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Éloi Laurent

Économie de la confiance
Copyright
© La Découverte, Paris, 2012, 2019.

Repères Economie n°595

ISBN papier : 9782348043550


ISBN numérique : 9782348044199

Ce livre a été converti en ebook le 29/05/2019 par Cairn à partir


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Pour Sylvie, pour Lila, pour Jonas,


jamais économes de leur confiance.
Présentation
Plus que jamais, la confiance est partout dans le débat public :
« personne de confiance », « école de la confiance », « société de
confiance », etc. Mais, trop souvent, la confiance est incomprise
et instrumentalisée.

Comment appréhender l’importance de cette notion complexe


dans le système économique, social, politique, médiatique  ?
Quelles en sont les différentes définitions et les diverses
formes  ? Peut-on vraiment mesurer la confiance et, si oui,
comment  ? Quels en sont les causes supposées et les effets
attendus ? Quel est l’état véritable de la confiance en France ?

En répondant à toutes ces questions à la lumière des auteurs


classiques et des travaux les plus contemporains, cet ouvrage
veut autant informer et instruire les lecteurs que les mettre en
garde : la confiance, clé de la coopération sociale, n’est ni bonne
en soi ni bonne à tout. Elle ne permet ni de tout comprendre ni
de tout régler dans les sociétés humaines et dans les économies.
Comme il y a de bonnes et de mauvaises confiances, il y en a de
bons et de mauvais usages.
Ta b le d e s ma tiè r e s
Table

Introduction / La confiance : prudence !


La confiance, clé de la coopération
Le chassé-croisé de la confiance interpersonnelle et de la
confiance institutionnelle
Confiance instrumentalisée, confiance embrigadée
Encadré 1. La « fée confiance », ou les limites de la pensée
magique

I. Les définitions de la confiance


Ce que la confiance n’est pas : foi, assurance, capital social
De quoi la confiance est-elle faite ?
Encadré 2. L’abus de confiance dans le code pénal français
Encadré 3. La « personne de confiance » dans le code de la
santé publique

II. Les théories de la confiance


« Main invisible » et « bras invisible »
La confiance calculée
La confiance encastrée

III. Les formes de la confiance


Les fausses confiances
Encadré 4. L’indicateur de « confiance des ménages » de
l’Insee
La vraie-fausse confiance
Les vraies confiances

IV. Prendre la mesure de la confiance


Les expériences de confiance
Encadré 5. Un jeu de confiance électronique
Les enquêtes de confiance
Encadré 6. Les enquêtes internationales de confiance
Encadré 7. La mesure des confiances par le Cevipof
Encadré 8. Confiance dans le gouvernement fédéral
américain et contexte économique

V. Confiance et systèmes économiques


Confiance et développement
Confiance, contrats et organisations économiques
Confiance et gouvernance écologique
Confiance et performances économiques
Confiance, monnaie et crises monétaires
Confiance et statistiques économiques
Encadré 9. Nouveaux indicateurs : la malheureuse expérience
française

VI. Confiance et démocratie


Les bienfaits civiques et politiques de la confiance
Éloge de la défiance
Encadré 10. Motion de défiance constructive et motion de
confiance dans la loi fondamentale allemande (en vigueur au
19 décembre 2000, 48e loi de modification)

VII. Politiques et idéologies de la confiance


Les politiques de confiance
Encadré 11. Confiance et « modèle nordique »
Les idéologies de la confiance
Encadré 12. Robert Putnam et les dangers supposés de la
diversité ethnique
Les confiances en France : un contresens funeste

Conclusion / Confiance et renouveau des sciences sociales

Repères bibliographiques

Collection
Introduction / La confiance :
prudence !
Éloi  Laurent

«  —  Vous m’avez recommandé d’avoir confiance, vous


m’avez affirmé que la confiance était indispensable, et à
présent vous prêchez la méfiance. Ah, j’en aurai le cœur
net !

—  Je vous ai dit, assurément, que vous deviez avoir


confiance, et même une confiance aveugle, mais je parlais
de votre confiance dans mon remède bienfaisant et de
votre confiance en ma personne sincère.

—  Mais, en votre absence, si je décidais d’acheter des


remèdes qui se font passer pour le vôtre, je ne devrais
donc pas accorder ma confiance aveuglément.

—  Examinez bien tous les flacons  ; accordez votre


confiance à ceux qui sont authentiques.

—  Mais douter, soupçonner, examiner —  se livrer


constamment à cette tâche épuisante  — voilà bien
l’opposé de la confiance. Voilà bien de mauvais
sentiments !
—  Du mal vient le bien. La méfiance est une étape de la
confiance. »

Herman MELVILLE, The Confidence-Man. His


Masquerade (1857)

L a confiance est prometteuse, mais elle est aussi trompeuse.


Avant d’en discuter, a fortiori avant de tenter d’en prendre
la mesure, de théoriser ses causes, d’envisager ses effets
supposés, voire de fantasmer ses bienfaits économiques ou
sociaux, il est prudent de commencer par essayer de définir
avec autant de précision possible ce qu’elle recouvre. Sans cette
précaution élémentaire, le risque est grand soit de forcer cette
notion complexe et délicate, soit de duper le lecteur sur la
nature et la portée de son propos, en instrumentalisant la
confiance pour éclairer des phénomènes où elle ne prend en
réalité que peu de part. Quand on croit parler de confiance, on
parle en fait souvent d’autre chose. Notion intuitive s’il en est, la
confiance est une des plus exigeantes qui soient.

Commençons donc par définir notre sujet, quitte à en préciser


dans les pages qui suivent les termes exacts et à en développer
plus loin les différentes nuances. La confiance est une
espérance de fiabilité dans les conduites humaines, qui suppose
un rapport à un autre être humain (rapport qui peut être
médiatisé par une norme collective éventuellement incarnée
dans une institution, auquel cas la confiance repose sur le
respect de cette norme), dans le cadre d’une situation incertaine
(qui inclut la possibilité de voir la confiance accordée trahie,
celui ou celle qui prend ce risque se plaçant en position de
vulnérabilité), dans un but et un contexte précis (on ne peut
faire confiance à tous, à tout propos et à tout moment), cette
espérance de fiabilité étant le fruit d’une volonté individuelle
(accorder sa confiance est un choix personnel, même s’il est
souvent influencé par un contexte social). La confiance peut
prendre différentes formes (confiance entre les personnes,
confiance dans les institutions), se construire selon diverses
modalités (familiarité, habitude, calcul, culture) et compter des
degrés variables (on peut avoir faiblement ou fortement
confiance, aveuglément ou absolument pas confiance).

À partir de ces éléments de définition, bien entendu discutables,


cet ouvrage s’attache, du point de vue de la discipline
économique, à préciser les théories et les usages de la confiance
et à éclairer une partie de ce que l’on sait de ses causes et de ses
effets économiques et sociaux. Remarquons d’emblée que la
confiance fait partie de ces notions de sciences sociales qui
s’abordent de préférence sous l’angle de leur crise. Le motif
récurrent de la «  crise de confiance  » —  qui cache celui de la
«  crise de la confiance  »  — va précisément nous permettre
d’entrer dans le vif de notre sujet.

La confiance, clé de la coopération


La «  Grande Récession  » déclenchée en 2007 offre la parfaite
illustration de la nébuleuse omniprésence du thème de la
confiance dans nos économies et nos sociétés. À chaque étape
marquante de cette interminable crise, la confiance a en effet
été convoquée dans le débat public.

C’est un excès de confiance (l’anglais évoque une


overconfidence, ou «  surconfiance  ») des opérateurs sur les
marchés financiers qui aurait attisé la bulle spéculative autour
des prêts hypothécaires subprimes et plus généralement du
marché immobilier aux États-Unis, conduisant à l’effondrement
du printemps  2007. C’est cette confiance excessive qui aurait
entretenu à partir du milieu des années  1990 l’«  exubérance
irrationnelle  » de la finance mondialisée et la foi, entretenue
par les agences de notation, dans des rendements financiers
chimériques (dont un marchand de fausses certitudes comme
Bernard Madoff a su habilement tirer profit auprès de ses
crédules clients). Le thème du déficit de confiance a ensuite pris
le relais dans le récit collectif  : c’est la défiance généralisée
régnant sur le marché interbancaire qui permet de comprendre
pourquoi les prêts entre établissements de crédit furent gelés à
l’automne  2008. Cette paralysie financière provoqua alors
l’effondrement de la confiance des ménages et des entreprises
dans l’avenir, bloquant la consommation, freinant
l’investissement et empêchant les embauches.

La puissance publique a alors voulu réagir pour « rétablir » ou


« ramener » la confiance perdue au moyen de sa signature et de
la robuste garantie qu’elle a apportée à des secteurs en proie à
une véritable panique (les banques et les assurances bien
entendu, mais aussi, aux États-Unis, le secteur automobile). Ces
engagements budgétaires souverains, qui ont au départ
« rassuré les marchés », ont fini par affecter leur confiance dans
la capacité de certains États à honorer leur dette publique (la
Grèce notamment), les contraignant du même coup à des
politiques d’austérité socialement coûteuses conduisant à une
rechute de la confiance des ménages et des entreprises. Nous
vivons actuellement la dernière étape de ce processus sous la
forme de la crise de confiance politique qui affecte nombre de
pays sur la planète où les citoyens se méfient désormais
fortement de leurs «  élites  ». Mais cette crise de confiance,
généralisée et protéiforme, qui amalgame des notions
hétérogènes que nous tenterons justement de démêler, cache
une «  crise de la confiance  » à la fois plus ancienne, plus
spécifique et plus profonde.

Comme l’écrit l’économiste Paul Seabright dans un ouvrage


novateur [2004]*, le développement d’une coordination sociale
aussi spontanée que sophistiquée au cours de l’évolution
humaine est un mystère fondateur qui demande à être éclairci.
C’est en effet la capacité à coopérer avec d’autres que nous ne
connaissons pas forcément et qui ne sont en tout état de cause
pas de notre famille ou de notre communauté immédiate qui,
aux yeux de la biologie et de l’éthologie modernes, distingue les
humains des autres animaux et explique en grande partie leur
succès sur la planète (cette qualité essentielle se combinant
avec la capacité d’apprendre de ces autres que nous
fréquentons au-delà du premier cercle social). [1] 
Seabright fait écho, avec les outils conceptuels des sciences
sociales contemporaines, aux philosophes du contrat social qui
décrivent de quelle manière les hommes accomplissent
ensemble leur destin d’animaux sociaux en s’extrayant de l’état
de nature dans lequel ils ne peuvent être sûrs de rien ni de
personne. Pour Hobbes [1651], la solution à l’incertitude
radicale de l’état de nature et à la défiance généralisée qui y
règne consiste dans l’institution d’une autorité extérieure à qui
sont justement confiés le monopole général de la violence
légitime et le soin particulier de veiller à l’exécution des
contrats entre particuliers :

«  Si une convention est faite de telle façon qu’aucune des


parties ne s’exécute tout de suite, car chacune fait confiance à
l’autre, dans l’état de nature (qui est un état de guerre de tout
homme contre tout homme), au [moindre] soupçon bien fondé,
cette convention est nulle. Mais si existe un pouvoir commun
institué au-dessus des deux parties, avec une force et un droit
suffisants pour les contraindre à s’exécuter, la convention n’est
pas nulle. Car celui qui s’exécute le premier n’a aucune
assurance que l’autre s’exécutera après, parce que les liens
créés par les mots sont trop faibles pour brider, chez les
hommes, l’ambition, la cupidité, la colère et les autres passions,
sans la crainte de quelque pouvoir coercitif qu’il n’est pas
possible de supposer dans l’état de simple nature, où tous les
hommes sont égaux, et juges du bien-fondé de leurs propres
craintes. C’est pourquoi celui qui s’exécute le premier ne fait
que se livrer à son ennemi, contrairement au droit, qu’il ne
peut jamais abandonner, de défendre sa vie et ses moyens de
vivre. Mais, dans un état civil, où existe un pouvoir institué
pour contraindre ceux qui, autrement, violeraient leur parole,
cette crainte n’est plus raisonnable  ; et pour cette raison, celui
qui, selon la convention, doit s’exécuter le premier, est obligé
de le faire. »

Mais, dans l’esprit de Seabright, la résolution du mystère


fondateur de la coopération sociale est plus subtile que
l’exercice de l’autorité par le Léviathan, fût-elle légitime. Elle
tient à la « présence d’institutions qui conduisent les humains à
vouloir traiter les étrangers comme des amis honoraires  ». La
confiance entre humains est, selon lui, ce qui rend ces
institutions, propres à l’homme, robustes. La confiance entre les
personnes revêt donc une nécessité anthropologique. Quant à
l’importance de la confiance des gouvernés envers les
gouvernants pour garantir la stabilité du système politique, on
en trouve des traces dès la tradition philosophique
confucéenne. Plus que la soumission à la force et la poursuite
de l’intérêt individuel, les relations de confiance constituent
donc la trame durable des relations sociales. Cette nécessité est
bien expliquée par Durkheim [1893] dans le passage suivant
extrait de De la division du travail social :

«  Si l’intérêt rapproche les hommes, ce n’est jamais que pour


quelques instants  ; il ne peut créer entre eux qu’un lien
extérieur. Dans le fait de l’échange, les divers agents restent en
dehors les uns des autres, et l’opération terminée, chacun se
retrouve et se reprend tout entier. Les consciences ne sont que
superficiellement en contact  ; ni elles ne se pénètrent ni elles
n’adhèrent fortement les unes aux autres. Si même on regarde
au fond des choses, on verra que toute harmonie d’intérêts
recèle un conflit latent ou simplement ajourné. Car, là où
l’intérêt règne seul, comme rien ne vient refréner les égoïsmes
en présence, chaque moi se trouve vis-à-vis de l’autre sur le
pied de guerre et toute trêve à cet éternel antagonisme ne
saurait être de longue durée. L’intérêt est, en effet, ce qu’il y a
de moins constant au monde. Aujourd’hui, il m’est utile de
m’unir à vous  ; demain, la même raison fera de moi votre
ennemi. Une telle cause ne peut donc donner naissance qu’à
des rapprochements passagers et à des associations d’un jour. »

En somme, au regard des moyens politiques et économiques


susceptibles de faire positivement interagir les êtres humains
— l’exercice de la force brute, et la poursuite par chacun de son
intérêt individuel chère à Adam Smith  —, la confiance paraît
très supérieure  : fondée sur le consentement, elle respecte les
libertés individuelles et met en jeu des sentiments à la fois plus
élevés, mais surtout moins volatils et plus durables que
l’égoïsme. Elle repose sur la liberté, mais elle l’encadre. Elle
n’ignore pas l’intérêt individuel, mais l’élargit à celui de l’autre.
Elle peut maîtriser et canaliser les libres passions humaines
parce qu’elle se présente elle-même sous les traits d’une
passion raisonnée nourrie de l’expérience. Comme le dit
Durkheim : « C’est donc à tort qu’on oppose la société qui dérive
de la communauté des croyances à celle qui a pour base la
coopération, en n’accordant qu’à la première un caractère
moral, et en ne voyant dans la seconde qu’un groupement
économique.  » En réalité, la coopération a, elle aussi, sa
« moralité intrinsèque » : la confiance.

Dans sa forme la plus restreinte, la confiance interpersonnelle


se limite aux liens du sang, puis de la tribu, du clan, du groupe,
de la communauté. Mais les nécessités de la coopération sociale
s’imposent progressivement à l’individu des sociétés modernes
et anonymes, qui doit tisser avec d’autres que les siens, et qu’il
ne connaît pas, des liens de confiance en vue d’interactions
nécessaires à la satisfaction de ses besoins et à la poursuite de
ses désirs. Comme l’écrit Adam Smith dans Recherches sur la
nature et les causes de la richesse des nations [1776]  : «  Dans
une société civilisée, [l’homme] a besoin à tout moment de
l’assistance et du concours d’une multitude d’hommes, tandis
que toute sa vie suffirait à peine pour lui gagner l’amitié de
quelques personnes. »

D’où l’importance accordée par la recherche en économie, en


sociologie et en science politique aux relations de confiance
comme fondement et ciment des sociétés, des économies et des
démocraties. Les «  expériences de rupture  » (breaching
experiments) conduites par le sociologue américain Harold
Garfinkel [1967] montrent bien la désorganisation sociale qui
résulte de la multiplication des attitudes de méfiance, la
confiance apparaissant comme une «  condition de la stabilité
des actions concertées  ». D’où, et c’est un point fondamental,
une inéluctable crise de la confiance interpersonnelle, appelée à
s’effacer au profit de la confiance dans les institutions, qui est à
la confiance entre individus ce que le gouvernement
représentatif est à la démocratie directe  : une médiation
nécessaire qui vise à répondre à un éloignement grandissant et
à une complexité croissante. Il s’agirait selon Dunn [1988]
d’« économiser sur la confiance dans les personnes et de se fier
plutôt à des institutions politiques, sociales et économiques bien
construites ».

Le destin des sociétés modernes ouvertes au monde est en effet


de mettre aux prises en nombre croissant des individus qui ne
se connaissent pas du tout et doivent pourtant entrer en
relation au quotidien. Cette incertitude sociale s’est encore
renforcée au cours des dernières décennies avec la montée en
puissance des nouvelles technologies de l’information et de
l’économie de l’immatériel, du fait desquelles les contacts
directs entre humains sont moins fréquents et les  produits
échangés moins tangibles, alors que le rythme des transactions
ne cesse de s’accélérer. Plus encore, la transition numérique
façonne ce que l’on pourrait appeler des sociétés
d’intermittence, dans lesquelles la continuité des rapports
humains devient problématique, tant les outils dits de
communication permettent d’être là où on n’est pas, mais aussi
de ne pas être là où on est. À cette diversion technologique de
l’attention sociale s’ajoute l’accélération de la mondialisation
depuis le début des années 1990, qui met en relation des parties
à l’échange de plus en plus distantes, et plus généralement
l’expansion d’une « société du risque » dans laquelle rien n’est
plus sûr, acquis ou figé. Pour couronner le tout, une crise de la
légitimité de la science et de l’expertise fait rage : la réduction
de la complexité par la confiance dans le savant devient de
moins en moins légitime alors qu’elle n’a jamais été aussi
nécessaire.

Selon le sociologue Russell Hardin [2006], nous serions donc


naturellement entrés dans un «  âge de la défiance  »  : «  Nous
vivons dans un âge de la défiance au sens où nous interagissons
davantage… avec des gens dans lesquels nous n’avons pas
confiance (et peut-être même à l’égard desquels nous
éprouvons de la défiance) qu’avec des gens dans lesquels nous
avons confiance.  » Simmel lui-même, le père des études
sociologiques sur la confiance, ne revendique-t-il pas un « droit
de se méfier  »  ? La marche des sociétés au XXI e  siècle
supposerait donc un double mouvement  : une confiance
interpersonnelle de moins en moins nécessaire du fait de
l’édification d’institutions qui permettent justement de s’en
dispenser  ; une défiance banalisée, car justifiée par la
complexité sociale, le progrès technique et l’ouverture au
monde. La confiance n’est pas en crise, elle est en transition. Au
cœur de la coopération sociale, car elle transforme l’incertitude
en risque et accélère la réciprocité entre individus [Laurent,
2018a].

Le chassé-croisé de la confiance
interpersonnelle et de la confiance
institutionnelle
Les sociétés humaines auraient donc connu une évolution
anthropologique fondamentale qui les a menées de la confiance
interpersonnelle (la confiance qu’accorde une personne à une
autre ou à un groupe de personnes) à la confiance
institutionnelle (la confiance des personnes envers les
institutions, par exemple la police, les hôpitaux ou le
gouvernement). Il n’y aurait, dans cette perspective, ni de
raison de redouter les méfaits de la crise de la confiance
interpersonnelle ni de motif de vouloir la conjurer en
accroissant son degré parmi les individus. Mieux  : plus les
sociétés seraient avancées et moins les individus déclareraient
faire confiance aux autres, en particulier les autres lointains,
car ils n’en éprouveraient plus le besoin. L’importance accordée
aux relations de confiance interpersonnelle deviendrait dans
cette conception la marque des sociétés archaïques, l’absence
de confiance entre les personnes a  priori étant quant à elle le
signe de la modernité. Zucker [1986] montre ainsi que le
système socioéconomique américain s’est caractérisé, à la fin
du XIXe  siècle et au début du XXe, par le passage d’une société
fondée principalement sur des rapports interpersonnels de
confiance et des rapports de vis-à-vis (face to face) à une société
où ces rapports ne jouent qu’un rôle subsidiaire au regard
d’une confiance reposant surtout sur des relations
institutionnelles, en particulier dans la sphère économique.

De même Patrick Watier [2008] rappelle-t-il que la montée en


puissance du capitalisme commercial et financier en Europe à
partir du XVIe  siècle a substitué aux rapports de proximité et
aux relations de voisinage des mécanismes de réputation et de
crédit : « Des liens et des obligations sociales viennent se greffer
sur de nouvelles modalités d’échange. »

Il n’y a donc pas immuabilité des formes de confiance, mais au


contraire historicité de la confiance, ou mieux, des confiances.
La véritable question posée aux sociétés contemporaines serait
donc celle de la qualité des institutions qui se sont substitué aux
rapports interpersonnels de confiance. Et la préoccupation à
l’égard du déclin de la confiance serait en réalité le symptôme
du déclin de la fiabilité de ces institutions.

Mais on peut tout aussi bien retourner, à la lumière du présent,


ce raisonnement  : parce que les fondements sociaux de notre
monde seraient devenus plus incertains, y compris les normes
sociales telles qu’elles s’incarnent dans nos institutions, la
confiance interpersonnelle redeviendrait indispensable.
Seligman [1997] fait valoir que «  la préoccupation croissante à
l’égard [du déclin] de la confiance est une réponse au fait que,
dans la situation actuelle, nous sommes plus dépendants de la
confiance (et moins de la familiarité) pour combler les
interstices où la confiance dans l’ensemble du système n’est pas
suffisante…  ». Idée également développée par Giddens [1990]
pour qui la confiance interpersonnelle est appelée dans notre
modernité à prendre le relais d’une confiance sociale
défaillante, elle dont le socle est désormais trop instable. Un
retour à la confiance (primitive) s’avère également nécessaire si
les liens familiaux s’étiolent et les normes communautaires se
distendent à l’excès : dans les « sociétés d’individus », à l’aide de
quelle sanction d’exclusion garantir le respect de la norme
commune et comment éduquer l’individu à la réciprocité ?

Williamson [1993] donne à cette idée une traduction


économique  : du fait de l’incomplétude des contrats dans des
groupes humains où personne ne maîtrise l’ensemble des
paramètres sociaux, la confiance entre individus doit se
substituer à l’information manquante pour que puissent se
mener à bien les transactions de tout ordre. La Porta [1997]
justifie cette préoccupation par une dynamique
organisationnelle  : dans les grandes organisations, où les
individus interagissent peu fréquemment en moyenne, on ne
peut se satisfaire, pour assurer la coopération sociale, d’un
faible niveau de confiance entre eux comme on le ferait dans
les communautés étroites où les comportements sont encadrés
par une règle elle-même assise sur une sanction.

Quels que soient leur angle d’analyse et leur horizon


disciplinaire, les sciences sociales ont donc tendance à voir dans
l’apparent déclin de la confiance (entre les personnes ou dans
les institutions) un problème réel. Sans confiance, s’inquiètent-
elles, comment faire société, demeurer libre et prospérer
durablement  ? Mais cet ardent désir de confiance peut se
révéler périlleux.

Confiance instrumentalisée,
confiance embrigadée
Les travaux consacrés à la confiance par les sciences sociales
ont évolué dans le même sens que les sociétés, de la relation de
proximité au rapport impersonnel, du micro au macro,
mobilisant d’abord une approche individuelle, familiale ou
communautaire (avec les travaux de Bourdieu [1980 ; 1986] ou
Coleman [1988  ; 1990]), puis une approche sociale et
institutionnelle (avec ceux de Putnam [2000]). L’enjeu de
positionnement et de mobilité individuels (comment appartenir
à un groupe, comment servir les intérêts de l’individu par le
recours à ses ressources sociales, à son «  réseau durable de
relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance
et d’inter-reconnaissance  » selon la formule de Bourdieu
[1980] ?) s’est prolongé dans la question de l’efficacité collective
et de la cohésion sociale (comment faciliter le fonctionnement
des sociétés, des démocraties et des économies en accroissant le
degré de confiance entre leurs membres ?).

Cette ambition macrosociale est aujourd’hui la motivation


principale des études sur la confiance. Elle trouve son origine
dans l’œuvre de Georg Simmel. À ses yeux, « sans la confiance
des hommes les uns envers les autres, la société tout entière se
disloquerait —  rares en effet sont les relations uniquement
fondées sur ce que chacun sait de façon démontrable de l’autre,
et rares celles qui dureraient un tant soit peu, si la foi n’était pas
aussi forte, et souvent même plus forte que les preuves
rationnelles » [Simmel, 1900].

L’importance sociale de la confiance interpersonnelle a été


soulignée pour la première fois parmi les économistes par
Kenneth Arrow [1974], pour qui la confiance est une
«  institution invisible  » parmi d’autres «  principes d’éthique et
de moralité » qui ne transitent pas par le système de prix (et ne
peuvent donc être achetés), font difficilement l’objet d’une
contractualisation et dont la portée économique et politique est
pourtant considérable. Arrow écrit ainsi : « Il a été observé que
parmi les facteurs caractérisant les sociétés en retard de
développement économique figure le manque de confiance.
[Celui-ci] rend difficiles, voire impossibles, les entreprises de
toutes natures, et pas seulement gouvernementales, non
seulement parce que A est susceptible de trahir B mais parce
que même si A veut faire confiance à B, il sait qu’il est très peu
probable que B lui rende cette confiance. » « Il est clair, poursuit
Arrow, que cette absence de conscience sociale représente une
perte économique très concrète, de même qu’elle constitue une
entrave pour le fonctionnement du système politique.  » On
perçoit ici le glissement vers une confiance instrumentée : c’est
parce qu’elle sert une finalité économique que la confiance
serait désirable. C’est parce que son manque induit une perte
économique qu’il faudrait l’instaurer ou la restaurer.

La confiance est en effet, selon le mot de Simmel, «  une des


forces de synthèse les plus importantes au sein de la société »,
autrement dit un puissant moyen d’agrégation des volontés
individuelles, ce qui la rend d’ailleurs problématique au regard
du libre arbitre et de l’exercice de la raison.

Car, dans notre monde où la confiance est sans cesse évoquée


et invoquée, le plus souvent sans précaution, on fait volontiers
abstraction de ses côtés sombres. Or la confiance peut dériver
en crédulité ou en naïveté et condamner celui qui est sous son
empire à être continûment trahi ; elle peut être le produit et le
liant de réseaux néfastes à la collectivité, qui entendent la
mobiliser pour s’affranchir à leur profit et au détriment de tous
des règles communes (les trusts économiques ou les groupes
mafieux). Pour Charles Tilly [2005], les réseaux de confiance,
loin d’être la trame secrète des sociétés bien portantes, entrent
en conflit avec les détenteurs du pouvoir et forment autant de
zones de résistance à la règle commune (ce que Balzac donne
par exemple à voir dans L’Histoire des Treize).

