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Langages

Dénomination et relations dénominatives


M. Georges Kleiber

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Kleiber Georges. Dénomination et relations dénominatives. In: Langages, 19ᵉ année, n°76, 1984. La dénomination. pp. 77-94;

doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1984.1496

https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1984_num_19_76_1496

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Georges KLEIBER
Université de Metz

DÉNOMINATION ET RELATIONS DÉNOMINATIVES (Ц

En linguistique, la dénomination est un concept aux contours mal délimités dont


l'extension varie considérablement selon les théories et les auteurs. Les définitions
« larges » la présentent comme la relation qui unit une expression linguistique à une
entité extra- linguistique ; les définitions « moyennes » l'assimilent au rapport qui
s'établit entre une unité codée, item lexical en tête, et son wéférent ; les définitions
« restreintes », enfin, la limitent au lien désignationnel entre la catégorie
grammaticale nominale, dans laquelle on privilégie le substantif, et la classe ou catégorie réfé-
rentielle correspondante. Toutes se rejoignent, en fait, pour y voir la désignation d'un
être ou d'une chose extra-linguistique par un nom(name). Mais si elles s'accordent
sur la dimension référentielle, elles se séparent sur la définition du nom. Pour éviter
la circularité qui consisterait à définir le nom comme le signe d'une dénomination et
la dénomination comme une désignation à l'aide d'un nom, nous prendrons comme
point de départ de notre analyse le caractère désignationnel de la dénomination,
dénominateur commun de ces définitions. Nous examinerons, comme le fait C.
Fuchs (1982) pour la paraphrase, les formes linguistiques de sa verbalisation pour en
dégager progressivement, par opposition à la relation générique de désignation, les
différents paramètres constitutifs. Nous montrerons d'abord la nécessité d'un codage
référentiel préalable et, à partir de là, poserons le problème du nom à ses différents
niveaux d'interprétations. La prise en compte du statut du réfèrent dénommé nous
amènera finalement à distinguer deux types de relations dénominatives : une relation
de dénomination ordinaire et une relation de dénomination métalinguistique.

I. Dénomination = relation référentielle

Le langage a pour vocation première de parler du réel. Les signes linguistiques ne


sont en effet des signes que parce qu'ils renvoient à autre chose qu'eux-mêmes. Avec
la dimension reflexive — tout signe « se réfléchit dans le même temps qu'il
représente quelque chose d'autre que lui-même » (F. Récanati, 1979, p. 27) — , la
fonction de désignation, de représentation, constitue le caractère principal du signe
linguistique. La relation de dénomination est une partie constitutive de cette dimension
référentielle. Elle s'inscrit dans le processus qui met en rapport les signes avec les
choses et se place ainsi du côté des relations référentielles : référer à, renvoyer à,
désigner, représenter, dénoter, etc. , qui répondent toutes au schéma X (signe) -— -
x (chose) 3.

1. Je remercie Martin Riegel qui a bien voulu lire cet article et me faire part de
nombreuses observations dont j'ai largement profité.
2. Certaines de ces expressions servent aussi pour marquer, dans un cadre saussurien, le
rapport Signifiant/ Signifié.
3. La question de la nature des « choses » désignées (réelles, fictives, abstraites, concrètes,
le problème des universaux, etc.) ne sera pas abordée. L'opposition général/particulier seule
sera retenue, pour distinguer la relation de dénomination ordinaire de la relation de
dénomination métalinguistique.
Au niveau des réalisations linguistiques, la parenté entre désignation et
dénomination se traduit par l'apparition des expressions qui correspondent à la dénomination
et de celles qui expriment la désignation dans des phrases qui établissent la relation
signe (X) chose (x). Ainsi a-t-on à côté des phrases de « dénomination » 1) et 2)
les phrases « désignationnelles » 3) et 4). Ces quatre phrases répondent toutes au
schéma général X - x, puisqu'elles mettent en rapport un signe exprimé par
moucheron et Bernard avec une chose représentée par l'expression petite mouche et le
directeur d'école :
1) a) Une petite mouche s'appelle 'se nomme /est appelée MOUCHERON
b) MOUCHERON est le nom d'une petite mouche
2) a) Le directeur d'école s'appelle/se nomme BERNARD
b) BERNARD est le nom du directeur d'école
3) a) MOUCHERON désigne /représente /dénote une petite mouche
b) MOUCHERON réfère al renvoie à une petite mouche
4) a) BERNARD désigne /représente le directeur d'école
b) BERNARD réfère à/renvoie au directeur d'école
Ce premier critère permet de séparer clairement la relation de signification ou de sens
des relations référentielles et de dénomination. Le remplacement des verbes de
désignation et de dénomination par des verbes de signification comme signifier, avoir le
sens de. etc., est impossible dans le cas de 2) et de 4), comme en témoigne 5), le sens
de BERNARD n'étant pas ' le directeur d'école ', même si BERNARD est le nom
de/désigne le directeur d'école. Et si la substitution est possible, comme dans le cas
de 1) et 3), ce qui montre alors le lien étroit entre signification et référence, elle
entraîne un changement significatif du cadre référentiel de la phrase. Les phrases 6),
ainsi que l'observe J. Rey-Debove (1978. p. 1891, mettent en rapport non plus un
signe avec le monde, mais un signe (MOUCHERON) avec son signifié (' petite
mouche '). la différence de statut sémiotique de petite mouche étant à cet égard
révélatrice ) :
5) a) ? BERNARD signifie ' le directeur d'école
b) ? BERNARD a le sens de ' le directeur d'école
c) ? Le sens de BERNARD est ' le directeur d'école
6) a) MOUCHERON signifie ' petite mouche '
b) MOUCHERON a le sens de ' petite mouche '
c) Le sens de MOUCHERON est 'petite mouche
Un second rapprochement est à effectuer, qui justifie l'appartenance de la
relation de dénomination au domaine des relations signes * choses. Aux phrases l)-4).
qui verbalisent les relations de dénomination et de désignation, correspondent des
phrases d'identité référentielle comme 7) et 8) que J. Rey-Debove (1978, p. 181)
interprète comme les sources des phrases l)-4) :
7) Un moucheron est une petite mouche
8) Bernard est le directeur d'école
On observe en effet que la vérité des phrases 1 )-4) entraîne celle des phrases 7) et 8).
S'il est vrai qu'une petite mouche s'appelle moucheron et que Bernard est le nom du
directeur d'école, ou s'il est vrai que moucheron désigne une petite mouche et que

4. Il s'agit, selon J. Rey-Debove (1978, p. 1921, d'un « nom de signifié », c'est-à-dire d'un
antonyme syntaxique qui ne signifie pas un signe, mais son contenu.

