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soigner les malades qui s’y rendent. Mais rien ne peut préjuger de la façon dont les
soins seront donnés si l’on ne tient pas compte des personnes qui en organisent la
délivrance. Si pour la plupart des spécialités médicales, il est maintenant admis que
le médecin doit suivre un protocole qui dépend essentiellement des travaux produits
par les actualisations successives des conférences internationales de consensus,
nous ne pouvons que nous en réjouir. Toutefois, la qualité des soins donnés
dépendra également de la manière dont les soignants la répercutent auprès de leurs
patients. Deux éléments différents coexistent donc dans l’organisation du soin,
d’une part le plus haut niveau possible de preuve scientifique médicale qui définit le
protocole à suivre, et d’autre part la qualité de la relation humaine dans laquelle ce
protocole vient prendre sa place. Nous sommes désormais tous persuadés que c’est
de la corrélation de ces deux éléments hétérogènes que peut résulter la meilleure
qualité des soins. Mais dans une spécialité psychiatrique, le niveau de preuve qui
prévaut dans d’autres disciplines plus directement dépendantes du niveau de la
science médicale ne peut s’appliquer aussi aisément. Les niveaux de preuves qui
prévalent dans les autres disciplines ne sont pas équivalents dans la nôtre, loin s’en
faut. En revanche, les travaux psychanalytiques ont montré que la relation médicale
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La réunion de travail des soignants en contact avec un patient donné peut devenir un 4
dispositif ad hoc, à la condition de respecter quelques principes de base. Tout
d’abord, ces réunions doivent permettre l’expression du contre-transfert de chaque
soignant, quelles que soient les paroles qui seront prononcées. En effet, il doit être
possible de faire état de difficultés, d’épuisement, de haine/amour et éventuellement
de sentiments plus positifs tels que la reconnaissance, le plaisir partagé de
l’amélioration, l’impression du travail bien fait. Dans certains cas, il peut être utile de
pouvoir aborder les formations de l’inconscient du soignant (rêves, cauchemars,
actes manqués…) qui peuvent être des indicateurs puissants des identifications
projectives pathologiques des patients. Il est bien entendu entre les participants de
ces réunions qu’en aucun cas ces lieux ne peuvent devenir l’occasion d’expressions
d’éléments de trop grande intimité, afin de ne pas les mettre en position délicate
ultérieurement. La réunion de constellation transférentielle n’est pas une
psychanalyse groupale. Ensuite, ces réunions doivent faciliter chez chaque
participant l’expression de son contre-transfert, quel que soit son statut
professionnel : psychologue, infirmier, éducateur, agent des services hospitaliers,
psychiatre… L’expérience montre que les relations entre patients et soignants ne
relèvent pas que du statut, mais qu’elles peuvent transcender ces cadres habituels et
ouvrir des possibilités d’interventions inédites [10]. La hiérarchie statutaire doit
s’enrichir d’une hiérarchie subjectale [11]. Enfin, de telles réunions accueillent des
expériences racontées par ceux qui les ont vécues avec le patient, sans prévalence de
l’une sur l’autre, au contraire reconnues comme faisant partie des modalités
multiples du patient, et in fine, lui appartenant en propre. Et la valeur de ces
témoignages d’expériences est indépendante des statuts. La dissociation de la
personne schizophrène est ainsi contenue dans et par un groupe de soignants qui en
témoignent ensemble sans s’engager dans une hiérarchisation de ces expériences. Il
est d’ailleurs intéressant de constater qu’à la sortie de telles réunions les soignants
portent en eux une représentation différente du patient dont ils viennent de relater
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une facette en l’articulant avec celles des autres. Ce regard différent du soignant a
des effets de contenance (effet Stanton et Schwartz) sur le patient qui s’en trouve
souvent apaisé [12]. En aucun cas il ne s’agit de se livrer à une interprétation, au sens
psychanalytique, car elle deviendrait à coup sûr une interprétation sauvage. C’est le
changement produit dans la psyché du soignant qui, en le transformant lui-même
dans son point de vue enrichi de celui des autres, permet un changement de vertex
chez le patient. Cela correspond à ce que Jean Ayme proposait d’appeler une
« attitude interprétative [13] ».
