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4.

Les parties du discours


4.1. La grammaire traditionnelle
Grevisse (198011) distingue neuf parties du discours qui correspondent à autant de chapitres:
le nom, l’article, l’adjectif, le pronom, le verbe, l’adverbe, la préposition, la conjonction,
l’interjection.
4.1.1. Définitions:
“ § 383 Le nom ou substantif est le mot qui sert à désigner, à “nommer” les êtres animés et
les choses; parmi ces dernières, on range, en grammaire, non seulement les objets, mais
encore les actions, les sentiments, les idées, les abstractions, les phénomènes etc.: Louis,
chien, table, livraison, colère, bonté, néant, absence, gelée.”
“ § 1337 Le verbea est un mot qui exprime, soit l’action faite ou subie par le sujet, soit
l’existence, ou l’état du sujet, soit l’union de l’attribut au sujet. (...) L’élève écrit, (...) Ton
empire sera divisé, (...) Ce mur penche, (...) Que la lumière soit, (...) L’homme est mortel
(...).”
(Etym.- a Verbe, empr. du latin verbum, mot, parole. Le verbe est le mot par excellence, l’âme du discours.)
“§ 593 L’article est un mot que l’on place devant le nom pour marquer que le nom est pris
dans un sens complètement ou incomplètement déterminé; il sert aussi à indiquer le genre et
le nombre du nom qu’il précède. N.B. L’article pourrait être rangé parmi les adjectifs servant à
introduire le nom.”
“§ 692 L’adjectif est un mot que l’on joint au nom pour exprimer une qualité de l’être ou de
l’objet nommé ou pour introduire ce nom dans le discours”
“§ 1026 Le pronom est un mot qui souvent représente un nom, un adjectif, une idée ou une
proposition exprimés avant ou après lui: Prenez ces cent écus: gardez-les avec soin (La F., F.
VIII, 2) (...)”
“§2020 L’adverbe est un mot invariable que l’on joint à un verbe, à un adjectif ou à un autre
adverbe, pour en modifier le sens: Il parle BIEN. Un homme TRES pauvre. Il écrit FORT
mal.”
“§ 2238 La préposition est un mot invariable qui sert ordinairement à introduire un élément
qu’il relie et subordonne, par tel ou tel rapport à un autre élément de la phrase: Habiter dans
une chaumière (rapport de lieu). Il régnait depuis deux ans (rapport de temps) (...)”
“§ 2641 La conjonction est un mot invariable qui sert à joindre et à mettre en rapport, soit
deux propositions, soit deux mots ou groupes de mots de même fonction dans une
proposition: QUAND on voit le style naturel, on est tout étonné ET ravi, CAR on s’attendait
de voir un auteur, ET on trouve un homme (Pasc. Pens., 29).”
N.B. - La conjonction et la préposition indiquent l’une et l’autre les rapports entre les éléments qu’elles
unissent, mais la préposition lie les mots, tandis que la conjonction unit surtout des propositions. Comparez:
Rentrez avant la nuit; rentrez avant que la nuit tombe. (...)”
“§ 2538 L’interjection est une sorte de cri qu’on jette dans le discours pour exprimer un
mouvement de l’âme, un état de pensée, un ordre, un avertissement, un appel: AH! (...)
GARE! HOLA! PST!”

4.1.2. Problèmes et critique:


1. Les critères de classification sont hétérogènes. Les noms et les verbes sont définis par
rapport à leur référence, c’est-à dire en fonction de ce à quoi ils renvoient dans le monde. La
plupart des autres parties du discours sont ensuite définies en fonction de nom et verbe
(article, adjectif, pronom, adverbe, préposition). Les pronoms sont définis par rapport à ce
qu’ils remplacent, les articles et les adverbes par rapport à ce qu’ils introduisent.
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En d’autres termes, selon cette manière de les définir, il n’y a pas de critères qui sont
partagés par toutes les parties du discours, et qui permettent de les identifier comme un
ensemble d’éléments partageant des caractéristiques communes.

