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Faits de langue et société, n° 5, 2020 : pp.

115-129

DIATHESE ET VOIX EN ARABE MAROCAIN


LE CAS DU PASSIF, DU MOYEN ET DU
CAUSATIF
Diathesis and voice in Moroccan Arabic, the case of
passive, middle and causative
Par /By
Zahra ZAID

Résumé
Dans cette analyse, nous allons traiter les questions liées à la diathèse et à
la voix en arabe marocain. Notre objectif est de distinguer ces deux
catégories qui interviennent dans la description sémantico-syntaxique du
verbe. D’abord, nous allons définir chacune d’elles, ensuite, en nous basant
sur les réflexions récentes faites sur ces deux notions, nous allons dégager
leur relation d’interdépendance en précisant ce qui relève de la diathèse et ce
qui relève de la voix. Par la suite, nous fournirons une description du verbe
en fonction de ces deux catégories en établissant, dans un premier temps, le
rapport entre la voix active et la diathèse de base du verbe, et dans un
deuxième temps, en mettant l’accent sur les voix et diathèses qui modifient
l’organisation de la structure de base du verbe en AM, notamment le passif,
le moyen et le causatif.
Mots clés. Verbe- Sémantique- Syntaxe- Valence- Diathèse- Voix-
Arabe marocain.
Abstract
In this analysis, we will describe the relation between the diathesis and
the voice in moroccan arabic. Our aims are to distinguish between these two
categories that intervene in the semantico-syntactic description of the verb.
We will first define each of them, then, based on recent reflections made on
these two notions, we will identify the relation of interdependence between
them by specifying what the diathesis and what the voice. Subsequently, we
will give a description of the verb according to the different voices and
diatheses that it can realise by establishing, at first, the relation between the
active voice and the basic diathesis of the verb, and in a second time, by
describing the voices and diathesis that modify the organisation of the basic
structure of the verb in MA, in particular the passive, the middle and the
causative.
Key-words. Verb – Semantic – Syntax - Diathesis- Voice- moroccan
arabic

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Introduction
Notre objectif, dans cette contribution, consiste à décrire l’organisation
actancielle du verbe - ce qui renvoie à la diathèse - et à représenter cette
dernière en syntaxe par ce qu’est appelée communément la voix. Plus
particulièrement, nous allons établir la relation entre ces deux catégories en
précisant comment la diathèse organise la valence du verbe et comment
cette organisation est supportée par la voix au niveau syntaxique. Pour cela,
nous allons d’abord présenter une définition du verbe et nous serons
amenée, par la suite, à définir la diathèse de base du verbe ainsi que celles
qui modifient la disposition de ses actants, essentiellement, la diathèse
passive, moyenne et causative.

1. Critères de définition du verbe


Le verbe a fait l’objet de nombreuses recherches en sciences du langage
et a reçu plusieurs définitions. Mais d’un point de vue grammatical, cette
catégorie répond à trois critères définitionnels, notamment syntaxiques,
morphologiques et sémantiques.
Syntaxiquement, le verbe a été longtemps considéré comme la catégorie
qui n’a pas de fonction dans la phrase ; il est, par contre, conçu comme le
noyau ou le centre à partir duquel sont déterminées les fonctions
grammaticales essentielles attestées dans l’énoncé. Cependant, le verbe a
bien un rôle en syntaxe, notamment celui de prédicat qui, en s’associant à un
sujet, forme une phrase. En fait, il s’agit de deux fonctions grammaticales
dont l’identification découle du rapport de prédication qui s’établit entre les
deux en syntaxe. (Hagège, 2013 : 35) considère, dans ce sens, que « le
prédicat est une notion relationnelle [ ] définie par son cooccurrence avec un
second élément. Prédicat est le nom d’une fonction, non d’un type de mot. »
Morphologiquement, le verbe est « un mot variable qui se conjugue,
c'est-à-dire qui s’associe à plusieurs catégories grammaticales
correspondant, sur le plan de la signification, au nombre, à la personne, au
temps, au mode et à l’aspect. » (Riegel et al, 2009 : 434). Ces différentes
marques actualisent le procès et assurent son passage au discours. En arabe
marocain, langue flexionnelle associative, cette combinaison s’opère par des
variations vocaliques et consonantiques. Ainsi, dans (1), le verbe Za indique
l’aspect accompli, le temps passé et la troisième personne du masculin
singulier, dans (2) la forme verbale Zaw indique l’aspect accompli, le temps
passé et la troisième personne du pluriel et dans (3) Zat marque l’aspect
accompli, le temps passé et la troisième personne du masculin féminin
marquée par le morphème t en fin de mot.

