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L'Information Grammaticale

Anaphore-deixis : où en sommes-nous ?
Georges Kleiber

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Kleiber Georges. Anaphore-deixis : où en sommes-nous ? . In: L'Information Grammaticale, N. 51, 1991. pp. 3-18.

doi : 10.3406/igram.1991.3231

http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_1991_num_51_1_3231

Document généré le 16/10/2015


ANAPHORE-DEIXIS :
OÙ EN SOMMES-NOUS ?

Georges KLEIBER

INTRODUCTION et l'expression sera anaphorique ou cataphorique selon


que c'est l'environnement textuel antécédent ou postérieur
Ce travail n'a pas pour ambition de présenter une nouvelle qui livre le réfèrent. L'énoncé 1) illustre la situation de
conception de l'opposition anaphore-deixis. Il entend l'anaphore, l'énoncé 2) celui de la cataphore :
beaucoup plus modestement dresser à grands traits une
vue d'ensemble de la situation actuelle de l'opposition 1) Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
pour mettre en relief les changements définitoires 2) Quand il est entré, Paul enleva son chapeau
intervenus ces dernières années dans son traitement, les Nous ferons abstraction pour le moment de cette
avantages et inconvénients des différentes positions et différence, et utiliserons le terme d'expression
surtout montrer les liens qui existent entre ces différentes anaphorique pour les deux situations endophoriques (2) en
approches. L'objectif principal est donc de clarifier les opposition à la situation exophorique où le réfèrent de
tenants et les aboutissants de la distinction. l'expression se trouve localisé dans l'espace non discursif.
Il n'est guère besoin de souligner longuement la nécessité Ce n'est cependant pas encore à ce niveau-là que dans
d'une telle entreprise : il y a actuellement désaccord sur l'approche localisante l'on parle d'expression déictique.
la définition même de ce qu'on entend par anaphore et Un lieu d'existence privilégié est en effet distingué dans
par deixis et, à l'intérieur des deux principales conceptions, l'espace non textuel, celui de la situation d'énonciation
l'approche textuelle et l'approche cognitive, désaccord immédiate qui fait intervenir les éléments constitutifs de
sur la répartition même des expressions en anaphoriques tout acte d'énonciation : locuteur, allocutaire, temps et
et déictiques. lieu d'énonciation, et également les objets présents (dans
Notre parcours se fera en deux étapes qui correspondent le sens de perceptibles par les protagonistes) dans la
aux deux principales conceptions de l'opposition. La situation extra-linguistique d'énonciation. Les expressions
première abordera la vue traditionnelle de la distinction qui renvoient alors aux referents localisés dans ce site et
en termes de localisation du réfèrent soit dans le texte, uniquement dans ce site seront appelées expressions
soit dans la situation immédiate d'énonciation. La seconde déictiques. Il en va ainsi, par exemple, des SN sujets de :
exposera la vue cognitive concurrente, où le critère textuel 3) J'aime le Riesling « vendanges tardives »
a cédé la place au critère fonctionnel de saillance Ce chien cherche son maître (avec geste
référentielle. Dans les deux cas, on s'attachera à faire d'ostension)
ressortir les avantages et les inconvénients des La porte est ouverte (dans l'emploi où la porte est
conceptions présentées. identifiée par la situation immédiate)
1. L'APPROCHE EN TERMES DE LOCALISATION Les expressions exophoriques non déictiques, ou
homophores selon M. Maillard (1990), sont constituées
1.1 .Une différence de localisation du réfèrent : par les noms propres, les SN génériques, les descriptions
texte vs situation immédiate définies complètes, etc., c'est-à-dire des expressions dont
Qu'appelle-t-on expression anaphorique ? Qu'appelle-t-on le réfèrent n'est ni donné par l'environnement textuel, ni
expression déictique ? La réponse classique se fonde sur par la situation immédiate d'énonciation, mais par des
la différence de localisation du réfèrent de l'expression. connaissances associées à l'expression (cf. les
Elle pose comme postulat que « linguistiquement, un objet background knowledge) (3) :
peut avoir deux lieux d'existence : hors discours ou en 4) Paul aime le Riesling « vendanges tardives »
discours » (T. Fraser et A. Joly, 1980, p. 24) et établit en
conséquence une différence entre une référence textuelle
et une référence non textuelle : si le réfèrent se trouve 2. Surtout que, comme l'a souligné F. Corblin (1985 a, b et c, et 1987),
le fonctionnement de //dans 2) est plus proche de celui qu'il a dans 1) que
dans l'espace textuel, la référence sera endophorique (1) de celui d'une expression cataphorique comme dans : Je vais te dire une
chose : tu as tort de tout croire (voir G. Kleiber, 1988 a). La cataphore,
comme le démontre M. Kesik (1989), n'est pas le symétrique aval de
1. Voir M. Maillard (1974) qui utilise le terme de diaphore pour réunir l'anaphore.
anaphore et cataphore. Voir l'ouvrage de référence sur la question de 3. C. Kerbrat-Orecchioni (1980) parle dans ce cas de référence
M.A.K. Halliday et R. Hasan (1976) et T. Fraser et A. Joly (1980). absolue. Voir aussi D. Maingueneau (1986).
Les Alsaciens qui boivent de la bière sont obèses expression anaphorique et celui d'une expression
La beauté s'apprend déictique sont tous deux, en quelque sorte, « présents »
Le proviseur du lycée de Sainte-Marie-aux-Mines dans la situation d'énonciation, soit linguistique, soit
aime le Riesling « vendanges tardives » extra-linguistique (6).
Il a été maintes fois souligné qu'il ne fallait pas prendre
1.2. De quelques compléments présent au pied de la lettre pour le réfèrent de l'expression
Dans cette perspective onomasiologique de « lieu anaphorique (J. Lyons, 1 980) : ce n'est évidemment pas
d'existence » du réfèrent, l'opposition anaphore-deixis le réfèrent lui-même qui est présent, mais tout au plus, en
n'est donc pas directe, puisque les expressions cas de coréférence, une mention antérieure ou
anaphoriques ou endophoriques s'opposent en fait à postérieure de ce réfèrent. La précision n'est pas inutile, pour
l'ensemble des expressions exophoriques (déictiques et deux raisons au moins. Elle permet de différencier ce que
non déictiques). On comprend néanmoins pourquoi J. Lyons appelle la deixis textuelle de l'anaphore (7) et,
malgré tout la plupart des présentations mettent face à surtout, elle constitue une première entorse à la définition
face les expressions déictiques et les expressions en termes de localisation référentielle. Le fait de souligner
anaphoriques. La raison en est bien simple : les que le réfèrent d'une expression anaphorique ne réside
expressions exophoriques non déictiques ne donnent pas lui-même dans le texte entr'ouvre la porte à une
généralement pas lieu à une recherche référentielle approche en termes de mode de donation du réfèrent : le
identificatoire semblable à celle qu'exigent les expressions réfèrent est trouvé par le truchement du texte.
déictiques et les expressions anaphoriques. Ce point est L'opposition anaphore/deixis ne se trouve pas remise en
généralement ignoré. Il est pourtant capital. Ce qui cause pour autant par cette dissymétrie sur la nature de
autorise, dans une approche des expressions l'objet qui est présent, soit dans le texte, soit dans la
référentielles en termes de localisation du réfèrent, à opposer situation d'énonciation immédiate. La définition en termes
directement les anaphoriques aux déictiques, c'est le fait de localisation reste en effet assez claire et assez ferme
que, pour les deux types d'expressions, c'est pour opérer une séparation intuitivement satisfaisante
l'environnement immédiat qui livre l'identité du réfèrent : le entre expressions anaphoriques, ou expressions dont le
contexte linguistique, pour ce qui est des anaphoriques, réfèrent est « localisé », c'est-à-dire mentionné dans le
la situation d'énonciation immédiate pour ce qui est des contexte linguistique, et expressions déictiques, dont le
déictiques. réfèrent est logé dans le site d'énonciation immédiate.
Ce dénominateur commun se traduit par la possibilité Sa pertinence peut s'appuyer sur celle que constitue la
d'une variation référentielle systématique avec le site différence de perception du réfèrent : en cas de résidence
d'énonciation (textuel ou situationnel), possibilité qui ne dans le site d'énonciation immédiate, le réfèrent est perçu
se retrouve pas avec les exophoriques non déictiques, directement, alors que ce n'est jamais le cas en site
puisque ceux-ci se définissent précisément par une contextuel : on ne peut pas « voir » un réfèrent
indépendance vis-à-vis d'un tel environnement immédiat. anaphorique, quel qu'il soit. La « connaissance » de l'objet est
Il se manifeste évidemment aussi par un type de recherche de ce fait fondamentalement différente selon que le
référentielle similaire : pour trouver le réfèrent d'un réfèrent est localisé dans la situation extra-linguistique ou
anaphorique, il faut chercher le « bon » antécédent, ou la linguistique et il semble donc légitime de répartir les
bonne source (4) dans le texte ; pour trouver celui d'une
expression déictique, il faut voir quelle est la « bonne » expressions référentielles sur la base d'une telle opposition
de localisation.
entité de la situation extra-linguistique immédiate qui y
correspond. Une quête similaire est inappropriée pour les Son avantage réside également dans le fait qu'elle semble
exophoriques non déictiques, même si elles posent correspondre exactement à la façon dont les choses se
également, et de façon différente selon le type passent lorsqu'il s'agit de résoudre le problème référentiel
d'expression, un problème d'interprétation référentielle. que posent ces deux types d'expressions référentielles.
Que fait-on lorsqu'on a à interpréter une expression
Une troisième conséquence peut être notée : le déictique ? On prend en compte la situation d'énonciation
rapprochement ainsi opéré explique par avance déjà la immédiate pour trouver l'entité dénotée. Que fait-on
possibilité d'intégrer, en cas de changement de cadre
definitoire, un de ces deux types d'expressions dans
l'autre. L'abandon du critère de localisation non textuelle 6. Il peut aussi s'expliquer, comme nous l'avons rappelé ailleurs (1986
pour définir les déictiques permet en effet l'ouverture de a), par un transfert des notions de déterminations fondamentalement
la deixis à la situation anaphorique. Un tel élargissement (5) spatiales à la dimension temporelle (J. Lyons, 1975). Le caractère
spécifique des expressions anaphoriques réside dans leur renvoi à un
peut se fonder légitimement sur le dénominateur commun segment linguistique plus ou moins proche. Cette proximité, qui, comme le
que nous avons mis en relief : le fait que le réfèrent d'une souligne J. Lyons (1980, p. 92), est « le composant fondamental déictique
d'une expression anaphorique », autorise une « réinterprétation de la
localisation déictique spatiale en termes d'une localisation temporelle dans
4. Terme repris par F. Corbiin à L. Tesnière pour éviter de recourir au le contexte d'énonciation ».
terme antécédent jugé trop restrictif. 7. L'exemple de J. Lyons (1980, p. 290) est le suivant :
5. Voir, par exemple, O. Ducrot et T. Todorov (1 972, p. 406) qui parlent (X déclare) ça, c'est un rhinocéros
de deixis indicielle et de deixis anaphorique et K. Braunmùller (1 977) qui (Y réplique) Un quoi, tu peux me l'épeler ?
distingue la direkte Deixis de la Rededeixis. Pour une critique de cette analyse voir M.-E. Conte (1988).
lorsqu'il s'agit de résoudre une anaphore ? On cherche On nous objectera sans doute que des « déictiques »
dans le contexte linguistique le « bon » antécédent ou, aussi stricts que je ou tu ne peuvent figurer en emploi
du moins, le segment linguistique qui livrera le bon anaphorique, c'est-à-dire ne peuvent renvoyer à un
réfèrent. réfèrent localisé dans le contexte linguistique. Dans des
séquences de discours rapporté comme 9), il est
Une telle distinction a, on le voit, un aspect utilitaire cependant clair que leur réfèrent est identifié grâce à sa
immédiat, en ce qu'elle autorise une application directe localisation antérieure dans le texte et qu'à ce titre,
aux textes, qui donne lieu à un classement des comme le concluent fort justement M.A.K. Halliday et
expressions référentielles selon le type de repérage opéré R. Hasan (1976), ils répondent aussi à la définition des
et la catégorie du réfèrent concerné et in fine à une expressions endophoriques :
caractérisation plus globale des textes eux-mêmes
d'après les modes dominants de référence effectués (8). 9) Alors Paul s'est exclamé : « Je ne suis pas une
anaphore ! »
1.3. Limites de l'opposition Il est tout aussi clair que si l'on veut éviter d'en arriver là,
1.3.1. Hétérogénéité et analyse éclatée des il faut faire intervenir autre chose que le seul critère
marqueurs référentiels onomasiologique de localisation que nous avons utilisé
jusqu'à présent ; il faut se tourner vers le sens des
Le résultat de telles applications « onomasiologiques » expressions elles-mêmes pour y trouver l'élément
est la mise en relief de la diversité formelle des susceptible de retirer un déictique comme je du giron des
expressions ou marqueurs réunis dans une même classe, anaphoriques où le placent des configurations comme 9).
résultat qui peut être interprété comme un signe Il n'est cependant pas acquis par avance que l'opposition
d'efficacité et de pertinence de la grille onomasiologique, en termes de localisation résiste à une telle tentative de
mais qui apparaît surtout comme un signe de faiblesse. sauvetage.
Si la distinction en termes de lieu de résidence était
linguistiquement première pour la référence, on devrait Elle se trouve d'autant plus menacée qu'elle a à faire à
logiquement avoir des classes d'expressions homogènes. trois types de difficultés qui semblent difficilement surmon-
Or, tel n'est pas le cas. Non seulement les expressions tables si l'on reste à l'intérieur de son cadre definitoire. La
recrutées comme anaphoriques ou déictiques par le première découle de l'observation faite ci-dessus sur la
critère de localisation ne sont pas homogènes, mais possibilité pour toute expression d'apparaître dans
encore elles ne sont pas spécialisées pour l'une ou l'autre chacune des deux catégories : on est conduit à des
tâche. C'est dire que si l'on s'en tient au seul critère du analyses éclatées de formes qui, intuitivement, sont
lieu de résidence il n'y a aucune expression qui ne soit redevables d'un traitement unitaire. Ainsi en va-t-il, par
uniquement anaphorique et aucune expression qui ne exemple, du démonstratif ou encore du pronom personnel
soit uniquement déictique. Article défini, adjectif et pronom //(9). Si l'on s'en tient uniquement à l'opposition anaphore/
démonstratif, adjectif possessif, pronom personnel de la deixis, il y aurait donc deux démonstratifs et deux
troisième personne connaissent en effet les deux types pronoms /'/, l'un qui fonctionne comme un déictique et
d'emplois, ainsi que l'illustrent les énoncés ci-dessous : l'autre qui fonctionne comme un anaphorique. Une telle
position n'est linguistiquement pas satisfaisante, parce
5) Fais attention à la voiture ! (emploi de situation que ni une expression comme cette voiture ni le pronom
immédiate) // ne semblent présenter deux sens différents dans 6) et
Paul a heurté une voiture. La voiture avait ralenti 8). L'option du sens unique semble en conséquence
trop vite (emploi anaphorique) préférable. On notera cependant que ce sens unique ne
6) Ceffe voiture a le tuyau d'échappement percé (avec pourra plus être défini uniquement en termes de
geste d'ostension sur la voiture) localisation du réfèrent, même s'il doit être tel qu'il prédit
Paul voit arriver une voiture au loin. Il sait que cette les deux sites d'emplois possibles des expressions. Cela
voiture lui permettra de regagner la ville (emploi signifie que si l'on veut maintenir la notion d'anaphore ou
anaphorique) celle de deixis comme définition unitaire de tel ou tel type
7) Je veux celle-ci (en pointant sur une fleur) d'expression, il faudra formuler une nouvelle définition de
Paul a interrogé Berthe sur le vol de sucreries. ces deux concepts qui renonce à l'élément de localisation
Celle-ci ne savait absolument rien (emploi textuel vs non textuel comme critère subsumant. Et il
anaphorique) faudra distinguer à ce moment-là entre le sens déictique
8) Attention ! Ne t'approche pas ! Il est dangereux ou anaphorique ainsi nouvellement défini et les emplois
(emploi de //sans antécédent, prononcé par le père déictique et anaphorique dans l'ancienne acception du
dans la situation où le fils s'approche trop près d'un terme qu'il prévoit pour ses occurrences, parce que, et
c'est un point sur lequel nous reviendrons, l'abandon du
chien) critère definitoire de localisation dans la définition de
Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
l'opposition anaphore/deixis ne supprime pas pour autant
(emploi anaphorique) l'existence d'interprétations anaphorique et déictique,

