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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant

CPGE scientifiques au regard de l’efficacité du « faire croire ». »


Lycées Turgot et Léonard Limosin Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, 2018
année scolaire 2023-2024

Séance 1 : croire et faire croire

« T’as cru, patate crue ! » 1jubilent les enfants, lorsqu’ils ont réussi à « faire croire » quelque
chose. Cette citation naïve, de cour de récré, a peut-être sa place en cours de philosophie… Le thème
« faire croire », en effet, nous ouvre différentes perspectives.

1. Une question philosophique 2. Une question technique

Les domaines de réflexion 3. Une question littéraire


6. Une question politique
autour de « faire croire »

5. Une question psychologique 4. Une question sociale

1. Une question philosophique, à travers la question de la croyance, d’abord. Croire, ce n’est pas
savoir, et faire croire, ce n’est pas enseigner. Nous ne nous posons pas la question du Vrai et du
Faux, mais du vraisemblable, du crédible / ou de l’invraisemblable, de l’incroyable. Il ne s’agit
pas, dans un discours du faire croire, de donner une image fidèle du monde, mais de sa
perception, ou de celle que l’on veut faire adopter à son interlocuteur. On se situe du côté de
l’opinion.

2. C’est pourquoi le « faire croire » est aussi une réflexion sur la technique : comment faire
croire ? Il s’agit de manipuler, par des artifices, une image de la réalité, pour la faire adopter à
autrui. Il s’agira pour nous d’étudier le panel de ces artifices, cet art du faire croire.

3. Par ailleurs, c’est une réflexion littéraire : le texte, en soi, est une technique du faire croire :
l’essai, le texte philosophique, essaie de convaincre d’une conception du réel ; mais la fiction,
en l’occurrence théâtrale et romanesque, repose sur un principe en quelque sorte pervers :
nous, lecteurs, ou spectateurs / téléspectateurs, savons que nous regardons une fiction (le
faux) mais faisons semblant d’y croire, suspendons tacitement notre incrédulité, pour adhérer
volontairement à la fiction (on parlera d’illusion romanesque ou d’illusion théâtrale).

4. C’est une question sociale : nous faisons croire que nous sommes tels que nous voulons
paraître sur la grande scène du monde. Tout le monde, au quotidien, se met en scène, dans sa
fonction sociale.

1
En entier : « tu m'as cru(e), patate crue) / tu me l'as fait croire, patate noire / t'es un menteur, patate au beurre / toi-même,
patate à la crème ». Merci de ne pas utiliser cette référence dans vos dissertations.

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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant
CPGE scientifiques au regard de l’efficacité du « faire croire ». »
Lycées Turgot et Léonard Limosin Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, 2018
année scolaire 2023-2024

5. C’est une question psychologique : le faire croire recoupe la question de l’illusion, en


particulier de l’auto-illusion. C’est beaucoup plus évident de faire croire aux autres ce dont on
est persuadés soi-même. Il faut donc croire pour faire croire, la plupart du temps. Or, comment
se construit notre croyance ? On se convainc ou on se persuade, parfois par la force des
passions, comme l’orgueil ou l’amour. On peut aussi fonder sa croyance en toute bonne foi
parce que notre cerveau nous joue des tours. Et pour faire croire aux autres, il faut s’appuyer
sur leurs passions et leur fonctionnement psychologique.

6. C’est une question politique, parce que faire croire, c’est pouvoir, d’où la jubilation « t’as cru,
patate crue ! », autrement dit, « je t’ai manipulé, j’ai eu du pouvoir sur toi », parce que je
maîtrisais le vrai et le rapport social entre nous, et pas toi. Ce qui est vrai dans la cour d’école
l’est encore davantage au niveau d’un gouvernement.

I. Réflexions et définitions fondamentales

1) Vrai ou faux ? Là n’est pas la question.


