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1. De la morphologie à l'interprétation
La nominalisation est un procédé de formation d'un nom à partir d'une unité lexicale
non-nominale (par exemple un verbe, mais aussi un adjectif, comme cela sera discuté
dans la section 4). Cette opération entraîne, par nature, l'apparition de propriétés
morphosyntaxiques propres à la catégorie nominale. Ainsi, le résultat d'une
nominalisation est nécessairement un item muni de spécifications comme le genre et
le nombre (vs le temps et le mode pour le verbe), et d'une combinatoire nominale
(détermination, modification adjectivale vs adverbiale, etc).
Sur le plan des procédés morphologiques, trois opérations sont aptes à produire des
nominalisations en français : la suffixation (1), la conversion (2) et la composition (3)
(voir Villoing 2002).
1
Je remercie Fiammetta Namer, le relecteur du Français Moderne et les coordinatrices du
volume pour leurs commentaires avisés.
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Insecticide est un composé néo-classique, de forme insect-i-cide, littéralement '(produit) tueur
d'insectes'.
3
La seule variation observable est une éventuelle variation radicale. Voir Bonami & Boyé
(2003), Tribout (2010).
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Selon Bonami, Boyé & Kerleroux (2009), la forme de ce suffixe est -ion, les séquences -t- et -
at-, qui se réalisent respectivement /s/ et /as/ devant -ion (déception, ventilation) appartiennent
au radical, appelé aussi Thème 13, qui est sélectionné lors de la dérivation des formes en -ion, -
eur / -rice et en -if.
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La nominalisation : un état des lieux
Les noms déverbaux peuvent avoir des sens divers. Certains sont proches de celui du
verbe, notamment lorsque le nom désigne une évenance, au sens de Fradin (2011,
2012a,b, 2014), c'est-à-dire un événement appartenant à l'une des quatre classes
aspectuelles (commencement, explosion, immersion, etc). D'autres noms peuvent
désigner des participants : agents (celui qui V : chanteur), instruments (ce qui sert à
V : arrosoir), lieux (lieu où l'on V : dortoir), patients (ce / celui qui est V :
nourrisson6) etc. (voir Villoing 2007 pour une synthèse). Relevons aussi qu'on peut
désigner un instrument, par exemple, au moyen de noms déverbaux ayant subi des
suffixations diverses (arrosoir, perceuse, allumette). La correspondance, une marque
(suffixe) / un sens, est donc loin d'être la règle.
Parmi les variations de sens observées pour les noms déverbaux, la plus connue et la
mieux documentée est certainement celle de l'ambiguïté de noms tels que
encrassement, construction, allumage, parmi beaucoup d'autres. Ces noms sont en
effet polysémiques et peuvent dénoter tant des événements que des objets, abstraits ou
concrets7 (Milner 1982, Jacquey 2006, Barque, Haas & Huyghe 2014). Les deux
lectures vont cependant être distinguées par les contextes qui leur sont propres
(Godard & Jayez 1994, Kiefer & Gross 1995). Par exemple, l'emploi comme sujet de
verbes tels que commencer, avoir lieu, se produire, etc, ou encore la compatibilité
avec des expressions de durée, distingue les lectures d'événement des lectures d'objet :
Comme nous le verrons dans la section 3, la distinction objet / événement est corrélée
à d'importantes variations syntaxiques, et fait écho à la question de l'opposition entre
lecture événementielle et lecture 'résultative', qui constitue l'un des fondements de
l'approche syntaxique anglo-saxonne des nominalisations depuis Grimshaw (1990).
Une ambiguïté proche de la précédente est également décelable chez les noms dérivés
de certains verbes psychologiques. C'est ce qu'ont montré Barque, Fábregas & Marín
(2012), qui observent que ces noms, en plus de dénoter un état (6a), peuvent présenter
une lecture d'"Objet en relation avec un Expérient" (6b) :
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Voir Lecomte (1997).
6
Voir Roché (2003b).
7
De nombreux travaux ont montré l'étendue du phénomène à travers les langues : Melloni
(2007), Bisetto & Melloni (2007) pour l'italien, Osswald (2005) et Scott (2010) pour
l'allemand, Grimshaw (1990) pour l'anglais, Szabolcsi (1994) pour le hongrois, etc.
