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Économie de la confiance
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Repères bibliographiques
Collection
Introduction / La confiance :
prudence !
Éloi Laurent
Le chassé-croisé de la confiance
interpersonnelle et de la confiance
institutionnelle
Les sociétés humaines auraient donc connu une évolution
anthropologique fondamentale qui les a menées de la confiance
interpersonnelle (la confiance qu’accorde une personne à une
autre ou à un groupe de personnes) à la confiance
institutionnelle (la confiance des personnes envers les
institutions, par exemple la police, les hôpitaux ou le
gouvernement). Il n’y aurait, dans cette perspective, ni de
raison de redouter les méfaits de la crise de la confiance
interpersonnelle ni de motif de vouloir la conjurer en
accroissant son degré parmi les individus. Mieux : plus les
sociétés seraient avancées et moins les individus déclareraient
faire confiance aux autres, en particulier les autres lointains,
car ils n’en éprouveraient plus le besoin. L’importance accordée
aux relations de confiance interpersonnelle deviendrait dans
cette conception la marque des sociétés archaïques, l’absence
de confiance entre les personnes a priori étant quant à elle le
signe de la modernité. Zucker [1986] montre ainsi que le
système socioéconomique américain s’est caractérisé, à la fin
du XIXe siècle et au début du XXe, par le passage d’une société
fondée principalement sur des rapports interpersonnels de
confiance et des rapports de vis-à-vis (face to face) à une société
où ces rapports ne jouent qu’un rôle subsidiaire au regard
d’une confiance reposant surtout sur des relations
institutionnelles, en particulier dans la sphère économique.
Confiance instrumentalisée,
confiance embrigadée
Les travaux consacrés à la confiance par les sciences sociales
ont évolué dans le même sens que les sociétés, de la relation de
proximité au rapport impersonnel, du micro au macro,
mobilisant d’abord une approche individuelle, familiale ou
communautaire (avec les travaux de Bourdieu [1980 ; 1986] ou
Coleman [1988 ; 1990]), puis une approche sociale et
institutionnelle (avec ceux de Putnam [2000]). L’enjeu de
positionnement et de mobilité individuels (comment appartenir
à un groupe, comment servir les intérêts de l’individu par le
recours à ses ressources sociales, à son « réseau durable de
relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance
et d’inter-reconnaissance » selon la formule de Bourdieu
[1980] ?) s’est prolongé dans la question de l’efficacité collective
et de la cohésion sociale (comment faciliter le fonctionnement
des sociétés, des démocraties et des économies en accroissant le
degré de confiance entre leurs membres ?).
Notes du chapitre
Ce que la confiance n’est pas : foi, as
surance, capital social
Louis Quéré [2010] propose lui aussi une analyse voisine : « On
ne peut parler de confiance que là où il y a un engagement
personnel en faveur de quelqu’un à qui l’on s’en remet du soin
de quelque chose à quoi l’on tient, en lui concédant un pouvoir
quasi discrétionnaire, sans craindre qu’il n’exploite la
vulnérabilité ainsi créée en sa faveur. » Faire confiance, c’est
avoir des raisons de ne pas redouter la possible trahison
d’autrui (l’affirmation « Je te fais confiance ! » souligne tout à la
fois la croyance dans le respect de la parole donnée et le rappel
du prix attaché au fait de la trahir). Deux notions juridiques
permettent de bien mettre en lumière la relation
mandant/mandataire et la notion afférente de vulnérabilité
dans la relation de confiance : l’abus de confiance sanctionné
par le code pénal (voir encadré 2) et la « personne de
confiance » prévue par le code de la santé publique (voir
encadré 3).
Article 314-1
Article 314-2
Article 314-3
Article L. 1111-6
La confiance calculée
La confiance encastrée
Graphique 1
Évolution de l’indicateur synthétique d’octobre 1972 à février 2018
La vraie-fausse confiance
Lecture : un individu qui choisit de coopérer alors que son vis-à-vis décide de
faire défection remporte 0 point tandis que son vis-à-vis en remporte 4 ; si les
deux individus choisissent de coopérer, ils remportent chacun 3 points ; si
tous deux font défection, ils remportent chacun 1 point. Dans le « grand
tournoi » d’Axelrod, ce jeu est répété et la stratégie du joueur peut s’adapter
au coup joué par le partenaire/adversaire.
Note : le résultat principal de l’expérience est le suivant : 43 % des payeurs ont
choisi de coopérer (et se sont donc montrés confiants) tandis que 50 % des
receveurs ont fait le même choix (et se sont par conséquent révélés fiables).