8. Pour plus de précisions sur ce sujet, voir G. Kleiber (1989 a). 9. Pour plus de détails, voir Q. Kleiber (1989 a).
c'est-à-dire le fait qu'il y a effectivement des emplois où le Décisif dans la reconnaissance d'une expression
réfèrent d'un marqueur se trouve soit localisé dans le site anaphorique se révèle ainsi le fait que l'expression nécessite
d'énonciation immédiate, soit mentionné dans le contexte ou non une identification référentielle contextuelle. Du
linguistique. coup, toutes les expressions « complètes » ou saturées
comme celles de 10), seront éliminées du processus
1.3.2. De la difficulté de définir ce qu'est une anaphorique, même si elles sont coréférentielles d'une
interprétation nécessairement anaphorique ou mention antérieure.
déictique Le même raisonnement s'applique du côté des déictiques.
Un emploi situationnel du nom propre comme dans 11) :
La deuxième difficulté s'inscrit dans le droit fil de la
première, puisqu'elle concerne le caractère nécessaire 11) Paul, viens ici !
ou non de l'interprétation référentielle soit anaphorique, ne sera pas reconnu comme déictique, même s'il dénote
soit déictique et qu'ainsi elle fait aussi entrer crucialement un réfèrent localisé dans la situation d'énonciation. Là
en ligne de compte le sens des expressions référentielles encore, l'exclusion se fonde au bout du compte sur la
elles-mêmes. La définition en termes de localisation de complétude de l'expression : il n'est pas nécessaire de
l'opposition anaphore/deixis ignore l'origine du renvoi soit recourir au site d'énonciation immédiat pour savoir qui
textuel, soit extra-linguistique. Elle met sur le même plan, est Paul.
par conséquent, aussi bien des emplois réguliers, dus au En faisant jouer le critère de la nécessité, on élimine donc
sens des expressions, que des emplois occasionnels,
dus à des circonstances spéciales. Or, si l'on veut éviter un grand nombre de cas d'anaphore ou de deixis jugés
indésirables, parce que l'interprétation référentielle ne
de recruter n'importe quelle expression comme dépend pas nécessairement du contexte ou de site
anaphorique ou comme déictique, il faut introduire le critère de la d'énonciaiton. L'ajout du critère de nécessité nous donne
nécessité : il faut montrer que l'interprétation anaphorique ainsi une opposition anaphore/ deixis plus stricte et plus
ou déictique de certaines expressions est plus nécessaire satisfaisante redéfinie provisoirement, toujours en termes
que celle d'autres expressions. Mais pour ce faire, comme de localisation du réfèrent, comme suit :
nous allons le voir, on est conduit à prendre en compte le
sens même des expressions et, ipso facto, à se placer - une expression est anaphorique, lorsqu'il est
sur un terrain definitoire déjà supérieur, où l'opposition nécessaire de se reporter à une mention antérieure
anaphore / deixis prend un autre sens (G. Kleiber, pour trouver son réfèrent
1986 a; 1988 a, 1989 a). - une expression est déictique, lorsqu'elle renvoie
nécessairement à un réfèrent de la situation
Le problème est bien connu du côté anaphorique. immédiate d'énonciation.
J.-C. Milner (1982) et F. Corblin (1985 a, b et c, et 1987)
ont en effet montré à l'aide de différents types d'exemples Tous les problèmes ne sont cependant pas résolus pour
la nécessité de distinguer entre anaphore et coréférence. autant, parce que la notion de nécessité n'est pas aussi
L'idée défendue à travers cette opposition est qu'il n'y a claire qu'on peut le penser, dans la mesure où elle peut
anaphore que lorsque le marqueur référentiel exige que s'appliquer aux occurrences des expressions comme au
l'identification du réfèrent soit assurée par le contexte. type (c'est-à-dire au sens) des expressions. Si elle ne
Les expressions référentielles, qui ne nécessitent pas un porte que sur les occurrences, elle donne encore lieu à
tel recours, même si elles apparaissent dans une chaîne des situations anaphoriques et déictiques indésirables. Si
de référence, seront exclues. Ainsi un nom propre ou une on l'étend au sens des expressions, on ne peut plus
description définie complète, telle que Le président de la maintenir la différence anaphore / deixis en termes de
République française, parce qu'ils peuvent être employés localisation. On se retrouve en effet, à ce moment-là,
de façon satisfaisante sans complément identificatoire, dans la situation évoquée ci-dessus, où, parce que la
ne constituent pas une expression anaphorique, même plupart des expressions connaissent des emplois
s'ils figurent dans des séquences comme 10) appelées anaphoriques et déictiques, tout sens unitaire doit être
parfois anaphores présuppositionnelles : exprimé en d'autres termes.
10) Mitterrand... Le président de la République On le montrera à l'aide de deux exemples (11).
française....
Le premier est celui de l'exemple 9) déjà cité :
Le président de la République française...
Mitterrand... 9) Alors Paul s'est exclamé : « Je ne suis pas une
anaphore ! »
De telles expressions, étant autonomes (J.-C. Milner) ou
complètes, n'ont pas besoin d'être saturées
référentiel ement (F. Corblin) comme le pronom //du second énoncé
de 8), par exemple, ou une description définie incomplète
comme la voiture du deuxième énoncé de 5). L'absence 10. Plutôt qu'une opposition entre anaphore et coréférence, qui peut
d'asymétrie dans l'ordre, ainsi que le montre 10), constitue faire croire que l'anaphore n'engage pas la coréférence, il nous semble
un des indices de cette autonomie et fait conclure au seul préférable de parler d'anaphore coréférentielle et non coréférentielle ou de
coréférence anaphorique et non anaphorique (voir G. Kleiber, 1988 a).
phénomène de coréférence (10). 11. Pour plus de précisions, voir G. Kleiber (1988 a et 1989 a).
Il sera encore considéré comme un cas d'anaphore, 1.3.3. Anaphore et deixis « indirectes »
puisqu'il est nécessaire pour interpréter cette occurrence Une troisième difficulté vient encore affaiblir une définition
de je de recourir au contexte antérieur. Une telle en termes de localisation du réfèrent dans le texte ou
conclusion peut être évitée, si l'on prend en compte le sens de dans le site d'énonciation immédiat. La présentation faite
je. On ne parlera pas d'anaphore (F. Corblin) poury'e, non jusqu'ici suppose que le réfèrent d'une expression
pas parce que je ne nécessite pas que l'on identifie son anaphorique ou d'une expression déictique est en quelque
réfèrent, mais parce que son sens, à savoir « je renvoie sorte présent, soit présent par l'intermédiaire d'une
à celui qui dit je », est un sens qui, manifestement, n'a mention antérieure (ou postérieure) dans le contexte pour
rien d'anaphorique, puisqu'il engage à prendre en compte, les anaphoriques, soit présent dans la situation immédiate
non le texte, mais la situation d'énonciation. Si dans 9), je pour les déictiques. Si l'on s'en tient à une telle définition,
réfère à Paul, c'est parce que Paul est celui qui dit je l'on se retrouve avec un grand nombre d'expressions
dans la situation de discours rapporté de 9). dont on ne sait trop quoi faire, dans la mesure où on ne
Le second exemple est fourni par la séquence suivante peut les considérer ni comme des cas de référence
tirée des Dernières Nouvelles d Alsace (3/11/1983) : « absolue », semblables aux cas présentés dans 4)
12) Un adolescent qui transvasait de l'essence dans ci-dessus, ni comme des cas d'anaphore ou de deixis,
son cyclomoteur en fumant a été brûlé vif. Stéphane même si on a envie de le faire, parce que le réfèrent n'est
Micelli, quinze ans, avait entrepris samedi dernier pas localisé lui-même dans le texte ou dans la situation
de réparer un vieux cyclomoteur immédiate. Le dénominateur commun de tels emplois est
qu'ils engagent comme les emplois anaphoriques et
Il est clair que, là encore, l'occurrence du nom propre déictiques paradigmatiques le texte et la situation
Stéphane Micelli ne peut s'interpréter que si l'on fait d'énonciation, sans que pour autant le réfèrent de
intervenir le contexte antérieur, puisqu'il s'agit d'un nom l'expression s'y trouve soit mentionné, soit présent lui-même.
propre introduit indirectement (12). Si, malgré tout, on n'en
fait pas un nom propre anaphorique, c'est uniquement Là encore, et pour les mêmes raisons, le problème est
parce que le sens du nom propre n'exige pas une bien connu du côté de l'anaphore. La distinction anaphore/
identification référentielle donnée par le contexte. C'est parce coréférence s'appuie également sur le fait qu'une
que l'on ne veut pas considérer le nom propre comme anaphore n'est pas forcément coréférentielle (J.-C. Milner
une expression pouvant être anaphorique, ou d'ailleurs et F. Corblin), comme le donnent à penser les exemples
aussi déictique. Ce sont donc des considérations canoniques tels que 1) :
sémantiques qui sont à l'origine de l'exclusion de telles situations 1 ) Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
des cas d'anaphore et de deixis. Les cas d'anaphore « indirecte » ou d'anaphore in
En procédant de même avec d'autres expressions comme absentia, si l'on entend souligner par ce terme que le
//, ou le démonstratif, ou encore la description définie réfèrent de l'expression anaphorique n'est pas présent
incomplète, on obtient un résultat similaire : comme toutes par mention antérieure (ou postérieure) dans le contexte
ces expressions peuvent être employées aussi bien dans linguistique regroupent les situation comme celles de :
un site anaphorique que situationnel, elles ne pourront - l'anaphore associative (G. Kleiber, 1990 c)
plus présenter un sens qui implique ou nécessairement la
référence anaphorique ou nécessairement la référence 13) La voiture a dérapé. Les pneus étaient lisses
déictique. Il en va différemment avec les expressions - l'anaphore lexicale :
comme je, puisque, comme nous l'avons vu, leur emploi 1 4) Paul a tué trois lions. Pierre en a tué cinq
anaphorique peut être récupéré comme n'étant qu'un - l'anaphore générique :
emploi dû à leur sens... déictique. On se retrouve ainsi
dans une situation asymétrique, où, comme l'ont constaté 1 5) Paul a acheté une Toyota, car elles I ces voitures
M. Vuillaume (1980) et F. Corblin, il n'y a, face à des sont robustes (B.-L. Webber, 1983)
expressions qui sont toujours déictiques, comme ceux de - l'anaphore collective (la personne grégaire de
la lignée de je, quasiment pas d'expressions qui ne soient G. Guillaume), etc. (13) :
qu'anaphoriques. On tient là une des raisons qui 1 6) A Strasbourg, ils roulent comme des fous
expliquent pourquoi l'intégration d'une classe
d'expressions dans l'autre ne se fait que dans un sens : ce ne Elles obligent à abandonner la contrainte de localisation
sont que les déictiques qui peuvent accueillir les du réfèrent en tant que mention antérieure dans le
anaphoriques. Mais on rappellera qu'une telle intégration
ne peut évidemment plus se faire sur la base de 13. On ne considérera pas comme anaphores divergentes des cas
l'opposition endophore / exophore, de même que si l'on veut comme George Sand est sur l'étagère de gauche. Tu verras qu'elle écrit
éviter la polysémie d'une expression comme //, on ne divinement (G. Fauconnier, 1984), Ne lui achète pas ce livre. Il l'a déjà
(D. Kayser, 1987), ou encore les exemples classiques tels que La queue
pourra plus non plus exprimer son sens en recourant au de l'alligator est tombée, mais elle a repoussé ou On a rasé la chevelure de
critère definitoire textuel. Samson, mais elle a repoussé, où sur la base d'une différence d'identité
matérielle des referents, on conclut à la non coréférence (R.-P. Stockwell,