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1. Hmed Za.
Ahmed venir acc 3è p sing masc.
Ahmed est venu.
2. Zaw D-Dyaf.
Venir acc 3è p plur les invités.
Les invités sont venus.
3. fatima Zat.
Fatima venir acc 3 è p sing fém.
Fatima est venue

Sémantiquement, le verbe désigne un procès qui renvoie à une action, à


un évènement ou à un état représenté par le verbe. Dans ce cadre, une
distinction est établie ente les verbes pleins à contenu lexical et les verbes
légers à contenu grammatical. Les premiers ont une structure sémantique, ce
qui est désigné par la valence, qui renvoie au nombre d’actants ou de
participants que le verbe exige pour se réaliser. Les deuxièmes sont avalents
parce qu’ils ne prennent pas d’actants, le cas des verbes impersonnels,
comme ka-yban, ka-yDher (paraitre).

4. ka-yban belli Gadi ntfahmu.


Paraitre 3è p inacc masc sing que allant entendre 1 p plur.
ère

Il parait que nous allons nous entendre.

Le verbe ka-yban n’a pas d’actant, il prend en syntaxe un sujet


grammatical représenté par les traits de l’accord indiquant la troisième
personne du masculin singulier, ces traits fonctionnent comme le sujet
grammatical qui correspond en français au sujet impersonnel il. Notons que
la forme impersonnelle de ce verbe apparait uniquement dans les phrases
complétives, alors que dans les phrases simples, le verbe garde son sens
plein, comme dans (5) ou bien, il fonctionne comme un verbe d’état, le cas
de (6).

5. Hmed ka-yban f t-telfaza.


Ahmed parait à la télé. (Ahmed passe à la télé.)
6. Hmed ka-yban 3eyyan.
Ahmed parait fatigué.

Ainsi, un verbe ayant une valence peut être :


- Monovalent, s’il a un seul actant : Hmed xreZ (Ahmed est sorti.)
- Bivalent, s’il a deux actants : Hmed Sra ktab (Ahmed a acheté un livre.)

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- Trivalent, s’il a trois actants : Hmed 3Ta l-flus l xu-h (Ahmed a donné
l’argent à son frère.)
- Quadrivalent, s’il a quatre actants : Hmed terZem l-ktab men l-frunsi l l-
3erbiya (Ahmed a traduit le livre du français à l’arabe.)
Nous venons de considérer que les verbes à contenu sémantique ont une
structure actancielle décrite en termes de valence qui spécifie le nombre de
participants intervenant dans la réalisation du procès. La diathèse, du grec
diathesis, « disposition, état, condition » intervient pour organiser cette
structure, plus particulièrement, elle identifie le rôle sémantique que joue
chacun des actants dans l’évènement que désigne le prédicat et elle prévoit
la position qu’ils peuvent occuper en syntaxe. Elle renvoie ainsi à « la
disposition dans laquelle se trouve le sujet vis-à-vis de l’action énoncée par
le verbe, suivant qu’il l’accomplit ou qu’il la subit. » (Marouzeau, 1969 :
75). À ce niveau, la voix intervient en ce qu’elle « décrit la forme (active,
passive, etc.) prise par le verbe pour exprimer une diathèse » (Muller, 2002 :
125). Elle est ainsi une catégorie qui relève plus de la morphosyntaxe que
du sens du verbe. Nous dirons plus particulièrement qu’elle est la forme que
revêt le verbe pour exprimer la diathèse, ou bien le signifiant qui permet de
signifier cette dernière. Vu le rôle de chacune de ces catégories, nous
considérons qu’il n’y a pas lieu de les confondre, car elles sont tout à fait
distinctes, quoiqu’étroitement liées, comme il sera démontré, dans le point
suivant.

2. Diathèse et voix actives


En considérant que « chaque voix se manifeste par des flexions verbales
spécifiques (désinences ou préfixes, formes différentes des auxiliaires). »
(Dubois, 1973 : 512), nous dirons que la voix active serait celle ne
comportant aucune marque, car elle est la forme de base de la phrase faisant
fonction de modèle pour l’analyse syntaxique. Quant à la diathèse active,
nous soulignons qu’elle réalise la valence de base du verbe, celle qui est
déterminée par ses propriétés lexicales inhérentes spécifiant le nombre
d’actants qu’il prend au niveau de sa structure sémantique.