Encadré 1. La « fée confiance », ou les limites de


la pensée magique

Dans une série de chroniques particulièrement inspirées


pour le New York Times en 2011 et 2012, l’économiste Paul
Krugman dénonça avec verve et précision la politique
d’austérité menée par les institutions et les gouvernements
européens. Ceux-ci, expliqua-t-il, s’en remettent à la «  fée
confiance  » (confidence fairy) pour justifier leur politique
économique néfaste : les coupes sombres dans les budgets
publics sont censées rassurer les investisseurs et les
marchés, ramener la confiance dans l’économie et
permettre ainsi une sortie de crise rapide. Le gouverneur
de la Banque centrale européenne de l’époque, Jean-Claude
Trichet, a été l’un des plus fervents croyants dans les
pouvoirs de la «  fée confiance  ».  Le résultat fut loin du
compte  : la restriction budgétaire en période de récession
conduit invariablement, selon des principes keynésiens
vieux de quatre-vingts ans, à aggraver les crises
économiques, et la crise européenne de 2009-2012 ne fit pas
exception à la règle. La confiance, autrement dit, n’est pas
un substitut à la compétence.

La «  fée confiance  » fait également beaucoup illusion en


politique. Ainsi, au plus fort de la crise démocratique des
«  gilets jaunes  » que sa politique fiscale a fait naître, le
président de la République Emmanuel Macron enjoint les
Français lors de ses vœux de fin d’année (2018) à
«  retrouver confiance en nous-mêmes et entre nous  ». Il
signe sa «  lettre aux Français  » lançant le «  grand débat
national » du début 2019 d’une formule désuète et quelque
peu mystérieuse : « En confiance. » Le programme comme
la campagne du candidat Macron ont été eux aussi
fortement imprégnés du recours à la confiance (le premier
paragraphe du programme du candidat Macron proclame
ainsi  : «  J’ai décidé de me présenter à l’élection
présidentielle car je veux redonner à chaque Française et
chaque Français confiance en eux, confiance en la France
et dans notre capacité collective à relever nos défis. Ce
faisant, nous redonnerons à l’Europe et au reste du monde
confiance en notre pays. »). Une note de l’Observatoire du
bien-être du Cepremap de juillet  2017, coécrite par un
proche du candidat Macron, fait étrangement écho à ce
positionnement politique et croit percevoir rien moins
qu’un «  choc d’optimisme  » consécutif à l’élection
présidentielle de mai  2017 pour se réjouir de ce que la
France avait «  repris des couleurs  » (note précédée d’une
autre publication qui affirmait sans détour que « la France
optimiste vote Macron »).

La « fée confiance » enchante de même la loi « pour un État


au service d’une société de confiance  », parue au Journal
officiel le 11 août 2018. Celle-ci vise en particulier à créer les
«  conditions d’une confiance retrouvée du public dans
l’administration  » et promouvoir une «  action publique
modernisée, simple et efficace  ». Son article premier
consacre à cet effet la « stratégie nationale d’orientation de
l’action publique  » pour en exclure les collectivités
territoriales, pourtant indispensables à sa mise en œuvre.
Enfin, le projet de loi «  pour une école de la confiance  »
s’inscrit dans le même registre d’invocation performative.
Son article  premier dispose ainsi que, «  par leur
engagement et leur exemplarité, les personnels de la
communauté éducative contribuent à l’établissement du
lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au
service public de l’éducation ». De manière significative, cet
article, sous couvert de confiance, vise à restreindre la
liberté d’expression et de critique des enseignant(e)s au
sein de l’Éducation nationale et ouvre la possibilité de
sanctions disciplinaires en cas de manquement à cette
nouvelle règle. Où l’on voit que l’invocation inconsidérée
de la «  fée confiance  » annonce bien souvent sa cousine
maléfique, la « sorcière défiance ».
On observe d’ailleurs que les sociétés où règnent la corruption,
le népotisme ou la fraude fiscale ne sont pas, comme on le croit
trop facilement, des sociétés de défiance et encore moins des
sociétés de défiance généralisée. Ce sont le plus souvent des
communautés humaines dans lesquelles les réseaux de
confiance interpersonnelle (que l’on mobilise en infraction aux
règles communes pour obtenir un traitement de faveur) se
substituent à la confiance dans les institutions. Ce ne sont pas
des sociétés anomiques, mais des sociétés au sein desquelles les
normes privées remplacent la norme publique. Dans son
ouvrage sur la mafia sicilienne, Diego Gambetta [1993] montre
bien que la corruption ne résulte pas d’une absence de
confiance, mais du produit d’une forte confiance intragroupe et
d’une faible confiance intergroupes. Il y a donc de bonnes et de
mauvaises confiances. Et il en existe de bons et de mauvais
usages (voir encadré 1).

La confiance, qui apparaît trompeusement comme un saint


graal de la vie collective, n’est par conséquent ni bonne en soi
ni bonne à tout faire. La confiance ne permet ni de tout
comprendre ni de tout régler dans les sociétés humaines, dont
elle n’est pas l’ultima ratio cachée ou le code secret. Seule la
confiance justifiée pour un motif équitable paraît vraiment
souhaitable (faire aveuglément confiance à un escroc
professionnel ou à un gouvernement corrompu ou
incompétent n’a rien de bénéfique  ; avoir une confiance
justifiée dans le respect par tous de la « loi du silence » n’a rien
de souhaitable).
Cet ouvrage commence par s’intéresser à la confiance comme
variable expliquée, autrement dit à ses causes (théories,
formes, mesures), puis s’attache à éclairer la confiance comme
variable explicative, en développant ce que l’on croit savoir de
ses effets (sur l’économie, mais aussi la démocratie), pour enfin
aborder la question des politiques et des idéologies de la
confiance, c’est-à-dire des usages, bons et mauvais, de cette
notion de sciences sociales qui promet beaucoup mais ne tient
que trop rarement ses engagements.

Notes du chapitre

[1] ↑  Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.


I. Les définitions de la confiance
Éloi Laurent

Ce que la confiance n’est pas : foi, as
surance, capital social

C ommençons par tenter de nous défaire de quelques faux-


amis. La confiance n’est d’abord pas la foi ou la croyance.
Le Littré nous induit à cet égard en erreur en définissant
notamment la confiance comme un « sentiment qui fait qu’on
se fie en soi-même  ». Cette fausse piste vient sans doute de
l’étymologie cum-fides par laquelle on assimile la confiance à
un échange de foi qui peut être (mal) compris comme
exprimant le rapport d’un individu à Dieu (la foi) et par
extension l’idée de croyance dans une réalité générale
(l’optimisme) ou dans ses propres capacités (l’assurance). Il y a
plus qu’une différence de degré entre la fides (la foi), d’où est
tiré «  fidèle  », et la fiducia (la confiance), d’où est issu
« fiduciaire ».

La confiance au sens propre n’est en fait possible qu’entre deux


êtres humains, éventuellement par la médiation d’une
institution et donc d’une norme sociale, mais en tout cas pas
entre un être humain et lui-même ou un être humain et une
abstraction, fût-elle de nature spirituelle. On peut avoir
confiance (ou pas) en l’Église (confiance dans les êtres humains
qui la font vivre et les principes qui guident leur action), mais
on a (ou pas) foi en Dieu. La foi s’apparente d’ailleurs à
l’abandon au moins partiel du libre arbitre, quand la confiance
suppose l’exercice de la volonté (mais pas nécessairement celui
de la raison, du jugement informé ou de la perspicacité). On
dira de même que l’on a « confiance en l’avenir », mais on veut
vraiment signifier que l’on place un espoir en lui, que l’on est
optimiste quant à la marche future des événements pour soi ou
les autres. On dira aussi que l’on a confiance en soi, mais on
veut vraiment indiquer que l’on a foi en soi, que l’on est plein
d’assurance sur sa personne et ses capacités propres à
surmonter tel obstacle ou telle difficulté.

L’usage économique le plus répandu du terme « confiance », au


sens de croyance, d’espérance ou de certitude, est donc aussi le
plus trompeur. Lorsque l’on parle de « rétablir la confiance », de
«  ramener la confiance  » ou de «  restaurer la confiance  »
(économique), on désigne deux choses différentes dont l’une
seulement correspond vraiment à l’idée de confiance. Si l’on
parle de la confiance des citoyens dans la politique économique
suivie par les autorités publiques, la fiabilité de celles-ci
s’apparente alors à leur crédibilité (on parle fréquemment de la
crédibilité d’une banque centrale), et cette acception est bien
conforme à l’idée de confiance dans les institutions. Mais si l’on
parle de la confiance économique au sens du «  climat des
affaires  » ou encore du moral des agents économiques, on
s’éloigne de la notion de confiance pour se rapprocher de celle
de foi dans l’avenir ou d’optimisme. Les deux acceptions
peuvent bien entendu être liées (si une politique économique
crédible parvient à améliorer les perspectives des ménages et
des entreprises), mais elles ne se confondent pas. L’expression
«  climat de confiance  » peut néanmoins avoir un sens  :
certaines institutions favorisent les dispositions individuelles à
la confiance.

La confiance n’est pas non plus, et même surtout pas,


synonyme de certitude, de sécurité ou de garantie.
Au contraire, elle s’apparente à une attente incertaine : on peut
être la victime d’un excès de confiance (ce que traduit
l’expression «  agir de confiance  » qui signifie que, fort d’une
certitude trompeuse, on agit sans évaluer son degré de
vulnérabilité à la trahison d’autrui) et il y a toujours la
possibilité de voir la confiance placée en une personne ou une
institution déçue ou trahie. Pour Simmel [1908], la confiance est
une «  hypothèse sur une conduite future  »… «  Elle est un état
intermédiaire entre le savoir et le non-savoir sur autrui. Celui
qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance. Celui qui ne sait
rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance.  » On
pourrait donc interpréter la confiance à la lumière de la
distinction établie par Franck Knight [1921] entre incertitude et
risque : la confiance suppose un contexte de risque, mais dans
un contexte d’incertitude elle devient inutile, faute
d’information suffisante (ce que traduit l’expression, utilisée en
statistique, d’«  intervalle de confiance  » qui sert à évaluer la
fiabilité d’un paramètre calculé). Pour Luhmann [1979  ; 2006],
la confiance se comprend bien comme un mélange «  de
connaissances et d’ignorance  ». Le sociologue allemand a
d’ailleurs proposé [Luhmann, 1988] de distinguer le terme
anglais confidence et celui de trust, le premier désignant selon
lui une forme de croyance assurée rendue nécessaire par la vie
courante (comme la confiance «  ordinaire  » accordée à la
fiabilité des freins de sa voiture, qui n’est autre que la confiance
accordée au fabricant de la voiture ou à son garagiste), tandis
que le second est un pari volontaire et risqué sur le
comportement d’un autre dans une situation particulière, et
s’apparente donc à la véritable confiance. On parle aussi pour
distinguer ces deux niveaux, respectivement, de confiance
assurée et de confiance décidée.

La confiance, enfin, n’est pas le «  capital social  » (sur ce sujet


plus large et tout aussi problématique, voir la très bonne
synthèse de Sophie Ponthieux [2006]). Le politologue de
Harvard Robert Putnam [2007] définit le «  capital social  »
comme «  les traits de la vie sociale —  réseaux, normes et
confiance — qui facilitent la coopération et la coordination pour
un bénéfice mutuel  » ou, plus précisément, comme «  les
réseaux qui relient entre eux les membres d’une société et les
normes de réciprocité et de confiance qui en découlent ». Pour
Coleman [1990], la confiance est ainsi la forme la plus
importante du capital social encastré dans les relations entre
individus, mais elle ne se confond pas avec lui.

Les indicateurs de capital social mêlent en effet les mesures de


la confiance et celles de l’intensité et de la richesse de la vie
sociale et civique (participation à la vie publique,
associative,  etc.). Parmi les indicateurs de capital social utilisés
par Putnam dans ses travaux, on trouve la confiance dans le
gouvernement local, la confiance dans les responsables
politiques locaux et dans la presse locale, mais aussi la
participation aux scrutins politiques, l’engagement dans les
activités de la communauté, la participation financière aux
œuvres de charité, le nombre d’amis et de confidents,  etc. On
peut vouloir mesurer le degré de corrélation, voire de causalité
entre intensité de la vie sociale et degré de confiance,
autrement dit entre les différentes composantes du capital
social, mais il importe de ne pas confondre confiance et capital
social. Leur distinction se révèle en particulier utile si les
réseaux de sociabilité sont denses, mais se trouvent paralysés
par l’absence de confiance. Elle est aussi précieuse pour évaluer
empiriquement le degré de contradiction entre les trois
dimensions du capital social selon Putnam  : les normes, les
réseaux et la confiance (sur cette contradiction, qui dément le
caractère «  unitaire  » du concept de capital social postulé par
Putnam, voir par exemple Bjørnskov [2006a]).

De quoi la confiance est-elle faite ?

Qu’est-ce alors que la confiance  ? Selon l’encyclopédie de


philosophie en ligne de l’université de Stanford [McLeod, 2011],
la confiance est une « attitude à l’égard d’autres personnes dont
nous espérons qu’elles se révéleront fiables  ». Pour l’Oxford
English Dictionary, qui se présente lui-même comme le
«  dictionnaire le plus digne de confiance au monde  », la
confiance est l’«  espoir d’un individu ou d’un groupe que la
parole, promesse, engagement écrit ou oral d’un autre individu
ou groupe sera tenu ».

L’élément décisif qui apparaît clairement dans ces définitions


génériques est l’état d’incertitude, et même de vulnérabilité de
celui ou celle qui accorde sa confiance, qui ne peut qu’espérer
qu’il ou elle ne s’est pas trompé(e) ou laissé(e) abuser par celui
ou celle à qui la confiance a été accordée. Mayer et al. [1995]
définissent d’ailleurs la confiance comme la «  volonté de se
rendre vulnérable à l’égard d’un partenaire alors que ce
partenaire ne peut être contrôlé ou surveillé ».

C’est justement pourquoi il importe de bien réfléchir avant


d’accorder sa confiance et éventuellement de s’assurer qu’elle
ne sera pas trahie en insinuant chez le dépositaire de celle-ci la
crainte d’une sanction en cas de manquement à la parole
donnée (Ronald Reagan suggéra en plaisantant à demi comme
méthode de négociation de désarmement nucléaire avec
l’Union soviétique la devise suivante  : «  Faire confiance… et
vérifier », Trust and verify).

Calcul, confiance et défiance se trouvent dès lors étroitement


mêlés chez celui qui donne sa confiance (en anglais, le trustor),
comme le note Usunier [1998] :
«  La confiance est intimement liée à l’idée de vulnérabilité, ce
qui n’empêche pas qu’en ayant conscience de cette
vulnérabilité le trustor prenne (souvent discrètement, mais pas
toujours) des mesures de contrôle de l’opportunisme du
partenaire. Le corollaire est que la prise de risque et l’aspect
calculatoire occupent une place centrale dans la confiance… Le
fait que la confiance consiste précisément à accepter cette
vulnérabilité (sous forme d’une décision de l’ordre du trust)
n’implique en aucune manière la disparition complète de
sentiments de défiance… De ce fait, confiance et défiance sont
inséparables. »

L’économiste Partha Dasgupta [1988] exprime une idée proche


lorsqu’il souligne que celui qui fait confiance (que l’on pourrait
appeler en français le mandant ou le confiant) est vulnérable à
l’action du dépositaire ou du mandataire de la confiance car il
ne peut totalement contrôler le comportement de ce dernier : le
dépositaire de la confiance conserve la liberté d’agir d’une
façon qui peut nuire aux intérêts du mandant. Il y a là une
proximité évidente avec le modèle économique de l’agence et
son mécanisme de la délégation, par lequel un principal se rend
tributaire des actions d’un agent dont il ne peut que dans une
certaine mesure maîtriser les incitations mais jamais
directement les choix.

Louis Quéré [2010] propose lui aussi une analyse voisine : « On
ne peut parler de confiance que là où il y a un engagement
personnel en faveur de quelqu’un à qui l’on s’en remet du soin
de quelque chose à quoi l’on tient, en lui concédant un pouvoir
quasi discrétionnaire, sans craindre qu’il n’exploite la
vulnérabilité ainsi créée en sa faveur.  » Faire confiance, c’est
avoir des raisons de ne pas redouter la possible trahison
d’autrui (l’affirmation « Je te fais confiance ! » souligne tout à la
fois la croyance dans le respect de la parole donnée et le rappel
du prix attaché au fait de la trahir). Deux notions juridiques
permettent de bien mettre en lumière la relation
mandant/mandataire et la notion afférente de vulnérabilité
dans la relation de confiance  : l’abus de confiance sanctionné
par le code pénal (voir encadré  2) et la «  personne de
confiance  » prévue par le code de la santé publique (voir
encadré 3).

Encadré  2. L’abus de confiance dans le code


pénal français

Article 314-1

(ordonnance nº  2000-916 du 19  septembre 2000, art. 3


Journal officiel du 22  septembre 2000, en vigueur le
1er janvier 2002)

L’abus de confiance est le fait par une personne de


détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou
un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a
acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en
faire un usage déterminé. L’abus de confiance est puni de
trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.
 

Article 314-2

(ordonnance nº  2000-916 du 19  septembre 2000, art. 3


Journal officiel du 22  septembre 2000, en vigueur le
1er  janvier 2002)  ; (loi nº  2004-204 du 9  mars 2004, art.  51
Journal officiel du 10 mars 2004)

Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à


750  000  euros d’amende lorsque l’abus de confiance est
réalisé :

1.  Par une personne qui fait appel au public afin


d’obtenir la remise de fonds ou de valeurs soit pour
son propre compte, soit comme dirigeant ou préposé
de droit ou de fait d’une entreprise industrielle ou
commerciale ;

2. Par toute autre personne qui, de manière habituelle,


se livre ou prête son concours, même à titre accessoire,
à des opérations portant sur les biens des tiers pour le
compte desquels elle recouvre des fonds ou des
valeurs ;

3.  Au préjudice d’une association qui fait appel au


public en vue de la collecte de fonds à des fins
d’entraide humanitaire ou sociale ;

4.  Au préjudice d’une personne dont la particulière


vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une
infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à
un état de grossesse, est apparente ou connue de son
auteur.

Article 314-3

(ordonnance nº  2000-916 du 19  septembre 2000, art. 3


Journal officiel du 22  septembre 2000, en vigueur le
1er janvier 2002)

Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à


1  500  000  euros d’amende lorsque l’abus de confiance est
réalisé par un mandataire de justice ou par un officier
public ou ministériel soit dans l’exercice ou à l’occasion de
l’exercice de ses fonctions, soit en raison de sa qualité.

Quéré [2005] souligne qu’il existe deux types de dispositifs pour


protéger un mandant par nature vulnérable : les « dispositifs de
jugement  » (l’individu va tenter de réduire l’incertitude
entourant la relation de confiance au moyen de
l’approfondissement de ses connaissances sur son partenaire à
l’échange) et les «  dispositifs de promesse  » (c’est-à-dire les
règles, au besoin juridiques, qui encadrent les échanges
interpersonnels de confiance, une «  charte de confiance  »
renvoyant à ce second type de dispositifs). Gambetta et Hamill
[2005] ont montré comment, dans un contexte social
dangereux, les chauffeurs de taxi des villes de Belfast et de New
York tentent, par un dispositif de jugement, de rassembler
rapidement des informations sur le degré de fiabilité de leurs
clients pour tenter d’évaluer le risque physique et/ou la perte
financière éventuels qu’ils encourent s’ils acceptent de les
prendre en voiture. La confiance interpersonnelle se trouve
donc encadrée par un ensemble d’institutions sociales. Ces
« dispositifs de confiance » [Karpik, 1996] jouent cependant un
rôle ambigu  : ils favorisent la confiance entre les personnes,
mais, s’ils remplissent leur fonction à la perfection, ils doivent
pouvoir permettre de s’en dispenser complètement (cette
ambiguïté se retrouve dans l’expression désabusée «  La
confiance règne ! », qui signifie justement que, comme celle-ci
ne prévaut pas, il est préférable de s’assurer de la fiabilité de
l’autre par des moyens qui peuvent être ressentis par lui
comme désagréables).

Encadré 3. La « personne de confiance » dans le


code de la santé publique

Article L. 1111-6

(modifié par la loi nº  2005-370 du 22  avril 2005, art. 10


Journal officiel du 23 avril 2005)

Toute personne majeure peut désigner une personne de


confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin
traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait
hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir
l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est
faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le
malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne
dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin
de l’aider dans ses décisions.

Lors de toute hospitalisation dans un établissement de


santé, il est proposé au malade de désigner une personne
de confiance dans les conditions prévues à l’alinéa
précédent. Cette désignation est valable pour la durée de
l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose
autrement.

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas


lorsqu’une mesure de tutelle est ordonnée. Toutefois, le
juge des tutelles peut, dans cette hypothèse, soit confirmer
la mission de la personne de confiance antérieurement
désignée, soit révoquer la désignation de celle-ci.

Reprenons pour clore cette première approche notre définition


de l’introduction  : la confiance est une espérance de fiabilité
dans les conduites humaines, qui suppose un rapport à un autre
être humain (rapport qui peut être médiatisé par une norme
collective éventuellement incarnée dans une institution, auquel
cas la confiance repose sur le respect de cette norme), dans le
cadre d’une situation incertaine (qui inclut la possibilité de voir
la confiance accordée trahie, celui qui prend ce risque se
plaçant en position de vulnérabilité), dans un but et un contexte
précis (on ne peut faire confiance à tous, à tout propos et à tout
moment), cette espérance de fiabilité étant le fruit d’une
volonté individuelle (accorder sa confiance est un choix
personnel, même s’il est souvent influencé par un contexte
social).

Précisons que, comme le soulignent de nombreux auteurs, et


notamment ceux qui ont été engagés dans le programme
d’étude de la confiance au sein de la Russell Sage Foundation
(1995-2005), le contraire de la confiance n’est pas la défiance ou
la méfiance  : c’est l’absence de confiance. On peut donc
éprouver à l’endroit d’une personne ou d’une institution trois et
même quatre sentiments distincts  : la confiance, l’absence de
confiance et la méfiance ou la défiance. On se méfiera plutôt
d’une personne et on se défiera plutôt d’une institution, mais le
Littré donne une définition plus subtile de la différence, de
degré et non de nature, entre méfiance et défiance  : «  La
méfiance fait qu’on ne se fie pas du tout ; la défiance fait qu’on
ne se fie qu’avec précaution. Le défiant craint d’être trompé ; le
méfiant croit qu’il sera trompé. La méfiance ne permettrait pas
à un homme de confier ses affaires à qui que ce soit  ; la
défiance peut lui faire faire un bon choix.  » Mais comment,
alors, la confiance entre individus peut-elle se former ?
II. Les théories de la confiance
Éloi Laurent

« Main invisible » et « bras


invisible »

L e scepticisme bienveillant de Robert Solow [1995] illustre la


position traditionnelle de l’économiste à l’égard du concept
de confiance : intrigué, mais pas convaincu. Solow doute ainsi à
haute voix de la robustesse théorique de cette notion  : la
confiance ne serait-elle qu’une métaphore conceptuelle qui
évoque sur un mode vague et prêtant à confusion des
instruments théoriques bien définis qui existent déjà, en
particulier dans la discipline économique ?

Et si, à rebours de ce paternalisme disciplinaire, les relations de


confiance déterminaient les échanges économiques  ? Une
question se trouve en effet très directement adressée à la
théorie économique examinée à l’aune de la confiance  : les
relations économiques sont-elles de second ordre par rapport
aux relations de confiance  ? La confiance n’est-elle pas la
condition préalable à toute forme de coopération sociale,
ensemble général dont l’échange économique n’est qu’une
application particulière  ? La relation de confiance non
seulement précéderait, mais déterminerait la possibilité même
de l’échange économique : après tout, la paralysie des marchés
interbancaires, englués dans la défiance interbancaire
généralisée à l’automne 2008, n’a-t-elle pas entravé pendant de
longues semaines toute action effective de la politique
monétaire sur la sphère réelle de l’économie, faute de « canaux
de transmission  » efficaces  ? Sans confiance, point d’échange
économique, semble-t-il.

Partons de la transaction économique telle que décrite par


Adam Smith [1776] dans un des passages les mieux connus de
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations :
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de
bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais
bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts.  » La raillerie de
Smith à l’endroit de la «  bienveillance  » a pour pendant sa
consécration des «  intérêts  » et pourrait faire oublier la
condition implicite de l’échange  : nous «  attendons  » de nos
coéchangistes en régime d’économie de marché, ici les
commerçants, qu’ils « apportent » du « soin » « à leurs intérêts ».
Si le doute s’installe et que nous nous persuadons qu’un
commerçant n’a pas de considération pour son propre intérêt,
alors le fait qu’il le poursuive bel et bien dans la réalité ne
pourra empêcher la suspension, voire l’annulation de l’échange
économique. Le « penchant naturel » des humains à « trafiquer,
troquer, échanger  », dont parle Smith dès les premières pages
de Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
nations, et qui sous-tend dans son esprit la division du travail
des sociétés libérales, suppose un accord préalable et tacite dont
l’échange est la conséquence et non la cause.

L’économie de marché présuppose donc une confiance


réciproque entre individus, qui s’incarne notamment dans
l’usage de la monnaie, mais qui est quasi invisible en dehors des
crises économiques. C’est à l’occasion de ces crises que le
réseau sous-jacent de relations interpersonnelles de confiance
devient apparent dans les économies de marché. Si le rôle de la
confiance paraît simultanément et paradoxalement sous-
estimé et exagéré dans l’économie, c’est que la confiance
demeure insaisissable quand elle existe et signale de manière
spectaculaire son importance à l’occasion de sa disparition.

Smith décrit donc une transaction économique qui a


l’apparence d’un échange d’égoïsmes ou d’intérêts calculés bien
compris, mais qui repose en fait sur le pari incertain de la
confiance interpersonnelle. Il y aurait en somme, guidant en
surplomb la «  main invisible  » agençant les intérêts privés, un
« bras invisible » qui ne serait autre que la confiance mutuelle
dans la capacité et la volonté des parties à l’échange de veiller à
leurs propres intérêts, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions.
Que cette confiance soit trahie, et c’est le système économique
dans son ensemble qui vacille  : au plus fort de la crise
financière globale qui a précédé la «  Grande Récession  », le
23  octobre 2008, l’ancien gouverneur de la Réserve fédérale
Alan Greenspan expliquait ainsi lors d’une audition devant le
Congrès américain : « Ceux d’entre nous qui croyaient, comme
moi, que les institutions financières avaient un intérêt propre à
protéger la valeur des titres de leurs actionnaires sont dans un
état de choc et d’incrédulité. »

Un autre grand classique de l’économie politique fait, cette fois


explicitement, intervenir la confiance. Dans la Théorie générale
de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Keynes [1936] fait
référence à l’importance de la confiance dans le système
économique dès la préface pour y revenir abondamment aux
livres  IV, V et  VI et souligner en passant que la plupart des
économistes la négligent.

« L’état de la confiance, comme disent les hommes d’affaires, est


une chose à laquelle ils prêtent toujours l’attention la plus
stricte et la plus vigilante. Mais les économistes ne l’ont pas
analysée avec soin et se sont contentés le plus souvent d’en
disputer en termes généraux. En particulier, ils n’ont pas
clairement indiqué que son importance dans les problèmes
économiques vient de l’influence considérable qu’elle exerce
sur la courbe de l’efficacité marginale du capital. L’état de la
confiance et la courbe de l’efficacité marginale du capital ne
sont pas deux facteurs distincts, agissant séparément sur le flux
d’investissement. L’état de la confiance intervient parce qu’il est
un des facteurs principaux qui gouvernent cette courbe,
laquelle est la même que la courbe de la demande de capital. »

Dissimulée derrière l’acte économique par excellence,


l’investissement, la confiance serait donc la clé de voûte du
système de production, de consommation et d’échange.
Pourtant, une des théories contemporaines les plus influentes
de la confiance, celle de l’« intérêt incorporé » ou de l’« intérêt
enchâssé  » (encapsulated interest), bien que formulée par un
sociologue [Hardin, 2006], met l’accent sur l’échange d’intérêts
qu’elle implique et semble redonner la main à une approche
étroitement économique de la confiance.