P. Schachter et B. Hall-Partee, 1973 ; J.-C. Milner, 1982, p. 35). Pour une
critique d'une telle analyse, voir G. Kleiber, 1989 b, 1990 d et a paraître c
12. Voir sur ce sujet, M. Charolles (1987). et-d).
contexte linguistique, au profit de la contrainte moins - l'emploi de // sans antécédent pour un réfèrent non
stricte d'identification par le contexte. Le réfèrent ne présent (L Tasmowski-de Ryck et S.-P. Verluyten, 1982
correspond plus au réfèrent du « bon » antécédent, mais et 1985 ; P. Bosch, 1983, 1985 et 1987 a et b) :
se trouve néanmoins encore crucialement relié au 22) // va venir tout de suite (prononcé par le censeur
contexte linguistique, puisque son identification passe d'un lycée à l'adresse d'une parente d'élève qui
par le truchement de celui-ci. Le terme d'indirect peut attend le proviseur devant la porte du bureau)
être utilisé pour souligner la différence avec les cas de (G. Kleiber, 1990 a).
coréférence, encore qu'il ne soit pas tout à fait adéquat,
étant donné qu'une identification par mention antérieure De tels emplois conduisent à la même conclusion que les
est déjà une identification indirecte. Il a cependant anaphores in absentia : à l'abandon du critère de
l'avantage de souligner l'étape inférentielle qui caractérise localisation référentielle, si l'on entend parler à propos de ces
la résolution de ce type d'expressions anaphoriques expressions d'emploi déictique.
(A. Reboul, 1989 a et b ; et G. Kleiber, 1990 a et b, à
paraître a) et d'établir un parallèle avec les expressions 1.4. Un premier bilan
qui réfèrent in absentia du côté déictique. Que subsiste-t-il alors de notre définition initiale des
Sur le versant situationnel, on observe en effet un anaphoriques et des déictiques ? L'idée que l'interprétation
fonctionnement référentiel indirect analogue avec des d'une expression anaphorique se fait par le truchement
expressions qui ne se laissent classer ni avec les déictiques, du contexte linguistique et que celle d'une expression
parce que leur réfèrent n'est pas réellement présent dans déictique s'opère par le biais de la situation d'énonciation
la situation d'énonciation, ni avec les expressions immédiate. Et en y ajoutant le critère de nécessité, l'idée
exophoriques non déictiques, parce que l'identification du réfèrent que cette identification ou saturation, soit contextuelle,
a quand même à faire avec la situation d'énonciation soit situationnelle, se fait nécessairement (14).
immédiate. Ces expressions, que l'on peut réunir sous le On observera cependant un fait capital. Si l'on entend
nom d'expressions situationnelles indirectes, sans doute encore parler de localisation, il ne peut plus s'agir que de
moins connues que les anaphores divergentes la localisation des moyens d'identifier le réfèrent et non
correspondantes du versant textuel, rassemblent différents types plus du réfèrent lui-même : le réfèrent n'est plus trouvé
de renvoi in absentia, entre autres : nécessairement dans le contexte ou dans le site
- la référence ostensive indirecte {Y ostension différée de d'énonciation immédiat, mais uniquement grâce au contexte ou
W.v.O. Quine, 1971), où le locuteur pointe sur un objet grâce au site d'énonciation immédiat. Le changement
présent dans la situation d'énonciation qui conduit au definitoire est par là-même radical : du lieu de résidence
véritable réfèrent : du réfèrent, on est passé à la façon d'identifier le réfèrent,
1 7) Cet automobiliste a dû être pressé (en désignant au mode de donation du réfèrent. En cas d'anaphore, le
une voiture vide garée au milieu de la route) réfèrent est donné par le contexte, soit directement
- la référence démonstrative non gestuelle indirecte : (mention antérieure), soit indirectement (anaphore
divergente) ; en cas de deixis, il est donné par la situation
1 8) Ce train a toujours du retard (prononcé sur le quai d'énonciation, soit directement {in praesentia), soit
de la gare sans mention antérieure par un locuteur indirectement {in absentia).
qui attend le même train que son interlocuteur) (voir
G. Kleiber, 1987) L'important, on l'aura remarqué, est que la notion de
- la référence « générique », soit démonstrative, comme texte reste fondamentale pour opérer la distinction
dans 19), soit pronominale comme dans 19) et 20) anaphore / deixis. Même si ce n'est plus le site où se trouve
(G. Kleiber, 1989 a ; 1988 b ; 1990 a) où la présence le réfèrent qui est décisif, le contexte linguistique et la
d'occurrences spécifiques permet de référer à la classe situation d'énonciation immédiate conservent toute leur
générique à laquelle elles appartiennent : pertinence pour séparer une expression anaphorique
d'une expression déictique. L'examen des deux premières
1 9) Ils sont fous, ces Romains difficultés nous a toutefois montré que cette pertinence
20) Attention ! Ils sont dangereux (prononcé en ne pouvait plus s'exercer au niveau sémantique des
présence d'un réfèrent spécifique, un dindon, par expressions elles-mêmes. Premièrement, parce
exemple, pour avertir du danger que représentent qu'aucune expression n'est spécialisée dans la fonction
les dindons en général) anaphorique et que, de ce fait, son sens ne peut être
- la référence définie dite de situation plus large formulé en termes qui fassent apparaître le contexte
(J.-A. Hawkins, 1978) où l'identification du réfèrent est linguistique comme trait definitoire.
acquise par la prise en compte d'éléments constitutifs de
la situation d'énonciation (G. Kleiber, 1989 a) :
1 4. O. Ducrot et T. Todorov (1 972, p. 358) formulent une telle définition
21 ) Le président de la République islamique s'en prend pour l'anaphore : « un segment de discours est dit anaphorique lorsqu'il est
avec violence au chef de l'Etat (titre de France-Soir nécessaire pour lui donner une interprétation (même simplement littérale)
du 12/8/81 cité par J.Simonin, 1984, p. 152) {le de se reporter à un autre segment du même discours ». F. Corblin l'exprime
en termes de compiétude : « Le moteur de l'anaphore serait la nécessité
chef de l'Etat = le chef de l'Etat du pays dans lequel de se ramener grâce au contexte, à une structure complète, à chaque fois
est prononcée l'occurrence) que celle-ci ne l'est pas... » (1985 b, p. 191).
8
Une seconde raison interdit de conserver une opposition Le point à souligner est que la pertinence de cette
anaphore / deixis fondée sur le critère textuel dans la opposition s'exprime seulement au niveau de l'emploi de /'/.
définition sémantique des expressions. Elle provient, Cette pertinence se manifeste précisément par une
comme nous l'avons vu, de l'extension de la notion de différence de fonctionnement référentiel suivant que
nécessité d'interprétation contextuelle ou situationnelle l'emploi est « textuel » ou « situationnel ». Ainsi peut-on
des occurrences au sens même des expressions. Pour avoir un // sans antécédent « déictique » comme dans
ne pas faire de je dans 9) et du nom propre Stéphane 23) :
Micelli de 12) des expressions anaphoriques, il n'y a 23) Elle tient (prononcé devant la neige qui vient de
qu'une solution. Faire valoir que leur sens n'est pas un tomber)
sens anaphorique. Ce qui est tout à fait licite, mais a pour alors qu'un // anaphorique indirect correspondant n'est
conséquence de faire grimper l'opposition au niveau du pas acceptable :
sens des expressions elles-mêmes et de conduire par
là-même, nous l'avons vu, à un changement definitoire 24) * // neige et elle tient
fatal à toute définition en termes de texte et de situation bien qu'on comprenne parfaitement de quel réfèrent il
d'énonciation immédiate. s'agit (15).
Deux conclusions peuvent être tirées à l'issue de l'examen On observera de même que le démonstratif « générique »
de cette première approche de l'opposition anaphore / situationnel de 19) :
deixis. L'une, négative, établit qu'il n'est pas possible de 1 9) Ils sont fous, ces Romains
définir sur la base critériale texte vs site d'énonciation
l'anaphore et la deixis comme des catégories générales, ne se retrouve jamais en usage anaphorique, une
c'est-à-dire comme des catégories regroupant des types description démonstrative Ce + Ni ne pouvant jamais
d'expressions, les anaphoriques et les déictiques, qui renvoyer anaphoriquement à la classe générique des Ni.
s'opposeraient précisément par une différence Une situation identique a cours du côté de la référence in
d'identification référentielle. Que ce soit, dans la version forte de absentia du démonstratif : le démonstratif ne peut
localisation du réfèrent, par une différence de lieu de fonctionner en anaphore associative :
résidence : 25) * La voiture a dérapé. Ces pneus étaient lisses
- une expression est anaphorique si son réfèrent se alors qu'un usage indirect similaire en site déictique est
trouve mentionné dans le contexte linguistique possible (16) : 1 8) Ce train a toujours du retard
- une expression est déictique si son réfèrent réside En même temps qu'ils montrent l'influence indiscutable
dans le site d'énonciation immédiat au niveau des emplois du caractère textuel ou situationnel
ou dans la version faible, plus satisfaisante, où ce n'est de la référence effectuée, ces exemples indiquent quel
plus que l'identification du réfèrent qui se trouve localisée est le deuxième point positif à retenir. Pour expliquer les
dans (c'est-à-dire qui se fait par) le contexte linguistique différences de distribution relevées dans ces exemples, il
ou la situation immédiate, par une différence de donation faut en effet faire intervenir le processus référentiel
du réfèrent : spécifique à chaque type d'expression. Or, c'est un des
- une expression est anaphorique si son réfèrent est résultats auxquels nous a conduit l'analyse de l'approche
en termes de localisation. Il faut faire intervenir à un
(nécessairement) identifié par l'intermédiaire du
contexte linguistique moment ou à un autre le sens même des expressions
référentielles. Seule une telle entreprise permet de rendre
- une expression est déictique si son réfèrent est compte de ce qui rassemble et différencie les marqueurs
(nécessairement) identifié grâce au site comme je, tu, etc. (ou symboles indexicaux transparents),
d'énonciation immédiat. les démonstratifs (ou symboles indexicaux opaques) (17),
Un tel constat a été dressé de façon séparée, pour l'article défini et le pronom de la troisième personne et
l'anaphore dans G. Kleiber (1988 a) et pour la deixis d'expliquer notamment pourquoi une expression déclarée
dans G. Kleiber (1986 a). « déictique » au niveau de son sens peut connaître un
emploi anaphorique et... déictique (c'est-à-dire
Il ne faudrait pas oublier pour autant l'enseignement positif situationnel) ou pourquoi encore, d'un déictique comme je, on ne
qui se dégage de l'analyse effectuée. Il tient en trois fera jamais un anaphorique comme du démonstratif. On
points. L'abandon du trait textuel comme critère definitoire trouvera chez L. Danon-Boileau (1984) une analyse
d'une classe d'expressions anaphoriques opposée à une stimulante de This et That effectuée dans cet esprit.
classe d'expressions déictiques ne signifie pas qu'il perd
par là-même toute validité. On ne peut nier que dans 1), Notre troisième point semble s'opposer au premier, mais
par exemple, le pronom /'/ tire son interprétation il n'est en fait pas incompatible. De quoi s'agit-il ? Le fait
référentielle de la mention antérieure de Paul : d'avoir mis en veilleuse l'opposition endophorique/
1 ) Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
15. M.-J. Reichler-Béguelin (1988 a et b ; 1989), à qui nous devons
et que dans 8) elle est fournie par la situation immédiate cet exemple, ne partage pas tout à fait nos vues en ce qui concerne 24).
