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Juger la responsabilité des gestionnaires publics

René Sève
Dans Archives de philosophie du droit 2022/1 (Tome 64) , pages 591 à 610
Éditions Dalloz
ISSN 0066-6564
ISBN 9782247223206
DOI 10.3917/apd.641.0591
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Juger la responsabilité des gestionnaires publics

René SÈVE
Directeur des Archives de philosophie du droit

RÉSUMÉ. — Dans le cadre de la mise en place de nouvelles juridictions financières de première instance
et d’appel au sein de la Cour des comptes, à la suite de la suppression de la CDBF le 31 décembre 2022,
et après avoir retracé le cadre théorique d’une juridiction administrative répressive, l’auteur étudie les
dispositions principales de l’ordonnance du 23 mars 2022 et envisage les perspectives de ces nouveaux
contentieux.

MOTS-CLÉS. — Cour des comptes – Cour de discipline budgétaire et financière CDBF –


Ordonnateur – Comptable – Responsabilité – Faute de gestion – Préjudice – Favoritisme
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L’année dernière, Madame Catherine Hirsch, alors Procureure générale auprès de la Cour
des comptes, retraçait dans les pages de cette revue les fondements et l’histoire de la respon-
sabilité des gestionnaires publics, dans un article éponyme1. À cette occasion, elle rappelait
qu’à « cet égard, le mot “responsabilité” vise à la fois le pouvoir d’action (ou responsa-
bilisation), l’obligation de rendre des comptes (ou redevabilité) et la possibilité d’être
sanctionné en cas de manquement (la responsabilité au sens strict) » et soulignait « que les
rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), en 1789, aient
réservé à la responsabilité des gestionnaires publics une place de choix » par « l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel “la société a le droit de demander
compte à tout agent public de son administration” »2. Elle inscrivait aussi les discussions sur le
nouveau régime de responsabilité dans un horizon plus large de modernisation de la sphère
publique – « L’un des enjeux de la mise en place du régime unifié de responsabilité est de
“parfaire” l’emboîtement entre contrôle (d’une structure) et mise en jeu éventuelle de la
responsabilité (d’un ou plusieurs individus : les gestionnaires publics) »3 – marquée
notamment par les possibilités offertes par les systèmes d’information financière documentant
toutes les opérations et opérant des contrôles automatisés, et fixait pour objectif à la réforme,

1
Catherine Hirsch, « La responsabilité du gestionnaire public », Archives de philosophie du droit,
tome 63, 2022, La Responsabilité, p. 165-183.
2
Op. cit., p.167.
3
Op. cit., p. 177

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de cerner efficacement les contours d’une juridictionnalité propre de défense de l’ordre public
financier :
« Quant au juge administratif général, une fois écarté le scénario d’une responsabilité de
type civile des agents à l’égard des organismes publics dont ils relèvent4, il n’est en principe pas
armé pour assurer des fonctions répressives : ni son organisation5, ni sa procédure n’y sont
adaptés. S’agissant enfin du juge pénal, il ne serait lui non plus pas adapté à couvrir le champ des
irrégularités du droit public financier (qui inclut le droit budgétaire, le droit de la comptabilité
publique, le droit de la commande publique, etc.). Certes, l’ordre financier public est protégé
également par certaines dispositions du droit pénal, mais dans un champ très limité, celui des
atteintes au devoir de probité, notamment le délit de concussion (art. 432-10 code pénal), le
détournement de fonds publics (art. 432-15) et d’autres délits comme la corruption, la prise
illégale d’intérêts ou encore le délit de favoritisme »6.

L’ordonnance sur les nouvelles règles de responsabilité des gestionnaires et les décrets
afférents n’étant pas encore parus à la date de cet article7, la présente contribution a donc pour
but de conserver pour nos lecteurs un focus sur un domaine, finalement peu traité par la
théorie du droit et de l’action publics, y compris dans des analyses très approfondies8, alors
qu’il se trouve cependant à la croisée de problématiques politiques, économiques et juridiques
fondamentales.
Avant d’examiner le texte de l’ordonnance du 23 mars 2022, nous souhaiterions donc
rappeler l’enjeu théorique ou épistémologique plus large de cette problématique.
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I. — RAPPEL DU CONTEXTE THÉORIQUE

L’existence d’une juridiction administrative répressive, donc non pénale, constitue une
forme de protection tant des citoyens-administrés-contribuables que des gestionnaires publics
eux-mêmes. Elle est en quelque sorte un réquisit juridictionnel d’une démocratie moderne,
même si chaque pays module ses grands principes en autant de formes particulières suscitées
par ses traditions positives propres.

4
« Certes théoriquement possible depuis la jurisprudence Laruelle précitée, et parfois envisagé
comme alternative à la RPP (Malverti et Beaufils, « L’enrichissement sans cause : le préjudice
financier en dépense devant le juge des comptes, chronique de jurisprudence du Conseil d’État »,
AJDA 2020, p. 289) ; v. aussi Cons. const. 5 juil. 2019, Commune de Sainte-Rose, n° 2019-795 QPC
(« les collectivités publiques victimes d'une faute du comptable ont la possibilité, si le ministère
public près les juridictions financières n'a pas entendu saisir la chambre régionale des comptes de
cette faute et de toutes ses conséquences, d'agir en responsabilité, selon les voies du droit commun,
contre l'État ou contre le comptable lui-même ») »(note Catherine Hirsch).
5
« Notamment absence de parquet qui assurerait les poursuites… ».
6
Op.cit., p. 180.
7
Ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestio-
nnaires publics, Décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la
Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières,
Décret n°2022-1605 du 22 décembre 2022 portant application de l’ordonnance n°2022-408 du 23
mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics et modifiant
diverses dispositions relatives aux comptables publics.
8
Ainsi, le, par ailleurs, remarquable ouvrage récent de Benoît Montay, L’Autorité perdue. Pour une
théorie des fonctions de l’exécutif, Paris, PUF « Leviathan », 2021, n’accorde que peu d’attention aux
problématiques financières, pourtant une fonction importante de l’exécutif.

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 593

La notion fondamentale est celle d’asymétrie d’information au sens de l’économie du


droit. Elle est pour mémoire au cœur des relations contractuelles entre particuliers et nécessite
parfois pour en limiter les effets négatifs (jusqu’à l’absence de contrat) des mécanismes
d’ingénierie juridiques standardisés par la loi (par ex. les contrats-types entre bailleurs et
locataires par exemple) ou mis au point par les parties et leurs conseils9. Mais cette asymétrie
est en quelque sorte démultipliée entre les particuliers et des personnes morales au fonc-
tionnement complexe et aux productions multiples, comme les entreprises ou les entités
publiques. Quant aux premières, c’est notamment le rôle du droit de la consommation ou de
l’épargne de venir soutenir « le faible contre le fort ». Concernant les secondes, les citoyens ne
peuvent, au-delà de certains éléments émergés dans leur quotidien (par ex. les retards de
trains), apprécier la performance des services publics, au sens d’efficacité à atteindre des
objectifs généraux (par exemple la répression du crime organisé, la qualité de la recherche ou
des choix opérés pour les investissements d’avenir). Si l’on entend en effet par service public
toute organisation, quel que soit son statut juridique, se voyant confier une production de
services en situation de monopole légal, l’évaluation de sa performance (ou corrélativement de
sa rente10) est par nature moins mesurable qu’une production concurrencée car la situation de
monopole ne permet pas d’effectuer de comparaisons (des benchmark) simples, ou seulement
par des analyses techniques indirectes hors de portée du citoyen pour des raisons de fait
(quantité, complexité des données11) ou de droit (confidentialité, avec une législation française
relativement restrictive12). Pour cette raison, il est préférable de confier à des autorités
indépendantes du pouvoir politique la régulation des services les plus essentiels (Tirole, 1986,
Maskin et Tirole 2004, Benassy-Quéré, Coeuré et alii 201713), ceux qui visent par exemple la
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9
Cf. dans ce volume, l’article de Bruno Deffains.
10
La rente d’un monopole réside dans un niveau de coût supérieur à ce qu’un producteur en concur-
rence pourrait atteindre pour une prestation donnée. Le monopole n’a en effet pas de contraintes
fortes d’innovation et de gains de productivité : aussi, à titre d’illustration, on peut remarquer que les
entités publiques sont dans leur majorité peu enclines à développer spontanément des solutions
basées sur l’intelligence artificielle, surestimant a priori l’opposition de la CNIL.
11
Les comparaisons internationales, même régulières et systématiques (dans le domaine du droit, celles
de la CEPEJ par exemple), se heurtent souvent au stade de leurs conclusions à la difficulté d’en tirer
des pistes de réforme, en raison des spécificités démographiques, économiques, sociales, culturelles et
institutionnelles des différents pays.
12
Dans les pays scandinaves comme la Suède ou la Finlande, les particuliers peuvent avoir accès à
l’intégralité des factures de l’État. Le rapport sur la Finlande, mars 2018, n°63, § 63, du GRECO
(GRoupe d’Etats Contre la COrruption du Conseil de l’Europe) observe que : « Néanmoins, au
cours de la visite, l’EEG a appris que l’administration finlandaise venait de lancer un nouveau
système en ligne pour permettre au public d’avoir accès à toutes les factures des dépenses encourues
par l’État. Ce système est géré par Hansel, qui est l’organe central d’achat du gouvernement. Des
recherches sont possibles dans ces données sur la base de l’entité gouvernementale ayant acheté les
biens ou les services, de l’organisme payeur, du détail des achats, des montants versés et de la date du
paiement. Dans la mesure où le public a accès à la partie financière des formulaires remplis par les
ministres et d’autres PHFE, cette information devrait permettre de retrouver plus facilement les
ordres d’achat initiaux et d’identifier les cas où ils doivent ou auraient dû se récuser. D’autres infor-
mations devront évidemment être obtenues pour déterminer s’ils se sont effectivement récusés » .
Sur ces questions voir Stéphanie Damarey, Régime de responsabilité financière des gestionnaires
publics : analyse comparée, 15 avril 2020, rapport rédigé dans le cadre de la mission sur la réforme de
la responsabilité financière des gestionnaires publics (Lettre de misson du 20 décembre 2019), p. 171
et 174.
13
Ce dernier ouvrage mentionne (p. 93) quelques critères de choix concernant les domaines à protéger
de la décision politique : technicité de la matière, critères de performance consensuels, difficultés des

