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Pistes pour un corrigé sur le sujet 1 : Peut-on douter de tout ?

Introduction : résumé de l’analyse du sujet et problématique : Douter signifie d’abord ne pas être certain de la
vérité d’une opinion. Lorsque je doute, c’est que je ne suis pas sûr de la vérité de la thèse que je soutiens ou de celle
que les autres soutiennent. Le doute incarne ainsi une prudence, voire une certaine humilité, la conscience de ses
propres limites. Mais le doute a aussi une autre signification : il peut symboliser une véritable méfiance, une remise en
cause plus radicale de l’homme destinée à lui rappeler que l’accès à la vérité lui est interdit. Pour les philosophes
sceptiques de l’Antiquité, les pyrrhoniens, le doute ne caractérise pas de manière ponctuelle et provisoire l’incertitude
que nous pouvons avoir à l’égard de certaines de nos opinions ou de nos croyances. Pour le scepticisme radical, c’est
toute la connaissance humaine en tant que telle qui est douteuse. Douter, c’est donc renoncer à une croyance, celle qui
consiste à croire que l’homme serait capable de connaître la vérité. Dans ce cas, peut-on douter de tout ? Il semble au
premier abord que douter de tout n’est pas possible : certaines vérités seraient certaines, indubitables. Pourtant,
la certitude n’est-elle pas une illusion, si nous considérons la finitude de l’homme ? Ne peut-on pas remettre en
cause tous les jugements faits par l’homme, du fait même qu’il ne soit qu’humain ? Le doute est-il alors le signe
de l’échec de la pensée ou la condition même de son progrès ?

I. Tout d’abord, on pourrait ne pas douter de tout : certaines vérités semblent indubitables.
A. Définissons tout d’abord ce que signifie « douter ». Douter, c’est remettre en cause la vérité d’une opinion.
C’est la considérer comme insuffisamment fondée, c’est mettre en évidence son caractère incertain. C’est parce que
l’individu est incapable de rendre raison de sa pensée, de la fonder complétement, c’est parce qu’il est incapable de
penser la réalité telle qu’elle est qu’il doute. Il suspend son jugement pour éviter de commettre des erreurs en affirmant
des idées fausses sur les choses qui l’entourent. C’est donc par un souci de vérité que l’homme peut ainsi douter. Pour
autant, dans la pratique, l’homme doit donc dépasser la phase du doute, qui pourrait, s’il s’installe dans la durée, aboutir
à une paralysie de la pensée voire de l’action. C’est ce qu’on appelle l’irrésolution, l’incapacité à choisir d’agir par
peur d’échouer ou de se tromper dans son choix. L’homme ne peut pas se contenter de vouloir éviter de commettre des
erreurs, même si ce principe est louable en lui-même. L’homme doit se risquer à émettre un jugement, aussi prudent
soit-il. Il doit s’engager, il doit agir et donc considérer que certaines pensées sont meilleures que d’autres, que certaines
actions sont meilleures que d’autres.
B. De plus, ne peut-on pas trouver des vérités absolument certaines ? Pour trouver une première vérité
indubitable, Descartes choisit paradoxalement d’appliquer provisoirement le doute radical, hyperbolique et
méthodique. Il s’agit d’appliquer le doute jusqu’aux fondements de la connaissance, à toutes les formes de pensées et
de manière rigoureuse pour ne laisser place à aucune erreur possible. Descartes applique d’abord le doute aux
connaissances issues de l’expérience sensible : puisque nous nous trompons quelque fois lorsque nous jugeons trop
vite selon les informations sensibles, Descartes choisit de douter de toutes les données sensorielles. Il remet ensuite en
question les raisonnements, puisque l’homme est capable de se tromper lorsqu’il utilise mal sa raison, confondant les
paralogismes avec les véritables démonstrations. Enfin, ce sont toutes les pensées qui apparaissent comme douteuses,
comparables à celles que nous formons quand nous rêvons. Que reste-t-il de cette expérience limite, au terme de
laquelle disparait la frontière rassurante entre le réel et le fictif ? En réalité, Descartes trouve à la fin de cette expérience
une première vérité indubitable, sur laquelle il va pouvoir reconstruire l’édifice des connaissances. Il s’agit du cogito
ergo sum. Si je suis capable de tout mettre en doute, il faut bien que moi, j’existe, en tant qu’être capable de penser.
La première des vérités indubitables, c’est ma propre existence en tant qu’être qui pense.
C. Ainsi, le cogito est cette première connaissance intuitive indubitable. Il s’agit d’une évidence objective, que
chacun peut découvrir en procédant à cette expérience de pensée. D’autres idées intuitives, résistant au doute, peuvent
ainsi être découvertes : il s’agit de toutes les idées claires et distinctes, qui s’imposent à l’esprit de l’homme comme
vérités premières et incontestables. Descartes repère ces vérités dans les premiers principes établis par Euclide, dans
ses Eléménts de géométrie : il s’agit des définitions des objets mathématiques, des notions communes et des postulats.
A partir de ces premiers principes, suffisamment simples pour être admis sans doute possible, d’autres vérités plus
complexes peuvent être ensuite établies. Ce qui est vrai, c’est non seulement les vérités premières mais également les
vérités déduites de manière rigoureuse à partir de ces premières vérités. Ainsi, la démonstration, l’enchaînement
nécessaire des principes, nous conduit à des conclusions qui sont également vraies.

