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Paul Ricœur*
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Le pacte de confiance
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Situé à l'autre pôle, le médecin fait l'autre moitié du chemin d'« égali
sation des conditions », par quoi Tocqueville définit l'esprit de la démo
cratie, en passant par les stades successifs de l'admission dans sa clien
tèle, de la formulation du diagnostic, enfin du prononcé de la
prescription. Ce sont là les phases canoniques de l'établissement du
pacte de soins qui, liant deux personnes, surmonte la dissymétrie ini
tiale de la rencontre. La fiabilité de l'accord devra encore être mise à
l'épreuve de part et d'autre par l'engagement du médecin à « suivre »
son patient, et celui du patient à se « conduire » comme l'agent de son
propre traitement. Le pacte de soins devient ainsi une sorte d'alliance
scellée entre deux personnes contre l'ennemi commun, la maladie. L'ac
cord doit son caractère moral à la promesse tacite partagée par les deux
protagonistes de remplir fidèlement leurs engagements respectifs. Cette
promesse tacite est constitutive du statut prudentiel du jugement moral
impliqué dans 1'« acte de langage » de la promesse.
On ne saurait trop insister, dès le début, sur la fragilité de ce pacte.
Le contraire de la confiance est la méfiance ou le soupçon. Or ce
contraire accompagne toutes les phases de l'instauration du contrat. La
confiance est menacée, du côté du patient, par un mélange impur entre
la méfiance à l'égard de l'abus présumé de pouvoir de la part de tout
membre du corps médical, et par le soupçon que le médecin sera, par
hypothèse, inégal à l'attente insensée mise dans son intervention : tout
patient demande trop (on vient de faire allusion au désir d'immortalité),
mais se méfie de l'excès de pouvoir de celui-là même en qui il place une
confiance excessive. Quant au médecin, les limites imposées à son
engagement, en dehors de toute négligence ou indifférence présumée,
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Le contrat médical
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Mais tout n'est pas biaisé, voire pervers, dans les compromis qu'im
posent les indépassables situations de conflit. Que dire, par exemple, du
cas limite, suscité par la médecine prédictive, de double aveugle
(double blind), où le patient n'est pas seul exclu de l'information, mais
aussi le chercheur expérimentateur? Et quid alors du consentement
éclairé ? En ce point la fonction arbitrale de la déontologie revêt les
traits non seulement de la jurisprudence mais de la casuistique.
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