Vous êtes sur la page 1sur 271

UNIVERSITE DE LILLE III – CHARLES DE GAULLE

THESE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE LILLE III
DISCIPLINE :
LINGUISTIQUE

présentée et soutenue publiquement par

Pauline Haas
Le 5 décembre 2009

Comment l’aspect vient aux noms.


Les propriétés aspectuelles des noms à l’épreuve
des restrictions de sélection imposées par certaines prépositions

Sous la direction de
Danièle Van de Velde (Université de Lille III)

Jury :
Walter De Mulder (Universiteit Antwerpen)
Nelly Flaux (Université d’Artois)
Brenda Laca (Université de Paris 8)
Béatrice Lamiroy (Katholieke Universiteit - Leuven)
Comment l’aspect vient aux noms.
Certains noms, les « nominalisations », ont la particularité d’être en lien morphologique avec
des verbes ou des adjectifs et de connaître un emploi prédicatif. Le lien morphologique
unissant les verbes ou adjectifs à ces noms soulève la question de la transmission des
propriétés aspectuelles des premiers aux seconds.
Dans un premier temps, les tests linguistiques habituellement utilisés pour déterminer les
propriétés aspectuelles des verbes seront rappelés et commentés. Les adjectifs, souvent
classés parmi les prédicats statifs en français, sont peu étudiés du point de vue aspectuel.
Pourtant, il est possible de distinguer des adjectifs qui peuvent dénoter des comportements et
qui sont par conséquent plutôt du côté de la dynamicité que de la stativité.
Nous étudierons ensuite les propriétés aspectuelles des noms. Les restrictions de sélection
opérées par certaines prépositions sur les noms qui les suivent permettent de révéler leurs
propriétés aspectuelles et de les comparer à celles de leur prédicat d’origine (verbe ou
adjectif). On observe que, s’il y a souvent héritage de l’aspect, il peut aussi y avoir des
divergences lors du passage d’un domaine à l’autre. Ainsi, l’atélicité ne se transmet pas
toujours du verbe au nom. Concernant les nominalisations d’adjectifs, il est remarquable que
les noms en lien avec des adjectifs de comportement gardent dans leur sémantisme un lien
marqué avec la notion de dynamicité.
Mots clés : sémantique, nominalisation, aspect lexical, héritage aspectuel, préposition

How does aspect map onto nouns.


Some nouns, i.e. nominalizations, can be set apart in that they are morphologically related to
verbs and adjectives, and can be used predicatively. The morphological link between these
nouns and verbs or adjectives raises the issue of the transfer of aspectual properties (from
verbs to nouns).
First, the linguistic tests traditionally used to identify the aspectual properties of verbs are
presented and commented on. Adjectives, which are often classified as stative predicates in
French, are less extensively studied from an aspectual point of view. Yet it is possible to
distinguish adjectives that may denote behaviours, and are therefore more tightly connected
with dynamicity than with stativity.
The aspectual properties of nouns are then examined. The selectional restrictions that some
prepositions impose on their nominal complements enable us to reveal the aspectual
properties of nouns, and to compare them to those of the predicates (verbs or adjectives) they
are derived from. It can be observed that, though aspectual inheritance is frequent there may
be discrepancies between the verbal and the nominal domains. For instance, atelicity is not
systematically inherited by nouns. As to deadjectival nominalizations, it is striking that the
notion of dynamicity is still marked in the semantics of nouns morphologically related to
behaviour adjectives.

Key words: semantics, nominalization, lexical aspect, aspectual inheritance, preposition


Comment l’aspect vient aux noms.
Les propriétés aspectuelles des noms à l’épreuve
des restrictions de sélection imposées par certaines prépositions
Je remercie d’abord ma directrice de recherche, Danièle Van de Velde qui m’a toujours
soutenue tant sur le plan moral qu’intellectuel. Ses encouragements, ses conseils précieux et
ses enseignements de qualité, sa grande patience et sa disponibilité, ses idées et ses
explications, autant d’éléments sans lesquels je serais restée bien des fois en plein désarroi.

Je remercie également mesdames Nelly Flaux, Brenda Laca, Béatrice Lamiroy et monsieur
Walter De Mulder d’avoir accepté de lire mon travail. Leur présence aujourd’hui est pour
moi un grand honneur.

Merci aux professeurs Dany Amiot, Anne-Marie Berthonneau, Pierre Corbin, Nathalie
Gasiglia et Marlène Van Peteghem, pour leurs éclaircissements sur certains points de ce
travail, ainsi qu’à toute l’équipe du laboratoire STL pour les moments passés et la gentillesse
de chacun.

Merci à l’équipe du projet « Nomage » pour le travail mené ensemble qui m’a permis
d’avancer bien plus que je n’aurais réussi à le faire seule sur certains aspects de ce travail.

Merci à toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide au moment délicat de la clôture de
ce travail et en particulier à mes relecteurs, Anne Jugnet, Alain Haas et Richard Huyghe.
J’ajoute une pensée particulière pour Anne dont les aides furent si nombreuses et variées
pendant toute la durée de ma thèse.

Merci à mes proches et amis pour leur soutien moral, parfois si nécessaire, mes parents, ma
famille, mes amis, Patrice. Merci enfin au petit Léopold d’avoir si gentiment attendu que le
moment soit venu.
Une chose peut-elle échapper au langage,
s’évader de lui ? Vous pensez que cette
échappée se joue de la marge très étroite
qui sépare l’immédiat de la durée. Comme
tous les vivants, vous avez l’appétit du
durable, mais vous n’ignorez pas que vos
expériences les plus fortes sont ailleurs,
dans les moments où l’instantané vous
précipite hors du temps.

Zao Wou-Ki : au bord du visible


Bernard Noël

Le jardin de Corinne est un ensemble de


promenades que nous avons faites
ensemble et que nous ferons chaque fois
que nous nous rencontrerons dorénavant
dans différentes villes.

Ma haie
Emmanuel Hocquard
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .………………….……………………………………………………………………………1

CHAPITRE 1 L’ASPECT : DEFINITIONS ET TERMINOLOGIES .................................................... 8

1. L’ASPECT VERBAL ..................................................................................................................................... 9


1.1. Les langues slaves et la découverte de l’aspect ............................................................................... 9
1.1.1. Fonctionnement de l’aspect en russe .......................................................................................................... 9
1.1.2. Le ou les aspect(s) ?.................................................................................................................................. 10
1.1.2.1. Au delà de l’opposition perfectif / imperfectif: un aspect peut en cacher un autre......................... 10
1.1.2.2. Débat autour de l’aspect slave........................................................................................................ 11
1.1.3. Extension de l’intérêt pour l’aspect aux autres langues ............................................................................ 12
1.2. Du slave au français : l’aspect transposé ....................................................................................... 12
1.2.1. L’aspect comme catégorie grammaticale : Guillaume (1929/[1984])....................................................... 14
1.2.2. Définitions notionnelles de l’aspect.......................................................................................................... 16
1.3. Aspect lexical vs aspect grammatical ............................................................................................ 16
1.3.1. L’opposition accompli / inacompli : choix terminologique ...................................................................... 17
1.3.2. Que range-t-on sous l’étiquette "aspect lexical" ?..................................................................................... 18
1.3.2.1. Les trois aspects de Wilmet (1980) ................................................................................................ 19
1.3.2.2. La notion d’Aktionsart ................................................................................................................... 20
1.3.3. Point terminologique ................................................................................................................................ 22
1.3.4. Conclusion partielle .................................................................................................................................. 23
2. LES TYPOLOGIES DE PROCES .................................................................................................................... 25
2.1. Les typologies aspectuelles lexicales : aspect lexical du verbe ..................................................... 26
2.1.1. Vendler (1957, 1967)................................................................................................................................ 26
2.1.2. Kenny (1963/[1994]) ................................................................................................................................ 27
2.1.3. Critiques des typologies de niveau lexical ................................................................................................ 28
2.1.3.1. Des classements ontologiques ? ..................................................................................................... 28
2.1.3.2. Des classements incomplets ? ........................................................................................................ 30
2.1.3.3. Des classements trop rigides ?........................................................................................................ 30
2.2. Les typologies aspectuelles de phrases : calcul aspectuel ............................................................. 31
2.2.1. De la typification des verbes (ou des SV) à l’aspect phrastique ............................................................... 32
2.2.2. Vers la fin de l’ère typologique : les travaux de Dowty (1979, 1986) ...................................................... 33
2.2.3. Alternatives aux classements typologiques des verbes ............................................................................. 36
2.2.3.1. Verkuyl (1971, 1993, 2001) ........................................................................................................... 36
2.2.3.2. François (1989, 1990) .................................................................................................................... 37
2.2.3.3. Quand la typologie devient une échelle.......................................................................................... 38
2.3. Positionnement .............................................................................................................................. 40
2.3.1. L’héritage vendlerien................................................................................................................................ 40
2.3.2. Compositionnalité de l’aspect lexical du verbe......................................................................................... 41
2.3.3. Aspect lexical du procès vs aspect phrastique........................................................................................... 41
2.3.3.1. Les temps grammaticaux................................................................................................................ 41
2.3.3.2. Les compléments de temps............................................................................................................. 42
2.3.3.3. Les compléments de mesure et de direction ................................................................................... 43
2.3.3.4. Le sujet........................................................................................................................................... 43
2.3.4. Conclusion partielle .................................................................................................................................. 44
3. L’ASPECT DANS LE DOMAINE NOMINAL ................................................................................................... 45
3.1. Quels noms ont des propriétés aspectuelles ?................................................................................ 45
3.1.1. Propriété sémantique : ce sont des noms abstraits .................................................................................... 45
3.1.2. Propriété syntaxique : ce sont des noms prédicatifs.................................................................................. 47
3.2. Les noms abstraits prédicatifs et la notion d’argument ................................................................. 49
3.2.1. Milner (1982), une analyse syntaxique des compléments du nom introduit par de .................................. 49
3.2.1.1. De préposition vs de marque flexionnelle du génitif ...................................................................... 50
3.2.1.2. L’analyse de Milner revisitée ......................................................................................................... 51
3.2.2. Les nominalisations chez Grimshaw (1990) ............................................................................................. 52
3.2.2.1. SEN, nominaux résultatifs / CEN : distinction syntaxique............................................................. 53
3.2.2.2. CEN, SEN / nominaux résultatifs : distinction sémantique............................................................ 55
3.2.2.3. Du maintien de l’opposition SEN vs CEN ..................................................................................... 56
4. CONCLUSION ........................................................................................................................................... 58
CHAPITRE 2 L’OPPOSITION ASPECTUELLE STATIF / DYNAMIQUE : AU DELA DES
FRONTIERES CATEGORIELLES ..................................................................................... 60

1. PRELIMINAIRES........................................................................................................................................ 60
1.1. Scepticisme à l’égard de l’opposition statif / dynamique.............................................................. 60
1.2. Approche notionnelle .................................................................................................................... 62
1.2.1. Le rapport au temps .................................................................................................................................. 62
1.2.2. La dynamicité et le changement ............................................................................................................... 65
1.2.3. Des pièges de notre intuition..................................................................................................................... 66
2. AGIR ET DYNAMICITE .............................................................................................................................. 67
2.1. « Qu’a fait x (hier) ? »................................................................................................................... 67
2.1.1. Domaine(s) d’application du test .............................................................................................................. 67
2.1.2. Notion(s) mise(s) en jeu par le test ........................................................................................................... 69
2.1.3. Limites de l’applicabilité du test............................................................................................................... 72
2.2. « Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? »....................................................................................... 73
2.2.1. Domaine(s) d’application du test .............................................................................................................. 73
2.2.2. Notion(s) mise(s) en jeu par le test ........................................................................................................... 74
2.2.3. Limites de l’applicabilité du test............................................................................................................... 75
2.3. L’agentivité de l’argument externe du prédicat............................................................................. 76
2.3.1. L’agentivité du verbe................................................................................................................................ 76
2.3.2. L’agentivité de l’adjectif........................................................................................................................... 78
2.3.2.1. Propriétés sémantiques des adjectifs agentifs................................................................................. 79
2.3.2.2. Propriétés aspectuelles des adjectifs............................................................................................... 81
2.3.3. L’agentivité du nom.................................................................................................................................. 83
2.4. Conclusion partielle....................................................................................................................... 84
3. TESTS DISTRIBUTIONNELS : VERBES SUPPORTS, PREDICATS PROCESSIFS ET PREDICATS EVENEMENTIELS 84
3.1. Les verbes supports ....................................................................................................................... 85
3.1.1. Les verbes supports révélateurs de dynamicité ......................................................................................... 86
3.1.1.1. faire................................................................................................................................................ 86
3.1.1.2. Effectuer, réaliser, accomplir, procéder à, commettre................................................................... 90
3.1.2. Les verbes supports révélateurs de stativité .............................................................................................. 93
3.1.2.1. Eprouver et ressentir...................................................................................................................... 93
3.1.2.2. Avoir............................................................................................................................................... 94
3.2. Les prédicats révélateurs de processivité ...................................................................................... 96
3.2.1. Durer (x temps)......................................................................................................................................... 96
3.2.2. La préposition de temps pendant .............................................................................................................. 97
3.2.2.1. Description sémantique de pendant et restrictions aspectuelles ..................................................... 97
3.2.2.2. Pendant et les noms statifs ........................................................................................................... 100
3.3. Les prédicats événementiels : se produire, survenir, avoir lieu .................................................. 102
3.4. Conclusion partielle..................................................................................................................... 103
4. LES PERIPHRASES ASPECTUELLES .......................................................................................................... 105
4.1. Statut syntaxique des « choses aspectuelles » ............................................................................. 108
4.2. La forme progressive : un test parfait ? ....................................................................................... 116
4.2.1. Rejet complet du test .............................................................................................................................. 116
4.2.2. Rejet de la version forte du test............................................................................................................... 118
4.2.2.1. La forme progressive et les verbes statifs..................................................................................... 118
4.2.2.2. La forme progressive et les verbes ponctuels ............................................................................... 122
4.2.2.3. Application du test ....................................................................................................................... 124
4.2.3. De l’imperfection de la forme progressive : le cas des adjectifs ............................................................. 126
4.2.4. La progressivité des noms....................................................................................................................... 128
4.2.4.1. En voie de..................................................................................................................................... 129
4.2.4.2. En cours (de)................................................................................................................................ 130
4.3. Commencer, continuer et finir..................................................................................................... 132
4.4. Arrêter n’est pas cesser ............................................................................................................... 140
4.5. Conclusion partielle..................................................................................................................... 146
5. CONCLUSION ......................................................................................................................................... 147
CHAPITRE 3 CE QUE DISENT LES PREPOSITIONS DANS ET EN (PLEIN) DES PROPRIETES
ASPECTUELLES DES NOMS STATIFS.......................................................................... 151

1. DANS ET LES NOMS STATIFS ................................................................................................................... 153


1.1. Préliminaires ............................................................................................................................... 154
1.1.1. Le choix de la structure........................................................................................................................... 154
1.1.2. La composition de la structure................................................................................................................ 156
1.1.3. Délimitation du corpus ........................................................................................................................... 158
1.2. Complément de temps-cause (CTC) vs Complément de cause (CC) ................................................. 161
1.2.1. Rapport temporel entre le CTC et la prédication principale.................................................................... 162
1.2.2. Rapport causal entre le CC ou le CTC et la prédication principale......................................................... 163
1.3. NC vs NTC..................................................................................................................................... 167
1.3.1. Rapport au temps des NC et des NTC ....................................................................................................... 167
1.3.2. Interprétation des NC et des NTC pluriels................................................................................................. 169
1.3.3. Rapport des NC et des NTC avec la notion de localisation ....................................................................... 171
1.4. Quelques cas problématiques ...................................................................................................... 173
1.4.1. CC ou CTC ? .......................................................................................................................................... 173
1.4.2. Noms d’états et/ou de qualités ? ............................................................................................................. 175
1.4.2.1. Le rapport au sujet........................................................................................................................ 175
1.4.2.2. Le rapport au temps...................................................................................................................... 176
1.4.2.3. Interprétation des pluriels............................................................................................................. 176
1.4.3. Tentative d’explication des cas problématiques...................................................................................... 177
1.4.3.1. Rappel des problèmes posés......................................................................................................... 177
1.4.3.2. Les noms dérivés d’adjectifs de qualité-comportement................................................................ 178
1.4.3.3. Les originalités du nom clairvoyance........................................................................................... 180
1.4.3.4. Le faux problème posé par impatience......................................................................................... 181
1.4.4. Origine aspectuelle des noms de qualités................................................................................................ 182
1.4.5. Conclusion sur les cas (non) problématiques.......................................................................................... 182
1.5. Conclusion partielle..................................................................................................................... 183
2. ÊTRE EN VS ETRE EN PLEIN...................................................................................................................... 185
2.1. Présentation générale des structures étudiées.............................................................................. 186
2.2. Les noms de lieux........................................................................................................................ 188
2.2.1. Être en Nlieu : localisation spatiale......................................................................................................... 188
2.2.2. Être en Nlieu : fonction intrinsèque ........................................................................................................ 188
2.2.2.1. Cas où la fonction est spécifiée .................................................................................................... 189
2.2.2.2. Cas où la fonction est non spécifiée ............................................................................................. 190
2.2.3. Conclusion partielle ................................................................................................................................ 191
2.2.4. Être en plein Nlieu : la localisation spatiale............................................................................................ 192
2.2.5. Conclusion partielle ................................................................................................................................ 194
2.3. Les noms d’états.......................................................................................................................... 194
2.3.1. Problèmes de méthode............................................................................................................................ 195
2.3.1.1. Elaboration du corpus................................................................................................................... 195
2.3.1.2. Attribution des degrés d’acceptabilité .......................................................................................... 196
2.3.1.3. Présentation du corpus ................................................................................................................. 198
2.3.2. En + Nétat .............................................................................................................................................. 199
2.3.3. En plein + Nétat ..................................................................................................................................... 200
2.3.3.1. Plein : marqueur de centrage temporel......................................................................................... 200
2.3.3.2. Plein : marqueur aspectuel .......................................................................................................... 201
2.4. Conclusion partielle..................................................................................................................... 202
CHAPITRE 4 ÊTRE EN VS ETRE EN PLEIN ET LES NOMS DYNAMIQUES ............................. 204

1. PRELIMINAIRES...................................................................................................................................... 204
1.1. Rappel : identification des noms dynamiques ............................................................................. 204
1.2. N1 être en N2 : rapports sémantiques entre N1 et N2 .................................................................... 207
1.2.1. Localisation active .................................................................................................................................. 208
1.2.2. Localisation passive................................................................................................................................ 209
1.2.2.1. Sujet dont le référent est [- animé] ............................................................................................... 209
1.2.2.2. Sujet dont le référent est [+ humain] ............................................................................................ 209
2. CONTRAINTES DE SELECTION IMPOSEES PAR ETRE EN AUX NDYNACTIF .................................................... 210
2.1. La durativité ................................................................................................................................ 212
2.1.1. Durer (x temps)....................................................................................................................................... 212
2.1.2. Les périphrases aspectuelles ................................................................................................................... 213
2.1.3. Pendant................................................................................................................................................... 214
2.1.4. Durativité et événementialité .................................................................................................................. 215
2.1.5. NdynACTIF et durativité............................................................................................................................. 215
2.2. L’(a)télicité.................................................................................................................................. 215
2.2.1. Compléments de temps introduits par en vs pendant.............................................................................. 216
2.2.1.1. Application du test dans le domaine verbal.................................................................................. 216
2.2.1.2. Application du test dans le domaine nominal............................................................................... 219
2.2.2. Distribution des déterminants ................................................................................................................. 220
2.2.2.1. Noms concrets massifs vs comptables.......................................................................................... 220
2.2.2.2. Noms abstraits massifs vs comptables.......................................................................................... 221
2.2.2.3. Homogénéité vs hétérogénéité dans le domaine verbal ................................................................ 222
2.2.2.4. Massivité et atélicité..................................................................................................................... 223
2.2.3. (A)télicité et événementialité.................................................................................................................. 224
2.3. L’origine aspectuelle des Ndyn : des verbes aux noms............................................................... 225
2.3.1. Origine aspectuelle des NdynB de type accouchement........................................................................... 226
2.3.2. Origine aspectuelle des NdynACTIF ........................................................................................................... 227
2.3.3. Comparaison des propriétés aspectuelles des NdynACTIF et NdynB du type accouchement..................... 229
2.3.3.1. Points communs ........................................................................................................................... 229
2.3.3.2. Différences ................................................................................................................................... 230
2.4. Les NdynACTIF et l’expression de la stativité ................................................................................. 233
2.4.1. Localisation spatiale ............................................................................................................................... 233
2.4.1.1. Le lieu de l’événement ................................................................................................................. 233
2.4.1.2. Délimitation de la classe des NdynACTIF-LOC ................................................................................... 235
2.4.2. Stativité et homogénéité.......................................................................................................................... 236
3. ÊTRE EN ET LES NDYNPASSIF ..................................................................................................................... 237
3.1. En et les sujets[+HUM] « subissants » .............................................................................................. 237
3.2. En et les sujets inanimés.............................................................................................................. 238
3.3. Propriétés aspectuelles des NdynPASSIF .......................................................................................... 240
3.4. Conclusion partielle..................................................................................................................... 241
4. PLEIN : MODIFIEUR DE CONTRAINTES DE SELECTION ............................................................................. 242
4.1. Rôle sémantique de plein ............................................................................................................ 242
4.2. Centrage temporel-intensif et effets de sens................................................................................ 243
4.2.1. Plein et les NdynACTIF .............................................................................................................................. 243
4.2.2. Plein et les NdynB .................................................................................................................................. 244
4.2.3. Plein et les NdynPASSIF ............................................................................................................................. 245
5. CONCLUSION ......................................................................................................................................... 246
CONCLUSION.…..…………………………………………………………………………………………….248

BIBLIOGRAPHIE.…………………………………………………………………………………………….252
Introduction

Notre travail a pour objet l’étude des propriétés aspectuelles des noms. Grâce à l’examen de la
distribution des noms dans certaines tournures prépositionnelles, telles que N1 est en N2 ou
dans son N, nous montrerons que les propriétés aspectuelles des noms jouent un rôle central
dans les restrictions de sélection qui s’opèrent. Cela nous mènera à nous interroger sur les
conditions d’héritage, par les noms, des propriétés aspectuelles des verbes et des adjectifs
apparentés lorsqu’ils existent. Pour ce faire, il est nécessaire de classer les verbes, les adjectifs
et les noms en fonction de leurs propriétés aspectuelles.
Adoptant une approche empirique des faits de langue, nous regroupons dans une
même classe les lexèmes partageant un ensemble de propriétés sémantico-syntaxiques
identifiables par le biais de tests linguistiques et induisant un comportement linguistique
commun. Bien sûr, certains noms échappent à la classification : ils peuvent présenter des
propriétés intermédiaires entre deux classes, former une sous-classe assortie de propriétés
originales à l’intérieur d’une classe identifiée, avoir un emploi qui s’est spécialisé au point de
modifier certaines des propriétés qui sont celles de leur classe d’origine, allant parfois jusqu’à
dissimuler cette origine, etc. Nous ne pourrons évidemment pas prendre en compte tous ces
cas dans notre travail, ce serait s’écarter de l’analyse principale.
Notre objectif ne peut pas être de traiter tous les noms et toutes les classes ou sous-
classes aspectuelles : il nous est impossible dans le cadre de cette thèse d’aller très loin à la
recherche d’exceptions, de cas particuliers, de cas inexpliqués. Certes, les généralisations
proposées soulèvent des « cas », mais il ne peut en être autrement dans une étude portant sur
un champ d’investigation aussi vaste que « les propriétés aspectuelles des noms ». Par
conséquent, nos conclusions devront être prises pour ce qu’elles sont : des généralisations sur
certaines classes de noms dont les frontières ne sont pas toujours des lignes mais plutôt des
zones.

Les noms dénotent prioritairement des entités (ancrées dans l’espace et non dans le temps), ils
ne possèdent donc pas normalement de propriétés aspectuelles. Au contraire, les verbes et les
adjectifs dénotent des changements ou des propriétés qui ont un rapport au temps et sont donc
par définition porteurs d’aspect. Cependant, il existe des noms qui dénotent, à la manière des
verbes ou des adjectifs, des changements ou des propriétés, et qui par conséquent présentent

1
eux aussi des propriétés aspectuelles : ces noms sont nécessairement abstraits et prédicatifs,
l’un entraînant l’autre. Une part importante des noms prédicatifs est constituée de
nominalisations, i.e. de noms en lien morphologique avec un verbe ou un adjectif. Le lien
morphologique qui unit les nominalisations aux verbes et aux adjectifs se double d’un lien
sémantique fort : la nominalisation est un prédicat dont les propriétés aspectuelles sont en
rapport avec celles du verbe ou de l’adjectif. Nous verrons que si, dans de nombreux cas, les
propriétés aspectuelles du nom sont semblables à celles du prédicat apparenté, il existe aussi
des cas de divergence aspectuelle entre le prédicat (verbe ou adjectif) et la nominalisation.
Nous donnons au terme nominalisation une acception large : pour nous, un nom est
une nominalisation s’il est, en synchronie, en lien morphologique avec un prédicat (verbe ou
adjectif), et ce quelle que soit l’orientation de ce lien. S’il est de nombreux cas où
l’orientation allant du verbe ou de l’adjectif vers le nom est évidente en raison de la présence
d’un suffixe nominal (e.g. promener > promenade, triste > tristesse), il n’en va pas de même
lorsqu’on est en présence de conversions (e.g. travail – travailler). Le choix d’un critère
morphologique non orienté permet également de ne pas nous prononcer sur les délicates
questions de provenance morphologique d’un nom comme énervement (dont on peut se
demander s’il faut le mettre en lien avec le verbe (s’)énerver ou avec le participe adjectival
énervé) ou arrogance (dont on peut se demander s’il provient de l’adjectif ou du participe
présent arrogant1). Par commodité de formulation, l’expression « être en lien
morphologique » étant un peu encombrante, il nous arrivera de lui substituer les termes
« dérivation » ou encore « nom déverbal » ou « nom désajectival ». Cependant, il ne faut pas
attribuer à ces termes leur sens classique en morphologie (où ils impliquent une orientation du
lien) mais davantage le sens plus neutre de « lien morphologique ».
Une partie de nos travaux fait appel à la notion d’héritage des propriétés aspectuelles
entre les verbes ou adjectifs et les noms. La relation est cette fois orientée des premiers vers
les seconds. En effet, nous considérons que le nom est toujours l’héritier et que le verbe ou
l’adjectif est toujours le donateur car, même lorsque l’orientation morphologique n’est pas
clairement établie comme allant du verbe / adjectif vers le nom, nous considérons que les
nominalisations sont secondes par rapport aux verbes / adjectifs. De fait, du point de vue
conceptuel, les verbes et adjectifs sont des prédicats prioritairement par rapport aux noms car
il est dans la nature des verbes et des adjectifs d’être des prédicats et de posséder des

1
On peut se demander s’il existe vraiment un suffixe –ance en français et, même s’il existe, son origine n’est pas
clairement établie. Il est possible qu’un phénomène de syncrétisme soit à l’origine de la création du (ou des ?)
suffixe(s) –ance (Amiot, CP).

2
propriétés aspectuelles. Au contraire, la nature prédicative des noms est dérivée, le nom ayant
comme fonction première de référer aux choses du monde, de nommer des entités.
Outre les nominalisations, il faut compter parmi les noms possédant des propriétés
aspectuelles un certain nombre de noms non morphologiquement liés à des verbes ou à des
adjectifs, au moins en synchronie, tels que concert, conférence, crime, départ, désarroi, etc.
Ces noms sont prédicatifs et présentent le même comportement linguistique que les
nominalisations dont ils partagent les propriétés sémantico-aspectuelles. Ces noms dits
« isolés » seront par conséquent intégrés à notre corpus d’étude même si nous leur accordons
une place moins importante qu’aux nominalisations, étant donné qu’ils ne peuvent pas être
utilisés pour observer les phénomènes d’héritage aspectuel.
Il nous faut également restreindre la classe des noms que nous étudions
(nominalisation et noms isolés) à ceux qui ont une acception abstraite (et donc des propriétés
aspectuelles), que cette acception soit ou non la seule possible. Sont ainsi naturellement
exclus les noms isolés concrets mais aussi les nominalisations n’ayant aucun emploi
prédicatif, i.e. les nominalisations n’ayant qu’une acception concrète qui peut renvoyer à un
agent, à un instrument ou, plus rarement, au résultat d’une action2 :
(1) a. un jardinier / un manifestant / un promeneur
b. un clignotant / une raclette / un ventilateur
c. un bâtiment / un garage / une pensée
Ces noms sont des noms ordinaires (ou véritables) qui ne présentent aucune propriété
aspectuelle. Une grande partie des entités concrètes peuvent être localisées dans l’espace par
le biais de noms de lieux physiques, elles peuvent également se voir attribuer des propriétés
physiques :
(2) a. Le ventilateur se trouve sur la table
b. Le promeneur se trouve près de la gare
c. La chaise est dans le garage de Jean3
(3) a. La raclette est en caoutchouc
b. Ce manifestant est très laid
c. Le rideau est troué

2
En effet, dans la plupart des cas, les nominalisations ayant un sens concret résultatif ont également un sens
abstrait prédicatif (cf. (7)).
3
Il faut veiller à ne pas utiliser comme nom de lieu physique des noms d’objet pouvant renvoyer à un contenu
informationnel, comme livre :
(i) La démonstration d’Euclide que tu cherches se trouve dans ce livre
Dans ce cas, le livre n’est plus, ou plus seulement, visé comme objet concret mais aussi comme objet
informationnel, ce qui rend l’application du test difficile.

3
Le premier test est plus fiable que le second, qui peut poser des problèmes d’applicabilité,
notamment lorsque qu’il existe des emplois imagés du nom :
(4) le silence est d’or / un regard de velours / une réponse en béton
Pour cette raison, le premier test sera préféré au second, même s’il faut lui reconnaître des
limites puisque certains noms, pourtant concrets, ne peuvent pas être localisés spatialement
(e.g. mot, sonate). Leur concrétude sera établie grâce à la définition conceptuelle qui sera
donnée de la distinction entre concret et abstrait au chapitre 1.
Les acceptions concrètes des nominalisations polysémiques sont également exclues de
notre champ d’étude4. Il est assez fréquent qu’en plus de leur emploi prédicatif, les
nominalisations aient un emploi concret. Elles peuvent dénoter un agent (5), un instrument (6)
ou encore un résultat (7) :
(5) a. La direction ne compte pas moins de dix-sept actionnaires
b. La direction de cet institut de sondage par l’époux de cette
députée pose un problème éthique
(6) a. La ventilation se trouve au dessus de l’évier
b. La ventilation de cet atelier s’effectue par une toute petite fenêtre
(7) a. La construction qui se trouve en haut de cette colline est d’une
hideur effroyable
b. La construction de la nouvelle école du quartier par une
entreprise compétente prendra tout au plus six à huit mois
Dans certains contextes, la séparation entre l’emploi prédicatif et l’emploi résultatif de la
nominalisation peut être difficile :
(8) Le travail de Pierre est très important
En l’absence d’un contexte plus précis, il n’est pas possible de décider si le nom travail
renvoie en (8) à une action (9) ou à son résultat concret (10) :
(9) Pierre effectue un travail remarquable auprès des personnes
atteintes de troubles neurologiques
(10) Le travail de Pierre comporte plus de deux cents pages
Par souci de n’utiliser les nominalisations que dans leur emploi abstrait, nous éviterons autant
que possible d’employer des contextes dans lesquels l'acception du nom pourrait être
ambiguë. Puisqu'il est entendu que seuls les noms abstraits sont pourvus de propriétés
aspectuelles, l’emploi de contextes mettant en valeur ces propriétés nous permettra d’éviter
les ambiguïtés entre interprétation concrète et interprétation abstraite.

4
A propos de la polysémie abstrait / concret des nominalisations, cf. entre autres Grimshaw (1990), Alexiadou
(2001), Osswald (2005), Van de Velde (2006).

4
Un dernier mot sur notre corpus de travail : nous avons utilisé principalement des
exemples construits, qui présentent l’avantage d’être souvent plus simples et plus courts que
les exemples attestés, ce qui permet de mettre plus nettement en relief le point traité. Ces
exemples ont néanmoins été construits après l’observation d’exemples attestés dont ils sont
une forme d’illustration simplifiée. Toutefois, dès que l’acceptabilité d’une tournure nous a
paru litigieuse, nous avons donné un ou plusieurs exemples attestés, trouvés sur la toile ou par
le biais de la base de données « Frantext ». Nous avons également utilisé le moteur de
recherche Google pour obtenir des données chiffrées quant à l’utilisation de noms dans telle
ou telle structure, afin d’en déterminer approximativement le degré d’acceptabilité. Ces
chiffres ne peuvent servir à établir des statistiques, celles-ci n’auraient d’ailleurs aucune
valeur dans le corpus hétéroclite et non fini qu’est l’Internet. Cependant, grâce à eux, on peut
se faire une idée relative de la possibilité pour un nom d’être sélectionné par la structure
étudiée.

On ne peut envisager d’étudier l’aspect lexical des noms sans commencer par définir plus
généralement la notion d’aspect en lien avec la catégorie grammaticale à laquelle elle a été
premièrement rattachée : celle du verbe. Dans le domaine verbal, la notion d’aspect a d’abord
été élaborée afin de rendre compte d’une opposition sémantique morphologiquement marquée
dans les langues slaves entre les verbes perfectifs et les verbes imperfectifs. Notre premier
chapitre commencera donc par une présentation succincte de l’aspect dans les langues slaves.
Par la suite, la notion d’aspect a été transposée à d’autres langues, y compris à des
langues dépourvues de marquage morphologique propre à la notion d’aspect comme le
français, ce qui, nous le verrons, a posé quelques difficultés. En outre, même dans les langues
slaves, l’aspect n’est pas une notion unidimensionnelle (il ne se limite pas à l’opposition
perfectif / imperfectif) mais permet d’exprimer diverses oppositions sémantiques auxquelles
on fait souvent référence par le terme Aktionsart. Cela soulève de nombreux problèmes : où
situer la frontière entre aspect et Aktionsart, à quelle(s) opposition(s) sémantique(s) renvoie
chacun de ces termes, à quels niveaux opèrent-elles, etc. Ces problèmes déjà présents dans les
études slavisantes (où l’aspect donne pourtant l’impression de s’offrir à l’étude de manière
transparente) sont amplifiés lors de l’application de ces notions dans les langues dépourvues
d’une catégorie grammaticale de l’aspect. La discussion autour de la notion d’aspect verbal en
slave puis en français sera l’occasion d’évoquer les problèmes définitionnels et
terminologiques liés à cette notion.

5
Ces jalons posés, nous présenterons deux grands types d’études portant sur l’aspect
lexical des verbes. Le premier type d’études vise à classer les lexèmes verbaux en fonction de
leurs propriétés aspectuelles (la plus connue étant celle de Vendler (1957)), le second type
d’études, récusant la possibilité même d’opérer directement un classement des lexèmes
verbaux, révèle la nature compositionnelle de l’aspect (la plus connue étant celle de Verkuyl
(1971)). Cette présentation permettra de donner une première définition de quelques notions
et surtout de prendre position par rapport à ces deux conceptions de l’aspect lexical. Cette
notion ayant ainsi été définie, nous pourrons aborder la question de son application dans le
domaine qui nous intéresse plus particulièrement : celui des noms.
Nous avons précisé plus haut quels noms sont exclus de notre corpus de travail et
quels noms au contraire y sont intégrés : les noms abstraits prédicatifs. Nous reviendrons sur
ces deux notions, la seconde nous permettra d’évoquer le problème de la structure
argumentale des noms prédicatifs et de discuter l’analyse qu’en propose Grimshaw (1990). A
l’issue de ce premier chapitre nous aurons ainsi resitué la notion d’aspect dans le domaine
verbal et ébauché sa transposition dans le domaine nominal. Notre entreprise de transposition
se poursuivra amplement au deuxième chapitre par l’étude de l’opposition aspectuelle
primordiale de dynamicité vs stativité.

Bien que notre étude porte principalement sur l’aspect des noms, il nous a paru néanmoins
indispensable de définir l’étendue relative des deux grandes sphères que sont la dynamicité et
la stativité dans les domaines verbal, adjectival et nominal. En effet, pour nous servir de la
notion d’héritage aspectuel, il est indispensable de pouvoir attribuer aux noms mais aussi aux
verbes et aux adjectifs des traits aspectuels. Le domaine où les tests aspectuels sont le mieux
établis est le domaine verbal, il offre ainsi une base de travail relativement stable pour les
autres domaines. A l’issue de ce deuxième chapitre, nous disposerons ainsi d’une série de
tests portant sur la dynamicité des prédicats dans les trois domaines.

Les noms prédicatifs statifs5, objets du chapitre 3, ne forment pas une classe aspectuelle
homogène et présentent des disparités importantes, notamment dans leur rapport au temps.
L’étude de la structure dans son N permettra de mettre en évidence cette disparité :
(11) Dans son énervement, Pierre étrangla sa femme

5
Les « noms statifs » sont des noms dénotant des situations statives, les « noms dynamiques » sont des noms
dénotant des situations dynamiques. Ce type de raccourcis sera décliné pour toutes les propriétés sémantico-
aspectuelles (e.g. « nom télique », « verbe d’action », « adjectif d’état », etc.).

6
(12) Dans son avarice, Pierre ne donnait jamais un sou à son fils
En (11), le rapport entre la prédication portée par le nom et la prédication principale est à la
fois causal et temporel alors qu’en (12) il est uniquement causal. Nous montrerons que cette
différence interprétative est explicable si l’on tient compte des propriétés aspectuelles des
noms impliqués. Lors de cette analyse, nous recourrons à la notion d’héritage aspectuel qui
permet d’élucider le comportement linguistique, à première vue étrange, d’une sous-classe de
noms statifs.
Notre travail sur les noms statifs se poursuivra par l’étude de deux structures locatives
en apparence très proches : N[+HUM] être en N et N[+HUM] être en plein N. Afin de cerner
l’apport sémantique de plein, nous commencerons par étudier ces deux structures lorsqu’elles
opèrent une localisation spatiale (i.e. lorsque le nom argument de en / en plein dénote un lieu
physique). Puis, nous observerons ces structures lorsqu’elles opèrent une localisation
métaphorique (i.e. lorsque le nom argument dénote un état). La comparaison des restrictions
de sélection imposées d’une part par en et d’autre part par en plein nous permettra de révéler
une particularité propre à quelques noms statifs qui peuvent, en présence de plein, avoir une
interprétation qui se rapproche de la dynamicité.

Cette particularité n’est pas si étonnante si l’on remarque que les structures être en et être en
plein peuvent également opérer une localisation métaphorique du référent de leur sujet à
l’intérieur de la situation dynamique dénotée par un nom d’action. Ce sera l’objet de notre
quatrième et dernier chapitre. Nous verrons que les prépositions en et en plein imposent aux
noms dynamiques qui les suivent des restrictions de sélection différentes, restrictions qui sont
en grande partie aspectuelles. Alors que la plupart des noms dynamiques qui peuvent servir
d’arguments à en peuvent également suivre en plein, l’inverse ne se vérifie pas. De nouveau,
l’étude de l’origine des noms permettra d’expliquer plusieurs des divergences de distribution
des deux structures être en et être en plein. En particulier, nous verrons que la préposition en
employée seule a une affinité avec l’expression de la stativité alors que la présence de plein
induit une lecture dynamique de l’ensemble de la structure. L’étude des restrictions de
sélection imposées par la préposition en sera l’occasion de montrer que lors du passage des
verbes aux noms, la propriété aspectuelle de télicité (ou bornage) peut être modifiée, ce qui
nous conduira finalement à affiner cette notion dans le domaine nominal.

7
Chapitre 1
L’aspect : définitions et terminologies

Dans le domaine verbal, les catégories du temps et de l’aspect sont intimement liées, mais
alors que le temps permet de situer chronologiquement une situation par rapport à un repère
ou par rapport à d’autres situations, l’aspect donne des informations sur le temps inhérent à la
situation. Le lien fort qui unit le temps et l’aspect est particulièrement saillant dans la
terminologie guillaumienne où l’aspect est appelé « temps impliqué » (le temps que le verbe
« emporte avec soi » Wilmet (1980 : 53) qui inclut le déroulement du procès et ses bornes) et
s’oppose au « temps expliqué » (qui est le temps chronologique). La proximité de ces deux
catégories a suscité de nombreux débats portant sur leur délimitation réciproque. Ainsi, ce qui
relève de la catégorie du temps selon certains relève de celle de l’aspect pour d’autres.
Au-delà de la question de la délimitation de la catégorie de l’aspect vis-à-vis des autres
catégories verbales (principalement le temps6, mais aussi le mode ou la diathèse7), se pose la
question du contenu notionnel de cette catégorie. Le terme d’aspect peut être réservé à
l’aspect grammatical (l’aspect est alors réduit à l’expression de l’achèvement de la situation
qui est portée par les temps verbaux en français), ou au contraire, renvoyer à une « catégorie
pluridimentionnelle » (Coseriu, 1980 : 15) qui regroupe un faisceau d’oppositions dont le
nombre est variable selon les linguistes. On y trouve des notions telles que la durée, la
dynamicité, l’achèvement, le résultat, etc. Ces auteurs distinguent dans leur majorité un aspect
grammatical (au sens défini ci-dessus) et un aspect lexical. Nous reviendrons sur cette
distinction au §1.3.
La notion d’aspect souffre également de l’inflation terminologique qu’elle a suscitée.
Les auteurs adoptent des terminologies variées, parfois complémentaires, parfois
contradictoires. A titre d’exemple, les termes perfectif / imperfectif sont employés à des fins
très diverses puisqu’ils peuvent soit spécifier si une situation a (ou non) un terme intrinsèque,
soit signaler que la situation est vue comme achevée (ou inachevée) indépendamment de

6
A titre s’exemple, alors que l’opposition entre le passé simple et l’imparfait est souvent considérée comme une
distinction aspectuelle au sein de l’époque passée, Guillaume (1929/[1984]) pense que cette opposition ne relève
pas de l’aspect, puisqu’elle ne transcende pas l’ensemble du système verbal français, mais du temps.
7
A titre d’exemple, selon Larochette (1980), la répétition d’un procès (souvent considéré comme un trait
aspectuel connu sous le nom d’itératif ou de fréquentatif) ne relève pas de la catégorie de l’aspect mais de celle
de la diathèse.

8
l’existence d’un terme intrinsèque. Au fil de cette première section, nous présenterons un
échantillon des terminologies existantes avant d’indiquer celle que nous adoptons.
L’intérêt des linguistes pour l’aspect prend sa source dans les recherches menées sur
e
les langues slaves depuis le XVIII siècle. Pour cette raison, nous commencerons par exposer
ce qu’est l’aspect dans ces langues. N’étant pas locuteur des langues slaves, nous ne pourrons
pas rendre compte de la complexité des faits mais tenterons d’en donner un aperçu suffisant
pour fonder notre propos.

1. L’aspect verbal
1.1. Les langues slaves et la découverte de l’aspect
Les langues slaves marquent formellement une opposition connue sous le nom de perfectif /
imperfectif grâce à un système d’affixes indépendant de la conjugaison et donc de
l’expression du temps. Le contenu notionnel de cette opposition s’exprime en termes
d’achèvement / inachèvement. Les verbes forment des couples aspectuels : à un verbe
perfectif qui signale la présence d’une limite atteinte ou visée s’oppose un verbe imperfectif
qui renvoie à l’action seule, à son occurrence, et éventuellement à sa répétition.
Dans les langues slaves, l’aspect domine le temps, le verbe est, d’abord perfectif ou
imperfectif et, ensuite seulement, il peut être conjugué à n’importe quel temps8. Afin de
mieux comprendre quel est le statut de l’aspect dans le système verbal slave, nous allons
présenter schématiquement son fonctionnement en russe.

1.1.1. Fonctionnement de l’aspect en russe


L’expression de l’aspect en russe repose sur un système d’affixes. Le russe possède deux
indicateurs formels de l'aspect perfectif (Guiraud-Weber, 2004 : 10) :
- Le suffixe -u/nu : tout verbe comportant le suffixe -u/nu à valeur semelfactive est perfectif.
- Les préverbes : normalement, tout verbe simple (sans suffixe imperfectif) qui comporte un
préverbe (ou préfixe) est perfectif.
Il existe également deux indicateurs formels de l'aspect imperfectif :
- Les suffixes -a(va) et -i(va).
- L’absence d’affixes : l'absence de tout morphème aspectuel indique l'imperfectivité du
verbe.

8
Coseriu présente la domination de l’aspect sur le temps en ces termes : « dans les langues slaves, l’aspect se
présente avant le temps, avec la catégorie même du verbe. C’est-à-dire que, dès qu’il y a notion verbale, cette
notion y est déterminée comme "imperfective" ou "perfective" » (1980 : 15-16).

9
Etant donné que l’opposition perfectif / imperfectif est systématique et qu’elle est
portée par des morphèmes réservés à l’expression des oppositions aspectuelles, il semble que
l’aspect russe (et plus généralement l’aspect slave) soit une catégorie grammaticale au sens où
l’entend Desclès : « une catégorie grammaticale est un système de correspondance entre (1)
des notions grammaticales (qui représentent des valeurs) et (2) des marqueurs morpho-
syntaxiques repérables dans des textes [...]. » (1980 : 198).

1.1.2. Le ou les aspect(s) ?


Notre présentation très schématique de l’aspect russe pourrait donner à penser que l’aspect
slave est uniquement une catégorie grammaticale exprimant l’opposition achevé / inachevé et
portée par un système morphologique dans lequel chaque affixe donnerait au verbe soit sa
valeur de perfectif soit sa valeur d’imperfectif. Or, cela n’est pas si simple car parmi les
affixes qui marquent l’aspect, si certains sont univoques, et portent uniquement l’information
concernant la perfectivité du verbe, d’autres modifient le sens du verbe : « l'aspect en russe est
une catégorie grammaticale complexe qui relève, à la fois, de la morphologie, de la syntaxe et
du lexique » (Guiraud-Weber, 2004 : 9). Cependant, l’opposition perfectif / imperfectif des
langues slaves étant directement observable (grâce à un système morphologique riche), elle a
focalisé sur elle l’attention des linguistes parfois au détriment des autres oppositions
aspectuelles que connaissent ces langues.
1.1.2.1. Au delà de l’opposition perfectif / imperfectif: un aspect
peut en cacher un autre
Même si elle est dominante et systématiquement présente dans les langues slaves,
l’opposition perfectif / imperfectif n’est pas la seule opposition aspectuelle que connaissent
ces langues.
Guiraud-Weber précise que l’expression de l'aspect russe passe par l'utilisation de
moyens grammaticaux et lexicaux (2004 : 12). Elle développe cette idée en observant les
couples perfectif / imperfectif que forment les verbes : « en russe moderne, les suffixes
d'imperfectivation ne possèdent qu'un sens grammatical, celui de l'imperfectivité. Par
conséquent, leur adjonction ne modifie en rien le sens lexical du verbe perfectif qui est à
l'origine du couple » (ibid. : 23). On obtient alors un vrai couple aspectuel. « La préverbation,
en revanche, est un procédé mi-grammatical, mi-lexical, dans la mesure où le préverbe
apporte au verbe deux valeurs distinctes: le sens grammatical de la perfectivité et son sens
lexical propre » (ibid.).
Les préverbes sont en effet porteurs de valeurs aspectuelles diverses telles que
l’ingressif (le préverbe indique que l’on considère le début du procès) ; le semelfactif (l’action

10
est présentée comme un seul acte accompli) ; le distributif (on a une découpe du procès en
plusieurs actes accomplis sur plusieurs objets et/ou par plusieurs sujets), Guiraud-Weber
(2004 : 47-48). La fonction des préverbes est donc double : ils marquent l’aspect (i.e. ils
déterminent si le verbe est perfectif ou imperfectif) et, en combinaison avec le sens lexical du
verbe, ils indiquent diverses significations aspectuelles du verbe (l’ingressif, le semelfactif, le
distributif, etc.). Ces indications sont généralement exclues du domaine de l’aspect au sens
strict et relèvent de l’Aktionsart (ou mode d’action9), ce terme, introduit dans les études slaves
par le linguiste suédois Agrell (1908)10, désigne « toute modification sémantique due à la
présence des préverbes et de certains suffixes » (Guiraud-Weber, 2004 : 85). Ces
modifications sémantiques changent parfois considérablement le sens du verbe, ce qui pousse
Kuryłowicz (1930) à exclure la préfixation des procédés grammaticaux de l’expression de
l’aspect11.
Par cet aperçu du fonctionnement de l’aspect dans les langues slaves, nous avons
montré que même dans ces langues, où l’aspect est formellement marqué et occupe une place
dominante dans le système verbal, la catégorie de l’aspect (vs celle de l’Aktionsart) n’est pas
aisée à délimiter et suscite des débats entre slavisants.
1.1.2.2. Débat autour de l’aspect slave
La notion d’aspect, même dans les langues slaves où elle paraît évidente, est loin de faire
consensus. Ce qui semble se dégager est qu’il faut distinguer l’aspect au sens strict (dont le
contenu notionnel est l’opposition perfectif / imperfectif et le mode d’expression un système
d’affixes) et les Aktionsarten (ou modes d’action) qui sont portés par les préverbes et
modifient le sens du verbe. Gwiazdecka pose clairement ce problème dans sa thèse sur
l’aspect en polonais : « le préverbe, qui est issu de la préposition spatiale, est un des
marqueurs de l’aspect perfectif en polonais, mais il introduit aussi certains changements dans
la signification du verbe auquel il s’applique. […] Comment alors distinguer la valeur
aspectuelle engendrée par le préverbe (l’aspect grammatical) du changement sémantique que cet
opérateur introduit dans le verbe (l’aspect lexical) ? » (2005 : 12).
Deux visions de l’aspect slave s’opposent : soit les couples verbaux perfectif /
imperfectif sont vus comme une paire de verbes ne s’opposant qu’aspectuellement, soit les

9
Aussi appelé « modification d’éventualité » Laca (2003 : 135).
10
Agrell est le premier à utiliser le terme d’Aktionsart pour dénommer les modes d’action. Cependant la
paternité en est parfois attribuée à l’allemand Brugmann (1902-1904).
11
Kuryłowicz dit à ce sujet : « quant à la préfixation, elle ne saurait être considérée comme un moyen
grammatical. Car aucun des préfixes verbaux slaves n’a perdu dans tous les cas son sens propre pour devenir un
signe grammatical de l’aspect perfectif » (1930 : 645).

11
différences sémantiques qui séparent un verbe imperfectif et son pendant perfectif sont
perçues comme beaucoup plus importantes qu’une simple opposition aspectuelle12.

1.1.3. Extension de l’intérêt pour l’aspect aux autres langues


Les travaux sur l’aspect dans les langues slaves ont beaucoup intéressé les linguistes
travaillant sur d’autres langues indo-européennes, notamment ceux travaillant sur les langues
romanes. Cohen note à ce propos que « des circonstances relevant de l’histoire de la
linguistique ont fait du système slave une base pour la théorie des aspects et un modèle pour
la description des langues où on le découvrait » (1989 : 20).
La vision de l’aspect comme une catégorie grammaticale devant transcender
l’ensemble du système verbal de la langue a fortement influencé les analyses aspectuelles
menées en dehors des langues slaves, poussant certains linguistes à réserver le terme d’aspect
aux oppositions systématiques, voire à refuser l’emploi de ce terme pour les langues autres
que le slave. L’aspect est donc perçu comme une catégorie verbale, à ce titre, il doit se
retrouver de façon systématique dans l’ensemble du système verbal de la langue étudiée.
Il est intéressant de noter que les auteurs qui évoquent le fonctionnement de l'aspect en
slave le font pour des raisons différentes. Certains s'y réfèrent comme à un modèle : puisque
les langues slaves ont une catégorie réservée à l'expression de l'aspect, il est recommandé de
s’appuyer sur l'étude de ces langues pour en déduire le fonctionnement de l'aspect dans
d'autres langues ne possédant pas de catégorie réservée à l'aspect (Zandvoort 1962). Cette
position est dénoncée par d’autres, dont Cohen, qui met en garde contre l’attitude, assez
répandue, d’ériger l’aspect slave en modèle car cela conduit parfois à parler d’ « aspect
authentique pour le slave, éventuellement pour le grec, et à nier implicitement les aspects dans
les autres langues » (1989 : 143).

1.2. Du slave au français : l’aspect transposé


Dans certaines études, le terme aspect reçoit un sens étroit dans lequel il désigne des
oppositions aspectuelles exprimées de manière systématique dans le système verbal grâce à
des marqueurs qui leur sont réservés. Cette position se heurte immédiatement à un paradoxe :
comment, en effet, transposer la catégorie grammaticale de l’aspect des langues slaves dans
des langues dépourvues d’un marquage morphologique spécifique de cette catégorie ? Si on

12
Ce second point de vue est soutenu entre autres par Cohen qui souligne qu’ « il n’ y a pas toujours d’accord
des locuteurs sur une telle identité lexicale, surtout lorsqu’elle concerne une forme simple imperfective opposée
à une forme perfective qui a été dérivée à l’aide d’un préfixe » (1989 : 23).

12
se réfère à la définition donnée par Desclès (1980)13, il semble que dans une langue comme le
français, l’aspect ne puisse pas être considéré comme une catégorie grammaticale.
En important des langues slaves la catégorie de l’aspect, les linguistes ne se sont-ils
pas lancés dans une entreprise vouée à l’échec ? Il ne semble pas que ce soit le cas, car il
existe bien, même dans une langue comme le français, un marquage grammatical de l’aspect
(ou d’un certain aspect), même si ce marquage ne lui est pas propre. Il s’agit des marques
morphologiques de conjugaison. En effet, beaucoup de linguistes s’accordent à penser que les
temps verbaux non seulement marquent l’époque (passé, présent, futur), mais donnent aussi
une indication sur le déroulement du procès, sur son accomplissement (i.e. donnent une
indication aspectuelle sur la situation dénotée par le verbe)14. L’opposition aspectuelle
accompli / inaccompli, portée en français par les temps grammaticaux, est exprimée de façon
systématique dans le système verbal, ce qui range bien l’aspect au rang des catégories
verbales. Le fait que l’opposition aspectuelle accompli / inaccompli ne soit pas en français
exprimée par des marqueurs qui lui sont réservés mais par des marqueurs empruntés à une
autre catégorie (celle du temps) n’empêche pas de la considérer comme une catégorie à part
entière si l’on en croit Coseriu : « il faut tenir compte du fait qu’une catégorie grammaticale
peut apparaître combinée (dans son expression et/ou dans son contenu) avec une autre
catégorie […]. Pour ce qui est de la catégorie de l’aspect, celle-ci se présente presque toujours
intimement combinée avec la catégorie de temps » (1980 : 15).
Deux grands types d’analyses peuvent être distingués. D’un côté, se trouvent les
linguistes qui limitent l’aspect en français à l’opposition accompli / inaccompli portée par les
conjugaisons (entre autres, Guillaume 1929/[1984]) et de l’autre, ceux qui reconnaissent à
côté de cet aspect (dit grammatical) un aspect lexical. Le contenu notionnel de l’aspect
(grammatical) est relativement stable : il sert à marquer l’achèvement (ou non-achèvement) de
la situation dénotée par le verbe. Cette opposition est souvent évoquée par le biais des termes
perfectif / imperfectif (repris de la tradition slave), achevé / inachevé15, ou encore accompli /
inaccompli (Arrivé 1986, Leeman-Bouix 1994, etc.). Il n’en va pas de même pour l’aspect

13
Cf. citation §1.1.1 La définition des catégories donnée par Coseriu va dans le même sens : « une catégorie
existe dans le système grammatical d’une langue si elle y fonctionne en tant que catégorie autonome, c’est-à-
dire, si elle y est représentée par des oppositions spécifiques et non réductibles à d’autres catégories » (1980 :
17).
14
Pour un point de vue différent cf. Laca qui défend l’idée que le présent, l’imparfait et le futur, dans les langues
romanes, sont des « temps sans aspect » (2003 : 148-149).
15
Selon Cohen les termes achevé / inachevé sont surtout employés dans l’étude des langues sémitiques de
l’ouest (1989 : 67), Pottier les utilise effectivement lorsqu’il évoque le fonctionnement de l’aspect en langue
arabe (1992 : 184).

13
lexical, qui regroupe un nombre très variable d’oppositions d’une analyse à l’autre, comme
nous le verrons au §1.3.2.

1.2.1. L’aspect comme catégorie grammaticale : Guillaume (1929/[1984])


Guillaume et ses successeurs distinguent en français trois aspects : l’aspect tensif (porté par
les temps simples), l’aspect extensif (porté par les temps composés), et l’aspect bi-extensif
(porté par les temps surcomposés). L’aspect est donc pour ce linguiste une opposition
grammaticale morphologiquement marquée par les temps verbaux. Il précise que « l’aspect
est une forme du verbe absolument générale, comme telle transposable à tous les modes et
susceptible de prendre dans chaque mode la marque de tous les temps que le mode
comprend » (1929/[1984] : 24). L’aspect est vu par cet auteur comme transcendant le système
verbal du français, il s’agit d’une catégorie intégrante alors que le mode et le temps sont vus
comme des catégories intégrées (1929/[1984] : 109).
La définition sémantique des aspects prend place dans la théorie guillaumienne de la
psychomécanique, qui est une théorie du système verbal connue sous le nom de chronogénèse
et dans laquelle il est postulé que le système verbal repose sur une représentation mentale du
temps. L’aspect tensif (ou immanent) donne une image de la situation dénotée par le verbe
dans son déroulement (cette image peut ou non être complète), par opposition aux aspects
extensif et bi-extensif (ou transcendants) qui expriment une « séquelle » de l’événement
(Guillaume 1929/[1984] : 21, Moignet 1980 : 45). Guillaume précise qu’il emploie le mot
séquelle « comme terme général pour désigner n’importe quelle situation résultante
susceptible de se déterminer dans la pensée comme suite dans le temps d’une action ou d’un
état qui a existé antérieurement » (1929/[1984] : 21).
Alors qu’en russe l’opposition événement complet / incomplet (i.e. perfectif /
imperfectif) est systématique, elle ne l’est pas en français, ce dont Guillaume conclut qu’elle
ne relève pas de l’aspect en français. On voit nettement le détachement de Guillaume eu égard
aux études slaves, puisqu’il ne cherche pas à faire reposer l’aspect français sur la notion
d’achèvement, primordiale en russe. Mais sa décision d’exclure tout ce qui n’est pas
systématique (transcendant) de l’aspect montre qu’il considère que, comme dans les langues
slaves, une opposition doit être une catégorie (au sens strict) pour relever de l’aspect16. Pour
désigner les oppositions qui ne se manifestent que dans une sous-partie du système verbal,

16
L’importance de l’influence des travaux slaves sur la conception guillaumienne de l’aspect est difficile à
déterminer. En effet, s’il cite à l’occasion le fonctionnement de l’aspect en slave dans ses travaux, il ne se
positionne pas explicitement sur cette question.

14
Guillaume réserve le terme de « thème ». Par exemple, la distinction déterminé /
indéterminé17 oppose en français le passé simple à l’imparfait, mais cette distinction ne
concerne pas l’ensemble du système, elle n’est donc pas transcendante et ne relève pas de
l’aspect mais du thème18.
Wilmet (1980), quoiqu’il reconnaisse à Guillaume le mérite d’expliciter les rapports
entre les catégories de l’aspect, du temps et du mode, reproche cependant à l’approche
guillaumienne de séparer, du point de vue notionnel, l’aspect en français de l’aspect des
langues slaves. En effet, chez Guillaume, il n’y a sémantiquement rien de commun entre
l’aspect des langues romanes (qui oppose un événement et sa subséquence) et celui des
langues slaves (qui oppose un événement complet à un événement incomplet)19. Cette critique
n’a de poids que si l’on postule comme préalable que la catégorie de l’aspect doit, dans toutes
les langues, exprimer les mêmes notions. Ce postulat, Guillaume ne le pose pas ; mieux,
partant d’un rapprochement formel de l’aspect au sein de la diversité des langues, il n’en a pas
besoin pour fonder une catégorie de l’aspect permanente d’une langue à l’autre. Selon lui,
l’aspect des langues slaves et celui des langues romanes ont en commun leur expression
grammaticale transcendante. Cette stabilité dans la définition de l’aspect apparaît aux yeux de
Guillaume comme suffisante pour fonder cette catégorie.
Wilmet reproche également à l’analyse de Guillaume (1929/[1984]) de rejeter en
dehors de l’aspect l’opposition entre le passé simple et l’imparfait qui est « imputé par la
psychomécanique à une différence de temps alors que l’immense majorité des linguistes y
voient un choix aspectuel » (1980 : 53)20. Il propose d’opposer à la vision guillaumienne très
restreinte de l’aspect en français un système aspectuel complexe combinant un aspect
grammatical, un aspect sémantique et un aspect lexical. De nombreux travaux distinguent

17
Il semble que déterminé / indéterminé signifie « perfectif / imperfectif » (dans les langues slaves), i.e. ce qui
est en jeu est la notion de (non)achèvement de l’action.
18
Le thème est donc un « aspect partiel » en opposition avec l’aspect proprement dit qui embrasse l’ensemble du
système. Le recours au mot thème permet d’éviter toute confusion terminologique (Guillaume 1929/[1984] :
111).
19
Guillaume rapproche l’aspect français de l’aspect russe en rappelant que le premier est tensif puis extensif et
que le second est « tensif (avec préverbe) et détensif sans préverbe » (1929/[1984] : 109). Mais il ne s’agit pas là
d’un rapprochement sémantique entre les aspects français et russe, la réserve de Wilmet garde donc toute sa
pertinence.
20
Dans la perspective guillaumienne, l’opposition passé simple / imparfait ne peut pas relever de l’aspect
puisqu’elle n’est pas transcendante, elle relève donc du thème. Ce que Wilmet remet en cause c’est peut-être la
nécessité même de distinguer entre aspect et thème. Guillaume défend cette distinction dans une note : « au cas
où l’on ne voudrait voir dans l’aspect et le thème qu’un même phénomène embrassant le système en entier dans
le premier cas et partie par partie dans le second, on serait amené à distinguer deux sortes d’aspects : les uns
généraux (aspects proprement dits) et les autres partiels (thèmes). Il paraît plus simple de les designer par des
noms différents » (1929/[1984] : 111).

15
l’aspect grammatical et l’aspect lexical (dans ce cas, ce que Wilmet (1980) appelle « aspect
sémantique » est inclus dans l’aspect lexical).

1.2.2. Définitions notionnelles de l’aspect


De nombreux linguistes ont une conception large de l’aspect, qui se base sur des définitions
notionnelles dont voici quelques exemples :
Comrie, qui parle d’aspects au pluriel, les définit comme « different ways of viewing the
internal temporal constituency of a situation » (1976 : 3), ce qui rejoint la définition donnée
par Coseriu qui présente l’aspect comme une catégorie permettant d’exprimer les « points de
vue dont on peut présenter ou considérer une action verbale » (1980 : 15). Dans la même
perspective, Dubois (1994/[2002] : 53) fait observer que « l’aspect est une catégorie
grammaticale qui exprime la représentation que se fait le sujet parlant du procès exprimé par
le verbe (ou par le nom d'action) ». Certains, comme Holt, donnent à l’aspect une définition
plus étroite : « la catégorie de l’aspect exprime le terme ou le non terme du procès » (1943 :
81, §43). Toutes ces définitions ont en commun de décrire l’aspect comme étant le temps
interne de la situation dénotée par le prédicat. Les termes déroulement et écoulement
renvoient bien à une vision interne des situations. Ces définitions font aussi ressortir la
dimension subjective de l’aspect, qui sert à exprimer le point de vue du locuteur.
Notionnellement, l’aspect est donc le point de vue exprimé par le locuteur sur le déroulement
de la situation, en cela, il permet d’une part de donner des informations sur les propriétés
intrinsèques de la situation (sa durée, sa délimitation, son dynamisme ou sa stativité), et, de
l’autre, de déterminer quelle est la phase que le locuteur a choisi de valoriser en décrivant la
situation (l’accent peut être mis sur le commencement, la phase médiane, ou la fin).
L’ensemble de ces informations est généralement rassemblé sous le terme d’ aspect lexical.

1.3. Aspect lexical vs aspect grammatical


Arrêtons-nous un instant sur les termes aspect grammatical vs aspect lexical. Les adjectifs
grammatical et lexical renvoient au mode d’expression de l’aspect et non à un contenu
notionnel21. Se pose alors un double problème : d’une part, certaines oppositions notionnelles
sont portées par des marques de nature différente et, d’autre part, les mêmes marques peuvent
exprimer des notions différentes.

21
Pour une étude séparant aspect grammatical et aspect lexical selon leur modes d’expression, cf. Schenner
(2005).

16
Pour illustrer ce point, prenons le cas de l’inchoativité. Si on classe les faits
linguistiques selon leurs moyens d’expression, on séparera les faits relevant de procédés
lexicaux comme la dérivation (s’endormir) et l’utilisation de moyens grammaticaux comme
l’emploi de semi-auxiliaires aspectuels (commencer à). Au contraire, si on adopte un
classement notionnel, tous les moyens d’expression seront réunis sous la bannière de la notion
étudiée, mais doit-on alors classer l’inchoativité sous l’étiquette d’aspect lexical ou celle
d’aspect grammatical ? Le problème demeure.
Ce problème provient en partie d’une certaine confusion dans la répartition même des
marques entre lexique et grammaire. Par exemple, les expressions verbales du type
commencer à, finir de, être sur le point de, venir de, être en train de, sont considérées tantôt
comme un procédé grammatical de marquage de l’aspect (elles sont alors nommées semi-
auxiliaires aspectuels) et tantôt comme un procédé lexical (elles sont dans ce cas nommées
périphrases aspectuelles). Il ne s’agit pas de clore ce débat mais uniquement d’éviter toute
ambiguïté en explicitant la position que nous adoptons.
Nous considérons que les temps sont porteurs de l’opposition aspectuelle accompli /
inaccompli et ce de manière générale dans le système verbal du français. Nous classons donc
cette notion, et elle seule, dans l’aspect grammatical22. Notre choix terminologique
(accompli / inaccompli) doit être commenté. Il ne s’agit pas d’un choix positif mais plutôt
d’un refus d’employer les termes perfectif / imperfectif.

1.3.1. L’opposition accompli / inacompli : choix terminologique


Les termes perfectif / imperfectif sont employés dans deux sens très différents selon les
auteurs. Koschmieder explique que « soit le couple imperfectif / perfectif est affaire de point
de vue sur le procès, soit il est en rapport avec certaines propriétés lexicales du verbe,
marquant par exemple si celui-ci exprime un procès qui dure ou un procès
instantané » (1929/[1996] : XVII).
Dans le premier emploi évoqué par Koschmieder, les termes perfectif / imperfectif
servent à exprimer l’(in)achèvement porté par les temps verbaux (cf. entre autres Grevisse
1936/[1993], Comrie 1976 : 25-26, etc.). Cet emploi est certainement hérité de l’utilisation
qui en est faite dans les études sur les langues slaves. Les auteurs qui adoptent cette
terminologie parlent parfois de temps perfectifs ou imperfectifs (par exemple, le présent et
l’imparfait sont des temps imperfectifs alors que le passé composé est un temps perfectif). Un

22
Nous incluons dans cette classe l’aspect progressif même s’il n’est pas exprimé en français par un temps
verbal mais par une locution (être en train de). Cette position sera justifiée au chapitre 2, §4.1.

17
second emploi de ces termes, très répandu, consiste à opposer les verbes qui décrivent des
situations bornées vs non bornées. Ce ne sont plus alors les temps mais les verbes qui sont dits
perfectifs ou imperfectifs. Un verbe est perfectif si son sens propre (et éventuellement la
construction dans laquelle il prend place) implique une borne finale, imperfectif dans le cas
contraire (cf. entre autres Arrivé et alii 1986, Leeman-Bouix 1994, Riegel et alii 1994/[1999],
Aslanides 2001, etc.). La duplicité sémantique des termes perfectif et imperfectif nous les fait
rejeter en leur préférant les couples terminologiques moins ambigus d’accompli / inaccompli
(termes qui s’appliquent généralement, et dans l’emploi que nous en faisons, aux temps
grammaticaux et non au sens lexical des prédicats) et de télique / atélique (termes qui
s’appliquent généralement, et dans l’emploi que nous en faisons, au niveau du lexique).
Nous avons exposé ce que nous entendions par aspect grammatical, nous devons à
présent nous demander si toutes les autres oppositions aspectuelles relèvent de l’aspect
lexical. Cette question devra être tranchée indépendamment du statut accordé aux moyens
d’expression puisque notre critère de division entre aspect grammatical et aspect lexical n’est
pas celui-là, mais plutôt l’étendue du champ d’application de l’opposition aspectuelle
considérée (cette étendue doit être maximale et donc inclure l’entièreté du système verbal
pour que cette opposition soit considérée comme relevant de l’aspect grammatical23). Les
aspects lexicaux expriment des notions comme la durée, la dynamicité, l’itérativité, par des
moyens divers (dérivation, périphrases verbales, sens propre du verbe), mais de façon
sporadique et variable en fonction du sens propre du lexème. Ainsi, il ne suffit pas d’ajouter le
préfixe en- à n’importe quel verbe pour obtenir l’expression de l’inchoativité comme c’est le
cas avec s’endormir.

1.3.2. Que range-t-on sous l’étiquette "aspect lexical" ?


Nous avons pour l’instant isolé l’aspect grammatical en français (il s’agit de l’opposition
accompli / inaccompli portée par les temps verbaux) des autres oppositions aspectuelles. La
question qui nous intéresse à présent est de savoir s’il faut réunir toutes les autres oppositions
aspectuelles ou si un classement plus fin est possible voire nécessaire. La plupart des auteurs
adoptent des classements bipartites et séparent l’aspect grammatical de l’aspect lexical.
L’aspect exprimé par les temps verbaux est toujours classé dans l’aspect grammatical, le reste
(le sens propre du verbe et l’expression de l’aspect par les affixes, les périphrases verbales et

23
Ce positionnement repose sur l’hypothèse que ce qui relève de la grammaire est plus général que ce qui relève
du lexique.

18
les adverbes) est regroupé dans l’aspect lexical24. Wilmet (1980) fait figure d’exception en
proposant un classement tripartite de l’aspect.
1.3.2.1. Les trois aspects de Wilmet (1980)
Wilmet (1980) distingue trois aspects : l’aspect grammatical, l’aspect sémantique et l’aspect
lexical. Il regroupe sous l’appellation d’aspect grammatical l’opposition sécant / global portée
par les temps verbaux (l’imparfait est sécant alors que le passé simple est global) mais aussi
les aspects perspectif (exprimé par des périphrases comme aller, attendre de, etc.), extensif
(qui s’exprime par les auxiliaires être et avoir, qui peuvent être eux-mêmes conjugués à un
temps composé, exprimant alors l’aspect bi-extensif), et incident (exprimé par la forme
progressive et les périphrases verbales commencer à, être occupé à, etc.). Wilmet (1980)
regroupe donc sous le terme aspect grammatical plusieurs oppositions portées par les
conjugaisons, les auxiliaires et certaines périphrases verbales.
Il appelle aspect sémantique ce qui relève du sens propre du verbe : « l’aspect
sémantique caractérise un événement verbal dans sa nature objective » (1980 : 61). Il
distingue les verbes statifs, perfectifs, imperfectifs et conclusifs. Chaque classe de verbes
reçoit une définition en termes de terminus a quo et ad quem. Wilmet (1980) met en garde
contre la confusion possible entre ce qui relève de l’aspect sémantique et ce qui relève du
sémantisme verbal. Ainsi, même si les verbes imperfectifs ont « d’évidentes affinités » (ibid. :
63) avec la durée, l’itération et la progression, ces caractérisations ne relèvent pas de l’aspect
mais du sémantisme verbal.
Enfin, l’auteur définit un aspect lexical : « l’aspect lexical isole un moment du procès
ou précise la place dudit procès dans une chaîne d’événements. Il s’exprime par le truchement
de périphrases verbales, de circonstants25 et d’affixes » (ibid. : 63). En français, il existe des
affixes capables de marquer l’aspect multiplicatif ou duplicatif, des périphrases permettant
d’exprimer entre autres l’inchoatif, l’itératif, le progressif, l’égressif ; enfin des circonstants
aspectuels peuvent impliquer un aspect duratif, fréquentatif, etc.
Selon nous, le classement proposé par Wilmet (1980) présente l’inconvénient de ne
pas conserver dans le champ de l’aspect sémantique les traits de durée, d’itération ou encore
d’achèvement qui sont vus soit comme des traits sémantiques du verbe ayant des affinités
avec tel ou tel aspect sémantique, soit comme relevant de l’aspect lexical (comme c’est le cas

24
Nous avons remarqué que les périphrases verbales du type commencer à, finir de sont parfois appelées semi-
auxiliaires aspectuels et sont alors classées dans l’aspect grammatical.
25
Les circonstants aspectuels évoqués par Wilmet sont des adverbes (jamais, toujours) ou des compléments de
temps (en deux jours).

19
des affixes pouvant exprimer l’itérativité). Or, nous pensons que ces traits relèvent bien de
l’aspect sémantique et que le verbe est en lui-même porteur des traits [± itératif] ou [± durée].
En effet, si un verbe d’aspect imperfectif est par définition duratif (comme cela semble être le
cas dans la classification de Wilmet (1980)) alors pourquoi ne pas inclure directement
l’opposition duratif / non duratif parmi les oppositions aspectuelles exprimées par le
sémantisme du verbe ? De plus, Wilmet (1980) fait apparaître le trait de durée dans l’aspect
lexical, où il serait exprimé par des adverbes. A l’inverse, nous pensons que c’est parce qu’un
verbe est duratif (ou peut être conçu comme tel) qu’il accepte dans sa distribution un
complément de durée, d’où le contraste :
(13) Nous avons marché pendant trois heures
(14) ?? Pierre est arrivé pendant trois heures
Néanmoins la séparation que propose l’auteur entre aspect lexical et aspect sémantique
a le mérite de distinguer ce qui relève du sémantisme du verbe et les informations aspectuelles
portées par les différents éléments de la phrase. En effet, que certains circonstants puissent
jouer un rôle dans le calcul de l’aspect au niveau phrastique est incontestable. Mais, étant
donné que l’aspect intrinsèque du verbe (son sens propre) sélectionne les types de circonstants
qui peuvent apparaître avec lui (cf. (13)-(14)), il nous semble qu’il faut distinguer entre
l’aspect propre d’un verbe et les informations aspectuelles qui sont portées par différents
éléments phrastiques. Si l’on ne sépare pas ces deux niveaux il devient difficile de calculer
l’aspect d’une phrase, c’est-à-dire de mettre à jour les interactions existantes entre les
différents niveaux d’information aspectuelle. Nous reviendrons sur ce point au §1.3.4.
Le problème définitionnel dont souffre la notion d’aspect lexical a été selon nous
aggravé par le recours à la notion déjà évoquée d’Aktionsart. Ce terme est souvent employé
comme synonyme d’aspect lexical mais sa définition est variable. Dans certaines études, le
terme Aktionsart est donné en guise d’explication ou d’éclaircissement de la notion d’aspect
lexical. Or, ce terme souffre lui aussi d’un problème de définition.
1.3.2.2. La notion d’Aktionsart
La primeur du terme Aktionsart est tantôt attribuée à Brugmann (1902-1904) tantôt à Agrell
(1908). Cependant ces deux auteurs l’emploient dans un sens différent. Alors qu’il semble
que pour Brugmann Aktionsart est un synonyme de aspect, pour Agrell il désigne une sous-
classe de l’aspect. Selon Zandvoort (1962) la notion d’aspect (Aktionsart) vient des études
slaves et a été introduite dans les études germaniques par Streitberg (1891). Le terme aurait
alors été repris par Brugmann (toujours comme synonyme d’aspect). De son côté, Agrell,
travaillant sur le polonais, aurait repris Aktionsart dans le sens de « mode d’action », selon

20
Guiraud-Weber. Cette seconde acception paraît correspondre à l’emploi le plus répandu dans
les travaux sur les langues slaves26. Comme le signale Koschmieder, la notion d’Aktionsart va
se mettre en place progressivement et finira par ne plus évoquer une sous-classe de l’aspect
mais une catégorie s’opposant à lui.
La notion d’Aktionsart pâtit du fait qu’elle ne s’applique pas toujours au même niveau.
Beaucoup d’auteurs parlent d’Aktionsart du verbe mais on trouve également cette notion
appliquée au syntagme verbal (Kleiber définit l’Aktionsart comme une « catégorie sémantique
que constitue le verbe avec son complément » (1987 : 21)) ou à une proposition entière
(Schenner 2005). La question du niveau auquel s’applique la notion d’Aktionsart provient
peut-être d’une confusion sur la nature même des Aktionsarten : renvoient-elles à des
propriétés des mots ou à des situations extralinguistiques ? Il semble que le terme serve
indifféremment pour désigner les deux. Dans le classement de Vendler (1967), les quatre
classes états, activités, accomplissements et achèvements sont des Aktionsarten au sens que
lui donne Larochette : les Aktionsarten sont des modes de procès désignant des réalités
extralinguistiques, ce sont « des classes de procès ayant une particularité commune » (1980 :
31). De même, Koschmieder explique qu’on peut former des groupes de verbes en fonction de
leur contenu sémantique lexical. Le nombre de groupes formés varie en fonction de la finesse
des critères sémantiques choisis. Dans les langues slaves, ces groupes ont été appelés
Aktionsarten « parce que les verbes en question caractérisent la façon dont est accomplie
l’activité exprimée par la racine » (1929/[1996] : 44).
Mais, dans les études slaves, le terme Aktionsart réfère aux propriétés aspectuelles
portées par les préverbes. Dans cet emploi, les Aktionsarten ne sont plus des regroupements
de situations extralinguistiques mais bien les propriétés aspectuelles des lexèmes. C’est dans
ce second sens que Fuchs semble employer Aktionsart qu’elle définit comme les
« caractéristiques temporelles internes au lexème verbal » (1991 : 9). On voit qu’il existe une
confusion portant sur le type d’objet même auquel ce terme s’applique et qui entraîne qu’on
ne sait à quel niveau il faut l’appliquer. D’où des définitions elliptiques comme celle donnée
par Coseriu : « façon "objective" dont l’action verbale se déroule ou se réalise » (1980 : 18).
L’imprécision qui entoure la notion d’Aktionsart a poussé Wilmet à séparer l’aspect
lexical et l’aspect sémantique: « les linguistes allemands confondent sous le nom d’Aktionsart
diverses indications concernant tantôt le procès en soi, envisagé de son terminus a quo à son

26
L’emploi du conditionnel indique que ces informations n’ont pu être directement vérifiées étant donnée notre
inaptitude à lire les textes d’Agrell, de Brugmann ou de Streitberg, qui sont en allemand.

21
terminus ad quem, tantôt une phase quelconque de son déroulement » (1980 : 60-61). De
même, soulignant les problèmes soulevés par cette notion, Comrie préfère l’abandonner
(1976 : 7).
Pour les mêmes raisons qui nous ont fait préférer les termes accompli / inaccompli à
ceux de perfectif / imperfectif, nous n’emploierons pas le terme d’Aktionsart.

1.3.3. Point terminologique


Outre la polysémie des termes employés, les études sur l’aspect souffrent d’une forte inflation
terminologique. Pour mesurer l’ampleur du phénomène il suffit de relever les termes
rencontrés dans quelques études portant sur l’aspect. On peut rendre compte de cette
expérience dans un tableau :

perfectif, conclusif, déterminé, image intégrale imperfectif, non conclusif, indéterminé, image
partielle

accompli, terminé, achevé, perfectif, temps inaccompli, inachevé, imperfectif, temps


composé, achevé simple, inachevé

télique atélique

ponctuel, momentané duratif

extensif, transcendant tensif, immanent

non sécant, non limitatif, global, duratif sécant, limitatif, ponctuel

inchoatif, ingressif, imminentiel terminatif, égressif, conclusif

progressif, incident, imperfectif non progressif

continuatif, perduratif, comitatif, cyclique non continuatif, non perduratif, non cyclique

itératif, fréquentatif, répété non itératif, sémelfactif, unique

aspect grammatical, aspect aspect lexical, Aktionsart, modes d’action

Dans chaque case on trouve quelques termes employés pour désigner le même trait aspectuel,
les termes de la première colonne s’opposent sémantiquement à ceux de la seconde. Enfin,
certains termes apparaissent à plusieurs endroits parce qu’ils reçoivent des définitions
différentes selon les auteurs.

22
L’explosion terminologique autour de la notion d’aspect, si elle rend parfois ardue la
compréhension des analyses, n’est pas un problème insoluble. En effet, même s’il y a presque
autant de terminologies que d’aspectologues, une simple grille d’équivalences
terminologiques du type de celle présentée ci-dessus suffit pour se repérer. Le foisonnement
de termes renvoyant à une même notion aspectuelle, s’il est regrettable pour la transparence
des analyses, n’est pas insurmontable si l’on s’arme d’un peu de patience. En revanche,
l’emploi d’un terme unique pour renvoyer à des réalités différentes est plus embarrassant. En
effet, l’emploi de termes devenus homonymes, sans définition suffisante, compromet la bonne
compréhension de l’analyse.

1.3.4. Conclusion partielle


Nous réservons l’étiquette aspect grammatical à l’expression de l’opposition accompli /
inaccompli portée par les temps verbaux.
Par ailleurs, il nous semble important de séparer ce qui relève du sens propre du verbe
de tous les autres éléments phrastiques qui entrent en jeu dans le calcul de l’aspect.
Nous conservons le terme d’aspect lexical pour désigner l’ensemble des traits
aspectuels que le verbe porte en propre dans sa définition. Ces traits sont principalement la
stativité vs la dynamicité, la télicité vs l’atélicité et la durativité vs la ponctualité. A ces traits
qui sont toujours exprimés peuvent s’adjoindre sporadiquement quelques caractérisations
aspectuelles portées par les affixes (par exemple l’inchoativité qui peut être signifiée par le
préfixe en– (e.g. s’endormir), ou encore l’itérativité portée par certains suffixes diminutifs
(e.g. sautiller, toussoter)). Nous appelons simplement « classe de procès »27 les verbes réunis
selon les propriétés aspectuelles qu’ils partagent, par conséquent, les états,
accomplissements, achèvements et activités de Vendler (1967) sont autant de classes de
procès.
Les périphrases aspectuelles (commencer à, être en train de, finir de) sont porteuses
d’informations aspectuelles puisqu’elles permettent de mettre l’accent sur l’une des phases du
procès. Elles ne relèvent pas du sens propre du verbe (et ne font donc pas partie de l’aspect
lexical), elles ne s’appliquent pas à l’ensemble du système verbal (par exemple, les verbes
dénotant des situations ponctuelles ne sont généralement pas sécables en différentes phases),

27
Le terme procès doit être interprété dans son sens le plus neutre et le plus large pour désigner tous types de
situations, qu’elles soient dynamiques ou statives. Dans cet emploi, procès est donc synonyme de situation.
Nous conservons l’appellation classe de procès qui est la tournure consacrée, contrairement à l’expression classe
de situations qui n’est guère usitée.

23
nous considérons ces périphrases comme des opérateurs aspectuels, dans la mesure où elles
viennent s’ajouter à l’aspect lexical et à l’aspect grammatical.
Enfin, tous les éléments pouvant jouer un rôle dans le calcul de l’aspect au niveau de
la phrase, notamment certains circonstants, n’ont pas à être classés car ce sont des éléments
extérieurs à l’aspect grammatical et à l’aspect lexical tels que nous les définissons. Certes, ils
jouent un rôle dans le calcul de l’aspect au niveau phrastique et peuvent contrarier l’aspect
lexical du verbe28, mais ils ne sont pas en eux-mêmes porteurs de traits aspectuels comme le
sont les périphrases verbales. Nous pensons par exemple au cas des verbes d’activité qui
peuvent recevoir un terme via l’expression d’un circonstant de distance :
(15) Il a couru pendant deux heures (activité)
(16) Il a couru jusqu’au moulin (en / * pendant) deux heures
(accomplissement)
Le complément jusqu’au moulin apporte une délimitation spatiale qui, avec certains verbes
d’activité, peut modifier l’aspect de la prédication.
Il en va de même avec les compléments de temps exprimant une durée :
(17) Pierre a marché pendant deux heures
(18) # ?? Pierre a franchi la frontière belge pendant deux ans29
Nous l’avons déjà évoqué, ces compléments n’apportent pas l’aspect duratif de la phrase, ils
n’apparaissent naturellement que si le verbe est porteur dans son aspect lexical du trait
[+ durée]. Ils ne peuvent donc que confirmer l’existence de ce trait.
Ce rapide survol de la notion d’aspect dans le domaine verbal nous a permis de
préciser quelques positions théoriques et choix terminologiques30.

28
Nous disons « contrarier » l’aspect lexical du verbe et non le changer car nous nous rangeons à l’avis de
Rothstein (2004 : 30) selon laquelle l’aspect lexical du verbe demeure inchangé. Ce qui change c’est l’aspect du
SV ou de la proposition entière.
29
Le dièse signale que l’énoncé serait acceptable dans une autre interprétation que celle voulue (en l’occurrence
avec une lecture itérative). Les deux points d’interrogation indiquent que dans l’acception voulue, la phrase est
étrange.
30
Nous n’avons pas défini tous les termes que nous employons : télique, ponctuel, etc. Ces notions seront
définies ultérieurement.

24
2. Les typologies de procès
La question du statut des classements des verbes en « types de procès » est un point crucial
des études portant sur l’aspect des verbes. Le problème récurrent peut être résumé ainsi : peut-
on classer les verbes selon des critères aspectuels et aboutir ainsi à des classes de verbes, ou
faut-il placer l’étude de l’aspect à un autre niveau (et dans ce cas, quel est ce niveau :
syntagme verbal, phrase, discours) ? Une nouvelle fois, notre objectif ne peut pas être de
trancher ce débat mais tout au plus de présenter quelques théories de l’aspect verbal afin de
justifier notre position sur le classement aspectuel des verbes d’abord et des noms ensuite.
Dans les études portant sur l’aspect lexical des verbes (i.e. sur les caractéristiques
aspectuelles portées par les lexèmes verbaux), l’expression « type de procès » revient
régulièrement. On peut définir un type de procès comme un faisceau de traits sémantiques qui
caractérise le verbe d’un point de vue aspectuel, temporel et éventuellement participatif31.
Chaque faisceau, qui correspond à l’un des agencements possibles de ces traits, renvoie à un
type de procès au sein duquel les verbes possédant les mêmes traits sémantiques sont
regroupés. Ces traits sont principalement de deux sortes : les traits aspectuels et les traits
actanciels. Parmi les premiers, les plus utilisés sont [± dynamique], [± borné] et [± duratif],
parmi les seconds, les plus employés sont [± agentif] et [± causatif]. Chaque trait reçoit une
valeur positive ou négative par le biais de tests linguistiques, par exemple, la compatibilité du
verbe avec un autre élément de la phrase (e.g. les périphrases aspectuelles, les compléments
de temps, les adverbes, etc.), ou encore les relations d’implication existant entre deux énoncés
renfermant la même prédication dont la première est à un temps inaccompli et la seconde à un
temps accompli (cf. Garey 1957, Kenny 1963/[1994], Vendler 1967, Dowty 1979, Wilmet
1980, etc.).
On peut distinguer deux grands types d’études. D’une part, celles portant
exclusivement sur l’aspect lexical du verbe (ou du syntagme verbal, SV ci-après) proposent
des classements aspectuels du lexique verbal (§2.1). D’autre part, celles portant sur l’aspect
phrastique se donnent pour objectif de déterminer l’aspect des énoncés. Parmi ces analyses,
on trouve des études qui se basent explicitement sur les classes aspectuelles de verbes (cf.
§2.2.1 et 2.2.2). Ces études utilisent directement les typologies de verbes, parfois un peu

31
Les participants sont les différents actants ou éléments prenant part à la situation (l’agent, le patient,
l’instrument, le lieu, etc.).

25
modifiées, comme l’un des éléments déterminants de l’aspect phrastique. Il existe aussi des
analyses réfutant l’idée selon laquelle on peut classer les lexèmes verbaux aspectuellement.
Les solutions proposées sont diverses : François (1989) ajoute aux critères aspectuels de
classement des critères participatifs qui tiennent compte de la structure actancielle des verbes
pour les classer ; Verkuyl (1971) propose un traitement compositionnel de l’aspect ; les
approches énonciativistes, enfin, n’attribuent au verbe une caractérisation aspectuelle qu’au
terme d’un calcul prenant en compte tous les indices aspectuels portés par divers constituants
de la phrase (cf. §2.2.3).