La confiance calculée

Pour Hardin [2004], en effet, je te fais confiance parce que je


crois qu’il est dans ton intérêt sur une question donnée de
prendre en compte mes intérêts dans ton action : parce que tu
attaches du prix à la poursuite de notre relation, tu auras à
cœur tes propres intérêts lorsque tu prendras en compte les
miens. La philosophie qui sous-tend cette formulation du
problème de la confiance paraît faire écho à celle qu’exprime
Smith, dans les lignes qui précèdent immédiatement le célèbre
passage de Recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations cité supra  : «  L’homme a presque continuellement
besoin du secours de ses semblables, et c’est en vain qu’il
l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de
réussir, s’il s’adresse à leur intérêt personnel et s’il leur
persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce
qu’il souhaite d’eux. C’est ce que fait celui qui propose à un
autre un marché quelconque  ; le sens de sa proposition est
ceci : “Donnez-moi ce dont j’ai besoin, et vous aurez de moi ce
dont vous avez besoin vous-même.” »
On passe dans l’approche de Hardin de la question de la
confiance (trust) à celle de la fiabilité (trustworthiness). En effet,
comme l’écrit Quéré [2005] : « Si faire confiance c’est croire que
quelqu’un est digne de confiance et agir en conséquence, parce
que l’on connaît ses intérêts et que l’on sait ce qui le motivera à
se montrer digne de confiance ou à être loyal… il faut pouvoir
être en mesure d’évaluer la fiabilité (trustworthiness) et les
chances de loyauté de la personne, de se faire une idée de sa
manière habituelle de faire face à ses engagements, et  de
connaître ses motivations et ses intérêts.  » Pour Hardin, le
déclin de la confiance ne serait en réalité que le déclin de la
fiabilité  : c’est parce que les individus observeraient autour
d’eux le déclin de la fiabilité qu’ils n’accorderaient plus leur
confiance. Cette confiance peut en outre, comme c’est souvent
le cas en pratique, être mutuelle ou réciproque. Selon Coleman
[1990], une relation de confiance réciproque se renforce
mutuellement pour chaque partie, car chaque partie a une
incitation propre à être fiable.

La confiance n’est donc rien d’autre dans la théorie de Hardin


qu’un échange d’intérêts bien compris. Pour Diego Gambetta
également [1988], pourtant lui aussi sociologue, la confiance se
conçoit justement dans le champ de la théorie du choix
rationnel  : «  Quand nous disons que nous faisons confiance à
quelqu’un, ou que quelqu’un est digne de confiance, nous
voulons dire implicitement que la probabilité qu’il réalise une
action en notre faveur plutôt qu’à notre détriment est assez
élevée pour que nous nous engagions dans une coopération
avec lui » [cité par Quéré, 2010].
Williamson [1993], qui préfère invoquer au sujet de la confiance
interpersonnelle une «  confiance stratégique  » ou «  confiance
calculée  » (calculative trust), la rabat lui aussi sur l’échange et
donc la théorie économique. Il va d’ailleurs jusqu’à dénier tout
intérêt à l’étude de la confiance en économie  : la propriété
calculatoire (calculativeness) étant à ses yeux la condition
générale de l’approche économique et même le vecteur de
cette approche dans les sciences sociales, l’idée de «  confiance
calculatoire  » lui apparaît comme une «  contradiction dans les
termes  » qui «  n’apporte rien  ». Mieux vaut, pour ne pas
embrouiller les notions, s’en tenir à la propriété calculatoire de
l’économie pour décrire des relations qui dépendent d’un calcul
stratégique et réserver la notion de (véritable) confiance aux
relations humaines économiquement désintéressées comme
l’amour ou l’amitié.

Et, pourtant, la confiance stratégique, à la Hardin, paraît bien


avoir un sens. Elle est à la fois rationnelle (elle dépend d’un
calcul et du savoir que l’on croit détenir sur la fiabilité de
l’autre, savoir qui peut bien entendu se révéler faux, il ne s’agit
donc pas d’une «  confiance aveugle  », mais d’une confiance
scrutatrice) et relationnelle (elle suppose un autre bien identifié
en qui croire ou pas). Le rôle de la confiance dans l’économie
est alors identifié à l’économie de la confiance  : loin de sous-
tendre le jeu des intérêts privés en présidant à l’échange, les
relations de confiance procèdent en fait entièrement de lui.

Dans sa tentative de démystifier la confiance pour la réduire à


un supplément d’âme social, Williamson invite à une démarche
plus large que le cadre d’analyse microéconomique. La théorie
des jeux nous enseigne en effet à quel point le contexte
institutionnel, et en particulier l’horizon temporel, importe
pour les décisions des agents économiques. Il nous faut donc
quitter les rivages trop paisibles du choix rationnel pour
explorer les théories de la confiance encastrée.

La confiance encastrée

La relation de confiance interpersonnelle recèle au moins trois


dimensions sociales : le comportement individuel peut être non
rationnel (au sens de la théorie économique standard) et
motivé par des considérations morales ou culturelles qui vont
bien au-delà du seul calcul économique et de l’intérêt personnel
étroit ; ensuite, le calcul interpersonnel de confiance est enserré
dans un réseau de relations sociales qui l’influencent, voire le
déterminent  ; enfin, le résultat de la relation de confiance
interpersonnelle peut avoir une répercussion pour la société
dans son ensemble et acquiert par là une valeur sociale.

D’abord, la confiance peut être accordée de manière


irrationnelle. Pour Simmel, celle-ci va bien au-delà d’un calcul
froid et intéressé : c’est un acte de foi dans l’autre qui mobilise
toute la gamme des émotions humaines.

On peut remonter pour mieux le comprendre au premier


Adam Smith, celui de The Theory of Moral Sentiments [1759], qui
défend la centralité du concept de «  sympathie  »  : «  L’intérêt
propre n’est pas le seul principe qui gouverne les hommes — il
y en a d’autres tels que la pitié ou la compassion par lesquels
nous sommes sensibles aux malheurs d’autrui. » À vrai dire, la
seule comptabilité des intérêts peut conduire à  une situation
interpersonnelle diamétralement opposée à la relation de
confiance, comme l’illustre cette parabole imaginée par Sen
[1977]  : «  “Pouvez-vous m’indiquer la gare  ?”, demanda
l’étranger à l’habitant du cru. “Certainement”, répondit celui-ci
en lui montrant la direction opposée vers la poste. “Auriez-vous
l’obligeance de poster pour moi cette lettre au passage ?” “Avec
plaisir”, répondit l’étranger en s’imaginant qu’il pourrait ouvrir
la lettre pour en dérober le contenu.  » À chaque étape de cet
échange, la quête de l’intérêt personnel contredit la relation de
confiance au lieu de la renforcer. C’est que, selon le mot de Sen
[1977], «  l’homme purement économique n’est pas loin d’être
un crétin social ».

Mais, avec sa critique du «  fou rationnel  », Sen va loin dans la


déconstruction du choix rationnel et dépasse aussi l’idée de
sympathie mise en exergue par Smith. On peut, selon Sen,
imaginer trois motivations au comportement des individus : la
première tient à l’intérêt personnel compris comme le souci de
son propre bien-être  ; la deuxième tient à la sympathie,
comprise comme l’attachement au bien-être d’au moins un
autre, motivation en apparence altruiste mais qui peut sans
peine être intégrée à une théorie rationnelle du comportement.
Seule la troisième motivation, que Sen nomme l’engagement
(commitment), échappe véritablement à la théorie du choix
rationnel  : agir selon un engagement préalable ne peut se
réduire à la rationalité économique, étroite ou élargie à la
sympathie, car l’individu qui agit de la sorte ignore les
conséquences en termes de bien-être de son action.

La relation de confiance recouvre très exactement cette


motivation du troisième type  : quelqu’un en qui un autre a
placé sa confiance agira parce qu’il s’est engagé vis-à-vis de lui,
même si un événement circonstanciel vient altérer les
conditions dans lesquelles la confiance a été initialement
accordée (ainsi d’un client de passage qui donnerait par
inadvertance à un commerçant le double de la somme de son
achat  : celui-ci est tenu de lui rendre la moitié de son argent
non pas parce qu’il y a intérêt ou que le client y a intérêt, mais
parce qu’il s’est engagé lorsqu’il a ouvert son commerce à
procéder à des transactions honnêtes avec tous ses clients quels
qu’ils soient et quelles que soient les circonstances).

Cette notion de l’engagement nous fait franchir un pas décisif


de la transaction de marché vers l’univers du don défriché par
Marcel Mauss et exploré notamment par Richard Titmuss. En
exergue de son Essai sur le don, Mauss [1923-1924] fait figurer
«  quelques strophes de l’Havamál, l’un des vieux poèmes de
l’Edda scandinave », parmi lesquelles celle-ci :

44 Tu le sais, si tu as un ami

 en qui tu as confiance

 et si tu veux obtenir un bon résultat,


 il faut mêler ton âme à la sienne

 et échanger les cadeaux

 et lui rendre souvent visite.

Dans son analyse du don et du contre-don, Mauss met en effet


en lumière la confiance primale, ou primordiale, celle qui
décide de la paix ou de la guerre entre les hommes. Cette
confiance première ne connaît ni mesure ni degré, elle est
confiance totale ou défiance totale :

«  Pendant tout un temps considérable et dans un nombre


considérable de sociétés, les hommes se sont abordés dans un
curieux état d’esprit, de crainte et d’hostilité exagérées et de
générosité également exagérée, mais qui ne sont folles qu’à nos
yeux. Dans toutes les sociétés qui nous ont précédés
immédiatement et encore nous entourent, et même dans de
nombreux usages de notre moralité populaire, il n’y a pas de
milieu  : se confier entièrement ou se défier entièrement,
déposer ses armes et renoncer à sa magie, ou donner tout
depuis l’hospitalité fugace jusqu’aux filles et aux biens. C’est
dans des états de ce genre que les hommes ont renoncé à leur
quant-à-soi et ont su s’engager à donner et à rendre. C’est qu’ils
n’avaient pas le choix. Deux groupes d’hommes qui se
rencontrent ne peuvent que  : ou s’écarter —  et, s’ils se
marquent une méfiance ou se lancent un défi, se battre  — ou
bien traiter. »
On retrouve ici l’idée d’une relation de confiance antérieure et
sous-jacente aux transactions économiques, consubstantielle de
l’idée de paix civile sans laquelle l’économie de marché ne peut
exister.

La deuxième dimension sociale de la confiance a trait à


l’encastrement de celle-ci dans le réseau des relations sociales.
Coleman [1988] souligne que le capital social dépend largement
de la force des sanctions sociales que doivent subir ceux qui ne
jouent pas le jeu collectif  : le bénéfice immédiat inhérent à sa
transgression, par un comportement de « passager clandestin »,
doit apparaître comme relativement réduit par rapport à son
coût à moyen ou long terme. Ce coût réside plus
particulièrement dans le risque d’exclusion du groupe que
prend celui qui adopte un tel comportement. Granovetter
[1992] a identifié deux aspects de cet encastrement social de la
confiance. Ce qu’il appelle l’«  encastrement relationnel  » fait
référence à l’histoire des relations interpersonnelles qui
déterminera les attentes des parties à l’échange, ce qu’elles
considèrent comme raisonnables d’attendre de l’autre en
termes de buts et de moyens.

La confiance est donc peut-être un calcul, mais ce calcul n’est


pas spontané ou détaché de l’histoire des interactions passées
entre participants. L’« encastrement structurel » enserre quant à
lui encore plus explicitement les relations de confiance par la
création et la diffusion de valeurs et de normes qui améliorent
(ou au contraire dégradent) la coordination entre les parties à
l’échange en rendant publiques des informations sur leurs
comportements (par exemple sur le comportement des
employeurs de telle branche industrielle dans les négociations
collectives salariales).

Rothstein [2005] montre, dans la même veine, que le contexte


institutionnel influence la confiance interpersonnelle  : certes,
elle s’établit entre deux individus, mais des forces qui les
dépassent ont inévitablement un impact sur leur relation
particulière. Le climat politique contribue ainsi à faire de la
confiance un sentiment justifié ou injustifié. Dans les sociétés
démocratiques, les gens peuvent avoir confiance les uns dans
les autres plus souvent que dans d’autres types de régimes
politiques, en particulier les régimes autoritaires ou totalitaires,
dans lesquels il est insensé pour les gouvernés de faire
confiance aux gouvernants, mais aussi de se faire confiance
entre eux dès lors qu’ils ne sont pas maîtres de leur liberté. Les
individus peuvent alors tomber dans des «  pièges sociaux  »
(social traps) dans lesquels la coopération sociale serait
bénéfique pour tous, mais ne peut advenir du fait du manque
de confiance entre les membres de la société. La défiance
entretient le mal-être social qui justifie en retour la défiance (en
lieu et place du «  climat de confiance  » qui favorise des
interactions sociales bénéfiques répétées).

Pour Eric Uslaner [2002], au-delà du régime politique, c’est le


contexte culturel qui est déterminant pour l’établissement des
relations de confiance. La confiance n’est pas «  stratégique  »  :
elle est de nature morale, et, qui plus est, elle est héritée et
transmise par la famille et la socialisation, et non acquise au
moyen de l’expérience individuelle. La confiance apparaît ici
comme un patrimoine social. Cette «  confiance-moralité  »
d’Uslaner (moralistic trust) consiste non pas à s’engager dans un
calcul stratégique fondé sur la fiabilité et le jeu des intérêts
personnels, mais à traiter les autres comme s’ils étaient tous
fiables, non pas spontanément mais par réflexe culturel
[Uslaner, 2002]. L’individu qui agit ainsi se persuade qu’une
large part de la population partage ses valeurs et fait donc partie
de sa « communauté morale ». Cette confiance en l’inconnu, en
l’anonyme, se transmettrait et s’apprendrait par l’acculturation
au sens large. Elle ne serait pas sujette à des variations brusques
liées à des trahisons ou à des déceptions ponctuelles et
demeurerait donc à peu près stable tout au long de la vie des
individus et entre générations. Cette confiance-moralité
favoriserait, selon Uslaner, la coopération sociale, et
notamment l’engagement civique et politique.

Quant à la dernière dimension, l’impact social des relations de


confiance, elle fut d’emblée soulignée par Simmel [1900] qui vit,
on l’a dit plus haut, en la confiance « une des forces de synthèse
les plus importantes au sein de la société  ». La confiance
apparaît comme une des trois «  institutions invisibles  » du
contrat social, les deux autres étant l’autorité et la légitimité,
permettant implicitement aux individus de faire société. La
fonction de la confiance dans le contrat social est double : elle
accroît la qualité du lien social (c’est ce que l’on pourrait
appeler la confiance-densité)  ; elle permet également de
projeter les relations sociales dans le temps (c’est ce que l’on
pourrait appeler la confiance-continuité). Au sujet de ce dernier
aspect, Luhmann [1979  ; 2006] insiste sur le mécanisme
fonctionnel de réduction de la complexité sociale que recèlent
les relations de confiance. Il relie ce concept à l’expérience
d’une réalité sociale dans laquelle les individus se comportent
comme si certains événements, contraires à leurs attentes,
étaient mis en suspens par le mécanisme de la confiance afin
d’assurer la continuité des relations humaines.

La confiance se présente donc comme une expérience


interindividuelle reposant en partie sur un calcul fondé sur
l’intérêt, calcul immergé dans un bain social. Il existe différents
chemins théoriques vers la compréhension des relations
interpersonnelles de confiance, où l’économie et la sociologie
s’entremêlent subtilement. Il est donc tentant de définir un
rapport de confiance comme une relation à deux ouverte aux
autres. Une fois les théories de la confiance éclairées, quelles
formes la confiance peut-elle prendre ?
III. Les formes de la confiance
Éloi Laurent

O n a jusqu’à présent évoqué la confiance, mais il serait sans


doute plus judicieux de parler de confiances, tant il est vrai
que, comme le remarque Levi [1998] : « La confiance n’est pas
une et n’a pas qu’une source  : elle prend diverses formes et a
différentes causes.  » Il importe d’autant plus de distinguer de
« vraies » confiances (confiance entre les personnes, confiance
dans les institutions), de «  fausses  » confiances (confiance en
soi, confiance dans l’avenir) et une « vraie-fausse » confiance (la
« confiance généralisée »).

Les fausses confiances

Les « fausses confiances » d’abord : les notions de « confiance en


l’avenir  » et de «  confiance en soi  » peuvent être considérées
comme trompeuses. La première arrache la confiance à son
cadre pratique — celui des relations humaines — pour la noyer
dans des abstractions ou des généralités très éloignées de
l’expérience sociale concrète. La seconde rabat la confiance sur
l’expérience solitaire alors que celle-ci n’a de sens que dans un
contexte interindividuel.

La «  confiance dans l’avenir  » fait l’objet d’une attention


particulière du fait de son lien avec l’activité économique. Elle a
été à la fois théorisée par la science économique (depuis Keynes
et ses «  esprits animaux  » jusqu’à l’ouvrage récent de George
Akerlof et Robert Shiller [2009]) et elle est constamment
mesurée par de nombreuses enquêtes qui servent de référence
aux prévisions économiques. Dans le cadre de son enquête de
conjoncture auprès des ménages, l’Insee calcule et publie par
exemple un indicateur synthétique dit de «  confiance des
ménages » (voir encadré 4), des données équivalentes existant
pour les entreprises («  indicateur synthétique du climat des
affaires  », «  solde d’opinions des industriels  »). La Commission
européenne calcule elle aussi un indicateur dit de «  confiance
du consommateur » et, aux États-Unis, l’université du Michigan
publie en partenariat avec l’agence Reuters un «  indice de
sentiment des consommateurs  » américains parfois appelé
« indice de confiance des consommateurs » américains.

Encadré  4. L’indicateur de «  confiance des


ménages » de l’Insee

L’enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages

« L’Insee réalise depuis janvier 1987 l’enquête mensuelle de


conjoncture auprès des ménages [qui] permet l’étude de
l’opinion qu’ont les ménages sur leur environnement
économique et sur certains aspects de leur situation
économique personnelle. Elle fournit des informations sur
le comportement des consommateurs, ainsi que sur leurs
anticipations en matière de consommation et d’épargne.
Elle mesure les phénomènes conjoncturels tels qu’ils sont
perçus par les ménages indépendamment de l’élaboration
des indicateurs macroéconomiques (prix, chômage,
épargne…). Cette perception constitue un élément utile
pour établir un diagnostic conjoncturel. Les interrogations
sont faites par téléphone auprès d’environ 2 000 ménages,
avec saisie directe des informations depuis janvier  1991.
Elles ont lieu au cours des trois premières  semaines de
chaque mois. »

L’indicateur synthétique de confiance des ménages

« L’indicateur synthétique de confiance des ménages décrit,


en une variable unique, la composante commune des
soldes d’opinion sélectionnés (niveau de vie passé et futur
en France, situation financière personnelle passée et
future, perspective de chômage, opportunité de faire des
achats importants, capacité à épargner actuelle et dans les
mois à venir). Il est calculé selon la technique de l’analyse
factorielle. Cette technique, semblable à celle retenue dans
les enquêtes de conjoncture auprès des entreprises, permet
de résumer l’évolution concomitante de plusieurs variables
dont les mouvements sont très corrélés. Le résultat est une
moyenne pondérée des soldes sélectionnés. »

Graphique 1

Évolution de l’indicateur synthétique d’octobre 1972 à février 2018

Source : Enquête mensuelle de conjoncture auprès des


ménages, note méthodologique, février 2018, Insee.

L’indicateur de l’Insee de « confiance des ménages », dont on a


reproduit la méthodologie et l’évolution depuis 1972 (voir
encadré 4), donne assurément des indications intéressantes sur
ce qui est également parfois appelé le «  moral des ménages  »
(dont on observe par exemple qu’il n’a jamais été aussi bas en
quarante-cinq ans d’existence qu’en mai et juin  2013, soit
quatre ans après le début de la « Grande Récession » en France).
Cet indicateur apparaît à son tour très utile pour réaliser des
prévisions économiques (comme celles de l’Institut national de
la statistique et des études économiques —  Insee  —, de
l’Organisation de coopération et de développement
économiques —  OCDE  — ou de l’Observatoire français des
conjonctures économiques —  OFCE). Mais ce qu’il s’agit
d’étudier ici est assez éloigné de la confiance au sens où nous
l’avons définie  : on cherche à évaluer la nature des
anticipations sur le contexte économique parce que l’on pense
que ces anticipations auront elles-mêmes une influence sur le
contexte en question. Si les ménages se disent foncièrement
pessimistes sur leur avenir économique, il y a fort à parier
qu’ils réduiront leur niveau de consommation, ce qui peut
déprimer la demande intérieure.

On touche alors à la question de l’influence de la psychologie


individuelle et collective sur l’activité économique et en
particulier de la construction plus ou moins rationnelle de
l’information économique par les individus. La théorie dite
«  béhavioriste  » souligne à cet égard l’influence de la
subjectivité et du tri sélectif des informations dans cette
construction des perceptions économiques, que l’approche
néoclassique standard voudrait exemptes de sentiments et
fondées uniquement sur des faits quantitatifs bien établis (hard
data) et leur analyse rationnelle.

Mais interpréter le pari ou le pronostic que fait un individu ou


un groupe sur l’ensemble des comportements des autres
acteurs d’un marché, et a fortiori d’un système économique
tout entier, comme la synthèse d’un ensemble de relations
interpersonnelles de confiance avec chacun de ces acteurs
paraît dénué de sens. On devrait donc parler d’un indice
d’«  optimisme  », de «  perception des conditions sociales  » ou,
comme on le fait souvent, de « moral des ménages », plutôt que
d’un indice de «  confiance  » des ménages, des entreprises ou
des consommateurs.

La « confiance en soi » suppose quant à elle un dédoublement


de la personnalité impossible, sauf en cas de pathologie mentale
aiguë. On ne peut pas, à proprement parler, «  se faire
confiance  » ou «  se méfier de soi  » car cela reviendrait à se
penser comme un autre capable de réactions stratégiques,
incontrôlables ou imprévues. Cette «  confiance en soi  » est en
réalité une forme d’optimisme en soi, de croyance en sa
capacité de succès et donc en ses qualités propres face à une
situation donnée.

Il paraît donc sage de n’identifier la confiance ni à l’optimisme


ni à l’estime de soi.

La vraie-fausse confiance

Plus subtile est la « vraie-fausse » confiance que l’on nomme la


« confiance généralisée » et qui est, hélas, la plus couramment
utilisée dans les travaux académiques récents du fait de la
facilité d’usage des données qui s’y rapportent. Elle contient une
part de vérité car elle repose sur une interrogation, qui figure
sous une forme ou une autre dans nombre d’enquêtes
nationales ou internationales (voir chapitre suivant), qui a
effectivement trait aux relations de confiance : « D’une manière
générale, diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des
gens ou qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux
autres ? » Mais, pour conserver un sens, la notion de confiance
doit être limitée à une personne (on fait confiance intuitu
personae), un groupe ou une institution et à un contexte donné
(A fait confiance à B sur la question  Q dans le contexte  C).
Considérée avec sévérité, cette confiance généralisée apparaît
donc comme une contradiction dans les termes  : c’est une
confiance impersonnelle.

L’intuition n’est pourtant pas mauvaise : il existe bien plusieurs


cercles de confiance. On peut en concevoir au moins deux : un
cercle étroit réduit à la famille et aux proches et un cercle plus
large qui inclut tous les autres membres de la société que l’on
ne connaît pas personnellement et avec lesquels pourtant on
interagit au quotidien.

Mais cette «  confiance généralisée  », telle qu’elle est définie et


mesurée, paraît enserrée dans un réseau de contradictions
difficilement surmontables. Elle se donne pour impersonnelle
(la «  plupart des gens  », les «  autres  »), mais elle concerne en
pratique des personnes situées tant du côté des répondants aux
enquêtes que de ceux dont ils évaluent la fiabilité. Elle se veut
spontanée, mais la notion de confiance repose sur l’expérience :
comment faire spontanément confiance, confiance par
principe, à quelqu’un que l’on ne connaît pas du tout et sur le
compte duquel on ne peut disposer d’aucune information
précise puisque cette personne est abstraite (c’est le problème
déjà évoqué de l’inutilité de la confiance en situation
d’incertitude)  ? De plus, la confiance généralisée suppose en
retour une fiabilité générale des individus et donc ce que
Granovetter [1985] appelle la «  moralité généralisée  », dont il
paraît raisonnable de penser qu’elle n’est pas de ce monde. Si
c’est au nom de l’expérience de la fiabilité acquise avec d’autres
qui se sont révélés dignes de sa confiance que celle-ci est
accordée par une personne, il ne peut logiquement s’agir de
l’humanité tout entière dans tous les contextes possibles et
imaginables. Cette confiance, qui se veut «  généralisée  », sera
donc, dans les faits, nécessairement particulière.

Ou bien il faut recourir à l’hypothèse que, dans certains


contextes, sous l’empire de certaines règles sociales, de
certaines institutions, tous les individus sans exception se
révéleront fiables et qu’il y a donc lieu de leur accorder une
confiance aveuglément, en masse. Mais la fiabilité devient alors
simplement l’obéissance à une norme commune, ce qui lui ôte
tout caractère spontané. Et cette norme peut de surcroît n’avoir
rien de sympathique  : c’est l’exemple de la mafia, dont les
membres sont censés obéir aveuglément à un code de conduite
qui dispense de s’interroger pour chaque situation sur leur
fiabilité parce que le défaut d’obéissance est sanctionné par la
mort violente. L’idée de confiance généralisée apparaît donc
soit comme un oxymore, soit comme le reflet d’une obéissance
systématique à une norme sociale. La façon dont elle est
mesurée dans les faits (pour être ensuite utilisée dans les
travaux de recherche) fait apparaître d’autres difficultés encore
(voir chapitre suivant).

Reste cependant un sens positif à la confiance généralisée  :


l’optimisme forcené sur la nature humaine et la marche du
monde. Comme le souligne le politiste Eric Uslaner [2002], la
confiance généralisée se rapproche alors de la croyance en « un
monde bienveillant peuplé de gens bien dans lequel l’individu
contrôle sa vie et les choses vont s’améliorer  ». Il s’agit d’un
sentiment qui s’apparente à la (fausse) confiance dans l’avenir,
donc à l’optimisme. Et il pourrait alors être qualifié, de manière
moins charitable, de crédulité ou de naïveté dans les rapports
humains.

Demeure également un autre sens, involontaire, si l’on croit


comme certains chercheurs que cette « confiance généralisée »
mesure en fait non pas une confiance interpersonnelle, mais la
confiance dans les institutions.

Les vraies confiances

Venons-en précisément à ce premier type de «  vraie  »


confiance, la confiance dans les institutions. On parle parfois au
sujet de la «  confiance généralisée  » de «  confiance sociale  ».
Pour Newton [2001], il faut absolument différencier cette
confiance sociale (social trust) de la confiance politique
(political trust), c’est-à-dire de la confiance dans les institutions
publiques (gouvernement, police, justice, système de santé…),
sentiment que l’anglais désigne parfois sous le vocable
confidence (on parlera de confidence in Parliament pour
désigner la confiance dans le Parlement).

