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Chapitre 1 

: La raison et le réel

Partie 1 : Approche générale

Introduction : définitions et problématique

La Raison est, au sens le plus général, la faculté spécifiquement humaine de juger (distinguer le vrai
du faux), de connaître et de comprendre.  La connaissance, en particulier, repose sur notre faculté de
concevoir, c’est-à-dire produire des représentations objectives, en quoi la raison se distingue des
simples pensées qui restent par définition « subjectives ». La raison se distingue de la conscience ou
de la  pensée pure, puisque la première peut être confuse, et la seconde existe également sous une
forme « affective » ou « imaginative ». La raison est une faculté, c’est-à-dire une opération spécifique
de notre esprit, elle n’est l’esprit lui-même ("l’âme") et encore moins le "vécu" intérieur. 

 Le Réel désigne, dans un premier sens, tout ce qui existe, ou le fait d’exister. Notons qu’il ne s’agit
pas exclusivement de la « réalité matérielle ». Plus particulièrement, l’adjectif Réel vient confirmer
ou attester l’existence de quelque chose et il s’oppose dans ce sens à l’illusoire. Autrement dit le Réel
désigne ce qui existe vraiment, il réunit dans son concept l’Etre + la Vérité. La Vérité est le but, la
finalité (sinon l’objet) de la connaissance : l’homme cherche toujours à connaître la vérité de quelque
chose.

Sens et enjeu de leur relation : le problème de la connaissance. Or ces termes de Raison et de Réel
sont liés, ils s’impliquent mutuellement. En effet la Raison se fixe avant tout pour finalité de
connaître ou de comprendre le Réel (humain ou naturel, spirituel ou matériel), tout en chassant
l’erreur et l’illusion. Le Réel semble son objet ; c’est bien en utilisant la Raison que l’on peut
déterminer ce qui est réel ou non. Mais la Raison, dans quelle mesure est-elle « réelle » ? La raison se
« réalise » t-elle en connaissant et en changeant le monde par exemple ? Corollairement, ne faut-il
pas admettre que le Réel se trouve déterminé par la Raison ? A partir du moment où la Raison prend
le Réel pour objet de connaissance, voire de champ d’expérience, le Réel est-il (ou devient-il) par là-
même rationnel ? Bref, lorsque la Raison se penche sur le Réel, elle se penche aussi nécessairement
sur elle-même ; elle a même comme fâcheuse tendance à se prendre elle-même pour Objet Réel… Et
si au contraire la Raison n’était finalement qu’un instrument, une grille arbitrairement plaquée sur ce
réel qu’on appelle le Monde pour mieux le manipuler ?

La Raison peut-elle connaître le Réel ? A défaut de le connaître tel quel, ce qui suppose purement
l’identification de la Raison et du Réel, peut-elle connaître quelque chose du Réel ? C’est en ces
termes que peut être posé le problème de la connaissance.

I. – Les formes historiques de la relation Raison/Réel

1) La raison ontologique
En grec ancien,  la raison se dit logos, d’un terme qui signifie d’abord la parole ou le langage, et par
extension le discours visant la vérité (par opposition à muthos, mythe). Mais chez les plus anciens des
philosophes grecs, comme Héraclite, le Logos a également un sens ontologique, c’est-à-dire qu’il
désigne un mode d’Etre : c’est l’âme du Monde, ou plus simplement la Nature en tant
qu’organiquement constituée, ordonnée, la Raison universelle. Voici pourquoi la problématique
(l’opposition/relation) de la Raison et du Réel est constitutive de la Raison et de toute réflexion
philosophique portant sur la connaissance des choses.

Il faut attendre Socrate pour que le discours rationnel se désintéresse de la nature pour se
concentrer sur l’humain : le problème de Socrate n’est plus de savoir si la nature est rationnelle mais
si ce que disent les humains est rationnel ; ce n’est plus « qu’est-ce que la raison ? mais « qu’est-ce
que avoir raison » ?

2) La raison dogmatique

L’expression désigne le « rationalisme » des philosophes du 17è siècles, comme Descartes, Spinoza
ou Leibniz. Pour ces philosophes déjà « modernes », la raison n’est certes plus la « réalité » ou la
« nature », mais bien d’abord la faculté humaine de connaître la réalité.

Descartes affirme au tout début du Discours de la Méthode : « Le bon sens est la chose au monde la
mieux partagée » (le bon sens n’est pas autre chose que la raison). Et il lui attribue deux
caractéristiques principales : l’Universalité et l’Unité. La raison est universelle en ce sens que tous les
hommes la possèdent, c’est la marque même de l’humain. D’autre part la raison est une : en effet
tous les hommes la possèdent et ils la possèdent toute, en entier. Il n’y a pas de demi-raison. Cette
unité essentielle de la raison se justifie par l’indivisibilité des actes mêmes de la raison, à  savoir les
jugements. En effet un jugement est un acte de l’esprit qui reste indivisible, même s’il est le résultat
d’une série d’approximations qui elles-mêmes restent des jugements dans leur ordre.  

Bien sûr, on n’utilise pas toujours toute notre raison, cependant nous le pourrions et nous le
devrions : cette question est d’emblée d’ordre moral. Pour Descartes ce qui distingue un homme
raisonnable d’un autre déraisonnable, ce n’est pas la possession ou non de cette faculté, c’est le fait
de l’utiliser effectivement ou non, et d’autre part le fait d’être instruit ou non d’une méthode pour
bien conduire ses pensées. C’est cette méthode que justement Descartes se propose d’examiner
dans l’ouvrage cité en référence.