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Marie Laurence KNITTEL
Les ambiguïtés ci-dessus sont loin d'être les seules. Le fait que les noms construits au
moyen d'une suffixation donnée peuvent donner lieu à des interprétations différentes
est bien documenté. Ainsi, les noms en -oir, interprétables comme des instruments ou
des lieux, ont été examinés par Namer & Villoing (2008), puis par Fradin &
Winterstein (2012). D'autre part, la question des noms en -eur, de leur interprétation
instrumentale (broyeur) ou agentive (mangeur) et de la disponibilité de cette dernière
a été discutée par plusieurs auteurs, parmi lesquels Anscombre (2001), Fradin &
Kerleroux (2003a), et Roy & Soare (2012, 2014a).
Pour rendre compte de ce type de contraste, diverses explications ont été proposées :
(in)transitivité des bases verbales (Dubois 1962) ; nature interne / externe du
processus (Corbin 1997) ; (non)-agentivité du nom construit (Kelling 2001). Des
travaux plus récents suggèrent des analyses pluri-factorielles. Ainsi, Martin (2008)
considère que la distribution de -age (vs -ment, plus neutre) dépend de facteurs tels
que l'agentivité, l'incrémentalité, et la spécialisation au domaine physique ; Fradin
(2012b) évoque également une conjonction de facteurs, parmi lesquels le contrôle de
l'action, et la nature humaine ou non de l'objet du procès décrit. Il suggère en outre
que le lexique existant impose certaines contraintes aux formes créées, tout en
montrant que les formes en -age et en -ment coexistantes ne présentent pas
nécessairement de variation sémantique (cf. encavage / encavement).
Une autre alternance observable pour les noms déverbaux d'événements est celle qui
se manifeste entre -age et -ée (Ferret, Soare & Villoing 2010) :
Tout en reconnaissant que les bases verbales transitives favorisent l'emploi de -age et
les bases inaccusatives celui de -ée, les auteurs avancent l'hypothèse originale que la
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La nominalisation : un état des lieux
sélection de l'un ou l'autre suffixe repose sur une opposition d'aspect grammatical, les
noms en -ée renvoyant à des événements présentés comme perfectifs, au contraire des
noms en -age, qui décrivent des événements imperfectifs.
Enfin, la question de la construction des noms de participants à des événements au
moyen des suffixations en -eur (enquêteur), -ant (surveillant) et -é/-i/-u (détenu) a fait
l'objet de travaux récents de Roy & Soare (2012, 2014b). L'hypothèse des auteurs est
que la disponibilité et la lecture de ces noms repose sur leur (non)-conservation du
caractère événementiel (et, le cas échéant, du type générique ou épisodique de
l'événement) du verbe de base.
Parmi les nominalisations, ce sont sans doute celles qui renvoient à des événements
qui ont suscité le plus de travaux. Comme nous l'avons mentionné dans la section 1, la
caractérisation d'un nom comme événementiel repose en premier lieu sur sa
compatibilité avec certains types de verbes, comme avoir lieu ou se produire. En
outre, les événements, qu'ils soient instanciés par des noms ou des verbes, ont une
relation au temps. C'est sur cette base que Van de Velde (1995) et Flaux & Van de
Velde (2000) distinguent parmi les noms abstraits les intensifs des extensifs. Les
premiers sont principalement apparentés à des adjectifs et à des verbes
psychologiques et sont dépourvus d'étendue temporelle ; les noms extensifs, au
contraire, décrivent des entités qui s'étendent dans le temps. Ainsi, le quantificateur
beaucoup8 ne peut-il indiquer la durée (ou la fréquence) qu'avec des noms extensifs
(9a) ; combiné à des noms intensifs — ce qui n'est pas toujours possible, cf. (9c)— sa
valeur est celle d'un marqueur d'intensité (9b) :
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Voir également les travaux d'Obenauer (1983).
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Marie Laurence KNITTEL
La possibilité d'employer le nom comme objet d'un verbe support pour paraphraser le
verbe correspondant (cf. faire de la navigation / naviguer), et la présence d'une
structure argumentale (voir section 3) constituent des indices supplémentaires du
caractère dynamique du nom d'événement.