Cette confiance dans les institutions (qui peuvent être publiques


mais aussi privées, comme l’entreprise dans laquelle on
travaille ou les banques en général, auquel cas il s’agit plutôt
d’une confiance dans les organisations) joue un rôle majeur
dans nos démocraties, mais elle n’est généralement pas fondée
sur la connaissance personnelle des gouvernants,
fonctionnaires ou représentants des institutions auxquels on
accorde sa confiance. Selon le politiste Mark Warren [1999], la
confiance dans une institution suppose d’accorder non pas
directement sa confiance aux personnes qui l’incarnent, mais
bien au contraire au principe abstrait, à l’« idée normative » qui
guide l’action de l’institution et aux sanctions attachées au
respect de la norme collective par les représentants de
l’institution. On parle dans la littérature, au sujet de cette
confiance, de « confiance dans les institutions », de « confiance
politique  » ou encore de «  confiance systémique  » (expression
forgée par Luhmann [2006]).

Comment relier la confiance dans les institutions à la confiance


interpersonnelle, au-delà du «  chassé-croisé  » évoqué en
introduction  ? Peut-on dire que la confiance dans les
institutions est au fond une confiance interpersonnelle  ? Non,
car comme le souligne Quéré [2005]  : «  Il s’agit plutôt d’une
quasi-confiance, fondée sur “des raisons de croire que les
gouvernants sont dignes de confiance”, ces raisons n’étant pas
étayées sur une connaissance personnelle de ces gouvernants. »
Certes, on mesure bien des «  cotes de confiance  » des
personnalités politiques, mais il s’agit en réalité de cotes de
popularité (Ipsos interroge ses sondés de la manière suivante :
«  Faites-vous tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas
confiance ou pas du tout confiance à X pour résoudre les
problèmes qui se posent en France actuellement  ?  »). Levi
[1998] souligne que seuls les individus peuvent être confiants,
mais que les institutions elles aussi peuvent néanmoins être
dignes (ou pas) de confiance. Ainsi, on peut observer un déclin
dans la fiabilité des institutions, qui entraînera éventuellement
une baisse de la confiance dans les institutions : le concept clé
est donc ici celui de « fiabilité institutionnelle ».

Mais cette confiance dans les institutions, si elle apparaît bien


plus robuste que la confiance «  généralisée  », n’est elle-même
pas exempte de doutes méthodologiques et d’ambiguïtés
d’interprétation. Pour Quéré [2010], «  ce qu’on appelle
“confiance dans les institutions” peut être simplement… le
résultat d’une reconnaissance sociale des catégories de
personnes qui en sont les agents (les pompiers, les policiers, les
enseignants, les scientifiques, les médecins, les juges, les
journalistes,  etc.)… Nos jugements sur les institutions sont
souvent aussi commandés par la perception que nous avons du
degré de correspondance entre, d’un côté, les idéaux normatifs
qu’elles prétendent honorer (justice, objectivité, impartialité,
égalité, véracité, etc.), les standards de comportement dont elles
se réclament et les compétences qu’elles revendiquent, de
l’autre leur fonctionnement, leurs conduites, leurs prestations
et résultats effectifs, tels que nous pouvons y avoir accès ». En
d’autres termes, le sentiment éprouvé et exprimé par les
citoyens à l’égard de leurs institutions dépasse souvent le cadre
d’un sentiment de confiance. Il paraît en tout état de cause
nécessaire de distinguer la confiance dans les institutions du
second type de vraie confiance : la confiance interpersonnelle.

La confiance entre les personnes et plus précisément entre


deux personnes, dont nous avons déjà éclairé les éléments de
définition et le cadre théorique, est à l’évidence le type le plus
robuste de confiance. Cette confiance interpersonnelle peut être
accordée selon des degrés variables, mais elle peut également
se construire selon diverses modalités (familiarité, habitude,
calcul, culture). Comment prendre la mesure empirique de
toutes ces formes de confiance ?
IV. Prendre la mesure de la
confiance
Éloi Laurent

P our Gambetta [1988], ce qui est nouveau au sein des


sciences sociales dans la période récente n’est pas la
reconnaissance de l’importance de la confiance dans les
processus sociaux et économiques. On l’a vu, cette importance
a été soulignée dès le début du XX e siècle en termes clairs. C’est
plutôt le fait que l’on s’attache désormais à démontrer cette
importance, sans céder devant la difficulté empirique. Lorsque
Arrow [1974] attribue à la confiance une importance capitale
dans le système économique, il ne donne pour autant aucune
indication d’une éventuelle mesure quantitative ou qualitative
de cette prééminence. Désormais, ces mesures existent en
abondance. Mais si les approches théoriques de la confiance
sont, pour certaines, insatisfaisantes et contestables, les
méthodes empiriques qui permettent de cerner cette notion
fuyante le sont bien davantage encore.

Il existe essentiellement deux manières de mesurer la


confiance —  les expériences et les enquêtes  — qui
correspondent souvent en pratique respectivement aux notions
de confiance interpersonnelle d’une part et de confiance
généralisée et de confiance dans les institutions de l’autre.

Les expériences de confiance

Robert Axelrod raconte dans l’introduction de son livre sur


l’évolution de la coopération [1984] comment il conçut un jeu
de confiance qui prit la forme d’un «  grand tournoi  » organisé
dans les murs de l’université du Michigan. Le jeu dont il
s’agissait n’était rien d’autre qu’un jeu répété de « dilemme du
prisonnier  » dont la matrice des gains est reproduite dans la
figure 1.
Figure 1. La matrice des gains du « grand tournoi »
d’Axelrod

Lecture : un individu qui choisit de coopérer alors que son vis-à-vis décide de
faire défection remporte 0 point tandis que son vis-à-vis en remporte 4 ; si les
deux individus choisissent de coopérer, ils remportent chacun 3 points ; si
tous deux font défection, ils remportent chacun 1 point. Dans le « grand
tournoi » d’Axelrod, ce jeu est répété et la stratégie du joueur peut s’adapter
au coup joué par le partenaire/adversaire.

Des théoriciens des jeux furent invités à soumettre leurs


stratégies favorites sous la forme de programmes
informatiques, chaque programme proposé étant opposé à
chaque autre au cours de cinq matchs, chaque match consistant
en deux cents manches visant à déterminer la stratégie la plus
efficace pour empocher le maximum de gains (sous forme de
points, voir figure 1). Pour chaque manche, chaque programme
devait préciser si l’individu censé l’adopter dans le tournoi
voulait coopérer ou faire défaut sur la base des coups
précédents de la stratégie de son partenaire/adversaire (le
programme informatique devait donc spécifier toute la
séquence des coups d’un match).

Dans un tel jeu répété, différentes stratégies sont possibles  :


l’une consiste à suivre les préconisations pessimistes de la
théorie des jeux et à toujours faire défaut. Cette stratégie est
censée être la plus sûre, mais elle ne permet évidemment pas
de développer une coopération sociale qui peut seule garantir
des gains maximum. Toujours coopérer est l’autre possibilité
polaire, mais elle expose l’individu qui la choisit à être toujours
pris en défaut et donc à perdre encore plus de points que s’il
faisait toujours défaut. Enfin, une possibilité consiste à jouer
« au hasard » : on coopère et on fait défaut respectivement une
fois sur deux. Toutes ces séquences de coups ayant dû être
spécifiées à l’avance dans les programmes informatiques, elles
ne peuvent donc pas véritablement être qualifiées de
«  stratégiques  » dans la mesure où elles ne pouvaient pas être
modifiées en fonction du jeu observé du partenaire/concurrent.

C’est la stratégie du « coup pour coup » ou « donnant-donnant »


(tit for tat) qui est sortie victorieuse du tournoi, autrement dit
qui a permis à son concepteur d’amasser le plus de points. Ce
programme prévoyait de coopérer au premier coup et de
répondre ensuite «  coup pour coup  » ou «  donnant-donnant  »
au programme concurrent : coopération en cas de coopération,
défection en cas de défection. Un deuxième tournoi fut alors
organisé, ouvert cette fois-ci à la fois aux «  professionnels  »
(théoriciens de jeux) et aux amateurs, qui furent de surcroît
tous informés des résultats du premier tournoi. La stratégie tit
for tat l’emporta de nouveau.

L’analyse attentive des données du tournoi révèle selon


Axelrod quatre propriétés d’une règle efficace de décision dans
un jeu de confiance  : elle évite les conflits qui ne sont pas
nécessaires aussi longtemps que le partenaire les évite aussi  ;
elle répond à la provocation que constitue la défection non
provoquée du partenaire ; elle pardonne après avoir répondu à
une provocation ; elle adopte une ligne claire de comportement
de sorte que le partenaire puisse s’adapter au comportement
suivi.

La relation qui finit par s’établir entre les participants du


tournoi d’Axelrod est donc un étonnant mélange de confiance
mécanique et de confiance stratégique  : elle résulte d’une
disposition spontanée à la coopération avec laquelle on débute
le jeu et à laquelle on revient après une éventuelle défection
(qui s’apparenterait donc à une forme de confiance culturelle),
mais celle-ci se double de la capacité de sanctionner la défection
d’autrui pour infléchir son comportement dans le sens de la
coopération (qui se rapproche de l’idée de confiance calculée),
dès lors que celle-ci maximise les gains.

Un jeu de confiance plus élaboré que celui d’Axelrod, mais


encore assez simple, est proposé par Ermisch et al. [2009] qui
affinent un modèle initialement développé par Berg et al. [1995]
à partir du jeu dit de l’«  ultimatum  ». Un payeur  (P) reçoit la
visite d’un enquêteur qui lui offre 10  livres sterling pour
participer à une expérience. P se voit alors proposer le choix
suivant  : soit conserver la somme  ; soit l’adresser à un
receveur (R) choisi de manière aléatoire, auquel cas la somme
sera quadruplée par l’enquêteur. R, après visite d’un autre
enquêteur lui annonçant qu’il possède 40 livres grâce au choix
de P, pourra alors soit choisir d’être fidèle à la confiance que lui
a faite P en lui retournant 22  livres et en gardant pour lui
18  livres, soit trahir la confiance de P en conservant la totalité
de la somme, soit 40 livres. La représentation graphique du jeu
est telle que représentée à la figure  2 (entre crochets figurent
d’abord les gains de P puis ceux de R).

L’Internet, espace de la confiance digitale ou électronique


(etrust), est le théâtre d’autres jeux de confiance, encore plus
sophistiqués [Cook et al., 2009] en ceci qu’ils mettent en jeu des
mécanismes de réputation dans un contexte de risque et
d’incertitude. Comme l’expliquent par exemple Coye et al.
[2010], «  il existe de nombreuses sources d’incertitude et de
risque dans les environnements en ligne. Les risques
psychologiques et monétaires abondent lorsque nous mettons
sur Internet à la disposition des autres des informations nous
concernant. En outre, les individus font face à une grande
incertitude quant à l’exactitude et la crédibilité des sources
d’information partagées en ligne. L’anonymat et un manque
général d’indications sur la nature des interactions dans les
environnements en ligne peuvent amplifier la perception des
incertitudes et des risques, dès lors que, pour les individus, le
risque de faire confiance est à la fois indispensable mais aussi
difficile à évaluer ».

De fait, la loi nº  2004-575 du 21  juin  2004 «  pour la confiance


dans l’économie numérique  » s’efforce de baliser
juridiquement ce nouvel espace d’incertitude sociale en
encadrant par exemple les nouveaux instruments de la sécurité
numérique et notamment les procédés de cryptologie et la
responsabilité qui y est attachée. La confiance numérique
emprunte au fond le même chemin anthropologique que la
confiance sociale  : il s’agit de passer de la confiance
interpersonnelle à la confiance institutionnelle.

Figure 2. Gains dans le jeu payeur-receveur

Note : le résultat principal de l’expérience est le suivant : 43 % des payeurs ont
choisi de coopérer (et se sont donc montrés confiants) tandis que 50 % des
receveurs ont fait le même choix (et se sont par conséquent révélés fiables).
Mais, comme le suggèrent Renaud Francou et Daniel Kaplan
[2011] à partir d’une étude sur «  les nouvelles approches de la
confiance numérique  », dispositifs de sécurité et confiance de
«  pair à pair  » ou (peer to peer ou P2P) ne sont pas
nécessairement concordantes. Les auteurs soulignent ainsi
«  l’émergence rapide et puissante de grands espaces
numériques dans lesquels la confiance s’établit et se vérifie à
partir des échanges entre pairs et de leurs évaluations
réciproques. Des pratiques massives, qui, de manière assez
étonnante, se passent pour l’essentiel de dispositifs de sécurité
(du moins a priori) ».

Parce que les jeux de confiance sont rarement répétés sur


Internet (les parties à l’échange, par exemple sur les sites de
vente et d’achat en peer to peer comme eBay, n’ont souvent « ni
histoire ni avenir en commun » [Coye et al., 2010]), la question
de l’évaluation des vendeurs et plus généralement de la
construction d’un système fiable d’informations sur les parties
potentielles à l’échange revêt une importance toute particulière
(on donne dans l’encadré  5 l’exemple d’un jeu de confiance
électronique et des mécanismes réputationnels qu’il met en
jeu).

Encadré 5. Un jeu de confiance électronique

« Le vendeur et l’acheteur sont chacun dotés de 35 dollars


US, somme qui leur revient en l’absence de transaction
entre eux. Le vendeur propose un objet à l’acheteur au
prix de 35 dollars, objet qui a une valeur de 50 dollars aux
yeux de l’acheteur. Le coût pour le vendeur de la
fourniture de l’objet est de 20  dollars. Si l’acheteur choisit
d’acheter l’objet, il envoie au vendeur sa dotation de
35 dollars. Le vendeur doit alors décider s’il veut expédier
l’objet, ou garder et l’argent et l’objet. Si le vendeur ne livre
pas l’objet, il reçoit la somme de l’achat en plus de sa
dotation de 35  dollars, pour un total de 70  dollars,
l’acheteur se retrouvant avec une dotation nulle. Si le
vendeur livre l’objet, il reçoit son prix moins le coût de
livraison en plus de sa dotation initiale, pour un total de
50 dollars. Si l’acheteur choisit de ne pas acheter l’objet, la
transaction n’a pas lieu et chacun conserve ses 35  dollars
[…].

En testant pratiquement ce jeu [avec des joueurs isolés


dans des bureaux à cloisons devant des ordinateurs], nous
avons constaté que 37  % des vendeurs étaient prêts à
expédier l’objet et que 27 % des acheteurs étaient disposés
à l’acheter. Contrairement aux prédictions de la théorie
standard, il y a donc une pratique non négligeable de
confiance et de fiabilité même dans des relations
anonymes à un coup. Dans le même temps, il semble y
avoir une marge importante d’amélioration : en moyenne,
environ 10  % seulement de toutes les rencontres se
concluent par une transaction (= 0,37 × 0,27) […].

Si la confiance ne repose que sur des inclinaisons


individuelles, celle-ci va en théorie diminuer au fil du
temps. Les transactions se passent à présent sur un total de
30 tours successifs  : au début de chaque tour, chaque
acheteur est associé à un vendeur et il joue le jeu de la
confiance décrit plus haut. À chaque tour, le jeu est joué
avec un partenaire différent et aucune information sur les
tours précédents n’est connue des joueurs, qui forment dès
lors ensemble ce que l’on pourrait appeler un “marché des
étrangers”. […]

Si on agrège le résultat de tous les tours joués, la fiabilité


des joueurs est à peu près la même que pour le jeu à un
coup. Il n’y a donc pas d’incitations plus fortes sur le
“marché des étrangers” que dans le premier jeu. Les
acheteurs font en moyenne davantage confiance que dans
le jeu à un coup, mais la dynamique révèle que les
acheteurs répondent ensuite au fait qu’en moyenne cette
attente a été déçue  : ils commencent en faisant beaucoup
confiance, mais leur confiance s’effondre rapidement. Le
pourcentage d’acheteurs confiants au dernier tour du jeu
est de seulement 0,04 %, bien moindre que dans le jeu à un
coup, ce qui semble indiquer que l’acte d’achat dans celui-ci
était surtout dû à un manque d’expérience. […]

Considérons à présent si un système de réputation peut


offrir un moyen de contourner par un outil externe le
problème de coopération propre aux communautés
anonymes. Les divers modèles de coopération, à horizon
fini comme infini, suggèrent que des informations fiables
sur les comportements passés sont la clé de l’émergence de
la confiance, car elles permettent aux acheteurs d’éviter les
vendeurs connus pour leur malhonnêteté et de n’acheter
qu’aux vendeurs qui se sont révélés fiables par le passé.

Conditionner sa confiance à l’histoire commerciale du


vendeur crée donc une incitation pour les vendeurs à se
construire une réputation de fiabilité, du moins lorsque la
“fin du marché” [le fait que les transactions s’interrompent]
n’est pas trop proche et que le maintien d’une bonne
réputation est donc toujours utile. […]

Nous avons introduit dans notre “marché des étrangers”


un système de réputation qui, à l’instar du forum de
commentaires d’eBay, informe les acheteurs de toutes les
actions passées du vendeur auquel ils ont affaire. […] Ce
retour d’informations dans cette expérience est toujours
partagé et se révèle fiable, car l’information n’est pas
fournie par les acheteurs mais par l’expérimentateur, et les
vendeurs n’ont aucun moyen de changer leur identité en
ligne.

On compare alors les résultats de cette expérience du


“marché de la réputation” avec ceux du “marché des
étrangers”. En moyenne, il y a beaucoup plus d’achats
(56 % contre 37 %) et de livraisons (73 % contre 39 %) sur le
“marché de la réputation”. En fait, la probabilité de
livraison est légèrement plus élevée que le seuil de
profitabilité de 70  % qui rend la confiance rentable. En
conséquence, la dynamique a également un aspect très
différent par rapport au “marché des étrangers” : au départ
les transactions sont à peu près au même niveau mais le
marché de la réputation reste stable jusqu’au tout dernier
tour de jeu, lorsque la valeur stratégique d’avoir une
réputation de fiabilité disparaît et que la quasi-totalité des
comportements de coopération disparaît en conséquence.
Nous en concluons donc que la mise en place d’un système
parfait de réputation dans un “marché d’étrangers” a un
fort impact positif sur la confiance, la fiabilité et l’efficacité
commerciale. Les acheteurs comme les vendeurs
répondent stratégiquement à l’information qui est mise à
leur disposition. Pour autant, l’expérience confirme
également les sérieuses limites de ce système de
réputation : le surplus commercial réalisé n’est que de 41 %
du surplus commercial potentiel [calculé à partir d’un
modèle de rationalité parfaite des agents]. […]

Nous disposons d’éléments nous permettant de penser que


la rationalité limitée n’explique pas à elle seule cet écart
entre les prédictions de la théorie et les résultats obtenus.
Introduisons [pour finir] un “marché des partenaires”  : le
seul aspect sur lequel ce marché diffère du “marché de la
réputation” est que vendeurs et acheteurs sont appariés
pour toute la durée du jeu. La théorie suggère qu’il ne
devrait y avoir aucune différence dans la performance des
deux marchés : dans les deux cas, les acheteurs devraient
être en mesure de jouer des stratégies tit for tat destinées à
maintenir la fiabilité des vendeurs. Néanmoins, les
résultats montrent une différence substantielle. Dans
l’ensemble, l’efficacité commerciale du “marché des
partenaires” [le taux de transactions entre acheteurs et
vendeurs] est de 74  %, nettement plus élevée que sur le
“marché de réputation” [où il était de 40 %]. Ce niveau de
transaction est toujours plus faible que le niveau maximal
possible, ce qui suggère qu’une rationalité limitée des
agents est toujours à l’œuvre.

Pour autant, le niveau de transaction plus élevé suggère


que la rationalité limitée n’explique elle-même pas tout du
comportement des agents.

Nous pensons que le flux d’informations sur le “marché de


la réputation” crée des externalités qui font que les
incitations à investir diffèrent entre les deux marchés. Plus
précisément, il y a un problème de bien public présent sur
le “marché de la réputation” qui n’existe pas sur le
“marché des partenaires” : les acheteurs ne bénéficient pas
de l’information sur la réputation des acheteurs qu’ils ont
eux-mêmes produits. En conséquence, les acheteurs du
“marché de la réputation” sous-investissent dans la
production de l’information relative aux vendeurs,
contrairement à ce qui se passe sur le “marché des
partenaires”. »

Source : Cook et al. [2009].

Ces expériences ou jeux de confiance, réels et virtuels, dont


Tazdaït [2008] donne un bon panorama, doivent donc se
présenter sous la forme de jeux répétés pour être vraiment
éclairants sur l’existence et la construction de mécanismes de
confiance. Mais, y compris dans ce cas, leur défaut principal est
d’interpréter soit le fait de prendre un risque dans un jeu, soit le
fait que des agents coopèrent bel et bien, comme la marque de
la confiance, ce qui revient à confondre l’effet et la cause. C’est
précisément l’objet de la critique formulée par Hardin, qui
décèle un problème de circularité des jeux de confiance : « La
coopération y est à la fois l’indicateur et la conséquence de la
confiance » [cité par Quéré, 2010].

Pour autant, Elinor Ostrom [Ostrom et Walker, 2003] tente


utilement de retirer de certaines de ces expériences des
caractéristiques typiques d’un comportement de coopération  :
les individus qui coopèrent sont capables d’apprendre des
autres  ; ils se souviennent des comportements de coopération
et plus généralement de la fiabilité des autres auxquels ils ont
eu affaire ; ils utilisent leur mémoire et d’autres indices quant à
la fiabilité de leurs coéchangistes avant de leur accorder leur
confiance ; ils s’efforcent de se bâtir une réputation de fiabilité ;
ils punissent les « passagers clandestins » même si cela suppose
un coût pour eux aussi ; ils adoptent des horizons temporels qui
excèdent le passé immédiat. Le point le plus intéressant dans
cette analyse d’Ostrom est que, selon elle, ces différentes
caractéristiques ne peuvent se développer que par l’usage des
facultés cognitives des individus dans le cadre d’un processus
de socialisation. Autrement dit, on ne naît pas confiant ou
coopératif, on le devient (ou pas) au contact des autres.
Pour Glaeser et al. [2000], ces expériences, avec toutes leurs
limites, constituent bel et bien le seul moyen vraiment robuste
de prendre la mesure de la confiance, car elles reposent sur des
groupes d’individus relativement homogènes placés dans un
contexte déterminé et réunis dans un but précis, ce qui rejoint
certains critères de notre définition générale des conditions de
la confiance (voir supra). À l’inverse, les auteurs pensent que
les données recueillies au moyen d’enquêtes ne sont pas assez
fiables car trop dépendantes des sentiments et des attitudes des
individus et en particulier de leur interprétation des questions
qui leur sont posées, autrement dit de leur subjectivité  :
souvent, les répondants en disent autant, sinon plus sur ce
qu’ils croient être leur propre fiabilité que sur celle des autres
qu’ils sont censés évaluer. Les enquêtés en diraient donc
davantage sur leur fiabilité que sur leur confiance (c’est aussi le
point de vue de Sapienza et al. [2007]).

Les enquêtes de confiance

Les «  enquêtes de confiance  », ou plutôt sur le sentiment de


confiance, sont pour l’essentiel des sondages d’opinion (portant
par exemple sur des échantillons représentatifs de l’ordre de
1  000  individus pour la France), à l’échelle nationale ou
internationale, inclus dans des études plus larges que l’on
nomme «  enquêtes de valeurs  ». Hardin [2006] se montre
sévère sur… la valeur de ces enquêtes de valeurs, qui « nous en
apprennent peu sur la confiance » :

«  La plupart des sondages supposent implicitement que la


notion de confiance a une signification que tout le monde
comprend. Ils ne recherchent donc pas [à identifier] différentes
conceptions de la confiance. Si les sondés font usage de leur
sens commun de la confiance, qui peut beaucoup varier, et si
les analyses à partir des sondages regroupent ces sens variables
comme étant simplement de la “confiance”, on ne peut pas
utiliser les données existantes pour tester une théorie ou une
conception particulière de la confiance. Tant que nous ne
sommes pas en mesure de montrer comment des réponses en
langage courant correspondent à des réponses à une
description plus articulée de la confiance, nous ne pouvons pas
savoir ce que veulent dire les réponses du sondage  » [cité par
Quéré, 2010].

On perçoit clairement ce problème de la signification réelle


pour les répondants des concepts utilisés dans les enquêtes de
valeurs en considérant la genèse de la question de confiance la
plus populaire auprès des chercheurs en sciences sociales  : la
question de « confiance généralisée ».

Celle-ci est parfois désignée sous le nom de «  question de


Rosenberg » (1956), mais le plus souvent sans faire référence au
contexte dans lequel elle fut pour la première fois conçue et
posée. Ce contexte est pourtant très éclairant sur sa nature et sa
signification. Cette question a deux histoires. La première est
celle de l’Allemagne de l’Ouest de l’après-guerre, société
dévastée s’il en fut, dans laquelle la politiste et fondatrice de
l’Institut für Demoskopie Allensbach, Elisabeth Noelle-
Neumann, décida en 1947 pour la première fois de poser à ses
compatriotes la question suivante  : «  De manière générale,
diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens
ou que l’on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux
gens ? » En 1948, 9 % des Allemands de l’Ouest étaient de l’avis
que l’on pouvait «  faire confiance à la plupart des gens  »
[Cusack, 1997]. La question de confiance généralisée est donc
née pour prendre la mesure de la destruction du lien social et
de sa progressive et difficile reconstruction.

Le sociologue Morris Rosenberg a repris cette interrogation


dans le cadre d’une enquête réalisée à l’université de Cornell en
1952 visant à étudier la relation entre la misanthropie et
l’idéologie politique. La question était censée, dans l’esprit des
enquêteurs, les renseigner sur la « foi dans l’humanité » (ou son
absence) parmi les sondés et éclairer une éventuelle relation
entre cette « misanthropie » des répondants et leur inclinaison
pour l’autoritarisme politique (parmi les cinq questions posées
pour évaluer le degré de misanthropie et construire une échelle
de « foi dans l’humanité » figurait l’énoncé suivant : « Certaines
personnes disent que l’on peut faire confiance à la plupart des
gens, d’autres prétendent que l’on n’est jamais trop prudent
quand on a affaire à autrui, qu’en pensez-vous ? »).

Le «  misanthrope  » —  celui qui répond notamment que l’on


n’est jamais trop prudent dans ses rapports à autrui  — aura
tendance, expliquait l’équipe de Rosenberg, à vouloir par
ailleurs réduire la liberté d’expression, religieuse, politique de
ses semblables. La question de confiance généralisée,
popularisée dans les travaux de recherche à partir des travaux
de Rosenberg et des enquêtes de valeurs qui reprirent les
questions de son échelle de foi dans l’humanité, se présente
donc dans sa forme originelle comme l’expression d’un
sentiment d’optimisme ou de fatalisme sur la nature humaine.
Ce sentiment, comme on l’a vu, se trouve fort éloigné des
conditions nécessairement concrètes d’une confiance
forcément située.

Et, de fait, selon Cook et al. [2005], les enquêtes qui ont repris
cette question, particulièrement mal formulée et imprécise,
seraient à l’origine de la confusion théorique qui imprègne le
concept de « confiance généralisée ».