2.1. Les typologies aspectuelles lexicales : aspect lexical du verbe


2.1.1. Vendler (1957, 1967)
Vendler (1957, 1967) propose un classement des lexèmes verbaux inspiré en partie de
l’opposition aristotélicienne entre Energia (activité qui, au présent, implique l’existence d’un
état résultant de l’activité, e.g. il court implique il a couru) et Kinesis (action qui n’implique
pas un tel résultat, e.g. il maigrit n’implique pas il a maigri)32. Il dégage quatre schémas
temporels qui correspondent à autant de types de procès. Il commence par distinguer les
procès qui sont compatibles avec la forme progressive (les activités et les accomplissements)
de ceux qui ne le sont pas (les états et les achèvements). Les premiers ont en commun de se
dérouler dans le temps (ils sont [+ dynamique]33) mais s’opposent par le trait [± borné]34.
Alors que les activités sont atéliques, les accomplissements sont téliques, i.e. renferment dans
leur sens propre un terme. Pour déterminer si un verbe est [± borné], Vendler (1967) propose
différents tests, notamment celui de la compatibilité de la prédication avec les compléments
temporels. Les activités se combinent avec les compléments de temps introduits par la
préposition for (pendant) alors que les accomplissements se combinent avec les compléments
de temps introduits par la préposition in (en) :
(19) a. Peter walked (for /* in) an hour
b. Peter made this model (* for / in) three days

32
Les exemples ainsi que l’explication de l’opposition Energia vs Kinesis sont empruntés à Desclès (1999 :
229).
33
On oppose aux situations dynamiques les situations statives, nous notons cette distinction : [± dynamique].
34
A la terminologie borné / non borné peuvent se substituer les termes télique / atélique. Un procès est dit borné
(ou télique) lorsqu’il contient, dans son sens propre, une borne terminale aussi appelée visée, but ou terme.
Ainsi, accoucher est télique (l’accouchement a une fin naturelle spécifiée par la structure même du procès : la
naissance), au contraire, marcher est atélique car rien dans le sens du verbe n’indique ni ne spécifie un terme. En
théorie, on peut marcher indéfiniment (alors qu’on ne peut pas accoucher sans fin). Nous notons cette distinction
[± borné].

26
L’existence d’un terme intrinsèque crée dans le déroulement de l’accomplissement un point
culminant aboutissant généralement à un changement d’état, ce qu’on explique aussi en disant
que les accomplissements réfèrent de manière hétérogène. Au contraire, les activités réfèrent
de manière homogène au sens où tous les sous-intervalles d’une activité sont de même nature
que le tout35. Parmi les procès incompatibles avec la forme progressive (i.e. qui ne se
déroulent pas dans le temps), Vendler (1967) distingue les états, qui peuvent être prédiqués
pour des périodes de temps, et les achèvements, qui ne peuvent être prédiqués que pour des
moments uniques et qui sont ponctuels36. On peut représenter les quatre schémas temporels de
Vendler (1967) grâce à des matrices de traits :

Activités : [+ dynamique], [+ homogène], [+ duratif], [- borné]


Accomplissements : [+ dynamique], [- homogène], [+ duratif], [+ borné]
Achèvements : [+ dynamique], [- homogène], [- duratif], [+ borné]
Etats : [- dynamique], [+ homogène], [± duratif], [- borné]37

2.1.2. Kenny (1963/[1994])


Kenny, comme l’indique le titre du huitième chapitre de son ouvrage de 1963 « States,
Performances, Activities », propose un classement tripartite des verbes. Ce classement est
proche de celui de Vendler (1967) en ce qu’il utilise les mêmes traits sémantiques, bien que
dans un ordre différent et en leur donnant une importance respective différente. Ce qui sépare
principalement la quatripartition de Vendler (1967) de la tripartition de Kenny (1963/[1994])
est l’abandon dans cette dernière de l’opposition [± duratif]. La première division opérée par
Kenny (1963/[1994]) repose sur le trait [± dynamique] ce qui lui permet de séparer les verbes
statifs des verbes dynamiques. Parmi ces derniers, il distingue les verbes de « performance »
(qui ont le trait [+ borné]) de ceux d’« activité » (qui ont le trait [- borné]). Kenny
(1963/[1994]) regroupe donc sous le terme « performance » les accomplissements et les
achèvements de Vendler (1967), considérant que leurs points communs (dénoter des procès
dynamiques bornés) sont plus nombreux que leurs divergences (le trait [± duratif]). L’auteur

35
Vendler (1967) ne se prononce pas sur le statut homogène / hétérogène des états et des achèvements.
Cependant, selon les définitions qu’il donne de ces notions, il est généralement admis que le référent des états est
homogène alors que le référent des achèvements est hétérogène (cf. entre autres Lyons 1978/[1980] : 327,
Recanati & Recanati 1999 : 177, 179).
36
On oppose aux situations ponctuelles (momentanées, instantanées) les situations duratives, nous notons cette
distinction [± duratif].
37
La notation [± X] indique que le type de procès n’est pas concerné par le trait sémantique X. Les états ne se
déroulent pas dans le temps, il n’ont pas en propre d’étendue temporelle même si certains peuvent être prédiqués
pour une période de temps, ils ne sont donc pas concernés par l’opposition duratif / ponctuel.

27
propose une série de tests linguistiques pour distinguer ces trois classes : seuls les verbes
dynamiques (les performances et les activités) sont compatibles avec les temps continus et
peuvent répondre à la question « What did A do ? » (Kenny, 1963/[1994] : 171). Seules les
performances sont compatibles avec des adverbes du type slowly, quickly et elles seules
peuvent être complètes ou incomplètes (compatibilité avec half-way). Kenny (1963/[1994])
utilise également les implications entre énoncés et le rapport au temps de la prédication pour
distinguer ses trois classes. Enfin, pour différencier les activités des performances, il utilise
quelques arguments portant sur les propriétés actancielles des verbes : seules les performances
ont un vrai passif et peuvent être employées à l’impératif, ce qui suppose que seules les
performances dénotent des actions volontaires. L’auteur insiste sur les différences de rapport
entre l’agent et le patient selon que l’on a affaire à une activité ou à une performance38.
Les typologies de Vendler (1967) et Kenny (1963/[1994]) ont en commun de
regrouper les lexèmes verbaux en classes à l’aide des mêmes oppositions binaires
([± dynamique], [± borné]). Ces traits, ou leurs équivalents, parfois accompagnés d’autres,
reviennent dans nombre d’études sur l’aspect lexical du verbe , aussi nous demanderons-nous
s’ils sont également pertinents dans l’étude de l’aspect lexical des noms, et le cas échéant au
prix de quels aménagements.

2.1.3. Critiques des typologies de niveau lexical


2.1.3.1. Des classements ontologiques ?
Ces classements, s’ils sont très souvent utilisés, font également l’objet de nombreuses
critiques. Franckel & Paillard reprochent aux critères sémantiques utilisés de ne correspondre
en fait qu’à « la projection directe sur le plan linguistique de distinctions de nature
extralinguistique (statique, dynamique, procès résultatif, ponctuel, état, transformation ou non
transformation d’un objet par le procès, etc.) » (1991 : 109). Verkuyl également manifeste du
scepticisme à l’égard de la quadripartition de Vendler (1967) et reproche aux classes
aspectuelles d’être ontologiques, i.e. de classer les procès selon des notions qui relèvent plus
des propriétés phénoménologiques des situations que de la langue : « they [=aspectual
classes] lure linguists into doing ontology rather than linguistics » (2001 : 205).
Cette première critique est pertinente en ce qu’elle est pour nous une mise en garde
contre les risques de confusions entre situations extralinguistiques et descriptions opérées par
la langue. Cette confusion sourd jusque dans les raccourcis terminologiques employés

38
Pour une critique des tests proposés par Kenny (1963/[1994]), cf. Evans (1967).

28
puisqu’un « verbe d’activité » est un verbe qui dénote une situation d’activité, un « verbe
d’état » est un verbe qui dénote une situation stative, etc. La langue nous permettant de
décrire le monde et les situations dans lesquelles nous nous trouvons, il nous paraît naturel
que les propriétés phénoménologiques des situations se retrouvent dans les propriétés
lexicales des mots. En effet, puisque l’action de marcher prend du temps, il nous paraît juste
d’attribuer au verbe marcher la propriété [+ duratif]. Cependant, il ne faut pas confondre les
plans linguistique et extralinguistique car il n’y a pas toujours d’adéquation entre les deux. Il
arrive par exemple que la langue traite de la même façon deux situations référentiellement
distinctes :
(20) Pierre a téléphoné pendant tout le voyage
(20) décrit une situation où il y a saturation de l’intervalle occupé par le voyage par
l’extension du procès de téléphoner. Qu’il s’agisse d’un ou de plusieurs coups de téléphone
n’a en revanche pas d’importance sur le plan linguistique puisque la langue n’opère pas dans
ce cas de distinction entre continu et discontinu référentiel. Comme le rappelle Berthonneau
« la langue est un système de représentation qui ne couvre pas le réel » (1989 : 17). Elle
donne comme exemple :
(21) J’ai dormi pendant la journée39
Cette phrase laisse indéterminé le fait de savoir si j’ai dormi toute la journée ou un moment
seulement. Le cas des verbes d’achèvement est également intéressant de ce point de vue car
plutôt que de décrire des situations strictement ponctuelles dans le monde, ils décrivent des
situations conceptualisées comme telles40. Ces remarques montrent qu’il est capital de ne pas
être submergé par notre rapport du monde lorsqu’on classe des lexèmes. Il est selon nous un
moyen simple de prévenir cet écueil, qui consiste à ne pas attribuer à un lexème une propriété
sémantique si elle n’est pas vérifiée par un ou plusieurs tests linguistiques. C’est d’ailleurs la
pratique de Vendler (1967) et celle de Kenny (1963/[1994]), qui appliquent toujours des tests
linguistiques pour justifier leurs classements.

39
Cet exemple et son analyse sont empruntés à Berthonneau (1989 : 87).
40
On peut dire La bombe a explosé à huit heures précise ce matin dans le métro londonien. Le complément de
temps introduit par la préposition à présente l’explosion comme une situation ponctuelle même si l’explosion
prend forcément un temps, même très court, d’où les débats sur l’existence même des achèvements et sur la
limite maximale de temps qui les distingue des accomplissements.

29
2.1.3.2. Des classements incomplets ?
L’une des critiques adressées par Evans (1967) à Kenny (1963/[1994]) est de ne classer que
les verbes à sujet agentif41 alors même que Kenny prétendait traiter également les actions
prédiquées de substances42 (Evans 1967 : 298-299). Les actions prédiquées de substances
qu’Evans appellent « processus » donnent des résultats contradictoires lorsqu’on leur applique
les différents tests proposés par Kenny (1963/[1994]). Par exemple, si on applique le test
d’implication de Kenny (1963/[1994] : 172) :
(22) La table est en train de rouiller dans le jardin ⇒ La table a rouillé
on peut en conclure que rouiller est un verbe d’activité. Appliquons maintenant le test de
compatibilité avec l’adverbe lentement :
(23) La table rouille lentement dans le jardin
On doit conclure que rouiller est un verbe de performance, seul type de verbe à se combiner
avec un adverbe comme lentement43. On obtient des résultats contradictoires en fonction du
test appliqué. Nous suivons Evans (1967), qui propose que les tests soient hiérarchisés afin de
pouvoir conclure en cas de résultats contradictoires. C’est aussi la méthode retenue par
François (1989) qui propose de donner une forme algorithmique aux tests linguistiques et
sépare ainsi pour chaque trait sémantique un test principal et des tests secondaires qui sont
perçus comme des indices. Nous admettons également que les classements lexicaux de verbes
ne doivent pas écarter une partie du lexique, par exemple, les verbes non agentifs.
2.1.3.3. Des classements trop rigides ?
On reproche également aux classifications de type Vendler-Kenny leur trop grande rigidité :
ce type de classement « ne prévoit pas de changement de classe possible selon
l’environnement actanciel du verbe » (François & Gosselin1991 : 36). Evans (1967) reproche
explicitement au classement de Kenny (1963/[1994]) de ne pas prévoir qu’un même verbe,
selon la détermination de son objet, entre autres, puisse être une activité ou une performance
(1967 : 295-296). Borillo, alors même qu’elle se base sur la typologie de Vendler (1967),

41
François reproche lui aussi au classement de Kenny (1963/[1994]) de ne tenir compte que des activités et des
performances agentives (1989 : 229-230). Dowty (1979 : 163 et ss) adresse le même reproche à Vendler (1967).
42
Ce terme est employé en opposition à « agent », e.g. le verbe est prédiqué d’une substance dans l’énoncé : The
mixture is fermenting (Evans, 1967 : 299).
43
Kenny (1963/[1994]) oppose les performances aux états et activités grâce à différents tests linguistiques, parmi
lesquels la compatibilité du verbe avec des adverbes comme lentement, rapidement. Bien qu’il prétende que les
activités, comme les états, sont incompatibles avec ces adverbes, on remarque que l’auteur ne donne que des
exemples mettant en jeu des états. Cela semble confirmer que ce test n’est pas efficace pour discriminer entre
performance et activité.

30
reconnaît qu’on ne peut appliquer la classification de Vendler directement aux verbes
lexicaux car « de très nombreux verbes ne fonctionnent pas naturellement de manière
autonome, i.e. sans complément » (1991 : 97). Fuchs, Gosselin & Victorri concluent que « la
détermination du type de procès doit donc, à tout le moins, s’effectuer sur la base d’une
consultation des lexèmes verbaux dans un dictionnaire et44 de règles de calcul syntaxique du
prédicat » (1991 : 149).
Après tous ces travaux, l’idée selon laquelle on pourrait attribuer tous les traits
aspectuels aux verbes nus (i.e. sans complément) ne recueille plus d’adhésion massive. En
particulier, le trait [± borné] ne peut, dans bien des cas, être attribué qu’au groupe « V +
objet ». Il semble d’ailleurs que Vendler (1967) lui-même avait déjà conscience que le terme
d’un accomplissement relève souvent de son complément d’objet puisqu’il ne donne
pratiquement que des SV comme exemples d’accomplissements. Cependant, on peut lui
reprocher de ne pas avoir commenté cette pratique et de n’avoir pas pris la juste mesure des
phénomènes de compositionnalité.
Cependant, affirmer que les lexèmes verbaux seuls ne peuvent pas être regroupés en
classes aspectuelles n’est pas suffisant. Si l’aspect [± borné] des situations ne peut être décidé
qu’en prenant en compte l’argument interne du verbe, il n’en demeure pas moins qu’il faut
pouvoir déterminer précisément quels traits sémantiques aspectuels sont portés en propre par
le verbe. Dans les études qui proposent des calculs de l’aspect verbal en fonction du contexte
linguistique il est très fréquent que l’un des paramètres de ce calcul soit le sens propre du
verbe. Certains linguistes donnent le contenu sémantico-aspectuel du verbe comme une
donnée première, s’inspirant des classifications à la Vendler-Kenny (cf. Borillo 1991, Dowty
1979, Wilmet 1980, etc.), ils précisent par ailleurs que la classe du verbe peut être modifiée
par le contexte. D’autres refusent de se baser sur les classements lexicaux de verbes, non
qu’ils nient l’existence de traits sémantiques aspectuels portés par le verbe, mais parce qu’ils
considèrent que ce n’est pas une donnée première mais au contraire l’aboutissement d’un
calcul.

2.2. Les typologies aspectuelles de phrases : calcul aspectuel


Il s’agit d’études traitant de l’aspect au niveau de la phrase et non plus du verbe seul ni même
du SV. Nous commencerons par évoquer rapidement quelques études où la classe lexicale
aspectuelle du verbe est l’un des éléments pris en compte dans l’attribution de l’aspect

44
Ce sont les auteurs qui surlignent.

31
phrastique. Puis nous présenterons les travaux de Dowty (1979, 1986) qui propose une
utilisation originale des classes de Vendler (1967) en recourant à divers opérateurs. Les
travaux de ce linguiste nous serviront aussi à illustrer les problèmes que pose le niveau
d’attribution des types de procès.

2.2.1. De la typification des verbes (ou des SV) à l’aspect phrastique


Les auteurs qui traitent de l’aspect phrastique considèrent souvent comme un élément central
du calcul aspectuel l’apport sémantique du verbe. Leurs analyses se placent dans la lignée des
classements à la Vendler-Kenny (puisqu’elles partent des typologies de procès, parfois revues
et modifiées) mais elles s’en éloignent dans la place accordée à ces classements, puisqu’ils ne
sont plus une fin en soi mais un élément parmi d’autres de l’aspect phrastique.
Mourelatos (1978) propose un classement très proche de celui de Vendler (1967).
Mais alors que chez Vendler les quatre types de procès sont placés sur le même plan, la
typologie des procès de Mourelatos (1978) est hiérarchisée. L’auteur commence par
distinguer deux types de situations selon le trait [± dynamique], séparant ainsi les « états » des
« occurrences ». Parmi les occurrences il distingue les « processus » (activités de Vendler
(1967) et Kenny (1963/[1994])) des « événements » (performances de Kenny (1963/[1994])).
A l’intérieur de la classe des événements, Mourelatos (1978) oppose les « développements »
et les « occurrences ponctuelles » (correspondant respectivement aux accomplissements et
achèvements de Vendler (1967)). Cependant Mourelatos (1978) n’utilise pas ce classement
comme une typologie lexicale puisqu’il pense qu’on ne peut pas classer les verbes seuls mais
plutôt les prédications verbales (« verb predications »), ce qui signifie qu’il accorde un rôle
important à l’objet du verbe : « it often seems that the object lends its character to the
predication as a whole » (1978 : 425). Il inclut dans le calcul de l’aspect six facteurs : « (a)
The verb’s inherent meaning ; (b) the nature of the verb’s arguments, i.e., of the subject and
of the object(s), if any ; (c) adverbials, if any ; (d) aspect ; (e) tense as phase, e.g., the perfect ;
(f) tense as time reference to past, present, or future » (1978 : 421). Malheureusement, il
n’explicite pas le sens de l’expression sens inhérent du verbe (« verb’s inherent meaning »).
Wilmet (1980) tient lui aussi compte du sens propre du verbe (il distingue quatre types
de verbes, cf. §1.3.2.1), des actants, des adverbiaux, des auxiliaires aspectuels et des temps
grammaticaux, pour déterminer l’aspect de la phrase.
Pour Borillo « la valeur aspectuelle de la situation en jeu ne peut être établie que par
une intégration progressive de tous les constituants contenant des éléments qui participent à sa
définition » (Borillo 1991 : 100). Ces éléments sont les mêmes que ceux invoqués par

32
Mourelatos (1978) : le verbe lexical (elle reprend la classification de Vendler (1967)), le
prédicat, le sujet, le temps verbal, les adverbiaux, mais elle va plus loin en y ajoutant le
contexte discursif (il s’agit de considérer des éléments situés en dehors de la phrase étudiée,
dans les phrases précédentes).
Dans une perspective cognitive, Desclès (1991) distingue trois archétypes cognitifs :
les prédicats statifs (être dans, ressembler, etc.), les prédicats cinématiques (marcher, couler,
etc.) et les prédicats dynamiques (construire, écrire, etc.)45. Ces archétypes relèvent de la
signification intrinsèque des prédicats, ils forment donc une typologie de niveau lexical. De
plus, chaque prédicat reçoit, lors de la mise en discours, une « visée aspectuelle » qui peut être
une visée d’état, de processus ou d’événement (1991 : 177-178). Enfin, il faut noter que
chaque archétype entretient des affinités plus ou moins grandes avec les différentes visées
aspectuelles : « il est clair que la signification intrinsèque du prédicat (c'est-à-dire l'archétype
auquel il appartient) a une corrélation étroite avec une visée aspectuelle privilégiée » (1991 :
180).
Les quelques travaux que nous venons d’évoquer suffisent à montrer que les
typologies de procès de niveau lexical, malgré les critiques dont elles font l’objet, ont une
place prépondérante dans la détermination de l’aspect phrastique.
A côté de ces études, qui ont toutes en commun de proposer de calculer l’aspect
phrastique par ajouts successifs des différents éléments porteurs de signification aspectuelle
parmi lesquels l’aspect lexical du verbe (ou du SV) joue un rôle clef, il existe des approches
qui, au contraire, ne reposent pas sur les typologies de procès. Avant de présenter ces
analyses, nous souhaitons présenter les travaux de Dowty (1979, 1986), qui nous semblent à
la charnière entre les classements typologiques lexicaux (une partie des travaux de Dowty
visent à améliorer le classement de Vendler (1967)) et les « approches nouvelles », qui
rejettent ces classements.

2.2.2. Vers la fin de l’ère typologique : les travaux de Dowty (1979, 1986)
Dans une perspective typologique, Dowty (1979) propose des tests supplémentaires pour
étayer la classification vendlerienne. Il utilise (i) la distribution des auxiliaires aspectuels tels
que stop, finish, (ii) le sens ambigu que prend almost avec les accomplissements, (iii) les
relations d’implications, plus connues sous le nom de paradoxe imperfectif (1979 : 133-

45
Dans Battistelli & Desclès, les prédicats dynamiques et cinématiques sont rassemblés dans la classe des
prédicats « évolutifs » (2002 : 31).

33
138)46. Dowty va également affiner le classement de Vendler (1967) en séparant chaque type
de procès en deux sous-classes : l’une agentive, l’autre non agentive (1979 : 184 et ss).
Tout en proposant de nouveaux tests pour améliorer les classements typologiques de
niveau lexical, Dowty (1979) reproche à ce type de classement de ne pas prendre en
considération l’influence de la nature de l’objet dans la détermination des classes et de ne pas
exploiter le fait qu’un accomplissement accompagné d’un objet direct indéfini pluriel ou
massif se comporte comme une activité. Il qualifie de vaine la tentative de Vendler (1967) de
répartir tous les lexèmes verbaux dénotant des situations dynamiques en activités,
accomplissements et achèvements et préconise de classer les syntagmes verbaux (voire les
phrases) plutôt que les verbes seuls (1979 : 62-63)47.
Dowty (1979) va accorder une place importante aux phénomènes de recatégorisation
aspectuelles du verbe (ou du SV) en fonction du contexte et propose, à la manière de
Mourelatos (1978), Wilmet (1980) ou encore Borillo (1991), de prendre en compte divers
éléments tels que le sujet syntaxique (24), les compléments de direction (25)b ou de mesure
(25)c :
(24) a. * La bombe a explosé pendant une heure
b. Des bombes ont explosé pendant une heure
Ainsi, alors que exploser dénote un achèvement, la présence d’un sujet pluriel peut provoquer
une lecture itérative, les différentes occurrences de l’événement exploser pouvant être
considérées comme un tout duratif et atélique, i.e. comme une activité (d’où la possibilité
d’avoir un complément de temps introduit par pendant, (24)b ).

46
Le paradoxe imperfectif consiste à observer les implications qui unissent deux phrases mettant en jeu la même
prédication tantôt à un temps progressif (inaccompli), tantôt à un temps simple (accompli) :
(i) Pierre était en train de marcher
(ii) Pierre a marché
(iii) Pierre était en train de construire une cabane dans le grand chêne du jardin
(iv) Pierre a construit une cabane dans le grand chêne du jardin
(i) implique (ii), marcher est donc un verbe d’activité, en revanche (iii) n’implique pas (iv), construire une
cabane est donc un SV d’accomplissement.
47
Cependant, le niveau auquel Dowty applique le classement de Vendler (1967) n’est pas limpide, il semble
qu’il applique la terminologie vendlerienne tantôt à des verbes, tantôt à des SV voire à des phrases. Notamment,
il donne comme exemple de verbe d’accomplissement to build (1979 : 55) sans mention de son objet, alors que
ce verbe est lexicalement ambigu puisqu’il se comporte comme un accomplissement ou comme une activité en
fonction de la nature de son objet direct. Un autre exemple de ce flottement transparaît dans la généralisation
suivante : « if a sentence with an achievement verb contain a plural indefinite NP or mass noun NP (or if the
sentence with an accomplishment verb contains such an NP as object), then it has the properties of a sentence
with an activity verb » (1979 : 63) où il semble que les termes achievement, accomplishment et activity peuvent
aussi bien qualifier des verbes que des types de phrases.

34
(25) a. John walked (activité)
b. John walked to the station (accomplissement)
c. John walked a mile (accomplissement)48
Selon Dowty (1986) le verbe a une caractérisation en propre, en l’occurrence to walk serait un
verbe d’activité. En (25)b et c il y a conflit entre l’atélicité du verbe d’activité et la limite que
fixe le complément de lieu (to the station), ou de mesure (a mile). Il y a alors une opération
qui transforme la nature du verbe pour le rendre compatible avec la limite posée par l’objet et
le verbe devient un accomplissement49. L’analyse de Dowty ne présente pas de distinction
fondamentale avec les analyses précédemment évoquées qui proposaient de considérer les
classements typologiques de verbes (ou de SV) comme l’un des ingrédients du calcul
aspectuel. En revanche, les travaux de Dowty (1979, 1986) se distinguent de ceux de
Mourelatos (1978), Wilmet (1980), Borillo (1991), etc. dans la solution utilisée pour
expliquer les changements de classes : il propose une décomposition sémantique des verbes
utilisant les mêmes opérateurs d’une classe à l’autre, ce qui lui permet de justifier les
changements de classes.
Dowty (1979) classe tous les prédicats dans la catégorie homogène, et selon lui
directement préhensible, des prédicats statifs. Les verbes d’état correspondent directement en
surface à ces prédicats statifs. Pour les autres classes (activités, accomplissements et
achèvements) les prédicats statifs entrent dans la portée d’opérateurs ou connecteurs
aspectuels avec lesquels ils forment un sens complexe. Ces opérateurs sont CAUSE, DO, et
BECOME, qui peuvent de plus se combiner entre eux. Par exemple un verbe statif ne sera
préfixé d’aucun opérateur, une activité non agentive sera composée d’un prédicat statif
précédé de l’opérateur DO, une activité agentive sera composée d’un prédicat statif précédé
des opérateurs DO et CAUSE, etc.
Ce faisant, Dowty (1979) quitte la vision additionnelle du calcul de l’aspect pour
accéder à une vision compositionnelle qui a, malgré de grandes divergences, quelques
accointances avec la théorie de Verkuyl (1971)50.

48
Exemples de Dowty (1986 : 39).
49
Cette solution est selon Verkuyl peu satisfaisante dans la mesure où elle oblige à postuler que le verbe to walk
présent dans les phrases (25)a, b et c renvoie à deux (ou trois) lexèmes différents (Verkuyl 2001 : 206).
50
Dowty (1979 : 63-65) cite d’ailleurs Verkuyl à qui il reproche d’avoir une vision trop syntaxique de la
compositionnalité alors que lui-même pense que la composition aspectuelle d’un énoncé relève de la sémantique.
Ce reproche sera réitéré dans Dowty (1986 : 40). Verkuyl y répond en affirmant que contrairement aux allégations
de Dowty, sa caractérisation des verbes est aussi sémantique (1993 : 17). Vraisemblablement, ce que reproche
Dowty à Verkuyl c’est de refuser les traitements lexicaux de l’aspect puisqu’en effet, pour Verkuyl, l’aspect se
forme au niveau de la structure, ce qui rend impossible le maintien d’une division lexicale (1993 : 33).

35
2.2.3. Alternatives aux classements typologiques des verbes
Mourelatos (1978), Borillo (1991), Wilmet (1980), et même Dowty (1979)51, chacun à sa
façon, utilisent les types de procès comme un élément de base de leurs théories aspectuelles,
mais, contrairement à Vendler (1967), ils tiennent compte et tentent d’analyser les
changements de classes que peuvent subir les lexèmes verbaux en fonction de leur
environnement linguistique. Certains linguistes ont choisi une autre voie en refusant
d’attribuer un type de procès (même transformable en contexte) aux lexèmes verbaux. Les
traitements sont nombreux, nous en présenterons quelques-uns afin de rendre compte de leur
diversité. Verkuyl (2001), qui critique la démarche consistant à utiliser le classement de
Vendler (1967) comme une partie d’une théorie aspectuelle, donne une caractérisation
sémantique minimale au verbe et ne parle d’aspect qu’au niveau de l’énoncé entier ; François
(1989, 1990) se refuse à classer les lexèmes verbaux et travaille dans une perspective
actancielle au niveau de la prédication ; les approches énonciativistes, quant à elles,
n’attribuent un type au verbe qu’à l’issue de l’analyse de la phrase.
2.2.3.1. Verkuyl (1971, 1993, 2001)
Pour Verkuyl (2001), les classes de Vendler (1967) relèvent de l’ontologique plutôt que du
linguistique et, par conséquent, elles ne peuvent pas servir à classer les lexèmes verbaux. Il
défend la thèse de la compositionnalité de l’aspect. Contrairement à Dowty (1979), il pose
que « the verb provides a constant contribution to the making of the VP » (2001 : 206). Le
verbe est en lui-même porteur du trait aspectuel [± ADD TO]52 défini comme suit : « the [+ ADD
TO]-property of the verb expresses dynamic progress, change, nonstativity or whatever term is
available to distinguish it from stative verbs, which have a minusvalue » (ibid. : 203). La
propriété [± ADD TO] portée par le verbe est stable et ne change pas au gré de la construction
prédicative dans laquelle il prend place53. Les syntagmes nominaux objet et sujet sont eux
porteurs de la propriété [± SQA]54 définie comme suit : « the [+ SQA]-feature expresses that the

51
Dowty (1979, 1986), nous l’avons vu, va plus loin sur le chemin de la compositionnalité de l’aspect en
proposant une décomposition sémantique des prédicats.
52
Dans un travail antérieur, Verkuyl attribuait au verbe différents traits sémantiques : TAKE, MOVEMENT, ADD TO,
DO, PERFORM, etc. correspondant à des « catégories verbales primitives » (1971 : 126). Comme l’explique
Verkuyl, il utilise ADD TO comme super-catégorie subsumant les autres traits. ADD TO signifie « ajouté à ».
Verkuyl explique que construire c’est ajouter quelque chose à ce qui a déjà été construit, marcher c’est ajouter de
la distance à la distance déjà parcourue, etc. Ce trait est en fait la réduction à un primitif de tous les autres traits
et marque la dynamicité du verbe.
53
Plutôt qu’une opposition entre approche sémantique (celle de Dowty 1979) et approche syntaxique (celle de
Verkuyl 1971), opposition d’ailleurs décriée par Verkuyl (cf. note 50), ce qui oppose Dowty et Verkuyl dans leur
vision compositionnelle de l’aspect réside dans le statut (stable ou modifiable) des propriétés accordées en
propre au verbe.
54
Le sigle « SQA » renvoie à « Specified Quantity of A » (quantité spécifiée de A).

36
NP pertains to a specified quantity of things or mass denoted by its head noun » (ibid.). A
partir des propriétés portées respectivement par le verbe [± ADD TO] et par les SN objet et
sujet [± SQA], l’aspect est calculé. Dans cette théorie l’apport du SN objet et celui du SN sujet
n’est pas le même : le verbe se combine d’abord avec le SN objet pour former une nouvelle
unité sémantique aspectuelle qui, en fonction des traits portés par le verbe et le SN, reçoit la
caractérisation [± T]. Cette nouvelle unité (le SV) se combine à son tour avec la propriété
[± SQA] portée par le SN sujet : l’énoncé entier reçoit alors le trait [± T]. Verkuyl (2001)
oppose les situations [+ T] qui sont délimitées (« terminative ») aux situations [- T] qui sont
non délimitées (« durative »). Il n’y a pas dans cette approche de recatégorisation des unités,
i.e. les traits [± ADD TO] et [± SQA] sont attribués en propre aux unités lexicales. La propriété
[+ T] ou [- T] est calculée au niveau du SV puis de l’énoncé entier.
Selon le principe de la compositionnalité, « la signification d’un groupe d’unités
linguistiques peut être déduite / prédite à partir des significations individuelles de chacune de
ses unités, articulées entre elles par des relations de composition, qu’une théorie sémantique a
précisément pour tâche de décrire » (Fuchs, Gosselin & Victorri 1991 : 157). Dowty (1979) et
Verkuyl (1971) ont tous deux une approche compositionnelle55 de l’aspect puisqu’ils
s’intéressent au rôle des arguments du verbe, et particulièrement à celui de l’objet direct dans
la détermination aspectuelle de l’énoncé56. Cependant, nous avons vu que leur manière
d’utiliser le principe compositionnel est très différente. Alors que pour Dowty (1979) le verbe
renvoie à un type de procès (c’est-à-dire à un faisceau de traits) et que son environnement
peut conduire à une recatégorisation du verbe, chez Verkuyl (1971) le verbe a un trait stable
(le trait [± ADD TO]) et ce n’est qu’une fois pris en compte premièrement l’objet direct, et
deuxièmement le sujet, que la situation peut renvoyer à un type de procès ; Verkuyl (1971)
distingue alors les états, les processus et les événements.
2.2.3.2. François (1989, 1990)
L’approche de François (1989, 1990) a ceci d’original qu’elle tient compte, en plus des
critères temporels traditionnels, de la constitution participative de la situation, i.e. les
participants du procès, particulièrement l’« agent » et le « patient », l’ « expérienceur », le
« localisateur », le « bénéficiaire », etc.
Chafe (1970)57 puis Cook (1979 : 43) distinguent les verbes d’états, de processus,
d’action et de processus-action58. Ils proposent un classement sémantique du lexique verbal

55
La notion de compositionnalité du langage est généralement attribuée à Frege.
56
D’autres avant eux s’y sont intéressés, cf. entre autres Garey (1957), Evans (1967), etc.
57
Pour une présentation synthétique du système de classement proposé par Chafe (1970), cf. François (1990 : 15).

37
mais contrairement à Vendler (1967) ou Kenny (1963/[1994]), ils analysent l’interdépendance
entre le verbe et les syntagmes nominaux qui réfèrent aux participants du procès et sont
exigés par le verbe. Schématiquement, un état est accompagné d’un patient, une action d’un
agent, un processus d’un patient qui change de condition ou d’état et un processus-action met
en jeu à la fois un agent et un patient. Ils examinent ensuite la présence éventuelle d’un
expérienceur, d’un bénéficiaire, d’un localisateur ou d’un instrument.
Partant des travaux de Chafe (1970) et de Cook (1979), François propose un
« classement conceptuel des phrases élémentaires (chapitre IV) et de transfert conditionnel
des caractères conceptuels classificatoires de la phrase élémentaire au verbe sous forme de
conditions de vérité (c’est-à-dire de postulats de sens) assignables à un couple [verbe,
environnement syntactico-sémantique] (chapitre V) » (1989 : 197). Il utilise quatre
« classificateurs conceptuels de constitution temporelle » (± dynamique, ± transitionnel,
± télique, ± momentané) et deux « classificateurs conceptuels de constitution participative »
(± agentif, ± causatif). Puis, grâce à un algorithme ordonnant l’attribution de ces
classificateurs, il met en évidence sept types principaux de phrases élémentaires
situationnelles : les phrases d’états, d’événements, de transitions, d’activités, d’actions, de
processus et de changements59. Chaque type est défini par une combinaison spécifique des six
classificateurs. François (1989) explique qu’il n’est pas entièrement exact de penser qu’on
puisse transposer les caractéristiques d’une phrase élémentaire situationnelle au verbe. Il
propose d’intégrer progressivement les éléments aspectuels pour déterminer l’aspect de la
phrase. Le coeur de ce calcul reste néanmoins le verbe accompagné de son environnement
actanciel.

2.2.3.3. Quand la typologie devient une échelle


Fuchs, Gosselin & Victorri reprochent au concept de recatégorisation d’échouer à rendre
compte de la complexité du calcul aspectuel : « dès lors qu’un nœud domine une unité non

58
Cook (1979) systématise le programme de classement des verbes proposé par Chafe (1970) en combinant les
deux modes de classification de Chafe : verbes d’états, de processus, d’action et de processus-action d’une part
et verbes basiques, expérientiels, locatifs et bénéfactifs d’autres part (1979 : 144-166).
59
François (1990 : 18-23) propose une version approfondie de son classement en combinant successivement les
quatre classificateurs de constitution temporelle, auxquels s’ajoutent ensuite les deux classificateurs de
constitution participative et enfin le classificateur quadripolaire de Cook (1979) {basique, expérientiel,
bénéfactif, locatif}. Les classes ainsi obtenues sont séparées en deux types : les classes majeures vs les classes
mineures. On retrouve cette idée dans François & Verstiggel (1991), où la dynamicité et le changement sont
spécifiés comme principaux alors que la télicité et la momentanéité sont vues comme secondaires, ce qui permet
de répartir les classes de prédications en classes majeures (état, processus, causation et action causatrice) et
mineures (états dynamiques, états agentifs et activité). Les classes majeures sont celles qui peuvent être basiques,
expérientielles, bénéfactives ou locatives.

38
recatégorisable, il reçoit le trait de cette unité » (1991 : 160), cela implique qu’un nœud non
terminal est non recatégorisable. Or, selon ces auteurs, le temps (qui ne saurait être en
position de nœud terminal) peut recatégoriser les types de procès60. Autrement dit, ils rejettent
l’idée d’attribuer une classe au verbe même si elle est ensuite modifiable en contexte par le
biais de la recatégorisation. Ils préfèrent prendre en compte tous les indices aspectuels
présents dans l’énoncé, et doter chaque indice d’une force. Ainsi, deux indices faibles de
durativité peuvent l’emporter sur un indice fort de bornage :
(26) Il s’est encore plaint
(27) Il s’est encore plaint pendant une heure après son départ61
Dans ces exemples, il s’agit de déterminer la valeur de encore qui est un marqueur aspectuel
polysémique entre une valeur itérative et une valeur durative. Dans l’énoncé (26) le passé
composé est le seul indice aspectuel, c’est un indice de bornage qui déclenche une lecture
itérative de encore. En (27), le passé composé est toujours un indice de bornage mais les deux
compléments de temps sont deux indices faibles de durée, ce qui privilégie nettement la
lecture durative de l’adverbe encore. Dans cette approche, contrairement à ce qu’on a pu
observer chez Verkuyl (1971) et plus généralement dans l’optique compositionnelle de
l’aspect, il n’y a pas d’ordre a priori de prise en compte des indices, cet ordre peut être
différent d’un énoncé à l’autre, il est déterminé par la force et l’agencement des indices.
Parmi les informations prises en compte dans le calcul de l’aspect phrastique par
Fuchs, Gosselin & Victorri, on trouve le sens propre du verbe mais, selon les auteurs, l’apport
du verbe ne peut pas être rendu par une typologie des procès : « le type de procès ne saurait
être appréhendé comme une donnée de départ connue et stable […] ce n’est pas un indice
stable mais un lieu de glissements polysémiques graduels » (1991 : 150).
Les auteurs proposent une solution originale du traitement du sens propre des verbes
substituant aux classes de procès (qu’ils jugent trop hermétiques) une échelle qui puisse
rendre compte des différentes valeurs aspectuelles que peut prendre un même verbe. Cette
vision graduelle des types de procès permet non pas d’attribuer aux lexèmes verbaux une
valeur aspectuelle, mais de doter chaque verbe de l’ensemble des valeurs qu’il peut prendre
en contexte. Chaque valeur possible est assortie d’un « degré de plausibilité » (1991 : 151) :
« on voit qu’à la simple opposition binaire activité / accomplissement il conviendrait de
substituer une échelle graduée sur laquelle se distribueraient des lexèmes verbaux en fonction

60
Pour une critique plus ample du principe de recatégorisation, cf. Fuchs, Gosselin & Victorri (1991 : 157-162).
61
Ces deux exemples et leurs analyses sont repris de Fuchs, Gosselin & Victorri (1991 : 164), numérotés
respectivement (105) et (108) dans leur article.

39
de leur plus ou moins grande aptitude à exprimer des procès bornés ou non-bornés » (ibid.).
Cette idée d’échelle de type de procès est une solution intéressante pour traiter des différentes
acceptions que peut avoir le même verbe car elle évite de tomber dans le débat presque
insoluble de la frontière entre polysémie et homonymie.
Dans les études portant sur l’aspect phrastique, qu’elles intègrent les typologies
lexicales de procès comme l’un des éléments du calcul aspectuel ou qu’elles proposent des
alternatives à ces classements, on voit que le verbe, et plus précisément les propriétés
aspectuelles qu’il porte en propre, tient une place centrale.
Après ce rapide et forcément fragmentaire état des lieux, nous allons définir quelques
lignes directrices de notre travail. Pour ce faire nous allons revenir sur certaines critiques
adressées aux typologies de type Vendler-Kenny.

2.3. Positionnement
Nous avons exposé différents points de vue sur l’aspect, il nous faut à présent nous situer par
rapport à toutes les voies existantes. Notre travail porte principalement sur les propriétés
aspectuelles des noms. Les noms ayant des propriétés aspectuelles sont régulièrement en lien
morphologique avec des verbes ou des adjectifs, ce qui nous mènera à réfléchir sur la question
de l’héritage aspectuel entre les verbes ou adjectifs et les noms. En effet, nous aurons recours
à l’étude de l’héritage des propriétés aspectuelles pour tenter d’expliquer certains
comportements des noms. Pour ce faire, il est nécessaire de connaître l’aspect lexical des
verbes, des adjectifs aussi bien que celui des noms.

2.3.1. L’héritage vendlerien


Que penser des classements lexicaux de verbes proposés par Vendler (1967) ou Kenny
(1963/[1994]) ? Nous avons déjà mentionné l’existence de critiques à l’encontre de ce type de
classement, mais elles ne sont peut-être pas un obstacle insurmontable à leur utilisation.
Le soupçon d’ontologisme qui plane sur le classement de Vendler (1967) est légitime
mais l’emploi systématique de tests linguistiques devrait pouvoir prévenir le risque de
glissements entre classement linguistique des termes et classement ontologique des situations
extralinguistiques.
Plus important est le reproche fait à Vendler (1967) de ne pas prendre en compte la
compositionnalité de l’aspect, et plus précisément l’apport de l’objet direct des verbes
transitifs. Nous espérons que les exposés des théories existantes auront suffi à convaincre de
l’importance de ces interactions pour l’analyse aspectuelle des prédicats. Nous proposons

40
d’utiliser dans notre recherche la classification vendlerienne (i.e. nous postulons que les
verbes sont porteurs de traits aspectuels qui leur permettent, indépendamment de leur mise en
discours, de faire l’objet d’un classement lexical). Concernant les verbes transitifs
aspectuellement sensibles à la nature de leur objet, nous prendrons soin de ne pas les séparer
de leur argument interne lors de l’analyse des exemples. Choisir la classification de Vendler
(1967) comme base de notre travail, c’est aussi adopter sa terminologie (traduite en français)
qui offre l’avantage d’être très largement connue tant furent grandes les retombées des
travaux de ce philosophe62.

2.3.2. Compositionnalité de l’aspect lexical du verbe


Nous avons vu que l’objet n’est pas le seul élément à pouvoir modifier le type de procès, la
nature du sujet syntaxique, la présence de compléments de mesure ou de direction, d’adverbes
de temps ou le choix du temps grammatical jouent aussi un rôle. Cependant nous pensons que
ces éléments n’ont pas le même statut que l’objet et qu’ils ne font pas partie du procès mais
relèvent de la composition de l’aspect phrastique. Il nous faut donc poser une limite raisonnée
entre l’aspect lexical du procès et l’aspect phrastique.

2.3.3. Aspect lexical du procès vs aspect phrastique


Nous allons passer en revue les différents éléments qui entrent en jeu dans la détermination de
l’aspect phrastique afin d’expliquer pourquoi ils ne relèvent pas selon nous de l’aspect lexical
du procès.
2.3.3.1. Les temps grammaticaux
Il est fréquent d’inclure dans les paramètres de détermination de l’aspect verbal les temps
verbaux. Nous avons vu lorsque nous avons présenté l’aspect grammatical (§1.3) que les
temps peuvent être porteurs de l’opposition accompli / inaccompli. Cependant, contrairement
à ce qui est parfois affirmé63, nous ne pensons pas que le caractère accompli / inaccompli
d’une phrase change la nature aspectuelle du procès :
(28) Pierre a écrit une lettre
(29) Pierre était en train d’écrire une lettre
(30) Pierre a écrit une lettre en deux heures

62
Nous préciserons en temps utile l’utilisation exacte que nous faisons de la classification de Vendler (1967) (cf.
chapitre 4, §2.21.1). Disons en première instance que nous pensons que les verbes nus peuvent être classés dans
les quatre classes vendleriennes, la délimitation de l’objet n’intervenant qu’à un niveau supérieur (celui du SV).
63
Sur cette position, cf. par exemple Borillo : « une situation normalement donnée comme terminative – un
accomplissement ou un achèvement – perd cette valeur lorsque la phrase est à l’imparfait » (1991 : 99).

41
(31) ?? Pierre était en train d’écrire une lettre (en deux heures / pendant
deux heures)
L’utilisation du test des compléments de temps (30) prouve qu’on a un accomplissement en
(28). Cependant, l’impossibilité d’appliquer ce test à (29) (on obtient un résultat aussi
mauvais avec en qu’avec pendant (cf. (31)) montre que (29) est une phrase dans laquelle
l’atteinte du terme de l’accomplissement n’est plus précisée, mais cela ne prouve pas pour
autant qu’on ait affaire à un procès d’activité. Nous rejoignons ici Dahl (1981) qui sépare
bornage potentiel [T-propriété] et accès à la borne [P-propriété] :
(32) Pierre était en train de manger une pomme
Dans cet exemple on a bien une borne ([+ T]) mais elle n’est pas présentée comme atteinte
([- P]). Comme cet auteur, nous pensons qu’il est possible de distinguer entre « existence
d’une borne » et « atteinte de cette borne ». Pour nous, les procès écrire une lettre ou manger
une pomme sont invariablement des accomplissements, le temps verbal n’affecte pas la
télicité de l’accomplissement mais détermine si le point terminal a été ou non atteint. Nous ne
prendrons donc pas en compte l’apport aspectuel des temps grammaticaux puisqu’ils ne
modifient pas l’aspect lexical du procès mais relèvent uniquement de l’aspect grammatical.
De plus, dans le domaine nominal, la question de l’apport aspectuel des temps grammaticaux
est nulle et non avenue puisque les noms ne se conjuguent pas.
2.3.3.2. Les compléments de temps
On peut se demander si les compléments de temps pendant x temps et en x temps sont
simplement des tests pour déterminer si le procès est une activité ou un accomplissement ou
s’ils modifient l’aspect du procès.
Suivant Smith, nous pensons que l’information aspectuelle portée par les adverbiaux
de durée est externe à la situation type (1991 : 156)64, ce qui veut dire que ces compléments
ne modifient pas la classe aspectuelle à laquelle appartient le procès :
(33) Pierre a marché pendant deux heures
(33) indique qu’il existe une période de deux heures que Pierre a occupée à marcher, mais elle
ne dit en rien que le procès « marcher » a été limité à cette période. Pendant deux heures ne
télicise pas l’activité « marcher ».
Nous rejoignons Fuchs, Gosselin & Victorri, pour qui les compléments introduits par
en imposent au procès de posséder la valeur [+ borné], « c’est précisément pour cette raison
qu’on peut utiliser ce circonstanciel [en cinq minutes] comme critère pour déterminer le type

64
Dans la terminologie de Smith (1991), les adverbiaux de durée sont ce que nous appelons des compléments de
temps et les situations types sont les classes de procès.

42
de procès » (1991 : 164). On peut étendre cette remarque aux compléments en pendant qui
sélectionnent quant à eux des procès [- borné]. Les compléments de temps révèlent l’aspect
du procès, ils ne le lui donnent pas. C’est donc naturellement que nous n’incluons pas ces
compléments dans la détermination aspectuelle du procès mais nous les employons pour tester
le caractère [± borné] des procès.
2.3.3.3. Les compléments de mesure et de direction
Ces cas, illustrés par (34)-(37), sont plus délicats :
(34) Pierre a couru jusqu’au moulin
(35) Pierre a couru trois kilomètres
(36) Pierre a couru jusqu’au moulin (* pendant / en) une heure
(37) Pierre a couru trois kilomètres (* pendant / en) une heure
Que (34) et (35) soient des phrases téliques, on en a la preuve en (36) et (37). Pour autant, ces
compléments font-ils partie de ce que nous avons appelé le procès ? Nous pensons que non.
Ils viennent explicitement donner une limite à l’action dénotée par le verbe, mais
contrairement aux objets directs, ce ne sont pas syntaxiquement des arguments du verbe mais
des adjoints. Nous considérons ces compléments comme des limites externes aux procès
capables d’assigner une borne à une action qui en est dépourvue elle-même mais qui peut en
recevoir du dehors. Il est d’ailleurs significatif que le cas inverse n’existe pas, en effet, aucun
complément-adjoint n’est capable de rendre atélique un accomplissement en modifiant
intrinsèquement le type de procès. Il y a donc une différence de statut syntaxique entre les
compléments de mesure et de direction d’un côté et l’objet direct de l’autre, qui justifie que
seuls les seconds fassent partie intégrante du procès, les premiers ne pouvant qu’apporter un
bornage externe65.
2.3.3.4. Le sujet
Il est reconnu que le sujet syntaxique peut influencer l’aspect du procès (cf. entre autre
Verkuyl 1971, Dowty 1979, etc.). Ainsi un achèvement doté d’un sujet pluriel peut dénoter
une situation atélique :
(38) a. * La bombe a explosé pendant une heure
b. Des bombes ont explosé pendant une heure

65
Concernant les compléments d’objet indirect, qui sont syntaxiquement des arguments du verbe, leur place
dans la détermination de l’aspect du procès ne sera pas traitée dans ce travail. Leur rôle paraît assez sporadique
puisque les exemples comme (i)b où l’objet indirect fait partie intégrante du procès et peut le déterminer comme
accomplissement sont relativement rares, contrairement à ceux présentés en (ii) (où l’objet indirect n’influence
pas le type de procès) :
(i) a. Nous avons parlé (pendant / * en) deux heures
b. Nous avons parlé de ce problème (pendant / en) deux minutes
(ii) Pierre a parlé à Marie (pendant / * en) deux heures

43
(39) a. * Pierre est arrivé pendant toute la matinée
b. Les invités sont arrivés pendant toute la matinée
En (38)b, l’ensemble des diverses explosions échelonnées sur une durée d’une heure est perçu
comme une continuité atélique (comme nous l’avons déjà signalé §2.1.3.1, la langue ne fait
pas de différence entre le continu et le discontinu référentiel), et nous nous rangeons à l’avis
de Verkuyl (1971) qui considère que le sujet entre dans le jeu de la compositionnalité après
l’objet direct, c’est-à-dire après la constitution du procès. Intuitivement, même si la somme
des explosions est traitée par la langue comme une situation durative atélique, chaque
explosion reste cependant un achèvement. Il faut noter que dans les deux exemples (38) et
(39), le sujet syntaxique est, dans la structure profonde, un argument interne du verbe66. C’est
encore une fois l’argument interne (l’objet) qui influence en fait l’aspect lexical du verbe.
Le sujet syntaxique, plus que les temps grammaticaux, les compléments de temps, etc.,
peut intervenir dans l’attribution de la nature aspectuelle du procès en discours, en particulier
dans le cas des verbes inaccusatifs. Pour cette raison nous aurons recours à la pluralisation du
sujet dans l’application de certains tests aspectuels (notamment avec les verbes d’achèvement,
cf. chapitre 2). Néanmoins, dans la majorité des cas (avec les verbes d’activité et
d’accomplissement), le sujet ne joue aucun rôle dans l’attribution de la nature aspectuelle du
procès.

2.3.4. Conclusion partielle


Nous appliquerons la classification de Vendler (1967) aux verbes tout en gardant à l’esprit
que la délimitation de l’objet est primordiale dans l’attribution du trait [± borné] au procès
(i.e. le verbe accompagné de son objet direct s’il en a un ou de son sujet si celui-ci est un
argument interne). Nous avons écarté les temps grammaticaux et les compléments de temps
puisque les premiers n’ont d’influence que sur l’aspect grammatical [± accompli] et les
seconds ne servent qu’à sélectionner, et non à transmettre, le trait [± borné]. Les compléments
de mesure et de direction sont eux aussi écartés car, s’ils peuvent modifier certains traits
aspectuels du procès, c’est uniquement au niveau phrastique. Le sujet peut occasionnellement
intervenir dans la constitution du procès. Parmi eux, certains sont en fait des arguments
internes mis en position de sujet (c’est le cas avec les verbes inaccusatifs) ; à ce titre, ils
interviennent au même titre que l’objet dans la délimitation du procès. C’est sur cette base que

66
En effet, arriver appartient à la classe des verbes intransitifs inaccusatifs, qui ont la particularité de placer leur
unique objet interne en position de sujet syntaxique. Nous n’avons pas pu trouver d’exemples où un sujet
profond pluralisé se comporte comme en (38)-(39). En effet, il ne semble pas exister, ou très peu, de verbes
d’achèvement inergatifs qui n’aient pas un sens itératif (l’itération est naturellement compatible avec les
compléments de temps en pendant).

44
nous allons tenter d’appliquer au domaine nominal la classification vendlerienne. Cela
signifie que pour les nominalisations de verbes transitifs, nous conserverons l’argument
interne et pour les verbes inaccusatifs le sujet.

3. L’aspect dans le domaine nominal


La catégorie de l’aspect, si elle est massivement reconnue et étudiée dans le domaine verbal,
l’est nettement moins dans le domaine nominal, sans, toutefois, que son existence soit remise
en cause, comme en témoigne l’utilisation fréquente des étiquettes telles que « noms
d’actions », « noms d’états », etc. Il semble admis que certains noms peuvent, dans certains
emplois au moins, être porteurs de propriétés aspectuelles. Y compris dans les travaux traitant
de l’aspect verbal, il est parfois fait explicitement référence à l’existence de l’expression de
l’aspect par les noms : « des valeurs aspectuelles peuvent être maintenues dans la formation
de mots, à savoir, dans les mots nominaux (substantifs et adjectifs) développés d’une base
verbale67. Dans ce sens, l’aspect, en plus de se présenter dans la grammaire d’une langue, peut
donc se présenter dans son lexique […]. Et dans beaucoup de langues on a des noms d’actions
à valeur aspectuelle » (Coseriu 1980 : 17-18).
Nous commencerons par étudier les conditions sémantiques et syntaxiques nécessaires
pour qu’un nom ait des propriétés aspectuelles. Puis, nous mettrons en relation les notions de
prédication et de structure argumentale, pour cela nous présenterons les analyses portant sur
les nominalisations proposées par Milner (1982) et Grimshaw (1990).

3.1. Quels noms ont des propriétés aspectuelles ?


3.1.1. Propriété sémantique : ce sont des noms abstraits
Sémantiquement, les noms qui peuvent posséder des propriétés aspectuelles sont des noms
abstraits dénotant des situations dynamiques ou statives (procès, actions, états, qualités, etc.).
Eliminons d’emblée la critique persistante concernant l’opposition abstrait / concret selon
laquelle ces notions classeraient les objets du monde réel et non les mots68. Cette distinction
ne saurait être réduite à une classification extralinguistique comme le prouvent les nombreux
faits linguistiques qui, sans le recours à cette notion, resteraient sans justification pertinente. A
titre d’exemple, la distinction nom abstrait / nom concret permet d’expliquer qu’on ne puisse

67
Nous montrerons au fil de ce travail que l’expression de l’aspect n’est pas réservée aux seuls noms issus de
verbes mais aussi à certains noms issus d’adjectifs (e.g. ivresse, maladie) ainsi qu’à des noms qui ne sont pas, en
synchronie au moins, dérivés (e.g. crime, courage).
68
D’autres distinctions opèrent à la fois sur la conception du réel et sur la langue (e.g. la distinction massif /
comptable qui est linguistiquement marquée par la distribution des déterminants : un cerceau vs du beurre).

45
pas dire : *la vertu est triangulaire, car l’adjectif triangulaire exige un argument qui soit un
individu ; or la vertu, en raison de son caractère abstrait, n’est pas un individu mais un
prédicat de premier degré69 (1975 : 47, cité par Flaux 1996 : 87). De plus, les termes abstrait
et concret ne s’appliquent pas directement aux objets du monde mais plutôt au « type de
contenu de pensée que tel ou tel nom est susceptible d’évoquer » (Flaux 1996 : 178). Si tel
n’était pas le cas, comment se résoudre à dire que licorne et sonate sont des noms concrets
alors même que ces noms n’ont pas de référents palpables ? Aussi rejoignons-nous l’analyse
selon laquelle l’opposition entre noms abstraits et noms concrets n’est pas seulement
extralinguistique mais permet aussi de rendre compte d’un certain nombre de comportements
linguistiques des noms.
Nous commencerons par clarifier ce qu’on entend par abstrait et concret car, si de
prime abord cette distinction paraît « aller de soi », ce n’est pas le cas, comme le prouve la
vaste littérature sur cette question70. On peut entendre par concret / abstrait ce qui est sensible
ou non sensible ou encore ce qui est matériel ou non matériel. L’opposition matériel / non
matériel permet grosso modo d’opposer les objets tactiles à ceux qui ne le sont pas. Cette
distinction semble d’emblée trop étroite puisqu’elle ne rend compte que de l’un des sens qui
permet de percevoir les choses, nous lui préférons en cela l’opposition sensible / non sensible
qui prend en compte les cinq sens humains. Cependant, le critère de la sensibilité du référent
est peut-être cette fois trop puissant. En effet, nombre de prédicats d’action peuvent dénoter
des événements, c’est-à-dire des entités spatio-temporellement ancrées qui, par définition,
peuvent être observées et parfois entendues :
(40) J’ai vu le bombardement de ce matin depuis la fenêtre de ma
chambre
(41) J’ai entendu le bombardement de ce matin depuis la cave
Pourtant, à notre connaissance, les événements sont généralement considérés comme des
entités abstraites. De plus, comme le remarque Flaux, il existe des noms concrets non
sensibles (dans une de leurs acceptions au moins) tels que récit, poème, sonate que l’auteur
baptise « noms d’idéalités concrètes » (2002).

69
Comme le rappelle Gardies (1975) un prédicat ne peut pas être argument d’un autre prédicat s’ils sont de
même degré.
70
Nous traitons ici l’opposition abstrait / concret comme une distinction binaire mais, comme Van de Velde l’a
montré, il existe en fait un continuum entre ces deux pôles : « ce que nous essayons de montrer est précisément
qu’entre le purement concret (les individus) et le purement abstrait (les qualités) il existe des intermédiaires, que
le passage du concret à l’abstrait est progressif, et que la langue reflète très fidèlement cette progression »
(1995a : 130). Le passage progressif du concret à l’abstrait explique sans doute en partie les débats sur cette
distinction.

46
On peut formuler un premier filtre ainsi : si un nom réfère à une entité du monde que
l’on peut toucher, goûter ou sentir (par l’odorat), alors ce nom a un référent concret, par
raccourci, on dit que ce nom est concret. Si un nom réfère à une entité du monde que l’on ne
peut ni toucher, ni goûter, ni sentir alors on ne peut conclure quant à sa nature concrète ou
abstraite. Dans ce second cas de figure, il nous faut un autre critère de distinction.
Ce critère sera emprunté à la logique où abstraire signifie « séparer »71. Une
abstraction est donc une propriété séparée de son support72. Alors qu’un nom concret dénote
une entité indépendante, autonome, le nom abstrait dénote une entité dépendante, i.e. « non
concevable en dehors d’un support » (Flaux 1996 : 78). Corrélée aux notions de dépendance
et de séparation73, l’opposition abstrait / concret reçoit une définition plus satisfaisante car
libérée des intuitions du locuteur face aux choses du monde qui l’entourent. Pour savoir si un
nom est concret ou abstrait, dans les cas où son référent ne peut pas être touché, goûté ou
reniflé, il faut se demander si le nom renvoie à un tout autonome ou non. Prenons un nom
comme douceur, ce nom est abstrait car « [son] référent n’existe pas indépendamment d’un
autre » Galmiche & Kleiber (1996 : 27). Ce qui est intéressant avec le critère d’autonomie,
c’est qu’il permet de classer parmi les noms n’ayant pas subi le processus d’abstraction des
noms comme sonate, pensée ou idée. Ces noms échouent au premier filtre (on ne sent, ne
touche ni ne goûte au sens perceptif une sonate) mais le second critère permet de les ranger
parmi les noms concrets puisqu’ils dénotent des entités autonomes.
Les noms abstraits sont donc des noms qui présentent des entités séparées de leur
support, autrement dit, ces noms sont sémantiquement incomplets, ce qui les rapproche de la
catégorie des prédicats définis comme termes non saturés.

3.1.2. Propriété syntaxique : ce sont des noms prédicatifs


Pour qu’un nom puisse exprimer l’aspect il faut qu’il ait un emploi prédicatif. Les noms
prédicatifs sont des « noms qui peuvent constituer le noyau d’une phrase et qui ont un
domaine d’arguments qui leur est propre » (Levrier 1995 : 68). Par conséquent, « être

71
Husserl dit « détacher par abstraction » (1891/[1972] : 44).
72
Pour une discussion sur le lien entre les oppositions matériel / immatériel et dépendance / indépendance
référentielle, cf. Kleiber (1994), qui souligne que les noms abstraits le sont « à la fois parce qu’ils n’ont pas de
matière ni de forme et parce qu’ils sont dépendants référentiellement, le premier critère étant à l’origine du
second » (p.59) et met en évidence « la conjonction du critère matériel et du critère d’indépendance ontologique
pour la définition du statut du concret » (p.64).
73
Comme le fait remarquer Flaux (1996), la notion de dépendance seule ne suffit pas car il y a différentes façons
pour une entité d’être dépendante, ainsi les noms relationnels (e.g. père, mère, frère, etc.) présentent une forme
de dépendance mais ils ne présentent pas l’entité comme séparée de son support, ces noms ne sont donc pas
abstraits. Pour d’autres exemples de noms dépendants mais concrets (par défaut du critère de séparation), cf.
Flaux (1996 : 86-87).

47
prédicatif » c’est être insaturé (i.e. le prédicat projette autour de lui des places réservées à ses
arguments), or seuls les noms abstraits possèdent cette propriété en raison de leur séparation
d’avec un support74.
Dans certaines théories, la notion de prédication rejoint celle d’attribution, en
s’opposant à celle de référence. Le prédicat est le terme qui attribue une propriété à un sujet
(e.g. être malade (42)) en opposition aux termes qui ont un pouvoir référentiel (e.g. la
destruction (43)) :
(42) Pierre est malade
(43) La destruction du pont a eu lieu à l’aube
Nous employons le terme prédicat dans un sens plus large car nous considérons qu’il existe
des noms prédicatifs. Ces noms, en tant que substantifs, ont un pouvoir référentiel mais ils ont
des compléments (à la manière des prédicats verbaux ou adjectivaux) qui viennent saturer leur
sens. Pour nous, destruction dans l’exemple (43) est prédicatif.
Dans l’emploi que nous faisons de ce terme, un nom est prédicatif s’il peut
s’interpréter comme le serait un prédicat verbal ou adjectival et que ses compléments
éventuels s’interprètent comme le seraient les arguments dudit prédicat75. Les compléments
du nom prédicatif ne sont pas obligatoirement lexicalisés car l’une des grandes différences
entre la prédication verbale et la prédication nominale est que la valence d’un verbe est
grammaticalement beaucoup plus contrainte que celle d’un prédicat nominal76. Alors que
l’absence d’un argument, en particulier de l’argument externe, rend la structure verbale active
agrammaticale, dans le domaine nominal l’absence d’un ou des arguments ne mène que
rarement à un énoncé fautif :
(44) a. Pierre a transformé un hôtel en centre de secours
b. * Pierre a transformé (en centre de secours / e)
c. * A transformé (un hôtel / e) en centre de secours
(45) a. La transformation d’un hôtel en centre de secours par Pierre a
surpris tout le monde
b. La transformation d’un hôtel en centre de secours a surpris tout le

74
Giry-Schneider (1987 : 1-2) analyse les noms prédicatifs comme des réductions de phrases simples à verbe
support :
(i) Le gouvernement fait une campagne contre le tabac
(ii) La campagne du gouvernement contre le tabac continue
(i) est la phrase simple dont est dérivé le GN (ii) ayant pour tête le nom prédicatif campagne. Donner aux noms
prédicatifs une origine phrastique permet de saisir leur nature profonde de prédicat.
75
Nous verrons plus loin que ces compléments ne sont pas nécessairement des arguments au sens syntaxique du
terme.
76
Kiefer dit à ce propos que « la réalisation des arguments d’un substantif est, en général, facultative ». (1998 :
62).

48
monde
c. La transformation a surpris tout le monde
d. * La transformation (en centre de secours / e) par Pierre a surpris
tout le monde
Alors que dans le domaine verbal, il est impossible d’effacer l’argument externe (sauf dans
les tournures passives), et qu’il peut être difficile d’ôter l’argument interne direct (44), dans le
domaine nominal, il est tout à fait naturel de ne pas exprimer l’argument externe (45)b,
l’argument interne pouvant la plupart du temps lui aussi être omis (45)c. La seule contrainte
souvent observée qui semble peser sur les noms prédicatifs est que la présence de l’argument
externe en par impose celle de l’argument interne (45)d77.

3.2. Les noms abstraits prédicatifs et la notion d’argument


Les prédicats sont généralement décrits comme des têtes lexicales projetant autour d’elles une
structure argumentale. Les prédicats sélectionnent un ou plusieurs arguments, qui sont des
groupes nominaux ou des structures sémantiquement équivalentes, et leur assignent une place
syntaxique ainsi qu’un rôle thématique. Les rôles thématiques, aussi appelés rôles
sémantiques, expriment les relations de sens qui existent entre les arguments et le prédicat
qu’ils complètent.
Dans la littérature sur les nominalisations, la question du statut des compléments qui
accompagnent les noms prédicatifs est une problématique importante. Par exemple, si l’on
examine un nom morphologiquement lié à un verbe et employé dans son sens abstrait78, il y a
un consensus assez large sur le fait que les compléments de ce nom jouent le même rôle
sémantique que les arguments du verbe correspondant. En revanche, le statut syntaxique de
ces compléments du prédicat nominal est problématique.

3.2.1. Milner (1982), une analyse syntaxique des compléments du nom


introduit par de
Un premier obstacle syntaxique à l’attribution du statut d’argument aux compléments du nom
prédicatif est que, contrairement au verbe, celui-ci ne peut pas avoir de complément direct.
Néanmoins, ce premier obstacle peut être levé si l’on adhère à l’analyse des compléments du
nom en de proposée par Milner (1982).

77
C’est l’une des preuves classiques du statut argumental de l’objet interne d’une nominalisation. Nous y
reviendrons au §3.2.2.1.
78
Cette précision a son importance puisqu’un nom morphologiquement lié à un verbe a fréquemment au moins
deux emplois : un emploi abstrait (prédicatif) dont le sens est proche de celui du verbe d’origine (e.g. La maison
a été construite par un architecte renommé / la construction de la maison par un architecte renommé) et un
emploi concret (e.g. Cette construction est jolie mais on voit qu’elle vieillira mal).

49
3.2.1.1. De préposition vs de marque flexionnelle du génitif
Milner propose trois tests permettant de déterminer si dans la structure N1 de N2, de N2 est ou
non un groupe prépositionnel : (i) la possibilité pour l’ensemble de la structure d’être
déterminée par un indéfini ; (ii) la possibilité pour N2 d’être remplacé par un pronom fort ;
(iii) la possibilité pour N2 d’être en emploi attributif (1982 : 71 et ss). Si un complément du
nom en de autorise ces trois manipulations, alors il s’agit d’un groupe prépositionnel, dans le
cas contraire, il s’agit d’un groupe nominal au génitif. Dans le premier cas, de est une
véritable préposition, dans le second, de est un morphème disjoint marquant la flexion (en
l’occurrence, le cas génitif). Concernant les nominalisations, Milner distingue les génitifs
objectifs (qui ont la même interprétation que l’objet du verbe correspondant au nom déverbal)
et les génitifs subjectifs (qui ont la même interprétation que le sujet du verbe correspondant au
nom déverbal)79 :
(46) La construction de la maison (génitif objectif)
(47) L’arrivée de Pierre (génitif subjectif)
L’application des tests permet de prouver que les compléments en de des déverbaux ne sont
pas des groupes prépositionnels mais des groupes nominaux au cas génitif :
(48) a. *Une construction de la maison
b. *Une arrivée de Pierre
(49) a. *La construction d’elle
b. *L’arrivée de lui
(50) a. *La construction est de la maison
b. *L’arrivée est de Pierre
Milner énonce le principe suivant : « dans les nominalisations proprement dites, les génitifs
objectif et subjectif sont des N’’ au cas Génitif, sans préposition » (1982 : 129). L’analyse de
Milner permet de prouver que « les nominalisations, tout comme les verbes auxquels elles
répondent, peuvent être suivies d’un complément d’objet direct » (1982 : 131). Ainsi, cet
auteur montre que syntaxiquement les compléments objectifs et subjectifs des déverbaux sont
des compléments directs du nom ce dont nous déduisons qu’ils peuvent être considérés
comme de véritables arguments syntaxiques du nom.

79
Dans la terminologie de Milner, les termes nominalisation et déverbal sont employés comme synonymes. Il
définit les nominalisations comme des noms ayant (i) une relation morphologique (suffixale ou non) avec un
verbe ; (ii) une relation fonctionnelle à ce verbe (i.e. le nom doit sélectionner le même type de complément que
le verbe) ; (iii) une interprétation globale (i.e. interprétation du déverbal accompagné de ses compléments)
parallèle à celle de la phrase ayant pour élément central le verbe correspondant (1982 : 123-124). Notons que
Milner réserve le terme nominalisation aux emplois abstraits (il dit « processif ») des noms dérivés de verbes. Il
parle d’interprétation « de type stabilisé » pour les emplois concrets qu’il rapproche à juste titre des noms
ordinaires (1982 : 124).

50
3.2.1.2. L’analyse de Milner revisitée
L’appellation « nominalisations proprement dites » de Milner requiert une explication.
Premièrement, l’auteur exclut des nominalisations proprement dites les emplois d’« état
stable » du déverbal (i.e. les emplois où le déverbal reçoit une interprétation concrète).
Secondement, il affirme que les déverbaux issus de verbes qui réclament obligatoirement un
objet (il prend comme exemple démontrer) ne doivent être considérés comme de véritables
nominalisations que s’ils sont accompagnés d’un complément objectif. Ainsi, la
démonstration employé seul ou accompagné d’un complément subjectif (la démonstration
d’Euclide80) ne sont pas des « nominalisations proprement dites ».
Nous rejoignons Milner sur le fond lorsqu’il sépare l’emploi stable de l’emploi
processif des nominalisations. Seul le second emploi est prédicatif (ou abstrait) et fait l’objet
de notre étude. Cependant, il nous faut rappeler que nous faisons un emploi plus large du
terme « nominalisation » que l’auteur. Comme nous avons donné une définition
morphologique de « nominalisation », un déverbal tel que construction qu’il soit employé
abstraitement (la construction du bâtiment a durée trois ans) ou concrètement (Cette
construction est de très belle facture) reste pour nous une nominalisation. Nous dirons
simplement que dans le premier cas nous avons une nominalisation abstraite et dans le second
une nominalisation concrète (ou « nom ordinaire » dans les termes de Milner (1982)).
En revanche, la seconde restriction que propose Milner (1982) ne nous convainc pas
entièrement. Nous sommes d’accord avec l’auteur pour affirmer que la présence d’un génitif
subjectif ne suffit pas pour conclure que l’on a affaire à une nominalisation processive
puisque la nominalisation en emploi stable peut recevoir aussi un complément en de qui
s’interprète comme un agent :
(51) Le travail de Pierre est posé sur le manteau de la cheminée
En (51), le complément de Pierre peut référer à l’agent alors que travail est employé de façon
concrète, comme un nom ordinaire. Cependant, si la présence d’un complément en de référant
à un agent ne suffit pas à prouver que l’on a une nominalisation, dire, comme le fait Milner,
que « la démonstration d’Euclide n’est pas une nominalisation proprement dite » (1982 : 125)
est une conclusion trop forte selon nous. Nous préférons dire que la démonstration d’Euclide
peut, selon le contexte, recevoir une interprétation concrète (52) ou abstraite (53) (dans ce
second cas, il s’agit donc bien d’une nominalisation proprement dite au sens de Milner (1982)) :

80
Exemple de Milner (1982 : 125).

51
(52) La démonstration d’Euclide se trouve dans la grande bibliothèque,
conservée à l’abri de la lumière
(53) La démonstration d’Euclide s’est déroulée en deux temps
Alors qu’en (52) il s’agit de la réalisation écrite, matérielle de la démonstration, en (53) c’est
bien du processus démonstratif dont il est question. Par conséquent, nous n’excluons pas de
notre corpus les cas où la nominalisation se présente avec un complément génitif subjectif en
l’absence d’un complément génitif objectif. Si la nominalisation a une interprétation abstraite,
elle entre dans notre champ d’étude.
Nous n’excluons pas non plus de notre corpus les cas où la nominalisation se présente
seule, sans aucun complément car, comme nous l’avons déjà dit, l’une des grandes différences
qui existe entre prédication verbale et prédication nominale réside dans le fait que dans le
domaine nominal les arguments ne sont pas nécessairement exprimés. Nous ne voyons pas ce
qui permet d’avancer que le déverbal employé seul ne reçoit pas la même interprétation que le
déverbal accompagné d’un génitif objectif dans les exemples suivants :
(54) La démonstration de l’efficacité de ce médicament a été réalisée par
un groupe de chercheurs finlandais
(55) La démonstration a été réalisée par un groupe de chercheurs
finlandais81
En (54) comme en (55), la possibilité d’avoir un prédicat actionnel laisse penser que le
déverbal reçoit une interprétation processive.
On ne peut évoquer la question de la structure argumentale des nominalisations sans
présenter la dichotomie proposée par Grimshaw entre les nominalisations pourvues d’une
structure argumentale et celles qui en sont dépourvues.

3.2.2. Les nominalisations chez Grimshaw (1990)


Grimshaw distingue deux grands types de nominalisations : les « simple event nominals »
(événements simples, SEN) et les « complex event nominals » (événements complexes,
CEN), auxquels s’ajoutent les « result nominals » (nominaux résultatifs) qui sont des noms
dérivés de verbes mais utilisés en emploi concret (e.g. the exam was on the table82). Toute la
difficulté vient du fait qu’une même nominalisation peut entrer dans ces trois catégories selon
le contexte dans lequel elle est employée. Grimshaw (1990) propose de différencier ces
emplois selon un critère syntaxique : alors que les CEN ont une structure argumentale, i.e. des
compléments du nom qui sont syntaxiquement des arguments, les SEN et les nominaux

81
Pour que cet énoncé soit naturel, il faut que le déterminant défini de la nominalisation soit anaphorique.
82
Exemple emprunté à Grimshaw (1990 : 49), numéroté (5a).

52
résultatifs ont pour compléments des « modifieurs », c’est-à-dire des compléments qui
sémantiquement peuvent renvoyer aux mêmes référents que les arguments du verbe
correspondant mais qui syntaxiquement ne sont pas des arguments83. Enfin, Grimshaw (1990 :
107-109) appelle « arguments-adjoints » les compléments qui ont en commun avec les
arguments d’être en relation avec la structure argumentale, mais qui ont en commun avec les
adjoints d’être facultatifs. Ces « arguments-adjoints », comme leur nom le suggère, ont un
statut syntaxique intermédiaire entre argument et adjoint, c’est le cas typiquement des
compléments d’agent en par (que l’on rencontre dans les constructions passives et les CEN).
3.2.2.1. SEN, nominaux résultatifs / CEN : distinction syntaxique
L’opposition que propose Grimshaw (1990) entre CEN d’une part, et SEN et nominaux
résultatifs d’autre part, est avant tout syntaxique. Elle repose sur une série de tests portant sur
(i) la détermination (les CEN n’autorisent que les articles définis alors que les SEN acceptent
les indéfinis) ; (ii) la pluralisation (les CEN la rejettent alors que les SEN l’acceptent) ; (iii) la
complémentation (le complément objet des CEN en tant que véritable argument syntaxique
est obligatoire alors que celui des SEN est facultatif) ; (iv) la possibilité d’avoir un possessif
(seuls les SEN offrent cette possibilité) ; (v) la possibilité d’ajouter un modifieur orienté vers
l’agent (seuls les CEN offrent cette possibilité) ; (vi) l’emploi attributif (seuls les SEN ont un
emploi attributif) ; (vii) le comportement identique à celui d’un verbe à contrôle (seuls les
CEN l’autorisent, e.g. (the) PROi exmination of the patient in order to PROi Determine
whether…) ; (viii) la possibilité d’ajouter un modifieur adverbial (seuls les CEN acceptent de
se combiner avec des modifieurs du type frequent (en anglais) tout en restant au singulier), et
enfin (ix) la possibilité d’avoir les mêmes modifieurs aspectuels que le verbe correspondant
(seuls les CEN acceptent de se combiner avec des compléments du type en / pendant x
temps).
On peut noter que les tests (i) et (vi) sont les mêmes que ceux proposés par Milner
(1982), mais alors que Grimshaw les utilise pour montrer que le nom prend de vrais
arguments, Milner les utilise pour prouver que le nom prend des compléments directs. Ce
parallèle confirme l’idée de lier ces deux conclusions : si un nom a un complément direct
alors ce complément est un argument du nom. Ce qui est saillant dans l’analyse que propose

83
Les compléments qui sémantiquement réfèrent aux mêmes entités que les arguments du verbe correspondant
sont appelés par Grimshaw « participants » et font partie de la structure lexicale conceptuelle des noms et des
verbes. Si le nom est un CEN alors les participants sont syntaxiquement des arguments qui entrent dans la
structure argumentale du nom ; si le nom est un SEN (ou un nominal résultatif) alors les participants sont
syntaxiquement des modifieurs et le nom n’a pas de structure argumentale.

53
Grimshaw est qu’elle lie fortement nominaux résultatifs et SEN (en raison de leurs points
communs syntaxiques) pour les opposer aux CEN.
Sur la valeur syntaxique de la distinction CEN / SEN, de nombreux commentaires ont
été faits dans la littérature, mettant en évidence un certain nombre de qualités et de défauts
des tests proposés par Grimshaw. Nous ne commenterons pas ici leur transposition au
français, sur ce point nous renvoyons à Van de Velde (2006). Arrêtons-nous seulement sur le
statut des compléments d’agent introduits par par. Ces compléments, lorsqu’ils complètent
une « véritable nominalisation » dans les termes de Milner (1982), sont des paraphrases des
compléments directs introduits par un de employé comme marqueur flexionnel du cas génitif.
Nous postulons donc que les compléments de nominalisations abstraites introduits par par
peuvent être, dans une perspective milnerienne, conçus comme des arguments du nom. Chez
Grimshaw (1990), ces mêmes compléments sont considérés comme des arguments-adjoints
dont le statut syntaxique intermédiaire nous paraît peu clair. En effet, ces compléments
hybrides sont en rapport avec la structure argumentale sans y recevoir une place pleine
d’argument. On peut se demander s’ils sont, finalement, des arguments. La question reste
ouverte, comme le souligne Van de Velde : « le statut d’argument du complément en par, qui
d’ailleurs n’est pas obligatoire, [est] lui-même douteux » (2006 : 110). Si elle ne prend pas
directement position sur le statut (non)argumental de ces compléments, Van de Velde (2006 :
113) fait de ces compléments des révélateurs de structure argumentale, puisque leur présence
est analysée comme une preuve de l’existence d’une structure argumentale, Plus précisément,
le complément en par révèle que le complément en de qui le précède est bel et bien
l’argument interne du nom tête84 :
(56) L’invasion de la Mongolie par la Chine rompt tous les accords de
paix entre les deux pays
Nous la rejoignons sur ce point en insistant sur le fait que le nom tête doit être abstrait pour
posséder une structure argumentale. Ainsi, dans un exemple comme (57), la présence d’un
complément en par n’est en rien la preuve de la présence d’une structure argumentale :
(57) Ce portrait de Gala par Dalí se trouve dans la dernière salle du
musée
Portrait réfère à un objet concret. Les noms concrets n’étant pas prédicatifs ils n’ont pas de
structure argumentale. Dans cet exemple, on a un complément génitif objet (dans la
terminologie de Milner) suivi d’un complément d’agent. Ces compléments sont

84
Van de Velde analyse la structure le bombardement de la ville par les Anglais comme une nominalisation
passive où de la ville est un argument du nom bombardement alors que par les Anglais serait un adjoint
interprété comme le serait l’argument externe du verbe bombarder (Van de Velde 2007).

54
sémantiquement proches de ceux que l’on trouve avec les nominalisations abstraites mais ce
sont des compléments prépositionnels85. Il nous semble bien difficile de prouver que les
compléments en par sont ou ne sont pas des arguments du nom, mais nous retenons que leur
présence est une preuve de la nature prédicative des noms abstraits qui les gouvernent86.
3.2.2.2. CEN, SEN / nominaux résultatifs : distinction sémantique
Ce qui nous intéresse plus que le statut syntaxique des compléments des noms abstraits est la
validité sémantique de la dichotomie, voire de la trichotomie si on inclut les nominaux
résultatifs, proposée par Grimshaw (1990). Sémantiquement, elle caractérise les CEN comme
dénotant des événements (events) ou des actions (processes) ; les nominaux résultatifs sont,
eux, définis comme dénotant des résultats d’action (outputs of a process) ou des éléments
associés à l’action (elements associated with the process) (1990 : 49). Il est remarquable
qu’aucune détermination sémantique ne soit associée aux SEN. Faut-il en déduire que SEN et
nominaux résultatifs sont deux expressions qui désignent une seule et même réalité ? Cette
explication est elle aussi peu convaincante puisque Grimshaw ne paraît pas (en tout cas, pas
systématiquement) employer ces deux termes indifféremment. Il semble que Grimshaw
différencie ontologiquement les nominaux résultatifs des SEN, les premiers étant concrets
contrairement aux seconds, mais ce point reste flou et nous ne pouvons assurer que c’est bien
ainsi que Grimshaw conçoit sémantiquement les SEN et les nominaux résultatifs. Si,
néanmoins, nous avons raison, alors on peut opposer les trois exemples suivants :
(58) La réparation (répétée) de la voiture par ce charlatan a bien failli
nous coûter la vie
(59) Les réparations faites sur cette voiture se sont multipliées ces
derniers temps
(60) La réparation restera visible mais au moins votre voiture fonctionne
En (58) réparation est un CEN (emploi de l’article défini, possibilité d’adjoindre un
modifieur aspectuel, présence de l’objet et de l’argument-adjoint en par), en (59) il s’agit d’un
SEN (emploi du pluriel, introduction de l’objet par la préposition pleine sur), et en (60) il
s’agit d’un nominal résultatif, réparation a ici un sens concret souligné par l’emploi de
l’adjectif visible qui attribue une caractérisation physique à la réparation. Sémantiquement, les

85
Le statut prépositionnel du complément de Gala n’est pas certain mais si l’on applique les tests proposés par
Milner (1982), ce complément valide deux des trois tests réservés aux compléments prépositionnels :
(i) un portrait de Gala
(ii) un portrait d’elle
(iii) * le portrait est de Gala
C’est pourquoi nous considérons le de dans de Gala comme une véritable préposition.
86
Les compléments d’agent en par seront utilisés comme test de la dynamicité des noms abstraits au chapitre 2,
§2.3.3.

55
nominalisations en (58) et (59) renvoient à des événements, alors qu’en (60) la nominalisation
a un emploi concret, résultatif. Pour Grimshaw, la parenté sémantique des CEN avec les SEN
n’est pas essentielle et elle regroupe les SEN et les nominaux résultatifs en vertu de leur
fonctionnement syntaxique commun. Il n’en reste pas moins qu’il serait intéressant de
caractériser sémantiquement les SEN87.
Pour ce faire, nous adoptons le point de vue de Van de Velde (2006) qui, tout en
maintenant la distinction syntaxique proposée par Grimshaw (1990) entre CEN et SEN,
précise le plan sémantique en caractérisant les SEN comme des « événements purs ». Par
« événement pur », Van de Velde (2006) entend que le processus de nominalisation est arrivé
à son terme (raison pour laquelle elle nomme les SEN « nominalisations achevées »). Un SEN
(ou nominalisation achevée) dénote un événement, i.e. une « chose autonome » qui « existe
alors en lui-même et pour lui-même, sans plus avoir besoin de l’appui d’une chose, et c’est en
cela qu’il est "pur" » (2006 :111-112).
Un point reste à éclaircir, si les événements purs (les SEN) sont autonomes, alors,
selon la définition que nous avons adoptée de l’abstraction, ils sont concrets. Or, conclure que
les SEN dénotent des entités concrètes serait une mauvaise interprétation du terme autonomie.
En effet, l’autonomie d’un SEN comme explosion dans l’explosion a eu lieu hier n’est pas
réelle comme peut l’être celle d’une nominalisation résultative comme construction. Une
construction (au sens de « bâtisse ») est une chose qui a été construite : la chose construite
(i.e. le support) est incorporée dans le nom qui dénote donc une entité concrète. En revanche,
une explosion n’est pas une chose qui a explosé88 : la chose qui a explosé (le support) reste
séparée du nom, ce qui montre que l’autonomie référentielle de explosion est feinte (i.e. la
langue permet de traiter les SEN comme des touts autonomes qu’ils ne sont évidemment
pas)89. La facilité avec laquelle les SEN sont perçus comme autonomes entraîne leur
propension à subir le processus d’abstraction et à exprimer des événements purs (Van de
Velde 2006 : 179).
3.2.2.3. Du maintien de l’opposition SEN vs CEN

87
A propos des problèmes sémantiques posés par la distinction CEN / SEN de Grimshaw, cf. Van de Velde
(2006 : 106-108).
88
Kleiber écrit : « une occurrence de blancheur ou d’explosion n’est pas indépendante, référentiellement parlant
comme l’est une occurrence de chien. Elle implique en effet que quelque autre entité ait la propriété ‘blancheur’
ou ait explosé. » (1994 : 52-53)
89
L’utilisation du nom explosion pour renvoyer à une situation dans laquelle une chose a explosé relève du
fonctionnement habituel de l’abstraction tel qu’il est défini dans la logique de Port-Royal : « Noftre efprit eftant
fini & borné ne peut comprendre parfaitement les chofes vn peu composées, qu’en les confiderant par parties, &
comme par les diverfes faces qu’elles peuvent recevoir. C’eft ce qu’on peut appeler generalement connoître par
abftraction. » (Arnauld & Nicole 1662/[1972] : 54).

56
Pour résumer, nous pouvons dire que les CEN et les SEN dénotent des événements. Ces noms
abstraits peuvent recevoir des compléments qui sont des participants (au sens défini note 83)
mais alors que les compléments des CEN sont des arguments syntaxiques, ceux des SEN ne le
sont pas. Cependant, nous pouvons nous demander si cette distinction syntaxique est
nécessaire dans le cadre de notre travail.
L’opposition entre CEN et SEN repose sur des faits syntaxiques incontestables : seuls
les compléments des premières sont syntaxiquement des arguments de la nominalisation.
Néanmoins, sémantiquement, les compléments de ces deux types de nominalisations sont très
proches : ils renvoient aux participants du procès. Notre approche étant avant tout sémantique,
il n’est pas certain que la distinction syntaxique entre arguments et adjoints soit pour nous
essentielle.
Notre travail porte sur les propriétés aspectuelles des noms abstraits, parmi lesquelles
on trouve les noms d’actions qui connaissent souvent deux interprétations : une interprétation
actionnelle et une interprétation événementielle. C’est le contexte qui détermine quelle
interprétation aura le nom ; or, beaucoup des contextes que nous utilisons afin de mettre en
évidence les propriétés aspectuelles des noms sont des contextes activant la lecture actionnelle
du nom :
(61) a. L’armée a effectué le bombardement de la ville
b. Pendant le bombardement, Pierre s’est réfugié dans la cave
c. Le bombardement a duré plus de deux heures
Les contextes utilisés en (61) (emploi d’un verbe support, de la préposition temporelle
pendant ou encore d’un prédicat duratif) activent tous la lecture actionnelle du nom. La
distinction SEN / CEN n’est par conséquent pas pertinente ici étant donné qu’elle ne concerne
que les cas où les noms d’actions sont employés dans leur lecture événementielle comme en
(62)a où la nominalisation dénote un CEN et en (62)b où elle dénote un SEN :
(62) a. Le bombardement de la ville par l’armée a eu lieu à l’aube
b. Le bombardement a eu lieu à l’aube
Ce qui nous importe plus que l’opposition entre SEN et CEN c’est donc l’opposition entre
lecture événementielle (en général) et lecture actionnelle.
Ajoutons qu’au chapitre 3 nous étudions les noms statifs90, qui par définition ne
dénotent généralement pas des événements et ne sont donc pas sensibles à l’opposition SEN /

90
La distinction entre prédicats dynamiques et prédicats statifs est l’objet du deuxième chapitre de cette étude.

57
CEN91. Nous incluons dans notre corpus des noms statifs sans nous demander si leur
compléments sont de véritables arguments syntaxiques.
Enfin, au chapitre 4, nous étudions les noms dynamiques dans la structure N (être en /
en plein) Ndyn. Comme, dans cette structure, le nom dynamique n’a pas de lecture
événementielle :
(63) a. * Pierre est en promenade qui a eu lieu samedi
b. * Pierre est en pleine promenade qui a eu lieu samedi
la dichotomie entre CEN et SEN est une nouvelle fois non pertinente.
Pour conclure, nous dirons que déterminer le statut syntaxique des compléments des
nominalisations que nous étudions n’est pas nécessaire pour notre travail puisque nous nous
intéressons principalement à des cas où les noms dynamiques ont une lecture actionnelle et
non événementielle. Nous laisserons par conséquent de côté l’opposition syntaxique
argument / adjoint, qui n’est pas essentielle à l’étude des propriétés aspectuelles des noms, ou
du moins n’est pas essentielle dans les structures que nous étudions92.