Commentons, dans un premier temps, la citation de Myriam Revault d’Allonnes placée en exergue
de cette séquence d’introduction : « Le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant au regard de
l’efficacité du « faire croire » » (Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, 2018).
- Le « partage du vrai et du faux » est une expression qui renvoie à la distinction, au fait de savoir,
par l’exercice de son jugement, départager le vrai du faux, la vérité de ce qui lui est contraire.
a. Cela nous ouvre théoriquement à la grande question philosophique : qu’est-ce que la
vérité ?
b. Cela nous invite aussi à nous demander ce qu’est le contraire de la vérité : le faux est-
il l’erreur, l’illusion, l’opinion ?
- Toutefois, la suite de la citation écarte ces questions : cette distinction entre la vérité et son
contraire est, en réalité, « insignifiant[e] », parce que « l’efficacité du faire croire » est plus
« [s]ignifiant[e] », elle fait donc davantage sens. Pour Myriam Revault d’Allonnes le « faire
croire » a une « efficacité », c’est-à-dire une force capable de créer un effet
- Ainsi, les causes, les moyens et les effets du « faire croire » ont plus d’intérêt (comme nous
l’avons vu : politique, social, psychologique, et même littéraire) que l’infini débat philosophique
sur la vérité.
C’est exactement ce que nous devons garder en tête comme ligne directrice de notre étude : peu
importe ce qui est vrai, l’important est ce qui est cru.

2) Croyance et opinion
Là se situe notre champ de réflexion. Essayons d’y voir plus clair et de définir ces deux termes.
- L’opinion : la tradition philosophique oppose l’opinion à la vérité. En effet, l’opinion apparaît
comme personnelle, subjective, elle ne peut avoir valeur générale, et certainement pas valeur

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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant
CPGE scientifiques au regard de l’efficacité du « faire croire ». »
Lycées Turgot et Léonard Limosin Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, 2018
année scolaire 2023-2024

de vérité. C’est pourquoi on ne peut pas faire reposer la science sur l’opinion (voir texte 1). Elle
diffère de la croyance en ce qu’elle résulte d’un jugement. Prenons les définitions du cnrtl2 :
a. « Manière de penser sur un sujet ou un ensemble de sujets, jugement personnel que
l'on porte sur une question, qui n'implique pas que ce jugement soit obligatoirement
juste. » : cette définition met l’accent sur l’inadéquation entre opinion et vérité, et sur
l’aspect « personnel » de l’opinion
b. « Avis, jugement qu'une personne émet à la suite d'une délibération. » : cette définition
met en avant le « jugement », la « délibération », ce qui souligne qu’on admet une opinion
quand on a réfléchi à une question, et qu’on adopte cette opinion comme la sienne propre.
c. « PHILOS., LOG. État d'esprit qui consiste à reconnaître le caractère subjectif de la
connaissance que l'on a d'une chose, en inclinant à penser que cette connaissance se
rapproche de la vérité tout en admettant qu'on se trompe peut-être. ». Cette
définition est plus spécifique au domaine philosophique : elle est plus sceptique.
Adopter une opinion philosophique, c’est admettre qu’on ne peut accéder au vrai,
mais que l’opinion qu’on a d’un sujet est ce qui se rapproche le plus du vrai.
d. « SOCIOL. POL. Forme particulière de pensée, prise de position morale et intellectuelle
d'une société, d'un groupe social, professionnel ou ethnique en tant que force de
pression. ». Cette définition spécifique s’applique à un groupe de personnes ; c’est une
opinion partagée, qui quitte alors le simple domaine de l’esprit pour se transformer en
action, en « force de pression ».

- La croyance, elle, peut ou non résulter d’une délibération, d’un jugement, d’une réflexion. En
effet elle est :
a. « Certitude plus ou moins grande par laquelle l'esprit admet la vérité ou la réalité de
quelque chose ». On appelle communément « croyance » ce que l’on tient simplement
pour vrai, ce que l’on pense pouvoir être vrai, sans y réfléchir plus profondément. Cette
croyance se caractérise alors par :
▪ La transparence du concept. On croit quelque chose sans le percevoir comme
une croyance, sans placer entre notre esprit et l’objet de notre croyance un
filtre qui dirait « je ne fais que le croire, ce n’est peut-être pas vrai »
▪ La sensibilité aux preuves. Ce type de croyance est facilement
« démontable » : si je crois que la boulangerie est ouverte à 17h, et qu’elle est
fermée quand j’arrive devant la porte, alors je corrige ma croyance sans effort,
et sans constater que c’était une croyance
▪ Ainsi nos croyances sont une carte de navigation du monde : elles sont ce que
quoi on s’appuie communément pour prendre des décisions, pour agir, parce
qu’on ne prend pas toujours le temps de tout interroger ou de tout vérifier.

b. « Adhésion de l'esprit qui, sans être entièrement rationnelle, exclut le doute et


comporte une part de conviction personnelle, de persuasion intime ». Ce type de
croyance est plus fort et moins commun, et peut se rapprocher de la croyance
religieuse. Cette définition souligne l’action de la part du sujet qui croit, et qui repose
sur deux aspects :
▪ La « conviction personnelle », c’est-à-dire que la croyance, comme l’opinion,
résulte d’un jugement, d’une délibération, d’un travail de l’esprit et de la raison

2
Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, en ligne : LA référence lexicologique pour vos analyses
de sujet.

