Vous êtes sur la page 1sur 5

VERITE (Raison, Réel, Savoir / Science, Morale)

I. Ce que n'est pas LA VERITE (définition négative)

Si nous sommes « entré ignorants dans le monde » comme l'écrit Descartes, et si notre enfance fut pleine de
fictions et contes cultivant notre sensibilité et notre imaginaire, il nous a pourtant été demandé de « dire la vérité »
et de ne pas mentir. La valeur de la vérité s'est imposée à chacun. Et si elle semble être l'horizon (but, finalité) de
tout effort de pensée sérieuse, c'est sans doute parce qu'elle ns échappe souvent et que le réel n'est pas d'emblée
intelligible et nous questionne. Nous voulons connaître pour voir clair et agir plus facilement. Mais savons-nous tjrs
reconnaître le vrai du faux ? C'est la vérité de la vérité elle-même que nous cherchons alors. Et pour la saisir
commençons par examiner ce qu'elle n'est pas.
1. L'erreur (et la faute) L'erreur est d'abord errance selon l'étymologie. Une affirmation fausse s'égare, se
fourvoie ou dévie. Elle est soit non conforme aux règles de la logique (2+2=5) soit en contradiction avec les
données expérimentales (le Soleil tourne autour de la Terre). Et si elle est humaine, comme le dit le proverbe,
et fréquente, c'est que l'homme, étourdi ou présomptueux pense trop souvent dans la « précipitation » (dit
Descartes). Or une erreur peut toujours être évitée, et une fois commise, elle peut être rectifiée, à condition
que l'on s'en donne les moyens, càd que l'on raisonne avec méthode et rigueur. Notons qu'une erreur n'est
donc pas une faute (dont le sens est moral), car la 1ière se corrige, la seconde se pardonne ou s'assume.
On « fait » une erreur alors que l'on « commet » une faute. L'implication est différente :l'erreur est celle du
jugement rationnel qui s'est trompé de chemin, alors que la faute, même involontaire, me situe sur le terrain
de la morale qui suppose ma qualité d'intention.J'ai failli ou manqué à une règle morale dans la faute. C'est
une transgression et pas seulement une divagation ou une incohérence. Or, si tout le monde peut se tromper, il
y a des domaines dans lesquels, étant donné les enjeux, l'erreur de jugement devient une faute : une erreur de
diagnostic en médecine, ou d'analyse en politique, peuvent devenir criminelles.
2. L'illusion et le désir (inconscient). Si l'erreur manque la vérité, l'illusion lui tourne franchement le dos :
elle se trompe de monde, à l'image des prisonniers de la caverne de Platon (République, VII, 514a)
spectateurs passifs et fascinés par les reflets qu'ils voient danser sur la paroi qui leur fait face : ils ne veulent
pas quitter leur ignorance ! Car l'illusion est plus un problème psychologique que logique. Pour se
débarrasser d'une erreur, il suffit svt de la constater, alors qu'une illusion ne se dissipe pas facilement, elle se
joue de nous (étym. illudere : se jouer/moquer de) La raison n'a pas de prise sur elle, elle échappe et résiste.
On aura beau démontrer que le concept de race est, pour l'homme, inconsistant par ex., et que l'humanité est
« une » génétiquement, qu'il n'y a pas de sang juif, musulman, breton ou chinois, le raciste maintiendra sa
position, obstinément, c'est un opiniâtre ! De plus s'il n'est pas rare de préférer une illusion réconfortante à
une vérité accablante, c'est parce que l'illusion n'est pas seulement une affaire de jugement, mais une
affaire de désir qui prend souvent sa source dans une intention inconsciente, comme le montre Freud dans
L'Avenir d'une illusion. Ainsi l'illusion s'auto-entretient puisqu'elle remplit la fonction essentielle de nous
soutenir (narcissiquement) ds ce que nous sommes ou croyons être. Par conséquent, du fait qu'elle consiste
à « prendre nos désirs pour la réalité » (« se faire un film ») l'illusion ne peut que se perdre, comme se perd
le désir (Cf Balzac, Les illusions perdues) Et si elle est l'ennemie de la philosophie, c'est que celle-ci ne peut la
dissiper qu'en lui substituant un autre désir, celui de la vérité, du réalisme, ou de la lucidité !