4. Conclusion
Pour faciliter la compréhension, nous emploierons dans la suite de notre travail les termes
argument interne et argument externe tant au niveau verbal où ces notions sont faciles à
établir qu’au niveau nominal. Au niveau nominal, lorsque nous parlons d’arguments il s’agit
d’un raccourci pour référer à « un complément qui s’interprète comme le serait l’argument du
verbe (ou de l’adjectif) avec lequel le nom est en lien morphologique ». Notre emploi du
terme argument est donc sémantique et non syntaxique. Nous étendrons également la notion
d’argument du nom à des noms abstraits non dérivés de verbes ou d’adjectifs, toujours dans le
sens où l’argument est un complément renvoyant à l’un des participants de la situation.
(64) La conférence de Pierre a suscité de longs applaudissements
Cet énoncé sera analysé comme mettant en relation un prédicat actionnel (conférence) qui a
un argument qui est agent (Pierre).

91
Van de Velde a remarqué que certains noms statifs peuvent dans des contextes particuliers dénoter des
événements (2006 : 165-166, 170, 173-176). Ces cas restant très minoritaires, il reste vrai de dire que les
événements se fondent généralement sur des noms dynamiques.
92
Il arrivera exceptionnellement que le statut de la nominalisation (SEN / CEN) intervienne dans notre analyse
(cf. chapitre 2, §3.2.2.2). Nous utiliserons alors l’analyse de Van de Velde (2006) (ainsi que sa terminologie)
plutôt que celle de Grimshaw (1990), car elle l’offre l’avantage de s’appliquer aux faits de langue du français et
non à ceux de l’anglais. Nous rappelons que la correspondance des termes se fait ainsi : dans l’analyse de Van de
Velde, les SEN de Grimshaw sont appelés « nominalisations achevées » et les CEN sont appelés
« nominalisations inachevées ».

58
Si la distinction entre événements simples et événements complexes ne nous est pas
nécessaire, la notion d’événement en général nous sera au contraire utile :
(65) Pendant la promenade, Pierre s’est blessé
(66) La promenade a eu lieu ce matin
Alors qu’en (65), promenade dénote une action, en (66) ce nom dénote un événement. Nous
aurons plusieurs fois recours à la notion d’événement durant la progression de notre travail.
Par exemple, au chapitre 2, nous présenterons des tests linguistiques reposant sur la notion
d’événement, au chapitre 4, nous nous appuierons sur cette notion pour distinguer une classe
de noms dynamiques ayant la particularité de pouvoir localiser métaphoriquement un sujet
humain à l’intérieur de l’une de ces actions par le biais de la structure N[+HUM] être en Ndyn.
Enfin, nous lions la possibilité pour un nom d’avoir des propriétés aspectuelles à celle
de pouvoir être employé prédicativement93. Les noms prédicatifs sont abstraits au sens où ils
ont subi une séparation qui entraîne leur incomplétude sémantique. Celle-ci se traduit sur le
plan syntaxique par la possibilité qu’ils offrent d’être complétés par un ou plusieurs
compléments. Que ces compléments aient ou non un réel statut d’argument syntaxique ne sera
pas pris en compte (même si nous reconnaissons que tous les compléments de noms abstraits
ne sont pas de même nature). Sémantiquement, les noms prédicatifs dénotent des actions
(jardinage, promenade, accouchement, atterrissage, etc.) ou des états (admiration, irritation,
énervement, intelligence, etc.)94.
Parmi les oppositions aspectuelles existantes, l’opposition dynamicité / stativité est
dominante, c’est pourquoi nous allons consacrer le deuxième chapitre de cette étude à la
présentation de cette distinction, en rappelant et en discutant les tests linguistiques qui
permettent de distinguer les situations dynamiques des situations statives dans les trois
domaines verbal, adjectival et nominal.

93
Nous adoptons par conséquent une acception sémantique du terme prédicatif. Un nom est prédicatif s’il est
abstrait et s’il peut avoir des compléments qui dénotent des participants de la situation décrite.
94
Pour être précis, il faut noter qu’il existe quelques rares noms qui sont concrets selon le critère logique de
séparation, et qui peuvent néanmoins exprimer une durée (i.e. avoir au moins un trait aspectuel). C’est le cas par
exemple de film.

59
Chapitre 2
L’opposition aspectuelle statif / dynamique : au delà des
frontières catégorielles

Comme tout ce qui touche à l’aspect, l’opposition statif / dynamique a d’abord été mise en
évidence dans le domaine verbal où elle occupe une place primordiale, puisqu’il est admis
que cette distinction commande toutes les autres. L’opposition statif / dynamique est quasi
unanimement admise dans la littérature, même si l’on trouve quelques rares analyses où elle
est remise en cause. C’est le cas notamment dans Brunot (1922), qui récuse l’existence de
cette opposition (cf. §1.1). Nous espérons montrer que l’opposition statif / dynamique opérant
dans le domaine verbal est également efficiente dans les domaines nominal et adjectival. Pour
cela, nous allons nous doter d’une batterie de tests et indices linguistiques permettant de
déterminer si un prédicat dénote une situation stative ou une situation dynamique. La
comparaison des domaines verbal, nominal et adjectival en ce qui concerne l’opposition
statif / dynamique est rendue nécessaire par notre corpus. En effet, les noms dont nous
souhaitons dégager les propriétés aspectuelles sont presque tous en lien morphologique avec
des verbes ou des adjectifs, ce qui conduit naturellement à se demander si cette proximité
morphologique induit une proximité sémantique, notamment en ce qui concerne les propriétés
aspectuelles. Autrement dit, peut-on, comme l’affirme G. Gross & Kiefer (1995 : 46), déduire
de façon systématique les propriétés aspectuelles d’un nom de celles du verbe (ou de
l’adjectif) dont il provient ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comparer
précisément les propriétés aspectuelles de chaque lexème (verbe ou adjectif et nom
correspondant), sans admettre a priori l’idée que le verbe ou l’adjectif et le nom apparenté
partagent systématiquement les mêmes propriétés aspectuelles.

1. Préliminaires
1.1. Scepticisme à l’égard de l’opposition statif / dynamique
Brunot (1922), l’un des rares détracteurs de l’opposition statif / dynamique dans le domaine
verbal, propose d’abandonner cette distinction en raison de ce qu’il considère comme deux
graves insuffisances.
Premièrement, il avance que certains verbes n’entrent dans aucune des deux
catégories. C’est le cas selon lui de comprendre, employé dans le sens de « être constitué de »

60
comme dans l’appartement comprend quatre pièces. S’il existe effectivement des verbes qui
ne sont ni statifs ni dynamiques, alors Brunot (1922) a raison de condamner cette opposition
puisque les définitions de ces termes sont antagonistes : un verbe qui n’est pas statif est
nécessairement dynamique et vice versa. Cependant, lorsque nous aurons présenté les tests
linguistiques permettant de distinguer les verbes statifs des verbes dynamiques, nous espérons
montrer que comprendre dans cet emploi et bel et bien un statif95. La première objection de
Brunot serait alors nulle et non avenue.
Le second argument de Brunot (1922) pour contester la pertinence de l’opposition
statif / dynamique est qu’un même verbe peut, selon son emploi, signifier un état ou une
action. Lorsqu’il avance cet argument, il ne semble pas faire référence aux verbes
polysémiques qui peuvent avoir une acception stative et une acception dynamique, mais
plutôt à l’emploi d’un verbe dans une seule et même acception avec un changement de
diathèse, il donne comme exemple :
(67) Il fortifie sa position (action)
(68) Sa position est singulièrement fortifiée (état)
Brunot (1922) semble ici confondre aspect lexical et aspect grammatical. Si l’on reprend
l’analyse proposée par Desclès (1991) (cf. chapitre 1, §2.2.1), fortifier relève de l’archétype
cognitif « dynamique », et ce qui différencie (67) et (68) c’est la visée aspectuelle. Alors
qu’en (67) il s’agit d’une visée aspectuelle de « processus », en (68) il s’agit d’une visée
aspectuelle d’« état ». En effet, en (68) la diathèse passive contraint d’employer fortifier dans
sa forme de participe passé, forme qui dénote le résultat de l’action de fortifier ; or les
résultats des actions sont statifs (on parle alors d’« état résultant »)96. Il n’en reste pas moins
que l’aspect lexical du lexème fortifier est dynamique. Nous aurons l’occasion de revenir sur
le problème de la séparation entre aspect lexical et aspect grammatical, car, pour analyser
l’aspect lexical d’un verbe (ou d’un nom), il est nécessaire de le prendre en contexte, ce qui
entraîne de nombreux phénomènes parasitaires. Cela ne signifie pas que la caractérisation
aspectuelle des lexèmes eux-mêmes soit une entreprise vaine, mais plutôt qu’elle doit être
menée avec prudence, en ayant toujours à l’esprit que le contexte (temps verbaux,
compléments divers, diathèse, etc.) peut modifier l’aspect au niveau de la phrase. C’est là ce
que nous avons appelé à la suite d’autres auteurs « aspect grammatical » dans le premier

95
Pour une analyse de quelques emplois du verbe comprendre, cf. §4.2.2.3.
Par ailleurs, nous rappelons que « verbe statif » ou « verbe dynamique » ainsi que toutes les étiquettes du même
type sont des raccourcis commodes pour signifier « verbes qui dénotent une situation stative / dynamique / etc. ».
96
Le résultat des actions peut aussi avoir une interprétation concrète (e.g. construction), mais cette possibilité
n’est pas disponible pour la forme participiale fortifié.

61
chapitre. Nous essaierons au fil de ce travail de toujours veiller à faire la part entre aspect
lexical et aspect grammatical. Pour y parvenir, la méthode la plus adaptée est sans doute
d’avoir conscience des effets de coercition que certains contextes ont sur l’aspect lexical, et
d’éviter l’utilisation de tels contextes.
Pour conclure, nous dirons que les deux objections faites par Brunot (1922) contre la
distinction statif / dynamique ne sont pas recevables, même si la seconde permet de mettre en
évidence un problème de méthode dans le traitement des données. C’est pourquoi, nous
posons, à la suite d’autres, que cette opposition aspectuelle est effective.
Mais le large consensus autour de l’existence de l’opposition statif / dynamique
n’empêche nullement de nombreuses divergences dans le classement des verbes, noms et
adjectifs selon ces notions ainsi que dans l’appréciation de la pertinence des tests linguistiques
à employer. Avant d’examiner comment la langue traite cette opposition fondamentale, il
n’est pas inutile de s’attarder quelques instants sur les concepts de stativité et de dynamicité.

1.2. Approche notionnelle


Que signifie pour une situation « être dynamique » ou « être stative » ? Pour comprendre ce
que cette dichotomie recouvre, il faut s’intéresser premièrement à la notion de temps et
secondement à celle de changement ; ces deux notions sont étroitement liées mais ce lien est
orienté. En effet, l’ancrage temporel et/ou le déroulement dans le temps conditionne
l’existence d’un changement, puisqu’il est impossible qu’un changement se produise en
dehors du temps ; en revanche une situation peut avoir un rapport au temps sans qu’il y ait
changement97.

1.2.1. Le rapport au temps


Parmi les situations statives98, certaines, les états, ont un rapport au temps et peuvent être
localisées dans le temps ou encore se voir attribuer une durée :

97
Nous pensons ici à certaines situations telles que être triste, être en fureur, qui peuvent être localisées dans le
temps sans pour autant impliquer de changement
(i) Pierre a été (triste / en fureur) pendant toute la journée
98
Nous adoptons le classement des statifs que propose Van de Velde (1995). Les noms de sentiments dénotent
ce que ressent / éprouve le sujet, on les reconnaît parce que, parmi les noms statifs, ce sont les seuls à avoir deux
arguments obligatoires (e.g. amour, haine, jalousie). Les noms d’états sont de deux types, les états physiques
(e.g. délabrement) et les états psychiques (e.g. tristesse), qui dénotent des « passions de l’âme » (Van de Velde,
1998a : 442). On reconnaît les noms d’états à ce qu’ils peuvent servir de lieu à un sujet humain (e.g. Pierre
sombre dans la tristesse). Enfin, les noms de qualités dénotent des propriétés définitionnelles de leur sujet (e.g.
patience). Dans notre étude, nous nous intéresserons plus particulièrement aux noms d’états. Les tests
linguistiques permettant de les distinguer seront donnés au fur et à mesure. La distinction entre état et qualité
sera principalement utilisée au chapitre 3. Notons que la distinction état / qualité est quasiment parallèle à
l’opposition ILP (« individual level predicates ») / SPL (« stage level predicates ») (Carlson 1977/[1980]).

62
(69) Il est triste depuis que sa femme est morte
(70) Sa tristesse a duré trois ans
D’autres situations statives, les qualités, n’ont aucun rapport au temps, elles sont « hors
temps », e.g. être intelligent, être grand.
Les situations dynamiques ont un rapport au temps mais contrairement aux états qui ne
se déploient pas dans le temps, les situations dynamiques emportent avec elles le temps dont
elles ont besoin pour exister. Nous souhaitons comparer le rapport au temps des situations
dynamiques et des états.
Les états occupent un intervalle de temps alors que dans le cas des situations
dynamiques, le temps n’est pas simplement « occupé par » la situation, il est une partie
constitutive de la situation. Cette différence de rapport au temps se manifeste nettement dans
la propriété de cumulativité. Alors que les situations dynamiques connaissent un phénomène
d’accumulation proportionnelle au temps qui s’écoule, les statifs (qu’ils aient ou non un
rapport au temps) ne possèdent pas cette propriété (Van de Velde 1995a : 229). Ainsi « un peu
de courage n’occupe pas moins de temps que beaucoup de courage, à la différence de ce qui
se passe avec la marche ou la lecture. » (Flaux & Van de Velde, 2000: 76). Ce qui est vrai du
courage (qui dénote une qualité) l’est également de la tristesse (qui dénote un état) : on
n’attribue pas un degré à la tristesse en fonction du temps qu’elle dure mais en fonction de
son intensité.
La différence de rapport au temps qui existe entre les situations dynamiques et les
états semble visible dans le contraste :
(71) * la tristesse (de Pierre) pendant trois heures
(72) le bombardement de la ville pendant trois heures
Cependant, ce contraste est un leurre car c’est pour des raisons syntaxiques et non
sémantiques que bombardement accepte de se combiner avec un complément circonstanciel
de temps alors que tristesse ne le peut pas. Nous avons évoqué au chapitre 1 §3.2.2
l’opposition syntaxique entre les compléments du nom qui sont des arguments syntaxiques et
ceux qui ne sont que de simples adjoints. Cette opposition sert à distinguer les « complex
event nominals » des « simple event nominals » (Grimshaw 1990) ou encore les
« nominalisations inachevées » des « nominalisations achevées » (Van de Velde 2006). Alors
que bombardement dénote en (72) une nominalisation inachevée (de la ville est un
complément obligatoire, c’est un argument syntaxique du nom), tristesse en (71) est une
nominalisation achevée, c’est un véritable nom, dépourvu de structure argumentale. Or, pour
être compatible avec un complément circonstanciel, la nominalisation doit être pourvue d’une

63
structure argumentale semblable à celle que l’on trouverait dans le domaine verbal, c’est-à-
dire posséder des propriétés de phrase. Le contraste observé en (71)-(72) est donc révélateur
d’une différence syntaxique entre les noms d’états et les noms dynamiques (seuls les seconds
peuvent avoir une structure argumentale qui leur permet d’avoir des compléments de temps),
mais il n’illustre en rien la différence de rapport au temps de ces deux types de situations.
Plus pertinente est la différence observable en (75). Alors qu’on peut dater les états
(73) aussi bien que les situations dynamiques (74), seules les secondes peuvent servir de cadre
temporel à d’autres événements ((75)a vs (75)b) :
(73) a. Lundi, Pierre a été très triste
b. Pierre a été triste toute la journée : sais-tu ce qui lui est arrivé ?
(74) a. Lundi, Pierre s’est promené
b. Pierre s’est promené toute la journée au lieu de travailler
(75) a. Pendant que Marie travaillait, Pierre (s’est promené toute la
journée / a passé la journée à se promener)
b. ?? Pendant que Marie était triste, Pierre (s’est promené toute la
journée / a passé la journée à se promener)
Le contraste observé en (75) révèle que seules les situations dynamiques peuvent fournir des
repères temporels. La capacité qu’ont les situations dynamiques à structurer le temps provient
de leur composition en phases menant à une fin99. Au contraire, les états n’ont pas de phases
mais occupent une phase de la vie du sujet : c’est sur la durée interne de la vie du sujet qu’est
prélevé le temps que dure la situation stative.
Nous aurons l’occasion de revenir sur la question du rapport au temps des situations
statives au §3.2.2, lorsque nous exposerons le fonctionnement de la préposition temporelle
pendant. Il nous suffit pour le moment de poser la différence de rapport au temps des
situations selon leur caractère dynamique ou statif : les situations dynamiques ont besoin de
temps pour exister, contrairement aux situations statives.
Le rapport au temps des situations dynamiques est souvent évoqué en termes de
déroulement impliquant des phases : selon Cohen (1989 : 73), « le déroulement nomme la
succession elle-même [de ces phases] »; Desclès parle de « phases évolutives » (1991 : 177).
Les situations statives sont généralement définies négativement comme n’ayant pas de phases
successives, de déroulement ou de structure temporelle interne. Cette définition négative se
retrouve dans les tests linguistiques utilisés pour distinguer les situations dynamiques des
situations statives. En effet, la plupart des tests existants sont des tests de la dynamicité (i.e. si

99
Les situations qui dénotent des activités sont elles aussi constituées de phases mais qui sont toutes identiques
entre elles et qui ne mènent pas vers un terme intrinsèque.

64
le verbe valide le test, il est dynamique). Il semble donc que la dynamicité soit une propriété
linguistiquement saillante alors que la stativité serait plutôt linguistiquement non marquée.

1.2.2. La dynamicité et le changement


La notion de changement est souvent associée à celle de dynamicité (cf. entre autres Comrie
1976, Dowty 1979, Kleiber 1987). Cette notion est généralement reliée à celle de déroulement
en phases, mais elle souffre d’un manque de définition propre et est souvent employée sans
explication, comme un concept immédiatement et intuitivement accessible. Si nous tentons de
préciser un peu le sens de la notion, il semble qu’elle soit employée pour signifier l’idée que
les situations dynamiques modifient le monde d’une manière ou d’une autre. Certaines actions
en effet permettent la création d’un objet (construire, fabriquer, préparer), d’autres la
destruction ou la disparition d’un objet (démolir, casser, manger), ou sa simple modification
(colorier, repeindre, réparer). Pour les verbes dénotant des actions sans objet (verbes
intransitifs, e.g. jardiner, dormir) ou dont l’objet n’est pas affecté (lire un livre, regarder un
film), la notion de changement est moins facile à appréhender. Il s’agit peut-être alors de
changement au sens « d’avancement dans le cours du monde ». Ainsi, les situations
dynamiques, contrairement aux situations statives, sont reconnues comme faisant évoluer la
narration du récit (Smith, 1999)100. En effet, les situations dynamiques concourent à
l’enrichissement de l’expérience du sujet humain. Si Pierre a jardiné trois heures, son
expérience s’est enrichie de trois heures de jardinage, rien de tel n’est produit par les
situations statives. Une autre façon d’appréhender la notion de changement avec les verbes
dont l’objet n’est pas affecté est de considérer que le changement se produit dans le rapport
entre l’objet et le sujet. Par exemple, si je lis un livre, alors le livre rejoint l’ensemble des
livres que j’ai lu, il est un nouvel élément de mon expérience de lecteur.
Les notions de déroulement et de changement peuvent être envisagées en termes
d’apport d’énergie. Pour qu’une situation dynamique se prolonge, il faut un apport constant
d’énergie (e.g. si John arrête ses efforts, sa course sera stoppée, comme en cas de coupure
d’électricité, le réveil cesse de sonner). L’apport d’énergie peut venir de l’intérieur, grâce aux
efforts de l’agent, ou de l’extérieur pour les situations dynamiques non agentives (Comrie
1976 : 49). Au contraire, une situation stative, quand elle est causée, ne peut l’être que de
l’extérieur puis elle se maintient dans le temps d’elle-même jusqu’à une fin qui peut être

100
Dans cet article, Smith se demande si les prédicats d’activité se comportent plutôt comme des événements ou
plutôt comme des états. Elle conclut que les activités sont plus proches des événements que des états car les
activités, employées à l’aspect perfectif, sont en mesure de faire avancer la narration par le biais des relations
temporelles qu’elles instaurent.

65
provoquée par un événement extérieur ou tout simplement par la cessation de la situation. Par
exemple, la tristesse de Pierre peut être causée par le décès de sa tante (événement extérieur),
puis elle demeure jusqu’à ce qu’un autre événement distraie Pierre de sa tristesse ou que le
temps accomplisse son œuvre de deuil.
Ce qu’il faut retenir des différentes définitions que l’on peut trouver dans la littérature
des situations dynamiques, ce sont les notions de déroulement en phases, de changement et
d’apport d’énergie. Les situations statives sont, quant à elles, définies négativement comme
ne présentant pas de déroulement en phases ni de changement, et ne nécessitant pas d’apport
d’énergie pour se maintenir dans le temps. Les états peuvent occuper un espace temporel mais
ils ne peuvent être causés que de l’extérieur (par la survenue d’un événement), alors que les
situations dynamiques ont une existence autonome car elles emmènent avec elles le temps
nécessaire à leur existence, elles prennent du temps :
(76) a. Je n’ai pas eu le temps de (jardiner / danser / réparer mon
appareil photo)
b. * Je n’ai pas eu le temps d’être (triste / courageux / inquiet)

1.2.3. Des pièges de notre intuition


Pour passer de ces concepts à la classification, il faut recourir à des tests linguistiques qui
permettent de vérifier si une situation est dynamique ou non. Cette étape est indispensable car
les seules notions de changement ou de déroulement ne sont pas suffisamment définies pour
servir directement au classement des verbes.
Cette insuffisance se reflète dans les divergences de classement des verbes selon les
auteurs. Par exemple, Cohen, suivant son intuition et sans faire reposer son propos sur des
tests linguistiques explicites, remarque que tous les verbes ne dénotent pas des procès (i.e. ne
sont pas dynamiques). Il propose d’analyser aimer, signifier, croire, attendre, se trouver, etc.
comme des états (1989 : 55-56). Cette analyse ne nous paraît pas juste pour tous les verbes
qu’il liste. En effet, un verbe comme attendre se comporte, au moins dans l’une de ses
acceptions, comme un verbe dynamique (Pierre est en train d’attendre le bus) même si
l’action d’attendre est dans notre esprit assez « stative» (elle n’implique pas de mouvement ou
de changement physique). Dans la même perspective, Gosselin & François soulignent à
propos du verbe dormir qu’il « paraît fonctionner linguistiquement comme un processus
dynamique (on peut dire il a cessé de dormir à cinq heures) alors que référentiellement, il
s’agit plutôt d’une situation statique» (1991 : 54). Or, ce ne sont pas nos représentations des
situations qui doivent présider au classement des lexèmes, mais bien leur comportement
linguistique, qui devra être mis en évidence par le biais de tests. Nous avons réparti les tests

66
en trois grandes catégories : (§2) les tests impliquant la notion d’action, (§3) les tests
distributionnels et (§4) les tests aspectuels. Rares sont les tests qui sont catégoriellement
transversaux, i.e. qui s’appliquent dans les trois domaines verbal, nominal et adjectival. Aussi,
pour chaque test présenté nous préciserons son champ d’application et nous essaierons, quand
cela est pertinent, de proposer des alternatives d’application d’un test équivalent dans les
domaines qui sont en dehors de ce champ.

2. Agir et dynamicité
De nombreux tests de dynamicité reposent sur la notion d’action. On admet généralement que
si une situation décrit une action alors le changement qui est engendré par cette action peut
être questionné au moyen d’interrogations comme : « Qu’a fait x (hier) ? », « Qu’est ce qui
est arrivé (à x) (hier) ? »101. Il est largement reconnu dans la littérature que les prédicats
pouvant entrer dans des énoncés servant de réponse à ces questions sont de type dynamique.
Nous montrerons que ces deux questions, en apparence très proches, impliquent des
restrictions différentes sur les prédicats pouvant servir de réponse.

2.1. « Qu’a fait x (hier) ? »


2.1.1. Domaine(s) d’application du test
A la question Qu’a fait x (hier) ?, on peut répondre par un énoncé dont le prédicat est un
verbe, un nom ou un adjectif :
(77) Qu’a fait x (hier) ?
a. x a (lavé le linge / réparé sa voiture)
b. x a (fait la lessive / effectué) la réparation de sa voiture
c. x a été (infidèle à sa femme / méchant avec sa sœur jusqu’à la
faire pleurer)
Remarquons que contrairement aux prédicats verbaux, les noms et adjectifs ne peuvent être
employés seuls ; plus précisément, un élément doit porter pour eux les marques de temps,
mode, personne et nombre. Alors que pour les adjectifs la copule être remplit ce rôle, pour les
noms, on utilise des verbes supports. Bien qu’ils aient en commun un sémantisme très pauvre,
copules et verbes supports ne fonctionnent pas de la même manière102.
Arnauld & Lancelot définissent le verbe comme « un mot dont le principal usage est
de signifier l’affirmation » (1660/[1993] : 109) ; cependant, « il n’y a que le verbe être […]

101
L’ajout dans la question d’un adverbe de temps comme hier permet souvent de mieux appréhender ce test, i.e.
de sentir plus fermement la (non)-acceptabilité des réponses. Cependant, dans de rares cas cet ajout est
impossible.
102
Pour une étude des ressemblances empiriques entre copules et auxiliaires, cf. Lamiroy & Mélis (2005).

67
qui soit demeuré dans cette simplicité […]. Car comme les hommes se portent naturellement à
abréger leurs expressions, ils ont joint presque toujours à l’affirmation d’autres significations
dans un même mot » (Arnauld & Nicole 1662/[1970] : 151). Nous comprenons que parmi les
verbes, seul le verbe être peut exprimer la relation de prédication indépendamment de toute
autre signification, c’est ce que nous entendons par l’appellation « copule ». La copule être ne
porte que le temps, le mode et l’assertion (Daladier 1999 : 91 et 102), sans opérer de sélection
aspectuelle103. On note par exemple l’absence totale de restriction de sélection entre la copule
et l’adjectif qui la suit : tous les adjectifs peuvent suivre être.
Les verbes supports servent de « conjugateurs » aux noms, i.e. ils portent les
informations de temps, mode, aspect, etc., de la même manière que l’auxiliaire le fait pour le
verbe (Daladier décrit les verbes supports comme un « système d’auxiliation pour les noms
d’action » 1996 : 35)104. Néanmoins, les verbes supports, contrairement à la copule être, ne
servent pas uniquement d’outil de conjugaison mais opèrent sur les noms qu’ils introduisent
des restrictions de sélection qui reposent, au moins en partie, sur des critères aspectuels :
(78) a. Il a effectué (une opération délicate / un calcul difficile / * une
grande admiration pour son père)
b. Il a fait (du jardinage / * de la tristesse)
c. Il a procédé à (la lecture des articles 3.1 et 4.5 du code civil / * la
possession d’une maison)
Pour ces raisons, nous considérons que la question Qu’a fait x (hier) ? peut recevoir
des réponses de deux types : (i) des énoncés dont le prédicat principal est un verbe, (ii) des
énoncés dont le prédicat principal est un adjectif (accompagné de la copule être dont la
transparence est totale). Un nom ne peut servir de réponse qu’accompagné d’un verbe
support, lequel n’est pas sémantiquement transparent. C’est la nature aspectuelle du complexe
« Vsup + SN » qui est alors testée et non la nature aspectuelle du nom seul. Par conséquent,
nous ne retenons pas ce test comme étant efficient dans le domaine nominal ; les
combinaisons de noms avec des verbes supports seront étudiées dans la partie portant sur les
tests distributionnels (cf. §3.1).

103
Nous verrons dans la partie consacrée aux verbes supports que ceux-ci sont transparents quant à la sélection
de leur sujet mais qu’ils choisissent leur nom argument interne en fonction de critères aspectuels.
104
Dans la terminologie qu’emploie Daladier (1996), « nom d’action » est synonyme de « nom prédicatif » et
peut renvoyer aussi bien à une action ou un événement qu’à un résultat, un état ou un sentiment. Autrement dit,
contrairement à l’usage que nous en faisons, pour cet auteur, « nom d’action » n’implique pas dynamicité mais
seulement prédicativité.

68
2.1.2. Notion(s) mise(s) en jeu par le test
La question Qu’a fait x (hier) ? porte sur l’action effectuée par « x » qui est le sujet agissant.
Cette question permet de mettre en évidence l’absence / la présence d’un agent qui vit la
situation dénotée par l’énoncé servant de réponse105. La présence d’un agent, rappelons-le, est
une condition suffisante, mais non nécessaire, de la dynamicité (au moins dans le domaine
verbal). En effet, un verbe non agentif peut néanmoins être dynamique (un verbe agentif ne
pouvant être que dynamique). Certains linguistes postulent l’existence de verbes d’état
agentifs (i.e. dénotant des situations statives agentives), ce qui infirme le lien fort que nous
posons comme acquis entre agentivité et dynamicité. Ainsi, François (1995) évoque
l’existence d’« état agentif » :
(79) a. Paul s’imagine avoir raison
b. Paul est convaincu de sa bonne foi106
Comme nous l’avons déjà évoqué (cf. chapitre 1, §2.2.3.2), François (1989, 1990, 1995), au
fil de ses travaux, a conçu un algorithme permettant, via l’application de tests ordonnancés, de
classer les prédications en fonction de leurs propriétés aspectuelles et participatives. L’un de
ces types, illustré en (79), est appelé « état agentif ». Ce type de prédication a, simultanément,
la propriété [- dynamique] et la propriété [+ agentif]. Ce point ne nous convainc pas car il y a
pour nous une contradiction dans les termes : s’il y a un agent, il y a peu ou prou une action et
donc de la dynamicité.
Concernant (79)a, nous pensons que la situation est effectivement stative mais que
Paul n’est pas un agent mais plutôt un expérienceur :
(80) ?? Paul s’imagine volontairement avoir raison
(81) ?? Paul hésite à s’imaginer avoir raison
(82) Paul a la conviction d’avoir raison
En (80), l’adverbe orienté vers l’agent volontairement rend l’énoncé peu naturel, or les
prédicats agentifs acceptent ordinairement cet ajout (cf. §2.3.1 pour la présentation de ce test).
En (81), nous avons appliqué le test d’agentivité que propose François lui-même (1995 : 55),
pourtant là encore le résultat n’est pas très convaincant. Enfin, (82) est une reformulation de

105
Nous préférons utiliser la question Qu’a fait x (hier) ? et non Que fait x ? car le présent peut induire une
lecture habituelle :
(i) Que fait x ? – x chante
Il n’est pas évident que la dynamicité du prédicat soit alors préservée. En effet, (i) peut recevoir deux lectures :
une interprétation dynamique où x est en train de chanter et une interprétation habituelle où x est un chanteur.
Or, Kleiber envisage la possibilité que dans les énoncés à lecture habituelle le prédicat dynamique devienne un
prédicat statif (1987 : 217 et 223).
106
Ces exemples sont respectivement empruntés à François et Verstiggel (1991 : 198) et François (1995 : 75).

69
l’énoncé grâce au verbe avoir, qui, nous le verrons, est un test de stativité (cf. §3.1.2.2). Nous
en concluons que la prédication présentée en (79)a est un état non agentif (comme tous les
états selon nous).
Concernant (79)b, il nous semble que le verbe convaincre est un prédicat dynamique
décrivant une action ayant pour sujet un agent :
(83) Pierre a convaincu Marie de l’épouser
Mais, en (79)b, l’aspect grammatical (utilisation de la copule être et d’un participe passé
résultatif) est de visée stative (dans les termes de Desclès 1991). La visée l’emporte ici sur la
nature de la prédication, nous n’avons plus une action mais le résultat statif d’une action. Il
n’y a alors plus de place pour le rôle d’agent :
(84) ?? Paul est volontairement convaincu de sa bonne foi
(85) ? Paul hésite à être convaincu de sa bonne foi
L’énoncé (84) suggère bien que Paul n’a pas le rôle d’agent, et si (85) peut, éventuellement,
être admis, ce n’est plus en tant qu’état mais bien d’action (agentive) puisque le sens devient
« Paul hésite à se laisser convaincre de la bonne foi de x ». Le prédicat convaincre ne dénote
donc pas un état agentif mais bien une action agentive qui peut être, par le jeu de l’aspect
grammatical, présentée sous l’angle de son résultat (i.e. dénotant une situation stative et non
agentive comme c’est le cas en (79)b).
Notons que les linguistes qui, au moins dans le domaine verbal, n’admettent pas un
lien nécessaire entre agentivité et dynamicité sont très minoritaires. Nous adoptons donc la
position dominante selon laquelle un verbe agentif est toujours dynamique.
Les prédicats pouvant incontestablement répondre à la question « Qu’a fait x (hier) ? »
sont agentifs et on peut par conséquent être sûr de leur caractère dynamique :
(86) Qu’a fait Pierre (hier) ?
a. Il s’est promené toute la journée
b. Il a réparé sa voiture
c. Il a chanté un lied de Schubert
(87) Qu’a fait Pierre (hier) ?
a. * Il a possédé une maison
b. * Il a su sa leçon d’anglais
c. * Il a ressemblé à son père

70
On déduit de ces quelques exemples que les verbes se promener, réparer, chanter, dans l’une
de leurs acceptions au moins107, sont dynamiques alors que les verbes posséder, savoir et
ressembler ne le sont pas.
Il existe des cas où le sujet « x » n’est pas un être animé (les agents sont
prototypiquement vus comme des être animés) mais une « force naturelle » :
(88) Qu’a fait le vent hier ?
Il a arraché le toit de presque toutes les maisons de ce quartier
(89) Qu’a fait la grêle hier ?
Elle a dévasté les champs de maïs sur plus de mille hectares
Ces exemples montrent que la notion d’agentivité ne doit pas être réduite à la catégorie seule
des animés mais qu’il faut l’étendre à tout ce qui peut « agir », y compris les forces
naturelles108. Nous rejoignons sur ce point Van de Velde (2008), qui inclut dans la classe des
agents les forces naturelles (tels que le vent, la pluie, la grêle…109) capables de faire des
choses comme d’arracher un toit, d’inonder une prairie ou encore de détruire un champ de
maïs. Les verbes arracher, inonder et détruire dénotent bien des actions (i.e. sont
dynamiques) comme le prouvent, si besoin est, les exemples suivants :
(90) Qu’a fait x hier ?
a. x a arraché toutes les photos où son frère apparaissait
b. x a inondé la salle de bain en oubliant de fermer les robinets
c. x a détruit tous ses dessins car il les trouvait horribles
Enfin, pour confirmer que la question Qu’a fait x (hier) ? met bien en évidence l’agentivité du
prédicat, nous pouvons donner quelques exemples de verbes en emploi non agentif :
(91) Qu’a fait l’herbe (hier) ?
*L’herbe a beaucoup poussé
(92) Qu’a fait Pierre (hier) ?
?? Il a perdu ses clefs
Nous pouvons donc conclure que le test Qu’a fait x hier ? permet de distinguer une sous-
classe de prédicats dynamiques : les prédicats agentifs. Ce test fonctionne également dans le
domaine adjectival et permet de distinguer les adjectifs agentifs des adjectifs non agentifs110 :

107
Cette précaution est nécessaire dans le cas de verbes, assez nombreux, qui ont plusieurs acceptions parmi
lesquelles au moins une est dynamique et l’autre stative.
108
Van de Velde définit le rôle d’agent comme « l’argument d’un prédicat "ACT" » (à paraître).
109
Certaines forces naturelles dont l’action est lente ne peuvent répondre à une question portant sur l’agir que si
l’on ôte l’adverbe de temps :
(i) Qu’a fait l’humidité (*hier) ?
Elle a rouillé la porte du garage pendant l’hiver, on ne peut même plus l’ouvrir
Cette contrainte est contingente et ne remet pas en cause le test.
110
Le lien entre agentivité et dynamicité, s’il est largement admis dans le domaine verbal, ne l’est pas dans le
domaine adjectival. Nous y reviendrons au §2.3.2.

71
(93) Qu’a fait Pierre (hier) ?
a. Il a été infidèle à sa femme
b. Il a été méchant avec sa petite sœur
c. Il a été odieux avec tout le monde
(94) Qu’a fait Pierre (hier) ?
d. * Il a été manchot
e. * Il a été avare
f. * Il a été ignorant
Enfin, ce test présente un intérêt certain notamment avec les verbes qui ont deux acceptions,
l’une agentive (et donc dynamique) et l’autre stative. Illustrons ce point à l’aide du verbe
admirer :
(95) Il a admiré son père
(95) pose un problème de polysémie. Admirer a au moins deux sens : (i) un sens sentimental,
où admirer signifie prendre plaisir à reconnaître une grande qualité à quelqu’un, (ii) un sens
dynamique, où admirer a un sens actionnel et signifie « regarder, contempler avec
admiration ». La question en faire force la lecture dynamique du verbe :
(96) Qu’a fait x hier ?
Il a admiré son père
(96) ne pose plus aucun problème d’interprétation, le contexte sélectionne la lecture
dynamique du verbe admirer.

2.1.3. Limites de l’applicabilité du test


Le test Qu’a fait x (hier) ? pose parfois des problèmes d’applicabilité. En effet, il existe un
nombre de cas non négligeable où les locuteurs interrogés hésitent sur le degré d’acceptabilité
à accorder aux énoncés pouvant ou non servir de réponse à cette question, en particulier
lorsque le prédicat est un adjectif, mais également avec certains verbes.
La raison en est que des paramètres pragmatiques viennent interférer lors de
l’évaluation des énoncés par les locuteurs. En effet, lorsqu’on demande à quelqu’un ce qu’il a
fait hier c’est qu’on souhaite savoir à quoi il a occupé son temps, autrement dit, on s’attend à
ce que sa réponse implique une action prototypique :
(97) Qu’a fait Pierre (hier) ?
a. Il a jardiné
b. Il a regardé la télévision
c. Il a fait toute la vaisselle qui s’entassait depuis plus d’une semaine
(98) Qu’a fait Pierre (hier) ?
a. ?? Il a sauté à cloche pied
b. ?? Il a beaucoup toussé
(99) Qu’a fait Pierre (hier) ?
a. ??Il a été (aimable avec les invités / gentil avec sa grand-mère /

72
poli avec Marie)
b. ?? Il a été triste toute la journée
Alors que jardiner, regarder la télévision ou faire la vaisselle sont des actions prototypiques
c’est-à-dire des occupations, sauter à cloche pied et tousser ne le sont pas. Habituellement, un
être sain d’esprit n’occupe pas son temps à sauter à cloche pied ; quant à tousser, ce n’est pas
une occupation mais une action-réflexe que l’on effectue généralement contre son gré.
Avec certains adjectifs, la situation est similaire. En (99)a, l’étrangeté vient du fait que
être aimable, gentil ou poli ne renvoient pas à des occupations. En (99)b, la situation est
différente. Cet énoncé s’il est jugé acceptable est interprété comme signifiant :
(100) Hier, il n’a rien fait car il a été triste toute la journée
Contrairement à être aimable, gentil ou poli, être triste ne dénote pas du tout une action mais
plutôt l’état psychique dans lequel Pierre se trouvait hier et qui explique son inaction :
(101) Je ne le ferai plus d’être (gentil / aimable / poli) avec Marie, elle ne
le mérite pas
(102) * Je ne le ferai plus d’être triste toute la journée
Le contraste entre (101) et (102) montre que aimable, gentil et poli d’une part, et triste d’autre
part ne sont pas de mauvaises réponses à la question Qu’a fait x (hier) ? pour les mêmes
raisons. Alors que les adjectifs aimable, gentil, poli sont des réponses improbables à cette
question parce qu’ils ne dénotent pas des actions prototypiques, l’adjectif triste est une
mauvaise réponse parce qu’il n’implique pas du tout une action. On en déduit que aimable,
gentil et poli sont des adjectifs agentifs alors que triste ne l’est pas. Il faut donc prendre garde,
lorsqu’un verbe ou un adjectif ne peut pas servir de réponse à la question Qu’a fait x (hier) ?,
que cela ne soit pas pour des raisons pragmatiques indépendantes du statut agentif ou non
agentif du prédicat.
Ce problème rend parfois malaisée l’utilisation de ce test, qui reste néanmoins assez
efficace pour discriminer une sous-classe des prédicats dynamiques : les verbes et adjectifs
agentifs. Rappelons que ce test ne peut être retenu pour classer les noms (qui ont besoin d’un
verbe support).

2.2. « Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? »


2.2.1. Domaine(s) d’application du test
Nous avons vu que l’une des principales limites du test Qu’a fait x (hier) ? est qu’il n’est pas
applicable au domaine nominal. Notons d’emblée que le test Qu’est-ce qui est arrivé (à x)
(hier) ? ne nous permettra pas de résoudre ce problème puisque ce test est lui aussi, et pour
les mêmes raisons, inapplicable dans le domaine nominal.

73
2.2.2. Notion(s) mise(s) en jeu par le test
Le test Qu’a fait x (hier) ? est un test d’agentivité et ne permet donc de repérer que les
situations dynamiques agentives. Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? en revanche ne porte
pas sur l’agir de x mais sur ce qui est survenu et qui éventuellement affecte x111. Le sujet n’est
donc plus un agent mais peut être un thème et/ou un patient112, cela permet de traiter les
verbes repérés comme non agentifs dans le paragraphe précédent (cf. (91) et (92)) :
(103) Qu’est-ce qui est arrivé à l’herbe ?
Elle a simplement beaucoup poussé tant et si bien qu’on ne reconnaît
même plus le jardin !
(104) Qu’est-ce qui est arrivé à Pierre (hier) ?
Il a perdu ses clefs
Seront également acceptés les verbes pronominaux dynamiques dont le sujet subit un
changement :
(105) Qu’est-ce qui est arrivé à x (hier) ?
x s’est (cassé le bras / ouvert la tête)
Les verbes agentifs sont également acceptés à condition que « x » ne soit pas un agent. Ainsi,
les verbes à la voix passive sont des réponses adéquates à ce test :
(106) Qu’est-ce qui est arrivé à cet arbre (hier) ?
Il a été abattu113
Notons que les prédicats agentifs peuvent, même à la voix active, servir de réponse à
cette question à condition toujours que « x », qui d’ailleurs est un élément facultatif, ne dénote
pas l’agent de la situation :
(107) Qu’est-ce qui est arrivé (hier) ?
Pierre s’est promené dans le parc et il a rencontré Marie qui était en
compagnie de Paul
Cela permet aux adjectifs précédemment repérés comme étant agentifs de valider ce test,
toujours à condition que « x », s’il est exprimé, ne soit pas l’agent de la situation (108) mais
bien la personne ayant subi la situation dénotée par l’adjectif (109) :

111
Notons qu’il faut impérativement utiliser ce test à un temps dit ponctuel ou événementiel (en opposition aux
temps continus que sont le présent et l’imparfait de l’indicatif). Si tel n’est pas le cas, le sens même du test est
perdu. Ainsi à la question Qu’est-ce qui arrive à Pierre ? il est possible de répondre Il est triste à cause de son
frère mais alors l’interrogation ne porte plus sur la survenance d’une situation dynamique mais sur l’état (statif)
dans lequel le sujet se trouve.
112
Suivant Van de Velde, nous appelons « thème » « l’argument d’un prédicat d’état ou de lieu, ainsi que de
changement d’état ou de lieu, puisque les deux sont profondément apparentés » et « patient » l’argument qui
subit une action exercée par un agent, les deux rôles de patient et d’agent étant par conséquent en corrélation
stricte (à paraître).
113
L’argument l’arbre est à la fois thème (il change de lieu) et patient (il subit une action).

74
(108) Qu’est-ce qui est arrivé à Pierre (hier) ?
a. *Il a été méchant avec sa sœur
b. *Il a été aimable avec sa voisine
(109) Qu’est-ce qui est arrivé à Pierre (hier) ?
a. Sa soeur a (encore) été méchante avec lui
b. Pour la première fois en dix ans, sa voisine a été aimable avec lui
(110) Qu’est-ce qui est arrivé (hier) ?
Pierre a été désagréable à un point que tu ne peux même pas
imaginer !
Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? sélectionne pour réponse un prédicat dont « x » n’est
pas l’agent. Mais il nous reste à vérifier que cette réponse est bien une situation dynamique
(les situations statives aussi sont non agentives). C’est la nature même du test qui permet de
nous en assurer. En effet, la question Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? est une question
portant non sur l’agir d’un sujet mais sur la survenue d’un événement. Or, la très grande
majorité des événements repose sur des situations dynamiques114. Si on applique ce test à des
prédicats précédemment repérés comme statifs, les énoncés obtenus sont effectivement
agrammaticaux :
(111) Qu’est-ce qui est arrivé à x (hier) ?
a. * Il a été (manchot / français / intelligent)
b. * Il a (possédé une maison / su sa leçon d’anglais / ressemblé à
son père)
Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? sélectionne donc comme réponse un énoncé dans lequel
le prédicat principal (verbe ou adjectif) dénote une situation dynamique qui peut être agentive
ou non agentive115.

2.2.3. Limites de l’applicabilité du test


Etant donné que la question Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? est un test
d’événementialité, la quasi-totalité des prédicats qui peuvent répondre à cette question sont
dynamiques. De plus, nous avons montré que ce test accepte comme réponse des prédicats
non agentifs (ou employés comme tels), ce qui fait de lui un pendant à la question Qu’a fait x

114
Van de Velde (2006) montre que certains états peuvent fonder un événement :
(i) Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ?
Il a été malade
(ii) La maladie de Pierre fut un événement décisif dans sa vie (exemple emprunté à Van
de Velde 2006 : 166)
Néanmoins, ces cas restent rares.
115
Nous rejoignons Riegel qui affirme que les questions « Qu’arrive-t-il à SN0 ?et Que fait SN0 ? […]
présupposent que SN0 est le siège d’un procès dynamique ou l’agent d’une action » (1985 : 65), à condition de
considérer que l’auteur a bien voulu dire que SN0 dans Qu’arrive-t-il à SN0 ? est le siège du procès ou l’agent de
l’action alors que dans Que fait SN0 ? il est forcément agent, et non pas que ces deux questions autorisent l’une et
l’autre des possibilités.

75
(hier) ?, qui sélectionne des prédicats agentifs. Il en résulte qu’en croisant les deux tests Qu’a
fait x (hier) ? et Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ? on embrasse à la fois les prédicats
dynamiques agentifs et non agentifs.
Néanmoins, ces deux seuls tests, outre qu’ils ne s’appliquent pas au domaine nominal,
ne peuvent pas être considérés comme suffisants. En effet, le test Qu’a fait x (hier) ? ne peut
pas toujours être appliqué en raison d’interférences d’ordre pragmatique (cf. §2.1.3), quant au
test d’événementialité Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ?, il n’est pas entièrement fiable
puisque quelques rares statifs peuvent fonder des événements et donc répondre favorablement
à ce test.
Au-delà de la mise en évidence de la dynamicité de certains prédicats, ces tests
soulignent le lien fort entre agentivité et dynamicité dans le domaine verbal. Ce lien est
orienté puisque prouver l’agentivité d’un prédicat suffit à en démontrer la dynamicité alors
que l’inverse ne se vérifie pas. C’est donc naturellement que nous nous tournons vers une
série de tests bien connus qui mettent en évidence l’agentivité associée à un prédicat.

2.3. L’agentivité de l’argument externe du prédicat


Il existe des tests d’agentivité applicables dans les divers domaines (verbal, adjectival et
nominal), mais ils diffèrent d’un domaine à l’autre. De plus, les tests d’agentivité sont assez
contraints et n’embrassent jamais la totalité des prédicats agentifs d’un domaine. Par
conséquent, un prédicat qui valide l’un des tests ci-après est agentif alors que le rejet d’un ou
plusieurs de ces tests ne permet pas de conclure.

2.3.1. L’agentivité du verbe


Parmi les moyens bien connus pour prouver l’agentivité d’un verbe, nous pouvons utiliser une
classe particulière d’adverbes qui sont dits « orientés vers l’agent » et soulignent l’agentivité
du sujet (e.g. volontairement, délibérément, intentionnellement). Selon Vendler (1967), la
présence de l’un de ces adverbes prouve que le verbe dénote une action, i.e. il se sert de ces
adverbes comme d’un test de la dynamicité alors que c’est plutôt l’agentivité qui est ici en
cause, et même l’agentivité intentionnelle116, comme le souligne Verkuyl (1989 : 47).

116
Un agent peut exécuter une action de manière délibérée ou non. Il existe donc une agentivité intentionnelle et
une agentivité non intentionnelle. La plupart des actions peuvent avoir les deux lectures en fonction du contexte.
La majorité des tests d’agentivité ne fonctionne qu’avec des contextes où les actions sont réalisées
intentionnellement. Notons qu’en induisant une intentionnalité, ces adverbes sont en mesure de forcer une
lecture agentive de prédicats verbaux habituellement non agentifs :
(i) Pierre a volontairement perdu ses clefs pour avoir une excuse pour aller chez Marie
(ii) Pierre a volontairement fait une chute de vélo pour que Marie s’occupe de lui

76
(112) a. Pierre a volontairement marché sur le pied de sa sœur
b. Pour se venger, elle l’a poussé dans les escaliers délibérément
c. Tous deux omirent intentionnellement ces détails au moment de
raconter l’affaire à l’inspecteur
La présence d’adverbes orientés vers l’agent dans les phrases présentées sous (112) indique
que les sujets des verbes sont des agents. On en déduit que les verbes en question sont, dans
cet emploi, dynamiques. En (112)b, la présence d’une proposition finale (exprimant le but) est
une seconde preuve de l’agentivité du prédicat. En effet, le sujet de se venger est contrôlé par
celui de la prédication principale qui est par conséquent un agent.
Un autre moyen de déceler l’agentivité d’un verbe est sa compatibilité avec la locution
être accusé de. Ce test présente le défaut d’être très sélectif puisque le sens de la locution et
celui du verbe testé entrent souvent en conflit, donnant des résultats incongrus. En effet,
accuser sélectionne des verbes d’action perçus comme dénotant des actions répréhensibles :
(113) Pierre est accusé d’avoir (volé un œuf / brandi une pancarte
injurieuse / cassé un vase précieux)
(114) ?# Pierre est accusé d’avoir (fait la vaisselle / rendu service à sa
grand-mère)
(115) * Pierre est accusé de (connaître le nom du criminel / détester sa
sœur)
Les énoncés proposés en (114) ne sont pas agrammaticaux mais ils sont surprenants puisqu’il
faut, pour les accepter, se placer dans un monde où faire la vaisselle et rendre service à sa
grand-mère sont des actions répréhensibles, mais ce n’est là qu’une contrainte pragmatique
(notée ?#). Dans un monde où faire la vaisselle et rendre service aux grands-mères seraient
des délits alors les énoncés (114) seraient tout à fait naturels. Il n’en va pas de même avec les
énoncés de (115). Il ne s’agit pas ici d’un problème d’adéquation au monde mais bien
d’agrammaticalité reposant sur l’incompatibilité des prédicats connaître et détester (qui ne
dénotent pas des actions) avec accuser de. Malgré sa très grande sélectivité, l’intérêt de ce test
réside dans son applicabilité au domaine adjectival :
(116) a. Pierre est accusé d’avoir été infidèle à sa femme.
b. Pierre est accusé d’avoir été (méchant / odieux / sadique) envers
son serpent : il risque une amende pour cela
c. Pierre est accusé d’avoir été (déplaisant / désagréable) avec
Marie pour le seul plaisir de la voir en larmes
(117) ?# Pierre est accusé d’avoir été (généreux / gentil / sage)
(118) * Pierre est accusé d’avoir été (furieux / inquiet / triste)
Une fois encore, on voit que le rapport entre l’adjectif et son argument externe (i.e.
l’argument auquel est attribué le prédicat adjectival) n’est pas toujours le même. Les énoncés

77
sous (116) montrent que certains adjectifs attribuent le rôle d’agent à leur argument externe.
Les énoncés (117) posent le même problème pragmatique que ceux présentés en (114). Enfin,
ceux présentés en (118) sont inacceptables car les adjectifs triste, inquiet, furieux ne
possèdent pas dans leur projection argumentale de place pour un agent qui contrôlerait la
tristesse, l’inquiétude, la fureur. Ceci est confirmé par le fait que ces adjectifs échouent au test
d’agentivité Qu’a fait x (hier) ? :
(119) Qu’a fait x (hier) ?
* Il a été (triste / furieux / inquiet)
La différence entre les adjectifs de (117) et ceux de (118) est que les premiers, bien
qu’agentifs, ne sont pas compatibles avec accuser de pour des raisons pragmatiques alors que
pour les seconds le refus du test vient de leur non agentivité. Cette différence apparaît
nettement si l’on pense à la signification de être triste vs être méchant. En effet, être triste est
un état psychique alors que être méchant est un comportement. Être méchant est une
manifestation de la qualité « méchanceté ». On se trouve ici à la limite entre dynamicité et
stativité parce qu’un comportement est une chose étrange qui mêle les notions d’action et de
qualité : un comportement est une manière habituelle d’agir. Par exemple, le comportement
être gentil est une qualité du sujet qu’il acquiert à force d’accomplir (en tant qu’agent) des
actions gentilles.

2.3.2. L’agentivité de l’adjectif


Nous avons montré qu’il existe des adjectifs agentifs. Afin de confirmer leur existence, il est
possible de recourir à d’autres tests que celui de la question Qu’a fait x (hier) ? ou encore
celui de la compatibilité avec accuser de, test qui, nous l’avons vu, posent parfois des
problèmes d’acceptabilité liés à des considérations pragmatiques. Un test d’agentivité bien
connu est celui de l’impératif :
(120) a. Sois gentil !
b. * Sois triste !
c. ?? Sois méchant !
Mais ce test pose lui aussi des problèmes d’ordre pragmatique (cf. (120)c).
Il existe une structure qui permet de prouver qu’un adjectif est agentif. Les adjectifs
entrant dans la structure présentée en (121) imposent (i) l’identité des sujets de l’adjectif et du
prédicat de la proposition complétive (souvent présentée sous la forme réduite d’une
infinitive) et (ii) que le prédicat de la complétive soit de type agentif (cf. Picabia 1978, Riegel
1985 et 1997, Van de Velde 1997a : 156 et ss). D’où le contraste :
(121) Pierre est gentil d’avoir fait la vaisselle

78
(122) * Pierre est gentil que Marie (ait fait / fasse) la vaisselle
(123) * Pierre est gentil de posséder une maison
(122) est agrammatical car la première contrainte est violée, en (123) c’est la seconde
contrainte qui l’est. Si un adjectif peut servir de prédicat dans la complétive de la structure
présentée en (121), alors il est agentif117 :
(124) a. Pierre est méchant d’avoir été (déplaisant avec sa sœur / ignoble
avec tout le monde / désagréable avec sa mère / désobéissant avec sa
grand mère / exécrable avec son professeur / odieux avec son chien)
b. Pierre est adorable d’avoir été (agréable avec sa sœur / charmant
comme il l’a été / fidèle à son amie toute sa vie / gentil avec ces gens
qu’il déteste pourtant / sage toute la journée)
(125) a. * Pierre est malveillant d’avoir été (bête / idiot / intelligent)
b. * Pierre est méchant d’avoir été (irrité / triste)
Les adjectifs adorable, agréable, charmant, déplaisant, désobéissant, exécrable, odieux et
sage sont agentifs. Concernant les adjectifs bête, idiot, irrité et triste, on ne peut pas conclure
car l’impossibilité pour un adjectif d’entrer dans la complétive peut avoir d’autres causes que
sa non agentivité118, d’où la nécessité de croiser ce test avec les autres tests d’agentivité
précédemment présentés.
2.3.2.1. Propriétés sémantiques des adjectifs agentifs
Les adjectifs agentifs dénotent, dans l’une de leurs acceptions au moins, des comportements,
et c’est en tant que tels qu’ils attribuent un rôle d’agent à leur argument externe, étant entendu
qu’avoir un comportement c’est agir selon certaines modalités. Cependant, nous n’avons pas
trouvé d’adjectif qui dénote uniquement un comportement. Cette acception semble toujours
couplée avec une acception dans laquelle l’adjectif dénote une « qualité » dans le sens où Van
de Velde (1995a) utilise ce terme : les qualités dénotent des propriétés définitionnelles du
sujet, e.g. avare, bavard gentil, grand, manchot, stupide, etc. On peut vérifier ce point en
recourant aux tests proposés par Van de Velde (1995a : 178 et 1997a : 153) :
(126) X a changé : il est devenu (fidèle / gentil / ignoble / sage)
(127) a. C’est (bête / * fidèle / gentil / ignoble / sage) de la part (de/ à)
Pierre d’avoir fait cela

117
Il faut bien sûr éviter les associations de prédicats pragmatiquement improbables :
(i) # ? Pierre est gentil d’avoir été (méchant/ odieux / abject) avec sa mère
118
En effet, les adjectifs agentifs sont au moins de deux types : ceux orientés vers autrui (aimable, gentil,
méchant, infidèle, etc.) et ceux qui ne le sont pas (bête, bizarre, sage, stupide, etc.). Les premiers sont
généralement plus enclins que les seconds à entrer dans la complétive.

79
b. Pierre est (bête / * fidèle / gentil / ignoble / sage) d’avoir fait
cela119
Les tests illustrés en (126) et (127) permettent de vérifier qu’un adjectif dénote une qualité.
Par ailleurs, la tournure de la part de x utilisée en (127)a ainsi que sa variante proposée en
(127)b prouvent à la fois que l’adjectif dénote une qualité et qu’il est agentif, c’est-à-dire qu’il
dénote un comportement.
L’application croisée des trois tests, qui montrent respectivement qu’un adjectif dénote
un comportement (124), une qualité (126), ou les deux à la fois (127), permet d’affirmer que
tous les adjectifs dénotant des comportements ont également au moins une autre acception
dans laquelle ils dénotent une qualité, nous les baptisons donc les adjectifs de qualité-
comportement (adjectifs de « qual-comp » en abrégé), en voici une liste (non exhaustive) :
(128) abject, adorable, agréable, aimable, antipathique, bête, bienveillant,
charmant, déplaisant, désagréable, désobéissant, exécrable, fidèle,
généreux, gentil, habile, ignoble, indigne, infidèle, insupportable,
malveillant, méchant, odieux, sage, stupide, sympathique, etc.
Les deux sens (qualité et comportement) de ces adjectifs sont intimement liés. En effet, l’un
des moyens pour un sujet d’acquérir une qualité est de répéter suffisamment souvent le même
comportement, jusqu’à ce qu’il devienne définitoire du sujet. On ne peut dire d’un sujet « x »
qu’il est gentil (i.e. possède la qualité « gentillesse ») que s’il a pour habitude d’accomplir des
actions gentilles. Nous insistons sur le fait qu’il ne s’agit ni de répéter une action spécifique
(e.g. « faire la vaisselle »), ni de répéter une manière d’agir (e.g. « agir avec gentillesse /
gentiment ») mais bien de répéter des actions quelconques et non déterminées qui ont en
commun d’être perçues, reconnues comme étant des gentillesses120. On comprend pourquoi
les comportements dénotent forcément aussi des qualités (la possible répétition du
comportement induit la construction d’une habitude qui permet d’attribuer une qualité au
sujet). La réciproque n’est pas vraie : de nombreuses qualités (physiques ou non, e.g. beau,
grand, bavard, bruyant etc.) ne dénotent pas des comportements, ce qui s’explique par le fait
que l’on peut très bien concevoir une qualité dont la constitution ne repose pas sur l’agir du
sujet (cela est particulièrement évident avec les qualités physiques).

119
Le test proposé en (126) est validé par tous les adjectifs de qualités alors que les deux tests proposés en (127)
n’acceptent qu’une sous-classe des adjectifs de qualité : les qualités morales.
120
Pour plus de détails concernant le mécanisme qui permet de passer de l’acception de comportement à
l’acception de qualité morale via la constitution d’une habitude, cf. Haas & Tayalati (2008).

80
2.3.2.2. Propriétés aspectuelles des adjectifs
Nous venons de voir qu’il existe une classe d’adjectifs qui sont agentifs, les adjectifs de qual-
comp, qui, comme leur nom l’indique, peuvent dénoter des qualités et/ou des comportements.
Dans la littérature sur les adjectifs en français, l’idée que tous les adjectifs sont statifs est
assez répandue (Riegel 1985 : 65-68)121. Nous rejoignons, en partie, Riegel : tous les adjectifs
sont statifs dans le sens où tous ont au moins une acception dans laquelle ils dénotent une
situation stative. C’est ce que nous avons montré en spécifiant que tous les adjectifs de
comportement sont également des adjectifs de qualité. Le point sur lequel nous divergeons est
l’idée que certains adjectifs entretiennent un rapport privilégié avec la dynamicité : ce sont les
adjectifs agentifs dénotant dans l’une de leurs acceptions un comportement122. Car, s’il n’est
généralement pas reconnu qu’il existe des adjectifs dynamiques en français, il est en revanche
généralement admis qu’il existe des adjectifs agentifs. Puisque dans le domaine verbal
l’agentivité est garante de la dynamicité du prédicat, il serait cohérent de penser qu’il en va de
même dans le domaine adjectival.
De plus, nous l’avons vu précédemment, les adjectifs de qual-comp peuvent servir de
réponse aux questions Qu’a fait x (hier) ? (qui est un test d’agentivité) et Qu’est ce qui est
arrivé (à x) hier ? (qui est un test d’événementialité et donc de dynamicité).
Néanmoins, on peut se demander si dénoter un comportement est suffisant pour u’on
puisse parler de dynamicité au sens plein du terme (i.e. celui décrit dans la section 1 de ce
chapitre). En effet, conceptuellement, un comportement n’est pas la même chose qu’une action.
Nous l’avons évoqué, un comportement dénote une situation où dynamicité et stativité sont
intriquées :
(129) (GENTIL (x)) ⇒ (AGIR(GENTIMENT) (x))
Les petites majuscules représentent les prédicats, GENTIMENT est un prédicat secondaire, d’où
sa position en indice, les minuscules sont mises pour les arguments. (129) se lit : « x est
gentil si et seulement si x agit gentiment ». On peut définir un comportement comme une
« modalité habituelle d’action de x (l’agent) et qui permet d’attribuer une qualité à x ».
Autrement dit, l’adjectif de comportement dénote une action qualifiée, la qualification de

121
Concernant les adjectifs en anglais, Lyons écrit : « le fait d’être statif est normal pour les adjectifs », l’auteur
note que certaines circonstances peuvent permettre une lecture dynamique de certains adjectifs, cet emploi
dynamique étant néanmoins jugé « anormal » par l’auteur (1968/[1970] : 248).
122
Sous une forme un peu différente, on retrouve l’idée d’un lien fort entre les adjectifs du type généreux,
intelligent, etc. et la notion d’action dans les travaux de F. Martin qui classe ces adjectifs parmi les prédicats
« endo-actionnels » : « les prédicats d’état endo-actionnel dénotent un état s, et présupposent l’occurrence d’une
action e qui génère s » (2006 : 105).

81
l’action se dépose sur l’agent de l’action pour devenir l’une de ses qualités (cf. Van de Velde
1977a : 159).
(130) Pierre est trop gentil d’avoir été sympathique avec cette fille, après
tous les sales coups qu’elle lui a faits par le passé
Dans cet énoncé, sympathique dénote à la fois une/des action(s) quelconque(s) mais
qualifiée(s) de sympathique(s), sympathie qui rejaillit sur l’agent Pierre. La/les action(s)
sympathique(s) que Pierre a effectuée(s) peuve(nt) (sans que cela ne soit obligatoire) être
spécifiée(s) dans le contexte :
(131) Pierre est trop gentil d’avoir été sympathique avec cette fille après
tous les sales coups qu’elle lui a faits par le passé : il l’a invitée à sa
fête, lui a parlé à plusieurs reprises et je crois même l’avoir aperçu
qui dansait une valse avec elle !
La décomposition proposée en (129) montre que les adjectifs de qual-comp appartiennent en
partie au domaine de l’agir, ce qui permet d’envisager de les classer parmi les prédicats
dynamiques.
Il nous semble que la réticence à classer les adjectifs agentifs parmi les prédicats
dynamiques s’explique par la double identité des adjectifs de comportement : ils expriment à
la fois une action mais ils typifient cette action, attribuant du même coup une qualité à l’agent.
La dynamicité est ainsi masquée par la dénotation de la qualité. Il est même possible
d’employer ces adjectifs de façon entièrement stative. C’est le cas lorsqu’ils sont en position
d’attribut du sujet sans complétive, car alors la facette comportementale de ces adjectifs
disparaît au profit de la facette qualité :
(132) Pierre est gentil
(133) Pierre est un homme gentil
(134) Pierre (accomplit généralement / a pour habitude d’effectuer) des
actions gentilles
(133) est une paraphrase de (132) qui ne repose que très lointainement sur (134), au point que
le locuteur n’y voit plus qu’un prédicat de qualité comparable à :
(135) Pierre est grand
Même si tout part de l’action, l’information finale est la qualité attribuée au sujet.
Pour conclure sur ce point, nous dirons que les adjectifs de qual-comp ont deux
emplois : un emploi statif où l’adjectif ne renvoie qu’à la qualité (cf. (132)) et un emploi où
l’adjectif dénote un comportement. Dans cet emploi comportemental, l’adjectif dénote une
situation dynamique mais qui reste toujours mêlée à la dénotation d’une qualité (acception
stative). En cela, le cas des adjectifs de qual-comp est très complexe et le démêlage de
l’imbrication sémantique qui les caractérise dépasserait de loin notre propos. Néanmoins, il

82
nous semble que les faits linguistiques autorisent à classer les adjectifs de qual-comp, quand
ils sont employés en tant qu’adjectifs de comportement et non en tant qu’adjectif de pure
qualité, parmi les prédicats dynamiques123.

2.3.3. L’agentivité du nom


Certains noms abstraits peuvent dénoter des actions agentives. On dispose de quelques tests
permettant de juger de l’agentivité dans le domaine nominal, le plus connu étant celui du
complément d’agent en par (Grimshaw 1990, Alexiadou 2001, etc.) :
(136) Le bombardement délibéré de la ville par les alliés (a été une
surprise pour tout le monde)
La présence de l’adjectif délibéré (qui est un adjectif orienté vers l’agent) prouve la présence
d’un agent en (136). Pour confirmer la nature agentive du complément en par, il suffit de
rétablir le prédicat verbal auquel le nom est apparenté :
(137) Les alliés bombardent la ville
En (137), les alliés reçoit bien le rôle d’agent, les différents tests d’agentivité verbale
permettent de le vérifier :
(138) Les alliés ont volontairement bombardé la ville
(139) Les alliés sont accusés d’avoir bombardé la ville
(140) Qu’on fait les alliés hier ? Ils ont bombardé la ville
Le recours au complément agentif en par pose quelques problèmes avec une classe restreinte
de noms : ceux dénotant des objets iconiques ou certains objets fabriqués :
(141) Le portrait de Tolstoï par Ilya Repine est d’une rare tristesse
(142) Le tableau de la Venus Russe par Boris Koustodiev est très abîmé
Dans ces exemples, le référent du complément en par est bien l’auteur du portrait ou du
tableau et c’est en ce sens qu’on peut l’assimiler à un agent. Mais, il ne s’agit en aucun cas de
l’agent du nom tête (portrait, tableau, commode), qui ne dénote pas une action mais un objet
concret (le contexte de (142) peut servir de preuve, seuls les objets concrets, pas les actions,
peuvent être abîmés). Si Repine et Boris Koustodiev sont dans les exemples (141)-(142) des
agents, ils le sont d’actions sous-jacentes que nous représentons entre crochets :
(143) Le portrait de Tolstoï [peint] par Ilya Repine (est d’une rare
tristesse)

123
La dynamicité des adjectifs se transmet parfois aux noms lors de la nominalisation. Certains adjectifs de qual-
comp ont un corrélat nominal qui, au pluriel, dénotent des actions :
(i) Pierre a passé la journée à faire des (amabilités à ses convives / bêtises / gentillesses
à chacun / idioties / ignominies sans nom / méchancetés à tout le monde)
Nous reviendrons sur l’interprétation actionnelle de certaines nominalisations au pluriel au chapitre 3, §1.4.2.3.

83
(144) Le tableau de la Venus Russe [peint] par Boris Koustodiev est très
abîmé
Un moyen simple permet d’éviter cet écueil : il suffit de poser que seuls pourront être
considérés comme de véritables compléments d’agent introduits par la préposition par les
compléments de noms abstraits.

2.4. Conclusion partielle


La plupart des tests présentés dans cette partie portent non pas sur la dynamicité elle-même
mais sur l’agentivité du sujet. Il est largement admis que, dans le domaine verbal, l’agentivité
implique la dynamicité. Nous proposons d’étendre ce lien au domaine adjectival où les
adjectifs de qual-comp, dans leur acception comportementale, valident plusieurs tests
d’agentivité ainsi qu’un test d’événementialité (Qu’est-ce qui est arrivé (à x) (hier) ?).
Concernant le domaine nominal, les tests d’agentivité y sont peu nombreux mais révèlent
l’existence de noms agentifs qui sont certainement dynamiques si l’on considère que le lien
entre agentivité et dynamicité est toujours valable, quelle que soit la catégorie grammaticale
du prédicat.
Après avoir évoqué les tests actionnels, nous passons maintenant aux tests reposant sur
la distribution de prédicats imposant des restrictions de sélection aspectuelle aux éléments qui
les entourent. Nous examinerons successivement l’emploi des verbes supports (e.g. faire,
effectuer, procéder à, ressentir, avoir, etc.), des prédicats « processifs » (e.g. la préposition
temporelle pendant, le verbe durer) et enfin des prédicats événementiels (e.g. avoir lieu,
survenir, se produire).

3. Tests distributionnels : verbes supports, prédicats processifs


et prédicats événementiels
Jusqu’ici nous avons rappelé et commenté des tests applicables dans les domaines verbal et
adjectival et nous avons pu, via des tests portant sur l’agentivité, montrer que certains
adjectifs peuvent être considérés comme dynamiques. Les tests distributionnels que nous
allons évoquer à présent permettront d’établir la frontière entre dynamicité et stativité dans le
domaine nominal. Les noms dynamiques peuvent avoir deux lectures : une lecture actionnelle
(ou processive, cf. §3.2) et/ou une lecture événementielle (cf. §3.3).

84
3.1. Les verbes supports
Selon Harris, il existe des verbes dépourvus de fonction lexicale, qui ne sont pas le pivot de la
phrase et servent à porter les informations habituellement portées par la conjugaison (temps,
personne, mode, aspect) pour la catégorie non conjugable que sont les noms. Il appelle ces
verbes « verbes supports »124, et il s’en sert pour analyser les nominalisations qui sont, selon
lui, des réductions de structures à verbes supports125.
(145) Pierre effectue une opération difficile
Pour la grammaire traditionnelle, une opération difficile est le complément d’objet direct
(l’argument interne) du verbe effectuer mais, syntactico-sémantiquement effectuer + une
opération forment ensemble le prédicat pivot de la phrase dans lequel effectuer ne sert que de
conjugateur alors qu’opération renferme le contenu sémantique prédicatif. Intuitivement,
cette analyse est convaincante puisque dans une phrase comme (145), l’action réalisée par
l’agent est bien une opération (qui est un type particulier d’effectuation). Autrement dit, un
verbe support entretient avec son objet syntaxique un rapport de genre à espèce. Daladier
(1996) compare justement les verbes supports en français à un système d’auxiliation pour les
noms d’actions126.
Il faut distinguer les verbes supports (e.g. effectuer, prendre, porter, donner, réaliser,
accomplir, faire, etc.) des verbes (semi)-auxiliaires de temps, mode, aspect (e.g. commencer
à, finir de, vouloir, pouvoir, aller, être, avoir, etc.). Les premiers, contrairement aux seconds,
n’ont pas de sens propre, de plus, seuls les seconds peuvent se combiner entre eux, d’où le
contraste entre (146) et (147) :
(146) * Pierre accomplit de faire une opération délicate
(147) Pierre commence à pouvoir remarcher depuis hier seulement
La liste des verbes considérés comme « supports » est très variable selon les auteurs, mais
cela a pour nous peu d’intérêt de savoir si tel verbe doit ou non en faire partie. En effet, seule
une sous-classe de verbes supports nous intéresse : ceux qui permettent de distinguer les noms

124
« Verbes supports » est un raccourci pour « verbes supports de morphologie de conjugaison » comme le
rappelle Daladier (1996 : 35). Elle précise que ce terme était déjà employé par les comparatistes, et cite à ce titre
Renou (1961).
125
Notre propos n’est pas de savoir si les nominalisations sont ou non des réductions de constructions à verbes
supports. Les avis sont d’ailleurs partagés sur ce point. M. Gross (1996) adhère à cette analyse alors que
Daladier, bien que se plaçant dans une perspective harrissienne, donne plusieurs arguments visant à montrer que
les nominalisations ne sont pas des variantes de constructions à verbes supports (1999 : 94-95).
126
Nous rappelons que dans la terminologie de Daladier (1996), l’étiquette « noms d’action » est synonyme de
« noms prédicatifs » et ne présuppose aucunement la dynamicité du nom (cf. note 104).

85
dynamiques des noms statifs. Nous ne présenterons que les verbes supports révélateurs de
l’opposition statif / dynamique qui induisent le moins de restrictions sémantico-pragmatiques
possibles sur le prédicat nominal qui suit127. D’un point de vue formel, un verbe n’a été retenu
comme appartenant à la classe des supports que (i) s’il n’induit pas de restriction de sélection
sur le sujet de la prédication, seul le nom prédicatif pouvant en induire, (ii) s’il ne se combine
qu’avec un nom (et aucunement avec un infinitif verbal), et (iii) s’il ne peut pas se combiner
avec d’autres verbes supports128.
Les tests mettant en jeu des verbes supports sont interprétables uniquement en cas de
validation et non en cas de rejet du test. Ainsi, si un nom peut suivre un verbe support
dynamique (ou statif) alors il est à coup sûr dynamique (ou statif). En revanche, qu’un nom
refuse de se combiner avec tous les verbes supports marquant la dynamicité (ou la stativité)
ne permet pas de conclure que le nom est statif (ou dynamique).
Enfin, nous insistons sur le fait qu’utiliser les verbes supports comme tests de
l’opposition statif / dynamique dans le domaine nominal n’a rien de novateur (cf. entre autres
G. Gross & Vivès 1986, G. Gross 1996, etc.). Notre travail se borne ici à rappeler quels sont
ces verbes supports, à donner quelques illustrations de leur emploi, et éventuellement à
formuler quelques mises en garde sur l’utilisation de certains de ces verbes quand cela s’avère
nécessaire. Nous commencerons par les verbes supports qui conjuguent les noms dynamiques
puis nous présenterons ceux qui conjuguent les noms statifs.

3.1.1. Les verbes supports révélateurs de dynamicité


3.1.1.1. faire
Le premier verbe support révélateur de dynamicité qui vient à l’esprit est bien sûr faire, en
raison de son lien sémantique évident avec la notion d’action129. Sa grande transparence
sémantique en fait un candidat idéal, car elle lui permet d’autoriser à sa droite un nombre
important de noms d’actions. Néanmoins, sa large distribution nous oblige à prendre quelques
précautions. Il faut garder à l’esprit (i) que faire s’emploie dans deux constructions qui
n’induisent pas exactement les mêmes propriétés aspectuelles (faire du jardinage vs faire une

127
Ainsi, prendre ou mener ne seront pas retenus comme étant de bons candidats, car s’ils peuvent être
considérés comme des marqueurs de dynamicité dans prendre une (décision/ résolution) ou mener une
(réflexion / recherche), le nombre de noms prédicatifs acceptant de suivre ces verbes est trop limité pour que
prendre et mener puissent être envisagés comme des tests efficaces.
128
Pour un rappel la notion de verbe support, cf. Vivès (1984 : 161-164), G. Gross & Vivès (1986), Gaatone
(2004), etc.
129
Pour une étude distributionnelle des séquences faire V-n (les « V-n » étant les noms morphologiquement
associés à des verbes) et faire N (N étant un nom prédicatif quelconque, inclus les noms prédicatifs non associés
à un verbe), nous renvoyons respectivement à Giry-Schneider (1978) et à Giry-Schneider (1987).

86
promenade) ; (ii) que faire s’emploie facilement avec des noms concrets et ce dans les deux
constructions évoquées ci-avant (faire du vélo, faire un gâteau).
Notons que les deux structures qu’autorise faire (avec un nom prenant un article
partitif vs un article défini / indéfini) ne sont pas concurrentes mais en distribution
complémentaire. Ce sont les propriétés du nom qui vont autoriser soit le partitif soit un autre
déterminant. En effet, parmi les noms d’actions il en est des massifs (qui se combinent
naturellement avec le partitif) et d’autres comptables (et refusent le partitif au profit d’autres
déterminants). Etant donné que c’est la nature massive / comptable du nom d’action qui
explique la sélection du déterminant, ce ne sont pas les propriétés aspectuelles de faire qui
sont remises ici en cause. Ce que nous révèle l’existence de ces deux structures c’est
uniquement que les noms d’actions, comme les noms concrets, connaissent la dichotomie
entre massif et comptable130. Les deux structures faire du et faire (un / une / la / le) N
permettent de sélectionner un nom dynamique (massif pour la première, comptable pour la
seconde) et c’est là ce qui nous importe pour le moment.
Plus problématique est le point (ii) évoqué ci-avant. En effet, que penser de ces noms
qui s’emploient avec faire mais dénotent ordinairement des objets concrets ? Sont-ils alors
des noms d’actions (i.e. des noms prédicatifs) ? Van de Velde (1997b) a montré que la
structure « faire du N » permet d’exprimer une action (plus particulièrement une activité) et
que cette possibilité englobe certains noms ordinaires (non déverbaux) :
(148) Pierre fait (du vélo / de la syntaxe / du violon)
Heyd & Knittel (2009) évoquent elles aussi ces cas pour classer ces noms concrets parmi les
activités. En effet, il semble tout à fait satisfaisant de considérer que faire du vélo dénote une
action. On peut attribuer à la structure un complément de temps ou de fréquence comme à
n’importe quel nom d’action :
(149) Pierre fait du jardinage (pendant deux heures / chaque matin)
(150) Pierre fait du vélo (pendant deux heures / chaque matin)
Cependant, alors que jardinage (nom corrélé à un verbe) a intrinsèquement la valeur d’action,
vélo ne l’a pas puisque son acception ordinaire est concrète, comme en attestent les
qualificatifs que ce nom accepte :
(151) un vélo (rouge / solide / en bon état)

130
Nous verrons au chapitre 4, §2.2.2. que l’opposition massif / comptable joue un rôle aspectuel important au
niveau de l’aspect [± borné].

87
L’origine concrète de vélo n’est pas négligeable car si le nom vélo accompagné de faire du
dénote une activité au même titre que jardinage, il n’acquiert pas, en propre, les propriétés
aspectuelles des noms d’actions :
(152) a. Après le jardinage, il faut se laver les mains
b. ?? Après le vélo, il faut se laver les mains
c. Après avoir fait du vélo, il faut se laver les mains
Alors que les noms d’actions peuvent facilement servir d’arguments à une préposition de
temps et ce sans ellipse (152)a, les noms concrets sont moins naturels dans cette position
(152)b, et si on les y accepte parfois c’est grâce à la présence sous-jacente d’un prédicat-
béquille d’aspectualité (152)c. Pour cette raison, nous excluons de notre corpus ces noms
concrets qui acceptent de suivre faire du pour signifier une action. En effet, selon nous, les
exemples (152) montrent que ces noms ne deviennent pas eux-mêmes des noms d’actions,
mais que c’est l’ensemble de la structure faire du N qui a ce sens. Reste qu’il faut pouvoir
distinguer ces noms ordinaires des véritables noms d’actions avec qui ils ont en commun de
pouvoir suivre faire du.
Une première solution est d’utiliser des adjectifs ou locutions réservés aux noms
concrets pour distinguer les noms ordinaires des véritables noms d’actions (cf. (151)). Mais
cette solution est problématique puisque, comme nous l’avons signalé dans l’introduction de
ce travail, un certain nombre de noms prédicatifs ont aussi un emploi concret. Afin de ne pas
prendre le risque d’être induit en erreur, mieux vaut ne pas nous baser sur le caractère
originellement concret des noms comme vélo ou violon. Le critère que nous retenons est celui
de la paraphrase par le verbe corrélé au nom131. Ainsi nous dirons que dans la structure faire
du N, le nom dénote une action si et seulement si la structure entière a le même sens que le
verbe morphologiquement lié au nom :

131
Cette précaution présente le défaut d’éliminer des noms potentiellement prédicatifs au seul motif qu’ils ne
sont pas associés à des verbes, Giry-Schneider note à cet égard que « la répartition entre verbes et expressions à
verbes supports est un hasard lexical : pourquoi dit-on faire du sport et non sporter, faire la bringue et non
bringuer ? Le lexique est ce qu’il est, et le locuteur est innocent. » (1987 : 5). Sont ainsi écartés des noms
comme farce, sieste. Néanmoins, nous préférons éliminer à tort ces noms non morphologiquement liés à des
verbes plutôt que de risquer une extension anarchique et non contrôlée de notre corpus de noms. Sont également
éliminés par la contrainte de paraphrase les noms qui, bien que morphologiquement liés à des verbes ne sont pas
avec lui, dans un contexte donné, en relation de quasi-synonymie :
(i) a. Paul dépose sa valise chez Luc
b. ? * Paul fait le dépôt de sa valise chez Luc
(exemples empruntés à Giry-Schneider 1987 : 66)
(ii) a. Paul a fait une erreur
b. ?# Paul erre
Néanmoins, ces noms pourront être récupérés s’ils valident d’autres tests de dynamicité que ceux nécessitant une
paraphrase verbale.

88
(153) a. Pierre fait du jardinage
b. Pierre jardine
(154) a. Pierre fait du vélo / du violon / de la syntaxe)
b. * Pierre (vélote / violone / syntaxe)
Pour la seconde structure (faire Det N), la même précaution sera prise132 :
(155) a. Pierre a fait une promenade
b. Pierre s’est promené
(156) a. Pierre a fait un (café / gâteau)
b. * Pierre a (cafeté / gâteauté)
Nous arrivons à la généralisation suivante :
(157) Si la structure faire (du / Det) N est quasi-synonyme du verbe
correspondant, alors le nom N est dynamique.
(157) offre l’avantage d’exclure les noms concrets pouvant, accompagnés de faire du,
signifier une action (e.g. vélo, violon, syntaxe, etc.) ainsi que ceux pouvant signifier
« fabriquer, produire quelque chose » (e.g. café, gâteau, une table de chevet, etc).
On pourrait regretter que (157) exclue de son champ d’application les noms
morphologiquement liés à des adjectifs. Remarquons d’abord qu’ils sont peu nombreux à
pouvoir se combiner avec faire, et que ceux qui le peuvent n’entrent jamais dans la structure
faire du N (i.e. ce sont toujours des noms employés de manière comptable) 133 :
(158) a. Pierre a fait deux (bêtises / idioties) de suite
b. * Pierre a fait de (la bêtise / idiotie)
(159) a. * Pierre a fait (une tristesse / un désarroi / une joie / une
mélancolie)
b. * Pierre a fait (une intelligence / une grandeur / une générosité /
une haine)
c. * Pierre a fait (une possession / une ressemblance / une
signification)
Mais surtout, il ne nous semble pas que les noms morphologiquement liés à des adjectifs
puissent, contrairement à ceux liés à des verbes, avoir de lecture concrète (qui nous pousserait

132
Dans la structure faire Det N, le déterminant peut être un article partitif :
(i) Pierre fait du café
Cependant, il ne faut pas confondre l’exemple (i) avec la structure faire du N :
(ii) Pierre fait du vélo
En effet, alors que café est un nom massif (d’où l’emploi du partitif), vélo est un nom comptable. La spécificité
de la structure faire du N est de signifier une action y compris avec un nom comptable concret. Sémantiquement,
alors que la structure faire du N dénote dans son ensemble une action, la structure faire Det N reste analysable en
deux parties : faire a signifie « réaliser, préparer, fabriquer » et le N dénote l’objet préparé, réalisé, fabriqué.
133
Certains désajectivaux peuvent suivre faire dans une structure particulière :
(i) Pierre a fait la bêtise de parler (exemple emprunté à Giry-Schneider1987 : 94)
Nous ne traitons pas ce type de cas, car (i) équivaut à (ii) :
(ii) Pierre a fait une bêtise : celle d’avoir parlé
(i) n’est donc qu’une variante de (158)a dans laquelle le contenu de la bêtise est explicité.

89
à vouloir les exclure de notre étude). Nous pouvons prendre le risque de réaménager (157)
comme suit :
(160) Un nom compatible avec la structure faire Det N (Det pouvant être
un article partitif) est dynamique s’il est morphologiquement lié à un
adjectif ou à un verbe. Dans le second cas, on prendra garde à ce que
la séquence faire Det N soit quasi-synonyme dudit verbe134.
(160) permet d’englober les quelques désajectivaux qui ont un emploi dynamique tout en
continuant d’exclure les noms ordinaires (i.e. les noms qui ne sont corrélés ni à un adjectif, ni
à un verbe).
3.1.1.2. Effectuer, réaliser, accomplir, procéder à, commettre
Ces verbes sont fréquemment cités comme sélectionnant des noms dynamiques135. Comme
avec faire, le risque est que des noms concrets soient compatibles avec certains de ces verbes.
C’est effectivement le cas avec réaliser et, dans une moindre mesure, avec effectuer:
(161) Pierre a réalisé un (tableau / portrait) de toute beauté
Pierre a effectué un tableau à double entrée afin de comparer les
données
Nous avons déjà évoqué les noms tableau et portrait parce qu’ils acceptent les compléments
d’agent en par (cf. (141)-(142)). En (161), ces noms peuvent être sélectionnés par réaliser
alors même qu’ils continuent de dénoter des entités concrètes, comme en attestent les divers
compléments réservés aux noms d’objets sensibles que l’on peut leur associer :
(162) a. Pierre a réalisé un tableau (très beau / très grand)
b. Pierre a réalisé un portrait (carré / très laid)
c. Pierre a effectué un tableau à double entrée comportant cinq
colonnes et 17 lignes
Comme pour le test en faire il est nécessaire de conserver la contrainte de quasi-synonymie
entre la séquence (réaliser / effectuer) Det N et le verbe morphologiquement lié au nom N.
En revanche, les autres verbes supports (accomplir, procéder à et commettre) n’acceptent pas
dans leur distribution de noms concrets :
(163) a. * Pierre a accompli une table admirable
b. * Pierre a procédé à un vase magnifique
c. * Pierre a commis un très beau chandail
Par conséquent, avec ces verbes supports, nul besoin de recourir à la contrainte de quasi-
synonymie.

134
Il s’agit bien d’une relation de quasi-synonymie puisqu’on observe souvent une légère différence de sens
entre faire Det N et le verbe correspondant :
(i) a. Pierre a fait de la marche
b. Pierre a marché
135
Pour une illustration de l’utilisation des verbes supports d’action, cf. G. Gross (1996 : 57-58).