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stabilité des prix ou la sûreté nucléaire, et, pour ceux fournis par les autres administrations ou
entités, de revoir régulièrement la validité de leur existence et de leur organisation, par des
travaux détaillés (Baccache-Beauvalley et Perrot, 2017). Cet examen est au premier chef le rôle
permanent de la Cour des comptes, qui jouit de l’indépendance de la magistrature14, et,
épisodiquement, des revues de service ou des exercices de transformation, ces derniers
toutefois missionnés par le pouvoir politique. Or ce dernier, visant sa reconduction, aura
intérêt en début de mandat à affirmer sa volonté d’améliorer la performance des services
publics, – c’est donc la périodicité normale des revues et exercices de transformation ou de
modernisation –, mais aussi dans la suite de son exercice à minimiser leurs insuffisances ou
leurs échecs, afin d’éviter la sanction des électeurs.
Ce qui est vrai de la performance, l’est aussi de la qualité de la gestion, au sens d’efficience
(la protection ou le soutien produits le sont à des coûts raisonnables). La qualité de la gestion
des responsables publics, par exemple celle des marchés publics de travaux ou de construction,
des subventions aux associations, du recrutement et de la formation des cadres et agents, etc.,
est encore plus inobservable par les citoyens que l’efficacité. Certes une politique effective de
mise à disposition des données des administrations au public (open data) permet à la recherche
universitaire ou assimilée15 d’informer à terme une partie du public mais seulement de manière
relativement générale, ne pouvant concerner des données confidentielles, commerciales ou
personnelles. La qualité de la gestion est aussi opaque au sein même des administrations dès
qu’elles revêtent une taille significative et sont composées de nombreuses directions et services.
Il s’ensuit que ne pourront être l’objet de sanctions managériales ou disciplinaires internes que
les fautes les plus indiscutables, si l’on peut dire consensuelles entre l’administration et les
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représentants du personnel. En 2021, pour la fonction publique d’État (2,45 millions d’agents,
45 % du total), 3 520 sanctions disciplinaires ont été ainsi prononcées, concernant 0,28 % des
agents, seulement 152 cas ayant une dimension financière (0,006 %), et ce pour atteintes à la
probité, donc relevant du juge pénal, hors champ de la répression exercée par la Cour de
discipline budgétaire et financière (CDBF) et dorénavant par la Cour des comptes. Au sein de
la sphère administrative, la responsabilité des insuffisances dans la gestion relève donc
davantage de la sanction managériale souple, non documentable, que de la sanction
disciplinaire, ce qui incline à penser, d’une part, que la gestion publique est pour l’essentiel très
satisfaisante (un point à ne pas omettre évidemment) mais aussi, d’autre part, très
compliquée16, rendant des infractions importantes peu détectables.

électeurs à en percevoir la réalisation, risque que les choix publics soient trop incohérents à travers le
temps (besoin d’une continuité d’action à moyen/long terme), domaine susceptible de déclencher
d’importants phénomènes de lobbying, etc.
14
Dans la tradition française, l’indépendance complète du politique passe par le statut de magistrat.
L’autre option est celle des autorités indépendantes, mais il s’agit d’une formule institutionnelle
d’importation récente, comparée à la longue tradition endogène de notre chambre des comptes. Il
s’ensuit que le contrôle par les magistrats implique une fonction juridictionnelle, d’où l’importance
de maintenir celle-ci dans la Cour des comptes et même de la renforcer à l’occasion de la réforme. En
effet, dorénavant, la Cour va juger les ordonnateurs et non plus seulement les comptables et ce, tant
en première instance qu’en appel.
15
Les nombreux think tanks comme Fipeco, la Fondation Jean Jaurès, la Fondafip, l’Ifrap, l’Institut
Montaigne, Terra Nova, etc.
16
Pour un projet donné, vont en effet intervenir de très nombreux intervenants, avec leurs logiques ou
leurs intérêts propres (liste ci-après non exhaustive) : services statistiques, directions juridiques,

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De plus, en France, l’organisation des trois fonctions publiques (État, collectivités locales,
hôpitaux), en accordant aux fonctionnaires l’emploi à vie, – ce qui ne manque pas d’influer sur
la gestion des contrats à durée indéterminée ou déterminée de droit public –, rendent difficile
la sanction ultime de la révocation, de la mise à la retraite d’office, du licenciement, en
pratique réservée aux agents coupables de délits ou de crimes, vs les capacités dont disposent les
employeurs privés pour se séparer d’un collaborateur.
Mais en regard, on peut considérer que le statut protège davantage la probité publique, sur
deux plans. En premier lieu, il désincite les infractions, puisque leur bénéfice attendu à court
terme doit être mis en balance avec les avantages à long terme d’une progression de carrière
garantie, dans son principe, sinon dans son rythme et son aboutissement. En second lieu, le
statut rend plus difficile la commission des infractions, puisque dans les organisations
publiques, il affaiblit le principe hiérarchique, le chantage à l’emploi exercé par un cadre aux
fins de couverture de ses malversations trouvant moins de matière à s’exercer que dans le
secteur privé (une corrélation générale qui peut varier selon les écosystèmes administratifs
considérés)17. Naturellement la situation est ici évolutive. La loi du 6 août 2019, dite de
transformation de la fonction publique, ouvre, entre autres réformes, davantage de postes à
responsabilité (A+) aux contractuels, soit environ 3 000 postes pour la seule administration de
l’État, en précisant qu’ils ne seront ni CDI-sables, ni titularisables (sans passer par un
concours). La loi facilite également l’accès de contractuels à d’autres postes de rang inférieur
(A comme auparavant mais aussi B et C), y compris permanents et par CDI directs. Si
l’argument de la diminution du risque de probité par la sécurisation de l’emploi vaut pour ces
dernières catégories, il semble fragilisé dans la première situation. La corde de rappel résiderait
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dans la trajectoire consécutive au passage dans le public, le privé offrant de meilleures
rémunérations. Il demeure que celles-ci ne doivent pas alors être accordées aux intéressés pour
valoriser outre mesure l’expérience et le carnet d’adresses acquis, ce qui suppose que soient
appliquées des règles de déontologie limitant, sans les interdire, leurs relations d’affaires
postérieures à leur départ de l’administration.
De tous ces éléments, il résulte que, si l’on souhaite améliorer en profondeur la gestion des
services publics, il est donc nécessaire de confier à une autorité indépendante la recherche,
l’instruction et l’éventuelle sanction des fautes, en lui donnant les moyens réglementaires et
humains d’aller chercher les preuves d’une mauvaise gestion dans les détails cachés au plus
grand nombre, par exemple dans les clauses d’un contrat, les émissions de bons de commandes,
les inscriptions de créances ou l’émission des titres de recouvrement. C’est le sens de la réforme
mise en place le 1er janvier dernier mais déjà, dès l’après-guerre, en 1948, celui de la CDBF, qui
s’est trouvée, comme les institutions comparables en Europe et en Amérique du Nord18, pour

métiers (souvent diverses), informatique, RH (pas toujours unique au sein d’un ministère),
financière, et, à titre d’experts, parlementaires auteurs d’un rapport de préconisation, corps de
contrôle, consultants extérieurs, sans évoquer les organisations syndicales.
17
Ce point est naturellement discuté et varie selon les cultures et les zones géographiques, voir par
exemple Noël Pons, « Corruption, mode d’emploi », Géoéconomie, n°66, 2013/3, p. 207-222.
18
Voir à ce sujet le remarquable benchmark de Stéphanie Damarey 2020 ; voir aussi, sous presse,
Stéphanie Damarey (dir.), La Responsabilité financière des gestionnaires publics, approches inter-
nationales, Paris, Mare et Martin.