Le caractère « unitaire » de la raison, la confusion dans le « bon sens » du rationnel (faculté de


connaître la nature, théorique) et du raisonnable (faculté de comprendre les hommes,
essentiellement pratique), d’autre part le caractère infaillible d’une raison « bien conduite » et la
possibilité absolue de connaître le réel, tout ceci justifie le qualificatif de « dogmatique » appliqué
généralement à la conception cartésienne. La raison serait non seulement la reine des facultés (bien
supérieure à l’imagination par exemple) mais elle nous permettrait d’appréhender le réel « lui-
même », sans reste. Or cette affirmation ressemble étrangement à une croyance ou tout au moins à
un postulat. En effet une faculté aussi parfaite n’a pu échoir à l’homme que par les bons soins d’un
Etre lui-même parfait, à la fois infiniment intelligent et réel, le Créateur (Dieu). Ce qui est
« dogmatique » (= se prétend évident et indiscutable), c’est justement ce fait de postuler l’existence
même et l’unité de la raison dans l’homme, comme faisant partie de son essence, sans imaginer
qu’elle puisse être le résultat d’une formation individuelle, lente et imparfaite, plus ou moins
aléatoire en fonction de l’éducation, des facteurs sociaux, génétiques ou autres.

3) La raison critique

Ces prétentions quasiment délirantes de la Raison doivent être relativisées, on doit abandonner les
prétentions à une connaissance absolue, donc relativiser les pouvoirs de la raison, sans pour autant
perdre de vue la dimension universelle de ses principes. Ce travail critique sur la raison est l’œuvre de
Kant, notamment dans sa Critique de la Raison Pure. « Critique » s’oppose à « dogmatique » en ce
sens que la Raison doit être capable d’apercevoir ses propres limites.

Sur la question de savoir si l’on peut connaître le Réel, Kant fait une série de distinctions capitales. 1)
Il faut distinguer la réalité « en soi » (les « noumènes ») et ce que nous pouvons en apercevoir
effectivement (les « phénomènes »), d’abord par l’intermédiaire de nos sens ; même après le travail
de conceptualisation et d’abstraction,  jamais l’esprit ne peut prétendre cerner l’Etre d’une chose,
d’abord parce que l’Etre ne se donne pas à connaître, ce n’est pas une « qualité ». 2) Il faut distinguer
ensuite la Raison pure, qui est proprement la faculté des Principes, c’est-à-dire une capacité de saisir
et de formuler des règles universelles, et l’entendement ou l’« intelligence » à proprement parler qui
est la faculté des concepts, capacité de conceptualiser, et donc de connaître. Mais cette faculté est
humainement limitée, il n’y a pas, il ne peut y avoir de connaissance absolue. 3) Il faut distinguer la
Raison théorique, qui prétend connaître la nature, et la Raison pratique, qui prétend former les règles
et les principes de la conduite humaine. Toutes deux prétendent légitimement à une forme
d’universalité, mais elles ne procèdent pas de la même manière et ne s’appliquent pas aux mêmes
objets. Cette opposition recoupe la distinction plus commune entre le rationnel et la raisonnable,
écrasée sous la notion cartésienne du « bon sens »…

4) La raison dialectique

Hegel réunit dialectiquement tout ce que Kant a séparé formellement… La grande découverte des
philosophies du 19è siècle, en général, est la dimension intrinsèquement historique (et certainement
plus « naturelle ») de la Raison. 1) Hegel ré-unit donc la Raison et le Réel grâce à l’Histoire comprise
comme processus logique. « Tout ce qui est rationnel est réel » et « tout ce qui est réel est
rationnel » selon Hegel. La Raison est historique parce que la Raison se réalise à travers l’Histoire et
la Culture : elle devient alors effectivement universelle. 2) Hegel réunit du même coup le rationnel et
l’irrationnel : il y a bien un Savoir absolu, car au moins en droit rien n’échappe au processus
rationnel, ce qui n’est pas ou ne paraît pas rationnel le devient ou nous apparaît comme tel peu à
peu… Même la violence, même les guerres dans l’Histoire se justifient car elles réalisent, à notre insu,
une Idée universelle… 3) Enfin Hegel ré-unit le théorique et le pratique, la connaissance et l’action
dans la reconnaissance : le « sujet » humain est identiquement pensant et agissant, il n’est lui-même
et se connaît lui-même qu’à travers l’altérité.

5) La raison scientifique

A nouveau il faut relativiser, et revenir aux distinctions kantiennes : l’identification de la Raison et du


Réel, même sous sa version dialectique ou historique, conduisant à affirmer que « tout ce qui est réel
est rationnel », apparaît difficilement soutenable. Aujourd’hui, nous savons bien qu’un Savoir absolu
est irréalisable parce que la notion même du Réel nous échappe, tandis que les connaissances se font
de plus en plus complexes et de moins en moins unitaires (ou systématiques). Ce n’est pas la Science
de la Logique (Hegel), ce sont les mathématiques et les sciences expérimentales qui nous apportent
cette leçon de modestie.

D’une part les sciences (physique, biologie, etc.) permettent une connaissance objective et vraie,
mais d’autre part elles en souligne le caractère toujours plus ou moins relatif, à cause de la
complexité même du Réel. D’ailleurs le Réel n’est pas un concept scientifique, comme le disait Kant
la connaissance ne s’occupe que des phénomènes, de ce qui est effectivement objectivable. Elle
cherche à en découvrir les lois – en ce sens on peut, certes, affirmer que la science découvre le réel -,
afin de pouvoir expliquer (éventuellement prévoir) les faits qui s’y déroulent.