3. Le mensonge et ses conséquences morales. Si on est tjrs plus ou moins victime d'une illusion (choisit-
on l'objet de son désir ?) on est par contre tjrs l'auteur d'un mensonge. En toute rigueur, le contraire du
mensonge n'est pas la vérité mais la véracité, c'est-à-dire l'action de dire vrai, laquelle engage franchise
(dire ce que l'on croit) et sincérité (croire ce que l'on dit) malgré le fait qu'on peut avoir tort (sans le savoir).
Le mensonge est l'action de dire le faux pour le vrai, il implique donc que l'on connaisse la vérité et qu'on la
déforme délibérément. La parole mensongère a donc rapport avec le pouvoir, puisqu'il s'agit toujours par
cette tromperie intentionnelle de tirer quelque avantage sur autrui, de l'influencer ou le manipuler. C'est ce
qu'avaient bien compris les sophistes, maîtres dans l'art de l'éloquence, pour lesquels la frontière entre
mentir et dire vrai s'efface (amoralisme) : ce qui est dit restant subordonné aux attentes de l'interlocuteur
(démagogie), ou aux circonstances et occasions (opportunités, kaïros) à saisir. → = Relativisme de la doxa
Or, sur le plan moral, le mensonge n'est pas sans conséquence sur le lien de parole et de confiance
interpersonnel. Comme l'écrit Montaigne « Le mensonge est un maudit vice, c'est par la parole que nous
tenons les uns aux autres ». Ainsi affirmer sciemment une contre-vérité c'est briser ce lien social et affectif,
c'est trahir la confiance supposé par ce lien, et c'est menacer la possibilité d'une réalité commune. Mentir est
même pour Kant « la plus grande transgression du devoir de l'homme envers lui-même comme envers
l'humanité en sa propre personne » (Fondements de la métaphysique des moeurs) . Si je peux me tromper, je
n'ai jamais le droit de tromper, car ce serait en qque sorte vouloir la disparition de la vie sociale, des échanges et
du langage lui-même comme lieu de vérité et possibilité d'un accord entre les hommes : que se passerait-il en effet
si nous ne pouvions plus compter sur ce que les autres nous disent ? (ce qui est pourtant fréquent !) Dire la vérité
relève donc, pour Kant, d'une exigence morale non négociable (c'est un impératif catégorique = une loi
morale qui s'impose à tous). C'est aussi le garant d'une réalité commune/partagée. ( =/= Relativisme absolu de
l'opinion chez le sophiste Protagoras)
4. EXERCICE - Refuser l'opinion (latin opinari – je crois) : texte de Alain
Notez les mots clés du I. :
II : Vérité et réalité : les confondre ou les distinguer ? Peut-on réellement connaître ?
Notre tâche est de découvrir et connaître la vérité grâce au travail de la raison. Pour cela il convient d'abord de
déjouer (détruire/déconstruire) nos pseudo-vérités (gr. pseudo, faux). Or la première d'entre elles pourtant n'est-
elle pas de croire que la vérité est à trouver comme on trouve un cristal caché dans le chaos du réel ? Mais la
vérité est-elle à saisir ou bien n'est-elle pas plutôt à dire ? Autrement dit : Le critère du vrai n'est-il pas dans le
jugement et le discours bien plus que dans les choses?
1. Lever le voile des apparences : la vérité comme révélation (gr. aléthéïa)
« J'ai découvert la vérité », dit-on, laissant entendre qu'on a enfin réussi à mettre la main dessus. On la
possède alors. Métaphore érotique : la vérité serait femme, telle que la peinture moderne la représente. Et la
parenté entre désir de savoir et désir amoureux est reconnu dès Platon. Si la vérité se « découvre » donc,
c'est au sens propre de l'action de retirer le voile qui en cache les formes. Dévoilée ou révélée, on parle alors
de « vérité nue ». Et la connaissance serait union, étreinte, entre le sujet pensant et la chose pensée. Co-
naître transfigure l'âme accédant enfin aux essences derrière les apparences trompeuses (Platon, Lettre 7, ou
République L7) : le savoir véritable libère et transforme l'être en le ramenant au cœur de lui-même. Le réel
intelligible se révèle enfin par la dialectique ascendante et l'âme retrouve la mémoire enfouie d'une clarté que
le logos, en elle, contenait en latence. Connaître pour Platon est ainsi vision de l'esprit et réminiscence.
