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Érès | « Essaim »
2008/1 n° 20 | pages 21 à 38
ISSN 1287-258X
ISBN 9782749208961
DOI 10.3917/ess.020.0021
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-essaim-2008-1-page-21.htm
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L’abandon,
l’autre nom de la mélancolie freudienne 1
1. Ce texte résulte du travail d’un cartel constitué de François Balmès, Christiane Dostal Dias,
Thierry Longé, Solal Rabinovitch, et Jacques Le Brun comme plus-un, qui s’est longtemps réuni
autour du thème « Le travail de la mélancolie ».
2. Voir Juan Rigoli, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et littérature en France au XIXe siècle, Paris,
Fayard, 2001.
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3. Voir Jean Starobinski, Action et réaction. Vie et aventures d’un couple, Paris, Le Seuil, 1999.
4. Sigmund Freud, Œuvres complètes, tome XIII, Paris, PUF, 1988, p. 261-262.
5. Il faudrait insérer cette Einwirkung dans la série des termes usuels de la langue freudienne déri-
vés de la racine wirken, à laquelle on adjoindra le balancement werken-wirken, mots possédant une
racine commune.
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Un « travail » du deuil
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11. Ibid., p. 130 ; texte allemand S. Freud, Briefe an Wilhelm Fliess, Francfort, Fischer, 1999, p. 97 : « Der
der Melancholie entsprechende Affekt ist der der Trauer, d. i. Sehnsucht nach etwas Verlorenem. »
12. S. Freud, Œuvres complètes, op. cit., t. XIII, p. 262-263.
13. S. Freud, op. cit., p. 263.
14. Freud note dans son journal de l’analyse de l’homme aux rats : « Un deuil normal cesse au bout
d’un an et demi, un deuil pathologique dure un temps illimité », S. Freud, Paris, PUF, 1974, p. 91.
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place de l’objet réel disparu, dont le statut d’existant est vacillant puisque
non soumis à l’examen de réalité.
15. Voir aussi A. Bourguignon, dans Psychiatrie française, n° 5/88 : « Quant à désirance qui traduit au
mieux le mot Sehnsucht, c’est un néologisme élégant, qui ne choque en rien le génie de notre
langue. »
16. Voir, dans une abondante littérature, Nostalgia. Storia di un sentimento, a cura di Antonio Prete,
Milan, Raffaello Cortina Editore, 1992.
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21. Voir G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Le vocabulaire de Maître Eckhart, Paris, Ellipses, 2001, p. 7, sur
Gelâzenheit, lâzen, sich lâzen : « L’être vraiment “abandonné” est bien plutôt celui qui s’est suffi-
samment quitté lui-même, dans l’immédiateté de son désir, pour coïncider avec ce qui le consti-
tue dans la vérité de son propre fond », et Erik A. Panzig, Gelâzenheit und Abgescheidenheit. Eine
Einführung in das theologische Denken des Meister Eckhart, Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt,
2005.
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22. La traduction par « sérénité » proposée par André Préau pour le texte de Heidegger qui porte ce
titre nous paraît comporter un risque de faux-sens chez le lecteur. Voir M. Heidegger, Ques-
tions III, Paris, Gallimard, 1966, p. 159 et suiv.
23. S. Freud, op. cit., t. XIII, p. 269, cf. p. 275.
24. Ibid., p. 263.
25. Ibid., p. 268.
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Abandonner, aufgeben
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34. Ibid.
35. S. Freud, « Deuil et mélancolie », op. cit., t. XIII, Paris, PUF, 1988, p. 268.
36. Ibid., p. 269.
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psychisme tout en étant perdu, comme une sorte d’objet négatif ? Lorsque
Freud avance à ce propos le terme de Dingvorstellung, ne pouvons-nous
mettre l’accent sur das Ding, dont Lacan élabore dans L’éthique de la psycha-
nalyse la distinction d’avec l’objet, comme l’un des noms du Vide et du
Rien 37 ?
La présence infinie de la perte rend indéfini le processus d’abandon ;
pour garder l’amour sans l’objet, il faut en garder la blessure ouverte
autour de sa perte. L’abandon ne se substitue pas à la perte mais il ajoute
la douleur à sa trace, cette trace d’investissement, vidée, évidée. En englo-
bant (par identification) l’investissement libidinal (l’amour) de l’objet
perdu, le moi conserve à la fois l’amour pour l’objet et la perte vive de l’ob-
jet. Et en subissant, parce qu’identifié à l’objet aimé et perdu, la colère et les
reproches du surmoi envers cet objet aimé perdu et abandonné, il « se
défait (entlassen) dans une très large mesure de son investissement libidinal
narcissique » et il « s’abandonne lui-même (sich selbst aufgeben) 38 ».
Ainsi l’abandon frappe aussi les forces économiques du Selbstgefühl,
qui s’est constitué à partir de l’Autre maternel (la « nouvelle action psy-
chique 39 » des soins maternels). L’abandon ne serait-il pas le nom d’une
sorte de négation économique ? Et l’expérience originaire d’abandon ne
serait-elle pas celle d’un « investissement laissé vacant » (par abandon de
l’Autre) qui entraînerait ce dénuement radical et sans recours que Freud
nomme l’Hilflosigkeit ? À un délaissement premier de (par) l’Autre, le sujet
réagirait par une forme d’abandon qui le voue à une déréliction primor-
diale sans recours ni secours.