Une question demeure : le Réel est-il seulement ce qui se donne à connaître, même partiellement ?
Ne faut-il pas revenir à la différence (kantienne) entre connaître et penser ? C’est bien pourquoi la
science n’a nullement mis un terme à la spéculation philosophique (de même que la philosophie, de
son côté, n’a nullement éradiqué la religion…). Que penser, par exemple, du réel humain, de la
psychè, des sociétés, de la culture ? Comment l’esprit aborde-il les productions de l’esprit ? Nous
verrons que ceci est la fonction propre de l’interprétation, dont on peut se demander si elle est
encore une forme de connaissance. Comment les esprits s’abordent-ils entre eux ? Lorsque deux
hommes discutent, cherchent-ils à se connaître ou plutôt à se comprendre, à s’entendre ?

6) La raison communicationnelle

L’époque contemporaine fait droit à une forme de rationalité qui, sans être nouvelle, n’avait jamais
été exploitée à sa juste valeur : certains la nomment « raison dialogique » (F. Jacques), d’autres
« raison communicationnelle » (J. Habermas), etc. Dans tous les cas on conteste un usage
globalement dogmatique de la raison, dans toute la tradition philosophique, un usage qualifié de
« monologique » quasi-délirant. Monologique, car fondé sur une surestimation de la conscience
individuelle, de la réflexion personnelle et du style philosophique spéculatif qui en découle, au
détriment de la discussion et de la recherche systématique du consensus - ce qui devrait être,
notamment pour Habermas, la finalité principale de toute réflexion rationnelle.

Par ailleurs, la « raison communicationnelle » stigmatise la « techno-science » et l’accuse d’exercer


un pouvoir absolu sur les consciences et sur la société. En effet si la « raison instrumentale » des
scientifiques et des politiques (technocratie, etc.) s’est imposée en devant presque tyrannique, c’est
parce qu’elle complète en quelque sorte la « raison spéculative » des philosophes, inévitablement
déficiente pour ne pas dire délirante. La raison communicationnelle éviterait ces deux écueils,
justement en tant que communicationnelle d’abord (tournée vers l’autre, dialogiquement, et non
vers le monde ou vers soi-même), et en tant qu’essentiellement pragmatique (Habermas parle d’un
«agir » communicationnel). C’est donc cet agir – explicitement défini comme social – qui réunirait
cette fois la Raison et le Réel. Ce point de vue est-il finalement trop sociologique ? Le débat est
ouvert.

II – Les modalités de la relation Raison/Réel et la connaisance scientifique

1) La méthode expérimentale : théorie et expérience

Théorie et Expérience sont les deux aspects d’une connaissance objective et scientifique. Cette
opposition reprend, à l’intérieur de l’investigation scientifique, l’opposition générale de la Raison et
du Réel. Les termes en jeu ne sont pas univoques, ils laissent place également à leur contraire. La
théorie, comme ensemble cohérent de thèses et lois explicatives applicable à un domaine donné du
Réel, semble évidemment abstraite ; cependant elle désigne originellement, étymologiquement
(theoria) une vision et une contemplation du Réel (chez Platon, ce Réel est néanmoins celui des
Essences, non la réalité sensible). Quant à l’expérience, elle est au sens le plus général la mise en
relation du sujet avec le Réel par l’intermédiaire des sens (intuition sensible, perception) ; mais c’est
aussi dans le cadre de l’expérimentation scientifique, une mise en pratique de la théorie, donc une
« grille » posée sur le Réel.

Avant que la corrélation théorie expérience ne soit clairement établie, deux grandes doctrines
philosophiques se sont affrontées sur la question de savoir si la connaissance du réel relevait plutôt
de la théorie ou plutôt de l’expérience. Ces deux doctrines sont le rationalisme et l’empirisme. Le
rationalisme fait procéder la connaissance de principes a priori. Si l’on tient à l’expérience, selon
Spinoza, "on ne percevra jamais autre chose que des accidents dans les choses de la nature, et de ces
derniers nous n'avons d'idée claire que si les essences nous sont d'abord connues." A l’inverse,
l’empiriste Hume déclare : "toutes les lois de la nature sans exception se connaissent seulement par
l'expérience." Une fois de plus la solution est apportée par le criticisme de Kant : celui-ci montre bien
que la connaissance ne saurait dériver entièrement de l'expérience : ses énoncés, en tant qu'ils ont
universels, ne sauraient reposer sur elle. La connaissance procède donc d’un composé d’expérience
et de concept a priori de l’entendement : "Si toute notre connaissance débute AVEC l'expérience, cela
ne prouve pas qu'elle dérive toute DE l'expérience, car il se pourrait bien que même notre
connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de
ce que notre propre pouvoir de connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit de
lui-même..." De ce fait, théorie et expérience sont requises toutes deux pour définir une
connaissance objective.

La « méthode expérimentale », telle que définie par Claude Bernard (Introduction à l'étude de la
médecine expérimentale, 1865) ne dit pas autre chose. Celle-ci peut être décomposée en trois
phases. D'abord il y a l’observation des faits relatifs au domaine étudié par le savant. Ces faits
doivent paraître énigmatiques et demander une explication inédite, autrement dit l’observation
inclut la perception d’un problème. Ensuite est élaborée une hypothèse, valant comme "explication
anticipée" à la fois suggérée par les faits et inventée par le savant. Enfin a lieu l'expérimentation
proprement dite, c’est-à-dire l'élaboration d'un montage savant (= nécessitant de connaître les
théories afférentes au problème) qui permettra d'éprouver la validité de l'hypothèse.