Le vrai s'oppose alors au faux comme l'être (réel) s'oppose aux apparences et au paraître. Et quand on
qualifie de « faux » un frère, une perle, un passeport, un Picasso, c'est qu'il s'agit à chaque fois d'une imposture :
on a affaire à un simulacre qui tient lieu de réalité, une image imparfaite qui s'est substituée au modèle original du
fait de la ressemblance qu'elle a su produire. La copie fait alors illusion, l'image se fait idole, càd usurpatrice,
au lieu d'être « icône » càd médiatrice et conductrice vers l'être du réel (l'essence et l'Idée chez Platon).
2. Réduire l'écart entre la pensée et les choses ?
Cependant n'y a-t-il pas dans cette disqualification de la réalité une possible méprise ? En effet, ce n'est pas
tant la réalité qui est fausse que mon jugement quand je prends, par exemple, cette fausse perle de plastique
pour une vraie perle de culture. La « fausse perle » étant tout aussi réelle que la « vraie ». Par conséquent,
ce qui est faux, ce n'est pas la perle elle-même, mais la proposition implicite « ceci est une perle de culture »,
alors qu'elle est en plastique. Les choses ne sont donc jamais ni vraies ni fausses, elles sont ce
qu'elles sont. C'est ce que l'on dit d'elles, donc l'idée que l'on s'en fait, le jugement que l'on énonce, qui sont
susceptibles d'être vrai ou faux. Le soleil n'est ni vrai ni faux, mais dire qu'il tourne autour de la terre est faux.
«On appelle une idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse celle qui
montre une chose autrement qu'elle n'est en réalité» écrit Spinoza (dans Pensées Métaphysiques). En toute
rigueur, il faut donc admettre que « le vrai et le faux ne sont pas dans les choses, [...] mais dans la
pensée » comme l'a dit en premier Aristote (Métaphysique, E,4). Et il faut par conséquent faire clairement la
différence entre la réalité et la vérité. La première appartient à l'ordre matériel des choses, de ce qui est
( l'être en général) et s'oppose à l'irréel, l'apparence ou l'illusoire ; alors que la seconde appartient à l'ordre de
la pensée. La vérité en effet relève du récit, est affaire de langage, de jugement ou de représentation et
réside dans un « dire vrai ». Elle n'est pas chose qui s'atteint ou se détient, elle s'énonce.
3. Mais alors comment peut-il se produire en nous un vrai savoir ?
Si le vrai et le faux ne s'appliquent pas aux choses mais seulement aux énoncés sur celles-ci, la vérité se
définit donc comme la propriété du discours conforme à la réalité. On doit cette définition à Thomas
d'Aquin, philosophe du Moyen-Âge, pour qui la vérité « consiste dans l'adéquation de la chose et de l'esprit »
(Somme contre les gentils, I, 59). Autrement dit n'est vrai que le discours qui s'accorde avec le réel, ne
présente pas d'écart avec ce qui est. Mais même si cette définition de la vérité semble évidente, il faut
approfondir la question de notre relation au réel, pour ne pas réduire la vérité à une simple opération de
langage. Or, comment savoir si notre discours correspond bien à ce qui est ? Pour vérifier la correspondance
entre ce qui est et ce que nous jugeons, il faudrait pouvoir comparer la chose elle-même avec l'idée qu'on
s'en fait, et vérifier si l'une est bien la représentation exacte de l'autre. Mais pour cela il nous faudrait en
quelque sorte sortir de nous, et accéder à la « chose en soi » (Kant) càd accéder à ce qu'elle est en elle-
même et pour elle-même (cf Spinoza en II.2) donc il faudrait sortir de notre représentation de la chose, sortir
de notre propre esprit - ce qui est impossible ! On n'accède donc jamais directement aux choses ! Et on
ne peut donc connaître qu'à travers la médiation de la réflexion – re-présentation - produite par la structure
mentale propre à tout humain, comme Kant l'a analysé (in Critique de la raison pure).
Kant montre que la connaissance se produit en nous à partir (1°) des formes a priori de la sensibilité
(intuition de l'espace et du temps) permettant nos sensations, informations sensibles désordonnées. Elles
sont ensuite synthétisées par (2°) les catégories de l'entendement (ex. causalité, relation, quantité) qui
produit des concepts, lesquels seront reliés ensuite par (3°) les idées de la raison (ex. unité, totalité).