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Bernard renvoie au directeur d'école, alors il est également vrai qu'un moucheron est
une petite mouche et que Bernard est le directeur d'école.
S'en tenir là revient à poser comme équivalentes relations de dénomination et
relations de désignation et à faire de la série d'expressions dénominatives comme
s appeler, se nommer, etc., de simples variantes notationnelles de la série de verbes
qui expriment la relation référentielle. X désigne x serait, dans cette optique,
synonyme de x s'appelle X. Or, s'il est indéniable que la relation de dénomination est
une relation signe chose, on ne peut pourtant conclure à l'identité entre
dénomination et désignation, entre .r s'appeler X et X désigner x. On notera tout de suite à
cet égard que si les phrases x s'appelle X, x se nomme X, etc.. et les phrases de
désignation impliquent effectivement toutes deux des phrases d identité référentielle
correspondantes, la réciproque ne se vérifie que pour les phrases de désignation. De 9)
on peut inférer 10), mais non 11), parce que, même si le vainqueur d'Austerlitz est le
vaincu de Waterloo, il ne s'appelle pas pour autant Le vaincu de Waterloo :
9) Le vainqueur d Austerlitz est le vaincu de Waterloo
10) LE VAINCU DE WATERLOO désigne /représente le vainqueur d'Austerlitz
11) Le vainqueur d'Austerlitz s'appelle LE VAINCU DE WATERLOO
II faut donc aller plus loin dans la détermination des paramètres constitutifs de la
relation de dénomination et examiner de plus près ses conditions d apparition et les
réalisations linguistiques correspondantes. Un travail de pionnier considérable a été
accompli dans ce domaine par J. Rey-Debove (1978, pp. 185-189). qui a examiné
avec minutie la syntaxe et la sémantique des verbes s appeler et désigner. Nous ne la
suivrons cependant pas dans toutes ses conclusions et considérerons d'une part que
les deux constructions x s'appeler X et X désigner x ne sont pas « quasi-synonymes »
et, d'autre part, qu'il faut distinguer deux relations de dénomination, une relation de
dénomination ordinaire et une relation de dénomination métalinguistique.

II. Acte de denomination préalable


Pour que l'on puisse dire d'une relation signe -— - chose qu'il s'agit d'une
relation de dénomination, il faut au préalable qu'un lien référentiel particulier ait été
instauré entre l'objet x, quel qu'il soit, et le signe X. Nous parlerons pour cette fixation
référentielle. qu'elle soit le résultat d'un acte de dénomination effectif ou celui d'une
habitude associative, d'acte de dénomination, et postulerons donc qu il n'y a relation
de dénomination entre x et X que s'il y a eu un acte de dénomination préalable.
Une telle exigence n'est nullement requise par la relation de désignation. Il peut y
avoir relation de désignation entre x et X sans qu'il y ait eu auparavant instauration
d'un lien référentiel particulier entre x et X, c'est-à-dire sans que x ait été désigné au
préalable par X. La différence fondamentale peut alors s'exprimer comme suit : je ne
puis appeler une chose par son nom que si la chose a été au préalable « nommée »
par ce nom, alors que je puis désigner, référer à, etc., une chose par une expression
sans que cette chose ait été nécessairement désignée auparavant ainsi. С est dire que
je ne puis appeler Bernard Bernard ou une petite mouche moucheron si l'individu ou
le type de mouche en question n'a pas eu le « nom » de Bernard ou de moucheron
au préalable. Il m'est par contre possible de désigner Bernard ou le petit moucheron
respectivement par le directeur d'école et l'insecte que je déteste le plus, alors qu'ils
n'ont jamais été désignés de la sorte.
On observe ainsi, du côté des expressions de dénomination, l'existence de
tournures comme 12) qui traduisent l'acte de dénomination préalable, alors qu'avec les ver-

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bes de* désignation on ne retrouve pas de constructions similaires, qui marquent
l'instauration d'une convention référentielle entre l'objet et un signe :
12) a) On a appelé MOUCHERON une petite mouche
b) On a donné le nom de MOUCHERON aux petites mouches
c) Je l'ai appelé BERNARD
d) Mon père m'a donné le nom de BERNARD
e) J'ai été appelé BERNARD par mon père
L'acte de dénomination prérequis par toute relation de dénomination consiste en
l'institution entre un objet et un signe X d'une association référentielle durable. Le
donneur de nom, soit le « On » de 12) a) et b), soit un particulier comme d&ns 12) c)-
e), instaure un lien référentiel constant. Constant, car cette association référentielle
n'a pas pour but une désignation uniquement momentanée, transitoire et
contingente, de la chose, mais au contraire l'établissement d'une règle de fixation
référentielle qui permet l'utilisation ultérieure du nom pour l'objet dénommé. La fixation
référentielle entre l'objet et le signe X a en effet pour résultat l'acquisition d'une
compétence référentielle, à savoir la ciyiacité d'utiliser X pour x. D'où la nécessité,
quelle que soit la nature du signe X, nom propre ou non, d'un apprentissage qui,
une fois effectué, permet ensuite de désigner l'objet x à l'aide du « nom » X qui lui a
été attribué, sans que l'on ait besoin de justifier le lien référentiel . La compétence
référentielle acquise permet d'évoquer l'objet en question uniquement en utilisant son
nom. En d'autres termes — qui nous ramènent aux verbes dénominatifs — , en
l'appelant, en le nommant.
Deux faits méritent d'être relevés. L'acte de dénomination, ayant pour but
l'instauration d'un lien référentiel constant, fait apparaître, dans la relation de
dénomination, le rôle du locuteur, en tant qu'utilisateur potentiel du nom pour l'objet. X est la
dénomination de x implique ainsi l'idée que TON peut utiliser X pour x. J. Rey-
Debove (1978, p. 187) note à ce propos que le verbe s'appeler, s'il dépend de la
relation chose-chose, dépend aussi « de la relation personne-signe du type IP appelle X,
Y/, dont il est la forme passive {/on l'appelle Y — il s'appelle Y/) ». Elle suggère
par là-même que les phrases du type // appelle X, Y sont issues d'une phrase de
forme Quelqu'un dire (X est Y). En second lieu, l'acte de dénomination transforme
le signe X associé à x en une sorte de propriété de l'objet x dénommé ainsi. On
demande ainsi COMMENT s'appelle-t-il ?/se nomme-t-il ?, etc. Le « nom »
appartient en quelque sorte à l'objet comme l'attestent les tournures 13) :
13) — // faut appeler les choses par leur nom.
— Quel est son nom ? Quel est le nom de... ?
— Ça n'a pas de nom.
Il est clair que, mise à part la dénotation comprise comme la relation qui unit un
item lexical à une classe d'objets (cf. chat dénote la classe des chats) , les relations
référentielles et les expressions désignationnelles correspondantes n'impliquent pas
l'idée d'un lien référentiel stable et, corollairement, celle d'une utilisation ultérieure.
Il n'est pas indispensable d'apprendre une relation de désignation pour pouvoir dési-

5. Un rapprochement serait à faire ici avec les désignateurs rigides de S. Kripke (1972).
Cette notion de lien référentiel constant peut être formulée en termes de mondes possibles en
disant que quel que soit le monde possible, si x existe dans ce monde, X désigne alors x.
6. Même dans ce cas, toutefois, la dénotation se sépare de la dénomination, dans la mesure
où elle n'implique pas l'idée que quelqu'un dénote x avec X.