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ainsi dire, en avance de phase sur les analyses théoriques du Public Choice19 et des économistes
en général, qui justifient scientifiquement ex post ce type de dispositif.
Fondée de jure sur la distinction fondamentale entre infraction aux règles issue d’une faute
de gestion, au sens large, et atteinte à la probité, une juridiction administrative spécifique
forme donc un rempart nécessaire à un risque de dérive populiste qui chercherait à confier
directement au droit pénal l’activité professionnelle des gestionnaires publics, par méfiance à
l’égard de « l’entre-soi », c’est-à-dire de la capacité de l’administration à exercer, à une échelle
suffisante, sur ses fonctionnaires des sanctions managériales ou disciplinaires efficaces et donc
dissuasives. Cette méfiance est fondée, comme nous l’avons vu, mais puisqu’elle concerne des
comportements fautifs au regard de standards professionnels et non de la loi pénale, la réponse
proportionnée consiste précisément dans une institution originale, répressive mais non pénale,
pourvue des compétences techniques nécessaires20.
De manière plus concrète, témoignent de cette position équilibrée de la justice adminis-
trative répressive nouvelle, la nature des sanctions (amendes, plafonnées à six mois de traite-
ment, et non peines privatives de liberté), ainsi, voire surtout, qu’une approche qu’on pourra
deviner plus téléologique de la faute, si l’on raisonne dans la continuité du nombre important
de décisions de la CDBF - qui fut l’incarnation de cette répression de 195421 à 2022 -,
accordant aux justiciables, peut-être plus facilement que ses homologues européennes (cf.
infra), des circonstances atténuantes, voire absolutoires, alors que des règles formelles ont été
clairement enfreintes, au contraire d’une justice pénale où la fin n’exonère les moyens que dans
des situations de quasi-nécessité.
Selon cette perspective, se dégage ainsi une zone, utile pour les deniers publics, de
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répression administrative comprise entre, d’une part, les régulations ou sanctions purement
internes à l’administration, plus négociables et peu cohérentes à travers l’espace et temps, bref
aléatoires, et, d’autre part, la pénalisation réservée aux atteintes à la probité22.

19
Pour mémoire, The Calculus of Consent, de J.M. Buchanan et G.Tullock paraît en 1962 (Chicago
University Press).
20
Par analogie, pour les matières civiles complexes, en droit de la construction par exemple, on peut
observer, comme le Conseil supérieur de la magistrature dans sa contribution aux États généraux de
la justice, que la compétence technique du juge ne va pas de soi et nécessite un engagement fort et
permanent de l’institution judiciaire comme des chefs de cours et bien sûr des magistrats concernés
eux-mêmes. Par construction, la Cour des comptes répond à ce critère d’engagement fort et
permanent.
21
Année de son premier arrêt, Maison centrale de Melun, 28 juin 1954.
22
Certains auteurs considèrent que la réforme peut entraîner une aggravation du risque pénal pour les
gestionnaires : « L'appréciation de cet intérêt va nécessairement contraindre le juge financier et
restreindre les cas d'engagement de la responsabilité financière des gestionnaires publics. Ces
contraintes sont telles qu'elles suscitent des interrogations sur l'attitude qui sera celle du juge finan-
cier. Et parce que beaucoup d'irrégularités ne pourront plus être sanctionnées, notamment en lien
avec la commande publique [un point non partagé par cet article] on peut craindre, dans une
certaine mesure, une pénalisation de l'activité administrative. En effet, la Cour des comptes pourrait
recourir plus souvent qu'elle n'en avait l'habitude à l'article 40 du code de procédure pénale qui
permet de transmettre au procureur de la République les crimes et délits découverts par le juge
financier » (Stéphanie Damarey, « Réforme des gestionnaires publics : les dés sont jetés », AJDA,
2022, p. 892 et s.). On pourrait encore renforcer cette argumentation en s’appuyant par exemple sur
la simplicité du délit de favoritisme comparé aux infractions financières de l’ordonnance de mars
2022. Toutefois cette affirmation semble ne pas tenir compte des forces en présence : des procureurs
et des juges pénaux souvent débordés, qui ne pourront gérer les flux, vs des magistrats spécialisés qui

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 597

Pour mémoire, dans ses décisions du 3 mars 2005, du 24 octobre 2014 et du 1er juillet
2016, concernant la CDBF, le Conseil constitutionnel a nettement établi le statut de cette
juridiction administrative, répressive mais non pénale23. C’est ce qui permettra à la Chambre
du contentieux et, en cas d’appel, à la Cour d’appel financière, le bis et même, mais pas
toujours24, le ter in idem (sanctions managériales ou disciplinaires, sanctions administratives
répressives et sanctions pénales), à l’occasion d’une même affaire, – à l’instar d’une des
dernières décisions de la CDBF concernant l’Établissement de conception et de production
audiovisuelles de la Défense (ECPAD)25 –, et les autorisera donc à retenir une acceptation
large des règles et des infractions à ces dernières, grâce aux notions à frontières étendues, avec
comme but la protection de l’ordre public financier.
L’orientation téléologique de la répression administrative a en effet pour contrepartie des
approches plus ouvertes, i.e plus interprétatives et moins littérales, des situations d’infraction,
fonctionnant à partir d’indices convergents et selon un principe de proportionnalité entre le
degré de gravité de l’écart aux règles et l’effet recherché.
Dans la rédaction des normes elle-même, cette approche est manifeste dans l’usage de
standards, notions aux contours volontairement larges, comme « faute grave », « préjudice
significatif », « avantage injustifié », « intérêt direct ou indirect »26.
Dans le cas plus spécifique des administrations centrales de l’État, on peut aussi considérer
que le risque constitué par un juge disposant de marges sensibles d’appréciation se trouve
néanmoins limité, pour le justiciable, par l’ensemble de pouvoirs et de contre-pouvoirs
présidant aux mécanismes de dépenses et de recettes, – il est vrai qu’ils sont ici les plus déter-
minants pour la trajectoire des finances publiques –, ce à quoi s’ajoute la proximité avec le
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Ministre qui permet l’obtention de lettres de couverture. Il est d’ailleurs observé que la juris-
prudence de la CDBF ne concerne l’État que dans une petite dizaine de cas, par exemple les
décisions COP 21 (objet d’un pourvoi en cassation), Secrétariat d’État aux Sports, Agosta, soit

auront les capacités de comprendre rapidement et d’instruire les infractions, même si elles sont
définies de manière plus complexe (voir nos analyses ci-après).
23
Sur ce point cf. A.Froment-Meurice, J.-Y.Bertucci et alii (2019), p. 211.
24
Si une condamnation pénale ne reste jamais sans impact sur une carrière, il faut noter que les
condamnations administratives par la CDBF, à la différence des sanctions disciplinaires, sont parfois
sans effet sur la suite du parcours professionnel des fonctionnaires condamnés. Comme indiqué
supra, la procédure elle-même, avec l’incertitude sur son issue, semble souvent constituer la vraie
sanction.
25
Une des dernières décisions de la CDBF, 23 nov. 2022, Établissement de conception et de production
audiovisuelles de la Défense (ECPAD) sanctionne en effet le directeur commercial de l’établissement
qui avait favorisé, par l’intermédiaire d’une entreprise et d’une association, son épouse à l’occasion de
la production de deux vidéogrammes, sur les Harkis et la Légion étrangère, alors qu’il avait déjà été
condamné en correctionnelle quatre ans auparavant, pour les mêmes faits. La CDBF a donc
distingué les qualifications pour éviter le non bis in idem (voir §§ 25 et 32). Plus précisément la Cour
retient au § 25 de son jugement, non l’infraction de l’article 313-6 (avantage à autrui, déjà
sanctionné au pénal) mais celle de l’article 313-4 (infraction aux règles d’exécution des dépenses et
des recettes) et au § 33 celle de l’article 313-1 (non-respect des règles du contrôle financier) et non de
l’article 313-3 (engagement des dépenses sans capacité, déjà sanctionné également au pénal).
L’exemple constitue pour ainsi dire un geste d’adieu adressé par la Cour sortante à la Cour rentrante,
où l’on voit clairement affirmée la spécificité de l’ordre public financier avec ses normes propres.
26
Cf. l’ouvrage classique de Stéphane Rials, Le Juge administratif français et la technique du standard,
Paris, L.G.D.J.,1980.