90
Nous proposons les généralisations suivantes :
(164) Un nom pouvant suivre les verbes supports effectuer ou réaliser a un
emploi dynamique si la séquence V Det N dans laquelle il prend
place est quasi-synonyme du verbe morphologiquement lié au nom.
(165) Un nom pouvant suivre les verbes supports accomplir, procéder à ou
commettre dénote une action, il est donc, dans cet emploi,
dynamique.
Les quatre verbes supports effectuer, réaliser, accomplir, procéder à sont
complémentaires car leur sémantisme propre (même s’il est assez faible puisque ce sont des
verbes supports) opère quelques restrictions de sélection sur les noms qu’il conjuguent. Ils
peuvent parfois être totalement interchangeables (166), partiellement interchangeables (167)-
(169), ou encore non interchangeables (170), en fonction du nom prédicatif qui suit136 :
(166) a. Le chirurgien a effectué trois opérations à cœur ouvert en une
journée !
b. Le chirurgien a réalisé trois opérations à cœur ouvert en une
journée !
c. Le chirurgien a accompli trois opérations à cœur ouvert en une
journée !
d. Le chirurgien a procédé à trois opérations à cœur ouvert en une
journée !
(167) a. La gymnaste a effectué une roulade arrière avant de se relever
pour la sortie en double vrille
b. La gymnaste a réalisé une roulade arrière avant de se relever
pour la sortie en double vrille
c. La gymnaste a accompli une roulade arrière avant de se relever
pour la sortie en double vrille
d. * La gymnaste a procédé à une roulade arrière avant de se relever
pour la sortie en double vrille
(168) a. Les spationautes ont effectué le lancement de la fusée Ariane 7 ce
matin à 5 heures
b. Les spationautes ont réalisé le lancement de la fusée Ariane 7 ce
matin à 5 heures
c. ?? Les spationautes ont accompli le lancement de la fusée Ariane
7 ce matin à 5 heures
d. Les spationautes ont procédé au lancement de la fusée Ariane 7 ce
matin à 5 heures
(169) a. Pierre a effectué le travail pour lequel on l’avait engagé
b. Pierre a réalisé le travail pour lequel on l’avait engagé
c. Pierre a accompli le travail pour lequel on l’avait engagé
d. ?? Pierre a procédé au travail pour lequel on l’avait engagé

136
Quant au verbe commettre, sa distribution est beaucoup plus retreinte puisque ce verbe ne sélectionne comme
complément que des actions connotées négativement :
(i) Pierre a commis (un crime affreux / une erreur impardonnable)

91
(170) a. Pierre a effectué une promenade à l’aube qui lui a remis les idées
en place
b. ?? Pierre a réalisé une promenade à l’aube qui lui a remis les
idées en place
c. ?? Pierre a accompli une promenade à l’aube qui lui a remis les
idées en place
d. ?? Pierre a procédé à une promenade à l’aube qui lui a remis les
idées en place
Nous ne pouvons donner des exemples de toutes les combinaisons imaginables de (non)-
interchangeabilité de ces quatre verbes supports, et nous n’avons pas pu réaliser de
statistiques sur cette question. Si on laisse de côté commettre dont le sémantisme est très
connoté, il semble que procéder à ait la distribution la plus restreinte des quatre verbes
proposés. Comme nous l’avons vu, effectuer et surtout réaliser acceptent dans leur
distribution des noms concrets, de plus, dans certains contextes, réaliser prend le sens de « se
rendre compte » ; il ne s’agit plus alors du verbe support qui nous intéresse (e.g. Il a réalisé
l’importance de ses choix) ; réaliser a également un emploi spécialisé pour le cinéma qui
n’est pas celui souhaité ici. Enfin, accomplir offre l’avantage de ne sélectionner que des noms
d’actions et d’avoir une distribution moins restreinte que procéder à137. Il nous semble
cependant intéressant de garder les cinq verbes supports afin de pouvoir croiser les tests pour
les asseoir plus sûrement, et éliminer, par le jeu des croisements, les cas non pertinents ou
pour lesquels des hésitations d’acceptabilité se manifesteraient.
Il ne faudrait pas croire que les cinq verbes supports effectuer, procéder à, accomplir,
réaliser et commettre se partagent, chacun selon ses spécificités propres, l’entièreté de la
distribution de faire, puisqu’on trouve des noms qui acceptent de suivre faire tout en refusant
les autres verbes supports que nous avons retenus. C’est le cas de quelques désajectivaux qui
ont une lecture dynamique :
(171) a. Pierre a fait des idioties
b. Pierre a (?? effectué / * réalisé / ?? accompli / * procédé
à / ?? commis ) des idioties
Mais ces contraintes sont aussi observées avec des noms d’actions massifs, car seul faire peut
être suivi du partitif :
(172) a. Pierre a fait (du jardinage / du patinage) toute la matinée
b. Pierre a (?? effectué / * réalisé / * accompli / * procédé à /
* commis) (du jardinage / du patinage)

137
Nous faisons ici état de tendances que nous avons remarquées sans pouvoir être affirmative en l’absence
d’étude statistique.

92
Ces possibilités offertes uniquement par faire justifient la place spéciale que nous lui avons
accordée parmi les verbes supports marqueurs de la dynamicité du nom conjugué.
Grâce aux verbes supports, nous disposons à présent d’une série de tests de la
dynamicité dans le domaine nominal. Passons à présent aux verbes supports révélateurs de
stativité.

3.1.2. Les verbes supports révélateurs de stativité


3.1.2.1. Eprouver et ressentir
Les deux verbes qui sélectionnent des noms statifs le plus souvent mentionnés dans les études
sont éprouver et ressentir (cf. entre autres Van de Velde 1995a, Melnikova à paraître). Ces
deux verbes ont en commun de se combiner avec tous les noms qui évoquent des sensations
physiques (173), des états ressentis (174) ou encore des sentiments (175)138 :
(173) a. Marie a ressenti une irritation au niveau de la gorge
b. Marie a ressenti une vive brûlure dans l’œsophage
c. Marie a éprouvé une sensation de gêne au niveau du pharynx
(174) a. Marie a ressenti une immense tristesse en entendant les premiers
accords de cette symphonie
b. Marie a ressenti de l’agacement dès qu’elle l’a aperçu
c. Marie a éprouvé de l’énervement en entendant ce type critiquer
vertement sa sonate préférée
(175) a. Marie a éprouvé de la haine pour la première fois de sa vie
lorsqu’elle a compris ce qui se tramait depuis des mois
b. Marie a éprouvé de l’admiration pour son père jusqu’à ce jour
fatidique où elle a compris qu’il était un imposteur
c. Marie n’avait jamais ressenti un amour aussi fort
Les cas où l’on peut employer éprouver et non ressentir ou vice versa sont rares et varient en
fonction des locuteurs. Il semble que les sensations physiques s’accommodent plus aisément
de ressentir sans toutefois exclure éprouver, mais nous ne sentons pas pour notre part de lien
privilégié entre les états ressentis et l’un des deux verbes supports. Les sentiments ont peut-
être une plus grande affinité avec éprouver mais rien n’est sûr et il est suffisant pour nous de
savoir qu’un nom se combinant avec l’un et/ou l’autre de ces verbes supports dénote une
situation stative.

138
Nous adoptons ici le classement des noms statifs de Van de Velde (1995) repris de manière synthétique dans
Flaux et van de Velde (2000). Les états, quand ils sont ressentis, cessent d’être des états pour dénoter des affects,
incompatibles avec la structure dénominative état de : *ressentir un état de grande inquiétude ,cf. Van de Velde
(à paraître). On peut éventuellement réunir les sentiments et les états ressentis sous l’égide des émotions ou
encore des affects (Flaux et Van de Velde 2000 : 88).

93
Ce test est partiel puisqu’il existe des situations statives qui ne peuvent pas être
ressenties ou éprouvées, comme par exemple ce que Van de Velde appelle les qualités (e.g.
l’intelligence, la générosité, la gentillesse, etc).
Nous proposons la généralisation suivante :
(176) Un nom qui peut suivre éprouver et/ou ressentir dénote une situation
stative (et ce, quel que soit l’éventuel lien morphologique de ce nom
avec des lexèmes appartenant à d’autres catégories grammaticales,
notamment des verbes ou adjectifs).
3.1.2.2. Avoir
Le verbe avoir peut servir de verbe support139 à beaucoup de noms abstraits statifs :
(177) Pierre a (du courage / de la patience / de la pudeur)
(178) Pierre a (du dépit / de l’émotion / de la tristesse)
(179) Pierre a de (la haine contre son père / l’amour pour sa mère /
l’admiration pour son oncle)
Il s’instaure entre le sujet et la qualité (177), l’état (178) ou le sentiment (179) dénoté par le
nom statif une relation de possession, relation stative. Le verbe support avoir est
particulièrement intéressant pour prouver la stativité des noms dénotant des qualités car
celles-ci ne peuvent pas être ressenties ou éprouvées. Ce test s’applique donc à un spectre plus
large de noms statifs.
Cependant, certaines qualités physiques restent exclues :
(180) ?? Pierre a de la (beauté / maigreur / pâleur)
Toutefois, on peut dire :
(181) Pierre a une (beauté singulière / maigreur qui m’effraie / pâleur)
impressionnante
De même, certaines qualités psychiques, employées avec avoir donnent des énoncés dont
l’acceptabilité est douteuse :
(182) ?? Pierre a de la (bizarrerie / désinvolture / stupidité)
On peut alors recourir à une autre structure proposée par Van de Velde (1995a), qui repose
elle aussi sur le verbe support avoir :
(183) Il y a en Pierre une grande (bizarrerie / désinvolture / stupidité)
Dans ce cas, avoir pose entre le sujet et la situation stative une relation de localisation, elle
aussi stative140.

139
Le verbe avoir a divers emplois parmi lesquels un emploi de verbe support (i.e. un emploi dans lequel la
prédication est portée par le nom introduit par avoir). Pour une illustration de l’emploi de avoir comme verbe
support, cf. G. Gross (1996 : 58-60).

94
Les tests employant le verbe avoir doivent être manipulés avec quelques précautions
puisque ce verbe a une distribution large et accepte les noms concrets :
(184) Pierre a une voiture
Mais il suffit alors de préciser que nous excluons les noms concrets. Il faut encore ajouter une
contrainte : le rapport instauré par avoir entre le nom et le sujet doit être un rapport de
possession (ou de localisation, cf. (183)), afin d’exclure un cas comme (185) :
(185) La rouille a une action corrosive sur le métal
Il paraît difficile de classer le nom action parmi les noms statifs, et en effet l’exemple (185) a
pour paraphrase (186) et non (187) :
(186) La rouille exerce une action corrosive sur le métal
(187) ?? La rouille possède une action corrosive sur le métal
On obtient la généralisation suivante :
(188) Si un nom abstrait peut entrer dans la structure (i) avoir Det N, où
avoir signifie « posséder », et/ou la structure (ii) avoir en soi un(e)
grand(e) N, alors ce nom dénote une situation stative, sinon, on ne
peut pas conclure.
Les tests à verbes supports (éprouver / ressentir et avoir) sont quasiment les seuls tests de
stativité nominale141, la plupart des tests mettent en évidence la dynamicité des situations. En
effet, tout se passe comme si la dynamicité était une propriété saillante alors que la stativité
serait le pendant non marqué de l’opposition.
Les verbes supports de stativité et de dynamicité ne permettent pas d’embrasser la classe
entière des noms prédicatifs pour les classer en noms dynamiques (ou plus précisément
« noms ayant un emploi dynamique ») et noms statifs (ou plus précisément, « noms ayant un
emploi statif »), néanmoins ce sont des tests relativement simples à appliquer, reconnus, qui
fonctionnent avec un nombre important de noms. D’autres tests existent, notamment des tests
permettant de montrer qu’un prédicat est employé dans un sens processif (donc dynamique).

140
Les relations de possession et de localisation sont largement reconnues comme étant statives, (cf. par exemple
Lyons [1968/1970] : 304).
141
Il en existe au moins un autre. Il s’agit d’un test métalinguistique basé sur le principe des structures
dénominatives (Kleiber 1985, Van de Velde 1995a), qui consiste à faire précéder le nom que l’on souhaite tester
de état de ou de sentiment de. Si un nom peut suivre état de il dénote un état, s’il peut suivre sentiment de il
dénote un sentiment. Le fait pour un nom de refuser ce test ne prouve rien. L’intérêt d’ajouter ce test à éprouver
et ressentir est d’une part que certains états physiques l’acceptent alors qu’il refusent les verbes supports (e.g.
Pierre est dans un état de décrépitude avancée vs * Pierre ressent / éprouve de la décrépitude) et d’autre part,
cela permet de distinguer entre états et sentiments, ce que ressentir et éprouver ne permettent pas.

95
3.2. Les prédicats révélateurs de processivité
Les prédicats d’action peuvent être envisagés de l’intérieur, dans leur durée, c’est grosso
modo ce qu’on appelle leur lecture processive (ou actionnelle) ; ils peuvent également avoir
une lecture événementielle dans laquelle l’action est présentée comme un tout ponctuel, sa
durée passant au second plan.

3.2.1. Durer (x temps)


On pourrait être tenté de lier les notions de durativité et de dynamicité en disant qu’un
prédicat duratif est forcément dynamique142. Pourtant, il n’en est rien, car, comme le
remarque par exemple Anscombre, « les nominaux désignant des états, des activités et des
accomplissements peuvent être combinés avec le verbe durer » (2005 : 107). En effet, la
notion qui assure la dynamicité d’un prédicat est celle de déroulement et le déroulement ne
suppose pas seulement une durée, mais bien plus, une succession, une structuration
temporelle interne143. Ainsi, la possibilité pour un nom d’être sujet du prédicat durer (x temps)
ne garantit pas la dynamicité :
(189) a. La tristesse durera toujours144
b. * La tristesse de Pierre s’est déroulée en février145
La tristesse, précédemment catégorisée parmi les prédicats statifs en vertu de sa compatibilité
avec les verbes supports éprouver et ressentir peut se voir attribuer une durée, ce qui confirme
que la durée n’implique pas systématiquement la dynamicité, mais elle ne peut pas se
dérouler.
Néanmoins, tous les statifs n’acceptent pas ainsi de se voir attribuer une durée. Alors
que ceux décrivant des sentiments (190) et des états (191) reçoivent aisément une durée, ceux
décrivant des qualités ne le peuvent pas (192) :
(190) a. L’amour de Pierre pour Marie n’aura duré qu’un mois
b. Sa haine dure depuis des décennies, tu ne l’apaiseras pas par
quelques mots tracés à la va vite
c. Son admiration pour l’armée s’est arrêtée net le jour où il fut
appelé pour aller guerroyer
(191) a. Notre joie de le retrouver n’aura duré qu’un instant : quelques
minutes après l’annonce de cette bonne nouvelle, il sombra à

142
C’est ce que semble faire Kiefer qui explique qu’un substantif dénote un événement s’il est compatible avec
un verbe aspectuel. Or, il classe le verbe durer parmi les verbes aspectuels, il ajoute même que durer est le verbe
aspectuel le plus important. (1998 : 56)
143
Il ne faut pas oublier que certains prédicats dynamiques sont dépourvus de déroulement et donc de durée. Ce
sont les achèvements de Vendler (1967).
144
Cette phrase est attribuée à Vincent Van Gogh dans le film A nos amours de Maurice Pialat.
145
Comme le signale Recanati & Recanati, « un état peut durer mais ne se déroule pas » (1999 : 173).

96
nouveau dans un coma profond
b. Sa maladie dura trois longs et pénibles mois, mais il est
aujourd’hui complètement guéri
c. Le désarroi ne dure pas, seule la tristesse sincère demeure
(192) a. * L’intelligence de Pierre n’aura duré qu’un instant
b. ?? La générosité de Pierre dure depuis si longtemps : nous ne
pouvions envisager qu’elle finirait un jour
c. ? La gentillesse de Marie durera quelques mois puis tu
découvriras son vrai visage
Cela est prévisible si l’on se souvient que la différence conceptuelle entre les états et les
qualités tels que Van de Velde les conçoit est une différence de rapport avec le sujet. Alors
que le sujet traverse ses états (pendant un certain temps), les qualités sont définitionnelles du
sujet, elles font partie de lui intrinsèquement (pour toujours146).
Puisqu’un certain nombre de prédicats statifs peuvent très naturellement se voir
attribuer une durée, il n’est pas possible de conserver ce test comme un test de dynamicité. Il
faut l’utiliser pour ce qu’il est : un test sur la durativité des prédicats.

3.2.2. La préposition de temps pendant


3.2.2.1. Description sémantique de pendant et restrictions
aspectuelles
Concernant la description de pendant, nous nous baserons sur les travaux de Berthonneau
(1989), qui analyse les propriétés sémantiques des prépositions temporelles. Afin de mettre en
lumière le fonctionnement de la préposition temporelle pendant, l’auteur observe les grands
types de compléments temporels que cette préposition peut fonder. Elle en distingue deux :
(193) Pierre a dormi pendant deux heures
(194) Pierre a dormi pendant la journée
L’exemple (193) illustre la séquence « pendant + quantité », le complément dénote alors une
« durée », i.e. un intervalle saturé par le procès (Berthonneau 1989 : 639). Le procès sature
l’intervalle s’il « recouvre nécessairement l'intervalle » (Berthonneau 1993). Et en effet, en
(193), l’extension de dormir recouvre nécessairement l’intervalle de temps deux heures sans

146
Ce « pour toujours » ne doit pas être compris de manière absolue mais bien de manière relative. En effet, on
peut avoir la qualité intelligent puis la perdre, conséquemment, c’est le sujet entier qui voit son identité
modifiée :
(i) Pierre était un enfant intelligent mais il est devenu un homme bête
Nous pouvons dire (i) car le sujet Pierre a changé (ses qualités définitionnelles ayant elles-mêmes été modifiées).
« Pour toujours » vaut tant que le sujet ne change pas. Et c’est justement parce que le sujet peut évoluer (des
qualités peuvent être perdues ou ajoutées) que les énoncés mettant en jeu des noms de qualités donnent des
acceptabilités variables selon les contextes (cf. (192)).

97
le dépasser et chacun des points de l’intervalle est validé par le procès. On peut mettre cela en
évidence par l’impossibilité d’avoir une itération du procès à l’intérieur de l’intervalle :
(195) J’ai parlé à Paul trois fois pendant deux heures
Il n’y a pas trois discussions dans l’intervalle de deux heures mais trois intervalles de deux
heures saturés chacun par le procès « discussion » soit six heures de discussion en tout.
De plus, il est impossible de prélever une quantité discrète sur l’intervalle :
(196) * J’ai dormi cinq minutes pendant deux heures
(194) illustre la séquence « pendant + Det défini + nom temporel ». Dans ce cas, le
complément de temps dénote un espace de temps, i.e. « l’intervalle n’est pas nécessairement
saturé par le procès » (Berthonneau 1989 : 647). On peut spécifier l’extension du procès :
(197) Pierre a dormi trois heures pendant la journée
Il y a localisation du procès à l’intérieur de l’espace de temps dénoté par pendant la journée.
Une interprétation où le procès dormir a occupé toute la journée est possible mais si l’on
souhaite que cette seconde interprétation l’emporte sans ambiguïté il faut ajouter tout, qui
assure la saturation de l’intervalle par le procès. Le complément dénote alors une durée147 :
(198) Pierre a dormi pendant toute la journée
On peut mettre en évidence les deux interprétations de pendant avec un nom défini en
reprenant les tests ci-dessus :
(199) Pierre a téléphoné trois fois pendant la matinée
Cet exemple peut recevoir deux interprétations :
(i) Itération dans l’intervalle (ce qui prouve qu’on a un espace de temps et pas une
durée)
(ii) Itération de l’intervalle avec lecture générique du "la"
Dans les deux interprétations on a affaire à un espace de temps et pas à une durée car même
dans le cas de l’itération de l’intervalle, celui-ci peut être, mais pas nécessairement, saturé par
le procès.
L’interprétation du complément de temps introduit par pendant dépend du type de SN
introduit. On a une interprétation de durée avec un SN dénotant une quantité, et une
interprétation d’espace de temps avec un nom temporel défini. Les deux interprétations que
peut recevoir le complément en pendant montrent que cette préposition construit un intervalle
fermé. En effet, l’espace de temps comme la durée sont des intervalles du temps (et non des
points du temps). De plus, cet intervalle est borné, comme le prouve la saturation de

147
L’ajout de tout permet de donner l’extension du procès comme une quantité et construit alors une durée.
Berthonneau parle dans ce cas « compacisation de l’espace de temps » (1989 : 198).

98
l’intervalle par une quantité (si l’intervalle était ouvert, la quantité ne provoquerait pas cette
saturation). Dans le cas de l’espace de temps, la possibilité de saturer l’intervalle en ajoutant
tout prouve son caractère borné148. Nous pouvons donc dire que les compléments de temps en
pendant, qu’ils renvoient à une durée ou à un espace de temps, sont des intervalles fermés à
droite et à gauche.
La structure qui nous intéresse (pendant suivi d’un nom prédicatif) dénote un espace
de temps (et non une durée, puisque le nom prédicatif ne saurait être assimilé à une quantité).
Puisque pendant fonde un intervalle fermé à droite et à gauche, cette préposition sélectionne
un argument qui doit avoir une extension temporelle délimitée149 (ou au moins dont le référent
peut être traité par la langue comme en ayant une). On remarque que, contrairement à ce qui
se passe avec durer, seuls les noms prédicatifs dynamiques peuvent être argument de
pendant :
(200) a. Pendant la promenade, Pierre n’a pas dit un mot
b. Les manifestants ont distribué du maïs bio pendant la
manifestation contre les OGM
c. Pendant la réparation de sa voiture, Pierre est allé se promener
dans le quartier
(201) a. * Pendant sa haine envers son père, Pierre refusait de le voir
b. * Pierre et Marie ne voulaient plus voir personne pendant leur
amour
c. * Pendant leur haine des arts martiaux, Pierre et Joël ont boycotté
tous les meetings où il y en avait
(202) a. * Pendant sa tristesse, Pierre n’a voulu voir personne
b. * Pendant sa mélancolie, Marie a beaucoup pleuré
c. * Pierre avait l’air très malheureux pendant sa consternation
(203) a. * Pierre a beaucoup parlé pendant son intelligence
b. * Pendant son habileté, Pierre a réalisé des exploits
c. * Pendant son ignominie, Pierre ne s’est pas rendu compte qu’il
perdait tous ses amis un à un
Qu’ils soient de sentiments (201), d’états (202), ou de qualités (203), les noms qui acceptent
les verbes supports révélateurs de stativité (avoir, éprouver, ressentir), ne peuvent pas être

148
En effet, avec une préposition qui fonde un intervalle ouvert comme dans, l’ajout de tout n’est possible que
s’il ne provoque pas de saturation de l’intervalle :
(i) Paul m’a téléphoné deux fois dans toute la matinée
(ii) * Paul est arrivé dans toute la matinée
Alors que (ii) est agrammatical car il y a incompatibilité entre tout et la saturation d’un intervalle ouvert, (i) est
correct car on a une itération du procès dans l’intervalle sans saturation de l’intervalle. Les exemples (i) et (ii) et
leur analyse sont empruntés à Berthonneau (1989 : 682-683).
149
Nous employons le terme « extension temporelle » pour signifier ce que nous appelons ordinairement
« durée », afin de ne pas créer d’ambiguïté avec l’utilisation que Berthonneau fait de ce terme.

99
arguments de pendant. Peut-on en déduire que pendant ne sélectionne son argument interne
que parmi les prédicats dynamiques ?
3.2.2.2. Pendant et les noms statifs
Comme nous l’avons noté au §1.2, les noms de qualités font partie des situations statives
n’ayant aucun rapport au temps :
(204) * L’(habileté / ignominie / intelligence) de Pierre a duré une heure
Par conséquent, la durativité et la télicité qui semblent requises pour qu’un nom puisse servir
d’argument à la préposition pendant font nécessairement défaut aux noms de qualités :
(205) * Pendant son (habileté / ignominie / intelligence), Pierre PRED
La mention PRED remplace n’importe quel prédicat.
Concernant les noms d’états et de sentiments, puisqu’ils ont un rapport au temps, il
faut se demander pour quelle(s) raison(s) ils ne peuvent généralement pas être arguments de
pendant :
(206) * Pendant (son / sa) (amour / jalousie / haine), Pierre a perdu cinq
kilos
(207) a. * Pendant (son / sa) (agacement / fureur / inquiétude / irritation /
tristesse ) Pierre PRED
b. Pendant (sa maladie / sa dépression), Pierre a perdu cinq kilos150
Ce n’est pas la durée qui semble leur faire défaut puisque les noms d’états et ceux de
sentiments sont compatibles avec le prédicat durer (cf. (190) et (191)). Peut-être sont-ils
dépourvus de délimitation ?
Vendler (1967) et les linguistes néo-vendleriens classent généralement les verbes
statifs parmi les prédicats atéliques et, plus largement dans la littérature, les statifs sont
souvent rapprochés des activités pour leur caractère commun d’atélicité. Pour vérifier ce
point, nous allons tenter d’appliquer le principal test proposé par Vendler (1967) permettant
de juger de l’(a)télicité d’un verbe : celui des compléments de temps en en vs pendant. En
effet, ce test est parfois présenté comme transposable tel quel dans le domaine nominal (cf.
entre autres Garey 1957, Kenny 1963/[1994], Grimshaw 1990, Leeman 1999a). Grimshaw
(1990 : 58) propose notamment l’exemple suivant :
(208) The examination of the paper in three hours
De même, en français, certaines nominalisations sont compatibles avec les compléments de
temps :

150
Aucun nom de sentiment ne peut servir d’argument à pendant. Concernant les noms d’états, ceux qui peuvent
être arguments de pendant sont largement minoritaires, nous ne les traiterons donc pas pour le moment, nous y
reviendrons brièvement dans l’introduction du chapitre 3.

100
(209) a. Le bombardement de la ville par les alliés (pendant / ?? en) trois
heures (a engendré d’importants dégâts)
b. La réparation de cette voiture (en moins de trois heures est une
utopie / ? pendant trois heures n’a servi à rien)
Selon Grimshaw, la possibilité d’avoir un complément de temps (qu’il soit introduit par in ou
for) prouve qu’on a affaire à un événement complexe. Suivant la même idée mais travaillant
sur le français, Van de Velde a montré que les compléments circonstanciels de temps ne sont
compatibles qu’avec les nominalisations inachevées, c’est-à-dire les nominalisations qui ont
des propriétés de phrase (2006 : 131). Il suffit alors d’observer lequel des compléments de
temps est autorisé pour en déduire la nature [± borné] du nom. Ainsi, en (209)a, seul le
complément de temps en pendant est autorisé, bombardement est donc dans cet exemple
atélique, en (209)b, le complément de temps en en est autorisé ce qui nous permet de conclure
que la réparation (de cette voiture) dénote une situation télique.
Malheureusement, avec les noms d’états et de sentiments, le test des compléments de
temps n’est pas valide : en effet, ces noms sont des nominalisations achevées or ce type de
nominalisations se comporte comme des noms ordinaires et refuse les compléments
circonstanciels de temps, qu’ils soient introduits par en ou pendant :
(210) a. ?? L’amour de Marie pendant dix ans n’a pas empêché Pierre de
se suicider
b. * L’amour de Marie en dix ans n’a pas empêché Pierre de se
suicider
(211) a. * La tristesse de Pierre pendant trois heures n’empêchera pas
Paul de partir demain
b. * La tristesse de Pierre en trois heures n’empêchera pas Paul de
partir demain
Il nous faut donc chercher ailleurs que dans le test des compléments de temps un moyen de
déterminer la nature [± borné] des états et des sentiments. Or, ces noms ont en commun de
pouvoir être indénombrables :
(212) a. ressentir de (la / l’) (agacement / fureur / inquiétude / irritation /
tristesse)
b. éprouver de (la / l’) (amour / jalousie / haine)
Les noms indénombrables dénotent des entités sans limites, qui, par conséquent, ne peuvent
pas servir de mesure :
(213) a. Pierre a séduit Marie en deux promenades
b. * Pierre a ému Marie en deux tristesses
c. * Pierre a détruit les bonnes relations qu’il avait avec son père en
deux jalousies

101
Le contraste observé en (213) confirme que les noms d’états et de sentiments sont
fondamentalement indénombrables151. Ils renvoient donc à des entités non délimitées, i.e.
atéliques152.
On peut conclure que les situations dénotant des sentiments et la plupart de celles
dénotant des états sont atéliques, elles ne présentent donc pas le caractère [+ borné] qu’un
nom doit nécessairement posséder pour servir d’argument à pendant. On en déduit la
généralisation suivante :
(214) Si un nom peut servir d’argument à la préposition temporelle
pendant, alors il dénote une situation télique. Les situations téliques
sont, dans leur immense majorité des situations dynamiques.
Nous ne pouvons aller plus loin en affirmant qu’un nom qui peut suivre pendant est
nécessairement dynamique puisqu’il existe quelques noms d’états qui peuvent occuper cette
place.

3.3. Les prédicats événementiels : se produire, survenir, avoir lieu


Il existe un petit groupe de verbes153 qui prennent pour sujet des « noms d’événements »154.
Lorsqu’un nom d’action est employé pour dénoter un événement, l’information importante
n’est plus l’action prise dans son déroulement mais sa survenance, sa venue au monde.
Certains verbes tels que se produire, survenir, avoir lieu activent la lecture événementielle
des noms d’actions qui autorisent une telle lecture :
(215) a. L’accident est survenu à l’aube
b. La noyade a eu lieu ce matin
c. Le crime s’est produit hier
(216) a. La promenade a eu lieu à l’aube
b. La réparation de la voiture n’aura pas lieu avant samedi prochain
c. La construction a eu lieu dans les années 70
Les trois verbes survenir, avoir lieu et se produire n’ont pas la même distribution car ils sont
sensibles à d’autres traits aspectuels que l’opposition statif / dynamique. Etant donné que dans

151
Néanmoins, ces noms connaissent un emploi dénombrable dans lequel ils peuvent recevoir une délimitation
(et donc une durée) :
(i) a. La tristesse de Pierre a duré trois jours
b. La haine de Pierre contre son père dure depuis des lustres
152
Sur le lien entre détermination et aspect (a)télique cf. chapitre 4, §2.2.2.
153
Parmi eux, on trouve avoir lieu et se produire que Balibar-Mrabti (1990 : 68 et ss) appelle justement des
« verbes supports d’occurrence d’événement ». Sur l’emploi de ces verbes pour discriminer les événements, cf.
entre autres Godard et Jayez (1996), G. Gross (1996 : 60), Daladier (1999 : 92), Gaatone (2004), Jacquey (2006 :
142).
154
Il n’existe pas à proprement parler de « noms d’événements ». Les noms qui dénotent des événements sont
sont très majoritairement des noms d’actions qui reçoivent dans certains contextes une interprétation
événementielle.

102
ce chapitre seule cette opposition nous intéresse, vérifier qu’un nom peut être le sujet de l’un
des trois nous suffit. Vérifions si les noms statifs sont bien exclus en tant que sujets de ces
verbes :
(217) a. (L’agacement / la colère / la dépression / la tristesse) de Pierre est
survenu(e) d’un coup
b. Pourquoi ( ?? l’agacement / ? la colère / la dépression / ?? la
tristesse) de Pierre s’est-(il / elle) produit(e) ?
c. (* L’agacement / * la colère / ? la dépression / * la tristesse) de
Pierre a eu lieu il y a trois jours
(218) a. * L’amour de Pierre pour Marie est survenu hier
b. * L’amour de Pierre pour Marie s’est produit hier
c. * L’amour de Pierre pour Marie a eu lieu hier
(219) a. * L’intelligence de Pierre est survenue hier
b. * L’intelligence de Pierre s’est produite hier
c. * L’intelligence de Pierre a eu lieu hier
Comme l’illustrent (218) et (219), les noms de sentiments et de qualités n’ont jamais de
lecture événementielle et sont par conséquent toujours incompatibles avec les prédicats
événementiels. En revanche, comme l’a montré Van de Velde (2006), il existe quelques noms
d’états (ceux-là mêmes qui peuvent être arguments de pendant) capables de dénoter des
événements (cf. (217)). Ils sont alors compatibles avec les prédicats événementiels155. On
remarque que le prédicat avoir lieu est celui qui tolère le moins facilement de prendre pour
sujet un nom d’état. Nous n’avons trouvé que dépression et maladie qui soient relativement
bien acceptés à cette position. Si on exclut ces deux noms, on peut donc considérer que avoir
lieu est un bon test de dynamicité. Se produire, bien qu’un peu moins restrictif qu’avoir lieu,
est également un bon indice de dynamicité. En revanche, survenir accepte un plus grand
nombre de noms d’états, il est préférable de ne pas l’employer comme test de dynamicité. Par
conséquent, nous adoptons la généralisation suivante :
(220) Un nom employé comme sujet des prédicats avoir lieu ou se
produire dénote un événement. Les noms pouvant dénoter des
événements sont presque tous dynamiques.

3.4. Conclusion partielle


Nous n’avons classé les tests reposant sur l’emploi de verbes supports ni parmi les tests de
processivité (§3.2) ni parmi ceux d’événementialité (§3.3). Les différentes conclusions
auxquelles nous sommes parvenue au fil de la présentation et du commentaire des méthodes
utilisables pour déterminer si un nom est dynamique ou statif nous permettent désormais de

155
Lorsqu’un nom d’état est employé de manière événementielle c’est en fait le passage du non état à l’état qui
survient ou se produit.

103
justifier ce choix. En effet, les verbes supports sélectionnent la lecture actionnelle des noms
dynamiques (221) sans toutefois bloquer la lecture événementielle (222) :
(221) Pierre a fait une promenade qui a duré trois heures
(222) Demain, Pierre fera une promenade qui aura lieu certainement vers
14 heures
Le choix de distinguer entre les tests portant sur la processivité et ceux portant sur
l’événementialité relève d’un souci de clarté. En effet, les propriétés aspectuelles intrinsèques
(son aspect lexical) d’un nom d’action sont les mêmes que ce nom soit utilisé comme nom de
procès ou comme nom d’événement. Procès et événement sont deux visées (aspect
grammatical) qui mettent en valeur des propriétés différentes et peuvent indûment faire croire
à des changements de propriétés aspectuelles du nom lui-même :
(223) a. La manifestation a eu lieu à 14 heures
b. * La manifestation a eu lieu pendant deux heures
c. ?? La manifestation a eu lieu de 14 à 16 heures
d. Pendant la manifestation qui a duré de 14 à 16 heures (Pierre a
beaucoup marché)
e. * Pendant la manifestation (à / de)14h, (Pierre a beaucoup
marché)
f. Pendant la manifestation qui a eu lieu le cinq octobre, (Pierre a
beaucoup marché)
Dans sa lecture événementielle (223)a, manifestation semble dépourvu de durée (cf. (223)b-c)
alors que dans sa lecture processive (223)d, manifestation a une durée et ne semble plus
ponctualisable (223)e. Que dire alors ? Que manifestation est un nom [+ durée] dans sa
lecture processive et [- durée] dans sa lecture événementielle ? Cette solution ne pose pas en
soi de problème puisqu’il n’y a pas d’impossibilité à faire reposer une polysémie sur la
variation d’un trait aspectuel156. Pourtant, cette solution est mise à mal par l’énoncé (223)f
dans lequel manifestation a simultanément une lecture événementielle (présence de avoir lieu)
et une lecture processive (présence de pendant). Nous pensons que ces deux lectures ne
relèvent pas du phénomène de polysémie mais peuvent être activées séparément ou, au
contraire, neutralisées selon les contextes (Van de Velde 2006 : 15-16). La lecture
événementielle représente la durée de l’action durative comme un simple point de la même
manière que le passé composé peut favoriser une saisie globale du prédicat verbal :
(224) Pierre s’est promené, puis il a mangé, maintenant il dort
Dans cet énoncé, les actions duratives se promener et manger se voient réduites à un point du
temps par le jeu de l’aspect grammatical (utilisation d’un temps ponctuel), et il ne viendrait à

156
On peut se rappeler à ce sujet le verbe admirer qui a un sens dynamique de perception et un sens statif de
sentiment (cf. §2.1.2).

104
personne l’idée de dire que se promener et manger sont intrinsèquement des actions
ponctuelles. Il en va de même dans le domaine nominal. Il faut attribuer les propriétés
aspectuelles aux noms d’actions dans leur emploi neutre d’action et considérer que les
variations aspectuelles observables entre lecture processive et lecture événementielle ne
relèvent pas de leur aspect lexical. Concrètement, on prendra garde de ne pas attribuer le trait
aspectuel [± durée] aux noms d’actions en lecture événementielle mais bien en lecture
processive.
Nous allons maintenant évoquer une classe de verbes très particulière : celle des
(semi)-auxiliaires. Nous commencerons par définir formellement cette classe (afin de la
distinguer des verbes supports d’une part et de celle des verbes pleins d’autrs part). Puis nous
verrons si ces auxiliaires peuvent nous être utiles pour distinguer entre prédicats dynamiques
et prédicats statifs.

4. Les périphrases aspectuelles


Dans cette partie nous souhaitons examiner les tests exploitant les propriétés de sélection des
« expressions aspectuelles ». Le recours au terme expression signale l’existence de
divergences de classement entraînant un flou terminologique autour des structures que nous
voulons utiliser comme tests de l’opposition statif / dynamique, e.g. commencer à, être sur le
point de, venir de, être en train de, finir de, etc.
Ces « expressions aspectuelles » sont connues sous les noms d’auxiliaire aspectuel, de
semi-auxiliaire, d’opérateur aspectuel, de périphrase aspectuelle, de verbe support (d’aspect),
etc., et les réalités que chaque étiquette recouvre varient d’un linguiste à l’autre. Un tableau
permettra d’illustrer ce point (cf. p.107-108). Dans ce tableau nous présentons les
terminologies adoptées par quelques linguistes travaillant sur les « expressions aspectuelles »
en français. D’autres chercheurs auraient bien sûr pu y figurer.

105
Auteurs Appellations utilisées Quelques caractéristique et définitions
M. Gross (1975) -verbes opérateurs : avoir, faire, porter Verbes opérateurs
-N’introduisent pas (ou de manière régulière) de changement
de sens dans la phrase de départ.
-La séquence Vop + forme nominalisée est mise en relation
avec un verbe (e.g. caresser → faire des caresses) (1975 : 107
et ss).
M. Gross (1996a) -verbes aspectuels : devenir, demeurer, Auxiliaires
rester -Sémantiquement, « l’auxiliaire a un rôle sémantique
-verbes auxiliaires : continuer à, finir de, secondaire » et ne fait « qu’introduire des précisions (ou
commencer à modalités) pour le procès principal » (1999 : 8).
-Formellement, les auxiliaires sont des verbes qui
n’introduisent pas de sélection entre le sujet et l’infinitive.
M. Gross (1999) -verbes aspectuels ou verbes auxiliaires :
continuer à, finir de, commencer à + Vinf Verbes aspectuels (auxiliaires et supports)
-verbes supports d’aspect ou verbes -Ils indiquent la phase de déroulement du procès principal.
auxiliaires : commencer + nominalisation -Ils ont une fonction d’auxiliaire s’ils introduisent une forme
verbale (participe passé ou Vinf).
-Ils ont une fonction de support s’ils introduisent une forme
nominale (nominalisation).
Rq : Un même verbe aspectuel peut avoir les deux fonctions
(auxiliaire et support), e.g. commencer (à).
Lamiroy (1987) -verbes aspectuels : commencer à, finir de, Verbes aspectuels
continuer à, cesser, être sur le point de, -« Verbs that express initiation, continuation or cessation of a
arrêter de, être en train de, se mettre à situation » (1987 : 278).
Lamiroy (1994) -verbes auxiliaires ou semi auxiliaires : -Ils n’imposent pas de restriction de sélection à leur sujet.
pouvoir, venir de, se mettre à Verbes auxiliaires
-Ils peuvent être suivis d’un Vinf mais pas d’une complétive.
Lamiroy (1999) -verbes auxiliaires : commencer à, terminer -La classe des verbes auxiliaires est hétérogène, les propriétés
de des auxiliaires dépendent de leur degré de grammaticalisation
(1999 : 38).

106
Daladier (1996) -verbes supports : (prendre, commencer) + Verbes supports
nom -« Simples porteurs de morphologie de conjugaison verbale,
-verbes auxiliaires : (pouvoir, commencer à, sans rôle prédicatif » (1996 : 41).
envisager, continuer à, oser, aller, se mettre -Ils conjuguent des noms d’action : « les constructions à
à, avoir à) + Vinf supports permettent d’asserter à des temps finis des éléments
-opérateurs aspectuels : cf. verbes de la table lexicaux prédicatifs sans flexion de temps. » (1999 : 87).
1 de M. Gross (1975 : 234-236) -Ils ne possèdent pas de contenu lexical.
-semi-auxiliaire : commencer à -Ils ne sont pas combinables entre eux.
-Il y a coréférence entre le sujet du verbe et du prédicat
nominal.
Opérateurs aspectuels
Daladier (1999) -verbes supports = auxiliaires : être en plein, -Ils ont un sens lexical plein.
être dans, faire un brin de, faire du, être en -Ils sont combinables entre eux.
train de, être en voie de, être en passe de Auxiliaires
-semi-auxiliaires = verbes de la table 1 de -Ils introduisent des prédicats verbaux.
M. Gross (1975 : 234-236) : achever de, -Ils servent de conjugateur.
aller, cesser de, commencer à, finir de, Rq : On peut appeler les verbes supports « auxiliaires » à
hésiter à, passer pour, risquer de, tarder à, condition de spécifier qu’ils fonctionnent avec des prédicats
etc. nominaux.

Laca (2003, 2005) -périphrases aspectuelles d’aspect Périphrases aspectuelles d’aspect syntaxique
syntaxique : aller, venir de, être en train de -Elles expriment une relation temporelle.
-périphrases aspectuelles de modification -Elles sont non récursives (non-combinables entre elles).
d’éventualité : être sur le point de, cesser -Elles imposent peu de restrictions de sélection.
de, finir de, arrêter de, commencer à, -Elles n’acceptent pas tous les temps verbaux.
continuer à Périphrases aspectuelles de modification d’éventualité
-Elles expriment une phase de l’éventualité.
-Elles sont récursives (combinables entre elles).
-Elles imposent diverses restrictions de sélection.
-Elles acceptent tous les temps verbaux.

107
Au fil de ses travaux, un linguiste peut adapter sa terminologie, un terme en remplace un autre
selon le thème particulier de l’article et/ou l’évolution de la recherche menée. Il est des cas où
l’auteur emploie deux termes de manière quasi-synonymique, mais d’autres où la
terminologie elle-même fait l’objet d’une réflexion. M. Gross (1999), par exemple, souligne
que la différence entre les verbes supports et les auxiliaires est principalement que les
premiers servent de conjugateurs aux noms alors que les seconds conjuguent des verbes mais
que fondamentalement « ils ont une fonction qui les apparente aux auxiliaires, en particulier
quand ils introduisent des notions aspectuelles. Mais le terme d’auxiliaire ne leur est jamais
appliqué » (1999 : 15). Par conséquent, M. Gross emploie tantôt le terme auxiliaire, tantôt le
terme verbe support mais pas toujours de manière différenciée. Daladier (1996) arrive en
partie à la même conclusion que M. Gross et considère que les verbes supports peuvent être
appelés « auxiliaires » si l’on précise qu’ils auxilient des noms et non des verbes. En
revanche, appeler « auxiliaires » ce qu’elle nomme les « opérateurs aspectuels » et qui
correspondent aux verbes de la table 1 de M. Gross (1975 : 234-236) est selon elle un « choix
malheureux » (Daladier 1996 : 37)157. Qu’ils soient l’objet même de la réflexion ou des
étiquettes permettant de mener une étude, les termes choisis et les définitions qui leur sont
associées ont une importance cruciale. Les choix terminologiques doivent être d’autant plus
explicites qu’il existe un nombre important de termes voisins pour évoquer les mêmes
structures, comme cela est le cas pour nos « expressions aspectuelles ». Une brève analyse
syntaxique des structures qui nous intéressent nous aidera à faire ce choix.

4.1. Statut syntaxique des « choses aspectuelles »


Lamiroy propose d’étudier les verbes aspectuels158 à la lumière de la théorie de la
grammaticalisation159. Selon elle, la classe des auxiliaires est hétérogène car les différents
éléments qui la composent en sont à des stades différents de leur grammaticalisation, ce qui
engendre une grande diversité dans leurs propriétés syntaxiques. Lamiroy (1987) utilise
l’opposition entre verbes à montée du sujet et verbes à contrôle du sujet pour montrer que les
verbes aspectuels ont des propriétés hybrides, i.e. qu’ils mélangent des propriétés des verbes à

157
M. Gross dit au contraire que les verbes de la table 1 peuvent être appelés « auxiliaires » si on entend par
auxiliaires des « verbes qui n’introduisent pas de sélection entre le sujet et l’infinitive » (1999 : 9).
158
Comme indiqué dans le tableau, les verbes que Lamiroy appelle « aspectuels » dans son article de 1987 sont
ensuite appelés « auxiliaires » dans les articles suivants (1994, 1999). On peut considérer que ces deux
appellations sont employées de façon quasi-synonyme par l’auteur.
159
La grammaticalisation est « un processus qui consiste à convertir graduellement des entrées lexicales pleines
en éléments grammaticaux » (Bat-Zeev Shyldkrot 1999 : 4).

108
montée (e. g. sembler) et des verbes à contrôle (e.g. croire)160. Plus un verbe aspectuel a de
points communs avec les verbes à montée plus il est grammaticalisé, au contraire, plus il a de
propriétés communes avec les verbes à contrôle, moins il est grammaticalisé161.
A partir de diverses observations (nature du sujet, position du clitique en, restrictions
imposées par les verbes aspectuels au Vinf qui suit, etc.), Lamiroy observe que les verbes
aspectuels ne forment pas une classe homogène mais un continuum qui s’étend des verbes
totalement grammaticalisés à ceux qui le sont peu en passant par divers stades intermédiaires.
Nous allons observer le comportement syntaxique des « expressions aspectuelles » que nous
avons retenues dans cette étude162 en appliquant les différents tests linguistiques que cite
Lamiroy (1987, 1994, 1999) afin de constituer ledit continuum.
Le premier critère qui permet d’évaluer le stade de grammaticalisation d’un verbe est
son degré de désémantisation. « La désémantisation entraîne une dilution progressive des
contraintes distributionnelles » (Lamiroy 1999 : 38) qui se manifeste de plusieurs façons et
notamment au niveau du choix du sujet. Plus le verbe-auxiliaire est désémantisé plus il est
transparent, et, par conséquent, autorise tous les sujets permis par le Vinf enchâssé (i.e. le
verbe-auxiliaire n’impose en propre aucune restriction de sélection au sujet) :
(225) a. Il va falloir partir
b. * Il (vient de / est en train de / est sur le point de / commence à /
finit de / cesse de / arrête de / continue à) falloir partir
(225)a montre que aller, employé comme auxiliaire, est plus grammaticalisé que les autres
verbes étudiés163 puisque lui seul accepte de se combiner avec le verbe impersonnel falloir.
Notons néanmoins qu’il existe des verbes impersonnels qui sont compatibles avec l’ensemble
des verbes étudiés :

160
Les verbes à montée sont appelés ainsi car leur sujet de surface est en fait généré en bas (i.e. c’est le sujet du
Vinf qui monte en position de sujet du verbe principal). Au contraire, les verbes à contrôle ont un sujet qui
contrôle le sujet PRO du Vinf (i.e. le sujet du verbe principal est dominé par et coindicé à celui du Vinf).
161
Un des arguments en faveur de cette hypothèse est fourni par l’étude diachronique du verbe aller, qui a d’abord
signifié un mouvement, puis l’aspect inchoatif et enfin le temps futur. De ces éléments, entre autres, Lamiroy déduit
que la distinction espace / temps a comme corrélat syntaxique l’opposition verbes à contrôle / verbes à montée et
que l’aspect, étant intermédiaire entre ces deux notions, reçoit de façon prévisible une expression syntaxique
hybride entre les propriétés des verbes à montée et celles des verbes à contrôle (1987 : 290).
162
Nous avons retenu les structures aspectuelles les plus utilisées dans la littérature sans prétendre à
l’exhaustivité. Tous les verbes retenus ont une caractéristique formelle commune : ils acceptent un Vinf comme
complément mais pas de proposition complétive. Ce critère formel est généralement retenu pour constituer la
classe des « auxiliaires » (cf. entre autres M. Gross 1975, 1999 et Lamiroy 1994, 1999). Certains verbes
acceptent aussi un SN.
163
Une des principales caractéristiques des verbes à montée est que leur sujet est sélectionné par le Vinf
enchâssé puis monte en position de sujet principal. Le verbe à montée n’a donc aucun rôle dans la sélection du
sujet : tous les sujets autorisés par le Vinf le seront aussi par le verbe à montée. On en déduit que le verbe aller
utilisé comme auxiliaire (i.e. dans son sens temporel) est un verbe à montée, i.e. un verbe complètement
grammaticalisé.

109
(226) Il (va / vient de / est en train de / est sur le point de / commence
à / finit de / cesse de / arrête de / continue à) pleuvoir
La décatégorialisation164 d’un verbe (i.e. le fait qu’un verbe perde sa valence ou sa
force de sous-catégorisation) est également une preuve de sa grammaticalisation. Si un verbe
tend à ne plus accepter de compléments nominaux pour préférer les compléments non finis
(Vinf) c’est qu’il est fortement grammaticalisé :
(227) a. Pierre (va / vient de) jardiner
b. * Pierre (va / vient) du jardinage
(228) a. Pierre est (sur le point / en train) de se promener
b.* Pierre est (sur le point / en train) de (la / sa) promenade
(229) a. Pierre (commence à / continue à / cesse de / finit de / arrête de) se
promener
b. Pierre (commence / continue / cesse / finit / ? arrête) sa
promenade
Ces exemples montrent que aller, venir, être sur le point et être en train sont décatégorisés, ce
qui suggère une plus forte grammaticalisation de ces verbes par rapport à commencer,
continuer, cesser, finir et arrêter.
La décatégorialisation du verbe lui fait perdre certaines propriétés propres aux verbes,
comme la possibilité d’être mis à l’impératif (230) ou encore, celle d’être nié séparément
(231)-(234) :
(230) a. * Quand je rentrerai, viens de ranger ta chambre, sinon gare à
toi !
b. # Quand je rentrerai, va ranger ta chambre, sinon gare à toi !165
c. Quand je rentrerai, sois (sur le point / en train) de ranger ta
chambre, sinon gare à toi !
d. Quand je rentrerai, (finis / arrête / cesse) de ranger ta chambre,
sinon gare à toi !
e. Quand je rentrerai, (commence à / continue à) ranger ta chambre,
sinon gare à toi !
Venir et aller sont les verbes les plus grammaticalisés puisqu’ils sont incompatibles avec
l’impératif166. (230)c et plus encore (230)d paraissent peu naturels, mais certainement plus
pour des raisons pragmatiques que syntaxiques. Observons comment se comportent ces
différents verbes face à la négation :

164
Terme que Lamiroy (1999) emprunte à Hopper & Thompson (1984 : 711).
165
Le dièse indique que aller a, dans cet énoncé, son sens spatial de verbe plein. Etant donné qu’il est impossible
de construire un énoncé avec aller-temporel à l’impératif, nous en déduisons que aller-temporel, au même titre
que venir, est défectif. Laca note à ce propos que « avec aller à des formes autres que le présent et l’imparfait, la
construction ne peut être interprétée que comme un verbe de déplacement ou une proposition infinitive finale »
(2003 : 145).
166
Pour une présentation synthétique des restrictions d’emplois qui pèsent sur venir de cf. Bourdin (2005 : 262-
267).

110
(231) a. Pierre va arriver vers 15 heures
b. Pierre ne va pas arriver vers 15 heures
c. * Pierre va ne pas arriver à 15 heures
d. Pierre ne va pas ne pas arriver à 15 heures
(232) a. Pierre vient d’arriver
b. #* Pierre ne vient pas d’arriver
c. * Pierre vient de ne pas arriver
d. * Pierre ne vient pas de ne pas arriver
(233) a. Pierre est (en train / sur le point) de jardiner
b. Pierre n’est pas (en train / sur le point) de jardiner
c. ? Pierre est (en train / sur le point) de ne pas jardiner
d. ? Pierre n’est pas (en train / sur le point) de ne pas jardiner
(234) a. Pierre a (commencé à / continué à / cessé de / fini de / arrêté de)
travailler
b. Pierre n’a pas (commencé à / continué à / cessé de / fini de /
arrêté de) travailler
c. Pierre a (commencé à / continué à / cessé de / fini de / arrêté de)
ne pas travailler
d. Pierre n’a pas (commencé à / continué à / cessé de / fini de /
arrêté de) ne pas travailler
Cette fois, c’est venir qui apparaît comme le verbe le plus grammaticalisé, puisque employé
comme auxiliaire il ne peut pas être nié seul (cf. (232)b)167. Venir et aller ont en commun de
ne pas tolérer la négativation de leur Vinf (cf. (231)c et (232)c et d) ce qui atteste de la perte
d’une partie de leurs prérogatives de verbe et de leur transformation en outils grammaticaux.
Avec la double négation et la négation du Vinf, être en train de et être sur le point de donnent
des résultats moins naturels que les verbes commencer, continuer, cesser, finir, arrêter, mais
cela semble être le fait de contingences pragmatiques.
Enfin, il est connu que la décatégorisation peut rendre le verbe défectif : les verbes les
plus grammaticalisés tels que aller et venir ne peuvent être utilisés à l’impératif. La
défectivité peut être encore plus marquée168 :
(235) a. Pierre va partir demain
b. * Pierre ira partir demain
c. Pierre allait partir hier
d. * Pierre est allé partir hier

167
Havu (2005 : 280-281) signale quelques cas où la négation peut porter sur venir mais à condition d’avoir une
structure prosodique particulière :
(i) Pierre vient de sortir ? –Non, il ne vient pas de SORTIR, il est sorti il y a deux heures
Bourdin confirme qu’ « en principe venir de [dans la structure venir de + Vinf] est difficile à négativer » (2005 :
265).
168
Cela peut même aller jusqu’à une perte totale de flexion, Lamiroy (1999 : 36) donne l’exemple de may et
must en anglais. Il n’existe pas de cas comparables en français.

111
(236) a. Pierre vient de partir
b. Pierre viendra de partir
c. Pierre venait de partir
d. * Pierre est venu de partir
(237) a. Pierre (commence à / continue à / cesse de / finit de / arrête de /
est en train de / est sur le point de) se promener
b. Pierre (commencera à / continuera à / cessera de / finira de /
arrêtera de / sera en train de / sera sur le point de) se promener
c. Pierre (commençait à / continuait à / cessait de / finissait de /
arrêtait de / était en train de / était sur le point de) se promener
d. Pierre (a commencé à / a continué à / a cessé de / a fini de / a
arrêté de / a été en train de / a été sur le point de) se promener
Le verbe aller refuse les temps futur et passé composé (cf. (235)b et (235)d)169, venir refuse
uniquement le passé composé (cf. (236)d) alors que les autres verbes ne sont pas restreints
quant à leur conjugaison. Une nouvelle fois, on observe une disparité syntaxique entre les
différents verbes aspectuels.

L’ensemble des critères évoqués et illustrés de (225) à (237) doivent être recoupés afin de
dresser un continuum basé sur la plus ou moins grande grammaticalisation des verbes étudiés :

Refuse les Accepte les problème


Exclu à Le verbe est
compléments sujets avec la
l’impératif défectif
nominaux impersonnels négation
aller oui oui (toujours) oui oui oui
venir (de) oui oui oui oui oui
être en train
oui oui non non non
(de)
être sur le
oui oui non non non
point (de)
commencer
non oui non non non
(à)
continuer (à) non oui non non non
finir (de) non oui non non non
cesser (de) non oui non non non
arrêter (de) non oui non non non

169
Larreya signale que le verbe aller employé dans ses valeurs grammaticalisées (i.e. dans ses emplois à valeur
de futurité, de valeur directive, de conjecture, etc.) subit une forte contrainte morpho-syntaxique : il n’accepte de
se conjuguer qu’au présent et à l’imparfait de l’indicatif. A l’inverse, dans son emploi spatial (i.e. dans son
emploi comme verbe plein), cette contrainte disparaît (2005 : 343).

112
Les intitulés des colonnes du tableau sont ainsi formulés que plus un verbe obtient de « oui »
plus il est grammaticalisé. On obtient le continuum suivant :

Verbes entièrement grammaticalisés

aller

venir (de)

être en train (de), être sur le


point (de)

commencer (à), continuer (à),


finir (de), cesser (de), arrêter
(de)
Verbes en début de grammaticalisation

Nous devons à présent donner un nom à ces « expressions aspectuelles ». Etant donné la très
forte grammaticalisation de aller nous plaçons ce verbe dans la même catégorie que être et
avoir. Ces deux verbes sont communément appelés « auxiliaires », aller, être et avoir seront
pour nous des auxiliaires, ce qui implique que nous donnons à ce terme un sens étroit, i.e. que
pour nous sont des auxiliaires les verbes pouvant uniquement être suivis d’un Vinf (à
l’exclusion d’un SN ou d’une complétive) et dont on peut montrer (à l’aide des tests présentés
dans le précédent tableau) la grammaticalisation complète170. Nous rejoignons en partie Havu
qui appelle « auxiliaires » les périphrases totalement grammaticalisées (2006 : 8). Il est
classique dans la littérature de regrouper aller, être et avoir mais il leur est souvent adjoint
venir de (M. Gross 1999, Borillo 2005, Laca 2005, Havu 2006, etc.). Or, seul aller n’obtient
que des « oui » dans le précédent tableau, et par conséquent correspond à un « véritable »
auxiliaire171. Nous rejoignons Lamiroy qui n’assimile pas le fonctionnement de venir de à

170
La grammaticalisation complète de aller est également visible dans son sémantisme : aller + Vinf a un sens
temporel futur et non un sens aspectuel (Laca 2004 : 97)
171
Bien qu’il classe dans la même catégorie (celle des auxiliaires) aller et venir, Havu reconnaît que « le degré
de grammaticalisation de la périphrase aller + inf. est bien plus avancé » que celle de venir + inf. dont la
grammaticalisation est en cours (2005 : 282 et 287). Pour une vue diachronique de la grammaticalisation de
venir de + inf. cf. Havu (2005 : 283 et ss).

113
celui de aller (1987 : 282 (note 6) et 290 (note 13))172. Pour nommer tous les autres verbes ou
locutions retenus dans notre étude, l’étiquette « périphrase aspectuelle » nous semble
préférable à celles de « verbe aspectuel » ou de « semi-auxiliaire d’aspect » en ce qu’elle
permet justement d’inclure les structures être en train de et être sur le point de, i.e. les
locutions. Ne pas utiliser l’étiquette « verbe » permet aussi de ne pas recourir à deux
appellations différentes selon que l’on évoque l’emploi prépositionnel avec un Vinf (e.g.
commencer à danser) ou l’emploi direct avec un complément nominal (e.g. commencer une
promenade). La catégorie des périphrases aspectuelles telle que nous la concevons est
hétérogène, le nombre de « oui » qu’obtient chaque périphrase aspectuelle en montre la plus
ou moins grande grammaticalisation173.
Les périphrases aspectuelles ont la particularité d’imposer des restrictions de sélection
à leur complément (Vinf et/ou SN). Puisqu’elles expriment l’aspect, les restrictions qu’elles
imposent sont, en partie au moins, de type aspectuel. Nous allons voir si ces périphrases
peuvent être utiles pour déterminer si un prédicat est statif ou dynamique.
Il existe deux grands types de périphrases aspectuelles : celles qui acceptent
uniquement d’être suivies d’un Vinf (e.g. venir de, être sur le point de, être en train de) et
celles qui acceptent un complément Vinf ou SN (e.g. commencer (à), continuer (à), finir (de),
cesser (de), arrêter (de)). Les premières ne seront principalement opérantes que dans le
domaine verbal et éventuellement adjectival174, les secondes présentent l’intérêt d’embrasser
tous les domaines, ce qui permet d’observer une éventuelle équivalence entre domaines (i.e.
l’éventuelle identité entre les restrictions aspectuelles imposées par telle périphrase aux Vinf
et celles imposées aux SN ou aux adjectifs).
Parmi les périphrases aspectuelles qui n’acceptent que des compléments verbaux, il en
est une qui joue un rôle central dans l’étude de l’opposition statif / dynamique, il s’agit de la
périphrase être en train de, qui nous servira de test principal pour établir la frontière entre
l’aspect statif et l’aspect dynamique dans le domaine verbal. Les deux autres périphrases (être

172
Remarquons que seul aller s’emploie avec un Vinf sans préposition introductrice, ce qui rapproche encore ce
verbe des auxiliaires être et avoir et l’éloigne des autres verbes aspectuels.
173
Nous avons fait reposer notre classement des « expressions aspectuelles » sur leur degré de
grammaticalisation parce que les arguments avancés dans le cadre de cette théorie nous ont paru convaincants et
en accord avec notre conception de la langue. Cependant, les critères sur lesquels repose la notion de
grammaticalisation ne sont pas unanimement admis. Ainsi, Honeste défend l’idée que « ce n’est […] pas au prix
d’une "désémantisation", mais bien au contraire dans le plein usage de tout son signifié que venir assume
également des emplois isolés et périphrastiques » (2005 : 307).
174
Nous verrons que des locutions sémantiquement équivalentes à être en train de peuvent être utilisées dans le
domaine nominal (cf. §4.2.4).

114
sur le point de et venir de) ne feront pas l’objet d’une étude séparée mais seront évoquées au
fur et à mesure de l’étude sur être en train de175.
Nous souhaitons isoler être en train de des autres périphrases en raison de son statut
particulier au sein du système des conjugaisons. Dans certaines langues (en anglais par
exemple), l’aspect progressif fait partie du système de conjugaison à proprement parler et
permet de construire les formes progressives qui s’opposent aux temps simples. Dans une
langue comme le français, on ne peut pas dire que être en train de appartienne à la
morphologie des conjugaisons176. Cet aspect occupe néanmoins une place différente des
autres périphrases aspectuelles par la possibilité qu’offre la langue d’exprimer la progression
soit par cette locution, soit, de façon plus neutre sans doute, par le présent et l’imparfait de
l’indicatif :
(238) a. Pierre chante la Traviata dans la cuisine
b. Pierre est en train de chanter la Traviata dans la cuisine
(239) a. Pierre chantait la Traviata quand je suis entrée dans la cuisine
b. Pierre était en train de chanter la Traviata quand je suis entrée
dans la cuisine
Notons que les exemples aux temps simples offrent deux interprétations : une interprétation
progressive et une interprétation habituelle, alors que les exemples à la forme progressive
excluent l’interprétation habituelle. La forme progressive prend donc une place singulière
dans le système de conjugaison en concurrençant certains temps simples tout en levant une
éventuelle ambiguïté. Les autres locutions aspectuelles n’entrent pas dans une telle alternance
(au moins en français) et ne font qu’ajouter une visée aspectuelle supplémentaire dans la
phrase.

175
Notons que sémantiquement la périphrase être en train de se distingue des périphrases venir de et être sur le
point de en ce qu’elle désigne une phase de la situation désignée par le Vinf alors que les deux autres désignent
l’instant qui se situe juste avant ou juste après la situation dénotée par le Vinf. Etre en train de est une périphrase
de phase interne alors que venir de et être sur le point de sont des périphrases de phases externes (sur
l’opposition entre aspect interne vs aspect externe, cf. entre autres Borillo 2005, Havu 2006).
176
Il se peut que la forme progressive française soit en train d’entrer dans le système de conjugaison puisque le
français parlé met cette périphrase au passif pour exprimer le progressif vs l’état résultant des verbes causatifs de
changement d’état (Van de Velde, CP) :
(i) On repeint la maison
(ii) La maison est repeinte
Alors que (i) exprime une action en cours, sa passivation (ii) dénote un état résultant. Pour rétablir le sens
d’action en cours, il faut recourir à la forme progressive passivée (iii) :
(iii) La maison est en train d’être repeinte

115
4.2. La forme progressive : un test parfait ?
En français, la forme progressive est de nature périphrastique et s’exprime au moyen de la
locution être en train de. Nous rejoignons les nombreux linguistes qui pensent que cette
locution exprime l’aspect progressif, i.e. que être en train de implique à la fois l’idée de
déroulement et de non-stativité, ce qui en fait un candidat naturel comme test de la
dynamicité177.
Ce test consiste à mettre un verbe à la forme progressive (en français : être en train de
+ Vinf). On peut choisir d’utiliser ce test dans une version forte (si un verbe peut être mis à la
forme progressive alors il est dynamique, sinon il est statif) ou dans une version affaiblie (si
un verbe peut être mis à la forme progressive alors il est (probablement) dynamique, sinon on
ne peut pas conclure). Il arrive que la validité de ce test soit mise en doute ou que sa version
forte soit rejetée.

4.2.1. Rejet complet du test


Vincent-Durroux (2006) reproche à ce test sa circularité : on explique la distribution de la
forme progressive par les types de procès puis on détermine les types de procès en fonction de
leur compatibilité avec la forme progressive. Se plaçant dans une perspective énonciativiste,
cette linguiste avance que le progressif ne peut pas être utilisé pour distinguer les verbes
dynamiques des verbes statifs en anglais mais permet de présenter toutes les situations comme
des états178. Le sujet perdrait son rôle d’agent pour devenir le siège dudit état. Ceci justifierait
la moindre compatibilité des verbes statifs avec cette tournure puisqu’il y aurait alors création

177
Il existe des analyses qui présentent la durativité, l’idée de déroulement, de dynamisme, etc. comme des
conséquences possibles de l’emploi d’être en train de et non comme l’essence même de cette locution. Tel est le
cas de Lachaux, qui explique le rôle de être en train de dans un cadre co-énonciatif : « [être en train de] apparaît
pour corriger une première impression, pour rétablir une « vérité », pour répondre à une mise en doute
éventuelle, non par le biais d’une simple contradiction, mais par une rhétorique persuasive » (2005 : 137). On
peut également citer Franckel & Paillard pour qui la valeur « en cours de » que peut prendre en train de n’est
qu’un cas possible parmi d’autres. Selon eux, ce qui caractérise réellement ce marqueur c’est la « discordance
entre deux modes de construction du procès », être en train de marquant une discordance entre ce qui est
actualisé et ce qui devrait être selon l’énonciateur (1991 : 112-113). Nous ne souhaitons pas entrer dans ce débat
et reconnaissons systématiquement à être en train sa valeur progressive, même si nous n’excluons pas que cette
valeur puisse parfois être accompagnée par une autre valeur (par exemple un effet discursif).
178
Jespersen (1924/[1971]) a d’ailleurs montré que la construction « be + Ving » avait une origine spatiale
(stative). L’auteur explique que la forme progressive anglaise actuelle vient de l’emploi du substantif verbal avec
la préposition on :
(i) He is on hunting
‘Il est dans le cours de l’action de chasser’
(ii) He is a-hunting
(iii) He is hunting
‘Il est à chasser’
L’exemple (iii) provient de l’exemple (ii) qui est lui-même une transformation de l’exemple (i), ces
transformations sont dues au phénomène d’aphérèse (cf. Jespersen [1924/1971] : 394 ).

116
d’une redondance qui contrevient au principe d’économie du langage179. Cette analyse ne
nous convainc pas, même pour l’anglais, parce qu’elle suppose la conversion de l’agent en
siège de l’état, or, cette conversion n’est pas avérée dans des exemples comme :
(240) a. John is singing out of tune deliberately
b. We meet Chris as he is carefully preparing himself to go out in the
late - afternoon sun to visit the hospital (web)
En effet, dans ces phrases, la présence d’un adverbe orienté vers l’agent va à l’encontre de
l’analyse du sujet comme un « siège » et confirme au contraire son statut d’agent. Si l’on
définit le rôle sémantique d’agent ainsi « Agent is the role required by action verbs and
specifies the instigator of the action » (Cook 1979 : 151), on voit bien le lien nécessaire entre
présence d’un agent et interprétation actionnelle (donc dynamique) du verbe.
De plus, l’interprétation stative de la forme progressive, au moins en français, nous
semble aller à l’encontre même de la signification de la locution être en train de, qui trouve
son essence dans le nom train provenant du verbe de mouvement traîner impliquant un
changement de lieu180. Un rapide rappel de l’évolution de ce terme est éclairant : vers 1110,
train peut signifier l’allure, la vitesse et là encore l’idée de mouvement est présente. De cet
emploi il nous reste entre autres l’expression à fond de train qui signifie à toute vitesse. En
1190, Train signifie suite de véhicules (e.g. un train de péniches), une série (e.g. un train de
lois). Puis, ce nom se spécialise pour désigner une suite de wagons traînés par une
locomotive. Selon le Larousse (1979/[2002]), la locution adverbiale être en train apparaît en
1636181 et signifie être en bonnes dispositions physiques pour faire telle ou telle chose, puis
vers 1666, être en train signifie être disposé à, ce sens évolue jusqu’en 1735 où être en train
de est employé suivi d’un verbe à l’infinitif pour exprimer le déroulement d’une action. Le
Littré (1965) donne d’autres emplois de l’expression en train, notamment se mettre en train
de qui signifie se mettre à et mener quelqu’un grand train qui signifie faire faire quelque
chose à quelqu’un rapidement. Toutes ces expressions suggèrent le dynamisme de la situation
décrite, ce qui rejoint les conclusions de Do-Hurinville qui, cherchant à dégager un invariant

179
L’analyse proposée dans Vincent-Durroux (2006) concerne les formes be+ing et rien n’est dit de son
éventuelle extension aux formes progressives d’autres langues. Lachaux défend pour le français une idée
similaire en soulignant que être dans être en train de implique que l’on ne parle plus de l’action mais de l’état
défini comme « la situation du référent du sujet, tel qu’il est présenté par l’énonciateur » (2005 : 122).
180
Au chapitre 4, nous montrerons que la préposition en est porteuse de stativité dans la structure être en N. Il est
possible que dans être en train de, en ait également une tendance à instaurer une relation stative entre le sujet et
l’action, relation dont le sens serait que le sujet est localisé dans l’action. Néanmoins, si ce sens statif existe, il
reste en retrait par rapport au sens dynamique induit par train.
181
Selon le Dictionnaire Historique de la Langue Française, la locution en train apparaît dès le XVe siècle avec
pour sens : « en action, en mouvement, en cours d’exécution » (Rey 1992/[1998], tome 3, p3877), la locution
prépositionnelle en train de quant à elle daterait de 1668 (ibid.).

117
sémantique unissant les divers emplois historiques de train et l’emploi de la périphrase
progressive être en train de, propose que ce trait soit le trait [+dynamique] « ce qui explique
pourquoi, de nos jours, cette périphrase est compatible avec les procès dynamiques, alors
qu’elle accepte difficilement les procès non dynamiques » (2007 : 33)182.

4.2.2. Rejet de la version forte du test


La validité du test progressif peut être mise à mal par deux types de phénomènes ce qui incite
certains linguistes à l’utiliser dans sa version affaiblie. Premièrement, les cas où des verbes
réputés statifs acceptent la forme progressive et secondement les cas où des verbes réputés
dynamiques la rejettent.
4.2.2.1. La forme progressive et les verbes statifs
Les cas de verbes statifs acceptant la forme progressive sont essentiellement empruntés à
l’anglais. En effet, certains verbes statifs sont parfaitement compatibles avec la forme
progressive be + V-ing. C’est le cas notamment de quelques verbes exprimant une position :
(241) a. She was standing by the window when John came in
b. They were sitting on the sofa when the phone rang
Ce type d’exemples revient fréquemment chez les linguistes pour défendre l’idée que le test
de la forme progressive n’est pas infaillible. Ce qui est frappant, c’est l’ombre que ces
exemples anglais ont jetée sur la validité du test être en train de en français. Cet argument,
s’il mérite attention pour l’étude des propriétés aspectuelles des verbes en anglais, ne nous
paraît pas pertinent pour le français qui est dépourvu de ce type de verbes de position.
D’autre part, en anglais, certains verbes réputés statifs comme le verbe de sentiment
love, ou le verbe de perception see peuvent, dans certains contextes, se conjuguer à la forme
progressive183 :
(242) a. I’m loving this
b. Canada is seeing a small influx of American deserters who would
rather not serve in Iraq.
Il est à noter que les emplois de to love ou to see à la forme progressive restent très
minoritaires, ces verbes privilégiant les emplois aux temps simples. Plus important, en
français, aimer ou voir ne connaissent pour ainsi dire pas d’emplois à la forme progressive.

182
Pour une présentation étymologique plus étendue de train et être en train, nous renvoyons à Do-Hurinville
(2007 : 32-34) ; pour une présentation diachronique de être en train de vue à l’aune du processus de
grammaticalisation, nous renvoyons à Mortier (2005 : 85-90) qui montre comment train a perdu son sens
localiste de direction (par désémantisation) pour acquérir au sein de la locution être en train de un sens temporel-
aspectuel.
183
Pour une étude récente sur la compatibilité des verbes statifs avec la forme progressive en anglais cf.
F. Martin (2006 : 62-82).

118
* Etre en train d’aimer (avec le sens d’être en train d’éprouver le sentiment d’amour) ou
encore * être en train de voir (au sens d’être en train de percevoir par la vue) ne sont pas
correctement formés en français. Par conséquent, ce second argument contre la fiabilité du
test être en train de nous paraît inapproprié aux faits linguistiques du français.
Lamiroy (1987) mentionne une liste de contextes où les verbes aspectuels acceptent
comme complément des Vinf statifs184. Selon l’auteur, les verbes aspectuels peuvent être
suivis d’un statif si le complément du Vinf (243)a-b ou le sujet (244) est un nom collectif ou
pluriel ; si le contexte est générique (245)a-b ; si on a une construction « se-moyen » (246) ; si
on a une subordonnée de temps qui permet de rattacher la situation stative à un autre
événement (247), ou encore si le Vinf est introduit par la préposition par (248)a-b :
(243) a. Jean commence à posséder (beaucoup de voitures / une sérieuse
collection de voitures / * une voiture)
b. Jean a cessé d’avoir (ses migraines habituelles / * une migraine)
(244) (Les grammaires scolaires / * Cette grammaire) continue(nt) à
consister en trois parties
(245) a. Le bon vin continue à être apprécié des français
b. La bande dessinée commence à être lue (dans les écoles)
(246) a. La mini-jupe a cessé (de se porter / ?? d’être portée)
b. Les tableaux de Dali sont en train ( ? de se vendre très cher / *
d’être vendus très cher)
(247) Jean a commencé à savoir qu’Anne le trompait (peu avant de
soutenir sa thèse)
(248) a. Jean finit (par être irrité / *d’être irrité)
b. Jean a commencé (par avoir un restaurant / *à avoir un
restaurant)185
Les exemples proposés par Lamiroy ont pour but d’illustrer le fait que les verbes aspectuels
peuvent dans certains contextes être suivis d’un Vinf statif186. Or, les périphrases qui nous
intéressent (être en train de, et secondairement être sur le point de et venir de) n’y figurent
pas187. Nous allons vérifier si les contextes proposés par Lamiroy peuvent également rendre
possible la complémentation par un Vinf statif les périphrases aspectuelles qui nous
intéressent, ou si cette possibilité n’est offerte qu’à une sous-classe des verbes aspectuels :

184
Nous utilisons ici l’expression verbes aspectuels pour respecter la terminologie utilisée par l’auteur.
Rappelons que ce que Lamiroy appelle ainsi recouvre bien ce que nous nommons périphrases aspectuelles.
185
L’ensemble de ces exemples est emprunté à Lamiroy (1987 : 282-284).
186
Il s’agit de contextes sérialisants (Lamiroy 1987). En effet, la série a « un caractère intrinsèquement
dynamique » (Kreutz 2005 : 434).
187
Sauf être en train de qui est utilisé en (246)b mais dont le résultat n’est pas entièrement probant de l’avis
même de Lamiroy qui fait figurer un point d’interrogation devant cet énoncé.

119
(249) a. * Pierre est en train de posséder beaucoup de voitures
b. L’Irak est sur le point de posséder (des missiles atomiques /
l’arme nucléaire)
c. * Pierre vient de posséder beaucoup de voitures
(250) a. # ? La bande dessinée est en train d’être lue dans les écoles
b. # ? La bande dessinée est sur le point d’être lue dans les écoles
c. # ? La bande dessinée vient d’être lue dans les écoles
(251) a. * La mini-jupe est en train de se porter
b. ?? La mini jupe est sur le point de se porter
c. * La mini jupe vient de se porter
(252) a. * Jean est en train de savoir qu’Anne le trompe depuis sa
soutenance de thèse
b. Jean était sur le point de savoir qu’Anne le trompait (peu avant sa
soutenance de thèse)
c. * Jean venait de savoir qu’Anne le trompait (quand tu es arrivé)
Les énoncés présentés en (250) posent des problèmes d’interprétation, car, s’ils sont
acceptables, c’est avec une interprétation spécifique et non dans l’interprétation générique
souhaitée. De plus, même en lecture spécifique, ces énoncés restent peu naturels, car il est
difficile de résoudre l’anaphore de l’article défini. Les séries d’exemples sous (249), (252) et,
dans une moindre mesure, (251) montrent (i) que la forme progressive demeure rétive aux
compléments Vinf statifs, et ce quelles que soient les manipulations contextuelles opérées, (ii)
que venir de, même dans les contextes favorisant les statifs, reste incompatible avec les
compléments Vinf statifs, (iii) que être sur le point de semble de prime abord autoriser les
statifs sans que cela soit nécessairement lié au contexte employé. Ainsi, la contrainte de
pluralité n’est pas nécessaire (cf. (249)b), et la proposition subordonnée temporelle est
facultative en (252)b. (251)b est étrange mais un contexte élargi rend acceptable cet énoncé :
(253) Cesse de te faire du souci pour la trésorerie ! Je te propose un
investissement infaillible. La mini jupe est sur le point de se porter
dans tous les pays d’Asie, je le sens, et nous allons faire un malheur
grâce aux exportations !
Nous en concluons que les périphrases aspectuelles être en train de et venir de sont rétives
aux compléments Vinf statifs, quel que soit d’ailleurs le contexte utilisé. Etre sur le point de,
au contraire, semble accepter une partie au moins des statifs. Cela peut paraître surprenant à
cause de l’antagonisme sémantique qui oppose être sur le point de et venir de et qui laisse
attendre des restrictions de sélection aspectuelles similaires. En effet, être sur le point de
place le sujet immédiatement avant la borne gauche de la situation dénotée par le Vinf alors
que venir de le place immédiatement après la borne droite de la situation dénotée par le Vinf.
Il semble donc qu’aspectuellement la borne initiale et la borne finale n’ont pas le même poids,
la même valeur. C’est un point sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

120
Nous souhaitons nous arrêter brièvement sur l’étude que propose F. Martin (2006).
Elle liste d’apparents contre-exemples à la contrainte de stativité pesant sur le prédicat suivant
la forme progressive :
(254) Il est en train de ressembler de plus en plus à son père
Cette phrase met en jeu une succession d’états reliés chacun à un degré de ressemblance
(degré qui va croissant) d’où une lecture dynamique de l’ensemble de la phrase. Bien que
ressembler soit un verbe statif, F. Martin souligne que (254) n’est pas un véritable contre-
exemple puisque l’interprétation du prédicat, dans ce contexte, est dynamique. Cette analyse
rejoint à la fois les mises en garde de Lamiroy (1987) rappelant qu’une possible sérialisation
des états les rend compatibles avec les verbes aspectuels, et le lien qu’établit Kreutz entre
gradabilité (ou scalarité) et dynamisme (2005 : 435).
(255) Il est en train d’avoir envie de changer de métier
Cet autre type de contre-exemple n’en est pas un car la lecture est inchoative, donc
dynamique.
(256) Je suis en train de penser au cadeau pour Jean.
(257) J’étais en train de me demander si c’était une bonne idée188
Nous rejoignons F. Martin pour qui ces exemples sont considérés à tort comme mettant en jeu
des verbes statifs à cause de notre « tendance à faire de tous les verbes mentaux des verbes
statifs [parce] que le royaume du mental est trop souvent conçu comme un monde statique »
(2006 : 67). Pour plus de détails sur les contre-exemples contrevenant, en apparence
seulement, à la contrainte de stativité du progressif on peut se reporter à F. Martin (2006 : 66-
70).
Enfin, F. Martin évoque des exemples mettant en jeu le verbe être189 :
(258) ?? Jean est en train d’être arrogant
(259) a. Il ne serait pas en train d’être franchement impoli celui-là ?
b. ? Il ne serait pas en train d’être impoli celui-là ?
F. Martin justifie la possibilité pour « être + adj » (prédicat statif) de s’employer à la forme
progressive par le fait qu’en (259) le prédicat d’état a une interprétation dynamique de
changement d’état, interprétation qui est soulignée par la présence de l’adverbe de degré
franchement dont la suppression rend (259)b moins bon selon l’auteur. Nous ne partageons
pas cette analyse. En effet, nous ne trouvons ni (258), ni (259)b problématiques et les

188
Les exemples (256)-(257) ont été trouvés dans F. Martin (2006 : 66-67).
189
Il s’agit à première vue d’un progressif appelé « actif » qui existe en anglais mais qui n’a pas vraiment
d’équivalence stricte en français, cf. F. Martin (2006 : 79-81) sur la définition du progressif actif en anglais.

121
acceptons pleinement. Les adjectifs qui sont en jeu dans ces exemples ne sont pas purement
statifs, ce sont des adjectifs de qualité-comportement. S’ils peuvent se mettre à la forme
progressive c’est tout simplement parce qu’ils sont dynamiques et non parce qu’ils
dénoteraient un changement d’état. (258) par exemple ne dénoterait un changement d’état que
si le verbe introducteur était devenir et non être. De plus, si (259) semble plus naturel avec
l’adverbe (c’est, il est vrai, l’impression des quelques locuteurs interrogés), c’est parce que
l’adverbe renforce la lecture dynamique du prédicat. Pour nous, les exemples (258) et (259)
ne remettent donc pas en cause le poids de la contrainte de stativité qui pèse sur le progressif,
parce que les adjectifs utilisés sont dynamiques (nous y reviendrons au §4.2.3).
En revanche, nous souscrivons à la conclusion de F. Martin : « Malgré les contre-
exemples apparents, le critère de la compatibilité avec le progressif standard reste
opérationnel, et ce, en français, mais pas en anglais » (2006 : 182). Nous soulignons que le
scepticisme à l’égard du test de la forme progressive en raison de sa prétendue compatibilité
avec des verbes statifs n’est pas fondé. Quant à être sur le point de, ce n’est pas un test
pertinent pour distinguer les verbes statifs des verbes dynamiques. Par contre, venir de est
potentiellement un bon test puisque cette périphrase semble refuser les verbes statifs. Nous
verrons s’il en va de même dans le domaine adjectival (cf. §4.2.3).
4.2.2.2. La forme progressive et les verbes ponctuels
La seconde limitation de l’emploi du test progressif réside dans le rejet de certains verbes
dynamiques. Il s’agit dans la terminologie vendlerienne des verbes d’achèvement, i.e. des
verbes dénotant des situations ponctuelles. La ponctualité des situations dénotées par des
achèvements les rend incompatibles avec le sens aspectuel progressif qui nécessite un
déroulement dans le temps. En effet, dire d’un sujet qu’il est en train de Vinf, c’est le placer
dans le cours d’une action. Les seuls verbes qui acceptent le progressif sont donc les verbes
dynamiques duratifs (activités et accomplissements). Cependant, l’incompatibilité des
achèvements avec le progressif ne dépasse généralement pas le stade de la théorie puisque
dans les faits la plupart des achèvements renvoient certes à des situations extralinguistiques
ponctuelles, mais peuvent être conceptuellement étirés dans le temps. Ils acceptent alors
d’être mis à la forme progressive :
(260) a. L’alpiniste est en train d’atteindre le sommet du Mont-Blanc :
c’est un moment historique
b. L’enfant est en train de se noyer, plongez pour le sauver !
c. Le bébé est en train de naître
d. Le premier cycliste est en train d’arriver sur la place de la
Concorde

122
e. Le fugitif est en train de franchir la frontière par le nord ! Je vous
soupçonne de l’avoir volontairement laissé filer
Le moment où l’on atteint le sommet, où l’enfant naît, où l’eau envahit les poumons, etc. sont
des instants, des points sur la ligne schématique du temps, mais nous pouvons conceptualiser
ces actions comme des laps de temps, en incluant dans le temps qu’elles occupent la période
qui précède immédiatement l’achèvement proprement dit190. Les achèvements sont alors
naturellement compatibles avec être en train de, comme le montrent les énoncés en (260).
Une autre méthode pour rendre les achèvements compatibles avec la forme progressive est
d’employer un sujet pluriel (261)a-b ou collectif (261)c :
(261) a. Les cyclistes sont en train d’arriver sur la place de la Concorde
b. Les soldats russes sont en train de franchir la frontière géorgienne
c. L’armée russe est en train de franchir la frontière géorgienne
Beaucoup d’achèvements peuvent être étirés mais pour certains cela nécessite la construction
parfois laborieuse de contextes originaux, quand ce n’est pas tout à fait impossible (262)a.
Dans ce cas, seule la seconde méthode (mise au pluriel du sujet (262)b) permet l’emploi de la
forme progressive :
(262) a. ?? La bombe est en train d’exploser
b. Les bombes sont en train d’exploser
Il ne faudrait pas que la possibilité d’avoir une forme progressive en (262)b soit due
uniquement au changement d’aspect impliqué par la pluralisation du sujet. Autrement dit, il
faut être certain que l’aspect lexical du verbe est bien dynamique.
Les exemples comme (262)b sont généralement analysés comme une concaténation
d’achèvements formant un procès duratif, d’où la possibilité d’employer des compléments
temporels de durée191 :
(263) a. En quelques minutes, plus de dix bombes ont explosé autour de
nous dans un bruit assourdissant
b. Des bombes ont explosé tout autour de nous pendant des heures
mais par miracle nous nous en sommes sortis indemnes
Si en pluralisant le sujet syntaxique des achèvements on obtient des procès duratifs, alors il
n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils deviennent compatibles avec la forme progressive. Le même
raisonnement vaut pour les exemples en (260) : en étirant un achèvement on lui fournit la
durée qui lui permet de se combiner avec être en train de.

190
Parfois, l’étirement de la situation n’est pas dû à la prise en compte du laps de temps précédant l’événement
décrit par le verbe, mais à un effet de ralenti cinématographique ou « slow motion » (Lamiroy 1987 : 285), e.g.
être en train de tomber. Ces deux méthodes d’étirement sont souvent intriquées et il n’est pas nécessaire de les
séparer linguistiquement puisque seule leur conséquence commune nous importe : elles permettent un étirement
de la situation rendant des situations ponctuelles compatibles avec la forme progressive.
191
Lamiroy (1987) parle de « sérialisation ». C’est la série qui est alors compatible avec la forme progressive.

123
Nous l’avons dit, être en train de requiert des verbes à la fois dynamiques et duratifs.
Si l’étirement du procès ou la pluralisation du sujet, en conférant une durée aux achèvements,
les rend compatibles avec la forme progressive, c’est donc que ces verbes possèdent
intrinsèquement le trait [+ dynamique]. Pour vérifier la validité de cette affirmation, voyons si
des verbes statifs peuvent, par pluralisation le leur sujet, se mettre au progressif192 :
(264) a. Pierre aime sa mère plus que tout au monde
b. * Pierre est en train d’aimer sa mère plus que tout au monde
c. * Les enfants sont en train d’aimer leur mère plus que tout au
monde
(265) a. Julie possède une belle maison
b. * Julie est en train de posséder une belle maison
c. * Les filles sont en train de posséder une belle maison
Les exemples (264)-(265) prouvent que le trait de dynamicité ne peut pas être imputé à la
pluralisation du sujet. Les verbes d’achèvements sont assurément dynamiques et, plus
important encore, ces verbes ne justifient pas l’adoption d’une version affaiblie du test de la
forme progressive puisqu’il n’existe que très peu de verbes d’achèvement qui ne puissent, par
pluralisation de leur sujet et/ou étirement, s’employer à la forme progressive193.
Aussi nous pensons que le test de la forme progressive doit être, en français au moins,
utilisé dans sa version forte, d’où l’adoption de la généralisation :
(266) Dans un contexte donné, si un verbe accepte la forme progressive,
alors il est dynamique, sinon, il est très probablement statif.
4.2.2.3. Application du test
L’utilisation de la forme progressive pour déterminer si un verbe est dynamique ou statif
nécessite quelques précautions. Principalement, il faut toujours se rappeler qu’un verbe peut
être polysémique (c’est un cas assez fréquent) et avoir un (ou plusieurs) sens dynamique(s) et

192
L’étirement ne pourra pas être invoqué ici puisque les situations statives ne peuvent pas être étirées.
193
Il est cependant vrai que certains achèvements se prêtent plus volontiers que d’autres à ces manipulations et
qu’il faut parfois construire des contextes complexes pour que les énoncés soient naturels :
(i) ?? Les verres sont en train d’éclater les uns après les autres
(ii) Les beaux verres de cristal que ma sœur m’a offerts sont en train d’éclater les uns
après les autres parce que l’eau de vaisselle dans laquelle tu les laisses négligemment
tremper est bien trop chaude
Il existe même quelques rares verbes (notamment les verbes de perception) qui refusent la forme progressive :
(i) a. * Pierre est en train d’apercevoir Marie qui embrasse Jean
b. * Pierre et Luc sont en train d’apercevoir Marie et Jean qui s’embrassent
(ii) a. * Pierre est en train d’entendre la première symphonie de Beethoven
b. * Pierre est Jean sont en train d’entendre la première symphonie de Beethoven
On pourra alors montrer la dynamicité de ces verbes en utilisant d’autres tests :
(i) Qu’est-ce qui est arrivé hier ?
a. Pierre a aperçu Marie qui embrassait Jean, il en a été tout chamboulé
b. Pierre a entendu, par mégarde, un secret qu’il aurait mieux valu qu’il ignorât
jusqu’à sa mort

124
un (ou plusieurs) sens statif(s). Par conséquent, lors de l’application du test il faut avoir à
l’esprit quelle acception du verbe on souhaite analyser :
(267) a. Ce livre (comprend / * est en train de comprendre) cinq chapitres
b. Ces livres (comprennent / * sont en train de comprendre) cinq
chapitres
(268) a. Pierre (comprend / * est en train de comprendre) l’anglais
b. Les enfants (comprennent / * sont en train de comprendre)
l’anglais
(269) Marie (comprend / est en train de comprendre) qu’il s’est moqué
d’elle, il lui a toujours menti
Alors que dans les exemples (267) et (268) la forme progressive est exclue (et ce, quelles que
soient les manipulations faites sur le contexte, les tentatives de pluralisation du sujet et/ou
d’étirement n’y changeant rien), dans l’exemple (269) elle est autorisée. On en déduit que le
verbe comprendre a au moins trois acceptions. En (267) le verbe comprendre signifie « se
composer de » et en (268) ce verbe renvoie à une faculté mentale, dans les deux cas, le verbe
comprendre dénote une situation stative. En revanche, en (269), le verbe signifie « prendre
conscience de » et il est alors dynamique. Ce qui brouille considérablement l’analyse de ces
exemples c’est que le sens « faculté mentale » de (268) et celui de « prise de conscience » en
(269) sont conceptuellement très proches et même liés, puisqu’il faut bien exercer la faculté
de compréhension pour prendre conscience de quelque chose. Une première hypothèse est
qu’en (268) comprendre dénote un achèvement, d’où un apparent refus de la forme
progressive. Pour exclure cette solution il nous a suffi de pluraliser le sujet (cf. (268)b) et de
constater que la forme progressive demeure impossible194. Une autre hypothèse est qu’en
(268) ce qui est en jeu c’est la possession de la faculté de comprendre (i.e. Pierre est capable
de comprendre l’anglais) alors qu’en (269) ce qui est mis en avant est la capacité à se servir
de cette faculté, ce qui explique l’opposition aspectuelle entre ces deux emplois de
comprendre. Il faut donc manier avec précaution le test de la forme progressive et procéder à
une analyse des différents sens du verbe étudié. Le cas de comprendre montre que les
différentes acceptions d’un verbe sont parfois très intriquées ; c’est pourquoi il nous paraît
préférable de toujours confirmer le résultat du test progressif en utilisant l’un des autres tests
de dynamicité disponibles.