La question de confiance généralisée que la General Social


Survey (GSS) du National Opinion Research Center a reprise de
l’étude de Rosenberg pour la poser aux citoyens américains
depuis la fin des années  1950 peut ainsi se traduire de la
manière suivante  : «  D’une manière générale, diriez-vous que
l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on n’est
jamais trop prudent dans ses rapports avec autrui ? » (Generally
speaking, would you say that most people can be trusted, or that
you can’t be too careful dealing with people ?). Cette question a
également été reprise dans la World Values Survey (WVS),
enquête de valeurs menée dans différents pays du monde
depuis les années  1980 (voir encadré  6), sous une forme
légèrement différente, en tout cas dans le questionnaire de
l’enquête (2005-2008)  : «  D’une manière générale, diriez-vous
que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’il faut
être très prudent dans ses rapports avec autrui  ?  » (Generally
speaking, would you say that most people can be trusted or that
you need to be very careful in dealing with people ?).

Au-delà des nuances non négligeables de formulation entre les


deux questions de la GSS et de la WVS, on mesure
immédiatement le caractère très vague des termes utilisés : « de
manière générale  », «  diriez-vous  », «  on  », «  la plupart des
gens  », «  rapports avec autrui  ». Comme le font remarquer
Hooghe et Reeskens [2007], «  quand on regarde de près cette
question, presque tous les mots en sont problématiques  ».
Mais les deux auteurs vont plus loin dans leur critique. À l’aide
des résultats de l’European Social Survey (autre enquête de
valeurs portant sur les pays européens  ; voir encadré  6), qui
pose la même question de confiance généralisée, mais en
autorisant une échelle plus large dans les réponses («  D’une
manière générale, sur une échelle de 0 à 10, diriez-vous que l’on
peut faire confiance à la plupart des gens ou que l’on n’est
jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ? 0 signifie
que l’on n’est jamais assez prudent, 10 signifie que l’on peut
faire confiance aux gens, et les notes intermédiaires permettent
de nuancer votre jugement »), ils montrent que celle-ci n’a pas
le même sens dans les différents pays où elle est posée, ce qui
prive à peu près complètement de pertinence les comparaisons
internationales sur lesquelles reposent pourtant des théories en
apparence très élaborées qui visent à donner un sens profond
aux écarts de niveau de confiance généralisée entre nations.

Miller et Mitamura [2003] montrent en outre que la validité


interne de cette question est sujette à caution  : la question
contient en fait deux notions différentes qui ne sont pas
opposées, la confiance et la prudence. Les enquêtés ordonnent
donc leurs réponses selon deux échelles distinctes et non pas en
positif ou négatif sur la même échelle (confiance ou absence de
confiance). À l’aide d’expériences, ces chercheurs mettent en
évidence le fait que lorsque le terme « prudence » est omis, les
réponses diffèrent substantiellement (le niveau de confiance
des Américains devient supérieur à celui des Japonais alors
qu’il est de 7 points inférieur dans la World Value Surveys). En
d’autres termes, cette question de confiance généralisée souffre
d’un défaut de validité ou de cohérence interne, ce qui rend les
comparaisons internationales établies à partir de ses résultats
d’autant moins fiables.

Enfin, de nombreux chercheurs s’interrogent sur le sens de


l’expression «  la plupart des gens  »  : comment les enquêtés
interprètent-ils l’étendue de ce groupe, où commence-t-il et où
s’arrête-t-il ? Quel cercle ou périmètre de confiance permet-il de
saisir ? Si, comme cela a été démontré empiriquement (voir par
exemple Delhey et al. [2011]), ses limites sont variables d’un
pays à l’autre, alors la portée des résultats correspondants est
décidément très incertaine.
La confiance devant être accordée aux réponses à la question
de confiance généralisée paraît donc devoir être très limitée,
car, comme l’écrivent Nannestad et al. [2008] et comme on l’a
remarqué plus haut, non seulement «  personne n’a confiance
en tout le monde », mais, au surplus, « personne n’a confiance
en tout le monde à propos de tout  ». Le problème est donc de
déterminer à quelle acception de la confiance les répondants se
réfèrent quand ils répondent à la question de confiance
généralisée et, même, si leur réponse a quoi que ce soit à voir
avec les mécanismes de la confiance.

Pour Eric Uslaner [2002], il est vrai partisan d’une approche


culturelle de la confiance, cette question est au contraire bien
formulée et permet réellement de prendre la mesure d’un
sentiment de confiance d’un ordre différent que la confiance
réduite au cercle familial, communautaire ou professionnel ou
que la confiance dans les institutions. Qui plus est, en dépit de
leurs importantes limites méthodologiques, les études
disponibles montreraient selon lui que cet indicateur est
relativement stable dans le temps, ce qui confirmerait sa
théorie d’une confiance-moralité acquise et transmise par des
processus de socialisation (famille, école, etc.).

Cette question de confiance généralisée, objectivement très


douteuse, a donc ses défenseurs. En tout état de cause, on ne
peut réduire les enquêtes de confiance à la seule question de
« confiance généralisée », même si les chercheurs qui utilisent
les données censées la refléter le font souvent dans les faits : il
existe en effet différents types de questions de confiance posées
dans les enquêtes de valeurs, à commencer par la confiance
dans les institutions (voir encadré 6).

Précisément, à quelles observations empiriques conduisent les


réponses qui ont trait à la confiance généralisée et à la
confiance institutionnelle dans les enquêtes de valeurs  ? La
dernière vague de la WVS donne à voir une confiance
généralisée (comprise comme le pourcentage de gens
répondant que l’on peut faire confiance aux autres) variant de 1
à 33 (entre les Philippines, avec 2 % de « confiants », et les Pays-
Bas, qui en comptent 66 %).

Selon Paldam [2010], qui étudie des données voisines, les pays
nordiques possèdent bien le niveau de confiance généralisée le
plus élevé avec les Pays-Bas. Celle-ci est en revanche faible en
Amérique du Sud et dans les pays ex-communistes. Elle est
particulièrement forte en Chine ou en Iran. Elle est plutôt forte
en Amérique du Nord, mais faible dans certains pays d’Europe
continentale, et notamment en France.

Encadré  6. Les enquêtes internationales de


confiance

Comme le rappellent les chercheurs du Centre de données


sociopolitiques de Sciences Po (CDSP), «  l’origine de ces
enquêtes comparatives remonte à la fin des années 1970
avec la création du groupe de chercheurs européens,
l’European Value Systems Study Group (EVSSG). Ce groupe
de chercheurs s’est interrogé sur les différences et les
similarités existant entre les valeurs des Européens. Le
programme de recherche s’appuie sur les thématiques
suivantes  : les Européens partagent-ils des valeurs
communes ? Y a-t-il une émergence de nouvelles valeurs ?
Les Européens partagent-ils de plus en plus de valeurs
communes ou chaque pays évolue-t-il de façon
spécifique  ?  ». Depuis lors, diverses enquêtes se sont
développées et ont nourri de nombreux travaux
académiques.

Les mesures de confiance généralisée et


interpersonnelle

La World Values Survey (WVS) est l’enquête la plus


couramment utilisée pour mesurer la confiance
interpersonnelle et comparer son niveau entre pays du
monde. Il s’agit d’une extension de la European Values
Survey (EVS) lancée en 1981. La WVS étudie
particulièrement les changements socioculturels et
politiques. Elle est conduite par un réseau de chercheurs en
sciences sociales rattachés à des universités du monde
entier (www.worldvalues-survey.org). La deuxième vague
de la WVS a été conduite en 1990. Depuis, quatre vagues se
sont succédé, séparées d’environ cinq années.

Pour mesurer la confiance généralisée, la WVS pose à ses


enquêtés la question de Rosenberg (1956) : « D’une manière
générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la
plupart des gens ou qu’il faut être très prudent dans ses
rapports avec autrui ? » Le principal indicateur résultant de
cette investigation est le pourcentage respectif de
personnes qui répondent «  que l’on peut faire confiance à
la plupart des gens  » ou au contraire «  qu’il faut être très
prudent dans ses rapports avec autrui  ». La WVS a
récemment proposé de calculer un indice de confiance
généralisée défini selon la formule :

Indice de confiance =  100 + (% de répondants «  on peut


faire confiance à la plupart des gens ») – (% de répondants
« il faut être très prudent dans ses rapports avec autrui »).

La WVS permet également de recueillir un ensemble de


réponses sur la confiance accordée à différents groupes de
personnes tels que ses voisins, «  les gens que vous
connaissez personnellement  », «  les gens que vous
rencontrez pour la première fois  », «  les gens d’une autre
religion » et « les gens d’une autre nationalité ». Cette série
de questions permet de mesurer différentes dimensions ou
périmètres de la confiance interpersonnelle.

L’European Social Survey (l’enquête sociale européenne),


créée en 2001, et dont la première vague remonte à 2002,
mesure également la confiance généralisée à l’aide de la
question de Rosenberg ainsi que d’autres dimensions de la
confiance interpersonnelle.

 
Les mesures de confiance institutionnelle

La confiance institutionnelle est généralement mesurée au


moyen de sondages visant à évaluer la confiance des
citoyens dans un certain nombre d’organisations. De
nombreuses enquêtes menées par les organisations
gouvernementales et non gouvernementales donnent des
informations sur la confiance institutionnelle dans les pays
développés et en développement. Il s’agit notamment des
enquêtes menées par le Forum économique mondial, la
Banque mondiale, l’Organisaton des Nations unies et le
Programme des Nations unies pour le développement
(Pnud).

La WVS demande également aux personnes d’évaluer leur


confiance dans un grand nombre d’institutions et
d’organismes, à commencer par le Parlement, institution
centrale des démocraties parlementaires, le gouvernement
en général et différentes dimensions démocratiques, telles
que la fonction publique, les partis politiques, les forces
armées, la police, la presse, les Églises, les syndicats, la
justice ou encore les systèmes d’éducation.

L’European Social Survey mesure également le degré de


confiance dans ces différentes institutions, tout comme le
programme de coopération international ISSP
(International Social Survey Programme).

Le programme Eurobaromètre, enfin, a été lancé dans les


années  1970. Actuellement, les enquêtes d’opinion
Eurobaromètre sont coordonnées par et menées au nom
de la Commission européenne (DG Communication
—  département de l’analyse de l’opinion publique). Les
données primaires et la documentation relatives à ces
enquêtes sont stockées dans les systèmes ICPSR et à GESIS
(www.gesis.org/en/services/data/survey-data/euro-
barometer). L’Eurobaromètre mesure deux fois par an la
confiance dans l’Union européenne (UE) et dans les
institutions de l’UE (Commission européenne, Parlement,
Banque centrale européenne, etc.). Il mène également des
enquêtes ponctuelles sur différents sujets spécifiques
(environnement, sécurité, monnaie, etc.).

Sources : CDSP ; adaptation de Morrone et al. [2009]


par l’auteur.

Au cours de la période couverte par la WVS (dernière vague


exceptée, soit deux décennies environ), le niveau de confiance
généralisée semble avoir évolué de façon très significative dans
plusieurs pays [Morrone et al., 2009]. La confiance généralisée
aurait ainsi diminué de plus de 20  % (par rapport au niveau
enregistré dans la première vague) dans onze pays, alors qu’elle
aurait augmenté de plus de 20  % dans trois pays seulement.
Dans le détail, la confiance généralisée aurait diminué de plus
de 50  % au Mexique, au Portugal et en Turquie et de plus de
40  % (en moins de vingt ans) en Pologne et en Espagne (la
France aurait connu un recul de l’ordre de 30  % de cet
indicateur de 1981 à 2005). Seuls la Suède, la Suisse et le
Danemark auraient enregistré une augmentation significative
du niveau de confiance généralisée au cours de cette période.
Tableau 1. La confiance dans le Parlement en
comparaison internationale (% de répondants qui disent
avoir fortement ou assez fortement confiance dans le
Parlement de leur pays)

Source : World Values Survey, vague de 2005-2009, et


calculs de l’auteur.
Ces variations importantes paraissent contredire l’hypothèse
d’Uslaner évoquée ci-dessus de stabilité des indicateurs de
confiance généralisée. Néanmoins, si Paldam indique que les
niveaux de confiance varient effectivement à moyen terme
(selon l’auteur, les niveaux de confiance changent en moyenne
de 6,9 points de pourcentage par période de cinq ans), pour des
périodes plus longues, les changements sont moins importants,
ce qui confirme l’idée d’une relative stabilité de long terme qui
serait le signe d’un biais culturel dans les niveaux de confiance
généralisée.

Graphique 2. Évolution de la
confiance dans le Parlement, 1981-2007, pour quatre
pays de l’OCDE (% de répondants qui disent avoir
fortement ou assez fortement confiance dans le
Parlement de leur pays)

Source : World Values Survey.


La confiance dans les institutions apparaît également très
hétérogène entre pays et variable dans le temps (la confiance
dans le Parlement varie selon les pays dans la vague 2005-2009
de la WVS de 1 à 12). La confiance dans le Parlement est ainsi
élevée en Norvège, Suède et Finlande (plus de 55 %), mais plus
encore en Chine et au Vietnam (plus de 90  %) et
significativement plus faible en Allemagne et aux États-Unis
(moins de 25 %) et à Taiwan et au Guatémala (moins de 15 %).
Ajoutons que la valeur médiane de cette métrique est plus forte
pour les pays de l’OCDE que pour les pays en développement
étudiés (34,4  % contre 29  % de citoyens qui disent faire
confiance au Parlement, voir tableau 1).

Tableau 2. Confiance dans différents types d’institutions


publiques (en % des répondants, 2012)

Source : OCDE.

Morrone et al. [2009] montrent que la confiance accordée par


les citoyens au Parlement a varié au cours des vingt-cinq
dernières années dans les dix-sept pays de l’OCDE qu’ils
considèrent, avec des différences marquées entre pays. Un
premier groupe de pays se caractérise par une baisse
prononcée de la confiance dans le Parlement  : ce sont la
Pologne, la Corée, les États-Unis ainsi que le Mexique, la France
et les Pays-Bas. Un deuxième groupe de pays — parmi lesquels
la Suède, la Turquie, la Nouvelle-Zélande et l’Espagne  — a
connu au contraire des niveaux croissants ou constants de
confiance dans le Parlement.

Selon Morrone et al., la confiance accordée aux gouvernements


est généralement plus faible que celle dont les citoyens
témoignent à l’égard des Parlements nationaux, avec
seulement 23  % des citoyens des dix-neuf pays de l’OCDE
étudiés par les auteurs qui font état d’un niveau élevé de
confiance dans le gouvernement (dans tous les pays, la
corrélation entre la confiance dans le Parlement et la confiance
dans le gouvernement se révèle assez forte). D’après les
auteurs, enfin, la confiance dans le système judiciaire est en
moyenne beaucoup plus élevée que pour les pouvoirs législatif
et exécutif, 55 % des personnes interrogées dans trente pays de
l’OCDE rapportant un niveau élevé de confiance dans cette
institution, allant de plus de 80  % en Finlande et au Japon à
moins de 35  % en Pologne et en République tchèque. La
confiance accordée aux différentes institutions dans les
différents pays connaît donc des variations intéressantes,
comme le montre le cas du Japon (tableau 3).

On remarque ainsi à cet égard que, dans les pays de l’OCDE


comme en France, les institutions bénéficient d’un niveau de
confiance variable et que celles dont dépend directement le
développement humain (système d’éducation et de santé) sont
considérées comme les plus fiables (tableau 2).
Tableau 3. La confiance dans le Parlement, le
gouvernement et la justice au Japon (en % de
répondants)

Source : World Values Survey, 2005.

Le « déclin de la confiance », compris comme déclin parmi les


citoyens du sentiment de fiabilité des institutions politiques,
n’est donc ni général ni universel. Pour autant, dans certains
pays pour lesquels on dispose de séries statistiques longues et
homogènes, on observe effectivement un déclin du sentiment
de confiance dans certaines institutions et organisations. Ainsi,
les résultats de la General Social Survey américaine (conduite
par le National Opinion Research Center) indiquent une baisse
du niveau de confiance des Américains depuis une trentaine
d’années dans les banques et les institutions financières, dans
les grandes entreprises, dans la presse ou encore dans les
Églises. À l’inverse, les séries temporelles disponibles pour la
Suède indiquent que la confiance envers les responsables
politiques n’a presque pas évolué entre 1998 et  2015 et se
maintient autour de 30 %.

Les rapports observés de corrélation, faible ou forte, entre


différents types de confiance mesurés par les enquêtes de
valeurs à différents moments du temps sont loin de faire l’objet
d’un consensus aujourd’hui entre chercheurs. Certaines études
postulent par exemple un lien statistique significatif entre
confiance institutionnelle et confiance généralisée, d’autres le
contestent, parfois à l’aide des mêmes données. Quant aux
rapports de causalité entre ces différents types de confiance, ils
demeurent très obscurs sur le plan empirique. Il convient donc
de se garder en la matière de toute généralisation hâtive, en
particulier celle qui consiste à amalgamer tous les types de
confiance.

Une méthode intéressante pour commencer à poser les termes


empiriques de ces débats consiste au contraire à bien dissocier
les différents types de confiance (et, au sein de chaque type, les
sous-types) avant de les mesurer à l’aide d’outils spécifiques,
comme l’a fait récemment le Cevipof [2011] pour la France (voir
encadré 7). On peut ensuite prudemment engager un travail de
mise en relation empirique de ces différents indicateurs au sein
d’un pays donné en précisant le cadre théorique que l’on utilise.
Enfin, et pour peu que l’on dispose d’instruments homogènes et
fiables, on peut se lancer dans un travail de comparaison
internationale. De telles études, minutieuses et rigoureuses,
n’existent pas à l’heure où ces lignes sont écrites.

Encadré  7. La mesure des confiances par le


Cevipof
Le Baromètre de la confiance politique du Cevipof retient
cinq dimensions principales de la confiance :

—  la confiance politique (confiance dans toute une


série de rôles et d’institutions politiques) ;

—  la confiance institutionnelle (confiance dans


diverses grandes institutions publiques et privées  :
hôpitaux, police, médias, syndicats, OMC) ;

— la confiance économique (mesurée au travers de la


confiance envers des organisations du monde
économique  : entreprises publiques et privées,
banques…) ;

—  la confiance sociétale (les voisins, les gens en


général, les étrangers, relations nouées avec ces
autres) ;

—  la confiance individuelle (sentiment de bonheur


personnel, responsabilité personnelle, confiance en
son avenir).

À partir de ces cinq dimensions mesurées par vingt-quatre


questions est construite une typologie des électeurs
français au regard de la confiance.

Source : Cevipof [2011].


Que penser de la pertinence générale des différentes mesures
de la confiance institutionnelle au moyen des enquêtes de
valeurs ? Pour Quéré [2010], « ce qui émerge dans les réponses
à ce genre de sondages, ce sont des jugements de valeur étayés
sur des attributions implicites de motivations, de compétences
et de modes de comportement, attributions fondées sur des
stéréotypes culturels et sur des caractéristiques socialement
prisées, plus que sur des expériences personnelles ». Il faudrait
donc prendre avec autant de précaution les données des
enquêtes qui tentent de mesurer la confiance dans les
institutions que celles qui sont censées refléter la «  confiance
généralisée  ». Pour autant, la confiance institutionnelle peut
nous informer sur l’état véritable de la démocratie et nous
alerter sur sa possible dégradation (comme dans le cas
américain, où le Congrès ne recueille plus l’assentiment que de
moins de 10  % des citoyens), plus encore que la présence
d’institutions démocratiques ou leur qualité objective. Les
institutions politiques, autrement dit, peuvent être dévitalisées
par le manque de confiance placé en elles.

Les rapports entre confiance politique et contexte économique


paraissent au premier abord compliqués à démêler, comme le
montre le cas américain (voir encadré  8). Il n’en reste pas
moins que l’analyse des données de confiance envers les
gouvernements à travers l’épisode de la «  Grande Récession  »
s’avère tout à fait riche d’enseignements.

Les données rassemblées dans le tableau 4 recèlent en effet de


nombreux enseignements particulièrement éclairants. D’une
part, même si tous ces pays de l’OCDE sont considérés comme
des démocraties et des pays riches (du point de vue de leur PIB
par habitant, indicateur sujet à caution utilisé comme critère
par l’OCDE), les variations dans la confiance accordée par leurs
citoyens à leur gouvernement respectif sont considérables : les
Norvégiens font ainsi deux fois plus confiance à leur
gouvernement que les Américains (la France se situant
nettement en dessous du niveau moyen de confiance des pays
de l’OCDE en 2016). De manière étonnante, les citoyens japonais
font peu confiance à leur gouvernement, ce qui indique une
vulnérabilité sociale que sont bien incapables de repérer les
indicateurs économiques standard.

D’autre part, la confiance dans les institutions politiques (ici, le


gouvernement) peut manifestement connaître des variations
très fortes au cours du temps sous l’effet du contexte
économique : la Grèce a perdu près de 30 points de pourcentage
en matière de confiance dans le gouvernement entre 2007
et  2012. Il s’agit d’une donnée capitale car elle signale que la
crise grecque est bien plus grave qu’une crise économique. Il
s’agit d’une crise civique, et l’évolution de cet indicateur nous le
dit clairement, alors que la baisse du PIB national ne nous en
dit  rien (cette perte de confiance dans le gouvernement est
d’ailleurs un phénomène qui dépasse la Grèce puisque
l’indicateur moyen pour les pays de l’OCDE a perdu 6  points
entre 2007 et 2012). La Grèce, qui se situait dans la moyenne de
l’OCDE en 2007, est désormais le pays où les citoyens font le
moins confiance au gouvernement (13 % en 2016). Ce n’est pas
une surprise, mais cette évolution est lourde de conséquences
pour la capacité de développement et l’avenir démocratique du
pays.

Encadré  8. Confiance dans le


gouvernement  fédéral américain et contexte
économique

L’American National Election Studies (ANES) est un projet


conjoint de l’université de Stanford et de celle du Michigan
financé par la National Science Foundation dont la vocation
est de mettre à disposition des chercheurs des données
fiables sur les résultats électoraux aux États-Unis. L’ANES
met dans ce cadre en accès libre des séries historiques
d’enquête de confiance dans les institutions publiques et
notamment les réponses, sur les cinquante dernières
années, à la question «  Quand pensez-vous pouvoir faire
confiance au gouvernement à Washington pour faire ce
qu’il faut  ?  », quatre réponses étant possibles  : «  jamais  »,
«  parfois  », «  la plupart du temps  », «  tout le temps  ».
L’enquête agrège sous forme graphique les réponses
«  jamais  » et «  parfois  » d’une part, et les réponses «  la
plupart du temps  » et «  tout le temps  » de l’autre. On
reproduit dans le graphique  3 la somme des réponses «  la
plupart du temps » et « tout le temps » de 1958 à 2008.
Graphique 3. Confiance dans le gouvernement fédéral,
1958-2008 (en % des répondants)

Source : ANES.

Une lecture rapide de ces données aboutit à deux constats


empiriques simples : une baisse très forte, quasi linéaire, de
la confiance mesurée entre 1958 et 1980 (de près de
50  points de pourcentage en deux décennies)  ; deux
remontées prononcées de cette mesure, l’une au début des
années 1980 (de presque 20 points de pourcentage) et
l’autre au milieu des années 1990 (de plus de 30 points de
pourcentage), cette dernière ramenant, après un étiage
historique en 1994, le niveau de confiance accordée au
gouvernement fédéral au début des années  2000 à un
niveau proche de son plus haut historique du début de la
période.
En superposant sur ce graphique le taux de chômage
américain, qui représente ici une indication grossière du
contexte économique et social du pays, on perçoit la portée
et la limite de l’influence de celui-ci sur le niveau de
confiance dans le gouvernement fédéral.

Graphique 4. Confiance dans le gouvernement fédéral et


taux de chômage, 1958-2008

Source : ANES et US Bureau of Labor Statistics.

Si, en tout début de période, taux de chômage et confiance


dans le gouvernement fédéral déclinent de conserve, les
phases de forte reprise économique suivant les récessions
du début des années 1980 et surtout des années 1990 voient
le taux de chômage baisser et le niveau de la confiance
s’améliorer sensiblement.
Démêler l’influence de la confiance dans les institutions sur
le contexte économique et social et l’effet réciproque n’est
donc pas chose aisée (pour une analyse précise et centrée
sur la période contemporaine du rapport entre confiance
dans les institutions et contexte économique, voir
Stevenson et Wolfers [2011]).

Pour les pays européens dans leur ensemble, la «  Grande


Récession  » aura laissé des traces profondes et durables sur la
confiance politique dans les institutions à la fois nationales et
européennes. Ainsi, les données les plus récentes du Pew
Research Center (printemps  2016) indiquent que les citoyens
qui portent un jugement défavorable sur l’Union européenne
sont désormais majoritaires en France, au Royaume-Uni ou en
Espagne. La floraison de mouvements extrémistes
ouvertement hostiles à l’Union européenne un peu partout sur
le continent, de la France à la Hongrie en passant par l’Italie, est
le symptôme le plus évident de cette défiance politique.

Confiance politique et bien-être économique entretiennent


donc des relations complexes  : le contexte économique
détermine une part importante de la confiance des citoyens
dans la capacité du gouvernement à assurer leur bien-être
(comme dans le cas de la Grèce), mais le seul bien-être
économique ne garantit pas un niveau élevé de confiance
politique (comme dans le cas du Japon). Il existe bien une
«  richesse civique  » qui est en partie indépendante de la
richesse matérielle.
Que dire enfin de la relation entre confiance mesurée par les
expériences et confiance mesurée par les enquêtes  ? De
manière troublante, mais assez peu surprenante au vu des
réserves exprimées précédemment, Ermisch et al. [2009]
montrent, à partir du cas du Royaume-Uni, que les résultats
obtenus auprès d’individus au moyen d’enquêtes (portant sur la
question de confiance généralisée) ne recoupent pas ceux qui
sont obtenus au moyen d’expériences (du type jeu de confiance
sanctionné par des gains monétaires). Le constat est
d’importance car il soutient l’idée que les données d’enquête ne
peuvent pas être considérées comme reflétant ou prédisant des
comportements de coopération sociale, et a fortiori de
confiance. Mais il ne vient que s’ajouter aux problèmes très
importants déjà évoqués de signification attachés à l’usage de la
question de confiance généralisée.

Tableau 4. La confiance dans le gouvernement dans


l’OCDE (en %)
Source : OCDE.

Selon Partha Dasgupta [1988], ce débat sur la fiabilité de la


mesure de la confiance mérite d’être poursuivi. Car, même si
aucune unité de mesure vraiment fiable n’existe à l’heure
actuelle, la valeur sociale de la confiance ne fait pas de doute,
au point que l’auteur propose de considérer la confiance
comme une « marchandise » d’un type particulier et « fragile »,
comme le savoir ou l’information. Et, surtout, comme un actif
précieux  : la confiance est censée procurer toutes sortes de
bienfaits, économiques et démocratiques, aux chanceuses
sociétés qui en disposent en abondance. Tentons à présent un
état des savoirs sur ces bienfaits supposés et tant attendus de la
confiance.
V. Confiance et systèmes
économiques
Éloi Laurent

A rrow [1974] nous invite à considérer favorablement la


confiance non seulement pour elle-même, mais, de
manière «  pragmatique  », comme un «  lubrifiant des relations
sociales  » dont le bienfait consiste dans les «  économies
d’ennuis » qu’il permet. Les chercheurs contemporains, dont on
va brièvement détailler dans cette partie certaines
contributions marquantes, ont tenté depuis une vingtaine
d’années de donner de la substance théorique et empirique à la
double intuition d’Arrow, qui fait l’hypothèse de gains
substantiels, à la fois économiques et politiques, attachés à
l’existence ou au rétablissement de la confiance.