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598 ÉTUDES

moins de 10 % du total27. Dans ce domaine néanmoins, il sied d’adopter aussi une approche
ouverte, dépassant les délimitations strictes du droit public : une décision aussi significative
que celle de la CDBF du 9 mars 2021, condamnant l’attribution d’actions gratuites par CDC
Entreprises (décision également objet d’un pourvoi en cassation), comme d’autres portant sur
des sociétés (France Telecom, France Télévisions) ou des établissements publics nationaux de
premier rang (ANRU, ANTS, IGN, INPI, INSEP), concernent non l’État comme personne
juridique, mais sans doute l’État comme écosystème.
Il demeure que les différentes dispositions de l’ordonnance et les circonstances de
l’infraction, pratiquement ignorées par la Cour dans le jugement objectif des comptes des
comptables, vont dorénavant lui permettre, comme antérieurement à la CDBF28, de s’emparer
d’une situation pour, du point de vue du citoyen, établir avec l’ensemble des textes un tableau
clinique la conduisant à conclure, mais sans déduction mécanique, à une ou plusieurs
sanctions.
Cette situation conduit à envisager dans la suite de cet article les dispositions principales
de l'ordonnance du 23 mars 2022, non pas isolément mais comme constituant collectivement,
du point de vue du justiciable, un filet unique permettant de « pêcher » les gestions
reprochables. Une importance particulière sera alors accordée à la complémentarité des
dispositions de certains des articles de l’ordonnance, notamment les articles 131-9, 131-10 et
131-12.

II. — RAPPEL DES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE L’ORDONNANCE


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1. Le nouvel article générique
Article 131-9 : « Tout justiciable, au sens de l’article 131-1, qui par une infraction aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État, des
collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article, commet une faute grave
ayant causé un préjudice financier significatif est passible des sanctions prévues à la section 3.
[…] Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son
montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du
justiciable ».
Cet article est parfois considéré comme l’article fondamental de la réforme, se substituant
à l’article 313-4, dit « générique », du code des juridictions financières (CJF). À ce titre, en
raison de l’introduction de la notion de « préjudice financier significatif », le nouvel article a
pu être considéré par une partie de la doctrine comme constituant « une régression
majeure »29, ou, inversement, par beaucoup d’acteurs administratifs comme un grand progrès
réduisant, pour la même raison, le champ d’imputabilité des justiciables. Une approche plus
systémique va permettre, pour ainsi dire, de relativiser ces relativisations.

27
Sur une assiette, incluant, outre l’État, les collectivités et les établissements hospitaliers, mais pas les
fondations et les organismes de sécurité sociale et assimilés.
28
Une CDBF d’ailleurs de plus en plus active avec 9,4 arrêts par an ces cinq dernières années (47),
contre 6 les cinq années précédentes (30), soit une progression de 56% (CDBF, Rapport au Président
de la République 2023, mars 2023, p. 16).
29
Cf. Stéphanie Damarey, «La réforme de la responsabilité financière des gestionnaires publics
constitue une régression majeure », Le Monde, 29 avril 2022.

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 599

A. — Sur la notion de règle d’exécution


Les notions de règle et d’exécution doivent être ici envisagées au sens large, comme le
souligne Nicolas Groper :
« La référence dans les textes aux règles “d’exécution” n’a guère de portée pratique. En effet,
les règles d’exécution des dépenses ne concernent pas seulement celles relatives à l’engagement, la
liquidation ou l’ordonnancement de la dépense, mais également les dispositions législatives et
réglementaires édictant des prescriptions qui ne sont pas détachables d’une procédure
d’exécution des dépenses publiques, notamment dans le cadre de l’exécution d’un marché »
(CE, 7 juil. 1973, Massip) »30.
Cette position a été récemment confirmée explicitement dans la décision Direction
générale de la cohésion sociale31 : une irrégularité dans la passation d’un marché a été sanc-
tionnée « sans qu’il y ait lieu d’opérer aucune distinction entre conditions de passation et
conditions d’exécution des marchés ».
On peut donc aller plus loin en considérant, avec le même auteur, que « la compétence
ratione materiae de la CDBF [donc des nouvelles juridictions financières] ne saurait être
limitée par une excessive étroitesse des règles dont elle sanctionne la violation […] »32. Ainsi
des règles internes d’organisation, un guide, un règlement, un plan de contrôle, etc., et même
un usage professionnel33, peuvent constituer des règles dont la méconnaissance peut être
sanctionnée.

B. — Sur la notion de faute grave


La notion de faute grave, comme indiqué au § I, fait traditionnellement partie des notions
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non définies directement mais objet d’une estimation à partir de l’écart, en l’espèce important,
à un standard normal de compétence pour les acteurs de la même catégorie. La faute
d’imprudence sera ainsi liée à un effort insuffisant d’anticipation dans la grande tradition du
Digeste, IX, 2, 31 : « Culpa autem esse quod cum a diligente provideri poterit, non esse
provisum »34.
Dans la jurisprudence de la CDBF, peuvent donc se trouver sanctionnées les fautes
d’omission, caractéristiques de responsables, souvent d’un rang élevé, ne s’intéressant pas à
l’intendance car « faisant-toute-confiance-à-leur-directeur-financier-ou-à-leur-comptable »,
alors que l’absence de signalement des difficultés importantes rencontrées par ces derniers
n’est pas exonératoire de responsabilité pour les premiers35. Le défaut de suivi d’une
subvention fait, par exemple, partie des fautes d’imprudence sanctionnées36.

30
Nicolas Groper, Responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, Paris, Dalloz, 2011,
p.172.
31
14 juin 2021
32
Ibid.
33
CDBF 20 déc. 1982 Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire ; 7 déc. 1994, Comité départemental du
tourisme de la Gironde.
34
« Est une faute ce qui n’a pas été prévu, alors qu’une personne diligente aurait pu le prévoir ».
35
Voir par ex. CDBF 10 déc. 2020 ONIAM : la désorganisation du service juridique rejaillit sur le
secrétaire général et par suite sur le directeur.
36
CDBF 22 févr. 2018 Société d’investissement de la filière pêche de l’Archipel de Saint-Pierre-et-
Miquelon.

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600 ÉTUDES

La faute d’action, par exemple la passation d’un marché contrairement aux règles du code
des marchés publics ou l’octroi de rémunérations irrégulières, peut être également une faute
d’ignorance, renvoyant alors aux connaissances normales sur les marchés ou les règles de
gestion des personnels dont devrait disposer le justiciable dans ses fonctions. Si, au contraire,
l’infraction est délibérée car connue comme telle, sans pour autant remettre en cause la probité
du gestionnaire, la faute grave de l’article 131-9, lorsqu’elle cause un préjudice, tangenterait
celle de dol en droit civil37. En droit civil, une agence de voyages, par exemple, commet une
faute lourde si elle accepte des inscriptions à des séjours linguistiques sans disposer à date d’un
nombre suffisant de familles d’accueil (Paris, 26 avril 1994, D. 1994, 142), un cas analogue à
celui d’un gestionnaire public que ses choix budgétaires conduiraient, faute d’une priorisation
maîtrisée de ses dépenses, à se trouver en insuffisance de crédits pour faire face à une dépense
obligatoire (et a fortiori « très obligatoire » comme la paye de décembre pour assurer la rému-
nération des personnels…).
S’il se trouve que le préjudice ou l’externalité négative ne sont pas constitués, et même si
l’infraction est réelle, la jurisprudence de la CDBF accorde alors aux gestionnaires le bénéfice
de circonstances exonératoires, par exemple pour un hôpital38. Plus avant, même si des
comportements ont entraîné un préjudice très significatif pour les structures concernées, des
circonstances atténuantes pourront être accordées, par exemple quand la charge de travail
pesant sur le gestionnaire et le comptable d’EPHAD sera considérée comme trop impor-
tante39. Ainsi que le montre cette dernière décision, des situations absolument pathologiques
mais dont les causes relèvent d’un environnement global défaillant ne justifient pas la
sanction, le justiciable étant aussi une victime.
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En d’autres termes, comme il découle d’une jurisprudence téléologique (voir § I), la faute
est considérée comme grave par rapport au degré ou au nombre d’écarts à la règle, comme à
l’importance de celle-ci, mais la sanction est modulée, jusqu’à être annulée, selon les effets
produits et les capacités concrètes d’action de l’agent.
Cette orientation pragmatique, présidant à la réforme, n’est donc pas un tournant mais se
situe dans la continuité de « décisions réalistes », i.e prenant40 en compte les intérêts réels de
la puissance publique, notamment les célèbres décisions du Conseil d’État, 22 février 2017,
Grand port maritime de Rouen, et du 6 décembre 2019, ONIAM41, la première prolongeant