Il est donc improbable que la réalité soit accessible directement, avant toute représentation, sans nos grilles
de lectures, concepts, et donc notre langage. Dans ce cas nous ne connaissons donc jamais le réel mais
seulement nos représentations sur lui ! On dit que Kant a opéré une « révolution copernicienne » dans les
sciences en montrant que le savoir ne tourne pas autour de l'objet à connaître, mais qu'il est produit par le sujet
humain (sujet pensant universel) qui fait tourner l' objet autour de lui. ( 1 sorte de subjectivisme rationnel)
Mots clés de cette partie : raison, désir, dévoilement, connaissance, être, apparaître, faux, image, simulacre, idole, icône,
réalité, jugement, langage, représentation, adéquation, pensée. Et vocabulaire kantien : Connaissance, chose en soi, formes a
priori de la sensibilité, catégories de l'entendement, idées de la raison.Sujet. Objet.
III : Les critères de la vérité ? (Comment la reconnaître?)
Que la vérité soit affaire de l'esprit et qu'elle doive correspondre au réel, on a pu l'admettre, mais pour nous mettre
d'accord sur elle, à quoi la reconnaît-on ? En vertu de quels critères savons-nous que c'est une vérité ?
1. Le critère de l'évidence et la certitude ?
Cette question de la philosophie classique a été ouverte par Descartes avec le concept d'évidence (étymo. : ce qui
se voit facilement). L'idée vraie est une idée claire (en elle-même) et distincte (des autres), à l'image des vérités
mathématiques, 2 et 2 font 4 ou « un globe n'a qu'une surface » (Descartes, Regulae, III). La vérité s'impose
donc à l'esprit attentif et « se désigne elle-même », dira Spinoza : « Qui a une idée vraie sait en même temps
qu'elle est vraie » (Ethique, II, 43), elle se reconnaît dans l'évidence de sa clarté. Et l'esprit qui en juge atteint
alors un sentiment de certitude – état de l'esprit qui tient un jugement (ou idée) pour vrai sans le moindre
doute. Précisons pourtant que l'évidence n'est pas naïvement immédiate pour Descartes. On n'y parvient par
un examen de l'esprit qui utilise le doute comme instrument de méthode, pour se libérer des pseudo-vérités
(acquises par la scolarité et les habitudes.) Il faut en fait douter activement jusqu'à ce que cela soit
impossible. L'évidence s'impose alors de façon « indubitable » comme ce qui résiste au doute.
Cependant, malgré les efforts de Descartes pour distinguer l'évidence, comme propriété objective de l'idée vraie,
de la certitude, comme sentiment du sujet, la frontière reste fragile : comment être sûr de ne pas prendre l'une pour
l'autre ? Comment distinguer l'évidence vraie de l'évidence trompeuse ?
2. Le critère de la cohérence ( logique) ? → vérité formelle
Parce que « souvent les hommes, jugeant à la légère, trouvent clair et distinct ce qui est obscur et confus »
Leibniz (Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées) répond à Descartes qu'il faut préférer à
l'évidence un critère objectif de la vérité : le calcul ou la forme logique du raisonnement. C'est donc la
cohérence du discours avec lui-même (avec ses propres règles logiques) qui seule peut garantir la vérité d'un
énoncé. Celle-ci se fonde sur le principe universel de la non-contradiction, selon lequel une affirmation ne
peut pas, dans un même contexte, être simultanément vraie et fausse. Aristote l'a reconnu à l'oeuvre dans
les syllogismes, ces raisonnements du type « Si A est B et C est A / alors C est B » dont la conclusion est
nécessairement vraie. Pourtant aussi convaincantes que soient ces vérités logiques et mathématiques, elles
ne nous donnent jamais que l'accord de la pensée avec elle-même. En effet, c'est la raison qui invente le
carré par exemple, et qui dès lors peut démontrer que la diagonale est la base d'un autre carré de surface
double. Cela n'est possible que relativement aux postulats ou axiomes qu'elle se donne, ici, pour le carré, les
principes de la géométrie euclidienne. Par conséquent tout raisonnement logique n'est que formel, et en
toute rigueur, plutôt que de vérité, il faudrait parler de validité selon le logicien Blanché. Cette distinction
permet de distinguer les faux syllogisme, par ex :« tous les avocats sont corrompus, mon voisin est avocat,
donc mon voisin est corrompu » est un syllogisme valide formellement mais matériellement faux car la 1ière
proposition est inexacte et repose sur une généralisation abusive (à partir d'un cas particulier)