II. Cependant, ne peut-on pas en réalité douter de toutes les connaissances humaines, du fait même qu’elles ne
sont qu’humaines ? Que révèle le doute, concernant l’homme et ses capacités ?
A. Ce sont les pyrrhoniens qui apparaissent comme les partisans du doute radical. Selon ce courant sceptique
de l’Antiquité, aucune connaissance humaine n’est certaine, on pourrait ainsi douter de tout. La réponse sceptique à
toute question est donc : « je ne sais pas ». La suspension du jugement est de mise pour éviter toute erreur. Comment
expliquer ce renoncement à la vérité ? Est-il le signe ici d’un manque d’effort, d’une paresse intellectuelle ? On
choisirait alors de douter pour ne pas avoir à fournir d’efforts intellectuels. Au contraire, l’attitude sceptique incarne
plutôt la prise de conscience aiguë des limites de la pensée humaine. Le doute sceptique se fonde sur un premier
constat : la contradiction existant entre les opinions humaines, en particulier dans les domaines des opinions morales,
politiques, ou religieuses, est indépassable. En effet, sur certaines questions, comme « Quel est le meilleur régime
politique ? », « Les dieux existent-ils ? », « Faut-il plutôt être vertueux ou heureux ? »,… on constate non seulement
la diversité des opinions, mais également leur contradiction. Comment déterminer alors laquelle est vraie ? On ne sait
comment trancher puisque les arguments défendant l’une ou l’autre des positions peuvent être également retenus.
B. Comment expliquer que les opinions de l’homme puissent être considérées comme absolument douteuses ?
Il s’agit de se souvenir de la leçon du relativisme. L’homme n’a, de fait, accès qu’à l’apparence des choses, elle-même
instable, et constamment changeante ; il ne peut connaître l’essence des choses elles-mêmes. Nous ne connaissons le
réel que depuis notre point de vue d’humain. La vérité, l’adéquation parfaite entre la pensée et la réalité que nous
cherchons à décrire, serait un idéal illusoire. Affirmer que nous pourrions connaître la réalité telle qu’elle et en elle-
même, c’est oublier que l’homme ne pense les choses que selon certains prismes, à savoir ceux liés à ses organes
sensoriels, à se schémas de pensée, aux concepts qu’il forme. Affirmer quelque chose au sujet de quelque chose
reviendrait à figer la réalité mouvante, à en avoir une vision constamment décalée ou comme simplifiée. A partir de ce
constat, il devient impossible de se prononcer sur LA vérité d’une opinion. Nous pourrions donc douter de tout ce que
l’homme est susceptible d’affirmer.
C. Qu’en est-il alors des vérités de raison, des vérités mathématiques qui apparaissent comme les plus sûres ?
Pour les sceptiques, tout homme qui cherche à défendre la vérité de son opinion prétend à une certitude, et donc à une
preuve, ou à une démonstration de ce qu’il pense. Or, il ne peut pas en trouver ; ainsi même dans les raisonnements
mathématiques, on trouve de l’incertain : les principes sur lesquels se fondent les théorèmes sont eux-mêmes non
démontrés, ce qui vient considérablement fragiliser la connaissance rationnelle. L’évidence n’est pas un critère
suffisamment fort pour être considéré comme le gage d’une vérité certaine. Or lorsqu’on essaie de démontrer les
premiers principes, on se heurte à la difficulté d’une régression vers l’infini, à l’impossibilité de parvenir au fondement
ultime de toute connaissance. Tout énoncé demande, pour être accepté, de recourir à une démonstration qui le précède,
et cela, à l’infini. La raison est incapable de parvenir au point de départ des raisonnements auxquels elle procède.