Une seconde série de tests, proposés par Haas, Huyghe & Marín (2008) et Beauseroy
(2009), met en évidence la validité pour les noms de l'opposition entre événements
duratifs et événements ponctuels. Comme le montrent les exemples (12), les noms
ponctuels refusent, ce qui est attendu, toute combinaison avec des éléments renvoyant
au début, à la fin ou à la durée de l'événement.
En outre, certains de ces noms admettent les deux emplois (Heyd & Knittel 2009) :
Les noms d'activités massifs disposent de propriétés particulières. D'une part, ils
refusent la localisation au moyen du terme lieu (Haas, Huyghe & Marín 2008) :
D'autre part, comme l'ont noté Heyd & Knittel (2009) et Beauseroy & Knittel (2012a),
ces noms n'apparaissent que dans des contextes restreints, en particulier comme
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La nominalisation : un état des lieux
L'ensemble de ces propriétés conduit Haas, Huyghe & Marín (2008) à considérer ces
noms comme des 'types d'actions', non ancrés spatio-temporellement et dotés
seulement d'une 'référence virtuelle', au sens de Kleiber & Lazzaro (1987), Kleiber
(1990) (voir aussi Beauseroy & Knittel 2012a).
Cette partition des noms d'activités en deux classes d'emploi (voir entre autres
Heyd & Knittel 2009) a donné lieu à deux courants d'analyse.
Le premier courant (Haas, Huyghe & Marín 2008, Huyghe 2011), oppose les noms
dénotant des types d'actions aux noms d'occurrences, qui disposent d'un ancrage
spatio-temporel. C'est de cette classe que font partie à la fois les noms d'activités
comptables (14), qui décrivent, selon ces auteurs, des occurrences duratives non-
culminantes, et les noms dérivés de verbes téliques (18), accomplissements et
achèvements, caractérisés par leur culmination.
Dans la mesure où après situe l'événement principal comme postérieur à celui décrit
par la nominalisation, il nécessite que celui-ci soit présenté comme achevé, ce qui
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Knittel (2011) se fonde sur les travaux de Iordachioaia & Soare (2008, 2009), qui proposent la
même opposition de perfectivité sur les nominalisations du roumain.
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Marie Laurence KNITTEL
D'autre part, ces mêmes auteurs notent que certains verbes dynamiques réfléchis,
décrivant un 'état du sujet', présentent également une nominalisation stative ; ceci
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Les observations de Barque, Fábregas & Marín (2012) rejoignent celles qui ont été faites sur le
finlandais (Pylkkänen 1997, 2000), l'anglais (Arad 1999, Ramchand 2008), le polonais
(Rozwadowska 2000, Bialy 2005) et l'espagnol (Marín & McNally 2005, 2011).
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La nominalisation : un état des lieux
transparaît dans l'emploi possible de ces éléments avec le prédicat faire preuve de :
Enfin, Fradin (2011) montre que des noms statifs peuvent résulter de la
nominalisation de verbes dynamiques impliquant une relation spatiale :
La question des arguments des noms déverbaux peut, en premier lieu, être vue comme
une conséquence de leur caractère prédicatif. C'est ainsi que certains auteurs (Giry-
Schneider 1978, M. Gross 1981, Vivès 1984, 1993, Danlos 2009), en se fondant sur
les travaux de Harris (1964) pour l'anglais, proposent la notion de verbe support, qui
permet de mettre en relation une phrase construite au moyen d'un verbe plein avec son
corrélat contenant la forme nominalisée du verbe et le verbe support en question.
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Le verbe support se caractérise également par le fait qu'il impose des contraintes sur la
détermination du nom prédicatif, et qu'il permet l'extraction d'un constituant hors de son
complément ; les exemples ci-dessous, de Vivès (1993: 11), montrent ainsi le contraste entre
raconter, qui est un verbe plein et mener :
(i) C'est contre la citadelle que Luc a {menéVsup / *raconté} une attaque.
(ii) Une attaque a été {menéeVsup / *racontée} par Luc contre la citadelle.
(ii) Une attaque contre la citadelle a été {menéeVsup / racontée} par Luc.
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Marie Laurence KNITTEL
Ceci indique que les contraintes syntaxiques qui pèsent sur les noms prédicatifs
associés à des verbes supports, qu'ils soient ou non déverbaux, ne sont pas forcément
identiques à celles qui régissent le fonctionnement des verbes et des noms auxquels ils
peuvent donner lieu.