Confiance et développement

On l’a dit dans l’introduction, le pari de la confiance en


l’inconnu, dont le risque peut être atténué par le
développement d’institutions communes, apparaît comme une
nécessité à mesure que se développent des sociétés humaines
de plus en plus complexes et anonymes. Banfield [1958] fut l’un
des premiers à souligner, à l’inverse, les coûts économiques et
sociaux qui résultent de l’incapacité, en l’espèce, des habitants
d’un village du sud de l’Italie, d’agir pour le bien commun au-
delà du noyau familial (trait culturel qualifié par Banfield de
« familialisme amoral »). L’inaptitude à accorder une confiance
nécessaire à la coopération en dehors des liens du sang ou de la
communauté immédiate serait donc un handicap social et
économique au sein des sociétés humaines.

Alain Peyrefitte [1995] convertit ce constat de coûts


économiques de la défiance (ou plutôt de coûts économiques de
la non-confiance) en postulat de gains économiques tirés de la
confiance. C’est, selon lui, le facteur « mental » qui explique les
«  miracles économiques  » dont l’histoire abonde. Ce faisant, il
reprend l’intuition exprimée par exemple par Jean-Marcel
Jeanneney, à la suite de Max Weber, dans Forces et faiblesses de
l’économie française [Jeanneney, 1956] —  publié trente ans
avant les travaux contemporains sur l’économie de la
connaissance, de la culture et de la confiance — de l’importance
pour la croissance d’une nation des «  structures mentales  »
(formation professionnelle, culture et recherche scientifique,
esprit public), au-delà du capital physique ou même naturel.
«  Les qualités des hommes importent plus encore que les
richesses naturelles à la prospérité d’un pays  », écrivait si
justement Jeanneney.

Si les travaux contemporains reconnaissent l’importance du


capital social (composante du «  capital intangible  ») pour le
développement et même la soutenabilité des nations [Banque
mondiale, 2007], peu parviennent à isoler au sein de cet
ensemble un peu nébuleux la confiance interpersonnelle
comme élément décisif pour le développement à long terme
d’une économie.

Il existe en revanche une abondante littérature sur le rôle des


institutions et de la gouvernance dans le développement des
nations, littérature dans laquelle la confiance institutionnelle
intervient. Le projet Worldwide Governance Indicators (WGI) de
la Banque mondiale [Kaufmann et al., 2010] a développé six
indicateurs principaux de gouvernance qui laissent une grande
place à la confiance dans les institutions. L’indicateur « efficacité
du gouvernement  » s’efforce par exemple, au moyen
d’enquêtes auprès des citoyens des différents pays étudiés, de
saisir leur perception de la qualité des services publics.
L’indicateur « État de droit », qui ressort souvent dans les études
empiriques comme le plus essentiel au développement
économique, prend notamment la mesure du sentiment de
confiance des citoyens dans le respect du droit des contrats, des
droits de propriété, des forces de l’ordre et du système
judiciaire. C’est aussi sous l’angle de la confiance
institutionnelle que les travaux de la Banque mondiale sur la
corruption mettent en valeur la confiance.

Au plan théorique, on retrouve l’idée d’un chassé-croisé entre


confiance institutionnelle et confiance interpersonnelle. Cette
dernière joue en effet un rôle ambigu dans le développement
économique et politique des sociétés  : elle est réputée
nécessaire au développement, mais un des signes de celui-ci
consiste dans le passage de relations interpersonnelles à des
relations de confiance institutionnelle, réglées par l’État de droit
(«  le problème de la confiance [interpersonnelle]  », note
Dasgupta [2007] qui tente de mettre au jour les facteurs
fondamentaux du développement des nations, « est résolu par
la construction d’une confiance [dans les institutions] »). Dans la
même veine, Ahlerup et al. [2009] montrent que l’influence de
la confiance interpersonnelle est d’autant moins grande pour le
développement que le niveau de la confiance institutionnelle
est élevé.

Cette importance économique équivoque de la confiance, entre


les personnes et dans les institutions, se décline selon diverses
modalités, et d’abord à travers les mécanismes de confiance
entre les organisations et en leur sein qui forment la trame du
système économique.

Confiance, contrats et
organisations économiques

Lorenz [1999] rappelle que la théorie économique standard a


historiquement consacré très peu d’énergie à la compréhension
des liens sociaux tels que la confiance du fait de la prévalence
de l’hypothèse de rationalité parfaite qui est censée permettre
aux agents économiques de négocier des contrats complets
(couvrant toutes les contingences possibles et imaginables) sans
coût. Les contrats incomplets, qui supposent un aléa moral d’un
côté ou de l’autre des parties à l’échange, ont fait l’objet de trois
courants de travaux : l’analyse en termes de droits de propriété,
de contrats implicites et de coûts de transaction.

L’originalité de l’approche de Lorenz consiste à penser ces


contrats incomplets comme des instruments de construction
des relations de confiance par des agents dotés d’une rationalité
limitée : après s’être engagés dans une transaction économique
de manière restreinte, les partenaires augmentent leur
implication économique et donc leur exposition au risque
d’être trahis, «  pas à pas  », à mesure qu’ils reçoivent de leurs
coéchangistes des signaux rassurants quant à leur fiabilité.

Cette confiance contractuelle a pour théâtre privilégié la vie des


organisations, et notamment des entreprises, à la fois en
interne et dans le réseau de leurs interdépendances (les travaux
sur la confiance organisationnelle remontent à l’ouvrage
d’Argyris [1964]).

La confiance se manifeste ainsi entre organisations (entre


entreprises de différentes natures, par exemple entre une usine
de production automobile et un de ses fournisseurs
d’accessoires). Barney et Hansen [1994] ont identifié trois types
de confiance organisationnelle selon le contexte institutionnel
(voir tableau 5).

Ce lien entre nature de la confiance interorganisationnelle et


contexte institutionnel (et notamment juridique), qui a été par
exemple mis en lumière par Zucker [1986], fait écho à la notion
déjà évoquée d’encastrement social de la confiance.

Mais un courant important de la littérature sur la confiance


organisationnelle se préoccupe aussi de la question de la
confiance intra-organisation et donc du rapport entre
gouvernance d’entreprise et confiance. Bradach et Eccles [1989]
font à ce sujet remarquer que les mécanismes de prix,
d’autorité et de confiance ne sont pas mutuellement exclusifs et
peuvent se combiner dans les relations entre entreprises et au
sein de l’entreprise. En particulier, si la combinaison «  prix-
autorité » prend toute son importance dans les relations au sein
de l’entreprise, la combinaison «  prix-confiance  » est souvent
mobilisée pour mieux contrôler les transactions entre
entreprises.

Mayer et al. [1995] s’attachent pour leur part à préciser les


ressorts de la confiance entre dépositaire de la confiance
(trustee) et mandant de la confiance (trustor) au sein d’une
organisation (par exemple dans le cadre d’un contrat de
travail). C’est la perception par le mandant des qualités du
mandataire qui va former la fiabilité et donc, en retour, bâtir la
confiance. Ces qualités sont la compétence (la perception que le
mandataire possède les talents requis pour la tâche qui lui est
confiée), la bienveillance (la perception qu’a le mandant que le
mandataire se soucie de lui) et enfin l’intégrité (la perception
que le mandataire se conforme à un ensemble de principes que
le mandant considère comme acceptables). Le résultat de la
confiance, si elle parvient à s’établir sur la base de ces
mécanismes, sera une prise de risque initiale de la part du
mandant. Si celle-ci se révèle payante, un risque plus grand sera
pris et ainsi de suite. Fiabilité et confiance se renforcent dans un
cercle vertueux.

Tableau 5. Trois types de confiance organisationnelle

Source : Barney et Hansen [1994].

La confiance est en somme présentée dans cette littérature


organisationnelle comme un mécanisme susceptible de rendre
plus réaliste l’approche microéconomique par les coûts de
transaction (telle qu’elle a été notamment développée par
Coase [1937] et Williamson [1985]). Même si les relations de
confiance ne sont pas explicitement abordées dans la théorie de
l’entreprise de Coase, on peut rapprocher celle-ci des travaux de
Luhmann  : l’entreprise permettrait de sécuriser des relations
qui ne feraient plus l’objet d’un calcul de confiance, mais
relèveraient, une fois internalisées, d’une habitude de
confiance, et réduirait donc les coûts de transaction identifiés ici
à des coûts de calcul de la confiance. Les relations de travail au
sein de l’entreprise, à commencer par le contrat de travail entre
employeur et employé, relèveraient de cette réduction
d’incertitude économique. Comme le souligne Thuderoz [1999],
« la confiance et la loyauté viennent ainsi résoudre, en partie, la
classique incomplétude du contrat salarial  ». La confiance par
contractualisation entre organisations et au sein de celles-ci est
donc un chantier permanent.

Confiance et gouvernance
écologique

Il existe une relation fondamentale, mais souvent négligée,


entre capital naturel et capital social, entre préservation des
ressources naturelles et relations de confiance, qui fut rappelée
en conclusion de sa conférence de réception du prix
d’économie par Elinor Ostrom en décembre  2009 [Ostrom,
2009]. Prenant appui sur la vaste littérature théorique et
empirique à laquelle elle a abondamment contribué, elle
souligna alors l’importance pour la gouvernance
environnementale de ce « mot de cinq lettres » (trust).

Elinor Ostrom fut une des premières à militer pour que le


capital social (dont les relations de confiance constituent à ses
yeux la pièce maîtresse) soit «  pris aux sérieux et non pas
considéré comme une mode passagère  » [Ostrom, 2000]. Elle
s’est aussi efforcée de cerner la spécificité du capital social par
rapport au capital physique : « Les similitudes entre les diverses
formes de capital social conduisent à des différences clés entre
le capital social et le capital physique », rappelle Ostrom. Elle en
repère quatre principales : « Le capital social ne s’use pas quand
on l’utilise mais plutôt quand on ne s’en sert pas ; il est malaisé
de le voir et de le mesurer  ; il est difficile de construire du
capital social au moyen d’une intervention extérieure  ; les
institutions nationales et locales ont une influence décisive sur
le type de capital auquel les individus ont accès pour
poursuivre leur coopération de long terme. »

Dans ce cadre conceptuel, ses travaux empiriques conduisent à


constater qu’à des «  ressources [naturelles] en bon état  »
correspondent des «  utilisateurs dont les intérêts sont de long
terme et qui investissent dans la construction et la supervision
de relations de confiance  » (voir Ostrom [2009], cette
thématique se trouvant déjà au cœur de son ouvrage majeur,
Governing the Commons [1990]).

Dans un de ses derniers articles [Brondizio et al., 2009], elle


revient avec ses coauteurs sur l’importance pratique de la
confiance placée par les individus dans les principes de
gouvernance environnementale locale, elle-même encastrée
dans des réseaux sociaux qui la dépassent et l’influencent. C’est
dans l’articulation entre ces différents niveaux sociaux et de
gouvernance que réside la complexité de la gouvernance
environnementale (cette complexité pouvant être appréhendée
selon une « approche polycentrique » [Ostrom, 2011] qui tente
de saisir les conséquences de cette superposition
institutionnelle ; voir figure 3).

Elle note ainsi avec ses coauteurs  : «  Quand les humains font
face à des dilemmes sociaux ou des situations d’action
collective tels que ceux qu’induit la régulation des
écosystèmes… les participants doivent trouver des façons de
créer des attentes qui se renforcent mutuellement et qui
engendrent de la confiance, ils pourront alors vaincre les
tentations perverses auxquelles ils font face à court terme. Ces
accords peuvent être fondés sur l’apprentissage mutuel de la
meilleure façon de travailler ensemble… ou sur l’évolution d’un
ensemble de normes et/ou la construction d’un ensemble de
règles permettant que l’action collective perdure, les
engagements étant respectés et des sanctions imposées en cas
de non-exécution.  » C’est dans la confiance qu’accordent les
participants qui exploitent ensemble une ressource naturelle
aux institutions communes qu’ils ont eux-mêmes créées et
dont ils assurent le respect et la pérennité, mais dont l’intégrité
est garantie par une autorité publique extérieure qui pour
autant ne se substitue pas aux institutions locales, que réside le
ressort d’une gouvernance environnementale efficace. Cette
analyse est prolongée par exemple par Folke [2006], pour qui
les relations de confiance sont indispensables pour permettre
aux systèmes social-écologiques de s’adapter aux nouvelles
conditions environnementales (sur le rapport entre confiance
et transition énergétique, voir Rayner [2010]).
Partha Dasgupta revient lui aussi dans plusieurs textes sur
l’importance de la confiance institutionnelle dans la gestion des
ressources naturelles exploitées en commun (ou common
property ressources), dont on ne peut pas facilement exclure les
usagers, mais qui sont rivales et ne se confondent donc pas avec
les ressources en accès libre (open access). L’important dans ces
systèmes de gouvernance environnementale est bien la valeur
accordée par les participants aux bénéfices futurs tirés de la
coopération sociale, qui permet que les individus adoptent un
faible taux d’actualisation qui, du coup, confère de la valeur à la
préservation de la ressource administrée en commun (voir par
exemple Dasgupta [2005]). Les mécanismes de confiance et de
défiance se trouvent aussi au cœur de la formation des
coalitions dans les négociations internationales sur les biens
publics globaux environnementaux, à commencer par le climat
(voir, sur ce point, Finus [2008]).
Figure 3. Gouvernance environnementale locale et
relations de confiance selon Elinor Ostrom

Source : Ostrom [2011].

Confiance et performances
économiques
Dès le début des années  1970, Akerlof [1970], précurseur de
l’économie de l’information imparfaite et notamment de
l’analyse économique en situation d’asymétrie d’information,
remarquait que les garanties informelles non écrites dont la
confiance fait partie sont des « préconditions de l’échange et de
la production  ». Sans confiance, l’échange économique est
comme entravé, sinon empêché. On l’a vu, cette théorie
négative des coûts de la non-confiance a laissé la place dans la
période récente à une approche positive des gains de la
confiance, et plus précisément du rôle de celle-ci dans les
performances économiques respectives des nations.

C’est ainsi que Francis Fukuyama [1995] a cherché à expliquer


les performances macroéconomiques de certains pays par leur
niveau de confiance social. Pour Fukuyama, la confiance est un
«  trait culturel  » national (il parle à son sujet de «  sociabilité
spontanée  ») quantifiable et forcément bienfaisant. Alors que
son étude ne comporte aucun élément empirique robuste, le
ton de Fukuyama est pourtant hyperbolique : « Une des leçons
les plus importantes que nous puissions retenir de l’examen de
la vie économique est que le bien-être d’une nation, de même
que sa capacité à être compétitive, tient à un seul trait culturel
général : le niveau de confiance inhérent à la société » (sur les
doutes que l’on peut légitimement nourrir à l’endroit de
l’analyse de Fukuyama, on renvoie à Ponthieux [2006]).

En utilisant les incertaines réponses à la problématique


question de « confiance généralisée » de la World Values Survey
(voir supra), Knack et Keefer [1997] et La Porta et al. [1997]
parviennent à établir empiriquement ce lien supposé par
Fukuyama entre performances économiques et niveau de
confiance en montrant que les pays où la «  coopération
horizontale  » (au sein d’associations et de réseaux divers)
prévaut font mieux économiquement que les pays marqués
par des structures verticales du type religieux ou autoritaire
parce que la confiance sociale y est plus élevée. D’autres études
ont depuis confirmé cette association, tandis que certains
travaux l’ont infirmée (par exemple, Helliwell [1996]).

Bjørnskov [2006b] passe en revue les études existantes sur ce


thème et conclut qu’une « littérature substantielle indique que
la confiance sociale est associée avec un ensemble de résultats
macroéconomiques  » positifs, notamment le taux de la
croissance économique et le niveau de revenu mesuré par le
PIB par habitant. L’étude de Knack et Zack [2001], par exemple,
portant sur quarante et un pays, suggère une augmentation
moyenne de croissance du PIB de 1  point pour chaque
augmentation de 15  points de la confiance généralisée sur la
période  1970-1992. Dans la même veine, Zack [2003] affirme
l’existence d’un lien empirique solide entre confiance
généralisée et revenu par habitant.

Ces études, qui ont le mérite de vouloir pousser à son terme


l’approche utilitaire et quantitative de la confiance, soulèvent
des questions standard de méthodologie économétrique
(corrélations inverses, variables omises, corrélations
spécieuses,  etc.) qui font l’objet d’un débat intense entre
chercheurs. Mais leur problème commun plus profond est la
haute incertitude qui entoure leur qualité scientifique compte
tenu de la mesure de la confiance qu’elles utilisent (voir plus
haut). Comme l’indicateur de confiance généralisée est entaché
d’incertitude, les résultats des travaux qui en font usage,
souvent sans signaler ses limites, sont nécessairement eux-
mêmes sujets à caution.

Sur ce point, Beugelsdijk [2006] met en garde contre la


confusion analytique qu’implique le passage du niveau micro
au niveau macro. L’auteur note le décalage entre l’argument
théorique dérivé des études microéconomiques et les tests
empiriques réalisés à partir de l’association statistique entre
données de confiance généralisée et performances
macroéconomiques. Il est très douteux selon lui que les
données de confiance généralisée parviennent à saisir l’effet de
réduction des coûts de transaction postulé au niveau des
organisations et de la gouvernance des entreprises (voir supra).
Et l’auteur de conclure que si les données de confiance
généralisée saisissent un sentiment de confiance, il s’agit plutôt
de la confiance envers les institutions et non celle entre les
personnes.

Confiance, monnaie et crises


monétaires
L’analyse qualitative de l’importance de la confiance dans les
phénomènes monétaires se révèle bien plus intéressante et
nettement plus robuste. Comme le dit Théret [2008b] : « Depuis
que les monnaies de crédit l’ont emporté sur les monnaies
métalliques, il est banal d’affirmer que la monnaie repose sur la
confiance.  » Le lien analytique entre monnaie et confiance
trouve son origine dans les études simmeliennes et c’est sans
doute François Simiand [1934] qui en a exprimé le plus
clairement la nature organique  : «  [La valeur d’une monnaie]
n’est pas faite d’éléments physiques, quantifiés ou quantifiables,
entre lesquels [s’établit] un rapport mathématique qui constitue
ou mesure cette valeur. [Elle] est [faite] d’appréciation,
d’estimations, de croyances, de confiance, de défiance, produits
de sentiment autant que de raison […]  : c’est simplement et
d’ensemble une croyance et une foi en cette expression de
valeur qui porte la marque d’un pays » [cité par Orléan, 2009].

Le rapport entre devise nationale et confiance sur les marchés


internationaux se formule simplement, comme le rappelle
Bruno Théret  : «  Sur les marchés des changes, les monnaies
nationales sont évaluées en raison du degré de confiance
qu’elles inspirent aux opérateurs financiers, degré de confiance
estimé en fonction de la capacité présumée des autorités
monétaires des nations à honorer leurs dettes publiques et
privées.  » Le rapport, au sein d’une nation, entre monnaie et
confiance est plus complexe. Pour Aglietta et Orléan [2002], « la
monnaie ne procède pas de l’État, mais d’une confiance diffuse
et prégnante qui trouve son fondement originel dans l’adhésion
mimétique ». Les auteurs précisent : « La confiance n’est pas un
contrat. Ce n’est pas une relation interindividuelle mais un
rapport de chaque agent privé à la collectivité dans son
ensemble… La confiance s’exprime dans l’acceptabilité
inconditionnelle de la monnaie. Comme cette acceptabilité n’a
pas de garantie “naturelle”, elle peut être perturbée, voire
détruite, dans les crises monétaires. »

La monnaie peut donc se comprendre, dans cette approche


mêlant subtilement économie, sociologie et science politique,
comme de la confiance sociale cristallisée (ce que traduit par
exemple l’expression In God we trust imprimée sur les billets de
banque des États-Unis, mais aussi, plus prosaïquement, la
signature, qui fait office de garantie, du président de la Banque
centrale européenne sur les billets d’euros).

Dès lors, la confiance dans la monnaie dépasse la question de la


puissance publique et la crise de la monnaie est bien plus
qu’une crise de souveraineté politique entendue au sens étroit
du pouvoir de l’État  : c’est une crise de la légitimité sociale.
« Rétablir la confiance », c’est restaurer cette légitimité.

Aglietta et Orléan concluent sur la portée sociale considérable


de la monnaie  : «  Telle est l’ambivalence de la monnaie. D’un
côté, la confiance collective dans la monnaie est promesse
d’harmonie dans les échanges ; de l’autre, le pouvoir de l’argent
déclenche des crises qui sont des facteurs de désordre dans
l’ensemble de l’économie… »

Précisément, Théret [2008a] montre de quelle manière ces


crises déchirent le voile de la monnaie pour laisser apparaître
les rapports sociaux qui en forment le tissu. Pour Aglietta
[2008], les crises monétaires sont des crises de confiance au
premier chef  : une crise monétaire est une crise de confiance
non seulement dans toutes les dimensions de la monnaie (unité
de compte, moyen de paiement, réserve de valeur), mais aussi
dans les institutions politiques qui la sous-tendent.

Théret [2008a] identifie des «  petites crises  » monétaires de


légitimité, qui se manifestent par un fractionnement du
système de paiement (crise du monnayage) tel que l’Allemagne
a pu en connaître au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
jusqu’en 1948. Tout autres sont les «  grandes crises  »
monétaires, comme la crise de souveraineté telle que celle
traversée par l’Allemagne juste avant la Première Guerre
mondiale et jusqu’en 1923, qui se manifestent par une
dévalorisation du système de paiement interne du fait de
l’introduction d’une monnaie externe.

Tant qu’elle n’aboutit pas à une redéfinition de l’État de droit et


donc à la restabilisation des horizons sociaux, la crise
monétaire emprunte les traits d’une régression
institutionnelle : la crise de confiance dans l’État de droit (ou les
institutions au sens large) devient une crise de la norme sociale
qui se mue finalement en crise de la confiance
interpersonnelle. La crise monétaire déconstruit en quelque
sorte la confiance institutionnelle et renvoie les citoyens aux
rapports privés de confiance.
La confiance prend également une part importante dans les
modèles de crise financière élaborés notamment par Charles
Kindleberger et Hyman Minsky, mais il s’agit plus d’une
croyance irrationnelle dans l’appréciation continue du prix des
actifs que de confiance à proprement parler. Lorsque cette
croyance s’effondre, elle cède la place à une croyance tout aussi
irrationnelle dans le sens inverse. Même si le langage populaire
et certains chercheurs parlent au sujet des bulles spéculatives
de phénomènes d’«  excès de confiance  », ceux-ci ne
correspondent pas aux mécanismes de la confiance tels que
nous avons tenté de les circonscrire. En un sens, les crises
financières sont davantage des crises de projection dans le
temps que des crises du lien social, des crises de l’avenir
collectif et non du passé commun. Une autre différence
majeure entre crise monétaire et crise financière réside dans le
mimétisme qui caractérise ces dernières : on pourrait dire que,
dans les crises financières, tout le monde fait pareil, tandis que,
dans les crises monétaires, personne ne fait plus pareil.

Cette thématique des crises financières amène naturellement à


considérer le rôle de la confiance dans la conduite de la
politique économique, monétaire, mais aussi budgétaire. On se
contentera de noter ici que la théorie économique aborde
généralement ce sujet au moyen de deux autres concepts, les
anticipations des agents et la crédibilité des autorités publiques
[Mignon, 2010].
Confiance et statistiques
économiques

Justement, la confiance dans les statistiques publiques se situe


dans une position intermédiaire, entre la confiance dans les
institutions politiques et la confiance dans la parole de l’expert.
Cette relation est subtile. Comme le souligne Charpin [2010],
« l’opinion fait spontanément plutôt confiance aux institutions
statistiques et aux professionnels qui y travaillent. En revanche,
dans ce domaine comme dans d’autres, elle se méfie des
autorités politiques, ce qui la conduit à s’inquiéter des
interférences politiques dans l’utilisation des statistiques, voire
dans leur production ».

Il y a d’ailleurs une spécificité française en la matière, bien mise


en lumière par Chiche et Chanvril [2016], qui ont exploité les
données de la 7e  vague du Baromètre de la confiance du
Cevipof et qui notent : « Si on compare ces taux de défiance aux
autres questions portant sur les institutions politiques,
publiques, qu’elles soient régaliennes ou pas, privées ou
internationales, il faut bien se rendre à l’évidence  : les
indicateurs statistiques obtiennent des résultats parmi les
pires  » (les auteurs rapportent que seuls 38  % des Français
disent faire confiance aux «  chiffres de la hausse des prix  »,
36  % à ceux de la «  croissance économique  » et 28  % aux
«  chiffres de chômage  »). «  Nous constatons, écrivent les
auteurs, que la France reste parmi les pays les plus défiants
envers la statistique officielle (26e en 2009, 27e en 2015) » sur les
vingt-huit pays européens étudiés.

Il importe de remarquer que la compétence de l’Insee n’est


nullement en cause dans la défiance statistique française.
Comme le notent à nouveau Chiche et Chanvril, qui rapportent
les résultats d’une enquête régulière, l’Insee bénéficie d’une
bonne image auprès des Français. La dernière enquête
disponible, de mai 2015, montre ainsi que « l’Institut français est
parfaitement connu (91 %), a une excellente image (71 %), ses
missions sont bien comprises à 63  %  ». Cependant, «  55  % des
personnes interrogées n’ont pas confiance dans les chiffres et
données publiés ».

Si la défiance statistique est bien réelle en France et plus forte


qu’ailleurs en Europe, c’est ainsi d’abord parce que les citoyens
redoutent l’instrumentalisation politique des données
notamment économiques.

La charte des «  Principes fondamentaux de la statistique


officielle  » des Nations unies souligne pourtant que «  la
nécessaire confiance du public dans l’information statistique
officielle repose dans une large mesure sur le respect des
valeurs et des principes fondamentaux sur lesquels est fondée
toute société démocratique désireuse de se connaître elle-
même et de respecter les droits de ses membres » et dispose en
son alinéa 2 :

«  Pour que se maintienne la confiance dans l’information


statistique officielle, les organismes responsables de la
statistique doivent déterminer, en fonction de considérations
purement professionnelles, notamment de principes
scientifiques et de règles déontologiques, les méthodes et les
procédures de collecte, de traitement, de stockage et de
présentation des données statistiques. »

La défiance contemporaine envers la manipulation des


indicateurs économiques par la puissance publique, sans doute
aussi ancienne que l’invention de ces indicateurs mais rendue
plus aiguë par l’envahissement de l’espace public par la
statistique économique, induit une défiance banalisée qui mine
la confiance institutionnelle aussi sûrement que les épisodes
violents de crise monétaire  : «  L’opinion et la presse adhèrent
majoritairement à un scepticisme mou, dénué d’agressivité
mais ravageur, tant la confiance est nécessaire à l’utilité de la
statistique  » [Charpin, 2010]. Or la confiance des citoyens dans
les grands indicateurs économiques sous-tend leur confiance
dans la puissance publique et la légitimité, à leurs yeux, de
l’impôt. Il y a donc un lien, qui tend à s’éroder, entre confiance
dans la statistique publique et consentement à l’impôt (sur ce
dernier point, voir Delalande [2011]).

Il y a un lien tout à fait évident entre cette défiance statistique


et la défiance croissante des citoyens envers les médias,
phénomène qui dépasse le cadre de cet ouvrage.