194
Par prudence, nous pouvons également recourir à d’autres tests de dynamicité pour confirmer le caractère
statif du verbe comprendre lorsqu’il renvoie à une faculté :
(i) Qu’est-ce qui est arrivé hier ? – * Pierre a compris l’anglais
(ii) Qu’a fait Pierre hier ? – * Il a compris l’anglais
(iii) * Pierre a volontairement compris l’anglais

125
4.2.3. De l’imperfection de la forme progressive : le cas des adjectifs
Au-delà des problèmes d’application du test de la forme progressive dans le domaine verbal,
problèmes dus à la fréquente polysémie des verbes, la forme progressive ne peut pas être
considérée comme « le » moyen de distinguer les situations dynamiques des situations
statives car elle ne s’applique systématiquement qu’aux verbes.
La forme progressive ne se construit qu’avec des Vinf, la plupart des adjectifs, même
épaulés par la copule être, sont exclus :
(270) * Pierre est en train d’être (grand / intelligent / sérieux / sage /
gentil)
Cela confirme que le progressif répugne à la stativité puisque le verbe être, verbe d’état par
excellence, est exclu. On peut alors se demander si ce qui empêche l’association entre être en
train de et les adjectifs est la nature aspectuelle des adjectifs ou la stativité du verbe être. Pour
le savoir, il suffit de substituer à être un verbe dynamique qui accepte de servir de support aux
adjectifs. Le verbe devenir peut introduire un adjectif et il implique un changement d’état, le
changement étant l’une des caractéristiques de la dynamicité c’est lui qui nous servira de
contrepoint dynamique à être :
(271) Pierre est en train de devenir (grand / intelligent / sérieux / sage /
gentil)
Ces énoncés paraissent à certains locuteurs peu naturels mais l’ajout d’un contexte plus étoffé
suffit à rendre la combinaison « être en train de + devenir + adj » tout à fait acceptable :
(272) a. Méfie-toi, Pierre n’est plus le petit garçon que tu embêtais, il est
en train de devenir grand et intelligent, très intelligent, redoutable
même
b. Pierre est en train de devenir (sérieux / sage) : il ne sort plus le
soir, ne boit plus, parfois même il travaille un peu
c. Pierre est en train de devenir gentil, si tu le voyais, tu aurais peine
à le reconnaître, deux mois au contact de sa cousine si douce l’ont
transformé, ou alors il est amoureux…
En revanche, nous n’avons pas trouvé de contexte permettant de réhabiliter les exemples
(270) tout en conservant être, nous en concluons que, dans ce cas, ce ne sont pas les adjectifs
eux-mêmes qui bloquent l’emploi de la forme progressive mais la stativité du verbe être. Quoi
qu’il en soit, le test de la forme progressive ne convient généralement pas au domaine
adjectival, puisque la possibilité de l’employer avec un adjectif ne dépend pas, ou du moins
pas seulement, de la nature aspectuelle de l’adjectif mais de celle du Vinf introducteur choisi.
Néanmoins, il existe quelques adjectifs qui, même lorsqu’ils sont introduits par être,
ne sont pas aussi rétifs que les autres à la forme progressive :

126
(273) a. ? Pierre est en train d’être méchant avec sa sœur, il va finir par
lui faire mal, va lui dire de se calmer
b. Pierre est en train d’être infidèle à sa femme aux yeux de tous et
tu le laisses faire ?
c. ? Pierre est en train d’être arrogant comme jamais, va donc lui
dire discrètement d’arrêter, il me fait honte
Concernant l’acceptabilité de (273)a et b, les avis des locuteurs sont partagés mais le rejet de
tels exemples est notablement moins vif que pour ceux présentés en (270). Ce sont
naturellement des adjectifs de qual-comp qui acceptent le progressif, cela n’a rien d’étonnant
puisqu’ils sont dynamiques195.
Une remarque peut être faite au sujet de l’adjectif infidèle :
(274) Marie était nerveuse, un pincement au cœur lui fit craindre que
Pierre ne fût en train de lui être infidèle
Si infidèle accepte de se combiner avec la forme progressive, c’est peut-être parce que son
emploi le plus courant est un emploi spécialisé où cet adjectif entretient un lien sémantique
fort avec l’idée de tromperie, et plus particulièrement de tromperie dans les relations
amoureuses. Malgré des différences catégorielles, syntaxiques et morphologiques,
l’équivalence sémantique entre les énoncés (274) et (275) est clairement établie, au point
qu’on peut considérer l’adjectif infidèle comme l’expression adjectivale du prédicat verbal
tromper :
(275) Marie était nerveuse, un pincement au cœur lui fit craindre que
Pierre fût en train de la tromper196
Autrement dit, on peut avancer, en restant prudent, que infidèle s’est spécialisé dans son sens
dynamique de comportement (d’où son emploi original avec la forme progressive), au
détriment de son sens de qualité.
Nous pouvons nous demander ce qu’il en est des deux autres périphrases qui
n’acceptent que des Vinf comme compléments et qui pourraient par conséquent accepter des
compléments du type « être + adj ». Nous avons déjà vu que venir de, contrairement à être sur
le point de est rétif aux statifs ; voyons si cela va être confirmé ou infirmé dans le domaine
adjectival :
(276) a. * Pierre vient d’être (manchot / Français / gros)
b. * Pierre est sur le point d’être (manchot / Français / gros)
(277) a. Pierre vient d’être ( gentil avec sa soeur / méchant avec le chien /
désagréable avec tout le monde)

195
Le nombre d’adjectifs de qual-comp acceptant le progressif reste néanmoins très limité.
196
Les exemples (274) et (275) ainsi que leur analyse sont repris de Haas & Tayalati (2008 : 6-7, note 7).

127
b. Pierre est sur le point d’être (gentil avec sa soeur / méchant avec
le chien / infidèle à sa femme)
Les deux périphrases ont une affinité avec la dynamicité, puisqu’elles peuvent introduire des
adjectifs de qual-comp mais pas des adjectifs de qualité physique (purement statifs).
N’oublions pas que être sur le point de était compatible avec certains verbes statifs (cf.
§4.2.2.1), ce qui ne permet pas une bonne généralisation. Au mieux, venir de peut être
considéré comme un test de la stativité / dynamicité. Nous avons déjà évoqué l’idée que venir
de implique l’existence pour le prédicat-complément (le Vinf) d’une borne droite alors que
être sur le point de implique l’existence d’une borne gauche. Cela donne à penser qu’avoir
une borne gauche (un début) et avoir une borne droite (une fin) n’ont pas la même importance
sur le plan aspectuel. Alors que la borne gauche n’est pas garante de la dynamicité du
prédicat, l’existence d’une borne droite le serait. On pourrait être tenté de penser qu’étant
donné le haut degré de grammaticalisation de ces deux périphrases (cf. schéma p.114), elles
véhiculent des informations temporelles plutôt qu’aspectuelles : venir de exprime un passé
immédiat alors que être sur le point de exprime un futur proche. Cette hypothèse doit être
rejetée car elle n’explique pas la dissymétrie distributionnelle qui existe entre les deux
périphrases puisqu’on peut conjuguer un statif au futur aussi bien qu’au passé. Il est donc
certain que ces périphrases expriment des informations aspectuelles.

4.2.4. La progressivité des noms


La forme progressive ne peut être appliquée à un nom seul :
(278) *L’aviation est en train de bombardement (sur) la ville
Pour appliquer la forme progressive à un nom il faut la médiation d’un verbe support et,
comme pour les adjectifs, c’est la dynamicité ou la stativité du Vinf utilisé qui autorise ou
bloque l’utilisation de la forme progressive :
(279) a. * Pierre est en train d’être (en colère/ en possession de toutes ses
facultés)
b. Pierre est en train de se mettre en colère
c. Le chirurgien est en train de procéder à une opération à cœur
ouvert, vous ne pouvez pas le déranger
La seule conclusion que l’on peut tirer de ces exemples est que le verbe être est statif alors
que les verbes procéder et se mettre sont dynamiques, mais aucune conclusion ne peut être
adoptée quant à l’aspect du nom. Ce qui nous informe sur l’aspect du nom, nous l’avons vu,
c’est sa compatibilité avec tel ou tel verbe support qui peut servir de test aspectuel (cf. §3.1).
Quoique être en train de ne se construise pas avec des noms, il existe cependant
d’autres périphrases aspectuelles qui le peuvent et qui comportent l’idée d’une progression,

128
d’un déroulement, c’est-à-dire dont le sémantisme est proche de celui de l’aspect progressif
verbal. Il s’agit principalement de en voie de et en cours de.
4.2.4.1. En voie de
Sémantiquement, en voie de exprime à la fois l’idée de durée et celle de progression, de
déroulement vers un état final. On voit bien alors ce qui nous fait rapprocher cette locution de
être en train de, l’idée de déroulement en cours leur étant commune. En voie de offre
l’avantage sur être en train de de pouvoir introduire un verbe (280) mais aussi un nom (281) :
(280) Les Suédois sont-ils en voie de perdre leur religion ? (web)
(281) Ce pays est en voie de développement
Les deux études récentes consacrées à la locution en voie de (encore appelée
périphrase, ou auxiliaire prépositionnel197) que nous avons pu trouver convergent quant à
leurs conclusions. D’une part, en voie de peut être suivi d’un Vinf ou d’un nom, mais cette
seconde possibilité est largement majoritaire en corpus. Do-Hurinville remarque que « cette
préférence semblait déjà exister dans le passé, car en voie de s’est d’abord combinée avec des
noms (fin XIIe siècle), puis avec des verbes (fin XIIIe siècle) » (à paraître : 17). D’autre part,
les noms acceptant de suivre cette locution sont dynamiques (ce qui concorde avec les notions
sémantiques de déroulement et de progression que véhicule en voie de).
On peut s’interroger sur la pertinence d’utiliser en voie de comme test alors qu’il est
assez sélectif, et que l’on peut le soupçonner de ne fonctionner qu’avec un nombre restreint de
noms. Pour abonder dans ce sens, Anscombre (2007) remarque que sur les 2750 exemples de
son corpus, la moitié concerne développement (841 occurrences) ou disparition (502
occurrences). Néanmoins, il ne dit pas combien de noms différents il a pu relever, et note
seulement que le suffixe le plus représenté est -tion. Do-Hurinville, quant à lui, donne la liste
des 275 noms compatibles avec en voie de qu’il a recensés comme pouvant suivre en voie de
(à paraître : 2) et remarque que les suffixes –isation et –ation sont les plus fréquents. Parmi
les milliers de noms d’actions qui existent, 275 noms peuvent apparaître comme un ensemble
trop restreint pour que l’on retienne être en voie de comme un test intéressant. Cependant,
parmi ces 275 noms, une part non négligeable sont des dérivés de noms propres :
jospinisation, finlandisation, afghanisation, etc. Or, il nous semble que ces noms sont
rarement étudiés d’un point de vue aspectuel, et que l’intuition à leur égard fait quelque peu

197
Ces petites variations terminologiques ne sont pas ici primordiales et nous passons outre. Do-Hurinville (à
paraître) utilise le terme « locution », Anscombre commence par utiliser la désignation classique de
« périphrase » pour finalement lui préférer l’appellation d’« auxiliaire prépositionnel » qu’il emprunte à Wilmet
(Anscombre 2007 : 42). Dans notre terminologie, ce sont des périphrases aspectuelles.

129
défaut. Conserver être en voie de comme test de la dynamicité permet donc de prendre en
compte des noms peu étudiés.
4.2.4.2. En cours (de)
La locution être en cours de signifie être en train de se dérouler. Cette locution peut, comme
la locution en voie, être adossée à une copule (282). Mais contrairement à cette dernière, en
cours peut être utilisée seule en postposition (283) ou en préposition (284) 198 :
(282) La blessure est (en voie / en cours) de guérison, ça n’est pas le
moment de prendre des risques inconsidérés en autorisant le malade
à sortir de la zone aseptisée
(283) L’opération en cours mobilise plus de 2000 policiers
(284) En cours d’opération, le chirurgien a fait un malaise, mettant en
péril la vie du malade
Les constructions N être en cours et N en cours sont similaires du point de vue des restrictions
de sélection qu’elles imposent au nom : jamais la présence (ou l’absence) de la copule ne peut
permettre la sélection d’un nom qui aurait été refusé sinon :
(285) a. L’opération en cours mobilise plus de 2000 policiers
b. L’opération qui est en cours mobilise plus de 2000 policiers
c. L’opération est en cours, mobilisant plus de 2000 policiers
(286) a. * L’agacement en cours provoquera sans doute des drames
b. * L’agacement qui est en cours provoquera sans doute des drames
c. * L’agacement est en cours, laissant présager des drames
Sémantiquement (285)a, b et c sont très proches, il nous apparaît que c’est la structure
syntaxique de la phrase qui décide de la présence / absence de la copule. Les exemples (286)
montrent que ce n’est pas la copule qui change les règles de sélection qui opèrent entre en
cours et le SN. Enfin, dans la structure en cours de SN, en cours de ne semble pas imposer au
SN des restrictions de sélection différentes de celles observables en postposition199. Nous
n’avons pas trouvé de nom qui, en raison de ses propriétés aspectuelles, pourrait entrer dans
l’une des structures où en cours est postposé et qui refuserait d’être introduit par en cours de
pour occuper la fonction d’attribut du sujet.
Sémantiquement, en cours implique l’idée de déroulement, donc de dynamicité.
Suivant Anscombre (2007 : 45), nous pouvons avancer que la périphrase aspectuelle en cours

198
Le terme préposition est employé pour signifier que en cours est placé devant le SN mais aussi pour signaler
que en cours fonctionne comme une préposition temporelle (équivalent à pendant). Anscombre signale que en
cours placé devant le SN peut fonder un complément circonstanciel, dans ce cas en cours est assimilable à une
préposition de temps (2005 : 104). Cet emploi où en cours est employé comme une préposition temporelle
sémantiquement très proche de pendant ne sera pas utilisé dans ce travail.
199
Nous parlons ici de la structure en cours de SN employée comme attribut du sujet (cf. (282)) et non de son
emploi comme préposition (cf. (284)).

130
employée dans l’une des structures SN (est) en cours / en cours de SN (emploi attributif)
sélectionne un nom dynamique. Si un nom s’emploie avec l’une des périphrases en cours de
et/ou en voie de, alors il est dynamique. En revanche, la réciproque est-elle vraie ?
Il suffit de reprendre quelques noms dont la dynamicité a été vérifiée par l’application
d’autres tests pour se rendre compte qu’il existe de nombreux noms dynamiques qui refusent
en voie de et en cours :
(287) a. Pierre a fait une découverte renversante (= il a découvert
[quelque chose de renversant])
b. * Le vaccin est en cours de découverte (par Pierre)
c. * La découverte en cours va révolutionner le monde de la
médecine
d. * Le vaccin est en voie de découverte
(288) a. Pierre a (effectué / commis) plusieurs assassinats (= il a assassiné
plusieurs personnes)
b. * Plusieurs personnes sont en cours d’assassinat (par Pierre)
c. * Les assassinats sont en cours
d. * Des personnes sont en voie d’assassinat
(289) a. Pierre fait du jardinage (= il jardine)
b. * Le jardinage est en cours dans le parc
c. * Le jardinage en cours dans le parc attire beaucoup de curieux
d. * Ce terrain est en voie de jardinage
Ces exemples montrent clairement que tous les noms dynamiques ne sont pas compatibles
avec en cours et en voie. En (287)-(288), les noms dynamiques dénotent des situations
ponctuelles (des achèvements), ce qui les rend inaptes à suivre en voie et en cours qui
véhiculent l’idée d’un déroulement et donc d’une durée. En (289), jardinage dénote une
situation dynamique atélique (une activité)200. Notons que l’agrammaticalité de (289) n’est
pas à mettre sur le compte de l’intransitivité de jardinage puisqu’il existe des noms employés
intransitivement (i.e. sans complément du nom jouant le rôle d’argument interne) qui
s’accommodent parfaitement des deux constructions avec en cours :
(290) a. L’accouchement se déroule à merveille
b. Un accouchement est en cours, n’entrez pas dans cette salle
c. L’accouchement en cours se déroule à merveille
(291) a. Les malfrats ont effectué plus de quinze cambriolages dans le
même quartier
b. Le cambriolage est en cours, restons cachés, nous arrêterons les
malfrats dès qu’ils ressortiront chargés de leur butin
c. Le cambriolage en cours risque de mal tourner si par malheur les
malfrats se doutent qu’on leur a tendu un piège

200
Sur les tests linguistiques permettant de distinguer, dans le domaine nominal, les noms d’achèvements,
d’accomplissements et d’activités, se reporter au chapitre 4, §2.2, 2.3 et 2.4.

131
On en déduit que en cours et en voie sélectionnent, parmi les noms dynamiques, ceux qui
dénotent des situations duratives et téliques201. Nous retenons la généralisation :
(292) Si un nom accepte de se combiner avec en cours202 et/ou en voie de il
est dynamique duratif et télique, sinon, on ne peut pas conclure.
Nous passons à présent aux périphrases aspectuelles qui acceptent comme
compléments les Vinf et les SN. Sémantiquement, ces périphrases ont en commun d’exprimer
une phase du prédicat enchâssé203. Chacune de ces périphrases présente l’avantage de
s’employer dans les trois domaines verbal, adjectival et nominal, ce qui permettra d'étudier la
stabilité de leur comportement d’un domaine à l’autre. Etant donné leur proximité quant aux
restrictions de sélection qu’elles imposent, nous commencerons par étudier commencer (à) et
continuer (à) ensemble, pour les opposer à finir (de). Ce sera l’occasion de revenir sur les
périphrases venir de et être sur le point de. Dans un second temps nous verrons si arrêter (de)
et cesser (de) sont de bons tests pour distinguer entre situations statives et situations
dynamiques.

4.3. Commencer, continuer et finir


Les périphrases aspectuelles commencer (à), continuer (à) et finir (de) sélectionnent une
phase de leur prédicat-objet qui prend la forme d’un SN ou d’un Vinf : l’ingressif ou inchoatif
pour commencer (à), le duratif ou continuatif pour continuer (à)204 et l’égressif ou conclusif
pour finir (de). La notion même de phase laisse présager que ces périphrases n’accepteront
d’introduire que des prédicats de nature dynamique (cf. entre autres Riegel 1985, Lamiroy,
1987, Peeters 2005). Peeters explique que commencer « découpe […] une séquence d’unités
ordonnées » ce qui suppose que le sujet puisse les parcourir. Il conclut que commencer à +
Vinf tout comme commencer + objet procédural205 « renvoie à la première étape d’un

201
Même parmi les noms dénotant des situations dynamiques duratives téliques, certains sont exclus de la
distribution de être (en cours / en voie) de N. Nous reviendrons sur les restrictions de sélection de être en cours
de N au chapitre 4, §3.2.
202
Nous n’incluons pas dans ce test en cours employé comme préposition temporelle.
203
Havu les appelle des « périphrases de phases internes » (2006), Laca parle de « périphrases de modification
d’éventualité » dont « la plupart [...] produisent des éventualités dérivées qui correspondent à des « phases » de
l’éventualité de base » (2005 : 49).
204
Nous ne nous intéressons qu’à la périphrase continuer à et non à continuer de car, comme le souligne Kreutz
(2005 : 438), continuer à exige toujours un ancrage temporel alors que continuer de peut concerner une relation
purement notionnelle. Pour cette raison, nous écartons continuer de de notre champ d’étude puisque cette
périphrase n’est pas toujours aspectuelle.
205
L’auteur oppose « commencer + objet procédural » (i) et « commencer + objet non procédural » (ii) :
(i) commencer la lecture (d’un livre)
(ii) commencer un livre
L’objet procédural est un nom prédicatif, c’est cette structure et non celle présentée en (ii) qui nous intéresse.

132
parcours temporel et est intrinsèquement orienté ou dynamique ». L’auteur souligne une
incompatibilité entre les notions de « parcours » et d’« état » puisque « l’idée d’un parcours
suppose une progression que l’idée d’état exclut » (2005 : 388-389). Lamiroy signale que les
verbes aspectuels peuvent être suivis d’un prédicat d’état si le contexte force une sérialisation
(utilisation d’un sujet / objet pluriel ou collectif qui permet la création d’une succession
d’états, interprétation générique, etc. cf. §4.2.2.1). Peeters signale lui aussi l’existence de
contextes permettant aux statifs de suivre commencer à mais sans en proposer de liste,
cependant l’exemple qu’il donne rejoint ceux de Lamiroy :
(293) Je commençais à connaître un nombre croissant de collègues206
Par ailleurs, Kreutz rappelle que « bon nombre d’auteurs ont souligné le fait que
indépendamment des mécanismes de sérialisation – commencer, voire se mettre à, se
combinent parfaitement avec certaines infinitives d’état » (2005 : 434)207. Nous rejoignons
ces auteurs car nous pensons que certains prédicats statifs sont parfaitement autorisés à suivre
commencer à et continuer à sans recours aux contextes connus pour favoriser les statifs :
(294) a. Le mot "bateau" a commencé à signifier "une chaussure grosse et
large » en 1841
b. Le mot "bateau" continue encore aujourd’hui à signifier "une
chaussure grosse et large"
(295) a. Pierre commence à ressembler à son père
b. Pierre continue à ressembler à son père
Les exemples (294) et (295), alors même qu’ils mettent en jeu des verbes statifs (comme en
témoigne l’impossibilité de les mettre à la forme progressive) sont, en dehors de tout contexte
favorisant, compatibles avec les périphrases aspectuelles commencer à et continuer à. Il est
donc impossible de dire que commencer à et continuer à ne sélectionnent que des verbes
dynamiques.
Il en va de même dans le domaine adjectival :
(296) a. Pierre a commencé à être gentil (avec sa tante quand il a appris
qu’elle était très malade / récemment)
b. Pierre a continué à être gentil avec sa tante (même après qu’elle
eut été guérie / pendant de longues années)
(297) a. Pierre a commencé à être triste (après la mort de sa femme /
récemment)
b. Pierre a continué a être triste (bien longtemps après ton départ /
pendant longtemps)

206
Exemple emprunté à Peeters (2005 : 389).
207
Pour des exemples où commencer à est compatible avec des états, cf. Peeters (1993).

133
(298) a. Pierre commence à être fort
b. Pierre continue à être fort
Les exemples sous (296)-(298) sont parfaitement acceptables, alors même que les adjectifs
qui y figurent, du moins ceux de (297) et (298), doivent être considérés comme statifs. Ils
suffisent donc à invalider l’hypothèse selon laquelle les périphrases aspectuelles qui
expriment des phases sélectionnent un prédicat dynamique. Il est vrai qu’on peut douter de
l’entière stativité de l’adjectif gentil (qui appartient à la classe des adjectifs de qual-comp),
mais les énoncés présentés en (297) et (298) mettent respectivement en jeu un adjectif d’état
(au sens de Van de Velde) et un adjectif de qualité physique, adjectifs dont la stativité ne fait
aucun doute. Par conséquent, nous ne retiendrons pas commencer à et continuer à comme
tests de l’opposition aspectuelle statif / dynamique dans les domaines verbal et adjectival
puisque ces deux périphrases ne parviennent pas à filtrer tous les prédicats statifs, et ce, y
compris en dehors des contextes favorisants répertoriés.
Dans le domaine nominal, comme l’indique Peeters, il semble que les périphrases
aspectuelles soient plus sélectives208 :
(299) a. * Pierre (a commencé / a continué) (sa / la / une) (tristesse /
gaîté / langueur) après la mort de sa femme
b. * Pierre (a commencé / a continué) (son / le / un) (agacement /
énervement / soulagement) après la mort de sa femme
Tous les noms utilisés en (299) sont assurément statifs puisqu’ils répondent favorablement au
test des verbes supports sélectionnant des noms statifs (éprouver, ressentir). On voit
apparaître ici une dissymétrie entre le domaine adjectival et le domaine nominal : alors qu’on
peut commencer à être triste, on ne commence pas (une / la / sa) tristesse. Cela donne à
penser que commencer / continuer rejettent tous les noms statifs comme objet :
(300) a. * Ce mot (a commencé / a continué) (sa / la / une) signification
b. * Pierre (a commencé / a continué) (sa / la / une) intelligence
c. * Pierre (a commencé / a continué) (sa / la / une) gentillesse
Les noms utilisés dans les exemples (300) sont statifs (ils sont compatibles avec le verbe
support avoir)209. Nous concluons que les périphrases aspectuelles commencer et continuer210,

208
En effet, Peeters (2005), remarque que certains contextes permettent à un Vinf statif de suivre commencer à
mais qu’aucun contexte ne permet la même chose dans le domaine nominal.
209
Y compris gentillesse qui dérive pourtant d’un adjectif de qual-comp. En effet, il faut distinguer avoir de la
gentillesse (qui est statif) de faire (une /des) gentillesse(s) (qui est dynamique).
210
Nous continuons d’appeler commencer et autres « périphrases aspectuelles » y compris lorsque ces verbes
introduisent directement un nom (et non un Vinf). Cette position est discutable mais nous ne sommes pas en
mesure dans l’état actuel de nos travaux de prendre position sur ce problème syntaxique qui, de plus, nous
entraînerait trop loin de notre propos.

134
lorsqu’elles sélectionnent comme objet un nom prédicatif211, ne tolèrent que les noms
dynamiques et rejettent les statifs.
Avant de conclure qu’un nom ne pouvant pas servir d’objet à commencer et continuer
est par conséquent statif, il faut s’assurer que tous les noms dynamiques puissent servir de
complément à ces périphrases :
(301) a. Pierre (a commencé / a continué) (son / le) jardinage
b. Pierre (a commencé / a continué) (sa / une / la) promenade
c. Pierre (a commencé / a continué) la réparation de son vélo
(302) a. * Pierre (a commencé / a continué) (sa noyade / la noyade du
chaton)
b. * Pierre (a commencé / a continué) (sa découverte / la découverte
d’un nouveau vaccin)
c. * Pierre (a commencé / a continué) (sa / la) mort
Tous les noms utilisés dans les exemples (301) et (302) sont dynamiques, comme le confirme
la possibilité qu’ils offrent d’être introduits par des verbes supports dynamiques (303) ou de
servir de sujet à des verbes événementiels (304) :
(303) a. Pierre a fait (du jardinage / une promenade)
b. Pierre a effectué la réparation de son vélo
(304) (La noyade / la découverte / la mort) a eu lieu à l’aube
Nous pouvons en déduire que certains noms dynamiques ne peuvent pas suivre commencer et
continuer. On observe les mêmes restrictions dans le domaine verbal :
(305) a. * Pierre a (commencé / continué) à se noyer
b. * Pierre a (commencé / continuer) à découvrir un vaccin
c. * Pierre a (commencé / continué) à mourir
Les noms et les verbes qui refusent les périphrases aspectuelles dénotent des situations
ponctuelles212. Laca signale que continuer à exclut les éventualités ponctuelles (2005 : 48),
Peeters (2005 : 388) dit de même de commencer à213, quant à Lamiroy (1987 : 285), elle
remarque que l’ensemble des verbes aspectuels sont rétifs à la ponctualité214. Comme pour les
statifs, il existe des contextes favorables aux achèvements, il s’agit généralement de contextes
qui multiplient l’événement ponctuel :

211
Cette précision permet d’exclure les noms concrets qui peuvent suivre commencer ou continuer (e.g.
commencer un livre, continuer un canevas).
212
Nous n’avons pas encore évoqué en propre les tests de durativité. Nous avons néanmoins déjà mentionné
l’incompatibilité des prédicats ponctuels avec le verbe durer. De plus, les noms et les verbes que nous avons
utilisés ont été choisis parmi ceux dont le classement parmi les achèvements n’est pas sujet à caution.
213
Rappelons que pour Peeters commencer « découpe […] une séquence d’unités ordonnées », l’incompatibilité
entre les notions de séquence et de ponctualité est prévisible (2005 : 388).
214
Cette incompatibilité s’explique par la contradiction qu’il y a entre la notion de verbes aspectuels (qui
dénotent une phase) et la ponctualité des achèvements (i.e. leur absence de structure interne, de phases).

135
(306) Les rats commencent à mourir
Etant donné que les mêmes périphrases aspectuelles peuvent introduire un Vinf ou un SN,
nous pouvons étendre leur incompatibilité avec les achèvements au domaine nominal. Cela
est d’autant plus justifié que, s’il existe des contextes permettant aux verbes d’achèvement de
suivre malgré tout ces périphrases aspectuelles (rendant du même coup caduque leur
utilisation pour distinguer les verbes dynamiques des verbes statifs), il n’en va pas autrement
dans le domaine nominal où, comme le signale Peeters (2005), aucun contexte ne permet de
réhabiliter les situations dynamiques ponctuelles comme compléments de périphrases
aspectuelles :
(307) * Les rats commencent leur mort215
Pour conclure sur la possibilité d’utiliser commencer (à) et continuer (à) comme
révélateurs de la frontière entre stativité et dynamicité, nous dirons ceci :
- Dans le domaine verbal, tous les verbes dynamiques peuvent suivre ces deux
périphrases aspectuelles216. Il existe des contextes permettant à des verbes statifs
normalement rétifs à suivre ces périphrases aspectuelles de le faire. Plus
remarquable encore, certains verbes statifs acceptent, en dehors de tout contexte
favorable, de suivre ces périphrases. Par conséquent, nous n’utiliserons pas
commencer à et continuer à comme test de stativité / dynamicité dans le domaine
verbal.
- Dans le domaine adjectival, les adjectifs de qualité-comportement (i.e. les adjectifs
dynamique) acceptent de suivre commencer à et continuer à. Mais ils ne sont pas
les seuls adjectifs à pouvoir suivre ces deux périphrases aspectuelles, des adjectifs
statifs le peuvent également. Pour cette raison, commencer à et continuer à ne
seront pas non plus utilisés comme test de la stativité / dynamicité dans le domaine
adjectival.
- Dans le domaine nominal, seuls peuvent suivre commencer et continuer les
prédicats dynamiques duratifs à l’exclusion de tous les statifs217. Aucun contexte

215
Les exemples (306) et (307) sont empruntés à Peeters (2005 : 388).
216
Certains verbes dynamiques semblent à première vue exclus (i) mais l’utilisation de contextes permettant leur
multiplication (ii) les rend acceptables :
(i) * Pierre a commencé à trouver un trésor
(ii) Pierre a commencé à trouver des trésors le jour où il s’est acheté un détecteur de
métaux
217
Comme le mentionne Borillo (2005 : 68), certains noms statifs peuvent entrer dans une autre structure avec
(commencer / continuer), à savoir en position de sujet :
(i) La tristesse de Pierre a (commencé / continué) après la mort de son hamster

136
favorisant ne parvient de manière régulière à forcer l’entrée de noms statifs en
position d’objet de ces périphrases. Nous pouvons proposer la généralisation
suivante :
(308) Si un nom prédicatif peut suivre les périphrases aspectuelles
commencer et/ou continuer, alors ce nom est dynamique, sinon, le
nom dénote soit une situation stative soit une situation ponctuelle.
Qu’en est-il de finir de ? Cette périphrase marque la phase finale, souligne le
« endpoint » d’une situation. Selon Laca finir de « dérive une éventualité qui correspond à la
culmination d’une éventualité télique » (2005 : 49), on s’attend donc à ce que seules les
situations dynamiques pourvues d’un endpoint naturel acceptent de suivre finir de. Les statifs
et les activités, atéliques, devraient être exclus tout comme les achèvements en raison de leur
ponctualité :
(309) a. ?? Pierre a fini de nager218
b. Pierre a fini de réparer sa voiture
c. Pierre a fini de (* découvrir un vaccin / ?? noyer le chaton /
* mourir)
(310) a. * Pierre a fini d’aimer sa mère
b. * Pierre a fini d’énerver son père
c. * Pierre a fini de ressembler à sa sœur
Dans le domaine verbal, finir de sélectionne bien un Vinf dynamique. Tous les types de statifs
sont exclus : les sentiments (310)a, les états (310)b et les qualités (310)c, car on peut sortir
d’un état, changer de sentiment, ou encore voir une qualité disparaître ou apparaître, mais ce
type de « fin », contrairement à la fin d’une situation dynamique, ne fait pas partie de la
situation elle-même : « les bornes initiale et finale de l’intervalle durant lequel un objet est
dans un état ne font pas partie dudit état » (Kreutz 2005 : 443). Sont également rejetés les
achèvements qui, en tant qu’actions ponctuelles ne peuvent pas avoir de fin ou plus
précisément ne sont qu’une fin (ou un début), d’où l’incongruité de (309)c ; enfin, sont
également exclues les activités (sauf si on a une lecture programmatique, cf. note 218). Finir
de teste donc l’existence d’un endpoint naturel (i.e. la télicité).

Cette structure fonctionne différemment de celle qui nous intéresse dans ce chapitre. En effet, alors que
commencer SN est un verbe transitif agentif (le sujet agit en sorte que l’action dénotée par le SN ait lieu), dans la
structure SN commence, le verbe commencer est un verbe inaccusatif (Van de Velde, CP). Commencer en tant
que verbe inaccusatif n’impose pas du tout les même restrictions aspectuelles commencer en tant que verbe
transitif agentif. Nous y reviendrons au chapitre 3, §1.3.1.
218
On peut faire suivre finir de par un nom d’action atélique mais alors il faut qu’il y ait un « programme » établi
au préalable. Ainsi, on peut dire (i) à condition de savoir que Pierre marche cinq kilomètres par jour :
(i) Pierre a fini de marcher
(ii) Pierre finit toujours de jardiner à 8 heures précises

137
Les contextes favorisant les états et les achèvements proposés par Lamiroy (1987) sont
censés permettre aux verbes d’achèvement et d’état de suivre n’importe quel verbe aspectuel,
or cela ne se vérifie pas entièrement avec finir de :
(311) a. ? Les invités finissent d’arriver
b. ? Les alpinistes finissent d’atteindre le sommet
c. * Les explorateurs finissent de trouver (un / des) trésors
(312) a. * Pierre finit de connaître beaucoup de ces collègues
b. * Le gâteau au chocolat a fini de plaire aux USA
c. * Pierre a fini d’aimer sa mère quant il comprit que c’était une
mégère
Certains achèvements peuvent suivre finir de dans un contexte approprié comme en (311)a et
b219, mais pas tous (311)c. Quant aux états, ils restent réfractaires à la périphrase finir de
même dans le cadre de contextes favorisants. Nous arrivons à la généralisation :
(313) Si un Vinf peut suivre finir de, alors il est dynamique (et télique),
sinon, on ne peut pas conclure (il peut s’agir d’une activité, d’un
achèvement ou d’un statif).
Dans le domaine adjectival, les choses sont simples, aucun type d’adjectifs ne semble
enclin à décrire des situations qui finissent, les adjectifs de qual-comp (314), ceux d’état
(315), ceux de qualité (316) ou encore ceux de sentiment (317), tous échouent à suivre finir
de :
(314) * Pierre a fini d’être (gentil avec son amie / infidèle à sa femme /
méchant envers les animaux)
(315) * Pierre a fini d’être (triste / désappointé / furieux)
(316) * Pierre a fini d’être (gros / français / manchot)
(317) * Pierre a fini d’être (amoureux / détestable / plaisant)
L’échec des adjectifs statifs (états, qualités, sentiments) était prévisible. En revanche, que les
adjectifs de qual-comp ne soient pas mieux tolérés est plus surprenant puisqu’ils sont
dynamiques. Il est probable que ce qui leur manque est la télicité nécessaire pour suivre finir
de220. Cette périphrase ne pourra évidemment pas être utilisée comme test dans le domaine
adjectival.

219
Exemples de contextes rendant ces exemples plus vraisemblables :
(i) Les invités finissaient d’arriver quand Mme Verdurin eut un malaise
(ii) Par chance, les alpinistes finissaient d’atteindre le sommet lorsque l’avalanche s’est
déclenchée, aucun d’entre eux ne fut emporté
220
En effet, si on applique le test des compléments de temps, on s’aperçoit que les adjectifs de qual-comp
dénotent des situations atéliques :
(i) a. Pierre a été infidèle à sa femme (* en / pendant) deux ans
b. Pierre a été gentil avec sa sœur (* en / pendant) des années, mais aujourd'hui, il ne
lui parle plus

138
Dans le domaine nominal, les choses sont assez semblables à ce que nous avons
observé dans le domaine verbal : les noms dynamiques sont acceptés (318) (sauf les noms
d’achèvements (319) qui sont moins bien tolérés que ne l’étaient les verbes d’achèvement) et
les statifs sont tous exclus (320) :
(318) a. Pierre a fini la réparation de sa voiture
b. Pierre a fini le nettoyage du garage
c. Pierre a fini la lecture de ce livre long et ennuyeux
(319) Pierre a fini (* la découverte du vaccin / ?? la noyade du chaton / *
sa mort)
(320) a. * Pierre a fini sa (tristesse / gentillesse)
b. * Pierre a fini l’amour pour sa mère
c. * Pierre a fini la ressemblance (avec / de) son père
Comme dans le domaine verbal, les activités sont acceptées à condition que l’interprétation
soit programmatique ou habituelle, i.e. que la fin de l’activité dénotée par le nom ait été au
préalable prévue :
(321) Pierre a fini le jardinage221
D’où la généralisation :
(322) Si un nom prédicatif peut suivre la périphrase aspectuelle finir, alors
ce nom est dynamique, sinon, le nom dénote une situation stative ou
ponctuelle ou encore atélique.
Avant de poursuivre, nous souhaitons faire l’observation suivante : nous avions suggéré
qu’il existe une dissymétrie aspectuelle entre venir de (qui implique l’existence d’une borne
droite) et être sur le point de (qui implique l’existence d’une borne gauche)222. Cette
hypothèse se confirme, puisqu’alors que finir (de) est un test de dynamicité dans le domaine
verbal, commencer à ne l’est pas. Autrement dit, avoir une borne initiale n’est pas l’apanage
des verbes dynamiques. En revanche, ils sont les seuls à pouvoir posséder intrinsèquement
une fin. Définitivement, être sur le point de et commencer à ne peuvent pas servir de test pour
délimiter les sphères respectives de la stativité et de la dynamicité alors que venir de et finir
(de) le peuvent.

221
On remarque que les noms d’activités ne sont acceptables que s’ils sont délimités, c’est-à-dire employés avec
un déterminant défini. Le partitif (article de prédilection des noms d’activités) est exclu :
(i) * Pierre a fini du jardinage
222
Cf. §4.2.3.

139
4.4. Arrêter n’est pas cesser
Alors que finir (de) marque la phase finale d’une action (i.e. une action finie est entière, elle
est arrivée à son terme), arrêter (de) et cesser (de) signalent une interruption ; la situation
arrêtée (ou cessée) n’est pas complète. Nous nous demandons si arrêter (de) et cesser (de)
imposent des restrictions de sélection reposant sur l’opposition statif / dynamique à leur
prédicat-objet.
Dans le domaine verbal, arrêter de, comme cesser de, se combine aisément avec des
prédicats dynamiques duratifs (323) ; les achèvements sont exclus (324)a, mais le recours aux
contextes favorisants déjà évoqués (i.e. des contextes où l’achèvement est itéré, l’itération
nous fait en effet percevoir la série comme pourvue d’une durée, Kreutz 2005 : 434) permet
de les réhabiliter (324)b et c :
(323) a. Pierre a (arrêté / cessé) de jardiner
b. Pierre a (arrêté / cessé) de se promener
c. Pierre a (arrêté / cessé) de réparer sa voiture
(324) a. * Pierre a (arrêté / cessé) de (noyer le chaton / mourir / découvrir
un nouveau vaccin)
b. Pierre a (arrêté / cessé) de (noyer des chatons / de découvrir des
vaccins)
c. Les rats ont (arrêté / cessé) de mourir depuis qu’on a changé leur
alimentation
Du côté des statifs, arrêter de et cesser de ont un comportement plus complexe :
(325) a. ?? Pierre a arrêté d’aimer Marie (quand il a appris qu’elle
idolâtrait Etienne Daho)
b. Pierre a cessé d’aimer Marie (quand il a appris qu’elle idolâtrait
Etienne Daho)223
(326) a. * Le possesseur de bonne foi, au contraire, n’est tenu des choses
qu'il a arrêté de posséder, que jusqu'à concurrence du profit qui lui
en reste
b. Le possesseur de bonne foi, au contraire, n’est tenu des choses
qu’il a cessé de posséder, que jusqu'à concurrence du profit qui lui
en reste (web)
(327) a. * "S’intégrer" a arrêté de signifier "devenir américain, de langue
anglaise et de religion chrétienne"
b. "S’intégrer" a cessé de signifier "devenir américain, de langue
anglaise et de religion chrétienne" (web)

223
Dans ces exemples, la subordonnée temporelle est donnée entre parenthèses car elle est facultative, nous ne
sommes donc pas dans le cadre de l’un des contextes sérialisants proposés par Lamiroy (1987).

140
Afin d’attribuer les acceptabilités à ces exemples, nous avons eu recours au moteur de
recherche Google qui, s’il n’est évidemment pas un outil permettant de fonder un corpus
délimité et exploitable tel quel, permet néanmoins d’observer des tendances. La première
constatation importante et que Google recense 13 500 000 occurrences d’arrêter contre
2 860 000 occurrences de cesser. Il est donc prévisible qu’en valeur absolue, on trouve plus
d’occurrences d’ « arrêter d’aimer » que de « cesser d’aimer », le ratio doit se situer autour de
un pour cinq. Or, c’est une situation très différente qui se présente : alors que Google recense
1170 occurrences pour « arrêter d’aimer », on en trouve 34 800 de « cesser d’aimer ». Ce
résultat est significatif (même sans tri des occurrences pour éliminer le bruit) tant la
disproportion est grande, et cela justifie l’attribution de deux points d’interrogation à l’énoncé
(325)a. En (326)a et (327)a, l’astérisque signale un nombre d’occurrences inférieur à 10.
Enfin, le grand nombre d’occurrences de « cesser de posséder » (11 200) nous pousse à
l'accepter sans restriction. Ces quelques exemples laissent entrevoir que la contrainte de
stativité habituellement attribuée aux périphrases aspectuelles semble s’appliquer à arrêter de
beaucoup plus qu’à cesser de. Néanmoins, arrêter de, peut parfois introduire un verbe statif
(cf. (325)a qui n’est pas entièrement exclu ou encore l’exemple donné par Lamiroy (1987 :
283)) :
(328) Jean a arrêté de détester que Marie fume la pipe (quand il a
découvert le parfum du tabac anglais)224
Certains contextes favorisants (comme l’attribution d’un sens générique à l’énoncé) peuvent
également rendre acceptables les Vinf statifs :
(329) Le chocolat a arrêté d’être apprécié aux USA (depuis qu’on a
découvert le risque d’accoutumance lié à sa consommation
régulière)
Une chose reste certaine : cesser de et, dans une moindre mesure, arrêter de ne sont pas de
bons tests pour déterminer si un verbe est statif ou dynamique puisqu’ils laissent passer des
statifs (que ce soit, ou non, par le biais de contextes favorisants). Soulignons que cesser de est
beaucoup plus permissif que arrêter de.
Dans le domaine adjectival, on observe qu’une partie des adjectifs de qual-comp peut
suivre arrêter de et cesser de, les adjectifs dénotant des états (331), statifs mais pouvant

224
L’ajout d’une subordonnée temporelle dénotant un événement est cité par Lamiroy (1987) parmi les contextes
favorisant les statifs. Néanmoins nous rejoignons Kreutz (2005 : 45, note 6-7) qui signale que ladite subordonnée
est facultative (elle rend l’énoncé plus naturel car mieux contextualisé, mais elle ne le rend pas grammatical
puisqu’il l’est déjà sans elle). Nous considérons (325)a et (328) comme des exemples où un statif peut suivre
arrêter de en dehors de tout contexte sérialisant.

141
recevoir une durée, présentent une affinité plus grande avec cesser de qu’avec arrêter de et
ceux dénotant des qualités (332), entièrement statifs et hors temps, ne sont pas acceptés :
(330) Pierre a (arrêté / cessé) d’être (modeste / gentil avec sa sœur /
infidèle à sa femme / méchant envers les animaux / sage comme une
image / ? bête / ? intelligent)
(331) a. Pierre a arrêté d’être ( ?? triste / * inquiet) (quand il a vu sa
sœur)
b. Pierre a cessé d’être (triste / inquiet) (quand il a vu sa sœur)
(332) * Pierre a (arrêté / cessé) d’être (gros / manchot)
La classe des adjectifs qual-comp n’est pas homogène, ce qui explique qu’une partie de ces
adjectifs soient mal acceptés par ces périphrases. Les adjectifs dénotant des états acceptent
cesser de de manière plus naturelle que arrêter de (331). Comme pour les verbes nous avons
eu recours à Google pour déterminer les acceptabilités. Il est frappant que certains adjectifs
d’états (triste, inquiet) donnent nettement moins d’occurrences avec arrêter de qu’avec cesser
de, cet écart est encore plus impressionnant si on se rappelle que le verbe arrêter est environ
cinq fois plus présent sur la toile que le verbe cesser225. Dans le domaine adjectival, cesser de
n’est pas un bon test de stativité / dynamicité, en revanche, pour arrêter de, nous proposons la
généralisation suivante :
(333) Un adjectif qui accepte de suivre arrêter de est un adjectif de qualité-
comportement, il est donc dynamique.
Dans le domaine nominal, il faut distinguer deux emplois de arrêter. D’un côté arrêter
est un verbe causatif en (334), de l’autre, arrêter est un verbe aspectuel en (335) :
(334) Pierre a arrêté la promenade des vétérans pour passer avec son
troupeau de vaches
(335) Pierre a arrêté sa promenade afin de cueillir quelques fleurs pour
Marie
Le verbe arrêter qui nous intéresse ici est celui employé en (335), et non le verbe causatif que
nous n’examinons pas ici. Quant au verbe cesser, il n’entre pas dans une alternance causative
mais son sujet doit contrôler celui du prédicat enchâssé :
(336) * Pierre a cessé la promenade des vétérans pour passer avec son
troupeau de vaches
(337) Pierre a cessé sa promenade afin de cueillir quelques fleurs pour
Marie

225
La requête « arrêter d’être triste » donnent environ 200 occurrences, celle « cesser d’être triste » environ 570.
La requête « arrêter d’être inquiet » ne donne que 4 occurrences (d’où l’astérisque) alors que « cesser d’être
inquiet » donne 368 occurrences environ.

142
Afin de déterminer quels types de noms peuvent suivre arrêter et cesser, nous prendrons
donc soin, pour le premier, d’employer le verbe aspectuel arrêter (et non le verbe causatif) et,
pour le second, d’utiliser un sujet qui contrôle celui du prédicat enchâssé.
Parmi les noms dynamiques duratifs, ceux qui sont téliques ((338)d et e) ne donnent
pas des énoncés naturels avec arrêter et cesser. Les autres noms dynamiques duratifs226
((338)a, b et c) sont généralement acceptés :
(338) a. Pierre a (arrêté / cessé) le jardinage
b. Pierre a (arrêté / cessé) sa promenade
c. Pierre (arrêté / cessé) son discours juste avant que la foule,
furieuse, ne se rue sur l’estrade
d. ?? Pierre a (arrêté / cessé) sa réparation de voiture à l’heure du
dîner
e. ?? Pierre a (arrêté / cessé) son déménagement pour se reposer un
peu
En (338)a, le nom dénote une activité et le déterminant le est interprété de façon générique.
L’interprétation la plus naturelle est que Pierre a (arrêté / cessé) de pratiquer le jardinage (il
s’agit de l’arrêt d’une habitude). En effet, l’interprétation d’interruption d’une habitude est
plus naturelle (339) que l’interprétation spécifique (340) :
(339) Pierre a (arrêté / cessé) le jardinage il y a dix ans à cause de ses
rhumatismes
(340) ?? Jeudi dernier, Pierre (a arrêté / cessé) le jardinage vers 18h, il
ne peut donc pas avoir tué le directeur de la banque à 17h30 !
En lecture spécifique, arrêter et cesser sont très étranges227.
L’interprétation habituelle qui se présente spontanément avec jardinage n’est pas aussi
saillante avec promenade, discours ou encore réparation puisque ces noms n’acceptent pas
spontanément de prendre l’article défini générique. Pour forcer l’interprétation habituelle de
ces noms, il faut passer par un pluriel (341)a et b, à l’opposé, les noms d’actions téliques
(comme réparation) restent réfractaires à cette manipulation :
(341) a. Pierre a (arrêté / cessé) les promenades depuis des années à cause
de ses rhumatismes
b. Pierre a (arrêté / cessé) les discours depuis que Marie lui a dit
qu’il était un piètre orateur

226
Jardinage est un nom atélique (il dénote une activité). Nous reviendrons en détail sur la nature aspectuelle de
promenade ou discours (cf. chapitre 4, §2.3), il nous suffit pour le moment de préciser que ces noms ne dénotent
pas des situations téliques.
227
Toutefois, parmi les locuteurs interrogés, certains trouvent arrêter moins mauvais que cesser en lecture
spécifique.

143
b. * Pierre a (arrêté / cessé) les réparations de sa voiture depuis
qu’il a eu un accident. Maintenant il va chez un garagiste 228
Que les noms d’activités (jardinage) reçoivent naturellement une lecture générique habituelle
alors que les noms tels que promenade, discours réclament pour ce faire un contexte
particulier et que les noms d’actions téliques (réparation) ne puissent jamais recevoir cette
interprétation révèle des différences aspectuelles entre ces noms. Elles seront traitées au
chapitre 4 ; pour l’instant, seul nous intéresse le placement de la frontière entre noms statifs et
noms dynamiques.
Les noms dénotant des achèvements sont quant à eux exclus ((342)a et (343)a), et ce,
même dans les contextes favorisant la sérialisation ((342)b et (343)b). Seul un contexte
favorisant une lecture habituelle pourrait faire accepter certains achèvement (cf. (342)c), à
condition d’accepter que « la noyade de chatons » soit une activité habituelle de Pierre, ce qui
implique l’abandon de l’interprétation ponctuelle du nom pour une réinterprétation d’activité
(comme on l’a fait avec réparations de voitures, cf. note 228) :
(342) a. * Pierre a (arrêté / cessé) la noyade du chaton
b. * Pierre a (arrêté / cessé) la noyade des chatons
c. ? Pierre a (arrêté / cessé) le noyade de chatons, maintenant, il est
passé aux chiots et aux canaris
(343) * Pierre a (arrêté / cessé) sa mort
* Les rats ont (arrêté / cessé) leur mort
Enfin, les noms statifs sont tous exclus :
(344) * Pierre a (arrêté / cessé) (sa tristesse / sa maladie / sa joie)
(345) * Pierre a (arrêté / cessé) (son amour pour Marie / sa détestation
pour Paul)
(346) * Pierre a (arrêté / cessé) (sa ressemblance avec son père / sa
possession d’une maison)
Dans le domaine nominal, nous avons la généralisation suivante :
(347) Si un nom peut suivre arrêter ou cesser, alors il est dynamique,
sinon, on ne peut pas conclure.
Les trois généralisations proposées mettent en évidence une différence de fonctionnement
entre arrêter (de) et cesser (de) qui se résume schématiquement ainsi : arrêter (de) supporte
beaucoup moins bien les prédicats statifs que cesser (de). On peut se demander pourquoi
cesser accepte les statifs et pas arrêter.

228
Le seul moyen d’obtenir une phrase à lecture habituelle correcte avec réparation est de dire :
(i) Pierre a (arrêté / cessé) les réparations de voitures pour se consacrer à sa nouvelle
passion : réparer des avions
Mais, dans cet exemple, voitures est employé au pluriel et réparations de voitures est interprété comme un type
d’activité (proche de jardinage) et non comme une action télique.

144
Selon Kreutz, pour cesser quelque chose il faut en avoir la légitimité, d’où le contraste
proposé par l’auteur (2005 : 441) :
(348) ?? Pour des raisons de sécurité, Zidane a cessé le match à la
trentième minute
(349) A cause des incidents répétés, l’arbitre a cessé le match à la
trentième minute
Or, il nous semble que ce n’est pas le manque de légitimité de Zidane qui soit en cause. En
effet, le fait de remplacer Zidane par l’arbitre (qui est une personne légitimée à interrompre un
match) ne rend pas, selon nous, (349) plus acceptable que (348)229. Précisément, nous pensons
que les différences d’emploi entre cesser et arrêter reposent sur la notion d’agentivité
intentionnelle et non sur celle de légitimité. Il y a deux moyens de rendre (348) et (349)
acceptables, soit en utilisant arrêter (350), soit en rendant cesser factitif (351) :
(350) Pour des raisons de sécurité, Zidane a arrêté le match à la trentième
minute
(351) A cause des incidents répétés, l’arbitre a fait cesser le match à la
trentième minute
Autre indice que la différence sémantique entre cesser et arrêter repose sur la notion
d’intentionnalité, les énoncés mettant en scène un ordre, un conseil ou une demande (si on
laisse de côté le cas où le prédicat dénote une habitude)230 sont plus naturels avec arrêter (de)
qu’avec cesser (de) :
(352) a. ?? Pierre jouait depuis plus de quatre heures au monopoly avec
ses copains et je lui ai demandé de cesser (ce / son) jeu pour qu’il
puisse achever ses devoirs231
b. Pierre jouait depuis plus de quatre heures au monopoly avec ses
copains et je lui ai demandé d’arrêter (ce / son) jeu pour qu’il puisse
achever ses devoirs
Si, comme nous le pensons, arrêter implique l’agentivité intentionnelle du sujet, alors nous
pouvons expliquer le contraste observé en (331) (que nous rappelons en (353)). En effet, on
peut souhaiter ne plus être triste mais non le décider :
(353) a. Pierre a arrêté d’être ( ?? triste / * inquiet) (quand il a vu sa
sœur)
b. Pierre a cessé d’être (triste / inquiet) (quand il a vu sa sœur)

229
Nous attribuerions deux points d’interrogation, voire une astérisque, aux deux énoncés (348) et (349).
230
En effet, dans le cadre de l’arrêt d’une habitude, cesser peut être employé y compris dans un énoncé
exprimant un ordre :
(i) Pierre perd des sommes folles au casino. Avant d’accepter de l’épouser, Marie a
exigé qu’il cesse de jouer
L’habitude du jeu fait de Pierre un joueur, c’est bien un statut qui doit être cessé, or Kreutz (2005) montre que
les statuts peuvent suivre cesser.
231
Exemple emprunté à Kreutz (2005 : 443).

145
Notre hypothèse rejoint ce qu’on peut lire dans le Petit Robert (2004). Alors que cesser
signifie « ne pas continuer à », arrêter reçoit comme définition « interrompre ou faire finir ».
Ces deux définitions opposent cesser qui présente plutôt une fin qui arrive d’elle-même et
arrêter qui signale une interruption provoquée, voulue. Il est remarquable qu’en espagnol le
contraste entre les deux verbes parar (arrêter) et dejar (cesser) est plus net qu’en français.
Parar introduit préférentiellement les verbes dynamiques (alors que dejar est possible mais
souvent très peu naturel avec ces prédicats). Au contraire, dejar a une affinité avec les statifs
et les habitudes (qui excluent parar)232. Seuls les prédicats dynamiques ont un agent, on voit
alors nettement qu’en espagnol seul parar peut avoir un lien avec la notion d’intentionnalité.
L’hypothèse selon laquelle arrêter de requiert un sujet agentif intentionnel explique que
cette périphrase tolère mal les prédicats statifs puisque ceux-ci sont toujours non agentifs.
Cesser de au contraire accepte les sujets non agentifs, d’où sa plus grande permissivité envers
les statifs.

4.5. Conclusion partielle


Bien qu’elle ait déjà été battue en brèche, l’idée que les périphrases aspectuelles sélectionnent
des compléments Vinf ou SN dynamiques continue d’être régulièrement utilisée comme un
outil pour prouver la dynamicité d’un prédicat. Or, s’il existe bien une affinité de ces
périphrases avec la notion de dynamicité, elle ne peut pas être systématisée.
Les généralisations que nous avons proposées sont presque toutes du type : « si le
prédicat peut suivre telle périphrase aspectuelle alors il est dynamique, sinon, son statut ne
peut être décidé », cela explique sans doute le lien fort que les linguistes font entre ces
périphrases et la notion de dynamicité. Pourtant, même en dehors des contextes particuliers de
sérialisation qui favorisent les statifs, nombreuses sont les périphrases qui laissent passer une
partie des statifs au travers des mailles de leur filet.
Nous espérons avoir montré (i) que toutes les périphrases aspectuelles n’imposent pas
les mêmes restrictions de sélection aspectuelles à leur complément (il faut par conséquent les
traiter de manière individualisée) ; (ii) qu’une même périphrase aspectuelle n’impose pas
toujours les mêmes restrictions de sélection selon que son complément est de nature verbale,
adjectivale ou nominale.

232
Marín, CP.

146
5. Conclusion
Nous disposons à présent de tests permettant de déterminer si un verbe, un adjectif ou un nom
est dynamique ou statif. Nous récapitulons l’ensemble des tests qui ont été présentés dans ce
chapitre sous forme de trois tableaux (chaque tableau correspond à l’une des parties du
chapitre). La mention « NC » (« non concerné ») signifie que le test est inapplicable dans le
domaine concerné (le test ne s’applique pas pour des raisons syntaxiques, par exemple, être
en train de ne peut pas être suivi d’un nom). En revanche, le symbole « X » signifie que le
test est syntaxiquement applicable dans le domaine concerné mais qu’il n’est pas un test
adéquat pour déterminer si le prédicat est dynamique ou statif (e.g. on peut appliquer le test
commencer à au domaine verbal, mais puisque des verbes dynamiques aussi bien que des
verbes statifs peuvent suivre cette périphrase nous n’avons pas retenu ce test).
Cette première caractérisation aspectuelle des prédicats (dynamique vs statif), malgré
son importance capitale, ne peut évidemment pas suffire, et d’autres propriétés aspectuelles
doivent être envisagées (telles que la durativité et la télicité). La plupart des tests que nous
avons présentés dans ce chapitre ne font pas qu’évaluer la dynamicité du prédicat mais sont
également sensibles à d’autres propriétés sémantiques, c’est d’ailleurs pour cela qu’il est
difficile de trouver des tests embrassant la totalité des prédicats dynamiques ou statifs. Ces
tests pourront donc être à nouveau mobilisés dans la suite de cette étude pour mettre en
évidence d’autres propriétés aspectuelles que la dynamicité (ou la stativité). De plus, les tests
qui n’ont pas été jugés satisfaisants pour déterminer si un prédicat est dynamique ou statif se
révèleront peut-être utiles pour faire apparaître d’autres caractéristiques aspectuelles. Dans la
suite de cette étude, nous proposons de nous centrer sur l’étude des propriétés des noms en
entrant dans chacune des deux grandes classes dégagées : les noms statifs (chapitre 3) et les
noms dynamiques (chapitre 4). Nous nous intéresserons aux domaines verbal et adjectival, en
n’oubliant pas cette question : y a-t-il héritage des propriétés aspectuelles du prédicat de base
(verbe ou adjectif) aux prédicats nominaux qui en dérivent ?

147
Agir et Dynamicité
Tests Domaine verbal Domaine adjectival Domaine nominal
Si un verbe peut servir de réponse à cette Si un adjectif peut servir de réponse
question, alors il est agentif (et donc à cette question, alors il est agentif
Qu’a fait x (hier) ? NC
dynamique), sinon, on ne peut pas (et donc dynamique), sinon, on ne
conclure. peut pas conclure.
Sauf exception, si un verbe peut servir de si un adjectif peut servir de réponse
Qu’est-ce qui est réponse à cette question, alors il est à cette question, alors il est
NC
arrivé (à x) (hier) ? dynamique, sinon, on ne peut pas dynamique, sinon, on ne peut pas
conclure. conclure.
Si un verbe est compatible avec un
Adverbes orientés
adverbe orienté vers l’agent, alors il est
vers l’agent (e.g. NC NC
agentif (et donc dynamique), sinon, on ne
volontairement)
peut pas conclure.
Si un adjectif peut suivre cette
Si un verbe peut suivre cette locution,
locution, alors il est agentif (et donc
Etre accusé de aors il est agentif (et donc dynamique), NC
dynamique), sinon, on ne peut pas
sinon, on ne peut pas conclure.
conclure.
Si un adjectif peut prendre place en
position Adj2 dans la structure x est
x est Adj1 d’avoir Adj2
Adj1 d’avoir Adj2, alors c’est un
(+ expansion NC NC
adjectif de qual-comp (il est donc
propositionnelle)
dynamique), sinon, on ne peut pas
conclure.
Si un adjectif entre dans l’une de ces
C’est Adj de sa part /
NC structures, alors c’est un adjectif de NC
x est adj d’avoir PRED
qual-comp (il est donc dynamique).
Si un nom abstrait peut prendre un
Complément d’agent complément d’agent en par, alors il
NC NC
en par est agentif (et donc dynamique),
sinon, on ne peut pas conclure.

148
Les tests distributionnels
Domaine
Tests Domaine verbal Domaine nominal
adjectival
Si un nom morphologiquement lié à un adjectif ou à un verbe entre
dans la structure faire Det N il est, au moins dans cet emploi,
faire NC NC dynamique. S’il s’agit d’un déverbal, la locution faire Det N doit être
quasi-synonyme du verbe apparenté. Le rejet de la structure ne
Verbes permet pas de conclure.
supports Un nom pouvant suivre les verbes supports effectuer ou réaliser a un
révélateurs de effectuer emploi dynamique si la séquence V Det N dans laquelle il prend place
dynamicité procéder est quasi-synonyme du verbe morphologiquement lié au nom.
accomplir NC NC
réaliser Si un nom peut suivre les verbes supports accomplir, procéder à ou
commettre commettre, alors il a un emploi dynamique.

éprouver
Si un nom peut suivre éprouver et/ou ressentir, alors il est statif,
NC NC
Verbes ressentir sinon, on ne peut pas conclure.
supports
Si un nom abstrait peut entrer dans la structure (i) avoir Det N, où
révélateurs de
avoir signifie « posséder », et/ou la structure (ii) avoir en soi un(e)
stativité avoir NC NC
grand(e) N, alors ce nom dénote une situation stative, sinon, on ne
peut pas conclure.
Si un nom prédicatif peut servir d’argument interne à la préposition
Préposition temporelle :
NC NC temporelle pendant, alors ce nom est télique (la majorité des noms
Pendant
téliques sont dynamiques).

Si un nom peut être sujet des prédicats avoir lieu ou se produire, alors
Prédicats événementiels :
NC NC il dénote un événement. Les noms pouvant dénoter des événements
avoir lieu, se produire
sont presque tous dynamiques.

149
Les périphrases aspectuelles
Tests Domaine verbal Domaine adjectival Domaine nominal
Si un nom accepte de se combiner
Dans un contexte donné, si un verbe Si un adjectif accepte la forme avec en cours (hors emploi
accepte la forme progressive, alors il est progressive (être en train de) alors prépositionnel) et/ou en voie de,
Le progressif
dynamique, sinon, il est très certainement c’est un adjectif dynamique, sinon, alors il est dynamique duratif et
statif. on ne peut pas conclure. télique, sinon, on ne peut pas
conclure.
être sur le point de X X NC
Si un adjectif peut suivre venir de
Si un verbe peut suivre venir de, il est
venir de c’est un adjectif dynamique, sinon, NC
dynamique.
on ne peut pas conclure.
Si un nom prédicatif peut suivre les
périphrases aspectuelles commencer
commencer (à), et/ou continuer, alors il est
X X
continuer (à) dynamique, sinon, il peut s’agir d’un
nom d’achèvement ou d’un nom
statif.
Si un nom prédicatif peut suivre la
Si un Vinf peut suivre finir de, alors il est
périphrase aspectuelle finir, alors ce
dynamique (et télique), sinon, on ne peut
finir (de) X nom est dynamique, sinon, le nom
pas conclure (il peut s’agir d’une activité,
dénote une situation stative ou
d’un achèvement ou d’un statif).
ponctuelle ou encore atélique.
Si un nom abstrait peut suivre
cesser (de) X X arrêter il est dynamique, sinon, on
ne peut pas conclure.
Si un adjectif accepte de suivre Si un nom peut suivre cesser il est
Arrêter (de) X arrêter de, alors c’est un adjectif dynamique, sinon, on ne peut pas
dynamique. conclure.

150
Chapitre 3
Ce que disent les prépositions dans et en (plein) des
propriétés aspectuelles des noms statifs

Dans ce chapitre, nous souhaitons approfondir l’étude des noms statifs dans leur rapport au
temps. Pour ce faire nous nous intéresserons en particulier au rapport entre le sujet humain et
ses qualités / états. Nous avons vu précédemment que certains noms statifs, les noms d’états,
ont un rapport au temps. Ils sont compatibles avec l’expression de la durée (354) et de la
mesure temporelle (355) :
(354) a. Son énervement n’a duré que quelques minutes, mais quelle
violence dans ses propos !
b. Sa tristesse a duré des années
c. La dépression de Pierre dure depuis des années, tu ne l’en tireras
pas avec quelques grimaces et des bons mots
(355) une colère de quelques minutes / un désespoir de plusieurs mois /
trois jours de fureur
Ces noms peuvent servir d’arguments à un certain nombre de prépositions temporelles,
notamment après et avant :
(356) a. Après sa dépression, Pierre n’a plus jamais été le même
b. Avant sa maladie, Pierre voyageait beaucoup
c. Après cette grande joie, j’ai vite sombré dans le désespoir
d. Juste avant cette colère, Pierre était très calme
En revanche, les noms statifs dépourvus de rapport au temps, les noms de qualités, ne sont pas
compatibles avec ces prépositions :
(357) * (Après / avant) sa (désinvolture / gentillesse / stupidité), Pierre n’a
pas dit un mot
Il est remarquable que les noms d’états ne soient pas tous compatibles avec la
préposition temporelle pendant :
(358) a. Pendant sa (dépression / maladie), Pierre a perdu plus de dix kilos
b. Le bandit aura pris la fuite pendant mon (évanouissement /
étourdissement) : quand j’ai rouvert les yeux, il avait disparu !
c. Pierre a dit des choses horribles pendant son ivresse, Marie en est
encore toute retournée
(359) a. * Pierre a cassé un vase pendant sa fureur
b. * Pierre a tenté de se suicider plusieurs fois pendant son
(désarroi / désespoir), par chance il est si maladroit qu’il a échoué à

151
chaque fois
c. * Pendant sa joie, Pierre était très euphorique
(360) a. Pendant une crise de fureur, Pierre a cassé un vase
b. Pendant un accès de désespoir, Pierre s’est pendu
c. Pendant un instant de joie, il a cru, bien à tort, que tous ses
problèmes étaient résolus
Cela s’explique par la sensibilité de la préposition pendant au trait [± borné] de son
argument233. Tous les noms d’états ne permettent pas, ou pas aussi aisément, de dénoter une
situation bornée. Alors que les noms tels que dépression (cf. (358)) dénotent volontiers des
situations bornées, les noms tels que fureur (cf. (359)) ne le peuvent que difficilement sans
l’ajout d’une expression forçant la lecture bornée (cf. (360)). Il semble que cette hétérogénéité
soit liée à des paramètres pragmatiques ; ainsi, nous concevons naturellement une maladie ou
une dépression comme une période de temps close pourvue d’un terme, alors qu’une joie ou
une fureur, bien qu’occupant du temps, ne paraissent pas intrinsèquement bornées. Les
prépositions temporelles avant et après acceptent quant à elles des noms dénotant des
situations bornées (361) ou non bornées (362), pourvu qu’elles aient un rapport au temps :
(361) a. Après la promenade, Pierre a fait la sieste
b. Avant l’accouchement, Marie a écouté un lied de Schubert
c. Après sa dépression, Pierre n’a plus jamais été le même
d. Avant sa maladie, Pierre voyageait beaucoup
(362) a. Après le jardinage, il faut se laver soigneusement les mains
b. Avant le patinage, Pierre fait toujours quelques étirements
c. Après cette grande joie, j’ai vite sombré dans le désespoir
d. Juste avant cette colère, Pierre était très calme
Cela s’explique par le fait que ces prépositions présentent le début ou la fin de la situation
qu’elles introduisent comme un point du temps servant de repère pour situer une autre
situation, autrement dit, ces prépositions apportent à leur argument une sorte de bornage
externe. Ces prépositions permettent de discriminer les situations « hors temps », comme les
qualités.
Pour situer un sujet dans un état, pendant n’est pas un bon candidat car, nous l’avons
vu, le comportement des états vis-à-vis de cette préposition est variable. Nous lui préférons

233
Dans le domaine actionnel, la préposition pendant opère les mêmes restrictions de sélection que dans le
domaine statif :
(i) Pierre ne fume jamais pendant la promenade
(ii) ??# Pierre ne fume jamais pendant (le / la) (jardinage / natation)
Alors que promenade dénote une action délimitée, ou en tout cas délimitable, (une promenade de deux heures),
jardinage et patinage dénotent des situations atéliques (* un jardinage de deux heures) ce qui rend les énoncés
(ii) étranges. La seule interprétation possible de ces énoncés est que Pierre ne fume jamais pendant une séance de
(jardinage /patinage), où séance de permet un bornage de l’action, de la même manière que crise de et accès de
opèrent un bornage de l’état.

152
dans (dans la structure dans + déterminant possessif + N) qui n’est pas sensible à l’opposition
[± borné]. Nous verrons que cette structure prend deux sens différents en fonction des
propriétés sémantico-aspectuelles du nom statif N. La seconde partie du chapitre sera
consacrée à l’étude des prépositions en et en plein dans la structure N[+HUM] être en (plein) N.
Nous commencerons par les étudier lorsqu’elles introduisent des noms de lieux afin de définir
leur fonctionnement, puis nous les étudierons lorsqu’elles introduisent des noms d’états234.

1. Dans et les noms statifs


Un nombre non négligeable de noms statifs entrent dans la structure dans Det pos N. En voici
quelques exemples :
(363) dans (son / sa) (affolement / agacement / avarice / avidité /
bienveillance / désarroi / énervement / euphorie / gloutonnerie /
ignorance / ivresse / patience)
Cependant, la présentation alphabétique des noms adoptée en (363) laisse dans l’ombre une
opposition sémantique importante que nous souhaitons étudier. Commençons par l’illustrer
par quelques exemples attestés235 :
(364) a. Dans son affolement, il a oublié son portefeuille (web)
b. Mea culpa, dans mon agacement je n’avais pas donné
suffisamment de renseignements sur cette lettre (web)
c. Dans son désarroi, il accuse les Nuées d’être la cause de son
malheur (web)
d. Dans son énervement, il prit la boîte et la lança à travers la pièce.
Je me précipitai alors vers la télévision, que j’éteignis pour stopper
sa colère (web)
e. Il commençait à découvrir Rome. Dans son euphorie, il crut à des
retrouvailles entre la ville et lui, à une reconnaissance et une
acceptation réciproques (F/ Bianciotti)
f. Il partit pour le bagne, convaincu que, dans son ivresse, il avait
réellement assassiné quatorze personnes (web)
(365) a. Et moi, dans mon avarice, je ne voulais pas vous perdre, mais je
voulais posséder à la fois vous et le mensonge (web / St Augustin)
b. Dans son avidité, il se conduit comme un loup, mettant en pièces
les autres animaux (web / St Hildegard)
c. Le bienheureux Nicolas fut un homme suprêmement compatissant et,

234
Que les prépositions en et dans permettent d’introduire des noms statifs n’est pas un hasard. Comme le
rappelle De Mulder (2008b : 287), la préposition dans a été créée pour pallier un risque de confusion généré par
la fusion de en + le, en + les mais aussi de à + le, à + les en au, aux. Dans a progressivement supplanté en dans
les emplois spatiaux mais ces deux prépositions ont en commun de pouvoir établir une localisation métaphorique
dans un état psychologique (ibid. : 284 et 289).
235
La mention « web » signale que l’exemple a été trouvé sur la toile, la mention « F » qu’il a été trouvé dans la
base de données « Frantext ». La mention « F » est systématiquement suivie du nom de l’auteur ; la mention
« web » peut l’être, si l’auteur était mentionné.

153
dans sa bienveillance, il répandait ses ressources en faveur des affligés:
ayant donné son or, il sauva des vierges de l’indigence (web)
d. Dans sa gloutonnerie, le monstre les avait avalés tout rond (web)
e. Dans son ignorance, il [y] a mis des syllabes brèves à la place des
longues, et des longues où il faudrait des brèves (web / Hugo, A)
f. Mais Dieu ne juge jamais sans en avoir prévenu ceux que, dans sa
patience, il voudrait encore arracher à un châtiment pourtant mérité
(web)
En première approximation, on peut dire que le rapport entre le syntagme prépositionnel dans
Det pos N et la prédication principale est à la fois causal et temporel dans les énoncés (364)
alors qu’il n’est que causal en (365). On divise donc la liste de noms de (363) en deux séries
distinctes :
(366) dans (son / sa) (affolement / agacement / désarroi / énervement /
euphorie / ivresse)
(367) dans (son / sa) (avarice / avidité / bienveillance / gloutonnerie/
ignorance / patience)
Notre hypothèse est que les propriétés sémantico-aspectuelles des noms statifs pouvant suivre
dans Det pos déterminent le rapport (causal ou temporel-causal) que le syntagme
prépositionnel entretient avec la prédication principale. Nous commencerons par mettre en
évidence ces deux rapports et nous verrons ensuite comment les propriétés aspectuelles des
noms statifs expliquent cette différence sémantique. Mais auparavant, nous devons délimiter
plus précisément le cadre de l’analyse.

1.1. Préliminaires
1.1.1. Le choix de la structure
C’est la lecture des articles de Leeman (1985, 1999a) qui nous a donné l’idée d’observer de
près la structure qui y est étudiée : dans Det pos N. Leeman (1985) étudie les cas où cette
structure induit un sens à la fois de cause et de durée et elle baptise ces compléments des
« compléments cause-durée ». L’ensemble des arguments qu’elle avance dans son article
mène à l’élaboration d’une paraphrase dont le rôle est de prouver que le double rapport de
cause et de temps est bien présent : « x traverse une période de N telle que… » (1985 : 117-
121). Dans cette paraphrase, la locution une période de doit assurer qu’il y a bien expression
d’une durée et le comparatif tel que assure que le nom est soumis à gradation ; l’intensité
excessive étant, selon Leeman (1985), la cause de la situation dénotée par la prédication
principale. Ainsi, en (368)a, le rapport de cause-durée entre le syntagme prépositionnel et la
prédication principale est vérifié par la possibilité d’avoir la paraphrase (368)b :

154
(368) a. Dans mon affolement, je lâchai mon panier de cerises
b. J’ai traversé une période d’affolement tel que j’ai lâché mon
panier de cerises
Outre que le recours à une paraphrase n’est peut-être pas suffisamment démonstratif, l’un des
principaux problèmes de cette paraphrase est qu’elle implique que la relation de cause à effet
est due à l’excès de l’intensité de l’état (au sens large) dénoté par le nom236. Or, nous pensons
qu’il n’est pas nécessaire de postuler que la situation dénotée par le nom statif est
excessivement intense. En effet, si le degré d’intensité des états était réellement excessif, on
ne pourrait pas les intensifier davantage par le biais d’adjectifs tels que grand ou profond :
(369) a. Dans sa torpeur, il ne vit pas l’anneau réservé pour les attaches
de bateau, et s’affala de tout son long (web)
b. Dans ma surprise, je ne pus trouver un mot (web)
c. Dans sa stupéfaction il en oublie même de boire et meurt de soif
devant sa fontaine (web)
(370) a. Dans sa profonde torpeur, il ne vit pas l’anneau réservé pour les
attaches de bateau, et s’affala de tout son long
b. Dans ma grande surprise, je ne pus trouver un mot
c. Dans sa grande stupéfaction il en oublie même de boire et meurt
de soif devant sa fontaine
Les adjectifs grand et profond utilisés intensivement en (370) marquent le haut degré
d’intensité de l’état. On en déduit qu’en (369) l’intensité n’était pas excessive et que ce n’est
pas son excès qui est responsable du rapport causal exprimé par la structure dans Det pos N.
Notons néanmoins que l’expression du haut degré d’intensité en (370) a tendance à modifier
la relation existant entre la situation dénotée par le nom et celle exprimée par la prédication
principale en effaçant la relation temporelle au profit de celle de cause. Cette supposition
repose sur l’observation de la compatibilité d’un nom comme stupéfaction avec une tournure
forçant la lecture temporelle du nom. Alors que l’on obtient environ 888 résultats sur Google
pour la requête « un moment de stupéfaction », la requête « un moment de grande
stupéfaction » ne donne quant à elle que 2 résultats :
(371) a. un moment de stupéfaction
b. * un moment de grande stupéfaction
Ce contraste semble confirmer que le haut degré d’intensité de l’état bloque l’interprétation
temporelle, mais cela ne suffit pas pour le rendre responsable de l’interprétation causale,
puisque celle-ci existe également dans les énoncés sans intensifieur (cf. (369)). L’impression
de renforcement de la relation causale lorsque l’intensité de l’état est élevée tient semble-t-il à

236
Leeman écrit que « tel(le) que […] rend compte de la relation de cause à conséquence – la cause étant liée à
l’excès » (1985 : 118).

155
l’effacement, au moins partiel, de la relation temporelle. Aussi, invoquer le haut degré
d’intensité de l’état comme constitutif de la relation de cause des compléments cause-durée
n’est pas justifié.
En dehors de ce problème fondamental, la paraphrase proposée par Leeman ne peut
pas être un bon filtre car nombre de noms considérés par l’auteur comme fondant des
compléments de cause-durée (i.e. figurant dans la longue liste de noms entrant dans des
compléments de cause-durée donnée en annexe dans Leeman (1985)), ne peuvent pas suivre
la tournure période de :
(372) ?? une période de (avarice / bienveillance)
Notons que les noms qui résistent à l’emploi de période de font partie de ceux que nous avons
réunis sous (367), et qui n’entretiennent pas, selon nous, une relation de cause-durée mais de
cause seule avec la prédication principale.
Pour ces deux motifs, nous n’adopterons pas la paraphrase proposée par Leeman
(1985) comme test pour délimiter la classe des compléments de la forme dans Det pos N
exprimant un rapport de cause et de temps. Un certain nombre de noms qui selon Leeman
(1985) fondent un complément de cause-durée fondent pour nous au contraire un complément
de cause simple237. Afin d’éviter toute confusion, nous préférons également abandonner
l’appellation pourtant judicieuse de « complément cause-durée » et parlerons de complément
de « temps-cause ». Notre étude portera sur l’opposition entre les compléments de cause et
ceux de temps-cause de la forme dans Det pos N.

1.1.2. La composition de la structure


Même si nous nous écartons de l’analyse de Leeman (1985) pour ce qui est de l’interprétation
sémantique de la structure dans Det pos N (nous identifions deux interprétations là où elle
n’en voit qu’une), nous partageons entièrement son analyse des contraintes qui pèsent sur la
structure pour obtenir un complément de cause-durée (pour Leeman) ou un complément de
cause / temps-cause (pour nous). Nous allons brièvement reprendre ses arguments.
Une contrainte forte pèse sur l’énoncé entier : il faut impérativement que le sujet de la
prédication principale et celui du nom statif soient co-référents238. Cette contrainte explique
que le déterminant du nom statif soit un possessif. Comme le souligne Leeman (1999a : 81-
82), non seulement dans implique un rapport de concomitance entre les deux situations

237
Grosso modo, nous divisons la liste des noms formant des compléments de cause-durée de Leeman (1985) en
deux classes : les noms formant des compléments de cause et ceux formant des compléments de temps-cause.
238
Nous entendons par « sujet du nom » le référent qui éprouve la situation dénotée par le nom statif. Dans la
structure étudiée, ce sujet est linguistiquement présent sous la forme du déterminant possessif.

156
dénotées par le nom et la prédication principale239, mais, en plus, la situation dénotée par le
nom doit être constitutive de celle dénotée par la prédication principale240. Cette seconde
contrainte explique le contraste entre (373)a et (373)b :
(373) a. * Il n’est pas conseillé de se tenir trop près du bord du quai dans
l’arrivée du train
b. Il n’est pas conseillé de se tenir trop près du bord du quai pendant
l’arrivée du train241
La position des voyageurs n’est pas un élément constitutif de l’arrivée d’un train, seul le
rapport de concomitance (sens pris en charge par pendant) est présent242.
Ce rapport de « constitutivité » peut prendre la forme d’une relation causale reliant les
deux éléments prédicatifs de la phrase243 :
(374) Dans son énervement, Pierre tua sa femme
(375) * Dans mon énervement, Pierre tua sa femme
Alors qu’en (374) le rapport de cause peut s’établir entre l’état de Pierre et son acte, cela
devient impossible en (375) puisque mon état d’énervement ne peut pas expliquer l’acte de
Pierre. Il faut, comme le souligne Leeman (1985 : 100), un rapport de cause interne entre les

239
Leeman (1999a : 81) illustre le rapport de concomitance à l’aide des exemples suivants :
(i) a. * Marie est morte aujourd’hui dans l’accident d’hier
b. Marie est morte aujourd’hui à cause de l’accident d’hier
240
Dans son analyse des différents sens de dans, De Mulder (2008a) montre que le rapport de contenant /
contenu souvent utilisé pour décrire cette préposition permet, associée à celle de contrôle (i.e. le contenant
exerce une force dynamique sur le contenu, autrement dit le « contrôle » (Vandeloise 1993 : 30)), de décrire
certains emplois non spatiaux de dans, à condition de prendre en compte qu’en changeant de domaine ces
notions changent aussi de contenu. Reprenant un exemple de Leeman (1999b : 75) :
(i) Dans son avarice sordide, il ne laissa pas le moindre centime au serveur
De Mulder souligne que la préposition dans « implique toujours l’existence d’un rapport étroit » entre les deux
prédications exprimées dans l’énoncé, rapport qui peut être de cause (2008a : 301-302).
241
Exemples empruntés à Leeman (1999a : 82).
242
Dans l’exemple suivant, lui aussi emprunté à Leeman (1999b), on comprend que ce sont les chars qui
produisent le fracas :
(i) Les chars arrivent dans un grand fracas de ferrailles
Il y a donc bien un rapport de concomitance mais aussi un lien de constitutivité entre les deux événements,
autrement dit, « dans établit une relation qu’on pourrait dire méronymique entre ce qui est relaté dans le
complément et que rapporte son cotexte : le fracas est présenté comme un "ingrédient" de l’arrivée » (Leeman
1999b : 77).
243
Cadiot (2002: 18) explique que l’analyse de dans uniquement par le biais de la notion d’inclusion topologique
est incomplète. Il rappelle que le sémantisme de dans peut aussi être décrit grâce aux notions de dépendance,
contrôle et cause. Il ajoute que dans certains emplois, dans a une fonction prédicative « car elle consiste à
connecter deux prédications en prélevant pour ainsi dire l’une sur le fond de l’autre » (2002 : 20). Ce sont des
cas de ce type qui nous occupent ici.

157
deux prédications, ce qui impose qu’il y ait coréférence entre les sujets244. Lorsque le rapport
entre les deux éléments mis en relation par dans est de nature causale, il devient impossible
d’ajouter une cause externe :
(376) Le château a été détruit (par l’orage) pendant la bataille
(377) Le château a été détruit (?? par l’orage) dans la bataille245
Un certain nombre de contraintes distributionnelles pèsent sur la séquence dans Det
pos N. Concernant la préposition, la seule possible est dans. Une préposition comme durant
ou pendant ne prendrait en charge que la relation temporelle, une préposition comme de
éliminerait la relation temporelle au profit de la seule cause246 (Leeman 1985 : 103-105). Le
déterminant doit être un possessif afin de ne pas violer la contrainte de coréférentialité247.
Enfin, les noms entrant dans la structure étudiée sont très généralement employés au singulier
(1985 : 108) et ont en commun que leur sujet soit non actif (1985 : 113), en effet, le
déterminant possessif introduisant le nom réfère à l’expérienceur de l’état dénoté par le nom
(son « sujet »). Cette contrainte explique que la majorité des noms susceptibles de former un
complément de temps-cause ou de cause simple introduit par dans soient des statifs.

1.1.3. Délimitation du corpus


Pour établir notre corpus de noms et de phrases nous avons utilisé la base de données
« Frantext » ainsi que le moteur de recherche Google. Nous utiliserons à l’occasion des
exemples construits à condition que leur acceptabilité soit franche248.

244
Une cause interne est une cause dont « la source […] n’est ni un événement ni un autre être humain mais un
prédicat dont le sujet est coréférent à celui de la phrase "principale" » (G. Gross 1999 : 81). L’auteur en donne
comme exemple :
(i) Dans sa bêtise, il est allé dénoncer son voisin
Dans cet énoncé, la cause est interne au sens où elle est une propriété (la bêtise) du sujet de l’action « dénoncer
son voisin ».
245
Exemples et analyse tirés de Leeman (2001 : 106-107).
246
Nous reviendrons au §1.2.2 sur l’analyse de de.
247
Leeman note à juste titre que le déterminant peut parfois être un article défini ou indéfini mais qu’alors la
présence d’un modifieur devient obligatoire (1985 : 106-107) :
(i) a. ? Dans l’agitation, on oublia les canaris
b. Dans l’agitation générale, on oublia les canaris
(ii) a. ?? Le malade, dans une agitation, renversa le verre posé sur la table de nuit
b. Le malade, dans une agitation fébrile, renversa le verre posé sur la table de nuit
Ces deux cas sont par ailleurs très différents : alors qu’en (i) la présence du défini à la place du possessif est
imposée par l’adjectif générale qui renvoie au « sujet » de agitation, rendant impossible l’emploi du déterminant
possessif ; en (ii), la présence de l’indéfini est due à l’ajout de l’adjectif fébrile qui qualifie l’agitation. On a alors
une interprétation sortale de l’indéfini.
248
L’inconvénient des exemples attestés est que leur compréhension nécessite fréquemment une
contextualisation et que leur longueur les rend moins lisibles que les exemples construits. Très souvent, nos
exemples construits ne sont que des simplifications d’exemples attestés.