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gner. Par ailleurs, le lien personne- signe mis en avant par J. Rey-Debove pour les
verbes de dénomination ne se retrouve pas dans les formes linguistiques de la
désignation. La comparaison de 14) à 15), avec en particulier l'opposition des passives
14) c) et 15) c), est, sur ce point, éloquente. Car, même si comme dans 14) b) et c)
c'est en fait le locuteur qui réfère à l'individu particulier et non l'expression elle-
même, les constructions 14) ainsi que l'interrogation QUE désigne BERNARD ?
MOUCHERON ? présentent cependant le signe comme « agent » de la désignation :
14) a) MOUCHERON désigne une petite mouche
b) BERNARD désigne le directeur d'école
c) Le directeur d'école est désigné par BERNARD
15) a) On appelle une petite mouche MOUCHERON
b) Le directeur d'école s'appelle BERNARD
c) Le directeur d'école est appelé BERNARD par tous les enfants

III. Le problème du nom


Nous avons à plusieurs reprises employé le terme de nom pour le signe de la
relation de dénomination sans l'avoir défini pour autant. On sait qu'il correspond en
français à deux acceptions. Il a un sens logique et philosophique de signe qui
dénomme les choses de la réalité (en anglais name) et une valeur grammaticale, celle
de substantif (en anglais noun). La question à laquelle il faut donc répondre est celle
du statut à la fois philosophique et grammatical du « nom » dans la relation de
dénomination envisagée d'un point de vue linguistique.
Sur le plan du nom-name, une première clarification a été apportée par l'exigence
de dénomination préalable. Si l'on prend comme point de départ, ainsi que le fait S.
Mill, l'existence des choses, on peut considérer comme nom-дате tout signe qui
désigne ces choses, et, suivant la classification des choses désignées, on aura avec Mill les
oppositions nom général/nom individuel, nom concret/nom abstrait, nom
connotatif/nom non connotatif. La relation de dénomination s'identifie dans ce cadre
à la relation de désignation. Avec l'acte de dénomination préalable, les noms-names
se restreignent aux seuls signes qui ont été attribués aux choses de la réalité qu'ils
désignent. Avant même d'aborder le problème grammatical du nom, il faut se
demander à quoi correspond sur le plan linguistique cette restriction. Autrement dit,
quelle est la différence entre les noms-names ainsi délimités et les autres signes qui
désignent des éléments de la réalité ?

J. Noms = unités codées


1.1. Unités codées et séquences non codées
L'acte de dénomination préalable a pour conséquence, avons-nous dit,
l'acquisition d'une compétence référentielle, celle d'utiliser X pour x. L'association référen-
tielle X-+— -x est une association mémorisée, donc codée. Il s'ensuit que le signe X
d'une relation de dénomination ne peut être également qu'une unité codée , simple
(cf. chien, Bernard) ou complexe (cf. les lexies complexes de B. Pottier (1974, p.
266) comme un complexe industriel, feu rouge). Les expressions complexes comme
petit chien, manger vite, le chien qui vit dans les alpages, etc., parce qu'elles ne
constituent pas des ensembles lexicaux codés, ne peuvent être considérées comme des
noms-names et sont de ce fait exclues de la relation de dénomination. La relation de

7. Nous verrons ci-dessous le problème particulier que posent les noms propres.

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désignation autorise par contre de telles expressions complexes, puisqu'elle ne
présuppose nul codage antérieur. Le signe X, comme le montrent 16) et 17), peut être un
syntagme non codé :
16) LE DIRECTEUR D'ÉCOLE désigne /renvoie à/réfère à Bernard 8
17) LE LÉGUME AVEC LEQUEL ON FAIT LES FRITES désigne /renvoie à/réfère au
tubercule comestible introduit en France par Parmentier 9
De telles séquences ne peuvent apparaître à la place X des phrases de dénomination,
à moins de perdre leur caractère non codé et donc d'être des signes qui ont été
effectivement attribués au réfèrent. S'il était naturel, l'énoncé 18) impliquerait que la
pomme de terre a réellement eu le nom de légume avec lequel on fait les frites :
18) Le tubercule comestible introduit en France par Parmentier s'appelle
LÉGUME AVEC LEQUEL ON FAIT LES FRITES.

A ce stade de l'analyse, toute unité codée, c'est-à-dire toute unité associée mémo-
riellement à un réfèrent, nom propre, item lexical (ou mot lexical) et lexie complexe,
peut être considérée comme un пот-name. Les verbes, adjectifs et adverbes sont en
effet, tout comme les substantifs, des signes codés et dans ce sens donc des
dénominations. Une telle conception se retrouve essentiellement chez les philosophes et les
logiciens *°, mais elle n'est pas absente, loin de là, chez les linguistes ^ que
préoccupe surtout, à ce niveau de regroupement, la dénomination « lexicale » 12.

1.2. Dénomination et lexique


La dénomination lexicale ou dénomination des items lexicaux — on parle moins
de celle des lexies complexes, parce que ce sont des séquences « en voie de
lexicalisation » (B. Pottier, 1974, p. 266) — joue en effet un rôle essentiel dans le
fonctionnement référentiel du langage. Les items lexicaux, parce que ce sont des unités codées,
présupposent, à la différence des séquences d'items non codées, l'existence d'un
réfèrent, d'une entité extra-linguistique qui leur correspond. Les questions 18) et 19)
montrent clairement que le locuteur qui n'a pas compris les items obsolète et
baguenauder présuppose néanmoins qu'ils renvoient à « quelque chose » dans l'univers
extra-linguistique :

8. Là aussi, dénoter ne convient pas, si on l'oppose, en tant que référence des items
lexicaux, à la désignation définie comme la référence à des particuliers.
9. Exemple de J. Rey-Debove (1978, p. 320).
10. Port-Royal refuse apparemment l'étiquette de nom-name aux verbes, puisqu'il ne parle
que de noms substantifs, « qui signifient les choses », et de noms adjectifs, « qui signifient les
manières, en marquant en même temps le sujet auquel elles conviennent » (Arnauld et Nicole,
La logique ou l'art de penser, IIe partie, ch. I et II (extraits) dans A. Rey, 1970, p. 30). Il ne
s'agit, en réalité, que d'un écart superficiel, puisque, chez les grammairiens de Port-Royal, le
verbe, tel que nous l'entendons, est décomposé en copule et adjectif (cf. Pierre danse devient
Pierre est dansant).
11. Dans le dictionnaire de G. Mounin (1974, pp. 99-100), la dénomination équivaut à une
« activité de l'esprit humain de caractère généralement collectif, qui a pour objet de mettre en
relation un élément du réel et un signe du langage, donc de nommer ».
12. La caractéristique des éléments lexicaux est, selon J. Perrot (dans A. Martinet, 1968,
pp. 283-299) « ce qu'on peut appeler leur fonction de désignation, ou de dénomination, c'est-à-
dire le fait qu'ils s'appliquent à des entités de l'expérience » (c'est nous qui soulignons).
13. Cf. la notion de « présupposition d'existence d'univers » chez R. Martin (1976, p. 49).
Dans la théorie de A. Culioli, les unités lexicales renvoient à des notions.

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18) Qu'est-ce que c'est qu'OBSOLÈTE ? I BAGUENAUDER ?
19) C'est quoi OBSOLÈTE ? I BAGUENAUDER ?
On voit immédiatement quel est l'avantage de la « dénomination » lexicale. Les items
lexicaux nous dispensent d'asserter l'existence de ce réfèrent. Un seul exemple
suffira. Prenons l'item ophtalmologue et la séquence non codée médecin spécialiste des
yeux. La différence entre les deux est alors la suivante : si les deux renvoient à la
même catégorie de docteurs, seule l'unité codée présuppose l'existence d'une telle
classe de docteurs, comme le montre l'opposition entre 20) et 21) :
20) * II y a I il existe I il est des ophtalmologues 14.
21) II y a I il existe I il est des médecins spécialistes des yeux.
Grâce à la lexicalisation, les langues ont le pouvoir de construire, de constituer leur
univers de discours. « Le mot lexical, rappelle J. Rey-Debove (dans B. Pottier et
alii, 1973, p. 91), constitue l'instrument par lequel les civilisations se construisent
une vision du monde ».