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Notons cependant que Knittel ne retient cette opposition que comme étant descriptivement
adéquate. Voir à ce propos les paragraphes qui suivent.
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La nominalisation : un état des lieux
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Marie Laurence KNITTEL
Samvelian (1995), ainsi que Knittel (2010) se sont aussi intéressées aux compléments
introduits par de. Toutes deux montrent la validité des hypothèses proposées
originellement par Milner (1982) et Godard (1986), qui analysent de non pas comme
une préposition, mais comme une marque de génitif, alternant avec un déterminant
possessif (cf. son encerclement par l'ennemi, correspondant à (32b) ci-dessus).
Cependant, Samvelian met en évidence les limites de cette approche, en montrant
notamment que tout SN génitif n'est pas libre d'alterner avec un déterminant
possessif :
Knittel (2010) analyse également les SN dont la tête est un nom d'événement
complexe comme des SN possessifs, tels que les décrit Zribi-Hertz (1998). Il existe en
effet de nombreux parallélismes entre ces structures, notamment l'emploi d'un
complément génitif non pronominalisable, mais alternant avec un déterminant
possessif (cf. *l'encerclement d'elle, son encerclement) et l'article défini en tête de la
structure nominale dès la première mention (cf. l'encerclement de la ville par l'ennemi
vs ??un encerclement de la ville par l'ennemi), contraintes déjà observées par
Grimshaw (1990) pour les noms d'événements complexes de l'anglais. Elle montre
toutefois que cette structure n'est pas utilisée lorsque le complément se présente sous
une forme indéterminée et non-marquée pour le nombre (un encerclement de ville).
La classe de noms dont la structure argumentale a sans doute suscité le plus d'intérêt
est celle des noms apparentés à des verbes psychologiques (Ruwet 1972, 1993, 1994,
1995, Gross 1975), dont deux exemples sont présentés sous (35) :
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La nominalisation : un état des lieux
Enfin, il faut noter que des propositions récentes de Roy & Soare (2012, 2014a)
suggèrent que la structure argumentale, en parallèle avec la structure événementielle,
n'est pas réservée aux noms d'événements complexes, puisqu'elle peut être conservée
par certains noms de participants d'événements (voir section 1).
Les données qui précèdent mettent clairement en évidence l'interaction des facteurs
sémantiques et syntaxiques dans la présence d'une structure argumentale et la manière
dont elle se réalise.
Si la question des noms déverbaux est débattue de longue date et a fait l'objet de
nombreuses études, comme en attestent les sections qui précèdent, il n'en est pas de
même pour les noms morphologiquement apparentés à des adjectifs, qui ont suscité
une littérature beaucoup moins abondante. Néanmoins, les problématiques qui ont été
abordées ci-dessus se retrouvent aussi dans les débats sur cette classe de noms.
On notera, à la suite de Kerleroux (2008), que certains suffixes, comme -ion, peuvent
construire tant des noms désadjectivaux que des noms déverbaux.
Par ailleurs, la suffixation en -erie peut sélectionner des bases adjectivales (cf. grivois
en (37)), mais aussi nominales (croissanterie) et verbales (raillerie) (Temple 1996).
À ces noms suffixés s'ajoutent, comme dans le cas des déverbaux, des noms pour
lesquels aucune variation formelle n'est visible (38) :
Sur le plan sémantique, les adjectifs sont analysés comme dénotant des propriétés
attribuées à des entités par le biais de la prédication. Ainsi, dans l'exemple (39a), la
propriété d'être loyal, instanciée par l'adjectif, est attribuée au référent du nom Max.
La même relation se manifeste en (39b), qui met en relation ce même nom avec le
nom désadjectival loyauté ; (39b) peut donc être lu comme une paraphrase de (39a).
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Marie Laurence KNITTEL
Les prédicats adjectivaux donnent lieu à des phrases statives. Comme l'a montré
Beauseroy (2009), les noms désadjectivaux se caractérisent également comme statifs ;
ces noms échouent aux tests de dynamicité présentés dans la section 2 (41a-c).
Dépourvus d'étendue temporelle, ils se combinent avec beaucoup à valeur intensive
(41d).
41. a. *{La tristesse / la douceur / la sérénité} est en cours.
b. *{La tristesse / la douceur / la sérénité} a eu lieu ce matin.
c. *Pendant {la tristesse / la douceur / la sérénité}, il n'a pas dit un mot.
d. Il a montré beaucoup de {tristesse / douceur / sérénité}
En outre, les exemples (42) montrent que les noms désadjectivaux de propriété sont
massifs.
