leur mode de pensée. Il
ajoutait que la civilisation française était incompatible avec
une certaine idolâtrie anglo-saxonne pour le monde de la
technique. » Selon G. Bernanos toujours, « on ne comprend
absolument rien à la civilisation moderne si on n’admet pas
d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute
espèce de vie intérieure » 38.
L’idée centrale qui soutient la vision transhumaniste des
choses est que la nature humaine n’a rien d’intangible et c’est
pour cela qu’il s’agit de découvrir et de faire voir jusqu’à
quelle limite l’humanité de l’homme est extensible. S’agit-il
de révéler ses potentialités ou ses virtualités non encore
actualisées, et là nous serions dans l’esprit de l’idée de sa
perfectibilité telle que Rousseau l’a présentée, ou alors s’agit-
il de révéler ce qui ne ferait pas partie des potentialités ou des
virtualités mais des adjonctions plus ou moins compatibles
avec les valeurs de l’humanisme ?

38
Georges Bernanos, La France contre les robots, Ed. Le Castor Astral,
p.53.

78
1- L’idée de perfectibilité suppose l’existence d’une
nature humaine définie mais à faire s’épanouir
Commençons par rappeler cette affirmation de l’Anglais
Max More selon laquelle « Nous (transhumanistes) allons au-
delà de beaucoup, en ceci que nous proposons des
modifications fondamentales de la nature humaine en vue de
son amélioration » 39. Voilà qui est clair : les transhumanistes
entendent modifier de manière significative la nature
humaine. Qu’est-ce à dire sinon qu’il s’agit de donner à
l’homme une autre nature ; autrement dit de le dénaturer ! Il
se trouve que les transhumanistes semblent se fonder sur
l’idée de perfectibilité de la nature humaine pour prôner
l’exploitation des résultats de la recherche scientifique dans
cette direction. Or, chez un auteur comme Jean-Jacques
Rousseau, la perfectibilité de la nature humaine n’a jamais
signifié sa « modifiabilité ». Selon l’humanisme de la
Renaissance et de l’époque des Lumières en Europe, et
notamment chez Jean-Jacques Rousseau, la perfectibilité est
l’expression de la faculté, au sens de possibilité, d’avoir à
déployer ou à actualiser des potentialités et des virtualités de
la nature humaine quand notamment l’homme passe de son
isolement pendant « l’état de nature », à la pratique de la vie
de relation avec des semblables en société. C’est en quelque
sorte la perfectibilité par laquelle, comme le soutenait aussi
Pic de la Mirandole, l’homme devient homme, parce qu’il ne
naît pas homme accompli. Voici du reste la présentation de
cette notion telle qu’on peut la trouver dans le Discours sur
l’origine de l’inégalité parmi les hommes : « Mais quand les
difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient
quelque lieu de disputer sur cette différence de l’homme et de
l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les
distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation,
39
Max More, Extropian principles 3.0 : A Transhumanist Declaration.
Exl: Extropy institute. Avalaible at URL:
<http:www.extropy.org/ideas/principles.html>.

79
c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui, à l’aide des
circonstances, développe toutes les autres et réside parmi
nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un
animal est au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie
et son espèce au bout de mille ans, ce qu’elle était la première
année de ces mille ans »40. Cette conception de la
perfectibilité sous-entend, voire même affirme la pré-
existence en l’homme individuel comme en l’espèce, de ce
qui pourrait être appelé sans risque d’erreur, les attributs
essentiels d’une nature, au nombre desquels existe cette
faculté de développer ou d’amener tous les autres à
l’existence. Quelle est-elle, cette faculté identifiée par
Rousseau ? La raison et l'intelligence grâce auxquelles
l'homme se pose les questions du pourquoi et du comment
sont-elles les seules susceptibles de jouer ce rôle? Est-ce la
faculté du jugement par laquelle l’homme exprime
l’insatisfaction qui pousse sa volonté à chercher à résoudre
cette insatisfaction ? Est-ce la sociabilité et toute cette
capacité de relation, promesse d’altruisme ? Est-ce la
sensibilité et la capacité d’aimer, la capacité intuitive et le
sens de la transcendance ? C’est surtout le fait pour l’homme
d’être un « agent libre » : « Je ne vois dans tout animal
qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens
pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un
certain point, de tout ce qui tend à la détruire ou à la
déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la
machine humaine ; avec cette différence que la nature seule
fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme
concourt aux siennes en qualité d’agent libre.41 » Cet attribut
particulier qui fait fonctionner la perfectibilité de l’homme
s’appelle donc la liberté, adossée à la raison et à toutes les
autres facultés. Toutes ces facettes des expressions de

40
J.J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes, 1735, Première Partie, p. 80, Ed. Sociales, Paris 1961.
41
J.J. Rousseau, Ibid., p. 79.

80
l’homme constituent ces virtualités qui se sont développées et
perfectionnées dans le cadre de la vie sociale, si nous restons
dans le schéma théorique rousseauiste comportant cette
hypothèse de passage par l’état de nature pendant lequel
l’homme n’était pas très différent de l’animal.
Or de quoi parlent les transhumanistes quand ils déclarent
« augmenter » ou perfectionner l’homme ? Ils ne parlent que
de l’un ou de deux de ces attributs, notamment des capacités
physiques et de l’intelligence ! Ils ignorent notamment ce sur
quoi Georges Bernanos a attiré notre attention à savoir la
« vie intérieure ». Qui dit vie intérieure dit spiritualité non
nécessairement adossée sur une religion ; mais une vie de
l’esprit qui ne se résout pas entièrement dans l’intelligence
calculatrice et combinatrice célébrée sous le concept
d’intelligence artificielle et celui de superintelligence. Quand
l’augmentation n’est pas celle de l’intelligence, elle est celle
des capacités physiques à travers l’adjonction de nombreux
organes et instruments artificiels. D’une manière générale, et
comme le concept d’augmentation le laisse bien entendre, il
s’agit d’une optique à prédominance quantitative, au
détriment de l’optique qualitative. Quand Nick Boström est
interpellé au cours d’un entretien avec Antoine Robitaille42,
pour dire ce qu’il entend ou ce que les transhumanistes
entendent par les expressions « meilleurs humains »,
« meilleure vie », voici ce qu’il répond en donnant des
exemples des choses qui sont à la portée de « l’homme
augmenté » ou posthumain et que l’homme non augmenté ne
peut expérimenter ; autrement dit, des choses ou des
performances qui font dire qu’il est meilleur : « la capacité de
lire toute la littérature produite dans le monde. Il n’y a pas
assez de temps pour faire cela dans la durée, même
maximale, d’une existence humaine » ! Optique quantitative

42
Texte paru sur le site www.revueargument.ca dans le n° 8, Vol 1-
Automne 2005-Hiver 2006 ; Propos recueillis par Antoine Robitaille.

81
et illustration qui renvoient à ce que nous avons caractérisé
comme relevant de la nature du besoin de luxe du superflu !
Car en effet, quel intérêt à vouloir lire toute la littérature
produite dans le monde ? Il poursuit, dans la même veine :
« Ou encore, prenez la vie humaine dans ce qu’elle a de
meilleur. Pensez à ces moments où vous vous sentez
extrêmement bien : l’extase de l’amour romantique, par
exemple ; ou encore, lorsque vous êtes en pleine création
littéraire et que les pensées circulent rapidement dans votre
esprit. Durant ces moments vous vous demandez : mais
pourquoi cela ne peut-il pas durer éternellement ?... Il y a des
périodes de vie et des états d’être qui sont fabuleux. Si nous
pouvions toujours être dans ces états, si nous pouvions faire
en sorte qu’ils durent, ce serait un grand pas en avant ».
Même en parlant de temps et de durée, c’est encore la
préoccupation quantitative qui se trouve être le critère de
l’augmentation pour le transhumaniste Nick Boström. « Le
meilleur » ou « l’amélioration » se situe sur la ligne d’une
quantité qui se transforme en intensité quand il s’agit de
sensations telle « l’extase de l’amour romantique » ou qui se
fait puissance d’accélération et de vitesse quand il s’agit de la
saisie rapide des relations. Quant aux « états d’être
fabuleux », comment doivent-ils se présenter pour être dits
correspondre à un « dépassement de la condition de
l’homme » par le « posthumain » ou par « l’homme
augmenté » ? Ils doivent être tout, sauf passagers et
éphémères, ils doivent « durer éternellement » ; les
expressions sont celles de Nick Boström.
A-t-on l’impression, à partir de là, qu’une nouvelle nature
d’« états d’être » apparait avec l’« augmentation » ou la
« posthumanité » ? Ce sont des états qui portent la même
appellation et laisseraient penser qu’ils sont de même nature,
si nous nous en tenons aux exemples cités par Nick Boström ;
seule la possibilité de les vivre plus longtemps est donnée au
« posthumain » qui marque ou marquera ainsi sa différence

82
avec l’homme ordinaire qui les vit de manière brève et avec
ce goût d’inachevé que le posthumain lui, entend supprimer !
Non seulement le transhumaniste raisonne sur la base de la
quantification, mais c’est aussi dans la perspective de faire en
sorte que cette quantification soit sans limite ! Quand on lui
fait observer que le transhumanisme veut abolir le sentiment,
voire le sens de la limite, Nick Boström répond en disant que
« l’objectif du transhumanisme n’est pas d’abolir toute limite
mais de faire plutôt que l’on puisse choisir ses limites, que
l’on puisse choisir quelles contraintes on souhaite ». C’est
ainsi que la mort elle-même, en tant que limite, ne
s’imposerait plus au « posthumain » qui acquiert la
possibilité de choisir de mourir ou non ! Nous allons évoquer
un peu plus loin cette question de l’immortalité. Le principe
de choix libre et personnel sur lequel les transhumanistes
insistent est très important dans la mesure où il permet
effectivement de sauvegarder la liberté individuelle que
l’immixtion de la machine et de l’ordinateur dans cet
environnement a tendance à menacer.
On n’a pas le sentiment, à ce niveau, qu’il y ait
effectivement changement de nature humaine quand on passe
de l’homme au posthumain tel que le présente ici Nick
Boström. Cette impression demeure quand nous nous
arrêtons un instant sur la façon de voir de l’autre co-fondateur
du mouvement, l’Anglais David Pearce, lui qui prône
« l’abolition de la souffrance43, l’exaltation du bonheur, étant
donné que le transhumanisme impose que les substrats
biologiques de notre esprit soient remodelés afin de permettre
à « l’homme du futur proche » d’être sublimement heureux et
animé d’une soif de vivre invincible et pétri d’une humanité
profonde ». Dans l’entourage de David Pearce on parle de

43
David Pearce, 2007, Le projet abolitionniste, Communications livrées
devant le FHI (Université d’Oxford)
www.abolitionist.com/french/index.html

83
« l’ingénierie du paradis » en rapport avec la préparation d’un
« futur plus profondément extatique que tout ce qu’il est
possible d’imaginer aujourd’hui. Une sorte de
« naturalisation du paradis » à travers une technique baptisée
la « wireheading » qui consiste en des stimulations
électriques des zones du plaisir du cerveau humain. Ne serait-
ce pas ce que produirait déjà la consommation de certaines
drogues ? Ou alors, le fait d’utiliser le même langage et les
mêmes termes que ceux utilisés par l’homme ordinaire
cacherait peut-être une réelle différence de nature entre les
sentiments éprouvés par le posthumain et ceux éprouvés par
l’homme biologique et ordinaire ? N’y a-t-il pas ici quelque
chose qui ferait penser à ce que Sébastien Morgan dit de
« l’humour, l’art, la poésie, le génie, la foi et l’amour qui sont
disséqués comme de vulgaires insectes par les sciences
cognitives, arrogantes et triomphantes » ?
Affirmer comme le fait Nick Boström dans l’entretien déjà
cité que « Nous refusons de croire que nous sommes ce qu’il
y a de mieux, que nous sommes une sorte d’aboutissement,
une création indépassable » n’est pas ce qui soulèverait
d’objection majeure en soi ; c’est quand il s’agit de prétendre
que la nature humaine est appelée à changer ou à être
modifiée par le transhumanisme qu’il apparaît urgent de
définir cette nouvelle nature humaine. On pouvait imaginer
dans un premier temps qu’il s’agirait plutôt d’une différence
de degré, en quantité comme en qualité, entre la première
nature humaine et celle qu’annonce le transhumanisme, si
nous considérons l’insistance de Nick Boström tout comme
de David Pearce sur la possibilité de choisir de faire durer
comme on veut les « états d’être » « fabuleux »selon les
termes de Nick Boström, ou « sublimes » comme le dit de
son côté David Pearce..
Sur quel terrain se situerait donc ce qui ressemblerait à une
sorte de changement, voire de « modification » de la nature
humaine ? En réalité nous avons déjà évoqué cette étape qui

84
consiste en cette hybridation homme-machine ou encore cette
sorte de cohabitation de l’homme biologique et de la machine
sous la forme des puces électroniques, des nanonorobots, des
disques durs et des implants qui seraient introduits dans le
corps de l’homme pour renforcer l’énergie de vie et le
contrôle du métabolisme. Il y aurait effectivement
modification de la nature humaine au plan physique et
matériel. Voici comment la constitution ou la fabrication du
post-humain est théoriquement présentée dans l’encyclopédie
Wikipedia : « Selon certains, un post-humain serait un être
transformé par la technologie en autre chose qu’un être
humain (il pourrait ne pas avoir besoin de naître
biologiquement, ou pourrait ne pas mourir)…Si un chirurgien
remplace un neurone par un circuit intégré qui copie
fidèlement son fonctionnement, vous ressentez les choses de
la même manière et vous vous comportez comme auparavant.
Ensuite il remplace un autre neurone de la même manière,
puis un troisième jusqu’à ce que la plus grande partie de votre
cerveau soit constituée de puces électroniques. Puisque
chaque puce fonctionne exactement comme le neurone
qu’elle remplace, votre comportement et votre mémoire ne
sont pas modifiés. Pourriez-vous noter une différence ? Est-
ce que c’est la même chose que mourir ? Est-ce qu’une autre
entité a emménagé à l’intérieur de vous ? Jean Michel
Besnier fait valoir que pour des raisons épigénétiques, les
neurobiologistes estiment qu’il ne saurait y avoir de cerveau
isolé comme l’imaginent les posthumanistes ou
transhumanistes ». L’article du Wikipedia se poursuit :
« Grâce à son ingéniosité, l’homme n’aura plus besoin de
naître : il s’autoproduira. Il ne connaîtra plus la maladie : des
nanorobots le répareront en permanence. Il ne mourra plus,
sauf à effacer volontairement le contenu téléchargé de sa
conscience. Mais comment vivrons-nous dans ce monde-là ?
Quelle éthique nous mettra en harmonie avec une humanité

85
élargie, capable d’inclure autant les animaux que les robots
ou les cyborgs ? »
Elle semble bien réelle ici, la modification annoncée de la
nature humaine, au plan physique et corporel. Si pendant un
bon moment l’homme aura fabriqué de nombreux robots mis
à son service, le moment du posthumain sera celui où lui-
même sera devenu un robot, à tout le moins une machine.
Que lui restera-t-il d’humain ? La perfectibilité de la nature
humaine telle que rappelée ci-haut, aura-t-elle concerné tous
les attributs de l’humanité première ou seulement quelques-
uns de ces attributs ? La réponse, notre réponse ici est que la
transformation annoncée par les transhumanistes se résoudra
en sacrifice et destruction de la partie fondamentale de ce qui
fait l’homme, à savoir la spiritualité. Les transhumanistes
sont dominés par une vision matérialiste qui n’aspire qu’à des
développements en capacités calculatrices et combinatoires
qui laissent penser à tort que l’intelligence serait le tout de
l’esprit, une intelligence qui elle-même serait restreinte aux
dépens de la plasticité et de la souplesse, du sens de la nuance
et de la finesse que le fait de l’artificialité des automatismes
plus ou moins mécaniques élimine ou ignore tout
simplement. Le risque d’ores et déjà apparent dans cette
perspective est celui de voir s’installer une société sans âme !
Dans un article publié sur le site aletéia.org Sébastien
Morgan écrit : « Dans le monde à venir, vers où que l’on se
tourne, vers les progrès de l’intelligence artificielle ou vers la
robotisation de l’être humain, l’ère transhumaniste est une ère
glacée et totalement désenchantée où l’être humain, tel que
nous le connaissons n’a effectivement plus de place » 44.

44
Sébastien Morgan : « L’homme serait-il dépassé par les conséquences
de ses propres inventions ? », in fr.aletéia.org, article publié le
12/01/2017.