1.3. Dénomination = condensation


Le lexicographe voit avant tout dans la présupposition référentielle attachée aux
unités codées un phénomène d'abréviation. Il constate en effet que tout mot lexical
peut être « expansé », c'est-à-dire remplacé par une séquence d'items 15, mais que
l'inverse n'est pas vrai, certaines séquences seulement pouvant être raccourcies ou
« condensées » en un mot. L'item ophtalmologue représente en quelque sorte la
contraction de la périphrase non codée médecin spécialiste des yeux. Il s'ensuit que la
dénomination dans une telle optique lexicographique est définie comme un processus
de condensation qui s'oppose au processus inverse ({expansion, caractéristique de la
définition (ou signification) : « Dans le cas de la définition, on cherche à préciser le
signifié d'un terme en passant d'un signifiant à plusieurs : Qu'est-ce qu'un carré ?
C'est un quadrilatère à quatre côtés égaux. Quel est le sens de BON dans BON
ÉLÈVE ? Il signifie AIMABLE, TRAVAILLEUR, INTELLIGENT, etc. La dénomination, au
contraire, part de plusieurs signifiés et aboutit à un seul signifiant : si l'on veut
évoquer un animal qui soit de la famille des solipèdes et en même temps mâle et jeune,
on emploiera le terme de poulain au lieu d'utiliser une longue périphrase » 16.
Une telle conception lexicographique fait de la relation de dénomination une
relation orientée. La dénomination X — x est conçue comme une relation qui mène des
choses x au signe X et non des signes aux choses. Il en découle que les phrases méta-
linguistiques ou non qui répondent à l'orientation signes —*• choses seront exclues de
la relation de dénomination. Quelle pertinence accorder à ce nouveau trait défini-
toire ? Nous y répondrons ci-dessous après avoir examiné la question du lien entre la
dénomination et catégorie grammaticale.

14. Pour plus de détails, voir G. Kleiber (1978 et 1981, pp. 90-91).
15. J. Rey-Debove, 1978, p. 184 et dans B. Pottier et alii (1973, p. 92). On signalera ici
que les différentes thèses du sens individuel du nom propre font aussi du nom propre le
raccourci d'une ou plusieurs séquences non codées, à savoir la ou les descriptions identifiantes, en
se fondant sur le principe d'identification que Strawson (1973, p. 203) formule ainsi : « on ne
peut pas utiliser un nom de manière significative, pour référer à quelqu'un ou quelque chose, à
moins de savoir à qui ou à quoi l'on se réfère par le moyen de ce nom. Autrement dit, il faut
être prêt à substituer une description au nom ».
16. Article dénomination dans B. Pottier et alii (1973, p. 76). Voir aussi J. Rey-Debove
(1970).

аз
2. Dénomination et catégorie grammaticale

2.1. Dénomination et forme nominale

II est possible, comme nous l'avons souligné, de ne pas aller plus loin que la
notion d'unité codée et de considérer la dénomination comme étant la relation qui
unit une unité lexicale codée à son réfèrent. Partant, aucune restriction grammaticale
ne s'attache au пот-name : verbes, adjectifs, adverbes et lexies complexes de
catégorie grammaticale correspondante sont, tout comme les substantifs et les lexies subs-
tantivales, des dénominations. La question de la spécification grammaticale ne peut
cependant être évacuée, car si elle est réglée pour les noms propres employés référen-
tiellement — toujours SN — , elle se pose par contre avec acuité pour les autres
unités codées. Les expressions et phrases métalinguistiques de dénomination
montrent en effet clairement qu'il y a un lien privilégié entre la forme nominale
(syntagme nominal, groupe nominal, substantif) et le signe X de la relation de
dénomination.
On s'attendrait en effet à trouver comme signes génériques de dénomination les
expressions métalinguistiques mot et, avec un sens moins neutre et donc un emploi
plus limité, terme, parce qu'elles renvoient aux items lexicaux et concernent ainsi au
premier chef la notion d'unité lexicale codée. Or, il est significatif qu'elles
n'impliquent absolument pas l'idée de dénomination comprise comme l'attribution d'un
signe à un élément du réel pour pouvoir à l'aide de ce signe y référer ensuite
durablement. La construction le nom de x (chose) qui marque l'appartenance du nom à
l'objet dénommé ne se retrouve effectivement pas, comme le note J. Rey-Debove
(1978, p. 137), avec mot ou terme (* le mot de x, * le terme de x). Si mot, terme et
nom sont tous trois compatibles avec les verbes désigner et signifier (le mot X/le
terme X/le nom X désigne x ; le mot XI le terme X/le nom X signifie 'Y') seul nom
est compatible avec appeler. On a Je l'appelle par son nom, il faut appeler les choses
par leur nom et non *Je l'appelle par son mot/ son terme, *Il faut appeler les choses
par leur mot I leur terme. Les seuls termes à présenter l'aspect dénominatif sont nom
et, d'un emploi moins courant, dénomination, bien entendu, et appellation dans leur
valeur stative. Or, ces termes entraînent une restriction grammaticale à la catégorie
nominale. Aucun des trois ne peut remplacer mot lorsqu'il s'agit d'évoquer la relation
de désignation entre un item lexical et son réfèrent. Ainsi n'a-t-on pas *les
noms / dénominations I appellations et les choses , *les noms /dénominations
/appellations croisé(e)s, *la vie des noms /dénominations /appellations, mais les mots et les
choses (W'ôrter und Sachen), les mots croisés, la vie des mots. On constate, par
ailleurs, que, dans les constructions 22), dites d'apposition inverse (directe ou indirecte),
aussi bien que dans les phrases attributives d'appartenance 23) qui leur
correspondent, ils ne se distribuent, à la différence de mot et de terme, qu'avec des autonymes
renvoyant à une forme nominale :
22) a) le nom (de) CHIEN/ la dénomination CHIEN /? l'appellation CHIEN
a) le mot (de) CHIEN I le terme (de) CHIEN
b) *le nom (ď) OBSOLÈTE/ (de) ROUPILLER/ (de) CONVENABLEMENT
b') le mot/le terme (ď) OBSOLÈTE/ (de) ROUPILLER/ (de) CONVENABLEMENT
c) ? la dénomination /l'appellation OBSOLÈTE/ROUPILLER/CONVENABLEMENT

17. Pour les autres emplois, voir G. Kleiber (1981, IIP partie).
18. Cf. cependant les noms des choses (communication de M. Riegel).