7. Hmed Sra ktab.


Ahmed a acheté un livre.

La phrase est à la forme active, le verbe apparait avec sa diathèse de


base. En effet, il est bivalent avec deux participants ayant chacun le rôle
sémantique d’agent et de thème et qui se réalisent en syntaxe en position de
sujet (Ahmed) et d’objet (un livre.)

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Il existe aussi des verbes bivalents à deux rôles sémantiques d’agent et de


patient qui peuvent aussi avoir une double diathèse, passive et active, avec
la même voix active.

8. l-Hdid SeDDa.
Le fer a rouillé.
9. l-Hdid tSedda.
Le fer a été rouillé

Le verbe SDDa, dans (8), a une diathèse passive dans le sens où le sujet
de la phrase, l-Hdid a le rôle thématique de patient, qui subit l’action, mais
au niveau syntaxique, cette diathèse se réalise avec la voix active. Ainsi,
nous constatons qu’il y a association de la diathèse passive avec une voix
active du verbe. Alors que dans (9), nous avons une diathèse et une voix
passives. Cette dernière est marquée morphologiquement par l’ajout du
préfixe t, en AM. Nous dirons que, dans les deux exemples, le sujet l-Hdid
est un patient qui subit l’action d’un causeur qui peut être restitué en
syntaxe.

10. l-bruda SeDDat l- Hdid.


L’humidité a rouillé le fer.

Nous avons, dans cet exemple, la réalisation de la diathèse de base du


verbe avec deux rôles sémantiques, le causeur l-bruda qui prend, en
syntaxe, la position de sujet et le patient l-Hdid celle d’objet. Ainsi, il serait
possible d’avoir une diathèse active ou passive avec le verbe à la forme
active, comme il est illustré par les exemples ci-dessus.
Cependant, il convient de préciser que la voix active est une forme qui ne
signifie pas que le sujet est agentif, car le comportement de celui-ci vis-à-vis
du procès peut varier suivant les propriétés sémantiques du verbe, il peut
être un agent le cas de (11), un patient le cas de (12) ou un instrument, le cas
de (13), etc.

11. Hmed Za.


Ahmed (agent) est venu.
12. Hmed n3es.
Ahmed (patient) s’est endormi.
13. had s-stilu ka-ykteb mezyan.
Ce stylo (instrument) écrit bien

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Après avoir présenté une définition du verbe et distingué ce qui relève de


la diathèse et de la voix, nous allons, à présent, décrire les voix et diathèses
qui modifient la valence du verbe en AM. Il sera question plus précisément
du passif, du moyen et du causatif.

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3. Diathèse et voix passives


La voix passive, en arabe marocain, est une opération morphologique qui
consiste à ajouter au verbe un morphème préfixé marquant le passif,
notamment le t.

14. l-bulis qbeT S-Seffar.


La police a attrapé le voleur.
15. S-Seffar t-qbeT.
Le voleur est attrapé.
16. S-Seffara serqu Hmed.
Les voleurs ont volé Ahmed.
17. Hmed t-sreq.
Ahmed a été volé

Ces exemples reflètent le changement qui se produit au niveau de la


structure sémantique et de la diathèse de base du verbe. Nous assistons plus
particulièrement à une réduction de la valence du verbe et à une
modification de l’organisation de ses actants. En effet, nous avons, d’un
côté, une forme et une diathèse actives des verbes dans (14 et 16) où l’agent
est sujet et le patient est objet, de l’autre côté, dans (15 et 17), nous avons
une voix et une diathèse passives où l’agent n’est pas réalisé et le patient
occupe la position de sujet. Nous signalons qu’il s’agit d’une propriété de
l’arabe marocain, qui réalise le passif court, par opposition au passif
périphrastique. Or, il faut dire que c’est cette absence qui définit la notion
même du passif dont « la raison d’être est de pouvoir présenter la situation
sans devoir en spécifier l’agent. » (Desclèrs et Guenchéva, 1993 : 80).
Notons, en revanche, que la non-spécification de l’agent n’exclut pas sa
présence, au contraire, nous affirmons que le passif en a un « qui est
toujours impliqué même s’il n’est pas restituable par le contexte. » (ibid :
79)
Nous soulignons, par ailleurs, que cette omission dépend du locuteur et
de la façon dont il perçoit les procès et les actants qui interviennent dans
leur réalisation, c’est-à-dire que la diathèse « n’est pas indépendante des
choix de thématisation et de focalisation » (Muller, 2008 : 45), parce que le
sujet parlant choisit de se focaliser sur l’objet qui subit l’action en le plaçant
en position de sujet et en marginalisant son instigateur. Autrement dit, la
passivation consiste à promouvoir le patient en position de sujet et à
dégrader l’agent en l’écartant de la relation prédicative de base sans pour
autant nier son existence. Notons également qu’il serait possible que l’agent
cède la place à d’autres actants pour la réalisation du passif.