d'énonciation : 16. Voir G. Kleiber (1988 b et 1990 c).
17. Pour l'opposition symboles indexicaux transparents /symboles
8) Attention ! Ne t'approche pas ! Il est dangereux. indexicaux opaques, voir G. Kleiber, 1983, 1984 et 1986 a).
exophorique pour définir l'opposition anaphore/deixis a les auteurs, univers de discours (J. Lyons, 1980),
l'avantage d'ouvrir la porte à de nouvelles conceptions. mémoire discursive (A. Berrendonner, 1986 et
Pourquoi devant l'échec d'une définition localisante ne M.-J. Reichler-Béguelin, 1989), modèle contextuel
pas essayer de définir les catégories de l'anaphore et de (P. Bosch, 1983 et 1985), ou encore focus (S. Garrod et
la deixis en d'autres termes que ceux qui font crucialement A.-J. Sanford, 1982; A.J. Sanford et alii, 1983), d'un
appel au texte ? C'est là que nous rencontrons l'approche réfèrent nouveau, non encore manifeste, les appellations
« mémorielle » (B. Wiederspiel, 1989) qui offre une vision changent selon les auteurs et les concepts mis en avant :
tout à fait différente de l'opposition anaphore / deixis. aussi bien la notion de focus que celles de connu ou de
donné sont sujets à des discussions qui montrent que le
2. L'APPROCHE « MEMORIELLE » problème est loin d'être réglé (cf. P. Bosch, 1987 a).
2.1. Anaphore vs deixis : une différence cognitive L'essentiel, à ce stade, est de voir que toutes ces
L'idée qui guidait l'approche « standard » était, on s'en propositions ont en commun de fonder l'opposition
souvient, qu'un objet pouvait avoir, du point de vue anaphore / deixis sur une différence fonctionnelle dans
linguistique, deux lieux d'existence possibles : dans le laquelle le texte ou la situation immédiate ont disparu
texte et hors du texte. L'approche cognitive prend un comme critères définitoires premiers. Une expression
appui différent : le mode de connaissance du réfèrent anaphorique est une expression qui marque avant tout la
qu'a l'interlocuteur, ou, en termes plus cognitifs, continuité avec un réfèrent déjà placé dans le focus, alors
l'accessibilité du réfèrent. De même que l'approche en termes qu'une expression déictique a précisément pour rôle
de localisation se justifie, dans la mesure où le critère du d'attirer l'attention de l'interlocuteur sur un nouvel objet
lieu de résidence du réfèrent paraît être un facteur de référence (19) :
pertinent pour trouver le réfèrent - si l'on vous indique où « The anaphoric procedure is a linguistic means to make
est le réfèrent, vous pouvez le retrouver -, de même une the hearer sustain a previously established focus towards
conception fondée sur les connaissances que possède a specific item.
l'interlocuteur sur le réfèrent paraît être un critère The deictic procedure is a linguistic means to achieve the
pertinent, puisque, l'interlocuteur devant (re)trouver focusing of the hearer's attention towards a specific item »
normalement le réfèrent visé, le locuteur a tout intérêt à tenir (P. Bosch, 1983, p. 56).
compte des connaissances sur le réfèrent qu'il présume
être possédées par l'interlocuteur. Le choix des On voit qu'une telle définition s'applique sans problème
expressions référentielles se trouve ainsi crucialement lié aux aux cas paradigmatiques d'anaphore et de deixis de la
présuppositions du locuteur sur la récupérabilité par version standard. Le caractère anaphorique de //dans 1) :
l'interlocuteur du réfèrent visé (E.-F. Prince, 1981 ; 1) Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
W. Marslen-Wilson, E. Levy et L. Komisarjevsky Tyler, tient à la saillance préalable du réfèrent Paul : // marque
1982 ; M. Ariel, 1988). L'accent ainsi mis sur l'interlocuteur la continuité de cette saillance. Le caractère déictique de
et sur les connaissances qu'il peut avoir sur le réfèrent cette voiture dans 6) :
prouve que, contrairement à l'avis de M.-J. Reichler- 6) Cette voiture a le tuyau d'échappement percé (avec
Béguelin (1988 b), qui prône d'envisager les phénomènes un geste d'ostension sur la voiture)
référentiels « autant sous l'angle de l'encodage que sous réside dans le fait de porter à l'attention de l'interlocuteur
celui du décodage », le processus de compréhension est un réfèrent non encore manifeste.
en matière d'expression référentielle un des aspects
déterminants (A. Reboul, 1989 a). 2.2. Un changement radical
Il est facile de voir alors quel critère va servir pour redéfinir On aurait tort cependant de penser par là-même qu'il ne
en des termes nouveaux la distinction anaphore / deixis. s'agit que d'une variante notationnelle de l'opposition
Ou le réfèrent est présumé déjà être saillant, ou il apparaît textuelle anaphore/deixis. La nouvelle orientation donne
comme nouveau. Une telle opposition n'est en fait pas comme anaphoriques des expressions que la version
vraiment nouvelle, puisque, ainsi que le rappellent classique considère comme déictiques et, inversement,
P.Bosch (1983) et B. Wiederspiel (1989), Apollonios déclare déictiques des expressions recensées auparavant
Dyscole (IIe siècle après J.-C), l'utilise déjà pour opposer comme anaphoriques. Prenons ainsi le cas du // sans
le mode de connaissance première ou deixis au mode de antécédent de l'exemple 26) de K. Ehlich (1982, p. 330 ;
connnaissance seconde ou anaphore (18). cité par B. Wiederspiel, 1989, p. 107) :
Dans une telle optique, l'anaphore devient un processus 26) Il est 5 h 20. A et B sont assis dans une pièce. Ils
qui indique une référence à un réfèrent déjà connu par attendent C, qui leur a promis de venir à 5 h
l'interlocuteur, alors que la deixis consiste en l'introduction précises. Ils attendent en silence depuis que 5 h a
dans la mémoire immédiate, appelée diversement selon sonné. Soudain A entend des pas dans la cage
18. B. Wiederspiel (1989, p. 105) signale que la racine grecque ana- d'escalier. Il dit alors à B :
est susceptible de deux interprétations : « en arrière » (lecture qui est à la - // arrive
source de l'approche textuelle) et « à nouveau » (lecture à la source de la
conception mémorielle), ce qui fait qu' anaphore admet d'être interprété
comme signifiant porter en arrière (version textuelle) ou porter à nouveau 19. Pour des définitions plus précises, voir K. Ehlich (1982 et 1983) ou
(version mémorielle). P.Bosch (1983).
10
Le critère de la localisation en fait un déictique, mais si on description éclatée peu satisfaisante. Une situation
adopte avec K. Ehlich le critère de la saillance préalable, comme celle de 8) n'oblige plus à conclure à l'existence
alors il reste un anaphorique comme celui de 1), tout d'un // anaphorique et d'un /'/ déictique, puisque dans les
simplement parce qu'étant donné la situation le réfèrent deux sites, textuel comme situationnel, sa fonction est la
est déjà manifeste pour les deux interlocuteurs et n'a même : // marque le renvoi à un réfèrent déjà saillant ou
donc plus à être introduit dans le focus mémoriel de manifeste au moment de son énonciation.
l'interlocuteur. L'énoncé 27) illustre le changement Par ailleurs, l'accent mis sur la présence du réfèrent dans
inverse : le focus mémoriel lors d'un emploi textuel, c'est-à-dire
27) Paul est rentré à la maison. Je trouve cela lors d'un emploi anaphorique dans la conception textuelle
regrettable (K. Ehlich, 1983, p. 88) de l'anaphore, oblige à rectifier l'image donnée
généralement de ce phénomène.
Le démonstratif est ici incontestablement anaphorique, si
on prend le texte comme critère definitoire, mais si l'on La référence anaphorique de 1) :
opte pour la saillance référentielle, on peut y voir un 1) Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
déictique, dans la mesure où le démonstratif attire s'explique habituellement par une quête du « bon »
l'attention sur un objet de référence nouveau, celui qui est antécédent dans le contexte antérieur. Les schémas
constitué par le fait pour Paul d'être rentré à la maison. destinés à représenter le fonctionnement anaphorique
Au moment de renonciation de cela, cette proposition font ainsi le plus souvent partir de l'expression
n'est en effet pas encore érigée en entité référentielle anaphorique une flèche qui pointe en arrière dans le texte
saillante. L'entité manifeste, c'est Paul et non le fait pour sur la bonne mention antérieure :
lui d'être rentré à la maison. Le rôle déictique du
démonstratif dans 27) est précisément d'attirer l'attention 28) Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud
de l'interlocuteur sur un tel objet de référence non encore t I
saillant.
Comme on le voit, il s'agit d'un changement de cap Une telle image donne à penser que l'interlocuteur trouve
radical qui ouvre la voie à des considérations inhabituelles le réfèrent d'une expression anaphorique en remontant
sur des processus référentiels familiers. On observera, dans le texte jusqu'à ce qu'il ait localisé le bon antécédent.
en premier lieu, que dans cette nouvelle approche la De multiples tentatives en intelligence artificielle utilisent
différence entre texte et situation ne se trouve pas perdue pour établir l'interprétation d'un texte ce processus de
pour autant. Ainsi, même si le pronom //est aussi bien un quête de l'antécédent pertinent. En va-t-il cependant
anaphorique dans l'emploi situationnel que dans le site réellement ainsi ? L'approche mémorielle de l'anaphore
textuel de 8) : montre que non. En fait, l'interlocuteur ne cherche pas
véritablement l'antécédent dans le texte, même si la
8) Attention i Ne t'approche pas ! Il est dangereux perception de la dimension spatiale de la chaîne écrite ou
Paul a enlevé son chapeau. Il avait trop chaud de la dimension temporelle du discours oral peut le faire
la différence entre les deux emplois ne se trouve croire. Au moment où il arrive à //dans sa lecture de 1) ou
cependant pas effacée. Elle reste pertinente à un niveau au moment où il entend //dans le discours de 1),
inférieur, pour expliquer.Porigine différente de la saillance l'interlocuteur ne revient pas en arrière dans le texte ou dans le
du réfèrent. Lorsqu'il s'agit de l'emploi textuel, la saillance discours : il ne va pas chercher l'endroit du texte ou du
provient de la mention antérieure et lorsqu'il s'agit du site discours où est localisé l'antécédent. Il ne va pas « voir »
non textuel, elle provient d'une perception préalable du en tête de phrase pour y dénicher l'occurrence de Paul et
réfèrent dans la situation d'énonciation. Lorsque le père en conclure que /'/ renvoie à Paul via la mention Paul.
avertit son fils avec l'énoncé Attention ! Ne t'approche L'assignation du réfèrent au pronom se fait par
pas ! Il est dangereux, il présume que le réfèrent, en l'intermédiaire de la représentation mentale construite à
l'occurrence le chien, est manifeste pour son fils, dans la partir du discours (A. Reboul, 1989, p. 84). Il est donc
mesure où il peut estimer que celui-ci l'a perçu ou le erroné de croire que la compréhension de /'/ passe par la
perçoit dans la situation d'énonciation commune. quête préalable de l'antécédent. Au moment de
Environnement extra-linguistique immédiat comme texte renonciation du pronom //, l'interlocuteur va quérir la
sont donc deux sources d'alimentation possibles de la compiétude référentielle exigée par le pronom (cf. C'est
mémoire discursive (A. Berrendonner, 1986 ; qui, il ?) dans son esprit, dans sa mémoire immédiate ou
M.-J. Reichler-Béguelin, 1988 a et b, 1989), qui donnent discursive (20).
lieu, après introduction du réfèrent, à un processus de Le rôle du contexte ne se trouve pas supprimé pour
référence anaphorique. autant, on s'en souvient, puisque c'est lui qui introduit

