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En d’autres termes, selon cette manière de les définir, il n’y a pas de critères qui sont
partagés par toutes les parties du discours, et qui permettent de les identifier comme un
ensemble d’éléments partageant des caractéristiques communes.
2. Nom et verbe sont définis en termes notionnels ou référentiels: les définitions réfèrent à ce
que les parties du discours représentent dans le monde, à leur sens. On pourrait comparer
cette définition à une caractérisation de l’eau qui procéderait par une identification des
manifestations concrètes de l’eau dans le monde (la pluie, les larmes, mon café du matin,
l’océan, le Nil, le Niagara etc). Un exemple, ou même une liste d’exemples concrets ne
constituent pas une définition. Une définition scientifique de l’eau dirait que c’est un élément
composé de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène. Nous avons là une
définition qui est indépendante des manifestations concrètes de l’eau dans la nature, et qui
utilise des critères cohérents qu’on peut appliquer de la même façon à d’autres combinaisons
chimiques. Le problème est donc que la définition de Grevisse nous donne une énumération
non exhaustive de toutes les manifestations concrètes (référentielles) des verbes et des noms.
Mais cela ne nous procure pas une définition proprement linguistique des parties du discours
comparable à une définition proprement chimique de l’eau.
4. Les définitions sont trop vagues. La différence entre prépositions et conjonctions est
minime.
5. Une même catégorie contient des membres qui n’ont rien en commun. Les adverbes
d’intensité (très, fort, beaucoup, pas mal) se trouvent dans la même catégorie que les
adverbes locatifs modifiant les verbes (là-bas, dehors, ailleurs, partout, dessous). (La
catégorie adverbe est une sorte de “catégorie poubelle” où on met tout ce qu’on n’arrive pas à
mettre ailleurs. Et que faire de tous dans Les enfants sont tous partis?
Ces déterminants sont des morphèmes qui se manifestent uniquement dans le contexte des
noms. Ici aussi, on peut dire que tout élément qui peut se combiner avec l’ensemble constitué
par les déterminants est par ce fait même un nom. Si on introduit un nouveau nom en français
par emprunt ou par création, on sait que c’est un nom parce qu’il est précédé par un article:
l’internet, le soft (= le logiciel).
problème des conventions orthographiques qui ne reflètent pas fidèlement la langue orale se
pose.
Cependant, tout comme les noms, les adjectifs peuvent être précédés par un ensemble de
morphèmes qui ne se manifestent que dans le contexte des adjectifs. Il s’agit des éléments qui
expriment le degré: : peu, moins, plutôt, plus ou moins, assez, plus, très, trop.
(3) Un homme peu/ moins/ plutôt/ plus ou moins/ assez/ plus/ très/ trop intelligent
Ce sont en quelque sorte les ‘déterminants’ des adjectifs. Certains de ces modifieurs de degré
peuvent aussi se combiner avec des verbes (peu, moins, assez, plus, trop). Mais il y en a qui
ne se combinent qu’avec des adjectifs (plutôt, très).
(4) J’ai peu/ moins/ assez/ plus/ trop/ *plutôt/ *très mangé
Ces éléments nous permettent alors de définir de façon univoque les adjectifs: est adjectif
tout élément qui se combine avec les modifieurs de degré, et plus spécifiquement plutôt et
très. Comme pour les noms et les verbes, cette définition nous permet de traiter des emprunts
comme cool comme un adjectif en français, puisqu’on peut dire très cool.
Il faut noter ici que nous avons maintenant introduit un autre critère dans notre définition.
Dans la définition de N, V, A plus haut, nous regardions uniquement la relation de la classe
lexicale avec sa propre classe fonctionnelle. Nous quittons ce terrain maintenant pour
examiner la position de l’ensemble de la classe lexicale et fonctionnelle (la maison) par
rapport à d’autres éléments dans la phrase (J’ai détruit).