3. Le critère de la correspondance / adéquation avec le réel ? → vérité matérielle (rappel du II. 3.)
Si le vrai et le faux ne s'appliquent pas aux choses mais seulement aux énoncés sur elles, la vérité est donc
la propriété du discours conforme à la réalité. Cette définition de la vérité-correspondance, qui vient de
Thomas d'Aquin, fut reprise du M-A au début du 20è par toute la métaphysique classique : la vérité
« consiste dans l'adéquation de la chose et de l'esprit ». Donc n'est vrai que le discours qui s'accorde avec la
chose et ne présente pas d'écart avec elle. Ainsi la proposition « il neige » est vraie si et seulement si
effectivement il neige, comme dit le logicien Tarski au 20è. Cette conception de la vérité est communément
admise et semble simple. Mais pourtant, deux réserves s'imposent : – 1/ D'une part cette définition repose
sur le postulat et présupposé d'une homologie entre le réel et l'homme, tous deux animés par le « logos » (cf
cours sur la Raison + débat entre empiristes et rationalistes) une correspondance entre la logique du réel et la
logique de l'esprit est donc admise comme possible. En conséq. un jugement bien mené serait une copie exacte
du réel. 2/ D'autre part cette conception de la vérité reste limitée car si elle est recevable pour des énoncés
descriptifs, consistant seulement à constater le réel, qu'en est-il des énoncés explicatifs (portant sur les causes) et
ceux qui concernent les objets complexes dont nous ne faisons pas l'expérience (particules élémentaires, en
physique, ou l'âme, et Dieu, en métaphysique) ? Nous l'avons montré précédemment (en II. 3) : pour savoir que
notre discours correspond réellement à ce qui est, il faudrait pouvoir le comparer à la chose en elle-même. Or le
réel n'est jamais accessible directement (cf Kant II. 3) Donc la vérité n'est qu'un accord entre notre esprit et
notre représentation du réel ! N'est-ce pas alors qu'une convention ? Car une vérité objective indépendante du
sujet pensant n'existe pas. Et s'il y a autant de manières pour la neige de tomber que de manières de la dire
tomber, la description du physicien ne sera ni plus juste ni plus fausse que celle du poète. L'objectivité étant
toujours produite par la volonté d'une subjectivité pensante. Cpdt examinons le critère suivant dans les sciences.
4. La résistance : la vérité doit résister à l'épreuve du doute (→ les Sciences)
Si les « vérités de raison », seulement formelles, logiques, ne sont donc pas tjrs des « vérités de fait », (vérités
matérielles) c'est que la volonté de connaître implique d'affronter la complexité du réel. La raison, dans le
domaine des sciences, construit des modèles théoriques qu'elle met à l'épreuve du réel. Elle observe les faits
qui posent question et cherche à en expliquer les causes. Ainsi les sciences expérimentales ou sciences de
la matière (chimie, physique, biologie) analysent le réel en procédant de façon hypothético-déductives (cf
cours sur la science). Quand le réel, à travers une expérience faite pour valider une hypothèse explicative,
coïncide avec celle-ci, la science élabore une théorie qui est dite « vraie ». Sous réserve qu'une nouvelle
expérience l'invalide (c'est ainsi que les savoirs évoluent). Mais, comme le relève l'épistémologue Popper :
l'expérience ne peut que réfuter une théorie, mais jamais en prouver la vérité. (Si un seul corbeau blanc suffit
à réfuter la théorie qui veut que tous les corbeaux soient noirs, le nombre de corbeaux noirs observés ne sera
jamais suffisant pour la valider définitivement.) En ce sens la preuve est toujours celle du contraire (ou du
faux). Donc une théorie n'est pas strictement vraie si « elle marche » mais strictement fausse si elle ne marche
pas.Toute la difficulté tient en ce que « pour comprendre le monde, nous ressemblons un peu à l'homme qui essaie
de comprendre le mécanisme d'une montre fermée » sans pouvoir en « ouvrir le boîtier » selon la belle image
d'Einstein et Infeld (L'Evolution des idées en physique). Nos « vérités » scientifiques ne sont alors
qu'hypothétiques et provisoires, ou « pas encore fausses » dira-t-on avec Popper. Et pour lui c'est justement
la possibilité de la falsification qui permet de distinguer une vraie science (qu'on peut essayer de falsifier) d'une
pseudo science (qu'on ne peut pas falsifier : l'astrologie)
5. Le critère pragmatique de la réussite ( → = vérité instrumentale) Thèse de W. James : est vrai ce qui
réussit, ce qui est utile (C'est une façon de sortir des apories de la connaissance et des paradoxes de la vérité ! )

6. Exercice => texte de James ou/et Bergson

IV : L'existence de la vérité remise en question ?