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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant
CPGE scientifiques au regard de l’efficacité du « faire croire ». »
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qui choisit alors d’« adhérer » à cette croyance, de la tenir pour vraie et de
s’appuyer sur elle pour orienter son action
▪ Mais aussi la « persuasion intime », celle du cœur, des sentiments, des
émotions, qui n’est donc pas « entièrement rationnelle »
▪ Cela est d’autant plus vrai que l’humain n’aime pas la position de « doute », si
bien qu’il est naturellement enclin à chercher une stabilisation de sa croyance
pour éviter ce doute

3) Pas très scientifique, tout ça…

Lecture du texte de Gaston Bachelard (corpus texte 1)

- La thèse est énoncée dans la première phrase : l’opinion et la science n’ont rien à faire ensemble –
ce qui contribue à jeter l’opprobre sur l’opinion. Dès lors, si le « croire » n’est pas une question
scientifique, le « faire croire », théoriquement, non plus.
- La science s’oppose à l’opinion
o « dans son besoin d’achèvement » : la démarche scientifique est orientée par une quête
de réponses, de résultats. Ceux-ci ne peuvent se fonder sur des opinions, qu’il ne faut pas
rectifier mais détruire. L’erreur de la démarche scientifique serait de sacrifier la vérité à son
désir de résultats, à son envie de « traduire des besoins en connaissances ». L’opinion est
à la fois erreur (elle fait prendre pour vrai ce qui est faux) et illusion (elle est causée par et
cause à son tour des interprétations erronées de la réalité). Elle fait donc passer ses
opinions pour des connaissances, pour pouvoir s’appuyer sur ces connaissances afin de
créer d’autres connaissances. Cela constitue un édifice bien fragile. Cette réflexion
épistémologique de Bachelard est fondamentale.
o « dans son principe » : on ne peut pas non plus seulement supputer, par l’opinion, qu’il y a
un problème à résoudre, sans le fonder, le construire rigoureusement. L’esprit scientifique
se fonde donc par étapes : poser le problème rigoureusement permet de construire des
connaissances qui à leur tour permettent de poser d’autres problèmes, etc.
- Les scientifiques sont avant tout humains : ils veulent des résultats, ils veulent avancer, et ils
veulent des certitudes. C’est pourquoi ils peuvent être enclins à croire, et par la suite, illusionnés
eux-mêmes et désireux de partager ce qu’ils croient être une vérité, de faire croire, ce qui est
d’autant plus facile qu’ils détiennent une autorité (comment ne pas croire que
l’hydroxychloroquine soit un remède miracle contre la Covid 19 quand personne ne sait rien sur
cette maladie et que le traitement est proposé par un éminent microbiologiste ? et pourtant le
scientifique avait-il l’intention de mentir ?)

Lecture du texte de Charles Peirce (corpus texte 2)

Ce texte va dans le sens du précédent, dans une autre tonalité : il n’est pas prescriptif, mais
descriptif. Peirce s’appuie sur le constat de « l’irritation du doute ». Nous sommes naturellement portés
à rechercher une « croyance », parce que son contraire est inconfortable, et le contraire de croire, c’est
de douter. Alors on recherche une croyance à laquelle on puisse réellement croire, non seulement
parce qu’elle met fin au doute, mais aussi parce qu’elle nous semble plausible.
En effet, on ne peut pas réellement se forcer à croire ce à quoi on ne croit pas (on parlera
d’ « involontarisme doxastique »). Mais on peut rechercher la croyance la plus satisfaisante. On ne veut
pas s’illusionner, on veut sortir du doute – mais peu importe qu’on atteigne ou non la vérité.