2. Nom et verbe sont définis en termes notionnels ou référentiels: les définitions réfèrent à ce
que les parties du discours représentent dans le monde, à leur sens. On pourrait comparer
cette définition à une caractérisation de l’eau qui procéderait par une identification des
manifestations concrètes de l’eau dans le monde (la pluie, les larmes, mon café du matin,
l’océan, le Nil, le Niagara etc). Un exemple, ou même une liste d’exemples concrets ne
constituent pas une définition. Une définition scientifique de l’eau dirait que c’est un élément
composé de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène. Nous avons là une
définition qui est indépendante des manifestations concrètes de l’eau dans la nature, et qui
utilise des critères cohérents qu’on peut appliquer de la même façon à d’autres combinaisons
chimiques. Le problème est donc que la définition de Grevisse nous donne une énumération
non exhaustive de toutes les manifestations concrètes (référentielles) des verbes et des noms.
Mais cela ne nous procure pas une définition proprement linguistique des parties du discours
comparable à une définition proprement chimique de l’eau.

3. La définition du verbe présuppose une définition précise de la notion grammaticale


“sujet”. La définition de sujet proposée par Grevisse est la suivante:
“§ 275 Le sujet est le terme point de départ de l’énoncé; il désigne l’être ou l’objet dont on
dit quelque chose et qui s’actualise dans un verbe: L’élève écrit, (...) L’homme est mortel
(...).”
Selon cette définition, il n’y a rien qui empêche de définir destruction comme un verbe et les
Romains comme un sujet dans (1):

(1) La destruction de Carthage par les Romains

4. Les définitions sont trop vagues. La différence entre prépositions et conjonctions est
minime.

5. Une même catégorie contient des membres qui n’ont rien en commun. Les adverbes
d’intensité (très, fort, beaucoup, pas mal) se trouvent dans la même catégorie que les
adverbes locatifs modifiant les verbes (là-bas, dehors, ailleurs, partout, dessous). (La
catégorie adverbe est une sorte de “catégorie poubelle” où on met tout ce qu’on n’arrive pas à
mettre ailleurs. Et que faire de tous dans Les enfants sont tous partis?

6. La classification suggère que le nom, le verbe, la préposition, et l’adjectif forment une


classe naturelle avec une partie du discours comme l’interjection. Or, les noms, les adverbes
et les verbes peuvent être utilisés de façon naturelle comme des interjections (Barbare!
Heureusement!, Partir!), mais l’inverse n’est pas vrai (*Psst est arrivé). Cela montre que les
interjections ne constituent pas une catégorie lexicale à part, mais qu’elles remplissent une
fonction au niveau du discours.
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4.2. Une nouvelle approche


Partons d’un autre principe, le principe de combinaison que nous avons appliqué dans la
morphologie. Un morphème peut apparaître en combinaison avec un autre morphème. Il y a
des relations de dépendance privilégiées entre morphèmes qui produisent des mots
morphologiquement complexes.

4.2.1. Le verbe (V)


Ainsi, un verbe peut apparaître en combinaison avec l’ensemble des morphèmes de temps,
mode, aspect et accord: détrui-re, nous détrui-s-i-ons, vous détrui-r-i-ez. Mais il y a plus:
tous les morphèmes qui se combinent avec l’ensemble des morphèmes de temps, mode,
aspect et accord sont en fait des verbes. Quand les locuteurs du français construisent de
nouveaux verbes à partir d’emprunts à l’anglais comme Xerox, surf, et fax, nous savons que
ce sont des verbes par le simple fait qu’on peut dire: En surfant sur l’internet, j’ai trouvé ce
texte que je xéroxerai avant de te le faxer. Est verbe tout élément qui peut se combiner avec
l’ensemble des morphèmes de temps, mode, aspect et accord. Cela nous donne une définition
univoque de la partie du discours ou la catégorie lexicale que les linguistes appellent
‘verbe’.