2.3. De quelques avantages 20. Nous ne voulons pas dire par là qu'il n'y a jamais recherche
effective dans le texte de l'antécédent de l'expression anaphorique. On
La nouvelle analyse des deux énoncés de 8) montre quel observera toutefois qu'une telle recherche ne se déclenche normalement
est l'avantage immédiat de l'approche mémorielle. Elle que si la résolution de l'expression anaphorique est problématique. On ne
offre une vue unitaire de certains marqueurs référentiels remonte en effet dans le texte, c'est-à-dire on ne se relit, que lorsque
là où l'approche en termes de texte se livrait à une précisément l'assignation d'un réfèrent au marqueur référentiel fait difficulté,
c'est-à-dire lorsqu'on ne trouve pas le réfèrent là où on pense le trouver.

11
grâce à la mention antérieure le réfèrent dans l'esprit de réfèrent précis ? De telles questions, que suscite tout
l'interlocuteur. naturellement l'approche mémorielle de la deixis, puisque
Une conséquence positive supplémentaire découle de la localisation dans la situation d'énonciation ne peut plus
cette rectification. En présentant le mécanisme être retenue comme le vecteur de la mise en focus,
anaphorique comme une relation référentielle (coréférentielle ou conduisent finalement au-delà. En essayant d'y répondre,
on fait intervenir des éléments susceptibles de fournir
non) entre deux segments textuels dont l'un est une caractérisation encore différente des expressions
l'antécédent et l'autre l'expression anaphorique, la version
textuelle de l'anaphore est incapable de rendre compte déictiques, où le critère décisif n'est plus le caractère
de façon satisfaisante du changement d'état du réfèrent nouveau ou non nouveau du réfèrent, mais le chemin par
lequel le réfèrent « nouveau » est précisément atteint.
suivant le cours du discours, surtout si l'expression
antécédent est un SN indéfini <21>, comme sur le On renoue là, on l'aura sans doute remarqué, avec la
filière definitoire indexicale des déictiques, où la notion de
schéma 29) : deixis ne s'oppose plus directement à celle d'anaphore,
29) un Ni. Mi mais s'établit, à partir des cas paradigmatiques comme
je, maintenant et ici, comme un mode de référence
original, l'objectif étant de définir la spécificité du
L'exemple du poulet de G. Brown et G. Yule (1983 ; voir fonctionnement référentiel des marqueurs indexicaux, non
aussi «l'oignon» de G. Yule, 1982) est à cet égard seulement connus sous le nom de déictiques, mais aussi sous
révélateur : des appellations plus ou moins transparentes comme
celles d' embrayeurs {shifters) (O. Jespersen ;
30) Tuez un poulet bien vif et bien gras. Préparez-le pour R. Jakobson), particuliers égocentriques (B. Russell),
le four, coupez-le en quatre et rôtissez-le pendant une speech-alternants (Sorensen), token-reflexives
heure (H. Reichenbach, 1947), expressions sui-référentielles
Une approche anaphorique en termes d'antécédent a du (E. Benveniste, 1966), indicateurs (H.-N. Castaneda,
mal à traiter une telle séquence, non pas parce qu'il s'agit 1967), symboles indexicaux (A. Burks, 1948-49), index
d'une situation de non-coréférence, comme on le décrit (CS. Peirce, 1931-35) et même de démonstratifs
parfois (22), mais parce que la version standard de (T. Burge, 1974 ; M. Devitt, 1974 et H. Parret, 1980) (23).
l'anaphore n'arrive pas aussi bien que la version mémorielle à
rendre compte de ce que le changement d'état du réfèrent 2.4. De quelques inconvénients
se trouve intégré dans l'interprétation du pronom. En Ce dernier point marque en même temps les limites de la
effet, la représentation que l'on se fait d'un réfèrent se définition mémorielle de l'opposition anaphore/deixis. Il
modifie selon les renseignements donnés sur ce réfèrent est intéressant de constater que cette nouvelle définition
par le discours, de telle sorte qu'au moment de rencontre des difficultés similaires à l'approche qu'elle
l'interprétation de l'expression anaphorique coréférentielle la entend remplacer.
représentation mentale du réfèrent, ou encore le modèle
contextuel (P. Bosch, 1983 et 1985) ou le contenu 2.4.1. Noms propres et embrayeurs comme Je, Tu, etc.
descriptif {J.-M. Marandin, 1988), n'est jamais totalement
identique à celle du SN antécédent coréférentiel. Or, en Tout d'abord, elle se heurte aussi au cas des expressions
limitant le processus anaphorique à une relation entre référentielles comme le nom propre ou le pronom
une expression linguistique antécédent et un marqueur personnel je. Comment faut-il, dans ce cadre, traiter un
anaphorique, on passe à côté d'un tel phénomène : on nom propre en mention initiale ? Normalement, il s'agit
ne peut rendre compte, dans 30) par exemple, que ce d'un déictique, puisqu'en première mention il rend saillant
n'est pas le poulet bien vif et gras qui se trouve rôti, mais un réfèrent non encore manifeste dans la mémoire
le poulet coupé en quatre. immédiate. Ainsi, si 31) :
Du côté de la deixis, l'effet de la nouvelle conception n'est 31) François Umdenstock a été élu président de la
pas aussi immédiat. Le fait d'abandonner le critère section haut-rhinoise des buveurs de bière de Noël
definitoire de localisation au profit du facteur de mise en est la première séquence d'un texte ou d'un discours, le
saillance a toutefois une conséquence bénéfique indirecte nom propre François Umdenstock a pour fonction
sur la conception des expressions déictiques. La nouvelle d'introduire dans le focus un nouveau réfèrent et répond
définition des expressions déictiques pose directement la donc à la définition d'un déictique. Si l'on veut éviter une
question de la façon de porter l'attention sur un réfèrent telle conclusion, soit parce qu'on estime qu'un nom propre
nouveau : comment rend-on un réfèrent saillant ? Par suppose le plus souvent une certaine familiarité préalable,
quels moyens diriger l'attention de l'interlocuteur sur un indispensable dans 1), par exemple, pour le prénom Paul,
soit parce que tout simplement on juge une telle
21. Lorsqu'il s'agit de SN « définis » (ou termes singuliers) comme conclusion indésirable, il n'y a que deux solutions
nom propre, description définie ou démonstrative, etc., le problème se pose possibles. Ou bien on fait intervenir le sens propre du
différemment. La definitude de tels SN confère plus de pertinence à l'analyse nom propre, pour montrer qu'il échappe en fait à l'opposi-
bi-segmentale.
22. Voir ci-dessus la note (13) sur les faux-cas d'anaphores
divergentes. 23. Voir G. Kleiber (1986 a).