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18. D-Du t-qteε.


Le courant d’électricité est coupé.

Selon cet exemple et ceux cités ci-haut, le passif verbal peut être de deux
types :
- Celui issu d’un procès agentif et dont l’agent, qui est sous-entendu,
contrôle la situation, le cas de (15 et 17).
- Celui lié à un phénomène extralinguistique dont la cause, plutôt que
l’agent, est restituée grâce à nos connaissances du monde extérieur, le cas de
(18). Il s’agit, dans ce cas, de constructions neutres ou médio passives « où
l’agent perd plus ou moins sa capacité de contrôle au profit d’un rôle
causal ». Desclérs et Guenchéva (ibid : 97), plus précisément, « avec les
constructions neutres, il n’y a aucun agent [ ] il est bien possible qu’un
instrument naturel [ ] ait joué un rôle, mais l’évènement a lieu sans aucune
intervention délibérée.» Lyons (1989 : 172). Par exemple, dans (18), il peut
s’agir d’une panne d’électricité causée par un orage, des pluies, etc.
Nous verrons, dans ce qui suit, la diathèse moyenne en arabe marocain et
ce qui la caractérise et la différencie du passif.

3. Diathèse et voix et moyennes


Le moyen est lié étroitement au passif, mais la différence entre les deux
constructions est de nature aspectuelle, dans le sens que le passif indique un
procès accompli dans le temps alors que la forme inaccomplie du verbe
génère l’interprétation moyenne.

19. had l-panTufat ka-y-t-ba3u ki pti pan.


Ces pantoufles se vendent comme des petits pains.
20. had l-kisan ka-y-t-hersu deGya.
Ces vers se cassent facilement.
21. had t-tub ka-y-t-qeTTeq deGya.
Ce tissu se déchire facilement.
22. had l-3eSba ka-t-t-kal.
Cette herbe se mange

Les verbes ka-y-t-ba3u : se vendent, ka-y-t-hersu : se cassent, ka-y-t-


qeTTe3 : se déchire et ka-t-t-kal : se mange comportent la marque du
présent inaccompli, ka et le morphème t qui n’est pas celui du passif.
L’association des deux morphèmes permet de générer la voix moyenne.
Nous pouvons avancer, dans ce sens, que l’opposition aspectuelle

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accomplie/ inaccomplie est pertinente pour distinguer la voix passive et


moyenne, car, avec la forme accomplie, cette dernière bascule vers une
interprétation passive.

23. ka-y-t-ba3. / t-ba3.


Il se vent. / Il est vendu.
24. ka-y-t-kal. / t-kal.
Il se mange/. Il est mangé.
25. ka-y-t-herres. / t-herres.
Il se casse. / Il est cassé.
26. ka-y-t-qeTTe3. / t-qeTTe3.
Il se déchire. / Il est déchiré.

Ajoutons également que cette opposition entraine un changement de sens


dans la mesure où la forme passive renvoie à un processus marquant le
changement d’un état ou le passage d’un état à un autre, elle indique aussi
un évènement ponctuel situé dans un temps bien déterminé. Alors que la
forme moyenne désigne une propriété de l’objet et donc elle entraine une
lecture atemporelle non ponctuelle. Nous dirons ainsi que le passif est
évènementiel en ce qu'il renvoie à un moment précis étroitement lié au
présent de l’énonciation. Par contre, le moyen évoque une propriété qui
échappe à la contrainte temporelle, qui n’est pas soumise à la condition du
moment ou du maintenant du locuteur, mais qui peut être vraie hors de toute
caractérisation temporelle. Certes, nous pouvons rencontrer des phrases
telle :
27. had t-tub kan ka ytba3 mezyan, daba, ma bqa S ka ytba3.
Ce tissu se vendait bien, maintenant, il ne se vend plus