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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant
CPGE scientifiques au regard de l’efficacité du « faire croire ». »
Lycées Turgot et Léonard Limosin Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, 2018
année scolaire 2023-2024

4) Qu’est-ce que « faire croire » ?

a. Intentionnalité, crédibilité et crédulité


Faire croire implique d’abord de considérer un rapport entre plusieurs esprits (entre plusieurs
individus ou entre plusieurs groupes) qu’il faut considérer comme un rapport de force.
- Concernant celui qui fait croire, il faut se poser la question de l’intentionnalité :
o Il peut être convaincu de ce qu’il essaie de faire croire
▪ Parce qu’il en a des preuves suffisantes pour estimer que sa croyance est une
vérité
▪ Parce qu’il est illusionné
• Aveuglé par son désir de dépasser un doute, de stabiliser son esprit
• Aveuglé par l’amour-propre
• Ou par l’amour – ou toute autre passion
o Il peut connaître la vérité et faire croire sciemment à son contraire
▪ En sélectionnant l’information, en dissimulant ce qu’il sait
▪ En travestissant la réalité
▪ En mentant délibérément
- Mais aussi la question de la crédibilité :
o Par l’autorité (domination sociale, intellectuelle, politique, religieuse) – ce qui amène à
une réflexion sur le déficit ou l’excès de crédibilité associé à des préjugés
o Par ce qui rend son discours crédible, l’apparat
o Par la relation de confiance établie entre les parties

- Concernant celui à qui l’on veut faire croire, il faut se poser la question de la crédulité (« tournure
de l'esprit portant quelqu'un, par manque de jugement ou par naïveté, à croire facilement les
affirmations d'autrui ») :
o On croit plus volontiers ce qui entre déjà dans notre système de croyances
o On croit aussi plus facilement la croyance partagée par un grand nombre de personnes
o Ou ce qu’on nous a beaucoup répété, les idées auxquelles on est exposé dans un milieu
social par exemple, si bien que :
▪ Une fois installée, la croyance est difficile à déloger
▪ On croit par paresse intellectuelle
▪ Ou alors on croit pour affirmer son identité sociale

b. Une échelle du faire croire

Dès lors, nous sommes confrontés à de nombreuses variétés du faire croire, qui peuvent
s’échelonner à mesure de leurs conséquences :

- manipuler : cela passe par


o la flatterie
o le fait de parler le langage de quelqu’un pour baisser sa méfiance et s’attirer sa confiance
o semer le doute dans les croyances déjà établies
o susciter des émotions…

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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant
CPGE scientifiques au regard de l’efficacité du « faire croire ». »
Lycées Turgot et Léonard Limosin Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai, 2018
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- mentir : nous allons énormément en parler. Il peut s’agir de :


o dire quelque chose de faux pour le faire passer pour vrai
o créer des illusions : s’appuyer sur une perception orientée de la réalité ou sur son
interprétation erronée
o la question du mensonge nous mènera aux réflexions suivantes :
▪ mentir, est-ce bien ou mal ? Le mensonge est-il moralement condamnable ?
• pourtant on peut difficilement imaginer un monde où tout le monde dirait
toute la vérité tout le temps…
• et, d’une certaine façon, le mensonge est dans la nature : la mante
fantôme ne fait-elle pas croire qu’elle est une feuille morte pour mieux
manger le criquet qui ne se méfie pas d’elle ?
▪ dans le mensonge, quelles relations sont-elles nécessaires entre le vrai et le faux ?
Peut-on mentir on ne s’appuyant que sur du faux ? Au contraire, le faux a besoin
du vrai : la fausse monnaie n’a d’intérêt que parce qu’il existe de la vraie monnaie,
et le mensonge n’est crédible que s’il s’appuie sur un semblant de vérité. Il faut
que Valmont avoue une partie de son libertinage à Mme de Tourvel pour qu’elle
puisse croire à son repentir et à sa conversion !3

- enfin, à un degré supérieur : endoctriner, radicaliser

c. Faire croire aujourd’hui : une question amplifiée


De nos jours, cette question du « faire croire » est absolument essentielle, parce qu’elle est accrue
par la puissance des médias, qui implique :
- la quantité et l’omniprésence des discours auxquels nous sommes exposés
- la variété des locuteurs, dont l’autorité repose sur l’image avant tout
- la diversité des informations, vraies ou fausses
- la posture volontiers crédule et passive des consommateurs de médias4

Dès lors, le « faire croire » prend des formes massives que l’on peut définir ainsi :

- la mésinformation : la transmission d’informations fausses sans intention de tromper.