III. Dans ce cas, le doute est-il le signe de l’échec de la pensée ou le signe de son dynamisme possible, comme
un remède au dogmatisme ?
A. Le doute n’est pas qu’un signe négatif (= je doute parce que je sais que je ne peux rien connaître). Le doute,
c’est aussi une attitude positive, celle de l’homme qui cherche à ne pas se tromper, à écarter toutes les opinions
douteuses et incertaines pour progresser vers la vérité et pour ne pas s’enfermer dans une dogmatisme arbitraire. Ainsi,
dans les Problèmes de philosophie, B. Russell affirme que la valeur de la philosophie réside dans son caractère
incertain : tandis que l’homme a tendance à ne pas s’interroger sur les choses et les idées qui lui sont familières, parce
qu’il y est habitué, le philosophe est celui qui pratique le doute afin de lutter contre le dogmatisme et la pensée figée
sur elle-même. Le doute incarne alors une pensée vivante, soucieuse de la vérité. Finalement, l’esprit du philosophe,
c’est l’esprit critique qui s’incarne par le doute. Le philosophe, comme l’incarne Socrate, c’est celui qui affirme d’abord
qu’il ne sait pas, qu’il n’est ni savant ni sage, mais qui cherche à en savoir davantage et à être toujours plus sage. Le
philosophos est celui qui a conscience qu’il n’est pas un sophos. Le constat de ses propres limites s’accompagne du
désir de se perfectionner en doutant de la fiabilité de ses croyances. Pour autant, le doute ne se suffit pas à lui-même :
sa valeur, ou sa connotation positive ou négative, dépend finalement du désir qui le motive. Il peut être positif si et
seulement s’il est motivé par le désir de savoir et par un esprit critique qui applique d’abord le doute à lui-même. Le
doute n’est donc pas ici à confondre avec le simple esprit de contradiction qui ne s’applique qu’à la pensée de l’autre,
justement parce qu’elle est autre.
B. Le scientifique, d’une certaine manière, incarne également cette forme de scepticisme modéré, rappelant
l’humilité. Il juge en formulant des hypothèses, dont le caractère incertain et même provisoire est clairement assumé
et revendiqué. Dans les sciences de la nature, par exemple, une théorie prouvée conserve toujours son statut
d’hypothèse potentiellement réfutable, selon K. Popper. Toute théorie est toujours douteuse et provisoire. Cependant,
tant qu’on ne l’a pas réfutée et que les expériences faites la confirment, on la considère comme vraie. Simplement,
cette vérité à laquelle les scientifiques prétendent n’est pas la vérité absolue. B. Russell, dans Science et Religion,
évoque une vérité technique ou encore une vérité pratique : une théorie est considérée comme vraie au sens où elle
nous permet de manipuler la matière, d’inventer de nouveaux outils techniques et de prévoir. Le scientifique renonce
donc au concept de vérité absolue. Une théorie est toujours une construction conceptuelle de la réalité et non la copie
conforme de la réalité elle-même. Les théories ne sont donc qu’approximativement vraies, ce que symbolise le doute
qui plane sans cesse sur elles et le besoin qu’il y a de continuer à les tester sans cesse.

Le doute symbolise par conséquent les limites de la connaissance humaine. Si l’on peut théoriquement toujours
douter de la vérité de notre opinion, du fait même qu’elle soit le produit d’une pensée humaine, le doute incarne la
prise de conscience que la vérité est un idéal que l’on ne peut définitivement posséder. La pensée qui doute, celle du
philosophe ou celle du scientifique, montre ainsi cette conscience aiguë de la nécessité de ne jamais s’arrêter à ses
propres croyances.
Corrigé du sujet 2 : Suis-je le mieux placé pour savoir ce que je suis ?

(Amorce) « Connais-toi toi-même » : ce précepte inscrit à l’entrée du temple de Delphes et repris par Socrate résonne
comme un impératif, un devoir à remplir. En effet, la connaissance de soi est l’une des conditions requises pour accéder
au bonheur, puisqu’elle permet à l’homme de s’accomplir ; nous comprenons donc pourquoi la philosophie nous invite à
cette recherche. Cependant, les conditions de possibilité de la connaissance de soi peuvent être difficiles à réunir. Nous
pouvons en particulier nous interroger sur la manière dont nous allons constituer un savoir sur nous-mêmes. (Annonce du
sujet) Ainsi, suis-je le mieux placé pour savoir ce que je suis ? (Problématique et annonce du plan) Au premier abord, la
réponse à cette question ne semble pas poser de difficulté particulière. En effet, il me paraît naturel de penser que je suis
le mieux placé pour savoir ce que je suis, étant donné que ma conscience me fournit immédiatement des informations
susceptibles de me décrire. Je suis d’ailleurs le seul à pouvoir énumérer les pensées qui traversent mon esprit, ou les désirs
que je peux cacher aux autres. J’aurais donc a priori la meilleure position pour me définir. Cependant, peut-on réellement
se voir comme on est ? Ici apparaît le problème de la subjectivité de l’auto-portrait : n’ai-je pas tendance à me cacher les
défauts qui me caractérisent ? Ne suis-je finalement pas trop proche de moi pour avoir une vision parfaitement claire de
ce que je suis ? Paradoxalement, la proximité que j’ai avec moi-même pourrait être un inconvénient plutôt qu’un avantage.
Ainsi, exclure le point de vue d’autrui de manière trop rapide serait une erreur : autrui n’a-t-il pas, du fait de son extériorité,
la distance critique nécessaire pour mieux me cerner ?