Ce critère introduit donc un nouveau contexte qui permet d’identifier des noms. Certaines
positions dans la phrase peuvent uniquement être remplies par des noms, comme la position
sujet de certains verbes. Dans ___ est important(e) on peut uniquement remplir la ligne avec
des noms, mais pas avec des adjectifs, des verbes conjugués ou des prépositions:
Ce nouveau critère, qui est toujours distributionnel, nous permet d’inclure certains ‘adverbes’
dans la classe des noms. Des mots comme aujourd’hui, demain, ou hier ne peuvent pas être
précédés par des déterminants, et il n’est donc pas clair à quelle classe lexicale ils
Introduction à la linguistique française 6
appartiennent. Si on les met dans la position sujet de ___ est important(e), on est amené à
conclure qu’il s’agit de mots qui doivent être définis comme des noms:
Cette conclusion s’impose parce que si ces mots étaient des adjectifs, des prépositions, ou des
verbes, ils devraient se comporter comme les cas (6bcd). Le fait que des mots comme
aujourd’hui, demain, ou hier peuvent être utilisés dans des positions qui sont exclusivement
réservées à des noms montre qu’ils sont eux-mêmes des noms.
Dans (8ac), il s’agit de prépositions qui étaient des verbes à l’origine, mais qui ne
fonctionnenet clairement pas comme verbe dans ces phrases. Il suffit de changer le temps de
ces verbes pour voir que le résultat est agrammatical. Cela s’applique également au nom suite
dans (8b): la combinaison de suite avec un déterminannt suivi d’un adjectif rend la phrase
agrammaticale. Ces mots reçoivent également des sens prépositionnels: suite à signifie
après, concernant ressemble a pour. La liste de ces prépositions est assez longue: à cause de,
dû à... Cela montre que la classe des prépositions est bien ‘ouverte’ à de nouvelles additions.
3. La préposition est soit une classe lexicale, soit une classe fonctionnelle. Si c’était une
classe fonctionnelle, on s’attendrait à ce que la classe lexicale introduite par la préposition
soit toujours la même. Souvenons-nous que chaque classe fonctionnele introduit une et une
seule classe lexicale. Or, la préposition n’est pas un élément introducteur d’une classe
lexicale bien spécifiée. Les prépositions semblent partager avec les catégories N et V la
possibilité de sélectionner des compléments de plusieurs catégories différentes:
Ces arguments nous permettent de conclure que, malgré le caractère limitée de la liste des
prépositions, elles constituent une catégorie lexicale. Les éléments fonctionnels ne présentent
pas ces caractéristiques.
Un dernier problème concerne certains mots qui sont traditionnellement qualifiés d‘adverbes
locatifs’: là-bas, dehors, ailleurs, partout, dessous. ce ne sont clairement pas des noms en
vue de l’impossibilité de les insérer dans la position sujet de ___ est important: * là-bas/
dehors/ ailleurs/ partout/ dessous est important. De nouveau, il faut essayer de trouver un
contexte qui n’admet qu’un certain type de classe lexicale:
Les substitutions dans la position après mis dans (11) montrent que seuls des compléments
prépositionnels peuvent suivre ce verbe. Le fait que les mots là-bas, dehors, ailleurs, partout,
dessous peuvent également occuper cette position suggère fortement que ces mots sont
également des éléments prépositionnels:
Cette conclusion s’impose parce que si ces mots étaient des adjectifs, des noms, ou des
verbes, ils devraient se comporter comme les cas (11bcd). Le fait que des mots comme là-
bas, dehors, ailleurs, partout, et dessous peuvent être utilisés dans une position qui est
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4.5. Conclusions
Chaque catégorie lexicale (N,A,V,P) est caractérisée par une catégorie fermée de modifieurs
fonctionnels.
La catégorie fonctionnelle de N exprime la détermination et la quantification
La catégorie fonctionnelle de A exprime le degré
La catégorie fonctionnelle de V exprime le mode, le temps, l’aspect et l’accord
La catégorie fonctionnelle de P exprime l’intensité
L’étude distributionnelle des parties du discours nous permet d’éliminer des définitions
vagues et référentielles pour les remplacer par des définitions précises et formellement
justifiées.
Bibliographie
Emonds, Joseph. 1986. Les parties du discours en grammaire générative. Recherches
linguistiques de Vincennes 14-15, éd. par Pierre Pica, 93-154. Paris: Université de Paris VII,
Vincennes.
Grevisse, Maurice. 198011. Le bon usage. Gembloux: Duculot.