86
2- Intelligence artificielle et Superintelligence
Bien que Kurzweil prétende qu’en 2029 les ordinateurs
feront preuve d’intelligence émotive, qu’ils pourront faire des
blagues, être sexy, comprendre les émotions humaines,45
(émotivité, blagues, sexisme qui risquent du reste d’être
marqués par une absence de finesse et une rigidité
mécanique), l’aspect sur lequel il insiste le plus, quand il doit
expliquer ce qu’est la « Singularité » porte sur l’intelligence
artificielle et la superintelligence. En effet au sujet de cette
intelligence artificielle dont on ne vante surtout que sa
fonction calculatrice, il prétend qu’en 2045 la puissance de
calcul d’un ordinateur sera un milliard de fois supérieure à
celle d’un homme. Dans un article de 1993, Vernor Vinge
écrivait : « Dans trente ans, nous aurons les moyens
technologiques de créer une intelligence superhumaine. Peu
après, l’ère humaine prendra fin » !46L’échéance des trente
ans se situe en 2023. Il y a une différence importante de 22
ans entre les estimations respectives de Ray Kurzweil et
celles de l’universitaire Vernor Vinge.
Un grand tapage a été orchestré autour de la défaite subie
au jeu de GO par l’un des meilleurs joueurs au monde, le
Coréen Lee Sedel devant une machine, Alpha GO. Des
chercheurs et des spécialistes de l’intelligence artificielle se
sont mis à vanter leur produit et à prétendre que la machine
45
Dans Demain les posthumains, Jean Michel Besnier rapporte à la page
123 la définition suivante que les spécialistes du génie robotique donnent
des émotions humaines supposées être ressenties par des robots : « Les
émotions humaines sont avant tout une série de signaux électriques et
chimiques que notre cerveau interprète pour produire un sentiment
particulier. Et cette émotion est à la base d’une série de décisions sur ce
qu’il faut faire ensuite » ! Une définition qui « en dit long sur les états
d’âme des spécialistes du génie robotique » comme le commente Jean-
Michel Besnier
46
Repris de l’article On line de Amélie Charny intitulé « Le
transhumanisme en cinq questions » Lien Internet :
www.01net.com/actualités/le-transhumanisme

87
est devenue plus intelligente que l’homme ! Guillaume
Renouard écrit à ce sujet : « Aussi spectaculaire que soit cette
réalisation, elle demeure l’apanage de logiciels qui doivent
tout au labeur humain…en outre ces logiciels sont ultra
spécialisés : Alpha GO est peut-être le meilleur joueur de GO
de tous les temps, il demeure incapable d’aligner trois mots
ou de discerner une chèvre d’un hibou, ce dont serait bien sûr
capable n’importe quel joueur de Go humain débutant. ».47
Que les programmeurs du robot qui a remporté le jeu de Go
devant un homme sautent de joie jusqu’au ciel, se
« congratulent » de leur exploit se comprend parfaitement.
Mais de là à laisser l’impression que la machine toute seule
est devenue plus intelligente que son créateur ressemble à une
très hâtive inversion de l’ordre des choses.
C’est l’intelligence humaine qui crée l’intelligence
artificielle. Et en quoi consiste cette intelligence artificielle si
ce n’est en objets programmés pour accomplir des tâches bien
déterminées : distributeurs de monnaie, jeux vidéo, assistants
conversationnels du genre « google home », « siri » d’Apple,
Axelle d’Amazon, etc. Les « chat bots » proposent des
conversations balisées, avec des questions et des réponses
programmées à l’avance. Grâce à une technologie qui permet
à des machines d’apprendre des concepts et d’effectuer des
décisions, on a pu fabriquer des « chat bots » qui s’adaptent à
des situations nouvelles, à des demandes non programmées
relatives à des secteurs tels que le service-client, les
Actualités ou encore les recommandations ou les suggestions
de restaurants et d’hôtels. Un degré plus fort encore, cette
technologie mise au point par l’homme permet à un objet
intelligent tel que le « Murphy » construit par Microsoft,
d’effectuer des photo-montages à partir d’images trouvées sur
Internet, en lui indiquant tout de même les éléments ou les
47
Guillaume Renouard, in « Une intelligence artificielle globale et
agnostique peut-elle exister ? », article publié dans le site d’information
NUMERAMA, janvier 2017.

88
images que l’on souhaite mélanger. Faisant dans la
surenchère, le cofondateur de Google, Sergeï Brin prétend
que « Nous allons faire des machines qui pensent, qui
raisonnent et feront les choses mieux que l’homme » ! Israel
Nisand de son côté affirme que « les robots chirurgicaux
opèreront mieux que les hommes dans un futur pas très
lointain ».48 Parmi les caractéristiques qui détermineront les
chances de succès d’un « bot », un « Senior Executive et
Board member de « Nuance Communications », en la
personne de Scott Wickware, fait figurer en troisième
position « l’intelligence artificielle avec assistance
humaine ». Ce sur quoi nous attirons l’attention ici, est que
par intelligence artificielle les spécialistes eux-mêmes
désignent de plus en plus des objets dits intelligents, tandis
que le concept d’intelligence conserve le sens de faculté
appartenant à l’être humain. En second lieu, ce sur quoi nous
attirons encore l’attention est que l’assistance humaine,
mieux que l’assistance, le rôle créatif de l’homme demeure
une garantie pour la réussite des « intelligences artificielles ».
Il ne devrait pas être question d’inverser les rôles entre
l’Intelligence humaine et l’intelligence artificielle,
heureusement ! Michael Ben David le fait comprendre à ceux
qui penseraient le contraire quand il rappelle que « chaque
projet technologique a créé un secours. Lorsque l’ascenseur a
été créé pour nous faciliter la vie, l’escalier de secours a été
créé. Il en va de même pour l’humanité : l’intelligence
artificielle est une humanité de secours »49.
La Superintelligence pourra-t-elle se passer de cette
assistance de l’homme quand on lui prête la possibilité de
prendre des initiatives qui puissent être nuisibles à son propre
créateur ? Dans son article du 11 octobre 2016 sur le site

48
Site web : http//info.arte.tv/fr/lhomme-du-futur-sera-t-il-encore…
49
Ibid.

89
Motherboard50, Phil Torres explique que la superintelligence
« n’est pas un outil que quelqu’un pourrait utiliser pour
détruire notre civilisation. La superintelligence est un agent à
part entière ». Torres réagit ainsi aux craintes exprimées par
de nombreux intellectuels dont Sam Harris qui crie
« Attention ! Une machine superintelligente et quasi
omniprésente pourrait annihiler l’humanité toute entière »51.
A ce sujet, Phil Torres rappelle avec raison que la
superintelligence ne se crée pas toute seule, elle est créée par
l’homme et il poursuit : « Etant donné que cette
superintelligence aurait été créée par nous, nous pourrions
peut-être lui donner certains buts en la programmant »52.Un
exemple qu’il cite, situe correctement la responsabilité de
l’homme par rapport aux initiatives que peut prendre la
superintelligence : « Imaginons, écrit-il, que nous
demandions à une machine superintelligente de recueillir
autant d’énergie solaire que possible. Que ferait-elle ? De
toute évidence elle couvrirait chaque mètre carré de la surface
terrestre avec des panneaux solaires, oblitérant au passage la
biosphère (dont nous faisons partie). Et tant pis pour l’Homo
Sapiens ». La même « assistance humaine » que Scott
Wickware juge indispensable pour les « Intelligences
Artificielles » ordinaires que sont les « bots », devrait
continuer d’être utile pour la superintelligence. On ne peut
donc pas dire que la machine superintelligente échappe
entièrement au contrôle de l’homme, ni qu’elle soit un
« agent à part entière » en laissant sous-entendre qu’elle
serait douée d’une autonomie décisionnelle et
d’autoprogrammation qu’elle aurait arrachée à l’homme, sans
que l’homme ait pu y faire quoi que ce soit. Dans le même

50
Phil TORRES, « Nous ne sommes pas prêts pour le superintelligence »:
site : Motherboard.vice.com/fr/read/nous-ne-sommes-pas-prets-pour-la-
superintelligence
51
Cité dans l’article de Phil Torres
52
Article de Phil Torres déjà mentionné.

90
article de Sébastien Morgan que nous venons de citer, celui-
ci pose cette interrogation que nous faisons également nôtre :
« Quelle est donc la part de responsabilité d’un savant soumis
aux nécessités de l’efficacité ? Et en l’absence de
responsabilité, en cas d’application néfaste des découvertes
scientifiques, à qui incombe la faute ? ». Alors revient à
l’esprit de tout un chacun, la célèbre réflexion de Rabelais
selon laquelle « science sans conscience n’est que ruine de
l’âme » !
Quand Nick Boström est invité à dire un mot sur le
concept de « Singularité » de Kurzweil, voici ce qu’il répond
à Antoine Robitaille dans l’interview déjà évoquée :
« L’hypothèse de la « Singularité » est qu’il y aura un
moment dans l’avenir où le progrès technologique deviendra
extrêmement rapide ; et cela découlera de l’émergence d’une
intelligence artificielle qui dépassera celle des humains et qui
s’améliorera elle-même. ». Ce qui suit, dans sa déclaration,
mériterait qu’on le garde en mémoire en attendant de voir ce
qu’on verra ; il dit ceci : « Est-ce un scénario juste ou non ?
Personne n’a de réponse définitive à cette question. Il se
pourrait que le développement technologique soit
éternellement graduel. Ou alors, les êtres humains
disparaissent, ou que notre espèce s’éteigne avant ». Il ne
conclut pas sur cette note pessimiste ; c’est pourquoi il
ajoute : « Mais il y a selon moi, une réelle possibilité que l’on
atteigne ce moment où le progrès deviendra extrêmement
rapide, et cela pourrait arriver du jour au lendemain »53. Voilà
une vision de la question plus prudente et qui relativise le fait
de fixer une date à ce qui ne peut être qu’une production
progressive. Cela ne se passe pas comme pour l’apparition

53
« A terme, peut-être que les machines deviendront plus intelligentes
que l’homme, mais cela va prendre beaucoup de temps, et cela sera
surtout un processus progressif : on ne va pas se réveiller un matin en
réalisant que les machines sont devenues conscientes », cité par
Guillaume Renouard, dans l’article déjà mentionné.

91
d’une étoile filante au-dessus de nos têtes, par une nuit de ciel
étoilé !
Quelle serait la nature de ce progrès « qui pourrait arriver
du jour au lendemain, alors que le cyborg aura déjà fait son
apparition ? Un cyborg qui ne se sera pas créé tout seul, ni
n’aura résulté d’un quelconque hasard, ni d’une tension du
vivant vers un nouvel équilibre, à la manière des évolutions
passées. Le cyborg sera issu d’une ingénierie dont il n’est pas
exagéré de dire qu’elle représente une artificialisation de
l’évolution à travers un « bricolage du vivant ». Jusqu’à quel
point pourrait-on considérer comme certain, ce qui est
proclamé par les adeptes du « singularisme » et qui prétend
que « les capacités des machines seront tellement supérieures
à celles des hommes qu’elles pourront gérer elles-mêmes
leurs propres activités, créer elles-mêmes de nouvelles
machines de plus en plus performantes et prendre elles-
mêmes les décisions les concernant et nous
concernant ? »54
Comment s’expliquer en même temps le semblant
d’inconnu que Kurzweil lui-même laisse ressentir quand il
décrit le moment de l’avènement de la « Singularité »,
notamment dans cet entretien avec Denis Failly55 où il
compare cette situation à ce qu’on peut dire du trou noir de
l’espace dont on ne peut rien voir de ce qui se situe au-delà ! :
« Le terme « Singularité » dans mon livre est à comparer
avec l’usage qui en est fait par la communauté des
physiciens. Juste de la même manière qu’il nous est difficile
de voir au-delà de l’horizon de l’événement du trou noir, de
même nous est-il difficile de voir au-delà de l’horizon de

54
Michel Duchaine, « Ray Kurzweil, le sioniste qui menace l’humanité et
l’humanisme », article publié le 6 janvier 2014 sur le site :
michelduchaine.com/2014/01/06/ray-kurzweil
55
Denis Failly, Humanité 2.0, « Une interview de Ray Kurzweil autour de
L’humanité 2.0, La Bible du changement », M21 Editions, 2007.

92
l’avènement de la Singularité historique. Comment pouvons-
nous, avec notre cerveau biologique limité, imaginer la
civilisation de notre futur, avec son intelligence multipliée
des trillions de fois, capable de pensée et d’action ?
Néanmoins, de la même manière que nous pouvons tirer des
conclusions au sujet de la nature des trous noirs en utilisant
notre pensée conceptuelle, malgré le fait que nous ne nous
soyons pas trouvé à l’intérieur d’un trou noir, notre pensée
d’aujourd’hui est suffisamment puissante pour se donner des
vues significatives relatives aux implications de la
Singularité. C’est ce que j’ai tenté de faire dans ce livre 56 ».
Comment s’expliquer que Kurzweil et Nick Boström
insistent sur l’inconnu à advenir alors même qu’ils n’ont pas
tari, l’un comme l’autre, en proclamations et annonces de ce
que l’humain biologique va devenir ? Quelle réelle
importance doit être attachée à ce concept de Singularité à
part celle d’un mythe chargé d’entretenir l’attente d’une
rupture ? Une nouvelle civilisation ? Sur le terrain de l’action,
jour après jour cependant, ce sont des ingénieurs
biotechnologues, nanotechniciens, informaticiens et autres
spécialistes des sciences cognitives qui « fabriquent » les
ordinateurs et feront le montage des cyborgs ! Voudraient-ils
laisser sous-entendre que cette évolution se fait ou se fera
toute seule et dans une sorte de laboratoire caché qui
remplace le laboratoire du vivant par lequel est passé

56
Version originale en anglais : « « The term « Singularity » in my book
is comparable to the use of this term by the physics community. Just as
we find it hard to see beyond the event horizon of a black hole, we also
find it difficult to see beyond the event horizon of the historical
Singularity. How can we, with our limited biological brains, imagine what
our future civilisation, with its intelligence multiplied trillions-fold, be
capable of thinking and doing ? Nevertheles, just as we can draw
conclusions about the nature of black holes through our conceptual
thinking, despite never having actually been inside one, our thinking to-
day is powerful enough to have meaningful insights into the implications
of the Singularity. That’s what I’ve tried to do in this book.