I. (1ère thèse) En théorie, il semble que je sois bien le mieux placé pour connaître ce que je suis :
A. (1ère étape : explication du « ce que je suis ») Tout d’abord, on peut s’intéresser à cet “objet” à connaître, on peut
s’intéresser à ce qu’est le “moi”. Qu’est-ce que “je” suis ? Pour Descartes, dans les Méditations Métaphysiques, je suis
une « chose qui pense ». Cette découverte est immédiate, elle est intuitive1. Mais cette question (Que suis-je ?) ne concerne
pas seulement le sujet universel, celui que tout homme est. Elle pourrait aussi s’adresser à chacun en particulier, et
demanderait alors de cibler ce qui fait l’unicité de chacun : qui suis-je ? A cette question, plusieurs manières de répondre
sont possibles : on peut dresser un portrait de soi physique, intellectuel ou moral ; je peux ainsi énumérer les
caractéristiques propres à mon espèce et mais aussi celles qui me semblent plus singulières. La connaissance de l’identité
requiert la capacité de cerner des caractéristiques durables, qui inscrivent mon être dans une certaine continuité, et à ce
niveau-là, il semble a priori que je sois le mieux placé pour le faire.
B. (1er argument en faveur de la thèse : avantage du point de vue que j’ai sur moi – conscience de soi et introspection)
En effet, l’évidence me conduirait à penser que j’ai le meilleur point de vue sur ma propre personne : je me connaîtrais
mieux que quiconque, puisque je suis censé avoir accès à toutes mes pensées, par le biais de la conscience de soi. La
conscience désigne la perception, plus ou moins claire, du monde extérieur mais aussi de soi-même. Alors que les autres
n’ont pas directement accès à mes pensées et à mon monde intérieur, j’ai par ma conscience accès à une grande partie de
mes pensées. Je sais sur moi des choses que les autres ignorent, d’autant plus que je peux les leur cacher. Cependant,
comment expliquer concrètement la possibilité de la connaissance de soi ? Certes, elle est déjà accessible grâce à la
conscience de soi, mais celle-ci ne suffit pas : en effet, pour connaître quelque chose, il faut bien en premier lieu en avoir
conscience ; mais si la conscience est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour aboutir à un savoir complet, détaillé et
unifié. La connaissance de soi demande une réflexion plus approfondie, et même un certain recul critique sur soi, mis en
œuvre dans l’introspection, comme en témoignent d’ailleurs les démarches autobiographiques. Je pourrais ainsi avoir de
moi-même une vision intérieure et détaillée, ce qui vient confirmer la possibilité que j’ai d’être bien placé pour me
connaître si je tente cette démarche.
C. (2ème argument : inconvénient du point de vue qu’autrui a sur moi) Il est donc logique de penser qu’autrui ne peut
me connaître aussi bien que je me connais, puisqu’il n’a directement accès qu’à mon extériorité. Pour Merleau-Ponty, dans
la Phénoménologie de la perception : « le comportement d’autrui n’est pas autrui », ce qui signifie que mon comportement
perceptible de l’extérieur ne suffit pas à définir ce que je suis profondément. Autrui peut être influencé par ce qu’il voit de
moi, par le masque que je porte devant lui. Par conséquent, il risque toujours de m’enfermer dans un rôle, de poser une
étiquette sur moi qui ne correspond pas tout à fait à ce que je suis. Et même si je raconte à autrui ce que je vis, avec le plus
de sincérité et de détails possibles, il ne pourra de toute manière jamais vivre les choses comme moi je les vis, il ne pourra
pas ressentir ce que je ressens comme je le ressens. Il ne pourra pas prendre ma place pour ressentir ce que je ressens. Je
suis moi et il est lui. Chacun est unique et a sa manière de vivre les choses ; chacun reste prisonnier de son identité
singulière.

[transition vers la 2ème partie (II)] Cependant, cette première réponse, malgré son caractère évident, pose problème :
Dans les faits, il n’est pas certain que je sois réellement le mieux placé pour savoir ce que je suis, dès lors que nous
abordons le problème de la subjectivité du point de vue que je porte sur moi-même :
A. (1er argument : problème de la subjectivité) Comment accéder à une vision juste de soi ? La question de la
connaissance de l’homme devient problématique dès lors que l’on s’interroge sur la possibilité d’être objectif.
L’objectivité est la condition de possibilité de la vérité : il faut pouvoir décrire la chose telle qu’elle est pour pouvoir dire
qu’on la connaît. Or, la connaissance de l’homme, du sujet humain, pose le délicat problème de la subjectivité, problème
qui s’accroît en fonction du degré de proximité entre le sujet qui observe et l’objet observé. En effet, j’ai tendance à être
moins neutre lorsque je considère un autre homme que lorsque j’observe une simple chose étrangère à ma nature. Le
manque d’objectivité devient encore plus problématique lorsque c’est à moi-même que j’ai affaire, lorsque c’est moi que

1
Intuitif : ce qui est connu de manière immédiate (cf. notions repères : intuitif / discursif).
je décris. Je ne suis pas assez objectif, à cause de cette proximité que j’ai avec moi-même. Paradoxalement, la proximité
que j’ai avec moi-même pourrait donc être davantage un obstacle qu’un atout ! Je n’ai pas la distance nécessaire pour
garantir une certaine impartialité et je n’ai pas la meilleure place pour me connaître objectivement. Ce qui le montre, c’est
la mauvaise foi que je peux avoir lorsque je fais mon auto-portrait : je peux avoir tendance à gommer certains défauts qui
me dérangent, je peux avoir tendance à oublier des traits de mon histoire ou de mon caractère, que ce soit de manière
consciente ou inconsciente.
B. (2ème argument : le problème de l’inconscient) Ainsi, l’existence de l’inconscient pourrait accroître la difficulté que
j’éprouve à me connaître moi-même. Selon Freud, l’inconscient est une instance psychique qui tend à perturber la
conscience et par conséquent à fausser la connaissance que chacun peut avoir de soi. « Le Moi n’est pas maître dans sa
propre maison ». Le Moi conscient n’est pas le seul à tenir les rênes de ma personnalité ; il existe une partie de moi qui est
inconsciente, inaccessible à la conscience et qui constitue ce que je suis profondément, réellement. Aussi le sujet est-il
incapable de se voir tel qu’il est, immédiatement : il peut avoir tendance à occulter tout ce qui le dérange dans son histoire
personnelle : selon Freud, les désirs inavoués ou inavouables, les souvenirs d’événements traumatisants qui sont refoulés,
tendent parfois à me faire agir contre ma volonté. Mon propre comportement devient pour moi inacceptable et absurde !
Ainsi, pourquoi fais-je systématiquement ce même rêve ? Puisque la conscience est incapable de prendre en charge ce type
de désirs inacceptables ou ces souvenirs douloureux, je suis donc voué à ignorer une bonne partie de ce que je suis : ma
conscience est incapable d’assumer une partie de ce que je suis.
[transition et enjeu] Dès lors, ce constat ne peut que m’inviter à choisir une autre voie pour espérer me connaître. Car
il ne s’agit pas pour autant de renoncer à la connaissance de soi : se connaître mieux, c’est ainsi pouvoir mieux cerner ses
limites, déceler ses talents cachés, et pouvoir ainsi réaliser ses projets et ses désirs les plus chers afin d’être le plus heureux
possible : bref, tenter d’être en accord avec soi-même et de devenir ce que l’on est vraiment. Par conséquent, qui peut être
mieux placé que moi pour me connaître ? Qui sera plus objectif et plus sincère que moi pour m’aider dans ce travail ?