4.2.2. Le nom (N)


Si nous regardons maintenant la partie du discours qu’on appelle le nom, on voit que le nom
peut se combiner morphologiquement avec le morphème du pluriel: maison-s. Le problème
ici est qu’il s’agit surtout d’une convention orthographique: le –s du pluriel ne s’entend pas à
l’oral, sauf dans les contextes de liaison des maisons idéales [demezõ(z)ideal], où le statut de
[z] comme morphème du pluriel est contesté. En tant que linguistes nous nous intéressons
principalement à la langue parlée, et non pas aux conventions de l’orthographe qui
représentent le plus souvent un état antérieur de la langue. Il y a bien sür des cas où le pluriel
est morphologiquement différent du singulier (travail/ travaux, cheval/ chevaux), mais il
s’agit là d’une liste très limitée.
Par contre, le nom peut se combiner de façon régulière avec les morphèmes libres qu’on
appelle d’habitude les articles ou les déterminants:

(2) a. la/ ma/ cette/ une maison


b. le/ mon/ ce/ un livre

Ces déterminants sont des morphèmes qui se manifestent uniquement dans le contexte des
noms. Ici aussi, on peut dire que tout élément qui peut se combiner avec l’ensemble constitué
par les déterminants est par ce fait même un nom. Si on introduit un nouveau nom en français
par emprunt ou par création, on sait que c’est un nom parce qu’il est précédé par un article:
l’internet, le soft (= le logiciel).

4.2.3. L’adjectif (A)


En principe, les adjectifs français semblent pouvoir se combiner morphologiquement avec
des morphèmes du genre et du nombre pour s’accorder avec le nom qu’ils modifient: les
longues histoires [lelõgzistwar]. En réalité, les choses sont bien plus complexes. Certains
adjectifs se combinent avec le genre et le nombre (blanc(s)/ blanche(s), grand(s)/ grande(s)),
d’autres se combinent uniquement avec le nombre (rouge(s), probable(s)), et finalement
certains adjectifs compositionnels sont invariables (bleu éclair, vert pomme). Ici aussi, le
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problème des conventions orthographiques qui ne reflètent pas fidèlement la langue orale se
pose.
Cependant, tout comme les noms, les adjectifs peuvent être précédés par un ensemble de
morphèmes qui ne se manifestent que dans le contexte des adjectifs. Il s’agit des éléments qui
expriment le degré: : peu, moins, plutôt, plus ou moins, assez, plus, très, trop.

(3) Un homme peu/ moins/ plutôt/ plus ou moins/ assez/ plus/ très/ trop intelligent

Ce sont en quelque sorte les ‘déterminants’ des adjectifs. Certains de ces modifieurs de degré
peuvent aussi se combiner avec des verbes (peu, moins, assez, plus, trop). Mais il y en a qui
ne se combinent qu’avec des adjectifs (plutôt, très).

(4) J’ai peu/ moins/ assez/ plus/ trop/ *plutôt/ *très mangé

Ces éléments nous permettent alors de définir de façon univoque les adjectifs: est adjectif
tout élément qui se combine avec les modifieurs de degré, et plus spécifiquement plutôt et
très. Comme pour les noms et les verbes, cette définition nous permet de traiter des emprunts
comme cool comme un adjectif en français, puisqu’on peut dire très cool.