37
Le dol dans l’exécution du contrat (différente de sa formation, CC 1137) est visé dans les articles
1231-3 et -4 du code civil.
38
CDBF 7 juil. 2015, Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM).
39
CDBF 10 janv. 2022, Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)
Saint-Luc de Castelnau-Montratier et Sainte-Marie de Montcuq.
40
S. Damarey, 2020, p. 114 et 119.
41
Cf. notamment le passage suivant: « […] lorsque le manquement du comptable aux obligations qui
lui incombent au titre du paiement d'une dépense porte seulement sur le respect de règles formelles
que sont l'exacte imputation budgétaire de la dépense ou l'existence du visa du contrôleur budgétaire
lorsque celle-ci devait, en l'état des textes applicables, être contrôlée par le comptable, il doit être
regardé comme n'ayant pas par lui-même, sauf circonstances particulières, causé de préjudice finan-
cier à l'organisme public concerné. Le manquement du comptable aux autres obligations lui incom-
bant, telles que le contrôle de la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, de la disponibilité des
crédits, de la production des pièces justificatives requises ou de la certification du service fait, doit
être regardé comme n'ayant, en principe, pas causé un préjudice financier à l'organisme public
concerné lorsqu'il ressort des pièces du dossier, y compris d'éléments postérieurs aux manquements
en cause, que la dépense repose sur les fondements juridiques dont il appartenait au comptable de

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 601

d’ailleurs deux décisions de la Cour des comptes42, toutes se situant à leur tour dans la
continuité de la réforme de la responsabilité précédente et l’introduction d’un critère de pré-
judice matériel. On notera, avec Stéphanie Damarey, que cela n’est pas le cas dans tous les pays.
Par exemple, le Tribunal de Cuentas espagnol43 a sanctionné les primes irrégulières versées par
un maire sans base légale pour récompenser la productivité (réelle) des agents municipaux ou
la Cour des comptes grecque (Elegtikon Synedrion) le paiement sans texte d’heures
supplémentaires pourtant réalisées44.
Dans le paysage jurisprudentiel français, rapidement décrit ci-avant et qu’il semble raison-
nable de projeter dans l’avenir, notamment dans la mesure où l’instance de cassation, le
Conseil d’État, reste identique, constituant ainsi une garantie de continuité à long terme, on
peut considérer que c’est la procédure elle-même qui constitue déjà la première sanction pour
les agents poursuivis, symboliquement, dans tous les cas, et matériellement, s’ils ne bénéficient
pas d’une assurance de protection juridique45.

C. — Sur la notion de préjudice significatif et la relativité de son quantum


Rapportée aux considérations précédentes, l’introduction de la notion de préjudice
significatif qui semble fournir un critère externe, certes toujours volontairement flou, et
controversé (cf. n. 5), de limitation de la responsabilité des gestionnaires, peut apparaître
également comme l’expression d’un louable souci d’économie procédurale, afin d’alléger
l’inscription au rôle d’affaires n’aboutissant pas à des sanctions importantes et pouvoir ainsi
poursuivre davantage de comportements punissables « à fort enjeu ».
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En même temps, on verra que la Cour va garder de grandes marges de manœuvre pour
moduler la « significativité » du préjudice et même pour s’en abstraire totalement en jouant
de toute la palette des imputations (voir paragraphe suivant).
Dans la jurisprudence de la CDBF, la notion de préjudice s’envisage en dépenses et en
recettes.
En dépenses, elle correspond à la notion de contrepartie. Il y a préjudice si la dépense n’a
aucune contrepartie ou, le plus souvent, pas de contrepartie suffisante : ainsi dans l’affaire
Filière pêche de Saint-Pierre-et-Miquelon citée, la subvention reçue par la pêcherie n’a pas servi
à installer un système de refroidissement au fréon mais, à moindre coût, à réparer le circuit
existant fonctionnant à l’ammoniac, sans que la subvention soit récupérée. En matière de

vérifier l'existence au regard de la nomenclature, que l'ordonnateur a voulu l'exposer, et, le cas
échéant, que le service a été fait ».
42
19 juil. 2016, Trésorier payeur général de la Guadeloupe, et 10 févr. 2017, Institut national de
l’information géographique et forestière.
43
Qui condamne aussi le justiciable au remboursement des dépenses indues et, dans certains cas, met
en œuvre une mise sous séquestre préalable de ses biens pour garantir sa solvabilité. Le comptable
peut aussi devoir supporter une responsabilité subsidiaire si les responsables principaux ne peuvent
compenser la perte subie par la caisse publique.
44
Damarey, 2020, p. 114 et 119.
45
Voire de la protection fonctionnelle : ce dernier point a été débattu lors du très intéressant colloque
« L’avenir des activités contentieuses des juridictions financières », organisé le 10 mars 2023 par
l’Institut Léon Duguit de l’Université de Bordeaux (direction scientifique : Florent Gaullier-Camus
et Alain Pariente ; organisation : Caroline Almeida), dont les actes seront publiés en 2023 par la
revue Gestion et Finances publiques, auxquels nous renvoyons donc pour l’analyse de ce point.

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602 ÉTUDES

rémunération, dans sa décision INSEP46, la CDBF a distingué parmi des primes irrégulières
celles qui correspondaient à un surcroît réel d’activité des agents (par exemple mobilisés par
l’installation du nouveau logiciel QUALLIAC) ou à une simple prime de fin d’année sans
contrepartie en termes de travail effectué.
La difficulté que va rencontrer la Cour sera d’évaluer le montant du préjudice dans des cas
plus complexes, même si l’on peut observer, notamment dans la jurisprudence COP 2147, que
le préjudice peut être déduit intuitivement d’une procédure dépourvue d’appel à la concur-
rence, sans avoir à être quantifié. Inversement, dans son jugement sur l’ONAC48, la Cour a
abandonné la charge d’avantage injustifié, qui dans l’ancienne rédaction de l’article 313-6 était
lié à un préjudice, faute de pouvoir établir « irréfutablement » ce dernier.
Il demeure qu’entre la significativité intuitive et la significativité quantifiée, le chemin
correspondra à l’apprentissage, sans doute rapide, par la nouvelle Chambre du contentieux de
ses responsabilités dès la phase de l’instruction, grâce à des magistrats dédiés et donc de plus en
plus rompus à l’évaluation du « juste » prix des services, des biens et des rémunérations.
Mieux encore, dans des dossiers importants, par exemple les marchés d’un ministère déjà
critiqués dans un rapport d’une autre chambre de la Cour, la nouvelle Chambre, qui bénéfi-
ciera déjà d’une mise de jeu technique de haut niveau, pourrait améliorer sa main en recourant
à des experts afin de l’aider à quantifier l’ampleur du préjudice. Enfin, elle bénéficiera, dans
certains dossiers, d’autres sources publiques, par exemple en cas d’enquêtes de l’Autorité de la
concurrence, de l’AFA, de l’ANCOLS49, etc. ou d’expertises diligentées à l’appui de poursuites
pénales. À n’en pas douter, ces « progrès » s’effectueront tout en conservant cependant à la
Cour une marge de choix discrétionnaire sur la notion de significativité.
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En termes de recettes, l’évaluation du préjudice correspond surtout pour l’ordonnateur au
montant des factures et titres non émis, modulé éventuellement par le taux de recouvrement
espéré, et pour le comptable au montant des recouvrements non réalisés modulé par un taux
moyen de recouvrement. Plus subtilement, la Cour pourrait calculer les délais d’émission des
factures ou des titres et, en cas de retard, déduire le préjudice en découlant, à partir de
l’observation de la diminution induite du taux des paiements à travers le temps. Encore plus
prospectivement, la Cour pourrait engager la responsabilité de l’ordonnateur en cas de retard
dans le déploiement d’une réforme permettant d’optimiser les recettes, par exemple le
déploiement d’un nouveau logiciel ou la réalisation d’une nouvelle interface avec les systèmes
d’information de la DGFIP.
Il demeure que l’imputation de responsabilité semble limitée dans la rédaction de
l’ordonnance par la restriction suivante : « Le caractère significatif du préjudice financier est
apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service
relevant de la responsabilité du justiciable », d’où l’on pourrait déduire une relativement
faible probabilité de justiciabilité des hauts responsables des plus grandes entités publiques et
privées concernées. Toutefois la significativité restera toujours modulable par le juge et les
analystes de la jurisprudence future pourront sans doute tracer un barème informel corrélant
souplement gravité de l’infraction, montant du préjudice, liens hiérarchiques, niveaux
46
20 juin 2022.
47
6 mai 2022.
48
3 mai 2018.
49
Spécialisée dans le logement social et citée par C. Hirsch (2022), p. 178.