On en arrive à cette affirmation de Bachelard : "Rien n'est donné, tout est construit ", du moins est-ce
incontestable en matière de connaissance scientifique. Le Réel, contrairement à ce que pensaient les
empiristes, est l'objet d'une conquête progressive menée avec méthode. Les événements qui se
produisent dans le Réel ne sont, eux-mêmes, perçus comme problématiques qu’au regard d’une
théorie déjà existante. Entre la théorie et l'expérience, la relation est dialectique. C’est dire que la
connaissance ne procède que par une série de contradictions qu’il s’agit de résoudre. Les
contradictions constatées équivalent à une sorte d'interrogation face au réel, presque à une forme
de scepticisme. Le doute est la première condition de l'objectivité scientifique parce qu'il évite de se
refermer sur un savoir faux, bien souvent une croyance. Ensuite l'objectivité implique une modestie
face au réel : il faut admettre que le réel en soi, "tout" le réel, n'est pas connaissable
scientifiquement : différence kantienne entre chose en soi et "objet". Les objets de la science, ce sont
les faits. La science cherche à expliquer les phénomènes, ce qui apparaît à chacun, et une fois
expliqués par la théorie, ceux là deviennent des faits établis, reconnaissables, en tant que vérifiés par
l'expérience. Pour cela il aura fallu entre-temps établir une loi des phénomènes observés. Une loi est
un rapport constant entre des phénomènes qui justement les explique, en ce sens qu'il est possible,
dans une certaine mesure, de les prédire, ou même de les provoquer. Le rapport entre les lois et les
faits semble analogue à celui de la théorie et de l'expérience : une loi est d'abord théorique, et un fait
relève bien de l'expérience. C'est pourquoi ce qu'on appelle les "lois scientifiques" ne sont pas à
proprement parler les "lois de la nature" (expression qui personnifie la nature) : elles restent
humaines et conçues par l'homme. Il en va de même des faits et de l'expérience, dont on a vu qu'il
ne fallait pas les confondre avec les "phénomènes". Ne dit-on pas "les faits sont faits" ?

2) La méthode mathématique : logique et démonstration


La démarche du scientifique consiste à s’efforcer de prouver ce qu’il avance. Il le fait soit en montrant
que ce qu’il affirme correspond bien à la réalité – c’est le rôle de l’expérience couplée à la théorie -,
soit en montrant que cela correspond bien à ce que l’on sait déjà : c'est le rôle de la démonstration.

La démonstration est un raisonnement par lequel on tire la vérité d’une proposition à partir d'une
autre considérée comme vraie, sans qu’il soit besoin de constater qu’elle correspond à la réalité. La
science des démonstrations est la logique. A ce sujet Kant écrit : “une connaissance peut fort bien
être complètement conforme à la forme logique, c'est-à-dire ne pas se contredire elle-même, et
cependant être en contradiction avec l'objet ” (Kant, Critique de la Raison pure).

Entrons dans le détail d’une démonstration. La proposition que l’on démontre se nomme
« conclusion », et  celles qui servent à la démonter sont les  « prémisses ». La démonstration consiste
en une inférence, soit le passage rigoureux d’une proposition à une autre au moyen de la déduction,
qui consiste à tirer les diverses conséquences de propositions initiales. On utilise également
l'induction qui consiste à appliquer au tout, par généralisation, ce qui a été établi pour les parties.

Aristote a développé dans son Organon la célèbre théorie du syllogisme, dont il fournit le prototype :
tout homme est mortel (majeure), Socrate est homme (mineure), donc Socrate est mortel
(conclusion). Puisque la réalité n’est pas en cause, les noms propres peuvent être remplacés par des
variables abstraites. Par exemple : tout x est y, or z est x, donc z est y. Si l’on remplace la majeure par
« tout homme est immortel », la conclusion « Socrate est immortel » n’en sera pas moins valide
logiquement : et pourtant elle sera fausse dans l’absolu. Plus exactement on aura affaire à un
sophisme qui veut nous tromper sur la vérité des prémisses. Que tous les hommes soient mortels,
cela ne se démontre pas, cela se constate d’expérience. Bref, le syllogisme a des limites. C'est ce que
Descartes fera remarquer : cet art de raisonner ne nous fait pas découvrir de vérités, il constitue
simplement une manière d'exposer correctement ce que l'on sait déjà.

D’autre part, on ne peut évacuer le problème suivant : peut-on jamais trouver une prémisse qui ne
soit pas elle-même le résultat d'une inférence ? « Il faut bien finir par s'arrêter », disait Aristote.
Celui-ci admet la nécessité de poser un élément indémontrable, rien moins que le grand « principe
de non-contradiction » en vertu duquel « il est impossible que le même attribut appartienne et
n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport » (Aristote,
Métaphysique). Ce premier principe fait de la logique classique, dite encore « formelle », une logique
du tiers exclu (il n’y a pas d'intermédiaire entre ce qui est vrai et ce qui est faux) ; une logique
« réelle » ou « dialectique » comme celle de Hegel, tentera de rétablir la Réalité dans ses « droits » à
la contradiction.

Quoi qu’il en soit,  la démonstration repose donc nécessairement sur un élément indémontrable.
Parmi les propositions premières indémontrables, on distingue généralement les axiomes et les
postulats. Les axiomes sont des propositions évidentes par elles-mêmes. Ce sont en fait des
hypothèses ou des conventions pures : par exemple 1+1=2 est vrai tant que l'on se situe en base 10,
cela devient 11 en base 2, le système binaire du langage informatique.  Les postulats sont de nature
différente : ce sont des propositions indémontrables mais que l’on demande d’admettre parce
qu’elles correspondraient à quelque chose de réel, et parce qu’elles sont nécessaire pour la
démonstration.