III. (3ème thèse) Autrui pourrait-il alors être mieux placé que moi pour savoir ce que je suis ?
A. (argument général : l’avantage d’un point de vue extérieur) On pourrait donc se demander si, de manière générale,
autrui n’est pas mieux placé que moi pour m’observer, au sens où son point de vue est déjà extérieur à moi. Puisqu’il est
à distance, autrui pourrait donc être à la bonne place pour m’observer. Ainsi, avec un peu d’attention, il sera davantage
capable de décrire mon comportement et il pourra me faire voir des choses sur moi-même que je n’ai pas pas la possibilité
de voir ou de remarquer : autrui peut ainsi me faire remarquer les tics de langage et les petites manies que j’ai lorsque je
suis anxieux ou fatigué ; il peut alors me signifier une nervosité, une lassitude, dont je n’avais pas immédiatement
conscience. De plus, autrui ne sera peut-être pas aussi complaisant que moi vis-à-vis de moi-même. Autrement dit, il sera
plus impartial sur mon comportement et pourra me dire avec davantage d’objectivité si ce que j’ai fait était bon ou non.
B. (argument particulier : le rôle de l’ami) Il s’agit cependant de s’interroger sur l’identité de la personne la mieux
placée pour savoir ce que je suis : cette tâche ne peut être confiée à n’importe qui, sous prétexte que la personne en question
est extérieure à moi. C’est pourquoi, pour Aristote, dans l’Ethique à Nicomaque, c’est l’ami qui est le mieux placé ; si
l’ami est bien un être différent de moi et extérieur à moi, il me ressemble aussi sur de nombreux points et est donc
susceptible de me comprendre (on choisit ses amis en fonction des affinités qu’on a avec eux). L’ami est donc susceptible
de se mettre à ma place. En même temps, le véritable ami est celui qui vise mon bien, et donc contrairement au flatteur, il
saura me dire “mes quatre vérités” s’il juge que ce que je fais n’est pas réellement bon pour moi : il me le dira dans mon
intérêt, pour me faire progresser, et non pas pour en tirer un avantage personnel comme le ferait le flatteur.
C. (2ème argument particulier : le rôle du psychanalyste) Dans une perspective différente, ce rôle de « miroir » peut
également être confié au psychanalyste, selon Freud : le psychanalyste peut m’aider à être plus objectif et il peut surtout
m’aider à décoder les effets de mon inconscient – ce que je ne suis pas capable de faire seul. Le psychanalyste, par sa
position extérieure, peut ainsi voir de moi ce que je ne vois pas, et en tant que spécialiste, il peut m’aider à analyser mes
actes manqués, mes rêves et tous les actes de la vie quotidienne qui me semblent anodins ou absurdes et qui pourtant en
disent long sur moi-même. C’est le cas d’Elisabeth, patiente de Freud, qui découvre les sentiments amoureux qu’elle a
refoulés à l’égard de son beau-frère. En traquant tous les indices – comportementaux et linguistiques – qui trahissent sa
patiente, Freud lui montre ce qu’elle a toujours refusé de s’avouer à elle-même.
D. (Limite générale de la thèse : autrui est lui aussi subjectif) Pourtant, tous ces points de vue extérieurs ne suffisent
pas pour accéder à une parfaite connaissance car ils restent toujours subjectifs, comme en témoigne l’empathie mise en
œuvre dans toute démarche interprétative. En effet, tout sujet a tendance à se projeter sur ce qu’il observe, à analyser cet
objet d’après ce qu’il sait de lui-même : autrui aura donc tendance à projeter sur moi ce qu’il sait de lui, ce qu’il a vécu :
son interprétation restera subjective en ce sens. Personne ne peut se défaire totalement de sa propre subjectivité. On ne
peut donc oublier que toute démarche descriptive, en particulier lorsqu’elle s’intéresse à l’homme, reste une démarche
subjective et imparfaite. C’est pour cette raison que la connaissance de soi est une aventure permanente qui ne pourra
jamais être close. Je suis un éternel objet de connaissance, que ce soit pour moi-même ou pour les autres qui m’entourent.