Cette phrase, même si elle marque l’opposition entre un temps passé et


un présent, elle se concentre toujours sur l’objet et ce qui le caractérise.
Donc, le temps passé dont il s’agit est général. En outre, l’adverbe temporel
daba : maintenant ne renvoie pas au moment de l’énonciation, c’est-à-dire à
un moment ponctuel, mais il signifie actuellement ou en ce moment.
Nous signalons un autre trait qui pourrait distinguer le passif et le moyen,
celui lié à l’actant instigateur de l’action présent dans la structure de base du
verbe. Ce dernier, qu’il soit à la forme passive ou moyenne, a deux actants,
un agent et un patient, c’est-à-dire, dans les deux cas, le verbe reste bivalent,
mais ce qui est particulier dans la diathèse moyenne est la non-pertinence de
la présence de l’agent pour l’interprétation de la phrase, il est même exclu
de la relation prédicative, parce que la construction moyenne ne met pas en
avant l’objet en tant qu’actant subissant l’action, mais en tant qu’entité

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ayant une propriété qui la caractérise. Autrement dit, le moyen ne traduit pas
le passage d’un état à un autre ou le résultat de l’action, mais il décrit une
propriété du sujet qui est ou qui n’est pas. Il se démarque ainsi du passif qui
sous-entend la présence d’un agent qui a pour rôle de contrôler l’action en
affectant le patient et en faisant en sorte que celui-ci « passe d’une position
stative initiale ou d’un état initial à une autre position stative finale ou à un
autre état final. » (Desclès et Guenchéva, Ibid : 96)
Ainsi, nous pouvons dire que le morphème t est homonymique, en ce
qu’il réalise la voix passive et moyenne, mais cette dernière dépend de
l’aspect inaccompli marqué par le morphème ka, autrement dit, c’est
l’association de ce dernier avec le morphème t qui engendre l’interprétation
du moyen.

4. Diathèse et voix causatives


La diathèse causative, appelée aussi factitive, produit un changement au
niveau de la valence de base du verbe, en ce sens qu’un nouvel actant
identifié sémantiquement comme étant le causateur du procès y est adjoint.
Il s’agit en fait d’une opération inverse de la passivation. Si cette dernière
dégrade l’agent responsable de l’action et réduit la valence du verbe, la
diathèse causative l’augmente d’un actant.

28. Hmed Dewwer fatima f l-mdina.


Ahmed a fait promener Fatima dans la médina.
29. Had d-dwa ka y-ne33es fatima.
Ce médicament fait dormir Fatima.

(28) et (29) sont deux constructions causatives comportant l’actant (le


causateur), notamment Ahmed et ce médicament qui occupent tous les deux
la position de sujet, alors que la position d’objet est occupée soit par
l’exécuteur, qui est agentif, le cas de Fatima dans (28), soit par le patient qui
la subit, le cas de Fatima dans (29).
En arabe marocain, cette diathèse est exprimée par la voix causative qui
prend deux formes différentes. Elle se réalise morphologiquement par le
dédoublement de la première consonne de la deuxième syllabe du mot.

30. fatima Dart f l-mdina.


Fatima s’est promenée dans la médina.
31. Hmed Dewwer fatima f l-mdina.
Ahmed a fait promener Fatima dans la médina.
32. d-drari fehmu d-ders.
Les enfants ont compris la leçon.

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33. l?ustad fehhem l t-talamid d-ders.


Le professeur a fait comprendre la leçon aux élèves.

Comme elle peut se réaliser syntaxiquement par l’emploi d’un semi-


auxiliaire de valence, notamment xella (laisser) qui est plus précisément une
forme tolérative :

34. Hmed xella fatima tsafer


Ahmed a laissé Fatima voyager

Dans cet exemple, le sujet Ahmed tolère que Fatima fasse quelque chose,
notamment voyager, et non il lui fait faire quelque chose. Nous avons le
sens d’autorisation et de permission.
Ainsi, dans le sens du factitif, l’agent ou le causateur est actif, c’est lui
qui agit, alors qu’avec le semi-auxiliaire xella (laisser), il est en quelque
sorte passif, dans le sens qu’il ne participe pas activement à l’action, il se
contente de tolérer ou de veiller à ce qu’un autre la réalise. Plus
particulièrement, la forme tolérative est choisie « lorsque l’initiative de
l’action doit rester du côté de l’objet, le sujet ne faisant que s’y consentir. »
(Weinrich, 1989 : 97). Dans les deux cas, la valence des verbes en question
s’enrichit par l’ajout d’un autre actant. Nous observons également un
changement dans l’organisation et la disposition des actants : l’actant qui
s’ajoute occupe la position de sujet de la construction causative, alors que
l’actant/sujet de la forme active occupe la position d’objet direct du verbe à
la forme causative.
Notons, par ailleurs que le causatif n’a pas de contraintes aspectuelles, le
procès peut être aussi bien à l’accompli qu’à l’inaccompli.