84
23) a) CHIEN est un nom/une dénomination/ ? une appellation
b) ^OBSOLÈTE/ ROUPILLER/ CONVENABLEMENT est un nom/une dénomination/
une appellation 19
c) Obsolète/roupiller/convenablement est un mot/un terme
On notera qu'appellation semble plus difficilement compatible avec les substantifs
qu'avec les lexies nominales complexes (cf. l'appellation RELEVÉ D'IDENTITÉ
BANCAIRE opposé à ? l'appellation CHIEN), alors que dénomination et nom sont
compatibles avec les deux. En fait, les trois termes ne sont pas équivalents, chacun mettant
l'accent sur un aspect de la relation dénominative. Une étude comparative détaillée
mettrait à jour d'autres différences d'emploi et montrerait aussi que l'acceptabilité
peut varier pour un même terme suivant la phrase dans laquelle il se trouve. Le
terme nom paraît ainsi bien meilleur lorsqu'il renvoie à l'occurrence non autonymique
d'un groupe nominal (cf. Un relevé d'identité bancaire, comme son nom l'indique,...)
que lorsqu'il se rapporte à l'autonyme du groupe en question (cf. ? RELEVÉ
D'IDENTITÉ BANCAIRE est un nom).
La même contrainte régit les phrases de dénomination. Combiné à s'appeler, se
nommer, être le nom de, etc., le signe Y ne réfère qu'à une forme nominale. A la
place de moucheron des phrases 1) a) et b), reprises ici sous 24), on ne peut avoir
comme le montre 25) un autonyme qui renverrait à une catégorie grammaticale autre
que substantivale (substantif ou groupe substantival) :
24) a) Une petite mouche s'appelle/se nomme/ est appelée MOUCHERON
b) MOUCHERON est le nom d'une petite mouche
25) a) *... s'appelle, se nomme, est appelé OBSOLÈTE/ ROUPILLER/
BLEMENT 20
b) ^OBSOLÈTE/ ROUPILLER/ CONVENABLEMENT est le nom de...
Pour J. Rey-Debove (1978, p. 190), les phrases de désignation connaîtraient la même
restriction grammaticale que les phrases de dénomination et s'opposeraient avec elles
sur ce point aux phrases de signification X signifie 'Y' qui peuvent présenter comme
le montre 26) des autonymes X qui renvoient à toutes les catégories grammaticales :
26) DANS signifie 'à l'intérieur de'
II est certes vrai que ni les verbes de désignation ni les verbes de dénomination ne
peuvent se substituer aux verbes de signification d'un énoncé comme 26), mais il est
illégitime de déduire de l'anomalie de 27) a) que l'autonyme X des phrases de
désignation ne peut correspondre qu'à une forme nominale, parce que la déviance
observée est le fait du statut du SN objet et non le fait de l'autonyme X :
27) a) *DANS désigne /dénote/ réfère 'à l'intérieur de'
h) *A l'intérieur de s'appelle /se nomme DANS
En effet, avec les verbes de signification, à l'intérieur de est un signe autonyme
(signe de signifié). Dans les phrases de désignation comme dans les phrases de
dénomination, qui obéissent au schéma X (signe)++x (chose), on ne peut avoir à la place
de x un autonyme. On y trouve obligatoirement une expression qui renvoie à une
chose. A l'intérieur de ne saurait par conséquent y fonctionner comme autonyme. Il
ne peut non plus y servir d'expression non autonymique qui renvoie à x, parce que,

19. Appellation peut répondre à un adjectif dans le sens de ' qualification appliquée à une
personne '. Il n'est alors plus synonyme de nom et de dénomination, mais se rapproche de mot.
20. Cf. l'emploi de dire ici : ... est dit X, ... se dit X, on dit X pour... .

85
et c'est le point crucial sur lequel nous reviendrons ci-dessous, la forme nominale est
exigée pour un tel emploi « fonctionnel ». Il suffit de remplacer à l'intérieur de par
un SN non autonymique comme, par exemple, l'intériorité, pour que les phrases de
désignation avec un autonyme X qui renvoie à un signe de catégorie grammaticale
différente que celle du substantif deviennent acceptables :
28) DANS désigne /dénote /réfère à l'intériorité
A l'inverse, ce qui prouve que la contrainte grammaticale liée à X est bien un trait
spécifique de la relation de dénomination, un tel ajustement n'autorise guère les
phrases de dénomination :
29) a) *L intériorité s'appelle /se nomme lest appelée DANS
b) *DANS est le nom de l'intériorité
2.2. Critère fonctionnel
II reste à expliquer le pourquoi du lien entre la catégorie grammaticale du nom et
le phénomène de la dénomination. Est à écarter l'explication classique en termes
ontologiques qui subordonne les catégories référentielles aux catégories
grammaticales. Postuler que les substantifs « nomment » les choses et que les autres catégories
grammaticales désignent les procès (verbes), les qualités (adjectifs) et les modalités
(adverbes) est la source de contradictions bien connues. Si le nom désigne un objet et
l'adjectif une qualité, que désigne le substantif sagesse sinon une qualité comme
sage ? Et si le verbe renvoie aux actions, où ranger le substantif danse ? Les
contradictions proviennent de la tautologie implicite de ces définitions : si on appelle nom
ou substantif le mot qui désigne un objet, c'est que d'avance déjà on a décidé
d'appeler objet ce qui est désigné par un nom. Il faut donc dénoncer avec E. Benve-
niste (1966, p. 152) cette transposition de catégories grammaticales particulières en
données référentielles universelles et chercher sur un autre plan que celui des
catégories référentielles la raison de la restriction grammaticale liée au signe X de la
dénomination.
Nous avons montré ailleurs (1981, pp. 82-96) qu'il faut prendre en compte un
critère fonctionnel : pour que l'on puisse parler d'une chose, il faut que l'expression qui
y réfère soit un SN et, s'il s'agit d'un item lexical, il doit se couler dans la forme
substantivale 21. C'est ainsi que sage doit prendre la forme nominale sagesse s'il est
destiné à occuper fonctionnellement une place référentielle 22. Les arguments en
faveur de ce critère fonctionnel ne manquent pas. Nous rappellerons que
(i) si l'on veut exprimer le fait que des verbes comme courir, des adjectifs comme
sage, etc., présupposent l'existence d'un réfèrent, on est obligé, pour l'expression de
ces referents, d'utiliser un SN qui comporte une nominalisation du verbe ou de
l'adjectif ou des marqueurs référentiels à la forme substantivale comme action,
propriété, etc. :
30) a) SAGE présuppose l'existence de la sagesse
b) COURIR présuppose l'existence de l'action de courir
(ii) les tournures impersonnelles existentielles se font suivre d'un SN (II existe /il
y a /il est SN vs *Il existe /il est I il y a SV/Sadj /Sadv).
(iii) dans les phrases SN + SV, c'est toujours le SN qui est interprété comme
étant le sujet et le SV comme prédicat ;

21. Ceci ne vaut évidemment que pour les langues qui possèdent ces catégories
grammaticales.
22. D'où l'impression que sagesse réfère à un objet et non sage.

86
(iv) l'inscription qui identifie la chose sur laquelle elle est placée (cf. les
inscriptions sur les étiquettes) est à la forme nominale ;
(v) tout autonyme, quelle que soit la catégorie grammaticale du signe auquel il
renvoie, est un nom (J. Rey-Debove, 1*378, p. 64) ;
(vi) malgré la présence du démonstratif, un syntagme dépourvu de substantif
comme Ce grand ne suffit pas, ainsi que le souligne O. Ducrot |O. Ducrot et T.
Todorov, 1972, p. 323) « à faire savoir, même si l'on montre simultanément un
endroit de l'espace où se trouve seulement un livre, s'il s'agit du livre même, qualifié
de grand, ou d'une grande portion du livre, ou de son grand intérêt, etc. ».

Les six cas énumérés montrent que lorsqu'il s'agit d'évoquer une chose, en somme
de « lappeler », c'est la forme nominale qui est utilisée. De là provient l'étiquette de
nom appellatif réservée aux substantifs par ceux qui rangent substantifs et adjectifs
dans la même catégorie du nom.

On comprend pourquoi après s'appeler, se nommer, etc.. le signe X ne peut


renvoyer qu'à un nom grammatical. L'acte de dénoinination ayant pour but
l'établissement d'un lien référentiel constant qui permet l'utilisation ultérieure de X pour
référer à x, le signe X attribué ne peut revêtir en vertu du critère fonctionnel que la
forme nominale. Le critère fonctionnel introduit donc une dimension grammaticale
dans la relation de dénomination en restreignant, ainsi que le confirment les
contraintes observées dans les expressions et phrases de dénomination, les noms-names
aux expressions substantivales.