On postule toujours quelque chose... Quand je parle, je postule que je vais être compris, parce que je
ne peux pas tout expliquer. Le principe de non-contradiction lui-même ne saurait être démontré, et
pourtant on est bien obligé de l'admettre. Si l'on avait le droit de se contredire, ce serait reconnaître
que le langage n'a aucune signification ; il faudrait donc nier la signification de cette dernière
proposition, celle qui prône le droit de se contredire, etc. Le plus évident, c'est que la démonstration
correspond à un besoin éthique élémentaire : celui de s’accorder avec autrui ! La démonstration a
donc une finalité concrète. D’autre part nous avons vu dans le paragraphe précédent qu’elle possède
également une modalité concrète. Si la démonstration peut rester purement formelle en logique ou
en mathématiques pures, elle devient concrète et réclame l'appoint de la preuve expérimentale dans
une démarche scientifique complète. En science (et certes non en mathématiques pures) il faut
montrer pour bien démontrer.

D’autre part l’importance de la logique et des mathématiques doit être relativisée. Descartes avait
érigé les mathématiques, « science de l’ordre et de la mesure »,, en modèle normatif de toute
connaissance scientifique. Les « chaînes de raison » (les déductions) des géomètres lui assurent que
“toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s'entre-suivent en même
façon” (Discours de la Méthode). On rejoindrait la thèse de Galilée selon laquelle « le livre de la
nature est écrit en caractères géométriques ». Or cette tentative de mathématiser le Réel se heurte à
de sérieux obstacles, comme le fait que les axiomes mathématiques sont conventionnels, ou bien le
fait qu’on ne peut pas mathématiser le « vivant » : le monde physique se prête seul à cet exercice...

En généralisant un peu, c’est toute la civilisation occidentale qui s’est constituée sur le modèle
démonstratif de la logique mathématique, laquelle soutient évidemment l’idéal du progrès technique
et matérialiste. La philosophie elle-même, avec Socrate, Platon et Aristote, s’est constituée en
discours rationnel argumentatif. Mais la démonstration ne fait pas l’unanimité ; il existe un autre
mode de recherche de la vérité, plus sensible et plus subjectif, plus humain et donc peut-être plus
profond : l’interprétation.

3) La méthode herméneutique : l’interprétation

Nous avons vu que la connaissance objective promue par la science restait souvent partielle et
provisoire ; nous avons vu d’autre part qu’il était impossible de tout démontrer. Faut-il pour autant
renoncer à comprendre ce que l’on ne peut connaître ou démontrer avec exactitude ?

L'interprétation a pour fonction d'élucider le sens d'un texte, d'un acte ou d'une événement à chaque
fois que ce sens n’apparaît pas clair. L’interprétation a donc à voir avec la part d’inconnu, d'énigme,
peut-être la part d’irrationnel qui nous entoure, mais toujours dans l’optique de parvenir à une
forme d’élucidation et de compréhension.
La notion de sens reçoit plusieurs acceptions. 1) Le sens désigne d’abord une fonction sensorielle, la
faculté d’éprouver une sensation. Après tout, il n’est pas exclu que le « sens des choses » n’ait pas un
rapport avec cela, avec une capacité de sentir, de goûter, de jouir de la vie. 2) La seconde acception
est plus intellectuelle : le sens est synonyme de signification, il est ce que communique à l’esprit un
mot ou un signe. La signification peut être expliquée. 3) Enfin le sens évoque la direction, comme par
exemple le sens des aiguilles d’une montre. C’est la dimension spatio-temporelle du sens.
Temporelle parce que la bonne direction, a priori, est celle de l’avenir ; or, par excellence, c’est la
dimension temporelle de la conscience (tournée vers). Du point de vue de la conscience, point de vue
subjectif, on parlera plutôt d’orientation. Se demander quel est le sens de la vie, par exemple, cela
revient à se demander comment orienter sa propre vie.

L’interprétation prend plusieurs formes et s’exerce dans plusieurs domaines. La discipline initiale
prend le nom d’"Herméneutique", d'un mot grec qui signifie interprète, dérivé d'un nom propre,
Hermès, nom du messager des dieux et interprète de leurs ordres. L'herméneutique est d'abord
l'interprétation des textes bibliques. Par extension, on parle d'herméneutique pour tout dévoilement
du sens d'un texte, voire même de réalités énigmatiques (oeuvres d'art, types de sociétés, modes de
comportement). On tentera donc de définir le type de vérités que peuvent délivrer un mythe ou une
fiction, objets respectivement de l'"exégèse" et de la "critique : cela se présente-t-il sous la forme
d’un savoir ? Et comment éviter les conflits d’interprétation si sensibles notamment en matière de
religion…

Ensuite l’interprétation prend place dans le champ des sciences humaines : l’homme ne peut être
étudié comme un simple phénomène naturel, précisément parce qu’il n’est pas objet mais sujet, de
sorte que le projet de connaître l’homme rejoint la nécessité de le comprendre par l’interprétation
de ses paroles et de ses comportements. Question : ces disciplines interprétantes sont-elles des
sciences, et dans quel sens ? C’est pourquoi l’on se demande si l’interprétation est une forme de
connaissance

Les philosophes ne séparent pas l'interprétation de la réflexion autonome. Pour cela, il faut supposer
un ordre de réalité sous-jacent, implicite ou inconscient, déterminant la réalité explicite ; c'est ce
qu'admettent chacun à leur manière des penseurs comme Nietzsche, Marx ou Freud, surnommés
pour cela les "maîtres du soupçon". Enfin c’est encore le propre des philosophies de l’existence de
baser la réflexion sur l’interprétation : elles assignent à l’homme en tant que projet et producteur de
sens le devoir d’interpréter le sens de sa présence au monde
Partie 2 : Les opérations de la raison

1)      Le concept.