12
tion anaphore/deixis, ou bien on fait éclater l'opposition dans P. Bosch (1985) effectivement comme des
connu / nouveau en des distinctions plus fines. Dans les anaphoriques. La seconde est suivie par E.-F. Prince (1981).
deux cas, le résultat est le même : la distinction P. Bosch élimine les noms propres du champ de
mémorielle anaphore / deixis se trouve sérieusement l'opposition anaphore/deixis en faisant valoir que les noms
écornée. propres identifient leur réfèrent, ou par les propriétés
associées au nom propre, ou, dans la lignée de S. Kripke
Le même raisonnement, en plus spectaculaire, s'applique, (1972) et de ses désignateurs rigides, par le baptême
aussi curieux que cela puisse paraître, aux pronoms initial qui instaure une relation causale entre le porteur du
comme je ou tu. Admettons que deux amis A et B se nom et le nom (P. Bosch, 1983, p. 56) <24).
rencontrent par hasard sur le marché et que A s'addresse
à B) avec 32) : 2.4.2. Echelle d'accessibilité
32) 77ens / Qu'est-ce que tu fais là ? Tu vas au marché
maintenant ? E.-F. Prince choisit de distinguer plusieurs types d'entités
nouvelles pour rendre compte de ce que le réfèrent d'un
et que B lui réponde : nom propre est en quelque sorte une entité à la fois
33) Ben oui ! Je fais les courses, comme tu vois nouvelle et déjà « donnée ». Nouvelle, parce qu'en
mention première, par exemple, elle se trouve introduite
Toutes les occurrences de je et tu, aussi bien la première dans la mémoire discursive comme une nouvelle entité
pour tu que les deux autres, se voient assigner par référentielle. Donnée, en ce que l'usage du nom propre
l'approche mémorielle une fonction anaphorique : elles requiert en règle générale que le porteur du nom soit déjà
ne marquent en effet aucunement une orientation connu et donc est présent dans la mémoire stable (ou
discursive sur un réfèrent non encore saillant, mais s'appliquent mémoire à long terme ou encore connaissances
à chaque fois à un réfèrent déjà manifeste. Cela est d'arrière-plan). Les entités nouvelles répondront ainsi à
évident pour la deuxième occurrence de Tu dans 32) : il deux types : celles qui sont « flambant neuves »
est difficile de soutenir qu'une telle occurrence réoriente {brand-new) (cf. les referents de SN indéfinis, par
le discours sur un réfèrent nouveau ou attire l'attention exemple) et celles qui sont inemployées {unused), comme
sur un réfèrent non encore introduit dans le focus les referents des noms propres que l'interlocuteur
mémoriel, puisqu'elle se trouve précédée d'une première possède déjà dans ses connaissances ou univers de
occurrence de tu portant sur le même réfèrent. Mais cela croyance (R. Martin, 1987) et qu'il doit placer dans sa
vaut aussi pour les occurrences je et tu de 33), puisque le mémoire discursive.
réfèrent de je a déjà été saisi dans 32) par tu et que celui
de tu s'étant manifesté comme locuteur de 32) ne peut Une telle ouverture permet de régler le problème de
pas ne pas être déjà saillant. Cela se vérifie enfin l'article défini employé en situation dite plus large, comme
également pour le premier tu qui, quoiqu'étant une occurrence dans 21) ci-dessus avec le chef de l'état ou dans 34) :
initiale, ne peut d'aucune façon être considéré comme 34) Le président s'adressera aux Français demain
saisissant un réfèrent non encore introduit dans le focus. (pour : le président du pays dans lequel est
Tout simplement parce que toute situation de prononcée l'occurrence)
communication entre un locuteur et un interlocuteur suppose une
saillance préalable partagée des deux participants. C'est Le SN Le président n'apparaît pas comme étant
dire que l'usage standard de je et de tu s'appuie toujours pleinement une expression anaphorique, puisque son
sur la saillance préalable de leurs referents, de telle sorte réfèrent n'est pas « donné » directement, ni dans la
qu'ils apparaissent, d'un point de vue cognitif, comme mémoire longue, ni dans la mémoire immédiate. Il n'est
des marqueurs de continuité, c'est-à-dire des expressions pas pleinement non plus une expression déictique,
anaphoriques, aussi bien en première mention qu'en puisqu'il n'est pas pour autant tout à fait nouveau, dans la
mention ultérieure. Ce résultat a de quoi surprendre : les mesure où il se trouve indirectement déjà évoqué par la
expressions qui, envisagés sous un autre angle, situation d'énonciation immédiate. E.-F. Prince fait alors
apparaissent comme étant les déictiques ou embrayeurs les plus de son réfèrent une entité inferable pour l'interlocuteur,
stricts, dans le sens où on ne leur reconnaît généralement c'est-à-dire une entité présumée pouvoir être inférée via
aucun emploi anaphorique, finissent par devenir le type un raisonnement plausible d'entités déjà données, soit
même des expressions anaphoriques ! Pour se sortir par le contexte linguistique, soit par la situation
d'une telle situation paradoxale, il faut, comme nous d'énonciation <25>.
l'avons évoqué à propos des noms propres, faire monter Les deux types de prolongement pratiqués pour surmonter
en première ligne le sens même de je et tu ou procéder à l'obstacle de la référence à l'aide des noms propres ou
une subdivision beaucoup plus complexe des expressions encore celui des pronoms comme je sont ainsi
référentielles selon le degré de « connaissance » ou selon notablement différents. La méthode de P. Bosch, comme elle
le degré d'accesssibilité du réfèrent qu'elles dénotent. n'opère qu'une restriction de la portée de l'opposition
Avec à la clef, bien sûr, une remise en cause de
l'opposition binaire anaphore/deixis elle-même.
La première voie est empruntée par P. Bosch (1983) 24. Voir sur ce problème G. Kleiber (1981).
25. L'anaphore dite associative constitue ainsi un cas de référence
pour les noms propres, les pronoms Je et Tu étant traités inferable. Cf. ci-dessus 13) : La voiture a dérapé. Les pneus étaient lisses.