93
l’évolution à la darwinienne qui a conduit à l’homo sapiens ?
Même dans le cadre du rythme des productions que la loi de
Gordon Moore a défini, le défi était lancé aux fabricants des
microprocesseurs et s’étend aujourd’hui aux fabricants des
ordinateurs. En effet cette loi de Gordon Moore concernait
les transistors et s’était énoncée de la manière suivante : « le
nombre des transistors de même taille va doubler tous les 18
mois. » Cela ne laissait pas penser que les transistors allaient
se multiplier tout seuls. La loi apparaissait comme un défi
lancé aux fabricants. C’est l’homme de science et l’ingénieur
qui programment et mettent au point les transformations et
les modifications de la nature humaine. Quand l’article de foi
fondamental du transhumanisme (toutes tendances
comprises : les extropiens, les singularistes et les
immortalistes) affirme que « la technologie permettra de
transcender les limites biologiques de l’être humain », les
choses sont claires. C’est l’homme qui est à l’œuvre pour
modifier l’homme. C’est l’homme d’aujourd’hui qui est en
train de créer un autre type d’homme aspirant à s’évader de
« l’enveloppe biologique » naturelle et non le concept abstrait
de « technologie ». Ray Kurzweil le reconnaît pourtant dans
cette même interview avec Denis Failly quand il déclare :
« Chaque fois que nous apercevons la fin de parcours pour un
paradigme, cela produit une pression sur la recherche en vue
de mettre à jour un nouveau paradigme. C’est ce qui est en
train de se produire avec la loi de Moore, même comme nous
nous situons encore à au moins quinze ans avant la fin de
notre capacité de miniaturiser les transistors dans un circuit
intégré plus petit. Nous sommes en train de faire des progrès
gigantesques sur la voie de la création du sixième paradigme
qui est un ordinateur moléculaire à trois dimensions »57 (une

57
Version originale en anglais : « Each time we can see the end of the
road for a paradigm, it creates research pressure to create the next one.
That’s happening now with Moore’s law, even though we are still about
fifteen years away from the end of our ability to shrink transistors on a

94
loi de Moore menacée de caducité lorsqu’en 2016, selon
Christine Kerdellant, « les fabricants ont dû admettre qu’ils
ne feraient plus la course à la miniaturisation »)58. C’est
néanmoins, de la part de Ray Kurzweil, reconnaître que le
processus d’évolution dans lequel le transhumanisme engage
la nature humaine aujourd’hui, ne saurait être dit dépendre
d’autres facteurs et même de moteurs autres que la volonté et
l’action des hommes eux-mêmes.
En effet, d’où viendra que notre intelligence, qui se
déploie dans des rapports biologiques avec le cerveau,
devienne un jour non-biologique et des milliards de fois plus
puissante qu’elle n’est aujourd’hui ? D’où viendra, ou alors
qui fera que les distinctions entre l’humain et la machine,
entre le réel et la réalité virtuelle s’estompent
progressivement ? Qui donc mettra au point les techniques
permettant à l’homme d’adopter des corps différents et de
multiplier les « versions de ses esprits » comme cela nous est
annoncé ? Le remplacement de l’humain par le robot est
engagé par l’homme lui-même ! Comment, étant partis du
rationalisme le plus rigoureux, se mettre à laisser
l’impression que ce n’est plus l’homme qui est à l’œuvre,
mais les machines devenues créatrices et inventives, voire
ennemies de leur inventeur ? Des machines humaines
autonomes, concevant des projets et programmant toutes
seules leur réalisation ? Des machines que leurs créateurs-
hommes auront dotées du sens de l’initiative et de volonté ?
Dans une interview qu’on peut encore lire sur son site59, cet
aspect de la situation est relevé quand l’intervieweur lui fait
observer que beaucoup de personnes se donnent une idée de
la « Singularité » semblable à une sorte de lieu magique d’où

flat integrated circuit. We’re making dramatic progress in creating the


sixth paradigm, which is three dimensional molecular computing. ».
58
Ouvr. Cité. P. 284
59
H+ magazine I Ray Kurzweil : The h+ interview, december 30, 2009,
site : www.kurzweilai.net/ray-kurzweil-the-h-interview

95
pourraient sortir pas mal de choses transformant nos rêves en
réalités. « Question : Vous avez probablement entendu des
critiques parler de la Singularité ; ils lui donnent le nom
d’« Extase de binoclars ». Et beaucoup de personnes qui
partagent cette idée donnent l’impression de se représenter la
Singularité comme une sorte d’espace magique dont peut
sortir pas mal de choses et qui transforme vos rêves en
réalités. Quelle distinction faites-vous entre votre façon de
voir la Singularité et une vue utopique ? »60
Voici la réponse donnée par Ray Kurzweil, traduite en
français par nous-même, mais dont nous reproduisons ci-
dessous en note la version originale en anglais : « Je ne pense
pas nécessairement que ce soit une vue utopique. Je veux dire
qu’il est difficile de se représenter la globalité de la chose.
Nous avons un certain niveau d’intelligence et il est difficile
d’imaginer ce que cela signifie, ni ce que cela donnerait si
nous cherchons à étendre largement la chose. Ce serait
comme si on demandait aux hommes et aux femmes habitant
des grottes : eh vous, qu’est-ce que vous aimeriez bien
posséder ; et qu’ils vous répondent : nous aimerions un
rocher plus gros pour ne plus avoir les animaux dans notre
cave ; et nous aimerions bien voir ce feu brûler sans
s’éteindre. Et vous continuez en leur disant : vous ne voulez
pas un bon site internet ? Que pensez-vous de ce que doit être
l’habitat de votre deuxième vie ? Ils ne pourraient pas se
représenter ces choses. Des choses qui ne sont que des
innovations technologiques »61
60
Question : « You’ve probably heard the phrase from critics of the
Singularity – they call it the « Rapture of the Nerds ». And a lot of people
who are into this idea do seem to envision the Singularity as a sort of
magical place where pretty much anything can happen and all your
dreams come true. How do you separate your view of the Singularity
from a utopian view ?
61
Version originale en anglais : « « I don’t necessarily think they are
utopian. I mean, the whole thing is difficult to imagine. We have a certain
level of intelligence and it’s difficult to imagine what it would mean and

96
« Espace magique », mystère des « trous noirs »,
« Singularité » et Humanité 2.0, ne voici-t-il pas de
l’irrationnel qui entre par la grande porte dans ce qui semblait
être le temple exclusif de la raison et de la rationalité ? Jean
Gabriel Garnascia, professeur d’informatique à l’Université
Pierre et Marie Curie, sur cet aspect de la question, estime
aussi que « ses collègues qui prophétisent la Singularité
abusent de leur autorité en annonçant des catastrophes
absurdes » ; pour lui, « la survenue annoncée de la machine
qui dépassera l’homme et sera dotée d’une volonté et d’une
conscience autonome (définissant donc elle-même ses buts)
ne relève pas de la science mais d’un récit ». Dans ce récit,
« l’argumentation rationnelle qui distingue la science de
l’imaginaire narratif est absente ». Jean Gabriel Garnascia
poursuit et conclut : « La science de l’intelligence artificielle
– qui existe et dont les succès sont majeurs – est transformée
en une prophétie non scientifique »62. Ray Kurzweil tient un
langage qui justifierait des réserves à émettre concernant
toutes les prédictions annoncées, tant par lui que par d’autres
transhumanistes. Comment oublier les propos, tout en
nuances et « jongleries » de Nick Boström s’interrogeant et
répondant au sujet de l’avènement de cette « Singularité » :
« Est-ce un scénario juste ou non ? Personne n’a de réponse
définitive à cette question. Il se pourrait que le
développement technologique soit éternellement graduel. Ou

what would happen when we vastly expand that. It would be like asking
cavemen and women, ‘’ Well, gee, what would you like to have ? » And
they’d say, « Well, we’d like a bigger rock to keep the animals out of our
cave and we’d like to keep this fire from burning out ? » And you’d say,
well, don’t you want a good web site ? What about your Second Life
habitat ? » They couldn’t imagine these things. And those are just
technological innovations ». La technologie ! C’est comme si Kurzweil
hypostasiait la technologie en tant que telle. Le concept de « Singularité »
se voit attribuer l’ampleur de toute une nouvelle civilisation qu’on ne peut
pas imaginer à travers les innovations technologiques !
62
Article paru dans le journal Le monde daté du 28 janvier 2017

97
alors les êtres humains disparaissent, que notre espèce
s’éteigne avant... » ! Apparemment et selon ce propos de
Nick Boström, il n’y aurait aucune certitude quant à
l’avènement d’une nouvelle espèce humanoïde qui
s’appellerait posthumain ou cyborg ? Mais à partir du
moment où le portrait du cyborg peut être tracé et que la
robotique est en grand progrès, qu’est-ce qui justifierait
l’hésitation de Nick Bostrôm et la difficulté éprouvée par
Kurzweil lui-même à définir la « Singularité », ou peut-être
seulement à décrire le processus de son avènement ? Ne
serait-ce pas là l’expression des limites du pouvoir ou de la
puissance qu’ils ont placée dans l’intelligence en général,
l’intelligence artificielle et la superintelligence en
particulier ?
L’intelligence artificielle crée-t-elle du radicalement neuf,
ou se limite-t-elle plutôt à calculer, combiner, analyser,
établir des relations et des rapports entre ce qui existe déjà ?
Sortons du domaine du calcul en tant que tel pour considérer
trois autres domaines dans lesquels l’intelligence artificielle
est déjà utilisée ou va être utilisée : la traduction, le goût et
les saveurs culinaires et la haute couture. Que faisaient
d’autre les anciens moteurs de Google Traduction sinon
l’analyse d’un volume énorme de big data pour repérer des
phrases qui reviennent le plus souvent et proposer des
traductions automatiques se fondant sur la statistique ? Les
résultats étaient approximatifs, pleins de contresens et
ignorant totalement la concordance des temps, entre autres
règles. Aujourd’hui, grâce au système NMT (Neuronal
Machine Translation) lancé par le groupe sud-coréen Systran,
on est supposé avoir affaire à une intelligence artificielle
neuronale qui pourrait « embrasser la complexité de la langue
et la restituer », dit-on, « mieux qu’une personne non-

98
native »63, ce qui n’est pas une manière de désigner
l’excellence ! Mais avec ce système NMT que fait-on d’autre
sinon analyser, combiner à partir des données de cette
complexité pas très différente en nature des big data ?
S’agissant du domaine du goût et des saveurs culinaires, il
nous est révélé qu’un chercheur japonais aurait conçu un
réseau de saveurs pour tenter de repérer les ingrédients les
mieux à même de se marier entre eux ! Ici également il y a
constitution de données qui s’appelleraient ici ‘’réseau de
saveurs’’ à partir duquel le chef cuisinier pourrait procéder à
des combinaisons permettant de découvrir par hasard ou
tâtonnement, que cuire la viande de bœuf mélangé à du café
donnerait un excellent goût ! Mais pour qui et quel goûteur ?
Certes pas la machine, mais le chercheur, qu’il soit cuisinier
lui-même ou non ! Dernier des trois domaines choisis par
nous, la haute couture : Que ferait ici l’intelligence artificielle
à laquelle une grande maison de couture confierait un jour sa
direction artistique ? Elle ne penserait véritablement pas ses
propositions comme si elles pouvaient être des idées
originales produites par la machine, mais plutôt le résultat des
combinaisons et analyses du déjà existant qui pourrait
consister en la collecte des informations relatives à toutes les
collections antérieurement produites par cette maison de
haute couture, les cahiers de tendances publiés chaque année
depuis un grand nombre d’années, les rapports de ventes des
divers points de vente ainsi que les articles des journaux
concernant la maison de couture en question ! Dans les trois
cas que nous venons d’évoquer rapidement, il ne s’agit pas de
calcul en tant que tel, ni encore moins de pensée qui
supposerait qu’un jour des machines pourraient être
reconnues comme auteurs de systèmes philosophiques à la
Descartes ou à du David Hume !

63
Article de Sylvain Rolland, intitulé : « Quand l’intelligence artificielle
révolutionne la traduction automatique » : www.latribune.frtechnos-
medias/internet/quand-l-intelligence-artificielle.. 22déc.2016.

99
Nous ne sommes pas les seuls à considérer que bien des
spécialistes de l’intelligence artificielle ont eu tendance à la
réduire à n’être que du calcul ; dans l’article publié par le
journal La Croix du 28 janvier 2017, le théologien et
philosophe Xavier Lacroix écrit : « Tel titre évoque une
machine intelligente simulant, voire dépassant les capacités
humaines. Comme si l’intelligence pouvait être le propre
d’une machine, c’est-à-dire d’un enchaînement de causes et
d’effets… Ces discours confondent intelligence et calcul »,
conclut-il avec raison. Et Jerry Kaplan, qui, lui, est un
informaticien bien versé dans le futurisme, va dans le même
sens que le théologien et philosophe Xavier Lacroix, quand,
dans une tribune du M.I.T, il considère comme inapproprié le
concept d’intelligence artificielle auquel il préfère celui
d’« informatique anthropique ».
Si un jour des programmations de plus en plus
sophistiquées devaient mettre au point une intelligence
artificielle qui, grâce au « machine deep learning » pourrait
tirer des conclusions indépendantes et non contrôlées par
l’homme et provoquant des situations déplorables, à qui
incombera la responsabilité de cette évolution des choses si
ce n’est au programmeur qu’est l’homme, le seul agent qui
puisse être dit jouir d’une liberté de choix ainsi que d’une
connaissance du bien et du mal ?
Dans « Les Nouveaux possédés », Jacques Ellul déclare
avec pertinence : « Ce n’est pas la technique qui nous
asservit, mais le sacré transféré dans la technique »64 !
Avant de s’occuper de savoir s’il faut légiférer sur les
« droits des robots » ne faudrait-il pas au préalable s’occuper
de la régulation en matière de robotique et de la recherche
scientifique attachée à la transformation de l’homme ? Le

64
Jacques Ellul, Les nouveaux possédés, Mille et une nuits, Paris, 2003,
p. 316.

100
zèle technophile de certains les pousse plutôt à envisager déjà
une nouvelle déclaration universelle des droits pour des
robots !

3- La question éthique : L’homme ne peut pas fuir sa


responsabilité
Nous dira-t-on que c’est faire preuve de naïveté que de
songer à introduire des considérations morales dans cet
univers dominé par le souci de rentabilité financière et
économique avant toute chose ? Avec le numérique
impliquant la robotique et toutes les formes que prend
l’intelligence artificielle, ne s’agit-il pas de la « quatrième
révolution industrielle mondiale » dont on parle ? Parler
d’industrie c’est parler de production massive des biens et des
services à distribuer, non pas gratuitement mais moyennant
paiement. La production industrielle appelle
automatiquement la commercialisation des biens produits et
c’est pour cela que nous avons engagé cette réflexion par le
chapitre intitulé « transhumanisme de l’argent et des
marchands » ! Il existe bel et bien une révolution industrielle
par le numérique qui s’exprime tant au plan de la facilitation
et de l’accélération des processus de fabrication qu’au plan de
la plus grande capacité de diffusion de l’information sur les
productions nouvelles, à travers l’Internet et la publicité
ciblant de plus en plus individuellement les éventuels
consommateurs, par l’utilisation de leurs adresses
électroniques pour les intéresser à la consommation des biens
nouveaux qui sont essentiellement des services : e-commerce,
mobile-banking, e-transfert d’argent, livres numériques,
marketing sur les réseaux sociaux, billets de théâtre vendus
en ligne, impression des cartes d’embarquement des voyages
aériens sur Internet, etc. ! Mais la dimension la plus frappante
de la révolution du numérique se voit à travers les moyens
puissants qu’il donne aux industriels et aux commerçants
d’exercer des pressions qui ressemblent de plus en plus à du

101
harcèlement du consommateur ou de l’acheteur potentiel, dès
l’instant qu’il peut être atteint sur Internet et même dans son
sommeil par la musique d’une annonce publicitaire sortant de
son Smartphone ! De plus en plus aujourd’hui, sur dix
annonces de messages sur les Smartphones de certaines
personnes, parfois plus de la moitié sont des messages
publicitaires.
La question éthique ne se soulève pas pour la première
fois ici, avec le numérique ; elle s’est soulevée tout le temps
pour dénoncer des publicités mensongères, le dol, le trucage
des instruments de mesure, etc. Mais aujourd’hui, avec le
transhumanisme et les objets intelligents et connectés, les
offres multiples en eugénisme dans un contexte plus que
jamais marqué par les inégalités devant l’offre d’amélioration
de la nature humaine conduisant jusqu’à l’hybridation
« assassine » homme-machine, (le cyborg), la question
éthique se pose avec plus de gravité.
L’écrivain russe de science-fiction Isaac Asimov avait
imaginé un code moral pour les robots en formulant des lois
bien connues sous l’appellation de « Trois lois de la
robotique ». Nous les rappelons ici :
Première loi : Un robot ne peut porter atteinte à un être
humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au
danger. Deuxième loi : Un robot doit obéir aux ordres
donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en
contradiction avec la première loi. Troisième loi : Un robot
doit protéger son existence dans la mesure où cette
protection n’est pas en contradiction avec la première ou la
deuxième loi.
Le plus important ici réside dans l’affirmation de la
nécessité d’un minimum de règles définissant un minimum
d’éthique pour des machines appelées robots et manquant
d’âme et de conscience, attributs fondamentaux du vivant-
homme. Si jamais le robot pourra être dit doté de conscience,

102
ce ne pourrait être que de la « conscience artificielle », bien
éloignée de l’immortelle et céleste voix magnifiée par Jean-
Jacques Rousseau dans sa célèbre interpellation contenue
dans son ouvrage Emile ou de l’Education : « Conscience !
Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide
assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ;
juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme
semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature
et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi
qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de
m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement
sans règle et d’une raison sans principe ».65 De tels robots
demeurent des instruments, à la différence de ce que dit Phil
Torres de la « Superintelligence » qui ne serait pas un
instrument comme un autre et utilisable par l’homme, mais
un agent à part entière ! Et pourtant la Superintelligence ne se
crée pas toute seule ; quand elle verra le jour, ne sera-t-elle
pas créée par l’homme ? Et son créateur ne pourra ou ne
devra-t-il pas lui donner certains buts en la programmant, ne
serait-ce qu’à partir des trois lois de la robotique énoncées
par Asimov ? Qu’est-ce qu’un « agent à part entière » qui ne
serait pas un agent moral ? Qu’ils soient conversationnels ou
autres, les agents ne reposent-ils pas seulement sur des
algorithmes de traitement de langages, naturels ou
informatiques, et non sur le traitement de la pensée
pensante ? Voici la définition que Marvin Lee Minsky, l’un
des créateurs de l’intelligence artificielle donne de cette
discipline : c’est « la construction de programmes
informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour
l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres
humains, car elles demandent des processus mentaux de haut
niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de
la mémoire et le raisonnement critique » ; et en fait, la
compréhension de cette discipline scientifique recouvre
65
Emile ou de l’Education : 1762, Editions Sociales, Paris, 1958, p. 196.