35. had d-dwa ka-y-n33es/ n33es fatima.


Ce médicament fait / a fait dormir Fatima.
36. Hmed ka-y-xlli/ xella fatima tsafer.
Ahmed laisse / a laissé Fatima voyager.

Cependant, nous notons que, dans le cas du causatif morphologique,


l’actant exécuteur ou le patient faisant partie de la diathèse causative peut ne
pas se réaliser quand le verbe est à l’inaccompli.

37. had d-dwa ka yn33es.


Ce médicament fait dormir.
38. Hmed ka yDHHek.
Ahmed fait rire.

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39. *had d-dwa n33es.


*Ce médicament a fait dormir
40. *Hmed DHHek
*Ahmed a fait rire.

Il est à noter qu’avec la construction causative, le verbe devient transitif


et, par conséquent, il exige la présence, en syntaxe, d’un objet direct. Cette
nouvelle organisation et disposition des actants définit le causatif qui,
associé à l’aspect accompli, confère au procès le sens d’action faite sur un
actant qui la subit ou l’exécute dans le temps, d’où la nécessité de la
présence de cet actant en position d’objet du verbe causatif sinon la phrase
sera agrammaticale. Par contre, dans le cas de l’inaccompli, l’actant
occupant la position d’objet de la construction causative peut comme il ne
peut pas se réaliser :

41. had d-dwa ka-yn33es (Fatima)


Ce médicament fait dormir (Fatima
42. Hmed ka-yDehhek (sHab-u)
Ahmed fait rire (ses amis)

Cette nouvelle réorganisation des actants génère un sens différent qui


n’exprime pas une action, mais un état ou une propriété intrinsèque du sujet.
En effet, il s’agit d’une variante de sens qui apparait avec la forme
inaccomplie du verbe et la non-réalisation de l’actant en position d’objet.
Nous pouvons même parler, dans ce cas, d’emploi absolu du verbe avec la
diathèse causative qui autorise la non-réalisation du patient parce que la
phrase peut avoir une valeur générale, comme dans les exemples suivants :

43. had d-dwa ka-y-ne33es lli ka-y-Serb-u


Ce médicament fait dormir celui qui le prend
44. Hmed ka-y-DeHHek n-nas
Ahmed fait rire les gens

Donc, les constructions causatives à l’inaccompli ne renvoient pas à une


action, mais à une propriété du causateur que le locuteur cherche à mettre en
relief, ce qui fait que la présence de l’actant occupant la position d’objet en
syntaxe devient non pertinente pour l’interprétation de la phrase. Le causatif
se rapproche du moyen, en ce sens que tous les deux se concentrent sur le
seul actant exprimé mis en position de sujet et négligent celui qui fait partie
de la diathèse de base du verbe. Cette concentration entraine une
modification de sens.

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Conclusion
Nous venons de préciser avec le traitement des notions de voix et de
diathèse que ces catégories sont étroitement liées, dans la mesure où la voix
permet de réaliser syntaxiquement les différentes diathèses du verbe et que
cette dernière ne prend forme que par et à travers la voix. Nous avons établi
la distinction entre la voix active qui est la forme neutre du verbe et la voix
passive, moyenne et causative qui sont marquées parce qu’elles changent sa
forme de base par des opérations morphologiques et syntaxiques.
Nous avons aussi soutenu l’idée que la diathèse est liée à la modalité et
qu’elle traduit le choix du locuteur qui vise à mettre en relief ou à se
focaliser sur certains actants et pas d’autres et par conséquent, elle contribue
à modifier la valence du verbe et à réorganiser la disposition de ses actants.
C’est ainsi que nous avons traité deux types de diathèses qui sont
susceptibles de faire varier le nombre d’actants, notamment la diathèse
causative qui permet d’augmenter, aux moyens morphologique et
syntaxique, la valence du verbe d’un actant et la diathèse récessive qui
réduit d’une unité le nombre d’actants, le cas du passif et du moyen. Enfin,
nous avons noté que différents moyens grammaticaux, notamment
morphologique, syntaxique et aspectuel, interviennent pour déterminer et
définir la diathèse du verbe, en arabe marocain.
Zahra ZAID
Université Chouaib Doukkali, El Jadida

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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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