A l'image de l'amoureux éconduit qui se venge de sa mauvaise fortune en disant que celle qu'il cherche – l'idéale -
n'existe pas, le sceptique choisit de renoncer à la vérité : à quoi bon chercher qqchose qui n'existe pas ? La
question est évidemment de savoir si cela n'est qu'un bruit qu'il fait courir ou si c'est une... vérité ?
1. La tentation du scepticisme : suspendre son jugement.
Si chercher la vérité, c'est chercher indéfiniment à réduire l'écart qu'il y a entre nos représentations du monde et le
monde lui-même, alors ne faut-il pas faire le deuil de LA vérité absolue et considérer que le réel est
fondamentalement inconnaissable ? Cette position est celle du sceptique qui, au regard des capacités limitées de
notre raison, et de l'aspect changeant du réel, prône de « suspendre notre jugement sur la question de savoir s'il
existe quelque chose de vrai » (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, II,9, §94). Ce doute radical sur nos
capacités se distingue du doute méthodique de Descartes, lequel est à la fois optimiste, volontaire et provisoire
puisqu'il s'agit d'un moyen mis en œuvre pour parvenir à la vérité. A l'inverse, le scepticisme, fondé par Pyrrhon
d'Elis (4è-3è avant J.-C.) reconnaît l'impossibilité de la vérité et prescrit une indifférence à l'égard de toutes les
opinions. La raison étant irrémédiablement impuissante face au réel, la sagesse est par conséquent de suspendre
son jgt càd s'abstenir d'affirmer quoi que ce soit. Et pour Sextus Empiricus (2è et 3è ap.J.-C. médecin) c'est aussi
thérapeutique, calmant l'anxiété provoquée par la vaine quête de la vérité. Un détachement salutaire.
2. Arguments du scepticisme, puis critique de leurs paradoxes (contradictions).
Les sceptiques ont pour armes les « tropes », c'est-à-dire des schémas argumentatifs qui visent à établir de façon
logique qu'aucune vérité ne peut être affirmée : 1) Toute thèse peut être contredite par une thèse inverse
argumentée et cohérente. 2) « Prouve ta preuve » exigent-ils ensuite, en soulignant qu'«aucune raison ne
s'établira sans autre raison » et que nécessairement « nous voilà à reculons à l'infini» (Montaigne, Essais, II,12). 3)
Par conséquent tout principe, point fixe ou proposition première ([principe/conséquence]) n'est qu'arbitraire et
hypothétique parce que invérifiable. 4) Nos démonstrations tournent souvent en rond et correspondent à un « tour
de passe-passe » dérisoire à la manière de définitions d'un dictionnaire (disant que la vérité est « le caractère de
ce qui est vrai », et du vrai « ce qui est conforme à la vérité »).
Mais si effectivement la possibilité du désaccord, la régression à l'infini, le caractère hypothétique de nos théories
et l'usage de cercles vicieux sont autant de failles embarrassantes pour la raison, ne pourrait-on pas répondre au
sceptique qu'il y a tt de même des opinions plus contestables que d'autres (créationnisme, négationnisme,
sexisme etc.) ? Et que les postulats sont une base nécessaire, féconde pour la pensée ? Que des raisonnements
rigoureux et progressifs sont possibles à partir d'eux comme le montre le développement hypothético-déductif des
sciences mathématiques et physiques ? De plus au-delà de cette capitulation un peu rapide de la raison devant la
difficulté de sa tâche, il semblerait que le sceptique soit prisonnier d'une contradiction logique : il est impossible de
dire qu'aucune vérité ne peut être affirmée sans être pris au piège, puisqu'on prétend affirmer une vérité en le
disant. En effet, ou bien ce que je dis est faux si je prends au sérieux le contenu de mon énoncé, ou bien je fais le
contraire de ce que je dis puisque je pose cette proposition comme une vérité. Platon avait déjà repéré cette
contradiction logique dans le jumeau du scepticisme qu'est le relativisme (Protagoras) pour lequel l'affirmation « à
chacun sa vérité » est démentie par son propre énoncé.