103
naturellement les méthodes et l’ingénierie de fabrication des
machines et des programmes dits intelligents !
Qu’est-ce qui justifierait ces craintes exprimées par de
nombreux intellectuels et selon lesquels « une machine
superintelligente et quasi omniprésente pourrait annihiler
l’humanité toute entière » ? Ce serait peut-être la frayeur
qu’inspire cette même intelligence artificielle à ceux-là
mêmes qui la fabriquent : (Bill Gates, le fondateur de
Microsoft prévient que « l’intelligence artificielle sera
suffisamment puissante pour devenir dangereuse » ; pour
Elon Musk, l’inventeur des voitures Tesla Motors et de la
navette Space X, « l’intelligence artificielle est notre plus
grande menace existentielle… Si nous n’y prenons garde,
nous les humains deviendrons les labradors des machines
intelligentes : seuls les plus gentils d’entre nous seront
nourris » ; Steve Wozniak, co-fondateur d’Apple, à son tour,
se représente un avenir dans lequel « les humains pourraient
être transformés en animaux domestiques ou écrasés comme
des fourmis » !66 Comment peuvent-ils continuer à
développer un instrument dont ils sont les premiers à redouter
les conséquences ? Ils ne peuvent pas fuir leur
responsabilité ! Et la fameuse et brumeuse « communauté
internationale » ne devrait pas les y aider par son silence !
Le processus d’artificialisation de l’intelligence mis en
branle par eux va-t-il finir par échapper à leur maîtrise en
atteignant une sorte de masse critique produisant une
« conversion catégorielle »67 faisant « émerger » la
conscience dans la machine, et qui ne serait animée que d’un
mouvement destructeur sans que le programmeur y ait été
66
Christine Kerdellant, Op.cit., :pp. 266, 267.
67
« Par conversion catégorielle, j’entends quelque chose comme le
jaillissement de la conscience de soi à partir de ce qui n’a pas conscience
de soi, quelque chose comme le jaillissement de l’esprit à partir de la
matière, de la qualité à partir de la quantité » KWAME NKRUMAH, in
Le Consciencisme, Ed. Payot, 1964, p. 38.

104
pour quelque chose ? Cela ressemblerait bien à cette sorte de
moment magique par lequel un intervieweur de Ray Kurzweil
a interprété son concept de « Singularity » ! Moment douteux
où la machine se trouverait soudainement ayant acquis la
conscience d’elle-même, lui permettant en même temps de
juger, d’apprécier selon les circonstances, la décision à
prendre ? En introduisant ici le concept de « conversion
catégorielle » utilisé par Kwame Nkrumah dans Le
Consciencisme, nous rappelons le vieux débat instauré par la
thèse du matérialisme philosophique et historique ayant
prétendu que « l’esprit résulte d’une organisation critique de
la matière ». Et comme le rappelle Nkrumah dans le livre que
nous invoquons, « il faut que l’organisation nerveuse arrive à
un minimum donné de complexité pour que se manifeste
l’activité intellectuelle, bref, l’existence de l’esprit »68. En
misant sur le stade du développement exponentiel conduisant
à une grande complexité de l’intelligence artificielle, tout
laisse penser que ce serait sur cette doctrine du matérialisme
historique que se fonderaient les espoirs de Kurzweil et de
Nick Boström, pour ne parler que d’eux, de voir la
conscience émerger de la machine ? Il nous paraît important
ici de rappeler à ce sujet, les termes de la lettre de septembre
1890, d’Engels à Joseph Bloch, émettant une précision
importante sur ce sujet : « D’après la conception du
matérialisme historique de l’histoire, le facteur déterminant
dans l’histoire est, en dernière instance, la production et la
reproduction de la vie réelle69. Ni Marx, ni moi-même
n’avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu’un
torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur
économique est le seul déterminant, il la transforme en une
phrase vide, abstraite, absurde. »70 Ce que nous retenons est

68
Idem. p. 39
69
Souligné par nous.
70
Lettre publiée pour la première fois dans le Sozialistische Akademiker,
1895, pp. 351-353

105
que Engels parle de « production et reproduction de la vie
réelle » et, se situant sur la même ligne, Kwame Nkrumah
parle de « l’organisation nerveuse arrivant à un minimum
donné de complexité ». Or la complexité sur laquelle
comptent les extropiens du transhumanisme est celle de la
machine, autrement dit d’un système nerveux artificiel
demeurant une imitation du système nerveux biologique du
cerveau humain. Il va sans dire que pour qu’il se produise ici
une évolution de l’homme qui ne sacrifie pas la vraie vie, ni
l’esprit véritable, pour ne pas parler des âmes, il va falloir
compter sur autre chose que la seule programmation
informatique pour faire naître la conscience et la conscience
de soi à partir de la machine.
Nous revenons à la préoccupation éthique, pour dire
qu’elle ne devrait pas se contenter de la simple proclamation
des principes, ni de l’animation des discussions, comme c’est
l’attribution officielle de l’« Institut d’Éthique et des
technologies émergentes » créé à Londres par Nick Boström,
l’un des fondateurs du Mouvement transhumaniste en 1998.
Le rôle à faire jouer à l’éthique ici devrait être perçu en
termes de règlementation et de législation, tout-à-fait dans
l’esprit de ce qu’a proposé le Russe Asimov.
De leur côté, les géants du web que sont Google, Amazon,
IBM, Facebook et Microsoft ont annoncé leur association en
un ‘’Partenariat pour une éthique de l’intelligence
artificielle »71. Un Partenariat qui consisterait en la création
d’une organisation qui s’occuperait de l’impact des
technologies d’intelligence artificielle sur la société. Elle se

71
Journal Le Monde.fr, édition du 29/09/16, article de Morgane Tual
intitulé : « Intelligence artificielle : les géants du web lancent un
partenariat sur l’éthique ».
Ainsi que l’article de Julien Bergougnoux publié’’ On Line’’ dans le site
d’information Usine digitale le 4 oct. 2016 sous le titre : « Intelligence
artificielle : Google, Microsoft, IBM, Facebook et Amazon s’allient pour
définir des bonnes pratiques ».

106
chargerait de l’éducation du grand public en matière
d’intelligence artificielle et des réalisations qui en découlent.
Dans le bureau directeur de cette organisation à laquelle
Apple ne s’est associée que dans un second temps, on trouve,
pour moitié, les représentants de ces entreprises, l’autre
moitié étant composée de chercheurs, de représentants
d’associations ainsi que d’autres membres de la société civile.
Il y a lieu de penser qu’il s’agit d’un projet qui n’engage en
rien les entreprises participantes à mettre en œuvre les bonnes
pratiques qui seraient définies. Parmi les principes forts qui
sont mis en relief par ce Partenariat, figure le respect de la vie
privée et la sécurité des individus. Et pourtant les objets
intelligents, espions et connectés, n’arrêtent pas de se
multiplier sur le marché, et dans une ambiance de
concurrence commerciale non voilée entre ces mêmes
entreprises !
Le « Partenariat pour une éthique de l’intelligence
artificielle » se propose également de s’opposer au
développement et à l’usage des technologies d’intelligence
artificielle qui violeraient les conventions internationales ou
les droits humains. C’est évidemment une bonne disposition
à saluer ; mais si les conventions internationales peuvent être
facilement identifiées, il faut espérer que le « Partenariat »
s’attachera, comme annoncé par les partenaires eux-mêmes, à
définir et à identifier avec clarté ces « technologies qui
violeraient les droits humains, ainsi qu’à indiquer les
procédures et les procédés qui pourraient être mis en place
pour s’opposer au développement de telles technologies « qui
font mal ». C’est aussi encourageant de voir Google,
Amazon, Facebook, IBM, Microsoft s’engager à
« promouvoir des technologies qui ne font pas de mal ». On
peut toutefois se poser la question de savoir quels moyens
seront mis en œuvre par ces entreprises pour s’assurer que
des technologies qui font mal ne sont pas à l’œuvre ici ou là,
chez l’un quelconque des membres de l’organisation

107
partenariale. C’est une bonne chose de déclarer promouvoir
des technologies qui ne « font pas de mal » ; mais ce serait
encore dix fois plus sécurisant d’interdire ou de faire interdire
celles qui font mal !
Compte tenu de ces quelques lacunes, comment ne pas se
dire que ce serait pour se donner une bonne conscience que
ces géants du web auraient conçu l’idée de ce
« Partenariat » ? Quand il en parle dans son article du 27
mars 2017 dans LesEchos.fr, Mickael Guerin ne pense pas
différemment de nous quand il écrit que « l’alliance des
leaders industriels de l’IA est plutôt un outil marketing visant
à nous convaincre que cette technologie sera vraiment
conviviale et ‘’human friendly’’, plutôt que d’aider à installer
des politiques de régulation »72.
Nous voulons espérer que ce n’est pas ce même motif qui
aurait inspiré à leur tour les organisateurs, au mois de janvier
2017, du séminaire sur le « Beneficial Artificial
Intelligence » (L’Intelligence Artificielle Bénéfique » à
l’Institut pour le Futur de la Vie (Future of Life Institute)
d’Asilomar en Californie. En effet, un « Guide de référence
pour un développement éthique de l’intelligence artificielle »
auquel les participants ont donné le nom de « 23 Principes
d’Asilomar » a été adopté à la fin de ce séminaire aux débats
duquel l’astrophysicien d’origine britannique Stephen
Hawkings et le patron de Space X et de Tesla, Elon Musk ont
pris une part active, avant de se retrouver parmi les 2000
signataires de cette sorte de code éthique.73 Nous
reproduisons les 23 principes qu’ils ont retenus dans cette

72
Mickael Guerin, « Intelligence artificielle : une nécessaire régulation »,
article paru dans LesEchos.fr le 27 mars 2017. L’auteur fait office de
Consultant Expérience Client
73
Alexis Orsini, « Les 23 principes d’Asilomar veulent encadrer le
développement de l’intelligence artificielle », article de compte-rendu
publié sur le site d’information NUMERAM le 1er février 2017

108
note de bas de page.74 Il y a de quoi se sentir satisfait en
découvrant l’intérêt attaché par les signataires de ce

74
Ces 23 principes ont tous obtenu au moins 90 % d’approbation de la
part des spécialistes présents :
1) Objectif de ces recherches : Le développement de l’IA ne doit pas
servir à créer une intelligence sans contrôle mais une intelligence
bénéfique.
2) Investissements : Les investissements dans l’IA doivent être soutenus
par le financement de recherches visant à s’assurer de son usage
bénéfique, qui prend en compte des questions épineuses en matière
d’informatique, d’économie, de loi, d’éthique et de sciences sociales.
[Quelques exemples : « Comment rendre les futures IA suffisamment
solides pour qu’elles fassent ce qu’on leur demande sans
dysfonctionnement ou risque d’être piratées ? » ou encore « Comment
améliorer notre prospérité grâce à cette automatisation tout en
maintenant les effectifs humains ? »]
3) Relations entre les scientifiques et les législateurs : Un échange
constructif entre les développeurs d’IA et les législateurs est souhaitable.
4) Esprit de la recherche : Un esprit de coopération, de confiance et de
transparence devrait être entretenu entre les chercheurs et les scientifiques
en charge de l’IA.
5) Éviter une course : Les équipes qui travaillent sur les IA sont
encouragées à coopérer pour éviter des raccourcis en matière de standards
de sécurité.
6) Sécurité : Les IA devraient être sécurisées tout au long de leur
existence, une caractéristique vérifiable et applicable.
7) Transparence en cas de problème : Dans le cas d’une blessure
provoquée par une IA, il est nécessaire d’en trouver la cause.
8) Transparence judiciaire : Toute implication d’un système autonome
dans une décision judiciaire devrait être accompagnée d’une explication
satisfaisante contrôlable par un humain.
9) Responsabilité : Les concepteurs et les constructeurs d’IA avancées
sont les premiers concernés par les conséquences morales de leurs
utilisations, détournements et agissements. Ils doivent donc assumer la
charge de les influencer.
10) Concordance de valeurs : Les IA autonomes devraient être conçues
de façon à ce que leurs objectifs et leur comportement s’avèrent
conformes aux valeurs humaines.
11) Valeurs humaines : Les IA doivent être conçues et fonctionner en
accord avec les idéaux de la dignité, des droits et des libertés de l’homme,
ainsi que de la diversité culturelle.

109
document sur la question de la concordance des valeurs, ainsi
que sur les valeurs humaines, objet des principes n° 10 et 11.
Ainsi que l’écrit Alexis Orsini dans son article, « ces 23
Principes ne sont pas sans rappeler les fameuses trois lois de
la robotique créées par l’écrivain Isaac Asimov » et dont nous

12) Données personnelles : Chacun devrait avoir le droit d’accéder et de


gérer les données les concernant au vu de la capacité des IA à analyser et
utiliser ces données.
13) Liberté et vie privée : L’utilisation d’IA en matière de données
personnelles ne doit pas rogner sur les libertés réelles ou perçues des
citoyens.
14) Bénéfice collectif : Les IA devraient bénéficier au plus de gens
possibles et les valoriser.
15) Prospérité partagée : La prospérité économique permise par les IA
devrait être partagée au plus grand nombre, pour le bien de l’humanité.
16) Contrôle humain : Les humains devraient pouvoir choisir comment
et s’ils veulent reléguer des décisions de leur choix aux IA.
17) Anti-renversement : Le pouvoir obtenu en contrôlant des IA très
avancées devrait être soumis au respect et à l’amélioration des processus
civiques dont dépend le bien-être de la société plutôt qu’à leur
détournement.
18) Course aux IA d’armement : Une course aux IA d’armement
mortelles est à éviter.
19) Avertissement sur les capacités : En l’absence de consensus sur le
sujet, il est recommandé d’éviter les hypothèses au sujet des capacités
maximum des futures IA.
20) Importance : Les IA avancées pourraient entraîner un changement
drastique dans l’histoire de la vie sur Terre, et doivent donc être gérées
avec un soin et des moyens considérables.
21) Risques : Les risques causés par les IA, particulièrement les
catastrophiques ou existentiels, sont sujets à des efforts de préparation et
d’atténuation adaptés à leur impact supposé.
22) Auto-développement infini : Les IA conçues pour s’auto-développer
à l’infini ou s’auto-reproduire, au risque de devenir très nombreuses ou
très avancées rapidement, doivent faire l’objet d’un contrôle de sécurité
rigoureux.
23) Bien commun : Les intelligences surdéveloppées devraient
seulement être développées pour contribuer à des idéaux éthiques
partagés par le plus grand nombre et pour le bien de l’humanité plutôt que
pour un État ou une entreprise.