4.3 Résultats et réflexion sur les critères utilisés


Nous avons jusqu’à présent identifié trois parties du discours: N, V, A. Nous les avons
identifié à l’aide de critères identiques. Dans tous les cas, nous avons défini les parties du
discours en fonction de la distribution spécifique pour chaque partie du discours. Les noms
ont été identifié en fonction de leur combinabilité avec la classe des déterminants; les verbes
en fonction de leur combinabilité avec la classe des morphèmes exprimant le temps, le mode,
l’aspect, et l’accord; et les adjectifs en fonction de leur combinabilité avec la classe des
modifieurs de degré. Quelques propriétés intéressantes se dégagent maintenant de cette
définition.
1. Dans les trois cas, les noms les verbes et les adjectifs sont modifiés par la classe spécifique
avec laquelle ils se combinent dans le sens où le sens du N, V ou A est restreint par la
combinaison avec cette classe spécifique. Les déterminants restreignent le sens du nom avec
lequel ils se combinent en spécifiant sa manière de référer. Les morphèmes de temps, mode,
aspect et accord font de même avec les verbes, tout comme les modifieurs de degré par
rapport aux adjectifs.
2. Dans les trois cas, la classe spécifique avec laquelle N, V et A se combinent est une classe
limitée. Cette limitation se manifeste dans le fait que l’on peut énumérer de façon exhaustive
les membres de la liste des déterminants en français, de la liste des morphèmes de temps,
mode, aspect et accord, et de la liste des modifieurs de degré qui peuvent uniquement se
combiner avec des adjectifs.
Par contre, il est beaucoup plus difficile de dresser la liste des N, V ou A en français. Pour
chacune de ces classes, il y en a des milliers. Chaque année, ces mots se perdent et se créent
par dizaines. Les éditions successives des dictionnaires Larousse et Robert peuvent attester
de cette évolution.
Cependant, il est beaucoup plus difficile pour un locuteur natif d’introduire en français ne
fût-ce qu’un seul nouveau déterminant, un nouveau morphème de temps, mode, aspect ou
accord, ou un nouveau modifieur de degré. En linguistique, nous appelons ces classes
limitées des catégories fonctionnelles, tandis que N, V et A, qui constituent des classes
ouvertes, sont appelés des catégories lexicales.
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catégorie limitée, fonctionnelle catégorie ouverte, lexicale


les déterminants (le, ce, mon, un, chaque ) N
les morphèmes de temps, mode, aspect et V
accord (-re, -i-, -ons, -ez ...)
les modifieurs de degré (plutôt, très) A

4.4. Problèmes ultérieurs


A la lumière du raisonnement que nous avons développé jusqu’à présent, un certain nombre
de problèmes se posent. Où caser les adverbes, la partie du discours ‘poubelle’ de Grevisse?
Que faire des noms propres, qui ne sont pas précédés par un déterminant? Que faire des
pronoms ou des prépositions?

4.4.1. Les noms propres et certains ‘adverbes’ de temps


Les noms propres apparaissent le plus souvent sans déterminant. Cependant, ils peuvent
dans certains contextes être combinés avec des déterminants sans que leur statut de nom
propre change: le jeune Sartre, la belle Provence, Une Amérique sans racisme.
Un problème en apparence plus épineux est posé par les pronoms. Ceux-ci ne sont jamais
précédés par un déterminant. En français il y a deux types de pronoms, ‘forts’ et ‘faibles’,
clitiques: me, te, le, lui, leur, y, en.
non clitiques. moi, toi, celui-ci/ là, quelques-uns, quelque chose, ça, cela.
A l’exception de en et y, les pronoms clitiques sont en distribution complémentaire avec des
noms, même s’ils n’en occupent pas la place dans la phrase. Nous devons donc conclure que
les pronoms clitiques sont des noms. Les pronoms non clitiques se trouvent toujours à la
place d’un nom, donc ils appartiennent à la catégorie du nom.

(5) a. J’ai détruit la maison/ celle-ci/ quelque chose/ cela


b. Je l’ai détruit(e)

Il faut noter ici que nous avons maintenant introduit un autre critère dans notre définition.
Dans la définition de N, V, A plus haut, nous regardions uniquement la relation de la classe
lexicale avec sa propre classe fonctionnelle. Nous quittons ce terrain maintenant pour
examiner la position de l’ensemble de la classe lexicale et fonctionnelle (la maison) par
rapport à d’autres éléments dans la phrase (J’ai détruit).
Ce critère introduit donc un nouveau contexte qui permet d’identifier des noms. Certaines
positions dans la phrase peuvent uniquement être remplies par des noms, comme la position
sujet de certains verbes. Dans ___ est important(e) on peut uniquement remplir la ligne avec
des noms, mais pas avec des adjectifs, des verbes conjugués ou des prépositions:

(6) a. Louis/ ce beau livre est important


b. * Mangeons des pommes est important
c. * Très joyeux est important
d. * Avec Sophie/ sur le toit est important

Ce nouveau critère, qui est toujours distributionnel, nous permet d’inclure certains ‘adverbes’
dans la classe des noms. Des mots comme aujourd’hui, demain, ou hier ne peuvent pas être
précédés par des déterminants, et il n’est donc pas clair à quelle classe lexicale ils
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appartiennent. Si on les met dans la position sujet de ___ est important(e), on est amené à
conclure qu’il s’agit de mots qui doivent être définis comme des noms:

(7) Aujourd’hui/ hier/ demain est important

Cette conclusion s’impose parce que si ces mots étaient des adjectifs, des prépositions, ou des
verbes, ils devraient se comporter comme les cas (6bcd). Le fait que des mots comme
aujourd’hui, demain, ou hier peuvent être utilisés dans des positions qui sont exclusivement
réservées à des noms montre qu’ils sont eux-mêmes des noms.

4.4.2. Les adjectifs et certains autres ‘adverbes’


Du point de vue distributionnel, les adjectifs se trouvent avant ou après un nom. Un petit
nombre d’adjectifs en français est prénominal, la plupart des adjectifs sont des compléments
du nom. L’adjectif peut aussi remplir la fonction de prédicat d’un verbe comme être, devenir
ou comme prédicat second auprès des verbes du type considérer, trouver.
Que faire de la plupart des adverbes du type adjectif + ment?
Observations:
1. Ils peuvent être déterminés par la même classe fermée que les adjectifs
moins favorable/ moins favorablement
mais aussi: souvent, longtemps - moins souvent, longtemps
sciemment - plus ou moins sciemment
2. A l’exception des ‘adverbes’ qui n’ont pas de contrepartie adjectivale, ils se trouvent en
distribution complémentaire avec les adjectifs.
Une réponse favorable/ *favorablement
Ils ont favorablement/ *favorable répondu
Conclusion: les adverbes en question appartiennent à la catégorie lexicale de l’adjectif, et ont
une manifestation morphologique différente dans un contexte nominal ou verbal. Les
‘adverbes’ comme souvent et longtemps qui n’ont pas de contrepartie dans un contexte
nominal sont aussi des adjectifs: ils peuvent être précédés par la classe fermée (très, moins)
qui caractérise les adjectifs.
Le terme ‘adverbe’ ne peut s’appliquer à une partie du discours, en fait il désigne une
fonction grammaticale dans la phrase (tout comme les notions de sujet, objet direct, etc).

4.4.3. Une quatrième partie du discours: la préposition


Que faire de la préposition? Cette classe de mots pose un problème quand on la compare a N,
V et A. Contrairement à ces classes lexicales, la classe des prépositions semble être une
classe fermée. Ne s’agit-il pas plutôt d’une classe de ‘introducteurs’ de NP, ou d’une classe
d’éléments flexionnels? Il y a trois contre-arguments à cela:
1. Certaines prépositions peuvent avoir des modifieurs. Les prépositions locatives sont de ce
type. Elles ont des spécifieurs ‘intensifs’:
Il allait droit vers le but/ un bruit juste au-dessus de nos têtes nous a réveillés.
2. La classe des prépositions est beaucoup plus grande qu’on ne le pense. Certains N et V
peuvent fonctionner comme des prépositions:

(8) a. Vu/ *voyons votre comportement, je dois prendre des mesures.


b. (*la longue) Suite à votre lettre, je me permets de vous répondre
les choses suivantes.
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c. Concernant/ *concernons cette lettre, je ne sais pas où elle est restée