Conclusion : (rappel du sujet et du problème) Nous nous sommes interrogés sur la question : Suis-je le mieux placé
pour savoir ce que je suis ? Le problème principal que nous avons rencontré est celui de la garantie de l’objectivité du
regard que l’homme porte sur l’objet qu’il cherche à connaître. L’homme étant un sujet, il est naturellement subjectif et ne
peut décrire l’objet tel qu’il est. La subjectivité est encore plus grande lorsqu’il s’agit d’un sujet que l’on cherche à définir
et elle est maximale lorsque ce sujet est moi-même. (réponse à la question) Au terme de cette réflexion, il m’est donc
apparu que je n’ai pas la meilleure position pour savoir ce que je suis du point de vue de l’objectivité. (rappel des étapes
principales) En effet, si, en théorie, ma place vis-à-vis de moi semble idéale et si j’ai l’impression de me connaître moi-
même, de fait, je manque du recul nécessaire pour me décrire objectivement. Autrui semble donc mieux placé, par le fait
qu’il possède cette distance qui me manque. Cependant, autrui reste un sujet et il aura donc tendance à projeter sur moi ce
qu’il connaît de lui. Si sa place est meilleure que la mienne, il ne possède donc ni un savoir complet ni un savoir totalement
impartial sur moi. (ouverture) Dès lors, la connaissance de soi n’est jamais achevée. C’est par le dialogue avec autrui que
l’on est amené à compléter jour après jour le portrait de soi-même, portrait qui devra également tenir compte de l’évolution
qui caractérise chacun comme être temporel.

Corrigé du sujet III.

Rédaction d’une explication du texte de Descartes extrait des Règles pour la direction de l’esprit :

« Il vaut mieux ne jamais songer à chercher la vérité sur quelque objet que soit, que de le faire sans méthode ». Cette phrase
de Descartes, extraite des Règles pour la direction de l’esprit, IV, dont est également extrait le texte à étudier, indique clairement
la préoccupation cartésienne : il s’agit de trouver une méthode, càd des règles pour bien penser, pour conduire notre raison vers
la vérité. Sur quel modèle s’inspirer pour trouver cette route à suivre ? Descartes rappelle ici que les mathématiques, sciences
qu’on qualifie d’exactes, vont justement servir de modèle pour concevoir la méthode cherchée par Descartes. Le philosophe
affirme que « l’arithmétique » et la « géométrie » (l. 1) sont les « plus faciles » et les « plus claires » de toutes les sciences, l. 4.
Cette affirmation peut poser deux problèmes, dont l’auteur a conscience : comment se fait-il, si les mathématiques sont bien les
sciences les plus claires et les plus faciles, que l’homme y fasse des erreurs ? Et surtout, comment expliquer que « beaucoup
d’esprits s’appliquent plutôt à d’autres études ou à la philosophie », si l’arithmétique et la géométrie sont les domaines où
l’homme est le plus sûr d’atteindre la vérité ? Si cela était réellement le cas, ne devraient-elles pas être plus attractives ? Ces
deux problèmes ont la même solution : l’homme n’est pas très rigoureux et préfère s’adonner à d’autres disciplines qui lui
demandent moins de rigueur, justement. Dans la 1ère partie du texte, l. 1-6, Descartes loue l’arithmétique et la géométrie qui
offrent un modèle de certitude, du fait de la méthode qu’elles utilisent. A partir de la l. 6, Descartes évoque le choix de nombreux
penseurs de s’adonner pourtant à d’autres études moins rigoureuses et moins certaines. Enfin, à partir de la l. 10, Descartes
précise sa pensée en invitant l’homme à s’inspirer du modèle démonstratif offert par les mathématiques pour apprendre à penser
avec rigueur dans d’autres études.