Mais, comme le suggèrent Renaud Francou et Daniel Kaplan
[2011] à partir d’une étude sur « les nouvelles approches de la
confiance numérique », dispositifs de sécurité et confiance de
« pair à pair » ou (peer to peer ou P2P) ne sont pas
nécessairement concordantes. Les auteurs soulignent ainsi
« l’émergence rapide et puissante de grands espaces
numériques dans lesquels la confiance s’établit et se vérifie à
partir des échanges entre pairs et de leurs évaluations
réciproques. Des pratiques massives, qui, de manière assez
étonnante, se passent pour l’essentiel de dispositifs de sécurité
(du moins a priori) ».
Et, de fait, selon Cook et al. [2005], les enquêtes qui ont repris
cette question, particulièrement mal formulée et imprécise,
seraient à l’origine de la confusion théorique qui imprègne le
concept de « confiance généralisée ».
Selon Paldam [2010], qui étudie des données voisines, les pays
nordiques possèdent bien le niveau de confiance généralisée le
plus élevé avec les Pays-Bas. Celle-ci est en revanche faible en
Amérique du Sud et dans les pays ex-communistes. Elle est
particulièrement forte en Chine ou en Iran. Elle est plutôt forte
en Amérique du Nord, mais faible dans certains pays d’Europe
continentale, et notamment en France.
Les mesures de confiance institutionnelle
Graphique 2. Évolution de la
confiance dans le Parlement, 1981-2007, pour quatre
pays de l’OCDE (% de répondants qui disent avoir
fortement ou assez fortement confiance dans le
Parlement de leur pays)
Source : OCDE.
Source : ANES.
Confiance et développement
Confiance, contrats et
organisations économiques
Confiance et gouvernance
écologique
Elle note ainsi avec ses coauteurs : « Quand les humains font
face à des dilemmes sociaux ou des situations d’action
collective tels que ceux qu’induit la régulation des
écosystèmes… les participants doivent trouver des façons de
créer des attentes qui se renforcent mutuellement et qui
engendrent de la confiance, ils pourront alors vaincre les
tentations perverses auxquelles ils font face à court terme. Ces
accords peuvent être fondés sur l’apprentissage mutuel de la
meilleure façon de travailler ensemble… ou sur l’évolution d’un
ensemble de normes et/ou la construction d’un ensemble de
règles permettant que l’action collective perdure, les
engagements étant respectés et des sanctions imposées en cas
de non-exécution. » C’est dans la confiance qu’accordent les
participants qui exploitent ensemble une ressource naturelle
aux institutions communes qu’ils ont eux-mêmes créées et
dont ils assurent le respect et la pérennité, mais dont l’intégrité
est garantie par une autorité publique extérieure qui pour
autant ne se substitue pas aux institutions locales, que réside le
ressort d’une gouvernance environnementale efficace. Cette
analyse est prolongée par exemple par Folke [2006], pour qui
les relations de confiance sont indispensables pour permettre
aux systèmes social-écologiques de s’adapter aux nouvelles
conditions environnementales (sur le rapport entre confiance
et transition énergétique, voir Rayner [2010]).
Partha Dasgupta revient lui aussi dans plusieurs textes sur
l’importance de la confiance institutionnelle dans la gestion des
ressources naturelles exploitées en commun (ou common
property ressources), dont on ne peut pas facilement exclure les
usagers, mais qui sont rivales et ne se confondent donc pas avec
les ressources en accès libre (open access). L’important dans ces
systèmes de gouvernance environnementale est bien la valeur
accordée par les participants aux bénéfices futurs tirés de la
coopération sociale, qui permet que les individus adoptent un
faible taux d’actualisation qui, du coup, confère de la valeur à la
préservation de la ressource administrée en commun (voir par
exemple Dasgupta [2005]). Les mécanismes de confiance et de
défiance se trouvent aussi au cœur de la formation des
coalitions dans les négociations internationales sur les biens
publics globaux environnementaux, à commencer par le climat
(voir, sur ce point, Finus [2008]).
Figure 3. Gouvernance environnementale locale et
relations de confiance selon Elinor Ostrom
Confiance et performances
économiques
Dès le début des années 1970, Akerlof [1970], précurseur de
l’économie de l’information imparfaite et notamment de
l’analyse économique en situation d’asymétrie d’information,
remarquait que les garanties informelles non écrites dont la
confiance fait partie sont des « préconditions de l’échange et de
la production ». Sans confiance, l’échange économique est
comme entravé, sinon empêché. On l’a vu, cette théorie
négative des coûts de la non-confiance a laissé la place dans la
période récente à une approche positive des gains de la
confiance, et plus précisément du rôle de celle-ci dans les
performances économiques respectives des nations.
Éloge de la défiance