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 603

d’information, etc. De plus, on peut considérer que le juge pourra sans doute compenser cette
restriction soit par le truchement de l’article 131-10, pour les établissements publics50, et
surtout de l’article 131-12, objet du paragraphe suivant.

2. Sur l’avantage injustifié


Article 131-12 : « Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-3 qui, dans
l’exercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt
personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui ou à lui-même, un
avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3 ».
L’importance de cet article apparaît d’emblée par sa comparaison à l’article 313-6 du CJF
auquel il se substitue :
« Toute personne visée à l’article L. 312-1 qui, dans l’exercice de ses fonctions et attribu-
tions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié,
pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme
intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage sera passible d’une amende […] ».
Hormis la suppression de l’infraction de tentative, au coût probatoire exorbitant, le nouvel
article 131-12 frappe par celle de la condition de préjudice, transformant ainsi une infraction
conditionnée aux dommages causés à l’entité publique, ou assimilée, en infraction, pour ainsi
dire, purement morale.
Avant d’en examiner les applications possibles plus en détails, on peut d’ores et déjà
considérer que la « respiration » apportée aux gestionnaires par la condition de préjudice
significatif intégrée à l’article 131-9 semble largement réduite par la disparition symétrique
de cette même conditionnalité auparavant attachée à l’infraction d’avantage injustifié.
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Sur les différents critères retenus par la nouvelle rédaction, on évoquera les points ci-après.

50
À défaut d’avoir causé directement un préjudice significatif, un dirigeant (N° 1 ou N° 2, au niveau
N+2 ou N+3, voire plus, de l’agent ou cadre défaillant) peut en être tenu responsable au titre de
l’article 131-10 s’il a fait preuve de « carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ou par
des omissions ou des négligences répétées dans son rôle de direction […] ». Il peut donc être
embarqué dans la faute d’un subordonné pour un préjudice proportionné aux responsabilités de ce
dernier (Cf. CDBF 28 juil. 2020 Rémunérations à France Télévisions : « Ce manquement est
imputable à M. Z..., directeur général délégué à l’organisation, aux ressources humaines et à la
communication interne, qui a été l’interlocuteur principal de Mme B..., qui n’a pas su veiller au
respect, par ses subordonnés, des règles applicables au contrôle économique et financier […]. »),
puisque l’article 131-10 vise expressément la significativité du préjudice au sens de l’article 131-9 (cf.
« un préjudice financier significatif au sens de l’article 131-9 »), article qui lui-même le relativise à
l’aune du champ de compétences des intéressés. En effet, ce dernier article précise que le préjudice
financier significatif est celui que commet un acteur tel que défini à l’article 331-1, (spécialement
alinéa 2, concernant « tout fonctionnaire », donc des N-x)) dans le champ de responsabilité qui est
le sien, « au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable »,
donc pas du budget de l’entité publique dans son ensemble. Ainsi, un petit préjudice dans une vaste
structure peut rattraper le dirigeant au titre des carences de la direction qu’il exerce, selon le méca-
nisme décrit par exemple dans les arrêts France Télévisions ou ECPAD cités. Considéré en termes
pratico-pratiques, la rédaction actuelle implique toutefois seulement que le dirigeant d’une entité
composée de centaines d’agents et de cadres, sur des dizaines de services, soit méthodique dans le
contrôle des contrôles des activités des responsables de tout niveau, ce que peut aujourd’hui faciliter
grandement le déploiement des systèmes d’information avec leurs grandes capacités
d’automatisation.

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604 ÉTUDES

A. — La méconnaissance des obligations


L’infraction d’avantage injustifié est à la fois matérielle et formelle. Un marché régulier
mais surdimensionné par erreur dans l’estimation des besoins peut procurer un avantage à
l’entreprise titulaire du marché sans que l’infraction soit constituée : c’est ici la limite entre les
responsabilités managériale et juridictionnelle. De même, le non-recouvrement d’une créance
procure au débiteur un avantage injustifié mais qui ne constitue pas une infraction si le
comptable a déployé les diligences requises. Toutefois, dans le cas du marché, le surdimension-
nement peut avoir pour origine une série de négligences dans l’estimation des besoins,
contrairement à des règles formelles ou d’usage, engendrant une obligation de respect.
L’infraction serait alors constituée.

B. — L’avantage injustifié en tant que tel


L’avantage injustifié est un peu chez le tiers le miroir du préjudice subi par la collectivité,
ce qui permet donc à la Cour de se libérer du critère de significativité de l’article 131-9.
Toutefois, il peut y avoir avantage injustifié sans préjudice : un marché passé ou reconduit sans
appel à la concurrence ou à travers un cahier des charges biaisé, favorise un fournisseur par
rapport à ses concurrents, mais sans occasionner de préjudice, si le fournisseur « remplit son
contrat ».
La vie des marchés cependant, même réguliers dans leur attribution, peut cependant être la
source de nombreux avantages injustifiés poursuivables, même si le préjudice reste limité pour
l’administration : révision de prix irrégulière ou mauvaise application de la théorie de
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l’imprévision, particulièrement sollicitée en période d’inflation, complaisance dans
l’appréciation du service fait (notamment recettage de prestations informatiques de qualité
insuffisante), etc. Il en va de même pour la cession de biens à des acheteurs irrégulièrement
sélectionnés51, a fortiori mais pas nécessairement à des prix de complaisance.
Le cas des rémunérations illustre la même logique. La collectivité peut bénéficier des
services financés par des primes irrégulières, si leurs bénéficiaires ont assuré la contrepartie
prévue52, sans avantage injustifié, ce qui n’est inversement pas le cas si les rémunérations sont
disproportionnées par rapport au travail effectué53 et évidemment à l’absence de travail
(heures supplémentaires non réalisées accordées comme compléments de rémunération)54.
L’avantage injustifié déborde cependant la notion de contrepartie, critère matériel, mais
peut découler d’une simple irrégularité, critère formel : dans la prise en charge irrégulière de
frais de déplacement, par exemple entre le domicile et le lieu de travail, l’infraction d’avantage
injustifié n’est pas prima facie douteuse, même si les bénéficiaires se déplacent réellement55. De

51
CDBF 20 déc. 2007, Sté SCIC Habitat Ile de France.
52
Cf. INSEP ci-dessus et CDBF, 15 déc. 2006, Centre hospitalier d’Ambert.
53
CDBF, 20 juil. 2017, Institut Curie.
54
Le travail peut avoir été effectué mais dans des conditions différentes de celles justifiant la rémuné-
ration accordée : ainsi de chauffeurs davantage rémunérés pour avoir rempli leurs fonctions en
dehors de leur résidence administrative, qu’ils n’avaient en réalité pas quittée.
55
Il pourra cependant être avancé, à titre de circonstances atténuantes, que des difficultés de recrute-
ment en zone tendue, améliorant la capacité de négociation des salariés, peuvent expliquer ces avan-
tages complémentaires à la rémunération, cf. la relaxe dans l’affaire Assistance publique-Hôpitaux de
Marseille, CDBF, 17 juil. 2015, confirmé CE 17 oct. 2016.

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 605

même, on peut considérer, par analogie avec les marchés, que si les règles formelles de sélection
et de choix des candidats n’ont pas été respectées, l’agent recruté bénéficie d’un avantage
injustifié. En termes d’économie des poursuites et de l’instruction, qui constituent les limites
concrètes de l’action du Procureur général et de la Cour, le point d’entrée serait ici constitué
par une palette globale : dans l’exemple, montant exceptionnel de la rémunération, résultats
insuffisants (absence de contrepartie proportionnée) et « en imputation de second rang »,
conditions de recrutement.
De même cette logique d’assemblage s’appliquera, comme pour toutes les infractions, au
prononcé des sanctions : un climat social dégradé dans un opérateur ou un établissement, des
avantages accordés indirectement à une catégorie défavorisée (demandeurs d’asile, mal-logés,
malades détenus, etc.) viendront sans doute fortement moduler la peine prononcée voire
éteindre toute poursuite.