3. La vérité du scepticisme : une forme de sagesse ? (leur argument est p-ê ontologique)
Cependant évitons les caricatures trop faciles : le scepticisme, lucide, n'affirme pas tant que la vérité est
inaccessible mais que nous ne pouvons jamais être sûr de l'atteindre, et que, par prudence et lucidité, non par
paresse, il vaut mieux suspendre son jugement – refuser d'affirmer, sans cesser pourtant d'examiner ! Ainsi
l'ennemi du sceptique est le dogmatique, celui qui, dans son propre aveuglement est sûr de détenir « La » vérité,
et qui peut, par « passion » (de la vérité ou de la raison) vouloir l'imposer à tous, tombant dans le fanatisme (que
Voltaire définit comme une maladie de l'âme.) Il faut donc reconnaître que le sceptique (de Pyrrhon à Russel, via
Sextus Empiricus, Montaigne et Hume) ne renonce pas à penser, chercher, mais avec vigilance, prudence et
modestie, en tâchant de vaincre ce que Flaubert appelle « la rage de conclure », autre nom, pour lui, de la bêtise.
Le sceptique ne renonce pas à examiner, mais cultive son esprit d'examen (esprit critique) en étant détaché de la
volonté de posséder la vérité. (Ajoutons que l'argument sceptique repose dans doute davantage sur des
considérations ontologiques et métaphysiques - relatives à la nature changeante de l'être, du réel - plutôt que sur
des considérations logiques - malgré l'apparence qu'ils en donnent par leur discours).
4. Exercice : texte de Montaigne sur les raisons du scepticisme + Film Matrix 1
V : la valeur de la vérité remise en question ?
En nous rappelant à la vigilance de l'esprit, toujours trop prompt à vouloir conclure, le sceptique nous incite à
interroger notre propre volonté de vérité. Pourquoi vouloir le vrai ? Qu'est-ce qui se joue dans cette passion pour
la vérité que le dogmatique manifeste ? A qui et à quoi est-elle « utile » (ou : qui en bénéficie) ?
1. Vérité et pouvoir.
Si on peut chercher la vérité pour elle-même, pour répondre à un désir de connaissance désintéressée
(Aristote) on peut aussi, inversement, la chercher pour le pouvoir qu'elle procure, ou plutôt celui que procure
le fait d'être reconnu comme étant celui qui la détient. La finalité véritable devient alors l'effet de la vérité,
plus que la vérité elle-mê. Et qu'importe alors si cet effet (de vérité/pouvoir) est obtenu abusivement !
L'examen du rapport entre vérité (discours, savoir) et pouvoir est au cœur de l'oe. de Foucault : il montre
dans L'histoire de la folie de l'âge classique à nos jours comment le pouvoir de décision (autorité) conféré aux
médecins (17è) puis aux experts psychiatres (fin 19è) s'appuie sur l'idée qu'eux seuls peuvent dire la vérité
sur tel ou tel malade. Mais Foucault montre aussi que ce pouvoir du « supposé sachant » peut être abusif et
ses « effets de vérité » causés par les mentalités, habitudes, tradit°,interdits ; dc par la façon dont le pouvoir/
discours circule.
Or, souvent les débats, même entre « philosophes », montrent le navrant spectacle d'une raison et culture au
service de l'instinct le plus élémentaire : marquer son territoire. L'important n'étant pas alors d'avoir raison en
soi, mais d'avoir raison sur l'autre, voire de l'autre ! Les sophistes, ces professionnels du pouvoir qui
enseignaient l'art d'argumenter aux jeunes ambitieux de la politique athénienne, incarnent pour Platon cette
déviance de l'usage de la raison. De fait, le rhétoricien, le démagogue et le politique ne cherchent pas à
convaincre l'autre rationnellement, mais à le persuader (manipuler) en jouant sur l'affectif (imaginaire,
sensibilité) à la différence du philosophe : «ce à quoi je vais moi employer mon énergie, ce ne sera pas que
mes paroles paraissent vraies à ceux qui m'écoutent, mais à faire qu'elles me paraissent le plus possible à
moi-même, être telles » dit Socrate (Phédon, 91ab) Car pour lui être vrai et parler vrai sont une fin en soi
(une valeur en soi et pas un moyen ne vue d'autre chose)
2. Vérité et sécurité.
Si la vérité peut être un instrument de pouvoir, elle peut aussi avoir une fonction sédative ou tranquillisante.