110
avons nous-même fait état ci-dessus. Il est heureux de
constater que le souci éthique et de règlementation habite
l’esprit de presque tout le monde et en particulier de bien des
spécialistes et chercheurs dans le domaine de l’Intelligence
artificielle. Mais ici aussi, comme pour le Partenariat créé
entre eux par quelques géants du web, il reste à savoir si ces
23 principes seront suivis et respectés par les concepteurs et
les concernés !
Il ne devrait pas être question de se limiter à adopter des
principes pour qu’au nom de la liberté et du libéralisme
économique, on laisse à chaque opérateur dans ce secteur, la
responsabilité de mettre ces principes en pratique ou de ne
rien en faire. La nécessité de légiférer s’impose et il reste à
savoir au niveau de quelle instance devrait se prendre la
décision d’interdire les « mauvaises technologies », étant
donné que les entreprises ne peuvent pas être juges et
parties ! Sera-ce au niveau des États ou plutôt au niveau
mondial ?
A première vue, il semblerait évident que ce soit au niveau
de chaque État concerné par un produit de la recherche qu’il
faut légiférer ou décider. Mais il y a lieu de nous poser tout
de suite la question de savoir quelle efficacité pourrait être
celle des lois nationales dans un contexte de mondialisation et
de franchissement facile de toutes sortes de frontières
aujourd’hui ?
Si ce n’est pas au niveau de chaque État, il reviendrait
donc au niveau mondial de s’en préoccuper. C’est le lieu pour
nous, d’évoquer trois déclarations universelles adoptées par
l’Unesco et qui devraient servir de normes fondatrices à tout
le monde, mais qui hélas, ne sont que rarement invoquées,
encore moins utilisées, n’étant pas des lois mondiales comme
en rêvent les membres de l’association « Citoyens du

111
monde »75 ! Il s’agit en premier lieu de la « Déclaration
universelle sur la sauvegarde des générations futures »
(septembre 1997), de la « Déclaration Universelle sur le
génome humain et les droits de l’homme »76 (novembre
1997) et de la « Déclaration Universelle sur la science et
l’utilisation du savoir scientifique » (juillet 1999). Un an plus
tôt, en 1998, l’Unesco avait créé la « Commission mondiale
d’éthique des connaissances scientifiques et technologiques »
(COMEST). Il ne nous semble pas que la COMEST ait
jusqu’ici joué le rôle qui était attendu d’elle. Elle laisse
l’impression de manquer totalement d’impact sur le contrôle
et les orientations de l’exploitation des résultats de la
recherche scientifique et technologique des NBIC, tels qu’ils
apparaissent dans les activités des membres et militants du
transhumanisme ! A défaut de justifier de moyens d’action
légaux, rien n’empêche que la COMEST suggère à l’Unesco
de multiplier l’organisation des rencontres internationales de
débats entre des hommes de sciences et des responsables
politiques au sujet de cette menace qui porte directement sur
l’avenir de l’humanité, occultée, hélas, par la menace
climatique sur la planète !
Quel est par ailleurs le bilan d’action, par rapport aux
Travaux et avancées des NBIC, du Comité International de
bioéthique (CIB) créé en 1993 et « chargé d’encadrer les

75
Le 3 mars 1966, à Paris, treize personnalités parmi lesquelles des Prix
Nobel signaient un appel connu sous l’appellation de l’Appel des Treize à
la base duquel s’est créée l’association baptisée « Citoyens du monde ».
Cette association s’est donné comme objectifs d’œuvrer dans le sens de
remplacer le rapport de forces par la négociation dans le règlement des
conflits entre les nations. Elle ambitionne aussi d’agir en vue d’aboutir à
mettre en place des institutions permettant de faire un jour adopter des
lois mondiales qui s’imposent à tout le monde. Ce qui passe par une
reforme de l’Organisation des Nations Unies. Site web :
citoyensdumonde.net
76
Certains membres fondateurs du mouvement transhumaniste se sont
ouvertement prononcé en faveur du clonage reproductif humain ! !

112
progrès des recherches dans les sciences de la vie et leurs
applications en veillant au respect des principes de dignité et
de liberté de la personne humaine » ? En réalité le CIB se
limite, dans ses modes d’action, à la diffusion des principes
énoncés dans les Déclarations universelles de l’Unesco en
matière de bioéthique. Convoqué une fois par an par le
Directeur Général de l’Unesco, le CIB produit des avis et des
recommandations sur des questions spécifiques. A-t-il jamais
été consulté et invité à donner son avis sur les manipulations
génétiques de toutes sortes, l’ingénierie génique et tissulaire
de l’eugénisme du transhumanisme ? S’il ne peut pas être
reproché au CIB, ni à la COMEST de ne pas faire ce qui
n’entre pas dans leurs attributions, à savoir faire des lois de
compétence mondiale, ces organismes peuvent néanmoins
programmer des débats répétés sur des questions relatives à
l’éthique en matière d’application des résultats des recherches
scientifiques et technologiques telles que celles évoquées ici,
et en proposant de le faire dans les États membres de
l’Organisation mondiale, qui sont les principaux
développeurs de telles technologies préoccupantes, en
sollicitant la participation des représentants de leurs
gouvernements à ces rencontres.
Une certaine lecture biologisante de l’éthique prétend qu’il
n’est pas nécessaire de produire des lois ni des règlements
pour empêcher les dérapages qui pourraient résulter des
progrès envisageables dans l’exploitation des résultats des
recherches en biotechnologies, nanotechnologies et
connaissances cognitives, voire du développement
exponentiel de l’intelligence artificielle. Il y aurait lieu de
faire confiance à une sorte d’autorégulation d’un « monde
partagé » au sein duquel chacun agirait de manière cohérente
avec l’ensemble. Dans son ouvrage déjà cité, Demain les
posthumains, Jean-Michel Besnier écrit : « Je crois plus
raisonnable d’introduire ici l’idée que m’a transmise un
biologiste qui fut de mes amis, Francesco Varela (1946-

113
2001) : celle d’une éthique qui pourrait organiser le vivre-
ensemble d’êtres dépourvus de représentation ou même de
conscience, c’est-à-dire inaccessibles à la morale »77. Jean-
Michel Besnier poursuit : « Je crois fermement, disait Varela,
que la pratique de l’éthique dans un cadre non moraliste est
capitale pour notre monde déconcerté et déconcertant ».78Une
pratique de l’éthique en dehors ou en l’absence de toute
conscience ? C’est du fonctionnement organique et
biologique qu’on parle et non de la réalité sociale, ni, encore
moins, de la morale qui suppose autonomie, liberté et
acceptation ou du moins participation à la mise en œuvre des
valeurs communément partagées. Cependant, dans
l’interview qu’il a accordée en novembre 2015 à Martine
Lamoureux pour le compte du journal La Croix, Jean Michel
Besnier se dit « frappé des progrès de la réflexion éthique
dans nos sociétés. »79 Et il poursuit positivement, après avoir
reconnu qu’« il n’est pas simple de renoncer aux promesses
de la science…d’autant que les innovations répondent à une
puissante logique de marché » : « Il suffit d’assister à une
conférence citoyenne sur ces sujets pour constater l’intérêt et
la clairvoyance des gens.. »80.
Un autre biologiste, Joël De Rosnay, ne pense pas
différemment de l’ami de J.M. Besnier, Francesco Varela, lui
qui laisse croire que l’environnement qui est ainsi créé
ressemblera à un énorme marché qui s’autorégulera et qu’au
lieu de compter sur une régulation édictée par des États
désormais faibles devant les toutes puissantes entreprises du
GAFA semblables à des super-États, il faudrait plutôt penser

77
J. M. Besnier, Demain les posthumains, Ed. Pluriel, p. 205.
78
Ibid.
79
www.la-croix.com/Ethique/Sciences-humaines/Pour-les-transhumanistes
80
Ibid.

114
à un mode d’action qui s’appelle le boycott des produits !81
N’est-ce pas sous-estimer la puissance de « persuasion
clandestine » que recèlent les annonces transhumanistes, pour
reprendre le titre de l’ouvrage bien connu de Vance
Packard82 ? Comment comprendre que certains
transhumanistes de la tendance ultra des extropiens
envisagent de s’installer dans des « villes nations flottantes »
pour justement échapper à l’autorité des États et à toute
régulation ?83

4- Il faut réguler
Oui, il faut introduire de la régulation dans cette jungle
industrialo-technologique et ne pas d’emblée baisser les bras
face à la toute-puissance des entreprises du transhumanisme.
C’est aussi le point de vue de Luc Ferry que nous avons déjà
mentionné plus haut et que nous rappelons ici : « Il faut donc,
que cela nous enchante ou non, réguler, éviter à l’humanité
de tomber dans ce que les Grecs appelaient l’ hybris,
l’arrogance de la démesure, c’est-à-dire fixer des limites à
l’homme prométhéen »84. Mais pour que toute régulation soit
efficace, elle devrait « éviter l’écueil géopolitique consistant
à emprunter la voie des compétences seulement
nationales »85. La régulation n’aurait aucun impact si ce qui
est interdit dans un pays européen devait être autorisé dans un
autre pays, voisin ou même éloigné ! De leur côté et dans leur

81
Entretien à RF.I. du 11 janvier 2017 entre Caroline Lachowski et Joël
De Rosnay, autour du dernier livre de celui-ci intitulé Je cherche à
comprendre, Ed. Les Liens qui libèrent. France
82
Vance Packard, La Persuasion clandestine, première parution 1958.
Ré-édité chez Calman Levy en 1998.
83
Lire dans le JSL sur Internet, l’article signé de Jacky Jordery, Serge
Roigt et Bruno Silla faisant le compte-rendu de la réunion du Cercle
Montcellien « Autour de la pensée de Karl Marx », Site :
www.lejsl.com/edition-montceau/2017/02/04/cercle-autour-de-la..
84
Luc Ferry, La Révolution transhumaniste, Plon, Paris, 2016, p. 201
85
Ibid.

115
livre-débat,86 lorsque Jean-Michel Besnier s’avance à
proposer la formule d’une « démocratie technique » se
substituant à la « démocratie délégative » coupable de réifier
l’opposition entre décideurs et usagers, experts et profanes »,
Laurent Alexandre lui objecte, en ce qui concerne
l’intervention du pouvoir politique et sa « démocratie
délégative », que « l’impuissance politique conduit à une
demande croissante d’autoritarisme ». Il appuie son idée sur
un « sondage réalisé par le site d’information Atlantico,
indiquant que 40% des Français souhaitent que la direction de
leur pays soit confiée à un pouvoir politique autoritaire »87.
Dans un environnement mondial caractérisé par l’inhibition
que crée le conditionnement par le « politiquement correct »
bridant l’esprit de nombreux intellectuels quand il faut traiter
de certains sujets, malgré les apparences de règne de la liberté
de pensée, Luc Ferry et Laurent Alexandre se démarquent ici
en estimant qu’il faut aujourd’hui un pouvoir non seulement
fort mais aussi « éclairé » et « autoritaire » à la tête de leur
pays la France et même au-delà, si on veut résolument aller
dans la direction de la régulation concernant l’exploitation
des résultats de la recherche des NBIC88. Mais il ne suffit pas
d’orienter la responsabilisation de la décision dans cette
direction étatique, encore faut-il trancher entre les possibilités
et les orientations des décisions, soit dans le sens d’interdire

86
Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier, Les robots font-ils l’amour
ou Le transhumanisme en 12 questions, Dunod oct. 2016
87
Opus cité. Pp.110-111-112
88
Luc Ferry, ouvrage cité : « Qui d’autre, sinon, en dernière instance, un
État éclairé pourrait légitimement en décider dès que le collectif, et non
seulement l’individu, sera mis en cause ? Où pourrait-on décider de ce qui
risque de nous déshumaniser ou de ce qui, au contraire, pourrait nous
rendre plus humains, ailleurs qu’en un lieu de décision et de visibilité
légitime pour l’ensemble de la nation, informé par des débats où experts
et intellectuels de toutes les disciplines pourraient évidemment avoir un
rôle à jouer, pourvu du moins qu’ils s’en soucient enfin, qu’ils s’en
donnent les moyens et qu’ils s’y intéressent » »

116
totalement les manipulations génétiques, soit de les limiter à
des visées exclusivement thérapeutiques ou alors accepter de
les mettre au service d’une « augmentation » de l’être
humain.89Ce sont surtout les manipulations génétiques à
caractère eugénique qui soulèvent le problème de la
régulation, en même temps que les sujets tels que ceux posés
par le recours à des mères porteuses qui font percevoir
l’enfant comme s’il était devenu un objet à acheter et à
vendre. Il ne devrait cependant pas être question de brider
« l’esprit d’invention » et la recherche scientifique elle-
même, par la fixation d’une sorte de « frontière
épistémologique » contre laquelle s’était élevé Gaston
Bachelard ; mais plutôt et pour certains cas, procéder, de
manière tout-à-fait pragmatique en légiférant a posteriori sur
tels ou tels résultats d’une recherche dont l’utilisation nuirait
à l’être humain, (les sujets relatifs au DPI -Diagnostic pré-
implantatoire-, au Diagnostic ante-natal, les objets
intelligents espions et connectés et la protection de la vie
privée, l’exploitation financière des utérus des mères
porteuses comme on le ferait de n’importe quel vulgaire
instrument, la perspective de fabrication des utérus
artificiels), tandis que pour d’autres sujets tels le clonage
humain reproductif (dont les possibilités techniques sont déjà
mises au point), ou les pratiques d’ectogénèse se fondant sur
la séparation de la sexualité et de la procréation qui modifie
de fond en comble la fonction maternelle, il devrait être
envisageable de légiférer a priori.
Une régulation produit par produit ? Ou cas par
cas ? :
La régulation à laquelle nous pensons et qui devrait être
proposée aux États membres de l’Organisation des Nations
Unies, à travers l’Unesco se devrait de cibler avec précision
les diverses applications des résultats de la recherche qui

89
Luc Ferry, Op.cit.

117
soulèveraient une objection d’ordre éthique, telles que celles
du petit nombre que nous venons d’énumérer ci-dessus.
L’autre manière de procéder consisterait à produire une sorte
de code éthique universel régissant l’exploitation des résultats
de la convergence des nanotechnologies, des biotechnologies,
de l’intelligence artificielle et des sciences cognitives ; elle
serait moins efficace que la régulation par la législation
portant directement sur des applications identifiées et bien
décrites dans la mise en relief de ce qui pourrait porter
préjudice à la dignité, à la liberté ou à la sécurité de l’être
humain.
Tandis qu’un code éthique universel se limiterait à
condamner toute pratique qui irait dans le sens de
l’eugénisme sans se donner les moyens de faire respecter ce
principe, la législation produit par produit, à faire adopter par
les parlements des États, permettrait de distinguer, par
exemple, entre l’eugénisme détectable dans la fécondation in
vitro conduisant, les cas échéant, à détruire des embryons
présentant des gènes porteurs de maladies réputées
incurables, (qui est un eugénisme négatif) sans oublier les
désagréments que vivent les femmes qui doivent subir des
ponctions d’ovocytes et des échographies vaginales d’une
part et, d’autre part, l’eugénisme de choix individuel des
personnes faisant recours à l’ingénierie génique pour faire
corriger des erreurs de leur ADN, (ce qui est de l’eugénisme
positif). En effet, quand on parle d’eugénisme, on ne parle
pas encore d’« augmentation ». Et quand on parle
d’« augmentation », va-t-on davantage prescrire une position
de principe interdisant toute pratique d’« augmentation », ou
alors examiner plutôt cas par cas des « augmentations » dont
certaines peuvent être pratiquées tandis que d’autres
devraient être proscrites ? Il existe par exemple une grande
différence à établir entre l’« augmentation » par des puces
électroniques, nanorobots ou pas, grâce auxquelles des
hommes demeurés biologiques chercheraient à être

118
renseignés, quand ils le désireraient, sur le niveau du taux de
cholestérol dans leurs artères, de celui de glycémie dans leur
sang, ou sur la mesure de leur tension artérielle, du rythme
des battements de leurs cœurs, d’une part et, d’autre part,
l’« augmentation » par laquelle une personne tout à fait en
bonne santé, chercherait à devenir un hybride homme-
machine par le procédé de « téléversement de la conscience
dans l’espace digital », en faisant scanner la matrice
synaptique de son cerveau pour ensuite la simuler sur la
machine, grâce à l’aide d’un spécialiste de ce genre
d’opérations ! Ici, la régulation s’adresserait aux
biotechniciens et aux informaticiens proposant leurs services
à des « clients » auxquels une publicité commerciale
chercherait à vendre l’augmentation par hybridation !
Les promoteurs du transhumanisme se fondant sur la
convergence des recherches menées par les NBIC proposent
aux personnes désireuses de bénéficier des résultats de ces
recherches, de prolonger indéfiniment la durée de leurs vies
sur terre, par divers procédés parmi lesquels le séquençage
des ADN personnels en vue d’en retirer de mauvais gènes, le
blocage du processus du vieillissement pendant qu’on stimule
les mécanismes de régénération des tissus, ou les deux à la
fois, etc.
Tant qu’il s’agit d’améliorer l’espérance de vie des
hommes, il n’y a pas lieu de trouver à redire sur le principe
en tant que tel. Les procédés proposés sont-ils susceptibles de
nuire à autrui ? Ce n’est pas évident, mais ce critère devrait
servir. Le principe du libre choix individuel ne pouvant
souffrir d’aucune limitation, ce serait plutôt la limitation par
régulation qui créerait un problème ici !
Par contre, l’offre de vivre une vie éternelle, « des millions
d’années » comme le prétend Nick Boström, ressemble à
cette « vente des rêves » dont a parlé Bertrand Vergeley.