C. — L’intérêt direct ou indirect


Le terme, constitue, après la méconnaissance des obligations, la seconde condition
limitative de l’infraction, nouvelle vis-à-vis de la rédaction antérieure. Sur le fond, cette
condition renvoie aux infractions administratives d’avantage injustifié, chronologiquement
première, et pénales de prise illégale d’intérêt et de favoritisme56. Procéduralement, la notion
d’intérêt indirect va permettre aussi d’embrasser les cas où le comportement reproché n’est pas
suscité par un objectif intéressé mais facilité par l’existence d’un effet collatéral. Les notions
d’intérêt direct ou indirect sont d’ailleurs elles-mêmes générales et à leur tour bien
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représentatives de la philosophie de la répression administrative, qui est de permettre à un
droit prétorien de continuer à se perfectionner. Accepter des entorses au code des marchés
publics ou conclure trop rapidement une procédure négociée pour tenir le calendrier d’une
opération (et le regretter ensuite quand il faut gérer les imperfections du contrat), est-ce
d’intérêt direct, si le respect de ce calendrier est l’un des indicateurs déterminant le quantum
d’une part variable de rémunération, et d’intérêt seulement indirect, si le respect du calendrier
prévu assure « seulement » la bonne marche du service ? De même le fait d’accorder à son
adjoint ou à un collaborateur-clé un avantage irrégulier propre émane-t-il d’un intérêt direct
alors qu’assurer la paix sociale de l’entité par des primes générales de fin d’année (sans charge
de travail supplémentaire correspondante) ou par des heures supplémentaires fictives consti-
tuerait seulement un intérêt indirect ? C’est la jurisprudence qui déterminera ces notions, avec
comme sous-jacent ultime de ces décisions, les capacités de détection, de réquisition,
d’instruction et de jugement du nouvel éco-système de la Cour modulées par la probabilité de
l’obtention d’une condamnation.
Il ressort cependant des analyses consacrées à l’article 131-12 qu’il faille donc considérer
que la plupart des infractions aux règles d’exécution des dépenses57 ne sont donc pas
conditionnées à un préjudice financier significatif puisqu’elles sont rattachables également à
un avantage injustifié à autrui : de minimis curat praetor… s’il en a le temps et les moyens. Il

56
Voir par ex. sur ce point, CDBF, Rapport annuel sur l’année 2007.
57
Attribution injustifiée de subvention, augmentation incontrôlée des dépenses, non-respect des règles
des marchés publics, liquidation sans engagement, non constatation d’une créance, service fait fictif,
etc.

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606 ÉTUDES

s’ensuit cependant que l’ordonnance, sur ce point, entraîne déjà58 ou va entraîner dans les
entités concernées, une nouvelle attention aux procédures et un sursaut de
professionnalisation, si besoin était.

3. Sur quelques autres infractions prévues par l’ordonnance

A. — Article 131-13
Associée, dans le même article, à l’infraction d’absence « de production des comptes dans
les conditions fixées par décret en Conseil d’État » qui concerne le comptable, celle de non-
respect « des règles en matière de contrôle budgétaire portant sur l’engagement des
dépenses » concerne l’ordonnateur.
Dans la jurisprudence de la CDBF, cette dernière est le plus souvent une infraction de
signalement et d’accompagnement d’infractions et de sanctions principales, – comme celle qui
suit dans la rédaction de l’ordonnance, concernant l’absence de qualité d’ordonnateur dans
l’engagement d’une dépense –, et à ce titre vaut comme telle et comme constituant une
circonstance aggravante. Toutefois, la décision FTV, déjà citée, ne repose que sur des infrac-
tions aux règles du contrôle, en raison de leur caractère répétitif, retrouvé aussi dans une
mesure plus limitée dans la décision Entreprise minière et chimique du 12 mai 2015.

B. — Article 131-14
Cet article sanctionne les agissements d’un ordonnateur ou d’un comptable lorsqu’ils
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aboutissent à faire condamner une entité « à une astreinte en raison de l’inexécution totale ou
partielle ou de l’inexécution tardive d’une décision de justice ». La rédaction de cet article est
limitative dans son premier paragraphe, la condamnation à des astreintes étant moins
fréquente que la sanction automatique des intérêts de retard légaux simples ou majorés. Dans
certains cas, la personne privée, victime des retards d’exécution de l’État, peut d’ailleurs avoir
intérêt à ne pas faire rapidement exécuter la décision sous la contrainte d’astreintes et préférer
l’accumulation des intérêts de retard sur une durée plus longue. Toutefois, l’article 2 qui vise
les astreintes et l’inexécution des décisions de justice en général, en référence à l’article 1er de la
loi du 16 juillet 198059, élargit pertinemment la problématique tout en attirant finement par
58
Cf. le décret n°2022-634 du 22 avril 2022 relatif au contrôle et à l’audit internes de l’État.
59
« I. - Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'Etat au
paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit
être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice » .
Si la dépense est imputable sur des crédits limitatifs qui se révèlent insuffisants, l'ordonnancement
est fait dans la limite des crédits disponibles. Les ressources nécessaires pour les compléter sont
dégagées dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organi-
que relative aux lois de finances. Dans ce cas, l'ordonnancement complémentaire doit être fait dans
un délai de quatre mois à compter de la notification.
À défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assigna-
taire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice,
procéder au paiement.
II. - Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité
locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la
décision elle-même, cette somme doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de deux mois à
compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 607

ce renvoi l’attention des comptables et des préfets sur leur obligation subsidiaire, passés
certains délais, à suppléer les ordonnateurs et à procéder au mandatement d’office.

C. — Article 131-15
Pour simple mémoire, concernant la gestion de fait60, dans les affaires CDC/Ministère de
l’Écologie et CEA/Ministère de la Défense, jugées le 28 février 2017, le ministère public avait
requis la condamnation de plusieurs ministres en raison de circuits budgétaires irréguliers
destinés à mettre en place, sans attendre un support législatif, et via des organismes tiers, des
financements associés à des annonces politiques (Écologie) ou des besoins opérationnels
imprévus (Défense). Sans commenter la décision de la Cour, qui n’a pas reconnu la gestion de
fait, la question reste posée de sanctions futures possibles de montages budgétaires
« imaginatifs ».

La procédure devant la Cour des Comptes prolonge celle de la CDBF et accorde au


Procureur Général Près la Cour des Comptes un rôle équivalent : il saisit la chambre du
Contentieux, qui instruit le dossier, décide ensuite, soit de classer l’affaire, soit de demander
un complément d’instruction, soit de la renvoyer devant la formation de jugement61. Après
jugement, il peut faire appel et, après appel, se pourvoir en cassation.
En amont, le Procureur général bénéficie de sources d’information en nombre impres-
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sionnant : dossiers en cours d’instruction à la CDBF (24, au 1er janvier 202362) ou dans les
Chambres régionales des comptes (CRC), dossiers nouveaux provenant des autres Chambres
de la Cour, puisque tous leurs rapports lui sont transmis pour observations, dossiers nouveaux
des CRC, transmissions des procureurs de la République, défèrements des diverses autorités
habilitées par l’ordonnance 63, plateforme de signalement de la Cour des comptes (une source

dans ce délai, le représentant de l'État dans le département ou l'autorité de tutelle procède au manda-
tement d'office.
En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'État dans le département ou l'autorité de tutelle
adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ;
si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le
représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu,
au mandatement d'office. »
60
Sur la gestion de fait, voir récemment Émilien Quinart, « Que faire de la gestion de fait ?», in
Gestion et Finances publiques, 2022-2, p. 43-49 .
61
Code des juridictions financières, article L.142-1-5 : « Le ministère public près la Cour des comptes
apprécie les suites à donner à la clôture de l'instruction ». C’est un point de différence avec la
procédure pénale française avec juge d’instruction.
62
CDBF, Rapport 2023, p.16.
63
CJF, article L. 142-1-1 : « Le président du Sénat ; 2° Le président de l'Assemblée nationale ; 3° Le
Premier ministre ; 4° Le ministre chargé du budget ; 5° Les autres membres du Gouvernement pour
les faits relevés à la charge des fonctionnaires et agents placés sous leur autorité ainsi que des agents
exerçant dans des organismes placés sous leur tutelle ; 6° La Cour des comptes ; 7° Les chambres
régionales et territoriales des comptes ; 8° Les procureurs de la République ; 9° Le représentant de
l'Etat dans le département pour les faits ne relevant pas des ordonnateurs de l'Etat ; 10° Le directeur
régional, départemental ou local des finances publiques pour les faits ne relevant pas des
ordonnateurs de l'Etat ; 11° Les personnes mentionnées aux 2° à 15° de l'article L. 131-2 [élus