  Un concept est une représentation générale et abstraite. Il est déterminé par l’ensemble des
caractères qui le définissent c’est-à-dire par sa compréhension et par les éléments qu’il contient
c’est-à-dire par son extension. Compréhension et extension varient en sens inverse. Plus la
compréhension est riche, moins l’extension est large, plus l’extension est grande moins la
compréhension l’est.

  Ex : L’extension du concept « d’être » est illimitée puisqu’il s’étend à tout ce qui est à un titre
quelconque. Sa compréhension est très pauvre.

  La compréhension du concept « Socrate » est infinie, car la description d’un être concret est
toujours ouverte mais son extension se réduit à l’individu singulier auquel ce nom propre renvoie.

  Conceptualiser consiste à rendre intelligible le réel en identifiant du divers, en unifiant du multiple,


en isolant des invariants dans le changement. Le langage est un ensemble de concepts et c’est à
travers sa grille qu’on commence à s’orienter dans le monde. Mais les concepts linguistiques sont des
concepts équivoques au contraire des concepts scientifiques se caractérisant par leur univocité.

  Ex : L’inertie. Comme concept commun, le mot signifie aussi bien l’absence de mouvement que la
résistance au mouvement. Il s’applique aux esprits aussi bien qu’aux corps. Cette imprécision
autorise ainsi des glissements de sens, des usages métaphoriques propices à toutes les confusions et
à toutes les manipulations rhétoriques.

  Comme concept scientifique l’inertie désigne la propriété qui s’étend à tous les corps solides,
seulement à eux mais à eux tous et selon laquelle un corps abandonné à lui-même persiste dans son
état de mouvement ou d’immobilité aussi longtemps que quelque chose ne vient pas modifier celui-
ci. Le concept scientifique permet de construire la mécanique des solides.

   Une dimension fondamentale du travail théorique du savant est d’élaborer des concepts rigoureux
et opératoires propres à rendre compte de manière pertinente du réel.

  La philosophie aussi est une construction de concepts destinée à conférer à la réflexion la rigueur
manquant à l’opinion.

2)      Le jugement.

  « Penser c’est juger » Kant. L’activité judicative est la base du discours. Toute proposition est un
jugement.

Juger c’est affirmer ou nier la vérité d’une relation posée par l’esprit.
Les logiciens distinguent différents types de jugement :

Jugement de réalité. Il formule ce qui est. Ex : Paris est en France.

Jugement de valeur. Il contient une appréciation. Ex : Cette œuvre est belle.

Jugement d’attribution. Il affirme un attribut d’un sujet. Ex : Socrate est mortel.

Jugement de relation. Il établit une relation entre deux termes que l’on compare. Ex : Louis est plus
grand que Pierre.

Jugement analytique. L’attribut est contenu dans le sujet. C’est un jugement a priori. Ex : Dieu est
parfait.

Jugement synthétique. L’attribut n’est pas contenu dans le sujet. Ce jugement est généralement a
posteriori.

  Le jugement suppose d’une part l’établissement d’une relation entre des concepts, d’autre part une
prise de position du sujet qui décide d’affirmer ou de nier la vérité de cette relation. Il met donc en
jeu deux facultés distinctes : l’entendement ou la raison qui conçoit le rapport, la volonté qui nie ou
affirme. L’erreur procède de la tendance de la volonté à prendre parti alors que l’entendement n’a
pas fait la lumière. Car en toute rigueur la volonté ne devrait se déterminer qu’en étant éclairée par
l’entendement. Or il s’en faut de beaucoup qu’il en soit toujours ainsi. Les hommes jugent souvent à
tort et à travers, et non en connaissance de cause. Voilà pourquoi il convient pour éviter l’erreur de
définir  une éthique du jugement.

  Une éthique est un ensemble de règles, ici pour bien conduire son esprit. La première serait de
suspendre son jugement, chaque fois que l’on n’a pas la connaissance suffisante pour prendre
position de manière rationnellement fondée. Accepter de dire « je ne sais pas », douter, telle serait
alors l’attitude conséquente.

  Dans son Discours de la méthode Descartes formule ainsi son premier principe : « ne recevoir jamais
aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c’est-à-dire éviter
soigneusement la précipitation et la prévention ; et ne comprendre rien de plus en mes jugements,
que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune
occasion de le mettre en doute ».

  Cette règle est la règle de l’évidence.

   La question est de savoir si Descartes donne un critère opératoire de la vérité. Y a-t-il des idées si
claires et si distinctes qu’il soit impossible d’en douter ?

   La question est aussi de savoir que faire dans tous les domaines où il n’y a pas de science possible.
Ce qui, on le sait est le propre des questions portant sur les valeurs. Les nécessités de l’action
interdisent le doute, l’hésitation. Il faut s’engager fermement dit Descartes car, rien n’est pire que
l’irrésolution mais l’absence de certitude implique d’éviter les extrémismes et de choisir la
modération.

  Descartes formule dans la Troisième partie du Discours de la méthode les règles de cette morale
dite provisoire.

3)      Le raisonnement.

   Raisonner consiste à enchaîner des propositions c’est-à-dire des jugements afin de transférer la
vérité de propositions appelées prémisses à d’autres propositions appelées conséquences ou
conclusions. Le raisonnement ou discours est « une opération qui s’effectue par une suite
d’opérations élémentaires partiellement successives » Lalande. Vocabulaire de la philosophie.

