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Introduction
Le face à face dans le cadre duquel nous allons analyser le rapport du
cogito à l’homo cyberneticus n’a pas été envisagé par Descartes. Ce que ce
philosophe français avait plutôt en vue, c’est la domination cosmique du cogito
par son appropriation et sa maîtrise de la nature grâce à la science et à la
technique. Mais, l’expression de cette volonté de domination du cogito sur un
monde simplement machiné, a produit un effet pervers : la centralité et
l’absoluité du cogito en tant que chose à la fois pensante et certaine semblent
compromises depuis les années 1930. En effet, depuis la découverte de la
cybernétique par Norbert Wiener sous la pression des nécessités militaires de la
Seconde Guerre Mondiale et celle des machines à penser d’Alan Turing, le
cogito apprend à ses dépens qu’il n’a plus le monopole de la pensée, car ce qui
passait jusque-là pour son privilège est également reconnu aux machines. La
« chose qui pense » n’a plus nécessairement pour référent le cogito. La référence
à la pensée est désormais pluralisée, puisqu’il est établi que des machines sont
elles aussi capables de penser. N’étant plus la seule « chose qui pense » dans la
population des choses dont nous avons l’expérience, le cogito perd sa superbe de
Jupiter de la connaissance, celle qui justifiait son arrogance parce qu’elle
donnait à son être une exceptionnalité évidente. Reconnu comme la chose qui a
la possibilité de connaître l’extériorité et de se connaître, le cogito pouvait se
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targuer d’être supérieur aux autres choses avec lesquelles pourtant il avait en
partage la même origine divine.
Le problème que nous voulons résoudre, en marge de l’enthousiasme
scientiste ou techniciste suspect de cybernétolâtrie et de ce nous pouvons
appeler la cybernétophobie, c’est celui de la place du sujet dans le tout-
cybernétique d’aujourd’hui. Que devient le sujet et la philosophie du sujet dans
le cybernétisme actuel si la res cogitans n’a plus son privilège logique depuis
l’apparition et l’émergence de la res cyberneticans ?
En établissant que le cogito n’est pas une machine, puisqu’il peut exister
indépendamment de la structure mécanique du corps et qu’il n’est ni assignable
à une localité spatiale ni confinable à un moment donné du temps, Descartes a, à
travers son doute hyperbolique, poussé l’activité réflexive de l’esprit humain
dans ses retranchements les plus solipsistes (Descartes, 1966 : 60 ; 1979 : 83-
85). Le pouvoir qu’a le cogito de déréaliser le corps, le monde, le temps ou le
l’espace n’implique jamais ne lui fait courir aucun risque de s’irréaliser par le
fait même, puisqu’il ne se résorbe jamais quand il lui arrive de feindre que les
autres choses ne sont pas. C’est la preuve que le cogito est, dans la philosophie
de Descartes, assurée d’une confortable quiétude solipsiste. Mais, le solipsisme
dont il s’agit, et dans la quiétude logique duquel existe évidemment le cogito
cartésien, ne consiste pas à affirmer le monisme ontologique de celui-ci, mais la
possibilité exclusive qu’il a de penser, au point de douter de l’existence de toutes
les autres réalités, avec la garantie que c’est la sienne seule qui survit à cette
épreuve méthodologique cruciale. Le cogito, c’est, d’après Descartes, la chose la
plus certaine parmi toutes celles qui existent. Descartes justifie la garantie de
certitude du cogito par une preuve a priori et par une preuve a posteriori : par la
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preuve a priori, il établit que le cogito existe par la nécessité de son essence, car
en tant que chose essentiellement pensante, il ne peut pas ne pas exister
certainement, étant donné qu’il ne peut pas penser sans être ni être sans penser.
Fût-elle fausse ou erronée, la pensée qui définit essentiellement le cogito est
toujours la preuve a priori de la certitude de cet être. Au moyen de la preuve a
posteriori, Descartes démontre la certitude du cogito à partir de l’expérience. De
l’expérience sensible de l’existence de la cire et des autres choses du monde
extérieur, il suit qu’il est lui-même une chose certaine (Descartes, 1979 : 93-95).
Bien plus, le fait qu’une puissance démoniaque use de son industrie pour abuser
de lui, prouve a posteriori que l’être qui est la victime inconsciente des malices
de ce « trompeur très puissant et très rusé » (Ibid. : 79) est une chose
effectivement certaine.