13
anaphore/deixis, en sauvegarde apparemment la 5) Fais attention à la voiture !
pertinence, mais, comme nous l'avons déjà vu dans notre Paul a heurté une voiture. La voiture avait ralenti
discussion de l'approche standard, la mise en avant du trop vite
sens des expressions ne se fait pas impunément. Etendue ne peuvent ainsi être réunies. La première doit être
aux autres expressions, elle ruine les fondements mêmes
de l'opposition. Une classification comme celle formulée déclarée déictique, dans la situation où l'on suppose que
par E.-F. Prince fait disparaître directement la distinction l'interlocuteur n'a pas encore perçu la voiture (28). La seconde
anaphore/deixis en termes de connu/nouveau au profit répond, bien sûr, à la définition de l'expression
d'une échelle d'accessibilité ou de « familiarité » des anaphorique. Une telle scission n'est pas souhaitable, dans la
referents beaucoup plus riche, qui mène des referents les mesure où des emplois situationnels de l'article défini
plus « familiers », à savoir les referents évoqués, soit redeviennent anaphoriques, dès que le réfèrent est déjà
saillant comme dans 36) (29) :
textuellement, soit dans la situation, aux entités les moins
familières, à savoir les referents « flambant neufs », en 36) L'avant-centre des rouges vient de marquer (dit
passant d'abord par les unused, puis par les inférables. alors que locuteur et l'interlocuteur ont vu l'action
On ne parlera plus du coup d'expressions anaphoriques qui a amené le but et celui qui l'a marqué)
opposées à des expression déictiques selon l'axe saillant Le cas du démonstratif n'est pas clair non plus : il répond
/ non saillant, parce que l'échelle d'accessibilité incontestablement à la définition cognitive des déictiques
référentielle pourra directement servir de hiérarchie aux dans ses emplois ostensifs, tel celui du premier énoncé
expressions référentielles en les répartissant, selon le de 6) ci-dessous, mais semble basculer du côté des
type de réfèrent sur l'échelle qu'ils peuvent saisir, en anaphoriques, lorsqu'il est employé textuellement comme
marqueurs de haute accessibilité (cf. par exemple, les dans le second énoncé de 6) :
pronoms personnels), d'accessibilité moyenne (certains
démonstratifs) et d'accessibilité faible (descriptions 6) Cette voiture a le tuyau d'échappement percé (avec
définies et noms propres). On en trouvera une illustration un geste d'ostension sur la voiture)
ci-dessous en 35) avec la hiérarchie dressée par M. Ariel Paul voit arriver une voiture au loin. Il sait que cette
(1988, p. 84) pour l'anglais, à laquelle fait écho la voiture lui permettra de regagner la ville
classification plus générale de T. Givon (1 983) en termes puisque son réfèrent est déjà accessible dans la mémoire
de degré de continuité de topique : discursive immédiate. Or, comme nous avons déjà eu
35) Joan Smith, the president > Joan Smith > The l'occasion de le signaler ci-dessus, il semble contre-intuitif
president > Smith > Joan > That/this hat we bought de postuler deux sens différents pour les démonstratifs (30).
last year > that hat > this hat > this > SHE > she > Il faut en retirer alors la même morale que celle que nous
herself > 0 <26>. avons retenue pour l'approche standard. Puisqu'il existe
des marqueurs susceptibles de servir à la fois pour
2.4.3. Analyses non unitaires indiquer la continuité avec un réfèrent déjà saillant et pour
Un des reproches majeurs adressés à la version standard porter un réfèrent à la saillance, leur sens ne peut plus,
de l'opposition anaphore / dexis est, on s'en souvient, de dans un traitement unitaire, être formulé directement à
susciter des analyses polysémiques d'expressions qui l'aide de l'opposition cognitive anaphore - réfèrent déjà
apparaissent plutôt comme étant monosémiques. La saillant / deixis - réfèrent rendu saillant, mais devra obéir
version mémorielle paraît moins coupable de ce point de à un principe supérieur capable de prévoir les deux types
vue-là, puisqu'elle offre la possibilité d'un traitement d'emplois « mémoriels ». On verra en conclusion
unitaire des emplois situationnels et anaphoriques de il. comment un tel lien est envisageable.
On s'aperçoit cependant très vite que ce qu'elle unit en
certains endroits elle le sépare en d'autres. Ainsi un // 2.4.4. Emplois inférentiels
cataphorique, par exemple, oblige de nouveau à une Il nous faut encore auparavant signaler que la version
analyse non unitaire de // : mémorielle de l'opposition anaphore/deixis rencontre
2) Quand il est entré, Paul enleva son chapeau également la difficulté que constituent les cas de référence
Comme le réfèrent n'est pas encore saillant au moment indirecte pour la version standard. En termes cognitifs,
de renonciation du il cataphorique - celui-ci attirant au ces situations correspondent aux entités inférables
contraire l'attention sur un réfèrent qui reste à trouver -, introduites ci-dessus à propos de la description définie de 34) :
un tel emploi sort //des expressions anaphoriques pour le 34) Le président s'adressera aux Français demain
ranger avec les déictiques (27). Elles ne concernent pas seulement les descriptions
D'autres expressions restent divisées. Les deux définies et les noms propres, mais s'appliquent également
descriptions définies de 5) :
28. Pour la différence avec Fais attention à cette voiture I, voir
G. Kleiber (1986 bet 1989 c).
26. SHE correspond au pronom accentué. 29. Pour le problème référentiel que posent les emplois situationnels
27. Voir, par exemple, M.-J. Reichler-Béguelin (1988 a, b et et textuels de l'article défini, voir G. Kleiber (1986 b, c et d et 1988 c).
pour une telle conclusion. 30. Voir G. Kleiber (1983, 1984, et 1986 e).
14
à la référence pronominale et démonstrative, qu'elle soit (ii) en orientant, par l'intermédiaire du trait nouveau ou
textuelle ou non textuelle, comme l'ont illustré les deux saillant, la description des expressions référentielles
séries d'exemples 13)-16) et 17)-22) : d'entités « nouvelles » vers la référence indexicale.
1 3) La voiture a dérapé. Les pneus étaient lisses Peut-on conclure ?
15) Paul a acheté une Toyota, car elles/ces voitures
sont robustes On peut avoir le sentiment que nous avons tout embrouillé
et qu'au terme de ce parcours bi-définitoire à vocation
1 6) A Strasbourg, ils roulent comme des fous clarificatrice on ne sait plus trop bien ce que ce que sont
1 7) Cet automobiliste a dû être pressé exactement l'anaphore et la deixis. Il n'y a rien d'étonnant
1 8) Ce train a toujours du retard à cela, d'une certaine manière. Un de nos objectifs dans
1 9) Ils sont fous, ces Romains ce travail était précisément de montrer qu'on ne pouvait
définir ni en termes de texte / situation immédiate, ni en
20) Attention ! Ils sont dangereux termes cognitifs de donné/ nouveau l'anaphore et la deixis
21 ) Le président de la République islamique s'en prend comme des catégories générales. L'application des
avec violence au chef de l'Etat critères onomasiologiques choisis aboutit d'une part à
22) // va venir tout de suite des classes d'expressions référentielles trop hétérogènes
et d'autre part à des analyses polysémiques indésirables
Le dénominateur commun de ces emplois est le recours des marqueurs référentiels. Ce double défaut ne se trouve
à l'inférence pour retrouver le réfèrent, de telle sorte que effacé dans chaque conception que par une prise en
l'on ne peut les considérer comme des cas d'anaphore, compte « sémasiologique » du sens des expressions
puisque leur réfèrent n'est pas encore saillant. D'un autre référentielles elles-mêmes, avec, comme double
côté, il ne peut s'agir non plus de cas de deixis, parce que conséquence, celle d'introduire une confusion entre
le réfèrent n'est pas non plus tout à fait nouveau, dans la emploi anaphorique ou déictique et sens anaphorique ou
mesure où ce sont des éléments déjà saillants du texte, déictique, et celle de porter atteinte à la distinction
de la situation immédiate et du savoir d'arrière-plan elle-même.
partagé qui donnent appui au calcul inférentiel permettant
de trouver le bon réfèrent (31). Si on se place dans une telle perspective, notre travail
peut alors apparaître vraiment comme une source de
2.5. Un deuxième bilan clarification. Tout d'abord, par le rappel de l'existence de
deux modèles onomasiologiques notablement différents
Toutes ces difficultés rendent impraticable une définition de l'opposition anaphore / deixis, l'un qui s'appuie sur le