TV. X désigner x, x s'appeler X et X être le nom de x

Nous sommes à présent en mesure d'examiner les conclusions auxquelles aboutit


J. Rey-Debove (1978, pp. 185-189) dans sa comparaison entre phrases de
dénomination et phrases de désignation. X désigner x et *' s'appeler X sont pour elle des
phrases équivalentes logiquement, qui représentent respectivement le schéma signe — »-
chose et le modèle inverse chose —>■ signe. Elles sont « quasi-synonymes »,
puisqu'elles ne présentent qu'une différence de « densité métalinguistique » qui
provient de la différence d'orientation de la relation signe-chose. La phrase de
dénomination a une densité moins forte que la phrase de désignation, parce qu'elle a pour
sujet une expression non métalinguistique et non autonyme comme la phrase de
désignation. Il s'ensuit que la phrase X être le nom de x, vu Tordre signe —- chose, est
intégrée dans la catégorie des phrases de désignation.

Notre critique portera sur trois points. Nous essaierons de montrer qu il n'y a pas
d'équivalence logique et, partant, pas de quasi-synonymie entre X désigner x et x
s'appeler X, que la relation de dénomination n'est pas une relation orientée chose—-
signe qui s'opposerait par ce trait à la désignation signe -*- chose, et, enfin, que X
être le nom de x est bien une phrase de dénomination.

Ce sont des exemples comme 31) et 32) (exemples de J. Rey-Debove) où X


renvoie à un substantif et où x est représenté par une périphrase définitionnelle qui peu-

23. (iv) fait partie des acts of naming de P. T. Geach (1962, p. 26).
vent faire croire à l'équivalence logique entre phrase de désignation et phrase de
dénomination, dans la mesure où la vérité de 31) entraîne celle de 32) et vice versa :
31) LIBRAIRIE désigne un magasin où l'on vend des livres
32) Un magasin où l'on vend des livres s'appelle LIBRAIRIE
Cette équivalence n'est toutefois pas le fait des structures de désignation et de
dénomination. Elle provient simplement de ce que, la relation Librairie — magasin où
l'on vend des livres étant d'avance déjà une relation de dénomination, librairie et
magasin où l'on vend des livres apparaissent également dans 31) comme
correspondant respectivement au nom et à la chose nommée, interprétation qui conduit
évidemment à conclure à l'implication réciproque entre 31) et 32). Or, le test de la
négation appliqué à 31) et 32) montre que X désigne x n'est pas équivalent à x s'appeler
X en faisant apparaître une différence de présupposition. Seul 34), négation de 32),
conserve la présupposition qu'un magasin où l'on vend des livres a un nom :
33) LIBRAIRIE ne désigne pas un magasin où l'on vend des livres
34) Un magasin où l'on vend des livres ne s'appelle pas LIBRAIRIE
La différence est encore plus marquée lorsqu'on compare des phrases comme 10) et
11), reprises ici sous 35) et 36) ;
35) LE VAINCU DE WATERLOO désigne le vainqueur d'Austerlitz
36) Le vainqueur d'Austerlitz s'appelle LE VAINCU DE WATERLOO
II n'y a plus équivalence, mais uniquement implication unilatérale entre x s'appeler
X et X désigner x : si 36) implique effectivement 35), l'inverse n'est pas vrai. Ce
n'est pas parce que le vaincu de Waterloo désigne le vainqueur d'Austerlitz que
celui-ci s'appelle le vaincu de Waterloo. Nous avons relevé par ailleurs — ce qui
infirme la thèse de la quasi-synonymie — , que contrairement aux phrases de
dénomination, les phrases de désignation ne présupposent nulle dénomination préalable,
n'impliquent aucunement le locuteur en tant qu'utilisateur potentiel du signe X pour
x, ne présentent pas le signe X comme étant la propriété de x et, surtout, n'exigent
pas que le signe X renvoie à une unité codée de forme nominale.
L'ordre chose -*- signe retenu par J. Rey-Debove, s'il peut avoir une quelconque
signification lexicographique, ne nous semble par conséquent pas pertinent pour
caractériser la relation de dénomination et surtout ne permet pas de l'opposer à la
relation de désignation. La relation de dénomination obéit à d'autres critères, comme
nous l'avons vu, et se trouve être indépendante de l'orientation signe — *- chose ou
chose -*- signe. La meilleure preuve en est qu'une interrogation de dénomination
comme 37) peut avoir pour réponse aussi bien une phrase qui correspond à l'ordre
nom —*- chose qu'une phrase qui présente l'orientation inverse :
37) Comment s'appelle le magasin où l'on vend des livres ? I Quel est le nom
du magasin où l'on vend des livres ?
38) — Le magasin où l'on vend des livres s'appelle LIBRAIRIE.
— LIBRAIRIE est le nom du magasin où l'on vend des livres.
On remarquera, ce qui confirme la non synonymie entre phrases de dénomination et
phrases de désignation et prouve en même temps que X être le nom de x est une
phrase de dénomination, que 37) ne peut se faire suivre d'une réponse de «
désignation » comme LIBRAIRIE désigne le magasin où l'on vend des livres, même si
l'interrogation s'est effectuée au moyen de être le nom de. Le caractère dénominatif de la
phrase X être le nom de x ne fait pas de doute : elle présente la même implication
unilatérale vis à vis de X désigner x et connaît les mêmes contraintes que x s 'appeler
X.

88
V. Dénomination ordinaire et dénomination métalinguistique

1. Deux types de relations


II faut distinguer deux types de dénomination selon que le « nom » a été attribué
à une entité spatio-temporelle déterminée, donc à un « particulier », ou à une entité
ou concept général 24, général dans le sens où ce concept est destiné comme les
prédicats ou fonctions de la logique à être prédiqué d'occurrences individuelles (cf. P.
F. Strawson. 1974, p. 15). Dans le premier cas, nous parlerons de relation de
dénomination ordinaire — le signe X est un nom propre — , dans le second de relation de
dénomination métalinguistique — le signe X est un nom commun ou une lexie
nominale complexe.
L'opposition entre les deux types de relation de dénomination se manifeste par les
différences suivantes :
a) Le niveau du codage, c'est-à-dire celui de la fixation référentielle, n'est pas le
même. Entre le nom propre X et l'individu particulier x, il ne peut s'agir que d'une
convention référentielle particulière, issue d'une naming- ceremony conçue, elle
également, comme particulière, quelle que soit la forme effective de la nomination .
Liée par définition au particulier, la relation de dénomination ordinaire ne saurait
constituer une règle linguistique générale (cf. son absence dans les dictionnaires de
langue). Les phrases de dénomination correspondantes (cf. Le directeur d'école
s'appelle Bernard) tout comme les phrases d'identité voisines {Bernard est le
directeur d'école) ne sont vraies que de façon contingente. L'association Nom
commun — concept général 27 s'inscrit au contraire dans le code linguistique commun —
d'où la qualification de métalinguistique — , et vaut pour tout locuteur ou, tout au
moins, en ce qui concerne les langues de spécialité, pour tout locuteur- spécialiste de
la discipline en question. On observe cette fois-ci que les phrases de dénomination
comme Un magasin où l'on vend des livres s'appelle LIBRAIRIE et les phrases
attributives d'identité référentielle a est b correspondantes {Un magasin où l'on vend des
livres est une librairie 28 constituent des phrases analytiques. C'est dire qu'à la
différence de la relation de dénomination ordinaire, la relation de dénomination
métalinguistique débouche sur la relation de signification et de synonymie. En d'autres
termes, cela signifie que le nom commun a un « sens » descriptif, alors qu'une
convention ad hoc lie le nom propre à l'objet ainsi dénommé. La périphrase magasin où
l'on vend des livres peut passer pour une périphrase définitionnelle qui exprime le
sens ou « référence virtuelle » de librairie (cf. LIBRAIRIE signifie magasin où l'on
vend des livres), alors que l'expression le directeur d'école, contrairement aux
différentes thèses du sens identifiant des noms propres, ne peut être assimilée au sens du