La garantie de certitude sur laquelle se fonde un son être explique le
privilège qu’il a de douter. Ce privilège revient au cogito parce que lui seul peut,
dans l’ordre des choses existantes ou susceptibles d’exister, soumettre le factuel
ou l’empirique tout comme ses propres artifices logiques au doute méthodique
dans la perspective de démarquer nettement le certain de l’incertain au terme de
cette opération intellectuelle qui, comme l’indique le sous-titre du Discours de
la méthode, consiste à « bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les
sciences ». La possibilité d’élever le contingent à la dignité du concept, de
s’interroger sur la pertinence logique de ses propres artifices et de concevoir ce
qui n’a pas d’existence factuelle au moyen des opérations intellectuelles dont le
cogito possède exclusivement les règles et maîtrise particulièrement les
modalités pratiques, est, chez Descartes, le privilège logique du sujet. La preuve
de ce privilège se vérifie par la possibilité qu’a le cogito de tracer la voie de la
connaissance et de s’investir dans une dynamique philosophique auto-réflexive
destinée non seulement révoquer en doute l’existence de sa propre subjectivité
(Descartes, 1966 : 60), celle des évidences des sens, des représentations de
l’imagination (Descartes, 1979 : 103) et de l’altérité (Ibid. : 93), mais aussi à
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Dieu, « la souveraine source de vérité » (Descartes, 1979 : 75), qui l’a doté du
privilège de penser.
La possibilité exclusive de douter ou de résilier finalement le doute par
des certitudes qui lui résistent absolument et qui, par le fait même, l’achèvent
définitivement, est le propre du cogito cartésien parce que la pensée est, à
proprement parler, sa constitution ontologique. C’est pour cela que, relativement
à toutes les choses qui existent, Descartes proclame le monisme logique du
cogito parce que ce dernier peut non seulement les arraisonner par la pensée,
mais aussi se constituer comme objet de pensée.
La thèse constitutionnelle de la pensée, celle qui définit l’essence du
cogito, permet de comprendre non seulement pourquoi la pensée est son propre,
mais aussi pourquoi il ne peut pas, sans risquer d’aliéner la personnalité de son
être, avoir cette propriété essentielle en partage avec les autres choses. C’est cela
qui ressort de la définition que Descartes donne au mot penser dans l’Article 9
des Principes de la philosophie : « Par le mot penser j’entends tout ce qui se fait
en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ;
c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est
la même chose ici que penser. » (Descartes, 1963 : 56). Suivant cette définition,
quelle autre chose pourrait, par exemple, en dehors du cogito, penser si tant est
que la pensée renvoie, selon Descartes, à l’aperception de la constitution de la
subjectivité de soi, dont les modalités ontologiques sont : entendre, vouloir,
imaginer et même sentir ?
Tout en étant donc une chose, au même titre que le corps ou la matière, le
cogito a une essence spécifique, car « une chose qui pense », c’est, lato sensu,
un chose « qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en
ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi
et qui sent »(Ibid. : 85-87 et 97), par opposition à la matière qui est divisible,
figurable ou partitionnable. Ainsi, le titre que le corps a en partage avec toutes
les autres choses auxquelles renvoie le créationnisme cartésien, ne suffit pas à
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d’une vie artificielle. Mais, le propre de l’art humain est qu’il est également
capable de reproduire, au plan politique, l’homme naturel. Le Léviathan, la
République ou l’État
« Au cours des années 40, des biologistes, des physiciens et des
électroniciens avaient décidé de conjuguer leurs efforts dans le
but de fabriquer un modèle du système nerveux. Les neurones
étaient simulés par des automates élémentaires reliés entre eux
par des liaisons dites synaptiques qui permettraient de faire
passer un influx plus ou moins intense. Mimant les phénomènes
de plasticité synaptique qu’observent les neurobiologistes, les
liaisons entre automates étaient capables de se modifier
dynamiquement, simulant ainsi des phénomènes
d’apprentissage. »
CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE
Arsac (J.), Les Machines à penser, Paris, Seuil, Collection « Science ouverte »,
1987.
Bernard (G.) & Feat (J.), « La cybernétique des réseaux neuromimétiques ».
Source : http://www.ai.univ-paris8.fr/CSAR/
Descartes (R.), Lettres choisies, textes présentés par André Bridoux, Paris,
Gallimard, Bibliothèque La Pléiade, 1953.
Wierner (N.), Cybernétique et société, Paris, Éditions des Deux Rives, 1962.