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Ouverture

LE TEMPS DU MANIFESTE

Serge Margel

Éditions Lignes | « Lignes »

2013/1 n° 40 | pages 5 à 7
ISSN 0988-5226
ISBN 9782355261183
DOI 10.3917/lignes.040.0005
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-lignes-2013-1-page-5.htm
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Ouverture

Le temps du manifeste

Le manifeste contient, détient aussi un certain pouvoir


de produire l’événement qu’il désigne. On l’aura dit et
répété, le manifeste est un acte performatif, qui invente
une nouvelle forme d’action. D’un côté, il appelle à l’ac-
tion, au rassemblement, mais d’un autre côté, il s’érige
lui-même en action, il opère lui-même sur ce rassemble-
ment. Et en ce sens, les manifestes, du moins ceux que
l’on aura désigné comme les « manifestes historiques »,
au tournant du XXe siècle, inventent une action spéci-
fique que l’on nomme « collectif ». Sans manifeste, pas
de collectif, pourrait-on dire. Sans la capacité, ou le
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pouvoir d’énoncer un discours qui « dit » le collectif, qui le
nomme, le signifie, le montre, le situe, le démarque aussi,
lui donne un espace et un temps, l’inscrit dans une écri-
ture de l’histoire, sans ce pouvoir manifestaire du discours
donc, aucun collectif n’aurait été possible. Autrement dit,
sans manifeste, aucun collectif n’aurait acquis cette force
discursive de légitimation, littéraire et artistique, sociale
et politique, qui lui permet tout à la fois de s’inscrire dans
son histoire, son époque, son temps, et de rompre avec
son propre contexte sociohistorique. Le manifeste aura
joué ce rôle, décisif, d’inscrire dans l’histoire une force de
rupture, qui ouvre l’horizon d’une autre histoire.

Or, tous les manifestes ne sont pas avant-gardistes, loin


de là. Ils n’ont pas tous ouvert de nouveaux horizons, frayé
de nouvelles voies, anticipé l’histoire. Ils n’ont pas tous
inventé un nouveau langage, une nouvelle grammaire,
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d’autres signes, des images, des sons, des gestes. Le mani-


feste est un genre littéraire, qui se confronte à la montée
des avant-gardes, mais ne s’y réduit pas. On aura écrit
des manifestes en dehors de tout mouvement avant-
gardiste, et même de tout engagement littéraire ou artis-
tique, comme on produit toujours des manifestes après
la chute des dernières avant-gardes. Ce fait nous a paru
décisif pour repenser aujourd’hui ce qu’il en est du mani-
feste. Décisif, à vrai dire, non seulement pour comprendre
ce que veut dire encore un manifeste aujourd’hui, mais
surtout pour questionner tout à la fois ce que l’on aura
fait du manifeste et ce qu’il aura fait de nous, de notre
histoire, de nos arts et de nos littératures. La fonction
performative et le pouvoir auto­référentiel du manifeste,
qui lui donnent cette force de rupture, lui ont sans doute
aussi permis de se détacher de son propre genre littéraire,
sans s’annuler. Ce que dit le manifeste du manifeste, c’est
en quoi consiste le manifeste, hier comme aujourd’hui
et peut-être demain. Sans tautologie pourtant, ni simple
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circularité, le manifeste dit, ou « manifeste », ce que signifie
manifester au moment même où il s’écrit, ce que veut dire
une action, un rassemblement, un collectif.

Dans ce recueil de textes, nous avons été attentifs non


seulement à la diversité des voix, des approches, des pers-
pectives, mais aussi aux différents régimes d’écriture des
manifestes. Du moins, c’est une question posée. Un mani-
feste relève-t-il toujours du genre littéraire, ou se réduit-il
toujours à un genre de littérature ? Un film peut-il se
dire, ou se voir comme un manifeste ; de même pour
une œuvre d’art, une pièce sonore, ou un projet d’urba-
nisme, la construction d’un corps, voire « un projet de
vie » personnel ? Qu’en est-il de cette écriture, ces écri-
tures, ou régimes d’écriture manifestaire, dès lors qu’elles
produisent une action et s’énoncent comme manifeste ?
Cette réflexion à plusieurs voix sur l’écriture du manifeste
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pourrait conduire à développer une nouvelle économie


politique de l’action. On aura tenté de le montrer, ces
écritures sont nécessaires à l’action. Elles en constituent
tout à la fois la situation, le contexte social, l’horizon histo-
rique, mais ce sont elles encore et surtout, dans leur agen-
cement propre et singulier, qui permettent à toute action
de ne jamais se réduire à ce contexte, ni de se perdre dans
l’histoire. Ce sont ces écritures qui font que l’histoire reste
à venir, ou plus encore, qui révèlent ou manifestent que
ce qui a eu lieu dans l’histoire, comme action ou événe-
ment, reste encore à vivre, à penser, à partager, par ceux
qui font l’histoire. Le manifeste, ce mouvement singulier
d’inscription et de rupture, de marque et de retrait, ce lieu
d’invention, entre un dedans et un dehors, aura produit
de nouvelles écritures de l’histoire.

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