24. Rappelons que nous faisons volontairement abstraction du problème ontologique.


25. Il ne faut évidemment pas prendre à la lettre l'expression d'acte de dénomination et ses
substituts métaphoriques. Il existe différentes manières de donner un nom propre (cf. G. Klei-
ber, 1981, p. 379).
26. Ce type de phrases fait partie des paraphrases que C. Fuchs (1982, p. 129) place, dans
le continuum interprétatif qui mène du plus linguistique au moins littéral, sur le plan référen-
tiel.
27. Le cas des lexies nominales complexes est légèrement différent. Comme ce sont des
séquences engagées dans un processus de lexicalisation non achevé, le degré de généralité de la
règle d'association référentielle variera avec le degré de lexicalisation.
28. De telles phrases figurent alors chez C. Fuchs (1982, p. 129) parmi les paraphrases du
plan locutif, c'est-à-dire parmi celles qui sont « le plus linguistiques ».

89
nom propre Bernard, ce que marque l'impossibilité de BERNARD signifie ' le
directeur d'école ' 29.
b) La relation de dénomination ordinaire n'autorise bien entendu que la référence
au particulier dénommé à l'aide du nom propre attribué. L'apprentissage du nom
pour un individu ne permet guère d'utiliser ensuite ce nom propre pour un autre
particulier dénommé également ainsi, sans nouvelle acquisition de la capacité d utiliser
ce nom pour cet autre particulier. S'il y a cinq individus qui s'appellent Bernard, il
faudra cinq apprentissages différents pour pouvoir utiliser Bernard pour chacun
d'eux. La relation de dénomination métalinguistique, parce qu'elle unit un nom à un
concept rassembleur d'occurrences particulières, permet, une fois la compétence
acquise, d'utiliser le nom en question, sans nouvel apprentissage, pour tout
particulier qui présente les propriétés spécifiques de la classe délimitée par le concept en
question. Une fois que l'on a appris, soit par des périphrases définitionnelles, soit par
ostension (cf. Ça, c'est un N), etc., que librairie est le nom pour les magasins où l'on
vend des livres, on peut utiliser ensuite ce nom pour tout particulier qui satisfait à
une telle description. Deux points sont à souligner, le caractère indirect d'une telle
dénomination et l'intervention du locuteur. Par rapport à la dénomination ordinaire,
où la désignation du particulier est directe — j'appelle Bernard par SON nom, c'est-
à-dire par le nom qui lui a été attribué en tant que particulier — , la relation de
dénomination métalinguistique entre X et un concept général entraîne une
désignation ou dénomination 30 du particulier qui est indirecte, qui se fait par le biais
d'une description : je n'appelle pas ce magasin particulier librairie, parce qu'il a eu le
nom de librairie — il n'a jamais, en tant que particulier, été appelé ainsi — , mais
parce qu'il répond au critère d'appartenance à la classe des librairies, parce qu'il est
un magasin où l'on vend des livres et que, conformément à la relation de
dénomination entre librairie et ' magasin où l'on vend des livres ', je puis l'appeler ainsi. Le
locuteur intervient dans la dénomination ainsi comprise, parce que c'est lui qui juge
que le particulier présente les traits nécessaires pour être appelé ainsi, c'est lui qui
reconnaît le particulier comme étant un N. Alors qu'il n'a pas de prise sur la relation
de dénomination métalinguistique générale, il peut exercer une certaine liberté au
niveau de l'emploi particulier du nom et décider ainsi, suivant différents facteurs,

29. La notion de sens littéral fait actuellement l'objet de nombreuses controverses (cf.
J. R. Searle, 1979). On sait que des causalistes comme S. Kripke (1972), M. Devitt (1974 et
1976) et d'autres font l'économie du sens pour des noms communs comme chat, or, etc., en
leur étendant l'explication causale avancée pour les noms propres. On se contentera de deux
remarques sur ce problème délicat. En considérant la phrase Les chats sont des animaux
comme une simple phrase synthétique, contingente, destinée à fixer le réfèrent, comme les
descriptions identifiantes pour les noms propres, il est certain qu'on ignore totalement la
dimension hiérarchique du lexique (cf. les phrases à Hiérarchie-être) et qu'on laisse inexpliquée, entre
autres, les phénomènes suivants : l'impossibilité de nier une telle phrase (* Ce chat n'est pas un
animal), d'avoir un SN spécifique comme sujet (* Ce chat est un animal) ou un SN
générique en Tous les (* Tous les chats sont des animaux) (cf. G. Kleiber, 1978). A l'inverse, il
faut bien reconnaître que les définitions sémantiques ne sont pas aussi stables, aussi nettes
qu'on les présente généralement et que, dans ce domaine sans doute plus qu'ailleurs, la notion
de « flou » se révèle nécessaire (cf. G. Lakoff, 1972 ; G. Kleiber et M. Riegel, 1978).
30. Cf. la définition de la dénomination par le Dictionnaire du français contemporain :
« désignation d'une personne ou d'une chose par un nom qui en indique l'état, les propriétés ».
On citera aussi la définition technique de l'opération de dénomination dans le cadre de la
théorie de A. Culioli. La dénomination ou instanciation se définit « comme repérage d'une variable
par rapport à un domaine notionnel défini par la valeur positive et l'ensemble complémentaire,
l'ensemble constituant le référentiel de la notion » (J. Dervillez-Bastuji, 1982, p. 287).

90
parmi lesquels nous citerons, pour les emplois remarquables auxquels ils donnent
lieu, les critères d'appartenance « flous » et la primauté de traits connotatifs
variables 31, que le particulier est, n'est pas ou encore est plus ou moins un N. D'où les
emplois du type ça s'appelle un N, je (n') appelle (pas) ça un N, etc. , où le verbe
de dénomination accompagné d'un SN quantifié et dépourvu le plus souvent de toute
marque d'autonymie, se prête, selon les circonstances, à différentes utilisations
rhétoriques 33. On notera uniquement à ce sujet que de tels emplois ne se retrouvent
évidemment pas avec les noms propres (cf. ? J'appelle ça un Bernard).