158
Les noms pouvant suivre dans Det pos trouvés sur Frantext ont systématiquement fait
l’objet d’une requête sur Google afin de vérifier qu’un nombre minimum d’attestations existe.
Les requêtes ont été les suivantes :
(378) a. dans (mon / ma) N, (je / j’)
b. dans (ton / ta) N, tu
c. dans (son / sa) N, (il / elle)
d. dans leur N, (ils / elles)
Si le nombre total d’occurrences après application des différentes requêtes présentées en (378)
est inférieur à dix, alors le nom n’a pas été retenu dans notre corpus, à moins qu’il ne s’agisse
d’un nom dont la rareté puisse expliquer le très faible emploi dans la structure. Nous ne
prétendons nullement avoir dressé une liste exhaustive des noms pouvant suivre dans Det pos
pour former un complément de cause ou de temps-cause. Notre but n’était pas celui-là mais
plutôt d’avoir une liste suffisamment fournie de noms accompagnés d’exemples pour asseoir
notre propos. Finalement, nous avons retenu près de 150 noms statifs249. Au niveau des noms,
ont été exclus les noms dynamiques250 ; au niveau des énoncés, ont été exclus les cas où il n’y
avait aucune relation causale puisque seuls nous intéressent les cas où on a un rapport de
(temps-)cause.
Quelques noms dynamiques peuvent entrer dans la structure dans Det pos N :
(379) a. Il a entraîné tous ses co-équipiers dans sa chute
b. Deux hommes ont été tués dans l’explosion d’une voiture piégée
(Libération, 22 juin 1998)251
Ces noms sont relativement peu nombreux et l’interprétation du rapport entre les deux
prédications n’est pas toujours aisée. Nous avons choisi d’écarter ces noms252. L’élaboration

249
abattement, abnégation, absurdité, accablement, admiration, affection, affliction, affolement, agacement,
agitation, allégresse, amertume, angoisse, anxiété, apathie, ardeur, arrogance, aveuglement, bienveillance,
bizarrerie, bonheur, bonté, brutalité, candeur, chagrin, clairvoyance, clémence, colère, coma, confusion,
consternation, crainte, crédulité, cupidité, cynisme, déception, déchaînement, déchéance, dévouement, délire,
démence, dénuement, dépit, déprime, déraison, désappointement, désarroi, désespoir, désinvolture,
désoeuvrement, détresse, déveine, douleur, ébahissement, effarement, effroi, égarement, égoïsme, émoi, émotion,
emportement, empressement, énervement, ennui, état, étonnement, étourderie, euphorie, exaltation,
exaspération, excitation, faiblesse, fatigue, fidélité, fièvre, folie, fureur, galère, haine, hargne, honte, hypocrisie,
idiotie, ignorance, imagination, impatience, imprudence, indécision, indifférence, indignation, inquiétude,
insolence, irritation, isolement, ivresse, jalousie, joie, lâcheté, lassitude, léthargie, liberté, lucidité, maladie,
maladresse, malheur, malveillance, méchanceté, mélancolie, mépris, misère, modestie, naïveté, nervosité,
nudité, obsession, orgueil, panique, paresse, perplexité, peur, préoccupation, prétention, prévoyance, pudeur,
rage, ravissement, rêverie, sagesse, sauvagerie, semi conscience, simplicité, solitude, sollicitude, sottise,
souffrance, stupéfaction, stupidité, surprise, témérité, timidité, torpeur, tristesse, trouble, vanité.
250
Pour une étude de la structure dans Det pos Ndynamique, cf. Leeman (1999a) ; à propos de dans suivi d’un
nom d’action, cf. Leeman (2001).
251
Exemple emprunté à Leeman (1999a : 79).
252
On peut toutefois noter que dans l’exemple (379)b, le syntagme dans l’explosion entretient avec la
prédication un double rapport de cause et de temps puisque les deux hommes sont tués à cause de et pendant

159
de notre corpus suppose donc que l’on puisse discriminer les noms statifs des noms
dynamiques ce qui est le cas grâce à l’ensemble des tests et indices qui ont été réunis au
chapitre 2. Il serait fastidieux de prouver que chacun des 150 noms de notre liste est bien
statif. Nous le faisons pour quelques-uns, ce qui permet de rappeler les tests de stativité dans
le domaine nominal :
(380) Pierre (éprouve / ressent) de (l’abattement / l’affolement /
l’admiration / la colère / la crainte / l’étonnement / l’euphorie /
l’excitation / la honte / l’indifférence / l’ivresse / la nervosité / la
souffrance / la tristesse)
(381) Pierre a de (l’ardeur / la bienveillance / la bonté / la candeur / la
clairvoyance / la haine / l’imagination / la joie / la naïveté / la
modestie / la vanité)
Certains statifs n’acceptent que les verbes supports éprouver et/ou ressentir, d’autres
n’acceptent que le verbe support avoir et certains valident les deux tests. La validation de l’un
des deux tests suffit pour conclure à la stativité du nom. Seuls posent problème les noms qui
refusent ces deux tests de stativité et que nous avons pourtant retenus dans notre liste. Nous
disposons de nombreux tests de la forme « si le nom peut se combiner avec tel élément, alors
il est dynamique, sinon, on ne peut pas conclure ». Si un nom refuse tous les tests de
dynamicité alors, la somme des indices allant à l’encontre du trait [+ dynamique] finit par
faire une « preuve par défaut » de leur stativité :
(382) * Faire (un/ une253) (absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie /
brutalité / délire / démence / emportement / fidélité / liberté /
perplexité)
(383) * (accomplir / effectuer / procéder à / réaliser) (un / une) (absurdité /
apathie / aveuglement / bizarrerie / brutalité / délire / démence /
emportement / fidélité / liberté / perplexité)
(384) * pendant (le / la / l’) (absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie /
brutalité / délire / démence / emportement / fidélité / liberté /
perplexité)
(385) * (Le / la /l’) (absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie /
brutalité / délire / démence / emportement / fidélité / liberté /
perplexité) (a eu lieu / s’est produit(e) hier)
(386) * en voie de (absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie /
brutalité / délire / démence / emportement / fidélité / liberté /
perplexité)

l’explosion. Afin de ne pas nous écarter de notre propos, nous excluons les noms dynamiques de notre corpus
mais il serait intéressant d’étudier ultérieurement ce type de cas.
253
Pour ne pas alourdir les exemples, nous mettons le déterminant qui sert généralement dans le test concerné.
Cependant, dans l’ensemble des cas présentés de (382) à (388) le lecteur peut faire varier à sa guise le
déterminant, il constatera que les résultats obtenus ne sont guère meilleurs.

160
(387) * (Le / la /l’) (absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie /
brutalité / délire / démence / emportement / fidélité / liberté /
perplexité) (est) en cours
(388) * Pierre (a commencé / a fini / a arrêté / a cessé) (son / sa)
(absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie / brutalité / délire /
démence / emportement / fidélité / liberté / perplexité) hier
Nous concluons que les noms absurdité / apathie / aveuglement / bizarrerie / brutalité /
délire / démence / emportement / fidélité / liberté / perplexité sont statifs, et puisqu’ils peuvent
suivre dans Det pos ils font partie de notre corpus de noms.
Etant donné que nous étudions la différence entre les compléments de temps-cause et
ceux de cause pure, les énoncés dans lesquels le rapport de causalité est absent (quand bien
même un rapport temporel existe) ne seront pas pris en compte dans cette étude :
(389) a. Dans notre déveine on a du bol : personne nous course (F/ Blier)
b. Dieu ! Quel songe à la fois triste et délicieux ! Dans mon
accablement je me sentais ravie loin de notre humble terre et par-
delà les cieux (web / Guiraud)
(390) Les pauvres bergers étaient tellement effrayés que dans leur
imagination ils voyaient le loup toujours robuste, se tenant fier au
sommet de la montagne (web)
Dans les exemples (389), le rapport entre le syntagme prépositionnel et la prédication
principale est concessif et non causatif, comme le montre la possibilité de remplacer dans par
malgré. En (390), le sens est ambigu : soit l’imagination est considérée comme une faculté et
dans ce cas l’énoncé pourrait figurer dans notre corpus, soit l’imagination est vue comme une
sorte de lieu, d’écran sur lequel se projette une réplique trompeuse de la réalité, auquel cas le
rapport est locatif et non causal. La prudence nous fait écarter cet exemple.
A partir des exemples attestés dont nous disposons, nous commencerons par tenter de
prouver qu’il existe bien deux types de compléments introduits par dans : ceux de cause vs
ceux de temps-cause. Nous nous pencherons ensuite sur les propriétés sémantico-aspectuelles
des noms formant des compléments de cause (désormais « CC ») et de ceux formant des
compléments de temps-cause (désormais « CTC ») afin de voir si elles peuvent expliquer
l’existence de ces deux types de compléments.

1.2. Complément de temps-cause (CTC) vs Complément de cause (CC)


Par commodité, les noms entrant dans des CTC seront évoqués par l’étiquette « NTC », ceux
entrant dans des CC par celle « NC ».

161
1.2.1. Rapport temporel entre le CTC et la prédication principale
Les CTC, contrairement aux CC, ont un rapport temporel avec la prédication principale :
(391) a. Dans son énervement, Pierre a étranglé sa femme
b. (Pendant / alors) qu’il était énervé, Pierre a étranglé sa femme
Le rapport temporel qui existe entre le prédicat énervement et le prédicat étrangler est un
rapport de concomitance que nous avons explicité en (391)b254. Les NTC acceptent de suivre la
tournure dans un moment de, ce qui souligne le rapport temporel que les CTC entretiennent
avec la prédication principale. Au contraire, les NC rejettent cette transformation. Nous
modifions les exemples attestés proposés en (364) et (365) pour illustrer ce point :
(392) a. Dans un moment d’affolement, il a oublié son portefeuille
b. Mea culpa, dans un moment d’agacement je n’avais pas donné
suffisamment de renseignements sur cette lettre
c. Dans un moment de désarroi, il accuse les Nuées d’être la cause
de son malheur
d. Dans un moment d’énervement, il prit la boîte et la lança à travers
la pièce. Je me précipitai alors vers la télévision, que j’éteignis pour
stopper sa colère
e. Il commençait à découvrir Rome. Dans un moment d’euphorie, il
crut à des retrouvailles entre la ville et lui, à une reconnaissance et
une acceptation réciproques
f. Il partit pour le bagne, convaincu que, dans un moment d’ivresse,
il avait réellement assassiné quatorze personnes
(393) a. * Et moi, dans un moment d’avarice, je ne voulais pas vous
perdre, mais je voulais posséder à la fois vous et le mensonge
b. * Dans un moment d’avidité, il se conduit comme un loup, mettant
en pièces les autres animaux
c. * Le bienheureux Nicolas fut un homme suprêmement compatissant
et, dans un moment de bienveillance, il répandait ses ressources en
faveur des affligés: ayant donné son or, il sauva des vierges de
l’indigence
d. * Dans un moment de gloutonnerie, le monstre les avait avalés
tout rond
e. * Dans un moment d’ignorance, il [y] a mis des syllabes brèves à la
place des longues, et des longues où il faudrait des brèves (web / Hugo, A.)

254
Comme le signale Leeman (1985), dans un moment de N, dans une période de N, durant son N privilégient le
rapport temporel au détriment du rapport causal. Fabre & Le Draoulec (2006) ont remarqué un phénomène
similaire avec la préposition temporelle avant qui, suivie d’un SN, peut instituer un rapport temporel et causal
avec la prédication principale. Elles donnent les exemples :
(i) a. Avant l’apéro, je n’avais pas mal à la tête
b. Avant le moment de l’apéro, je n’avais pas mal à la tête
Les auteurs remarquent qu’ « il semble qu’avec l’insertion d’un nom de temps, on atténue la relation de cause à
effet sensible [dans l’exemple (i)] », puisqu’en (i)a plus qu’en (i)b c’est le fait de prendre l’apéro qui m’a donné
mal à la tête (2006 : 52-53). Nous en déduisons que (391)b n’est pas une paraphrase de (391)a puisque le rapport
causal existant en (391)a est diminué.

162
f. * Mais Dieu ne juge jamais sans en avoir prévenu ceux que, dans
un moment de patience, il voudrait encore arracher à un châtiment
pourtant mérité
Alors que les NTC sont compatibles avec la tournure dans un moment de, les NC ne le sont pas.
Cela laisse penser que les NC et les NTC appartiennent à deux classes de noms statifs
distinctes. Les exemples (392) et (393) confirment qu’on a bien deux types de compléments
de la forme dans Det pos N dont l’un seulement implique un rapport temporel. Il reste à
montrer que, dans les deux cas, il y a bien un rapport causal.

1.2.2. Rapport causal entre le CC ou le CTC et la prédication principale


Outre qu’ils partagent la même structure, les CTC et CC expriment tous deux un rapport
causal, d’où le risque de confusion entre ces deux types de compléments. On peut mettre en
évidence le rapport causal qu’entretiennent ces compléments avec la prédication principale en
introduisant des connecteurs de cause tels que à cause de (le rapport causal est alors connoté
négativement), grâce à (le rapport causal est alors connoté positivement) ou, de façon plus
neutre, en raison de :
(394) a. En raison de son affolement, il a oublié son portefeuille
b. A cause de son énervement, il prit la boîte et la lança à travers la
pièce. Je me précipitai alors vers la télévision, que j’éteignis pour
stopper sa colère
c. Fort heureusement, grâce à son agitation, il oublia la formule de
cette redoutable arme chimique et ne la retrouva plus jamais.
(395) a. En raison de son avidité, il se conduit comme un loup, mettant en
pièces les autres animaux
b. Grâce à sa gloutonnerie, le monstre les avait avalés tout rond255
c. A cause de son ignorance, il [y] a mis des syllabes brèves à la
place des longues, et des longues où il faudrait des brèves
Notons qu’il existe un rapport de paraphrase strict entre les énoncés de départ (ceux donnés
en (365)) et les énoncés de (395). Tel n’est pas le cas entre les énoncés de (364) et ceux de
(394) puisque le remplacement de dans par les connecteurs de cause souligne fortement la
relation causale entre le CTC et la prédication principale au détriment de la relation
temporelle.
Bien que CC et CTC aient en commun d’exprimer la cause, nous pensons que le
rapport causal instauré par les CC n’est pas le même que celui porté par les CTC. Le recours
aux prépositions de et par permet de mettre en évidence cette différence : ces deux

255
Ainsi, les sept agneaux ressortent indemnes du ventre du loup, d’où la possibilité d’employer le connecteur de
cause mélioratif grâce à .

163
prépositions peuvent exprimer la cause, mais alors que les NC se combinent avec par et
refusent de, la situation est inversée du côté des NTC :
(396) a. (* Par / d’) affolement, il a oublié son portefeuille
b. (* Par / d’) énervement, il prit la boîte et la lança à travers la
pièce. Je me précipitai alors vers la télévision, que j’éteignis pour
stopper sa colère
(397) a. Et moi, (par / * d’) avarice, je ne voulais pas vous perdre, mais je
voulais posséder à la fois vous et le mensonge
b. (Par / * de) gloutonnerie, le monstre les avait avalés tout rond
On observe une distribution complémentaire des deux prépositions par et de en fonction du
type de nom statif introduit. Les grammaires traditionnelles évoquent la possibilité d’utiliser
la préposition par suivie d’un substantif pour signifier un rapport de cause (cf. entre autres
Sandfeld 1936/[1965] : 319), il s’agit alors d’un rapport exclusivement causal, ce qui explique
que par peut introduire un NC mais pas un NTC. Leeman (1985) mentionne la possibilité de
remplacer la préposition dans par la préposition de mais explique que cette préposition
élimine la durée au profit de la seule cause. Si tel était effectivement le cas, alors les NC
devraient pouvoir suivre de sans difficulté, ce que les exemples (397) démentent.
Lorsqu’elle introduit un nom, la préposition de est normalement suivie d’un
déterminant. Or, dans les cas qui nous occupent (e.g. d’affolement) il n’y en a pas. Etant
donné que le nom statif qui suit de est prédicatif, nous pensons qu’il est possible de
rapprocher la structure de Nstatif de la structure de + Vinfinitif256 :
(398) D’affolement, il a oublié son portefeuille
(399) ?? D’avoir été affolé, il a oublié son portefeuille
(400) a. II est tout rouge d’avoir couru257
b. Je te félicite d’être parti
Dans ces énoncés les deux prédications (celle exprimée par le Vinf et celle exprimée par la
prédication principale) entretiennent une double relation :
(401) a. Il est tout rouge parce qu’il a couru
b. Je te félicite parce que tu es parti
(402) a. D’abord il a couru, maintenant il est tout rouge
b. D’abord tu es parti, maintenant je te félicite
(401) illustre la relation causale258 qui unit les deux prédications alors que (402) souligne le

256
l’énoncé (399) n’est pas très heureux grammaticalement parlant, mais il est sémantiquement proche de (398).
La proximité entre l’emploi du nom statif et de l’infinitif tient à leur caractère prédicatif commun.
257
Cet exemple est emprunté à Abeillé et alii (2003). Les auteurs en proposent une analyse syntaxique dans le
cadre HPSG.
258
Sandfeld (1943/[1965] : 358-360) signale que « de + Vinf » peut marquer la cause. De plus, il évoque
implicitement le rapport temporel entre la cause et la conséquence en indiquant que la cause exprimée par le

164
rapport de succession existant entre les deux situations : la situation dénotée par le Vinf se
déroule avant celle dénotée par la prédication principale259. Il semble donc que de, suivi d’un
Vinf (i.e. d’un élément prédicatif) puisse instaurer un double rapport de cause et de temps que
l’on peut réunir sous le terme de « consécution »260, à propos duquel Descamps écrit : « Les
relations de consécution sont multiples et diversement orientées : de la cause à l'effet, de la fin
au moyen, de la condition à la conséquence, etc. » (cité par Sandina 2004 : 183 et Le Petit
Robert 2004 [article consécution]). Finalement, la consécution, comme la conséquence,
exprime à la fois un rapport de succession et de causalité (Sandina 2004 : 183-184). Nous
pensons que ce qui vaut pour les énoncés (400) (dans lesquels de est suivi d’un Vinf, i.e. d’un
prédicat) vaut également pour de suivi d’un nom prédicatif. Contrairement à l’hypothèse de
Leeman (1985), de n’exprimerait pas la cause mais la consécution, relation impliquant à la
fois un rapport de succession temporelle et de causalité261. Si notre analyse est juste, elle
explique à la fois pourquoi seuls les NTC peuvent suivre de (seuls ces noms permettent
l’établissement du double rapport de temps et de cause) et pourquoi seuls les NC peuvent
suivre par (les NTC sont exclus car ils impliquent un rapport de temps que la préposition par,
exclusivement causale, ne peut pas prendre en charge).
La similitude entre CC et CTC (i.e. entretenir un rapport causal avec la prédication
principale) n’est qu’apparente puisqu’en fait il s’agit dans un cas d’un rapport de cause pur et
dans l’autre d’un rapport de consécution.
Revenons sur un point déjà évoqué (cf. (370)) qui est que les NC autorisent facilement
l’insertion de l’adjectif grand dans son interprétation intensive (403) alors que les NTC ne la
tolèrent pas (404)262 :
(403) a. Et moi, dans ma grande avarice, je ne voulais pas vous perdre,
mais je voulais posséder à la fois vous et le mensonge

Vinf est un fait présent ou passé. Brunot (1922 : 808) signale lui aussi que la préposition de suivie d’un infinitif
peut marquer la cause.
259
Il est possible qu’il y ait chevauchement des deux situations. Cela peut être le cas entre courir et être rouge,
mais le début de la course doit néanmoins précéder le début de la rougeur. Si le chevauchement est important, on
a un effet de concomitance.
260
Le terme « conséquence » est également pertinent car s’il est vrai qu’au XVIIe siècle, la consécution s’oppose
à la conséquence définie comme « suite de représentations empiriques et sans lien rationnel (opposé à
conséquence) » (Le Petit Robert 2004) ; il n’en va pas de même en grammaire traditionnelle où ces deux notions
sont associées puisqu’on appelle « proposition consécutive » une proposition exprimant une conséquence.
261
Mélis note que la préposition de « signale le point de départ – concrétisé en expression de l’origine (venir de,
dater de) ou de la cause (trembler de peur) » (2003: 89). Bien qu’il n’approfondisse pas cette idée, on peut peut-
être voir dans l’expression « point de départ de la cause » une référence au double sémantisme temporel-causal
de la préposition de.
262
Nous ne disons pas que les NTC ne peuvent pas être modifiés par grand dans son acception intensive (e.g. une
grande tristesse, une grande colère, un grand désarroi, etc.) mais plutôt que si un NTC est ainsi « intensifié »,
alors il ne peut plus être employé dans la structure dans Det pos.

165
b. Dans sa grande ignorance, il [y] a mis des syllabes brèves à la
place des longues, et des longues où il faudrait des brèves
c. Mais Dieu ne juge jamais sans en avoir prévenu ceux que, dans sa
grande patience, il voudrait encore arracher à un châtiment
pourtant mérité
(404) a. ?? Dans son grand affolement, il a oublié son portefeuille
b. ?? Dans son grand énervement, il prit la boîte et la lança à
travers la pièce. Je me précipitai alors vers la télévision, que
j’éteignis pour stopper sa colère
c. ?? [Il commençait à découvrir Rome.] Dans sa grande euphorie, il
crut à des retrouvailles entre la ville et lui, à une reconnaissance et
une acceptation réciproques
Selon nous, c’est la pureté du rapport causal exprimé par les CC qui explique ce contraste. En
effet, il semble qu’augmenter le degré d’intensité de la situation dénotée par le nom statif
bloque, ou en tout cas gêne, la relation temporelle, rendant les énoncés (404) étranges. Le fait
que l’on puisse réhabiliter les énoncés (404) en ajoutant une structure forçant l’interprétation
temporelle va dans ce sens :
(405) a. Dans un moment de grand affolement, il a oublié son portefeuille
b. Dans un moment de grand énervement, il prit la boîte et la lança à
travers la pièce. Je me précipitai alors vers la télévision, que
j’éteignis pour stopper sa colère
c. [Il commençait à découvrir Rome.] Dans un moment de grande
euphorie, il crut à des retrouvailles entre la ville et lui, à une
reconnaissance et une acceptation réciproques
En augmentant le degré d’intensité du nom statif on augmente les chances que se produise
l’événement dénoté par la prédication principale, renforçant du même coup l’interprétation
causale. Avec les CC, la relation causale peut sans difficulté être renforcée puisqu’elle est
l’unique relation reliant les deux prédications. Au contraire, avec les CTC, le renforcement de
la relation causale se fait au détriment de la relation temporelle, rendant les énoncés moins
heureux.
En analysant le rapport causal instauré par les CC et celui instauré par les CTC comme
étant de nature différente, nous rejoignons G. Gross, qui propose d’établir « une typologie de
la cause qui tienne compte non seulement de la nature sémantique du relateur mais aussi de
celle des prédicats qu’elle relie » (1999 : 81)263.
Les différents faits linguistiques présentés dans cette partie (i.e. possibilité d’utiliser
dans un moment de, compatibilité des énoncés avec les prépositions de ou par et possibilité de

263
G. Gross (1999) n’entre malheureusement pas dans les détails de cette typologie, et les exemples qu’il donne
avec le relateur causal dans ne sont pas analysables dans l’immédiat, car il utilise des noms aux propriétés
aspectuelles complexes, noms qui seront traités §1.4.

166
modifier l’intensité du nom) confirment que, contrairement à l’analyse proposée par Leeman
(1985), les compléments du type dans Det pos Nstatif ne forment pas une classe de
compléments « cause-durée » mais deux classes de compléments : les CC vs les CTC.
Formellement semblables, ces compléments se distinguent sémantiquement. Etant donné que
ni la préposition dans ni le déterminant possessif (éléments communs aux deux types de
compléments) ne peuvent induire l’opposition sémantique entre CC et CTC, nous supposons
que c’est le sémantisme du nom statif qui est la source de cette différence. Plus précisément,
nous pensons que les propriétés sémantico-aspectuelles des noms entrant dans les CC (les
« NC ») vs celles des noms entrant dans les CTC (les « NTC ») sont la source de cette
différence interprétative.

1.3. NC vs NTC
La première grande différence qui existe entre les CC et les CTC est que seuls les seconds
entretiennent avec la prédication principale un rapport temporel. Il y a en effet concomitance
entre la situation stative dénotée par le NTC et la situation principale. Pour être plus précis, la
situation stative dénotée par le NTC débute normalement avant la situation dénotée par la
proposition principale (puisque la situation stative sert de déclencheur, i.e. de cause à la
situation principale) et elle se poursuit au moins tant que dure la situation principale. Comme
le montre un faisceau de faits linguistiques, cette différence s’explique par le fait que les NTC
et les NC n’entretiennent pas le même rapport au temps.

1.3.1. Rapport au temps des NC et des NTC


Dans le chapitre 2, nous avions présenté commencer comme une périphrase aspectuelle
capable, dans le domaine nominal, de distinguer les noms dynamiques des noms statifs :
(406) Pierre a commencé sa promenade à 8 heures
(407) * Pierre a commencé sa tristesse il y a bien longtemps
En (406), commencer est utilisé comme un verbe transitif agentif, impliquant un sujet agentif
et naturellement incompatible avec un nom statif comme tristesse (407)264. Cependant,
commencer connaît un autre emploi dans lequel il n’est plus un verbe agentif mais un verbe
inaccusatif. Le sujet n’est alors plus un agent et certains noms statifs (comme les noms
dynamiques) peuvent aisément occuper cette place :
(408) La promenade a commencé à 8 heures

264
En (406), Pierre a agi en sorte que sa promenade a commencé, nous avons bien affaire à un verbe agentif. Au
contraire, en (407), il n’y a aucun sens à dire que Pierre a agi en sorte que sa tristesse a commencé parce qu’un
agent ne peut pas décider ou faire en sorte d’être dans un état donné.

167
(409) Sa tristesse a commencé il y a bien longtemps, tes pitreries n’y
changeront rien
En employant commencer comme verbe inaccusatif , ce n’est plus l’opposition dynamique /
statif qui est testée mais l’existence d’une borne initiale :
(410) a. Son énervement a commencé dès qu’il m’a vue
b. Son agacement a commencé quand il a compris qu’il avait fait le
déplacement pour rien puisque Marie ne viendrait pas
(411) a. * Son avarice a commencé dès son plus jeune âge
b. * Sa patience a commencé quand il a compris qu’il gagnerait à
coup sûr la partie
Les situations dénotées par des NTC ont une borne initiale, les NC en sont dépourvus. Les
différences de rapport au temps entre NTC et NC ne s’arrêtent pas là.
Alors que l’on peut attribuer une borne finale au NTC (412), on ne peut pas en faire
autant avec les NC (413)265 :
(412) Sa tristesse a pris fin il y a vingt minutes
(413) * Sa bienveillance a pris fin il y a vingt minutes
Pour cette raison, il est possible d’observer une situation dénotée par un NTC depuis un point
situé après celle-ci (ce qui revient en quelque sorte à lui attribuer une fin), cela est impossible
avec un NC. Pour confirmer cela nous utilisons la formule son N passé. Il faut veiller à ce que
N passé n’ait pas le sens de « par le passé » mais bien de « terminé, fini ». Ainsi, on peut dire
son insolence passée mais l’interprétation est alors « l’insolence qu’il a eue par le passé », ce
qui n’est pas l’interprétation voulue. Afin d’éliminer toute ambiguïté, nous ajoutons en début
de phrase une fois, qui force la lecture résultative. Le participe passé passé, exprimant le bilan
d’une situation révolue, est compatible avec les NTC (414) mais pas avec les NC (415) :
(414) Une fois (son / sa) (affolement / agacement / délire / démence /
désarroi / effarement / emportement / énervement / étonnement /

265
Nous ne disons pas que les NTC ont une borne finale mais plutôt qu’il est possible de leur en attribuer une. En
effet, alors que l’on peut utiliser un NTC comme sujet du verbe inaccusatif commencer, les énoncés sont moins
naturels avec le verbe inaccusatif finir :
(i) Sa tristesse a commencé dès qu’il t’a vue
(ii) ?? Sa tristesse a fini dès qu’il t’a vue
(iii) Sa tristesse a pris fin dès qu’il t’a vue
(ii) est rendu plus naturel en employant prendre fin (iii) qui suggère que l’état a atteint une fin sans que l’on
puisse affirmer si cette fin fait partie de l’intervalle de référence dudit état. On retrouve ici la dissymétrie déjà
mentionnée entre avoir un début et avoir une fin. Notons que cesser donne de meilleurs résultats que finir :
(iv) Sa tristesse a cessé dès qu’il t’a vue
Nous avons déjà mentionné au chapitre 2 §4.4, l’affinité de finir avec les situations mettant en jeu un agent
intentionnel. C’est vraisemblablement cette affinité qui rend (ii) moins recevable que (iv).

168
euphorie / inquiétude / irritation / ivresse / panique / peur / rage /
surprise / tristesse) passé(e), il (s’endormit / PRED266)
(415) * Une fois (son / sa) (avarice / avidité / bienveillance / bizarrerie /
désinvolture / ignorance / insolence / lâcheté / patience / paresse /
sagesse / simplicité / sottise) passé(e), il (s’endormit / PRED)
Le contraste d’acceptabilité entre (414) et (415) est suffisamment net pour être significatif.
Enfin, les NTC peuvent recevoir une durée (cf. (416) et (418)), ce qui n’est pas le cas
des NC (cf. (417) et (419)) :
(416) Il a eu (trois ans de tristesse / deux heures d’ivresse / quelques
instants d’énervement / une seconde de panique)
(417) * Il a eu (deux ans de bizarrerie / quelques instants de sagesse / une
seconde d’ignorance)
(418) (Son / sa) (affolement / agacement / délire / démence / désarroi /
effarement / emportement / énervement / étonnement / euphorie /
inquiétude / irritation / ivresse / panique / peur / rage / surprise /
tristesse) (a duré deux heures / n’a duré que quelques instants)
(419) ?? (Son / sa) (bienveillance / bizarrerie / désinvolture / ignorance /
insolence / lâcheté / paresse / patience / sagesse / simplicité / sottise)
(a duré deux heures / n’a duré que quelques instants)
Les faits linguistiques rassemblés de (406) à (419) montrent que les NTC et les NC ont un
rapport au temps très différent : les NTC ont une borne initiale, peuvent se voir attribuer une
borne finale ou une durée alors que les NC n’ont pas de borne initiale et ne tolèrent pas qu’on
leur adjoigne une borne finale ou une durée. Les NC sont entièrement « hors temps », ce qui
n’est pas le cas des NTC. Cette différence explique que le rapport causal instauré par les CC
est pur alors que celui instauré par les CTC est intimement lié au temps. D’autres faits
montrent que les NC et les NTC ont des propriétés sémantiques très différentes.

1.3.2. Interprétation des NC et des NTC pluriels


Au pluriel, les NC et les NTC n’ont pas le même type d’interprétation :
(420) a. [le but] est de proposer un modèle de shopping différent, loin des
froides ambiances des magasins d’usine, des stressants
attroupements des galeries commerciales ou des affolements des
périodes de soldes (web)
b. Cela aboutit bien sûr à des agacements, des énervements, voire
même des colères noires (web)
c. Articulée autour des désarrois universels des écoliers, cette
histoire fait preuve d’une réelle sensibilité (web)

266
La mention PRED en petite majuscule signale que le lecteur peut insérer à cette place le prédicat de son choix
pourvu que celui-ci permette de former une phrase pragmatiquement cohérente avec le prédicat nominal du
complément.

169
d. Cela ne sert pas seulement à dissiper des tristesses sans motif,
cela dissipe aussi beaucoup d’inquiétudes (web)
(421) a. Les arrogances patronales répondent coup pour coup aux
insolences ouvrières (web)
b. Vous aurez entendu ces petits pages qui se battent et se disent des
insolences au pied de l’escalier […] (web / Vitet)
c. De leur côté, les établissements religieux, bénéficiaires des
générosités de souverains et de leur famille, espérant pérenniser les
alliances conclues avec eux, leur fournissaient des instruments
idéologiques […] (web / Bozóky)
Les contextes phrastiques dans lesquels peuvent prendre place les NC permettent de saisir leur
interprétation : il s’agit d’actes267. Les arrogances et les insolences dont il est question en
(421)a se répondent ; en (421)b le contexte est encore plus explicite : les insolences sont des
paroles prononcées (i.e. un acte énonciatif) ; en (421)c les générosités sont des actions
généreuses, autrement dit des dons (l’emploi du terme bénéficiaires le souligne)268. De tels
contextes ne sont pas compatibles avec les NTC qui n’expriment pas des actions d’un certain
type : les affolements ou les énervements ne sont pas des actions (affolées / énervées)) ni des
paroles (* les enfants disent des (colères / désarrois)). Au pluriel, les NTC expriment la
récurrence d’une situation, i.e. la répétition dans le temps d’un état. Ainsi, en (420)a, les
périodes de soldes sont des périodes d’affolement, en (420)b les agacements et énervements
sont des états récurrents dans le temps, résultats de situations diverses, en (420)c et d les
désarrois, tristesses et inquiétudes sont des moments de (désarroi / tristesse / inquiétude).
Cette opposition est visible si l’on emploie des tournures où le caractère actionnel de la
situation désignée par le nom est souligné :
(422) a. Les arrogances (faites / commises) par les patrons sont de plus en
plus mal perçues par l’opinion publique
b. Les insolences dites par des enfants sont plus excusables que
celles proférées par des adultes
c. Les générosités (prodiguées / offertes) par les souverains
permettaient à certains monastères d’être à la tête de fortunes
considérables

267
Notons que tous les NC ne peuvent pas, au pluriel, dénoter des actes pour la simple raison que beaucoup de
NC ne sont pas pluralisables :
(i) des (* désinvoltures / ?? simplicités / ?? paresses)
268
Ce fait est signalé dans Van de Velde (1995a : 182), et repris dans Beauseroy & Knittel (2007), qui évoquent
la piste d’une lecture occurrentielle pour certains noms de qualités au pluriel.

170
(423) a. *Les affolements faits par les soldes sont insupportables269
b. * Les agacements et les énervements (faits / commis / dits) par des
enfants sont plus excusables que celles proférées par des adultes270
c. * Les tristesses et les inquiétudes (faites / commises / prodiguées)
par les personnes dépressives sont à prendre très au sérieux
La signification actionnelle des NC qui ont un pluriel est à première vue surprenante
(puisque leur actionnalité leur confère un rapport au temps), sauf si l’on remarque que les NC
qui ont un pluriel actionnel présentent la particularité d’être morphologiquement liés à des
adjectifs de qualité-comportement. Le lien morphologique entre ce type d’adjectifs et les NC
pluralisables semble induire un lien sémantique fort qui explique que les NC pluriels désignent
des actions : on passe aisément d’un sens comportemental dans le domaine adjectival à un
sens actionnel dans le domaine nominal (au pluriel de préférence). Nous entrevoyons que les
noms dérivés héritent, au moins partiellement, des propriétés aspectuelles de leur base
morphologique, et nous retenons que les NC pluriels dénotent des actes alors que les NTC
pluriels dénotent des moments occupés par l’état dénoté par le nom.

1.3.3. Rapport des NC et des NTC avec la notion de localisation


Outre leurs différences sur le plan temporel, les NC et les NTC présentent une dissymétrie sur
le plan de la localisation271. Les NTC et les NC ont en commun de pouvoir être localisés à
l’intérieur d’un sujet humain (cf. respectivement les exemples (424)a et (424)b) mais seuls les
NTC autorisent la localisation inverse, i.e. la localisation d’un sujet humain à l’intérieur de la
situation dénotée par le NTC (cf. (425)a vs (425)b) :
(424) a. Il y a en lui une grande (euphorie / peur / rage / tristesse)272
b. Il y a en lui une grande (arrogance / désinvolture / insolence /
lâcheté / patience)
(425) a. Il est dans un(e) grand(e) (énervement / inquiétude / irritation /
tristesse)273
b. * Il est dans une grande (générosité / insolence / sottise)

269
On pourrait mettre dans cet énoncé le verbe provoquer :
(i) Les affolements provoqués par les soldes sont insupportables
mais cela n’est pas probant. En effet, on peut provoquer des actions mais aussi des sentiments, des états, des
émotions, etc.
270
Nous éliminons le nom colère de cet exemple car ce nom est polysémique, doté à la fois d’un sens statif (être
en colère) et d’un sens dynamique (faire une colère). Ce cas sera traité §2.3.3.2.
271
Il s’agit de localisation métaphorique puisque la situation qui sert de localisant n’est pas un lieu physique.
Anscombre, parlant de la séquence « son Npsychologique », dit qu’ils sont des « lieux psychologiques » (1996 :
266-267).
272
Tous les NTC ne tolèrent pas d’être localisés à l’intérieur du sujet par le biais de cette structure :
(i) ?? Il y a en lui un(e) grand(e) (irritation / énervement / ivresse)
Néanmoins, d’autres structures permettent de le faire :
(ii) Il sent monter en lui l’(irritation / énervement / ivresse)

171
Que les NTC autorisent la localisation du sujet humain qui ressent la situation dénotée par le
nom à l’intérieur de celle-ci alors que les NC le refusent est révélateur d’une différence
profonde dans le rapport qu’entretient le sujet avec les NTC d’une part et avec les NC d’autre
part. Le sujet traverse les situations dénotées par les NTC, ce qui implique un rapport de
dualité entre le sujet et la situation dénotée par le NTC : le sujet n’est pas la situation dénotée
par le NTC, il la vit. Au contraire, les situations dénotées par les NC font partie de lui, et même
« sont » lui. Ce phénomène s’exprime dans la possibilité qu’offrent les NC (et non les NTC,
(426)b) de servir de définition du sujet par le biais de la structure présentée en (426)a :
(426) a. Pierre est un homme d’une grande (arrogance / bonté /
désinvolture / générosité / simplicité / paresse / stupidité)
b. * Pierre est un homme d’un(e) grand(e) (affolement / agacement /
désarroi / énervement / euphorie / ivresse)274
Les faits linguistiques rassemblés montrent que les NTC sont en fait ce que Van de Velde
(1995a) puis Flaux et Van de Velde (2000) appellent des « noms d’états » (i.e. ces noms sont
statifs, permettent la double localisation, dénotent des passions de l’âme ou des états
physiques et ont un rapport au temps) alors que les NC sont des « noms de qualités » (i.e. ces
noms sont statifs, permettent une localisation à l’intérieur du sujet, entrent dans la définition
même du sujet et sont hors temps). Par conséquent, nous adoptons cette terminologie et
appelons désormais les NC « noms de qualités » (« Nqual » en abrégé) et les NTC « noms
d’états » (« Nétat » en abrégé)275.
Notons que l’opposition entre Nétat et Nqual recouvre assez bien une opposition
largement utilisée dans la littérature anglo-saxonne et connue sous le nom de SLP vs ILP.
Cependant, une grande différence demeure entre ces deux classifications : alors que la
distinction entre SLP et ILP repose sur l’opposition transitoire vs permanent (notions qui
relèvent du domaine temporel), celle entre états et qualités repose sur le rapport entretenu
avec le sujet : les états sont dans le temps (ont une durée, un début, peuvent se voir attribuer

273
Les structures locatives permettant de localiser un NTC à l’intérieur d’un sujet sont nombreuses, nous
n’entrons pas dans les détails ici. Deux d’entre elles (être en et être en plein) seront étudiées plus précisément
dans la seconde partie de ce chapitre (cf. section 2).
274
Certains NTC peuvent entrer dans cette structure (e.g. Cet homme est d’une grande tristesse) mais ils sont alors
convertis en NC (sur la perméabilité des classes de noms statifs, cf. Flaux et Van de Velde 2000 : 88).
Remarquons que la possibilité qu’offrent aussi bien les NC que les NTC d’être localisés à l’intérieur du sujet (cf.
(424)) laisse présager cette perméabilité. La plus grande résistance qu’offrent certains NTC à être localisés dans le
sujet s’accompagne généralement d’un blocage de la possibilité pour ce nom de se convertir en NC.
275
La majorité des tests que nous avons utilisés pour distinguer les NC des NTC sont tirés de Van de Velde
(1995a) et/ou de Flaux et Van de Velde (2000).

172
une fin) alors que les qualités, définitionnelles du sujet, sont hors temps276. Cela ne signifie
pas qu’une qualité ne puisse pas être perdue mais, le cas échéant, c’est le sujet même qui a
changé. Adopter la terminologie, et donc la vision qui la sous-tend, de Van de Velde (1995a)
nous paraît tout à fait adéquat puisque que cela permet d’expliquer pourquoi il existe deux
types de compléments dans Det pos Nstatif. Ce sont en fait les propriétés sémantiques des
noms d’états et de qualités qui déterminent le type de complément obtenu, i.e. qui confèrent à
la préposition dans une interprétation purement causale ou temporelle-causale.
Jusqu’à présent, nous avons fait comme si la séparation entre Nétat et Nqual (et par
conséquent entre CTC et CC) était toujours évidente. Cependant, il nous faut nuancer notre
propos, car il existe une classe de noms qui forme une frange entre les deux grands pôles que
sont les états et les qualités, nous les appelons provisoirement « noms problématiques ».

1.4. Quelques cas problématiques


1.4.1. CC ou CTC ?
Il existe un nombre conséquent de cas où il paraît difficile de distinguer entre CC et CTC :
(427) a. Dans ta bonté, tu as cru me faire honneur en me traitant de noble
Franc. En vérité, je n’ai ressenti ni contentement ni vanité, car franc
je ne voudrais l’être (F/ Lanzmann)
b. Mais toi, dans ta clairvoyance, tu vois où se trouve la vraie
béatitude que les autres ne voient pas (web)
c. Dans son étourderie, elle n’a pas vu le précipice (web)
d. Elle souffrait à chaque fois mais dans sa gentillesse, elle le
cachait (web)
e. Dans son impatience, elle lui a donné une fessée (web)
f. Dans son imprudence, il répondit qu’il acceptait la mort si dans
cet espace de temps, son âne n’arrivait pas à lire et à écrire (web)
g. Dans sa maladresse, il lui dit des choses blessantes, la menant aux
larmes (web)
h. Dans sa témérité, il se croit invincible et dénie la mort (web)
Un énoncé comme (427)c signifie-t-il « lors d’un moment d’étourderie et à cause de son
étourderie, elle n’a pas vu le précipice » ou simplement « à cause de son étourderie elle n’a
pas vu le précipice » ? Pour tous les noms présentés en (427), on hésite à interpréter le
complément comme une cause pure ou comme une cause doublée d’un rapport temporel.
Nous baptisons ces noms « noms problématiques ». Du point de vue linguistique l’indécision

276
F. Martin (2008 : 111) rappelle que Carlson (1977/[1980]) définit les ILP comme étant des prédicats
constitutifs de l’identité du sujet (i.e. originellement la distinction ILP / SLP repose sur le lien du prédicat avec le
sujet, ce qui la rend très semblable à l’opposition entre qualités et états). Cependant, l’opposition ILP / SLP
souffre d’une dérive qui s’est généralisée et dans laquelle elle est souvent envisagée comme l’opposition
temporelle permanent / temporaire.

173
est légitime puisque l’application des tests permettant de distinguer les CC des CTC donne
des résultats pour le moins surprenants.
Les noms problématiques (428) sont tous compatibles avec la tournure dans un
moment de (429) ce qui laisse penser qu’on a affaire à des CTC :
(428) bonté / clairvoyance / étourderie / gentillesse / impatience /
imprudence / lucidité / maladresse / témérité
(429) a. Dans un moment de bonté je te mets le code de la solution (web)
b. Le président Lula, dans un moment de clairvoyance, détermine
une première réduction significative du taux d’intérêt de 1% (web)
c. Peut-être, noyé dans vos pensées ou dans un moment d'étourderie,
vous arrivera-t-il d’oublier un objet auquel vous tenez (web)
d. Même si dans un moment de gentillesse il avouait ses torts ce ne
sera pas pour changer (web)
e. Si dans un moment d’imprudence tu leur disais que tu t’es uni
d'amour à la belle Cythérée, Jupiter, furieux, t’écraserait de sa
foudre brillante (web / Homère)
f. Dans un moment d’impatience, elle lui a donné une fessée
g. Dans un moment de maladresse, il a posé un coude sur une mèche
de ses longs cheveux […] (web / AuDet)
h. Dans un moment de témérité sublime, digne des plus vaillantes
héroïnes, elle enfonça les éperons dans le ventre de son cheval (web)
Cependant, ces noms acceptent tous la reformulation en par, qui est une propriété des CC :
(430) a. (Par / * de) bonté, tu as cru me faire honneur en me traitant de
noble Franc. En vérité, je n’ai ressenti ni contentement ni vanité, car
franc je ne voudrais l’être
b. Mais toi, (par / * de) clairvoyance, tu vois où se trouve la vraie
béatitude que les autres ne voient pas
c. (Par / * d’) étourderie, elle n’a pas vu le précipice
d. Elle souffrait à chaque fois mais (par / * de) gentillesse, elle le
cachait
e. (Par / d’) impatience, elle lui a donné une fessée277
f. (Par / *d’) imprudence, il répondit qu’il acceptait la mort si dans
cet espace de temps, son âne n’arrivait pas à lire et à écrire
g. (Par / * de) maladresse, il lui dit des choses blessantes, la menant
aux larmes
h. (Par / * de) témérité, il se croit invincible et dénie la mort
Nous nous trouvons donc face à une classe de noms qui valident à la fois le test
principal permettant de reconnaître un CTC (dans un moment de N) et celui permettant de
reconnaître les CC (par N). Les noms problématiques fondent des CTC-CC et semblent de
prime abord former une classe de noms intermédiaires entre états et qualités. Plusieurs

277
Le nom impatience a la particularité d’accepter les deux reformulations : celle en de (propriété des CTC) et
celle en par (propriété des CC). La compatibilité avec les deux prépositions par et de pour reformuler la
séquence dans Det pos N fait de ce nom une illustration parfaite de l’ambiguïté maximale que l’on peut
rencontrer parmi les noms problématiques.

174
explications pourraient expliquer ce phénomène : (i) ces noms sont polysémiques, ils ont un
emploi en tant que Nétat et un autre en tant que Nqual, il est possible que l’une des acceptions
soit première par rapport à l’autre et qu’il y ait un phénomène de conversion ; (ii) ces noms
forment une classe hybride à mi-chemin des Nétat et des Nqual, ce qui expliquerait qu’ils
présentent des propriétés propres à chacune des deux classes ; (iii) ces noms sont soit des états
soit des qualités, et les propriétés qu’ils semblent emprunter à l’autre classe sont en fait
révélatrices d’une particularité qu’il faudra mettre en évidence et expliquer.
Afin de déterminer laquelle de ces solutions est valide, nous allons commencer par
utiliser les tests linguistiques permettant de distinguer les Nétat des Nqual (tests présentés au
§1.3), afin de savoir précisément quelles sont les propriétés sémantico-aspectuelles des noms
problématiques.

1.4.2. Noms d’états et/ou de qualités ?


1.4.2.1. Le rapport au sujet
Nous avons vu que le rapport d’un sujet avec ses états est très différent de celui qu’il
entretient avec ses qualités. C’est là la distinction sémantique fondamentale entre ces deux
types de noms.
(431) Pierre est dans une grande (* bonté / * clairvoyance / * étourderie /
* gentillesse / ? impatience278 / * imprudence / * maladresse /
* témérité)
(432) Pierre est d’une grande (bonté / clairvoyance / étourderie /
gentillesse / impatience / imprudence / maladresse / témérité)
A première vue, tous ces noms refusent de servir de localisant pour leur sujet (431), mais
peuvent en être définitionnels (432). Ils seraient donc plutôt des Nqual et non des Nétat279.
Un autre test (déjà évoqué au chapitre 2, note 141), est la compatibilité du nom avec
état de :
(433) un état de (?? bonté / clairvoyance / * étourderie / ?? gentillesse /
impatience / * imprudence / ?? maladresse / * témérité)280

278
On trouve quelques attestations de être dans une grande impatience, même si elles sont toutes un peu datées
(XIXe siècle pour la plupart) :
(i) Ainsi, tu sens que ton fils est dans une grande impatience de t'embrasser (web /
Taschereau)
279
La caractéristique principale des noms d’états est de pouvoir servir de lieu métaphorique pour leur sujet. Cette
localisation peut passer par diverses structures locatives non équivalentes entre elles (un nom d’état accepte telle
structure et non telle autre, un autre nom d’état préférera encore une structure différente, etc.). Nous n’avons
trouvé aucun nom problématique pouvant servir de lieu à son sujet et ce, quelle que soit la structure locative
employée.
280
Les acceptabilités ont été établies en fonction du nombre de résultats à la requête « état de N » obtenus sur
Google. Voici quelques exemples attestés :

175
La classe des noms problématiques n’est pas une classe homogène puisque certains
(clairvoyance et impatience) peuvent suivre état de, structure dénominative normalement
réservée aux états. Par ailleurs, tous les noms problématiques acceptent d’entrer dans la
structure x est d’un(e) grand(e) N (e.g. Pierre est d’une grande clairvoyance / étourderie /
etc.), ce qui les rapproche cette fois des Nqual.
1.4.2.2. Le rapport au temps
L’opposition Nqual vs Nétat repose sur le rapport de ces noms avec le sujet. Nous avons vu
que cette différence a pour conséquence une relation différente au temps, les Nétat ayant un
rapport au temps et les Nqual étant hors temps :
(434) (Son / sa) (* bonté / * clairvoyance / * étourderie / * gentillesse /
* impatience / * imprudence / * maladresse / * témérité) a
commencé il y a x temps
On constate qu’aucun référent de nom problématique ne peut être sujet de commencer (i.e.
n’est pourvu d’une borne initiale).
De la même manière, les référents des noms problématiques ne peuvent pas se voir
attribuer une fin :
(435) Une fois (son / sa) (* bonté / * clairvoyance /
* étourderie / * gentillesse / * impatience / * imprudence /
* maladresse / * témérité) passé(e), il PRED
Enfin, observons s’il est possible d’attribuer une durée à ces noms :
(436) x temps de (* bonté / * clairvoyance / * étourderie / * gentillesse /
impatience / ? imprudence / * maladresse / * témérité)
(437) (Son / sa) (* bonté / * clairvoyance / * étourderie / ?? gentillesse /
* impatience / * imprudence / * maladresse / * témérité) a duré x
temps
Nous constatons que seul impatience valide un test relatif à la notion de temps, ce qui
donne à penser que seul impatience a une affinité réelle avec la classe des noms d’états.
1.4.2.3. Interprétation des pluriels
Avant de conclure, il nous reste à observer l’interprétation de ces noms au pluriel. La plupart
dénotent des actes, on peut le vérifier en employant le métatest « actes de » (438) ou des
contextes dans lesquels le prédicat principal est nettement actionnel (439) :

(i) Mais j’ai la profonde conviction que deux ou trois générations suffiront pour arracher
l’homme à l’influence de la civilisation artificielle qu’il subit aujourd’hui, et pour le
ramener à l’état de nature, qui est l’état de bonté et d’amour (web)
(ii) D’autres par contre peuvent atteindre l’état de clairvoyance par une grande
concentration (web)
(iii) Les êtres en état d'impatience doivent apprendre ce qui leur paraît le plus difficile :
diminuer leur activité directe, laisser faire les choses […] (web)

176
(438) des actes de (bonté / témérité / gentillesse)
(439) a. Les bontés qu’ils (prodiguent / offrent) à tous l’ont rendu célèbre
dans le pays entier
b. Les gentillesses qu’il lui a (dites/ faites) lui ont permis de gagner
sa confiance
c. Les (imprudences / maladresses / étourderies) qu’il a commises lui
coûteront cher
Seuls clairvoyances et impatiences n’expriment pas des actions mais plutôt la répétition de
périodes de temps où le sujet est clairvoyant / impatient. Rappelons que les noms qui, au
pluriel, signifient des actes sont des Nqual.

1.4.3. Tentative d’explication des cas problématiques


1.4.3.1. Rappel des problèmes posés
Les noms problématiques valident tous les tests281 réservés aux Nqual, exception faite de
clairvoyance et impatience qui ne connaissent pas de pluriel actionnel :

Tableau I : tests validés par les Nqual


Noms Il est d’un grand N Pluriel actionnel
bonté + +
clairvoyance + -
étourderie + +
gentillesse + +
impatience + -
imprudence + +
maladresse + +
témérité + +

Par ailleurs, ces noms ne valident aucun des tests réservés aux Nétat, sauf clairvoyance qui
valide l’un des tests et impatience qui en valide trois :

Tableau II : tests validés par les Nétat


noms N a duré x
Lieu pour le Na Une fois N
Etat de temps/ x
sujet commencé passé(e)
temps de N
bonté - - - - -
clairvoyance + - - - -
étourderie - - - - -
gentillesse - - - - -
impatience + + - - +
imprudence - - - - -
maladresse - - - - -
témérité - - - - -

281
Un test est « validé » s’il reçoit un + dans les tableaux.

177
Si nous laissons de côté pour le moment clairvoyance et impatience, qui font figure
d’exceptions, les noms problématiques semblent être tout simplement des Nqual puisqu’ils
partagent les mêmes propriétés que ces noms alors qu’ils n’ont rien de commun avec les
Nétat.
Si les noms problématiques sont des Nqual, il n’y a rien d’étonnant à ce que dans la
structure dans Det pos N ils acceptent la reformulation en par réservée aux CC. En revanche,
il faut expliquer pourquoi ils acceptent tous celle en dans un moment de réservée aux CTC, et
pourquoi l’un d’entre eux (impatience) accepte également la reformulation en de propre aux
CTC.

Tableau III : Tests sur les CC et CTC


Noms Reformulation en par Dans un moment de Reformulation en de
bonté + + -
clairvoyance + + -
étourderie + + -
gentillesse + + -
impatience + + +
imprudence + + -
maladresse + + -
témérité + + -

1.4.3.2. Les noms dérivés d’adjectifs de qualité-comportement


Il est intéressant de remarquer que les noms dits problématiques ont en commun de dériver
d’adjectifs de qual-comp282 comme en attestent les énoncés (440) et (441) :
(440) a. Pierre est bon d’offrir son aide si spontanément
b. ? Pierre est clairvoyant d’avoir choisi de cacher ses économies,
sinon Paul lui aurait tout pris !
c. Pierre est étourdi d’avoir encore perdu son écharpe
d. Pierre est gentil d’avoir aidé sa sœur
e. Pierre est imprudent de conduire sans permis
f. Pierre est maladroit d’avoir dit cela devant Marie
g. Pierre est téméraire d’avoir osé quitter son travail en ces temps
troublés
(441) a. C’est gentil de la part de Pierre d’avoir aidé sa sœur
b. C’est imprudent de la part de Pierre de conduire sans permis
c. C’est maladroit de la part de Pierre d’avoir dit cela devant Marie
d. C’est téméraire de la part de Pierre d’avoir osé quitter son travail
en ces temps troublés

282
En raison de ces nombreuses particularités, impatience sera traité à part, cf. §1.4.3.4.

178
De plus, ces adjectifs acceptent d’être prédicats de la complétive dans l’une des structures
c’est ADJ de la part de x de PRED et x est ADJ de PRED, ce qui confirme leur caractère
comportemental (442) :
(442) a. C’est épatant de la part de Pierre d’avoir été bon avec tout le
monde
b. ? C’est malin de sa part d’avoir été suffisamment clairvoyant pour
cacher ses économies
c. Pierre est bien puni d’avoir été étourdi
d. Pierre est adorable d’avoir été gentil avec sa sœur
e. Pierre est sot d’avoir été si imprudent
f. Pierre est méchant d’avoir été si maladroit envers Marie
g. Pierre est inconscient d’avoir été si téméraire
Les six noms ayant un pluriel actionnel ont donc en commun de provenir d’adjectifs de qual-
comp qui sont dynamiques283. C’est l’origine dynamique de ces noms qui ressort dans
l’interprétation actionnelle de leur pluriel. Nous avons montré au chapitre 2 que les adjectifs
dynamiques ont deux acceptions liées : ils dénotent des comportements et des qualités. Que
les noms bonté, clairvoyance, étourderie, gentillesse, imprudence, maladresse et témérité
soient en lien morphologique avec des adjectifs de qual-comp est un argument supplémentaire
en faveur de leur catégorisation comme Nqual plutôt que comme Nétat.
Si les noms problématiques appartiennent bien à la classe des Nqual, il reste à
expliquer que ces Nqual puissent s’interpréter comme des CTC, i.e. entrer dans la tournure
temporelle dans un moment de N. La réponse tient peut-être encore à leur origine. Nous
pensons qu’ils gardent dans leur sens profond un écho de la dynamicité de l’adjectif dont ils
proviennent. Cette trace sémantique sous-jacente est activée par certains contextes, tels que
dans un moment de ou la mise au pluriel (qui offre une possibilité de récurrence
temporelle)284. En raison de son lien morphologique avec un adjectif de qual-comp, nous
pensons que clairvoyance doit tout simplement être inclus dans la même classe que bonté,
étourderie, gentillesse, imprudence, maladresse et témérité : ce sont tous des Nqual qui, étant
dérivés d’adjectifs de qual-comp, peuvent exprimer une relation temporelle si le contexte est

283
De manière plus surprenante, clairvoyance qui n’a pas de pluriel actionnel, semble bien lui aussi provenir
d’un adjectif de qual-comp. Nous affublons cependant les énoncés (440)b et (442)b d’un point d’interrogation
pour signaler qu’il est difficile de trouver de bons exemples attestés avec l’adjectif clairvoyant. Néanmoins, nous
pouvons confirmer que cet adjectif dénote bien une qualité en ayant recours à une structure proposée par Van de
Velde (1997a : 153) :
(i) Pierre a changé : il est devenu clairvoyant, il fait désormais la différence entre ses
vrais amis et ceux qui le côtoient par intérêt seulement
Nous avons ainsi montré que clairvoyant, en plus d’entrer dans les structures propres aux adjectifs dynamiques,
peut dénoter une qualité, ce qui confirme qu’il s’agit bien d’un adjectif de qual-comp.
284
Ce qui est important dans cette trace c’est qu’elle permet une interprétation temporelle du complément, pour
cette raison, nous l’appelons « trace actionnelle ».

179
lui-même explicitement temporel. Il faut noter que les Nqual en lien morphologique avec des
adjectifs de qual-comp ne sont en aucun cas convertis en Nétat, y compris lorsqu’ils entrent
dans un contexte normalement réservé à ces derniers. En effet, si tel était le cas, on devrait
pouvoir reformuler dans Det pos Nqual en utilisant la préposition de, ce qui n’est pas
possible. De plus, même employés dans un contexte normalement réservé aux Nétat, les
Nqual d’origine dynamique285 ne signifient pas des états :
(443) Dans un moment de colère, Pierre a cassé sa guitare tant aimée
(444) Dans un moment de bonté, Pierre a offert à son neveu sa guitare tant
aimée
(443) signifie que dans un moment où il était en état de colère, Pierre a cassé sa guitare alors
que (444) signifie que dans un moment où il accomplissait des actes bons, Pierre a donné sa
guitare à son neveu. Avec les Nétat, qui ont tous un rapport au temps, il ne s’agit pas de
manière d’agir mais bien d’un état traversé par le sujet. Cette différence sémantique confirme
que ce qui permet à certains Nqual d’origine dynamique d’entrer dans une structure exprimant
le temps, c’est le rapport du sujet avec ses actions (i.e. son comportement). Pour cette raison,
nous dirons que les Nqual en lien morphologique avec un adjectif de qual-comp peuvent
hériter de ceux-ci une « trace sémantique actionnelle » qui leur permet d’exprimer, dans
certains contextes, un rapport au temps (médiatisé par les actions accomplies par le sujet).
1.4.3.3. Les originalités du nom clairvoyance
Nous avons inclus clairvoyance dans la classe des Nqual d’origine dynamique étant donné
que ce nom possède presque toutes les propriétés sémantiques des Nqual et qu’il est en lien
morphologique avec un adjectif de qual-comp. Cependant, il faut expliquer les deux
originalités que présente ce nom : (i) clairvoyance ne possède pas de pluriel actionnel et (ii) il
peut suivre état de.
Si on observe les emplois pluriels de clairvoyance, on remarque que ce nom prend au
pluriel un sens très spécialisé, puisque dans la majorité des exemples attestés les
clairvoyances sont des divinations, des prédictions :
(445) a. Surgissent pêle-mêle des informations, des précognitions, des
clairvoyances à partir de personnes qui ne sont pas forcément
présentes ni même connues de l’enfant (web)
b. Au début du XIXe siècle, on parle du fluide pour rendre compte
des prédictions et des clairvoyances lors des transes du
« magnétisme animal » (web)
Notons que dans ce sens spécialisé, clairvoyance a un sens résultatif.

285
L’appellation « Nqual d’origine dynamique » renvoie aux noms de qualités en lien morphologique avec des
adjectifs de qual-comp.

180
Quant à la seconde originalité de clairvoyance, elle n’est peut-être que la conséquence
de la polysémie que manifeste ce nom. En effet, le nom clairvoyance dénote une qualité
lorsqu’il réfère à une personne perspicace et prudente mais il a aussi un emploi en tant qu’état
psychologique à la limite du physiologique lorsqu’il est employé dans un sens antonyme de
démence, délire :
(446) Dans sa démence, Pierre a parfois des moments de clairvoyance où
il redevient pendant quelques instants celui que nous aimions tant
1.4.3.4. Le faux problème posé par impatience
Reprenons les différentes propriétés du nom impatience :

reformulation en par +
Tests validés par les Nqual
il est d’un(e) grand(e) N +
ou les CC
pluriel actionnel -
reformulation en de +
dans un moment de N +
état de +
Tests validés par les Nétat
Lieu pour le sujet +
ou les CTC
N a commencé -
Une fois N passé(e) -
N a duré x temps/ x temps de N +

Le nom impatience semble être un cas complexe : il accepte la reformulation en de mais aussi
celle en par, il peut entrer dans la structure dans un moment de N, il valide certains des tests
réservés aux Nétat mais aussi un des tests réservés aux Nqual. La solution, comme pour
clairvoyance, tient peut-être à la polysémie de ce nom. En effet, il semble qu’impatience ait
en fait deux emplois : un emploi dans lequel il dénote un état (il signifie alors : être en attente
de) et l’autre dans lequel il dénote un trait de caractère (il s’utilise alors pour qualifier une
personne qui a une « incapacité habituelle de se contenir, de patienter » (Le Petit Robert
2004). Les propriétés en apparence hybrides du nom impatience s’expliquent alors
simplement : ce nom, dans son acception d’état, valide des tests réservés aux Nétat et aux
CTC alors que dans son acception de qualité, il valide les tests réservés aux Nqual.
Impatience n’étant pas en lien morphologique avec un adjectif de qual-comp il est normal que
sa mise au pluriel ne reçoive pas une lecture actionnelle.
Avant de conclure, nous nous demanderons quelle est l’origine aspectuelle des Nqual
qui ne proviennent pas d’adjectifs de qual-comp.

181
1.4.4. Origine aspectuelle des noms de qualités
Observons l’origine morphologique des Nqual (e.g. avarice / avidité / bienveillance /
patience).
Ils proviennent tous d’adjectifs qui refusent les tests propres aux adjectifs d’état (447)
mais acceptent une tournure propre aux adjectifs de qualité (448)286 :
(447) a. * Pierre est arrivé (avare / avide / bienveillant / patient) à la
maison
b. * Rentrée à la maison, j’ai trouvé Pierre (avare / avide /
bienveillant / patient) 287
(448) Pierre a changé, il est devenu (avare / avide / bienveillant / patient)
Le test utilisé en (448) rappelle que le propre des qualités est de définir le sujet. Si une qualité
est ajoutée à la définition d’une personne, c’est que cette personne a changé. Les adjectifs
dans (447)-(448) n’entretiennent donc aucun rapport au temps, ils ne transmettent pas de
« trace actionnelle ». Ceci d’une part explique que les noms qui en dérivent ne peuvent pas
fonder de CTC mais uniquement des CC, et d’autre part semble confirmer que c’est bien
l’origine dynamique des noms tels que bonté, clairvoyance, imprudence, etc. qui leur permet
d’entrer dans le contexte dans un moment de.

1.4.5. Conclusion sur les cas (non) problématiques


Pour conclure, nous dirons que les noms prétendument problématiques ne le sont pas
réellement. Ce sont des Nqual (à ce titre, ils valident tous les tests propres à cette classe de
noms, y compris le fait de fonder un CC dans la structure dans Det pos N). La possibilité
qu’ils offrent de se combiner avec dans un moment de ne fait pas d’eux des noms pouvant
entrer dans un CTC (puisqu’ils refusent la reformulation au moyen de la préposition de), mais
signale qu’ils sont porteurs d’une trace actionnelle, héritage aspectuel des adjectifs
dynamiques dont ils sont dérivés et qui leur permet d’exprimer un rapport au temps.
Le nom impatience ne pose également aucun problème, il s’agit simplement d’un nom
d’état qui possède un emploi comme qualité, d’où son apparente hybridité.
Enfin, les Nqual dérivés d’adjectifs de qualité (adjectifs statifs), dépouvus de trace
actionnelle, ne peuvent pas entrer dans des compléments de temps du type dans un moment de N.

286
Pour une synthèse de la distinction entre adjectifs d’état et adjectifs de qualité, cf. Van de Velde (1997a).
287
Ce test est proposé par Van de Velde (1995b : 77).

182
1.5. Conclusion partielle
La séquence dans Det pos Nstatif recouvre en fait deux structures : les CC et les CTC. Nous
avons vu qu’il existe deux types de cause : les causes pures (impliquées dans les CC) et les
consécutions, mélange de rapport causal et temporel (impliquées dans les CTC).
Pour avoir un CTC il faut que le nom suivant dans Det pos possède un rapport au
temps, ce qui est le cas des noms d’états. En revanche, les noms de qualités, dépourvus d’un
tel rapport, ne peuvent entrer que dans les CC.
Certains noms paraissent à tort problématiques car ils semblent entrer à la fois dans les
CTC et dans les CC. Il s’agit en fait de noms de qualités dérivés d’adjectifs dynamiques. Leur
origine aspectuelle leur confère une trace actionnelle qui permet leur emploi dans la structure
dans un moment de N. Mais, même alors, ils ne fondent pas un CTC, i.e. ils ne sont pas
convertis en noms d’états.
Si on peut prouver que l’on a un vrai CTC, on peut en déduire qu’on est en présence
d’un nom d’état, au contraire, si on peut prouver que l’on a un CC, on peut en déduire qu’on
est en présence d’un nom de qualité. L’opposition CC vs CTC constitue un test
supplémentaire permettant de distinguer au sein des statifs deux grandes classes sémantiques :
les états vs les qualités. Ce test repose non pas sur une distinction temporelle comme
l’opposition temporaire / permanent mais sur une distinction aspectuelle entre entités ancrées
dans le temps et entités hors temps. C’est bien le temps interne de la situation qui est en jeu.
Les tests mobilisés dans cette étude sur dans Det pos Nstatif sont rappelés dans le
tableau IV ci-dessous. Affolement est un exemple typique de nom d’état, impatience est un
nom d’état polysémique pouvant dénoter une qualité d’où ses propriétés en apparence
hybrides, bonté représente la classe des noms de qualités dérivés d’adjectifs de qualité-
comportement et enfin avarice représente la classe des noms de qualités dérivés d’adjectifs
statifs.

183
Tableau IV: récapitulatif
Noms d’états Noms de qualités
dérivés d’adj dérivés
TESTS affolement impatience dynamique d’adj statif
bonté avarice
Dans un
+ + + -
moment de
Reformulation
+ + - -
en de
Tests - (sauf
Etat de + + -
validés clairvoyance)
par CTC Lieu pour le
+ + - -
ou Nétat sujet
N a commencé + - - -
Une fois N
+ - - -
passé(e)
durée + + - -
Reformulation
- + + +
Tests en par
validés Il est d’un(e)
- + + +
par CC grand(e) N
ou Nqual Pluriel + (sauf
- - -
actionnel clairvoyance)

Cette étude montre que la préposition dans suivie de certains noms statifs peut fonder un
complément dont l’interprétation est en partie temporelle. Dans la seconde partie de ce
chapitre nous allons étudier la structure être en suivie d’un nom statif, plus précisément d’un
nom d’état, pour la comparer à la structure être en plein. Nous verrons que l’ajout de plein
peut favoriser une interprétation dynamique et permettre ainsi une interprétation temporelle.
L’étude de être en et être en plein se poursuivra au chapitre 4, dans lequel nous envisagerons
les cas où ces deux structures introduisent des noms dynamiques.

184
2. Être en vs être en plein
Il est généralement admis que la préposition en est d’un sémantisme « léger », « incolore »288,
« abstrait », « vide ». Ces adjectifs font référence à la pauvreté sémantique de en qui se
manifeste dans les nombreux emplois que l’on peut faire de cette préposition.
Historiquement, en avait une forte valeur locative. Par exemple, à l’époque classique,
on pouvait dire en Rome à la place de la forme actuelle à Rome. Cette forme a connu un
e
déclin progressif comme de nombreux emplois de en, qui, à partir du XVI siècle, sont
289
remplacés par dans . Néanmoins, le sémantisme locatif de en subsiste en français moderne
dans au moins deux grands types d’emplois :
(449) Pierre est en (Chine / forêt / prison)
(450) Pierre est en (détresse / promenade)
En (449), il s’agit d’abord d’une localisation spatiale (cet énoncé permet de répondre à la
question Où est x ?). Ce type de localisation permet de situer un individu (au sens large) dans
un lieu physique290. En (450), la localisation est métaphorique car le lieu dénoté par le nom
suivant en n’est pas un lieu physique mais un état291 (détresse) ou une action (promenade)
dans le/laquelle le sujet est localisé. Nous avons déjà évoqué le fait que le propre des noms
d’états est de permettre la localisation d’un sujet humain, possibilité qui découle directement
de la nature des situations que dénotent les états : des situations statives extérieures au sujet
qui les vit. Or, vivre un état de colère ou de tristesse c’est le traverser : la métaphore spatiale
est inscrite dans le type de sens porté par les noms d’états. C’est cette relation locative que
nous nous proposons d’étudier292.

288
Spang-Hanssen (1963) crée le terme de « préposition incolore » pour désigner les prépositions qui, n’ayant
pas de sémantisme propre, ne prennent leur sens qu’au contact d’autres éléments de la phrase : elles n’expriment
aucune relation en particulier car elles sont inférentielles. Ce sont les prépositions à et de, auxquelles on peut
ajouter en. Cette terminologie fut ensuite largement reprise, notamment par Cadiot (1997a et 1997b), Leeman
(1997), etc.
289
Source : Rey (1992/[1998] : tome 1, p. 1231). Selon Amiot & De Mulder (2007), la perte progressive des
emplois locatifs spatiaux de en au profit d’interprétations « qualifiantes » s’explique en partie par le caractère
non référentiel des compléments en N, en raison de l’absence d’article, caractéristique de en. Pour un aperçu des
différents emplois de la préposition en en ancien français et les liens (métonymiques ou métaphoriques) qui les
unissent, cf. De Mulder (2008b : 278-284).
290
Nous verrons par la suite que tous les noms de lieux physiques n’instaurent pas le même rapport entre le sujet
et le lieu. Notamment, être en prison implique que le sujet soit un prisonnier alors que être en Chine n’implique
rien de comparable.
291
Nous continuons d’employer le terme état dans le sens que lui attribue Van de Velde (1995a) (et non dans son
sens général de « statif »).
292
Les cas de localisation d’un sujet à l’intérieur d’une action seront abordés au chapitre 4.

185
Dans son emploi locatif, en peut se combiner avec plein. On obtient alors la locution
prépositive en plein293 qui connaît les mêmes emplois que en seul :
(451) Pierre vit en pleine forêt
(452) Pierre est en pleine détresse
Cependant en et en plein ne partagent pas la même distribution, loin s’en faut. Tous les
cas de figure existent : (i) certains noms peuvent suivre à la fois en et en plein ; (ii) certains
noms peuvent suivre en plein mais refusent de suivre en seul ; (iii) certains noms sont
compatibles avec en mais refusent de suivre en plein. Nous nous proposons d’observer ces
différences de distribution afin de les utiliser comme des révélateurs du sémantisme des noms
qui sont sélectionnés comme arguments par ces prépositions.

2.1. Présentation générale des structures étudiées


Les structures permettant de localiser un sujet humain dans un état sont variées :
(453) a. Pierre est (en colère / en sueur)
b. Pierre est en plein désarroi
c. Pierre est plongé dans le désespoir294
d. Pierre est dans le coma
(453) présente différentes structures permettant de localiser le référent du sujet à l’intérieur
d’une situation consistant en un état. Seuls les êtres animés, particulièrement les humains, ont
des états d’âmes (i.e. sont susceptibles d’être en colère, en joie, en plein désarroi, en
dépression, etc.) ce qui explique que beaucoup de nos exemples mettent en scène des sujets
humains ou considérés comme tels :
(454) a. La communauté […] est plongée dans la peur (web)
b. La France est vaincue, le pays est en plein désarroi (web)
c. Lorsque de bons officiers conduisent de piètres soldats, l’armée
est en détresse (web)

293
En vertu de l’accord en genre qui s’opère entre plein et le nom N2, plein peut être vu comme un adjectif :
(i) Pierre est en pleine promenade
(ii) Pierre est en plein travail
Cependant, certains auteurs proposent de considérer en plein comme une préposition composée (M. Gross
1996b : 253 ; Borillo 1997 : 176-177). On peut donner comme indice du statut prépositionnel de en plein son
emploi absolu (i.e. en tant que préposition « orpheline » dans lequel elle renforce le clitique y (Borillo 2002 : 145
et 151)) :
(i) Et le ressassement, on y est en plein ! (web)
Nous considérons donc que en plein est une préposition composée (ou complexe). Cette position permet de
mieux rendre compte de certains faits linguistiques que nous ne présenterons pas ici puisque notre propos ne
l’exige pas, cf. Haas (à paraître).
294
Pour une analyse syntaxique de la structure être plongé dans + SN, cf. Vaguer (2003). Dans cet article,
l’auteur démontre que être plongé dans est un verbe support sélectionné par le nom prédicatif qui suit. Nous
adhérons à son analyse.

186
(455) a. Les indicateurs sociaux sont alarmants, l’économie est en détresse
et l’administration est en ruine (web)
b. Le monde JAVA est en plein émoi (web)
c. La recherche nucléaire [est] en pleine euphorie (web)
Les sujets des énoncés présentés en (454) dénotent des « collectifs » d’humains et peuvent
sans difficulté être intégrés à notre corpus. Les sujets des énoncés (455) sont plus
problématiques, ils renvoient à des domaines (l’économie, l’informatique, la recherche
nucléaire) mais on peut aussi penser qu’ils dénotent les personnes qui travaillent dans lesdits
domaines. C’est pourquoi nous considérons que ce type d’énoncés permet d’attester de
l’emploi d’un nom dans les structures étudiées.
Parmi les nombreuses structures locatives existantes, les deux qui nous occupent
consistent en un verbe (généralement être) suivi d’une préposition (en ou en plein) qui peut
prendre pour argument un nom de lieu295, un nom statif ou encore un nom dynamique. Dans
les exemples que nous avons sélectionnés, nous privilégions l’emploi de la copule être en
raison de sa transparence sémantique. Néanmoins, d’autres verbes peuvent être utilisés,
(notamment tomber et entrer) ou encore des verbes permettant de conceptualiser les états
comme des liquides (e.g. nager, sombrer). M. Gross (1999) dit de être en qu’il est un
auxiliaire du nom « neutre » alors que tomber et entrer marquent l’inchoatif. Plus
généralement, nous pouvons opposer la neutralité aspectuelle de être en à la dynamicité de
verbes tels que tomber, entrer, et sombrer :
(456) a. Pierre tombe en admiration devant la vitrine296
b. Pierre entre en dépression
c. Pierre sombre dans la mélancolie
Comme le souligne M. Gross (1999), leur dynamicité provient de leur sens inchoatif, l’entrée
dans un état étant dynamique puisque c’est un changement. Concernant nager le sens n’est
pas inchoatif ni terminatif, puisque ce verbe signifie que le sujet est dans un certain état et
qu’il y reste. Bien qu’ordinairement dynamique, nager employé comme verbe support a plutôt
une interprétation stative (aucun changement de lieu n’est exprimé, au contraire, nager en
plein N place le sujet « au milieu de » l’état dénoté par le nom) comme le confirme l’extrême
rareté (et l’étrangeté) des exemples mis à la forme progressive :
(457) a. Pierre nage en plein bonheur
b. ?? Pierre est en train de nager en plein bonheur

295
Nous entendons par « noms de lieux » ou « noms locatifs » les noms qui dénotent des « étendues de la surface
de la terre, qui sont […] principalement des noms de terrains, de territoires et d’étendues d’eau » et les « noms
de bâtiments et de pièces » (Le Pesant, 2000), par exemple les noms mer, forêt, montagne, désert, prison,
cuisine, etc.
296
Cet exemple est emprunté à M. Gross (1999 : 16).

187
La seule différence formelle entre les deux structures que nous confrontons est le
choix de la préposition (en vs en plein), Nous proposons, pour comparer être en et être en
plein, de considérer plein comme un ajout (i.e. plein s’adjoint à en pour former la préposition
composée en plein) dont il faut déterminer l’apport sémantique.
Afin de cerner l’emploi locatif de en et de en plein, nous avons choisi de commencer
par étudier ces deux prépositions dans leur emploi le plus concret, i.e. dans leur emploi
spatial. En effet, la localisation spatiale permet d’accéder à l’emploi métaphorique des deux
structures N1 être en N2 et N1 être en plein N2.

2.2. Les noms de lieux


2.2.1. Être en Nlieu : localisation spatiale
Suivies d’un nom de lieu (désormais Nlieu), les structures être en et être en plein opèrent une
localisation spatiale du sujet (dénoté par N1) dans le lieu (dénoté N2) :
(458) Où est Pierre ?
a. Il est (en forêt / en mer)
b. Il est (en pleine forêt297 / en pleine mer298)
Nous commencerons par analyser le sens des énoncés lorsque la préposition est en seul, ce qui
nous servira de base pour juger de l’apport sémantique de plein.
Les exemples (458)a, instaurant une localisation spatiale, répondent de manière
prévisible à la question Où est Pierre ? Plus étonnante est la possibilité qu’ils offrent de
répondre à une question portant sur l’agir du sujet du type Que fait Pierre ?

2.2.2. Être en Nlieu : fonction intrinsèque


Dans les énoncés (458)a, la localisation spatiale est doublée de ce que Franckel et Lebaud
appellent « une fonction intrinsèque » (1991 : 58-59). Du point de vue syntaxique, N1 être en N2
est une structure attributive dans laquelle le prédicat être en N2 attribue à son argument N1 deux
propriétés : d’une part le sujet est spatialement localisé par le nom de lieu, d’autre part, le sujet

297
Les exemples être en forêt / être en pleine forêt paraissent étranges à plusieurs locuteurs interrogés.
Néanmoins, l’ajout d’un contexte plus large suffit à les rendre naturels:
(i) Lorsque Pierre est en forêt, il oublie tous ses soucis
(ii) Nous sommes en forêt pour respirer un bon bol d’air pur : ne fume donc pas de
cigarette !
(iii) Inutile de crier ! Nous sommes en pleine forêt : personne ne peut nous entendre
(iv) Dans un moment de détresse […] vous appelez votre mari. Il est en forêt, le réseau ne
passe pas (web)
(v) Dès qu’il fait beau il est en forêt à chercher les châtaignes (il sait où se trouvent les
meilleures) ou les champignons (qu’il fait vérifier par le pharmacien par sécurité) (web)
298
Cet exemple, emprunté à Franckel et Lebaud (1991 : 66), ne semble poser aucun problème d’acceptabilité et
nous permettra de fonder plus sûrement notre propos.

188
assure une fonction en lien étroit avec ce lieu. Comme le soulignent Amiot & De Mulder
(2007), le nom suivant être en permet de qualifier le sujet qui effectue des « activités
stéréotypiques » liées à ce nom. Selon le sémantisme propre à chaque nom de lieu, la fonction
du sujet est plus ou moins saillante. Nous allons distinguer différents cas selon que la fonction
induite par le nom de lieu est un « statut » ou une « action spécifique » (§2.2.2.1) ou encore une
simple « routine actionnelle »299 en lien avec le lieu (§2.2.2.2).
2.2.2.1. Cas où la fonction est spécifiée
(459) (Le pêcheur / le marin / le navigateur) est en mer
Le nom mer est sélectif quant au choix du sujet puisque tous les noms ne sont pas acceptables
dans cette position, d’où le contraste entre (459) et (460) :
(460) * (La baleine / le poisson clown / le rouget) est en mer
Ce contraste s’explique aisément grâce à la notion de fonction puisque le poisson,
contrairement au navigateur ou au pêcheur, n’exerce pas une activité en rapport avec la mer.
Il est d’ailleurs important de noter que lorsqu’on dit d’un sujet humain qu’il est en mer, on ne
veut pas dire qu’il est dans l’eau (il serait alors dans la mer ou encore à la mer) mais bien
qu’il est sur un bateau dans le but d’effectuer un voyage, de pêcher, etc. Être en mer c’est à la
fois accomplir une activité en rapport avec la mer et y être localisé. Si les poissons ne peuvent
pas être en mer c’est qu’ils y sont sans discontinuer, c’est leur milieu naturel de vie, ils n’y
occupent par conséquent aucune fonction. Un sujet ne peut occuper une fonction dans un lieu
qu’à la condition qu’il occupe ce lieu de façon non permanente.
Le même type d’explication vaut pour les exemples suivants :
(461) Pierre est en prison depuis dix ans. Il aura fini de purger sa peine en
2014
(462) # Le gardien est en prison depuis dix ans
En aucun cas (462) ne peut signifier que le gardien exerce son métier de surveillance de la
prison depuis dix ans. Cet exemple n’a qu’une seule interprétation possible : celle où un (ex-)
gardien de prison, jugé coupable de quelque infraction se retrouve de l’autre côté des
barreaux : prisonnier. L’expression être en prison exerce une forte contrainte sémantique sur
son sujet, imposant à celui-ci d’avoir le statut de prisonnier. Ainsi, un gardien (ou un simple
visiteur) peut être localisé dans la prison mais pas être en prison300.

299
Terme emprunté à Huyghe (CP).
300
Pour une étude de l’opposition être en prison / être dans la prison on pourra consulter Guillaume (1919/[1975] :
268-269) ; ces exemples ont souvent été repris, cf. entre autres Guimier (1978) (cité dans Leeman 1995 : 62),
Tamba (1983 : 123-124), Amiot & De Mulder (2007), etc.

189
Les noms prison et mer sont des cas particulièrement manifestes où le sujet est à la
fois localisé dans un lieu et y occupe un statut spécifique (prisonnier, navigateur, pêcheur,
etc.)301. Ajoutons que la nécessité pour le sujet d’avoir un statut en rapport avec le lieu dénoté
par N2 implique que le sujet n’ait pas un rapport permanent avec ce lieu (i.e. le lieu ne doit
pas être son milieu de vie naturel)302.
2.2.2.2. Cas où la fonction est non spécifiée
(463) Pierre est en (forêt / montagne)
Dans ces exemples, il est difficile de spécifier quel serait le statut (ou l’action) imposé par
être en N2 au sujet. Cependant plusieurs indices semblent dévoiler que des noms comme forêt
ou montagne, lorsqu’ils entrent dans la structure N1 être en N2, présentent le même
fonctionnement que les noms mer ou prison étudiés plus haut, à la différence près que la
fonction du sujet est non spécifiée et par conséquent moins saillante.
Nous avons montré que être en (prison / mer) n’est pas la même chose que être dans
la (prison / mer). En revanche, il semble, de prime abord, que être en (forêt / montagne) et
être dans la (forêt / montagne) sont des expressions sémantiquement très proches. Nous
allons montrer que tel n’est pas le cas.
Un premier indice est donné par le contraste entre (464) et (465). De la même manière
et pour les mêmes raisons qu’un poisson n’est pas en mer, on ne peut pas dire :
(464) a. * (Le sanglier / la biche) est en forêt
b. * (L’ermite / le troupeau) est en montagne
En revanche, on a :
(465) a. (Le sanglier / la biche) est dans la forêt
b. (L’ermite / le troupeau) est dans la montagne
Autrement dit, le sanglier et la biche peuvent bien être localisés dans la forêt (465)a, l’ermite
et le troupeau peuvent bien être dans la montagne (465)b, et pourtant les énoncés de (464)
sont inacceptables. Puisque ce n’est pas la localisation spatiale qui fait défaut, c’est donc
l’absence de fonction intrinsèque du sujet par rapport au lieu qui empêche de construire des
énoncés tels que ceux présentés en (464). Par là même, nous pouvons dire que dans Pierre est

301
Voici quelques exemples supplémentaires pour lesquels la localisation spatiale est doublée d’un statut spécifique
du sujet : être en cuisine (i.e. être dans la cuisine et y préparer le repas, être cuisinier), être en classe (i.e. être dans
la classe et avoir le statut d’élève ou d’enseignant). A propos de être en cuisine, cf. Leeman (1995 : 62-63).
302
Amiot & De Mulder (2007) rappellent à ce sujet que Franckel et Lebaud (1991), opposant Il est beau et Il est
en beauté, ont montré que en N ne renvoie pas à des qualités inhérentes mais contingentes. Ces auteurs évoquent
également la double valeur d’une expression comme être en prison qui signifie à la fois une localisation spatiale
et ce qu’ils appellent « un état qui qualifie le sujet » (et qui correspond à la notion de statut que nous avons
utilisée).

190
en (forêt / montagne), Pierre n’est pas simplement localisé dans un lieu, il y occupe une
fonction.
Un second indice renforce cette hypothèse. Si on prend un sujet inanimé, i.e. un sujet
qui par nature ne peut pas accomplir d’action ni occuper une fonction, alors la localisation à
l’aide de être en Nlieu est toujours impossible :
(466) a. * (Le rocher / la maison) est en forêt
b. * (La grotte / le torrent) est en montagne
Enfin, le fait que les énoncés (463) puissent servir de réponse à une question en faire
confirme qu’avec forêt et montagne le sujet localisé par le biais de être en occupe une
fonction ou accomplit des actions en rapport avec le lieu N2303.
Les exemples présentés en (464)-(466) confirment que, même avec des noms comme
forêt et montagne, le sujet localisé dans le lieu doit y occuper une fonction, y réaliser des
actions en lien avec le lieu.
Cependant, la fonction intrinsèque que le sujet doit nécessairement remplir pour qu’un
nom de lieu puisse entrer dans la structure N1 être en N2 est nettement moins marquée avec
des noms comme forêt et montagne qu’avec des noms tels que prison ou mer. Ce qui est
attribué au sujet qui est en (forêt / montagne) est une « routine actionnelle » associée à ces
lieux304 plutôt qu’un statut spécifique comme « prisonnier » pour celui qui est en prison et
« pêcheur » ou « navigateur » pour celui qui est en mer. Reste qu’une fois encore, il semble
qu’un sujet ne puisse être accepté que s’il n’occupe pas le lieu de façon permanente (d’où
l’inacceptabilité de (464)).

2.2.3. Conclusion partielle


Nous avons montré d’une part qu’un nom de lieu introduit par la structure être en permet de
localiser spatialement un sujet humain, et, d’autre part, nous avons mis en évidence que le
sémantisme propre à chaque nom de lieu entre en jeu dans le calcul sémantique de la phrase.
Ainsi, les noms de lieux, non seulement localisent spatialement le sujet, mais ils lui confèrent

303
Notons néanmoins que selon le sémantisme du nom N2, la séquence N1 est en N2 est une réponse plus ou
moins naturelle à la question Que fait N1 ? Plus N2 impose au référent de N1 d’accomplir une action ou d’occuper
un statut précis, plus la réponse est naturelle. Ainsi, en classant les noms de lieux selon leur capacité à répondre à
cette question, on obtient : prison / mer > forêt / montagne. L’ordre des noms resterait le même si le critère de
classement était la saillance de la fonction occupée par le sujet.
304
Ainsi, on associe traditionnellement la forêt à certaines activités : se promener, ramasser des champignons,
chasser, ramasser du bois ; les activités associées à la montagne sont l’escalade, la randonnée, le ski, etc. D’où
les énoncés du type :
(i) Pierre est parti (se promener / ramasser des champignons / chasser / ramasser du
bois) en forêt
(ii) Pierre fait (de l’escalade / de la randonnée / du ski) en montagne

191
une fonction. Cette fonction peut être (i) un statut spécifique occupé par le sujet en rapport
avec le lieu, i.e. « prisonnier » en prison, « pêcheur » en mer, « cuisinier » en cuisine,
« élève » en classe, etc. ; (ii) des actions routinières, habituelles, mais non spécifiées liées à un
lieu (« promenade » en (forêt / montagne), « chasse aux papillons » en forêt, « randonnée » en
montagne, etc.).
On remarque également que pour que l’interprétation fonctionnelle de la localisation
soit possible, il ne faut pas que le lieu soit le milieu de vie habituel du sujet. En d’autres
termes, pour qu’un sujet soit localisé dans un lieu par en seul, il faut que l’occupation du lieu
soit passagère (Les marins sont en mer pour trois mois) et non pas permanente (* Le poisson
est en mer).
Nous allons à présent décrire quel est l’apport sémantique de plein lorsque N2 est un
nom de lieu. Plus précisément, nous nous demanderons si plein agit sur la localisation spatiale
et/ou sur la fonction intrinsèque.