Entreprenant une psychologie de l'acte de connaissance, Nietzsche met au jour que ce qui est à l'oeuvre
dans nos vérités : elles ne sont le plus souvent que « des illusions dont on a oublié qu'elles le sont » (Le
Livre du philosophe, III). Pourquoi ? Parce que leur rôle premier est d'enrayer l'inquiétude ou l'angoisse qui
nous saisit devant l'énigme du réel (l'insaisissable, l'inconnu, le différent, effrayant etc) en neutralisant notre
réflexion. Faire taire la question en la refermant grâce à une prétendue vérité, tel est le mécanisme que
Nietzsche constate et dénonce : « n'importe quelle explication vaut mieux que pas d'explication du tout »
(Nietzsche Crépuscules des idoles, Les quatre grandes erreurs, §5). Et c'est bien le propre du discours de l'opinion
(doxa) que de conjurer l'étrangeté du monde en le rendant prévisible, familier, et ainsi de rassurer celui qui le
prononce. Lequel est souvent peu exigeant sur les preuves : « c'est vrai parce que je l'ai vu », « parce
qu'untel le dit », « parce que tout le monde (on) le pense ». Mais le philosophe refuse précisément l'autorité
bien pensante et le conformisme. Bien loin de clore la question, il l'affronte, l'élabore, la reprend indéfiniment,
et parfois même, à l'image de Socrate, il cherche à ce qu'elle s'ouvre pour les autres. Si l'homme de l'opinion,
parfois autant que l'homme de science, selon Nietzsche, veut la sûreté du vrai (pour se rassurer et calmer
son anxiété face à l'incertain) le philosophe veut l'incertaine vérité et le courage d'affronter l'incertitude et les
changements propres au vivant.
3. Vérité et liberté : choisir la valeur de vérité (probité) comme mode d'être
Cependant Nietzsche est encore plus radical : si nos vérités sont suspectes, notre volonté de vérité elle-
même l'est encore plus et masque une intention cachée. Pourquoi en effet vouloir le vrai ? Ne pourrions-nous
pas lui préférer le plaisir, le confort et le pouvoir ? Autant dire l'erreur, l'illusion et le mensonge ? Par cette
interrogation même, Nietzsche fait apparaître que la vérité est l'affaire d'un choix, autrement dit que
l'exigence d'objectivité qui caractérise la raison est elle-même une conviction subjective. En ce sens « la
science elle aussi se fonde sur une croyance » (Le Gai Savoir, §344), la croyance en l'existence de la vérité
précisément. Laquelle se révèle comme une valeur (un choix sur ce qui importe) : celle d'un savoir à
posséder pour figer le réel et nous rassurer (fausse valeur pour Nietzsche), ou bien celle (valeur véritable) qui
consiste à « être vrai » comme mode d'être authentique. On ne peut alors plus être dupe : la vérité n'est pas
cet absolu nécessaire et universel pour lequel elle voulait se faire passer. Elle ne correspond pas à cet autre
monde, idéal, permanent et immuable, qui serait caché derrière les apparences et qu'il faudrait découvrir.
Identifiée comme valeur véritable la vérité est à créer, à vouloir, non pas comme un cache-misère de nos
angoisses, mais comme la revendication positive de soi-même, l'affirmation de notre liberté. La volonté de
vérité intensifie la vie, laquelle exige courage, lucidité et « probité » (exigence morale d'honnêteté lucide face
à soi d'abord). La probité étant la vertu par excellence selon Nietzsche, celle de l'esprit détrompé, qui, ayant
surmonté ses déceptions (ressentiment, peur de l'inconnu etc.), est par conséquent libre de s'affirmer et de
vivre son originalité – quitte à n'être compris que d'une minorité d'individus (tisser des « affinités sélectives »)
4. Exercice 2 textes de Nietzsche sur la volonté de vérité.
Mots clés de cette partie : volonté, utilité, pouvoir, rhétorique, démagogie, angoisse, sécurité, conformisme, opinion, croyance,
valeur, liberté, lucidité, probité, mode d'être, fausse valeur et véritable valeur, originalité (idiosyncrasie)

Vous aimerez peut-être aussi