Une critique encore plus profonde des indicateurs économiques


a été formulée par les auteurs du rapport Stiglitz-Sen [Stiglitz et
al., 2009a  ; 2009b]  : «  Il semble souvent exister un écart
prononcé entre, d’une part, les mesures habituelles des grandes
variables socioéconomiques comme la croissance, l’inflation, le
chômage,  etc. et, d’autre part, les perceptions largement
répandues de ces réalités. Les mesures usuelles peuvent, par
exemple, laisser à entendre que l’inflation est moindre ou la
croissance plus forte que ne le ressentent les individus  ; cet
écart est si important et si répandu qu’il ne peut s’expliquer
uniquement en se référant à l’illusion monétaire ou à la
psychologie humaine. Ce phénomène a, dans certains pays,
sapé la confiance à l’égard des statistiques officielles (en France
et en Grande-Bretagne, par exemple, un tiers des citoyens à
peine fait confiance aux chiffres officiels, et ces pays ne sont pas
des exceptions) et a une incidence manifeste sur les modalités
du débat public sur l’état de l’économie et les politiques à
conduire.  » La France a tenté au cours des dernières années
d’apaiser cette défiance statistique, mais cette tentative s’est
pour l’heure soldée par un échec cuisant (voir encadré 9).

Encadré  9. Nouveaux indicateurs  : la


malheureuse expérience française

La loi du 13 avril 2015, dite « loi Sas » (du nom de la députée


écologiste Éva Sas, qui l’a portée), adoptée à l’unanimité par
l’Assemblée nationale le 29 janvier 2015, vise à la « prise en
compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la
définition des politiques publiques ». Dès sa promulgation,
le gouvernement s’est saisi de cette loi pour lui donner vie,
de deux manières : d’une part, en organisant un processus
de sélection des indicateurs appelés à figurer dans un
rapport devant, aux termes de la loi Sas, être remis au
Parlement «  le premier mardi d’octobre  » de chaque
année  ; d’autre part, en publiant en 2015 et en 2016 le
rapport en question à destination du Parlement et du grand
public. Hélas, dans un cas comme dans l’autre, l’action
publique n’a pas été à la hauteur de l’enjeu.

L’orientation générale du processus de sélection des


«  nouveaux indicateurs de richesse  » (confiée
conjointement à France Stratégie et au Conseil
économique, social  et environnemental en 2015) posa
d’emblée problème : les premiers documents évoquaient la
recherche d’indicateurs pertinents de «  qualité de la
croissance  » et non de dépassement du PIB. Mais c’est
surtout l’encadrement du processus, supposé faire la part
belle au «  débat  » et à la «  consultation citoyenne  », qui a
vidé de son sens la concertation annoncée, pour la réduire
à une validation de choix discrétionnaires et éminemment
discutables par le pouvoir exécutif. Le cadrage a priori par
France Stratégie et le recadrage a posteriori par le
gouvernement, sans concertation dans les deux cas, auront
ainsi abouti à choisir sept des dix indicateurs finalement
retenus.

In fine, non seulement le pouvoir performatif des


indicateurs retenus a été nul, faute de s’inscrire clairement
dans un cadre de politique publique et d’avoir fait l’objet
d’une sélection rigoureuse, mais leur instrumentalisation
par le gouvernement contrevient à la vocation même des
indicateurs alternatifs, qui est d’éclairer aux yeux des
décideurs et des citoyens des réalités essentielles mais mal
connues. La publication du rapport 2017, longtemps
différée, a eu lieu en février  2018 dans la plus grande
indifférence. Le mauvais usage des indicateurs alternatifs
par le gouvernement sur la base d’une loi utile aura donc
accru encore la défiance statistique en France au lieu de
contribuer à l’atténuer.

Le développement de nouveaux indicateurs de bien-être, de


résilience et de soutenabilité [Laurent, 2018b], mieux à même
de mesurer ce qui compte vraiment aux yeux des citoyens,
apparaît pourtant aussi nécessaire que l’usage sincère de ceux
qui sont aujourd’hui couramment utilisés. Notons de manière
intéressante que, selon le Baromètre de la confiance politique du
Cevipof [2019a], les Français font davantage confiance aux
statistiques ayant trait au changement climatique qu’aux
données macroéconomiques, à commencer par les chiffres de
la croissance économique. Ces dernières considérations nous
conduisent directement aux rapports qu’entretiennent
confiance et démocratie.
VI. Confiance et démocratie
Éloi Laurent

Les bienfaits civiques et politiques


de la confiance

L ’origine contemporaine des travaux sur les bienfaits


civiques et politiques de la confiance remonte sans doute
au volume dirigé par Robert Putnam [1993]. Il s’y attache avec
d’autres à relier vertus civiques et qualité des institutions
politiques dans l’Italie moderne, ce qui le conduit à distinguer
des «  régions civiques  » et des «  régions inciviques  » qui se
caractérisent respectivement par des institutions de qualité
inégale (mauvaises dans les régions inciviques du Sud, bonnes
dans les régions civiques du Nord).

Il s’efforce également de montrer qu’une partie importante des


écarts de développement entre régions italiennes s’explique par
un « capital social » plus ou moins important, lui-même hérité
de la culture et de l’histoire. La qualité des politiques publiques,
mais aussi le bon fonctionnement des marchés viendraient
dans l’approche de Putnam de l’aptitude à la coopération
sociale, elle-même assise sur le capital social qu’entretiennent
(ou non) les populations au fil des ans.

Dans son article de 1995, Putnam applique son raisonnement


aux États-Unis pour affirmer que « la qualité de la vie publique
et la performance des institutions sociales […] sont influencées
de manière déterminante par les normes et les réseaux
d’engagement civique » [Putnam, 1995]. À partir du constat du
dépeuplement progressif des ligues de bowling aux États-Unis,
il postule le déclin progressif mais continu du capital social dans
le pays (capital social, nous l’avons déjà mentionné, qu’il définit
comme «  les traits de la vie sociale —  réseaux, normes et
confiance — qui facilitent la coopération et la coordination pour
un bénéfice mutuel » ou, plus précisément encore, comme « les
réseaux qui relient entre eux les membres d’une société et les
normes de réciprocité et de confiance qui en découlent  »,
[Putnam, 2007]). Le déclin du capital social entraînerait dans sa
chute la participation démocratique et donc, finalement,
dégraderait la qualité de la vie publique.

On l’a évoqué, selon Rothstein [2005], l’absence de confiance


conduit les individus à tomber dans des «  pièges sociaux  »
extrêmement coûteux pour la société dans son ensemble. À
l’inverse, il y aurait beaucoup de bienfaits sociaux, sociétaux et
politiques à attendre de la confiance. Bjørnskov [2006b] recense
ainsi un nombre important d’études qui parviennent à établir
un lien empirique entre « confiance généralisée » et qualité de
l’État de droit, qualité générale de la gouvernance, faible
corruption, bon niveau d’éducation, faible niveau de violence et
bien-être subjectif plus important.

Sans revenir sur les limites patentes de l’indicateur de


confiance généralisée, remarquons avec Rothstein et Uslaner
[2005] que deux séries de corrélations s’articulent ici, aux
niveaux micro- et macrosocial  : au niveau individuel, les
individus qui disent faire preuve de confiance généralisée ont
aussi une bonne opinion des institutions de la démocratie, ont
plus de chances de participer au débat public et d’être actifs
dans les organisations civiques. Ils font également preuve de
davantage de générosité à l’égard d’œuvres caritatives et se
disent plus tolérants à l’égard des minorités et des autres en
général. Les « gens confiants » se déclarent aussi plus optimistes
sur leur capacité d’influencer leur propre destin et plus
heureux. Au niveau macro, les villes, les régions et les nations
qui comptent dans leurs rangs plus de «  gens confiants  » (au
sens de la confiance généralisée) sont susceptibles d’avoir de
meilleures institutions démocratiques, moins de crime et de
corruption.

Deux problèmes se font dès lors jour. Le premier concerne la


«  circularité logique  » identifié par Portes [1998] au sujet du
capital social  : de même que le capital social peut n’être rien
d’autre que la résultante du capital social, la confiance peut
apparaître comme le résultat de la confiance. Le second
problème a trait au rapport de causalité entre confiance et
qualité des institutions  : Bjørnskov [2006b] montre à l’aide
d’une analyse empirique que c’est le niveau de confiance
généralisée qui influence la qualité des institutions politiques ;
mais, pour Rothstein [2008], confiance sociale et qualité des
institutions se renforcent mutuellement.

C’est une approche plus nuancée des effets politiques de la


confiance que développe Charles Tilly [2005], pour qui la
dynamique démocratique se caractérise par une dialectique
d’intégration et de mise à distance des réseaux de confiance : si
les réseaux de confiance prennent trop de place dans l’espace
public, l’autorité de la règle commune est menacée, mais si ces
mêmes réseaux se retirent complètement de l’espace public, la
démocratie se trouve comme vidée de sa substance
(privatisation du système de santé, de l’école…). Qu’en est-il de
la confiance entre gouvernés et gouvernants ?

Éloge de la défiance

À première vue, la confiance envers les gouvernés semble


indispensable à tout gouvernement. On trouve trace de cette
centralité notamment dans les Entretiens de Confucius [1896] :

« XII.7. Tzeu koung interrogea Confucius sur l’art de gouverner.


Le Maître répondit : “Celui qui gouverne doit avoir soin que les
vivres ne manquent pas, que les forces militaires soient
suffisantes, que le peuple lui donne sa confiance.” Tzeu koung
dit  : “S’il était absolument nécessaire de négliger une de ces
trois choses, laquelle conviendrait-il de négliger ? — Les forces
militaires”, répondit Confucius. “Et s’il était absolument
nécessaire d’en négliger encore une seconde, dit Tzeu koung,
quelle serait-elle ? — Les vivres, répondit Confucius, car de tout
temps les hommes ont été sujets à la mort, mais si le peuple n’a
pas confiance en ceux qui le gouvernent, c’en est fait de lui.” »

Mais le rôle de la confiance dans les systèmes libéraux et


démocratiques se révèle, une fois encore, équivoque. John
Locke, au chapitre  XIX du Second Treatise on Government
consacré à la  «  dissolution du gouvernement  » [1690], insiste
ainsi longuement sur les conséquences de la trahison par les
gouvernants de la confiance placée en eux par le peuple : selon
lui, le pouvoir parlementaire n’est qu’un « pouvoir fiduciaire »
qui ne peut agir qu’en vue d’une certaine fin et qui peut être
déposé quand la confiance des mandants est trahie. Dans un
renversement complet de la logique du pouvoir absolutiste,
Locke fait du gouvernement le simple dépositaire de la
confiance d’un peuple mandant qui n’accorde son
consentement que de manière conditionnelle.

La confiance est donc le lien essentiel qui unit les gouvernants


et les gouvernés dans la théorie libérale de Locke, mais aussi le
critère de l’éventuel renversement d’un gouvernement. Cette
«  défiance libérale  » est encore au cœur de nos systèmes
parlementaires (à travers l’usage des «  motions de confiance  »
ou de défiance du pouvoir parlementaire envers le pouvoir
exécutif, le cas de la « motion de défiance constructive » prévue
par la loi fondamentale allemande se révélant particulièrement
intéressant ; voir encadré 10).
On peut aller plus loin. Delhey et Newton [2005] mettent ainsi
en lumière le caractère paradoxal de la relation
qu’entretiennent confiance et démocratie : la défiance à l’égard
du pouvoir politique conduit les démocraties à mettre en place
des arrangements institutionnels qui limitent la possibilité
donnée aux gouvernants de trahir la confiance des citoyens. La
séparation des pouvoirs, le contrôle judiciaire, une presse libre
sont autant de mécanismes qui permettent de s’assurer que,
quelle que soit la moralité personnelle des gouvernants, ils ne
pourront pas abuser de leur pouvoir au-delà d’une certaine
limite. Ces mêmes règles et contrôles s’appliquent pour les
fonctionnaires.

On peut dès lors envisager les bienfaits de la défiance politique,


comme semble le faire Levi [1998]. Selon elle, la défiance à
l’égard des gouvernants sert à former des structures sociales
qui protègent ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes
et à améliorer les institutions existantes. Dans le rapport à la
démocratie, la dialectique entre confiance et défiance est donc
subtile  : «  La défiance peut conduire à des institutions
meilleures et donc favoriser la coopération et non l’entraver.
Au contraire, les réseaux de confiance fermés peuvent […]
réduire les différentes formes d’échanges sociaux » [Cook et al.,
2005]. Dans la même veine, Barber [1983] montre que la
défiance n’est pas synonyme de désagrégation de l’ordre social,
au contraire  : la défiance est déterminante dans sa
préservation.
Encadré  10. Motion de défiance constructive et
motion de confiance dans la loi fondamentale
allemande (en vigueur au 19  décembre 2000,
48e loi de modification)

Article 67 (motion de défiance constructive)

1) Le Bundestag ne peut exprimer sa défiance envers le


chancelier fédéral qu’en élisant un successeur à la
majorité de ses membres et en demandant au
président fédéral de révoquer le chancelier fédéral. Le
président fédéral doit faire droit à la demande et
nommer l’élu.

2)  Quarante-huit heures doivent s’écouler entre le


dépôt de la motion et l’élection.

Article  68 (motion de confiance, dissolution du


Bundestag)

1)  Si une motion de confiance proposée par le


chancelier fédéral n’obtient pas l’approbation de la
majorité des membres du Bundestag, le président
fédéral peut, sur proposition du chancelier fédéral,
dissoudre le Bundestag dans les vingt et un jours. Le
droit de dissolution s’éteint dès que le Bundestag a élu
un autre chancelier fédéral à la majorité de ses
membres.

2)  Quarante-huit heures doivent s’écouler entre le


dépôt de la motion et le vote.

Source : Loi fondamentale de la République fédérale


d’Allemagne, version en vigueur au 19 décembre 2000
(48e loi de modification). Traduction de l’Office de
presse et d’information du gouvernement fédéral,
revue et corrigée par C. Autexier, J.-F. Flauss,
M. Fromont, C. Grewe, O. Jouanjan et P. König,
www.leforum.de/fr/fr-traite-grundgesetz0.htm.

Dans un ordre d’idée voisin, Pierre Rosanvallon [2006] évoque


une « société de défiance » qui se trouverait au cœur de ce qu’il
nomme la « contre-démocratie » : la « démocratie à l’âge de la
défiance  » n’est pas synonyme de régression irrémédiable et
préjudiciable aux exigences de liberté, elle est «  la forme de
démocratie qui contrarie l’autre, […] la démocratie de la
défiance organisée face à la démocratie de la légitimité
électorale ». La défiance devient dans cette acception le moteur
d’une possible régénérescence de la démocratie par la
participation active et critique des citoyens. La première forme
de défiance démocratique identifiée par Rosanvallon est la
«  défiance libérale  » de Locke  : la résistance des citoyens face
aux abus de pouvoir, toujours possibles, des gouvernants. La
seconde forme de défiance démocratique repérée par
Rosanvallon est une défiance constructive qui fonctionne
comme un pouvoir d’alerte des citoyens. La question de la
confiance envers les médias est à cet égard un enjeu capital.

La défiance politique se prête donc mal au simplisme. Il est à


présent temps d’envisager, pour conclure cet ouvrage, les
moyens politiques de former ou de défaire la confiance, les
politiques de la confiance, mais aussi, dans le même
mouvement, d’évoquer les dérives des idéologies de la
confiance.
VII. Politiques et idéologies de la
confiance
Éloi Laurent

Les politiques de confiance

«  Construire du capital social n’est pas chose aisée, mais c’est


la clé pour faire fonctionner la démocratie  », affirme
Putnam [1993]. En effet, selon Rothstein [2005], les autorités
publiques peuvent autant «  détruire  » que «  construire  » le
capital social et donc les relations de confiance.

Tout ce qui accroît la distance sociale entre individus d’un


même groupe est réputé avoir une influence néfaste sur la
confiance interpersonnelle, tout ce qui la réduit est censé avoir
l’effet inverse  : ainsi, les inégalités économiques et
l’hétérogénéité culturelle diminueraient le degré de confiance
entre individus. Plus généralement, Nannestad et al. [2008]
proposent quatre grands types de déterminants potentiels de la
confiance interpersonnelle  : l’explication civique (par la
participation à des activités bénévoles et civiques, l’intensité de
la vie associative déterminant le degré de confiance),
l’explication institutionnelle (la qualité des institutions
expliquerait les niveaux de confiance, celle-ci résultant par
exemple de l’absence de corruption), l’explication culturelle (la
présence dans la société de certaines valeurs comme
l’optimisme et la transmission intergénérationnelle de ces
valeurs assureraient un haut niveau de confiance) et enfin
l’explication par la diversité, avec deux ramifications, l’inégalité
sociale (inégalité de revenu, de statut) et la diversité culturelle
(diversité ethnique, religieuse ou linguistique).

Remarquons d’emblée que les hypothèses culturelle et


institutionnelle s’opposent  : soit une amélioration des
institutions permettra d’augmenter le niveau de confiance dans
la société, soit de telles réformes seront parfaitement inutiles
car la confiance a un ressort culturel sur lequel les politiques
publiques n’ont que peu de prise. Ce débat est loin d’être
tranché dans la littérature et la question des politiques
susceptibles d’améliorer la confiance est particulièrement
retorse.

Encadré 11. Confiance et « modèle nordique »

L’attrait qu’exerce la thématique de la confiance sur les


chercheurs et les décideurs depuis quelques années doit
beaucoup au succès économique, social et sociétal des pays
nordiques, qui paraissent concilier l’inconciliable (équité et
efficacité, croissance économique et développement
humain, flexibilité et sécurité) dans un contexte de vigueur
civique et de stabilité démocratique. Les pays nordiques
sont d’ailleurs décisifs dans la littérature empirique sur la
confiance  : sans eux, les liens postulés entre confiance et
performance économique ou sociale deviennent encore
plus flous qu’ils ne le sont déjà. Ainsi, Delhey et Newton
[2005] soulignent que lorsqu’ils retirent les pays nordiques
de leurs régressions, le pouvoir explicatif de leur modèle
de référence se réduit quasiment de moitié.

Et si la confiance était le code secret du «  modèle


nordique  »  ? Et s’il suffisait d’augmenter celle-ci dans une
société donnée pour se rapprocher des performances
enviables (en matière de chômage, d’éducation ou d’égalité
de revenu) de la Suède, du Danemark ou de la Finlande ?

Cette idée repose sur une vision erronée de ce qu’est un


« modèle social ». Comme le soulignent Laurent et Lamont
[2010], il y a au moins deux façons de comprendre la
notion de «  modèle  ». La première est normative  : un
modèle national est un exemple (généralement loué pour
ses performances économiques et sociales) qui devrait être
imité par d’autres pays qui souhaitent avoir autant de
succès. La seconde, positive, est plus proche de l’idée de
système : un modèle national est un ensemble cohérent de
caractéristiques institutionnelles persistant dans le temps.
La persistance provient de la cohérence  : aussi longtemps
que le modèle n’est pas perclus par ses contradictions
internes, il est capable de faire tenir ensemble des
institutions potentiellement antagonistes. Cette seconde
définition du «  modèle  » est en tension avec la première  :
s’il est aussi difficile d’imiter un modèle national, de
«  copier-coller  » les institutions d’un pays à l’autre, c’est
parce qu’un modèle est un système, dont les institutions
font partie d’un ensemble cohérent. Vouloir isoler un
élément de ce modèle pour le reproduire hors sol n’a donc
guère de sens.

Du coup, vouloir imiter le « modèle nordique » est voué à


l’échec. En revanche, on peut sûrement s’inspirer
utilement de la «  méthode nordique  », c’est-à-dire de la
capacité collective continue des Nordiques de s’adapter aux
défis successifs auxquels ils sont confrontés par le dialogue
social [Grjebine et Laurent, 2008]. Mais la confiance, à la
fois entre les personnes et envers les institutions, ne joue-t-
elle pas un rôle essentiel dans la cohésion sociale qui
préside au dialogue social qui rend finalement possible cet
ajustement efficace du modèle nordique ? Ceci renvoie aux
caractéristiques spécifiques de la stratégie de croissance
des petits pays (il n’y a pas de « grand pays » nordique) telle
qu’elles furent éclairées par Simon Kuznets [Laurent et Le
Cacheux, 2010].

Selon Kuznets [1960], en effet, c’est avant tout la qualité des


institutions sociales et politiques des petits pays qui
explique leur capacité à s’adapter avec succès aux
changements économiques, la cohésion sociale
apparaissant comme un ressort essentiel de la
gouvernance efficace du petit pays et, partant, de son
dynamisme  : du fait d’une «  population réduite et donc
potentiellement plus homogène et plus soudée  », écrit
Kuznets, les petites nations peuvent plus aisément « opérer
les ajustements sociaux nécessaires pour tirer parti des
potentialités de la technologie et de la croissance
modernes ».

Kumlin et Rothstein [2005] font de manière convaincante


l’hypothèse que c’est la nature universelle de l’État-providence
qui permet d’accroître la confiance sociale tandis que les
programmes sociaux sous condition de ressources affaiblissent
celle-ci. Les auteurs recommandent donc d’investir dans la
confiance en développant les politiques sociales universelles.

Mais, comme le souligne Levi [1998], la puissance publique peut


au contraire amoindrir la nécessité pour les citoyens de se faire
confiance en réduisant les problèmes d’information imparfaite,
de contrôle et d’application des règles. Il n’est donc pas aisé de
mesurer l’efficacité d’éventuelles politiques de confiance sans
distinguer au préalable entre confiance interpersonnelle et
confiance institutionnelle, car, à mesure que la seconde
augmente, la nécessité de la première peut décroître. Parce
qu’ils ont davantage de raisons de se faire indirectement
confiance par la médiation d’un environnement institutionnel
de bonne qualité, les individus éprouveront moins le besoin de
se faire confiance entre eux. Plus encore, il est difficile d’isoler
la confiance dans l’entrelacs du réseau institutionnel d’un pays,
comme le montre la complexité du «  modèle nordique  » (voir
encadré 11).
Pour Elster et Moene [1988], tenter d’instituer la confiance
interpersonnelle dans un système social qui en est dépourvu
est même voué à l’échec : « Un certain niveau de confiance doit
être présent dans n’importe quel système économique un tant
soit peu complexe… il serait cependant périlleux de faire d’un
haut niveau de confiance la pierre angulaire de la réforme
économique. On peut espérer que la confiance soit le produit
d’un bon système économique (et puisse alors le rendre encore
meilleur), mais faire de la confiance, de la solidarité et de
l’altruisme le prérequis de la réforme serait mettre la charrue
avant les bœufs. » Ceci rappelle l’argument bien connu d’Elster
[1987] sur l’impossibilité d’être vraiment spontané dès lors que
« le fait même de s’y essayer interdit d’y réussir ».

D’ailleurs, un des résultats les plus étonnants des études


empiriques récentes sur l’importance respective des facteurs de
la confiance tient au peu de crédit statistique accordé à
l’explication pourtant la plus intuitive  : la participation à des
activités bénévoles et associatives [Delhey et Newton, 2003]. On
pourrait pourtant légitimement penser que cet engagement
social est en quelque sorte formateur pour les individus, qu’il
développe chez eux un sentiment de confiance qu’ils pourront
même transposer en dehors de ces activités, vers d’autres lieux
sociaux. Il n’en est rien, semble-t-il, en tout cas au plan de la
significativité statistique.

Au demeurant, à la lumière des résultats des études empiriques


présentés par Bjørnskov [2007], les facteurs microsociaux
paraissent jouer un rôle marginal dans la détermination du
niveau de confiance généralisée, qui dépend véritablement
d’un seul facteur macrosocial : l’inégalité de revenu. Toutes les
autres variables présentes dans la littérature empirique sont,
selon l’auteur, soit artificiellement reliées à la confiance
généralisée, soit plus vraisemblablement des effets de la
confiance généralisée et non des causes. Seule l’action sur le
paramètre de l’inégalité de revenu, dans le sens d’une
réduction, serait donc susceptible d’accroître le niveau de
confiance (généralisée) et il serait en revanche vain de tenter
par exemple d’accroître au plan individuel le degré de vertu
civique ou d’engagement associatif.

Dans une autre analyse récente, Knack et Zak [2003] étudient


différents moyens (politiques) pour augmenter le capital social :
renforcement des institutions formelles, diminution des
inégalités, réduction de la distance sociale, y compris culturelle.
Ils en concluent que la confiance ne peut être accrue que par
une amélioration de l’éducation et par le renforcement des
institutions formelles et la réduction des inégalités de revenu.

C’est aussi le point de vue de Rothstein [2008] pour qui le capital


social et la confiance sont les fruits et non les causes
explicatives de politiques sociales à visée universelle qui
favorisent l’égalité entre citoyens (comme par exemple dans les
pays nordiques). Comme l’expliquent Uslaner et Rothstein
[2005], «  dans un pays où la distribution des revenus est
fortement inégalitaire, comme le Brésil, les riches et les pauvres
peuvent vivre les uns à côté des autres, sans que leurs vies se
croisent. La confiance généralisée peut être faible, alors même
que la confiance au sein du groupe peut être élevée. Chaque
groupe ne s’intéresse qu’à ses propres intérêts et considère les
demandes qui émanent des autres groupes comme contraires à
ses intérêts. La société est perçue comme un jeu à somme nulle
entre groupes hostiles ».

En dépit du caractère éminemment sympathique de la


recommandation qui vise à accroître l’égalité sociale pour
améliorer la confiance, elle nous permet de percevoir les
limites et surtout les dangers de l’usage de la notion de
confiance par la puissance publique. D’abord parce que la
réduction des inégalités entre citoyens est bonne en soi  : elle
entraîne nombre de bienfaits sociaux, sociétaux et
économiques sans avoir besoin d’être justifiée par
l’amélioration de la confiance (voir, sur ce point, Wilkinson et
Pickett [2009]). Ensuite parce que si les facteurs de
fragmentation sociale sont réputés néfastes à la confiance, la
puissance publique peut être tentée de les réduire. Dans le cas
des inégalités de revenu, son action sera bénéfique ; dans le cas
de la distance culturelle, elle peut se révéler socialement
désastreuse et même dangereuse pour les libertés publiques
(c’est le cas d’un État qui discriminerait les étrangers et/ou les
immigrés pour renforcer la cohésion des autochtones).

En d’autres termes, vouloir faire reculer certains fléaux sociaux


est bon en soi, en dehors de toute considération pour la
confiance. Mais vouloir accroître la confiance peut en revanche
cacher d’autres agendas, sans rapport avec elle. C’est sur ce
dernier point que nous allons finalement insister.
Les idéologies de la confiance

On développera ici brièvement deux exemples


d’instrumentalisation idéologique de la thématique de la
confiance  : l’étude de Putnam [2007] et celle des économistes
Algan et Cahuc [2007].

Encadré  12. Robert Putnam et les dangers


supposés de la diversité ethnique

Plusieurs études ont déjà tenté, à partir des enquêtes de


valeurs internationales, d’établir un lien entre distance
culturelle (diversité ethnique, religieuse, langagière, etc.) et
confiance. Alesina et La Ferrara [2002] montrent que si le
degré de confiance généralisée est influencé par des
caractéristiques individuelles  socioéconomiques
(éducation, revenu), il dépend également de l’appartenance
à une communauté ou un groupe ethnique. Selon ces
auteurs, la diversité ethnique compte donc, parmi d’autres
facteurs, dans l’affaiblissement de la confiance généralisée.
On trouve néanmoins dans la littérature des études qui
rejettent cette explication sur la base de ces mêmes
données d’enquête, comme Hooghe et al. [2008] et
Nannestad et al. [2008].

