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DE LA DIGNITÉ DEVANT LA FIN DE VIE

Pierre de Charentenay

S.E.R. | « Études »

2012/3 Tome 416 | pages 292 à 294


ISSN 0014-1941
DOI 10.3917/etu.4163.0292
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-3-page-292.htm
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Editorial

De la dignité
devant la fin de vie

P ierre de C harentenay

L
e flou sur la définition du mot dignité alimente depuis
des lustres le débat sur l’euthanasie. Il est à la source
d’une nouvelle discussion qui a suivi le discours du
candidat Hollande au Bourget, où sa proposition 21 déclare :
« je proposerai que toute personne majeure en phase avancée
ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souf-
france physique ou psychique insupportable, et qui ne peut
être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises
et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour ter-
miner sa vie dans la dignité. »
Il n’échappe à personne que ces termes calibrés au
millimètre, et qui pourraient presque s’appliquer aux soins
palliatifs, visent en fait l’établissement d’une législation sur
l’euthanasie qui ne veut pas dire son nom. On voit bien la
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portée symbolique du geste qui cherche à mettre de son côté
ceux qui souhaitent une libéralisation totale en matière de fin
de vie. Mais il importe de prendre la mesure de cette propo-
sition dans une histoire récente des débats sur l’euthanasie
autant en France qu’en Europe.
La Loi Leonetti, « relative aux droits des malades et à
la fin de vie », votée par le Parlement en avril 2005 a pacifié
un débat fort complexe et chargé d’émotion. Elle a écarté la
légalisation de l’euthanasie, mais elle a surtout permis de
«  clarifier les termes du débat, de préciser les droits des 1. Voir l’article de Patrick
malades, et d’apporter les modifications légales et déontolo- Verspieren, « La loi sur la
fin de vie, de l’émotion à la
giques qui favoriseraient un soin raisonnable et attentif à la pondération  »,  Études,
souffrance des malades1 ». octobre 2005.

Jésuite. Rédacteur en chef.

292 Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Mars 2012 – n° 4163

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Depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts. La mort de
Chantal Sébire a relancé le débat par la volonté même de la
malade qui cherchait le contact avec les télévisions alors
même qu’elle refusait les antalgiques. Les médias ont donné
2 . Voi r l ’ éd itor ia l de une grande répercussion à ce récit2, au point qu’une nouvelle
Patrick Verspieren, «  La
dictature de l’émotion  »,
mission fut confiée au Dr Leonetti, sans qu’il y ait sur le fond
Études, septembre 2008. de nouvelles raisons de changer la loi en vigueur. En
décembre  2008 fut donc publié un deuxième rapport qui
confirmait la loi de 2005, et proposait la création d’un
3. Rapport de l’Assemblée « Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie3 ». Ce
nationale, n° 1287, tome 1, long rapport incitait à prendre en compte jusqu’au bout les
« Solidaires devant la fin de
vie ». droits des malades et la recherche de soins adaptés à leur
situation. Il invitait à ne pas tomber dans une logique d’évi-
tement ou de renoncement par une délivrance anticipée
d’une vie que la société refuserait de prendre en charge.
Pendant ce temps, dans l’ensemble de l’Europe des
législations sur la fin de vie ont été adoptées. Si les Pays-Bas (en
2001), la Belgique (en 2002) et le Luxembourg (en 2009) ont
légalisé l’euthanasie, plusieurs pays ont choisi une autre voie,
l’Allemagne et l’Italie en 2009 et 2011, la Suède en 2010 et 2011,
4. Voir sur ce point l’article l’Espagne en 2011. Ces pays4, et d’autres pays européens,
d ’Yves-Marie Doublet, s’orientent vers un encadrement des arrêts de traitement et un
« Une communauté de vue
des législations sur la fin de renforcement des droits des malades, par le moyen notamment
vie en Europe  », qui sera d’une véritable prise en compte des directives formulées à
publié dans Études, en avril
2012.
l’avance par les personnes malades. Tout récemment, le 25 jan-
vier 2012, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a
adopté une résolution appelant à « protéger les droits humains
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et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits pré-
cédemment exprimés par les patients ». Cette résolution invite
tous les pays européens à revoir si nécessaire leur législation à
ce sujet, tout en affirmant que « l’euthanasie doit toujours être
interdite  ». La très grande majorité des populations euro-
péennes partagent donc une même opinion sur la nécessité de
porter une attention particulière sur cette période de fin de vie,
tout en refusant une intervention qui viendrait l’abréger.
L’Observatoire mis en place en février 2010 a continué
son travail. Le Dr Régis Aubry qui le dirige s’oppose à ceux
qui voudraient résoudre la question de la fin de vie de manière
simpliste : « Parce qu’elle se situe à la limite des savoirs, cette
question complexe doit au contraire bénéficier d’une
5. Le Quotidien du approche très rigoureuse.5  » On remarquera, par exemple,
Médecin, 26 novembre que plus les médecins sont proches des patients en phase ter-
2010.
minale, moins ils sont favorables à l’euthanasie.

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Dans ce débat, il importe de prendre en compte les
conséquences d’une légalisation éventuelle de l’euthanasie.
Elle viendrait en effet détourner l’attention et le débat loin de
l’effort considérable qui a été entrepris avec les soins pallia-
tifs. Il y aurait deux systèmes parallèles de prise en charge de
la fin de vie, une division qui risque de compromettre les
grandes améliorations déjà accomplies dans la considération
et le traitement de la fin de vie. Il importe aussi de considérer
les évolutions dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie ou
leur équivalent. En Suisse, les organisations d’aide au suicide6 6. Voir l’article de Yves
sont devenues des organismes commerciaux qui font de la Rossier, « Le débat suisse
sur les organisations d’aide
publicité pour développer leurs activités. Aux Pays-Bas, se au suicide », Études, février
multiplient les demandes d’élargissement de la loi sur l’eu- 2012.
thanasie. En Belgique, des études expriment des doutes sur
les véritables souhaits de personnes sur lesquelles l’euthana-
sie a été pratiquée. Qu’en est-il alors du respect de la volonté
du patient ?
L’euthanasie vient bouleverser, voire annuler, le long
travail médical déjà accompli sur la fin de vie, en répondant
mal à de bonnes questions : s’il y a souffrance, les soins pal-
liatifs ont les moyens d’offrir des réponses, quitte à utiliser
des antalgiques puissants. S’il y a sentiment d’abandon, la
prise en charge personnelle permet de réintégrer dans un
réseau de relations la personne en difficulté. Les soins pallia-
tifs représentent une mise en œuvre de la solidarité pendant
cette phase difficile de l’existence, de manière à ce qu’elle soit
vécue humainement jusqu’à son terme.
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La déclaration du candidat Hollande vient rompre un
fragile équilibre obtenu après un long débat national encore
tout récent, et confirmé abondamment par la grande majo-
rité des pays d’Europe. Les raisons annoncées nous semblent
mauvaises. Elles cachent des manœuvres politiques et
prennent en otage des populations en difficulté extrême pour
lesquelles un travail d’accompagnement est en progression
constante. Parler de « reconnaître un droit sans imposer une
pratique » est une illusion cachée sous de bonnes intentions
davantage motivées par l’émotion que par la raison.

Pierre de Charentenay s.j.

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