1ère partie : « l’arithmétique » et la « géométrie » sont deux branches des mathématiques. Ce sont des sciences exactes, dans
lesquelles la vérité que l’on trouve est nécessaire. Descartes s’est beaucoup inspiré des Eléments de géométrie d’Euclide pour
concevoir la méthode qu’il souhaite appliquer dans tous les champs de la pensée. En effet, les mathématiques sont les « plus
certaines » des sciences, l. 1 ; sans doute est-ce dû à la méthode pratiquée par les mathématiciens et les logiciens, dans ce qu’on
appelle les sciences formelles : cette méthode, c’est la démonstration, que l’on peut définir comme un raisonnement déductif
par lequel on parvient nécessairement à la conclusion à partir de principes évidents. Ainsi, les mathématiques consistent en une
« suite de conséquences déduites par raisonnement », l. 3-4. On aboutit à la vérité de manière certaine à deux conditions : il faut
que les principes soient vraiment évidents (c’est-à-dire clairs et distincts pour l’esprit, purement intuitifs) et il faut également
l’on ne commette pas d’erreur de raisonnement dans les idées que l’on va relier ensemble grâce à notre raison. Nos erreurs de
jugement sont souvent dûes à la précipitation ou l’inattention, càd à un défaut de méthode et non à une incapacité à raisonner.
Ainsi selon Descartes, la raison comme faculté de juger, de distinguer le vrai du faux, est une faculté universelle que tous les
hommes possèdent naturellement.
Ainsi, la géométrie d’Euclide est conçue de cette manière : à partir des définitions des objets mathématiques (par ex. celle
du point : « ce dont la partie est nulle »), des notions communes (par ex. « le tout est plus grand que la partie ») et des postulats
évidents (par ex. celui des parallèles), les théorèmes sont construits les uns à la suite des autres de manière rigoureuse et on
aboutit alors à une vérité de raison. C’est là le secret de la réussite mais aussi de la simplicité des mathématiques : comme la
logique, les mathématiques traitent d’un « objet assez pur et simple », l. 2, c’est-à-dire d’abstractions, de concepts inventés par
la raison. L’esprit ne manipule donc que des idées qu’il a conçues (les nombres comme les figures sont des idées pures, conçues
par la raison humaine) ; il ne peut donc être troublé par rien que « l’expérience » sensible aurait pu introduire, l. 3. En effet,
l’expérience sensible, qui nous met en contact avec les objets extérieurs, est certes une source d’informations très riches sur la
réalité qui nous entoure mais elle est surtout subjective (nous ne voyons pas la réalité de la même manière), elle est très confuse ;
elle est même source d’illusions, qu’on appelle les illusions de la perception (ainsi, un bâton plongé à moitié dans l’eau apparaît
brisé alors qu’il ne l’est pas). L’expérience sensible peut donc être source d’erreurs de jugement, en particulier si l’on juge trop
vite d’après les apparences.
L’objet des mathématiques, purement intellectuel et abstrait, est donc l’objet d’étude rêvé pour l’esprit soucieux de rigueur :
il n’est pas entaché de l’imprécision propre aux données sensibles ; il est donc bien tel que « nous le désirons » (l. 5), puisqu’il
nous permet d’atteindre, dans ce domaine, la vérité, l’exactitude, de manière indubitable. Ainsi, l’erreur – le fait de se tromper
– est impossible à l’homme, l. 5-6, « sauf par inattention ». La faiblesse de l’homme se résume à cela : l’erreur vient non pas
du manque de raison qui est naturellement égale en tous les hommes, mais d’un mauvais usage possible de la raison ; nous ne
la conduisons pas avec suffisamment de rigueur et nous jugeons avec précipitation ou selon nos préjugés.

A partir de la l. 6, Descartes évoque le problème principal de ce texte : pourquoi alors, si les mathématiques sont si
« faciles » et « claires », « beaucoup d’esprits s’appliquent plutôt à d’autres études ou à la philosophie » plutôt qu’aux
mathématiques ? En réalité, ce problème n’en serait pas un, selon l’auteur : « il ne faut pas s’étonner ». En effet, il a déjà suggéré
la raison pour laquelle beaucoup de penseurs et de savants dédaignent l’étude des mathématiques pour s’occuper exclusivement
de philosophie, de théologie ou même de sciences plus strictes mais moins sûres que les mathématiques (on peut penser aux
sciences de la nature comme l’astronomie, la physique qui, à partir du XVIIème siècle, se modernisent : l’expérimentation
permise par les outils techniques permettent de transformer les hypothèses rationnelles en véritables théories). La rigueur propre
aux mathématiques (qui lui donne d’ailleurs leur caractère certain) effraie voire ennuie les esprits plus soucieux de « liberté »,
l. 8 : la démarche des mathématiques est contraignante. Or, Descartes est certes un philosophe mais aussi (et peut-être surtout,
dans ce texte) un mathématicien ; il souhaite justement trouver dans les mathématiques la méthode qui lui permette de penser
avec rigueur en philosophie, mais aussi en physique (comme Galilée, qui formule les lois physiques dans un langage
mathématique) et plus largement encore dans tous les champs de la pensée.
Par conséquent, ce manque de rigueur se voit dans la pensée et les écrits de ces savants auxquels Descartes fait allusion : ils
ne fondent pas leurs raisonnements sur des principes évidents, clairs et distincts, mais sur des simples « conjectures », càd des
hypothèses fort incertaines qu’ils prennent d’ailleurs pour des évidences alors qu’elles n’en sont pas, puisqu’il ne s’agit pas
d’idées réellement intuitives, l. 9. Ils affirment alors des idées « par divination », l. 8. Ce terme, négatif, est ironique. On n’est
pas loin des pseudo-sciences, que sont l’astrologie, l’alchimie, où l’on croit posséder une vérité en se persuadant que les idées
que l’on formule sont vraies alors que ce ne sont que des croyances superstitieuses. Or, ce domaine de l’obscur (voire de
l’occulte) fascine l’homme qui aime s’inventer des réponses pour compenser son ignorance : l’homme n’aime pas ce qu’il ne
connaît pas car cela lui renvoie son manque de maîtrise et ses propres limites. C’est pour cette raison qu’une question
« obscure » – relative à la fin du monde, à l’avenir, à ce qui se passe après la mort par exemple… – est d’autant plus fascinante
qu’elle laisse une grande liberté à l’esprit qui se forge ses propres mythes selon la manière dont il imagine le monde. On invente
les réponses qui correspondent à nos désirs ou à nos craintes, pour se rassurer sur la mort par ex., ou juste pour se persuader
qu’on a raison.
Comment cependant comprendre le jugement sévère porté à l’égard de la philosophie, surtout de la part d’un philosophe
(l. 7) ? Celle-ci n’a pourtant rien à voir avec la démarche irrationnelle de l’astrologie ou de l’alchimie ! Sa méthode reste
néanmoins moins certaine que celle des mathématiques, même si la philosophie reste rationnelle : l’argumentation n’est pas la
démontration. En effet, en philosophie, on reste dans le domaine de l’opinion, ce sur quoi on ne peut prouver ou démontrer de
réponses définitives (qu’est-ce que le Bien, la Justice, le Bonheur… ?). Ainsi, la méthode utilisée par la philosophie est
l’argumentation, où l’on cherche à convaincre, en défendant au mieux son opinion sur chaque question. Mais l’argumentation
n’impose pas la vérité : elle laisse à celui qui ne pense pas comme nous la liberté de ne pas adhérer à notre opinion.
L’argumentation ne conduit pas de manière nécessaire à une vérité unique et définitive, susceptible de s’imposer à tous les
esprits puisqu’elle serait parfaitement évidente. Le débat philosophique est ouvert et ne parvient que rarement à une réponse
ferme et définitive (d’où la place réservée à la liberté de penser).
Il est clair que la vérité offerte par les mathématiques, dans un domaine moins séduisant, est pourtant à la fois plus
« certaine » et plus « facile » à atteindre. La facilité des mathématiques (où l’on ne traite certes que de questions abstraites mais
traitables par l’esprit de l’homme puisqu’il manipule ici des concepts qu’il a forgés lui-même) va de paire avec l’ennui qu’elle
peut inspirer à certains hommes ; ces derniers préfèrent s’attaquer à des questions plus difficiles, auxquelles en fait l’homme
n’a pas de réponse, comme si l’homme cherchait à dépasser ses limites.