  Un raisonnement est une chaîne de raisons dont chaque proposition est comme un anneau et il
s’agit toujours d’établir la vérité de certaines propositions en la fondant sur la rigueur des
enchaînements. Le discours sert à prouver, à démontrer, à justifier la vérité des assertions. Il est le
moyen de découvrir la vérité lorsqu’on la cherche, de la démontrer ou de l’exposer lorsqu’on l’a
trouvée.

  Pour les logiciens, le seul raisonnement absolument rigoureux est la déduction.

a)      La déduction.

  Déduire c’est tirer de propositions appelées prémisses une conclusion qui en découle logiquement
et nécessairement. Ex :  Le syllogisme. La démonstration mathématique. Cf. Cours : la démonstration.

b)      L’induction.

  Elle n’est pas un enchaînement nécessaire de propositions conduisant à une conclusion rigoureuse.
Induire c’est passer de l’observation d’un certain nombre de faits individuels à l’énoncé d’une loi
universelle c’est-à-dire valable pour tous les temps, tous les lieux et tous les esprits. On passe de
quelques à tous, du particulier à l’universel. Cette méthode de pensée s’appelle aussi induction
amplifiante. Dans l’opinion, elle est au principe des sophismes d’induction c’est-à-dire des
généralisations abusives.

  Elle intervient dans les sciences dont la méthode est la méthode expérimentale. Le savant part de
l’observation des faits. Pour les rendre intelligibles, il formule des lois or il va de soi qu’en toute
rigueur il est illégitime de conclure de l’observation de cas particuliers à l’énoncé d’une loi générale.
La loi est donc posée comme une hypothèse qu’il faut ensuite soumettre à des tests de vérification.

  Sauf cas particuliers, on ne vérifie pas directement une hypothèse. La méthode inductive inclut une
étape, celle du raisonnement expérimental qui est de la forme suivante : si l’on admet A, il s’ensuit
nécessairement telle et telle conséquence. Ce sont ces conséquences que l’on soumet à vérification.
Deux cas sont possibles. Soit les conséquences sont en désaccord avec l’expérience ; l’hypothèse est
invalidée. Soit les conséquences prévues sont observées ; on dit alors que l’hypothèse est peut-être
vraie. Plus grand sera le nombre de conséquences vérifiées, plus grande sera la certitude ; mais elle
n’est jamais absolue. Pourquoi ? Parce que la logique nous apprend qu’on peut déduire des
conséquences vraies de prémisses fausses.

  La logique pointe ici le problème du fondement de l’induction. En s’élevant des cas particuliers au
général le savant prend un risque. La possibilité reste toujours ouverte de manquer l’observation du
cas particulier qui infirme la loi générale. Aucune expérience particulière, aussi nombreuses soient-
elles, ne peut valider un énoncé général. Il en faudrait une série infinie. B Russell illustre les
problèmes liés à l’induction avec l’histoire de la dinde inductiviste présentée par Alan F. Chalmers :

  «  Dès le matin de son arrivée dans la ferme pour dindes, une dinde s’aperçoit qu’on la nourrissait à
9 heures du matin. Toutefois, en bonne inductiviste, elle ne s’empressa pas d’en conclure quoi que ce
soit. Elle attendit d’avoir observé de nombreuses fois qu’elle était nourrie à 9 heures du matin, et elle
recueillit ces observations dans des circonstances fort différentes, les mercredis et jeudis, les jours
chauds et les jours froids, les jours de pluie et les jours sans pluie. Chaque jour elle ajoutait un autre
énoncé d’observation à sa liste. Sa conscience inductiviste fut enfin satisfaite et elle recourut à une
inférence inductive pour conclure : « Je suis toujours nourrie à 9 heures du matin ». Hélas, cette
conclusion se révéla fausse d’une manière indubitable quand, une veille de Noël, au lieu de la nourrir
on lui trancha le cou. Une inférence inductive avec des prémisses vraies peut conclure à une
conclusion fausse ».Qu’est-ce que la science, 1976. Traduction française1987.

c)      Le raisonnement par analogie.

  Ex : la terre a une atmosphère et elle est habitée. Mars a une atmosphère donc elle doit être
habitée. Dans ce genre de raisonnement on va d’un cas singulier à un autre en admettant que si des
choses présentent des caractéristiques communes, on peut conclure à d’autres caractéristiques
communes. Il va de soi que cette conclusion n’a aucune correction logique mais ce raisonnement
peut permettre des hypothèses fécondes qui demanderont comme dans le cas de l’induction à être
vérifiées.

d)      Le raisonnement par récurrence.

 
  Il consiste à étendre à tous les termes d’une série homogène toute propriété possédée par les deux
premiers

Ex : « On établit un théorème pour n=1, on montre ensuite que s’il est vrai pour n-1, il est vrai de n et
on conclut qu’il est vrai pour tous les nombres entiers ». Henri Poincaré.

e)      Le raisonnement par l’absurde.

  Il consiste à établir la vérité d’une proposition en faisant apparaître l’absurdité des conséquences
déductibles de la proposition contradictoire.

A)    Valeur et limite du discours.

  Sous toutes ses formes la pensée discursive est un mode d’approche indirect du réel lié à l’exercice
même de la raison. Elle est la pensée d’un ordre, elle témoigne d’une volonté de cohérence et de
rigueur. Seule la déduction a une valeur logique absolue mais tous les autres raisonnements
permettent le progrès des connaissances grâce à leur valeur heuristique.