2.2.4. Être en plein Nlieu : la localisation spatiale


Notons que l’ajout de plein n’annule pas le sens de localisation spatiale déjà observé :
(467) Où est Pierre ?
a. Il est en forêt
b. Il est en pleine forêt
(468) Où est Pierre ?
a. Il est en mer
b. Il est en pleine mer
Au contraire, il semble que plein renforce la localisation spatiale exprimée par être en. En
effet, on ne peut dire de Pierre qu’il est en pleine forêt que s’il est quelque part à l’intérieur de
la forêt et non en lisière du bois. Ainsi, alors que (467)a peut être paraphrasé par (469), (467)b
peut l’être par (470) :
(469) Pierre est dans la forêt
(470) Pierre est (au beau milieu / au cœur / au centre) de la forêt
Autrement dit, et pour reprendre une notion présentée par Franckel et Lebaud (1991 : 58-59),
plein effectue ici un « centrage », i.e. plein place le sujet au centre du référent dénoté par
N2305. De la même manière que être en pleine forêt c’est être quelque part dans la forêt loin de
la lisière, être en pleine mer c’est être quelque part sur la mer loin des rivages. On est en
pleine mer seulement quand les feux du port sont hors de vue.

305
Le terme « centre » ne renvoie pas à un centre qui serait calculé géométriquement mais plutôt à un point
quelconque à l’intérieur de N2. Sur la proximité de plein avec la notion de centre, voir l’aperçu étymologique
proposé par Do-Hurinville (2008 : 3) ainsi que son analyse en plein suivi de noms spatiaux (ibid : 6-7).

192
En revanche, plein ne renforce pas la fonction intrinsèque du sujet lorsqu’elle existe,
au contraire. Alors que (471)a est une réponse naturelle à Que fait Pierre ?, (471)b l’est
moins, voire absolument pas :
(471) Que fait Pierre ?
a. Il est en mer
b. ?? Il est en pleine mer
Tout se passe comme si plein effaçait la fonctionnalité au profit du renforcement de la
localisation spatiale par le biais du centrage.
Plein, associé à un nom de lieu, effectue un centrage spatial mais donne également une
indication sur la « morphologie » ou « topographie » du lieu : si Pierre se trouve dans une
clairière, même si celle-ci est au cœur de la forêt, on ne pourra pas dire de Pierre qu’il est en
pleine forêt. La pleine forêt est un endroit dense de la forêt, autrement dit, plein met en relief
une propriété physique du lieu (le densité des arbres pour la forêt).
Tous les noms de lieux pouvant suivre être en n’acceptent pas pour autant l’ajout de
plein :
(472) * Pierre est en pleine prison
Il n’y a pas d’incompatibilité en soi entre plein et le nom prison :
(473) Une bombe a explosé en pleine prison
Dans cet exemple, la localisation spatiale est accentuée par la présence de plein. L’exemple
(472) est rendu inadéquat par la présence d’un sujet humain. On en déduit qu’avec un nom
comme prison, ce qui prime est la fonction du sujet humain au détriment de sa localisation
spatiale306, plein ne peut alors plus accentuer cette dernière. Quant à accentuer la fonction du
sujet, c’est inenvisageable puisqu’il n’y a aucun sens à dire d’un humain qu’il est « très » en
prison.
A l’inverse, il existe des cas où la présence de plein est obligatoire :
(474) a. Pierre est en plein désert
b. * Pierre est en désert
c. Pierre est dans le désert
Comme à l’accoutumée avec un nom de lieu, plein effectue un centrage spatial et donne des
informations sur la morphologie du lieu : on n’est pas en plein désert si l’on n’est qu’à deux
cents mètres de sa limite, ni non plus si l’on est dans une oasis. Les prépositions dans et en
plein permettent de localiser un sujet humain dans un lieu comme le désert alors que en seul

306
Nous rappelons que nous empruntons le terme « fonction » à Franckel et Lebaud (1991). Nous regroupons
sous cette dénomination les cas où le sujet occupe un certain statut (être prisonnier, être marin, être cuisinier),
ou accomplit des actions routinières (pour forêt et montagne).

193
ne le permet pas. Cela s’explique vraisemblablement par l’absence de fonction attachée au
nom désert. Dans notre culture au moins, nous n’attachons ni statut spécifique ni routine
actionnelle au nom désert, ce qui rend l’emploi de en seul impossible. L’ajout de plein ou
l’emploi d’une préposition plus spatiale307 comme dans sont possibles car alors seule compte
la localisation spatiale (l’absence de fonction ne fait plus obstacle).

2.2.5. Conclusion partielle


La structure être en Nlieu permet à la fois de localiser spatialement le référent du sujet N1
dans le référent du lieu dénoté par N2 et de conférer au sujet une fonction intrinsèque (qui sera
plus ou moins saillante selon le sémantisme du nom de lieu). Dans cette structure, plein
effectue un centrage spatial et peut secondairement donner des indications sur la morphologie
du lieu. Ce centrage efface la fonction intrinsèque que en seul avait conférée au sujet. Nous
appellerons plein « marqueur de centrage », expression très justement employée par Franckel
et Lebaud (1991 : 58). Le fait que plein ne puisse pas être ajouté lorsque la localisation
spatiale passe au second plan, derrière la fonction du sujet (e.g. prison), confirme que son rôle
premier et dominant est d’effectuer un centrage spatial. De même, la présence obligatoire de
plein pour les noms de lieux non liés à une fonction confirme que plein accentue uniquement
la localisation spatiale, mettant entre parenthèses la fonction occupée par le sujet.

2.3. Les noms d’états


Nous rappelons que les noms d’états (au sens restreint que donne Van de Velde (1995a) à ce
terme) font partie des noms abstraits statifs. Parmi les états, on distingue les noms d’états
psychiques, qui dénotent des « passions de l’âme » (Van de Velde, 1998a : 442), tels que
colère, tristesse, désespoir, joie, bonheur et les noms d’états physiques tels que sueur,
maladie, coma. Ce sont, comme les qualités, des noms intensifs qui « peuvent se caractériser
négativement comme dénotant des entités qui n’ont aucune extension temporelle : un peu de
courage [ou de tristesse] n’occupe pas moins de temps que beaucoup de courage, à la
différence de ce qui se passe avec la marche ou la lecture. » (Flaux & Van de Velde 2000 :
76). Ne pas avoir d’extension temporelle ne signifie pas forcément être hors temps. Nous
avons vu dans la première section de ce chapitre que les qualités sont hors temps alors que les
états entretiennent un rapport au temps – la possession d’une borne initiale et la possibilité de
leur attribuer une durée et/ou une borne finale sont autant de signes linguistiquement visibles

307
Dans est une préposition sémantiquement plus lourde (Cervoni 1991 : 18), ou plus colorée que en, elle
marque plus fortement le rapport spatial.

194
de ce rapport). C’est pour cette raison que lorsqu’ils ne sont pas perçus comme ressentis par le
sujet (et donc utilisés comme noms d’émotions) les noms d’états « sont à la fois intensifs et
extensifs » (Flaux & Van de Velde 2000 : 95).
Les critères de reconnaissance des noms d’états parmi les noms statifs sont nombreux,
le plus important étant la capacité qu’ont les états de dénoter un lieu (métaphorique) dans
lequel est localisé le référent généralement humain du sujet308. Les structures permettant de le
faire sont nombreuses et font régulièrement appel au vocabulaire d’ordinaire dédié aux entités
liquides :
(475) a. Pierre est plongé dans le désespoir
b. Pierre nage dans la joie
c. Pierre se noie dans son chagrin
d. Pierre a sombré dans la dépression
e. Pierre est au comble du bonheur309
L’état semble se présenter comme un liquide dans lequel le sujet humain se trouve (être
plongé dans, être au comble de) et dans lequel il peut entrer et se mouvoir (nager dans, se
noyer dans, sombrer dans).
Les structures que nous étudions (être en et être en plein) font partie des structures
localisantes qui permettent à un état de servir de milieu à un sujet humain. Fort de ce que nous
avons appris du fonctionnement de en et en plein dans le domaine spatial, nous allons à
présent étudier la distribution des prépositions en et en plein avec les noms d’états.

2.3.1. Problèmes de méthode


2.3.1.1. Elaboration du corpus
Nous avons repris la liste de noms statifs établie pour l’étude de la structure dans Det pos
Nstatif (cf. section 1) et avons isolé ceux qui dénotent des états. Au moyen du moteur de
recherche Google nous avons voulu vérifier quels noms d’états peuvent suivre en seul et/ou
en plein. Un premier problème a été de déterminer la forme à donner à la requête. Notre
première démarche fut de recenser toutes les séquences en N, mais le bruit était assourdissant.
En effet, cette requête ramène systématiquement un grand nombre de résultats qui n’ont rien à
voir avec la structure locative que nous étudions. En voici quelques illustrations parmi les
plus fréquentes :
(476) a. se changer en (faiblesse / tristesse)
b. se changer en (bienveillance / clémence)

308
Les tests permettant de repérer un nom d’état ont été présentés dans la première section de ce chapitre (cf.
§1.3) auxquels nous ajoutons l’opposition entre CTC et CC.
309
Le comble désigne le surplus de liquide qui dépasse d’un récipient rempli au maximum de sa contenance.

195
(477) a. se muer en (colère / désespoir)
b. se muer en (ardeur / imprudence)
(478) a. se transformer en (euphorie / joie)
b. se transformer en (impatience / indifférence)
(479) a. s’y connaître en (déception / solitude)
b. s’y connaître en (arrogance / insolence)310
Ajouter le verbe être311 dans la requête aide à obtenir des énoncés dans lesquels en a
bien sa valeur locative. Mais alors, le problème est double : même s’il est réduit, le bruit
demeure312 malgré des silences313. Nous n’avons pas trouvé de solution « automatique » à ces
deux problèmes et nous avons trié manuellement les résultats. Comme il était impossible de
lire tous les exemples, nous avons procédé de la façon suivante : premièrement, une lecture
rapide de quelques exemples nous a permis de décider pour chaque nom si certains exemples
trouvés via la requête « être en N » étaient ou non pertinents. Ensuite, l’indication numérique
fournie par le moteur de recherche nous a permis de décider du degré d’acceptabilité à
accorder aux exemples (voir §2.3.1.2).
Concernant plein, nous avons utilisé deux requêtes, la première, très large : « en plein
N » et la seconde, plus restreinte : « être en plein N ». La seconde est le pendant exact de la
requête « être en N » et permet d’étudier les différences de distribution entre les deux
prépositions. Le recours à la requête plus large « en plein N » nous est vite apparu comme
nécessaire car avec plein la présence de être restreint beaucoup le nombre de résultats. Il était
intéressant pour nous de faire la différence entre les noms qui refusent réellement de suivre
plein et ceux qui refusent en fait d’entrer dans la structure être en plein.
2.3.1.2. Attribution des degrés d’acceptabilité
On peut se demander si le recours à un moteur de recherche comme Google est utile pour
attribuer les degrés d’acceptabilité. Etant donné le nombre astronomique de phrases en stock
sur la toile, nous considérons que « zéro » attestation est un signe de non-acceptabilité d’une
combinaison de mots :

310
Les noms présents dans les exemples (a) sont des états mais ceux en (b) sont des qualités.
311
Pour obtenir des réponses, il faut bien sûr conjuguer le verbe. Le plus souvent nous avons utilisé, dans cet
ordre, les formes fléchies « est », « suis », « sommes » et « sont » qui sont celles qui donnent le plus de
résultats.
312
Ce bruit est parfois si fort qu’il empêche de trouver des exemples pertinents. Cela se produit notamment
lorsqu’il existe une locution (semi-)figée fondée sur en et le nom étudié, e.g. en dépit de cela, en désespoir de
cause.
313
Le fait d’inclure le verbe être dans la requête limite inévitablement le nombre de réponses. Parfois, le recours
à un autre verbe aurait peut-être permis d’obtenir de meilleurs résultats mais on entre alors dans une complexité
de requête qui dépasse nos compétences actuelles en formulation d’équation de recherche, d’autant qu’il aurait
fallu recourir à d’autres outils que le simple moteur de recherche Google.

196
(480) * être en (accablement / désappointement)
Pour la même raison, nous attribuons également l’astérisque si le nombre de résultats oscille
entre un et une dizaine d’énoncés314 :
(481) * être en (irritation / solitude)
Néanmoins, la multiplication des discussions en ligne, forums, blogs, etc. a introduit
sur la toile une foule d’usages non standards de la langue française. Enoncés oralisants,
langage familier, raccourcis, abréviations, langage « texto », certes, mais n’est-ce pas
néanmoins du français, un usage du français ? Nous avons d’abord été découragée de
découvrir plus d’un millier d’attestations de être en désarroi et plusieurs centaines de être en
douleur, deux séquences devant lesquelles nous aurions sans hésiter mis une astérisque :
(482) a. Je suis en désarroi car j’ai payé une voiture avec toutes mes
économies et je n’ai plus rien (web)
b. La gauche est en désarroi depuis qu’elle a perdu son monopole (web)
(483) a. Cependant, le choix d’euthanasie est souvent approprié
particulièrement dans les cas où l’animal est en douleur (web)
b. Merci Régine de ton message, je comprends que ce n’est pas
toujours facile de venir en aide lorsque nous-mêmes sommes en
douleur (web)
Nous voilà donc en désarroi face à ces attestations inattendues. Pourquoi s’accrocher à nos
intuitions d’acceptabilité alors même qu’elles sont contredites par les faits ? Au nom d’un
usage normatif de la langue, faut-il exclure tous ces énoncés et faire comme s’ils n’existaient
pas ? Solution tentante et justifiable. Supprimer les usages non standardisés afin de pouvoir
mener l’analyse linguistique, étudier une forme idéalisée de la langue afin d’aboutir à des
généralités sur son fonctionnement ; cette posture est défendable. Une autre solution était
d’inclure tous les exemples gênants au risque de ne plus différencier le français standard des
usages plus marginaux. Nous avons cherché une voie intermédiaire, forcément imparfaite,
entre ces deux solutions. Nous avons choisi d’inclure dans notre corpus tous les noms dont
nous avons trouvé un nombre suffisant d’occurrences (et donc d’exclure tous les noms dont le
nombre d’occurrences a été jugé trop faible). Ce nombre suffisant a été établi en fonction du
nombre courant d’occurrences que l’on peut espérer obtenir avec les requêtes « être (en / en
plein) N », il se situe entre une et quelques centaines. Pour toute notre étude sur en / en plein,
voici comment ont été attribués les degrés d’acceptabilité aux énoncés315 : l’astérisque signale

314
Nous gardons à l’esprit qu’un nombre d’occurrences est toujours relatif : relatif au nombre total d’attestations
du nom étudié sur la toile, relatif aussi à la fréquence d’utilisation de la structure que l’on teste.
315
Ces chiffres d’attribution ne sont que des tendances, une part d’arbitraire y prend place, un nom attesté 500
fois recevra un seul point d’interrogation, un nom attesté 320 fois en recevra deux, ces attributions sont toujours

197
un nombre d’attestations compris entre zéro et une dizaine, le double point d’interrogation a
été utilisé pour signaler un nombre d’attestations allant de la dizaine à une ou deux centaines,
le point d’interrogation simple pour un nombre d’attestations de quelques centaines (jusqu’à
600-700), aucune mention particulière ne précède les noms dont on a trouvé un nombre
d’attestations en milliers (ou proche du millier), même quand cela allait à l’encontre de notre
intuition personnelle316. Suivant cette méthode d’attribution des acceptabilités, les énoncés
(482) ne reçoivent aucune mention particulière, ceux de (483) reçoivent un point
d’interrogation. L’avantage de cette démarche est de mieux prendre en compte l’usage réel
qui est fait des structures être en (plein) N et d’inclure dans notre corpus un nombre de noms
plus conséquent que si nous nous en étions tenus à ceux qui nous paraissaient acceptables317.

2.3.1.3. Présentation du corpus


De nombreux noms d’états peuvent entrer dans les deux structures être en et être en plein318 :
(484) être en (affliction / ? agitation / allégresse / angoisse319 / ? chagrin /
colère / ?? coma / confusion / délire / démence / déprime /
? déraison / désarroi / ?? désespoir / détresse / ? douleur / émoi /
?? euphorie / ? exaltation / ?? fatigue / ?? fièvre / folie / fureur /
?? inquiétude / ?? ivresse / joie / léthargie / liberté / # maladie320 /
?? mélancolie / panique / rage / ?? tristesse)
(485) être en plein(e) (affliction / agitation / ?? allégresse / angoisse /
chagrin / colère / ?? coma / confusion / délire / démence /
déprime / ?? déraison / désarroi / désespoir / détresse / ?? douleur /
émoi / euphorie / ? exaltation / ?? fatigue / ? fièvre / ? folie /
?? fureur / ?? inquiétude / ?? ivresse / ? joie / léthargie / ?? liberté /
?? maladie / ?? mélancolie / panique / rage / ?? tristesse)

discutables, nous ne prétendons pas qu’elles soient toujours « justes », nous espérons seulement qu’elles aient
une certaine valeur relative. Nous insistons sur le fait que ces paliers d’attributions sont propres à l’étude de en et
en plein, ils ne sont appliqués que dans cette section de notre travail.
316
Il ne faut pas oublier que le nombre d’attestations obtenu est toujours un nombre « maximal » puisqu’il est
impossible de vérifier un à un les milliers de résultats potentiels obtenus pour une requête donnée.
317
Avant d’introduire dans notre corpus, selon les modalités expliquées ci-avant, des noms tels que désarroi ou
douleur, nous ne disposions que d’un nombre très restreint de noms d’états acceptables avec en seul, nombre
trop faible pour que l’analyse jouisse d’une assise suffisante :
(i) être en (colère / délire / déprime / détresse / émoi / fureur / joie / panique / rage)
318
Il existe quelques très rares noms d’états qui peuvent suivre en mais pas en plein (e.g. sursis, liberté, sueur).
Il existe également des noms d’états qui ne peuvent suivre en qu’en présence de plein (e.g. affolement /
consternation / déception / énervement / étonnement / perplexité / stupéfaction). Ces deux cas de figure ne seront
pas évoqués ici, nous renvoyons à Haas (à paraître) pour une brève présentation de ces exemples.
319
La majorité des exemples trouvés comportent un modifieur adjectival du type totale, perpétuelle, permanente.
320
Le dièse devant maladie signale que être en maladie est employé dans un sens spécialisé pour signifier « être
en congé de maladie ».

198
Certains noms (notamment fièvre, inquiétude) ont en commun d’avoir été jadis employés avec
en seul321. Cela n’est pas surprenant si l’on se souvient que en avait alors un sens locatif plus
prononcé qu’aujourd’hui. En plus de leurs emplois passés, en fièvre et en inquiétude ont des
attestations actuelles dans des discussions. Tout se passe comme si ces emplois d’un autre âge
revenaient au goût du jour, au moins en français parlé322.
Avec la préposition en comme avec la préposition en plein le sujet est localisé à
l’intérieur de l’état. Il reste à définir comment cette localisation s’effectue avec en seul, avant
de nous demander quel est l’apport sémantique de plein.

2.3.2. En + Nétat
L’état, parce qu’il est une entité homogène, sert de milieu dans lequel le sujet est localisé. Ce
milieu s’apparente, dans le domaine concret, à un liquide comme le suggèrent les nombreuses
expressions en rapport avec l’eau qui permettent d’exprimer les états (cf. exemples (475)).
En plus de l’analogie existante entre liquides et états, il est remarquable que le terme
profond, qui décrit une dimension verticale orientée vers le bas (e.g. cet adjectif peut être
employé pour décrire l’une des dimensions d’un récipient), puisse aussi s’employer avec les
noms d’états pour marquer leur intensité :
(486) a. être au plus profond du désespoir
b. une bassine profonde
La profondeur est la dimension verticale de la bassine en (486)b mais dans l’exemple (486)a,
adjectif profond indique la forte intensité du désespoir. Lorsqu’un état localise un sujet
humain, il lui sert de contenant à la manière d’un liquide lui-même délimité par un
contenant323, c’est donc bien de façon métaphorique que l’état dénote un lieu. L’impossibilité
d’attribuer aux états les prédicats de dimension habituellement compatibles avec les noms de
lieux en est un indice supplémentaire :
(487) a. La forêt s’étend sur cinq hectares
b. La montagne mesure plus de mille mètres de haut
(488) a. * Le chagrin de Pierre s’étend sur des kilomètres
b. * La colère de Pierre mesure plus de cent mètres

321
Exemples attestés :
(i) Je trouve que j’ai bien plus affaire à digérer cette résolution de mourir
quand je suis en santé, que quand je suis en fièvre. (Web / Montaigne, XVIe)
(ii) Je suis en inquiétude du mauvais état de votre santé, et je crois que la force de mon
malheur en fait ressentir des effets à mes meilleurs amis. (Web / Mazarin, XVIIe)
322
Une enquête diachronique approfondie serait nécessaire pour (in)valider cette hypothèse.
323
Pour plus de détails sur la comparaison entre les états et les liquides, cf. Van de Velde (1998b).

199
C’est l’homogénéité des noms d’états qui est primordiale dans la possibilité qu’offrent ceux-ci
de servir de contenant à la manière d’un liquide.

2.3.3. En plein + Nétat


Avec un nom de lieu, plein effectue un centrage spatial, i.e. place le sujet au centre du lieu
dénoté par N2. On peut supposer que plein agit toujours de la même façon quel que soit le
type de nom introduit, autrement dit que plein renforce l’une des propriétés du nom qui lui
sert d’argument. Par conséquent, nous nous demandons quelle(s) propriété(s) sémantique(s)
permet(tent) d’opérer un centrage du sujet dans le lieu métaphorique dénoté par le nom d’état.
L’homogénéité, qui est une condition nécessaire à la localisation métaphorique du
sujet, n’est pas une propriété scalaire. Ce n’est donc pas elle qui est à l’origine du centrage
opéré par plein avec les noms d’états. Il faut donc chercher parmi les autres propriétés
essentielles des noms d’états que sont l’intensité et l’extensivité. Il est probable que l’une
et/ou l’autre de ces propriétés soi(en)t l’objet du centrage opéré par plein.
2.3.3.1. Plein : marqueur de centrage temporel
Nous pensons que plein effectue d’abord un centrage temporel en plaçant le sujet à un
moment du temps qui est au centre de l’état dénoté par N2324. L’existence d’une expression
comme (489) va dans ce sens :
(489) La fête bat son plein
Une fête ne « bat son plein » ni à son commencement, ni à la fin, lorsque les invités partent,
mais à un moment situé au cœur de la fête. Par ailleurs, ce moment se caractérise par son
intensité particulièrement forte.
Le centrage temporel entraîne un centrage intensif. Par exemple, si Pierre est « en
plein désarroi » cela signifie qu’il se trouve au centre temporel de son désarroi, ce centre
temporel correspond dans notre intuition au point culminant ou au paroxysme de l’état, d’où
une interprétation renforcée de son intensité :
(490) a. L’équipage est en allégresse. Je ne la partage pas. J’ai la mort de
plusieurs hommes sur la conscience, des marins valeureux emportés
par les flots (web)
b. * L’équipage nage en allégresse
(491) a. Je suis le cinquième meilleur élève de ma classe. Inutile de vous
préciser que je suis en pleine allégresse (web)

324
Comme c’était le cas avec les noms de lieux, le terme « centre » ne signifie nullement que le sujet est localisé
au centre temporel strict de la période de temps qu’occupe l’état dénoté par N2, mais qu’il occupe un point qui
n’est ni l’entrée ni la sortie de l’état.

200
b. Je suis le cinquième meilleur élève de ma classe. Inutile de vous
préciser que je nage en pleine allégresse
Alors qu’avec en plein, le verbe être peut commuter avec le verbe nager (cf. (491)), cela est
impossible avec en seul (cf. (490)). Nager est un verbe sémantiquement plus riche que la
copule être, notamment parce que ce verbe explicite la métaphore liquide / état. En accentuant
la localisation métaphorique, nager sélectionne pour argument un état de forte intensité. La
nécessaire présence de plein avec nager est un indice de l’intensification que plein opère sur
l’état : « nager en pleine allégresse », c’est éprouver une allégresse particulièrement intense,
être submergé par elle.
2.3.3.2. Plein : marqueur aspectuel
Il existe quelques noms d’états avec lesquels plein joue un rôle aspectuel.
Le nom retraite vient de l’ancien français retraire qui signifie « se retirer » (Le Petit
Robert, 2004). Ce nom peut avoir plusieurs sens, un sens statif (s’être retiré de la vie
professionnelle) et un sens dynamique (se retirer physiquement d’un champ de bataille) :
(492) Pierre est en retraite
(493) a. L’armée est en pleine retraite
b. L’armée bat en retraite
Nous remarquons que le sens statif de retraite est associé à en seul (492) alors que ce nom
prend un sens dynamique avec en plein (493)a, comme le montre l’emploi du verbe
dynamique battre en (493)b.
Contrairement à retraite, guerre ne semble pas avoir un sens statif et un sens
dynamique bien départagés. Cependant, selon qu’il prend place dans la structure être en ou la
structure être en plein, ce nom présente une opposition aspectuelle :
(494) a. La Chine est en guerre
b. La Chine est en état de guerre
c. La Chine est en pleine guerre (avec la Hongrie)
d. La Chine fait la guerre (à la Hongrie)
e. * La Chine est en plein état de guerre
En (494)a la seule interprétation possible est celle où guerre dénote un état comme le montre
la paraphrase présentée en (494)b325. Au contraire, la présence de plein en (494)c force
l’interprétation dynamique, interprétation que l’on retrouve en (494)d. L’impossibilité de dire
(494)e prouve que plein et lecture stative sont incompatibles. Dans ces exemples, c’est la
présence ou l’absence de plein qui détermine laquelle des interprétations disponibles du nom
est activée.

325
Les noms d’états n’entrent pas tous dans la structure état de mais, pour ceux qui l’acceptent, ce test
métalinguistique paraît fiable.

201
Prenons encore l’exemple du nom colère :
(495) Pierre est en colère
(496) a. Pierre est en pleine colère
b. Pierre est en train de faire une colère
(495) dénote une situation stative – cette phrase ne peut pas répondre à une question portant
sur l’agir du sujet du type Que fait Pierre ?. En revanche (496)a peut être interprété comme :
« Pierre est dans une intense colère » mais sera plutôt compris comme « Pierre fait une
colère » (496)326.
Les exemples (492)-(496) confirment que la présence de plein impose avec certains
noms une lecture dynamique, alors que son absence oriente l’interprétation de N2 du côté de
la stativité327. La modification aspectuelle induite par plein est le résultat de l’interaction entre
le sémantisme propre du nom d’état (seuls quelques rares noms d’états se prêtent à une lecture
dynamique) et l’action de plein (qui effectue un centrage temporel). La dynamicité est le
domaine par excellence du temps, il n’y a alors rien d’étonnant à ce qu’un marqueur de
centrage temporel puisse forcer la lecture dynamique de certains noms. L’existence même de
ces noms statifs / dynamiques en fonction de la présence / absence de plein confirme que le
rôle premier de ce marqueur est d’opérer un centrage temporel (dont le centrage intensif n’est
qu’une conséquence).

2.4. Conclusion partielle


Notre hypothèse générale sur le fonctionnement de plein semble valide : plein effectue un
centrage. Nous avons vu que plein est un marqueur de centrage, centrage spatial si N2 est un
nom de lieu et centrage temporel si N2 est un nom d’état328. Ce centrage temporel a des effets
secondaires variables selon le sémantisme propre à chaque nom. Dans la majorité des cas, le

326
Sur le web, la majorité des exemples comprenant la séquence en pleine colère s’applique à de très jeunes
enfants « piquant une colère », criant, pleurant, se roulant par terre :
(i) J’ai aussi noté qu’il fallait lui donner le bain dans un moment où il est calme car s’il
est en pleine colère, le bain devient une galère [lui= le bébé] (web)
(ii) Quand Mathis est en pleine colère, il se met à me frapper, tire sur les vêtements,... il a
une force incroyable ! (web)
327
Nous rejoignons la position de Daladier qui, évoquant entre autres la structure être en N, explique que « la
préposition antéposée à l’opérateur nominal est l’auxiliaire d’aspect et de mode d’action du nom » (1999 : 90).
Nous étendons ce principe à la préposition composée en plein.
328
En plein Nétat constitue, après dans, un second exemple où une préposition prend un sens en partie temporel
alors que son argument est un nom statif.

202
fait de placer le sujet au centre temporel de l’état a pour effet d’en accentuer l’intensité329.
Parfois, le centrage temporel s’accompagne d’un effet de dynamisation du nom.
Les prépositions en et en plein ne se combinent pas qu’avec des noms de lieux ou
d’états mais aussi avec des noms dynamiques. C’est ce que nous allons voir à présent.

329
L’effet de renforcement intensif est saillant sémantiquement, d’où les difficultés auxquelles nous nous
sommes d’abord heurtés pour comprendre le fonctionnement de plein avec les Nétat.

203
Chapitre 4
Être en vs être en plein et les noms dynamiques

Nous avons vu que les deux structures être en N et être en plein N peuvent sélectionner
comme argument un nom de lieu ou un nom d’état. La comparaison des deux structures a
permis de montrer que plein joue le rôle d’un marqueur de centrage, centrage dont la nature
varie en fonction du type de nom argument utilisé. Nous allons voir si cette analyse peut être
étendue aux noms dynamiques.
Après avoir brièvement rappelé quelques tests de la dynamicité dans le domaine
nominal, nous nous intéresserons à la distribution des noms dynamiques avec en et en plein,
ce qui sera l’occasion d’affiner la description sémantico-aspectuelle de ces noms. En effet,
certaines propriétés aspectuelles des noms dynamiques jouent un rôle essentiel dans la
possibilité qu’ils offrent ou non de servir d’arguments à en et/ou en plein.

1. Préliminaires
1.1. Rappel : identification des noms dynamiques
Les tests de dynamicité dans le domaine nominal ne sont interprétables que s’ils sont validés.
Autrement dit, si un nom accepte l’un des tests suivants, alors il est, dans cet emploi au
moins, dynamique. Le refus d’un test n’est pas interprétable puisque d’autres propriétés
aspectuelles que l’opposition dynamique / satif peuvent provoquer le rejet d’un test330.
Certains noms abstraits acceptent de prendre un complément d’agent introduit par par
et sont alors quasi-synomymes du verbe apparenté. La présence d’un agent induit la
dynamicité du nom :
(497) a. En conséquence, le Conseil dit que le licenciement de M. X par la
SARL Y est intervenu pour une cause réelle et sérieuse et déboute M.
X de sa demande […] (web)
b. L’installation de ces capteurs, qui peut être réalisée lors de
l'aménagement des combles par [une entreprise] se fait sur un
espace libre de 10 à 30 mètres carrés (web)
c. La seconde guerre mondiale se traduit pour la Martinique par un
blocus qui coupe l’approvisionnement de l’île par la France (web)

330
Néanmoins, si un nom refuse tous les tests de dynamicité proposés, l’addition des refus finirait par nous
permettre de conclure à sa non dynamicité – le nom est alors statif à moins qu’il ne s’agisse en fait d’un nom
concret, dépourvu de propriétés aspectuelles.

204
Différents tests faisant appel aux propriétés distributionnelles des verbes supports, des
prédicats événementiels ou processifs ou encore à diverses locutions permettent de mettre en
évidence la dynamicité d’un nom :
(498) a. Pierre a fait une promenade
b. Pierre s’est promené
(499) a. Les deux acteurs de la toile viennent d’effectuer un rapprochement
débouchant sur des changements notables de chacun des deux côtés (web)
b. Les deux acteurs de la toile viennent de se rapprocher
(500) a. Plusieurs membres influents du cabinet présidentiel se rendent
[…] auprès de la mère du président, pour qu’elle dissuade son fils de
procéder à un limogeage trop sévère de son entourage (web)
b. Ils se rendent auprès de la mère du président pour qu’elle
dissuade son fils de limoger trop sévèrement son entourage
(501) a. Vous faites accomplir une réparation à votre habitation privée en
2009. Cette réparation entre seulement en ligne de compte pour
l’application du taux de 6 % pour votre habitation dont la première
occupation est antérieure au 1er janvier 2005 (web)
b. Vous faites réparer votre habitation privée en 2009
(502) a. En général, les banques et organismes de crédits donnent la
possibilité de réaliser un remboursement anticipé partiel ou total de
votre prêt immobilier (web)
b. Ils donnent la possibilité de rembourser par anticipation une
partie ou la totalité de votre crédit immobilier
Les tests illustrés dans les exemples (498) à (502) reposent sur les restrictions de sélection des
verbes supports faire, effectuer, procéder à, accomplir et réaliser. Parmi les noms abstraits,
ces verbes sélectionnent les noms d’actions (i.e. des noms dynamiques). Afin d’exclure les
noms concrets qui pourraient suivre certains de ces verbes supports, il est nécessaire de veiller
à ce que la séquence « Vsupport + SN » puisse être quasi-synonyme du verbe
morphologiquement lié au nom dynamique (ce que les reformulations sous (b) permettent de
vérifier)331.
Les noms abstraits pouvant suivre la préposition pendant ou les locutions
prépositionnelles en cours de ou en voie de sont dynamiques332 :

331
Nous disons « puisse être quasi-synonyme » car nous n’excluons pas la possibilité que la séquence
« Vsupport + SN » soit ambiguë entre une lecture dynamique (dans laquelle elle est quasi-synonyme du verbe
correspondant) et une lecture résultative dans laquelle le nom reçoit une interprétation concrète. Il nous suffit
que la lecture dynamique soit possible pour conclure que le nom a, dans l’une de ses acceptions au moins, la
propriété aspectuelle [+ dynamique].
332
Certains noms concrets peuvent suivre la préposition temporelle pendant :
(i) Pierre s’est évanoui pendant le film
(ii) Nous avons chanté pendant le dessert
Fabre & Le Draoulec (2006) parlent dans ce cas de noms qui ne sont « qu’indirectement des noms d’action » ou
encore de « noms prenant un caractère événementiel en prédication ». Ces noms entrent dans la structure

205
(503) Merci de ne pas parler pendant la projection du film
(504) La voiture de Pierre est en cours de réparation
(505) La blessure de mon chat est en voie de guérison
Les noms pouvant servir de sujets aux prédicats événementiels avoir lieu et/ou se
produire dénotent des événements, ils sont donc [+ dynamique] :
(506) La réunion aura lieu demain à 16 heures
(507) Le tremblement de terre s’est produit dans la nuit
Contrairement aux verbes supports, les prédicats événementiels ne sont jamais compatibles
avec les noms concrets, ce qui rend inutile la contrainte de quasi-synonymie entre la séquence
SN + (avoir lieu / se produire) et une phrase contenant le verbe correspondant. Cela permet
d’inclure dans notre corpus des noms dynamiques non-morphologiquement liés à des verbes
(au moins en synchronie) tels que :
(508) a. Le repas aura lieu dans la grande salle de réception
b. Le concert aura lieu à 20 heures
(509) a. Le crime s’est produit après minuit
b. Le séisme s’est produit à 6h48 ce matin
Enfin, un certain nombre de périphrases aspectuelles ne peuvent introduire que des
noms dynamiques :
(510) Pierre a commencé sa promenade à 16 heures et il n’est toujours pas
revenu !
(511) Pierre a continué seul la réparation de sa voiture : il aurait mieux
fait d’attendre l’avis de son ami Paul au lieu de faire n’importe quoi
(512) Pierre a fini le nettoyage vers 16 heures
(513) Oter les noyaux des prunes mi-confites (Il s’agit de prunes dont on a
arrêté la cuisson avant d’arriver au stade de pruneau) (web)
(514) L’entreprise a cessé la production de ce modèle qui n’est plus à la
mode
(515) Pierre a fini la construction de son chalet à peine deux semaines
avant l’hiver : il était temps !
Parmi les tests de dynamicité rappelés ci-avant, certains ont une distribution large, d’autres
restreinte, et certains doivent être maniés avec précaution (notamment ceux qui peuvent
accepter les noms concrets). Pour ces raisons, il est préférable avant de conclure à la
dynamicité d’un nom de lui faire passer avec succès plusieurs tests de dynamicité.

temporelle « avant SN » (objet de l’article pré-cité), et leur interprétation nécessite la reconstitution d’un
événement lié au nom.

206
Reprenons à présent l’étude des deux structures prépositionnelles être en N et être en
plein N. Nous les avons étudiées suivies de noms de lieux et de noms d’états, nous souhaitons
à présent observer quelles restrictions de sélection elles imposent aux noms dynamiques
(désormais « Ndyn »).

1.2. N1 être en N2 : rapports sémantiques entre N1 et N2


Les Ndyn qui peuvent figurer en position de N2 sont majoritairement des noms
morphologiquement liés à des verbes eux-mêmes dynamiques333 (e.g. négociation, prière,
promenade, répétition, voyage, etc.) auxquels s’ajoutent quelques noms qui ne sont pas en
lien avec un verbe, au moins en synchronie (e.g. concert, conférence, etc.)334 :
On peut vérifier que ces noms sont dynamiques en leur appliquant quelques tests335 :
(516) Pierre a fait un(e) (concert / conférence / prière / promenade /
répétition / réunion / voyage) la semaine dernière
(517) (La /le) (concert / conférence / conversation / négociation /prière /
promenade / répétition / réunion / traitement / voyage) a eu lieu ce
matin
Le test présenté en (516) montre que les noms en question ont une lecture actionnelle, celui
utilisé en (517) montre qu’ils ont une lecture événementielle. Mais que leur interprétation soit
actionnelle ou événementielle, ces noms sont dynamiques.
La structure être en permet de localiser métaphoriquement le référent d’un sujet à
l’intérieur d’une situation dynamique dénotée par N2. Le rapport qui est établi entre le sujet et
l’action peut être de deux types en fonction du rôle sémantique occupé par le référent du N1.
Soit le référent de N1 est un agent et il effectue l’action dénotée par N2 dans laquelle il est
localisé. Dans ce cas, le sujet renvoie à un humain (e.g. promenade). Soit le référent de N1
n’est pas un agent et n’accomplit pas l’action dans laquelle il est localisé (e.g. construction,
traitement). Dans ce cas, le sujet peut être un inanimé ou un humain (à condition que cet
humain subisse l’action).

333
Nous rappelons que le principal test pour déterminer si un verbe est dynamique est d’observer sa
compatibilité avec la forme progressive. Pour une discussion sur le fonctionnement de ce test, cf. chapitre 2,
§4.2.
334
A ces noms dynamiques, qui ont une interprétation actionnelle et/ou événementielle, nous pouvons ajouter
quelques noms qui ont une acception stative avec en et une acception dynamique en présence de plein (e.g.
colère, guerre, retraite, cf. chapitre 3, §2.3.3.2).
335
Il serait fastidieux de prouver systématiquement la dynamicité de chacun des noms utilisés dans nos
exemples, nous ne le ferons pas mais il est facile de vérifier la dynamicité de tel ou tel nom en appliquant
quelques-uns des tests de dynamicité nominale rappelés au §1.1.

207
1.2.1. Localisation active
Nous appelons « localisation active » les cas où le sujet N1 réfère à l’agent de l’action dénotée
par N2 :
(518) Pierre est en (conférence / concert / conversation avec Marie /
négociation avec le Parlement / prière / promenade / répétition /
voyage)
Le sujet, Pierre, est métaphoriquement localisé dans l’action dénotée par le Ndyn, action qu’il
effectue en tant qu’agent. En effet, Pierre est en promenade signifie qu’il effectue une
promenade.
La très grande majorité des noms dynamiques entrant dans la structure être en N avec
l’interprétation active acceptent également d’entrer dans la structure être en plein N, ainsi les
noms utilisés en (518) acceptent l’ajout de plein :
(519) Pierre est en plein(e) (conférence / concert / conversation avec
Marie / négociation avec le Parlement / prière / promenade /
répétition / traitement / ? voyage336)
La réciproque n’est pas vraie, il existe un nombre non négligeable de noms
dynamiques qui ne peuvent entrer que dans la structure être en plein337 :
(520) Marie est en plein(e) (accouchement / bricolage1 / débat / jardinage /
lecture1 / nettoyage du tapis / rédaction de sa thèse)338
(521) * Marie est en (accouchement / bricolage1 / classement de ces
dossiers / débat / jardinage / lecture1 / nettoyage du tapis / rédaction
de sa thèse)
Par commodité les Ndyn entrant dans la structure active N[+AGENT] être en N2 seront appelés
« NdynACTIF »339 (ils sont généralement également compatibles avec en plein), en revanche les

336
Ce n’est pas l’association de plein avec voyage qui pose problème (i) mais la structure N1 est en plein N2 où le
référent de N1 est localisé dans celui de N2. Nous avions déjà rencontré ce type de cas avec être en prison vs
*être en pleine prison alors même que la séquence en pleine prison est acceptable (ii) :
(i) Des dents de sagesse se rappelant à votre bon souvenir en plein voyage peuvent
aisément vous gâcher vos vacances (web)
(ii) Quand la guerre des gangs frappe en pleine prison (web)
Bien que notre étude soit centrée sur la structure locative N1 est en plein N2, il faut distinguer les noms
dynamiques qui ne peuvent jamais s’accommoder de plein de ceux qui le peuvent mais en dehors de la structure
étudiée. Notons que nous avons pu néanmoins trouver quelques exemples attestés de être en plein voyage :
(iii) Je suis actuellement en plein voyage autour du monde (web)
337
Être en plein a par conséquent une distribution plus large que être en.
338
L’indice « 1 » placé à droite de certains noms indique que nous nous intéressons à ce nom dans un emploi lié
au verbe intransitif correspondant (e.g. la lecture1 vs la lecture de ce livre)
339
Cette étiquette rassemble l’ensemble des noms dynamiques pouvant entrer dans la structure N1 être en N2 où
N2 reçoit une interprétation active et où N1 réfère à l’agent de l’action. Quelques exemples de NdynACTIF :
(i) balade / concert / conférence / communication avec l’étranger / consultation /
conversation avec Marie / déplacement / discussion avec le directeur / entraînement
intensif / excursion / expédition / méditation / mission / négociation avec le

208
Ndyn qui n’acceptent d’entrer dans la structure locative étudiée qu’en présence de plein
seront appelés les « NdynB ».

1.2.2. Localisation passive


Nous appelons « localisation passive » les cas où le sujet N1 ne réfère pas à l’agent de l’action
dénotée par N2. Nous distinguons les cas où le sujet est un inanimé (et ne peut par définition
pas être l’agent de l’action dénotée par N2) des cas où le sujet a un référent humain mais qui
subit l’action.
1.2.2.1. Sujet dont le référent est [- animé]
Certains noms dynamiques peuvent entrer dans la structure être en avec une lecture passive :
(522) a. La maison est en construction
b. Les épreuves du livre sont en (correction / lecture) chez l’éditeur
c. Le projet est en discussion au parlement
d. La voiture est en réparation
e. Le tableau est en restauration chez un enlumineur340
Dans un énoncé comme (522)d, le sujet est un patient et un thème : la voiture subit la
réparation et un état résultant est visé. Le référent du sujet est situé de manière stative à
l’intérieur de l’action en cours dénotée par le nom réparation. Etre en NdynPASSIF dénote ce que
nous appellerons une « situation évolutive »341.
Nous verrons que l’expression de la stativité est un phénomène récurrent avec la
préposition en lorsqu’elle est employée seule (cf. §2.4 et la section 3).
1.2.2.2. Sujet dont le référent est [+ humain]
Certains noms dynamiques ont un sujet humain mais non agentif :
(523) a. Pierre est en traitement à Evian pour sa tuberculose
b. Pierre est traité à Evian pour sa tuberculose
(524) a. Pierre est en observation à l’hôpital depuis hier
b. ? Pierre est observé à l’hôpital depuis hier

Parlement / patrouille / pique-nique / pourparlers avec le syndicat / prière /


promenade / randonnée / répétition / réunion / tournage / vadrouille / visite / voyage
340
Les noms dynamiques pouvant, avec un sujet inanimé, suivre être en sont nombreux. En voici un aperçu :
(i) N[-ANIME] est en (construction / correction / débat / discussion / fabrication / lecture /
préparation / rangement / réparation / restauration / rénovation / traduction)
341
Le terme situation évoque ici la relation stative induite par la préposition en alors que le terme évolutive
renvoie à l’action (dénotée par N2) qui est en cours. On peut voir dans être en NdynACTIF une équivalence dans le
domaine nominal de la périphrase verbale être en train de Vinf : le sujet est placé de manière fixe (relation
stative) à l’intérieur d’une action en cours qu’il effectue (relation dynamique). Il semble donc que la préposition
en, y compris dans la périphrase progressive être en train de, soit toujours porteuse de l’idée de stativité. Nous
rejoignons ici l’analyse de Jespersen (1924/[1971]) selon laquelle la forme progressive était, à l’origine, liée à la
notion de stativité (cf. note 178).

209
Dans les énoncés (a) le sujet humain n’accomplit aucune action, comme le montrent d’une
part les paraphrases proposées en (b) (paraphrases dans lesquelles le verbe apparenté au nom
est utilisé dans une forme passive), et d’autre part l’impossibilité de se servir de ces noms
pour répondre à une question portant sur l’agir du sujet :
(525) Que fait Pierre ?
a. ?? Il est en traitement
b. ?? Il est en observation
Comme avec les sujets inanimés, le rapport entre le sujet et le nom d’action est à la fois
dynamique et statif : le sujet est placé dans le cours de l’action « traitement », i.e. dans une
situation évolutive. Mais, contrairement à ce qui se passait avec les NdynACTIF, le sujet
n’accomplit aucune action, ce qui a pour effet de rendre moins saillante la nature dynamique
du nom d’action.
Nous rassemblons l’ensemble des noms qui entrent dans la structure être en avec une
interprétation passive sous l’étiquette « NdynPASSIF ».
Il est remarquable que les noms d’actions qui permettent d’instaurer une localisation
passive (que ce sujet réfère à un inanimé ou à un humain) n’acceptent pas l’ajout de plein342.
Etant donné que seuls les NdynACTIF entrent dans les deux structures être en et être en plein,
c’est par eux que nous commencerons notre analyse, afin de déterminer quelles propriétés
sémantiques doit posséder un nom dynamique pour pouvoir suivre en seul. Ceci nous mènera
à nous demander quelle(s) propriété(s) font défaut aux NdynB présentés en (521). Nous
reviendrons ensuite sur les cas où le Ndyn reçoit une interprétation passive. Enfin, nous
verrons quel est le rôle sémantique joué par plein.

2. Contraintes de sélection imposées par être en aux NdynACTIF


Tous les noms dynamiques ne peuvent pas entrer dans la structure être en. Cette structure
opère donc une sélection sur les noms qu’elle introduit. Nous souhaitons montrer que les
propriétés aspectuelles des noms permettent d’expliquer en grande partie les restrictions de
sélection imposées par être en aux Ndyn343.
On remarque que tous les NdynACTIF (518) qui peuvent servir d’arguments à la
préposition en employée seule ont en commun de pouvoir dénoter des événements (cf. (517)).

342
Nous y reviendrons lorsque nous étudierons l’apport sémantique de plein avec les NdynPASSIF, cf. §4.2.3.
343
Dans toute cette partie, il est question de la structure être en lorsqu’elle reçoit une interprétation active dans
laquelle le sujet accomplit l’action dénotée par N2 (N2 est donc un NdynACTIF).

210
Nous pouvons nous demander quelle(s) propriété(s) leur permette(nt) d’avoir une telle
interprétation.
Comme nous l’avons déjà mentionné (chapitre 2), il n’existe pas de « noms
d’événements » en tant que tels. En effet, les événements sont dénotés par des noms d’actions,
lesquels ont alors deux acceptions : une acception actionnelle (ou processive) et une acception
événementielle. C’est le contexte qui active l’une ou l’autre des lectures :
(526) a. La promenade a eu lieu ce matin
b. Cette conversation s’est produite cette nuit
(527) a. Pendant la promenade, Pierre s’est endormi
b. Le conversation en cours commence à m’agacer
En (526), l’emploi de prédicats événementiels présente les actions promenade et conversation
comme des événements, i.e. comme des entités spatio-temporelles finies, dotées d’une
certaine autonomie existentielle (cf. entre autres Van de Velde 2006, Huyghe 2009). La
promenade comme la conversation, en tant qu’événements, sont rattachés à un lieu et à un
moment :
(528) a. La promenade de ce matin au bois de Boulogne a été très agréable
b. La conversation d’hier dans le hall d’entrée a été enregistrée par
la caméra de surveillance
Bien sûr, la promenade et la conversation ont duré un certain temps, se sont déroulées, mais la
lecture événementielle saisit l’action dans sa globalité (i.e. mettant entre parenthèses sa
structure temporelle interne) pour en faire un tout quasi-autonome référentiellement qui peut
notamment servir de point de repère à d’autres actions344 :
(529) a. Après la promenade de ce matin, nous avons déjeuné tous
ensemble
b. Après la conversation d’hier, plus rien ne sera comme avant
Au contraire, les contextes présentés en (527) soulignent la structure temporelle interne de la
promenade et de la conversation. Notons que les contextes activant la lecture événementielle
et ceux activant la lecture actionnelle ne sont pas exclusifs et peuvent se combiner :
(530) Pendant la réunion qui a eu lieu ce matin, nous avons pris plusieurs
décisions importantes

344
Lyons dit à ce propos que « dans les langues où la distinction entre événements et processus est
grammaticalisée au niveau du système aspectuel, le fait qu’on représente une situation sous la forme de l’un ou
de l’autre ne dépend pas d’une mesure absolue de la durée. Ce qui est objectivement, et en termes de perception
par le locuteur, une même situation peut être représenté comme un processus ou un événement selon que le
locuteur s’intéresse ou non à sa structure temporelle interne » (1978/[1980] : 329).

211
Dans ce cas, réunion dénote une situation qui est à la fois une action et un événement. Si les
deux lectures peuvent coexister, il existe également des noms d’actions qui n’ont qu’une
lecture processive et pas de lecture événementielle :
(531) a. * (Le patinage / la natation) a eu lieu ce matin
b. * (L’escalade / la navigation) s’est produit(e) ce matin
Pourquoi le patinage, la navigation, etc. n’ont-ils pas lieu ou ne se produisent pas à la manière
des promenades ou des conversations ? Pour répondre à cette question, nous allons comparer
les propriétés aspectuelles des noms dynamiques qui ont une lecture événementielle avec
celles des noms dynamiques qui en sont dépourvus. Nous espérons ainsi dégager les
propriétés aspectuelles que doit posséder un nom dynamique pour avoir une lecture
événementielle.

2.1. La durativité
Dans le domaine verbal on distingue généralement parmi les verbes dynamiques ceux qui sont
duratifs (notés [+ durée]) de ceux qui sont ponctuels (notés [- durée])345. On peut se demander
d’une part si cette opposition aspectuelle est bien effective dans le domaine nominal346 et,
d’autre part, si elle conditionne la possibilité pour un Ndyn d’entrer dans la structure être en N
où N a une interprétation active.
Plusieurs faits linguistiques montrent que l’opposition duratif / ponctuel existe dans le
domaine nominal. En effet, il a déjà été signalé au chapitre 2 que certains tests utilisés pour
déterminer la frontière entre dynamicité et stativité sont sensibles au caractère [± durée] des
noms. Nous les rappelons brièvement et explicitons leur fonctionnement.

2.1.1. Durer (x temps)


Pour faire apparaître l’étendue temporelle décrite par un nom, on peut lui attribuer le prédicat
durer x temps. Pour que ce test de durée soit correctement utilisé, il faut au préalable vérifier
que les noms auxquels on l’applique sont bien dynamiques (en effet, certains noms statifs, les
Nétat, sont compatibles avec ce prédicat) :
(532) a. Pierre a fait une découverte incroyable
b. Pierre a découvert [une chose] incroyable
(533) * La découverte de Pierre a duré (deux minutes / deux heures)

345
Les verbes d’activité et d’accomplissement sont [+ durée] alors que ceux d’achèvement sont [- durée] (cf.
chapitre 1, §2.1.1 pour un rappel des classes de Vendler (1967)).
346
Nous avons déjà occasionnellement eu recours à des exemples mettant en jeu des noms dynamiques qualifiés
de ponctuels. Il s’agit ici de revenir sur ce point afin de rassembler les faits linguistiques confirmant l’existence
des noms dynamiques ponctuels utilisés de façon éparse et non systématique au cours du chapitre 2.

212
(534) a. Pierre a fait une trouvaille épatante
b. Pierre a trouvé [quelque chose] d’épatant
(535) * La trouvaille de Pierre a duré (deux minutes / deux heures)
Les noms découverte et trouvaille dénotent bien des situations dynamiques comme en
attestent les énoncés (532) et (534)347, mais on ne peut pas leur attribuer une durée (cf. (533)
et (535)). On en conclut que ces noms dénotent des situations ponctuelles. Nous disposons
d’un premier test :
(536) a. Si un nom est compatible avec le prédicat durer x temps, alors il
dénote une situation durative (qui peut être dynamique ou stative).
b. Si un nom, dont on a au préalable prouvé la dynamicité, n’est pas
compatible avec le prédicat durer x temps, alors il dénote une
situation dynamique ponctuelle.

2.1.2. Les périphrases aspectuelles


Nous avons vu que les périphrases aspectuelles commencer / continuer / finir sélectionnent
comme objets des noms dynamiques mais que la réciproque n’est pas vraie, car en plus
d’exclure l’ensemble des noms statifs, elles excluent les noms d’achèvements :
(537) a. * Pierre a (commencé / continué / fini) (sa noyade / la noyade du
chaton)
b. * Pierre a (commencé / continué / fini) (sa découverte / la
découverte d’un nouveau vaccin)
c. * Pierre a (commencé / continué / fini) (sa trouvaille / la trouvaille
du trésor)
d. * Pierre a (commencé / continué / fini) (sa / la) mort
e. * Pierre a (commencé / continué / fini) (son / l’) arrivée
Suivant Peeters (2005), nous avons vu au §4.3 du chapitre 2 que, contrairement à ce qu’on
observe dans le domaine verbal où certains contextes permettent de forcer la compatibilité
entre les verbes d’achèvement et les périphrases aspectuelles, le domaine nominal ne présente
pas de tels contextes. Les périphrases aspectuelles commencer, continuer et finir sont donc,
dans le domaine nominal, de bons tests de la durativité :
(538) a. Si un nom abstrait est compatible avec les périphrases aspectuelles
commencer, continuer ou finir, alors il dénote une situation
dynamique durative.
b. Si un nom, dont on a au préalable prouvé la dynamicité, n’est pas
compatible avec les périphrases aspectuelles commencer, continuer
ou finir, alors il dénote une situation dynamique ponctuelle.

347
Les exemples (532)b et (534)b permettent de vérifier qu’il y a bien paraphrase entre le prédicat nominal et le
prédicat verbal correspondant. Les ajouts d’objets entre crochets sont nécessaires et laissent supposer que le nom
nominalise parfois plus que l’action seule : l’action avec son objet.

213
2.1.3. Pendant
Un autre test est envisageable : la compatibilité du nom avec la préposition temporelle
pendant. Selon Berthonneau (1989), pendant fonde un intervalle fermé348. On s’attend à ce
que les noms pouvant servir d’arguments à pendant soient duratifs, car une action ponctuelle
ne peut pas remplir un intervalle de temps :
(539) a. * (Pendant sa découverte / pendant la découverte de Pierre), tous
les chercheurs étaient bouche bée
b. * (Pendant sa trouvaille / la trouvaille de Pierre), tous les
chercheurs étaient bouche bée
Néanmoins, il faut rester prudent car il semble que certains noms ponctuels peuvent suivre
pendant par un mécanisme de prise en compte de la période précédant l’action elle-même ou
par pluralisation d’un des arguments de la situation349. Ainsi, des noms que les tests
précédents désignent comme ponctuels peuvent, moyennant quelques aménagements
contextuels, figurer à droite de pendant :
(540) a. Pierre n’a pas levé le petit doigt pendant la noyade du petit voisin,
heureusement que Marie, elle, n’a pas hésité à sauter pour le sauver
b. Il y a eu plusieurs chutes spectaculaires pendant l’arrivée de cette
étape de montagne
La compatibilité d’un nom avec la préposition de temps pendant ne permet donc pas
de conclure de façon certaine que ce nom est duratif. En revanche, si un nom ne peut pas être
argument de pendant alors il dénote soit une situation stative, soit une situation ponctuelle. On
peut donc utiliser pendant comme test de durativité comme suit :
(541) Si un nom, dont on a au préalable prouvé la dynamicité, n’est pas
compatible avec la préposition de temps pendant alors il dénote une
situation dynamique ponctuelle.
Les différents faits linguistiques rassemblés montrent qu’à l’évidence l’opposition
duratif / ponctuel existe dans le domaine nominal. On peut montrer la ponctualité d’un nom
(dont on a au préalable prouvé la dynamicité) par différents tests basés sur la compatibilité
des noms avec le prédicat durer x temps, les périphrases aspectuelles et la préposition
pendant.

348
Pour une brève présentation de l’analyse sémantique de pendant selon Berthonneau (1989), se reporter au
chapitre 2 §3.2.2.1.
349
On peut noter un parallélisme intéressant entre le fonctionnement des périphrases aspectuelles dans le
domaine verbal et celui de la préposition pendant dans le domaine nominal. Dans le domaine verbal, les
périphrases aspectuelles peuvent, dans certains contextes, forcer une lecture qui leur permet d’être compatibles
avec les verbes d'achèvement mais pas avec les noms d’achèvements. Dans le domaine nominal, c’est la
préposition pendant qui joue ce rôle avec les noms d’achèvements.

214
2.1.4. Durativité et événementialité
Voyons à présent si ces noms dynamiques ponctuels ont une lecture événementielle :
(542) a. L’arrivée des coureurs aura lieu vers 16 heures sur les Champs
Elysée
b. La découverte du cadavre a eu lieu dans cette maison
c. D'après une lettre que m’a écrite jadis M. N. Jolly, voici dans
quelles conditions cette trouvaille a eu lieu (web)
(543) a. La noyade s’est produite près du barrage hydraulique
b. La mort s’est produite aux environs de 23 heures, peut-être un peu
avant
Nous pouvons conclure que la durativité / ponctualité n’est pas un critère déterminant de
l’événementialité d’un nom puisque des noms duratifs comme des noms ponctuels peuvent
dénoter des événements. La raison de l’incapacité de certains noms dynamiques à dénoter des
événements est donc à chercher ailleurs que dans la propriété [± durée].

2.1.5. NdynACTIF et durativité


Nous avons vu d’une part que tous les NdynACTIF ont en commun de posséder une
interprétation événementielle et d’autre part que les événements peuvent être dénotés aussi
bien par des noms d’actions dynamiques que par des noms d’actions ponctuels. Néanmoins, il
est remarquable que l’ensemble des NdynACTIF dénotent des situations duratives :
(544) (La / le) (communication avec l’étranger / conversation avec Marie /
négociation avec le Parlement / visite / voyage) a duré longtemps
(545) (La (balade/ consultation / mission / réunion / randonnée) a
commencé à 14 heures
(546) Pendant (la / le / l’) (concert / entraînement / prière / répétition /
tournage), il ne faut pas parler
On en déduit que être en sélectionne comme arguments uniquement des Ndyn qui peuvent
avoir une lecture événementielle et qui ont le trait [+ durée].
Tous les noms dynamiques duratifs pourvus d’une lecture événementielle ne peuvent
pas entrer dans la structure active être en. Dénoter une situation durative est donc une
première condition que doit remplir le Ndyn pour servir d’argument à en, mais cette condition
n’est pas la seule que le nom doit remplir.

2.2. L’(a)télicité
Une autre distinction aspectuelle clivante est l’opposition [± borné], qui correspond aux
notions de télicité / atélicité. Les noms ponctuels (dont la durée est schématiquement
représentée par un point sur l’axe du temps) dénotent nécessairement des situations téliques
(on peut dire que leur borne droite et leur borne gauche se superposent pour former le point

215
représentant leur absence de durée). En revanche, dans la classe des situations dynamiques
duratives, parmi lesquelles on trouve les NdynACTIF , on peut distinguer celles qui sont téliques
de celles qui sont atéliques350.

2.2.1. Compléments de temps introduits par en vs pendant


Le test linguistique le plus utilisé pour distinguer un prédicat télique d’un prédicat atélique est
le test vendlerien de compatibilité du prédicat avec les compléments de temps en en et/ou
pendant.

2.2.1.1. Application du test dans le domaine verbal


Selon les théories compositionnelles de l’aspect verbal, l’(a)télicité d’un verbe transitif direct
dépend très souvent de la nature [± délimité] de son argument interne351. Ainsi, un même
verbe peut être la tête d’un SV télique (547) ou atélique (548) :
(547) a. Pierre a traversé la rivière (en / * pendant) deux heures : c’est un
exploit !
b. Pierre a réparé sa voiture (en / ? pendant) deux heures : c’est un
exploit !
(548) a. Pierre a traversé des rivières (* en / pendant) dix ans : il n’avait
pourtant jamais rien vu de tel !
b. Pierre a réparé des voitures (* en / pendant) dix ans sans jamais
se blesser
Les verbes traverser et réparer ont deux emplois : un emploi télique (i.e. compatible avec les
compléments de temps en en) et un emploi atélique (i.e. compatible avec les compléments de
temps en pendant). Cela implique que l’(a)télicité est déterminée de manière compositionnelle
au niveau du SV et non du verbe seul (cf. entre autres Verkuyl 1971, 1989, Mourelatos 1978,
Dowty 1979, Ghiglione et alii 1990, Marín 2000), d’où la nécessité d’appliquer le test des
compléments de temps au niveau des SV :
(549) Un SV est télique s’il accepte de se combiner avec un complément
de temps en en ; un SV est atélique s’il refuse les compléments de
temps en en et accepte ceux en pendant.
Concernant le verbe réparer, il faut noter qu’avec un objet délimité, l’ajout d’un complément
de temps introduit par pendant n’est pas totalement exclu. L’énoncé manque alors de naturel

350
Contrairement aux actions atéliques qui pourraient durer indéfiniment, les actions téliques tendent vers un
terme qui est inclus dans leur sens.
351
L’argument interne d’un verbe est non délimité s’il prend la forme d’un pluriel indéfini, au contraire s’il
prend la forme d’un singulier ou d’un pluriel défini alors il est délimité et peut conférer au SV sa télicité.

216
mais n’est pas agrammatical. De nombreux verbes transitifs permettent ainsi, en présence
d’un objet délimité, d’employer un complément de temps en pendant :
(550) Pierre a (mangé une pomme / nettoyé son pantalon / réparé sa
voiture / repeint le mur / restauré ce tableau) en une heure
(551) ? Pierre a (mangé une pomme / nettoyé son pantalon / réparé sa
voiture / repeint le mur / restauré ce tableau) pendant une heure
Néanmoins, l’interprétation des énoncés (551) a quelque chose de forcé et nécessite la
constitution d’un contexte particulier, alors que les énoncés (550) sont tout à fait naturels.
Par ailleurs, le fait que tous les verbes présentés en (550) impliquent un état résultant
est révélateur de leur télicité :
(552) La pomme est désormais mangée / Le pantalon est désormais
(nettoyé / propre) / La voiture est désormais réparée / Le mur est
désormais repeint / Le tableau est désormais restauré
En effet, avoir un état résultant est une condition suffisante de la télicité. Etant donné que les
SV du type réparer + objet délimité forment des énoncés plus naturels lorsqu’ils sont
accompagnés d’un complément de temps en en plutôt qu’en pendant et que, de plus, ils
impliquent l’existence d’un état résultant, nous concluons que ces SV, au même titre que
traverser la rivière, dénotent des accomplissements, c’est-à-dire des situations téliques.
Il nous faut nous arrêter un instant sur le cas très particulier du verbe lire :
(553) Pierre a lu (* en / pendant) deux heures ce matin
(554) Pierre a lu un livre (en / pendant) deux heures ce matin
(555) Pierre a lu des livres (* en / pendant) deux heures ce matin
Le verbe lire présente deux emplois atéliques (intransitif en (553) et avec un objet non
délimité en (555)) et un emploi sous-déterminé (i.e. dans lequel le SV sera interprété comme
télique ou atélique selon le contexte plus large, cf. (554)). Un tel fonctionnement ne modifie
pas la façon dont doit être appliqué le test des compléments de temps (cf. (549)), à condition
d’accepter que dans ce cas le contexte laisse indéterminé le trait [± borné] du SV. Le verbe
lire est le seul que nous ayons trouvé qui présente de telles propriétés. Nous dirons que ce
verbe est atélique en emploi absolu ou avec un objet non délimité, et sous-déterminé avec un
objet délimité. Le fait que lire n’implique pas d’état résultant est un argument de plus en
faveur de la sous détermination de ce verbe quant au trait [± borné] lorsque son objet est
délimité.
Si l’application du test des compléments de temps en en et pendant ne pose pas de
problème important (à condition de bien l’appliquer, nous l’avons vu, au niveau des SV et
non des verbes nus), la possibilité d’attribuer directement aux verbes des propriétés

217
aspectuelles permettant de les répartir dans des classes aspectuelles est largement remise en
cause notamment dans les analyses qui proposent des alternatives aux classements
typologiques de verbes (cf. chapitre 1, §2.2.3.).
En effet, dans ces analyses, le verbe n’est pas porteur en propre de propriétés
aspectuelles (ou alors elles sont très restreintes, ainsi, chez Verkuyl, la seule propriété propre
352
au verbe est la propriété [± ADD TO] ) et on a parfois l’impression que tous les verbes
transitifs directs fonctionnent de la même manière, à savoir qu’il sont téliques si l’objet est
délimité et atéliques s’il ne l’est pas. Or, les choses ne semblent pas si simples : outre que
certains verbes ne sont pas sensibles à la nature de leur objet direct (e.g. pousser (une / des)
voiture(s) : dans les deux cas, le SV est atélique), d’autres verbes présentent un
fonctionnement particulier avec un objet délimité (cf. traverser vs réparer). Nous partageons
l’avis de Rothstein (2004), qui explique qu’il est possible de classer les verbes dans des
classes aspectuelles, les arguments et modifieurs entrant dans le SV intervenant dans un
second temps, notamment pour que soit attribuée au niveau du SV la propriété aspectuelle
d’(a)télicité : « "state", "activity", "achievement", and "accomplishment" will be properties of
verbs. Telicity and atelicity, however, will be properties of VPs. […]. Build a house and build
houses are, respectively, telic and atelic VPs headed by an accomplishment verb, and run to
the store, or run a mile are both telic VPs headed by an activity verb » (2004 : 33-34).
Autrement dit, nous pensons que le verbe est porteur dans son sens lexical de propriétés
aspectuelles qui sont activées (ou contrariées) par l’interaction du verbe avec son objet. Nous
considérons donc qu’un verbe qui peut se combiner avec un complément de temps en en est
un verbe d’accomplissement. Ainsi, le verbe traverser peut entrer dans un SV télique
(traverser une rivière en dix minutes) ou dans un SV atélique (traverser des rivières pendant
deux ans) sans pour autant que sa nature profonde d’accomplissement soit remise en cause.
Que certains SV acceptent de se combiner avec un complément de temps en en et un
complément en pendant (e.g. réparer une voiture (en / pendant) deux heures) ne remet pas
pour nous en cause le fait que la tête de ces SV soit un verbe d’accomplissement. Ce
qu’indique ce comportement, c’est que parmi les verbes d’accomplissement, certains (e.g.
réparer) ont une tendance plus forte que d’autres (e.g. traverser) à entrer dans des SV
atéliques. Enfin, le verbe lire doit être classé à part, nous dirons qu’il est sous-déterminé du
point de vue de l’opposition [± borné]353. Les verbes d’activité, quant à eux, sont des verbes

352
La propriété [± ADD TO] correspond à l’opposition [± dynamique], cf. chapitre 1, §2.2.3.1.
353
Il faut noter que le verbe lire possède un emploi intransitif dans lequel il est atélique et non sous-déterminé.

218
qui, quelle que soit la nature de leur éventuel objet, entrent dans des SV atéliques354. Là
encore nous suivons Rothstein qui attribue à la nature même des verbes d’accomplissement de
faire dépendre la propriété [± borné] de leur SV de la délimitation de leur objet. A l’opposé, il
est dans la nature des verbes d’activité de ne pas faire dépendre de la délimitation de leur
objet (quand ils en ont un) leur propriété [± borné] (2004 : 4).
Cette position a pour conséquence qu’un verbe connaissant deux emplois (un transitif
et un intransitif) apparaîtra généralement deux fois dans notre classement. Ainsi lire1 (l’indice
1 signale que la construction considérée est l’emploi intransitif du verbe) est un verbe
d’activité alors que lire (l’absence d’indice signale que l’on s’intéresse à la construction
transitive du verbe) est un verbe sous-déterminé.
Au niveau des verbes le test des compléments de temps est utilisé comme suit :
(556) Un verbe appartient à la classe des accomplissements si, accompagné
d’un objet délimité, il peut se combiner avec un complément de
temps en en ; un verbe appartient à la classe des activités si, quelle
que soit la délimitation de son éventuel objet, il refuse les
compléments de temps en en pour n’accepter que ceux en pendant.
Ainsi, dans la suite de cette étude, nous parlerons d’une part de SV téliques ou
atéliques (nous appliquons alors le test des compléments de temps comme indiqué en (549))
et d’autre part de verbes d’accomplissement et d’activité (nous appliquons alors le test des
compléments de temps comme indiqué en (556)). Demandons-nous à présent si ces tests
s’appliquent convenablement dans le domaine nominal.
2.2.1.2. Application du test dans le domaine nominal
Au chapitre 2 §3.2.2.2, nous avons évoqué la possibilité de transposer directement le test des
compléments de temps en en vs pendant du domaine verbal au domaine nominal. Nous avions
alors montré que ces tests ne s’appliquent pas aux noms statifs parce que ces noms sont des
nominalisations achevées. Dans le domaine de la dynamicité le même phénomène se produit :
(557) a. La traversée de la rivière (en / * pendant) deux heures est un
exploit
b. La traversée de rivières (* en / * pendant) deux heures est difficile
(558) a. La réparation de cette voiture (en moins de trois heures est une
utopie / ? pendant trois heures n’a servi à rien)
b. La réparation de voitures (* en deux heures / * pendant deux
heures) est impossible
(559) Le jardinage (* en / * pendant) deux heures l’a épuisé

354
La plupart des verbes utilisés dans leur acception d’activité (que ce soit ou non la seule qu’ils connaissent)
sont intransitifs. La question de la délimitation de leur objet ne se pose donc pas.

219
Alors que le test des compléments de temps est applicable en (557)a et (558)a, il ne l’est pas
en (557)b, (558)b et (559). En (557)a et (558)a, de la rivière et de cette voiture ancienne ont
le statut d’argument de la nominalisation, or seules les nominalisations inachevées ont une
structure argumentale et des propriétés de phrase qui autorisent l’introduction de
compléments de temps. On observe alors un parallélisme parfait entre traverser / traversée
d’une part et réparer / réparation d’autre part. Nous en concluons de ces exemples que
traversée et réparation dénotent des situations [+ borné], et qu’il s’agit de noms
d’accomplissements
En revanche, en (557)b, (558)b et (559) les nominalisations sont achevées. La
traversée de rivières et la réparation de voitures fonctionnent en quelque sorte comme des
noms composés d’activités (c’est-à-dire comme jardinage qui est un nom d’activité, cf.
(559)). En effet, voitures et rivières sont employés de façon non déterminée et ne réfèrent
donc pas, comme le prouve leur incompatibilité avec les adjectifs évaluatifs (seuls sont
acceptables les adjectifs typifiants) :
(560) * La réparation de jolies voitures coûte cher
(561) La réparation de voitures anciennes coûte cher
Or, les noms d’activités ne peuvent jamais être des nominalisation inachevées (Van de Velde
2006 : 176-177). Les nominalisations achevées étant incompatibles avec les compléments de
temps355, il nous faut disposer d’un autre moyen pour déterminer si le Ndyn dénote une
situation télique ou atélique.

2.2.2. Distribution des déterminants


Les noms d’actions sont une catégorie de mots hybrides : en tant que prédicats, ils ont des
propriétés aspectuelles (ce qui permet à certains d’entre eux, lorsqu’ils sont employés comme
des nominalisations inachevées, de recevoir des compléments de temps), et en tant que noms
ils sélectionnent leurs déterminants. Dans le domaine concret, on peut, grâce aux
déterminants, distinguer deux grandes classes de noms : les noms massifs et les noms
comptables. Après avoir rappelé ce que recouvre cette distinction, nous montrerons qu’elle
s’applique également aux noms d’actions.
2.2.2.1. Noms concrets massifs vs comptables
La massivité et la comptabilité sont deux manières pour les noms de référer aux objets du
monde. Cette distinction est linguistiquement marquée par la distribution des déterminants :

355
L’ensemble des éléments permettant de distinguer les nominalisations achevées des nominalisations
inachevées sont tirés de Van de Velde (2006).

220
les noms massifs sélectionnent l’article partitif ou le quantifieur un peu de, les noms concrets
sélectionnent quant à eux des déterminants indéfinis variés tels que un, des, trois, plusieurs :
(562) de l’eau / un peu d’eau
(563) une chaise / des chaises / plusieurs chaises
Les noms massifs ont la particularité de posséder des propriétés de sous-ensemble de division
homogène et d’addition cumulative. Ainsi, « de l’eau » prélevée sur « de l’eau » est encore
« de l’eau » et réciproquement « de l’eau » ajoutée à « de l’eau » donne toujours « de
l’eau »356. Au contraire, « une chaise » ajoutée à « une chaise » ne donne pas « une chaise »,
et un fragment d’« une chaise » n’est pas « une chaise », parce que les noms comptables
réfèrent de manière hétérogène..
2.2.2.2. Noms abstraits massifs vs comptables
L’opposition massif / comptable présente dans le domaine concret est également pertinente
dans le domaine abstrait, et là encore l’observation des déterminants permet de l'étudier.
Parmi les noms d’actions, certains sont massifs (564), d’autres sont comptables (565),
d’autres encore ont deux acceptions, l’une massive et l’autre comptable (566)357 :
(564) (un peu de / * un(e)) (bricolage1 / canotage / jardinage / lecture1 /
natation / patinage)
(565) (* un peu de / un(e)) (bataille / cambriolage / licenciement /
manifestation / roulade / virement)
(566) (un peu de / un(e)) (danse / discussion / marche / nettoyage /
randonnée / travail)
Les noms d’actions massifs, comme les noms concrets massifs, réfèrent de manière
homogène, i.e. présentent des propriétés de sous-ensemble. Ainsi si l’on ajoute « du
jardinage » à « du jardinage », on obtient « du jardinage », de la même manière, si l’on
prélève un sous-intervalle de temps sur l’intervalle occupé par « du jardinage », on a toujours
« du jardinage ». Autrement dit, tous les sous-intervalles de temps d’une action homogène

356
La division homogène des référents massifs concrets est parfois remise en cause : à force de diviser de l’eau
on obtient une molécule d’eau qui à son tour pourra être divisée, or si une molécule d’H2O est de l’eau, les
atomes d’hydrogène et d’oxygène qui la composent n’en sont pas. Néanmoins ces considérations relèvent plus
de la chimie que de la linguistique. Afin d’éviter cet écueil il suffit, comme le propose ingénieusement Kleiber
(1994 : 15), de laisser de côté la propriété de divisibilité homogène au profit de celle d’addition cumulative, aussi
connue sous le nom de référence cumulative (cf. Quine 1960/[1977], Pelletier 1979, Langacker 1991, Nicolas
2002, etc.).
357
Les cas de noms ayant deux acceptions (une massive et l’autre comptable) existent aussi dans le domaine
concret :
(i) (un / du) (poulet / raisin)
Les cas de bisémie avec alternance massif / comptable semblent néanmoins plus nombreux dans le domaine
actionnel que parmi les noms concrets.

221
sont de même nature que le tout358. En revanche, les noms d’actions comptables réfèrent de
manière hétérogène et ne présentent pas de telles propriétés. Ainsi, si l’on ajoute « un
cambriolage » à « un cambriolage » on n’obtient pas « un » mais « deux cambriolages ». De
la même manière, si l’on prélève un sous-intervalle de temps sur l’intervalle occupé par « un
cambriolage » alors on n’obtient plus « un cambriolage » mais une ou plusieurs étapes
différenciées du cambriolage. On peut donc étendre le lien entre massivité et homogénéité
d’une part et celui entre comptabilité et hétérogénéité de l’autre à l’ensemble des noms, qu’ils
soient concrets ou abstraits.
Les noms d’actions se divisent en deux grandes classes : ceux qui dénotent des
situations homogènes et ceux qui dénotent des situations hétérogènes359. On peut se demander
si dans le domaine verbal aussi les actions connaissent cette dichotomie et si tel est le cas,
comment elle est marquée linguistiquement.
2.2.2.3. Homogénéité vs hétérogénéité dans le domaine verbal
L’opposition référence homogène / référence hétérogène présente dans le domaine nominal
existe également dans le domaine verbal puisque si Pierre « jardine » puis « jardine » encore
il aura toujours « jardiné » (inversement, si l’on prélève un sous-intervalle de temps de
l’intervalle occupé par l’action « jardiner », on a toujours l’action de « jardiner ») ; en
revanche, si Pierre « cambriole une maison » puis « cambriole une (autre) maison » il aura
cambriolé deux et non une seule maison (inversement, si l’on prélève un sous-intervalle de
temps de l’intervalle occupé par l’action de « cambrioler une maison », on n’a plus l’action de
« cambrioler une maison » mais l’une des étapes de ce cambriolage). On peut donc bien, dans
le domaine verbal, distinguer deux grands types d’actions en fonction de leur mode de
référence.
Cette opposition dans le domaine verbal ne peut pas être portée par les déterminants,
en revanche, on peut établir un lien entre la propriété [± homogène] et celle [± borné]. Un
prédicat est atélique s’il décrit une situation intrinsèquement non bornée qui, en théorie,

358
Comme dans le domaine concret (cf. note 356), le principe de divisibilité homogène est parfois remis en
cause au prétexte que si on va trop loin, le produit de la division n’est plus de même nature que le tout. Par
exemple, si l’on découpe un intervalle très fin à l’intérieur de l’action « marcher » on obtient un pas. Nous
pensons que cette objection relève plus de la réalité extralinguistique que du fonctionnement de la langue qui
elle, traite « de la marche » comme une situation homogène.
359
Notons que parmi les noms abstraits intensifs certains connaissent une alternance massif / comptable
révélatrice de l’opposition aspectuelle statif / dynamique :
(i) avoir de la gentillesse
(ii) faire une gentillesse / des gentillesses
Alors qu’en (i) le nom est massif et dénote une situation stative, en (ii) le nom est comptable et dénote une
situation dynamique. Les noms présentant cette particularité sont ceux qui sont apparentés aux adjectifs de qual-
comp.

222
pourrait continuer perpétuellement puisque rien dans le sens lexical du prédicat n’amène la
situation vers une fin. Ainsi, si Pierre jardine, rien n’empêche, linguistiquement parlant, qu’il
jardine ad vitam aeternam : s’il s’arrête, cela sera pour une raison extérieure à l’action de
jardiner (parce qu’il n’a plus envie de jardiner, parce qu’il est fatigué, parce que c’est l’heure
de prendre le thé, etc.). En revanche si Pierre répare la voiture, l’action ne sera accomplie que
si la voiture est effectivement réparée, i.e. il faut que l’action de Pierre aboutisse au terme de
l’action décrite par le prédicat. Par conséquent, une action télique est nécessairement
hétérogène : sa fin intrinsèque lui assurant un déroulement en phases différenciées entre elles
puisque, au minimum, le terme (généralement un changement d’état ou de lieu360) n’est pas de
même nature que le reste de l’action. Pour les raisons inverses, une action atélique est
nécessairement homogène.
Dans le domaine verbal, montrer que l’on a un SV [± borné] permet du même coup
d’en déduire le caractère [± homogène]. Nous pouvons nous demander si ce lien est
également pertinent dans le domaine nominal.
2.2.2.4. Massivité et atélicité
Le rapport entre massivité et atélicité est visible dans la description que propose Kleiber des
noms massifs dont il dit qu’ils « conditionnent la réalité de façon globalisante. Ils réfèrent à
une réalité continue, sans limites internes impliquées » (1994 : 14). Dans le domaine concret,
ce sont les limites spatiales qui font défaut, dans le domaine abstrait des actions, ce sont les
limites temporelles qui sont absentes. Dans le domaine des noms concrets, la correspondance
se fait entre massivité et homogénéité d’une part et comptabilité et hétérogénéité de l’autre.
Dans le domaine des actions verbales, la correspondance se fait cette fois entre atélicité et
homogénéité d’une part et télicité et hétérogénéité d’autre part. Enfin, les noms d’actions,
catégorie hybride à la fois prédicative et nominale, rassemblent les trois paires de notions en
liant homogénéité, atélicité et massivité d’une part et hétérogénéité, télicité et comptatibilité
de l’autre361. Ainsi, nous disposons d’un test pour attribuer la propriété [± borné] aux noms
d’actions, il suffit d’observer leurs déterminants362 :

360
Sur la nature du terme des actions téliques, cf. §2.3.3.2.
361
Nous rejoignons les nombreux auteurs qui font le parallèle entre massivité dans le domaine concret et
homogénéité dans le domaine abstrait (cf. entre autres Pelletier 1979 ; Smith 1991, Van de Velde 1995a, Nicolas
2002, Heyd & Knittel 2009, Haas & Huyghe à paraître).
362
L’observation de la distribution des déterminants est le test le plus simple pour déterminer si un nom d’action
est télique ou atélique. D’autres indices peuvent néanmoins être utilisés (comme la possibilité pour le nom de
suivre pendant ou encore la propension du nom à entrer dans des contextes génériques), mais plus que de
véritables tests, ce sont plutôt des moyens de mieux saisir le sens aspectuel de ces noms.

223
(567) a. Si un SN dont la tête est un nom d’action accepte l’article partitif
alors il est, dans cette acception, massif, et par conséquent atélique et
homogène.
b. Si un SN dont la tête est un nom d’action est compatible avec des
déterminants tels que un, plusieurs, trois, etc. alors il est, dans cette
acception, comptable, et par conséquent télique et hétérogène.
Maintenant que nous avons montré que les SN d’actions duratifs se répartissent en
deux catégories selon l’opposition [± borné], voyons si cette propriété aspectuelle joue un rôle
dans la possibilité qu’offrent ou non ces noms d’avoir une lecture événementielle.

2.2.3. (A)télicité et événementialité


Les noms d’actions massifs (i.e. atéliques) ne sont pas compatibles avec les prédicats
événementiels, ils ne dénotent généralement pas des événements :
(568) * Un(e) (bricolage1 / canotage / jardinage / lecture1 / natation /
patinage) a eu lieu à 14 heures
(569) * Un(e) (bricolage1 / canotage / jardinage / lecture1 / natation /
patinage) s’est produit(e) ici
Pour dénoter un événement, un nom d’action doit renvoyer à une situation télique363. Cela est
cohérent avec la définition même des événements, qui décrivent des situations ancrées spatio-
temporellement, ce qui implique une double forme de délimitation – spatiale : les événements
sont associés à un lieu, et temporelle : les événements sont téliques.
Nous avons vu que les noms pouvant suivre être en sont tous des noms pouvant
dénoter des événements. On s’attend donc à ce que les noms d’actions atéliques, dépourvus
d’interprétation événementielle, ne puissent pas être utilisés pour localiser un sujet humain à
l’intérieur de l’une de ses actions par le biais de la structure être en :
(570) * Pierre est en (bricolage1 / canotage / jardinage / lecture1 /
natation / patinage)
Nous avançons une première hypothèse :
(571) Pour qu’un nom dynamique puisse entrer dans la structure N1 être en
N2 où N1 réfère à l’agent de l’action dénotée par N2, il est nécessaire
qu’il dénote une situation dynamique durative télique.364
Reprenons les quelques exemples de NdynB365 que nous avions donnés en (521) :

363
Par raccourci, nous parlerons de « nom (d’action) télique » vs « nom (d’action) atélique » pour signifier des
noms décrivant des situations téliques / atéliques.
364
Nous référerons à cette première contrainte sous l’appellation « contrainte de télicité ».
365
Nous rappelons que les NdynB sont des noms dynamiques qui ne peuvent entrer dans la structure N[+HUM] est
en Ndyn qu’en présence de plein.

224
(572) * Marie est en (accouchement / bricolage1 / classement de ces
dossiers / jardinage / lecture1 / nettoyage du tapis / rédaction de sa
thèse)
L’atélicité des noms bricolage1 / jardinage / lecture1 (entraînant l’impossibilité de dénoter un
événement) explique leur rejet. La réciproque de (571) n’est pas vraie puisque les SN
accouchement / classement (de ces dossiers) / nettoyage (du tapis) / rédaction (de sa thèse)
refusent la structure être en (572) alors même qu’ils dénotent des actions téliques duratives
(573)-(574) pourvues d’une interprétation événementielle (575) :
(573) (L’accouchement / le classement de ces dossiers / le nettoyage du
tapis / la rédaction de la thèse) a duré plusieurs (heures / jours /
mois)
(574) a. Un accouchement en moins de deux heures, ça n’est pas possible !
b. Pierre a fait le classement de ces dossiers en moins de trois jours
b. Pierre a accompli la rédaction de sa thèse en six mois
c. Pierre a effectué le nettoyage (du tapis / de printemps) en à peine
deux heures
(575) a. (L’accouchement / le classement de ces dossiers / le nettoyage de
printemps) a eu lieu hier
b. La rédaction de cette lettre a eu lieu tard dans la nuit, comme en
témoignent les nombreuses fautes d’orthographe, signes de la fatigue
de son auteur
Il faut donc chercher ailleurs que dans la notion d’événementialité la raison de
l’incompatibilité des NdynB de type accouchement avec la structure être en.

2.3. L’origine aspectuelle des Ndyn : des verbes aux noms


Il est de prime abord étrange que des noms qui semblent avoir les mêmes propriétés
aspectuelles (les NdynACTIF et les NdynB du type accouchement) ne puissent pas entrer dans la
même structure. Une hypothèse est que la similitude aspectuelle de ces deux classes de noms
ne soit qu’apparente. Afin d’explorer cette hypothèse, nous allons observer l’origine
aspectuelle de ces deux types de noms, i.e. nous nous demandons à quel(s) type(s) de verbe(s)
ils sont morphologiquement liés. La question se pose car les Ndyn téliques peuvent être soit
en lien morphologique avec des verbes d’accomplissement, soit en lien morphologique avec
des verbes d’activité.
Plusieurs études ont montré que les noms en relation morphologique avec des verbes
d’activité ne forment par une classe homogène, notamment selon le critère massif / comptable
(Van de Velde 1995a, Flaux & Van de Velde 2000 : 100-103, Heyd & Knittel 2009). Certains

225
noms d’activités sont massifs et acceptent de se combiner avec l’article partitif très
naturellement, d’autres sont comptables et refusent l’article partitif366 :
(576) Faire (du bricolage1 / de la lecture1 / du jardinage)367
(577) *Faire (de la promenade / de la prière / de la répétition / du voyage)
Les noms présentés en (576) sont en lien morphologique avec des verbes d’activité et leur
sont aspectuellement fidèles (ils héritent de la propriété d’atélicité caractéristique des
prédicats d’activité). Ce sont donc de véritables « noms d’activités » (abrégé en « Nact »). En
revanche, ceux présentés en (577), alors même qu’ils sont en lien morphologique avec des
verbes d’activités, sont téliques, et n’appartiennent donc pas à la classe des noms d’activités.
Nous les désignons par l’abréviation « N-Vact »368. Examinons à présent l’origine aspectuelle
des NdynB de type accouchement.

2.3.1. Origine aspectuelle des NdynB de type accouchement


Les NdynB de type accouchement sont morphologiquement liés à des verbes
d’accomplissement (578), i.e. à des verbes qui, en présence d’un objet direct délimité, peuvent
dénoter des situations dynamiques duratives téliques :
(578) a. Marie a accouché en six heures
b. Pierre a construit sa maison en deux mois
c. Pierre a nettoyé le tapis en dix minutes
d. Pierre a réparé sa voiture en deux heures
e. Pierre a rédigé sa thèse en six mois
La plupart des verbes d’accomplissement sont des verbes transitifs et ils sont sensibles à la
nature (non-)délimitée de leur objet direct. Prenant en compte la composionnalité de l’aspect,
nous prendrons garde dans nos exemples à ce que les déverbaux morphologiquement liés à
des SV d’accomplissement soient accompagnés d’un complément renvoyant à l’argument
interne du verbe correspondant.
Les noms dérivés de verbes d’accomplissement peuvent souvent dénoter des
événements, ce qui suffit à prouver qu’ils dénotent des situations délimitées (cf. (575)).
Pour ceux qui acceptent mal les prédicats événementiels, nous proposons un autre test
(cf. Haas & Huyghe à paraître). La structure pendant le N impliquant la description d’un

366
Certains noms liés à des verbes d’activité ont deux acceptions, une massive et l’autre comptable (e.g. faire de
la danse vs une danse). Pour une étude sur la distinction entre les noms d’activités du type promenade (i.e. les
noms d’activités pouvant dénoter des événements) et ceux du type jardinage (i.e. les noms d’activités ne pouvant
pas dénoter des événements) cf. Van de Velde (1995a), Haas & Huyghe (à paraître).
367
Pour une étude détaillée sur la structure faire du N activité cf. Van de Velde (1997b).
368
Le trait d’union entre N et Vact symbolise d’une part le lien morphologique qui unit le nom au verbe
d’activité et d’autre part leur séparation sémantique, le nom n’héritant pas de la propriété [- borné] du verbe.