Dans l’organisation d’un hôpital de jour, avant tout début de prise en charge, il est 6
nécessaire de réfléchir avec les soignants qui accueillent l’enfant, aux indications
thérapeutiques dont il va pouvoir bénéficier, en fonction du diagnostic précis qui a
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été posé sur ses signes pathologiques, mais également en fonction de ses ressources
propres et environnementales qui conditionnent le pronostic [14]. C’est ainsi que le
temps d’observation déjà évoqué va nous aider à mieux approcher les difficultés
spécifiques d’un enfant en particulier. Si l’on se réfère à la grille de développement de
l’enfant autiste telle que Geneviève Haag [15], Sylvie -Tordjmann et leurs collègues
l’ont élaborée, plusieurs étapes doivent être franchies dans l’évolution de la
psychothérapie. Il s’agit tout d’abord d’aider l’enfant à « récupérer » ses premières
enveloppes corporo-psychiques pour sortir de son autisme « maximal ». Cette étape
étant franchie, l’enfant va disposer d’un intérieur et d’un extérieur à ses enveloppes,
ce qui va permettre de travailler avec lui, dans le cadre d’une phase symbiotique, les
clivages de l’image du corps, le clivage vertical dans un premier temps, puis le clivage
horizontal dans un second temps. Ces repères cliniques et psychopathologiques
correspondent de façon intéressante à ceux qu’André Bullinger [16] a élaborés avec son
point de vue, décrivant les mêmes clivages au cours de la constitution du buste, du
torse et du corps--véhicule. Enfin, une troisième étape fondamentale concerne
l’individuation-séparation, sortie de la phase symbiotique précédente. À ces trois
grandes périodes de la psychothérapie, vont correspondre des formes différentes de
prises en charge pour chaque enfant. La première phase de récupération des
enveloppes corporo-psychiques se conduit en proposant à l’enfant de recourir à des
enveloppes qu’il semble avoir investies, ne serait-ce que de façon liminaire. Tel
enfant attiré par les odeurs pourra être orienté vers des activités thérapeutiques
disposant de ces qualités sensorielles de façon suffisamment significative. Tel autre
plus sensible au tactile pourra bénéficier d’un enveloppement [17]. Tel autre encore
montrera son intérêt pour les sonorités et pourra être invité à partager des activités
musicales. Dans ces trois cas, l’activité en elle-même ne compte que comme prétexte
à construire des enveloppes suffisamment solides pour l’aider à intérioriser les
éléments d’une fonction phorique très en lien avec les sensorialités et s’appuyant sur
le vecteur Contact. Dans une deuxième étape au cours de laquelle il sera intéressant
d’aider l’enfant à « dépasser » les clivages verticaux et horizontaux déjà évoqués,
plusieurs médiations seront intéressantes, telles que la pataugeoire [18] et l’atelier
poney. Dans ces deux occurrences, la fonction phorique est une des données
essentielles du travail, puisqu’il s’agit d’utiliser le poney pour permettre à l’enfant
porté de reprendre « goût » aux interactions, ou la pataugeoire afin d’aider l’enfant à
manifester sa solidité interne pour franchir les clivages qui dissocient son image du
corps. Enfin, la troisième étape, celle de la sortie de la phase symbiotique, peut être
travaillée avec les professionnels du jeu, du langage, du conte. L’atelier-conte [19]
inventé en pédopsychiatrie, sous sa forme stabilisée, par Pierre Lafforgue, avec ses
trois temps très structurants, permet d’aider l’enfant à construire de la comodalité là
où ses prédispositions ne le conduisent pas habituellement. La première partie de
l’atelier est celle du contage. Les enfants écoutent (ou pas) un conteur qui leur
raconte l’histoire choisie par les soignants avec les enfants lorsque c’est possible. La
deuxième partie est celle du jeu de rôles : tel enfant joue le loup, tel autre le petit
cochon de la maison de paille…, et ils se font aider par un soignants quand jouer seul
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semble difficile. La troisième partie est celle du dessin : chaque enfant est appelé à
représenter avec des feutres sur un tableau Velleda ce qu’il a retenu du conte
entendu et joué. Cet atelier constitue à mes yeux une sorte de jeu du Fort-Da
élémentaire pour enfants en graves difficultés psychopatho-logiques. Dans un tel
atelier, la fonction phorique est assurée par le groupe des soignants qui portent le
groupe des enfants, les aident à suivre les étapes du rituel thérapeutique, tant bien
que mal. Après chaque séance, ils se réunissent et reprennent les événements qu’ils
ont observés, les rôles auxquels ils ont participé, les hypothèses qu’ils ont émises. La
pratique de tels ateliers montre à l’envi que cette fonction phorique se ramifie en
fonction séma-phorique dans la mesure où chaque soignant reçoit en lui des
éléments tirés des expériences vécues avec l’enfant dont il est référent, et dont le
partage permet parfois d’accéder à une fonction métaphorique. Les expériences se
déposent, et au fur et à mesure des ateliers qui se succèdent, des attitudes inter-
prétatives peuvent émerger des soignants et faciliter les avancées des enfants.
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Notes
[2] J. Tosquelles, Francesc Tosquelles. Ses vices constitutionnels : psychiatre, catalan, marxiste,
Paris, D’une, 2011.
[4] D. Anzieu, « L’illusion groupale », dans Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod, 1975.
[5] W.R. Bion, Recherches sur les petits groupes, Paris, Puf, 1965.
[17] P. Delion, Le packing avec les enfants autistes et psychotiques, Toulouse, érès, 1999.
[18] A.-M. Latour, La pataugeoire. Contenir et transformer les processus autistiques, Toulouse,
érès, 2007.
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Plan
Une institution pour les psychopathologies graves de l’enfant et de l’adulte
Auteur
Pierre Delion
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