- la désinformation : une information construite et diffusée dans le but de tromper ou de semer la


confusion. C’est là que nous trouverons :
o les canulars, dans un but satirique (comme le Gorafi)
o les hoax, ou arnaques5, mensonges construits de toutes pièces

3
On peut même, si le cœur nous en dit, nous empêtrer dans le paradoxe du menteur, énoncé par le Crétois
Epiménide qui affirme que « tous les Crétois sont des menteurs » (a-t-il dit vrai ? a-t-il menti ?) ce qui peut aussi
s’énoncer sous la forme : « Toutes les phrases de ce cours sont vraies, sauf celle-ci ». Je vous laisse méditer la
question…
4
A ce sujet n’hésitez pas à visionner le film Don’t look up : déni cosmique, d’Adam McKay (2021)
5
Définition donnée par la gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine : « HOAX: Il désigne un mensonge créé de toutes
pièces. Conçu pour apparaître vraisemblable, ce canular peut avoir un but malveillant. »

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Français-philosophie séquence 1 : « le partage du vrai et du faux devient […] insignifiant
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o les faits alternatifs : le fait d’affirmer quelque chose de contraire aux faits. Donald Trump
a affirmé que le soleil avait commencé à briller, un jour de pluie, dès le début d’un de ses
discours, ce qui est contredit par les photos de l’événement
o les fake news, volontairement trompeuses, qui constituent une imitation, une contrefaçon
de la presse traditionnelle6
o la post-vérité, qui est une interprétation fausse à partir de faits attestés, mais qui refoule
ces faits comme peu ou moins importants que l’interprétation qu’on en fait, souvent de
l’ordre du passionnel et de l’irrationnel7
o la réinformation : le terme est employé en particulier dans la presse d’extrême-droite qui
prétend réinformer les masses qui auraient été désinformées par la presse traditionnelle8

- le « bullshit »9, c’est-à-dire une indifférence à l’égard de la vérité. Il ne s’agit pas de cacher la vérité,
ce qui signifierait qu’on la connaît. Il s’agit plutôt de faire croire qu’on maîtrise quelque chose dont
en réalité on ne sait rien ou presque. Le « bullshiter » est un baratineur qui fonde la crédibilité de
son discours sur un flot de paroles et sur une apparente assurance – comme l’étudiant qui n’a pas
révisé et qui essaie de s’en sortir malgré tout lors d’une interrogation.

- le complotisme : une croyance dans laquelle on s’investit et qui dépasse le stade du discours. C’est
le fait de penser qu’un fait ne peut s’expliquer que parce qu’il y a eu complot préalable, c’est-à-dire
association consciente, concertée et secrète, et projet de nuire. Cela implique une démarche et
une pratique, tout autant que l’inscription dans une communauté.

En conclusion, on peut distinguer 10 les croyances ordinaires et les croyances contemporaines, qui
ont en quelque sorte changé de nature :

Croyances ordinaires Croyances contemporaines


Orientées vers la vérité Peu préoccupées de la vérité
involontaires Semblent volontairement acquises
Sensibles aux preuves Souvent indifférentes aux preuves
Transparentes (on ne se rend pas Artificielles (on construit sa
compte que c’est une croyance) croyance qu’on détermine comme
croyance)

6
. William Audureau, « Faits alternatifs, fake news, post-vérité… petit lexique de la crise de l’information », Le Monde, 25
janvier 2017 : « La fake news, elle, emprunte à la presse traditionnelle ses codes et sa présentation, pour se maquiller comme
un exercice journalistique. »
7
. « Post-truth, en anglais, fut le mot de l'année 2016, selon l'Oxford Dictionnary. Il se rapporte, explique la publication
britannique, aux « circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d'influence sur l'opinion publique que ceux qui
font appel à l'émotion ou aux croyances personnelles ». Ibid.
8
. « A travers ce terme, il s'agit de s'opposer à la ligne éditoriale de la majorité des quotidiens nationaux, et notamment aux
valeurs humanistes, sociales et libérales que la plupart partagent. […] Dans l'absolu, la réinformation ne prône pas la négation
des faits, mais un renversement des valeurs et de la grille d'analyse des faits. » Ibid.
9
Harry G.Frankfurt, On bullshit, 2005 (titre français : De l’art de dire des conneries)
10
A la suite de Sébastian Dieguez, Croiver, 2022