119
La régulation sur ce point précis, devrait commencer par
établir une distinction claire, entre l’aspiration légitime à une
espérance de vie plus longue et l’offre d’une vie éternelle qui,
elle, ressemble à de la tromperie sur la marchandise, sans
qu’on soit sûr que les clients éventuels seraient réellement
désireux de vivre une telle vie interminable et prétendûment
humaine ou posthumaine ! « Si c’était possible, voudrions-
nous vraiment être immortels ? »90
Dans son article déjà mentionné, Hillary Rosney, tout en
rappelant que selon Ray Kurzweil, « l’essence même de l’être
humain ne réside pas en ses limites, mais en sa capacité à les
dépasser », fait le commentaire pertinent suivant : « C’est un
point de vue attrayant. La mort a toujours été l’une de ces
limites, alors peut-être que s’en affranchir fait profondément
de nous des humains ? Mais une fois la mort transcendée, je
ne suis pas convaincue que notre humanité persiste. La mort,
en elle-même, ne nous définit pas – bien que toute chose
vivante finisse par mourir – mais notre conscience et notre
compréhension de la mort, et notre quête pour donner du sens
au temps qui nous est donné, font très certainement partie
intégrante de l’esprit humain ».
Nous disons la même chose de l’ectogenèse ainsi que de la
promesse transhumaniste de transformer les identités
sexuelles jusqu’au point d’éliminer le mode de génération par
« fusion mâle/femelle » ! Il y a de quoi s’en inquiéter de
concert avec Laetitia Pouliquen, auteur de Femme 2.0 :

90
C’est le titre de l’article publié par Hillary Rosner dans « Scientific
American : « Est-il souhaitable de devenir des cyborgs ? Si mon cerveau
et ma conscience étaient téléchargés dans un cyborg, qui serais-je ?
Aimerais-je toujours ma famille et mes amis ? Au final serais-je toujours
un être humain ? » C’est l’une des autres questions que se pose Hillary
Rosner, journaliste dans le Colorado. Elle écrit pour le National
Geographic, The New York Times. En 2010 et 2013 elle a reçu le Prix
Kavli de journalisme scientifique de l’American Association for the
Advancement of science., (AAAS)

120
Féminisme et transhumanisme : quel avenir pour la femme91,
quand elle écrit que « Les technologies NBIC pourraient ainsi
marquer la fin de la maternité et imposer par eugénisme
social, un individu de genre neutre, « augmenté » et sans
filiation »92. Il y a lieu de réguler sur ce cas qui ne concerne
pas seulement la femme célibataire ou l’homme célibataire,
ni le couple aussi, mais également l’enfant à naître et dont on
se prépare à brouiller la filiation en négligeant aussi
l’importante dimension psychologique et sentimentale.
Quant à « l’augmentation » de la capacité intellectuelle
que promet la recherche transhumaniste sous l’appellation de
superintelligence, bien qu’il ne s’agisse pas ici d’un rêve
semblable à celui de l’immortalité, s’il doit y avoir
réglementation elle consisterait à commencer par fixer les
esprits sur la distinction entre les instruments et les
équipements que sont les objets intelligents, les robots
compris, et que l’homme ne produit que pour qu’ils soient à
son service pour l’effectuation des tâches de plus en plus
complexes d’une part et, d’autre part, l’intelligence
fabricatrice qui est une faculté humaine. C’est cela même qui
donne tout son sens et sa raison d’être au séminaire
d’Asilomar ayant accouché des 23 principes dont nous avons
parlé ci-dessus. La juste préoccupation des organisateurs et
des participants aura été d’encadrer la production d’une
intelligence artificielle qui soit bénéfique à l’homme.
L’intelligence humaine ne devrait pas être mise en
compétition avec ses produits, notamment avec le robot
auquel on l’oppose désavantageusement et à tort, ces derniers
temps. « La machine n’est pas là pour remplacer l’homme,

91
Laetitia Pouliquen, Femme 2.0 : Féminisme et Transhumanisme : Quel
avenir pour la femme, Ed. Saint Léger, Paris, 2016.
92
Laetitia Pouliquen, dans son article du 8 mars 2017, intitulé : « Journée
de la femme : du féminisme au transhumanisme », in
www.lefigaro.fr/flash-actu/

121
mais pour amplifier son travail »93 comme le pense fort
justement Monica Orlowska.
Une fois la distinction des statuts rappelée, il reste que des
menaces de pertes d’emplois pèsent sur bien des employés. A
ce sujet, sous forme de régulation, des voix s’élèvent pour
proposer de taxer les robots, ce qui freinerait les chefs
d’entreprises dans leur élan de faire recours aux robots. A
cette proposition, Monica Orlowska répond dans l’interview
que nous venons de mentionner que « L’Intelligence
artificielle et la robotisation permettent d’améliorer la qualité
du travail ; on amplifie le travail humain, on lui donne de
meilleures informations ; donc je pense qu’il vaut mieux
favoriser l’Intelligence artificielle et l’automatisation que de
les pénaliser ou les taxer », écrit-elle.94 L’éditorialiste du
« Financial Times », Martin Wolf quant à lui, pense que « ce
sont les détenteurs de brevets sur les robots qu’il faudra taxer
pour éviter que le monde ne bascule dans un
« technoféodalisme » qui ne profiterait qu’à quelques
puissants »95.
La deuxième question éthique qui se pose concerne la
fabrication des superintelligences que les hommes voudraient
doter d’une autonomie et d’une capacité de décision telles
que l’avenir de leur créateur lui-même soit mis en jeu et
défavorablement ! Va-t-on laisser les ingénieurs de

93
Monica Orlowska, partenaire au sein de la société de services
informatiques et de conseil indienne Infosys, dans une interview recueillie
par Sophie Fay, journaliste et publiée le 17 janvier 2017 dans L’Obs’’ On
Line’’.
A la question de savoir si l’IA va détruire beaucoup d’emplois, Monica
Orlowska répond : « Rien ne remplacera le contact humain, et l’IA
permettra de se concentrer sur la création, le design, l’expérience client. »
94
Monica Orlowski : ibid.
95
Rapporté par Sophie Fay dans un autre article dans l’Obs ‘’On Line’’
du 13 janvier 2017 intitulé « Pourquoi ne pas taxer les robots voleurs de
boulots » ?

122
l’intelligence artificielle continuer sans souci leur préparation
de l’avènement des superintelligences et des cyborgs ? Notre
réponse est négative en ce qui concerne le cyborg ! Il ne
devrait pas être question pour l’homme de se transformer en
cyborg, cet être hybride, mi-machine, mi biologique et de
s’imaginer de ce fait avoir accouché d’une nouvelle
humanité.96
Mais il reste une préoccupation redoutable au sujet de
l’apparition du système par lequel les ordinateurs sont
programmés pour apprendre par eux-mêmes, et devenir
susceptibles de développer des progressions conduisant à des
initiatives et à des décisions dont les conséquences
échapperaient à leur programmeur. Dans son article intitulé
« Comment l’intelligence artificielle va éradiquer la race
humaine », l’auteur résume les scénarios déplaisants mais fort
possibles sur la façon dont l’Intelligence artificielle se défera
de nous, par les sous-titres suivants : « Programmation
malveillante, limites que l’intelligence artificielle finira par
désinstaller, manipulation de l’humanité… »97. S’agissant des
machines qui peuvent progresser par elles-mêmes, le souci à
se faire ne réside pas dans le fait qu’elles puissent rapidement
devenir supérieures à l’être l’humain. Le souci à se faire
réside dans le questionnement suivant, que nous avons du
reste déjà eu à évoquer à diverses reprises au cours de cette
longue réflexion : « Les seules limites à l’apprentissage étant
celles initialement imposées par son créateur avant sa mise en
route, comment oublier ou négliger de s’assurer que les
limites fixées au départ soient suffisantes et respectées ? A
qui incomberait la responsabilité du dérapage éventuel de la
machine si le créateur ne s’est pas assuré la possibilité de

96
« La plupart des scientifiques pensent que notre destin de cyborg est
encore bien loin. Sébastien Seung, professeur à l’Institut de neurosciences
de Princetown, pense que la numérisation du cerveau ne sera peut-être
jamais possible. », (tiré du même article de Hillary Rosner)
97
Rue 89, Publié le 3 octobre 2016

123
reprendre le contrôle en repassant au pilotage par l’homme ?
« Étant donné que les algorithmes ont des parents et que les
parents ont des valeurs qu’ils insufflent dans leur
descendance algorithmique, nous voulons influencer le
résultat en assurant un comportement éthique » affirme en
toute logique et pertinence Alberto Ibarguen.98
Il ne nous semble pas avoir affaire à une question devant
faire l’objet chaque fois d’un traitement léger, comme s’il
s’agissait d’un jeu. Une régulation s’impose ici et qui devrait
faire l’objet des préoccupations de tous les gouvernements
des États dans le monde et en particulier des pays dans
lesquels se développent ces techniques en matière de
robotique, notamment les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le
Japon, l’Australie, l’Allemagne, la France et le Royaume-
Uni.
Dans un article entretien de Pierre Haski avec le
cyberanthropologue Michel Nachez publié le 11 avril 2015
dans le site Internet d’Information Rue 8999, l’interviewé
Michel Nachez a laissé entendre qu’ « il y a des militaires
aux États-Unis qui fabriquent des machines pour tuer. Ce ne
sont pas seulement des machines individuelles, mais des
machines en réseaux, des grappes de robots interconnectés,
qui travaillent ensemble et sont faits pour fondre sur un
territoire en faisant la distinction entre « amis » et
« ennemis ». Le cyberathropologue poursuit : « On dit bien
que l’être humain est derrière ce contrôle. Mais on voit bien
qu’avec les drones contrôlés par des humains il y a des
erreurs. De là à se dire qu’il vaut mieux que la machine
prenne totalement le contrôle pour éviter les erreurs

98
Cité par Ludovic Louis dans son article intitulé « Après l’intelligence
artificielle, se protéger des algorithmes de conscience artificielle » publié
le 20/01/2017 sur le site siècledigital.fr Alberto Ibarguen est le président
de la Fondation Knight.
99
Tempsreel.nouvelobs.com/rue 89-le-grand-entretien/2016

124
humaines, il n’y a qu’un pas. Ça ne serait pas trop grave si ce
n’était que de petites machines volantes. Il y a des avions de
combats qui sont déjà des ordinateurs volants dont on
pourrait aisément enlever les hommes ; il y a des chars ; on
pense aussi à des navires totalement robotisés…tout ça
travaillant ensemble, de manière interconnectée » !
La régulation devrait incomber à chaque Etat ou à divers
groupes d’États, y compris les États-Unis. C’est pourquoi il
faudrait que la question soit traitée au niveau mondial qu’est
celui des conventions à faire adopter par le groupe des États
membres de l’Organisation des Nations Unies. Ce serait le
moindre mal, même si certaines personnes ne sont pas
favorables à la solution du niveau mondial !

5- Les conséquences possibles de l’absence de


régulation
Quand nous parlons de régulation, nous pensons à la
réglementation des exploitations par eugénisme, des avancées
des recherches scientifiques d’une part et, d’autre part, aux
pratiques d’hybridisme homme-machine conduisant au
phénomène du cyborg. Nous pensons également à
l’utilisation de l’intelligence artificielle pour le montage des
robots dans le domaine militaire, tel que le révèle Michel
Nachez dans l’entretien que nous venons de mentionner. La
question de l’orientation de la transformation de la nature
humaine est la plus préoccupante parce qu’elle engagerait à
terme toute l’humanité, dans la mesure où il pourrait être
certain que les lois de l’hérédité joueraient et donneraient une
descendance de cyborgs aux cyborgs ! L’argument du libre
choix qui pourrait être laissé à chaque homme en matière
d’eugénisme individuel devrait-il être utilisé en ce qui
concerne l’ouverture à tous, de la voie de l’auto-
transformation en cyborg, parce qu’il serait différent d’un
eugénisme d’État ? Le fait du choix individuel, compte non
tenu des capacités économiques nécessaires et que ne

125
possèderaient pas certaines catégories sociales n’ouvrirait-il
pas la voie à la co-existence de deux types d’êtres, à savoir
les humains demeurés sur la lignée de l’homo sapiens, et les
cyborgs autrement plus puissants tant au plan physique qu’au
plan de l’augmentation de leur intelligence et que nous ne
pouvons pas considérer comme des hommes ? Ne serait-ce
pas cette éventualité de situation qui ferait craindre
l’extermination de l’espèce humaine par ces êtres supérieurs,
à moins que ceux-ci ne transforment les premiers hommes en
esclaves perpétuels ! Nous avons évoqué cette situation dans
un chapitre précédent et avons émis l’idée de l’apparition
dans ce contexte, d’un mouvement d’émi-immigration
conduisant à de nouvelles reconfigurations géographiques
suivant le principe qui veut que « qui se ressemble
s’assemble » ! Les descendants de l’homo sapiens fuiraient
les espaces occupés et dominés par les cyborgs avec lesquels
ils ne pourraient plus rien partager et qui peut-être
engageraient plutôt leur extermination, y compris par un
asservissement multiforme. C’est le cas de figure de
l’hypothèse catastrophiste maximale ! Un autre cas de figure
pourrait se présenter : celui qui ferait apparaître, moyennant
des capacités financières conséquentes, une importante
catégorie d’hommes augmentés ne cherchant pas à se
transformer en cyborgs. Des hommes ayant choisi de
pratiquer l’eugénisme individuel consistant à améliorer de
manière très significative leurs capacités tant physiques
qu’intellectuelles. Ce ne sont pas des hommes-machines,
mais des hommes néanmoins dotés d’une puissance leur
permettant d’être des auxiliaires ou des collaborateurs des
cyborgs ! Vont-ils constituer une caste susceptible de « boxer
dans la même catégorie » que les cyborgs, ou alors, les
hyperpuissants seront les cyborgs, tandis que les « hommes
augmentés » figureront une caste intermédiaire dominant à
son tour la catégorie des « hommes réparés » ? Et que
deviendront les hommes biologiques ordinaires ?

126
Il ne pourra pas exister une même république pour des
« transhumains », des « posthumains » et des
cyborgs !Comment fixer le même âge d’obligation scolaire
aux enfants de faible espérance de vie qu’à ceux des
posthumains susceptibles de naître avec des aptitudes
intellectuelles correspondant peut-être à celles des
adolescents actuels ? Ils auront bénéficié du bagage
héréditaire résultant de la reprogrammation des cellules de
leurs parents et autres ascendants, tandis que ceux des
anciennes lignées d’hommes demeurés « biologiques »
continueraient leur progression au petit rythme des simples
hommes. Au plan socio-politique, comment fixer le même
âge électoral pour des gens qui vont vivre des centaines
d’années, voire des millions comme l’affirme Nick Boström
et des citoyens qui n’espèrent pas vivre au-delà de cent ans en
moyenne ?
Mais existera-t-il une société regroupant toutes ces
superintelligences et toutes ces hyperpuissances, alors que
tout laisse plutôt annoncer une catégorie de solitaires et
d’individus se suffisant chacun à soi-même ? Elle n’est pas
vaine, la question de savoir si le posthumain, sous l’espèce du
cyborg, connaîtra encore une nécessité du « vivre ensemble »
alors que chaque cyborg est mû en permanence par la volonté
d’en finir avec les limitations et les faiblesses qui pourraient
encore se retrouver chez le nouvel être qu’il est devenu ?
Pourquoi s’atteler à supprimer toutes nos limitations et nos
faiblesses en devenant superintelligents et hyperpuissants, si
ce n’est pas pour consacrer notre auto-suffisance à tous
égards ? On n’imagine pas un homme fait de chair et de
métal continuer à éprouver des sentiments, vivre une vie
d’affection et de désir d’autrui, dans une mouvance où la
fusion mâle-femelle elle-même ne sera plus nécessaire,
annonce-t-on également du côté de l’exploitation des cellules
souches pluripotentes pour la procréation. Nous n’irons pas
plus loin dans l’évocation de ces hypothèses, étant donné que

127
cette réflexion n’est pas un roman –fiction mais se veut
essentiellement philosophique.