L’homme est donc limité dans son pouvoir de connaître, même si le pouvoir de sa raison semble en même temps indéfini –
au sens où celle-ci peut s’appliquer à bien des domaines. C’est avec optimisme que Descartes conclut cet extrait, en apportant
une précision (il s’agit de ne pas mal interpréter ce qu’il préconise) : la rigueur des mathématiques nous promet une bonne
éducation de l’esprit : en s’appliquant aux mathématiques, l’esprit acquiert une bonne méthode pour bien construire ses
raisonnements ; il s’exerce à une excellente discipline par laquelle il acquiert de la rigueur et une adresse intellectuelles. En
pratiquant les mathématiques, nous apprenons à raisonner correctement. Par les mathématiques, nous voyons comment conduire
notre esprit sur « le droit chemin ». Cette image incarne la bonne méthode, dont Descartes tire ses quatre règles dans le Discours
de la méthode : la première règle consiste à ne prendre pour vrai que ce qui est parfaitement clair et distinct pour l’esprit (ce qui
est évident) ; la deuxième règle consiste à analyser les idées qui ne sont pas évidentes et simples, les idées complexes, en leurs
éléments constitutifs pour y retrouver ce qui est évident en elles ; la troisième règle consiste à faire la synthèse de ces éléments,
à les relier ensemble de manière à déduire de nouvelles vérités à partir de ces vérités intuitives ; enfin, la quatrième règle est
celle des dénombrements, où l’on vérifie qu’on n’a rien oublié lors des étapes précédentes.
C’est sur une invitation à la prudence que Descartes conclut son texte : il s’agit de ne raisonner et de ne s’intéresser qu’aux
disciplines qui nous offrent la possibilité de traiter des questions accessibles à l’esprit de l’homme. Il s’agit de ne « s’occuper
d’aucun objet » dont on ne peut avoir « une certitude égale à celle des démonstrations » mathématiques. Mais on peut cependant
se demander dans quels domaines au final on peut trouver cette même certitude. En effet, au sens strict, la démonstration ne
s’applique qu’aux sciences formelles, où l’esprit a affaire à ses propres concepts, c’est-à-dire à la logique (que Descartes juge
souvent inutile) et aux mathématiques. Dès qu’il faut que l’esprit sorte de lui-même pour penser le concret, pour élaborer des
concepts décrivant la réalité matérielle et extérieure à lui, le degré de certitude de nos raisonnements s’affaiblit : comment être
sûr que l’esprit décrive la réalité extérieure telle qu’elle est ? Dans les sciences de la nature, l’homme doit vérifier ces hypothèses
rationnelles, parfois conçues de manière déductive, par une expérimentation et une confrontation au réel. L’hypothèse de Le
Verrier concernant l’existence de Neptune n’est confirmée qu’à partir du moment où Galle invente un télescope permettant de
la voir. Or une expérimentation exhaustive de tous les cas possibles n’est pas envisageable pour toutes les théories émises visant
à expliquer la réalité, les phénomènes naturels dans leur ensemble. De plus, les théories rationnelles sont toujours des
reconstructions approximatives du réel, dont la complexité sera mise au jour au XXème s. Toujours est-il que l’on peut, comme
le souhaitait Descartes, s’inspirer de la rigueur des raisonnements mathématiques pour apprendre à bien penser.
En conclusion, ce texte fait l’éloge de la démonstration telle qu’elle est pratiquée dans les mathématiques, dans lesquelles
l’esprit est certain de pouvoir établir une vérité nécessaire. Dans les autres champs de la pensée, nos raisonnements ne peuvent
acquérir ce caractère nécessaire et les vérités de fait propres aux théories décrivant la réalité concrète sont davantage discutables
(comme en témoignent les débats entre philosophes) ou modifiables comme en témoignent les progrès accomplis par la raison
dans les sciences de la nature.

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