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II. Les mécanismes de la croyance

1. Deux traditions philosophiques

a. La volonté et l’assentiment

Lecture du texte de Descartes

Sans doute connaissez-vous la position épistémologique de Descartes. Comment être certain de la


véracité de ce qu’on croit vrai ? Il propose, dans Le Discours de la méthode, de mettre en doute
systématiquement ce qu’on tient pour vrai, en se demandant comment on sait que c’est vrai.
Finalement, la seule certitude, et la seule vérité, qui demeure, est celle du cogito : « Je pense, donc je
suis ».
Dans cet extrait, cette méthode est présentée à travers une image, de façon à la faire comprendre
très clairement au lecteur, pour l’amener à y adhérer par son évidence et sa logique (on est déjà dans
le faire croire à sa propre croyance). La croyance est alors définie grâce à une démarche volontairement
réductionniste, un raisonnement, un jugement. On croit quelque chose quand on a vraiment décidé
d’y croire. La démarche cartésienne d’établissement d’une croyance doit ainsi procéder ainsi :
Je l’accepte pleinement
Je pense à un concept je suspends mon jugement

Je rejette pleinement le concept

Dans cette approche, on croit quelque chose quand on a vraiment décidé d’y croire au terme
d’une démarche volontaire. On donne alors son assentiment à cette croyance comme étant
satisfaisante dans son rapport à la vérité.

Lecture du texte de Hume, Enquête sur l’entendement humain

Hume présente la même approche, et en donne les conséquences : quand j’ai accordé ma
confiance à une croyance, que j’ai consenti à l’accepter comme vérité, alors cet assentiment est très
fort. Il ne s’agit pas seulement d’imagination, mais bien d’un « acte de l’esprit ». Il y a alors une double
volonté :
- Volonté et assentiment dans l’établissement de la croyance
- Appui volontaire et solide sur cette croyance pour se guider, mais aussi pour penser et ressentir
(« une influence plus grande sur les passions et l’imagination »

b. Une crédulité naturelle

Lecture du texte de Spinoza, Traité théologico-politique, 1670

La condition naturelle des hommes, impuissante et ignorante, fait d’eux des êtres contingents,
soumis aux circonstances et à des malheurs qui peuvent leur advenir sans qu’ils puissent les anticiper.
C’est pourquoi ils vivent perpétuellement dans un inconfortable doute, qu’ils supportent mal.

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Ce déséquilibre constant et inconfortable du doute, entre l’espoir et la crainte, fait qu’ils sont
naturellement crédules, parce que naturellement enclins à se stabiliser dans la certitude (c’est ce qui
peut les rendre superstitieux).
Une autre conséquence est que lorsqu’ils ont atteint une certitude confortable ils y tiennent fort
et deviennent « vantards et gonflés de vanité ».
Ainsi, chez Spinoza, une crédulité humaine et naturelle fait qu’une idée est d’abord acceptée
passivement, tenue pour vraie, avant qu’on y pense réellement et qu’on l’admette activement.

C’est une idée que l’on retrouve chez Thomas Reid, dans ses Essais sur les facultés intellectuelles de
l’homme (1785), qui établissent les principes de véracité et de crédulité : Reid postule que, tout
naturellement, l’homme tend à dire le vrai plutôt que le faux, et qu’il a une propension tout aussi
naturelle à croire ce que les autres lui disent.

2. un peu de psychologie

La croyance peut aussi se forger et se renforcer grâce à des mécanismes psychologiques.


Autrement dit, notre cerveau nous joue des tours et nous « fait croire »11. Voici quelques-uns de ses
tours et détours, en bref :
o L’effet barnum. Il s’agit d’un biais cognitif autrement appelé « effet de validation
personnelle » qui consiste à penser que des traits de personnalité très flous, très vagues,
s’appliquent précisément à nous-mêmes. C’est un effet bien connu des illusionnistes, des
diseuses de bonne aventure ou des horoscopes, mais aussi, d’une façon générale, des
manipulateurs. Ainsi, chacun peut dire « c’est tout moi » à la lecture d’un portrait flatteur,
d’autant plus s’il se persuade de l’autorité de celui qui l’a écrit.