6- La « Singularité », une anti-thèse pour la gestation


d’une nouvelle synthèse ?
Quand en effet les transhumanistes prétendent conduire et
orienter l’évolution- transformation de la nature humaine, il
ne peut échapper à personne que le concept d’évolution
mérite à peine d’être invoqué ici, tant il est clair qu’il s’agit
plutôt d’action humaine de fabrication-composition-
agencement- combinaison volontaire, une activité menée par,
et grâce à l’intelligence ! Les décompositions et
recompositions conduites par la voie intellectuelle obéissent à
la logique de distribution spatiale qui veut que les réalités se
placent les unes à côté des autres, partes extra partes, tandis
que la logique de l’évolution des réalités vivantes et de la vie
est une logique correspondant à la structure des réalités
« duratives » et spirituelles qui s’imbriquent les unes dans les
autres. Ce serait cette organisation qui expliquerait
l’imprévisibilité de ce qui advient ou devient, une idée sur
laquelle Henri Bergson a beaucoup insisté, une vision des
choses à l’opposé de laquelle se situent toutes ces annonces
datées, des productions de changements en l’homme, telles
que nous les vivons à travers les déclarations fixant aux
années allant de 2030 à 2050, la survenue du cyborg ou des
possibilités d’une vie humaine éternelle sur terre !
Les changements qui se donnent à constater dans les
extensions que prend chaque jour l’intelligence artificielle ne
proviennent que de l’un des attributs de la nature de l’homo
sapiens, à savoir la raison et la rationalité qui ont produit
l’Intelligence artificielle en train d’être déifiée. La raison
opère selon cette structure spatiale de l’analyse point par
point, de la combinaison du pré-existant, de l’induction et de
la déduction rendant prévisible tout ce qui advient et qui
permet donc aux transhumanistes de fixer des délais, voire de

128
donner des dates assez précises auxquelles doivent se
produire les changements voulus par le programmeur, le
Superintelligent, et auxquels travaillent les technologues des
sciences convergentes des NBIC. Que par son activité et sa
volonté d’améliorer sa condition, l’homme participe de près
ou de loin à sa propre transformation, ne saurait laisser
considérer celle-ci comme la seule et unique partition qui se
joue dans l’ensemble du processus de cette évolution.
Ces réflexions ne sont pas en contradiction avec ce que
Ray Kurzweil lui-même dit du caractère de « trou noir » de
son concept de « Singularity ». Et c’est bien sur cet aveu
d’impuissance ou d’impossibilité à dire d’avance et avec
précision l’identité de l’être qu’il annonce sous l’étiquette de
« Singularité », que nous voulons fonder en partie le
renversement dialectique par lequel nous disons qu’il ne
faudrait peut-être pas voir dans la « Singularité » une porte
qui se ferme, mais au contraire une porte susceptible d’ouvrir
sur un événement de type proprement évolutif et échappant à
tout effort de rationalisation ! Quand Henri Bergson écrit que
« l’humanité ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle »
en ayant à l’esprit les progrès scientifiques de son époque, on
peut dire qu’avec ce que nous donne à voir la convergence
des recherches des NBIC de nos jours, les hommes sont en
train de faire leur part du travail, en attendant, comme le fait
Ray Kurzweil, que sorte du « trou noir » la « Singularity » ou
l’imprévisible nouveauté par laquelle Bergson caractérise la
marche de l’évolution et que de nombreux transhumanistes
considèrent comme étant du hasard ! Le hasard qu’ils
prétendent supprimer sur le chemin de la seule créativité
rationnelle et qui se confirme ici comme la limite de la
puissance de l’intelligence !
Mais alors, que penser de cette formule par laquelle
l’auteur des Deux Sources de la Morale et de La Religion clôt
son ouvrage et fait mention de l’univers comme étant « une
machine à faire des dieux » ? Voici de nouveau le passage

129
entier que nous avons du reste déjà cité dans l’introduction :
« L’Humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès
qu’elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend
d’elle. A elle de voir d’abord si elle veut continuer à vivre. A
elle de se demander ensuite si elle veut vivre seulement, ou
fournir en outre l’effort nécessaire pour que s’accomplisse,
jusque sur notre planète réfractaire, la fonction essentielle de
l’univers, qui est une machine à faire des dieux. »100Très
embarrassant comme formule, au détour d’une pensée fort
réservée qu’est la pensée de Bergson, à l’égard du
mécanisme, mais qui semble ré-introduire ici le même
mécanisme dans le processus de l’Evolution, du moins celle
de l’humanité, qui ne constitue qu’une des branches de cette
évolution divergente. Qu’on invoque ici la vision moniste
contenue dans l’ouvrage fondamental qui fut mis à l’index
par le Vatican à sa sortie de presse en 1907, à savoir
L’Evolution Créatrice, ne dispense pas de chercher à dénouer
la contradiction contenue dans la formule « machine à faire
des dieux » ! La machinerie se trouve être justement ce qui
caractérise les procédures pratiquées par les ingénieurs
transhumanistes en vue de la transformation de la nature
humaine. Ne voici-t-il pas que le transhumanisme dans son
ensemble pourrait trouver une bonne raison à se fonder sur ce
texte de Bergson ? En réalité, dans le texte cité, Bergson
mentionne une alternative : soit que l’humanité veut vivre
seulement, ne cherche qu’à persévérer dans l’être et le mieux-
être, c’est-à-dire dans le matérialisme, ce que semble avoir
choisi le transhumanisme, soit que l’homme, sans s’opposer
au progrès, songe à renforcer le pouvoir spirituel qui est en
lui, écrasé par la trop grande place réservée au matérialisme ;
d’où la mention de l’idée de divinité, étant donné que
Bergson est adepte de l’idée selon laquelle l’homme a de
quoi se faire plus qu’humain, mais pas dans la voie de
l’extériorisation matérielle, mais dans le développement de
100
Henri Bergson, Op.cit., p.1245.

130
l’être intérieur et de la spiritualité parce qu’il y a du divin en
lui, qu’il peut développer et faire grandir.
Alors, pourrait-il être imaginé une synthèse naturelle du
posthumain et du mystique bergsonien ? Comme nous
l’avons rappelé dans l’introduction, le dépassement de la
condition humaine prônée par Henri Bergson mise sur la
promotion de la dimension spirituelle telle que révélée chez
les mystiques ; elle se situe à l’opposé de la vision du
transhumanisme qui, elle, mise sur l’augmentation de la
puissance technologique et par conséquent physique et
matérielle. Nous fondant sur la double loi énoncée par Henri
Bergson, dite loi de dichotomie et loi de double frénésie101,
nous nous limitons à penser que le mouvement pendulaire de
l’évolution, balançant entre le paroxysme du matérialisme et
le paroxysme du spiritualisme pourrait conduire à voir une
phase spiritualiste succéder à la phase matérialiste qui
prédomine aujourd’hui. Les cyborgs deviendraient alors eux-
mêmes, dans un lointain avenir, ces « dieux » invoqués dans
cette phrase par laquelle se clôt l’ouvrage des Deux Sources
de la Morale et de la Religion, à condition qu’ils s’engagent
sur la voie de la conquête du « supplément d’âme » apparue
nécessaire déjà à l’aube des grandes révolutions
technologiques. /

101
« Nous appellerons loi de dichotomie celle qui paraît provoquer la
réalisation, par leur seule dissociation, de tendances qui n’étaient d’abord
que des vues prises sur une tendance simple. Et nous proposerons
d’appeler loi de double frénésie l’exigence, immanente à chacune de ces
deux tendances une fois réalisée par la séparation, d’être suivie jusqu’au
bout, comme s’il y avait un bout ! ». Les Deux Sources de la Morale et de
la Religion, Paris, PUF, 1948 p. 316.

131
CONCLUSION

Une certaine prétention philosophique surfaite du


transhumanisme a conduit à souvent passer au second plan
les innovations scientifiques pourtant immédiatement utiles à
l’homme, au profit des annonces en amélioration que ces
mêmes innovations utilisables de suite, permettent d’espérer.
Autrement dit, les visées mélioratives sensationnelles ont pris
le dessus sur les innovations avérées en capacités réparatrices
auxquelles il faut que nous accordions l’intérêt qu’elles
méritent, et qui font honneur au génie inventif des
chercheurs. Ici, les ouvrages de Laurent Alexandre intitulés,
l’un, « La défaite du cancer », l’autre, « La mort de la mort »
sont l’expression et la symbolisation de ces deux tendances
que nous venons de relever : tandis que le livre « La défaite
du cancer » met en relief ce que la médecine peut espérer
recevoir comme capacité de traitement d’une maladie réputée
incurable, le livre « La mort de la mort » quant à lui, et à
partir de son titre, choisit de sacrifier à la tendance générale
du transhumanisme, de faire rêver l’humanité ! Même son
sous-titre abonde dans la même direction : « Comment la
technomédecine va bouleverser l’humanité » ! Les titres de la
première tendance sont rares. Si Robert Freitas aussi a publié
Nanotechnology and medical nanorobotics, la grande
majorité des titres choisissent de faire rêver, et ressemblent
au petit échantillon que voici : Serons-nous immortels ?
Oméga 3, nanotechnologies, clonage de Ray Kurzweil et
Terry Grossman, Humanité 2.0 La Bible du changement, du
même Ray Kurzweil, Nous deviendrons immortels,
superhéros, scientologues de René José Billote, plutôt
ironique, lui ; Beyond Humanity ?, (Au-delà ou Par-delà
l’humanité ?), d’Allen Buchanan, etc. Les hôpitaux
devraient-ils se voir remplacer par des cabinets de
séquençage de l’ADN individuel et d’eugénisme ? Les
hôpitaux, c’est l’entretien, les soins, la « réparation », le
traitement curatif. La recherche scientifique et technologique,
telle qu’elle s’est manifestée dans les domaines convergents
des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’intelligence
artificielle et des sciences cognitives, a produit beaucoup de
solutions et de moyens nouveaux destinés à soulager la
souffrance des hommes. Des milliers de personnes sourdes
ont vu leur ouïe restaurée grâce à des implants dans le
cerveau ; de même, grâce à l’électronique médicale et à des
implants dans le cerveau, la maladie de Parkinson peut être
guérie, tout autant que la maladie d’Alzheimer. Avec
l’ingénierie du vivant et le recours à la nanotechnologie, en
l’occurrence la nanomédecine, on peut reprogrammer des
cellules dans le but d’en éliminer qui seraient porteuses de
maladies. Avec le séquençage de l’ADN des individus, des
gènes porteurs de maladies héréditaires peuvent aussi être
retranchés. De nombreuses autres performances contribuant à
l’amélioration du confort sanitaire sont mises au point et qui
ne poseraient que le seul problème de capacité financière
pour qu’elles profitent, en toute équité, au plus grand nombre.
Mais voici que l’appétit venant en mangeant, on ne se limite
pas à restaurer l’ouïe aux personnes atteintes de surdité, on
cherche à leur donner la possibilité d’entendre des ultra-sons
ou encore d’entendre distinctement ce qui se dit à plusieurs
kilomètres d’éloignement. Au lieu de simplement éliminer
gènes et cellules porteurs de maladies, on cherche et on
promet le moyen de vivre éternellement ; au lieu de régler le
problème de la maladie d’Alzheimer, on cherche à donner à
l’homme une mémoire plus qu’encyclopédique en lui
proposant d’implanter dans le cerveau des disques durs
permettant des extensions infinies de la mémoire, etc. ! Ce
qui donne naissance à des cabinets d’eugénisme concernés
par la question de la règlementation. Ce qui manque ici,

134
philosophiquement parlant, ce sont des analyses, des
explications et des argumentations rationnelles permettant de
comprendre, par exemple, en quoi et comment le fait de vivre
éternellement serait intéressant, et pour quelle sorte d’êtres !
Pour toutes les transformations que les transhumanistes se
contentent d’annoncer sous la forme de slogans, la différence
avec le récit et la fiction demeure mince et peu satisfaisante
pour la philosophie. Une fois qu’on aura évacué de la
sensibilité sa dimension « faiblesse » et « limitation »,
puisque par principe le transhumanisme œuvre pour
l’élimination de toutes les faiblesses et les limitations qui
frappent l’homme biologique, qu’en restera-t-il pour des êtres
mécanisés et métalisés, tout entiers étalés dans l’espace
matériel et sans aucune profondeur ni aucune dimension de
vie intérieure, sans capacité ni d’amitié, ni encore moins
d’amour ?
C’est bien le volet eugénisme et surtout celui de la
transformation de la nature humaine qui suscitent des
préoccupations justifiées, tout autant que celui de l’utilisation
de l’Intelligence artificielle à des fins militaires. Nous nous
demandons si tous les hommes faisant profession de foi
matérialiste, philosophes ou non, se sentent fondés à soutenir
la fabrication des substituts d’eux-mêmes qui soient si
différents d’eux, parce que devant « migrer de cette
enveloppe biologique » qui est la leur au profit d’une
enveloppe telle que celle du cyborg, un être hybride fait d’un
peu de chair et de pas mal de métal ? Au nom de quoi
chercher à forger l’homme d’un avenir dont ils seront eux-
mêmes absents ? Au nom de quelle liberté ? Celle de sujets
qui ne seraient pas concernés par les modifications qu’ils
veulent faire endosser à des absents qui ne leur ont rien
demandé ? On n’est pas ici dans la situation des parents qui
disent préparer l’avenir de leurs enfants ; encore que même
ici, il arrive que la préparation de leur avenir par les parents
ne convienne pas nécessairement plus tard aux enfants, bien

135
que les parents soient légitimés dans ce rôle, parce qu’il se
situe dans le cadre de l’appartenance à la même condition
humaine, à la différence des transhumanistes qui demeurent
des hommes, mais veulent faire advenir des non-humains en
jouant à être des dieux !Comment ne pas penser au mythe de
Frankenstein, le Prométhée moderne du roman de Mary
Shelley en 1818, horrifié lui-même le premier par le caractère
hideux du monstre qu’il a créé puis abandonné, suscitant la
vengeance de l’horrible créature !
Mais nous n’allons pas en rester à cette image d’échec
reflétée par le mythe de Frankenstein ; nous revenons plutôt à
notre hypothèse interrogative émise ci-dessus, et selon
laquelle le cyborg pourrait ne pas être une porte qui se ferme,
mais une expérience qui s’ouvre ou pourrait s’ouvrir sur une
synthèse vivante, intégrant la dimension supérieure de la
spiritualité ne dépendant plus de l’action des hommes, ceux-
là mêmes qui, parlant de l’avènement de la « Singularité »,
avouent se trouver devant une sorte de trou noir de
parturition. Des hommes qui se seront limités à jouer la seule
partition à leur portée, celle du développement exponentiel de
l’intelligence artificielle, la grande Évolution et son moteur
caché s’occupant du reste ?
Tout au long des pages, nous avons mis en relief les
préoccupations commerciales qui demeurent celles des
moteurs agissant et commanditaires de cette mouvance
transhumaniste, et qui sont ces géants du web que nous avons
cités. Le fait d’avoir mis en exergue cette dimension du
transhumanisme ne dispense pas de reconnaître le côté plus
que positif de leur action en tant qu’investisseurs dans une
recherche scientifique résolument puissante et dont la
médecine humaine continuera de bénéficier. Nous nous
sommes posé la question de savoir si les gouvernements des
États devaient continuer d’abandonner l’initiative et le
financement de cette recherche entre les mains de ces
industriels et hommes d’affaires principalement préoccupés

136
par le profit à tirer des investissements qu’ils engagent.
Souvenons-nous que c’est une intervention des pouvoirs
publics qui avait réussi à manœuvrer pour éviter que
l’entreprise privée Celera Genomics ne prenne tout le monde
de court en déposant un brevet pour exploiter
commercialement le génome humain ! Un Consortium
International alimenté par des fonds publics travaillait
heureusement sur le même projet de séquençage du génome
humain. Quelle autre gouvernance globale ou mondiale
faudrait-il inventer pour éviter d’abandonner l’avenir de
l’homme entre les mains des hommes d’affaires tournant
avec gloutonnerie la science et la technologie à leur seul
profit ? Nous avons évoqué les « déclarations universelles »
très importantes émises par l’Unesco ainsi que la création de
la Commission Mondiale d’Éthique des Connaissances
Scientifiques et Technologiques, (COMEST). Et nous ne
sommes pas surpris de découvrir la proposition téméraire que
fait Pierre Mounier, « chercheur en humanités numériques et
créateur du site homo-numericus.net » et selon laquelle
l’Unesco devrait hériter de la gouvernance du moteur de
recherche Google, « principale source mondiale d’accès au
savoir et à l’information » ; argumentant en effet que
« Google se nourrit de nos vies, de nos actions, des contenus
que nous produisons et qu’il monétise »102. Il n’y a pas que la
question du réchauffement de la planète qui mérite l’attention
de la gouvernance mondiale ; il y a aussi la concurrence
préoccupante que font aux États, ces grandes firmes du
numérique de la GAFA ; il y a aussi et surtout tout ce
développement exponentiel de l’intelligence artificielle
engagée dans un projet transhumaniste de modification de la
nature humaine ! De quoi nous pousser à nous demander si
les philosophes producteurs des idées dont se sert ce
mouvement sont bien conscients qu’ils sont eux-mêmes
exploités par l’implacable logique de l’hypercapitalisme ?
102
Christine Kerdellant, op. cit. Page 304

137
Mais que peuvent réussir les philosophes et autres
intellectuels s’ils ne sont pas suivis par les gouvernements
des États membres de l’Organisation des Nations Unies qui
seuls peuvent produire une régulation universelle en cette
matière ? Demeureront-ils silencieux face à la tendance de
certains de ces magnats de la quatrième révolution
industrielle mondiale à vouloir aussi se soustraire à l’autorité
des Etats, au nom de la promotion d’une société ouverte leur
permettant d’aller vivre dans des sortes d’îlots flottants ?
Peut-être la tentative de mise en œuvre d’un tel projet sera-t-
elle la goutte d’eau qui fera déborder l’océan des
extravagances et pousser les États les plus concernés à
réagir ? C’est un espoir qu’annule l’information donnée par
Christine Kerdellant dans son livre plusieurs fois cité et selon
laquelle Google collabore avec la NSA, l’Agence Nationale
américaine de la Sécurité103.

