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Simone Wiener
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En quête de rien ?
Quelques réflexions
sur l’anorexie à l’adolescence 1
Simone Wiener
1. Ce texte est la version écrite d’un travail proposé dans le cadre de l’unité de recherche Utama où
travaille Marie-Ange Baudot Gérard, que je remercie. J’adresse aussi mes remerciements à Isa-
belle Châtelet pour sa lecture et ses précieux conseils.
2. Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, t. 1, mars
2000, p. 151.
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Dès 1893, Freud met en évidence dans le tableau hystérique des trau-
matismes psychiques liés au dégoût alimentaire, celui-ci pouvant subir des
transferts, ou des déplacements, d’une personne, vers l’aliment. Le sujet a
d’abord été dégoûté par une situation un peu trop sexuelle ou trop érotique
dont l’aversion se transpose sur un aliment. (Le dégoût est l’envers refoulé
du goût.) Dans ce cas, l’anorexie hystérique exprime quelque chose d’un
refoulé raté. Il s’agit d’un effet de retour du pulsionnel qui, comme le
symptôme hystérique, passe par la langue du corps.
Mais ce qui est au-devant de la scène anorexique est de l’ordre du refus
obstiné, tenace, d’accepter de manger pour vivre, et encore moins de vivre
pour manger. Tout se passe comme s’il s’agissait pour le sujet d’aller jus-
qu’au bout d’une jouissance recherchée activement. C’est ce qui se dégage
d’un des personnages d’un roman d’Amélie Nothomb 11 intitulé Robert des
noms propres :
À son stade, elle ne jouait plus avec sa santé puisqu’elle jouait sa santé. Elle le savait.
Ce que Plectrude vivait à l’école des rats s’appelait l’ivresse : cette extase se nour-
rissait d’une dose énorme d’oubli. Oubli des privations, de la souffrance physique,
du danger, de la peur 12.
11. Les écrits d’Amélie Nothomb ont fait l’objet d’une étude portant sur les fantasmes qui seraient
propres aux patients souffrant d’anorexie mentale ; cf. G. Séné et B. Kabuth « Anorexie mentale
et fantasmes. À propos de l’œuvre d’Amélie Nothomb », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’ado-
lescence, vol. 52, n° 1, février 2004, p. 44-51.
12. A. Nothomb, Robert des noms propres, Albin Michel, p. 129.
13. J. Lacan, « La significatin du phallus », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 691.
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Un récit littéraire, cela enseigne de par le fait qu’il peut éclairer, don-
ner forme, construire un espace fantasmatique pour le lecteur. Pourquoi ce
récit produit-il sur le lecteur un effet si énigmatique ? Le savoir issu d’un
texte peut rester méconnu à son auteur. Cela se transmet à son insu. C’est,
en effet, qu’une œuvre recèle un point de réel qui fait sa vérité. Est-il pos-
sible, en position de psychanalyste, de donner sens à un écrit littéraire en
fonction de la biographie de son auteur ? Ce n’est pas l’avis de J. Lacan qui
écrit à ce propos :
Le seul avantage qu’un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position […],
c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, l’artiste toujours le précède et qu’il
n’a donc pas à faire le psychologue là ou l’artiste lui fraie la voie 19.
Relation transférentielle
19. J. Lacan, « Hommage fait à Marguerite Duras », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 192.
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Pour conclure, je dirais que ce que nous enseigne l’anorexie, c’est que
le corps n’est pas un. Le corps biologique ou somatique, c’est le corps réel,
et pour certains sujets il n’a rien à voir avec celui qui se reflète dans l’image
du miroir. Ce corps-là, c’est le corps imaginaire, qui n’est pas celui des
images de la peinture ou de la photographie qui est, lui, le corps idéal. Et
par moments, il y a intérêt à savoir de quel corps il s’agit…
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