2. x s'appeler X : emploi métalinguistique et emploi ordinaire


L'opposition entre relation de dénomination ordinaire et relation de dénomination
métalinguistique se trouve confirmée au niveau des verbes de dénomination par la
distinction entre emploi ordinaire et emploi métalinguistique de x s 'appeler X, X être
le nom de x, etc. Contrairement à J. Rey-Debove, pour qui s'appeler, être le nom
de, etc., sont des expressions métalinguistiques aussi bien dans Un magasin où l'on
vend des livres s'appelle LIBRAIRIE que dans Le directeur d'école s'appelle Bernard,
nous avons défendu ailleurs (1981, pp. 394-397) l'hypothèse d'un s'appeler expression
métalinguistique lorsqu'il s'agit des noms communs et d'un s'appeler expression non
métalinguistique lorsqu'il s'agit d'un nom propre. Nous suggérons par là que le fait
de porter un nom représente pour certaines catégories de particuliers un attribut non
négligeable. De même qu'on peut parler du poids de quelqu'un, de sa forme, de sa
taille, etc., de même on peut parler, de façon ordinaire, c'est-à-dire non
métalinguistique, de son nom. En demandant à quelqu'un son nom, on ne se renseigne pas sur
le langage, alors que si l'on demande le nom de l'outil qui sert à tailler les vignes,
l'interrogation porte sur le code linguistique. 39) est une question non
métalinguistique, ordinaire, alors que 40) représente une interrogation métalinguistique :
39) Quel est ton nom ?
40) Quel est le nom de l'outil qui sert à tailler les vignes ?
Les données suivantes nous ont servi d'arguments :
1°) On observe en premier lieu que les termes s'appeler et être le nom de sont
effectivement ambigus. Les interrogations 41) et 42) sont ouvertes à deux
interprétations comme le montrent les réponses possibles 43) a) 43) b) 34 :
41) Comment s'appelle ce chien ?
42) Quel est le nom de ce chien ?
43) a) Bobby
b) (C'est un) teckel
43) a) répond à l'interprétation non métalinguistique, 43) b) à l'interprétation
métalinguistique. Un même individu peut donc avoir deux noms de statut différent, un
nom métalinguistique, celui de la classe à laquelle il appartient, et un nom ordinaire,
celui qu'il porte lui-même.

31. Pour le premier cas, citons l'exemple de pingouin qui, assurément, n'est pas autant
« oiseau » que par exemple l'est moineau (cf. G. Lakoff, 1972 ; G. Kleiber et M. Riegel,
1978). L'exemple suivant illustrera le second cas : Une bicyclette sans dérailleur, je n'appelle
pas ça une bicyclette. Bien que l'objet en question soit une bicyclette, le locuteur lui refuse cet
état, parce qu'à ses yeux, une vraie bicyclette doit posséder un dérailleur.
32. Cf. par exemple, Je n'appelle pas ça une fête, mais une mascarade (cité par C. Fuchs).
33. Voir à ce propos, J. Rey-Debove (1978, pp. 187-188).
34. La réponse 43) b) paraît toutefois moins naturelle.

91
2°) Dans les interrogations portant sur la nomination, on peut prévoir
l'interprétation métalinguistique ou non de s'appeler et de être le nom de en tenant compte
des oppositions SN spécifique/SN générique et SN élémentaire/SN complexe.
— avec un SN élémentaire : si le SN est générique, l'interprétation métalinguistique
des questions 44) est déviante, car tautologique. Il ne reste que la lecture non
métalinguistique 'quel nom porte cette chèvre ?' :
44) a) Comment s'appelle la chèvre ?
b) Quel est le nom de la chèvre ?
— avec un SN complexe ; si le SN est générique, la question est métalinguistique et
peut avoir pour réponse C'est un X ou X. Si le SN est spécifique, l'interrogation est
ordinaire et peut appeler un nom propre.
45) a) Comment s'appelle la gazelle autrichienne ?
b) Quel est le nom de la gazelle autrichienne ?

3°) J. Rey-Debove (1978, p. 137) a noté que les termes mot et nom avaient
un comportement similaire dans des énoncés comme 46) et 47) :
46) Le mot qui désigne cet outil est SÉCATEUR
47) Le nom qui désigne cet outil est SÉCATEUR

Lorsque le nom commun est remplacé par un nom propre, cette analogie disparaît.
On observera que 48) est moins naturel que 49), et surtout que 50) n'est pas correct,
puisque mot n'est plus substituable à nom :
48) ? Le nom qui désigne la capitale de la France est Paris
49) Le nom de la capitale de la France est Paris
50) *Le mot qui désigne la capitale de la France est Paris
Les expressions Quel est le nom pour... '/, Quel est le nom qui sert à désigner... ?,
qui admettent précisément la substitution de nom par mot, ne conviennent pas pour
les noms propres. Les énoncés 51) avec mot sont déviants et les énoncés 52), en
particulier 52) b), nous paraissent peu naturels :
51) a) *Quel est le mot pour désigner la capitale de la France ?
b) *Quel est le mot qui sert à désigner la capitale de la France ?
52) a) ? Quel est le nom pour la capitale de la France ?
b) ? Quel est le nom qui sert à désigner la capitale de la France ?
Dans le paradigme des expressions qui peuvent commuter avec nom employé méta-
linguistiquement, on relève également la présence de terme. On notera que cet item
ne peut en aucun cas se substituer à nom employé avec un nom propre :
53) a) le nom de GAZELLE
b) le terme de GAZELLE
54) a) Le nom de Bernard
b) *Le terme de Bernard
4°) Aucune des tournures métalinguistiques relevées par J. Rey-Delove (1978, p.
253), qui ont un rapport proche ou éloigné avec le phénomène de la dénomination,
n'est compatible avec les noms propres. Ainsi les expressions on dit, on appelle, est
appelé..., etc., qui signalent l'emploi métalinguistique, ne peuvent être appliquées
aux noms propres comme le montre l'opposition 55)- 56) :
55) a) On appelle MARGINAL la personne qui vit en marge de la" société

92
b) On dit MARGINAL en parlant d'une personne qui vit en marge de la société
c) Est appelée MARGINAL la personne...
d) UNE personne qui vit... s'appelle MARGINAL
56) a) On appelle PARIS la capitale de la France
b) *0n dit PARIS en parlant de la capitale de la France
c) *Est appelée PARIS la capitale de la France

5°) On signalera, pour terminer, que, dans les énoncés comme 57) où s'appeler
est employé non métalinguistiquement, contrairement à l'opinion de J. Rey-Debove,
X n'a pas le statut d'un autonyme de nom propre comme dans l'énoncé 58) ou dans
l'énoncé « paradoxal » bien connu des philosophes, 59) :
57) Je m'appelle Paul/ Je te nomme Paul
58) PAUL a quatre lettres
59) PAUL n'est pas un nom propre
L'absence de marques autonymiques dans 57) est un indice non négligeable, mais
c'est surtout l'ambiguïté d'énoncé comme 60) qui constitue un argument décisif :
60) Bernard est le nom du directeur d'école
60) est en effet ouvert à deux interprétations, une lecture métalinguistique et une
lecture non métalinguistique, Interprété métalinguistiquement, 60) dit de l'autonyme
Bernard qu'il est le nom du directeur d'école. Cette interprétation autoriserait
l'énoncé non redondant BERNARD est le nom de Bernard. La seconde lecture
correspond à ' le directeur d'école s'appelle Bernard ' et pourrait constituer une réponse à
une question comme Quel est le nom du directeur d'école ?, exclue par l'autre
interprétation. Cette deuxième lecture rend l'énoncé * Bernard est le nom de Bernard
tautologique, puisque Bernard n'a précisément pas le statut d'un autonyme de nom
propre. De telles tautologies ne peuvent que répondre aux questions tautologiques
non métalinguistiques comme * Quel est le nom de Bernard ?, etc. Quel est alors le
statut de X dans les énoncés comme 57) ? Plusieurs solutions peuvent être
envisagées. On peut considérer, en contrevenant à la « loi » de Tarski qui stipule qu'il faut
toujours utiliser, dans le langage, le nom de l'objet et non l'objet lui-même, que dans
ce cas c'est l'objet lui-même, c'est-à-dire la forme X, qui est présent. On peut aussi,
en s'inspirant de la solution esquissée par'J. Rey-Debove (1978, p. 115) pour des
syllabes comme -ampe, imaginer que X est un signe qui signifie la séquence
phonique ou graphique homomorphe. La question reste ouverte.

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