  Cependant si la pensée discursive est un instrument puissant dans la recherche et la démonstration


de la vérité, il convient d’en souligner les limites.

  D’une part parce que le discours s’effectue toujours à partir de quelque chose : principes, axiomes,
intuitions sensibles qui ne sont pas objets de discours mais d’intuition.

  D’autre part parce qu’il y a pour certains, d’autres voies d’accès au vrai que la discursivité. C’est le
cas de ceux qui défendent le principe des vérités du cœur. Les vérités religieuses par exemple ou les
vérités morales sont des vérités sensibles au cœur selon les analyses de Pascal ou de Rousseau.

B)    Pensée discursive et pensée intuitive.

1)      L’intuition : définition.

a)      Au sens commun l’intuition est une certaine capacité de deviner, d’anticiper ce qui reste caché
à d’autres esprits. Cf. « La supposée intuition féminine ».

b)      Au sens philosophique l’intuition est l’acte de l’esprit qui connaît directement et
immédiatement son objet. Elle est la présence immédiate de l’objet au sujet. « Elle est une
connaissance donnée d’un seul coup et sans concept » Schopenhauer.
 

2)      Les diverses formes d’intuition.

a)      L’intuition sensible.

  C’est la connaissance des choses par les sens.

b)      L’intuition psychologique.

  Elle désigne la connaissance immédiate que nous avons de nos états de conscience. Lalande définit
la conscience comme « l’intuition que l’esprit a de ses états et de ses actes ».

c)      L’intuition divinatrice

  C’est la découverte brusque d’une idée ou d’une relation. Après avoir longtemps cherché sans
trouver, l’esprit est brusquement illuminé par l’idée. Cf. Archimède : Eurêka.

  Celle-ci n’a pas encore été établie par la pensée logique, elle est une brusque évidence s’imposant à
l’esprit avec un sentiment de certitude.

  Ex : Rendant hommage à Claude Bernard ; Paul Bert disait : « Avec son étrange intuition qui lui
faisait deviner en artiste la vérité qu’il allait démontrer en savant ».

d)      L’intuition métaphysique

  Ce serait la possibilité pour l’esprit, d’avoir accès à la réalité ultime, au réel tel qu’il est en soi.

  Pour Platon, c’est dans une intuition que l’esprit saisit au terme de la démarche dialectique l’Idée ou
l’essence des choses.

  Dans la mystique, c’est dans une intuition que le croyant communie avec Dieu.

  Le cœur, faculté de l’intuition serait pour Pascal « la faculté d’aller jusqu’au fond des choses ».

  Bergson oppose l’intuition et l’intelligence. L’intelligence et la pensée discursive se caractérisent par


une incompréhension naturelle de la vie car elles l’abordent de l’extérieur à travers le prisme
déformant du langage. La vie ne se laisse pas analysée car elle est pure durée. L’intelligence n’est
adéquate qu’autant qu’elle s’applique à la matière mais pour saisir ce qui ne s’analyse pas il faut une
autre faculté : l’intuition.

  Elle « est l’attention que l’esprit se prête à lui-même […] Nous appelons ici intuition la sympathie
par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par
conséquent d’inexprimable. Au contraire l’analyse est l’opération qui ramène l’objet à des éléments
déjà connus, c’est-à-dire communs à cet objet et à d’autres. Analyser consiste à exprimer une chose
en fonction de ce qui n’est pas elle. « . Bergson. La pensée et le mouvant.1934. 

3)      Rapport intuition, raisonnement.

a)      Priorité et importance de l’intuition.

  -La pensée discursive se déploie nécessairement à partir de matériaux, de principes qui sont donnés
dans l’intuition. Ex : Toute démonstration repose sur des propositions premières qui, en dernière
analyse sont objet d’intuition.

  – L’esprit déploie ses longues chaînes de raison, mais chaque moment de la déduction est objet
d’intuition, de même que la nécessité logique de la conclusion qui est saisie dans une sorte
d’intuition récapitulative. 

b)      Nécessité du raisonnement.

  L’intuition ne saurait se suffire à elle-même pour plusieurs raisons :

  -Une intuition commence par être une expérience  intérieure. Elle ne peut s’exprimer et se
communiquer que dans l’élément du discours. A défaut elle reste de l’ordre de l’ineffable, du silence
dont on peut se demander s’il est l’aveu d’une pensée excédant le discours ou d’une absence de
pensée. Le silence renferme en effet, une ambiguïté : est-il le signe du plein ou du vide ?

  – Elle n’est pas infaillible (les erreurs des sens, les fausses illuminations). Pour être acceptée elle doit
donc recevoir du raisonnement son caractère opératoire ou son bien-fondé. Afin que la certitude
d’un homme puisse devenir une certitude universelle, l’intuition doit être soumise à l’épreuve du
raisonnement. « La logique qui peut seule donner la certitude est l’instrument de la démonstration,
l’intuition l’instrument de l’invention ». Henri Poincaré. La valeur de la science.1905.
 

  -Remarquons enfin que l’intuition n’est pas comme les paresseux se plaisent à l’imaginer un
heureux hasard, une inspiration divine. Le plus souvent elle ne survient qu’au terme d’un long travail
discursif, après un laborieux effort d’analyse. Bergson la conçoit comme la récompense de l’effort
intellectuel. (Cf. La critique nietzschéenne de la notion de génie).

Conclusion :

  Comme le raisonnement, l’intuition est un mode de connaissance mais ni l’un ni l’autre ne sont
autonomes. Chacun se prête un mutuel appui. Il faut donc souligner la solidarité de l’intuition et du
discours.

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