Dans (8ac), il s’agit de prépositions qui étaient des verbes à l’origine, mais qui ne
fonctionnenet clairement pas comme verbe dans ces phrases. Il suffit de changer le temps de
ces verbes pour voir que le résultat est agrammatical. Cela s’applique également au nom suite
dans (8b): la combinaison de suite avec un déterminannt suivi d’un adjectif rend la phrase
agrammaticale. Ces mots reçoivent également des sens prépositionnels: suite à signifie
après, concernant ressemble a pour. La liste de ces prépositions est assez longue: à cause de,
dû à... Cela montre que la classe des prépositions est bien ‘ouverte’ à de nouvelles additions.
3. La préposition est soit une classe lexicale, soit une classe fonctionnelle. Si c’était une
classe fonctionnelle, on s’attendrait à ce que la classe lexicale introduite par la préposition
soit toujours la même. Souvenons-nous que chaque classe fonctionnele introduit une et une
seule classe lexicale. Or, la préposition n’est pas un élément introducteur d’une classe
lexicale bien spécifiée. Les prépositions semblent partager avec les catégories N et V la
possibilité de sélectionner des compléments de plusieurs catégories différentes:

(9) a. Son humeur est passée de [A bonne] à [A mauvaise]


b. Un homme est sorti de [P derrière la grange]

(10) a. Avec Marie, on serait bien plus fort


b. Avec [Phrase Marie malade], nous ne pouvons rien faire

Ces arguments nous permettent de conclure que, malgré le caractère limitée de la liste des
prépositions, elles constituent une catégorie lexicale. Les éléments fonctionnels ne présentent
pas ces caractéristiques.
Un dernier problème concerne certains mots qui sont traditionnellement qualifiés d‘adverbes
locatifs’: là-bas, dehors, ailleurs, partout, dessous. ce ne sont clairement pas des noms en
vue de l’impossibilité de les insérer dans la position sujet de ___ est important: * là-bas/
dehors/ ailleurs/ partout/ dessous est important. De nouveau, il faut essayer de trouver un
contexte qui n’admet qu’un certain type de classe lexicale:

(11) a. Je l’ai mis sur la table/ dans le jardin


b. Je l’ai mis *joyeux/ *intéressant
c. Je l’ai mis *la chaise/ *le jardin
d. Je l’ai mis * manger une pomme

Les substitutions dans la position après mis dans (11) montrent que seuls des compléments
prépositionnels peuvent suivre ce verbe. Le fait que les mots là-bas, dehors, ailleurs, partout,
dessous peuvent également occuper cette position suggère fortement que ces mots sont
également des éléments prépositionnels:

(12) Je l’ai mis là-bas/ dehors/ ailleurs/ partout/ dessous

Cette conclusion s’impose parce que si ces mots étaient des adjectifs, des noms, ou des
verbes, ils devraient se comporter comme les cas (11bcd). Le fait que des mots comme là-
bas, dehors, ailleurs, partout, et dessous peuvent être utilisés dans une position qui est
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exclusivement réservée à des compléments prépositionnels montre qu’ils sont eux-mêmes


prépositionnels.

4.5. Conclusions
Chaque catégorie lexicale (N,A,V,P) est caractérisée par une catégorie fermée de modifieurs
fonctionnels.
La catégorie fonctionnelle de N exprime la détermination et la quantification
La catégorie fonctionnelle de A exprime le degré
La catégorie fonctionnelle de V exprime le mode, le temps, l’aspect et l’accord
La catégorie fonctionnelle de P exprime l’intensité
L’étude distributionnelle des parties du discours nous permet d’éliminer des définitions
vagues et référentielles pour les remplacer par des définitions précises et formellement
justifiées.

Bibliographie
Emonds, Joseph. 1986. Les parties du discours en grammaire générative. Recherches
linguistiques de Vincennes 14-15, éd. par Pierre Pica, 93-154. Paris: Université de Paris VII,
Vincennes.
Grevisse, Maurice. 198011. Le bon usage. Gembloux: Duculot.

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