o Le biais du survivant. Il s’agit de fonder une croyance en ne considérant que les éléments
qui ont réussi ou survécu. Par exemple : dire que les musiciens du XVIII0s étaient vraiment
plus talentueux que ceux d’aujourd’hui, sans penser aux milliers d’entre eux qu’on a
oubliés. Ou s’informer sur la prépa en interrogeant uniquement les lauréats du concours…
et non ceux qui se sont réorientés. Un exemple couramment cité est celui de statisticiens
pendant la seconde guerre mondiale qui étudiaient les endroits où les avions étaient le
plus endommagés après leur retour de bataille. On aurait tendance à croire qu’il fallait
alors renforcer les points les plus abîmés. Or c’est tomber dans « le biais du survivant », et
ignorer les avions qui se sont crashés, sans doute parce qu’ils avaient été attaqués à
d’autres points faibles. Ce sont donc ces points-là qu’il faut renforcer.

o L’effet idéomoteur : c’est quand notre cerveau provoque des mouvements musculaires
qu’on ne s’attribue pas – il nous fait croire qu’un phénomène extérieur nous advient. Tables
tournantes, baguettes de sourciers par exemple. On peut y rattacher l’effet placébo : c’est
un procédé thérapeutique qui agit positivement sur le patient non par des effets médicaux
mais seulement psychologiques. Le cerveau fait croire au corps qu’il va mieux.

11
Je vous renvoie à cette excellente série radiophonique sur France Culture intitulée « Votre cerveau », en
particulier la saison 2, disponible en podcast (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/votre-cerveau-
avec-albert-moukheiber)

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o L’escalade de l’engagement. C’est quand on fait des choix qui vont dans le sens d’une
décision prise précédemment, même si cette première décision était mauvaise. Exemple :
j’attends le bus qui ne vient pas. Mais si je m’en vais maintenant et qu’il arrive, c’est trop
dommage. Si bien que j’attends le bus bien plus longtemps que si j’avais décidé de partir à
pieds. Cet engagement peut déterminer et renforcer une croyance. En termes de faire
croire : tu es allé trop loin pour renoncer maintenant, tu es obligé de continuer… Comme
Mme de Tourvel qui cède enfin à Valmont.

o Le raisonnement panglossien. On raisonne « à rebours » pour conforter une croyance que


l’on a déjà. Pangloss, dans Candide, dit que les nez sont faits pour porter des lunettes, c’est
pourquoi nous portons des lunettes. Le raisonnement est faux, mais commode, parce qu’il
semble pleinement logique et satisfaisant.

Tous ces effets peuvent être utilisés à des fins de manipulation – ils peuvent donc tous être des
leviers du faire croire. Ces biais cognitifs, qui contiennent une part d’irrationnalité, sont au
fondement de nos décisions quotidiennes (ce que Daniel Kahneman appelle notre « système 1 »
ou système de « pensée rapide », constitué de réactions intuitives et automatiques). Or c’est aussi
une pensée largement imprégnée de nos passions, c’est pourquoi nous sommes aussi sensibles aux
nudges (manipulation douce) qui, sans directement nous faire croire, influencent et incitent à
adopter un certain comportement12.

Conclusion :

Les points essentiels à retenir, en préalable à notre étude, sont donc :

- Que notre sujet n’est pas la question philosophique de la vérité

- Que pour envisager le faire croire, il faut d’abord comprendre ce qu’est une croyance : quelle est
sa nature, comment elle se fonde, comment elle se renforce

- Que le faire croire a toujours une dimension à la fois personnelle (il se joue des passions et du
fonctionnement psychique) et interpersonnelle (c’est un rapport de forces, de domination par la
manipulation)

12 Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge : Améliorer les décisions concernant la santé, la richesse et le bonheur, 2008 :
« Le nudge, le terme que nous utiliserons, est un aspect de l'architecture du choix qui modifie le comportement des gens
d'une manière prévisible sans leur interdire aucune option ni modifier de manière significative leurs motivations
économiques. Pour ressembler à un simple « coup de pouce », l'intervention doit être simple et facile à esquiver. Les « coups
de pouce » ne sont pas des règles à appliquer. Mettre l’évidence directement sous les yeux est considéré comme un coup de
pouce. Interdire uniquement ce qu’il ne faut pas faire ou choisir ne fonctionne pas. »

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