103
Ouvr. Cit. « « Google collabore, on l’a vu, avec la NSA, l’Agence
Nationale de la Sécurité. Il a fourni en 2015 les comptes de trois membres
de Wikileaks, l’ONG de Julien Assange. Le gouvernement lui demande –
Eric Schmidt l’a reconnu en 2013 – de surveiller 1000 à 2000 comptes
chaque année. Même s’il s’en défend, Google devient donc un auxiliaire
indispensable de la surveillance, au nom de la sécurité. » p. 295

138
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

- Allen Buchanan : Beyond Humanity ? Oxford


University Press, 2011
- Aubrey de Grey, with Michael Rae : Ending Aging :
The rejuvenation Breakthroughs that could reverse human
aging in our lifetime, Publisher St. Martin’s Press, Septembre
2007
- Bertrand Vergeley : La tentation de l’Homme-Dieu ; Le
Passeur Editeur, mai 2015
- Christine Kerdellant : Dans la Google du loup, Ed.
Plon, janv. 2017
- Daniel Philippe de Sudres, Nous en 2030 Éditions K.M.
de SUDRES/Presses de l’Avenir, août 2016
- David Pearce : The Hedonistic imperative (The
Abolition of all suffering via technology ; Hedweb.com
- Dominique Lecourt : Humain, Posthumain, P.U.F. avril
2004
- Edouard Kleinpeter, L’homme augmenté, Editions
CNRS, oct. 2013
- Florence Solari : L’homme qui vivra 200 ans est-il déjà
né ?, Ed. Le Pommier, Fevrier 2017
- Francis Fukuyama : La Fin de l’Homme, Les
conséquences de la révolution biotechnique, traduit de
l’américain ; Paris, La Table Ronde 2002,
- Frank Damour, La tentation transhumaniste, ED.
Salvator, déc. 2015
- Geneviève Ferone et Jean Didier Vincent, Bienvenue
en Transhumanie : Sur l’homme de demain, Ed. Grasset, oct.
2011
- Gilbert Hottois : Le Transhumanisme est-il un
humanisme ? Poche, janvier 2014
- Hachimi Sanni Yaya, La réponse de la science
médicale au Prolongévisme transhumaniste et
biogérontologique, Presses de l’Université Laval, juillet 2012
- Hans Moravec : Mind Children : The future of robot
and human intelligence ; traduit en français sous le titre Une
vie Après la vie, Odile Jacob, 1992
- Hans Moravec : Robot : Mere machine to Transcendent
Mind (en français : Robot : De la simple machine à
l’intelligence supérieure, Nov. 1998, Oxford University Press
- Jacques Testart : Rêveries d’un chercheur solidaire,
ED. La ville brûle, octobre 2016
- Jean Marie Le Méné, Les premières victimes du
transhumanisme, Ed. Pierre Guillaume De Roux, Fév. 2016
- Jean Michel Besnier, L’homme simplifié, Ed. Fayard,
oct 2012
- Jean Michel Besnier, Le posthumaniusme, Qui serons-
nous demain ? Ed. De Vive voix, mars 2011
- Jean Staune : Les clefs du futur, Plon 2015, Préface de
Jacques Attali
- Jean-Gabriel Ganascia, Le Mythe de la Singularité.
Faut-il craindre l’intelligence artificielle ?, Ed. du Seuil
2017
- Jean-Michel Besnier : Demain les posthumains, Ed.
Pluriel, oct. 2012

140
- Joël De Rosnay : 2020 Les Scenarios du Futur, Préface
de François de Closets, Des Idées et des Hommes,, 2007.
- Joël De Rosnay : Une vie en plus : la longévité pourquoi
faire ? Ed. du Seuil, 2005
- Laetitia Pouliquen : Femme 2.0 Féminisme et
transhumanisme : Quel avenir pour la femme ? Saint Léger
Editions 2016
- Laurence Devillers : Des robots et des hommes. Mythes,
fantasmes et réalités, Ed. du Seuil
- Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier : Les
robots font-ils l’amour ? Le transhumanisme en 12
questions ; Ed. Dunod Paris, Octobre 2016
- Laurent Alexandre : La défaite du cancer, Ed. J.C.
Lattès, 2014
- Laurent Alexandre : La mort de la mort, Comment la
technomédecine va bouleverser l’humanité ; Ed. J.C. Lattès,
Paris 2011
- Luc Ferry : La révolution transhumaniste (Comment la
technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser
nos vies) Ed. Plon, 2016 Paris.
- Marc Roux et Didier Coeurnelle, Technoprog, La
contre culture transhumaniste qui améliore l’espèce
humaine, FYP Editions, mars 2016
- Mathieu Terence : Le transhumanisme est un
intégrisme ; Ed. du Cerf, Paris 2016
- Michel Nachez, Transhumanisme et post-humanisme,
Ed. UPPR, mai 2016
- Nadia Belrhomari, Genome humain, espèce humaine et
droit, Ed ; L’Harmattan, juillet 2013

141
- Nick Boström : Human Genetics Enhancements : A
transhumanist Perspective. Home page :
www.nickbostrom.com 2003, Journal of Value Inquiry Vol.
37-N° 4. Pp. 493-506
- Nick Boström : Superintelligence : Paths, Dangers,
Strategies, Oxford University Press, 2014
- Nick Boström : Human reproductive cloning from the
perspective of the future, 2002
- Nicolas Le Dévédec, La Société de l’amélioration – La
perfectibilité humaine des Lumières au transhumanisme,
Editeur Liber, septembre 2015
- Olivier Dyens : La condition inhumaine, Essai sur
l’effroi technologique, Ed. Flammarion, 2008.
- Olivier Levard, Nous sommes tous des robots,
Michalons Editions, mars 2014
- Pierre José Billote, Nous deviendrons immortels,
superhéros, scientologues, ED. Publibook, janvier 2009
- Ray Kurzweil et Terry Grossman : Serons-nous
immortels ? Oméga 3, nanotechnologies, clonage, Dunod,
mars 2006
- Ray Kurzweil : Humanité 2.0 La Bible du changement,
M21 Editeur, 2007
- Robert Freitas : Nanatechnology and medical
nanorobotics ; publié par Landes Biosciences, Vol. I, oct.
1999
- Segalat L. : La fabrique de l’homme, ou Pourquoi le
Futur n’a pas besoin de nous, Bouvin Editeur, 2008
- Thierry Hoquet, Cyborg, Philosophie : Penser contre
les dualismes, Ed. du Seuil, oct. 2011

142
SOMMAIRE

PRÉFACE ............................................................................... 7

INTRODUCTION ................................................................ 11

CHAPITRE PREMIER : LE TRANSHUMANISME DE


L’ARGENT ET DES MARCHANDS ................................. 17
1- L’esprit d’invention et ses motivations ........................ 17
2- Parle-t-on philosophie chez Google ? .......................... 22
3- On fabrique des « objets- espions intelligents et
connectés »........................................................................ 27
4- Le bien-fondé de la recherche du progrès dans la
satisfaction des « besoins du nécessaire » ........................ 32
5- L’illusion du progrès dans la recherche de satisfaction
des besoins de « luxe du superflu » .................................. 39
6- L’initiative et le financement des recherches en NBIC 44

CHAPITRE II : TRANSHUMANISME ET VALEURS .... 53


1- Les valeurs de l’humanisme ......................................... 54
2- Valeurs et idéaux du transhumanisme .......................... 58
3- Quelle clientèle pour l’achat des équipements de
« l’homme augmenté » ?................................................... 64
4- Eugénisme de libre choix individuel, mais eugénisme
porteur de menace ! .......................................................... 73

CHAPITRE III : QUEL AVENIR POUR L’HOMME ? .... 77


1- L’idée de perfectibilité suppose l’existence d’une nature
humaine définie mais à faire s’épanouir ........................... 79
2- Intelligence artificielle et Superintelligence ................. 87
3- La question éthique : L’homme ne peut pas fuir sa
responsabilité .................................................................. 101
4- Il faut réguler .............................................................. 115
5- Les conséquences possibles de l’absence de régulation
........................................................................................ 125
6- La « Singularité », une anti-thèse pour la gestation d’une
nouvelle synthèse ? ......................................................... 128

CONCLUSION .................................................................. 133

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE ....................................... 139

144
DU MEME AUTEUR

PHILOSOPHIE
- De la médiocrité à l’excellence, Essai sur la
signification humaine du développement, Ed. CLE,
Yaoundé, Première édition en 1970, 174 pages. 4e édition en
2012, augmentée d’une bibliographie et d’une notice
d’autobiographie intellectuelle.
- Développer la richesse humaine, Ed. CLE, Yaoundé
1980, 71 pages.
- Jalons I, Recherche d’une mentalité neuve, Ed. CLE,
Ydé. 1970, 89 pages (épuisé) A re-éditer. Contient les essais
suivants :
- (1-Le rêve et la contestation – 2- La jeunesse africaine
face à l’Afrique traditionnelle – Recherche de la qualité et
signification de la culture générale dans une éducation
africaine au service du développement-4- Les tâches de la
philosophie aujourd’hui en Afrique.)
- Jalons II, L’africanisme aujourd’hui, Ed. CLE, Ydé.
Première édition en 1975. 77 pages ; 2ème édition en 2006,
augmentée d’une préface. Contient les essais suivants :
(1- L’africanisme aujourd’hui- 2- Langues africaines et
réflexion philosophique- 3- Sagesse des proverbes et
développement- 4- Littérature et développement- 5-
L’université et la personnalité africaine)
- Considérations actuelles sur l’Afrique, Ed. CLE, Yde.
1983, 168 pages
- Jalons III, Problèmes culturels, Ed. CLE, Yde. 1987,
132 pages. Contient les essais suivants :
- (1- Communauté humaine et diversité culturelle- 2- Les
folklores et la culture nationale- 3-La double vie spirituelle
des chrétiens bantous-4- L’intérêt pour le beau dans la
création artistique négro-africaine-5- Libres réflexions sur la
nouveauté et l’africanité de la Théologie nouvelle- 6- Le
problème culturel camerounais et d’autres interviews.
- La philosophie est-elle inutile ? Six essais autour du
principe d’utilité, Ed. CLE, Yde. 2002, 111 pages
(1- L’art, la science et la question de l’utilité-2- Temps
vécu et temps de la production aujourd’hui en Afrique-3-
Afrique initiatique et tradition de l’excellence- 4- Réflexions
sur le théâtre éducatif aujourd’hui- 5- L’utilité de la pensée
dans le devenir des sociétés)
- Discours sur la vie quotidienne, Editions Afredit, Ydé.
Mars 2007 168 pages ; réédité chez CLE, Août 2013, 168
pages
- Henri Bergson et l’idée de dépassement de la condition
humaine, Ed. L’Harmattan, Paris, nov. 2013, 305 pages
- L’idée de progrès dans la diversité des cultures, Livre-
dialogue avec Thierry Michalon, Editions Ifrikiya, Yaoundé
2012, 139 pages.

Ouvrages collectifs
- L’Aspiration à être, Ouvrage collectif, Ed. Dianoïa,
Paris, 2002, 262 p.
- Philosophes du Cameroun, Ouvrage collectif, Presses
de l’Université de Yaoundé (P.U.Y.) Juillet 2006, 447 pages.
- La philosophie et les interprétations de la
mondialisation en Afrique, Actes du Colloque international
de philosophie des 13-16 nov. 2007 à Yaoundé. Editions
L’Harmattan, Paris, fév. 2009

146
- Vie et éthique, de Bergson à nous, Livre des Actes du
colloque international des 22 et 23 nov. 2013 à Yaoundé. Ed.
L’Harmattan, 361 pages

LITTERATURE
- Introduction à l’œuvre poétique d’Antoine Assoumou,
sous le titre : Au bout de mon songe vaste, Agence Littéraire
Africaine Habib Tondut, Yaoundé, 1987.
- Traduction en français de Ngum’a Jemea, sous le titre
« Rudolph Douala Manga Bell, patriote et martyr, pièce de
théâtre écrite en langue douala par David Mbanga
Eyombwan, 1986. Pour sa première représentation en
français, Août 2005, l’auteur a préféré le nouveau titre en
français de La foi inébranlable
- Préface du recueil de poésie A l’Affût du matin rouge
de Jean Claude Awono, coll.Cle-Ronde, éd. CLE, Yaoundé,
Mai 2006.
- Préface du recueil de poésie La mort en silence d’Epale
Ndika, Ed. Saint Germain-Des- Prés, Paris 1980.
- Préface du recueil de poésie Blessures enchaînées de
Christiane Okang-Dyemma, Editions L’Harmattan, Col.
Littératures et savoirs, Paris 2009.
- Préface du recueil de poésie Mémorial Contre L’Oubli
de Célestin Bedzigui, Ed. Alibris NV, USA, 2013

POLITIQUE
- Député de la nation, Presses de l’Université Catholique
d’Afrique Centrale, Janvier 2002, Yaoundé, 168 pages
- Global Ethics, Illusion or reality ? Ouvrage collectif,
Vienne 2000, Ed. Czernin Verlag (pp. 97-108)

147
- Une lecture africaine de la guerre en Irak, Ouvrage
collectif, Edition Maisonneuve & Larose/Afredit, Paris 2003
(pp. 107-211)
- Préface de l’Intégration politique au Cameroun de Jean
Pierre Fogui, LG.D.F. Paris 1990.
- Préface de Cinquante ans de bilinguisme au Cameroun
de Sa’ah François Guimatsia, Editions L’Harmattan, juin
2010, Paris
- L’Etat et les clivages ethniques en Afrique, Livre-
dialogue avec Thierry Michalon, Ed. Ifrikiya, Ydé. Et
Edicerap Abidjan, Aout et septembre 2011, 135 et 174 pages
respectivement.
- Mondialisation Rapports des forces et illusions de
solidarité, Ed. Presses de l’Université Catholique de
Yaoundé, nov. 2016, 116 pages.
- Discours sur le Cameroun, Réflexions sur les
potentialités camerounaises, Sous presse

Pour plus d’informations, bien vouloir consulter le site


Internet personnel de Njoh-Mouellé : www.njohmouelle.org

148
‘‘Transhumanisme’’, Marchands
de science et Avenir de l’homme
Voici un essai qui permettra à ceux qui ne s’étaient pas
encore intéressés à ce thème du ‘’transhumanisme’’ de s’en
faire une idée équilibrée, l’auteur NJOH MOUELLE s’étant
soucié de proposer en même temps qu’une synthèse des idées
de ce mouvement, des analyses critiques inspirées par un
bergsonisme rafraîchissant. Il écrit pour participer au débat
sur l’avenir de l’humanité, suscité par le mouvement
scientifico-philosophique qui porte ce nom, démarré aux
États-Unis et qui commence à faire bouger l’intelligentsia
européenne. Il écrit aussi pour sensibiliser une opinion
africaine éloignée de ces préoccupations qui concernent
pourtant l’humanité entière : on promet à l’homme longévité
éternelle, superintelligence, augmentation de toutes ses
capacités, autant physiques que mentales. L’auteur a-t-il
raison de stigmatiser le mercantilisme des commanditaires
des recherches menées dans le cadre de la fameuse
convergence des Nanotechnologies, Biotechnologies,
I’Intelligence artificielle, les sciences cognitives (NBIC), au
point de considérer que l’étiquette philosophique dont se pare
ce mouvement scientifico-culturel sert de simple slogan
commercial ?
Président du Conseil Scientifique du Centre de
Recherche et de Formation Doctorale pour les
Arts, les Langues et la Culture à l’Université
de Yaoundé I, Ebénézer NJOH MOUELLE
représente son pays pour la deuxième fois au
Conseil Exécutif de l’Unesco depuis
novembre 2015. L’intellectuel doublé d’un
homme politique a effectué un mandat de
député et occupé la fonction de Membre du gouvernement dans son
pays le Cameroun. Il est l’auteur de nombreuses publications. Pour
plus d’informations sur l’auteur, ouvrir son site web
www.njohmouelle.org

150

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