générale des marqueurs référentiels en anaphoriques et texte, l'autre qui se fonde sur la saillance. Ensuite, par
déictiques à l'aide du critère connu ou donné / nouveau. une mise au point qui permet de voir où, quand et
L'opposition mémorielle ainsi conçue amène tout comme comment les écrits qui opposent anaphore et deixis font
la version standard à des analyses non unitaires intervenir subrepticement ou non le sens des expressions
indésirables des marqueurs référentiels et, surtout, se révèle elles-mêmes pour assurer homogénéité et pertinence à
trop pauvre pour maîtriser la diversité des situations de leur opposition. La confusion sens/emploi est une
saillance référentielle rencontrées. tendance inhérente aux traitements onomasiologiques de
Une telle conclusion négative trouve sa contre- partie l'anaphore et de la deixis.
positive dans la mise au premier plan des connaissances Notre mise au point n'est pas seulement critique. Elle
de l'interlocuteur sur le réfèrent. Même si elle ne peut donne aussi lieu à un certain nombre de conclusions
servir comme trait definitoire pour établir l'anaphore et la positives qui peuvent contribuer à faire avancer les choses
deixis en catégories générales, l'accessibilité se révèle en matière de processus référentiels.
être un facteur déterminant, qu'on ne peut ignorer dans
une description des mécanismes référentiels (G. Kleiber, Des conclusions « paroissiales » tout d'abord, dont le
1990 b). Sa pertinence s'exprime, non seulement dans le caractère local ne doit pas faire oublier l'importance
choix des expressions référentielles (M. Ariel, 1988), mais qu'elles revêtent dans le fonctionnement des expressions
également, comme nous l'avons vu, au niveau même de référentielles. Côté approche textuelle comme côté
la conception de l'anaphore et de la deixis en termes de version mémorielle, nous avons fait ressortir, par
localisation textuelle/non textuelle : contraste avec les difficultés auxquelles se heurtent les
deux versions, les éléments positifs qui subsistent : les
(i) en montrant que l'anaphore (textuelle) est avant
tout un phénomène de mémoire immédiate, où le notions de texte et de situation immédiate, dont on ne
texte sert simplement d'introducteur et non de peut faire abstraction, même si on leur refuse un statut
champ de recherche pour le bon antécédent critérial supérieur, celle d'accessibilité, essentielle pour
comprendre pleinement un acte de référence, une vision
rectifiée du fonctionnement réel de l'anaphore textuelle,
etc.
31. Ces emplois sont beaucoup plus importants que l'on ne croit et
constituent un des meilleurs bancs d'essai pour la théorie de la pertinence Des conclusions plus générales, ensuite, qui peuvent
de D. Sperber et D. Wilson (1986) appliquée à la référence. Voir à ce sujet servir en quelque sorte de principes de « référence ». En
A. Reboul (1989 a et b ; D. Wilson, 1989).
15
premier lieu, il ressort nettement de notre analyse que les l'occurrence est en cause, et d'autre part de l'aspect
deux conceptions invitent à prendre en compte nouveau, parce qu'il résulte de Pindexicalité de la
prioritairement la façon dont le réfèrent est identifié. La dimension procédure même employée.
de localisation texte/situation et le critère cognitif de la C'est dire, je crois, qu'il faut marcher dans ce sens-là !
saillance ne sont pas pour autant à abandonner, ni l'une
ni l'autre, mais doivent être considérés comme des effets Georges KLEIBER
résultant de procédures référentielles spécifiques liées Université de Strasbourg II
aux différents types des marqueurs référentiels. Nous
reprendrons ici la formule de F. Corblin (1985 b, p. 192) : BIBLIOGRAPHIE
« Dire que A est anaphorique est en somme bien trop M. Ariel, 1988, « Referring and Accessibility », in Journal
vague : il faudrait se donner les moyens de dire en quoi of Linguistics, 24, pp. 65-87.
A est anaphorique » et retendrons aux déictiques : « Dire K. Bardovi-Harlig, 1983, «When Given and New
que A est déictique est en somme bien trop vague : il coincide », in Papers from the 19th Regional Meeting
faudrait se donner les moyens de dire en quoi A est of the Chicago Linguistic Society, pp. 14-26.
déictique ». E. Benveniste, 1966, Problèmes de linguistique générale,
C'est dire qu'il faut se tourner vers les expressions t.1 ; Gallimard, Paris.
elles-mêmes et essayer de décrire quel est leur mode de A. Berrendonner, 1 986, Référence et mémoire
donation référentielle spécifique. On peut être amené discursive, Communication faite au Colloque du Centre de
alors à parler d'expression déictique en des termes qui ne Recherches Sémiologiques de l'Université de
sont plus ceux d'une opposition directe anaphore/deixis, Neuchâtel sur « La référence « (9 et 1 0 octobre 1 986).
mais qui sont tels qu'ils peuvent englober, sans P. Bosch, 1983, Agreement and Anaphora. A Study of
contradiction, les emplois anaphoriques de la conception the Role of Pronouns in Syntax and Discourse,
textuelle. Academic Press, London.
P. Bosch, 1985, « Constraints, Coherence,
Un telle orientation conduit à mettre au jour de façon Comprehension. Reflections on Anaphora », in Text, Connexity,
nouvelle et suggestive le lien exact entre les différents Text Coherence, E. Sôzer (ed.), Helmut Buske Verlag,
niveaux. Un exemple suffira, celui de la relation entre Hamburg, pp. 299-319.
l'expression déictique conçue sémantiquement en termes P. Bosch, 1 987 a, Representation and Accessibility of
de to/ren-réflexivité comme une expression qui renvoie à Discourse Referents, Lilog - Report 24, Stuttgart.
un réfèrent dont l'identification est à opérer P. Bosch, 1987 b, « Pronouns under Control ? A Reply
nécessairement au moyen de l'entourage spatio-temporel de son to Liliane Tasmowski and Paul Verluyten », in Journal
occurrence (voir G. Kleiber, 1986 a) et l'aspect cognitif of Semantics, 5, pp. 65-78.
nouveau du réfèrent désigné. Le rapport entre les deux K. Braunmuller, 1977, Referenz und Pronominalisie-
est clair : si un locuteur utilise une expression indexicale, rung : Zu den Deikta und den Proformen des
c'est-à-dire une expression qui déclenche une procédure Deutschen, Niemeyer, Tubingen.
de repérage spatio-temporel, c'est qu'il juge que son G. Brown et G. Yule, 1983, Discourse Analysis,
interlocuteur n'a pas encore le réfèrent à l'esprit (cas du Cambridge University Press, Cambridge.
réfèrent nouveau) ou qu'il entend le lui faire découvrir T. Burge, 1974, « Demonstrative Constructions,
sous un aspect nouveau (32) (dans l'hypothèse où le Reference and Truth », in The Journal of Philosophy,
réfèrent est déjà connu). S'il en allait autrement, il ne vol. LXXI, n° 7, pp. 205-223.
recourrait pas à une telle procédure d'identification. Dans A. Burks, 1948-1949, « Icon, Index, Symbol », in
les deux cas donc, la deixis vue comme mode de donation Philosophy and Phenomenological Research, volume 9.
fo/cen-réflexif amène du nouveau. Il y a pourtant une H.N. Castaneda, 1967, « Indicators and Quasi-
différence cruciale avec l'approche mémorielle pour ce Indicators », in American Philosophical Quarterly, 4,
qui est du deuxième cas : si le réfèrent est déjà connu, pp. 85-100.
comme dans la situation d'emploi textuel du démonstratif, M. Charolles, 1987, « Contraintes pesant sur la
alors la version cognitive est obligée de conclure à une configuration des chaînes de référence comportant un nom
référence anaphorique comme nous l'avons vu avec propre », dans Travaux du Centre de Recherches
l'énoncé Paul voit arriver une voiture au loin. Il sait que Sémiologiques de l'Université de Neuchâtel, n° 53,
cette voiture lui permettra de regagner la ville et, du coup, pp. 29-55.
ne peut évidemment plus rendre justice à l'aspect M.-E. Conte, 1988, Condizioni di Coerenza. Ricerche di
nouveau, quel qu'il soit (G. Kleiber, à paraître b), mis en linguistica testuale, Pubblicazioni délia Facolta di
lumière par la procédure déictique employée. La Lettere e Filosofia dell'Universita di Pavia, 46, La Nuova
conception qui considère la procédure déictique comme Italia Editrice, Firenze.
première arrive, elle, à rendre compte des deux F. Corblin, 1985 a, Anaphore et interprétation des
phénomènes sans difficultés : d'une part, de l'identification par segments nominaux, Thèse d'Etat, Université de Paris VII.
le texte, puisque l'environnement spatio-temporel de F. Corblin, 1985 b, « Remarques sur la notion
d'anaphore », in Revue Québécoise de linguistique,
32. Voir K. Bardovi-Harlig (1983) et G. Kleiber (à paraître b). 15, 1, pp. 173-195.

16
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