De cette sorte, l’abandon aura créé une « vacance », un vide, un rien,
un espace si ténu qu’il ne peut loger qu’une autre ténuité (telle la ténuité
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Transversalité de la mélancolie
37. F. Balmès, Dieu, le sexe et la vérité, Toulouse, érès, coll. « Scripta », 2007, p. 184.
38. S. Freud, « Le moi et le ça », op. cit., t. XVI, p. 300-301. Ainsi, en analysant le mécanisme de l’an-
goisse de mort dans la mélancolie, Freud utilise dans la même phrase les deux termes allemands
lassen et geben qui traitent de l’abandon.
39. S. Freud, « Pour introduire le narcissisme », op. cit., t. XII, Paris, PUF, 2005, p. 221.
40. Maître Eckhart, Du détachement et autres textes, Paris, Payot, Rivages poche, 1995, p. 51.
41. S. Freud, « Au-delà du principe du plaisir », dans OC., vol. XV, Paris, PUF, 1996, p. 291.
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Si elle ne peut être saisie en une essence, hors de ce rapport, elle tend
aussi, comme le souligne Freud, à virer à la manie : toute la fin de l’article
de 1915 souligne ainsi que la mélancolie est marquée par l’« ambivalence »
et qu’en elle se trame « une multitude de combats » (« eine Unzahl von Ein-
zelkämpfen 43 »). Ce caractère non « défini » (au sens de non limité par des
frontières) de la mélancolie est source de difficultés et explique les approxi-
mations qui marquent le texte de Freud, c’est-à-dire les rapprochements
qui peuvent être témoins de relations de causalité, d’enchaînement, ou de
retournements, Sehnsucht, action-réaction, mélancolie-manie, etc.
Ce caractère n’est pas sans rapport direct avec le point d’aboutisse-
ment du présent travail et avec les hypothèses qu’il semble établir : la
mélancolie ne serait pas une structure, mais serait transversale à chaque
structure, étant elle-même modifiée lorsqu’elle intervenait dans le cadre de
telle ou telle structure. Ainsi elle ne mettrait pas en jeu une « quatrième »
négation, à côté de la Verdrängung, de la Veleugnung et de la Verwerfung.
Mais il nous conduit aussi à modifier ce qui peut sembler être une évi-
dence, c’est-à-dire la conviction qu’entre la mélancolie antique ou roman-
tique, cette conception culturellement vague de la mélancolie, et la
mélancolie qu’analyse Freud en 1915 il y aurait une différence de nature
et qu’il s’agirait de deux réalités différentes que seule la fortuite unité d’un
mot rassemblerait. Or le caractère « transversal » de la mélancolie et la
façon dont elle « altère » pour ainsi dire chaque structure, permettent de
penser à la fois les différences radicales entre mélancolie « culturelle » et
mélancolie « freudienne » et leur rencontre non fortuite sous un même
signifiant. Ainsi ni structure, ni essence (c’est-à-dire du point de vue de la
psychanalyse et de celui de la philosophie), il s’agit avec la « mélancolie »
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non pas une négation qui retournerait une affirmation, mais une négation
qui « laisserait » un vide, une absence, dans l’affirmation, car un objet n’y
est pas purement et simplement effacé.
Parler avec Freud d’un verlassen (de l’objet délaissé, das verlassene
Objekt), donc d’abandonner et à la fois d’être abandonné, introduit du pas-
sif dans une affirmation. Et ici on ne peut que penser aux trop subtils déve-
loppements de Heidegger dans les textes qu’il intitule Gelassenheit 44 :
« Vous voulez un non-vouloir au sens d’un renoncement au vouloir afin
qu’à travers un tel non-vouloir nous puissions nous avancer vers cette
essence de la pensée que nous cherchons et qui n’est pas un vouloir 45. »
Ces lignes nous aident à approcher comment un « verlassen » freudien
désigne à la fois « être abandonné » au sens de « se faire être abandonné »,
et « abandonner » au sens de « ne pas finir d’abandonner », jamais un pur
passif comme jamais le pur négatif de la non-existence.
Une structure ?
47. Les solides de Platon sont une reprise des cinq polyèdres convexes réguliers dont Euclide démon-
tra l’existence, respectivement le tétraèdre, le cube, l’octaèdre, le dodécaèdre et l’icosaèdre, tous
inscriptibles dans une sphère et dont toutes les faces sont des polygones réguliers isométriques.
Les Grecs ont accordé une signification mystique aux cinq solides réguliers en les rattachant aux
grandes entités qui selon eux façonnaient le monde : le feu est associé au tétraèdre, l’air à l’oc-
taèdre, la terre au cube, l’univers au dodécaèdre et l’eau à l’icosaèdre.
48. S. Freud, op. cit., t. XIII, p. 263. Nous soulignons.
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