La particularité de Putnam est de faire reposer sa théorie


sur une vaste enquête qu’il a lui-même construite, la Social
Capital Community Benchmark Survey, menée en 2000 sur
un échantillon d’environ 30  000  individus (fragmentés en
échantillons réduits) résidant dans quarante et une
communautés (au sens urbain du terme) réparties sur le
territoire américain et choisies pour leur hétérogénéité
(taille, localisation, caractéristiques sociales et
économiques…). La diversité «  raciale  » est entendue au
sens du recensement américain, mais ne distingue que
quatre groupes  : les Hispaniques, les Blancs non
hispaniques, les Noirs non hispaniques et les Asiatiques.
Les conclusions de l’article, au nombre de quatre, se
veulent dérangeantes :

—  plus la diversité raciale grandit, plus la confiance


entre les individus s’affaiblit ;

—  dans les communautés les plus diverses, les


individus ont moins confiance en leurs voisins ;

—  dans ces mêmes communautés, non seulement la


confiance interraciale est plus faible qu’ailleurs, mais la
confiance intraraciale l’est aussi ;

—  la diversité raciale conduit à l’anomie et à


l’isolement social.

Dans le détail, la diversité raciale serait directement


responsable d’une plus faible confiance dans le
gouvernement local, dans les responsables
politiques locaux et dans la presse locale ; d’une plus faible
croyance des individus dans leur capacité à influer sur le
cours des choses  ; d’une plus faible participation aux
scrutins politiques  ; d’une plus faible croyance dans la
capacité à agir collectivement pour le bien commun ; d’un
plus faible engagement dans les activités de la
communauté  ; d’une plus faible participation financière
aux œuvres de charité ; d’un plus faible nombre d’amis et
de confidents par individu  ; d’une plus faible mesure du
bonheur et de la perception de la qualité de la vie. Deux
phénomènes et deux seulement augmentent avec la
diversité  : la fréquence des manifestations et les heures
passées devant la télévision.

Certes, selon Putnam, la diversité aurait des avantages


économiques, mais son coût social serait exorbitant. Les
habitants des communautés les plus diverses ont, dit
Putnam de manière imagée, tendance à se recroqueviller
sur eux-mêmes «  comme des tortues  » rentrent dans leur
carapace.

Putnam repousse dès lors à égale distance deux thèses


contraires  : la «  thèse du contact  » (contact theory) et la
«  thèse du conflit  » (conflict theory). Selon la première, la
différence conduit à l’harmonie dès lors que des individus
divers apprennent à se connaître. Selon la seconde, au
contraire, ce rapprochement exacerbe les inimitiés et
conduit à la discorde, voire à la haine de la différence.
Les partisans des deux thèses, souligne Putnam, partagent
en réalité une même croyance erronée  : la confiance
intergroupes serait négativement corrélée à la confiance
intra-groupe (plus l’autre est aimé, plus le même est mis à
distance ; plus le même est chéri, plus l’autre est haï). Or, si
le capital social interne (bonding, c’est-à-dire les liens établis
avec les membres du même groupe) est bien différent par
nature du capital social externe (bridging, les liens noués
avec les membres d’autres groupes), les deux sont en fait
reliés. Selon les résultats obtenus par Putnam et ses
collaborateurs, les Blancs qui ont plus d’amis blancs que les
autres Blancs ont aussi plus d’amis non blancs.

Source : Laurent [2007].

Robert Putnam, on l’a déjà évoqué, a défendu dans un article de


1995, puis dans son livre à grand succès paru en 2000 [Putnam,
1995  ; 2000], l’idée que le «  capital social  » déclinait aux États-
Unis et que ce dépérissement affaiblissait la participation
politique et l’engagement civique pour finalement mettre en
danger la vitalité même de la démocratie américaine. Comment
expliquer, si elle est avérée, cette corrosion du lien social
américain  ? L’article du chercheur paru en juin  2007 propose
une réponse qui a suscité le malaise : c’est la diversité « raciale »
qui délierait la société américaine (voir encadré 12).

La diversité jouerait donc, selon Putnam, contre la confiance.


De fait, l’effet supposé néfaste de la diversité sur la cohésion
sociale, le périmètre de l’État-providence et même la viabilité
des politiques sociales — le « dilemme diversité-solidarité » ou
«  dilemme du progressisme  » posé par exemple par David
Goodhart [2004]  — est l’un des débats contemporains les plus
controversés en sciences sociales, au-delà du seul cas
américain. Ainsi, en cherchant à expliquer les différences de
politiques sociales entre les États-Unis et les pays européens
d’une part, entre États des États-Unis d’autre part, Alberto
Alesina et Edward Glaeser [2006] ont mis l’accent sur le rôle de
l’homogénéité ethnoculturelle. Les pays les plus homogènes
seraient les plus enclins à adopter des politiques sociales
développées. A contrario, « ce sont les pays les plus hétérogènes
qui dépensent le moins pour le social », parce que des individus
appartenant à une même communauté seraient plus disposés à
financer des dépenses en faveur de membres de cette
communauté que pour des personnes qui n’y appartiennent
pas et dont on suppose qu’elles n’en partagent pas les valeurs.
Mais d’autres chercheurs nuancent cette relation entre
l’homogénéité ethnique et l’importance des dépenses sociales.
Dans un article rédigé avec Keith Banting, Will Kymlicka
suggère que ce n’est pas tant l’immigration que la force
historique du mouvement ouvrier qui explique le mieux les
différences dans les niveaux de redistribution sociale [Kymlicka
et Banting, 2006].

Pour revenir précisément à l’étude de Putnam, elle pose de


nombreuses questions. La « diversité raciale » se résume-t-elle,
aux États-Unis, à l’immigration ? Putnam confond tout au long
de son article les deux notions tout en s’en défendant et en
expliquant finalement, à juste titre, que deux formes de
diversité coexistent aux États-Unis (la diversité Blancs/Noirs et
la diversité Américains/immigrants) et que des travaux plus
approfondis devraient démêler cette différence de diversités.
Un des résultats les plus étonnants des travaux de Putnam, la
baisse de la solidarité intergroupes et intragroupe sous l’effet de
la diversité, mérite également d’être interrogé. L’acide de la
diversité, non content d’empêcher de nouvelles solidarités de
naître, attaquerait les solidarités existantes. Mais la diversité est
elle-même diverse aux États-Unis, la population hispanique en
est un bon exemple. Perçue de loin comme un monolithe par
les autres groupes raciaux, elle est en fait hétérogène et les
réseaux de solidarité de même que les relations de confiance
(et de défiance) qui se tissent entre les Portoricains, les
Dominicains, les Cubains ou les Mexicains sont aujourd’hui
largement méconnus. La diversité dans la société américaine
est sans doute un enjeu majeur pour l’avenir du pays, mais le
traitement que fait Putnam de la question raciale ne permet pas
même de l’entrevoir.

Mais, surtout, la diversité des individus peut-elle se réduire à


leur « diversité ethnique » ou « raciale » (deux notions d’ailleurs
distinguées dans le contexte américain) ? Cette diversité est-elle
la «  diversité des diversités  », la clé pour comprendre les
phénomènes de cohésion ou de fragmentation sociale que
Putnam étudie  ? «  Il serait dommage qu’un progressisme
politiquement correct nie la réalité du défi que constitue la
diversité pour la solidarité sociale. Et il serait également
regrettable qu’un conservatisme anhistorique et
ethnocentrique refuse d’admettre que relever ce défi est à la
fois souhaitable et possible  », affirme Putnam. Mais il paraît
découvrir à la fin de son article que la « race », comme ailleurs
dans le monde (au Brésil par exemple), est un concept
socialement construit aux États-Unis, autrement dit que sa
distinction entre «  diversité  » et «  communauté  » n’a rien de
scientifiquement objectif.

Putnam soutient, sans en apporter la preuve empirique, que ses


résultats sont robustes et résistent notamment à l’introduction
d’explications alternatives comme l’état des inégalités sociales.
Mais le lien entre capital social et égalité économique est,
comme il le reconnaît au demeurant, si puissant qu’il est très
difficile de penser que l’explosion des inégalités depuis le milieu
des années 1980 aux États-Unis n’a pas eu un effet majeur sur
l’affaiblissement du capital social (pour une critique plus
complète, voir Laurent [2007]).

L’article de Putnam se veut d’application universelle  : il porte


sur l’avenir du lien entre communauté et diversité «  au
XXI e  siècle  ».
Les sociétés ouvertes caractérisées par une forte
diversité ethnique seraient des sociétés en perte de confiance et
en voie de délitement, c’est-à-dire des sociétés dans lesquelles
une trop faible confiance entre les individus affaiblirait
progressivement la densité du lien social. On voit bien à quel
point ce genre d’analyse prête le flanc à toutes les
manipulations.

Les économistes Algan et Cahuc [2007] embrigadent quant à


eux la confiance dans un autre combat douteux : la lutte contre
les supposées rigidités structurelles de la société française, qui
seraient au fondement de ses problèmes économiques et
sociaux. Un lien est ainsi postulé dans leur étude, comme dans
plusieurs travaux voisins, entre rigidités structurelles et
rigidités culturelles, ces dernières («  défiance  », «  incivisme  »,
mais aussi à l’occasion « valeurs familiales ») étant notamment
censées constituer l’arrière-plan des blocages opposés à la
conduite des bienfaisantes réformes de flexibilisation des
marchés du travail et de « libération de la croissance » menées
en Europe depuis le milieu des années  1980 et auxquelles la
France se déroberait pour son malheur. On peut nourrir le plus
grand scepticisme quant à la pertinence théorique et empirique
de l’analyse parfaitement orthodoxe que font les deux
économistes des déséquilibres du marché du travail français.
Mais le rôle central qu’ils entendent y faire jouer à la confiance
(à l’aide principalement des données de «  confiance
généralisée ») laisse franchement perplexe (une « histoire de la
confiance  » en France sur près d’un siècle est par exemple
reconstituée en quelques lignes statistiques d’une grande
fragilité méthodologique). Si les fondements de cette étude
apparaissent peu robustes à l’examen (on renvoie ici à la
critique détaillée formulée dans Laurent [2009]), force est de
constater qu’elle a alimenté un contresens dévastateur pour la
démocratie française.
Les confiances en France : un
contresens funeste

Ce contresens, repris et aggravé par le rapport de la commission


Attali en 2008, est à sa source une confusion entre confiance
interpersonnelle et confiance institutionnelle, et peut se
formuler simplement : une partie des pouvoirs publics se sont
convaincus il y a environ une décennie que la défiance des
Français les uns envers les autres était une maladie mortelle et
ont choisi pour y remédier d’affaiblir des institutions qui étaient
en fait les piliers de la confiance en France. Ce faisant, ils ont
aggravé la crise de confiance qu’ils prétendaient apaiser.

Les préconisations de la commission Attali, largement suivies


par les gouvernements successifs de 2008 à 2018, auront
contribué à affaiblir l’État, fragiliser la protection sociale et les
services publics, et paupériser les territoires. Le résultat en aura
été le malaise démocratique qui a explosé à la fin de
l’année 2018.

Un examen des confiances en France permet d’éclairer cette


analyse.

Commençons par la «  confiance généralisée  ». Un rapide coup


d’œil aux données de la World Values Survey montre que les
réponses à cette question de « confiance généralisée » entachée
d’ambiguïté sont… très peu fiables. En apparence, la situation se
dégrade de manière préoccupante  : de 24  % en 1981, les
Français sondés qui pensent que l’on « peut faire confiance à la
plupart des gens  » ne sont plus que 22,8  % en 1990, 22,2  % en
1999 et 18,8  % en 2006 (la France ne fait pas partie des pays
enquêtés dans la vague 2010-2014). La comparaison avec la
Suède, modèle de la «  nation confiante  » (concept très
problématique, comme on l’a vu), est cruelle  : les Suédois
interrogés sont 68  % à accorder à autrui leur «  confiance
généralisée ».

Mais, quand la même enquête interroge les mêmes Français


sur leur niveau de confiance «  envers les gens qu’ils
connaissent », ce qui a déjà plus de sens, ils sont 67,6 % à avouer
une « confiance totale » en eux contre 50,2 % pour les Suédois.
Et, lorsque l’on interroge ces Français sur leur degré de
confiance à l’égard des gens qu’ils rencontrent pour la première
fois, ils sont 6,5  % à leur faire «  complètement confiance  »
(contre 6,1  % pour les Suédois) et 45  % à leur faire
complètement ou un peu confiance (contre 69,5  % pour les
Suédois).

Autrement dit, les Français font fortement confiance aux gens


qu’ils connaissent et plutôt confiance à ceux qu’ils rencontrent
pour la première fois (la somme des deux catégories
constituant l’ensemble de leurs rencontres sociales), mais ils se
montrent, semble-t-il, obstinément «  prudents  » à l’égard des
«  autres  » en général. Le croisement, pour la France, des
questions de confiance généralisée et de confiance dans les
gens rencontrés pour la première fois laisse également
apparaître des résultats contradictoires  : 21  % des gens qui
disent faire confiance à la plupart des gens n’ont pas beaucoup
confiance dans les gens rencontrés pour la première fois, tandis
que 34  % des gens qui affirment que l’on n’est jamais trop
prudent avec autrui font un peu confiance aux gens rencontrés
pour la première fois (voir tableau 6).

Le tableau de ces confiances françaises paraît donc très éloigné


du slogan idéologique mais creux de la « société de défiance ».

Tableau 6. Les différents niveaux de confiance en France

Source : World Values Survey.

L’examen des dernières données disponibles sur les confiances


interpersonnelles en France [Cevipof, 2019a  ; 2019b] confirme
cette complexité.
Commençons par constater que la confiance interpersonnelle
en France suit une logique parfaitement banale  : les Français
sont plus confiants dans le proche et moins dans le lointain
(c’est aussi vrai, comme nous le verrons plus loin, pour les
institutions). Mais, fait marquant, les Français considèrent en
janvier 2019 leur cercle de sociabilité à l’égal de leur famille du
point de vue de la confiance et ils sont autour des deux tiers à
faire confiance aux gens différents d’eux, deux marques d’une
confiance interpersonnelle largement accordée (tableau 7).

Mais cette perception est en partie trompeuse  : l’évolution la


plus significative depuis dix ans tient précisément dans la perte
de confiance envers les «  gens d’une autre nationalité  » (–
 10 points) et les « gens qui ont une opinion religieuse différente
de la vôtre » (– 14 points), la confiance des Français semblant se
recroqueviller sur leur cercle de proximité [1] .

Tableau 7. Les confiances interpersonnelles

Remarquons que, à l’inverse, l’évolution de la confiance


généralisée ne nous apprend rien de ces deux phénomènes
(elle est stable au cours de dix années mouvementées pour les
confiances françaises). Pas plus qu’elle ne nous renseigne sur
les nuances de la confiance institutionnelle.

À cet égard, commençons par noter que les Français se


montrent très confiants dans leurs hôpitaux mais très défiants à
l’égard des partis politiques (et ce d’autant plus, on peut le
penser, si les partis politiques ne prennent pas assez soin des
hôpitaux — voir tableau 8).

La confiance à l’égard des institutions politiques obéit à la


même logique gravitationnelle que la confiance
interpersonnelle : son niveau différentiel s’explique largement
par le degré de familiarité (ce que les chercheurs du Cevipof
nomment la «  prime de proximité  »). D’où l’émergence d’une
«  confiance territoriale  » qui suppose que l’on ne prive pas les
collectivités territoriales des moyens d’exister comme
territoires de la confiance en France (tableau 9). Le maire est en
effet la seule institution politique française à se maintenir au-
dessus de 50 % de confiance au cours de la décennie 2009-2019.

Remarquons surtout que le phénomène véritablement


inquiétant n’est pas l’émergence ou le développement d’une
défiance interpersonnelle largement fantasmée, mais la
montée de la défiance politique. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une
défiance envers la démocratie mais envers le système politique
actuel et ses représentants. En janvier  2019, 89  % des
répondants pensent qu’un système politique démocratique est
un bon système pour la France et 83  % pensent que la
démocratie est meilleure que n’importe quelle autre forme de
gouvernement (61  % pensent que le vote est le moyen
d’expression le plus efficace).

Tableau 8. La confiance institutionnelle

Tableau 9. La confiance démocratique

Mais la confiance en la démocratie française telle qu’elle est


perçue par les citoyens s’est effondrée au cours de la dernière
décennie. 50  % des répondants pensaient que la démocratie
française fonctionnait bien en 2009 contre 48 % qui pensaient le
contraire. Ils sont 70 % à penser qu’elle ne fonctionne pas bien
en 2019 (contre 27  % de satisfaits). Qui plus est, 85  % des
personnes interrogées considèrent que les responsables
politiques ne se préoccupent pas d’elles. Ces mêmes personnes
pensent à 74 % que ce personnel politique est plutôt corrompu.
Pour gouverner le pays, 61 % des interrogés n’ont confiance ni
en la gauche ni en la droite. Enfin, la confiance dans les partis
politiques, déjà faible en 2009, s’effondre de 40  % en dix ans
pour passer sous la barre des 10 % en 2019.

Au total, comme l’écrivent les auteurs du Baromètre de la


confiance politique du Cevipof de janvier  2019  : «  La
période  2009-2019 a été une décennie noire pour la confiance
politique en France. » La crise de confiance française est là. C’est
ce que remarquait finement Pascal Perrineau [2011]  : «  La
société française n’est pas une “société de toutes les défiances”
où le poison du pessimisme aurait gangrené du haut en bas le
système social […]  ; la forte confiance de base semble, dans la
France d’aujourd’hui, ne plus pouvoir être “représentée” à
l’échelon supérieur, particulièrement au plan politique. Un
sentiment de coupure et d’aliénation se développe dans
cet interstice où la confiance d’en bas, individuelle et sociétale,
s’oppose à une défiance d’en haut, faite de rejet des élites et
institutions politiques ainsi que des leaders et des entreprises
économiques.  » Et c’est d’autant plus préjudiciable que la
véritable question de confiance posée aux sociétés
contemporaines, et donc à la société française, est, comme on
l’a vu, celle de la fiabilité d’institutions qui ont été
précisément  substituées aux rapports interpersonnels de
confiance.

La comparaison des confiances interpersonnelles et


institutionnelle entre la France et l’Allemagne (pays voisin, à
certains égards comparable et souvent pris comme référence)
aboutit enfin à relativiser l’idée d’une France engluée dans la
« méfiance généralisée », ce qu’il est impossible de percevoir si
l’on ne retient que l’indicateur de « confiance généralisée », de
moitié inférieur en France par rapport à l’Allemagne (voir
tableau 10).

La confiance interpersonnelle est généralement plus forte en


France, en particulier à l’égard des gens rencontrés pour la
première fois, des gens d’une autre nationalité ou d’une
autre  religion. Plus surprenant encore, la confiance
institutionnelle apparaît en France plus forte qu’en Allemagne
en général, à l’exception de la confiance placée dans le système
judiciaire. Les Français ne se méfient pas les uns des autres. Ils
se défient d’un système politique et économique dont ils se
sentent de plus en plus exclus. Tant que les inégalités
continueront d’augmenter, les injonctions à la confiance
demeureront vaines.

Tableau 10. La confiance interpersonnelle et


institutionnelle en France et en Allemagne (en %)
Source : World Values Survey, vague de 2005-2009 pour
les deux pays.
Notes du chapitre

[1]  ↑  Il y aurait d’ailleurs en théorie un conflit potentiel entre la confiance


interpersonnelle, limitée aux relations familiales ou communautaires (la
confiance dans les siens), et la confiance à l’égard d’étrangers (la confiance envers
les autres) : plus la première serait forte, plus la seconde pourrait être faible (dans
le langage de Robert Putnam, le bonding, qui renforce les liens entre proches,
entrerait en concurrence avec le bridging, qui permet de jeter un pont vers d’autres
groupes).
Conclusion / Confiance et
renouveau des sciences sociales
Éloi Laurent

L e modèle de l’individu rationnel, calculateur, omniscient et


infaillible, attaqué de toutes parts depuis des décennies, est
en passe d’être abandonné dans les sciences sociales. Il était
temps.

Individus robotiques et marchés mécaniques sont donc


désormais derrière nous et il faut penser à nouveaux frais les
comportements des agents et le fonctionnement des systèmes
économiques. Dans ce contexte de refondation, l’accent mis sur
les phénomènes de confiance dans les interactions sociales
apparaît comme neuf, et même éminemment sympathique.
S’intéresser à la confiance et à ses mesures, c’est vouloir
dépasser les indicateurs strictement économiques et objectifs
pour évaluer la cohésion sociale d’un groupe humain donné et
son potentiel de coopération, via les perceptions subjectives de
ses membres.

Mais cette nouvelle ère théorique et empirique, passionnante


par bien des aspects, n’est elle-même pas exempte de périls : les
approches les plus prometteuses pour repenser les finalités
individuelles, la coopération sociale et la réussite collective (à
commencer par celles d’Amartya Sen et d’Elinor Ostrom)
pourraient être écartées au profit d’un déterminisme
neurologique, psychologique ou culturel des comportements
individuels et des phénomènes sociaux. Et, de fait, nous
assistons à une triple montée en puissance  : la
«  psychologisation  » de la question sociale (qui entend relier
dysfonctionnements sociaux et croyances des individus), sa
«  moralisation  » (qui consiste par exemple à expliquer le
chômage de masse par l’incivisme des populations) et enfin sa
«  biologisation  » (qui prétend par exemple faire reposer les
comportements de coopération sociale sur l’inhalation en spray
d’ocytocine [Kosfeld et al., 2005]). Ces trois mouvements, qui
ont en commun de rabattre la question sociale sur la
responsabilité individuelle, parfois par la médiation de
certaines institutions, ne sont d’ailleurs pas indépendants les
uns des autres. Dans cette triple régression, ce que nous avons
appelé l’« idéologie de la confiance » joue hélas son rôle.

Alors que le mouvement des sociétés est allé de la confiance en


soi vers la confiance interpersonnelle puis vers la confiance
envers les institutions, le discours politique –  soutenu en cela
par une partie de la recherche contemporaine sur la confiance –
propose d’emprunter le chemin inverse : « Ayons confiance en
nous  !  » devient «  Ayez confiance en moi  !  » et finalement
«  Ayez confiance en vous  !  ». La question de la qualité des
institutions laisse place à l’enjeu de la méfiance sociale qui
s’efface lui-même devant l’importance des «  compétences
socioémotionnelles  » telles que l’«  estime de soi  » ou le
« sentiment d’efficacité personnelle ».
Cela ne signifie pas pour autant que l’accent que mettent
aujourd’hui les sciences sociales sur les aspects subjectifs du
bien-être humain soit néfaste en soi. Comme le rappellent de
manière éclairante les auteurs du rapport Stiglitz-Sen, «  une
longue tradition philosophique considère que ce sont les
personnes elles-mêmes qui sont les mieux à même de juger de
leur propre situation ». Les auteurs ajoutent :

«  Un des aspects les plus prometteurs de la recherche sur le


bien-être subjectif est qu’elle fournit une mesure intéressante
du niveau de la qualité de la vie tout en permettant de mieux
comprendre ses déterminants, puisqu’elle dépend de plusieurs
éléments objectifs (comme le revenu, l’état de santé et
l’éducation) […]. Toutes les recherches sur le bien-être subjectif
se rejoignent sur un aspect : le coût humain élevé engendré par
le chômage. Les chômeurs se disent moins satisfaits de leur vie
que les personnes ayant un emploi, même si l’on élimine l’effet
de la baisse de revenu, ce dernier élément étant valable pour
les deux catégories lorsqu’on étudie les données transversales
[…] et que l’on suit une même personne dans le temps […] ; cet
élément suggère l’existence de coûts du chômage ayant un
aspect non pécuniaire, comme perdre ses amis, sa signification,
son statut. »

L’intérêt de ces données subjectives est donc réel pour l’analyse


économique : dimensions subjective et objective de la question
sociale s’entremêlent ici avec force pour éclairer l’action
publique.
Mais Amartya Sen [2010] rappelle que peut se former un grand
écart entre le fait de se déclarer heureux et l’être réellement,
entre une réponse fondée sur la double subjectivité de
l’enquêteur et du répondant et les conditions sociales objectives
du répondant. Il y a, écrit Sen, un « problème d’ajustement au
contexte social qui brouille les pistes  » que l’économiste et
philosophe illustre à l’aide de l’exemple de la morbidité
autoperçue dans deux États  indiens. Dans l’État du Kerala, où
l’espérance de vie est proche des pays européens et où la
transition sanitaire a été réussie, la morbidité autoperçue et
donc rapportée par les habitants est bien plus forte que dans
l’État du Bihar, où l’espérance de vie est pourtant faible et la
mortalité très élevée.

Ceci tient au fait que la préoccupation à l’égard de la morbidité


est justement plus forte là où les progrès sanitaires mais aussi
d’éducation sont plus grands (il s’agit donc selon Sen d’une
« illusion objective » que l’on retrouve dans les déclarations de
morbidité entre les hommes et les femmes affectées elles aussi
d’un biais social, en l’occurrence une discrimination massive de
genre). Ainsi, la victime d’une privation objective peut finir par
s’y faire, s’ajuster subjectivement à sa condition, ce qui rend
l’usage des données subjectives par les pouvoirs publics très
problématique. On a vu qu’il en allait de même avec les
données d’enquête sur la confiance généralisée, dont personne
ne sait vraiment ce qu’elles mesurent.

Ces « données » sont sans doute victimes de leur facilité d’accès


et d’usage : les chercheurs qui les manient empiriquement sont
tentés de construire des théories à partir d’elles au lieu de les
utiliser pour tester la validité de leurs modèles. Cela renvoie au
problème plus général des sciences sociales contemporaines,
qui sont prises sous un «  déluge de données  » dont la
théorisation n’est souvent qu’un accommodement de
circonstances.

La préoccupation nouvelle à l’égard du bonheur, de la


confiance, et plus généralement l’influence croissante d’une
littérature de plus en plus abondante autour des « valeurs » tant
comme instruments que comme finalités peuvent donc
conduire à de mauvais usages publics.

Il pourrait ainsi être tentant de substituer à la question des


inégalités de revenu celle du sentiment de bonheur inégal, au
problème des conditions sociales objectives dans lesquelles
vivent les individus l’idée qu’ils s’en font, et à l’enjeu de la
qualité démocratique des institutions celui des relations
interpersonnelles de confiance.

En apparence, l’amélioration serait sensible puisque


l’appréciation humaine serait comme remise au cœur de la vie
sociale  ; en réalité, cette nouvelle question sociale relèverait
davantage de la guérison psychique individuelle que de la
construction exigeante d’institutions collectives susceptibles de
réinventer un progrès commun.

Peut-on, alors, se fier à la confiance ? Peut-être. Et à la condition


d’accepter de pouvoir être par elle trahi.
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Collection
R E P È R E S

Créée par Michel FREYSSENET et Olivier PASTRÉ (en 1983).

Dirigée par Jean-Paul PIRIOU (1987‑2004), puis par Pascal


COMBEMALE,

avec Serge AUDIER, Stéphane BEAUD, André CARTAPANIS, Bernard


COLASSE, Jean-Paul DELÉAGE, Françoise DREYFUS, Claire LEMERCIER,

Yannick L’HORTY , Dominique MERLLIÉ, Michel RAINELLI, Philippe


RIUTORT, Franck-Dominique VIVIEN et Claire ZALC .

Coordination et réalisation éditoriale : Marieke OLY .

Le catalogue complet de la collection REPÈRES est disponible


sur notre site : www.collectionreperes.com

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