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608 ÉTUDES

qui peut-être importante si l’on raisonne par analogie avec le secteur privé), informations de
presse64.
La production juridictionnelle future de la Cour peut-être estimée avec prudence en
fonction de celle observée à la CDBF. Cette dernière disposait de quatre temps pleins pour le
Siège, calculés essentiellement par cumul de vacations (pour 1,5 ETP), sauf pour le personnel
administratif (2,5 ETP), et l’équivalent de trois temps pleins pour le Parquet (1 magistrat, un
vérificateur et un personnel administratif)65, pour un peu plus de 9 arrêts par an, avec un
traitement moyen par affaire de 44 mois (3 ans et huit mois en moyenne mais 6 ans et deux
mois dans l’affaire ECPAD citée).
Compte tenu que la Chambre du contentieux disposera de magistrats sensiblement plus
nombreux et à temps plein, avec l’effet d’apprentissage et de productivité induit par cette
permanence, on pourrait considérer que la capacité de traitement des dossiers à l’instruction et
au stade du jugement serait décuplée. Il faut néanmoins fortement nuancer ce propos.
Seront en effet sans doute privilégiés par l’écosystème collaboratif constitué par le
Procureur général et la Chambre des dossiers à fort enjeu et donc à capacité d’exemplarité,
nécessitant des réquisitions et des instructions longues et très élaborées. Sur le plan des faits,
des dossiers de ce type sont nécessairement complexes : par exemple un grand marché de
travaux, comprenant plusieurs niveaux de délégation et de sous-traitance, grippé par des aléas
(faillite, intempéries, difficultés d’approvisionnement, malfaçons), engendrant des
contentieux entre les exécutants et/ou avec le donneur d’ordre66, etc. Sur le plan des justicia-
bles, un dossier à enjeu est aussi un dossier qui met en cause plusieurs responsables aux
décisions enchevêtrées et aux stratégies de défense potentiellement divergentes, elles aussi
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élaborées par de nombreux cabinets d’avocats spécialisés. Dans ces conditions, on ne peut
raisonner de manière trop mécanique, par un simple calcul d’ETP : c’est donc ainsi que le
jugement d’une cinquantaine de jugements par an à l’horizon 2025 a été évoqué lors du
colloque de l’institut Léon Duguy mentionné plus haut.
Sur le fond, la nouvelle Chambre du contentieux devra trouver un savant équilibre dans
l’économie des appels, du Parquet et des parties, considérant aussi qu’elle peut avoir un intérêt
à voir clarifier un point de doctrine, donc à prendre quelques risques. La CAF pourra quant à
elle moduler les décisions de première instance sur le fond du droit, afin de ne pas risquer la
cassation, mais aussi sur le niveau des peines, de manière à ne pas décourager les appels futurs
des parties.

locaux] ; 12° Les créanciers pour les faits mentionnés au 2° de l'article L. 131-14 [non exécution des
décisions de justice] ; 13° Les chefs de service de l'inspection générale de l'administration,
l'inspection générale des affaires sociales, l'inspection générale des finances et des inspections
ministérielles ; 14° Les commissaires aux comptes des organismes soumis au contrôle de la Cour des
comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes. Le procureur général près la Cour
des comptes peut également se saisir de sa propre initiative ».
64
Cf. son réquisitoire d’initiative concernant la vente du mobilier du Château de Grignon, suite aux
informations parues dans la presse.
65
Rapport, p.21
66
Sans qu’il ait été prévu des clauses de médiation ad hoc, à l’instar de celles décrites par Louis B.
Buchman dans ce volume (« L’avocat et les modes alternatifs de résolution des conflits », p. 529-
536).

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JUGER LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS 609

La dynamique du système serait alimentée parallèlement par un marché de l’assurance,


notamment de protection juridique67, à destination des gestionnaires, permettant aux
justiciables de bénéficier, à frais de défense relativement maîtrisés68, des différents niveaux de
décision.
Après 2025, s’il est saisi, compte tenu des éventuelles modulations opérées par la CAF, le
Conseil d’État limiterait les éventuelles erreurs de droit de l’approche systémique, avec un taux
de cassation moyen qui devrait être comparable à celui observé pour la CDBF (11 %)69.
Enfin, à plus long terme, dans son principe, le système devrait avoir pour effet, en lien avec
les progrès des systèmes d’informations financières, de discipliner dans la durée la gestion
publique et de tarir ainsi vertueusement et graduellement les procédures contentieuses à
horizon d’une dizaine d’années.
Sur le fond du fond, si l’on peut dire, le nouveau système va constituer non, - on l’aura
compris -, un big bang, mais un progrès dans la gestion publique. Subsistera toujours une
protection des décisions proprement politiques, - ainsi, au sein de l’État, un dépassement de
crédits, même important, pourra bénéficier d’une lettre de couverture -, mais s’introduira aussi
sans doute, par crainte des sanctions, une nouvelle culture de vigilance, permettant aux
principaux acteurs de continuer certes à répondre aux « nécessités de l’action », mais aussi de
diminuer « le halo de la rente », cette zone où les deniers publics pourraient être économisés
si les gestionnaires résistaient mieux aux routines et aux intérêts diffus.
En conclusion, on peut considérer que la réforme crée aussi une opportunité extra-
ordinaire pour les universitaires et les chercheurs. Dans un domaine bien circonscrit dans son
champ, centralisé dans son organisation juridictionnelle, traité par des magistrats de haut
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niveau, va s’engager un contentieux procéduralement nouveau mais bénéficiant aussi d’une
longue tradition jurisprudentielle. Comme l’écrit Nicolas Groper (2023) : « La filiation du
nouveau régime de responsabilité issu de l’ordonnance de 2022 est claire ; l’œuvre jurispru-
dentielle patiemment tissée par la CDBF depuis plus d’un demi-siècle pourra ainsi servir de
source d’inspiration, voire de base au contentieux à venir, sous réserve d’être compatible avec
les nouvelles dispositions, ce qui est en bonne partie le cas ». Il s’ensuit qu’il y a donc là
l’occasion d’effectuer une observation en vraie grandeur permettant de tester des hypothèses
tant de doctrine juridique que d’économie du droit ou de science politique. Une modélisation
glissante de l’activité et des décisions de la Cour relève d’ailleurs du devoir intellectuel à l’égard
d’une institution experte elle-même en évaluation et permettra surtout aux chercheurs de
mieux comprendre à travers elle les évolutions de la gestion et de l’action publiques.

reneseve@philosophie-droit.asso.fr

67
Notamment, car la Lettre de l’Assurance mutuelle des fonctionnaires, n° 5, décembre 2021, envisage
aussi une assurance responsabilité administrative pour couvrir le préjudice si l’entité lésée souhaitait
se retourner vers le gestionnaire pour en obtenir réparation, voire la perte de revenus provoquée par
des sanctions managériales (sic).
68
Une affaire complexe peut être couteuse en ce qui concerne non seulement les frais d’avocat mais
aussi d’expertise.
69
Sur le modèle des indicateurs de performance retenus « pour et par » le Conseil d’État, on pourrait
se demander s’il conviendrait de voir introduit un nouvel indicateur dans le programme de la Cour
des comptes, à savoir le taux de cassation de ses décisions.

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610 ÉTUDES

Bibliographie
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Jean Bassères, Muriel Pacaud, avec la participation d’Annabelle Arcadias, Responsabilisation des gestion-
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responsabilité financière des gestionnaires publics (Lettre de mission du 20 décembre 2019).
Agnès Benassy-Quéré, Benoît Coeuré, Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferry, Politique économique, 3e édition,
Bruxelles, 2017.
Comité d’histoire de la Cour des comptes, 1822-2022, Le Temps des responsabilités financières (à
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Stéphanie Damarey, Régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : analyse comparée,
15 avril 2020, rapport rédigé dans le cadre de la Mission sur la réforme de la responsabilité financière
des gestionnaires publics (Lettre de mission du 20 décembre 2019).
— Droit public financier, 2e édition, Paris, Dalloz, 2021.
Stéphanie Damarey (dir.), La Responsabilité financière des gestionnaires publics, approches internationales,
Paris, Mare et Martin, à paraître en 2023.
Anne Froment-Meurice, Jean-Yves Bertucci, Nicolas Hauptmann, Christian Michaut, Les grands arrêts
de la jurisprudence financière, 7e édition, Paris, 2019.
Nicolas Groper, Responsabilité des gestionnaires publics devant le juge financier, Paris, Dalloz, 2011
(nouvelle édition en préparation).
— « Être une juridiction financière à l’horizon 2025 : réflexions autour du contrôle répressif des
ordonnateurs », Gestion et Finances publiques, 2022/2, no 21, p. 22-26.
— « “La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration” : le long
chemin vers la responsabilité des gestionnaires en droit public en France », in supra Stéphanie
Damarey (2023).
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tome 63, 2022, La Responsabilité, p. 165-183.
Eric Maskin, Jean Tirole, « The Politician and the Judge : accountability in government », American
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Rémi Pellet, Droit financier public, vol. 2, Finances publiques, Budgets, Contrôle financier, Paris, Presses
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