42. a. (de) la tristesse / (de) la douceur / (de) la sérénité
b. ?? {une / des} tristesse(s) / ?? {une / des} douceur(s) / ?? {une / des}
sérénité(s)
Si l'on admet d'une part que les états sont atéliques, et d'autre part que la massivité du
nom restitue l'atélicité du prédicat correspondant, comme l'a suggéré Meinschaefer
(2005), ceci constitue un indice indirect supplémentaire en faveur de l'héritage de la
stativité des adjectifs par ces noms.
D'autre part, Roy (2010), se fondant sur le contraste entre noms déverbaux
événementiels complexes et non-événementiels (cf. section 3) distingue pour les
désadjectivaux les noms de qualité des noms d'états13. Le contraste (44-45) illustre
cette distinction :
13
Bien que les termes soient les mêmes que ceux utilisés par Flaux & Van de Velde (2000), cette
classification est totalement différente.
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La nominalisation : un état des lieux
45. a. La popularité est une qualité qui lui fait défaut. [Qualité]
b. *La popularité constante est une qualité qui lui fait défaut.
Lorsque popularité est un nom d'état (44), il dispose d'un argument en de obligatoire,
et peut se combiner avec des adjectifs comme constant, rapide, etc. Il se compare en
cela aux noms d'événements complexes. En tant que nom de qualité au contraire, il ne
nécessite pas d'être associé à un argument, et n'admet pas la modification par constant
(45).
L'analyse de Roy se fonde sur l'hypothèse que, dans une de leurs lectures au moins,
les noms désadjectivaux nécessitent un argument. C'est également dans ce sens que
vont les travaux de Beauseroy (2009) et Beauseroy & Knittel (2007, 2012a), qui
mettent en évidence deux lectures pour ces noms : la lecture de 'qualité' (au sens de
Rainer 1989), dans laquelle les noms désadjectivaux ont les propriétés de noms
relationnels, conservent généralement le complément de l'adjectif correspondant
(Knittel & Koehl 2013), et sont massifs (46), et la lecture d''occurrence', associée à
l'emploi comptable, dans laquelle le nom est dépourvu d'argument (47). À la
différence des noms de qualité, les noms d'occurrence sont associés à des bornes,
spatiales si leur référent est concret (47a), et temporelles s'il demeure abstrait (47b)
(Beauseroy & Knittel 2012a).
Koehl (2012), après Temple (1996), note par ailleurs que les noms en -erie (cf.
fourberie, veulerie, etc) sont fréquemment employés comme noms d'occurrence. Pour
elle, cette particularité est liée au fait que leurs bases se caractérisent comme des
adjectifs "orientés agent", c'est-à-dire qu'ils évaluent un individu relativement à ce
qu'il fait (Ernst 1984, Bouillon 1997)14. Selon Koehl, de tels adjectifs attribuent une
qualité au sujet [de la prédication] sur la base de ses actions (ou de ses paroles)
(Koehl 2012, 270). C'est également l'analyse que proposent Haas, Marín et Tayalati
(2010) pour cette classe d'adjectifs. Il est à relever que Martin (2010) distingue parmi
ces noms, qu'elle qualifie de dispositionnels, une sous-classe de noms présentant une
lecture d'habitude, et dont la particularité est d'être ancrés temporellement. Ceci est
illustré en (48) :
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Le même type d'analyse est proposé par Arche & Marín (2012) pour les données de l'espagnol.
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Les exemples ci-dessus montrent donc que les noms désadjectivaux présentent la
même variété d'interprétations que les noms déverbaux.
5. Un bilan provisoire
Ce qui précède indique clairement l'importance des travaux sur les nominalisations, en
syntaxe, en sémantique et en morphologie, ou à l'interface entre ces domaines. De
nombreuses études portant sur des langues particulières ou mettant en évidence des
phénomènes communs à plusieurs d'entre elles sont également répertoriées (voir Roy
& Soare 2011 pour une synthèse). Pour l'ensemble de ces raisons, le présent volume et
les contributions qui y sont présentées s'intègrent parfaitement dans une voie de
recherche actuelle et en plein essor.
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