226
intervalle fermé (Berthonneau 1989 : 681), seuls les noms dénotant des situations délimitées
peuvent y prendre place :
(579) a. Pendant la rédaction de sa thèse, Pierre est devenu alcoolique
b. Pendant l’accouchement, Marie n’a jamais voulu s’allonger
(580) a. # ? Pierre s’est endormi pendant le patinage
b. # ? Pendant le jardinage, Pierre s’est blessé369
Les SN en lien avec des SV d’accomplissement peuvent aisément servir d’arguments à la
préposition pendant, ce qui montre leur télicité. Nous concluons qu’il y a héritage aspectuel
entre les verbes d’accomplissement et les noms qui en dérivent, i.e. la télicité des NdynB du
type accouchement provient directement de celle des verbes auxquels ils sont
morphologiquement liés : ce sont des noms d’accomplissements (abrégé en « Naccompl »).
Qu’en est-il de la télicité des NdynACTIF ? Autrement dit, les NdynACTIF sont-ils eux aussi en lien
morphologique avec des verbes d’accomplissement ?

2.3.2. Origine aspectuelle des NdynACTIF


Reprenons notre liste de NdynACTIF :
(581) Pierre est en (conférence / concert / conversation avec Marie /
négociation avec le Parlement / prière / promenade / répétition /
voyage)
Concert et conférence ne dérivent pas de verbes (au moins en synchronie), ils ne sont donc
pas appropriés pour étudier l’héritage aspectuel des NdynACTIF. Les NdynACTIF sont des noms
d’actions téliques, c’est d’ailleurs l’une des conditions nécessaires à leur entrée dans la
structure être en. Observons avec quel(s) type(s) de complément(s) de temps sont compatibles
les verbes dont ils dérivent :
(582) a. Pierre a conversé avec Marie pendant deux heures
b. * Pierre a conversé avec Marie en deux heures
(583) a. Pierre a négocié (cet amendement / e) avec le Parlement pendant
deux heures370
b. Pierre a négocié (cet amendement / ??e) avec le Parlement en
deux heures
(584) a. Pierre a prié (le bon Dieu / les dieux grecs / e) pendant des années
en vain
b. ?? Pierre a prié (le bon Dieu / les Dieux grecs / e) en cinq minutes
à peine et après il s’étonne que sa prière n’ait pas été exaucée

369
Les noms dont nous avons précédemment montré l’atélicité posent problème. En (580), les énoncés sont
relativement acceptables mais à la seule condition de réinterpréter patinage et jardinage comme une séance de
N, un cours de N, un moment de N, i.e. il faut leur conférer l’interprétation délimitée qui leur fait par nature
défaut.
370
Le symbole « e » notamment utilisé par les linguistes travaillant dans le cadre du LADL signifie « élément
vide », il correspond donc dans cet exemple à l’emploi intransitif du verbe négocier.

227
(585) a. Pierre (s’est promené / a promené son chien) pendant deux heures
b. ?? Pierre (s’est promené / a promené son chien) en cinq minutes
dans les jardins de Versailles : il n’a pas eu le temps de voir quoi
que ce soit !
(586) a. Pierre a randonné pendant plusieurs jours sans manger
b. * Pierre a randonné en plusieurs jours sans manger
(587) a. Pierre a voyagé pendant vingt ans autour du monde, mais
maintenant il est las de tous ces voyages, il voudrait bien s’installer
quelque part et n’en plus bouger
b. * Pierre a voyagé en vingt ans autour du monde, mais maintenant
il est las de tous ces voyages, il voudrait bien s’installer quelque part
et n’en plus bouger
Les verbes converser, prier (dans leur emploi intransitif comme dans leur emploi transitif),
promener (dans son emploi pronominal comme dans son emploi transitif), randonner et
voyager refusent les compléments de temps en en, ils dénotent donc des actions atéliques, ce
sont des verbes d’activité. Notons que (584)b et (585)b ne sont pas des énoncés
agrammaticaux mais pour les rendre naturels il faut construire des contextes plus élaborés que
pour les séquences (se promener / prier) pendant deux heures. De plus, alors que Google
recense environ 178 occurrences de « prie pendant x minutes » et 250 occurrences de
« promène pendant x heures », les requêtes « prie en x minutes » et « promène en x heures »
ne donnent respectivement que 4 et 5 résultats. Remarquons que négocier dénote une situation
télique en présence d’un objet délimité. Toutefois, dans la structure être en c’est l’emploi
intransitif du nom qui est utilisé (on ne peut pas dire : * Pierre est en négociation d’un
amendement avec le Parlement). Nous dirons donc que négociation1 est en lien avec le verbe
négocier1, qui n’est compatible qu’avec les compléments de temps en pendant, i.e. négocier1
est un verbe d’activité.
Nous avons montré que les NdynACTIF sont en lien morphologique avec des verbes
d’activité. Or, ces noms ont un emploi comptable et dénotent des situations téliques, ils
présentent par conséquent une déviance aspectuelle par rapport à leur verbe d’origine371, ce
sont des N-Vact.
La télicité des NdynB du type accouchement et celle des NdynACTIF étant d’origine
différente, on peut se demander si elle est véritablement identique. Autrement dit, nous nous
demandons si l’origine verbale aspectuellement divergente des NdynB de type accouchement

371
Conversation, négociation, prière, promenade et voyage n’ont qu’un emploi comptable (i.e. télique) alors que
randonnée est polysémique. Il a une acception atélique (faire de la randonnée) et une acception télique (une
randonnée).

228
(qui sont en lien morphologique avec des verbes d’accomplissement) et des NdynACTIF (qui
sont en lien morphologique avec des verbes d’activité) n’a pas de conséquences sémantiques.

2.3.3. Comparaison des propriétés aspectuelles des NdynACTIF et NdynB


du type accouchement372
2.3.3.1. Points communs
On peut distinguer deux types de noms d’actions téliques : ceux qui sont en lien
morphologique avec des verbes d’activité (on trouve parmi eux les NdynACTIF) et ceux qui sont
en lien morphologique avec des verbes d’accomplissement (on trouve parmi eux les NdynB
du type accouchement). Les premiers seront appelés les « N-Vact » et les seconds les
« Naccompl ». Leur nature télique est linguistiquement marquée par l’emploi de déterminants
tels que un, deux, plusieurs, etc. :
(588) une conversation / deux promenades / deux danses / plusieurs
répétitions
(589) un accouchement / trois cambriolages / plusieurs nettoyages
La détermination des noms présentés en (588) et (589) assure que, dans cet emploi, ils
dénotent des actions téliques373, ce qui est confirmé par l’emploi événementiel que ces noms
autorisent :
(590) (La conversation / la promenade / la répétition) a eu lieu ce matin :
je ne me suis pas réveillé à temps, je l’ai ratée
(591) (L’accouchement / le cambriolage / le nettoyage du tapis) a eu lieu
cette nuit
Ils ont également en commun de se combiner avec des prédicats de durée :
(592) a. (La conversation / la promenade / la répétition) s’est déroulée
dans la matinée
b. (La conversation / la promenade / répétition) a duré deux heures
(593) a. (L’accouchement / le cambriolage / le nettoyage du tapis) s’est
déroulé dans la nuit
b. (L’accouchement / le cambriolage / le nettoyage du tapis) a duré
deux heures
On peut donc dire que les noms accouchement / cambriolage / conversation / nettoyage
promenade / répétition, dans leur emploi comptable et indépendamment de la nature [± borné]
du verbe dont ils dérivent, dénotent tous des actions téliques duratives. Néanmoins, ces
similitudes ne doivent pas masquer leurs différences.

372
La partie traitant des points communs et des différences aspectuelles des noms d’actions téliques en fonction
de leur origine morphologique se base sur trois articles élaborés dans le cadre du projet « Nomage » ANR-07-
JCJC-0085 (Haas, Huyghe & Marín 2008, Huyghe & Marín 2008, Haas & Huyghe à paraître)
373
Ce n’est pas forcément leur seul emploi. Ainsi, nettoyage connaît un emploi atélique dans faire du nettoyage.

229
2.3.3.2. Différences
On peut se demander si la télicité des N-Vact et des Naccompl est de même nature. En effet,
intuitivement il y a une différence entre la finitude d’une situation dénotée par un nom comme
promenade (N-Vact) et celle d’une situation dénotée par un nom comme accouchement
(Naccompl). Un accouchement est une action télique dont le terme est impliqué et fixé par la
structure même de l’action. La fin de l’accouchement est un changement dans la réalité,
lexicalement exprimé par le mot naissance. Une fois que la naissance a eu lieu, il est
impossible de prolonger l’accouchement (le terme de l’accouchement est intrinsèquement lié
à l’action d’accoucher). En revanche, une promenade, si elle a bien une fin, n’a pas comme
l’accouchement une fin spécifiée, fixée par l’action elle-même, car nul changement d’état ne
correspond au terme de la promenade. Cette fin peut avoir lieu n’importe quand, on peut
l’anticiper ou au contraire la différer à volonté :
(594) a. Normalement, la promenade se poursuit dans le bois mais si vous
êtes fatigués, nous pouvons rentrer plus vite en coupant par la
nationale
b. La promenade touche à sa fin, mais si vous le souhaitez, nous
pouvons la prolonger un peu en passant derrière le petit bois
La différence de nature entre le terme des N-Vact et celui des Naccompl se manifeste dans
des propriétés d’implication374 :
(595) La promenade a été interrompue par l’orage ⇒ Ils se sont promenés
La conversation de Pierre et Marie a été interrompue par l’arrivée
malencontreuse de Paul ⇒ Ils ont conversé
(596) L’accouchement a pu être interrompu au bout d’une heure ⇒ Elle
n’a pas accouché
Le cambriolage a été interrompu par le déclenchement d’une alarme
⇒ Ils n’ont pas (entièrement) cambriolé la maison
Alors qu’en (595) l’interruption n’empêche pas de considérer que l’événement a eu lieu (la
réalisation de l’action ne dépend donc pas d’un terme prédéfini), en (596) l’interruption du
procès empêche son existence car le terme fait partie intégrante de l’action.
On peut donc dire que la structure interne de l’action « promenade » est de nature
homogène (la promenade se déroule en phases identiques jusqu’à un point final non
déterminé par cette structure), alors que la structure interne de l’action « accouchement » est
hétérogène puisqu’elle comprend au moins une phase terminale qui n’est pas de même nature
que le tout (i.e. le terme est une phase différenciée du reste de l’action). L’homogénéité des

374
Ce test est une transposition dans le domaine nominal des relations d’implication observées dans le domaine
verbal entre un énoncé à un temps inaccompli et son équivalent à un temps accompli (cf. entre autres Garey
1957, Kenny 1963/[1994], Dowty 1979).

230
N-Vact se manifeste par les propriétés d’ensemble communes à toutes les entités homogènes,
propriétés qui font défaut aux Naccompl : un sous-intervalle de temps prélevé de l’intervalle I
occupé par l’action « promenade » est une promenade, on n’a fait que changer de place le
terme de celle-ci, alors qu’un sous-intervalle de temps prélevé de l’intervalle I occupé par
l’action « accouchement » n’est pas un accouchement, puisque le terme, fixé de l’intérieur (la
naissance) ne peut être déplacé375.
Linguistiquement, cette différence se manifeste dans la plus ou moins grande
comptabilité des noms d’actions avec un quantifieur de mesure à gauche du type x Nmesure
de Nsg :
(597) a. Après deux heures de jardinage, une bonne douche te fera du bien
b. deux kilos de beurre
(598) a. Après deux heures de conversation laborieuse, Pierre et Marie ont
décidé de se séparer
b. Après deux heures de promenade, tu dois avoir mal aux pieds avec
ces chaussures
c. Après trois heures de répétition, les musiciens ont fait une pause
bien méritée
(599) a. * Après deux heures d’accouchement, la naissance était imminente
b. * Après deux heures de cambriolage, la maison était presque vide
de tout objet de valeur
c. * Après deux heures de nettoyage du tapis, des traces de sang
demeuraient encore
La tournure « semi-massive » x Nmesure de Nsg (cf. Van de Velde 1995a, 1997b) permet de
donner à un nom qui en est dépourvu une délimitation. Le nom n’apporte pas lui-même
l’information de l’individuation et sa dénotation est vue comme homogène. La tournure
s’emploie naturellement avec des noms massifs, qu’ils soient concrets ((597)b) ou abstraits
(597)a). Il semble que les N-Vact, contrairement aux Naccompl, s’accommodent facilement
de ces tournures, ce qui est un argument en faveur de leur homogénéité.
Qu’il existe des situations téliques homogènes met à mal la généralisation que nous
avions proposée en (567), dans laquelle nous faisions le lien entre atélicité et homogénéité
d’une part et entre télicité et hétérogénéité de l’autre. Mais nous venons de montrer que la
télicité des N-Vact et celle des Naccompl ne sont pas de la même nature. Alors que pour les
premiers le terme (la délimitation) n’est pas fixé par l’action elle-même, pour les seconds, la
place du terme est déterminée par l’action elle-même. Il en découle que le terme des seconds
implique le plus souvent un changement (d’état ou de lieu), alors que le terme des premiers

375
Le fait que les N-Vact soient à la fois homogènes et délimités rend impossible l’application de la propriété
d’addition homogène qui nécessite l’emploi de déterminants massifs incompatibles avec ces noms.

231
n’implique rien d’autre que la cessation de l’action376. Pour éviter toute confusion, nous
proposons de réserver désormais le terme « télicité » (rendu par [± borné]) aux Naccompl
pour lesquels la borne finale est fixée de l’intérieur. Nous dirons que les N-Vact sont de
nature délimitée (i.e. ils ont une fin) mais pas qu’ils sont téliques (parce que leur borne finale
est flottante). La généralisation proposée en (567) reste en partie valide : ce qui est rompu, ce
n’est pas le lien entre télicité et hétérogénéité mais celui entre délimitation et hétérogénéité377.
Toutes les situations téliques sont a fortiori délimitées mais toutes les situations délimitées ne
sont pas téliques (au sens restreint que nous donnons désormais à ce terme). La contrainte de
télicité (cf. (571)) doit par conséquent être rebaptisée « contrainte de délimitation » et
reformulée ainsi :
(600) Pour qu’un nom dynamique puisse entrer dans la structure N[+HUM]
être en N il est nécessaire qu’il dénote une situation dynamique
télique délimitée.
Les N-Vact dénotent des actions homogènes alors que les Naccompl dénotent des
actions hétérogènes378. Etant donné que les NdynACTIF sont des N-Vact, nous en déduisons que
être en pose une double contrainte aspectuelle : le nom doit dénoter une action délimitée et
homogène. Ces deux critères sont conjointement nécessaires : les NdynB du type
accouchement (Naccompl) bien que [+ borné] (donc délimités) sont exclus de la structure être
en N parce qu’ils enfreignent la contrainte d’homogénéité, les NdynB du type jardinage
(Nact) bien que [+ homogène] sont exclus parce qu’ils ne dénotent pas des actions délimitées,
ils ne peuvent pas dénoter des événements. Le type de verbes auquel les Ndyn sont

376
Le terme d’un Naccompl peut correspondre à un changement d’état de l’objet (e.g. la réparation de la
voiture) ou à un changement de lieu du sujet (e.g. la traversée de la rivière), mais cela n’est pas obligatoire car il
existe des situations téliques qui n’expriment ni un changement d’état, ni un mouvement. Dans ce cas, la fin
intrinsèque de l’action télique correspond à la finitude de l’objet direct (e.g. la lecture du testament). Nous
rejoignons Tenny (1994 : 15-18) qui recense trois grands types d’arguments internes capables de délimiter
temporellement une action : (i) les « incremental-theme verbs » , (ii) les « change-of-state verbs », et (iii) les
« path-object verbs ». Ces trois types de verbes ont en commun d’être temporellement mesurés par leur objet (en
anglais : the internal argument « measures out the event »), mais alors qu’avec les verbes à thèmes incrémentaux
et avec ceux de changements d’états le terme de l’action dénotée par le SV est un changement d’état ou un
mouvement, le terme d’un verbe ayant un objet de type « path-object » est l’aboutissement d’un chemin (e.g.
jouer une sonate).
377
Le lien établi en (567) entre comptabilité du nom, télicité et hétérogénéité reste valide à condition de ne pas
l’étendre aux noms délimités (les NdynACTIF) qui sont eux comptables, mais ni téliques (au sens étroit que nous
donnons à ce terme), ni hétérogènes. En revanche, il n’est plus possible de dire qu’un nom comptable dénote à
coup sûr une situation hétérogène. La réciproque, elle, reste vraie : un nom massif dénote toujours une situation
homogène.
378
L’existence de noms d’actions comptables homogènes vs hétérogènes rappelle la distinction proposée dans le
domaine concret par Langacker (1991), entre les noms comptables hétérogènes (e.g. chaise, table, etc.) et les
noms comptables homogènes, qui ont des bornes mais pas de structure interne (e.g. lac, entracte, etc.).

232
morphologiquement liés joue un rôle primordial dans l’étude des propriétés aspectuelles des
noms déverbaux.
Le fait que être en sélectionne des noms dénotant des situations dynamiques délimitées
mais homogènes rapproche les NdynACTIF des noms d’états, eux aussi homogènes, dont nous
avons vu au chapitre 3 qu’ils peuvent servir d’argument à être en. En sélectionnant comme
arguments des Ndyn homogènes, en favorise l’expression de la stativité, plus
particulièrement, en permet de placer fixement le sujet dans une situation qui, elle, est en
mouvement (i.e. se déroule).

2.4. Les NdynACTIF et l’expression de la stativité


Le cas le plus manifeste où être en NdynACTIF exprime une relation stative est celui où cette
structure instaure une relation de localisation spatiale entre le référent du sujet et un lieu en
lien privilégié avec l’action dénotée par le NdynACTIF .

2.4.1. Localisation spatiale


Par définition, les noms capables de dénoter des événements comme le sont les NdynACTIF
peuvent se voir associer un ancrage spatio-temporel. C’est l’existence de cet ancrage spatial
qui permet à une sous-classe de NdynACTIF d’entretenir un lien fort avec la notion de lieu et
d’établir un rapport de localisation spatiale entre le référent du sujet N1 et un lieu dédié à la
réalisation de l’action dénotée par le N2. Nous appelons ces noms des « noms dynamiques
actifs locatifs », abrégé en « NdynACTIF-LOC ».
2.4.1.1. Le lieu de l’événement
La possibilité qu’offrent les NdynACTIF-LOC de localiser spatialement un sujet humain est
fortement liée à la lecture événementielle que possèdent ces noms. L’ancrage dans le temps et
l’espace propre aux événements a pour conséquence qu’ils dénotent volontiers des
occurrences individuées (601)a mais difficilement des habitudes (601)b. Au contraire, les
actions atéliques, dépourvues de ce double ancrage, dénotent plutôt des habitudes (i.e. des
actions caractérisées par leur récurrence, ((602)a et b), et non des occurrences actionnelles
(actions fortement individualisées par le moment, le lieu, les participants, (602)c) :
(601) a. La réparation de la voiture en moins de dix minutes dans ce
hangar sombre est un véritable exploit !
b.* Pierre pratique la réparation de la voiture depuis dix ans
(602) a. Pierre pratique la natation depuis dix ans
b. Pierre pratique la réparation de voitures (anciennes) depuis dix
ans
c. * La natation de Pierre, hier, était très sportive

233
(602)b est acceptable parce que le nom réparation y est utilisé de manière atélique (grâce à la
présence d’un objet non délimité). L’ajout de l’adjectif ancien rend l’énoncé plus naturel en
spécifiant un sous type de l’activité « réparer des voitures ».
La propension naturelle des noms d’activités à dénoter des habitudes est également
visible dans l’interprétation que ces noms offrent lorsqu’ils sont introduits par arrêter de (cf.
chapitre 2, §4.4) :
(603) Pierre a arrêté le patinage
(604) Pierre a arrêté la réparation de la voiture
(603) sera difficilement employé pour décrire une situation dans laquelle Pierre, qui était en
train de patiner, s’arrête pour reprendre son souffle, mais plutôt pour signifier que Pierre a
arrêté la pratique de son hobby : le patinage. Au contraire, en (604), c’est l’interprétation
d’une interruption de la réparation en cours qui est la plus naturelle.
On remarque aussi que les noms d’actions atéliques, bien plus que ceux d’actions
téliques, s’emploient aisément dans des tournures génériques :
(605) a. J’adore le jardinage
b. Le patinage est dangereux
c. Le canotage est démodé
(606) a. # J’adore la réparation de la voiture
b. # Le déménagement est dangereux
c. ? La promenade est recommandée pour la santé
Les énoncés (606)a et b sont interprétables si l’on parle d’une réparation ou d’un
déménagement particulier, mais difficilement s’il s’agit de qualifier ces actions en général. Un
énoncé dans lequel promenade aurait une interprétation générique est peu naturel.
Cette distinction sémantique entre actions téliques et atéliques est visible dans les
possibilités plus ou moins restreintes offertes par leur structure argumentale :
(607) a. Pierre a réparé la voiture
b. La réparation de la voiture par Pierre (prendra environ deux
heures)
(608) a. Pierre a jardiné
b. ?? Le jardinage de Pierre (est très original)
Lors de la nominalisation, il n’y a pas de difficulté à maintenir l’ensemble des arguments
d’une action télique comme réparer la voiture, en revanche on peine à conserver l’unique
argument d’une action atélique comme jardiner379.

379
Il est d’ailleurs frappant que la plupart des prédicats d’activité sont intransitifs, ou au moins, sont intransitifs
dans leur acception atélique (e.g. bricoler1, canoter, danser1, jardiner, jongler1, laver1, lire1, nager, naviguer1,
nettoyer1, patiner, etc.), alors que la plupart des prédicats téliques sont transitifs, ou au moins, sont transitifs dans
leur acception télique (e.g. cambrioler une maison, confesser trois péchés, préparer trois tartes, ranger deux

234
De la même manière, alors qu’il est aisé d’accompagner un nom d’action télique de
compléments de temps et de lieu, tel n’est pas le cas avec les noms d’actions atéliques :
(609) La construction de cette maison en moins de dix mois sur ce terrain
inondable et insalubre n’est pas un projet raisonnable
(610) ?? Le jardinage pendant plusieurs heures dans ce jardin sans ombre
est un véritable calvaire
L’ensemble de ces éléments montrent que les actions atéliques sont non individuées, i.e. non
ancrées spatio-temporellement. Elles n’entretiennent a fortiori pas de lien privilégié avec la
notion de lieu. Au contraire, les noms pourvus d’une interprétation événementielle dénotent
des situations fortement individuées, ce qui permet à certaines d’entre elles d’entretenir un
lien privilégié avec la notion de lieu.
2.4.1.2. Délimitation de la classe des NdynACTIF-LOC
Si tous les NdynACTIF dénotent des événements, tous ne permettent pas de localiser
spatialement un sujet humain. En effet, seule une partie d’entre eux dénotent des actions
pragmatiquement liées à un lieu particulier, dédié à ladite action.
Pour permettre l’interprétation de localisation spatiale, le NdynACTIF suivant être en
doit dénoter un événement qui repose sur une action fortement ancrée dans un lieu. Plusieurs
faits de langue permettent de mettre en évidence le lien privilégié que les NdynACTIF-LOC
entretiennent avec la notion de lieu :
(611) un lieu de promenade, un lieu de réunion, un lieu de concert, un lieu
de discussion380
(612) une salle de répétition, une salle de conférence
L’expression un lieu de N « permet de construire des repères spatiaux en relation avec les
actions accomplies par ceux qui s’y trouvent. Elle montre qu’on peut caractériser un site par
ce qu’on y fait ou par ce qui s’y passe et non simplement par ce qui s’y trouve » (Huyghe
2009 : 186).
Appartiennent à cette classe les noms dynamiques qui, employés dans la structure
N[+hum] être en Ndyn, peuvent répondre à la question Où est N[+hum] ?. Levrier (1995)
mentionne l’existence de cette sous-classe de noms reconnaissables par la possibilité qu’ils
offrent de fonder une localisation spatiale. En effet, ces noms peuvent répondre à une question
en Où ? (613), ils sont compatibles avec un complément locatif (614) et avec les verbes
supports aller et partir (variantes inchoatives de être) (615), cf. Levrier (1995 : 83-84) :

caisses, rédiger son testament, réparer plusieurs voitures, traverser la rivière, tourner un film, traduire un
poème, etc.)
380
A propos de la structure un lieu de N cf. Huyghe (2009 : 181 et ss).

235
(613) Où est Pierre ? – Il est en (conférence / promenade / réunion /
voyage)
(614) Pierre est en (conférence / promenade / répétition / réunion /
voyage) à Londres
(615) Pierre (part / va) en (conférence / promenade / répétition / réunion /
voyage)
Les raisons pour lesquelles certains NdynACTIF ont ce lien fort avec la notion de lieu semblent
dépendre du sémantisme de chaque nom. Ainsi, être en promenade signifie « être en train de
se promener », ce qui implique que le sujet se trouve dans un lieu de promenade. De même,
une conférence se tient en un lieu préalablement choisi, et une visite ne peut se faire que si on
en a déterminé l’endroit. Au contraire, une conversation peut avoir lieu n’importe où, une
négociation se déroule dans un lieu qui est indifférent, etc. C’est pourquoi promenade,
conférence ou visite sont des NdynACTIF-LOC mais pas conversation ou négociation.
Notons que cette sous-classe de NdynACTIF est relativement importante. En voici un
aperçu :
(616) balade / concert / conférence / consultation / déplacement /
excursion / expédition / mission / patrouille / pique-nique /
promenade / randonnée / répétition / réunion / tournage /
vadrouille / visite / voyage

2.4.2. Stativité et homogénéité


Il est intéressant de noter que les noms d’états (dont certains peuvent suivre être en) et qui,
eux aussi, instaurent une relation stative avec leur sujet (puisque celui-ci est localisé dans
l’état), dénotent par définition des situations homogènes. Il semble donc possible d’établir un
lien entre la contrainte d’homogénéité d’une part et la possibilité d’exprimer un rapport de
nature stative d’autre part.
Comme nous venons de le montrer, être en peut instaurer entre le référent du sujet et
l’action dénotée par le NdynACTIF une relation stative de localisation spatiale, mais l’affinité de
la structure être en NdynACTIF avec l’expression des rapports statifs ne s’arrête pas là. En effet,
les NdynACTIF non locatifs expriment eux aussi une relation stative :
(617) a. J’ai trouvé Pierre en discussion avec le patron
b. J’ai trouvé Pierre en conversation avec Marie
La tournure trouver x PRED dans laquelle trouver signifie « rencontrer » n’est grammaticale
que si le prédicat dénote une situation stative381 ou évolutive. Les énoncés (617) présentent le
sujet comme placé dans une situation évolutive.

381
Cf. Van de Velde (1995b).

236
Lorsque être en introduit un nom statif, le sujet est localisé dans la situation dénotée
par le nom d’état. Être en instaure alors une relation stative de localisation à l’intérieur d’une
situation elle-même stative. De la même manière, lorsque être en introduit un NdynACTIF, qu’il
soit ou non locatif, le sujet est localisé en un point fixe de la situation, mais cette fois la
situation est dynamique et dénote une action qui se déroule. Être en instaure alors une relation
stative de localisation (qui peut être ou non doublée d’une localisation spatiale) à l’intérieur
d’une situation qui est, elle, dynamique.

3. Être en et les NdynPASSIF


Nous allons à présent étudier la structure être en lorsque son interprétation est passive. Deux
cas sont observables : soit le sujet est un humain qui subit l’action, soit le sujet est un
inanimé.

3.1. En et les sujets[+HUM] « subissants »


Reprenons les exemples (523)-(524) en (618)-(619) :
(618) a. Pierre est en observation à l’hôpital depuis hier
b. Pierre est observé à l’hôpital depuis hier
(619) a. Pierre est en traitement à Evian pour sa tuberculose
b. Pierre est traité à Evian pour sa tuberculose
La relation qui unit l’action dénotée par le NdynPASSIF est, on l’a dit, double : on a à la fois une
relation stative et une relation dynamique. Le nom dénote une action (donc une situation
dynamique) dans laquelle le sujet est localisé (relation stative). Mais ici, le rapport entre le
sujet et cette action est passif, i.e. le sujet subit l’action, il ne l’effectue pas :
(620) Que fait Pierre ?
a. ?? Il est en traitement pour sa tuberculose
b. ?? Il est en observation à l’hôpital
Il existe d’autres cas, sensiblement différents de observation ou traitement, où le sujet
ne « subit » pas l’action mais « a subi » l’action. Être en N renvoie alors à l’état résultant de
l’action qui a été subie :
(621) a. Pierre est en exil en Angleterre
b. Pierre est exilé en Angleterre
(622) a. Pierre est en accusation pour une affaire de mœurs
b. Pierre est accusé (dans / pour) une affaire de moeurs
Plusieurs auteurs ont signalé que en introduit volontiers des états résultants. Ainsi, dans son
étude sur être en, Leeman (1995) explique un certain nombre de cas grâce à cette notion.
Suivant la même idée, Amiot & De Mulder (2007) montrent que « l’état auquel renvoie un SP

237
introduit par en est […] souvent un état résultant ». Dans ces exemples, c’est bien d’états
résultants dont il est question, et la relation entre le sujet et le nom est uniquement stative. En
exil et en accusation expriment le statut de Pierre qui est un exilé ou un accusé.
La relation stative qui permet de localiser le sujet dans une action qu’il subit (ou a
subi) peut parfois se doubler d’une localisation spatiale ; c’est le cas avec le nom exil :
(623) a. Où est Victor Hugo en 1860? – En exil à Guernesey
b. Victor Hugo est en exil à Guernesey
c. Victor Hugo part en exil en 1855
Dans cet exemple, l’interprétation est doublement stative : d’une part le sujet est localisé
métaphoriquement à l’intérieur de l’état résultant de l’action « s’exiler » et, d’autre part, il est
localisé spatialement dans un lieu caractérisé comme lieu d’exil.

3.2. En et les sujets inanimés


Reprenons les exemples (522) sous (624) :
(624) a. La maison est en construction
b. Les épreuves du livre sont en (correction / lecture) chez l’éditeur
c. Le projet est en discussion au parlement
d. La voiture est en réparation
e. Le tableau est en restauration chez un enlumineur382
Dans ces exemples, contrairement aux précédents, l’état résultant est visé mais non atteint.
Par exemple, en (624)a en construction dénote le processus dans lequel la maison se trouve
localisée de manière stative :
(625) J’ai trouvé la maison en construction (alors qu’elle devait être finie
en mars dernier !)
(626) Comment est la maison ? – En construction
Les deux tournures utilisées en (625) et (626) montrent que la structure est en N localise le
sujet en un point fixe, instaurant une relation stative. L’action dénotée par le NdynPASSIF
demeure (elle est en cours), mais elle passe au second plan.
On peut reformuler l’énoncé (624)a ainsi :
(627) La maison est en train d’être construite
Cette paraphrase met en évidence qu’un état (être construit) est visé comme résultat attendu
d’une action en cours (être en train de). La maison reçoit à la fois le rôle de patient (elle subit
l’action « construire ») et celui de thème (elle change d’état, en construction dénotant un état

382
On remarque que tous les NdynPASSIF sont issus de verbes causatifs de changements d’états. C’est là une
condition indispensable pour que le Ndyn puisse exprimer un état résultant.

238
intermédiaire entre la non existence et la construction achevée, état qui a la particularité d’être
évolutif).
On peut assimiler aux cas proposés en (624), dans lesquels un sujet inanimé est
localisé dans le cours d’une action, le cas de déverbaux issus de verbes inaccusatifs :
(628) a. Le chômage est en augmentation
b. L’arbre est en floraison
c. Le PIB est en croissance
Dans ces exemples, le sujet est le siège d’un changement d’état. Il reçoit uniquement le rôle
de thème (et non de patient puisque le chômage, l’arbre et le PIB ne font que changer d’état
sans subir aucune action). Si augmenter, fleurir et croître dénotent bien des actions, être en
augmentation, en floraison ou en croissance dénotent ce que nous appelons des situations
évolutives.
Dans leur étude de la locution en cours de, Anscombre (2007) comme Do-Hurinville
(à paraître) spécifient que seule une sous-classe des noms dynamiques est compatible avec en
cours de, à savoir une sous-classe des noms d’accomplissements. Cela semble être
effectivement le cas, on peut ajouter que cette sous-classe est constituée des NdynPASSIF (629)
ou des noms issus de verbes inaccusatifs (630), car ce que en cours sélectionne ce sont des
noms d’actions à interprétation non agentive et qui impliquent un état résultant, d’où
l’impossibilité d’avoir (631) :
(629) a. La maison est en cours de construction
b. La voiture est en cours de réparation
c. L’amendement est en cours de discussion au Parlement
(630) a. Le chômage est en cours d’augmentation
b. L’arbre est en cours de floraison
c. Le PIB est en cours de croissance
(631) a. * Pierre est en cours de traversée
b. * Pierre est en cours de lecture (de ce livre)
c. * Pierre est en cours de jardinage
Tous ces éléments montrent que la préposition en a une tendance forte, alors même que
N2 dénote une action, à exprimer une relation stative de localisation entre le sujet et cette
action.

239
3.3. Propriétés aspectuelles des NdynPASSIF
Arrêtons-nous un instant sur les propriétés aspectuelles de quelques Ndyn à interprétation
passive. Les NdynPASSIF qui se construisent avec un sujet inanimé ont en commun de provenir
de verbes dont la télicité est sensible à la détermination de l’objet direct :
(632) a. Pierre a construit (une maison en un an / des maisons pendant dix
ans)
b. Pierre a rénové (cette chambre en moins de trois jours / des
chambres pendant dix ans)
c. Pierre a réparé (la voiture en deux heures / des voitures pendant
toute sa vie)
On peut dire qu’ils sont issus de verbes d’accomplissement dont la propriété [± borné] dépend
de la détermination de l’objet direct. Au niveau nominal, on observe la même ambivalence
aspectuelle :
(633) a. La construction d’une maison (en moins de trois mois / * pendant
trois mois) est une hérésie ! le résultat ne peut être qu’une
succession de malfaçons
b. Pierre a fait de la construction de maisons écologiques (* en dix
ans / pendant des années)
(634) a. Pierre a fait la rénovation de cette chambre (en deux semaines /
* pendant deux semaines)
b. Pierre a fait de la rénovation de chambres d’hôtel (* en deux ans /
pendant des années)
(635) a. Pierre a fait la réparation de la voiture (en dix minutes / * pendant
dix minutes) : ça n’est pas sérieux !
b. Pierre a fait de la réparation de voitures anciennes (* en dix ans /
pendant dix ans)
Alors qu’avec un complément du nom délimité, le SN est télique, avec un complément du
nom pluriel indéfini, le SN est atélique – ce qui est mis en évidence par la complémentation
de temps en pendant, mais aussi par la compatibilité avec la structure faire du N383.
Cependant, lorsqu’ils sont arguments dans la structure être en, les noms construction,
rénovation et réparation ne peuvent pas se présenter avec un complément du nom dénotant
leur objet, étant donné que celui-ci est en position syntaxique de sujet. Voyons si modifier la
détermination du sujet influence l’aspect des NdynPASSIF :

383
La structure faire du N peut servir de test pour reconnaître les noms d’activités à condition de prendre garde à
ce que les noms en question soient bien des déverbaux. En effet, comme l’a montré Van de Velde (1997b) cette
structure permet de convertir des noms concrets en noms d’activités :
(i) faire du (violon / vélo)

240
(636) a. Cette maison a été en construction (* en dix ans / pendant plus de
dix ans) et elle n’est toujours pas finie !
b. Des maisons ont été en construction (* en dix ans / pendant plus
de dix ans) dans ce quartier mais aucune n’a été achevée
Il semble les NdynPASSIF, bien qu’issus de verbes d’accomplissement, n’offrent qu’une lecture,
celle non bornée, et en tant qu’actions non bornées, les NdynPASSIF sont de nature homogène.
Quant aux noms issus de verbes inaccusatifs, ils dénotent eux aussi des actions
atéliques (et donc homogènes) comme le montrent les exemples suivants :
(637) a. Le chômage a été en augmentation (* en / pendant) dix ans
b. L’arbre a été en floraison (* en / pendant) deux mois
On en conclut que la contrainte d’homogénéité s’applique à tous les Ndyn pouvant
servir d’arguments à être en, que la structure soit utilisée dans son interprétation active ou
passive.

3.4. Conclusion partielle


La principale contrainte imposée par être en aux Ndyn qui lui servent d’arguments est celle
d’homogénéité.
Le lien qui existe entre en et la notion d’homogénéité explique l’affinité forte que
possède la préposition en avec l’expression de la stativité, expression qui prend différentes
formes en fonction de la nature du Ndyn.
- Si le sujet est l’agent de l’action dénotée par le Ndyn, alors deux cas sont possibles :
(i) en instaure une relation stative de localisation entre le sujet et la situation dynamique
dénotée par le nom d’action N2 dont il est l’agent, cette relation induit de surcroît une
localisation spatiale du sujet dans le lieu particulier où s’effectue l’action (c’est le cas si le
Ndyn est un NdynACTIF-LOC, e.g. Pierre est en promenade) ; (ii) en instaure une relation stative
de localisation entre le sujet et la situation dynamique dénotée par le nom d’action N2 dont il
est l’agent (c’est le cas lorsque le NdynACTIF n’a pas de lien privilégié avec la notion de lieu,
e.g. Pierre est en discussion). Dans ces deux cas, l’interprétation dynamique du nom reste très
prégnante dans la mesure où le sujet accomplit l’action dénotée par le nom. Le rapport statif
est secondaire et le sujet est localisé à l’intérieur d’une situation évolutive.
- Si le sujet n’est pas l’agent de l’action dénotée par le Ndyn, alors différents cas sont
observables : (i) le sujet (qui peut être un humain ou un inanimé) est localisé en un point de la
situation évolutive en cours qu’il subit (e.g. la maison est en construction, Pierre est en
traitement) ; (ii) le sujet ne subit aucune action mais il est dans la situation évolutive dénotée
par le Ndyn (c’est le cas quand le nom dérive d’un verbe inaccusatif, e.g. Le chômage est en

241
augmentation) ; (iii) la structure a une interprétation purement stative où le Ndyn exprime un
état résultant (e.g. Pierre est en exil).
Nous avons vu au chapitre 3 qu’avec certains Nétat l’ajout de plein pouvait tirer
l’interprétation de la structure du côté de la dynamicité. Etant donné que être en a une
tendance forte à exprimer des relations statives alors même que son argument dénote une
action, nous nous demandons quel est le rôle sémantique joué par plein. Nous verrons que le
rôle de plein reste constant, mais que les effets de sens produits varient en fonction du type de
relation instaurée par être en.

4. Plein : modifieur de contraintes de sélection


Afin de cerner l’apport sémantique de plein, nous commencerons par observer quelle(s)
différence(s) de sens implique l’ajout de plein. Pour cela, il nous faut étudier des Ndyn qui
acceptent les deux structures : être en et être en plein. C’est le cas notamment des NdynACTIF.
Une fois déterminé le fonctionnement sémantique de plein nous verrons quels effets de sens il
implique en fonction du sous type auquel appartient le Ndyn.

4.1. Rôle sémantique de plein


Les NdynACTIF entrent dans les deux structures être en et être en plein, ce qui va nous
permettre d’isoler l’apport sémantique de plein. Suivant son fonctionnement habituel, plein
opère un centrage. Les noms dynamiques étant des noms extensifs temporels384, ce centrage
sera d’ordre temporel. Effectivement, « être en plein(e) (conversation / concert / négociation /
promenade / réunion) » c’est être à un moment qui n’est ni le début ni la fin (de la / du)
(conversation / concert / négociation / promenade / réunion). En plus de localiser le sujet à
l’intérieur de l’intervalle de référence de l’action dénotée par le nom, plein sélectionne un
point dans celui-ci :
(638) * Pierre a été interrompu en (conversation / concert / négociation /
promenade / réunion)
(639) Pierre a été interrompu en pleine (conversation / concert /
négociation / promenade / réunion)
Le moment de l’interruption est par nature un point du temps : d’un coup, l’action qui suivait
un déroulement est arrêtée. Le contraste très net entre (638) et (639) montre que c’est plein
qui permet la sélection d’un point à l’intérieur du déroulement de l’action.

384
« Les grandeurs extensives […] sont dans le temps, et ont une étendue temporelle, celle-ci fût-elle réduite
dans certains cas à la limite du point. » (Flaux & Van de Velde 2000 : 97).

242
En sélectionnant un point dans l’intervalle de référence de l’action, plein opère
également un centrage intensif, sorte « d’effet secondaire » du centrage temporel. Ainsi, « être
en plein(e) (conversation / concert / négociation / promenade / réunion) », c’est être à un
moment intense (du / de la) (conversation / concert / négociation / promenade / réunion).
Atteste de ce fait la paraphrase possible de être en pleine conversation par être en grande
conversation où grande a une valeur intensive.

4.2. Centrage temporel-intensif et effets de sens


Le centrage temporel-intensif qu’opère plein a pour conséquence sémantique de renforcer
l’interprétation dynamique de la phrase. Nous allons à présent passer en revue les différents
types de Ndyn que nous avons étudiés dans ce chapitre afin de déterminer les effets
sémantiques qu’implique plein.

4.2.1. Plein et les NdynACTIF


La dynamisation induite par le centrage opéré par plein est particulièrement visible avec les
NdynACTIF-LOC, puisqu’il affecte le rapport de localisation spatiale fondé par être en entre le
sujet agentif et le lieu pragmatiquement lié à l’action dénotée par le NdynACTIF-LOC et laisse
intact le rapport dynamique entre le sujet agentif et l’action :
(640) Pierre est en (concert / conférence / promenade / réunion)
(641) Pierre est en plein(e) (concert / conférence / promenade / réunion)
Alors que les énoncés (640) répondent très naturellement à une question sur la localisation
spatiale du sujet du type Où est Pierre ?, ce n’est pas le cas des énoncés (641) qui répondent
de manière beaucoup moins naturelle, voire étrange, à cette question. En renforçant
l’interprétation dynamique de la relation entre le sujet et le NdynACTIF-LOC, plein efface la
relation stative de localisation spatiale.
Avec les NdynACTIF non locatifs (qui n’expriment pas de localisation spatiale), l’effet
de dynamisation est plus ténu mais néanmoins existant. Avec en seul, la relation dynamique
entre le sujet agentif et l’action peut ou non être actualisée :
(642) a. Pierre est en négociation avec son patron pour avoir une
augmentation, n’entre pas dans le bureau
b. Pierre est en négociation avec son patron pour avoir une
augmentation depuis des mois
En (642)a le contexte indique que la négociation a lieu au moment de l’énonciation. En
(642)b au contraire, le contexte ne dit rien de l’éventuelle actualisation de l’action (Pierre peut
être dans une négociation avec son patron sans être à cet instant précis en train de négocier).

243
(643) a. Pierre est en pleine négociation avec son patron, n’entre pas dans
le bureau
b. * Pierre est en pleine négociation avec son patron depuis des mois
L’ajout de plein rend impossible l’interprétation non actualisée (643)b. Il n’y a rien
d’étonnant à ce que la dynamisation induite par plein tende à privilégier une interprétation
dans laquelle l’action a lieu au moment de l’énonciation, comme en (643)a. En effet, en
sélectionnant un point précis du temps, plein suppose l’actualisation de la situation. Il faut
néanmoins noter qu’avec les NdynACTIF non locatifs, la relation de localisation dans une
situation évolutive qui existe avec en employé seul demeure avec en plein :
(644) J’ai trouvé Pierre en discussion avec Marie
(645) J’ai trouvé Pierre en pleine discussion avec Marie
Il semble que dans ce cas, le centrage qu’opère plein est principalement intensif d’où la
paraphrase possible de (645) par (646) :
(646) J’ai trouvé Pierre en grande discussion avec Marie
Voyons à présent comment l’apport sémantique de plein permet aux NdynB385 d’entrer dans
la structure être en plein.

4.2.2. Plein et les NdynB


En spécifiant le moment auquel le sujet se trouve et en le caractérisant comme ayant une
intensité particulière (les deux allant de pair), plein tire l’interprétation du côté de la
dynamicité.
Les NdynB du type accouchement ne peuvent pas suivre être en en raison de leur
caractère [+ hétérogène]. Puisque la présence de plein les rend acceptables c’est donc que
plein lève la contrainte d’homogénéité :
(647) a. Marie est en plein accouchement
b. Marie est en plein débat avec sa soeur
c. Pierre est en pleine réparation de la voiture
d. Pierre est en plein tournage d’un film
Dans la séquence être en plein N des SN comme accouchement / débat (avec sa sœur) /
réparation (de la voiture) / tournage (d’un film) permettent de localiser temporellement le
sujet au cœur de l’action qu’il accomplit, localisation temporelle qui sélectionne un moment
intense de l’action. En prélevant un moment intense de l’action sur l’intervalle temporel
qu’elle occupe, plein met entre parenthèses la structure temporelle interne du Ndyn. Plein

385
Nous rappelons que les NdynB sont des noms dynamiques qui refusent de suivre en seul mais qui entrent
dans la structure être en plein.

244
neutralise ainsi la propriété d’homogénéité qui faisait défaut aux NdynB du type
accouchement.
Les NdynB de type jardinage dénotent des situations non délimitées ce qui les place
en porte-à-faux vis-à-vis de la contrainte de délimitation et les rend inaptes à figurer dans la
séquence être en N sans l’ajout de plein. En plaçant le sujet au centre de l’action dénotée par
le nom386, plein permet de passer outre la condition de délimitation imposée par en seul.
Exactement comme avec les NdynB du type accouchement, plein sélectionne un moment
intense de l’action dénotée par les NdynB du type jardinage. L’absence de délimitation de ces
nom est ainsi rendue invisible, ce qui leur permet d’entrer dans la structure être en plein387. En
effet, le sujet étant placé à l’intérieur de l’intervalle référentiel de l’action, que cet intervalle
ait ou non des bornes n’a plus d’importance.
Plein a donc toujours le même rôle : en focalisant l’attention sur un moment intense de
l’action, il masque la structure interne de l’action. Ainsi, on ne voit plus que les noms du type
accouchement sont hétérogènes ni que les noms du type jardinage n’ont pas de délimitation.
Il ne nous reste plus qu’à observer les effets de sens qu’implique plein lorsque la
structure être en a une interprétation passive.

4.2.3. Plein et les NdynPASSIF


Nous avons déjà mentionné que les NdynPASSIF n’acceptent généralement pas l’ajout de plein :
(648) a. * La maison est en pleine construction
b. * Les épreuves du livre sont en pleine (correction / lecture) chez
l’éditeur
c. * Le projet est en pleine discussion au parlement
d. * La voiture est en pleine réparation
e. * Le tableau est en pleine restauration chez un enlumineur
(649) a. ?? Pierre est en pleine observation à l’hôpital
b. ?? Pierre est en pleine accusation
Cela s’explique par l’impossibilité dans laquelle plein se trouve de jouer son rôle de
« dynamiseur ». En effet, étant donné que le sujet n’effectue pas l’action dénotée par le Ndyn,
il n’y a aucun sens à vouloir mettre en relief la relation agentive qui unit le sujet à l’action
puisqu’elle n’existe pas. En d’autres termes, le centrage intensif qu’opère normalement plein

386
Comme c’était le cas avec les noms de lieux, le terme centre ne signifie nullement que le sujet est localisé au
centre temporel strict de l’action mais en un point qui exclut les bornes droite et gauche de l’intervalle de
référence de l’action, i.e. le sujet ne vient pas de commencer l’action et il n’est pas sur le point de la terminer /
cesser.
387
Par exemple :
(i) Marie est en plein(e) (bricolage1 / lecture1 / jonglage / nettoyage1 / rangement1)

245
ne peut pas s’exercer dans des énoncés comme (648) parce que le sujet n’est pas actif (i.e. il
n’apporte aucune énergie permettant le déroulement de l’action).
On remarque que les NdynPASSIF peuvent localiser un sujet humain à l’intérieur d’une
action qu’il accomplit à la condition que plein soit présent (ils deviennent alors des NdynB) :
(650) a. Le livre est en lecture chez l’éditeur
b. * Le livre est en pleine lecture chez l’éditeur
(651) a. * Pierre est en lecture, ne le dérange pas
b. Pierre est en pleine lecture, ne le dérange pas
Ces exemples montrent que la part de stativité portée par la préposition en est effacée par
l’ajout de plein, qui tire l’interprétation du côté de la dynamicité.
Avant de conclure, nous aimerions dire un mot sur les noms issus de verbes
inaccusatifs. Certains de ces noms, alors même que leur sujet n’est pas actif (leur sujet est en
réalité un objet interne), acceptent l’ajout de plein alors que d’autres le refusent :
(652) Le chômage est en pleine augmentation
(653) * Le chômage est en pleine chute
La raison de ce phénomène est que le procès dénoté par certains noms inaccusatifs (e.g.
augmentation) suppose de la part de l’entité qui le subit une force interne alors que d’autres
(e.g. chute) en sont dépourvus. C’est le déploiement de cette force qui est alors renforcé par
plein.

5. Conclusion
Le rôle de plein est le même avec les Ndyn et avec les Nétat : il opère un centrage temporel
qui induit un centrage intensif. Le sujet est placé à un moment spécifique (mais non
déterminé) de l’action ou de l’état dénoté par le nom prédicatif ; moment caractérisé par son
intensité particulièrement élevée.
Nous avons vu qu’avec certains Nétat la présence / absence de plein favorise une
lecture dynamique / stative de l’énoncé – e.g. être en colère dénote une situation stative alors
que être en pleine colère dénote une situation dynamique. Plusieurs faits montrent qu’avec les
Ndyn, l’ajout de plein a le même effet aspectuel, mais ce de manière systématique. Alors que
être en Ndyn instaure une double relation (stative et dynamique) entre le sujet et l’action
dénotée par le Ndyn, l’ajout de plein a tendance à effacer, voire à supprimer, la relation
stative pour privilégier la relation dynamique.
Lorsque la structure est utilisée dans son interprétation active, à la contrainte
d’homogénéité, qui s’applique dans tous les cas (que le nom soit un nom d’état ou un nom

246
dynamique), s’ajoute celle de délimitation. En effet, être en NdynACTIF ne fait pas qu’exprimer
un rapport statif entre le sujet et le nom, mais induit également une localisation métaphorique
du référent du sujet dans une action délimitée qu’il effectue.
Plein, en tirant l’interprétation du côté de la dynamicité, lève les contraintes liées de
délimitation et d’homogénéité. Sont ainsi acceptées en position d’argument de en plein toutes
sortes de noms dynamiques (les NdynB).
Enfin, l’étude des structures être en vs être en plein a permis de montrer que les
propriétés aspectuelles des verbes et celles des noms morphologiquement liés ne sont pas
nécessairement les mêmes. Notamment, on observe une déviance entre certains verbes
d’activité et les noms dérivés que nous avons appelés les N-Vact (e.g. (se) promener,
promenade) qui héritent de leur verbe d’origine le trait [+ homogène] mais pas celui
[- borné] ; ces noms, sans être à proprement parler téliques, connaissent une forme de
délimitation.

247
Conclusion

L’objectif principal de ce travail était d’examiner les propriétés aspectuelles des noms afin de
les comparer avec celles des verbes et des adjectifs qui leur sont morphologiquement liés.
Cette vaste tâche est bien sûr loin d’être achevée, mais nous espérons avoir apporté plusieurs
éléments de réponse.

Nous avons commencé notre étude par la dichotomie aspectuelle statif / dynamique, puisqu’elle
est la plus fondamentale. Pourtant, même dans le domaine verbal, domaine où l’aspect lexical a
été le plus largement étudié, on remarque qu’il n’est pas toujours aisé de trouver les tests
linguistiques qui permettent de distinguer les verbes statifs des verbes dynamiques. Les tests
d’agentivité (e.g. Qu’a fait x (hier) ?, être accusé de, volontairement, etc.) sont valables mais
n’embrassent jamais l’ensemble de la classe verbale. Les tests reposant sur la compatibilité avec
les périphrases aspectuelles (e.g. commencer à, finir de, etc.) ne sont pas concluants car certains
verbes statifs sont compatibles avec elles. Le test le plus probant est celui de la forme
progressive parce qu’il est, à quelques exceptions près, interprétable aussi bien en cas de
compatibilité que d’incompatibilité avec le verbe infinitif qui suit être en train de
Dans le domaine nominal, les tests habituellement utilisés pour distinguer les noms
dynamiques des noms statifs reposent sur la distribution des verbes supports (e.g. faire,
effectuer, accomplir, etc.) et des prédicats événementiels (e.g. avoir lieu, se produire). Nous
avons également observé que les périphrases aspectuelles inefficientes dans le domaine verbal
sont en revanche utilisables dans le domaine nominal.
Enfin, on n’utilise généralement pas la dichotomie statif / dynamique pour décrire les
adjectifs, du moins en français. Pourtant, il existe bien une classe d’adjectifs qui peuvent
dénoter des comportements. Dans cette acception, ils valident plusieurs tests suggérant qu’ils
sont dynamiques. Il est vrai que ces adjectifs dénotent aussi des qualités et que l’intrication
étroite de ces deux acceptions est peut-être en cause dans la non reconnaissance de ces
adjectifs en tant que prédicats dynamiques.
Une des entraves à l’application de l’ensemble des tests de dynamicité est la
polysémie des lexèmes. En effet, il arrive qu’un même prédicat ait un ou plusieurs sens
dynamiques et un ou plusieurs sens statifs. Il convient alors de démêler les différents sens

248
avant l’application des tests. Les cas de nominalisations de verbes polysémiques n’ont pas été
traités dans ce travail et mériteraient une étude à part entière. Par exemple, le verbe ignorer a
une acception actionnelle (e.g. Pierre a ignoré Marie toute la soirée) et une acception stative
(e.g. Pierre ignore beaucoup de choses), alors que sa nominalisation ignorance ne peut jamais
dénoter une action :
(654) Pierre est d’une grande ignorance
(655) * L’ignorance de Marie par Pierre pendant toute la soirée a été très
remarquée
L’examen des nominalisations d’un grand nombre de verbes présentant une polysémie entre
dynamicité et stativité dans le but de déterminer quelle(s) acception(s) du verbe est (sont)
nominalisée(s) permettrait peut-être de découvrir en retour de nouvelles informations
sémantico-aspectuelles sur les verbes. Il serait également intéressant d’étudier les cas dans
lesquels un verbe polysémique engendre deux nominalisations différentes. Par exemple, le
verbe abattre dans son sens statif d’état se nominalise en abattement alors que dans son sens
dynamique il connaît deux nominalisations, abattage et abattement :
(656) Pierre a ressenti un profond (abattement / *abattage) en apprenant
la mort de Marie
(657) a. L’abattage massif d’arbres qui a lieu dans cette région conduira à
un drame écologique
b. Les banques ont procédé à de nombreux abattements sur les
crédits afin de conserver leurs clients
L’étude de ces cas permettrait de tenter de mettre en rapport la sémantique de l’aspect et la
morphologie dérivationnelle.

L’examen des propriétés aspectuelles des noms statifs d’une part (cf. chapitre 3) et des noms
dynamiques d’autre part (cf. chapitre 4) a été mené en observant les restrictions de sélection
opérées par certaines prépositions.
Concernant les noms statifs, l’étude de la structure dans Det pos N a permis de
confirmer l’existence d’au moins deux grandes classes de noms statifs : ceux qui ont un
rapport au temps (les noms d’états) et ceux qui sont hors temps (les noms de qualités). Parmi
les qualités, nous avons mis en évidence une sous-classe de noms dont le comportement
linguistique s’explique par leur origine morphologique. En tant que noms de qualités, ils
dénotent des situations hors temps, mais leur origine morphologique (ils sont en lien avec des
adjectifs de qualité-comportement) leur confère une « trace sémantique actionnelle » qui leur
permet, dans certains contextes, d’avoir un rapport au temps – notamment lorsqu’ils sont mis
au pluriel ou lorsqu’ils sont introduits par dans un moment de. Cette étude confirme ainsi que

249
les liens morphologiques entre lexèmes impliquent la transmission de traits sémantiques, et en
particulier aspectuels. Il est nécessaire de prendre en compte ces paramètres sémantiques et
aspectuels afin d’expliquer le comportement linguistique de certains noms.
Du côté des noms dynamiques, l’étude de la distribution des noms pouvant suivre être
en et/ou être en plein a permis d’aborder l’étude des autres distinctions aspectuelles que sont
les oppositions télique / atélique, ponctuel / duratif et hétérogène / homogène. Nous avons vu
que les traits [± durée] et [± homogène] semblent être transmises fidèlement du verbe au nom,
ce qui n’est pas le cas du trait [± télique]. En particulier, les verbes d’activité ne transmettent
pas toujours leur atélicité puisque certains noms en lien morphologique avec ces verbes sont,
dans l’une de leurs acceptions au moins, comptables et dénotent donc des situations
délimitées. Néanmoins, ces noms comptables issus de verbes d’activités (e.g. promenade) ne
sont pas téliques, ils ne sont pas assimilables à des noms d’accomplissements comme
accouchement. En effet, dans le domaine nominal il convient de distinguer entre télicité (la
situation est, comme dans le domaine verbal, bornée et sa fin est fixée par le sémantisme
propre du prédicat) et délimitation (la situation est bornée mais sa fin est en quelque sorte
flottante). Il faudrait à présent se demander si les deux types de nominalisation associés aux
verbes d’activité (les noms délimités comme promenade et les vrais noms d’activités comme
jardinage) ne révèlent pas en fait une distinction au sein de la classe des verbes d’activité. En
d’autres termes, les différences aspectuelles entre promenade et jardinage sont peut-être la
conséquence d’une différence entre les deux verbes d’activités se promener et jardiner.

Nous avons pu comparer les fonctionnements respectifs des prépositions en et en plein,


puisqu’elles sont compatibles à la fois avec des noms d’état et des noms dynamiques. Il est
remarquable que en, qui sélectionne comme argument un nom dénotant une situation
nécessairement homogène, instaure toujours une relation en partie stative, y compris lorsque
le nom introduit est, lui, dynamique. On peut décrire les choses ainsi : x est en Nétat signifie
que le référent du sujet est localisé en un point fixe (relation stative) dans une situation elle-
même stative. En revanche, x est en Ndyn signifie que le référent du sujet est localisé en un
point fixe (relation stative) dans une situation en train de se dérouler (la situation n’est pas
stative mais en mouvement, i.e. dynamique). Notons que cette seconde description (le sujet vu
comme un point fixe au cœur d’une situation elle-même en mouvement, c’est ce que nous
avons appelé une « situation évolutive ») convient également pour décrire la séquence x est en
train de Vinf. Autrement dit, être en suivi d’un nom dynamique marque l’aspect progressif
comme être en train de exprime l’aspect progressif du verbe. Les structures être en et être en

250
plein, chacune dans leur domaine, relèvent de l’aspect grammatical, qui peut modifier, au
moins en partie, la visée aspectuelle qu’on a de la situation.
Les similitudes d’interprétation qui existent entre être en Nétat et être en Ndyn se
confirment lorsqu’on analyse l’apport sémantique induit par l’ajout de plein. Avec ces deux
types de noms, plein opère un centrage temporel (le sujet est placé au cœur de l’état ou de
l’action) qui se double d’un centrage intensif (étant entendu que le cœur d’un état ou d’une
action est un moment particulièrement intense de cet état ou de cette action). Les
conséquences de ce centrage temporel-intensif diffèrent selon le type de nom introduit.
Schématiquement, on peut avancer que plein tire l’interprétation du côté de la dynamicité.
Une nouvelle fois, nous rencontrons un exemple où la préposition (en plein) marque l’aspect
grammatical du nom.

L’aspect lexical des noms est un champ d’étude bien trop vaste pour qu’on puisse prétendre
proposer une analyse approfondie de ses différentes facettes. Chaque avancée soulève une
multitude d’interrogations portant sur des domaines aussi divers que la syntaxe des
nominalisations, les rapports entre sémantique et morphologie dérivationnelle ou encore
l’équilibre qui se joue entre l’aspect lexical des noms et l’aspect grammatical qui peut être
porté par les prépositions. Dans ce domaine en particulier, il faudrait interroger chaque
préposition pour déterminer si les restrictions de sélection qu’elle impose ne sont pas, en
partie au moins, liées aux propriétés aspectuelles des noms qui la suivent.

251
Bibliographie

Abeillé, A. et alii (2003). The syntaxe of French à and de : an HPSG analysis, ACL-SIGSEM
Workshop on the linguistic dimensions of prepositions, Toulouse.
[http://www.llf.cnrs.fr/Gens/Bonami/ABGT-Toulouse03.pdf]
Agrell, S. (1908). Aspektänderung und Aktionsartbildung beim polnischen Zeitwrote :
ein Beitrag zum Studium der indogermanischen Präverbia und ihrer
Bedentungsfunktionen, Lunds Universitets : Ohlsson.
Alexiadou, A. (2001). Functional Structure in Nominals : Nominalization and Ergativity,
Amsterdam / Philadelphia : John Benjamins.
Amiot, D. & De Mulder, W. (2007). L’insoutenable légèreté de la préposition en, Conférence
à la journée d’étude Approches récentes de la préposition, le 30 mars 2007, Arras :
Université d’Artois.
Anscombre, J.-C. (1996). Noms de sentiment, noms d’attitude et noms abstraits, in N. Flaux,
M. Glatigny & M. Samain (éds), Les noms abstraits, Villeneuve d’Ascq : Presses
Universitaires du Septentrion, 257-273.
Anscombre, J.-C. (2005). Les deux périphrases nominales un N en train / un N en cours :
essai de caractérisation sémantique, in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds),
Les périphrases verbales, Amsterdam : John Benjamins, 103-107.
Anscombre, J.-C. (2007). Les indicateurs aspectuels de déroulement processif : en cours de,
en passe de, en train de, en voie de, Cahiers de lexicologie 90 : 41-74.
Arnauld, A. & Lancelot, C. (1660/[1993]). Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal,
Genève : Statkine Reprints.
Arnauld, A. & Nicole, P. (1662/ [1970]). La logique ou l’art de penser, Paris : Flammarion.
Arnauld, A. & Nicole, P. (1662/[1972]). La logique ou l’art de penser, Genève : Slatkine
Reprints.
Arrivé, M. & Gadet, F. & Galmiche, M. (1986). La grammaire d’aujourd’hui : guide
alphabétique de linguistique française, Paris : Flammarion.
Aslanides, S. (2001). Grammaire du français, Paris : Honoré Champion.
Balibar-Mrabti, A. (1990). Analyse d’adverbes en dans, Langue Française 86 : 65-74.
Battistelli, D. & Desclès J.-P. (2002). Modalités d’action et inférences, Cahiers Chronos 10 :
21-40.
Bat-Zeev Shyldkrot, H. (1999). Présentation, Langages 135 : 3-7.
Beauseroy, D. & Knittel, M.-L. (2007) : Nombre et détermination : le cas des noms de qualité,
Rivista di Linguistica 19-2 : 231-262.
Berthonneau, A.-M. (1989). Composantes linguistiques de la référence temporelle. Les
compléments de temps, du lexique à l’énoncé, Thèse d’Etat, Université de Paris VII.

252
Berthonneau, A-M. (1993). Depuis vs il y a que, référence temporelle vs cohésion discursive
ou A quoi sert que dans il y a que ?, in C. Vetters (éd.), Le temps de la phrase au texte,
Lille : Presses Universitaires de Lille, 9-83.
Borillo, A. (1991). De la nature compositionnelle de l’aspect, Travaux de Linguistique et de
Philologie 29 : 97-102.
Borillo, A. (1997). Aide à l’identification des prépositions composées de temps et de lieu,
Faits de Langues 9 : 175-184.
Borillo, A. (2002). Il y a prépositions et prépositions, Actes du Colloque Prep An 2000 "La
préposition française dans tous ses états", 4-9 septembre 2000, Université de Tel-
Aviv, Travaux de Linguistique 42-43 :141-155.
Borillo, A. (2005). Peut-on identifier et caractériser les formes lexicales de l’aspect en
français ? in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les périphrases verbales,
Amsterdam : John Benjamins, 67-82.
Bourdin, P. (2005). Venir en français comptemporain. De deux fonctionnements
périphrastiques, in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les périphrases
verbales, Amsterdam : John Benjamins, 261-278.
Brugman, K. (1902-1904). Kurze vergleichende Grammatik des indogermanischen Sprachen,
Strasbourg : K. J. Trübner.
Brunot, F. (1922). La pensée et la langue, Paris : Masson et CIE éditeurs.
Cadiot, P. (1997a). Les prépositions abstraites en français, Paris : Armand Colin.
Cadiot, P. (1997b). Les paramètres de la notion de préposition incolore, Faits de Langues 9 :
127-134.
Cadiot, P. (2002). Schémas et motifs en sémantique prépositionnelle : vers une description
renouvelée des prépositions dites « spatiales », Travaux de Linguistique 44 : 9-24.
Carlson, G.(1977/[1980]). Reference to Kinds in English, New York : Garland Press.
Cervoni, J. (1991). La préposition: Etude sémantique et pragmatique, Paris / Louvain-la-
Neuve : Duculot.
Chafe, W.L. (1970). Meaning and the structure of language, Chicago / London : The
University of Chicago Press.
Cohen, D. (1989). L’aspect verbal, Paris : Presses Universitaires de France.
Comrie, B. (1976). Aspect, an introduction to the Study of verbal and related problems,
Cambridge : University Press.
Cook, W.A. (1979). Case Grammar : Development of the Matrix Model (1970-1978),
Washnigton : Georgetown University Press.
Coseriu, E. (1980). Aspect verbal ou aspects verbaux ? Quelques questions de théorie et de
méthode, in J. David & R. Martin (dir.), La notion d’aspect, Metz : Centre d’Analyse
Syntaxique de l’Université de Metz, 13-26.
Dahl, O. (1981). On the Definition of the Telic-atelic (bounded-nonbounded) Distinction,
Syntax and Semantics 14 : 79-90.
Daladier, A. (1996). Le rôle des verbes supports dans un système de conjugaison nominale et
l’existence d’une voix nominale en français, Langages 121 : 35-53.
Daladier, A. (1999). Auxiliation des noms d’action, Langages 135 : 87-107.

253
De Mulder, W. (2008a). Le sens de dans : un réseau sémantique ? in Linguista Sum :
mélanges offerts à Marc Dominicy à l’occasion de son soixantième anniversaire, E.
Danblon, et alii (éds), Paris : L’Harmattan, 297-315.
De Mulder, W. (2008b). En et dans : une question de « déplacement » ?, in O. Bertrand, et
alii (éds), Discours, diachronie, stylistique du français. Etudes en hommage à Bernard
Combettes, Bern : Peter Lang, 277-291.
Desclès, J.-P. (1980). Construction formelle de la catégorie grammaticale de l’aspect (Essai),
in J. David & R. Martin (dir.), La notion d’aspect, Metz : Centre d’Analyse
Syntaxique de l’Université de Metz, 195-237.
Desclès, J.-P. (1991). Archétypes cognitifs et types de procès, Travaux de Linguistique et de
Philologie 29 : 171-195.
Desclès, J.-P. (1999). Au sujet de la caractérisation verbale, Faits de Langues 14 : 227-237.
Do-Hurinville, D.T. (2008). Etude sémantique et syntaxique de en plein N, L’information
grammaticale 116 : 3-9.
Do-Hurinville, D.T. (à paraître). Etude sémantique et syntaxique de en voie de (nom), en voie
de (verbe).
Dowty, D. (1979). Word Meaning and Montague Grammar: the Semantics of Verbs and
Times in Generative Semantics and Montague's PTQ, Doredrecht : Reidel.
Dowty, D. (1986). The effect of aspectual class on the temporal structure of discourse :
semantics or pragmatics ?, Linguistics and Philosophy 9 : 37-61.
Dubois, J. et alii (1994/[2002]). Dictionnaire de linguistique, Paris : Larousse.
Evans, C.O. (1967). States, Activities and performances, Australian Journal of Philosophy
45-1 : 293-308.
Fabre, C. & Le Draoulec, A. (2006). La dimension événementielle du syntagme nominal dans
la structure avant + SN, Cahiers de Lexicologie 89-2 : 47-74.
Flaux, N. (1996). Question de terminologie, in N. Flaux, M. Glatigny & D. Samin (éds), Les
noms abstraits, histoire et théories, Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du
septentrion, 77-90.
Flaux, N. (2002). Les noms d’idéalités concrètes et le temps, Cahiers Chronos 10 : 65-78.
Flaux, N. & Van de Velde, D. (2000). Les noms en français : esquisse de classement, Paris :
Ophrys.
Franckel, J.-J. & Lebaud, D. (1991). Diversité des valeurs et invariance du fonctionnement de
en préposition et préverbe, Langue Française 91 : 56-75.
Franckel, J.-J. & Paillard, D. (1991). Discret-Dense-Compact : Vers une typologie opératoire,
Travaux de Linguistique et de Philologie 29 : 103-136.
François, J. (1989). Changement, causation, action : trois catégories sémantiques
fondamentales du lexique verbal français et allemand, Genève : Droz.
François, J. (1990). Classement sémantique des prédications et méthode psycholinguistique
d’analyse propositionnelle, Langages 100 : 13-32.
François, J. (1995). Le profil aspectuel et participatif des prédications : perspectives
algorithmiques interactives, in C. Cortès (éd.), Théories et pratiques du lexique,
Cahiers du C.I.E.L, Paris : Université de Paris 7, 45-87.

254
François, J. & Gosselin, L. (1991). Archétypes cognitifs et types de procès, Travaux de
Linguistique et de Philologie 29 : 19- 86.
François, J. & Verstiggel, J.-C. (1991). Sur la validité cognitive d’une typologie combinatoire
des prédicats de procès, Travaux de Linguistique et de Philologie 29 : 197- 207.
Fuchs, C. (1991). Les typologies de procès : un carrefour théorique interdisciplinaire, Travaux
de Linguistique et de Philologie 29 : 9-17.
Fuchs, C. & Gosselin, L. & Victorri, B. (1991). Polysémie, glissements de sens et calcul des
types de procès, Travaux de Linguistique et de Philologie 29 : 137- 169.
Gaatone, D. (2004). Ces insupportables verbes supports, Lingvisticae Investigationes XXVII-
2 : 239-251.
Galmiche, M. & Kleiber, G. (1996). Sur les noms abstraits, in N. Flaux, M. Glatigny & D.
Samin (éds), Les noms abstraits, histoire et théories, Villeneuve d’Ascq : Presses
universitaires du septentrion, 23-40.
Gardies, J.-L. (1975). Esquisse d’une grammaire pure, Paris : Librairie Philosophique J. Vrin.
Garey, H. B. (1957). Verbal aspect in French, Language 33 : 91-110.
Ghiglione, R. et alii (1990). Prédications d’état, de déclaration et d’action : essai de
classification en vue d’une application en analyse de contenu, Langages 100 : 81-100.
Giry-Schneider, J. (1978). Les nominalisations en français. L’opérateur "faire" dans le
lexique, Genève : Droz.
Giry-Schneider, J. (1987). Les prédicats nominaux en français. Les phrases simples à verbe
support, Genève : Droz.
Godard, D. & Jayez, J. (1996). Types nominaux et anaphores : le cas des objets et des
événements, Cahiers Chronos 1: 41-58.
Grevisse, M. (1936/[1993]). (12 ème éd.). Le bon usage, Louvain-la Neuve : Duculot.
Grimshaw, J. (1990). Argument Structure, Cambridge Mass. : The MIT Press.
Gross, G. (1996). Prédicats nominaux et compatibilité aspectuelle, Langages 121 : 54-72.
Gross, G. (1999). Sémantique lexicale et connecteurs, Langages 136 : 76-84.
Gross, G. & Kiefer, F. (1995). La structure événementielle des substantifs, Folia Linguistica
XXIX/1-2 : 43-65.
Gross, G. & Vivès, R. (1986). Les constructions nominales et l’élaboration d’un lexique-
grammaire, Langue Française 69 : 5-27.
Gross, M. (1975). Méthodes en syntaxe. Régime des constructions complétives Paris :
Hermann.
Gross, M. (1996a). Les verbes supports d’adjectif et le passif, Langages 121 : 8-18.
Gross, M. (1996b). Les formes être prep x du français, Lingvisticae Investigationes XX-2 :
217-261.
Gross, M. (1999). Sur la définition d’auxiliaire du verbe, Langages 135 : 8-21.
Guillaume, G. (1919/[1975]). Le problème de l’article et sa solution dans la langue française,
Nizet : Paris.

255
Guillaume, G. (1929/[1984]). Temps et verbe, théorie des aspects, des modes et des temps,
Paris : Editions Champion.
Guimier, C. (1978). En et dans en français moderne : étude sémantique et syntaxique, Revue
des Langues Romanes, LXXXIII-2.
Guiraud-Weber, M. (2004). Le verbe russe, temps et aspect, Aix-en-Provence : Publication de
l’Université de Provence.
Gwiazdecka, E. (2005). Aspects, prépositions et préverbes dans une perspective logique et
cognitive. Application au polonais : preze/prze-, do/do-, od/od-, Thèse de Doctorat,
Université de Paris IV Sorbonne.
Haas, P. (à paraître). Être en guerre vs être en pleine guerre : le rôle sémantique de plein dans
la structure N1 être en plein N2.
Haas, P. & Huyghe, R. (à paraître). Les propriétés aspectuelles des noms d’activités, Cahiers
Chronos.
Haas, P. & Tayalati, F. (2008): Les adjectifs français et l’opposition aspectuelle statif vs
dynamique, Travaux de Linguistique 56 : 47-67.
Haas, P., Huyghe, R. & Marín, R. (2008). Du verbe au nom : calques et décalages aspectuels,
Actes du Congrès Mondial de Linguistique Française, 9-12 juillet 2008, Paris, 2039-
2053.
Havu, J. (2005). L’expression du passé récent en français. Observations sur l’emploi de la
périphrase venir de + infinitif, in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les
périphrases verbales, Amsterdam : John Benjamins, 279-292.
Havu, J. (2006). La grammaticalisation des périphrases aspectuelles et temporelles en
français, XVIe Congrès des Romanistes Scandinaves.
[http://www.ruc.dk/cuid/publikationer/publikationer/XVI-SRK-Pub/LSC/LSC02-Havu/]
Heyd, S. & Knittel, M.-L. (2009). Les noms d'activité parmi les noms abstraits : Propriétés
aspectuelles, distributionnelles et interprétatives, Lingvisticae Investigationes 32 : 124-
148.
Holt, J. (1943). Etudes d’aspect, Acta Jutlantica XV, 2, Universitetsforlaget I Aarhus.
Honeste, M.L. (2005). Venir est-il un verbe périphrastique ? Etude sémantico-cognitive, in H.
Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les périphrases verbales, Amsterdam :
John Benjamins, 293-310.
Hopper, P. & Thompson, S. (1984). The Discourse for Lexical Categories in Universal
Grammar, Language 60 : 703-752.
Husserl, E. (1891/[1972 trad.]), Philosophie de l’arithmétique, Paris : PUF.
Huyghe, R. (2009). Les noms généraux d'espace en français. Enquête linguistique sur la
notion de lieu, Bruxelles : Duculot.
Huyghe, R. & Marín, R. (2008). L’héritage aspectuel des noms déverbaux en français et en
espagnol, Faits de Langues 30 : 265-273.
Jacquey, E. (2006). Cas de « polysémie logique » : modélisation de noms d’action en français
ambigus entre processus et artefact, TAL 47-1 : 137-166.
Jespersen, O. [1924/[1971]). La philosophie de la grammaire, Paris : Les Editions de Minuit.
Kenny, A. (1963/[1994]). Action, Emotion and Will, Bristol : Thoemmes Press.

256
Kiefer, F. (1998). Les substantifs déverbaux événementiels, Langages 131 : 56-63.
Kleiber, G. (1985) Le projet Delors, la camarade Catherine, L’information grammaticale 27 : 3-
9.
Kleiber, G. (1987). Du côté de la référence verbale : les phrases habituelles, Berne : Peter Lang.
Kleiber, G. (1994). Nominales. Essais de sémantique référentielle, Paris : Armand Colin.
Koschmieder, E. (1929/[1996]). Les rapports temporels fondamentaux et leur expression
linguistique, Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion.
Kreutz, P. (2005). Cesser au pays de l’ellipse, in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler
(éds), Les périphrases verbales, Amsterdam : John Benjamins, 431-454.
Kuryłowicz, J. (1930). La genèse d’aspects verbaux slaves, in Prace Filologiczne XIV : 644-657.
Laca, B. (2003). Les syncrétismes Aktionsart – Aspect – Localisation temporelle dans le
domaine des périphrases verbales romanes, Recherches en Linguistique et Psychologie
cognitive 20 : 135-151.
Laca, B. (2004). Les catégories aspectuelles à expression périphrastique : une interprétation
des apparentes « lacunes » du français, Langue Française 141 : 85-98.
Laca, B. (2005). Periphrases aspectuelles et temps grammatical dans les langues romanes, in
H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les périphrases verbales, Amsterdam :
John Benjamins, 47-66.
Lachaux, F. (2005). La périphrase être en train de, perspective interlinguale (anglais-
français) : une modélisation de l’aspect ? in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler
(éds), Les périphrases verbales, Amsterdam : John Benjamins, 119-142.
Lamiroy, B. (1987). The complementation of Aspectual Verbs in French, language 63-2 :
278-298.
Lamiroy, B. (1994). Les syntagmes nominaux et la question de l’auxiliarité, Langages 115 :
64-75.
Lamiroy, B. (1999). Auxiliaires, Langues Romanes et grammaticalisation, Langages 135 : 33-45.
Lamiroy, B. & Melis, L. (2005). Les copules ressemblent-elles aux auxiliaires ? in H. Bat-
Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les périphrases verbales, Amsterdam : John
Benjamins, 145-170.
Langacker, R.W. (1991). Concept, Image, and Symbol : the Cognitive Basis of Grammar,
Berlin / New York : Mouton de Gruyter.
Larochette, J. (1980). La notion d’aspect : point de vue d’un africaniste, in J. David &
R. Martin (dir.), La notion d’aspect, Metz : Centre d’Analyse Syntaxique de
l’Université de Metz, 31-40.
Larousse. (1979/[2002]), Lexis : Larousse de la langue française, Paris : Larousse.
Larreya, P. (2005). Sur les emplois de la périphrase aller + infinitif, in Bat-Zeev Shyldkrot, H. &
Le Querler, N. (éds), Les périphrases verbales, Amsterdam : John Benjamins, 337-360.
Le Pesant, D. (2000). Six études de sémantique lexicale sur les noms communs de lieux,
Habilitation à diriger les recherches, Villetaneuse, Université de Paris 13.
Le Petit Robert. (2004). [version électronique 2.2.].

257
Leeman, D. (1985). Tentative de caractérisation d’un complément circonstanciel : « Dans
mon affolement, je lâchai mon panier de cerises », LINX 12 : 97-145.
Leeman-Bouix, D. (1994). Grammaire du verbe français : des formes au sens, Paris : Nathan
Université.
Leeman, D. (1995). Pourquoi peut-on dire Max est en colère mais non *Max est en peur ?,
Langue Française 105 : 55-69.
Leeman, D. (1997). Sur la préposition en, Faits de Langues 9 : 135-145.
Leeman, D. (1999a). La préposition : un "auxiliaire" du nom ?, Langages 135 : 75-86.
Leeman, D. (1999b). Dans un juron, il sauta sur ses pistolets. Aspects de la polysémie de la
préposition dans, Revue de Sémantique et Pragmatique 6 : 71-88.
Leeman, D. (2001). Contribution à l’élaboration du signifié de la préposition dans (dans et les
noms d’action), in P. de Carvalho et alii (éds), La psychomécanique aujourd’hui,
Paris : Honoré Champion, 103-113.
Levrier, F. (1995). Les phrases de structure N0 être en X : problèmes de nominalisation et
variantes aspectuelles, Cahiers de Grammaire 20 : 65-86.
Littré, E. (1965). Dictionnaire de la langue française, Paris : Gallimard Hachette.
Lyons, J. (1968/[1970]). Linguistique Générale. Introduction à la linguistique théorique,
Dubois-Charlier, D. & Robinson, D. [trads], Paris : Larousse.
Lyons, J. (1978/[1980]). Sémantique Linguistique, Durant, J. & Boulonnais D. [trads], Paris :
Larousse
Marín, R. (2000). El componente aspectual de la predicación, PhD, Universitat Autònoma de
Barcelona.
Martin, F. (2006). Prédicats statifs, causatifs et résultatifs en discours. Sémantique des
adjectifs évaluatifs et des verbes psychologiques, PhD, Université libre de Bruxelles.
Martin, F. (2008). Deux types de stage level predicates, Langages 169 : 111-128.
Mélis, L. (2003). La préposition en français, Paris: Ophrys.
Melnikova, E. (à paraître). L’aspectualité des constructions verbo-nominales de sentiments en
français et en russe.
Milner, J.-C. (1982). Ordres et raisons de langue, Paris : Le Seuil.
Moignet, G. (1980). La théorie psycho-systématique de l’aspect verbal, in J. David & R.
Martin (dir.), La notion d’aspect, Metz : Centre d’Analyse Syntaxique de l’Université
de Metz, 41-49.
Mortier, L. (2005). Les périphrases aspectuelles « progressives » en français et en néerlandais,
présentation et voies de grammaticalisation. in H. Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le
Querler (éds), Les périphrases verbales, Amsterdam : John Benjamins, 83-102.
Mourelatos, A. (1978). Events, Processes and States, Linguistics and Philosophy 2 : 415-434.
Nicolas, D. (2002). La distinction entre noms massifs et noms comptables, Louvain / Paris :
Editions Peeters.
Osswald, R. (2005). On Result Nominalization in German, Proceedings of Sinn und
Bedeutung 9 : 256-270.

258
Peeters, B. (1993). Commencer et se mettre à : une description axiologico-conceptuelle,
Langue Française 98 : 24-47.
Peeters, B. (2005). Commencer à + infinitif, métonymie intégrée et piste métaphorique, in H.
Bat-Zeev Shyldkrot & N. Le Querler (éds), Les périphrases verbales, Amsterdam :
John Benjamins, 381-396.
Pelletier, F.J. (1979). Non-singular reference : some preliminaries, in F.J. Pelletier, (ed.),
Mass Terms : some Philosophical Problems, Dordrecht : D. Reidel Publishing
Company, 1-14.
Picabia, L. (1978). Les constructions adjectivales en français. Systématique
transformationnelle, Genève : Droz.
Pottier, B. (1992). Sémantique générale, Paris : Presses Universitaires de France.
Quine, W.v.O. (1960/[1977]). Le mot et la chose, Paris : Flammarion.
Recanati, C. & Recanati, F. (1999). La classification de Vendler revue et corrigée, Cahiers
Chronos 4 : 167-184.
Renou, L. (1961). Grammaire sanscrite, Paris : Adrien-Maisonneuve.
Rey, A. (dir.). (1992/[1998]). Dictionnaire Historique de la Langue Française, Paris : Le
Robert.
Riegel, M. (1985). L’adjectif attribut, Paris : P.U.F.
Riegel, M. (1997). Il est gentil de nous avoir aidés ou : à propos de compléments de l’adjectif
qui n’en sont pas vraiment, in M. Riegel & G. Kleiber (éds) Les formes du sens. Etude
de linguistique française, médiévale et générale offertes à Robert Martin à l’occasion
de ses 60 ans, Louvain-la-Neuve : Duculot, 355-365.
Riegel, M. & Pellat, J.-C. &. Rioul, R. (1994/[1999]). Grammaire méthodique du français,
Paris : Presses Universitaires de France.
Rothstein, S. (2004). Structuring Events: A Study in the Semantics of Lexical Aspect,
Blackwell: Oxford.
Sandfeld, K. (1936/[1965]). Syntaxe du français contemporain. Les propositions
subordonnées, Genève : Droz.
Sandfeld, K. (1943/[1965]). Syntaxe du français contemporain. L’infinitif, Genève : Droz.
Sandina, V. (2004) Les préconstruits logico-philosophiques des articulations logiques du
discours, The Annals of Ovidius University Constanta 15 : 179-195.
[www.ceeol.com]
Schenner, M. (2005). Aktionsarten : Lexical Aspect, Communication, Séminaire Logic and
cognition, 14 mars 2005, Amsterdam.
[http://menber.eduhi.at/schenner/paper/Schenner05-Aktionsarten-slides.pdf]
Smith, C. (1991). The parameter of Aspect, Dordrecht / Boston / Londres : Kluwer Academic
Publishers.
Smith, C. (1999). Activities : States or Events ? Linguistics and Philosophy 22-5: 479-508.
Spang-Hanssen, E. (1963). Les prépositions incolores du français moderne, Copenhague :
Gads Forlag.
Streitberg, W. (1891) Perfektive und Imperfektive Aktionsart im Germanischen, in Paul &
Braune Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur, XV : 70-177.

259
Tamba, I. (1983). La composante référentielle dans un manteau de laine, un manteau en
laine, Langue Française 57 : 119-128.
Tenny, C. (1994). Aspectual Roles and the Syntax-Semantics Interface, Dordrecht : Klumer
Academic Publishers.
Vaguer, C. (2003). Ella est plongée dans sa lecture : "lecture", prédicat ou complément ?,
Actes des VIèmes RJC ED268 ‘Langage et langues’, 24 mai 2003, Paris III, 70-74.
Van de Velde, D. (1995a). Le spectre nominal : des noms de matières aux noms
d’abstractions, Louvain-Paris : Peeters.
Van de Velde, D. (1995b). Les verbes dits « psychologiques » revus à la lumière des noms
correspondants, Revue de Linguistique Romane 233-234 : 67-97.
Van de Velde, D. (1997a). Adjectifs d’états, adjectifs de qualités, in D. Amiot et alii (éds),
Fonctions syntaxiques et rôles sémantiques, Arras : Artois Presses Université, 151-160.
Van de Velde, D. (1997b). Un dispositif linguistique propre à faire entrer certaines activités
dans des taxinomies : "Faire + du + Nom d’activité", Revue de Linguistique Romane
243-244 : 369-395.
Van de Velde, D. (1998a). Aimer, verbe intransitif, in A. Rousseau (éd.), La transitivité,
Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 441-469.
Van de Velde, D. (1998b). Alice noyée dans ses larmes, Verbum XX-4 : 395-403.
Van de Velde, D. (2006). Grammaire des événements, Villeneuve d’Ascq : Presses
Universitaires du Septentrion.
Van de Velde, D. (2007). La transitivité, Séminaire, Villeneuve d’Ascq : Université de Lille 3.
Van de Velde, D. (2008). Rôle du sujet des verbes de changement d’état physique et
psychologique, Journées d’études « Causes, agents, instruments », 6 juin 2008,
Villeneuve d’Ascq : Université Lille 3.
Van de Velde, D. (à paraître). Sémantique lexicale et lexicographie : le cas des verbes,
Lexique 19.
Vandeloise, C. (1993). Les analyses de la préposition dans : faits linguistiques et effets
méthodologiques, lexique 11 : 15-40.
Vendler, Z. (1957). Verbs and Times, The Philosophical Review 66 : 143-160 [reproduit dans
Vendler (1967)]
Vendler, Z. (1967). Linguistics in Philosophy, Ithaca N. Y. : Cornell University.
Verkuyl, H.J. (1971). On the Compositional Nature of the Aspects, PhD, Université
d’Amsterdam.
Verkuyl, H.J. (1989). Aspectual classes and aspectual composition, Linguistics and
Philosophy 12-1 : 39-94.
Verkuyl, H.J. (1993). A theory of aspectuality, Cambridge : Cambridge University Press.
Verkuyl, H.J. (2001). Aspectual Composition : Surveying the Ingredients, in Proceedings of
the Utrecht Perspectives on Aspect Conference, décembre 2001, 201-219.
Vincent-Durroux, L. (2006). La nature du procès dans les énoncés en BE+ING, Corela 4-1.
[http://edel.univ-poitiers.fr/corela/document.php?id=1169]

260
Vivès, R. (1984). L’aspect dans les constructions nominales prédicatives : avoir, prendre,
verbe support et extension aspectuelle", Lingvisticae investigationes VIII-1 : 161-185.
Wilmet, M. (1980). Aspect grammatical, aspect sémantique, aspect lexical : un problème de
limites, in J. David & R. Martin (dir.), La notion d’aspect, Metz : Centre d’Analyse
Syntaxique de l’Université de Metz, 51-68.
Zandvoort, R.W. (1962). Is ‘Aspect’ an English Verbal Category ?, Gothenburg Studies in
English 14 : 1-20.

261

Vous aimerez peut-être aussi